L'Illustration, No. 3239, 25 Mars 1905

By Various

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Title: L'Illustration, No. 3239, 25 Mars 1905

Author: Various

Release Date: November 7, 2010 [EBook #34231]

Language: French


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L'ILLUSTRATION, NO. 3239, 25 MARS 1905 ***




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L'Illustration, No. 3239, 25 Mars 1905

[Illustration: LA REVUE COMIQUE, par Henriot.]

_Ce numéro contient l'_ILLUSTRATION THÉÂTRALE _avec le texte complet
des_ VENTRES DORÉS.

L'ILLUSTRATION.

Prix de ce Numéro: Un franc.
SAMEDI 25 MARS 1905
63° Année.--Nº 3239.




[Illustration: M. BRIEUX M. PAUL HERVIEU. M. MARCEL PRÉVOST. NOS
ÉCRIVAINS RÉFORMATEURS DU CODE CIVIL _Photographie prise chez M. Paul
Hervieu, le 21 mars,--Voir l'article à la page suivante._]

L'ILLUSTRATION _pendant les trois premiers mois de 1905, a tenu plus
encore qu'elle n'avait promis à ses lecteurs, en ne leur donnant pas
moins de sept pièces de théâtre nouvelles: le_ Bercail, _par_ M. HENRY
BERNSTEIN, la Conversion d'Alceste, _par_ M. GEORGES COURTELINE;
l'Instinct, _par_ M. HENRY KISTEMAECKERS; la Fille de Jorio, _par_ M.
GABRIELE D'ANNUNZIO,_traduction de_ M. G. HÉRELLE; la Retraite, _par_ M.
BEYERLEIN, _traduction de_ MM. RAMON et VALENTIN; la Massière, _par_ M.
JULES LEMAÎTRE, _et enfin, dans ce numéro même, les_ Ventres dorés, par
M. ÉMILE FABRE.

_Pendant le trimestre qui commencera avec le prochain numéro, nos
abonnés ne seront pas moins favorisés._

_Dès les premières semaines d'avril, nous allons publier successivement:_

L'ÂGE D'AIMER, _par_ M. PIERRE WOLFF, _dont le principal rôle va être
interprété par Mme Réjane au théâtre du Gymnase;_

SCARRON, _par_ M. CATULLE MENDÈS, _qui va être joué par M. Coquelin aîné
au théâtre de la Gaîté;_

L'ARMATURE, _par_ M. BRIEUX, _d'après le célèbre roman de_ M. PAUL
HERVIEU, _de l'Académie Française._

_Paraîtront ensuite, au fur et à mesure de leurs premières
représentations:_

LE DUEL, _par_ M. HENRI LAVEDAN _(Comédie-Française);_

LE RÉVEIL, par M. PAUL HERVIEU _(Comédie-Française)_;

MONSIEUR PIÉGOIS, _par_ M. ALFRED CAPUS _(Renaissance)_;

LE GOÛT DU VICE, _par_ M. HENRI LAVEDAN _(Gymnase)_;

_Les prochaines pièces de_ MM. MAURICE DONNAY, BRIEUX _et de tous les
principaux auteurs dramatiques contemporains._

L'ILLUSTRATION _va commencer, pour ne plus l'interrompre, la publication
de nombreux suppléments artistiques: gravures tirées en couleurs ou en
camaïeu, oeuvres inédites d'Albert Guillaume, Georges Scott, ou
reproductions de tableaux par Henner, Thaulow, Bail et autres maîtres
modernes._

_Le numéro consacré aux_ Salons de 1905 _sera particulièrement soigné: le
choix des oeuvres reproduites, la beauté du papier et du tirage en
feront un véritable album d'art._

_Nous rappelons que les abonnés de l'_Illustration _reçoivent sans
aucune augmentation de prix tous les suppléments:_ Pièces de théâtre
(ILLUSTRATION THÉÂTRALE); Numéro du Salon; Numéro de Noël; Gravures hors
texte, etc., etc.




COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

On n'a pas soufflé mot à Paris d'un congrès que tint à Bordeaux, ces
jours-ci, la Ligue contre la licence des rues et que M. le sénateur
Bérenger présidait. C'est, par hasard, en feuilletant des journaux de
province au salon de mon hôtel, que j'ai pu me tenir au courant des
travaux de cette assemblée. Il n'y a pas de plus louable tâche que celle
qu'elle entreprend. L'une des choses qui nous étonnent le plus, nous
autres étrangers, quand nous débarquons à Paris, c'est la facilité avec
laquelle s'exhibe, aux vitrines de certaines librairies, aux devantures
de tous les kiosques à journaux, l'image obscène. Un homme a voulu
empêcher cela et tout le monde lui a donné raison. Mais, comme il n'est
pas bienséant, à Paris, d'avouer qu'on a le respect de la morale, on a
laissé M. le sénateur Bérenger fonder sa Ligue, en l'en approuvant tout
bas; après quoi l'on s'est moqué de lui. Mes amis me disent qu'il n'y a
pas d'homme qui ait été plus «blagué», depuis sept ou huit ans, que
celui-là. Le dessinateur et le chansonnier se sont emparés de M.
Bérenger; il est, dans les revues de fin d'année, le héros de scènes
burlesques où la vertu est fort irrévérencieusement traitée; on
l'appelle, en riant, le «Père la Pudeur»... Il nous laisse rire. Il va
son chemin; il accomplit, avec simplicité et obstination, une tâche qui
le rend impopulaire chez les jeunes gens et qui fait sourire les femmes.
Je trouve cela très courageux. Le seul défaut, peut-être, de cet homme
de bien est de n'avoir pas l'air aimable. On me l'a montré, un soir,
dans une réunion publique. Il a le regard fuyant, les traits tourmentés;
ses favoris gris roux ont une coupe archaïque; les lèvres minces
dessinent, sur la face rasée, comme un pli de mauvaise humeur. Les gens
se le désignaient, à distance, avec des mots narquois et visiblement, en
le regardant, pensaient à des couplets entendus, à de récentes
caricatures. Peut-être est-ce à dessein, et pour échapper à ces faciles
railleries, que M. Bérenger s'en est allé continuer hors Paris sa
campagne contre les pornographes.

Il s'est dit que Bordeaux est loin du boulevard et que la blague
parisienne hésiterait peut-être à le poursuivre jusque là...


Car Paris ne se répand pas volontiers vers les départements. Et c'est là
encore un des traits caractéristiques de la psychologie du Parisien. Le
Parisien ignore la province--j'ai souvent remarqué cela--et s'il entre
en contact avec elle, il entend qu'elle lui en sache gré. Il semble que
le fait d'avoir fixé sa résidence sur un coin de terre que bornent, aux
quatre points cardinaux, Batignolles, Vaugirard, Auteuil et Bercy,
confère à cet homme une supériorité sur tous les autres; et nous en
avons eu la preuve, hier encore, dans l'extraordinaire attitude de la
bande que jugeait la cour d'Amiens et de ses avocats. On a l'impression
très nette, à la lecture des comptes rendus de ce curieux procès,
qu'accusés et défenseurs se sont sentis, là-bas, comme dépaysés, et
qu'ils eussent souhaité, pour la narration et l'apologie de leurs
exploits, une scène plus digne d'eux. Aussi, dès l'ouverture des débats,
avons-nous vu comme un courant de mauvaise humeur et d'incivilité
générale s'établir dans le prétoire. Il est évident que ces virtuoses du
meurtre et du vol, pénétrés du sentiment de leur «force», souffraient de
la malchance, de l'humiliation d'être jugés si loin du boulevard et que
leurs avocats partageaient ce sentiment. L'avocat parisien surtout ne
saurait supporter sans impatience l'autorité des juges départementaux.
Le plus souple, en leur présence, devient cassant; le plus courtois
montre une brutalité qui n'est pas dans sa manière habituelle: il lui
déplaît de s'en laisser remontrer par la province»...

Ce n'est pas tout à fait leur faute Les Parisiens auraient moins de
vanité si la province attachait moins d'importance à tout ce qui se dit
et se fait à Paris: la Parisienne, si charmante qu'elle soit, serait
moins fière de sa grâce et de son élégance si elle se sentait moins
jalousement observée par la couturière et la modiste de Marseille, de
Nantes et de Roubaix; et plus il y aura de bons élèves dans les
universités de province, moins il se fera tapage chez les étudiants de
Paris.

Ils en ont fait énormément depuis huit jours, et plusieurs fois je les
ai vus passer rue Soufflot, sous mes fenêtres, très excités, au cri de:
«Conspuez Gariel!»

On me dit que c'est le nom d'un professeur éminent de la Faculté de
médecine, qui a commis l'imprudence de se montrer sévère, en de récents
examens; de là, des _blackboulages_ que cette jeunesse juge immérités.

--Sévérité salutaire, madame! m'affirmait tout à l'heure un vieux
médecin, célibataire et retraité, qui est mon voisin de table d'hôte. On
ne découragera jamais assez les jeunes gens d'aujourd'hui d'être
médecin...

