Décadence et grandeur

By Tristan Bernard

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Title: Décadence et grandeur

Author: Tristan Bernard

Release date: June 21, 2024 [eBook #73884]

Language: French

Original publication: Paris: Éditions des portiques, 1928

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DÉCADENCE ET GRANDEUR ***






  Décadence
  et
  Grandeur

  par
  TRISTAN BERNARD


  PARIS
  LES ÉDITIONS DES PORTIQUES
  144, Avenue des Champs Élysées




DU MÊME AUTEUR


Vient de paraître:

Le Voyage imprévu, _roman_ (chez Albin Michel).




IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE: VINGT EXEMPLAIRES SUR MADAGASCAR,
NUMÉROTÉS MADAGASCAR 1 A 20; SOIXANTE-DIX EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR FIL
LAFUMA, NUMÉROTÉS VÉLIN PUR FIL 21 A 90; ET TROIS CENTS EXEMPLAIRES SUR
ALFA SATINÉ OUTHENIN-CHALANDRE, NUMÉROTÉS ALFA 91 A 390.

MADAGASCAR

Nº


Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour
tous pays.

Copyright by «Éditions des Portiques» 1928.




Décadence et Grandeur




Jusqu’à présent, l’utilité des courses d’escargots n’a pas été reconnue
officiellement par les pouvoirs publics. On n’a jamais fait ressortir
l’intérêt--peut-être d’ailleurs inexistant--que nous avons à améliorer
cette race, au point de vue strict de la vitesse.

Mais ce côté utilitaire du sport est-il nécessaire à la satisfaction des
vrais sportifs? Et ne cherchent-ils pas simplement, dans la
contemplation des luttes du stade, des émotions sans cesse renouvelées?

Horace Planchet ne demandait aux courses d’escargots que de lui faire
trouver les heures moins longues dans le petit bureau que les
difficultés de la vie l’obligeaient à occuper, au troisième étage de la
banque Lenormand fils et Normand. Les rapports en souffrance qu’il était
chargé de copier n’auraient pas aussi bien rempli son temps... Et puis,
Horace, comme toutes les âmes nobles, avait le dégoût du travail payé.

Il abritait dans un tiroir quatre vigoureux escargots de Bourgogne,
d’origine absolument pure. Sur leurs coquilles, en belle écriture ronde,
l’employé de banque avait calligraphié des noms héroïques, pittoresques
ou familiers, selon le caractère apparent de l’individu. Il y avait là
Minotaure, Isaac, Bilatéral, et enfin Adolphe, le crack de l’écurie.

L’escargotodrome--que l’on excuse ce nom hybride--était constitué par
une grande feuille de papier ministre (don involontaire de la banque):
trois traits minutieusement tracés y délimitaient quatre pistes
spéciales. Horace, starter, juge au départ et à l’arrivée, commissaire
des courses, était armé d’une règle de bois léger et remettait dans le
droit chemin l’escargot fantaisiste qui s’égarait sur la piste du
voisin.

Il faut dire ce qui est et voir les choses en face: le bel essor qui,
dans ces vingt dernières années, a élevé vers le sport une partie de nos
concitoyens, a été loin d’être unanime. Il existe encore un grand nombre
d’esprits routiniers et chagrins «qui n’ont pas compris». De ce nombre
était M. Léonard Océan, fondé de pouvoir de la banque où travaillait le
jeune Horace Planchet.

Derrière la table-champ de courses de M. Planchet se trouvait une porte,
laquelle donnait accès au bureau de M. Léonard Océan: fâcheuse
disposition, qui permettait au fondé de pouvoir d’entrer en silence dans
le cabinet sportif de M. Planchet, sans que ce dernier, tout à ses
occupations passionnantes, pût s’apercevoir en temps utile de cette
déplorable intrusion.

Depuis quelques instants, M. Océan assistait en profane à la lutte
d’Adolphe et de Bilatéral. Horace, lui, était frémissant et tout anxieux
de savoir si Adolphe allait ternir par une défaite un record
ininterrompu de victoires. Aussi, M. Océan, par deux fois, et la seconde
avec une certaine vigueur, fut-il obligé de toucher l’épaule de
l’aficionado pour que celui-ci consentît à tourner la tête...

--Voulez-vous me suivre à la caisse? demanda M. Océan, avec la politesse
excessive d’un chef qui cesse tout à coup de compter un monsieur parmi
ses subordonnés.

A la caisse, on délivra à M. Planchet ses appointements du mois en
cours, plus une somme honorable et modérée, prévue dans son engagement
pour le cas de rupture.

                   *       *       *       *       *

Séparée d’un de ses éléments, la banque Lenormand fils et Normand, dans
son haut immeuble de pierres de taille, ne semblait pas avoir perdu un
atome de sa solidité. D’autre part, M. Horace Planchet, en s’éloignant
du quartier habituel de ses opérations, marchait d’un pas fort alerte,
l’esprit ragaillardi par le changement qui survenait dans sa vie et la
poche lestée de quatorze cents francs, dont on ne pouvait dire à la
vérité qu’ils ne devaient rien à personne, mais tout au moins qu’ils ne
régleraient pas plus de deux cent cinquante francs de créances, soit un
arriéré de pareille somme dû à la concierge-femme de ménage, chargée de
mettre en ordre la petite chambre meublée de M. Planchet.

Arrêté maintenant devant une affiche, M. Planchet en soupesait les
termes avec une certaine émotion.

Il y était question du casino de Bront-les-Eaux et d’une «Boule» qui
fonctionnait à partir du mois de mai.

Or l’on était en juin et M. Planchet, à ses fonctions d’organisateur de
courses d’escargots, joignait une autre spécialité, intéressante elle
aussi, de calculateur de systèmes pour le jeu de la boule. Son tiroir de
la banque, qu’il avait vidé après son passage à la caisse, outre les
quatre escargots de race pure et leurs feuilles de salade (le tout
remisé pour l’instant dans une poche de pantalon), avait contenu une
liasse épaisse de notes, calculs soigneusement vérifiés sur quinze mille
boules et qui avait permis d’établir un système extraordinaire, assurant
une rente de 768 (sept cent soixante-huit) francs par jour pour une
présence effective de neuf heures à la table de jeu.

Voilà pourquoi M. Océan, qui s’imaginait avoir brisé la carrière de ce
jeune homme de vingt-neuf ans, génie étiolé dans un bureau, l’avait en
réalité lancé sur le chemin du milliard.

M. Horace Planchet était, depuis l’âge de douze ans, orphelin de père et
de mère et recevait deux mille francs par an de M. Luc Planchet, son
oncle, un vieux célibataire qui possédait un grand nombre de fermes dans
l’État fort prospère de l’Uruguay. Les deux derniers billets reçus
avaient été employés, l’automne précédent, à régler quelques différences
de mines d’or et de pétrolifères.

Le versement prochain n’était attendu qu’en octobre, c’est-à-dire à une
époque où M. Planchet, enrichi par la boule, pourrait affecter ces deux
mille francs dérisoires à l’achat de quelque babiole.

Cependant le jeune Horace était arrivé sur le seuil de sa demeure. La
concierge était sur le pas de sa porte...

--Madame Jarru, je pars ce soir pour un voyage assez long. Il faudrait
faire ma valise.

--Le temps d’aller chercher mon lait et je suis à vous.

Horace monta à ses appartements, en empruntant l’ascenseur jusqu’au
sixième étage. A cette altitude, un petit escalier supplémentaire
grimpait rapidement jusqu’à un sommet plus élevé. La chambre de Planchet
n’était pas exagérément petite. Le plafond, à un moment donné,
s’inclinait avec grâce, ménageant l’ouverture d’une fenêtre qui n’était
pas tout à fait une fenêtre ni tout à fait une lucarne (Rostand aurait
fait là-dessus un joli poème). Planchet, en attendant la concierge,
jugea qu’il fallait accorder quelques instants à la méditation. Il
s’étendit sur son lit, après avoir soigneusement retiré sa plus belle
(et sa plus vilaine) jaquette, qu’il déposa sur une chaise. Puis il
ferma les yeux pour mieux rassembler et concentrer ses idées.

Il lui resterait, son voyage et les plus criardes de ses dettes payées,
environ mille francs. De cette somme, il ferait quatre parts égales...
quatre parts... de deux cent cinquante... deux cent cinquante... Il
descendait dans un hôtel simple... un peu champêtre... oui... sur le
bord de cette route... hôtel champêtre... un grand pré... verdure...
eau... Puis il glissait sur cette eau jusqu’à une ville arabe hérissée
de tours...

Mme Jarru qui entrait, après avoir frappé deux fois sans obtenir de
réponse, avait le respect du repos d’autrui, et même du repos diurne...
(quand on est la femme d’un gardien de la paix, qui a parfois un service
de nuit...). Aussi, la lettre du courrier de trois heures, qu’elle
tenait à la main, l’inséra-t-elle doucement dans une poche de la
jaquette, puis commença à préparer la valise, en envoyant de temps en
temps un coup d’œil maternel au jeune allongé et sans remarquer que de
la poche du pantalon s’évadaient, un, puis deux, puis trois escargots,
avides d’air et de lumière.




Ce n’était pas un sentiment d’économie qui avait décidé M. Planchet à
prendre un billet de troisième classe. Mais il fallait consacrer le plus
de capitaux possible à la mise en œuvre du système de boule.

D’ailleurs, quand les voitures de toute classe sont bondées, comme il
arrivait cet après-midi de samedi, on est aussi bien dans un couloir de
troisièmes que dans un couloir de premières. Les ressorts des wagons
neufs sont toujours excellents. En troisième, on a même l’avantage
d’être mieux calé, mieux protégé contre les cahots par des voyageurs
plus étroitement compressés. A cet égard, la situation de M. Planchet
était idéale: il avait à sa droite une dame dans la force de l’âge,
magnifiquement proéminente, et, à sa gauche, un homme en casquette, bien
obèse lui aussi, et qui poussait toutes les minutes le rugissement
pacifique du cracheur. Comme toutes les personnes dont le larynx est
constamment embarrassé, ce gros homme avait les yeux pleins de rêve.

