Missions au Sahara, tome 1: Sahara algérien

By Émile-Félix Gautier

The Project Gutenberg eBook of Missions au Sahara, tome 1: Sahara algérien
    
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Title: Missions au Sahara, tome 1: Sahara algérien

Author: Émile-Félix Gautier

Contributor: Louis Germain
        Isidore Pouget

Release date: July 22, 2024 [eBook #74092]

Language: French

Original publication: Paris: Armand Colin, 1908

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by Bibliothèque de Sorbonne Université/SorbonNum and the HathiTrust Digital Library/University of Michigan)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MISSIONS AU SAHARA, TOME 1: SAHARA ALGÉRIEN ***

                          MISSIONS AU SAHARA
                               * * * * *
                           =SAHARA ALGÉRIEN=


                        LIBRAIRIE ARMAND COLIN
                               * * * * *

=Voyages au Maroc (1899-1901)=, par le Marquis de SEGONZAC. Un volume
in-8o de 400 pages, avec _178 photographies_, dont _10 grandes planches
hors texte_ (20 panoramas en dépliants), _1 carte en couleur hors
texte_ et de nombreux appendices, broché                         20 fr.

          Relié demi-chagrin, tête dorée        27 fr.

Le Rif et les Djébala : Tanger, Fès, Melilia ; Melilia, Ouezzan,
Tanger. — Les Braber : de Qçar-el-Qebir à la vallée de Fès, de la
vallée de Fès à la vallée de la Mlouïa ; vallée de la Mlouïa ; de la
Mlouïa au Sbou. — Le Sous : Marrakech, Taroudant, Tiznit, Agadir,
Mogador. — Renseignements politiques, statistiques et religieux.
— Appendices : politique ; — astronomique ; — météorologique ; —
géologique ; — botanique ; — entomologique ; — numismatique ; —
géographique.

     (_Ouvrage couronné par l’Académie française. Prix Furtado._)

                               * * * * *
          1702-07. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 4-08.




                          MISSIONS AU SAHARA
                                  par
                      E.-F. GAUTIER et R. CHUDEAU
                               * * * * *

                                TOME I
                           =SAHARA ALGÉRIEN=

                                  PAR
                            =E.-F. GAUTIER=
       Chargé de Cours à l’École supérieure des Lettres d’Alger

                               * * * * *

 _65 figures et cartes dans le texte et hors texte, dont 2 cartes en
                couleur, et 96 phototypies hors texte_

[Décoration]

                                 PARIS
                        LIBRAIRIE ARMAND COLIN
                         5, RUE DE MÉZIÈRES, 5
                                 1908

   Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.




        A PAUL BOURDE

                _Souvenir reconnaissant._




                                PRÉFACE
                               * * * * *


En 1902, 1903, 1904 et 1905, j’ai fait une série de voyages au
Sahara, d’abord seul, puis en compagnie de M. Chudeau, qui à son
tour a voyagé seul jusqu’à la fin de 1906.

Voici le détail de ces voyages : juillet, août et septembre 1902,
voyage au Gourara par l’oued Saoura ;

Février-septembre 1903, voyage à In Ziza par In Salah, en compagnie
de M. le baron Pichon, et à la suite de M. le commandant Laperrine ;

Décembre 1904 à septembre 1905, voyage transsaharien par In Ziza,
Gao, Tombouctou.

M. Chudeau m’a rejoint à Taourirt en mai 1905, il a traversé
le Sahara par le Hoggar, l’Aïr, Zinder, et, après avoir poussé
jusqu’au Tchad, il est rentré en Europe à la fin de 1906.

Chacun de nous a donc passé au Sahara de dix-huit à vingt mois. Il
se trouve que M. Chudeau a surtout voyagé dans le Sahara soudanais,
et moi dans le Sahara algérien. Chacun s’est chargé de rédiger
les résultats communs pour la région qu’il connaissait le
mieux. Je publie aujourd’hui un premier volume consacré au Sahara
septentrional, et qui sera suivi d’un second, sous la signature
de M. Chudeau, consacré au Sahara méridional.

Il est bien entendu que cette division du Sahara en deux parties
nous est imposée par les hasards de notre itinéraire. Nous
n’avons nullement la prétention qu’elle soit géographiquement
justifiée. Elle serait même absurde en géographie humaine. Aussi
le chapitre III du présent volume sera-t-il consacré à
l’ethnographie préhistorique du Sahara tout entier, partie
soudanaise incluse. A tout autre point de vue cette division est
commode, elle permet de traiter à part des questions distinctes.

Par exemple, au point de vue géologique, la limite est bien nette
entre le Sahara gréseux et calcaire du nord, et le Sahara central
(Hoggar et Tanezrouft) avec ses roches métamorphiques, archéennes
et éruptives.

Entre le nord et le sud la nature différente des vestiges de
l’âge quaternaire met une vive opposition. Dans le nord, ce sont
des lits d’oueds profondément gravés ; le chapitre II du présent
volume est une monographie d’un fleuve quaternaire. Dans le sud,
au contraire, les traces les plus apparentes qu’a laissées le
quaternaire sont des dunes fossiles. Ceci revient à dire que dans
le nord le désert a succédé à la steppe et dans le sud la steppe
au désert : un gros fait qui n’a jamais été mis en lumière.

Nous avons donc pu nous partager le Sahara sans nuire à l’unité
des sujets respectivement traités.

En ce qui me concerne, le présent volume, qui paraît sous ma
responsabilité, n’est pas le moins du monde un compte rendu
de voyage ; c’est une exposition synthétique des résultats
obtenus, et on a donc emprunté à la bibliographie du sujet tous
les renseignements susceptibles d’éclairer cette synthèse.

On a donné une place faible ou nulle, d’une part aux résultats
astronomiques et topographiques, d’autre part aux résultats
paléontologiques.

Les premiers sont relégués dans un appendice ; il est vrai
qu’ils ont été utilisés pour l’établissement des deux
cartes, qui accompagnent les chapitres II et VII ; il est vrai
aussi que ces deux cartes font ressortir quelques faits nouveaux et
intéressants (cours de l’O. Messaoud, dessin de l’Açedjerad,
position d’Ouallen). Ces itinéraires originaux n’en sont pas
moins une faible fraction de l’itinéraire total parcouru, et leur
originalité d’ailleurs n’est pas toujours entière. C’est
que les officiers des oasis ont fait une besogne topographique
énorme et excellente, et qui a été en grande partie publiée. On
la trouvera éparse dans les suppléments au _Bulletin du comité de
l’Afrique française_. Elle a été synthétisée dans deux cartes
récentes : Carte provisoire de l’extrême-sud au 1/800000, dressée
à l’aide des documents topographiques existant dans les archives
du gouvernement général par M. le capitaine Prudhomme. Carte des
oasis sahariennes, 1/250000, par MM. le lieutenant Nieger et le
maréchal des logis Renaud (Paris, 1904). D’une façon générale
je renvoie le lecteur à ces deux cartes.

Dans un ouvrage où j’ai donné une place considérable à
l’étude géologique et plus spécialement stratigraphique
on pourra s’étonner que la paléontologie soit à peu près
complètement absente. Pourtant un grand nombre de fossiles ont été
recueillis. Ceux qui se rapportent à l’âge carboniférien, encore
qu’intéressants par la nouveauté des gisements, ne nous apprennent
rien de nouveau sur la faune dinantienne au Sahara. Les fossiles
dévoniens en revanche sont apparemment intéressants, surtout ceux
des étages supérieurs, puisque M. Haug, dans le laboratoire de
qui ils ont été déposés, va leur consacrer une monographie.

Couvert par sa haute autorité, je me suis borné ici à considérer
comme acquises les données paléontologiques sur lesquelles j’ai
appuyé mes études stratigraphiques ; et j’ai consacré tous mes
efforts à dégager autant que possible l’architecture du pays.

Les photographies reproduites dans ce volume ne sont pas toutes
de moi, tant s’en faut. Beaucoup ont été prises par M. le
baron Pichon, mon compagnon de voyage en 1903. Un certain nombre
m’ont été obligeamment prêtées par M. le lieutenant-colonel
Laperrine[1].

J’ai repris et refondu dans mon texte plusieurs articles de moi,
antérieurement publiés dans des revues diverses. J’ai été
amené à les modifier profondément non seulement dans la forme
mais aussi dans le fond.

Il me reste à dire que notre voyage eût été impossible sans
l’appui que nous avons trouvé d’une part à Paris et d’autre
part aux oasis.

Un groupe de personnalités parisiennes, MM. Paul Bourde,
Le Châtelier, Étienne, Dr Hamy, Levasseur, Michel Lévy, ont
bien voulu s’occuper de recueillir sur mon nom les subventions
nécessaires. Je dois une reconnaissance tout particulièrement
profonde à MM. Paul Bourde et Le Châtelier.

Je remercie les institutions qui, à la requête de ces messieurs,
ont bien voulu me subventionner, les ministères de l’Instruction
publique et des Colonies, l’Académie des Inscriptions, la
Société de Géographie de Paris, la Société d’encouragement
à l’Industrie nationale, la Société de Géographie commerciale.

Aux oasis, je suis particulièrement l’obligé de M. le
lieutenant-colonel Laperrine et de M. le commandant Dinaux, mais je
suis par surcroît l’obligé de tout le monde.


[Note 1 : Quelques photographies anonymes ont été achetées aux
soldats chargés de la poste à Colomb-Béchar et à Tar’it.]




                            SAHARA ALGÉRIEN
                               * * * * *

                              CHAPITRE I

                             =ONOMASTIQUE=


Les ouvrages descriptifs concernant l’Afrique du Nord sont
hérissés de mots arabes ; tout particulièrement les comptes
rendus d’itinéraires écrits sur place par nos officiers, sous
la suggestion immédiate du pays ; et par exemple les articles de ce
genre, très intéressants et très importants, qui paraissent depuis
quelques années dans les suppléments au _Bulletin du Comité de
l’Afrique française_. D’ailleurs même les ouvrages écrits
à tête reposée, en France, et pour un public métropolitain,
ne sont pas exempts du même défaut, puisque, invariablement,
en tête ou en queue du livre, on trouve un petit dictionnaire des
termes géographiques arabes[2].

Ces textes, lardés de mots empruntés à une langue étrangère,
sont à coup sûr exaspérants pour le public français.

Que le défaut, si c’en est un, soit commun à tous les géographes
nord-africains, cela suffirait déjà à les justifier. Ils
obéissent à une nécessité. En France nos topographes recueillent
précieusement les termes géographiques locaux (douix de Bourgogne,
combes du Jura, puys d’Auvergne, etc.) pour en enrichir le
vocabulaire général. Nous trouvons à ces termes, indispensables
d’ailleurs, puisqu’ils correspondent à des nuances nouvelles, une
valeur éducative ; ils nous permettent de classer des notions et nous
forcent à les approfondir. Il est clair que les termes géographiques
arabes ont la même valeur, et le même caractère indispensable.

Dans un pays comme le Sahara où les formes du terrain, les
aspects du sol, les modes de l’hydrographie, sont parfaitement
originaux, sans analogues chez nous, il serait absurde de vouloir
se tirer d’affaire avec notre vocabulaire français ; pour être
compris de tout le monde on renoncerait à l’être réellement de
personne, puisqu’on s’interdirait toute précision. D’autre
part vouloir créer des expressions françaises nouvelles, serait
d’abord se résigner à l’emploi de périphrases, étant donnée
la rigidité de notre vieille langue. Mais par surcroît ce serait
d’une outrecuidance ridicule : des mots nouveaux, immédiatement
acceptés de tout le monde, il en naît tous les jours, mais on ne
les crée pas consciemment.

Les paysages polaires ne sont guère plus éloignés des nôtres que
les paysages désertiques. Pour en rendre les différents aspects il
est né dans le domaine des langues germaniques, et plus spécialement
de la langue anglaise un vocabulaire spécial, qui a sans difficulté
passé dans le nôtre. Nos géographes polaires emploient sans
hésitation un grand nombre de mots, comme floe, pack-ice, inlandsis,
dont on peut bien dire qu’ils n’ont pas encore, pour beaucoup
de lecteurs une signification bien précise. D’autres termes ont,
d’ores et déjà, passé franchement dans l’usage courant,
fjord, iceberg. Il en est un au moins qui s’est francisé jusque
dans son orthographe ; car c’est, j’imagine, quelque chose comme
« bank-ice » qui s’est déguisé en « banquise ».

Ce petit effort d’acclimatation, que nous avons fait sans y
songer pour le pôle, il est inadmissible que nous refusions de nous
l’imposer pour notre Sahara, un pays dont nous avons en quelque
sorte la responsabilité scientifique.

On n’a pas naturellement la prétention d’apporter ici une idée,
ou de montrer une voie nouvelles. Le processus de naturalisation des
termes arabes a déjà commencé automatiquement. Les mots dont on
s’occupera dans les lignes qui suivent ne sont pas tous pour le
public français des étrangers au même degré. Tout le monde sait,
j’imagine, ce que c’est qu’un oued par exemple. Mais il y a
peut-être intérêt à substituer au lexique usuel, qui voisine
avec la table des matières et celle des errata, une tentative
d’explication coordonnée.

Expliquer un mot d’ailleurs, c’est chercher à comprendre
la chose, à en dégager la genèse. Un chapitre d’onomastique
saharienne c’est en quelque sorte une étude du climat désertique
dans son retentissement sur les sols, les formes topographiques,
l’hydrographie.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                               PL. I.

[Illustration : Cliché Gautier

1. — TYPE DE HAMMADA

Dalles et esquilles de grès éo-dévonien.

entre In-Semmen et Meghdoua dans l’Açedjerad.]

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché Laperrine

2. — TYPE DE REG

Plaine d’alluvions décapée.]


                               Les sols.


=Hammada.= — Le mot a déjà pénétré dans le vocabulaire
géographique, jusqu’à un certain point. Il le doit peut-être
au livre de Schirmer, à quelques belles photographies de Foureau,
aux détails donnés par Flamand sur les hammadas pliocènes
subatliques. Bref on a déjà répandu dans le public des données
scientifiques précises sur la hammada et le mot commence à acquérir
droit de cité chez nous.

Rappelons que ce sont des plateaux rocheux à peu près horizontaux ;
l’âge et la nature de la roche importent peu ; tantôt calcaires
pliocènes (hammada de Kenatsa, de l’O. Namous) — d’autres
fois calcaires carbonifériens (hammada de Tar’it) — calcaires
crétacés dans le Tadmaït — grès éodévoniens dans le Mouidir,
l’Ahnet, l’Açedjerad. — Ce qui distingue la hammada du
plateau c’est le facies très particulier que lui a donné le
climat désertique. La roche est nue, décharnée de toute terre
végétale, récurée et polie par le vent, vernissée uniformément
par des actions chimiques, qui ont été étudiées minutieusement
par Walther ; de grandes étendues luisantes et monochromes. Sous
l’influence des températures extrêmes la roche a éclaté en
grandes dalles et en menues esquilles, formant sous les pieds un
chaos qui rend souvent la marche pénible.

La hammada est en somme la forme désertique du plateau comme le
reg est la forme désertique de la plaine.

Notons que le mot hammada a au moins un synonyme ; c’est
« _gada_ » qui est employé dans le djebel Amour, et dans l’Atlas
saharien, mais qu’on retrouve aussi plus au sud, à Beni Abbès
notamment.

La traduction berbère de hammada est tassili (le tassili des
Azguers, etc.).

Il est possible que, en approfondissant, on trouverait entre ces mots
des nuances différentes de sens. Mais je ne suis pas en état de le
faire, et tout cela, en gros, rentre bien dans la catégorie hammada
(voir pl. I, phot. 1).


=Reg.= — Un des mots les plus répandus et les plus intraduisibles.

Quand on essaie d’en serrer de près le sens on s’aperçoit que le
reg est avant tout une plaine rigoureusement horizontale. Tandis que
le mot n’a pas pénétré dans le langage courant géographique, la
chose est bien connue du grand public ; elle l’est même trop. Dans
le grand public l’idée de désert évoque, à l’exclusion de
toute autre image, sauf peut-être celle des dunes, une grande
plaine infinie parfaitement nue et plate comme la mer. Qu’on
ajoute la silhouette d’un Bédouin et de son chameau, ou bien
encore une fumée de bivouac, qui monte mince et rectiligne dans
l’air immobile, et on a un tableau qui a été fait cent fois, et
qui est dans toutes les mémoires. C’est une bonne représentation
du reg. (Voir pl. I, phot. 2.)

Une plaine aussi parfaite est nécessairement d’alluvions ;
et le reg en effet est d’origine alluvionnaire. Cette origine
pourtant ne se décèle pas au premier coup d’œil. De façon à
peu près constante le sol est couvert de gravier, gros ou menu,
disparate, en couche plus ou moins épaisse ; on a l’impression
d’une allée de jardin, élargie démesurément jusqu’au bout de
l’horizon. Mélangées au gravier, et posées sur le sol en vrac,
on trouve des choses hétéroclites, pointes de flèches et haches
néolithiques par exemple.

Voici une coupe de reg, relevée, par M. Chudeau dans l’oued
Takouiat entre In Ziza et Timissao. On observe de haut en bas :

1o Un lit de cailloux roulés quartzeux, de 5 millimètres à 1
centimètre de diamètre, couvrant toute la surface.

2o 10 centimètres de sable pur, contenant quelques cailloux et vers
sa partie inférieure du sable fin.

3o Sable argileux.

Le gravier qui couvre le sol est évidemment le résidu de couches
supérieures enlevées par l’érosion éolienne. Le sol désagrégé
par la sécheresse a livré au vent, pour être emportés au loin,
tous ses éléments terreux, dissous par pulvérulence en particules
légères ; le cailloutis est resté en place.

Il s’ensuit que ces alluvions sont nécessairement anciennes, leur
dépôt remonte à une époque géologique antérieure, puisque,
actuelles, elles resteraient assez humides pour se défendre contre
le vent. Aussi bien par leur distribution, et par leur énorme
extension, elles ne trahissent aucune connexité avec le régime
hydrographique actuel.

Nous avons donc les éléments d’une définition satisfaisante du
reg. Une plaine d’alluvions anciennes, à laquelle le décapage
éolien a donné un facies original. C’est une individualité
géographique tranchée, qui mérite un nom à part.


=Erg.= — Ici toute explication est superflue. Les énormes amas des
dunes sont dans le paysage saharien le trait qui a le plus frappé
l’imagination de prime abord ; et le mot d’_Erg_ qui les désigne
s’est à peu près acclimaté chez nous. Les cartes l’ont adopté
(Grand Erg, Erg oriental, etc.). Il nous est indispensable malgré
la coexistence en français du mot dunes, puisqu’il désigne un
énorme amas de dunes continentales, et somme toute une individualité
géographique tout à fait originale.

Le vocabulaire arabe est riche en termes précis qui désignent les
différents aspects de l’erg. On est conduit nécessairement à en
retenir quelques-uns vraiment indispensables. (Voir pl. III, phot. 6.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. II.

[Illustration : Cliché Gautier

3. — TYPE DE FALAISE (baten ou kreb)

dans les calcaires dinantiens.

Oued Zousfana entre les Beni Goumi et Igli.]

[Illustration : Cliché Laperrine

4. — UN COIN DU TASSILI AUPRÈS DE TIMISSAO

Érosions confuses dans les grès éo-dévoniens ruiniformes.

Peut être considéré comme un type de Chebka.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. III.

[Illustration : Cliché Pichon

5. — TYPE DE GARA

Haci Gouiret au sud d’In Salah.

L’entablement est en grès albien ; au sommet, petites ruines
d’âge indéterminé.]

[Illustration : Cliché Laperrine

6. — ERG ET NEBKA

Au premier plan _Erg_ ; on distingue bien les sifs (versants abrupts),
tous orientés dans le même sens ; — au second plan la dune
s’abaisse, on voit apparaître des taches noires de végétation,
c’est la _nebka_.]


_Sif._ — Le mot sif par exemple désigne la pente raide des dunes,
celle qui est sous le vent ; le mot sif, qui signifie sabre, évoque
heureusement l’idée de ces longues balafres, courbes, qui semblent
sur la face de l’erg l’empreinte d’une lame gigantesque. Dans
une région déterminée le regard des sifs[3] est constant,
occidental par exemple, là où le vent dominant souffle de l’est.

_Feidj ou gassi._ — L’erg est articulé au moins dans ses parties
les plus accessibles par de longs couloirs libres de sable, que les
indigènes appellent gassi dans l’est et feidj dans l’ouest.

Un des résultats les plus intéressants, et peut-être les
moins remarqués des explorations de M. Foureau dans l’erg
oriental, est de nous avoir fait connaître la distribution
de ces gassis. Sur une carte d’ensemble on les voit courir
dans une direction uniforme, parallèles les uns aux autres,
extrêmement allongés et vermiformes. Et sans doute faut-il tenir
compte d’une schématisation forcée, mais qui souligne des faits
incontestables. Ce qui frappe ce n’est pas seulement que les feidjs
soient parallèles entre eux, mais encore qu’il y ait une relation
évidente entre leur direction et celle des vallées quaternaires.

Et l’explication est, je crois, assez aisée à imaginer : le vent
dominant accumule le sable sur les lignes du modelé qui courent
normalement à sa direction.

Les mots feidj et gassi signifient respectivement « col »[4]
et « rue ». Ce sont en effet les routes naturelles que suivent
les caravanes. On évite soigneusement les dunes, même lorsqu’on
traverse l’erg. Parmi tant de légendes européennes concernant
le chameau, celle qui en fait un animal adapté à la dune est une
des plus absurdes.

On a justement attiré l’attention sur son pied large et spongieux,
qui lui fait une marche si particulière, silencieuse et nonchalante,
comme en pantoufles ou en espadrilles ; ce pied est évidemment
accommodé à un terrain mou et sec, où il enfonce moins par
exemple que le sabot pointu d’un cheval[5]. Chez l’antilope adax,
animal exclusivement saharien, on observe aussi un élargissement
disproportionné du pied. (Voir pl. XXXIV, phot. 64.) Le pied du
chameau est d’ailleurs tout aussi bien adapté à la marche sur
la hammada, où par sa plasticité il donne à l’animal une prise
bien plus solide sur le roc nu que ne ferait un sabot dur et glissant.

Par-dessus tout l’animal ainsi chaussé est incapable d’avancer
sur un sol boueux, il s’y enlise et il y patine en grandes glissades
dangereuses. Bref le pied du chameau est un pied désertique, ainsi
qu’on pouvait aisément le prévoir.

Mais ses longues jambes grêles et fragiles, son corps rigide
et pataud où toute la souplesse s’est réfugiée dans le cou,
en font une bête de plaine, destinée à la progression rapide en
ligne droite, à travers d’immenses espaces, sur terrain facile. La
traversée des regs est le triomphe du chameau, les pentes raides
le déconcertent.

Or l’erg est très accidenté ; l’ascension ou même la descente
d’un sif un peu accusé devient une rude épreuve pour une caravane,
il n’est pas rare qu’un chameau roule et se casse une patte. Un
cheval vif, souple, à la fois bien plus leste de corps et plus apte
de tempérament à un effort bref, à un coup de collier, rend de
bien meilleurs services dans les ergs que le méhari. D’ailleurs
le méhariste traverse la dune, quand il ne peut pas faire autrement,
à pied, en tirant sa monture par la bride.

En général il s’efforce de la contourner ; on suit les feidjs,
la traversée d’un erg considérable à « contre-sif » est une
entreprise terrible ou parfois impossible. Et on conçoit dès lors
que dans les préoccupations des voyageurs et par suite dans les
comptes rendus d’itinéraires les mots de feidj ou de gassi et de
sif prennent une grande importance.


=Nebka.= — Les indigènes distinguent nettement et non sans raison
sous le nom de nebka[6] une catégorie tout à fait particulière
de dunes.

Ce sont des dunes en miniature, des mamelonnements légers ; elles
sont par surcroît parsemées de verdure, les touffes se trouvent
non pas dans les interstices des mamelons, où l’expérience
des paysages d’érosion porterait à les chercher, mais tout
au contraire au sommet des petites dunes exiguës ; c’est que
la touffe ou l’arbuste a été précisément l’obstacle autour
duquel le sable s’est accumulé. Une autre caractéristique de la
nebka est la blancheur du sable, qui atteste comme la médiocrité du
relief la jeunesse de la formation. Les hautes et vieilles dunes sont
d’une belle couleur dorée, parce que, à travers les siècles,
le brassage éolien a oxydé les grains de quartz. (Voir pl. III,
phot. 6 et pl. VIII, phot. 15.)

Tout cela est très concordant, la nebka est de la dune en formation ;
il est tout à fait intéressant que le concept en soit étroitement
uni à celui de végétation ; une nebka est toujours un pâturage,
et c’est précisément pour cela, pour son importance pratique et
humaine, qu’elle a été désignée par un nom spécial qui revient
fréquemment dans les itinéraires. C’est un champ de bataille
où la végétation, étouffée par l’amoncellement éolien du
sable, fait une résistance acharnée, et apparemment inutile à la
longue. En certains cas c’est très nettement une section d’oued
en voie d’obstruction ; dans l’oued Saoura par exemple au sortir
de Foum el Kheneg (Voir pl. IX, phot. 19 et encore pl. XLV, phot. 84)
ou bien encore à Tagdalt. Ainsi, rien qu’en serrant le sens du
mot nebka, on est amené à concevoir que les dunes se forment aux
dépens des alluvions fluviales.

Hammada, reg, erg et nebka, ce sont là en somme essentiellement des
sols. Sol de pierre nue, de gravier, de sable ; ici sol de décapage
(hammada et reg), là inversement sol d’alluvionnement éolien
(erg et nebka). Dans les grandes lignes c’est une énumération
satisfaisante des principaux sols sahariens, où toute la superficie,
l’épiderme, porte la marque exclusive du vent ; tout cela est
l’œuvre du simoun qui tantôt a raclé le sol jusqu’au squelette,
tantôt l’a enfoui sous les balayures.

Notons qu’un élément fait défaut dans ces balayures, ce sont
les particules d’argile, les poussières de limons ; il y a là
des masses considérables de dépôts qui ont disparu et qui ne
se retrouvent nulle part : sur le sol du moins ; — car je crois
que l’atmosphère du Sahara contient une grande quantité de
poussières. J’ai pris en effet aux époques les plus différentes
un très grand nombre d’angles horaires du soleil (une centaine de
séries au moins) ; je crois pouvoir affirmer que dans les journées
les plus radieuses on ne peut pas observer à travers les verres
foncés, parce qu’ils éteignent à peu près complètement
le soleil ; l’air est constamment opaque, chargé de choses
pulvérulentes ; cela tient apparemment à ce qu’il n’est jamais
lavé par la pluie. Ces particules argileuses après avoir flotté
longtemps entre ciel et terre, après avoir été charriées çà et
là par le vent finissent nécessairement par sortir du Sahara, et
se déposent quelque part, dans l’Océan par exemple, très loin
de leur pays d’origine. En tout cas le désert est le seul pays
du monde où elles ne peuvent pas se déposer, des molécules à
peu près impondérables ne peuvent pas tomber dans un air agité,
et elles restent impondérables aussi longtemps qu’elles restent
sèches. Par ce curieux processus naturel le désert exporte en pays
humide la plus grande partie de ses argiles, d’où prédominance
des sables.


=Sol de timchent.= — On n’a pas fait des formes du sol une
énumération exhaustive dans le détail. Il faudrait faire une
petite place par exemple au timchent. Sur des étendues parfois
assez grandes on marche sur une croûte épaisse et continue de
plâtre, à peu près pur, que les indigènes appellent timchent. Ce
sont généralement des dépôts quaternaires, et assez souvent
aquifères, beaucoup de puits sont creusés dans le timchent. Les
dépôts gypseux, il est vrai, n’ont rien de particulièrement
saharien, mais des plaines de gypse, le plâtre à l’état du
sol, ont pourtant un cachet spécial, et il y a lieu peut-être
de laisser à cette formation un nom particulier, qui évite une
périphrase. (Voir des berges en timchent, pl. X, phot. 20.)


                          Formes du terrain.


=Gara.= — Le mot de gara est un de ceux qui sont en bonne voie
de naturalisation française[7]. On sait qu’il désigne un
« témoin » d’érosion, presque toujours composé de couches
molles à la base protégées au sommet par un chapiteau de roche
dure, calcaire, grès, basalte, etc. La gara est isolée de tous
côtés, circonscrite de pentes raides, c’est une table. Cette forme
du terrain n’est tout à fait inconnue nulle part, et pourtant
je ne crois pas qu’elle soit désignée dans une autre langue
que l’Arabe par un nom populaire. Il est vrai que nos climats
humides se prêtent moins bien que le désertique à la sculpture
des garas, surtout des petites, les plus frappantes parce qu’on
les embrasse d’un coup d’œil ; il y faut un régime d’orages
rares, brefs, et terribles, qui ruissellent sur la roche dure sans
l’entamer et qui font des dégradations énormes et instantanées
dans la pulvérulence des couches molles. Dans un pays humide où les
couches dures sont attaquées chimiquement par l’infiltration des
eaux, tandis que les couches molles imbibées forment une pâte plus
compacte, leur écart de résistance à l’érosion s’atténue,
et les lignes du paysage tendent à s’arrondir en mamelonnements
flous. Au Sahara la gara est une forme tout à fait habituelle et
pullulante du relief. (Voir pl. III, phot. 5 ; pl. XXIX, phot. 55 ;
pl. XLV, phot. 84.)


=Baten et kreb.= — Une autre forme tout à fait familière et
d’ailleurs apparentée est la falaise, le gradin brusque en longue
ligne, sculpté par l’érosion dans une complexe de couches tendres
et dures. Les indigènes distinguent les grandes falaises, hautes
d’une soixantaine de mètres qui courent sans discontinuité sur
des centaines de kilomètres, et qu’ils appellent des batens ;
et les petites, les ressauts plus ou moins insignifiants qu’ils
appellent des krebs.

Dans une tentative d’exposition géographique il est inutile
d’avoir recours à ces termes indigènes, puisque nous avons un
mot français qui est parfaitement suffisant, celui de falaise. Mais
ces dénominations de baten et kreb reviennent fréquemment sur les
cartes ; le baten Ahnet est la falaise terminale de l’Ahnet, le
baten du Gourara, la falaise terminale du Tadmaït. Au nord-ouest
d’In Salah un petit accident porte le nom de Kreb er Rih. (Voir
pl. II, phot. 3 ; pl. XXIII, phot. 44 ; surtout pl. XLIV, phot. 82.)


=Moungar, tar’it.= — L’onomastique de ces sortes d’accidents
est très riche.

Un feston de falaise, ou si l’on veut un promontoire se nomme
moungar, dans la vallée de la Zousfana un Moungar a été illustré
récemment par une rencontre sanglante entre légionnaires et
Marocains.

Il y a, non pas en arabe, mais en berbère, un synonyme exact à
notre mot canyon. C’est Tar’it : le nom revient fréquemment
au Sahara, il est porté par un ksar de la Zousfana, par un oued de
l’Ahnet. L’arabe a d’ailleurs des synonymes qu’on retrouve
fréquemment sur les cartes (Foum, Kheneg).


=Chebka.= — Tout à fait essentiel est le mot de chebka, auquel
rien ne correspond dans notre langue. Ce sont des régions où le
relief d’érosion devient confus ; le mot signifie littéralement
filet, et il fait assez bien image, évoquant un entre-croisement,
un dédale de garas et de batens. L’origine des chebkas a été
excellemment expliquée par M. Flamand ; ce sont des zones de
captage où des érosions d’âge et de sens différents se sont
contrariées[8]. (Voir pl. II, phot. 4.)

Le Sahara est peut-être le pays du monde où l’on a à sa
disposition le vocabulaire le plus riche, pour suivre et pour
serrer de près les aspects variés du travail érosif dans un
pays d’architecture tabulaire. Le processus de l’érosion
désertique et l’absence de végétation donnent à ces accidents
une multiplicité, une raideur de pentes et une netteté de lignes
tout à fait particulières. Aussi font-ils dans le paysage une
impression d’œil disproportionnée à leur importance ; il y a là
pour le topographe une difficulté peut-être insurmontable. Comment
représenter sur une carte générale, à une échelle convenable,
un kreb d’une dizaine de mètres à peine, qui est pourtant sur
le terrain, malgré l’insignifiance de la dénivellation un trait
du modelé extrêmement remarquable ?

Tout le Sahara crétacé et dévonien, c’est-à-dire la moitié
septentrionale, est un pays de gara, de baten et de chebka. Pour
nos yeux européens, habitués à des reliefs variés et flous,
ces grands horizons sahariens monotones, aux lignes horizontales et
heurtées, sont aussi étranges que le sol ou le climat. Dans ces
paysages le dessin est aussi déconcertant que la couleur. Si on
veut s’en rendre compte qu’on regarde la carte du Mouidir-Ahnet,
par le commandant Laperrine et le lieutenant Voinot, publiée par
le _Bulletin de l’Afrique française_[9], on y trouvera dans
l’Adrar Ahnet cette mention, un peu naïve peut-être, mais qui
rend fidèlement une impression juste : _genre montagnes de France_.

L’Adrar Ahnet est un tronçon de pénéplaine calédonienne,
surélevé, et disséqué. On y voit des pitons, des crêtes, des
aiguilles, des vallées, c’est-à-dire des formes pour lesquelles
nous avons déjà des noms tout faits. Au fond ce modelé de l’Adrar
Ahnet reste très original, très désertique. Ce massif, qui a 300
mètres à peine de ressaut, est aussi nu, aussi tourmenté, aussi
sauvage que les plus hautes cimes des Alpes. Les pics sont presque
aussi inaccessibles, les moindres ascensions présentent quelque
danger et exigent des cordes. A une région, qui serait chez nous un
gracieux paysage de collines, le climat et l’érosion désertiques
ont donné un modelé de très haute montagne. Mais du moins cette
originalité n’a pas de répercussion sur le vocabulaire. (Voir
pl. XLVIII, phot. 89, pl. L et LI).


                             Hydrographie.


=L’oued.= — Le mot oued est naturalisé français. On sait qu’il
désigne une rivière de pays sec à circulation superficielle
intermittente. La nécessité d’avoir un mot spécial, pour une
catégorie de cours d’eau si particulière, a été si vivement
sentie, et ce mot est devenu d’un usage si courant que toute
explication est superflue.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. IV.

[Illustration : Cliché Laperrine

7. — OUED SAHARIEN

Marqué simplement par une traînée de touffes vertes.

A l’horizon profil de dunes.]

[Illustration : Cliché Pichon

8. — OUED TLILIA

Au second plan à droite berge de l’oued taillée par l’érosion
quaternaire dans les calcaires crétacés.

L’oued actuel est représenté par les touffes de végétation,
qui constituent un bon pâturage type.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                               PL. V.

[Illustration : Cliché Gautier

9. — SEBKHA DE TIMIMOUN

La sebkha est au second plan ; une bande uniforme d’un blanc
éclatant, à cause du sel.

Une sebkha est une cuvette fermée, où s’accumulent, faute
d’exutoire, les substances chimiques.]

[Illustration : Cliché Pichon

10. — TYPE DE MAADER (ou _daya_)

Pendant contrasté de la sebkha

C’est une cuvette alluvionnaire traversée par un courant
souterrain, qui entraîne plus loin les produits chimiques ;
en conséquence la nappe d’eau reste douce, et alimente la
végétation.]


=Sebkha et chott.= — On peut en dire autant des sebkhas et des
chotts. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de chercher une différence
de signification entre les deux expressions. Ce sont simplement deux
synonymes, le premier plus usité en Algérie et le second au Sahara.

Leurs aires respectives de distribution ne sont pourtant pas
nettement délimitées. En Algérie, et dans une même province on
dit la _sebkha_ d’Oran et le _chott_ R’arbi. Au Sahara on dit
le _chott_ Melr’ir, et la _sebkha_ de Timimoun. J’imagine que
la solution de cette petite difficulté serait dans une étude des
frontières dialectales. En tout cas s’il existe entre les deux
une nuance de sens je suis incapable de l’indiquer.

La sebkha, puisque c’est en somme l’expression saharienne (et
c’est aussi, je crois, en conséquence, la moins familière au
public français), n’a pas d’équivalent dans notre langue ; sur
nos sols bien drainés nous n’avons pas de bassin fermé. C’est
à la fois un lac et une zone d’épandage, le point terminus d’un
réseau fluvial. Les caractères généraux sont trop connus pour
qu’il y ait lieu d’insister — bords nettement délimités et
souvent par des falaises, surface unie, nette de végétation et
de sable ; fondrières et sables mouvants ; efflorescences salines
qui augmentent lorsque des orages et des inondations déterminent
un afflux de la circulation souterraine (Voir pl. V, phot. 9.)

Les termes hydrographiques, en somme, sont précisément ceux
qui se passent le mieux de toute introduction auprès du public
français. Cela est tout naturel si l’on songe que toute notre
éducation géographique, et le simple usage de nos cartes, attirent
particulièrement notre attention sur le réseau fluvial.

Les cours d’eau jouent dans la vie humaine un rôle capital
aussi bien et plus encore au Sahara qu’ailleurs, mais ils le
jouent autrement. Ce n’est plus le cours d’eau dans ses usages
immédiats qui est ici essentiel, c’est la végétation. L’oued
est par excellence un lieu de pâturages et devient ainsi le point
d’attraction unique pour le nomade ; là est concentrée toute la
vie parce que là seulement on trouve du vert.

Au point de vue alimentaire le régime hydrographique a une
onomastique spéciale dont certains termes valent une tentative
d’acclimatation.


=Maader.= — Celui de maader par exemple paraît indispensable.

Il est inconnu, il me semble, dans le nord, dans la région de
l’Atlas, où on emploie à sa place le mot daya, peut-être plus
connu du public français (daya de Tilr’emt, plateau des dayas) ;
je crois ce mot synonyme de maader à quelques nuances près.

En hydrographie désertique le maader est l’équivalent de notre
lac, aussi exactement en somme que l’oued correspond à notre
rivière. Dans le processus de disparition d’un lac, en passant par
le marécage, on aboutirait au maader : une cuvette d’alluvions,
nettement circonscrite, avec oueds affluents et _effluents_. C’est
par son effluent que le maader se diversifie de la sebkha ; au lieu
qu’un oued vienne y mourir, et l’incruster de dépôts chimiques,
le maader est traversé et vivifié par un courant souterrain. Il
est couvert de végétation ; les maaders sont parmi les plus beaux
pâturages sahariens ; ce sont des points importants, centres de vie
qu’il est impossible de laisser anonymes. (Voir pl. V, phot. 10.)

Le maader (au rebours de la sebkha qui reste unie parce qu’aride),
a toujours une tendance à se mamelonner de sable accumulé autour
des touffes, souvent il passe à la nebka, dont nous avons rattaché
la mention à l’alinéa de l’erg, mais qui ne peut pas être
passé sous silence à propos d’hydrographie. Et d’ailleurs il
y a une corrélation évidente entre les maaders et les ergs. Les
grands maaders du Mouidir, dont l’oued Bota est l’effluent,
sont partiellement recouverts d’assez grands ergs, avec lesquels
ils partagent les noms de Tegant et d’Iris. Les dunes envahissent
de même les maaders de l’oued Adrem, le maader Arak, etc.

Nous arrivons ainsi, à propos de nomenclature, à suivre les
principales étapes de la décomposition après décès du régime
hydrographique ; ce qui fut évidemment un lac ou un marais devient
un maader, puis une nebka, puis un erg ; et il est évidemment assez
méconnaissable au premier coup d’œil sous ce dernier avatar.


=Haci.= — L’eau vive, libre, directement utilisable, se présente
au Sahara sous des aspects dont la diversité a été minutieusement
notée par l’onomastique indigène.

Certains mots ont leur équivalent français. Haci par exemple
est très suffisamment traduit par notre puits, et c’est presque
dommage ; le puits saharien en effet, est bien différent du nôtre
par son rôle économique. Il jalonne les routes désertiques,
marquant le gîte d’étape, tenant lieu d’hôtellerie et de
caravansérail.

On le fait très étroit, à peine suffisant pour livrer passage à
un homme, qui y rappelle un ramoneur dans une cheminée. C’est
que malgré toutes les précautions il s’ensable, il faut le
désobstruer et presque le creuser à nouveau ; ce gros travail,
toujours à recommencer, est d’autant moindre que le diamètre est
plus petit. Dans ce pays où les habitations les plus somptueuses
sont en pisé, les margelles des puits ont le privilège d’être
grossièrement mais solidement maçonnées en pierres sèches ;
et de telle façon que les voyageurs soigneux puissent fermer
l’orifice avec des dalles, en lutant les interstices avec de la
fiente de chameau. Et si imprévoyants que soient les indigènes
ils n’y manquent pas, surtout les voyageurs isolés, ou en petites
troupes, disposant pour désobstruer le puits d’un petit nombre de
bras. Au voisinage du puits, autant que possible sur des éminences,
en des points choisis pour être visibles de loin, se dressent des
pyramides de pierre, des amers qui guident le voyageur. Il existe
des formules déprécatives aux divinités des puits, qui semblent
d’antiques oraisons païennes, mal islamisées : — celle-ci
par exemple, avec laquelle on prend congé : « bqaou ala kheir,
ehl el haci, ehl el ma — demeurez en paix, elfes du puits, elfes
de l’eau ». Tout cela fait au puits saharien une physionomie à
part, à laquelle n’est pas adéquat notre mot de puits, évocateur
d’une cour de ferme ou d’un coin de grange.

Notons encore que le puits soudanais est tout différent du puits
saharien ; dès qu’on arrive à l’Adr’ar des Ifor’ass
la différence s’accuse brusquement ; le puits soudanais a un
diamètre énorme à l’orifice même, cinq ou six mètres ; son
seul aspect prouve que le climat est changé, on ne craint plus
l’ensablement. (Voir pl. VII, phot. 13 et 14.)

Notons que le mot bir synonyme algérien de haci n’est guère
usité au Sahara.


=Aïn.= — Le mot d’aïn a ceci de particulier qu’il correspond
à deux concepts français bien distincts, celui de source naturelle
et celui de puits artésien. Tout ce qui sourd, naturellement ou
artificiellement, toute eau animée d’un mouvement ascendant
porte le nom d’aïn. Ici donc le vocabulaire français est plus
riche que l’arabe, et il n’y a pas lieu par conséquent d’avoir
recours à ce dernier ; il est impossible pourtant de ne pas insister
sur ce mot d’aïn qui revient à chaque instant sur les cartes,
comme celui de haci d’ailleurs, et qui contribue à en rendre la
lecture difficile[10].

Une source saharienne est, elle aussi, très différente de
son homonyme européen. Le mot évoque chez nous l’idée de
ruissellement, on dit le bruissement d’une source, la source
d’une rivière. La notion est étroitement unie à celle d’eau
courante, et même, par extension à celle de commencement :
on dit métaphoriquement « remonter à la source ». Dans ces
acceptions, qui sont précisément les usuelles, le mot de source
est intraduisible par celui d’aïn. Ici nous touchons du doigt
l’indépendance essentielle des deux vocabulaires vis-à-vis
l’un de l’autre. Lors même que deux termes se correspondent
assez pour être pratiquement interchangeables, cette équivalence
est apparente plutôt que réelle.

Dans un pays où le rapport entre les pluies et l’évaporation
est tel qu’il ne peut pas exister un seul cours d’eau pérenne,
une source ne coule jamais ; la source se présente sous l’aspect
d’un simple trou d’eau, une vasque, à bords assez nets,
quoiqu’on distingue d’anciens niveaux et des bavures, traces
des variations du niveau suivant les saisons et les années. Souvent
les bords et le fond même sont complantes de végétaux aquatiques
(berdi par exemple, autrement dit _typha_). Le diamètre de la flaque
est évidemment fonction du débit et de l’évaporation, l’homme
n’en a pas le contrôle ; pourtant l’aspect du trou suggère
l’idée d’un certain travail humain d’accommodation ; on a
creusé, récuré, grossièrement entretenu les talus, transformé
un suintement boueux en un bassin d’eau claire ; il y a là
un rudiment de captage. Il n’existe peut-être pas au Sahara de
source entièrement naturelle, comme chez nous ; l’homme a toujours
collaboré, si modestement que ce soit, à l’œuvre de la nature ;
il n’y a guère de sources sahariennes que captées.

Et dès lors on comprend mieux que le même mot d’aïn puisse
désigner aussi un puits artésien. En dernière analyse, un puits
artésien est une source particulièrement difficile à capter. Ceux
des oasis d’ailleurs, ceux du moins qui sont anciens et purement
indigènes, ne présentent pas extérieurement l’appareil mécanique
des nôtres ; ils ne sont ni forés à la machine ni tubés. On sait
qu’ils sont creusés et entretenus, avec des instruments primitifs,
par une corporation de plongeurs, les r’tass. Ils ont donc
extérieurement l’aspect banal d’un trou vaguement circulaire,
dont la seule particularité, mais essentielle est d’être plein
d’eau jusqu’au bord ou même à déborder. C’est exactement
l’aspect d’une source, entre les deux catégories d’aïn il
y a bien une différence de structure intérieure mais non pas de
physionomie à la surface du sol. Tel puits artésien que j’ai vu
aux environs d’Ouargla, ou bien encore celui d’Ouled Mahmoud
dans le Gourara, ressemblent exactement à des sources Touaregs,
comme Aïn Tadjemout ou Aïn Tikedembati. Des photographies seraient
interchangeables.

En somme sous le nom d’aïn les indigènes se représentent un
orifice où l’eau affleure jusqu’à déborder, par opposition
au puits, où l’eau ne se trouve qu’à une profondeur plus ou
moins grande et parfois considérable.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. VI.

[Illustration : Cliché Gautier

11. — AGUELMAN TAGUERGUERA (en aval)

dans le canyon de l’oued, dont on voit une des parois (grès
éo-dévoniens).]

[Illustration : Cliché Gautier

12. — AGUELMAN TAGUERGUERA (en amont) occupant tout le fond du
canyon (grès éo-dévoniens).]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. VII.

[Illustration : Cliché Laperrine

13. — PUITS DE TIMISSAO

Type de puits saharien à orifice étroit.]

[Illustration : Cliché Laperrine

14. — TYPE DE PUITS SOUDANAIS à large orifice ; (Adr’ar des
Ifor’ass.)]


=R’dir ou aguelman.= — On pourrait être tenté de traduire
le mot arabe r’dir, alias guelta (ou son équivalent berbère
aguelman) par le français « mare », « flaque d’eau ». Il est
remarquable pourtant qu’on ne le fait jamais ; à ce point que le
mot de r’dir est déjà presque acclimaté chez nous. Les r’dirs
sont en effet les mares qui subsistent dans le lit d’un oued, en
des points privilégiés, et pendant un temps plus ou moins long,
après l’écoulement de la crue. Et c’est dire qu’ils n’ont
pas d’équivalent exact en dehors du pays des oueds.

Par définition le r’dir n’est pas pérenne, et, en
règle générale, il est bien loin d’offrir au voyageur
les mêmes garanties qu’un puits ou une source ; à moins de
renseignements précis et récents on ne peut pas compter sur lui
avec certitude. Dans l’espèce pourtant il y a des aguelmans
pérennes (In Ziza, Taguerguera), et parmi ceux qui ne le sont
pas il en est beaucoup qui conservent de l’eau pendant plusieurs
mois. Cela signifie que ces r’dirs sont alimentés par des réserves
souterraines ; le soleil du Sahara aurait vite fait d’assécher une
flaque où l’eau ne se renouvellerait pas. D’ailleurs les plus
beaux r’dirs sont en terrain perméable, ceux de l’oued Saoura,
par exemple, dans les sables du lit ; l’aguelman Taguerguera dans
les grès dévoniens ; celui d’In Ziza dans les laves. Voilà qui
suffirait à les diversifier de nos mares, creusées au contraire
dans un sol imperméable.

Il n’y a donc pas d’opposition essentielle entre les r’dirs
et les sources ou les puits. Ce ne sont pas des citernes, il ne
saurait y avoir au désert de réserves d’eau un peu importantes
indépendamment des souterraines. Mais les r’dirs s’alimentent
à des nappes superficielles, susceptibles de s’assécher tout
à fait ou de s’appauvrir considérablement dans les périodes de
longues sécheresses. M. le capitaine Mussel en 1905 a vu l’aguelman
Taguerguera[11] presque à sec ; dans l’intervalle de deux visites
(1903-1905) l’aguelman d’In Ziza avait baissé de moitié.

Un autre caractère du r’dir, particulièrement frappant pour
l’indigène, c’est que par son aspect extérieur il ne rappelle
en rien les puits ou les sources. L’eau s’étale largement,
l’aguelman Taguerguera a une centaine de mètres de long,
et M. le capitaine Besset en décrit au Mouidir de beaucoup plus
considérables ; ce sont de petits lacs, pittoresques et mystérieux,
sans affluent ni effluent apparents. (Voir pl. VI, phot. 11 et 12.)


=Tilmas. Abankor.= — Tilmas (en berbère abankor), n’a pas
d’équivalent français. C’est le sable humide où il suffit de
creuser à la main une petite cuvette pour qu’elle se remplisse
d’eau ; un r’dir ensablé si on veut ; et l’on conçoit que le
sable protège la nappe humide à la fois contre l’évaporation et
contre la contamination, ou du moins (car il semble que les microbes
supportent mal le climat saharien), contre les impuretés.

Pour être complet il faudrait consacrer un alinéa aux foggaras,
mais il est évident que leur étude sera mieux à sa place dans le
chapitre des oasis, dont elles sont l’orgueil et la particularité
la plus caractéristique.

En somme l’eau du Sahara se présente sous forme d’affleurements,
et l’on dirait presque de filons ; plus précieuse d’ailleurs
qu’aucun minerai imaginable. L’eau superficielle, immédiatement
accessible sans travail humain, celle des tilmas, des r’dirs,
des sources, est relativement rare : un coup d’œil sur une carte
générale du désert montre l’énorme prédominance des points
d’eau qui portent le nom de _haci_. Pour boire et pour irriguer les
indigènes ont développé des qualités d’ingénieurs hydrauliciens
tout à fait disproportionnées à leur culture générale. Les
animaux eux-mêmes ont dû suivre cet exemple dans une certaine
mesure. Il en est, les domestiques, le chameau par exemple, qui
mourraient de soif si on ne les abreuvait pas, et dont l’initiative
se réduit à se rassembler autour du puits avec des mugissements
plaintifs. D’autres se passent de boire, autre chose du moins que
le suc des plantes ou la rosée (la gazelle). Les grandes antilopes
ne se trouvent que dans les régions où l’eau est à fleur du sol
(tilmas de l’erg er Raoui, aguelmans et sources du pays touareg) ;
et elles ont dû apprendre du moins à gratter le sable des tilmas. Le
chacal, grand buveur, se montre particulièrement ingénieux. Au
voisinage des puits il creuse des galeries jusqu’à l’eau, des
« travers-bancs ». J’en ai vu de semblables au puits d’Ouallen,
et les officiers de la colonne Flye Sainte-Marie en ont admiré dans
la Ménakeb.

Dans un pareil pays il est clair que l’onomastique des points
d’eau doit être particulière.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. VIII.

[Illustration : Cliché Gautier

15. — OUED ZOUSFANA

Arbuste (jujubier) juché sur un monticule.]

[Illustration : Cliché Gautier

16. — TYPE DE MEDJBED (sentier saharien) sur le reg du Touat

A l’horizon la palmeraie du Timmi, en avant de laquelle on distingue
plusieurs lignes de foggaras.]


=Medjbed.= — On se trouve couramment entraîné dans
l’exposition à donner aux routes sahariennes leur nom indigène
de _medjbed_. Les mots français de route ou de sentier seraient en
somme inadéquats. Au point de vue voirie un medjbed est un sentier
créé et entretenu par les pieds des chameaux ; il est en général
admirablement marqué au moins sur les sols de reg et de hammada ;
partout ailleurs que dans l’erg le sol saharien conserve les
empreintes avec indiscrétion, racontant à qui sait le déchiffrer,
au sujet de la dernière caravane, eût-elle passé depuis des
mois, les moindres incidents du voyage. Mais c’est un sentier
transcontinental, se prolongeant rectiligne sur des centaines et des
milliers de kilomètres ; jalonné de tas de pierres aux croisements,
suivant de point d’eau en point d’eau un itinéraire étudié
par la sagesse inconsciente des générations. Pour traduire une
expression de ce genre, « le medjbed d’In Salah à Tombouctou »,
le mot de sentier paraîtrait un peu grêle. (Voir pl. VIII,
phot. 16.)

Ce medjbed d’ailleurs, qui conduit de l’eau à l’eau, et qu’il
s’agit de ne pas perdre ou de retrouver sous peine de mort, devient
dans l’imagination du voyageur un personnage considérable ; ces
incertaines traces d’usure à la surface du sol, seuls guides et
seuls vestiges d’humanité sur d’immenses étendues, prennent une
sorte de caractère sacré ; et on ne conçoit pas la possibilité
de laisser anonyme une individualité si marquante.


=Tanezrouft.= — Le mot de Tanezrouft, semble bien être, dans
son acception vraie, autant qu’il est possible de la dégager,
un nom propre plutôt que commun, le nom d’un pays, immense,
il est vrai, et mal délimité. Les indigènes le donnent à tout
ce qui s’étend entre les pays Touaregs (Hoggar, Mouidir, Ahnet,
Açedjerad) d’une part et le Soudan de l’autre. Cette immense
région est peut-être une unité géologique ; il semble bien
en effet qu’elle soit tout entière une pénéplaine silurienne
et archéenne. Mais c’est avant tout une unité climatique, le
pays absolument dépourvu d’eau et inhabitable sur d’immenses
étendues, le pays de la peur, de la soif, des marches ininterrompues
haletantes, de vingt heures sur vingt-quatre pendant plusieurs jours,
le désert maximum qu’on traverse en tremblant.

Dans d’autres parties du Sahara des régions analogues semblent
porter des noms différents. Dans l’ouest par exemple le Djouf
semble un pendant et d’ailleurs une prolongation du Tanezrouft,
de même que le Tiniri dans l’est.

Il est donc probablement incorrect mais il est commode et il devient
usuel d’employer ce terme de Tanezrouft dans un sens général,
et de l’appliquer aux grandes étendues vides, aux déserts maxima,
qui séparent les uns des autres au Sahara les districts habités.

Et sans doute nous saisissons ici sur le fait la déformation que
nous infligeons, plus ou moins consciemment, au vocabulaire indigène
quand nous essayons de le franciser. Mais nous ne faisons pas ici une
étude philologique du vocabulaire géographique indigène. Le but
poursuivi est d’enrichir le nôtre en mettant à notre disposition
des termes nouveaux pour exprimer sans périphrase des individualités
géographiques nouvelles.

Il est remarquable cependant que nous soyons amenés à emprunter
ces termes nouveaux au vocabulaire indigène. En d’autres contrées
désertiques les géographes n’ont pas cette ressource, ou, faut-il
dire, cet embarras. A feuilleter _Le Kalahari_ du Dr Passarge
on s’étonne d’y rencontrer une nomenclature exclusivement
européenne et même improvisée par périphrases (Salzpfanne,
Sandpfanne, Pfannencrater, etc.) ; à la périphrase sandpfanne
pourtant, le Dr Passarge substitue souvent le nom hollandais
de Vley. L’Afrique du Sud tout entière semble un pays où
le vocabulaire géographique ne s’est pas enrichi de termes
populaires indigènes et où l’Européen a baptisé les formes
caractéristiques avec les ressources de ses propres langues (Kopje).

C’est évidemment que les langages multiples et enfantins de
populations nègres ne sont pas assez riches pour justifier un
emprunt. Au Sahara nous avons affaire à de vieilles races cultivées
et à une langue savante. L’explication pourtant n’est peut-être
pas suffisante. A trouver cet affreux pays, ce désert, pourvu d’une
si riche onomastique bilingue, on éprouve quelque surprise. Cet
étiquetage minutieux des formes et des individualités géographiques
atteste l’effort accumulé d’un peuple observateur, qui est
aujourd’hui bien maigrement représenté, et c’est peut-être
le legs d’un passé plus prospère. On se serait abstenu pourtant
de formuler une conclusion aussi incertaine, si elle n’était
étayée par bien d’autres observations beaucoup plus probantes,
que nous aurons à présenter dans les chapitres suivants.

D’une façon générale, par exemple, la seule existence des puits
qui jalonnent les medjbeds semble attester que le Sahara n’a pas
toujours été ce que nous le voyons. Car si ces puits n’existaient
pas, il serait impossible, dans ces effroyables solitudes, d’en
trouver l’emplacement et de les forer. Nous les devons apparemment
à des générations humaines, qui ont assisté au desséchement
progressif et l’ont combattu pied à pied, suivant dans le sol la
nappe d’eau qu’ils avaient connue en surface. Si l’on songe
aux difficultés de l’exploration, dans les déserts vides et
bruts de l’Australie, on se rend compte que l’aménagement du
Sahara pour la vie humaine est une merveille inappréciable. Elle
devient inintelligible, si nous ne la concevons pas comme le produit
d’une accommodation graduelle à une transformation péjorative
du pays. Les indigènes n’auraient pas pu inventer : il faut donc
qu’ils se soient souvenus.


[Note 2 : Foureau, _Documents scientifiques de la mission Saharienne_,
p. 1175 (Glossaire de quelques termes employés).]

[Note 3 : Le but poursuivi étant de franciser, et d’introduire dans
notre vocabulaire géographique un certain nombre de termes arabes,
il me paraît légitime et indispensable de renoncer aux pluriels
arabes, souvent si différents des singuliers qu’ils semblent un
autre mot. Il est tout à fait indifférent, par exemple, au point de
vue géographique à tout le moins, que sif fasse au pluriel siouf.]

[Note 4 : On sait que le diminutif de Feidj est Figuig, le petit col.]

[Note 5 : Bernard et Lacroix, _L’évolution du nomadisme en
Algérie_, p. 117.]

[Note 6 : Certainement utilisé à Laghouat et à Djelfa ce mot
paraît inconnu dans le Tell. Voici à son sujet une note de
M. Marçais : « le mot _nébka_, pluriel _nebkät_, collectif
_enbék_, se trouve déjà dans le poète arabe antéislamique
Tarafa. Il est dans le dictionnaire de Beaussier ».]

[Note 7 : Même sous sa forme pluriel — gour ; — on dit le
terrain des gour.]

[Note 8 : Flamand, Une mission d’exploration scientifique au
Tidikelt, _Annales de Géographie_, t. IX, 1900, p. 238.]

[Note 9 : _Bulletin du Comité de l’A. F._, supplément de septembre
1904, p. 209.]

[Note 10 : On trouvera dans le texte le mot Haci représenté par
l’abréviation H. et Aïn par A.]

[Note 11 : Suivant le dialecte, les Touaregs prononcent et
par conséquent on peut écrire indifféremment Tadjerdjera ou
Taguerguera ; de même qu’on écrit Azguer ou Azdjer.]




                              CHAPITRE II

                       =LES OUEDS ET LES DUNES=


                         I. — L’oued Messaoud.


Dans la partie orientale de notre Sahara Algérien, le réseau des
oueds quaternaires est bien et assez anciennement connu. De Duveyrier
au commandant Roudaire et à Foureau une série de voyageurs ont
dessiné sur nos cartes un ensemble cohérent et détaillé, le bassin
de l’Igargar. Encore, bien que çà et là le vent et le sable aient
effacé ou enfoui des tronçons d’oued, l’ensemble apparaît
nettement. Deux artères maîtresses l’O. Mya et l’O. Igargar
se réunissent pour aboutir dans une cuvette en partie plus basse
que le niveau de la mer, et semée de grands chotts (Melr’ir, etc.).

Cette cuvette a été l’objet d’études topographiques très
sérieuses et nous sommes certains qu’elle n’a jamais communiqué
avec la Méditerranée pourtant si proche. Le seuil de Gabès ne porte
la trace d’aucune brèche. Au plus beau moment de l’Igargar,
lorsque « les crocodiles jouaient dans ses ondes », son bassin
aurait donc été un bassin fermé, et l’on peut se croire autorisé
à conclure que le Sahara quaternaire fut plutôt une steppe qu’un
pays franchement humide. La conclusion est à retenir.

Dans la partie occidentale du désert, on pouvait admettre _a priori_
que le réseau quaternaire serait aussi profondément gravé et
aussi bien conservé. Aussi l’est-il ; et il me semble possible
d’en esquisser le dessin général.

On connaît depuis Rohlfs le tracé d’un grand oued quaternaire
occidental, l’O. Saoura ; depuis Igli, où la Saoura est constituée
par la réunion des oueds Zousfana et Guir, le lit est très net à
berges hautes et vives jusqu’à Foum el Kheneg où le fleuve s’est
creusé une gorge étroite dans les grès éodévoniens. (Voir pl. IX,
phot. 17.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. IX.

[Illustration : Cliché Gautier

17. — LE LIT DE LA SAOURA A TIMR’AR’IN (Timgharghit)

Taillé dans le mio-pliocène ; à l’horizon, très-floue, la
chaîne d’Ougarta.]

[Illustration : Cliché Galibert

18. — UNE CRUE DE LA SAOURA à Ksabi, en octobre 1904.

Huitième jour de la crue.]

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché Gautier

19. — LE LIT DE LA SAOURA A FOUM EL KHENEG

Nebka constituant le tampon de sable qui a arrêté et fait dévier
la crue photographiée en 18.]

Mais au delà les incertitudes commençaient. On savait que
l’O. Saoura se continuait sous le nom d’O. Messaoud, ce qui
est juste ; et ce changement de nom indique chez les indigènes un
sens géographique exact de l’importance de Foum el Kheneg comme
démarcation entre deux sections différentes de l’oued. Sur le
cours de l’O. Messaoud on ne savait rien : le lieutenant Niéger,
auteur d’une excellente carte du Touat, résume ainsi la question :
« La carte au 1/2000000 du dépôt de la guerre, ainsi que celle de
M. Vuillot, accusent au sud du Touat une forte sebkha dans laquelle
viendraient se déverser l’oued Saoura et l’oued Djaghit. Cette
sebkha est prolongée par un thalweg qui irait se perdre dans l’erg
au sud de Taoudéni. Les renseignements que nous avons pu recueillir
à ce sujet étant absolument contradictoires, il est impossible de
conclure. Un fait reste certain, c’est que la Saoura longe le Touat
s’épanouissant en zone d’épandage[12]. » Voilà donc un fait
curieux. Les anciennes cartes sont naturellement très mauvaises,
dressées par renseignements ; on y voit pourtant l’oued Messaoud
nettement affirmé, le dessin de son cours est très schématique,
mais ne s’écarte pas trop de la réalité. Le lieutenant Niéger,
sur son excellente carte récente ne se croit pas le droit de
porter l’O. Messaoud, et il met en doute son existence. Notons
d’ailleurs que M. Niéger, par sa connaissance de l’arabe et ses
rapports quotidiens avec les indigènes, est aussi apte qu’aucun
de ses devanciers à recueillir des renseignements indigènes, et
concluons qu’il est beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’il
y a vingt ans de se renseigner sur l’O. Messaoud. Voilà encore
une conclusion à retenir.

A la seule inspection d’une carte topographique exacte du Touat
(Niéger, Prudhomme) il semble en effet légitime de conclure que
l’O. Messaoud longe le Touat. On constate en bordure des oasis un
long chapelet de sebkhas extrêmement allongées, souvent bordées
à droite et à gauche, ou à tout le moins sur une rive par des
falaises d’érosion. Mais l’examen d’une carte géologique
modifie déjà cette conclusion. — Les palmiers du Touat longent
rigoureusement une grande faille, le long de laquelle les terrains
crétacés du Tadmaït viennent butter contre un horst ou un chapelet
de horsts primaires. C’est manifestement cet accident qui force
les eaux souterraines à réapparaître à la surface du sol. Il
est superflu de faire intervenir à titre explicatif l’action de
l’O. Messaoud. Et quelques-unes des falaises elles-mêmes pourraient
bien être tectoniques et non pas d’érosion.

En fait, nous sommes aujourd’hui fixés sur le cours de
l’O. Messaoud ; les deux itinéraires, que je publie[13] de
H. Sefiat et de H. Rezegallah, nous font connaître avec précision
des sections importantes de l’O. Messaoud, dont la continuité au
large du Touat n’est plus douteuse, quoiqu’en bien des points
il subsiste des incertitudes sur le tracé exact.

De ces deux itinéraires le plus intéressant est à coup sûr celui
de H. Rezegallah. Le long du sentier qui va de Zaouiet Reggan à
H. Rezegallah, entre les kilomètres 88 et 137 on chemine dans le
lit d’un très grand oued orienté N.-N.-E.-S.-S.-O. Le lit est
entaillé d’une dizaine de mètres dans des couches horizontales
composées tantôt d’argiles et de grès crétacés, tantôt
d’argiles et de calcaires carbonifériens. L’oued n’est
pas complètement asséché, on y trouve, parfois en abondance, la
végétation habituelle des pâturages sahariens (damran, hâd, etc.),
et un puits dont l’eau, encore qu’un peu saumâtre, reste buvable
à la rigueur, Haci Boura. Le guide Abiddin spontanément, comme aussi
les notables de Zaouiet Reggan, consultés au retour, affirment que
c’est là l’O. Messaoud, continuation de l’O. Saoura. Il est
clair d’ailleurs que ces indigènes ne se placent pas au point
de vue géologique, et ce n’est pas l’O. Messaoud quaternaire
qui les intéresse, mais simplement l’actuel ; ce qu’ils
affirment c’est que, de mémoire d’homme, certaines crues de
la Saoura ont roulé dans l’O. Messaoud jusqu’à Haci Boura. Il
s’agit de mémoire de très vieil homme ; seuls les « Kebar »,
les anciens, auraient vu couler l’O. Messaoud. Dès le début
de notre occupation, nos officiers en ont entendu parler, et le
capitaine Letord fit une pointe infructueuse dans l’ouest à la
recherche de l’O. Messaoud[14]. Pour un peu nébuleux que soient
ces vieux souvenirs indigènes, et quoiqu’ils laissent subsister
bien des imprécisions de détail, ils se trouvent confirmés par les
faits. Dans la région de H. Boura, à une centaine de kilomètres
sud-ouest du Bas-Touat, il existe bien un grand oued, dans le lit
duquel s’est conservée quelque humidité, et qui de son vivant
coulait indubitablement au sud-ouest. Sur le sens de l’écoulement,
l’examen des gorges que l’oued s’est taillées en aval d’Haci
Boura ne laisse subsister aucun doute : entre les murailles de grès
et d’argiles, sur environ 500 mètres, la dénivellation est très
forte, il y a eu là de véritables rapides.

C’est un fait d’autant plus intéressant que, dans ces grandes
plaines monotones à l’ouest du Touat, le baromètre ne donne
pas d’indications utilisables pour déterminer le sens général
de la pente. L’équilibre barométrique est très instable, le
Sahara est le pays du vent, des orages secs, brusques et violents ;
le passage d’une dépression entraîne des oscillations qui vont
facilement à une dizaine de millimètres, et qui masquent tout à
fait les oscillations faibles et graduelles déterminées par le
changement de niveau. L’existence et l’allure de l’O. Messaoud
à H. Boura est donc une indication très précieuse que la grande
plaine se draine au sud-ouest. Le chapelet des oasis du Touat ne
jalonne pas le moins du monde, comme l’on l’a cru d’abord le
fond d’une cuvette ; c’est un accident très important sans doute
au point de vue humain, comme aussi au point de vue géologique, mais
insignifiant comme dénivellation dans une grande plaine doucement
inclinée au sud-ouest.

Et que dans cette direction il ait existé très anciennement une
tendance à la dépression dans les compartiments de l’écorce
terrestre c’est ce que semblerait indiquer la composition
géologique du sol. La continuité des dépôts infra-crétacés
est simplement interrompue par des horsts primaires médiocrement
étendus, et, dans l’état actuel de nos connaissances, rien
n’empêche de croire que les grès albiens du Touat ne rejoignent,
à titre de formation à peu près synchronique, les grès analogues
du Djouf et du Soudan. L’idée que nous nous faisions de cette
partie du Sahara se trouve donc modifiée.

Si l’on peut être affirmatif sur l’existence même de
l’O. Messaoud, on ne peut pas indiquer avec précision son tracé
au sud et au nord d’Haci Boura.


=Haci Rezegallah.= — Tout d’abord, Haci Rezegallah, le point le
plus occidental de l’itinéraire est lui aussi un puits creusé
dans le lit d’un oued quaternaire. Le lit est bien marqué entre
ses falaises, et tapissé d’une maigre végétation partout
où il n’est pas ensablé. Malgré cet ensablement, qui va
fréquemment jusqu’à l’enfouissement sous des dunes puissantes,
il n’est pas douteux que ce lit, après des méandres répétés,
n’aille rejoindre celui de l’O. Messaoud, avec lequel il fait
un angle prononcé ; — mais est-ce à titre de continuation, ou
d’affluent ? En un point situé à peu près au coude formé par
la réunion des deux oueds, on se trouve au sommet d’une falaise
de calcaire carboniférien violet, pétri de fossiles clairs, à
l’assaut de laquelle des dunes montent à droite ou à gauche,
ce qui restreint malheureusement la vue d’ensemble. Cette falaise
est la continuation indubitable de celle qui borde au nord le lit de
l’O. Rezegallah, comme aussi de celle qui borde à l’ouest le lit
de l’O. Messaoud. Mais droit devant soi, au sud, on n’aperçoit
plus la contre-partie attendue, l’autre rive. En contre-bas,
très loin à perte de vue, on a sous ses pieds un paysage un peu
indistinct, brouillé par l’entre-croisement et le poudroiement
de petites dunes, mais qui semble bien être une immense plaine et
peut-être une sebkha. Tout se passe donc comme si l’O. Messaoud
et l’O. Rezegallah se rejoignaient dans une sebkha. Mais de cette
sebkha, d’ailleurs hypothétique, l’O. Rezegallah est-il un
affluent ou un effluent ? Autant de questions qui naturellement ne
peuvent pas se trancher _a priori_.

Ce qui est certain, c’est que, dans la région de H. Boura et
de H. Rezegallah, l’oued Messaoud, sinon l’actuel du moins
son prédécesseur quaternaire, n’est pas le moins du monde au
bout de sa course ; l’intensité de ses érosions l’atteste ;
il serait absurde de supposer qu’il finisse là ; il continue,
au contraire, dans une direction qui semble le conduire au Djouf
et à Taoudéni. Aussi bien nous sommes ici, à Rezegallah, sur la
route indigène de Taoudéni.


=Haci Sefiat.= — Au nord de Haci Boura, le lit de l’oued Messaoud
est barré par un sif d’erg que je n’ai pas franchi. D’autre
part, au nord du Touat, le cours de ce même oued a été
relevé soigneusement par les officiers des oasis, depuis Foum el
Kheneg jusqu’à la hauteur de Tesfaout. Son lit très net, mais
quelquefois bi et trifide, est jalonné de puits. La route directe
de Bouda à Ksabi ne s’en écarte guère. (Voir cartes Niéger et
Prudhomme.) La zone d’incertitudes sur le tracé exact du fleuve
va donc de Tesfaout à Haci Boura.

Entre ces deux points, l’itinéraire de Haci Sefiat nous fournit
pourtant un jalon. Il recoupe deux grands lits quaternaires, tous deux
orientés N.-S. Le plus oriental est un grand cirque d’érosion,
très profondément gravé (une dizaine de mètres au moins), semé
de garas, largement ouvert au sud ; il est clair qu’une rivière
puissante a été à l’œuvre ici, mais on ne reconnaît plus son
passage qu’à son travail d’érosion ; tout est desséché et
parfaitement nu. L’oued, dans le lit duquel se trouve le puits
de Sefiat, a conservé au contraire un reste de vie ; il est vrai
que l’eau du puits est saumâtre au point d’être imbuvable ;
les touffes vertes de hâd qui tapissent le lit sont si amères,
si chargées de sel, que les chameaux n’en veulent pas, quoique le
hâd passe pour leur friandise favorite. Ce n’en est pas moins la
seule trace de verdure et le seul puits qu’on rencontre depuis le
Touat. Apparemment c’est l’oued Messaoud, et on serait tenté
de croire que le grand cirque d’érosion desséché représente
un bras mort. Autour de Haci Sefiat le lit est très large et
très puissamment érodé, il ressort avec netteté malgré
l’envahissement des dunes. Il semble d’ailleurs qu’on ait
affaire à un confluent.


=Le réseau des affluents.= — Autour de l’artère principale le
réseau des affluents commence à se dessiner sur la carte.


=O. Djar’et=[15]. — Les vieilles cartes par renseignements font
de l’O. Djar’et un affluent de l’O. Messaoud, et placent
le confluent dans le Bas-Touat au voisinage de Taourirt. C’est
aujourd’hui un des oueds les mieux connus du Sahara ; les officiers
des oasis ont reporté sur la carte le réseau compliqué des oueds du
Mouidir, dont la réunion constitue l’O. Bota, qui prend plus bas
le nom d’O. Djar’et. Qu’il aille rejoindre l’O. Messaoud,
ce n’est pas douteux, mais la jonction n’a certainement pas
lieu au Touat ; cela ressort avec évidence de l’itinéraire
Taourirt-Ouallen (en compagnie du lieutenant Mussel)[16].

Il y a bien au sud, et à proximité de Taourirt, un point d’eau,
Hacian Taibin, sur le bord d’une petite sebkha, mais la seule
rivière qui y aboutisse est l’O. Chebbi, descendue du Tadmaït. Le
bassin de l’O. Chebbi reste séparé de celui du Djar’et par
une apophyse hercynienne (dj. Aberraz) et par un horst calédonien
(Bled el Mass). En arrière de cet obstacle puissant, l’O. Djar’et
s’est étalé en une immense sebkha, qui porte le nom de Mekhergan,
et qui ne se trouve encore portée sur aucune carte, mais sur laquelle
un certain nombre de détails précis ont été réunis.

La sebkha commence déjà sous le méridien d’Akabli (itinéraire
Laperrine-Villatte) ; l’itinéraire Taourirt-Ouallen la
rencontre à 80 kilomètres sud-est de Taourirt à vol d’oiseau,
précisément au pied d’une butte de calcaire récifal dévonien,
qui s’appelle Garet-ed-diab. Avec des étranglements et une
allure en chapelet, on la voit se continuer vers le sud pendant
une soixantaine de kilomètres au moins et peut-être une centaine
jusque sous le parallèle du puits de Tikeidi[17], au voisinage
duquel l’O. Meraguen venu de l’Açedjerad se perd dans une sebkha
qui semblerait un prolongement de la sebkha Mekhergan. Elle a donc
des dimensions énormes, 150 kilomètres de long peut-être, et la
plupart du temps elle s’élargit à perte de vue. C’est un trait
tout à fait essentiel de la géographie quaternaire, le réceptacle
commun de l’oued Djar’et et de toutes les rivières de l’Ahnet.

Au voisinage d’Akabli, c’est-à-dire à l’embouchure de
l’O. Djar’et, on signale des fondrières dangereuses, et l’on
peut supposer par analogie que la sebkha conserve sur quelques points
privilégiés au débouché de grands oueds quelques traces analogues
d’humidité. Mais partout ailleurs, elle est complètement morte
et desséchée, si complètement aride que l’apparition d’une
larve d’insecte y provoquait une exclamation de surprise. Elle cesse
donc d’intéresser les indigènes nécessairement utilitaires, ils
la classent simplement tanezrouft, et comprennent mal les questions
qu’on leur pose au sujet de son émissaire probable.

Le problème de l’émissaire trouverait peut-être sa solution à
Azelmati. C’est un misérable point d’eau, important toutefois,
parce que, entre Taourirt et Ouallen, il jalonne la route la plus
directe, mais la plus désolée, encore inexplorée. D’après
les renseignements indigènes qui cadrent avec ce que nous avons
aperçu de loin, ce point d’eau se trouverait dans une gorge,
ouverte vers l’ouest, et creusée dans les argiles du Dévonien
moyen, entre les garas d’Azelmati et de Chaab ; les inondations
de l’O. Meraguen parviennent jusque-là (?).

Le nom d’Azelmati s’applique aussi à une vaste étendue uniforme,
qui est peut-être une immense sebkha desséchée. Dans le numéro
de _La Géographie_ du 15 décembre 1907, M. Nieger donne les
renseignements les plus intéressants sur cette sebkha, qui serait
en somme l’épanouissement occidental de la sebkha Mekhergan. Quoi
qu’il en soit[18], le baromètre indique une différence de niveau
très sensible, entre les sebkhas d’Hacian Taibin et Mekhergan,
cette dernière serait plus basse de 5 millimètres[19]. Plus
significatives peut-être que les indications du baromètre sont
celles du terrain, l’existence d’un puissant obstacle montagneux
et celle de la grande sebkha elle-même. En somme, le bas Djar’et,
comme l’O. Messaoud, au lieu de se rapprocher du Touat, tend à
s’en éloigner vers le sud-ouest.

D’autre part, lorsque dans la traversée du Tanezrouft d’In Ziza,
on voit tous les grands oueds quaternaires, descendus du Hoggar,
O. Tiredjert, O. Takouiat, O. Tamanr’asset, prendre la direction
de l’ouest, on reste frappé de cette convergence de toutes les
rivières quaternaires vers cette cuvette médiocrement éloignée
du Djouf, aux approches de laquelle tous les voyageurs ont noté un
niveau très bas (120 à 150 m.). Il est difficile de se soustraire
à la conclusion que nous avons affaire aux différentes parties
d’un même réseau fluvial quaternaire qu’on pourrait appeler
le réseau de l’O. Messaoud.


=O. Tlilia.= — Au nord, on peut reconstituer ce réseau avec
bien plus de précision et en faisant la part bien moindre à
l’hypothèse.

Tout d’abord, nous connaissons aujourd’hui des tronçons
considérables de ce qui fut évidemment un grand affluent de gauche
descendu du Tadmaït. La carte Niéger, comme la carte Prudhomme,
portent un O. Tlilia qui draine la plus grande partie du Tadmaït,
depuis le méridien d’In Salah. (Voir pl. IV, phot. 8.) Il prend
sa source au voisinage de la grande falaise terminale du plateau, en
un point bien déterminé, où l’érosion régressive d’un petit
torrent, l’O. Aglagal, qui coule en sens inverse, a profondément
entaillé la falaise, et s’est annexé la tête de vallée de
l’O. Tlilia. (Voir pl. XLIII, phot. 81.) On le suit sans lacunes
depuis sa source jusqu’à sa sortie des plateaux calcaires, sur une
étendue de 120 kilomètres. Les cartes publiées ne donnent pas de
renseignements sur ses destinées ultérieures, mais les officiers
des oasis savent qu’il aboutit au Touat à Zaouiet Kounta.

Or, l’itinéraire de Haci Rezegallah croise et longe, à partir
de Haci Hammoudiya un grand oued affluent de l’oued Messaoud,
qui vient précisément du Bas-Touat, région d’Inzegmir. C’est
évidemment la prolongation de l’O. Tlilia, ou en tout cas d’une
artère fluviale dont l’O. Tlilia serait un élément constituant.

Voilà donc un grand affluent de l’O. Messaoud que nous suivons
depuis sa source jusqu’à son embouchure.


=Sebkha de Timimoun.= — Il ne faut pas hésiter à rattacher la
sebkha de Timimoun au système de l’O. Messaoud. La forme même
de la sebkha, son allongement très marqué, ses étranglements,
son allure en chapelet, suggèrent l’idée qu’elle a dû être
en relation avec un fleuve coulant vers le sud-ouest, et dont les
hautes falaises qui encadrent la sebkha, et les garas qui la jalonnent
attestent la puissance érosive.

Comment le chapelet de sebkhas du Gourara se reliait au chapelet de
sebkhas du Touat, c’est ce qui apparaît beaucoup plus nettement
sur la carte Niéger que sur la carte Prudhomme ; aussi bien la carte
Niéger, qui est essentiellement une marqueterie d’itinéraires, une
œuvre de plein air, composée sur place, est en général beaucoup
plus expressive du terrain réel. On y voit très bien qu’une ligne
de falaises rejoint les sebkhas de Timimoun et de Brinken. Entre
Brinken et le Bouda, on distingue deux lignes divergentes de jonction,
l’une au sud par Sba, Meraguen, jalonnée de petites falaises ;
l’autre au nord, directe de Sba au Bouda, marquée par de la
verdure, un long pâturage de nebka. Aussi bien entre le Touat et
le Gourara, il n’y a pas de démarcation naturelle, la ligne des
oasis est continue, et cela seul serait un indice. Il faut donc
admettre que l’oued quaternaire du Gourara aboutissait au Bouda,
et de là il semble bien que ce soit lui et non pas l’oued Messaoud
qui ait longé le Touat, sculptant ses falaises et ses garas, contenu
par l’obstacle des horsts hercyniens, jusqu’à sa réunion avec
l’O. Tlilia dans le voisinage de Zaouiet Kounta. Puis les deux
fleuves réunis par Inzegmir, le Sali et le grand lit relevé au
voisinage de Haci Hammoudiya allaient rejoindre l’O. Messaoud.


=Les oueds du grand Erg.= — Au nord du Gourara, le grand Erg met un
obstacle sérieux mais non pas insurmontable à la reconstitution
du réseau quaternaire. On voit assez nettement les artères
quaternaires dont la sebkha de Timimoun est le réceptacle commun,
et qui constituent l’oued du Gourara.

Le Tadmaït fournit une contribution importante, l’O. Aflissès,
profondément gravé dans les plateaux calcaires, mais dont le cours
n’a été reconnu qu’incomplètement et par tronçons. Il semble
bien que ce soit lui qui ait creusé l’immense cirque d’érosion
entre la gara bou Dhemane et la gara el Aggaia, et qui alimente encore
les palmeraies tout particulièrement denses au voisinage de Timimoun.

Comme il est naturel, c’est au nord et de l’Atlas que descendent
les oueds les plus nombreux. On en compte trois : l’O. Seggueur,
l’O. R’arbi, l’O. Namous ; leur cours supérieur est très
net, profondément encaissé dans la hammada, suivi d’ailleurs
par de vieilles routes de caravanes. Mais le cours inférieur est
enfoui sous les effroyables amas de sable du grand Erg, par surcroît
encore très mal connu. On entrevoit cependant avec une probabilité
suffisante les points de sortie au sud de l’Erg, sur la sebkha,
et quelquefois même la direction générale du cours.

Un grand oued débouche à l’extrémité orientale de la sebkha du
Gourara auprès d’el Hadj Guelman ; c’est à lui que la sebkha
de Timimoun doit ce qu’elle conserve d’humidité et de placage
quaternaire. En hiver, lorsque sont tombées les pluies lointaines
sur l’Atlas et le Tadmaït, on voit, à partir d’el Hadj Guelman,
et progressivement vers l’ouest, la surface de la sebkha changer
de couleur, se poudrer de points blancs scintillants ; c’est
le sel qui remonte, témoin d’une évaporation plus énergique
et par conséquent d’une augmentation dans la réserve profonde
d’humidité.

Cet oued qui débouche à el Hadj Guelman est apparemment le même
auquel les ksouriens du Tinerkouk doivent l’eau de leurs puits et le
Meguidden ses pâturages. C’est vraisemblablement la prolongation
de l’oued Seggueur qui, simplement tangent à l’erg sur la plus
grande partie de son cours, se suit facilement jusqu’au delà
d’el Goléa.

Le cours de l’oued Namous n’apparaît pas du tout sur les cartes
publiées, mais M. Mussel[20], sur sa carte encore inédite, en
trace de grands tronçons ; l’oued traverse le groupe des oasis
de Telmin dans sa partie orientale, entre Takhouzi et Adjir ; on le
suit au sud jusqu’à proximité de Charouin et de Haci el Hamira.

C’est l’oued R’arbi sur lequel nous sommes le moins
renseignés. Pourtant à la lisière méridionale de l’erg
l’attention est attirée par une ligne d’oasis, el Ahmar,
Guentour, Tesfaout, Charouin, et le long de cette ligne la carte
Niéger marque ce qui semble être un grand lit d’oued. Charouin à
coup sûr est sur le bord d’une gigantesque cuvette d’érosion
qui m’a semblé aller rejoindre en biais celle de la sebkha du
Gourara. Sur la route de Charouin à Ouled Rached ces deux cuvettes ne
sont plus séparées que par une ligne de garas, autant du moins que
l’envahissement du sable permet d’en juger. Il semble bien que
dans cette région deux grandes rivières, reconnaissables à leurs
érosions, aient fait leur jonction : apparemment l’O. R’arbi
et l’oued du Gourara. (Voir fig. 44, p. 226.)

Ajoutons que dans sa partie occidentale, le grand Erg a sûrement
enfoui toute une série d’affluents de l’O. Saoura, et il garde
beaucoup mieux le secret de leur réseau. La carte inédite Mussel
permet de suivre jusqu’à Haci Ouskir un gros affluent venu du
Mezarif et qui passe par Haci Mezzou. Elle révèle çà et là sous
l’erg de grands tronçons, un oued Si Ali par exemple au nord du
puits de ce nom.

Le long de la Saoura on croit deviner des embouchures ; en certains
points, de dessous l’erg on voit sourdre brusquement l’eau
nécessaire à l’alimentation des palmeraies. A Mazzer, c’est une
grosse source naturelle débouchant d’une grotte de travertin. A
Beni Abbès, l’homme est intervenu, mais avec peu de travail, et à
fleur de terre, on a fait couler de grosses séguias. L’eau afflue
avec une abondance particulière dans la R’aba (littéralement la
forêt de palmiers) ; sur une dizaine de kilomètres les ksars se
touchent, el Ouata, Ammès, Ksir el Ma, el Maja, etc. ; l’eau est
partout à fleur de sol dans toute cette section de l’oued. De
là part d’ailleurs, à travers l’erg, une route de caravanes
semée de puits ; il est clair qu’un gros affluent a dû déboucher
ici. Mais d’où vient-il ? Qu’est-ce, d’autre part, que ce
groupe d’oasis de Telmin perdu au milieu de l’erg, et au nord
duquel on voit sur la carte une constellation de puits ? On ne
fait qu’entrevoir une puissante circulation souterraine qui doit
être une image plus ou moins fidèle de l’ancienne circulation
superficielle quaternaire sur la rive gauche de la Saoura.


=L’O. Tabelbalet.= — L’O. Saoura est hémiplégique, toute sa
rive droite est à peu près morte ; de ce côté en effet l’oued
longe le pied d’un accident montagneux et la ligne de partage est
toute proche entre la Saoura et une autre grande artère quaternaire,
qu’on pourrait appeler l’O. Tabelbalet.

A vrai dire cet oued n’a pas de nom, et les indigènes ne
soupçonnent pas son existence. Il est enfoui sous l’erg er
Raoui, mais pas assez profondément pour qu’on ne le retrouve
pas. Depuis la palmeraie de Tabelbalet jusqu’à Oguilet Mohammed,
la lisière méridionale de l’erg er Raoui est jalonnée de puits,
Haci el Hamri, Tinoraj, H. er Rouzi, Haci el Maghzen, Noukhila ;
d’ailleurs le nombre de puits existants le long de cette ligne
pourrait être augmenté presque indéfiniment ; entre Tinoraj
et Tabelbalet, il suffit de creuser n’importe où, dit-on, pour
avoir de l’eau, Haci el Maghzen est, comme son nom l’indique,
un puits improvisé par les maghzen (policiers indigènes) de Beni
Abbès. Tous ces puits sont des trous d’eau à fleur de sol :
d’ailleurs on rencontre de grands troupeaux d’antilopes adax,
ce qui suppose de l’eau superficielle, d’accès facile. (Voir
pl. XXXIV, phot. 64.) Le nom de l’erg est significatif ; er
Raoui signifie humide ; le nom contraste avec celui de l’erg
Atchan, tout voisin, « l’Erg assoiffé ». Enfin au voisinage
des trois puits que j’ai vus et probablement de tous les autres,
on distingue très bien l’oued enfoui sous la dune. C’est bien
net, en particulier à Tinoraj et à H. el Hamri ; on y voit, avec
ses falaises d’érosion, ce qu’il faut appeler sans doute le
lit mineur de l’oued, puisqu’il est taillé dans des dépôts
plâtreux et dans des formations d’aspect tourbeux, qui doivent ici
évidemment, comme partout ailleurs au Sahara, représenter le lit
majeur. (Voir pl. X, 20.) A Oguilet Mohammed je n’ai pas vu le lit
mineur, mais la dune repose sur les dépôts gypseux habituels. Il
n’est pas téméraire de conclure que tous les puits jusqu’à
Tabelbalet sont creusés dans le lit de l’oued, dont nous pouvons
donc reconstituer le tracé de Tabelbalet à Oguilet Mohammed, on
peut même dire avec une probabilité suffisante jusqu’à Ouled
Saï. En somme il longe au nord-est le pied de l’arête gréseuse
éodévonienne que les indigènes appellent le kahal de Tabelbalet,
et qui sépare l’erg er Raoui de l’erg d’Iguidi.

D’où vient cet oued ? Evidemment de l’Atlas marocain, qui est
tout proche, mais qui est encore trop mal connu pour qu’on puisse
essayer de préciser.

En aval, le djebel Heirane se dresse en promontoire au confluent
de deux grands oueds quaternaires ; la hammada crétacée qui lui
sert de socle, est profondément entaillée à l’est par l’oued
Messaoud, et au sud-ouest par un oued inconnu, étalé en sebkha,
dont le lit fait avec celui de l’oued Messaoud un angle aigu. Cet
oued dont nous connaissons avec précision l’embouchure, n’est-il
pas l’oued de Tabelbalet ? La carte, qui accompagne le rapport
de tournée du capitaine Flye Sainte-Marie dans l’Iguidi[21],
est nettement favorable à cette hypothèse.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                               PL. X.

[Illustration : Cliché Gautier

20. — TIN ORAJ

L’Oued Tabelbalet enfoui sous l’erg er-Raoui.

On distingue les berges en timchent (dépôt plâtreux, d’un
blanc éclatant).]


=L’Iguidi.= — Cette même carte et ce même rapport permettent
de supposer que l’Iguidi, au moins dans sa partie orientale, et
l’erg ech Chech tout entier qui lui fait suite, rentrent dans le
bassin quaternaire de l’O. Messaoud. Un certain nombre de faits
ressortent avec évidence.

Nous savons depuis longtemps que les grands oueds du Tafilalet réunis
en un réceptacle commun qui est l’O. Daoura, vont se perdre
dans une grand sebkha[22]. Le lieutenant Niéger nous apprend[23]
le véritable nom de cette sebkha, qui est Mahzez.

D’autre part, le capitaine Flye Sainte-Marie nous donne sur
l’Iguidi des renseignements précis. Les puits de l’Iguidi sont
très inégalement répartis. La bordure nord est très pauvre : deux
points d’eau seulement, très éloignés l’un de l’autre, Mana
et Inifeg. La bordure sud au contraire est le plus beau coin de tout
l’erg ; c’est le Menakeb, « 15 puits sur 150 kilomètres », les
puits sont nettement alignés nord-ouest-sud-est ; on voit partout des
traces d’une puissante érosion, falaises, cirques et garas. Il faut
affirmer que le Menakeb est un grand oued, l’analogie est évidente
avec l’oued de Tabelbalet, à la lisière sud de l’erg er Raoui.

J’étais tenté de considérer l’oued Menakeb comme un émissaire
de la sebkha Mahzez. M. Niéger, qui a vu le terrain, est d’un
avis contraire. D’autre part, d’après une communication orale
de M. le capitaine Martin, Mahzez serait beaucoup plus près de
Tabelbalet que les cartes ne le montrent, et ce serait donc peut-être
l’O. Tabelbalet qui prolongerait l’O. Daoura (?).

Quoi qu’il en soit il y a vraisemblablement, sous l’Iguidi et à
sa bordure nord, un réseau d’artères quaternaires qui apporte
ou apportait jadis à l’O. Messaoud, non seulement les eaux de
Tafilalet, mais aussi les eaux des Eglab ; le plateau archéen
(?) granitique (?) et peut-être par endroits volcanique (?) des
Eglab, déjà traversé par Lenz, revu plus en détail par Flye
Sainte-Marie et ses officiers, apparaît d’ores et déjà avec une
certaine netteté (c’est sur la carte Flye Sainte-Marie qu’il
faut le chercher naturellement). Il a un relief assez accusé, six ou
sept cents mètres d’après M. Niéger[24] ; encerclé de dunes sur
toutes ses faces ce fut évidemment, et, dans une certaine mesure,
c’est encore un centre de dispersion hydrographique ; il domine de
deux ou trois cents mètres la plaine où serpente l’oued Messaoud,
et c’est l’épaulement occidental du bassin.


=L’O. Messaoud actuel.= — On arrive donc à reconstituer avec
précision, à quelques incertitudes près, le réseau d’un oued
Messaoud quaternaire, collecteur de toutes les eaux depuis les Eglab
et l’Atlas du Tafilalet jusqu’au Hoggar. Ce squelette de vieux
fleuve mort est d’un intérêt plus actuel qu’on n’imaginerait
au premier abord.

Dans tout le Sahara algérien, ce qui reste de vie a souvent des
relations évidentes avec le vieux réseau ; et les parties mêmes
de ce réseau qui sont aujourd’hui tout à fait mortes ne le sont
pas depuis l’époque quaternaire ; nous sommes aux oasis depuis
quelques années à peine, et dans ce court laps de temps on a déjà
recueilli des faits incontestables qui attestent la continuation
sous nos yeux de la déchéance.

Ces faits se rapportent au cours actuel de l’O. Saoura et de
l’O. Messaoud. Les crues de la Saoura, cela revient à dire les
pluies de l’Atlas arrivent à Foum el Kheneg, encore aujourd’hui :

On publie ci-contre une photographie du lit inondé de l’oued
à Ksabi ; je la dois à l’obligeance de M. le maréchal de
logis Galibert, elle a été prise au huitième jour de la crue
en octobre 1904. (Voir pl. IV, phot. 18.) L’hiver de 1906 a été
particulièrement pluvieux, et d’après le témoignage oral de M. le
capitaine Martin l’oued à Beni Abbès a coulé, au point d’être
très difficile à franchir pendant cinq mois consécutifs. Les
crues arrivent d’ailleurs très au delà de Foum el Kheneg, mais
à partir de ce point le régime change brusquement. Jusqu’à Foum
el Kheneg l’oued a un lit profond, net de sable, au fond duquel
la crue, contenue et guidée, chasse sans incertitude, sûre de sa
route. Il est probable que c’est une question de pente.

Au delà de Foum el Kheneg, la crue s’étale, hésite et tâtonne ;
d’une année à l’autre, elle ne retrouve plus son chemin. C’est
la zone d’épandage qui commence, l’oued fait patte d’oie,
delta. Qu’on jette un coup d’œil sur la carte (Niéger ou
Prudhomme) on distinguera deux paliers d’épandage. Le premier
est immédiatement à la sortie de Foum el Kheneg, l’oued se
divise en trois bras. Le plus occidental diverge définitivement
et va se perdre au loin sous le nom d’O. Seiba. Les deux plus
orientaux, après s’être séparés à Haci Zemla, finissent par se
rejoindre en amont d’Haci Zouari ; au delà la pente s’accentue,
et le lit de l’oued retrouve pour un temps son encaissement net,
et son unité. Il les perd entre le Bouda et le djebel Heirane,
où il s’étale en un dédale de grandes îles et de faux bras
en éventail.

Vaille que vaille, malgré les vagabondages et les déperditions,
la crue, il y a une douzaine d’années, est encore arrivée au
Touat. Niéger note que, à Tesfaout, l’eau a déraciné quelques
palmiers et abattu quelques maisons. Or, voici que la crue de 1904,
celle qui a été photographiée à Ksabi n’a pas pu dépasser le
palier d’épandage de Foum el Kheneg, au delà de la gorge un tampon
de sable lui a barré le chemin et l’a rejetée au nord-ouest,
dans la direction de la sebkha el Melah, c’est-à-dire dans une
voie toute nouvelle que la Saoura n’avait jamais prise. Rien de plus
naturel ; j’ai vu, en 1903, le lit de l’oued à la sortie de Foum
el Kheneg ; ce n’était déjà plus un lit, les berges étaient
indiscernables, c’était une plaine mamelonnée de sable où le
tracé de la rivière ne se reconnaissait qu’à la verdure espacée
du pâturage. (Voir pl. IX, phot. 19.) Quelques grains de sable de
plus ont suffi pour déterminer un changement qui, s’il eût été
durable, aurait été de grande conséquence. L’O. Messaoud serait
mort sur une étendue de 150 kilomètres ; les pâturages et les
puits se seraient asséchés, et une route jusqu’ici fréquentée
serait devenue impraticable.

Si je suis bien informé, la crue de 1906, puissamment aidée par
les efforts des indigènes et de l’administration, a triomphé de
l’obstacle, le danger est écarté, provisoirement du moins.

Mais nous saisissons sur le fait le processus de l’asséchement le
long des oueds sahariens ; il est purement mécanique, et tout à fait
indépendant d’un changement quelconque dans le climat général.

Depuis l’établissement du climat désertique, le sable soutient
une lutte acharnée et heureuse contre l’oued, où roulent les
grandes crues intermittentes, venues des montagnes lointaines. Il y
a des points stratégiques, des points faibles, où se livrent les
batailles décisives ; ce sont les paliers de rupture de pente, où la
chasse d’eau n’est plus assez forte pour lutter victorieusement ;
l’amoncellement du sable y crée des zones d’épandage où la
crue s’étale, s’éparpille et s’arrête. Toute la portion
aval du fleuve est ainsi condamnée à mort.

Nous sommes désormais en état de mieux comprendre l’état dans
lequel se trouve aujourd’hui le bas O. Messaoud, et de mettre au
point les souvenirs à demi légendaires que les Touatiens se sont
transmis sur son passé immédiat.


=L’O. Messaoud historique.= — La région de Haci Boura et de Haci
Rezegallah, c’est-à-dire l’oued Messaoud au large du Bas-Touat,
est tout à fait étrange. La vie semble s’y être arrêtée hier,
un palais de la Belle au Bois dormant. Tout le pays est couvert de
traces humaines, de celles naturellement qu’on peut attendre au
désert ; les puits sont très soignés, avec de superbes margelles
en grandes dalles, bien supérieures à la moyenne comme aspect
extérieur ; ces puits de luxe contiennent de l’eau saumâtre,
et on n’échappe pas au soupçon que la qualité de l’eau
a dû jadis justifier mieux qu’aujourd’hui tous ces frais
d’architecture. Les redjems, ces gros tas de pierre, indicateurs du
chemin, sont très nombreux, il n’y a guère de sentier saharien
mieux jalonné ; mais le sentier lui-même a disparu ; les medjbeds
pourtant, ces sentiers sahariens gravés par le pied des chameaux,
sont incroyablement tenaces ; on les retrouve très nets, au moins
par places, dans des régions où les guides expérimentés,
grands connaisseurs de traces, affirment qu’il n’a passé
personne depuis un an (voir là-dessus en particulier le rapport
de tournée du capitaine Flye, _passim_) ; sur le sol du Sahara,
partout ailleurs que sur les dunes naturellement, les traces qui
jouent un si grand rôle dans la vie des indigènes, sont beaucoup
plus tenaces qu’en nos pays ; ici la moindre égratignure du
sol est durable ; la marque d’un pied de chameau trahit encore
après des mois le passage de la dernière caravane ; c’est que
le vent, seul agent d’érosion, est impuissant à l’effacer,
et même s’il saupoudre de sable le léger dessin en creux, il ne
le fait que mieux ressortir. Aussi est-on frappé de ne plus voir,
entre Haci Boura et Haci Rezegallah la moindre trace de medjbed.

En revanche, beaucoup de tombeaux musulmans groupés en petits
cimetières ; mais c’est la seule trace de leur séjour qu’aient
laissée les campements de nomades. Et il a dû y avoir ici, en effet,
de superbes pâturages, représentés aujourd’hui par des étendues
de tiges sèches ; là où il subsiste des plantes vertes, elles
sont salées et les chameaux y touchent à peine. On est frappé de
l’absence de tout gibier ; le seul mammifère dont nous ayons vu
les traces est un fennec, petit animal qui se nourrit d’insectes
et de lézards[25].

En somme la région fut, à une époque médiocrement éloignée,
un centre important de vie nomade. C’est ici, disent les
indigènes que paissaient les troupeaux du Sali ; car ce pays,
qui, hier encore, était utilisable, a des propriétaires, il est
rattaché à une portion spéciale du Touat, le groupe du Sali. Rien
de plus naturel puisque l’O. Tlilia prolongé joint le Sali à
l’O. Messaoud. Pourtant à quel point le Sali dans ces dernières
années s’est désintéressé de ses vieux droits, c’est ce que
semble prouver la difficulté avec laquelle on recueille aujourd’hui
des renseignements indigènes sur l’O. Messaoud ; on ne trouve
même pas de guides au Touat, le nôtre était un Jakanti de Tindouf
(Jakanti est beaucoup plus connu sous sa forme au pluriel, Tadjakant).

Ces difficultés ont été exagérées encore par le mutisme voulu de
nos indigènes fraîchement soumis, qui craignent en nous renseignant
d’attirer sur eux des représailles. Mais à quel point la pénurie
de guides est réelle, c’est ce que montre en détail le rapport
de « tournée à Taoudeni » du lieutenant-colonel Laperrine[26],
et il en explique les causes. Naturellement les ksouriens du Sali,
agriculteurs sédentaires, n’ont jamais gardé leurs troupeaux
eux-mêmes ; le mot de sédentaire au Sahara a un sens terriblement
absolu : avant notre arrivée, qui a bouleversé tant de choses, et en
particulier les conditions des voyages, le ksourien ne pouvait guère
s’éloigner de sa seule protection, les murailles du ksar ; et le
court rayon de ses pérégrinations ne le conduisait guère au delà
des derniers palmiers. Les troupeaux de Sali dans l’O. Messaoud
étaient donc gardés par des nomades.

De ces nomades nous connaissons assez exactement le nom, l’origine
et la fin. Les nomades propres du Touat étaient les Ouled Moulad
et les Arib. Le nom des premiers se trouve sur les anciennes cartes,
celles de Vuillot, par exemple. Ils avaient leurs affinités avec le
Tafilalet, les Beraber et plus spécialement peut-être, la tribu des
Beni Mohammed. Ils parlaient arabe, leurs pâturages étaient dans
l’Iguidi et l’erg ech Chech ; leur zone d’influence s’est
parfois étendue jusqu’à Ouallen, où ils ont quelque temps
coupé la route de Tombouctou. C’était en somme l’avant-garde
marocaine contre les Touaregs, avec lesquels une dernière rencontre
a mal tourné pour les Ouled Moulad. Il y a une vingtaine d’années
la tribu tout entière fut surprise au Menakeb et massacrée par un
rezzou de Taitoq.

Les Arib d’autre part ont quitté le pays et ont émigré en masse
vers l’oued Draa.

Des incidents comme l’anéantissement des Ouled Moulad ne sont pas
rares au Sahara, et ce qui est curieux c’est que la tribu ne se
soit pas reconstituée. Les pertes subies étaient insignifiantes
pour cette puissante réserve de bandits entraînés qu’est le
Maroc méridional ; après comme avant l’incident, les Beraber
sont restés les maîtres au Touat ; c’est nous qui les en avons
péniblement arrachés. Il semble donc que les Ouled Moulad et les
Arib aient été chassés de leurs pâturages beaucoup moins par
les Touaregs que par les progrès de la sécheresse.

Il n’est donc pas douteux que l’O. Messaoud, entre Haci Boura et
Haci Rezegallah n’ait été récemment soustrait à l’exploitation
humaine, et d’ailleurs les indigènes nous affirment qu’il a
coulé pour la dernière fois il y a une cinquantaine d’années.

A les en croire, les progrès de la sécheresse se laisseraient
suivre bien plus loin dans le passé, ils auraient été effrayants
dans une période historique relativement brève. Au Touat et chez
les Tadjakant, on conserve le souvenir d’une époque où des
ânes de Sali, chargés de dattes, ravitaillaient Taoudéni. Ceci
se passait, nous dit-on, « au temps des Barmata » ; et cette
indication chronologique manque sans doute de précision.

On verra pourtant, au chapitre du Touat, que les Barmata ne sont
nullement des personnages de légende, et leur temps correspond à
peu près aux XIIe, XIIIe, XIVe siècles.

Il faudrait donc admettre que, il y a quelques siècles,
l’O. Messaoud aurait conservé jusqu’à Taoudéni assez de
verdure et d’humidité pour que des ânes aient pu suivre son
lit. Les renseignements indigènes sont en tout cas positifs,
circonstanciés et même vaguement datés.

D’autre part la tournée récente de M. le lieutenant-colonel
Laperrine nous apporte des renseignements précieux sur la route
de Taoudéni. Il y en a deux, ou du moins la route de Taoudéni
aboutit au Touat par deux embranchements distincts, l’un,
par Haci Rezegallah, au Bas-Touat, l’autre par Haci Sefiat à
Tesfaout ; c’est cette dernière route qui a été suivie par M. le
lieutenant-colonel Laperrine. Le détachement a souffert horriblement.

Voici par exemple la description d’une étape[27] : « Les
assoiffés et les malades, qui avaient bu de l’eau salpêtrée
s’étaient mis complètement nus sur leurs méhara ; pris de
délire certains refusaient d’avancer et se laissaient tomber de
leurs montures, disant qu’ils préféraient mourir sur place,
etc. » Souffrances et dangers pourtant ne doivent pas être mis
exclusivement au compte de la route : elle a été abordée dans de
très mauvaises conditions ; chameaux épuisés d’avance, tonnelets
et outres percés, puits comblés et longs à désobstruer, une foule
d’obstacles supplémentaires ont failli rendre fatal un voyage qui,
en d’autres circonstances, n’eût certainement pas excédé
les forces de méharistes entraînés. Le détachement Laperrine
entre Taoudéni et Tesfaout a rencontré six puits entre lesquels la
distance maximum sans eau est d’environ 150 kilomètres. Il est vrai
que l’un d’eux, Tni Haïa, n’a que de l’eau imbuvable et même
vénéneuse, de sorte que, entre el Biar et Bir Deheb il faut franchir
250 kilomètres sans point d’eau utilisable ; mais c’est encore
très faisable avec des animaux en bon état. M. le lieutenant-colonel
Laperrine croit d’ailleurs possible de retrouver et de remettre en
état d’autres vieux puits oubliés, il signale un certain nombre de
bons pâturages. La route se maintient tout entière à l’intérieur
de l’erg ; et elle longe l’énorme massif archéen (?) des Eglab,
qui doit à son altitude relativement considérable, et surtout à
sa proximité de l’Océan une certaine quantité de pluies, ainsi
que l’a constaté la reconnaissance Flye Sainte-Marie. Ce sont
ces pluies évidemment qui alimentent les puits et les pâturages de
l’erg ; elles sont canalisées et entraînées par le vieux réseau
quaternaire. Ould Brini el Bir Deheb en particulier sont en relation
avec des oueds orientés ouest-est[28]. Nous sommes ici apparemment
dans le réseau des affluents de rive droite de l’oued Messaoud.

Cette vieille route complètement abandonnée pourra donc se rouvrir ;
même revivifiée pourtant, et entretenue administrativement, elle
restera assez dure ; assurément fermée aux ânes chargés de dattes
qui seraient pourtant, aujourd’hui comme autrefois, les bienvenus à
Taoudéni. En faisant la part aussi large qu’on voudra aux mirages
du passé dans la mémoire indigène il reste qu’une grande route
de commerce a été complètement désertée, apparemment parce que
son aridité croissante la rendait plus difficilement praticable.

Au Touat même, un asséchement très marqué du pays est à la fois
affirmé par les indigènes, et rendu vraisemblable par l’étude
du terrain.

On verra au chapitre du Touat que les Barmata (?) y ont laissé de
nombreuses ruines en pierres sèches très différentes des villages
modernes en pisé.

Les ksars Barmata sont alignés comme leurs successeurs le long
de la grande faille du Touat, jalonnée de sebkhas. Mais ils sont
invariablement, par rapport aux ksars actuels, en retrait vers
l’est de plusieurs kilomètres et en amont de plusieurs dizaines de
mètres. Ils sont construits sur la falaise crétacée, tandis que les
autres sont en contre-bas, tantôt sur la petite falaise pliocène
(Zaouiet Kounta, Touat el Henné) ; tantôt tout à fait dans la
plaine au milieu des sables (Sali, Reggan). Il n’a pas encore
été fait d’étude détaillée des vieux ksars, précisément
parce qu’ils sont trop à part, si éloignés de la route que
beaucoup d’entre eux ne s’aperçoivent même pas. L’un d’eux,
el Euzzi, à la hauteur de Zaouiet Kounta, est aujourd’hui à 4
bons kilomètres de la ligne des palmiers.

Cela suggère que le niveau des sources a baissé.

J’ai vu auprès d’el Euzzi, au pied même de la butte, une séguia
desséchée, c’est-à-dire un canal à ciel ouvert, alors que, à
Zaouiet Kounta, les foggaras vont capter l’eau à des profondeurs
de 20 mètres.

On a peine à croire que des agriculteurs sahariens aient placé
leurs villages à plusieurs kilomètres de l’eau et des cultures.

Il est vrai que les Barmata à en juger par leur histoire un peu
vague, et par l’architecture même de leur ksars étaient moins
préoccupés d’agriculture, que de domination militaire et de
commerce ; c’étaient peut-être des nomades et leurs villages
des magasins-forteresses. Il faudrait examiner de près leurs vieux
puits et leurs vieux canaux : pourtant, sous réserve d’études
ultérieures, on a une première impression très forte que le pays
s’est desséché.

On a d’ailleurs sur ce sujet les affirmations des indigènes.

M. Vattin en a recueilli d’étranges, mais qui pourtant ne sont
pas absurdes. « Les gens de Tiouririn et d’Adrar (district de
Zaouiet Kounta) expliquent que si les ksars d’Ikis, Temassekh et
Mekid sont bâtis sur une colline, c’est parce qu’à l’époque
des Juifs le pays était couvert par les eaux. » Ce sont là, _nota
bene_, des ksars modernes en pisé, encore habités et vivants,
et l’aspect du pays est loin de contredire les affirmations des
indigènes ; il y a là, aux environs de Temassekh, comme le montre
un coup d’œil sur la carte, un lit d’oued extrêmement large,
profondément taillé dans des terrains tout récents, pliocènes ou
post-pliocènes, et l’oued par conséquent est encore plus récent
qu’eux. Nous avons considéré cet oued comme la prolongation de
celui du Gourara ; mais il est clair que son lit a pu être utilisé
par un bras de l’O. Messaoud, les communications sont largement
ouvertes par Tesfaout. Le lit est aujourd’hui couvert de dépôts
alluvionnaires et sableux, où se maintient un pâturage assez
vert, et où l’on trouve en abondance des _Cardium edule_. Il
est vrai que ces coquilles peuvent provenir de la désagrégation
des couches pliocènes qui sont fossilifères. « Il paraît,
dit encore Wattin, que, au sud-ouest de Tamentit, le pays était
autrefois couvert par les eaux. » Au sud-ouest de Tamentit se trouve
précisément la grande zone d’épandage de l’oued Messaoud,
et en particulier l’oasis de Tesfaout où la dernière crue, il y
a une quinzaine d’années, a fait notoirement des ravages. Rien
de tout cela n’est invraisemblable. Voici, il est vrai, qui est
plus fort. « Une légende très curieuse, conservée dans le Touat,
rapporte que presque tous les ksars communiquaient entre eux par
eau. Un indigène de Tamentit, le nommé M’hamed Salah ould Didi,
raconte que le nommé Elhadj M’barek ould Didi Moussa, des Oulad
Ahmed, district du Timmi, lui avait affirmé avoir lu une lettre
qu’un commerçant rentrant de voyage écrivait à ses parents à
Inzegmir, pour les prévenir que les « barques de Tamentit étaient
parties pour Timadanin et n’étaient pas encore revenues ». Il
faudrait une terrible crue pour rendre navigables les sebkhas du Touat
du Timmi au Reggan ; et on hésite à admettre sans supplément de
preuves l’existence d’une flottille à Tamentit. M. Martin,
interprète militaire, a eu communication d’un texte arabe
d’après lequel des émigrants, arrivant au Touat en l’an
4624 de la création du monde se seraient établis sur les bords
d’un grand oued qui coulait régulièrement. Ceci nous mettrait
d’après la chronologie juive usuelle à l’an 863 de notre
ère. Et d’ailleurs, il n’est pas surprenant qu’une date en
chronologie hébraïque se soit maintenue dans un pays comme le Touat,
qui a un passé juif incontestable. Mentionnons enfin la bizarrerie de
ces noms triomphants, oued Messaoud « la rivière heureuse » ; haci
Rezegallah, le « cadeau de Dieu », si peu justifiés aujourd’hui
et qui semblent l’écho d’un passé brillant. Reste à savoir
quel degré de confiance il faut attribuer à ces vieux souvenirs.

Les indigènes arabisants ont une imagination redoutable,
une facilité fâcheuse à se créer des souvenirs faux et
précis. Dans leurs pays d’ailleurs dépouillé de toute
végétation, nu, écorché et disséqué comme une préparation
de laboratoire, l’histoire de la terre se déchiffre plus
aisément qu’ailleurs. On voit partout de grands oueds morts et
des lacs desséchés ; de là à se les représenter hier encore
remplis d’eau vive il n’y a qu’un pas, et l’indigène peut
l’avoir franchi de lui-même aussi aisément que l’explorateur
européen. Pourtant la réunion des affirmations indigènes et des
faits observés forme un faisceau d’arguments, auquel il serait
facile encore d’ajouter quelques faits nouveaux.

Les foggaras[29] du Bouda, du Timmi et de Tamentit grouillent
de barbeaux. On n’en trouve pas plus au sud, au Reggan
en particulier. Il faut bien admettre que ces barbeaux du
Timmi témoignent de l’ancienne existence d’eau libre et
courante dans le Haut-Touat. Il est vrai que ce sont des bêtes
étonnamment migratrices et résistantes. A notre arrivée à Beni
Abbès, les r’dirs de l’oued étaient très poissonneux ;
en bons civilisés et conformément à toutes nos traditions
d’exploitation destructive, nous les avons péchés jusqu’à
disparition totale. Le mal pourtant n’a pas été sans remède ;
on a reconnu expérimentalement que chaque nouvelle crue renouvelle
le stock de barbeaux. On voit d’ailleurs très bien d’où ils
viennent ; les r’dirs profonds de Colomb-Béchar par exemple sont
un vivier naturel, où on fait des pêches miraculeuses avec une
épingle recourbée. Il en existe bien d’autres, à coup sûr,
dans le haut du Guir. Entraînées par la crue, ces petites bêtes
franchissent étourdiment d’énormes distances et échouent où
elles peuvent. Pour peupler les foggaras du Haut-Touat, il a donc pu
suffire de quelques alevins apportés par le hasard d’une crue ;
une fois qu’ils eurent pullulé dans le dédale des galeries
souterraines de captage, on conçoit très bien qu’ils s’y soient
maintenus. Pourtant, s’ils venaient à disparaître aujourd’hui,
on a peine à croire qu’ils trouveraient des successeurs.

La seule existence des foggaras me paraît un argument en faveur
de l’asséchement graduel du pays. Au Touat seul ces galeries
souterraines, parfois très profondes, auraient, d’après Niéger,
au moins 2000 kilomètres de développement ; un métropolitain de
grande capitale européenne est à peine plus compliqué. Notre
industrie européenne conçoit et exécute de pareils travaux en
quelques années, mais non pas la pauvre industrie des ksouriens,
outillés d’une pioche et d’un couffin. Les foggaras ne peuvent
pas être nées d’un plan préconçu, elles sont l’aboutissement
de tâtonnements progressifs à travers les siècles. Les premières
devaient être beaucoup plus courtes, et pourtant suffisantes,
mais de génération en génération, il a fallu chercher l’eau
raréfiée à une distance et à une profondeur croissante sous le
sol. Cette hypothèse, en tout cas, me paraît la seule qui rende
compte de la disproportion entre l’énormité de l’œuvre et
les ressources de ceux qui l’ont exécutée.

Il faut surtout relever que l’existence de véritables rivières au
Touat, à une époque rapprochée de nous, est très loin d’être
inexplicable, elle est même scientifiquement vraisemblable,
d’après le peu que nous savons sur l’énorme masse de sable
qui, d’el Goléa à Tindouf, a progressivement barré aux eaux de
l’Atlas les chemins du sud.


                          II. — =Les Dunes.=


Lorsque, dans nos climats, nous trouvons les dunes localisées au
voisinage de la mer, nous admettons sans difficulté qu’elles ont
été édifiées en collaboration par la mer et le vent, l’une
fournissant les matériaux et l’autre la mise en œuvre. On ne
s’est jamais demandé, je crois, si les dunes désertiques ne
présupposeraient pas, elles aussi, une collaboration analogue de
deux érosions, fluviale et éolienne. D’ailleurs, pour expliquer
ces énormes amas croulants, qui donnent à première rencontre
une impression d’instabilité et de fluidité, la tendance,
si naturelle, à s’exagérer le rôle du vent a déjà conduit
des géographes éminents à des conclusions qui ont dû être
abandonnées. On s’est représenté l’armée des dunes progressant
lentement, mais sûrement, d’est en ouest, à travers tout le
continent du Nil à l’Atlantique, sous la poussée d’un alizé
hypothétique[30]. Il a fallu reconnaître, depuis les études de
M. Rolland, que les dunes sont stables, au moins dans leurs contours
généraux, et dans les courtes limites de temps d’une mémoire
humaine. Les vieux guides indigènes retrouvent l’erg tel qu’ils
l’ont toujours connu depuis leur enfance, avec ses mêmes sommets,
ses mêmes cols, ses mêmes détails caractéristiques, auxquels
traditionnellement on reconnaît le chemin. L’alluvion éolienne,
à coup sûr, a une action puissante à la longue sur le modelé,
mais pas plus rapide, semble-t-il, que l’alluvion fluviale dont les
effets sont parfois instantanés dans le détail, mais ne sont pas
immédiatement sensibles dans l’ensemble. Pour les dunes, comme
pour les vallées d’érosion, il y a un profil d’équilibre,
un point au delà duquel les modifications deviennent insensibles.