--C'est pourtant, dis-je, la plus noble des professions.

--C'en est la plus décevante aussi. La médecine compte quelques
«princes» que leur talent a rendus célèbres et riches; mais il faudrait
pouvoir signaler aux jeunes gens tous ceux qui n'ont pas trouvé dans la
pratique de cet art-là de quoi vivre; et le nombre en grossit tous les
jours.

--On est donc moins malade qu'autrefois, docteur?

--Oui, madame. Les conditions de l'hygiène générale nous ont fait une
vie meilleure et, si étrange que la chose paraisse, il y a moins de
malades aujourd'hui qu'autrefois. Nos hôpitaux sont mieux tenus; des
gens de situation modeste, à qui la promiscuité de l'hôpital eût fait
horreur il y a vingt ans, vont aujourd'hui s'y faire soigner.
D'innombrables cliniques gratuites s'ouvrent aux malades ou aux éclopés
de toutes conditions, et voilà une clientèle encore qui échappe au
médecin de «quartier». Et puis, il y a la société de secours mutuels,
qui assure à son adhérent, pour très peu d'argent, les soins d'un
docteur qu'on paye mal,--et qu'on dédommage au moyen d'un peu de ruban
violet. On ne saura jamais combien de blessures les palmes académiques
servent à panser, dans ce pays-ci... Le métier de médecin est devenu,
chez nous, l'un des moins tentants qui soient, et les jeunes gens qui
crient; _Conspuez Gariel!_ sont des fous. Ils maudissent une sévérité
qui les sauve de la misère; ils devraient la bénir. Jamais il n'y aura
trop de «Gariels» au seuil des carrières libérales que tant d'ambitions
encombrent et où s'énervent et se gaspillent tant d'activités qui
auraient pu être bonnes à quelque chose.


Et, tandis que le Quartier latin se fâche, une agitation de fête remplit
Paris, du pont Alexandre au Champ de Mars. Concours agricole au Palais
des machines, Concours hippique au Grand Palais et, demain, les deux
Salons! Mais ici encore l'avenir inquiète: «Trop d'automobiles...»
disent les marchands de chevaux; «Trop de peintres», disent les
marchands de tableaux.

Personne ne dit; «Trop de bétail...» Et la province prend ici sa
revanche. Paris la dédaigne; mais c'est elle qui le nourrit.

                                                         SONIA.



NOS ÉCRIVAINS RÉFORMATEURS DU CODE

Notre Code civil dont on célébrait naguère le centenaire, est un
monument respectable, de belle ordonnance, de construction solide; mais
il en va des monuments législatifs comme des autres: quels que soient
leur force de résistance aux injures du temps et leur état de
conservation, ils vieillissent, ils se démodent peu ou prou, et, si les
fondements tiennent bon, si le gros oeuvre, les dispositions générales
de l'édifice demeurent appropriés à sa destination, il arrive un moment
où certaines parties, certains aménagements ne s'adaptent plus
suffisamment aux idées, aux moeurs, aux nécessités d'une époque.

Donc, le Code civil a besoin de modifications; c'est un fait de toute
évidence, sur quoi l'opinion de jurisconsultes éclairés est d'accord
avec le voeu public. Récemment, un ministre se décidait enfin à
entreprendre cette réforme, réclamée depuis assez longtemps déjà: M.
Vallé, garde des sceaux dans le précédent cabinet, se déclarait prêt à
«marcher». Le premier acte de l'initiative ministérielle fut
l'institution d'une grande commission d'étude et de révision de soixante
membres. L'annonce officielle de cette sage et prudente mesure
préparatoire ne remua pas extraordinairement, il faut l'avouer, ce que
feu M. Floquet, en son verbe sonore, appelait les masses profondes du
suffrage universel et, quant aux couches superficielles du pays, elle
n'y excita qu'un enthousiasme tempéré. Un scepticisme trop justifié par
l'expérience nous porte à nous méfier des commissions, surtout des
grandes, fussent-elles, comme celle-ci, divisées en six
sous-commissions, afin de se partager la tâche; trop souvent elles ont
encouru le reproche d'avoir étouffé dans leur sein les projets
embryonnaires qu'elles étaient censées couver pour en faciliter
l'éclosion, aussi leur mauvaise réputation a-t-elle inspiré la verve
satirique de je ne sais plus quel Juvénal fantaisiste, en une «blague»
amusante dont chaque couplet amène invariablement ce refrain: «Alors, on
nomma une commission, et... on n'entendit plus parler de rien.»

La malice n'épargna pas ce trait cruel au nouveau comité consultatif;
l'éclectisme même qui avait présidé à sa composition contribuait à faire
douter de l'efficacité de sa besogne. Pensez donc! Aux obligatoires
politiciens du Parlement, aux juristes professionnels, naturellement
indiqués, un garde des sceaux, novateur audacieux, n'avait pas craint
d'adjoindre des littérateurs; M. Paul Hervieu, de l'Académie française;
M. Marcel Prévost, président de la Société des gens de lettres; M.
Brieux, un des maîtres du théâtre contemporain.




[Illustration: L'hôtel «Aurore», à Fiesole, où réside la comtesse de
Montignoso, (autrefois princesse Louise de Saxe).]

[Illustration: La promenade de l'ex-princesse royale de Saxe et de sa
fille, la petite Anna-Monica.]

UNE PRINCESSE EN EXIL.--_Photographies Ch. Abeniacar._

D'indécrottables routiniers, imbus des préjugés les plus étroits, n'en
revenaient pas: «Singulière idée! murmuraient-ils. Certes, le Code est
un livre copieux et substantiel, mais combien peu littéraire! Que diable
des romanciers, des auteurs dramatiques vont-ils faire dans cette
galère? Ils s'y sentiront déplacés, dépaysés, ne comprendront goutte aux
subtilités de la législation, et bientôt ils cesseront d'encombrer de
leur présence, plus décorative qu'utile, des séances où, d'ailleurs,
leurs collègues mieux qualifiés ne se distingueront probablement ni par
une assiduité exemplaire, ni par un zèle dévorant.»

Eh bien, erreur grossière, jugement téméraire! Il n'était pas vrai qu'on
ne dût plus entendre parler de rien. Le mur de l'enceinte réservée aux
délibérations des soixante est un mur derrière lequel il se passe
quelque chose; le public s'en émeut; et, le plus piquant de l'aventure,
c'est que cet émoi a pour cause l'intervention active des littérateurs
dans les conseils du grave aréopage.

Il n'est bruit, en effet, que de la séance mémorable de la cinquième
sous-commission, qui a le privilège de compter parmi ses dix membres
deux des écrivains de marque susnommés, M. Paul Hervieu et M. Marcel
Prévost. Cette sous-commission s'occupe plus particulièrement des
questions relatives au mariage. Or, l'autre jour, comme elle examinait
l'article 212: «Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours,
assistance», l'auteur des _Tenailles_ et de la _Loi de l'homme_ exprima
le vif regret de ne pas voir inscrit dans le Code le mot «amour» et, en
s'excusant de l'audace grande, il proposa résolument de réparer cette
fâcheuse omission. «L'amour, dit-il en substance, est sans nul doute la
base même du mariage, le sentiment qui l'ennoblit; il convient donc
d'indiquer aux époux, comme le premier de leurs devoirs, l'obligation de
s'aimer.» Avec une conviction persuasive, la lucidité, la logique, la
hauteur de vues d'un esprit supérieur, M. Paul Hervieu développa sa
thèse, étayée sur des arguments pertinents; bref, après une discussion
en règle, à laquelle prit part l'éminent auteur de _La plus faible_,
l'amendement quasi-subversif rallia la majorité des suffrages. De sorte
que, s'il obtient la sanction des législateurs du Palais-Bourbon et du
Luxembourg, l'article 212 sera désormais ainsi rédigé: «Les époux se
doivent mutuellement _amour_, fidélité, secours, assistance.»

En attendant, depuis qu'une heureuse indiscrétion l'a livré à la
publicité--car les travaux de la commission extraparlementaire sont
secrets!--cet amendement est en train de faire fortune et dispute aux
événements les plus sensationnels les honneurs de l'actualité. Il est
tout de suite devenu un sujet de chroniques, d'interviews, de
dissertations, de controverses, de conversations intimes:

--Vous avez vu la proposition d'Hervieu? Hein? Qu'en pensez-vous?...

Naturellement, les avis sont partagés. Ceux-ci jugent l'addition
superflue, soit parce que l'idée d'amour peut être considérée comme
implicitement contenue dans le mot «fidélité», soit parce que
l'affirmation d'un principe en quelque sorte théorique leur paraît être
un moyen insuffisant de réaction contre la pratique du mariage
d'intérêt. Ceux-là estiment que le sentiment ne se décrète ni ne
s'impose par une loi. D'autres prétendent qu'avant d'introduire l'amour
dans le Code, il faudrait en préciser la définition. (Quoi! Nous en
serions encore là pour une chose si connue et aussi vieille que
l'humanité!) Enfin, on objecte que l'addition proposée fournirait de
nouvelles facilités au divorce et par là saperait l'institution même du
mariage plus qu'elle ne la consoliderait.

