Les missionnaires français au Thibet

By Prince Henri d' Orléans

The Project Gutenberg eBook of Les missionnaires français au Thibet
    
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and
most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
of the Project Gutenberg License included with this ebook or online
at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States,
you will have to check the laws of the country where you are located
before using this eBook.

Title: Les missionnaires français au Thibet

Author: Prince Henri d' Orléans

Release date: December 21, 2024 [eBook #74962]

Language: French

Original publication: Paris: De Soye et fils

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS AU THIBET ***






  PRINCE HENRI D’ORLÉANS

  LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS
  AU THIBET

  EXTRAIT DU _CORRESPONDANT_


  PARIS
  DE SOYE ET FILS, IMPRIMEURS
  18, RUE DES FOSSÉS-SAINT-JACQUES, 18

  1891




LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS AU THIBET


Maintenant, plus que jamais, les affaires de Chine sont à l’ordre du
jour; chaque matin les journaux nous entretiennent de nouveaux massacres
d’Européens, de pillage de missions, d’émeutes mal réprimées; et presque
toujours ce sont les missionnaires que ces mouvements atteignent les
premiers. Beaucoup de gens qui ont mal étudié ces questions, qui n’ont
pas voyagé en Chine, ou qui se sont tenus seulement dans les ports à
demi européens, n’ont pas vu que les missionnaires sont les premiers
attaqués, parce qu’ils sont les premiers exposés, parce qu’ils sont dans
des provinces où des agents diplomatiques ou des commerçants ne
pénètrent pas et surtout ne séjournent pas, parce qu’ils prennent pied
dans des villes que d’autres Européens craindraient d’habiter. Des
sinophiles, nous pensons, mal renseignés, se sont faits les rapporteurs
de légendes absurdes, en cours dans la populace chinoise, telles que
celle du vol des enfants par les Pères; des esprits étroits ou
passionnés, sous un prétexte humanitaire, ont pris le parti des Chinois
contre les missionnaires; quelques-uns même ont été jusqu’à féliciter
les habitants du Céleste-Empire des persécutions qu’ils dirigeaient
contre les religieux, leur procurant la gloire du martyre. Je veux
croire que ces écrivains n’ont pas traversé la Chine, qu’ils n’ont pas
rencontré des Français loin du pays, qu’ils ne les ont pas vu travailler
à l’œuvre de civilisation à laquelle ils consacrent leur vie.

Pour nous qui avons trouvé nos compatriotes aux postes les plus éloignés
de la frontière de Chine, qui avons vécu avec eux, accueillis à bras
ouverts, nous savons ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait; nous leur
devons et nous nous devons à nous-mêmes de dire ce qui en est. Ce n’est
pas d’une question religieuse, encore moins politique, mais nationale
avant tout, que je veux parler; ce sont les intérêts de la France dans
l’extrême Orient qui se trouvent en jeu avec ceux des missions; je ne
crois pouvoir les mieux faire comprendre au lecteur qu’en mettant sous
ses yeux le but poursuivi et le résultat déjà atteint par une poignée de
Français à la frontière du Thibet. Qu’il veuille bien me suivre à
travers une période d’un demi-siècle, le long des crêtes de l’Himalaya
d’un côté, ou du cours du haut Mékong de l’autre, il verra les efforts
considérables produits par nos compatriotes, les services qu’ils ont
rendus, les droits qu’ils peuvent revendiquer et le peu d’appui qu’ils
reçoivent de la mère-patrie; ayant vu ce qui a été fait, il croira
peut-être aux sentiments élevés qui animent nos missionnaires, et que
l’un d’eux m’exprimait si éloquemment dans ces lignes[1]:

  [1] Lettre du P. Gourdin, depuis vingt-sept ans en Chine.

Mien-lin-hien, 11 novembre 1890[2].

  [2] Province du Setchuen.

Vous pourrez contredire de visu tous les imbéciles ou mauvais drôles qui
diront, peut-être sans le croire, que les missionnaires n’ont pas le
cœur français. Sans doute, nous ne sommes pas ici principalement pour
motif politique, mais c’est nous calomnier singulièrement que de dire
que nous nous désintéressons de l’honneur et des avantages de la
mère-patrie. Ces deux choses, les missions et la France, quoique bien
différentes, se soutiennent nécessairement l’une l’autre, et la paix mal
assise à l’occasion du Tonkin nous a fait plus de mal que n’eût fait
peut-être une persécution religieuse.

Vous pouvez dire aussi que non seulement l’influence, mais même le nom
de la France ne sont connus dans l’intérieur de la Chine que par nous,
puisqu’on n’y voit pas même une boîte d’allumettes qui vienne de France.
Par conséquent, que dire des diplomates qui se laissent berner par les
mensonges des autorités chinoises et croient faire tort à la patrie en
prenant sérieusement nos intérêts?

                   *       *       *       *       *

Une croix gravée sur une dalle, c’est tout ce qui reste à Lhaça du
couvent des Capucins: une croix et l’oubli.

Chaque jour pourtant un peuple curieux foule la large pierre: simples
pâtres, enveloppés dans les épaisses _tchoupas_, le sabre horizontal sur
le ventre, les cheveux flottant au vent, descendus de leurs montagnes
pour venir vendre quelques bestiaux dans la capitale; riches marchands,
coiffés du chapeau aux glands de soie rouge, vêtus de robes de _poulou_
brun ou vert; lamas, la tête rasée, drapés dans leur toge de laine
rouge, comme des sénateurs romains, la plupart ivres de _tchang_ en
l’honneur de quelques morts; filles de joie, petites, frêles, le teint
pâle, les sourcils noircis, les cheveux et les oreilles chargés de
plaques d’or; soldats chinois, insolents, brutaux, sales, exhalant au
loin l’odeur repoussante de l’opium; Cachemiriens au large turban;
musulmans, facilement reconnaissables à leur barbe noire, à leur haute
stature, à leur allure fière; petits Indous du Boutan, chétifs, le teint
bronzé, à demi couverts de quelques haillons écarlates, tous orfèvres de
leur métier; gens de toute condition, de toute race, de toute langue
parlée dans l’Asie centrale, se pressent dans le quartier de l’Ha-gia, à
l’entrée du théâtre chinois; et, dans la multitude, personne ne se doute
qu’entre ces murs où, le visage barbouillé de blanc et de noir, crient,
hurlent, gesticulent, sautent et se trémoussent des bouffons chinois, il
y a deux siècles, des «lamas d’Occident» enseignaient leur religion sous
la protection du Talaï-lama et du Ouang-zeu.

Pour un peuple très ignorant, n’ayant pas d’histoire et possédant une
chronologie tellement embrouillée que personne ne peut l’apprendre,
l’espace de deux siècles est bien long. A peine les familles qui
comptent des vieillards peuvent-elles remonter à des évènements écoulés
il y a quatre-vingts ou cent ans.

Bien éphémère a, d’ailleurs, été la prospérité des Capucins italiens; si
leur succès dépassa leurs espérances, il fut de courte durée.