On peut aller plus loin. Je ne sache pas qu’il existe d’études
détaillées nombreuses sur la composition des sables désertiques ;
et je ne suis malheureusement pas en état de combler cette
lacune ; mais un petit nombre de gros faits, qui sautent aux yeux,
empêchent de souscrire à cette phrase de M. de Lapparent : « la
vraie dune [saharienne] est caractérisée par l’uniformité de sa
composition[31] ». L’affirmation est de G. Rolland, et s’applique
par conséquent aux grands ergs algériens, plus particulièrement
à l’erg oriental. Dans ces limites elle est très intéressante,
mais on ne peut pas l’étendre à l’ensemble du Sahara. Dès
qu’on dépasse In Ziza vers le sud et qu’on entre par conséquent
dans la zone nigérienne, on constate un changement dans la nature
du sable, il devient poisseux et salissant, il colle à la peau ;
c’est une surprise physiquement désagréable pour qui vient du
nord où il n’est pas nécessaire d’être musulman pour trouver
efficaces les ablutions au sable. La moindre analyse chimique serait
plus convaincante qu’une impression de peau : du moins celle-ci
n’est-elle pas personnelle, tous les Européens l’éprouvent ;
le sable du Tanezrouft semble mélangé d’argile, il participe de
la nature du sol, où, à côté des quartzites, les micaschistes,
chloritoschites et autres argiles métamorphisées tiennent une
grande place en superficie. Notons cependant, que dans ce Tanezrouft
méridional nous avons vu des brumes sèches prodigieusement opaques,
qui laissent un dépôt argileux très net, et qui viennent de
l’Adr’ar des Ifor’ass, où elles sont en relation avec les
tornades. La présence dans le sable d’éléments argileux pourrait
donc avoir une cause climatique et non géologique. Il est facile
d’ailleurs d’invoquer d’autres faits plus probants. A propos
de l’Iguidi, le lieutenant Mussel écrit : « le sable des dunes
contient une quantité infinie de petits grains noirs dus à la
décomposition des schistes[32] ». Et tout près de l’Iguidi,
à la lisière occidentale de l’erg er Raoui, à Tinoraj par
exemple, j’ai vu en effet le sable des dunes mélangé sur toute
son épaisseur de petites paillettes noires, en telle abondance
que la coloration générale s’en trouve nettement assombrie. Si
nous sommes ici déjà en dehors de la zone schisteuse, du moins en
sommes-nous tout près. D’après M. Chudeau, à une cinquantaine
de kilomètres à l’ouest d’Agadès, il existe une roche
siliceuse rouge violacée ; toutes les dunes qu’elle supporte
ont la même teinte. Le sable pur, aux grains « exclusivement
quartzeux, individuellement hyalins ou légèrement colorés en
jaune rougeâtre par des traces d’oxyde de fer, et qui prennent
en masse une teinte-d’or mat », ce sable classique étudié par
G. Rolland ne se trouve qu’à l’est de la Saoura, dans la zone
où les grès dévoniens et crétacés jouent un rôle prépondérant.

Nous sommes donc amenés à conclure qu’il y a un lien entre la
géologie du sol et la composition des dunes qui le couvrent. Les
dunes sont beaucoup plus locales, beaucoup plus en place qu’on ne
l’imaginait. Le sirocco a beau être un puissant agent de transport,
de triage et de classage, il n’a cependant pas déplacé beaucoup
les matériaux qu’il a remaniés et entassés.

Allons plus loin. On a dégagé quelques-unes des lois qui président
à la formation des dunes. On sait qu’une dune se forme toujours
autour d’un obstacle naturel, dont la résistance matérielle au
vent force le sable à se déposer. Toutes les dunes ont en profondeur
un squelette rocheux ou terreux, apparent ou non. En bien des points
du Sahara, à In Salah par exemple, il suffit d’élever un mur
pour le retrouver enfoui sous le sable l’année suivante. La lutte
acharnée que tant de ksars livrent au sable envahisseur, et qui a
fourni des arguments à la théorie des dunes en marche, n’a pas
d’autre cause. En bâtissant le ksar, ses maisons et les murettes
de ses jardins, l’homme a créé la dune contre laquelle il lui
faut défendre ses cultures, et qui est d’autant plus redoutable
qu’elle est nouvelle et que le profil d’équilibre est plus loin
d’être atteint.

On sait aussi que ces longs couloirs nets de sable, qui s’étirent
à travers les ergs et qu’on appelle, suivant les lieux, _gassi_
ou _feidj_, trahissent un certain parallélisme qui ne peut pas
être fortuit. Cela ressort nettement sur les cartes de l’erg
oriental, dressées d’après F. Foureau, et sur les cartes des
ergs occidentaux, Iguidi compris, dressées par les officiers des
oasis (cartes Niéger, Prudhomme, itinéraire Flye Sainte-Marie). Le
parallélisme n’existe pas seulement entre gassis voisins : d’un
bout à l’autre de la zone des grandes dunes, sur les bords de
l’Igargar comme dans l’Iguidi, la direction des feidjs est à peu
près la même, oscillant entre nord-sud et nord-ouest-sud-est. D’un
fait aussi général il faut une explication générale, et le vent
seul peut la fournir, on l’a dit depuis longtemps[33]. Il n’est
pas douteux que nous ayons là un enregistrement mécanique de
la direction du vent dominant qui est le vent d’est. Mais cette
explication, pour exacte qu’elle soit, n’est pas suffisante,
car elle ne rend pas compte de tous les faits observés.

Il est incontestable qu’il y a un rapport étroit entre la direction
des feidjs comme aussi des contours extérieurs de l’erg d’une
part, et celle des oueds quaternaires d’autre part. Qu’on prenne
la carte de l’Algérie à 1 : 800000, feuille 6. Il saute aux
yeux que les gassis du Grand Erg sont la prolongation rectiligne
des oueds descendus du Hoggar. Le plus important de tous les gassis,
le gassi Touil, correspond, comme il sied, à l’O. Igargar.

L’erg de Timimoun tout entier est encadré sur trois faces par
trois grands oueds, Seggueur à l’est, Meguiden et sebkha du
Gourara au sud, O. Saoura à l’ouest. Sur beaucoup de points,
presque partout à ma connaissance, le long de la Saoura tout
entière, sur les bords de la sebkha du Gourara, l’encadrement est
rigoureusement exact. La dune vient mourir sur la rive. L’erg
er Raoui est limité à l’ouest sur toute son étendue par
l’O. Tabelbalet. De l’Iguidi à peine entrevu nous savons du
moins avec certitude qu’il est limité à l’ouest sur 150 km. par
l’O. Menakeb. Tout le long de l’O. Messaoud, de Foum el Kheneg
à Rezegallah, le lit de l’oued principal, ses faux bras, les lits
de ses affluents sont régulièrement longés de minces cordons de
dunes, avant-coureurs de l’erg ech Chech, qui s’étirent pendant
des dizaines de kilomètres, collés aux rives occidentales.

En somme, presque toutes les lignes topographiques de l’erg,
contours extérieurs, tracé des gassis, coïncident avec des
tronçons du réseau quaternaire sous-jacent. Rien de plus naturel,
la dune, on le sait, se modèle nécessairement sur le relief,
qui est lui-même l’œuvre de l’érosion ; il faut donc bien
que la topographie de l’erg laisse transparaître l’érosion
quaternaire ; de par les lois mécaniques de leur formation, les
dunes devaient s’enraciner sur les lignes de falaises, d’autant
que la plupart des oueds coulent nord-sud, normalement à la direction
du vent dominant.

Voici un autre fait connexe. On sait depuis longtemps que les ergs
ne sont pas au désert les régions les plus désolées, ils ont
de beaux points d’eau et de beaux pâturages, mais c’est un
fait dont on donne généralement une explication incomplète. On se
borne à invoquer la perméabilité des dunes qui en fait de précieux
réservoirs d’humidité ; la plus belle dune du monde ne peut rendre
plus qu’elle n’a reçu, et les pluies locales au Sahara sont
trop rares pour alimenter un point d’eau sérieux ; sur un point
déterminé, il peut s’écouler dix ans d’un orage à l’autre ;
les nappes pérennes sont nécessairement alimentées par le drainage
souterrain d’énormes superficies. Il est _a priori_ vraisemblable
que les puits et les sources, dans l’erg comme partout ailleurs,
sont en relation avec la circulation souterraine, à laquelle il va
sans dire que les dunes apportent une contribution très précieuse.

_A posteriori_ presque toujours, dans l’erg, la nappe est dans
le sol et non pas dans le sable ; presque toujours aussi les
points d’eau jalonnent le lit d’un oued quaternaire (Saoura,
O. de Tabelbalet, Menakeb, O. Messaoud, etc.). Il y a d’extrêmes
différences au point de vue de l’humidité entre des fractions
d’erg toutes voisines. L’erg intermédiaire entre celui du Gourara
et l’Iguidi se subdivise en deux parties, l’erg Atchan et l’erg
er Raoui ; tous les deux méritent leurs noms (« assoiffé »
et « humide »). C’est que l’erg « humide » recouvre un
grand oued venu de l’Atlas. L’autre, emprisonné au nord dans
une cuvette sans affluent, est réduit à ses ressources locales
d’humidité. L’Iguidi et l’erg du Gourara sont manifestement
alimentés en eau par les grands oueds descendus de l’Atlas ou
des Eglab. Le vieux réseau quaternaire, tout enseveli qu’il
soit, conserve un reste de vie souterraine ; c’est lui qui fait
l’habitabilité de l’erg.

Dès lors on peut se demander si la présence de l’eau, sur certains
points privilégiés, n’a pas une influence sur la répartition
des dunes[34]. Dans certains cas ce n’est pas douteux. Il me
paraît évident, par exemple, que les grandes crues de la Saoura,
en balayant son lit jusqu’à Foum el Kheneg, contribuent à
arrêter la progression de l’erg. Il est évident aussi que les
sebkhas opposent à la dune une résistance vigoureuse ; celle de
Timimoun par exemple, assiégée au nord par d’énormes dunes,
reste franche de sable dans toute son étendue. Il est clair que
le vent n’a pas de prise sur le sable humide, et d’autre part,
sur cette immense étendue, rigoureusement plane et désolée, le
sable qu’il pousse n’est arrêté par aucun obstacle. Quel est
le rôle des bas-fonds humides où l’eau reste assez douce pour
alimenter de la végétation, parfois même arborescente (tamaris,
retem, etc.), et qu’on appelle des nebkas ? Il est difficile de
conclure. La végétation évidemment contribue à fixer le sable
local, mais elle fait obstacle et arrête au passage beaucoup de sable
en suspension. Une nebka est mamelonnée d’innombrables petites
dunes, dont chacune est couronnée par une touffe ou un arbuste ;
la plante pousse en hauteur désespérément pour échapper au sable
qui monte. C’est un des épisodes les plus curieux de la grande
lutte entre la dune et l’eau.

Au total, quelque incomplète que soit notre connaissance des causes,
le fait est hors de doute. Le tracé des ergs est bien un calque
grossier du réseau quaternaire enfoui. Mais ce n’est pas la seule
relation qu’on puisse signaler entre les deux.

Nous connaissons assez bien aujourd’hui la partie du Sahara comprise
entre l’Algérie et le Niger pour en esquisser une représentation
d’ensemble, dans laquelle la localisation des grandes masses de
dunes apparaît tout à fait curieuse. Elles sont dans les régions
déprimées. C’est dans la région de Tar’it, je crois, que les
altitudes maximum sont atteintes, environ 600 mètres à la base des
dunes. Mais l’erg de Tar’it n’est qu’un promontoire avancé du
grand Erg, qui dans son ensemble repose sur un socle moins élevé,
de 300 à 500 mètres. Les ergs soudanais sont encore plus bas, dans
le Djouf et sur les bords du Niger. Les parties élevées du Sahara,
hammadas « subatliques », plateau du Tadmaït, pays des Touaregs,
Tanezrouft, tout cela est rocheux, caillouteux, décharné et comme
épousseté, l’inverse de l’erg. Lorsqu’on y rencontre des
dunes, ce qui est rare, elles sont petites et d’ailleurs localisées
dans des dépressions relatives. C’est un étrange contraste : les
hauts sont impitoyablement balayés, raclés, polis et luisants : les
bas sont enfouis sous d’énormes amas de sable. En schématisant,
un peu, on pourrait poser la règle suivante : au-dessous de 500
mètres, région de l’erg ; au-dessus, zone des hammadas. Cela
revient à dire que la loi de la pesanteur a présidé à la
répartition des ergs. Voilà qui est singulier. Si mal connu que
soit encore le processus d’alluvionnement éolien, si on voulait
le définir et l’opposer à l’alluvionnement fluvial, on dirait,
il me semble, que le premier échappe aux lois de la pesanteur,
tandis que le second leur est étroitement soumis. Nous pouvons
déjà entrevoir que l’alluvionnement fluvial est moins étranger
à la répartition des dunes qu’on ne pourrait croire.

Regardons-y de plus près. L’Erg algérien se divise en deux grandes
masses : l’Erg oriental, au sud d’Ouargla, et l’occidental,
celui de Timimoun. Ils sont séparés par une grande étendue
de plateaux calcaires où passe la grande route de Laghouat,
Ghardaïa, el Goléa ; au sud de l’Algérie, c’est la seule
large brèche dans la muraille des sables. Or l’Erg oriental est
dans la cuvette de l’Igargar, l’Erg occidental dans la cuvette de
l’O. Messaoud. Ce dernier se subdivise en trois tronçons séparés
par de longs couloirs, au travers desquels ils tendent d’ailleurs
à se rejoindre. Chacun de ces trois tronçons correspond à ceux des
grands rameaux dont la réunion constitue l’O. Messaoud : l’erg de
Timimoun recouvre les oueds constitutifs de l’O. Gourara, l’erg
er-Raoui l’O. Tabelbalet, l’Iguidi l’O. Menakeb. On constate
une tendance à l’accumulation des dunes précisément au point
où les grosses ramifications quaternaires sont le plus serrées,
au point de convergence.

Passons aux amas de dunes plus petits et excentriques au Grand
Erg. Le couloir du Tidikelt entre le Tadmaït et le Mouidir-Ahnet
est, en sa qualité de dépression, assez sablonneux, In Salah est
assiégé par les dunes ; mais les agglomérations un peu notables,
les petits ergs, forment deux groupes bien localisés. L’un,
erg Iris-erg Tegan, est dans le grand maader au pied des pentes
concentriques du Mouidir où tous les oueds du Mouidir convergent pour
former l’O. Bota ; l’autre, erg Enfous, est dans une situation
curieusement symétrique, dans le grand maader de l’O. Adrem,
au point où convergent tous les oueds de l’Ahnet.

Plus au sud, entre l’Ahnet et In Ziza, le seul erg un peu
considérable qu’on rencontre sur la route du Soudan est collé à
l’un des plus grands oueds descendus du Hoggar, l’O. Tiredjert. On
commence à soupçonner que les ergs se répartissent non pas
directement d’après les altitudes barométriques, mais d’après
la distribution des grands dépôts d’alluvions aux dépens desquels
ils sont formés.

_A priori_, c’est tout naturel, quoique ce point de vue semble
avoir trop échappé aux géographes. Reclus lui-même a écrit
cette phrase étrange : « Si les Vosges, montagnes de grès et
de sables concrétionnés, se trouvaient sous un climat saharien,
elles se changeraient bientôt en amas de dunes comme celles du
désert africain[35]. » Si les Vosges se trouvaient sous un climat
saharien, le Mouidir nous donne un excellent exemple de ce qu’elles
deviendraient. Qu’importe au vent, le grand architecte des dunes,
que le grès soit pour les géologues du sable concrétionné ;
pour lui c’est de la roche, et ce qu’il lui faut c’est du
sable libre.

La phrase de Reclus est un curieux témoin de la difficulté que nous
éprouvons, par manie catégorisante, à concevoir la complexité
d’un processus naturel. Parce que les dunes sont un produit éolien,
il faut que le vent suffise à tout expliquer, non seulement la forme
extérieure des dunes, mais encore la production même du sable qui
les compose.

Le climat désertique qui écaille les roches, les vents violents
chargés de milliards de petits projectiles quartzeux, ce sont
là assurément, comme on l’a remarqué, de puissants agents
d’érosion. On a tout dit sur l’érosion éolienne, et pas
assez peut-être sur ses limites. Les roches désertiques ont une
surface lisse et luisante, on le sait, et qui atteste à coup sûr une
usure éolienne, mais aussi la formation d’une croûte d’origine
chimique, « une écorce brune, dite vernis du désert »[36]. Tous
les grès du Sahara algérien sont recouverts de cette écorce, dont
la couleur va du brun foncé (grès néocomiens) au noir de jais
(éodévonien). Elle est particulièrement curieuse sur les grès
éodévoniens, parce que la croûte superficielle noire contraste
vivement avec le cœur de la roche, d’un blanc éclatant ;
c’est une peinture étalée uniformément sur l’immensité des
collines et des hammadas. La croûte est très dure et résistante,
on le remarque particulièrement à propos des grès crétacés,
qui sont plutôt tendres, et auxquels la croûte fait une carapace
et une protection. Nul doute qu’il n’y ait là un obstacle à
la puissance érosive du vent.

C’est peut-être à cette patine résistante que beaucoup
de gravures rupestres doivent leur conservation. Les régions
désertiques sont par excellence leur domaine ; elles sont rares
dans le Tell, sans être tout à fait absentes. Cette distribution
peut s’expliquer, au moins partiellement, par des causes
historiques. Mais, sous bénéfice d’inventaire, on n’échappe pas
à l’hypothèse que des causes climatiques aient pu jouer un rôle ;
les gravures auraient été conservées en plus grande abondance
là où les agents de destruction étaient le moins efficaces.

Les gravures préhistoriques dans l’Afrique du Nord
sont plus difficiles à dater qu’en Europe, parce qu’une
représentation d’éléphant ou de _Bubalus antiquus_, par exemple,
n’offre pas en soi la même garantie d’âge reculé que la
représentation d’un mammouth ou d’un renne. Il suffit en effet
de remonter à Carthage pour retrouver l’éléphant dans la faune
nord-africaine. L’attribution de gravures sahariennes à l’âge
quaternaire reste donc hypothétique. Il en est pourtant de très
vieilles et qui restent très nettes sous leur patine. Plusieurs
milliers d’années d’érosion éolienne n’ont pas suffi à les
effacer. Croit-on que ces égratignures auraient survécu pendant le
même nombre de siècles à l’action de la pluie ? Leurs analogues
européennes n’ont résisté qu’au fond des cavernes, sous le
manteau protecteur des alluvions et des stalactites.

Au Sahara même, la presque totalité des gravures est sur des
roches siliceuses, grès ou granite. Est-il vraisemblable que
les indigènes se soient abstenus de parti pris de graver sur des
calcaires, et peut-on leur supposer un pareil degré de discernement
géologique ? Je connais une seule station de gravures sur calcaire
(rive droite de la Saoura, à la hauteur du Ksar d’el Ouata,
au point dit Hadjra Mektouba ; litt. « Pierres écrites ») ;
au premier abord, on n’y voit qu’une multitude de grafitti
libyco-berbères plus ou moins récents ; un examen plus attentif
fait découvrir au contraire de très vieilles figures, mais floues et
indistinctes, il faut chercher l’angle favorable d’éclairage pour
en apercevoir les vestiges effacés. D’autre part on voit partout
à la surface de la pierre, marquée en cuvettes et en rivulets,
l’action des eaux pluviales ; il est clair que c’est la pluie
qui a détruit les plus vieilles images par son action chimique sur
le carbonate de chaux. Ainsi donc, même dans les pays où il pleut
tous les dix ans, et sur les roches calcaires à tout le moins,
l’action des eaux météoriques reste plus efficace que celle du
vent. Aussi bien l’on s’est déjà demandé, je crois, ce que
seraient devenus, sous nos climats, les hiéroglyphes d’Égypte,
et sans doute n’a-t-on jamais mis en parallèle, au point de
vue de l’intensité, les érosions éoliennes et pluviales. Mais
comment n’a-t-on pas été frappé davantage de la disproportion
extraordinaire entre les formidables amas de sable qui constituent
les dunes et l’action érosive du vent, qui est supposée les
avoir détachés de la roche grain à grain ?

Inversement, on sait que le climat désertique est au Sahara une
apparition récente, puisque l’âge quaternaire a connu de grands
fleuves ; et on ne doute pas que les roches sahariennes n’aient
été soumises à l’érosion subaérienne, et par conséquent
pluviale, depuis leur émersion, cela revient à dire à tout
le moins depuis la fin de l’âge crétacé, et en beaucoup de
points du Dévonien. Où veut-on que s’en soient allés les
déchets d’une érosion qui s’est exercée pendant des âges
géologiques ? N’est-il pas évident qu’ils doivent se retrouver
quelque part, précisément dans les dépressions où les eaux les
ont nécessairement entraînés, et où nous trouvons aujourd’hui
les ergs ? Il semble naturel d’admettre _a priori_ que le vent est
le simple metteur en œuvre de matériaux qu’il a trouvés tout
préparés. Là où les fleuves disparus avaient étalé des plaines
sablonneuses, le vent a accumulé des dunes ; il a transposé des
alluvions fluviales en « alluvions éoliennes ».

_A posteriori_, les faits précis abondent à l’appui de
cette thèse. Dans les limites mêmes du Tell, il y a tendance
à la formation de dunes au moins sur un point, le plateau de
Mostaganem. Mais là les géologues sont sur un terrain qu’ils
connaissent bien, ils n’hésitent pas à reconnaître que les dunes
se forment sur place aux dépens des sables pliocènes. C’est plus
au sud, dans le désert inconnu, pays des mirages, qu’on n’ose
pas dériver les mêmes effets de causes analogues.

Sur les hauts plateaux, en bordure et au nord de l’Atlas
saharien, court un cordon de dunes, d’Aïn Sefra à Bou
Saada. J’ai longuement examiné la dune d’Aïn Sefra ; elle
repose incontestablement sur des alluvions quaternaires à peu
près exclusivement sableuses. Il est clair que l’une s’est
formée aux dépens des autres ; à la base de la dune, les alluvions
restées en place sont celles où l’oued actuel maintient quelque
humidité attestée par de grosses touffes d’alfa ou de plantes
désertiques (Voir fig. 26). Et d’autre part, que les alluvions
quaternaires soient ici bien plus sablonneuses qu’argileuses,
on se l’explique aisément si l’on songe à l’énorme place
que tiennent les grès dans la chaîne des Ksour.

A l’ouest du Touat, sur l’itinéraire d’Adrar au djebel Heiran,
on traverse un double cordon de dunes, qui recouvre exactement un
double ruban de Quaternaire. La dune repose sur le sable nettement
interstratifié de pellicules argileuses ; on a manifestement
affaire à un ancien bras de l’O. Messaoud, devenu en quelque sorte
intumescent par l’entassement éolien des alluvions jadis étalées.

La route qui va de Charouin aux Ouled Rached reste presque tout
le temps au fond d’une immense cuvette d’érosion, bordée de
falaises et semée de garas ; c’est le confluent de deux grands
oueds quaternaires, représentés aujourd’hui par l’O. R’arbi
(?) et la sebkha de Timimoun. On ne conçoit pas que dans cette grande
cuvette, comme dans toutes les formations du même genre, le colmatage
n’ait pas marché de pair avec l’érosion. On s’attendrait à
trouver tout le fond tapissé d’alluvions ; en réalité, elles ne
se sont conservées que dans la partie sud, où elles sont fixées
par un restant d’humidité ; la sebkha de Timimoun se prolonge
jusque-là par une languette de largeur insignifiante. Mais dans le
nord, dans la partie de la cuvette de beaucoup la plus étendue,
l’erg Sidi Mohammed remplit la dépression jusqu’au pied des
falaises qui le bordent. Il est difficile de se soustraire à la
conclusion que l’erg représente les masses alluvionnaires livrées
par le desséchement et la pulvérulence au remaniement et au vannage
éolien (fig. 44, p. 226).

Nous saisissons donc sur le fait, semble-t-il, en un certain nombre de
points, la substitution directe, sur place, de la dune à l’alluvion
quaternaire. Mais il va sans dire que l’âge du sable n’a aucune
importance : le sable tertiaire vaut le quaternaire, pourvu qu’il
soit libre.

Voici un gros fait, qui n’a jamais été mis en évidence et
qui commence pourtant à apparaître bien net, sans contestation
possible. Toutes les grandes masses d’erg au sud de l’Algérie,
aussi bien à l’est qu’à l’ouest, dans le bassin de l’Igargar
et dans celui de l’O. Messaoud, toutes celles du moins qu’on
connaît un peu, reposent sur le même substratum géologique, le
Mio-pliocène, le « terrain des gour » de M. Flamand, en d’autres
termes sur les dépôts continentaux qui se sont accumulés pendant
une grande partie du Tertiaire, à tout le moins pendant toute
la durée de l’âge néogène, sur l’avant-pays de l’Atlas,
alors en voie de surrection.

Sur l’Erg oriental, M. Foureau nous a appris que son ossature est
faite de gour.

Le grand Erg occidental (Gourara) ne repose pas seulement sur
le « terrain des gour », mais encore, à l’ouest et au sud,
il le recouvre exactement ; depuis Tar’it jusqu’à Charouin
les limites des dunes coïncident assez exactement avec celles du
Mio-pliocène. En règle générale, les dunes semblent s’arrêter
où commencent les roches anciennes, primaires ou crétacées.

Même observation à propos du groupe moins important des ergs
Atchan et er-Raoui, qui sert de trait d’union entre l’erg du
Gourara et l’Iguidi. Partout où j’ai pu les observer, j’ai
vu le contour extérieur de ces ergs suivre à peu près le dessin
irrégulier et fantaisiste des compartiments effondrés où les
dépôts mio-pliocènes ont été conservés, tandis que les horsts
de grès éodévonien restent nets de sable.

Enfin l’Iguidi lui-même, entre Inifeg et le Menakeb, semble avoir
un substratum de garas, taillées dans une formation horizontale
médiocrement épaisse puisque le sous-sol ancien transparaît
fréquemment. Il est permis de croire que cette formation est encore
mio-pliocène.

C’est là un ensemble de faits assez curieux, et ne serait-il pas
hasardeux de vouloir expliquer par une coïncidence fortuite cette
identité constante du substratum ?

Regardons-y de plus près d’ailleurs. Le « terrain des gour »,
comme l’a reconnu M. Flamand depuis longtemps, est composé
de deux étages : A la base, et sur la partie de la tranche de
beaucoup la plus considérable, des formations alluvionnaires, que
l’on peut appeler miocènes pour la commodité de l’exposition ;
elles varient d’épaisseur et sans doute aussi de composition ;
mais le sable libre est prédominant. Au sommet, des calcaires à
silex, des poudingues à ciment travertineux, une croûte calcaire
de formation subaérienne, et d’âge supposé pliocène, épaisse
à peine de quelques mètres et très dure.

Au pied de l’Atlas, dans les hauts des O. Namous et R’arbi,
cette croûte est restée intacte, scellant dans le sous-sol les
sables miocènes, elle constitue la surface d’immenses hammadas
nettes de dunes. A mesure qu’on s’avance vers le sud et
qu’on se rapproche du niveau de base, l’érosion plus active
a déchiqueté la carapace, mettant en liberté les formations
sableuses sous-jacentes, et l’erg commence.

En résumé, c’était une idée admise que l’allongement d’est
en ouest et la disposition générale des grands ergs étaient
en relation avec les vents dominants[37]. Les faits observés
s’accordent mal avec cette hypothèse. Tout semble se passer comme
si les grands ergs étaient à peu près en place, au point précis
où le jeu de l’érosion, depuis le Miocène, avait accumulé les
plus grandes masses de sable libre.

Il y a peut-être quelque impertinence à laisser aussi complètement
à l’arrière-plan, dans une étude sur les dunes, le rôle propre
du vent. Ce n’est pas assurément qu’on songe à méconnaître
son importance, c’est qu’on a peu à ajouter à ce qui a été dit
partout. Un point pourtant mériterait peut-être plus d’attention
qu’on ne lui en a prêté d’ordinaire.

On sait comment la dune se comporte vis-à-vis de la chaleur
solaire : elle l’emmagasine et la perd par rayonnement avec une
quasi-instantanéité. Dans le jour, en été, la dune brûle,
elle est inabordable pieds nus ; dès la tombée du jour, elle
devient d’une fraîcheur délicieuse, tandis que les grandes masses
rocheuses, les falaises de l’Ahnet par exemple, moins ardentes à
midi, dégagent pendant la plus grande partie de la nuit une haleine
de four, très pénible dans leur voisinage immédiat. Au campement
d’Ouan Tohra, au pied d’une grande falaise gréseuse, le 7 juin à
cinq heures du matin, le thermomètre marquait 33°, alors que, à un
kilomètre de la falaise, il s’abaissait à 30°,8. Inversement dans
l’erg er Raoui, au puits de Tinoraj, le 25 février à six heures
du matin, l’eau contenue dans une cuvette à demi enfoncée dans le
sable était gelée en bloc, un gobelet d’étain pris dans la glace
y était si solidement fixé qu’on pouvait, avec l’anse du gobelet
soulever la cuvette. Le thermomètre marquait cependant + 10° ;
ce sont des effets comparables à ceux d’une machine à glace.

Cette instantanéité d’échauffement et de refroidissement est
parfaitement expliquée par la porosité de la dune, qui multiplie sa
surface d’absorption et de rayonnement. Quoique ces faits soient
bien connus, je ne sais pas si l’on a suffisamment insisté sur
leurs conséquences météorologiques probables.

Il s’ensuit en effet que, au Sahara, d’immenses espaces
juxtaposés, ici région des grands ergs, là région des hammadas,
doivent constituer, au point de vue météorologique, des entités
aussi distinctes et aussi opposées que, à la surface du globe,
les mers et les continents. La distribution des grands amas de
sable doit avoir une influence considérable sur la distribution
des pressions barométriques, et on la retrouverait apparemment
dans le dessin des isobares. On peut imaginer par exemple que,
en été, une zone cyclonique de basses pressions s’établit
sur l’erg, et inversement en hiver une zone anticyclonique de
hautes pressions. C’est là assurément une hypothèse extrêmement
hasardeuse dans l’état actuel de nos connaissances, mais elle cadre
assez bien avec le petit nombre des faits connus. On sait que les
équinoxes au Sahara sont violemment orageux, comme si d’été à
hiver les conditions météorologiques générales s’inversaient
brusquement. D’autre part, dans le Sahara algérien, ce sont
assurément les vents d’est qui dominent ; dans le Sahara marocain,
au contraire, d’après Lenz, ce sont les vents d’ouest. Il
est donc possible que, de par l’existence même des ergs et la
distribution des pressions barométriques qui en est le corollaire,
les vents aient une tendance à tourbillonner autour de la région
des dunes ; ce qui nous aiderait à comprendre qu’un certain état
d’équilibre ait été atteint.

En tout cas, une étude détaillée de l’action du vent sur les
ergs devrait être nécessairement appuyée sur des connaissances
météorologiques précises et étendues, qui nous font encore
tout à fait défaut. Il faut donc renoncer à insister davantage
sur la part et le rôle du vent dans l’amoncellement des grandes
dunes[38]. Il va sans dire que cette part et ce rôle sont énormes,
et on n’a pas naturellement la prétention de contester que l’erg
ne soit une formation éolienne.

Pourtant les effets de l’action éolienne ont été exagérés ;
on lui entrevoit d’incontestables limites. En règle générale, les
grandes masses de dunes sont en place, là où l’érosion fluviale
en avait accumulé les matériaux. Vis-à-vis d’elles le vent ne
semble avoir qu’une puissance insignifiante de déplacement. Il
en a trié les éléments, et surtout il les a vannés, emportant
au loin en poussière impalpable les éléments argileux qui ne
peuvent faire tout à fait défaut dans un dépôt sédimentaire,
et ne laissant subsister que les grains de quartz pur ; surtout il
a créé le modelé, entassant ce qui était étalé. On n’a pas
la prétention d’établir là une loi qui s’applique à toutes
les dunes et à tous les déserts du globe ; mais il semble bien
que les choses se passent ainsi dans la partie du Sahara qui nous
occupe. Nous sommes ici dans un désert tout jeune, au début d’une
évolution péjorative, qui a commencé à la fin du Quaternaire,
et dont l’homme a été le témoin.

Les dunes sont, en somme, le résultat d’un antagonisme direct,
on dirait presque d’une lutte tragique entre le vent et les oueds,
sur le champ clos restreint des dépôts alluvionnaires ; les dunes
sont la maladie, et, pour ainsi dire, l’éléphantiasis dont meurent
les oueds. La circulation superficielle est enrayée la première
par l’obstacle mécanique des bourrelets de sable[39]. Puis toute
la partie aval, ne recevant plus son contingent annuel de crues,
tend à se dessécher, les alluvions se trouvent livrées sans
défense par la sécheresse et la pulvérulence à l’action
du vent, qui les éparpille, entassant ici une dune nouvelle,
raclant ailleurs le sol jusqu’au roc, détruisant enfin la
continuité du tapis alluvionnaire, c’est-à-dire le réservoir
de la circulation souterraine. On saisit ainsi bien nettement le
mécanisme de desséchement progressif à travers les siècles,
sans qu’il soit nécessaire de faire entrer en ligne de compte la
moindre aggravation du climat désertique.

Pour survivre en tant qu’habitat humain à la première apparition
de ce climat de mort, la partie du Sahara qui nous occupe était
bien outillée. Les puissantes ramifications de l’O. Messaoud
étaient un monumental système d’irrigation naturelle susceptible
de conduire les pluies de l’Atlas jusqu’au cœur du désert,
jusqu’à Taoudéni. Et apparemment elles n’y ont failli qu’à la
longue et progressivement, à mesure qu’elles s’engorgeaient. Si
l’on en doute, qu’on songe à ce fait incontestable : des crues
alimentées par les pluies de l’Atlas entre Figuig et Aïn Chaïr,
en suivant le chenal de l’O. Saoura, parvenaient il y a cinquante
ans à Haci Boura, il y a dix ans à Tesfaout. Mais l’O. Saoura
est le seul, entre tant de fleuves puissants, qui soit resté à peu
près libre de sable. Qu’on imagine le centre d’attraction et de
vie qu’a dû être l’O. Messaoud, lorsqu’il colligeait toutes
les pluies de l’Atlas entre Laghouat et l’O. Draa ! Un souvenir
de cette époque meilleure s’est conservé dans la mémoire des
indigènes, et, semble-t-il, dans le nom même de l’O. Messaoud,
le « bienheureux ». Que le lit de l’O. Messaoud ait constitué
jadis une route accessible jusqu’à Taoudéni aux bourriquots
chargés de dattes, voilà qui n’est plus si invraisemblable,
et cette légende pourrait bien être un souvenir.

Lors de la conquête de l’Algérie, cette puissante barrière
de grands ergs, entrevue au sud de l’Atlas, passait pour
infranchissable ; elle ne l’est pas à coup sûr à la circulation
des caravanes, mais c’est pourtant bien une barrière, qui coupe
au cœur du Sahara sa part d’humidité et de vie. Or, elle s’est
édifiée lentement et grain à grain, elle n’a pas atteint du
premier coup son étanchéité actuelle. Encore aujourd’hui elle
a son point faible, la brèche de la Saoura. Qui sait à quelle
époque peut-être récente d’autres brèches bienfaisantes se
sont obstruées définitivement ?

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. XI.

[Illustration : Cliché Cauvin

21. — UN TROU D’EXPLOITATION A TAOUDÉNI

Au sommet les déblais ; au-dessous couches d’alluvions ; au fond
le banc de sel.]

[Illustration : Cliché Cauvin

22. — LA FALAISE D’ÉROSION QUI LIMITE LA CUVETTE DE TAOUDÉNI.]

III. — =Taoudéni.=

Sur l’O. Messaoud et ses dunes, dans les pages qui précèdent,
on a coordonné des observations recueillies sur le terrain. Dans
les lignes qui suivent, on essaiera de systématiser un tout petit
nombre de faits, de renseignements indigènes et de probabilités,
qu’il serait plus sage d’appeler des conjectures, sur un immense
pays inexploré. C’est une entreprise qui a son côté dangereux,
on ne se le dissimule pas. Mais, d’autre part, il paraît impossible
de ne pas formuler sommairement quelques hypothèses très simples,
qui se présentent naturellement à l’esprit, et qui cadrent avec
tous les faits connus.

Au nord-ouest de Tombouctou s’étend le Djouf, qu’on nous
représente comme une immense cuvette, couverte de dunes.

En relation avec ce Djouf paraissent être de nombreuses mines de sel,
Taoudéni, Trarza, les salines beaucoup plus occidentales de Tichitt
qui alimentent le commerce d’Oualata et de Nioro. Elles sont encore
peu connues : Caillié a vu Trarza, le lieutenant-colonel Laperrine et
le capitaine Cauvin ont vu Taoudéni. Les produits de l’extraction
sont, en revanche, très répandus au Soudan, de longues dalles
minces d’un facies uniforme, quelle qu’en soit la provenance.

Quel est l’âge de ce sel ? Par analogie avec l’Algérie, qui
est il est vrai, bien lointaine, on pourrait par exemple le supposer,
_a priori_, triasique. Mais il faut avouer qu’il est beaucoup plus
naturel d’y voir un dépôt récent[40].

Le lieutenant Cortier, compagnon du capitaine Cauvin, a décrit
avec une netteté minutieuse la succession des couches dans les
trous d’exploration à Taoudéni[41]. Elles sont parfaitement
horizontales.

Au sommet, une couche d’argile, pétrie de gypse en fer de
lance, mélangée de cristaux de sel, rouge et passant au vert en
profondeur. Cette couche argileuse, de 5 à 6 mètres de puissance,
repose sur une première couche de sel compact, épaisse de 0 m. 25 à
0 m. 30. Ces deux premières couches sont bien visibles, au-dessous
des déblais, sur la photographie ci-jointe, due à l’obligeance
du capitaine Cauvin. (Voir pl. XI.)

Au-dessous, on rencontre deux autres couches de sel interstratifiées
de faibles épaisseurs d’argile, quelques centimètres. Et plus bas
encore on pourrait exploiter d’autres couches de sel, mais « dès
que la troisième est enlevée, l’eau jaillit de toutes parts ».

Les gros commerçants maures, qui ont ce qu’on pourrait appeler
l’entreprise de l’exploitation, Mohammed Béchir, par exemple,
que j’ai pu interroger à Tombouctou, insistent beaucoup sur ces
infiltrations d’eau, qui mettent au travail un gros obstacle,
inattendu au Sahara. Ils ajoutent que dans les excavations inondées
et abandonnées la couche de sel exploitée se régénère elle-même
dans la saumure et redevient à la longue exploitable. Enfin
les indigènes ont affirmé au lieutenant Cortier avoir trouvé
« dans l’argile mêlée de sel des ossements et des empreintes
d’hippopotames et de caïmans ». La description du lieutenant
Cortier, illustrée par la seconde photographie ci-jointe du capitaine
Cauvin, permet d’imaginer aisément la morphologie du pays. Les
salines tapissent le fond d’une cuvette entourée de tous côtés
par des falaises et des garas ; une photographie représente la
gara qui surplombe Taoudéni. (Voir pl. XI.) Dans cette cuvette
un grand oued, au lit humide, l’O. Telet, débouche dans « des
gorges sauvages ».

La petite cuvette de Taoudéni est inscrite dans une autre beaucoup
plus grande, qui est la partie orientale du Djouf. Le long de
l’itinéraire Cauvin, la limite méridionale du Djouf, à cent
kilomètres au sud de Taoudéni, est marquée par la falaise de
Lernachich, haute de 80 mètres et longue de 140 kilomètres. Tout
ce qui a été vu du Djouf est sculpté de falaises et de garas.

Comme Lenz l’avait déjà signalé, le Djouf oriental est moins
élevé que Tombouctou d’une centaine de mètres, mais la cuvette
de Taoudéni est le point le plus déprimé, en contre-bas d’une
soixantaine de mètres.

En somme, ce que le Djouf oriental, tel qu’on nous le décrit, a de
plus caractéristique, c’est son modelé. Toutes ces falaises sont
de composition identique, une alternance de grès et d’argiles en
couches horizontales. Il serait dangereux de rechercher l’âge de la
formation ; peut-être doit-on dire pourtant qu’un échantillon de
grès envoyé au Muséum contient des sphéroïdes, au vu desquels
on n’hésiterait pas à le proclamer albien s’il avait été
trouvé au Touat (grès à sphéroïdes du Touat et du Gourara).

Quel que soit l’âge de cette formation, ce qui est évident
en tout cas, c’est qu’elle a été sculptée par une érosion
énergique et jeune.

D’autre part, les salines sont exactement là ou on pouvait
attendre un chott, au point le plus déprimé, dans une cuvette
où débouche un oued ; elles sont encore humides ; les bancs de
sel alternent avec des couches d’argiles gypseuses et salées ;
tout cela cadre bien avec l’hypothèse d’une cuvette qui aurait
joué, pour un grand oued venu de l’est ou du nord-est, le même
rôle que le Melr’ir et le Djerid tunisien pour l’Igargar.

Sur cette cuvette nous avons par ailleurs des renseignements, et nous
serons conduits à formuler des hypothèses qu’on doit se borner
ici à indiquer sommairement[42]. On sait qu’une mer crétacée et
tertiaire a couvert le Soudan jusqu’au Tchad et jusqu’à Bilma. Un
dernier reste de cette Méditerranée africaine a subsisté dans
l’ouest jusque dans la première période de l’âge quaternaire
(?) ; elle a laissé des fossiles pléistocènes marins (marginelles
et colombelles) sur le pourtour méridional du Djouf, de Tombouctou
à la Maurétanie. Il semble donc que l’oued Messaoud a dû s’y
jeter, comme d’ailleurs à coup sûr le Niger.

D’autre part, le coude du Niger, d’un dessin si particulier,
et qui ramène les embouchures du grand fleuve sous le parallèle de
ses sources, semble résulter d’une capture récente. Autrefois,
et peut-être jusqu’à une époque récente, historique, le Niger
coulait au nord et se déversait dans le Djouf, par le lac Faguibine,
la vallée bien marquée de Ouallata, et les salines de Tichitt
(?). Sur cet ancien Niger on retrouve au Soudan des souvenirs un peu
légendaires, comme au Touat sur l’ancien oued Messaoud. Le vieux
lit d’ailleurs n’est pas encore complètement mort, il achève
de s’assécher sous nos yeux avec le lac Faguibine.

Ainsi donc cette cuvette basse du Djouf, ancienne mer pléistocène,
aurait été le réceptacle commun de toutes les eaux descendues de
l’Atlas au nord et du Fouta-Djallon au sud. Le Niger et l’oued
Messaoud y auraient voisiné, établissant ainsi une ligne de
verdure et de vie à travers tout le Sahara, et précisément dans
la région aujourd’hui la plus désolée. A cette hypothèse
la zoologie apporte une confirmation. M. Germain (appendice X)
signale au Touat et au Hoggar une coquille _Planorbis salinorum_,
qui n’avait été trouvée jusqu’ici que dans les ruisseaux
de l’Angola. Au sud comme au nord le désert semble repousser les
fleuves et les force à rétrograder vers leurs sources ; il a conquis
ainsi récemment de grandes régions qui devaient leur vie aux pluies
lointaines, acheminées par les fleuves, comme l’Égypte aux pluies
d’Abyssinie canalisées par le Nil. Depuis que l’humanité a des
annales, c’est-à-dire depuis 2000 ou 3000 ans, on n’a jamais
constaté avec certitude un changement de climat, en particulier
sur les bords de la Méditerrannée, si proches et si dépendants
du Sahara.

Quand nous nous trouvons en présence de témoignages qui semblent
indiquer un progrès récent et considérable du désert, il est
donc difficile d’invoquer une péjoration du climat ; mais il est
certainement permis de supposer un processus mécanique, et non pas
climatique de desséchement.

Que le Sahara ait pu voir s’accomplir, à une date peu reculée,
de pareils bouleversements du régime hydrographique, il est
naturel qu’on éprouve quelque répugnance à l’admettre, et
il est facile de concevoir en effet que, sommairement exposés,
ils semblent fâcheusement romanesques. C’est, je crois, qu’on
n’a jamais mis en lumière la véritable origine et le rôle
des dunes. Qu’en Chine, l’embouchure du Hoang-ho se soit
déplacée de 500 kilomètres, on n’en est pas surpris parce
que l’instabilité des alluvions deltaïques est un phénomène
classique pour les morphologistes. Ils ne se rendent pas compte
que les sables désertiques, dont la mobilité dangereuse n’a pas
besoin d’être démontrée, ont avec le régime hydrographique des
rapports exactement aussi étroits que les alluvions, puisque ce sont
précisément des alluvions desséchées. Dans un pays en voie de
desséchement désertique, les fleuves ont dans les sables de leurs
lits et de leurs cuvettes les germes d’une maladie progressivement
et rapidement mortelle. Du moins a-t-on essayé de le démontrer.

Ajoutons enfin que cette maladie est particulièrement grave dans un
pays comme le Sahara, où les oueds, même quaternaires, semblent
bien avoir abouti pour la plupart à des cuvettes fermées. Ainsi
que le fait observer avec raison M. Chudeau, « lorsqu’un fleuve
arrive à la mer, les sédiments qu’il y dépose ont un volume
relatif trop faible pour agir rapidement sur le niveau de base. Il
n’en est plus de même dans un bassin fermé ; le niveau de base se
surélève constamment ; la pente des fleuves devenue de plus en plus
faible ne leur permet plus de lutter contre l’ensablement d’une
manière efficace ; en même temps les marécages qui, en pays plat,
sont si fréquents dans les parties basses des vallées, remontent
constamment vers l’amont, donnant naissance aux maaders », aux
sebkhas, et aux regs.


[Note 12 : Lieutenant Niéger, _Levé d’itinéraire_ (_Bulletin
du Comité de l’Afr. fr._, Supplément de février 1905, p. 53).]

[Note 13 : Voir la carte (hors texte) et l’appendice I, p. 339.]

[Note 14 : Le sergent Fremigacci avait vu H. Boura et H. Rezegallah,
et fait dit-on à ses supérieurs sur l’O. Messaoud des rapports
oraux qui n’ont pas réussi à forcer l’attention. (Cf. Mussel
dans _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._, août 1907, p. 311.)]

[Note 15 : S’écrit aussi Djaghit, ou Djagteh.]

[Note 16 : Voir les cartes (hors texte) et l’appendice I, p. 339.]

[Note 17 : S’écrit aussi Tikkiden (Niéger) ? Voir l’orthographe
tifinar’ dans l’appendice IV, p. 350.]

[Note 18 : On trouvera en appendice l’orthographe exacte en tifinar
de Azelmati. C’est sans doute une racine berbère. Les Arabes en
donnent une étymologie qui est imaginaire mais caractéristique
az-zell-mat : qui s’égare périt ; dans cette immense étendue
sans points de repère le voyageur qui perd la direction est condamné
à mort.]

[Note 19 : Nos carnets météorologiques, contenant les cotes
barométriques, sont à l’étude au bureau météorologique
central. Les conclusions seront publiées dans le second volume.]

[Note 20 : M. le capitaine Mussel a dressé une carte de l’erg,
dont je dois la communication à l’obligeance de l’auteur et
à celle de M. de Flotte-Roquevaire. Je suis heureux de voir que
M. Mussel à la suite d’une longue campagne dans les dunes,
se range au point de vue qu’on a essayé de défendre dans ce
chapitre. C’est une confirmation précieuse de sa justesse (voir
_Bulletin du Comité de l’Afr. fr._, août 1907).]

[Note 21 : Capitaine Flye Sainte-Marie. _Dans l’ouest de la
Saoura. Une reconnaissance vers Tindouf_ (_Renseignements col. et
documents Comité Afr. fr..._, XV, 1905), p. 534.]

[Note 22 : Voir la carte du Maroc par de Flotte de Roquevaire, 1 :
1000000 (Paris, 1904).]

[Note 23 : Niéger, art. cité, p. 482.]

[Note 24 : Communication orale de M. Niéger.]

[Note 25 : _Canis Zerda_ L.]

[Note 26 : Supplément au _Bulletin du Comité de l’Afrique
française_ d’avril 1907, p. 77 et 90.]

[Note 27 : Supplément au _Bulletin du Comité de l’Afrique
française_ de juin 1907.]

[Note 28 : _Id._, p. 143.]

[Note 29 : Le pluriel de foggara est fgagir, mais on évitera de
l’employer.]

[Note 30 : E. Reclus dans H. Schirmer, _Le Sahara_ (Paris, 1893),
p. 159.]

[Note 31 : A. de Lapparent, _Traité de Géologie_ (5e édition,
Paris, 1906), p. 149.]

[Note 32 : _Bull. Comité Afr. fr._, supplément de décembre, 1905,
p. 534.]

[Note 33 : A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 150.]

[Note 34 : Inutile de mentionner, autrement que pour mémoire,
l’hypothèse manifestement erronée du capitaine Courbis (voir
H. Schirmer, _Le Sahara_, p. 158, note 5).]

[Note 35 : Elisée Reclus, _Nouvelle Géographie universelle_, XI
(Paris, 1886), p. 792.]

[Note 36 : A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 151 (d’après
J. Walther).]

[Note 37 : A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 150.]

[Note 38 : Dans cet ordre d’idées, je renonce à tout
développement au sujet des dunes parlantes, ou plutôt ronflantes,
souvent étudiées (Girard, _Évolution comparée des sables_,
1903). Je mentionne seulement que la dune ronfle au poste de Tar’it,
avec le bruit d’une batteuse à blé et aussi, je crois, au poste
de Beni Abbès. Il serait intéressant de savoir si l’état de
l’atmosphère et la direction du vent ont une influence sur le
phénomène. Nous avons entendu la dune crier sous nos pas, avec une
voix toute différente, dans un entonnoir de sable à pentes raides,
au nord d’In Ziza.]

[Note 39 : Voir déjà là-dessus : G. Rolland, _Hydrologie du
Sahara algérien_ (Documents relatifs à la mission dirigée au sud
de l’Algérie par M. A. Choisy, tome III, 1895), p. 31.]

[Note 40 : M. G.-B.-M. Flamand, d’après les notes et les
échantillons de M. Niéger, conclut à un âge quaternaire probable.]

[Note 41 : Lieutenant Cortier, _De Tombouctou à Taoudéni_ (La
Géographie, XIV, 15 décembre 1906, p. 329).]

[Note 42 : On en donnera le détail dans le second volume consacré
au Soudan ; voir d’ailleurs : _Annales de Géographie_, 15 mars
1907, p. 129.]




                             CHAPITRE III

                       =ETHNOGRAPHIE SAHARIENNE=


Dans les pages qui suivent on a essayé d’exposer les résultats
ethnographiques du voyage.

Les documents étudiés se classent en trois catégories — monuments
rupestres (surtout des tombeaux) — gravures rupestres — armes
et outils néolithiques.


                     I. — Les Tombeaux (Redjems).


Dans toute la zone parcourue — Sud-Oranais et Sahara — il n’y
a pas de monuments mégalithiques de la catégorie dolmens. A tout le
moins il n’en a jamais été signalé. Notons pourtant que Duveyrier
a dessiné auprès de R’adamès un « cist » analogue à ceux
qui ont été décrits à Djelfa en compagnie de dolmens[43]. Mais
R’adamès appartient encore au Sahara littoral.

On a signalé d’autre part quelques pierres debout. Foureau
en a photographié une[44], qui surmonte une tombe, et à propos
de laquelle il note : « Je n’ai jamais rencontré au Sahara de
sépulture comportant un tel monolithe. » Pour rare qu’il soit le
fait n’est pas isolé ; Chudeau signale à Tit deux monolithes de
ce genre, l’un associé à une tombe (fig. 3C), et l’autre isolé
mais dans une sorte de champ funéraire (fig. 2B) ; M. Benhazera en
a vu une dizaine groupés près de la gara de Tilketine, aux sources
de l’oued In Dalladj, dans la koudia du Hoggar[45]. M. Benhazera
a noté sur deux d’entres elles des inscriptions tifinar’. Il
mentionne leurs dimensions moyennes, « une hauteur de 2 m. 60 et
une largeur de 25 centimètres environ _sur chacune de ses quatre
faces unies et lisses_ » ; ce dernier trait laisserait croire
qu’on est en présence d’un fragment de colonnade basaltique ;
Motylinski signale au Hoggar l’usage ornementatif de semblables
fragments[46]. Chudeau a observé de même la médiocre épaisseur
des monolithes à Tit, une quinzaine de centimètres de diamètre ;
et la pierre debout figurée par Foureau est évidemment de même
type. Ces colonnettes minces, qui portent parfois des inscriptions,
et qui sont fréquemment associées à des tombeaux, font songer à
des stèles funéraires barbares. Dans l’état de nos connaissances
le rapprochement ne saurait être une explication. Du moins peut-on
affirmer, je crois, que ces pierres debout, d’ailleurs très rares,
ne sont pas des menhirs, au sens usuel du mot. Elles n’ont pas
de rapport avec les énigmatiques Esnamen de R’adamès dessinés
par Duveyrier.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XII.

[Illustration : Cliché Gautier

23. — GRAND REDJEM DU TYPE LE PLUS FRUSTE

Nord d’Aïn Sefra (A de Teniet R’zla).

Une tranchée l’entaille jusqu’au sol.]

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon

Cliché Gautier

24. — REDJEM B D’AÏN SEFRA (dj-Mekter)

Après les fouilles, qui ont donné un mobilier en cuivre et en fer.

On voit éparses autour de l’orifice les dalles qui constituaient
la chambre funéraire.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XIII.

[Illustration : Cliché Gautier

25. — REDJEM D DE BENI-OUNIF pendant les fouilles.

Autour de l’orifice, dans lequel un ouvrier est accroupi, on
distingue les écailles de grès fixées dans le sol.]

[Illustration : Cliché Gautier

26. — CIMETIÈRE ACTUEL (Charouïn)

On distingue, aux extrémités de chaque tombe, les deux pierres
debout (chehed), comme aussi les cruches cassées et les écuelles
funéraires.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XIV.

[Illustration : Cliché Laperrine

27. — CERCLE DE SACRIFICES (?)]

Menhirs, comme dolmens, sont donc inconnus au Sahara, où pourtant
les matériaux pour les édifier abondent, gneiss, quartzites, grès,
qui se débitent facilement en grandes dalles. C’est une lacune
significative. Car les dolmens abondent au contraire dans toute la
zone méditerranéenne, de Tanger à l’Enfida tunisienne[47].

En revanche, sur tout l’immense parcours, d’Aïn Sefra jusqu’au
Niger, on rencontre, pour ainsi dire à chaque pas, des sépultures
qui rentrent toutes dans la même catégorie, celle des redjems.

La dénomination de _redjem_ (pluriel _ardjem_) a été adoptée par
M. le Dr Hamy ; elle est donc déjà connue et il y a tout intérêt
à la conserver ; d’ailleurs il n’en existe pas d’autre. Les
sépultures de ce genre ont été l’objet déjà de bien des
travaux, on les a désignées presque toujours sous la double
dénomination de _bazina_ et de _chouchet_, dont chacune désignait
une variété particulière[48] ; mais il y a certainement intérêt
à réunir ces variétés diverses dans une catégorie unique à
laquelle il faut donner un nom.

Une observation préliminaire s’impose pourtant. Le mot redjem,
en arabe vulgaire, s’applique à tout tas de pierres, quel
qu’il soit, à ceux qui ont un caractère de signal, jalonnant
le chemin ou marquant l’emplacement d’un puits, ou encore un
caractère religieux[49], à ceux mêmes qui ont été dressés par
les géodèses du service topographique, tout aussi bien qu’à
ceux qui sont en réalité des tombeaux, mais qui d’ailleurs,
très fréquemment, n’en ont pas l’air. A vrai dire, la plupart
des indigènes ne soupçonnent pas que ces tas de pierres puissent
éventuellement recouvrir un cadavre, et, lorsqu’on fouille,
l’apparition des ossements provoque toujours une stupeur chez
les ouvriers.

Il est donc bien entendu que nous employons le mot redjem dans un
sens détourné de celui qu’il a en arabe, les redjems dont il
s’agit sont exclusivement les funéraires.


=Distribution.= — L’énumération des points où j’ai constaté
la présence de redjems est assez longue.

Il s’en trouve tout autour d’Aïn Sefra, non seulement un groupe
important à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest du village,
au pied du djebel Morghad[50], et un autre à cinq kilomètres au
sud-est sur les premières pentes du djebel Mekter, mais encore en
bien d’autres points de la vallée.

Le Dr Hamy, d’après M. de Kergorlay, en signale à proximité de
l’oasis de Mograr Tahtani.

J’en ai relevé auprès de Beni Ounif, de Ben Zireg, de Bou Yala, de
Fendi, auprès du puits de Haci el Aouari, auprès de Colomb-Béchar,
à Ménouarar, le long de la Zousfana à Ksar el Azoudj, et en
particulier auprès de Zaouia Fokania ; j’en ai relevé auprès
de Guerzim et de Ouarourourt dans l’oued Saoura, dans la chaîne
d’Ougarta au voisinage de l’erg er Raoui, entre Ksabi et Charouin,
au pied de la gare Zaledj non loin du puits de Mallem.

Je n’en ai pas vu, encore que j’en aie cherché, auprès des
ksars « actuels » du Touat, qu’il y a de bonnes raisons, il est
vrai, de croire très récents, mais on en trouverait au dire des
indigènes, auprès des « anciens » ksars, situés à quelques
kilomètres à l’est de la palmeraie.

Il en existe auprès de Haci Rezegallah.

Les redjems sont fréquents dans l’Ahnet ; je cite en particulier
les groupes de Taloak et de Ouan Tohra que j’ai étudiés.

Il en existe à In Ziza, et on les retrouve nombreux dans l’Adr’ar
des Ifor’ass, en particulier dans les oueds In Ouzel, Taoudrart,
Tougçemin où j’ai fait séjour ; j’en ai d’ailleurs noté au
passage tout le long de mon itinéraire, au pied de l’Açeref, dans
l’oued Koma, dans l’oued Ebedakad, dans l’oued Kidal, au puits
de Tabankor ; je crois en avoir vu sous bénéfice d’inventaire,
c’est-à-dire de fouilles qui n’ont pas été faites, jusque sur
les bords du Niger, au Tondivi. D’ailleurs le lieutenant Desplagnes
mentionne des redjems au Soudan nigérien[51].

Chudeau en a relevé un grand nombre au Hoggar et Motylinski
dans la Koudia ; comme Duveyrier et Foureau dans le Tassili des
Azguers. M. Chudeau en signale dans le Tassili de l’oued Tagrira,
à In Azaoua, dans l’oued Tidek et aux environs d’Iferouane,
à Takarédei (20 kilomètres nord-ouest d’Agadès), et au puits
d’Assaouas (50 kilomètres au sud-ouest d’Agadès). Il en
signale encore dans l’Adr’ar de Tahoua, surtout entre Tahoua et
Matankari. Le capitaine Pasquier en a vu entre Gao et Menaka[52].

En revanche M. Chudeau croit que les redjems font tout à fait
défaut dans la région de Zinder et du Tchad (Tegama, Damergou,
Alakhos, Koutous).

En somme, dans les grandes lignes, leur distribution coïncide avec
celle des Berbères ; les redjems disparaissent dès qu’on arrive
dans les pays Haoussa et Bornouan.

Dans ces limites, leur répartition suggère un certain nombre
d’idées générales.

Et d’abord, l’énumération des points déterminés où j’ai
trouvé des redjems est en même temps celle des points où les
hasards de la route m’ont imposé un séjour un peu prolongé. Le
Touat mis à part, partout où je me suis arrêté quelques jours,
une courte promenade autour du campement ou du village m’a permis
de relever des redjems en assez grand nombre. Souvent aussi j’en
ai rencontré sous mes pas, en cours de route, alors que je ne les
cherchais pas, nouvelle preuve de leur extrême fréquence. Je dirais
presque qu’ils sont partout.

D’autre part ils ne sont jamais groupés en très grand nombre,
quelques dizaines tout au plus et souvent quelques unités. Rien
de comparable aux grandes nécropoles du Tell avec leurs milliers
de tombes.

Cette distribution suggère l’idée que ce sont des sépultures
de nomades.

Très certainement aussi il y a un rapport entre les redjems et les
points d’eau actuels. Je n’en ai jamais noté dans les étendues
franchement désertiques et inhabitables. On verra qu’il en est tout
autrement pour bien des gisements néolithiques, et nous sommes donc
amenés à conclure d’ores et déjà que les redjems ne peuvent
pas remonter à une antiquité très reculée.

Il est remarquable pourtant qu’ils sont très rares non seulement
au Touat, mais encore dans l’oued Saoura ; je n’y ai vu qu’un
tout petit nombre de redjems, encore bien que j’aie fait séjour
à Beni Abbès et à Ksabi. J’en ai rencontré davantage dans la
chaîne d’Ougarta où je n’ai fait que passer. On sait pourtant
que, actuellement, toute la population est concentrée dans l’oued
Saoura et au Touat. Il semble donc que la répartition des redjems
nous reporte à une époque où la population était distribuée à
la surface du Sahara tout autrement qu’aujourd’hui.


=Terminus ad quem.= — Aussi bien n’est-il pas possible de
considérer les redjems comme des sépultures contemporaines, par
la simple raison que, à coup sûr, elles ne sont pas musulmanes.

Les tombeaux musulmans sont aisément reconnaissables ; on sait
que le cadavre est étendu, la figure tournée vers la Mecque ; à
la tête et aux pieds se dressent des stèles grossières, qui ne
peuvent guère faire défaut parce qu’elles ont une signification
religieuse ; ce sont les « témoins » de la foi (_Chehed_) ; il
est vrai que les Touaregs sont des musulmans tièdes. (Voir pl. XIII,
phot. 26.)

Dans les redjems au contraire, toutes les fois que les ossements
n’ont pas été réduits en poussière par le temps, on constate
que le squelette est replié sur lui-même, à l’ancienne mode
libyque signalée par les auteurs anciens.

Les redjems sont donc nécessairement préislamiques, ce qui ne
signifie pas nécessairement antérieurs à l’hégire, l’islamisme
ayant pénétré et surtout s’étant enraciné définitivement
au Sahara à une époque qu’on ne peut pas, j’imagine, fixer
partout avec précision. M. Benhazera, pourtant, s’appuyant sur
Ibn Khaldoun et sur les traditions indigènes, essaie d’établir
que les Touaregs ont été islamisés au XIe siècle[53].


=Terminus a quo.= — D’autre part je crois bien que les pauvres
mobiliers funéraires trouvés dans les ardjem nous permettent de
fixer un _terminus a quo_. En voici l’énumération. (Voir pl. XV,
phot. 28 et 29.)


=Aïn Sefra.= — Un redjem A situé à Teniet R’zla (Feidjet
el Betoum de M. le Dr Hamy) ne contenait qu’un ornement en os
travaillé, « un disque plat et poli, de forme ovale raccourcie, qui
mesure 35 mm. sur 30 ». (Voir phot. 29, au centre de la figure.) Pas
d’objets en métal, un certain nombre de silex peut-être taillés,
mais trop rudimentaires et trop communs pour qu’on les considère
avec certitude comme partie du mobilier funéraires.

Un redjem B situé au sud-est d’Aïn Sefra (djebel Mekter) a
livré le mobilier le plus riche que j’aie rencontré au cours
de mes fouilles, et sans doute ce n’est pas beaucoup dire. Aux
pieds du squelette « un robuste outil de fer, bien conservé,
long de près de 0 m. 18, dilaté aux deux bouts en prismes à
quatre plans et terminés en pointes, de façon à rappeler la
forme des carrelets actuels ». A cette description qui est du Dr
Hamy, j’ajouterai que le milieu de l’« outil » semble avoir
été recouvert d’une gaine en cuir (?) ou en bois (?) semblant
constituer une poignée. Au voisinage des deux pointes, qui sont de
longueur inégale, on distingue des intumescences de coloration plus
claire, bien visibles sur la photographie qui semblent être une
trace laissée par les extrémités de la gaine. J’ajoute aussi
que les archéologues n’ont pas pu identifier cet outil. (Voir
phot. 28 sur le bord droit de la figure.)

A côté se trouvaient des débris, assez cohérents au moment
de l’exhumation, de ce que j’estime avoir été un fourreau
cylindrique, apparemment celui de l’outil ; notons cependant
que M. Hamy a cru y reconnaître une douille de lance ou de
javeline. (Voir phot. 28, sur le bord gauche et en bas.)

Dans la même partie de la tombe un tout petit annelet de cuivre,
gros comme une perle, ayant apparemment servi d’ornement à
l’outil ou à son fourreau.

Dans un autre coin mal déterminé, une tige de fer terminée par
une sorte de spatule triangulaire, mais qui faisait avec la tige
un angle de 45°. Serait-ce un grattoir ? Et l’outil en forme de
carrelet serait-il un perçoir ? outil à l’usage des nomades qui
employaient beaucoup le cuir ? M. Hamy semble considérer la tige
de fer à bout en spatule comme un débris de javeline (?)

Ce qui importe après tout, c’est que ces objets, si difficiles à
identifier, déformés par la rouille, sont incontestablement en fer.

Dans un autre coin du tombeau, auprès des os de l’épaule et de
la main, qui se touchent :

Deux bagues de cuivre, une « plaque de ceinture en cuivre de forme
carrée, longue, ornée sur son pourtour d’un fin pointillé
repoussé, et fixée par deux clous en fer, dont l’un est encore
adhérent à son rivet de cuivre circulaire et aplati » : la plaque
a 2 cm. sur 5 ; son attribution à une ceinture est naturellement
hypothétique. (Voir phot. 28 sur le bord gauche et en haut.)

Dans la même région d’Aïn Sefra (dj. Mekter) M. le capitaine
Dessigny a fouillé d’autres tombeaux, une quarantaine. Dans
le plus remarquable il a trouvé, à la hauteur du cou, « 81
petites rondelles aplaties et percées au centre, mesurant 5 mm. de
diamètre ». Au milieu de ces rondelles, qui ont été découpées
dans la coque d’œufs d’autruche, « se détache une perle de
cornaline de forme sphérique, aplatie, large de 8 mm., haute de 5,
deux autres grains lenticulaires en verre irisé » ; « un autre
collier, porté par le même personnage, était fait d’une lamelle
de cuivre très étroite (1 mm.), tordue en spirale allongée ;
la partie conservée mesure environ 8 mm. 13 de longueur ». (Voir
phot. 29 au centre de la figure.)

Dans d’autres tombeaux voisins, M. le capitaine Dessigny a trouvé
deux « bracelets d’argent, ouverts, formés d’une simple tige
de 3 à 4 millimètres d’épaisseur, courbés de façon à laisser
40 à 42 millimètres d’ouverture ; un bracelet de cuivre de même
forme et de mêmes dimensions, mais plat à l’intérieur et orné
sur les bords de fines striations ; cinq bagues ouvertes, de cuivre
et d’argent, cylindriques et un peu renflées vers le milieu, ou
en forme de lame plate ou un peu convexe (une de ces bagues se ferme
à l’aide de deux petits crochets recourbés). (Voir phot. 28.)

Enfin des colliers encore, surtout de rondelles d’œuf
d’autruche. L’un se compose de 522 rondelles (dont le diamètre
varie de 6 à 11 mm.) ; il mesure plus de 0 m. 90 ; un autre « en a
475 et dépasse 0 m. 72 » ; « un troisième n’atteint plus que
0 m. 15 avec 85 disques ». Un dernier collier est composé « de
cornalines, une perle lenticulée de pâte de verre, une autre perle
en pierre verte, et deux petits disques de coquilles ; c’est un
grossier collier d’enfant ». (Voir phot. 29.)


=Beni Ounif.= — C’est à Aïn Sefra qu’ont été faites les
fouilles de beaucoup les plus nombreuses, grâce au zèle de M. le
capitaine Dessigny, comme aussi les plus fructueuses.

A Beni Ounif un redjem C ne contenait qu’un silex nettement taillé,
de la forme d’une pierre à fusil ; un autre D contenait un grand
collier de 360 rondelles d’œuf d’autruche, et des débris en
très mauvais état d’une tige en fer, courbée (?) ; un autre
E un collier d’environ 120 rondelles d’un diamètre beaucoup
plus petit que les précédentes. Est-il utile de mentionner que les
indigènes chez qui l’usage du collier est tout à fait tombé en
désuétude, prennent ces colliers pour des chapelets ? Il est tout
à fait impossible, répétons-le, vu la disposition intérieure et
extérieure des tombeaux, de leur supposer un caractère musulman.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. XV.

[Illustration]

[Illustration : Clichés du Muséum

28 et 29. — MOBILIERS FUNÉRAIRES trouvés dans des régions
d’Aïn Sefra et de Beni-Ounif.

(Fer, cuivre, argent, coquille d’œuf d’autruche, verroterie).

[Illustration : Cliché Gautier

30. — GRAVURE RUPESTRE DE BARREBI (oasis des Beni-Goumi)

sur des grès supposés dévoniens ou infra-dinantiens.

La figure principale représenterait un bovidé (?) ou un gnou (??).]

Dans la région de Tar’it, en amont de Zaouia Fokania, auprès de
la petite palmerie d’Haouinet, j’ai fouillé deux redjems. Dans
l’un F, j’ai trouvé des débris de fer. Dans l’autre G un grain
de collier (?) en pierre percée, une très jolie pointe de flèche
en silex sans pédoncule, une quinzaine de silex de formes très
incertaines, qui pouvaient à la rigueur passer pour taillés. Ces
deux redjems sont voisins, font partie du même groupe, ont la même
structure et semblent contemporains.

A Taloak j’ai trouvé dans un redjem H qui contenait d’ailleurs
desossements remarquablement conservés, pour tout mobilier, des
débris d’une poterie semblant faite au tour et qu’on aurait pu
croire moderne.

A Ouan Tohra enfin la fouille du redjem I a donné un mobilier
funéraire intéressant ; des débris de cuir, deux perles de
cornaline, des débris de fer, trois plaques de cuivre, tout à fait
identiques de forme, et analogues de dimensions à celle du redjem
B d’Aïn Sefra[54].

Ouan Tohra est dans l’Ahnet tout près de sa limite sud, au cœur
du Sahara, à 600 kilomètres d’Aïn Sefra. Il est curieux qu’on
trouve à de pareilles distances l’un de l’autre deux tombeaux
fournissant le même mobilier.

Je n’ai mentionné que les tombeaux qui ont donné quelque chose ;
une fois sur deux au moins je n’ai trouvé que des débris
d’ossements et quelquefois rien.

En résumé, ce qui frappe, c’est la rareté relative des silex
taillés. Il est vrai que d’autres chercheurs semblent avoir
été plus heureux que moi ; M. le capitaine Normand à Ksar el
Azoudj et à Fendi, M. le capitaine Ihler à Moungar n’ont trouvé
dans les redjems, outre les pièces de collier du type habituel,
que des silex taillés, pointes de flèche sans pédoncule. Je ne
crois pas qu’on puisse considérer ces quelques pièces comme
preuve d’une haute antiquité. Presque tous les silex que j’ai
trouvés moi-même pouvaient être classés débris d’atelier,
les pointes nettes et finies sont extrêmement rares (une seule en
somme dans le redjem G d’Haouinet). Je ne sache pas qu’on ait
jamais trouvé dans les redjems une seule hache en pierre polie.

Les débris de silex sont parfois si abondants, en vrac sur le sol,
qu’on n’échappe jamais complètement au soupçon que leur
présence dans le redjem est tout à fait fortuite ; ils ont pu
y être jetés avec les matériaux de remplissage au moment des
funérailles. Si même ils ont fait partie du mobilier, il ne faut
pas se dissimuler que, au Sahara, l’usage des outils ou des armes
en silex s’est conservé certainement jusqu’à une époque toute
récente, extrêmement postérieure à l’introduction des métaux.

Ce qui me paraît concluant c’est la fréquence du fer et du
cuivre, voire même de l’argent. Nous avons certainement affaire
à des sépultures de l’âge du fer, et qu’on peut qualifier
de libyco-berbères.


=La forme.= — De ces redjems la forme extérieure et la disposition
intérieure varient, dans de certaines limites. Ce sont toujours des
tas de pierres, mais plus ou moins ordonnés, se rapprochant plus ou
moins d’une construction en pierres sèches et suivant des plans
qui varient.

Il y en a de tout à fait frustes, qui sont à la lettre des tas,
le redjem A par exemple d’Aïn Sefra. — On l’a éventré
jusqu’au sol sans y trouver trace d’une structure ordonnée, et
sans voir autre chose que des pierres en vrac. Le redjem recouvre un
espace vaguement circulaire, et la forme générale est celle d’un
cône très surbaissé à pointe camarde, la forme d’un tas. Le
redjem A d’Aïn Sefra a 12 mètres de diamètre et 3 mètres de
haut. (Voir pl. XII, phot. 23.)

Ce redjem A reposait sur du sol non remanié, on n’a pas trouvé
trace d’excavation. Les ossements et le très maigre mobilier
funéraire ont été trouvés au-dessus du sol, mélangés aux
pierres.

Strabon mentionne en effet chez les Libyens un rite funéraire qui
consistait à lapider le cadavre jusqu’à enfouissement complet.

Voilà donc quelle est la forme la plus fruste du redjem, si fruste
que pour en établir le caractère funéraire il n’y a guère
qu’une preuve évidente, c’est d’y trouver un squelette. Il
y en a une autre pourtant qui est un corollaire de celle-ci. Les
redjems funéraires ont souvent un petit cratère au sommet, le
vide causé par la tombée en pourriture et en poussière du cadavre
amène au centre de la région un effrondrement qui a nécessairement
sa répercussion en surface et au sommet[55].

D’autres redjems sont d’un type un peu plus évolué.

Un redjem C′ de Beni Ounif, à côté de C (qui est du type le
plus fruste), comporte une tombe ovale creusée dans le sol de grès
tendre, 1 mètre et 1 m. 20 de diamètre, 0 m. 50 de profondeur ;
cette tombe où le cadavre n’était plus représenté que par une
dent canine et quelques débris, était remplie de terre ; au-dessus
s’étalait le redjem, de 4 mètres de diamètre, simple tas de
pierres. Ici donc c’est sur une tombe et non pas sur le cadavre
posé à même le sol, que le redjem est élevé.

Un pas plus loin et par une évolution facile à suivre nous arrivons
au type beaucoup plus soigné du redjem B d’Aïn Sefra (djebel
Mekter). (Voir pl. XII.)

[Illustration : Fig. 1. — Principaux types de redjems.

1. Redjem A d’Aïn Sefra. — 2. Redjem C′ de Beni Ounif. —
3. Redjem B d’Aïn Sefra. — 4. Redjem E de Beni Ounif. —
5. Redjem F d’Haouinet. — 6. Redjem de l’Adr’ar’ des
Ifor’ass. — 7. Redjem de l’O. Tougçemin. — 8. Redjem
islamisé de l’O. Taoundrart.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_, Masson et Cie, édit.)]

Au centre du redjem qui a 8 mètres de diamètre sur 2 m. 20 de
hauteur, une chambre funéraire très nette, circulaire, d’un
mètre de diamètre, est mi-creusée dans le sol, mi-bâtie et
couverte à l’aide de grandes dalles de grès. L’intérieur
est plein de sable pur, partiellement transformé en grès par les
actions chimiques qui ont accompagné la décomposition du cadavre.

Sur le toit de la chambre funéraire quelques grandes dalles en
désordre laisseraient supposer l’existence d’un second étage
funéraire mal construit et effondré (?)

La construction en pierres sèches n’affecte pas seulement la
chambre funéraire, mais on en trouve des traces dans le redjem
lui-même. A la base et sur le pourtour extérieur du cône, court un
anneau de dalles formant un escalier circulaire très grossier. Tout
le reste est un simple entassement de pierres quelconques.

Ce type de redjem est très fréquent au djebel Mekter, la plupart de
ceux qu’a fouillés le capitaine Dessigny étaient de ce type. Les
redjems de la daia de Tilr’emt étudiés par le colonel Pothier
(_Revue d’Ethnographie_, 1886) sont aussi de ce type, qui paraît
septentrional. Il est extrêmement intéressant, parce qu’il
rentre dans une catégorie classée. Plus perfectionné, ce type
donne évidemment le grand tombeau d’Henchir el Assel, dont une
restitution est au Musée du Trocadéro[56]. Monumentalisé encore
il donnera le Medracen et le Tombeau de la Chrétienne. On suit
donc d’étape en étape, de perfectionnement en perfectionnement
tous les degrés entre le simple tas de pierres et les monuments
funéraires les plus célèbres de l’art berbère.

Le redjem E de Beni Ounif est d’un type aberrant. C’est une
fosse remplie de sable, de la forme habituelle, c’est-à-dire
circulaire, et entourée d’un petit mur de pierres fichées dans
le sol et émergeant à peine. (Voir pl. XIII, phot. 25.) Ce type
est très rare, je ne l’ai vu que là ; pourtant quelque chose de
cette disposition se retrouve dans un tombeau copié par M. Chudeau
au Hoggar (fig. 6, B) ; je considère ce type comme une ébauche du
suivant qui est extrêmement fréquent.

Un tas de pierres, qui rappelle tout à fait par sa forme les redjems
habituels, mais au centre duquel se trouve en guise de chambre
funéraire un évidement cylindrique allant du sommet du redjem
au sol, une sorte de tour aux parois grossièrement maçonnées
en pierres sèches. Elle est remplie de sable, et elle contient
souvent plusieurs cadavres superposés. Peut-être restait-elle
précisément ouverte au sommet pour qu’on pût procéder à des
funérailles successives.

Les redjems d’Haouinet sont de ce type et d’ailleurs la presque
totalité des redjems de la Zousfana. C’est encore lui qui
prédomine dans l’Ahnet à Taloak, à Ouan Tohra.

Dans l’Adr’ar des Ifor’ass il a évolué vers une plus grande
perfection. C’est une véritable tour intérieurement aussi bien
qu’extérieurement, assez soigneusement construite en pierres
sèches ; une tour aux murailles épaisses, haute de 1 mètre à 1
m. 20.

A l’oued Tougçemin, un tombeau de ce type a une forme aberrante
et compliquée. La tour est subquadrangulaire et on voit des restes
d’une enceinte extérieure en pierres fichées debout dans le sol.

Evidemment ces tours régulières en pierres sèches ne méritent
plus guère le nom de redjem, ce ne sont plus des tas. Il n’est
pas douteux pourtant qu’elles n’en soient issues par des
perfectionnements successifs.

Ce type turriforme renferme les mêmes mobiliers funéraires que
l’autre, auprès de squelettes disposés de même.

On a dit combien le premier type est classiquement berbère,
puisqu’il aboutit au Tombeau de la Chrétienne. Le second ne l’est
pas moins. Les tours funéraires sont bien connues en Algérie. On
en trouvera une reproduction dans _Recherches des Antiquités dans
le nord de l’Afrique_ (Instructions adressées aux correspondants
du ministère de l’Instruction publique). C’est la sépulture
turriforme que les archéologues appellent _chouchet_, et c’est
l’autre qu’ils appellent _bazina_. Aussi bien semble-t-il
évident, à jeter un coup d’œil sur la planche, que ces deux
types, si divergents qu’ils soient lorsqu’on les examine à
leur dernier degré d’évolution (B d’Aïn Sefra et Tougçemin),
sont issus l’un et l’autre du redjem grossier primitif (A). Il
est clair en effet que B d’Aïn Sefra est très proche de F
d’Haouinet.


=Redjems du Hoggar.= — Les redjems du Hoggar méritent une
petite monographie, ils sont particulièrement évolués et
monumentaux. M. Chudeau en a figuré quelques exemplaires choisis,
qui se trouvent entre Tamanr’asset et Abalessa.

Il a consacré particulièrement son attention à un groupe voisin
de Tit, l’ar’rem bien connu sur l’oued du même nom.

La vallée de l’O. Tit est limitée au nord par un plateau
basaltique qui domine la vallée d’une vingtaine de mètres ; au sud
du village se dresse une aiguille granitique, le Tinisi. Les tombes
les plus remarquables se trouvent sur le plateau basaltique. Celle
qui est figurée en D (fig. 3) est presque exactement au nord du
Tinisi ; B est un peu à l’est de la précédente, et C à un
demi-kilomètre plus loin sur un promontoire du plateau.

_Groupe C._ — La tombe la plus à l’est (C, fig. 2 et 3) est
entourée d’une série importante de constructions auxiliaires :
vers l’ouest (fig. 2) un petit cercle formé de grosses pierres
posées sur le sol (_c_) ; au nord-ouest (_d_) une série de fers
à cheval dessinés par des pierres posées sur le sol (mais non
enfoncées) et dont le relief atteint un décimètre.

Vers l’est un groupe de redjems (_e_) du type figuré en A (fig. 3)
et qui ne diffèrent les uns des autres que par leurs dimensions ;
les plus hautes ne dépassent guère un mètre. Les deux rangées
internes de ce groupe sont peut-être disposées sur des cercles
concentriques à la tombe. Au nord se trouve un redjem isolé (_e_).

La tombe C (fig. 3) est constituée par un mur haut de 1 m. qui
dessine un cercle de 7 m. de diamètre environ. Ce mur est
soigneusement construit en pierres sèches, l’espace intérieur est
rempli de cailloux de petite taille formant au niveau du sommet du mur
une surface assez bien dressée. Au milieu est creusée une cavité
circulaire de 0 m. 80 de diamètre intérieur, limitée par un mur
soigneusement établi, mur qui s’élève notablement au-dessus du
reste du monument. Ce mur est renforcé vers l’extérieur par un
amoncellement de grosses pierres. A l’intérieur de cette cavité,
à l’extrémité occidentale du diamètre est-ouest, est fichée
dans le sol une longue pierre haute de 1 m. 10. Les tombes musulmanes
présentent souvent deux pierres analogues « les cheheds », mais
toujours situées aux extrémités du diamètre nord-sud. Enfin,
adossée à l’ouest du mur extérieur, se trouve une sorte de niche
demi-circulaire recouverte de quelques grandes dalles ; cette niche
est vide.

[Illustration : Fig. 2.

A, profil de la vallée de l’O. Tit ; _a_, place occupée par
les tombeaux B et C de la figure 2 et B C D de la figure 3 ; _b_,
place occupée par les tombeaux A et B, fig. 6, au pied de la gara
Tinisi. — B, groupe de deux tumulus _c_ et _b_ (ce dernier figuré
en B, fig. 3) accompagnés d’une pierre debout (_a_) et de redjems
(_d_) du type figuré en A, fig. 3. — C, Tombeau C de la figure 3
accompagné de nombreux redjems (_e_) vers l’est, et d’un redjem
isolé (_e_) au nord ; _c_, cercle de pierres ; _d_, groupe de fers
à cheval formés de pierres posées sur le sol.]

_Groupe B._ — Un autre groupe est constitué par deux tombes (B,
fig. 2), voisines l’une de l’autre, et accompagnées à l’est
d’une rangée de redjem (_d_). A côté est dressée une pierre
debout (_a_) ; comme celle de la tombe C, cette pierre n’a qu’une
quinzaine de centimètres de diamètre. L’une des tombes (_c_)
est ornée d’une niche adossée à sa face ouest, et identique à
celle qui vient d’être décrite.

La seconde tombe (_b_) est figurée seule en B (fig. 3) ; elle
est constituée par un mur circulaire, haut de 0 m. 80, entourant
un espace de 4 mètres de diamètre environ, espace rempli de
cailloutis jusqu’en haut du mur. Ce mur bâti en pierres sèches
(basalte) soigneusement appareillées, est entouré d’une rangée
d’écailles granitiques verticales accolées au mur.

_Tombe D._ — Le chouchet D, D′ (fig. 3) est remarquable surtout
par l’épaisseur de sa muraille et son caractère asymétrique ;
le puits bien circulaire a 1 m. 50 de diamètre ; à l’ouest la
muraille a 1 m. 20 d’épaisseur, à l’est 1 m. 80. La hauteur
est partout 1 m. 80. A 2 mètres vers l’est, et orientées N.-S.,
sont dressées 4 écailles granitiques, dont la hauteur varie de 0
m. 50 à 0 m. 80. Ces écailles sont reliées par deux rangées de
pierres au chouchet. A part les écailles, qui sont granitiques,
tout le reste est de basalte ; il y a lieu de remarquer que les
pierres qui constituent la base du chouchet sont de beaucoup les
plus épaisses. La muraille n’est pas aussi intacte qu’on l’a
figurée, il y a quelques pierres éboulées.

[Illustration : Fig. 3.

A, redjem ou pyramide de pierres accompagnant certains tombeaux. —
B, tombeau (B, fig. 2). C, tombeau (C, fig. 2) : _a_, pierre debout
1 m. 10 ; _b_, niche adossée à l’ouest du tombeau. — DD′
tombeau.

Ces tombeaux B C D sont situés près du village de Tit, sur le bord
du plateau basaltique qui limite au nord la vallée de l’Oued (A,
fig. 2).]

_O. Outoul._ — Au confluent de l’oued Outoul et de l’oued
Adjennar, sur la route de Tamanr’asset à Tit M. Chudeau a dessiné
un très beau tombeau analogue à C (fig. 3) et qui est reproduit en A
(fig. 4).

_Tin Hinan._ — Ce sont là incontestablement de beaux monuments
d’une ordonnance plus compliquée, et d’un travail plus
soigné que les autres redjems sahariens, mais le chef-d’œuvre
de cette architecture funéraire est le tombeau de Tin Hinan à
Abalessa. C’est une énorme tombe turriforme de 20 mètres de
diamètre, juchée au sommet d’une éminence, et entourée de
plusieurs chouchets du type ordinaire (B et B′ de fig. 4). Le mur
d’enceinte a 2 mètres de haut ; à l’intérieur des murettes
délimitent des chambres. Motylinski a photographié et longuement
décrit ce monument par lequel il se déclare « profondément
impressionné[57] ». A juste titre en effet : c’est le plus beau
redjem du Sahara, et ce somptueux tombeau berbère est un document
archéologique de valeur comparable au Tombeau de la Chrétienne ou au
Medracen. Il est au type chouchet ce que ceux-ci sont au type bazina,
le dernier terme de l’évolution. Notons qu’il a sur les autres
redjems encore une supériorité importante, celle de n’être
pas anonyme ; Tin Hinan est un personnage presque historique,
c’est l’ancêtre de tous les nobles Touaregs, ancêtre maternel
naturellement, puisque le Hoggar en est resté au matriarcat. C’est
la souche de tout l’arbre généalogique Hoggar. Autour du grand
tombeau les petits rangés en cercle passent pour ceux des Imr’ads
de Tin Hinan. Et un chouchet situé en contre-bas, à quelques
centaines de mètres dans la vallée, serait celui de Tamakat,
ancêtre maternelle des tribus Imr’ads.

[Illustration : Fig. 4.

A, tombeau au confluent de l’oued Outoul et l’oued Adjennar
(entre Tit et Tamanr’asset). — B, tombeau de Tin Hinan ;
_a_, chambre centrale ; _b_, grande pierre sous laquelle est une
niche s’ouvrant en _a_ ; _c_, couloir à entrée masquée ; _d_,
chambres périphériques encombrées de pierres éboulées. Le mur
d’enceinte a 2 mètres de haut. — B′, tombe de Tin Hinan
entourée des chouchets de ses imr’ads. — β, de Takamat ;
une mosquée moderne lui est adossée.

(Figure extraite du _Bulletin de la Société d’anthropologie_.)]

Le Hoggar nous offre donc les plus beaux spécimens de redjems
au Sahara et en même temps les plus récents, les seuls qui
soient datés, ou, en tout cas, attribués à des personnages
historiques. Ils appartiennent tous au type turriforme, chouchet.

L’autre type — bazina — est d’ailleurs représenté par
de très nombreux exemplaires mais tout à fait frustes. Chudeau
admet que les bazinas, au Hoggar, sont d’habitude sur les
bords de l’oued ; tandis que les chouchets, du moins les plus
typiques, sont juchés sur les plateaux et les collines dominant la
vallée. Le fait est trop constant pour qu’on puisse l’attribuer
au hasard. Faut-il voir dans cette répartition différente l’indice
d’une différence d’âge, ou au contraire de caste ? Que les
chouchets soient à la fois de construction beaucoup plus soignée,
et se dressent sur des éminences, ce sont deux caractères
qui s’accordent bien et on pourrait conclure à un caractère
aristocratique (?)

Chudeau note que les chouchets, abondants dans tout le Hoggar, ne
semblent pas s’étendre vers le sud-est ; il a vu les derniers à
deux jours au sud-est de Tamanr’asset, près du point d’eau de
l’oued Zazir, sept beaux chouchets bien typiques en forme de tour,
les deux plus grands ayant 6 mètres de diamètre et 2 mètres
de haut. Au delà, sur la route de l’Aïr, ce type disparaît
brusquement.

Son extension vers l’ouest est d’ailleurs bien délimitée. On
ne le trouve pas, je crois, dans l’Açedjerad, dans l’Ahnet,
dans le Mouidir occidental. Il apparaît bien net dans l’Adr’ar
des Ifor’ass, plus particulièrement dans sa partie septentrionale
(In Ouzel, oued Tougçemin), celle qui regarde le Hoggar, et qui est
sous sa dépendance politique. M. Chudeau le signale à Tin Zaouaten.

En somme, la province des beaux chouchets semble limitée au Hoggar
et à quelques-unes de ses dépendances immédiates. Les plus beaux
échantillons semblent être à Abalessa et se rapporter aux ancêtres
des nobles Touaregs actuels.


=Provinces orientales.= — Sur les tombeaux anciens de
l’Aïr, Chudeau a rapporté des renseignements qui en montrent
surtout le caractère humble et banal. Il note des groupements
importants dans l’oued er Ghessour (Tassili méridional), à In
Azaoua, à Iferouane, mais ce sont des tas de pierres du type si
répandu. Pourtant Chudeau a levé dans l’oued Tidek (Aïr) le plan
d’un grand tombeau assez soigné et assez particulier. C’est un
redjem mixte, bazina à cavité turriforme centrale, qui se dresse
au centre de trois cercles concentriques réguliers, dessinés par
des pierres à la surface du sol (fig. 5).

Certainement cette province de l’Aïr se distingue nettement de
la province nord-orientale (Mouidir et surtout Tassili des Azguers),
telle qu’on l’entrevoit à travers les descriptions de Duveyrier,
Foureau, Besset et Voinot[58].

Duveyrier, on l’a dit, a dessiné près de R’adamès un cist,
autrement dit un dolmen sans toit. A cette exception unique près,
les types du Tassili ont une parenté évidente avec ceux du Hoggar,
encore qu’ils aient une originalité incontestable.

Les tombes figurées par Foureau (_l. c._, fig. 378 et 379)
se reconnaissent au premier coup d’œil, ce sont des chouchets
classiques, des redjems turriformes, tout à fait semblables à ceux
du Hoggar et de l’Adr’ar des Ifor’ass.

[Illustration : Fig. 5. — Tombeau sur les bords de l’oued Tidek
(Aïr).

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Il semble que Besset, au Mouidir occidental a vu de nombreux
chouchets, qu’il décrit ainsi : « un mur circulaire en pierre
sèche à l’intérieur duquel repose le corps recouvert de dalles
et de sables ».

La tombe représentée par Foureau (_l. c._, fig. 377), et qui est
surmontée d’un monolithe, a, nous l’avons vu, quelques analogues
au Hoggar.

Les autres tombes, au contraire (fig. 381, 382, 383, 385,
386, 387[59]), c’est-à-dire la plupart de celles que décrit
M. Foureau, semblent au premier coup d’œil sur la photographie,
très aberrantes des types occidentaux. Ce qui frappe d’abord en
effet, c’est un lacis compliqué de murettes basses ou, si l’on
veut, de pavage en cordon, dessinant le plus souvent des ellipses, ou
bien encore un triangle (fig. 305) ; ces dessins, compliqués comme
des soutaches, couvrent de grands espaces dont le grand diamètre
atteint 80 mètres.

A y regarder de près pourtant et surtout à consulter le texte on
se rend compte bien vite que ces lignes compliquées aboutissent à
un tombeau central, ou à un groupe de tombeaux, qui sont purement
et simplement des redjems, ou comme dit M. Foureau, « des tumuli
de débris de roches amoncelés en forme de cônes bas, tronqués ».

M. Voinot décrit et figure deux redjems de ce genre « à
soutaches » sur la limite méridionale du Mouidir, à Tin Lalen
(O. Arak) et à Amguid. Je crois pourtant que, au Mouidir, ce type
est sporadique ; Besset ne le mentionne pas.

A l’ouest du Hoggar nous ne l’avons rencontré qu’une seule
fois. Au nord-est d’In Ziza, dans l’oued Akifou j’ai vu à la
surface du sol un grand dessin en cordon de pierres qui rappelait par
ses allures de soutache les photographies de Foureau : une ellipse,
dont le grand axe est prolongé par des cornes rectilignes. En
relation avec ce monument je n’ai pas vu de redjem, mais je n’ai
fait que passer et je n’ai même pas eu le temps de mettre pied
à terre. Notons que l’oued Akifou est à peu près le point le
plus oriental de mon itinéraire, il n’est donc pas surprenant
d’y voir représenté, sporadiquement, le type monumental de
l’est. (Voir fig. 9, no 6.)

Le Tassili des Azguers serait donc une province particulière où le
redjem est entouré d’un dessin compliqué de cordons en pierres
sèches, figurant toujours une voie d’accès au tombeau ; on ajoute
au tombeau un vestibule ornemental, pour ainsi dire.

Notons pourtant que certains tombeaux figurés par Chudeau ont
un rudiment de ceinture extérieure, de même d’ailleurs que le
redjem de l’oued Tougçemin (fig. 1, no 7). Les festons figurés
par Chudeau en _d_, fig. 2, au voisinage du grand tombeau C sont
même tout à fait analogues aux soutaches.

En somme pourtant les redjems préhistoriques du Hoggar, autant que
nous les connaissons, ne sont pas enclos d’un cordon de pierres
avec voie d’accès. Je dis les préhistoriques, nous verrons en
effet qu’il en est tout autrement des tombeaux actuels.

Malgré la variété de ces types, qui se laissent répartir en
provinces un peu vagues, mais qui sont évolués les uns des autres,
et qui se relient par des types mixtes intermédiaires, l’unité
fondamentale n’est pas douteuse. Je ne sais jusqu’à quel point
elle ressort des descriptions précédentes, qu’on s’est efforcé
de faire minutieuses, et qui éparpillent l’attention. Pour qui
a parcouru le pays, et vu à de brefs intervalles, quoique à de
longues distances une grande quantité de redjems, l’impression
d’unité est très forte.

En définitive, tout concorde parfaitement ; la disposition
extérieure et intérieure des redjems, la nature du mobilier
funéraire, la position accroupie du squelette. Tout cela est
nettement berbère préislamique. Notons encore que les seuls
crânes trouvés, au nombre de trois, dont deux d’enfants,
étaient délichocéphales, comme on pouvait s’y attendre de
crânes berbères[60]. Tout cela suffirait déjà à autoriser des
conclusions très positives. Mais il y a plus.

[Illustration : Fig. 6.

A A′, chouchet typique avec les deux cheheds. — B, chouchet
construit en écailles granitiques. — A et B sont situées près
de Tit au pied de la gara Tinisi (_b_ A, fig. 2). — C, tombeau de
forgeron près de Tamanr’asset. — D D′, tombeau au point d’eau
de l’oued Kadamellet (15 kilomètres N.-N.-O. d’Iferouane). —
E E′ F, tombes actuelles de Tamanr’asset.]

On suit très bien les transitions graduées entre les redjems
préislamiques et les tombeaux actuels. Chudeau a noté, autour de
Tamanr’asset, dans la vallée de l’oued Sirsouf, un grand nombre
de tombes remarquables par leurs petites dimensions ; elles sont en
forme de chouchet, hautes de 0 m. 60, larges de 1 m. et recouvertes
par de grandes dalles ; entre ces dalles et le sol il y a un espace
vide ; souvent deux de ces tombes sont accolées ; parfois elles sont
appuyées contre un rocher, qui remplace une partie de la muraille
circulaire (C, fig. 6). Ce dernier type rappelle singulièrement
les niches qui accompagnent certaines tombes (cf. fig. 3, C en
_b_). La tradition fait de ces chouchets les tombes d’une tribu
de forgerons, morts autrefois à la suite d’une famine. On sait
que chez les Berbères, comme au Soudan d’ailleurs, et chez la
plupart des primitifs, les forgerons sont une caste peu estimée ;
la petitesse des tombes dans l’oued Sirsouf est peut-être cause
que la légende y loge des parias.

En tout cas, Chudeau a vu les tombes des Touaregs morts au combat
de Tit (7 mai 1902) ; quelques-unes tout au moins ressemblent
singulièrement à celles qui sont attribuées aux forgerons.

En pays Touareg, en particulier dans l’Adr’ar des Ifor’ass,
on voit des redjems islamisés. Dans l’oued Taoundrart j’ai noté
un tombeau du type redjem, d’une belle construction régulière en
pierres sèches, turriforme à l’intérieur, à gradins extérieurs,
mais dans lequel étaient fichés les deux cheheds musulmans,
l’équivalent de nos croix sur nos tombes. (Voir fig. 1, no 8.)

Chudeau en a vu et dessiné de semblables (A et A′, fig. 6).

Tout particulièrement intéressants sont les cimetières d’es
Souk et de Kidal. On sait que es Souk et Kidal sont aujourd’hui des
ruines de villes historiques parfaitement connues. Vieilles capitales
de l’empire Berbère Sanhadja elles ont été détruites au XVe
siècle par l’empire Sonr’aï. Les cimetières d’es Souk et
de Kidal sont donc datés avec précision. Et sans doute ils sont
franchement musulmans et d’un caractère bien différent des redjems
ci-dessus étudiés. C’est d’abord un cimetière aux tombes
juxtaposées, resserrées sur le plus étroit espace possible ; on a
dit que les redjems préhistoriques sont au contraire éparpillés ;
là même où ils se trouvent groupés, toujours en petit nombre,
chaque redjem est à plusieurs mètres, souvent plusieurs dizaines
de mètres de son voisin le plus proche. Dans ces nécropoles à
population dense d’es Souk et de Kidal, chaque tombe porte les
deux pierres debout musulmanes, les témoins (chehed), et comme
l’une marque l’emplacement de la tête et l’autre des pieds,
on peut juger d’un coup d’œil que les funérailles ont été
conformes au rite islamique. Le cadavre est certainement étendu et
non replié. Seulement chaque paire de « chehed » est inscrite dans
un cercle de pierres sèches, un mur, bas, rudimentaire, faisant à
peine saillie au-dessus du sol, mais bien net et incontestable. Le
cimetière est tout entier composé de tours tangentes entre elles. On
peut donc affirmer qu’au XVe siècle encore, les sépultures des
Berbères Sanhadja étaient des redjems du type turriforme islamisés.

Chudeau signale dans l’Aïr des tombes analogues, dont la forme
suppose un cadavre étendu, mais qui ont l’architecture en pierres
sèches du redjem.

[Illustration : Fig. 7. — Tombeau de la sultane Tabeghount ould
Akhlakham, morte en 1898. (Tamanr’asset.)

(Gravure extraite de _La Géographie_. Masson et Cie, édit.)]

La tombe figurée en D, figure 6, se trouve dans la vallée de
l’O. Kadamellet (Aïr) ; c’est un rectangle de 2 m. 50 sur
1 m. 10. Le pourtour en est dessiné par une rangée de grosses
pierres ; l’intérieur est une butte de terre soigneusement
recouverte de pierres plates. Lorsque la jonction se faisait mal,
la terre restant à découvert, une pierre plate recouvrait le trou
(ombrées sur le croquis). Le grand côté du rectangle est orienté
N.-S. il n’y a pas de chehed. Cette absence de chehed ne prouve
pas que la tombe soit préislamique ; on sait combien les Touaregs
du nord sont peu croyants ; à Tamanr’asset, un parallélipipède
rectangle bien construit est la tombe d’un Touareg que, paraît-il,
Aïtarel l’aménokal, mort en 1900, avait connu ; cette tombe
n’a pas de chehed.

Voici d’ailleurs de quelle façon Chudeau décrit les rites actuels
de sépulture, et les tombes authentiquement contemporaines. Les
tombes modernes de Touaregs se rapprochent de toutes les tombes
arabes ; la fosse, profonde d’une soixantaine de centimètres,
et large d’autant (une coudée et quatre doigts), a sa longueur
orientée N.-S. ; le corps enseveli d’un linceul est couché sur
le côté droit, la tête au sud et tournée vers l’est (vers la
Mecque). On recouvre le corps de grosses pierres plates, cimentées
parfois avec de l’argile et l’on achève de remplir la fosse avec
des cailloux ; le pourtour de la tombe est marqué par une rangée
de grosses pierres. Pour les hommes on place deux cheheds l’un à
la tête et l’autre aux pieds ; pour les femmes un chehed à la
tête et deux aux pieds. On choisit pour ces cheheds des pierres
longues à section rectangulaire ; pour les tombes d’hommes, et
pour le côté de la tête dans les tombes de femmes, le grand côté
de cette section est orienté E.-O. : dans les tombes de femmes les
deux autres cheheds, presque contigus, ont leur grand côté orienté
N.-S. (cf. fig. 7). Les croquis E, E′, F (fig. 6) représentent
des tombes de Tamanr’asset. Les cailloux de remplissage forment
une légère saillie dont la ligne médiane est souvent marquée
par une série de cailloux blancs (quartz) plus gros (F). Les
autres cailloux sont de couleur quelconque. Dans le cimetière de
Tamanr’asset la plupart des tombes ont, du côté de la tête,
un pot de terre ou une écuelle de bois remplie de cailloux ; elles
ressemblent ainsi beaucoup à celles des oasis et du M’zab. (Voir
pl. XIII, phot. 26.) Quatre seulement sur les quinze qui constituent
le cimetière présentent un bâton fiché dans le sol, près du
chehed sud. Dans le cimetière d’Iferouane (Aïr) les tombes sont
encore du même type, mais les pots pleins de cailloux font défaut,
et les bâtons existent à toutes les tombes : le bois, rare dans
le Hoggar, est commun dans l’Aïr. Dans le cimetière d’Agulac
(Aïr), village actuellement abandonné, les cheheds du côté de
la tête portent en arabe une courte inscription (2 ou 3 mots).

[Illustration : Fig. 8. — Tombeau de noble Touareg (Tamanr’asset).

(Figure extraite de _La Géographie_, Masson et Cie, édit.)]

Les tombes dont il vient d’être question sont celles des Imr’ads
et des Haratins. Celles des Touaregs nobles en diffèrent par la
présence d’une enceinte elliptique, percée vers l’ouest d’une
ou de deux entrées qui donnent accès dans une allée d’ordinaire
bien sablée qui entoure la tombe ; vers l’est l’enceinte
présente vers l’extérieur une saillie avec une pierre debout,
c’est le lieu de prières orienté vers la Mecque. Cette enceinte
varie dans sa hauteur ; elle est parfois seulement indiquée par une
rangée de grosses pierres comme dans les deux tombes sur les figures
7 et 8 ; plus rarement elle est constituée par un véritable mur qui
rappelle un chouchet. Ces tombes de Touaregs nobles sont communes
dans le Hoggar, mais ne sont pas spéciales à cette région. Le
cimetière abandonné de Takaredei (25 k. N.-O. d’Agadès) en
contient quelques-unes.

Manifestement, à travers les rites islamiques, la vieille
architecture funéraire transparaît ; il est tout à fait
remarquable, en particulier, que les tombes de nobles aient une
enceinte en pierre et un couloir d’accès, dans lesquels il semble
impossible de ne pas reconnaître les « soutaches » des redjems
au Tassili.

De cette continuité dans le type des tombes, au fil de l’évolution
graduelle, les Touaregs eux-mêmes ont quelque conscience, encore
qu’un peu vague.

On a déjà dit que, dans le nord, en Algérie, le caractère
funéraire des redjems est profondément oublié de la
population. Il n’en est plus de même au sud dès qu’on
arrive dans l’Ahnet. Les Touaregs savent très bien que leurs
redjems sont des tombeaux, et ils les entourent d’une certaine
vénération. Duveyrier a vu à Radamès « des tombeaux en forme
de butte sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher
lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient
des nouvelles, etc. ».

Des anecdotes de ce genre courent le Sahara. On m’a parlé, par
exemple, d’un Touareg égaré, séparé de sa caravane ; il passe
la nuit sur un redjem et il voit en rêve le lieu précis où campe
la caravane, si bien qu’il la rejoint le lendemain.

En pays Touareg les redjems sont assurément l’occasion de
phénomènes psychiques, de l’ordre de ceux qu’on classe chez
nous, dans les revues spéciales, sous le nom de vue à distance,,
télépathie, etc.

Les Touaregs ne consentiraient pas à violer un redjem : ils le
laissent pourtant fouiller sous leurs yeux par un Européen avec une
parfaite indifférence ; le sacrilège ne les choque plus du moment
qu’ils n’en ont pas la responsabilité directe. C’est qu’ils
sont assez islamisés pour avoir perdu tout intérêt à leur propre
passé préislamique ; ils en ont même perdu la conscience, ils ne
le voient plus comme leur propre passé à eux. A Ouan Tohra les
fouilles ayant amené l’exhumation de quelques squelettes, les
Touaregs se sont étonnés de les trouver pareils à des ossements
quelconques ; ils les auraient attendus gigantesques ; d’après
leurs légendes c’est une race surhumaine et disparue qui dort sous
les « izabbaren » (c’est le nom touareg des redjems). _Grandiaque
effossis mirabitur ossa sepulchris_, l’homme est partout le même,
au Hoggar ou dans la vallée du Pô.

Il ne faut pourtant pas être trop absolu, puisqu’il existe au
Hoggar des izzabaren tout à fait semblables aux redjems du type
habituel, mais qui sont les tombeaux de personnalités déterminées
ancêtres des Touaregs. Le tombeau de Tin Hinan est un aveu indirect.


=Autres monuments lithiques.= — Les redjems n’ont donc plus
rien de mystérieux, leur histoire peut être considérée comme
déchiffrée dans les grandes lignes.

Ils ne sont pas les seuls monuments lithiques notés au passage. Au
bas des pentes du dj. Mekter, à huit kilomètres environ à
l’est d’Aïn Sefra, le capitaine Dessigny a trouvé un cercle
régulier circonscrit par des pierres debout fichées en terre ;
il y a fait des fouilles qui n’ont donné aucun résultat. J’ai
vu ce monument rudimentaire, le seul de ce genre si je ne me trompe
qui ait été signalé en Algérie (mais cela ne veut pas dire le
seul qui existe). Je lui trouve une grande ressemblance avec des
monuments du même genre, que j’ai relevés au Sahara.

[Illustration : Fig. 9. — Monuments en pierres sèches (pavages
à fleur de sol).

1. Cercle de Toloak. — 2. Cercle d’Ouan Tohra. — 3 et
4. Rectangles à Ouan Tohra. — 5. Mosquée touareg. — 6. Dessin
en pierres sèches dans l’O. Akifou. — Les figures sont orientées
comme une carte de géographie.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_, Masson et Cie, édit.)]

Un de ceux que j’ai vus de plus près, et le seul que j’aie
soigneusement fouillé, se trouve à Taloak. Le cercle est
parfaitement régulier, on peut croire qu’il a été tracé au
cordeau. Le mur qui le circonscrit, au ras du sol, est fait de
six rangées de pierres debout, chaque rangée inscrite dans la
précédente, et tout cela d’un appareil assez soigné. Ce mur
a 1 mètre d’épaisseur. La partie centrale du cercle, libre de
pierres a 7 mètres de diamètre. Notons que les pierres ne sont
pas posées sur le sol mais profondément enracinées.

J’ai vu, en passant, des cercles tout à fait semblables à
diverses reprises, à six kilomètres au nord d’Ouan Tohra, dans
l’oued Ebedakad (Adr’ar des Ifor’ass) ; le colonel Laperrine
en a photographié. (Voir pl. XIV, phot. 27.)

Chudeau en signale un certain nombre au Hoggar, près d’Abalessa, à
12 kilomètres au sud de Tamanr’asset, dans l’oued Tinfedet (sud
du Hoggar) au sud des tilmas : sur ce dernier point le type est assez
aberrant, de petites dimensions, 2 mètres seulement de diamètre :

Dans l’Aïr, Chudeau a vu de grands cercles à 10 kilomètres au
nord-ouest d’Iferouane, à 7 kilomètres au nord de Salem-Salem,
dans un cimetière musulman. (Voir fig. 10.)

Détail intéressant, il note l’emploi de cailloux blancs (quartz)
pour paver soit l’intérieur du cercle, soit des bandes intercalées
entre circonférences concentriques. (On a vu que l’usage décoratif
du quartz s’est conservé dans la technique des tombeaux modernes.)

Foureau lui aussi a vu ces grands cercles (fig. 384, p. 1081). Barth
est le premier qui les ait signalés à 200 kilomètres dans l’est
de Mourzouk[61].

En somme ils sont anciennement connus, ils ont été notés par
tous les voyageurs, ils sont fréquents et épars sur tout le Sahara
central. Il y a quelques types aberrants.

Auprès du puits d’Ouan Tohra (à 200 mètres au sud)
un autre cercle de 5 mètres de diamètre présente quelques
particularités. Le mur de pierres qui le circonscrit est interrompu
par une porte qui s’ouvre à l’est. Et juste en face, à l’autre
extrémité du diamètre, le mur s’épaissit en une plate-forme
ovale, dont le grand arc est dans la prolongation du diamètre. (Voir
fig. 9, no 2.)

Enfin à quelques mètres de là, auprès du même puits d’Ouan
Tohra, un autre monument est tout à fait différent de forme, mais
doit être rangé, je crois, dans la même catégorie. Il s’agit
toujours de murs au ras de terre, il serait peut-être plus exact de
dire des dessins en pavage. Mais ici ce n’est plus un cercle qui
est dessiné. C’est un rectangle long de 5 mètres et large de
4. L’un des grands côtés fait défaut complètement, celui de
l’est, et de ce côté, où le rectangle est ouvert, à quelques
mètres, inscrit dans la prolongation des petits côtés, se trouve
un autre rectangle beaucoup plus petit (2 m. 50 de grand diamètre),
séparé en deux compartiments par un cordon de pavage. Chudeau
signale un monument de ce genre à Tin Amensar (oued Tit). (Voir
fig. 9, nos 3 et 4 et fig. 10, F.)

L’idée qu’on ait affaire ici à des monuments funéraires doit
être, je crois, tout à fait écartée. En effet, j’ai fouillé
sérieusement le grand cercle de Taloak : partout à l’intérieur
du pavage annulaire j’ai trouvé tout de suite le sol naturel,
non remanié, je n’ai pas vu trace d’un tombeau. En revanche, à
la surface du sol ou à une profondeur insignifiante, on rencontre
des débris de poteries, du bois carbonisé, des cristaux fragiles
mélangés à la terre, et qui n’ont pas supporté le voyage, mais
qui ont paru être du salpêtre ou des nitrates quelconques. Faut-il
croire que, à l’intérieur de ce cercle, on a fait des sacrifices,
qui ont imprégné le sol de produits organiques ? Il semble difficile
en tout cas de lui prêter un caractère autre que religieux.

[Illustration : Fig. 10.

A, 10 kilomètres au nord-ouest d’Iferouane. — B, 12 kilomètres
au sud de Tamanr’asset. — C, 7 kilomètres au nord de Salem-Salem,
dans un cimetière musulman. — D, près d’Abalessa. — E,
oued Tinfedet (sud du Hoggar) au sud des Tilmas. — F, oued Tit,
près de Tin Amensar.

(Figure extraite du _Bulletin de la Société d’anthropologie_.)]

J’ai fouillé aussi le plus petit des rectangles de Taloak, lui
non plus ne peut pas être un tombeau ; on y rencontre partout le
sol naturel, et si ce n’est pas un tombeau il faut avouer qu’il
a une allure d’autel.

Voici enfin qui me paraît donner à ces hypothèses une valeur de
quasi-certitude. Ces monuments mégalithiques relativement anciens
et énigmatiques voisinent avec d’autres, qui ne sont ni l’un
ni l’autre ; ce sont les mosquées des Touaregs. Ces mosquées
(m’salla) ont la plus grande analogie architecturale avec les
cercles de sacrifice ; la forme seule diffère ; ce sont des cordons
de pavage qui dessinent une mosquée réduite à sa plus simple
expression, c’est-à-dire à la niche qui indique la direction
de la Mecque (le mihrab). Une mosquée de ce genre à In Ziza a une
grande réputation de sainteté. (Voir fig. 9, no 5.)

Il est remarquable de trouver en général réunis sur le même
point redjems, cercles de sacrifices et m’salla. Les redjems
d’ailleurs sont toujours juchés sur une éminence, dominant le pays
et aperçus de loin[62]. L’emplacement où ils s’élèvent n’a
pas été choisi apparemment sans préoccupations religieuses. Ce
sont d’anciens lieux consacrés, semble-t-il, et qui le sont
restés après le triomphe de l’Islam ; si bien qu’on y suit
l’évolution des cultes ; à côté de la mosquée il subsiste
d’anciens sanctuaires préislamiques.


=Conclusion.= — En résumé, la question des monuments rupestres
au Sahara, funéraires et religieux, semblé élucidée, au moins
dans ses grandes lignes. Le problème d’ailleurs, tel qu’il se
pose actuellement et sous réserve de découvertes ultérieures, est
remarquablement simple. En d’autres pays, en particulier dans les
provinces voisines d’Algérie et du Soudan, le passé préhistorique
se présente sous des aspects multiples. En Algérie les redjems
abondent, mais on trouve à côté d’eux des dolmens, quelques
sépultures sous roche (grotte des Troglodytes, etc.), pour ne rien
dire des puniques et des romaines. Au Soudan, comme on peut s’y
attendre, en un pays où tant de races sont juxtaposées, le livre
de M. Desplagnes énumère des tombeaux de types divers et multiples,
poterie, grottes sépulcrales, cases funéraires, tumulus[63].

Rien de pareil au Sahara. On distingue bien des types différents
de redjems, les caveaux sous tumulus du nord, qui sont peut-être
influencés par les dolmens et les sépultures romaines, les redjems
à soutaches du Tassili des Azguers, les chouchets du Hoggar, qui
semblent nous raconter l’itinéraire et l’expansion des nobles
Touaregs actuels. Mais tout cela se ramène à un type unique,
évidemment berbère, le type redjem.

Berbères sont aussi les cercles de sacrifices et monuments
similaires. Parmi tant de pierres sahariennes entassées ou
agencées par l’homme on n’en connaît pas une seule qu’on
puisse soupçonner de l’avoir été par une main autre que Berbère.

Et ceci nous conduirait à conclure que les Berbères ont
habité le Sahara dans toute l’étendue du passé, historique et
préhistorique, si d’autre part tous ces redjems ne paraissaient
récents. Quelques-uns, qui ne se distinguent pas des autres,
sont encore nommément attribués à des personnalités connues,
si courte que soit la mémoire historique des Touaregs (Tin Hinan
et les siens). Les mobiliers funéraires contiennent du fer, et on
n’en connaît pas un seul qui soit purement et authentiquement
néolithique.

Cette énorme lacune est naturellement de nature à nous inspirer
la plus grande prudence dans nos conclusions. D’autant plus que,
après tout, les monuments similaires algériens, dans l’état
actuel de nos connaissances, ne paraissent pas plus anciens. A en
juger d’après le témoignage des redjems seuls, les Berbères
seraient dans l’Afrique du nord et _a fortiori_ dans le Sahara,
un épiphénomène.


II. — Gravures rupestres.


Rappelons que, en matière de gravures rupestres algériennes
et depuis les travaux de Pomel et Flamand, il est d’usage de
distinguer les gravures rupestres proprement dites, anciennes, à
trait profond, net, lisse, à patine très sombre, de grande taille
— et les gravures libyco-berbères qui sont des grafitti informes,
à traits pointillés, sans patine, et beaucoup plus récents[64].

On emploiera donc sans plus d’explications les expressions gravures
anciennes et libyco-berbères.

J’ai rencontré le long de mon itinéraire un assez grand nombre
de stations de gravures rupestres, je les décrirai successivement
en allant du nord au sud.


=Station du col de Zenaga (Figuig).= — L’emplacement de cette
station a été indiqué avec précision par M. Normand[65], elle
se trouve sur un petit monticule à l’entrée du col et à gauche
quand on vient de Beni Ounif. Les dessins sont gravés sur des
blocs de grès albiens, dits grès à dragées ou à sphéroïdes,
les mêmes qui tiennent une place si considérable dans tout le
Sud-Algérien, et qui furent une matière de prédilection pour le
graveur rupestre. Les gravures sont éparses sur tout le monticule,
les unes sur des pans de roche verticaux et d’autres au contraire
sur des surfaces horizontales.

Les figures ci-jointes ont été exécutées par M. Ferrand,
dessinateur de l’École des sciences d’après des calques et
des estampages ; elles présentent donc des garanties suffisantes
d’exactitude. Ces gravures rentrent tout à fait dans la catégorie
des gravures anciennes. Elles en ont tous les caractères distinctifs.

1o Les figures ont de grandes dimensions, parfois même elles sont
grandeur nature ;

2o Le dessin est amusant et trahit un souci de la nature qui fait
songer à nos dessins quaternaires sur bois de renne ou ivoire
de mammouth ;

3o Le trait est profond, régulier ;

4o La patine est aussi foncée dans le trait lui-même que sur la
roche avoisinante ;

5o L’extrême antiquité de la gravure, déjà prouvée par la
patine, est accusée par le choix des sujets, animaux disparus,
comme l’éléphant ; ou fossiles, comme le buffle antique.

Les gravures du col de Zenaga sont naturellement d’intérêt
inégal. Il en est qui sont des énigmes indéchiffrables : par
exemple l’animal à taille mince de lévrier, à cou démesuré
de girafe et ceint d’un collier, à tête indistincte, hérissée
et balafrée de longs poils (?) (fig. 11, γ). Ou bien encore la
figure β de la même planche, qu’on ne sait comment décrire, à
moins qu’on ne se décide à y voir un être humain schématique,
assis et les bras écartés (?)

Quelques animaux ne sont reconnaissables que tout à fait en gros,
et non sans quelque hésitation, α de la même figure 11, semble
bien être un mouton avec une corde au cou. α, β, γ de la figure
12 comme aussi α de la figure 13 sont évidemment des bovidés et
d’espèces différentes, γ de la figure 12 a les cornes courtes
et le muffle carré. Tous les autres ont le muffle pointu et les
cornes démesurément longues ; mais sont-ce bien des _Bubalus
antiquus_ ? on serait tenté de répondre oui pour α de la figure
13 ; pourtant l’hésitation reste permise. Elle ne l’est plus
pour γ de la même figure ; c’est un joli dessin de bubale antique,
simplement esquissé mais bien campé ; toutes les caractéristiques
de l’animal y sont ; les cornes immenses, circulaires, le chanfrein
courbé, le garrot élevé.

β de la figure 3 est également un éléphant réussi, quoique
réduit à ses lignes principales, et faisant songer aux animaux
dessinés d’un trait de plume de nos journaux illustrés.

