Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome II

By Thomas Wright

Project Gutenberg's Les Cent Nouvelles Nouvelles,  tome II, by Various

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org


Title: Les Cent Nouvelles Nouvelles,  tome II
       Publiées d'après le seul manuscrit connu, avec introduction et notes

Author: Various

Editor: Thomas Wright

Release Date: September 15, 2012 [EBook #40768]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES CENT NOUVELLES ***




Produced by Laurent Vogel, Eleni Christofaki, gdm and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net.
(This book was produced from scanned images of public
domain material from the Google Print project.)









Note sur la Transcription

L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les
erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. Une
liste d'autres corrections faites se trouve à la fin du livre.

Tout groupe de caractères imprimés en exposant dans l'original et dont
l'abréviation n'est pas évidente ou non courante, est mis en accolade.

  Marquage: _mots en italique_




    LES CENT NOUVELLES NOUVELLES




  Paris. Imprimé par GUIRAUDET ET JOUAUST, 338, r. S.-Honoré, avec les
  caractères elzeviriens de P. JANNET.




  LES CENT

  NOUVELLES

  NOUVELLES

  _Publiées d'après le seul manuscrit connu_

  AVEC INTRODUCTION ET NOTES

  Par

  M. THOMAS WRIGHT

  Membre correspondant de l'Institut de France

  TOME II

  [Illustration]

  A PARIS

  Chez P. JANNET, Libraire


  MDCCCLVII




[Décoration]

LA LIe NOUVELLE,

PAR L'ACTEUR.


A Paris n'a guères vivoit une femme qui en son temps fut mariée à ung
bon simple homme, qui tout son temps fut de noz amys, si trèsbien qu'on
ne pourroit plus. Ceste femme, qui belle et gente et gracieuse estoit ou
temps qu'elle fut noeve, car el avoit l'oeil au vent, fut requise
d'amours de pluseurs; et pour la grand courtoisie que nature n'avoit pas
oubliée en elle, elle passa légèrement les requestes de ceulx qui mieulx
luy pleurent, et joyrent d'elle, et eut en son temps, tant d'eulx que de
son mary, xij ou xiiij enfans. Advint qu'elle fut malade trèsfort et au
lit de la mort acouchée; si eut tant de grace qu'elle eut temps et
loisir de se confesser et penser à ses pechez et disposer de sa
conscience. Elle véoit, durant sa maladie, ses enfans trotter devant
elle, qui luy bailloient au cueur trèsgrand regret de les laisser. Si se
pensa qu'elle feroit mal de laisser son mary chargé de la pluspart
d'eulx, car il n'en estoit pas le père, combien qu'il le cuidast et que
la tenist aussi bonne que nulle de Paris. Elle fist tant, par le moyen
d'une femme qui la gardoit, que vers elle vindrent deux hommes qui ou
temps passé l'avoient en amours bien servie. Et vindrent de si bonne
heure que son mary estoit en la ville, et à cest cop devers les medicins
et apothicaires, ainsi qu'elle luy avoit ordonné et prié. Quand elle vit
ces deux hommes, elle fit tantost venir touz ses enfans; si commence à
dire: «Vous, ung tel, vous savez ce qui a esté entre vous et moy du
temps passé, dont il me desplaist à ceste heure amerement. Et si n'est
la misericorde de nostre Seigneur, à qui me recommende, il me sera en
l'autre monde bien cherement vendu. Toutesfoiz, j'ay fait une folie, je
le cognois; mais de faire la secunde ce seroit trop mal fait. Véezcy
telz et telz de mes enfans; ilz sont vostres, et mon mary cuide qu'ilz
soient siens. Si feroye conscience de les laisser en sa charge; si vous
prie tant que je puis qu'après ma mort, qui sera brefment, vous les
prenez avecques vous et les entretenez, nourrissez et elevez, et en
faictes comme bon père doit faire, car ilz sont vostres.» Pareillement
dist à l'autre, et luy monstra ses aultres enfans: «Telz et telz sont à
vous, je vous en asseure; je les vous recommende, en vous priant que
vous en acquictez; et s'ainsi le me voulez promectre, j'en mourray plus
aise.» Et comme elle faisoit ce partage, son mary va revenir à l'ostel
et fut perceu par ung petit de ses filz qui n'avoit environ que iiij ou
vj ans, qui vistement descendit en bas encontre de luy effrayement, et
se hasta tant de devaler la montée qu'il estoit presque hors d'alayne.
Et comme il vit son père, à quelque meschef que ce fut il dist: «Helas!
mon père, avancez vous tost, pour Dieu!--Quelle chose y a il de nouveau?
dit le père; ta mère est elle morte?--Nenny, nenny, dit l'enfant; mais
avancez vous d'aller en hault, ou il ne vous demourra enfans nesun. Ilz
sont venuz deux hommes vers ma mère, mais elle leur donne tous mes
frères et mes seurs; si vous n'allez bien tost, elle donnera tout.» Le
bon homme ne scet que son filz veult dire; si monta en hault et trouve
sa femme bien malade, sa garde, et deux de ses voisins, et ses enfans;
si demanda que signifie ce que ung tel de ses filz luy avoit dit du don
qu'elle fait de ses enfans. «Vous le scerez cy après», dit elle. Il n'en
enquist plus avant pour l'heure, car il ne se doubtoit de rien. Ses
voisins s'en allèrent et commendèrent la malade à Dieu, et luy
promisrent de faire ce qu'elle leur avoit requis, dont elle les
remercya. Comme elle approucha le pas de la mort, elle crya mercy à son
mary, et luy dist la faulte qu'elle luy a fait durant qu'elle a esté
allyée avecques luy, et comment telz et telz de ses enfans sont à ung
tel, et telz et telz sont à ung tel, c'est assavoir à ceulz dont dessus
est touché, et que après sa mort ilz les prendront et n'en ara jamais
charge. Il fut bien esbahy d'oyr ceste nouvelle; néantmains il luy
pardonna tout, et puis elle mourut; et il envoya ses enfans à ceulx
qu'elle avoit ordonné, qui les retindrent. Et par ce point il fut quitte
de sa femme et de ses enfans; et si eut beaucop mains de regret de la
perte de sa femme que de celle de ses enfans.




LA LIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


N'a guères que ung grand gentilhomme, sage, prudent, et beaucop
vertueux, comme il estoit au lit de la mort, et eust fait ses
ordonnances et disposé de sa conscience au mieulx qu'oncques peut, il
appella ung seul filz qu'il avoit, auquel il laissoit foison de biens
temporelz. Et après qu'il luy eut recommendé son ame, celle de sa mère,
qui n'a guères estoit allée de vie par mort, et généralement tout le
collège de purgatoire, il l'advisa trois choses pour la derrenière
doctrine que jamais luy vouloit baillier, en disant: «Mon trèscher filz,
je vous advise tout premier que jamais vous ne hantez tant en l'ostel de
vostre voisin que l'on vous y serve de pain bis. Secundement, je vous
enjoinctz que vous gardez trèsbien de jamais courre vostre cheval en la
valée. Tiercement, que vous ne prenez jamais femme d'estrange nacion.
Souvienne vous de ces trois poins, et je ne doubte point que bien ne
vous en vienne; mais si vous faictes au contraire, soiez seur que vous
trouverez que la doctrine de vostre père vous vaulsist mieulx avoir
tenue.» Le bon filz mercya son père de son bon advertissement, et luy
promect d'escripre ses enseignemens au plus profund de son entendement,
et si trèsbien en aura memoire que jamais n'yra au contraire. Tantost
après son père mourut, et furent faictes ses funerailles comme à son
estat et homme de tel lieu qu'il estoit appartenoit: car son filz s'en
voult bien acquitter, comme celuy qui bien avoit de quoy. Ung certain
temps après, comme l'on a accointance plus en ung lieu que en l'autre,
ce bon gentilhomme, qui estoit orphenin de père et de mère et à marier,
et ne savoit que c'estoit de mesnage, s'accointa d'un voisin qu'il
avoit, et de fait la pluspart des jours buvoit et mengeoit léens. Son
voisin, qui maryé estoit et avoit une trèsbelle femme, se bouta en la
doulce rage de jalousie, et luy vindrent faire rapport ses yeulx
suspeçonneux que nostre gentilhomme ne venoit en son hostel fors à
l'occasion de sa femme, et que vrayement il en estoit amoureux, et que à
la longue il la pourroit emporter d'assault. Si n'estoit pas bien à son
aise, et ne savoit penser comment il se pourroit honnestement de luy
desarmer, car luy dire la chose comme il la pense ne vauldroit rien; si
conclud de luy tenir telz termes petit à petit qu'il se pourra assez
percevoir, s'il n'est trop beste, que sa hantise si continuelle ne luy
plaist pas. Et pour executer sa conclusion, en lieu qu'on le souloit
servir de pain blanc, il fist mectre du pain bis. Et après je ne sçay
quants repas, nostre gentilhomme s'en donna garde, et luy souvint de la
doctrine de son père; si congneut qu'il avoit erré, si battit sa coulpe
et bouta en sa manche tout secrètement ung pain bis et l'apporta en son
hostel; et en remembrance le pendit en une corde dedans la grand sale,
et ne retourna plus à la maison de son voisin comme il avoit fait au
paravant. Ung jour entre les aultres, luy qui estoit homme de deduit,
comme il estoit aux champs, et eussent ses levriers mis ung lièvre en
chasse, il picque son cheval tant qu'il peut après, et vient rataindre
et lièvre et levriers en une grand valée, où son cheval, qui venoit de
toute sa force, faillit de quatre piez et tumbe, et se rompit le col, et
il fut trèsbien esbahy, et fut bien eureux, quand il se vit gardé de
mort ne de bleceure. Il eut toutesfoiz pour recompense le lièvre; et
comme il le tenist et regardast son cheval que tant amoit, il luy
souvint du second advisement que son père luy bailla, et que, s'il en
eust eu bien memoire, il n'eust pas ceste perte, ne passé le dangier
qu'il a eu bien grand. Quand il fut à sa maison, il mist au près du pain
bis, à une corde, en sa sale, la peau du cheval, en mémoire et
remembrance du secund advisement que son père jadiz luy bailla. Ung
certain temps après il luy print volunté d'aller voyager et veoir païs,
si disposa ses besoignes ad ce, et fist sa finance, et sercha maintes
contrées, et se trouva en diverses regions, et s'arresta en la fin et
fist residence en l'ostel d'un grand seigneur, d'une estrange et bien
loingtaine marche; et se gouverna si haultement et si bien léens que le
seigneur fut bien content de luy bailler sa fille en mariage, jasoit
qu'il n'eust cognoissance de luy fors de ses loables meurs et vertuz.
Pour abreger, il fiança la fille de ce seigneur, et vint le jour des
nopces. Et quand il cuyda la nuyt coucher avec elle, on luy dist que la
coustume du pays estoit de point coucher la première nuyt avec sa femme,
et qu'il eust pacience jusqu'au lendemain. «Puis que c'est la coustume,
dist il, je ne quiers jà qu'on la rompe pour moy.» Son espouse fut menée
coucher après les dances en une chambre, et il en une aultre, et de bien
venir n'y avoit que une paroy entre ces deux chambres, qui n'estoit que
de terre. Si s'advisa, pour veoir la contenance, de faire ung pertuys de
son espée par dedens la paroy, et vit trèsbien à son aise son espouse se
bouter en son lit; et vit aussi, ne demoura guères après, le chapellain
de léens qui se vint bouter auprès d'elle pour luy faire compagnie affin
qu'elle n'eust paour; ou espoir pour faire l'essay ou prendre le disme
advenir, comme firent les cordeliers dont dessus est touché. Nostre bon
gentilhomme, quand il vit cest appareil, pensez qu'il eut bien des
estoupes en sa quenoille; et luy vint tantost en memoire le IIJe
advisement que son bon père luy donna, lequel il avoit mal retenu. Il
se conforta toutesfoiz et dist bien en soy mesmes que la chose n'est pas
si avant qu'il n'en saille bien. Au lendemain, le bon chapellain, son
lieutenant pour la nuyt, et son predecesseur, se leva de bon matin, et
d'adventure il oblya ses brayes soubz le chevet du lit à l'espousée. Et
nostre bon gentilhomme, sans faire semblant de rien, vint au lit d'elle
et la salua gracieusement, comme il savoit bien faire, et trouva façon
de prendre les braies du prestre sans ce qu'il fust d'ame apperceu. On
fist grand chère tout ce jour; et quand vint au soir, le lit à
l'espousée fut paré et ordonné tant richement que merveilles, et elle y
fut couchée. Si dist on au sire des nopces que meshuy, quand il luy
plairast, pourra il aller coucher avecques sa femme. Il estoit fourny de
sa response, et dist au père et à la mère et aux parens qui le voulrent
oyr: «Vous ne savez qui je suis, et à qui vous avez donné vostre fille,
et en ce m'avez fait le plus hault honneur qui jamais fut fait à jeune
gentilhomme estrangier, dont je ne vous saroie assez mercier. Neantmains
toutesfoiz, j'ay conclud en moy mesmes, et suis ad ce resolu, de jamais
coucher avec elle si que luy auray monstré et à vous aussi qui je suis,
quelle chose j'ay et comment je suis logié.» Le père print tantost la
parolle et dist: «Nous savons trèsbien que vous estes noble homme et de
hault lieu, et n'a pas Dieu mis en vous tant de belles vertuz sans les
accompaigner d'amys et de richesses. Nous sommes contens de vous, ne
laissez jà à parachever vostre mariage; tout à temps scerons nous plus
avant de vostre estre quand il vous plaira.» Pour abréger, il voa et
jura de jamais coucher avec elle si n'estoit en son hostel, et l'y
amenerent son père et sa mère, et pluseurs de ses parens et amys. Il
fist mettre son hostel à point pour les recevoir, et y vint ung jour
devant eulx. Et tantost qu'il fut descendu, il print les brayes du
prestre qu'il avoit, et les pendit en sa sale auprès du pain bis et de
la peau du cheval. Trèsgrandement furent receuz et festoiez les parens
et amis de la bonne espousée; et furent bien esbahiz de veoir l'ostel
d'un tel jeune gentilhomme si bien fourny de vaisselle, de tapisserie et
de tout aultre meuble; et se reputoient trèseureux d'avoir si bien
allyée leur belle fille. Comme ilz regardoient par léens, ilz vindrent
en la grand sale, qui estoit pourtendue de belle tapisserie; si
perceurent au milieu le pain bis, la peau du cheval, et unes brayes qui
pendoient, dont ilz furent beaucop esbahiz, et en demandèrent la
signifiance à leur hoste, le sire des nopces. Et il leur dit que
voluntiers et pour cause il leur diroit ce qui en est quand ilz auroient
mangé. Le disner fut prest et Dieu scet qu'ilz furent bien serviz. Ilz
n'eurent pas si tost disné qu'ilz ne demandèrent l'interpretacion et le
mistère du pain bis, de la peau du cheval, etc., et le bon gentilhomme
leur compta bien au long, et dist que son père au lit de la mort, comme
dessus est narré, luy avoit baillé trois advisemens. Le premier fut que
jamais ne se trouvast tant en ung lieu que l'on le servist de pain bis.»
Je ne retins pas bien ceste doctrine: car depuis sa mort je hantay tant
ung mien voisin qu'il se bouta en jalousie pour sa femme, et, en lieu de
pain blanc que je y eu long temps, on me servit du bis; et en mémoire et
approbacion de la verité de cest enseignement, j'ay là fait mettre ce
pain bis. Le deuxiesme enseignement que mon père me bailla fut que
jamais ne courusse mon cheval à la valée. Je ne le retins pas bien, ung
jour qui passa; si m'en print mal: car, en courant une valée après le
lièvre et mes chiens, mon cheval se rompit le col, et je fuz trèsbien
blecié; et en memoire de ce est là pendue la peau du cheval qu'alors je
perdy. Le troisiesme enseignement que mon père me bailla si fut que
jamais n'espousasse femme d'estrange région. Or y ay je failly, et vous
diray comment il m'en est prins. Il est vray que la première nuyt que
vous me refusastes le coucher avecques vostre fille, qui cy est, je fu
logié en la chambre au plus près de la sienne; et car la paroy qui
estoit entre elle et moy n'estoit pas trop forte, je la pertuisay de mon
espée, et vy venir coucher avec elle le chapellain de vostre hostel, qui
soubz le chevet du lit oublya ses braies le matin qu'il se leva;
lesquelles je recouvray, et sont celles que veez là pendues, qui
tesmoignent et approuvent la canonicque verité du troisiesme
enseignement que jadiz feu mon père me bailla, lequel je n'ay pas bien
retenu; mais, affin que plus n'y renchoye en la faulte des deux advis
precedens, ces trois bagues que veez m'en feront doresenavant sage. Et
car, la Dieu mercy, je ne suis pas tant obligé à vostre fille qu'elle ne
me puisse bien quicter, je vous prie que la remenez et retournez en
vostre marche, car jour que je vive ne me sera de plus près; mais pource
que je vous ay fait venir de loing et vous ay bien voulu monstrer que je
ne suis pas homme pour avoir le demourant d'un prestre, je suis content
de paier voz despens.» Les aultres ne sceurent que dire, qui se veoient
conclus et leur tort, voyans aussi qu'ilz sont loing de leur pays, et
que la force n'est pas leur en ce lieu; si furent contens de prendre
argent pour leurs despens et s'en retourner dont ilz vindrent, et qui
plus y a mis plus y a perdu. Et par ce compte avez oy que les trois
advis que le bon père bailla à son filz ne sont pas à oublier; si les
retienne chascun pour autant qu'il sentira qu'il luy peut toucher.




LA LIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR L'AMANT DE BRUXELLES.


N'a guères que en l'église de saincte Goule, à Bruxelles, estoient à ung
matin pluseurs hommes et femmes qui devoient espouser à la première
messe, qui se dit entre quatre et cinq heures; et entre aultres qui
devoient emprendre ce doulx et seur estat de mariage, et promectre en la
main du prestre ce que pour rien ne vouldroient trespasser, il y avoit
ung jeune homme et une jeune fille qui n'estoient pas des plus riches,
mais bonne volunté avoient, qui estoient l'un près de l'autre, et
n'attendoient fors que le curé les appellast pour espouser. Auprès
d'eulz aussi y avoit ung homme ancien et une femme vieille qui grand
chevance et foison de richesses avoient, et par convoitise et grand
desir de plus avoir avoient promis foy et loyaulté l'un à l'autre, et
pareillement attendoient à espouser à ceste première messe. Le curé vint
et chanta ceste messe trèsdesirée; et en la fin, comme il est de
coustume, devant luy se misrent ceulx qui espouser devoient, dont y
avoit pluseurs, sans les quatre dont je vous ay compté. Or devez vous
savoir que ce bon curé, qui tout prest estoit devant l'aultier pour
faire et accomplir le mistère d'espousailles, estoit borgne, et avoit,
par ne sçay quel meschef, puis pou de temps perdu ung oeil. Et n'y avoit
aussi guères grand luminaire en la chapelle ne sur l'aultier; il estoit
aussi en yver, et faisoit fort brun et noir. Si faillit à choisir: car,
quand vint à besoignier et espouser, il print le vieil homme riche et la
jeune fille pouvre et les joignit par l'aneau du moustier ensemble.
D'aultre costé aussi il print le jeune homme pouvre et l'espousa à la
vieille femme riche, et ne s'en donnèrent oncques garde en l'église ne
les hommes ne les femmes, dont ce fut grand merveille, par especial des
hommes, car ilz osent mieux lever les yeux et la teste quand ils sont
devant le curé à genouz que les femmes, qui sont à cest cop simples et
coyes et n'ont le regard fiché qu'en terre. Il est de coustume que, au
saillir des espousailles, les amis de l'espousée la prennent et mainent.
Si fut menée la pouvre jeune fille à l'ostel du riche homme, et
pareillement la vieille riche fut menée en la pouvre maisonnette du
jeune compaignon. Quand la jeune espousée se trouva en la court et en la
grand sale de l'ostel de l'homme qu'elle avoit par mesprise espousé,
elle fut bien esbahie et cogneut bien qu'elle n'estoit pas partie de
léens ce jour. Quand elle fut arrière en la chambre à parer, qui estoit
bien tendue de belle tapisserie, elle vit le beau grand feu, la belle
table couverte où le beau desjuner estoit tout prest; elle vit le beau
buffet bien fourny de vaisselle: si fut plus esbahie que par avant, et
de ce se donne plus grand merveille qu'elle ne cognoist ame de ceulx
qu'elle ot parler. Elle fut tantost desarmée de sa faille, où elle
estoit bien enfermée et embronchée, et comme son espousé la vit à
descouvert, et les aultres qui là estoient, creez qu'ilz furent autant
souprins que si cornes leur venissent. «Comment! dit l'espousé, et est
cecy ma femme? Nostre Dame! je suis bien eureux! Elle est bien changée
depuis hier, je croy qu'elle a esté à la fontaine de Jouvence.--Nous ne
savons, dirent ceulx qui l'avoient amenée, dont elle vient, ne qu'on
luy a fait; mais nous savons certainement que c'est celle que vous ayez
huy espousée, et que nous prismes à l'aultier, car oncques puis ne nous
partit des braz.» La compaignie fut bien esbahie et longuement sans mot
dire; mais, que que fust simple et esbahy, la pouvre espousée estoit
toute desconfortée, et ploroit des yeulx tendrement, et ne savoit sa
contenance; elle amast trop mieulx se trouver avecques son amy, qu'elle
cuidoit bien avoir espousé ce jour. L'espousé, la voyant se
desconforter, en eut pitié et lui dist: «M'amye, ne vous desconfortez
jà, vous estes arrivée en bon hostel, si Dieu plaist, et n'ayez doubte,
on ne vous y fera jà desplaisir; mais dictes moy, s'il vous plaist, qui
vous estes, et à vostre advis dont vous venez cy.» Quand elle l'oyt si
courtoisement parler, elle s'asseura ung peu et luy nomma son père et sa
mère, et dist qu'elle estoit de Bruxelles, et avoit fiancé ung tel
qu'elle luy nomma, et le cuidoit bien avoir espousé. L'espousé et tous
ceux qui là estoient commencèrent à rire, et dirent que le curé leur a
fait ce tour. «Or loé soit Dieu, dist de rechef l'espousé, de ce change!
je n'en voulsisse pas tenir bien grand chose que Dieu vous a envoyée à
moy, et je vous promet par ma foy de vous tenir bonne compaignie.--Nenny,
ce dit-elle en plorant, vous n'estes pas mon mary. Je veil retourner
devers celuy à qui mon père m'avoit donnée.--Ainsi ne se fera pas,
dit-il; je vous ay espousée en saincte eglise, vous n'y povez
contredire; vous estes et demourrez ma femme, et soiez contente, vous
estes bien eureuse. J'ay, la Dieu mercy! de biens assez, dont vous serez
dame et maistresse, et vous feray bien jolye.» Il la prescha tant, et
ceux qui là estoient, qu'elle fut contente d'obéir. Si desjunèrent
legierement et puis se couchèrent; et fist le vieil homme du mieux qu'il
sceut. Or retournons à nostre vieille et au jeune compaignon. Pour
abréger, elle fut menée à l'hostel du père à la fille qui à ceste heure
est couchée avecques le vieil homme. Quand elle se trouva léens, elle
cuida bien enrager, et dist tout haut: «Et que fays je céens? Que ne me
maine l'on en ma maison, ou à l'ostel de mon mary? L'espousé, qui vit
ceste vieille et l'oyt parler, fut bien esbahy; si furent son père et sa
mère, et tous ceulx de l'assemblée. Si saillit avant le père et la mère
de léens, qui cogneut la vieille, et trèsbien savoit à parler de son
mariage, et dit: «On vous a baillé, mon fils, la femme d'un tel, et
creez qu'il a la vostre; et ceste faulte vient par nostre curé, qui voit
si mal; et ainsi m'aïst Dieu, jasoit que je fusse loing de vous quand
espousastes, si me cuiday je percevoir de ce change.--Et qu'en doy je
faire? dit l'espousé.--Par ma foy, dist son père, je ne m'y cognois pas
bien, mais je faiz grand doubte que vous ne puissez avoir aultre
femme.--Saint Jehan! dist la vieille, je ne le veil point, je n'ay cure
d'un tel chetif! Je seroye bien eureuse d'avoir ung tel jeune galant qui
n'aroit cure de moy, et me despendroit tout le mien, et, si j'en
sonnoye mot, encores aroie je la teste torchée. Ostez, ostez, mandez
vostre femme, et me laissez aller où je doy estre.--Nostre Dame! dit
l'espousé, si je la puis recouvrer, je l'ayme trop mieulx que vous,
quelque pouvre qu'elle soit; mais vous n'en irez pas, si je ne la puis
finer.» Son père et aucuns ses parens vindrent à l'ostel où la vieille
voulsist bien estre; et vindrent trouver la compaignie qui desjeunoit au
plus fort, et qui faisoient le chaudeau pour porter à l'espousé et à
l'espousée. Ilz comptèrent leur cas, et on leur respondit: «Vous venez
trop tard: chacun se tienne à ce qu'il a; le seigneur de céens est
content de la femme que Dieu luy a donnée, il l'a espousée et n'en veult
point d'aultre. Et ne vous en dolez jà, vous ne fustes jamais si eureux
que d'avoir fille alyée en si hault lieu; vous en serez une foiz tous
riches.» Ce bon père retourne en son hostel, et vient faire son rapport,
dont la vieille cuida bien enrager. «Voire, dist elle, suis je en ce
point deceue? Par Dieu! la chose n'en demourra pas ainsi, ou la justice
me fauldra.» Si la vieille estoit bien mal contente, encore l'estoit
bien autant ou plus le jeune espousé, qui se veoit frustré de ses
amours; et encores l'eust il legerement passé s'il eust peu finer de la
vieille à tout son argent; mais nenny, il la faillit laisser aller à sa
maison, tant menoit laide vie. Si fut conseillé de la faire citer
pardevant monseigneur de Cambray, et elle pareillement fist citer le
vieil homme qui ha la jeune femme; et ont encommencé ung gros procès
dont le jugement n'est encores rendu, si ne vous en sçay que dire plus
avant.




LA LIVe NOUVELLE.

PAR MAHIOT D'ANQUASMS.


Ung gentil chevalier de la conté de Flandres, jeune, bruyant, jousteur,
danseur et bien chantant, se trouva point ou pays de Haynault, en la
compaignie d'un aultre gentil chevalier de sa sorte, et demeurant ou dit
pays, qui le hantoit trop plus que la marche de Flandres où il avoit sa
residence et belle et bonne. Mais, comme souvent advient, amours estoit
cause de sa retenue, car il estoit feru et attaint bien au vif d'une
damoiselle de Maubeuge, et à ceste occasion Dieu scet qu'il faisoit.
Trèssouvent joustoit, faisoit mommeries, bancquetz, et generalement tout
ce qu'il pensoit qui peust plaire à sa dame et à luy possible, il le
faisoit. Il fut assez bien en grâce pour ung temps, mais non pas si
avant qu'il eust bien voulu. Son compaignon le chevalier de Haynau, qui
savoit tout son cas, le servoit au mieulx qu'il povoit, et ne tenoit pas
à sa diligence que ses besoignes ne fussent bien bonnes et meilleures
qu'elles ne furent. Qu'en vauldroit le long compte? Le bon chevalier de
Flandres ne sceut oncques tant faire, ne son compagnon aussi, qu'il
peust obtenir de sa dame le gracieux don de mercy, ainçois la trouva
tout temps rigoreuse, puis qu'il tenoit langage sur ces termes. Force
luy fut toutesfoiz, ses besoignes estans comme vous oez, de retourner en
Flandres. Si print ung gracieux congé de sa dame, et luy laissa son
compaignon, promist aussi, s'il ne retournoit de bref, de luy souvent
escripre et mander de son estat. Et elle promist de sa part luy faire
savoir de ses nouvelles. Advint certain jour après que nostre chevalier
fut retourné en Flandres, que sa dame eut volunté d'aller en pelerinage,
et disposa ses besoignes ad ce. Et comme le chariot estoit devant son
hostel, et le charreton dedans, qui estoit ung trèsbeau compaignon, fort
et viste, qui l'adouboit, elle luy gecta ung coussin sur la teste, et le
fist cheoir à pates, et puis commença à rire trèsfort et bien hault. Le
charreton se sourdit et la regarda rire, et dist: «Par Dieu,
madamoiselle, vous m'avez fait cheoir; mais creez que je m'en vengeray
bien, car avant qu'il soit nuyt je vous feray tumber.--Vous n'estes pas
si mal gracieux», dist elle. Et, en ce disant, elle prend ung aultre
coussin, que le charreton ne s'en donnoit garde, et le fait arrière
cheoir comme devant; et s'elle risit fort au par avant, elle ne s'en
faindit pas à ceste heure. «Et qu'est cecy, dit le charreton,
madamoiselle? Vous en voulez à moy, faictes; par ma foy, si j'estoie
emprès vous, je n'attendroye pas de moy venger aux champs.--Et que
feriez vous? dit elle.--Se j'estoie en hault, je le vous diroye, dit
il.--Vous feriez merveilles, dit elle, à vous oyr; mais vous ne vous y
oseriez trouver.--Non, dit il, et vous le verrez.» Il saulta jus du
chariot, entra dedans l'ostel, et monta en hault, où madamoiselle estoit
en cotte simple, tant joyeuse qu'on ne pourroit plus; il la commence à
assaillir, et, pour abreger le compte, elle fut contente qu'il luy
tollist ce que par honneur donner ne luy povoit. Cela se passa, et au
terme accoustumé elle fist ung trèsbeau petit charreton, ou pour mieulx
dire ung trèsbeau filz. La chose ne fut pas si secrète que le chevalier
de Haynau ne le sceust tantost, dont il fut bien esbahy; il escripvit
bien à haste par ung propre message à son compaignon en Flandres comment
sa dame avoit fait ung enfant à l'ayde d'un charreton. Pensez que
l'autre fut bien esbahy d'oyr ces nouvelles; si ne demoura guères qu'il
ne vint en Haynau, devers son compaignon, et luy pria qu'ilz allassent
veoir sa dame, et qu'il la veult trop bien tancer et luy dire la
lascheté et néanté de son cueur. Combien que, pour son meschief advenu,
elle ne se monstra encores guères à ce temps, si trouvèrent façon ces
deux chevaliers, par moyens, qu'ilz vindrent ou lieu où elle estoit.
Elle fut bien honteuse et desplaisante de leur venue, comme celle qui
bien scet qu'elle n'orra chose d'eulx qui luy plaise; au fort elle
s'asseura, et les receut comme sa contenance luy apporta. Ilz
commencèrent à deviser d'unes et d'aultres matières; et nostre bon
chevalier de Flandres va commencer son service et luy dit tant de
villanie qu'on ne pourroit plus: «Or estes vous, dist il, du monde la
femme plus reprouchée et mains honorée, et avez monstré la grand
lascheté de vostre cueur, qui vous estes habandonnée à ung meschant
villain charreton; tant de gens de bien vous ont offert leurs services
et vous les avez tous reboutez. Et pour ma part, vous savez que j'ay
fait pour vostre grâce acquerir; et n'estois-je pas homme pour avoir ce
butin ou mieulx que ung paillard charreton qui ne fist oncques rien pour
vous.--Je vous requier, monseigneur, dit elle, ne m'en parlez plus, ce
qui est fait ne peut aultrement estre; mais je vous dy bien que si vous
fussez venu à l'heure du charreton, que autant eussé je fait pour vous
que je feiz pour luy.--Est-ce cela? dit il. Saint Jehan! il vint à bonne
heure! Le dyable y ait part, que je ne fu si eureux que de savoir vostre
heure!--Vrayement, dit elle, il vint à l'heure qu'il falloit venir.--Au
dyable, dit il, soit l'heure, vous aussi, et vostre charreton!» Et à
tant se part et son compaignon le suyt, et oncques depuis n'en tint
compte, et à bonne cause.




LA LVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


L'année du pardon de Romme n'a guères passé, estoit ou Daulphiné la
pestilence si grande et si horrible que la pluspart des gens de bien
habandonnèrent le pais. Durant ceste persécution, une belle fille, gente
et jeune, se sentit ferue de la maladie; et tout tantost se vint rendre
à une sienne voisine, femme de bien et de grand façon, et desjà sur
l'eage, et lui compta son piteux cas. La voisine, qui estoit femme sage
et asseurée, ne s'effraya de rien que l'autre luy comptast, mesme eut
bien tant de courage et d'asseurance en elle, qu'elle la conforta de
parolles et de tant pou de medicine qu'elle savoit. «Hélas! ce dist la
jeune fille malade, ma bonne voisine, j'ay grand regret que force m'est
aujourd'huy habandonner ce monde et les beauls et bons passetemps que
j'ay euz longtemps; mais encores, par mon serment, à dire entre vous et
moy, mon plus grant regret si est qu'il fault que je meure avant que
savoir et sentir des biens de ce monde; telz et telz m'ont maintesfoiz
priée, et si les ay refusez tout plainement, dont me desplaist; et creez
que si j'en peusse finer d'un à ceste heure, il ne m'eschapperoit jamais
devant qu'il m'eust monstré comment je fuz gaignée. L'on me fait
entendre que la façon du faire est tant plaisante que je plains et
complains mon gent et jeune corps qu'il fault pourrir sans avoir eu ce
desiré plaisir. Et à verité dire, ma bonne voisine, il me semble si je
peusse quelque pou sentir avant ma mort, ma fin en seroit plus aisée et
plus legière à passer, et à mains de regret. Et que plus est, mon cueur
est à cela que ce me pourroit estre medicine et cause de garison.--Pleust
à Dieu, dist la vieille, qu'il ne tenist à autre chose, vous seriez tost
garie, ce me semble; car, Dieu mercy, nostre ville n'est pas encores si
desgarnye de gens qu'on n'y trouvast ung gentil compaignon pour vous
servir à ce besoing.--Ma bonne voisine, dit la jeune fille, je vous
requier que vous allez devers ung tel, qu'elle luy nomma, qui estoit ung
trèsbeau gentilhomme, et qui aultrefoiz avoit esté amoureux d'elle, et
faictes tant qu'il vienne icy parler à moy.» La veille se mect au
chemin, et fist tant qu'elle trouva ce gentilhomme, qu'elle envoya en sa
maison. Tantost qu'il fut léens, la jeune fille malade, et à cause de sa
maladie plus et mieux colorée, luy saillit au col et le baisa plus de
vingt foiz. Le jeune filz, plus joyeux qu'oncques mais de veoir celle
que tant avoit amée ainsi vers luy habandonnée, la saysit sans demeure,
et luy monstra ce que tant desiroit assavoir. Elle ne fut pas honteuse
de le requerre et prier de continuer ce qu'il avoit encommencé. Et pour
abreger, tant luy fist elle recommencer qu'il n'en peut plus. Quand
elle vit ce, comme celle qui n'en avoit pas son saoul, el osa bien dire:
«Mon amy, vous m'avez autresfoiz priée de ce dont je vous requier
aujourd'uy, vous avez fait ce qu'en vous est, je le sçay bien.
Toutesfoiz je ne sçay que j'ay ne qu'il me fault, mais je cognois que je
ne puis vivre se quelque ung ne me fait compaignie en la façon que
m'avez fait; et pourtant, je vous prie que veillez aller vers ung tel et
l'amenez icy, si cher que vous avez ma vie.--Il est bien vray, m'amye,
je le sçay bien il fera ce que vous vouldrez.» Ce gentil homme fut
esbahy de ceste requeste; toutesfoiz, car il avoit tant labouré que plus
ne povoit, il fut content d'aller querre son compaignon et l'amena
devers elle, qui tantost le mist en besongne, et le laissa ainsi que
l'autre. Quand elle l'eut matté comme son compaignon, elle ne fut pas
mains privée de luy dire son courage, mais luy prya, comme elle avoit
fait l'aultre, d'amener vers elle ung aultre gentilhomme, et il le fist.
Or sont jà trois qu'elle a laissez et desconfiz par force d'armes; mais
vous devez savoir que le premier gentilhomme se sentit malade et féru de
l'epidimie tantost qu'il eut mys son compaignon en son lieu; si s'en
alla hastivement vers le curé, et tout le mieulx qu'il sceut se
confessa, et puis mourut entre les braz du curé. Son compaignon aussi,
le deuxiesme venu, tantost que au tiers il eut baillé sa place, se
sentit desja trèsmalade, et demandoit partout après celui qui desjà
estoit mort; il vint rencontrer le curé plorant et demenant grand
dueil, qui luy compta la mort de son bon compaignon. «Ha! monseigneur le
curé, je suis feru tout comme luy, confessez moy.» Le curé en grand
crainte se despescha de le confesser. Et quand ce fut fait, ce
gentilhomme malade, à deux heures près de sa fin, s'en vint à celle qui
luy avoit baillé le cop de la mort, et à son compaignon, aussi, et là
trouva celuy qu'il y avoit amené, et luy dist: «Maudicte femme! vous
m'ayez baillé la mort et à mon compaignon aussi. Vous estes digne de
estre brullée et mise en cendre. Toutesfoiz je le vous pardonne, Dieu le
vous veille pardonner. Vous avez l'epydimie et l'avez bailliée à mon
compaignon, qui en est mort entre les braz du prestre, et je n'en ay pas
mains.» Il se partit à tant et s'en ala mourir une heure après, en sa
maison. Le IIJe gentilhomme, qui se voyoit en l'espreuve où ses deux
compaignons estoient mors, n'estoit pas des plus asseurez. Toutesfoiz il
print courage en soy mesmes et mist et paour et crainte arrière dos; et
s'asseura que celuy qui en beaucop de perilz et de mortelz assaulx
s'estoit trouvé; et vint au père et à la mère de celle qui l'avoit deceu
et fait morir ses deux compaignons, et leur compta la maladie de leur
fille et quon y prinst garde. Cela fait, il se conduisit tellement qu'il
eschappa du peril où ses deux compaignons estoient mors. Or devez vous
savoir que quand ceste ouvrière de tuer gens fut ramenée en l'ostel de
son père, tandiz qu'on luy faisoit ung lit pour reposer et la faire
suer, elle manda secretement le filz d'un cordonnier son voisin, et le
fist venir en l'estable des chevaulx de son père et le mist en euvre
comme les aultres, mais il ne vesquist pas quatre heures après. Elle fut
couchée en ung lit, et la fist on beaucop suer. Et tantost luy vindrent
quatre bosses dont elle fut depuis trèsbien garie. Et tiens qui en aroit
à faire, qu'on la trouveroit aujourd'huy ou reng de noz cousines, en
Avignon, à Vienne, à Valence, ou en quelque aultre lieu ou Daulphiné. Et
disent les maistres qu'elle eschappa de mort à cause d'avoir senty des
biens de ce monde, qui est notable et veritable exemple à pluseurs
jeunes filles de point refuser ung bien quand il leur vient.