Depuis l’époque où le roi de Lhaça ordonna par décret à son peuple la
corvée pour la construction de la maison des _Goguer_[3], jusqu’au
moment où, volés, pillés, dépouillés de leurs biens, les missionnaires
furent chassés de la «ville», cinquante ans s’étaient écoulés; ce qui
représentait un demi-siècle de travaux fut anéanti en quelques jours;
mais l’œuvre de destruction ne fut pas complète: les persécuteurs des
Pères italiens avaient oublié, en les expulsant, d’effacer la trace de
leur séjour; ainsi qu’un voyageur appose son nom sur un livre ou
l’enferme dans une bouteille pour attester son passage, de même les
Pères avaient laissé leur signature au sein du sanctuaire du bouddhisme;
ils avaient gravé à toujours sur la pierre l’emblème de la foi
chrétienne: la croix.

  [3] _Goguer_ (littéralement musulman). Nom donné aux Capucins par les
    Thibétains.

Forts de leurs croyances, confiants dans l’avenir, ils laissaient dans
la ville sainte, en la quittant, leur drapeau, éternel défi porté à la
religion ennemie au milieu de son temple même.

L’œuvre des Capucins italiens ne devait pas être à jamais abandonnée: le
défi qu’ils avaient porté au bouddhisme, d’autres devaient le reprendre.

Nous allons voir dans ce siècle les efforts héroïques des missionnaires
français pour pénétrer dans la Rome de l’Asie et y faire connaître la
doctrine élevée de la «religion de France».

                   *       *       *       *       *

En 1844, deux missionnaires lazaristes, les PP. Huc et Gabet, donnaient
le signal des explorations hardies au cœur de l’Asie, en pénétrant,
grâce à un déguisement, à Lhaça. Trop vite chassés de la ville pour
avoir rien pu y fonder, du moins rapportaient-ils des renseignements
précieux; dans le voyage le plus extraordinaire qui eût été accompli en
Asie depuis Marco Polo, ils faisaient connaître deux grandes routes du
Thibet, celle du nord et celle de l’est. A Lhaça, ils laissaient le
souvenir du nom français, et aux missionnaires français ils montrèrent
la possibilité de gagner la ville sainte.

Le charme qui semblait entourer la «ville des esprits» était rompu: on y
avait pénétré, on y avait séjourné, on pouvait donc y retourner.

L’année 1846 fut grosse d’évènements dans l’histoire de l’évangélisation
du Thibet. Pendant que deux Français pénétraient à Lhaça, le Saint-Siège
réunissait cette contrée à la mission du Setchuen, et celle-ci était
confiée à des prêtres des Missions étrangères de Paris; l’œuvre
d’exploration et de civilisation entreprise par les missionnaires allait
faire un grand pas en passant de la main des Italiens du Bengale à celle
des Français de Setchuen.

Avant de suivre nos compatriotes dans leurs rudes voyages, ouvrons la
carte d’Asie et jetons un coup d’œil sur le pays vers lequel se
porteront tous leurs efforts.

L’ensemble de royaumes et de principautés plus ou moins indépendants,
d’États tributaires de la Chine, qu’on comprend sous le nom de _Terre
élevée_ ou Thibet, se trouve naturellement défendu, au nord et à
l’ouest, par d’immenses déserts glacés, des steppes élevés, des plateaux
nus, qui, au point de vue pratique, demeurent infranchissables. Pour
qu’il se risque dans cette voie, il faut, au marchand chinois, l’âpre
désir du lucre qui lui tient au cœur et lui sert d’âme; au nomade mogol,
la foi religieuse; à l’explorateur européen, la volonté de remplir un
vide sur la carte du monde, le désir de connaître l’au-delà, l’amour de
la science.

Dans l’audace du P. Huc, on retrouve le zèle de l’apôtre et l’ambition
de l’explorateur; mais, ce qu’il avait fait, ses successeurs ne
pouvaient l’entreprendre, son voyage devait montrer aux missionnaires à
venir la nécessité de renoncer à la route du nord; pour mener à bien
leurs entreprises, ils ne pouvaient se laisser isoler de leurs confrères
par des centaines de kilomètres de déserts; avant tout, il leur fallait
une base d’opération à laquelle ils fussent reliés; aussi tournèrent-ils
leurs yeux d’un autre côté.

Au sud, le Thibet est en contact direct avec un pays civilisé: l’empire
anglais des Indes qui déborde entre ses alliés ou tributaires. Entre
ceux-ci et le Thibet se dresse la chaîne colossale de l’Himalaya,
barrière redoutable, mais non infranchissable; de nombreuses routes la
traversent.

La frontière est partout; des Indes au Thibet il n’y a qu’une enjambée.
Ce pas à faire, en vain quelques Français le tentent pendant huit années
consécutives, de 1850 à 1858; suivant avec une ténacité remarquable, de
l’est à l’ouest, la longue frontière des Indes, ils font l’ascension des
principaux cols, s’adressent successivement aux petits souverains,
passent parfois outre, continuent sans cesse leurs tentatives, souvent
repoussés, jamais rebutés.

A cette tâche dangereuse deux d’entre eux trouvent pourtant la mort: MM.
Krik et Bourry sont massacrés, en 1854, par des sauvages Michmis, sur
les confins du haut Assam et du Dza-yul.

Ce meurtre n’est pas fait pour décourager des missionnaires; il faut,
pour les arrêter, un ordre de leur supérieur, Mgr Demazures, sacré
évêque de Sinopolis et vicaire apostolique du Thibet. Tous les efforts
seront concentrés sur la frontière de Chine.

Malgré l’aide intéressée des Anglais, huit ans de tentatives
continuelles pour franchir la frontière des Indes, au nord, n’ont pas
encore donné un résultat pratique.

                   *       *       *       *       *

L’œuvre des missionnaires a progressé plus rapidement à l’est. De ce
côté, le Thibet touche à l’une des provinces les plus peuplées de la
Chine, au Setchuen, puis au Yunnam; hérissé de hautes montagnes, bordé
de larges fleuves qui coulent du nord au sud, ici, comme ailleurs, il se
protège par ses frontières naturelles. Un débouché le met en
communication avec chacune des provinces chinoises; à Batang passe la
grande route impériale qui, de Lhaça, va à Pékin en traversant, au
Thibet, Tsiamdo et, au Setchuen, Tatsien-lou.

A Atentzé, la route du Yunnan qui, partant de Tsiamdo, descend au sud à
Taly-fou.

Batang, ou plus loin, Ta-tsien-lou, d’un côté, et Atentzé, de l’autre,
sont les deux grands marchés du Thibet avec la Chine.

Dans ces voies de pénétration au Thibet, les missionnaires s’engageront
aussi loin qu’ils pourront, souvent chassés au mépris des traités,
pillés, menacés de mort, quelques-uns même massacrés, ne comptant sur
d’autre soutien que leur volonté et leur courage héroïque; ils
reviendront sans cesse, ils parcourront la région en tout sens,
établissant du nord au sud une ligne de stations intermédiaires le long
du Lang-tsang-kiang (haut Mé-kong) dans le pays des salines et des mines
et gardant à l’est leurs communications avec les missions du Setchuen et
du Yunnam.

