L'Illustration, No. 3238, 18 Mars 1905

By Various

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Title: L'Illustration, No. 3238, 18 Mars 1905

Author: Various

Release Date: October 25, 2010 [EBook #33882]

Language: French


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L'ILLUSTRATION, NO. 3238, 18 MARS 1905 ***




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L'Illustration, No. 3238, 18 Mars 1905


[Illustration: LA REVUE COMIQUE, par Henriot.]



_Ce numéro comprend quatre pages tirées à part sur papier couché. Il
contient, en supplément, une gravure hors texte en deux tons et
Remmargée._


L'ILLUSTRATION
_Prix du Numéro: 75 Centimes._
SAMEDI 18 MARS 1905
_63e Année.--N° 3238._



[Illustration: LE VAINQUEUR DE MOUKDEN Le maréchal Oyama photographié
par J. Hare devant sa tente. _Copyright for U. S. A. by Collier's
Weekly. _]

_Le numéro de la semaine prochaine, portant la date du 25 mars,
contiendra:_

LES VENTRES DORÉS

_La belle oeuvre dramatique de_ M. Emile Fabre, _représentée au théâtre
de l'Odéon avec un succès qui va augmentant chaque soir._

_Paraîtront ensuite, en avril et mai, les pièces nouvelles de_ MM. HENRI
LAVEDAN, BRIEUX, PAUL HERVIEU, CATULLE MENDÈS, PIERRE WOLFF, ALFRED
CAPUS.



Courrier de Paris

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

J'ai passé une soirée extrêmement intéressante, cette semaine, à voir
des gens s'assommer à coups de poing. Cela se passait aux Ternes, salle
Wagram, et l'énorme affluence de curieux qu'attirait si loin du centre
de Paris ce spectacle très spécial et un peu effarant m'avait d'abord
surprise. Mais l'ami qui m'accompagnait me renseigna:

--Nos championnats de boxe, me dit-il, ont un public; un vrai public qui
en suit, depuis trois années, les épreuves avec une sympathie
intelligente et passionnée, et que pousse ici non pas, comme beaucoup le
croient, l'amusement de voir des hommes se faire du mal en se donnant
des coups, mais le désir d'applaudir à des gestes d'adresse et de
courage. Tenez, regardez. Il y a dans ce que vous allez voir une beauté
que vous ne soupçonnez pas...

Les deux adversaires ont escaladé d'un bond la haute estrade carrée où
va se donner l'assaut. Chacun est assisté d'un «soigneur» qui vérifie
rapidement la tenue du combattant, ajuste à ses poignets les gants
monstrueux qu'on vient de peser, dispose autour de lui la cuvette et la
carafe pleine d'eau fraîche, un citron, des serviettes. Les deux hommes
ont les mollets et le torse nus. Ils se sourient, s'abordent avec un
geste de poignée de main, puis prennent du champ et, sur un signe de
l'arbitre--comme subitement devenus fous--foncent l'un sur l'autre.

Et l'on voit les corps nus bondir, les bras se détendre et frapper; les
chocs furieux des poings résonnent en coups mats, auxquels font écho,
dans le silence de l'immense salle, les grognements de surprise, de
condoléance ou d'admiration d'une foule angoissée... Coup de cloche. Une
minute de repos. Deux chaises sont prestement posées à deux coins de
l'estrade; les combattants s'y affalent, suants, à bout de souffle. L'un
d'eux, très jeune, imberbe et de face distinguée, saigne un peu du nez
et l'oeil gauche porte la marque d'un terrible coup. Le soigneur lui
ventile la figure au moyen d'une serviette secouée, lui écrase aux
lèvres une tranche de citron. Coup de cloche.

Ils sont debout. L'arbitre dit: «Allez.» Et de nouveau, d'un même élan
rageur, éperdu, les deux corps s'entre-choquent et les poings tapent...
Je demande à mon compagnon:

--Qui sont ces jeunes gens?

--Des amateurs, me dit-il. Ce très jeune homme, qui a la figure en sang,
est un employé de banque. Il a pour adversaire un ingénieur. Tout à
l'heure, vous verrez monter sur le _ring_ un garçon très fort, qui
appartient à la plus authentique aristocratie parisienne et vient ici
donner et recevoir des coups de poing sous un nom d'emprunt. Les autres
sont des commerçants, des étudiants, de jeunes fonctionnaires. Tous se
connaissent et s'estiment; les deux jeunes gens que vous voyez en ce
moment s'accabler de coups qui les épuisent sont deux amis...

Mon camarade s'amusait de ma stupeur.

--Je vois bien, me dit-il en riant, que la psychologie du boxeur est
quelque chose qui vous échappe. Il vous semble qu'un homme ne puisse en
frapper violemment un autre qu'à condition d'y être entraîné par un
sentiment de colère et de haine; et il vous paraît invraisemblable,
surtout, qu'un monsieur qui vient de recevoir dans la figure un coup de
poing qui l'aveugle, lui met en sang le nez, lui casse une dent, ne se
sente pas animé contre son adversaire d'un besoin fou de se venger, de
lui _faire mal..._ Non. Le boxeur n'éprouve pas ce sentiment-là. Le
boxeur, en face de l'adversaire, se dédouble. Il n'est plus un être
_sensible_ et moral qui aime ou qui déteste, qui a peur ou qui a pitié.
Il est une machine intelligente et raisonnante, qui ne se meut que dans
le but de prouver son adresse, sa vigueur. L'excitation de la colère ou
de la haine ôterait tout mérite à l'audace du boxeur; et c'est pour cela
qu'il n'y a rien de plus noble que le courage sportif;--j'entends le
courage qui consiste à affronter une souffrance physique _par plaisir_,
et à ne jamais garder rancune d'un coup douloureux à celui qui vous l'a
porté... Et ce qui vous prouve, madame, que cette façon de passer le
temps a bien son charme, c'est que personne n'a forcé aucun de ces
jeunes gens à venir ici se faire meurtrir de coups. Tenez: en voici un
qui s'évanouit; eh bien, je parie que si vous l'interrogez dans dix
minutes, il vous déclarera qu'il aime bien mieux être à sa place qu'à la
vôtre.


L'assaut finissait. Soutenu par deux amis, l'un des combattants (le plus
grand, le plus vigoureux d'aspect) s'en allait chancelant, ruisselant de
sueur, vers le vestiaire, tandis que, fort essoufflé aussi, le
vainqueur--le petit employé de banque à figure d'adolescent--quittait le
_ring_ dans une tempête d'acclamations et se hâtait d'aller serrer la
main à l'ami qu'il venait, comme disent ces messieurs, de «descendre».
Visiblement, ce petit homme était le favori de la foule. J'interrogeai
mon compagnon:

--Pourquoi semble-t-on le préférer à l'autre?

--Parce qu'il est le plus petit; parce que d'avance on le considérait
comme battu. Alors la surprise de cette victoire amuse; elle satisfait
en nous deux penchants qui habitent l'âme de tous les Français: la
sympathie que les _petits_ nous inspirent quand ils sont aux prises avec
les _gros_; et ce secret instinct de contradiction, de fronde, qui nous
fait trouver «amusante» la victoire qu'on n'attendait pas, surtout si
par avance l'adversaire a trop bruyamment nié qu'on le pût battre. C'est
un sentiment qu'on cultive en nous dès le bas âge. Si vous êtes jamais
allée à Guignol, madame, vous avez pu voir comme nos enfants se
réjouissent de voir Polichinelle rosser le commissaire...