En revanche, les marques d'approbation ne manquent pas, notamment du
côté des femmes. Sauf quelques réserves, la plupart applaudissent au
geste de galante courtoisie de M. Paul Hervieu et lui sont
reconnaissantes de son généreux souci d'orner d'un peu de poésie et
d'élégance l'aridité rébarbative du Code. Elles se savent, maintenant,
au sein de la commission, plus d'un avocat décidé à rompre délibérément
avec l'adage suranné:

Du côté de la barbe est la toute-puissance. Et cette certitude
rassurante adoucit la légitime rancoeur qu'elles éprouvent de n'être pas
représentées dans le cénacle (au fait, pourquoi cet ostracisme ou cet
oubli?) par un ou plusieurs mandataires féminins.

Quels seraient les résultats du nouvel article 212? La formule plus
fleurie que prononcerait, au nom de la Loi, la bouche autorisée de M. le
maire ferait-elle davantage les mariages unis et prospères? Sur ce
point, comme sur les conséquences juridiques de l'adjonction d'un petit
mot de deux syllabes, si gros d'interprétations, conséquences dont il
laisse l'examen à la sagacité spéciale des praticiens experts à
déterminer les «cas», M. Paul Hervieu se montre très circonspect.

Ne soyons pas plus royaliste que le roi. Sans creuser la question à
fond, bornons-nous à notre indication sommaire du pour et du contre et à
la seule conclusion ferme que nous voulions tirer de l'événement qui
occupe tant le monde et la ville.

Observateur, penseur, psychologue, moraliste, le véritable écrivain,
l'«honnête homme», au sens où le dix-septième siècle entendait
l'expression, a sa place marquée dans les assemblées chargées d'étudier
les importants et délicats problèmes touchant aux intérêts vitaux de la
société; la preuve vient d'en être démontrée de brillante façon. Qu'il
ait voix au chapitre et, loin d'y être un intrus, un inutile «amateur»,
il est capable d'y remplir un rôle efficace, d'y apporter un précieux
concours de lumière et d'expérience, voire de faire prévaloir les
conceptions de son idéalisme dans des questions d'ordre positif. Il
suggère des idées, donnant ainsi matière à réfléchir et à raisonner,
--deux exercices intellectuels qui, peut-être, ne sont pas tout à fait
négligeables comme préliminaires des actes.
                                                       EDMOND FRANK.



LA COMTESSE DE MONTIGNOSO À FIESOLE

[Illustration: L'hôtel «Aurore», à Fiesole, où réside la comtesse de
Montignoso, (autrefois princesse Louise de Saxe).]

[Illustration: La promenade de l'ex-princesse royale de Saxe et de sa
fille, la petite Anna-Monica.]

UNE PRINCESSE EN EXIL.--_Photographies Ch. Abeniacar._

[Illustration: La petite princesse Anna-Monica.]

Dernièrement, les journaux nous entretenaient des nouveaux démêlés de la
princesse Louise avec la cour de Saxe. Depuis que, à la suite de sa
romanesque et retentissante aventure, l'ex-princesse royale, fille du
grand due de Toscane, prenant le nom de comtesse de Montignoso, a fixé
sa résidence en Italie, elle ne semble pourtant rechercher ni le bruit,
ni le scandale, et préférerait sans doute voir se régler plus
discrètement les intérêts en litige. Aussi a-t-elle trouvé que le séjour
de Florence l'exposait trop à certaines visites importunes, aux
obsessions des reporters et elle s'en est éloignée de quelques
kilomètres, pour se réfugier à Fiesole. Là, installée dans une assez
modeste _osteria_, l'hôtel «Aurore», elle mène une vie simple, retirée,
paisible, consacrant la majeure partie de son temps à ses devoirs
maternels, à des promenades en voiture avec sa fille Monica, entourant
de toute sa sollicitude ce charmant baby dont la présence lui est une
douceur réconfortante dans les pénibles circonstances qui, jusqu'à
nouvel ordre, la séparent de ses autres enfants.



NOTES ET IMPRESSIONS

Il y a des silences qui sont des mensonges. MELCHIOR DE VOGLÉ.

                                *
                               * *

Les pays où l'on n'a ni aimé ni souffert ne vous laissent aucun
souvenir. PIERRE LOTI.

                                *
                               * *

Progrès matériel et décadence morale: l'attelage dépareillé d'une nation
qui court aux catastrophes.

                                *
                               * *

Le rappel de nos lointains souvenirs fait moins songer au retour
printanier des hirondelles qu'à leurs rassemblements sur les toits d'où
l'hiver les chasse. G.-M. VALTOUR.




[Illustration: LA MISSION DE SEGONZAC AU MAROC.--La caravane dans le
Haut-Atlas (26 janvier 1905).]

Le marquis de Segonzac vient d'être fait prisonnier dans le Sud
marocain. Il avait été chargé, par le Comité du Maroc, d'une mission
dans les régions de l'Atlas méridional et du Sous. C'est au cours de
cette mission, après en avoir accompli la majeure partie et se trouvant
déjà à mi-chemin sur la voie du retour, qu'il fut, par trahison, attiré
dans un guet-apens et arrêté sur l'ordre du cheik de la tribu des
Sektana, Mohammed ben Tabia. Il avait déjà accompli au Maroc trois
importants voyages d'exploration (octobre 1899-septembre 1901). Il avait
visité le Sous, le Maroc central, puis exploré le Rif, dernière partie
ignorée du littoral méditerranéen dont, comme l'a écrit Duveyrier, on ne
connaissait que ce que l'on pouvait apercevoir du pont des navires.
C'est sous des déguisements divers que M. de Segonzac était parvenu à
mener à bien ses périlleuses entreprises. Au Sous, accompagné d'un vieil
Algérien échappé de la Guyane, il avait erré sous le déguisement d'un
pèlerin dévot. Il avait pénétré chez les Beraber, à la suite de cheurfa
d'Ouezzan, en qualité de domestique. Dans la région du Rif, il avait
cheminé sous les haillons minables d'un mendiant allant de mosquée en
mosquée et vivant d'aumônes. Comme on le voit, ces trois voyages furent
de jolis tours de force, dénotant chez l'homme qui les a accomplis
autant d'audace que d'intelligence.

[Illustration: Le marquis de Segonzac. _Phot. Pirou, rue Royale._]

[Illustration: Itinéraire de la mission de Segonzac en 1905. (Le trait
plein indique le chemin parcouru jusqu'au 4 février; le trait
interrompu, le chemin que la mission devait parcourir.)]

[Illustration: Zenagui. M. de Segonzac. La mission de Segonzac sur un
sommet de l'Atlas. _D'après une épreuve communiquée par M. L. Bouet._]

Cette fois, la mission de Segonzac avait quitté Marseille le 1er
novembre 1904. Elle se composait de: MM. de Segonzac, Gentil, maître de
conférence de géologie à la Sorbonne, R. de Flotte Roquevaire,
cartographe, Boulifa, professeur à l'École des lettres d'Alger,
interprète berbère, et Abd el Aziz Zenagui, professeur à l'École des
langues orientales de Paris, interprète arabe. Cette mission était
entrée en territoire marocain par Mogador. Depuis son départ, on n'avait
eu à son sujet que très peu de nouvelles. Dernièrement, le Comité du
Maroc avait appris qu'afin de se mouvoir avec plus de sécurité, la
petite troupe s'était divisée en trois: M. Gentil explorait, au point de
vue géologique, la région de Marrakech, tandis que M. de Flotte
Roquevaire faisait de la triangulation dans le Haut-Atlas.

Quant à M de Segonzac, accompagné de ses deux interprètes berbère et
arabe, il se dirigea sur l'Est marocain, vers l'Atlas. L'itinéraire
qu'il suivit part de Demnat, passe par la zaouia d'Ahansal, la zaouia
d'Amhaouch, coupe le Haut-Atlas au col de Tounfit et aboutit au mont
Aiachi. Ce dernier point est une montagne de 4.200 mètres d'altitude qui
est le noeud des massifs du Haut et du Moyen-Atlas. En parvenant
jusqu'au pied de l'Aiachi, M. de Segonzac a comblé le dernier grand
blanc restant sur la carte du Maroc.

De l'Aiachi, le voyageur se dirigea vers l'Anti-Atlas. C'est de cette
région, de la zaouia Sidi-el-Haouari, dans le Ferkla, à deux jours du
Tafilalet, que, pour la dernière fois, on eut de ses nouvelles. Il se
proposait de revenir par l'oued Dra, l'oued Noun et la partie supérieure
de la vallée de l'oued Sous. M. de Segonzac a donc été fait prisonnier
en accomplissant la dernière partie de son magnifique voyage. À ce
moment, il était seul avec son interprète arabe, son interprète berbère
étant retourné à Marrakech. Fort heureusement, Abd el Aziz Zenagui put
s'échapper, on ne sait pas encore comment, se rendre à Mogador et
télégraphier la nouvelle de la capture de M. de Segonzac.