LA LVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


N'a guères que en ung bourg de ce royaume, en la duché d'Auvergne,
demouroit ung gentilhomme; et de son maleur avoit une trèsbelle jeune
femme. De sa bonté devisera mon compte. Ceste bonne damoiselle
s'accointa d'un curé qui estoit son voisin de demye lieue, et furent
tant voisins et tant privez l'un de l'autre que le bon curé tenoit le
lieu du gentilhomme toutes foiz qu'il estoit dehors. Et avoit ceste
damoiselle une chambrière qui estoit secrétaire de leur fait et portoit
souvent nouvelles au curé et l'advisoit du lieu et de l'heure pour
comparoir seurement vers sa maistresse. La chose ne fut pas en la parfin
si bien celée que mestier fut à la compaignie; car ung gentilhomme
prochain parent de celuy à qui ce deshonneur se faisoit fut adverty du
cas, et en advertit celuy à qui plus touchoit en la façon et manière
qu'oncques mieulx sceut et peut. Pensez que ce bon gentilhomme, quand il
entendit que à son absence sa femme se aidoit de ce curé, qu'il n'en fut
pas content, et si n'eust esté son cousin, il en eust prins vengence
criminelle et de main mise, tantost qu'il en fut adverty. Toutesfoiz il
fut content de differer sa volunté jusques à tant qu'il eust prins au
fait et l'un et l'autre. Et conclurent, luy et son cousin, d'aller en
pelerinage à quatre ou six lieues de son hostel, et de y mener sa femme
et ce curé pour mieulx se donner garde des manières qu'ilz tiendront
l'un vers l'autre. Au retourner qu'ilz firent de ce pelerinage, où
monseigneur le curé servit amours le mieulx qu'il peut, c'est assavoir
de oeillades et d'autres menues entretenances, le mari se fist mander
querir par ung messagier affaictié, pour aller vers ung seigneur du
pais. Il fist semblant d'en estre mal content et de se partir à regret;
neantmoins, puisque le bon seigneur le mande, il n'oseroit desobeir. Si
part et s'en va, et son cousin, l'autre gentilhomme, dit qu'il luy fera
compaignie, car c'est assez son chemin pour retourner en son hostel.
Monseigneur le curé et mademoiselle ne furent jamais plus joyeux que
d'oyr cette nouvelle: si prindrent conseil et conclusion ensemble que le
curé se partira de léens et prendra son congié affin que nul de léens
n'ait suspicion de luy, et environ la mynuyt, il retournera et entrera
vers sa dame par le lieu où il a de coustume. Et ne demoura guères puis
ceste conclusion prinse que nostre curé se part de léens et dit son
adieu. Or devez vous savoir que le mary et le gentilhomme son parent
s'estoient embuschez en un destroict par où nostre curé devoit passer;
et ne povoit ne aller ne venir par ailleurs sans soy trop destourner de
son droit chemin. Il virent passer nostre curé, et leur jugeoit le cueur
qu'il retourneroit la nuyt dont il estoit party; et aussi c'estoit son
intencion. Ilz le laissèrent passer sans arrester ne dire mot, et
s'advisèrent de faire ung piège trèsbeau, à l'aide d'aucuns paisans qui
les servirent à ce besoing. Ce piège fut en haste bel et bien fait, et
ne demoura guères que ung loup passant pays ne s'attrappa léens. Tantost
après, véezcy maistre curé qui vient, la robe courte vestue et portant
le bel espieu à son col. Et quand vint à l'endroit du piège, il tumbe
dedans, avecques le loup, dont il fut bien esbahy. Et le loup, qui avoit
fait l'essay, n'avoit pas mains paour du curé que le curé avoit de luy.
Quand noz deux gentilzhommes voyent que nostre curé est avecques le
loup logé, ilz en firent joye merveilleuse; et dist bien celuy à qui le
fait touchoit plus, que jamais n'en partiroit en vie, et qu'il l'occira
léens. L'autre le blasmoit de ceste volunté et ne se veult accorder
qu'il meure, trop bien est il content qu'on luy trenche ses genitoires.
Le mary toutesfoiz le vouloit avoir mort. En cest estrif demourèrent
longuement, en attendant le jour et qu'il feist cler. Tantdiz que ceste
attente se faisoit, madamoiselle, qui attendoit son curé, ne savoit que
penser qu'il tardoit tant; si se pensa d'y envoyer sa chambrière, affin
de le faire avancer. La chambrière, tirant son chemin vers l'ostel du
curé, trouva le piège et tumba avecques le loup et le curé. Qui fut
esbahy, ce fut la chambrière, de se trouver en la fosse emprès du loup
et du curé. «Ha! dit le curé, je suis perdu, mon fait est descouvert;
quelque ung nous a pourchassé ce passage.» Et le mary et le gentilhomme
son cousin, qui tout entendoient et véoient, estoient tant aises qu'on
ne pourroit plus; et se pensèrent, comme si le saint esperit leur eust
revelé, que la maistresse pourroit bien suyvir la chambrière, ad ce
qu'ilz entendirent de la chambrière, que sa maistresse l'envoyoit devers
le curé pour savoir qu'il tardoit tant de venir oultre l'heure prinse
entre eulx deux. La maistresse, voyant que le curé et la chambrière
point ne retournoient, et que le jour commenceoit à approucher, se
doubta que la chambrière et le curé ne feissent quelque chose à son
préjudice, et qu'ilz se pourroient entrerencontrer à petit bois qui
estoit à l'endroit où le piège estoit fait, si conclud qu'elle ira veoir
s'elle orra nulles nouvelles. Et tire païs vers l'ostel du curé, et elle
venue à l'endroit du piège, tumbe dedans la fosse avecques les aultres.
Il ne faut pas demander, quand ceste compaignie se voit ensemble, qui
fut le plus esbahy, et se chacun faisoit sa puissance de soy tirer hors
de la fosse; mais c'est pour néant; chacun d'eulx se répute mort et
deshonoré. Et les deux ouvriers, c'est asavoir le mary de la damoiselle
et le gentilhomme son cousin, vindrent au dessus de la fosse saluer la
compaignie, et leur disoient qu'ilz feissent bonne chère et qu'ilz
aprestoient leur desjuner. Le mary, qui mouroit de faire ung cop de sa
main, trouva façon d'envoyer son cousin veoir que faisoient leurs
chevaulx, qui estoient en ung hostel assez près; et tantdiz qu'il se
trouva descombré de luy, il fist tant, à quelque meschef que ce fust,
qu'il eut de l'estrain largement et l'avala dedans la fosse, et y mist
le feu; et là brulla la compaignie, femme, curé, chambrière et loup.
Après ce, il se partit du païs et manda vers le roy querir sa remission,
laquelle il obtint de legier. Et disent les aucuns que le roy deut dire
qu'il n'y eut dommage que du pouvre loup qui fut brullé, qui ne povoit
mais du meffait des aultres.




LA LVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


Tantdiz que l'on me preste audience et que ame ne s'avance quand à
present de parfournir ceste glorieuse et edifiant euvre de cent
nouvelles, je vous compteray ung cas qui puis n'aguères est advenu ou
Daulphiné, pour estre mis ou reng et nombre des dictes nouvelles. Il est
vray que ung gentilhomme du dict Daulphiné avoit en son hostel une
sienne seur environ de l'eage de XVIIJ à XX ans; et faisoit compaignie à
sa femme, qui beaucop l'amoit et tenoit chère, et comme deux seurs se
doivent contenir et maintenir ensemble se conduisoient. Advint que ce
gentilhomme fut semons d'un sien voisin, lequel demouroit à deux petites
lieues de luy, de le venir veoir, luy, sa femme et sa seur. Ilz y
allèrent, et Dieu scet la chère; et comme la femme de celuy qui festioit
la compaignie menast à l'esbat la femme et la seur de nostre dit
gentilhomme, après soupper, devisant de pluseurs propos, elles se
vindrent rendre en la maisonnette du bergier de léens, qui estoit auprès
d'un large et grand parcq à mettre les brebiz, et trouvèrent là le
maistre bergier qui besoignoit entour de ce parcq. Et, comme femmes
scevent enquerre de maintes et diverses choses, entre aultres luy
demandoyent s'il n'avoit point froit léens. Il respondit que non, et
qu'il estoit plus aise et mieulx à luy que ceulx qui ont leurs belles
chambres voirrées, nattées, et tapissées. Et tant vindrent d'unes
parolles à aultres par motz couvers, que leurs devises vindrent à
toucher du train de derrière. Et le bon bergier, qui n'estoit fol ne
esperdu, leur dit que par la mort bieu il oseroit bien emprendre de
faire la besoigne VIIJ ou IX foiz pour nuyt. Et la seur de nostre
gentilhomme, qui oyoit ce propos, gectoit l'oeil souvent et menu sur ce
bergier; et de fait jamais ne cessa tant qu'elle vit son cop de luy dire
qu'il ne laissast pour rien qu'il ne venist la veoir en l'ostel de son
frère, et qu'elle luy feroit bonne chère. Le bergier, qui la vit belle
fille, ne fut pas moyennement joyeux de ces nouvelles et luy promist la
venir veoir. Et de bref, il fist ce qu'il avoit promis, et à l'heure
prinse d'entre sa dame et luy, se vint rendre à l'endroit d'une fenestre
haulte et dangereuse à monter; toutesfoiz, à l'ayde d'une corde qu'elle
luy devala, et d'une vigne qui là estoit, il fist tant qu'il fut en la
chambre, et ne fault pas dire qu'il y fut voluntiers veu. Il monstra de
fait ce dont il s'estoit vanté de bouche, car avant que le jour venist
il fist tant que le cerf eut viij cornes acomplies, laquelle chose sa
dame print bien en gré. Mais vous devez savoir que le bergier, avant
qu'il peust parvenir à sa dame, luy failloit cheminer deux lieues de
terre et passer à nou la grosse rivière du Rone, qui battoit à l'ostel
où sa dame demouroit. Et quand le jour venoit, luy failloit arrière
repasser le Rone; et ainsi s'en retournoit à sa bergerie. Et continua
ceste manière de faire une grand espace de temps, sans qu'il fust
descouvert. Pendant ce temps pluseurs gentilzhommes du païs demandèrent
ceste damoiselle, devenue bergière, à mariage; mais nul ne venoit à soit
gré, dont son frère n'estoit pas trop content, et luy disoit pluseurs
fois. Mais elle estoit tousjours garnye d'excusanses et responses
largement, dont elle advertissoit son amy le bergier, auquel ung soir
elle promist que, s'il vouloit, elle n'aroit jamais aultre mary que luy.
Et il dit qu'il ne demanderoit aultre bien: «Mais la chose ne se
pourroit, dit il, conduire, pour vostre frère et aultres voz amys.--Ne
vous chaille, dit elle; laissez m'en faire, j'en cheviray bien.» Ainsi
promisrent l'un à l'aultre. Neantmains toutesfoiz il vint ung
gentilhomme qui fist arrière requerre nostre damoiselle bergière, et la
vouloit seulement avoir vestue et habillée comme à son estat
appartenoit, sans aultre chose. A laquelle chose le frère d'elle eust
voluntiers entendu, et cuida mener sa seur ad ce qu'elle se y
consentist, luy remonstrant ce qu'on scet faire en tel cas; mais il n'en
peut venir à chef, dont il fut bien mal content. Quand elle vit son
frère indigné contre elle, elle le tira d'une part et luy dist: «Mon
frère, vous m'avez beaucop pressée et preschée de moy marier à telz et à
telz, et je ne m'y suis voulu consentir; dont vous requier que ne m'en
sachez mal gré, et me veillez pardonner le maltalent qu'avez vers moy
conceu, et je vous diray la raison qui à ce me meut et contraint en ce
cas, mais que me veillez asseurer que ne m'en ferez ne vouldrez pis.»
Son frère luy promist voluntiers. Quand elle se vit asseurée, elle luy
dist qu'elle estoit mariée autant vault, et que jour de sa vie aultre
homme n'aroit à mary que celuy qu'elle luy monstreroit ennuyt, s'il
veult. «Je le veil bien veoir, dit il, mais qui est il?--Vous le verrez
par temps», dit elle. Quand vint à l'heure acoustumée, véezcy bon
bergier qui se vint rendre en la chambre de sa dame, Dieu scet comment
mouillié d'avoir passé la rivière; et le frère d'elle regarde et voit
que c'est le bergier de son voisin; si ne fut pas pou esbahy, et le
bergier encores plus, qui s'en cuida fuyr quand il le vit. «Demeure,
demeure, dist il, tu n'as garde. Est-ce, dit il à sa seur, celuy dont
vous m'avez parlé?--Oy vrayement, mon frère, dit elle.--Or luy faictes,
dit il, bon feu, pour soy chaufer, car il en a bon mestier; et en pensez
comme du vostre; et vrayement, vous n'avez pas tort si vous luy voulez
du bien, car il se mect en grand dangier pour l'amour de vous. Et puis
que voz besoignes sont en telz termes, et que vostre courage est à cela
que d'en faire vostre mary, à moy ne tiendra, et maudit soit qui ne s'en
despesche.--Amen, dit elle, à demain qui vouldra.--Je le veil, dit il.
Et vous, dit il au bergier, qu'en dictes vous?--Tout ce qu'on
veult.--Il n'y a remède, dit il, vous estes et serez mon frère; aussi
suis je pieça de la houlette, si doy bien avoir ung bergier à frère.»
Pour abreger le compte du bergier, le gentilhomme consentit le mariage
de sa seur et du bergier, et fut fait, et les tint tous deux en son
hostel, combien qu'on en parlast assez par le païs. Et quand il estoit
en lieu que l'on en devisoit et on disoit que c'estoit merveille qu'il
n'avoit fait batre ou tuer le bergier, il respondoit que jamais ne
pourroit vouloir mal à rien que sa seur amast, et que trop mieulx
vouloit avoir le bergier à beau-frère, au gré de sa seur, que ung aultre
bien grand maistre au desplaisir d'elle. Et tout ce disoit par farce et
esbatement, car il estoit et a esté toujours trèsgracieux et nouveau et
bien plaisant gentilhomme; et le faisoit bon oyr deviser de sa seur,
voire entre ses amys et privez compaignons.




LA LVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR LE DUC.


Je congneuz au temps de ma verte et plus vertueuse jeunesse deux
gentilzhommes, beaulx compaignons, bien assovis et adressez de tout ce
qu'on doit ou peut loer ung gentilhomme vertueux. Ces deux estoient tant
amys, allyez, et donnez l'un à l'autre, que d'habillemens, tant pour
leurs corps, leurs gens, leurs chevaulx, tousjours estoient pareilz.
Advint qu'ilz devindrent amoureux de deux belles jeunes filles, gentes
et gracieuses, et le mains mal qu'ilz sceurent firent tant qu'elles
furent adverties de leur nouvelle emprinse, du bien, du service, et de
cent mille choses que pour elles faire vouldroient. Ilz furent escoutez,
mais aultre chose ne s'en ensuyvit. Espoir qu'elles estoient de
serviteurs pourveues, ou que d'amours ne se vouloient entremettre; car,
à la verité dire, ilz estoient beaulx compaignons tous deux, et valoient
bien d'estre retenuz serviteurs d'aussi femmes de bien qu'elles
estoient. Quoy que fust, toutesfoiz ilz ne sceurent oncques tant faire
qu'ilz fussent en grâce, dont ilz passèrent maintes nuiz, Dieu scet à
quelle peine, maudisans puis fortune, puis amours, et trèssouvent leurs
dames qu'ilz trouvoient tant rigoreuses. Eulx estans en ceste rage et
desmesurée langueur, l'un dit à son compaignon: «Nous voyons à l'oeil
que noz dames ne tiennent compte de nous, et toutesfoiz nous enrageons
après, et tant plus nous monstrent de fiertez et de rigueurs, tant plus
les desirons complaire, servir, et obeyr, qui est, sur ma foy, une
haulte folye. Je vous requier que nous ne tenons compte d'elles ne
qu'elles font de nous, et vous verrez, s'elles pevent cognoistre que
nous soyons à cela, qu'elles enrageront après nous, comme nous faisons
maintenant après elles.--Helas! dit l'autre, le bon conseil, qui en
pourroit venir à chef!--J'ay trouvé la manière, dit le premier; j'ay
tousdiz oy dire, et Ovide le mect en son livre du _Remède d'amours_, que
beaucop et souvent faire la chose que savez fait oublyer et pou tenir
compte de celle qu'on ayme, et dont on est fort feru. Si vous diray que
nous ferons: faisons venir à nostre logis deux jeunes filles de noz
cousines, et couchons avec elles, et leurs faisons tant la folye que
nous ne puissons les rains traisner, et puis venons devant noz dames; et
de nous au dyable qui en tiendra compte.» L'aultre s'i accorda, et comme
il fut proposé et deliberé fut fait et accomply, car ilz eurent chacun
une belle fille. Et après ce, se vindrent trouver devant leurs dames, en
une feste où elles estoient, et faisoient bons compaignons la roe, et se
pourmenoient par devant elles, devisans d'un costé et d'aultre, et
faisans cent mille manières pour dire: «Nous ne tenons compte de vous»,
cuidans, comme ilz avoient proposé, que leurs dames en deussent estre
mal contentes, et qu'elles les deussent rappeller ores ou aultrefoiz;
mais aultrement alla, car s'ilz monstroient semblant de peu tenir compte
d'elles, elles monstroient tout apertement de rien y compter, dont ilz
se perceurent trèsbien et ne s'en savoient assez esbahir à l'heure. Si
dist l'un à son compaignon: «Scez tu comment il est? Par la mort bieu,
noz dames ont fait la folie comme nous. Et ne voiz tu comment elles sont
fières? Elles tiennent toutes telles manières que nous faisons; si ne
me croy jamais s'elles n'ont fait comme nous. Elles ont prins chacune
ung compaignon et ont fait jusques à oultrance la folye; au deable les
crapaudes! laissez les là.--Par ma foy! dit l'autre, je le croy comme
vous le dictes, je n'ay pas aprins de les veoir telles.» Ainsi pensèrent
les compaignons que leurs dames eussent fait comme eulx, pource qu'il
leur sembla à l'heure qu'elles n'en tenissent compte, comme ilz ne
tenoient compte d'elles, combien qu'il n'en fust rien, et est assez
legier à croire.




LA LIXe NOUVELLE.

PAR PONCELLET.


En la ville de saint Omer avoit naguères ung gentil compaignon sergent
de roy, lequel estoit marié à une bonne et loyale femme qui aultresfoiz
avoit esté mariée, et luy estoit demouré ung filz qu'elle avoit adressée
en mariage. Ce bon compaignon, jasoit ce qu'il eust bonne et preude
femme, neantmains toutesfoiz il s'employoit de jour et de nuyt de servir
amour partout où il povoit, et tant qu'il luy estoit possible. Et pour
ce que en temps d'yver sourdent pluseurs foiz les inconveniens plus de
legier qu'en aultre temps à poursuivir la queste loing, il s'advisa et
delibera qu'il ne se partiroit point de son hostel pour servir amours,
car il y avoit une trèsbelle jeune et gente fille, chambrière de sa
femme, avecques laquelle il trouveroit manière d'estre son serviteur
s'il pouvoit. Pour abreger, tant fist par dons et par promesses qu'il
eut octroy de faire tout ce qu'il luy plairoit, jasoit que à grand
peine, pour ce que sa femme estoit tousjours sus eulx, qui congnoissoit
la condicion de son mary. Ce nonobstant, Amour, qui veult tousjours
secourir à ses vraiz servans, inspira tellement l'entendement du bon et
loyal servant qu'il trouva moien d'accomplir son jeu, car il faindit
estre trèsfort malade de refroidement, et dist à sa femme: «Trèsdoulce
compaigne, venez ça: je suis si trèsmalade que plus ne puis; il me faut
aller coucher, et vous prie que vous faictes tous noz gens coucher,
affin que nul ne face noise ne bruit, et puis venez en nostre chambre.»
La bonne damoiselle, qui estoit trèsdesplaisante du mal de son mary,
fist ce qu'il luy commenda, et puis print beaulx draps et les chauffa et
mist sus son mary après qu'il fut couché. Et quand il fut bien eschauffé
par longue espace, il dist: «M'amye, il suffist, je suis assez bien,
Dieu mercy et la vostre, qui en avez prins tant de peine; si vous pry
que vous en venez coucher emprès moy.» Et elle qui desiroit la santé et
le repos de son mary, fist ce qu'il lui commendoit et s'endormit et le
plus tost qu'elle peut, et assez tost après que nostre amoureux perceut
qu'elle dormoit, se coula tout doulcement jus de son lit, et s'en alla
combatre ou lit de sa dame la chambrière tout prest pour son veu
accomplir, où il fut bien receu et rencontré, et tant rompirent de
lances qu'ilz furent si las et recreuz qu'il convint qu'en beaux braz
ilz demourassent endormiz. Et comme aucunes foiz advient, quand on
s'endort en aucun desplaisir ou melencolie, au reveiller c'est ce qui
vient premier à la personne, et est aucunesfoiz mesme cause du reveil,
comme à la damoiselle advint. Et jasoit que grand soing eust de son
mary, toutesfoiz ne le garda elle pas bien, car elle trouva qu'il
s'estoit de son lit party. Et taste sur son oreiller, et en sa place
trouva qu'il y faisoit tout froit et qu'il avoit longtemps qu'il n'y
avoit esté. Adonc, comme toute desesperée saillit sus, et en vestant sa
chemise et sa cotte simple disoit à part elle: «Lasse meschante, or es
tu une femme perdue et qui fait bien à reproucher, quand par ta
negligence as laissé cest homme perdre. Helas! pourquoy me suis-je
ennuyt couchée pour ainsi moy habandonner à dormir? O vierge Marie!
veillez mon cueur resjoyr, et que par ma cause il n'ayt nul mal, car je
me tiendroye coulpable de sa mort.» Et après ces regrets et
lamentacions, elle se part hastivement et alla querir de la lumière; et
affin que sa chambrière luy tinst compaignie à querir son mary, elle
s'en alla en sa chambre pour la faire lever, et là endroit trouva la
doulce paire, dormans à braz, et luy sembla bien qu'ils avoient
travaillé cette nuyt, car ilz dormoient si bien qu'ils ne
s'esveillèrent pour personne qui y entrast, ne pour lumière qu'on y
portast. Et de fait, pour la joye qu'elle eut de ce que son mary
n'estoit point si mal ne si desvoyé qu'elle esperoit, ny que son cueur
luy avoit jugié, elle s'en alla querir ses enfans et les varletz de
l'ostel elles mena veoir la belle compaignie, et leur enjoignit
expressement qu'ilz n'en feissent aucun semblant; et puis leur demanda
en basset qui c'estoit ou lit de la chambrière qui là dormoit avec elle.
Et ses enfans respondirent que c'estoit leur père, et les varletz que
c'estoit leur maistre. Et puis les ramena dehors, et les fist aller
recoucher, car il estoit trop matin pour eulx lever; et aussi elle s'en
alla elle pareillement rebouter en son lit, mais depuis ne dormit
guères, tant qu'il fut heure de lever. Toutesfoiz, assez tost après, la
compaignie des vraiz amans s'esveilla, et se despartirent l'un de
l'aultre amoureusement. Si s'en retourna nostre maistre en son lit,
enprès sa femme, sans dire mot; et aussi ne fist elle, et faignoit
qu'elle dormoist, dont il fut moult joyeulx, pensant qu'elle ne sceust
rien de sa bonne fortune; car il la cremoit et doubtoit à merveilles,
tant pour sa paix comme pour la fille. Et de fait se reprint nostre
maistre à dormir bien fort, et la bonne damoiselle, qui point ne
dormoit, si tost qu'il fut heure de descoucher, se leva, et pour
festoyer son mary et luy donner quelque chose confortative après la
medicine laxative qu'il avoit prinse celle nuyt, fist ses gens lever et
appella sa chambrière, et luy dist qu'elle prinst les deux meilleurs
chapons de la chaponnière de l'ostel, et les appoinctast trèsbien, et
puis qu'elle allast à la boucherie querir le meilleur morseau de beuf
qu'elle pourroit trouver, et si cuisist tout à une bonne eaue pour
humer, ainsi qu'elle le saroit bien faire; car elle estoit maistresse et
ouvrière de faire bon brouet. Et la bonne fille, qui de tout son cueur
desiroit complaire à sa damoiselle et encores plus à son maistre, à l'un
par amours, à l'aultre par crainte, dist que trèsvoluntiers le feroit.
Et tantdiz la bonne damoiselle alla oyr la messe, et au retour passa par
l'ostel de son filz, dont il a esté parlé, et luy dist que venist disner
à l'ostel avec son mary, et si amenast avec luy trois ou quatre bons
compaignons qu'elle luy nomma, et que son mary et elle les prioient
qu'ilz venissent disner avec eulx. Et puis s'en retourne à l'ostel pour
entendre à la cuisine, que le humet ne soit espandu comme par male garde
il avoit esté la nuytée; mais nenny, car nostre bon mary s'en estoit
allé à l'eglise. Et tantdiz, le filz à la damoiselle alla prier ceulx
qu'elle luy avoit nommez, qui estoient les plus grands farseurs de toute
la ville de saint Omer. Or revint nostre maistre de la messe, et fist
une grand brassée à sa femme, et luy donna le bon jour; et aussi fist
elle à luy. Mais pour ce ne pensoit point mains; toutesfoiz luy dist
elle qu'elle estoit bien joyeuse de sa santé, dont il la mercya et dist:
«Voirement suis je assez en bon point, m'amye, auprès de la vesprée, et
me semble que j'ay trèsbon appetit; si vouldroye bien aller disner, si
vous vouliez.» Et elle luy dist: «J'en suis bien contente; mais il fault
ung peu attendre que le disner soit prest, et que telz et telz qui sont
priez de disner avecques vous soient venuz.--Priez, dit il, et à quel
propos? Je n'en ay cure, et amasse mieulx qu'ilz demourassent; car ilz
sont si grands farseurs que s'ils scevent que j'aye esté malade, ilz ne
m'en feront que sorner. Au mains, belle dame, je vous prie qu'on ne leur
en die rien. Et si a une aultre chose: que mengeront ilz?» Et elle dist
qu'il ne se souciast et qu'ilz aroient assez à menger, car elle avoit
fait appointer les deux meilleurs chapons de léens, et un trèsbon
mousseau pour l'honneur de luy, dont il fut bien joieux et dist que
c'estoit bien fait. Et tantost après vindrent ceulx que l'on avoit
priez, avecques le filz de la damoiselle. Et quand tout fust prest, ilz
allerent seoir à table et firent trèsbonne chère, et par especial
l'oste, et buvoient souvent, et d'autant l'un à l'autre. Et disoit
l'oste à son beau filz: «Jehan, mon amy, je vous pry que vous buvez à
vostre mère, et faictes bonne chère.» Et il dit que trèsvoluntiers le
feroit. Et ainsi qu'il eut beu à sa mère, la chambrière, qui servoit,
survint à la table. A ce cop et lors la damoiselle l'appella et luy
dist: «Venez çà, ma doulce compaigne, buvez à moy et je vous
plegeray.--Compaigne dya, dit nostre amoureux, et dont vient maintenant
celle grand amour? Que male paix y puist mettre Dieu, veezcy grand
nouvelleté!--Voire vraiement, c'est ma compaigne certaine et loyale; en
avez vous si grand merveille?--Ha dya, Jehanne, gardez que vous dictes;
jà penser pourroit on quelque chose entre elle et moy.--Et pourquoy ne
feroit? dist elle. Ne vous y ay je point ennuyt trouvé couché en son lit
et dormant braz à braz?--Couché! dit il.--Voire, vraiement, dit
elle.--Et par ma foy, beaulx seigneurs, il n'en est rien, et ne le fait
que pour me faire despit, et à la pouvre fille blasme; car oncques ne
m'y trouva.--Non dya? fist elle; vous l'orrez dire tantost et le vous
feray dire par tous ceulx de céens.» Adonc appella ses enfans et les
varletz qui estoient devant la table, et leur demanda s'ilz avoient
point veu leur père couché avec la chambrière, et ilz dirent que oy. Et
leur père respondit: «Vous mentez, mauvais garçons, vostre mère le vous
fait dire.--Sauf vostre grâce, père, nous vous y vismes couché; aussi
firent nos varletz.--Qu'en dictes vous? dit la damoiselle.--Vrayement il
est vray, dirent ilz.» Et lors il y eut grand risée de ceux qui là
estoient, et le menèrent terriblement aux abaiz, car la damoiselle leur
compta comment il s'estoit fait malade et toute la manière de faire,
ainsi qu'elle avoit esté, et comment, pour le festoyer, elle avoit fait
appareiller le disner et prier ses amys, qui de plus en plus
renforcèrent la chose, dont il fut si honteux que à peine savoit il
tenir manière, et ne se sceut aultrement sauver que de dire: «Or avant,
puis que chacun est contre moy, il fault bien que je me taise et que
j'accorde tout ce qu'on veult, car je ne puis tout seul contre vous
tous.» Après, commanda que la table fut ostée, et incontinent graces
rendues, appella son beau fils et luy dist: «Jehan, mon amy, je vous
prie que si les aultres m'accusent de cecy, que m'excusez en gardant mon
honneur, et allez veoir à ceste pouvre fille qu'on luy doit, et la paiez
si largement qu'elle n'ayt cause de soy plaindre, puis la faictes
partir; car je sçay bien que vostre mère ne la souffrera plus demourer
céens.» Le beau filz alla faire ce qui luy estoit commandé, et puis
retourna aux compaignons qu'il avoit amenez, lesquelz il trouva parlans
à sa mère, et la remercyoient de ses biens, puis prindrent congié et
s'en allèrent. Et les aultres demourèrent à l'ostel; et fait à supposer
que depuis en eurent maintes devises ensemble. Et le gentil amoureux ne
beut point tout l'amer de son vaisseau à ce disner; et à ce propos peut
on dire de chiens, d'oiseaux, d'armes, d'amours: Pour ung plaisir mille
doleurs. Et pour ce nul ne s'i doit bouter s'il n'en veult à la foiz
gouster. Et ainsi doncques, comment qu'il en advenist, acheva le gentil
compaignon sa queste en ceste partie, par la manière que dit est.




LA LXe NOUVELLE.

PAR PONCELET.


N'a pas guères qu'en la ville de Malines avoit trois damoiselles, femmes
de trois bourgois de la ville, riches, puissans et bien aisiez,
lesquelles furent amoureuses de trois frères mineurs; et pour plus
celéement et couvertement leur fait conduire, soubz umbre de dévocion se
levoient chacun jour une heure ou deux devant le jour, et quand il leur
sembloit heure d'aller veoir leurs amoureux, elles disoient à leurs
mariz qu'elles alloient à matines et à la première messe. Et par le
grand plaisir qu'elles y prenoient, et les religieux aussi, souvent
advenoit que le jour les sourprenoit si largement qu'elles ne savoient
comment saillir de l'ostel que les aultres religieux ne s'en
apperceussent. Pourquoy, doubtans les grans perilz et inconveniens qui
en povoient sourdre, fut prinse conclusion par eulz tous ensemble que
chacune d'elles aroit habit de religieux, et feroient faire grands
corones sur leurs testes, comme s'elles estoient du convent de léens;
tant que finalement à ung certain jour qu'elles y retournèrent après,
tantdiz que leurs mariz guères n'y pensoient, elles venues ès chambres
de leurs amys, ung barbier secret fut mandé, c'est asavoir ung des
frères de léens, qui fist aux damoiselles à chacune une corone sur la
teste. Et quand vint au departir, elles vestirent leurs habiz qu'on leur
avoit appareilliez, et en cest estat s'en retournèrent devers leurs
hostelz et s'en allèrent devestir, et mettre jus leurs habiz de devocion
sus certaines matrones affaictées, et puis retournèrent emprès leurs
mariz. Et en ce point continuèrent grand temps sans ce que personne s'en
apperceust. Et pource que dommage eust esté que telle devocion et
traveil n'eust esté congneu, fortune promist et voult que à certain jour
que l'une de ces bourgoises s'estoit mise au chemin pour aller au lieu
accoustumé, l'embusche fut descouverte, et de fait fut prinse à tout
l'abit dissimulé par son mary, qui l'avoit poursuye, et luy dist: «Beau
frère, vous soiez le trèsbien trouvé! je vous pry que retournez à
l'ostel, car j'ay bien à parler à vous de conseil.» Et en cest estat la
remena, dont elle ne fist jà feste. Or advint, quand ilz furent à
l'ostel, le mary commença à dire en manière de farse: «Très doulce
compaigne, dictes vous, par vostre foy, que la vraye devocion dont tout
ce temps d'yver avez esté esprise vous fait endosser l'abit de saint
Françoys, et porter coronne semblable aux bons frères? Dictes moy, je
vous requier, qui a esté vostre recteur, ou, par saint François, vous
l'amenderez.» Et fist semblant de tirer sa dague. Adoncques la pouvrette
se jecta à genoux et s'escrya à haulte voix, disant: «Hélas! mon mary,
je vous cry mercy, aiez pitié de moy, car j'ay esté seduicte par
mauvaise compaignie. Je sçay bien que je suis morte, si vous voulez, et
que je n'ay pas fait comme je deusse; mais je ne suis pas seule deceue
en celle manière, et si vous me voulez promettre que ne me ferez rien,
je vous diray tout.» Adonc son mary s'i accorda. Et adonc elle luy dit
comment pluseurs foiz elle estoit allé au dit monastère avec deux de ses
compaignes, desquelles deux des religieux s'estoient enamourez; et en
les compaignans aucunesfoiz à faire collacion en leurs chambres, le
tiers fut d'elle esprins d'amours, en luy faisant tant d'humbles et
doulces requestes, qu'elle ne s'en estoit sceu excuser; et mesmement par
l'instigacion et enortement de ses dictes compaignes, disans qu'elles
aroient bon temps ensemble, et si n'en saroit-on rien. Lors demanda le
mary qui estoient ses compaignes; et elle les nomma. Adonc sceut-il qui
estoient leurs mariz, et dit le compte qu'ilz buvoient souvent ensemble;
puis demanda qui estoit le barbier, et elle luy dit, et les noms des
trois religieux. Le bon mary, consyderant ces choses, avecques les
doloreuses ammiracions et piteux regretz de sa femmelette, dit: «Or
garde bien que tu ne dyes à personne que je sache parler de ceste
matère, et je te promectz que je ne te feray jà mal.» La bonne
damoiselle luy promist que tout à son plaisir elle feroit. Et
incontinent se part et alla prier au lendemain au disner les deux mariz
et les deux damoiselles, les trois cordeliers et le barbier, et ilz
promisrent d'y venir. Lesquelz venuz, et eulx assis à table, firent
bonne chère sans penser à leur male adventure. Et après que les tables
furent ostées, pour conclure de l'escot, firent pluseurs manières de
faire mises avant joyeusement sur quoy l'escot seroit prins et soustenu;
ce toutesfoiz qu'ilz ne sceurent trouver, n'estre d'accord, tant que
l'oste dist: «Puisque nous ne savons trouver moien de payer nostre escot
par ce qui est mis en termes, je vous diray que nous ferons: nous le
ferons paier à ceulx de la compaignie qui la plus grande coronne portent
sur la teste, reservez ces bons religieux, car ilz ne paieront rien à
présent.» A quoy ilz s'accordèrent tous, et furent contens qu'ainsi en
fust, et le barbier en fut le juge. Et quand tous les hommes eurent
monstré leurs coronnes, l'oste dist qu'il falloit veoir si leurs femmes
en avoient nulles. Si ne fault pas demander s'il en y eut en la
compaignie qui eurent leurs cueurs estrains. Et sans plus attendre,
l'oste print sa femme par la teste et la descouvrit. Et quand il vit
ceste coronne, il fist une grand admiracion, faindant que rien n'en
sceust, et dist: «Il fault veoir les aultres s'elles sont coronnées
aussi.» Adonc leurs mariz les firent deffubler, qui pareillement furent
trouvées coronnées comme la première, de quoy ilz ne firent jà trop
grand feste, nonobstant qu'ilz en feissent grandes risées, et tout en
manière de jouyeuseté dirent que l'escot estoit gaigné, et que leurs
femmes le devoient. Mais il failloit savoir à quel propos ces coronnes
avoient esté enchargées, et l'oste, qui estoit assez joyeux du mistère
et de leur adventure, leur compta tout le demené de la chose, sur telle
protestacion qu'ilz le pardonneroient à leurs femmes pour ceste foiz,
parmy la penitence que les bons religieux en porteroient en leur
presence; laquelle chose les deux mariz accordèrent. Et incontinent
l'oste fist saillir quatre ou cinq roiddes galans hors d'une chambre,
tous advertiz de leur fait, et prindrent beaulx moynes, et leur
donnèrent tant des biens de léens qu'ilz en peurent entasser sus leurs
dos, et puis les boutèrent hors de l'ostel; et les aultres demourèrent
illec encores une espace, en laquelle ne fault doubter qu'il n'y eust
pluseurs devises qui longues seroient à racompter: si m'en passe pour
cause de brefté.




LA LXIe NOUVELLE.

PAR PONCELET.