Le train partait à dix-sept heures. Il devait parvenir à Bront-les-Eaux
à vingt et une heures et «ne comportait pas» de wagon-restaurant. M.
Planchet, qui adorait manger en chemin de fer, avait emporté un sandwich
à la langue et deux tablettes de chocolat. Il comptait consommer le tout
vers l’heure du dîner. Mais les dernières usines de la banlieue étaient
à peine atteintes qu’il avait déjà entamé son repas. C’était un garçon
d’appétit robuste et qui ne pouvait rester très longtemps à portée d’un
sandwich à la langue.

Les vivres une fois épuisés, il fallut bien, pour s’occuper, guetter les
kilomètres au passage, afin de chronométrer la vitesse du train, sans
montre à secondes d’ailleurs, mais en comptant les secondes par un
mouvement cadencé des dents du bas choquées doucement contre les dents
du haut. Malheureusement, beaucoup de poteaux kilométriques vous
échappent, soit qu’ils se cachent au passage, ou qu’un imbécile convoi
de marchandises vienne croiser votre train au moment qu’il ne faut pas.

Apercevoir au vol les noms des petites gares, que brûlent les express,
il vaut mieux ne pas y songer; ces petites stations se vengent d’être
dédaignées en gardant un jaloux incognito.

Vers sept heures du soir, le sandwich à la langue et le chocolat ayant
été digérés rapidement par l’effet de la position verticale, le voyageur
trouva un nouveau sujet de distraction dans les affres de la faim. Or,
comme nous l’avons dit (page 17 de l’indicateur, note 24), il n’y avait
pas de wagon-restaurant dans le train 71, et ce rapide ne s’arrêtait pas
avant Bront-les-Eaux... La Providence, heureusement, veillait: un petit
tamponnement s’était produit, un quart d’heure avant le passage du
train, dans une gare d’importance moyenne. Le fier rapide put stopper
dans cette station indigne de lui, et M. Planchet put se restaurer avec
un âcre bock et deux poudreuses brioches de la veille. Il ne goûta aucun
plaisir à cette hâtive collation, non à cause de la qualité médiocre des
victuailles, mais parce qu’il ne songeait qu’à ce funeste retard, qui le
ferait arriver à Bront-les-Eaux après la fermeture du Casino et de la
boule.

C’est ce qui se passa, en effet. Il était minuit cinq quand ils
entrèrent en gare de Bront. Une lune narquoise éclairait leur
déconvenue.

L’hôtel, repéré dans l’après-midi par Planchet sur un guide du pays, se
trouvait à huit cents mètres de la station. La plupart des porteurs
étaient allés vers un lit bien gagné. Il ne restait sur les quais que
deux octogénaires qui n’avaient pas besoin de sommeil et dont l’aide fut
d’ailleurs accaparée par des voyageurs plus diligents. Aucun omnibus, au
nom de l’hôtel du Berri n’attendait devant la gare. Planchet, une valise
à la main, s’en alla le long d’une allée bordée d’arbres. De temps en
temps, il posait sa mallette à terre, s’asseyait dessus et jouissait mal
de la pureté du soir.




On lisait bien sur la façade: Hôtel du Berri, mais toutes les fenêtres
étaient fermées, et la porte d’entrée paraissait close pour l’éternité.
Planchet sonna une demi-douzaine de fois. Il comptait jusqu’à trente et
resonnait à nouveau, décidé à sonner toute la nuit, faute d’occupations.
Aussi, fait à cette idée, fut-il très surpris et presque déçu lorsque la
porte remua, doucement entre-bâillée, et qu’il aperçut devant lui un
somnambule grisonnant qui tenait un bougeoir à la main. Planchet, de
Paris, avait fait téléphoner pour retenir une chambre. C’est ce qu’il
expliqua au somnambule, qui semblait ignorer toutes les langues
terrestres. Cependant, par une sorte de miracle, cet homme âgé le
conduisit sans hésiter au deuxième étage, par un escalier assez vaste.
M. Planchet eut le temps d’apercevoir un ascenseur qui dormait dans sa
cage.

La chambre où le jeune homme pénétra, à la suite de son guide, était de
fort belles dimensions. Le bougeoir du veilleur y remuait de grandes
ombres. Une lampe électrique s’alluma au plafond, puis sauta à la tête
du lit. L’homme de nuit avait disparu sans mot dire.

La plus stricte et la moins accueillante chambre d’hôtel ne cause aucune
impression de détresse à un homme tout près de réaliser une fortune
colossale. Planchet ne ressentait qu’une vive impatience d’être au
lendemain. Il se disait que la nuit serait interminable et qu’il ne
pourrait fermer l’œil. A peine au lit, il plongea dans un sommeil
profond.




Le casino de Bront-les-Eaux est de construction récente. Il a été édifié
par une Société parisienne, entraînée par un architecte ardent qui
aimait son métier et qui, de concert avec des entrepreneurs avides de
travail, fit sortir de terre, dans ce pays en friche, une trentaine de
villas.

Ces villas furent louées à des actionnaires de la Société thermale,
désireux d’augmenter le contingent des baigneurs, puis à des étrangers,
dont quelques-uns avaient traversé les mers sur la foi d’un article de
journal signé d’un docteur inconnu, mais dont le nom, une fois imprimé,
avait pris une autorité subite. Peu à peu, autour du noyau primitif,
s’étaient agrégés des amateurs de golf, de tennis et des jeunes filles,
qui ne s’étaient pas vouées à un célibat éternel. La venue, d’ailleurs
inopinée, d’un maharadjah avait consacré la station.

Le Casino, sous prétexte de style moderne, montrait des murs blanchis à
la chaux et sans coûteuses pâtisseries. M. Planchet, en y pénétrant, ne
se souciait en aucune mesure des ornements architecturaux. Il obtint
facilement une carte de quinze jours et courut à la boule. Il lui
semblait que chaque minute de retard était dérobée à la vie heureuse et
riche qu’il allait mener sous peu de jours.

Nous pouvons révéler maintenant en quoi consistait le système de M.
Planchet. L’inventeur ne nous en voudra pas, car, pour diverses raisons
que la suite des événements éclairera sans doute, il est peu probable
qu’il tienne à s’en réserver le monopole.

On attend la sortie de dix numéros que l’on note dans l’ordre. Puis on
pose une mise sur chacun des deux numéros le plus fréquemment sortis. On
mise d’abord un franc, puis deux francs, puis six francs, puis un louis.

Les premiers résultats furent très honorables.

M. Planchet, avant le déjeuner, avait encaissé un bénéfice de cent
dix-sept francs. Ce n’étaient pas encore les millions annoncés à
l’extérieur, mais le maximum de mise est si faible à la boule! M.
Planchet envisagea la possibilité d’engager des hommes de confiance, au
nombre de dix ou douze, et qui joueraient tous son système, selon ses
indications. Mais l’administration remarquerait peut-être ces dix ou
douze personnes jouant un jeu identique et l’on prierait sans doute M.
Planchet et sa bande d’aller opérer ailleurs. Qu’importait? M. Planchet
aurait à ce moment des fonds considérables et il irait travailler à
Monte-Carlo...

En tout cas, ces hommes de confiance ne pouvaient se trouver d’un
instant à l’autre dans cette petite localité de Bront. L’après-midi, M.
Planchet se contenterait de bénéfices minimes, comme il avait fait le
matin. Peut-être, comme il jouerait plus longtemps, arriverait-il à
ramasser un pauvre billet de mille francs. En tout cas, il ne fallait
pas considérer cet après-midi d’attente comme une séance d’affaires,
mais comme quelques heures de distraction.

Le coup de perte, qui, selon les calculs de M. Planchet, ne pouvait se
produire qu’une fois sur douze cents séances de jeu, par un de ces
méchants caprices du Destin, complètement imprévisibles, arriva
précisément ce jour-là. L’après-midi, qui pouvait rapporter mille francs
à peine, coûta à peu près cette somme, c’est-à-dire le saint-frusquin de
M. Planchet. Le billet de cinquante francs qu’il pouvait devoir à
l’hôtel, et qu’il avait mis de côté dans une petite poche, fut employé
comme la garde, à Waterloo, et subit un sort analogue.

M. Planchet avait tout de même encore cinq francs sur lui quand il
sortit du Casino; ce qui indique qu’il n’était pas le pire joueur de la
terre. Sur les bancs de la place se trouvaient une douzaine de petits
bourgeois à mine honnête: tout à fait les hommes de confiance dont il
avait été jadis question.

M. Planchet entra dans le bureau de poste comme un homme sûr de ses
décisions et rédigea une dépêche à l’adresse de M. Luc Planchet,
Montevideo. Il demandait simplement dix mille francs par mandat
télégraphique. L’affaire était sûre maintenant: le coup de perte qui
venait de se produire ne se reverrait sûrement pas avant deux mille
séances et la fortune de M. Planchet, d’ici là, serait édifiée.

Il n’y a rien de plus absurde que les tarifs télégraphiques. Il semble
bien que, plus le destinataire de la dépêche habite loin, plus l’appel
qu’on lui adresse indique un besoin urgent et doive émaner d’une
personne embarrassée dans ses finances, mettons simplement fauchée. Or,
c’est à ce moment que l’employé du guichet émet des prétentions
injustifiables, comme de réclamer deux cent vingt francs à un monsieur
qui dispose en tout et pour tout d’une thune en papier, pas trop
défraîchie d’ailleurs.

Le pont de Bront surmonte d’une centaine de pieds le lit mal rembourré
d’un pauvre petit sous-affluent rural, qui veut bien traverser la ville
parce que la géographie l’exige ainsi, mais qui aimerait autant borner à
une campagne déserte un cours sans aucune prétention.

Surtout cette rivière modeste ne tient nullement à la célébrité que lui
donnerait un journal local, si elle recevait inopinément, du haut du
pont, un monsieur dégoûté de la vie, qu’elle ne serait même pas capable
de noyer dans ses eaux indigentes, bonnes tout au plus à étancher les
blessures produites par les pierres du fond.