Déjà, en 1860, lorsqu’ils sont rejoints par leurs confrères de l’Inde,
quatre Français se partagent la mission du Thibet.

Des écoles ont été fondées, des couvents établis avec des religieuses
chinoises et une vraie colonie a été créée. Ces résultats étonnants sont
dus surtout au zèle et au courage du P. Renou. Après un premier voyage
en 1848, où Renou n’a pu s’avancer sur la grande route de Lhaça que
jusqu’à Tsiamdo (Tcha-mou-to, en chinois), il repart en 1851, arrive au
Yunnan, traverse Li-kiang et va s’établir pendant dix mois dans un
couvent thibétain; il s’est fait passer pour marchand chinois,
s’instruit à la dérobée sur la langue du pays qu’il veut évangéliser, et
note les mots qu’il apprend sur de petits morceaux de papier qu’il cache
dans sa manche pour les recopier la nuit et les coudre ensuite dans son
habit; c’est ainsi qu’il compose les éléments du remarquable
dictionnaire thibétain français que compléteront ses successeurs.

Deux années plus tard, il loue à un riche Thibétain pour 16 taels (130
francs) par an, la vallée de Bonga; la location est faite à perpétuité,
l’acte est selon les formes. Au point de vue géographique Bonga est bien
situé, entre le Lou-tsé-kiang et le Lang-tsang-kiang, à quelques jours
au sud de Kiang-ka, non loin à l’ouest d’Atentzé. La nouvelle colonie
est à la porte du Thibet, du Setchuen et du Yunnam. Sa rapide prospérité
justifie suffisamment le choix fait par le missionnaire: il a acquis une
vallée couverte de forêts, ne produisant rien et abandonnée des
indigènes, qui la fuient comme pestilentielle. Mais voici que sous la
direction de M. Renou les arbres s’abattent, et avec eux la fièvre
tombe; la terre est fertilisée par l’incendie à la mode thibétaine; des
semences indigènes et des graines de France sont semées; la récolte est
excellente; les villages voisins sont employés et trouvent leur profit à
ce travail. Chaque année ajoute quelque nouveau succès. En 1856, la
maison s’achève, c’est l’ère de prospérité. Mais à l’ombre du bonheur
s’éveille la jalousie; ce sentiment doit guider une première attaque en
1858. Le courageux pionnier qui est à la tête de la colonie échappe à
peine à la mort. Mais ses plaintes trouvent un écho à Pékin. Les
autorités thibétaines devront céder. En vain, les lamas de Lhaça ont-ils
offert de l’argent à l’empereur en échange de son appui contre les
hommes de la religion d’Occident. Le _fils du soleil_ a d’autres
préoccupations: à l’est de l’empire, ses troupes ont été mises en fuite,
son palais livré aux flammes, et il a dû se soumettre aux conditions de
Tien-tsin. La conclusion du traité est un évènement capital aux yeux des
missionnaires.

Les termes de l’article 6 exigé par la France, ratifié par le
Tsung-li-yamen, semble devoir leur assurer, de la part de la Chine, la
liberté d’enseigner leur religion; de la part de la légation française
l’appui et la protection de la mère-patrie.

  ARTICLE 6 DU TRAITÉ DE TIEN-TSIN

  Vu un décret du 25 de la 1re lune, de la 26e année de Kouang-Su,
  avertissant le peuple chinois, soldats, plébéiens et autres:

  Quiconque empêchera de prêcher l’Évangile, de donner des conférences
  religieuses, de bâtir des maisons, de célébrer des fêtes, devra être
  appréhendé et livré au mandarin du lieu; de plus, les pertes subies
  pendant la persécution, églises, écoles, cimetières, rizières,
  terrains, maisons, greniers, etc., devront être réparées en nature ou
  en argent, livrées entre les mains de l’ambassadeur français à Pékin
  qui les fera remettre aux intéressés; de plus, les missionnaires
  français pourront, dans chaque province, louer, acheter, bâtir à leur
  guise.

Le traité a été affiché à Lhaça. Des passeports signés par le baron Gros
et le prince Kong sont donnés de Pékin aux Pères pour le Thibet.
D’autres papiers leur sont remis par le vice-roi du Setchuen, pour que
dans leur voyage tout secours nécessaire leur soit fourni par les
autorités; ils sont en règle. L’article 8 du traité qui s’applique aux
simples voyageurs, et l’article 6 qui regarde leur qualité de
missionnaires leur donnant libre passage, ils n’ont qu’à se mettre en
route pour la ville sainte.

Pour qui n’a pas eu affaire aux Chinois, il semble que rien ne doive
s’opposer à la réussite du voyage entrepris par les Pères. Et pourtant,
cet excès de précautions, cette abondance de permissions, cette aide
empressée de la part des autorités, ne sont pas de bonne augure.

L’évènement doit justifier les appréhensions des voyageurs.

Les missionnaires sont arrêtés en route à une vingtaine de jours de
Lhaça dans cette même ville de Tsiamdo que Renou n’a pu dépasser. «_Le
nommé Thou, évêque français, chassé par les mandarins de la terre des
herbes_» (ainsi porte le passeport de retour, délivré à Tsiamdo à Mgr
Demazures), retourne à Pékin. Le chargé d’affaires français lui promet
alors, par un acte authentique, la possession à perpétuité de la vallée
de Bonga, le libre exercice de la religion chrétienne au Thibet, et la
liberté de s’établir à Lhaça.

La vallée de Bonga devient propriété nationale, le drapeau tricolore va
flotter sur la maison des missionnaires et l’impératrice Eugénie prend
sous sa protection la colonie naissante.

Cette nouvelle ère de prospérité sera bien courte; de nouvelles
complications intérieures se produiront en Chine et au Thibet, et les
missionnaires seront les premiers à en ressentir les contrecoups.

Durant ces troubles qui agitent Chinois et Thibétains, la mission subit
une grande perte dans la personne de M. Renou. Charles-Alexis Renou, du
diocèse d’Angers, Lou (en chinois) qu’on a surnommé à juste titre le
«Père de la mission du Thibet», s’éteint à Kiang-ka en 1863. Il a été
enseveli près de cette ville à l’ombre d’un rocher, sentinelle dressée à
l’entrée de cette contrée ingrate à laquelle il a donné sa vie sans
pouvoir la conquérir à la foi.

La mort de M. Renou est bientôt suivie de la perte de Bonga. Attaquée en
1864 et défendue avec héroïsme par Desgodins, la colonie est
définitivement détruite l’année suivante.

Le légat chinois, acheté par les grandes lamaseries au prix de _vases
pleins de pièces d’or_ (c’est sous cette forme que sont donnés les pots
de vin au Thibet), a apposé sa signature à l’ordre de destruction.