Ung jour advint que en une bonne ville de Haynaut avoit ung bon marchant
maryé à une vaillant femme, lequel trèssouvent alloit en marchandise,
qui estoit par adventure occasion à sa femme qu'elle amoit aultre que
luy, en laquelle chose elle continua assez longuement. Néantmains
toutesfoiz l'embusche fut descouverte par ung sien voisin qui parent
estoit au mary, et demouroit à l'opposite de l'ostel du dit marchant,
dont il vit et apperceut souvent le galant entrer de nuyt, et saillir
hors de l'ostel au marchant. Laquelle chose venue à la cognoissance de
celuy à qui le dommage se faisoit, par l'advertissement du voisin, fut
moult desplaisant; et, en remerciant son parent et voisin, dit que
brefvement y pourvoiroit, et qu'il se bouteroit du soir en sa maison,
pour mieulx veoir qui yroit et viendroit en son hostel. Et finalement
faindit d'aller dehors et dist à sa femme et à ses gens qu'il ne savoit
quand il reviendroit; et luy, party au plus matin, ne demoura que
jusques à la vesprée, qu'il bouta son cheval quelque part, et s'en vint
couvertement sus son cousin, et là regarda par une petite treille,
attendant s'il verroit ce que guères ne lui plairoit. Et tant attendit
que environ neuf heures de nuyt, le galand, à qui la damoiselle avoit
fait savoir que son mary estoit hors, passa ung tour ou deux par devant
l'ostel de la belle et regarda à l'huys pour veoir s'il y pourroit
entrer; mais encores le trouva il fermé. Se pensa bien qu'il n'estoit
pas heure, pour les doubtes; et ainsi qu'il varioit là entour, le bon
marchant, qui pensoit bien que c'estoit son homme, descendit et vint à
l'huys et dist: «Mon amy, nostre damoiselle vous a bien oy, et pource
qu'il est encores temps assez, et qu'elle a doubte que nostre maistre ne
retourne, elle m'a requis que je vous mette dedens, s'il vous plaist.»
Le compaignon, cuidant que ce fust le varlet, s'adventura et entra léens
avecques luy, et tout doulcement l'huys fut ouvert, et le mena tout
derrière en une chambre, où il avoit une moult grand huche, laquelle il
defferma et le fist entrer ens, que si le marchand revenoit, qu'il ne le
trouvast pas, et que sa maistresse le viendroit assez tost mettre hors
et parler à luy. Et tout ce souffrit le gentil galant pour mieulx avoir,
et aussi pour tant qu'il pensoit que l'autre dist verité. Et incontinent
se partit le marchand le plus celéement qu'il peut, et s'en alla à son
cousin et à sa femme et leur dist: «Je vous promectz que le rat est
prins; mais il nous fault adviser qu'il en est de faire.» Et lors son
cousin, et par especial sa femme, qui n'aimoit point l'autre, furent
bien joyeulx de la venue, et dirent qu'il seroit bon qu'on le montrast
aux parens de la femme, affin qu'ils cognoissent son gouvernement. Et
celle conclusion prinse, le marchand alla à l'ostel du père et de la
mère de sa femme et leur dist que si jamais ilz vouloient veoir leur
fille en vie qu'ilz venissent hastivement en son logis. Tantost
saillirent sus, et tantdiz qu'ilz s'appoinctoient, il alla pareillement
querir deux des frères et des seurs d'elle, et leur dist comme il avoit
fait au père et à la mère. Et puis les mena tous en la maison de son
cousin, et illec leur compta toute la chose ainsi qu'elle estoit, et la
prinse du rat. Or convient il savoir comment le gentil galant, pendant
ce temps, se gouverna en celle huche, de laquelle il fut gaillardement
delivré, attendu l'adventure; et la damoiselle, qui se donnoit grands
merveilles se son amy ne viendroit point, alloit devant et derrière pour
veoir s'elle en orroit point de nouvelle. Et ne tarda guères que le
gentil compaignon, qui oyt bien que l'en passoit assez près de luy, et
si le laissoit on là, print à hurter du poing à sa huche tant que la
damoiselle l'oyt qui en fut moult espoentée. Neantmains demanda elle qui
c'estoit, et le compaignon luy respondit: «Helas! trèsdoulce damoiselle,
ce suis je qui me meurs icy de chault et de doute, et qui me donne grand
merveille de ce que m'y avez fait bouter, et si n'y allez ne venez.» Qui
fort lors fut esmerveillée, ce fut elle, et dist: «Ha! vierge Marie! et
pensez vous, mon amy, que je vous y aye fait mectre?--Par ma foy, dit
il, je ne scay, au mains est venu vostre varlet à moy, et m'a dit que
luy aviez requis qu'il me mist en l'ostel, et que j'entrasse en ceste
huche, affin que vostre mary ne me trouvast, si d'adventure il
retournoit pour ceste nuyt.--Ha! dit elle, sur ma vie! ce a esté mon
mary. A ce coup suis je une femme perdue, et est tout nostre fait sceu
et descouvert.--Savez vous qu'il y a? dit-il. Il convient que l'on me
mette dehors, ou je rompray tout, car je n'en puis plus endurer.--Par ma
foy! dit la damoiselle, je n'en ay point la clef, et si vous le rompez
je suis deffaicte, et dira mon mary que je l'aray fait pour vous
sauver.» Finalement la damoiselle chercha tant qu'elle trouva des
vieilles clefs entre lesquelles en y eut une qui delivra le pouvre
prisonnier. Et quand il fut hors il troussa sa dame, et luy monstra le
courroux qu'il avoit sur elle, laquelle le print paciemment. Et à tant
se voult partir le gentil amoureux; mais la damoiselle le print et
accola, et luy dist que s'il s'en aloit ainsi, elle estoit aussi bien
deshonorée que s'il eust rompu la huche: «Qu'est-il donc de faire? dist
le galant.--Si nous ne mettons quelque chose dedans et que mon mary le
treuve, je ne me pourray excuser que je ne vous aye mis hors.--Et quelle
chose y mettra l'on? dit le galant, affin que je parte, car il est
heure.--Nous avons, dit-elle, en cest estable ung asne que nous y
mettrons, si vous me voulez aider.--Oy, par ma foy, dit il.» Adonc fut
cest asne jecté en la huche, et puis la refermèrent, et le galant print
congé d'un doulx baiser et se partit en ce point par une yssue de
derrière, et la damoiselle s'en alla prestement coucher. Et après ne
demoura guères que le mary, qui, tantdiz que ces choses se faisoient,
assembla ses gens et les amena à l'ostel de son cousin, comme dit est,
où il leur compta tout l'estat de ce qu'on lui avoit dit, et aussi
comment il avoit prins le galant à ses barres. «Et à celle fin, dit il,
que vous ne disiez que je veille imposer à vostre fille blasme sans
cause, je vous monstreray à l'oeil et au doy le ribauld qui ce
deshonneur nous a fait; et prie, avant qu'il saille hors, qu'il soit
tué.» Adonc chacun dit que si seroit il. «Et aussi, dit le marchant, je
vous rendray vostre fille pour telle qu'elle est.» Et de là se partent
les aultres avecques luy, qui estoient moult dolens des nouvelles, et
avoient torches et flambeaulx pour mieulx choisir par tout, et que rien
ne leur peust eschapper. Et hurtèrent à l'huys si rudement que la
damoiselle y vint premier avant que nul de léens s'esveillast, et leur
ouvrit l'huys. Et quand ilz furent entrez, elle ledangea son mary, son
père, sa mère et les aultres, en monstrant qu'elle estoit bien
esmerveillée quelle chose à celle heure les amenoit. Et à ces motz son
mary hausse et luy donne belle buffe, et luy dit: «Tu le sceras tantost,
faulse telle et quelle que tu es.--Ha! regardez que vous dictes; amenez
vous pour ce mon père et ma mère ici?--Oy, dist la mère, faulse garse
que tu es, on te monstrera ton loudier prestement.» Et lors ses seurs
dirent: «Et par Dieu, seur, vous n'estes pas venue de lieu pour vous
gouverner ainsi.--Mes seurs, dit elle, par tous les sains de Romme, je
n'ay rien fait que une femme de bien ne doyve et puisse faire, ne je ne
doubte point qu'on doye le contraire monstrer sur moy.--Tu as menty, dit
son mary, je le monstraray tout incontinent, et sera le ribauld tué en
ta presence. Sus tost, ouvre moy ceste huche.--Moy! dit elle; et en
verité je croy que vous resvez, ou que vous estes hors du sens; car
vous savez bien que je n'en portay oncques la clef, mais pend à vostre
cincture avecques les vostres dès le temps que vous y mettiez voz
estres. Et pourtant, si vous la voulez ouvrir, ouvrez la. Mais je prie à
Dieu que ainsi vrayement qu'oncques je n'euz compaignie avecques celuy
qui est là dedens enclos, qu'il m'en delivre à joye et à honneur, et que
la mauvaise envye qu'on a sur moy puisse icy estre averée et demonstrée;
et aussi sera elle, comme j'ay bon espoir.--Je croy, dit le mary, qui la
veoit à genoux, plorant et gemissant, qu'elle scet bien faire la chate
moillée, et, qui la vouldroit croire, elle sceroit bien abuser gens; et
ne doubtez, je me suis pieçà perceu de la traynée. Or sus, je vois
ouvrir la huche; si vous prie, messeigneurs, que chacun tienne la main à
ce ribauld, qu'il ne nous eschappe, car il est fort et roidde.--N'ayez
paour, dirent ilz tous ensemble, nous en scerons bien faire.» Adonc
tirent leurs espées et prindrent leurs mailletz pour assommer le pouvre
amoureux, et luy dirent: «Or, te confesse là, car jamais n'aras prestre
de plus près.» La mère et les seurs, qui ne vouloient point veoir celle
occision, se tirèrent d'une part; et, ainsi que le bon homme eut ouvert
la huche, et que cest asne veist la lumière, il commença à recaner si
hideusement qu'il n'y eut là si hardy qui ne perdist sens et memoire. Et
quand ilz virent que c'estoit ung asne, et qu'il les avoit ainsi abusez,
ilz se vouldrent prendre au marchant, et luy dirent autant de honte
qu'oncques saint Pierre eut d'honneurs, et mesmes les femmes luy
vouloient courre sus. Et de fait, s'il ne s'en fust fuy, les frères de
la damoiselle l'eussent là tué, pour le grand blasme et deshonneur qu'il
luy avoit fait et voulu faire. Et finalement en eut tant à faire qu'il
convint que la paix et traictié en fussent refaiz par les notables de la
ville, et en furent les accuseurs tousjours en indignacion du marchant.
Et dit le compte que à celle paix faire y eut grand difficulté et
pluseurs protestacions des amys de la damoiselle, et d'aultre part
pluseurs promesses bien estroictes du marchant, qui depuis bien et
gracieusement s'i gouverna, et ne fut oncques homme meilleur à femme
qu'il fut toute sa vie; et ainsi usèrent leurs jours ensemble.




LA LXIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE QUEVRAIN.


Environ le mois de juillet, alors que certaines convencions et assemblée
se tenoit entre la ville de Calais et Gravelinghes, assez près du
chastel d'Oye, à laquelle assemblée estoient pluseurs princes et grands
seigneurs, tant de la partie de France comme d'Angleterre, pour adviser
et traictier de la rençon de monseigneur d'Orléans, estant lors
prisonnier du roy d'Angleterre; entre lesquels de la dicte partie
d'Angleterre estoit le cardinal de Viscestre, qui à ladicte convencion
estoit venu en grand et noble estat, tant de chevaliers, escuiers, que
d'autres gens d'église. Et entre les autres nobles hommes avoit ung qui
se nommoit Jehan Stocton, escuier trenchant, et Thomas Brampton,
eschanson du dit cardinal, lesquels Jehan et Thomas Brampton se
entreaymoient autant ou plus que pourroient faire deux frères germains
ensemble; car de vestures, harnois et habillemens estoient tousjours
d'une façon au plus près que ilz pouvoient; et la plus part du temps ne
faisoient que ung lict et une chambre, et oncques n'avoit on veu que
entr'eulx deux que aucunement y eut quelque courroux, noise ou
maltalent. Et quand le dit cardinal fut arrivé au dit lieu de Calais, on
bailla pour le logis des ditz nobles hommes l'hostel de Richard Fery,
qui est le plus grand hostel de la dicte ville de Calais; et ont de
coustume les grands seigneurs, quand ilz arrivent au dit lieu passans et
revenans, d'y logier. Le dit Richard estoit marié, et estoit sa femme de
la nacion du pays de Hollande, qui estoit belle, gracieuse, et bien luy
advenoit à recevoir gens. Et durant la dite convencion, à laquelle on
fut bien l'espace de deux mois, iceulx Jehan Stocton et Thomas Brampton,
qui estoient si comme en l'aage de xxvij à xxviij ans, ayans leur
couleur de cramoisy vive, et en point de faire armes par nuyt et par
jour; durant lequel temps, nonobstant les privautez et amitiez qui
estoit entre ces deux seconds et compaignons d'armes, le dit Jehan
Stocton, au deceu du dit Thomas, trouva manière d'avoir entrée et faire
le gracieulx envers leur dite hostesse, et y continuoit souvent en
devises et semblables gracieusetiez que on a de coustume de faire en la
queste d'amours; et en la fin s'enhardit de demander à sa dicte hostesse
la courtoisie, c'est asavoir, qu'il peust estre son amy et elle sa dame
par amours. A quoy, comme faindant d'estre esbahie de telle requeste,
lui respondit tout froidement que luy ne aultre elle ne haioit, ne ne
vouldroit hayr, et qu'elle amoit chacun par bien et par honneur. Mais il
povoit sembler à la manière de sa dicte requeste, qu'elle ne pourroit
ycelle accomplir que ce ne fut grandement à son deshonneur et scandale,
et mesmement de sa vie, et que pour chose du monde à ce ne vouldroit
consentir. Adonc le dit Jehan respliqua, disant qu'elle lui povoit
trèsbien accorder: car il estoit celuy qui luy vouloit garder son
honneur jusqu'à la mort, et ameroit mieulx estre pery et en l'autre
siècle tourmenté que par sa coulpe elle eust deshonneur; et qu'elle ne
doubta en rien que de sa part son honneur ne fut gardé, luy suppliant de
rechef que sa requeste luy voulsist accorder, et à tousjours mais se
reputeroit son serviteur et loyal amy. Et à ce elle respondit, faisant
manière de trembler, disant que de bonne foy il luy faisoit mouvoir le
sang du corps, de crainte et de paour qu'elle avoit de luy accorder sa
requeste. Lors s'approucha d'elle, et luy requist ung baiser, dont les
dames et damoiselles du dit pays d'Angleterre sont assés liberales de
l'accorder; et en la baisant luy pria doulcement qu'elle ne fut
paoureuse et que de ce qui seroit entre eulx deux jamais nouvelle n'en
seroit à personne vivant. Lors elle lui dist: «Je voys bien que je ne
puis de vous eschapper que je ne face ce que vous voulez; et puis qu'il
fault que je face quelque chose pour vous, sauf toutesfoiz tousjours mon
bon honneur, vous savez l'ordonnance qui est faicte de par les seigneurs
estans en ceste ville de Calais, comment il convient que chacun chief
d'hostel face une foys la sepmaine, en personne, le guet par nuyt, sur
la muraille de la dicte ville. Et pour ce que les seigneurs et nobles
hommes de monseigneur le cardinal, vostre maistre, sont céens logez en
grand nombre, mon mary a tant fait par le moien d'aucuns ses amis envers
mon dit seigneur le cardinal, qu'il ne fera qu'ung demy guet, et entens
qu'il le doit faire jeudy prochain, depuis la cloche du temps au soir
jusques à la mynuyt; et pour ce, tantdiz que mon dit mary sera au guet,
si vous me voulez dire aucunes choses, les orray trèsvoluntiers, et me
trouverez en ma chambre, avecques ma chambrière», la quelle estoit en
grand vouloir de conduire et acomplir les voluntés et plaisirs de sa
maistresse. Lequel Jehan Stocton fut de ceste response moult joyeux, et
en remerciant sa dicte hostesse luy dit que point n'y aroit de faulte
que au dit jour il ne venist comme elle luy avoit dit. Or se faisoient
ces devises le lundy precedent après disner, mais il ne fait pas à
oublier de dire comment le dit Thomas Brampton avoit ou desceu de son
dit compaignon Jehan Stocton fait pareilles diligences et requestes à
leur dicte hostesse, laquelle ne luy avoit oncques voulu quelque chose
accorder, fors luy bailler l'une foiz espoir, et l'autre doubte, en luy
disant et remonstrant qu'il pensoit trop peu à l'honneur d'elle, car
s'elle faisoit ce qu'il requeroit, elle savoit de vray que son mary et
ses parens et amys luy osteroient la vie du corps. Et ad ce respondit le
dit Thomas: «Ma trèsdoulce damoiselle et hostesse, pensez que je suis
noble homme, et pour chose qui me peust advenir ne vouldroye faire chose
qui tournast à vostre deshonneur ne blasme; car ce ne seroit point usé
de noblesse. Mais creez fermement que vostre honneur vouldroye garder
comme le mien; et ameroye mieulx à morir qu'il en fust nouvelles, et
n'ay amy ne personne en ce monde, tant soit mon privé, à qui je
vouldroye en nulle manière descouvrir nostre fait.» Laquelle, voyant la
singulière affection et desir du dit Thomas, luy dit le mercredy
ensuyvant que le dit Jehan avoit eu la gracieuse response cy dessus de
leur dicte hostesse, que, puis qu'el le véoit en si grand volunté de luy
faire service en tout bien et en tout honneur, qu'elle n'estoit point
si ingrate qu'elle ne le vousist recognoistre. Et lors luy alla dire
comment il convenoit que son mary, lendemain au soir, allast au guet
comme les aultres chefz d'ostel de la ville, en entretenant l'ordonnance
qui sur ce estoit faicte par la seigneurie estant en la ville; mais, la
Dieu mercy, son mary avoit eu de bons amis entour monseigneur le
cardinal, car ilz avoient tant fait envers luy qu'il ne feroit que demy
guet, c'est assavoir depuis mynuyt jusques au matin seulement, et que si
ce pendant il vouloit venir parler à elle, elle orroit voluntiers ses
devises; mais pour Dieu qu'il y vint si secrètement qu'elle n'en peust
avoir blasme. Et le dit Thomas luy sceut bien respondre que ainsi
desiroit il de faire. Et à tant se partit en prenant congié. Et le
lendemain, qui fut le dit jour de jeudy, au vespre, après ce que la
cloche du guet avoit esté sonnée, le dit Jehan Stocton n'oblya pas à
aller à l'heure que sa dicte hostesse luy avoit mise. Et ainsi qu'il
vint vers la chambre d'elle, il entra et la trouva toute seulle;
laquelle le receut et luy fist trèsbonne chère, car la table y estoit
mise. Lequel Jehan requist que avecques elle il peust soupper, affin de
eulx mieulx ensemble deviser, ce qu'elle ne luy voult de prime face
accorder, disant qu'elle pourroit avoir charge si on le trouvoit avec
elle. Mais il luy requis, tant qu'elle le luy accorda; et le soupper
fait, qui sembla estre audit Jehan moult long, se joignit avecques sa
dicte hostesse; et après ce s'esbatirent ensemble si comme nu à nu. Et
avant qu'il entrast en la dicte chambre, il avoit bouté en ung de ses
doiz ung aneau d'or garny d'un beau gros dyamant qui bien povoit valoir
la somme de trente nobles. Et en eulx devisant ensemble, ledit aneau luy
cheut de son doy dedans le lit, sans ce qu'il s'en apperceust. Et quand
ilz eurent illec esté ensemble jusques après la xj. heure de la nuyt, la
dicte damoiselle luy pria moult doulcement que en gré il voulsist
prendre le plaisir qu'elle luy avoit peu faire, et que à tant il fust
content de soy habiller et partir de la dicte chambre, affin qu'il n'y
fust trouvé de son mary, qu'elle attendoit si tost que la mynuyt seroit
sonnée, et qu'il luy voulsist garder son honneur, comme il luy avoit
promis. Lequel, ayant doubte que ledit mary ne retournast incontinent,
se leva, habilla et partit d'icelle chambre ainsi que xij heures
estoient sonnées, sans avoir souvenance de son dit dyamant qu'il avoit
laissé ou lit. Et en yssant hors de la dicte chambre et au plus près
d'icelle, le dit Jehan Stocton encontra le dit Thomas Brampton, son
compaignon, cuidant que ce fust son hoste Richard. Et pareillement le
dit Thomas, qui venoit à l'heure que sa dame luy avoit mise,
semblablement cuida que le dit Jehan Stocton fust le dit Richard, et
attendit ung peu pour savoir quel chemin tiendroit celuy qu'il avoit
encontré. Et puis s'en alla et entra en la chambre de la dicte hostesse,
qu'il trouva comme entrouverte, laquelle tint manière comme toute
esperdue et effrayée, en demandant au dit Thomas, en manière de grand
doubte et paour, s'il avoit point encontré son mary qui partoit d'illec
pour aller au guet. Lequel luy dist que trop bien avoit encontré ung
homme, mais il ne savoit qui il estoit, ou son mary ou aultre, et qu'il
avoit ung peu attendu pour veoir quel chemin il tiendroit. Et quand elle
eut ce oy, elle print hardiement de le baiser, et luy dist qu'il fust le
bien venu. Et assez tost après, sans demander qui l'a perdu ne gaigné,
le dit Thomas trousse la damoiselle sur le lit en faisant cela. Et puis
après, quand elle vit que c'estoit, à certes se despoillèrent et
entrèrent tous deux ou lit, car ilz firent armes en sacrifiant au Dieu
d'amours et rompirent pluseurs lances. Mais en faisant les dictes armes
il advint au dit Thomas une adventure, car il sentit soubz sa cuisse le
dyamant que le dit Jehan Stocton y avoit laissé; et comme non fol ne
esbahy, le print et le mist en l'un de ses doiz. Et quand ilz eurent
esté ensemble jusques à lendemain de matin, que la cloche du guet estoit
prochaine de sonner, à la requeste de la dicte damoiselle il se leva, et
en partant s'entreaccolèrent ensemble d'un baisier amoureux. Ne demoura
guère que le dit Richart retourna du guet, où il avoit esté toute la
nuyt, en son hostel, fort refroidy et eschargé du fardeau de sommeil,
qui trouva sa femme qui se levoit; laquelle luy fist faire du feu, et
s'en alla coucher et reposer, car il estoit traveillé de la nuyt. Et
fait à croire que aussi estoit sa femme: car, pour la doubte qu'elle
avoit eue du traveil de son mary, elle avoit bien peu dormy toute la
nuyt. Et environ deux jours après toutes ces choses faictes, comme les
Anglois ont de coustume après qu'ilz ont oy la messe de aller desjeuner
en la taverne, au meilleur vin, lesdictz Jehan et Thomas se trouvèrent
en une compaignie d'aultres gentilzhommes et marchans, et allèrent
ensemble desjeuner, et se assirent les dictz Stocton et Brampton l'un
devant l'autre. Et en mengeant, le dict Jehan regarda sur les mains du
dit Thomas, qui avoit en l'ung de ses doiz le dict dyamant. Et quand il
l'eut grandement advisé, il luy sembloit vrayement que c'estoit celuy
qu'il avoit perdu, ne savoit en quel lieu et quand, et pria au dit
Thomas qu'il luy voulsist monstrer le dit dyamant, lequel luy bailla. Et
quand il l'eut en sa main, recongneut bien que c'estoit le sien, et
demanda au dit Thomas dont il luy venoit, et qu'il estoit sien. A quoy
le dit Thomas respondit au contraire que non, et que à luy appartenoit.
Et le dit Stocton maintenoit que depuis peu de temps l'avoit perdu, et
que, s'il l'avoit trouvé en leur chambre où ilz couchoient, qu'il ne
faisoit pas bien de le retenir, attendu l'amour et fraternité qui
tousjours avoit esté entre eulx deux; tellement que pluseurs haultes
parolles s'en ensuyvirent, et fort se animèrent et courroussèrent l'un
contre l'autre. Toutesvoies le dit Thomas vouloit tousjours ravoir le
dit dyamant; mais n'en peut finer. Et quand les aultres gentilzhommes et
marchans virent la dicte noise, chacun s'employa à l'accordement
d'icelle, pour trouver manière de les appaiser; mais rien n'y valoit,
car celuy qui perdu avoit le dit dyamant ne le vouloit laisser partir de
ses mains, et celuy qui l'avoit trouvé le vouloit ravoir, et tenoit à la
belle adventure que l'avoir eu cest eur et avoir joy de l'amour de sa
dame; et ainsi estoit la chose difficile à appoincter. Finalement l'un
desdictz marchans, voyant que ou demené de la matère on n'y prouffitoit
en rien, si dist qu'il luy sembloit qu'il avoit advisé ung aultre
expedient, dont les dictz Jehan et Thomas devroient estre contens; mais
il n'en diroit mot si les dictes parties ne se soubzmettoient, en peine
de dix nobles, que de tenir ce qu'il en diroit; dont chacun de ceulx
estans en la dicte compaignie dirent que bien avoit dit le marchant, et
incitèrent les dictz Jehan et Thomas de faire la dicte soubzmission, et
tant en furent requis qu'ilz s'i accordèrent. Lequel marchant ordonna
que le dit dyamant seroit mis en ses mains, puis que tous ceulx qui du
dit différent avoient parlé et requis de l'appaiser n'en n'avoient peu
estre creuz, et que après ce, que, eulx partiz de l'ostel où ilz
estoient, au premier homme, de quelque estat ou condicion qu'il fust,
qu'ilz rencontreroient à l'yssue du dit hostel, compteroient toute la
manière du dit different et noise estant entre les ditz Jehan et
Thomas; et ce qu'il en diroit ou ordonneroit seroit tenu ferme et stable
par les dictes deux parties. Ne demoura guères que du dit hostel se
partit toute la compaignie, et le premier homme qu'ilz encontrèrent au
dehors d'icelluy, ce fut le dit Richard, hoste des dictes deux parties;
auquel par le dit marchant fut dit et narré toute la manière du dit
différent. Lequel Richard, après ce qu'il eut tout oy et qu'il eut
demandé à ceulx qui illec estoient presens si ainsi en estoit allé, et
que les dictes parties ne s'estoient voulu laisser appoincter et
appaisier par tant de notables personnes, dist par sentence que le dit
dyamant luy demourroit comme sien et que l'une ne l'autre des parties ne
l'aroit. Et quand le dit Thomas vit qu'il avoit perdu l'adventure de la
treuve du dit dyamant, fut bien desplaisant. Et fait à croire que autant
estoit le dit Jehan Stocton, qui l'avoit perdu. Et lors requist le dit
Thomas à tous ceulx qui estoient en la compaignie, reservé leur dit
hoste, qu'ilz voulsissent retourner en l'ostel où ilz avoient desjeuné,
et qu'ilz leur donneroit à disner, affin qu'ilz fussent advertiz de la
manière et comment le dit diamant estoit venu en ses mains; tous
lesquelx luy accordèrent. Et en attendant le disner qui s'appareilloit,
leur compta l'entrée et la manière des devises qu'il avoit eu avecques
son hostesse, comment et à quelle heure elle luy avoit mis heure pour se
trouver avecques elle, tantdiz que son mary seroit au guet, et le lieu
où le dyamant avoit esté trouvé. Lors le dit Jehan Stocton, oyant ce, en
fut moult esbahy, soy donnant grand merveille; et en soy signant, dist
que tout le semblable luy estoit avenu en la propre nuyt, ainsi que cy
devant est declaré, et que il tenoit fermement avoir laissé cheoir son
dyamant où le dit Thomas l'avoit trouvé, et qu'il luy devoit faire plus
mal de l'avoir perdu qu'il ne faisoit au dit Thomas, lequel n'y perdoit
rien, car il luy avoit chier cousté. A quoy le dit Thomas respondit
qu'il ne le devoit point plaindre si leur hoste l'avoit adjugé estre
sien, attendu que leur hostesse en avoit eu beaucop à souffrir, et qu'il
avoit eu le pucellaige de la nuytée; et le dit Thomas avoit esté son
page et de son esquyrie et allant après luy. Et ces choses contentèrent
assez bien le dit Jehan Stocton de la perte de son dyamant, pource que
aultre chose n'en pouvoit avoir. Et de ceste adventure tous ceulx qui
présens estoient commencèrent à rire et menèrent grand joye. Et après ce
qu'ilz eurent disné, chacun retourna où bon lui sembla.




LA LXIIIe NOUVELLE.

PAR M. MONTBLERU.


Montbleru se trouva, a environ deux ans, à la foyre d'Envers, en la
compaignie de monseigneur d'Estampes, qui le deffrayoit, qui est une
chose qu'il prend assez bien en gré. Ung jour entre les aultres,
d'adventure il rencontra maistre Ymbert de Playne, maistre Roland Pipe,
et Jehan Le Tourneur, qui luy firent grand chère. Et pour ce qu'il est
plaisant et gracieux, comme chacun scet, ilz desirèrent sa compaignie et
luy prièrent de venir loger avec eulx, et qu'ilz feroient la meilleure
chère de jamais. Montbleru de prinsault s'excusa sur monseigneur
d'Estampes, qui l'avoit là amené, et dist qu'il ne l'oseroit
habandonner: «Et la raison y est bonne, car il me deffraye de tout
point», dit-il. Néantmains toutesfoiz il fut content d'abandonner
monseigneur d'Estampes, ou cas que entre eulx le voulsissent deffrayer;
et eulx, qui ne desiroient que sa compaignie, accorderent legierement et
de bon cueur ce marchié. Or escoutez comment il les paya. Ces trois bon
seigneurs, maistre Ymbert, maistre Roland, et Jehan Le Tourneur,
demourerent à Envers plus qu'ilz ne pensoient quand ilz partirent de la
court, et soubz esperance de bref retourner, n'avoient apporté chacun
qu'une chemise; si devindrent les leurs, leurs couvrechefz et petiz
draps, bien sales, et à grand regret leur venoit d'eulx trouver en ce
party, car il faisoit bien chault, comme en la saison de Penthecoste. Si
les baillèrent à blanchir à la chambrière de leur logis ung samedy au
soir, quand ilz se couchèrent, et les devoient avoir blanches au
lendemain, à leur lever. Et si eussent ilz, mais Montbleru les en garda
bien. Et pour venir au fait, la chambriere, quand vint au matin, qu'elle
eut blanchy ces chemises, couvrechefz et petiz draps, les sechez au feu,
et ploiez bien et gentement, elle fut appellée de sa maistresse pour
aller à la boucherie faire la provision pour le disner. Elle fist ce que
sa maistresse luy commenda, et laissa en la cuisine, sur une scabelle,
tout ce bagage, chemises, couvrechefz, et petiz draps, esperant à son
retour les retrouver; à quoy elle faillit, car Montbleru, quand il peut
veoir du jour, se lève de son lit et print une robe longue sur sa
chemise, et descendit en bas. Il vint veoir qu'on disoit en la cuisine,
où il ne trouva ame, fors seullement ces chemises, couvrechiefz, et
petiz draps, qui ne demandoient que marchand. Montbleru congneut tantost
que c'estoit sa charge, si y mist la main, et fut en grand effroy où il
les pourroit sauver. Une foiz il pensoit de les bouter dedans les
chaudières et grands potz de cuyvre qui estoient en la cuisine,
aultrefoiz de les bouter en sa manche; bref il les bouta en l'estable
de ses chevaulx, bien enfardelées dedans le fain et ung gros monceau de
fiens; et cela fait, il s'en revint coucher dont il estoit party
d'emprès de Jehan Le Tourneur. Or veezcy la chambriere retournée de la
boucherie, qui ne trouve pas ces chemises, qui ne fut pas bien contente,
et commence à demander par tout qui en scet nouvelles. Chacun à qui elle
en demandoit disoit qu'il n'en savoit rien, et Dieu scet la vie qu'elle
menoit. Et veezcy les serviteurs de ces bons seigneurs qui attendent
après leurs chemises, qui n'osent monter vers leurs maistres, et
enragent tous vifz, si font l'oste et l'ostesse et la chambriere. Quand
vint environ neuf heures, ces bons seigneurs appellent leurs gens, mais
nul ne vient, tant craindent à dire les nouvelles de ceste perte à leurs
maistres. Toutesfoiz en la fin, qu'il estoit entre xj et xij, l'oste
vint et les serviteurs; et fut dit à ces bons seigneurs comment leurs
chemises estoient desrobées, dont les aucuns perdirent pacience, comme
maistre Ymbert et maistre Roland. Mais Jehan Le Tourneur tint assez
bonne maniere, et n'en faisoit que rire, et appella Montbleru, qui
faisoit la dormeveille, qui savoit et oyoit tout, et luy dist:
«Montbleru, véezcy compaignons bien en point: on nous a desrobé noz
chemises.--Saincte Marie! que dictes vous? dit Montbleru, contrefaisant
l'endormy, véezcy mal venu.» Quand on eut grand pièce tenu parlement de
ces chemises perdues, dont Montbleru cognoissoit bien le larron, ces
bons seigneurs dirent: «Il est jà tard, nous n'avons encores point oy de
messe, et si est Dimanche; et si ne povons bonnement aller sans
chemises: qu'est il de faire?--Par ma foy, dist l'oste, je n'y sçay
d'aultre remède, que je vous preste chacun une chemise des miennes,
telles qu'elles sont; elles ne sont pas pareilles aux vostres, mais
elles sont blanches, et si ne povez mieulx faire.» Ilz furent contens de
prendre ces chemises de l'oste, qui estoient courtes et estroictes, et
de dure et aspre toille, et Dieu scet qu'il les faisoit bon veoir. Ilz
furent prestz, Dieu mercy; mais il estoit si tard qu'ilz ne savoient où
ilz pourroient oyr messe. Alors dist Montbleru, qui tenoit trop bien
manière: «Tant que d'oyr messe, il est meshuy trop tard; mais je sçay
une eglise en ceste ville où nous ne fauldrons point de veoir
Dieu.--Encores vault il mieulx que rien, dirent ces bons seigneurs.
Allons, allons, et nous avançons vistement, c'est trop tardé: car perdre
noz chemises, et ne oyr point aujourdhuy de messe, ce seroit mal sur
mal; et pourtant il est temps d'aler à l'église, si meshuy nous voulons
ouyr la messe.» Montbleru les mena en la grand eglise d'Envers, où il y
a ung Dieu sur ung asne. Quand ilz eurent chacun dit une paternostre,
ilz dirent à Montbleru: «Où est ce que nous verrons Dieu?--Je le vous
monstreray», dit il. Alors il leur monstra ce Dieu sur l'asne, et leur
dist: «Véezlà Dieu: vous ne fauldrez jamais à quelque heure de veoir
Dieu céens.» Ilz se commencèrent à rire, jasoit ce que la doleur de
leurs chemises ne fust pas encores appaisée. Et sur ce point ilz s'en
vindrent disner et furent depuis ne sçay quans jours à Envers; et après
se despartirent sans avoir leurs chemises, car Montbleru les mist en
lieu sauf, et les vendit depuis cinq escuz d'or. Or advint, comme Dieu
le voult, que en la bonne sepmaine de quaresme ensuyvant le mercredy,
Montbleru se trouva au disner avecques ces trois bons seigneurs dessuz
nommez; et entre aultres parolles il leur ramentut leurs chemises qu'ilz
avoient perdues à Envers, et dist: «Hélas! le pouvre larron qui vous
desroba, il sera bien damné si son meffait ne lui est pardonné de par
Dieu, et de par vous; vous ne le vouldriez pas?--Ha! dit maistre Ymbert,
par dieu, beau sire, il ne m'en souvenoit plus, je l'ay pieçà
oublié.--Au mains, dit Montbleru, vous luy pardonnez, faictes
pas?--Saint Jehan, dist il, je ne vouldroye pas qu'il fust damné pour
moy.--Et par ma foy, c'est bien dit, dist Montbleru. Et vous, maistre
Roland, ne luy pardonnez vous pas aussi?» A grand peine disoit-il le
mot; toutesfoiz il dist qu'il luy pardonnoit, mais pour ce qu'il pert à
regret, le mot luy coustoit plus à prononcer. «Et vrayement, vous luy
pardonnerez aussi, maistre Roland, dist Montbleru; qu'avez vous gaigné
d'avoir damné ung pouvre larron pour une meschante chemise et ung
couvrechef?--Et je luy pardonne vrayement, dist il lors, et l'en clame
quicte, puisqu'ainsi est que aultre chose n'en puis avoir.--Et par ma
foy, vous estes bon homme», dist Montbléru. Or vint le tour de Jehan Le
Tourneur. Si luy dist Montbleru: «Or ça, Jehan, vous ne ferez pas pis
que les aultres, tout est pardonné à ce pouvre larron de chemises, si à
vous ne tient.--A moy ne tiendra pas, dit il, je luy ay pieçà pardonné,
et luy en baille de rechef absolucion.--On ne pourroit mieulx dire, dit
Montbleru, et par ma foy, je vous sçay trèsbon gré de la quictance que
vous avez faicte au larron de voz chemises, et en tant qu'il me touche,
car je suis le larron mesmes qui vous desrobay voz chemises à Envers; je
prens ceste quictance à mon prouffit, et vous en mercye toutesfoiz, car
je le doy faire.» Quand Montbleru eut confessé ce larrecin, et qu'il eut
trouvé sa quictance par le party qu'avez oy, il ne fault pas demander si
maistre Ymbert, maistre Roland et Jehan Le Tourneur furent bien esbahiz,
car ilz ne se fussent jamais doubtez qui leur eust fait ceste
courtoisie. Et luy fut bien reprouché, voire en esbatant, ce pouvre
larrecin. Mais luy, qui scet son entregens, se desarmoit gracieusement
de tout ce dont charger le vouloient; et leur disoit bien que c'estoit
sa coustume que de gaigner et de prendre ce qu'il trouvoit sans garde,
specialement à telles gens qu'ilz estoient. Ilz n'en firent que rire;
mais trop bien demandèrent comment il les desroba. Et il leur declara
tout au long, et dist aussi qu'il avoit eu de tout ce butin cinq escuz,
dont ilz n'eurent ne demandèrent aultre chose.




LA LXIVe NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.


Il est bien vray que naguères, en ung lieu de ce pays que je ne puis
nommer, et pour cause; mais au fort, qui le scet si s'en taise comme je
fays, avoit ung maistre curé qui faisoit raige de confesser ses
parrochiennes. De fait, il n'en eschappoit pas une qui ne passast par
là, voire des plus jeunes. Au regard des veilles, il n'en tenoit compte.
Quand il eut longuement maintenu ceste saincte vie et ce vertueux
exercice, et que la renommée en fut espandue par toute la marche et ès
terres voisines, il fut puny en la façon que vous orrez, et par
l'industrie de l'un de ses parrochiens, à qui toutesfoiz il n'avoit
encores rien meffait touchant sa femme. Il estoit ung jour au disner, et
faisoit bonne chère en l'ostel de son parrochien que je vous dy. Et
comme il estoient ou meilleur endroit de leur disner et qu'ilz faisoient
le plus grand het, veezcy leens venir ung homme qui s'appelle
Trenchecoille, lequel se mesle de taillier gens, d'arracher dens, et
d'un grand tas d'aultres brouilleries; et avoit ne sçay quoy à besoigner
à l'oste de léens. L'oste l'encueillit tresbien et le fist seoir, et
sans se faire beaucoup prier, il se fourre avecques nostre curé et les
aultres; et s'il estoit venu tard, il met peine d'aconsuyvir ceulx qui
le mieulx avoient viandé. Ce maistre curé, qui estoit grand farseur et
fin homme, commence à prendre la parolle à ce trenchecoille et luy va
demander de son mestier et de cent mille choses, et le trenchecoille luy
respondoit au propos le mieulx qu'il savoit. A chef de pièce, maistre
curé se vire verz l'oste et en l'oreille luy dist: «Voulons nous bien
tromper ce trenchecoille?--Oy, je vous en prie, ce dit l'oste; mais en
quelle manière le pourrons-nous faire?--Par ma foy, dit le curé, nous le
tromperons trop bien, si vous me voulez aider.--Et je ne demande aultre
chose, dit l'oste.--Je vous diray que nous ferons, dit le curé: je
faindray avoir mal au coillon et marchanderay à lui de le m'oster, et me
feray lyer et mettre sur la table tout en point, comme pour le trencher.
Et quand il viendra près et il vouldra veoir que c'est pour ouvrer de
son mestier, je me leveray et luy monstreray le derrière.--Et que c'est
bien dit, dist l'oste, qui à coup pensa ce qu'il vouloit faire; vous ne
feistes jamais mieulx; laissez nous faire entre nous aultres, nous vous
aiderons bien à parfaire la farce.--Je le veil, dit le curé.» Après ces
paroles monseigneur le curé rassaillit nostre trenchecoille d'unes et
d'aultres, et en la parfin luy dist, pardieu, qu'il avoit bien mestier
d'un tel homme qu'il estoit, et qu'il avoit ung coillon tout pourry et
gasté, et vouldroit qu'il luy eust cousté bonne chose, et qu'il eust
trouvé homme qui bien luy sceust oster. Et si froidement le disoit que
le le trenchecoille cuidoit veritablement qu'il deist voir. Lequel luy
respondit: «Monseigneur le curé, je veil bien que vous sachez, sans nul
despriser, ne moy vanter de rien, qu'il n'y a homme en ce pays qui
mieulx que moi vous sceust aider; et pour l'amour de l'oste de ceens, je
vous feray de ma peine telle courtoisie, si vous vous voulez mettre en
mes mains, que par droit vous en devrez estre content.--Et vrayment, dit
maistre curé, c'est bien dit.» Conclusion, pour abreger, ilz furent
d'accort. Et tost après fut la table ostée, et commença maistre
trenchecoille à faire ses préparatoires pour besoigner; et d'aultre part
le bon curé se mettoit à point pour faire la farse, qui ne lui tourna
pas à jeu, et devisoit à l'oste et aux aultres comment il devoit faire.
Et tantdis que ces approuches d'un costé et d'aultre se faisoient,
l'oste de léens vint au trenchecoille, et luy dist: «Garde bien, quelque
chose que ce prestre te dye, quand tu le tiendras pour ouvrer à ses
coillons, que tu les lui trenches tous deux rasibus, et n'y fay faulte,
si cher que tu as ton corps.--Saint Martin, si feray je, dist le
trenchecoille, puis qu'il vous plaist. J'ai ung instrument si prest et
si bien trenchant, que je vous feray present de ses genitoires avant
qu'il ait loisir de moy rien dire.--Or on verra que tu feras, dist
l'oste; si tu faulx, je ne te fauldray pas.» Tout fut prest, et la table
apportée, et monseigneur le curé en pourpoint, qui bien contrefaisoit
l'adolé, et promectoit bon vin à ce trenchecoille. L'oste aussi et les
serviteurs de léens, qui devoient tenir bon curé, qui n'avoient garde de
le laisser eschapper. Et affin d'estre plus seur, le lièrent trop bien,
et luy disoient que c'estoit pour mieux faire la farce, et quand il
vouldroit ilz le laisseroient aller; et il les creut comme fol. Or vint
ce vaillant trenchecoille garny à la couverte main de son petit rasoir,
et commença à vouloir mettre les mains aux coillons de monseigneur le
curé: «A dya! dit monseigneur le curé, faictes à traict et tout beau;
tastez les le plus doulcement que vous pourrez, et après je vous diray
lequel je veil avoir osté.--Trop bien», dit il: et lors tout souef lève
la chemise et prend ses maistres coillons, gros et quarrez, et sans en
plus enquerir, subitement les luy trencha tous deux d'un seul cop. Et
bon curé de cryer, et de faire la plus male vie que jamais fist homme.
«Hola! hola, dist l'oste, pille la pacience, ce qui est fait est fait;
laissez-vous adouber.» Alors le trenchecoille le mect à point du surplus
qui en tel cas appartient, et part et s'en va, attendant de l'oste il
savoit bien quoy. Or ne fault-il pas demander se monseigneur le curé fut
bien camus de se veoir ainsi desgarny. Et mectoit sus à l'oste qu'il
estoit cause de son meschef; mais Dieu scet qu'il s'en excusoit bien, et
disoit que si le trenchecoille ne se fust si tost sauvé, qu'il l'eust
mis en tel estat que jamais n'eust fait bien après. «Pensez vous, dit
il, qu'il ne me desplaist bien de vostre ennuy, et plus beaucop qu'il
est advenu en mon hostel?» Ces nouvelles furent tost vollées par toute
la ville; et ne fault pas dire que aucunes damoiselles n'en furent bien
marries d'avoir perduz les instrumens de monseigneur le curé; mais aussi
d'aultre part les dolens mariz en furent si joyeulx qu'on ne vous saroit
dire n'escripre la dixiesme partie de leur lyesse. Ainsi que vous avez
oy fut maistre curé puny, qui tant d'aultres avoit trompez et deceuz; et
oncques depuis ne se osa veoir entre gens, mais reclus et plain de
melencolie fina bien tost après ses dolens jours.