[Illustration : Fig. 11. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α
a 0m,40 de la tête à la croupe ; β a 0m,28 de la tête à la base ;
γ a 0m,82 de la tête à la queue.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Mais la plus intéressante de ces gravures est sans contredit,
comme le capitaine Normand l’a bien reconnu, celle du bélier ou
du bouc, coiffé d’un sphéroïde muni d’appendices (_uræi_) ;
au sujet d’un animal tout à fait analogue une longue discussion a
eu lieu au Congrès international d’Anthropologie de 1900[66]. La
question agitée était celle de ses affinités égyptiennes ; on a
cru reconnaître dans le sphéroïde un disque solaire flanqué de
chaque côté d’un serpent _uræus_ ; ce serait une représentation
du grand dieu de Thèbes en Égypte, Ammon ; et dès lors on peut
se demander, suivant l’antiquité plus ou moins grande qu’on
attribue aux gravures rupestres, si c’est la gravure sud-oranaise
dont l’inspiration est venue d’Égypte, ou si au contraire
c’est le dieu Ammon qui est d’origine libyenne.

[Illustration : Fig. 12. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α
a 0m,48 des cornes à la croupe ; β a 0m,46 des cornes à la croupe ;
γ a 0m,45 du museau à la croupe.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

[Illustration : Fig. 13. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α
a 0m,43 de la corne droite à la croupe ; β a 0m,39 de la pointe
des défenses à la croupe ; γ a 0m,53 de la pointe des cornes à
la croupe.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

On a publié jusqu’ici deux exemplaires seulement du bouc
casqué[67], tous deux communiqués par M. Flamand et provenant l’un
et l’autre de la station de Bou Alem. Je sais que M. Flamand en
possède d’autres dans ses cartons[68] de provenances diverses,
mais toujours sud-oranaise. Voilà donc le bouc casqué classé
parmi les sujets familiers aux graveurs rupestres.

Le bouc du col de Zenaga (fig. 14) se distingue de ceux de Bou Alem
par certains détails, le dessin de la tête est un peu différent,
le chanfrein moins accusé ; la barbiche très nette ; mais ce trait
si particulier de la corne rabattue en bas et en avant ne laissent
guère de doute sur l’identité de l’animal avec celui où
Gaillard a cru reconnaître _Ovis longipes_.

Les accessoires sont à peu près les mêmes qu’à Bou Alem ;
l’animal porte un collier, auquel on pourrait croire qu’est
suspendu un objet de forme ovoïde ; mais peut-être est-il
préférable d’admettre une faute de dessin ayant amené un
entre-croisement des lignes. Le graveur semble avoir fait le collier
d’abord et n’avoir pas pu ensuite y faire entrer le cou. Le
sphéroïde n’est pas rattaché par une bride au-dessous du menton ;
mais les _uræi_ (?) sont dessinés comme à Bou Alem et rattachés à
peu près au même point. A noter la présence autour du sphéroïde
de lignes divergentes et rayonnantes vers l’extérieur ; un détail
qui rendrait vraisemblable l’identification du sphéroïde au
disque solaire.

La gravure est à peu près de grandeur nature, un mètre exactement
de la tête à la queue. Ces grandes dimensions sont cause que
les pieds de l’animal sont restés en dehors de mon calque ;
ils ne figurent donc pas sur le dessin ci-joint ; ils ne sont
d’ailleurs ni aussi soignés ni aussi bien conservés que le
reste de la figure ; la corne n’est certainement pas dessinée ;
mes souvenirs sur ce point sont corroborés par l’examen d’une
photographie, obligeamment communiquée par M. Flamand. A cela
près la gravure est très belle ; tout l’espace circonscrit par
les lignes extérieures de la figure est évidé et soigneusement
_poli_, l’évidement étant régulièrement décroissant des
lignes extérieures au centre. C’est ce que le dessin cherche à
rendre en entourant la figure d’un grisé qui veut schématiser
les aspérités de la roche.

Il est impossible de concevoir une figure pareille, représentant
un aussi gros effort, comme un graffitti de pâtre qui s’amuse. La
gravure est sur un pan de roche vertical, difficilement accessible, du
moins aujourd’hui, et dominant la palmeraie. Elle se verrait de loin
si sa patine ne la rendait indiscernable. On échappe difficilement
à la conclusion qu’elle avait une signification religieuse.

Cette énumération des gravures du col de Zenaga est loin d’être
complète. Je regrette en particulier de n’avoir pas calqué une
autruche très nette, quoique médiocrement dessinée.

[Illustration : Fig. 14. Gravure du col de Zenaga. Dimension : 1
mètre de la tête à la queue. Toute la partie du dessin restée
en blanc est soigneusement évidée et polie dans l’original.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

J’ai négligé systématiquement les gravures modernes rentrant dans
la catégorie de celles que M. Flamand a baptisées libyco-berbères,
reconnaissables au premier coup d’œil à leur grossièreté, à
l’absence de patine, au trait sans profondeur et « pointillé »,
comme aussi aux inscriptions qui les accompagnent. Au col de Zenaga la
seule inscription de quelque longueur est en langue arabe (versets du
Coran) ; les inscriptions en caractères libyco-berbères sont rares
et de quelques lettres. Les gravures mêmes de cette époque sont en
proportion extrêmement faible, comparée aux autres ; j’ai noté
des sceaux de Salomon, des sandales (pourtour extérieur d’un pied
humain ou plutôt d’une sandale). Ces dernières plus intéressantes
puisqu’elles abondent en pays Touareg.


=Station de Barrebi.= — A 150 kilomètres au sud de Figuig, le long
de la Zousfana, j’ai longuement étudié la station de Barrebi[69].

Barrebi est un ksar dans l’oasis des Beni Goumi, plus connu sous
le nom de Tar’it.

Les gravures s’alignent, pendant un kilomètre peut-être, sur
la tranche d’une couche de grès, surmontée en stratification
concordante par une couche fossilifère de calcaire dinantien.

Ce grès, probablement carboniférien, se trouve être beaucoup
moins résistant aux intempéries que les grès crétacés de la
chaîne des ksour où ont été relevées jusqu’ici la plupart des
gravures rupestres connues en Algérie. La paroi de grès est très
ébouleuse, très effritée, il est donc possible que les gravures
les plus anciennes et par conséquent les plus belles aient disparu.

En tout cas les gravures subsistantes à Barrebi sont bien moins
soignées et moins intéressantes que celles, toutes voisines
pourtant, du col de Zenaga à Beni Ounif.

Il en est cependant plusieurs d’incontestablement anciennes, à en
juger non seulement par les dimensions, la profondeur du trait et la
patine, mais aussi par les animaux représentés. Dans la figure 15,
1 est un éléphant incontestable, si mal dessiné qu’il soit ou
du moins je n’imagine pas qu’il puisse être autre chose.

3, 5 et peut-être 2, 6 et 7 sont des représentations de _Bubalus
antiquus_, bien mauvaises il est vrai. L’immense développement
des cornes dans 3 et 5 ne laisse pas de place au doute. Mais nous
sommes loin de tant de belles gravures publiées représentant cet
animal. Il faut noter qu’un _Bubalus antiquus_ (no 5) porte sur
le dos ce qui semble bien être la représentation conventionnelle
d’un bât.

4 est intéressant parce qu’il présente une analogie évidente
avec des gravures publiées par Pomel (Pl. XI, fig. 1, 2, 3)[70] et
où il a cru reconnaître le gnou, dont il signale en Algérie des
ossements fossiles. (Voir pl. XV, phot. 30.) On pourrait d’ailleurs
reconnaître à la rigueur un gnou dans les nos 2 et 6 à la direction
« apparente » des cornes. Pourtant je crois bien que 6 représente
un bœuf quelconque et 2 un _Bubalus antiquus_ bâté. Pour cette
dernière figure en particulier, il suffit de supposer que la tête
de la bête est représentée à profil perdu et que par conséquent
il manque une corne.

Même le no 4 est trop informe, je crois, pour qu’on y reconnaisse
avec certitude un gnou, d’autant plus que les figures publiées
par Pomel ne sont pas meilleures. Il me semble que l’existence
du Gnou dans les gravures rupestres nord-africaines reste encore
à démontrer.

[Illustration : Fig. 15. — Gravures rupestres de la station de
Barrebi. — Réduction au vingtième d’après un calque ; 1,
par exemple, a 1m,20 des défenses à la queue.

1. Éléphant. — 3 et 5. _Bubalus antiquus_. — 2, 4, 6 et
7. Incertains.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Il faut noter d’ailleurs que le no 4 s’il est de grande taille
et dessiné d’un trait ferme est peu patiné.

Les nos 1, 2, 5 et 6 de la figure 16 représentent la même antilope
à cou allongé, à cornes recourbées en avant quoique 6 soit de
facture différente et manifestement plus récente. (Voir pl. XV,
30.) Ce sont d’assez jolies figures en somme, et quoiqu’il manque
les pattes à 1 et le museau à 5, la silhouette de l’animal est
rendue dans les quatre figures d’une façon concordante et nette. On
imagine assez bien la bête. Il est difficile d’y reconnaître
une quelconque des antilopes algériennes actuelles. La gazelle,
le mouflon et l’adax sont exclus sans contestation possible
par la forme des cornes. Il ne serait peut-être pas impossible
de songer au bubale (_Bos elaphus_), chez qui pourtant les cornes
sont épaisses et courtes, et affectées d’une courbure en avant
bien peu sensible. On comprend que Pomel, reproduisant une figure
de ce genre[71], ait cherché à la rapprocher d’une espèce
fossile « _Antilope_ (Nagor) _maupasii_ analogue au Mbil (_Antilope
Laurillardi_) ». Aujourd’hui pourtant nous savons qu’il existe,
sinon en Algérie du moins à proximité, dans le Sahara des Touaregs,
une antilope qu’il serait raisonnable de reconnaître dans nos
figures, c’est le Mohor, antilope de Sœmmering[72].

[Illustration : Fig. 16. — Gravures rupestres de la station
de Barrebi. Réduction au vingtième d’après des calques du
lieutenant Pinta.

1, 2, 5 et 6. Antilope Mohor (?) — 3, 4, 7 et 8. Incertains.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Dans les nos 3, 4 et 7 de la figure 16 je ne sais pas s’il
serait bien sage de prétendre reconnaître quelque chose, non plus
peut-être que dans le no 8 encore bien que la longueur des cornes
semble indiquer une antilope adax. Y a-t-il lieu de formuler derechef
à propos de 3 et 7 l’hypothèse de l’okapi[73] ?

Le no 2 de la figure 17 est tout à fait remarquable par sa facture
très soignée, tout l’intérieur est excavé, lisse et patiné ;
c’est de beaucoup la plus belle gravure de la station. 2 et 3
me paraissent représenter le même animal, un taureau vulgaire,
quoique Pomel, dans une figure de ce genre, veuille reconnaître
une espèce fossile « _Ægoceras lunatus_, proche parent de _Kobus_
et autres cavicornes quaternaires[74] ».

1 est bien grossier, de facture récente, sans patine (comme 3
d’ailleurs) ; à la direction de la corne, recourbée devant les
yeux, il semble bien qu’il faille reconnaître le bœuf algérien
actuel, si fréquemment figuré, _Bos ibericus_.

Dans une gravure tout à fait semblable à 5, Pomel veut
reconnaître « un grand Échassier de la famille des Cigognes et
des Grues »[75]. Ici il est manifestement impossible de le suivre,
l’éminent géologue est victime du point de vue paléontologique
auquel il se place. C’est la figuration conventionnelle classique
de l’autruche dans toutes les gravures rupestres nord-africaines.

[Illustration : Fig. 17. — Gravures rupestres de la station de
Barrebi. — Réduction au vingtième d’après des calques du
lieutenant Pinta.

1. _Bos ibericus_. — 2 et 3. Bœufs (2 très soigné). —
5. Autruche. — 4, 6, 7. Lion. — 8. Chameau. — 9, 10,
12. Cavalier numide. — 14. Stèle funéraire du musée d’Alger.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Les figures commentées jusqu’ici sont d’antiquité inégale ;
s’il fallait, au point de vue chronologique, attribuer une valeur
absolue à la facture, au fini de l’exécution, 2 de la figure
17 tout seul, en y joignant peut-être 1, 2 et 5 de la figure
16, mériterait d’être rangé dans la catégorie de gravures
rupestres anciennes ; mais toutes ces gravures du moins, même les
moins patinées, sont de grandes dimensions, et circonscrites d’un
trait net.

Celles dont il nous reste à parler sont franchement libyco-berbères
et évoluent vers le schéma, le graphisme conventionnel. A noter
des images de carnassiers, de lion peut-être (4, 6 et 7 de la
fig. 17), une figuration de chameau (8), une gravure tout à fait
indéchiffrable (13), et enfin des cavaliers porteurs du bouclier
rond et des trois sagaies. C’est l’ornement classique des Libyens
sur les stèles d’Alger[76].

J’ai reproduit ci-contre une de ces stèles provenant de la
Grande-Kabylie. L’analogie saute aux yeux. Il est clair que
nous avons dans ces trois gravures 9, 10 et 12 une représentation
grossière du « cavalier numide » ou « gétule ».

Ce sont les seules figures humaines que j’aie notées dans la
station avec une toute petite figure à phallus dressé entre les
cornes du _Bubalus antiquus_.


=Station d’Aïn Memnouna.= — Je n’ai pas vu la station d’Aïn
Memnouna. Mais M. le lieutenant Voinot a bien voulu m’adresser à
son sujet des dessins et des notes détaillées.

Elle est relativement voisine de Barrebi, dans une région qu’on
peut encore considérer comme une dépendance de l’Atlas, entre la
Zousfana et le Guir, mais plus près du Guir. « La station, dit le
lieutenant Voinot, est à environ 1500 mètres au sud de la source, en
dehors de la gorge et à l’est du medjbed allant du Guir à l’Aïn
Memnouna. Les dessins sont gravés sur les pierres de la hammada.

« Les dessins de la station de l’Aïn Memnouna présentent les
mêmes caractères que ceux attribués à l’époque préhistorique
par M. Flamand. La gravure est faite en creux au simple trait de 1
à 2 mm. de largeur et de faible profondeur, surtout dans quelques
parties fort usées. Le trait est patiné dans le même ton que le
grès. Les lignes des gravures ont été tracées avec une grande
sûreté de main. Les allures générales des animaux représentés
dénotent un réel essai d’observation de la nature, et la plupart
des dessins ne manquent pas de grâce malgré la simplicité de
leur exécution. »

En somme, la station est à plat, à même la hammada, sous les
pieds des passants, sur des plaques de grès horizontales. Le cas
n’est pas isolé quoique, en général, le graveur utilise une
paroi verticale.

Les gravures sont incontestablement anciennes.

M. Voinot ne dit pas qu’il ait estampé ou calqué ; ses
reproductions sont, je crois, de simples dessins, ne visant pas à une
exactitude rigoureuse. La station d’ailleurs est très éloignée
de nos postes actuels, elle n’a été vue qu’en passant au cours
d’une randonnée rapide.

Ces dessins de M. Voinot sont au nombre de sept (fig. 18). Dans le 1
il reconnaît une antilope adax ; dans le no 3 une gazelle (le dessin
géométrique à côté de la gazelle restant indéterminable)[77] ;
dans le no 5 M. Voinot croit reconnaître un demman, mouton à poil ;
mais, sous cette réserve qu’il a vu la gravure elle-même, il
me semble que le dessin, à tout le moins, suggérerait plutôt
l’idée d’un _Bos ibericus_, bœuf à cornes recourbées
devant les yeux (?) Pour M. Voinot, 2 est un âne, 6 un taureau,
4 une figure cabalistique, et 7 derechef un taureau. « C’est la
plus belle gravure de la station sans contredit ; les longs poils
du mufle et de l’organe sexuel sont nettement représentés. Ce
bœuf a l’air de porter une selle. »

[Illustration : Fig. 18. — Gravures rupestres de la station d’Aïn
Memnouna. — Dessins de M. le lieutenant Voinot.

1. Antilope adax. — 2. Ane ? — 3. Gazelle. — 5. Mouton ou
bœuf ? — 6 et 7. Taureau.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]


=Station de Hadjra Mektouba.= — A mi-chemin entre Beni Abbès
et Kerzaz, sur la rive droite de la Saoura, à 4 ou 5 kilomètres
de l’oued une couche de calcaire mésodévonien affleure au
milieu des dépôts continentaux mio-pliocènes et forme une sorte
de trottoir large à peine d’une dizaine de mètres et long de
plusieurs kilomètres. (Voir pl. XXXII, phot. 61.) Cet affleurement
est couvert de dessins rupestres et porte en conséquence le nom de
Hadjra Mektouba (les pierres écrites)[78].

Il n’est pas tout à fait sans exemple que des dessins rupestres
soient gravés sur le calcaire. M. Flamand signale une station de
ce genre dans le Tadmaït[79]. Elles sont très rares.

A la station de Hadjra Mektouba, ce qui frappe d’abord ce sont des
inscriptions arabes récentes ; on reconnaît facilement des actes
de foi (il n’y a de Dieu que Dieu, etc.). La station se trouve,
en effet, sur le chemin des pèlerins qui vont à la zaouia très
vénérée de Kerzaz.

[Illustration : Fig. 19. — Gravures rupestres de la station de
Hadjra Mektouba.

Réduction au vingtième d’après calques.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

J’ai relevé (fig. 19, no 1) une inscription arabe, d’ailleurs
indéchiffrable, encadrée dans une figure géométrique,
dont M. Basset, l’arabisant éminent, directeur de l’École
des Lettres, ignore la signification. A titre d’hypothèse il
suggère l’idée que ce pourrait être un mekkam (souvenir d’un
marabout quelconque qui aurait séjourné, prié, etc., sur ce point
précis). A coup sûr la station de Hadjra Mektouba est au point de
vue islamique une sorte de lieu saint.

On distingue aussi quelques lettres tifinar’, mais en petit nombre,
et de mauvaises gravures libyco-berbères ; j’ai noté un méhariste
à bouclier rond.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XVI.

[Illustration : Cliché Gautier

31. — GRAVURE RUPESTRE DANS L’OUED TAR’IT (Ahnet)

Sur grès éo-dévonien.

L’animal représenté est une girafe.]

[Illustration : Cliché Gautier

32. — GRAVURE RUPESTRE, A TAOULAOUN (Mouidir)

sur grès éo-dévonien.

Le sujet représenté est une chasse au mouflon ; pour pouvoir
photographier, on a passé les figures à la craie.]

C’est là tout ce qu’on aperçoit au premier abord, et l’on
serait tenté de croire que les gravures anciennes ne sont pas
représentées. A y regarder de près pourtant, on les trouve en grand
nombre, mais si effacées qu’elles sont à peine discernables. Il
faut chercher pour chaque coin de pierre l’éclairage favorable ;
et sous un certain jour on voit se révéler de vieux dessins flous
mais incontestables, des arrière-trains, des pattes, souvent même
l’animal entier (antilopes, animaux cornus [?]) (Voir nos 2 et 3.)

L’aspect de la roche explique facilement la disparition presque
totale des vieilles gravures. La face du calcaire porte distinctement
l’empreinte des pluies pourtant si rares. Le calcaire évidemment,
par sa sensibilité à l’action chimique des pluies, conserve
beaucoup plus mal la gravure que le grès, par exemple.

Il me semble curieux que je n’en aie pas vu dans toute la chaîne
d’Ougarta, où pourtant les grès éodévoniens, extrêmement
développés auraient dû attirer le graveur. Il se peut il est
vrai qu’elles m’aient échappé. Cette hypothèse est même
très vraisemblable.


=Stations des oasis et du Tadmaït.= — En revanche dans la région
des oasis et le Tadmaït, qui sont relativement connus, les gravures
sont assurément rares et peu intéressantes. Ce sont surtout des
inscriptions (tifinar’ ou libyco-berbères !). J’en ai vu à
Tesfaout (Timmi), à Ouled Mahmoud (Gourara), dans l’oued Aglagal
(Tidikelt — et nota bene sur une dalle calcaire), à Haci Gouiret
(au sud d’In Salah). M. le commandant Deleuze en a relevé
une près de Tesmana (Gourara)[80]. M. Flamand à Haci Moungar,
à Aïn Guettara[81]. Il en existe assurément d’autres et cette
énumération n’a pas la prétention d’être exhaustive. Mais on
sait que, dans l’état actuel de nos connaissances, ces inscriptions
sont indéchiffrables ; on ne peut donc que les mentionner.

On ne connaît sur cette grande étendue que trois stations
de gravures rupestres assez médiocres, à Tilmas Djelguem
(sur calcaire), à la gara Bou Douma, et à Aoulef (gara des
Chorfa)[82]. Ajoutons, quoiqu’un peu en dehors de la zone
quelques grafitti insignifiants que j’ai vus sans les copier à
Haci Ar’eira (au sud du Tidikelt). Sous réserve de découvertes
ultérieures il semble donc qu’une zone intermédiaire assez pauvre
sépare les deux régions riches en gravures du nord et du sud —
l’Atlas et les plateaux Touaregs.

[Illustration : Fig. 20. — Taoulaoun.

A, d’après une photographie. Hauteur du mouflon au garrot, 0 m. 30
à 0 m. 40. B, hauteur du chameau (?), 0 m. 05. Ici, comme dans
les figures suivantes, les grisés marquent la surface grattée,
c’est-à-dire où la patine de la surface environnante a été
enlevée par grattage.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]


=Stations des plateaux Touaregs.= — La zone privilégiée me
paraît être celle des plateaux gréseux éodévoniens. En tout
cas au Mouidir occidental et dans l’Ahnet j’ai vu huit stations
dont cinq ou six intéressantes. Ce sont, au Mouidir : Taoulaoun,
à côté du point d’eau, — jolie chasse au mouflon reproduite
figure 20. (Voir aussi pl. XVI, phot. 32.)

[Illustration : Fig. 21. — Oued Tar’it.

A, d’après une photographie assez indistincte et un dessin ;
hauteur totale de l’espace occupé par les personnages, 2 mètres
environ. B, hauteur des autruches, 0 m. 15 environ. C, d’après
une photographie, 0 m. 60 environ de hauteur.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Tahount Arak, au point d’eau — gravures insignifiantes, et
qui n’ont pas été reproduites. Elles sont à 3 ou 4 mètres
au-dessus du sol, sur la corniche en surplomb d’un énorme bloc
rocheux détaché, et actuellement inaccessibles sans échelle ce
qui est un cas très rare.

Dans l’Ahnet : Taloak, 100 mètres à l’est du point d’eau, au
sommet d’une petite falaise, tifinar’ et grafitti insignifiants,
qui n’ont pas été reproduits.

Foum Zeggag, dans les gorges de ce nom, à deux heures de marche au
sud de Taloak, rive droite de l’oued ; je n’ai vu, en passant,
que deux médiocres éléphants. (Voir fig. 25, no 1.)

Oued Tar’it, rive gauche, à une quinzaine de kilomètres environ
au nord d’Aguelman Tamana. Très belle station, grands méharis
montés figurant dans une scène de guerre ou plutôt de chasse ;
— girafe soignée ; — reproduits figure 21. (Voir aussi pl. XVI,
phot. 31.)

Aguelman Tamana ; au point d’eau, rive gauche de l’oued, —
station intéressante, grands bovidés, dont quelques-uns bâtés,
reproduits figure 22.

Ouan Tohra, au pied de la haute falaise qui avoisine le puits, sur
de gros blocs éboulés ; station riche et intéressante, et qui,
par surcroît, a pu être étudiée longuement ; bovidés et animaux
divers, reproduits figures 24, 25. (Pl. XVII, phot. 33.)

Tin Senasset, au point d’eau ; sur blocs éboulés au pied de la
falaise ; bovidés, un cheval ; reproduits figure 23.

Ces huit stations ont été découvertes par hasard, parce qu’elles
sautaient aux yeux, au cours d’un raid à méhari. Il y a donc
lieu de supposer qu’une investigation minutieuse en fera découvrir
beaucoup d’autres.

On en a d’ailleurs signalé d’autres. M. Voinot a publié des
tifinar’, des inscriptions arabes, des empreintes de pieds, et
quelques vagues grafitti, copiés dans les gorges de Tir’atimin ;
— il nous a donné aussi une reproduction intéressante d’une
petite scène de chasse à l’Aïn Tér’aldji. Ces deux stations
sont dans le Mouidir occidental[83].

Motylinski suivant un itinéraire connu a pourtant relevé quelques
petites stations nouvelles au Mouidir occidental — des tifinar’ à
Haci el Kheneg — quelques autruches dans les gorges de Takoumbaret
— des tifinar’ et des grafitti à Hacian Meniet (déjà signalés
par Guillo-Lohan)[84].

Notons que dans l’Açedjerad nous n’avons pas vu de gravures
rupestres et M. Besset n’en signale pas dans le Mouidir oriental. Au
Tassili des Azguers M. Foureau en a copié une seule[85]. Il se
pourrait donc que l’Ahnet fût particulièrement riche pour des
raisons qui échappent, historiques apparemment. Mais c’est une
conjecture hasardeuse. L’exploration des plateaux éodévoniens
Touaregs reste à faire au point de vue archéologique il est certain
en tout cas que les grès de cet âge se prêtent admirablement à
la gravure, et d’une façon générale en Algérie comme au Sahara
le grès est par excellence matière épigraphique. Ces gravures du
Mouidir-Ahnet, reproduites dans les figures 20 à 25 se prêtent à
une étude d’ensemble. Non seulement elles sont toutes sur grès,
et sur le même grès, mais à tous les points de vue ces stations
diverses sont étroitement apparentées.

Elles sont toujours au voisinage immédiat d’un point d’eau,
ou à tout le moins d’un pâturage actuellement fréquenté ;
elles sont toutes aisément accessibles, à portée de la main, à
une seule exception près, la station de Tahount Arak ; mais le roc
isolé de Tahount Arak est au milieu de l’oued, son pied baigne
dans l’eau, et il a suffi d’un bien petit nombre de crues pour
produire l’affouillement qui met la gravure hors de portée. Il
ne semble donc pas que les gravures remontent à une époque où le
climat fut autre qu’aujourd’hui.

Cette impression de jeunesse est corroborée par l’étude même
des figures. Je n’en vois qu’une ou deux susceptibles d’être
classées anciennes, la girafe de la figure 21, C. D’après mes
souvenirs, corroborés par une assez bonne photographie, cette
gravure est tout à fait du type de celles de Zenaga ; la patine
est aussi foncée que celle de la roche environnante, le trait
est profond et régulier, on retrouve tous les caractères d’une
grande antiquité. Du moins il me semble ainsi rétrospectivement ; à
l’époque où j’ai vu cette girafe je n’étais malheureusement
pas encore familier avec l’aspect des gravures rupestres de
l’époque ancienne (en 1903) ; je trouve aussi mentionné dans
mes notes que E de la figure 22 (bovidé) est très patiné.

Mais ces figures sont seules de leur espèce. Nous avons fait
M. Chudeau et moi, en 1905, un séjour prolongé à Ouan Tohra, et,
malgré des recherches attentives, nous n’avons pas trouvé une
seule gravure d’aspect ancien. Elles semblent très rares sinon
tout à fait absentes.

[Illustration : Fig. 22. — Aguelman Tamana.

A, 0 m. 50 de la tête à la queue. B, hauteur moyenne 0 m. 10 à
0 m. 15. C, 0 m. 20 à 0 m. 30 de la tête à la queue. D, 1 mètre
de droite à gauche. E, 0 m. 50 de la tête à la queue. F, dessins
de gauche 0 m. 10 en moyenne, celui de droite 0 m. 30.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

En somme, toutes les figures reproduites, moins une ou deux douteuses,
sont indubitablement récentes. Et d’abord la faune reproduite
n’est plus du tout celle du col de Zenaga. La présence du chameau
est à elle seule significative. On est généralement d’accord
pour admettre que le chameau n’a été introduit ou réintroduit
dans l’Afrique nord-occidentale que dans les premiers siècles
de l’ère chrétienne, il ne semble y être abondant que vers
l’époque de Justinien[86]. Sans entrer dans la question, c’est
un fait positif qu’on ne connaît aucune figuration de cet animal
dans les nombreuses stations déjà connues de vieilles gravures ;
elles abondent au contraire dans les graffitti libyco-berbères.

[Illustration : Fig. 23. — Tin Senasset.

A a 0 m. 15. B, 0 m. 08 à 0 m. 10. C, 0 m. 30. D, 1 mètre de la
tête à la queue.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Tous les autres animaux qui accompagnent le dromadaire[87], dans
les figures ci-jointes sont contemporains : le cheval (fig. 23,
A) et l’âne (fig. 24, B) ; le mouflon (fig. 20, A), la gazelle
(fig. 21, A) ; le chien (fig. 20 et 21) ; l’autruche (fig. 22,
B ; fig. 24, B, et fig. 21, B) sont encore des animaux familiers
aux habitants du Mouidir-Ahnet.

Il en est de même de l’animal figuré en A figure 24 et en 2
figure 25 qu’on y voie une chèvre ou une antilope adax.

Les bœufs sont très fréquents (fig. 22, A ; fig. 24, A et D ;
fig. 23, D ; et sans doute aussi fig. 22, E). On les représente
bâtés (fig. 22, D et fig. 25, no 5).

On sait que les bœufs zébus, originaires du Soudan, font partie
du cheptel habituel au Hoggar[88]. Au Soudan à tout le moins on
les utilise comme bêtes de somme.

Le sanglier (fig. 21, A) existe peut-être au Hoggar ? et en tout
cas dans l’Adrar’ des Ifor’ass (phacochère), et dans l’Aïr.

La station de Foum Zeggag, qui par ailleurs est insignifiante, a
ceci de particulier qu’on y voit deux éléphants incontestables,
l’un a environ 1 m. 50 dans sa plus grande dimension, l’autre 0
m. 50. C’est ce dernier qui est reproduit ci-contre d’après
un simple dessin (et non pas d’après un calque) figure
25. Ces gravures d’éléphants ne sont pas patinées, et à
leurs dimensions près elles n’ont aucun des caractères qui
caractérisent les vieilles gravures. Si l’éléphant est tout à
fait étranger à la faune de l’Ahnet, il ne faut pas oublier que
les Touaregs de l’Ahnet passent les années de sécheresse dans
l’Adr’ar des Ifor’ass, où ils sont chez eux, à proximité du
Niger. L’éléphant leur est familier, comme d’ailleurs la girafe.

Je n’essaie pas davantage d’identifier des dessins mal venus et
cocasses (fig. 22, C et F).

En résumé, comme conclusion d’ensemble, toute cette faune est
contemporaine. Elle n’est pourtant pas rigoureusement actuelle. Il
y a là une nuance qu’il est facile de préciser ; il est évident
que le nombre des bovidés représentés (dont quelques-uns bâtés),
est tout à fait disproportionné au nombre des méharis. Ceci
nous reporte à une époque ou ceux-ci, d’introduction récente,
n’avaient pas encore complètement supplanté ceux-là, les bœufs
nigériens, bêtes de somme garamantiques.

D’ailleurs la représentation de la figure humaine achève de
lever tous les doutes sur l’âge approximatif de nos gravures.

Qu’on examine figure 20, A, le javelot que brandit le chasseur
(voir aussi fig. 21, A), il semble bien que ce javelot se termine
par un _fer_ de lance.

Que l’on compare cet armement avec celui qui est figuré sur les
vieilles gravures algériennes publiées par Pomel[89] ; et dont le
caractère néolithique est incontestable. Evidemment notre chasseur
est très postérieur ; le sauvage a été promu barbare.

Pourtant il n’est pas actuel. La plupart des êtres humains
figurés sont nus, tout au plus peut-on imaginer qu’ils ont un
pagne autour des hanches. Voilà qui est tout à fait contraire
aux habitudes actuelles ; le Touareg comme tout musulman, est un
paquet d’étoffes flottantes. D’ailleurs l’attirail de guerre
du Touareg est bien connu, il a été popularisé par la gravure,
un immense bouclier carré, une très longue lance en fer, un sabre
très long sans pointe, arme de taille. Ce sont des armes tout à
fait appropriées pour un _méhariste_. Or les chasseurs ou les
guerriers de nos reproductions (fig. 21, A ; fig. 20, A ; fig. 24,
E) sont invariablement armés d’un bouclier rond tout petit et de
trois javelines.

Ce guerrier à bouclier rond, nous l’avons déjà rencontré
dans les stations du nord, à Barrebi en particulier ; mais ici,
dans les stations de l’Ahnet il est dessiné avec plus de soin,
plus détaillé. La ressemblance en devient plus frappante avec le
cavalier, figuré à côté des caractères libyques sur la stèle
funéraire du musée d’Alger. (Voir fig. 17.) Celui-ci porte
à son bras gauche exactement le même petit bouclier rond et les
mêmes trois javelines, ces dernières fixées de la même façon
à la partie postérieure du bouclier, donnant une impression de
panoplie. Il me semble que ce détail est de nature à entraîner
la conviction.

Ce méhariste armé en cavalier numide date approximativement nos
gravures.

Notons encore qu’elles sont accompagnées d’inscriptions
tifinar’ en grand nombre et qui paraissent contemporaines. Au col
de Zenaga les gravures se présentent seules sans accompagnement
épigraphique.

Enfin l’aspect seul de nos gravures interdit de les reporter très
loin dans le passé puisque la patine fait défaut ; les parties
gravées de la roche contrastent vivement par leurs couleurs avec
les parties intactes ; elles ont un aspect frais.

Pourtant au point de vue de l’exécution technique elles
seraient déconcertantes ; elles ne rentrent pas exactement dans
les catégories établies dans le nord par M. Flamand. Là, dans la
chaîne des ksour par exemple, tout ce qui n’est pas belle gravure
ancienne, à trait profond et lisse, à patine noire, est immonde
grafitti libyco-berbère. Ce sont deux catégories bien tranchées
et la plupart des gravures au Mouidir-Ahnet ne rentrent ni dans
l’une ni dans l’autre.

Les chameaux de la figure 20, B, par exemple, sont des graffitti
libyco-berbères types. Est-il possible de les classer avec les beaux
méharis de la figure 21, A. Ces derniers ont 0 m. 50 de haut ;
les autres 0 m. 05 ; ceux-ci sont parfaitement schématiques, et
rappellent plutôt au premier coup d’œil un caractère chinois
qu’un animal quelconque. Ces gravures procèdent d’intentions
différentes ; l’auteur de la figure 21, A, tâche de reproduire
un animal tel qu’il le voit, c’est un artiste, dans une mesure
aussi faible qu’on voudra ; l’auteur de la figure 20, B écrit
l’hiéroglyphe du chameau, il fait de l’idéographie.

A ne considérer que l’habileté des dessinateurs, et ce qu’on
pourrait appeler leurs traditions artistiques, les belles gravures du
Mouidir-Ahnet sont tout à fait comparables à celles de Zenaga. Que
l’on considère les petits tableautins des figures 20 et 21, scènes
de chasse, j’imagine, à moins qu’on ne veuille voir dans la
figure 21 une scène de guerre, une rencontre entre méharistes et
piétons, mais la présence de gibier et de chiens est peu favorable
à cette hypothèse. En quoi ces amusantes compositions sont-elles
inférieures par exemple à la gravure rupestre algérienne de Kef
Messiouar publiée par Gsell (_Monuments antiques_, t. I, p. 48)
et qui représente une famille de lions s’apprêtant à dévorer
un sanglier ? De part et d’autre c’est la même ignorance de
la perspective, mais c’est aussi parfois le même bonheur à
silhouetter tel ou tel animal. Qu’on regarde la gazelle entourée
par les chiens (fig. 21, A), le cheval (fig. 23, A), la chèvre et
l’autruche de la figure 24, B pour ne rien dire de la vache placide
et de l’âne qui brait de la même planche. On ne trouvera rien de
mieux dans la série des gravures rupestres sud-oranaises. Et c’est
une chose à noter aussi que les dimensions sont les mêmes. Ici comme
là les figures sont grandes, la plupart ont de 0 m. 50 à 0 m. 75,
c’est-à-dire que la somme de travail est considérable. Nous ne
sommes plus en présence de graffitti œuvre de quelques minutes de
désœuvrement, il faut supposer chez l’auteur un travail soutenu
et une certaine habitude de la main.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XVII.

[Illustration : Cliché Gautier

33. — GRAVURES RUPESTRES A OUAN TOHRA

sur grès éo-dévonien.

Les figures ont été passées à la craie.]

[Illustration : Cliché Laperrine

34. — TYPE DE GRAVURES RUPESTRES SUR GRANIT (Hoggar).]

[Illustration : Fig. 24. — Ouan Tohra.

A, d’après une bonne photographie ; le bovidé du milieu a 0
m. 50 de la tête à la queue. B, 0 m. 15 et 0 m. 20. C, 0 m. 20. D,
0 m. 75 de la tête à la queue. E, personnages d’en haut, 0 m. 10,
celui d’en bas. 0 m. 20.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie. édit.)]

Pourtant les gravures de l’Ahnet se distinguent de celles de
Zenaga, non seulement par l’absence de patine, mais encore
par la différence de facture. M. Flamand, en matière de
gravures sud-oranaises, distingue le trait profond, régulier,
qui caractérise les gravures antiques et le « pointillé produit
par une série linéaire de percussions », qui caractérise les
gravures libyco-berbères. Celles qui nous occupent ne sont ni
gravées profondément ni pointillées par percussion ; la patine
superficielle de la roche a été enlevée par grattage, tantôt
suivant des lignes, tantôt sur de larges espaces (fig. 21, A ;
fig. 23, C ; fig. 24, A), tantôt sur la totalité de la figure (voir
surtout fig. 20, A). Erwin de Bary note, dans l’Aïr, au rocher de
Dakou, « des figures d’hommes, de chameaux et de chevaux qui y sont
gravées. Les dessins ne sont pas taillés dans la pierre à l’aide
d’un ciseau et résultent seulement d’un _grattage_[90] ».

Notez d’ailleurs que nous sommes au désert où les roches sont
couvertes d’une patine très foncée. Les grès éodévoniens en
particulier sont des masses de quartz peintes en noir ; la moindre
égratignure, le moindre grattage fait apparaître un dessin très
blanc sur fond très noir. Avec une pareille matière le graveur
obtient avec un minimum d’effort un maximum d’effet utile.

Déjà, à Barrebi, nous avions vu apparaître entre les graffitti
libyco-berbères et les gravures anciennes un type de transition. Ce
type s’affirme au Mouidir-Ahnet.

La décadence ici a été bien plus lente et progressive, les
traditions de gravure se sont maintenues plus longtemps.

En résumé la race berbère, qui dans le Tell a perdu d’assez
bonne heure ses anciennes aptitudes artistiques, les a conservées
au contraire dans le Sahara jusqu’à une époque voisine de nous.


=Station de Timissao.= — On a longuement insisté sur les stations
du Mouidir-Ahnet, qui présentent un intérêt particulier. Celle
de Timissao a beaucoup d’analogies avec elles malgré la distance.

La station de Timissao a été signalée par le colonel
Laperrine. Elle se trouve à côté du puits dans une caverne de
la falaise en grès éodévonien. Le mot caverne est ambitieux,
il faudrait dire plutôt abri sous roche. De cette grotte, si l’on
veut, le plancher, les murs et le plafond sont couverts de gravures et
d’inscriptions que j’ai examinées d’une façon un peu sommaire
(fig. 25).

Ici, au contraire d’Ouan Tohra, il existe quelques dessins
qui paraissent anciens. Par la patine ils ne se distinguent
pas de la roche, il est vrai que ce signe a moins de valeur ici
qu’ailleurs. Tous ces dessins, en effet, sans exception sont
sur le plancher de la grotte, c’est dire qu’ils ont été
foulés par les pieds de générations, ils ont dû se patiner plus
vite. Mais le trait est profond et assez net. Noter dans la figure 4
la longueur disproportionnée des cornes. Évidemment l’artiste a
campé le corps de son animal de trois quarts et la tête de profil,
pour mettre les cornes en valeur ; cette recherche de l’effet et
cette pose compliquée sont dans le nord caractéristiques des plus
vieilles gravures.

Les animaux représentés sont actuels cependant. 7 semble bien
représenter un bœuf de l’espèce _Bos ibericus_. Et je crois que 4
et 6 représentent des antilopes adax. Notons pourtant que Pomel[91],
à propos d’animaux analogues, propose d’une façon tout à fait
affirmative l’identification avec l’antilope oryx (cf. _Leucoryx_
Licht), encore qu’il n’en ait pas authentiquement constaté la
présence dans la faune quaternaire algérienne. Mais l’oryx ne
se trouve plus aujourd’hui qu’en Égypte, l’adax au contraire
est un familier du Sahara algérien, et ses cornes ressemblent à
celles de l’oryx, assez du moins pour qu’il soit imprudent de
vouloir les distinguer sur une gravure rupestre.

[Illustration : Fig. 25. — Gravures rupestres des stations de Foum
Zeggag (1) ; de Ouan Tohra (2, 3, 5) ; de Timissao (4, 6, 7).

Réduction au vingtième d’après calques et estampages (sauf 1
qui a été simplement dessiné).

(Figure extrait de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]


=Stations Ifor’ass.= — Dans l’Adr’ar des Ifor’ass je
suis en mesure de signaler quatre stations d’importance inégale,
malheureusement je n’ai pas pu en étudier sérieusement une seule.

Avant d’arriver à notre campement de l’oued Taoundrart, à
trois kilomètres environ, j’ai vu quelques lettres tifinar’
et un dessin informe d’animal ; le tout était gravé sur une
roche éruptive.

Une très belle station se trouve à Ras Taoundrart dans les gorges de
l’O. Assanirès. Les dessins sont gravés sur une muraille presque
verticale de granit. Les inscriptions tifinar’ y abondent ; les
dessins sont du type libyco-berbère saharien, un certain nombre de
chameaux, et beaucoup de chevaux, des lions.

M. Chudeau a vu une station de gravures rupestres sur granit à In
Fenian ; trois ou quatres figures, dont un cheval.

Enfin dans l’oued Tougçemin, à trois kilomètres est du campement,
j’ai vu sur granit quelques autruches et un animal informe où on
aurait pu reconnaître une girafe.

En somme, dans l’Adr’ar des Ifor’ass la présence des gravures
rupestres est incontestable, elles ressemblent à celles du nord,
autant qu’on peut en juger après un examen sommaire, elles sont
toutes du type récent ; ici où le grès fait défaut la matière
préférée est le granit.


=Stations du Hoggar.= — M. Chudeau a signalé de très beaux dessins
rupestres au Hoggar, au confluent des oueds Outoul et Adjennar,
entre Tamanr’asset et Tit ; une girafe paissant, en particulier,
est fort bien réussie.

Sur cette même station peut-être, ou en tout cas sur une autre
toute voisine, dans l’oued Adjennar, Motylinski nous donne des
détails plus circonstanciés[92]. Il signale en effet une girafe
— puis beaucoup de bœufs ou de vaches qui semblent analogues à
ceux de l’Ahnet (il en est de bâtés ; Motylinski mentionne à
leur cou des appendices, cordes ou fanons (?) qu’on retrouvera
sur nos figures) — beaucoup d’autruches aussi — une chasse
au mouflon avec chiens qui fait songer au tableautin de Taoulaoun,
— des chevaux, des ânes, des méharis assez soignés pour qu’on
distingue la forme de leur selle, ils portent la rahla actuelle, au
pommeau en forme de croix — deux vaches à bosse et une autruche
sont non pas gravés mais dessinés à l’ocre, ce qui semble
exclure une antiquité reculée.

Motylinski nous signale une autre belle station dans une partie
éloignée du Hoggar, tout à fait au nord, aux limites du Mouidir,
à la gara Tesnou. Il y a dessiné sur son carnet, un peu trop
sommairement, un éléphant qui pourrait bien être ancien.

D’autre part il a silhouetté à Tit une vache à très grandes
cornes, dont on aimerait à savoir si ce n’est pas un _Bubalus
antiquus_. Ce serait fort intéressant, malheureusement il est tout
à fait impossible d’être affirmatif.

Motylinski signale brièvement un certain nombre d’autres stations
au sommet de la Koudia.

Oued Medjoura — une vache bâtée avec appendices au cou.

Oued Tér’oummout (sources de l’oued Tamanr’asset) — animaux
et inscriptions.

Iberrahen (sources de l’oued In Dalladj) — un incontestable
« cavalier gétule ».

En somme le Hoggar serait un beau champ d’études pour amateur de
gravures rupestres. Les mauvais graffitti abondent, mais il y a un
grand nombre de belles gravures, comparables à celles de l’Ahnet ;
à la matière près pourtant ; car ici le grès fait défaut, comme
dans l’Adr’ar des Ifor’ass on a employé ici le granit ou les
roches éruptives. (Voir pl. XVII, phot. 34.)


=Stations de l’Aïr.= — L’Aïr aussi mériterait une étude
détaillée, qui est actuellement impossible ; Chudeau signale,
entre le Hoggar et l’Aïr, à quelques centaines de mètres au nord
de l’aguelman du Tassili Tan Tagriera, dans les grès dévoniens,
une grotte avec quelques beaux dessins rupestres. Il en a revu dans
l’Aïr ; — dans le massif d’Agouata, au voisinage d’Aguellal ;
— et enfin, près de Takaredei, à deux kilomètres à l’ouest
du cimetière des Iberkor’an ; ces derniers, les plus méridionaux
connus dans la région représentant deux girafes.

Foureau[93] nous renseigne sur deux autres stations de l’Aïr,
Tilmas Talghazi et oued Tidek (fig. 388, 389, 390, 391, 392,
p. 1087 à 1093). On y voit figurés une girafe, des autruches, de
mauvais chameaux, des chevaux, des bovidés, des singes peut-être,
des hommes sans armes, en tunique courte et flottante et à coiffure
compliquée. Ces gravures seraient plus anciennes que les caractères
tifinar’ et arabes qui les accompagnent ; pourtant la facture est
pointillée, ce qui serait considéré dans le nord comme un indice
de médiocre antiquité.

Les grafitti libyco-berbères sont eux aussi fréquents dans l’Aïr,
au moins dans le nord. Chudeau a noté les derniers dessins de ce type
à Aguellal ; à une centaine de mètres au nord de l’inscription
qui signale le passage de la mission Foureau-Lamy. Les quelques
chameaux figurés en ce point sont accompagnés d’une inscription
en caractères arabes, qui par la patine semble du même âge que
les dessins.

Foureau et Chudeau s’accordent à noter la disparition des gravures,
en même temps que celle des Redjems au sud de l’Aïr dans les
régions Haoussas et Bornouannes.


=Stations du Niger et du Sénégal.= — Enfin les explorateurs
soudanais nous signalent la limite sud des gravures sur les bords
du Sénégal et du Niger.

« Pendant la mission Tagant-Adrar M. Robert Arnaud découvrait en
Maurétanie sénégalaise, dans les abris sous roche de la gorge de
Garaouat des dessins et des inscriptions rupestres » peints en noir
et en rouge[94].

M. Desplagnes a publié dans son livre des gravures et inscriptions
nigériennes. Les figures 81 et 82 de la planche XLII représentent
des caractères tifinar’. Sur la figure 89 de la planche XLVI on
voit des « cavaliers numides » du type habituel.

En revanche les figures 84 (pl. XLIII) — 85 et 86 (pl. XLIV)
— 90 (pl. XLVI) n’ont plus qu’un rapport bien lointain avec
les graffitti libyco-berbères. Il y a peut-être quelque parenté,
car on croit reconnaître un motif commun, la sandale ou empreinte
de pied. Mais l’ensemble est très aberrant, nous entrons là dans
un nouveau monde, une province à part de dessins soudanais.

En somme, partout où on a été à même de constater des limites,
nos gravures rupestres, comme les redjems, ont la même extension
que la race berbère elle-même.


=Inscriptions tifinar’.= — On a dû être très bref sur les
inscriptions tifinar’ (libyco-berbères ? libyques ?) ; on s’est
borné à les mentionner incidemment. C’est qu’elles se défendent
contre toute tentative d’énumération par leur nombre immense,
et contre toute tentative d’explication par le mystère qui les
entoure et qui n’est pas dissipé.

L’alphabet tifinar’ est phonétiquement connu, les Touaregs ont
conservé l’usage actuel de cette écriture. En 1903, au puits
de Ouan Tohra, nous avons trouvé un caillou couvert de caractères
fraîchement tracés à l’ocre ; c’était une circulaire rupestre
faisant connaître aux caravanes notre présence dans le pays.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XVIII.

[Illustration : Cliché Augé

35. — INSCRIPTION SUR GRÈS ALBIEN

au Ksar d’Abani, près Tesfaout.

Les lettres, indistinctes, ont été probablement passées à
la craie.]

[Illustration : Cliché Augé

36. — INSCRIPTION SUR GRÈS ALBIEN

au Ksar d’Abani (suite de la précédente)

Cette inscription donnée par les indigènes comme hébraïque est
évidemment berbère.]

Il était donc légitime d’espérer que des indigènes érudits
pourraient nous aider à déchiffrer les vieilles inscriptions. Il
semble qu’il faille renoncer à cet espoir. M. Motylinski, dans
son récent voyage, qui s’est terminé si malheureusement par sa
mort, s’était attaché spécialement à résoudre ce problème
et il résulte de ses notes manuscrites qu’il a échoué.

Les vieux tifinar’ sont indéchiffrables pour les Touaregs
eux-mêmes. Toute leur archéologie se résume en quelques
légendes de folklore. Caractères et dessins sont attribués à
des personnages mythiques, le peuple des _Amamellé_, un personnage
qu’ils appellent _Élias_. On trouve déjà ces noms dans un texte
donné en appendice dans la vieille grammaire d’Hanoteaux. Sous
bénéfice d’inventaire il me semble que Amamellé et Élias sont
assez analogues aux Djouhala d’Algérie, constructeurs des dolmens,
une personnification de la race berbère préislamique, avec laquelle
le Berbère converti renie toute parenté.

Si le voile doit jamais être levé ce sera sans doute par la
philologie moderne, à la suite des méticuleuses monographies de
dialectes Berbères, qui ont été amorcées par M. R. Basset,
mais qui sont encore loin de leur conclusion. Ce jour-là les
épigraphistes trouveront au Sahara une ample matière, mais
peut-être de qualité médiocre.


=Conclusions générales.= — Cette longue étude analytique
comporte, je crois, des conclusions générales.

A propos des gravures anciennes, à plusieurs reprises, j’ai refusé
d’adopter les identifications auxquelles s’est arrêté Pomel. Ce
n’est pas lui manquer de respect que de critiquer le point de vue
trop paléontologique auquel il s’est placé, dans une série
de monographies paléontologiques, où l’étude des gravures
rupestres est accessoire. S’il veut reconnaître, par exemple,
dans une autruche évidente, un grand échassier indéterminé,
c’est que _a priori_ il imagine un cadre quaternaire, climat humide
et grands marais. Il s’est trouvé entraîné par son point de
départ à supposer aux gravures rupestres une précision de planche
anatomique dont elles sont malheureusement bien éloignées. Des
déterminations qu’il a proposées il n’en subsiste que deux
tout à fait incontestables ; celles de l’éléphant et du _Bubalus
antiquus_ : mais l’éléphant a subsisté en Berbérie jusqu’en
pleine époque historique, et il est possible que nous ayons sur
le _Bubalus antiquus_ un texte de Strabon[95]. Sous bénéfice
d’inventaire et jusqu’à plus ample informé, l’âge quaternaire
des gravures rupestres anciennes n’est rien moins que prouvé.

L’étude des gravures rupestres sahariennes justifie et précise
la distinction entre les deux catégories de gravures, anciennes et
libyco-berbères. D’autant que dans chacune de ces catégories nous
avons le portrait de l’artiste : d’une part un homme coiffé de
ce qui semble bien être des plumes, armé d’un bouclier à double
échancrure, d’une hache manifestement néolithique, d’arc et
de flèches[96]. D’autre part le « cavalier numide » avec son
bouclier rond et ses trois javelots.

Mais aussi longtemps qu’on a connu seulement les gravures
algériennes, il y a une telle différence entre les deux
catégories, leurs domaines apparaissent si tranchés, les factures
si différentes, qu’on a pu imaginer un abîme entre les deux. Pour
Pomel c’est l’œuvre de deux races tout à fait différentes,
l’une quaternaire et peut-être nègre ; l’autre berbère et
toute récente.

L’étude des gravures sahariennes rétablit la continuité ; on suit
désormais les étapes, les dégradations successives qui conduisent
des plus belles gravures anciennes aux plus immondes graffitti
modernes ; la graduation de la décadence est établie : les gravures
de Mouidir-Ahnet sont le missing link. Il en est d’incontestablement
libyco-berbères qui sont dans le dessin étroitement apparentées
avec d’autres incontestablement anciennes. Comparez par exemple les
scènes de chasse de part et d’autre, la chasse à l’autruche
dans Pomel[97], et au mouflon sur les roches de Mouidir[98]. Tout
cela prend l’apparence d’une école unique progressivement
atrophiée : et dès lors il devient difficile d’imaginer que les
gravures soient l’œuvre de deux races différentes, il semble que
tout soit berbère et on peut d’autant moins reculer les gravures
anciennes dans une antiquité extrêmement lointaine.

J’imagine que les causes de la décadence sont assez faciles
à dégager. Et sans doute faut-il faire sa part au triomphe
de l’islamisme iconoclaste. Mais il y a autre chose. Tous les
dessins, même les plus récents ont été gravés avec un instrument
en pierre, il suffit pour s’en rendre compte de s’essayer à
reproduire une gravure sur la roche même d’une station. On n’y
parvient pas avec la pointe d’un couteau ou d’une arme en fer,
le trait obtenu est infiniment trop délié, filiforme et presque
invisible ; qu’on essaie avec une pierre et on réussit sans peine
en très peu de temps. Aussi bien cette constatation n’est pas
nouvelle, elle n’a pas échappé à Pomel et à Flamand. Je crois
même qu’on peut expliquer comme suit l’énorme différence
de facture entre les deux types libyco-berbères, le saharien et
l’algérien (voir par exemple la planche 25, nos 2 et 3). Les
gravures du type algérien, en pointillé à grands éclats (no
3) ont été exécutées avec une pierre quelconque, sans pointe,
un caillou contondant, à une époque ou les pointes néolithiques
n’étaient plus d’usage courant, ou par un individu qui s’en
trouvait démuni. Les gravures du type saharien (no 2) ont été
exécutées avec une pointe de silex. Et dès lors on comprend bien
que les gravures de ce type inconnues dans le nord, abondent au
Sahara, puisque, aussi bien, l’usage des armes et des outils en
pierre s’est de toute nécessité conservé bien plus longtemps
au cœur du continent qu’au voisinage de la Méditerranée.

Au surplus les Touaregs actuels ne gravent plus ; je n’ignore
pas que Rohlfs a trouvé au désert de Libye un dessin rupestre de
bateau à vapeur, mais je parle du Sahara occidental, et d’ailleurs
on ne peut pas tirer de conclusions générales d’une fantaisie
individuelle. Ce qui est certain, en règle générale, c’est que
le Touareg a continué à considérer les pierres comme la seule
matière qui se prête à l’écriture, encore aujourd’hui il les
couvre de tifinar’ et de dessins généralement géométriques
(voir la fig. 17, no 11). Ils sont particulièrement abondants
dans la grotte de Timissao. Mais ce n’est plus de l’écriture
gravée, elle est peinte, généralement à l’ocre ; d’ailleurs
le Touareg, grand ornemaniste en cuir est assez familier avec les
couleurs minérales. Il se peut au surplus qu’il y ait eu une
ancienne alliance entre la gravure et la peinture rupestre ; dans
certaines figures comme le bélier coiffé d’un disque (fig. 14),
tout l’espace circonscrit par le trait extérieur est creux et
parfaitement lisse ; on imagine volontiers que cet évidement devait
être recouvert d’un enduit coloré. En tout cas la substitution
d’une mode à l’autre, de la peinture à la gravure, doit se
rattacher à la disparition des derniers outils en pierre. On sait
d’ailleurs que cette disparition dans l’Afrique du nord est
assez récente et on dira tout à l’heure que chez le Touaregs
en particulier il ne faut pas gratter beaucoup pour retrouver le
néolithique.

En somme la gravure rupestre semble avoir suivi pas à pas la
décadence du lithisme. Sous cette réserve qu’une synthèse
est peut-être tout de même prématurée, on se représenterait
hypothétiquement comme suit les phases de la gravure rupestre.

A. — L’époque des belles gravures sud-oranaises, néolithisme
exclusif. La gravure est un art qui a ses ouvriers habiles, et même
c’est un art religieux, le bélier casqué a été certainement
l’objet d’un culte (Ammon, _alias_ Bou-Kornéin le cornu).

B. — Libyco-berbère saharien. La gravure n’a plus de sens
religieux, elle n’excite plus le même intérêt, l’influence
du christianisme puis de l’Islam se fait sentir, mais au Sahara
du moins le néolithisme persiste et avec lui les outils et les
procédés de la gravure.

C. — Libyco-berbère méditerranéen le lithisme est en voie
d’extinction, la gravure devient tout à fait grossière, de très
bonne heure dans la zone méditerranéenne, où la phase B n’existe
pas, beaucoup plus tard au Sahara.

La limite chronologique entre A et B apparaît nettement,
la disparition de l’éléphant et l’apparition du chameau,
phénomènes historiquement datés, nous reportent approximativement
au début de l’ère chrétienne.

Il est difficile de dire jusqu’à quelle époque le libyco-berbère
saharien a pu se maintenir ; jusqu’à une époque peut-être
beaucoup plus rapprochée de nous qu’on n’imagine, et
l’expression « cavalier numide ou gétule » serait mal choisie
s’il fallait la prendre à la lettre. Le Berbère est étonnamment
conservateur, les Touaregs cavaliers du Niger conservent encore
aujourd’hui dans ses traits essentiels l’armement des stèles du
musée d’Alger, les trois javelots qu’ils lancent en galopant
avec une adresse stupéfiante, dit-on, fidèlement transmise de
génération en génération depuis Massinissa.

Sur le _terminus a quo_ des plus anciennes gravures, il est impossible
de se prononcer, il est pourtant, je crois, de prudence élémentaire,
et jusqu’à plus ample informé de ne pas les mettre en parallèle
avec nos gravures européennes sur os et sur pierre, contemporaines
du mammouth et du renne.

Il reste à ajouter ceci. Dans l’état actuel de nos connaissances,
l’extrême rareté au Sahara des gravures rupestres de type ancien
reste un fait frappant. Sans doute il y en a d’incontestables à
Timissao et je crois bien qu’il faut rattacher à cette catégorie
une girafe de l’O. Tar’it dans l’Ahnet. Mais nous ne savons pas
du tout quel temps il faut pour patiner une gravure ; à coup sûr
j’ai cherché vainement des gravures anciennes à la station si
riche d’Ouan Tohra, et dans une station quelconque du Sud-Oranais
pareille recherche, je crois, ne fût pas resté vaine. C’est
l’Algérie qui reste le pays classique des vieilles gravures,
les plus beaux échantillons, et les plus nombreux sont là. On
a l’impression qu’au Sahara ces Berbères graveurs sont venus
tardivement.


               III. — Armes et instruments néolithiques.


J’ai trouvé en cours de route un certain nombre d’armes et
d’instruments néolithiques.


=Station d’Aïn Sefra.= — La station d’Aïn Sefra est très
anciennement connue, si anciennement qu’elle a presque cessé
d’être une station, les pièces les plus intéressantes ayant
été enlevées depuis longtemps. J’y ai recueilli cependant un
lot considérable de débris parmi lesquels M. Verneau a bien voulu
sélectionner un petit nombre de pièces « des lames retouchées sur
les bords et des lames à encoche », de petits outils que M. Verneau
estime avoir servi à la taille et à la perforation des rondelles
d’œuf d’autruche.

[Illustration : Fig. 26. — Coupe schématique de la station
néolithique d’Aïn Sefra.

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]

Un séjour prolongé m’a permis d’étudier le gisement, dont
les conditions me paraissent intéressantes.

Le substratum immédiat est formé par des alluvions quaternaires
presque exclusivement sablonneuses sous lesquelles s’enfoncent au
sud, en plongée très accusée, les grès crétacés du dj. Mekter,
et dans lesquelles au nord l’oued actuel a creusé son lit. Au
contact du Crétacé et du Quaternaire, mi-partie sur l’un et sur
l’autre une dune est accumulée. La surface du quaternaire est
parsemée de touffes de végétation, autour de chacune desquelles
l’érosion éolienne a profondément affouillé, de sorte que
chaque touffe couronne un monticule. Il est clair que ceci est un
champ de bataille entre le vent et la végétation, l’un tendant
à décaper et l’autre à protéger le sol : rien de plus fréquent
au Sahara. Il est clair aussi que la dune représente les conquêtes
du vent, la dune s’est formée aux dépens du sable quaternaire
sur lequel elle repose.

Les silex gisent en vrac entre les touffes sur la plate-forme
quaternaire, et aux endroits où ils sont le plus denses les fouilles
ne donnent absolument rien ; tout est à la surface du sol.

Tout se passe donc comme si les silex étaient un résidu des couches
disparues, décapées par le vent, et accumulées par lui sous forme
de dune à quelques mètres de là.

C’est un fait général au Sahara que les silex néolithiques
se trouvent comme à Aïn Sefra en vrac à la surface du sol et à
proximité d’une dune. Dans la plupart des cas je suis convaincu
qu’une analyse détaillée des conditions de gisement donnerait un
résultat identique. Au Sahara, pays de décapage éolien, il n’y
a plus de gisements, mais simplement des résidus de gisement. Le
vent s’est chargé des fouilles, et voilà pourquoi il y a,
d’une part, une si grande abondance de matériaux recueillis,
et d’autre part une extrême pénurie de renseignements précis
sur la stratigraphie des stations.


=Station de Zafrani.= — Une station néolithique importante se
trouve sur la rive gauche de la Zousfana entre Moungar et le puits
de Zafrani, en bordure de la dune et sur le Quaternaire. Les silex
comme toujours sont épars sur le sol. Ils ont été extrêmement
abondants, car tous les convois militaires qui depuis 1902 viennent
camper une fois par mois à Zafrani ont méthodiquement pillé la
station, qui n’est pas encore tout à fait épuisée. Le musée
d’Alger a une assez jolie collection de ces silex, représentée
ci-contre (pl. XIX, phot. 38).

Les pointes de Zafrani sont en deux silex différents, l’un noir
et l’autre blanc. Cela correspond peut-être à la présence dans
le pays de deux catégories très différentes de rognons siliceux,
les uns carbonifères et les autres pliocènes.

Ces silex sont intéressants parce que très particuliers, très
différents de ceux qu’on recueille couramment en si grand nombre
dans la région d’Ouargla et dans l’erg oriental. La planche
XIX (phot. 37) donne à titre de spécimen et pour la comparaison,
quelques échantillons de ces pointes orientales. Tandis qu’elles
sont menues, longues de 2 ou 3 centimètres, et admirablement
travaillées sur les deux faces, on dirait presque ciselées[99], les
pointes de la Zousfana sont deux fois plus longues et plus épaisses,
et d’un travail très grossier, unilatéral. Les premières sont
de vraies pointes de flèche, tandis que les autres seraient plutôt
des pointes de lance ou de javelot.

Nous entrons donc ici dans une autre région néolithique, car,
d’une façon générale, et à de très rares exceptions près,
les pointes du type Zousfana n’ont jamais été trouvées dans
l’est (cf. la collection Foureau) ; et la réciproque est vraie,
on va voir que les rares pointes connues dans la Saoura et au Touat
sont presque toutes du type Zousfana.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XIX.

[Illustration : Cliché Virzewski

37. — TYPE DES POINTES D’OUARGLA (Musée d’Alger) ;

(Grandeur nature.)]

[Illustration : Cliché Virzewski

38. — TYPE DES POINTES DE LA ZOUSFANA (Musée d’Alger).

(Grandeur nature.)]

Ces deux types sont connus et classés en Algérie. Voici
comment M. Pallary caractérise ce dernier : « Pointes de trait
pédonculées, grosses, massives, irrégulières, très rarement
symétriques... toujours cet outillage est façonné sur une seule
face. » Il provient toujours de stations en plein air d’après
M. Pallary, qui déclare n’avoir jamais trouvé d’industrie
similaire dans les grottes ; et qui conclut ainsi : « Aux temps
néolithiques succède en Algérie la période numide et berbère, et
c’est sans doute le contact des étrangers qui, introduisant dans
notre pays les métaux, a dû amener cette décadence de la pierre
que nous avons constatée dans les ateliers en plein air[100]. »

Ainsi les grosses pointes seraient un type de décadence, et
représenteraient la dernière phase du néolithisme africain,
contemporaine des métaux et presque moderne.

Les petites pointes soignées d’Ouargla se retrouvent
bien elles aussi en Algérie, d’après Pallary ; elles
sont « l’épanouissement du néolithique oranais » ; mais
elles s’y trouvent toujours dans les dépôts supérieurs des
cavernes (grottes des Troglodytes, du Polygone, de Noiseux et de la
Tranchée), en compagnie d’une faune qui n’est pas tout à fait
actuelle[101]. Voilà qui est intéressant, sous la plume d’un
homme comme M. Pallary, connaisseur excellent de la préhistoire
algérienne. Nous constatons ici, comme à propos des gravures,
que les belles traditions de taille se sont conservées bien plus
tard au Sahara qu’en Algérie. Et nous acquérons la notion que
ces innombrables gisements de l’erg oriental, particulièrement
signalés et exploités par M. Foureau, constituent probablement
une province à part, cantonnée dans le bas Igargar.


=Station de Tar’it.= — Dans la palmeraie de Tar’it on trouve
deux gisements néolithiques. Ils sont très médiocres ; des débris,
de vagues grattoirs, mélangés à des morceaux d’œuf d’autruche
percés et travaillés. Pas une seule pointe décente de flèche ou
de javelot.

Les silex de Tar’it se trouvent en deux points :

_a._ Au voisinage de la palmeraie dite « des Adieux », à
quelques kilomètres au nord du poste de Tar’it sur la route de
Beni Ounif. Cette petite palmeraie est aujourd’hui inhabitée,
et inculte, à l’exploitation des palmiers près ; mais elle ne
l’est pas nécessairement, l’eau y sourd, et les conditions
d’habitabilité sont encore aujourd’hui réalisées. L’eau
est même fort abondante puisqu’elle est captée et amenée par
deux foggaras (canaux souterrains) à la palmeraie actuellement
cultivée. La palmeraie « des Adieux » est aux trois quarts
enfouie dans la dune et l’ensablement est apparemment la cause de
son abandon.

_b._ Au ksar en ruines de Mzaourou. Ces ruines, comme une
demi-douzaine d’autres que je n’ai pas visitées, représentent la
vie urbaine dans l’oasis de Tar’it, à une époque immédiatement
antérieure à l’actuelle. Elles sont juchées au sommet de la
falaise carboniférienne, dans une situation qui a évidemment la
prétention d’être inexpugnable, et qui a donc été choisie par
des habitants guerriers et autonomes. Les ksouriens actuels, qui ne
sont plus ni l’un ni l’autre, ayant abandonné aux nomades le soin
de les protéger, habitent dans la vallée au milieu des palmiers et
au contact immédiat des jardins. Tandis que les ksars actuels sont
bâtis en pisé, les vieilles ruines sont en pierres sèches ; à
Mzaourou d’ailleurs le troglodytisme a joué un rôle important ;
la falaise est creusée de cavernes cloisonnées de murs. Bref les
ksars actuels et ceux du type Mzaourou représentent évidemment
deux civilisations distinctes et successives.

Ces ruines en pierre sèche, qui toutes ont un nom, sont d’ailleurs
historiquement connues, dans la mesure où les traditions indigènes
méritent le nom d’histoire. Elles auraient été abandonnées à
la suite des prédications d’un saint personnage venu de Syrie,
et cet abandon serait en relation avec la conversion des indigènes
à l’islamisme (?) ; ou plutôt avec cette recrudescence de
prédication et d’ardeur maraboutique qui s’est produite au XVe
siècle à la suite des victoires espagnoles.

A Mzaourou les débris de silex mélangés à des morceaux d’œuf
d’autruche se trouvent dans les ruines mêmes du ksar, dans le sol,
ou du moins dans ce qui en subsiste accroché aux anfractuosités
de la roche. Et faut-il donc croire que l’usage des silex, sinon
comme armes, du moins comme menus outils s’est conservé jusqu’au
XVe siècle. Cela n’a rien d’invraisemblable dans l’Afrique
du nord et tout particulièrement au Sahara[102].

En somme les gisements néolithiques de Tar’it sont très
différents de celui de Zafrani, mais ils ont comme lui un caractère
algérien, il rappellent Aïn Sefra.


=Gisements de la Saoura et du Touat.= — Le long de la Saoura,
au Touat et dans son voisinage, je ne connais pas de gisements
néolithiques sérieux ; j’ai seulement trouvé quelques pièces
sporadiques.

Une pointe en silex à Bou Khrechba, sur la rive gauche de
l’O. Saoura, sur des dépôts mio-pliocènes continentaux au pied
de la dune.

Une pointe en silex entre Ksabi et Haci Mallem sur la route de
Charouin, à une dizaine de kilomètres de Haci Mallem, au pied
d’un cordon de dunes.

Trois pointes en quartzite sur la route de Taourirt à Haci
Rezegallah, sur la rive droite de l’oued anonyme venu d’In Zegmir,
et comme d’habitude en relation avec un cordon de dunes[103].

Pour être complet ajoutons un fragment de bracelet de verre,
analogue à ceux que Foureau signale à différentes reprises, et
trouvé sur la route de Haci Sefiat à Temassekh, à une dizaine de
kilomètres de Sefiat.

Je sais que le capitaine Flye et ses compagnons ont trouvé dans
l’Iguidi un petit nombre de pièces, une très jolie pointe
en feuille de laurier, très finement travaillée, une hache au
contraire très grossière (du type de Saint-Acheul) ; et sans doute
aussi des mortiers et pilons en pierre sur lesquels on reviendra.

Enfin on m’a dit qu’à l’est du Touat sur les premiers gradins
du Tadmaït on rencontrait des débris d’ateliers aux affleurements
des troncs d’arbres silicifiés (qui abondent dans le crétacé
inférieur).

Ce sont les seules traces de néolithisme qui aient été signalées
encore dans cet immense espace. Sans doute il a été bien peu
parcouru encore ; et de plus il l’a été à peu près constamment
suivant des routes déterminées qui s’attachent naturellement
aux points actuellement habités. Or la distribution de la vie
humaine à l’époque néolithique, si rapprochée de la nôtre
qu’on la suppose au Sahara, était certainement très différente de
l’actuelle. Dans l’est du Sahara algérien les gisements sont dans
le Tadmaït et surtout dans le Grand Erg, très loin des palmeraies
d’Ouargla. Il n’en reste pas moins surprenant qu’un aussi petit
nombre de trouvailles aient été faites dans un pays qui, après
tout, a été sillonné par pas mal d’itinéraires : surtout si
l’on songe que, dans la région d’Ouargla, il n’y a pas eu, je
crois, un seul voyage, qui n’ait amené la découverte de nombreux
et très beaux gisements. On est amené à conclure provisoirement
que la partie occidentale du Sahara français est beaucoup moins
riche que l’orientale, de plus le néolithisme y prend une forme
nouvelle et bien plus fruste. Les quelques échantillons recueillis
dans l’O. Saoura et à l’ouest du Touat seraient plutôt du type
de Zafrani, des pointes fortes et grossières. La pointe finement
travaillée, du type oriental est prodigieusement rare dans toute
la région de l’ouest.

Il n’en est pas moins vrai que, entre les types néolithiques
oriental et occidental il y a un point de ressemblance. De part et
d’autre les pointes en silex (flèches ou javelots, armes de jet)
ont une prédominance très marquée. Les haches sont très rares.

Et c’est d’autant plus notable que la proportion s’inverse
dès qu’on dépasse le Touat au sud.


=Gisements de l’Ahnet.= — _Stricto sensu_ j’ai trouvé deux
haches dans l’Ahnet, l’une sur la route de Foum Zeggag à Ouan
Tohra (à quelques kilomètres de ce dernier puits) ; l’autre à
peu de distance au sud de Tin Senasset. Mais ces deux puits sont à
l’extrême limite sud de l’Ahnet, à la limite du Tanezrouft,
et il est remarquable que dans l’Ahnet proprement dit, comme
d’ailleurs au Mouidir, on n’ait pas encore signalé à ma
connaissance un seul gisement néolithique.

D’après les Touaregs il se trouve, il est vrai, de grands mortiers
en pierre dans l’erg Tegant ; mais cet erg se trouve au nord du
Mouidir, à la limite du Tidikelt, et d’ailleurs c’est un erg,
ce qui suffit pour en faire quelque chose d’étranger aux grands
plateaux gréseux du pays Touareg.

Foureau a été frappé de la rareté des gisements néolithiques
chez les Azguers, et Motylinski n’en a pas trouvé au Hoggar,
non plus que Chudeau.

Les montagnes touaregs, en somme, dernier refuge de la vie actuelle
au Sahara, sont très pauvres en néolithisme.


=Gisements du Tanezrouft.= — J’ai trouvé au contraire un assez
grand nombre d’armes et d’outils néolithiques en traversant
le Tanezrouft.

J’ai déjà mentionné deux haches trouvées en deux points
différents à la limite sud de l’Ahnet.

Dans l’O. Akifou une hache en ryolite et une sphère-écraseuse
de même matière.

Entre ce point et In Ziza deux autres haches.

Il faut noter la présence à la limite méridionale de l’Ahnet
et au nord d’In Ziza, d’une tendance à l’ensablement
et d’un puissant cordon de dunes allongé parallèlement à
l’O. Tiredjert. Les objets en pierre polie ont tous été trouvés
à petite distance d’une dune.

Une hache à l’oued Tamanr’asset près de Timissao.

Une jolie pointe de silex en feuille de laurier du type d’Ouargla,
au sud de la gara Tirek.

Dans la même région (N. d’In Ouzel) un pilon très allongé et
très mince et un rouleau cylindrique en quartz rubanné ; ce dernier,
qui n’est pas arrivé en Europe, était long de 0 m. 13 mais il a pu
l’être davantage, il semblait brisé à une extrémité au moins,
la section n’était pas tout à fait sphérique (grand diamètre
0 m. 056, petit diamètre 0 m. 052).

Dans le Tanezrouft oriental, entre In Ouzel et le Hoggar, Chudeau
a trouvé encore huit haches ou pilons.

Au total la traversée du Tanezrouft a donné une vingtaine
d’armes ou d’outils néolithiques. On sait que les indigènes
appliquent le mot de Tanezrouft aux parties les plus arides et
les plus inabordables du Sahara. Entre l’Ahnet et In Ouzel la
partie traversée du Tanezrouft a 500 kilomètres, et sur cette
grande étendue on ne rencontre que deux points d’eau. Ces
solitudes mortes, où personne aujourd’hui ne séjourne jamais,
se traversent à marches forcées de jour et de nuit, le moindre
retard pouvant avoir de graves conséquences. Les objets rapportés
ont été ramassés précipitamment parce qu’ils se sont trouvés
sous les pieds du chameau, de jour, suffisamment en évidence pour
être aperçus à quelques mètres de distance, à un moment où
l’œil du cavalier n’était pas attiré par autre chose. Dans de
pareilles conditions il me paraît remarquable qu’un aussi grand
nombre d’objets ait été trouvé ; cela suppose évidemment une
diffusion assez abondante des produits de l’industrie néolithique
à la surface du Tanezrouft.

Il devient curieux par contraste qu’on n’ait rien trouvé dans
les vallées de l’Ahnet, où l’on marchait à petites journées,
faisant de longs séjours, et entouré de Touaregs familiers avec
le pays, qui savaient devoir bénéficier d’une prime s’ils
indiquaient un gisement néolithique.

Les Touaregs connaissent les haches néolithiques, ils s’en servent
pour aiguiser leurs rasoirs, et ils ont d’ailleurs au sujet du
néolithisme des légendes explicatives. Si je les ai correctement
interrogés (ce qui est à vrai dire malaisé) ils indiquent en effet
le Tanezrouft comme la région par excellence où le néolithisme
a laissé de traces.

Ce curieux renseignement cadre avec les observations de MM. Foureau
et Chudeau à l’est du Hoggar. L’Aïr semble lui aussi très
pauvre en néolithisme.

M. Chudeau a bien rapporté une flèche provenant de Teguidda n’Taguei
(50 kilomètres N.-O. d’Agadès), mais elle était isolée, et le point
d’ailleurs est franchement en dehors de l’Aïr montagneux.

M. Foureau a trouvé une fort belle hache à Aoudéras sur la limite
méridionale de l’Aïr, mais il croit « qu’elle a été apportée
en ce lieu ; car on ne trouve pas un seul instrument de pierre
taillée à des centaines de kilomètres à la ronde ». C’est
une affirmation qui a du poids sous la plume d’un collectionneur
néolithique aussi attentif, aussi expérimenté et aussi heureux.

En revanche M. Foureau signale une très belle station néolithique
au puits d’Assiou. M. Chudeau a trouvé une hache dans le nord
du Tiniri et une flèche au sud d’In Azaoua. Le Tiniri serait
donc relativement riche en stations néolithiques, de même que le
Tanezrouft dont il est le pendant oriental.


=Gisements de l’Adr’ar des Ifor’ass et de l’O. Tilemsi.=
— Sur tout le trajet entre In Ouzel et le Niger le nombre des
outils néolithiques directement trouvés en place est restreint.

O. Tassemak débris d’atelier auprès d’une colline en quartzite
(insignifiants).

O. Ichaouen une moitié de mortier en granit brisé (trop lourde
pour être emportée).

A Tissédiyé une très petite et assez joliment travaillée pointe de
flèche en quartz, et un débris de poterie. A noter que les rochers
de Tissédiyé portent quelques gravures rupestres et qu’ils sont
ensablés, chose rare dans l’Adr’ar.

Mentionnons encore, pour mémoire, une grande pointe de lance en roche
cristalline, grossièrement mais incontestablement taillée, trouvée
entre l’oued Tougçemin et Bour’oussa, mais malheureusement
perdue.

Voilà pour l’Adr’ar des Ifor’ass.

Au Tilemsi, débris d’atelier, ou en tout cas esquilles de silex
auprès du puits de Tabankor (insignifiants).

Au puits de Tabrichat, ou plus exactement à la mare temporaire qui
voisine avec le puits, une très jolie petite hache.

Je sais par ouï-dire qu’on a trouvé des flèches en silex et
des poteries au poste même de Gao.

En somme, une pointe de flèche de Tissédiyé et une petite hache
de Tabrichat, voilà tout ce que j’ai recueilli « en place »
d’In Ouzel au Niger. Il est vrai que l’Adr’ar n’est plus,
comme le Sahara, un pays à sol nu, décapé par les influences
continues de la sécheresse et du vent. C’est au contraire un pays
à sol alluvionnaire en formation, couvert de végétation. Les
conditions sont donc bien plus défavorables pour la rencontre
fortuite d’outils néolithiques en vrac à la surface du sol.

Pourtant entre les puits de Tarikent et d’Adiyamor, j’ai
rencontré un cimetière musulman, actuel peut-être, et en tout cas
moderne, qui est un véritable musée d’industrie néolithique. A
peu près toutes les pierres tombales (pierres debout, stèles) sont
des haches, des mortiers, des pilons, etc. ; bref d’innombrables
outils néolithiques en admirable état de conservation ; il y en
avait des centaines, et les échantillons prélevés ne représentent
naturellement qu’une faible partie de l’ensemble. (Voir appendice
VI, p. 352.)

Il est clair que l’existence de pareils cimetières-musées suppose
une abondance, dans la région, d’outils néolithiques.

Au témoignage unanime des officiers, des cimetières de ce genre
se rencontrent fréquemment dans la zone nigérienne, et les outils
néolithiques rapportés du Soudan nigérien par le lieutenant
Desplagnes, sont tout à fait les mêmes que ceux du Tanezrouft, de
l’Adr’ar des Ifor’ass, et du Tilemsi. La province néolithique
dans laquelle on entre au sud de l’Ahnet se continue donc au Soudan
dans la boucle du Niger, jusqu’au Hombori, au Mossi.

Cette province néolithique se caractérise par l’énorme
prédominance des haches. La collection Foureau qui provient surtout
du Grand Erg au sud d’Ouargla ne contient qu’une trentaine de
haches contre environ 6000 silex. Ma petite collection, recueillie au
sud des oasis, contient une trentaine de haches contre deux pointes
en silex et en quartz. Les collections soudanaises du lieutenant
Desplagnes donneraient, je crois, une proportion analogue.

Et sans doute faut-il faire observer que le sol, au nord et au sud des
oasis, n’offrait pas du tout les mêmes ressources à l’industrie
néolithique : au nord les rognons de silex abondent dans les
couches pliocènes ; au sud les terrains archéens, métamorphiques
et éruptifs fournissent de superbes matériaux pour le travail des
haches (Voir appendice VI), tandis que le silex fait défaut. Ce
n’est pas absolu pourtant, du moins si on envisage la totalité
de la province. Les dépôts crétacés et tertiaires du Soudan
(ceux du Tilemsi par exemple) contiennent des rognons de silex,
et pourtant dans l’O. Tilemsi comme ailleurs ce qu’on rencontre
surtout ce sont des haches.

On serait donc tenté de croire qu’aux différentes provinces
néolithiques ont correspondu historiquement des civilisations
diverses.

[Illustration : Fig. 27. — Rouleaux et pilons en pierre du Sahara.

Coll. Gautier au laboratoire d’Anthropologie du Muséum. (1/6 de
la gr. nat.)

(Figure extraite de _L’Anthropologie_. Masson et Cie, édit.)]


=Rouleaux, meules dormantes.= — Il faut mentionner à part une
catégorie intéressante d’instruments en pierre polie, des rouleaux
écraseurs et meules dormantes. Ils ne sont pas cantonnés dans la
zone des haches en roches cristallines. Foureau en a trouvé beaucoup
dans la zone d’Ouargla, où il a noté qu’ils accompagnent les
gisements néolithiques. C’est là une affinité intéressante
entre ces deux provinces, par ailleurs si différentes.

J’ai rapporte un instrument en pierre polie, long d’une
cinquantaine de centimètres, et plus massif à un des bouts, en
forme de massue, un bâton de pierre. Cet échantillon est isolé,
c’est un outil contondant à la manière d’un pilon. Mais je
n’ai pas vu le mortier qui lui correspondrait et l’interprétation
reste hasardeuse.

Ce qui est beaucoup plus fréquent, ce sont des rouleaux écraseurs,
de formes variables, cylindriques, en olive, sphériques, auxquels
correspondent des augets, dont l’intérieur seul est soigneusement
poli.

Tout ce matériel a servi indubitablement à moudre du grain. C’est
l’équivalent, en civilisation primitive, de la meule tournant
autour d’un axe.

Il est bien connu d’ailleurs, il se retrouve en Espagne,
par exemple, à l’époque néolithique. Mais là, comme dans
l’Afrique mineure, il appartient à un passé très lointain,
qu’on exhume péniblement. Au Sahara et au Soudan il est actuel.

On est frappé d’abord du grand nombre des échantillons
signalés. Tous les voyageurs sahariens en ont rencontré. Lenz en
a reproduit quelques-uns provenant de Taoudéni[104]. J’ai déjà
dit que le capitaine Flye en a rapporté de l’Iguidi. Foureau en
mentionne un grand nombre[105].

Il est tout naturel que les outils de ce genre soient extrêmement
nombreux, puisqu’ils sont encore en usage au moins sur certains
points et dans une certaine mesure.

Dans les oasis sahariennes (Touat, Tidikelt) on se sert pour moudre
le grain de la meule méditerranéenne, algérienne, deux disques en
pierre accolés, et réunis par un axe en fer autour duquel on fait
tourner le disque supérieur au moyen d’une poignée également
en fer. Il y a probablement très longtemps que la meule s’est
substituée au rouleau écraseur, sur lequel elle a une supériorité
évidente.

Il faut noter pourtant qu’on emploie encore pour écraser les noyaux
de dattes (car on ne laisse rien perdre), un petit disque en pierre,
de la grosseur du poing, creusé au centre de chacune de ses faces
planes d’une petite cavité. Encore est-il que cet instrument
semble devenir de jour en jour plus désuet, car en ayant trouvé
un dans les ruines de Mzaourou j’ai eu toutes les peines du monde
à m’en faire indiquer l’usage. Il me paraît évident que ce
disque à écraser les noyaux de dattes est le dernier représentant
des rouleaux écraseurs.

Au sud des oasis la meule algérienne disparaît, au moins dans le
Sahara central, car, par l’intermédiaire de la Maurétanie elle
a atteint Tombouctou.

Les Touaregs de l’Aïr font usage du rouleau écraseur,
les affirmations de MM. Foureau et Chudeau, confirmées par une
photographie très nette de M. Foureau ne laissent pas de doute à
ce sujet.

Il est certain aussi, que le rouleau écraseur est actuellement en
usage, sinon dans tout le Soudan du moins au Mossi[106].

Il faut noter pourtant que, dans l’Aïr à coup sûr, et peut-être
aussi dans le Mossi, le grain est d’abord concassé, le plus gros
de la besogne est fait dans un mortier en bois, avec un pilon en bois
(du type si commun dans toute l’Afrique nègre). C’est ensuite
seulement que le résidu de cette première trituration est versé
dans des augets où les femmes achèvent de le réduire en farine
avec les rouleaux écraseurs.

Or on a vu que, au nombre des échantillons recueillis au Tanezrouft
se trouve un véritable pilon en pierre, un outil de percussion qui
n’a pas pu être employé comme rouleau. Il nous reporte à une
période aujourd’hui close, où tout le matériel à moudre était
lithique, depuis le pilon jusqu’au rouleau.

Il est évident aussi que dans ce domaine très étendu, où se
rencontre épars sur le sol le matériel à moudre néolithique,
les régions où il est resté en usage sont d’étendue
insignifiante. Sur les bords du Niger par exemple, il me semble
bien que son usage a presque tout à fait disparu. A Tombouctou on
m’a bien montré deux pierres plates, qu’on frotte l’une contre
l’autre et qui servent à parachever la fabrication de la farine,
mais elles sont frustes, à peu près telles que la nature les a
faites, un accessoire domestique sans importance, bien éloignées du
fini et de l’élégance des rouleaux et des augets qu’on trouve
dans la brousse.

On a dit que les rouleaux et les augets se retrouvaient aujourd’hui
dans les cimetières ; j’ai rapporté une meule dormante brisée,
qui porte une inscription arabe funéraire. M. Desplagnes en a
publié une fort belle[107].

Si les rouleaux à moudre et les augets n’étaient tombés en
désuétude on s’expliquerait difficilement leur accumulation
sur les tombes en grandes quantités ; non seulement ces beaux
outils intacts, finement travaillés, auraient trop de valeur pour
être ainsi abandonnés si on en avait l’emploi, mais encore leur
association sur les tombeaux avec des haches néolithiques suggère
l’idée d’une sorte de vénération religieuse, s’attachant à
des restes un peu mystérieux du passé. Au reste j’ai recueilli une
petite légende touareg qui confirme cette manière de voir. Au puits
de Meniet (sud du Mouidir) mourut la chamelle d’Élias (personnage
du folklore touareg) ; de ce point précis Elias lança sa sagaie qui
tomba à dix kilomètres de là ; au point où elle est tombée, à
côté d’un redjem on voit des pilons en pierre. Ainsi les pilons en
pierre sont associés à la sagaie d’Elias, ce serait faire beaucoup
d’honneur à un ustensile actuel de ménage parfaitement identifié.

En résumé l’usage du matériel à moudre néolithique a
partiellement disparu, mais il s’est maintenu partiellement, et
nous saisissons ici sur le fait combien toute cette zone est encore
incomplètement dégagée du néolithisme.

Aussi bien il n’est pas difficile d’en donner d’autres preuves.

La hache touareg est en fer, mais à emmanchure néolithique.

On sait que les Touaregs et les Nigériens portent au-dessus du
coude un bracelet de pierre (l’_abedj_). C’est un produit
de l’industrie locale, j’ai trouvé dans les hauts de
l’O. Taoundrart (Adr’ar des Ifor’ass) sur un affleurement
de chloritoschistes un atelier d’abedj. Ainsi les Touaregs ont
conservé la tradition du travail de la pierre.


=Conclusion.= — Il paraît évident que dans toute la Berbérie
l’usage des outils et des armes en pierre s’est maintenu
jusqu’à une époque récente. Dans les tombeaux on trouve le cuivre
et le bronze toujours mélangés avec le fer ; pas trace d’époques
indépendantes du cuivre et du bronze ; des silex taillés en petit
nombre ont été trouvés dans des tombeaux qui contenaient aussi
des objets en fer. Tout indique que le néolithisme rejoint ici
l’âge du fer.

D’autre part, il n’y a aucune raison d’admettre que
l’introduction du fer ait eu lieu ici de meilleure heure qu’en
Europe. Au contraire, on trouve des stations de silex taillés dans
des ruines historiquement datées comme celles de Mzaourou. Des
dessins rupestres libyco-berbères, datés eux aussi par les animaux
d’introduction récente qu’ils représentent (chameaux),
n’ont pu être gravés qu’avec un outil néolithique. Tous
ces vestiges du passé, outils néolithiques (les pilons à tout
le moins), gravures, redjems sont rattachés par les Touaregs à
des personnages mythiques, Elias et Amamellé, au sujet desquels le
folklore fourmille d’anecdotes. Chez les Berbères d’Algérie, _a
fortiori_ chez ceux du Sahara, encore plus illettrés, l’histoire a
vite fait de dégénérer en mythe. Pour que les souvenirs rattachés
à Elias et Amamellé soient restés aussi vivants il faut qu’ils
ne remontent pas à une époque reculée.

Au reste ce sont là les conclusions auxquelles on s’arrête
généralement, ce sont celles de Foureau.

On peut affirmer encore que le néolithisme descend à une époque
d’autant plus rapprochée de nous qu’on s’enfonce davantage
dans l’intérieur du continent ; comme en témoigne non seulement
l’emmanchure néolithique des haches touaregs et soudanaises, et
l’usage de l’abedj, mais encore le fini des dessins rupestres
sahariens représentant le chameau, ou encore la beauté des pointes
d’Ouargla.

Nous sommes en état, semble-t-il, de distinguer des provinces. Celle
du nord-ouest (Zousfana) est la moins intéressante, en ce sens
du moins qu’elle est un simple prolongement de l’algérien
néolithique. Mais les deux autres sont bien individualisées,
aussi bien vis-à-vis de l’Algérie qu’entre elles.

Elles sont on ne peut plus distinctes ; d’une part, dans l’erg
oriental entre Ouargla et Radamès, énorme prédominance des
flèches en silex ; — de l’autre, dans tout le Sahara central,
prédominance non moins énorme des haches en roches cristallines.

Cette province Saharienne centrale semble un simple prolongement de la
Soudanaise, telle que je l’ai entrevue et que M. Desplagnes l’a
étudiée. Je ne saurais pas assurément où fixer une limite entre
les deux et sur quels arguments baser une distinction. Notons même
que les flèches nigériennes assez rares trouvées par M. Desplagnes
sont exactement du type d’Ouargla[108]

Au contraire, du côté de l’Algérie l’hiatus est évident. Non
seulement les rouleaux écraseurs d’âge récent font défaut en
Algérie, mais les pointes d’Ouargla ne s’y trouvent que dans
les vieux dépôts de cavernes.

Il reste bien entendu, naturellement, que toutes ces formes
néolithiques, algériennes, sahariennes et soudanaises, ont des
affinités communes avec le néolithique égyptien. Que l’Égypte
soit pour toutes les civilisations nord-africaines le centre le plus
ancien de diffusion, c’est un point acquis et d’ailleurs trop
évident. Mais à cette restriction près le néolithique saharien
tout entier a ses affinités bien plutôt avec le Soudan qu’avec
l’Algérie. C’est un fait qui n’a jamais été signalé,
et qui paraît incontestable.

Il semble bien aussi qu’il y ait entre les deux provinces,
d’Ouargla et Saharienne centrale, un autre point très important
de ressemblance. Qu’on jette un coup d’œil sur la carte des
gisements de silex à la fin du deuxième volume des _Documents
de la Mission saharienne_[109], on sera frappé de voir combien
ces stations se pressent dans la cuvette de l’Igargar. Elles sont
beaucoup plus rares non seulement au Tassili, mais aussi au Tadmaït,
dans le haut pays, dans la section amont des fleuves.

C’est absolument ce que nous avons observé dans le Sahara
central, les montagnes, Hoggar, Aïr, Mouidir, Ahnet sont très
pauvres en industrie néolithique. Nous la trouvons concentrée
dans le Tanezrouft et dans le Tiniri, c’est-à-dire dans
les plaines d’alluvions des bas fleuves. Évidemment c’est
là que vivaient les néolithiques, dans des régions qui sont
aujourd’hui parfaitement inhabitables et inhabitées. Car la
cuvette de l’Igargar, elle aussi, est dans son ensemble un désert
redoutable, quoiqu’un peu de vie se soit conservée en son point
le plus bas, au voisinage de l’Atlas (Ouargla, l’oued R’ir).

Tout au rebours la vie actuelle au Sahara s’est réfugiée
aux extrêmes radicelles des réseaux fluviaux dans les massifs
montagneux qui arrêtent au passage quelque humidité. Les redjems
et les gravures rupestres lui font cortège ; nous n’en avons
pas vu dans les plaines désertes, Foureau n’en signale pas
dans la cuvette de l’Igargar et pour les redjems en particulier
cette lacune ne peut pas être fortuite. Quand nous disons gravures
rupestres, nous entendons les plus récentes, les libyco-berbères
frustes ou soignées, dépourvues de patine, puisque les anciennes
font à peu près défaut. En un mot tout ce qui est actuel ou
moderne en fait d’humanité ou de vestiges humains, tout ce qui
se rattache à l’âge du fer est concentré dans les montagnes :
tout le néolithique dans les plaines en contre-bas. Et notons que
les seules gravures rupestres dont je puisse garantir l’ancienneté
sont à Timissao, au cœur du Tanezrouft (?)

Cette répartition inverse des deux populations successives,
néolithique et moderne, atteste évidemment qu’il s’est
produit entre les deux un changement profond dans les conditions
d’habitabilité, j’évite à dessein de dire un changement
de climat.

Les néolithiques avaient d’ailleurs un matériel très compliqué
à moudre le grain. Est-il incorrect d’en inférer qu’ils étaient
grands consommateurs, et par conséquent producteurs de céréales,
c’est-à-dire sédentaires ? Sans doute les Touaregs actuels,
qui ne sont rien moins que cultivateurs, ont conservé dans une
certaine mesure ce matériel néolithique ; et sans doute aussi
ils consomment des grains, le peu de blé, orge, sorgho, qui pousse
dans les ar’rem du Hoggar, et les graines de graminées sauvages
(comme le drinn). Pourtant il n’est pas douteux que les céréales
ne constituent pas pour eux, comme pour les peuples sédentaires, la
base de l’alimentation : ils vivent surtout de lait, de viande et
de dattes. Et c’est peut-être précisément parce que les grains
sont pour eux une alimentation accessoire, qu’ils se contentent du
matériel néolithique, d’ailleurs appauvri et dégénéré. En
tout cas, ils laissent inutilisés à la surface du Sahara des
milliers de rouleaux et de meules dormantes, en parfait état de
conservation, et dont ils semblent même, pour peu que la forme
en soit aberrante du type familier, ne pas soupçonner l’usage,
avec cette incuriosité du Touareg pour tout ce qui n’est pas
l’auxiliaire pratique et immédiat de sa rude existence.

Notons encore que la grande prédominance des haches dans tout le
Sahara central suggère bien en effet l’idée d’une population
agricole et sédentaire. On imagine qu’une population de nomades,
pasteurs, chasseurs et guerriers, aurait eu un outillage militaire
plus compliqué, où les armes de jet, les pointes auraient tenu
une grande place.

Tout cela concorde, et je ne crois pas interpréter abusivement le
témoignage des faits en affirmant que, pendant toute la durée
de l’époque néolithique, les cuvettes alluvionnaires du
Sahara les plus désolées aujourd’hui ont été peuplées et
susceptibles de culture à quelque degré. Il serait désirable
assurément d’appuyer cette théorie sur des documents, je
ne dis pas plus probants, mais plus nombreux. Il est clair que
les plaines sahariennes défendues contre l’exploration par
leur aridité, et par l’accumulation des dunes, sont tout
particulièrement inconnues. Elles recèlent probablement, de
l’homme néolithique, d’autres vestiges que des haches éparses et
des meules dormantes. D’ores et déjà pourtant, l’idée paraît
s’imposer, étayée sur un nombre respectable de faits négatifs
et positifs, tous concordants. Mais ici nous nous heurtons à une
difficulté intéressante. Le néolithique est d’hier dans le monde
entier, et tout particulièrement dans l’Afrique du nord ; il est
par définition post-quaternaire, et dans le Sahara il paraîtrait
déraisonnable de reculer l’introduction du fer à beaucoup plus de
deux mille ans. S’il s’était produit un changement de climat à
une époque aussi récente, déjà historique, et dans un pays aussi
proche de la Méditerranée, à coup sûr nous en serions informés.

Il faut donc que la modification constatée dans les conditions
d’habitabilité soit indépendante du climat ; disons donc que
les grands fleuves sahariens ont conservé, jusqu’à la fin du
néolithique, assez de vie et d’humidité pour alimenter, par
exemple, des oasis, aussi longtemps que les progrès du décapage
éolien, et la formation des dunes qui en est la conséquence,
n’avaient pas interrompu la continuité du tapis alluvionnaire.

Notre étude ethnographique nous conduit donc à des conclusions
déjà formulées à la fin du chapitre précédent ; par des voies
différentes nous sommes conduits à la même hypothèse, qui en
devient plus vraisemblable.

On pourrait aller plus loin et aborder incidemment une question
un peu dangereuse. Qu’étaient ces néolithiques sahariens,
agriculteurs et riverains des grands oueds ? des Berbères ? ou
des Soudanais ? c’est la vieille question garamantique, soulevée
par Duveyrier.

On a dit que l’outillage néolithique saharien est soudanais bien
plus qu’algérien.

On sait d’autre part que le climat, au Sahara, aux oasis par
exemple, interdit aux hommes de race blanche l’agriculture, qui,
jusqu’aux portes de Biskra, reste réservée aux Noirs.

La question des bœufs porteurs est de nature à jeter quelque jour
sur la question. Des bœufs bâtés sont fréquemment représentés
dans les dessins rupestres, et cela jusqu’à Barrebi, au pied
de l’Atlas. Nous savons d’ailleurs par les auteurs anciens
que les Garamantes avaient des bœufs porteurs, et que ces animaux
jouaient à peu près au Sahara le rôle actuellement dévolu aux
chameaux. D’ailleurs, quoiqu’on l’ait trop souvent oublié, en
traitant la question si controversée des Garamantes, on n’ignore
pas que le bœuf porteur est actuellement encore d’un usage
courant au Soudan, sur les bords du Niger. Les Touaregs de la boucle
connaissent et emploient le bœuf porteur. Le bœuf soudanais est
d’ailleurs beaucoup moins exclu du Sahara qu’on ne l’imagine :
Duveyrier le signale à R’at[110].

Dans l’Adr’ar des Ifor’ass il est abondant, et il se retrouve
au Hoggar même ; les Touaregs du Hoggar ont un cheptel de zébus
qu’ils renouvellent facilement chez les Ifor’ass, leurs
clients. Cela revient à dire qu’il ne serait pas impossible
aujourd’hui encore de faire traverser le Sahara à une charge
portée par un bœuf. Les zébus du Hoggar, pour peu qu’on choisisse
la saison et la route, atteindraient sans difficulté insurmontable le
Tidikelt (où les moutons et les chèvres arrivent tous les hivers),
et le long des oasis, qui forment un chapelet continu, le voyage se
continuerait jusqu’en Algérie. Ce voyage serait une absurdité
économique, le bœuf ne pouvant évidemment soutenir la concurrence
du chameau, il ne serait pas une impossibilité pratique.

Lors donc que nous constatons l’existence de bœufs porteurs
garamantiques dans les postes romains de la Tripolitaine, il
est difficile de se soustraire à la conclusion que les caravanes
transsahariennes disposaient il y a deux mille ans d’un outillage,
et peut-être d’un personnel soudanais.

Rappelons que dans le nom des Garamantes on a voulu retrouver celui
des Haratins, cette tribu ou plutôt cette caste de Noirs qui peuplent
les oasis de l’O. R’ir, d’Ouargla, du Touat, de l’O. Draa ;
il est vrai que le sang des Haratins est incessamment renouvelé par
les Nègres soudanais affranchis, mais si la traite a contribué
à maintenir cette caste, il ne s’ensuit pas qu’elle l’ait
créée. Il pourrait bien y avoir là un résidu d’une ancienne
tribu soudanaise aborigène. La thèse a été soutenue et elle
l’est encore.

Les Touaregs eux-mêmes sont sans doute des Berbères et par suite
des Blancs. La couleur de la peau est assez claire en général,
les traits du visage sont caucasiques, l’allure générale
est méditerranéenne. Beaucoup d’entre eux pourtant sont de
taille gigantesque, et ils sont en moyenne bien plus grands que
les Berbères du nord ; dans leur voisinage on ne voit guère que
certaines races soudanaises, les Yoloffs, par exemple, qui soient
d’aussi haute stature. Les femmes touaregs ont une tendance marquée
à la stéatopygie, qui n’est certes pas un trait caucasique. Une
grande partie de leur outillage, et de ce qui paraît chez eux, à
qui vient du nord, le plus national est incontestablement soudanais ;
le bracelet en pierre, par exemple (l’abedj), est porté par tout
le monde au Niger, on en fabrique de superbes au Hombori. Nous avons
déjà dit qu’ils ont le matériel à moudre soudanais (mortier et
pilon de bois, écraseur en pierre) ; la hache de fer à emmanchure
néolithique est commune aux Touaregs et aux Nègres.

Ils partagent également avec les Nègres du Soudan leurs institutions
les plus vénérées ; par exemple un reste de matriarcat ; la
transmission de l’héritage de l’oncle maternel au neveu, et
non pas de père en fils, forme la base du droit successoral aussi
bien chez les Sonr’aï que chez les Hoggar. Et des restes très
visibles de totémisme unissent encore les Touaregs aux Nègres ;
par exemple, un Touareg ne mange pas de lézard de sable « parce
qu’il est, dit-il, son oncle maternel ». Il s’abstient aussi
de poisson et d’oiseaux[111].

Il semble que, en grattant un peu le Berbère touareg, on retrouve
le nègre auquel il s’est récemment substitué.

Qu’il y ait eu à une époque récente, celle peut-être de la
conquête romaine, un Sahara encore néolithique et peuplé tout
autrement que le nôtre, de Nègres agriculteurs qui s’étendaient
jusqu’aux confins de l’Algérie, c’est donc une hypothèse
commode, groupant en un faisceau tous les faits observés.


[Note 43 : Duveyrier, _Les Touaregs du nord_, p. 279, pl. XV, et
Capitaine Bernard, Observations archéologiques..., dans _Revue
d’Ethnographie_, 1886.]

[Note 44 : Foureau, _Documents scientifiques de la Mission
saharienne_. Figure 377.]

[Note 45 : Benhazera, _Six mois chez les Touaregs du
Ahaggar_. Société de Géographie d’Alger, 1906, p. 327-328.]

[Note 46 : _Bulletin du Comité de l’Afrique française_,
supplément d’octobre 1907, p. 257, etc.]

[Note 47 : _Cités et nécropoles berbères de l’Enfida_, par
M. E.-T. Hamy. Extrait du _Bulletin de Géographie historique et
descriptive_, no 1, 1904.]

[Note 48 : Voir dans _Recherche des Antiquités dans le nord de
l’Afrique_ (Instructions adressées aux correspondants du ministère
de l’Instruction publique). Paris, Leroux, 1890, p. 42, 43.]

[Note 49 : Edmond Doutté, _Merrakech_, p. 58.]

[Note 50 : Signalé au Dr Hamy par M. le comte Jean de Kergorlay
(_Comptes rendus_ des séances de l’Académie des Inscriptions,
1903).]

[Note 51 : Desplagnes, _Le Plateau central nigérien_, p. 46 bis,
Pl. XXVI.]

[Note 52 : Rapport inédit.]

[Note 53 : _L. c._, p. 331, etc.]

[Note 54 : Deux font partie de la même charnière (?) qu’elles
constituent par leur association (27 mm. de long sur 14 et 19
mm. de large). La troisième a 40 mm. sur 25 ; elle est repliée
sur elle-même de façon à former à elle seule une charnière
complète. Les clous sont en cuivre. On n’en donne pas de
reproduction photographique parce que l’identité est complète
avec l’échantillon d’Aïn Sefra. Tous ces objets sont en cuivre
et non en bronze. Voir appendice VII, p. 354.]

[Note 55 : Bourguignat, qui a observé la présence de ces cratères
ou cupules d’effondrement dans les redjems du Nahr Ouassel, croit
à tort que les redjems cratériformes ont été « violés ».]

[Note 56 : Voir coupe et plan dans _Cités et Nécropoles berbères
de l’Enfida_, par M. E.-T. Hamy, extrait du _Bulletin de Géographie
historique et descriptive_, no 1, 1904, p. 29.]

[Note 57 : Motylinski, Voyages à Abalessa et à la Koudia, dans le
supplément du _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._, octobre 1907 ;
voir les phot. p. 262 et 266.]

[Note 58 : Supplément au _Bulletin du Comité de l’Afrique
française_ de janvier 1904 et octobre 1904.]

[Note 59 : Cette dernière (387) est la seule de ce genre qui ne se
trouve pas rigoureusement au Tassili des Azguers, mais elle en est
peu éloignée.]

[Note 60 : Crâne d’enfant trouvé à Aïn Sefra par le capitaine
Dessigny (E.-T. Hamy, _Les Ardjem d’Aïn Sefra, l. c._). —
Crâne d’enfant trouvé à Taloak et rapporté au Muséum. —
Crâne d’Ouan Tohra retiré à peu près intact du redjem mais si
fragile qu’il n’a pas supporté le voyage.]

[Note 61 : Foureau, _l. c._, p. 1091.]

[Note 62 : A ce point de vue le Tombeau de la Chrétienne est
remarquable ; on le voit de partout dans l’arrondissement
d’Alger.]

[Note 63 : _L. c._, p. 43 et s.]

[Note 64 : Pomel, Carte géologique de l’Algérie, Notices
explicatives. — Paléontologie ; _passim_.

Flamand, Note sur des stations nouvelles ou peu connues de pierres
écrites, _L’Anthropologie_, mars-avril 1892.

Id., Note sur deux pierres écrites... d’El Hadj Mimoun, _Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres_, 16 mars 1897.

Id., Congrès international d’Anthropologie de 1900 (_Comptes
rendus_, p. 267).

Id., Les pierres écrites, _Société d’Anthropologie de Lyon_,
29 juin 1901.]

[Note 65 : Communication de M. le Dr Hamy à l’_Académie des
Inscriptions_, séance du 5 septembre 1902, d’après des dessins
du capitaine Normand.]

[Note 66 : _L. c._]

[Note 67 : Gsell, _Monuments antiques de l’Algérie_, t. I, p. 46
et Gaillard, _Le Bélier de Mendès_, Société d’anthropologie
de Lyon, 4 mai 1901.]

[Note 68 : Ils paraîtront dans le _Corpus_ des gravures rupestres
que M. Flamand prépare.]

[Note 69 : Signalée pour la première fois d’après le lieutenant
Barthélemy par Capitan, _Revu. de l’École d’anthropologie de
Paris_, XII, 1902, p. 300-311.]

[Note 70 : Pomel, _Carte géologique de l’Algérie. Paléontologie,
monographies. Les Bosélaphes Raye_]

[Note 71 : _L. c._ _Antilopes Pallas_, p. 38 et pl. XV, fig. 12.]

[Note 72 : Foureau, _Documents scientifiques_, t. II, p. 1013,
fig. 359.]

[Note 73 : _Anthropologie_, XVI, 1905, p. 119-120.]

[Note 74 : _L. c._, _Antilopes Pallas_, pl. XV, fig. 8, 9.]

[Note 75 : Pomel, _l. c._ _Bubalus antiquus_, Pl. X, p. 83.]

[Note 76 : _Instructions adressées par le Comité des travaux
historiques. — Recherche des antiquités dans le nord de
l’Afrique_, p. 60, fig. 21.]

[Note 77 : On le retrouve dans une inscription du Gourara copiée par
le commandant Deleuze (Flamand, Note sur quelques stations nouvelles,
etc., pl. V).]

[Note 78 : Cette station est la même que celle qui a été étudiée
par ouï-dire par M. Flamand sous le titre _Gravures et inscriptions
rupestres relevées entre Beni Abbès et le ksar d’el Ougarta_
(Note sur quelques stations nouvelles, etc., _Bulletin de géographie
historique et descriptive_, no 2, 1905). El Ougarta est une lecture
fautive pour el Ouata.]

[Note 79 : _La Géographie_, 1900, p. 362.]

[Note 80 : G.-B.-M. Flamand, Note sur quelques stations nouvelles,
etc., _Bulletin de Géographie historique et descriptive_, no 2,
1905, p. 283.]

[Note 81 : _Ibid._, et _Congrès international d’Anthropologie_,
Paris, 1900. _Bull. Soc. anthr. de Lyon_, juin 1901 et juin 1902.]

[Note 82 : Flamand, _l. c._, et Rimbaud, Supplément du _Bulletin
du Comité de l’Afrique française_, no 5, septembre 1901.]

[Note 83 : Supplément au _Bulletin du Comité de l’Afrique
française_ d’octobre 1904, p. 250, 251. M. Flamand (_l. c._,
Notes sur quelques stations nouvelles, etc.) a publié d’après
des dessins de M. le maréchal des logis Paté des inscriptions et
grafitti provenant de deux localités ainsi orthographiées : oued
Tiratanin et roche Takount dans l’oued Tougoulgoult. Tiratanin
est sûrement une faute de lecture pour Tir’atimin ; la seconde
station me paraît identique à Tahount Arak.]

[Note 84 : Notes manuscrites encore inédites de M. Motylinski.]

[Note 85 : P. 1071, fig. 380.]

[Note 86 : Voir la bibliographie de la question dans Flamand :
Pierres écrites. _Société d’anthropologie de Lyon_, 29 juin 1901,
p. 34. Voir aussi : Flamand, De l’Introduction du chameau dans
l’Afrique du Nord, XIVe Congrès des orientalistes. — Lefébure,
Le chameau en Égypte, _ibid._, et particulièrement R. Basset : Le
nom du chameau chez les Berbères (ce nom est dérivé de l’arabe).]

[Note 87 : Je sais naturellement que cette appellation de dromadaire
est la seule exacte ; mais la distinction entre chameau et dromadaire
n’est maintenue que dans les dictionnaires ; elle n’est pas de
langue courante.]

[Note 88 : Cela ressort surtout des notes manuscrites de Motylinski.]

[Note 89 : Pomel, _Monographies. Le Singe et l’Homme_. Planches
_passim_.]

[Note 90 : Journal de voyage de... Traduit et annoté par
Schirmer. Paris, Fischbacher, 1898, p. 115.]

[Note 91 : _L. c._, _Les Antilopes Pallas_, p. 34, et fig. 1, 2, 3,
4 de la pl. XV.]

[Note 92 : Notes manuscrites, qui seront publiées intégralement.]

[Note 93 : Foureau, _Documents scientifiques de la mission
saharienne_.]

[Note 94 : D’après Desplagnes, _l. c._]

[Note 95 : Livre XVII, chap. III, p. 5, il est question d’un animal
de taille gigantesque qui ressemble à un taureau (?)]

[Note 96 : Pomel, _Monographies. Le Singe et l’Homme_. Planches
_passim_.]

[Note 97 : _L. c._]

[Note 98 : Fig. 20.]

[Note 99 : Elles ont fait l’objet d’une monographie détaillée
par Pallary : Classification industrielle des flèches néolithiques
du Sahara, dans _L’Homme préhistorique_. 1er juin 1906.]

[Note 100 : Paul Pallary, Caractères généraux des industries de
la pierre, _L’Homme préhistorique_, février 1905, p. 40.]

[Note 101 : _Id._, _ibid._, p. 38, et AFAS, 1891, II, p. 637-644.]

[Note 102 : On a signalé en Algérie sur beaucoup de
points des outils néolithiques dans des ruines berbères et
romaines. P. Pallary, _l. c._, Caractères généraux etc., p. 41.]

[Note 103 : M. le commandant Laquières a trouvé, je crois, quelques
pointes à Beni Abbès.]

[Note 104 : Lenz, _Tombouctou_, trad. Lehautcourt, t. II, p. 76.]

[Note 105 : Foureau, Documents scientifiques de la mission, _passim_.]

[Note 106 : Voir Desplagnes, _l. c._, pl. XXI.]

[Note 107 : _L. c._, pl. XLI. Voir appendice V, p. 351.]

[Note 108 : Pl. XV, fig. 29, dans l’ouvrage de M. Desplagnes.]

[Note 109 : Fig. 394.]

[Note 110 : P. 221. On a l’impression que Duveyrier est
aujourd’hui beaucoup plus cité que lu. Son enthousiasme un peu
juvénile pour les vertus touaregs l’a discrédité. Pourtant
ses résultats sont presque toujours confirmés par les travaux
récents. Sa carte en particulier apparaît aujourd’hui tout à fait
remarquable pour l’époque. C’était un excellent observateur.]

[Note 111 : Voir dans Desplagnes une foule de détails curieux
et d’hypothèses peut-être hasardeuses sur les grands totems
soudanais du poisson, de l’oiseau et du serpent.]




                              CHAPITRE IV

                             =LA ZOUSFANA=


Dans les trois premiers chapitres on a cherché à exposer, en
les systématisant peut-être outre mesure, un certain nombre de
faits concernant le Sahara en général. Les chapitres qui suivent
seront au contraire des monographies. On essaiera d’étudier
successivement, dans le Sahara algérien, les régions traversées
par l’itinéraire.

Celle qui se présente d’abord est la région de la Zousfana.


Le pays dont il s’agit est celui que traverse la ligne de chemin de
fer récemment construite de Beni Ounif à Colomb-Béchar, et la route
d’étapes entre Beni Ounif et Igli. Dans les dernières années
on y a fondé trois postes militaires importants, Colomb-Béchar,
Ben Zireg et Tar’it (écrit souvent Taghit). C’est une région
accidentée par de puissantes masses montagneuses, le Mezarif,
le Béchar, le Moumen, l’Antar, le djebel Orred, le Grouz. Les
géants entre tous les autres sont le Grouz et l’Antar, qui
dépassent 1900 mètres. Mais le Mezarif, le Moumen, le Béchar,
encore que plus modestes, se dressent à 1400 mètres sur un socle,
la vallée de la Zousfana, qui en a 700 ou 800.[112]


=Roches primaires (carbonifériennes).= — Cette région montagneuse
est en grande partie constituée par des roches primaires, et surtout
carbonifériennes.

Au point de vue paléontologique, la couche intéressante est une
puissante assise calcaire qui contient un peu partout des fossiles ;
j’en ai trouvé en particulier au Mezarif et dans l’Antar, où
on n’en avait pas encore signalé. Mais il y a surtout deux beaux
gisements classiques, celui de Taouerda à quelques kilomètres
au nord d’Igli, et celui de Mouizib el Atchan (littéralement
la gouttière de la soif) ; c’est le nom d’un torrent à sec
conduisant au col où passe la route directe de Colomb-Béchar à
el Morra. Encore que séparés par une centaine de kilomètres,
ces deux gisements de Taouerda et du Mouizib n’en font qu’un
en réalité ; ce sont deux sections d’une même couche qu’on
voit se continuer sans interruption, ils contiennent d’ailleurs
des fossiles identiques.

Ces fossiles ont été étudiés par plusieurs géologues :
MM. Joleaud, Ficheur, Douvillé, Collot, Thévenin[113]. Leurs
conclusions sont parfaitement nettes.

M. Ficheur écrit : « L’ensemble de cette faune... présente des
caractères assez nets pour l’attribution du niveau fossilifère
d’Igli à l’étage Dinantien et à la partie supérieure du
sous-étage Tournaisien des géologues belges. »

Et M. Armand Thévenin : « L’étude de ces fossiles confirme
en la complétant la note publiée en 1900 par M. Ficheur sur le
carbonifère d’Igli... C’est bien là une faune du Dinantien
inférieur et moyen (calcaire carbonifère d’Irlande, Visé et
Tournay). »

La formation m’a paru avoir environ 500 mètres de puissance, mais
c’est là un chiffre simplement approximatif ; dans une région
plissée, de semblables évaluations sont sujettes à caution. Le
calcaire est très dur, souvent rognonneux et de coloration assez
variable, du bleu foncé, qui domine incontestablement, au gris et
au jaune. Les assises calcaires (j’en ai compté huit au Mouizib)
sont intercalées de marnes ou d’argiles, dont la puissance augmente
progressivement vers la base de la formation. (Voir fig. 28 et aussi
pl. XXI, XXII et XXIII.)

C’est au Mouizib surtout que j’ai eu le loisir d’étudier cette
formation, mais elle m’a paru très uniforme dans toute la région,
— à une exception près.

A Ben Zireg des pressions plus énergiques ont transformé les marnes
ou argiles en ardoises ; il en résulte un facies si nouveau qu’on
peut avoir des doutes sur le synchronisme ; les calcaires de Ben Zireg
pourtant contiennent des fossiles, rares et mauvais, il est vrai,
mais que M. Haug qui les a examinés, déclare carbonifériens. (Voir
appendice XI.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. XX.

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché Gautier

39. — DJ. ORRED

Vu en contrebas du sommet de l’Antar.

Affleurements ennoyés de couches calcaires dinantiennes vivement
redressées.]

[Illustration : Cliché Gautier

40. — SOMMET DE L’ANTAR

Vu du djebel Orred (exactement Sidi-Dahar), montrant
l’horizontalité des couches calcaires dinantiennes au sommet.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XXI.

[Illustration : Cliché Gautier

41. — DANS LE BÉCHAR : COL DU MOUIZIB EL ACHAN

Sommet de la descente qui mène à la Zousfana. — Calcaires
dinantiens.]

[Illustration : Cliché Gautier

42. — DANS LE BÉCHAR : COL DE TENIET NAKHLA

Sommet du col. — Calcaires dinantiens.]

Les calcaires dinantiens, par leur dureté, ont résisté à
l’érosion et sont accusés en relief ; ils composent la masse
de tous les massifs montagneux sans exception (le Grouz mis à
part). Au rebours, les formations inférieures et supérieures
au dinantien, beaucoup plus molles, sont accusées en creux ;
et par conséquent ennoyées la plupart du temps. Elles sont donc
beaucoup plus difficiles à étudier, et elles ont trop échappé
à l’attention. En réalité il est très possible de s’en faire
une idée.