A Pékin, la légation française ne fait rien pour obtenir une réparation;
c’est à peine si on envoie aux missionnaires un passeport pour M. Renou
qui est mort. Nous sommes loin du temps où des troupes européennes
entraient à Pékin et brûlaient le Palais d’été: on suit maintenant une
autre politique envers la Chine; une politique de concessions où nos
ministres compromettent leur dignité et affaiblissent le prestige du nom
français. Bientôt les Chinois savent qu’à tout prix on veut éviter des
complications; aussi, après les épouvantables massacres de Tien-tsin
(1870), ne s’étonneront-ils pas d’en être quittes pour une somme
d’argent et des excuses faites à M. Thiers par le promoteur même de ces
horreurs.

Bonga est définitivement abandonné. Est-ce à dire que la mission
française ait renoncé au Thibet? Non. Franchissons un espace de quatorze
années et examinons la situation en 1877, à la mort de Mgr Chauveau, qui
a pris, en 1863, la succession de Mgr Demazures, rentré en France.

La mission du Thibet compte 561 chrétiens partagés en 7 districts, ayant
chacun une résidence et une chapelle: 4 pharmacies, 4 écoles et 1
collège-séminaire ont été fondés.

Le siège épiscopal est à Tatsien-lou, dans le Setchuen thibétain. La
ville est très bien choisie, c’est un centre de commerce important. A
Tatsien-lou, le cuir et les cornes du Dégué, l’or de Batang, le musc du
Kham, sont troqués contre le thé et les étoffes de Pékin, que portent à
Lhaça les longues caravanes de yaks. A Tatsien-lou, le Talaï-lama a son
acheteur, son «_carbun_». L’ambassade du Népaul à Pékin et la caravane
du Trachileumbo s’arrêtent à Tatsien-lou un mois, la première tous les
cinq ans, la seconde tous les deux ans. A la frontière de deux contrées,
Tatsien-lou est le grand marché entre le Thibet et la Chine.

A Yerkalo, pays des salines sur le haut Mé-kong, à quelques journées au
sud de Kiang-ka et au nord d’Atentzé, prospère un vaste établissement.
Une grande maison a été construite en 1873, pouvant abriter, outre les
missionnaires, plusieurs familles chinoises; une cathédrale a été
édifiée par des charpentiers du Yunnam, et la bibliothèque comprend près
de 4000 volumes.

Yerkalo, par sa position centrale, est appelée à devenir la procure de
la mission du Thibet.

Avec Tatsien-lou et Yerkalo, Batang et Tsékou sont, en 1877, les centres
des principaux groupes de la mission. Ces stations sont disposées sur
deux lignes qui s’étendent chacune sur plus de 250 kilomètres à vol
d’oiseau et viennent se couper à angle droit à Batang, c’est-à-dire à la
route impériale de Pékin à Lhaça. La mission forme ainsi un coin dont la
pointe serait enfoncée sur la voie de pénétration au Thibet vers le cœur
de ce pays encore fermé.

                   *       *       *       *       *

Réduits à leurs propres forces, les missionnaires français sont dans
l’obligation de rester à la porte de ce Thibet dont la Chine continue à
leur fermer l’accès en dépit des traités; ils ont du moins la
consolation, si c’en est une, de ne pas être les seuls à échouer. Leurs
tentatives répétées aux frontières de l’Inde, du Yunnam et du Setchuen,
les observations, les études de linguistique et d’ethnographie qu’ils
ont envoyées, les rapports qu’ils ont adressés, les cartes relevées par
l’abbé Desgodins, sa correspondance avec Francis Garnier d’un côté, et
de l’autre, dans des régions touchant au Thibet, les prodigieuses
découvertes de l’abbé Armand David, qui révèlent une flore et une faune
inconnues, des espèces, des genres même, éteints ailleurs; l’ensemble de
ces travaux considérables de tous genres a appelé l’attention de
l’Europe sur le Thibet. Après 1870, des voyageurs de tous les pays
essayeront les uns après les autres de soulever un coin du voile dont
les Chinois couvrent avec un soin si jaloux cette contrée
inhospitalière, et, à tour de rôle, ils s’en iront après un échec.

Le général russe Prjevalsky, arrivé avec quinze hommes armés, à une
douzaine de jours de Lhaça, doit se retirer «devant la volonté du peuple
thibétain».

Le fameux comte hongrois Béla Zéchenyi a cru prendre les Chinois par
leur faible en leur disant qu’il va honorer ses ancêtres dont les restes
reposent à Lhaça. La religion du Chinois n’atteint pas à la hauteur de
ses intérêts. Un grand mandarin accompagne le comte, lui fournit une
escorte d’honneur et reçoit quelques milliers de taels des grandes
lamaseries de Lhaça pour l’arrêter à Batang; c’est là que Zéchenyi
débouche sa fameuse bouteille de champagne qu’il devait boire au Potala.
Trompé depuis la côte de Chine, successivement par un Juif hongrois qui
lui a fourni du faux argent, par des missionnaires protestants, puis par
son propre interprète, il doit s’arrêter devant la perfidie chinoise aux
portes du Thibet, lui «qui n’avait jamais été trompé».

Des Anglais venus de la côte de Chine, les uns après les autres, tous
par la même voie du Yang-tsé pour aboutir à Tatsien-lou, descendent au
sud et débouchent en Birmanie; ils voyagent dans un but de commerce,
dessinant à tour de rôle cette grande route commerciale qu’ils
voudraient tant créer à leur profit, à travers la Chine, pour éviter à
leur commerce de l’Inde le long détour des côtes.

Ce sont Gill et Mesny[4], deux aventuriers, bien Anglais dans leurs
aventures: le premier a été reconnu pour son héritier par un riche lord
dont il a ramassé le chapeau dans la rue; le deuxième, issu d’une
ancienne famille française de Jersey, se réclame de son ancienne origine
pour vivre avec les missionnaires français dont il recevra l’hospitalité
comme de compatriotes, jusqu’au moment où, payé par la Chine, il se
battra contre nous au Tonkin. Il est vrai qu’il fait des affaires et que
sa conscience est au plus offrant. A ces commerçants succéderont
d’autres explorateurs anglais; ils s’arrêteront tour à tour chez les
missionnaires français et les remercieront de leur hospitalité chacun à
leur manière: Baber, que ses compatriotes ont surnommé le Marco Polo des
temps modernes, séjournera un mois auprès de Mgr Biet[5]; il viendra
chaque jour écrire plusieurs heures sous la dictée du vieux
missionnaire; celui-ci croira servir la cause de la civilisation du
Thibet en fournissant des renseignements au voyageur anglais; il lui
traduira des chansons thibétaines, relèvera dans ses notes de grandes
erreurs, l’étonnera en lisant l’écriture des Si-Fan qui n’est autre que
le thibétain, lui prouvera qu’en dépit de ses grandes oreilles «l’âne
des Rochers» des Chinois n’est qu’une antilope. L’Anglais poussera sa
grossièreté naïve jusqu’à répéter à quelques jours de distance les mêmes
questions au missionnaire, cherchant à le trouver en contradiction; il
partira enfin muni d’une provision de notes inédites, très
intéressantes, étonné d’avoir trouvé chez nos compatriotes des Européens
aussi aimables pour d’autres Européens, quoique d’une religion
différente: «Vous êtes libéral», dit-il à Mgr Biet en le quittant. Les
pasteurs protestants ne l’ont pas, paraît-il, habitué à ces procédés. Et
lorsque, de retour en Angleterre, Baber publie cette intéressante
relation, dont il doit plus des trois quarts à la bonté de nos
compatriotes, non seulement il ne leur en envoie pas un exemplaire, mais
il ne les nomme même pas dans son récit.