À l'instant même où le Comité du Maroc recevait cette nouvelle, lui
parvenaient plusieurs caisses remplies de documents et de photographies
expédiés par M. de Segonzac et résultant de sa belle exploration. Les
deux panoramas que publie aujourd'hui l'_Illustration_ nous ont été
obligeamment communiqués par le Comité du Maroc.

Il s'agit maintenant de délivrer le courageux Français victime, de son
intrépidité. Le ministre des affaires étrangères est saisi de la
question et les négociations vont commencer. Puissent-elles aboutir
rapidement! ANDRÉ MÉVIL..

[Illustration: Vue de la chaîne, du Haut-Atlas, prise du col de Tounfit
(27 janvier) _Les deux vues panoramiques reproduites ici ont été prises
par la mission pendant qu'elle franchissait une région complètement
inconnue dans le Haut-Atlas._]



[Illustration: M. COQUELIN AÎNÉ DANS SON NOUVEAU ROLE DE SCARRON]

La première représentation de «Scarron», comédie tragique en cinq actes,
en vers, de M. Catulle Mendès, sera le grand événement théâtral de la
semaine prochaine.--«Mon rôle est admirable», dit M. Constant
Coquelin.--«Mon interprète est prodigieux», dit M. Catulle Mendès. Nos
lecteurs nous sauront gré de leur faire connaître, même avant les
privilégiés de la répétition générale et de la première, la physionomie
que le célèbre acteur va donner à l'énigmatique figure du poète
burlesque et infirme, qui fut le mari de la belle Françoise d'Aubigné.


[Illustration: Le président Roosevelt, escorté par les rough-riders, se
rend au Capitole.]

[Illustration: Le défilé des cadets de West-Point.--_Phot comm. par M.
Léon Bouet._]

[Illustration: L'INAUGURATION DE LA NOUVELLE PRÉSIDENCE DE M. ROOSEVELT
Sur la place du Capitole, à Washington: le Président prête le serment
constitutionnel, la main droite sur la Bible que lui présente le
Chief-Justice. M. Fuller. _Photographie Underwood et Underwood.--Voir
l'article, page 196._]



[Illustration: LE GÉNÉRAL LINIÉVITCH, QUI REMPLACE LE GÉNÉRAL
KOUROPATKINE À LA TÊTE DES ARMÉES RUSSES EN MANDCHOURIE.
_Photographie de notre correspondant de guerre, Victor Bulla, attaché à
la 1re armée russe._]

Le général Liniévitch, appelé, le 15 mars, par un ordre télégraphique du
tsar, à remplacer Kouropatkine en qualité de généralissime, est âgé de
soixante-sept ans. N'ayant passé par aucune école militaire, il a porté
pendant sept ans la _chinèle_ du simple soldat. En 1900, il commandait
le corps de Sibérie, avec lequel il prit part à la campagne de Chine; en
1904, il exerçait le commandement intérimaire des troupes de
Mandchourie, qu'il dut, au mois de mars, remettre à Kouropatkine. Depuis
le mois de novembre, il était à la tête de la 1re armée, poste où son
ancien général en chef, déférant au désir de l'empereur, va le remplacer
à son tour.

Malgré son âge et ses nombreuses blessures, le général Liniévitch est
encore très robuste et a conservé une rare activité, dont il vient de
donner des preuves. Le fait qu'il est sorti du rang contribue à rendre
son nom populaire en Russie, où l'on compte un peu sur sa longue
expérience pour changer la fortune des armes, jusqu'à présent si
obstinément défavorable.

[Illustration double: L'ENVERS DE LA GUERRE: UNE RUE DE MOUKDEN PENDANT
LES DERNIERS JOURS DE L'OCCUPATION RUSSE Un flot humain: charrettes de
réfugiés des villages voisins, voitures d'ambulances transportant des
blessés, coolies chinois, détachements d'infanterie sibérienne, voitures
d'intendance...]

[Illustration: LE TRANSPORT DES PIÈCES DE SIÈGE JAPONAISES DE
PORT-ARTHUR AU CHA-HO.--_Photographie d'un de nos correspondants, le
colonel Edwin Emerson._ _De même qu'à Port-Arthur, l'artillerie
japonaise et, particulièrement, les pièces de siège paraissent avoir
joué un rôle considérable dans les succès du Cha-Ho et du Houn-Ho qui
ont eu pour conséquence la prise de Moukden. On voit, par la
photographie ci-dessus, avec quel soin minutieux les Japonais allaient
confier à la voie ferrée transmandchourienne, pour être transportés de
Port-Arthur au Cha-Ho, leurs gros canons, soigneusement enveloppés et
emballés._]

[Illustration: L'HÔTEL BRISTOL, À SAINT-PÉTERSBOURG, APRÈS L'EXPLOSION
D'UNE BOMBE DANS UNE CHAMBRE DU SECOND ÉTAGE.--_Phot. C.-O. Bulla._
_Dans la nuit du 10 au 11 mars, une explosion formidable retentissait au
coin de la perspective Voznessensky et de la rue Grande-Morskaïa. Une
bombe, qu'un étranger, Henri Mac-Cullock, venait de fabriquer
clandestinement au second étage de l'hôtel Bristol, avait éclaté par
accident, tuant son auteur, éventrant le plancher, faisant voler toutes
les vitres en éclats, blessant plusieurs personnes dans les appartements
voisins et à l'étage inférieur. Mac-Cullock appartenait au parti
révolutionnaire. Outre des proclamations et des brochures séditieuses,
on a trouvé dans sa chambre plusieurs formules chimiques permettant
d'obtenir des engins de force explosive extraordinaire, divers dessins
de machines infernales perfectionnées, et enfin des annotations
relatives à Gatchina et à Tsarskoïé-Sélo._]




[Illustration: Une des pattes du dinosaure mise à découvert dans une
carrière de l'État de Wyoming.]

[Illustration: Le montage d'une des pattes antérieures du dinosaure au
musée paléontologique de New-York.]

UN MONSTRE ANTÉDILUVIEN

AU MUSÉE DE NEW-YORK

Une gravure de notre numéro du 11 mars représentait le squelette
reconstitué et monté, au muséum de New-York, d'un dinosaure, un de ces
monstres gigantesques qui existaient sur la croûte terrestre, aux
époques jurassique et crétacée. C'est le premier spécimen d'un animal de
ce genre que le public soit appelé à contempler Ses restes fossiles ont
été mis au jour en 1897, par un naturaliste américain, M. Walter
Granger, près des carrières de Bone Cabin, dans l'État de Wyoming.

Après le long et délicat travail de l'extraction, du transport à
New-York, du nettoyage, le montage des diverses pièces du squelette a
été effectué sous la direction du professeur Henry F. Osborn,
conservateur du musée de paléontologie américain.

Par sa forme autant que par ses proportions, le dinosaure-brontosaure
diffère de tous les animaux vivants. Il avait une queue épaisse,
semblable à celle des crocodiles ou des lézards, mais longue de 10
mètres, un cou flexible comme celui de l'autruche et qui mesurait près
de 6 mètres; le corps de forme courte, ramassée, plat des deux côtés;
les membres trapus, solides, droits, à peu près comme l'éléphant. Sa
tête était très exiguë. Le cerveau devait être fort petit. Les os des
jambes et de la queue sont extrêmement forts, alors que la colonne
vertébrale est d'une armature relativement plus légère.

On évalue que ce monstre, qui mesurait 20 mètres de longueur totale sur
5 mètres de hauteur, ne pesait pas moins de 90.000 kilos.

Grâce à son cou extrêmement allongé, cet amphibie pouvait faire des
plongeons à de grandes profondeurs pour rechercher les plantes
succulentes du fond. La rangée de dents, courtes, à bouts carrés, en
forme de cuillères, placées tout autour de la bouche, lui permettaient
d'arracher les feuilles des arbres ou des plantes aquatiques. Mais le
monstre ne pouvait point mastiquer sa nourriture, car il n'avait point
de molaires: il l'avalait évidemment sans la mâcher.

M. Charles Knight a exécuté, sous la direction du professeur Osborn, un
modèle en terre qui est considéré comme une reconstitution fidèle de
l'animal vivant. Ce même artiste avait déjà fait d'autres
reconstitutions, très remarquables également, d'animaux préhistoriques.

Suivant les déclarations du professeur Osborn, le dinosaure brontosaure
vivait principalement dans les grandes lagunes et les vastes marécages
de peu de profondeur, le corps immergé en partie, mais allant aussi sur
la terre ferme pour y déposer ses oeufs, etc. Cet animal a dû
disparaître complètement de la surface du globe vers la fin de la
période crétacée.

[Illustration: Os du bassin du dinosaure.]