D’ailleurs, aucun événement de ce genre ne devait être enregistré ce
jour-là par le _Réveil de Bront-les-Eaux_. M. Planchet s’était bien
assis sur le parapet. Il avait bien introduit entre ses dents le canon
d’un browning chargé qu’il avait pris pour son voyage (et maintenant
pour le grand voyage). Mais, rebuté par le froid de l’arme,
avant-coureur du froid de la mort, il avait jeté son revolver dans la
rivière, sans réfléchir que cet objet meurtrier peut, à l’occasion,
aider un homme à vivre, si on l’échange contre quelques dollars.

M. Planchet quitta définitivement le parapet pour le trottoir. La
hauteur du pont l’impressionnait et il n’eût affronté la chute qu’après
s’être un peu brouillé l’esprit par une balle de revolver...

Au coin du quai et de la grande rue, un pharmacien exposait un carton
rouge, où se dévoilait généreusement, en lettres blanches, le nom d’un
nouveau produit: l’Écrasol. Il promettait une nuit de douze heures
pleines aux personnes nerveuses qui useraient de ses pilules. M.
Planchet pensa que c’était une affaire pour lui. Il se procura une boîte
de cette drogue qui ne coûtait que trois francs... Le temps était beau.
Il se dit qu’il dormirait très bien dans quelque pré moelleusement
capitonné des environs.

M. Planchet était tellement impatient d’oublier les casinos, les
intolérables mécomptes du calcul des probabilités, l’éloignement absurde
de l’Uruguay et le souci de la côtelette quotidienne, qu’il ouvrit la
boîte tout de suite et, au lieu de la pilule indiquée, en avala d’un
seul coup une demi-douzaine. Le sommeil ne le terrassa pas
instantanément, mais il lui sembla qu’il était «groggy», comme un boxeur
qui vient de prendre un bon coup sur le tournant de la figure. S’il eût
été de sang-froid, aurait-il eu le «culot» de pénétrer dans ce garage,
vide d’ailleurs à cette minute?

Une merveilleuse six-cylindres, carrossée en limousine, se trouvait sous
le hall en compagnie d’autos plus ordinaires. M. Planchet, qui n’était
pas regardant, alla droit à cette voiture imposante et ouvrit carrément
la portière... Il y avait dans le fond un amas de couvertures et de
fourrures. M. Planchet s’étendit sur la banquette, mit sous sa tête
fragile un petit coussin pneumatique, se recouvrit complètement avec les
riches pelisses et se laissa aller, pour un temps indéterminé, aux
bienfaits de «l’Écrasol».




Huit heures du matin. La scène se passe devant le garage. M. et Mme
Gradimbourg, les gros usiniers de Belfort, sont en train d’interroger le
ciel, qui ne leur répond rien de catégorique. Ils sont en costumes de
voyage et Mme Gradimbourg a confié au mécanicien une petite cage,
cottage de deux serins.

Ayant suffisamment contemplé la nue, M. et Mme Gradimbourg se regardent
maintenant l’un l’autre.

--Oui, dit M. Gradimbourg, la sagesse, la vraie sagesse serait d’envoyer
Célestin tout seul par la route, pendant que nous prendrions le train...

--Comme tu voudras, dit Mme Gradimbourg.

--C’est comme tu préfères, dit son mari.

Voilà bientôt quarante-cinq ans que des liens conjugaux les unissent.
Elle a toujours dit: «Comme tu voudras», et lui: «Comme tu préfères», et
ça s’est toujours d’autant mieux arrangé entre eux qu’il n’a jamais
voulu grand’chose, et qu’elle n’a jamais préféré rien.

Célestin reçoit des instructions précises: il mettra la cage d’oiseaux
dans la limousine et prendra tout de suite la route pour couvrir les
quatre cent cinquante kilomètres qui le séparent de la Prunière, la
magnifique propriété habitée par M. et Mme Gradimbourg aux environs de
Belfort.

Célestin n’est pas de bonne humeur. Est-ce un ennui pour lui de voyager
sans ses patrons, à qui ne le rive aucun lien de sympathie? La vérité
est que Célestin, de parti pris, est toujours mécontent de ce qu’on lui
propose. C’est un esprit indépendant qui n’aime pas à voir modifier par
autrui les étapes de sa destinée.

Il ouvre la portière de la voiture, dépose sans précaution la cage
d’oiseaux sur le tas de couvertures, sans même remarquer que ce tas est
plus élevé qu’à l’ordinaire. Puis il va régler les frais du garage,
distribue à droite et à gauche quelques regards de civilité hostile,
s’installe au volant et part, démarrant du siège.

Notons cependant qu’après avoir refermé la portière, il a donné un tour
de clé, de sorte que Planchet, endormi, commence à vivre, pour un temps
qu’il faut espérer moins long, l’existence du fameux Latude.

... Célestin est parti à bonne allure. Filer en quatrième endort un peu,
sans la supprimer, cette mauvaise humeur où il se complaît
hargneusement. Il marche tant qu’il peut, n’ayant plus, pour le freiner,
la voix apeurée de madame qui trouve toujours le train trop rapide.

Ce chauffeur n’est ni un gourmand, ni un buveur. On dirait que, dans sa
haine générale du genre humain, il évite de s’excepter lui-même, et
qu’il refuse avec rage de s’accorder de petites douceurs. C’est donc
simplement parce que la douzième heure du jour coïncide avec son passage
devant une auberge rustique que Célestin arrête sa vingt-quatre chevaux
au bord de la route... Il met pied à terre et se dirige vers la
nourriture.

A ce moment, M. Planchet dormait depuis seize heures d’horloge, et
c’était pour «l’Écrasol», même pris à la dose inusitée et très exagérée
de six pilules, un admirable testimonial d’efficacité.

Célestin était donc installé à une table, à l’intérieur de l’auberge,
quand, dans l’auto, le tas de couvertures se souleva, la cage d’oiseaux
glissa à terre et une tête hagarde apparut, telle Anadyomène, au-dessus
des flots agités.

M. Planchet se trouvait, sans instrument pour faire le point, dans une
région complètement inconnue. S’il avait été capable d’associer à ce
moment deux idées, il se fût demandé pourquoi il était dans une si belle
voiture et se fût peut-être imaginé une minute que, grâce à son système
de la boule, il avait ramené assez d’argent pour se rendre acquéreur de
cette 24 HP.

Mais M. Planchet ne pensait à rien. Il était là comme un épagneul tombé
d’un avion et n’éprouvait que l’impression d’une soif considérable,
prête à s’étancher à tout prix.

Le génie de l’instinct lui fit aviser un brin de paille qui sortait
d’une bourriche. Ce brin de paille constituait un excellent chalumeau
et, comme la cage comportait un petit réservoir d’eau, M. Planchet se
désaltéra légèrement, aux dépens des canaris. A la première gorgée, il
s’aperçut que cette eau était loin d’être pure et borna là son
indiscrétion. D’autant, pensait-il, qu’il trouverait bien dans le pays
quelque frais ruisseau. C’est pour commencer cette recherche qu’il se
disposa à quitter la voiture...




Or, tandis que M. Planchet faisait des efforts infructueux pour ouvrir
la portière, M. Célestin ayant déjeuné, sortait de l’auberge... Et voilà
pourquoi M. Planchet, toujours occupé à essayer d’ouvrir la porte, vit
devant lui, pour la seconde fois depuis vingt-quatre heures, la petite
gueule sombre d’un browning.

Ce browning-là, aux mains d’un autre, paraissait infiniment plus
dangereux que le sien. Heureusement, M. Planchet connaissait ce
demi-mouvement de gymnastique suédoise qui consiste à lever les bras le
plus haut possible et qui est excellent, dans certaines circonstances
tragiques, pour conserver sa vie et sa santé.




On croirait volontiers que des gens réputés «pas commodes», du type du
chauffeur Célestin, vont se montrer particulièrement terribles quand un
grave incident vient leur en fournir l’occasion. Célestin trouvait dans
sa voiture un individu mystérieux, qu’il avait tout lieu de prendre pour
un malfaiteur. C’était pour lui, semblait-il, un bon prétexte pour
assouvir sa continuelle rancune contre son prochain. Eh bien! il en fut
tout autrement. Au contraire, le rogue Célestin se montra satisfait de
voir le genre humain lui donner raison en s’avérant franchement
criminel, et il fut sans doute reconnaissant à Planchet de lui fournir
une bonne justification de sa farouche misanthropie.

Sans bouger, sans baisser le canon de son arme, il héla d’une voix forte
et grave le patron de l’auberge, qui s’avança sans empressement, suivi à
peu de distance d’une jeune fille plus intrépide et plus curieuse, qui
dépassa bientôt son père et vint coller son nez à cette vitre même
derrière laquelle M. Planchet semblait lever les bras au ciel à
perpétuité.

--Vous approchez tout de même pas trop de ce malandrin, dit Célestin à
la jeune fille, que la vue de M. Planchet n’arrivait pas à terroriser...
Toi, l’andouille, dit presque jovialement le mécano à l’aubergiste, va
me quérir une bonne corde à fourrage. Nous allons ficeler ce gaillard-là
pour qu’il reste un peu tranquille.

Pendant que l’aubergiste exécutait ses ordres, Célestin ouvrait la
portière et, le revolver toujours braqué, procédait à un premier
interrogatoire.

--Dis-moi d’abord comment qu’t’es entré là-dedans?

--Je n’en sais rien, dit Planchet, rattrapant ses esprits avec peine,
comme on tâche de mettre la main sur des poussins égaillés... Je suis
entré dans le garage, là-bas... dans un pays qui s’appelle... qui
s’appelle... Bront-les-Eaux.

--Je comprends que je le connais, dit avec autorité le magistrat
enquêteur... Ah! je vois ça, je vois ça! Tu t’es insinué dans ma
voiture, et comme ça, en pleine route, par derrière, tu m’aurais fait
mon affaire... Pour cette fois, j’ai le regret de te dire que c’est
manqué...

Cependant l’aubergiste était revenu avec une longue corde.