  [4] Arrivé pauvre à Canton, adopté par un Chinois nommé Ouang, Mesny
    se brouille vite avec son protecteur et prend le nom de Mé-ta-jen;
    voyageant en Chine, accueilli cordialement par les missionnaires
    français, pendant la guerre du Tonkin, il ira à Yunnan-sen, se fera
    héberger par nos compatriotes, et les quittera leur annonçant qu’il
    part pour Canton; il aura honte de leur dire qu’il va au Tonkin,
    mais on apprendra qu’il s’est battu dans les rangs chinois à la
    prise de Son-tay.

  [5] Mgr Biet, évêque de la mission du Thibet depuis 1877, époque de la
    mort de Mgr Chauveau.

Cela se passe de commentaires.

La venue des voyageurs anglais, qui ont tant profité de la rencontre de
nos missionnaires dans ces contrées où les leurs ne peuvent ou ne
veulent pas séjourner, n’a guère été utile à la mission du Thibet; bien
que les Pères français sachent à quoi s’en tenir à l’égard des Anglais,
et qu’ils n’attendent pas une reconnaissance personnelle, ils peuvent
espérer du moins que ces différents voyages contribueront à l’ouverture
du Thibet. Il n’en a été rien, au contraire. Dans les colonies anglaises
ayant affaire à la Chine, deux partis se trouvent en présence: la
Chambre de commerce de Chang-haï et celle de Calcutta.

La première l’emporte généralement; n’ayant en vue que de créer la route
du haut Yang-tsé à la Birmanie, d’obtenir des concessions douanières ou
l’ouverture au commerce anglais de villes importantes, elle s’oppose
énergiquement à des tentatives d’exploration ou d’expédition au Thibet
qui pourraient irriter la susceptibilité du Tsung-li-yamen. Aussi les
marchands de Chang-haï ne paieront-ils le voyage de Gill qu’à la
condition qu’il ne reviendra pas par le Thibet et les Indes,
recommandation d’ailleurs assez inutile.

La résistance de leurs compatriotes de la côte de Chine n’empêche
pourtant pas entièrement les Anglais de l’Inde de s’agiter; ils
grondent, menacent, mais n’avancent pas: une marche militaire au Thibet
serait grosse de conséquences; les rapports avec la Chine se tendraient,
le contact serait immédiat, les intérêts commerciaux en souffriraient.

L’ouverture du Thibet serait aussi le signal de la rencontre avec les
Russes, dont les sujets sont en Kachgarie. Le choc a été suffisant en
Afghanistan, il faut éviter de le renouveler. La politique anglaise ne
se plaît pas dans les contacts avec les nations fortes: il vaut mieux
éviter les frottements, solder des alliés qui serviront de tampons,
paieront les pots cassés quand il y aura lieu, arrêteront au besoin les
voyageurs étrangers trop hardis, en un mot, permettront au gouvernement
qui les entretient d’agir à sa guise en mettant sa responsabilité à
couvert. On enverra des métis indo-thibétains en espions; malgré leur
connaissance de la langue, ils seront encore souvent heureux de trouver
nos missionnaires et d’avoir recours à eux pour pouvoir continuer leur
voyage[6]; ils rapporteront des renseignements plus ou moins exacts;
derrière les lunettes que leur auront fournies les ingénieurs anglais,
ils garderont leurs yeux d’Indous émerveillés; ils verront des ours
blancs, des troupeaux d’antilopes par milliers; des bandes de pèlerins
ramassant des fossiles sur les bords du Namtso, ils y verront parfois
trois cours d’eau où il n’y en a qu’un, ils donneront des noms qu’aucun
de leurs successeurs ne pourra identifier, on publiera leurs notes et
leurs protecteurs diront à haute voix que les «sujets de la reine» ont
séjourné à Lhaça.

  [6] En 1882, Kishen sing, arrivant de Satcheou à Tatsien-lou, à la
    suite d’un marchand qu’il sert comme palefrenier, est heureux de
    recevoir de la main des missionnaires un subside lui permettant de
    retourner aux Indes.

Mais lorsque quatre «officiers anglais», s’appuyant sur une des clauses
de la convention de Tché-fou, voudront remonter le Yang-tsé pour faire
une reconnaissance au Thibet, ils seront arrêtés.

Baber, qui en quittant Tatsien-lou a invité un peu à la légère les
missionnaires «à prendre le thé à son consulat (?) de Taly ou de Lhaça»
attend à Tchong-king, pour gagner le Thibet, que le pays soit pacifié.
Malgré les lettres de Mgr Biet qui dément la nouvelle des troubles de
Lhaça, et montre que l’occasion est propice pour y entrer, il engage les
officiers à attendre comme lui, et les conseils que lui dicte la
prudence sont écoutés[7].

  [7] Déjà en 1861 trois officiers anglais venus de la côte de Chine
    pour gagner les Indes par le Thibet ne s’avancèrent que jusqu’au
    Setchuen. A la nouvelle des troubles au Thibet, ils retournèrent sur
    leurs pas.

C’est en vain que Mac-Aulay aura sur la frontière du Sikkim fait gravir
à ses éléphants les gradins de l’Himalaya, pour faire à Lhaça une entrée
digne d’un voyageur anglais; il devra attendre que les fêtes du nouvel
an se passent, à cause de l’affluence de lamas qui pourrait être
dangereuse; puis que la neige fonde, puis qu’on lui permette d’avancer,
finalement il devra redescendre dans les plaines chaudes sans avoir pu
tenter de franchir la frontière de la «Terre des esprits».

Qui rira? C’est le Tsung-li-yamen.

Lorsque les troupes anglaises se sont avancées à la porte du Sikkim, au
Jalep-Pass, un simple brigadier, accompagné de quatre hommes, les ont
arrêtées; ils avaient pour toute arme un drapeau jaune dont les plis
flottant au vent laissaient voir la queue du dragon impérial: «les
Européens ne pouvaient avancer, on était sur territoire chinois, ce
serait une flagrante violation du droit des gens qu’une marche _manu
militari_ dans un pays ami, uni par des traités...»; et les Anglais se
sont rendus au raisonnement et se sont arrêtés.

Et lorsque des missionnaires français demandent, conformément à
l’article 6 du traité de Tien-tsin, affiché à Lhaça, des passeports pour
cette ville, le Tsung-li-yamen refuse: «il ne peut délivrer de papier
pour le Thibet, c’est un _pays indépendant_, sauvage; le gouvernement
chinois ne pourrait protéger le voyageur».

--Alors, répond-on, si le Thibet est «indépendant» et sauvage, pourquoi
ne permettez-vous pas aux voyageurs armés de se défendre?

--C’est, dira le Tsung-li-yamen, territoire chinois.