Les couches inférieures s’observent dans la vallée de la
Zousfana entre Ksar el Azoudj et Zaouia Tahtania. Sur tout le
pourtour, au Mouizib comme à Tar’it, au Mezarif, au Moumen, on
voit les calcaires dinantiens reposer en concordance sur des couches
argileuses ou marneuses, d’un gris verdâtre, interstratifiées de
grès rouge foncé ou noir, en bancs minces ; dans la vallée même,
sur différents points, mais surtout dans la partie nord, à Ksar
el Azoudj en particulier et à Haci el Begri, on voit cette même
formation percer à travers l’ennoyage. Elle paraît homogène et
puissante. (Voir appendice XI.)

[Illustration : Fig. 28. — Coupe du Mouizib el Atchan.

CC, calcaire carbonifère ; Ds, dévonien supérieur ; H, houille.]

Je n’y ai pas trouvé de fossiles, et s’il est commode
provisoirement de la considérer comme dévonienne, encore
faut-il observer que les couches à clyménies de Beni Abbès,
qui appartiennent authentiquement au Dévonien supérieur, ont un
facies tout à fait différent.

Les couches supérieures au dinantien ont été observées en deux
points, fort éloignés l’un de l’autre, au nord du Béchar
d’une part, et à Menouar’ar de l’autre (versant occidental
de la hammada de Tar’it).

Au Mouizib on voit les calcaires dinantiens s’enfoncer en
stratification concordante sous des grès, qui constituent le sous-sol
de toute la plaine entre le poste de Colomb et la montagne de Béchar,
et qu’on suit jusqu’à Kenatsa. (Voir pl. XXVI, phot. 49.) On
ne fait qu’apercevoir ces grès à travers les déchirures du sol
formé de cailloutis et d’alluvions récentes. Il semble bien
toutefois que l’ensemble de la formation soit essentiellement
gréseux.

Sur la route de Tar’it à Menouar’ar, on retrouve les mêmes
formations, se succédant dans le même ordre, et on voit les
calcaires carbonifériens fossilifères disparaître sous les mêmes
grès, ou du moins sous des grès d’aspect identique. Mais ici
les alluvions récentes superficielles sont moins développées ;
les grès sont à nu sur une certaine étendue ; et on constate
qu’ils sont interstratifiés avec des bancs très minces de
calcaire à crinoïdes, tout à fait semblables à celui de l’étage
immédiatement inférieur. Le puits de Menouar’ar est creusé dans
les alluvions d’un petit oued juste au pied d’une falaise haute
à peine d’une dizaine de mètres et sur la tranche de laquelle
apparaissent les couches suivantes de bas en haut.

  A la base.    1. Poudingue fossilifère           1m,50

                2. Grès passant au poudingue       1m,50

                3. Schistes gréseux                3m.

                4. Poudingue fossilifère           1m,50

  Au sommet.    5. Calcaire à crinoïdes            1m,50

Dans les poudingues, les fossiles abondaient, mais si mal conservés
et si fragiles qu’il a été impossible de les recueillir. A coup
sûr les crinoïdes prédominaient. Le calcaire bleu du sommet avait
tout à fait l’aspect des calcaires de Béchar.

La réapparition de ces calcaires au milieu des grès tendrait
évidemment à faire croire qu’il s’agit de formations très
voisines, dont la plus récente est la simple continuation, sans
lacune, de la plus ancienne.

M. Gentil signale au Maroc, dans le Haut-Atlas, des grès Permiens
en relation avec des calcaires Dinantiens[114]. Ici il semble bien
qu’il faille conclure à un âge carboniférien.

M. le lieutenant Poirmeur a rapporté des fossiles de deux points qui
sont ainsi désignés[115] : « 1o vallée de l’O. bou Gharraf,
affluent de l’O. bou Dib ; ... à fleur de terre, dans un îlot
formé par un affleurement rocheux, dans le lit de l’oued. —
2o Gueb el Aouda, piton rocheux, qui domine l’O. Béchar
à 25 kilomètres au sud du ksar. » Les deux échantillons
sont des moulages en grès rougeâtre, ferrugineux, de plantes
houillères. M. Bureau a reconnu dans le premier _Stigmaria ficoides_,
et il écrit à son sujet : « Il est clair que ce rhizome bien
que n’étant plus _in loco natali_, n’a pas subi un transport
violent ni à une longue distance. » L’autre est _Lepidodendrum
Veltheimianum_. Ces types appartiennent à la phase la plus ancienne
de la végétation carbonifère.

D’autre part M. G.-B.-M. Flamand a trouvé dans la même région
de petits lits de houilles à empreintes végétales[116]. Ces grès
houillers du Béchar, ennoyés sur de grandes étendues, pourraient
présenter après tout un intérêt pratique. Sur le chapitre de la
houille saharienne on est en général très sceptique. La question
a été traitée avec une haute compétence par M. Haug, qui aboutit
à des conclusions négatives, à propos des échantillons et des
fossiles rapportés par M. Foureau de l’erg d’Issaouan. Mais
Issaouan et Béchar sont à mille kilomètres l’un de l’autre,
et les conditions du gisement sont bien différentes et même
inverses. M. Haug écrit :

« Tant que l’on envisageait les calcaires carbonifères de l’erg
d’Issaouan comme du carbonifère inférieur on pouvait conserver
l’espoir de rencontrer au-dessus d’eux des terrains houillers,
mais à présent que l’âge moscovien et ouralien de ces calcaires
est établi, il n’est plus permis de garder des illusions à cet
égard[117]. »

Au Béchar c’est justement l’étage inférieur, Dinantien,
qui est calcaire, franchement marin. Les étages supérieures au
contraire sont gréseux et ont un facies de formation littorale.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXII.

[Illustration : Cliché Gautier

43. — DANS LE BÉCHAR, AU PIED DU VERSANT NORD

Petite palmeraie d’el Djenien. — Calcaires carbonifériens.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXIII.

[Illustration : Cliché Gautier

44. — DJEBEL BÉCHAR

Vu du Sud, c’est-à-dire de la Zousfana, sur laquelle il se termine
par une falaise.]

[Illustration : Cliché Gautier

45. — DJEBEL BÉCHAR

Vu du Nord, c’est-à-dire de la cuvette synclinale de
Colomb-Béchar.

On distingue nettement l’inclinaison des couches dans la montagne.

Au premier plan Modjbed.]


=Roches secondaires= — Dans le nord de la région étudiée ce
sont les roches secondaires qui dominent ; elles constituent à peu
près toute la masse du Grouz, où elles sont représentées par une
grande variété d’étages depuis le Lias jusqu’au Cénomanien. Je
n’ai fait qu’entrevoir le Grouz dont la géologie est certainement
très délicate à débrouiller. Je ne puis que renvoyer à la carte
géologique récente de M. Poirmeur[118].

En dehors du Grouz dans la région de Colomb-Béchar, et même,
semble-t-il, dans celle du bas Guir le Cénomanien couvre de
grands espaces. Il est riche en superbes fossiles de détermination
facile[119]. Il est représenté par le facies qui lui est habituel
dans tout le Sud-Algérien, à la base des marnes gypseuses, au sommet
des calcaires clairs, très durs. Les marnes font parfois défaut,
à Ben Zireg par exemple. La formation n’est pas puissante, une
cinquantaine de mètres d’épaisseur peut-être, à Ben Zireg
une dizaine ; on constate partout, sans conteste, qu’elle repose
directement sur le substratum carboniférien. Les grès albiens (à
dragées et à bois silicifiés) sont encore représentés dans le
Grouz, ils disparaissent complètement à partir de Ben Zireg. La
transgression cénomanienne est évidente, au sud du Grouz elle a
déposé sur le substratum primaire une simple pellicule, un placage
secondaire. (Voir appendice XI.)

[Illustration : Fig. 29. — Coupe de Sfissifa à Mézerelt par
Colomb et le Mouizib.

Cn, cénomanien ; m, p, q, mio-pliocène et quaternaire.]

[Illustration : Fig. 30. — Coupe de Bou-Kaïs à Teniet Nakhla
(à quelques kilomètres ouest de Mouzib).

E, Éruptif.]


=Plis hercyniens.= — Je crois pouvoir essayer une exposition
tectonique ; quelques traits généraux en tout cas apparaissent
bien nets.

Les couches primaires sont affectées de vieux plissements, qu’on
peut appeler hercyniens ; à Ben Zireg les strates carbonifériennes
sont redressées verticalement, et dessinent un anticlinal fermé
à l’ouest ; sur ce pli arasé, le Cénomanien repose parfaitement
horizontal[120]. La relation est la même au poste de Colomb-Béchar
et à Kenatsa. Il y avait donc des plis primaires arasés avant le
dépôt du Cénomanien. (Voir fig. 29, 30, 31 et 32.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXIV.

[Illustration : Cliché Gautier

46. — COLLINES DE BEZAZIL KELBA (littéralement : _tétines de
chienne_) ; versant nord du Béchar.

C’est une feuille de calcaire cénomanien qui plonge vers le
spectateur ; la crête est érodée en dents de scie.]

La vallée de la Zousfana de Ksar el Azoudj à Tar’it est une
grande boutonnière anticlinale, autour de laquelle les affleurements
primaires dessinent des auréoles concentriques de plus en plus
jeunes. Ce pli est orienté nord-est-sud-ouest, ce qui est une
direction notablement aberrante de celle des plis atliques.

Dans la partie nord-est du Mezarif, où le pli est un synclinal fermé
au sud-ouest, les strates calcaires profondément déchaussées par
l’érosion, se dressent en murailles demi-circulaires concentriques,
toutes rasées régulièrement à la même hauteur. Évidemment un
tronçon de pénéplaine exhaussée, et disséquée par l’érosion.

L’extrémité fermée du synclinal touche à une faille au delà
de laquelle apparaît l’extrémité également fermée d’un
anticlinal, également arasé.

La faille se constate directement, puisqu’elle ramène en
surface une bande de grès dévoniens, mais elle ne se traduit dans
l’orographie actuelle par aucune dénivellation, elle est donc
fort ancienne, constitutive de la pénéplaine.

Si on prolonge par la pensée cette ligne de faille, elle passe
entre l’extrémité fermée à l’ouest de l’anticlinal de
Ben Zireg, et l’extrémité fermée à l’est du synclinal du
Béchar. Il court donc là, dans une direction à peu près nord-sud,
un accident, un décrochement, j’imagine, à la rencontre duquel
les plis se ferment et se relaient[121]. L’accident et les plis sont
évidemment contemporains, cela forme un ensemble, et comme l’âge
hercynien est prouvé pour certaines parties il l’est pour le tout.

Je ne sais quelle part faire aux plis hercyniens dans l’allure
très particulière du djebel Moumen. Il a un sommet rectiligne et
que de loin on jugerait tabulaire ; en réalité il est couronné
par une feuille de calcaire pliée en synclinal très aigu dans le
sens de la longueur. (Cf. fig. 31.)


=Plis atliques.= — C’est naturellement la surrection de l’Atlas
qui a rajeuni le relief hercynien.

L’énergie des plissements atliques varie de part et d’autre
d’une ligne de faille très apparente. A Bou-Kaïs elle est
jalonnée de pointements éruptifs (ophite ?), elle passe au nord
du dj. Orred, entre le dj. Orred et l’Antar (Pl. XX), enfin au
sud de l’Antar. Elle sectionne en falaises brusques et fraîches
les calcaires dinantiens de l’Orred ; au pied de l’Antar elle
a affecté les calcaires cénomaniens, qui sont vivement redressés
au nord, et parfaitement horizontaux au sud. Il faut donc qu’elle
soit post-cénomanienne.

Au nord de cette ligne sont les montagnes géantes, le Grouz et
l’Antar (près de 2000 m.).

Tout ce qu’on peut affirmer ici du Grouz, au point de vue
géologique, c’est qu’il se termine au sud par un pli couché ;
je puis l’affirmer en m’appuyant sur l’autorité de M. Ficheur,
professeur de géologie à l’École des sciences d’Alger ; il a
constaté auprès de Beni Ounif, aux djebels Melias et Zenaga que
les calcaires jurassiques reposent sur les grès albiens[122]. Le
pli couché est bien net aussi auprès de Bou Aïech ; on y voit
une feuille calcaire repliée sur elle-même et coinçant dans le
synclinal des schistes indéterminés.

Le dj. Antar est de structure plus simple, mais analogue.

[Illustration : Fig. 31. — Coupe de l’Antar au Mezarif par Ben
Zireg et le Moumen.]

[Illustration : Fig. 32. — Coupe de l’Antar au Mezarif par le
Béchar (extrémité orientale).]

Cette montagne est constituée tout entière par un pli déversé au
sud. (Cf. fig. 31 et 32.) Sur sa face occidentale, non loin de Sidi
Dahar, dans une large déchirure, on a sous les yeux une magnifique
coupe géologique ; on y voit les argiles dévoniennes coincées
au cœur du pli ; le calcaire carbonifère les recouvre en plaques
horizontales puissantes qui constituent le sommet de la montagne
(voir pl. XX, phot. 40), puis sur la face sud, dominant Ben Zireg
ces mêmes calcaires se replient et passent sous le Dévonien.

L’âge atlique de ce pli est de toute évidence, puisque les
calcaires cénomaniens y participent énergiquement.

Au sud de la faille les conditions sont tout autres. L’altitude
s’abaisse brusquement, le Béchar est plus bas que l’Antar
de 500 à 600 mètres. Du haut de l’Antar on aperçoit le
Béchar et l’Orred étalés à ses pieds comme en projection
planimétrique. (Voir pl. XX, phot. 39.)

Le Béchar et l’Orred sont les épaulements nord et sud d’un
synclinal largement étalé, au centre duquel est le poste de
Colomb-Béchar, et dont le fond est recouvert par le placage
cénomanien et l’ennoyage récent (fig. 29).

Le Cénomanien est resté horizontal au centre, mais il est redressé
au nord et au sud, tant sur les flancs de l’Orred que sur ceux
du Béchar, où il constitue les curieuses collines de Bezazil
Kelba. (Voir pl. XXIV, phot. 46.) Le synclinal hercynien a donc
rejoué récemment, quoique assez faiblement.

Les collines de Bon Yala et de Fendi sont elles aussi le résultat
de plis légers affectant le Cénomanien (?)

La partie occidentale du Béchar a été affectée d’un plissement
atlique. Immédiatement à partir du Mouizib on le voit apparaître
dans les schistes argileux dévoniens, passer dans les calcaires
dinantiens (fig. 30), puis dans les grès houillers ; il détermine
l’éperon que le Béchar projette vers l’ouest, jusqu’au Guir,
au sud de Kenatsa.

Ce pli est double ; les deux indentations profondes qui déterminent
les cols voisins du Mouizib et du Teniet Nakhla sont des anticlinaux
très nets, accusés en creux aussi longtemps qu’ils affectent les
argiles dévoniennes et séparés par l’éperon calcaire en relief
de l’Aïn Mézerelt qui est affecté d’une légère ondulation
synclinale (fig. 29 et 30).

Ce double pli (pli de Kenatsa, si l’on veut), est franchement
orienté est-ouest, il fait un angle très accusé avec la direction
générale des strates primaires redressées, dont l’indépendance
vis-à-vis de lui est manifeste.

Sur son passage la feuille de calcaire dinantien par exemple a été
tordue et indentée, mais elle conserve sa direction générale
hercynienne, plus voisine de nord-sud que d’est-ouest. On constate
directement le conflit entre les deux systèmes de plis, hercyniens
et atliques.

M. Poirmeur, dont la belle carte nous a renseignés sur la forme
véritable du Béchar, remarque justement que cette forme est celle
d’un T. Ce T doit la moitié occidentale de sa barre au plissement
atlique, le reste relève de la virgation hercynienne. Je n’ai pas
vu le Mezarif méridional, mais la carte Poirmeur nous y montre un
éperon projeté vers l’ouest, qui paraît symétrique à celui
de Béchar. Il est probable que le même effet procède de la
même cause.

La grande hammada calcaire à l’ouest de Tar’it est une
pénéplaine où les strates ont la direction hercynienne
(nord-est-sud-ouest). (Voir fig. 33.)

Sur la route de Tar’it à Menouar’ar, un peu avant d’arriver
à ce dernier point, exactement au puits de Daou Blel, on rencontre
soudain des couches redressées plus énergiquement, et dont
l’allure stratigraphique n’a aucun rapport avec celles des
couches voisines. Elles plongent alternativement vers le nord et
vers le sud. Il y a là un pli brusque qui vient évidemment du
grand col appelé Teniet Sba, à l’extrémité orientale duquel
(sur la Zousfana), on aperçoit en effet une disposition analogue.

[Illustration : Fig. 33. — Coupe de Tar’it à Menouar’ar.]

Ainsi donc la coupure de Teniet Sba, le col le plus important du
Béchar doit son origine au croisement d’un pli atlique avec le
pli hercynien, de même que, plus au nord, les cols du Mouizib et
du Teniet Nakhla.

Plus au sud on constate des diaclases toutes fraîches, aux Beni
Goumi par exemple (Tar’it et Mzaourou) ; — je crois aussi que
la Zousfana, en aval des Beni Goumi, a été guidée à travers la
hammada par une diaclase fraîche.

Tout cela est bien concordant. La faille de Bou-Kaïs sépare
l’Atlas de son Vorland. Tout ce qui est au sud est essentiellement
une pénéplaine hercynienne, encore reconnaissable, mais affectée
de quelques plissements atliques, bousculée, faillée et disséquée
profondément par l’érosion.


=L’ennoyage.= — L’érosion, qui a déchaussé et isolé
les puissants massifs calcaires, a naturellement accumulé dans
les vallées des dépôts plus ou moins épais, d’âges divers,
et qu’on arrive assez facilement à dater, par comparaison avec
les dépôts continentaux analogues d’Algérie et du Sahara
algérien. Les dépôts les plus anciens (miocènes ? en tout cas
prépliocènes), tiennent une grande place et atteignent une certaine
épaisseur dans la vallée de la Zousfana, en amont des Beni Goumi,
et en aval de Ksar et Azoudj, où on les voit disparaître sous les
poudingues pliocènes. (Voir pl. XXV, phot. 47 et 48. Voir aussi
appendice XI.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XXV.

[Illustration : Cliché Gautier

47. — PORTION DE LA FALAISE DE KSAR EL AZOUDJ

Le chapiteau est en poudingue pliocène.

Au dessous, à travers les éboulis et les alluvions, on observe
sur le terrain des schistes supra-dévoniens (?) très redressés.]

[Illustration : Cliché Gautier

48. — FALAISE DE KSAR EL AZOUDJ (vue d’ensemble).

A gauche, on aperçoit, marqué par une tache noire de végétation,
un coude de l’oued Zousfana, qui a sculpté la falaise ; — à
l’horizon, à droite, collines cénomaniennes (?) de Fendi.]

Le pliocène a ici les mêmes caractères que dans tout le
Sud-Algérien, accumulations de gros galets, cailloutis souvent
transformé en banc de poudingue, dépôts d’une époque où, comme
aujourd’hui, entre les intervalles d’orages brefs et terribles, un
climat très sec favorisait la formation de croûtes travertineuses.

Aux environs de Beni Ounif, c’est-à-dire au débouché des
principales vallées du Grouz, c’est le cailloutis qui est
prodigieusement développé, mélangé à du cailloutis actuel.

Au débouché de toutes les gorges, les cônes de déjection de galets
s’étalent et se rejoignent. Le chemin de fer en construction
trouve dans le Pliocène une carrière inépuisable de ballast, et
le voyageur qui a suivi la ligne d’étapes, pour peu qu’il se
soit écarté de la piste frayée, garde le souvenir désagréable
de ces éternels cailloux roulés croulant sous les sabots du cheval.

Partout ailleurs, c’est-à-dire dans la majorité des cas, le
Pliocène se présente sous la forme d’un poudingue très dur :
dans la vallée de la Zousfana en amont de Ksar el Azoudj, au moins
sur la rive droite (Fendi, Djenan ed dar) ; à l’ouest de Beni
Ounif (poudingue de Bou Aiech) ; la grande hammada de Kenatsa est
essentiellement une table de poudingue pliocène. La grande hammada
qui commence au Guir sur la rive droite, et qui s’étend jusqu’au
Tafilalelt est aussi pliocène probablement. (Voir appendice XI.)

Les dépôts quaternaires contrastent vivement avec les pliocènes ;
sur l’emplacement même de Beni Ounif, au pied du ksar, on voit des
dépôts marneux puissants de quelques mètres, et qui attestent
évidemment une sédimentation paisible de vase à éléments
très fins.

Ils ont un aspect de dépôt lacustre ; un lambeau de sédiments
analogues à Ben Zireg contient même un petit lit d’aspect
tourbeux ; tout cela suppose un climat plus humide que l’actuel.

L’érosion quaternaire a vivement attaqué les dépôts plus
anciens, elle a sculpté en particulier de nombreuses falaises
couronnées par des tablettes de poudingues. (Ksar el Azoudj,
phot. 47 et 48 — bord sud de la hammada de Kenatsa, phot. 49.)

Le monument le plus curieux de l’érosion quaternaire est
certainement l’Oum es Seba, curieusement planté au milieu de la
hammada de Kenatsa.

De Colomb-Béchar, on aperçoit dans l’ouest, sur la hammada, une
montagne aux contours fantastiques. Les indigènes l’appellent
Oum es Seba, littéralement la « mère-aux-doigts ». C’est un
nom qu’ils donnent volontiers aux sommets dentelés, ruineux,
hérissés de colonnes naturelles, qui évoquent vaguement l’idée
de doigts dressés. L’Oum es Seba, vue de loin dans un pays de
mirages, semble quelque chose d’énorme, presque une concurrence
à l’Antar. De près, elle a dix mètres de haut ; c’est une
« _gara_ » du type classique, et attestant l’importance des
érosions auxquelles elle a été soumise. La base est de sable,
passant au grès tendre ; toute la masse est marneuse, et le sommet
franchement calcaire. Ce sont ces calcaires tendres du sommet qui
ont été curieusement découpés par l’érosion. (Voir fig. 30).

[Illustration : Fig. 34. — Coupe prise aux environs de Beni Ounif,
montrant la terrasse pliocène, et les dépôts quaternaires. Cette
coupe est due à l’obligeance de M. Ficheur.

_j_, Calcaires jurassiques ; _n_, Grès albiens ; _p_, Pliocène ;
_q_, Quaternaire.]


=Importance géographique du Vorland primaire.= — Ces dépôts
continentaux ont un caractère commun, leur faible puissance et
leur discontinuité ; le socle de vieilles roches est largement
dénudé ; nous avons été à même d’étudier ici le contre-coup
de la surrection de l’Atlas sur son Vorland, et c’est être
privilégié ; car, dans l’Atlas oriental tout entier le contact
est enfoui sous un manteau continu et très épais de dépôts
continentaux.

En Algérie, dans les trois provinces, au sud de l’Atlas saharien
dans toute sa longueur, on sait que les dépôts d’atterrissement
sont prodigieusement développés ; les plus anciens ont été
attribués par les géologues à l’Oligocène. Ainsi donc, dans
la cuvette d’Ouargla, dans la région des daya, dans celle de
l’oued R’arbi et de l’oued Namous, les débris de l’Atlas
se sont accumulés presque depuis le début de l’âge tertiaire ;
ils atteignent des centaines de mètres d’épaisseur ; ce sont
ces dépôts continentaux oligocènes et miocènes que M. Flamand
appelle le « terrain des gour ». Cette formation, si particulière
au Sud-Algérien, cesse ici pour la première fois de former un
placage ininterrompu.

Dans l’est d’ailleurs, ce ne sont pas seulement les dépôts
mio-pliocènes qui soustraient à l’observation le substratum
primaire, mais aussi les formations crétacées, très puissantes
et continues. Ici le crétacé n’est plus représenté que par
des lambeaux cénomaniens.

Cette venue au jour de roches plus anciennes semble en relation avec
un changement radical dans la nature de l’Atlas.

On a laissé le Grouz en dehors de l’étude géologique
détaillée ; il n’est cependant pas si inconnu qu’on ne puisse
dégager à son sujet un certain nombre de grands faits généraux,
qui l’individualisent nettement par rapport à ses voisins
orientaux, les massifs des Ksour et de l’Amour.

_Grosso modo_ on est fixé sur sa constitution ; il est formé
presque tout entier de calcaires liasiques et jurassiques. Les roches
crétacées sont absentes, semble-t-il, sauf à la périphérie,
où on retrouve avec les calcaires cénomaniens des lambeaux de
grès albiens (à Beni Ounif par exemple [fig. 34]).

Ce sont précisément ces mêmes grès qui tiennent une place
prépondérante dans la chaîne voisine des Ksour et dans le
djebel Amour, constituant pour la plus grande partie la masse des
montagnes, et donnant la note dominante du paysage. Cela revient à
dire qu’en allant d’Aïn Sefra à Beni Ounif on quitte, à la
hauteur de Duveyrier environ, l’Atlas gréseux pour entrer dans
un Atlas calcaire.

On a déjà dit que le Grouz se termine au sud par un pli couché où
l’on voit les calcaires jurassiques reposer sur les grès albiens.

Or des plissements aussi énergiques, allant jusqu’au renversement,
sont une nouveauté pour qui vient de l’est. La chaîne des Ksour,
le djebel Amour sont au contraire des régions de « plissements
ébauchés » suivant l’expression du dernier géologue qui s’en
est occupé, M. Ritter[123].

Voici donc une autre originalité du Grouz comparé à ses voisins
de l’est. Il n’est pas seulement calcaire, tandis qu’ils sont
gréseux ; il est en outre énergiquement plissé, tandis qu’ils le
sont faiblement. Il est vrai que le premier caractère est apparemment
un corollaire du second, l’énergie du plissement a amené en
surface les couches plus profondes qui se sont trouvées calcaires.

Un raisonnement analogue conduit à conclure que l’apparition du
Vorland avec ses vieilles roches primaires a quelque rapport de cause
à effet avec l’énergie subitement accrue des plissements atliques.

Quoi qu’il en soit il y a là un fait d’importance géographique
tout à fait considérable. Nous verrons dans les chapitres suivants
que cette limite géologique entre les roches primaires et les
terrains plus récents (crétacés marins et tertiaires continentaux),
est une ligne de verdure et de vie qui se prolonge sans interruption
notable pendant huit cents kilomètres, jusqu’au cœur du Sahara,
jusqu’à In Salah. L’affleurement du Vorland primaire ne présente
donc pas seulement un intérêt théorique et scientifique ; c’est
lui, incontestablement, qui fait de la Zousfana la grande porte
d’entrée du Sahara, une voie commerciale et ethnique de premier
ordre ; notre étude géologique nous conduit à des conclusions de
géographie humaine.


=Gîtes minéraux du Grouz.= — A tout autre point de vue c’est
le Grouz qui a une grande importance humaine.

Et d’abord le Grouz et ses dépendances atliques, semblent avoir
le monopole des gîtes minéraux.

Et, à ce point de vue encore, le contraste est grand entre lui et la
chaîne des Ksour, ou le djebel Amour, ses voisins orientaux. Dans
tout l’Atlas saharien jusqu’au Hodna, il n’existe guère
d’exploitation minière, ancienne ou récente. Aussi bien les
grès médiocrement plissés de l’Atlas saharien ne peuvent pas
être préjugés _a priori_ aussi métallifères que les calcaires
bouleversés de la région du Grouz ; d’autant que, dans l’Atlas
que nous connaissons (Algérie-Tunisie), les régions calcaires sont
le domaine de prédilection des gîtes minéraux exploitables.

D’autre part, la question de la houille mise à part, le Vorland
hercynien ne semblerait pas avoir d’avenir minier, au moins
d’après les informateurs indigènes qui signalent beaucoup de
gîtes et tous dans l’Atlas.

Il est certain qu’entre les sources de la Zousfana et celles du
Guir, il existe au moins deux exploitations minières indigènes,
régulières et, autant que le milieu le permet, organisées. L’une
est au djebel Maïz, au nord du Grouz ; c’est une mine de cuivre,
elle a été vue par des Européens, le colonel Quiquandon en
particulier, qui ont constaté l’existence de galeries souterraines
assez profondes. L’autre exploitation minière est beaucoup plus
loin à l’ouest, sur les bords du Guir, à Beni Yati. C’est
une mine de plomb et probablement aussi de cuivre. Elle n’est
connue que par des renseignements recueillis par le lieutenant
Pariel, de Colomb-Béchar. Mais ces renseignements spécifient
l’existence d’installations plus ou moins permanentes pour la
calcination du minerai : on le brûle en gros tas par forts vents
d’ouest. Il semblerait que ces deux gisements (djebel Maïz et
Beni Yati) sont les plus considérables et les mieux exploités,
aux yeux des indigènes. Mais on en connaît plusieurs autres,
de moindre importance.

Au djebel Melias, qui est un simple contrefort du Grouz, à six
kilomètres de Beni Ounif, un filon de plomb et de cuivre court
sur le flanc nord de la montagne. Dans ce filon les indigènes de
Figuig ont creusé un trou, car ce serait trop dire une galerie,
de 1 m. 50 de profondeur.

On pourrait étendre la liste des petits gisements de ce genre.

L’exploitation indigène porte sur deux métaux, le plomb et le
cuivre, et voici à quels besoins économiques elle répond. Le
plomb sert à fondre des balles, et le minerai de plomb, tel quel,
la galène, est un fard très usité, le koheul, bien que ce mot arabe
désigne littéralement le sulfure d’antimoine. Tous les indigènes
connaissent la galène et ses usages. Mais le minerai de cuivre est
beaucoup plus mystérieux. Un fait frappe d’abord, c’est que
toutes les mines de cuivre sont considérées par les indigènes
comme mines d’or et d’argent ; ils n’y soupçonnent pas la
présence du cuivre, et ne semblent pas établir de corrélation
entre le minerai qu’ils extraient et, par exemple, les douilles
de leurs cartouches. En poussant un peu plus loin l’investigation,
on s’aperçoit que tout le minerai est extrait pour le compte des
orfèvres juifs établis à Figuig et à Kenadsa. Ces orfèvres,
ouvriers habiles, font de curieux bijoux d’argent et d’or ;
la matière de ces derniers est qualifiée par le vendeur « or du
Soudan », mais, comme cet or se recouvre très vite d’une pellicule
de vert-de-gris, il y entre assurément une forte proportion de cuivre
marocain. Le peu de minerai de cuivre annuellement extrait du djebel
Maïz ou des gisements voisins sert donc, à peu près exclusivement,
à des alliages de bijouterie, inavoués et fructueux.

Des balles, du fard et des bijoux, voilà tout ce que les indigènes
font de leurs minerais ; une exploitation aussi rudimentaire et aussi
spéciale ne permet assurément pas de rien augurer pour l’avenir
d’une exploitation industrielle. D’ailleurs, à côté du cuivre
et du plomb, dont les minerais sont aisés à reconnaître, il peut
y en avoir d’autres que des professionnels européens soient seuls
à même de rechercher, à supposer résolu le double problème —
de la sécurité sur une frontière encore très peu sûre — et
du transport à si grande distance de la mer.


=Pluies et végétation.= — C’est au point de vue du climat,
c’est-à-dire des pluies, qu’il est particulièrement important
pour la région de la Zousfana qu’elle soit dominée au nord par
la masse du Grouz.

Le Grouz est une longue arête de 80 kilomètres, large de 5 ou 6
peut-être. Il serait plus exact de dire : un faisceau d’arêtes
parallèles (généralement deux et quelquefois trois), entre
lesquelles un système de profondes vallées longitudinales articule
le Grouz tout entier. Chegguet el Abid, Haouci Chafa, etc. ; elles
sont dues, d’après M. Ficheur, à l’intercalation entre les
calcaires liasiques et jurassiques de couches argileuses et marneuses,
qui n’ont pas offert de résistance à l’érosion.

Ces grandes vallées sont colmatées de cailloutis pliocène
jusqu’à leur tête, elles sont donc des réservoirs d’humidité
et des aqueducs souterrains.

Ce formidable écran montagneux n’est pas seulement par excellence
le condensateur des pluies, qui tombent parfois et séjournent
sous forme de neige ; il est organisé pour les emmagasiner,
les acheminer et les distribuer. Les massifs primaires lui sont
généralement inférieurs en altitude et en étendue, et par
surcroît ils conservent une massivité de pénéplaine, ils n’ont
pas un modelé compliqué, une structure ajourée.

Sur la moyenne annuelle des pluies les chiffres précis font encore
défaut. On a du moins le témoignage de la végétation et des
cultures.

Dans le Grouz la végétation des vallées témoigne de
précipitations assez abondantes.

Dans toute cette Afrique du nord, qui est le pays des fleurs,
je ne crois pas qu’il y ait eu au printemps de 1904 un coin
plus follement fleuri que les hautes vallées du Grouz ; on y
marchait environné de senteurs violentes et parfois agressives,
car il y a une fleur qui pue le cadavre. Cette magnifique floraison
peut être accidentelle, heureuse conséquence d’un hiver qui fut
incontestablement pluvieux. Mais la végétation arborescente n’est
pas moins curieuse. Elle est d’abord relativement abondante, ou du
moins elle n’est pas aussi rare qu’on le supposerait ; la plaine
au pied du Grouz a ses tout petits bosquets, en particulier autour de
Bou Aiech. Ils sont souvent composés de pistachiers (betoum), mais
on rencontre assez fréquemment aussi des caroubiers et surtout des
oliviers sauvages, parfaitement vigoureux, poussant librement sans le
secours de l’irrigation. Et voilà qui est étrange, car l’olivier
est un arbre méditerranéen, qu’on n’attend pas au désert.

Le sommet de l’Antar est aussi un îlot de végétation du Tell
(bosquets de genévriers par exemple).

Mais tout le reste du pays a une végétation saharienne,
c’est-à-dire dans la majorité des cas tout à fait absente. Le
Béchar, le Mezarif, le Moumen, la hammada de Moungar Tarit, sont
des étendues désolées de roc nu.

Quand un peu de végétation apparaît dans des coins de vallées
privilégiés, c’est ce qu’on appelle au Sahara un pâturage,
ces buissons rabougris et mal virescents dont le chameau se
nourrit. (Voir pl. XXVI, phot. 50.) La végétation arborescente est
surtout représentée par de rares tamaris, et quelques talhas très
sporadiques (faux gommiers) ; il y en a _un_ par exemple à el Morra.

Il faut noter pourtant la fréquence d’_Anabasis aretioides_, que
les Arabes appellent ed-dega et le corps d’occupation « chou-fleur
du bled », elle ressemble en effet à une pomme de chou-fleur posée
au ras du sol sans tige. C’est une plante des hauts plateaux
oranais qui disparaît à mesure qu’on s’éloigne plus avant
dans le Sahara.

Notons aussi que le porc-épic, qui est nettement une bête du Tell,
se trouve encore le long de la Zousfana entre Tar’it et Igli.

En somme la région de la Zousfana doit peut-être au voisinage
de l’Atlas des pluies un peu moins rares que dans le reste du
Sahara. Mais elle en reçoit directement très peu. C’est au
réservoir de l’Atlas et en particulier du Grouz qu’elle doit
d’être habitable à un assez haut degré. Figuig, Fendi, Ouakda,
Béchar, Kenadsa, Tar’it, forment un groupe assez important de
palmeraies, toutes alimentées par le Grouz. Notons que, pour trouver
l’équivalent à la lisière du Sahara il faut aller dans l’ouest
au moins jusqu’à Laghouat et peut-être même jusqu’à Biskra.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXVI.

[Illustration : Cliché Gautier

49. — FALAISE DE KENATSA

Les roches noirâtres à la base de la falaise sont des grès
houillers redressés ; l’entablement clair est du calcaire
horizontal (cénomanien et pliocène).]

[Illustration : Cliché Gautier

50. — LA ZOUSFANA en aval de Ksar el Azoudj.

Le lit de l’Oued est très large et très touffu ; — à
l’arrière plan le djebel Moumen.]


=Régime des eaux.= — Il y a d’assez nombreuses petites sources
dans les massifs montagneux dinantiens.

Le Mezarif, par exemple, a trois points d’eau pérennes (O. Chegga,
Aïn Nakhlat, Aïn Mezarif).

Le Moumen lui-même, malgré ses dimensions assez exiguës a deux
points d’eau ; le Béchar a une demi-douzaine de points d’eau, je
citerai ceux que j’ai vus : el Djenien et Aïn Mézerelt (pl. XXII).

J’ai vu aussi H. Ar’lal, Daou Belal et Menouar’ar en relation
avec la hammada de Moungar.

Ces points d’eau sont invariablement au débouché de torrents,
descendus de leurs montagnes respectives, et généralement en rapport
avec la limite soit inférieure (c’est le cas le plus général),
soit supérieure (Djenien, Menouarar) des calcaires carbonifériens.

Les trois sources du Mezarif, par exemple, sont, malgré leur
éloignement topographique, au même niveau stratigraphique, à
l’affleurement du premier banc de grès dévonien (?) immédiatement
au-dessous des calcaires dinantiens. Aïn Mézerelt et les sources
du Moumen, je crois, sont exactement dans la même situation.

Il est clair que les petites sources de cet ordre restituent goutte
à goutte à la circulation atmosphérique, la provision propre
d’humidité du Mezarif, du Moumen, du Béchar ; elles portent donc
témoignage que chacun de ces massifs, sous une forme quelconque,
rosée, givre, neige ou pluie, condense et emmagasine, pour son
compte personnel, une certaine quantité de vapeur d’eau.

Mais cette quantité est faible. Aucune de ces petites sources n’a
fixé de la vie humaine, quoiqu’un petit nombre d’entre elles
(Aïn Nakhlat, el Djenien) alimentent comme leur nom l’indique,
à titre de curiosités, quelques palmiers sporadiques. Ce
n’est pas cependant qu’elles soient dépourvues d’importance
économique. Dans ce pays coupé de puissantes barrières rocheuses,
les petits points d’eau jalonnent les routes de montagnes, les
plus difficiles et les plus mal fréquentées : les routes des
« djich[124] » ; ils rendent habitables des repaires provisoires
où une bande guette le coup à faire. Le Mezarif septentrional est
un repaire admirablement aménagé par la nature, avec trois issues
indépendantes, correspondant aux trois points d’eau, et situés
aux points les plus opposés de l’horizon. Le 25 décembre 1904
un rezzou de Chaamba revenant d’une razzia fructueuse, et cerné
dans le Mezarif par des forces supérieures leur a glissé entre
les doigts avec une extrême facilité.

Les grosses agglomérations, les grosses taches de culture et de
verdure, sont en relation avec les eaux descendues de l’Atlas,
des sommets avoisinant deux mille mètres.


=Nappe artésienne.= — Le groupe d’oasis le plus important,
celui de Figuig, est dans une cuvette encerclée par les contreforts
du Grouz et du Beni Smir.

Son hydrographie a été étudiée par M. Ficheur. Toute l’eau
de Figuig est artésienne, non pas qu’il y existe un seul puits,
mais les sources viennent de la profondeur, amenées en surface par
des failles. Quelques-unes de ces sources attestent leur origine par
leur température élevée ; deux des ksars de Figuig portent le nom
caractéristique de « hammam ». D’autres, de température normale,
ont une force ascensionnelle qui se traduit par un bouillonnement
très visible. M. Ficheur estime que la nappe artésienne doit se
trouver entre les calcaires liasiques et les couches argileuses
infrajurassiques (?) du Chegguet el Abid.

Je serais tenté, sous bénéfice d’inventaire, de mettre dans
une catégorie voisine les sources qui alimentent les petites
palmeraies de Bou-Kaïs, el Ahmar, Sfissifa. Elles jalonnent au pied
de l’Atlas la grande faille couturée de roches éruptives. Une
source de Bou-Kaïs a une trentaine de degrés, tandis que l’eau
du puits de Colomb-Béchar ne dépasse pas 22°.


=Les oueds.= — Les autres oasis jalonnent les oueds descendus de
l’Atlas. L’oued le plus considérable, la Zousfana, alimente la
plus belle oasis, celle de Tar’it, qui rivalise avec Figuig.

Grâce au capitaine Normand qui a passé deux ans à creuser des
puits sur la ligne d’étapes nous pouvons nous faire une idée
précise du régime hydrographique dans la Zousfana.

Elle prend sa source dans la cuvette du Figuig et elle est donc
alimentée par les torrents du Grouz et du Beni Smir.

Sur tout son parcours elle coule à l’air libre une fois ou deux
par an, lors des très grandes crues. En général elle est à
sec comme il sied à un oued saharien. Pas partout cependant. Elle
coule à l’air libre assez régulièrement en deux points très
éloignés l’un de l’autre, au col de Tar’la sur cinq ou six
kilomètres, et dans la palmeraie de Tar’it sur une quinzaine de
kilomètres. En ces deux points c’est apparemment un seuil rocheux
qui ramène en surface la nappe aquifère. A Tar’la l’oued
sort de la cuvette de Figuig en forçant une muraille de calcaires
basiques et jurassiques. A Tar’it l’oued a creusé son lit dans
des terrains d’atterrissement, mais au travers desquelles on voit
percer les calcaires dinantiens[125] ; sous les murailles mêmes
du ksar de Tar’it le lit est franchement entaillé dans les vieux
calcaires et c’est en ce point précis que ce lit, sec en amont,
se remplit d’eau vive.

Entre Tar’la et Tar’it le capitaine Normand[126] nous indique à
quelles profondeurs les puisatiers ont rencontré l’eau, à Ksar
el Azoudj 3 mètres, Haci el Mir 5 mètres, el Morra 10 mètres,
el Moungar 20 mètres. Rappelons que, à Ksar el Azoudj et Haci el
Mir le sous-sol dévonien affleure.

En somme cet oued Zousfana a un lit souterrain continu et pérenne ;
les terrains d’atterrissement où il coule sont gorgés d’eau à
une profondeur plus ou moins faible ; on a pu y trouver un point
d’eau, ou y creuser un puits tous les 25 kilomètres le long
de la ligne d’étapes, qui est suivie régulièrèment par de
l’infanterie européenne, des chevaux et des mulets. Sans doute les
étapes sont dures ; au cœur de l’été l’eau devient rare, il
faut parfois rationner bêtes et gens, toute l’année d’ailleurs
elle est mauvaise, magnésienne et salée. Pour qui vient du nord
c’est déjà le Sahara et ses horreurs. En réalité c’est un
Sahara très atténué.

A Ksar el Azoudj, et de là jusqu’au pied du Moumen, jusqu’à
Haci el Begri et Haci el Mir, la végétation est très belle,
pour le Sahara s’entend, les tamaris forment par places de vrais
boqueteaux. D’ailleurs Ksar el Azoudj fut certainement un point
habité, à une époque indéterminée, comme son nom l’indique
(Pl. XXVI, phot. 50).

A el Morra les Ouled Djerir plantent et récoltent de l’orge après
les crues[127].

En aval de la palmeraie de Tar’it (exactement de Zaouia Tahtania)
l’oued coule en pleine hammada de calcaire carboniférien, à même
la roche, ou du moins sur une couche d’alluvions insuffisante,
il offre donc de moindres ressources ; entre Tar’it et Igli le
puits d’el Aouedj coupe l’étape.

Le Grouz envoie à la Zousfana sur sa rive droite toute une série
d’affluents qui ont une vie souterraine et parfois superficielle.

L’oued de Fendi, qui passe à Bou Yala, a coulé plusieurs fois
à pleins bords pendant l’hiver 1904, au point de compromettre la
sécurité du poste provisoire de Bou Yala. A Beni Ounif, à Bou
Aiech, à Colomb-Béchar, il suffit de creuser _n’importe où_
un puits de quelques mètres pour avoir de l’eau.

Les oasis de Beni Ounif, de Tebouda, de Fendi sont chacune en
relation avec un torrent descendu du Grouz. Fendi a de petits
lacs, qui sont charmants, perdus dans un fouillis de palmiers
abandonnés à eux-mêmes, incultes et non taillés ; car l’oasis
de Fendi, dangereusement située, a été désertée par ses
propriétaires. Tout autour, les murailles de calcaire cénomanien
(?) encadrent la palmeraie et la dominent en vasque gigantesque ;
ce trou de verdure et d’eau est à bon droit le coin de paysage
le plus célèbre de la région, Fendi, bien plus complètement
qu’aucune des autres palmeraies, répond à l’ensemble d’idées
traditionnelles qu’évoque le mot d’oasis.

Les palmeraies d’Ouakda et de Béchar (poste de Colomb-Béchar)
sont dans le lit de l’O. Khéroua qui draine l’Antar. Là aussi,
à l’oasis de Béchar, l’oued coule à l’air libre, les eaux
souterraines sont ramenées en surface par l’affleurement des
marnes cénomaniennes ou des argiles primaires, et elles s’étalent
en étangs.

Les étangs de Colomb-Béchar ne sont pas aussi joliment encadrés
que ceux de Fendi ; en revanche, ils sont très poissonneux. Les
barbeaux abondent et quelques-uns sont énormes ; naturellement aucune
autre espèce n’est représentée ; le barbeau est le seul poisson,
je crois, acclimaté au Sahara. Ceux de Béchar voisinent seulement
avec un grand nombre de tortues aquatiques.

Il est donc de toute évidence que le réseau hydrographique, qui est
assez serré, comme le montre un coup d’œil sur la carte, n’est
pas complètement mort. Les oueds ont une vie souterraine. Tout le
long de leur cours, ils ont une réserve d’humidité qui se dépense
parfois spontanément en sources et en mares d’eau libre. Il y
a dans le sous-sol une nappe superficielle importante qui alimente
les tapis de fleurs du Grouz, les bosquets d’oliviers sauvages,
et un certain nombre d’oasis.

En général les sources les plus importantes semblent conditionnées
par le voisinage de l’énorme masse des roches primaires peu
perméables, qui forcent la nappe superficielle à s’étaler
à l’air libre. Il est remarquable que les petits étangs de
Fendi et de Béchar, ces sortes d’anévrismes à ciel ouvert de
la circulation souterraine, se trouvent au point précis où les
oueds Fendi et el Khéroua vont quitter les roches secondaires pour
pénétrer dans le domaine des roches primaires.


=Groupe d’oasis de Béchar.= — Si l’on met à part Figuig, pour
lequel on ne possède pas les éléments d’une monographie[128],
les principaux groupements humains sont les palmeraies de Béchar,
et celles de Tar’it.

Le poste de Colomb-Béchar voisine avec les deux petits ksars de
Béchar et d’Ouakda dont les palmeraies se confondent en une
seule oasis.

Le lieutenant Cavard nous donne sur ces deux ksars des renseignements
démographiques et historiques.

Béchar a une soixantaine de maisons et peut armer 80 fantassins et 7
à 8 cavaliers. Ouakda serait moitié moins important à en juger par
le nombre de ses fantassins, une quarantaine. Ouakda a 8000 palmiers.

Ces toutes petites bourgades ont pourtant un passé fort ancien. On
garde à Béchar le souvenir d’un siège que le ksar a soutenu au
Ve siècle de l’hégire, soit au XIIe siècle après J.-C. contre
le sultan Moulay Ahmed Dehbi, surnommé le Sultan noir.

Je crois, il est vrai, que ces souvenirs de gloire ne s’appliquent
pas au ksar actuel de Béchar, qui est une forteresse de pisé sur la
rive droite de l’oued. Sur la rive gauche en tout cas s’étendent
les ruines confuses d’un vieux ksar en pierres sèches.

Je ne crois pas qu’on ait recueilli à son sujet les souvenirs
indigènes. Mais sa seule existence est intéressante. A travers
tout le Sahara nous retrouverons ce même contraste entre des ksars
actuels en pisé, et de vieilles ruines en pierres sèches.

Les habitants de Béchar et d’Ouakda sont presque tous des khammès
(métayers, il serait plus juste peut-être de dire des serfs).

Comme partout au Sahara la prééminence sociale appartient aux
nomades, qui sont ici les Ouled Djerir[129].

Ils sont 5000 d’après le lieutenant Cavard, avec 600 tentes,
et ils pourraient mettre en ligne 1100 fantassins et 80 cavaliers.

Ils ont des terrains de culture dans l’O. Namous (Oglat Djedida)
et dans l’O. Zousfana (el Morra). Ils ont des droits de propriété
à Bou Yala, Tebouda, Fendi. Ils ensilotent à Béchar et à Ouakda,
où ils sont propriétaires d’une grande partie des palmiers,
et dont ils sont en somme les suzerains.

Maigre suzeraineté d’ailleurs, car il est notoire que les Ouled
Djerir sont pauvres ; ils n’ont pas assez d’orge ni de dattes
pour leur consommation ; conformément à tous les usages sahariens
ils comblent le déficit par les bénéfices du banditisme ; et de
la sorte la pauvreté entretient chez eux des vertus militaires qui
rehaussent leur prestige.

D’après Cavard, leur arbre généalogique remonte au VIIe siècle
après J.-C. ; à cette époque vivait Djerir, l’ancêtre éponyme ;
et c’est alors que la tribu s’est individualisée en se séparant
des Hamyan.

Ces hobereaux besogneux partagent l’autorité avec une autre
grande puissance, religieuse celle-là, la zaouia (monastère)
de Kenatsa. Kenatsa est à 24 kilomètres de Béchar, exactement
au pied de l’escarpement terminal de la hammada qui porte son
nom. Les sources qui alimentent les jardins sont dans les grès
houillers à la base de l’escarpement. La zaouia a un aspect
d’ancienne prospérité ; elle s’annonce de loin par un gracieux
minaret bâti en briques, sans faïences apparentes, il est vrai ;
autant qu’on peut en juger à quelque distance, car la visite en
est prohibée, c’est l’architecture de Tlemcen, de Fez et de
Marrakech qu’elle rappelle, et non pas du tout ces grossières
mosquées en pisé blanchi, de profil déjà soudanais, qu’on voit
aux oasis sahariennes. (Voir pl. XXVIII, phot. 54.) La zaouia possède
certainement une bibliothèque, avec des manuscrits curieusement
enluminés sur papier de luxe ; il est non moins certain par malheur
que ces manuscrits sont mangés aux rats. Enfin Kenatsa a ses Juifs,
ce qui revient à dire, en pays marocain, un peu d’industrie et
de commerce.

L’ordre religieux de Kenatsa (les Ziania) a été fondé au XVIIe
siècle par un chérif marocain originaire de l’O. Draa.


=Tar’it.= — La création d’un poste militaire au ksar
de Tar’it (alias Taghit), a donné à ce nom une sorte de
notoriété. L’usage s’est à peu près établi d’étendre
ce nom à toute l’agglomération humaine qui se décompose en
cinq ksars : Zaouia Fokania, Tar’it, Barrebi, Bakhti et Zaouia
Tahtania. Les indigènes de ces cinq ksars ont pourtant un nom
d’ensemble, celui de Beni Goumi, qui est fort ancien et se trouve
déjà dans Ibn Khaldoun.

La palmeraie de Tar’it ou des Beni Goumi s’allonge sur 16
kilomètres le long de l’oued Zousfana entre le monastère d’amont
(Zaouia Fokania), et le monastère d’aval (Z. Tahtania).

Cette ligne de verdure et d’eau est profondément encaissée entre
la falaise carboniférienne à droite et la dune à gauche ; dans
ce couloir étroit et sinueux la paroi de sable et la paroi de roc,
hautes chacune d’une centaine de mètres, se rapprochent à se
toucher ; si bien que, fréquemment, le sentier qui longe l’oued
est forcé d’escalader les premières pentes de la dune. (Voir
pl. XXVII, phot. 51 et 52.)

Les sables reposent — comme toujours — sur des terrains
d’atterrissement quaternaires et mio-pliocènes, dans lesquels
l’oued en général a entaillé son lit.

Pas partout cependant. — La falaise carboniférienne est la lèvre
d’une faille ; en deux points au moins à Tar’it et à Z. Tahtania
on en voit des esquilles. Celle du Tar’it se distingue sur la
photographie. (Cf. pl. XXVII, phot. 51.) A travers l’esquille de
Tar’it l’oued s’est creusé en pleine roche un canyon profond
et court entre le piton de Baroun sur la rive droite et le piton
qui porte le ksar sur la rive gauche. De là vient précisément le
nom du ksar : Tar’it est un nom berbère qu’on pourrait traduire
par canyon.

On a déjà dit que ce barrage rocheux ramène en surface la nappe
aquifère et ressuscite la Zousfana. Dans les puits des jardins,
aux saisons les plus sèches, l’eau se trouve à deux mètres de
profondeur. Cette eau pourtant, comme celle de l’oued lui-même,
est à peine potable, on recueille du sel dans les boues de l’oued ;
ces alluvions quaternaires dans lesquelles est taillé le lit actuel
sont toujours chargées de gros cristaux de gypse (les roses de
sable), de chlorures et de magnésie. Les Beni Goumi vont chercher
leur meilleure eau sous la dune, dans les alluvions mio-pliocènes ;
ils la captent et la conduisent au moyen de petites foggaras.

Ces dunes de Tar’it, une avancée de grand erg, sont scandaleusement
inexplorées, l’inconnu commence à un kilomètre du poste. On
peut affirmer pourtant que, en un point au moins elles recouvrent
un oued enfoui, affluent de la Zousfana.

A quelques kilomètres au nord du ksar de Tar’it en bordure de
l’erg les officiers du poste reconduisent généralement leurs
amis jusqu’à une petite palmeraie, qu’ils ont surnommée « des
Adieux ». Elle est au bord de l’erg, sous lequel on distingue
des falaises et des témoins d’érosion, un lit, où l’eau
est à fleur de terre. De là partent des foggaras qui alimentent
Zaouia Fokania. Les éclats de silex abondent à la surface du
sol. On trouve réunis là, comme si souvent dans l’erg, la dune,
l’oued enfoui et le gisement néolithique. On sait d’ailleurs
que cet erg jouxtant les Beni Goumi est loin d’être dépourvu de
puits — celui de Zafrani par exemple.

Un autre oued, affluent de la Zousfana (rive droite), joue un rôle
subordonné dans la vie économique de Tar’it. C’est l’oued Abd
en Nass dont la vallée court parallèlement à la Zousfana, sur la
hammada carboniférienne ; elle suit l’affleurement d’une couche
argileuse intercalée dans les calcaires de la pénéplaine. Vallée
sèche, un simple cordon de reg où les moutons trouvent une maigre
pitance, mais une voie d’accès commode, une route naturelle
bien plus aisée que la rocaille de la hammada ou les sables de
l’oued. Le nom a été quelquefois orthographié Had en Nass ;
mais l’autre leçon paraît préférable : parmi les nombreux
tombeaux de saints qui se partagent la vénération des Beni Goumi,
il s’en trouve un de Sidi Abd-en-Nass (le serviteur des hommes)
— un nom d’une jolie humilité maraboutique, surenchérissant
sur l’humilité de cet autre nom plus répandu, Abd-Allah (le
serviteur de Dieu).

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXVII.

[Illustration : 51. — VUE PRISE DU KSAR DE TAR’IT, en regardant
la falaise.

Contre l’apparence les couches calcaires dinantiennes, qu’on
distingue au-dessus des palmiers, ne sont pas stratigraphiquement
inférieures à celles qu’on voit à l’horizon à gauche, au
sommet de la falaise. C’est la même assise dont la continuité
a été rompue par une faille.

(Le tracé de la faille est jalonné par la Koubba blanche à gauche
de la figure et par l’échancrure de la ligne d’horizon, au
sommet et au milieu de la falaise.)]

[Illustration : 52. — VUE PRISE DU KSAR DE TAR’IT, en regardant
la dune.

(Du même point que 51, après une conversion de 180° :)

On se rend compte de l’encaissement du Ksar entre la dune et
la montagne.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                          PL. XXVIII.

[Illustration : Cliché Gautier

53. — TENTES DOUI-MENIA, de type marocain, dans l’oued Zousfana.

A gauche une grande tente noire du type algérien, tout différent.]

[Illustration : 54. — LA ZAOUIA DE KENATSA

Le Minaret est intéressant, d’un travail soigné.]

Sur les Beni Goumi nous avons la bonne fortune de posséder une
bonne monographie démographique et historique[130].

Les cinq ksars comptent au total 1754 habitants, la palmeraie renferme
77951 pieds de palmiers ; très peu d’animaux, sauf des ânes,
des moutons et des chèvres, qui se contentent de peu. Un groupement
humain médiocre et misérable à coup sûr, bien plus important
pourtant que celui tout voisin d’Igli, auquel le hasard des
explorations a donné une bien plus grande notoriété géographique.

Le pays des Beni Goumi est très anciennement habité ; avec des
gisements néolithiques, dont un très beau (H. Zafrani), on y trouve
une très belle station de gravures rupestres, en face du ksar de
Barrebi, au pied de la falaise (éléphants, _Bubalus antiquus_).

D’ailleurs les deux tiers des Beni Goumi sont des « haratin » ;
c’est-à-dire qu’ils appartiennent à cette race négroïde
mystérieuse, qui peuple le Sahara septentrional et le sud du Maroc,
dans le nom de laquelle on a voulu retrouver celui des Garamantes, et
dans laquelle il semble bien que survive un lambeau de préhistoire,
et d’une préhistoire soudanaise, nègre.

Au voisinage des cinq ksars actuellement habités les vieilles
ruines abondent, éparses dans la palmeraie et sur la falaise. Les
plus intéressantes sont celles qui sont perchées au sommet de la
falaise. Elles sont en pierres sèches, tandis que les constructions
actuelles sont en pisé ; et elles se rattachent donc à une
catégorie déjà signalée de ruines, qu’on retrouve souvent dans
le Sahara.

Il est intéressant aussi que ces vieilles ruines soient
invariablement des nids d’aigle, dans une forte situation militaire
de bourgs rhénans ; tandis que leurs successeurs actuels sont dans
la vallée, au milieu des jardins, à proximité de la dure besogne
quotidienne. Ces ruines orgueilleusement perchées semblent nous
ramener à une époque où les Beni Goumi, aujourd’hui serfs de
la glèbe, étaient les suzerains de leur pays.

Toutes ces ruines ont leur nom, et il en est de significatifs ; ainsi
celui de _Ar’rem_ Bou Zoukket, le nom de ar’rem n’a survécu
aujourd’hui dans l’usage courant que chez les Touaregs. — A
noter aussi le nom de Médinet el Yhoud, « la ville des Juifs » ;
on verra quel rôle les Juifs jouaient dans le Sahara du Moyen âge.

J’ai vu de près les ruines les plus méridionales, celles de
Mzaourou, au-dessus de Zaouia Tahtania. Ce qui reste du sol dans les
interstices du rocher est pétri de silex taillés et de débris
d’œufs d’autruche. La falaise est creusée de cavernes, où
se voient des restes de cloisons, et les Beni Goumi furent donc
des Troglodytes.

Ces ruines font à peu près défaut dans la partie nord de la
falaise ; à une seule exception près, Baroun au-dessus de Tar’it ;
elles se pressent au contraire dans la partie sud, au-dessus de
Zaouia Tahtania et de Bakhti. Cette partie de la falaise a son nom
spécial Dir Chemaoun (la montagne de Samuel ? d’après Calderaro).

Sur Dir Chemaoun et ses ruines Calderaro a recueilli
d’intéressantes traditions indigènes. Elles nous disent comment
au IVe siècle de l’hégire, Si Beyazid, de la ville de Bezdama,
dans la province de Bagdad, vint apporter l’islam au Dir Chemaoun ;
comment à son appel les Beni Goumi quittèrent leurs forteresses
pour aller s’établir dans la vallée ; et comment cette grosse
transformation religieuse et sociale fut accompagnée de batailles
dans l’une desquelles périt Si Beyazid. Son tombeau, très
vénéré, est au nord de Bakhti, mais les traditions indigènes
avouent que l’érection de ce tombeau, entourée de circonstances
miraculeuses, est très postérieure à la mort du saint et
manifestement ce tombeau est un cénotaphe.

Je n’ai pas de renseignements sur Si Beyazid : j’ai constaté
qu’il est vénéré, lui ou un homonyme, dans la région de
Djelfa. M. Basset me fait observer que son nom est turc, ce qui
rend peu vraisemblable la date indiquée par la tradition. En tout
cas il est impossible de la prendre à la lettre ; parmi les ruines
de Dir Chemaoun il en est une Beni Ouarou, qui porte le nom d’une
tribu les Beni Ouarin, dont la venue au Beni Goumi est, d’après
les traditions indigènes, postérieure à Si Beyazid. D’ailleurs
les ksars de Mzaourou et de Teiazib étaient encore habités il y
a un siècle.

A coup sûr on peut retenir ceci. Les indigènes se souviennent que
l’abandon des hauteurs fortifiées par la masse de la population
est en relation avec les progrès de l’islamisme, et l’extension
de la culture arabe. Et cela est tout naturel, car ces nids de
troglodytes ont bien un caractère berbère.

Calderaro a fidèlement et minutieusement recueilli tout ce qui a
surnagé du passé dans la mémoire des Beni Goumi. Les ksars actuels
sont récents sauf Barrebi le plus peuplé et le plus vieux. Les
principaux parmi les anciens centres de la vallée sont au nord Bou
Cheddad et Tikoumit, voisins et rivaux ; auprès de Tar’it Ksar el
Kebir, surnommé Médinat el Bizane, la ville des vautours ; au sud
de Bakhti Toukouidin. Dans toutes les oasis on retrouve cette même
instabilité dans l’emplacement des ksars, les villages sahariens
au rebours des nôtres se déplacent facilement ; c’est qu’ils
sont en pisé, dont les ruines font un tas informe de boue séchée ;
le pisé ne se prête pas aux réparations et aux réédifications,
les morceaux n’en valent rien ; il est plus simple de reconstruire
ailleurs une ville neuve.

[Illustration : CARTE DU =BENI GOUMI=

d’après un original copié au poste de Tar’it.

Fig. 35.]

Pourtant Calderaro mentionne fréquemment des exodes causés par
la sécheresse et la famine. Encore que la conclusion ne soit pas
nettement formulée, il semble que les ressources du pays aient
été en déclinant, ce que la proximité de l’erg rend assez
vraisemblable.

Dans cette histoire de sédentaires, comme il est naturel, les
méfaits des nomades tiennent une grande place. Après 150 ans on
garde encore à Tar’it le souvenir d’Ahmed el Khatsir des Angad
près d’Oudjda, qui n’épargna dans le ksar qu’une seule
femme enceinte.

L’histoire politique des Beni Goumi est essentiellement celle des
tribus nomades qui ont exercé la suzeraineté. Elle semble tenue
à peu près à jour depuis le VIIIe siècle de l’hégire. Vers
cette époque « la puissante tribu des Beni Ahssen occupa les pays
environnants et les Beni Goumi devinrent leur propriété ». Ceci
est intéressant parce que nous retrouverons très vivant dans le
Saoura le souvenir des Beni Ahssen ou Beni Hassen.

« La nombreuse tribu des Hamyan, rattachée actuellement au cercle
de Méchéria, succéda aux Béni Ahssen » ; ces mêmes Hamyan dont
les Ouled Djerir sont un rameau détaché.

Puis vinrent les R’nanema et avec eux nous entrons déjà dans
l’histoire contemporaine ; ce sont actuellement les suzerains de
la Saoura. Ils ont été expulsés de la Saoura par les Doui Menia,
il y a un siècle à peine, à la suite de guerres dont le dernier
épisode fut le siège et la prise de Mzaourou, dernière forteresse
des R’nanema.

La palmeraie des Beni Goumi appartient aujourd’hui aux Doui
Menia. Ce sont, on le sait, des nomades de l’oued Guir. Leur
centre est dans le Bahariat (la petite mer), une grande cuvette
alluvionnaire qui se prête à la culture de l’orge. Les Doui
Menia y ont des magasins fortifiés d’où ils tirent leur nom —
Menia est un synonyme Berbère de Kalaa, on disait indifféremment
jadis el Goléa ou el Menia pour désigner le ksar sud-oranais que
nous désignons exclusivement sous le premier nom ; Menia, Kalaa,
ou Goléa désignent une hauteur fortifiée.

Les petites saouias des Beni Goumi, celle d’amont et celle d’aval,
n’ont aucune importance, elles sont bien loin d’avoir la richesse,
l’influence et le rayonnement lointain de Kenatsa. Mais il est
intéressant peut-être de retenir la date de leur fondation.

Z. Fokania a été fondée au commencement du XVIe siècle par un
Maure de Seguiet el Hamra.

Z. Tahtania il y a 250 ans environ, en même temps qu’Igli, par
un saint du Gourara.

On verra que les XVe et XVIe siècles ont été un âge critique, un
tournant de l’histoire dans l’arabisation du Sahara ; et que les
moyens employés ont été précisément le prosélytisme religieux,
la fondation de Zaouias.


=La vie sociale et économique.= — Je n’ai pas parlé de
l’O. Guir parce que je ne l’ai pas vu. — Mais le triangle
montagneux inscrit entre les deux oueds, Guir et Zousfana, constitue
une région naturelle, un pays, qui a son unité économique,
sociale et même politique.

Les procédés d’irrigation ne sont pas essentiellement originaux,
cela va sans dire, il est intéressant pourtant de constater la
coexistence des procédés telliens et sahariens.

Il y a des barrages maçonnés au travers de l’oued tout comme
dans l’Atlas de la Mitidja encore que beaucoup plus modestes. Les
étangs de Fendi et de Béchar sont œuvre humaine, l’eau s’y
étale en arrière d’un barrage en maçonnerie.

Les puits sont la grande ressource, et chaque jardin a le sien :
mais les foggaras (aqueducs souterrains) apparaissent déjà dans
toutes les oasis ; ils sont brefs et à fleur de sol, bien éloignés
encore de pouvoir se comparer aux extraordinaires galeries du Touat,
dont c’est précisément l’énorme développement qui fait le
caractère ; ils portent le même nom pourtant et sont identiques
en effet au moins dans leur essence.

Ceux du pied de l’Atlas, à Beni Ounif par exemple, évidés en
plein cailloutis pliocène, rappellent curieusement ce qu’on dit
des travaux analogues dans l’oasis de Merrakech.

J’ai recueilli à Beni Ounif quelques renseignements sur la façon
dont l’eau se partage entre les usagers. L’instrument de mesure
porte le nom de _karrouba_ ; c’est un vase de cuivre percé d’un
trou, par lequel entre goutte à goutte, en un temps déterminé,
une heure par exemple, l’eau sur laquelle on fait flotter le
vase[131]. En somme, c’est un sablier d’eau. C’est donc le temps
d’irrigation qu’on mesure et non pas directement la quantité
d’eau employée. L’objet des transactions, ce qui se vend et
se loue, ce qui se fait objet de propriété, c’est la karrouba,
l’heure d’irrigation. Ce système n’a rien de particulier, il
est usité au contraire dans beaucoup de régions algériennes. Il
est tout différent pourtant de celui qu’on emploie aux oasis
sahariennes, au Touat par exemple ; là-bas c’est l’eau même
qu’on se partage et dont on est arrivé à jauger le débit par
des procédés primitifs et ingénieux.

Les cultures elles aussi présentent un caractère mixte. La plus
importante à coup sûr est la culture d’oasis, de jardin, à
l’ombre des dattiers ; il faut noter seulement que les dattes les
plus prisées de beaucoup sont importées du Tafilalet ; mais le
dattier n’en demeure pas moins par excellence, comme au Sahara,
l’objet de la propriété et l’unité d’évaluation de la
richesse. Pourtant la culture des céréales coexiste, de l’orge
en particulier, non pas seulement dans l’oasis, en jardins, mais
indépendamment de toute palmeraie, en plein champ, dans des plaines
d’alluvions fécondées par les crues. C’est ainsi que les Ouled
Djerir cultivent de l’orge à el Morra sur la Zousfana et surtout
les Doui Menia dans le Bahariat sur le Guir.

En 1902 à Tar’it, à Igli, et jusqu’à Beni Abbès, tandis que
l’orge de l’administration se vendait 32 francs celle du Guir en
valait 17. Il serait exagéré de conclure que le Bahariat produit
assez pour alimenter une exportation sérieuse. On a expérimenté
que la moindre demande fait tout de suite hausser les prix, parce
que les stocks sont très faibles, mais du moins le pays suffit-il
à sa consommation, et non seulement à celles des êtres humains,
mais encore des chevaux.

En effet les Doui Menia élèvent une race de chevaux renommés. Nous
sommes ici encore dans le domaine des nomades cavaliers et non dans
celui des méharistes. Assurément les chameaux abondent, mais ce
sont chameaux de bât. Les Doui Menia et les Ouled Djerir pratiquent
naturellement le banditisme à travers le Sahara. Le Sahel marocain en
particulier a beaucoup à se plaindre de leurs rapines. Le _Bulletin
de la Société d’Alger_[132] a donné un récit tout à fait
curieux de rezzou Doui Menia au Sahel. En 1904, une harka partie du
Guir a poussé jusque dans l’Adr’ar des Ifor’ass et s’est
heurtée à la garnison française de Tombouctou. Mais les Ifor’ass
bons méharistes ont constaté avec surprise l’absence totale de
méharis dans le camp ennemi, et leur terreur qui fut très vive
s’en est mêlée de quelque mépris. Ces énormes randonnées,
lorsque le cheval devient inutilisable se font à pied, avec la
faculté naturellement de se reposer sur le dos des chameaux de
bât. Dans toute la Zousfana il est impossible d’acheter une selle
de méhari, et si on a la bonne fortune d’en rencontrer une elle
provient d’une razzia au Sahel.

Il est de conséquence que les Doui Menia et les Ouled Djerir soient
des cavaliers incapables de dresser un méhari. C’est un trait
qui les rattache à la région des steppes, des hauts plateaux,
et qui les montre étrangers au vrai désert.

La société a bien un caractère saharien ; la distinction
fondamentale est entre sédentaires et nomades. Les moines de Zaouia
mis à part, on trouve, en règle générale, fixée dans les ksars,
une humanité inférieure et subordonnée ; il y a bien dans chacun
d’eux une minorité d’hommes libres, ou ce qui revient au même de
propriétaires, qui maintiennent, à l’abri de leurs murailles, une
indépendance précaire et humiliée. Les ksars sont par définition
des bourgs fortifiés, et il n’y a pas une seule agglomération qui
ne soit une forteresse, on dort chaque nuit sous verrous, gardé par
des sentinelles, ce qui implique à la fois une grande insécurité et
quelque prétention à l’autonomie. Les ksouriens sont strictement
réduits à la défensive, et ici comme ailleurs l’offensive seule
assure la prééminence. La bourgeoisie libre des ksars est à peu
près invariablement rattachée à une tribu nomade par un lien de
vasselage, qui implique de la part du nomade la protection militaire,
de la part du ksourien le paiement d’un tribut, la reconnaissance
de certains avantages précis, et la tolérance de beaucoup d’abus
vagues. Dans les palmeraies d’ailleurs, c’est un petit nombre
de jardins qui restent la propriété de la bourgeoisie locale ; la
plus grande partie des palmiers appartiennent aux nomades suzerains,
qui viennent une fois l’an camper sous les murs du ksar et faire
la récolte.

Aussi la plus grande partie des ksouriens ne sont ni libres ni
propriétaires, c’est le misérable prolétariat des khammès
(métayers, serfs de la glèbe). Le contrat de métayage varie
médiocrement suivant les oasis, il reste identique dans ses grandes
lignes.

Le métayer khammès, comme son nom l’indique, a théoriquement
droit au cinquième de la récolte ; mais dans les palmeraies
ce cinquième est calculé d’une façon particulière. Les
produits se répartissent en deux catégories très différentes ;
les légumes du jardin, qui sont l’accessoire, et les dattes
qui sont l’essentiel. Tous les produits potagers, tout ce qui
pousse à l’ombre des palmiers, appartient sans restriction au
khammès. Le propriétaire se réserve toutes les dattes, moins
une faible fraction, qui est en général d’un septième, ou bien
encore d’un régime par palmier, abandonné au khammès.

Cette société sédentaire se retrouve dans tout le Sahara
algérien, et déjà d’ailleurs dans le sud de l’Algérie (dans
la chaîne dite des Ksour). Mais ici, on l’a déjà dit, nous
voyons apparaître un élément nouveau, inconnu à l’Algérie ;
presque tous les khammès sont des haratins, c’est-à-dire qu’ils
appartiennent à une race distincte, soudanaise. Nous arrivons déjà
dans une région trop chaude et trop paludéenne pour que la race
blanche puisse survivre au travail de la terre.

La bourgeoisie ksourienne d’ailleurs se distingue des nomades sinon
par la race du moins par la langue. Tous les ksouriens, au rebours des
nomades, parlent un dialecte berbère, et ils donnent à ce dialecte
le nom de Zenatiya ; c’est précisément ainsi que les Berbères
des oasis appellent leur langue. De l’identité du nom avons-nous
le droit de conclure à l’identité des dialectes ? Assurément
non, il faut attendre des études plus approfondies. Pourtant les
ksouriens de Beni Ounif déclarent comprendre sans difficulté les
gens du Touat, tandis qu’ils se débrouillent mal, disent-ils,
dans le dialecte du Tafilalet[133].

Les suzerains de tout le pays sont en somme les Doui Menia, ce qui
lui donne une sorte d’unité politique.

Les Ouled Djerir, encore que très individualisés par leur origine
distincte et par bien des traits de caractère, ne sont qu’une
petite tribu besogneuse, encore affaiblie et appauvrie par des
guerres récentes et malheureuses contre les Beni Guil[134] ; ils
ont dû accepter le patronage et même rentrer dans les cadres de
la grande tribu Doui Menia.

Sur les Doui Menia on n’a pas encore de renseignements
démographiques précis. Mais ils ont au Sahara une réputation
de bourgeois à leur aise, de gros commerçants entrepreneurs de
caravanes, présentant une certaine surface, plus estimables, par
exemple, que les Beni Guil, qui sont des « chacals ». Il n’est
pas douteux que tout cela ne soit très relatif. Mais à coup sûr
la tribu est prospère, et même amollie par la prospérité ;
leur réputation militaire est médiocre.


=La route transsaharienne et Figuig.= — La caractéristique
principale de la région entre Guir et Zousfana est d’être la
porte du Sahara et du Soudan. Là exactement aboutit la route qui,
par l’oued Saoura, le Touat, le Tidikelt, le Hoggar, l’Adr’ar
des Ifor’ass constitue la voie la plus commode probablement de tout
le désert, les routes les plus voisines de l’Atlantique mises à
part. Cette fameuse « rue de palmiers » longue de 800 kilomètres,
et qui mène au cœur du Sahara, au pied des premiers escarpements
du Hoggar, ne paraît pas avoir d’analogue au désert. Interrompue
par des brèches insignifiantes, cette fantastique ligne de verdure va
exactement d’In Salah à Figuig ; et c’est à elle que Figuig est
redevable de son importance. Le Grouz est un obstacle très sérieux
aux communications du N. au S., avec sa longueur de 80 kilomètres,
ses sommets qui atteignent 1800 mètres, et la continuité
impressionnante de ses murailles calcaires. Cette continuité, il
est vrai, n’est pas toujours réelle : immédiatement a l’O. du
Chafet el Koheul, point culminant du Grouz, l’oued el Ouazzani ouvre
à travers toute l’arête une brèche très curieuse : c’est
un long couloir, aboutissant à un énorme cirque, au N. duquel
la paroi septentrionale du Grouz, très abaissée et amincie, est
réduite pour ainsi dire à une pellicule. On a déjà dit combien
le Grouz, vu de près, apparaît articulé ; ici il est évidé
intérieurement. Il n’en est pas moins vrai que ce défilé et ses
pareils, s’il en existe, sont d’accès assez pénible ; ce sont
des portes dérobées par où se faufilent éventuellement les bandes
de pillards ; ce ne sont pas des chemins pour d’honnêtes chameaux
de caravane, pesamment chargés. La voie de communication normale
évite le Grouz et passe par Figuig, dont le nom signifie en arabe
le « petit col ». C’est une porte entre le Maroc et le Sahara,
et elle s’ouvre précisément au point où vient se raccorder à
l’Atlas la « grande rue des Palmiers ».

Ainsi Figuig n’est pas seulement, grâce à ses eaux artésiennes,
un centre agricole considérable pour le pays ; c’est encore,
grâce à sa situation géographique, ce qu’on pourrait appeler un
centre urbain et commercial, avec une population de Juifs qui a su,
par exemple, comprendre immédiatement les avantages du chemin de
fer et en tirer parti.


_La question marocaine._ — Et dès lors s’éclaire (il est grand
temps après un demi-siècle écoulé) un petit article du traité
de 1845 entre la France et le Maroc.

On sait que le traité ne précisait pas la frontière dans la
zone des hauts plateaux et du Sahara. Il se bornait à déclarer
marocains Figuig et le petit ksar voisin d’Ich. Nul doute que le
maréchal Bugeaud n’ait pas compris la portée de cette clause. Et
on peut se demander quelle fut l’intention des négociateurs
marocains. Ont-ils proposé cette rédaction vague par imprécision
naturelle de barbares ? ou par finesse de diplomates orientaux, qui
mettent à profit l’ignorance de l’adversaire, et qui craignent
de l’éclairer sur l’importance de ses concessions. En tout
cas Figuig marocain c’était le verrou tiré sur la seule route
qui relie l’Algérie au Niger, et il est resté tiré jusqu’au
début du XXe siècle.

Toute cette région de la Zousfana d’ailleurs, comme la Saoura et
le Touat est fortement marquée à l’empreinte marocaine.

Elle l’est déjà par la nature : en Algérie et en Tunisie,
tout le long de l’Atlas saharien, on chercherait vainement, on
l’a déjà dit, un contact direct, une pénétration réciproque
entre les domaines hercynien et atlique ; l’Atlas saharien y est
séparé du horst primaire par d’immenses étendues de plateaux
crétacés. Au contraire, si mal connu que soit encore l’Atlas
marocain, nous savons pourtant avec certitude que les plissements
primaires hercyniens finissent, au sud de Merrakech, par constituer la
masse même de l’Atlas et modifier profondément sa structure. Au
point de vue géologique, la région de Figuig serait donc déjà
plus marocaine qu’algérienne.

Marocaine, ou plus exactement sud-marocaine, la région qui nous
occupe l’est encore par ses promesses de richesses minières. Aux
mines de Beni Saf, dans le département d’Oran, tous les ouvriers
sont des Marocains, originaires de la province du Sous. Tandis que les
proches voisins de Beni Saf, les Riffains par exemple, qui fournissent
à la province d’Oran une abondante main-d’œuvre agricole, ont
dû être écartés du travail minier, parce qu’ils s’y montraient
inaptes ; à travers tout le Maroc, malgré l’éloignement, les
Soussi se trouvent attirés à Beni Saf et ils y déploient une
dextérité atavique de professionnels. On sait d’ailleurs que le
Sous, au Maroc, passe pour un pays minier.

Le Grouz est encore bien éloigné du Sous ; pourtant il contient des
gîtes minéraux, bien connus des indigènes et vaguement exploités
par eux. Si l’on en croit leurs dires, la minéralisation irait
en augmentant vers l’ouest, c’est-à-dire que le Sous minier se
prolongerait à travers le Tafilalet jusqu’au Grouz. Il est trop
clair que ce sont là des affirmations sujettes à caution.

Ces similitudes géologiques et physiques ont eu, comme il arrive
si souvent, leur répercussion sur la répartition de l’humanité.

La région est de langue berbère, et elle a donc ses affinités
avec le Maroc.

Dans la province d’Oran, les îlots de langue berbère font à peu
près complètement défaut, la langue arabe y a tout envahi et a
complètement supplanté l’idiome aborigène. Il y a une coupure
absolue entre les provinces berbères de Kabylie et de l’Aurès
d’une part, et d’autre part l’énorme bloc des Berbères
marocains, qui commencerait à Figuig.

Petit détail, mais qui est significatif, dans les campements
Doui Menia on voit apparaître la petite tente ronde marocaine en
cotonnade (voir pl. XXVIII, phot. 53), si différente de la grande
tente algérienne carrée en poil de chameau, popularisée par la
gravure, les tableaux et les expositions.

Sur la Zousfana et sur le Guir nous rencontrons déjà les Beraber
du Tafilalet à titre de proches voisins avec lesquels des intérêts
économiques communs amènent des connexions multiples.

Les Beraber possèdent des palmiers sur le Guir, à Bou Denib par
exemple et vice versa les Doui Menia au Tafilalet. Les ksouriens de
Tar’it avaient d’anciens traités avec les Beraber[135]. C’est
le Tafilalet qui a fourni au chemin de fer la plupart de ses
ouvriers. Or on sait que le Tafilalet est le berceau de la dynastie
marocaine actuelle.

En somme il ne faut pas se dissimuler que nous sommes ici dans un
coin du Maroc.

Cette enclave marocaine sur la route du Soudan nous a prodigieusement
gênés. Son existence nous a entraînés à des efforts absurdes
pour ouvrir ailleurs par Laghouat et el Goléa une route artificielle
qui suppléât la naturelle. A côté du misérable ksar d’el
Goléa nous avons été conduits à construire une ville militaire
à casernes monumentales, qui se sont vidées le jour où le Touat
est tombé entre nos mains, et qui ont pris en quelques années un
aspect comique de ruines de Palmyre.

Tant d’efforts glorieux et à peu près vains pour résoudre la
question transsaharienne, depuis Duveyrier jusqu’à Foureau en
passant par Flatters, un demi-siècle de tâtonnements, tout cela
a son origine dans l’article concernant Figuig dans le traité
de 1845. La solution cherchée s’est offerte d’elle-même et
toutes les difficultés se sont dénouées comme par enchantement,
le jour où nous avons disposé de cette « rue des palmiers » dont
Figuig est la porte.

Une puissance installée d’une part au Soudan et d’autre part
en Algérie ne pouvait pas se désintéresser de la seule route
existante entre le Niger et l’Atlas.

Mais ce qui est très particulier c’est que, en plaçant cette
route sous notre contrôle nous nous soyons imaginé ne pas
léser le Maroc. En réalité nous avons tourné le traité de
1845 en mettant à profit son imprécision, et en termes crus cela
pourrait s’appeler le violer. Assurément le Maroc n’est pas en
géographie politique une entité précise, le traité même le prouve
surabondamment puisqu’il nous donne le droit de poursuite. Il
n’en est pas moins vrai que les Marocains se sentaient chez
eux sur cette route transsaharienne qui aboutit a Figuig, elle
jouait un rôle dans leurs transactions et dans leurs habitudes
économiques. L’occupation française les a profondément choqués
et lésés, au moment même où nos agents à Tanger cherchaient à
nouer avec le maghzen des relations d’intimité.

Aussi bien est-il clair qu’il serait inadéquat de reprocher à
la politique française sa perfidie ; le cas est beaucoup moins
inavouable ; il s’agit simplement de notre anarchie coloniale
chronique. Et sans doute eût-il été possible, avec une politique
générale nettement consciente d’elle-même, de concilier nos
intérêts sahariens et marocains.

_La pacification._ — Que le triangle de pays entre Guir et Zousfana
ait été une parcelle du territoire marocain cela rend d’autant
plus intéressant le processus d’occupation et de pacification
dans une région qui, hier encore, était la plus troublée et la
plus fermée de nos frontières.

Aujourd’hui on y rencontre à chaque instant les traces et les
souvenirs de l’état de guerre. Les grottes du Grouz, et elles
sont nombreuses, ont été manifestement habitées à une époque
récente, et situées, comme elles le sont, dans les escarpements
les plus sauvages, il n’y a guère de chance qu’elles aient
servi d’asile à d’honnêtes bergers. Dans les cols du Grouz
et du Béchar et sur les routes qui y conduisent, on voit de place
en place des parapets semi-circulaires, en pierres non cimentées,
mais soigneusement choisies et solidement maçonnées ; ce sont des
abris de tireurs. L’Oum es Seba, cette petite gara quaternaire,
qu’on aperçoit de Colomb-Béchar, et qui se dresse au milieu
d’une hammada désolée, a ses abris de tireur ou plutôt de chouaf
(sentinelle), abris taillés dans la roche tendre ; on y trouve
des vestiges d’installation semi-permanente, un four à cuire
la galette, par exemple ; l’Oum es Seba a été manifestement
un poste de vigie, surveillant la route du sud-ouest. Tout le pays
apparaît aménagé pour la guerre, d’une façon primitive mais
intelligente. Et il est inutile de rappeler les combats qui l’ont
ensanglanté récemment et dont quelques-uns ont eu en France un
retentissement considérable.

Cette période troublée est close, et il est remarquable qu’elle
ne l’ait pas été par un fait de guerre éclatant, par une
colonne et une répression militaire. Il serait inexact, en effet,
les dates le montrent, d’attribuer au bombardement de Figuig le
rétablissement de la paix ; des combats acharnés, Moungar, Tar’it,
sont postérieurs à ce bombardement. L’état de guerre a pris fin,
parce qu’une série de mesures, l’occupation pacifique d’un
certain nombre de points, en ont rendu la continuation impossible.

On se rend bien compte que la possession tranquille des massifs
montagneux, le Béchar, le Grouz était indispensable aux bandes qui
y ont laissé les traces de leur installation. Les nouveaux postes,
Colomb-Béchar, el Ardja au N. de Figuig, prennent à revers ces
forteresses naturelles et les rendent intenables.

Mais ce n’est pas seulement la situation militaire qui s’est
trouvée modifiée, c’est encore et surtout la situation
générale. Pour comprendre l’évolution accomplie dans les
dispositions des indigènes, il suffit d’examiner les effets de la
nouvelle politique sur un point déterminé, à Colomb-Béchar. Il
fut un temps, en 1902 et 1903, où la crête du Béchar était
considérée par nous comme frontière franco-marocaine, bien qu’on
n’ait jamais su pourquoi cette frontière passait là plutôt
qu’ailleurs, et simplement, semble-t-il, par une répugnance pour
l’indétermination, naturelle à l’esprit français.

En 1902 et pendant la plus grande partie de 1903, les petites oasis
de Béchar et d’Ouakda, situées du bon côté de cette frontière
hypothétique et respectée, furent des refuges inviolables, centres
d’approvisionnement et de rassemblement pour les bandes. Il s’y
créa une forte organisation de piraterie, et il s’y fit des
bénéfices considérables. Ce fut un beau moment pour la petite
tribu des Ouled Djerir, propriétaire d’Ouakda et de Béchar ;
elle joua alors, malgré sa faible importance numérique, un rôle
prépondérant.

On fut enfin contraint d’envoyer contre ce nid de pirates la
colonne commandée par le colonel d’Eu ; elle y entra sans coup
férir et n’y trouva naturellement que la population inoffensive
et épouvantée des pauvres ksouriens. La colonne partie, les nomades
revinrent et le brigandage recommença.

D’après les officiers du Bureau arabe de Colomb-Béchar, les
ksouriens demandèrent au colonel d’Eu de créer un poste chez
eux. Et quelle que soit en pareil cas l’humilité hyperbolique des
indigènes, il semble bien que leur demande n’ait pas été une
simple formule de politesse ; ils avaient en tout cas les meilleures
raisons du monde d’être sincères. Simples métayers, serfs des
Ouled Djerir, exclus de la participation aux bénéfices éventuels
du brigandage, ils étaient entre l’enclume et le marteau :
maltraités par nous pour les méfaits d’autrui, maltraités par
les nomades pour avoir accueilli la colonne avec une soumission dont
ils auraient été fort embarrassés de se départir. On a regretté
quelquefois dans la presse l’établissement de postes français
en territoire marocain. Existe-t-il une fiction diplomatique assez
respectable pour qu’on laisse en son nom de pauvres paysans dans
une situation aussi cruelle ?

On a donc fini par où il eût été sage de commencer, on a
créé un poste à Colomb-Béchar, non sans que des appréhensions
fussent exprimées çà et là sur l’avenir de ce poste, qu’on
s’imaginait d’avance assailli par des hordes furieuses. Rien
de pareil ne s’est produit, le poste depuis sa création n’a
pas tiré un coup de fusil. Ceux des ksouriens que le malheur des
temps avait chassés au Tafilalet sont rentrés un à un. La zaouia
de Kenatsa, assez proche pour se sentir protégée, a donné libre
carrière à son amour de l’ordre public, tout naturel chez
des moines propriétaires et commerçants, dont la foi n’est
nullement menacée. Ce qui peut paraître surprenant c’est que
les Ouled Djerir, irréconciliables la veille, se sont ralliés à
nous le lendemain de l’occupation ; c’est qu’en effet tous les
palmiers sont à eux, et la récolte annuelle est une rentrée sûre,
qu’ils ne sont pas disposés à sacrifier pour les bénéfices
aléatoires et transitoires du brigandage. Aussi ce geste très
simple, établissement d’un poste de police à Colomb-Béchar,
sans bataille et sans violence, a groupé autour de nous toute la
population, pauvres et riches, ksouriens et nomades, les uns pour
la protection que nous assurons à leurs personnes, et les autres
pour le mal que nous pourrions faire à leur propriétés.

Par un processus psychologique analogue, la fondation déjà ancienne
du poste de Tar’it a fait passer progressivement de notre côté
les Doui Menia, propriétaires de la palmeraie. Partout les instincts
du propriétaire l’ont emporté sur ceux du pillard.

En dernier lieu, la mainmise discrète sur Figuig, surveillé par nos
deux postes de Beni Ounif et d’el Ardja, a amené à composition
les Beni Guil qui, sans y être propriétaires, y ont du moins tant
d’intérêts.

Parmi les instruments de pacification, il ne faut pas oublier
le chemin de fer. Après avoir marqué un long temps d’arrêt
à Beni Ounif, il a été continué jusqu’à Béchar. On sait
que son action sur les indigènes est puissamment aidée par la
politique commerciale du Gouvernement Général, qui a déclaré
franc de droits le pays au sud d’Aïn Sefra. On connaît le rapide
développement de l’entrepôt franc de Beni Ounif. La transformation
est prodigieuse depuis l’époque pourtant si proche (1903), où Beni
Ounif était, non pas même un poste, mais un simple camp militaire,
entouré d’une levée de terre. Le village européen a poussé
tout seul, en quelques mois, et son seul aspect montre qu’il
y a eu là un mouvement de capitaux, des opérations commerciales
heureuses[136]. La création d’un pareil centre, si modeste qu’il
soit, serait considérée dans le Tell comme un gros succès pour
la colonisation officielle. Ici l’État n’est pas intervenu et
l’initiative privée a tout fait. C’est peut-être, il est vrai,
ce qui explique la réussite.

Beni Ounif a succédé à Duveyrier, mais succédé, sans métaphore,
après décès. Les habitants de ce qui fut Duveyrier se sont
transportés à Beni Ounif, tous sans exception, emportant avec eux
jusqu’à leurs charpentes et jusqu’à leurs portes. Duveyrier a
perdu tout droit à figurer sur une carte, à autre titre du moins que
celui de station de chemin de fer. Ce déménagement fantastique a eu
lieu le jour où Beni Ounif devint point terminus du chemin de fer,
et où par conséquent Duveyrier cessa de l’être. On a exprimé
la crainte que Beni Ounif n’échappe pas à un pareil retour de
fortune. Il est incontestable que sa prospérité était due en partie
aux travaux de prolongation de la ligne ; le jour où le nombreux
personnel employé à ces travaux s’est porté plus loin, Beni
Ounif a perdu beaucoup de sa vie et traverse une crise dangereuse. Il
a pourtant une grosse chance d’y survivre : Beni Ounif, c’est
Figuig, dont la palmeraie ne se laissera pas déménager, et dont
les habitants auront toujours besoin de fournisseurs européens. Les
gens de Figuig ont pris une grosse part du mouvement commercial créé
par le chemin de fer, une part d’autant plus considérable qu’il
sont les intermédiaires naturels entre le négociant européen et
l’arrière-pays marocain. Il se noue là entre le Maroc et nous des
liens commerciaux qui entraînent dans les habitudes du trafic des
modifications considérables. La route commerciale entre le Tafilalet
et Fez tend à être abandonnée pour celle de la Zousfana. A la fin
de 1906, les Beraber lésés dans leurs intérêts de caravaniers
et de commerçants, et sans doute aussi surexcités par la tension
générale des rapports entre France et Maroc ont coupé les routes
de Béchar et menacé nos postes d’une attaque à main armée.

En somme, il s’est fait là, à petit bruit, sous la direction
du général Lyautey, une expérience intéressante. Elle établit
que dans le coin le plus farouche du Bled Siba (Maroc insoumis),
une force de police, qui apporte avec elle l’ordre et la paix,
groupe autour d’elle, sans combat, l’immense majorité de la
population. Ces populations anarchiques et pillardes apprécient,
comme le reste de l’humanité, l’organisation et la sécurité,
quoiqu’elles soient incapables de se les assurer elles-mêmes.


[Note 112 : La carte topographique a été établie par M. le
lieutenant Poirmeur. Cf. _Bulletin de la Société géologique de
France_. T. VI, fascicule 2, 1907.]

[Note 113 : E. Ficheur, Note sur le terrain carboniférien de la
région d’Igli (_B. S. géol. de Fr._, IIIe série, XXVIII, 1900,
p. 915-926). — A. Thévenin (_C. r. sommaire séances Soc. géol. de
Fr._, 5 décembre 1904, p. 178).]

[Note 114 : _C. r. sommaire Soc. géol. de Fr._, 6 juin 1905,
p. 95. La note est très brève.]

[Note 115 : Ed. Bureau, Le terrain houiller dans le nord de
l’Afrique, _C. R. Ac. S._, t. CXXX, VIII, p. 1629-1631. 20 juin
1904.]

[Note 116 : Flamand, _C. R. Ac. Sc._, 17 juin 1907. _C. r. sommaire
Soc. géol. de Fr._, p. 131 et 137.]

[Note 117 : Foureau, Documents, _etc._, p. 813.]

[Note 118 : Poirmeur. _Bulletin de la Société géol. de Fr._,
_l. c._]

[Note 119 : A l’étude au laboratoire de géologie
d’Alger. L’attribution faite par M. Ficheur ne comporte aucune
espèce de doute. Très belles huîtres de Lisbonne en très grand
nombre.]

[Note 120 : Voir un croquis des environs de Ben Zireg dans les
cahiers du Service géographique de l’Armée, no 21, 1904.]

[Note 121 : Cf. le transparent de la carte hors texte (Esquisse
géologique.... du Béchar).]

[Note 122 : Rapport inédit de M. Ficheur au gouverneur général.]

[Note 123 : Étienne Ritter, Le djebel Amour, _Bulletin du service
de la carte géologique d’Algérie_.]

[Note 124 : Les mots djich, rezzou, harka, qu’on emploiera
fréquemment, désignent des bandes de pillards d’importance
croissante : une bande d’une dizaine d’hommes est un djich,
de plusieurs centaines, une harka.]

[Note 125 : C’est une esquille détachée de la falaise, par une
diaclase très visible. La carte géologique est à trop petite
échelle pour qu’on ait pu y porter ce détail. (Voir pl. XXVII,
phot. 51). La faille a peut-être un rapport avec la réapparition
de l’eau vive.]

[Note 126 : Capitaine Normand, Ses travaux dans la vallée de
la Zousfana, _Bulletin du Comité de l’Afrique française_,
supplément de juillet 1904, p. 165.]

[Note 127 : Lieutenant Cavard, Les Ouled Djerir, _Bulletin du Comité
de l’Afrique française_, supplément de novembre 1904, p. 279.]

[Note 128 : On ne peut que renvoyer à l’excellente étude de
Doutté dans _La Géographie_, 1903, I, p. 177.]

[Note 129 : Lieutenant Cavard, Les Ouled Djerir, _l. c._]

[Note 130 : Calderaro, Les Beni Goumi, _Bulletin de la Société de
Géographie d’Alger_, 1904, 2e trimestre, p. 307, etc.]

[Note 131 : Voir pour plus de détails : Doutté, _l. c._ dans _La
Géographie_.]

[Note 132 : Albert, Une razzia au Sahel, _Bull. Société de
Géog. d’Alger_, 1906, p. 129.]

[Note 133 : Voir Doutté, _l. c._ (_La Géographie_).]

[Note 134 : Calderaro, _l. c._ p. 321.]

[Note 135 : Calderaro, _l. c._]

[Note 136 : Lieutenant de Clermont-Gallerand, Communication sur le
mouvement commercial entre Beni Ounif et le Tafilelt, _Bulletin de
la Société de Géographie d’Alger_, 1905, p. 539.]




                              CHAPITRE V

                      =RÉGION DE LA SAOURA[137]=


La région dont il s’agit est inscrite entre l’erg d’Iguidi
et la Saoura, ou plutôt le grand erg qui borde l’oued Saoura
à l’est. Elle est donc limitée au nord-est et au sud-ouest par
d’énormes masses de sables.

Elle est bien loin elle-même d’être libre de sable puisqu’on
y trouve deux ergs notables (Atchan et er Raoui). Mais du moins
distingue-t-on avec netteté l’ossature rocheuse, qui est
constituée par la chaîne à laquelle on peut laisser le nom
d’Ougarta.


=Sous-région d’Igli.= — La région considérée se rattache au
nord à celle du Béchar. Elle s’y rattache par une sous-région
qu’il faut étudier à part, celle d’Igli.

L’infrastructure primaire de cette sous-région en serait
particulièrement intéressante puisqu’on y verrait le passage
des plissements hercyniens d’Ougarta affectant le Dévonien
et orientés S.-E.-N.-O. aux plissements du Béchar, également
hercyniens, mais affectant le Carboniférien, et orientés S.-O.-N.-E.

Malheureusement, sur la route suivie, qui longe la Saoura, cette
infrastructure est voilée en grande partie par des dépôts
horizontaux. La Saoura s’est creusé son lit dans ces dépôts
et l’on ne peut juger de l’infrastructure que par ce qui en
apparaît au fond du lit.

Les dépôts horizontaux sont épais de quelques dizaines de mètres
seulement. Leur horizontalité est parfaite, ou du moins semble
telle à l’œil. Ils sont composés pour la plus grande part de
sables plus ou moins agglomérés en grès tendre ; au sommet ces
sables supportent généralement un banc calcaire puissant de 5
à 6 mètres, contenant des rognons de silex. Cette description
s’applique surtout aux dépôts de Beni Abbès que j’ai pu
examiner de plus près. Mais ceux d’Igli ne m’ont pas semblé
différents. Il s’agit d’une formation déjà mentionnée et que
j’ai suivie jusqu’à Charouin. Ce sont les dépôts continentaux
mio-pliocènes. Les formations sableuses représenteraient le Miocène
continental, sur lequel le Pliocène, au climat désertique, aurait
étendu une couche travertineuse et calcaire[138].

Dans le lit de la Saoura l’infrastructure primaire affleure surtout
depuis la plaine d’Igli (confluent de la Zousfana et du Guir),
jusqu’au ksar de Mazzer. Au delà l’ennoyage ne présente presque
plus de fenêtres.

Les fossiles ne font pas défaut, et ce sont les mêmes qu’à
Taouerda, ils se rapportent au Dinantien. Ils proviennent de calcaires
bleuâtres d’aspect identique à ceux de Taouerda, de Tar’it
ou du Béchar. Mais ici, au rebours de ce qui se passe au nord, le
calcaire dans l’ensemble de la formation ne joue plus qu’un rôle
subordonné. Le poste d’Igli est construit au sommet d’une gara,
couronnée par une table de calcaire (Voir pl. XXIX, phot. 55) :
cette gara est stratifiée comme suit : à la base et sur la plus
grande partie de la hauteur totale qui est d’une cinquantaine de
mètres, schistes argileux ou marneux assez friables — au-dessus
une couche mince de grès, un mètre peut-être — au sommet un
banc de calcaire bleu fossilifère, épais de 4 à 5 mètres. La
gara d’Igli est un témoin détaché d’un barrage transversal
à la vallée que l’oued a troué : d’Igli à Mazzer, l’oued a
troué successivement six ou sept barrages de ce genre, qui semblent
tous identiques, schistes mous couronnés et protégés par une table
calcaire. Toutes ces couches ont le même pendage, elles plongent
au nord-ouest, comme celles de Taouerda et de Tar’it. Pourtant
il serait peut-être plus juste de dire que les couches d’Igli
plongent nord-nord-ouest ; ce qui supposerait un léger rebroussement
dans la direction du pli hercynien. Il est malaisé d’observer avec
certitude le sens de la plongée parce qu’elle est peu accusée ;
elle l’est de moins en moins à mesure qu’on avance vers le sud
et aux environs de Mazzer elle est presque nulle.

Le pointement dévonien le plus rapproché de Mazzer le
long de l’oued est celui d’Ouarourourt à 20 kilomètres
environ. L’ennoyage de toute la région intermédiaire ne permet pas
de préciser les relations stratigraphiques entre le Carboniférien
d’Igli et le Dévonien d’Ouarourourt.


=La chaîne d’Ougarta.= — Pour essayer de déchiffrer la structure
de la grande zone dévonienne entre l’Iguidi et le Grand Erg
algérien, il faut envisager d’abord la chaîne d’Ougarta. C’est
là que se trouvent les couches les plus anciennes ; et les plis
qui les ont affectées apparaissent nettement sur un immense espace.

Je donne à cette chaîne le nom d’Ougarta faute de
mieux. Ougarta et Zeramra sont deux petites palmeraies sur sa
lisière nord-orientale. Le mot chaîne gagnerait à être mis au
pluriel ; il s’agit d’un faisceau puissant de petits chaînons. Ce
faisceau couvre une superficie considérable, la presque totalité
à vrai dire de la région considérée. A partir de Guerzim en
effet la Saoura en longe la lisière orientale et l’occidentale
touche à l’Iguidi. La chaîne d’Ougarta s’étend en largeur
jusqu’aux puits d’Inifel et de Mana. Les oasis de Tabelbalet
sont à l’intérieur de la chaîne.

En longueur, on la voit nettement commencer au sud au Markeb Bouda
et à Ouled Saï ; mais la limite nord n’est pas connue. On sait
seulement que la chaîne se prolonge vers le nord-ouest au delà de
Zeramra et au delà de Tabelbalet.

La topographie de ce pays immense est très sommaire ; on l’a
dressée avec quelques itinéraires levés par les officiers de
Beni Abbès ; il n’y a malheureusement aucune comparaison possible
avec la belle carte du Béchar dressée à loisir par le lieutenant
Poirmeur. Les conclusions d’une étude géologique seront de ce
fait affectées d’erreurs indéterminables. L’itinéraire que
j’ai suivi moi-même part de Beni Ikhlef (à côté de Guerzim), et
par Haci Touil, Oguilet Mohammed, Tinoraj, va rejoindre Ougarta. Il
équivaut donc à une double traversée de la chaîne à peu près
entière. D’autre part, j’ai suivi la Saoura sur tout son cours.

_Âge des couches._ — A la hauteur et à l’ouest de Kerzaz, au
sud d’Aïn Dhob, dans une région faillée, s’étend la sebkha
el Mellah. Elle est très particulière par l’épaisseur de ses
dalles de sel. A en juger par la comparaison avec les autres sebkhas,
celle de Timmimoun par exemple, qui est pour ainsi dire à peine
saupoudrée de sel, on est tenté de croire que les seules conditions
climatiques n’expliquent pas une pareille accumulation. Sur la rive
ouest de la sebkha d’ailleurs on aperçoit de loin un monticule
auquel les indigènes donnent le nom de Golb el Melah, « montagne
de sel ». En Algérie il faudrait conclure à la présence du
Trias ; on n’a jamais signalé au Sahara d’étage dévonien
salifère. Il est évidemment impossible de conclure d’une façon
positive, mais la question méritait peut-être d’être posée :
notons qu’une montagne de sel est signalée sur le bas Guir[139].

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXIX.

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché Gautier

55. — LE POSTE D’IGLI sur une gara carboniférienne.]

[Illustration : Cliché Gautier

56. — SUR LA RIVE DROITE DE LA SAOURA, à Beni-Ikhlef.

Sur tout le fond on distingue bien l’allure des couches gréseuses
dévoniennes ; l’érosion y a fait ressortir des lignes qui
rappellent les reflets de la moire.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XXX.

[Illustration : Cliché Gautier

57. — L’OUED SAOURA A BENI-IKHLEF.

La photographie est prise sur la falaise mio-pliocène de la rive
gauche ; le rond de l’Oued est une nebka (monticules de sable
et touffes de végétation) ; — à l’arrière plan la chaîne
d’Ougarta ; sur la rive droite de l’Oued, au pied de la chaîne,
on distingue des lambeaux de terrasse mio-pliocène.]

A ce Trias très hypothétique près, et si l’on fait abstraction
des dépôts continentaux mio-pliocènes et des dunes, je n’ai vu
dans la chaîne d’Ougarta qu’une seule formation, très homogène
et qui paraît constituer toutes les chaînes[140]. C’est le grès
du Mouidir, blanc patiné noir, qui, dans le reste du Sahara, est
attribué au Dévonien inférieur. Il y a un ou plusieurs niveaux
argileux (argiles vertes et rouges) comme au Mouidir. En revanche,
l’étage supérieur des grès du Mouidir et de l’Ahnet est
très fossilifère, tandis que les fossiles ici font à peu près
complètement défaut. Il se pourrait cependant que cette lacune
fût imputable aux hasards de l’itinéraire, car j’ai rapporté
un fossile, un seul, un pygidium de Trilobite, non trouvé en place
il est vrai, mais qui provient des environs de Beni Ikhlef. Autre
différence avec le Mouidir-Ahnet : dans la chaîne d’Ougarta
le soubassement silurien ou archéen n’apparaît nulle part, du
moins à ma connaissance. Il est donc impossible d’évaluer avec
certitude l’épaisseur totale de la formation. Dans l’Ahnet
M. Chudeau l’a trouvée médiocrement puissante, 250 mètres
environ. Du moins peut-on dire que, à juger par ce qu’on voit,
la formation d’Ougarta n’aurait pas une puissance supérieure.

[Illustration : Fig. 36. — Coupe de l’O. Saoura (Beni Ikhlef)
à Ennaya.

Échelle : 1/200000. — mp, Mio-Pliocène ; Di, Dévonien inférieur.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 732, fig. 1.)]

En résumé les grès d’Ougarta sont identiques à ceux de l’Ahnet
dont l’âge dévonien inférieur est bien établi.

[Illustration : Fig. 37. — Coupe de Kerzaz à Oguilet Mohammed.

Échelle : 1/600000. — F, faille.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 734, fig. 3.)]


_Les plis hercyniens._ — Les grès d’Ougarta sont
minéralisés. Au lieu dit Tamegroun à mi-chemin entre Guerzim et
Ennaya, sur le flanc ouest d’un dôme anticlinal, court un filon
de quartz cuivreux, orienté dans le sens du plissement. Le filon a
été exploité, aussi bien est-il célèbre dans la région. (Voir
appendice III et pl. XXXI, phot. 58.) Un autre filon de cuivre existe
au sud-ouest d’Ennaya, le point porte un nom caractéristique, Golb
en Nehas, la montagne du cuivre. Il a été visité par le lieutenant
Rousseau, qui m’a envoyé quelques échantillons de minerai.

Les grès de l’Ahnet, au rebours de ceux-ci, ne sont jamais
minéralisés ; la raison en est simple : ils rentrent dans la zone
calédonienne du Sahara et n’ont pas été plissés. Les grès
d’Ougarta, au contraire, ont été soumis à des plissements
hercyniens.

Le caractère plissé de la région est incontestable, on s’en
rendra compte, je pense, d’un coup d’œil sur les coupes
ci-jointes. (Voir aussi pl. XXXI, phot. 58, 59 et pl. XXXII,
phot. 60.) Les plis sont très nets, médiocrement accusés,
en général symétriques, souvent ils sont courts, réduits
à des dômes anticlinaux ou à des cuvettes synclinales qui se
relaient. Ce sont là des indices concordants d’un plissement peu
énergique ; on s’explique ainsi que les couches inférieures à
l’éo-dévonien n’aient été nulle part amenées au jour, au
moins le long de l’itinéraire suivi, malgré la faible épaisseur
de cette formation.

Malgré d’énormes lacunes on suit facilement et sans conteste la
direction générale des plis ; ils courent nord-ouest-sud-est, comme
la chaîne elle-même et comme la Saoura, qui en suit le pied. Cette
direction fait un angle droit avec celle des plis hercyniens dans
la Zousfana.

Les plis sont sectionnés à la même hauteur, le sommet arasé de
l’anticlinal à Tamegroun porte un lambeau étendu de Mio-Pliocène
horizontal (fig. 36), le pays a tous les caractères d’une ancienne
pénéplaine ravinée par l’érosion.

[Illustration : Fig. 38. — Coupe d’Ougarta, à Tin Oraj.

Échelle : 1/400000. — Dm, Dévonien moyen.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 736, fig. 5.)]

Cette pénéplaine a été affectée de failles dont le dessin se
reconnaît facilement sur la carte, parce que le placage mio-pliocène
s’est conservé dans les compartiments effondrés, où il s’est,
comme d’habitude, partiellement transformé en dunes.

Un grand effondrement dans le sens longitudinal a divisé la chaîne
d’Ougarta _lato sensu_ en deux grandes arêtes néo-dévoniennes,
la branche d’Ougarta proprement dite et l’arête de Tabelbalet
(les indigènes disent le Kahal ?)[141].

Entre les deux un gigantesque compartiment effondré à contours
irréguliers en zigzags, supporte, sur un socle mio-pliocène,
les ergs Atchan et er Raoui.

Souvent les failles ont été guidées par la direction des plis,
c’est le cas le plus fréquent, mais il arrive qu’elles ont
taillé à contre-fil, coupant les plis à angle droit par une cassure
brutale. C’est ce qu’on observe par exemple dans le grand cirque
d’effondrement où se trouve avec la sebkha el Melah la pointe
nord de l’erg Atchan.

Les failles sont récentes en relation avec la surrection de
l’Atlas ; les lèvres en rejet sont fraîches, ont gardé un
profil de falaise : le grand lambeau horizontal mio-pliocène sur
la crête de Tamegroun, (cailloutis et poudingues inconsistants),
a le facies des dépôts miocènes ou si l’on veut oligocènes, il
est dénivelé de 100 mètres par rapport à ceux des compartiments
effondrés ; les failles ne peuvent donc pas être plus anciennes
que le tertiaire.

Dans les compartiments surhaussés, l’érosion a été très
active. Elle a été d’autant plus efficace que les couches
d’argiles molles interstratifiées dans les grès durs lui
donnaient une prise. Le relief s’est ainsi rajeuni et recréé par
le creusement de profondes vallées longitudinales qui ont accusé
en saillie marquée les plis hercyniens. La sécheresse du climat
actuel aidant, qui exagère les pentes, d’après une loi bien
connue, la chaîne d’Ougarta fait encore figure assez montagneuse.

Longues falaises infranchissables, gorges étroites en canyons, lits
caillouteux à pente torrentielle ; — le relief est jeune, comme les
effondrements qui ont été le point de départ du processus érosif.


=La zone Beni Abbès-Ougarta.= — Il nous reste à parler de la
région comprise entre la chaîne d’Ougarta et la Saoura. Au point
de vue géologique c’est la plus intéressante, malgré sa faible
étendue relative, par l’abondance de ses fossiles et la variété
de ses roches.

C’est un compartiment effondré par rapport à la chaîne
d’Ougarta. Au contact les failles ne sont pas apparentes.

Partout sur la lisière orientale de la chaîne d’Ougarta, à
Zeramra, à Ougarta, à Guerzim et au delà, on voit, ou on croit
voir les couches du Dévonien inférieur plonger sous les couches
plus récentes ou sous la hammada mio-pliocène d’une inclinaison
régulière. Les bastions avancés de la chaîne, dj. Zeramra,
dj. Kahla, Nif Kroufi, qu’on pourrait prendre sur la carte
topographique du capitaine Prudhomme pour des horsts limités par
des à-pics, sont au contraire, sur le terrain, autant que j’ai
pu en juger, des bombements anticlinaux parfaitement réguliers.

L’hypothèse des failles n’en reste pas moins la seule qui puisse
rendre compte d’une dénivellation aussi marquée et d’aspect
aussi frais que celle qui existe entre la chaîne d’Ougarta et la
hammada de Beni Abbès, ces deux parties disjointes d’une même
pénéplaine. Les failles longitudinales par rapport au sens des plis
échappent à l’observation plus aisément que les transversales.

Le compartiment effondré, comme d’habitude est plaqué de
mio-pliocène et couvert çà et là de dunes. L’étude
stratigraphique du substratum primaire est donc très
malaisée. Pourtant le long de la Saoura d’une part, et d’autre
part au pied des montagnes et au débouché des torrents, l’érosion
a ménagé quelques fenêtres, où il est possible de faire sur le
sous-sol des observations lacunaires.

_Horst de Merhouma._ — Le long de la Saoura entre Beni Abbès et
Idikh, l’oued traverse une formation assez puissante, qu’on peut
appeler, pour la commodité de l’exposition, couches de Merhouma,
du nom du point d’eau au voisinage duquel on les aperçoit d’abord
en venant du nord.

A la partie supérieure de la formation ce sont des grès, plongeant
à l’est, qui ont tout à fait le facies éodévonien ; ils
reposent, en discordance, je crois, sur une assise schisteuse,
qui est restée malheureusement en dehors de la route suivie ;
cette assise paraît puissante et ses éléments complexes ; on y
trouve des schistes noirs très durs, à bilobites, qui ont le facies
de certaines phyllades siluriennes du Sahara. Elle mériterait un
examen approfondi[142].

Dans la cuvette de Beni Abbès j’ai pu observer le contact entre
ces phyllades et les couches calcaires supradévoniennes. Ce contact
est anormal, les couches calcaires sont coupées brusquement et
rebroussées. Il y a là une faille, très ancienne, puisqu’elle
était arasée quand s’est déposé le placage mio-pliocène.


_Fenêtre d’Ougarta._ — Le petit village d’Ougarta est à la
limite exacte des grès éodévoniens, sur des argiles et des schistes
argileux mous. Au sud du village s’étend une très grande sebkha,
dont le sol est une pénéplaine de schistes argileux interstratifiés
de couches calcaires minces.

[Illustration : Fig. 39. — Coupe à l’est de Zeramra. —
Échelle : 1/300000.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 741, fig. 8.)]

A trois ou quatre kilomètres d’Ougarta, sur la route de Beni Abbès
on voit une couche de calcaire gréseux, pétri d’Orthocères et
interstratifié dans un grès très tendre jaune clair.

A une dizaine de kilomètres au nord d’Ougarta, ce gisement à
Orthocères se retrouve sous la garet Yhoudia, qui est un témoin
détaché de la hammada mio-pliocène. La couche calcaire à
Orthocères a un mètre d’épaisseur ; elle est interstratifiée
dans des argiles rougeâtres beaucoup plus puissantes.

Aux environs d’Ougarta, si la couverture mio-pliocène fait à
peu près complètement défaut, le sol est souvent couvert de
dépôts quaternaires et de cailloutis actuel, apportés par les
oueds de la montagne. Il n’a pas été possible de préciser les
relations stratigraphiques entre ces affleurements de facies assez
différent. Il est vrai que la stratification s’écarte peu de
l’horizontale, et, à si faible distance, on peut supposer avoir
affaire au même niveau ou a des niveaux très voisins, à moins
pourtant qu’il n’existe des failles inaperçues.

_Fenêtre de Zeramra._ — Le petit village de Zeramra est, lui aussi,
a la limite des grès éodévoniens ; il est bâti sur ces grès ;
mais, dans son périmètre immédiat, on ne voit pas d’autres
roches primaires. Le contact est voilé par le terrain quaternaire
ou par des lambeaux de Mio-Pliocène.

En revanche, à quelques kilomètres du village, aussi bien sur
la route d’Ougarta que sur celle de Beni Abbès, on traverse
des couches puissantes bien différentes de celles d’Ougarta,
au moins comme faciès (fig. 39). Ce sont des grès, généralement
en plaquettes, intercalés de calcaires violets, bleus, amarantes,
à crinoïdes, à _spirifer_, à orthocères. Ces couches sont très
dures, elles sont énergiquement redressées et sont à découvert
sur 2 kilomètres environ, elles ont donc une certaine puissance,
au moins une centaine de mètres.

Les fossiles ne sont pas très caractéristiques. Pourtant M. Haug
admet qu’ils appartiennent au dévonien moyen[143].

La formation est certainement affectée de plis arasés, ils sont
de même orientation que ceux de l’Éodévonien, ils semblent
même _grosso modo_ concorder avec eux et les prolonger ; mais il
y a certainement des failles.

La coupe de la figure 39 semble bien révéler une diaclase à la
hauteur de l’O. Ouzouma. De part et d’autre de cet oued en effet
le niveau de la hammada mio-pliocène n’est plus le même.

_Fenêtre de Beni Abbès._ — Dans le lit de la Saoura, au
voisinage de Beni Abbès affleurent les plus remarquables des couches
néodévoniennes et les mieux connues, celles qui ont livré une faune
abondante du Dévonien supérieur, l’étage à clyménies[144].

Les fossiles se trouvent dans des bancs de calcaires rouges sombres,
très ferrugineux, interstratifiés avec des schistes argileux très
fissiles et mous, de même couleur, et qui contiennent aussi quelques
fossiles mais beaucoup plus rares.

Ces couches, avec le même facies et les mêmes fossiles se
rencontrent en deux points médiocrement éloignés l’un de
l’autre au nord et au sud de Beni Abbès, et qui sont en allant
du nord au sud :

A) Ouarourourt, une petite palmeraie ; le Dévonien supérieur
affleure sur la rive droite de l’oued, immédiatement à l’ouest
de la palmeraie, sous la falaise mio-pliocène.

L’affleurement se suit sur une assez grande distance au pied de
la falaise, en amont et en aval d’Ouarourourt. Ici le Dévonien
supérieur est affecté d’un plissement anticlinal très net
(fig. 40) ; c’est cette arête anticlinale qui a forcé l’oued
à faire un coude prononcé en amont d’Ouarourourt. Elle est
dirigée nord-ouest-sud-est, exactement est 30° sud en visant
l’aval de l’oued. Au sud de l’anticlinal d’Ouarourourt les
couches dévoniennes sont sensiblement horizontales.

[Illustration : Fig. 40. — Ouarourourt.

Ds, Dévonien supérieur.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 744, fig. 9.)]

B) 8 kilomètres au sud vrai de Beni Abbès. C’est là que
les couches calcaires fossilifères sont coupées brusquement et
rebroussées au contact du horst de Merhouma.

Ces affleurements sont au nord de Merhouma ; au sud du horst on
retrouve ou du moins on entrevoit à peu près les mêmes couches
se succédant dans le même ordre.

_Fenêtre des « pierres écrites »_ (pl. XXXII, phot. 61). — Au
sud-ouest de Tametert en pleine hammada, affleure, au ras du sol,
une bande de calcaire, tantôt simple et tantôt double, large de
quelques mètres et longue de plusieurs kilomètres ; on y voit
tout du long une foule de gravures rupestres et d’inscriptions, ce
qui explique le nom de cet affleurement Hadjra Mektouba « pierres
écrites ». La roche est bleue claire et quelquefois violette,
elle renferme des crinoïdes et des débris de coquilles ; le facies
rappelle les affleurements de Zeramra. L’affleurement est parallèle
à l’oued, et semble avoir une allure anticlinale.