[Illustration: Squelette complet du dinosaure.]

[Illustration: Le modèle du dinosaure reconstitué.]




[Illustration: LES EXPÉRIENCES DE CHERBOURG.--Le «Z», sous-marin à
passerelle surélevée.]

SUBMERSIBLE CONTRE SOUS-MARIN

Le monde maritime était très partagé sur la question de savoir lequel
des deux types, le sous-marin ou le submersible, pourrait rendre, en
temps de guerre, les meilleurs services, et duquel, partant, il
convenait de construire le plus d'exemplaires. Les expériences qui se
sont poursuivies, dix jours durant, à Cherbourg, et qui ont opposé le
submersible _Aigrette_ au sous-marin Z, semblent bien faites pour fixer
l'opinion d'une façon définitive.

Le submersible _Aigrette_ est en quelque sorte un torpilleur ordinaire
contenant dans ses flancs un sous-marin: le profil qui apparaît sur
notre dessin montre que cette combinaison est apparente même à
l'extérieur. Quant au sous-marin Z, c'est un fuseau surmonté d'une
plate-forme surélevée qui sert aux observations.

Le programme comportait des essais de navigation à la surface et
d'habitabilité, des expériences de plongée et de navigation en
immersion.

On a pu acquérir la certitude que _l'Aigrette_, à la surface, possède
des qualités nautiques supérieures, gouverne mieux, est plus souple sur
la lame et, par conséquent, moins pénible à habiter pour les équipages,
qui peuvent ainsi venir respirer à l'air libre au lieu d'être confinés
dans un espace hermétiquement clos, comme cela arrive à bord des
sous-marins, lesquels, en raison de leur forme en fuseau, pénètrent
violemment dans la vague et sont sans cesse couverts d'eau. La
passerelle surélevée n'est elle-même pas tenable pour les hommes pendant
la marche à la surface.

En plongée, les expériences, tout en faisant constater la bonne
navigabilité de l'_Aigrette_, n'ont pas donné toutefois à ce bateau un
avantage aussi sensible.

En résumé, pour toute navigation prolongée en haute mer, le submersible
seul présente les qualités requises. C'est le navire d'offensive par
excellence. Quant au sous-marin, il pourra rendre d'utiles services dans
la défense des côtes.

[Illustration: LES EXPÉRIENCES DE CHERBOURG.--Le submersible «Aigrette»
naviguant en immersion. _Dessins de Johansor, d'après des documents
graphiques._]




LE «SULLY» ÉCHOUÉ DANS LA BAIE D'ALONG

Le premier courrier qui arrive en France, depuis l'échouage du _Sully_
dans la baie d'Along, nous apporte des documents d'un extrême intérêt:
ce sont des photographies prises après l'accident et permettant de se
rendre compte de toute sa gravité.

Le _Sully_ marchait à 11 noeuds, pendant un exercice de lancement de
torpilles, quand, à deux heures quarante-neuf minutes exactement de
l'après-midi, le 7 février, il toucha, par moins de 7 mètres, en un
point où les cartes marquent 14 mètres de fond, à une distance de 108
mètres du rocher appelé le Canot. Il fut littéralement éventré sur la
moitié de sa longueur, puis s'arrêta, son milieu reposant sur l'écueil
comme le fléau d'une balance sur son couteau. L'énorme quantité d'eau
pénétrant par l'avant le fit enfoncer, en même temps qu'il s'inclinait
sur bâbord, de telle façon qu'on pouvait craindre un renversement
complet. L'évacuation du navire par les 650 hommes d'équipage
s'imposait.

La situation était d'autant plus critique que tous les rochers
environnants étaient à pic, sauf une pointe et une plage minuscules que
montrent nos photographies.

Heureusement, une dépèche avait pu être lancée, par la télégraphie sans
fil, avant que les dynamos fussent noyées. Elle toucha le _Gueydon_ qui,
forçant de vitesse, arriva quelques heures après, et recueillit les
naufragés du _Sully_, cramponnés aux aspérités de roc ou entassés dans
les canots du bord. Aucun ne manquait cependant.

Trois jours après, les compartiments de l'arrière s'étant remplis à leur
tour, le _Sully_ basculait et se redressait. Mais depuis, malgré tous
les efforts, sa situation ne s'est pas améliorée, et son sauvetage est
des plus problématiques. Le matériel, toutefois, a pu être enlevé.

[Illustration: LES EXPÉRIENCES DE CHERBOURG.--Le submersible «Aigrette»
naviguant en immersion. _Dessins de Johansor, d'après des documents
graphiques._]




[Illustration: Vue du rocher Canot, prise du «Sully». (À gauche du
Canot, une petite roche sur laquelle vingt hommes trouvèrent place après
l'évacuation du navire.)]

[Illustration: Deux vues du pont du «Sully», pendant le débarquement du
matériel dans des gabares. (Ces deux photographies, ainsi que la
précédente, ont été prises le 13 février, cinq jours après le
naufrage.)]

[Illustration: Vue prise par le travers à tribord, le matin du 8
février.]

[Illustration: Vue prise par tribord arrière, le 8 février.]

[Illustration: Vue prise par tribord avant le 8 février, entre 10 et 11
heures du matin, pendant les opérations du sauvetage.]

[Illustration: Les seuls rochers à proximité du lieu de l'échouage, où
le débarquement de l'équipage était possible: 15? hommes y passèrent la
nuit du 7 au 8 février.]

LE CROISEUR CUIRASSÉ «SULLY» ÉCHOUÉ DANS LA BAIE D'ALONG




_Documents et Informations_

[Illustration: Le «Mercédès C.-P.» (14 mètres, 90 chevaux)]

[Illustration: Le «Mercédès-Mercédès» (18 mètres, 180 chevaux).]

POUR LA COUPE DE LA MÉDITERRANEE.-Deux des nouveaux canots automobiles
qui vont participer à la Course Alger-Toulon.

LA COUPE DE LA MÉDITERRANÉE.

Après les courses de Paris à la mer et de Calais à Douvres, les
promoteurs de la navigation automobile, encouragés, rendus même
audacieux par les résultats obtenus, en ont organisé une beaucoup plus
importante: la traversée de la Méditerranée, d'Alger à Toulon, qui aura
lieu du 1er au 10 mai.

Trois des embarcations qui vont participer à cette grande épreuve ont
été mises à l'eau dimanche, aux chantiers Pitre et Cie, près de
Maisons-Laffitte. Ce sont trois canots de la même marque: le _Mercédès
C.-P._ (Charley-Pitre, noms du représentant de la marque du moteur et du
fabricant de la coque), cruiser de 14 mètres de long; propulsé par 90
chevaux; le _Mercédès-Mercédès_, croiser de 18 mètres de long, muni de
deux moteurs de 90 chevaux chacun et d'un mât de secours; enfin le
_Mercédès IV_, racer de 12 mètres et de 180 chevaux, merveilleux engin
de vitesse, mais qui ne doit participer qu'aux courses de Monaco.

Les deux premiers attiraient surtout l'attention: le _Mercédès C.-P._,
avec sa coque aux lignes irréprochables et ponté au point d'être
hermétiquement fermé, véritable prototype de la vedette de haute mer,
fait pour passer la vague en toute sécurité... et à toute vitesse; le
Mercédès-Mercédès, avec son allure de yacht, mais de yacht à marche
extra rapide et à grand rayon d'action grâce aux 5.000 litres d'essence
qu'il peut emporter comme lest.

Tous ces canots vont être expédiés par chemin de fer à Monte-Carlo pour
y être exposés en attendant la date des courses.



TRAVAUX DE PRISONNIERS JAPONAIS.

L'ingéniosité du peuple nippon est proverbiale et l'on sait quelle
minutie, quelle dextérité, ses artisans comme ses artistes apportent à
la confection du bibelot, où ils sont passés maîtres. La pratique
intensive du métier des armes, l'éloignement de leur pays, auraient pu
faire perdre à ceux-ci le goût et la main: il n'en est rien, paraît-il,
ainsi qu'en témoignent les objets fabriqués par des prisonniers japonais
internés au village de Medvjef, gouvernement de Novgorod. Seulement, et
voilà bien un signe des temps,-il est à remarquer qu'en consacrant leurs
loisirs forcés à ces menus travaux de patience, ils ont donné presque
exclusivement la préférence aux sujets belliqueux. Dans la collection
dont nous reproduisons les spécimens, à part une ou deux statuettes
sculptées suivant la tradition de l'art national ancien, ce ne sont que
modèles réduits de modernes engins de guerre, cuirassés et torpilleurs
en miniature, figurines représentant des soldats et des marins, chaque
pièce d'une exactitude et d'une précision étonnantes jusqu'en ses
moindres détails. En somme, cette curieuse collection se compose moins
de jouets que de documents attestant l'«esprit nouveau» du Japon; et les
Russes eux-mêmes l'ont jugée assez suggestive pour l'admettre à
l'exposition patriotique de Saint-Pétersbourg.