Et devant cette chinoiserie qui est une manière détournée de dire aux
Européens: «Vous n’entrerez pas au Thibet», les ministres européens
s’inclineront. Il est vrai qu’ils ne peuvent guère protester, eux qui,
vis-à-vis des Chinois, ont accepté d’être dans une position
d’inférieurs, eux qui, insultés dans la rue, parfois même jetés dans la
boue, souffrent des humiliations continuelles et en ont presque pris
l’habitude, eux qui se sont contentés d’une audience par an de
l’empereur et dans la salle des tributaires, tandis qu’en Europe leurs
souverains donnent des revues et des fêtes aux marquis Tseng ou aux
Tcheng-ki-tong. Quand des voyageurs, étonnés des procédés auxquels ils
sont eux-mêmes en butte en Chine, des outrages qu’acceptent les
représentants de leurs pays, se fâcheront et frapperont, on leur
répondra qu’il faut s’y habituer, que c’est la coutume, qu’on doit
supporter patiemment les insultes; on leur fera valoir les compensations
obtenues par les différentes nations européennes.

Les Anglais font ouvrir Tchong-king, le «Liverpool» de la Chine sur le
haut Yang-tsé, ont des avantages douaniers; neutres pendant l’affaire du
Tonkin, ils se sont contentés d’envoyer des armes dans le Yunnan[8].

  [8] Le winchester s’y vend 20 taels.

S’il n’a pas accepté jadis d’être le commandant en chef des forces
chinoises contre les Russes, du moins le général Gordon a appris aux
Chinois la tactique à suivre contre les Européens.

La conduite de Gordon, de Mesny, et de tant d’autres s’explique: ils
sont payés; il en est de même de ceux qui vendent actuellement des
fusils aux sociétés secrètes. Il semble que la politique de l’Angleterre
en Chine consiste à profiter de tout pour s’enrichir; il n’est pas
jusqu’aux massacres de voyageurs anglais, de missions protestantes, qui
ne rapportent à leur gouvernement. Une répression violente
compromettrait trop d’intérêts; une compensation pécuniaire ne trouble
personne et est plus avantageuse. L’assassinat de Margary a été taxée à
42 ouanes[9] d’argent; pour le pillage de Tcheng-Kiang, où des cipayes
ont été tués, on a demandé de l’argent; pour l’attaque des marchands de
Bhamo, de l’argent, et pour les prochains massacres on demandera encore
de l’argent, toujours de l’argent. La cote commence à s’établir; les
Chinois sauront bientôt, à peu de chose près, ce que coûte la vie d’un
Européen.

  [9] 1 ouane = 10 000 taels: de 60 000 à 80 000 francs, suivant le
    cours.

Les Allemands font imprimer en chinois et répandre dans tout l’empire le
récit de la guerre de 1870, et quel récit! Leur ministre, le doyen du
corps représentatif à Pékin, donne l’exemple de l’humiliation devant la
Chine et obtient pour son gouvernement le protectorat de ses propres
missionnaires, portant ainsi un coup direct au prestige de la France
dans l’extrême Orient.

Le prétexte de l’ouverture au commerce du premier port de la Corée a été
le massacre de nos missionnaires, et ce sont les Américains et les
Russes qui ont tiré profit du sang versé par nos compatriotes. Sous
l’influence de ces deux puissances, l’entrée de tous les ports et des
principales villes de Corée a été déclarée libre; les Américains
inondent la Chine de leurs marchandises à bon marché, qui pénètrent
jusqu’à la frontière du Thibet; ils ne sont que commerçants et ne s’en
cachent pas.

Quant à la Russie, elle refuse de mêler sa voix au concert humiliant des
plaintes des autres nations européennes; sachant bien que, chez les
peuples d’Orient, il ne faut pas demander, mais exiger, elle suit à bon
droit une politique à part; et les cosaques dont s’entourent ses
ministres et ses consuls font plus pour assurer le respect de son nom
que toute l’expérience, la diplomatie et la finesse des autres
légations.

Dénigrée auprès du Tsung-li-yamen par l’Angleterre, diminuée d’influence
par l’Allemagne, la France, sans commerce dans l’intérieur de la Chine,
n’est connue dans toute l’étendue de l’empire que par ses missionnaires.
C’est son nom, son honneur et son influence qu’elle défendrait en
exigeant les réparations dues à ses enfants, car c’est la France
impuissante et méprisée que les Chinois insultent, bafouent,
dépouillent, dans la personne de ses missionnaires; et dès lors,
l’ignorance voulue, ou l’inaction de notre légation devient coupable...
à moins qu’elle ne soit impuissante. Qu’elle ne veuille pas ou qu’elle
ne puisse pas agir, sa situation est triste, car s’il est aisé
d’attendre dans une légation à Pékin, où il y a peu de péril à craindre,
il n’en est pas de même au centre de la Chine, et particulièrement à la
frontière du Thibet.

                   *       *       *       *       *

Les échecs des différents voyageurs européens ont été le signal
d’attaques contre la mission du Thibet. Le retrait de l’expédition de
Mac-Aulay, en 1886, enhardit les persécuteurs; les lamas se croient
vainqueurs. Les trois grandes lamaseries de Lhaça donnent aux couvents
des frontières l’ordre de détruire les stations chrétiennes. Au mois de
juillet 1887, tout l’établissement des missionnaires à Batang est pillé,
puis brûlé, et crime inouï en Chine, la tombe de M. Brieux[10] est
violée, ses restes partagés et profanés.

  [10] Assassiné en 1889.

Les P. Giraudot et Soulié, munis d’un mauvais fusil de chasse, après
avoir tué plusieurs assaillants n’échappent à la mort qu’en s’enfuyant.

Après celle de Batang, la station de Yarégong est détruite; deux mois
plus tard, la maison et l’église de Yerkalo, qui ont coûté dix ans à
élever, sont brûlées; les quatre mille volumes si difficilement
transportés aux portes du Thibet sont perdus: pareille aux eaux d’un
torrent qui envahirait la vallée emportant tout sur son passage, la
persécution semble suivre le cours du Mé-kong; celle s’étend sur Tsékou,
sur Atentzé; les maisons sont détruites, les chrétiens chassés. Les
pertes matérielles seules sont évaluées à plus de 30 000 taels, et ce ne
sont pas les plus grandes: le fruit de tant de peines, de travaux, de
courageux efforts, de la santé et de la vie même de plusieurs Français
est anéanti en quelques mois.

Le mandarin de Tatsien-lou demande ironiquement à Mgr Biet, à qui il
s’adressera «puisque le protectorat des missions a été enlevé au
gouvernement français» et de Pékin, la légation écrit aux missionnaires,
en leur recommandant la prudence... pour se laisser massacrer?
Peut-être.

Enfin, sur des représentations du ministre de France, le Tsung-li-yamen
l’avise de l’envoi de nouveaux ordres au vice-roi de Tchentou (capitale
du Setchuen) pour régler l’affaire; et un mandarin bien disposé avoue à
Mgr Biet qu’il craint de perdre sa place s’il rend justice aux
missionnaires, qu’il a reçu l’ordre secret de faire son possible pour
les faire consentir à ne plus retourner à Batang, moyennant une
indemnité.