--Je n'ai pas vu cela, dis-je, mais quelque chose, en effet,
d'équivalent. J'ai vu, dans plusieurs salons, ces temps derniers, des
Parisiens commenter narquoisement les défaites de mes compatriotes en
Mandchourie. Ils ne s'en réjouissaient pas, assurément; mais, enfin,
c'était bien le sentiment que vous indiquez-là. Ces victoires imprévues
de nos ennemis, cette revanche des _petits_ contre les _gros_, ce
démenti infligé à de trop orgueilleux pronostics, amusaient visiblement
leur dilettantisme: c'est Polichinelle rossant le commissaire... Vous
avez raison. Et l'on a beau être l'ami du commissaire, et le plaindre de
tout son coeur, et souhaiter sa revanche, on a bien de la peine à ne pas
laisser voir qu'au fond--tout au fond--l'on est un peu séduit par cette
gloire inattendue et paradoxale de Polichinelle. On ne l'aime pas, sans
doute, mais il «intéresse». C'est notre faute, peut-être. Nous avions
juré trop vite de le mettre en morceaux...


Il paraît qu'une mode est à la veille de se créer à Paris; et cela est
mieux qu'une mode nouvelle, ou pis; c'est une petite révolution: on
voudrait essayer de remplacer, dans la coiffure et au corsage des jeunes
mariées, le bouquet de fleurs d'oranger par une touffe de marguerites et
de roses blanches. Ce sont, me dit-on, des jeunes filles du monde le
plus élégant qui ont imaginé cela. Des filles du peuple, en effet, n'y
eussent point songé, non plus que de simples bourgeoises. Celles-là ont
le respect des traditions. C'est justement de quoi les autres
s'impatientent. Il déplaît à ces petites femmes d'arborer, le jour de
leur mariage, une sorte d'insigne que leurs couturières ou leurs femmes
de chambre ont, comme elles, arborées, ou arboreront... Le côté
«égalitaire» de cette tradition choque leur fierté, et puis elles la
trouvent «vieux jeu»; et c'est assez pour que leur snobisme la condamne.

Au surplus, pourquoi se gêneraient-elles? Leurs maris vont à l'autel en
redingote; dans vingt ans, elles les y accompagneront en robes de
visite, les roses blanches seront devenues des roses roses, et la
voilette noire aura remplacé le voile blanc. Tout passe!

Tout passe, ou passera: même la mode de distribuer des prix aux
écoliers. On me dit que depuis plusieurs années déjà on a renoncé, en
beaucoup d'écoles, à la mode des couronnes en papier vert ou doré, que
nous éprouvions autrefois tant de joie à sentir se poser sur nos fronts;
fleurs d'oranger, couronnes scolaires... deux coiffures qui se démodent.
Mais ce n'est pas la couronne seule qui est menacée à présent; un
conseiller municipal a proposé cette semaine que les familles dont les
enfants fréquentent les écoles communales de Paris fussent consultées
sur la question de savoir s'il ne conviendrait pas que les volumes aussi
fussent supprimés et que le prix en fût consacré à former de petites
bourses de vacances dont bénéficieraient les enfants pauvres.

C'est une idée touchante et qui séduira beaucoup de pères de famille,
notamment ceux dont les enfants n'ont jamais de prix. Elle séduira aussi,
çà et là, les philosophes (trop nombreux!) qu'exaspère la glorification
d'une supériorité, quelle qu'elle soit, et à qui le «fort en thème»,
avec son précieux chargement de volumes dorés sur tranches, apparaît
déjà comme une espèce de petit tyran. Le fort en thème, c'est quelqu'un
qui a réussi; c'est quelqu'un _qui s'élève..._ et de qui, par
conséquent,--dès l'école,--il semble sage de se méfier. On ne l'empêche
pas d'être le premier de sa classe, parce que cela est impossible; mais
on lui répète, en toute occasion, que ses prix ne sont vraiment la
preuve de rien; qu'il croit savoir quelque chose et qu'il ignore tout;
que, dans la vie, ce sont probablement les cancres qu'il a battus au
lycée qui le battront. Si bien que les insuccès scolaires, qui étaient
autrefois un sujet d'humiliation dans les familles, y répandent
maintenant une sorte de gaieté. C'est le cancre qui fait le malin et le
bon élève qui a l'air bête... Au moins la joie lui restait-elle, à ce
fort en thème, d'accumuler de beaux livres dans sa bibliothèque; et
voilà qu'on parle de lui retirer cette joie--la dernière.

Il est vrai que ce seront les pauvres, à ce qu'on dit, qui en
profiteront. Méfions-nous!

L'intérêt des pauvres est qu'on les aime: et je ne pense pas que ce soit
un bon moyen de les faire aimer de nos enfants que de voler à ceux-ci
leurs livres de prix, sous prétexte de charité. Combien sont de plus
fins psychologues ceux qui pensent qu'on ne secourt bien la misère qu'en
fournissant aux riches l'occasion, non de se sacrifier, mais de se
réjouir en son honneur! Je sais des femmes d'excellent coeur qui payent
volontiers vingt francs le plaisir d'assister à un concert de
bienfaisance, et qui seraient très vexées qu'on les forçât, pour faire
l'aumône, d'enlever vingt francs de fleurs à leur chapeau.

SONIA.



NOTES ET IMPRESSIONS

Celui qui veut empêcher de dire la messe est plus fanatique que celui
qui la dit.
                                                          ROBESPIERRE

                               *
                              * *

Les révolutions: on appelle ainsi les brutalités du progrès.
                                                          VICTOR HUGO.

                               *
                              * *

Il n'y a guère que les morts qui ne disent point de mal des médecins,
quoique étant les seuls à s'en passer et les plus fondés probablement à
s'en plaindre.
                                                          PAUL HERVIEU.

                               *
                              * *

La tradition: un soutien à la fois et un obstacle.

                               *
                              * *

Dire du mal des médecins et des femmes est l'inoffensive revanche de la
faiblesse qui nous met et retient sous leur joug.
                                                          G.-M. VALTOUR.



L'ACQUISITION DES CHARMETTES

[Illustration: La maison vue du jardin.--Phot. Fortin.]

Les Charmettes, cette agreste maison de Mme de Warens, blottie au fond
d'un vallon de la Savoie, à deux pas de Chambéry; les Charmettes, où
Jean-Jacques coula auprès de la «Maman» quelques-uns des rares bons
jours de sa vie aventureuse, allaient être vendues, c'est-à-dire
accaparées, fermées aux pèlerins, détruites peut-être. L'Etat, en
accordant 25.000 francs pour le rachat de cette maisonnette, fameuse
dans l'histoire de la littérature, la conserve au culte de Rousseau. Les
fidèles, de nouveau, pourront librement errer dans les allées étroites
du jardinet, bordées de roses en été, et y rêver devant le calme horizon
de montagnes; ils pourront franchir la porte basse, cintrée, que, les
premiers soleils revenus, des glycines vénérables et toujours
vigoureuses ombragent de leurs grappes mauves et, sous la conduite des
guides obsédants, visiter le petit musée où, à l'aide de meubles
d'authenticité douteuse, on s'est efforcé de reconstituer l'intérieur où
vécurent les deux amis.

[Illustration: Mme de Warens d'après un pastel de la Tour.]

Mme de Warens règne encore là en effigie et la reproduction
photographique d'un pastel de Quentin de la Tour, retrouvé, en 1894, à
Londres, et identifié par lady Playfair, image où la «Maman» revit telle
que la décrivent les _Confessions_, avec «un air caressant et tendre, un
regard très doux, un sourire angélique» est l'une des choses les plus
attachantes de cette galerie de souvenirs, l'une de celles devant
lesquelles le visiteur s'arrête plus volontiers.

[Illustration: La façade des Charmettes, avec sa glycine.--_Phot.
Fortin._]



LA GUERRE VUE PAR LES PHOTOGRAPHES

JIMMY HARE

Le nom de M. Hare est familier aux lecteurs de _l'Illustration_. Tandis
que Victor Bulla suivait les opérations du côté des Russes, Jimmy Hare
partageait la fortune des armées japonaises. Grâce à ces deux
collaborateurs précieux, nous avons pu, de semaine en semaine, donner
ici la vision authentique, réelle, des péripéties saillantes de la
campagne actuelle.