[Illustration: Quelques objets fabriqués par les prisonniers japonais
en Russie.--_Phot. Bulla._]



LA CULTURE 8E L'AMBIDEXTÉRITÉ.

Il n'est pas besoin d'insister longuement pour faire valoir les nombreux
avantages que présente l'ambidextérité, d'abord au point de vue du
développement harmonique des formes du corps et ensuite au point de vue
de la suppléance des organes, en cas d'accident.

Les Anglais, gens pratiques, ont si vivement senti ces nombreux
avantages qu'ils ont fondé, à Londres, une «Société pour la culture de
l'ambidextérité».

Un médecin de Birmingham, sir James Sawyer, faisant une conférence
devant cette Société, a même émis cette opinion que l'ambidextérité
pouvait rendre des services en mettant à l'abri de certaines affections
du cerveau--telles que l'apoplexie par rupture des vaisseaux--l'activité
cérébrale se distribuant chez les ambidextres sur une étendue de
l'écorce du cerveau plus considérable que chez les personnes qui se
servent toujours de la même main.

D'autre part, l'usage fréquent de la main gauche amènerait l'entrée en
activité des centres de l'hémisphère droit, qui fonctionneraient
concurremment avec leurs homologues gauches.

De cette façon, les ambidextres posséderaient deux centres du langage,
pouvant se suppléer l'un l'autre, si bien qu'une lésion de l'un d'eux
n'entraînerait pas forcément l'aphasie.

On sait que cette aphasie se produit fatalement chez les droitiers--qui
disposent uniquement du centre dit de Broca, situé dans la région
frontale de l'hémisphère gauche--quand une hémorragie se produit dans
cette région.

Seulement, chaque médaille a son revers; car c'est une loi biologique
que le progrès se fait toujours unilatéralement, par le développement
exagéré d'un seul côté du corps animal: d'où, par exemple, l'asymétrie
des cerveaux les mieux doués. Ne serait-il pas alors à craindre qu'à
force de se vouloir développer bilatéralement et harmoniquement on ne
perdit en puissance ce qu'on gagnerait en étendue?

Autrement dit, ne vaut-il pas mieux être un brillant orateur, avec son
cerveau gauche seulement, qu'un médiocre parleur des deux cotés de son
cerveau, dût la redoutable aphasie vous condamner au silence sur la fin
de vos jours? C'est à discuter.



LES CURIOSITÉS DU VEUVAGE.

Les statisticiens sont, on le sait, professionnellement indiscrets.
Aussi, dans les opérations de l'état civil, ont-ils pris l'habitude de
poser mille questions insidieuses et qui n'ont l'air de rien. Le public
y répond, tout naturellement, et de la sorte fournit des documents dont
quelques-uns sont fort curieux, tels que ceux qui permettent au
statisticien de savoir combien de temps, en moyenne, à Paris, dure le
veuvage chez les personnes qui ne s'y éternisent point. La plus récente
statistique municipale fait voir que la durée du veuvage chez les
personnes qui se remarient varie beaucoup: de un à vingt ans et plus
encore. Mais les veufs ne se comportent pas comme les veuves. La plupart
des veufs se remarient vite, au bout d'un an environ, et cela, qu'ils
aient vingt-cinq ou bien soixante-quinze ans. Il y a encore une forte
proportion de mariages après deux ans de veuvage, mais pour les veufs de
trois et quatre ans, la proportion diminue: le nombre des remariages ne
s'élève un peu que chez les veufs de cinq à neuf ans de veuvage.
Autrement dit les veufs qui se remarient le font surtout après un an
(753 cas), après deux ans (393) et, après, de cinq à neuf ans (341 cas)
de veuvage. Ajoutons que les veufs se remarient plus que ne le font les
veuves: il y a eu en 1903, à Paris, 2.088 remariages de veufs contre
1.849 remariages de veuves.

Pour ces dernières, la hâte à reprendre le lien conjugal est moins
marquée que pour les veufs. Le veuf qui se remarie se remarie surtout au
bout d'un an, et, à un moindre degré, après deux ans de veuvage. Les
veuves qui se remarient après un an de veuvage sont en faible
proportion: elles attendent plutôt deux ans, et de préférence cinq ou
dix ans. En 1902, sur 1.849 veuves remariées, 283 avaient plus d'un an
de veuvage; 292, de deux ans; 235, de trois ans; 160, de quatre ans, et
526, de cinq à dix ans. La veuve est moins pressée de se remarier, et
entre plus rarement dans un second mariage, évidemment. Il en est
pourtant qui se remarient à un âge avancé: à soixante-quinze ans et
plus, après quinze ou vingt ans de veuvage. Quelques hommes font de
même; se remarient à soixante-dix et soixante-quinze ans passés, après
plus de vingt ans de veuvage. Tout ceci fait l'éloge du mariage, mais la
condition conjugale semble; être plus appréciée de l'homme que de la
femme, puisque le veuf est, plus que la veuve, enclin à y entrer de
nouveau.



LA LÉGENDE DES PYGMÉES.

La légende des pygmées, c'est-à-dire de races humaines naines, a laissé
de nombreuses traces dans l'art antique,--en Égypte et en pays latin
aussi,--et dans la littérature ancienne. Or il semble bien, d'après les
nombreux documents qu'ont réunis deux Allemands, que la légende des
pygmées n'est nullement une légende, et que tout ce qu'on a dit, peint,
gravé ou moulé au sujet de ces nains est du domaine de la réalité. La
preuve la plus forte qu'on puisse donner à l'appui de cette thèse est la
découverte, dans différentes stations de l'homme préhistorique, de
plusieurs squelettes qui n'ont pu, indubitablement, appartenir qu'à des
individus de taille naine. C'est en Suisse, particulièrement, qu'ont été
faites ces découvertes de squelettes nains, et il y a une coïncidence
intéressante dans ce fait que c'est principalement dans les régions où
la tradition populaire parle le plus d'êtres nains qu'on a trouvé les
restes incontestables de ceux-ci: en Suisse, en Bretagne, etc.

Mais c'est un fait certain aussi, que l'on trouve des documents
artistiques relatifs aux pygmées dans des régions où l'on n'a point
encore trouvé de restes de ces derniers. Au centre de la Gaule, d'après
un archéologue, M. Déchelette, on trouve beaucoup de poteries sur
lesquelles sont figurés des pygmées. Mais, si l'on étudie de près ces
poteries, on constate qu'elles ressemblent de façon surprenante à celles
que les Romains fabriquaient à Arezza. Il est très probable que les
poteries d'origine romaine introduites en Gaule par les conquérants
romains ont été copiées par les Celtes-Romains qui ne demandaient pas
mieux, sans doute, que de perpétuer une tradition qui était venue
jusqu'à eux et à laquelle ils croyaient volontiers.



LE MARIAGE DE M. MARCONI.

La semaine dernière, a été célébré, à Londres, le mariage de M. Marconi
avec miss Béatrice O'Brien, fille de feu lord Inchiquin. M. Guglielmo
Marconi, dont le nom universellement célèbre restera attaché à une des
plus curieuses et des plus importantes inventions modernes, la
télégraphie sans fil, n'a que trente ans. Né à Bologne, en 1870, d'un
père italien et d'une mère irlandaise, il venait se fixer en Angleterre
vers sa vingtième année et ne tardait pas à se signaler par ses travaux
scientifiques. Ce fut en 1899 qu'il transmit son premier message
télégraphique à travers la Manche, entre Douvres et Boulogne; depuis,
son système n'a fait que progresser; il en a réalisé l'application à la
transmission des dépêches à grande distance, et plusieurs marines
européennes ont adopté ses appareils.

[Illustration: Miss Béatrice O'Brien.]

Quant à la mariée, elle est issue d'un illustre clan irlandais et
compte, avec la famille du maréchal de Mac-Mahon, de nombreux ancêtres
communs. L'ascendance royale des Inchiquin a été formellement reconnue
par les souverains de la Grande-Bretagne et le chef de cette antique
maison jouit encore d'un curieux privilège; il a le droit de faire
revêtir à ses serviteurs la livrée écarlate réservée aux gens du roi.
_L'honourable_ Béatrice O'Brien, qui a lieu d'être fière de ses
origines, a pensé justement qu'elle ne pouvait déchoir en alliant ses
titres de noblesse aux titres de gloire du jeune inventeur.

[Illustration: M. Marconi,]




_Mouvement littéraire._

_Franz Liszt et la princesse de Sayn-Wittgenstein_, par Adelheid von
Schorn, traduction L. de Sampigny (Dujarric, 3 fr. 50)._Le Musée de la
Comédie-Française_, par M. Dacier (Librairie de l'art ancien et
moderne).--_L'Ombrie_, par René Schneider (Hachette, 3 fr. 50).--_Jehan
Fouquet_, par Georges Lafenestre (Librairie de l'art ancien et moderne,
10 fr.).--_Victor Hugo photographe_, par Paul Gruyer (Mendel).