Sous l’œil amusé d’abord, puis un peu apitoyé de la jeune fille, le
voyageur de l’auto passa bientôt à l’état de colis ficelé pour
l’exportation. Ensuite, Célestin continuant à diriger la manœuvre, le
prisonnier de guerre fut transporté dans une grange. Faute de paille
humide, on l’étendit sur de la paille fraîche. D’ailleurs, d’après la
loi française, et quel que fût le poids des charges qui l’accablaient,
il n’était encore qu’un simple prévenu.

On aurait bien emmené M. Planchet en auto à la ville voisine pour
l’offrir aux autorités locales. Mais--soit hasard étrange, soit
maléfice--deux pneus se trouvèrent crevés en même temps, et Célestin
n’avait qu’une roue de rechange (tout simplement parce que son patron
lui demandait constamment d’en avoir deux). Le chauffeur partit donc à
pied avec l’aubergiste. Planchet resta dans sa grange, sous la garde de
Catherine, en faction en dehors devant la lucarne et qui, armée d’une
faux, semblait la fille du père Temps lui-même.




Le prisonnier n’avait pas encore ses idées bien en ordre. Il ne savait
pas au juste ce qu’il y avait de réel dans tous ces événements.
L’apparition, à la lucarne, d’une fraîche et pas du tout méchante petite
figure ronde prit place comme un épisode agréable dans cette succession
de songes. Pendant quelques instants, le malfaiteur et sa gardienne
s’examinèrent en silence.

--Je ne suis pas un criminel, dit Planchet au bout d’un instant.

Pourquoi disait-il cela, qui ne répondait à aucune phrase exprimée? Il
se trouva qu’il avait bien rencontré la pensée de la vierge à la faux.

Bien qu’elle n’eût rien répondu à cette protestation, Planchet ne douta
pas qu’elle fût tout à fait d’accord, à ce point qu’elle jugea même
inutile, en répondant, d’affirmer sa foi dans l’innocence du prévenu.
Les êtres simples, souvent, voient juste et rapide, et la complication
d’un Sherlock Holmes est souvent en défaut devant des problèmes que
résout en un instant l’instinct lumineux d’une petite campagnarde.

Donc, l’instruction de l’affaire Planchet, faite en un clin d’œil par
Catherine, aboutit à un non-lieu. Il fallut à peine une demi-minute à
cette improvisatrice pour concevoir un plan d’évasion et pour passer
sans mot dire à l’exécution de son projet... Elle se rangea le long du
mur, de façon à introduire la pointe de sa faux dans la lucarne. Puis,
toujours tenant le bout du manche, elle s’éloigna de la muraille de
façon à faire passer le coude métallique entre deux barreaux. Il ne
restait plus ensuite qu’à s’avancer en droite ligne contre la lucarne,
pendant que la faux entrait carrément dans la grange.

--Voilà, dit Catherine. Il s’agit de ne pas perdre de temps. La
gendarmerie est à deux lieues d’ici. Laissez-moi passer le bout de la
faux entre la corde et votre dos. Vous allez m’aider un peu, en remuant,
parce que, de la lucarne, c’est pas trop aisé à scier la corde. Sans
compter qu’il va falloir la couper en deux endroits, d’après la façon
qu’il vous a ficelé.

Cette corde était plutôt neuve, et la faux ne coupait pas admirablement
(on la sortait un peu de sa spécialité). Il fallut un bon quart d’heure
pour déficeler M. Planchet. Une fois le travail fini, Catherine ne
songea pas à se reposer, bien qu’elle eût trimé dur...

--Sous le foin, près du coffre, il y a une clef de rechange... Vous
l’avez trouvée? Montrez? Oui, c’est ça. Ouvrez la porte maintenant.

Catherine avait déjà fait le tour du bâtiment quand Planchet ouvrit la
porte. Il vit la jeune fille sur le seuil, inondée de lumière, allégorie
de la Liberté.

--Maintenant il faut partir.

Mais depuis que M. Planchet était redevenu un homme libre, toutes sortes
de raisonnements civilisés s’étaient réinstallés dans sa tête mondaine.

--Il faut que je parte? Très bien. Et que va-t-on vous dire à vous qui
m’avez laissé échapper?

--Ils me diront ben c’qui voudront.

Ce n’était pas une réponse. En tout cas, elle n’était pas suffisante
pour le généreux M. Planchet, dont la bonne nature ne pouvait être
qu’attendrie par l’acte de dévouement qu’il avait vu s’accomplir en son
honneur.

--Si c’est comme ça, dit-il, je ne m’en vais pas...

Elle le regarda, un peu surprise.

--Ou alors, comme je ne veux pas qu’ils vous fassent des ennuis, vous
allez partir avec moi!

--Oh! fit-elle...

Elle ajouta à voix basse:

--C’est quéque chose... c’est quéque chose...

--Faut se décider, dit M. Planchet.

--Qu’est-ce que va dire le père de ne plus me voir ici!

--Et si les gendarmes vous emmènent? D’abord, ils ne vous emmèneront
pas. C’est moi qu’ils emmèneront, car, si vous ne voulez pas me suivre,
je resterai là à vous attendre.

--Alors faut s’en aller, dit-elle.

Elle monta dans sa chambre, ouvrit des tiroirs, fit un paquet. Même à la
campagne, une jeune fille bien innocente ne s’en va pas de chez elle
sans emporter quelques petites choses avec soi.

Une fois descendue, un cabas à la main:

--On ne suivra pas bêtement la grand’route, dit-elle. On prendra le
sentier jusqu’à la rivière, et ensuite le bord de l’eau.

C’était la première fois que Catherine se sauvait de chez elle. Mais on
aurait cru qu’elle n’avait fait que ça de toute sa vie. M. Planchet ne
s’étonna que plus tard qu’elle eût abandonné avec si peu de difficultés
le domicile paternel. Plus tard aussi, quand il connut mieux le
tempérament primesautier de Catherine, et le peu d’agrément de la
société de l’aubergiste, il s’expliqua mieux la fugue de la petite
campagnarde. Il apprit aussi, par la suite, que Catherine avait perdu sa
mère étant toute jeune... Pour le moment, ils ne se racontaient pas
encore leurs histoires de famille. Il faut bien garder quelque chose
pour les longues soirées d’hiver.

La rivière, qui n’était pas poursuivie par les gendarmes, s’en allait en
peinarde dans la campagne, avec des détours. Elle savait qu’elle
arriverait fatalement à son confluent... Au fond, c’était plus adroit
pour les fugitifs de l’accompagner dans sa promenade paresseuse, au lieu
de suivre une ligne à peu près droite où les criminels, et les gendarmes
derrière eux, ont des tendances à se précipiter. D’autre part, la rive
était bien couverte. A trente pas, on ne voyait pas si elle était
déserte ou fréquentée.

Ils marchèrent ainsi pendant une bonne demi-lieue, Catherine parfaite
d’insouciance, et M. Horace Planchet gagné, lui aussi, par cet air de
souveraine sécurité. Ils aperçurent, à un coude de la rivière, un grand
pont suspendu.

--Ça, dit Catherine, la route qui passe sur le pont, c’est une autre
grand’route.

Un petit sentier, un peu avant le pont, lâchait espièglement la berge et
s’en allait rejoindre le grand chemin, en grimpant en oblique sur le
talus herbu. Ils firent comme lui. Arrivés au pont, ils virent un arbre
qui les attendait depuis quelque temps déjà. Ils s’assirent à l’ombre
complaisante qu’il étendait autour de son pied.

--C’est le moment de manger, dit posément Catherine.

... Manger quoi? se demandait Planchet.

Mais, de son cabas, elle sortait tranquillement une demi-miche de pain
bis et un fromage, enveloppé dans des feuilles.

«Comme elle me complète bien! pensait Horace Planchet. A moi, le génie
des grandes affaires. A elle, le sens pratique pour les petites
nécessités de la vie.»

La fête n’était pas encore finie. On vit sortir du cabas un aimable
litre, rempli d’un vin blanc du pays, très facile à boire.

Comme leur repas était terminé, ils virent arriver tout à point un
magnifique «poids lourd», un camion chargé de sacs de farine. Le gros
garçon qui le conduisait s’était arrêté tout près d’eux pour vérifier
son moteur.

Il regarda les voyageurs, qui reprenaient leur route à pied. Un au moins
des éléments du couple lui sembla sympathique.

--Par où c’est que vous allez? demanda-t-il à Catherine.

--Par là, dit nettement la fille de l’aubergiste, en indiquant la
direction que le camion allait suivre.

--Moi, dit le gros garçon, je vais jusqu’aux entrepôts, le grand
bâtiment qui se trouve à la Patte-d’Oie, un peu avant Belfort. Ça fait
toujours douze kilomètres en moins pour vos petites jambes. Vous
descendrez avant la maison, parce que, vous savez, ce n’est pas mon
service d’emmener des voyageurs, même _gratis pro Deo_. J’aimerais pas
que le secrétaire il vienne me faire une observation.

Ils prirent tous place sur le large siège, et le camion reprit sa
marche. Il ne s’en allait pas à une allure de circuit, et il n’était pas
question de battre des records. Mais il avançait tout de même. On venait
à bout de tous les piétons, et l’on dépassa même un curé à bicyclette,
plus très jeune il est vrai.

La conversation du conducteur n’était pas précisément un feu roulant.
Ils manquaient tous trois de relations communes, sur qui on aurait pu
clabauder. Les grandes questions de politique extérieure, toujours
pendantes, ne comptaient pas sur eux pour être résolues.

--La route est bonne, finit par dire le conducteur. Ils l’ont refaite
l’automne dernier. Mais, avec ce qui passe ici de voitures de charge, et
les pluies et l’hiver en supplément, la saison prochaine on recommencera
à cahoter. Sans compter que les usines d’autos du pays, ça envoie ici
des châssis en essais. Les gaillards qui sont au volant se débinent
comme de vrais sauvages, pour faire rendre tant que ça peut à la
bagnole. Les cailloux sautent en l’air quand ils passent. Je me demande
si c’est fameux pour l’entretien.