_Les couches à Bivalves._ — Quand on va des « Pierres écrites »
au ksar d’el Ouata, au point où l’on descend la falaise de
l’oued, juste en face du ksar de Bou Hadid, on passe sur un autre
affleurement dévonien empâté dans la falaise mio-pliocène et de
facies particulier. Ce sont des calcaires (?) gris, assez tendres,
renfermant des moules de coquilles (dont la forme rappelle le
genre _Panenka_). Ces couches plongent vers l’oued, je les crois
intermédiaires comme âge entre l’affleurement précédent et
le suivant.

_Fenêtre d’Idikh._ — En face du ksar d’Idikh, sur la rive
droite de l’oued, on retrouve une dernière fois les calcaires
violets à clyménies, c’est un petit lambeau qui m’a paru
affecté d’une ondulation anticlinale. A quelques centaines de
mètres dans le prolongement de ce lambeau, sur l’autre rive de
l’oued, on en voit un autre couronné de ruines, d’un calcaire
assez analogue d’aspect et de couleur, mais pétri de crinoïdes
au lieu de clyménies. Il plonge franchement nord ou nord-est.

En résumé, on peut essayer de classer comme suit les terrains
méso et néodévoniens voilés par la hammada de Beni Abbès.

A la base, les couches d’Ougarta, avec abondance d’orthocères.

Au-dessus, les calcaires et les grès en plaquette de Zeramra,
identiques, semble-t-il, aux calcaires des Pierres écrites.

Puis les couches à bivalves.

Enfin, les calcaires à clyménies.

Il est certain d’ailleurs que cette série est lacunaire, et en
outre l’ordre qui paraît le plus plausible pourrait être erroné.

On peut affirmer, en revanche, que ces couches sont affectées de
plissements arasés orientés S.-E.-N.-O.

On peut affirmer aussi que le plissement est léger ; les argiles et
les marnes, qui jouent un grand rôle, sont toujours feuilletées,
mais la pression subie n’a pas été assez énergique pour les
transformer en véritables schistes.

Plus au sud les étages supérieurs du Dévonien n’apparaissent
nulle part ; au delà d’el Beiada et de Tagdalt, où affleurent
des grès massifs ou en plaquettes d’âge indéterminé on ne
voit plus jusqu’à Foum el Kheneg que des grès éodévoniens
incontestables et du Mio-Pliocène.

Cette dernière formation prend un facies assez particulier dans la
falaise de Timmoudi, que j’ai pu examiner à loisir. Au-dessous
du ksar elle est composée sur presque toute son épaisseur d’une
succession de lits caillouteux, qui attestent un courant assez
rapide. Tout à côté, au sud, la falaise est tout entière en
argile très fine, que le ruissellement a curieusement sculptée,
et qui atteste une sédimentation tranquille en eau stagnante. (Voir
pl. XXXIII.) Évidemment nous avons ici la section d’un vieux
lit de rivière. Le tout est couronné uniformément par la croûte
travertineuse habituelle (pliocène ?).

Il est clair qu’une formation continentale aussi étendue n’est
pas homogène, et le nom vague de mio-pliocène, que nous lui
donnons, est une appellation d’ensemble commode qui supplée à
notre ignorance des détails.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXXI.

[Illustration : Cliché Gautier

58. — MINE DE CUIVRE DE TAMEGROUN dans la chaîne d’Ougarta.

Au premier plan on voit les trous d’exploitation, dans l’un
desquels un indigène est debout.

Au fond grande vallée longitudinale entre deux assises gréseuses.]

[Illustration : Cliché Gautier

59. — DANS LE KAHAL DE TABELBALA, auprès d’Oguilet Mohammed.

Dans le fond à gauche les dunes en masse indistincte ; — au
delà de l’oued on distingue l’allure stratigraphique des grès
éo-dévoniens.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXXII.

[Illustration : Cliché Gautier

60. — DANS LA CHAÎNE D’OUGARTA. — Kheneg el Aten.

Grès éo-dévoniens.

Un des coins les plus sauvages de la chaîne.]

[Illustration : Cliché Gautier

61. — HADJRA MEKTOUBA

Affleurement de calcaire méso-dévonien au milieu du reg.

Sur ces calcaires, inscriptions et gravures rupestres.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                          PL. XXXIII.

[Illustration : 62. — BERGE DROITE DE LA SAOURA AU KSAR DE TIMMOUDI.

On aperçoit le Ksar au sommet de la falaise mio-pliocène,
constituée par des couches de sable et surtout de galets agglomérés
en grès tendres et en poudingues.]

[Illustration : Cliché Gautier

63. — FALAISE DE TIMMOUDI.

Continuation de la précédente, mais de composition bien différente,
argileuse.

On voit d’un coup d’œil que l’érosion a sculpté la paroi
de tout autre façon.]


=Structure générale.= — En somme la région étudiée est
essentiellement une pénéplaine hercynienne, dont les plis modérés
courent sud-est-nord-ouest. Elle est affectée dans son ensemble
d’une pente régulière nord-sud ; j’estime à deux cents mètres
environ la différence de niveau entre Igli et Foum el Kheneg (sur
une distance d’environ 200 kilomètres).

L’horizontalité de la pénéplaine a été dérangée par des
diaclases dont les unes ont suivi le sens des plis et les autres
une direction perpendiculaire à la première.

Les compartiments surélevés ont été disséqués par l’érosion
et présentent une série de longues arêtes gréseuses parallèles ;
la raideur des pentes, exagérée par le climat désertique, rend
les communications difficiles, et donne au paysage un aspect sauvage
malgré la faiblesse des altitudes relatives (100 à 150 m.).

La jeunesse de l’érosion atteste qu’il s’agit de diaclases
récentes, évidemment en relation avec la surrection de l’Atlas.

Les alluvions anciennes, mio-pliocènes, occupent une superficie
considérable comme partout sur le versant méridional de l’Atlas,
qui est enfoui sous les débris de la grande chaîne. Elles sont
bien moins puissantes pourtant que dans l’est où elles recouvrent
le sous-sol d’un manteau continu, épais en certains points de
plusieurs centaines de mètres (O. Namous).

Ici, encore qu’on en trouve quelques lambeaux sur les sommets,
le Mio-Pliocène n’a été conservé en plaques étendues que
sur les compartiments effondrés. Le long de la Saoura, à Beni
Abbès par exemple, le Mio-Pliocène a une quarantaine de mètres
de puissance. Le puits de Haci Touil (erg er Raoui) creusé dans
le Mio-Pliocène, et le plus profond de la région comme son nom
l’indique[145], a une trentaine de mètres, ce qui semble indiquer
que, là aussi, la croûte d’ennoyage n’excède pas quelques
dizaines de mètres.

Comme partout au Sahara algérien ces dépôts en grande partie
sableux ont été remaniés superficiellement par le vent et
transformés en dunes.

Une longue bande de Mio-Pliocène et de dunes (erg er Raoui,
erg Atchan), coupe en deux dans le sens longitudinal la chaîne
d’Ougarta ; séparant la chaîne proprement dite d’Ougarta
de celle de Tabelbalet (que les indigènes appellent le Kahal de
Tabelbalet).

D’autre part la chaîne d’Ougarta (_stricto sensu_) est assiégée
à l’est par les dernières dunes du Grand Erg. La chaîne de
Tabelbalet confine vers l’ouest à l’Iguidi.

Si donc on essayait de résumer brièvement l’originalité
géographique de la région étudiée, on arriverait à peu près
à la conclusion suivante.

Au sud de l’Atlas s’étire d’est en ouest une énorme
accumulation de dunes dont les matériaux ont été fournis par
les déjections de la grande chaîne attaquée par l’érosion
depuis l’Oligocène, et qu’on pourrait appeler les grands ergs
subatliques. Cette gigantesque barrière de dunes est rompue à
l’ouest de l’O. Saoura par les chaînes jumelles d’Ougarta et
de Tabelbalet ; elles articulent l’énorme accumulation de sable
en trois masses inégales, nettement distinctes, encore qu’elles
tendent à se rejoindre, et qu’elles fassent manifestement partie
d’un même ensemble ; l’erg du Gourara, — le groupe jumeau
Atchan et er Raoui, — l’Iguidi.

Cet affleurement du vieux sous-sol rocheux en double crête
montagneuse au milieu des hammadas, des regs et des dunes
subatliques donne à la région son unité géographique. Il la
fait priviligiée au milieu d’étendues inhabitables et presque
inabordables. L’affleurement de vieilles roches où les argiles
jouent un rôle considérable ramène en surface et met à la
disposition de l’homme la nappe souterraine d’humidité. Ainsi
prend naissance une double ligne de verdure et de vie — oued Saoura
— oued de Tabelbalet, toutes les deux longeant à l’est l’une
la chaîne d’Ougarta, l’autre celle de Tabelbalet.


=O. Saoura.= — Le nom de Saoura s’applique à l’oued formé par
la réunion de la Zousfana et du Guir, et qui garde ce nom jusqu’à
Foum el Kheneg.

Dans son ensemble la Saoura coule nord-ouest-sud-est : c’est la
même direction que celle des plissements hercyniens et il y a entre
les deux un lien de cause à effet.

Entre Igli et Ksabi (tout proche de Foum el Kheneg) une trentaine
de ksars s’alignent le long de la Saoura, ce qui fait en moyenne
un village tous les six ou sept kilomètres ; sur certains points
ils sont notablement plus serrés, jamais à plus de 25 kilomètres
l’un de l’autre.

Une pareille densité de population est tout à fait anormale le
long d’un oued saharien et s’explique nécessairement par des
conditions physiques très particulières.

Très en gros on peut dire que l’O. Saoura est resserré sur
tout son cours entre la dune et la montagne ; sa rive gauche est de
sable et sa rive droite de roc, traduit en langage géologique, cela
signifie qu’il suit assez exactement la limite des deux terrains
le Mio-Pliocène et le Dévonien. C’est une circonstance heureuse,
parce que cette limite est aquifère.

Le lit est partout marqué avec une extrême netteté, encadré de
hautes falaises, qui atteignent parfois une cinquantaine de mètres ;
et il est net de sable. Les dunes, très puissantes pourtant, et
qui atteignent facilement une centaine de mètres d’altitude,
s’arrêtent méticuleusement à l’oued, leur contour en suit
fidèlement les méandres, et ces masses instables ne se permettent
nulle part d’envahir le lit béant à leurs pieds. Que cet océan
de sable soit arrêté si nettement par un aussi petit obstacle,
c’est un fait étrange et qu’on serait tenté de dire miraculeux,
en ce sens du moins que nos connaissances actuelles ne nous en
fournissent pas d’explication tout à fait satisfaisante ; à tout
le moins peut-on dire qu’il atteste une connexion entre le contour
des ergs et le tracé des oueds. Quelles que soient les causes il
est tout à fait important que la Saoura ait un lit profond, net,
libre d’obstacle où la pente est en moyenne d’un millimètre
par mètre. C’est un canal naturel d’irrigation qui guide et
chasse au loin les crues. (Voir pl. XXX.)

La Saoura en effet n’est pas un fleuve tout à fait mort, et à
certaines époques, très espacées il est vrai, elle coule sans
métaphore. Elle est constituée par deux rivières, la Zousfana
et le Guir, qui ne sont pas dépourvues d’eau courante. On sait
déjà ce qui peut s’en trouver dans la Zousfana, et c’est à vrai
dire assez peu. D’après le capitaine Normand l’oued coulerait
une fois ou deux par an, et il semble que ces crues exceptionnelles
parviennent jusqu’à Igli.

Mais c’est le Guir surtout qui est une rivière tout près d’être
normale. On le connaît très mal. On sait pourtant qu’il prend sa
source dans des montagnes bien plus hautes et bien plus humides que le
Grouz et le Beni Smir, dans le grand Atlas marocain ; les « montagnes
de neige » disent les indigènes, _djebel el theldj_. Les hautes
vallées Atliques constitutives du Guir sont habitées par une
population sédentaire et agricole de Beraber. Même sur le bas Guir
le « Bahariat » des Doui Menia est une grande plaine de culture
liée à l’existence des crues régulières.

On nous dit d’ailleurs que l’oued sur tout ou presque tout son
parcours garde habituellement un filet d’eau légèrement salée ;
la salure de ces eaux s’expliquant vraisemblablement par des
causes géologiques : la carte Prudhomme signale sur le bas Guir un
« Golb el Melah — rocher de sel » ; il est possible que le Guir
rencontre des bancs de sel triasique, si fréquents dans l’Atlas,
et il est sûr que sur tout son cours, moyen et inférieur, les
argiles cénomaniennes, chargées de gypse et de sel jouent un rôle
considérable. A Igli même, au confluent avec la Zousfana, et à
différentes époques, j’ai vu couler le Guir et de la boucle
de l’oued auprès du poste on entend s’élever un coassement
continu de grenouilles. Par le canal de la Zousfana et surtout du
Guir les crues descendues de l’Atlas envahissent la Saoura ;
elles approvisionnent de barbeaux les r’dirs de Beni Abbès ;
très certainement il arrive qu’elles parcourent d’un élan la
Saoura tout entière jusqu’à Foum el Kheneg ; au poste de Ksabi en
octobre 1904 le maréchal des logis Galibert a photographié une crue
qui couvrait toute la vallée et qui n’était pas encore écoulée
au bout de huit jours (voir pl. IX, phot. 18). Octobre 1904 a été
particulièrement pluvieux dans le Sud-Oranais, à cette date une
inondation a ravagé le village d’Aïn Sefra qui n’avait pas
connu pareille catastrophe depuis sa fondation.

On n’a pas de documents sur la fréquence et la périodicité
des crues. Il est certain pourtant que dans l’hiver 1906-1907,
qui fut particulièrement pluvieux, l’oued a coulé pendant cinq
mois consécutifs au pied du poste de Beni Abbès, et au printemps
1907 la crue dépassait assurément Foum el Kheneg.

Il est probable que la Saoura coule à de très longs intervalles,
supérieurs à une année, mais enfin elle coule, et elle roule
alors d’énormes masses d’eau.

Il est clair qu’elle emmagasine alors de puissantes réserves dans
les cuvettes de son lit, qui est, en tout temps, semé de r’dirs ;
— (Beni Abbès — la R’aba — Kerzaz — Beïada — Ksabi,
où les moustiques sont intolérables). Il serait imprudent pourtant
d’attribuer les r’dirs à l’influence exclusive des crues.

Un fait tout à fait caractéristique c’est que la Saoura est en
quelque sorte hémiplégique ; toutes les palmeraies sans exception
sont sur la rive gauche, et lorsque par exception et pour des
raisons de commodité architecturale on a construit le ksar sur la
rive droite (Timmoudi), le village est séparé de la palmeraie par
toute la largeur de l’oued. Toutes les canalisations s’enracinent
à l’est.

Rien de plus naturel. L’oued Saoura sur sa rive droite longe le
pied de la montagne à quelques kilomètres de la ligne de partage des
eaux ; sur la rive gauche, au contraire, le bassin encore qu’on ne
puisse pas préciser ses limites s’étend certainement très loin.

D’ailleurs sur la rive gauche la nappe d’eau souterraine trouve
des conditions particulièrement favorables de mise en réserve et
d’adduction progressive. L’erg du Gourara est très mal connu ;
il est impossible de tracer, même hypothétiquement, le réseau
des affluents qui s’y trouvent assurément enfouis. En tout cas
il est certain que l’erg est formidablement massif et il semble
bien reposer à peu près partout sur le même substratum, le
Mio-Pliocène, particulièrement intéressant par ses épaisseurs
de sable miocène non concrétionné. Sable d’alluvions ou de
dunes, l’épaisseur doit atteindre et dépasser presque partout
une centaine de mètres ; une monstrueuse éponge que la pente du
terrain égoutte dans la Saoura tout le long de sa rive gauche.

C’est d’abord un admirable condensateur. Les rares pluies
qui tombent sur ce sol meuble par excellence sont bues avec une
instantanéité qui ne laisse aucune chance à l’évaporation. On
sait en outre qu’un sol de sable, par sa porosité qui multiplie sa
surface de radiation nocturne, est particulièrement apte à provoquer
des rosées ou des phénomènes de cet ordre ; on signale en hiver
sur les dunes la fréquence relative des gelées blanches et notons
que à Ksabi la température en hiver s’abaisse occasionnellement
jusqu’au-dessous de zéro. L’erg est donc bien organisé pour
soutirer à l’air ambiant le maximum d’humidité.

Mais par surcroît, et ceci est je crois l’essentiel, il recouvre
un réseau de rivières quaternaires, c’est-à-dire un terrain dont
les âges antérieurs ont organisé le drainage. Ainsi advient-il
que toutes les eaux qui tombent ou qui se condensent dans un
immense espace, englobant un morceau de l’Atlas sont absorbées,
protégées, et acheminées vers la rive gauche de la Saoura.

Quand on essaie de serrer d’un peu plus près la question on
distingue dans le lit de la Saoura un certain nombre de sections
qui s’individualisent.

Entre Igli et Beni Abbès la limite géologique entre Mio-Pliocène
et Dévonien n’est pas marquée exactement par le lit de l’oued ;
elle est même assez loin dans l’ouest, où elle est jalonnée par
deux petites palmeraies, celles d’Ougarta et de Zeramra. Le lit
de la Saoura, il est vrai, a entamé le Mio-Pliocène jusqu’à la
pénéplaine primaire sous-jacente.

Dans cette section du cours les palmeraies sont rares et distantes,
mais en revanche assez considérables. Ce sont Igli, Mazzer,
et Beni Abbès, respectivement séparées par des étapes de 25
kilomètres. Pour être tout à fait complet, il est vrai, il faut
ajouter la palmeraie, très petite et inhabitée, d’Ouarourourt
à quelques kilomètres en amont de Beni Abbès.

Qu’Igli soit précisément au confluent de la Zousfana et du
Guir cela suppose que ces deux oueds ont un rôle à jouer dans
l’irrigation des jardins. En arrière d’une barrière rocheuse
carboniférienne, la nappe d’eau souterraine stagne dans une grande
plaine d’alluvions, où on va la chercher dans des puisards larges
et peu profonds (de 4 à 8 mètres) et d’après Calderaro ces
puisards sont la principale ressource de la palmeraie. Pourtant
je retrouve dans mes notes mention d’une foggara, une seule,
une canalisation quelconque allant capter de l’eau, plus douce
que celle du Guir, dans la direction de l’est, sous les dunes.

Le cas de Mazzer est parfaitement clair : à la base de la falaise
mio-pliocène, sur la rive gauche, jaillit une très grosse source ou
mieux un petit ruisseau d’eau claire ; il débouche sous une voûte
travertineuse qu’il s’est construite lui-même, il donnerait
100 litres à la minute. On l’appelle Aïn el Hammam. Il existe
d’ailleurs à Mazzer cinq autres petites sources beaucoup moins
importantes.

Ouarourourt est alimenté de même par un tout petit filet d’eau
qui sourd à la base de la dune.

Beni Abbès a ses r’dirs pérennes et poissonneux, mais cette
pérennité même d’une mare superficielle, dans un pays où les
crues ne sont pas même annuelles, je crois, atteste que les r’dirs
doivent être alimentés par une circulation souterraine. Ce ne
sont pas les r’dirs d’ailleurs qui jouent un rôle essentiel
dans la vie de la palmeraie. C’est la seguia ; elle jaillit de
la falaise mio-pliocène, au sud immédiat du village, tout à fait
comparable à la source de Mazzer et plus importante encore. Il existe
d’ailleurs outre la grosse source huit petits suintements distincts
tous voisins. Il est donc incontestable que, dans la section amont de
la Saoura, — Igli mis à part — les palmeraies sont alimentées
par de grosses sources naturelles, des douix dirait-on en Bourgogne,
qui jalonnent la rive gauche.

En aval de Beni Abbès l’oued entre dans une section de son cours
tout à fait à part. Il a dû s’ouvrir un chemin à travers un
horst éodévonien, et pour partie peut-être silurien ; il s’est
creusé dans les grès un beau canyon (en aval de Merhouma), et
dans les argiles des gorges sauvages (ksar en Nsara). L’érosion
paraît ici plus jeune qu’en amont et la pente du lit paraît,
à l’œil, plus accentuée. Une carte topographique précise
accuserait, je crois, une rupture de pente, à la traversée de
cette barrière puissante, où l’oued n’a pas encore atteint
un profil d’équilibre. L’existence de cette barrière n’est
probablement pas étrangère à la richesse en eau de la falaise et
de la cuvette à Beni Abbès.

Ce horst hercynien offre de médiocres conditions aux agglomérations
humaines. Elles n’y font pas tout à fait défaut pourtant, il
y a des cultures à Merhouma, mais pas de village, il est vrai ;
des palmeraies minuscules avec quelques habitants à Noukhila et à
Bechir. Çà n’en est pas moins un intervalle à peu près vide
entre les groupements importants d’amont et d’aval.

Celui d’aval surtout est considérable, c’est le plus dense de
toute la Saoura. A partir de Tametert, mais surtout d’el Ouata où
la cuvette s’élargit, jusqu’à Beiada, sur une cinquantaine de
kilomètres, les palmiers se touchent, et souvent aussi les ksars ;
c’est la _R’aba_, la _forêt_ de palmiers. Ce coin privilégié
est devenu le centre politique et militaire de la région ; je dis
au point de vue indigène, puisque notre administration française
s’est fixée à Beni Abbès : mais la R’aba est l’habitat de
la tribu nomade suzeraine, les R’nanema.

Cette section du cours est encadrée entre ce qui semble bien être
deux ruptures de pentes ; en amont le horst de Tametert ; en aval,
au delà de Beïada, le point critique est Tagdalt. L’oued prend
là un aspect très particulier, le lit perd tout à fait sa netteté
habituelle ; il est envahi sinon directement par la dune du moins par
la nebka, qui en est l’avant-coureur. A travers les mamelonnements
de sable on ne le retrouve plus qu’à la traînée de végétation
arbustive (tamaris, etc.). Il y a certainement là un palier.

La R’aba est le seul coin de la Saoura où j’ai observé
un double lit majeur et mineur, et une double ligne de terrasses
étagées ; l’une, la supérieure taillée dans le Mio-Pliocène,
l’autre, l’inférieure, dans ces dépôts d’un blanc éclatant,
plâtreux, qui sont abondants au voisinage d’Ouargla et qu’on
classe quaternaires anciens.

Au cœur de la R’aba (Bou Hadid, el Ammès) la ligne orientale des
terrasses disparaît ou s’écarte hors de vue, le lit s’élargit
en vaste cuvette, où se pressent les palmiers et les ksars et où
l’eau se trouve partout dans le sol à un très petit nombre de
mètres. C’est de là justement que part à travers l’erg une
route de caravanes jalonnée de puits, encore inexplorée, mais qui
a bien des chances de suivre le thalweg d’un oued enfoui.

Je suis mal renseigné sur le régime de l’irrigation dans la
R’aba, il y a apparence qu’il existe là aussi des foggaras ou du
moins une canalisation ; il m’a semblé pourtant que les puisards
et les r’dirs jouaient le rôle le plus important, comme à Igli,
et au rebours de Beni Abbès.

Au delà de Tagdalt et surtout à partir de Guerzim l’oued suit
rigoureusement le pied de la chaîne d’Ougarta jusqu’auprès de
Timmoudi. Nulle part la dissymétrie des deux rives n’est aussi
directement sensible à l’œil, la rive gauche est taillée comme
d’habitude dans le Mio-Pliocène, immédiatement dominé par les
hautes dunes. A droite le Mio-Pliocène est représenté localement
par des lambeaux de terrasses très discontinues et qu’il faut
un examen attentif pour déceler dans le paysage (voir pl. XXX,
phot. 57 et pl. XXIX, phot. 56). Ce qui frappe c’est l’énorme
talus rocheux, inclinée à 45°, ce qui est l’inclinaison même
des strates, noir de poix, et où l’érosion en découpant les
strates a dessiné d’immenses rondelles qui prennent sous le soleil
des reflets de moires (voir pl. XXIX, phot. 56) ; l’ensemble
a une centaine de mètres d’un seul jet, et la nudité absolue
de ces collines gréseuses leur donne un aspect sauvage de grandes
montagnes. L’aspect est un peu celui d’un coupe-gorge, et l’on
se rend compte en effet que la proximité de ce massif montagneux,
qui peut si facilement devenir un repaire, est une menace pour la
vallée. C’est peut-être pour cela que cette partie de l’oued est
habitée par des marabouts ; là se trouvent les deux grosses zaouias
de Guerzim et de Kerzaz, protégées par leur caractère sacré.

Guerzim a de superbes foggaras, longues de 2 kilomètres à ce
qu’il m’a semblé, et rappelant déjà celles du Touat. Bien
entendu leur point de départ est à l’est à la base des dunes.

Kerzaz au contraire a des r’dirs, beaucoup d’eau stagnante et
peut-être même en certains endroits courante. L’oued Saoura,
dont le lit est ici très étroitement resserré entre la falaise
et la montagne, tend à se revivifier localement et une canalisation
compliquée n’est pas nécessaire.

Pourquoi cette différence dans les conditions hydrographiques entre
points voisins. La solution de ce petit problème est sans doute
ensevelie sous l’erg.

Dans la dernière section de son cours — de Timmoudi à Foum
el Kheneg — la Saoura s’écarte à quelques kilomètres de la
chaîne d’Ougarta, qu’on aperçoit cependant à faible proximité
(pl. IX, 17) ; mais cette chaîne perd rapidement de son altitude et
de sa puissance. A Ksabi elle est réduite à une arête rocheuse de
quelques dizaines de mètres, ennoyée presque jusqu’au sommet, à
l’assaut de laquelle les dunes montent de part et d’autre. Ici
par-dessus l’O. Saoura et les derniers débris de la chaîne
d’Ougarta le Grand Erg et l’erg Atchan se rejoignent déjà par
quelques filaments. Ce faible obstacle est percé par la Saoura aux
gorges de Foum el Kheneg.

Jusque-là jusqu’à Foum el Kheneg qui est en somme l’exutoire de
la cuvette de Ksabi l’O. Saoura reste vivant, semé de palmeraies
et de ksars (Ksabi, Tim’rarin, etc.). On ne peut que signaler à
distance assez grande au cœur de l’erg oriental un groupe important
de palmeraies et de puits, celui de Telmin. Il est possible qu’entre
la nappe de Telmin et celle de la basse Saoura il existe une relation.

En tout cas il est remarquable que la Saoura qui a été un
ruban de sources, de palmeraies et d’agglomérations humaines
cesse brusquement de l’être au delà de Foum el Kheneg ; les
indigènes ont vivement senti ce changement et l’ont accusé dans
leur nomenclature ; l’O. Saoura prolongé cesse de porter ce nom
il devient l’O. Messaoud, un oued saharien banal, qui traverse le
désert sans en modifier le caractère, souvent méconnaissable,
de continuité incertaine, bi- et trifide, conservant à peine
assez d’eau pour alimenter en des points très éloignés un
pâturage et un puits saumâtre. Cette déchéance s’accuse sans
transition dès que l’oued a derrière lui la chaîne d’Ougarta,
il est séparé désormais par une barrière infranchissable de son
réservoir d’humidité, cette masse énorme de sédiments friables
et de dunes qui s’étend de l’Atlas à Ksabi.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXXIV.

[Illustration : Cliché Gautier

64. — Dans l’erg er-Raoui, UNE ANTILOPE ADASE, qui faisait partie
d’un troupeau d’une trentaine de têtes.

Remarquer l’élargissement brusque du sabot ; forme de pied adaptée
aux sols désertiques.]


=L’oued Tabelbalet.= — Dans la région étudiée l’O. Saoura a
un pendant, qu’on peut appeler l’oued Tabelbalet. Il n’a pas de
nom pour les indigènes qui en dénomment les tronçons visibles ;
et ne s’intéressent pas à sa continuité, évidente, mais sans
portée pratique.

Voici ce qu’on sait.

Je n’ai pas vu l’oasis et les ksars de Tabelbalet, et quoiqu’ils
aient été vus par nos officiers à plusieurs reprises, il n’en
a jamais été publié de description ; l’oasis est au pied de
la chaîne Tabelbalet, à la lisière de l’erg er Raoui ; l’eau
est partout à très faible profondeur dans le sol.

Au sud de Tabelbalet la ligne de contact entre l’erg et la chaîne
reste aquifère sur cent kilomètres au moins.

Jusqu’à Haci Bel Rouz le nombre des puits échelonnés est
assez considérable (Noukhila, Haci el Maghzen, etc.) ; et ce
nombre pourrait être augmenté facilement, on trouve de l’eau
n’importe où, dit-on ; en tout cas H. el Maghzen a certainement
été improvisé à l’étape par les maghzen de Beni Abbès.

Au delà l’eau devient plus rare, pourtant le bord de l’erg
reste jalonné de trois puits au moins, Tin Oraj, Haci el Hamri,
Oguilet Mohammed. Ces trois puits, les seuls que j’ai vus, sont
tous creusés dans le lit d’un oued enfoui. La photographie de Tin
Oraj, montre nettement les 2 berges du lit mineur découpées dans le
quaternaire ancien (terrain plâtreux d’un blanc éclatant). (Voir
pl. X, phot. 20.)

A Haci el Hamri et Oguilet Mohammed j’ai fait des constatations
analogues. Partout on retrouve les érosions et les dépôts d’un
grand oued quaternaire. Il y a là évidemment un grand oued enfoui
et encore vivant. Il vient à coup sûr de l’Atlas, d’un point
indéterminé dans la région inexplorée à l’ouest du Guir. Sa
nappe d’eau, en tout cas, est nécessairement alimentée, au moins
pour une grande partie, par les pluies de l’Atlas.

Cet oued anonyme et que j’appellerai Tabelbalet, est curieusement
symétrique à la Saoura ; comme elle, il coulait entre les
dunes et la chaîne rocheuse ; mais ici les dunes ont été
bien plus envahissantes, la plus grande partie de l’oued gît
sous un amoncellement de sable, et l’O. Tabelbalet, bien plus
gravement atteint, bien plus décomposé que la Saoura par le climat
désertique, est un centre de vie humaine incomparablement moins
intéressant.

L’erg qui a effacé l’O. Tabelbalet s’appelle l’erg er Raoui,
c’est-à-dire l’« _humide_ ». Dans sa partie méridionale à
tout le moins, la mieux connue et assez fidèlement reproduite sur la
carte dans ses grands traits, l’erg est très peu compact, très
évidé intérieurement par des gassis immenses et larges. Le sable
est surtout entassé sur le lit même de l’O. Tabelbalet. C’est à
l’oued enfoui que l’erg doit son nom bien mérité. Il alimente du
gros gibier, de grands troupeaux d’antilopes adax (voir pl. XXXIV,
phot. 64), cela suppose une végétation relativement abondante et
des points d’eau facilement accessibles, à fleur du sol.


=Erg Atchan et sebkha el Melah.= — Tout contre, relié à
l’« erg humide » par de longs filaments de dunes, l’erg Atchan
« l’assoiffé » fait contraste avec lui. Ce n’est pas qu’il
ne recouvre lui aussi une ramification d’oueds quaternaires, mais
qui sont apparemment tout à fait morts, impropres à alimenter
une vie quelconque. Les seules eaux potables de la région, assez
voisines de l’erg mais tout à fait en dehors sont à Aïn Dhob
et à Nechea. Ce sont des sources jalonnant une ligne de faille.

Le trait le plus remarquable du régime hydrographique est la sebkha
el Melah. C’est la grande mine de sel pour les riverains de la
Saoura ; le sol est couvert d’une croûte de sel pur, brisée en
dalles cahotiques sous l’influence des variations de température,
et dont l’épaisseur atteint plusieurs centimètres. Encore
qu’il ne soit pas surprenant de trouver du sel dans une sebkha,
je n’en connais pas d’autre où les dépôts actuels de sel
aient une pareille puissance. On a déjà traité le petit problème
géologique que pose son existence.

Il s’en pose un autre, topographique et hydrographique. En 1903
la sebkha m’avait paru de niveau plus bas que le lit voisin de
la Saoura ; mon baromètre avait marqué le même jour à quelques
heures d’intervalles, 735 millimètres à Aïn Dhob contre 730
à Kerzaz. Les indications d’un anéroïde sont naturellement
sujettes à caution. Mais celles-ci semblent avoir été confirmées
depuis. La crue de 1904 arrêtée à Foum el Kheneg par un tampon de
sable (voir pl. IX, phot. 19) a reflué en masse vers la sebkha el
Melah ? Il serait intéressant de savoir comment l’existence d’une
pareille dépression se concilie avec le travail de l’érosion
quaternaire. Mais avant de chercher l’explication du fait il
conviendrait d’attendre qu’il fût hors de doute.

Privé de points d’eau, contourné par tous les itinéraires,
l’erg Atchan, flanqué de la sebkha el Melah, reste inconnu. On peut
affirmer cependant qu’il occupe un compartiment effondré au cœur
de la chaîne d’Ougarta ; le bassin de réception est limité très
vite au nord, où de puissantes masses montagneuses interceptent
tout accès souterrain ou subaérien aux eaux de l’Atlas. Et
c’est apparemment ce qui explique l’« erg assoiffé » voisin
mal partagé de l’« erg humide ».


=La chaîne d’Ougarta.= — Sur la chaîne de Tabelbalet on ne
sait rien de détaillé. On voit mieux déjà la chaîne d’Ougarta,
malgré d’énormes lacunes. On peut affirmer que, au point de vue
humain, économique, elle présente un intérêt, tout inhabitée
qu’elle est : ce n’est pas du tout un coin désespéré du Sahara.

_A priori_ on pouvait le prévoir ; la chaîne est constituée de
ces mêmes grès éodévoniens, excellent réservoir d’humidité,
qui font habitable la plus grande partie du pays Touareg.

Elle a en effet ses points d’eau, le puits d’Ennaya, par exemple,
le r’dir de Kheneg el Aten (voir pl. XXXII, phot. 60.) Elle a
aussi ses pâturages, celui d’Ennaya entre autres ; Ennaya est
une cuvette synclinale tapissée de Mio-Pliocène et de petites
dunes. La montagne elle-même, la roche nue, au printemps de 1905,
était couverte de ce que les Sahariens appellent un pâturage
d’« _acheb_ ». Je ne crois pas que cette végétation ait été
décrite ni étudiée au point de vue botanique.

La plupart des plantes sahariennes sont des arbustes rabougris
dont les chameaux mangent les feuilles, les pousses vertes, les
extrémités tendres ; ils sont pérennes, et, dans les périodes les
plus sèches, quand les jeunes pousses font défaut, la ramification
ligneuse subsiste au-dessus du sol. Les plantes sahariennes les
plus célèbres, le _hâd_ par exemple, le _dhomran_ rentrent dans
cette catégorie.

L’_acheb_ n’est pas une plante, c’est une catégorie, tout à
fait distincte de la précédente, celle des plantes éphémères,
printanières, que les bonnes années font sortir du sol pour un petit
nombre de semaines, dans les coins privilégiés. Les indigènes leur
donnent aussi ce joli nom, _r’ebia_, le printemps ; végétation
classique de steppe en somme, la plante n’est représentée en
temps ordinaire que par ses racines invisibles, ou peut-être même
par une graine enfouie ; vienne le moment favorable, et l’attente
dût-elle être de plusieurs années, la végétation subaérienne
évolue précipitamment.

Au printemps de 1905, qui avait été précédé, on l’a dit, de
pluies abondantes et de grandes crues en octobre 1904, l’_acheb_
sur les montagnes d’Ougarta était assez varié ; un caractère
commun évident était l’énorme prédominance des organes
floraux, pas de feuilles, des fleurs en grappes volumineuses, sur
des stipes grêles et nus ; pas trace de verdure dans l’impression
d’ensemble. Au-dessus de Beni Ikhlef l’acheb était représenté
par une espèce à fleurs violettes ; la montagne apparaissait de
loin couverte d’une moisissure violette d’un effet étrange et
délicat sur la roche noire de poix.

Les chameaux « mangent le printemps » avec avidité ;
l’engloutissement de gerbes de fleurs dans ces gueules
particulièrement répugnantes heurte notre concept européen du
bouquet, et fait une impression blasphématoire.

J’ai noté aussi la présence d’_Anabasis aretioides_.

La chaîne d’Ougarta serait donc un pays de pâturages, et si elle
n’est pas un pays d’élevage la faute en est aux hommes et aux
circonstances, non pas à la nature.

Elle a aussi des richesses minérales, on l’a dit.

A l’ouest de Beni Ikhlef sur la route d’Ennaya, au lieu dit
Tamegroun un filon de quartz cuprifère court dans les grès
dévoniens, qui sont imprégnés au contact. Autant que j’ai pu
en juger après un examen sommaire, et toutes réserves faites
sur mon inexpérience, en matière d’évaluations minières,
l’affleurement mériterait d’attirer l’attention s’il se
trouvait dans un pays moins inaccessible et moins désolé. D’autant
plus qu’il n’est certainement pas isolé (Golb en Nehas). On
peut se demander s’il n’y a pas là pour la Saoura une ressource
future éventuelle[146].

C’en a été une à coup sûr dans un passé
indéterminé. L’affleurement de Tamegroun a été exploité par
les indigènes, très sommairement, il est vrai ; les trous et les
tranchées d’exploitation qui s’échelonnent le long du filon,
ont à peine un mètre ou deux de profondeur. (Voir pl. XXXI,
phot. 58.) Le minerai était calciné ou traité sur place, comme
l’atteste la présence de scories.

Le souvenir de cette exploitation s’est conservé dans la mémoire
des indigènes.

Je dois à l’obligeance de M. le capitaine Martin, commandant
l’annexe de Beni Abbès, et à celle de M. l’interprète
militaire Stackler, la copie et la traduction d’un texte arabe,
conservé au monastère de Guerzim, et qui concerne la mine de
Tamegroun[147]. Il y est question de sorcellerie bien plus que de
métallurgie. La mine est devenue un trésor gardé par des génies :
les procédés d’extraction n’ont rien de scientifique :
« il faut égorger un hibou, le battre avec une tige de fenouil,
etc. ». On sait d’ailleurs que chez les primitifs un lien
étroit unit la sorcellerie et le travail ou l’extraction des
métaux : au Maroc, le Sous est à la fois la patrie des mineurs et
des sorciers. Tamegroun d’ailleurs a sans doute été exploité
par les Marocains, à une époque indéterminée ; je ne crois pas
qu’il le soit actuellement.


=L’homme.= — Si obscur que soit le passé humain de l’O. Saoura
on peut essayer, peut-être, de dégager des souvenirs et des
légendes indigènes quelques grandes lignes un peu floues.

On trouve dans la région des tombeaux préislamiques (redjems) ;
ils sont tout à fait semblables aux redjems habituels à mobilier
de cuivre et de fer ; et leur distribution semble accuser une
répartition de la vie toute différente de l’actuelle. Le lit
même de la Saoura, où sont concentrées les oasis actuelles est
plus pauvre en redjems que la chaîne d’Ougarta ; ils paraissent
nous reporter à une époque de vie nomade où la culture intensive
des oasis n’existait pas encore. A Beni Abbès, d’autre part,
on se souvient ou on croit se souvenir de la date où aurait été
captée la grosse source. Ce souvenir a pris naturellement forme
de légende religieuse. « Un marabout égyptien, Si Othman el
Gherib planta un bâton en terre : à ma mort, dit-il, une source
jaillira en ce point pour que vous puissiez laver mon cadavre. Le
bâton resta fiché en place, et, quand on le retira, à la mort
du santon, la source jaillit. » Ceci se serait passé soixante ans
avant que le Touat fût occupé[148]. Il va sans dire que ces bribes
d’hagiographie sont dépourvues d’intérêt historique. Peut-être
pourtant doit-on retenir que la palmeraie de Beni Abbès n’a pas
la réputation de remonter à une époque immémoriale.

Voici maintenant qui est plus récent et plus précis.

Dans l’oued Saoura, à une trentaine de kilomètres au sud de
Beni Abbès, auprès du ksar de Tametert, on montre les ruines
d’un ksar au sommet d’une butte ; c’est Ksar en Nsara, le
bourg des chrétiens. D’après la tradition, ce bourg, peuplé
de chrétiens, aurait subsisté jusqu’à une date indéterminée,
où les musulmans l’assiégèrent, le prirent et le détruisirent.

D’autres ruines portant le même nom, et auxquelles se rattache
la même légende, se voient entre Beni Ikhlef et Bou Khrechba.

D’après le P. de Foucault ces vieux « villages nazaréens »
sont nombreux dans l’O. Draa[149].

A une pareille distance des côtes marocaines, ces chrétiens ne
peuvent pas avoir été des Portugais ; s’agirait-il donc d’une
communauté chrétienne indigène, qui aurait été détruite
tardivement ? M. Basset, consulté, croit cette hypothèse
inadmissible. Il ne faut pas d’après lui, prendre trop à
la lettre le nom de Nsara (chrétiens) : « Je le regarde comme
synonyme de Djohala (païens) ; ces noms s’échangent souvent dans
les traditions populaires : comme dans les chansons de gestes, les
Saxons de Guiteclin (alias Witikind), jurent par Mahom, Appollin et
Tervagant. » Les habitants de Ksar en Nsara n’étaient donc pas des
chrétiens, c’étaient des païens ou semi-païens, peut-être des
kharedjites ; à coup sûr des ennemis de la foi orthodoxe, puisque
leurs voisins musulmans les ont anéantis. Rien ne nous autorise
d’ailleurs à fixer la date de cet anéantissement. Pourtant, la
précision des souvenirs indigènes me semble rendre peu vraisemblable
une date très reculée.

C’est aux « Nazaréens[150] » que la tradition attribue le
captage des sources et l’aménagement des oasis (tradition très
nette à Ougarta en particulier). Elle leur donne pour successeurs
les Beni Hassen, et ici nous sommes sur un terrain historique assez
sûr. Les Beni Hassen, qui se retrouvent aujourd’hui au Maroc dans
la plaine de l’O. Sebou ont été au Sahara les propagateurs de
la langue arabe et d’un degré plus élevé de culture islamique
jusqu’au Sénégal. L’arabe que parlent les Maures sénégalais
s’appelle aujourd’hui encore le Hassaniya[151]. Les Beni Hassen
ont laissé en effet dans la Saoura le souvenir d’une très grande
et très puissante tribu ; et ce souvenir est resté très vivant,
leur nom revient souvent dans la tradition. Les ruines d’un ksar
Beni Hassen (mais que je n’ai pas vues) se trouvent à Beni Abbès
sur la gara qui surplombe la palmeraie de l’autre côté de l’oued
(rive droite). (Voir fig. 41.)

La Saoura actuelle est dominée politiquement, où du moins elle
l’a été jusqu’à notre venue, par les R’nanema.

Au poste de Beni Abbès, M. le capitaine Martin a bien voulu me
communiquer une étude sur les R’nanema, œuvre d’un officier
dont je regrette d’ignorer le nom.

Voici de quelle façon la tribu se divise elle-même.

             {                   {   Ataouna.
             {                   {
             {   Debahba         {   Oulad Hammou.
             {                   {
             {                   {   Oulad Saad.
             {
             {
             {                   {   Oulad Rezoug.
             {                   {
             {   Chemamcha       {   Oulad Hossein.
             {                   {
             {                   {   Maadid.
             {
             {
             {                   {   Gourdana.
             {                   {
  R’nanema   {                   {   Oulad Zian.
             {                   {
             {   Ataouna         {   Oulad Ali.
             {                   {
             {                   {   Oulad Alla.
             {                   {
             {                   {   Gharaba.
             {
             {
             {                   {   Oulad ben Kina.
             {                   {
             {   Gourdana[152]   {   Oulad Moktar.
             {                   {
             {                   {   Oulad Dehan.
             {                   {
             {                   {   Oulad Abbou.

Je ne suis pas très sûr que cette sèche énumération soit
susceptible de présenter un intérêt général. Peut-être pourtant
permet-elle d’entrevoir l’armature politique et sociale de
la tribu. M. Doutté, étudiant les tribus du Maroc occidental, a
publié quelques tableaux de subdivisions ethniques dont l’analogie
avec celui-ci paraît évidente, quoiqu’ils soient d’une analyse
beaucoup plus poussée.

Le dernier élément constitutif semble bien être la famille
_lato-sensu_.

M. Doutté décrit ainsi la tribu marocaine. « Bien que l’analyse
montre qu’elle est en général formée d’éléments de
provenances diverses au point de vue ethnique, elle est cependant
conçue par ses membres comme une immense famille, et cette conception
se traduit souvent par la croyance en un ancêtre éponyme[153]. »

Les Oulad Alla par exemple affirment descendre tous d’un certain
Alla ben Hammou, originaire de Bou Denib (dans les hauts de
l’O. Guir).

Les Oulad Hammou se rattachent à un certain Hammou Ould Keroum,
des Krerma, fraction des Ahlaf, habitant la plaine de Tafrata au
sud-ouest d’Oudjda.

Ces familles sont groupées en clans (?) groupés eux-mêmes en une
confédération, qui est la tribu (?) des R’nanema.

Les familles, qui ont conservé le souvenir de leur origine, se
réclament des coins les plus divers de l’Afrique du nord. Il en
est qui sont venues de Kairouan et même de Tripolitaine, d’autres
du dj. Amour, beaucoup du Maroc (Moulouya, O. Draa, Merrakech,
Sahel). En somme, ici comme dans tout le reste de l’Afrique du
nord le brassage des races a été très énergique[154], avec une
prédominance peut-être des éléments marocains.

Ce qui fait l’originalité et l’unité de ces R’nanema,
d’origines si diverses, c’est qu’ils sont nomades et non
pas ksouriens.

Le territoire qui leur appartient est considérable, le long de
l’oued il va de Merhouma jusqu’au delà de Tagdalt. C’est
la section la plus riche de la Saoura, la _r’aba_, recouverte
d’une « forêt » continue de palmiers, l’oasis d’un seul
tenant de beaucoup la plus étendue de toute la région. Les ksars
s’y pressent plus nombreux qu’ailleurs ; et d’ailleurs les
R’nanema sont propriétaires de ksars isolés en dehors des limites
de leur territoire propre ; un des ksars de Beni Abbès par exemple
est R’nanema. Ces ksars, au rebours des autres, ne sont pas des
individualités politiques autonomes ; beaucoup d’entre eux ne
sont même pas des individualités municipales.

Anefid par exemple est une simple ferme habitée par des métayers
haratin.

D’autres sont de simples lieux de refuge et d’ensilotement,
des abris momentanés, inhabités la plupart du temps, des murailles
vides à proximité des terrains de culture ; ce sont, par exemple,
Béchir (qui est une station d’été), Tametert, Idikh, Ammès,
Ksir el Ma, Beiada, Timr’arin, Meslila, Ksabi.

C’est le même type de ksars qu’on retrouve dans l’oued Guir
(Bahariat) entre les mains d’autres nomades les Doui Menia :
simples magasins fortifiés et non pas lieux d’habitation ; la
vie s’écoule ailleurs dans les pâturages.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XXXV.

[Illustration : Cliché Gautier

65. — LE MINARET DE KERZAZ, construit en pierres, qui contrastent
avec le pisé des murs.]

[Illustration : Cliché Gautier

66. — UN QUARTIER DE KERZAZ vu du haut du minaret de la photographie
65.

Remarquer les toits en terrasses de pisé. A gauche et en haut
de la figure, on voit l’Oued Saoura et la dune voisiner comme
d’habitude.]

Les pâturages des R’nanema sont à l’est dans l’erg, et sans
doute ne se font-ils pas faute d’utiliser ceux de l’ouest, dans la
chaîne d’Ougarta, lorsqu’ils peuvent le faire sans danger. Ce
sont d’ailleurs des nomades à parcours assez restreint, ces
Sahariens ne sont pas des méharistes, tous cavaliers, ou piétons,
et cela suffit à leur interdire les grandes randonnées à travers
le désert. Ils ne s’éloignent pas de la Saoura.

En revanche ils ont fait peser un joug très lourd sur les indigènes
de la Saoura. Rohlfs, le premier Européen qui les a vus, insiste
sur leurs exactions. C’était pourtant, lors de notre venue, une
tribu en décadence. Si vagues que soient les données historiques
à leur sujet, on suit le recul progressif de leur influence à
travers le XIXe siècle.

On a vu qu’ils furent les maîtres de la Zousfana et qu’ils en
furent expulsés par les Doui Menia après des luttes acharnées.

En 1894 une harka de Doui Menia et de Beraber, provoquée par les
agents du sultan, ravagea la Saoura, et fit tomber après un long
siège le ksar principal des R’nanema (el Ouata, je crois), où
s’était réfugiée caïd Alla, le chef ou en tout cas l’homme
le plus influent de la confédération.

Les R’nanema étaient donc progressivement refoulés par une
poussée venue de l’ouest, lorsque nous nous sommes établis dans
l’O. Saoura. Aussi ont-ils vu en nous des protecteurs ; et caïd
Alla en particulier nous a été dévoué aussi longtemps qu’il
a vécu.

L’autorité brutale des nomades est contre-balancée par
l’influence religieuse des zaouias.

Il y en a une petite à el Maja, une autre à Beni Ikhlef, une autre
à Igli, mais les plus notables de beaucoup sont Guerzim et surtout
Kerzaz. Guerzim est dit-on plus ancienne, et se juge elle-même
plus vénérable. Kerzaz est actuellement bien plus importante, on
s’en rend compte au seul aspect de son minaret, très simple, mais
construit de la base au sommet en dalles de grès, luxe unique dans
un pays de construction en pisé. (Voir pl. XXXV, phot. 65 et 66.)

D’après Depont et Coppolani, la zaouia de Kerzaz, maison mère
de l’ordre des Kerzazia, a été fondée par le chérif, Ahmed
ben Moussa el Hassani Mouley Kerzaz, né vers 1502 de J.-C. La
date est à retenir ; les XVe et XVIe siècles sont un moment
décisif dans l’histoire des oasis sahariennes. La confrérie,
d’après Depont et Coppolani[155], compte environ 2000 adeptes dans
la province d’Oran, et davantage vraisemblablement au Maroc. Dans
la Saoura sa prépondérance est financière autant que politique ;
Kerzaz est propriétaire de palmiers dans des oasis éloignées,
comme Beni Abbès. A Kerzaz la baraka se transmet héréditairement
dans la famille du fondateur, mais non pas de père en fils ; elle
appartient aux plus âgés des membres de la famille. Il en résulte
une gérontocratie, qui donne au gouvernement et à l’administration
municipale un caractère original — très distinct de ce qu’on
observe soit dans les ksars, soit chez les R’nanema.


=Les ksars autonomes.= — Vis-à-vis des nomades et des marabouts
les ksars autonomes de la Saoura jouissent d’une indépendance
dont le degré varie avec leur force et leur situation. Nous sommes
assez bien renseignés sur les ksars septentrionaux Igli, Beni Abbès.

_Igli._ — M. Calderaro, nous a donné un historique
d’Igli[156]. Il donne l’étymologie du mot dont l’ethnique est
Glaoua. Les Glaoua sont une tribu marocaine bien connue qui habite
le Grand Atlas au sud de Merrakech. Quelques membres de cette tribu
« sont venus s’installer à une époque reculée sur un monticule
à environ 1500 mètres au sud-ouest d’Igli, et auraient fondé
un ksar appelé Aghrem Amekran (le grand Ksar) dont les ruines sont
encore visibles de nos jours ». Le ksar actuel est une zaouia fondée
vers le milieu du XVIIe siècle par un chérif venu du Gourara, Sidi
Mohammed ben Othman. La date est à retenir ; c’est à la même
époque à peu près que fut fondée la zaouia de Kenatsa. Mais Igli
est bien loin d’avoir eu la fortune de Kenatsa ; son rayonnement
est resté tout local ; sa seule filiale est le petit couvent voisin
de la zaouia Tahtania. Aussi les Glaoua sont bien loin de jouer, soit
dans l’oued Zousfana, soit dans la Saoura le rôle d’aristocratie
religieuse et financière qui est réservé aux grandes zaouias,
comme Kerzaz ou Kenatsa ; leur histoire telle que M. Calderaro
nous la raconte sommairement est celle de tant d’autres ksars ;
à travers les âges ils ont été pillés alternativement par les
nomades voisins, Beraber, mais surtout Doui Menia et R’nanema. A
notre arrivée ils payaient la protection des Ouled Sliman, fraction
Doui Menia. Pourtant « les Doui Menia, d’après M. Calderaro,
ne possèdent pas de palmiers dans l’oasis d’Igli ; la palmeraie
entière appartient aux Ksouriens ». C’est là un grand avantage
qu’ils ont sur d’autres, les Beni Goumi en particulier. Ils le
doivent apparemment à leur caractère religieux.

_Mazzer._ — Mazzer, d’après les notes manuscrites du poste de
Beni Abbès, a été partiellement peuplé par des réfugiés venus
de Si Akkachi, un vieux ksar dont on voit les ruines à mi-chemin
entre Igli et Mazzer et qui aurait été détruit par les Glaoua il
y a cent cinquante ans. Un certain Moussa ben Brahim, échappé au
désastre avec sa famille, aurait fait souche à Mazzer des Oulad
Moussa ben Brahim.

Mais Mazzer est beaucoup plus ancien, et d’ailleurs on ne concevrait
pas que sa très belle source ait pu jamais rester inutilisée.

La tradition mentionne une ancienne émigration des indigènes
de Mazzer (Oulad Raho, Oulad Khalfallah), qui seraient allés
s’établir au nord du Tafilalet, dans le district de Tissini
(?) Petit détail, insignifiant en soi et qui ne vaudrait sans
doute pas la peine d’être rapporté, s’il ne s’ajoutait
à d’autres pour montrer les liens étroits, après tout, qui
unissaient la Saoura au Maroc.

Les autres familles de Mazzer sont les Oulad Moussa ben Daoud,
(venus de l’O. Draa) ; les Oulad Hamza et les Oulad Alla (venus
des hauts du Guir).

Mazzer est un petit ksar d’autonomie précaire. Il a acheté
la protection des Ouled Sliman (fraction Doui Menia) et il est
entièrement dans leurs mains.

Voici un petit détail qui permet d’apprécier le degré de
subordination des ksouriens de Mazzer vis-à-vis des nomades et des
marabouts, voire même vis-à-vis de leurs voisins plus puissants
les ksouriens d’Igli.

Les marabouts de Kerzaz ont dans l’oasis de Mazzer les droits
d’irrigation suivants (proportionnels naturellement au nombre des
palmiers irrigués),

                               {    6     bassins en été.
                               {
                               {   14        —    en hiver.


  Les Glaoua ont droit à       {    2        —    en été.
                               {
                               {    3        —    en hiver.


  Les Oulad Moussa ben Daoud   {   1/2       —    en été.
                               {
                               {    1        —    en hiver.


  Les Oulad Hamza              {   1/2       —    en été.
                               {
                               {    1        —    en hiver.

Les marabouts de Kerzaz ont donc à Mazzer des droits de propriété
qui sont à ceux d’une des quatre familles indigènes comme 20
est à 1 et demi.

On saisit là sur le fait et on peut exprimer en chiffres
l’abjection de prolétaire ksourien dans sa propre palmeraie. Et
notez qu’il s’agit de ksouriens libres et non pas de haratin.

_Beni Abbès._ — Il y a trois ksars dans l’oasis de Beni
Abbès, l’un est celui des R’nanema, l’autre est habité
par les haratin qui cultivent pour le compte des marabouts de
Kerzaz les palmiers appartenant à la zaouia (la petite palmeraie
d’Ouarourourt). Le troisième est celui des Abbabsa (indigènes
libres de Beni Abbès). Cette simple énumération atteste que les
Abbabsa ne sont pas les maîtres chez eux. Ils constituent pourtant
un gros ksar qui a son histoire distincte et son autonomie.

Les Abbabsa, d’après les notes manuscrites aux archives de Beni
Abbès se décomposent comme suit :

  Oulad Hamed          { On ne nous donne de renseignements que sur
                       { leur antiquité relative. Ils ont précédé à
  Oulad Ali ben Moussa { Beni Abbès l’arrivée de la famille suivante.

                       { Viennent du ksar d’el Maïz à Figuig. Deux
                       { frères ont quitté en même temps le ksar, Ali
                       { ben Yahia, qui s’est fixé à Beni Abbès où il
  Oulad Raho           { a fait souche des Oulad Raho — et X... qui
                       { s’est fixé à Charouin où il a fait souche
                       { d’une famille qui se donne le nom de Cheurfa.

                       { Sont originaires du Sfalat (Tafilalet). Le
                       { premier d’entre eux qui se soit fixé à Beni
                       { Abbès est Si Mohammed ben Abdesselam, qui a
  Oulad men la Ikhaf   { fondé le ksar actuel il y a 150 ans ; car
                       { auparavant la population était répartie en 2
                       { ksars.

  Oulad el Kebir       { Ces quatre familles sont groupées en un
                       { rameau unique, sous le nom d’Oulad el
  Oulad Obéid          { Mehdi : elles ont vécu à part dans un ksar
                       { spécial jusqu’à la fondation du ksar actuel.
  Oulad Saïd           { Les Oulad el Mahdi sont originaires de la
                       { fraction des Oulad Noguir, tribu des Idersa,
  Oulad Cherki         { confédération Doui Menia.

L’aspect du terrain confirme ces renseignements
généalogiques. Au-dessous du ksar des Haratin, on voit les ruines
de celui qui fut habité autrefois par les Oulad et Mehdi ; au
nord du ksar des R’nanema les ruines de celui qu’habitaient les
Ouled Hamed, Ouled Ali ben Moussa et Ouled Raho. Ce sont les anciens
habitants de ces ruines qui fusionnèrent il y a cent cinquante ans
pour fonder le ksar actuel.

Tous les ksars, en ruines ou actuels, sont voisins et ont un air de
parenté, ils sont groupés dans la palmeraie ou sur sa lisière,
au pied de la gada de Si Mohammed ben Abbou. On appelle ainsi ce
tronçon de hammada pliocène, libre de sable, qui s’allonge en
feidj au milieu de l’erg, à l’est de Beni Abbès, et sur la
tranche duquel sourdent les eaux qui alimentent la palmeraie. Le ksar
plus ancien des Beni Hassen se dresse au contraire sur l’autre
rive, la droite, au sommet d’une gara difficilement accessible
loin de l’eau et des cultures, dans une situation défensive et
dominatrice, qui évoque à elle seule une autre époque, d’autres
conditions politiques et apparemment économiques. (Voir fig. 41.)

Les notes manuscrites anonymes aux archives de Beni Abbès
nous renseignent sur ce qu’on pourrait appeler les relations
diplomatiques des Abbabsa. La plupart des ksars de la Saoura avaient
conclu avant l’occupation française des conventions avec les
tribus voisines. Ces conventions étaient de deux sortes.

La _tata_ était un pacte par lequel les parties contractantes
s’engageaient mutuellement à réparer les dommages éventuellement
causés par des individus appartenant à l’une ou l’autre
partie. La tata ne comportait le paiement d’aucune redevance.

La _khaoua_ était une convention par laquelle une fraction ou un
homme influent accordait sa protection à une autre fraction plus
faible, et ce moyennant le paiement d’une redevance qui portait
le nom de mezrag.

Les Abbabsa avaient une tata avec les Aït bou Grara, des Aït Rebbach
(Beraber). En 1894 ils en conclurent une avec un certain Taleb Brahim
ou Addou, des Aït ou Menaçef (Beraber), qui habitait au Draa. Ils
en avaient une autre avec les Ouled Ahmar des Idersa (Doui Menia) ;
mais ceux-ci ne tinrent pas leurs engagements. Il est évident que
ces tata conclues avec des Beraber avaient pour but d’assurer aux
Abbabsa l’accès des marchés du Tafilalet.

Les notes manuscrites anonymes ne mentionnent pas de convention
avec les R’nanema. Il faut bien qu’il y en ait eu cependant,
et de portée politique bien plutôt que commerciale, puisque il
y a dans l’oasis de Beni Abbès, un ksar de R’nanema. On nous
dit que ce ksar a été construit il y a une vingtaine d’années
par les Abbabsa eux-mêmes qui y appelèrent et y installèrent
les R’nanema, à titre de protecteurs, parce que les Doui Menia
menaçaient de détruire la séguia.

Les notes manuscrites nous font connaître d’une façon plus ou
moins fragmentaire l’histoire moderne des Abbabsa ; c’est une
histoire de petites guerres confuses avec tous les voisins.

[Illustration : Fig. 41. — Beni Abbès.]

Les grands ennemis sont les R’nanema, puisque les maîtres. Il
y a quatre-vingts ans, les R’nanema construisirent sur la
falaise un ksar qu’ils durent abandonner plus tard parce que
l’approvisionnement en eau y était trop difficile. Pendant
la durée de cette occupation, les Abbabsa enfermés chez eux
tuaient tout R’nanema isolé et vice versa. Ils dépêchèrent en
ambassade au sultan un certain Sliman ben Raho, grand-père du caïd
actuel. Le sultan envoya 25 cavaliers makhzen sous les ordres du caïd
Mohammed ben Sridi du Tafilalet. Cette démonstration suffit. Les
makhzen laissèrent à Beni Abbès trois fusils de rempart qu’on
a conservés et qu’on décore du nom de canons. Si Abdallah ben
Abd er Rahman, chef de la zaouia de Kerzaz intervint entre Abbabsa et
R’nanema et fit conclure la paix. Ceci devait se passer au voisinage
de 1820. On sait que beaucoup plus tard les R’nanema en vinrent à
leurs fins, puisque les Abbabsa durent provoquer l’établissement
chez eux d’une sorte de garnison R’nanema.

Il y a une soixantaine d’années, d’après les notes manuscrites,
c’est-à-dire, j’imagine, vers 1848 une caravane Doui Menia
(fraction des Arib) fut pillée par les R’nanema à côté de
Beni Abbès. En représailles une harka Arib et Doui Menia mit le
siège devant Beni Abbès, elle ne put s’en emparer mais coupa 2400
palmiers au sud de la palmeraie actuelle dans la plaine d’Amama.

Les notes manuscrites mentionnent encore une guerre avec les Glaoua
(gens d’Igli), beaucoup plus récente, et qui doit se placer
vers 1890. Cette petite guerre est d’une curieuse mesquinerie
municipale. A l’origine, expulsion d’un habitant par la djemaa
de Beni Abbès, à propos d’une querelle de propriété. Le banni
alla trouver les Glaoua, et sut les intéresser à sa cause, par
un stratagème religieux qui doit être une survivance d’usages
préislamiques (sacrifice rituel d’un mouton en un certain point
du village)[157]. Les Glaoua traduisirent la djemaa des Beni Abbès
devant le cadi, qui donna raison au demandeur. Le banni sollicita,
pour obtenir l’exécution de la sentence, l’appui du caïd
Alla, l’homme le plus puissant de la confédération R’nanema,
et lui donna mille francs d’honoraires. Caïd Alla s’entremit,
et échoua.

Alors les Glaoua vinrent assiéger Beni Abbès, avec un effectif
d’auxiliaires que nous connaissons exactement : 50 habitants de
Mazzer, 12 Doui Menia, 30 Beni Goumi, et quelques Ataouna (fraction
R’nanema). Les Abbabsa achetèrent la retraite des nomades et
battirent les ksouriens.

Les Glaoua repoussés font alliance avec les Ataouna et vont camper
au sud de Beni Abbès pour attendre leur contingent. Caïd Alla
intervient derechef, apparemment pour des raisons sonnantes et
trébuchantes ; il ménage un compromis entre Abbabsa et Glaoua ;
les premiers faisant aux seconds des promesses pécuniaires
fallacieuses. Les Glaoua se retirent avant l’arrivée des Ataouna.

La fin de l’histoire fait défaut dans le manuscrit. On nous dit
cependant que la guerre a duré deux ans ; et on nous donne la liste
des morts et blessés de part et d’autre. — Morts deux Abbabsa
et un Glaoua — blessés un Abbabsa et huit Glaoua. On ne nous dit
pas la valeur de la propriété litigieuse, cause de tout le mal ;
mais on ne se trompe assurément pas en l’affirmant minime. Le
manuscrit nous donne en effet en chiffres précis le montant de la
plus grosse fortune privée à Beni Abbès, celle du caïd Mouley
Ahmed ben Sliman : il possède exactement une vache, sept moutons
demman, un âne, et 610 palmiers.

On a les meilleures raisons du monde évidemment de dénier tout
intérêt au récit minutieux de cette guerre municipale. Il
m’a semblé qu’il jetait un jour sur la vie des ksouriens,
et qu’il délimitait le cercle étroit de leurs haines et de
leurs préoccupations : c’est un admirable exemple d’anarchie,
et d’impuissance à résoudre la moindre difficulté sociale :
la façon même de conduire la guerre, cet enchevêtrement de
négociations, de pots-de-vin, et de batailles prudentes, tout cela
est curieux, et rappelle tout à fait ce qu’on nous raconte des
guerres civiles marocaines.

Les guerres auxquelles Beni Abbès a été directement intéressé
ne sont pas les seules dont elle ait subi les ravages dans le courant
du XIXe siècle. Le territoire de Beni Abbès a été le théâtre de
batailles entre Doui Menia et R’nanema en 1882 et 1885. La harka de
1894, dirigée par les Marocains contre les R’nanema, a copieusement
dévalisé au passage les Abbabsa. De l’insécurité chronique
la plaine d’Amama, au sud de l’oasis, porte témoignage. Les
2400 palmiers que les Doui Menia ont coupé n’ont jamais
repoussé. C’est aujourd’hui une nebka improductive.

L’histoire de Beni Abbès est particulièrement bien connue,
parce que le poste français s’y est installé ; mais c’est un
assez bon type moyen de grande oasis autonome. Elle a ses limites
territoriales nettement fixées, du côté de Mazzer c’est Guetibat
Slama, du côté de Tametert c’est Merhouma. Il est vrai qu’en
deçà de ces frontières les Abbabsa ne sont que relativement leurs
propres maîtres.

_Beni Ikhlef._ — Les notes manuscrites nous donnent une bonne
monographie de Beni Ikhlef.

L’oasis située entre Guerzim et Kerzaz, contient trois ksars et
une zaouia. Ce sont Ksar el Kebir, Ksar Menaceria, Ksar Haouch ou
Kodia ; Zaouia de Si Abdallah ben Cheikh, branche de l’ordre de
Guerzim. Ces quatre villages, d’ailleurs tout voisins, et renfermés
dans l’enceinte de la même palmeraie, forment l’agglomération
de Beni Ikhlef, dont l’ethnique est Khalfaoua. Les Khalfaoua se
subdivisent eux-mêmes comme suit :

                       { _Ouled Ahmar_, originaires du sahel
                       { marocain, tribu des Oulad Délim.
                       {
  Ksar el Kébir        { _Ouled Mellouk_, descendants des Beni Hassen
                       { les premiers occupants de la Saoura.
                       {
                       { _Ouled Abdallah_, sortis des Beni Mohammed,
                       { qui habitent actuellement les ksour du
                       { district d’es Sifa dans le Tafilalet.

                       { _Ouled el Abbès_, sortis eux aussi des Beni
                       { Mohammed.
                       {
  Ksar Menaceria       { _Ouled ben Ahmed_,     —     —
                       {
                       { _Ouled Abd el Malek_,     —     —

                       { _El Kodia_, originaires de Zaouia el Cadi,
                       { district d’Oued Ifli (Tafilalet).
  Ksar Haouch ou Kodia {
                       { _Ouled Abdallah_, déjà mentionnés comme
                       { sortis des Beni Mohammed.

Sur l’ordre chronologique dans lequel se sont fixées au pays
ces différentes fractions, on nous donne quelques renseignements
sommaires. Ici comme partout dans la Saoura les Beni Hassen (Oulad
Mellouk) ont précédé tous les autres. Les Beni Mohammed, qui sont
venus ensuite, passent pour avoir acheté aux Beni Hassen les terres
qu’ils occupèrent à Beni Ikhlef.

A cette époque les Khalfaoua habitaient des ksars situés à
l’ouest des actuels, et dont on voit les ruines.

L’histoire moderne des Khalfaoua sommairement racontée est beaucoup
plus brillante que celle des Abbabsa.

Il y a soixante ans, il est vrai, c’est-à-dire vers 1840, à la
suite d’une querelle pendant la diffa, une harka de Beraber Aït
Atta, en route pour le Touat prit d’assaut les ksars de Beni Ikhlef.

Mais il y a quarante ans (1860 ?) les Khalfaoua ont enregistré des
victoires sur les Doui Menia, à la suite d’une longue guerre. Ils
ont battu les maghzen du sultan en 1891, les Ouled Djérir en 1893 ;
la grande harka de 1894 n’est pas venue jusqu’à eux. Ils passent
pour fiers, indépendants et braves ; leur réputation militaire
est bien supérieure à celle des autres ksouriens et leur autonomie
est bien plus effective.

A cette supériorité leur origine ethnique n’est peut-être pas
tout à fait étrangère. On a vu qu’ils sont tous issus de tribus
marocaines ; ce n’est pas une circonstance indifférente, dans un
pays où l’on verra, au cours de cette étude, avec une évidence
croissante que toutes les invasions pacifiques ou guerrières,
depuis quatre ou cinq siècles, attestent une « poussée vers
l’Est ». Je ne sais pas si on signale sur un autre point de la
Saoura, des fractions qui se rattachent, ou prétendent se rattacher
aux vieux Beni Hassen vénérés.

Mais surtout il faut insister sur la situation géographique de
Khalfaoua. Ils sont encastrés entre Guerzim au nord (limite précise
au jardin de Debibina) — et Kerzaz au sud, ou plus exactement Zaouia
Kebira (limite précise au lieu dit Tagherdaia). C’est-à-dire
qu’ils s’appuient de part et d’autre sur deux zaouias très
respectées et très puissantes ; et ils ont apparemment avec elles
des relations d’étroite amitié, puisqu’un de leurs quatre
villages est une zaouia. Ils font donc partie de ce bloc monastique de
la Saoura, qui partage avec les R’nanema la suprématie politique.

De quelque façon qu’on l’explique, le fait incontestable est
que ce sont des Ksouriens exceptionnels, leur part d’autonomie,
de dignité nationale, et de prospérité matérielle, est très
supérieure à la moyenne ; ce sont pourtant des Ksouriens purs,
tout à fait étrangers au nomadisme.

_Agdal._ — Ceux d’Agdal sont à l’autre bout de
l’échelle. C’est un tout petit ksar entre celui d’Anefid au
nord, et celui d’el Beïada au sud. Les habitants se décomposent
comme suit :

                              Descendent de Bel Kacem ben Abd er Rahman,
  Ouled ben Hamida            de la fraction des Gouassim, tribu des
                              Angad (près d’Oudjda).

  Ouled Aïssa                 Un frère a fondé une famille apparentée
                              à Tar’it, un autre au Timmi.

  Ouled el Mir                                   ?

  Ghouaba                     Origine inconnue ; s’étaient d’abord
                              fixés à Guerzim.

Le petit ksar d’Agdal est trop faible pour avoir jamais eu autre
chose qu’un semblant d’autonomie ; il a toujours été pillé
par tout le monde ; il est d’ailleurs situé sur le territoire
des R’nanema, et entièrement à leur discrétion.

Tous ces détails monographiques, encore que fragmentaires et
incohérents, me paraissent intéressants en ce qu’ils précisent
la physionomie du Ksourien, j’entends du Ksourien libre, Berbère
ou Arabe, la question des Haratin restant complètement réservée.

Les généalogies établissent qu’il y a parité d’origine
avouée chez les Ksouriens et chez les R’nanema nomades. Tous ces
tableaux se ressemblent, non seulement les nomades ne constituent
pas une caste à part, mais ils n’ont même pas la prétention
d’en constituer une.

Quoiqu’il y ait entre Ksouriens de grandes différences de degré
dans la sujétion et dans la misère (par exemple entre Beni Ikhlef
et Agdal), il est clair que dans l’ensemble la classe tout entière
est humble et méprisée.

Si on cherche la caractéristique essentielle du Ksourien, il
semble bien, ici comme ailleurs, que ce soit sa pauvreté. Il
est propriétaire sans doute, il possède sa maison et quelques
palmiers ; mais il lui manque les bêtes, les troupeaux de chameaux
et les chevaux, c’est-à-dire les moyens de transport. On
n’accepte d’être Ksourien que parce qu’on n’a pas
de quoi être nomade. Dans le centre de Géryville, depuis que
l’occupation française, en apportant la sécurité, a déterminé
l’enrichissement progressif et général de la population, on a
vu les ksars se vider et tomber en ruines[158]. Ici comme ailleurs
les différences de condition sont en définitive pécuniaires. Les
Ksouriens sont des prolétaires, ou, si l’on veut, des bourgeois
au sens ancien, étymologique du mot ; et d’ailleurs un ksar est
très exactement un village fortifié, c’est-à-dire un bourg.

Il est probable que, ici plus qu’ailleurs, la misère a des
conséquences physiologiques, et que les Ksouriens tendent en
conséquence à devenir une race différenciée. Au Sahara, on
l’a mis en lumière depuis longtemps, la race blanche ne vit
pas impunément à l’ombre des palmiers ; sous l’influence du
paludisme les enfants métis ont chance de survie dans la mesure où
ils ont du sang noir, et la race se négrifie. Il me semble qu’il
est souvent difficile de distinguer d’un Haratin un soi-disant
Ksourien blanc.

Pas de renseignements détaillés, en tout cas pas de monographie
sur les Ksars de la basse Saoura, en aval de Kerzaz. Et nous
connaissons encore plus mal les ksars à l’ouest de la Saoura,
Ougarta, Zeramra, Tabelbalet.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXXVI.

[Illustration : Cliché Gautier

67. — KSAR DE ZERAMRA ; tout petit, on le voit tout entier.

A droite, la Koubba de la photographie 68 (fagots contre le mur).]

[Illustration : Cliché Gautier

68. — A ZERAMRA, KOUBBA DU SAINT QUI GARDE LE BOIS A BRÛLER.

On voit des fagots et des souches appuyés au mur.]

Ougarta et Zeramra sont au pied de la chaîne d’Ougarta, au contact
des grès éodévoniens et des couches mésodévoniennes. Ce contact
est aquifère ; les deux palmeraies sont alimentées par de petites
sources. Elles le sont maigrement, et les deux ksars sont de bien
petites agglomérations humaines. La photographie de Zeramra en rend
déjà sensible l’exiguïté, dont les chiffres du recensement
permettent de se rendre un compte précis. Zeramra a 50 habitants
dont 9 hommes adultes. (Voir pl. XXXVI, phot. 67.)

Ces noms de Zeramra et d’Ougarta qui sont d’usage courant et
que les cartes ont fixés, ne sont pourtant que des déformations
arabes des véritables noms Berbères, encore en usage et qui sont
respectivement Mezremour et Ouggart. Ce dernier d’ailleurs est le
même que le nom beaucoup plus connu de Touggourt.

Je ne sais pas si cette coexistence du nom berbère et du nom arabe
implique la persistance d’un dialecte berbère dans ces deux petits
ksars. En tout cas elle semble indiquer une arabisation plus tardive
et plus imparfaite.

Ougarta et Zeramra sont en effet à une assez faible distance de la
Saoura, une quarantaine de kilomètres, mais ce sont des kilomètres
de reg nu, et qui suffisent à les isoler beaucoup. Ils sont en
dehors des routes habituelles, nos patrouilles y sont venues tard et
rarement. On s’étonne que des agglomérations aussi faibles aient
pu subsister dans une situation aussi dangereuse, aussi en l’air,
sur une frontière aussi peu sûre que la marocaine.

Ça n’a été possible naturellement qu’à force d’humilité
et de ménagements vis-à-vis des deux partis. Zeramra et Ougarta
ne savent pas qui ils doivent redouter le plus des Beraber ou de
nous et se comportent en conséquence.

_A fortiori_ peut-on en dire autant de Tabelbalet qui est beaucoup
plus éloigné, et sur lequel nos renseignements sont très
lacunaires.

On sait que l’oasis contient trois ksars, et qu’elle est
importante ; qu’il y existe une petite zaouia.

On se rend assez bien compte des conditions de la culture. La nappe
d’eau est à fleur de sol, dans les hauts de cet oued Tabelbalet,
qu’on suit tout le long de l’erg er Raoui.

A Ougarta, où la prononciation a chance d’être plus correcte
qu’à Beni Abbès, on prononce Belbala, par suppression des T
initial et final — de même qu’on dit indifféremment au lieu
de Tafilalet, Tafilala, d’où on tire l’adjectif filali. Et que
les noms d’origine berbère soient restés ainsi un mot vivant,
séparable en ses éléments grammaticaux, on serait tenté de
croire que cela suppose chez les indigènes une familiarité avec
la grammaire berbère.

Pourtant on vient d’apprendre, d’une façon incontestable,
que l’idiome propre de Tabelbalet est entièrement original,
il n’est ni arabe ni berbère ! L’assertion est tellement
extraordinaire qu’on se hâte de la placer sous la haute autorité
de M. R. Basset. L’éminent arabisant et berbérisant a entre les
mains un vocabulaire de Tabelbalet, recueilli par un officier. Il
n’a pas encore eu le temps d’en faire une étude détaillée ;
mais il croit avoir affaire à un sabir où les mots sonr’aï
sont particulièrement nombreux. Cet îlot de langue soudanaise à
proximité du Maroc est inattendu, quoiqu’on ait déjà signalé
au Touat un sabir analogue. Il semble, il est vrai, que Tabelbalet,
aujourd’hui en pleine décadence, ait été un grand marché
d’esclaves ou un relais important de négrier. Il jalonne
aujourd’hui, comme point stratégique important, la route du
Tafilalet au Touat celle des rezzous et des harkas. L’oasis est
d’ailleurs sous le patronage des Aït R’ebbach. Les bandes de
Beraber qui à différentes reprises sont venues nous inquiéter
aux oasis y ont toutes fait étape ; depuis la première qui a
donné l’assaut à Timmimoun jusqu’à la dernière, qui a
enlevé les chameaux au pâturage d’Haci R’zel et qui a été
surprise au retour par le maghzen de Beni Abbès à Noukhila, dans
l’oued Tabelbalet. Nous hésitons à fermer aux razzias cette porte
d’entrée en occupant l’oasis, parce que si près du Tafilalet
on craint apparemment d’être entraîné plus loin qu’on ne le
voudrait ; et ici donc, sur un petit point, nous saisissons sur le
fait ce que les frontières entre pays organisés et pays barbares
ont de nécessairement phagédéniques.

Les précieuses notes manuscrites, au poste de Beni Abbès,
ne contiennent pas d’étude sur l’organisation politique et
municipale.

On se rend compte seulement que les ksars ont une organisation
démocratique, la djemaa y concentre l’autorité. Chez les nomades
au contraire, et dans les zaouias, la plus grande part d’autorité
revient en pratique à des familles ou à des personnages influents.

Les notes manuscrites nous apprennent qu’il y a dans chaque ksar
un impôt et un seul ; celui qui doit permettre de subvenir aux
besoins des hôtes et des pauvres. Dans ce but tout individu valide
doit fournir une guessaa d’orge et quelques poignées de blé ;
les propriétaires de palmiers doivent une mesure déterminée de
dattes par groupes de cent palmiers (cette unité d’imposition —
les cent palmiers — porte le nom de mezrag). Il y a dans chaque
ksar une chambre commune où on emmagasine le produit de cet impôt
en nature pour y puiser le jour du besoin.

Auprès du ksar de Zeramra se dresse un tombeau de saint, aux
murailles duquel sont accotés des fagots. C’est la provision de
bois individuelle des habitants ; chacun y dépose la sienne parce
qu’elle y est en parfaite sécurité ; nul n’oserait en dérober
un brin ; elle est protégée efficacement par la crainte de ce saint
particulier ; car ce ne sont pas tous les saints en général qui
ont le privilège de veiller sur le bois à brûler. (Voir pl. XXXVI,
phot. 67 et 68.)

Voilà donc un pays où la police est exercée par un tombeau, et
où le seul service public organisé est celui de l’assistance
publique. Ce sont deux détails charmants et touchants, et qui
évoquent une Salente. Si d’une vieille société défunte, dans
quelques lignes de fastes dépareillés, ces deux seules institutions
avaient survécu, et qu’on voulût à l’aide de ces fossiles
uniques reconstituer tout le corps social, on serait conduit à
imaginer un peuple idéalement doux et heureux, incarnation d’un
rêve philanthropique. Elles font partie intégrante de la société
la plus violente et la plus misérable qui soit.

A Ougarta, les ksouriens invités à augmenter le débit de
leurs sources par un récurage facile, et dont ils reconnaissaient
l’urgence, suppliaient qu’on leur en donnât l’ordre, dût-on
même n’en pas surveiller l’exécution ; n’y ayant pas chez eux
d’autorité d’où pût émaner cette chose qui nous paraît si
simple, un ordre administratif. Curieux exemple d’imbécillité,
d’aboulie sociale.

Les notes manuscrites donnent de curieux détails sur l’irrigation
à Beni Abbès, c’est-à-dire sur l’organisation de ce qui est
la base unique de la vie économique.

La grande source a un débit de 15 à 18 litres à la seconde ;
il faut y ajouter le débit, insignifiant il est vrai, de neuf
petites foggaras.

Cette masse d’eau est divisée en 41 parts, chacune d’un jour
ou d’une nuit. Ce nombre étant impair, ceux qui à la première
tournée ont eu l’eau de jour se trouvent à la seconde l’avoir
de nuit et vice versa.

Chaque part d’arrosage (journée ou nuit) est divisée en cinq
redjala (pluriel de radjel). — Et chaque radjel est divisé
lui-même en soixante habbas.

Prix courant du radjel : 200 francs ; de la habba : 3 fr. 33.

Il existe un répartiteur, qui s’appelle habbar, et qui est
établi près de la mosquée. Il mesure le temps au moyen du vase de
cuivre percé d’un trou qui est d’un usage courant à Figuig et
ailleurs sous le nom de karrouba, et qui porte ici le nom de tsirira,
un sablier d’eau, à cela près que l’eau entre goutte à goutte
dans le récipient tandis que le sable fuit grain à grain de notre
sablier. La tsirira est un bateau troué qu’on fait flotter sur
un baquet et qui coule en un temps donné. En été on compte 18
tsirira de jour et 13 de nuit. En hiver c’est l’inverse. La
tsirira s’emplit donc 31 fois en vingt-quatre heures, ce qui fait
l’unité de temps équivalente à 46 minutes 27 secondes.

Le répartiteur chargé de la tsirira réunit par la partie
supérieure autant de feuilles de palmier qu’il y a de
propriétaires ayant droit à l’eau dans la journée ou dans la
nuit, et à chaque tsirira il fait un nœud à une feuille. Dès
qu’il y a à la feuille autant de nœuds qu’il revient de
tsiriras au propriétaire, le successeur de celui-ci, qui assiste
à l’opération, sort en courant du ksar et crie à son métayer
ou à son esclave, posté dans le jardin, d’y mettre l’eau.

La plus grande latitude est laissée aux propriétaires pour se
céder la totalité ou une partie de leur eau, ou pour changer de
tour de répartition.

La source étant située à quinze cents mètres environ de Beni
Abbès l’eau est amenée au moyen d’une séguia (canal à ciel
ouvert). La séguia vient-elle à se rompre hommes et femmes se
précipitent pour le réparer sur l’ordre de la djemaa. S’il y
a dépense on la répartit au prorata des droits de chacun.

Dans l’organisation vermoulue des oasis, la réglementation
traditionnelle de l’irrigation est apparemment ce qu’il y a de
plus solide et de plus respecté.

D’après Demontès[159] on a recensé dans l’annexe de Beni Abbès
6469 habitants. Toute cette population parle arabe, exclusivement, à
partir de Beni Abbès, encore bien que les noms des ksars attestent
un vieux fonds berbère (Tametert, Timr’arin, etc.). Le long de
l’oued quand on vient du nord Mazzer est le dernier ksar où le
berbère se soit conservé.


[Note 137 : Se reporter à la carte en couleurs hors texte.]

[Note 138 : Flamand, Aperçu général sur la géologie, etc., du
bassin de l’oued Saoura. Extrait des _Documents pour servir à
l’étude du Nord-Ouest Africain_, par Lamartinière et Lacroix,
p. 37, etc.]

[Note 139 : Voir carte Prudhomme. La montagne de sel a été vue,
je crois, par M. le capitaine Dinaux.]

[Note 140 : Notons cependant l’existence, dans le laboratoire
de géologie de la Sorbonne, de clyménies envoyées par M. le
lieutenant Bavière ; elles proviennent, sauf erreur peu vraisemblable
d’étiquette, de deux points appelés Bou Maoud et Dkhissa, qu’on
trouvera sur la carte à l’intérieur de la chaîne. La présence
en ces deux points du dévonien supérieur est donc à peu près
certaine. Ces clyménies, d’après M. Haug, n’appartiennent
pas au même étage que celles de Beni Abbès. Il est évident que
la chaîne d’Ougarta apparaîtra beaucoup moins simple à mesure
qu’on la connaîtra mieux.]

[Note 141 : Est-ce un mot berbère ? faut-il le rapprocher du
mot arabe qui signifie noir ? la chaîne noire de Tabelbalet ? la
première hypothèse est de beaucoup la plus vraisemblable.]

[Note 142 : A proximité de Beni Abbès, il y a là une question
assez simple qui pourrait tenter un officier du poste.]

[Note 143 : M. le lieutenant Bavière a envoyé à la Sorbonne
des clyménies qui proviennent, sauf erreur, d’Ougarta et de
Zeramra. La présence en ces points du dévonien supérieur n’a
certainement rien de surprenant. Mais ces gisements de clyménies,
que je n’ai pas vus, sont nécessairement distincts des gisements
à orthocères. Les schistes marneux et les calcaires dans la
sebkha d’Ougarta me paraissent au contraire très susceptibles,
d’après le facies, de contenir des clyménies, quoique je n’en
ai pas trouvé une seule.]

[Note 144 : Voir Ém. Haug, Sur deux horizons à Céphalopodes
du Dévonien supérieur dans le Sahara Oranais (_C. R. Ac. Sc._,
6 juillet 1903).]

[Note 145 : Haci Touil signifie « le puits profond ».]

[Note 146 : Voir appendice VII (analyse du minerai).]

[Note 147 : Voir appendice III.]

[Note 148 : Notes manuscrites qui m’ont été communiquées au
poste de Beni Abbès par M. le capitaine Martin.]

[Note 149 : Communication orale du Père de Foucault, le célèbre
voyageur au Maroc.]

[Note 150 : On sait que Nazaréen est la traduction littérale
de Nsara.]

[Note 151 : Faidherbe, _Langues sénégalaises, wolof, arabe,
hassania_, etc. Paris, 1887.]

[Note 152 : Les Touaregs du Niger portent ce nom de Gourdana ;
ce sont, je crois, les nègres qui le leur donnent en langue
Sonr’aï. Y a-t-il là autre chose qu’une simple coïncidence ?]

[Note 153 : _Bulletin du Comité de l’Afrique française_,
supplément du 15 janvier 1905.]

[Note 154 : Voir là-dessus : Doutté, _La Géographie_, 1903, I,
p. 185 et suiv.]

[Note 155 : Depont et Coppollani, _Les Confréries religieuses
musulmanes_, p. 501.]

[Note 156 : _Bulletin de la Société de Géographie d’Alger_,
1904, p. 331.]

[Note 157 : De Foucault mentionne un usage analogue. « La debiha est
l’acte par lequel on se place sous la protection perpétuelle d’un
homme ou d’une tribu. Cette expression a pour origine l’ancien
usage, qui n’est suivi aujourd’hui qu’en circonstances graves,
d’immoler un mouton sur le seuil de l’homme à qui on demande
son patronage. » (De Foucault, p. 130 ; voir aussi _Bulletin du
Comité de l’Afr. fr._, suppl. de janvier 1905, p. 20.)]

[Note 158 : Communication orale du capitaine Martin, commandant
l’annexe de Beni Abbès, jadis officier de bureau arabe chez
les Trafi. On trouvera d’ailleurs l’idée développée dans :
Bernard et Lacroix, _Évolution du Nomadisme_.]

[Note 159 : _Bulletin du Comité de l’Afrique française_, janvier
1903, p. 12.]




                              CHAPITRE VI

                        =GOURARA ET TOUAT[160]=


Le Touat, le Gourara et le Tidikelt forment un complexe d’oasis,
dont l’unité géographique est incontestable, et qui pourtant n’a
pas d’appellation commune. Il en a bien une dans l’usage courant,
il est vrai, celle de Touat ; mais on ne peut pas s’en contenter,
puisque le nom de Touat, dans son sens restreint et précis, le seul
adéquat, s’applique seulement à une des trois provinces.

M. Flamand a cherché a combler cette lacune d’onomastique avec
le néologisme improvisé d’_archipel Touatien_ du Sahara.

Le Touat (_lato sensu_), et l’on pourrait dire aussi « le groupe
occidental » s’oppose au groupe oriental d’Ouargla. L’un se
rapporte à l’oued Igargar, et l’autre à l’oued Messaoud :
l’un a des puits artésiens et l’autre des foggaras. Les oasis
du groupe Touatien, d’ailleurs, se continuent toutes les unes
les autres en « rue de palmiers », vivant dans une certaine
mesure d’une vie commune. A quelques restrictions près, elles
s’abreuvent à la même nappe d’eau, celle qui sourd à la base
du Tadmaït dans les grès Albiens ; toutes les oasis en effet depuis
el Goléa jusqu’à In Salah, en passant par Timmimoun et Adr’ar,
jalonnent fidèlement en un immense demi-cercle le pied de la falaise
terminale du Tadmaït.

Cela n’empêche pas que les trois provinces ont un nom et
une individualité distincts. Le Tidikelt en particulier doit
être étudié à part pour des raisons à la fois géologiques et
ethnographiques. Le Touat et le Gourara, en revanche, se pénètrent
assez mutuellement pour qu’il y ait intérêt à les rapprocher
dans une étude commune.


                         Géologie du Gourara.


Le Gourara, comme la Saoura, et d’ailleurs comme le Touat, est
essentiellement une pénéplaine primaire, entrevue à travers les
déchirures d’un placage horizontal de terrains plus récents. Ces
derniers sont crétacés et mio-pliocènes.


=Terrains crétacés.= — Les terrains crétacés du Gourara
sont bien et anciennement connus. Leur âge est déterminé par
les fossiles abondants d’el Goléa ; on retrouve ces fossiles
d’ailleurs tout le long de la grande falaise calcaire, qui borde
le Gourara au sud et que les indigènes appellent le Baten ; cette
falaise est le dernier ou, si l’on préfère, le premier étage
des plateaux calcaires du Tadmaït ; elle est turonienne.

Ces calcaires turoniens reposent directement et en concordance
sur des marnes ou des argiles gypseuses (cénomaniennes ?),
qui reposent elles-mêmes sur des grès à sphéroïdes. Cette
formation ne contient d’autres fossiles que des arbres silicifiés
en abondance ; il n’a jamais été fait une étude quelconque de
ces fossiles végétaux ; mais les grès à sphéroïdes, autrement
dits à dragées, contenant des arbres silicifiés, sont bien connus
dans le sud de l’Algérie.

On les a signalés à Beni Ounif, ils sont très développés dans
la chaîne des Ksour, au djebel Amour, à Djelfa, où ils ont été
bien étudiés par Ritter, et où ils sont incontestablement d’âge
albien[161]. La parité de facies n’implique pas nécessairement
celle de l’âge : notons pourtant que partout, au Grouz, à Djelfa,
au Gourara, la succession et la puissance des trois étages est
la même : grès albiens, argiles gypseuses cénomaniennes (?),
calcaires turoniens, avec une puissance totale de 100 à 150
mètres. Sur la route suivie par la mission Foureau, au Djoua,
une formation gréseuse et argileuse à lits de gypse a livré des
ossements fossiles de poissons ; M. Haug lui attribue un âge albien
et un caractère lagunaire[162].

L’attribution de nos grès à l’albien reste pourtant incertaine ;
cette formation dépourvue de fossiles marins, et qui renferme en
revanche de gros troncs d’arbres, est probablement continentale ;
l’uniformité du facies est assez remarquable, elle n’est pas
absolue pourtant, il y a des intercalations argileuses, des poudingues
d’un type très aberrant (falaises de Taourirt par exemple) ;
cette formation peut représenter des dépôts continentaux d’âges
très divers.

Dans l’Atlas les grès albiens ne sont pas le moins du monde le
terme inférieur de la série crétacée. Ils reposent sur des assises
infra-crétacées à fossiles marins, calcaires urgo-aptiens, grès
et calcaires néocomiens. Ces étages font certainement défaut au
Gourara et dans tout le Sahara ; partout où le contact est visible,
c’est-à-dire en un grand nombre de points, on constate que les
grès albiens reposent directement sur le substratum primaire. Ici
donc comme à Colomb-Béchar nous constatons la transgression
cénomanienne.


=Tertiaire.= — Nous retrouvons ici le Mio-Pliocène (?) avec
ses caractéristiques habituelles (base plus ou moins sableuse et
chapeau calcaire). Il joue vraisemblablement un rôle important
dans le Gourara septentrional, que je n’ai pas vu (les oasis
éparses dans l’erg au nord de la sebkha). Depuis Ksabi on le suit
jusqu’à Charouin, en ce dernier point il est couronné par une
croûte calcaire épaisse d’un mètre, au-dessous de laquelle on
distingue dans la falaise (très masquée d’éboulis) une formation
gréso-argileuse en feuillets minces, très chargée de gypse.

Là se place la limite méridionale du Mio-Pliocène, au sud de la
sebkha on ne le revoit plus, sauf en lambeaux insignifiants ; on ne le
retrouvera plus, en tant que grande formation continue et puissante,
ni au Touat, ni au Tidikelt, ni au Sahara central. Ces couches, bien
caractérisées en somme, que nous avons appelées mio-pliocènes
(terrain saharien de Pomel, terrain des gour de Flamand), restent
collées à l’Atlas, elles représentent manifestement l’amas de
ses déjections, depuis qu’il a commencé à surgir, à l’époque
oligocène.

Et il va sans dire qu’on retrouve ailleurs, dans tout le Sahara,
des dépôts continentaux susceptibles d’être fort anciens,
tertiaires, mais ils sont extrêmement loin d’avoir cette masse
énorme, et cette uniformité de facies, qui donnent au Mio-Pliocène
subatlique une sorte d’individualité.

Le Gourara est une région déprimée, le point le plus bas entre
l’Atlas au nord et le Tadmaït au sud. — C’est la cuvette
allongée, ouverte à l’ouest, vers laquelle convergaient tous
les oueds quaternaires de l’Atlas (oued Namous, oued R’arbi)
et du Tadmaït (oued Aflissès). Il y a apparence que ces oueds,
venus de tous les points de l’horizon, se réunissaient ici en une
grande artère, affluent de la Saoura. Il est certain, en tout cas,
qu’on les voit se réunir dans la sebkha de Timimoun, étirée
vers le S.-O. sur 80 kilomètres de long.

L’érosion de ce grand réseau a largement mis à nu le sol de la
pénéplaine primaire.

Il court une large bande primaire, somme toute, entre les palmeraies
du nord qui doivent leurs eaux aux couches tertiaires, et les
palmeraies du sud qui doivent la leur aux couches crétacées.

Malheureusement, cette bande primaire est souvent voilée par
des dunes, des dépôts quaternaires, des témoins tertiaires ou
crétacés ; et par surcroît, là même où elle affleure elle est
bien loin d’avoir été étudiée d’une façon suffisante.

La série des étages primaires semble très complète depuis le
Dévonien.


=Dévonien inférieur.= — Du Dévonien inférieur on n’a pas
rapporté de fossiles. Mais on a de bonnes raisons stratigraphiques
pour rapporter à cet étage les grès blancs à patine noire dont
le facies rappelle ceux d’Ougarta et du Mouidir.

Dans la région qui nous occupe, ces grès ne tiennent plus qu’une
place subordonnée. Au delà de Foum el Kheneg, la chaîne d’Ougarta
se continue par des débris ennoyés. A Ksabi, les grès éodévoniens
ne constituent plus qu’une arête de 500 mètres d’épaisseur
et de 50 mètres de relief.

Entre Ksabi et Timimoum on revoit les grès éodévoniens une
première fois à la Gara Zaleg (et au sud de cette Gara), une
seconde fois à mi-chemin entre Tesfaout et Timimoun.

Ces deux fois l’Éodévonien affleure au cœur d’un anticlinal
hercynien.

En somme, l’Éodévonien ne s’étale plus largement, il est
masqué presque partout par des couches moins anciennes.


=Dévonien moyen.= — La présence du Dévonien moyen est constatée
authentiquement dans la région étudiée. Il est représenté par
des calcaires amarantes qui contiennent de nombreux fossiles, entre
autres _Calceola sandalina_.

Les premiers échantillons rapportés par M. le commandant
Laquières ont été recueillis « à trois heures de marche avant
d’arriver à Charouïn par le sud (route des Ouled Rached), dans
un fond pierreux de 3 kilomètres de largeur[163] ». Mes propres
échantillons proviennent d’un point voisin, mais que je ne crois
pas rigoureusement identique ; j’y reviendrai.

Sur la route entre Fgagira et Charouïn (à 10 kilomètres du premier
point) on rencontre d’autres calcaires amarantes, d’aspect
analogue à ceux dont il vient d’être question. Ils ne contiennent
pas à ma connaissance _Calceola sandalina_ ; je n’y ai trouvé que
des Orthocères indéterminables et des _Zaphrentis_. Leur position
stratigraphique permet de croire qu’ils représentent un autre
affleurement de Dévonien moyen.


=Dévonien supérieur.= — On connaît dans la région considérée
au moins deux gisements du Dévonien supérieur. — A Fgagira, les
fossiles se trouvent dans des calcaires en bancs minces intercalés
dans des bancs d’argiles beaucoup plus puissants.

Au sud de Charouïn, route d’Ouled Rached, la formation est
constituée à la base par du calcaire violacé très compact,
et au-dessus par des schistes mous en minces feuillets rougeâtres.

Les deux gisements ne sont pas contemporains ; tous deux sont du
Dévonien supérieur, mais celui de Charouïn représente « un niveau
incontestablement plus élevé ». « Le niveau est probablement
le même qu’à Beni Abbès » et l’aspect pétrographique du
gisement présente en effet de l’analogie (malgré l’énorme
distance entre les deux).

Charouïn représente l’étage à Clyménies et Fgagira la
« zone à _Gephyroceras intumescens_ ». Ce sont « deux niveaux
fossilifères du Dévonien supérieur, nettement dessinés par des
faunes riches et caractéristiques. Leurs affinités paléontologiques
avec les couches du même âge de l’Allemagne centrale sont tout à
fait remarquables et accentuent encore le caractère « hercynien »
ou mieux « armorico-varisque » des chaînes paléozoïques du
Sahara septentrional[164] ».


=Les Ktoub.= — Ces formations du Dévonien moyen et supérieur
tiennent en superficie un espace bien restreint. La roche la plus
répandue de beaucoup est malheureusement d’un âge difficile
à préciser.

Ce sont des schistes feuilletés passant à des grès en plaquettes,
de couleur sombre, dans les tons violet noir. Les indigènes les
appellent _ktoub_ (feuillets de livre) et les redoutent pour les
pieds de leurs chameaux, que les ktoub sont susceptibles de couper
comme au couteau.

Ces schistes ne sont pas tout à fait dépourvus de fossiles. Sur
la route de Tesfaout à Timimoun, à quinze kilomètres environ de
ce dernier point (rive occidentale de la Sebkha), j’ai trouvé
dans les schistes, à proximité d’une lentille calcaire, un
Céphalopode que M. Henri Douvillé et M. Haug ont vu et qui est
une goniatite indéterminée.

Sur la rive orientale de la sebkha (route de Timimoun à Deldoul),
le commandant Deleuze a recueilli des échantillons de grès en
plaquettes, couverts de _Leptæna_ (M. Haug ne croit pas pouvoir
préciser l’étage).

Enfin, M. Chudeau a recueilli quelques fossiles, qui ne sont pas
encore parvenus en Europe.

Tout cela n’est pas concluant, je crois.

D’autre part, à Fgagira, on voit les ktoub reposer directement,
et, à ce qu’il semble en concordance sur les couches à
_Gephyroceras_. Dans la sebkha de Timimoun (comme aussi au Touat),
on voit aussi le calcaire carboniférien reposer directement sur
les ktoub. Et ceci permettrait de conclure assez légitimement à
l’âge dévonien supérieur des Ktoub.

Pourtant, dans le gisement dévonien moyen (ou présumé tel), à
10 kilomètres est de Fgagira, des ktoub bien nets sont intercalés
entre les bancs calcaires. D’autre part le Silurien supérieur au
Sahara, on le verra, est probablement représenté par des ktoub à
graptolites. Il semble donc que cette formation, quoique d’aspect
assez homogène, ne soit pas nécessairement synchronique.

Comme il faut conclure, on a attribué les ktoub, sur la carte,
au Dévonien supérieur, partout où il y avait doute sur leur
âge. Mais naturellement la question reste entière.

Ajoutons, pour être complets, qu’un forage pratiqué dans
la palmeraie de l’Aouguerout a ramené au jour, d’une faible
profondeur (une dizaine de mètres)[165] un fossile, que M. Chudeau
croit dévonien, sans pouvoir préciser l’étage.


=Carbonifère.= — Des calcaires carbonifères riches en fossiles
se montrent dans le nord du Gourara, à la lisière des dunes.

Sur la route de Ksabi à Charouïn par H. Mallem, à 20 kilomètres
de Ksabi, le sentier traverse des calcaires bleu sombre et amarante,
fossilifères, plongeant légèrement à l’est. M. Haug les croit
carbonifériens.

C’est dans l’angle nord-est de la sebkha de Timimoun que le
Carboniférien est le plus largement étalé.

Dans la sebkha même, exactement à la hauteur de Timimoun, on voit
reposer sur les ktoub, d’abord des calcaires bleus fossilifères,
puis des marnes contenant beaucoup de fossiles libres.

Dans l’erg au nord de la sebkha, à Tala, Kali, Ouled Saïd, el
Hadj Guelman on retrouve le calcaire bleu fossilifère à _Productus_.

A noter que le Carboniférien peut être aussi développé au sud
de la sebkha qu’au nord.

En effet à Timimoun même, au-dessous du ksar, et par conséquent
au sud de la Sebkha, on voit le Carboniférien s’enfoncer sous
le Crétacé.


=L’allure des plissements hercyniens.= — Ces formations primaires
sont affectées de plis hercyniens sur la direction desquels on a
le droit d’être assez affirmatif.

[Illustration : Fig. 42. — Coupe du synclinal de Fgagira. —
Échelle : 1/300000.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 751, fig. 12.)]

_Synclinal de Fgagira._ — Les dépôts de Fgagira (fig. 42) forment
manifestement un synclinal dont l’épaulement sud-occidental est
formé par les derniers débris de la chaîne d’Ougarta, au delà
de Foum el Kheneg — les trois étages dévoniens sont représentés
— l’orientation du pli est N.-O.-S.-E.

_Synclinal au sud de Charouïn._ — Les dépôts au sud de Charouïn
forment un autre synclinal (fig. 43). J’y ai observé des couches du
Dévonien moyen et d’autres du Dévonien supérieur. Les calcaires
amarantes à _Calceola sandalina_ que j’ai vus constituent
l’épaulement du synclinal du côté de Charouïn, ils plongent
énergiquement au sud-ouest. Si j’ai bien compris les explications
qui m’ont été données, les fossiles Laquière provenaient de
l’épaulement opposé (côté d’Ouled Rached) que je n’ai
pas vu, mais où le Dévonien moyen serait largement découvert et
étalé à l’air libre. Les dépôts dévoniens supérieurs au
cœur de l’anticlinal plongent légèrement au N.-E.

Il n’est donc pas douteux que ce synclinal ait à peu près la
même orientation que le précédent N.-O.-S.-E.

Les deux coupes ont d’ailleurs un air de parenté. Ce pli ne semble
pas symétrique. Les plongées les plus rapides regardent l’ouest.

En somme entre Ksabi et Charouïn les plis hercyniens sont
manifestement orientés N.-O.-S.-E.

[Illustration : Fig. 43. — Coupe du synclinal au S.-O. de
Charouïn. — Échelle : 1/200000.

(_Bull. soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI. p. 752, fig. 13.)]

_Bords de la Sebkha._ — Ce qui est curieux c’est que plus à
l’est la direction est toute différente.

Sur la route la plus orientale et la plus directe de Charouïn
à Ouled Rached (fig. 44), celle qui coupe la dune au lieu de la
contourner, il est malaisé sans doute de deviner l’allure du
Dévonien sous-jacent (précisément à cause des dunes) ; pourtant,
j’ai noté au départ de Charouïn, à l’entrée de l’erg,
des affleurements orientés S.-O.-O.-N.-E.-E. Nous sommes tout près
du synclinal à couches fossilifères, une dizaine de kilomètres
peut-être et pourtant dans l’intervalle la direction des plis
a obliqué de près de 90°. Dans la sebkha même et sur ses bords
l’allure des plis est assez compliquée.

Un pli anticlinal bien marqué, orienté grossièrement est-ouest est
transversal au grand axe de la sebkha à peu près en son milieu à
la hauteur de Beni Melouk. Aussi bien la sebkha est-elle nettement
étranglée en ce point.

Au sud et au nord de ce point les bandes de ktoub sont franchement
allongées dans le même sens que le grand axe de la sebkha
S.-O.-N.-E. C’est bien net en particulier au pied du ksar de
Timimoun où les couches carbonifériennes plongent est 64° sud
(154° à partir du nord en comptant par l’est) (fig. 45).

[Illustration : Fig. 44. — Route directe entre Charouïn et
O. Rached. — Échelle : 1/400000.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 752, fig. 14.)]

Enfin au nord de la sebkha dans la région de Tala, Kali, el Hadj
Guelman, les plis hercyniens ont subi une nouvelle torsion, ils sont
orientés franchement N.-S. A Tala les couches plongent à 274°
soit sensiblement O. vrai.

Il semble bien qu’on ait le droit de conclure comme suit :

La Gourara est pour les plis hercyniens une zone de rebroussement
— à l’ouest de Charouïn ils ont une direction qu’on pourrait
appeler armoricaine — sur les bords de la sebkha une direction
qu’on pourrait appeler varisque.

Antérieurement, nous avons abouti à des conclusions analogues. Les
plis de la Zousfana seraient varisques — ceux d’Ougarta
armoricains.

[Illustration : Fig. 45. — Coupe de la sebkha de Timimoun. —
Échelle : 1/200000.

Cr, Crétacé ; Cc, Carboniférien.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 753, fig. 15.)]


=Failles récentes.= — Il n’est pas douteux que la topographie
actuelle ne doive beaucoup à des failles récentes.

Un examen attentif révélera je crois des diaclases en relation
avec la sebkha de Timimoun.

En tout cas les ksars de l’Aouguerout sont bâtis sur une muraille
de couches crétacées verticales (argiles et grès), qui se dresse
brusquement au milieu des couches voisines horizontales. Il y a là
certainement un accident post-crétacé, qui a ramené, on l’a vu,
le sous-sol primaire à proximité de la surface, et en amont duquel
les foggaras vont capter la nappe d’eau (fig. 52).

La palmeraie d’Ouled Mahmoud est, elle aussi, en relation avec
des diaclases qui ont amené dans le crétacé la formation d’une
cuvette synclinale[166]. Aussi bien on sait depuis longtemps que
les couches crétacées du Sahara sont faillées.


                          Géologie du Touat.


Le Touat est une grande plaine de composition géologique très
complexe. L’horizontalité en est due à des dépôts pour la
plupart, je crois, crétacés. A travers les fenêtres de ces
dépôts, on peut observer çà et là la pénéplaine hercynienne
sous-jacente. Le Dévonien et le Carboniférien sont certainement
représentés.


=Éodévonien.= — A la limite du Touat et du Tidikelt, à Aïn
Cheikh, un gisement fossilifère éodévonien est connu depuis quelque
temps déjà[167]. Ce sont exactement les mêmes roches et les mêmes
fossiles qui existent dans tout l’Ahnet et dans tout le Mouidir.

Au Touat proprement dit, en revanche, je ne connais pas de gisement
de fossiles éodévoniens. Mais plusieurs affleurements me semblent
devoir être rapportés à cet étage.

Le djebel Heirane est composé presque tout entier de grès fin
et dur, à cœur blanc et à patine noire, c’est-à-dire d’une
roche que nous sommes habitués à considérer comme caractéristique
de l’Éodévonien.

Ces mêmes grès, ou du moins, des grès d’aspect tout à fait
analogue, se retrouvent à 20 kilomètres nord-est de Haci Sefiat
sur la route de Tesfaout.


=Dévonien moyen.= — Dans toute l’étendue du Touat, y
compris le gisement d’Aïn Cheikh, je ne connais pas de fossiles
mésodévoniens.

[Illustration : Fig. 46. — Coupe du Timmi au dj. Heirane. —
Échelle : 1/600000.

Cri, Crétacé inférieur.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 754, fig. 16.)]


=Les Ktoub.= — Au Touat comme au Gourara un rôle relativement
considérable est joué en surface par des schistes durs, fissiles,
pour lesquels nous avons adopté la dénomination indigène
de ktoub. Immédiatement à l’ouest du Timmi, en particulier,
s’étend un lambeau important de ces roches. Elles ont tout à fait
l’aspect des ktoub du Gourara. Je n’y ai cependant pas trouvé
un seul fossile, malgré des recherches que le voisinage d’Adrar
rendait faciles. En revanche, j’ai constaté à l’ouest de
Temassekh la superposition en concordance à ce qu’il semble de
Carboniférien fossilifère incontestable sur les ktoub comme à
Timimoun. Au même point une lentille calcaire dans les ktoub. Il
paraît donc possible, sous bénéfice d’inventaire, de les
considérer provisoirement comme supradévoniens (fig. 47).

Notons pourtant que M. Mussel attribue aux ktoub du Timmi un
âge silurien, parce qu’il les trouve identiques à ceux de
l’Iguidi[168], ce qui est une constatation intéressante. En
l’absence de fossiles toutes les attributions sont possibles et
indifférentes ; tous les schistes noirs se ressemblent ; ceux du
Gourara, qui contiennent des fossiles dévoniens, ne m’ont pas
paru différents des schistes alunifères siluriens (?) d’Aïn
Chebbi. Ceux du Timmi restent certainement indéterminés.


=Carboniférien.= — On trouve au Touat un grand nombre de gisements
fossilifères carbonifériens. Aïn Cheikh mis à part, l’étage
carboniférien paraît ici le seul fossilifère ; en revanche il
l’est abondamment.

[Illustration : Fig. 47. — Coupe de Temassekh à Haci Sefiat. —
Échelle : 1/600000.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 755, fig. 17.)]

Voici l’ordre des gisements en allant du nord au sud.

[Illustration : Fig. 48. — Le Carbonifère (Cc) de Tazoult.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 754, fig. 8).]

_a_) A une douzaine de kilomètres dans l’ouest de Temassekh
(fig. 47) ; c’est le point où on voit le Carboniférien reposer
sur les ktoub. En venant de l’ouest on rencontre d’abord un banc
de calcaire blanc puis un autre de calcaire jaunâtre fossilifère peu
cohérent, puis un autre de calcaire amarante très fossilifère. Ces
bancs sont séparés par des couches de marne ou d’argile.

_b_) _Tazoult._ — A côté du ksar de Tazoult, un tout petit
pointement — à la base calcaire bleu massif, au-dessus grès en
plaquettes. Au sommet alternance en bancs minces de calcaires noir
et blanc, puis calcaire massif (fig. 48). — (Notons un affleurement
d’ophite). Le facies rappelle les calcaires carbonifères du nord,
ceux d’Igli.

_c_) _Aïn Cheikh._ — A l’ouest de la source, des couches
calcaires peu épaisses dans des marnes ou des argiles
puissantes. Fossiles superbes libres dans les marnes.

_d_) A l’est d’Hacian Taïbin couches fossilifères que M. Chudeau
analyse comme suit :

1o A la base : grès en bancs minces, avec quelques intercalations
d’argile et de calcaire.

2o Grès brunâtre, en bancs épais de 1 à 2 mètres ; plongée 45°.

3o Calcaire à fossiles siliceux.

4o Calcaire bleu foncé en bancs de 30 centimètres à 1 mètre ;
plongée 45° ; débris de _Productus_.

_e_) Très loin dans l’ouest, au coude de l’oued Messaoud,
avant Haci Rezegallah, des calcaires compacts pétris de fossiles ;
les mêmes calcaires apparaissent le long de l’oued Messaoud,
plus au nord ; ces calcaires reposent en corniche sur des argiles
ou des marnes, et grâce à cette circonstance l’oued s’y est
encaissé profondément.

Tous ces gisements donnent les mêmes fossiles, dinantiens d’après
M. Haug.


=Plissements hercyniens.= — Au point de vue stratigraphique le
gisement de Rezegallah est tout à fait à part ; je n’y ai vu que
des couches horizontales ; et, sous réserve, puisque l’étendue des
couches observées est assez restreinte, je suis tenté de croire que
nous sommes ici en dehors du domaine des plissements hercyniens. Leur
limite occidentale passerait donc quelque part entre Hacian Taïbin
et Haci Boura.

Le petit affleurement éodévonien auprès de Haci Sefiat est lui
aussi sensiblement horizontal, de même que les couches gréseuses
de même facies qui constituent le djebel Heirane. Au pied du djebel
Heirane à l’est on voit des ktoub, supposés néo-dévoniens (?),
verticalement redressés, en contact évidemment anormal avec les
grès éodévoniens (miroirs de faille).

Sous bénéfice d’inventaire je croirais que cette faille court du
djebel Heirane à Haci Boura (autrement dit Rezegallah), et qu’elle
délimite les domaines hercyniens et calédoniens.

Le Vorland occidental du Touat, erg d’Iguidi, région de Taoudéni,
reste encore très peu connu ; pourtant outre les documents de Lenz,
nous disposons maintenant de ceux qui ont été recueillis par le
capitaine Flye Sainte-Marie, par le lieutenant-colonel Laperrine et
par leur compagnon le lieutenant Mussel.

Il semble incontestable que toute la grande région des Eglab,
au cœur du fer à cheval des dunes de l’Iguidi, est un massif
archéen ou éruptif complètement en dehors de la zone des
plissements hercyniens.

M. Mussel[169], au voisinage de Taoudéni, Lenz auprès de Tindouf,
ont vu le Carboniférien horizontal sur d’immenses étendues. Tout
se passe donc, en tout cas, comme si la limite occidentale des
plissements hercyniens passait tout près du Touat à l’ouest et
tout près de la chaîne d’Ougarta au sud-ouest[170] à l’est
de la ligne Dj. Heirane-H. Boura tous les affleurements primaires
du Touat sont nettement plissés.

A la limite du Touat et du Tidikelt, entre djebel Aberraz et Aïn
Cheikh, court un pli hercynien, dont l’axe est éodévonien ;
c’est un pli énergique, uniformément déversé vers l’est,
sa direction est nord-sud. On en fera au chapitre suivant une étude
plus détaillée.

On ne peut pas être aussi précis au sujet des autres plis hercyniens
du Touat ; on les devine plutôt qu’on ne les voit, encore que leur
existence soit incontestable. Le Carboniférien de Tazoult forme un
dôme anticlinal bien net, fermé au sud et brusquement interrompu
au nord par une cassure.

[Illustration : Fig. 49. — Coupe de Tesfaout à Haci Sefiat. —
Échelle : 1/600000.

q, Quaternaire.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VI, p. 758, fig. 20.)]

A l’ouest de Temassekh, les couches primaires (carbonifériennes et
supradévoniennes) plongent à l’ouest, mais avec un pendage de plus
en plus accusé à mesure qu’on s’approche de Temassekh ; elles
finissent par être tout à fait verticales. La direction du pli est
N.-N.-O.-S.-S.-E., faisant un angle d’une vingtaine de degrés avec
la ligne nord-sud. Il semblerait naturel d’admettre que ce tronçon
de pli, à en juger par sa direction et sa proximité topographique,
est la continuation de celui qu’on a vu s’amorcer à Tazoult.

A Tesfaout l’affleurement primaire (ktoub supradévoniens ?) est
composé de couches qui plongent vers l’est. La direction du pli
est N.-N.-O.-S.-S.-E. (angle de 28° avec nord-sud).

Au Timmi, à l’ouest de la Sebkha, autre affleurement très
étendu de ktoub supradévoniens. Les couches sont redressées au
voisinage de la verticale, elles m’ont paru pourtant avoir une
tendance à plonger vers l’est. La direction du plissement est
N.-N.-O.-S.-S.-E. (angle de 22° avec nord-sud).

Tout cela en somme est bien fragmentaire. Il semble pourtant qu’on
puisse risquer la conclusion suivante.

Au large du Touat les couches primaires sont affectées de plissements
hercyniens dirigés N.-N.-O.-S.-S.-E. Et c’est d’ailleurs une
direction qu’on retrouve bien nette, avec une inflexion plus
marquée vers l’ouest, dans la chaîne d’Ougarta.

En somme, sur toute la distance entre le Tidikelt et l’Atlas, la
virgation de la chaîne hercynienne apparaît nettement. Franchement
nord-sud au Tidikelt la direction des plis s’infléchit
progressivement jusqu’à N.-O.-S.-E., d’un côté, tandis que
de l’autre on voit apparaître par rebroussement la direction
N.-E.-S.-O. (Timimoun, Zousfana) ; à partir du Gourara la structure
est en éventail (fig. 50).

=Crétacé.= — Ce sont les terrains horizontaux d’âge
post-primaire qui tiennent au Touat de beaucoup la plus grande place
en superficie. On a déjà dit que tout le pays est une immense
plaine. Mais l’attribution de ces terrains horizontaux à tel ou
tel étage est assez délicate.

A l’est du Touat le problème est simple ; la route d’Adrar
à In Salah par Ilatou et Matriouen ne sort pas du Crétacé. Elle
traverse le grand plateau calcaire du Tadmaït. Une petite falaise
calcaire que l’on franchit une quinzaine de kilomètres avant
d’arriver au puits d’Ilatou en marque le début à l’ouest. Sur
l’âge de ces calcaires nous sommes renseignés par des gisements
fossilifères. Le plus rapproché du Touat, à ma connaissance est
celui que j’ai trouvé à Matriouen (rive gauche de l’oued, au
pied de la falaise) ; les fossiles identifiés par M. Ficheur sont :
_Pseudodiadema_ sp., _Natica_ sp. _Ostrea olisiponensis_.

Nous sommes donc au même niveau qu’à el Goléa, cénomanien
et turonien.