Franz Liszt et la princesse de Sayn-Wittgenstein

M. von Schorn, artiste et archéologue, fut directeur des beaux-arts à
Weimar; il mourut jeune, laissant dans la petite ville, encore pleine du
souvenir de Goethe et toute au culte de la beauté, sa femme, fort
distinguée, et sa fille Adelheid. Celles-ci virent arriver à Weimar, en
1848, Liszt, que suivit de près son amie, la princesse Carolyne
Sayn-Wittgenstein, Polonaise, mariée à un aide de camp du tsar Nicolas.
Séparée de son mari, elle avait rencontré à Kiev le grand musicien et
l'avait aimé. En dehors de Weimar, il y avait sur une hauteur, une belle
résidence, l'Altenburg, dont la princesse loua le premier étage, Liszt
le deuxième. Malgré une certaine hostilité, «le roi du pays des sons»,
Liszt, tout féru de Wagner, fit représenter le _Tannhauser_ et
_Lohengrin_ au théâtre dont on lui avait confié la direction, qu'il
abandonna en décembre 1858. En 1860, dans le désir d'épouser Liszt, la
princesse s'en fut à Rome, pour demander la nullité de son mariage. Elle
l'obtint; mais, au moment où tout était préparé et l'église parée pour
la cérémonie nuptiale, le pape, pressé par la famille, redemanda, pour
les examiner, les pièces du procès. Ce retard empêcha à tout jamais
l'union projetée à laquelle ne tenait peut-être pas beaucoup le plus
volage des hommes. Jamais personne ne fut autant entouré, sollicité par
les femmes que l'auteur de _l'Oratorio de sainte Élisabeth_. Peut-être
eût-il craint, en épousant, de perdre ses privilèges d'enfant gâté.
Cependant, il ne se sépara jamais de la princesse qui continua d'habiter
Rome; il passait quelques mois chaque année à Tivoli, quelques autres
mois dans sa chère Weimar, ce qui ne l'empêchait pas de circuler encore
à travers l'Europe.

Mystique de plus en plus, la princesse, avait tourné vers les idées
religieuses son ami et l'avait amené à prendre, en 1864, les ordres
mineurs. Ni le titre, ni le costume d'abbé, ne semblent du reste avoir
beaucoup changé l'existence de Liszt, car Mme Wittgenstein se plaint
constamment de sa mondanité, qui l'empêche de réaliser ses beaux songes
musicaux. Pendant qu'elle se lamente et qu'elle écrit des livres de
piété: _Petits Entretiens pratiques à l'usage des femmes du monde_,
Liszt s'épuise, par ses voyages, ses dîners, aussi par son abus des
liqueurs fortes. Il meurt à l'âge de soixante-quinze ans, dans la nuit
du 31 juillet au 1er août 1886, à Bayreuth, chez Cosima, sa fille, veuve
de Wagner. La princesse, un an après, s'éteignit à Rome. Ces lettres de
Mme Wittgenstein, de Liszt, de Mme de Schorn, d'Adelheid, que celle-ci
relie entre elles par ses souvenirs, nous sont des plus précieuses, non
seulement pour l'histoire du maître, mais pour celle de la musique au
dix-neuvième siècle.


Le Musée de la Comédie-Française.

Les bustes, peintures, gravures, abondent à la Comédie-Française, mais
disséminés un peu partout. Ne faudrait-il pas réunir dans un lieu
spécial et coordonner toute cette histoire en image de la Comédie? C'est
l'avis de M. Dacier, c'est le désir que M. Claretie exprime vivement en
sa préface au volume de M. Dacier.

Dans son livre, éclairé de nombreuses gravures, l'auteur étudie et
classe tous les trésors iconographiques de la maison de Molière, ce qui
ne suffit pas à sa conscience scrupuleuse; il a porté ses recherches sur
les autres collections publiques et particulières et nous montre les
enrichissements que pourrait faire la Comédie. Tout est catalogué avec
soin et, cependant, avec ses remarques d'art, avec ses reproductions, le
livre de M. Dacier a un grand charme.

L'Ombrie. Avant de pénétrer dans l'Ombrie. M. René Schneider s'est
arrêté quelque peu à Cortone et y a goûté la plus délicieuse légende,
celle de Marguerite, pécheresse et repentante, patronne de la ville. Il
y a vivement admiré la _Vierge entourée d'anges_ de Fra Angelico, et la
_Pâque_ de Luca Signorelli, moins tendre, plus âpre que le peintre
angélique. Dans ce pays, les souvenirs profanes se mêlent aux souvenirs
religieux. Le lac de Trasimène est à la fois célèbre par la victoire
d'Annibal sur les Romains et par la prédication de François d'Assise aux
poissons qui le suivent et jouent devant lui. Mais l'Ombrie va commencer
de se dérouler. Voici Pérouse avec sa Pinacothèque, son Pérugia, son
Agostino; Assise, blanche comme une ville d'Orient, Assise, à la divine
histoire, avec son doux Christ, avec sa sainte Claire et avec son Giotto
qui illustre la légende franciscaine. Plus loin Montefalco, encore plein
de François d'Assise, et dont l'enlumineur Benozzo Gozzoli a couvert de
chefs-d'oeuvre l'église San Francesco, aujourd'hui convertie en musée;
puis Spolète, qu'illustrèrent au quinzième siècle Filippo Luppi et la
belle Lucrèce Borgia, régente de cette ville. M. Schneider a passé en
revue les monuments de l'Ombrie, mais c'est dans le paysage de cette
contrée douce et tendre, dont la sensibilité cependant se relève de
vigueur, que se complaît M. Schneider, qui est avant tout un poète.
Personne comme lui n'a connu et reproduit cette nature délicate et
sainte de l'Ombrie.


Jehan Fouquet.

Depuis l'exposition des Primitifs, le nom de Jehan Fouquet est presque
devenu populaire. Dans une belle étude, M. Georges Lafenestre nous a
raconté la vie et l'oeuvre de l'illustre Tourangeau qui nous apparaît
comme un trait d'union entre le pur moyen âge et la renaissance. Nous
savons peu de chose de ses gestes. Né à Tours vers 1430, il fit le
classique voyage d'Italie (1443-1447), pendant lequel il représenta le
pape régnant Eugène IV.

De retour dans sa ville natale, peintre de Charles VII et de Louis XI,
il s'installa rue des Pucelles, aujourd'hui rue des Fouquets. Un acte
nous montre sa femme veuve en 1481. Rien n'égalait à cette époque la
magnificence religieuse de la ville de Tours, avec sa basilique de
Saint-Martin et la chapelle royale. Sur les bords de la Loire clémente
l'existence était délicieuse, on y voyait une société cosmopolite et
brillante. Tout cela influa sur Jehan Fouquet. Il se laissa pénétrer par
la douce vie de sa terre natale. Son réalisme est délicat; s'il n'a pas
les élans passionnés des grands mystiques, il a le tact et une grâce qui
n'exclut pas l'énergie. Ses portraits d'Eugène IV, de Charles VII, de
Jouvenel des Ursins, sont d'une vie intense.

Quelle expression dans son portrait de lui-même sur émail; dans son
légat du pape! S'il ne lui manque rien pour être un grand portraitiste,
il fut le miniaturiste par excellence, comme en témoignent le _Livre
d'heures d'Étienne Chevalier_, dont il nous reste quarante-deux
feuillets, les miniatures des antiquités judaïques, une partie de
l'illustration des _Chroniques de France_ et le frontispice d'une
traduction de Boccace.

M. Lafenestre, en des pages fort littéraires et même un peu émues, a
célébré comme il convient l'élégance saine et vive, le sentiment de
l'exactitude de Jehan Fouquet.


Victor Hugo photographe.

La photographie est-elle un art? Oui, répond M. Paul Gruyer, et il en
donne pour preuve le volume qu'il publie. À Jersey, jusqu'en 1855,
Charles Hugo d'abord, et Auguste Vacquerie ensuite s'exercèrent à
représenter le grand homme dans toutes ses attitudes. Victor Hugo
collabora, en réalité, avec ses deux fils--Vacquerie était pour lui un
fils--en prenant ses poses, en choisissant les effets d'ombre et de
lumière. C'est en cela qu'il fut photographe, sans jamais toucher
l'instrument et c'est sur les résultats de cette collaboration que M.
Paul Gruyer appuie sa thèse: la photographie est un art. Que de belles
images, en effet. M. Gruyer a tirées de l'album de M. Auguste Vacquerie
qui lui a été livré! En 1842, le grand poète n'avait pas la figure
adoucie par la vaste barbe et par la vieillesse; le visage rasé,
anguleux, la taille fière, il en imposait même à son entourage immédiat.
L'une des reproductions nous le montre droit, sur un rocher, défiant le
destin et jusqu'aux vagues de l'Océan; dans un autre portrait, il nous
apparaît la tête appuyée sur sa main, méditant profondément et presque
douloureusement.