En somme, il en avait assez dit, et ces considérations dont il régalait
ses auditeurs, jointes à ce trimbalage à l’œil, tout cela suffisait
amplement à attester sa sociabilité.

De la Patte-d’Oie à la ville, où se rendaient Planchet et Catherine,
comme ils seraient allés autre part, il y avait encore une heure de
marche. Depuis pas mal de temps, leur déjeuner était bien descendu...
Or, le cabas d’osier ne contenait plus que du linge, une paire de
bottines, un peigne et une brosse, objets d’une faible comestibilité. La
bouteille, complètement à sec, aurait pu être promenée à la main, sans
crainte de procès-verbal, en pleine rue de New-York, Chicago, ou de
telle autre ville de l’Amérique dry.




O surprise! Une vache, une vraie vache, là-bas, à l’ombre, derrière ce
buisson! Un bout de corde attache la bête à une racine. La personne qui
accompagne dans le monde cette notabilité bovine s’est éloignée on ne
sait où...

Traire les vaches, c’est du rayon de Catherine, et ça ne regarde pas la
direction des grandes affaires (chef de service: M. Horace Planchet). Le
litre en main, agenouillée auprès de la généreuse ruminante, Catherine
voit avec satisfaction le blanc niveau s’élever dans la bouteille.

Ce lait est une pure merveille. Ils se passent la bouteille et boivent à
la régalade, chacun sa gorgée: distribution équitable et polie, sans
sacrifice de part ni d’autre.

Cependant, cet excellent lait une fois bu, M. Planchet s’avise qu’il
faudrait le payer. Il a encore sur lui deux francs.

Mais où est la caisse? Le vacher ou la vachère restent invisibles... M.
Planchet pourrait déposer à terre, à côté de la bête passive, sa pièce
de quarante sous. Hélas! c’est toute sa fortune... D’autre part, il ne
s’est jamais, au cours d’une existence parfois difficile, rendu coupable
du délit de grivèlerie... Bien sûr, il doit à l’hôtel de Bront-les-Eaux
une quarantaine de francs... Mais, tôt ou tard, il trouvera moyen de
régler cette petite dette, que divers cas de force majeure l’ont empêché
d’acquitter.

--Il faut tout de même payer ce lait, répète-t-il, à l’étonnement de
Catherine...

En fouillant à nouveau dans son gousset, il sent un petit morceau de
papier roulé... C’est un timbre... Un timbre-poste de vingt-cinq
centimes... Sans hésiter, il le colle sur le flanc de la vache. Puis il
s’éloigne, la conscience tranquille, suivi de Catherine qui n’en revient
pas...

C’est à compter de ce moment que la jeune campagnarde commence à le
regarder avec respect, comme un individu d’une autre condition, un
monsieur peut-être, enfin un être pourvu de scrupules de luxe...

Mais cette déférence muette de Catherine n’augmente en aucune façon la
situation matérielle de M. Planchet. Quand ils font leur entrée dans
Belfort, le patrimoine dudit Horace ne s’est pas accru d’un centime. Par
exemple, l’appétit de ces deux jeunes gens ne s’atténue pas... Le jeton
de deux francs est entamé pour acheter du pain et du fromage, qu’ils
vont manger sur un banc d’une promenade publique, réfectoire sans
tralala, qui menace, sauf variation subite de la fortune, de devenir
également leur chambre à coucher.




M. Planchet, même dans la belle saison, n’avait jamais aimé dormir sur
un banc. Il proposa donc à Catherine la combinaison de camping qui lui
avait déjà réussi une fois et qui lui avait valu indirectement
l’avantage de faire la connaissance de la jeune fille. Il s’agissait de
trouver dans Belfort un garage bien achalandé... Bien achalandé? Pour
les touristes du genre de M. Planchet, les garages bien achalandés ont
ce désavantage d’être troublés par des allées et venues qui empêchent la
clientèle non payante de profiter de l’hospitalité des limousines... Ils
passèrent discrètement devant trois garages, mais chaque fois ils eurent
l’ennui d’y voir des intrus en train qui de laver des voitures, qui de
remonter des pneus, qui de se livrer à d’oiseuses conversations qu’ils
auraient bien pu continuer chez le bistro voisin. De garage en garage,
le hasard de leurs recherches les amena sur la place de la station.
Planchet, qui avait son idée, entraîna sa compagne vers les salles
d’attente. Mais, dans cette gare vigilante, un employé, inflexible
d’apparence, se tenait sur le seuil et ne laissait entrer dans les
salles que les voyageurs munis de billets.

Si les salles d’attente étaient bien défendues, il n’en était pas de
même de la consigne des bagages, où M. Planchet avait jeté un regard
explorant. Il vit contre le mur un tas de sacs qui lui parurent
moelleux. Le tas semblait décroître en se rapprochant du mur. Il y avait
un endroit sans doute où l’on pouvait se glisser entre le mur et le
sommet du tas: ce dernier formerait ainsi une sorte de parapet qui vous
masquait à la vue (M. Planchet avait une petite expérience de la guerre
de tranchée). Le comptoir, qui fermait la consigne, offrait pour le
moment une brèche, grâce au relèvement passager de la porte horizontale.
Le préposé, en disparaissant momentanément, avait négligé d’abaisser ce
couvercle de trappe. Vraiment, s’il n’y avait pas de préposés
négligents, la terre serait inhabitable. M. Planchet avait encore sur
lui sa boîte de pilules soporifiques; il en offrit une à Catherine qui
n’en avait jamais usé. Mais il lui fit comprendre que c’était une drogue
très précieuse quand on avait une nuit à passer dans une consigne des
bagages.

Hélas! les sacs, si moelleux d’apparence, étaient des sacs de pommes de
terre, et si efficace qu’il fût d’ordinaire, «l’Écrasol» pouvait
difficilement lutter contre de telles conditions d’inconfort. Il opéra
beaucoup plus sur Catherine. M. Planchet--cela valait peut-être mieux
ainsi--s’éveilla au petit jour, secoua sa compagne... Et tous deux
quittèrent leur gîte sans troubler le sommeil profond du préposé.

La gare et ses abords étaient heureusement déserts. Mais, de l’autre
côté de la place, un établissement sans faste, déjà ouvert, offrait des
cafés à vingt centimes et des petits pains à trois sous. Il semblait que
le patron eût pris la mesure des disponibilités budgétaires de M.
Planchet. Les quatorze sous y passèrent tout entiers. Cependant le café,
bien que de qualité ordinaire, avait fortement ragaillardi nos
voyageurs.

Certes, la situation de ce couple eût pu être plus favorable. Mais
Catherine avait maintenant confiance dans Planchet et Planchet dans
Catherine. Et puis, ils étaient contents d’être ensemble, et cette
satisfaction n’était pas moins grande du fait qu’elle ne s’était pas
formulée.




Ils s’en allaient à travers la ville comme deux touristes qui n’ont rien
à faire et qui sont libérés de tout souci, au moins jusqu’à l’heure du
déjeuner. Il était évident qu’à partir de midi, et peut-être avant, de
nouveaux problèmes allaient surgir dans leur estomac. Pour le moment, il
n’était encore question de rien.

Le temps est vraiment un élément sans mesure fixe. Trois jours de répit,
trois heures même, c’est une éternité pour les gens habitués à la mâle
vie d’expédients, tandis que le bon rentier, passif héritier de ses
ancêtres, voit avec terreur arriver, à dix ans devant lui, la minute où
sa situation peut être modifiée par une baisse possible des cours.

L’enseigne: Bureau de placement, aperçue au tournant d’une rue, ne
provoqua chez M. Planchet aucun sursaut de surprise. Et cependant il
était sûr que c’était pour eux le salut. Mais il estimait parfois que la
Providence était à son service et ne s’étonnait pas que, bien stylée,
elle se trouvât là à point nommé pour le tirer d’affaire.

La patronne du bureau semblait appartenir, par son âge et ses
proportions, à l’époque reculée des mammouths. Elle avait dû être
installée, bien avant sa complète croissance, entre ce mur et cette
table échancrée, et sans doute elle s’était développée sur place, comme
ces poires qui poussent et grandissent dans des bouteilles où elles
n’auraient jamais pu entrer autrement, étant donné leurs dimensions et
l’étroitesse du goulot.

A l’entrée des nouveaux venus, la dame souleva péniblement la moins
lourde de ses paupières. Un grondement d’asthme se fit entendre en elle,
comme en un volcan en demi-activité. Puis il sortit de ses lèvres une
petite voix inattendue, alerte et toute jeune... Qu’est-ce que cette
petite voix faisait donc dans ce corps-là?

--Vous ne me croirez pas? Mais, à l’instant même,--il n’y a pas dix
minutes,--on me demande pour la même maison deux personnes. Un monsieur,
en arrivant de voyage, a flanqué à la porte une miss et un valet: il les
avait trouvés saouls perdus, vous imaginez-vous? Et, à huit heures du
matin, le monsieur a fait un tour dans sa cave et a constaté que ses
casiers étaient bien dégarnis. Il s’est rendu compte--ce n’était pas
sorcier--où avaient passé ses bouteilles. Dare-dare, il m’a lancé un
coup de téléphone... Pensez-vous que vous ferez l’affaire?

--Est-ce que ces personnes ne préfèreraient pas une femme de chambre et
un précepteur? allait dire le jeune Planchet. Mais il retint sa langue,
pour ne pas «louper» la combinaison. Catherine, qui commençait à
entrevoir ce que l’on attendait d’elle, tourna vers son compagnon un œil
affolé; mais M. Planchet la regarda avec une telle autorité qu’il la
ramena à une soumission aveugle. La nouvelle règle de conduite de M.
Planchet--au moins depuis vingt-quatre heures--c’est qu’il ne faut pas
discuter avec le Destin et le prendre carrément au mot, quand il est en
humeur de vous proposer quelque chose.

Il se demandait, d’autre part,--car la vie continuait à
l’instruire--comment allait se régler une autre question importante:
celle des certificats... Mieux valait prendre les devants...