Il n'aura échappé à personne combien cette image de la guerre,
fidèlement enregistrée par l'objectif, incapable d'un mensonge ou d'une
complaisance, est inattendue, lointaine des tableaux épiques qui nous la
montraient autrefois.

Où sont les batailles pompeuses d'un Wouwerman, qui semblent la
permanente illustration des ronrons de Boileau: «Grand Roy, cesse de
vaincre...»? Où, les théâtrales compositions dans lesquelles Gérard ou
Gros immortalisaient, selon le style décrété par le maître, les
chapitres de l'épopée impériale?

Nous en étions demeurés, comme impressions de guerre, aux panoramas qui
se multiplièrent après la guerre de 1870-1871, aux pittoresques épisodes
de Neuville ou de Detaille. Déjà, auprès d'eux, les patients tableautins
consacrés par M. Meissonier à la guerre d'Italie, son _Solférino_, avec
l'empereur à cheval, comme centre d'intérêt et centre d'action,
apparaissaient un peu faux et guindés. Et voici que la photographie nous
fait toucher du doigt la réalité même.

Revoyez, dans la série d'envois de Victor Bulla que nous donnions il y a
huit jours, ce général en capote grise, qui passe, inspectant les
tranchées entre deux engagements, descendu du piédestal décoratif que
fait à Bonaparte passant les Alpes son cheval fougueux, la crinière
éployée par l'aquilon; cette petite voiture cahotante, attendant les
blessés sanglants. Voyez encore, d'autre part, ce groupe, qu'on nous
montre ici, de soldats japonais s'avançant à l'attaque en rampant
derrière un talus.

La guerre d'aujourd'hui, c'est cela: quelques flocons qui fument au loin
dans le ciel, des hommes qui se glissent à plat ventre, prudents et
profilant, pour s'abriter, de chaque repli du terrain. C'est d'une série
de menus incidents tout pareils qu'est faite désormais, c'est ainsi
qu'on voit une bataille où disparaissent cent mille soldats!

Vous plait-il, maintenant, de connaître l'homme qui a peut-être le plus
contribué à nous apporter cette révélation?

Jimmy Hare, citoyen américain, a cinq pieds cinq pouces. C'est donc un
tout petit homme, aux environs de la cinquantaine. Depuis le
commencement de la campagne, une barbe opulente lui est poussée, une
barbe bien slave, qui lui donne une ressemblance vague avec feu l'amiral
Makharof. Et comme, avec cela, il monte le plus gros, cheval, sans
doute, de toute l'armée japonaise, un robuste trotteur australien, on le
prendrait volontiers, à la taille près, pour un Russe pur sang.

Jimmy Hare n'est pas, selon sa propre expression, un de ces
«pousse-boutons» comme vous ou moi, et un tas d'autres, reporters,
voyageurs, explorateurs et, par-dessus le marché, photographes, qui,
partant d'un pied léger à la recherche de sensations neuves, se
munissent, à tout hasard, d'un appareil portatif, simple et commode à
manoeuvrer, afin de pouvoir, au besoin, rapporter quelques clichés.
Jimmy Hare est essentiellement, exclusivement, le «reporter
photographe», et l'on ne saurait assez dire quel tranquille courage il
déploie dans l'accomplissement de sa rude et périlleuse mission et de
quelle passion il aime son métier, avec ses risques, ses joies, parfois,
ses souffrances!

Lors de la bataille de Wi-Ju, pour avoir le «détail» qui seul importe, à
son avis, il n'hésita pas, trompant la surveillance des censeurs, à
courir au coeur de la bataille. Il fut le premier des correspondants de
guerre qui passa le Yalou, se traînant, à genoux dans les sables. Son
serviteur l'avait abandonné, son cheval était fourbu; mais, le lendemain
matin, pâle, tremblant la fièvre, il développait, joyeux au fond de
l'âme, les plus beaux, les seuls clichés qu'on ait pris là.

Après Liao-Yang, égaré dans la ville, sans couvertures, sans abri,
couchant sur la terre, se nourrissant de blé vert, il demeurait plein de
sérénité.

Ceux qui ont vu et qui verront les centaines d'images saisissantes qu'il
a envoyées du théâtre de la guerre ne sauront jamais les peines qu'elles
ont coûtées.--G. B.

[Illustration: Jimmy Hare, correspondant-photographe du _Collier's
Weekly_ américain et de _l'Illustration_ française.]



[Illustration: OKU, NOGI, KUROKI, NODZU. Les généraux commandant les
quatre armées japonaises, sous les ordres du maréchal Oyama.]

FIN DE LA BATAILLE DE MOUKDEN La bataille de Moukden, dont nous avons,
la semaine dernière, esquissé la première partie jusqu'au 7 mars, a
abouti pour la Russie à une terrible défaite.

Les circonstances de cette formidable mêlée, qui a mis aux prises huit
cent mille hommes pendant douze jours, ne sont pas encore complètement
éclaircies, et ce n'est que beaucoup plus tard qu'on pourra tracer un
tableau exact et détaillé de cette bataille, où le maréchal Oyama et ses
lieutenants, les généraux Kuroki, Nodzu, Oku et Nogi, ont triomphé avec
une si écrasante supériorité. Pourtant la carte ci-contre résume
graphiquement, aussi clairement que possible, les données fournies
jusqu'à présent, par les dépêches.

Les traits pleins terminés en pointes de flèche indiquent toutes les
directions qu'a prises l'irrésistible offensive des Japonais.

C'est le 8 mars que les armées russes du centre et de l'aile gauche,
après l'échec d'une contre-offensive tentée par Kouropatkine lui-même
dans la région de Yan-Si-Toung, au sud-ouest de Moukden, durent se
replier par échelons vers leur deuxième position, sur la rive droite du
Houn-Ho. Depuis plusieurs jours déjà, les convois se hâtaient vers le
nord, sur la route de Tié-Ling, et Kouropatkine pouvait espérer que ses
arrière-gardes contiendraient quelque temps Nodzu et Kuroki au delà du
fleuve qui charriait et dont les ponts avaient été coupés. Mais, dans la
nuit du 8 au 9, le Houn-Ho gela à nouveau. Les divisions de Nodzu ne
perdirent pas une heure: le 9 mars, à 3 heures du matin, elles
traversaient la vallée, se jetaient sur Riousan et pénétraient dans la
montagne, coupant en deux les armées russes entre Moukden et Fouchoun.

Il n'y avait plus un moment à perdre pour évacuer Moukden où 100.000 à
150.000 hommes allaient être investis dès que les avant-gardes de Nogi
et de Nodzu se rejoindraient vers Tavan ou Schanva. L'évacuation eut
lieu dans la nuit du 9 au 10, et le 10 mars, à 10 heures du matin, Oku
et son état-major faisaient sans coup férir leur entrée dans la capitale
de la Mandchourie.

Les traits interrompus à pointes de flèche indiquent les lignes de
retraite des armées russes. Un coup d'oeil sur le croquis permet de
juger la situation de celles de Kaulbars et de Bilderling et d'imaginer
ce que fut leur marche sur Tié-Ling. Trois brigades fraîches, commandées
par Guerschelmann, et intervenant le 11 mars vers Chu-Si-Taï, ont seules
pu conjurer un désastre complet.

L'armée russe semble avoir perdu plus du tiers de son effectif (40.000 à
50.000 prisonniers et 100.000 tués et blessés) et une grande partie de
son artillerie et de ses approvisionnements. Et déjà on signale une
colonne japonaise marchant sur Fakoumen, au nord-ouest de Tié-Ling,
tandis qu'une autre se préparerait à franchir les monts Kama-Ling, à
l'est.