                   *       *       *       *       *

Ordre public de rendre justice, ordre secret de ne rien faire, voilà
toute la politique chinoise. Si la légation insiste, on lui répond que
les vice-rois sont bien loin, bien indépendants; qu’ils n’obéissent pas,
etc. En réalité, Tsung-li-yamen et vice-roi s’entendent comme deux
compères en foire; à Pékin, on dit blanc, à Tchentou, noir, et la farce
est jouée... et acceptée de nos représentants: plaintes des
missionnaires à la légation de France, réclamations de celle-ci au
Tsung-li-yamen, promesses de ce tribunal, recommandation de patience
faites par la légation aux missionnaires, quatre actes, toujours les
mêmes, revenant dans le même ordre et formant une comédie qui, en raison
de la lenteur des communications en Chine et du peu de zèle de plusieurs
acteurs, dure chaque fois au moins six mois. Voilà trois ans maintenant
que celle-ci est jouée et rejouée pour les affaires de Batang, trente
ans pour celles de Bonga, sans qu’aucune satisfaction soit donnée. Et,
pourtant, ce n’est pas une faveur, c’est un _droit_ que réclament les
missionnaires, un droit strict, formellement établi par traité, reconnu
sur des passeports délivrés à Pékin, signés et contresignés par le
Tsung-li-yamen et la légation de France.

Ce droit, ils le revendiquent, non comme prêtres, mais comme Français;
ce n’est pas, d’ailleurs, parce qu’ils apportent une religion nouvelle
qu’ils sont en butte aux mauvais procédés des Chinois, mais bien parce
qu’ils sont étrangers et surtout Français. Et je donne, comme preuve de
cette affirmation, la manière dont sont traités, dans l’intérieur de la
Chine, les voyageurs civils, commerçants ou explorateurs; nous-mêmes en
avons fait une expérience. Je n’ai pas à raconter ici comment, ayant
reçu un laisser-passer et même une escorte du gouverneur d’une province,
nous avons trouvé un ordre d’arrestation formel, signé du même
gouverneur et envoyé en avant. Il serait trop long de dire les
circonstances à la suite desquelles, plus loin, un mandarin a convié les
soldats, à son de tam-tam, pour nous jeter hors de la ville _comme des
chiens_ (c’est l’expression), «parce que, disait-il, nous voulions voler
son trésor». (A trois!) J’ajouterai que, depuis notre passage, le
mandarin a reçu de l’avancement; le lecteur que ces questions
intéressent en trouvera le détail dans le récit que publie mon
compagnon, M. Bonvalot; si l’on répond que nous avions une manière à
part de voyager, que nous n’avions pas de passeport, je citerai le cas
de M. Dutreuil de Rhins; officier, chargé d’une mission du gouvernement,
il n’a pu obtenir de passeports pour le Thibet. A Kashgar, le mandarin
l’a insulté, nous écrit-on, en refusant de le recevoir, à moins que le
fait de ne pas recevoir quelqu’un soit considéré comme une politesse: on
a des coutumes si bizarres en Chine! Et les dernières nouvelles nous
apprennent qu’il est forcé de passer l’hiver à Khotan parce qu’on ne
veut pas le laisser aller plus au sud. Un autre compatriote, M. Martin,
qui vient de traverser la Chine et est arrivé au Turkestan russe, pourra
dire le mauvais vouloir qu’il a trouvé partout chez les mandarins, les
persécutions dont il a été menacé, les dangers qu’il a courus sans cesse
et auxquels il n’a échappé que par miracle.

Les Français ne sont pas les seuls étrangers à être ainsi victimes de la
perfidie chinoise; n’avons-nous pas vu entre les mains des Thibétains de
Lhaça un ordre formel, venu de Pékin, d’arrêter le Russe Pietzoff;
celui-ci avait pourtant reçu de Pékin un passeport en règle pour Lhaça.
Il est vrai que les Anglais se chargent d’éveiller la défiance du
gouvernement chinois contre les expéditions scientifiques de la Russie.
J’aurais de nombreux autres exemples à donner de simples voyageurs,
trompés, insultés, maltraités, parfois même massacrés dans l’intérieur
de la Chine; il me semble donc inexact de dire, comme font certains
auteurs, que «les missionnaires civils des intérêts terrestres
n’insistent pas et sont comme des coqs en _plâtre_ (_sic_) en Chine».
(C’est une phrase que je relève au hasard dans un article contre les
missionnaires), à moins que, par le mot _Chine_, on n’ait voulu désigner
que les grands ports de la côte, c’est-à-dire la partie quasi civilisée,
la partie la moins chinoise de la Chine: Hong-kong ou Chang-haï.

Religieux et civils, les étrangers sont aussi mal traités en Chine; les
missionnaires sont les premiers frappés parce qu’ils sont les premiers
exposés et qu’ils sont les moins soutenus par leurs gouvernements. Leur
caractère religieux même est une raison, aux yeux des représentants de
leur pays, pour ne pas les défendre; en réalité, ce n’est qu’un
prétexte. Aucun voyageur, quelque caractère qu’il ait, qu’il soit envoyé
par le pape, par un établissement scientifique ou par une maison de
commerce, ne pourra recevoir un appui réel d’une légation qui n’a, pour
ainsi dire, presque aucune autorité auprès du Tsung-li-yamen; l’envoyé
du gouvernement ne sera pas mieux traité que celui du pape; on lui aura
fait beaucoup de promesses et, lorsqu’il arrivera, il trouvera porte
close et des insultes comme réponse; il reviendra alors sur ses pas,
ayant échoué.

                   *       *       *       *       *

Les missionnaires ont des raisons particulières de passer outre; aussi,
malgré le manque d’appui effectif de la part de la légation française,
la mauvaise volonté des Chinois et la haine des lamas, nos compatriotes
continuent leur œuvre civilisatrice à la frontière du Thibet avec un
courage et une ténacité que rien ne peut abattre. Le caractère même de
leur entreprise leur a gagné la confiance et l’amitié des peuplades
sauvages qui habitent les hautes vallées de la Salouen, du Mé-kong, du
Yang-tsé. Nos missionnaires sont avant tout colonisateurs; où ils
séjournent, ils cherchent à augmenter le bien-être matériel des peuples
avec lesquels ils se mettent en rapport; ils savent que, chez les gens
primitifs, c’est en faisant du bien aux corps qu’on gagne les âmes.

Lorsqu’ils s’établissent dans une localité, les Pères commencent par
former une pharmacie, si petite qu’elle soit; ils distribuent des
remèdes aux alentours, visitent les malades, fréquemment abandonnés des
leurs, les consolent, opèrent parfois des guérisons, qui, pour être
simples chez nous, n’en paraissent pas moins merveilleuses au centre de
la Chine.