--Je dois vous prévenir tout de suite, dit-il à la mandataire du Destin,
que nous n’avons pas de certificats...

--Oh! oh! pas de certificats?

--Voici pourquoi... Mademoiselle, ici présente, a toujours vécu dans sa
famille... à travailler ses examens... C’est la première fois qu’elle se
place...

--Ça n’en vaut peut-être que mieux, dit l’énorme dame... Elle n’a pas eu
le temps de prendre de mauvaises habitudes. Mais, pour le valet de
chambre, le manque de certificats, c’est plus embêtant...

M. Planchet ne songea pas un instant à indiquer, comme source de
renseignements, la maison Lenormand fils et Normand, où l’on n’aurait
guère pu célébrer que sa compétence en organisation de courses
d’escargots. Mais il avait pris la forte résolution de mentir, et c’est
étonnant, une fois le petit apprentissage achevé, quelles ressources
cela peut donner dans la vie...

--... J’ai servi trois ans chez le marquis... le marquis de
Saint-Nicolas. Mon maître était très content de moi et il m’aurait gardé
à son service jusqu’à sa mort. Mais il a été nommé consul dans
l’Amérique du Sud. Il m’a promis un bon certificat, qu’il a sans doute
oublié de m’envoyer dans la bousculade du départ... Je le recevrai
certainement d’un jour à l’autre.

La placeuse garda quelques instants le silence.

--Si vous étiez des aventuriers, dit-elle, vous auriez probablement des
certificats bien en règle... J’en ai fait quelquefois l’expérience.
Mais, jeune homme, vous m’inspirez confiance...

C’était la première fois que M. Planchet recevait un témoignage aussi
amical, et ceci se passait le jour même où il avait fait le premier
mensonge sérieux de sa vie...




Cependant la placeuse avait appuyé sur un timbre...

--Mon neveu va prendre ma petite voiture et il vous conduira chez les
personnes en question. Il sait où c’est. C’est à deux kilomètres de la
ville. En attendant, vous pouvez aller prendre vos bagages.

Depuis que M. Planchet s’était résolument lancé dans la voie féconde du
mensonge, il ne risquait plus d’être pris au dépourvu. Il avait à sa
disposition, pour les amateurs, un grand choix de contre-vérités.

--Nos bagages, nous ne les avons pas encore. Il y a dû avoir une erreur
d’enregistrement et nos malles n’étaient pas dans le fourgon (cela, au
moins, était scrupuleusement exact: les malles n’étaient pas dans le
fourgon).

Il ajouta avec philosophie:

--Elles arriveront quand elles arriveront.

--Vous pourrez demander une indemnité à la Compagnie, dit la placeuse.

M. Planchet, par une moue, semblait dire qu’il n’aimait pas se lancer
dans une procédure tracassière.

--C’est votre affaire, dit la placeuse.

Cependant, un neveu, grand et penché comme un peuplier fragile, était
apparu dans l’embrasure de la porte.

--Tu vas conduire ce jeune homme et cette jeune fille à l’adresse que je
mets sur cette lettre... Comme je ne peux vous accompagner moi-même, il
faut que je vous remette un petit mot pour le patron, où j’expliquerai
que vous n’avez pas de certificats et où je prendrai ça sur moi. Il me
connaît et il sait que je ne lui enverrais pas des indésirables.

Planchet aurait peut-être été gêné en d’autres circonstances d’usurper
ainsi la confiance d’une brave dame. Mais la nécessité toute-puissante
le débarrassait de ses scrupules. D’ailleurs, il se rendait compte qu’il
était un simple menteur et n’avait rien d’une dangereuse fripouille.

Il n’était pas tranquille, cependant, sur la suite de l’aventure. Car,
s’il se croyait en état de faire un valet de chambre passable, il
doutait fort des qualités de Catherine comme éducatrice de la jeunesse
et maîtresse de français. Bien qu’elle se laissât entraîner plus
passivement vers l’inconnu, la fille de l’aubergiste, elle non plus,
n’était pas trop rassurée. Comme une vitre protectrice les séparait du
neveu qui conduisait la voiture, Catherine put parler à demi-voix à M.
Planchet de ses appréhensions.

Il répondit hardiment:

--Vous en faites pas.

Cette réponse indique moins une solution de la difficulté que son
ajournement. Il s’en rendit compte et chercha tout de même le moyen de
parer aux événements.

--Voilà, dit-il au bout d’un instant. On va probablement vous demander
vos diplômes. Vous répondrez: «J’ai mon brevet supérieur.» On vous dira
de donner la leçon...

--C’est effrayant, dit Catherine... Si on retournait chez papa?...

--Je veux bien, dit Planchet. Mais, là-bas, il y a des gendarmes. A
moins que vous soyez disposée à y retourner toute seule...

Elle se serra contre lui très gentiment: geste d’attachement plus facile
que des paroles, beaucoup plus expressif tout en étant moins gênant. La
question se trouvait réglée.

--Si on vous demande de donner la leçon, dit Planchet, voici ce que vous
ferez: les enfants auront bien des livres d’étude, d’arithmétique, de
dictées, de fables, d’histoire et de géographie. Vous leur donnerez des
leçons à apprendre et, le lendemain, vous leur ferez réciter leurs
leçons en suivant dans les livres. Jusqu’à quel âge avez-vous été à
l’école?

--Jusqu’à treize ans. Mais je n’y allais pas tous les jours...

--... Oui... Vous noterez les leçons que vous avez donné à apprendre. Et
nous trouverons bien un moment pour que je vous explique, à vous, ce que
cela veut dire, afin que vous puissiez leur refiler mes explications, si
les parents sont là. Si les parents ne sont pas là, les enfants s’en
fichent... Je sais ça, je vous dirai, parce qu’un été j’ai été
précepteur pendant quinze jours...

--Oui, mais vous, vous êtes savant, dit Catherine.

--Possible, dit Planchet. Mais le peu de science que j’ai dans la tête,
au bout de ces quinze jours, il n’en avait pas passé beaucoup dans la
tête des enfants.

Cependant, la voiture était arrivée à l’entrée d’une grande allée. Une
porte s’ouvrait dans une belle grille, et le neveu efflanqué entra par
une courbe aisée dans l’avenue, comme si la résidence, que l’on
apercevait au fond, avait été de tout temps le domaine de ses pères.

Les visiteurs devaient être attendus avec une certaine impatience. Un
monsieur et une dame, âgés l’un et l’autre, se tenaient sur le perron.
Planchet et sa compagne furent examinés de la tête aux pieds. Puis le
monsieur lut avec attention la lettre de la placeuse... Au fond, les
gens qui cherchent des domestiques sont comme ceux qui se marient: ils
ne demandent qu’à avoir confiance. Mais Planchet, lui, avait de moins en
moins de foi dans le succès de l’aventure. Il avait eu deux heures
d’aplomb... C’était beaucoup pour lui. Il commençait à se sentir
abandonné par son courage.

Le vieux monsieur prit la parole:

--Mademoiselle aura à s’occuper de ma petite-fille, la fille de mon fils
aîné. Ses parents sont en voyage et on nous l’a confiée. Elle a douze
ans et je crois qu’elle est déjà très instruite pour son âge...

... La tâche de l’institutrice se trouvait peut-être simplifiée du fait
que l’élève était plus forte qu’elle. Mais Catherine allait avoir auprès
d’elle un juge un peu dangereux.

--Quant à vous, dit la maîtresse de maison à M. Planchet, il faudra vous
préparer pour servir à table ce soir. Et je voudrais que vous vous
mettiez sans retard aux carreaux de la salle à manger.

--Mme Bourru, dit le monsieur, m’écrit qu’il n’a pas sa malle. Vous
aviez probablement votre habit dans votre malle?

Planchet fit un signe affirmatif. Le monsieur déclara:

--Je lui donnerai, en attendant, un vieil habit à moi, qui est encore
très frais.

Tout semblait s’arranger le mieux du monde, mais la sécurité n’habitait
pas l’âme de Planchet.

On lui demanda son prénom. Faute d’en trouver tout de suite un autre, il
sortit le sien: Horace, qui étonna le monsieur et la dame, mais les
flatta un peu. Ils annoncèrent qu’ils ne déjeunaient pas là, à la grande
satisfaction de Planchet qui préférait ne pas commencer tout de suite
son métier de serveur. Miss, déclara madame, déjeunerait dans sa chambre
et serait servie par Horace.

Puis, comme il restait un bon moment avant de s’en aller déjeuner en
ville, on décida de faire entrer Catherine tout de suite en fonctions.

Le bon grand-père alla dans une pièce voisine chercher l’élève, qui
apparut sous les traits d’une trop grande fille, aux cheveux raides et
d’un blond pâle. Un binocle lui donnait un air studieux un peu
inquiétant.

--Olga, dit la dame, voici ta nouvelle maîtresse.

La grande petite fille, d’une secousse polie, fléchit rapidement les
genoux. Catherine ne savait pas si elle devait saluer de cette façon.
Dans le doute, elle ne salua pas du tout.

Cependant, les grands-parents avaient quitté la pièce...

--Quand l’autre demoiselle m’a donné la première leçon, dit avec gravité
la petite fille, nous étions en train de lire les _Aventures de
Télémaque_. Nous en étions à la page 120. Je lisais tout haut et, chaque
fois qu’il y avait un mot que je ne comprenais pas, mademoiselle me
l’expliquait. Est-ce que nous ferons de même, mademoiselle?

Le visage de Catherine ressembla assez, à ce moment, au visage éploré
d’une personne qui nage mal et à qui on propose de faire une petite
partie de natation dans un lac de soixante mètres de profondeur.
Heureusement, derrière la petite fille, les yeux chavirants de
l’institutrice rencontrèrent ceux du valet de chambre, qui, d’un rapide
clignement, firent signe qu’il fallait accepter. Catherine accepta, la
voix défaillante.

Pendant que la petite fille allait chercher son livre...

--Voilà, dit Planchet, écoutez-moi bien. Vous allez lui dire que vous
avez une méthode de travailler à vous...

--Je ne saurai jamais dire ça...