Le maréchal marquis Ivao Oyama, que la victoire de Moukden consacre
grand capitaine, est âgé de soixante-deux ans. Nous avions déjà publié
plusieurs de ses portraits. Celui que nous donnons a été pris, au cours
de la campagne actuelle, par notre correspondant, le photographe
américain J. Hare. Il diffère des précédents par une barbiche que le
généralissime japonais a laissé pousser et qui allège un peu sa lourde
physionomie, aux traits fortement marqués par la petite vérole. Détail à
noter: Ivao Oyama était en France, chargé d'une mission d'études
militaires, au moment où éclata la guerre franco-allemande de 1870-1871,
et il en suivit les péripéties. Rentré au Japon, il fut le premier à
initier l'armée de son pays à la pratique des lois de la guerre des
Etats civilisés, en même temps qu'aux règles de la tactique et de
l'armement modernes. En 1884, il fit un nouveau voyage d'études en
Europe. En 1894-1895, pendant la guerre avec la Chine, il commandait le
second corps d'armée, et c'est lui qui prit alors Port-Arthur aux
Chinois... Il a fait beaucoup mieux depuis.

[Illustration: LES TROUBLES INTÉRIEURS EN RUSSIE.--Conflits sanglants
entre Tartares et Arméniens, à Bakou. Une de nos photographies de la
semaine dernière montrait le champ de carnage, lugubre mais glorieux, de
la colline Poutilov en Mandchourie. Voici encore--et nous nous en
excusons auprès de nos lecteurs--d'autres amoncellements de cadavres, et
ceux-ci sont peut-être plus horribles à voir, car ce ne sont plus des
corps de soldats tombés à l'ennemi: ce sont quelques-unes des victimes
de conflits sanglants qui ont éclaté récemment à Bakou, en Caucasie,
entre la population chrétienne et la population musulmane. Outre 1.500
blessés, on aurait compté 640 morts, dont 340 Arméniens, 260 Tartares,
40 Russes Géorgiens, Polonais ou juifs. Au milieu de tant de
catastrophes qui s'abattent de toutes parts sur la Russie, celle-là
avait passé presque inaperçue.]

[Illustration: Le général Kuroki prenant part lui-même au concours de
tir.]

Le général Kuroki, commandant de la 1ère armée japonaise, n'est pas,
sans répit, l'homme grave, le taciturne que se sont appliqués à
dépeindre les correspondants des journaux sur le théâtre de la guerre.

A une réception organisée au camp en l'honneur des attachés militaires
étrangers, des journalistes accrédités à son armée et des officiers de
son état-major, il avait imaginé d'instituer un grand concours de tir où
les armes devaient être exclusivement des fusils pris sur les Russes. Un
grand choix de prix était offert à l'émulation des lauréats: caisses de
Champagne, de whisky, boîtes de conserves, cigares excellents de la
Havane. La petite fête eut un très vif succès. Son organisateur, le
général Kuroki, le général Fuji, chef d'état-major de la 1ère armée, ne
dédaignèrent pas de disputer aux invités le prix de l'adresse. Allongé
sur une natte, le commandant de la 1ère armée tira exactement le nombre
de balles par lui attribué à chaque concurrent. Il ne fut pas
extrêmement heureux, ajoute-t-on,--ni lui, ni le général Fuji. En
revanche, les deux attachés français, le colonel baron Corvisart et le
capitaine Payeur, furent parmi les vainqueurs.

[Illustration: Le colonel baron Corvisart, attaché militaire
français.--Photographies Hare, copyright by Collier's Weekly. UN
CONCOURS DE TIR ENTRE OFFICIERS JAPONAIS ET ATTACHÉS MILITAIRES
ÉTRANGERS AU CAMP DE KUROKI.]

[ÉVACUATION DES BLESSÉS VERS LES HOPITAUX DE MOUKDEN, APRES UN COMBAT
AUX AVANT-POSTES
_D'après une photographie de notre correspondant, Victor Bulla._ Prise
au commencement de février, après un combat d'avant-postes livré près du
Cha-Bo par un détachement de l'armée de Liniéviteh, la photographie de
Victor Bulla, si tragique qu'elle soit déjà, ne peut donner qu'une
faible idée du spectacle effroyable que présente actuellement la
retraite de l'armée russe tout entière. Au milieu d'avril seulement,
nous pourrons recevoir des documents photographiques sur la bataille
de Moukden et ses désastres.]

[Illustration: LA DEMISSION DU DIRECTEUR DU CONSERVATOIRE.--M. Théodore
Dubois dans son cabinet de travail. _M. Théodore Dubois, directeur du
Conservatoire national de musique et de déclamation, vient de prendre la
résolution de faire valoir ses droits à la retraite. Agé de
soixante-sept ans, il a passé sa jeunesse dans la maison, comme élève,
jusqu'au prix de Rome remporté en 1861; il y compte vingt-cinq années de
service, comme professeur, et il y en a neuf qu'il occupe la direction
où il fut appelé à la mort d'Ambroise Thomas. Pour motiver sa démission,
l'éminent compositeur invoque le besoin de repos, un repos laborieux
d'ailleurs, qu'il entend consacrer à des travaux personnels. En tout
cas, son départ est un événement d'importance dans le monde artistique
dont le Conservatoire est le temple et certains augures croient y voir
le signe précurseur d'une réforme de l'institution._]



[Illustration: L'ORPHELINAT DES ARTS EN FÊTE.--Arrivée des enfants à
l'Ecole des Beaux-Arts.
_Dimanche dernier eurent lieu l'assemblée générale et la distribution
des prix de l'Orphelinat des Arts, dans l'hémicycle de l'Ecole nationale
des Beaux-Arts, sous la présidence de M. Dujardin-Beaumetz. Mme Poilpot,
présidente du comité, exposa la situation de l'oeuvre si utile dont la
regrettée Marie Laurent fut la fondatrice, et le sous-secrétaire d'Etat
prononça une chaleureuse allocution; puis, la séance administrative
terminée, pour la, cérémonie des récompenses, agrémentée d'un attrayant
programme musical, on introduisit les soixante-cinq pensionnaires que de
grands omnibus avaient amenées de Courbevoie, fillettes aux costumes
noirs, aux collerettes blanches, aux cheveux noués d'un ruban blanc. Et,
malgré ces couleurs de deuil, la fête familiale dut le meilleur de son
charme à la présence de ce gracieux bataillon._]

[Illustration: Le chauffeur Audoire. Le mécanicien Mercier. Le prince de
Bulgarie. M. Morizot, ingénieur. COMMENT LE PRINCE FERDINAND DE
BULGARIE, REVENANT DE LONDRES PAR CALAIS, EST ARRIVÉ A PARIS]

Samedi dernier, 11 mars, au moment du court arrêt en gare d'Abbeville du
train rapide numéro 6, allant de Calais à Paris, on vit sortir d'un
wagon-salon un homme de haute taille, ganté de blanc, vêtu d'un ulster,
coiffé d'une casquette, le visage à demi masqué par des lunettes
d'automobiliste aux verres fumés. Il se dirigea vers la locomotive sur
laquelle il monta; un coup de sifflet strident retentit, puis le train
se remit en marche. A 5 h. 20, il stoppait à son terminus; tout le monde
descendait, et alors l'homme mystérieux apparaissait, toujours très
correct, mais quelque peu barbouillé de suie. A peine avait-il touché du
pied le quai de la gare du Nord que tout le haut personnel se
précipitait à sa rencontre en lui prodiguant les marques d'une profonde
déférence. «Enchanté, ravi, déclarait-il; voyage très intéressant; je
recommencerai.» Ce personnage, la chronique l'a déjà révélé, n'était
autre que le prince Ferdinand de Bulgarie. Celui-ci revenant de Londres
et ayant manifesté le désir d'agrémenter d'un numéro inédit le programme
de son déplacement, on s'était empressé de satisfaire la royale
fantaisie de Son Altesse. Voilà comment, en compagnie de M. Morizot,
ingénieur de la traction, du mécanicien Mercier et du chauffeur Audoire,
sur une superbe compound dernier modèle, portant le numéro 4999 et
construite d'après les plans de M. l'ingénieur en chef du Bousquet, le
prince, bravant une pluie battante, put goûter l'ineffable griserie du
120 à l'heure. Par ces temps d'automobilisme, un souverain ne saurait
être plus moderne.