LA LXVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR LE PRÉVOST DE WASTENNES.


Comme souvent l'on mect en terme pluseurs choses dont en la fin on se
repent, et à tard, advint naguères que ung gentil compaignon, demourant
en ung village assez près du Mont-Saint-Michel, se devisoit à ung
soupper, present sa femme, et aucuns estrangiers et pluseurs de ses
voisins, d'un hostellain dudit Mont-Saint-Michel, et disoit, affermoit
et juroit sur son honneur, qu'il portoit le plus beau membre, le plus
gros et le plus quarré qui fust en toute la marche d'environ; et
avecques ce, qui n'empire pas le jeu, il s'en aidoit tellement et si
bien que les quatre, les v, les six foiz ne luy coustoient non plus que
s'on les prinst en la corne de son chaperon. Tous ceulx de la table
oyrent bien voluntiers le bon bruyt qu'on donnoit à cet hostellain du
Mont-Saint-Michel, et en parlèrent chacun comme il l'entendoit. Mais qui
que y prinst garde, la dame de leens, femme au racompteur de l'ystoire,
y presta trèsbien l'oreille, et luy sembla bien que la femme estoit
eureuse et bien fortunée qui de tel mary estoit douée. Et pensa dèslors
en son cueur que, s'elle povoit trouver honneste voye et subtille, elle
se trouvera quelque jour audit Saint-Michel, et à l'ostel de l'homme au
gros membre se logeroit; et ne tiendra que à luy qu'elle n'espreuve si
le bon bruyt qu'on luy donne est vray. Pour executer ce qu'elle avoit
proposé et en son courage deliberé, au chef de vj ou viij jours, elle
print congé de son mary, pour aller en pelerinage au Mont-Saint-Michel.
Et pour colorer l'occasion de son voyage, elle, comme femmes sçavent
bien faire, trouva une bourde toute affaictée. Et son mary ne luy refusa
pas le congé, combien qu'il se doubta tantost de ce qui estoit. Au
partir, son mary luy dist qu'elle feist son offrande à saint Michel, et
qu'elle se logeast à l'ostel dudit hostellain, et qu'elle le
recommendast à luy cent mille foiz. Elle promist de tout accomplir, et
sur ce prend congé, et s'en va, Dieu scet, desirant beaucop se trouver
au lieu de Saint-Michel. Tantost qu'elle fut partie, et bon mary de
monter à cheval, et par aultre chemin que sa femme tenoit picque tant
qu'il peut au Mont-Saint-Michel, et vint descendre tout secrètement
avant que sa femme à l'ostel de l'ostellain dessus dit, lequel
trèslyement le receut, et luy fist grand chère. Quand il fut en sa
chambre, il dist à l'oste: «Or ça, mon hoste, vous estes mon amy de
pieçà, et je suis le vostre; je vous veil dire qui m'amaine en ceste
ville maintenant. Il est vray qu'environ v ou vj jours a, nous estions
au soupper, en mon hostel, un grant tas de bons compaignons; et comme
l'on entre en devises, je commençay à compter comment on disoit en ce
pays qu'il n'y avoit homme mieux oustillé de vous»; et au surplus luy
dist au plus près qu'il peut toutes les parolles qui alors touchant le
propos furent dictes, et comme dessus est touché. «Or est il ainsi, dit
il, que ma femme entre les aultres recueillit trèsbien mes parolles, et
n'a jamais arresté tant qu'elle ayt trouvé manière de impétrer son congé
pour venir en ceste ville. Et par ma foi, je me doubte fort et croy
veritablement que sa principale intencion est d'esprouver, s'elle peut,
si mes parolles sont vrayes que j'ay dictes touchant vostre gros membre.
Elle sera tantost ceens, je n'en doubte point, car il luy tarde de soy y
trouver; si vous prie, quand elle viendra, que la recueillez lyement et
luy faictes bonne chère, et luy demandez la courtoisie, et faictes tant
qu'elle le vous accorde. Mais toutesfoiz ne me trompez point: gardez
bien que vous n'y touchez; prenez terme d'aller vers elle quand elle
sera couchée, et je me mettray en vostre lieu, et vous orrez après bonne
chose.--Laissez moy faire, par ma foy, dist l'ostellain, et je veil bien
et vous promectz que je feray bien mon personnage.--A dya, toutesfoiz,
dit l'autre, ne me faictes point de desloyauté; je sçai bien qu'il ne
tiendra pas à elle que ne le facez.--Par ma foy, dist l'ostellain, je
vous asseure que je n'y toucheray»; et non fist il. Il ne demoura guères
que vecy venir nostre gouge et sa chamberière, bien lassées, Dieu le
scet. Et bon hoste de saillir avant, et de recevoir la compaignie comme
il luy estoit enjoinct, et qu'il avoit promis. Il fist mener
madamoiselle en une trèsbelle chambre, et luy faire du bon feu et
apporter tout du meilleur vin de leens, et alla querir de belles cerises
toutes fresches, et vint bancqueter avec elle, en attendant le soupper.
Il commence de faire ses approuches quand il vit son point; mais Dieu
scet comment on le gecta loing de prinsault. En la parfin toutesfoiz,
pour abreger, marché fut fait qu'il viendroit coucher avec elle environ
la mynuyt tout secrètement. Et ce contract accordé, il s'en vint devers
le mary de la gouge et luy compta le cas, lequel à l'heure prinse entre
elle et l'ostellain, il se vint bouter en son lieu et besongna le
mieulx qu'il peult, et se leva devant le jour, et se vint remettre en
son lit. Quand le jour fut venu, nostre gouge, toute melencolieuse,
pensive et despiteuse, car point n'avoit trouvé ce qu'elle cuidoit,
appella sa chambrière, et se levèrent, et le plus hastivement qu'elles
peurent s'abillèrent, et voulrent paier l'oste et leur escot; mais
l'oste dist qu'il ne prendroit rien d'elle. Et sur ce, adieu, et se part
madamoiselle, sans aller ne oyr messe ne veoir saint Michel, ne
desjeuner aussi; et sans ung seul mot dire, s'en vint en sa maison. Mais
il vous fault savoir que son mary y estoit desjà, qui luy demanda qu'on
disoit de bon à saint Michel. Elle, tant marrye qu'on ne pourroit plus,
à peine s'elle daignoit respondre. «Et quelle chère, dit le mary, vous a
fait vostre hoste! Par Dieu, il est bon compaignon.--Bon compaignon!
dit-elle; il n'y a rien d'oultrage: je ne m'en saroie louer que tout à
point.--Non, dame, dist il; et par saint Jehan, je pensoye que pour
l'amour de moy il vous eust deu festoyer et faire bonne chère.--Il ne me
chault, dist-elle, de sa chère: je ne vois pas en pelerinage pour la
bonne chère de luy ne d'aultre; je ne pense qu'à ma devocion.--Devocion!
dame, dit il, nostre Dame, vous y avez failly; je sçay trop bien
pourquoy vous estes tant raffroignée, et que le cueur avez tant enflé.
Vous n'avez pas trouvé ce que vous cuidiez; il y a bien à dire une once,
largement. Dya, dya, madame, j'ay bien sceu la cause de vostre
pelerinage: vous cuidiez taster et esprouver le grand brichouart de
nostre hoste de saint Michel; mais, par saint Jehan, je vous en ay bien
gardée, et garderay, si je puis. Et affin que vous ne pensiez pas que je
vous mentisse quand je vous disoye qu'il l'avoit si grand, par Dieu, je
n'ay dit chose qui ne soit vraye; mais il n'est jà mestier que vous en
sachez plus avant que par oyr dire, combien que, s'il vous eust voulu
croire, et je n'y eusse contredit, vous aviez bonne devocion d'essayer
sa puissance. Regardez comment je sçay les choses. Et pour vous mettre
hors de suspection, sachez de voir que je vins ennuyt à l'heure que luy
aviez mise, et ay tenu son lieu; si prenez en gré ce que j'ay sceu
faire, et vous passez doresenavant de ce que vous avez. Pour ceste foiz
il vous est pardonné, mais de recheoir gardez vous en, pour autant qu'il
vous touche.» La damoiselle, toute confuse et esbahie, voyant son tort
evident, quand elle peut parler, crya mercy, et promist de non plus
faire. Et je tiens que non fist elle de sa teste.




LA LXVIe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


N'a guères que j'estoie à Saint-Omer avec ung grand tas de gentilz
compaignons, tant de céens comme de Bouloigne et d'ailleurs, et après le
jeu de paulme nous allasmes soupper en l'ostel d'un tavernier qui est
homme de bien et beaucop joyeux; et a une trèsbelle femme, et en grand
point, dont il a un trèsbeau filz, environ de l'eage de six à sept ans.
Comme nous estions tous assis au soupper, le tavernier, sa femme, et
leur filz d'emprès elle, avecques nous, les aucuns commencèrent à
deviser, les aultres à chanter, et faisions la plus grand chère de
jamais; et nostre hoste, pour l'amour de nous, ne s'i faindoit pas. Or
avoit esté sa femme ce jour aux estuves, et son petit filz avecques
elle. Si bien s'advisa nostre hoste, pour faire rire la compaignie,
qu'il demanderoit à son filz de l'estat et gouvernement de celles qui
estoient aux estuves avecques sa mère. Si luy va dire: «Vien çà, mon
filz; par ta foy, dy moy laquelle de toutes celles qui estoient aux
estuves avecques ta mère avoit le plus beau con et le plus gros.»
L'enfant, qui se oyoit questionner devant sa mère, qu'il craindoit comme
enfans font de coustume, vers elle regardoit et ne disoit mot. Et le
père, qui n'avoit pas aprins de le veoir si muet, luy dist de rechef:
«Or me dy, mon filz, qui avoit le plus gros con? dy hardiment.--Je ne
sçay, mon père, dit l'enfant, toujours virant le regart vers sa
mère.--Et par dieu, tu as menty, ce dist son père; or le me dy, je le
veil savoir.--Je n'oseroye, dit l'enfant, pour ma mère; elle me
batteroit.--Non fera, non, dit le père, tu n'as garde, je t'asseure.» Et
nostre hostesse sa mère, non pensant que son fils deust dire ce qu'il
dist, luy dit: «Dy, dy hardiment ce que ton père te demande.--Vous me
batteriez, dit il.--Non feray, non.» Et le père, qui vit que son filz
eut congé de souldre sa question, luy demanda de rechef: «Or ça, mon
filz, par ta foy, as tu bien regardé tous les cons de ces femmes qui
estoient aux estuves?--Saint Jehan, oy, mon père.--Et y en avoit il
largement? dy, ne mens point.--Je n'en vy oncques tant: ce sembloit une
droicte garenne de cons.--Or çà, dy nous maintenant qui avoit le plus
bel et le plus gros.--Vrayment, ce dist l'enfant, ma mère avoit tout le
plus bel et le plus gros, mais il avoit un si grand nez.--Si grand nez?
dit le père: va, va, tu es bon filz.» Et nous commenceasmes tous à rire
et à boire d'autant, et parler de cest enfant qui caquetoit si bien.
Mais sa mère n'en savoit sa contenance, tant estoit honteuse, pource que
son filz avoit parlé du nez; et croy bien depuis il en fut trèsbien
torché, car il avoit encusé le secret de l'escole. Nostre hoste fist du
bon compaignon; mais il se repentit assez depuis d'avoir fait la
question, dont la solucion le fist rougir. C'est tout pour le present.




LA LXVIIe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


Ores a trois ans ou environ que une assez bonne adventure advint à ung
chaperon fourré de parlement de Paris. Et affin qu'il en soit memoire,
j'en fourniray ceste nouvelle, non pas que je veille toutesfoiz dire que
tous les chaperons fourrez ne soient bons et veritables; mais car il y
eut non pas ung peu de desloyaulté en cestuy cy, mais largement, qui est
chose estrange et non accoustumée, comme chacun scet. Or, pour venir au
fait, ce chaperon fourré, en lieu de dire ce seigneur de parlement,
devint amoureux à Paris de la femme d'un cordoannier qui estoit belle et
gente, et enlangagée à l'advenant et selon le terrouer. Ce maistre
chaperon fourré fist tant, par moyens d'argent et aultrement, qu'il
parla à la belle cordoannière dessoubz sa robe et à part, et s'il avoit
d'elle esté bien amoureux avant la joissance, encores en fut il trop
plus feru depuis, dont elle se parcevoit et donnoit trèsbien garde, s'en
tenoit trop plus fière, et se faisoit acheter. Luy estant en ceste rage,
pour mandement, prière, promesse, don, ne requeste qu'il sceust faire,
elle s'appensa de non plus comparoir, affin encores de luy rengreger et
plus accroistre sa maladie. Et veezcy nostre chaperon fourré qui envoye
ses ambaxadeurs devers sa dame la cordoannière; mais c'est pour neant,
elle n'y viendroit pour morir. Finalement, pour abreger, affin qu'elle
voulsist venir vers luy comme aultresfoiz, il luy promist en la presence
de trois ou de iiij qui estoient de son conseil quant à telles
besoignes, qu'il la prendroit à femme si son mary terminoit vie par
mort. Quand elle eut ceste promesse, elle se laissa ferrer et vint,
comme elle souloit, au lever et aux aultres heures qu'elle povoit
eschapper, devers le chaperon fourré, qui n'estoit pas mains feru que
l'autre jadiz d'amours. Et elle, sentant son mary desjà vieil et ancien,
et ayant la promesse desusdicte, se reputoit desjà comme sa femme. Pou
de temps après, la mort trèsdesirée de ce cordoannier fut sceue et
publiée; et bonne cordoannière se vient bouter de plain sault en l'ostel
du chaperon fourré, qui la receut joyeusement, promist aussi de rechef
qu'il la prendroit à femme. Or sont maintenant ensemble ces deux bonnes
gens, le chaperon fourré et sa dame la cordoannière. Mais, comme souvent
chose eue en dangier est trop plus cher tenue que celle qu'on a à
bandon, ainsi advint ycy; car nostre chaperon fourré se commença à
ennuyer et lasser de la cordoannière, et soy refroider de l'amour
d'elle. Et elle le pressoit tousjours de paraccomplir le mariage dont il
avoit fait la promesse, mais il luy dist: «M'amye, par ma foy, je ne me
puis jamais marier, car je suis homme d'eglise et tiens benefices telz
et telz, comme vous savez; la promesse que je vous faiz jadis est nulle,
et ce que j'en feis lors estoit pour la grand amour que je vous portoye,
esperant aussi par ce moyen vous attraire plus legièrement. «Elle,
cuidant qu'il fust lyé à l'eglise, et soy voyant aussi bien maistresse
de léens que s'elle fust sa femme espousée, ne parla plus de ce mariage
et alla son chemin accoustumé. Mais nostre chaperon fourré fist tant par
belles parolles et pluseurs remonstrances, qu'elle fut contente de se
partir de luy et espouser ung barbier, leur voisin, auquel il donna iij
c. escuz d'or contens; et Dieu scet s'elle partit bien baguée. Or, vous
devez savoir que nostre chaperon fourré ne fist pas legièrement ceste
despartie ne ce mariage, et n'en fust point venu à bout si n'eust esté
qu'il disoit à sa dame qu'il vouloit doresenavant servir Dieu et vivre
de ces benefices et soy du tout rendre à l'eglise. Or fist il tout le
contraire, quand il se vit desarmé d'elle et allyée au barbier; car il
fist secrètement traicter, environ ung an après, pour avoir en mariage
la fille d'un notable et riche bourgois de Paris. Et fut la chose faicte
et passée, et fut jour prins et assigné pour les nopces; disposa aussi
de ses benefices, qui ne sont que à simple tonsure. Ces choses sceues
aval Paris et venues à la cognoissance de la cordoannière, maintenant
barbière, creez qu'elle fut bien esbahie: «Voire, dist elle, le
traistre, m'a il en ce point deceue? il m'a laissée soubz umbre d'aller
servir Dieu et m'a baillée à ung aultre. Et par nostre Dame de Clery, la
chose ne demourra pas ainsi.» Non fist elle, car elle fist comparoir
nostre chaperon fourré devant l'evesque, et illec son procureur
remonstra bien et gentement sa cause, disant comment le chaperon fourré
avoit promis à la cordoannière, en presence de pluseurs, que si son mary
mouroit qu'il la prendroit à femme. Son mari mort, il l'a tousjours
tenue jusques environ à ung an qu'il l'a baillée à ung barbier. Pour
abreger, les tesmoings ouy, et la chose bien debatue, l'evesque
adnichilla et jugea estre nul ledit mariage de ladicte cordoannière au
barbier, et enjoindit et commenda au chaperon fourré qu'il la prinst
comme sa femme; car elle estoit sienne, et de droit, puisqu'il avoit eu
compaignie charnelle avecques elle après la promesse dessus dicte. Ainsi
fut nostre chaperon fourré ramené des meures; il faillit d'avoir la
belle fille du bourgois, et si perdit ses iij c. escus d'or que le
barbier eut, et si luy maintint sa femme plus d'un an. Et s'il estoit
bien mal content d'avoir sa cordoannière, le barbier estoit aussi joyeux
d'en estre despesché. En la façon qu'avez oy s'est depuis naguères
gouverné l'un des chaperons fourré du parlement de Paris.




LA LXVIIIe NOUVELLE.

PAR MESSIRE CHRESTIAN DE DYGOYNE, CHEVALIER.

Il n'est pas chose pou acoustumée ne de nouvel mise sus que femmes ont
fait leurs mariz jaloux, voire, par Dieu, et coux aussi. Si advint
naguères, en la ville d'Envers, ce propos, que une femme mariée, qui
n'estoit pas des plus seures du monde, fut requise d'un tresgentil
compaignon de faire la chose que savez. Et elle, comme courtoise et
telle qu'elle estoit, ne refusa pas le service qu'on luy presentoit,
mais debonnairement se laissa ferrer, et maintint ceste vie assez et
longuement. En la parfin, comme fortune voult, qui ennemye et
desplaisante estoit de leur bonne chevance, fist tant que le mary trouva
la brigade en present meffait, dont en y eut de bien esbahiz. Ne sçay
toutesfoiz lequel, ou l'amant, ou l'amye, ou le mary; toutesfoiz,
l'amant, à l'aide d'une bonne espée à deux mains dont il estoit saisy,
se sauva sans nul mal avoir, et ne fut de ame poursuy. Or demourèrent le
mary et la femme; de quoy leurs propos furent, il se peut assez penser.
Après toutesfoiz aucunes parolles dictes, et d'un costé et d'aultre, le
mary, pensant en soy mesmes, puis qu'elle avoit encommencé à faire la
folye, que fort seroit de l'en retirer, et quand plus elle n'en feroit,
si estoit tel le cas, que, venu à la cognoissance du monde, il en estoit
noté comme deshonnoré; consydera aussi de la batre ou injurier de
parolles que c'estoit peine perdue; si s'advisa à chef de pièce qu'il la
chassera paistre ensus de luy, et ne sera jamais d'elle ordoyée sa
maison au mains qu'il puisse. Si dist à sa femme assez doulcement: «Or
cà, je voy bien que vous ne m'estes pas telle que vous deussiez estre
par raison; toutesvoies, esperant que jamais ne vous adviendra, de ce
qui est fait ne soit il plus parlé; mais devisons d'un aultre. J'ay ung
affaire qui me touche beaucop, et à vous aussi; si vous fault engager
tous noz joyaulx, et si vous avez quelque minot d'argent à part, il le
vous fault mettre avant; car le cas le requiert.--Par ma foy, dit la
gouge, je le feray volontiers et de bon cueur; mais que vous me
pardonnez vostre maltalent.--N'en parlez plus, dit il, nen plus que
moy.» Elle, cuidant estre absolue et avoir remission de tous ses pechez,
pour complaire à son mary, après la noise dessus dicte, bailla ce
qu'elle avoit d'argent, ses verges, ses tixus, aucunes bourses estoffées
bien richement, ung grand tas de couvrechefs bien fins, pluseurs pennes
entières et de tresbonne valeur; bref, tout ce qu'elle avoit, et que son
mary voulut demander, elle luy bailla pour en faire son bon plaisir. «En
dya, dist il, encores n'ay je pas assez.» Quand il eut tout jusques à la
robe et la cotte simple qu'elle avoit sur elle, «Il me fault avoir
ceste robe, dit il.--Voire, dit-elle, et je n'ay aultre chose à vestir;
voulez vous que je voise toute nue?--Force est, dit il, que vous la me
baillez, et la cotte simple aussi, et vous avancez; car, soit par amours
ou par force, il la me fault avoir.» Elle, voyant que la force n'estoit
pas sienne, se desarma de sa robe et de sa cotte simple, et demoura en
chemise: «Tenez, dit elle, fays je bien ce qu'il vous plaist?--Vous ne
l'avez pas tousjours fait, dit il; si à ceste heure vous m'obeissez,
Dieu scet si c'est de bon cueur; mais laissons cela, parlons d'ung
aultre. Quand je vous prins à mariage à la male heure, vous ne
apportastes guères avecques vous, et encore le tant peu que ce fut, si
l'avez vous et forfait et confisqué; il n'est jà mestier que je vous
redye vostre gouvernement: vous sçavez mieulx quelle vous estes que nul
aultre; et pour telle que vous estes à ceste heure, je vous baille le
grand congé et vous dy le grand adieu; veezla l'huys, prenez garin, et
si vous faictes que sage, ne vous trouvez jamais devant moy.» La pouvre
gouge, plus esbahie que jamais, n'osa plus demourer après ces horribles
parolles, après cest horrible ban, ains se partit et s'en vint rendre,
ce croy je, à l'ostel de son amy par amours, pour ceste première nuyt,
et fist mettre sus beaucop d'ambaxadeurs pour ravoir ses bagues et
habillemens de corps; mais ce fut pour neant, car son mary, obstiné et
endurcy en son propos, n'en voult oncques oyr parler, et encores mains
de la reprendre; si en fut il beaucop pressé, tant des amis de son costé
comme de ceulx de la femme; si fut sa bonne femme contrainte de gaigner
au mieulx qu'elle peut des aultres habillemens, et en lieu de mary user
d'amy, attendant le rappaisement de son dit mary, qui à l'heure de ce
compte estoit encores mal content de sa dicte femme, et aucunement ne la
vouloit veoir.




LA LXIXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


Il n'est pas seullement cogneu de ceulx de la ville de Gand, où le cas
que j'ay à vous descripre n'a pas long temps advint, mais de la plus
part de ceulx de Flandres, et de vous qui estes cy presens, que à la
bataille qui fut entre le roy de Honagrie et monseigneur le duc Jehan,
que Dieu absoille, d'une part, et le grand Turc en son pais de Turquie
d'aultre, plusieurs chevaliers et escuiers françois, flamens, alemans et
picards furent prisonniers, dont les aucuns furent mors et executez,
present le dit Turc, les aultres en chartre à perpetuité, les aultres
condemnez à estre et faire office d'esclave, du nombre des quelx fut ung
gentil chevalier du dit pais de Flandres, nommé messire Clayz
Utenhoven. Et par pluseurs ans exercea ledit office, qui ne luy estoit
pas petit labeur, mais martire intollerable, attendu les delices où il
avoit esté nourry et l'estat dont il estoit. Or devez vous savoir qu'il
estoit marié pardeçà à Gand, et avoit espousé une trèsbelle et bonne
dame qui de tout son cueur l'amoit et tenoit cher, laquelle prioit Dieu
journellement que bref le peust ravoir et reveoir par deçà, si encores
il estoit vif; s'il estoit mort, que par sa grâce luy voulsist ses
pechez pardonner et le mettre au nombre des glorieux martirs qui pour le
reboutement des infidèles et l'exaltacion de sa saincte foy catholicque
se sont voluntairement offers et habandonnez à la mort temporelle. Ceste
bonne dame, qui riche, belle et bonne estoit, et de grans amys
continuellement pressée estoit et assaillye de ces amys qu'elle se
voulsist remarier; lesquelx disoient et asseurement affermoyent que son
mary estoit mort, et que s'il fust vif il fut retourné comme les
aultres; s'il fust aussi prisonnier, on eust eu nouvelle de luy pour
faire sa finance. Quelque chose qu'on dist à ceste bonne dame, ne raison
qu'on luy sceust amener de apparence en cestuy fait, elle ne vouloit
condescendre à ce mariage, et au mieulx qu'elle savoit s'en excusoit.
Mais que luy valut ceste excusance, certes pou ou rien; car elle fut ad
ce menée de ses parens et amys qu'elle fut contente d'obéir. Mais Dieu
scet que ce ne fut pas à pou de regret, et estoient environ neuf ans
passez qu'elle estoit privée de la presence de son bon et loyal mary,
lequel elle reputoit pieça mort; et si faisoient la plus part, et
presque tous ceulx qui le cognoissoient. Mais Dieu, qui ses serviteurs
et champions garde et preserve, l'avoit aultrement disposé; car encores
vivoit, faisant son ennuyeux office d'esclave. Pour rentrer en matère,
ceste bonne dame fut mariée à ung aultre chevalier, et fut environ demi
an en sa compaignie, sans aultres nouvelles oyr de son bon mary que les
precedentes, c'est asavoir qu'il étoit mort. D'adventure, comme Dieu le
voult, ce bon et loyal chevalier messire Clays estant encore en Turquie
à l'heure que madame sa femme s'est ailleurs allyée, faisant le beau
mestier d'esclave, fist tant par le moien d'aucuns crestians
gentilzhommes et marchans qu'il fut delivré, et se mist en leur galée,
et s'en retourna par deçà. Et comme il estoit sur son retour, il
rencontra et trouva, passant pays, pluseurs de sa congnoissance qui
trèsjoyeux furent de sa delivrance: car à la vérité dire il estoit
trèsvaillant homme, bien renommé et vertueux. Et tant s'espandit le
trèsjoyeux bruit de sa désirée délivrance qu'il parvint en France, en
Artoys et en Picardie, où ses vertuz n'estoient pas mains cogneues que
en Flandres, dont il estoit natif. Et de ces marches ne tarda guères
qu'elles vindrent en Flandres et jusques aux oreilles de sa trèsbelle et
bonne dame et espouse, qu fut bien esbahie, et de tous ses sens tant
alterée et soupprinse qu'elle ne savoit sa contenance. «Ha! dist elle,
à chef de pièce, quand elle sceut parler, mon coeur ne fut oncques
d'accord de faire ce que mes parens et amys m'ont à force contrainte de
faire. Hélas! et qu'en dira mon trèsloyal seigneur et mary, auquel je
n'ay pas gardé loyaulté comme je deusse, mais comme femme fresle, legère
et muable de courage, ay baillé part et porcion à aultruy de ce dont il
estoit et devoit estre le seul seigneur et maistre? Je ne suis pas celle
qui doit ou ose attendre sa presence; je ne suys pas aussi digne qu'il
me doye ou veille regarder, ne jamais veoir en sa compaignie.» Et ces
paroles dictes, accompaignées de grands larmes, son trèshoneste,
trèsvertueux et loyal cueur s'évanuyt, et cheut paulmée. Elle fut prinse
et portée sur ung lit, et luy revint le cueur; mais depuis ne fut en
puissance d'homme ne de femme de la faire menger ne dormir, ainçois fut
trois jours continuelz tousjours plorant, en la plus grand tristesse de
cueur que jamais femme fut. Pendant lequel temps elle se confessa et
ordonna comme bonne chrestienne, priant mercy à tout le monde,
specialement à monseigneur son mary. Et tost après elle mourut, dont ce
fut trèsgrand dommage; et n'est point à dire le desplaisir qu'en print
mon dit seigneur son mary, quand il en sceut la nouvelle; et à cause de
son dueil fut en trèsgrand danger de suyvir par semblable accident sa
trèsloyale espouse; mais Dieu, qui l'avoit sauvé d'aultres grands
perilz, le preserva de ce dangier.




LA LXXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


Un gentil chevalier d'Alemaigne, grand voyageur, aux armes preux,
cortois, et de toutes bonnes vertuz largement doué, au retourner d'un
loingtain voiage, luy estant en ung sien chasteau, fut requis d'ung son
subject demourant en sa ville mesme d'estre parrain de tenir sur fons
son enfant, dont la mère s'estoit delivrée droit à la coup du retour du
dit chevalier. Laquelle requeste fut au dit bourgois libéralement
accordée, et jasoit que le dit chevalier eust en sa vie pluseurs enfans
tenuz sur fons, si n'avoit il jamais donné son entente aux sainctes
parolles par le prestre proferées ou mistère de ce saint et digne
sacrement, comme il fist à ceste heure; et luy semblerent, comme elles
sont à la verité, plaines de haulx et divins mistères. Ce baptesme
achevé, comme il estoit liberal et courtois, affin d'estre veu de ses
hommes, demoura à disner en la ville, sans monter au chasteau, et luy
tindrent compaignie le curé, son compère, et aucuns aultres des plus
gens de bien, lesquels, après pluseurs devises, montèrent en jeu d'unes
et d'aultres matères, tant que monseigneur commença à loer beaucop le
digne sacrement de baptesme, et dist hault et cler, oyans tous: «Si je
savoye veritablement que à mon baptesme eussent esté pronuncées les
dignes et sainctes parolles que j'ay oyes à ceste heure au baptesme de
mon nouveau filleul, je ne craindroye en rien le dyable qu'il eust sur
moy puissance ne autorité, sinon seulement de moy tempter, et me
passeroye de faire le signe de la croix; non pas, affin que bien vous
m'entendez, que je ne sache trèsbien que ce signe est suffisant à
rebouter le diable; mais ma foy est telle que les paroles dictes au
baptesme d'un chascun cristien, s'elles sont telles que aujourd'uy j'ay
oyes, sont valables à rebouter tous les dyables d'enfer, s'il en y avoit
encores autant.--En verité, respondit alors le curé, monseigneur, je
vous asseure, _in verbo sacerdotis_, que les mesmes paroles qui ont esté
dictes aujourd'uy au baptesme de vostre filleul furent dictes et
celebrées à vostre baptesme; je le sçay bien, car je mesmes vous
baptisay, et en ay aussi fresche memoire comme si ce eust hier esté.
Dieu fasse mercy à monseigneur vostre père; il me demanda le lendemain
de votre baptesme qu'il me sembloit de son nouveau fils; telz et telz
furent vos parrains, et telz et telz y estoient.» Et racompta toute la
manière du baptisement, et le fist bien certain que mot avant ne mot
arrière n'eut en son baptisement de celuy à son filleul. «Et
puisqu'ainsi est, dist alors ce gentil chevalier, je promectz à Dieu mon
createur tant honorer de ferme foy le saint sacrement de baptesme que
jamais, pour quelque peril, encontre ou assault que le dyable me face,
je ne feray le signe de la croix, mais par la seule memoire du sacrement
de baptesme l'en chasseray ensus de moy, tant ay ferme foy en ce divin
mistère; et ne me semblera jamais possible que le dyable puisse nuyre à
homme armé de tel escu; car il est tel et si ferme que seul y vault sans
aultre aide, voire acompaigné de vraye foy.» Ce disner se passa, et ne
sçay quants ans après, ce bon chevalier se trouva en une bonne ville en
Alemaigne, pour aucuns affaires qui l'y tirèrent, et fut logé en
l'hostellerie. Comme il estoit ung soir avec ses gens, après soupper,
devisant et esbatant avec eulx, fain luy print d'aller au retrait; et
car ses gens s'esbatoient, n'en voult nulz oster de l'esbat; si print
une chandelle et tout seul s'en va au retrait. Comme il entroit dedans,
il vit devant luy ung grand monstre horrible et terrible, ayant grandes
et longues cornes, les yeux plus alumés que flambe de fornaise, les braz
gros et longs, les griffes aguez et trenchans, et bref c'estoit ung
monstre trèsespoventable, et ung dyable, comme je croy. Et pour tel le
tenoit le bon chevalier, lequel de prinsault fut assez esbahi d'avoir
telle rencontre. Néantmains toutesfoiz print cueur, hardement et vouloir
de soy defendre s'il estoit assailly; et luy souvint du veu qu'il avoit
fait, et du saint et divin mistère de baptesme. Et en ceste foy marche
vers ce monstre, que j'appelle dyable, et luy demanda qui il estoit, et
qu'il demandoit. Ce dyable, sans mot dire, le commença à compter, et bon
chevalier de se defendre, qui n'avoit toutesfoiz pour toutes armeures
que ses mains, car il estoit en pourpoint comme pour aller coucher, et
son bon escu de ferme foy au saint mistère de baptesme. La lucte dura
longuement, et fut ce bon chevalier tant las que merveilles de soutenir
ce dur assault. Mais il estoit tant fort armé de son escu de foy que pou
luy nuysoient les coups de son ennemy. En la parfin que ceste bataille
eut bien duré une bonne heure, ce bon chevalier se print aux cornes de
ce dyable, et luy en esracha une dont il le bacula trop bien et malgré
luy. Comme victorieux se partit de luy, et le laissa là comme recréant,
et vint trouver ses gens qui s'esbatoient, comme ilz faisoient par avant
son partement, qui furent bien effraiez de veoir leur maistre en ce
point eschauffé qu'il estoit tant esgratigné le visage, le pourpoint,
chemises, chausses et tout desrompu et deschiré, et comme tout hors
d'alaine. «Ha! monseigneur, dirent-ilz, dont venez vous, et qui vous a
ainsi habillé?--Qui? dit il; ce a esté le deable, à qui je me suis tant
combatu que j'en suis tout hors d'alaine et en tel point que vous veez;
et vous asseure par ma foy que je tien veritablement qu'il m'eust
estranglé et devoré, se à ceste heure ne me fust souvenu de mon baptesme
et du hault mistère de ce saint sacrement, et de mon veu que je feis
ores a ne sçai quants ans; et creez que je ne l'ai pas faulsé; car,
quelque danger que j'aye eu, oncques ne feis le signe de la croix, mais
souvenant du saint sacrement dessus dit, me suis hardyment defendu et
franchement eschappé, dont je loe et mercye nostre seigneur, qui par ce
bon escu de saincte foy m'a si sauvement preservé. Viennent tous les
aultres qui en enfer sont, tant que ceste enseigne demeure, je ne les
crains; vive, vive nostre benoist Dieu, qui ses chevaliers de telles
armes scet adouber!» Les gens de ce bon seigneur, oyans leur maistre ce
cas racompter, furent bien joyeux de le veoir en bon point, mais esbahis
de la corne qu'il leur monstroit, qu'il avoit à ce dyable de la teste
esrachée. Et ne savoient juger, non fist oncques personne qui depuis la
veist, de quoi elle estoit, si c'estoit os ou corne, comme aultres
cornes sont, ou que c'estoit. Alors ung des gens de ce chevalier dist
qu'il vouloit aller veoir se ce dyable estoit encores où son maistre
l'avoit laissé, et s'il le trouvoit il se combatroit à luy et luy
arracheroit l'aultre corne. Son maistre luy dist qu'il n'y allast point;
il dist que si feroit. «N'en fay rien, dist son maistre, le peril y est
trop grand.--Ne m'en chault, dit l'autre, je y veil aller.--Si tu me
croiz, dit son maistre, tu n'yras pas.» Quoy qu'il fust, il y voult
aller, et desobeir à son maistre. Il print en sa main une torche et une
grande hache, et vint au lieu où son maistre s'estoit combatu. Quelle
chose il y fist, on n'en scet rien, mais son maistre, qui de luy se
doubtoit, ne le sceut si tost suyr qu'il ne le trouva pas, ne le dyable
aussi, et n'oyt oncques puis nouvelles de son homme. En la fasson
qu'avez oy se combatit ce bon chevalier au dyable, et le surmonta par la
vertu du saint sacrement de baptesme.




LA LXXIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR LE DUC.


A Saint Omer n'a pas long temps advint une assez bonne histoire qui
n'est mains vraye que l'euvangile, comme il a esté et est cogneu de
pluseurs notables gens, dignes de foy et de croire. Et fut le cas tel,
pour abreger: Ung gentilhomme, chevalier des marches de Picardie, pour
lors bruyant et frez, de grand autorité et de grand lieu, se vint loger
en une hostellerie qui par le fourrier de monseigneur le duc Phelippe de
Bourgoigne son maistre luy avoit esté delivrée. Tantost qu'il eut mis
pié à terre, comme il est de coustume aus dictes marches, son hostesse
luy vint au devant, et trèsgracieusement, comme elle estoit coustumière
de ce faire, le receut et bienviengna; et luy, des courtois le plus
honorable, la baisa doulcement, car elle estoit belle et gente et en
bon point, et mise sur le bon bout, appellant sans mot dire trop bien
son marchant à son baisier et accolement, et de prinsault n'y eut celuy
des deux qui ne pleust bien à son compaignon. Si pensa le chevalier par
quel train et moien il parviendroit à la joissance de son hostesse, et
s'en descouvrit à ung de ses serviteurs, qui en peu d'heure tellement
batist les besoignes, qu'ilz se trouvèrent ensemble. Quand ce gentil
chevalier vit son hostesse preste d'oyr, d'entendre et escouter ce qu'il
vouldroit dire, pensez qu'il fut joyeux oultre mesure, et de grand haste
et ardent desir qu'il eut d'entamer la matère qu'il vouloit ouvrir, il
oblya de serrer l'huys de la chambre, que son serviteur au partir de
leur assemblement laissa entrouverte, et commença sa harengue à l'heure,
sans regarder à aultre chose; et l'ostesse, qui ne l'oyoit pas à regret,
luy respondoit tout au propos, tant qu'ilz estoient si bien d'accord
qu'oncques musicque ne fut pour eulx plus doulce, instrumens ne
pourroient mieulx estre accordez que eulx deux, la mercy Dieu, estoient.
Or advint, ne sçay par quelle adventure, ou si l'oste de leens, mary de
l'ostesse, queroit sa femme pour aucune chose luy dire, en passant par
adventure par devant la chambre où sa femme avec le chevalier jouoit des
cimbales, il en oyt le son; si se tira vers le lieu où ce beau deduit se
faisoit, et au hurter qu'il fist à l'huys, il trouva l'atelée du
chevalier et de sa femme, dont d'eulx il fut le plus esbahy de trop, et
en reculant subitement, doubtant les empescher et destourber de la
doulce oeuvre qu'ilz faisoient, leur dist, pour toutes menaces et
tençons: «Et par la mort bieu, vous estes bien meschantes gens, et à
vostre fait mal regardans, qui n'avez eu tant de sens, quand vous voulez
faire telz choses, que de serrer et tirer les huys après vous. Or pensez
que c'eust esté si ung aultre que moy vous eust trouvez! Et, par Dieu,
vous estiez gastés et perduz, et eust esté vostre fait decelé, et
tantost sceu par toute la ville. Faictes aultrement une aultre foiz, de
par le dyable!» Et sans plus dire tire l'huys et s'en va; et bonnes gens
de raccorder leurs musettes, et de parfaire la note encommencée. Et
quand ce fut fait, chacun s'en alla à sa chacune, sans faire semblant de
rien; et n'eust esté, espoir, leur cas jamais descouvert ou au mains si
publicque que de venir à l'oreille de vous ne de tant d'aultres gens, si
n'eust esté le mary, qui ne se doubtoit pas tant de ce qu'on l'avoit
fait coupaut que de l'huis qu'il trouva desserré.