--Alors ne parlez pas de méthode. Dites-lui simplement: «Mademoiselle,
je ne répondrai pas tout de suite à vos questions. Chaque fois que vous
aurez un mot que vous ne comprendrez pas, vous l’inscrirez sur une
feuille de papier. Vous tâcherez de trouver vous-même le sens sur un
dictionnaire...»

--J’ai compris, dit Catherine qui n’était pas une petite bête...

--Dites-lui de faire deux listes, une pour elle, une pour vous. La liste
pour vous, bien entendu, vous me la donnerez et je trouverais bien un
moment pour vous expliquer les mots. Je vais d’ailleurs vous dire ce qui
va se passer. Les enfants--mon élève était comme ça--aiment beaucoup
interrompre la lecture pour poser des questions. Mais, du moment que ce
sera un travail pour elle et qu’il faudra se donner la peine d’écrire
des mots, surtout à double exemplaire, vous verrez qu’elle s’arrêtera
beaucoup moins et qu’elle fera semblant de comprendre bien des mots qui
lui échapperont.

Catherine, malgré ces excellentes directives, n’était pas du tout
rassurée. Elle regarda Planchet et celui-ci vit qu’elle avait des larmes
tout près des yeux. Alors, il lui mit sur le front un bon baiser de
frère protecteur. Et très gentiment, avec le plus grand naturel, elle le
baisa sur la joue...

Évidemment, avec son petit air de ne pas les gâter, le Destin leur
envoyait de bonnes compensations.

On devait lire, avec Olga, une demi-heure de Fénelon. Mais, premier
succès de la combinaison Planchet, dès que Catherine, tant bien que mal,
eut exposé à son élève sa manière de donner la leçon, le zèle de la
jeune Olga se trouva un peu refroidi, et en faisant remarquer qu’il
était tard et qu’elle n’avait plus beaucoup de temps avant de partir
avec ses grands-parents, elle demanda à sa maîtresse de remettre la
première leçon au lendemain; ce qui lui fut accordé généreusement par
Catherine, qui remarqua avec satisfaction que son élève n’était pas
aussi studieuse qu’elle en avait l’air.

On vint chercher en auto Monsieur, Madame et la petite fille. C’était la
voiture des gens chez qui ils allaient déjeuner. La placeuse avait bien
dit à Planchet que ses nouveaux maîtres avaient une auto. Mais Planchet
ne se demandait pas où était cette voiture. Il avait vu, en entrant dans
l’allée, un garage fermé et il ne savait pas si ce garage contenait ou
non une auto. Comme il se tenait à la portière de la limousine, qui
s’était arrêtée devant le perron, il entendit son maître dire au
chauffeur:

--Heureusement que nous vous avons pour nous transporter: mon chauffeur
m’a envoyé un télégramme pour me dire qu’il était immobilisé à quelques
lieues d’ici. J’espère que, d’ici ce soir, il aura pu réparer. Je ne
sais pas au juste ce qui lui est arrivé...

M. Planchet ne prêta à ces paroles qu’une attention distraite. Le Destin
néglige de souligner au crayon rouge les réflexions ou les incidents qui
devraient nous intéresser d’une façon particulière.




Cependant Catherine était installée dans sa chambre, où M. Planchet
avait été chargé de disposer une petite table pour faire manger
l’institutrice. La cuisinière lui montra où étaient les serviettes et
l’argenterie. Cette cuisinière, heureusement pour M. Planchet, était une
femme taciturne qui, à la suite de déceptions conjugales ou autres,
avait pris le parti de vivre seule avec sa pensée. Elle aida le nouveau
valet de chambre à préparer le panier de l’institutrice, avec le linge
de table, les couverts et plusieurs assiettes doubles, abritant l’une
des œufs, l’autre une tranche de jambon et de la salade de haricots
rouges, l’autre un morceau de gruyère et un fruit, le tout accompagné
d’une bouteille de vin blanc et d’un verre. Estelle (la cuisinière)
voulut bien ajouter qu’avec l’autre institutrice une bouteille devait
faire deux repas. Elle dédaigna de dire aussi que la personne renvoyée
compensait ce rationnement par de sournoises visites au cellier.

Planchet, chargé de victuailles, monta l’escalier avec beaucoup de
précautions. On pense bien que Catherine l’aida à disposer sa table, si
toutefois on peut appeler aider le fait d’accomplir la besogne tout
entière, pendant que la personne à qui on donne un coup de main est
tranquillement assise sur un fauteuil et vous regarde travailler avec
une extase sympathique.

Il fallut que le serveur acceptât un œuf et un petit morceau de jambon,
bien qu’il protestât et qu’il affirmât que son tour allait venir à
l’office.

Le repas des domestiques rassemblait ce jour-là cinq convives: la
cuisinière déjà nommée, une courte fille de cuisine, boulotte et la plus
tachée de rousseurs de tout le département. Adèle, la femme de chambre,
était une brune sans personnalité. Le cinquième convive, c’était un
jardinier terreux à qui on ne pouvait reprocher, étant donné son métier
rude, d’avoir les ongles noirs, mais que l’on était prêt à dispenser de
la vaine entreprise d’essayer d’en améliorer l’aspect avec la pointe de
son couteau.

La conversation ne fut pas animée. M. Planchet mangeait, ce qui l’aidait
à garder une prudente réserve. La cuisinière fit simplement allusion au
dîner du soir: on attendait une dizaine d’invités. «Pour un jour où il y
avait un nouveau domestique, ce n’était vraiment pas trouvé.» Ce fut
aussi l’avis tout intérieur de M. Planchet.

L’après-midi, en l’absence des maîtres, fut assez paisible, M. Planchet,
sur une échelle, nettoya les carreaux de la salle à manger, guidé
discrètement dans son travail par la nouvelle maîtresse de français.

Vers cinq heures, la voiture ramena les patrons et la petite fille.
Comme elle n’avait pas suffisamment pris d’exercice, on envoya Olga
faire un tour dans la verte campagne, accompagnée de Catherine, qui lui
donna, chemin faisant, une très bonne leçon de botanique pratique, en
lui apprenant le nom usuel d’un certain nombre de végétaux.

Planchet s’était retiré dans sa chambre mansardée. Il s’étendit sur son
lit: c’était sa posture habituelle de méditation. Il était rare que
cette méditation n’apportât pas quelque remède passager aux ennuis de
l’heure présente en envoyant le méditant dans l’indulgent pays des
songes...

A six heures, il fut réveillé par la femme de chambre, qui lui remit le
costume de gala sous lequel il devait servir à table et qui n’était
autre que le frac de mariage, glorieux trente-cinq ans auparavant, du
maître de la maison.




La table--de seize couverts, ma foi--fut disposée par la femme de
chambre et M. Planchet, sous l’œil souverain de la patronne. M. Planchet
avait assez souvent dîné dans le monde pour ne pas se montrer trop
profane au cours de ces préparatifs. Jusqu’à ce moment, il n’avait pas
trop d’anxiété, mais il n’osait penser à la question du service: il
savait qu’il n’était pas spécialement «adroit de ses mains».

Il apprit avec ennui que, la jeune fille mangeant à table,
l’institutrice figurerait également parmi les convives, pour faire un
nombre pair. A cet effet, la garde-robe de la patronne fut également
mise à contribution, et une robe de faille noire, peut-être un peu ample
pour elle, fut octroyée à la jeune Catherine.

Vers huit heures seulement, les invités commencèrent à arriver.

Trois ou quatre chargements amenèrent l’effectif complet dans des
torpédos, des cabriolets et des limousines.

M. Planchet attendait avec anxiété le moment où il annoncerait que le
dîner était servi. Derrière la porte du salon, il était comme le poilu
guettant le signal de l’Heure. La ceinture un peu large de son pantalon
ne l’inquiétait pas, car elle était soutenue par de fortes bretelles.
Mais il rentrait, le plus qu’il pouvait, ses poignets dans ses manches
trop courtes. Ses gants, de son prédécesseur, étaient un peu larges et
trop longs. Il restait au bout de chaque doigt une petite poche
inoccupée.

Enfin, la femme de chambre, déléguée spécialement par la cuisinière,
baissa le drapeau du départ. M. Planchet ouvrit la porte à deux battants
et lança un «Madame est servie!» peut-être un peu vigoureux. Mais tous
ces gens avaient faim et pensaient à autre chose qu’à faire des
critiques d’intonation.

Il fallait apporter des assiettes de potage, aux dames d’abord, en
commençant par la maîtresse de maison. M. Planchet se disait que la
femme de chambre, qui remplissait les assiettes sur le dressoir, y
mettait un niveau de potage un peu élevé au gré d’un homme dont les
doigts de fil blanc sont plutôt longs. D’autant que la première assiette
fut refusée d’abord par les premières dames pour des questions de
régime, puis par la pauvre Catherine, toute engoncée dans sa faille
noire et qui n’osait pas ne pas faire comme les autres, enfin par la
jeune Olga, ravie de «couper» à la soupe à la faveur de la distance qui
la séparait de ses ascendants. Cette première assiette errante fit le
grand tour de la table et vint échouer devant M. le conseiller Frapotte,
placé à la droite de la maîtresse de maison. Il était temps, car ces
refus successifs avaient fini par alarmer M. Planchet, qui se demandait
s’il ne devait pas les attribuer à la proximité excessive de ses doigts
de gant et de la nappe refluante du potage, en mal constant
d’horizontalité.

Le maître d’hôtel, après l’épreuve du potage, après avoir versé le vin
du Rhin dans des verres hauts de pied, voyait arriver avec angoisse le
moment où il faudrait apporter le Bourgogne; car la richesse et
l’extrême propreté de surtouts de dentelle l’impressionnaient et il
craignait de les maculer d’un vin rouge horriblement visible, qui
gênerait les desseins de la maîtresse de maison, au cas où elle aurait
tenu à faire servir ce linge de table pour une autre occasion. Aussi
éprouva-t-il un certain soulagement, en servant des filets de sole aux
épinards, quand il vit un convive laisser tomber en deçà de son assiette
un peu de légumes verts.