_Documents et Informations._

AU PROCÈS BONMARTINI: LA «MAISON DE POUPÉE».

Une curieuse innovation aura marqué les débats du sensationnel procès
Bonmartini, qui se poursuivent devant la cour d'assises de Turin.

A l'audience du 10 mars, Me Nasi a annoncé que la partie civile, afin
d'épargner aux jurés et à la cour le voyage à Bologne, avait fait
fabriquer à l'Ecole des arts et métiers d'Imola, par les soins de
l'ingénieur Remigio, son directeur, un modèle réduit de la maison du
crime. Sur l'ordre du président, il a été immédiatement procédé à
l'exhibition de cette maquette, une véritable maison de poupée à l'usage
des enfants riches. Construite en bois et plâtre, à l'échelle de 1/20,
elle mesure 1m,50 de long, 1m,30 de large et 0m,60 de haut, se démonte
très facilement, de façon à découvrir la fidèle reproduction des
appartements, avec leur distribution et leurs aménagements. Deux séries
de numéros,--de 1 à 17 pour l'extérieur, de 1 à 23 pour
l'intérieur,--correspondent à un état de lieux détaillé et fournissent
toutes les précisions nécessaires. Par exemple, dans la première série
(façade sur la via Mazzini), les numéros 1 et 5 indiquent les fenêtres à
balcon de la chambre à coucher du comte Bonmartini; le numéro 12 (via
Guerrazzi) la porte cochère par où sont entrés Tullio, Naldi et la
Bonetti, etc.; dans la seconde (intérieur); le numéro 1 est la chambre
du comte, le numéro 8 le couloir où l'on a trouvé le cadavre de la
victime, les numéros 16 à 20 désignent le logement du docteur Secchi et
le couloir de communication qui favorisait les rendez-vous entre
celui-ci et la comtesse...

Grâce à cette maquette, les jurés peuvent donc, sans se transporter à
Bologne, reconstituer dans leur cadre toutes les péripéties du drame.
Les avocats de la défense ont, il est vrai, contesté la valeur
documentaire de la maison minuscule; mais deux ingénieurs experts,
appelés par le président, sont venus attester, sous la foi du serment,
qu'elle était un chef-d'oeuvre d'exactitude.


LE PLUS GROS DIAMANT DU MONDE.

On vient de découvrir, au Transvaal, dans la mine «Premier», près de
Pretoria, un diamant monstre, le plus volumineux qu'on connaisse à
l'heure actuelle. Et, comme tous les diamants célèbres doivent avoir
leur nom propre, on l'a baptisé le _Cullinan._

Le _Cullinan_ emplit la main d'un homme: il a 10 centimètres de
longueur, 6 1/4 de largeur, 3 3/4 d'épaisseur. C'est donc une sorte de
table ou de plaque. Il pèse brut 3.024 carats 3/4,--soit 620 gr. 68.
Rappelons que le _Régent_, taillé, pèse seulement 136 carats. Mais on
sait que la beauté de sa forme, la qualité de son eau, à peu près sans
défaut, sont surtout ce qui en fait l'une des plus belles gemmes du
monde. On dit le _Cullinan_ également très pur.

Détail assez curieux, ce fut un peu par hasard que l'on découvrit le
monstrueux diamant; dans la soirée du 20 janvier, M. Fred. Wells,
contremaître de la mine, faisait une tournée sur les travaux, entre
quatre et cinq heures, quand il remarqua sur le sol un reflet qui attira
vivement son attention. Il s'approcha: les rayons du soleil qui
déclinait allumaient une aigrette lumineuse sur une pointe cristalline
émergeant du sol légèrement. M. Wells tira son couteau, creusa le sol
autour du caillou brillant, s'enfiévrant, à mesure que la pierre
résistait, au point qu'il cassa la lame de l'instrument et finit par
arracher la précieuse pierre. M. Wells n'avait pas perdu sa journée!

[Illustration: M. Walter Brunton, administrateur de la mine, tenant dans
sa main le diamant (valeur 25 millions de francs).]

[Illustration: Une originale pièce à conviction à la cour d'assises de
Turin: maquette (vues extérieure et intérieure) de la maison où fut
assassiné le comte Bonmartini. (Pour l'explication des numéros, voir
l'article ci-contre.)--_Phot. Nino Fornari._]


LES SOUS-PRODUITS DE LA FABRICATION DU GAZ.

Aucune industrie n'est plus intéressante à suivre dans son développement
que celle de la fabrication du gaz et cette histoire est d'autant plus
curieuse qu'elle nous montre que, jusqu'à ces temps derniers, le prix du
gaz était le même qu'au temps où le coke était à peu près le seul
sous-produit utilisé dans cette fabrication.

Aujourd'hui, cependant, bien longue est la liste des produits dont la
vente est assez rémunératrice pour que la valeur du gaz puisse être
considérée à peu près comme nulle.

Et d'abord, dans les eaux de condensation, ce sont des sels ammoniacaux,
des cyanures utilisés pour la fabrication du bleu de Prusse, des
goudrons servant à la production de la benzine, du toluène, de la
naphtaline, de l'anthracène, des huiles lourdes et du brai.

Puis, dans les cornues, on trouve du graphite dont on se sert pour la
fabrication des charbons électriques et des charbons de piles.

Puis, le poussier de coke, aggloméré à l'aide du brai provenant du
goudron, est converti en briquettes employées pour le chauffage des
générateurs fixes et pour le chauffage domestique.

Enfin, le résidu acide provenant du traitement des huiles légères, très
gênant jusqu'à ces temps derniers parce qu'on ne pouvait pas l'écouler à
l'égout, est maintenant transformé en sulfate commercial en même temps
qu'il sert à obtenir de la pyridine, utilisée en Allemagne pour la
dénaturation de l'alcool.

On voit, par cette énumération encore incomplète, quelles richesses on a
laissées se perdre pendant près de trois quarts de siècle.


COMBIEN D'HEURES L'ENFANT DOIT-IL DORMIR?

«C'est assez de dormir sept heures; ne permettons à personne huit heures
de sommeil», tel est le précepte de l'Ecole de Salerne; et même les
stoïciens jugeaient que six heures devaient suffire.

Mais ces formules ne tiennent aucun compte de l'âge qui, cependant, est
un élément primordial dans l'appréciation de la durée physiologique du
sommeil.

Tandis qu'on admet que le vieillard n'a pas besoin d'un long sommeil, et
que le contraire est généralement chez lui un signe de maladie, tout le
monde s'accorde pour reconnaître que l'enfant doit dormir longtemps, et
d'autant plus longtemps qu'il est plus jeune; car c'est pendant le
sommeil que se fait l'intégration des tissus et des organes, qui n'est
possible que dans les périodes de repos des fonctions.

Quelle est donc la durée de sommeil nécessaire aux enfants? Le congrès
anglais d'hygiène scolaire, qui vient de se réunir à Londres, avait à se
prononcer sur cette question. Il a fixé, pour les enfants de moins de
quinze ans, un minimum de neuf heures.