Au Touat comme au Gourara les calcaires massifs reposent sur des
argiles gypseuses (cénomaniennes ?) qui reposent elles-mêmes sur les
grès albiens. Les bois silicifiés abondent dans ces grès, comme
d’habitude : le plus beau gisement est incontestablement celui de
Taourirt. On y voit, dans la falaise qui domine le ksar actuel, de
gros troncs silicifiés en place, encastrés dans la pierre[171] ;
ici d’ailleurs ce n’est plus à proprement parler du grès,
c’est un poudingue à gros éléments et ses éléments semblent
uniformément primaires ou archéens, les quartz en particulier
abondent. Ils ont été évidemment arrachés à une ride primaire
quelconque, aujourd’hui arasée et enfouie sous les dépôts
crétacés. C’est le seul point à ma connaissance où le grès à
dragées prenne un facies aussi net de poudingue et c’est le seul
point aussi où les bois silicifiés se présentent sous forme de
troncs presque intacts. En général, on ne voit que des fragments
à peine plus grands que la main.

La falaise de Taourirt paraît nous présenter une section d’un
vieux lit d’oued précénomanien.

Au Touat (au rebours du Gourara), les grès albiens ont été
incomplètement débarrassés par l’érosion de leur couverture
d’argiles cénomaniennes. Sur la route du Gourara au Touat les
argiles apparaissent du côté de Sba et de Guerrara. Les ksars du
Timmi et du Boudda sont construits sur des argiles gypseuses, assez
gypseuses même pour qu’on puisse au Boudda exploiter le plâtre.

Le grès albien affleure d’ailleurs çà et là (à Meraguen, au
Boudda). Aussi n’a-t-on pas osé porter sur la carte géologique
ces argiles cénomaniennes, aux contours indécis dans l’état
de nos connaissances ; on a fait coïncider la limite du Crétacé
moyen avec la base des calcaires turoniens.

A l’ouest du Touat l’attribution des couches horizontales à tel
ou tel étage devient plus délicate. On peut affirmer en tout cas
qu’elles tiennent une grande place, réduisant les affleurements
primaires au rôle de fenêtres. Elles sont de composition assez
uniforme, argiles de couleurs vives, rouges et vertes, alternant
avec des bancs de grès du type habituel, à dragées et à bois
silicifiés.

A la partie supérieure de cette formation on voit quelquefois
des argiles gypseuses ; au puits de Sefiat, en particulier, elles
constituent les falaises qui entourent le puits. Pourtant le grès
a souvent un facies particulier, qui n’est pas celui des grès à
dragées, il est spongieux, creusé de cavités, entre lesquelles
subsistent des colonnettes filiformes, j’imagine qu’il est
calcarifère. A la surface des hammadas il se découpe en buttes
ruiniformes qui sont une nouveauté dans le paysage.

Ce grès particulier constitue par exemple toute la hammada d’où
émerge le chicotéodévonien du dj. Heirane. On le voit à Haci
Boura, à Haci Rezegallah.

Il est vrai que sur la route entre le dj. Heirane et le Bouda j’ai
cru observer le passage latéral d’un facies à l’autre.

Nulle part, à ma connaissance, on ne voit réapparaître les
calcaires et les marnes fossilifères du Tadmaït, qui permettent
dans la région orientale une détermination précise.

Pourtant ces formations horizontales manifestement post-primaires, se
distinguent bien nettement des dépôts tertiaires par leur compacité
et leur aspect ancien ; localement elles ont été vigoureusement
affectées par des failles (fig. 46) ; il est difficile de ne pas
les croire prétertiaires. Et après tout leur analogie de facies
est évidente avec l’albien du Touat dont il est naturel de croire
qu’elles sont ce qu’elles paraissent, un simple prolongement.

Notons que M. Chudeau a vu, au Tegama, une formation qu’il juge
analogue aux grès albiens du Touat et contemporaine. MM. Mussel et
Cortier signalent au voisinage de Taoudéni des couches de facies
analogue. Il est très possible que tous ces affleurements très
distants les uns des autres se rejoignent. Tout se passe comme si
le Crétacé inférieur, représenté par une formation argileuse
et gréseuse à fossiles végétaux, et d’origine continentale ou
lagunaire, couvrait d’immenses espaces dans tous les bas-fonds du
Sahara, entourant d’une immense auréole les massifs du Hoggar.

Et en tout cas, à l’ouest du Touat, on ne connaît pas encore de
limites occidentales à l’extension en surface de cette formation.


=Mio-Pliocène.= — Il reste à parler des dépôts tertiaires
continentaux qui jouent un si grand rôle au nord. Ici leur rôle est
très réduit. Çà et là auprès des puits de Sefiat, par exemple,
ou du puits d’Hammoudiya, on voit sur le Crétacé un lambeau
de croûte calcaire qu’on peut rapporter au Pliocène. Mais on
ne rencontre de dépôts assez étendus pour être notés sur une
carte schématique qu’au voisinage des oasis.

Il court là, entre Tesfaout et le Sali, une bande mio-pliocène à
peu près rectiligne, longue de près de 100 kilomètres, et large
uniformément de 3 ou 4 kilomètres à peine ; l’épaisseur est
d’une vingtaine de mètres.

A Temassekh la formation, facile à étudier sur la falaise de la
gara, est constituée à la base de couches sableuses plus ou moins
durcies ; au sommet un chapeau de calcaire et de plâtre (sol de
_timchent_) ; le plâtre est pétri de _Cardium edule_.

J’ai examiné une grande gara allongée qui s’étend entre
Tiouririn et Temassekh, sur toute son étendue elle porte
un chapeau de calcaire blanc, à rognons de silex, passant
quelquefois au poudingue et dont l’aspect rappelle tout à fait
les calcaires pliocènes du nord. Sur toute la ligne des oasis dans
les groupes Ouled Si Hamou bel Hadj et Touat el Henna la formation
est essentiellement représentée par des couches sableuses, très
mêlées de stalactites gréseuses, qui contribuent sans doute à les
fixer, et qui attestent la présence d’éléments calcaires. Auprès
de Zaouiet Kounta j’ai eu l’occasion d’examiner de plus près la
formation. A la base des grès calcarifères coquilliers, au-dessus
des travertins très vacuolaires, très spongieux, une dentelle de
calcaire dur, pétri d’empreintes de plantes et de coquilles. Les
coquilles sont des _Melanopsis_. C’est dans les travertins que
sont creusés plusieurs étages superposés de foggaras.

L’âge récent de la formation est donc attesté non seulement
par son facies mais aussi par ses fossiles ; (voir appendice X). Et
d’autre part elle est bien loin d’être contemporaine puisque
ce dépôt de dépression, fluvial ou lacustre, est aujourd’hui
accusé en relief. Dans le nord la bande mio-pliocène a été
réduite par l’érosion quaternaire à un chapelet de garas, dans
le sud elle a gardé sa continuité, mais elle se présente sous la
forme d’une terrasse, adossée à l’est à la falaise secondaire,
et se terminant à l’ouest par un à-pic.

Ces dépôts mio-pliocènes, d’un dessin si particulier sur la
carte, semblent nous renseigner sur l’hydrographie de la région
à l’époque néogène. Manifestement il y a eu là soit un fleuve,
soit un chapelet de lacs ou de sebkhas.


=Les failles.= — La plaine du Touat a été affectée de failles,
les coupes ci-jointes en font ressortir un grand nombre, mais
sur lesquelles il n’est pas possible, dans l’état de nos
connaissances, de donner des détails circonstanciés.

Au contraire on est en mesure d’insister sur la grande faille du
Touat, en relation avec la ligne des sebkhas et des palmeraies, le
long de laquelle vient affleurer la nappe d’eau souterraine. Cette
ligne est régulièrement droite sur 150 kilomètres, et cela
seul suffirait à faire soupçonner la faille, dont l’existence
d’ailleurs est facile à prouver. Sur une grande partie de son
trajet elle amène en surface des tronçons de la pénéplaine
hercynienne, et elle est accusée, par un pointement éruptif au moins
(Tazoult). A Taourirt le ksar est dominé de plusieurs dizaines de
mètres par la falaise des grès albiens, or il est construit sur
les argiles gypseuses cénomaniennes (?) ou en tout cas plus jeunes
que les grès. Nous sommes donc certains que la faille du Touat a
affecté les terrains crétacés.

La bande étroite des dépôts mio-pliocènes est rigoureusement
collée à la faille, ce qui ne peut pas être fortuit ; nous avons
donc la certitude que dès l’époque néogène la faille du Touat
avait, comme aujourd’hui, une importance hydrographique. Mais
d’autre part les couches mio-pliocènes sont aujourd’hui accusées
en relief sur toute leur étendue, ce qui semble indiquer que la
faille a rejoué depuis leur dépôt.

M. Chudeau affirme, en effet, qu’elle a dû rejouer à une époque
toute récente, et pour ainsi dire contemporaine. Il a constaté que
les oueds actuels qui débouchent de la falaise forment des vallées
suspendues, c’est bien visible en effet à Taourirt.

A l’est de la falaise, le réseau hydrographique, arrivé à
maturité, témoigne d’un long travail de l’érosion, une rupture
de pentes et des rapides caractérisant la traversée de la falaise,
à l’ouest de laquelle les rivières ou tout au moins leurs lits
reprennent jusqu’à l’oued Messaoud une allure tranquille. Que si
on rapproche ces faits du peu de dureté des grès à sphéroïdes,
qui constituent la falaise, il devient évident que cette falaise
est postérieure à l’établissement du réseau hydrographique,
postérieure même à l’établissement d’un climat sec au
Sahara. Si les rivières avaient coulé pendant que se soulevait la
lèvre orientale de la faille l’érosion aurait été puissante ;
le profil d’équilibre serait sinon reconquis jusqu’à la source,
du moins en bonne voie de reconstitution. En fait les rapides et
l’allure torrentielle n’existent que sur quelques centaines
de mètres.

Une observation récente que M. Chudeau doit au colonel Laperrine
confirme ces indications et ajoute un trait nouveau. Le printemps
1907 a été particulièrement pluvieux au Sahara, et la plupart des
oueds du Touat ont coulé ; deux d’entre eux n’ont pu parvenir
jusqu’à la falaise et ont formé deux lacs sur le premier gradin
du Tadmaït : le jeu de la faille avait amené, un renversement
de la pente à l’est du Touat. La pluie continuant cependant,
l’un des lacs a atteint le bord de la falaise, et s’est déversé
brusquement dans la dépression du Touat, creusant dans la falaise un
nouveau ravin et dévastant le petit ksar de Noum en Nas. Il a donc
suffi d’une saison pluvieuse pour qu’une de ces rivières ait
pu relier, malgré la falaise du Touat, sa source à son embouchure.

L’état d’équilibre instable qu’a créé la faille du Touat
ne peut donc être que très jeune : de même qu’à Noum en Nas,
il a suffi de quelques orages pour entailler partout la falaise,
et malgré la rareté des pluies au Sahara, il est impossible
d’admettre qu’un réseau hydrographique aussi anormal puisse
subsister un grand nombre de siècles.

Les géologues allemands ont fait des constatations analogues dans
la région des grands lacs[172]. Cette Afrique, que l’on supposait
_a priori_ un vieux Tafelland rigide commence au contraire à nous
apparaître comme un des pays du monde où les mouvements tectoniques
sont les plus récents. Et, si l’on songe à quelle altitude
ont été portés dans l’Atlas les dépôts marins pliocènes,
on ne sera pas surpris que le Vorland ait subi jusqu’au Touat le
contre-coup de mouvements orogéniques aussi jeunes.


                             Hydrographie.


Le Gourara et le Touat rentrent dans le bassin de l’oued Messaoud,
au sujet duquel on a donné, dans le chapitre II, des indications
précises. De ce côté le bassin est limité par l’Atlas et
le Tadmaït.

La topographie du Tadmaït est presque inconnue ; hier encore elle
l’était complètement. On sait pourtant que la plus grande partie
du Tadmaït déverse vers les oasis ses eaux d’orages ; on connaît
aujourd’hui l’existence de très grands oueds, tout à fait
comparables, comme dimension, à l’oued Mya, qui a simplement
sur eux l’avantage de les avoir précédés sur nos cartes ;
ils coulent tous à l’opposé de l’oued Mya, vers l’ouest, et
ils sont tributaires des oasis ; ce sont les oueds Tlilia, Ilatou,
R’zelan, Sba, Aflissès, etc.[173].

D’autre part les oueds Saoura, Namous, R’arbi, Seggueur descendent
de l’Atlas. Un immense réseau-squelette d’oueds quaternaires
converge vers les oasis du Gourara et du Touat.

A l’époque actuelle, le trait frappant de l’hydrographie ce
sont les sebkhas. Les oasis s’alignent en cordon sur les bords
de sebkhas multiples. Il n’y a pas en effet, comme les anciennes
cartes l’indiquent à tort, une grande sebkha du Touat, mais un
lacis ou un chapelet de petites : l’oasis de Bouda a la sienne,
celle de Tamentit en a une autre nettement séparée, etc. La sebkha
la plus étendue est probablement celle de Timimoun ; en tout cas,
c’est la plus pittoresque, avec sa bordure de falaises et de dunes ;
elle a 40 kilomètres de long sur 6 ou 7 maximum de large. (Voir
pl. V, phot. 9.)

Il est malaisé de préciser ce qu’on pourrait appeler le régime
hydrographique de la sebkha. Les habitants du Touat affirment que
les leurs ont été des lacs, de mémoire d’homme, et qu’on y
a circulé en bateau de ksar à ksar.

On a dit quelles traditions précises ont été recueillies là-dessus
par M. Wattin, interprète militaire.

Quoi qu’il en soit du passé, les oasis sahariennes, dans le
présent, ignorent à peu près complètement l’eau naturellement
vive et courante.

Les oueds quaternaires coulent peut-être une fois en dix ans.

Quant aux sebkhas, elles ont sur un petit nombre de points,
d’étendue très restreinte, de l’eau libre en permanence ;
au Timmi, par exemple, dans le voisinage d’Adrar, capitale
administrative du Touat, on montre, à la limite de la palmeraie,
une flaque d’eau qui ne tarit jamais ; le niveau de ces mares est
sujet à des fluctuations notables suivant les saisons. D’autres
petits coins de sebkha ont en hiver un pied d’eau libre qui
disparaît l’été. Mais dans l’immense majorité des cas,
la sebkha reste toute l’année une étendue de vase plus ou
moins séchée, plus ou moins semée de fondrières, et plus ou
moins saupoudrée de sel. La couche salée superficielle est tout
particulièrement hygrométrique ; la surface des sebkhas, terne
dans les périodes de plus grande sécheresse, devient étincelante
de sel, dès qu’on signale de gros orages, fussent-ils tombés
très loin de là. C’est d’ailleurs une loi bien connue en
pays désertique que cet accroissement concomitant, paradoxal
en apparence, de l’humidité et de la salure superficielle. A
mesure que s’accumule l’eau salée contenue dans la masse, la
capillarité en entraîne en surface une plus grande quantité, qui
s’évapore en déposant un résidu de cristaux. Cette difficulté,
on le sait, a entravé, dans l’Égypte anglaise contemporaine,
l’extension des cultures[174].

Ainsi, les sebkhas, qui ne reçoivent pourtant, en règle générale,
aucun affluent superficiel, restent très sensibles à l’influence
des orages lointains, elles sont, en quelque sorte, un pluviomètre
de leur immense bassin fluvial, parce qu’elles sont le point
où aboutit toute la circulation souterraine. Si donc les oasis se
collent aux sebkhas, s’alignent sur leurs bords, ce n’est pas pour
leur valeur propre ; les sebkhas, avec leurs terres et leurs eaux,
chargées de principes chimiques, sont parfaitement inutilisables,
mais elles sont l’indice infaillible d’une abondante nappe
d’eau souterraine.

Notons encore que, au Gourara et au Touat, les sebkhas sont toujours,
comme l’oued Saoura entier, asymétriques, et si l’on veut
hémiplégiques ; sur une rive pénéplaine primaire, sur l’autre
couches crétacées ou tertiaires ; la rive primaire est morte,
la végétation et la vie sont concentrées sur l’autre.

Nous avons encore peu de renseignements précis sur le climat
des oasis ; pourtant le lieutenant Niéger nous donne, sur les
pluies, quelques chiffres intéressants. « En 1901, il y avait
douze ans que la région n’avait pas eu de pluies... Pendant
l’année 1901, quelques pluies. En 1902 on a obtenu, à Adrar,
60 millimètres. » L’hiver 1906-1907 a été très pluvieux. Ces
pluies sont des orages brusques et violents, défonçant les toits en
terre battue, délayant les murettes de sel, des catastrophes gaies ;
leur extrême rareté est soulignée par ce fait, que rien n’est
prévu pour s’en défendre. Il est clair que, dans un pareil
pays, on ne peut pas compter sur les pluies locales pour alimenter
la palmeraie. Et pourtant l’eau est réellement abondante :
« Quelques oasis ont plus d’eau qu’il ne leur en faut. Aux
offres d’argent qui ont été faites dans certains districts,
pour augmenter le débit des _foggaras_, il fut répondu par une
fin de non-recevoir. D’autres... ont accepté, mais sans grand
empressement[175] » Ainsi, ce n’est pas l’eau qui manque, les
oasis ruissellent d’eau vive, de cascatelles, de petites séguias
où vivent des barbeaux. Tout cela est arraché au sol par le travail
humain, et y rentre, pour ainsi dire, instantanément, pour y être
absorbé par la végétation de la palmeraie. Il faut assurément que
cette prodigalité éphémère, sur un tout petit point privilégié,
soit alimentée par les réserves lentes d’immenses espaces
désertiques. C’est le Tadmaït qui est le grand collecteur,
et c’est à son aridité que les oasis doivent leur verdure.

Car un petit nombre d’oasis seulement, celles du Gourara
septentrional, sont alimentées par l’Atlas.

Que partout ailleurs l’eau vienne du Tadmaït, c’est
incontestable. On la voit sourdre à la tête des longues et
innombrables foggaras, toutes parallèles entre elles. Çà ne laisse
pourtant pas de surprendre, au moins au premier abord. C’est
que ces immenses plateaux calcaires sont un terrible pays. Pour
en avoir une représentation adéquate, il faut aller directement
d’el Goléa à Ouargla. Il y a là, au cœur de nos possessions,
dans un pays que nous occupons depuis trente ans, un intervalle
de 200 kilomètres où toute notre machinerie n’a pas encore pu
faire jaillir une goutte d’eau. L’été 1903, une caravane de
six Arabes y est morte de soif.

Si le Tadmaït est aussi inconnu encore, c’est surtout parce que
l’extrême rareté des points d’eau en rend l’exploration
détaillée bien difficile en dehors de quelques grands medjbeds. En
somme, c’est un Tanezrouft. Après tout ce sont des causses,
et même sous nos climats le causse est d’une aridité bien
connue. Ces causses sahariens, effroyables dans l’ensemble ont
pourtant quelques coins verts, des oasis par exemple. Il est vrai
que le seul groupe d’oasis un peu important, le M’zab, est un
miracle de volonté humaine, avec ses puits de 60 mètres creusés
dans le roc dur. Le M’zabite est à proprement parler un commerçant
fixé dans les villes du Tell et qui entretient au Sahara une maison
de campagne ruineuse.

En plein Tadmaït dans l’O. Tlilia, on trouve deux petites
palmeraies, Matriouen et In Belbel, insignifiantes, à vrai
dire. Enfin le Tadmaït a ses pâturages ; celui d’Ilatou, par
exemple, fréquenté par les méharistes du Touat. Les nomades du
Tidikelt paissent leurs chameaux au Tadmaït aussi bien qu’au
Mouidir.

Tout cela suppose nécessairement que le Tadmaït a ses pluies,
sur l’abondance desquelles nous n’avons, il est vrai, aucune
donnée précise. Mais il est naturel d’admettre qu’un aussi
gros massif, et aussi élevé (jusqu’à 700 mètres d’altitude)
est notablement plus pluvieux que les oasis elles-mêmes situées
à un niveau beaucoup plus bas. Il faut tenir compte aussi de
l’énorme étendue du bassin de réception. Il y a là dans le
bassin du Touat et du Gourara une masse continue de causses qui
peut avoir 350 kilomètres de long sur 150 de large. Toute l’eau
qui y tombe s’engouffre dans les avens et dans les fissures et
s’achemine vers les oasis.

Le Dr Siegfried Passarge propose une autre explication. Il écrit
textuellement : « Les nappes d’eau des puits artésiens dans
le Sahara algérien et lybique datent peut-être du quaternaire
(Pluvialzeit). Il me paraîtrait plausible d’admettre cette
explication, plutôt que de faire venir du Soudan l’eau des oasis
libyques, de l’Atlas ou du Hoggar celle du Sahara algérien[176]. »

Le Tadmaït serait donc encore gorgé d’humidité quaternaire, et
les restes de son ancienne opulence lui permettraient d’alimenter
les oasis, malgré l’indigence des pluies actuelles ; en
caricaturant un peu et en précisant outre mesure cette très jolie
idée, l’eau qui gonfle les dattes de 1907 serait contemporaine de
notre mammouth européen, ou si l’on veut du gnou, du rhinocéros,
de la faune quaternaire nord-africaine, aujourd’hui émigrée
au Zambèze.

L’hypothèse est charmante, un peu hardie peut-être. Pour qu’elle
s’imposât, il faudrait qu’on ait constaté une disproportion
entre la quantité moyenne des pluies et le débit des foggaras ;
nous sommes extrêmement loin de semblables précisions. Ce qu’on
peut affirmer c’est que, au Sahara comme dans toute l’Afrique
du nord, les années pluvieuses ou sèches ont un retentissement
immédiat sur les sources.

Que l’hypothèse de M. Passarge soit une généralisation de
faits observés dans l’Afrique du sud, c’est par surcroît une
considération qui n’est pas de nature à la recommander sans
restriction aux géologues nord-africains.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, la conclusion générale est
la même.

Les oasis et les sebkhas jalonnent la ligne-limite des terrains
crétacés et primaires, au Gourara et au Touat ; ce jalonnement
est méticuleux à cent mètres près ; ce ne peut pas être une
coïncidence fortuite, il faut admettre une relation de cause à
effet ; cette limite géologique est un lieu d’habitation humaine
parce que, comme beaucoup de ses pareilles, elle est une ligne de
sources, suivant laquelle affleure la nappe souterraine. A propos de
la Saoura et même de la Zousfana nous avons fait une constatation
analogue et la même loi s’applique au Tidikelt. On peut donc
généraliser.

De Figuig au Tidikelt en passant par le Gourara et le Touat,
s’étend une ligne d’oasis à peu près continue, longue de
plusieurs centaines de kilomètres et large à peine de quelques
centaines de mètres. M. Basset cite le dicton arabe d’après
lequel une jument en marche pourrait être saillie à la première
oasis et mettrait bas à la dernière.

Cette « rue de palmiers », un trait tout à fait extraordinaire de
la géographie saharienne, on peut en rendre un compte précis dans
un petit membre de phrase : les palmiers jalonnent à l’ouest,
jusqu’à son extrême limite sud, la limite de la transgression
cénomanienne (fig. 50).

[Illustration : Fig. 50. — Carte schématique, montrant la virgation
hercynienne.]


=Les Foggaras.= — Le Touat, le Gourara et le Tidikelt se distinguent
de tous les autres groupes d’oasis sahariennes, par l’extrême
développement de leurs foggaras ; le contraste est particulièrement
vif avec le groupe oriental d’Ouargla, dont toute l’eau est
artésienne.

A l’est et à l’ouest des grands causses crétacés, les
conditions hydrographiques s’inversent. Le schéma ci-joint fait
comprendre d’un coup d’œil pourquoi. De part et d’autre du
faîte, ligne de partage des eaux, la cuvette synclinale d’Ouargla
et le versant d’anticlinal du Tadmaït occidental se font pendant
et contraste. Ainsi s’explique la différence extrême du mode
d’existence dans les deux groupes d’oasis. Celles d’Ouargla sont
massées au fond de la cuvette synclinale et vivent de leurs puits
artésiens ; celles du Touat-Gourara s’alignent à la périphérie
du bombement anticlinal, et vivent de leurs foggaras, c’est-à-dire
de sources et de suintements captés à fleur du sol (fig. 51).

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                          PL. XXXVII.

[Illustration : Cliché Perrin

69. — FOGGARA VU LATÉRALEMENT.

Chaque taupinière est formée par les déblais autour de l’orifice
d’un puits d’aération ; cette foggara alimente l’oasis
du Timmi.]

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché Gautier

70. — UNE FOGGARA DU TIMMI photographiée suivant son axe.

Au premier plan on distingue nettement l’orifice d’un puits
d’aération ; une série d’orifices tout pareils jalonnent
jusqu’aux palmiers du fond l’aqueduc souterrain.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                         PL. XXXVIII.

[Illustration : Cliché Gautier

71. — CROISEMENT DE PETITES SEGUIAS (canaux d’irrigation à ciel
ouvert) superposées en deux étages (Oasis de Timimoun).]

[Illustration : Cliché Laperrine

72. — Dans l’oasis du Timmi, _Kesra_ ou _« peigne »_, dont la
forme est bien reconnaissable.

Entre les dents du peigne, l’eau se répartit et s’écoule dans
un grand nombre de petits canaux qui ont chacun leur propriétaire.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XXXIX.

[Illustration : Cliché Laperrine

73. — PUITS A BASCULE DANS UN JARDIN DU TIMMI.]

[Illustration : Cliché Gautier

74. — GRANDE SÉGUIA (canal à ciel ouvert) DANS L’OASIS DU TIMMI.]

On sait qu’une _foggara_ (pluriel _fgagir_) est tout simplement un
canal souterrain de captage et d’adduction. Rien de plus connu en
tout pays. Ce que les foggaras des oasis ont de particulier c’est
leur immense développement. Chacune a plusieurs kilomètres de
longueur. Niéger, qui n’a pas la prétention d’être complet
en a compté trois cent soixante-douze au Touat seulement ; ce
serait au moins deux mille kilomètres de cheminement souterrain :
or, ces canaux sont des galeries où un homme peut à la rigueur
circuler, ils sont munis de puits d’aération de dix en dix
mètres ; la tête de la _foggara_ est toujours à une profondeur
de plusieurs dizaines de mètres. Au voisinage de chaque oasis,
on voit se poursuivre jusqu’au bout de l’horizon les lignes
parallèles des puits d’aération, chacun avec son bourrelet
de terre d’extraction ; c’est un paysage de taupinières
géométriquement disposées. (Voir pl. XXXVII, phot. 69 et 70 et
aussi pl. VIII, phot. 16.) Cet évidement du sol rend les voyages de
nuit dangereux ; c’est un accident banal que la chute au fond d’un
puits d’une bête au pâturage, d’un cavalier, d’un piéton
même. Il faut songer aux instruments primitifs avec lesquels ce
gigantesque travail a été mené à bien, des pioches et des couffins
remplis de déblais, qu’on se passe de main en main. D’après
les indigènes, le travail de creusement a progressé d’aval en
amont, c’est-à-dire qu’on a attaqué la nappe souterraine à son
point d’affleurement, et qu’on a poussé la galerie horizontale
jusqu’à ce que le débit soit devenu suffisant. C’est en effet
ce qui semble vraisemblable. Les ksouriens actuels suffisent à
peine à l’entretien de leurs foggaras, ils en ont laissé tarir
beaucoup qu’il serait possible de revivifier. On n’imagine
pas qu’ils pourraient concevoir et créer de toutes pièces le
lacis compliqué de leurs canaux souterrains, s’ils ne l’avaient
trouvé tout fait. Et même on n’imagine pas, si abâtardis qu’on
suppose les ksouriens actuels, qu’une génération déterminée
de leurs ancêtres en aient jamais été beaucoup plus capables
qu’eux. Les foggaras n’ont pas dû naître d’un plan préconçu,
elles sont l’aboutissement de tâtonnements progressifs à travers
les siècles. Elles semblent porter témoignage de l’asséchement
graduel du pays, les premières devaient être beaucoup plus courtes
et pourtant suffisantes, mais de génération en génération il
a fallu chercher, à une profondeur croissante dans le sol, l’eau
nécessaire à l’irrigation. Cette hypothèse en tout cas me paraît
la seule qui rende compte de la disproportion entre l’énormité
de l’œuvre et l’insuffisance de ceux qui l’ont exécutée.

[Illustration : Fig. 51. — Coupe schématique entre Ouargla et
Timimoun (hauteurs très exagérées).

_a_, Dévonien. — _b_, Crétacé (au voisinage de Timimoun, on
n’a pas cherché à distinguer du Crétacé les terrains plus
récents). — _c_, Oligocène. — _d_, Quaternaire — et |
foggaras et puits artésiens.]

Pourtant d’après un travail manuscrit de M. le lieutenant Voinot,
il existe au Tidikelt (à Foggaret el Arab en particulier) des
foggaras qui semblent récentes, et qui, au dire des indigènes,
si on l’interprète correctement, auraient été construites de
toutes pièces. Il faut se garder de conclusions absolues.

Notons que des canaux souterrains du même genre ont été
signalés en Asie Mineure. Ils ont été soigneusement étudiés par
l’expédition Beck-Lehmann au lac de Van et aux sources du Tigre,
où ils remontent à la domination chaldéenne[177]. Il ne faut pas
oublier que les foggaras, comme les puits artésiens, et comme toute
la culture intensive des oasis, ont évidemment une origine orientale.


=Gourara.= — Du côté du Touat, la limite officielle du Gourara
est, je crois, entre Sba et Meraguen ; du côté de la Saoura je
pense que Telmin est englobé dans le Gourara ; ces limites sont
en tout cas plus ou moins artificielles ; de part et d’autre du
Gourara, au nord et au sud, la « rue de palmiers » continue. Mais
le Gourara n’en a pas moins une individualité bien marquée.

La partie septentrionale est très mal connue ; elle se trouve
n’avoir jamais fait l’objet d’une monographie ; et d’autre
part je l’ai à peine entrevue. Pour comble de malheur le Grand
Erg n’a fait encore l’objet d’aucune publication cartographique
sérieuse[178] ; et sa connaissance détaillée serait naturellement
le prologue indispensable d’une étude hydrographique sur le
Gourara septentrional.

Au témoignage des indigènes, recueilli par M. Martin[179],
interprète militaire, le bas oued Namous serait jalonné par les
oasis d’Ouled Aïssa, Haïha, Touat en Nebou, Charouïn ; pourtant
la carte Mussel (inédite) suggérerait plutôt qu’il s’agit du
bas oued R’arbi (?).

D’après la même autorité (M. Martin), les oasis du Tinerkouk,
très éparses sur 50 kilomètres jalonnent le lit bien marqué
de l’O. Salah, qui semble en rapport avec l’O. Meguidden (faux
bras ? cours inférieur ?).

En somme, il semble y avoir essentiellement deux lignes de verdure et
d’humidité. Mais par rapport à ces deux lignes il subsiste bien
des oasis aberrantes et inexpliquées. Dans un pays où le tracé
des oueds quaternaires a été bouleversé par la formation des
dunes, les nappes souterraines sont apparemment très diffuses. Au
Tinerkouh l’irrigation se fait certainement au moyen de puisards. A
Charouïn il ne m’a pas semblé que les foggaras fussent très
développées. Toute cette région qui reçoit ses eaux de l’Atlas,
filtrées à travers l’immense complexe des cônes de déjection,
a naturellement ses affinités hydrographiques avec les oasis de
la Saoura.

Le Gourara méridional, au contraire, de beaucoup le mieux connu,
ressemble au Touat. A Timimoun et dans les oasis voisines sur la
rive sud de la sebkha le développement des foggaras est magnifique.

[Illustration : Fig. 52. — Coupe schématique de l’Aouguerout.

A, Quaternaire et Crétacé ; B, Primaire ; C, Crétacé redressé ;
D, Crétacé horizontal ; E, foggara avec ses puits d’aération.]

Pourtant à titre de curiosité il faut signaler deux puits
artésiens, celui d’Ouled Mahmoud et celui de Kaberten. Pas de
renseignements sur ce dernier, mais pour le premier il semble que le
puits soit en relation avec l’existence d’une cuvette synclinale
dans les couches crétacées, dont l’horizontalité habituelle
est ici dérangée.

On a déjà dit que la palmeraie de l’Aouguerout, très isolée,
à l’écart et en amont des autres, est elle aussi en rapport
avec une faille qui a dérangé l’horizontalité des couches
crétacées ; les têtes des foggaras sont en amont de la faille,
les palmiers en aval (fig. 52).

Un forage dans la palmeraie a amené la découverte à une faible
profondeur (une dizaine de mètres) de roches primaires fossilifères
(un fossile a été vu par M. Chudeau).

Il y a donc au Gourara des accidents brusques et très localisés,
failles ou plis posthumes, qui ont intéressé les couches
crétacées, y faisant naître des cuvettes synclinales, des poches
d’eau, où il devient possible à titre exceptionnel de forer
des puits artésiens dans ce pays de foggaras. C’est un trait de
ressemblance avec le Tidikelt, bien plutôt qu’avec le Touat.

Une autre particularité du Gourara, qui rappelle encore le Tidikelt,
c’est qu’il est relativement riche en pâturages (Deldoul,
Bel Razi, Lalla R’aba). Rien de semblable ne s’observe au Touat.

Il faut se souvenir que, au Touat et au Gourara, le sol n’est pas
tout à fait le même. Ici les grès albiens sont à nu. Au Touat, à
tout le moins dans le haut Touat, ils sont généralement recouverts
d’un placage d’argiles cénomaniennes. Il se peut qu’un sol
de grès soit plus favorable aux pâturages.

Mais il faut peut-être faire intervenir surtout des causes
humaines. Lalla R’aba, par exemple, fut un lieu de cultures ;
on voit encore le tracé des foggaras mortes, et les ruines d’un
ksar. — Mais ce ksar, dit-on, a longtemps servi de rendez-vous et de
base d’opérations aux bandes beraber, qui ont fait le vide ; et le
pâturage, naturellement, a bénéficié de l’abandon des cultures.

Des trois groupes touatiens, le Gourara est probablement le plus
riche en eau, comme il est le plus peuplé, mais il y a des raisons
de croire que la culture y est moins intensive qu’au Touat. Il a en
effet une population particulière, plus primitive et moins évoluée.

Les ksars et les ksouriens du Gourara n’ont pas été l’objet
de monographies au rebours de ceux du Touat. D’ailleurs, même
au Touat, on ne s’est jamais préoccupé dans les statistiques
d’établir la proportion respective des Berbères et des
Arabes. Nous manquons donc de chiffres précis.

En gros du moins il est certain que le Gourara est presque tout
entier berbère. Les Berbères s’y présentent en masses compactes,
constituant des ksars entiers, la plupart des ksars, si bien qu’on
a plus vite fait d’énumérer ceux qui ne le sont pas.

Le Tinerkouk tout entier est habité par des Arabes (Chaamba, Ouled
Sidi Cheikh, etc.). A l’ouest du Tinerkouk et à l’extrémité
orientale de la sebkha du Gourara, un certain nombre de ksars,
groupés auprès de la zaouia d’el Hadj Guelman appartiennent aux
Khenafsa qui sont en partie nomades, et qui sont arabes. A l’autre
extrémité du Gourara, au voisinage du Touat, Sba, Guerrara, Ouled
Mahmoud sont arabes, ainsi que quelques ksars de l’Aouguerout.

Tout le reste est berbère, en particulier les groupes les plus
importants du Gourara, Timimoun, Charouïn, Brinken. Ces Berbères se
donnent à eux-mêmes le nom de Zenati, et à langue qu’ils parlent
celui de Zenatia. Inutile de faire observer que les Zénètes sont
une grande famille berbère bien connue ; et on a déjà dit que les
indigènes de Figuig se réclament eux aussi de cette famille. Les
Beni Goumi sont classés par Ibn Khaldoun parmi les Zenata, de même
que les Rached qui ont donné leur nom au ksar Gourarien d’Ouled
Rached.

La Zenatia d’ailleurs est parlée dans tout le Sahara algérien,
au M’zab, à Ouargla, dans l’O. R’ir[180].

Les Zenati du Gourara, lorsqu’ils savent l’arabe, ont une
prononciation très particulière et très défectueuse ; par
exemple ils prononcent le t (ت) ts comme les Tlemcéniens. Sur
cette particularité de la prononciation tlemcénienne voilà ce
qu’écrit M. W. Marçais. « Le ث et ت se sont confondus en
Tlemcénien en un son unique ț ; le ț n’est plus une dentale
pure ; c’est en quelque sorte une lettre double équivalente à ts,
prononcé en une seule émission de voix. Cette prononciation est
courante aussi en algérois et dans les dialectes citadins du Maroc
septentrional. Peut-être faut-il l’attribuer à une influence
berbère[181]. »

Je ne puis malheureusement pas pousser plus loin l’étude des
déformations que les Zenati font subir à l’arabe ; elles sont
à coup sûr assez nombreuses et assez considérables pour frapper
immédiatement une oreille peu exercée. Dans la bouche d’un Zenati
l’arabe sonne décidément comme une langue étrangère.

Les seules inscriptions berbères que je connaisse au Gourara
sont à Ouled Mahmoud. Il y en a deux groupes l’un auprès du
vieux ksar abandonné, et l’autre au sommet du ksar actuel ; ces
dernières sont sûrement antérieures à la construction du ksar qui
est tout récent ; aussi on a bâti sur l’inscription, dont une
moitié se trouve à l’extérieur et l’autre à l’intérieur
d’une maison[182]. Le sens de ces inscriptions est inconnu et
les indigènes sont fort éloignés d’avoir à leur sujet des
souvenirs précis, puisqu’ils les croient hébraïques. A coup
sûr les caractères sont berbères, et probablement assez récents,
libyco-berbères plutôt que libyques. L’inscription du vieux ksar
est accompagnée de grafitti libyco-berbères (chameaux). Elle est
accompagnée aussi d’une inscription arabe, facile à déchiffrer ;
elle a le caractère d’un épithalame, à moins qu’on ne préfère
lui en prêter un érotique ; ce sont deux noms accolés d’homme
et de femme. — « Un tel fils de Zenati — une telle fille de
Zenati. » Ce ksar d’Ouled Mahmoud d’ailleurs, où l’empreinte
berbère est restée marquée jusque dans une inscription arabe,
est précisément un des rares points du Gourara d’où le dialecte
berbère a officiellement disparu. Aujourd’hui Ouled Mahmoud est
habité par des gens de langue arabe, qui ont un affreux accent
zenati, mais qui se disent issus d’un ancêtre commun venu de
Tunis. Une inscription dans la mosquée donnerait la date exacte de
l’arrivée de l’ancêtre. — Ancêtre qui a bien des chances
d’être simplement spirituel et éponyme pour beaucoup de ses
prétendus descendants. Cela signifie apparemment que Ouled Mahmoud
a été converti à la stricte observance de l’islamisme et à
l’usage de la langue arabe par un santon tunisien, bâtisseur de
mosquée, du nom de Mahmoud.

D’après les officiers il y a une différence marquée de
mentalité entre les ksouriens arabes et berbères ; au Gourara
les premiers sont de relations plus courtoises, d’idées plus
larges et de compréhension plus rapide ; les Berbères donnent
une impression d’infériorité et de sauvagerie. Au Touat et au
Tidikelt en effet ce bloc zenati du Gourara a mauvaise réputation,
le mot Gourari en est employé couramment dans un sens péjoratif ;
presque synonyme de haratin, de serf ; — par exemple, au cours
d’une étape saharienne très dure, un guide, blaguant la misère
commune, affirme brusquement qu’on serait beaucoup mieux à In
Salah entre deux petites _Gourariet_. Dans le même ordre d’idées
le Gourara passe, jusqu’en Algérie, pour la patrie de sorciers
et surtout de sorcières très redoutées ; ce qui laisse supposer
un pays plus teinté que ses voisins de vieux paganisme préislamique.

Tout cela est bien concordant. La grande originalité du Gourara
c’est d’être un bloc berbère arriéré, où l’islam et la
langue arabe, l’un portant l’autre, n’ont pas jeté des racines
aussi profondes qu’au Touat et dans la Saoura. On a dit que le
berbère a tout à fait disparu de la Saoura. On verra que, au Touat,
il s’est conservé dans un nombre insignifiant de tout petits ksars.

Il est tout naturel que les oasis les plus occidentales soient les
plus arabisées ; dans le complexe O. Guir-O. Zousfana on observe de
même que les Doui Menia parlent arabe, tandis que les Beni Goumi,
plus orientaux, parlent berbère. Au Sahara, et d’ailleurs en
Algérie même, la dernière vague l’islamisation est venue de
l’ouest, du Maroc et de la Séguiet el Hamra.

Or tandis que l’O. Saoura et le Touat ont été effectivement et son
encore virtuellement la grande voie d’accès marocaine au Sahara,
le Gourara au contraire est la voie d’accès algérienne. Par
l’oued Namous et à travers l’erg depuis des âges immémoriaux
les caravanes sud-oranaises des Trafi, des Hamyan, viennent commercer
au Gourara.

La faune du Gourara, par ailleurs dépourvue d’originalité,
je crois, a des termites. Ils infestent le poste de Mac-Mahon. A
Ouled Mahmoud les indigènes ont dû prendre la fuite devant
eux, ils ont quitté l’ancien ksar, et bâti le nouveau, il y a
vingt-cinq ans environ, chassés par une invasion de termites. Chose
curieuse, entre l’ancien et le nouveau ksar il y a deux ou
trois kilomètres d’oasis, et cette petite distance a suffi pour
arrêter la migration. Au vieux ksar les dangereux insectes avaient
été apportés brusquement par une crue de l’oued, qui vient de
l’Aouguerout. J’ignore s’il faut en conclure qu’il y a des
termites à l’Aouguerout. A coup sûr ils restent très localisés,
les rares points contaminés ne sont pas phagédéniques, sauf un
cas très particulier et fortuit comme la crue d’Ouled Mahmoud. Je
ne sache pas qu’ils aient été signalés sur d’autres points
du Gourara. Ils sont enkystés, il semble qu’on ait affaire à une
espèce d’un âge géologique extérieur, en voie de disparition, et
qui s’est maintenue péniblement sur quelques points privilégiés
par suite de circonstances favorables.

Ce n’est pas l’espèce bâtisseuse de grandes termitières
turriformes, comme on en voit sur les bords du Niger ; c’est
l’espèce souterraine, qui est partout, comme une menace invisible,
dans le sol intact et dans les murs lisses, d’une ubiquité
mystérieuse ; sur la terre battue d’une chambre il suffit de
laisser ses bagages pour qu’il s’ouvre aussitôt comme par magie
des orifices par où débouchent les colonnes d’attaque.

Ce sont des termites de ce genre qui se trouvent dans l’Adr’ar
des Ifor’ass, et aussi, semble-t-il, au Kalahari[183] : insectes
de steppe apparemment.

A ma connaissance le Gourara serait le seul point du Sahara où
ces termites ont survécu. Mais il paraît probable qu’il y en a
d’autres. Une carte de la répartition des termites au désert
serait peut-être une contribution intéressante à des études
sahariennes. Elle nous permettrait peut-être de tirer des conclusions
sur le passé.


=Touat.= — Le Touat est beaucoup plus simple de structure
que le Gourara ; la « rue des palmiers » y devient rectiligne
rigoureusement sur près de 200 kilomètres entre Bouda et Taourirt.

Sur le terrain et sur la carte, la vue de ce chapelet de sebkhas,
souvent longées sur une rive ou sur l’autre, et parfois sur les
deux, par des falaises d’érosion, suggère d’abord l’idée
que les oasis jalonnent le lit d’un oued, qu’on imaginerait la
prolongation de l’oued Saoura. On a dit dans un autre chapitre que
l’O. Messaoud coulait au large du Touat, après l’avoir simplement
effleuré à Tesfaout. Ce sont ses affluents, l’O. Gourara,
l’O. Tlilia, qui ont sculpté les falaises du Touat. Mais ce qui a
conditionné la longue ligne des palmiers c’est une grande faille
authentiquement constatée.

Le Touat, malgré son unité de structure, se divise en deux parties
bien distinctes, le haut et le bas Touat.


=Haut Touat.= — Le haut Touat va du Bouda à Temassekh. Il a le
monopole des barbeaux tout à fait inconnus dans le bas Touat. Cela
signifie que les crues de la Saoura atteignent parfois Tesfaout,
mettant le haut Touat en communication très intermittente avec le
haut Guir, assez poissonneux.

Les éléments du sol sont empruntés à des schistes primaires,
à des grès albiens, à des argiles gypseuses cénomaniennes ;
les alluvions et les dépôts tertiaires tiennent une place
insignifiante ou nulle. Les dunes aussi sont complètement absentes,
comme au Gourara méridional (à Timimoun du moins, car Deldoul
est ensablé). Et ceci est très particulier, car au bas Touat et
au Tidikelt, les dunes sont une calamité municipale, l’ennemi
public contre lequel tout village soutient une lutte séculaire.

Dans le haut Touat rien de pareil, les ksars, les murailles, les
palmiers restent parfaitement nets de sable accumulé. Nous sommes
ici dans une zone de décapage et non d’alluvionnement éolien.

Tout cela a sans doute sa répercussion soit sur la composition
chimique du sol, soit, d’une façon ou de l’autre que je ne
puis préciser, sur son adaptation à la culture. Il y a en effet,
entre le haut et le bas Touat, des différences agricoles notables,
malgré l’identité du climat. Dans le haut Touat le henné ne
vient pas, et la datte est de qualité inférieure.

Le haut Touat a donc une individualité même au point de vue
géographie physique ; mais surtout historique et humain.

Et d’abord il a une histoire qui remonte au XIVe siècle. Ibn
Batouta et Ibn Khaldoun parlent assez longuement du Bouda et de
Tamentit, qui semblent bien avoir été alors les plus gros centres
commerciaux, les capitales du groupe touatien.

C’est à la fin du XVe siècle surtout que l’histoire du haut
Touat se précise et devient intéressante.

On sait depuis longtemps, depuis Léon l’Africain, que, en
l’année 1492, le Touat a été le théâtre d’un épisode
tragique ; à cette époque, sur l’instigation de Mohammed ben
Abd el-Kerim ben Mer’ili plus connu sous le nom d’El Mer’ili,
les Juifs furent massacrés et leur synagogue détruite[184]. Mais
ce qui pouvait paraître un simple fait divers tragique, a été
en réalité, pour les oasis, un événement considérable, un
tournant de l’histoire. Le « temps des Juifs », l’histoire
de leur établissement, leur prospérité, leur massacre, tout
cela revient à chaque instant dans les traditions indigènes,
et non pas seulement dans leurs traditions orales, M. Wattin,
interprète militaire, a retrouvé au Touat, a traduit et publié
un manuscrit arabe d’histoire locale ; le titre est _El-Bassit_
par Sid Mohammed et-Taïeb ben el-Hadj Abd er-Rahim[185]. _El-Bassit_
parle longuement des Juifs.

Ils se seraient établis au Touat « l’année de l’éléphant »,
c’est-à-dire l’année où Abraha, roi de l’Éthiopie, monté
sur un éléphant blanc, entreprit une expédition contre la Mecque,
pour renverser le temple de la Kaaba ; ce qui nous reporterait au
VIe siècle de J.-C. Les arabisants diront ce qu’ils pensent de
cette indication chronologique. Il est curieux en tout cas que les
traditions indigènes conservent le souvenir d’une migration de
Juifs, d’un établissement en masse. Et il ne l’est pas moins
qu’on attribue à cet établissement une date aussi reculée,
antérieure à l’hégire ; c’est d’ailleurs l’événement
le plus ancien dont les oasis ont gardé souvenance.

Les traditions nous montrent des juifs ksouriens, propriétaires,
agriculteurs, tout différents du mercanti usurier qu’est
actuellement le juif de l’Afrique Mineure. Les puits artésiens
d’Ouled Mahmoud et de Kaberten (au Gourara) sont attribués aux
Juifs ; d’après Niéger « la _foggara_ Hennou de Tamentit, et
toutes les _foggaras_ mortes comprises entre Zaouiet Sidi Bekri et
Beni Tameur » seraient l’ouvrage des Juifs. D’après la même
autorité ils auraient eu trois cent soixante-six ksars. C’est
à eux qu’on attribue la fondation des ksars de Tamentit, qui
serait restée jusqu’en 1492 une oasis juive. C’est là un fait
considérable si l’on songe que Tamentit est encore aujourd’hui
la capitale morale du Touat, son centre industriel, commercial,
et si l’on peut dire intellectuel.

Il n’est pas interdit d’espérer que des découvertes
archéologiques viendront jeter quelque jour sur cette civilisation
disparue. J’ai estampé dans le ksar de R’ormali (oasis de Bouda),
une inscription hébraïque, qui a été publiée par M. Philippe
Berger[186] ; c’est une pierre tombale de 1329. Cette inscription
est d’un travail soigné ; elle semble attester l’existence de
ce qu’on pourrait presque appeler une école de graveurs ; et on
pouvait prévoir qu’elle ne resterait pas isolée. En effet M. le
lieutenant-colonel Laperrine a expédié à Alger trois nouvelles
inscriptions hébraïques[187].

Les traditions indigènes ont conservé de la persécution
un souvenir détaillé. Ils connaissent parfois le lieu de
sépulture des victimes. D’après Niéger « un massacre aurait
eu lieu entre Sbaa et Meraguen. Les indigènes montrent à trois
kilomètres sud-ouest de Guerara, une espèce de tumulus, qui
serait le tombeau des infidèles ». El-Mer’ili, l’ennemi
des Juifs, eut à surmonter de grosses résistances locales ;
son principal adversaire fut le cadi de Tamentit, El-Asmouni qui
chercha à intéresser à sa cause, ou plutôt à celle des Juifs,
les ouléma du Maghreb. Les massacres ne furent décidés qu’après
consultation de saints personnages lointains, parmi lesquels on cite
Es-Snousi et Et-Tounsi. L’assassinat du fils d’El-Mer’ili au
Touat[188] longtemps après la persécution laisse deviner qu’elle
avait semé des haines vivaces, et qu’elle n’avait pas obtenu
un résultat complet et immédiat.

La mémoire d’El-Mer’ili, dont le tombeau est à Bou Ali,
est aujourd’hui en grande vénération aux oasis ; mais on
pourrait presque en dire autant de ses victimes ; à coup sûr il
ne s’attache pas à leur souvenir la haine et le mépris dont
le musulman poursuit ordinairement l’infidèle. C’est déjà
un fait remarquable que ces Juifs exterminés depuis quatre cents
ans ne soient pas tombés dans l’oubli. On parle du « temps
des Juifs » avec une sorte de piété ; c’était le temps où
les sebkhas étaient des lacs, où le Touat avait ses _felouques_,
le bon vieux temps ; les Juifs apparaissent comme des bienfaiteurs,
auteurs des puits artésiens et des foggaras, créateurs d’oasis
et fondateurs de ksars. L’inscription de R’ormali n’est pas
le moins du monde abandonnée, elle est un peu traitée en fétiche,
encastrée dans un pilier de pisé, le côté gravé en dehors. Dans
les ruines du ksar juif d’Ar’lad (oasis de Tamentit) les femmes
vont pleurer, avec l’espoir, il est vrai, d’être récompensées
de leurs larmes par la découverte d’un trésor. Le commandant
Laquière écrit : « La tradition courante au Touat est que les
gens de Tamentit tiennent cette aptitude à l’industrie et au
commerce de leurs ancêtres juifs, à qui serait due la fondation de
la ville. Les indigènes se défendent d’ailleurs de cette origine
et disent que, lors de l’arrivée des musulmans dans le pays,
les Juifs ont disparu en majeure partie. D’après eux, seuls les
habitants du quartier d’Akbour descendraient des Juifs fondateurs
de Tamentit. Les descendants d’ailleurs sont de parfaits musulmans
aujourd’hui, se disent même marabouts et enseignent le Qoran. »

Il en est de même à peu près partout aux oasis ; on ne trouvera
jamais un ksourien qui ne renie ses propres ancêtres juifs,
mais il avoue ceux de son voisin. Au fond, malgré les siècles
écoulés, tous savent à quoi s’en tenir, et dans les victimes
d’El-Mer’ili ils reconnaissent des aïeux. La persécution
de 1492 n’a pas été simplement le massacre de quelques Juifs,
elle a été surtout la conversion en masse d’un peuple.

Ce temps des Juifs dont le souvenir s’est conservé non seulement
dans le haut Touat mais encore au Gourara, fut assurément le temps de
l’indépendance berbère, les Juifs dominaient soit par leur nombre,
soit par leur industrie et leur richesse une société berbère.

En même temps que les trois inscriptions hébraïques trouvées
à Tamentit, M. le lieutenant-colonel Laperrine a envoyé à Alger
une pierre sculptée, de même provenance[189] et qui, d’après
M. Basset représente une tête de bélier. M. Basset a relevé
deux textes, l’un de Corippus et l’autre d’El-Bekri attestent
l’existence chez les Berbères d’un culte du bélier, qui s’est
maintenu jusqu’au XIe siècle[190]. Après tout il subsiste encore
à Tamentit ce qu’on pourrait appeler une autre idole berbère,
objet d’un culte actuel. C’est un très bel aérolithe, posé
au milieu d’une place, où il est protégé par son poids et par
la vénération du peuple. M. le commandant Laquière en a publié
une photographie[191]. Les indigènes affirment qu’il est tombé
du ciel, et sur ce point on peut les en croire, auprès du petit
ksar de Noum en Nas. En ce temps-là il était tout en or, aussi
excitait-il de si dangereuses convoitises que Dieu, dans sa sagesse,
le muta au fer. En réalité, au prix où se débitent les aérolithes
dans les musées et les laboratoires, celui de Tamentit, quoiqu’il
ne soit pas en or, a une grosse valeur, mais les gens de Tamentit
l’ignorent, et ils esquivent ainsi un conflit pénible entre leur
piété et leurs instincts ataviques de commerçants.

Je ne sais pas jusqu’à quel point le culte d’un aérolithe
est compatible avec l’Islam. On songe de suite à la pierre noire
dans la Kaaba de la Mecque, mais justement cette pierre noire est,
je crois, antérieure à l’Islam.

Les inscriptions berbères abondent au Tadmaït, et on s’est trop
pressé peut-être de les attribuer exclusivement aux Touaregs
actuels. En tout cas, il existe à Tamentit, auprès du ksar de
Bassi, un rocher couvert de _Tifinar’_ (voir pl. XVIII, phot. 35
et 36). Il est peu vraisemblable que ce soit une inscription Touareg,
que ferait-elle en pleine oasis de Tamentit où les Touaregs n’ont
jamais eu aucune influence ; et si c’en était une, les indigènes
la connaîtraient pour telle ; or, ils la considèrent comme une
inscription juive, si bien qu’un mercanti juif d’Adrar, peu
lettré apparemment, a pu s’y laisser prendre et verser de vraies
larmes d’émotion sur cette soi-disant relique des siens. Il est
vraisemblable qu’elle est, sinon juive, du moins « du temps des
Juifs », d’une époque où les Zenati de Tamentit avaient encore
l’usage du _Tifinar’_. Sa présence dans l’oasis, et l’oubli
dans lequel elle est tombée semblent témoigner d’un recul de la
culture nationale berbère.

On sait que, dans toute la Berbérie, des débris d’institutions et
de mœurs romaines ont survécu longtemps à l’Islam, les derniers
se retrouvent aujourd’hui encore dans les tribus restées les plus
berbères de l’Afrique du nord, dans la Kabylie du Djurdjura, dans
l’Aurès ; il faut assurément ranger non seulement le haut Touat
mais encore le complexe des oasis sahariennes parmi les coins de
Berbérie où l’on rencontre en plus grande quantité ces sortes
de fossiles romains. Les ksouriens agriculteurs ont conservé,
non seulement le souvenir, mais encore l’usage très vivant du
calendrier Julien, avec les noms latins des mois, encore très
reconnaissables, _Naier_ (Januar), _Fobraier_, _Maris_, _Ibril_,
etc. Chaque année ils fêtent le 12 janvier de notre calendrier
grégorien, qui est le premier du calendrier Julien.

En somme il s’est conservé dans le bas Touat et au Gourara,
pendant tout le Moyen âge, une société berbère, au milieu de
laquelle survivait, dans certaines communautés, une religion de
l’empire romain, le judaïsme ; et d’une façon générale,
un état d’esprit archaïque, antérieur à la conquête
islamique. C’est du moins la seule hypothèse qui rende compte
des faits observés. Contre cette société berbère, partiellement
infidèle, il se produisit à partir de 1492, une réaction violente
de l’Islam et de la culture arabe.

Dans le haut Touat cette réaction a fait disparaître l’ancienne
société zenati bien plus complètement qu’au Gourara, où elle
est, on l’a vu, à peine entamée. Ici, la prédominance politique
et sociale appartient presque partout aujourd’hui à des familles
de langue et, s’il fallait les en croire, de race arabe. Les
nombreux Zenati parlant berbère, et qui ne peuvent renier ni le
nom de leur tribu, ni leur idiome, en rougissent et cherchent du
moins à rattacher leur origine à l’Arabie au moyen de fausses
généalogies[192].

Ils ne forment plus d’ailleurs que des groupements familiaux,
on les trouve dans presque tous les ksars mélangés aux Arabes. Le
brassage a été assez énergique pour influer, à ce qu’il m’a
semblé, sur la prononciation ; les Zenati du haut Touat lorsqu’ils
parlent arabe, n’ont pas, je crois, l’affreux accent gourarien.

Il y a cependant un groupe de très petits ksars qui sont restés
intégralement Zenati : Temassekh, Ikkiz, Ar’il, Titaf, el Ahmer
et Ouled Antar. Il est curieux que ce groupe soit précisément
intercalé entre le haut et le bas Touat, comme pour attester qu’il
y a bien là en effet une frontière entre des pays différents,
historiquement et ethnologiquement distincts.


=Bas Touat.= — Le bas Touat diffère d’abord du haut par la
nature de son sol. Au voisinage de Zaouiet Kounta toute une série
d’oasis Ouled sidi Hamou bel Hadj, Touat el Henna, Inzegmir,
sont installées sur le Mio-Pliocène, qui donne un sol sableux
et calcaire, tout différent, j’imagine, des terres fortes et
argileuses du haut Touat. En tout cas, c’est le pays où pousse
le henné, comme l’indique son nom de Touat el Henna, et c’est
aussi le pays du tabac.

Plus au sud à partir de Sali, la dune envahit les oasis. A Enzeglouf
un village à peu près enfoui a dû être abandonné. Partout
l’aspect de la dune hérissée de haies en djerid atteste la
lutte acharnée des indigènes contre l’envahissement. (Voir
planche XLII, phot. 79.) A Zaouiet Reggan la crête des dunes
est aujourd’hui à l’ouest de la palmeraie, les indigènes se
souviennent d’un temps où elle était à l’est ; la ligne en
marche des dunes a progressivement traversé toute la palmeraie,
comme une énorme vague. Et ceci nous donne l’assurance que le
vent d’est domine ; aussi bien tout le montre, la topographie
même de la dune et le regard des sifs, l’affirmation unanime des
indigènes. Et d’ailleurs le vent d’est domine partout aux oasis,
au Tidikelt comme dans le haut Touat et au Gourara.

Cet ensablement agressif est un spectacle surprenant pour qui vient
du nord, si libre de dunes. Mais il est de règle au Tidikelt, In
Salah aussi est menacé d’enfouissement. Les indigènes disent
que le sable du bas Touat vient de R’adamès et du Grand Erg
oriental ; il ne faut pas prendre cette assertion à la lettre,
elle signifie évidemment que tout le long de la route qui va à
R’adamès, et qui est assez suivie, on observe la même tendance à
l’ensablement. On sait que cette route suit le fond d’un grand
fossé d’effondrement, creusé entre les masses montagneuses
du Tadmaït et celles du Mouidir-Ahnet. C’est le long de ce
fossé que le sable chemine poussé par un vent d’est dont les
parois de l’immense couloir rectifient sans doute et assurent la
direction, et dont elles augmentent la force. Le Reggan et le Sali
sont précisément dans la direction de ce grand courant d’air
chargé de sable.

Que par cette longue voie des grains de sable venus de l’erg
oriental aient pu arriver jusqu’au Touat, c’est une hypothèse
dont il serait oiseux de contester la vraisemblance. Mais ici, comme
ailleurs, si on admet que le sable est dans la dépendance exclusive
du vent, il devient inexplicable qu’on le trouve seulement dans les
bas-fonds : On ne comprend pas que l’action du vent puisse avoir
des effets identiques à ceux de la pesanteur. Il ne faut pas oublier
que deux systèmes d’oueds quaternaires puissants, l’O. Igargar
et l’O. Bota ont accumulé dans cette longue dépression tout
ce qu’ils ont arraché de sable aux plateaux gréseux Touareg,
Tassili, Mouidir, Ahnet, Açedjerad. Il y a là sur place ample
matière à l’édification des dunes.

Il est donc naturel que le Reggan et le Sali, sous le vent d’un
pareil réservoir de sable soient envahis aux dunes ; le reste du
Touat et le Gourara méridional sont au contraire sous le vent du
Tadmaït, dont les calcaires sculptés par des rivières divergentes,
ne se prêtent pas à l’accumulation de grandes masses sableuses.

Quoi qu’il en soit, au Sali et au Reggan, les dunes ont tué
d’importantes fractions de palmeraies ; mais cet inconvénient
n’est pas sans quelque compensation. Un certain degré
d’ensablement est-il favorable à la qualité de la datte ? Ce
qui est certain c’est que celles du Sali et du Reggan passent pour
les meilleures de tout le Touat.

Au bas Touat on ne retrouve plus le souvenir des Juifs. On y
retrouve d’autres légendes, moins précises évidemment, car
je ne sache pas qu’elles s’appuient sur des textes sérieux :
je crois pourtant incontestable qu’elles ont un fonds de vérité
historique. Au bas Touat, avant la période actuelle, on a connu le
temps des Barmata, et cette indication chronologique manque sans
doute de précision. Pourtant le nom même des Barmata donne un
terminus _a quo_ : arabe littéral « el Baramik » en français les
Barmécides. Et il importe peu que ce nom illustre dans l’histoire
de l’Islam ait été manifestement usurpé, comme tant d’autres,
par des Berbères en quête de fausses généalogies. Le dernier vizir
Barmécide est tombé en 803, et ses homonymes du Touat sont donc
postérieurs au IXe siècle, probablement postérieurs de beaucoup.

Ces Barmata, d’autre part, ne sont nullement des personnages de
légende ; ils ont laissé au Touat les preuves les plus positives
de leur existence, des ruines de ksars nombreux.

Au bas Touat, depuis Titaf, la ligne des ksars actuels, jusqu’à
Taourirt, est longée régulièrement, à l’est et en contre-haut,
d’une ligne de ksars en ruines ; j’ai vu à coté de Zaouiet
Kounta les ruines d’el Euzzi et de Salobouiye ; à côté de
Taourirt, les ruines d’Agebeur. Villages actuels et ruinés
sont tout à fait différents. Les actuels sont en pisé, ils se
ressemblent tous, géométriquement carrés, flanqués aux angles de
tours carrées, tout cela est très régulièrement crénelé. Vus
de loin avec leurs murs lisses et comme vernis de boue durcie, avec
leurs lignes droites et leur structure géométrique, ils ont l’air
de forteresses de marchands de jouets, gardées par des soldats de
plomb. (Voir pl. XL, phot. 76.)

Ce type de ksar paraît être marocain ; on le retrouve, assez
exactement, semble-t-il, sur des photographies publiées par M. de
Segonzac[193], et qui se rapportent à la haute Moulouya. Nos ksars
algériens sont d’un type bien différent, ce sont des tas informes,
des agglomérations de petites maisons si serrées, si enchevêtrées,
qu’on serait tenté de dire des conglomérats, des lumachelles ; les
contours généraux n’accusent aucune espèce de plan d’ensemble ;
ils ont l’absurdité, la fantaisie et le pittoresque de vieilles
choses lentement progressives, qui ont poussé à travers les
siècles, au hasard de la vie et de l’évolution. La différence
entre les deux types est la même qui a été si souvent signalée
entre les villes et les hameaux de nos vieux pays, et les centres
urbains des pays neufs, « villes champignons » des États-Unis,
villages de colonisation algériens ; avec leur disposition en
damier, œuvre d’arpenteurs géomètres. Si l’on songe que tous
les ksars du Touat, comme d’ailleurs du Gourara et de la Saoura,
sont de ce même type colonial et administratif, si étrange dans
un pays qui n’a jamais connu l’administration, on n’échappe
pas à la conclusion qu’ils sont tous le produit d’une même
pensée et approximativement d’une même époque, ils attestent
une conquête, une révolution brusque.

Les ksars en ruines, d’autre part, n’ont aucun rapport
architectural avec les modernes. Et d’abord ils sont construits en
pierre, et non en pisé ; c’est probablement à cette différence
des matériaux de construction que nous devons la conservation
excellente des ruines ; après trois ou quatre siècles, il n’y
resterait pas une pierre debout, si on en avait eu l’emploi,
puisque les ruines auraient été une carrière. En fait les vieux
ksars sont en remarquable état ; beaucoup de murs sont encore debout
et le squelette général est intact. Je n’oserais pas affirmer que
le mortier fasse défaut partout, mais une partie des murs à tout le
moins est bâtie en pierres sèches. L’aire d’extension de ces
ruines en pierres sèches à travers le Sahara est considérable ;
il en existe de tout à fait semblables à celle du Touat auprès de
Colomb-Béchar, auprès de Charouïn, et jusque dans l’Adr’ar des
Iforass (es Souk, Kidal)[194]. Partout, l’Adr’ar mis à part,
le pisé a complètement supplanté la pierre sèche ; c’est
une substitution étrange par sa généralité. (Voir pl. XL,
phot. 75.) Les vieux ksars du Touat, au rebours des nouveaux,
ne trahissent pas le moindre souci de symétrie dans le plan
général. Ils sont généralement perchés, non seulement au haut
de la falaise, mais encore toutes les fois que ç’a été possible
au sommet d’une gara détachée de la falaise, dans une position
inexpugnable ; ils prennent là-haut une silhouette de château
moyenâgeux. Le choix de semblables emplacements est très fréquent
dans toute la Berbérie ; pour désigner ces nids d’aigle il existe
un vieux mot berbère « kalaa » qui a survécu sur une foule de
points dans l’onomastique locale (el Goléa, Koléa, Kalaa des Beni
Abbès, etc.). Ces kalaa de pierres sèches représentent le village
berbère ; les ksars modernes le village arabe, un plus haut degré
de culture islamique. Sur une transformation tout à fait analogue
nous avons des données historiques chez les Beni Goumi (région de
Tar’it). On connaît et on vénère le marabout qui l’a dirigée.

La kalaa de Taourirt est la seule que j’aie eu le loisir
d’examiner. Elle s’appelle Agebeur ; il est à noter qu’aucune
de ces ruines n’est anonyme ; le cimetière d’Agebeur est
incontestablement musulman ; un coin est resté vivant, c’est une
koubba blanchie à la chaux, soigneusement entretenue, où serait
enterré un santon marocain Abd-er-Rahman el Oudiayi ; cette ville
d’Oudia d’où le santon serait originaire est-elle Oujda, à
côté de notre frontière ? Je n’en sais pas plus long, mais il est
évident que l’antiquité de ces ruines n’est pas très reculée.

Les ksars en ruines du bas Touat sont précisément ceux auxquels
est resté accroché le nom des Barmata. Il n’est pas impossible
de recueillir au sujet des Barmata quelques traditions indigènes,
mais bien vagues et contradictoires. D’après M. Wattin ils sont
venus au Reggan vers l’an 901 de notre ère à l’époque où
Ibrahim ben Ahmed était gouverneur de l’Ifrikiya. On les dit
frères des Zenati et des Beraber, c’est-à-dire Berbères ;
mais on ajoute frères des Bambaras soudanais, ce qu’il ne faut
pas apparemment prendre à la lettre.

Pourtant j’ai vérifié que le souvenir des Barmata se retrouve
très net à Tombouctou. Ils furent certainement à un moment donné
les courtiers du commerce transsaharien et ils eurent des attaches
au Soudan.

Par surcroît, l’association à leur nom de celui des Bambara
pourrait bien n’être pas complètement absurde. D’après
M. Chudeau, quelques faits notés au Soudan, d’accord avec leurs
légendes qui les font venir du nord, semblent bien montrer que les
Bambaras, question de race mise à part bien entendu, ont leurs
affinités avec les Sahariens ; presque rien ne les rapproche
des autres nègres du Soudan. Voici les principaux arguments dont
quelques-uns assez forts, que fait valoir à l’appui de cette
opinion, le directeur de la station agronomique de Koulikoro,
M. Vuillet, qu’un long séjour et de nombreux voyages au Soudan
ont mis à même de voir et de bien voir.

1o Des prénoms comme Moussa, Ahmadou, d’origine arabe, sont
fréquents chez les Bambaras même non musulmans. Plus au sud ces
prénoms disparaissent.

2o Les villages bambaras, avec leurs cases carrées et leurs toits
plats rappellent les ksars du Sud-Algérien et non les huttes rondes
de la plupart des noirs. Leur vêtement, le harnachement des chevaux
les rapprochent aussi des Arabes.

Leur arme est la lance et non pas l’arc.

L’élevage, la fabrication du beurre, la castration du bétail
les éloignent aussi des régions plus méridionales.

3o Les arguments les plus intéressants sont tirés de la culture. Le
blé (malikama) se rencontre en quelques points du pays bambara ;
le dattier (tamar), à peine productif cependant, existe dans presque
tous leurs villages. Le citron (lemerou), le henné, le sésame sont
cultivés partout, au moins en petit.

Les cultures du sud (fabirama, papaye, banane, goyave, igname) sont
à peine connues en pays bambara, où elles ont été le plus souvent
importées par les Européens. Le manioc amer qui est l’espèce
de grande culture parce que son amertume à l’état cru le met à
l’abri des singes, des porcs-épics et des passants, est ignoré
des Bambaras qui ne plantent que le manioc doux.

D’après les traditions du bas Touat, recueillies par
M. Wattin[195], les Barmata n’étaient pas musulmans, mais
c’est d’une absurdité évidente, il faut entendre sans doute
que leur orthodoxie était douteuse. Ils auraient été anéantis
par une tribu Touareg, les Settaf, et leurs ksars étaient déjà
ruinés et le pays vide quand les nouveaux furent fondés par des
Marocains venus du Sahel et du Chaouia. Ceci non plus ne semble pas
pouvoir être entendu à la lettre. Les gens du bas Touat, presque
tous Cheurfa (descendus de Mahomet), cela va sans dire, ne veulent
rien avoir de commun avec ces Barmata plus ou moins hérétiques,
de même que les gens du haut Touat renient toute parenté avec
les juifs massacrés par el Mer’ili. Mais s’il n’existait pas
un lien on ne s’expliquerait pas que le nom de chaque kalaa ait
surnagé, et qu’il se trouve à Agebeur, encastré dans les ruines,
un marabout encore vénéré. On reconnaît d’ailleurs que dans
certains ksars, à Sali, à Bou Ali, à el Mansour, il survit des
descendants de Barmata. Voici une tradition recueillie par Watin
au sujet de Sidi Ahmed er Reggadi, fondateur de Zaouiet Kounta au
XIVe siècle. A son arrivée à Bou Ali, les descendants de Barmek,
qui étaient considérés comme des païens, eurent peur, mais Ahmed
fit apporter du petit lait, il distribua cette boisson entre les
enfants de Barmek et les siens en leur disant : « buvez, et riez
en frères ». Le « Temps des Barmata » au Reggan, correspond à
l’expression « Temps des Juifs » dans le haut Touat.

Ici comme là la disparition de l’ancienne société coïncide
avec une puissante poussée d’islamisation, une recrudescence de
pitié, qui a semé le pays de Zaouias, Zaouiet Kounta et Zaouiet
Reggan, fondées toutes les deux par des Chorfa du Tafilalet qui
ont fait souche à Tombouctou de la tribu maraboutique bien connue,
les Kounta. Les gens de Sali aussi sont des Chorfa marocains, mais
qui s’entendent assez mal avec leurs cousins et voisins.

Tout cela en somme n’est pas trop discordant ; si le nom même des
Barmata nous a fourni un terminus _a quo_, le IXe siècle, l’examen
de leurs ksars, et des légendes qui s’y rattachent, nous donne
un terminus _ad quem_, un peu vague, le XIVe ou le XVe siècle.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. XL.

[Illustration : Cliché Gautier

75. — AU TIMMI, FABRICATION DES BRIQUES CREUSES, ÉLÉMENTS
DU PISÉ.]

[Illustration : Cliché Gautier

76. — ADRAR (Timmi), CAPITALE DU TOUAT.

Type de ksar actuel, en pisé, quadrangulaire, flanqué de tours
carrées]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XLI.

[Illustration : Cliché Gautier

77. — TIMIMOUN — UNE RUE DANS LA PALMERAIE.

D’un mur à l’autre, une poutre en tronc de palmier, qui a
fléchi sous son propre poids comme d’habitude.]

[Illustration : Cliché Gautier

78. — TIMIMOUN. — UN COIN DU KSAR.

La place principale, traversée par une séguia ; — toits en
terrasse de pisé.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XLII.

[Illustration : Cliché Laperrine

79. — UNE PALMERAIE ENSABLÉE.

A gauche, sur la crête de la dune, et pour essayer de la fixer,
des haies en palmes.]

[Illustration : Cliché Gautier

80. — TIMIMOUN. — BOUCHERS HARATIN DÉPEÇANT UN CHAMEAU.]

Le XVe siècle au Sahara et dans l’Afrique Mineure.

Nous pouvons maintenant jeter un coup d’œil d’ensemble sur
cette époque, si curieuse au Sahara, qui va approximativement du
XIVe au XVIe siècle et qui a vu s’accomplir partout la même
transformation.

Dans l’O. Zousfana un certain Sidi Beyazid convertit les Beni
Goumi païens. La date est indéterminée mais il faut noter que le
nom de Beyazid est turc.

Dans l’O. Zousfana, des « Nazaréens (?) » bâtisseurs de ksars
ont été massacrés ou convertis par les Beni Hassen.

Au Gourara et dans le haut Touat une société juive a été détruite
par el Mer’ili en 1492.

Au bas Touat des Barmata païens (?) ont pour successeurs au XIVe
et XVe siècle des Chorfa du Tafilalet.

Avec des variations locales c’est partout la même révolution,
et à peu près à la même époque.

Elle s’accompagne partout d’un changement dans l’architecture
des villages. Aux kalaa de pierre bâties dans de fortes situations
défensives et offensives succèdent les ksars en pisé, fortifiés,
il est vrai, mais modestement cachés dans la palmeraie, au milieu
des cultures. Ce sont des refuges de paysans traqués, ou des
jardins à cascatelles pour moines inoffensifs ; au lieu de bourgs
féodaux, qui sentent l’indépendance, le banditisme, et sans
doute aussi le nomadisme, car les kalaa sont toujours à quelque
distance des bas-fonds cultivables. Ces siècles de transition sont
ceux où se fondent les grands monastères sahariens, Kenatsa,
Kerzaz, Zaouiet Kounta, etc. Et, sous bénéfice d’inventaire,
car les études hagiographiques restent encore à entreprendre,
c’est alors apparemment que surgirent ces innombrables tombeaux
de saints, avec leurs coupoles blanches qui constellent toutes les
palmeraies et qui extériorisent pour l’œil la prédominance des
préoccupations pieuses.

Il y a eu là apparemment, en même temps qu’une révolution
religieuse et linguistique, une profonde transformation économique,
et sociale, un progrès de l’agriculture intensive, de la paix
publique, et de la culture générale.

Or cette révolution religieuse on la signale dans toute l’Afrique
du nord.

Au XVe et au XVIe siècle, l’Islam, chassé d’Espagne, poursuivi
jusqu’en Afrique par les chrétiens, se ressaisit et se rénove ;
le sentiment religieux s’exaspère, les saints, les marabouts,
les missionnaires pullulent ; c’est le moment où les vieux
noms berbères des tribus disparaissent, pour céder la place aux
dénominations actuelles, tirées de marabouts éponymes ; pour la
première fois, l’Afrique Mineure s’islamise intégralement.

Et c’est un fait bien curieux que dans cette Berbérie
ultra-conservatrice l’Islam introduit au VIIIe siècle n’ait
triomphé définitivement qu’au XVIe. C’est même un fait
considérable, étrange et généralement si ignoré, qu’on sent
le besoin d’en établir l’exactitude en s’appuyant sur des
autorités incontestables. Beaucoup moins palpable qu’une bataille
ou un changement de dynastie cette grande transformation diffuse
et lente a presque complètement échappé aux rares historiens
de l’Afrique du nord. Mercier lui consacre à peine une dizaine
de lignes imprécises : « Nous devons signaler l’arrivée de
marabouts, venus en général de l’ouest, du pays de Seguiet el
Hamra... ils ont, en maints endroits, réuni des tronçons épars,
d’origine diverse, et en ont formé des tribus qui ont pris leurs
noms. Les Koubba de ces marabouts se trouvent répandues dans tout
le nord de l’Afrique et perpétuent le souvenir de leur action
qui a dû s’exercer surtout du XIVe au XVIIIe siècle[196]. »
Aucun historien n’a fait de cette question pourtant intéressante
l’objet d’une étude détaillée ; les éléments, incomplets,
en sont épars dans des travaux hagiographiques et philologiques,
en particulier de M. Basset.

Dans « Nédromah et les Traras »[197], par exemple, M. Basset
signale « les traces d’une influence juive, antérieure à
l’établissement des Israélites actuels de Nédromah (où ils
vinrent de Miknâsah au milieu du XVIIIe siècle), car nous les
trouvons dans des monuments du Moyen âge ». M. Basset cite une tribu
qui a un nom hébraïque, les Ouled Ichou ; il mentionne un tombeau
très vénéré de Josué, et le cap Noun, dont le nom, qui lui est
appliqué dès le Moyen âge, est celui du père de Josué. « On
sait que les Juifs se répandirent de bonne heure en Afrique, non
pas seulement en Cyrénaïque, et dans la région Carthaginoise,
où ils prospérèrent, mais aussi dans l’ouest. Les Vandales
tolérèrent le libre exercice de la religion juive, et on voit,
par un passage de la _lex Wisigothorum_ cité par Grœtz, que les
juifs d’Espagne s’adonnaient au commerce et à la navigation
sur les côtes d’Afrique... Ils étaient nombreux dans ce dernier
pays puisqu’ils s’entendirent avec leurs frères restés en
Espagne pour organiser contre Egica, vers 693, une insurrection
qui échoua[198]. »

Voilà qui est évidemment de nature à jeter une lumière sur les
traditions touatiennes au sujet des Juifs.

Parmi les saints de Nedromah, M. Basset fait une grande place aux
« marabouts venus de la Seguiet el Hamra ; ceux-ci se rattachent
aux missions qui au XVe et au XVIe siècle ranimèrent l’Islam
dans tout le nord de l’Afrique[199] ».

Au sujet de la confédération des Traras, qui se forma au XVIe
siècle, M. Basset observe : « Contrairement à ce qui se passa
ailleurs, elle ne prit pas le nom soit d’un ancêtre éponyme,
soit d’un marabout reconnu comme l’ancêtre spirituel[200]. »

Dans les montagnes de Cherchell les Beni Menacer actuels furent
jusqu’au XVIe siècle des Zenètes Maghraoua, dont le nom se trouve
déjà dans Ptolémée sous le nom de Μακχούρηβοι. Ils
ont adopté leur nom actuel aux environs du XVIe siècle et « ils
le dérivèrent de celui d’un saint nommé Mansour, qui se serait
fixé parmi eux pour les ramener à la religion, et serait ainsi
devenu leur ancêtre spirituel éponyme[201] ».

C’est ainsi que « les Mekhâlif, entre Djelfa et Laghouat, se
rattachent à un Sidi Makhlouf ;... les Douaouïda (province de
Constantine) à Sidi Douad, etc. ».

M. René Basset donne tout une liste de marabouts algériens venus
du Maroc et de la Seguiet el Hamra, et qui ont évangélisé Blidah,
Mascara, la Kabylie, etc.[202]. Le santon fameux de Milianah, Sidi
Ahmed ben Yousof se rattache spirituellement, au titre de disciple,
« à ce grand mouvement de renaissance religieuse[203] ».

Voilà qui éclaire évidemment le rôle joué au Touat par el
Mer’ili, à Tar’it par Si Beyazid, etc.

La révolution du XVe siècle au Sahara et en particulier au Touat
ne lui est donc pas particulière ; des événements analogues,
répercussions des victoires espagnoles, se sont produits à la même
époque dans toute l’Afrique du nord. Le Maroc battu en Europe
et envahi en Afrique, fut apparemment sensible à l’humiliation
nationale et au recul de l’Islam ; par surcroît il fut le refuge
des musulmans andalous chassés d’Espagne : ces proscrits nombreux,
intelligents, cultivés et aigris se dispersèrent sur la surface du
Maroc par petites colonies, qui devinrent des centres de fermentation
religieuse et patriotique. Et c’est ainsi que l’extrême
Ouest-Africain est devenu, par un curieux choc en retour, un centre
d’expansion énergique non seulement de l’Islam mais de la langue
arabe. Les Arabes du Touat sont venus de l’ouest, de la Seguiet
el Hamra, où la colonie andalouse était considérable, et qui fut
un centre de rayonnement important entre tous. Il l’est resté
d’ailleurs, comme en témoigne le rôle d’agitateur xénophobe
joué actuellement par Ma el Aïnin. Qu’une population expulsée,
et en quête d’une nouvelle patrie, se soit portée de préférence
au Sahara, dans les parties périphériques et, pour ainsi dire,
coloniales de l’empire marocain, ou que, en tout cas, elle y ait
exercé une influence plus profonde, c’est assez naturel. Serait-il
absurde de rappeler à ce propos le rôle joué en Algérie, après
1870, par d’autres annexés, les Alsaciens-Lorrains ? En tout cas
il y a là tout un ensemble de faits que notre éducation historique
européenne ne nous habitue pas à associer avec les dernières
larmes de Boabdil, et qui n’en sont pas moins réels. Les défaites
marocaines en Andalousie ont eu leur répercussion et leur revanche
un peu partout dans l’Afrique du nord, mais plus particulièrement
à l’autre bout de l’empire, au Sahara.

C’est là dans le passé le dernier tournant d’histoire
qu’on aperçoive nettement aux oasis. Au delà tout devient
confus. L’article de M. Wattin sur les origines du Touat énumère
il est vrai un certain nombre d’événements fort antérieurs au XVe
siècle. Mais les souvenirs indigènes sont flous et incertains. En
289 de l’hégire (901 de l’ère chrétienne) une migration serait
venue de l’est, provoquée par les exactions d’Ibrahim ben Ahmed,
gouverneur de l’Ifriqiya ; les immigrés se fixèrent au Reggan, et
donnèrent au pays le nom de Touat, parce qu’ils étaient fatigués
(_ouatin_ !!)

Ce sont précisément les Barmata. Mais d’autre part, d’après
M. Basset, la même légende et la même étymologie sont appliquées
à des nègres de la suite du roi de Melli, Mensa Mousa[204].

D’après Wattin, ce qui signifie naturellement d’après les
indigènes dont il reproduit les dires, les ancêtres des Touatiens
seraient tous arrivés au Touat entre les années de notre ère
901 et 1067. Mais d’autre part, d’après le même Wattin, les
Juifs sont arrivés au Touat dans l’année de l’éléphant,
c’est-à-dire au VIe siècle. Il paraît impossible de tirer de
tout cela un renseignement positif d’intérêt général[205].


=Les Haratin.= — Il n’est pas difficile de poser le problème
à résoudre. Les Berbères furent-ils les premiers habitants du
Touat ? ou ont-ils été précédés par des Nègres ? C’est la
question des haratin.

Toute la basse classe, et par conséquent la partie la plus
considérable de la population, est composée de Nègres. Seuls
d’ailleurs ils sont en état de supporter physiquement le travail
de la terre, parce qu’ils résistent à la malaria.

Mais ces Nègres se divisent en deux catégories bien tranchées,
les esclaves et les haratin.

Pour les esclaves point de difficulté, leur origine est claire,
la plupart sont nés au Soudan et ont été amenés aux oasis par la
traite. D’après Wattin ils ont un idiome spécial, le _kouria_,
qui serait un pot-pourri de toutes les langues soudanaises. M. Wattin
ne donne aucun détail sur cet idiome qu’il n’a évidemment
pas eu le temps d’étudier ; mais il est très affirmatif sur
son existence. D’après le peu qu’il en dit on imagine un
sabir, un pigin-englisch ; il est assez vraisemblable en effet que
dans un milieu d’esclaves soudanais, d’origines et d’idiomes
différents, réunis par leur misère commune, il soit né une sorte
de lingua franca nigritienne. Cette petite question reste pourtant
à approfondir.

Il est autrement délicat de se prononcer sur l’origine des
haratin. C’est une classe, ou une caste de la société, un
prolétariat agricole, et peut-être faut-il aller jusqu’à dire
des serfs de la glèbe ; ils travaillent les jardins d’autrui
d’après un contrat de métayage, équivalent à celui qui lie le
khammès algérien ; je crois qu’ils n’avaient pas le droit de
rompre ce contrat de métayage, et à coup sûr ils n’en avaient
pas la possibilité.

Ce prolétariat nègre se retrouve dans tout le Sahara algérien et
marocain, à Ouargla, au Tafilalet, dans l’O. Draa, et partout il
porte le même nom.

On pourrait être tenté de dériver ce nom de حرث (_harat_ :
labourer) ; d’après les archives marocaines il y a une classe de
haratin (laboureurs blancs) auprès de Tanger[206]. Il semble donc
bien que aux yeux des indigènes la caractéristique essentielle des
haratin c’est moins la couleur de la peau que la positon sociale.

Les haratin sont-ils des esclaves libérés, une caste
d’affranchis ? sont-ils au contraire le résidu d’une
ancienne population aborigène, asservie par les Berbères,
des Garamantes ? C’est une question qui a fait couler beaucoup
d’encre. Les haratin du Touat et des groupes voisins d’oasis
n’ont certainement pas d’idiome qui leur soit propre. Ils
parlent la langue de leurs maîtres, arabe ou berbère suivant
les oasis. Un certain nombre savent le kouria, mais non pas tous ;
ceux qui le parlent sont d’anciens esclaves, et le kouria serait
incontestablement le jargon propre des esclaves. Notons pourtant
que M. Basset, étudiant à Tiaret l’idiome berbère parlé par
une colonie de haratin a retrouvé des influences yolof[207].

On n’a jamais étudié les haratin au point de vue ethnologique ;
il est certain pourtant qu’ils ont les instruments de musique des
Nègres, le tambour et la double timbale (karkabou) ; ils ont leurs
danses et leurs habitudes bruyantes dans les nuits de pleine lune ! A
première vue à tout le moins ils ne semblent pas s’en distinguer.

D’ailleurs, au dire de nos officiers (capitaine Flye Sainte-Marie
en particulier), tout hartani qu’on interroge déclare que
son grand-père était esclave ; chez aucun on ne trouverait la
prétention d’appartenir à une caste différente par ses origines
de la caste servile ; les intéressés eux-mêmes se déclareraient
affranchis.

A coup sûr les coutumes facilitent et multiplient les passages
d’une caste à l’autre. Les affranchissements sont fréquents,
et tout affranchi est de droit hartani. L’enfant de hartani et
d’esclave est de droit hartani, comme d’ailleurs l’enfant de
hartani et de parent libre est libre de droit. Des deux ascendants
c’est toujours celui dont la condition est la plus relevée qui
la transmet à l’enfant. On voit ici par quel processus légal la
race entière se négrifie.

On peut donc affirmer que rien de ce qu’on observe au
Touat n’autorise à considérer les haratin comme une race
aborigène. Mais je ne crois pas qu’il serait sage d’aller plus
loin et de poser une conclusion absolue. Il est clair que, dans
la période actuelle, les Soudanais sont venus aux oasis comme
esclaves et qu’ils y ont fait souche de haratin : d’autre
part c’est un fait historiquement certain que, au Moyen âge,
ils y sont venus en conquérants, à la suite des rois de Mellé
et des sultans Sonr’aï ; une légende de Tombouctou, qu’on
a rapportée plus haut, attribue au Touat, au pays et à son nom,
une origine soudanaise. Dans un chapitre antérieur on a dit que,
au centre du Sahara, la race Berbère paraît superposée récemment
à une population nègre néolithique.

En définitive, dans un pays où, pour des raisons climatiques, les
nègres sont les seuls cultivateurs possibles, et qui d’ailleurs
est en libre communication avec la Nigritie, il serait imprudent,
et l’on pourrait presque dire absurde, d’affirmer _a priori_
qu’ils ont été un épiphénomène, des immigrants tardifs,
ouvriers malgré eux de la onzième heure.


=Conditions politiques et économiques.= — Nous avons la bonne
fortune de posséder, sur le Touat, ce qui nous manque sur les groupes
voisins d’oasis, un certain nombre de monographies très sérieuses
écrites sur place par des officiers de bureau arabe[208]. Il est
donc possible d’entreprendre, à propos du Touat, une petite étude
politique et économique, qui pourra s’appliquer en beaucoup de
ses parties à tout l’ensemble des oasis occidentales.

Tout d’abord les trois provinces, Touat, Gourara et Tidikelt ont
été recensées ; et ce recensement réduit d’une bonne moitié
les évaluations antérieures sur le chiffre de la population. On
espérait 100 ou même 150000 âmes, le groupe entier a environ
50000 habitants.

Au Touat le lieutenant Niéger nous donne un tableau méticuleux des
ksars et des groupes de ksars, et on voit comment cette population
se répartit. Le Touat, par exemple, a douze oasis, douze palmeraies
distinctes, formant chacune un tout plus ou moins centralisé ; dans
chacune un nombre variable de villages ; celle de Timmi, par exemple,
en a 26 ; celle de Sbaa en a 2, et Noum en Nas un seul. L’importance
de chaque village varie de 25 à 500 habitants.

On a déjà dit que les ksars sont en pisé. Le Crétacé,
au-dessus et parfois au-dessous des grès à dragées, a des bancs
épais d’argile, que les indigènes appellent « _tin_ » ; ces
argiles ont été et sont encore très exploitées, les galeries
d’exploitation sont parfois habitées, et dans une faible
mesure, il y aurait donc lieu de signaler aux oasis des vestiges
de troglodytisme (_Tesfaout_ au Gourara, _el Ahmer_ au Touat). En
général le _tin_ est employé à la confection du pisé et des
briques crues, matériaux habituels de construction (voir pl. XL,
phot. 75) ; les ksars des oasis sahariennes doivent au _tin_ une
coloration générale rouge qui leur est propre, au moins si on les
compare aux ksars d’Ouargla, d’es Souf. Là-bas les matériaux
de construction sont tout autres, la chaux et le plâtre abondent,
les villages sont d’un blanc éclatant ; et ce n’est pas une
simple question de coloration ; l’architecture, dans la cuvette
d’Ouargla, est bien moins primitive. On ne connaît rien, aux oasis
occidentales, de comparable aux superbes moulures de plâtre, qu’on
exhume dans les ruines de Sedrata. Ouargla et el Souf connaissent et
pratiquent la voûte ; aux oasis toutes les maisons sont couvertes
d’une mauvaise terrasse en terre avec une ossature de troncs de
palmier ; on sait que le tronc de palmier n’a pas de résistance,
quelque faible portée qu’on lui donne il fléchit progressivement
en arc de cercle (voir pl. XLI, phot. 78) ; il ne donne donc que de
petites terrasses éphémères, à travers lesquelles le pied passe,
et à la merci d’un orage. Ces monceaux de terre battue ajourée,
que sont les ksars des oasis, avec leurs longs passages couverts,
font une impression de termitières. (Voir pl. XLI, phot. 77 et
aussi pl. XXXV, phot. 66.)

Sur la constitution de la société l’essentiel a été dit ;
on sait qu’il existe à la base une caste d’esclaves, et une
caste de prolétaires serfs, les haratin.

Ajoutons que la classe des hommes libres comporte elle-même des
subdivisions : tout à fait en haut de la hiérarchie sociale
sont les _chorfa_ (descendants du Prophète), et les _merabtin_
(descendants de saints, d’ascètes illustres) ; au-dessous les
_aouam_, la tourbe des simples musulmans dont les ancêtres ne
furent jamais béatifiés. Nous pourrions dire les nobles et les
roturiers à condition de se souvenir qu’en général dans la
Berbérie théocratique toute noblesse est religieuse et la sainteté
héréditaire.

L’organisation politique est très lâche. Le rouage essentiel
est la _djemaa_, composée de tous les notables de chaque ksar ;
mais nous sommes assez mal fixés sur ses attributions et ses moyens
d’action ; nous ne savons pas si elle délègue son autorité et
à qui, ni de quelle-façon elle fait exécuter ses décisions ;
probablement assez mal. Son autorité, en tout cas, ne dépasse pas
les limites du ksar, et dans ce groupement de ksars, qui est une
oasis, il n’y a pas de rouage politique central, aucune cohésion.

La grande oasis de Timmi par exemple avec ses 26 ksour, est bien
une individualité géographique et agricole, mais non pas du tout
politique, elle est gouvernée par 26 djemaa, entre lesquelles, en
cas de dissentiment, il n’y a de secours possible qu’à la force.

En pratique, pourtant, il y a souvent une famille prépondérante,
dont le chef dirige, tant bien que mal, tout le district ; c’est
le cas de Mohammed ben Abd er-Rahman, au Timmi ; de Abd el-Qader
ben el-Hadj Bel Kacem, au Bouda. A ces petits seigneurs féodaux
le gouvernement français confère aujourd’hui, et le sultan
du Maroc conférait autrefois, le titre de caïd ; mais c’est
un titre étranger, auquel rien d’officiel ne correspond dans
l’administration indigène.

Il faut encore signaler ici comme partout dans l’Afrique du nord le
rôle politique des zaouias ; au Touat, Zaouiet Kounta et surtout
Zaouiet Reggan, au Gourara el-Hadj Guelman. Enfin, deux grands
çoffs divisent la population de toutes les oasis Sahariennes,
le çoff Yahmed et le çoff Sofian.

Cette institution du çoff, encore qu’elle nous paraisse,
avant tout, à nos yeux d’Européens, un principe de division
et de guerre civile, est au contraire ici le seul lien entre les
différents districts, puisqu’elle est la seule qui s’étende
à la totalité du pays. En dehors des influences personnelles et
religieuses, la _djemaa_ dans le ksar, le çoff dans l’ensemble
des oasis sont les seules institutions politiques existantes.

Les lois et coutumes en matière d’irrigation sont d’une
importance particulière, la monographie du Touat, par le lieutenant
Niéger, contient, à ce sujet, un alinéa très intéressant. Au
Touat, l’eau est objet de propriété en soi, indépendamment
du sol ; il est courant qu’un propriétaire de palmiers soit
simplement locataire de l’eau, sans laquelle sa propriété ne
saurait subsister. « Cette anomalie, dit Niéger, s’explique
facilement par le désir que les gens riches de la contrée,
possesseurs de _foggara_, avaient de conserver les moins favorisés
dans leur dépendance. » On comprend aisément, en effet, que la
possession de l’eau soit un instrument de domination, et que les
simples propriétaires de palmiers constituent une classe inférieure
et dépendante. Chaque _foggara_ a donc son propriétaire, ou plus
généralement ses propriétaires, et qui ne sont pas le moins du
monde indivis ; la proportionnalité de leurs droits se mesure très
exactement au nombre de puits d’aération qui appartiennent à
chacun. Chaque section de _foggara_ a donc son propriétaire : Niéger
ne nous dit pas s’il est responsable de son entretien ; cela paraît
probable, et, dans ce cas, la propriété des _foggara_ ne serait
pas seulement un instrument de domination, elle présupposerait une
certaine situation de fortune et une certaine prééminence sociale ;
il est clair que, pour entretenir une _foggara_, pour faire face
aux aléas d’un éboulement par exemple, il faut disposer, soit de
capitaux, soit d’une clientèle étendue d’ouvriers. On ne nous
dit pas non plus si la communauté se désintéresse entièrement de
cette question vitale de l’irrigation. C’est peu vraisemblable :
qu’arrive-t-il, par exemple, si le propriétaire d’une section
de _foggara_ laisse dépérir sa propriété et compromet, par là,
la prospérité d’une portion de l’oasis ? Nous ne savons pas
davantage comment se fait la location de l’eau ; y a-t-il des baux,
des enchères ? On devine l’existence de tout un code minutieux
de l’irrigation, qu’il serait intéressant de connaître.

Le lieutenant Niéger nous donne d’intéressants détails sur
la répartition matérielle de l’eau. Ailleurs, dans l’oasis
de Figuig, par exemple, ce qui se répartit, ce qui fait objet
de propriété et de contrats, c’est le tour d’irrigation,
l’heure, la fraction de temps pendant laquelle on aura l’usage
de l’eau. C’est donc le temps qui se mesure au moyen de la
_karrouba_, un vase en cuivre, percé d’un trou, qui joue le
rôle d’horloge hydraulique, ou, plus simplement, de sablier
d’eau. Ce mode de répartition n’est pas inconnu au Touat,
mais il y est rare. Niéger mentionne « une seule _foggara_ à
Tamentit, où chaque propriétaire prend l’eau pendant un temps
déterminé et arrose immédiatement son jardin ». En général,
c’est l’eau elle-même qu’on mesure ; on jauge son débit,
et il est curieux de voir comment les ksouriens ont résolu ce
problème délicat. L’instrument dont ils se servent porte le nom
de _chekfa_ ; c’est une plaque de cuivre percée de trous. Chacun
de ces trous a une dimension déterminée ; les uns sont l’unité
de mesure (_habba_), et les autres en sont des fractions ou des
multiples. Il suffit de barrer entièrement le courant avec cette
plaque de cuivre ; « l’équilibre est établi lorsque l’eau
coule par une gouttière ménagée à la partie supérieure
de l’instrument ; on bouche à cet effet le nombre de trous
nécessaires dans la _chekfa_. Il suffit alors de compter un à un
les trous restés libres, et qui correspondent à des mesures connues
(_habba_, 1/2 _habba_, etc.), pour avoir le débit ».

M. le lieutenant-colonel Laperrine a bien voulu attirer mon attention
sur un passage curieux de _Ronna : les Irrigations_[209]. On y voit
que, en France, les anciens fontainiers faisaient usage du pouce
d’eau, qui est simplement l’équivalent français de la habba.

Il est curieux de constater ainsi, une fois de plus, que les
hydrauliciens du Sahara ont emprunté leurs connaissances précises
au fonds commun du vieux monde. Du moment que les ksouriens ont un
instrument de jauge, suffisamment précis et pratique, il est aisé de
concevoir comment s’opère la répartition. Au débouché de chaque
_foggara_, dont le débit est jaugé, se trouve un _kasri_, que les
Français appellent un « peigne » à cause de sa forme. C’est,
si l’on veut, un delta de pierre entre les branches duquel l’eau
de la _foggara_ se divise. (Voir pl. XXXVIII, phot. 71.) Chaque dent
du peigne, ou chaque branche du delta a son propriétaire auquel une
_chekfa_, disons un compteur, fixé à demeure, assure automatiquement
la quantité d’eau exacte qui lui revient. Il est curieux de voir
comment, à travers les trous de la _chekfa_, l’eau des oasis se
vend et se loue, pour ainsi dire goutte à goutte.

Ce système surprend par son ingénieuse complexité, mais il a
un gros inconvénient ; à jauger l’eau, et à l’éparpiller
ainsi entre les différents propriétaires, on en perd beaucoup. Avec
l’autre système celui de la karrouba on gaspille beaucoup moins. Il
semble que l’organisation politique des Touatiens les ait amenés
à choisir ce mode défectueux de répartition. Il n’est pas rare
en effet qu’une même foggara appartienne à plusieurs ksars,
qui, étant parfaitement autonomes, ne pouvaient pas rester dans
l’indivision. L’anarchie du pays livre ainsi à l’évaporation
une quantité d’eau assez notable.

Chaque ksar a son jaugeur d’eau, _Kiel el-ma_ qui est en même
temps, dans les questions d’irrigation, quelque chose comme un
arbitre ou un juge.

Et c’est en même temps quelque chose d’assez voisin de notre
notaire ; ce qui fait sa force, et ce qui le rend irremplaçable,
c’est sa connaissance méticuleuse des intérêts et des fortunes.

En somme, tout ce que cette assez pauvre race humaine a
conservé d’intelligence et d’énergie est concentré
autour de ces questions d’irrigation et de culture. Elle a
réalisé là des miracles, à propos desquels on regrette de
constater une disproportion entre la somme des efforts et de
l’ingéniosité déployés, et le résultat économique final,
qui est médiocre. (Voir pour l’irrigation aux oasis, pl. XXXVIII,
phot. 72. et pl. XXXIX, phot. 73, 74.)

La datte est, comme partout dans les oasis, la richesse principale,
mais celles du Touat ne supportent pas la comparaison avec les fruits
magnifiques d’Ouargla et de l’oued R’ir. Au dire des indigènes
on a souvent essayé de transplanter au Gourara et au Touat les
meilleures espèces d’Ouargla ; elles y dégénèrent très vite.

C’est probablement une question de sol. La cuvette d’Ouargla et
de l’oued R’ir est alluvionnaire, les déjections de l’Igargar
s’y sont accumulées sur de grandes profondeurs ; ce sol chargé
de produits chimiques donne d’ailleurs des eaux purgatives, à
peine potables. Le Touat doit à ses grès des eaux très pures et
un sol pauvre.

Les indigènes en ont conscience et recherchent avidement le fumier
mais leur cheptel misérable ne leur en fournit guère ; de très
rares chameaux, quelques ânes et quelques moutons étiques ; les
poules elles-mêmes sont remarquables par leurs dimensions exiguës ;
elles pondent des œufs à peine plus gros que ceux du pigeon. Toute
la vie animale domestique est malingre ou absente. Le chien n’existe
pas, trop mal outillé pour survivre aux étés sahariens, avec sa
peau dépourvue de pores sudorifiques.

Sous les palmiers mûrissent d’excellents raisins, qu’on
retrouve d’ailleurs sur bien des points au Sahara (Hoggar par
exemple) ; ils ne ressemblent pas du tout à ceux d’Algérie,
ils ont la peau aussi fine et le grain aussi petit que les raisins
les plus septentrionaux de France, évidemment la vigne s’étiole
au sud comme au nord de la zone méditerranéenne. En compagnie du
raisin les jardins du Touat ont des fruits et des légumes, figues,
oignons, fèves, pastèques, etc., qui constituent pour l’indigène
une ressource alimentaire appréciable, mais qui ne sont pas des
richesses économiques réalisables.

Dans cette catégorie des produits agricoles susceptibles
d’alimenter un commerce viennent très loin après les dattes,
le henné et le tabac, d’importance pécuniaire insignifiante,
mais surtout les céréales, mil, orge et blé. D’après M. le
capitaine Flye Sainte-Marie le blé vient très beau, et le Touat
proprement dit, à lui seul, en a produit en 1904 17600 quintaux,
de quoi suffire non seulement aux besoins locaux, mais encore à
ceux de la garnison et peut-être à une faible exportation.

Il est vrai que la consommation locale de denrées alimentaires
doit être très faible. Incontestablement, les prolétaires des
oasis, autrement dit les haratin, sont une population à peine
nourrie. On leur voit d’effrayants sternums de momies. Le climat,
en été du moins, diminue d’ailleurs l’appétit et fait tomber
l’embonpoint. L’Européen lui-même, si j’en juge par mon
exemple, perd rapidement, avec ses habitudes de suralimentation,
une partie notable de ses provisions adipeuses. Sous la double
influence du climat et de la famine, les haratin ont dû développer
d’étonnantes facultés d’assimilation digestive intégrale, et
d’évacuation minima. Il y aurait là un beau champ d’études
pour ces cas de jeûne extraordinairement prolongé, sur lesquels
a été attirée l’attention des médecins, des psychistes et
même du grand public. Les oasis doivent être pleines de Succi,
auxquels il a manqué un _manager_.

Les autorités françaises craignent ou feignent plaisamment de
craindre que le Touat ne se vide d’habitants, le bruit s’étant
répandu dans la population qu’il y avait au nord des pays où
l’on mangeait. Le Tell à ce point de vue malgré la distance,
a toujours exercé une attraction puissante sur les Touatiens. Si
M. Basset a pu étudier à Tiaret le dialecte berbère du Touat et
du Gourara, c’est qu’il y a trouvé une colonie de haratin.

Sur la misère et la famine au Touat M. l’interprète militaire
Martin[210] m’a fourni quelques chiffres dont je lui laisse
la responsabilité, mais qui sont effrayants. Un palmier vaut à
Ouargla de 30 à 50 francs ; dans l’oued R’-ir de 60 à 70 ;
et les meilleures espèces (deglat nour) vont à 300 francs ; au
Touat les palmiers ont une valeur maximum de 6 à 7 francs le pied,
soit environ dix fois moindre.

La journée de travail au Touat se paie un sou et une poignée
de dattes.

A la suite de l’occupation française, la situation économique a
été modifiée profondément, et dans un sens péjoratif, au moins
par certains côtés.

Le Touat a toujours vécu de la traite des Nègres ; elle lui était
doublement nécessaire, d’abord pour renouveler sa main-d’œuvre,
puis comme aliment principal du commerce transsaharien. La suppression
de la traite est un coup terrible, qui frappe le Touat à la fois
dans son agriculture et dans son commerce ; la main-d’œuvre noire,
la seule viable sous cette latitude, tend à émigrer, maintenant que
nos lois lui en donnent le droit, et la sécurité des grands chemins
la possibilité ; comment comblera-t-on les vides ? Et d’autre part,
à travers le Sahara, sur cette route commerciale dont le Touat fut
un entrepôt, le Soudan, à quelques plumes d’autruches près,
n’a jamais expédié que de la marchandise humaine, en échange des
produits manufacturés qu’il recevait de la Méditerranée, et qui
d’ailleurs, aujourd’hui, lui parviennent plus commodément par
la voie océanique. Nous avons rencontré à Ouallen une caravane
du Touat en partance pour Tombouctou ; elle se composait de deux
chameaux chargés de tabac. Les fameuses caravanes d’autrefois,
si surfaites qu’on les imagine, étaient apparemment plus fortes
et transportaient des marchandises plus variées.

Par surcroît notre venue a troublé profondément le commerce
intérieur du Sahara entre nomades et sédentaires. Le Touat
était le marché où les produits agricoles (surtout les dattes)
s’échangaient contre ceux de l’élevage (mouton, beurre). Pour
des raisons diverses, et à titre plus ou moins provisoire ou
définitif, les nomades ont désappris le chemin du marché.

Ceux du sud, les Touaregs, ont quitté les oasis après l’occupation
d’In Salah pour n’y plus reparaître pendant de longues années.

Ceux de l’ouest sont les Beraber, depuis la disparition des Ouled
Moulad ; c’étaient les nomades particuliers du Touat proprement
dit ; ils ne l’ont quitté qu’après de sanglants combats,
et ils semblent encore loin d’accepter le nouvel ordre des choses.

Ces désertions du moins ne sont pas durables ; la question Touareg
est déjà résolue et la question Beraber recevra quelque jour
une solution. Au nord, du côté des nomades algériens, clients
propres du Gourara, le mal est moindre, mais il est irréparable. Les
Hamyan et les Trafi du Sud-Oranais, poussés par l’administration
française, ont vite repris, après une courte interruption leur
habitude séculaire d’envoyer une fois l’an au Gourara de
grandes caravanes[211]. Pourtant M. le capitaine Flye Sainte-Marie,
dans son étude très documentée, constate la décadence du
trafic sud-oranais, malgré les encouragements administratifs ;
au Touat proprement dit le nombre des chameaux oranais est tombé
de 4300 à 1700[212]. L’insécurité de la frontière n’est pas
étrangère à cette déchéance. Mais la grosse raison est ailleurs,
elle a été indiquée par MM. Lacroix et Bernard[213]. Les conditions
économiques ont été si profondément modifiées dans l’Oranie par
l’occupation française que la répercussion s’est fait sentir
sur l’alimentation. « Les indigènes arrivent à ne plus tenir
aux dattes. » Ou s’ils en consomment encore, ce sont les dattes
supérieures de l’oued R’ir. La datte en Algérie est tombée du
rang d’aliment à celui de friandise ; et les médiocres produits
des palmeraies touatiennes s’accumulent en stocks invendus.

En compensation de tant de ruines l’occupation française a eu ses
avantages. Le premier est une garnison qui laisse dans le pays à
peu près l’intégralité de sa solde. Dans une sous-préfecture
française c’est un bienfait apprécié. Au Touat ç’a été le
point de départ d’une révolution économique. L’argent monnayé
a tué le troc ; les Juifs, les Mzabites, voire les Chaamba ont fondé
des maisons de commerce ; au lieu des anciennes caravanes libres
qui venaient échanger en nature des moutons contre des dattes,
on a vu apparaître des caravanes organisées par entreprise,
exécutant des commandes, et qui viennent chercher au Touat non
plus des dattes mais de l’argent ; elles ont emprunté des routes
nouvelles celles de l’est qui viennent du M’zab, d’Ouargla,
ou même de Gabès. A la place de l’ancienne vie commerciale
paralysée on en voit naître une nouvelle.

Autre bienfait corrélatif du premier, la garnison a apporté
la sécurité, grâce à laquelle on cherche à développer les
procédés d’irrigation et l’étendue des cultures. Les sondages
artésiens, entrepris, il est vrai, avec un outillage insuffisant,
n’ont encore rien donné ; et il est bien possible que ce mécompte
ne soit pas fortuit. Les indigènes, au Touat-Gourara, ont creusé
deux puits artésiens seulement, en regard de foggaras qui se comptent
par milliers ; ce sont après tout d’admirables hydrauliciens,
et ils compensent l’infériorité de leur outillage par une
expérience de dix ou vingt siècles ; nous pouvons espérer faire
mieux, mais non pas autrement. La simple réparation des foggaras
a donné d’excellents résultats. D’après le capitaine Flye
Sainte-Marie le débit « a augmenté dans une proportion incroyable
(1/4, 1/3, 3/7)[214] ». On songe à bétonner les canaux à l’air
libre (séguia) et les bassins de réception (madjen) pour éviter
l’infiltration. (Voir pl. XXXIX, phot. 74 et XXXVIII, 71 et
72.) Bref on est en mesure d’augmenter notablement les ressources
en eau.

On a pu amorcer ainsi aux oasis quelques parcelles nouvelles de terre
cultivable, malgré les difficultés qu’oppose ici comme en Égypte
la salure du sol[215]. La production des céréales s’est accrue
dans une assez forte proportion, et la vente du blé a pu compenser
en quelque mesure le mévente des dattes.

Ce vieil organisme économique très affaibli lutte de son mieux
pour traverser une crise redoutable.


=Les nitrates de potasse.= — On a pu croire que le Gourara-Touat
avait des chances de développement minier. On y a signalé depuis
longtemps des gisements de nitrates, sur la frontière du Touat et
du Gourara (à Ouled Mahmoud, Kaberten, Sba, Tililan[216]). J’en
ai vu trois qui se ressemblent, et je crois savoir que l’autre
est du même type.

M. Pouget, professeur à l’École des sciences d’Alger, a bien
voulu analyser un échantillon de terre à nitrates, que j’ai
rapporté d’Ouled Mahmoud. Il y a trouvé une forte proportion
de sel de cuisine (41 p. 100). Quant aux nitrates, ce sont plutôt
des nitrates de soude que de potasse. Mais « le traitement que les
indigènes font subir au minerai transforme partiellement le nitrate
de soude en nitrate de potasse, grâce à la présence de chlorure
de potassium[217] ». En somme, on pourrait extraire du minerai 6,45
p. 100 de salpêtre. C’est une quantité faible, les _caliches_
du Chili en contiennent de 3 à 10 fois plus.

La teneur du minerai en salpêtre est variable. Elle n’est
suffisante qu’après une forte pluie, suivie d’un grand
vent, c’est-à-dire d’une forte évaporation. Les indigènes
l’affirment du moins, et ils attendent ce moment favorable pour
l’exploitation intermittente de leurs nitrates. D’ailleurs
l’ascension des sels par capillarité est, paraît-il, un
phénomène constant ; les déchets des _caliches_ se rechargent
automatiquement, et peuvent être exploités de nouveau. Au Gourara,
cette particularité inspire à M. Flamand l’espoir qu’il existe
en profondeur des gisements très riches, alimentant les gisements
pauvres superficiels.

Il faut espérer qu’un coup de sonde sera donné par
l’administration qui dispose d’un petit appareil à forages. Le
terrain encaissant est partout le même, argiles cénomaniennes
ou albiennes.

Il faut avouer que l’aspect des gisements n’est pas
engageant. Celui d’Ouled Mahmoud est tout petit ; c’est une sebkha
minuscule de cent à deux cents mètres de diamètre. Elle est enclose
dans la palmeraie, en contre-bas du village, dans une dépression
marquée. Toutes les déjections et toutes les matières animales
ont dû y être entraînées et s’y accumuler depuis des siècles,
d’autant plus que le sol environnant est d’argile imperméable. On
est donc tenté de croire que la petite nitrière d’Ouled Mahmoud
est simplement l’égout naturel d’un village très ancien.

Celles de Sba et de Tililan sont aussi de petites sebkhas
à proximité de villages. L’outillage et les procédés
d’extraction sont assez ingénieux quoiqu’ils donnent des
résultats déplorables. D’après M. Pouget, plus de la moitié
du salpêtre contenu dans le minerai se retrouve dans les déchets,
soit 3,8 sur 6,45 p. 100. D’autre part, le nitrate de potasse
obtenu est très impur, il contient 33 p. 100 de nitrate de soude.

L’outillage et les procédés des Gourariens ne leur sont
d’ailleurs pas particuliers. Ils étaient en usage dans les oasis
des Zibans et de l’oued R’ir au milieu du XIXe siècle[218]. Je
ne sais pas si les nitrières d’Ouled Mahmoud auront une autre
fortune que celles des Zibans, aujourd’hui tombées dans l’oubli.


[Note 160 : Voir la carte en couleurs hors texte.]

[Note 161 : Étienne Ritter, Le Djebel Amour, _Bulletin du service
de la carte géologique de l’Algérie_, Alger, 1902.

M. Flamand attribue au Néocomien les grès du Gourara, mais dans un
travail ancien, qui a précédé celui de Ritter (Flamand.... dans
_Documents pour servir à l’étude du Nord-Ouest Africain_, par
Lamartinière et Lacroix, Alger 1897).]

[Note 162 : Foureau, _Documents, etc._, p. 824.]

[Note 163 : Flamand, Sur la présence du Dévonien à _Calceola
sandalina_ dans le Sahara occidental, _C. R. Ac. Sc._, 1er juillet
1901.]

[Note 164 : Ém. Haug, Sur deux horizons à Céphalopodes du Dévonien
supérieur dans le Sahara oranais, _C. R. Ac. Sc._, 6 juillet 1903.]

[Note 165 : Note de M. Chudeau : « Le sondage de Tiberkamin
atteignait 66 mètres : il y aurait : alluvions, 3 mètres ;
Crétacé, 7 mètres ; Primaire. Le fossile m’a paru être _Atrypa
reticularis ?_ »]

[Note 166 : Observation de M. Chudeau.]

[Note 167 : Flamand, Sur la présence du Dévonien inférieur dans
le Sahara occidental, _C. R. Ac. Sc._, 2 juin 1902.]

[Note 168 : Supplément au _Bulletin, etc._, juillet 1907.]

[Note 169 : Supplément au _Bulletin, etc._, juillet 1907 ; voir en
particulier les coupes, p. 151 et 152.]

[Note 170 : Les grès dévoniens de Maurétanie sont eux aussi
horizontaux, d’après le témoignage oral et les carnets de
M. Dereims, le seul géologue professionnel qui les ait vus.]

[Note 171 : Un tronc de 30 centimètres de diamètre (Note de
M. Chudeau).]

[Note 172 : Bornhardt, _Deutsch Ost. Afrika_, Berlin, 1900, t. VII.]

[Note 173 : On ne les trouvera pas sur les anciennes cartes. Il faut
les chercher sur les cartes Prudhomme et Niéger.]

[Note 174 : Brunhes, _L’Irrigation_.]

[Note 175 : Lieutenant Niéger : Le Touat, _Bulletin du comité de
l’Afrique française_. Suppléments no 7 et 8, juillet et août,
1904.]

[Note 176 : Dr Siegfried Passarge, _Die Kalahari_. Berlin, 1904,
p. 667.]

[Note 177 : Hartmann, dans _Zeitschrift für assyriologie_, Bd XIX,
p. 352.]

[Note 178 : La carte Mussel, encore inédite, est le document le
plus sérieux.]

[Note 179 : Martin, Oasis sahariennes, _Bulletin de la Société de
géog. d’Alger_, 1906, p. 395.]

[Note 180 : René Basset, _Étude sur la zénatia du Mzab, de
Ouargla et de l’Oued-R’ir_. Publication de l’École des Lettres
d’Alger, 1893.

Du même auteur une étude sur le dialecte du Gourara dans : _Journal
Asiatique_, 1885, Notes de Lexicographie berbère.]

[Note 181 : W. Marçais, _Le Dialecte arabe parlé à Tlemcen_,
publication de l’École des Lettres, 1902, p. 13 et 14.]

[Note 182 : Publiée par le Dr Hamy, on la donne en appendice.]

[Note 183 : Siegfried Passarge, _Die Kalahari_.]

[Note 184 : René Basset, dans _Journal Asiatique_, VIII, série X,
1887, p. 365 et s.]

[Note 185 : _Bull. Soc. de Géogr. d’Alger_.]

[Note 186 : _Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions_,
mai 1903, voir aux appendices.]

[Note 187 : A l’étude au laboratoire géologique de M. Flamand.]

[Note 188 : Barth, _Reisen und Entdeckungen_, II, p. 83.]

[Note 189 : Également à l’étude au laboratoire de M. Flamand.]

[Note 190 : Corippus, _Johannide_, II, 109 ; IV, 667. _El Bekri_,
Texte arabe de de glane, p. 161.]

[Note 191 : Laquière, La colonne Servières : publication du
_Bulletin du comité de l’Afrique française_, p. 21.]

[Note 192 : Wattin, _l. c._]

[Note 193 : Segonzac, _Voyages au Maroc_, 1899-1901, p. 160, fig. 92 ;
voir aussi les fig. 95, 104, 105, 109.]

[Note 194 : Duveyrier en signale d’analogues, qu’il qualifie
de garamantiques, à R’adamès et au Fezzan (Voir _Exploration du
Sahara_, p. 251).]

[Note 195 : Louis Watin, Origine des populations du Touat,
_Bull. Soc. Géogr. Alger_, 1905, 2e trimestre, 209, etc.]

[Note 196 : Ernest Mercier, _Histoire de l’Afrique septentrionale_,
t. II, p. 382.]

[Note 197 : _Nedromah et les Traras_. Publication de l’École des
Lettres d’Alger. 1901, p. VII.]

[Note 198 : _L. c._, p. XV et XVI.]

[Note 199 : _L. c._, p. V.]

[Note 200 : _L. c._, p. 66.]

[Note 201 : René Basset, Notes de lexicographie berbère. Le dialecte
des Beni Menacer, _Journal asiatique_, 1885, p. 5.]