Il y avait deux plats de poisson, l’un dévolu à la femme de chambre,
l’autre à M. Planchet. Celui-ci avait soigneusement étudié son affaire;
mais il y eut une fausse manœuvre, et presque un tamponnement, au moment
où il s’agit de servir M. Chalabert, l’industriel belfortain. La femme
de chambre l’emporta et passa de la sole à ce monsieur, tandis que
Planchet, désorbité, ayant perdu le fil, errait le plat à la main,
autour de la table, à la recherche d’autres dîneurs non pourvus.

En somme, à part ces fautes vénielles, tout semblait marcher sans trop
d’encombre. M. Planchet, au moment de la selle d’agneau, avait acquis
dans son nouvel emploi assez d’aisance et de désinvolture pour se
permettre de suivre la conversation.

Il était en train de présenter son plat à une dame, quand il entendit le
maître de la maison prononcer ces paroles:

--Mon chauffeur a eu un accident. Il vient de m’en téléphoner les
détails. Nous l’avions laissé partir seul de Bront-les-Eaux...

M. Planchet, le cœur battant, écoutait avec une telle attention, qu’il
oublia de retirer son plat et que la dame, qui avait déjà pris trois
tranches d’agneau, lui dit de guerre lasse:

--Merci, merci, c’est assez...

Il reprit donc derrière cette dame sa position verticale. Mais, le plat
à la main, il suivait anxieusement, et sans bouger, la conversation du
patron.

--Il lui est arrivé une aventure terrible, à ce pauvre Célestin.
Figurez-vous qu’un assassin s’était introduit dans la voiture. Il s’en
est aperçu à temps, au moment où il s’arrêtait dans une auberge, à
Chalezey, à quelques lieues d’ici. On a ficelé l’individu; on l’a mis
dans une grange sous la surveillance de la fille de l’aubergiste. Cet
aubergiste et mon homme sont allés chercher les gendarmes. Mais, quand
la force publique est arrivée sur les lieux, l’apache s’était donné de
l’air, et l’on ne sait pas ce qu’est devenue la fille de l’aubergiste.
Peut-être l’a-t-il tuée...

M. Planchet regarda faiblement du côté de Catherine et vit que sa
victime supposée était devenue toute rouge et toute petite, sa tête
émergeant à peine du niveau de la table.

Puis ses yeux rencontrèrent ceux de la maîtresse de maison, qui
s’étonnait de le voir immobile et, d’un regard impatient, lui fit signe
de reprendre son service...

On a tort de raconter des histoires aussi directement émouvantes à un
valet de chambre débutant. A partir de ce moment, le plat de M. Planchet
heurta un certain nombre d’épaules nues et de dos d’habits noirs. De la
sauce foncée tomba sur des robes claires. On s’en aperçut plus ou moins,
et il n’y eut pas de scandale. Des convives, oubliés dans la
distribution de la selle d’agneau et des taches, réclamèrent timidement,
en montrant leur assiette vide, sans savoir ce que cette légère
privation de nourriture leur épargnait de notes de dégraissage.

--Mon chauffeur ne reviendra sans doute que demain...

Cette déclaration du patron redonna un peu d’aplomb au malheureux
serveur. Il se dit qu’il avait une nuit devant lui pour s’en aller, en
compagnie de Catherine, sous des cieux plus cléments.

Il était en train de présenter un foie gras au porto à un quinquagénaire
joufflu, quand son client momentané fut interpellé par le patron.

--Vous aurez sans doute à vous occuper de cette affaire-là, monsieur le
commissaire?

--Je ne pense pas, car Chalezey est dans la Haute-Saône, dit ce
mandataire peu zélé de la vindicte publique.

Avant la glace pralinée, devant laquelle ne se produisit aucune
défection, après le fromage beaucoup moins couru, on passa de très beaux
fruits, ce qui donna aux convives bien élevés l’occasion de prouver leur
savante éducation, en pelant avec un couteau de vermeil la poire
duchesse adroitement piquée par la fourchette, et ce qui détermina
l’abstention de Catherine, peu experte à cet exercice compliqué.

On se rendit au salon, où la femme de chambre avait disposé le café et
les liqueurs. La jeune Olga apportait les tasses à chaque convive, selon
un ordre protocolaire déterminé. Elle était suivie par M. Planchet, qui
tenait le sucrier... Déjà plusieurs personnes avaient reçu leur ration,
quand M. Planchet vit la femme de chambre rentrer dans la pièce et
s’approcher du maître de la maison à qui elle murmura quelques
paroles...

--Mon chauffeur est revenu, dit triomphalement le patron.

Plusieurs voix s’élevèrent...

--Appelez-le... Nous voulons le voir... Il faut qu’il nous raconte son
aventure!...

Ils étaient ravis de se trouver en présence d’un personnage de
faits-divers. Ils ne connaissaient pas tout leur bonheur: une vedette,
deux vedettes, encore plus intéressantes, étaient déjà dans leurs murs.

Que se passait-il à ce moment dans l’âme de M. Planchet? Probablement
rien. De pareils coups de massue vous vident instantanément le cerveau
et paralysent tout l’appareil moteur.

C’est là le secret de bien des attitudes héroïques.

Célestin, dès qu’il eut aperçu son assassin, un sucrier à la main, au
milieu de la pièce, fut immobilisé de la même façon. A la grande
surprise des assistants, il y eut en présence deux personnages de cire
du Musée Grévin, parfaitement imités d’ailleurs. Quant à Catherine, elle
n’avait pas bougé non plus, mais personne, même elle, ne savait ce
qu’elle était devenue.

Ce ne fut qu’au bout d’un instant qu’un des hommes de cire revint à la
vie. Célestin eut la force de tendre son bras dans la direction de
Planchet et de balbutier:

--C’est lui...

On ne comprit pas immédiatement; mais, lorsqu’on eut compris, ce fut un
beau tapage... Les femmes poussèrent des cris stridents. Trois
brownings, un revolver d’artilleur et un trousseau de clefs se
braquèrent dans la direction de M. Planchet. Cet être, à moitié
anesthésié, possédait encore heureusement de bons réflexes qui lui
firent accomplir, presque à son insu, l’élévation rituelle des bras.

Le commissaire de police, l’affaire ayant envahi son territoire, prit la
direction des opérations.

--Montez dans sa chambre, dit-il à Célestin, et rapportez-moi tout ce
que vous y trouverez... S’il y a des engins qui vous paraissent
dangereux, ne les touchez pas. On préviendra les pompiers de Belfort.

Cependant, le maître de la maison, dans un discours si confus et si
désordonné qu’il semblait proféré par un enfant de quatre ans, tâchait
de raconter comment ce domestique s’était présenté, sans papiers et sans
bagages, en compagnie d’une institutrice...

--Au fait, où est-elle, cette institutrice?

On reconnut Catherine, blottie contre le bois sacré du piano. On la
dirigea avec l’index d’un revolver, dans le coin où M. Planchet était
gardé à vue.

Cependant, Célestin était revenu avec les habits de Planchet. Le
commissaire, séance tenante, procéda à l’inventaire. Il retira d’une
poche de pantalon un mouchoir propre, mais froissé, un trousseau de
clefs, probablement de fausses clefs, et une feuille de vraie salade
dont personne ne s’expliqua la destination. Il n’y avait rien dans les
poches du gilet. Dans la poche intérieure gauche de la jaquette, une
carte d’entrée pour le casino de Bront-les-Eaux...

Dans l’autre poche, enfin, une lettre non décachetée...

--Une lettre non décachetée? fit le commissaire.

--Une lettre non décachetée? fit M. Planchet qui ne soupçonnait pas
l’existence de ce pli, inséré par sa concierge, pendant son sommeil,
dans une poche qu’il n’utilisait jamais.

--Voulez-vous me permettre de la lire? dit-il au commissaire.

--Elle est à vous. Décachetez-la, mais vous me la rendrez ensuite.

Planchet ouvrit la lettre. Il commença par lire l’entête: _Étude de
Maître Girardinon, notaire à Paris._

On le vit poursuivre sa lecture, avec des yeux agrandis et un souffle de
plus en plus oppressé... Il tendit la lettre au commissaire qui en fit
la lecture à demi-voix.

--On vous annonce que votre oncle de Montevideo est décédé et que vous
héritez de deux millions de piastres.

M. Planchet, soudain très exalté, raconta d’affilée, mais dans un ordre
un peu bousculé, son voyage à Bront, la perte à la boule, le
soporifique, le refuge dans le garage, le départ inconscient sous les
couvertures...

--C’est un conte à dormir debout, dit le commissaire en prenant à témoin
un des convives, M. Tholozène, professeur de philosophie à la Faculté de
Besançon.

Heureusement, M. Tholozène n’était pas un esprit terre à terre et
banal...

--Il y a bien des cas, dit-il, où je crois plus à l’incroyable qu’au
croyable, pour la simple raison que le croyable se fabrique plus
aisément.

M. Planchet proposa lui-même qu’on l’enfermât dans une des salles du
château, autant que possible avec quelque nourriture, car le repas des
gens de service n’avait pas encore été entamé... Pendant ce temps, il
serait loisible à ces Messieurs de faire une enquête sur ses dires. Il
demandait seulement qu’on voulût bien utiliser le télégraphe et le
téléphone.

--Je comprends que vous teniez à vérifier ce que j’avance, avant de
classer l’affaire. En attendant, permettez-moi de vous inviter dans
trois semaines à mon mariage avec Catherine... Catherine comment?
demanda-t-il à sa fiancée.

Elle était tellement troublée, remuée, reconnaissante, qu’elle ne
trouvait plus son nom de famille...

--... Frépillot, dit avec humeur Célestin...




    ACHEVÉ D’IMPRIMER POUR
    LES ÉDITIONS DES PORTIQUES,
    LE 27 JUILLET 1928,
    PAR L’IMPRIMERIE FLOCH,
    A MAYENNE (FRANCE).







*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DÉCADENCE ET GRANDEUR ***


    

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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
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against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
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Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
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Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
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freely shared with anyone. For forty years, he produced and
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