Rien d'utile comme cet album pour la psychologie de l'exilé de Jersey.
La famille de Victor Hugo, Paul Meurice et quelques proscrits ont été
extraits du trésor Vacquerie, ainsi que quelques paysages.


Hector Berlioz.

Hector Berlioz a eu déjà, en M, Tiersot, un premier historien
(Hachette), et j'ai dû, il y a plus d'un an, m'occuper de l'auteur de la
_Damnation de Faust._ Dans un volume, où les documents abondent et les
lettres inédites, M. J.-G. Prodhomme nous a retracé la vie amoureuse et
agitée de Berlioz (1803-1869), ses déceptions à Paris, ses triomphes en
Allemagne, en Hongrie, en Russie, en Angleterre. À un catalogue complet
des oeuvres musicales de Berlioz, M. Prodhomme en joint un autre des
oeuvres littéraires.


Mélanges sur l'art français.

M. Henry Lapauze, dont les études d'art sont si goûtées et l'esprit si
alerte et si fin, a réuni sous ce titre un certain nombre de pages un
peu dispersées et dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs.

                                                           E. LEDRAIN.




LES THÉÂTRES

Les Variétés ont repris avec le plus grand succès la célèbre opérette de
MM. Boucheron et Audran, _Miss Helyet_; livret et musique n'ont rien
perdu des qualités aimables qui valurent autrefois à cet ouvrage une
vogue extraordinaire. D'ailleurs, l'interprétation actuelle ne laisse
rien à désirer. Brasseur, Mlle Lavallière et Mme Magnier, secondés par
des chanteurs exercés: Mme Tariol-Beaugé, M. Alberthal, forment un
ensemble irréprochable.

La nouvelle pièce du Palais-Royal n'enrichira pas beaucoup le répertoire
de ce théâtre, mais elle en a cependant les qualités essentielles,
puisqu'elle ne manque ni de gaieté ni d'entrain. La _Marche forcée_, de
MM. G. Berr et Marc Sona, échappe à toute analyse: c'est de la folie
pure, il faut renoncer à comprendre. Le public, entraîné par le
mouvement endiablé de M. Galipaux, grisé par la fantaisie burlesque de
MM. Raymond. Guyon et Lamy, sera peut-être moins exigeant que la
critique et tiendra compte aux auteurs de l'avoir diverti pendant
quelques instants.

_L'Ange du Foyer_, de MM. Caillavet et de Fiers, aux Nouveautés, a
pleinement réussi. L'idée était originale de constituer comme moniteur
d'un mari libertin le bon cousin qui convoite sa femme; mais l'idée ne
serait rien s'il n'y avait M. Torin pour la mettre en valeur et, à côté
de cet excellent comique, Mme Lender, S. Carlix et M. Noblet, qui
rivalisent de verve et de talent. Ajoutons que l'action se déroule dans
de beaux décors et que de jolies femmes y exhibent des toilettes
sensationnelles autant par leur élégance que par la façon hardie dont on
nous en révèle les dessous.




[Illustration: Jules Verne dans sa bibliothèque.]

[Illustration: Jules Verne dans son jardin.--Phot. Douard.]

LA MALADIE DE JULES VERNE

Des dépêches d'Amiens annonçaient, au commencement de la semaine, que M.
Jules Verne, âgé de soixante-dix-sept ans, était dans un état de santé
alarmant: la paralysie venait de terrasser cet infatigable travailleur,
de frapper cette claire et robuste intelligence.

La nouvelle a produit aussitôt une vive émotion, non seulement en
France, mais encore à l'étranger, où les oeuvres du fécond écrivain
jouissent, s'il est possible, d'une vogue encore plus grande que chez
nous.

Jules Verne! ce nom d'une réputation universelle, imprimé sur la
couverture de tant de volumes, répété par tant de bouches, devenu en
quelque sorte un terme générique en matière littéraire, n'évoque-t-il
pas à lui seul tout un monde? Jules Verne! l'auteur de _Cinq semaines en
ballon_, du _Capitaine Natteras_, des _Enfants du capitaine Grant_, de
_Vingt mille lieues sous les mers_, de _Michel Strogoff_, de cent autres
livres aux titres célèbres, qui, grâce à une heureuse combinaison de la
science et du roman, ont intéressé, captivé, passionné même toute une
génération de lecteurs.

L'émotion des innombrables amis du créateur d'un genre où aucun de ses
émules ne l'a égalé est donc amplement justifiée. Aussi bien, ce
romancier montra, sur plus d'un point, la perspicacité d'un précurseur:
au cours de sa longue carrière, il a eu la rare fortune de voir maintes
découvertes ou inventions, pressenties ou suggérées par son génie
imaginatif, passer de la fiction dans la réalité.




L'INAUGURATION DE LA PRÉSIDENCE DE M. ROOSEVELT Le 4 mars a eu lieu, à
Washington, l'inauguration de la seconde période présidentielle de M.
Roosevelt. Pour cette cérémonie officielle, le président s'est rendu en
voiture de la Maison-Blanche au Capitale; une estrade avait été dressé
contre la façade occidentale du monument, et c'est là que M. Roosevelt,
après avoir prêté serment sur la Bible, devant le Cbief-Justice, M.
Fuller, a prononcé le discours qualifié de message, où il a exalté en
termes chaleureux la grandeur, la prospérité et la politique
expansionniste de la nation américaine.

L'ensemble de la solennité a, du reste, offert un caractère pompeux
inconnu jusqu'alors dans les fastes de la République.

On y a remarqué surtout l'importance de l'appareil militaire déployé:
escorte de rough-riders, double haie de troupes sur le parcours du
cortège, défilé où figuraient les cadets de West-Point et un régiment de
nègres; exhibition d'uniformes nouveaux, galonnés, soutachés, de
colbacks à chausse retombante surmontés de plumets, de toute une
brillante passementerie jurant quelque peu avec la proverbiale
simplicité républicaine.




LE LANCEMENT DE LA «PROVENCE»

Mardi dernier on a mis à l'eau, des chantiers de Penhouet, à
Saint-Nazaire, le paquebot la _Provence_, construit par la Compagnie
Transatlantique, et dont l'entrée prochaine en service augmentera la
flotte de notre grande compagnie postale d'une unité de premier ordre,
d'un navire superbe et dont les aménagements dépasseront, en
somptuosité, tout ce qu'on a créé jusqu'à présent.

La _Provence_ se rapproche, comme type, de la _Savoie_ et de la
_Lorraine_. Elle a 190m.40 de longueur, 19m.70 de largeur au maître
couple et, avec un tirant d'eau moyen de 8m.15, déplace 19.160 tonnes et
aura une vitesse de 22 noeuds. Ce sera le plus grand navire français.
Elle a les proportions maxima permettant d'entrer dans le port du Havre,
non sans difficultés; car, ainsi que le faisait remarquer mardi soir M.
J.-Charles Roux, président de la Compagnie Transatlantique, dans un
discours qui a produit grande impression, l'insuffisance de dimensions
de nos ports est un grand obstacle au développement de notre flotte
commerciale rapide.

Dirigé par M. F. Godard, directeur général des chantier et ateliers de
Penhouet, le lancement, en présence des deux ministres du commerce et
des travaux publics, a admirablement réussi et, vers quatre heures un
quart, la _Provence_, à l'étrave de laquelle flottait encore le ruban
rose que Mme la marquise du Tillet venait de trancher d'un coup de
ciseau, entrait dans son élément.

[Illustration: Lancement du nouveau transatlantique la «Provence» aux
chantiers de Saint-Nazaire.]



M. ANTONIN PROUST

M. Antonin Proust, ancien ministre, vient de mourir à Paris, à l'âge de
soixante-treize ans.

Très souffrant depuis assez longtemps déjà, au cours de la nuit de lundi
à mardi, il se tirait deux coups de revolver à la tête. On le transporta
immédiatement dans une maison de santé; mais il ne devait survivre que
de quelques heures à l'opération du trépan pratiquée pour tenter de le
sauver.

Né à Niort, en 1832, il avait abordé de bonne heure le journalisme, qui
le conduisit à la politique active. En 1876, les électeurs des
Deux-Sèvres renvoyèrent à la Chambre. En 1881, Gambetta, dont il avait
été le secrétaire à la Défense nationale, l'avait appelé à faire partie
de son «grand ministère», en lui confiant le portefeuille des
beaux-arts.

[Illustration: M. Antonin Proust, d'après le tableau de Manet. _Phot.
Braun._]

Avant la retraite où il s'était peu à peu effacé, M. Antonin Proust,
très répandu dans le monde des arts, avait compté parmi les physionomies
parisiennes notoires. Manet a peint de lui, en 1880, le portrait que
nous reproduisons, considéré comme une de ses oeuvres les plus
remarquables.




[Illustration: LA LETTRE À DIX CENTIMES, par Henriot.]


     [NOTE du transcripteur: le supplément mentionné dans ce
     document ne nous a pas été fourni avec la copie du document
     source,]









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