Le premier et le plus grand des bienfaits introduits par nos
compatriotes dans ces contrées est la vaccine. La petite vérole est le
fléau dévastateur par excellence au Thibet; on le redoute à bon droit
plus que tout autre et on le traite comme le pire ennemi. Devant lui se
rompt tout lien d’amitié ou de parenté; la pitié même fait place à la
cruauté que guide la terreur. Lorsqu’il se déclare dans une famille, les
membres atteints sont jetés à la porte; les parents de la victime sont
repoussés des voisins, et s’ils veulent passer outre, attaqués à coup de
pierres ou de lances comme des bêtes sauvages; il ne leur reste
ordinairement qu’à crever de faim ou de misère. A ce mal terrible, point
de remède. Des médecins chinois ont prétendu guérir le mal en insufflant
dans les narines des malades de la poussière faite de croûtes prises sur
un cadavre; soumis à ce traitement, plus des trois quarts meurent.
Arrivent les missionnaires, ils inoculent à l’européenne du virus pris
sur un enfant sain; leur procédé réussit presque infailliblement, et
c’est par milliers que des individus, étonnés de la science des
Français, viennent camper autour de leurs établissements pour être
préservés du fléau. Les prêtres oublient alors les persécutions
auxquelles ils ont été en butte de la part des uns et celles que leur
réservent les autres; ils ne savent s’ils ont affaire à des païens ou à
des convertis, à des civils ou à des lamas, ils n’escomptent pas
l’avenir, ils ne fixent pas de prix, ne demandent pas de conditions: ils
voient devant eux des créatures humaines qu’ils peuvent secourir, et ils
distribuent leurs bienfaits indistinctement aux uns et aux autres.

Non contents de guérir ou de préserver les populations du fléau
épidémique, ils s’attaquent à certaines maladies mortelles et les
chassent de la contrée; c’est ainsi que la cognée à la main, ils
repoussent dans ses derniers retranchements la fièvre, la dangereuse
fièvre des bois; nous avons vu plus haut l’assainissement de la vallée
de Bonga. A cette œuvre si utile ici de déboisement, ils convient les
pauvres; ils leur fournissent ainsi du travail, et la récolte faite,
leur font prendre part au bénéfice: après la peine, ils les paient en
nature. De cette manière, il se crée peu à peu, sous l’habile direction
des Pères, une organisation bienfaisante et civilisatrice rappelant, par
beaucoup de traits, celle des couvents au moyen âge.

A côté des semences indigènes, des graines d’Europe sont mises en
culture, nos légumes viennent à merveille, des conserves ont été faites,
déjà on a pu obtenir du vin, du raisin plus sucré qu’au centre du
Setchuen, trop humide; nos fruitiers prospèrent: certains, déjà connus
dans le pays, avaient été détruits par les indigènes. Les impôts en
nature qu’exigeait le régime onéreux des lamas ou des mandarins étaient
excessifs. Dès que les fruits étaient noués, les habitants devaient
passer des nuits entières à entretenir de grands feux au pied des arbres
pour les empêcher de geler; malgré ces précautions, il fallait souvent
payer en argent la différence entre la récolte et l’impôt. Toute autre a
été la condition de l’indigène dans les établissements agricoles que les
Pères ont créés et dont ils ont été chassés par les autorités jalouses.
Et pourtant nul ne respecte plus les pouvoirs locaux que les
missionnaires, ils se tiennent en dehors des questions politiques, ont
soin de ne pas prendre part aux dissensions qui éclatent entre petits
chefs, osant à peine prononcer leur arbitrage lorsque les deux partis le
sollicitent; ils se contentent, quand un combat a eu lieu, de racheter
le plus d’esclaves que leurs faibles ressources leur permettent pour les
rendre à la liberté.

On a vu un missionnaire, le P. Goutelle, arriver à racheter un convoi de
cent esclaves, en le suivant pendant quinze jours, étape par étape, un
sac de sel du Yunnam sur le dos[11].

  [11] Le sel est rare dans cette contrée, et chaque jour le chef du
    convoi échangeait avec le Père la vie d’un ou de plusieurs hommes
    contre une poignée de sel.

Remèdes de toute espèce, vaccine, assainissement de vallées,
défrichement, introduction de plantes utiles, travail pour tous, régime
libéral dans leurs propriétés, rachat d’esclaves, tels sont en quelques
mots les principaux bienfaits matériels dont les missionnaires français
ont doté le pays où ils se sont établis. Guidés par la foi religieuse,
ils cherchent à améliorer la condition des peuplades au milieu
desquelles ils vivent; mais, bien que loin et abandonnés de la patrie,
ils n’ont jamais oublié qu’avant tout ils sont Français.

La connaissance qu’ils ont donnée, l’admiration qu’ils ont laissée du
nom de Français, qui, traduit en thibétain, prend le sens de «brave», le
soin qu’ils ont mis de placer leurs stations à quatre ou cinq jours de
distance les unes des autres, du nord au sud, reliées au Yunnam, afin de
faciliter une route au commerce français vers le district minier et le
cœur même de la Chine, seraient autant de titres suffisants à la
reconnaissance et à l’appui effectif de la mère-patrie. Mais il y a
plus: chez nos missionnaires, à côté de l’apôtre, à côté du
colonisateur, on trouve le savant. C’est aux travaux des PP. Huc, Armand
David, Renou, Desgodins, Biet, Gourdin, Delavaye, et de tant d’autres
modestes savants dont les noms à peine connus mériteraient d’être écrits
au Panthéon des hommes célèbres, que la France instruite doit de marcher
de pair avec l’Angleterre et la Russie pour l’exploration scientifique
de l’Asie centrale: histoire, géographie, histoire naturelle,
linguistique, ethnographie, les missionnaires ont fourni à toutes les
branches des documents recueillis avec un zèle infatigable, une ténacité
que rien n’a démenti, au prix d’efforts inouïs. Quelques-uns ont
succombé à la tâche, d’autres les suivront; les morts seront sans cesse
remplacés, parce que sur ce champ de bataille héroïque, deux sentiments
soutiennent les combattants, la foi en Dieu et l’amour de la patrie.

                   *       *       *       *       *








*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS AU THIBET ***


    

Updated editions will replace the previous one—the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for an eBook, except by following
the terms of the trademark license, including paying royalties for use
of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
copies of this eBook, complying with the trademark license is very
easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
of derivative works, reports, performances and research. Project
Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may
do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
license, especially commercial redistribution.


START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE

PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase “Project
Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg™ License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the
Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg™ License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work
on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the
phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

    This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
    other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
    whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
    of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
    at www.gutenberg.org. If you
    are not located in the United States, you will have to check the laws
    of the country where you are located before using this eBook.
  
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase “Project
Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg™.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg™ License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format
other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg™ website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain
Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works
provided that:

    • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
        the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method
        you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
        to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has
        agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
        within 60 days following each date on which you prepare (or are
        legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
        payments should be clearly marked as such and sent to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
        Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg
        Literary Archive Foundation.”
    
    • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
        you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
        does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™
        License. You must require such a user to return or destroy all
        copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
        all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™
        works.
    
    • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
        any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
        electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
        receipt of the work.
    
    • You comply with all other terms of this agreement for free
        distribution of Project Gutenberg™ works.
    

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right
of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.