[Note 202 : _Id._, p. 20 en note.]

[Note 203 : René Basset, Les dictons satiriques attribués à Sidi
Ahmed ben Yousof, _Journal asiatique_, 1890, p. 6.]

[Note 204 : R. Basset, _Histoire de Tombouctou_, p. 21.]

[Note 205 : Notons qu’il y a eu un empire Saharien Zenati, dont
le centre était à Sidjilmessa (Tafilalet), mais sur lequel on a
actuellement des données bien vagues.]

[Note 206 : Archives marocaines, no II, p. 216.]

[Note 207 : _Journal asiatique_, VIIIe série, X, 1887, p. 365
et suiv.]

[Note 208 : Flye Sainte-Marie, _Bulletin de la Société de
Géographie d’Oran_, 1904, p. 345 et suiv. Niéger, _l. c._
Laquière, _l. c._]

[Note 209 : Bibliothèque de l’enseignement agricole, publiée
sous la direction de Münz, t. II, p. 292.]

[Note 210 : Communication orale.]

[Note 211 : Voir _Bulletin du Comité de l’Afrique
française_. Renseignements coloniaux. Septembre 1905, p. 350.]

[Note 212 : _Bull. Société d’Oran_, 1904, p. 370.]

[Note 213 : _L’Évolution du Nomadisme en Algérie_, p. 238 et 239.]

[Note 214 : _L. c._, p. 380.]

[Note 215 : _L. c._, p. 387.]

[Note 216 : G.-B.-M. Flamand, Aperçu sur la géologie du bassin de
l’oued Saoura (Extrait des Documents pour servir à l’histoire
du Nord-Ouest Africain par Lamartinière et Lacroix, Alger,
1897, p. 108). — Id., _De l’Oranie au Gourara_, 1897. — Id.,
_Observations sur les nitrates du Sahara..._ (_Bull. Soc. géol. de
Fr._, IVe série, 1902, p. 366-368).]

[Note 217 : Extrait d’une note de M. Pouget, qu’on donne
intégralement dans l’appendice IX.]

[Note 218 : G.-B.-M. Flamand (_Aperçu..._, p. 113) donne là-dessus
d’intéressants détails d’après le capitaine Carette (1844)
et l’ingénieur Dubocq (1852).]




                             CHAPITRE VII

                   =TIDIKELT ET MOUIDIR-AHNET[219]=


Il y a de bonnes raisons, géologiques, hydrographiques et de
géographie humaine, pour réunir dans une étude commune le Tidikelt
et les premiers plateaux touaregs.

La région étudiée et qui fait l’objet d’une carte d’ensemble
se divise commodément en trois régions naturelles qu’on étudiera
à part : 1o le Tidikelt, 2o la pénéplaine inhabitée entre le
Tidikelt et le Mouidir-Ahnet, 3o le Mouidir-Ahnet.


                         Géologie du Tidikelt.


Le Tidikelt s’allonge à la bordure méridionale du grand plateau
de Tadmaït. Il fait donc pendant au Touat et au Gourara qui sont
les bordures occidentale et septentrionale du même plateau.


=Crétacé.= — Les roches crétacées sont ici les mêmes qu’à
l’ouest et au nord. Un magnifique gisement de fossiles se trouve à
la tête de l’oued Aglagal ; les _Ostrea olisiponensis_ sont très
nombreuses et très belles ; c’est toujours comme à Matriouen et à
el Goléa le même étage qui est fossilifère, Cénomanien-Turonien.

La falaise de l’oued Aglagal, haute environ de 200 mètres, est une
magnifique coupe naturelle qui s’applique à la presque totalité
des couches crétacées au Tadmaït. Les étages supérieurs et moyens
du Crétacé sont ainsi représentés de haut en bas (fig. 53) :

  10. Calcaire à silex.       }
                              }
   9. Argile.                 } une soixantaine de mètres.
                              }
   8. Grès.                   } supposé, d’après la stratigraphie,
                              } représenter le Sénonien, mais sans
   7. Argiles à silex.        } preuves paléontologiques.


   5. Calcaire compact.       }
                              }
   4. Argiles ou marnes à     }
      _Ostrea olisiponensis_. } une centaine de mètres.
                              }
   3. Calcaires à _Ostrea     }
      olisiponensis_.         }
                              }
   2. Argiles très            }
      puissantes.             }

Au pied de la falaise s’étend très loin une plaine d’ennoyage,
alluvions quaternaires et dunes, et c’est à une quinzaine de
kilomètres plus loin seulement et en contre-bas de cent mètres, au
Kreb er Rih, qu’on voit réapparaître le Crétacé, représenté
par l’Albien gréseux du type habituel.

Cette falaise, que mon itinéraire s’est trouvé croiser à l’oued
Aglagal (pl. XLIII, 81), est un accident très important. C’est
elle qui limite au sud le Tadmaït, elle dépasse 300 kilomètres de
long, et son altitude, d’un seul jet, dépasse parfois 300 mètres
et n’est jamais inférieure à 150. Elle est jalonnée par des
sources A. Tabbagueur, A. Souf, A. el Hadjadj, A. Guettara. C’est
la lèvre en rejet d’une superbe faille est-ouest qui se constate
directement. Au sud de la falaise, au pied de laquelle affleure le
grès albien, on voit réapparaître, en contre-bas de plusieurs
centaines de mètres, toute la série des calcaires crétacés ; qui
constituent des causses étendus entre In Salah et la falaise[220]
(Voir la carte en couleurs.)

[Illustration : Fig. 53. — Falaise terminale du Tadmaït. —
1/600000.

1, grès albiens ; _a_, sol masqué par des formations récentes ;
pour 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10, se rapporter au texte.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4 série, t. VII, p. 196, fig. 1.)]

Il est donc certain que le Tidikelt représente par rapport au Tadmaït
un compartiment effondré.

Les grès albiens jouent au Tidikelt le même rôle prépondérant qu’au
Touat et au Gourara, mais ils sont développés surtout aux deux
extrémités, orientale et occidentale ; les bois silicifiés
caractéristiques sont épars sur le sol dans toutes les directions
autour d’In Salah comme autour d’Aoulef.

Au centre, entre In R’ar et Tit, la continuité du placage albien est
tout à fait interrompue. Un grand affleurement primaire s’avance en
golfe jusqu’auprès d’In R’ar. L’érosion de l’oued Souf y est
certainement pour quelque chose ; mais l’explication est insuffisante ;
il faut admettre l’existence de failles nord-sud ; de part et d’autre
de l’affleurement primaire en effet on retrouve des lambeaux
importants de calcaires crétacés (étage moyen ou supérieur ?) qui se
présentent à la place et au niveau des grès albiens.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XLIII.

[Illustration : Cliché Pichon

81. — OUED AGLAGAL, entaillant la falaise terminale du Tadmaït au sud.

Argiles et calcaires crétacés.]

Je les ai vus à Baba-Ahmed et à Aïn Tarlift.

La falaise de Baba Ahmed a 60 à 70 mètres de haut (5 mm. de différence
au baromètre anéroïde).

Les couches se succèdent ainsi de la base au sommet.

  Calcaires massifs                   40 mètres.

  Argiles schisteuses rouge brique    10    —

  Calcaire                             5    —

  Argiles ? où se trouve la source     5    —

A l’Aïn Tarlift la falaise terminale est beaucoup moins haute, une
vingtaine de mètres et présente approximativement la composition
suivante de la base au sommet :

  Grès                                 6 mètres.

  Argiles                              7 —

  Calcaires                            7 —

Contre cette formation sensiblement horizontale viennent buter, au pied
de la falaise, les couches carbonifériennes énergiquement plissées
; à Baba Ahmed la couche calcaire supérieure contient des fossiles,
malheureusement très friables et indéterminables.

Malgré l’absence de fossiles, l’âge crétacé de ces formations n’est
pas douteux, mais elles n’ont plus du tout le facies de l’Albien, au
niveau duquel elles se présentent pourtant, et dont il parait difficile
d’admettre qu’elles représentent, par transformation latérale ; un
facies particulier. Un système de failles est donc vraisemblable.

Notons d’ailleurs que le golfe primaire d’In R’ar, sur tout son
pourtour, c’est-à-dire sur le trajet probable des failles, est jalonné
de sources très nombreuses qui jaillissent au sommet des falaises ; Aïn
Baba Ahmed, Imellal, Aïn Othman, el Mouizzir, etc. ; la carte Prudhomme
n’en donne pas moins de dix-huit.

Des accidents tectoniques beaucoup moins importants, mais de même
orientation nord-sud jouent au Tidikelt au point de vue humain un
rôle considérable, toutes les palmeraies du Tidikelt sont des lignes
de végétation allongées nord-sud ; c’est particulièrement marqué à
Foggaret ez Zoua, In Salah, Aoulef. En général la ligne des
palmiers est doublée d’une sebkha étirée dans le même sens. Cela
revient à dire que les eaux du Tidikelt sont concentrées dans des
poches ou plus précisément, dans des cuvettes synclinales, très
allongées dans le sens de la méridienne. M. Flamand, à propos de
Foggaret ez Zoua et d’In Salah, était arrivé à cette conclusion, et
elle paraît incontestable ; les couches crétacées de Baba Ahmed ont une
allure synclinale, en cuiller, sensible à l’œil. En somme, les terrains
du Tidikelt, en général crétacés, sont affectés des plis posthumes,
dont la direction est imposée par celle des plis primaires sous-jacents
; car tous, les calédoniens, comme les hercyniens, ont ici une
direction uniformément subméridienne[221]. Ces plis ont rejoué, et les
failles profondes se sont traduites en surface par des fléchissements
en cuvettes synclinales de la couverture crétacée.


=Sous-sol primaire.= — La couverture crétacée est sans épaisseur
au Tidikelt et, à sa limite sud, il est facile d’étudier le
sous-sol primaire. Cette limite est très nette, elle est marquée
presque partout par des falaises abruptes mais peu élevées (quelques
dizaines de mètres).

Les formations primaires qu’on observe au pied des falaises et
dans le golfe d’In R’ar sont généralement carbonifériennes,
ou du moins presque tous les gisements de fossiles signalés sont
carbonifériens.

Les fossiles abondent dans la dépression d’In R’ar (Aïn In
Mellal, Aïn Mouizzir Sr’ir, Aïn Othman). Des fossiles de cette
provenance ont été étudiés par M. Flamand[222] qui conclut
ainsi : « On voit que toute cette faune, dans son ensemble,
est bien caractéristique du terrain carboniférien et que —
la présence d’espèces telles que _Plectambonites analoga_,
_Productus semireticulatus_, _Michelinia favosa_, _Fenestella
membranæ_, _Pleurotomaria Yvani_, etc., indique vraisemblablement
l’existence de deux étages viséen et tournaisien. »

Des fossiles d’Aïn Tar’lift appartiennent au même étage.

Au chapitre précédent on a déjà mentionné les gisements de
fossiles carbonifériens limitrophes du Touat et du Tidikelt, à
Aïn Cheikh et Hacian Taïbin ; ainsi que le gisement authentiquement
éo-dévonien d’Aïn Cheikh.

M. Flamand qui en a étudié le premier les fossiles, conclut
ainsi[223] : « L’ensemble de cette faunule caractérise
nettement le Dévonien inférieur ; de plus, la présence et
l’association de quelques formes : _Chonetes sarcinulata_ SCHLOTH.,
_Spirifer_ cf. _Rousseaui_ ROUAULT, _Pleurodictyum_ du groupe du
_constantinopolitanum_, etc., permettent de considérer les assises
gréseuses d’Haci Cheikh comme appartenant vraisemblablement à
l’étage coblentzien. »

Ce sont les seuls fossiles dévoniens qui aient encore été signalés
au Tidikelt. Les formations carbonifériennes sont malheureusement
bien loin d’avoir ici la même uniformité de facies que dans le
nord : dans la zone du Béchar, par exemple, ou même encore au
Gourara, le Carboniférien (Dinantien) se distingue aisément à
ses assises massives de calcaire bleuâtre.

Au Tidikelt, le calcaire n’a pas tout à fait disparu (Hacian
Taibin, par exemple). Mais les marnes prédominent ; ce sont elles qui
fournissent les plus beaux fossiles (Aïn Cheikh, Tar’lift). Elles
sont interstratifiées de schistes très fissiles (ktoub), de grès
très fissiles ou même de grès en bancs assez épais, qui paraissent
appartenir à l’étage.

[Illustration : Fig. 54. — Coupe d’Aïn Cheikh.]

Ce caractère protéiforme du Carboniférien est d’autant plus
regrettable qu’on peut être amené à confondre ces formations avec
d’autres d’un âge tout différent. S’il y a lieu de croire,
en effet, que le Carboniférien soit au Tidikelt l’étage primaire
le plus largement représenté en surface, il est incontestable que
les plis et les accidents primaires ont chance d’avoir amené à
l’affleurement tous les étages du Dévonien et du Silurien.

En effet l’architecture de la pénéplaine primaire apparaît
au Tidikelt avec plus de netteté relative qu’au Touat ; dans
le Tidikelt occidental, en particulier, l’étude du plissement
hercynien à Aïn Cheïkh et au dj. Aberraz est très instructive. Les
deux coupes s’appliquent au même plissement, à 20 kilomètres
environ de distance l’une de l’autre, et elles sont bien
symétriques.


=Aïn Cheikh.= — La coupe (fig. 54) est loin de me satisfaire ; je
l’ai relevée trop vite en 1903 et je n’ai pas revu Aïn Cheikh
depuis. La coupe a environ 4 kilomètres de long, transversalement à
la direction du pli. C’est une fenêtre ouverte à travers les grès
du Crétacé inférieur par l’érosion de l’oued Chebbi. Voici
d’ouest en est la succession des affleurements primaires.


1. Marnes et calcaires intercalés, fossiles carbonifériens
abondants.

2. Formations peu résistantes, accusées en creux et couverts de
débris, supposées représenter le Méso et le Néo-dévonien ?

3. Les grès éodévoniens, avec intercalations d’argile,
fossilifères. La source d’Aïn Cheikh jaillit entre deux
feuillets de grès. Des dépôts travertineux tout voisins attestent
l’importance de la source à l’époque quaternaire.

4. Argiles ou marnes, formation peu résistante, accusée en creux
et couverte de débris, difficile à observer. (Méso-dévonien ?)

5. Couches de calcaire amarante compact, contenant des fossiles,
en particulier des orthocères, indéterminables. (Méso-dévonien ?)

6. Schistes noirs, fissiles, puissants, l’oued Chebbi y a creusé
son lit. Il doit son nom à un gisement d’alun (chebbi) qui se
trouve en grands cristaux dans un lambeau d’alluvions quaternaires
à proximité de la source. Il semble donc bien que ces schistes
soient alunifères.


Or les schistes à graptolithes, rapportés par Foureau du Tindesset,
sont des schistes alunifères, et jamais encore on n’a signalé
d’alun au Sahara dans une formation autre que silurienne. D’autre
part, la source d’Aïn Chebbi, qui est abondante et pérenne,
est probablement en relation avec un accident, une faille.

Les couches 1, 2, 3, 4, 5 plongent toutes à l’ouest, sous
un angle de 45° peut-être. Le grès éodévonien recouvre les
calcaires à orthocères, plus jeunes que lui. De part et d’autre
de l’affleurement éodévonien qui marque nécessairement l’axe
du pli, les affleurements de couches plus jeunes ne sont nullement
symétriques.

Nous avons donc un pli orienté nord-sud (simple ou double ?),
vigoureusement déversé sur l’est, et qui vient s’écraser le
long d’une faille contre un horst silurien.

Notons que ceci est une interprétation tardive, après des années
écoulées, de la coupe notée sur le carnet.


=Djebel Aberraz.= — Celle du dj. Aberraz en revanche (fig. 55),
encore que lacunaire, ne fait aucune part à l’hypothèse
interprétative ; elle est due à M. Chudeau.

Le djebel Aberraz est formé par deux anticlinaux déversés vers
l’est ; le pli occidental surtout est important ; ils contrastent
nettement avec la région située plus à l’est (jusqu’à Bled
el Mass) où les plis à peine marqués forment une série de dômes
et de cuvettes nettement fermés.

Les couches carbonifériennes fossilifères s’observent au voisinage
de Hacian Taïbin sur le versant ouest du pli occidental.

Au sommet de ce pli, au dj. Aberraz proprement dit, affleurent
en puissantes assises des grès qui ont le facies et la masse des
grès éodévoniens. Cette partie du pli ayant été malheureusement
traversée de nuit la succession des couches n’a pas pu y être
notée.

Ce plissement hercynien est arrêté à l’est par le horst
calédonien de Bled el Mass. Il est composé de grès et de schistes
verts et violets, parfois de couleur claire, très plissés et
injectés de quartz. (Voir pl. XLIX, 90.)

Ce horst silurien était déjà arasé à l’époque dévonienne,
puisque le grès dévonien de Garet Tamamat repose dessus en couches
horizontales.

[Illustration : Fig. 55. — Coupe d’H. Taïbin à Garet el
Diab. — 1/600000,

Cr, Crétacé inf. ; C, Carbonifère ; D, Dévonien ; S, Silurien ;
Ŧ, pointe fossilifère ; F, faille et diaclase.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VII, p. 202, fig. 2.)]

Il semble donc bien établi qu’un horst silurien, bordé à
l’ouest par une faille nord-sud, s’étend d’Aïn Chebbi
à Bled el Mass ; c’est le butoir contre lequel est venu se
déverser sur toute sa longueur visible le pli hercynien d’Aïn
Cheikh-Dj. Aberraz ; et nous constatons ici, avec une grande
précision, la limite entre les domaines respectifs des plis
hercyniens et calédoniens.

Si mes souvenirs, un peu lointains, sont exacts, les schistes
alunifères d’Aïn Chebbi sont bien moins dérangés que les
couches de Bled el Mass. — Ceux du Tindesset, photographiés par
Foureau[224], paraissent assez voisins de l’horizontale. Il n’y
a là aucune contradiction puisque les schistes à graptolithes sont
rattachés par M. Haug au Silurien supérieur[225]. Les couches de
Bled el Mass sont probablement du Silurien inférieur[226].


=Pli d’In R’ar.= — Le pli hercynien d’In R’ar est encore
plus mal connu que celui d’Aïn Cheikh, pourtant son étude nous
conduit à des conclusions identiques.

D’après un rapport manuscrit de M. Voinot, les couches primaires
plongent en sens inverse de part et d’autre du golfe primaire.

D’autre part, sur l’itinéraire de _Tirechoumin à Baba-Ahmed_
et dans le prolongement du golfe, on rencontre successivement des
couches qui plongent à l’est, au voisinage de Tirechoumin, et à
l’ouest au voisinage de Baba Ahmed. Il ne semble donc pas douteux
qu’il n’y ait là un grand pli anticlinal étiré nord-sud.

Le pli d’In R’ar s’arrête brusquement à 15 kilomètres environ
au sud de Tirechoumin, à une ligne de faille au delà de laquelle
le Carboniférien fossilifère se présente brusquement en couches
horizontales sur de grandes étendues. Plus au sud, on ne retrouve
plus de couches carbonifériennes ou dévoniennes plissées, et quand
on arrive à des couches plissées, elles appartiennent au substratum
calédonien. Ici donc encore nous pouvons délimiter avec précision
les domaines respectifs des plissements hercyniens et calédoniens
(fig. 50).

En somme, dans le Tidikelt occidental, d’In R’ar à Aïn Cheikh,
le sous-sol primaire est une pénéplaine où l’on distingue deux
faisceaux de plis hercyniens, entre lesquels le horst calédonien
projette un promontoire jusqu’à la falaise crétacée. Et si
les détails manquent, ce sont là du moins des traits généraux
absolument exacts.


=Sud d’In Salah.= — Dans le Tidikelt oriental (In Salah), la
structure de la plate-forme primaire est plus mal connue et plus
incertaine ; je n’ai de documents que sur la route d’In Salah
au Mouidir par Haci el Kheneg (route faite en partie de nuit).

Le puits d’el Kheneg est dans des grès bien lités,
interstratifiés de quelques lamelles argileuses ; à travers les
couches minces d’argile les couches gréseuses sont réunies par
des colonnettes de grès, très régulières, qui se débitent en
rondelles tout à fait semblables, comme forme et comme dimension,
à des bourres de fusil de chasse ; dans les argiles, j’ai recueilli
une Rhynchonnelle.

Malheureusement, ce fossile n’est pas caractéristique. D’après
le facies, on pourrait croire les couches d’el Kheneg
éodévoniennes ? (surtout à cause des « bourres de fusil »,
mais c’est naturellement un indice très faible). En tous les cas
elles appartiennent plutôt à la série dévonienne.

On sait que dans un échantillon de schistes provenant de Haci
el Kheneg et rapporté par le lieutenant Cottenest, M. Flamand a
découvert des Graptolithes[227] ; ces schistes ont été recueillis
au campement à quelques centaines de mètres du puits. Leurs
relations stratigraphiques avec les terrains voisins sont inconnues.

Il semble impossible d’attribuer au Silurien les grès à
colonnettes de H. Kheneg — qui par définition ne sont pas des
schistes à graptolithes. Mais ces grès supposés éodévoniens sont
à peine dérangés, ils plongent vers l’ouest d’une inclinaison
très légère. Ils ont donc échappé au plissement hercynien,
et, comme à Garet Tamamat ils reposent vraisemblablement sur le
horst silurien.

Seulement je ne puis pas indiquer, dans le Tidikelt oriental les
limites exactes de ce horst.

Le substratum primaire apparaît, le long de l’oued Inesmit, au
pied de la falaise crétacée, à une quarantaine de kilomètres au
S.-S.-E. d’In Salah. Il est représenté par des schistes fissiles
noirs, des calcaires bleus à Crinoïdes et à _Cyathophyllum_
en bancs réguliers, des marnes, des grès en plaquettes.

C’est un facies qui rappelle celui des couches
carbonifériennes. Les strates plongent au N.-N.-O., d’une
inclinaison légère, mais plus accusée qu’à H. el Kheneg. Je
n’ose pas risquer d’hypothèse explicative.

Malgré l’incertitude des limites exactes, il n’est pas douteux
que l’extrémité du horst calédonien ne voisine avec In Salah
puisque Haci el Kheneg est à une centaine de kilomètres seulement
de l’oasis.

Nous sommes donc certains que le placage crétacé du Tidikelt,
sur toute sa longueur, recouvre à peu près la vieille suture en
zigzag des domaines hercynien et calédonien.

M. Flamand a signalé un plissement hercynien à l’est du Tidikelt
(Aïn Kahla)[228], et rien naturellement n’empêche de croire que
la zone des plis hercyniens ne réapparaisse plus loin à l’est.

Pourtant le pli d’Aïn Kahla a un axe cristallophyllien ou
cristallin, et cela le rapprocherait plutôt des plis calédoniens
que des hercyniens. La question n’existait pas au moment où
M. Flamand a vu ce pli ; puisque alors, l’existence au Sahara de
plis calédoniens n’était pas soupçonnée. Elle mériterait
un supplément d’information ; si le pli d’Aïn Kahla est
hercynien, il faudrait conclure que les plis hercyniens gagnent
en intensité, d’ouest en est. Car les plis occidentaux ne sont
pas assez énergiques pour amener à l’affleurement des couches
aussi anciennes.


   Géologie de la pénéplaine entre le Tidikelt et le Mouidir-Ahnet.


Entre le Tidikelt et les premiers contreforts du Mouidir, de l’Ahnet
et de l’Açedjerad s’étend une région naturelle, caractérisée
par son extrême aridité. Elle est donc particulièrement difficile
à connaître puisqu’on la traverse à marches forcées. Nous
en avons amorcé l’étude en étudiant le substratum primaire
du Tidikelt.

Cette région a été traversée par moi, seul ou en compagnie de
M. Chudeau, suivant trois itinéraires différents — d’In Salah
au Mouidir — de Taloak à Baba Ahmed — de Taourirt à Taloak.


=D’In Salah au Mouidir.= — On a déjà parlé des premières
couches rencontrées, celles de l’O. Inesmit et de Haci el Kheneg.

Au pied des premières pentes du Mouidir, aux puits de Afoud dag Rali,
Bel Rezaïm et In Belrem, on rencontre des couches particulièrement
intéressantes parce qu’elles sont très fossilifères. Les
fossiles, étudiés par M. Haug, appartiennent au Dévonien
supérieur[229].

La succession des couches est la suivante de bas en haut :

  1. Schistes bariolés        10 mètres.

  2. Grès                      5    —

  3. Calcaires                 3    —

  4. Grès à grain fin clairs  10    —

  5. Grès rouge                3    —

Toutes ces couches sont peu ou prou fossilifères, mais surtout les
calcaires. Dans les schistes et dans les grès rouges, on trouve des
dépôts plâtreux, parfois cristallisés. Cette formation constitue
une arête de faible altitude, — une vingtaine de mètres, très
continue sur une trentaine de kilomètres et jalonnée par les
trois puits.

Ces couches, au moins dans la partie nord de l’arête, plongent
à l’ouest de 45° au moins, et d’autre part sur la rive droite
de l’O. In Belrem dont elles longent la rive gauche, les grès
éodévoniens plongent dans le même sens et semblent s’enfoncer en
stratification concordante sous le Néo-Dévonien, le contact étant
ennoyé. De sorte qu’on croirait avoir affaire à un plissement
qui aurait affecté les deux terrains. Une étude attentive montre
qu’il n’en est rien.

En effet, les coupes aux deux puits septentrionaux Afoud dag Rali
et Bel Rezaïm montrent bien les couches néo-dévoniennes plongeant
à l’ouest de 45°.

Mais, au puits d’In Belrem, la stratigraphie est bien
différente. Au puits même on retrouve, parfaitement horizontaux,
ces mêmes calcaires fossilifères qui, aux deux autres puits, sont
redressés énergiquement. Au sud du puits d’In Belrem, l’accident
néo-dévonien n’est plus une arête, c’est une falaise où les
couches néo-dévoniennes sont horizontales. Au pied de la falaise
on voit affleurer un paquet de ces mêmes couches (ou du moins elles
m’ont paru telles), extrêmement redressées et voisines de la
perpendiculaire. La faille se constate donc directement.

En somme, le long de l’O. In Belrem, le contact est anormal entre
l’Éo- et le Néo-Dévonien.


=De Taloak à Baba Ahmed.= — On a déjà parlé de la section
septentrionale de cet itinéraire, depuis Baba Ahmed jusqu’à une
quinzaine de kilomètres au sud de Tirechoumin. On a dit qu’il court
là un pli hercynien, où le Carboniférien joue un rôle important,
et qui s’arrête court à une ligne de faille, au delà de laquelle
les couches carbonifériennes sont horizontales.

Ces couches horizontales s’étalent en plateau jusqu’à Haci
Ar’eira sur un trajet d’une quinzaine de kilomètres. A la
base sont des schistes très fissiles (ktoub), passant au grès en
plaquettes. Au sommet, des calcaires violets fossilifères.

D’autre part, M. Villatte a rapporté des fossiles carbonifères
de deux points situés à une petite distance dans l’ouest (Tin
Tenaï et l’O. Kraam). La bande carboniférienne s’étend donc
jusque-là. Au delà, entre Haci Ar’eira et l’oued In Gharen,
à travers l’ennoyage, on voit percer, à deux ou trois reprises,
des couches dont je ne puis pas indiquer la succession exacte, mais
qui sont des bancs de grès bien lités, des grès en plaquettes, des
schistes fissiles, des argiles schisteuses et des bancs de calcaires
bleus à Crinoïdes. Le facies est à peu près le même que celui
du Carboniférien (?) de l’oued Inesmit. Ces couches, quand elles
ne sont pas horizontales, sont affectées d’une plongée légère
vers le nord ; je crois que leur horizontalité a été dérangée
par de petites failles.

Au sud de l’O. In Gharen, le long de l’oued Adrem, jusqu’à
Taguerguera, sous les ergs Tessegafi et Ennfouss, le placage
des alluvions et des dunes soustrait le sous-sol primaire à
l’observation sur de grands espaces. La région est une vaste
cuvette où viennent converger tous les oueds de l’Ahnet et de
l’Açedjerad ; l’oued Adrem est souvent encaissé entre des
terrasses d’alluvions anciennes (terrasses de cailloutis auprès
de H. Tadounasset).

Toutes les fois que le sous-sol primaire apparaît, il est d’aspect
assez uniforme, des argiles et des marnes schisteuses de couleurs
vives, avec d’assez rares intercalations de bancs calcaires
très minces. Malgré l’uniformité du facies, cette formation
essentiellement argileuse ou marneuse se rapporte à deux étages,
Méso- et Néo-Dévonien. En effet, sur tout le pourtour méridional
de l’erg Tessegafi les gisements fossilifères abondent.

Au-dessus des berges de l’O. Tadounasset sur les flancs d’une
gara haute de 50 mètres environ, M. Villatte a recueilli dans des
marnes une faune étudiée par M. Haug, qui conclut ainsi[230] :
« L’ensemble de la faune possède incontestablement un cachet
néo-dévonien. »

D’autre part, « un peu à l’est du campement de
l’O. Tadounasset, à Tin Taggaret, M. Villatte a recueilli encore
dans des marnes » plusieurs fossiles méso-dévoniens étudiés
par M. Haug[231].

Enfin, nous pouvons signaler deux nouveaux gisements méso-dévoniens
à Meghdoua et près de Taloak (à 3 ou 4 kilomètres N.-E. en
bordure de l’erg).

A Meghdoua la formation a une vingtaine de mètres, se décomposant
ainsi de la base au sommet.

  1. Argiles bleues          10 mètres.

  2. Calcaires et grès        5    —

  3. Calcaires à Orthocères   5    —

A Taloak cette couche calcaire, qui semble caractéristique du
Méso-Dévonien, ne fait pas défaut non plus, mais elle est réduite
à quelques centimètres d’épaisseur. Le Méso-Dévonien, d’une
façon générale, repose en concordance sur l’Éodévonien.

Pas toujours cependant. A Tikedembati on constate (comme à In
Belrem) un contact anormal le long d’une faille. La faille se
voit directement, et on la suit depuis sa naissance, sous forme de
flexure dans les hauts de Foum Zeggag.

En somme, entre Taloak et Baba Ahmed l’itinéraire traverse une
série d’auréoles qui représentent en succession régulière
tous les étages depuis l’Éodévonien jusqu’au Dinantien.


=Taourirt à l’Açedjerad.= — Le long d’un dernier itinéraire
qui va de Taourirt à l’Açedjerad[232], on rencontre d’abord
le pli hercynien du dj. Aberraz et le horst silurien du Bled el
Mass, qui ont été étudiés plus haut. Les grès dévoniens,
jaunes clairs à patine noire, qui reposent horizontalement sur les
plis calédoniens arasés, ont le facies éodévonien. Pourtant
ils ne sont pas fossilifères, et ils sont peut-être un facies
littoral du Dévonien moyen ; ils sont en effet en bancs minces,
à stratifications obliques, indiquant le voisinage d’un rivage ;
d’autre part, entre la garet Tamamat et l’erg Fisnet, sur 250
kilomètres, on ne sort pas du Méso-Dévonien étalé en couches
horizontales et souvent fossilifères. Il s’annonce par Garet ed
Diab, un récif de calcaire fossilifère intercalé au milieu des
argiles, et qui témoigne lui aussi d’une mer peu profonde.

Les argiles méso-dévoniennes constituent apparemment le fond de
l’immense sebkha Mekhergan ; mais elles sont recouvertes par des
dépôts quaternaires et on ne peut pas les observer directement.

Au delà de la sebkha du moins, on retrouve le Méso-Dévonien
fossilifère au nord de Haci Tikeidi.

De grandes falaises d’érosion permettent d’observer la succession
des couches qui est à peu près, de la base au sommet.

  1. Schistes à Brachiopodes.

  2. Grès.

  3. Argiles.

  4. Grès.

  5. Calcaire à Orthocères.

Les argiles se retrouvent à Kokodi, et les calcaires à Orthocères
à Ridjel Imrad.

Notons enfin au nord de Tikeidi la présence de dépôts d’eau
douce (quaternaire ancien à _Cardium edule_) ; ces dépôts très
érodés sont à 5 mètres au-dessus du niveau de la vallée.

En résumé, et malgré d’énormes lacunes, trois itinéraires
transversaux permettent de se rendre un compte général de la grande
pénéplaine qui sépare le Tidikelt du Mouidir-Ahnet.

A de rares affleurements siluriens près, les couches appartiennent
aux étages moyen et supérieur du Dévonien et au Carboniférien. Ces
couches affleurent en auréoles grossièrement concentriques, se
succédant régulièrement par ordre d’ancienneté décroissante
du sud au nord. Dans le nord, au voisinage du Tidikelt, on observe
quelques lambeaux de pénéplaine hercynienne.

Mais la plus grande partie de la région étudiée appartient au
domaine des plissements calédoniens. Sur un socle silurien qui
apparaît exceptionnellement, les couches méso- et néo-dévoniennes
et dinantiennes reposent à peu près horizontales. Cette
horizontalité est pourtant interrompue par des failles et surtout
des diaclases, mais qui n’ont amené nulle part de dénivellation
apparente supérieure à 70 ou 80 mètres.

C’est précisément ce qui fait l’unité géographique de
cette région. D’une part, c’est une pénéplaine sans relief
et l’on sait que, au Sahara, les plaines et les pénéplaines sont
précisément les parties les plus arides. D’autre part, les couches
géologiques qui forment la surface sont, en général, marneuses
et argileuses ; il se trouve que les marnes et les argiles dominent
dans les trois étages représentés. Le sol est donc imperméable,
ce qui constitue une nouvelle cause d’aridité.

Entre le Tidikelt, pays d’oasis, et le Mouidir-Ahnet, pays de
pâturages, la pénéplaine qui nous occupe est un pays absolument
désolé et inhabitable.


                      Géologie du Mouidir-Ahnet.


Le Mouidir, l’Ahnet et l’Açedjerad forment une grande région
naturelle, très uniforme, favorisée au point de vue de la
végétation et de l’habitabilité, où l’on retrouve partout
les mêmes grès éodévoniens et le même substratum silurien.

J’ai parcouru la partie occidentale du Mouidir et orientale de
l’Ahnet, en 1903 ; et l’Açedjerad, en 1905, en compagnie de
M. Chudeau.


=Silurien de Tadjemout.= — Dans la partie occidentale du Mouidir,
le substratum prédévonien affleure très largement dans un cirque
immense où les oueds Arak, Tadjemout, etc., se réunissent pour
former l’oued Tibratine.

Ce cirque est encombré d’alluvions anciennes et récentes et de
dunes, mais ce tapis superficiel est crevé fréquemment par des
arêtes et des chapelets d’arêtes prédévoniennes, qu’on peut
observer aussi sur les bords de la cuvette, qu’elles limitent
en muraille.

Les roches sont certainement très variées. La première arête qui
se dresse au débouché des gorges de l’Arak est gneissique. Dans
les gorges mêmes on observe, à l’entrée, des schistes noirs
très fissiles, qui m’ont paru des micaschistes, et un peu plus
loin, derechef, du gneiss. (Pl. XLV, 83.)

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            Pl. XLIV.

[Illustration : Cliché Pichon

82. — A OUAN TOHRA. — LE BATEN AHNET, grès éo-dévoniens

(falaise terminale de l’Ahnet « falaise de glint »).]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. XLV.

[Illustration : Cliché Pichon

83. — OUED ARAK (Mouidir) ; UNE PAROI DU CANYON.

Au sommet, grès éo-dévonien : sous les éboulis, on retrouve
aisément sur le terrain des roches cristallines (gneiss ?) en place.]

[Illustration : Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon
Cliché  Pichon

84. — OUED TIBRATIN (près de Taoulaoun, Mouidir) ; — LARGE
VALLÉE DANS LES ARGILES ÉO-DEVONIENNES.

Bon type de nebka, et de maader ; les arbustes sont des tamaris.

La falaise à gauche est en grès éo-dévonien ; au fond, silhouette
de gara.]

A quelques kilomètres à l’ouest de Tadjemout, il y a des
cipolins. A Tadjemout même des grès à grain très fin, très durs,
tout à fait semblables à ceux de l’Adr’ar Ahnet.


=Adoukrouz et Adr’ar Ahnet.= — On retrouve les roches
prédévoniennes dans la cuvette d’Adoukrouz (extrémité
orientale de l’Ahnet). Au puits d’Adoukrouz, il y a des
schistes cristallins et ce qui m’a paru être un puissant filon
de quartz. Mais à 500 mètres de là, on rencontre, dans l’est,
des phyllades très puissantes et des grès, analogues aux formations
de Bled el Mass. Ces couches sont violemment plissées : au Mouidir
les plis sont orientés nord-sud, à Adoukrouz N.-O.-S.-E.

A H. Macin, nous avons noté en 1903 une roche cristalline d’allure
schisteuse. A Foum Lacbet, on a trouvé en 1905 des calcaires
bleus et blancs avec schistes, phyllades et quartz ; on observe
des ripple-marks. L’affleurement des couches dessine un dôme
anticlinal orienté N.-O.-S.-E., fermé vers le sud.

[Illustration : Fig. 56. — Au nord de l’Adr’ar Ahnet. — 1/600000.

Éodévonien : 6, grès ; 5, argiles ; 4, grès. — Silurien : 3,
schistes cristallins ; 2, quartz ; 1, phyllades.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VII, p. 211, fig. 3.)]

L’énorme masse de l’Adr’ar Ahnet dans sa partie nord-orientale,
qui a été directement observée, est constituée par des assises
très puissantes de grès et de quartzites. Ces grès roses
clairs sont très énergiquement plissés, injectés de filons
de quartz, comme d’ailleurs toutes les formations siluriennes,
tandis que les filons de quartz font tout à fait défaut dans le
Dévonien de la région. Dans les grès de l’Adr’ar Ahnet les
ripple-marks abondent. Le long de l’O. Tedjoudjoult on chemine
plusieurs kilomètres dans cette formation sans en sortir, dans
une direction pourtant à peu près perpendiculaire à l’axe de
l’affleurement. Dans le lit de l’oued il est vrai, on rencontre
quelques cailloux roulés cristallins. Toute la formation est
affectée de plissements N.-O.-S.-E.

Les affleurements d’Adoukrouz, H. Macin, Foum Lacbet, Adr’ar
Ahnet, simplement séparés les uns des autres par un placage
d’alluvions anciennes ou récentes constituent un seul et même
affleurement continu, où le Silurien est représenté, à l’est
par des grès et des schistes, à l’ouest par des cipolins et des
schistes cristallins.

Que ces grès et ces phyllades soient siluriens, cela est démontré,
en l’absence de fossiles, par les relations stratigraphiques des
couches avec l’Éodévonien, qu’on voit, en particulier dans des
garas avoisinant Foum Lacbet, reposer horizontal sur la tranche des
plis arasés.

D’autre part, que les schistes cristallins (cipolins, etc.) soient
du Silurien métamorphisé, cela ressort de leurs relations avec
les grès et les phyllades, dont ils sont la continuation et avec
lesquels ils s’enchevêtrent.

Pourtant le Silurien sédimentaire et le métamorphisé sont,
partout où l’observation a été possible, séparés par des
failles avec dénivellation consécutive ; c’est le résultat,
j’imagine, d’une différence de compacité et de massivité.

Le Silurien métamorphique constitue une pénéplaine recouverte
d’un manteau troué d’alluvions, au-dessus de laquelle le Silurien
sédimentaire se dresse en horsts abrupts, fraîchement disséqués
par l’érosion.

Que s’il y a là une généralisation hâtive, du moins est-il
certain que les phyllades à l’est d’Adoukrouz et les grès de
l’Adr’ar Ahnet constituent des massifs montagneux déchiquetés
de 100 à 300 mètres d’altitude relative au-dessus du socle de
la pénéplaine.

L’Adjerazraz, qui a été vu de loin seulement, est un petit massif,
très isolé et individualisé, qui a toutes les apparences d’un
horst silurien plus petit que ses voisins, mais analogue[233].


=Sud et Nord d’Aït el Kha.= — Les affleurements siluriens de
Tadjemout et de l’Adr’ar Ahnet sont des promontoires avancés,
jusqu’au cœur du Mouidir-Ahnet, de cette grande pénéplaine,
en grande partie silurienne, qu’est le Tanezrouft. Un troisième
promontoire, du même genre, ou, si l’on préfère, un golfe,
pénètre sous le méridien d’Aït el Kha au moins jusqu’à la
hauteur de Foum Zeggag.

Au sud d’Aït el Kha, le manteau alluvionnaire est crevé de
longues rides de schistes cristallins, étirées N.-O.-S.-E., et
qui représentent apparemment le Silurien métamorphique.

Au nord d’Aït el Kha, à la hauteur de Foum Zeggag, on rencontre
un filon éruptif d’une roche granulitique.


=L’Éodévonien.= — Ce substratum silurien, et sans doute aussi,
pour quelques parcelles, archéen et éruptif, qu’on peut étudier
sur de grandes étendues dans le sud du Mouidir-Ahnet est recouvert
par des grès éodévoniens, de facies très uniforme, et dont
l’extension dépasse d’ailleurs de beaucoup les limites de la
région étudiée.

L’âge de cette formation est déterminée par des fossiles
provenant de nombreux gisements (Tikeidi, Taloak, Taguerguera,
etc.). Tous ces gisements sont à la partie tout à fait supérieure
de la formation. Les fossiles ont été étudiés par M. Haug[234].

  _Spirifer_ cf. _Hercyniæ_ GIEB.

  _Spirifer_ nov. sp.

  _Tropidoleptus rhenanus_ FRECH. v. _Sahariana_.

  _Pentamerus_ cf. _vogelicus_ DE VER.

  _Wilsonia Henrici_ BARR.

  _Pterinæa fasciculata_ GOLDF.

  _Edmondia_.

  _Tentaculites_ aff. _spiculus_ HALL.

  _Homalonotus_ cf. _Herscheli_ MURCH.

Ces fossiles sont caractéristiques « de l’étage coblentzien ».

M. Chudeau a établi comme suit la succession des couches
éodévoniennes dans l’Açedjerad et l’Ahnet, numérotées de
la base au sommet.

             } 1. Grès grossier et poudingue rougeâtre        30 mètres.
             }
             } 2. Poudingues, arkoses et psammites en bancs
             }    bien lités (galets de 4 à 5 centimètres
             }    dans le poudingue)                          40    —
  ÉODÉVONIEN }
  INFÉRIEUR  } 3. Grès formant muraille verticale d’un seul
             }    bloc. On y distingue cependant sur la
             }    cassure fraîche des arkoses, psammites,
             }    etc., le tout intimement lié                80    —
             }
             } 4. Grès en bancs irréguliers hétérogènes
             }    ruiniformes                                 20    —

             } 5. Argiles blanches et violettes               30    —
             }
             }                    { bancs minces          }
             }                    {                       }
             } 6. Grès bien lités { bancs plus épais      }   80    —
  ÉODÉVONIEN }                    { 2-3 mètres            }
  SUPÉRIEUR  }                    {                       }
             }                    { grandes dalles minces }
             }                    { de 0,20 (4 mètres)    }
             }
             } 7. Argiles bariolées                           10    —
             }
             } 8. Grès en bancs irréguliers fossilifères
             }    (Ripple-marks, Bilobites)                   10    —
                                                             -----------
  Épaisseur totale de la formation éodévonienne              300 mètres.

1, 2, 3, n’affleurent pas dans l’Açedjerad. On ne les a vus que
plus à l’est près de l’Adr’ar Ahnet. 4 affleure à Ouallen et
à l’ouest de Meghdoua (croupe d’Insemmen). Les argiles 5 jouent
un rôle important ; elles correspondent à des vallées très larges
(Ouallen), ou à des dépressions comme entre Iglitten et Taksist
(fig. 59). Par leur plasticité, elles expliquent l’indépendance
des compartiments supérieur et inférieur entre eux.

Sauf à la partie supérieure, peu ou pas de fossiles, mais toujours
des ripple, des stratifications obliques. Aucune roche éruptive,
pas même un filon de quartz.

Les éléments de cette analyse serrée ont été recueillis dans
l’Açedjerad et dans l’Ahnet ; mais dans ses grandes lignes
cette analyse est valable pour le Mouidir occidental.

A coup sûr, les termes principaux de la série sont représentés ;
en particulier les argiles médianes sont très développées dans
la cuvette de Taoulaoun, qu’elles conditionnent ; les fossiles se
trouvent dans les couches supérieures et ne se trouvent que là ; on
y trouve aussi, dans la pâte de la roche, des colonnettes gréseuses
bien individualisées, ayant parfois la grosseur du poing, et que
le lieutenant Besset a signalées le premier. Ces _lusus naturæ_
qu’on a pris pour des fossiles végétaux font défaut, semble-t-il,
dans l’Ahnet.

En somme une formation, presque entièrement gréseuse, très
uniforme, et qui, vue superficiellement, le paraît davantage encore
parce que tous les grès sont revêtus d’une patine désertique
noire de poix sous laquelle la moindre égratignure fait apparaître
le cœur plus ou moins clair de la roche.

[Illustration : Fig. 57. — Taloak à l’Adr’ar Ahnet. —
1/750000.

S, Silurien ; γ, Granulite, D1-8, Dévonien, inf. ; _q_, Tuf
quaternaire.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VII, p. 213, fig. 4.)]

Dans tout le Mouidir-Ahnet, l’Éodévonien affleure, à
l’exclusion de toute formation postérieure, à une seule exception
près : un lambeau méso-dévonien s’est conservé dans la cuvette
d’Igliten.


=Stratigraphie.= — Les relations stratigraphiques de
l’Éodévonien et du Silurien s’observent avec une admirable
netteté sur tout le pourtour de la cuvette de Tadjemout. Le
Dévonien horizontal repose sur la tranche des couches siluriennes
ou archéennes.

C’est bien net, en particulier à Tahount Arak (voir pl. XLV,
phot. 83), ou encore aux environs de Tin Teraldji, voire même à
Tadjemout, quoique le sommet de l’arête silurienne qui domine le
puits ait été découronné du Dévonien.

L’Éodévonien en plateaux tabulaires délimités par des falaises
reposant sur la pénéplaine silurienne, telle est la règle
générale le long de la ligne de contact entre les deux formations
dévonienne et silurienne.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XLVI.

[Illustration : Clichés Pichon

85. — OUED ADJAM : Porte qui donne accès dans le horst silurien
d’Adoukrouz.

Dans l’échancrure, au fond, très floues, les collines
siluriennes ; au premier plan, de part et d’autre de
l’échancrure, mais bien visibles surtout à droite, les grès
éo-dévoniens, basculés le long de la faille.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                           PL. XLVII.

[Illustration : Cliché Pichon

86. — PRÈS DE L’OUED ADJAM, au nord d’Adoukrouz ;

grès éo-dévoniens basculés le long de la faille ; vue de détail.]

[Illustration : Cliché Pichon

87. — Même sujet que 86, vue d’ensemble.

A la limite extrême du premier plan, un redjem.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                          PL. XLVIII.

[Illustration : Cliché Pichon

88. — Près de l’Oued Adjam ; la muraille de grès éo-dévonien
basculée au nord d’Adoukrouz.

La muraille est double par intercalation d’un horizon argileux.]

[Illustration : Cliché Pichon

89. — L’ADRAR AHNET.

Profil déchiqueté de sierra, caractéristique des collines
siluriennes ;

à gauche un Talha (faux gommier).]

L’Éodévonien se termine sur la pénéplaine silurienne par ce
qu’on appelle ailleurs des falaises de glint ; c’est ce que les
Arabes appellent le baten Ahnet. (Voir pl. XLIV, phot. 82.) Les lacs
de glint ne font même pas défaut, représentés par des maader
(maader Arak, par exemple).

La continuité du baten est pourtant interrompue assez souvent lorsque
la ligne de contact coïncide avec une ligne de faille. C’est le
cas par exemple au voisinage d’Adoukrouz.

Autour d’Adoukrouz, on l’a déjà dit, l’ancienne pénéplaine
constitue un horst en relief très marqué de 100 à 300 mètres,
énergiquement disséqué et formant une masse montagneuse confuse.

Sur la face nord et nord-ouest du horst, l’Éodévonien a basculé
le long de la faille, formant un placage continu de couches
redressées à 45°, suivant une ligne en arc de cercle. (Voir
pl. XLVI, phot. 85 et pl. XLVII, phot. 86 et 87.)

L’Éodévonien tout entier est représenté, de sorte que l’arête
est double, les argiles s’étànt accusées en creux, comme on
le voit sur la coupe d’Adoukrouz (fig. 56). (Voir pl. XLVIII,
phot. 88.)

La coupe de Taloak à Ouan Tohra montre à Foum Lacbet un cas
analogue ; un paquet de grès éodévonien redressé le long de la
faille limite de la pénéplaine (fig. 57).

Entre Haci Macin et le bord de la hammada dévonienne on observe
le contact des deux terrains sous une forme nouvelle : la hammada
se continue par la pénéplaine sans accident topographique,
horizontalement. La faille a amené les couches éodévoniennes au
niveau exact de la pénéplaine. Ces failles, ou, plus exactement,
vu leur faible amplitude, ces diaclases expliquent le relief du
Mouidir-Ahnet.

En général le Dévonien est dans l’ensemble horizontal ou
affecté d’une inclinaison générale très régulière et très
faible. Voir par exemple les coupes Ouallen Meghdoua et Taloak-Ouan
Tohra (fig. 59 et 57).

Parfois les couches dévoniennes apparaissent brusquement avec une
inclinaison très forte, égale ou supérieure à 45°. Ainsi dans les
deux coupes précitées on est frappé de la juxtaposition des couches
horizontales avec des couches complètement basculées. C’est que
les argiles rendent les deux masses gréseuses indépendantes et
facilitent ces mouvements locaux de bascule le long des diaclases.

On se rend un compte bien net de la structure du Mouidir occidental
en jetant un coup d’œil sur la coupe (fig. 58) de Tadjemout à
l’erg Timeskis par Foum Tebalelt ; de part et d’autre de la
pénéplaine à Tadjemout et à Foum Tebalelt l’Éodévonien est
représenté par les mêmes couches horizontales ; mais il s’en
faut qu’elles soient au même niveau, il y a une différence d’au
moins 100 mètres. Au-dessus du niveau à peu près uniforme de la
pénéplaine la falaise de Tadjemout est deux fois plus élevée
que celle de Tebalelt. La muraille de Tadjemout avec ses à-pics
de plus de 200 mètres ne forme pas seulement la bordure de la
pénéplaine à l’est, elle se prolonge très loin au nord sur la
rive droite de l’O. Tiratimine, au moins jusqu’à la cuvette
de Taoulaoun. C’est un gigantesque gradin qui sépare le petit
Mouidir occidental que nous étudions d’un autre Mouidir, oriental,
beaucoup plus étendu et beaucoup plus élevé. On ne conçoit pas
qu’il puisse y avoir là autre chose qu’une longue diaclase.

[Illustration : Fig. 58. — Coupe de l’erg Timeskis à
Tadjemout. — Long. : 1/600000 ; haut. : 1/20000.

4, Grès éodév. sup. ; 3, Grès éodév. inf. ; 2, Silurien ;
Schistes cristallins ; 1, Quartzites.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VII, p. 216, fig. 5.)]

Dans le Foum Tebalelt j’ai noté des couches éodévoniennes
horizontales, mais gondolées et qui semblent attester que le
soubassement a été affecté de très petites failles.

Enfin à l’extrémité de la coupe, entre l’ennoyage de l’oued
Timeskis et l’erg on voit pointer des couches éodévoniennes
violemment redressées à quelques centaines de mètres à peine
de distance et, à une centaine de mètres en contre-bas, des grès
dévoniens horizontaux. La diaclase est donc évidente.

Ces couches redressées de l’O. Timeskis sont à la limite ouest du
Mouidir comme celles de l’O. In Belrem dont elles sont l’évidente
continuation.

En somme, cette partie du Mouidir est un premier gradin occidental,
encadré entre deux grandes failles nord-sud, à regard ouest,
ayant amené chacune une dénivellation d’une centaine de mètres.

La route suivie entre Timeskis et l’O. Souf Mellen ne sort pas
de l’Éodévonien. Il est vrai que la limite des roches anciennes
ne doit pas être éloignée, car on trouve, en assez grand nombre,
dans le lit de l’O. Souf Mellen, des cailloux roulés cristallins.

Ce sont des couches généralement horizontales, mais affectées au
voisinage de l’O. Timeskis, de petites failles qui ont dérangé
l’horizontalité.

La structure de l’Ahnet-Açedjerad est aussi conditionnée par
des diaclases, quoiqu’il puisse n’y pas paraître au premier
abord. En effet, les accidents éodévoniens isolés de Tikeidi et
de Timeguerden sont des dômes anticlinaux fermés.

Entre l’O. Takçis et l’O. Meraguen, l’Açedjerad projette
une longue arête anticlinale. La cuvette d’Iglitten est nettement
synclinale.

[Illustration : Fig. 59. — Coupe transversale de l’Açedjerad. —
1/250000.

D4-8, Éodévonien ; D8, Grès fossilifères, 10 ; D7 Argiles, 10 ;
D6, Grès, 80 ; D5, Argiles, 30 ; D4, Grès ruiniformes, 20 ; — Dm,
Dévonien moyen, Argiles et Calc. à Orthocères.

(_Bull. Soc. géol. Fr._, 4e série, t. VII, p. 217, fig. 6.)]

Sous les ergs Tessegaffi et Ennfouss, l’extrémité méridionale
de la pénéplaine méso-dévonienne, se raccordant aux dernières
pentes de l’Ahnet et de l’Açedjerad, a tout à fait les allures
d’une cuvette synclinale fermée au sud.

Il y a donc toutes les apparences d’un système de plis. Et ce
n’est pas particulier à la région considérée ; le Mouidir
oriental, tel que la carte du lieutenant Besset nous l’a
révélé[235], présente ces mêmes apparences à un plus haut
degré encore ; il se termine au nord par un chapelet de dômes
anticlinaux, et sa forme générale est curieusement symétrique
à l’Ahnet-Açedjerad.

C’est que l’Éodévonien a une faible épaisseur, 300 mètres
environ ; à travers cette mince couverture, se trahissent en
surface les plis calédoniens sous-jacents, qui ont dirigé les
diaclases. Un coup d’œil sur les coupes Ouallen-Megdoua (fig. 59)
et Taloak-Ouan Tohra (fig. 57) montre qu’on n’a pas affaire
à des couches proprement plissées, mais à des formations dont
l’horizontalité a été dérangée seulement par des diaclases.


=Jeunesse des diaclases.= — Ces failles et ces diaclases sont
très jeunes ; on ne s’expliquerait pas autrement la jeunesse
du relief. Les hammadas dévoniennes sont entaillées de canyons
étroits et profonds dans lesquels les oueds s’ils coulaient,
auraient des allures torrentielles (voir pl. VI, phot. 11 et 12,
pl. XLV, phot. 83) ; tout à fait torrentielles sont également
les vallées qui entaillent les horsts siluriens, disséqués et
déchiquetés comme des sommets alpestres. (Voir pl. XLIX, phot. 91,
pl. L, phot. 92.)

Avec ces tronçons de lits aux pentes rapides contrastent les
allures des oueds au débouché des canyons et des torrents sur
les pénéplaines. Là ils s’étalent en larges maaders, qui
seraient des lacs ou des marais sous un climat humide. Le réseau
hydrographique est évidemment loin de la maturité. Il est vrai que
sous le climat actuel il ne peut mûrir que lentement, mais on sait
que le climat quaternaire était bien plus humide que l’actuel.

Les oueds du Tadmaït ont exactement les mêmes allures (O. Aglagal,
par exemple). (Voir pl. XLIII, phot. 81.)


                        Conclusions générales.


En résumé on voit assez nettement dans son ensemble la structure
de toute cette région (Tidikelt, pénéplaine carbonifère,
Mouidir-Ahnet).

Les oasis du Tidikelt jalonnent un long fossé d’effondrement
entre les causses crétacés du Tadmaït et les plateaux gréseux
Touaregs. L’existence de ce fossé est conditionnée par de grandes
failles orientées est-ouest, et dont l’âge récent n’est pas
douteux, puisqu’elles ont affecté toutes les couches crétacées ;
il est encore attesté par la jeunesse de l’érosion.

Tout cela est donc tertiaire et en relation évidente avec la
surrection de l’Atlas.

Par ailleurs la structure du pays est en rapport étroit avec de
très anciens accidents hercyniens et calédoniens.

Ou est frappé d’abord de voir au fond du fossé courir la vieille
suture entre les deux zones hercynienne et calédonienne. Tout
se passe comme si la vieille cicatrice avait imposé sa direction
aux jeunes failles ; il y a là apparemment une ligne de moindre
résistance dans l’écorce terrestre. Non seulement au Tidikelt,
mais encore au Touat, il y a une concordance entre les limites des
plissements hercyniens et celles de la transgression cénomanienne.

Les plis hercyniens et calédoniens ont tous une direction oscillant
autour de nord-sud. Cette direction s’est ainsi imposée à beaucoup
de failles récentes ou de plis posthumes, et elle joue un grand
rôle dans la configuration actuelle du pays.

Tout d’abord le nord de l’Afrique tout entier, dans la région qui
nous intéresse est parcouru par un grand axe orographique orienté
nord-sud ; un chapelet de sommets.

C’est, au sud, le Hoggar, puis en allant vers le nord,
l’Ifetessen, point culminant du Mouidir, au Tidikelt même c’est
le dj. Idjeran, et le dj. Azzaz, qui prolongent le Mouidir jusqu’au
contact du Tadmaït.

Si mal connus que soient les causses crétacés on ne peut pas mettre
en doute l’existence d’un bombement anticlinal très accusé qui
sépare les ergs orientaux et occidentaux, les oasis d’Ouargla
et du Touat. Enfin, en Algérie même, on retrouve peut-être un
dernier écho de ce grand axe nord-sud. Dans sa prolongation,
en effet, se trouvent les hauts plateaux miocènes de Médéa,
qui contrastent curieusement avec le niveau très bas des dépôts
contemporains dans la vallée du Chéliff à l’ouest et dans celle
de l’O. Souman à l’est.

En somme, une grande arête, très accusée et très bien marquée,
un trait tout à fait essentiel de l’orographie nord-africaine,
sépare les bassins de l’Igargar et de l’O. Messaoud.

Il faut noter au Tidikelt que les oasis apparaissent à l’ouest
du dj. Azzaz. — A l’est le fossé d’effondrement semble se
prolonger très loin mais il est désert.

La direction nord-sud joue donc un rôle considérable dans la
structure générale ; elle se retrouve à chaque instant dans les
détails du modelé.

Chaque oasis du Tidikelt aligne ses palmiers au fond d’une cuvette
synclinale dont le grand axe court nord-sud. La coupure d’In R’ar
a cette même direction ; de même que presque toutes les diaclases
de l’Açedjerad, de l’Ahnet, du Mouidir.

En somme, un pays d’architecture tabulaire où le contre-coup
de la surrection de l’Atlas s’est fait sentir énergiquement ;
les failles, les diaclases, les plis posthumes tertiaires, ont suivi
les directions qui leur étaient imposées par celles des plis et
des failles primaires.

Toute la région est drainée par l’O. Djar’ét, dont le
réseau compliqué est aujourd’hui bien connu dans ses grandes
lignes. — La contribution de Tadmaït est très faible, le seul
affluent considérable qu’il envoie au Djar’ét est l’O. Souf
qui a creusé la coupure d’In R’ar. Du Mouidir, de l’Ahnet,
de l’Açedjerad, de grandes artères (le Bota, le Nazarif, le Souf
Mellen, l’Adrem, le Meraguen) convergent et viennent se perdre
dans la grande sebkha Mekhergan. Il est probable que cette grande
sebkha avait à l’âge quaternaire un émissaire encore inconnu
qui rattachait tout le système à celui de l’O. Messaoud. On
s’est expliqué là-dessus dans un chapitre antérieur.

Inutile de dire que ce grand réseau quaternaire n’a plus un
intérêt actuel, on ne sait même pas dans quelle mesure il est
susceptible d’être animé accidentellement par de grandes crues.

Ce qui est certain c’est que les grandes artères, toute la
partie basse du réseau, tout ce qui, dans un pays humide, serait
particulièrement vivant, tout cela aujourd’hui est un désert,
un Tanezrouft. La vie s’est réfugiée à la périphérie, de part
et d’autre de l’artère centrale, d’un côté au Tidikelt et
de l’autre sur les plateaux touaregs.


                             Le Tidikelt.


Le Tidikelt a certainement de grandes affinités déjà signalées
avec le Touat et le Gourara. Il les continue linéairement, c’est
l’extrémité de la « rue de palmiers ». Notons pourtant que la
continuité au Tidikelt est interrompue par des brèches fréquentes
et notables.

Ici comme au Touat et au Gourara les oasis sont en général sur la
plus inférieure des couches crétacées, les grès albiens ; ces
grès sont recouverts par place par des terrains d’atterrissement
récents, en un point (pourtour de la coupure d’In R’ar) ils font
défaut et sont remplacés par des calcaires crétacés d’étage
indéterminé. Mais la nappe d’eau est bien dans le Crétacé. Il
a été souvent question de la « _r’aba_ » du Tidikelt, qui est
naturellement non pas une forêt, comme le sens usuel du mot arabe
_r’aba_ semblerait l’indiquer, mais un pâturage de chameaux,
maigre et piteux d’ailleurs. C’est un long ruban de verdure rare
et grise qui s’étire exactement à la limite du Crétacé et du
Primaire, mais toujours exclusivement sur le Crétacé.

La _r’aba_ est un lieu de sources ou de points d’eau ; elles
sont particulièrement abondantes autour de la grande trouée d’In
R’ar mais, plus ou moins serrées, elles se retrouvent partout
dans la r’aba. Ainsi donc, au sommet de la falaise secondaire,
des sources, une brousse de zita et d’autres arbustes sahariens ;
en bas, sans transition, sur la pénéplaine carboniférienne,
l’aridité absolue, le désert maximum. Ce contraste saisissant
est le même partout.

C’est ainsi d’ailleurs que les assez beaux pâturages du
Gourara méridional (Bel R’azi, Deldoul, Lella R’aba) sont sur
le Crétacé et s’arrêtent brusquement à la limite des terrains
primaires.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                            PL. XLIX.

[Illustration : Cliché Laperrine

90. — BLED EL MASS.

Couches siluriennes (phyllades) très énergiquement plissées
et arasées, sur le terrain on les voit supporter le dévonien
horizontal.]

[Illustration : Cliché Gautier

91. — Dans l’Adrar Ahnet (guelta d’Ouan Tohra), une gorge
sauvage au fond de laquelle la progression n’est pas possible sans
corde. — Grès quarziteux.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                               PL. L.

[Illustration : Cliché Pichon

92. — ADRAR AHNET ; UN RAVIN DANS LES GRÈS SILURIENS.]

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                              PL. LI.

[Illustration : Cliché Pichon

93. — ADRAR AHNET ; OUED TEDJOULJOULT. — Grès Siluriens.]

Il n’est pas possible de se soustraire à la conclusion que la
nappe d’eau se trouve dans le Crétacé.

Mais d’où vient-elle ?

M. Flamand attribue à l’eau d’In Salah une origine méridionale ;
il la croit venue du Mouidir et l’hypothèse n’est pas
invraisemblable ; les grès du Mouidir sont, assurément, un gros
réservoir d’humidité, avec lequel il est facile d’imaginer
que le Tidikelt puisse être en communication.

Il est certain que le dj. Azzaz et le dj. Idjeran, affleurement de
grès dévonien qui borne à l’est le Tidikelt, sont des lieux de
sources (Aïn Kahla, etc.) et ces sources sont alimentées par le
Mouidir. A l’autre bout du Tidikelt Aïn Cheikh jaillit de même
dans un affleurement de grès éodévonien. Il semble donc bien
que la nappe souterraine des grès méridionaux doive trouver son
chemin jusqu’au Tidikelt où l’existence de failles facilite son
ascension. D’autre part pourtant, on ne peut guère supposer que
l’oasis d’In R’ar soit, par une coïncidence purement fortuite,
précisément au débouché d’un grand oued descendu du Tadmaït. Il
faut apparemment se garder de conclusions absolues et supposer que
le Mouidir et le Tadmaït collaborent à la prospérité du Tidikelt.

Il en a grand besoin, car il se trouve dans des conditions
défavorables pour utiliser la nappe d’eau du Tadmaït, qui
manifestement d’après la pente générale du terrain est surtout
drainé au profit des autres groupes d’oasis (Ouargla, Gourara,
Touat).

N’oublions pas il est vrai que le Tidikelt, comme importance
numérique en palmiers et en âmes, est inférieur de moitié au
Touat ou au Gourara. Un coup d’œil sur la carte montre que,
au Tidikelt, la distribution des oasis est assez particulière.

Tandis que les palmeraies du Gourara et du Touat s’étendent bout
à bout, en formation linéaire, les palmeraies d’In Salah, d’In
R’ar, d’Aoulef, etc., sont _parallèles_ l’une à l’autre,
en colonne de compagnie.

Cela revient à dire que chacune a son originalité propre, et sa
nappe d’eau particulière. Il serait désirable d’en avoir des
monographies.

Quoique ces études de détail fassent défaut on peut affirmer
cependant, en règle générale, que chaque palmeraie est en relation
avec une petite cuvette syndicale, allongée nord-sud, petit
pli posthume déterminé par un effondrement local du substratum
hercynien ou calédonien. Cette petite cuvette synclinale est une
poche où l’eau s’est accumulée comme le montre non seulement
l’existence de l’oasis mais encore en général celle d’une
ou plusieurs sebkhas.

La carte ci-jointe, dressée par M. le lieutenant Voinot, et qui
m’a été communiquée par M. le commandant Lacroix, rend sensible
cette disposition à l’oasis d’Aoulef-Timokten. La cuvette
synclinale n’est pas marquée seulement par les courbes de niveau,
mais encore par des foggaras, naturellement normales à la pente,
et qui viennent de l’ouest à Timokten et de l’est au contraire
à l’Aoulef. Cette disposition des foggaras en auréole ou en rose
des vents autour d’une sebkha centrale ne se retrouve nulle part
ni au Touat, ni même je crois au Gourara, où le parallélisme des
foggaras entre elles est la règle générale.

[Illustration : Fig. 60. — Carte d’Aoulef, dressée par M. le
lieutenant Voinot.

(Les traits noirs convergents sont les foggaras.)]

Notons pourtant que certaines oasis du Gourara, en petit nombre
(par exemple Ouled Mahmoud), sont elles aussi en relation avec de
petits plis posthumes.

Cette similitude apparaîtra accentuée si on se rappelle
que le Gourara a quelques puits artésiens (Ouled Mahmoud en
particulier). Depuis notre installation aux oasis nous avons fait
des efforts infructueux pour en forer au Touat — couronnés de
succès au contraire au Tidikelt, au moins sur certains points.

D’après M. le lieutenant Voinot le Tidikelt a 8 puits artésiens :
1 à Foggaret ez Zoua, 4 à In Salah, 1 à Akabli, 1 à Tit, 1 à
In R’ar. Evidemment l’accumulation des eaux dans des cuvettes
synclinales explique le succès de ces forages.

Le Tidikelt a donc une hydrographie assez originale. D’autre
part on sait déjà qu’il partage avec le bas Touat le privilège
regrettable d’être ensablé. In Salah est très menacé par les
dunes. Aoulef l’est aussi comme en témoigne la carte. D’après
les traditions, dans un certain nombre de ksars l’homme a été
chassé par le sable.

Notons cependant que dans le fossé d’effondrement, qui a le
monopole des dunes, le Tidikelt est bien loin d’être le point
le plus ensablé. Les grosses agglomérations de dunes se trouvent
dans les maaders du Bota (erg Tegant, erg Iris), et de l’O. Adrem
(erg Ennfous, erg Tessegafi), c’est-à-dire au point précis où
il est naturel qu’ils soient, si on admet un rapport entre les
alluvions et les dunes.


=Histoire.= — C’est au point de vue humain que le Tidikelt se
distingue franchement du Touat et du Gourara.

A ce point de vue la meilleure monographie a été rédigée il y
a plusieurs années déjà par M. le lieutenant Voinot. Elle n’a
pas été publiée encore, et il est à craindre qu’elle ne le
soit jamais ; c’est une raison de plus pour lui faire de larges
emprunts[236].

Dans le travail de M. Voinot, la partie historique est très neuve
et très intéressante.

Dans le haut Touat, au Gourara, dans l’O. Saoura il ne subsiste
pas de traditions indigènes concernant le premier aménagement
hydraulique du pays ; aussi loin que va la mémoire humaine on
retrouve les oasis déjà existantes. Elles sont probablement
préislamiques ; en tout cas il est impossible d’affirmer qu’elles
ne le sont pas.

Au bas Touat, d’après Watin[237], des traditions un peu
confuses assignent une date à l’établissement des premières
foggaras. Elles auraient été creusées par les Barmata, au
IIIe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au Xe siècle de
J.-C. Auparavant il n’y aurait eu au Reggan que des puits de
caravane, creusés par les Arabes Moakel, nomades du Sahel, qui
« avaient établi un courant commercial entre le Soudan et le
Maroc ». Ces traditions sont, il est vrai, fâcheusement associées
à l’étymologie _Ouatin Touat_, ce qui n’est pas pour leur donner
un caractère d’authenticité ; elles méritent pourtant attention.

Au Tidikelt le doute n’est plus permis, les traditions recueillies
par Voinot sont nombreuses, précises et concordantes. Partout le
souvenir s’est conservé d’une époque où le pays entier était
un pâturage, parcouru par les troupeaux touaregs, et dont la r’aba
est aujourd’hui le dernier vestige. Dans chaque oasis on indique
exactement la date de la fondation.

In Salah serait la plus ancienne ; ce fut un pâturage des Touaregs
Kel Amellen jusqu’au XIIIe siècle environ, époque où les
premières foggaras auraient été creusées par un nègre nommé
Salah, et un certain Mohammed el Hedda, venu de Deldoul (Gourara). De
là évidemment l’étymologie Aïn Salah, inventée après coup
par les Arabes, puisque le nom véritable est In Salah, et que la
particule Berbère In est fréquente dans l’onomastique (In R’ar,
In Belrem, etc.).

Viennent ensuite par ordre d’ancienneté :

Akabli, — autrefois pâturage de Hacci Debder — l’oasis a
été fondée en 1230 — agrandie en 1235, 1255, 1273, 1303.

Aoulef, puis Tit, puis In R’ar.

L’oasis de Timokten n’a été mise en culture qu’aux environs
de 1700.

Les oasis de l’extrême est, Haci el Hadjar, Milianah, Foggaret
el Arab, Igosten, datent du XVIIIe siècle. A Foggaret el Arab,
la foggara la plus ancienne, foggara el Guedima, est de 1720 ;
la plus récente, celle de Hadj Ali, est de 1800.

Ce sont là des souvenirs précis, souvent datés, quelques-uns tout
récents, et qui ne peuvent pas être mis en doute.

Aussi bien les défricheurs du Tidikelt sont venus très souvent du
Touat et du Gourara.

A Aoulef la migration de 1303 est celle des Ouled Meriem du
Reggan. Les Ahl Azzi qui fondèrent Tit venaient de Fenourin
(Touat). Parmi les fondateurs de Timokten, les uns (Ouled Yahia)
venaient de Deldoul, les autres (Ouled Dehane) du Timmi.

Il est clair que parmi les trois groupes touatiens, le Tidikelt est
le plus récent de beaucoup, c’est une idée toute nouvelle et
que nous devons entièrement à M. Voinot.

On sait anciennement que les inscriptions tifinar’ ne sont pas
rares au Tadmaït[238], et les Touaregs affirment que le Tadmaït
fut jadis leur domaine. Tout confirme donc le recul des Touaregs au
Tidikelt dans les derniers siècles.

La grande poussée d’arabisation, venue de l’ouest, du Maroc
et de la Seguiet el Hamra, ce qu’on pourrait appeler la poussée
andalouse, a donc eu sa répercussion jusqu’ici. Elle a refoulé
les Berbères hors du Tidikelt, et du même coup elle y a apporté
l’agriculture. Nous saisissons ici sur le fait, beaucoup plus
nettement qu’ailleurs, le lien qui existe entre la poussée
andalouse et le progrès économique au Sahara, et sans doute il
n’est pas surprenant que les fugitifs des huertas espagnoles aient
été en Afrique de bons professeurs d’hydraulique agricole.


=Démographie et organisation politique.= — Le Tidikelt est sur la
frontière des deux langues et des deux cultures, arabe et berbère ;
c’est une marche où l’influence arabe est encore mal assise. On
s’en rend compte en étudiant avec M. Voinot sa démographie et
son organisation politique.

J’emprunte d’abord à M. Voinot un tableau intéressant et
inédit.

  +------------------+--------+---------+-----------+
  |                  |        |         |   TOTAL   |
  |                  | BLANCS | HARATIN |    des    |
  |                  |        |         | habitants |
  +------------------+--------+---------+-----------+
  | Foggaret ez Zoua |  333   |   137   |    470    |
  |                  |        |         |           |
  | Foggaret el Arab |   39   |    36   |     75    |
  |                  |        |         |           |
  | Igosten          |  204   |   107   |    311    |
  |                  |        |         |           |
  | Haci el Hadjar   |  116   |    47   |    163    |
  |                  |        |         |           |
  | Sahela Fokania   |  190   |    83   |    273    |
  |                  |        |         |           |
  |   —    Tahtania  |   63   |    38   |    101    |
  |                  |        |         |           |
  | Miliana          |   32   |    19   |     51    |
  |                  |        |         |           |
  | In Salah         | 1090   |   610   |   1700    |
  |                  |        |         |           |
  | In R’ar          |  437   |    45   |    482    |
  |                  |        |         |           |
  | Tit              |  412   |   110   |    522    |
  |                  |        |         |           |
  | Aoulef           | 1813   |  1978   |   3791    |
  |                  |        |         |           |
  | Akabli           |  471   |   421   |    892    |
  +------------------+--------+---------+-----------+
  | Total général    | 5200   |  3631   |   8831    |
  +------------------+--------+---------+-----------+

Ce tableau fait ressortir d’un coup d’œil un certain nombre de
faits intéressants.

Il nous donne la proportion exacte à la population générale des
haratin, c’est-à-dire des paysans. Je ne crois pas qu’on la
connaisse au Touat et au Gourara. Ici elle est assez faible. Sur 8831
habitants 3631 seulement cultivent, et nourrissent les autres. Il
est vrai que le nombre des esclaves n’est pas indiqué, on ne
nous dit pas s’il est inclus dans celui des haratin. On verra en
outre que l’agriculture n’est pas la seule ressource alimentaire
du Tidikelt.

Sur douze ksars il en est deux beaucoup plus importants que les autres
qui renferment à eux seuls plus de la moitié de la population
totale, ce sont In Salah et Aoulef ; autour de l’un se groupe le
Tidikelt oriental, autour de l’autre l’occidental : ce sont
les deux capitales, comparé au Touat et au Gourara le Tidikelt
est centralisé.

De ces deux centres le plus important n’est pas le plus connu,
In Salah (1700 habitants) ; mais c’est de beaucoup Aoulef (3791
habitants). Je n’imagine pas pourquoi la plus petite agglomération
est précisément celle dont le nom s’est imposé au public
européen ; c’est apparemment une notoriété de hasard, mais
qui a eu ses conséquences puisque In Salah, après avoir été
notre objectif stratégique, est aujourd’hui notre capitale
administrative. Ce n’est pas sans conséquences fâcheuses
pour Aoulef, et même au Sahara une réclame insuffisante eut un
désavantage économique.

L’hydrographie de détail au Tidikelt n’ayant pas été étudiée,
il est impossible de savoir si Aoulef dispose d’une nappe d’eau
plus puissante ; faut-il invoquer, pour expliquer l’infériorité
d’In Salah, le fait incontestable que les dunes y sont bien
plus agressives ? ou faut-il trouver naturel que le centre le plus
occidental soit aussi le plus évolué, puisque la colonisation est
venue de l’ouest ?

Le tableau ne distingue pas les Arabes des Berbères, mais le texte
du rapport Voinot est explicite sur la question.

La prédominance politique appartient incontestablement aux Arabes.

Dans l’est, à In Salah, les maîtres sont les Ouled Ba Hammou,
Ouled Baba Aïssa et Ouled Mokhtar, qui se rattachent à un ancêtre
commun venu du dj. el Akhdar en Tripolitaine.

Dans l’ouest, à Aoulef, ce sont les Ouled Zenana venus de Tlemcen
en 1690. Ces deux groupes de familles arabes, chacune dans son
domaine, exercent leur autorité d’une façon assez particulière.

Et d’abord ils l’assoient sur la force et la crainte, et non pas
sur le respect religieux. Il existe au Tidikelt des zaouias, qui ont
été fondées au XVIIe et au XVIIIe siècle comme dans les autres
groupes d’oasis. Des chorfa du Touat (Sali) ce sont établis à
Aoulef au commencement du XVIIe siècle. Des Kounta se sont fixés
à Akabli en 1749, mais ces personnages religieux sont bien loin de
jouer dans le Tidikelt occidental le rôle prépondérant qui est
dévolu aux gens de poudre, les Ouled Zenana.

La prééminence des familles arabes guerrières a eu pour
conséquence certaines tendances monarchiques. A In Salah la famille
Badjouda, des Ouled Ba Hammou, exerçait une sorte de royauté.

En somme, sans que les djemaa aient disparu, il existe au Tidikelt,
dans chacun des deux centres, une concentration de l’autorité
entre les mains de familles arabes militaires. Nous sommes loin de
l’anarchie touatienne et cela sent la marche frontière.

Les Berbères d’ailleurs, quoique subordonnés, ne sont pas ici
dans une situation humiliée comme les Zenati du Touat et du Gourara,
ils ne font pas figure de vaincus et d’annexés.

Le groupe berbère le plus important est celui des Ahl Azzi, ils
se disent issus du Tafilalet en faisant étape au Touat. Ils sont
m’rabtin (marabouts), c’est-à-dire qu’ils constituent une
noblesse religieuse très respectée, dont l’arbre généalogique
remonte aux premiers temps de l’Islam. En réalité, j’imagine que
leur rôle social est le suivant. Comme Berbères ils sont bilingues,
et comme marabouts, dans un pays où toute l’instruction est
religieuse, ils ne peuvent pas être tout à fait analphabets. Auprès
des Touaregs de marque on trouve généralement un secrétaire Ahl
Azzi. Ils constituent une tribu d’interprètes, et ils jouent donc
un rôle considérable dans un pays Arabe qui a des voisins et l’on
pourrait presque dire des maîtres Berbères.

Car les Touaregs sont chez eux au Tidikelt, ils en sont restés en
quelque sorte les suzerains. A 30 kilomètres au sud d’In Salah,
Haci Gouiret est dominé par une petite gara couverte d’inscriptions
tifinar’ ; ç’a été la guérite des guetteurs touaregs, beaucoup
d’inscriptions y sont récentes, grafitti de sentinelles dans un
corps de garde, et sa seule existence atteste des prétentions de
surveillance et de domination.

L’influence touareg au Tidikelt s’atteste dans le costume, par
la prédominance des cotonnades bleues, tout à fait inconnues au
Touat et au Gourara où les blanches sont seules en usage.

Quelques tribus ou fragments de tribus Touaregs sont fixés au
Tidikelt, à Akabli. — Les Settaf y sont devenus ksouriens, ce
sont des nobles Azguers.

Autour d’Akabli gravitent d’autres Touaregs, agrégés aux
tribus de l’Ahnet, les Sekakna, les Mouazil et les Kenakat ; ce qui
explique pourquoi Sidi Ag Gueradji, chef des Taïtoq et de l’Ahnet,
a eu longtemps à Akabli une sorte de maison de plaisance.

Les Sekakna, les Mouazil et les Kenakat sont des nomades, et ce ne
sont pas les seuls au Tidikelt — nomades aussi, parmi les Arabes,
les Oulad Zenana d’Aoulef, les Oulad Bahamou et les Oulad Mokhtar
d’In Salah, les Ouled Yahia et les Ouled Dahane de Timokten, les
Zoua de Foggaret ez Zoua. En somme, une fraction assez considérable
du Tidikelt continue à nomadiser. Cela s’accuse d’ailleurs dans
le tableau, dressé par Voinot, du cheptel au Tidikelt.

600 chameaux, 16 chevaux, 20 mulets, 700 ânes, 2500 moutons et
chèvres.

La proportion des chameaux est tout à fait anormale pour un pays
d’oasis et atteste la persistance des habitudes nomades. On se
rappelle que le Touat n’a pas un seul nomade et que le Gourara en
a pour mémoire (les Kenafsa). Voici donc une autre originalité
du Tidikelt, et si on peut y voir une survivance de l’époque
où tout le pays était en pâturages, il est surtout légitime de
noter la relation entre le nomadisme et les vertus guerrières tout
particulièrement nécessaires au Tidikelt.


                        La pénéplaine déserte.


La pénéplaine, hercynienne et calédonienne, qui sépare le
Tidikelt des plateaux touaregs est une région naturelle nettement
individualisée, un petit Tanezrouft, un désert d’une intensité
maximum ; les caravanes la traversent à marches forcées, d’une
sorte de bond stratégique ; quitte à souffler et à flâner,
quand elles l’ont laissée derrière. Elle fait valoir par le
contraste les pays qu’elle sépare, les palmeraies du Tidikelt et
les pâturages touaregs.

Et c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Il est clair
qu’une région à travers laquelle on fuit nuitamment se prête
mal à une étude de détail et d’ailleurs un pays parfaitement
inhabité présentera toujours un intérêt presque exclusivement
géologique.

L’homme ne laisse pas cependant d’y avoir marqué sa trace.

A H. Ar’eira, à 500 mètres au sud des superbes gommiers qui
voisinent avec le puits, et qui frappent davantage dans un pays
aussi nu, les rochers portent de mauvaises gravures rupestres et
des inscriptions en tifinar’.

Auprès de Haci Tirechoumin on voit une msalla (mosquée en plein
vent) et le tombeau très vénéré de Sidi Abd et Hassani.

Dans toute la partie orientale de la pénéplaine d’ailleurs,
les puits ne sont pas très rares, — sur la route d’In Salah,
Haci Gouiret et H. el Kheneg sont séparés par 70 kilomètres —
Haci el Kheneg et Afoud Dag Rali par une quarantaine.

Sur la route d’Akabli par Baba Ahmed les étapes de puits à
puits (Tirechoumin, Ar’eira, O. Adrem) ne dépassent guère une
cinquantaine de kilomètres. — Ce sont des distances insignifiantes
au désert et pour des méharis. Il est vrai que l’eau ne suffit
pas, il faut des pâturages, et c’est leur absence ou leur
insuffisance qui impose aux caravanes une allure accélérée.

Les puits se trouvent invariablement dans le lit des grands oueds
Bota, Nazarif, Souf Mellen, dans des poches d’alluvions en arrière
de barrières rocheuses ; il est difficile de ne pas conclure que
ces grands oueds coulent quelquefois, encore qu’on n’ait pas
là-dessus un seul renseignement positif. Il est donc possible que
des crues exceptionnelles fassent pousser au voisinage des puits
des pâturages temporaires, susceptibles de fixer pendant quelques
semaines à de longs intervalles un peu de vie humaine.

A mesure qu’on s’avance à l’ouest, c’est-à-dire en aval,
l’aridité augmente. La route de Taourirt est extrêmement dure,
140 kilomètres sans eau de Hacian Taibin à Tikeidi. — 165 par la
route directe de Hacian Taibin à Ridjel Imrad ; car le point d’eau
intermédiaire de Azelmati est intermittent et insuffisant. Ce sont
là de vraies étapes de Tanezrouft, dangereuses en été.

Ce grand couloir de l’O. Djar’et est libre de sable au milieu,
presque partout on marche sur un sol de roche nette, ou de reg, en
un mot sol décapé. Les dunes sont rejetées de part et d’autre,
au pied du Tadmaït d’une part, et de l’Ahnet de l’autre
(dunes du Tidikelt, erg Timeskis, erg Enfouss, Tessegafi, Fisnet).

Pourtant la sebkha Mekhergan, qui est dans une position tout à fait
centrale, est partiellement recouverte et bordée de dunes.

En somme, là comme ailleurs, il semble bien que les dunes se trouvent
précisément là où le ruissellement des oueds quaternaires a
accumulé les plus grandes masses d’alluvions — à la surface
et auprès de ce grand lac desséché qu’est la sebkha Mekhergan,
et le long des grandes lignes de rupture de pente.


                          Plateaux Touaregs.


La partie étudiée des plateaux touaregs est l’extrémité
occidentale d’une région beaucoup plus étendue et très
uniforme, qui embrasse le Mouidir tout entier, et le Tassili des
Azguers. C’est une auréole de grès éodévonien, qui s’étire
d’est en ouest sur douze degrés de longitude, et qui joue au
Sahara un rôle tout à fait considérable au point de vue humain.

La section étudiée embrasse le Mouidir occidental, l’Ahnet et
l’Açedjerad, de Aïn Tadjemout à Ouallen soit une bande de 300
kilomètres de long.

On s’est efforcé déjà d’en décrire par le menu la composition
géologique et la structure, qui expliquent sa richesse en eau et en
pâturages ; et par conséquent son importance en géographie humaine.

C’est un pays montagneux, les sommets de l’Adr’ar Ahnet
doivent approcher de 1000 mètres. Il y pleut à coup sûr un peu
plus que dans les plaines basses, quoique là-dessus nous n’ayons
ni une observation, ni _a fortiori_ une série d’observations
précises. A coup sûr le climat reste saharien, il n’y a pas
de pluies régulières, saisonnières et annuelles. En 1903, 1904,
1905, au dire des indigènes, corroboré par la baisse des sources,
il n’est pas tombé une goutte d’eau.

Ces montagnes sont en grande partie gréseuses. Les grès reposent
sur un soubassement silurien à peu près imperméable ; ils
sont très perméables, malgré leur âge, parce qu’ils n’ont
jamais été plissés et métamorphisés ; ils sont médiocrement
épais ; et interstratifiés de couches argileuses qui les
divisent en compartiments étanches ; enfin ils sont faillés et
dénivelés. C’est un ensemble de conditions merveilleusement
favorables à la création de nappes souterraines et à leur
utilisation par l’homme.

Aussi les plateaux touaregs ont une vieille réputation d’humidité
et de verdure ; et ils ont incontestablement un caractère désertique
moins accusé que les effroyables plateaux crétacés du Mzab et
du Tadmaït.

En tous pays les montagnes gréseuses sont plus verdoyantes que
les causses.

Le Mouidir-Ahnet n’a pas d’eau courante ; ses oueds, au lit
si profondément encaissé, ne coulent que par métaphore, sauf au
moment des orages qui donnent naissance à des torrents brusques et
éphémères. Pourtant, sur certains points favorisés, et sur des
étendues plus ou moins médiocres, un filet d’eau vive survit
longtemps à l’orage.

Ainsi, à Tahount Arak, le commandant Laperrine, lors de sa première
tournée (en 1902), a vu un ruisselet d’eau courante. En 1903 il
avait disparu.

En revanche, il y a ce qu’on pourrait appeler de l’eau libre,
de l’eau superficielle, accessible sans outillage de terrassier et
sans corde à puits. C’est une grande nouveauté pour qui vient du
Tadmaït. Dans ces affreux plateaux crétacés du Sahara algérien les
puits sont la seule ressource et ils atteignent souvent de grandes
profondeurs (20 à 30 mètres en moyenne sur la route d’el Goléa
à Ouargla ; 60 mètres au M’zab). Ils sont souvent creusés en
pleine roche, dans le calcaire dur, et ils représentent un grand
effort humain collectif. L’eau se soustrait à l’utilisation
humaine dans les entrailles du sol.

Le Mouidir-Ahnet a ses puits ; mais quelle différence avec ceux de
la hammada crétacée ! Ceux du Mouidir-Ahnet ont quelques mètres
à peine de profondeur, ils sont creusés, non pas dans la roche,
mais dans les dépôts meubles. Ils représentent une somme de
travail si médiocre que, au cas fréquent où la caravane trouve
le puits bouché par les éboulis, elle a souvent avantage, au lieu
de déblayer le vieux puits, à en creuser un nouveau à côté.

Des puits semblables sont déjà un acheminement aux _abankor_.

Le mot touareg _abankor_, dont le représentant arabe est _tilmas_,
n’a pas de traduction française ; on l’applique à une couche
de sable humide, où il suffit de creuser à la main un trou de 20
ou 30 centimètres pour qu’il se remplisse d’eau. Il y a par
exemple un abankor à Taloak.

Ainsi aux points d’eau du Mouidir, même lorsque l’eau est
souterraine, elle est accessible sans grand effort. La plupart ou
la moitié du temps on la trouve à l’air libre sous la forme
d’une mare. Il y en a deux catégories, les unes sont des sources
et les autres des aguelman (en arabe _r’dir_). Les sources sont
parfois reconnaissables sur la carte au nom qu’elles portent,
Aïn Tadjemout, Aïn Tikedembati : Tin Senasset, Tin Taggar,
Tikeidi et Iglitten sont aussi des sources ; elles sont donc très
nombreuses. En général, les sources n’arrivent pas à ruisseler,
ce sont de petites vasques, où l’ascension lente de l’eau
souterraine contre-balance l’évaporation.

Les aguelman (en arabe _r’dir_, _guelta_) sont des mares, voire
même des lacs.

L’un des aguelman, Taguerguera (celui d’amont), a près de 100
mètres de long sur 5 ou 6 de large. Il est très pittoresque, une
gigantesque vasque de roc nu. Il avait, en 1903, 4 ou 5 mètres de
profondeur. (Voir pl. VI, phot. 11.)

C’est incontestablement le géant de tous les aguelman dans la
région étudiée, le seul auquel on puisse appliquer le nom de lac.

Les petits aguelman ne sont pas rares : celui de Tamama, en amont
de Taguerguera dans l’oued Tar’it (Ahnet) ; celui de Taoulaoun
au confluent des oueds Tibratin et Tiratimin ; deux autres sont
échelonnés dans les gorges de l’oued Tibratin ; un autre est à
Tahount Arak (tout cela au Mouidir). Un autre, que les Touaregs nous
ont simplement désigné sous le nom générique de guelta, et qui est
apparemment anonyme, mérite une mention spéciale ; il est juché à
une altitude d’une centaine de mètres dans les grès siluriens de
l’Adr’ar Ahnet presque au sommet d’une vallée torrentielle,
étroite et sauvage, et de pente si raide, accidentée de ressauts
si brusques, que l’ascension exige des cordes. (Voir pl. XLIX,
phot. 91.) La guelta a 4 ou 5 mètres de diamètre et 2 mètres de
profondeur, elle est logée dans une anfractuosité de roc nu.

Le trait commun de tous ces aguelman, grands ou petits, c’est
de jalonner des lits d’oued ; il est impossible pourtant de
les considérer tous comme des flaques, résidus de la dernière
crue, des citernes naturelles. M. le lieutenant Besset signale au
Mouidir un aguelman alimenté par des sources visibles[239]. Sur
l’itinéraire suivi je n’ai rien vu de semblable ; mais il est
impossible d’imaginer que Taguerguera par exemple, ou la guelta de
l’Adr’ar Ahnet ne soient pas en relation avec une nappe d’eau
souterraine. Dans une vasque de roc nu, sous le ciel du Sahara,
l’eau ne se conserverait pas indéfiniment si elle n’était
renouvelée par l’afflux de sources invisibles.

Je crois que, au Mouidir-Ahnet, la majorité sinon la totalité des
aguelman sont des sources, dont on méconnaît la nature parce qu’on
les rencontre dans le lit d’un oued. Et d’ailleurs l’érosion,
entamant le sol jusqu’au niveau de la nappe, explique la fréquence
des sources dans les lits desséchés.

Un raisonnement analogue peut s’appliquer d’ailleurs aux
tilmas et aux puits. Au fond du puits d’el Kheneg, par exemple,
j’ai noté que l’eau sourd dans la roche même. Il est clair
que les expressions, puits, tilmas, aguelman, nous renseignent sur
l’aspect extérieur du point d’eau, mais non pas sur l’origine
de la nappe. Un puits peut être un mode de captage d’une source,
un tilmas peut être une source trop faible pour s’affirmer
franchement en surface.

Un coup d’œil sur la carte montre que la distribution générale
des points d’eau est indépendante des oueds. Ils jalonnent non
pas les cours d’eau, mais bien les lignes de contact géologiques.

Sur la limite supérieure de l’Éodévonien s’alignent Afoud
Dag Rali, H. Bel Rezaim, H. In Belrem, Taguerguera, Tikedembati,
Taloak, Tin Taggar, Tezzaï, Meghdoua, Tikeidi, Iglitten, Taguellit.

Taoulaoun et Ouallen sont au contact des deux étages éodévoniens.

Le contact inférieur de l’Éodévonien (avec le Silurien) est,
lui aussi, assez riche en points d’eau, Aït el Kha, Tin Senasset,
Ouan Tohra, Haci Macin, Tahount Arak, H. el Kheneg.

Aïn Tadjemout et Haci Adoukrouz sont au contact du Silurien
sédimentaire et métamorphique, sur des failles évidentes.

En somme le Mouidir-Ahnet est par excellence une région de sources ;
alimentées par de grandes nappes profondes, les points d’eau sont
presque tous pérennes. La longue période sans pluie 1902, 1903 et
1904 en avait asséché plus ou moins complètement un petit nombre
dans le haut pays (Tin Senasset, Aït el Kha, surtout aguelman Tamama,
qui n’avait plus une goutte d’eau dès 1902). Le grand aguelman
Taguerguera avait beaucoup baissé, mais il était loin d’être
à sec. Et d’une façon générale la grande majorité des sources
ne tarissent jamais.

En géographie humaine, le pâturage est au moins aussi important
que le point d’eau, et sans doute les deux vont ensemble, au moins
dans une certaine mesure. On constate en tout cas que les pâturages,
au Mouidir-Ahnet, tendent à se distribuer eux aussi, suivant les
lignes de contact géologique, plutôt que le long des oueds.

A la traversée des plateaux Touaregs, les oueds sont extrêmement
pittoresques, ils se sont taillé des canyons étroits, aux murailles
perpendiculaires de grès nu, parfois très élevées. Ces gorges
sauvages ne sont pas seulement superbe matière à photographies,
elles ont pour les Touaregs quelque intérêt alimentaire ; la
preuve en est que, en certains points privilégiés, on y observe
des groupements de gravures rupestres, trace la plus durable
d’ancienne fréquentation — dans le Foum Zeggag par exemple,
dans l’O. Tar’it surtout, ou encore dans les gorges de Tiratimin
(Mouidir, d’après le colonel Laperrine).

La verdure des canyons pourtant se réduit à une bande étroite au
fond du lit, on mène paître de préférence dans les bas-fonds
largement étalés, où les bêtes s’égaillent sur de grands
espaces, et où le pâturage s’épuise lentement.

A l’intérieur de la zone gréseuse les points les plus fréquentés
sont les vallées très ouvertes, — au contact argileux des deux
étages gréseux éodévoniens, Ouallen par exemple, Taoulaoun
(voir pl. XLV, phot. 84) ; — ou bien encore la cuvette synclinale
d’Iglitten où s’est conservé un lambeau méso-dévonien.

Mais c’est de préférence la lisière de la zone gréseuse qui
est vivante, au nord et au sud, en aval et en amont de l’auréole
éodévonienne.

En aval de l’Ahnet, par exemple, s’étend la grande plaine
d’el Ouatia, colmatée d’alluvions plus ou moins transformées
en dunes. Cette masse alluvionnaire, qui voile la pénéplaine méso-
et néodévonienne est très humide, semée de puits ; sur une grande
étendue c’est un pâturage utilisable, on y rencontre toujours
des tentes sur un point ou l’autre, et cette plaine pourrait bien
être le cœur économique de l’Ahnet, encore qu’elle lui soit
excentrique et simplement tangente, à parler littéralement.

A l’autre frontière, celle d’amont, la méridionale, au
pied et en arrière des falaises dévoniennes terminales (baten
Ahnet), s’étendent sur la pénéplaine silurienne des plaques
considérables d’alluvions humides, maader et erg : — ce sont
les résidus ou les représentants de ce qu’on appelle en Russie
les lacs de glint ; — pâturages d’Aït el Kha, de Ouan Tohra,
de Haci Masin, d’Adoukrouz, dans l’Ahnet ; de maader Arak et de
Tadjemout au Mouidir.

En somme, aux plateaux Touaregs, la vie végétale, et par conséquent
humaine, est surtout périphérique ; les plateaux gréseux eux-mêmes
se présentent sous la forme de hammadas grandioses et abominables,
indéfiniment nues, noires et luisantes.


=La flore.= — La flore du Mouidir-Ahnet n’a rien d’original. Au
moins n’avons-nous pas vu, je crois, une seule espèce qui ne
figure dans le catalogue de Foureau[240].

Les pâturages ne contiennent rien qui soit de nature à
surprendre l’estomac des méharis du nord ; on y voit les plantes
classiques : le _had_, le _dhamrane_, le _belbel_ (toutes trois des
salsolacées). Tout au plus pourrait-on signaler parmi les graminées
la prédominance inusitée du _bou-rékouba_ (_Panicum turgidum_
et _colonum_) sur le _drinn_ (_Arthratherum pungens_). La première
est plutôt soudanaise, et la seconde algérienne.

Les espèces arbustives ou arborescentes sont naturellement peu
nombreuses ; il semble qu’on puisse essayer d’en dresser une
liste, qui sera à la fois très courte et à peu près complète.

Le plus bel arbre, on pourrait presque dire le seul qui mérite ce nom
est le _talha_ (acacia gommier) ; quelques échantillons supportent la
comparaison avec un grand arbre de notre flore européenne ; la grande
majorité, il est vrai, sont bien plus modestes, le tronc atteint à
peine la grosseur de la cuisse. (Voir pl. XLVIII, phot. 89.) Après
le gommier il faut citer le _teboraq_ (_Balanites ægyptiaca_)
qui a lui aussi le port et les dimensions d’un arbre médiocre.

L’_ethel_ et le _tarfa_ (deux espèces de Tamarix) sont de
beaux végétaux, de grosses masses de verdures, mais d’allures
buissonnantes, aux troncs multiples et rampants, la ramure est seule
vivante, le tronc est un cadavre pourri, où le doigt enfonce. (Voir
pl. XLV, phot. 84.) C’est le gommier seul, vu la rareté des
Balanites, qui fournit aux Touaregs ce qu’on pourrait appeler
leur bois d’ébénisterie, c’est-à-dire de quoi fabriquer le
seul meuble du nomade, la selle de son méhari. Sur les gommiers
et les Balanites les tamarix ont, du moins, la supériorité de
n’être pas épineux, infiniment appréciée de qui s’assoit à
leur ombre. Après ces géants il ne reste que le menu fretin des
broussailles et des arbustes : — le _r’tem_ qui a des allures
de genêt, — le _koronka_ (_Callotropis procera_), qui ne mérite
guère cette épithète latine ; il n’a de grand que son fruit,
une énorme gousse ovoïde, d’un beau vert frais, aussi gros qu’un
œuf d’autruche, ridiculement disproportionné à sa taille d’un
mètre cinquante : il joue un rôle important dans l’économie
domestique des Touaregs ; son suc laiteux tient lieu du goudron
végétal des Algériens, c’est un remède efficace contre la
gale des chameaux, et son bois donne le charbon nécessaire à la
confection de la poudre.

Toute cette flore arbustive, au point de vue de la géographie
botanique, est plutôt méditerranéenne, la plupart des espèces
comme le _r’tem_ et le tamarix rappellent le sud de l’Algérie ;
quelques-unes seulement, font déjà songer au Soudan, comme le
_Balanites ægyptiaca_ dont le nom revient si souvent dans Barth. En
somme, c’est la flore saharienne classique, avec un caractère
nettement septentrional. Il y a peu de rapports avec la flore
nettement soudanaise de l’Adr’ar des Iforass, pourtant voisin.

D’autre part on ne voit pas encore apparaître, à ces altitudes
médiocres, quelques espèces qu’on nous signale plus haut, dans le
Hoggar ou même à l’Ifetessen ; le jujubier par exemple (_zizyphus
lotus_) fait défaut, de même que l’olivier sauvage et le thym.

Ce n’est donc pas par l’originalité de sa flore que le
Mouidir-Ahnet se distingue, c’est par son abondance relative. Le
lit des oueds et les bas-fonds étendus, zones d’épandage des
crues, qui sous un autre climat seraient marécageux, et qu’on
appelle ici des _maader_, dessinent à la surface du pays un lacis de
verdure, et comme un réseau de circulation et de vie. Il est vrai
qu’ils sont mis en valeur par l’effroyable nudité des grands
plateaux gréseux qui les séparent. Le contraste et la surprise, la
satisfaction de déjeuner à l’ombre, en rehaussent singulièrement
l’effet sur l’œil du voyageur et rendent délicate la mise au
point des impressions.

C’est incontestablement une verdure éparse et rabougrie, et qui
paraîtrait misérable ailleurs qu’au désert. Telle qu’elle
est pourtant, elle suffit à la subsistance d’une faune assez
abondante d’animaux sauvages et domestiques.

[Illustration : CARTE DU =TIDIKELT= ET DU =MOUIDIR-AHNET=
par E. F. GAUTIER

Fig. 61.]


=Faune.= — Pas de grands carnassiers, rien qui dépasse la taille
du renard, du chacal et du fennec (un tout petit canidé à grandes
oreilles)[241]. Ils trouveraient pourtant à se nourrir, car le gibier
est assez abondant. La girafe et l’autruche ne sont représentées
aujourd’hui que par leurs effigies ; l’autruche, en particulier,
a été reproduite avec prédilection par les artistes inconnus,
auteurs des gravures rupestres. Pas de sanglier, — nous n’avons
pas rencontré d’antilope mohor, dont l’existence pourtant
ne fait pas de doute, puisque les Touaregs emploient sa peau à
confectionner leurs grands boucliers. Les sommets rocheux servent
de refuge à des mouflons. Mais c’est la gazelle surtout qui est
de rencontre quotidienne, dans le voyage de 1903 les méharistes
de l’escorte en ont tué cinquante-quatre ; il est vrai que cette
hécatombe s’explique, non seulement par l’abondance du gibier,
mais aussi par son inexpérience des fusils à longue portée. Les
_gangas_ (un gallinacé voisin de la perdrix) sont aussi d’une
candeur qui surprend ; les allures du gibier témoignent de la
rareté de l’homme et de la médiocrité de ses armes.

Tout cela, en y ajoutant le lièvre, ne constitue pas une faune
sauvage beaucoup plus riche que celle des grands ergs par exemple. Il
semble seulement que le nombre des individus soit plus grand au
Mouidir Ahnet.

La faune domestique est plus intéressante ; c’est Duveyrier,
je crois, qui a signalé en pays touareg la présence de l’âne
sauvage ou onagre[242]. Nous avons en effet rencontré (à Tadjemout,
en particulier) des troupeaux d’ânes en liberté, loin de
toute habitation humaine actuelle. Mais on sait qu’au cours de la
première randonnée du commandant Laperrine au Mouidir (1902) un de
ces animaux fut chassé, abattu, et qu’on le trouva châtré. Il
s’agit, en réalité, d’un mode particulier d’élevage ;
les animaux sont complètement laissés à eux-mêmes, on se fie
à leur sauvagerie pour les protéger contre le vol. Il semble, il
est vrai que cette sauvagerie doive rendre illusoires les droits
du propriétaire : il se contenterait, dit-on, de capturer et de
dresser les ânons.

Pour que l’élevage soit possible dans de pareilles conditions,
il faut un pays de sources et d’_aguelman_, où l’eau est
directement accessible aux bêtes. Dans le Grand Erg ou sur les
plateaux crétacés, là où il n’y a d’eau qu’au fond des
puits, une bête ne peut boire que si on l’abreuve. La gazelle se
tire d’affaire par un miracle qu’on n’a jamais expliqué, peut
être une faculté d’abstinence qui dépasserait celle du chameau,
ou l’utilisation ingénieuse des plantes succulentes. L’âne
abandonné à lui-même serait condamné à mort. D’une façon
générale, pour un peuple pasteur, l’existence de l’eau à
l’air libre est une condition _sine quâ non_ d’existence ;
on ne voit pas les Touaregs abreuvant toutes leurs bêtes seau par
seau péniblement tiré du puits.

Ceux du Hoggar élèvent certainement des bœufs à bosse
du Soudan ; Guillo Lohan en a vu par troupeaux d’une
quarantaine[243]. Motylinski les signale fréquemment. Les Touaregs
du Mouidir-Ahnet ne semblent pas en avoir ; pourtant les prisonniers
de 1887 ont affirmé le contraire à Bissuel[244] ; et il ne paraît
pas incroyable que le Mouidir-Ahnet puisse nourrir quelques bœufs,
cela n’est pas en tout cas impossible _a priori_.

Il y a d’assez beaux troupeaux de chèvres et de moutons sans laine
(_deman_). Les chameaux[245] sont naturellement la partie la plus
précieuse du cheptel. Il y aurait une comparaison intéressante
à faire entre les méharis touaregs et ceux d’Ouargla (élevés
par les Chaamba). Que ceux-ci, habitués au sable, se coupent les
pieds sur les cailloux des hammadas, c’est sans doute une simple
question d’entraînement. On a signalé depuis longtemps des
différences de poil : le méhari targui est parfois tout blanc ;
et des différences de structure générale : le méhari targui est
moins massif, plus léger. Ce qui frappe surtout, c’est ce qu’on
pourrait appeler ses qualités morales ; il est familier, souple,
et même silencieux ; cette dernière qualité est particulièrement
rare chez ses congénères ; de son maître à lui on croit deviner
des liens de confiance et de compréhension mutuelle. En somme,
c’est un méhari plus évolué, plus éloigné, par la sélection
et le dressage, du chameau de bât dont j’imagine qu’il est
issu. Aussi il fait prime, les Chaamba eux-mêmes reconnaissent sa
supériorité, malgré leur amour-propre d’éleveurs.


=Le Mouidir.= — La partie étudiée des plateaux Touaregs se
divise en deux parties, en deux individualités bien distinctes,
au point de vue géographique et humain, le Mouidir et l’Ahnet.

Le nom de Mouidir est une déformation, dans laquelle il est
difficile de dire la part qui revient à la phonétique arabe et
à l’européenne, du nom berbère Immidir. La forme incorrecte,
consacrée par l’usage, me paraît avoir éliminé tout à fait
l’autre.

Il s’agit ici d’une petite partie du Mouidir, la lisière
occidentale. Encore que le Mouidir _lato sensu_ soit en dehors de
notre sujet, puisque nous ne l’avons pas vu, il est impossible de
ne pas signaler entre lui et l’Ahnet une très curieuse similitude
de conformation ; non seulement la composition géologique est la
même, on l’a déjà dit ; mais la structure et la forme générale
sont identiques.

Les cartes le montrent d’un coup d’œil. Que l’on compare
par exemple notre carte de l’Ahnet avec celle du Mouidir,
dressée par M. Besset[246]. J’ai d’ailleurs publié moi-même
une carte géologique générale du Mouidir-Ahnet[247], qui a
rapidement vieilli, mais qui fait ressortir la symétrie entre ce
qu’on pourrait appeler les deux organismes jumeaux ; le Mouidir et
l’Ahnet représentent chacun une cuvette d’effondrement distincte,
semi-circulaire ; ou si l’on veut une cuvette synclinale fermée au
sud. Dans les deux pays toutes les pentes des hammadas convergent,
en section d’entonnoir, vers un centre qui est marqué par la
présence des dépôts quaternaires et des dunes.

Les ergs Ennfous et Tessegafi correspondent exactement aux ergs Tegant
et Iris. L’oued Adrem tient exactement la place de l’oued Arouri
(Bota) ; les pâturages d’el Ouatia ont leur pendant au Mouidir
dans les maader Tegant et Iris.

D’autre part, les deux pays, Ahnet et Mouidir, à leur extrémité
occidentale, projettent vers le nord, vers le Tidikelt, en long
promontoire, une chaîne gréseuse, caractérisée par des bombements
anticlinaux fermés. Les curieux accidents isolés de Tikeidi et
de Timegerden sont, dans l’Ahnet, la reproduction des dj. Azaz et
Idjeran au Mouidir.

La ressemblance fraternelle se laisse établir trait pour trait. Ici
et là les mêmes causes orogéniques ont produit les mêmes effets.

Entre les deux régions la seule différence est de niveau, mais
elle est considérable. Le Mouidir est traversé par le grand axe
montagneux nord-africain, la ligne Hoggar-Ifetessen-Tadmaït. Il est
bien plus élevé que l’Ahnet. L’Ifetessen atteint 1600 mètres,
l’Adr’ar Ahnet 1000, et l’Açedjerad cinq ou six cents.

Tout est plus grand au Mouidir. M. Besset y décrit des canyons
profonds de plusieurs centaines de mètres, ceux que j’ai vus sont
certainement plus modestes — 60 ou 80 mètres au maximum. Il a
mesuré des aguelman cinq fois plus grands que Taguerguera, le géant
de l’Ahnet, et peuplés de barbeaux. Les indigènes lui ont même
signalé des crocodiles dans les aguelman du haut Tifirin ; mais
ce renseignement semble controuvé ; on sait pourtant qu’Erwin
de Bary affirme leur existence au lac Mihero, dans le Tassili des
Azguers[248].

M. Besset a trouvé au Mouidir des sources chaudes (Idjeran 38°,
Djoghraf 48°) ; et Erwin de Bary en a vu une de 37° dans l’oued
Mihero. Cela suppose évidemment au Mouidir et au Tassili des
failles plus accusées et des nappes d’eau plus profondes que
dans l’Ahnet.

L’eau plus abondante au Mouidir permet quelques misérables cultures
(oasis de Djoghraf par exemple).

La partie du Mouidir que nous avons vue, et que nous décrivons,
n’est guère plus élevée que l’Ahnet, elle n’en participe pas
moins, dans une certaine mesure, à la plus grande richesse en eau du
Mouidir _lato sensu_. Les pâturages y sont étendus, vallée d’In
Belrem, de Taoulaoun, maader Arak. A Tahount Arak le colonel Laperrine
en 1902 a vu de petits barbeaux qui avaient disparu en 1903 et qui
évidemment avaient été apportés des hauts de l’oued par la crue.

Notons surtout qu’en 1903 à l’aïn Tadjemout, nous avons vu des
traces de culture ; ce fut certainement un point habité, encore
qu’on ne vît pas le moindre vestige de construction. En temps
normal, des tentes ou des gourbis y étaient dressés en permanence :
de la source part l’amorce d’une séguia ; sur une vingtaine
de mètres court, ou plutôt stagne un petit canal d’irrigation,
soigneusement complanté de joncs qui le recouvrent en dôme, et
le protègent contre l’évaporation ; c’est rudimentaire et
misérable, mais c’est l’indice incontestable d’une intention
agricole.

Aussi bien Motylinski a dressé par ouï-dire une liste des ar’rem
(oasis) touaregs[249] et celui de Tadjemout y figure. En 1903 la
présence en troupeaux d’ânes soi-disant sauvages à proximité de
la source témoignait apparemment de l’exode récent des habitants.

La venue des Français a vidé le Mouidir de ses habitants, mais il
a ses propriétaires, qui reprendront, si ce n’est déjà fait,
le chemin de leurs anciens pâturages. Le Mouidir _lato sensu_ est
terrain de parcours des Kel Immidir, tribu Imr’ad du Hoggar. Mais le
bas Mouidir occidental (les environs de Tadjemout, le maader Arak),
en un mot la région qui nous occupe, appartient aux Islamaten,
autre tribu Imr’ad du Hoggar « presque agrégée à celle des Kel
Immidir, avec qui ils vivent ». Sur le Mouidir occidental (plus
particulièrement, semble-t-il, le maader de Taoulaoun, l’oued
In Belrem), les Arabes nomades d’In Salah ont ou revendiquent des
droits de propriété[250].

Entrer dans plus détails nous entraînerait à exposer
l’organisation politique et sociale du Hoggar. C’est une besogne
qui a été bien faite par M. Benhazera[251].

Bornons-nous à constater que nous sommes ici, au Mouidir, dans
une annexe du Hoggar, c’est-à-dire dans un pays ethniquement et
politiquement distinct de l’Ahnet.


=L’Ahnet.= — L’Ahnet est séparé du Mouidir, au moins le
long de l’itinéraire suivi en 1903, par une hammada désolée
où les oueds Nazarif et Souf Mellen se sont creusé des lits à
sec. Entre les groupements humains du Mouidir et de l’Ahnet,
il y a donc semble-t-il solution de continuité assez marquée ;
en tout cas, pour les indigènes, la frontière est très nette et
les deux pays très distincts.

Le hasard des itinéraires nous a particulièrement familiarisés
avec l’Ahnet d’un bout à l’autre et on peut en essayer une
monographie.

La carte jointe a été construite pour partie avec les itinéraires
Laperrine, Voinot, Villatte[252], et pour partie avec un itinéraire
original, de Taourirt à Tin Senasset, au sujet duquel on trouvera
en appendice des renseignements précis. Mais j’ai suivi, sans
les lever, une bonne partie des itinéraires Laperrine, Voinot
et Villatte.

Je ne suis pas sûr qu’il soit correct d’étendre le nom d’Ahnet
à la totalité de la région considérée ; les indigènes, autant
qu’on peut en juger le réservent à la moitié orientale, et
donnent à la corne occidentale celui d’Açedjerad ou Achegrad :
(ce sont deux variantes dialectales du même nom, correspondant
à deux prononciations différentes, djoug, du même caractère,
tifinar’)[253].

En tout cas le complexe Ahnet-Açedjerad est une unité géographique,
économique et ethnique, domaine propre des Kel Ahnet et de leurs
suzerains Taïtoq.

Bissuel donne au pays qui nous occupe le nom de « région de
l’Adrar Ahnet », et Duveyrier avant lui l’avait baptisé « Baten
Ahnet ». Ce sont deux appellations peu satisfaisantes. Baten Ahnet
s’applique à la grande falaise terminale au sud, la falaise
de Glint.

Quant à la dénomination de Bissuel : région de l’Adr’ar Ahnet,
elle est bien longue et vague, c’est une périphrase : le nom
d’Adr’ar Ahnet, comme Bissuel l’a bien compris, s’applique à
une région bien délimitée, et non pas à l’ensemble du pays,
qu’il faut appeler Ahnet tout court, comme on dit Mouidir, en
englobant l’Açedjerad pour la commodité de l’exposition.

L’Ahnet a eu une singulière fortune en librairie. Il a fait
l’objet d’une description géographique détaillée quinze ans
avant d’être exploré ou même entrevu par un Européen. En 1887
sept Touaregs de l’Ahnet, au cours d’une razzia malheureuse,
furent capturés par les Chaamba, et remis aux mains du gouvernement
français. Ce fut l’un d’eux qui accompagna comme guide
l’infortuné Crampel. C’était l’époque où le Targui,
dans l’imagination du public, après avoir été un chevalier
du Moyen âge, tournait décidément au traître de mélodrame ;
il fut admis, à tout hasard, que le guide avait trahi : on peut
affirmer aujourd’hui qu’il n’a jamais revu son pays, ce qui
laisse à supposer qu’il partagea le sort de Crampel. Ses six
compagnons d’infortune, internés à Alger, furent interviewés
régulièrement pendant la durée de leur détention par Masqueray,
alors directeur de l’École des Lettres, et le capitaine Bissuel,
officier de bureau arabe. Cette collaboration aboutit à la
publication d’un dictionnaire, édité par Masqueray, et d’un
ouvrage descriptif, intitulé _Les Touareg de l’Ouest_, par le
capitaine Bissuel[254]. C’est la seule fois peut-être qu’un
travail de ce genre ait été fait officiellement dans les prisons. Le
livre de Bissuel est accompagné d’une carte de l’Ahnet, dont
l’original fut dessiné et modelé par les prisonniers avec du
sable sur le carreau de la prison. C’est elle qui a servi de base
à tous les travaux cartographiques ultérieurs : carte du Sahara de
notre état-major, carte de l’Afrique dans l’atlas de Stieler
(_Blatt I, bearbeitet von Lüdekke_). Nous avons rencontré un des
collaborateurs du capitaine Bissuel, Tachcha ag Ser’ ada : il
était inconscient de son importance géographique, mais il gardait
bon souvenir d’Alger, il l’affirmait du moins, et il exprimait
en termes décents son regret de la mort de Masqueray.

La carte de Bissuel, ou plutôt de Tachcha, et le texte qui
l’accompagne sont naturellement défectueux, mais beaucoup moins
qu’on aurait pu le craindre. La carte figure assez nettement
les différentes parties de l’Ahnet, mais non leurs rapports de
position, c’est un pêle-mêle de détails justes. Par exemple,
l’Adr’ar Ahnet et la montagne d’In Ziza sont, pris isolément,
très reconnaissables, mais l’un est placé à l’ouest de
l’autre, tandis qu’en réalité il est au sud. Cette carte restera
une contribution intéressante à l’étude du sens topographique
chez les nomades sahariens. On sait du reste, et la carte Bissuel
suffirait à prouver, combien ce sens est développé ; ç’a
toujours été un objet d’émerveillement pour l’Européen que la
sûreté avec laquelle un indigène suit et retrouve sa route, sans
boussole à travers des solitudes uniformes : aussi bien, dans le pays
de la soif, est-ce une question de vie et de mort. Nous saisissons
ici les limites de ce sens topographique ; il est surtout basé sur
des souvenirs visuels ; le nomade ne se représente nettement que le
paysage qu’il a pu embrasser d’un seul coup d’œil ; la faculté
de coordination et de représentation mentale d’ensemble lui fait
défaut ; il y supplée par la sûreté de sa mémoire des détails.