LA LXXIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE QUIEVRAIN.


A propos de la nouvelle precedente, es marches de Picardie avoit
naguères ung gentilhomme, et tien que encores y soit il à ceste heure,
qui tant amoureux estoit de la femme d'un chevalier son voisin, qu'il
n'avoit ne bon jour ne bonne heure s'il n'estoit auprès d'elle, ou à
tout le mains qu'il en eust nouvelle, et il n'estoit pas mains cher tenu
d'elle, qui n'est pas pou de chose. Mais la doleur estoit qu'ilz ne
savoient trouver fasson ne manière d'estre à part et en lieu secret,
pour à loisir dire et deceler ce qu'ilz avoient sur le cueur que, pour
rien en la presence de nul, tant fust leur amy, n'eussent voulu
descouvrir. Au fort, après tantes males nuitz et jours doloureux, amour,
qui ses serviteurs loyaulx aide et secoure quand bien luy plaist, leur
appresta ung jour trèsdesiré, ou quel le doloreux mary, plus jaloux que
nul homme vivant, contrainct fut d'abandonner le mesnaige et aller aux
affaires qui tant luy touchoient, que sans y estre en personne il
perdoit une grosse somme de deniers, et par sa presence il la povoit
conquerir, ce qu'il fist; en laquelle gaignant, il conquist bien
meilleur butin, comme d'estre nommé coux, avec jaloux qu'il avoit nom
auparavant; car il ne fut pas si tost sailly de l'ostel, que le
gentilhomme, qui ne glatissoit après aultre beste, vint pour se fourrer
dedans, et, sans faire long sejour, incontinent executa ce pour quoy il
venoit, et print de sa dame tout ce que ung serviteur en ose ou peut
demander, si plaisantement et à si bon loisir qu'on ne pourroit mieulx
souhaitter. Et ne se donnèrent garde que le mary les surprint; dont ne
se donnèrent nul mal temps, esperans la nuyt parachever ce que le jour
trèsjoieulx, et pour eulx trop court, avoyent encommencé, pensant à la
verité que le dyable de mary ne deust retourner jusques au lendemain au
disner, voire au plus tost. Mais aultrement alla, car les deables le
rapportèrent à l'ostel, ne scay et aussi ne me chault de savoir comment
il sceut tant abreger ses besoingnes; assez souffist dire qu'il revint
le soir, dont la compaignie, c'est assavoir des deux amans, fut bien
esbahie; et furent si surprins, car point ne se doubtoient de ce dolent
retourner, que le pouvre gentilhomme n'eut aultre advis que de se bouter
ou retraict de la chambre, esperant en saillir par quelque voye que sa
dame trouveroit avant que le chevalier y mist le pié; dont il advint
tout aultrement, car nostre chevalier, qui pour ce jour avoit chevauché
xv ou xvj grosses lieues, estoit tant las qu'il ne povoit les rains
trayner; et voulut souper en sa chambre où il s'estoit deshousé, et il
fist couvrir, sans aller en la sale. Pensez que le bon gentilhomme
rendoit bien gorge du bon temps qu'il avoit eu ce jour, car il mouroit
de faim, de froit et de paour. Et encores, pour plus enrager et engreger
son mal, une toux le va prendre si grand et horrible que merveille, et
ne failloit guères que chacun coup qu'il toussoit qu'il ne fust oy de la
chambre où estoit l'assemblée du chevallier, de la dame et des aultres
gens de léens. La dame, qui avoit l'oeil et l'oreille tousjours à son
amy, l'entreoyt d'adventure, dont elle eut grand frayeur au cueur,
doubtant que son mary ne l'oyst aussi. Si trouva manière, tantost après
soupper, de se bouter seulette en ce retraict, et dist à son amy pour
Dieu qu'il se gardast d'ainsi tousser. «Helas! dit il, m'amye, je n'en
puis mais; Dieu scet comment je suis puny; et, pour Dieu, pensez de moy
tirer d'icy.--Si feray je», dit elle. Et à tant se part, et bon escuyer
de recommencer sa chanson de tousser, voire si trèshault qu'on l'eust
bien peu oyr de la chambre, si n'eussent esté les devises que la dame
faisoit mettre en termes. Quand ce bon escuyer se vit ainsi assailly de
la toux, il ne sceut aultre remède, affin de non estre oy, que de bouter
sa teste ou pertuis du retrait, où il fut bien encensé, Dieu le scet, de
la conficture de léens; mais encores amoit il ce mieulx que d'estre oy.
Pour abreger, il fut long temps la teste en ce retraict, crachant,
mouchant et toussant, et sembloit que jamais ne deust faire aultre
chose. Neantmains, après ce bon coup, sa toux le laissa, et se cuida
tirer dehors; mais il n'estoit en sa puissance de soy ravoir, tant
parestoit avant et fort bouté leens. Pensez qu'il estoit bien à son
aise. Bref il ne savoit trouver fasson d'en saillir, quelque peine qu'il
y mist. Il avoit tout le col escorché et les oreilles detrenchées. En la
parfin, comme Dieu le voulut, il s'efforça tant qu'il eracha l'ays percé
du retrait, et le rapporta à son col; mais en sa puissance n'eust esté
de l'en oster, et quoy qu'il luy fust ennuyeux, si amoit il mieux estre
ainsi que comme il estoit par avant. Sa dame le vint trouver en ce
point, dont elle fut bien esbahie, et ne luy sceut secourir, mais luy
dist, pour tous potages, qu'elle ne saroit trouver fasson du monde de le
traire de leens. «Est-ce cela? dist il; hola, hola! par la mort bieu, je
suis assez armé pour en combatre ung aultre, mais que j'aye une espée en
ma main», dont il fut tantost saisy d'une trèsbonne. La dame le voyant
en tel point, quoy qu'elle eust trèsgrand doubte, ne se pouvoit tenir de
rire, ne l'escuyer aussi. «Or çà, à Dieu me commend, dist il lors, je
m'en voys essayer comment je passeray par céans; mais premier brouillez
moy le visage bien noir.» Si fist elle, et le commenda à Dieu. Et bon
compaignon, à tout l'ays du retraict en son col, l'espée nue en sa main,
la face plus noire que charbon, commence à saillir en la chambre, et de
bonne adventure le premier qu'il encontra ce fut le dolent mary, qui eut
de le veoir si grand paour, cuidant que ce fust ung dyable, qu'il se
laissa tumber du hault de luy à terre que à pou qu'il ne se rompit le
col, et fut longuement comme tout paulmé. Sa femme, l'oyant en ce point,
saillit avant, monstrant plus de semblant d'effroy qu'elle ne sentoit
beaucop, et le print aux braz, luy demandant qu'il avoit. A chef de
pièce qu'il fut revenu à luy, il dist à voix casse bien piteuse: «Et
n'avez vous veu ce dyable que j'ay encontré?--Certes si ay, dit elle; à
peu que je n'en suis morte, de la grand frayeur que j'ay eue à le
veoir.--Et dont peut il venir ceens, dit il, ne qui le nous a envoyé? Je
ne seray de cest an ne de l'autre rasseuré, tant ay esté espoventé.--Par
Dieu, ne moy aussi, dist la devote dame; creez que c'est signifiance
d'aucune chose. Dieu nous veille garder et defendre de toute male
adventure! Le cueur ne me gist pas bien de ceste vision.» Alors tous
ceulx de l'ostel dirent chacun sa rastelée de ce dyable, cuidans à la
verité que la chose fust vraye. Mais la bonne dame savoit bien la
trainnée, qui fut bien joyeuse de les veoir tous en ceste opinion; et
depuis continua avec le dyable dessus dit le mestier que chacun fait
volentiers, au desceu du mary et de tous aultres, fors d'une chambrière
secretaire de leurs affaires.




LA LXXIIIe NOUVELLE.

PAR MAISTRE JEHAN LAUVIN.


En la bonne et doulce conté de saint Pol, naguères, en ung gros village
assez prochain de la ville de saint Pol, avoit ung bon simple laboureur
marié avec une femme belle et en grand point, de laquelle le curé du dit
village estoit tant amoureux que l'on ne pourroit plus. Et pour ce qu'il
se sentoit si esprins du feu d'amours et que difficile luy estoit de
servir sa dame sans estre sceu ou à tout le mains suspicionné, se pensa
qu'il ne povoit bonnement parvenir à la joissance d'elle sans premier
avoir celle du mary, mesmement que necessaire luy estoit ainsi faire.
Cest advis descouvrit à sa dame pour en avoir son oppinion, qui luy
conseilla souverainement estre propice et très bonne pour mener à fin
leurs amoureuses intencions. Nostre curé donc, en ensuyvant le conseil
tant de sa dame comme le sien propre, se fist par gracieux et subtilz
moyens accoincte de celuy dont il vouloit estre compaignon ou
lieutenant, et tant bien se conduisit avec le bon homme qu'il ne buvoit
ne mangoit quelque jour, meismement quand aultre euvre faisoit, que
tousjours ne parlast de son bon curé; chacun jour de la sepmaine le
vouloit avoir à disner, ou à souper; bref riens n'estoit bien fait à
l'ostel du bon homme si le curé n'estoit present. Et à ce moien,
toutesfoiz qu'il vouloit, il venoit à l'ostel et à telle heure que bon
luy sembloit. Mais quand les voisins de ce simple laboureur, voyant par
adventure ce qu'il ne povoit veoir, obstant la credence et faebleté qui
luy avoient bandé et caché les yeulx, luy dirent qu'il ne luy estoit
honeste d'avoir ainsi journellement le repaire du curé, et que ce ne se
povoit ainsi continuer sans le grand deshonneur de sa femme, mesmement
que les aultres voisins et ses amis l'en notoient et parloient en son
absence. Quand le bon homme se sentit ainsi aigrement reprins de ses
voisins, et qu'ilz luy blasmoient le repaire de son curé en son hostel,
force luy fut de dire au curé qu'il se deportast de hanter en sa maison;
et de fait, luy defendit par motz exprès et menasses que jamais ne s'i
trouvast s'il ne luy mandoit, affermant par grands sermens que s'il l'y
trouvoit, il compteroit avecques luy et le feroit receveur oultre son
plaisir, et sans luy en savoir gré. La defense despleut au curé plus que
ne vous saroie dire; mais nonobstant qu'elle fust aigre, pourtant ne
furent les amourettes rompues, car elles estoient si parfond enracinées
ès cueurs des autres deux parties par les exploiz qui s'en estoient
ensuyz, que impossible estoit les desrompre ne desjoindre, quelque
menace qui sourdre prist. Or, oez comment nostre curé se gouverna après
que la defence luy fut faicte. Par l'ordonnance de sa dame, il print
règle et coustume de la venir visiter toutes les foiz qu'il sentoit le
mary estre absent. Mais assez lourdement s'i conduisit, car il ne sceut
faire sa visitacion sans le sceu des voisins qui avoient esté cause que
la defense avoit esté faicte, ausquelx le fait autant desplaisoit que
s'il leur eust touché singulièrement. Le bon homme fut de rechef adverty
par eulx, qui luy dirent que le curé avoit prins accoustumance d'aller
estaindre le feu en son hostel comme paravant la defense. Nostre simple
mary, oyant ces nouvelles, fut bien esbahy et encores plus courroucé la
moitié, lequel, pour y trouver expedient et convenable remède, pensa tel
moyen que je vous diray. Il dist à sa femme, sans monstrer aultre
semblant que tel qu'il avoit accoustumé, qu'il vouloit aller, ung jour
tel qu'il nomma, mener à saint Omer une charrettée de blé, et que pour
mieulx besoigner, il y vouloit mesmes aler. Quand le jour nommé qu'il
vouloit partir fut venu, il fist, ainsi qu'on a de coustume en Picardie,
et specialement entour saint Omer, charger son chariot de blé à mynuyt,
et à celle mesme heure voulut partir, et quand tout fut appareillé et
prest, print congé à sa femme, et vuida avecques son chariot. Et si tost
qu'il fut hors de sa porte, elle la ferma et tous les huys de sa maison.
Or vous devez entendre que nostre marchant de blé fist son saint Omer de
l'ostel d'un de ses amys qui demouroit au bout de la ville, où il alla
arriver, et mist son chariot en la cour du dit amy, qui savoit toute la
traynnée, et lequel il envoya pour faire le guet et escouter à l'entour
de sa maison pour veoir si quelque larron y viendroit. Ce bon voisin et
amy, quand il fut à l'endroit où il devoit asseoir son guet, il se tapit
au coing d'une forte haye espesse, duquel lieu luy apparoient toutes les
entrées de la maison au dit marchant, dont il estoit serviteur et grand
amy en ceste partie. Guères n'eut escouté que veezcy maistre curé qui
vient pour alumer sa chandelle, ou pour mieulx dire pour l'estaindre, et
tout coyement et doulcement hurte à l'huys de la court; lequel fut
tantost oy de celle qui n'avoit pas talent de dormir en celle attente:
c'estoit sa dame, laquelle sortit habilement en chemise, et vint mettre
ens son confesseur, et puis ferme l'huys, le menant au lieu où son mary
deust avoir esté. Or revenons à nostre guet, qui, quand il parceut tout
ce qui fut fait, se leva de son guet, et s'en alla sonner sa trompette
et declara tout au bon mary. Sur quoy incontinent conseil fut prins et
ordonné en ceste manière: le marchand de blé faindit retourner de son
voyaige avecques son chariot de blé, pour certaines adventures qu'il
doubtoit luy advenir ou estre advenues; si vint hurter à sa porte et
hucher sa femme, qui se trouva bien esbahie quand elle oyt sa voix; et
tant ne le fut qu'elle ne print bien le loisir de mucer son amoureux le
curé en ung casier qui estoit en la chambre. Et pour vous donner à
entendre quelle chose c'est ung casier, c'est ung garde-mangier en la
façon d'une huche, long et estroict par raison et assez profund. Après
que le curé fut mussé où l'on musse les oeufz, le beurre, le fourmage et
aultres telles vitailles, la vaillante mesnagière, comme moitié dormant,
moitié veillant, se presenta devant son mary, et luy dist: «Helas! mon
bon mary, quelle adventure pouvez vous avoir, que si hastivement
retournez? certainement il y a aucune chose et meschef qui ne vous
laisse faire vostre voyage? Helas! pour Dieu, dictes le moy tost.» Le
bon homme, qui ne povoit plus s'il n'enrageoit, combien que semblant ne
fist, voulut aller en sa chambre, et illec dire les causes de son hastif
retour. Quand il fut où il cuidoit trouver son curé, c'est assavoir en
sa chambre, commença à compter les raisons de la rompture de son
voyaige. Premier dit que pour la suspicion qu'il avoit de la desloyaulté
d'elle, craindoit trèsfort estre du reng de bleuz vestuz, qu'on appelle
communement noz amis, et que au moien de ceste suspicion estoit il ainsi
tost retourné. Item, que ceste suspicion avoit si trèsfort frappé et
hurté à son ymaginacion, que, quand il s'estoit trouvé hors de sa
maison, aultre chose ne luy venoit au devant, que le curé estoit son
lieutenant tantdiz qu'il alloit marchander. Item, pour experimenter son
ymaginacion, dit qu'il estoit ainsi retourné, et à celle heure voulut
avoir la chandelle et regarder si sa femme osoit bien couscher sans
compaignie en son absence. Quand il eut achevé les causes de son
retour, la bonne dame s'escrya, disant: «Ha! mon bon mary, dont vous
vient maintenant ceste vaine jalousie? Avez vous perceu en moy aultre
chose qu'on ne doit veoir ne juger d'une bonne, loyale et preude femme?
Helas! que maudicte soit l'heure qu'oncques je vous cogneu, et que
l'alyance fut de moy avec vous, pour ainsi à tort estre suspicionnée de
ce que mon cueur ne sceut oncques penser. Ha! vous me cognoissez encores
mal, et ne savez combien net et entier mon cueur veult estre et
demourer.» Le bon marchant eust peu estre contraint de croire ses
bourdes, s'il n'eust rompu sa parolle; si dist qu'il vouloit averer son
ymaginacion. Incontinent, et sans plus la laisser sermonner, vint
sercher et visiter les angletz de sa chambre à tous lez au mieulx qu'il
luy fut possible; esquelx lieux, quand il les eut visitez et qu'il n'y
trouvoit point ce qu'il queroit, il se donna garde du casier, et jugea
qu'il convenoit que son compaignon y fust, et sans en monstrer semblant,
hucha sa femme et luy dist: «M'amye, combien que sans cause et à grand
tort je vous suspicionne d'estre vers moy desloyale, et que telle ne
soiez que ma faulse ymaginacion m'apporte, toutesfoiz je suis si ahurté
et enclin à croire et m'arrester en mon opinion, que impossible m'est
d'estre jamais plaisamment avecques vous. Et pour ce je vous prie que
soiez contente que la divorce et separacion soit faicte de nous deux, et
que amoureusement partissons noz biens communs par egale porcion.» La
gouge, qui desiroit assez ce marché, affin que plus aiséement se
trouvast avec son curé, accorda sans guères dissimuler à la requeste de
son mary, par telle condicion toutesfoiz qu'elle faisant la part des
meubles, elle commenceroit et feroit le premier choix. «Et pour quelle
raison, dit le mary, voulez vous choisir la première? c'est contre tout
droit et justice.» Ilz furent longtemps en different pour choisir
premier; mais en la fin le mary vaincquit, qui print le premier et print
le casier, où il n'y avoit que flans, tartes et fourmages, et aultres
menues vitailles, entre lesquelx nostre curé estoit ensevely, et lequel
oyoit ces bons devis qui à sa cause se faisoient. Quand le mary eut
choisy le casier, la dame choisit la chaudière, puis le mary ung aultre
meuble, puis elle ung aultre, et ainsi consequemment jusques ad ce que
tout fut party et porcionné. Après laquelle parchon faicte le bon mary
dist: «Je suis content que vous demourez en ma maison jusques ad ce que
aurez trouvé logis pour vous; mais de ceste heure je veil emporter ma
part, et la mectre à l'ostel d'un de mes voisins.--Faictes en, dist
elle, vostre bon plaisir.» Et il demanda une bonne longue corde, et en
lya et adouba son casier, puis fist venir son charreton, à qui fist
atteler son casier d'un cheval, et luy chargea qu'il le menast à l'ostel
d'un tel son voisin. La bonne dame, oyant ceste deliberacion, laissoit
tout convenir, car de donner conseil au contraire ne s'osoit avancer,
doubtant que le casier ne fust ouvert; ainsi abandonna tout à telle
adventure que advenir povoit. Le casier, ainsi que dit est, fut attelé
au cheval, et mené par la rue, pour aller où le bon homme l'avoit
ordonné. Mais guères n'ala loing que le maistre curé, à qui les oeufz et
le beurre crevoient les yeulx, cria pour Dieu mercy. Le charreton, oyant
ceste voix piteuse resonnant de ce casier, descendit tout esbahy, et
hucha les gens et son maistre, qui ouvrirent le casier, où ilz
trouvèrent le pouvre prisonnier, doré et empapiné d'oeufz, de fromaige,
de laict et aultres choses plus de cent. Ce pouvre amoureux estoit tant
piteusement appoincté qu'on ne savoit du quel il avoit le plus. Et quand
le bon mary le vit en ce point, il ne se peut tenir de rire, combien que
courroussé deust estre. Si le laissa courre, et vint à sa femme monstrer
comment il n'avoit eu trop grand tort d'estre suspicionneux de sa faulse
desloyauté. Elle, qui se vit par exemple vaincue, cria mercy, et il luy
fut pardonné par telle condicion que si jamais le cas luy advenoit, elle
fust mieulx advisée de mettre son homme aultre part que ou casier, car
le curé en avoit eu sa robe en peril d'estre à tousjours gastée. Et
après ce, ilz demourèrent ensemble long temps, et rapporta l'omme son
casier, et ne sçay point que son curé s'i trouvast depuis, lequel, au
moien de ceste adventure, fut, comme encores est, appellé sire Baudin
casier.




LA LXXIVe NOUVELLE.

PAR PHILIPPE DE LOAN.


Ainsi que naguères monseigneur le seneschal de Boulennois chevauchoit
parmy le pays d'une ville à l'aultre, en passant par ung hamelet l'on y
sonnoit au sacrement, et pource qu'il avoit doubté de non povoir venir à
la vile où il contendoit en temps pour oyr messe, car l'heure estoit
près de midy, il s'advisa qu'il descendroit audit hamelet pour veoir
Dieu en passant. Il descendit à l'huis de l'eglise, et puis s'en alla
rendre assez près de l'aultier où l'on chantoit la grand messe, et si
prochain se mist du prestre qui celebroit, qu'il le povoit en celebrant
de costé percevoir. Quand il eut levé Dieu et calice, et fait ainsi
comme il appartient, pensant à part luy, après qu'il eut veu monseigneur
le seneschal estre derrière luy, et non sachant si à bonne heure estoit
venu pour veoir Dieu lever; ayant toutesfoiz opinion qu'il estoit venu
tard, il appella son clerc et luy fist alumer arrière la torche, puis en
gardant les cerimonies qu'il fault faire et garder, leva encores une
foiz Dieu, disant que c'estoit pour monseigneur le seneschal. Et puis ce
fait, proceda oultre jusques ad ce qu'il fust parvenu à son _agnus Dei_;
lequel quant il l'eut dit trois foiz, et que son clerc luy bailla la
paix pour baiser, la refusa, et, en rabrouant trèsbien son clerc, disant
qu'il ne savoit ne bien ne honneur, la fist bailler à monseigneur le
seneschal, qui la refusa de tous poins deux ou trois foiz. Et quand le
prestre vit que monseigneur le seneschal ne vouloit prendre la paix
devant luy, il laissa Dieu qu'il tenoit en ses mains, et print la paix
et la porta à monseigneur le seneschal, et luy dist que s'il ne la
prenoit devant luy il ne la prendroit jà luy mesmes: «Ce n'est raison,
dist le prestre, que j'aye la paix devant vous.» Adonc, monseigneur le
seneschal, voyant que sagesse n'avoit illec lieu, s'accorda au curé et
print la paix, puis le curé après; et ce fait, s'en retourna parfaire sa
messe de ce qui restoit à parfaire.




LA LXXVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE THALEMAS.


Au temps de la guerre des deux partiz, les ungs nommez Bourgoignons, les
aultres Ermignacz, advint à Troyes, en Champaigne, une assez gracieuse
adventure, qui trèsbien vault la racompter et mectre en compte, qui fut
telle. Ceulx de Troies, pour lors que par avant ilz eussent esté
Bourgoignons, s'estoient tournez Ermignacz, et entre eulx avoit
conversé ung compaignon à demy fol, non pas qu'il eust perdue l'entière
cognoissance de raison, mais à la verité il tenoit plus du costé de dame
folie que de raison, quoy que aucunesfoiz il executast, et de la main et
de la bouche, pluseurs besoingnes que plus sage de luy n'eust sceu
achever. Pour venir doncques au propos encommencé, le galant sus dit
estant en garnison avec les Bourgoignons à sainte Manehot, mist une
journée en termes avec ses compaignons, et dist que s'ilz le vouloient
croire, il leur bailleroit bonne doctrine pour attrapper ung grand ost
des loudiers de Troyes, lesquelx, à la verité, il haioit mortellement,
et ilz ne l'amoient guères, mais le menassoient tousjours de pendre
s'ilz le povoient tenir. Veezcy qu'il dist: «Je m'en yrai vers Troyes et
m'approucheray des fauxbourgs, et feray semblant d'espier la ville, et
de tenter de ma lance les fossez, et si près de la ville m'approucheray
que je seray prins. Je suis seur que si tost que le bon bailly me
tiendra, il me condemnera à pendre, et nul de la ville ne s'i opposera
pour moy, car ilz me hayent trestous. Ainsi seray-je bien matin mené au
gibet, et vous serez embuschez au bosquet qui est au plus près. Et
tantost que vous orrez venir moy et ma compaignie, vous sauldrez sur
l'assemblée, et en prendrez et tiendrez à vostre volunté, et me
delivrerez de leurs mains.» Tous les compaignons de la garnison s'i
accordèrent, et dirent, puis qu'il osoit bien entreprendre ceste
adventure, ilz luy aideroient à la fournir. Et pour abreger, le gentil
folastre s'approucha de Troyes, comme il avoit devant dit, et, comme il
desiroit, fut prins, dont le bruyt s'espandit tost parmy toute la ville;
et n'y eut celuy qui ne le condemnast à pendre; mesme le bailly, si tost
qu'il le vist, dist et jura par ses bons dieux qu'il seroit pendu par la
gorge. «Hélas! monseigneur, disoit-il, je vous requier mercy, je ne vous
ay rien meffait.--Vous mentez, ribauld, dist le bailly, vous avez guydé
les Bourgoignons en ceste marche, et avez encusé les bon bourgois et
marchans de ceste ville; vous en aurez vostre payement, car vous en
serez au gibet pendu.--Ha! pour Dieu, monseigneur, dit nostre bon
compaignon, puis qu'il fault que je meure, au moins qu'il vous plaise
que ce soit bien matin, et que en la ville où j'ay eu tant de
cognoissance et d'accointance, je ne reçoyve trop publicque
punicion.--Bien, bien, dist le bailly, on y pensera.» Le lendemain, dès
le point du jour, le bourreau avec sa charette fut devant la prison, où
il n'eust guères esté que veezcy venir le bailly à cheval et ses sergens
et grand nombre de gens pour l'acompaigner, et fut nostre homme mis,
troussé et lyé sur la charette, et, tenant sa musette, dont il jouoit
continuellement, on le maine devers la Justice, où il fut plus
acompaigné, quoy qu'il fust matin, que beaucoup d'aultres n'eussent
esté, tant estoit hay en la ville. Or devez vous savoir que les
compaignons de la garnison de saincte Manehot n'oblièrent pas de eulx
embuscher au bois auprès de la dicte Justice, dès la mynuyt, tant pour
sauver leur homme, quoy qu'il ne fust pas des plus sages, tant aussi
pour gaigner prisonniers et aultres choses s'ilz povoient. Eulz là
doncques venuz et arrivez, disposèrent de leur fait comme de guerre et
ordonnèrent une gaitte sur un arbre, qui leur devoit dire quand ceulx de
Troyes seroient à la Justice. Celle gaitte ainsi mise et logée dist
qu'elle feroit bon devoir. Or sont venuz et descenduz ceulx de la
Justice devant le gibet, et le plus abregement que faire se peut, le
bailly commende qu'on despesche nostre povre coquard, qui estoit bien
esbahy où ses compaignons estoient, qu'ilz ne venoient ferir dedans ces
ribaulx Erminacz. Il n'estoit pas bien à son aise, mais regardoit devant
et derrière, et le plus le boys; mais il n'oyoit ne veoit rien. Il se
confessa le plus longuement qu'il peut, toutesfoiz il fut osté du
prestre, et, pour abreger, monte sur l'eschelle, et luy là venu fut bien
esbahy, Dieu le scet, et regarde et veye tousjours vers ce bois; mais
c'estoit pour neant, car la gaitte ordonnée pour faire saillir ceulx qui
rescourre le devoient étoit sur cest arbre endormye; si ne savoit que
dire ne que faire ce pouvre homme, sinon qu'il pensoit estre à son
derrain jour. Le bourreau, à chef de pièce, fist ses preparacions pour
luy bouter la hart au col pour le despescher. Et quand il vit ce, il
s'advisa d'un tour qui luy fut bien proufitable, et dist: «Monseigneur
le bailly, je vous prie pour Dieu que avant que on mette plus avant la
main en moy, que je puisse jouer une chanson de ma musette, et je ne
vous demande plus; je suis après content de morir, et vous pardonne ma
mort et à tout le monde.» Ceste requeste luy fut passée, et sa musette
luy fut en hault portée. Et quand il la tint, le plus à loysir qu'il
peut, il la commence à sonner, et joua une chanson que les compaignons
de l'embusche dessus dicte cognoissoient trèsbien, et y avoit: «Tu
demeures trop, Robinet, tu demeures trop.» Et au son de la musette la
gaitte s'esveilla, et de paour qu'elle eut se laissa cheoir du hault en
bas de l'arbre où elle estoit, et dist: «On pend nostre homme! Avant,
avant, hastez vous tost.» Et les compaignons estoient tous prestz; et au
son d'une trompette saillirent du bois, et se vindrent fourrer sur le
bailly et sur tout le mesnage qui devant le gibet estoit. Et à cest
effroy, le bourreau fut tant esperdu et esbahy qu'il ne savoit et n'eut
oncques l'advis de luy bouter la hart au col, et le bouter jus, mais luy
pria qu'il luy sauvast la vie, ce qu'il eust fait trèsvoluntiers; mais
il ne fut pas en sa puissance; trop bien fist il aultre chose et
meilleur, car luy, qui sur l'eschelle estoit, cryoit à ses compaignons:
«Prenez chula cà, prenez cestuy; ung tel est riche, ung tel est mauvais
garnement.» Bref, les Bourgoignons tuèrent un grand tas en venue de
ceulx de Troyes, et prindrent des prisonniers ung grand nombre, et
sauvèrent leur homme en la façon que vous oés, qui bien leur dist que
jour de sa vie n'eut si belles affres qu'il avoit à ceste heure eu.




LA LXXVIe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


L'on m'a pluseurs foiz dit et compté par gens dignes de foy ung bien
gracieux cas dont je fourniray une petite nouvelle, sans y descroistre
ne adjouster aultre chose que servant au propos. Entre les aultres
chevaliers de Bourgoigne ung en y avoit naguères, lequel, contre la
coustume et usage du pais, tenoit à pain et à pot une donzelle belle et
gente, en son chasteau que point ne veil nommer. Son chapellain, qui
estoit jeune et frez, voyant ceste belle fille, n'estoit pas si constant
que ne fust par elle souvent tenté, et en devint trop bien amoureux. Et
quand il vit mieulx son point, compta sa rastelée à madamoiselle, qui
estoit plus fine que moustarde; car la mercy Dieu elle avoit rendy et
couru pais tant que du monde ne savoit que trop. Elle pensoit bien en
soy mesmes que si elle accordoit au prestre sa requeste, son maistre,
qui veoit cler, quelque moien qu'elle trouvast, s'en donneroit bien
garde, et ainsi perdroit le plus pour le mains. Si delibera de
descouvrir l'embusche à son maistre, qui n'en fist que rire, car assez
s'en doubtoit, attendu les regards, devises et esbatemens qu'il avoit
veu entre eulx deux; ordonna neantmains à sa gouge qu'elle entretenist
le prestre, voire sans faire la courtoisie, et si fist elle si bien que
nostre sire en avoit tout au long du braz. Et nostre bon chevalier
souvent luy disoit: «Par dieu! par dieu! nostre sire, vous estes trop
privé de ma chambrière; je ne sçay qu'il y a entre vous deux, mais si je
savoye que vous y pourchassissiez rien à mon desavantage, nostre Dame!
je vous punyroie bien.--En verité, monseigneur, respondit maistre
domine, je n'y calenge ne demande rien; je me devise à elle, et passe
temps, comme les aultres de ceans; jour de ma vie ne luy requis d'amours
ne d'aultre chose.--Pour tant le vous dy je, dist le seigneur; si
aultrement en estoit, je n'en seroie pas content.» Si nostre domine
avoit bien poursuy au paravant de ces parolles, plus aigrement et à
toute force continua sa poursuite, car où qu'il rencontrast la gouge, de
tant près la tenoit que contraincte estoit, voulsist ou non, donner
l'oreille à sa doulce requeste; et elle duicte et faicte à l'esperon et
à la lance, endormoit nostre prestre et l'assommoit, et en son amour
tant fort le boutoit qu'il eust pour elle ung Ogier combatu. Si tost que
de luy s'estoit sauvée, tout le plaidoyé d'entre eulx deux estoit au
maistre par elle racompté, qui grand plaisir en avoit. Et pour faire la
farse au vif, et bien tromper son chapellain, il commenda à sa gouge
qu'elle luy assignast journée d'estre en la ruelle du lit où ilz
couchoient, et luy dist: «Si tost que monseigneur sera endormy, je feray
tout ce que vous vouldrez; rendez vous donc en la ruelle tout
doulcement.» Et fault, dit il, que tu le laisses faire, et moy aussi: je
suis seur que quand il cuidera que je dorme, qu'il ne demourra guères à
t'enferrer, et j'aray appresté à l'environ de ton devant le las jolis où
il sera attrappé.» La gouge en fut contente, et fist son rapport à
nostre sire, qui jour de sa vie ne fut plus joieux, et sans penser ne
ymaginer peril ne danger où il se boutoit, comme en la chambre de son
maistre, ou lit et à la gouge de son maistre, toute raison estoit de luy
à cest cop arrière mise; seullement luy chailloit d'accomplir sa folle
volunté, combien que naturelle et de pluseurs accoustumée. Pour faire
fin à long procès, maistre prestre vint à l'heure assignée bien
doulcement en la ruelle, Dieu le scet; et sa maistresse luy dist tout
bas: «Ne sonnez mot; quand monseigneur dormira, je vous toucheray de la
main et venez emprès moy.--En la bonne heure», ce dit il. Le bon
chevalier, qui à ceste heure ne dormoit mie, se tenoit à grand peine de
rire; toutesfoiz, pour faire la farse, il s'en garda, et, comme il avoit
proposé et dit, il tendit son filé ou son las, lequel qu'on veult, tout
à l'endroit de la partie où maistre prestre avoit plus grand desir de
hurter. Or est tout prest, et nostre sire appellé, et au plus
doulcement qu'il peut entre dedans le lit, et sans guères barguigner il
monte dessus le tas pour veoir plus loing. Si tost qu'il fut logé, bon
chevalier tire bien fort son las, et dit tout hault: «Ha! ribauld
prestre, estes vous tel?» Et bon prestre de soy retirer. Mais il n'ala
guères loing, car l'instrument qu'il vouloit accorder au bedon de la
gouge estoit si bien du las encepé, qu'il n'avoit garde de deslonger,
dont si trèsesbahy se trouva qu'il ne savoit sa contenance ne que advenu
il luy estoit. Et de plus fort en plus fort tiroit son maistre le las,
qui grand douleur luy eust esté, si paour et esbahissement ne luy
eussent tollu tout sentement. A chef de pièce il revint à luy, et sentit
trèsbien ces douleurs, et bien piteusement pria mercy à son maistre, qui
tant grand faim avoit de rire que à peine il savoit parler. Si luy dist
il neantmains après qu'il eust trèsbien aval la chambre parbondy: «Allez
vous en, nostre sire, et ne vous advienne plus; ceste foiz vous sera
pardonnée, mais la seconde seroit irremissible.--Hélas! monseigneur, ce
respond il, jamais ne m'aviendra; elle fut cause de ce que j'ay fait.» A
ce coup, il s'en alla, et monseigneur se recoucha, qui espoir acheva ce
que l'autre encommença. Mais sachez bien qu'oncques puis ne s'i trouva
le prestre au sceu du maistre. Bien peut estre qu'en recompense de ses
maulx la gouge en eut depuis pitié, et, pour sa conscience acquitter,
luy presta son bedon, et tellement s'accordèrent que le maistre en
valut pis tant en biens comme en honneurs. Et du surplus je me tais et à
tant.




LA LXXVIIe NOUVELLE.

PAR ALARDIN.


Ung gentilhomme des marches de Flandres, ayant sa mère bien ancienne et
trèsfort debilitée de maladie, plus languissant et vivant à malaise que
nulle aultre femme de son eage, esperant d'elle mieulx valoir et
amender, combien que ès marches de France il feist sa residence, la
visitoit souvent; et à chacune foiz que vers elle venoit, tousjours
estoit tant de mal oppressée, qu'on cuidast bien que l'ame en deust
partir. Et une foiz entre les aultres, comme il l'estoit venu veoir,
elle au partir luy dist: «Adieu, mon filz, je suis seure et me semble
que jamais vous ne me verrez; car je m'en vois morir.--Ha dya, ma mère,
respondit il, vous m'avez tant ceste leczon recordée que j'en suis saoul
et ennuyé; deux ans, trois ans sont jà passés et expirez que tousjours
ainsi m'avez dit, mais vous n'en avez rien fait; prenez bon jour, je
vous en prie, si n'y faillez point.» La bonne damoiselle, oyant de son
filz la response, quoyque malade et vieille fust, en soubriant luy dist
adieu. Or se passèrent puis ung an, deux ans, tousjours en languissant.
Ceste femme si fut arrière de son filz visitée, et ung soir, comme en
son lit en l'ostel d'elle estoit couchée, tant fort oppressée de mal
qu'on cuidoit bien qu'elle allast à Mortaigne, si fut ce bon filz appelé
de ceulx qui gardoient sa mère, et luy dirent que bien à haste à sa mère
venist, car seurement elle s'en alloit. «Dictes vous donc, dit il,
qu'elle s'en va? Par ma foy, je ne l'ose croire; tousjours dit elle
ainsi, mais rien n'en fait.--Nenny, nenny, dirent ses gardes, c'est à
bon escient; venez vous en, car on voit bien qu'elle s'en va.--Je vous
diray, dist il: allez devant et je vous suyz; et dictes bien à ma mère,
puis qu'elle s'en veult aller, que par Douay point ne s'en aille, car le
chemin est trop mauvais; à peu que davant hier moy et mes chevaulx n'y
demourasmes.» Il se leva neantmains, et housse sa robe longue et se mect
en train pour aller veoir si sa mère feroit la derrenière et finable
grimace. Luy là venu, la trouva fort malade et que passé avoit une
subite faulte qui la cuidoit bien emporter; mais, Dieu mercy, elle avoit
ung petit mieulx. «N'est ce pas ce que je vous dy? commence à dire ce
bon filz; l'on dit tousjours ceens, et si fait elle mesme, qu'elle s'en
va et qu'elle se meurt, et rien n'en fait. Prengne bon terme, de
pardieu, comme tant de foiz luy ay dit, et si ne faille point. Je m'en
retourne dont je vien; et si vous advise pour toutesfoiz que vous ne
m'appellez plus, s'elle s'en devoit aller toute seulle, si ne lui feray
je pas à ceste heure compaignie.» Or appartient que je vous compte la
fin de mon emprinse. Ceste damoiselle ainsi malade que dit est revint de
ceste extreme maladie, et comme auparavant depuis vesquit en languissant
l'espace de trois ans, pendant lesquelx ce bon filz une foiz d'adventure
la vint veoir, et à ce coup qu'elle rendit l'esperit. Mais le bon fut
quant on le vint querir pour estre au trespas d'elle, qu'il vestoit une
robe neuve, et n'y vouloit aller. Message sur aultre venoit vers luy,
car sa bonne mère, qui tiroit à la fin, le vouloit veoir et recommender
aussi son ame. Mais tousjours aux messagiers respondoit: «Je sçay bien
qu'elle n'a point de haste, qu'elle attendra bien que ma robe soit mise
à point. En la parfin tant luy fut dit et remonstré qu'il s'en alla
devers sa mère, sa robe neuve vestue sans les manches, lequel quand en
ce point fut d'elle regardé, luy demanda où estoient les manches de sa
robe, et il dist: «Elles sont là dedens, qui n'attendent estre
parfaictes sinon que vous nous descombrez la place.--Si seront donc
tantost achevéez, ce dist la bonne damoiselle: car je m'en vois à Dieu,
au quel humblement mon ame recommende, et à toy, mon filz.» Et lors cy
prins cy mis, la croix entre ses braz bien serréement reposant, rendit
l'ame à Dieu, sans plus mot dire; laquelle chose voyant son bon fils,
commença tant fort à plorer et soy desconforter que jamais ne fut veu
le pareil, et n'estoit nul qui conforter le sceust; tant fort mesmes le
print il au cueur que devant n'en tenoit compte par semblant, que au
bout de quinze jours de dueil il mourut.