LE RENNE COMME AGENT DE CIVILISATION.

Voulant faire pénétrer la civilisation et l'industrie dans l'Alaska, le
ministère de l'instruction publique des Etats-Unis a fait, depuis
quelques années, une curieuse et intéressante tentative. Pour pouvoir
établir des écoles et préparer des citoyens utiles et industrieux dans
la population esquimaude, il faut d'abord donner à la population
existante des moyens de vivre. Et c'est pourquoi le ministère de
l'instruction publique a commencé par introduire le renne dans l'Alaska.
Cet animal n'y existe pas naturellement, comme en Sibérie. On a donc
fait venir un certain nombre de rennes pour établir, dans l'Alaska,
l'élevage du renne, l'art de l'élevage étant enseigné dans les écoles.
De 1892 à 1902, il a été importé 1.280 rennes de Sibérie. Ceux-ci ont
été débarqués à Port-Clarence où une station a été établie: de là, ils
ont été répartis dans d'autres centres, qui vont maintenant jusqu'à la
pointe Barrow sur l'océan Arctique, et à la vallée Kuskowim au sud du
Yukon, à plus de 1.500 kilomètres de la pointe Barrow. Tout le long de
la côte, entre ces deux points, sur la mer de Behring et l'océan
Arctique, il y a maintenant huit stations de rennes: cet hiver même deux
stations nouvelles sont en cours d'établissement, à 1.500 kilomètres
dans l'intérieur de l'Alaska. En octobre dernier, le nombre total des
rennes était de 8.190.

Pour faire donner à sa tentative les résultats les plus avantageux, le
gouvernement américain procède de la façon suivante: à chaque station,
le directeur fait choix d'un certain nombre de jeunes indigènes
intelligents et ambitieux, et les inscrit comme apprentis-éleveurs. Ils
apprennent la manière de traiter et d'utiliser le renne. A la fin de
chaque année d'apprentissage--la durée totale de celui-ci est de cinq
ans--l'apprenti qui a bien fait sa besogne reçoit deux rennes en cadeau.
A la fin de la cinquième année, tout apprenti qui a donné satisfaction
reçoit autant de rennes qu'il lui en faut pour constituer un troupeau de
50. C'est ce troupeau qui va servir de base à sa fortune, s'il a su
profiter des enseignements reçus. Le renne est utilisé comme aliment et
comme animal de transport, sa peau fournit un vêtement chaud. Il y a
actuellement 68 Esquimaux qui possèdent entre eux 2.841 rennes et font
vivre comme employés, gardiens, etc., 250 de leurs semblables. Comme il
y a 20.000 Esquimaux environ dans l'Alaska, on voit qu'il reste beaucoup
à faire. Mais les résultats déjà acquis sont très encourageants; et l'on
entrevoit le jour où, grâce à l'industrie du renne, une population se
sera constituée, qui, assurée de vivre, ayant en main un gagne-pain
certain, pourra recevoir une éducation plus générale aussi et devenir
une source de citoyens utiles et cultivés. Après avoir appris aux
Esquimaux à élever le renne, le gouvernement leur donnera le moyen de
s'instruire d'autres choses et de se civiliser graduellement.


LA LUTTE CONTRE LA GRÊLE.

En dépit des insuccès qui ont été relevés par quelques adversaires des
canons paragrêles, cette artillerie toute pacifique semble avoir conquis
déjà nombre de régions agricoles.

Dans le Beaujolais, notamment, 28 sociétés se sont syndiquées, disposant
de 402 canons. C'est là un chiffre respectable.

D'ailleurs, à mesure que les essais se multiplient, la réalité de la
défense des vignobles par ce procédé parait moins contestable, et il
n'est pas douteux que les canons, les fusées ou les bombes fonctionnent
comme de véritables paratonnerres, agissant au sein même des nuages.

LE «MOELLEUX» DES VINS.

On sait combien les gourmets apprécient la qualité connue sous la
dénomination de _moelleux_ des vins, c'est-à-dire cette sorte de
_velouté_, très sensible au goût, et qui donne au vin tant de qualité.


[Illustration: Vue générale de la mine Premier, près de Pretoria (la
croix blanche marque remplacement où gisait le diamant Cullinan).]

[Illustration: M. Fred. Wells, contremaître de la mine Premier,
indiquant l'endroit où il a découvert le diamant.]

LA DÉCOUVERTE DU PLUS GROS DIAMANT DU MONDE.

M. Müntz, de l'Institut, a fait des recherches sur la nature de cette
propriété précieuse et il a trouvé qu'elle tenait à la présence, dans
les gommes du vin, d'une certaine quantité de pectine, substance que
l'on trouve dans un assez grand nombre de fruits et d'où dépend la prise
en gelée du suc de ces fruits. Cette pectine se constitue elle-même aux
dépens d'un sucre, la pectose, des tissus végétaux.

Plus il y a de pectine dans le jus du raisin, plus le moelleux du vin
est grand; et plus la maturité du raisin est avancée, plus la proportion
de pectine est élevée.

Pour obtenir cette qualité si appréciée, il faut donc laisser mûrir à
fond les vendanges, et même laisser les grains se ramollir, comme on le
fait d'habitude pour certains vins, notamment pour ceux de Sauterne.



Mouvement littéraire.

_La Beauté d'Aleias_, par Jean Bertheroy (Flammarion, 3 fr.
50).--_Esclave_, par Gérard d'Houville (Calmann-Lévy, 3 fr. 50).--_Le
Prisme_, par Paul et Victor Margueritte (Plon, 3 fr. 50).


LA BEAUTÉ D'ALEIAS.

La jeune Doris, d'Egine, a donné les premiers battements de son coeur au
jeune athlète Alcias, dont les ancêtres ont cueilli tant de lauriers
dans les jeux de la Grèce. D'une gracilité vigoureuse, d'une souplesse
et d'une force surhumaines, Alcias dépasse en beauté tous les hommes de
ce beau pays. Ce que Doris adore en lui, ce n'est ni son âme, ni sa
fortune, ni les douces paroles de ses lèvres: c'est sa beauté. Mais
comment Vicias peut-il répondre à ses voeux et l'épouser? N'est-il pas
tenu, jusqu'à ce qu'il ait conquis tous les prix, à une continence
absolue? La chasteté, gardienne de la force, est imposée aux athlètes.
Comme il aime Doris, il se hâte de passer par tous les travaux et de
couronner rapidement sa carrière. Aux jeux Pythiques, aux jeux
Olympiques, il terrasse ses adversaires. A la lutte de Némée--la lutte
ultime--Alcias remporte encore la victoire, mais à quel prix! Le poing
ganté du ceste de son rival lui a enlevé la lumière des yeux. En lui
voyant le regard éteint, Doris sent que le charme est rompu. Ce que
cette Grecque d'Egine idolâtrait dans Alcias, c'était la perfection du
corps, l'harmonie divine de tous les traits. Sans beaucoup d'espoir,
elle le mène au sanctuaire d'Epidaure où s'opèrent, sous la direction
des Asclépiades, de nombreux miracles. O bonheur! Alcias recouvre à la
fois la clarté des yeux, la beauté première et tout l'amour immense de
Doris. A côté de ces deux êtres, Mme Jean Bertheroy a imaginé une
poétesse, soeur d'Aleias, laquelle, malgré la chasteté qu'elle doit à la
déesse de la Sagesse, s'est donnée à un sculpteur, Osthanès, lequel
semble puni des dieux--la scène reste dans un certain vague, peut-être
voulu--pour être sorti des traditions et du style conventionnel et avoir
représenté, dans sa réalité, le bel Alcias. On peut faire des réserves
pour cette partie du roman. Mais quelle poésie Il y a l'amour éternel,
le même partout! Il y a la Grèce dans ses temples, dans ses jeux, dans
ses paysages, dans ses nobles passions! On en devient le citoyen heureux
en lisant la _Beauté d'Aleias_; on se mêle au peuple d'Egine; on se
plonge avec ravissement dans le torrent d'idéalisme qui s'échappe de
l'âme poétique de Mme Jean Bertheroy.