En somme, Tachcha et ses compagnons de captivité ont fait
honnêtement leur besogne de géographes ; aux questions qui
leur étaient posées ils ont répondu, non seulement avec
sincérité, mais encore avec précision ; et c’est un fait assez
remarquable. Peut-être faut-il se souvenir à ce sujet que les
Touaregs sont des Berbères particulièrement fermés aux influences
arabes. Carette, dans ses _Études sur la Kabylie_, établit une
comparaison intéressante entre les onomastiques arabe et berbère ;
l’une lui paraît poétique et l’autre terre à terre. « Les noms
berbères énoncent un fait, dit-il, les noms arabes expriment une
image. » C’est ainsi qu’un défilé où on s’est massacré
s’appellera Chabet-el-leham, le « défilé de la viande » ;
une source près de laquelle des bandits avaient l’habitude
de s’embusquer sera aïn-chreb-ou-harreb, la source « bois
et fuis »[255]. Qu’on lise dans le livre de Shaw[256] « une
dissertation sur la cité pétrifiée que les Arabes appellent Ras
Sem ». C’était une cité morte de Tripolitaine, avec ses rues et
ses boutiques bondées de passants et d’artisans dans les attitudes
les plus vivantes, mais tous mués en statues d’une roche bleue ou
cendrée. Son existence était considérée comme un fait positif par
l’ambassadeur de Tripolitaine à Londres, qui le tenait d’un ami
d’une incontestable véracité. Le consul de France, M. Le Maire,
paya cinq mille francs un enfant pétrifié, apporté furtivement de
la cité mystérieuse, et s’aperçut trop tard que c’était une
statue endommagée de Cupidon, provenant des ruines de Leptis. Il se
consola quelque temps en croyant posséder d’authentiques brioches
de pierre trouvées dans la boutique d’un boulanger pétrifié,
jusqu’au jour où il fut avéré que c’étaient des fossiles
d’oursins, de l’espèce des clypéastres. Shaw admire « la
cervelle extravagante des Arabes, ces maîtres en inventions ». Il
est possible que des prisonniers arabes eussent fourni à Bissuel
des renseignements analogues à ceux que recueillait M. Le Maire,
consul de France. Il est remarquable en tout cas qu’à une
description de l’Ahnet écrite, loin de tout contrôle possible,
sous la dictée d’une demi-douzaine de Touaregs, l’esprit des
_Mille et une Nuits_ soit resté aussi complètement étranger. Ce
sont des cerveaux simples, dépourvus d’imagination.

Voilà qui prête incidemment à des considérations psychologiques
curieuses. On admet aujourd’hui que la proportion du sang arabe
dans l’Afrique Mineure est infinitésimale ; elle est habitée
par une race berbère homogène et ceux que nous appelons des
Arabes ne le sont que de langue. La simple substitution d’une
langue à une autre suffit donc à transformer un esprit précis en
rêveur ; ou bien ne faut-il pas invoquer plutôt l’influence de
l’islam et du monothéisme, dont la langue arabe est le véhicule
nécessaire. Naturellement on se fait aujourd’hui une image de
l’Ahnet beaucoup plus précise que le tableau tracé par Bissuel.

Il n’y a pas à revenir sur la structure ; on s’est efforcé de
l’analyser dans les pages précédentes ; elle n’est pas originale
dans ses traits généraux puisque l’Ahnet est une réduction du
Mouidir, et qu’il y a entre les deux, en quelque sorte, une simple
différence d’échelle.

Pourtant le Mouidir n’a rien qui équivaille au curieux pâté
de montagnes siluriennes dans le coin est et sud-est de l’Ahnet,
système d’Adoukrouz et surtout Adr’ar Ahnet. On a dit que ce sont
des horsts calédoniens fraîchement disséqués par l’érosion ;
la raideur des pentes est exagérée par le climat qui déchausse
et met à nu le squelette rocheux ; le résultat est un dédale
confus d’arêtes et de pitons, séparés par des abîmes, et qui
font une impression de haute montagne. (Voir pl. XLVIII, phot. 89,
pl. L et LI.)

Au nord, ce monde à part est isolé et abrité par un long talus
semi-circulaire haut et régulier de couches gréseuses dévoniennes,
redressées à 45°. (Voir pl. XLVIII, phot. 88.) Quand on vient du
Mouidir, au sortir des longues hammadas monotones, on longe le pied du
talus pendant 30 kilomètres, avant de trouver une voie d’accès,
les gorges de l’oued Adjam. C’est une fissure, large à peine
d’une centaine de mètres, mais qui entaille la muraille jusqu’à
la base ; on a l’impression d’une porte dérobée. (Voir pl. XLVI,
phot. 85.)

Au delà on débouche brusquement dans un paysage alpestre. Pourtant
le massif d’Adoukrouz est relativement hospitalier ; ses
arêtes sont isolées, contournées et découpées par de larges
vallées. Autour des puits d’Adoukrouz, de Maçin, et sans doute
sur d’autres points encore, s’étendent des pâturages. La
région est ouverte, et les Touaregs y dressent souvent leurs tentes.

Au sud, au contraire, le horst silurien forme un seul bloc
montagneux massif. C’est proprement l’Adr’ar Ahnet. Comme
son nom l’indique, c’est la montagne par excellence, l’alp de
l’Ahnet ; elle domine tout le pays. Les indigènes en sont très
fiers, et mettent leur Adr’ar en parallèle avec la Koudia du
Hoggar. Ce point de vue n’est pas défendable.

Le socle qui supporte l’Adr’ar Ahnet a 500 mètres environ
d’altitude au-dessus du niveau de la mer, et, je ne crois pas,
sous bénéfice d’inventaire, que les sommets dépassent 300
mètres d’altitude relative au-dessus du socle ; l’altitude
absolue ne doit nulle part atteindre 1000 mètres. Nous voilà bien
loin du mont Ilaman qui est au moins deux fois plus élevé. Mais les
Touaregs n’ont pas de baromètre, et la Koudia elle-même n’est
pas d’accès et d’ascension plus difficile que l’Adr’ar Ahnet.

Ce bloc énorme de pierre nue se dresse d’un seul jet, avec
des pentes raides et presque verticales, car les strates sont
redressées à 60 ou 70° ; l’escalade est difficile, parfois même
dangereuse. Nous avons pu constater que sur toute la face ouest il
garde cet aspect de muraille infranchissable, et, d’après Bissuel,
il en est de même sur les trois autres faces. Il n’y aurait pour
pénétrer au cœur de l’Adr’ar Ahnet qu’une voie d’accès
praticable, et nous l’avons suivie, c’est l’étroit défilé
de l’oued Tedjoudjoult. La vallée de l’oued, toujours aussi
profondément encaissée, se prolonge très loin dans la montagne,
son lit est constitué par une telle épaisseur de cailloux roulés
que toute chance de pâturage sérieux se trouve éliminée. (Voir
pl. LI, phot. 93.) Au moins en est-il ainsi jusqu’au point où nous
l’avons remontée. L’Adr’ar Ahnet n’est donc pas un centre
de pâturage, il ne joue pas un rôle économique : en revanche il
en joue un militaire. Ce pâté montagneux inaccessible de toutes
parts sauf par un couloir étroit, long et sinueux, est une admirable
forteresse naturelle, la casbah de l’Ahnet. Désert en temps de
paix, il devient le dernier refuge de la tribu quand elle est battue
en rase campagne. A l’entrée des gorges on distingue des traces
de travaux de défense, une murette en cailloux roulés dans le lit
de l’oued.

De tout l’Ahnet, c’est le point que les prisonniers de Bissuel
ont décrit avec le soin le plus méticuleux et l’exactitude la
plus approximative. Evidemment, c’est un point vital.

Des points vitaux d’un autre genre, d’ordre économique, sont
les points d’eau et les pâturages ; on en a déjà étudié la
distribution, le long des limites géologiques.

La vie est surtout périphérique ; au cœur de l’Ahnet (_lato
sensu_), à l’intérieur de la zone gréseuse, il y a peu de
points susceptibles de fixer les textes : la vallée d’Ouallen,
qui s’étire le long de la bande argileuse intercalée entre les
grès ; la cuvette synclinale d’Iglitten, où s’est conservé
un paquet de méso-dévonien.

Les points vivants sont bien plus nombreux au sud et au nord des
plateaux gréseux, sur la lisière. Au sud les maader « de glint »
— Aït el Kha — vallée de l’oued Amdja (Tin Senasset, Ouan
Tohra, Foum Imok) — Haci Maçin — Adoukrouz.

Au nord, les plaines d’alluvions bordières, qui s’étalent,
semées de dunes, suivant la ligne de rupture de pente — les
vallées des oueds Ifisten et Meraguen, avec la région de l’erg
Ifisten : — surtout la grande plaine d’el Ouatia et de l’oued
Adrem, avec les ergs Ennfous et Tessegafi.

La carte et le texte Bissuel sont très détaillés (ce qui
n’empêche pas, il est vrai, la carte d’être singulièrement
mauvaise) pour tout ce qui concerne cette cuvette synclinale
centrale. Tout concourt à en faire une région privilégiée, elle
est encadrée entre l’anticlinal de l’Adr’ar Ahnet et celui
de l’Açedjerad. Vers cette cuvette convergent toutes les pentes
des hamadas, et la grande majorité des oueds de l’Ahnet viennent
y aboutir.

Sur le bord externe de l’Ad’rar Ahnet coule l’oued Souf Mellen
qui en draine le versant oriental. Mais, à cette exception près,
c’est l’oued Adrem qui est le grand collecteur de toutes les
eaux de l’Ahnet. Par ses sources il draine la plus grande partie de
l’Adr’ar Ahnet (oued Amdja, oued Tedjouldjoult, oued Maçin). A la
traversée des hammadas il prend le nom d’oued Tar’it. (Tar’it
est exactement l’équivalent berbère de notre « canyon ».) A
son débouché dans la cuvette synclinale, c’est l’oued Adrem ;
et toutes les eaux de la région des hammadas, comme de l’Açedjerad
oriental, viennent la rejoindre.

Cette convergence des oueds produit les effets qu’on en pouvait
attendre. Dans la cuvette synclinale sont accumulés les dépôts
alluvionnaires, comme aussi le tourbillonnement du vent dans cet
immense amphithéâtre de montagnes y a déposé des dunes.

Tout le centre de la cuvette est percé de puits (Ennfous, puits
nombreux en chapelet dans l’oued Adrem) ; son pourtour est
jalonné de sources et d’aguelman (aïn Tikedembati, aguelman
Taguerguera). A sa surface, les oueds élargis dessinent un lacis
de pâturages. Si l’Adr’ar Ahnet est le centre politique et
militaire, l’oued Adrem est le centre économique ; c’est là
que les pâturages se pressent, et qu’on a le plus de chance de
rencontrer des tentes. C’est là en effet que la petite troupe du
commandant Laperrine est entrée en relations pacifiques avec les
Taitoq et les Kel Ahnet, en 1903 ; c’est là encore que le capitaine
Dinaux en 1905 a vu venir à lui toute la délégation de l’Ahnet,
exactement à Haci Ennfouss[257].

Chose curieuse, de la région des hammadas, qui s’étend entre
l’Adr’ar Ahnet et l’Açedjerad, on ne retrouve pas de traces
nettes sur la carte Bissuel ; elle semble donc ne pas avoir fixé
l’attention des indigènes auteurs de cette carte ; elle n’a pour
eux, apparemment, aucune espèce d’intérêt pratique, c’est
une étendue pierreuse inutilisable, où ils n’ont rien à faire
et où ils ne vont pas.

Ce sont pourtant les hammadas entaillées de canyons qui frappent
d’abord l’Européen ; elles sont l’élément caractéristique du
paysage ; on conçoit aisément que ce point de vue ne soit pas celui
des indigènes, qui doivent résoudre en pareil pays le problème
redoutable de l’alimentation quotidienne, et pour qui les données
économiques remplissent tout le premier plan de l’attention.

A ce titre économique il faut insister sur l’importance de
quelques points, amorces de routes transsahariennes. Au sud de
l’Ahnet s’étend un redoutable Tanezrouft traversé par deux
routes seulement l’orientale qu’on pourrait appeler route d’In
Ziza, et l’occidentale, ou route d’Ouallen.

Le volcan éteint d’In Ziza[258], avec ses points d’eau pérennes,
est d’une telle importance pour l’Ahnet que Bissuel et ses
informateurs touaregs le décrivent comme en faisant partie. En
réalité il est à 150 kilomètres au sud, en plein Tanezrouft,
et il n’y a pas lieu de le décrire ici. Contentons-nous de dire
que la route orientale, coupée d’aiguades très espacées,
mais très abondantes et très sûres (In Ziza, Timassao) est
beaucoup plus facile et plus suivie que l’autre. Elle aboutit
dans l’Ahnet proprement dit, au voisinage de l’adr’ar Ahnet,
de part et d’autre de l’adr’ar Adhafar, soit à Aït el Kha,
soit dans l’oued Amdja[259] (Tin Senasset, Ouan Tohra). Aït el
Kha est certainement plus rapproché d’In Ziza, mais dans les
périodes de longues sécheresses le point d’eau et le pâturage
sont insuffisants. Aussi, en 1905, le capitaine Dinaux, avec ses 170
animaux, a dû partir non pas même de Tin Senasset, à peu près
tari, mais de Ouan Tohra.

La route occidentale quitte l’Açeddjera à Ouallen. Deporter[259]
jadis, et plus récemment, comme aussi, je crois, plus exactement,
M. Mussel[260], notre compagnon de voyage, ont recueilli des
renseignements sur cette route d’Ouallen. Quelques points d’eau y
sont mentionnés, mais incertains et médiocres : « Hassi Azenazen,
qui ne cesse d’avoir de l’eau que sept ans après la pluie
... Tin Diodin et Tin Daksen. Ces deux points cessent d’avoir de
l’eau deux ou trois ans avant la pluie. »

La route d’Ouallen n’a jamais encore été suivie par nos
méharistes et le colonel Laperrine en 1906 n’a pas osé la
prendre. Elle est mauvaise et dangereuse. En revanche par Haci
Achourat elle aboutit à l’Azaouad et à Tombouctou, c’est une
supériorité sur la route d’In Ziza, qui mène directement chez
les Ifor’ass, mauvais intermédiaires pour un trafic transsaharien,
puisque les Maures Kountas leurs ennemis leur interdisent pratiquement
l’accès du Niger.

Ouallen est très anciennement connu par renseignements ;
mais il n’a été vu encore que par les quelques Européens
qui encadraient ou accompagnaient le détachement Mussel en mai
1905. M. Mussel ne croit pas pouvoir en donner les coordonnées
géographiques[261]. C’est, je crois, que je n’ai pas pu lui
communiquer en temps utile, et intégralement, les résultats
de nos observations communes ; nous étions, il est vrai, mal
outillés ; le sextant employé était affecté d’une grosse erreur
systématique, et d’ailleurs, sous cette latitude et dans cette
saison, c’est un théodolite qu’il eût fallu. Pourtant les
données de l’itinéraire ne peuvent pas être grossièrement
inexactes. Comme on pouvait s’y attendre la position réelle
d’Ouallen est notablement différente de celle qu’on lui
attribuait par renseignements. L’erreur est d’un demi-degré
environ en latitude et en longitude (voir par exemple Atlas Stieler
et se reporter à notre appendice I, p. 342.)

Ouallen est le seul point de tout l’Ahnet où l’on puisse signaler
un bâtiment, en ruines d’ailleurs. D’après Mussel « la casbah
d’Ouallen aurait été construite par un marabout de la zaouïa
Mouley Heïba, existant encore actuellement à l’Aoulef. Destinée,
selon les uns, à servir de refuge aux gens qui revenaient du Soudan,
elle aurait été construite, selon les autres, par un marabout de
l’Aoulef, chassé par ses khouans, afin d’interdire l’accès
des puits aux gens de l’Aoulef venant du Soudan[262] ».

Je retrouve dans mes notes que la casbah d’Ouallen fut occupée un
temps par des Arabes coupeurs de route, les Oueld Moulad. En tout
cas c’est un château fort, et non pas du tout le centre d’une
exploitation agricole, dont on ne voit, aux alentours, ni traces, ni
même possibilité ; un mauvais pâturage, un petit groupe de puits
très peu profonds et abondants, voilà quelles étaient les seules
ressources d’Ouallen en 1905. Les puits eux-mêmes étaient peu
fréquentés, puisque, au fond de l’un d’eux nous avons trouvé
une tanière de chacal.

Il faut noter que la casbah est construite en pierres sèches, elle
appartient donc à une catégorie d’édifices archaïques très
répandus au Sahara, de l’Atlas au Niger (à Colomb-Béchar, dans
l’oued Saoura, à Charouïn, au bas Touat, ar’rem d’es-Souk et
de Kidal dans l’Adr’ar des Ifor’ass). Il est intéressant de
constater ici qu’une forteresse de ce genre peut se trouver dans
un point comme Ouallen, où toute agriculture semble impossible.

Sur ces routes transsahariennes qui aboutissent à l’Ahnet il se
fait peu de commerce ; pour l’alimenter, outre les produits de
l’élevage, il faut noter qu’il existe des ressources minérales
locales.

Les unes sont au Tidikelt occidental, dont les Touaregs de l’Ahnet
sont les courtiers. C’est d’abord l’alun d’Aïn Chebbi ;
c’est un produit assez répandu au Sahara dans les schistes du
Silurien supérieur, les Touaregs l’utilisent comme mordant. Auprès
d’Akabli, dans les argiles schisteuses carbonifériennes (?),
les indigènes exploitent un produit minéral qu’ils appellent
tomela. C’est un sulfate de fer, qui donne une couleur noire très
recherchée. Alun et tomela alimentent surtout les petites industries
domestiques de la tente chez les Touaregs ; le travail du cuir. (Voir
appendice IX, p. 357.)

Le sel de l’Açedjerad est au contraire un produit d’échange,
qu’on exporte au loin, au Soudan en particulier. Ce sel se trouve
quelque part dans les hauts de l’oued Meraguen, au lieu dit Tiliouin
In Chikadh ; qui est très célèbre, et dont j’ai beaucoup entendu
parler, sans le voir.


=Touaregs de l’Ahnet.= — Sur les habitants de l’Ahnet on a
maintenant des renseignements précis. On en trouvera le détail
dans le travail de M. Benhazera[263].

L’Ahnet est sous la suzeraineté exclusive d’une tribu noble
Touareg, les Taïtoq ; il est habité par eux et par leurs imrads
dont les principaux sont les Kel Ahnet (gens de l’Ahnet).

Taïtoq et Kel Ahnet ont les plus grandes affinités avec leurs
congénères du Hoggar. Les Taïtoq sont des Hoggar ou Ahaggar[264]
au sens littéral du mot. « En Tamaheq, dit M. Benhazera, le
mot Ahaggar, pluriel Ihaggaren, veut dire noble, et s’applique
indistinctement à tous les nobles. » Les Taïtoq sont une des trois
familles ou tribus nobles qui se partagent l’autorité dans la
confédération du Hoggar, ils se rattachent comme les deux autres,
à l’aïeule commune Tin Hinan, enterrée à Abalessa dans un beau
tombeau mégalithique[265].

Les Kel Ahnet se réclament aussi d’une aïeule commune aux Dag
R’ali, la plus importante des tribus Imr’ads du Hoggar ; cette
aïeule commune est Takamat qui est enterrée elle aussi à Abalessa,
auprès de Tin Hinan, dans un redjem turriforme.

Tous ces gens-là ont donc pour patrie Abalessa, où ils ont leurs
tombeaux de famille.

Les Taïtoq se sont brouillés avec l’autre grande tribu noble, les
Kel R’ela (la troisième tribu ne comptant pas numériquement) ;
c’est la vieille rivalité, souvent sanglante, entre Kel R’ela
et Taïtoq qui donne à l’Ahnet une vie à part, une individualité
politique.

Les Taïtoq ont pour tributaires (outre les Kel Ahnet), des Arabes
nomades d’Akabli, les Mouazil, les Settaf, et les Sekakna, qui
portent d’ailleurs le costume et l’armement des Touaregs. Il en
résulte qu’Akabli est pour les Taïtoq une sorte de capitale. Leur
chef, Sidi ag Gueradji, y possède une maison et y a fait de longs
séjours. Toute la tribu se trouve avoir une familiarité plus intime
avec la langue et la culture arabe. On parle couramment arabe dans
l’Ahnet, ce qui est bien loin d’être le cas au Hoggar. Il y a là
pour les gens de l’Ahnet un principe d’individualisation. — La
soumission des Taïtoq à l’autorité française a précédé celle
des autres Touaregs, sans doute parce que, d’esprit plus ouvert,
ils comprirent plus vite la situation nouvelle.

E.-F. GAUTIER. — Sahara Algérien.                             PL. LII.

[Illustration : Cliché Laperrine

94. — TOUAREG ARMÉ.]

[Illustration : Cliché Laperrine

95. — TOURNOI TOUAREG, ou plus exactement fantasia.]

[Illustration : Cliché Laperrine

96. — UN AUTRE TEMPS DE LA FANTASIA TOUAREG]

Les Taïtoq et leurs Imr’ads restent néanmoins mêlés intimement
à la vie commune de la confédération Hoggar dont ils font
partie. Il leur serait d’ailleurs géographiquement impossible de
s’en abstraire. Les pâturages de l’Ahnet, comme tous ceux du
Sahara d’ailleurs, sont trop incertains pour qu’on puisse compter
exclusivement sur eux. Taïtoq et Kel Ahnet sont propriétaires ou
usufruitiers de districts étendus dans l’Adr’ar des Ifor’ass,
où ils voisinent avec les Kel R’ela.

Actuellement pourtant les Taïtoq ont obtenu des autorités
françaises la consécration de leur autonomie ; leur chef Sidi ag
Gueradji est un _aménokal_ indépendant.

Ce que nous avons appris de plus neuf dans ces dernières années
sur les Touaregs en général et les Taïtoq en particulier,
c’est leur faiblesse numérique. D’après Bissuel les tribus
qui habitent la région de l’Ahnet « pourraient armer deux cent
cinquante combattants, auxquels viendraient se joindre dix guerriers
de Sekakna et quinze des Mouazil, soit un total de 275 hommes,
dont la répartition par tribus nous reste inconnue ».

Ce sont des chiffres bien modestes, 275 soldats sur 15000 kilomètres
carrés ; et combien suggestive la mention de dix guerriers des
Sekakna. Ces chiffres sont encore exagérés de plus de moitié.

D’après M. Benhazera les Kel Ahnet peuvent mettre sur pied une
cinquantaine d’hommes ; et c’est de beaucoup la fraction la
plus intéressante ; qu’on lise, chez M. Benhazera, la _liste
nominative des Taïtoq_, comportant 28 numéros. Ce sont des pays
où les recensements se font sur les doigts de la main.

Avec le travail de M. Benhazera pour base on peut essayer de tracer
un tableau économique de l’Ahnet.

+-------------------+----------+---------+-------+---------------------+
|                   |          | MOUTONS |       |                     |
|                   | CHAMEAUX |   OU    | BŒUFS |      PALMIERS       |
|                   |          | CHÈVRES |       |                     |
+-------------------+----------+---------+-------+---------------------+
| Taïtoq            |    375   |  1000   |   0   |                     |
|                   |          |         |       |                     |
| Kel Ahnet         |    600   |  1500   |   0   |                     |
|                   |          |         |       |                     |
| Iouarouaren       |    225   |   600   |   0   | 300 (près de Silet).|
|                   |          |         |       |                     |
| Mouazil et Settaf |    100   |    ?    |   0   |  ?  (Akabli).       |
|                   +----------+---------+-------+---------------------+
|                   |   1300   |  3100   |   0   |                     |
+-------------------+----------+---------+-------+---------------------+

En somme environ 1300 chameaux et 3000 moutons, c’est là-dessus
exclusivement que les Touaregs de l’Ahnet doivent vivre. Il
faut souligner l’absence à peu près totale de cultures ; à
défaut de céréales on moissonne méthodiquement des graminées
sauvages (le drinn) ; ce qui nous reporte en quelque sorte avant
Triptolème. Les Touaregs de l’Ahnet sont plus pauvres que leurs
cousins du Hoggar ; ceux-ci ont quelques bœufs et quelques cultures ;
Motylinski énumère au Hoggar 35 ar’rem (oasis rudimentaires) ;
l’Ahnet n’en a pas un seul. C’est encore un élément
d’individualisation. Plus pauvres que les Kel R’ela, les
Taïtoq sont aussi des bandits plus redoutables ; ils représentent
ce qu’on pourrait appeler la fleur de la chevalerie Touareg ;
redoutés et légendaires pour leur humeur batailleuse. Il leur
en a cui d’ailleurs. La tribu s’est épuisée à courir les
aventures. La dernière fut particulièrement tragique.

En 1906 sur une quarantaine de Touaregs, en majorité Taïtoq,
partis en rezzou au Sahel marocain, 4 seulement sont revenus.

Les Touaregs[266] ont vivement excité l’intérêt des voyageurs,
depuis Duveyrier jusqu’à M. Benhazera : ils sont une admirable
matière à monographie ; celle en particulier qu’a écrite
Duveyrier reste excellente, il serait absurde de vouloir la refaire.

Je crois seulement qu’un côté de la question mériterait
d’être mis en lumière. Les Touaregs sont incontestablement de
race caucasique. Je crois bien que certains caractères physiques,
la taille colossale chez beaucoup d’hommes, le stéatopygie chez
quelques femmes, témoignent d’un mélange avec le sang nègre
qui est d’ailleurs avoué. Dans l’ensemble pourtant le sang
caucasique semble s’être défendu admirablement. M. Desplagnes qui
le constate l’explique par les usages matrimoniaux (matriarcat) ;
le Touareg a des négresses pour concubines, mais comme « le ventre
teint l’enfant », les métis qui résultent de ces unions sont
considérés comme nègres et restent étrangers à la tribu. Ce
point de vue est peut-être juste, au Soudan en particulier. Au
Sahara une autre explication me paraîtrait possible. On a remarqué
au Soudan que le nègre boit énormément, sans doute parce que sa
peau est conformée pour évaporer énormément, en conséquence il
a horreur du désert, le pays de la soif. La soif joue peut-être
au désert, parmi les nomades, le même rôle que la malaria aux
oasis. Sous les palmiers la race noire, résistante à la malaria,
élimine la blanche. Dans les pâturages et sur les grands chemins la
race blanche, résistante à la soif, éliminerait la noire ? Cette
explication repose, il est vrai, sur une hypothèse incomplètement
prouvée, — que l’organisme caucasique serait plus spécialement
susceptible d’acquérir « une structure xérophile », comme
disent les botanistes.

Quoi qu’il en soit de l’explication le fait est constant. Il
a été souvent mentionné. Un trait de ressemblance avec la race
blanche, que je ne me souviens pas d’avoir vu noter ailleurs,
est la précocité de la calvitie et de la canitie chez les
Touaregs. Elle est d’autant plus frappante que le corps, entretenu
par des exercices violents, conserve sa souplesse jusqu’à un
âge avancé. Quand le vent soulève les voiles bleus, on aperçoit
souvent des barbes incultes, grises ou blanches, qu’on eût été
tenté de situer plutôt entre un faux col et un chapeau rond.

Les intelligences et les caractères nous font aussi une impression
caucasique, fraternelle ; on a comparé les Touaregs aux chevaliers
du Moyen âge (voir pl. LII, phot. 95, 96) ; on sait combien fut
vive la sympathie de Duveyrier ; des personnalités comme celle
d’Ikhenoukhen, le contemporain de Duveyrier, ou bien de Moussa
ag Amastane et de Sidi ag Gueradji[267], qui jouent aujourd’hui
les premiers rôles, nous sont pleinement intelligibles et nous
attirent vivement ; tandis qu’un héros noir ou jaune, Béhanzin
ou le Dé-Tham nous paraît toujours par quelque côté monstrueux
ou inquiétant.

M. Chudeau voudrait rattacher les Berbères à la race de
Cro-Magnon[268] ; en tout cas tout se passe comme s’ils étaient
relativement près de nous, du moins comme individus, comme organismes
humains.

Comme société au contraire, ils sont prodigieusement loin au
delà de la barbarie, encore en pleine sauvagerie primitive. On a
dit qu’ils sont à peine dégagés du néolithisme, — (bracelet
de pierre polie, emmanchure néolithique de la hache en fer). —
Le totémisme chez eux est encore tout frais, ils ont de nombreux
tabous, le lézard de sable, la poule, le poisson ; et ils en
rendent compte par des considérations de parenté : « Nous ne
mangeons pas l’ourane, parce qu’il est notre oncle maternel. »
Le voile qui n’est pas du tout une mesure hygiénique ne peut pas
être autre chose qu’une survivance d’un vieux tabou[269]. On a
beaucoup admiré, par opposition à l’asservissement de la femme
arabe, la situation élevée que la femme tient dans la famille
et dans la société : cette admiration est très justifiée ;
mais l’égalité des sexes qui sera peut-être une conquête de
l’avenir était réalisée au berceau de l’humanité ; la famille
Touareg a pour base le matriarcat, comme la famille primitive[270] ;
« le ventre teint l’enfant », c’est-à-dire qu’il suit sa
mère et qu’il ignore son père ; son plus proche parent mâle
est l’oncle maternel ; les mœurs sont très libres, polynésiennes.

En effet cette coexistence d’institutions aussi anciennes,
néolithisme, totémisme, matriarcat, avec une cérébralité
individuelle très développée, rappelle la Polynésie. Aussi bien y
a-t-il peut-être quelque analogie géographique entre des montagnes
isolées au milieu du désert et les atolls du Pacifique.

Nous allons nous trouver mieux outillés maintenant pour comprendre
ce que fut au Tidikelt, au Touat, etc. la conquête arabe et si
l’on veut andalouse des XVe et XVIe siècles. Ces « nazaréens »
dont on voit dans la Saoura les villages détruits, ces Zénètes
Juifs du Gourara et du Touat, ces Barmata du bas Touat, toutes ces
populations qui furent islamisées et arabisées par les marabouts de
la Seguiet el Hamra, appartenaient sans doute à ce type d’humanité
qui s’est conservé en pays touareg.

Ibn Khaldoun nous apprend que les Sanhadja du Sahara se convertirent
à l’islamisme au IIIe siècle de l’hégire[271], lors de
la conquête almoravide dont ils furent les instruments et les
bénéficiaires. Mais cette conversion fut superficielle, les Touaregs
n’ont ni mosquée, ni clergé, ils ne pratiquent pas la prière et
le jeûne ; ils ont une réputation d’impiété parfaite auprès de
leurs voisins arabes, chez qui le R’amadan par exemple bouleverse
une fois l’an toute la vie domestique et publique.

Aujourd’hui encore l’Islam et la langue arabe, l’un portant
l’autre, après avoir conquis le Maurétanie et le Touat,
s’attaquent au bloc Touareg. Les personnages influents au Hoggar
sont des marabouts kounta, le fameux Abiddin, ou bien encore Baÿ
de Teleyet, qu’on pourrait appeler le directeur de conscience de
Moussa ag Amastan.

Il faut définir ainsi les Touaregs : ce sont ceux des Berbères
Sanhadja, qui ont échappé jusqu’ici au grand mouvement
d’expansion islamique, parti au XVe siècle de la Seguiet el
Hamra. On trouve en présence au Sahara, sur deux domaines très
distincts, d’une part des Touaregs, et de l’autre des Arabes
nomades, des Maures. Il y a entre eux d’énormes différences
de langue, de culture, de mœurs, de costume, d’armement, sans
parler de haines inexpiables. Ce sont deux peuples différents à
coup sûr et l’on voudrait dire deux races. L’histoire nous
montre que ce fossé si profond est creusé d’hier ; de part et
d’autre il y a les mêmes Berbères Sanhadja, mais les uns sont
franchement convertis à l’islamisme, et les autres ont conservé
dans la famille, dans la société, dans les mœurs, une énorme
quantité de survivances préislamiques ; disons que les uns sont
des civilisés et les autres des sauvages. Nous avons vu que le
Tidikelt est la dernière conquête arabe, et que le résultat de
la conquête fut la création des palmeraies. Comme représentants
de la civilisation, c’est nous qui avons succédé aux marabouts
marocains. Réussirons-nous à créer des oasis dans l’Ahnet ?

D’une façon générale, les plateaux touaregs et les causses du
Tadmaït ont actuellement à peu près la vie économique qu’ils
méritent. Les causses sont le pays classique des très grosses
sources qui concentrent la vie sur un petit nombre de points. Les
plateaux gréseux, qui sont en Europe pays de bois, semblent
naturellement appelés au désert à devenir pays de pâturages.

Il semble incontestable pourtant que les Touaregs, aussi longtemps
qu’ils furent les maîtres au Tidikelt y ont entravé la
culture. On se rend très bien compte d’ailleurs qu’ils
l’entravent au Hoggar, où elle semble appelée à prendre un
certain développement[272]. L’avenir agricole du Mouidir-Ahnet est
plus incertain en ce sens que les indigènes, dont la connaissance
du pays est la base même de tout progrès, ne nous donnent ici
aucune indication. L’avenir dépend d’un forage heureux de puits
artésien, et le choix de l’emplacement est délicat.


[Note 219 : Voir la carte p. 315 et la grande carte géologique
en couleurs.]

[Note 220 : M. Flamand a constaté l’existence de cette faille
dès 1900, ainsi qu’il a bien voulu me l’affirmer oralement.]

[Note 221 : Je répète qu’une partie de tout ceci est empruntée
aux conversations de M. Flamand.]

[Note 222 : _C. R. Ac. Sc._, 23 juin 1902. M. Flamand ne précise
pas la provenance des fossiles qui lui ont été envoyés par M. le
capitaine Cauvet.]

[Note 223 : _C. R. Ac. Sc._, 2 juin 1902.]

[Note 224 : _Documents_, etc., p. 588, fig. 152.]

[Note 225 : _Id._, p. 755.]

[Note 226 : Il s’ensuit que l’expression de _plissement
calédonien_ est inexacte, puisque ce plissement n’affecte pas
le Silurien supérieur. Mais cette expression est provisoirement
commode encore qu’inadéquate.]

[Note 227 : G.-B.-M. Flamand, _Sur l’existence des schistes à
graptolithes à Haci el Kheneg_ _C. R. Ac. Sc._, t. CXI, p. 954-957,
3 avril 1905.]

[Note 228 : Une phrase de deux lignes dans G.-B.-M. Flamand :
Mission au Tidikelt. _La Géographie_, 1900, p. 361.]

[Note 229 : MM. Flamand et Ficheur, après un examen très sommaire,
avaient rattaché ces fossiles au Carboniférien (voir E.-F. Gautier,
le Mouidir-Ahnet, dans _La Géographie_, juillet 1904). Ce qui rend
tout à fait certain, d’après M. Haug, l’âge supradévonien
c’est la présence de _Spirifer Verneuilli_, accompagnée de
_Productella_ cf. _dissimilis_, etc.]

[Note 230 : _C. R. Ac. Sc._, 4 décembre 1905.]

[Note 231 : _L. c._]

[Note 232 : Mussel, _Renseignements coloniaux_, juin 1907. (Voir
appendice I, p. 340.)]

[Note 233 : Sur la carte géologique, il a été marqué Dévonien
par erreur.]

[Note 234 : _C. R. Ac. Sc._, 19 mars 1906.]

[Note 235 : Besset, _Bulletin du Comité de l’Afrique française_,
1904. — E.-F. Gautier, Le Mouidir Ahnet, _La Géographie_, X, 1904.]

[Note 236 : Je saisis cette occasion de remercier M. le commandant
Lacroix, qui a bien voulu me communiquer ce travail ; — et M. Voinot
lui-même à qui j’ai d’ailleurs d’autres obligations.]

[Note 237 : _L. c._, p. 212.]

[Note 238 : J’en donne en appendice. M. Flamand en a signalé : il
en existe auprès du fort Miribel, d’après le colonel Laperrine.]

[Note 239 : _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._ Supplément de
décembre 1902.]

[Note 240 : Foureau, _Essai de catalogue des noms arabes et
berbères de quelques plantes, arbustes et arbres algériens et
sahariens_. Paris, Challamel, 1896. A l’user de ce catalogue on
s’aperçoit que les Arabes et les Berbères ont parfois réuni sous
un même nom des espèces voisines mais nettement différentes (drinn,
diss par exemple). On reviendra là-dessus dans le second volume.]

[Note 241 : _Canis Zerda_.]

[Note 242 : Duveyrier, p. 222 et 225.]

[Note 243 : _Renseignements coloniaux, etc._, 1903, no 8, p. 213.]

[Note 244 : Bissuel, _Les Touareg de l’Ouest_, p. 67.]

[Note 245 : Je sais naturellement que ces chameaux sont des
dromadaires ; mais l’appellation de chameaux est aussi courante
que défectueuse.]

[Note 246 : Renseignements coloniaux publiés par le Comité de
l’Afrique française, 1904, no 1.]

[Note 247 : _La Géographie_, 15 juillet 1904.]

[Note 248 : Schirmer, _Journal de voyage d’Erwin de Bary_, p. 56.]

[Note 249 : _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._ Supplément
d’octobre 1907.]

[Note 250 : Lieutenant Voinot, A travers le Mouidir, dans le
supplément du _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._ de septembre
1904.]

[Note 251 : Maurice Benhazera, Six mois chez les Touareg du Ahaggar,
_Bulletin de la Société de Géographie d’Alger_, 1906, 2e et
4e trimestre.]

[Note 252 : Voir _Bulletin du Comité de l’Afr. française_ :
renseignements coloniaux, septembre 1904 ; et _Géographie_, 15
octobre 1905.]

[Note 253 : Voir appendice IV.]

[Note 254 : _Les Touareg de l’Ouest_, Alger, 1888.]

[Note 255 : _Exploration scientifique de l’Algérie, Études sur
la Kabylie_, par E. Carette, 1848.]

[Note 256 : Thomas Shaw, _Relating to several parts of Barbary_,
Oxford, 1738.]

[Note 257 : _Bulletin du Comité de l’Afr. fr._ Renseignements
coloniaux, janvier 1907, p. 15. Le capitaine Dinaux écrit Ehenfous,
et sans doute a-t-il de bonnes raisons pour cela. Comme d’habitude
en matière de noms touaregs l’orthographe usuelle (?), si tant
est qu’on puisse invoquer un usage, a bien des chances d’être
incorrecte.]

[Note 258 : M. Flamand a contesté que In Ziza fût un volcan éteint
(_Supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique française_
de mars 1905, p. 137) ; et M. Mussel revient longuement sur cette
question en s’appuyant sur l’autorité de M. Flamand dont
il adopte les conclusions (Supplément au _Bulletin du Comité de
l’Afr. fr._ de juin 1907, p. 149). Une contradiction aussi formelle
avec un géologue de la valeur de M. Flamand serait grave s’il
avait vu In Ziza ; le jour où il ira y voir cette contradiction
disparaîtra. Sur la nature volcanique d’In Ziza les nombreux
échantillons de laves rapportés ne laissent aucune espèce de
doute ; ils sont à l’étude au Muséum. D’ailleurs l’appareil
du volcan est très reconnaissable, on voit l’emplacement de
la cheminée marqué par des dykes, on distingue les coulées qui
constituent la masse même de la montagne ; la roche encaissante est
du gneiss. Notons pourtant que l’aguelman d’In Ziza, que j’ai
donné pour un cratère lac adventice, pourrait bien être comme le
veut M. Flamand une marmite de géants.

Il est naturel de rattacher l’étude de ce volcan à celle des
volcans du Hoggar, dont M. Chudeau se chargera dans le second volume
de la présente publication.]

[Note 259 : Deporter, Extrême-Sud de l’Algérie.... Alger, 1890.]

[Note 260 : Mussel, Du Touat à l’Achegrad. _Bulletin du Comité
l’Afr. fr._ Renseignements coloniaux, mars 1907, p. 57.]

[Note 261 : _L. c._, p. 57.]

[Note 262 : _L. c._, p. 57.]

[Note 263 : _L. c._, p. 371.]

[Note 264 : Ahaggar est l’orthographe correcte en même temps
qu’inusitée.]

[Note 265 : La description la plus détaillée qui en ait été
faite est celle de Motylinski. Supplément au _Bulletin, etc._,
octobre 1907. On y trouvera une photographie du Tombeau.]

[Note 266 : Il est bien entendu que Touareg (singulier Targui) est
probablement dérivé du berbère Targa, qui fut au Moyen âge le nom
d’une tribu Sanhadja ; — mais que aujourd’hui, les intéressés
ont rejeté ce nom, qui leur a été conservé par les Arabes ;
— les Touaregs se donnent à eux-mêmes le vieux nom d’Imohar
ou Imochar (berbère Imaziren, Tamazirt, latin Mazyces). On trouvera
tout cela et bien d’autres choses dans Duveyrier et Benhazera.]

[Note 267 : Voir Benhazera, _l. c._, E.-F. Gautier, _La Géographie_,
1er semestre 1906, p. 9.]

[Note 268 : Il n’est point seul. Voici un curieux passage extrait
du journal _Le Temps_ (8 mars 1904). M. Pierre Mille, écrivant
de Tombouctou, décrit des Touaregs, et il note « leurs traits
réguliers, leurs lèvres fines, leurs nez arrondis du bout, _comme
ceux des montagnards pyrénéens_ ».]

[Note 269 : Voir là-dessus : Frazer, _Le Rameau d’or_, traduction
Stiébel, t. I, p. 243.]

[Note 270 : Voir Frazer, _The golden Bough_, 3e édition, part IV,
p. 383 et suiv.]

[Note 271 : Duveyrier, p. 325.]

[Note 272 : Motylinski, Supplément au _Bulletin de l’Afr. fr._,
octobre 1907.]




                              APPENDICES


                              APPENDICE I

              =ITINÉRAIRES ET OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES=


Pour dresser les cartes de l’oued Messaoud (hors texte) et du
Tidikelt-Mouidir-Ahnet (p. 315), on s’est appuyé sur trois
itinéraires originaux qui sont : du Touat à Haci Sefiat, — de
Zaouiet Reggan à Haci Rezegallah, — de Taourirt à Tin Senasset,
par la route d’Ouallen.

Ces itinéraires ne sont pas présentés isolément, on les a
reportés sur la carte générale, autrement dit on les a rapprochés
des autres itinéraires antérieurement publiés.

Les itinéraires sont basés sur un nombre malheureusement petit
d’observations astronomiques. Les instruments utilisés sont, outre
les trois montres, un sextant et une lunette. Le sextant était en
mauvais état, on a dû le faire réparer par le forgeron nègre de
Taourirt (!). La lunette, par une étrange vicissitude, est celle
de Cazemajou, rapportée par les tirailleurs après le massacre de
la mission, et que le Comité de l’Afrique française a mis à la
disposition du colonel Laperrine.

Les calculs ont été faits à l’Observatoire d’Alger,
où la haute compétence et l’inépuisable complaisance de
M. Trépied ont remédié en quelque mesure à la défectuosité
du sextant. L’erreur instrumentale a pu être déterminée, du
moins pour la période postérieure à l’opération chirurgicale
de Taourirt.

Les itinéraires ont été établis à la boussole et reportés chaque
jour au 1 : 100000 sur un carnet spécial. Pour l’utilisation de ce
carnet on a adopté la méthode recommandée par M. Trépied[273],
et on a calculé directement d’après le carnet les principales
positions. On les donne ci-dessous.


=Itinéraire de Haci Sefiat.= — Le point de départ, Adrar,
capitale administrative du Touat est assez bien déterminé ;
d’après plusieurs séries d’observations de hauteurs de la
polaire la latitude est : 27° 52′,6.

Une occultation observée par M. Niéger donne la longitude 2°
39′,5 (ouest).

En prenant ces chiffres pour base et en calculant d’après le
carnet de route on trouve :

  Haci Sefiat          φ 27° 16′,5       L. 3° 3′,1 ouest.

D’autre part j’ai observé en ce point quelques hauteurs de
polaire qui donnent, sans correction, φ 27° 16,3. Malgré le
mauvais état du sextant, cette concordance laisse à supposer que
l’observation est valable.

Le point ainsi déterminé n’est pas exactement le puits de Sefiat
c’est notre campement à 1500 mètres environ au nord du puits.

Enfin le puits de Sefiat n’est pas le seul de ce nom, si tant
est qu’il y ait bien réellement droit. Le colonel Laperrine,
revenant de Taoudéni, a trouvé un autre haci Sefiat, beaucoup
plus important par φ 27° 20′ 42″ et L. 3° 12′. On l’a
placé sur la carte, il se trouve à une assez faible distance au
nord-ouest de son homonyme, c’est-à-dire dans la même région
et peut-être dans le même oued ?

  On aura donc :                φ            L

  Tesfaout                  27° 43′,0     2° 42′,8

  Campement d’H. Sefiat     27° 16′,5     2°  3′,1

  Puits d’H. Sefiat         27° 15′,7     3°  3′,1


=Itinéraire de Haci Rezegallah.= — L’itinéraire de Zaouiet
Reggan à H. Rezegallah est celui qui présente les moindres garanties
d’exactitude précise. Le point de départ Zaouiet Reggan est
suffisamment déterminé puisqu’il est tout voisin de Taourirt
dont les coordonnées ont été fixées astronomiquement.

En admettant pour Zaouiet Reggan φ 26° 40′,5 et L. 2° 10′,5
le calcul des positions données par le carnet de route donne :

  Haci Boura         φ 26°  8′,3      L. 3°  1′,1

  Haci Rezegallah    φ 25° 51′,3      L. 3° 25′,0


=Itinéraire à travers l’Ahnet (Taourirt-Ouallen-Tin Senasset).=
— Entre Taourirt et In Ziza, en passant par Ouallen, Ouan Tohra,
et Tin Senasset l’itinéraire a été levé à la boussole, et
reporté au jour le jour au 1/100000 sur un carnet spécial.

Mon propre carnet d’itinéraire de Taourirt à Ouan Tohra a été
souvent complété d’après celui de M. le lieutenant Mussel,
mon aimable compagnon de route, qui commandait le détachement.

Au delà d’Ouan Tohra il l’a été d’après le carnet de
M. le lieutenant Clore ; ce sont des garanties supplémentaires
d’exactitude.

D’ailleurs il a été possible de contrôler et de corriger
l’itinéraire avec l’aide d’observations astronomiques. A
Taourirt, avec la lunette Cazemajou nous avons observé
l’occultation de k de la Vierge (immersion du 15 mai 1905) ;
calculée à l’Observatoire d’Alger cette occultation a
donné — 8s 26m,9 soit 2° 6′,5 ouest. La latitude, d’après
des observations anciennes de M. le commandant Deleuze est 26°
42′,0. Avec le sextant réparé à Taourirt et dont l’erreur
instrumentale, restée immuable puisque là soudure n’a pas bougé,
a pu être être déterminée, j’ai pris à la traversée de
l’Açedjerad trois séries d’observations de hauteurs de Polaire
qui ont donné les latitudes suivantes :

  Haci bou Khanefis     25°  8′,0.

  Iglitten              24° 53′,3.

  Aïn Tezzaï            24° 46′,0.

L’état de l’instrument pourrait laisser quelques doutes sur la
valeur des conclusions, mais ces doutes sont levés par la comparaison
avec les observations de M. Villatte, dont l’itinéraire croise
le mien en deux points, Tadounasset et Tin Taggaret.

Les observations de M. Villatte et les miennes donnent cinq latitudes
qui toutes ont ceci de concordant qu’elles offrent avec les données
du carnet un écart à peu près constant de 5 à 7 minutes. On a
donc des données sérieuses pour corriger les latitudes du carnet
entre Taourirt et Tin Taggaret.

D’autre part les observations de M. Villatte permettent
d’apporter une correction aux longitudes dans la même section
de l’itinéraire.

Dans la seconde section, au delà de Tin Taggaret on peut s’appuyer
sur la position d’In Ziza, qui a été déterminée par M. Villatte
en latitude et en longitude. Moi-même en 1903 j’avais obtenu au
théodolite une latitude d’In Ziza[274] tout à fait concordante
avec les observations ultérieures de M. Villatte.

La correction à apporter à l’itinéraire est très forte, beaucoup
plus que dans d’autres tronçons ; ce n’est pas surprenant si
on considère la nature du terrain au nord de Tikeidi et au sud de
Tin Senasset. Il s’étend là de grandes superficies tout à fait
arides, qu’on est forcé de traverser à marche forcée de jour
et de nuit.

En répartissant l’erreur ainsi obtenue, on obtient pour les points
successifs de l’itinéraire les résultats indiqués au tableau
de la page suivante.

Ces itinéraires ont été reportés sur deux cartes jointes au
deuxième et au septième chapitre.

La première n’est pas à proprement parler une carte,
puisqu’elle n’est pas construite suivant un système de projection
déterminé. C’est un simple tableau graphique de positions. Pour la
seconde carte on a adopté la projection de l’itinéraire Villatte
(_La Géographie_, 15 octobre 1905.)

En cas de discordance entre l’itinéraire graphique et les listes
de coordonnées, ce sont ces dernières qui doivent faire foi.

Ces trois itinéraires ont été levés en 1905.

Dans le voyage de 1903, muni d’un théodolite qui appartenait à
M. le baron Pichon, j’avais fait un certain nombre d’observations
de latitudes dont le voyage ultérieur de M. Villatte a rendu inutile
la publication détaillée ; mes résultats concordaient avec ceux de
M. Villatte d’une façon satisfaisante ; j’ai fait connaître dans
_La Géographie_ du 15 juillet 1904 (p. 99) la latitude vraie d’In
Ziza, qui est de 23° 31′. Le chiffre de M. Villatte publié le 15
octobre 1905 dans _La Géographie_ (p. 229) est exactement le même.

  +------------------+---------+--------+---------+--------------------+
  |                  |LATITUDE |LATITUDE|LONGITUDE|     LONGITUDE      |
  |                  | D′APRÈS |CORRIGÉE| D′APRÈS |     CORRIGÉE       |
  |                  | CARNET  |        | CARNET  |                    |
  |                  +---------+--------+---------+--------------------+
  |Hacian Taïbin     |26°34′,5 |26°33′,9|1°54′,8  |1°54′,1             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Dj. Aberraz       |         |        |         |                    |
  |(extrémité Sud)   |26°34′,8 |26°34′,3|1°49′,3  |1°48′,6             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Bord occidental   |         |        |         |                    |
  |du Horst silurien |26°28′,7 |26°27′,8|1°37′,1  |1°35′,4             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Sebkha Mekhergan  |         |        |         |                    |
  |(coucher 18-19    |         |        |         |                    |
  |mai)              |26°21′,2 |26°19′,8|1°21′,9  |1°19′,3             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |O. Arris (sortie  |         |        |         |                    |
  |de la Sebkha)     |25°48′,9 |25°45′,2|1°10′,1  |1° 6′,7             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Tikeidi           |25°34′,1 |25°29′,4|1° 2′,5  |0°58′,7             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Haci bou Khanefis |25°14′,8 |25° 8′,0|1° 5′,0  |1° 1′,3             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Tête de l′oued    |         |        |         |                    |
  |Ifisten           |25° 2′,2 |24°56′,2|1°12′,3  |1° 9′,1             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Oued Tazelouaï    |         |        |         |                    |
  |(un point dans    |         |        |         |                    |
  |l′).              |24°55′,2"|24°49′,2|1°12′,4  |1° 9′,2             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Ouallen           |24°44′,6 |24°38′,6|1° 5′,2  |1° 1′,3             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Sommet du plateau |24°52′,3 |24°46′,3|1° 1′,8  |0°57′,9             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Taguellit         |24°54′,9 |24°48′,9|0°55′,2  |0°50′,9             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Iglitten          |25° 0′,2 |24°53′,3|0°53′,4  |0°49′,0             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Éperon d′Insemmen |25° 0′,2 |24°54′,0|0°44′,4  |0°39′,5             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Meghdoua          |25° 3′,1 |24°57′,0|0°31′,9  |0°26′,4             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Tezzai            |24°52′,8 |24°46′,0|0°25′,2  |0°19′,2             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Tadounasset       |25° 0′,2 |24°54′,2|0°25′,9  |0°21′,9   {         |
  |                  |         |        |         |          { Villate.|
  |Tin Tagar         |24°53′,9 |24°48′,6|0°13′,7  |0° 6′,4 O {         |
  |                  |         |        |         |                    |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Taloak            |24°49′,2 |24°43′,2|0° 6′,8 O|0° 0′,3 E           |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Dunes d′Aït el Kha|24°41′,7 |24°35′,7|0° 4′,5 E|0°11′,4             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Foum Lacbet       |24°41′,6 |24°35′,6|0°18′,3  |0°24′,9             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Ouan Tohra        |24°34′,6 |24°28′,6|0°21′,9  |0°28′,4             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |Tin Senasset      |24°19′,7 |24°13′,7|0°24′,9  |0°31′,4             |
  |                  |         |        |         |                    |
  |In Ziza           |23°40′,2 |23°31′,0|0° 5′,3  |0°11′,6             |
  +------------------+---------+--------+---------+--------------------+

A la suite de mon voyage de 1902 j’ai publié, dans les _Annales
de Géographie_, tome XII, 1903, une liste de longitudes qui, à ce
moment, apportait aux cartes existantes une correction intéressante.

  +------------+----------+-------------+-----------+
  |            |          |   CARTE à   |  CARTE à  |
  |            |LONGITUDES| 1 : 800000. |1 : 500000.|
  |   LIEUX    |  OUEST   |   Service   |    DU     |
  |            |          |géographique.|COMMANDANT |
  |            |          |             | LAQUIÈRE  |
  +------------+----------+-------------+-----------+
  |            | ° ′  ″   |   ° ′  ″    |  ° ′  ″   |
  |            |          |             |           |
  |Haci el Mir | 3 58 06  |   4 06 15   |  4 01 15  |
  |            |          |             |           |
  |Tar’it      | 4 13 57  |   4 30 00   |  4 22 15  |
  |            |          |             |           |
  |Igli        | 4 31 06  |   4 49 45   |  4 34 45  |
  |            |          |             |           |
  |Beni Abbès  | 4 31 00  |   4 44 30   |  4 25 00  |
  |            |          |             |           |
  |Ksabi       | 3 16 56  |      »      |  3 16 00  |
  |            |          |             |           |
  |Timimoun    | 2 05 54  |   2 27 15   |  2 06 00  |
  +------------+----------+-------------+-----------+

La carte Prudhomme, qui fait autorité, a adopté des positions
voisines des miennes. Si j’insiste sur ces résultats, qui n’ont
plus d’intérêt aujourd’hui, c’est d’abord par piété
pour la mémoire de M. Trépied, directeur de l’observatoire
d’Alger, à qui seul je suis redevable d’avoir pu faire une
besogne astronomique où il y avait une part de travail utile.

C’est aussi pour apporter ma contribution à la solution d’un
petit problème souvent agité. Un voyageur qui n’est pas
astronome n’a-t-il pas un meilleur emploi à faire de son argent
que d’acheter des instruments coûteux, et de son temps que de
s’astreindre à la discipline méticuleuse des observations ? Je
ne pense pas que la question puisse recevoir une solution absolue,
mais au Sahara du moins et sous la direction de feu Trépied, un
non-professionnel rapportait des observations utilisables. Elles
eussent été beaucoup plus nombreuses, si j’avais eu un meilleur
outillage.


[Note 273 : Ch. Trépied, _Remarques sur la carte dressée par
M. Villatte à la suite de son exploration de 1904 dans le Sahara
central_ (_La Géographie_, XII, 1905, p. 231-238).]

[Note 274 : Publiée dans _La Géographie_, 15 juillet 1904, p. 99.]




                             APPENDICE II

                            =INSCRIPTIONS=


On ne s’est pas efforcé systématiquement de relever au passage
les inscriptions Tifinar’ ; il serait même plus exact de dire
qu’on a systématiquement évité de le faire. En présence de ces
innombrables graffitti indéchiffrables, on est découragé par le
sentiment de son impuissance.

Je retrouve pourtant dans mes notes quelques inscriptions
soigneusement recopiées soit par moi-même, soit plus souvent par
d’autres, et qu’il est préférable de réunir ici.

A Barrebi j’ai relevé, à côté des gravures, quelques
inscriptions. Il en est d’arabes, tout à fait banales, comme
celle dont voici la traduction « ... Dieu et le salut soit sur
notre seigneur Mahomet, — Arbi ben Sleïman. » Les tifinar’
si on pouvait les lire ne seraient probablement pas beaucoup plus
intéressants.

[Incription : Inscription _a_.]

[Incription : Inscription _b_.]

[Incription : Inscription _c_.]

[Incription : Inscription _d_.]

[Incription : Inscription _e_.]

[Incription : Inscription _f_.]

La dernière inscription (_f_) a été copiée par M. le lieutenant
Pinta.

J’ai relevé soigneusement des inscriptions Berbères qui
se trouvent au ksar d’Ouled Mahmoud, et que les indigènes
prétendaient hébraïques[275].

Il y en a quelques-unes au vieux ksar abandonné, à 1500 mètres
de l’actuel ; par exemple :

[Incription]

Ces inscriptions Berbères sont accompagnées d’une inscription
arabe que j’ai lue ainsi : « ab (?) fils de Zenati, az (?) fille
de Zenati ».

Les inscriptions les plus nombreuses et les plus soignées sont au
ksar actuel sur une gara centrale qui domine les maisons. Le ksar a
vingt-cinq ans à peine, et les inscriptions n’ont rien de commun
avec les habitants actuels qui les croient juives, et qui ont bâti
dessus. Ces inscriptions, que j’ai calquées, sont très soignées,
à trait profond, je les crois particulièrement anciennes.

[Incription : Inscription II (ksar actuel).]

Inscription II_bis_ faisant suite à la précédente sur le même
rocher et un peu au-dessous

[Incription]

[Incription : Inscription III (sur un rocher voisin)]

[Incription : Inscription IV (également sur un rocher voisin).]

Sur le rocher où sont gravées ces deux dernières inscriptions on
a bâti une maisonnette en pisé.

On m’avait signalé encore comme hébraïques des inscriptions
situées à Abani, auprès de Tesfaout (Touat) : je me suis assuré
qu’elles sont berbères comme on pourra s’en rendre compte sur
les belles photographies dues à M. Auger interprète militaire. (Voir
pl. XVIII, phot. 35 et 36.)

Enfin M. le lieutenant-colonel Laperrine qui s’est beaucoup occupé
des caractères Tifinar’ et qui les connaît bien, a recopié
sur mon carnet une inscription trouvée sur une dalle calcaire dans
l’oued Aglagal (sud du Tadmaït).

[Incription]


                     =Inscription juive du Touat.=

Elle provient du ksar de R’ormali dans l’oasis de Bouda.

La pierre sur laquelle est gravée l’inscription est encastrée
à la base d’un pilier en pisé, qui a manifestement servi jadis
de support à la bascule d’un puits comblé. Les indigènes ne
connaissent ni le sens, ni la langue de l’inscription, ni sa date,
ni son origine. De mémoire d’homme elle a toujours été au ksar
de R’ormali.

La seule face visible de la pierre est un parallélogramme
irrégulier d’environ 0 m. 30 sur 0 m. 25. La pierre est du grès
rouge. L’inscription est d’un travail remarquable, au moins pour
le pays ; sans doute la surface de la pierre n’a même pas été
aplanie, les contours des lettres sont souvent éclatés ; mais leur
dessin est très net, leur gravure en creux très profonde. C’est
un travail peu soigné à coup sûr, mais on dirait l’œuvre d’un
professionnel, non d’un sauvage qui s’amuse. Les habitants actuels
du Touat seraient tout à fait incapables de produire quelque chose
de comparable.

On trouvera dans les _C. R. Ac. Inscr._, année 1903, p. 236, le
texte de cette inscription. En voici la traduction telle que la
donne M. Philippe Berger.

  Ligne 1 :  ceci est le tombeau de [Monispa ?], fille d’Amram :
             Qu’elle repose en Eden !

    —   2 :  de [Zathaloq !] et elle est morte dans les douleurs
             (de l’enfantement).

    —   3 :  le samedi, vingtième d’Ab, qui nous apporte la paix.

    —   4 :  en l’année 5089.

M. Philippe Berger fait suivre cette traduction de quelques
observations suivantes.

« Ligne 1. Le nom de la défunte = Monispa, est douteux. Au
contraire le nom de son père Amram est un nom très connu, et qui
est parfaitement en situation ici.

« Ligne 2. Cette ligne débute par un groupe de lettres très
obscur. La lettre initiale semblerait indiquer qu’il s’agit d’un
nom géographique = à (ou de) Zithaloq ».... A la fin de la ligne on
lit : « dans les douleurs », ou peut-être « dans sa jeunesse ».

« Ligne 4. L’année 5089 correspond à l’année 1329 de notre
ère. »


[Note 275 : Cf. _Comptes rendus Acad. Inscript._, 1905, p. 83
et suiv.]




                             APPENDICE III

     =TRADUCTION D’UN MANUSCRIT ARABE CONCERNANT LA MINE DE CUIVRE
                             DE TAMEGROUN=


Je dois la communication de ce manuscrit à M. le capitaine Martin,
chef d’annexe de Beni Abbès ; il est à la bibliothèque de
Guerzim.

Voici comment M. Stackler, interprète militaire, le décrit :

Ce manuscrit, qui semble avoir un siècle et demi d’existence,
contient beaucoup de mots qui sont à peu près ou tout à fait
illisibles ; il y a même un morceau qui, à force d’avoir été
plié et déplié a fini par se déchirer entièrement et a disparu.

Voici la traduction que M. Stackler a bien voulu en faire.


  _Louange à Dieu seul !_

  _Que le salut soit sur son envoyé et sur son serviteur._


=Renseignements sur un endroit appelé tel et tel.= — « Lorsqu’on
arrive à cet endroit, on demande où se trouve la colline qui a tel
nom, puis on la monte jusqu’à son sommet, on s’y assied avant
le lever du soleil, et on regardé du côté du sud. Cela doit se
passer pendant les saisons d’été et d’automne.

« En se levant le soleil donne sur trois trous rangés l’un à
côté de l’autre ; il faut aborder celui du milieu, on y trouve
une caverne étroite, qu’il faut suivre jusqu’à ce qu’on
arrive à deux trous situés l’un à droite, l’autre à gauche.

« Celui de droite renferme de la terre verdâtre comme du sulfate de
cuivre ; c’est du minerai d’or, qui ne perd que le quart de son
poids. Celui de gauche contient de la terre jaune et rouge : c’est
aussi du minerai d’or qui diminue du tiers de son poids. Le trou
de droite renferme également un coffre contenant moitié perles et
moitié argent. Le deuxième trou, celui de gauche, contient de la
terre qui semble enduite d’huile ; c’est du minerai d’or qui
ne diminue que très peu ; une livre de minerai donne à peu près
une livre d’or. Ce dernier minerai n’a pas besoin d’être
soumis à l’action du feu, on le passe simplement dans de l’eau
vinaigrée. A l’ouest de la colline en question se trouvent trois
redjems, et les ateliers de ceux qui extraient le métal. Il faut
aborder le redjem du milieu, qui est le plus grand. En enlevant
ses pierres on trouvera un morceau de tronc de palmier bouchant
l’entrée d’une caverne. Il faut l’enlever et descendre
jusqu’au fond de ce gouffre où l’on rencontre une porte. En
ouvrant cette porte, on trouve un puits surmonté d’un pont en
tronc de palmier mis en mouvement par l’influence d’un « djin ».

« Il faut égorger sur ce pont un hibou, le battre avec une tige de
fenouil, et après avoir coloré cette tige du sang de l’oiseau,
écrire la formule suivante : _Si nous avons dicté ce Coran...._
etc..., puis toujours sur le pont en question, on lit la sourate
du tonnerre.

« Le pont reste immobile ; en le traversant, on trouve une maison
composée de quatre chambres garnies d’or, d’argent, d’armes
et de chevaux. Il faut se garder de parler. On prend alors ce
qu’on veut.

« Si l’on est plusieurs, il faut entrer séparément.

« Le jour favorable pour cela est le samedi.

« Au sein du gouffre se trouvent encore deux « redjems » entre
lesquels existe un trou. On y entre, et l’on trouve au fond, une
terre ressemblant à des écailles de poisson. En faisant fondre
une livre de cette terre on obtient une livre d’émeraudes.

« A droite de ce trou se trouve un autre trou contenant une mine
de pierres de cristal et Dieu est le plus instruit.

« Le minerai d’argent est lourd et blanc, lorsqu’on en jette une
partie dans un feu ardent, il fond mais il ne se sépare pas de ses
impuretés. Voici cependant la manière dont on le rend pur : On le
réduit en poussière, on le lave avec de l’eau et du sel, on le
fait sécher et on le soumet à l’action du feu, sur du charbon,
on le saupoudre enfin d’un peu (d’ahlidj ?) et le minerai se
sépare de ses impuretés, coule et se réunit seul.

« _Autre espèce de minerai._ — Il est noir, tacheté de blanc,
il tire sur le bleu. Lorsqu’on en soumet une partie à l’action
du feu, la substance précieuse ne se sépare pas de ses impuretés,
il faut pour l’épurer, le réduire en une poussière qu’on
jette sur un brasier et qu’on arrose avec du goudron tiré du
laurier-rose. Alors l’argent se sépare de ses impuretés coule
au milieu des charbons et se réunit tout seul.

« _Espèce de minerai d’argent._ — C’est une pierre bleue,
lourde, tirant sur le vert, couverte de points blancs et facile à
pulvériser. Pour séparer la matière précieuse de ses impuretés,
on réduit ce minerai en poussière, on le met ensuite sur un feu
formé de charbons ardents, et alors, ô chercheur, lorsqu’on
aperçoit une étincelle rouge qui s’en échappe, mêlée à de
la fumée noire, il faut le mélanger avec du sesquicarbonate de
soude et du sublimé corrosif. Le minerai se sépare alors de ses
impuretés et coule en bas.

« _Espèce de minerai d’or._ — C’est une pierre de
couleur verte, tirant sur le jaune ; elle est très lourde et
renferme du soufre. Lorsqu’on la met sur le feu, elle fond et le
soufre brûle. Pour la séparer de ses impuretés et pour pouvoir
l’utiliser, il faut la laver avec de l’eau et du sel. L’or se
détache alors de ses impuretés.

« _Espèce de minerai d’or._ — Il renferme des racines semblables
à des racines de palmier, il est formé d’une terre rouge, comme
la terre dont on fait les marmites. Lorsqu’on en met sur la langue,
on la trouve amère.

« On trouve également des pierres semblables à des œufs de poule
dans le milieu desquels est le minerai. On le prend, on l’enduit
de vinaigre et d’huile, on le fait chauffer à la vapeur, comme on
fait pour le couscous, on l’étend pour le faire refroidir puis
on prend un creuset ayant un bec comme un tuyau, on place un autre
creuset sous le premier, de manière que le métal une fois fondu
tombe dedans, on le couvre enfin de fiente de pigeon sauvage et on
souffle dessus jusqu’à ce qu’il fonde. On termine en frappant
trois fois dessus, avec des ossements d’un être humain mort
depuis longtemps. Le minerai se purifie alors, et l’on aperçoit
l’or sur la surface de l’argent. Dieu le très haut est le plus
instruit de tout cela. »

Je crains bien que ce document ne soit tout à fait dépourvu
d’intérêt. Ce doit être un démarquage de quelque formulaire
marocain de sorcellerie métallurgique. Il faut pourtant noter
deux choses.

1o Sid el Bedri ben el Meki, marabout de Guerzim, propriétaire
de ce manuscrit, qui a de la littérature, le sens des affaires,
la figure et la réputation d’un homme très supérieur à la
moyenne des indigènes attribue à son manuscrit la plus grande
importance pratique.

2o Il y a réellement à Tamegroun un bel affleurement de cuivre,
et l’on y voit des traces incontestables d’anciens travaux.




                             APPENDICE IV

                =ORTHOGRAPHE DE QUELQUES NOMS TOUAREGS=


En matière de noms géographiques je n’ai pas essayé d’adapter
systématiquement l’orthographe française à l’orthographe
arabe ou berbère, j’ai même en certains cas préféré les formes
usuelles aux formes correctes (Mouidir à Immidir, etc.).

En cours de route pourtant j’ai écrit certains noms touaregs,
sous la dictée des indigènes et en tifinar’. En voici la liste
par ordre alphabétique. J’admets d’ailleurs volontiers que
d’autres indigènes eussent écrit les mêmes noms différemment.

  Achegrad                     [Tifinagh : ⴸⴳⵔⴺ]

  _Açeref_                     [Tifinagh : ⵙⵔⴼ]

  Agatan                       [Tifinagh : ⴳⵜⵏ]

  Azelmati                     [Tifinagh : ⵌⵍⵎⵜ]

  Chemââ                       [Tifinagh : ⴸⵎⴰ]

  _Eguérér_                    [Tifinagh : ⴳⵔⵔ]

  _Ichahenchaguerouthnin_      [Tifinagh : ⵛⵂⵏⵛⴳⵔⵜⵏⵏ]

  Ifisten                      [Tifinagh : ⴼⵢⴸⵏ]

  Igamergan                    [Tifinagh : ⴳⵎⵔⵗⵏ]

  Iguelitten                   [Tifinagh : ⴳⵍⵜⵏ]

  Inaláren                     [Tifinagh : ⴰⵏⵍⵗⵏ]

  Insemmen                     [Tifinagh : ⵏⵙⵎⵏ]

  Kokodi                       [Tifinagh : ⴾⴾⴸⵢ]

  Meghdoua                     [Tifinagh : ⵎⵗⵤⵓ]

  El Meraguen                  [Tifinagh : ⵍⵎⵈⴸⵏ]

  Ouallen                      [Tifinagh : ⵓⵍⵏ]

  Taguellit                    [Tifinagh : ⵜⴳⵍⵜ]

  Tamamat                      [Tifinagh : ⵜⵎⵎⵜ]

  Tazelouaït                   [Tifinagh : ⵜⴶⵍⵓⵢⵜ]

  Tchinka                      [Tifinagh : ⵏⵜⵛⵏⴾⵌ]

  Tikadouin                    [Tifinagh : ⵜⵈⵤⵓⵏ]

  Timreden                     [Tifinagh : ⵜⵎⵈⵤⵏ]

  Tingaran                     [Tifinagh : ⵜⴳⵔⵏ]

  Tikeidi                      [Tifinagh : ⵜⵈⵤⵏ]

  Tsigenganat                  [Tifinagh : ⵜⵙⴳⵏⵜ]

_N. B._ — Les noms en italiques se rapportent à l’Adr’ar des
Ifor’ass, les autres à l’Ahnet.




                              APPENDICE V

                         =INSCRIPTIONS ARABES=


Sur une meule dormante, utilisée comme stèle funéraire dans un
cimetière de l’oued Tilemsi, et que j’ai déposée au laboratoire
d’anthropologie du Muséum, M. Ben Cheneb, professeur à l’École
des Lettres d’Alger, a déchiffré une inscription arabe, qu’il
a traduite ainsi que suit :

Au nom de Dieu, le clément, le miséricordieux, toute âme est
mortelle (Cor. III, 182). C’est le tombeau du saint, du vertueux,
du jurisconsulte, du savant, du cheikh, Omar et Amin, surnommé
El Amin ben Mançour ben Ahmâlâl ? ben Wankor ben Mançour. Que
Dieu me pardonne et leur pardonne, à tous musulmans et musulmanes,
croyants [et croyantes, ceux qui] parmi eux sont en vie [et ceux
qui sont morts].

Notons que M. Benhazera, dans la grotte de Timissao, a copié une
inscription arabe en caractères fort anciens, koufiques, mais qui
n’a pas encore fait l’objet d’une publication détaillée.




                             APPENDICE VI

             =ÉTUDE MINÉRALOGIQUE DU MATÉRIEL NÉOLITHIQUE=


Les haches, pilons, meules, etc., de la région Saharienne centrale et
Soudanaise, ont été soumis à M. Lacroix, professeur de minéralogie
au Muséum. Les roches qui les constituent ont paru trop banales pour
mériter une étude approfondie au microscope et sur plaques minces.

En voici la liste :

=Grès.= — Une meule en grès ; — (cimetière de l’oued
Tilemsi) ;

Une meule en grès à ciment ferrugineux ; — (cimetière de
l’oued Tilemsi) ;

Un fragment de mortier, avec inscription funéraire en arabe, en
grès ; — (cimetière de l’oued Tilemsi) ;

Une hache en grès à ciment ferrugineux ; — (Koulikoro).

Ces outils en grès sont rares, et semblent confinés dans la région
du Niger. A cette exception près tout l’outillage est fabriqué
avec des roches peu ou prou métamorphiques, ou éruptives.

=Quartzites.= — Deux haches en quartzite métamorphique probablement
à amphibole ; — (oued Silet).

Une hache en quartzite ; — (au nord de Timissao).

Une hache en quartzite ; — (Aïr).

Une hache en quartzite ; — (cimetière de l’oued Tilemsi).

Deux meules sphériques, en quartzite à gros grains ; — (cimetière
de l’oued Tilemsi).

Trois meules en olive, en quartzite micacé ; — (cimetière de
l’oued Tilemsi).

Une meule en olive, en quartzite ; — (cimetière de l’oued
Tilemsi).

Un pilon très allongé, en quartzite chloriteux ; — (au nord
de Timissao).

=Chloritoschistes.= — Une meule sphérique, en chloritoschite.

Un fragment de bracelet, en chloritoschiste.

Un bracelet inachevé, en chloritoschiste ; — (oued Taoundrart).

=Leptynite.= — Un polissoir en leptynite ; — (oued Tougçemin).

=Ryolite.= — Une meule sphérique en ryolite ; — (nord d’In
Ziza).

Une hache sphérique en ryolite ; — (nord d’In Ziza).

=Diabase[276].= — Une hache en diabase ; — (oued Silet).

Une hache en diabase ; — (Gao).

Quatre haches en diabase ; — (cimetière de l’oued Tilemsi).

=Granite.= — Un fragment de mortier en granite altéré.

Cette liste suggère quelques observations. Aucune de ces roches ne
paraît étrangère à la région étudiée ; chacune d’elles au
contraire y est bien connue et fréquente ; — grès, dévonien
au Sahara, et d’âge indéterminé au Soudan ; — schistes
métamorphiques siluriens ; — granite et roches éruptives ;
— tels sont en effet les éléments constitutifs du sous-sol. Il
semble donc que les outils aient été fabriqués sur place, et
non importés.

Le bracelet en chloritoschiste de l’oued Toundrart a été
trouvé encore mal dégagé de la roche dans un atelier actuel ;
on sait que les Touaregs fabriquent et portent encore, au-dessus du
coude, des bracelets en pierre. Le polissoir de l’oued Tougçemin
atteste apparemment l’existence d’un atelier ancien. Les objets
en ryolite ont été trouvés à proximité d’In Ziza, qui est un
volcan à coulées de ryolite.

Les objets en grès ont tous été trouvés dans la même région, les
bords du Niger, et il est possible en effet que les grès soudanais
à ciment ferrugineux se prêtent au travail de la pierre mieux que
les grès éodévoniens du Sahara.

[Note 276 : On a entendu diabase dans le sens le plus large, roches
anciennes à feldspath triclinique, et à pyroxène plus ou moins
transformé en amphibole par ouralitisation. Aucune plaque mince
n’ayant été étudiée, on n’a pas cherché à déterminer si
la structure est ophitique ou microlithique, autrement dit si on a
affaire à des diabases ou à des labradorites.]




                             APPENDICE VII

                   =MINERAI ET BIJOUX (?) DE CUIVRE=


J’ai fait analyser par M. Bouhard, chimiste diplômé de la Faculté
des sciences de Paris, un échantillon de minerai de cuivre, recueilli
à Tamegroun ; c’est du quartz à imprégnation de malachite ;
il contenait 3,37 p. 100 de cuivre. C’est une faible proportion,
surtout si on considère que l’échantillon avait été choisi à
cause de sa belle apparence.

J’ai fait analyser par le même chimiste, les objets en cuivre
trouvés dans le redjem d’Ouan Tohra. M. Bouhard n’a pas trouvé
d’étain. Il a noté en revanche la présence d’arsenic et de fer.

M. le Dr Hamy, ayant fait analyser les objets en cuivre trouvés
dans les redjems d’Aïn Sefra a obtenu des résultats analogues,
il a constaté l’absence d’étain.

Ce mobilier funéraire est donc en cuivre, et non pas en
bronze. Faut-il conclure que c’est un produit des mines locales,
nord-africaines ? La nature des impuretés (arsenic et fer) permettra
peut-être un jour d’être affirmatif sur ce point, lorsque les
gisements marocains et sahariens seront mieux connus ! (?).




                            APPENDICE VIII

                       NITRATES D’OULED MAHMOUD
                           ANALYSE DÉTAILLÉE

     _par_ M. POUGET, _professeur de chimie à l’École des sciences
                               d’Alger._


                      =Échantillons de nitrates.=

                      No 1. — _Terre à nitrates._

     =Résultats analytiques.=               =Composition p. 100.=

   Humidité           0,9  p. 100.         Azotate de potasse
                                           (AzO³K)               0,9

   Résidu insoluble                        Azotate de soude
   dans l’eau        27,6     —            (AzO³Na)              4,1

   Az²O⁵              3,45    —            Chlorure de
                                           potassium (KCl)       5,4

   K²O                3,9     —            Sulfate de soude
                                           (SO⁴Na²)             14,2

   Na²O              29,5     —            Chlorure de sodium
                                           (NaCl)               41,4

   Cl                31,2     —            Chlorure de
                                           magnésium (MgCl²)     3,8

   SO³                8,05    —            Chlorure de
                                           calcium (CaCl²)       1,2

   MgO                1,6     —            Humidité              0,9

   CaO (traces de                          Résidu insoluble     27,6
   brome)             0,6     —
                                                                ----
                                                                99,5

_Remarque_ : L’ensemble des azotates contenu dans la substance
équivaut à 5,35 p. 100 d’azotate de soude ou à 6,45 d’azotate
de potasse.

                   No 2. — _Nitrates_ (_salpêtre_).

     =Résultats analytiques.=               =Composition p. 100.=

   Humidité           4,1   p. 100.         Azotate de potasse
                                            (AzO³K)              56,4

   Résidu insoluble   1,3      —            Azotate de soude
                                            (AzO³Na)             33,7

   Az²O⁵             52,3      —            Chlorure de sodium
                                            (NaCl)                2,6

   K²O               25,2      —            Sulfate de soude
                                            (SO⁴Na²)              1,0

   Na²O              14,1      —            Chlorure de
                                            magnésium (MgCl²)     0,5

   Cl                 2,0      —            Chlorure de calcium   0,02

   SO³                0,6      —            Humidité              4,1

   MgO                0,2      —            Résidu insoluble      1,3
                                                                 -----
   CaO                0,02     —                                 99,62

            No 3. — _Résidu de la préparation du salpêtre._

     =Résultats analytiques.=               =Composition p. 100.=

   Humidité           3,2   p. 100.         Azotate de potasse
                                            (AzO³K)               2,2

   Résidu insoluble   0,8      —            Azotate de soude
                                            (AzO³Na)              1,4

   Az²O⁵              2,1      —            Chlorure de sodium
                                            (NaCl)               62,8

   Na²O              47,3      —            Sulfate de soude
                                            (SO⁴Na²)             22,9

   K²O                3,5      —            Chlorure de
                                            potassium (KCl)       3,9

   Cl                41,3      —            Chlorure de
                                            magnésium (MgCl²)     2,1

   SO³               12,9      —            Chlorure de calcium   0,4

   MgO                0,9      —            Humidité              3,2

   CaO                0,2      —            Résidu insoluble      0,8
                                                                 ----
                                                                 99,7

_Remarque._ — Les nitrates contenus dans ce résidu équivalent
à 3,8 p. 100 environ d’azotate de potasse, c’est-à-dire à une
quantité plus grande que la moitié de celle que contient le minerai
[6,45].

Le mode de préparation est donc très mauvais puisque les pertes
en nitrate sont énormes, on peut approximativement les évaluer à
40 p. 100 au moins.

Le salpêtre lui-même contient encore une proportion notable
d’azotate de soude bien que le chlorure de potassium soit en excès
dans le minerai.

Le minerai est plutôt une terre à nitrate de soude qu’à nitrate
de potasse, c’est par le traitement qu’on lui fait subir qu’on
en extrait du salpêtre, le traitement transforme partiellement le
nitrate de soude en nitrate de potasse grâce à la présence du
chlorure de potassium.




                             APPENDICE IX

         ANALYSE D’UN ÉCHANTILLON DE TOMELA PROVENANT D’AKABLI

     _par_ M. POUGET, _professeur de chimie à l’École des sciences
                               d’Alger._


_Tomela._ — Masses concrétionnées, de couleur gris verdâtre,
légèrement ocreuses en certains points de la surface, on y rencontre
quelques cristaux blancs d’aspect fibreux.

L’analyse de la partie non cristallisée donne les résultats
suivants :

  SO³                   36,4   p. 100.

  Al²O³                 10,0      —

  FeO                    8,2      —

  CaO                    1,1      —

  MgO                    2,4      —

  Silice et sable        1,4      —

  Eau                   40,2      —
                        --------------
                        99,7   p. 100.

Les principaux éléments constitutifs sont donc le sulfate
d’alumine et le sulfate ferreux.

La partie cristalline (densité 1,87) contient :

  SO³           38,4   p. 100.

  Al²O³         16,4      —

  FeO            3,6      —

  Eau           41,1      —
                -------------
                99,5  p. 100.

On peut la considérer comme un mélange de sulfate d’alumine
hydraté, de sulfate ferreux, et d’un sulfate d’alumine basique ;
sa composition peut être représentée par la formule


  2(SO⁴)³Al²18H²O       SO⁴Fe7²O       (SO⁴)²AlAlO
  ---------------  +  ------------  +  -----------
     Alunogène.       Mélantérite.      Alumiane.


Est-ce un simple mélange, ou une espèce minéralogique ? L’analyse
d’un seul échantillon ne se prêtant à aucune détermination
cristallographique ne permet pas de conclure.

                                                         POUGET.




                              APPENDICE X

                   NOTE SUR LES MOLLUSQUES DU SAHARA
                   ET PLUS PARTICULIÈREMENT DU TOUAT

                         Par M. LOUIS GERMAIN.


Au cours de sa belle exploration, M. Chudeau a recueilli une
riche série de Mollusques terrestres et fluviatiles dont il a
eu l’amabilité de me confier l’étude. Ces documents viennent
heureusement compléter ceux réunis par les expéditions françaises
antérieures et, notamment, par la Mission Chari-lac Tchad conduite
par M. A. Chevalier[277].

La collection rapportée par M. Chudeau comprend surtout des
Mollusques du bassin du lac Tchad. J’ai déjà, dans une courte
note[278], donné quelques indications sur les espèces nouvelles
et je compte publier prochainement une étude d’ensemble sur ce
sujet[279]. Je me contenterai de donner ici quelques détails sur les
coquilles vivantes et fossiles provenant du Sahara, c’est-à-dire
de la région dont traite le présent volume.


                    _Planorbis salinarum_ Morelet.

1868. _Planorbis salinarum_. Morelet, _Mollusques terrestres
fluviatiles, voyage_ Dr. Welwitsch, p. 85, no 56, Tab. V, fig. 4.


Un exemplaire de cette très intéressante espèce, qui n’était
connue jusqu’ici que des ruisseaux de l’Angola, a été récoltée
par M. Chudeau dans les alluvions, à Abalessa. C’est en vain que
le voyageur a fouillé les environs de Tit dans l’espoir d’y
découvrir de nouveaux Planorbes, mais je dois ajouter qu’en 1886,
M. Palat a envoyé, au laboratoire de Malacologie du Muséum, un grand
nombre de Planorbes subfossiles recueillis dans le Touat et qui se
rapportent à ce même _Planorbis salinarum_ auxquels sont mêlés de
nombreux exemplaires du _Planorbis Aucapitainieri_ Bourguignat[280]
et un spécimen du _Planorbis Rollandi_ Morlet[281]. Ce fait a
une grande importance car il montre que le massif du Hoggar et le
Touat sont sur la limite septentrionale d’extension de la faune
équatoriale proprement dite, c’est-à-dire à la zone où se fait
le mélange entre cette faune et celle du système européen.


                     _Melania tuberculata_ Müller.

1774. _Nerita tuberculata_ Müller, _Verm. terr. et fluv. histor._ ;
II, p. 191.

1862. _Melania tuberculata_ Bourguignat, _Paléontologie Mollusques
terr. fluv. Algérie_ ; p. 102.

1901. _Melania_ (_Striatella_) _tuberculata_ Pallary, _Mollusques
fossiles terr. fluv. Algérie_ ; p. 174, pl. III, fig. 32-33.


De nombreux exemplaires de cette espèce bien connue ont été
récoltés à Adrar ainsi qu’à Taourirt, Tazoult et En Nefis.


                   _Melanopsis maroccana_ Chemnitz.

1795. _Buccinum maroccanum_ Chemnitz, _Conchyl. Cabinet_ ; 1re
édit. ; X, p. 285, pl. CCX, fig. 2080 et 2081.

1862. _Melanopsis maroccana_ Bourguignat, _Paléontologie Mollusques
terr. fluv. Algérie_ ; p. 105.

1901. _Melanopsis maroccana_ Pallary, _Mollusques fossiles
terr. fluv. Algérie_ ; p. 177.


Espèce extrêmement variable qui se rencontre abondamment dans
toutes les eaux douces du sud de la Tunisie, de l’Algérie et du
Maroc. M. Chudeau en a recueilli de très nombreux exemplaires
vivants et fossiles provenant d’Abd el Kader, Kaberten,
Zaouiet Kounta, Taourirt, Tazoult et En Nefis. Ces documents me
permettront d’étudier en détail, dans mon mémoire définitif,
le polymorphisme de ce _Melanopsis_.


                   _Melanopsis Maresi_ Bourguignat.

1862. _Melanopsis Maresi_ Bourguignat, _Paléontologie Mollusques
terr. fluv. Algérie_ ; p. 106, pl. VI, fig. 1 à 4.

1865. _Melanopsis Maresi_ Bourguignat, _Mollusques
terr. fluv. recueillis par H. Duveyrier dans le Sahara_ ; p. 22,
pl. XXVIII, fig. 18 à 21.

1901. _Melanopsis Maresi_ Pallary, _Mollusques fossiles
terr. fluv. Algérie_ ; p. 179 ; — et pl. IV, fig. 22
[var. _crenulata_].


Cette espèce, si reconnaissable à sa columelle droite et aux
fortes costulations dont son test est orné, a été récoltée,
vivante et fossile, dans l’Iguidi (Échantillons communiqués à
M. Chudeau par M. le lieutenant Mussel).


                        _Cardium edule_ Linné.

1767. _Cardium edule_ Linné, _Systema naturæ_, Ed. XII, p. 1124.

1878. _Cardium edule_ Tournouër, _Assoc. franç. avancement
Sciences_ ; VII, p. 608.

1901. _Cardium edule_ Pallary, _Mollusques fossiles
terr. fluv. Algérie_ ; p. 181.


M. Chudeau a recueilli, à Taourirt, de nombreux exemplaires
de cette coquille, mêlés à quelques rares spécimens de
_Melania tuberculata_ Müller. Un autre échantillon provient de
Timimoun. C’est la première fois que cette espèce marine est
signalée aussi loin dans le sud. On trouvera, dans le travail
de Tournouër[282], de très nombreuses indications concernant ce
Mollusque particulièrement intéressant.

A cette courte liste, il convient d’ajouter un tuf d’origine
fluviatile recueilli dans la région de Tin Tagaret et de Taloak
(Ahnet) et qui renfermait, m’a dit M. Chudeau, de nombreux
exemplaires d’une coquille appartenant au genre _Physa_. Les
échantillons de ce tuf ont, malheureusement, été perdus pendant
le voyage ; mais il est probable qu’il s’agit ici d’une espèce
appartenant au groupe du _Physa contorta_ Michaud[283], si abondamment
répandu dans toutes les eaux douces du nord de l’Afrique.

Il faut ajouter aussi des couches à _Cardium edule_ et à _Melania_,
qui ont été observées par M. Chudeau à quelques kilomètres au
nord de Tikeidi (Açedjerad) ; les échantillons ont été égarés.

On voit donc tout l’intérêt qui s’attache à la connaissance
faunistique de ces régions et, principalement, du massif du Hoggar
dont l’exploration méthodique serait féconde en résultats. Il
est permis d’espérer que de nouvelles expéditions fourniront
les matériaux nécessaires pour entreprendre une telle étude.

                                                      LOUIS GERMAIN.


N. B. — J’avais recueilli à Zaouiet Kounta des _Melanopsis_
fossiles et à Temassekh des _Cardium edule_, qui, ayant été
égarés, manquent à la liste de M. Germain. Comme coquilles je
ne crois pas qu’elles fussent particulièrement intéressantes ;
mais ce sont deux gisements nouveaux à ajouter aux autres. Les
mollusques actuels et fossiles, d’eau douce et d’eau saumâtre,
sont très abondants au Touat.

                                                      E.-F. GAUTIER.


[Note 277 : Chevalier (A.), _L’Afrique centrale française_,
Récit du voyage de la Mission Chari-lac Tchad (1902-1904) ;
Paris, 1907, gr. in-8o, xv-776 p., avec 111 fig. dans le texte,
9 planches et 6 cartes. J’ai publié, dans ce volume, une étude
sur _Les Mollusques terrestres et fluviatiles de l’Afrique centrale
française_, p. 457-617, avec 15 fig. dans le texte et 2 planches.]

[Note 278 : Germain (Louis), Contributions à la faune malacologique
de l’Afrique équatoriale ; X. Mollusques nouveaux du lac Tchad ;
_Bulletin du Muséum d’histoire naturelle Paris_ ; XIII, no 4,
avril 1907, p. 269-274, fig. 19 à 23.]

[Note 279 : Ce travail paraîtra, pendant l’année 1908, dans
la _Revue suisse de Zoologie et Annales du Musée d’histoire
naturelle de Genève_, publiées sous la direction de M. Maurice
Bedot, professeur à l’Université de Genève.]

[Note 280 : Bourguignat (J.-R.), _Mollusques terrestres et fluviatiles
recueillis par M. H. Duveyrier dans le Sahara_ [Supplément aux :
_Touareg du Nord_, par H. Duveyrier] ; 1865, p. 24, pl. XXVIII, fig. 1
à 5 [_Planorbis Aucapitainianus_]. Pallary a figuré une variété
_major_ de cette espèce [Pallary (P.), sur les Mollusques fossiles
terrestres, fluviatiles et des eaux saumâtres de l’Algérie,
_Mémoires de la Société géologique de France_ ; XII, 1901,
p. 157, fig. 16.]]

[Note 281 : Morlet (L.), Diagnoses Molluscorum novarum ; _Journal
de Conchyliologie_ ; XXVIII, 1880, p. 355 ; XXIX, 1881, p. 46 ;
— et Description de Coquilles nouvelles ; _ibid._, XXIX, p. 344,
pl. XII, fig. 4.]

[Note 282 : Tournouër, Sur quelques coquilles marines recueillies
par divers explorateurs dans la région des chotts sahariens ;
_Association française pour l’avancement des Sciences_ ; 7e
session, Paris, 1878, p. 608-622, pl. VI.]

[Note 283 : Michaud (G.), Description de Coquilles vivantes ;
_Actes de la Société linnéenne de Bordeaux_ ; III, 1829, p. 268,
fig. 15-16.]




                             APPENDICE XI

        =OBSERVATION A PROPOS DE LA CARTE GÉOLOGIQUE DE BÉCHAR=


J’ai pris pour base de cette carte l’excellente topographie de
M. le lieutenant Poirmeur. Mais ma géologie se trouve sur quelques
points en désaccord tel avec la sienne, que je me crois obligé de
justifier en quelques mots mon point de vue.

A. — M. Poirmeur écrit (_Bulletin de la Société géologique de
France_, 4e série, t. VI, 1906, no 8, p. 725) :

« Le Dévonien inférieur de Ben Zireg (grès et calcaires durs)
a été caractérisé par des Trilobites (capitaine de Lamothe),
des orthocères et autres fossiles (collections du territoire
d’Aïn-Sefra). »

Ces lignes affirment qu’on a trouvé à Ben Zireg des fossiles
du Dévonien inférieur, mais elles n’indiquent pas le nom du
paléontologiste qui a déterminé les fossiles ; et elles ne donnent
pas des indications précises sur le gisement ; en fait je ne connais
pas de grès au voisinage de Ben Zireg, mais seulement des ardoises
et des calcaires.

D’autre part j’ai rapporté de Ben Zireg des fossiles que
M. Haug déclare carbonifériens ; ils ont été cueillis dans une
formation très puissante et très homogène, ardoises et calcaires
interstratifiés, qui est la seule formation susceptible d’être
primaire, à ma connaissance, au voisinage de Ben Zireg.

Je suis donc forcé, jusqu’à plus ample informé, d’attribuer
ces couches au Carboniférien, et non au Dévonien.

B. — M. Poirmeur (_Bulletin de la Société géologique de
France_, 4e série, t. VI, 1906, no 8, p. 726) rattache au Trias
« l’affleurement de marnes irisées de ksar el Azoudj, _qui
se présente comme inférieur aux couches noires de la base
du Lias_ (?) (Rhynchonella déposée au musée du territoire
d’Aïn-Sefra) ».

Cet affleurement m’est bien connu (voir pl. XXV, phot. 47 et
48). Ces marnes irisées, ou plutôt ces schistes argileux mous, sont
vivement redressés, et supportent en discordance absolue le poudingue
calcaire pliocène, sur lequel est construit le poste. Sauf preuves du
contraire, et pour des raisons de stratigraphie générale, je crois
ces couches infradinantiennes ou supradévoniennes ; la présence
d’une rynchonelle est fort intéressante, mais n’y contredit pas.

C. — M. Poirmeur (_Bulletin de la Société géologique de France_,
4e série, t. VI, 1906, no 8, p. 726) place à la base du Lias « des
calcaires et grès schisteux de couleur noire, non fossilifères (base
des formations secondaires, qui font face au Moumen et au Béchar,
entre Ksar el Azoudj et Ben Zireg ». Cette formation m’est bien
connue ; il y a en effet partout à la base des falaises des schistes
noirs, et au sommet des calcaires. Seulement, si mes souvenirs
sont exacts, la discordance de stratification est absolue ; les
schistes sont verticaux, et les calcaires horizontaux. De plus les
calcaires, au voisinage de Ben Zireg, à tout le moins, contiennent
les beaux fossiles cénomaniens habituels. J’ai donc conclu que nous
avons affaire à la transgression cénomanienne sur la pénéplaine
primaire. J’attribue par conséquent au Cénomanien les calcaires
qui, sur la carte de M. Poirmeur, sont attribués non seulement
au Lias, mais encore au Jurassique supérieur dans le voisinage de
Ben Zireg.

D. — La carte de M. Poirmeur (_Bulletin de la Société
géologique de France_, 4e série, t. VI, 1906, no 8, p. 726), si je
l’interprète correctement, car ici le texte n’est pas explicite,
attribue au Cénomanien, non seulement les collines de Bezazil Kelba,
ce qui est parfaitement correct, mais les grès houillers de Kenatsa,
les poudingues pliocènes de Bou Aiech, et les grès albiens de
Beni Ounif.

E. — Enfin je ne suis pas d’accord avec M. Poirmeur sur l’emploi
du mot oligocène, du moins en ce qui concerne la hammada de Kenatsa
et celle de Beni Abbès. Il me semble que M. Poirmeur rattache
régulièrement à l’Oligocène les poudingues calcaires très
durs, à rognons siliceux, qui constituent certainement le sol des
hammadas précitées, et que tous les géologues algériens rattachent
au Pliocène.




                                ERRATA
                               * * * * *

On s’est efforcé, dans le texte, d’uniformiser l’orthographe
des noms. Entre le texte et les cartes, on a laissé échapper
quelques fortes divergences orthographiques.

Dans la carte du Mouidir-Ahnet :

  on a écrit   _Açerdjerah_   au lieu d’   _Açedjerad_.

               _Mekergan_     au lieu de   _Mekhergan_.

               _Megdoua_          —        _Maghdoua_.

               _Tiqueidi_         —        _Tikeidi_.

               _Mouïdir_          —        _Mouidir_.

Dans la carte de Beni Abbès (p. 210) on a écrit : _si Mohammed
ben Ammou_ au lieu de _ben Abbou_.




                           TABLE DES FIGURES
                               * * * * *


  Fig. 1. — Principaux types de redjems                            69

   —   2. — Redjems du Hoggar                                      72

   —   3. —         —                                              73

   —   4. — Tombeau de Tin Hinan                                   74

   —   5. — Tombeau de l’Aïr                                       76

   —   6. — Tombes actuelles                                       78

   —   7. — Tombeau de la sultane Tabeghount                       80

   —   8. — Tombeau de noble Touareg                               81

   —   9. — Monuments en pierres sèches (pavages à fleur de sol)   83

   —  10. — Monuments en pierres sèches (pavages à fleur de sol)   85

   —  11. — Gravures du col de Zenaga                              89

   —  12. —              —                                         90

   —  13. —              —                                         91

   —  14. — Gravures du col de Zenaga (le bélier)                  93

   —  15. — Gravures de Barrebi                                    95

   —  16. —          —                                             96

   —  17. —          —          (cavalier numide)                  97

   —  18. — Gravures d’Aïn Memnouna                                99

   —  19. — Gravures de Hadjra mektouba                           100

   —  20. — Gravures de Taoulaoun (chasse au mouflon)             102

   —  21. — Gravures de l’Oued Tar’it (méharis)                   103

   —  22. — Gravures d’Aguelman Tamana (bovidés)                  106

   —  23. — Gravures de Tin Senasset                              107

   —  24. —    —     d’Ouan Tohra                                 111

   —  25. — Gravures de Foum Zeggag, Ouan Tohra et Timissao       113

   —  26. — Coupe de la station néolithique d’Aïn Sefra           121

   —  27. — Rouleaux et pilons en pierre du Sahara                130

   —  28. — Coupe de Mouizib el Atchan                            141

   —  29. — Coupe de Sfissifa à Mizerell                          144

   —  30. — Coupe de Bou-Kaïs à Téniet Nakhla                     144

   —  31. — Coupe de l’Anter au Mezarif par le Moumen             146

   —  32. — Coupe de l’Antar au Mezarif par le Béchar             146

   —  33. — Coupe de Tar’it à Menouar’ar                          148

   —  34. — Coupe de Beni Ounif                                   150

   —  35. — Carte du Beni Goumi                                   165

   —  36. — Coupe de l’oued Saoura à Ennaya                       181

   —  37. — Coupe de Kerzaz à Oguilet Mohammed                    182

   —  38. — Coupe d’Ougarta à Tin Oraj                            183

   —  39. — Coupe à l’est de Zeramra                              185

   —  40. — Ouarourourt (coupe)                                   187

   —  41. — Beni Abbès (carte)                                    210

   —  42. — Coupe de Fgagira                                      225

   —  43. — Coupe au S.-O. du Charouïn                            226

   —  44. — Entre Charouïn et Ouled Rached (coupe)                226

   —  45. — Coupe de la sebkha de Timimoun                        227

   —  46. — Coupe du Timmi au dj. Heirane                         228

   —  47. — Coupe de Temassekh à Haci Sefiat                      229

   —  48. — Le carbonifère de Tazoult                             229

   —  49. — Coupe de Tesfaout à Haci Sefiat                       231

   —  50. — Carte schématique, montrant la virgation hercynienne  241

   —  51. — Coupe schématique entre Ouargla et Timimoun           243

   —  52. — Coupe schématique de l’Aouguerout                     245

   —  53. — Falaise terminale du Tadmaït (coupe)                  278

   —  54. — Coupe d’Aïn Cheikh                                    281

   —  55. —   —   d’Hacian Taïbin à Garet ed Diab                 283

   —  56. — Au nord de l’Adr’ar Ahnet (coupe)                     291

   —  57. — Taloak à l’Adr’ar Ahnet (coupe)                       294

   —  58. — Coupe de l’erg Timeskis à Tadjemout                   296

   —  59. — Coupe transversale de l’Açedjerad                     297

   —  60. — Carte d’Aoulef                                        302

   —  61. — Carte du Tidikelt et du Mouidir-Ahnet                 315

                               * * * * *


                           CARTES HORS TEXTE

Itinéraires au Sahara, 1905, par E.-F. Gautier.

Carte du Béchar, avec transparent : carte tectonique.

Esquisse géologique d’une partie de l’Extrême-Sud algérien (Oued Saoura,
Gourara, Touat), par E.-F. Gautier (en couleurs).

Essai de carte géologique de Tidikelt et du Mouidir-Ahnet, par E.-F.
Gautier et R. Chudeau (en couleurs).




                     TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE
                               * * * * *


                                                                  Entre
                                                                   les
                                                                  pages

  Planche        I. —  1. Type de hammada                           2-3

                       2. Type de reg.

     —          II. —  3. Type de falaise                           4-5

                       4. Un coin du Tassili auprès de
                          Timissao.

     —         III. —  5. Type de gara                              4-5

                       6. Erg et nebka.

     —          IV. —  7. Oued saharien                           10-11

                       8. Oued Tlilia.

     —           V. —  9. Sebkha de Timimoun                      10-11

                      10. Type de Maader.

     —          VI. — 11. Aguelman Taguerguera (en aval)          14-15

                      12. Aguelman Taguerguera (en amont).

     —         VII. — 13. Puits de Timissao (à orifice étroit)    14-15

                      14. Type de puits soudanais à large
                          orifice.

     —        VIII. — 15. Oued Zousfana. Arbuste juché sur un     16-17
                          monticule

                      16. Type de medjbed (sentier saharien)
                          sur le reg du Touat.

     —          IX. — 17. Le lit de la Saoura à Timr’ar’in        20-21

                      18. Une crue de la Saoura à Ksabi.

                      19. Le lit de la Saoura à Foum el Kheneg.

     —           X. — 20. Tin Oraj. L’oued Tabelbalet enfoui      30-31
                          sous l’erg er-Raoui

     —          XI. — 21. Un trou d’exploitation à Taoudéni       54-55

                      22. La falaise d’érosion qui limite la
                          cuvette de Taoudéni.

     —         XII. — 23. Grand redjem du type le plus fruste     60-61

                      24. Redjem B d’Aïn Sefra.

     —        XIII. — 25. Redjem D de Beni Ounif pendant les      60-61
                          fouilles

                      26. Cimetière actuel (Charouïn).

     —         XIV. — 27. Cercle de sacrifices                    60-61

     —          XV. — 28 et 29. Mobiliers funéraires trouvés
                          dans les régions d’Aïn Sefra et de
                          Beni Ounif                              66-67

                      30. Gravure rupestre de Barrebi.

     —         XVI. — 31. Gravure rupestre dans l’oued Tar’it   100-101

                      32. Gravure rupestre, à Taoulaoun.

     —        XVII. — 33. Gravures rupestres à Ouan Tohra       110-111

                      34. Type de gravures rupestres sur
                          granit (Hoggar).

     —       XVIII. — 35. Inscription sur grès albien au ksar   116-117
                          d’Abani, près Tesfaout.

                      36. Autre inscription sur grès albien au
                          ksar d’Abani.

     —         XIX. — 37. Type des pointes d’Ouargla            122-123

                      38. Type des pointes de la Zousfana.

     —          XX. — 39. Djebel Orred. Vu en contre-bas du     140-141
                          sommet de l’Antar

                      40. Sommet de l’Antar.

     —         XXI. — 41. Dans le Béchar : col du Mouizib el    140-141
                          Achan

                      42. Dans le Béchar : col de Téniet
                          Nakhla.

     —        XXII. — 43. Dans le Béchar : petite palmeraie     142-143
                          d’El Djenien

     —       XXIII. — 44. Djebel Béchar, vu du sud              142-143

                      45. Djebel Béchar, vu du nord.

     —        XXIV. — 46. Collines de Bezazil Kelba             144-145

     —         XXV. — 47. Portion de la falaise de Ksar el      148-149
                          Azoudj

                      48. Falaise de Ksar el Azoudj (vue
                          d’ensemble).

     —        XXVI. — 49. Falaise de Kenatsa                    154-155

                      50. La Zousfana en aval de Ksar el
                          Azoudj.

     —       XXVII. — 51. Vue prise du ksar de Tar’it en        162-163
                          regardant la falaise

                      52. Vue prise du ksar de Tar’it en
                          regardant la dune.

     —      XXVIII. — 53. Tentes Doui-Menia, de type marocain   162-163

                      54. La zaouia de Kenatsa.

     —        XXIX. — 55. Le poste d’Igli                       180-181

                      56. Sur la rive droite de la Saoura à
                          Beni Ikhlef.

     —         XXX. — 57. L’oued Saoura à Beni Ikhlef           180-181

     —        XXXI. — 58. Mine de cuivre de Tamegroun           188-189

                      59. Dans le kahal de Tabelbala auprès
                          d’Oguilet Mohammed.

     —       XXXII. — 60. Dans la chaîne d’Ougarta. Kheneg el   188-189
                          Aten

                      61. Hadjra Mektouba.

     —      XXXIII. — 62. Berge droite de la Saoura au ksar de  188-189
                          Timmoudi

                      63. Falaise de Timmoudi.

     —       XXXIV. — 64. Dans l’erg er Raoui, une antilope     196-197
                          Adax

     —        XXXV. — 65. Le minaret de Kerzaz                  204-205

                      66. Un quartier de Kerzaz.

     —       XXXVI. — 67. Ksar de Zeramra                       214-215

                      68. A Zeramra. Koubba du saint qui garde
                          le bois à brûler.

     —      XXXVII. — 69. _Foggara_ vue latéralement            242-243

                      70. Une _foggara_ du Timmi suivant son
                          axe.

     —     XXXVIII. — 71. Croisement de petites _seguias_       242-243

                      72. Dans l’oasis du Timmi, _Kesra_ ou
                          « peigne » pour la répartition de
                          l’eau.

     —       XXXIX. — 73. Puits à bascule dans un jardin du     242-243
                          Timmi

                      74. Grande _seguia_ dans l’oasis du
                          Timmi.

     —          XL. — 75. Au Timmi, fabrication de briques      260-261
                          creuses

                      76. Adrar (Timmi) capitale du Touat.

     —         XLI. — 77. Timimoun. Une rue dans la palmeraie   260-261

                      78. Timimoun. Un coin du ksar.

     —        XLII. — 79. Une palmeraie ensablée                260-261

                      80. Timimoun. Bouchers haratin dépeçant
                          un chameau.

     —       XLIII. — 81. Oued Aglagal                          278-279

     —        XLIV. — 82. A Ouan Tohra. — Le Baten Ahnet        290-291

     —         XLV. — 83. Oued Arak. Une paroi du canyon        290-291

                      84. Oued Tibratin. Large vallée dans les
                          argiles éodévoniennes.

     —        XLVI. — 85. Oued Adjam. Porte qui donne accès     294-295
                          dans le horst silurien d’Adoukrouz

     —       XLVII. — 86. Près de l’oued Adjam. Grès            294-295
                          éodévoniens basculés le long de la
                          faille. Vue de détail

                      87. Même sujet que 86. Vue d’ensemble.

     —      XLVIII. — 88. Près de l’oued Adjam. La muraille de  294-295
                          grès éodévoniens basculée au nord
                          d’Adoukrouz

                      89. L’Adr’ar Ahnet.

     —        XLIX. — 90. Bled el Mass                          300-301

                      91. Dans l’Adr’ar Ahnet, une gorge
                          sauvage.

     —           L. — 92. Adr’ar Ahnet. Un ravin dans les grès  300-301
                          siluriens

     —          LI. — 93. Adr’ar Ahnet. Oued Tedjouljoult       300-301

     —         LII. — 94. Touareg armé                          330-331

                      95. Tournoi touareg, ou plus exactement
                          fantasia.

                      96. Un autre temps de la fantasia
                          touareg.




                          TABLE DES MATIÈRES
                               * * * * *


                              CHAPITRE I

  =ONOMASTIQUE=                                                        1

    Les sols (hammada — reg — erg — sif — feidj ou gassi — nebka. —
    Sol de Timchent), 3. — Forme du terrain (gara — baten et kreb —
    moungar, tarit — chebka), 8. — Hydrographie (l’oued — sebkha et
    chott — maader — haci — aïn — r’dir ou aguelman — tilmes
    abankor — medjbed — tanezrouft), 10.

                              CHAPITRE II

  =LES OUEDS ET LES DUNES=                                            20

    I. L’oued Messaoud, 20. — Haci Rezegallah, 23. — Haci Sefiat,
    24. — Le réseau des affluents, 25. — O. Tlilia. — Sebkha de
    Timimoun, 27. — Les oueds du Grand Erg, 28. — L’oued
    Tabelbalet, 30. — L’Iguidi, 31. — L’oued Messaoud actuel, 32.
    — L’oued Messaoud historique, 34.

    II. Les dunes, 41.

    III. Taoudéni, 55.

                             CHAPITRE III

  =ETHNOGRAPHIE SAHARIENNE=                                           60

    I. Les tombeaux (redjems), 60. — Terminus ad quem et a quo, 64.
    — Aïn Sefra, 64. — Beni Ounif, 66. — La forme, 68. — Redjems du
    Hoggar, 71. — Provinces orientales, 75. — Autres monuments
    lithiques, 83. — Conclusion, 86.

    II. Gravures rupestres, 87. — Station de Figuig, 87. — Station
    de Barrebi, 94. — Station d’Aïn Memnouna, 99. — Station de
    Hadjra Mektouba, 100. — Stations des oasis et du Tadmaït, 101.
    — Stations des plateaux touaregs, 102. — Station de Timissao,
    112. — Stations Ifor’ass, 113. — Stations du Hoggar, 114. —
    Stations de l’Aïr, 115. — Stations du Niger et du Sénégal, et
    Inscriptions tifinar’, 116. — Conclusions générales, 117.

    III. Armes et instruments néolithiques, 121. — Station d’Aïn
    Sefra, 121. — Station de Zafrani, 122. — Station de Tar’it,
    123. — Gisements de la Saoura et du Touat, 125. — Gisements
    de l’Ahnet et du Tanezrouft, 126. — Gisements de l’Adr’ar des
    Ifor’ass et de l’O. Tilemsi, 128. — Rouleaux, meules
    dormantes, 130. — Conclusion, 133.

                              CHAPITRE IV

  =LA ZOUSFANA=                                                      139

    Roches primaires carbonifériennes, 139. — Roches secondaires,
    143. — Plis hercyniens, 144. — Plis atliques, 145. —
    L’ennoyage, 148. — Importance géographique du Vorland primaire,
    150. — Gîtes minéraux du Grouz, 152. — Pluies et végétation,
    154. — Régime des eaux, 155. — Nappe artésienne, 156. — Les
    oueds, 157. — Groupe d’oasis de Béchar, 159. — Tar’it, 161. —
    La vie sociale et économique, 166. — La route transsaharienne
    et Figuig, 170. — La question marocaine, 171. — La
    pacification, 174.

                              CHAPITRE V

  =RÉGION DE LA SAOURA=                                              178

    Sous-région d’Igli, 178. — La chaîne d’Ougarta, 180. — Les
    plis hercyniens, 181. —La zone Beni Abbès-Ougarta, 184. —
    Horst de Merhouma, 184. — Fenêtre d’Ougarta, 185. — Fenêtre
    de Zeramra, 186. — Fenêtre de Beni Abbès, 186. — Fenêtre des
    « pierres écrites », 187. — Les couches à bivalves et fenêtre
    d’Idikh, 188. — Structure générale, 189. — O. Saoura, 190. —
    L’oued Tabelbalet, 197. — Erg Atchan et Sebkha el Melah, 198.
    — La chaîne d’Ougarta, 199. — L’homme, 201. — Les ksars
    autonomes, Igli, Mazzer, Beni Abbès, Beni Ikhlef, Agdal, 206.

                              CHAPITRE VI

  =GOURARA ET TOUAT=                                                 219

    Géologie du Gourara, 220. — Terrains crétacés, 220. —
    Tertiaire, 221. — Dévonien inférieur et Dévonien moyen, 222.
    — Dévonien supérieur et les ktoub, 223. — Carbonifère, 224. —
    L’allure des plissements hercyniens à Fgagira, Charouïn et aux
    bords de la sebkha, 225. — Failles récentes, 227.

    Géologie du Touat, 227. — Éodévonien, 227. — Dévonien moyen et
    les ktoub, 228. — Carboniférien de Temassekh, Tazoult, Aïn
    Cheikh, 229. — Plissements hercyniens, 230. — Crétacé, 232. —
    Mio-Pliocène, 234. — Les failles, 235.

    Hydrographie, 237. — Les Foggaras, 242. — Gourara, 244. — Touat
    (haut Touat et bas Touat), 249.

    Le XVe siècle au Sahara et dans l’Afrique Mineure, 261. —
    Conditions politiques et économiques, 267. — Les nitrates
    de potasse, 275.

                             CHAPITRE VII

  =TIDIKELT ET MOUIDIR-AHNET=                                        277

    Géologie du Tidikelt, 277. — Crétacé, 277. — Sous-sol primaire,
    280. — Dj. Aberraz, 282. — Pli d’In R’ar, 284. — Sud d’In
    Salah, 284.

    Géologie de la pénéplaine entre le Tidikelt et le
    Mouidir-Ahnet, 286. — D’In Salah au Mouidir, 286. — De Taloak
    à Baba Ahmed, 287. — Taourirt à l’Açedjerad, 289.

    Géologie du Mouidir-Ahnet, 290. — Silurien de Tadjemout, 290.
    — Adoukrouz et Adr’ar Ahnet, 291. — Sud et nord d’Aït el Kha,
    292. — L’Éodévonien, 292. — Stratigraphie, 294. — Jeunesse des
    diaclases, 298. — Conclusions générales, 298.

    Le Tidikelt, 300. — Histoire, 303. — Démographie et
    organisation politique, 305.

    La pénéplaine déserte, 308. — Plateaux touaregs, 309. —
    La flore, 314. — Faune, 316. — Le Mouidir, 318. — L’Ahnet,
    321. — Touaregs de l’Ahnet, 330.


                              APPENDICES

     I. — ITINÉRAIRES ET OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES                  339

    II. — INSCRIPTIONS (Tifinar’ et Hébraïques)                      344

   III. — TRADUCTION D’UN MANUSCRIT ARABE CONCERNANT LA MINE DE
          CUIVRE DE TAMEGROUN                                        347

    IV. — ORTHOGRAPHE DE QUELQUES NOMS TOUAREGS                      350

     V. — INSCRIPTIONS ARABES                                        351

    VI. — ÉTUDE MINÉRALOGIQUE DU MATÉRIEL NÉOLITHIQUE                352

   VII. — MINERAI ET BIJOUX (?) DE CUIVRE                            354

  VIII. — NITRATES D’OULED MAHMOUD                                   355

    IX. — ANALYSE D’UN ÉCHANTILLON DE TOMELA                         357

     X. — NOTE SUR LES MOLLUSQUES DU SAHARA                          358

    XI. — OBSERVATION A PROPOS DE LA CARTE GÉOLOGIQUE DE BÉCHAR      361

  Errata                                                             363

  TABLE DES FIGURES ET CARTES                                        365

  TABLE DES PLANCHES HORS TEXTE                                      367


                               * * * * *
          1702-07. — Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD. — 4-08.




[Illustration : ITINÉRAIRES AU SAHARA 1905 par E.-F. GAUTIER

E. F. Gautier — Sahara Algérien.

_Gravé par A. Simon, 8, r. du Val-de-Grâce, Paris._

LIBRAIRIE ARMAND COLIN, PARIS.

_Imp. Monrocq, Paris._]


[Illustration : ESQUISSE GÉOLOGIQUE DE LA RÉGION CARBONIFÈRE DU BÉCHAR.

(Figure extraite du _Bulletin de la Société pour l’encouragement
de l’Industrie nationale_, mars 1907.)]


[Illustration : CARTE TECTONIQUE

E. F. GAUTIER — Sahara Algérien.]


[Illustration : ESQUISSE GÉOLOGIQUE D’UNE PARTIE DE
=L’EXTRÊME-SUD-ALGÉRIEN= (OUED SAOURA, GOUARA, TOUAT) par E. F. GAUTIER

_Imp. Dufrénoy, Paris._]


[Illustration : ESSAI DE CARTE GÉOLOGIQUE DU =TIDIKELT= ET DU
=MOUIDIR-AHNET= PAR E. F. GAUTIER ET R. CHUDEAU

_Dessiné par F. Borremans — 5, rue Hautefeuille — PARIS._]




Note du transcripteur :


  Page 7, " sortir de Foum et Kheneg " a été remplacé par
  " Foum el Kheneg "

  Page 12, " les maadres sont parmi " a été remplacé par " maaders "

  Page 12, " à propros d’hydrographie " a été remplacé par " à propos "

  Page 22, " les deux itinaires " a été remplacé par " itinéraires "

  Page 24, " depuis Foum et Kheneg " a été remplacé par
  " Foum el Kheneg "

  Page 27, " (Voir pl. IV, phot. 81.) " a été remplacé par " phot. 8. "

  Page 78, fig. 6, ajouté " F " après " E E′ "

  Page 104, " (Pl. XVII, phot. 31.) " a été remplacé par " phot. 33. "

  Page 108, " et dans l’Air " a été remplacé par " l’Aïr "

  Page 126, " l’ouest du Trouat " a été remplacé par " Touat "

  Page 133, " nord-ouest (Zoufana) " a été remplacé par " Zousfana "

  Page 139, la référence absente à la note 112 a été placée après
  " 700 ou 800. ", dans le troisième paragraphe.

  Page 144, fig. 29, " m, p, d, mio-pliocène et quaternaire. " a été
  remplacé par " m, p, q, "

  Page 145, " et que de de loin on jugerait " a été remplacé par
  " que de loin "

  Page 150, fig. 34 " due à l’obligeauce " a été remplacé par
  " l’obligeance "

  Page 166, " ce sont actuellenent " a été remplacé par
  " actuellement "

  Page 170, " entre Guir el Zousfana " a été remplacé par
  " Guir et Zousfana "

  Page 210, " notes manuscristes " a été remplacé par " manuscrites "

  Page 214, " fragmentaires et iucohérents " a été remplacé par
  " incohérents "

  Page 236, " mouvents tectoniques " a été remplacé par " mouvements "

  Page 239, " au pemier abord " a été remplacé par " premier "

  Page 260, " amertune à l’état cru " a été remplacé par " amertume "

  Page 265, " la positon soiciale " a été remplacé par " sociale "

  Page 274, " viennent dn M’zab " a été remplacé par " du "

  Page 284, " encore plus ma connu " a été remplacé par " mal connu "

  Page 293, " Iglitten et Taksist (fig. 58) " a été remplacé par
  " fig. 59 "

  Page 298, " les horts siluriens " a été remplacé par " horsts "

  Page 300, " grand réseau quartenaire " a été remplacé par
  " quaternaire "

  Page 309, " absence oo leur insuffisance " a été remplacé par
  " ou leur "

  Page 315, fig. 61 " Mouïdir " a été remplacé par " Mouidir "
  (selon l’errata). Cela a été fait aussi pour la carte
  " ESSAI DE CARTE GÉOLOGIQUE... " hors texte.

  Page 317, " Les (gangas un gallinacé " a été remplacé par
  " Les gangas (un gallinacé "

  Page 326, " distribution, le le long des limites " a été remplacé
  par " distribution, le long "

  Page 335, " semblent naturellemen appelés " a été remplacé par
  " naturellement "

  Page 352, " =Quatrzites.= " a été remplacé par " =Quartzites.= "

  Page 353, " Ancune plaque mince " a été remplacé par " Aucune "

  De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe
  ont été apportés.

  Dans le tableau de l’APPENDICE IV (ORTHOGRAPHE DE QUELQUES NOMS
  TOUAREGS), les mots en tifinagh ont été transcrits avec des
  caractères tifinagh contemporains et écrits de gauche à droite.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MISSIONS AU SAHARA, TOME 1: SAHARA ALGÉRIEN ***


    

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to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

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