LA LXXVIIIe NOUVELLE.

PAR JEHAN MARTIN.


Au pais de Brabant, qui est bonne marche et plaisante, fournye à droit
et bien garnye de belles filles, et bien sages coustumièrement, et le
plus et des hommes on soult dire, et se trouve assez veritable, que tant
plus vivent et plus sont sotz, naguères advint que ung gentilhomme en ce
point né et destené s'avolenta d'aller voyager oultre mer en divers
lieux, comme en Cypre, en Rhodes, et ès marches d'environ; et au
derrenier fut en Hierusalem, où il receut l'ordre de chevalerie. Pendant
lequel temps de son voyage, sa bonne femme ne fut pas si oiseuse qu'elle
ne presta son quoniam à trois compaignons ses voisins, lesquelx, comme à
court plusieurs servent par temps et termes, eurent leur audience. Et
tout premier ung gentil escuier frisque, frez et friant en bon point,
qui tant rembourra son bas à son chier coust, tant en substance de son
corps que en despence de pecune, car à la verité elle tant bien le pluma
qu'il n'y failloit point renvoier, qu'il s'ennuya et retira, et de tous
poins l'abandonna. L'aultre après vint, qui chevalier estoit et homme de
grand bruyt, qui bien joyeux fut d'avoir gaigné la place, et besoigna au
mieulx qu'il peut en la façon comme dessus, moyennant de quibus, que la
gouge tant bien savoit avoir que nul aultre ne l'en passoit. Et bref, se
l'escuier qui paravant avoit la place avoit esté rongé et plumé, damp
chevalier n'en eut pas mains. Si tourne bride et print garin, et aux
aultres la queste abandonna. Pour faire bonne bouche, la damoiselle d'un
maistre prestre s'accointa, et, quoy qu'il fust subtil et ingenieux et
sur argent bien fort luxurieux, si fut il rançonné de robes, de
vaisselles, et d'aultres bagues largement. Or advint, Dieu mercy, que le
vaillant mary de ceste gouge fist savoir sa venue, et comment en
Hierusalem avoit esté fait chevalier; si fist sa bonne femme l'ostel
apprester, tendre, parer, nectoyer et orner au mieulx qu'il fut
possible. Bref, tout estoit bien net et plaisant, fors elle seulement,
qui en l'ostel estoit, car du pluc et butin qu'elle avoit à la force de
ses reins conquesté avoit acquis vaisselle et tapisserie, linge et
aultres meubles en bonne quantité. A l'arriver que fist le doulx mary,
Dieu scet la joye et grand feste qu'on luy fist, celle en especial qui
mains en tenoit de compte, c'est asavoir sa vaillant femme. Je passe
tous ses bienviengnans, et vien ad ce que monseigneur son mary, quoy
que coquard fust et estoit, se donna garde de foison de meubles, courant
aval son hostel, qui avant son voyage n'estoit léens. Vint aux coffres,
aux buffetz, et en assez d'aultres lieux, et trouve tout multiplié, dont
l'avertin luy monta en la teste, et de prinsault devyna ce qui estoit;
si s'en vint tost bien eschaufé et trèsmal meu devers sa bonne femme, et
demanda dont sourdoient tant de biens comme ceulx que j'ay dessus
nommez. «Saint Jehan, ce dist ma dame, monseigneur, ce n'est pas mal
demandé; vous avez bien cause d'en tenir telle manière, et il semble que
vous soiés courroussé, qui vous voit.--Je ne suis pas trop à mon aise,
dit il, car je ne vous laissay pas tant d'argent à mon partir, et si
n'en povez tant avoir espergné que pour avoir acquis tant de vaisselle,
tant de tapisserie, et le surplus des bagues que je trouve céens; il
fault, et je n'en doubte, car j'ay cause, que quelqu'ung se soit de vous
accointé qui nostre mesnage ait ainsi renforcé?--Et pardieu,
monseigneur, respond la simple femme, vous avez tort, qui pour bien
faire me mettez sus telle vilannie; je veil bien que vous le sachez que
je ne suis pas telle, mais meilleur en tous endroiz que à vous
n'appartient; et n'est-ce pas bien raison qu'avec tout le mal que j'ay
eu d'amasser et espergner, pour accroistre et embellir vostre hostel et
le mien, j'en soye reprochée, lesdengée et tencée? C'est bien loing de
recognoistre ma peine comme ung bon mary doit faire à sa bonne preude
femme. Telle l'avez-vous, meschant maleureux, dont c'est dommage.» Ce
procès, quoy qu'il fust plus long, pour ung temps se cessa, et s'avisa
maistre mary, pour estre de l'estat de sa femme asseuré, qu'il feroit
tant avec son curé, qui son trèsgrand amy estoit, que d'elle orroit la
devote confession, ce qu'il fist au moien du curé, qui son fait
conduisit; car ung bien matin, en la bonne sepmaine que de son curé pour
soy confesser s'approucha, en une chapelle secrète devant il l'envoya,
et à son mary vint, qu'il adouba de son habit, et pour estre son
lieutenant l'envoya devers sa femme. Si nostre mary fut joyeux, il ne le
fault jà demander. Quand en ce point il se trouva, il vint en la
chappelle, et ou siége du prestre sans mot dire entra; et sa femme
d'approcher, qui à genoux se mist devant ses piez, cuidant pour vray
estre son curé, et sans tarder commença sa confession et dist
_Benedicite_. Et nostre sire son mary respondit _Dominus_, et au mieulx
qu'il sceut, comme le curé l'avoit aprins, assovit de dire ce qui
affiert. Après que la bonne femme eut dit la confession generale,
descendit au particulier, et vint parler comment, durant le temps que
son mary avoit esté dehors, ung escuier avoit esté son lieutenant, dont
elle avoit en or, en argent et en bagues beaucop amendé. Et Dieu scet
que en oyant ceste confession, le mary estoit bien à son aise; s'il eust
osé, voluntiers l'eust tuée à ceste heure; toutesfoiz, affin d'oyr
encores le surplus, s'il y est, aura il pacience. Quand elle eut dit
tout au long de cest escuier, du chevalier s'est accusée, qui comme
l'autre l'avoit bien baguée. Et bon mary, qui de dueil se crève et fend,
ne scet que faire de soy descouvrir et bailler l'absolution sans plus
attendre; il n'en fist rien néantmains, et print loysir et pacience
d'escouter ce qu'il orra. Après le tour du chevalier, le prestre vint en
jeu, dont elle s'accusa bien humblement; mais, par nostre dame, à cest
coup, bon mary perdit pacience et n'en peut plus oyr, si jecta jus chape
et surplis, et se monstrant, luy dist: «Faulse et desloyale, or voiz je
et cognois bien vostre grand trahison! et ne vous suffisoit-il de
l'escuier et puis du chevalier, sans à ung prestre vous donner, qui par
Dieu plus me desplaist et courrousse que tout ce que fait avez.» Vous
devez savoir que de prinsault ceste vaillant femme fut esbahie et
soupprinse; mais le loysir qu'elle eut de respondre si trèsbien
l'asseura et sa contenance de manière si bien ordonna, que, à l'oyr, sa
response estoit plus asseurée que la plus juste de ce monde; faisoit à
Dieu son oroison; si respondit à chef de pièce comme le saint esperit
l'inspira, et dist bien froidement: «Pouvre coquard, qui ainsi vous
tourmentez, savez-vous bien au mains pour quoy? Or, oyez-moy, s'il vous
plaist; et pensez-vous que je ne sceusse trèsbien que c'estiez vous à
qui me confessoie? Si vous ay servy comme le cas le requiert, et sans
mentir de mot vous ay confessé tout mon cas; véezcy comment: De
l'escuier me suis accusée, et c'estes vous, mon doulx amy; quand vous
m'eustes en mariage, vous estiez escuier, et lors feistes de moy ce
qu'il vous pleut, et me fournistes, vous le savez, Dieu scet comment. Le
chevalier aussi dont j'ay touché et m'en suis encoulpit, par ma foy,
vous estes celuy, car à vostre retour vous m'avez fait dame. Et vous
estes aussi le prestre, car nul, si prestre n'est, ne peut oyr
confession.--Par ma foy, m'amye, dist lors le chevalier, or m'avez vous
vaincu et bien monstré que sage et trèsbonne vous estes, et que sans
cause et à tort et trèsmal adverty vous ay chargée et dit du mal assez,
dont il me desplaist, et m'en repens, et vous en crye mercy, vous
promettant de l'amender à vostre dit.--Legièrement il vous est pardonné,
ce dit la vaillant femme, puis que le cas vous cognoissez.» Ainsi
qu'avez oy fut le bon chevalier deceu par le subtil et percevant engin
de sa desloyalle femme.




LA LXXIXe NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.


Au bon pays de Bourbonnoys, où voluntiers les bonnes besoignes se font,
avoit l'aultre hier ung medicin, Dieu scet quel; oncques Ypocras ne
Gallien ne practicquèrent ainsi la science comme il faisoit: car en lieu
de cyrops, de buvraiges, de doses, d'electuaires et de cent mille
aultres besoignes que medicins solent ordonner tant à conserver la santé
de l'homme que pour la recouvrer s'elle est perdue, il ne usoit
seullement que d'une manière de faire, c'est assavoir, de bailler
clistères. Quelque maladie qu'on luy apportast ou denunçast, tousjours
faisoit bailler clistères, et toutesfoiz si bien luy venoit en ses
besoignes et affères que chacun estoit content de luy, et garisoit
chacun, dont son bruyt creut et augmenta qu'on l'appeloit par tout, tant
ès maisons des princes et seigneurs comme en grosses abbayes et bonnes
villes. Et ne fut oncques Aristote ne Gallien ainsi autorisé, par
especial du commun peuple, que ce bon maistre dessus dit. Et tant monta
sa renommée que pour toute chose l'on demandoit son conseil; et estoit
tant entonné incessamment qu'il ne savoit au quel entendre. Se une
femme avoit rude mary, fel et mauvais, elle venoit au remède à ce bon
maistre. Bref, de tout ce dont on peust demander conseil d'homme, nostre
bon maistre avoit la huée. Advint ung jour que ung bon simple homme
champestre avoit perdu son asne; et après la longue queste d'icelluy,
s'advisa de tirer vers ce maistre qui si trèssage estoit; et à la coup
de sa venue il estoit tant avironné de peuple qu'il ne savoit au quel
entendre. Ce bon homme néantmains rompit la presse, et, quoy que le
maistre parlast et respondist à pluseurs, luy compta son cas, c'est
asavoir de son asne qu'il avoit perdu, priant pour Dieu qu'il luy
voulsist radressier et bailler chose dont il le peust recouvrer. Ce
maistre, qui plus aux aultres que à luy entendoit, quand le bruyt et son
de son langage, dont rien il n'avoit entendu, fut finy, se vira devers
luy, cuidant qu'il eust aucune enfermeté; et affin d'en estre despesché,
dist à ses gens: «Baillez luy clistère.» Et ce dit, devers les aultres
se tourna. Et le bon simple homme qui l'asne avoit perdu, non sachant
que le maistre avoit dit, fut prins des gens du maistre, qui tantost,
comme il leur estoit chargé, luy baillèrent ung clistère, dont il fut
bien esbahy, car il ne savoit que c'estoit. Quand il eut ce clistère,
dès qu'il fut dedans son ventre, il picque et s'en va, sans plus
demander de son asne, cuidant certainement par ce le retrouver. Il n'eut
guères esté avant que le ventre luy brouilla et grouilla tellement qu'il
fut contraint de soy bouter en une vieille masure inhabitable, pour
faire ouverture au clistère, qui demandoit la clef des champs. Et au
partir qu'il fist, il mena si grant bruyt que l'asne du pouvre homme,
qui passoit assez près, comme esgaré et venu d'adventure, commence à
racaner et cryer; et bon homme de s'avancer et lever sus et chanter _Te
Deum_, et venir à son asne, qu'il cuidoit avoir recouvert ou trouvé par
le clistère que luy fist bailler le maistre, qui eut encores plus de
renommée sans comparaison que paravant. Car des choses perdues on le
tenoit vray enseigneur, et de toute science aussi le trèsparfait
docteur, quoy que d'un seul clistère toute ceste renommée venist. Ainsi
avez oy comment l'asne fut trouvé par ung clistère, qui est chose bien
apparente et qui souvent advient.




LA IIII^{xx}e NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY, GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DE
MONSEIGNEUR.


Es marches d'Alemaigne, comme pour vray oy naguères compter à deux
gentilz seigneurs dignes de croire, advint que une fille, de l'eage
d'environ de xv. à xvj. ans, fut donnée en mariage à ung bon gentil
compaignon, qui tout devoir faisoit de paier le deu que voluntiers
demandent femmes sans mot dire, quand en cest eage et tel estat sont.
Mais, quoy que le pouvre homme feist bien la besoigne et s'efforsast
espoir plus souvent qu'il ne deust, si n'estoit euvre qu'il fist
agréablement receu, et ne faisoit incessamment sa femme que rechigner,
et souvent ploroit bien tendrement comme si tous ses amys fussent mors.
Son mary, la voyant ainsi lamenter, ne se savoit assez esbahir quelle
chose luy povoit falloir, et luy demandoit doulcement: «Helas! m'amye,
et qu'avez vous? Et n'estes vous pas bien vestue, bien logée, bien
servye, et de tout ce que gens de nostre estat pevent par raison desirer
bien convenablement partie?--Ce n'est pas là qu'il me tient, respondit
elle.--Et qu'est ce donc? dictes le moy, ce dit il, et si je y puis
remède mettre, pensez que je le feray pour y mettre et corps et biens.»
Les plus des foiz elle ne respondoit mot, mais tousjours rechignoit et
de plus en plus triste chère et matte elle faisoit, que le mary ne
portoit pas bien paciemment, quand savoir ne povoit la cause de ceste
doléance. Tant en enquist que partie il en sceut, car elle luy dist
qu'elle estoit trop desplaisante qu'il estoit si petitement fourny de
cela que vous savez, c'est asavoir du baston de quoy on plante les
hommes, comme dit Bocace. «Voire! dist il, et est ce cela dont tant vous
dolez? Et par mon serment, vous avez bien cause. Toutesfoiz il ne peut
estre aultre, et fault que vous en passez tel qu'il est, voire si vous
ne voulez aller au change.» Ceste vie se continua ung grand temps, tant
que le mary, voyant l'extimacion d'elle, assembla ung jour à ung disner
ung grant tas des amys d'elle, et leur remonstra le cas comme il est icy
dessus touché, et disoit qu'il luy sembloit qu'elle n'avoit cause de se
douloir de luy en ce cas, car il cuidoit aussi bien estre party de
l'instrument naturel que voisin qu'il eust: «Et affin, dist il, que j'en
soye mieulx creu, et vous voiez son tort evident, je vous monstreray
tout.» Il mist sa denrée avant sur la table, devant tous et toutes, et
dist: «Veezci de quoy.» Et sa femme de plorer de plus belle: «Et par
saint Jehan, dirent sa mère, sa seur, sa tante, sa cousine, sa voisine,
m'amye, vous avez tort; et que demandez vous? voulez vous plus demander?
et qui est celle qui ne devroit estre contente d'ung mary ainsi estoffé?
Ainsy m'ayde Dieu, je me tiendroye bien eureuse d'en avoir autant, voire
beaucop mains; appaisez vous, appaisez vous, et faictes bonne chère
doresenavant. Par dieu! vous estes la mieulx partie de nous toutes, ce
croy-je.» Et la jeune espousée, oyant le collége des femmes ainsi
parler, leur dist, bien fort plorant: «Véezcy le petit asnon de céans,
qui n'a guères d'aage avec demy an, et si a l'instrument grand et gros
de la longueur d'un bras.» Et en ce disant, tenoit son braz destre par
le coute, et si le branloit trop bien. «Et mon mary, qui a bien xxiiij
ans, n'en a que ce tant peu qu'il a monstré; vous semble-t-il que j'en
doyve estre contente?» Chacun commença à rire, et elle de plus plorer,
tant que l'assemblée longuement fut sans mot dire. Alors la mère print
la parolle, et à part dist à sa fille tant d'unes et d'aultres que
aucunement se contenta; mais ce fut à grand peine. Véezcy la cause des
filles d'Alemaigne; si Dieu plaist, bien tost seront ainsi en France.




LA IIII^{xx}Ie NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VAURIN.


Puis que les comptes et histoires des asnes sont acevez, je vous feray
en bref et à la verité ung bien gracieux compte d'un chevalier que la
plus part de vous, mes bons seigneurs, congnoissez de pieçà. Il fut bien
vray que le dit chevalier s'adventura trèsfort, comme il est assez de
coustume aux jeunes gens, d'une trèsbelle, gente et jeune dame, et du
quartier du pays où elle se tenoit la plus bruyant et la plus renommée.
Mais toutesfoiz, quelque pourchaz, quelque semblant, quelque devoir
qu'il sceust faire pour obtenir sa grace, jamais il ne peut parvenir
d'estre serviteur retenu; dont il estoit mains que bien content, attendu
que tant ardemment, tant loyallement et tant entierement l'amoyt que
jamaiz femme ne le fut mieulx. Et n'est pas à oblier que autant faisoit
pour elle qu'oncques serviteur fist pour sa dame, comme de joustes,
d'habillemens; et néantmains, comme dit est, tousjours trouvoit sa dame
rude et mal tractable, et luy monstrant mains de semblant d'amour que
par raison ne deust: car elle savoit, et de vray, que loyallement et
cherement de luy estoit bien fort aymée. Et à dire la verité, elle luy
estoit trop dure, et fait assez à penser qu'il procedoit de fierté, dont
elle estoit plus que bon ne luy fust, comme on disoit, remplye. Les
choses estans comme dit est, une aultre dame voisine et amye de la
dessus dicte, voyant la queste du dit chevalier, fut tant esprise de son
amour que plus on ne pourroit, et, par trop bonne fasson qui trop longue
seroit à descripre, fist tant que ce bon chevalier s'en apperceut; dont
il ne se meut que bien à point, tant fort s'estoit donné à sa rebelle et
rigoreuse maistresse. Trop bien, comme gracieux qu'il estoit, tout
sagement entretenoit celle de luy esprinse, affin que si à la
cognoissance de l'autre fust parvenu, cause n'eust eu d'en rien blasmer
son serviteur. Or escoutez quelle chose advint de ces amours, et quelle
en fut la conclusion. Ce bon chevalier amoureux, qui pour la distance du
lieu ne povoit estre si souvent emprès sa dame que son loyal cueur et
trop amoureux desiroit, s'advisa ung jour de prier aucuns chevaliers et
escuiers, ses bons amys, qui toutesfois de son cas rien ne savoient,
d'aller esbattre, voler et querir les lièvres en la marche du pais où
sa dame se tenoit, sachant de vray par ses espies que le mary d'elle n'y
estoit point, mais estoit venu à court, où souvent se tenoit, comme
celluy de qui se fait ce compte. Comme il fut proposé de ce chevalier
amoureux et de ses compaignons, se partirent le lendemain, bien matin,
de la bonne ville où la court se tenoit, et, tout querans les lièvres
passèrent temps jusques à basse nonne, sans boire ne sans menger. Et en
grand haste vindrent repaistre en ung petit village; et après le disner,
qui fut court et sec, montèrent à cheval et de plus belles s'en vont
querans les lièvres. Et le bon chevalier, qui ne tiroit qu'à une, menoit
tousjours la brigade le plus qu'il povoit arrière de la bonne ville, où
ses compaignons avoient grand vouloir de retirer, et souvent luy
disoient: «La vespre approuche, il est heure de retirer à la ville; si
nous n'y advisons, nous serons enfermez dehors, et nous fauldra gesir en
ung meschant village et tous morir de faim.--Vous n'avez garde, disoit
nostre amoureux, il est encore heure assez; et au fort je sçay ung lieu
en ce quartier où l'on nous fera trèsbonne chère; et pour vous dire, si
à vous ne tient, les dames nous festieront. Comme gens de court se
trouvent voluntiers avec les dames, ilz furent contens de soy gouverner
à l'appetit de celuy qui les avoit mis en train, et passèrent le temps
querans les lièvres et les perdris tant que le jour dura. Or vint
l'heure de venir au logis, si dist le chevalier à ses compaignons:
«Tirons, tirons pais, je vous mainray bien.» Environ une heure ou deux
de nuyt, ce bon chevalier et sa compaignie arrivèrent à la place où se
tenoit la dame dessus dicte, de qui tant fort estoit feru la guide de la
compaignie, qui mainte nuyt en avoit laissé le dormir. On hurta à la
porte du chasteau, et varletz assez tost vindrent avant, qui demandoient
qu'on vouloit. Et celuy à qui le fait touchoit print la parolle et leur
dist: «Messeigneurs, monseigneur et madame sont ilz céans?--En verité,
respondit l'un pour tous, monseigneur n'y est pas, mais madame y
est.--Vous luy direz, s'il vous plaist, que telz et telz chevaliers et
escuiers de la court, et moy ung tel, venons d'esbatre et querre les
lièvres en ceste marche, et nous sommes esgarez jusques à ceste heure,
qui est trop tard de retourner à la ville. Si luy prions qu'il luy
plaise nous recevoir pour ses hostes pour meshuy.--Voluntiers», dist il.
Il vint faire ce message à sa maistresse, laquelle cy prins cy mis fist
faire la response sans venir vers eulx, qui fut telle: «Monseigneur, dit
le varlet, madame vous fait savoir que monseigneur son mary n'est pas
icy, dont il luy desplaist, car, s'il y fust, il vous feist bonne chère;
et en son absence elle n'oseroit recevoir personne; si vous prie que luy
pardonnez.» Le chevalier meneur de l'assemblée, pensez qu'il fut bien
esbahy et trèshonteux d'oyr ceste response, car il cuidoit bien veoir à
loisir sa maistresse et deviser tout son cueur saoul, dont il se treuve
arrière et bien loing; et encores beaucop luy grève d'avoir amené ses
compaignons en lieu où il s'estoit vanté de les bien faire festoyer.
Comme sachant et gentil chevalier, il ne monstra pas ce que son pouvre
cueur portoit; si dist de plain visage à ses compaignons: «Messeigneurs,
pardonnez moy que je vous ay fait paier la bée; je ne cuidoie pas que
les dames de ce pais fussent si peu courtoises que de refuser ung giste
aux chevaliers errans; prenés en pacience. Je vous promectz par ma foy
de vous mener ailleurs, ung peu ensus de céans, où l'on nous fera toute
aultre chère.--Or avant donc, dirent les aultres, picquez avant: bonne
adventure nous doint Dieu.» Ilz se mettent au chemin; et estoit
l'intencion de leur guide de les mener à l'hostel de la dame dont il
estoit le cher tenu, et dont mains de compte il tenoit que par raison il
ne deust; et conclud à ceste heure de soy oster de tous poins de l'amour
de celle qui si lourdement avoit refusé la compaignie, et dont si peu de
bien luy estoit venu estant en son service; et se delibera d'amer,
servir et obéir tant que possible luy seroit celle qui tant de bien luy
vouloit, et où, se Dieu plaist, se trouvera tantost. Pour abreger, après
la grosse pluye que la compaignie eut plus d'une grosse heure et demye
sur le dos, ont arrivé à l'hostel de la dame dont naguères parloye; et
hurta l'on de bon het à la porte, car il estoit bien tard, environ neuf
ou dix heures de nuyt, et doubtoient fort qu'on ne fust couché. Varlez
et meschines saillirent dehors, qui s'en vouloient aller coucher, et
demandent qu'est ce là? Et on leur dist. Ilz vindrent à leur maistresse,
qui estoit jà en cotte simple, et avoit mis couvrechef de nuyt; et luy
dirent: «Madame, à la porte est monseigneur de tel lieu, qui veult
entrer, et avec luy aucuns aultres chevaliers et escuiers de la court,
jusques au nombre de trois.--Ilz soient les trèsbien venuz, dist elle;
avant, avant, vous telz et telz, allez tuer chappons et poullailles, et
ce que nous avons de bon, et mectez en haste.» Bref, elle disposa comme
femme de bien et de grant façon, comme elle estoit et encores est, tout
subit les besoignes comme vous orrez tantost. Et print bien à haste sa
robe de nuyt, et ainsi attournée qu'elle estoit, le plus gentement
qu'elle peut vint au devant des seigneurs dessusdis, deux torches devant
elle et une seulle femme avecques elle, trèsbelle fille; les aultres
mettoient les chambres à point. Elle vint rencontrer ses hostes sur le
pont du chasteau, et le gentil chevalier qui tant estoit en sa grace,
comme des aultres la guide et le meneur, se mist en front devant, et en
faisant les recognoissances, il la baisa, et puis après tous les aultres
la baisèrent pareillement. Alors, comme femme bien enseignée, dist aux
seigneurs dessus ditz: «Messeigneurs, vous soiez les trèsbien venuz;
monseigneur tel, c'est assavoir leur guide, je le cognois de pieçà, il
est, de sa grace, tout de céens; s'il luy plaist, il fera mes
accointances devers vous.» Pour abreger, accointances furent faictes,
le soupper assez tost appresté, et chacun d'eulx logié en belle et bonne
chambre bien garnye de tapisserie et de toute aultre chose necessaire.
Si vous fault dire que tantdiz que le soupper s'apprestoit, la dame et
le bon chevalier se devisèrent tant et si longuement, et se porta
conclusion entre eulx que pour la nuyt ilz ne feroient que ung lit, car
de bonne adventure le mary n'estoit point léens, mais plus de quarante
lieues loing. Or est heure, tantdiz que ce soupper s'appreste, que ces
devises se font, et que l'on souppe le plus joyeusement que l'on
pourroit. Après les adventures du jour, que je vous dye de la dame qui
son hostel refusa à la brigade dessus dicte, mesmes à celuy que bien
savoit qui plus l'amoit que tout le monde, et fut si mal courtoise
qu'oncques vers eulx ne se monstra. Elle demanda à ses gens, quand ilz
furent vers elle retournez de faire leur message, quelle chose avoit
respondu le chevalier. L'un luy dist: «Madame, il le fist bien court:
trop bien dist il qui menoit ses gens en ung lieu en sus d'icy où l'on
leur feroit tout recueil et meilleure chère.» Elle pensa tantost ce qui
estoit et dist en soy mesmes: «Ha! il s'en est allé à l'ostel d'une
telle, qui, comme bien sçay, ne le voit pas envis. Léens se tractera, je
n'en doubte point, quelque chose à mon prejudice.» Et elle estant en
ceste ymaginacion et pensée, subitement le dur courage que tant rigoreux
avoit envers son serviteur porté fut tout changé et alteré, et en
trèscordial et bon vouloir transmué, dont envye pour ceste heure fut
cause et motif; conclusion oncques ne fut tant rigoreuse que à ceste
heure trop plus ne soit doulce et desireuse d'accorder à son serviteur
tout ce qu'il vouldroit requerir. Ainsi va la besoigne. Et doubtant que
la dame où la brigade estoit ne joyst de celuy que tant avoit traicté
durement, escripvit unes lettres de sa main à son serviteur, dont la
plus part des lignes estoient de son precieux sang escriptes, qui
contenoit en effect que, tantost ces lettres veues, toutes aultres
choses mises arrière, il venist vers elle avecques le porteur tout seul,
et il seroit si agreablement receu que oncques serviteur ne fut plus
content de sa dame qu'il seroit. Et, en signe de plus grand verité, mist
dedans la lettre ung dyamant que bien cognoissoit. Ce porteur, qui
estoit seur, print la lettre et vint trouver au lieu dessus dit le
chevalier auprès de son hostesse au souper et toute l'assemblée. Tantost
après graces, le tira d'un costé, et, en luy baillant la lettre, dist
qu'il ne feist semblant de rien, mais qu'il accomplist le contenu. Ces
lettres veues, le bon chevalier fut bien esbahy et encores plus joyeux;
car combien qu'il eust conclu et deliberé de soy retirer de l'amour et
accointance de celle qui luy escripvoit, si n'estoit il pas si converty
que la chose que plus il desiroit ne luy fust par ceste lettre permise.
Il tira son hostesse à part, et luy dist comment son maistre le mandoit
hastivement, et que force luy estoit de partir tout à ceste heure, et
monstroit bien semblant que bien luy desplaisoit. Celle qui estoit
auparavant la plus joyeuse, attendant ce que tant avoit desiré, devint
triste et ennuyeuse, à peu de monstre. Il monte à cheval et laisse ses
compaignons léens, et avec le porteur des lettres vient et arrive
tantost après mynuyt à l'ostel de sa dame, de laquelle le mary estoit
naguères retourné de court et s'apprestoit pour s'en aller coucher, dont
Dieu scet en quel point en estoit celle qui son serviteur avoit mandé
querir par ces lettres. Ce bon chevalier, qui tout le jour avoit culetté
la selle, tant en la queste des lièvres comme pour querir logis, sceut à
la porte que le mary de sa dame estoit arrivé, dont il fut aussi joyeux
que vous povez penser. Si demanda à sa guide qu'il estoit de faire? Si
advisèrent ensemble qu'il feroit semblant de soy estre esgaré de ses
compaignons, et que de bonne adventure il avoit trouvé ceste guide qui
léens l'avoit adressé. Comme il fut dit il fut fait, en la male heure,
et vint trouver monseigneur et madame, et fist son personnage ainsi
qu'il sceut. Après boire une foiz, qui pou de bien luy fist, on le mena
en sa chambre pour coucher, où guères ne dormit la nuyt, et lendemain au
matin avec son hoste à la court retourna sans riens accomplir du contenu
de la lettre dessus dicte. Et vous dy que là ne à l'aultre oncques puis
ne retourna, car tost après la court se partit du pais, et il suyvit le
train, et tout fut mis en non challoir et oubly, comme souvent advient.




LA IIII^{xx}IIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.


Or escoutez, s'il vous plaist, qu'il advint en nostre chastellenie de
Lisle, d'un bergier des champs et d'une jeune pastorelle qui ensemble ou
assez près l'un de l'autre gardoient leurs brebiz. Marché se porta entre
eulx deux, une foiz entre les aultres, à la semonce de nature, qui desjà
les avoit elevez en eage de cognoistre que c'est de ce monde, que le
bergier monteroit sur la bergière pour veoir plus loing, pourveu
toutesfoiz qu'il ne l'embrocheroit neant plus avant que le signe qu'elle
mesme fist sur son instrument naturel du bergier de sa main, qui estoit
environ deux doiz, la teste franche; et estoit le signe fait d'une more
noire qui croist sur les hayes. Cela fait, ilz se mettent à l'ouvrage de
par Dieu, et bon bergier se fourre dedens, comme s'il ne coutast rien,
sans regarder mercque, ne signe, ne promesse qu'il eust faicte à sa
bergière, car tout ce qu'il avoit ensevelit jusques au manche; et si
plus en eust eu, il trouva lieu assez pour le loger. Et la belle
bergière, qui jamais ne fut à telles nopces, tant aise se trouva que
jamais ne voulsist faire aultre euvre. Les armes furent achevées, et se
tira tantost chacun vers ses brebis, qui desjà s'estoient d'eulx fort
esloignées, à cause de leur absence. Tout fut rassemblé et mis en bon
train, et bon bergier, pour passer temps comme il avoit de coustume, se
mist en contrepoix entre deux haloz sur une balochouère, et là
s'esbatoit et estoit plus aise que ung roy. La bergière se mist à faire
ung chapelet de florettes sur la rive d'un fossé assez loignet de la
balochoère au bergier, et regardoit tousjours, disant la chansonnette
jolye, pour veoir s'il reviendrait point à la morse; mais c'estoit la
maindre de ses pensées. Et quand elle vit qu'il ne venoit point, elle
commence à hucher tant qu'elle peut: «Hau! Hacquin! Hacquin!» Et il
respond: «Que veulx tu? que veulx tu?--Vien çà, vien çà, dit elle, si
feras.» Mais elle disoit tout oultre; et Hacquin, qui en avoit son
saoul, luy respondit: «En nom Dieu, j'ay aussi cher que je ne face neant
que je face; je m'esbas bien ainsi.» Et toute jour balochoit. Et dame
bergière rehuche de plus belle: «Vien çà, Hacquin, je te laisseray tout
bouter plus avant, sans faire mercque n'enseigne, ainsi que tu
vouldras.--Saint Jehan! dit Hacquin, j'ay passé le seing de la more, et
bouté tout ens jusques aux pennes; mais vous n'en arez plus aussi
maintenant.» Si se reprint Hacquin à balocher, et laissa la bergière
faire son chapellet, à qui bien desplaisoit de ce qu'il la laissoit
oyseuse.




LA IIII^{xx}IIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VAURIN.


Comme il est de coustume par tous païs que par les villes et villages
souvent s'espartent les religieux mendians, tant de l'ordre des
Jacobins, Cordeliers, Carmes, et Augustins, pour prescher les vices, les
vertuz exaulser et loer, advint que, à Libers, bonne petite ville en la
conté d'Artoys, arriva ung carme du couvent d'Arras, par ung dimenche
matin, ayant intencion d'y prescher, comme il fist bien et dévotement et
haultement; car il estoit bon clerc et très beau langagier. Tantdiz que
le curé disoit la grand messe, maistre carme se pourmenoit, attendant
que quelqu'ung le feist chanter pour gaigner deux patars ou trois gros;
mais nul ne s'en avançoit. Et ce voyant une ancienne damoiselle vefve, à
qui print pitié du pouvre religieux, luy fist dire messe, et par son
varlet bailler deux patars, et encores prier de disner. Et maistre moyne
happa cest argent, promectant de venir au disner, comme il fist tantost
qu'il eut presché et que la grand messe de la parroiche fut finie. La
damoiselle qui l'avoit fait chanter et semondre au disner se partit de
l'eglise, elle et sa chambrière, et vindrent à l'ostel faire tout prest
pour recevoir le prescheur, qui en la conduicte d'un serviteur de la
dicte damoiselle vint arriver à l'ostel, où il fut receu bien
honnestement; et, après les mains lavées, la damoiselle luy assigna sa
place, et elle se tint auprès de luy, et le varlet et la chambrière se
misrent à servir, et de prinsault apportèrent la belle porée avecques
beau lard, et belles trippes de porc, et une langue de beuf rostie. Dieu
scet comment, tantost que damp moyne vit la viande, il tire ung beau,
long et large cousteau, bien trenchant, qu'il avoit à sa cincture, tout
en disant _Benedicite_, et puis se mect en besoigne à la porée. Tout
premièrement qu'il eut despeschée, et le lard aussi, sy prins cy mis, de
là il se tire à ces trippes belles et grasses, et fiert dedans comme ung
loup dedans les brebis. Et avant que la bonne damoiselle son hostesse
eust à moitié mengé sa porée, il n'y avoit ne trippe ne trippette dedans
le plat. Si se prend à ceste langue de beuf, et de son coulteau bien
trenchant en deffist tant de pièces qu'il n'en demoura oncques lopin. La
bonne damoiselle, qui tout ce sans mot dire regardoit, souvent regardoit
l'oeil sur son varlet et sa chambrière, et eulx, en soubzriant tout
doulcement, pareillement la regardoient. Elle fist apporter une pièce de
bon beuf salé et une belle pièce de mouton de bon endroit, et mettre sur
la table. Et bon moine, qui n'avoit appetit nesq'un chien, s'apiert à la
pièce de beuf, et s'il avoit eu peu de pitié des trippes et de la langue
de beuf, encores en eut il mains de mercy de ce beau beuf entrelardé.
Son hostesse, qui grand plaisir prenoit à le veoir menger, trop plus que
le varlet et la meschine, qui entre leurs dens le maudisoient, luy
faisoit tousjours emplir sa tasse si tost qu'elle estoit vuide. Et
pensez qu'il descouvroit bien viande, et point n'espargnoit le boire. Il
avoit si grand haste de fournir son pourpoint qu'il ne disoit mot, si
pou non. Quand la pièce de beuf fut comme toute mengée et despeschée, et
plus part de celle de mouton, de laquelle l'ostesse avoit ung tantinet
mengé, elle voyant que son hoste n'estoit encores saoul, fist signe à sa
chambrière qu'elle apportast ung gros jambon cuict du jour devant pour
la garnison de l'ostel. La chambrière, tout maudisant le prestre qui
tant gourmandoit, fist le commendement de sa maistresse, et mist le
jambon sur la table. Et bon moyne, sans demander qui vive, frappe sus et
le navra et affola; car de prinsault il luy trencha le jaret, et,
ensuyvant le terminé propos, de tous poins le desmembra, et n'y laissa
que les os. Qui adonc veist rire le varlet et la meschine, il n'eust
jamais eu les fièvres, car il avoit desgarny tout l'ostel, et avoient
grand doubte qu'il ne les mangeast aussi. Pour abréger, après tous les
mets dessusdiz, la dame fist mectre à la table ung très beau fromage
gras, et ung plat bien fourny de tartes, de pommes, et de fromage,
avecques la belle pièce de beurre frez, dont on ne rapporta si petit
non. Le disner fut fait ainsi qu'avez oy, et vint à dire graces, que
maistre prescheur pronunça enflé comme ung ticquet, et en là fin il dist
à son hostesse: «Damoiselle, je vous mercye de voz biens; vous m'avez
tenu bien aise, la vostre mercy. Je prie à celuy qui repeut cinq mille
hommes de pains d'orge et de deux poissons, dont après qu'ilz furent
saoulez de menger, demoura de relief xij. corbeilles, qu'il le vous
veille rendre.--Saint Jehan, dist la meschine, qui s'avança de parler,
sire, vous en povez bien tant dire; je croy que, si vous eussez esté
l'un de ceulx qui là furent repeuz, qu'on n'en eust point rapporté de
relief, car vous eussez bien tout mangé, et moy aussi se je y eusse
esté.--Vrayement, m'amye, dit le moyne, qui estoit ung garin tout fait,
je ne vous eusse point mengée, mais je vous eusse bien embrochée et mise
en rost, ainsi que vous pensez qu'on fait.» La dame commença à rire, et
si firent le varlet et la chambrière, malgré qu'ilz en eussent. Et
nostre moyne, qui avoit la panse farcye, mercya de rechef son hostesse,
qui si bien l'avoit repeu, et s'en alla en quelque aultre village
gaigner son soupper; je ne sçay s'il fut tel que le disner.