ESCLAVE.

Mme Gérard d'Houville (Mme Henri de Régnier) place ses personnages dans
la Louisiane, pays ardent où il y a des nègres et des négresses, et où
la femme, sensible à l'amour, dominée par la passion, semble avoir
vis-à-vis de l'amant une âme soumise d'esclave. Ici, la donnée
romanesque est peu de chose. Antoine Ferlier--que de noms français dans
la délicieuse Louisiane!--regagne, après un séjour en France, la terre
natale, et New-Orléans. Son premier soin est de chercher une jeune
femme, Grâce Mirbel, qui autrefois a été son amie; il en avait même fait
son esclave, la broyant sous ses caprices, lui enlevant jusqu'à la force
de se plaindre. Comme elle a souffert par lui! Il l'a tout à coup
abandonnée et, pendant quatre ans, pendant son séjour en France, n'a pas
même pris la peine de lui envoyer un mot de souvenir.

En quel état va-t il la retrouver? Redeviendra-t-elle sa chose? Un jeune
cousin de Grâce Mirbel s'est épris de la jolie cousine; il a dix-neuf
ans et toute l'ardeur d'un chérubin sensuel. La jeune femme a peur
d'Antoine Ferlier qu'elle revoit; elle se rappelle ses angoisses
anciennes et son esclavage dans lequel elle ne veut pas retomber.
Suppliante, elle conjure Charlie, le jeune chérubin, de la délivrer,
d'éloigner l'infernal Antoine. On apporte à Grâce le corps transpercé de
l'éphèbe amoureux qui s'est battu en duel, pour l'amour d'elle, avec son
rival. Derrière Charlie ensanglanté apparaît Antoine, et là, on ne sait
comment, redevenant esclave, obéissant à l'oeil implacable de l'ancien
amant, elle s'abandonne dans ses bras et reprend ses chaînes. C'est là
surtout une oeuvre de poète. Toute fois, pas de lyrisme désordonné dans
ces pages. Sous les magnoliers aux larges feuilles et sous les
citronniers, Mme d'Houville nous montre des êtres étranges, parfois un
peu pervers, mais en usant de mots habilement choisis et de jolis
apprêts. Elle fait avec raffinement et coquetterie la toilette de sa
phrase.


LE PRISME.

Pierre Urtrel habite la bonne ville de Rouen. Il est jeune, prétentieux,
sans grande fortune; il a terminé ses études de droit et fréquente
vaguement le Palais de justice. Son rêve, c'est de rencontrer une riche
héritière qui lui permette de mener la vie facile qu'il désire. Sa mère,
du reste, l'encourage dans ses visées et l'aide à trouver la perle
cherchée.

Autour d'eux beaucoup de jeunes filles s'agitent en quête d'un époux.
Parmi elles, M. Pierre Urtrel et sa mère remarquent une demoiselle,
Hélène de Josserant, assez jolie et qui aura, dit-on, sans compter les
espérances, trois cent mille francs de dot. De quels lacets on entoure
Hélène et sa famille! A la nouvelle que la fortune de ce côté est
beaucoup moins considérable qu'on ne le supposait, on rompt de la façon
la plus rapide et la plus comique tous les pourparlers, lesquels étaient
allés jusqu'à l'officielle demande en mariage. Délivré d'Hélène et
s'applaudissant d'avoir vu clair avant la fatale conclusion, Pierre
Urtrel avise une jeune étrangère des Amériques, ardente et riche, Luisa
Ferro. De quelles séductions il la poursuit! Quel amour il lui témoigne!
Mais en apprenant que le père naturel de Luisa a succombé à une attaque
d'apoplexie, sans avoir préalablement fait de testament, et que Luisa
est devenue une fille pauvre, il se détourne de la superbe Américaine.

Ces deux échecs ne le découragent pas. Parmi les jeunes Rouennaises, il
a distingué une demoiselle Trapier, aussi pourvue de biens qu'elle l'est
peu de beauté. Il marche de ce côté, se montre câlin, joue de tous ses
moyens et obtient la main et la bourse de la demoiselle. En même temps,
d'aristocrate qu'il était de principe et de tempérament, il se fait
démocrate-radical avec les Trapier et convoite un siège à la Chambre des
députés. Paresse et jouissances, il aura tout ce qu'il estime le bonheur
de la vie. Chemin faisant il avait été réellement touché par la grâce et
l'intelligence d'une jeune fille. Jacqueline Yvelain. Mais, comme elle
ne pouvait pas lui procurer ce qu'il convoitait de toute son âme, il n'a
pas donné suite à son amour. La richissime Trapier a été préférée à
l'aimable et touchante Jacqueline. Mère et fils constituent dans le
roman de MM. Margueritte un duo fortement uni et très peu sympathique,
regardant tout à travers le prisme de l'argent. Moins mélodieux que Mme
Bertheroy, moins coquettement apprêtés que Mme d'Houville. MM.
Margueritte ont une phrase bien à eux, colorée, emportée et tout à fait
appropriée à la vie et aux peintures du roman moderne.

E. LEDRAIN.



Ont paru:

_La Conquête de l'Ouest_, par le président Roosevelt, traduction
d'Albert Savine. 1 vol. in-18, Dujarric et Cie, 3 fr. 50.--_Le Chien des
Baskerville_, par Conan Doyle, traduction de A. de Jassaud. 1 vol.
in-16, Hachette, 1 fr.--_Guide pratique pour la conduite et l'entretien
des automobiles à pétrole et électriques_, par Michotte. 1 vol., E.
Bernard, 3 fr. 50.--_L'Annuaire alphabétique de l'armée française_, paru
pour la première fois le 1er février 1904, publie cette année sa seconde
édition, mise à jour des mutations au 10 janvier 1905. 1 fort vol.
in-8°, relié toile, de 1070 pages. Prix: 6 fr., 53, rue Lafayette,
Paris.--_Mélanges sur l'art français_, par Henry Lapauze. In-18,
Hachette, 3 fr. 50.--_Les Samedis littéraires_ (3e série), par J.
Ernest-Charles. In-18, Sansot, 3 fr. 50.--_Les Sonnets portugais_,
d'Elisabeth Barrett Browning, traduits en sonnets français par Fernand
Henau. 1 vol. in-8° carré, G. Guilmoto, tirage à petit nombre sur papier
vergé.



[Illustration: Le poème de la Princesse et de la Fleur, dansé par Mme
MacLeod au musée Guimet.--_Phot. Paul Boyer._]

LES DANSES BRAHMANIQUES AU MUSÉE GUIMET

Lundi dernier, le directeur du musée Guimet et M. de Milloué ont fait
une intéressante conférence sur les danses brahmaniques.

Mais estimant judicieusement qu'en pareille matière la parole la plus
précise et la plus colorée ne vaut qu'à la condition d'être le
commentaire explicatif de la chose vue, M. Guimet a voulu donner à la
conférence son complément naturel par une reconstitution vivante de ces
drames sacrés de l'Inde, que la beauté esthétique du geste ennoblit,
même quand la mimique expressive évoque des idées profanes.

Sous une rotonde enguirlandée, éclairée à peine et représentant assez
bien le sanctuaire du dieu Siva. Ce furent tour à tour, aux sons d'une
musique à la fois harmonieuse et sauvage, rythmant les mouvements:
_l'Invocation à Siva_, la _Princesse et la Fleur magique_, les _Danses
guerrières en l'honneur de Soubrâhmanya_.

Cette curieuse reconstitution trouva une première interprète à souhait
en Mme MacLeod, dont les poses plastiques, la souplesse, la grâce,
surtout dans le délicieux poème de la Princesse, émerveillèrent les
privilégiés conviés à ce spectacle rare, où l'art avait sa large part.


NOTRE SUPPLÉMENT «PRÈS DU FEU» D'APRÈS LE TABLEAU DE Mme LEE-ROBBINS

Mme Lee-Robbins est de cette petite phalange de peintres qui, depuis
quelques années, se sont appliqués à traduire pour nous les charmes des
intérieurs élégants, meublés d'adorables vieilleries, où vivent, vont et
viennent et rêvent des hôtes désoeuvrés, las, blasés, et pas toujours
heureux.

Pour ces artistes délicats, un peu précieux parfois dans leurs goûts et,
en général, habiles, on vient d'inventer une épithète infiniment moins
jolie, d'ailleurs, que telles de leurs oeuvres; on les appelle «les
intimistes». Mme Lee-Robbins est donc, si elle y consent, une
«intimiste».

Et c'est, en effet, dans l'intimité la plus réelle qu'elle nous présente
cette femme, agréable à voir, d'ailleurs, au corps souple et d'allures
désinvoltes, qui, toute parée--et par le bon faiseur--pour la soirée
dont l'heure approche, l'éventail en main déjà et s'essayant aux manèges
vainqueurs, prend, comme disaient nos grands-pères, un air de feu,
devant que le coupé soit avancé.


LA MORT DU BARON DE LAMBERMONT

Le 10 mars, on a célébré, à Bruxelles, avec un grand apparat, les
funérailles nationales du baron de Lambermont, secrétaire général du
ministère belge des affaires étrangères, qui vient de s'éteindre dans sa
quatre-vingt-sixième année.

Durant sa longue carrière, au poste éminent qu'il occupa depuis 1859, il
rendit à son pays d'importants services; il participa notamment aux
négociations de 1863, qui aboutirent à l'affranchissement de l'Escaut,
acte considérable au point de vue des intérêts économiques de la
Belgique.


LE CENTENAIRE DE MANUEL GARCIA

On vient de célébrer, à Londres, où le vieillard est fixé depuis
longtemps, le centième anniversaire du professeur de chant Manuel
Garcia, né le 17 mars 1805.

Le père de M. Manuel Garcia était un chanteur d'origine
[Illustration: M. Manuel Garcia--_Phot. Barraud._]

Le père de M. Manuel Garcia était un chanteur d'origine
espagnole, très épris de son art, et qui avait voulu que ses trois
enfants embrassassent comme lui la carrière musicale. Il avait, en
effet, outre Manuel, deux filles: l'une, Marie, fut célèbre sous le nom
de la Malibran et Musset a immortalisé son nom. La seconde, aujourd'hui
âgée de quatre-vingt-quatre ans, est Mme Pauline Viardot, la créatrice
de la Fidès du _Prophète_. M. Manuel Garcia a peu chanté au théâtre et
s'est, de bonne heure, consacré au professorat.


M. JULES THOMAS

Le sculpteur Jules Thomas, membre de l'Institut, professeur, chef
d'atelier de sculpture à l'Ecole des Beaux-Arts, commandeur de la Légion
d'honneur, vient de mourir dans sa quatre-vingt-unième année.

[Illustration: M. Jules Thomas.--_Phot. Pierre Petit._]

[Illustration: A BRUXELLES.--Funérailles du baron de Lambermont.--Phot.
comm. par M. J. Drion.]

Elève de Dumont, il avait enlevé, à vingt-quatre ans, le prix de Home
avec un _Philoctète partant pour Troie_. Les oeuvres les plus
importantes qu'il laisse sont une _Eve_ (1859), un _Virgile_ (1861). le
marbre élégant de Mlle Mars; l'_Industrie_, à l'une des façades du
Louvre, et, à la façade de l'Opéra, la _Musique et le Drame_. Au Salon
de 1903, encore, il exposait une figure d'éphèbe, _l'Adolescence_, qui
eut un grand succès.


LA BANDE d'ABBEVILLE

Depuis le 8 mars, les débats d'un procès sensationnel se déroulent
devant la cour d'assises de la Somme; procès important par la qualité
des accusés et le nombre des crimes qui leur sont reprochés.

De 1900 à 1903, dans toutes les grandes villes de France--châteaux,
villas, églises--des cambriolages audacieux furent commis, dont on ne
pouvait surprendre les auteurs. Le 22 avril, à la suite d'un vol
qualifié à Abbeville, de l'assassinat d'un agent et d'une tentative de
meurtre sur un brigadier de police, le chef d'une association de
malfaiteurs et ses deux lieutenants tombaient entre les mains de la
police. C'était la découverte de la bande qui ne comprenait pas moins
d'une quarantaine d'affiliés. Vingt-neuf purent être connus; vingt-trois
sont sur les bancs de la cour d'assises, les autres ayant pris la fuite.

La bande possédait des outils de cambriolage d'une perfection inconnue
jusqu'à ce jour. Telle trousse qui figure parmi les pièces à conviction,
dont chaque instrument s'emboîte dans une unique poignée, fut estimée
10.000 francs; un levier est d'une force de 2.000 kilos.

Parmi les hauts faits de la bande il faut signaler le vol, à la
cathédrale de Tours, de tapisseries du dix-septième siècle d'une valeur
de 200.000 francs. Chez un bijoutier, rue Quincampoix, à Paris, après
avoir perforé un plafond, trois accusés s'introduisirent en plein jour,
un dimanche, et emportèrent pour 130.000 francs de bijoux et de valeurs.

Jacob, le chef de l'association, n'a pas avoué, à l'instruction, moins
de 150 cambriolages et plusieurs incendies volontaires. A dix-huit ans,
il était condamné pour fabrication d'explosifs; à vingt ans, s'étant
fait passer pour un commissaire de police, il opérait une prétendue
perquisition, à Toulon, chez un commissionnaire au mont-de-piété et se
faisait remettre par lui de nombreux bijoux et titres. Il a à peine
vingt-quatre ans.

Son attitude, à l'audience, est extraordinaire. Il raille, il bafoue ses
victimes, dont la richesse, dit-il, est une insulte permanente à la
misère. Le président ne peut le retenir. Il part à tout moment en
récriminations contre la société, se répand en bavardages de club
révolutionnaire, proclamant qu'il avait le droit d'exercer les
«reprises» qu'on lui reproche comme vols. C'est un type peu banal,
malfaisant, dangereux mais curieux. Il ironise, plaisante, parfois pas
sottement, cynique, jamais à court de reparties et toujours parfaitement
indifférent, semble-t-il, aux conséquences de ses actes, quelles
qu'elles soient; enfin un bandit de la nouvelle école, par certains
cotés intéressant à étudier.

Ferrand, qui n'est pas plus âgé que Jacob, a reconnu, au cours des
différentes audiences, être l'auteur d'une soixantaine de cambriolages.

Bour, qui a tué, près d'Abbeville, un agent, Pelissard, Serré, Vaillant,
ont une attitude cynique. Tous les accusés étaient, du reste, solidement
armés et ils n'ont dû de s'échapper souvent qu'en faisant feu sur ceux
qui, les ayant surpris, les poursuivaient.

[Illustration: Jacob, chef de la bande.]

[Illustration: Félix Bour. Serré. Vaillant. Ferrand. Pelissard.]

QUELQUES PHYSIONOMIES DE LA BANDE DE CAMBRIOLEURS d'ABBEVILLE



[Illustration: LE 1er AVRIL 2015, par Henriot.]






End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3238, 18 Mars 1905, by Various

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L'ILLUSTRATION, NO. 3238, 18 MARS 1905 ***

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