LA IIII^{xx}IIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR LE MARQUIS DE ROTHELIN.


Tandiz que quelqu'ung s'avancera de dire quelque bon compte, j'en feray
ung petit qui ne vous tiendra guères, mais il est veritable et de nouvel
advenu. J'avoie ung mareschal qui bien et longuement m'avoit servy de
son mestier; il luy print volunté de soy marier; si le fut, et à la plus
devoiée femme qui fust, comme on disoit, en tout le païs. Et quand il
cogneut que par beau ne par lait il ne la povoit oster de sa mauvaistié,
il l'abandonna, et ne se tint plus avec elle, mais la fuyoit comme
tempeste; car, s'il l'eust sceue en une place, jamais n'y eust tiré,
mais tousjours au contraire. Quand elle vit qu'il la fuyoit ainsi, et
qu'elle n'avoit à qui tencer ne monstrer sa devoiée manière, elle se
mist en la queste de luy et partout le suyvoit, Dieu scet disant quelx
motz; et l'aultre se taisoit et picquoit son chemin. Et elle tant plus
montoit sur son chevalet, et disoit de maulx et de maledictions à son
pouvre mary, plus que ung deable ne saroit faire à une ame damnée. Un
jour entre les aultres, voyant que son mary ne respondoit mot à chose
qu'elle proposast, le suyvant par la rue, devant tout le monde cryoit
tant qu'elle povoit: «Vien-çà, traistre! parle à moy; je suis à toy, je
suis à toy.» Et mon mareschal, qui estoit devant, disoit à chacun mot
qu'elle disoit: «J'en donne ma part au deable, j'en donne ma part au
deable.» Et ainsi la mena tout du long de la ville de Lille toujours
cryant: «Je suis à toy»; et l'autre respondoit: «J'en donne ma part au
deable.» Tantost après, comme Dieu voulut, ceste bonne femme mourut, et
l'on demandoit à mon mareschal s'il estoit fort courroucié de la mort de
sa femme, et il disoit que jamais si grand eur ne luy vint, et que si
Dieu luy eust donné ung souhait à choisir, il eust demandé la mort de sa
femme, «laquelle, disoit il, estoit tant male et obstinée en malice que,
si je la savoye en paradis, je n'y vouldroye jamais aller tant qu'elle y
fust, car impossible seroit que paix fust en nulle assemblée où elle
fust. Mais je suis seur qu'elle est en enfer, car oncques choses creée
n'approucha plus à faire la manière des deables qu'elle faisoit.» Et
puis on luy disoit: «Et vrayement il vous fault remarier et en querre
une bonne, paisible et preude femme.--Maryer! disoit il; j'aymeroye
mieulx me aller pendre au gibet que jamais me rebouter ou dangier de
trouver enfer, que j'ay, la Dieu mercy, à ceste heure passé.» Ainsi
demoura et est encores; ne sçay je qu'il fera.




LA IIII^{xx}Ve NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE SANTILLY.


Depuis cent ans en çà ou environ, ès marches de France est advenu, en
une bonne paroisse, une joyeuse adventure que je mettray ycy pour
croistre mon nombre, et pource qu'elle est digne d'estre ou reng des
aultres. En ladicte bonne ville avoit ung maryé, de qui la femme estoit
belle, doulce et gracieuse, et avec tout ce trèsamoureuse d'un seigneur
d'eglise, son propre curé et prochain voisin, qui ne l'aimoit rien mains
qu'elle luy; mais de trouver la manière comment ilz se pourroient
conjoindre bien amoureusement ensemble fut difficile, combien qu'en la
fin fust trouvée, et par l'engin de la dame, en la fasson que je vous
diray. Le bon mary orfèvre estoit, tant allumé et ardent en convoitise
qu'il ne dormoit heure ne bon somme pour labourer. Chacun jour se levoit
une heure ou deux devant jour, et laissoit sa femme prendre la longue
crastine jusques à viij. ou à ix. heures, ou si longuement qu'il luy
plaisoit. Ceste bonne et entière amoureuse, voyant son mary chacun jour
continuer la diligence et entente de soy lever pour ouvrer et marteler,
s'advisa qu'elle employroit avecques son curé le temps qu'elle estoit
habandonnée de son mary, et que à telle heure son dit amoureux la
pourroit visiter sans le sceu de son dit mary, car la maison du curé
tenoit à la sienne sans moyen. La bonne manière fut descouverte et mise
en termes à nostre curé, qui la prisa trèsbien, et luy sembla bien que
trèsaisément le feroit et secretement. Ainsi doncques que la façon fut
trouvée et mise en termes, tout ainsi fut elle executée, et le plustost
que les amans purent, et la continuèrent par aucun temps qui dura assez
longuement. Mais comme fortune, envyeuse peut estre de leur bien et
doulx passetemps, le vouloit, leur cas fut descouvert maleureusement en
la manière que vous orrez. Cest orfèvre avoit ung serviteur, qui estoit
amoureux et jaloux trèsgrandement de sa dame; et pource que
trèssubtilement avoit perceu nostre maistre curé parler à sa dame, il se
doubtoit trèsfort de ce qui estoit. Mais la manière comment ce povoit
faire, il ne le pouvoit ymaginer, si n'estoit que le curé viensist à
l'heure qu'il forgeoit au plus fort avec son maistre. Ceste ymaginacion
lui hurta tant à la teste qu'il fist le guet et se mist aux escoutes
pour savoir la verité de ce qu'il ignoroit. Il fist si bon guet qu'il
perceut et eut vraye experience du fait; car, une matinée, il vit le
curé venir tantost après que l'orfèvre fut vuidé de sa chambre, et y
entrer, puis fermer l'huys. Quand il fut bien asseur que sa suspicion
estoit vraye, il se descouvrit à son maistre, et luy dist en ceste
manière: «Mon maistre, je vous sers, de vostre grâce, non pas seulement
pour gaigner vostre argent, menger vostre pain, et faire bien et
loyalement vostre besoigne, mais aussi pour garder vostre honneur et
vostre dommage empescher; et si aultrement faisoie, digne ne seroye
d'estre vostre serviteur. J'ay eu dès pieçà suspicion que nostre curé
vous feist desplaisir, et le vous ay celé jusques ore que j'en ay eu la
vraye experience; et affin que vous ne cuidez que je vous veille en vain
tromper, je vous prie que nous allions en vostre chambre, et sçay que
l'on l'y trouvera maintenant. Quand le bon homme oyt ces nouvelles, il
se tint trèsbien de rire, et fut content de visiter sa chambre en la
compaignie de son varlet, qui luy fist promectre qu'il ne tueroit point
le curé, car aultrement ne luy vouloit point tenir compaignie, mais trop
bien vouloit qu'il fust bien puny. Ilz montèrent en la chambre, qui fut
tantost ouverte; et le mary entra le premier, et vit que monseigneur le
curé tenoit sa femme entre ses braz et forgeoit ainsi qu'il povoit; si
s'escrya disant: «A mort, à mort, ribauld! Qui vous a cy bouté?» Qui fut
adoncques bien esbahy, ce fut maistre curé, et demanda mercy. «Ne sonnez
mot, ribauld prestre, ou je vous tueray maintenant.--Ha! mon voisin,
pour Dieu mercy, dit le curé, faicte de moi vostre bon plaisir.--Par
l'ame de mon père, avant que vous m'eschappez, je vous mettray en tel
estat que jamais n'arez volunté de marteler sur enclume femenine. Sus,
laissez vous manyer, si vous ne voulez morir.» Le pouvre maleureux se
laissa lyer par ses deux ennemis sur ung bancq, le ventre dessus, et les
deux jambes esraillées en dehors du bancq. Si bien fut lyé qu'il ne
povoit rien mouvoir que la teste; puis fut porté ainsi marescaucié en
une petite maisonnette qui estoit derrière l'ostel de l'orfèvre, et
estoit la place où il fondoit son argent. Quand il fut ou lieu où l'on
le vouloit avoir, l'orfèvre envoya querir deux grands clouz à large
teste, desquelx il attacha au bancq les deux marteaulx qui avoient en
son absence forgé sur l'enclume de sa femme, et puis le deslya de tous
poins. Si print après une poignée d'estrain, et en bouta le feu en la
maisonnette, et habandonna nostre curé, et s'enfuyt en la rue crier au
feu. Quand le prestre se vit environné de feu, et que remède n'y avoit
qu'il ne luy faillist perdre les genitoires ou estre brullé, se lève et
s'encourt, et laisse sa bourse cloée. L'effroy du feu fut tantost elevé
par toute la rue; si venoient les voisins pour l'estaindre. Mais nostre
curé les faisoit retourner, disant qu'il en venoit, et que tout le
dommage qui en povoit advenir estoit jà advenu, et que aider plus n'y
pouvoient; mais il ne leur disoit pas que le dommage luy competoit.
Ainsi fut le pouvre amoureux curé salarié du service qu'il fist à
amours, par le moien de la faulse et traistresse alousie du varlet,
comme vous avez oy.




LA IIII^{xx}VIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR PHILIPE VIGNIER, ESCUIER DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.


En la bonne ville de Rouen, puis peu de temps en çà, ung jeune homme
print à mariage une tendre jeune fille, aagée de XV ans ou environ. Le
jour de leur grand feste, c'est assavoir des nopces, la mère de ceste
fille, pour garder et entretenir les cerimonies accoustumées en tel
jour, escolla et introduisit la dame des nopces, et luy aprint comment
elle se devoit gouverner pour la première nuyt avec son mary. La belle
fille, à qui tardoit l'attente de la nuyt dont elle recevoit la
doctrine, mist grosse peine et grand diligence de retenir la leczon de
sa bonne mère; et luy sembloit bien que quand l'heure seroit venue où
elle devroit mettre à execution celle leczon, qu'elle en feroit si bon
devoir que son mary se loeroit d'elle, et en seroit trèscontent. Les
nopces furent honorablement faictes en grand solennité, et vint la
desirée nuyt; et tantost après la feste faillye, que les jeunes gens
furent retraiz et qu'ilz eurent prins congié du sire des nopces et de sa
dame, la bonne mère, les cousines, voisines et aultres privées femmes
prindrent nostre dame des nopces et la menèrent en la chambre où elle
devoit coucher pour la nuyt avec son espousé, où elles la desarmèrent de
ses atours, joyaux, et la firent coucher ainsi qu'il estoit de raison;
puis luy donnèrent bonne nuyt, l'une disant: «M'amye, Dieu vous doint
joye et plaisir de vostre mary, et tellement vous gouverner avecques luy
que ce soit au salut de voz deux ames.» L'autre disoit: «M'amye, Dieu
vous doint telle paix et concordance avec vostre mary que puissez faire
euvre dont les sains cieulx soient remplis.» Et ainsi chacune faisant sa
prière se partit. La mère, qui demoura la derrenière, reduist à memoire
son escoliere sur la doctrine et leczon que aprinse luy avoit, luy
priant que penser y voulsist. Et la bonne fille, qui, comme l'on dit
communement, n'avoit pas son cueur en sa chausse, respondit que
trèsbonne souvenance avoit de tout, et que bien l'avoit, Dieu mercy,
retenu. «C'est bien fait, dist la mère; or je vous laisse et vous
recommende à la grace de Dieu, luy priant qu'il vous donne bonne
adventure. Adieu, belle fille.--Adieu, bonne et sage mère.» Si tost que
la maistresse de l'escole fut vuidée, nostre mary, qui à l'huys
n'attendoit aultre chose, entra ens; et la mère l'enferma et tira
l'huys, et luy pria qu'il se gouvernast sagement avec sa fille. Il
promist que aussi feroit il; et si tost que l'huys fut fermé, il, qui
n'avoit que son pourpoint en son dos, le rue jus et monte sur le lit, et
se joinct au plus près de sa dame la lance au poing, et luy presente la
bataille. A l'approucher de la barrière où l'escarmouche se devoit
faire, la dame prend et empoigne ceste lance droicte comme ung cornet de
vachier; et tantost qu'elle la sent aussi dure et de grosseur trèsbonne,
s'escrye, disant que son escu n'estoit assez puissant pour recevoir les
horions de si gros fust. Quelque devoir que nostre mary peust faire, ne
peut trouver la manière d'estre receu à cest escu ne ceste jouste; la
nuyt se passa sans rien besoigner, qui despleut moult à nostre sire des
nopces. Mais au fort il print pacience, esperant recouvrer tout la nuyt
prochaine, où il fut autant oy que à la première, et ainsi à la
troisiesme, quatriesme, et jusques à la quinziesme, où les armes furent
accomplies, comme je vous diray. Quand les xiij. jours furent passez que
noz deux jeunes gens sont mariez, combien qu'ilz n'eussent encores
ensemble tenu mesnage, la mère vint visiter son escolière, et, après
cent mille devises qu'elles eurent ensemble, luy demanda l'on de ce mary
quel homme il estoit, et s'il faisoit bien son devoir. Et la fille
disoit qu'il estoit trèsbon homme, doulx et paisible. «Voire mais,
disoit la mère, fait il bien ce que l'on doit faire?--Oy, disoit la
fille, mais...--Quelz mais? Il y a à dire en son fait, dit la mère, je
l'entends bien; dictes le moy et ne le me celez point. Est-il homme pour
accomplir le deu à quoy il est obligé par mariage et dont je vous ay
baillé la leczon?» La bonne fille fut tant pressée qu'il luy convint
dire que l'on n'avoit encores rien besoigné en son ouvrouer; mais elle
taisoit qu'elle fust cause de la dilacion, et que tousjours eust refusé
la jouste. Quand la mère entendit ces doloreuses nouvelles, Dieu scet
quelle vie elle mena, disant que par ses bons dieux elle y mettroit
remède et bref, et que tant avoit de bonne accointance de monseigneur
l'official de Roen qu'il luy seroit amy et qu'il favoriseroit à son bon
droit. «Or çà, ma fille, dist elle, il vous convient desmarier; je ne
fais nulle doubte que je n'en trouve bien la fasson; et soiez seure que
vous le serez ainçois qu'il soit deux jours de ceste heure, et vous
feray avoir aultre homme qui si paisible ne vous lairra; laissez moy
faire.» Ceste bonne femme, à demy hors du sens, vint compter ce grand
meschef à son mary, père de la fille dont je fais mon compte, et luy
dist bien comment ilz avoient perdu leur fille, amenant les raisons pour
quoy et comment, et concluant aux fins de la desmarier. Tant bien compta
sa cause que son mary tira de son costé, et fut content que l'on feist
citer nostre nouveau maryé, qui ne savoit rien de ce qu'ainsi on se
plaignoit de luy sans cause. Toutesfoiz il fut cité à personnellement
comparoir à l'encontre de monseigneur le promoteur, à la requeste de sa
femme, et par devant monseigneur l'official, pour quitter sa femme et
luy donner licence d'aultre part soy marier, ou alleguer les causes et
raisons pour quoy, en tant de jours qu'il avoit esté avec elle, n'avoit
monstré qu'il estoit homme comme les aultres, et fait ce qu'il
appartient aux mariez. Quand le jour fut venu, les parties se
presentèrent en temps et lieu; ils furent huchez à dire et plaidoyer
leur cause. La mère à la nouvelle mariée commença à compter la cause de
sa fille, et Dieu scet comment elle alleguoit les loiz que l'on doit
maintenir en mariage, lesquelles son gendre n'avoit accomplies ne
d'elles usé; pour quoy requeroit qu'il fust desjoinct de sa fille, et de
ceste heure mesme, sans faire long procès. Le bon jeune homme fut bien
esbahy quand ainsi oyt blasmer ses armes; guères n'attendit à respondre
aux allegations de son adversaire, et trèsfroidement et de manière
rassise compter son cas, et comment la femme luy avoit tousjours fait
refus quand il avoit voulu faire le devoir. La mère, oyant ces
responses, plus marrye que devant, combien que à peine le vouloit elle
croire, demanda à sa fille s'il estoit vray ce que son mary avoit
respondu; et elle dist: «Vrayement, mère, oy.--Ha! maleureuse, dist la
mère, comment l'avez vous refusé? Que vous avoye dit et monstré pluseurs
foiz? Vous avoys je baillé celle leczon?» La pouvre fille ne savoit que
dire, tant estoit honteuse et desplaisante. «Toutesfoiz, dist la mère,
je veil savoir la cause pour quoy vous avez fait le refus si vous ne me
voulez courousser mortellement, car je n'aray jamais bien, ou si saray
pour quoy et quelle raison vous n'avez voulu consentir à vostre mary.»
La fille confessa tout, et dist ouvertement en jugement que pource
qu'elle avoit trouvée la lance de son champion si grosse, ne luy avoit
osé bailler l'escu, doubtant qu'il ne la tuast, comme elle encores en
doubtoit, et ne se vouloit desmouvoir de ceste doubte, combien que sa
mère luy disoit que doubter ne craindre n'en devoit. Et après ce,
adressa sa parolle au juge en disant: «Monseigneur l'official, vous avez
oy la confession de ma fille et les defences de mon gendre; je vous
prie, appoinctez sur le different et rendez vostre sentence
diffinitive.» Monseigneur l'official, pour appoinctement, fist couvrir
un lit en sa maison, et ordonna par arrest que les deux mariez yroient
coucher ensemble, enjoignant à la mariée qu'elle empoignast baudement le
bourdon joustouer et le mist ou lieu où il estoit ordonné. Et quand
celle sentence fut rendue, la mère dist: «Grand mercy, monseigneur
l'official, vous avez trèsbien jugé. Or avant, ma fille, faictes ce que
vous devez faire, et gardez de venir à l'encontre de l'appoinctement de
monseigneur l'official; mettez la lance ou lieu où elle doit estre.--Et
je suis au fort contente, dist la fille, de la mettre et bouter où il
faut, mais si elle y devoit pourrir, je ne l'en retireray jà.» Ainsi se
partirent de jugement, et allèrent mettre à execution sans sergent la
sentence de monseigneur l'official, car eulx mesmes firent l'execution.
Et par ce moyen nostre gendre vint à chef de sa jousterie, dont il fut
plutost tanné que celle qui n'y avoit voulu entendre.




LA IIII^{xx}VIIe NOUVELLE.

PAR MONSIEUR LE VOYER.


Au gent et plantureux pais de Hollande avoit, n'a pas cent ans, ung
gentil chevalier logé en ung bel et bon hostel où il y avoit une
trèsbelle jeune chambrière servant, de laquelle trèsamoureux estoit, et
pour l'amour d'elle tant avoit fait au fourrier du duc de Bourgoigne,
que cest hostel luy avoit delivré, affin de mieulx pourchasser et
conduire sa queste, et venir aux fins et intencions où il entendoit et
où amours le faisoient encliner. Quand il eut esté environ cinq ou vj.
jours en ceste hostelerie, luy survint par accident une maleureuse
adventure, car une maladie le print en l'oeil si grieve, qu'il ne le
povoit tenir ouvert, tant en estoit aspre la doleur. Et pour ce que
trèsfort doubtoit de le perdre, mesmement que c'estoit le membre où il
devoit plus de guet et de soing, manda le cyrurgien de monseigneur le
duc, qui pour ce temps en la ville estoit. Et devez savoir que ledit
cyrurgien estoit ung trèsgentil compaignon, le plus renommé du pais, et
le fist venir parler à luy. Et sitost que maistre cyrurgien vit cest
oeil il le jugea comme perdu, ainsi par adventure qu'ils sont
coustumiers de juger des maladies, affin que quand ilz les ont sanéez,
ils en emportent plus de prouffit et de loenge. Le bon chevalier, à qui
desplaisoit d'oyr telles nouvelles, demandoit s'il y avoit nul remède
pour le garir; et l'autre dist que trèsdifficile seroit, neantmoins il
oseroit bien entreprendre à garir avec l'ayde de Dieu, mais qu'on le
voulsist croire. «Si vous me voulez garir et delivrer de ce mal sans la
perte de mon oeil, je vous donneray bon vin, dit le chevalier.» Le
marché fut fait, et entreprint garir net cest oeil, Dieu avant, et
ordonna les heures qu'il viendroit chacun jour pour le mettre à point.
Or entendez que chacune foiz que nostre cyrurgien venoit visiter son
malade, la belle chambrière le compaignoit et tenoit tousjours ou boitte
ou palette, et aidoit à remuer le pouvre patient, qui oublyoit la moitié
de son mal quand il sentoit la presence de sa dame. Si ce bon chevalier
estoit bien feru et avant de ceste chambrière, si fut le cyrurgien, qui,
toutes les foiz qu'il venoit faire sa visitacion, fichoit ses doulx
regards sur ce beau poly viaire de ceste chambrière, et tant s'i ahurta
qu'il luy declara son cas, et eut trèsbonne audience, car de prinsaut on
luy accorda et passa ses doulces requestes; mais la manière comment on
pourroit actuellement et par effect mettre à execution ses ardans
desirs, l'on ne la savoit comment trouver. Or toutesfoiz, à quelque
peine que ce fut, la façon fut trouvée par la prudence et subtilité du
cyrurgien, qui, fut telle: «Je donneray, dist il, à entendre à
monseigneur mon patient que son oeil ne se peut garir si n'est que son
aultre oeil soit caché, car l'usage qu'il a à regarder empesche la
garison de l'autre malade. S'il est content, dit il, qu'il soit caché et
bendé, ce nous sera la plus convenable voye du monde pour prendre nos
delicz et plaisances, et mesmement en sa chambre, affin que l'on y
prenne mains de suspicion.» La fille, qui avoit aussi grant desir que le
cyrurgien, prisa trèsbien ce conseil, ou cas que ainsi ce pourroit
faire. «Nous l'essayerons», dit le cyrurgien. Il vint à l'heure
accoustumée voir cest oeil malade, et quand il l'eut descouvert fist
bien de l'esbahy: «Comment! dit il, je ne vis oncques tel mal; cest oeil
cy est plus lait qu'il y a xv. jours. Certainement, monseigneur, il sera
bon mestier que vous ayez pacience.--Comment? dit le chevalier.--Il
fault que vostre bon oeil soit couvert et caché tellement qu'il n'ayt
point de lumière une heure ou environ après que je aray assis
l'emplastre et ordonné l'autre; car en verité il l'empesche à garir sans
doubte. Demandez, disoit il, à ceste belle fille qui l'a veu chacun
jour, comment il amende.» Et la fille disoit qu'il estoit plus lait que
paravant: «Or çà, dit le chevalier, je vous habandonne tout; faictes de
moy tout ce qu'il vous plaist; je suis content de cligner tant que l'on
vouldra, mais que garison s'ensuive.» Les deux amans furent adonc bien
joyeux, quand ilz virent que le chevalier fut content d'avoir l'oeil
caché. Quand il fut appoincté et qu'il eut les yeulx bandez, maistre
cyrurgien fainct de partir comme il avoit de coustume, promettant de
tantost revenir pour descouvrir cest oeil. Il n'ala guères loing, car
assez près de son pacient, sur une couche jecta sa dame, et d'aultre
planecte qu'il n'avoit remué son chevalier visita les cloistres secrez
de la chamberiere. Trois, quatre, cinq, six foiz maintint ceste manière
de faire envers ceste belle fille, sans ce que le chevalier s'en donnast
garde, combien qu'il en oyst la tempeste, mais non sachant que ce
vouloit estre, jusques à six foiz qu'il se doubta pour la continuacion;
à laquelle foiz, quand il oyt le tamburch et noise des combattans,
esracha bandeaulx et emplastres, et rua tout au loing, et vit les deux
amoureux qui se demenoient tellement l'un contre l'autre qu'il sembloit
qu'ilz deussent menger l'un l'autre, tant mettoient et joindoient leurs
dens ensemble. «Et qu'est ce là, dist-il, maistre cyrurgien? m'avez vous
fait jouer à la cligne musse pour me faire ce desplaisir? Doit estre mon
oeil gary par ce moien? Dictes, m'avez vous baillé de ce jeu? Et, par
saint Jehan! je m'en doubtoie bien que j'estoie plus souvent visité pour
l'amour de ma chambrière que pour mes beaulx yeulx. Or, bien, bien, je
suis en vostre dangier, sire, et ne me puis encore venger; mais ung jour
viendra que je vous feray souvenir.» Le cyrurgien, qui estoit le plus
gentil compaignon et des aultres le meilleur homme, commença à rire, et
firent la paix, et croy bien que tous deux, quand l'oeil fut gary,
s'accordèrent à besoigner par terme.




LA IIII^{xx}VIIIe NOUVELLE.

PAR ALARDIN.


En une gente petite ville cy entour, que je ne veil pas nommer, est n'a
guères advenu adventure dont je vous fourniray une petite nouvelle. Il y
avoit ung bon, simple, rude paisant, marié à une plaisant et assez gente
femme, laquelle laissoit le boire et le menger pour amer par amours. Le
bon mary d'usage demouroit trèssouvent aux champs, en une maison qu'il y
avoit, aucunesfoiz trois jours, aucunesfoiz quatre jours, aucunesfoiz
plus, aucunesfoiz mains, ainsi qu'il luy venoit à plaisir, et laissoit
sa femme prendre du bon temps à la bonne ville, comme elle faisoit; car
affin qu'elle ne s'espantast, elle avoit toujours ung homme qui gardoit
la place du bon homme et entretenoit son ouvrouer de paour que le rouil
ne s'i prenist. La règle de ceste bonne bourgoise estoit de attendre
toutesfoiz son mary jusques ad ce qu'on ne voyoit guères, et jusques ad
ce qu'elle se tenoit seure de son mary qu'il ne retourneroit point ne
laissoit venir le lieutenant, de paour que trompé ne feust. Elle ne
sceut mettre si bonne ordonnance en sa veille ou règle accoustumée que
trompée ne fust; car une foiz, ainsi que son mary avoit demouré deux ou
trois jours routiers, et pour le quatriesme avoit attendu aussi tard
qu'il estoit possible avant la porte clorre de la ville, cuidant que
pour ce jour ne deust point retourner, ferma l'huys et les fenestres
comme les aultres jours, et mist son amoureux au logis, et commencerent
à boire d'autant et faire grand chère. Guères n'avoient assis à la table
que nostre mary vint hucquer à l'huys, tout esbahi qu'il le trouva
fermé. Et quand la bonne dame l'oyt, fist sauver son amoureux et le fist
bouter soubz le lict, pour le plus abreger, puis vint demander à l'huys
qui avoit hurté: «Ouvrez, ouvrez, dist le mary.--Ha mon mary, dit-elle,
estes vous là? Je vous devoye demain bien matin envoier ung message et
faire savoir que ne retournissiez point.--Comment! quelle chose y a il?
dit le bon mary.--Quelle chose? vrai Dieu de paradis! dit elle; helas!
les sergens ont esté céans plus de deux heures et demye, pour vous mener
en prison.--En prison! dit il; comment, en prison? Quelle chose ay je
meffait! A qui dois-je? Qui se plaint de moy?--Je n'en scay rien, dit la
rusée, mais ilz avoient grand volunté de mal faire; ilz sembloit qu'ilz
voulsissent tuer quaresme.--Voire mais, disoit nostre ami, ne vous ont
ilz point dit quelle chose ilz me vouloient?--Nenny, dit elle, fors que
s'ilz vous tenoient, vous n'eschapperiez de la prison devant long
temps.--Ils ne me tiennent pas, Dieu mercy, encores! A dieu, je m'en
retourne.--Où yrez vous? dit elle, qui ne demandoit aultre chose.--Dont
je viens, dit il.--Je yray doncques avec vous, dit-elle.--Non ferez;
gardez bien et gracieusement la maison, et ne dictes point que j'ay icy
esté.--Puis que vous voulez retourner aux champs, hastez vous, dit elle,
avant que l'on ferme la porte; il est jà tard.--Quand elle seroit
fermée, si feroit tant le portier pour moy qu'il reouvriroit
trèsvoluntiers.» A ces motz il se part, et quand il vint à la porte, il
la trouva fermée, et pour prière qu'il sceust faire, le portier ne la
voult ouvrir. Il fut bien mal content de ce qu'il convenoit qu'il
retournast à sa maison, doubtant les sergents; toutesfoiz falloit il
qu'il y retournast, s'il ne se vouloit coucher sur les rues. Il vint
arrière hurter à son huys, et la dame, qui s'estoit reatellée avecques
son amoureux, fut plus esbahie que devant; elle sault sus, et vint à
l'huys toute esperdue, disant: «Mon mary n'est point revenu, vous perdez
temps.--Ouvrez, ouvrez, m'amye, dit le bonhomme, ce suis-je.--Hellas!
hélas! vous n'avez point trouvé la porte ouverte. Je m'en doubtoye bien,
dit elle; veritablement, je ne voy remède en vostre fait que ne soiez
prins, car les sergens me dirent, il m'en souvient maintenant, qu'ilz
retourneroient sur la nuyt.--Or çà, dist-il, il n'est mestier de long
sermon; advisons qu'il est de faire.--Il vous faut musser quelque part
ceans, dit elle, et si ne sçay lieu ne retraict où vous puissez estre
bien asseur.--Seroye je point bien, dit l'autre, en nostre colombier?
qui me chasseroit là?» Et elle, qui fut moult joyeuse de ceste invencion
et expedient trouvé, feindant toutesfoiz, dist: «Le lieu n'est grain
honneste; il y fait trop puant.--Il ne me chault, dit-il; j'ayme mieulx
me bouter là pour une heure ou deux et estre sauvé, que en aultre
honeste lieu et estre trouvé.--Or ça, dit elle, puis que vous avez ce
ferme et bon courage, je suis de vostre opinion que vous y mussiez.» Ce
vaillant homme monta en ce colombier, qui se fermoit par dehors à clef,
et se fist illec enfermer, et pria sa femme que si les sergens ne
venoient tantost après, qu'elle le mist dehors. Nostre bonne bourgoise
habandonna son mary, et le laissa toute la nuyt rencouller avec les
colons, à qui ne plaisoit guères, et n'estoit de mot sonné ne huché;
tousjours doubtoit ces sergens. Au point du jour, qui estoit l'heure que
l'amoureux se partoit du logis, ceste bonne femme vint hucher son mary
et luy ouvrit l'huys, qui demanda comment on l'avoit là laissé si
longuement tenir compagnie aux colons. Et elle, qui estoit faicte à
l'euvre, luy dist comment les sergens avoient toute nuyt veillé autour
de leur maison, et que pluseurs foiz avoit à eulx devisé, et qu'ilz ne
faisoient que partir, mais ilz avoient dit qu'ilz viendroient à telle
heure qu'ils le trouveroient. Le bon homme, bien esbahy quelle chose
ces sergens luy povoient vouloir, se partit incontinent et retourne aux
champs, promettant bien que de long temps ne reviendroit. Et Dieu scet
que la gouge le print bien en gré, combien qu'elle s'en monstrast
doloreuse. Et par tel moien elle se donna meilleur temps que devant, car
elle n'avoit quelque soing du retour de son mary.




LA IIII^{xx}IXe NOUVELLE.

PAR PONCELET.


En ung petit hamelet ou village de ce monde, assez loing de la bonne
ville, est advenue une petite histoire qui est digne de venir en
l'audience de vous, mes bons seigneurs. Ce village ou hamellet, ce m'est
tout ung, estoit habité d'un moncelet de bons, rudes et simples paysans
qui ne savoient comment ilz devoient vivre. Et si bien rudes et non
sachans estoient, leur curé ne l'estoit pas une once mains, car luy
mesme failloit à cognoistre ce qui est necessaire à tous generalement,
comme je vous en monstreray par l'experience, par ce qui luy advint.
Vous devez savoir que ce prestre curé, comme je vous ay dit, avoit sa
teste affulée de simplesse si parfecte, qu'il ne savoit point annuncer
les festes des sains, qui viennent chacun an et à jour determiné, la
plus part, comme chacun scet. Et quand ses parroissiens demandoient
quand la feste seroit, il failloit à la coup de le dire. Entre aultres
telles faultes qui souvent advenoient, en fist une qui ne fut pas
petite, car il laissa passer cinq sepmaines du quaresme sans point
l'annuncer à ses parroissiens. Mais entendez comment il perceut qu'il
avoit failly. Le samedy qui estoit la nuyt de la blanche Pasque, que
l'on dist Pasques flories, luy vint volunté d'aller à la bonne ville
pour aucune chose qu'il y besoignoit. Quand il entra en la bonne ville,
et qu'il chevauchoit parmi les rues, il perceut que les prestres
faisoient provision de palmes et aultres verdures, et veoit que au
marché on les vendoit pour servir à la procession pour lendemain. Qui
fut bien esbahy, ce fut maistre curé, combien que semblant n'en fist. Il
vint aux femmes qui vendoient ces palmes ou boyz, faignant que ce fust
pour aultre chose n'estoit venu à la bonne ville, et puis hastivement
monte à cheval chargé de sa marchandise, et picque en son village, et le
plustost que possible luy fut s'y trouva, et avant qu'il fust descendu
de son cheval rencontra aucuns de ses parroissiens auxquelx il commenda
que l'on allast sonner les cloches, et que chacun de ceste heure venist
à l'eglise, où il leur vouloit dire aucunes choses necessaires pour le
salut de leurs ames. L'assemblée fut tantost faicte, et se trouva chacun
en l'eglise, où monseigneur le curé, tout housé et esperonné, vint bien
embesoigné, Dieu le scet, et monta devant l'aultier, et dist les motz
qui s'ensuyvent: «Mes bonnes gens, je vous signifie et vous faiz
assavoir que aujourd'uy a esté la veille de la feste et solemnité de
Pasques flories, et de ce jour en huit prochain vous arez la veille de
la grand Pasque que l'on dit Pasques communiaulx.» Quand ces bonnes gens
oyrent ces nouvelles, commencèrent à murmurer, et eulx esbahir trèsfort
comment se povoit ce faire. «Ho, dist le curé, je vous appaiseray
tantost, et vous diray vraies raisons pour quoy vous n'avez que viij
jours de quaresme à faire voz penitences pour ceste année; et ne vous
esmaiez jà de ce que je vous diray, que le quaresme est ainsi venu tard.
Je tien qu'il n'y a celuy de vous qui ne sache bien et soit recors comme
ceste année les froidures ont esté longues et aspres, merveilleusement
plus que oncques mais; et long temps a qu'il ne fist aussi perilleux et
dangereux chevaucher comme il a fait tout l'yver, pour les verglaz et
neges qui ont longuement duré. Chacun de vous scet ceci estre vray comme
l'euvangile, pour quoy ne vous donnez merveilles de la longue demeure de
quaresme, mais emerveillez vous encores comment il est peu venir,
mesmement que le chemin est si long jusques à sa maison. Si vous prie
que le veillez excuser, et luy mesme vous en prie, car aujourdhuy j'ay
disné avecques luy.» Et leur nomma le lieu, c'est assavoir la ville où
il avoist esté. «Et pourtant, dist-il, disposez vous de venir ceste
sepmaine à confesse, et de comparoir demain à la procession comme il
est de coustume céens. Et ayez pacience ceste foiz; l'année qui vient,
si Dieu plaist, sera plus doulce, par quoy il viendra ainsi qu'il a
chacun an d'usage.» Ainsi monseigneur le curé trouva le moien d'excuser
sa simplesse et ignorance, et, en donnant la beneisson, descendit de sa
predicacion, disant: «Priez Dieu pour moy et je le prieray pour vous.»
Et s'en alla à sa maison appoincter son boys et ses palmes, pour les
faire le lendemain servir à la procession.




LA XCe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE BEAUMONT.


Pour accroistre et amplier mon nombre des nouvelles que j'ay promis
compter et descripre, j'en monstreray cy une dont la venue est fresche.
Ou gentil pays de Brabant, qui est celuy du monde où les bonnes
adventures adviennent souvent, avoit ung bon et loyal marchant duquel la
femme estoit trèsfort malade, en gisant, pour l'aigreur de son mal,
continuellement sans habandonner son lit. Ce bon homme, voyant sa bonne
femme ainsi attaincte et languissant, menoit la plus doloreuse vie du
monde, tant marry et desplaisant estoit qu'il ne povoit plus, et avoit
grand doubte que la mort ne l'en fist quicte. En ceste doleance
perseverant, et doubtant la perdre, se vint rendre aux piez d'elle et
luy donnoit esperance de garison, et la reconfortoit au mieulx qu'il
povoit, l'amonnestant de penser au sauvement de son ame. Et après qu'il
eut aucun petit de temps devisé avec elle et finé ses amonnestemens et
exortacions, luy cria mercy, luy requerant que si aucune chose luy avoit
meffait, qu'il luy fust pardonné par elle. Entre les cas où il se
sentoit l'avoir courroussée, luy declara comment il estoit bien recors
qu'il l'avoit troublée pluseurs foiz, et trèssouvent, de ce qu'il
n'avoit besoigné sur son harnois, que l'on peut appeller cuirasses,
toutes les foiz qu'elle eust bien voulu; et mesmes que bien le savoit,
dont trèshumblement luy requeroit pardon et mercy. Et la pouvre malade,
ainsi qu'elle povoit parler, luy pardonnoit les petiz cas et legiers;
mais ce derrain ne pardonnoit-elle point voluntiers sans savoir les
raisons qui avoient meu et induict son mary à non fourbir son harnois,
quand mesmes il savoit bien que c'estoit le plaisir d'elle, et que
aultre chose ne demandoit. «Comment! dit-il, voulez vous morir sans
pardonner à ceulx qui vous ont meffait?--Je suis contente, dist elle, de
le pardonner, mais je veil savoir qui vous a meu; aultrement ne le
pardonneray je jà.» Le bon mary, pour trouver moien d'avoir pardon,
cuidant bien faire la besoigne, dist: «M'amye, vous savez que pluseurs
foiz avez esté malade et deshaitée, combien que non pas tant que
maintenant je vous voy; et durant la maladie je n'ay jamais osé presumer
de vous requerre de bataille, doubtant que pis vous en fust; et soyez
toute seure que ce que j'en ay fait, amour le m'a fait faire.--Taisez
vous, menteur que vous estes; oncques ne fus si malade ne si deshaitée
pour quoy j'eusse fait refus de combatre; querez moy aultre moien, si
voulez avoir pardon, car cestuy cy ne vous aidera; et puis qu'il vous
convient tout dire, meschant et lasche bonhomme que vous estes, et
aultre ne fustes oncques, pensez vous qu'en ce monde cy soit medicine
qui plus puisse aider ne susciter la maladie d'entre nous femmes que la
doulce et amoureuse compaignie des hommes? Me voiez vous bien deffaicte
et seche par grefté de mal? Aultre chose ne m'est mestier que compaignie
de vous.--Ho! dit l'aultre, je vous gariray prestement.» Il sault sur le
lit, et besoigna le mieulx qu'il peut, et tantost qu'il eut rompu deux
lances, elle se lève et se mist sur ses piez. Puis demye heure après
alla par les rues, et ses voisines, qui la cuidoient comme morte, furent
trèsesmerveillées jusques ad ce qu'elle leur dist par quelle voie elle
estoit ravivée, qui dirent tantost qu'il n'y avoit que ce seul remède.
Ainsi le bon marchant aprint à garir sa femme, qui luy tourna à grand
prejudice, car souvent se faindoit malade pour recevoir la medicine.




LA XCIe NOUVELLE.

PAR L'ACTEUR.


Ainsi que j'estoye n'a guères en la conté de Flandres, en l'une des plus
grosses villes du pays, ung gentil compaignon me fist ung joyeux compte
d'un homme maryé, de qui la femme estoit tant luxurieuse et chaulde sur
potage et tant publicque, que à paine estoit elle contente qu'on la
cuignast en plaines rues avant qu'elle ne le fust. Son mary savoit bien
que de telle condicion estoit, mais de subtilier ne querir remède pour
luy donner empeschement, il ne le savoit trouver, tant estoit à ce joly
mestier rusée. Il la menassoit de la batre, de la laisser seule ou de la
tuer; mais querez qui le face! autant eust il prouffité de menasser ung
chien enragé ou aultre beste. Elle se pourchassoit à tous lez et ne
demandoit que hutin; il y avoit peu d'hommes en toute la contrée où elle
repairoit pour estaindre une petite estincelle de son grand feu; et
quiconques la barguignoit, il l'avoit aussi bien à creance que à argent
sec, fust l'homme vieil, layt, bossu, contrefait ou d'aultre quelque
deffigurance; bref, nul ne s'en alloit sans denrée reporter. Le pouvre
mary, voyant ceste vie continuer, et que grosses menasses rien n'y
prouffitoient, il s'advisa qu'il l'espanteroit par une voye et manière
qu'il trouva. Quand il la peut avoir seulle en sa maison, il luy dist:
«Or çà, Jehanne ou Betriz, ainsi qu'il l'appelloit, je voy bien que vous
estes obstinée en vostre meschante vie, et que, à quelque menasse ou
punicion que je vous face, vous n'en comptez non plus que si je me
taisoie.--Helas! mon mary, dit elle, en verité, j'en suis plus
courroussée que vous n'estes, et trop plus me desplaist; mais je n'y
puis remède mettre, car je suis tellement née soubz telle estoille pour
estre preste et servant aux hommes.--Voire dya, dist le mary, y estes
vous destinée? Sur ma foy, j'ay bon remède et hastif.--Vous me tuerez,
dit elle, aultre n'y a.--Laissez moy faire, dist il, je sçay mieulx
beaucop.--Et quel, dit elle, que je le sache?--Par la mort bieu, dist
il, je vous hocheray tant ung jour que je vous bouteray ung quarteron
d'enfans ou ventre, et puis je vous habandonneray, et les vous lairray
seulle nourrir.--Vous! dit elle; mais où prins? Vous n'avez pour
commencer; telles menasses m'espantent pou, je ne vous crain. Touchez
cela; si j'en desmarche, je veil qu'on me tonde en croix; et s'il vous
semble que vous ayez puissance, avancez vous, et commencez tout
maintenant; je suis preste pour livrer le moulle.--Au deable telle
femme, dist le mary, qu'on ne peut par quelque voye corriger.» Il fut
contraint de la laisser passer sa destinée; trop plustost se fust
ecervelé et rompu la teste pour la reprendre que luy faire tenir le
derrière coy, pour quoy la laissa courre comme une lisse entre deux
douzaines de chiens, et accomplir tous ses vouloirs et desordonnez
desirs.




LA XCIIe NOUVELLE.

PAR L'ACTEUR.


En la bonne cité de Mix, en Lorraine, avoit puis certain temps en çà une
bonne bourgoise maryée qui estoit tout oultre de la confrarie de la
houlette; et rien ne faisoit plus voluntiers que ce joly esbatement que
chacun scet; et où elle povoit desploier ses armes, elle se monstroit
vaillant et pou redoubtant horions. Or, entendez quelle chose luy advint
en exercent son mestier: elle estoit fort amoureuse d'un gros chanoine
qui avoit plus d'argent que ung vieil chien n'a de puces; mais pour ce
qu'il demouroit en lieu où les gens estoient à toutes heures, comme on
diroit à une gueule baée ou place publicque, elle ne savoit comment se
trouver avec son chanoine. Tant subtilia et pensa à sa besoigne, qu'elle
s'avisa qu'elle se descouvreroit à une sienne voisine qui estoit sa seur
d'armes touchant le mestier et usance de la houlette; et luy sembla
qu'elle pourroit aller veoir son chanoine accompaignée de sa voisine,
sans qu'on y pensast nul mal ou suspeçonnast. Ainsi qu'elle advisa,
ainsi fist elle; et comme si pour une grosse matère fust allée devers
monseigneur le chanoine, ainsi honorablement et gravement y alla elle
accompaignée comme dit est. Pour estre bref, incontinent que noz
bourgoises furent arrivées, après toutes salutacions, ce fut la
principale qui s'encloit avec son amoureux le chanoine, et fist tant
qu'il luy bailla une monteure, ainsi qu'il peut. La voisine, voyant
l'autre avoir l'audience et gouvernement du maistre de léens, n'en eut
pas peu d'envye, et luy desplaisoit que l'on ne luy faisoit ainsi comme
à l'autre. Au vuider de la chambre, celle qui avoit sa pitance dist:
«Ça, voisine, en yrons-nous?--Voire, dit l'autre, s'en va l'on ainsi? Si
l'on ne me fait la courtoisie comme à vous, par dieu, j'accuseray la
compaignie et le mesnage; je ne suis pas icy venue pour chaufer la
cire.» Quand l'on perceut sa bonne volunté, on luy offrit le clerc de ce
chanoine, qui estoit ung fort et roidde galant, et homme pour la
trèsbien fournir; de quoy elle ne tint compte, mais le refusa de tous
poins, disant que aussi bien vouloit-elle avoir le maistre que l'autre,
aultrement ne seroit-elle contente. Le chanoine fut contraint, pour
sauver son honneur, de s'accorder. Quand ce fut fait, elle voulut bien
adonc dire à Dieu et se partir. Mais l'autre ne le voulut pas, ains dist
toute courroussée que elle qui l'avoit amenée et estoit celle pour qui
l'assemblée estoit faicte devoit estre mieulx partie que l'autre, et
qu'elle ne se partiroit point qu'elle n'eust encores ung picotin. Le
chanoine fut bien esbahy quand il entendit les nouvelles, et combien
qu'il priast celle qui vouloit avoir le surcroiz, toutesfoiz, ne se
voult rendre contente. «Or ça, de par Dieu, dist il, puisqu'il fault que
ainsi soit, je suis content, mais plus n'y revenez pour tel pris.» Quand
les armes furent accomplies, celle damoiselle au surcroiz à dire adieu
dist à son chanoine qu'il leur falloit donner aucune chose gracieuse
pour souvenance. Et sans se faire trop importuner ne traveiller de
requestes, et aussi pour estre delivré d'elles, il avoit ung demeurant
de couvrechefz qu'il leur donna, et la principale receut le don, et en
remercyant dirent adieu. «C'est, dist-il, ce que je vous puis maintenant
donner; prenez chacune en gré, je vous en prie.» Elles ne furent guères
loing allées, qu'en plaine rue la voisine qui avoit eu sans plus ung
picotin dist à sa compaigne qu'elle vouloit avoir sa part de leur don.
«Et bien, dit l'autre, je suis contente; combien en voulez vous
avoir?--Fault-il demander cela? dit elle; j'en doy avoir la moitié et
vous autant.--Comment osez vous demander, dist l'autre, plus que vous
n'avez deservy? Avez vous point de honte? Vous savez que vous n'avez
esté qu'une foiz avecques le chanoine, et moy deux foiz; et pardieu, ce
n'est mie raison que vous soiez partie aussi avant que moy.--Par dieu,
j'en aray autant que vous, dit l'autre; ay je pas fait mon devoir aussi
avant que vous?--Comment l'entendez vous?--N'est ce pas autant d'une
foiz que de deux? Et affin que vous cognoissez ma volunté, sans tenir cy
halle de neant, je vous conseille que me baillez ma part justement de la
moitié, ou vous arez incontinent hutin; me voulez vous ainsi
gouverner?--Voire dya, dist sa compaigne, y voulez-vous proceder d'euvre
de fait? Et par la naissance Dieu, vous n'en arez fors ce qui sera de
raison, c'est assavoir des trois pars l'une, et j'aray le remanent; ay
je pas eu plus de peine que vous?» Adonc l'aultre hausse et de bon poing
charge sur le visage de sa voisine, qui ne le tint pas longuement sans
le rendre, apellans l'une l'autre ribaulde. Bref, elles s'entre batirent
tant et de si bonne manière que à bien petit qu'elles ne s'entre-tuèrent;
et l'une appelloit l'autre ribaulde. Quand les gens de la rue virent la
bataille de ces deux compaignes, qui peu de temps devant avoient passé
par la rue ensemble amoureusement, furent tous esbahiz, et les vindrent
tenir et deffaire l'une de l'autre. Puis leurs mariz furent huchez, qui
vindrent tantost, et chacun d'eux demandoit à sa femme la matère de leur
different. Chacune comptoit à son plus beau; et tant par leur faulx
donner à entendre, sans toutesfoiz toucher de ce pour quoy la question
estoit meue, les animèrent et esmeurent l'ung contre l'autre, tellement
qu'ilz se vouloient entretuer, si les sergens ne fussent survenuz, qui
les menèrent tous deux refroider en belle prison. La justice fut à toute
diligence sollicitée de leurs amys pour leur delivrance; mais pour ce
que le cas estoit venu pour le debat des femmes, premier le conseil
voult savoir dont avoit procedé le fondement de la question entre les
deux femmes; elles furent mandées et contrainctes de confesser que ce
avoit esté pour faire parchon d'une pièce de couvrechefs, et cetera. Les
gens du conseil, qui estoient bons et sages, voyans que la cognoissance
de ceste cause appartenoit au roy de bourdelois, tant pour les merites
de la cause que pour ce que les femmes estoient de ses subjectes, la
renvoyèrent pardevant luy. Et pendant le procès, les bons mariz
demourèrent en la prison, attendans la sentence diffinitive qui devoit
estre rendue sur l'avis des subjects du roy, qui, pour le nombre infiny
d'eulx, est taillée de demourer pendue au clou.




LA XCIIIe NOUVELLE.

PAR MESSIRE TIMOLEON VIGNIER, GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.


Tantdiz que j'ay bonne audience, je veil compter ung gracieux compte
advenu au bon et gracieux païs de Haynau. En ung gros village du païs
que j'ay nommé avoit une gente femme mariée qui amoit plus beaucop le
clerc ou coustre de l'eglise parochial dont elle estoit paroissienne que
son mary; et pour trouver moien de soy trouver avec son coustre, faindit
à son mary qu'elle devoit ung pelerinage à quelque saint qui n'estoit
pas loing d'illec, comme d'une lieue ou environ, et que promis luy avoit
quant elle avoit esté en traveil, luy priant qu'il fust content qu'elle
y allast ung jour qu'elle nomma, avec une sienne voisine qui ce mesme
jour y alloit. Le bon simple mary, qui ne se doubtoit de rien, accorda
ce pelerinage, mais il vouloit qu'elle revenist le jour qu'elle
partiroit. «Peut estre, dit elle, retourneray je au disner, ainsi que le
temps nous aprendra; mais premièrement, dit elle, il convient que j'aye
une paire de bons souliers.» Tout luy fut liberalement accordé; et
pource que le mary demouroit seul, il luy dist qu'elle appoinctast son
disner et soupper tout ensemble, avant qu'elle se partist, aultrement il
yroit menger à la taverne. Elle fist son commendement, car le jour de
son partement se leva bien matin pour aller à la boucherie, et appoincta
ung bon poussin et une pièce de mouton, et puis manda le cordoennier qui
luy chaussa ses souliers. Et quand toutes ses preparacions furent
faictes, dist à son mary que tout estoit prest, et qu'elle alloit querir
de l'eaue beneiste pour soy partir après. Elle entre en l'eglise, et le
premier homme qu'elle trouva, ce fut celuy qu'elle queroit, c'est
assavoir son coustre, à qui elle compta ces nouvelles, comment elle
avoit congié d'aller en pelerinage, et cetera, pour toute la journée.
«Mais il y a ung cas, dit elle; je suis seure que si tost qu'il sentira
que je seray hors de l'ostel il s'en ira à la taverne, et n'en
retournera jusques au vespre bien tard; je le cognois tel: et pourtant
j'ayme mieulx demourer à l'ostel tantdiz qu'il n'y sera point que aller
hors. Et doncques vous vous rendrez une demye heure entour de nostre
hostel, affin que je vous mecte ens par derrière, s'il advient que mon
mary n'y soit point; et s'il y est nous yrons faire nostre pelerinage.»
Elle vint à l'ostel, où elle trouva encores son mary, dont elle ne fut
pas trop contente, qui luy dist: «Comment estes vous cy encores?--Je
m'en vois, dit elle, chausser mes soulliers, et puis je ne tarderay
guères que je partiray.» Elle alla au cordoennier, et tantdiz qu'elle
faisoit chausser ses souliers, son mary passe par devant l'ostel au
cordoennier avec ung aultre son voisin qui alloit de coustume à la
taverne. Et combien qu'elle supposast que, pource qu'il estoit
acompaigné du dit voisin, il s'en allast sur le bancq, toutesfoiz si
n'en avoit il nulle volunté, mais s'en alloit sur le marché, pour
trouver encores ung ou deux bons compaignons et les amener disner
avecques luy au commencement qu'il avoit davantage, c'est assavoir ce
poussin et la pièce de mouton. Or nous lairrons ycy nostre mary sercher
compaignie, et retournerons à celle qui chaussoit ses souliers, qui, si
tost que chaussez furent, revint à l'ostel le plus hastivement qu'elle
peut, où elle trouva le gentil coustre qui faisoit la procession entour
de l'ostel, à qui elle dist: «Mon amy, nous sommes les plus eureux du
monde, car j'ay veu mon mary qui va à la taverne; j'en suis seure, car
il a ung sien goisson qu'il maine par le bras, lequel ne le lairra pas
retourner quand il vouldra; et pour tant donnons nous bon temps jusques
à la nuyt. J'ay appoincté ung bon poussin et une belle pièce de mouton,
dont nous ferons goghettes.» Et sans plus rien dire le mist ens, et
laissa l'huis de devant entrouvert, affin que les voisins ne se
doubtassent. Or retournons maintenant à nostre mary, qui a trouvé deux
bons compaignons, avec le premier dont j'ay parlé, lesquelz il amaine
pour desfaire ce poussin en la compaignie de beau vin de Beaulne, ou
aultre meilleur, s'il est possible d'en finer. A l'arriver à sa maison,
il entra le premier, où incontinent qu'il fut entré il perceut noz deux
amans, qui faisoient ung pou d'ouvrage. Et quand il vit sa femme qui
avoit les jambes levées, il luy dist qu'elle n'avoit garde de user ses
souliers, et que sans raison avoit traveillé le cordoennier, puis
qu'elle vouloit faire son pelerinage par telle manière. Il hucha ses
compaignons et dist: «Messeigneurs, regardez comment ma femme ayme mon
prouffit; de paour qu'elle ne use ses beaulx neufs souliers, elle
chevauche sur son doz; il ne l'a pas telle qui veult.» Il prend ung
petit demourant de ce poussin, et luy dist qu'elle parfist son
pelerinage; puis ferma l'huys et la laissa avec son coustre, sans luy
aultre chose dire; et s'en alla à la taverne, dont il ne fut pas tensé
au retourner, ne les aultres foiz quand il y alloit, pource qu'il
n'avoit rien ou pou parlé de ce pelerinage que sa femme avoit fait à
l'ostel.




LA XCIVe NOUVELLE.


Es marches de Picardie, ou diocèse de Teroenne, avoit puis an et demy en
çà, ou environ, ung gentil curé demourant à la bonne ville, qui faisoit
du gorgias tout oultre. Il portoit la robe courte, chausses tirées, à la
fasson de court; tant gaillard estoit que l'on ne povoit plus, qui
n'estoit pas pou d'esclandre aux gens d'eglise. Le promoteur de
Teroenne, qui telles manières de gens appellent dyable, fut informé du
gouvernement de nostre gentil curé, et le fist citer pour le corriger et
luy faire muer ses meurs. Il comparut à tout ses habitz courts, comme
s'il n'eust tenu compte du promoteur, cuidant par aventure que pour ses
beaulx yeux on le deust delivrer; mais ainsi n'advint. Quand il fut
devant monseigneur l'official, sa partie, le promoteur, lui compta sa
legende au long, demanda, par ses conclusions, que ses habillemens et
aultres menues manières de faire luy fussent defendues; et avec ce,
qu'il fust condemné en certaine emende. Monseigneur l'official, voyant à
ses yeux que tel estoit nostre curé qu'on luy baptisoit, luy fist les
deffenses, sur les peines du canon, que plus ne se desguisast en telle
manière qu'il avoit fait, et qu'il portast longues robes et courts
cheveux; et avec ce, le condemna à paier une bonne somme d'argent. Il
promist que ainsi feroit il, et que plus ne seroit cité pour telles
choses. Il print congié au promoteur et retourna à sa cure; si tost
qu'il fut venu, il fist hucher le drapier et le parmentier, si fist
tailler une robe qui luy traisnoit plus de trois quartiers, disant au
parmentier les nouvelles de Teroenne, comment c'est assavoir avoit esté
reprins de porter courte robe, et qu'on luy avoit chargé de la porter
longue. Il vestit ceste robbe longue et laissa croistre ses cheveulx de
sa teste et de sa barbe, et en cest estat servoit sa parroiche,
chantoit messe et faisoit les autres choses appartenant à curé. Le
promoteur fut arrière adverty comment son curé se gouvernoit oultre la
règle et bonne et honeste conversacion des personnes d'eglise, qui le
fist citer comme devant, et il y comparut ès mesmes habitz longs.
«Qu'est cecy? dist monseigneur l'official quand il fut devant luy; il
semble que vous vous mocquez des statuz et ordonnances de l'eglise;
voiez vous point comme les aultres prestres s'abillent? Si ne fust pour
l'honneur de voz bons amys, je vous feroie affuler la prison de
ceans.--Comment, monseigneur, dist nostre curé, ne m'avez vous pas
chargé de porter longue robe et longs cheveulx? Ne fays je pas ainsi que
m'avez commendé! N'est pas ceste robe assez longue, mes cheveux sont ilz
point longs? Que voulez vous que je face?--Je veil, dist monseigneur
l'official, que portez robe et cheveulx à demy longs, ne trop ne pou; et
pour ceste grand faulte, je vous condemne à paier dix livres au
promoteur, vingt blancs à la fabrice de ceans, et autant à monseigneur
de Teroenne, à convertir à son aumosne.» Nostre curé fut bien esbahy,
mais toutefois il faillit qu'il passast par là. Il prend congé et
revient à sa maison, et pensa comment il s'abilleroit pour garder la
sentence de monseigneur l'official. Il manda le parmentier, à qui il
fist tailler une robe longue d'un costé, comme celle dont nous avons
parlé, et courte comme la première de l'autre costé, puis se fist
barbaier du costé où la robe estoit courte; et en ce point alloit par
les rues et faisoit son divin office. Et combien qu'on lui dist que
c'estoit mal fait, si n'en tenoit il toutesfoiz compte. Le promoteur en
fut encores adverty, et le fist citer comme devant. Quand il comparut,
Dieu scet comment monseigneur l'official fut malcontent; à peine qu'il
ne saillit de son siége hors du sens, quand il regardoit son curé estre
habillé en guise de mommeur. Si les aultres deux foiz avoit esté bien
rachassé, il le fut encores mieulx à ceste foiz, et condemné en belles
et grosses amendes. Lors nostre bon curé, se voyant ainsi desplumé
d'amendes et de condemnacions, dist: «Monseigneur l'official, il me
semble, sauve vostre reverence, que j'ay fait vostre commandement; et
entendez moy, je vous diray la raison.» Adoncques il couvrit sa barbe
longue de sa main qu'il estandit sus, et dist: «Si vous voulez, je n'ay
point de barbe.» Puis mist sa main de l'aultre costé, couvrant la partie
tondue ou rase, et dist: «Si vous voulez, longue barbe. Est ce pas ce
que m'avez commendé?» Monseigneur l'official, voyant que c'estoit ung
vrai trompeur, et qu'il se trompoit de luy, fist venir le barbier et le
parmentier, et devant tous les assistens luy fist faire sa barbe et
cheveulx, et puis coupper sa robe de la longueur qu'il estoit de besoing
et de raison; puis le renvoya à sa cure, où il se maintint et conduit
haultement, gardant ceste dernière manière qu'il avoit aprinse à la
sueur de sa bourse.




LA XCVe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


Comme il est assez de coustume, Dieu mercy, que en pluseurs religions y
a de bons compaignons à la pie et au jeu des bas instrumens, à ce
propos, naguères avoit en ung couvent de Paris ung bon frère prescheur,
qui entre les autres ses voisines choisit une trèsbelle femmelette jeune
et en bon point, et mariée assez nouvellement à ung bon compaignon. Et
devint maistre moyne amoureux d'elle, et ne cessoit de penser et
subtilier voies et moiens pour parvenir à ses attainctes, qui, à dire en
gros et en bref, estoient pour faire cela que vous savez. Ores disoit:
«Je feray ainsi», ores concluoit aultrement. Tant de propos luy venoient
en la teste qu'il ne savoit sur lequel s'arrester; trop bien disoit il
que de langage n'estoit point de abatre, «car elle est trop bonne et
trop seure; force est que, si je veil parvenir à mes fins, que par
cautele et deception je la gaigne.» Or escoutez de quoy le larron
s'advisa, et comment frauduleusement la pouvre beste il attrapa, et son
desir trèsdeshonneste qu'il proposa accomplir. Il faindit ung jour
d'avoir trèsgrand doleur en ung doy, celluy d'emprès le poulce qui est
le premier des quatre en la main dextre; et de fait le banda et envelopa
de draps linges, et le dora d'aucun oignement trèsfort sentent. Et en ce
point se tint ung jour ou deux, tousjours se monstrant aval son eglise
devant la dessus dicte, et Dieu scet s'il faisoit bien la dole. La
simplette le regardoit en pitié, et voyoit bien à sa contenance que
grand doleur le martiroit; et pour la grand pitié qu'elle en eut, luy
demanda son cas; et le subtil regnard luy compta si trèspiteusement
qu'il sembloit mieulx hors de son sens que aultrement, tant sentoit
grand doleur. Ce jour se passa; et à lendemain, environ l'heure de
vespres, que la bonne femme estoit à l'ostel seulette, ce patient la
vient trouver, ouvrant de soye, et emprès d'elle se met, faisant si
trèsbien le malade que nul ne l'eust veu à ceste heure qui ne l'eust
jugé en trèsgrand danger. Or se viroit vers la fenestre, maintenant vers
la femme; tant d'estranges contenances il faisoit que vous fussez esbahy
et abusé à le veoir. Et la simplette, qui toute pitié en avoit, à peine
que les larmes ne luy sailloient des yeulx, le confortoit au mieulx
qu'elle savoit: «Helas! frère Aubry, disoit elle, avez vous parlé aux
medicins telz et telz?--Oy certes, m'amye, disoit il, il n'y a medicin
ne cyrurgien en Paris qui n'ait veu mon cas.--Et qu'en disent ils?
souffrerez vous longuement ceste doleur?--Helas! oy, voire encores plus
la mort, si Dieu ne m'aide; car en mon fait n'a que ung remède, et
j'aymeroie à peine autant mourir que le deceler; car il est mains que
bien honeste et tout estrange de ma profession.--Comment! dist la
pouvrette, et n'est ce pas mal fait et peché à vous d'ainsi vous laisser
passionner? Vous vous mettez en dangier de perdre sens et entendement,
ad ce que je voy vostre doleur tant aspre.--Par dieu, bien aspre et
terrible est elle, dist frère Aubry; mais quoy! Dieu le m'a envoié, loé
soit-il; je aray pacience, et suis tout conforté d'attendre la mort, car
c'est le vray remède de mon mal, voire excepté ung dont je vous ay
parlé, qui me gariroit tantost; mais quoy! comme je vous ay dit, je
n'oseroie dire quel il est; et quand ainsi seroit que je serois forcé à
deceler ce que c'est, je n'aroie le hardement ne le vouloir de le mectre
à execution.--Et par ma foy, dist la bonne femme, frère Aubry, il me
semble que vous avez tort de tenir telz termes; et pour Dieu, dictes moy
qu'il faut pour vostre garison, et je vous asseure que je mettray peine
et diligence à trouver ce qui y servira. Pour Dieu, ne soiez cause de
vostre perdicion; laissez vous aider et secourir. Or dictes moy que
c'est, et vous verrez se je vous aideray; si feray par Dieu, et me deust
il couster plus que vous ne pensez.» Damp moine, voyant la bonne volunté
de sa voisine, après ung grand tas d'excusances et de refus que pour
estre bref je trespasse, dist à basse voix: «Puis qu'il vous plaist que
je le dye, je vous obeiray. Les medicins, tous d'un accord, m'ont dit
qu'en mon fait n'a que ung seul remède, c'est de bouter mon doy malade
dedans le lieu secret d'une femme nette et honeste, et le tenir là une
bonne pièce de temps, et après l'oingdre d'un oignement dont ilz m'ont
baillé la recepte. Vous oez que c'est, et pource que je suis de ma
nature et propre coustume honteux, j'ay mieulx amé endurer et seuffrir
jusques cy les maulx que j'ay porté qu'en rien dire à personne vivant;
vous seule savés mon cas, et malgré moy.--Hola! hola! dist la bonne
femme, je ne vous ay dit chose que je ne face; je vous veil aider à
garir: je suis contente et me plaist bien pour vostre garison et santé,
et vous oster de la terrible angoisse qui vous tourmente, que je vous
preste le lieu pour bouter vostre doy malade.--Et Dieu le vous rende,
damoiselle! Je n'en eusse osé requerir vous ne aultre; mais puis qu'il
vous plaist me secourir, je ne seray jà cause de ma mort. Or nous
mettons donc, s'il vous plaist, en quelque lieu secret que nul ne nous
voye.--Il me plaist bien», dist elle. Si le mena en une trèsbelle
garderobe, et serra l'huys, et sur le lit se mist; et maistre moyne luy
lève ses draps, et en lieu du doy de la main bouta son perchant dur et
roidde. Et à l'entrer qu'il fist, elle qui le sentit si trèsgros:
«Comment! dist elle, et vostre doy, comment peut il estre si gros? je
n'oy jamais parler du pareil.--En verité, fist il, ce fait la maladie
qui en ce point le m'a mis.--Vous me comptez merveilles», dit elle. Et
durant ces langages, maistre moyne accomplit ce pour quoy si bien avoit
fait le malade. Et celle qui sentit et cetera, demanda que c'estoit; et
il respondit: «C'est le clou de mon doy qui est effondré; je suis comme
gary, ce me semble, Dieu mercy et la vostre.--Et par ma foy, ce me
plaist moult, ce dit la dame, qui lors se leva; si vous n'estes bien
gary, si retournez toutesfoiz qu'il vous plaist: car pour vous oster de
doleur, il n'est rien que je ne face; et ne soiez plus si honteux que
vous avez esté pour vostre santé recouvrer.»




LA XCVIe NOUVELLE.


Or escoutez, s'il vous plaist, qu'il advint l'aultrhier à ung simple
riche curé de village, qui par simplesse fut à l'emende devers son
evesque en la somme de cinquante bons escuz d'or. Ce bon curé avoit ung
chien qu'il avoit nourry de jeunesse et gardé, qui tous les aultres
chiens du païs passoit d'aller en l'eaue querir le vireton, ung chappeau
si son maistre l'oblyoit ou de fait apensé le laissoit quelque part.
Bref, tout ce que bon et sage chien doit et scet faire il estoit le
passe route; et à l'occasion de ce, son maistre l'amoit tant, qu'il ne
seroit pas legier à compter combien il en estoit assoté. Advint
toutesfoiz, je ne sçay par quel cas, ou s'il eut trop chault ou trop
froit, ou s'il mengea quelque chose qui mal luy fist, qu'il devint
trèsmalade, et de ce mal mourut, et de ce siecle tout droit au paradis
des chiens alla. Que fist ce bon curé? Il qui sa maison, c'est assavoir
le presbitaire, dessus le cimitère avoit, quand il vit son chien de ce
monde trespassé, il se pensa que une si sage et bonne beste ne demourast
sans sepulture; et pourtant il fist une fosse assez près de l'huys de sa
maison, qui dessus l'aitre, comme dit est, respondoit, et là l'enfouyt
et sepultura. Je ne sçay pas s'il luy fist ung marbre et par dessus
engraver une epythaphe, si m'en tais. Ne demoura guères que la mort du
bon chien au curé fut par le village et les lieux voisins annuncé, et
tant s'espandit que aux oreilles de l'evesque du lieu parvint, ensemble
de la sepulture saincte que son maistre luy bailla; si le manda vers luy
venir par une citation que ung cicaneur luy apporta. «Helas! dist le
curé au cicaneur, et que ay je fait, et qui m'a fait citer d'office? Je
ne me sçay trop esbahir que la court me demande.--Quand à moy, dit
l'autre, je ne sçay qu'il y a, si ce n'est pour tant que vous avez
enfouy vostre chien dedans lieu saint où l'on mect les corps des
chrestians.--Ha! ce pensa le curé, c'est cela?» Or à primes luy vint en
teste qu'il avoit mal fait, et dist bien en soy mesmes qu'il passeroit
par là, et que s'il se laisse emprisonner qu'il sera escorché, car
monseigneur l'evesque, la Dieu mercy, est le plus convoiteux prelat de
ce royaume, et si a gens entour de luy qui scevent faire venir l'eaue au
moulin, Dieu scet comment. «Or bien force est que je la perde; si vault
mieulx tost que tard.» Il vint à sa journée, et de plain bout s'en alla
devers monseigneur l'evesque, qui tantost comme il le vit luy fist ung
grand prologue pour la sepulture saincte qu'il avoit fait bailler à son
chien, et luy baptisa son cas si merveilleusement qu'il sembloit que le
curé eust fait pis que regnier Dieu. Et après tout son dire, il commenda
que le curé fust mené en la prison. Quand le curé vit qu'on le vouloit
bouter en la boeste aux caillouz, il requist qu'il fust oy, et
monseigneur l'evesque luy accorda. Et devez savoir que à ceste calonge
estoient foison de gens de grand fasson, comme l'official, les
promoteurs, les scribe, notaires, advocatz et procureurs, qui tous
ensemble grand joye avoient du non accoustumé cas du pouvre curé, qui à
son chien avoit donné la terre saincte. Le curé en sa defense et excuse
parla en bref et dist: «En verité, monseigneur, si vous eussez autant
congneu mon bon chien, à qui Dieu pardoint, comme j'ay, vous ne seriez
pas tant esbahy de la sepulture que je luy ai ordonnée comme vous estes,
car son pareil ne fut ne jamais sera.» Et lors racompta balme de son
fait: «Et s'il fut bien bon et sage en son vivant, encores le fut il
autant ou plus à sa mort, car il fist un trèsbeau testament, et pour ce
qu'il savoit vostre necessité et indigence, il vous ordonna cinquante
escuz d'or, que je vous apporte.» Si les tira de son sein et à l'evesque
les bailla, qui les receut voluntiers, et lors loa et approuva le sens
du vaillant chien, ensemble son testament et la sepulture qu'il luy
bailla.




LA XCVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.


Ilz estoient n'a guères une assemblée de bons compaignons faisans bonne
chère en la taverne, et buvant d'autant et d'autel. Et quand ilz eurent
beu et mangé, et fait si bonne chère que jusques à loer Dieu et aussi
_usque ad hebreos_ la plus part, et qu'ilz eurent compté et paié leur
escot, les aucuns commencèrent à dire: «Comment nous serons festoyés de
noz femmes, quand nous retournerons à l'ostel! Dieu scet que nous ne
serons pas excommuniez: on parlera bien à noz barbes.--Nostre dame! dist
l'un, je craing bien de m'y trouver.--Ainsi m'aist Dieu, dit l'autre,
aussi fays je moy; je suis tout seur d'oyr la passion. Pleust à Dieu que
ma femme fust muette! je buroye trop plus hardiment que je ne faiz.»
Ainsi disoient trestous, fors l'un d'eulx qui estoit bon compaignon,
qui leur alla dire: «Et comment, beaulx seigneurs, vous estes donc bien
fort maleureux, qui avez chacun femme qui ainsi vous reprend d'aller à
la taverne, et est tant mal contente que vous buvez? Par ma foy, Dieu
mercy, la mienne n'est pas telle; car de boire que je face vous n'avez
garde qu'elle en parle; mesmes, qui plus est, si je buvoie dix, voire
cent foiz le jour, si n'est ce pas assez à son gré; bref, oncques je ne
beu qu'elle n'eust voulu que j'eusse plus beu la moitié. Car quand je
reviens de la taverne, elle me souhaitte tousjours le demourant du
tonneau dedans le ventre, et le tonneau avecques; si n'esse pas signe
que je boive assez à son gré?» Quand ses compaignons oyrent ceste
conclusion, ilz se prindrent à rire et loèrent beaucop son compte, et
sur ce s'en allèrent tous, chacun à sa chacune. Nostre bon compaignon
qui le compte avoit fait s'en vint à l'hostel, où il trouva Pou Paisible
sa femme toute preste à tanser, qui de si loing qu'elle le vit commença
la souffrance accoustumée; et de fait, comme elle souloit, luy souhaitta
le demourant du vin du tonneau dedans le ventre. «La vostre mercy,
m'amye, dist il; encores avez vous meilleure coustume que les aultres
femmes de ceste ville: elles enragent de ce que leurs mariz boivent ne
tant ne quant, et vous, Dieu le vous rende, vouldriez bien que je beusse
tousjours ou une bonne foiz qui tousjours durast.--Je ne sçay, dit
elle, que je vouldroie, sinon que je prie à Dieu que tant vous buvez ung
jour que vous puissez crever.» Comme ilz se devisoient ainsi doulcement
comme vous oez, le pot à la porée, qui sur le feu estoit, commence à
s'enfuyr par dessus, pource que trop aspre feu avoit; et le bon homme,
voyant que sa femme n'y mettoit point la main, luy dist: «Et ne veez
vous, dame, ce pot qui s'en fuit?» Et elle, qui encores rappaisée
n'estoit, luy respondit: «Si faiz, sire, je le voy bien.--Or le haulsez
donc, Dieu vous mecte en mal an!--Si feray je, dist elle, je le
haulseray, je le mectz à xij. deniers.--Voire, dist il, dame, est ce la
response? Haulsez ce pot, de par Dieu!--Et bien, dit elle, je le mectz à
vij. sols; est ce assez hault?--Hen! hen! dist il, et par saint Jehan!
ce marché ne se passera pas sans trois coups de baston.» Et il choisit
ung gros baston et en descharge de toute sa force sur le doz de
madamoiselle, en disant: «Ce marché vous demoure.» Et elle commence à
cryer alarme, tant que les voisins s'i assemblèrent, qui demandèrent que
c'estoit; et le bon homme racompta l'ystoire comme elle alloit, dont ilz
rirent trèsbien de celle à qui le marché demoura.




LA XCVIIIe NOUVELLE.

PAR L'ACTEUR.


Es metes et marches de France avoit ung riche et puissant chevalier,
noble tant par l'ancienne noblesse de ses predecesseurs comme par
propres nobles et vertueux faiz. De sa femme espousée avoit une seule
fille, trèsbelle et trèsadressée pucelle, eagée de xvj. à xvij. ans ou
environ. Ce bon et noble chevalier, voyant sa dicte fille avoir attaint
à l'eage habile et ydoine pour estre allyée et conjoincte par mariage,
eut trèsgrande volunté de la donner à ung chevalier son voysin,
trèsriche, non toutesfoiz noble de parentage comme de grosses richesses
et puissances temporelles; avec ce aussi, eagé de lx. à quatre vingts
ans ou environ. Ce vouloir rongea tant autour de la teste du père dont
j'ay parlé, que jamais ne cessa jusques ad ce que les allyances et
promesses furent faictes entre luy et sa femme, mère de la dicte
pucelle, et le dit chevalier, touchant le mariage de luy avec la dicte
fille, qui des assemblées, promesses et traictiez ne savoit rien, et n'y
pensoit aucunement. Assez prochain de l'ostel d'iceluy chevalier père de
la pucelle, avoit ung aultre jeune chevalier vaillant et riche
moyennement, non pas tant de beaucop comme l'autre ancien dont j'ay
parlé, qui estoit trèsardent et fort embrasé de l'amour d'icelle
pucelle. Et pareillement elle, pour la vertueuse et noble renommée de
luy, en estoit trèsfort enlassée, et combien que à dangier parlassent
l'un à l'autre, car le père s'en doubtoit et leur ostoit et rompoit les
moyens et voies qu'il povoit, toutesfoiz si ne les povoit il forclorre
de l'entière et trèsloyale amour dont leurs deux cueurs estoient
mutuellement entreliez et embrasez. Et quand fortune leur favorisoit
tant que ensemble les faisoit deviser, d'aultre chose ne tenoient leurs
devises que de pourpenser et adviser le moien par lequel leur souverain
desir pourroit estre accomply par legitime mariage. Or s'approucha le
temps que icelle pucelle deut estre donnée à ce seigneur ancien, et le
marché et traictié luy fut par son père descouvert et assigné le jour
qu'elle devoit espouser, dont ne fut pas pou courroussée; mais elle se
pensa qu'elle y mectroit remède. Elle envoya vers son trèschier amy le
jeune chevalier, et luy manda qu'il venist celéement le plus qu'il
pourroit. Et quand il fut venu, elle luy compta les allyances faictes
d'elle et de l'autre ancien chevalier, demandant sur ce conseil de tout
rompre; car d'autre que de luy ne vouloit estre espouse. Le chevalier
luy respondit: «M'amye trèschère, puisque vostre bonté se veult tant
humilier que de moy offrir ce que je n'oseroie requerir sans trèsgrand
vergoigne, je vous remercie; et, si vous voulez perseverer en ceste
bonne volunté, je sçay que nous devons faire. Nous prandrons et
assignerons ung jour en ceste ville bien acompaigné de mes amys et
serviteurs, et à certaine heure vous rendrez en quelque lieu que me
direz maintenant où je vous troveray seule. Vous monterez sur mon cheval
et vous mainray en mon chasteau; et puis, si nous povons appaiser
monseigneur vostre père et ma dame vostre mère, nous procederons à la
consummacion de noz promesses.» La pucelle dist que c'estoit bien
advisé, et qu'elle savoit comment s'i povoit convenablement conduire. Si
luy dist que tel jour et telle heure venist en tel lieu où il la
trouveroit, et puis feroit tout bien ainsi qu'il avoit advisé. Le jour
de l'assignacion vint: si comparut ce bon jeune chevalier au lieu où
l'on luy avoit dit, et où il trouva sa dame, qui monta derrière luy sur
son cheval, puis picquèrent fort tant qu'ilz eurent eloigné la place.
Quand ilz se trouvèrent aucun petit eloignez, ce bon chevalier,
craignant qu'il ne traveillast sa trèschière amye, rompit son legier pas
et fist espandre tous ses gens par divers chemins pour veoir se quelque
ung les suyvoit, et chevauchoit à travers champs sans tenir voies ne
sentiers le plus doulcement et debonnairement qu'il povoit, et chargea à
ses gens qu'ilz se trouvassent ensemble tous à ung gros village qu'il
leur nomma, où il avoit intencion de repaistre. Ce village estoit assez
estrangé de la voye commune des chevaucheurs et chemineurs; et tant
chevauchèrent les dits amans qu'ilz vindrent seuletz au dit village, où
la feste generale se faisoit, à laquelle y avoit gens de toutes sortes
et grand foison. Ilz entrèrent en la meilleur taverne de tout le lieu,
et incontinent demandèrent à boire et à menger, car il estoit tard après
disner, et la pucelle estoit trèsfort traveillée. Ilz firent faire bon
feu et trèsbien appoincter à menger pour les gens du dit chevalier, qui
n'estoient encores venuz. Guères n'eurent esté en leur hostellerie que
veezcy venir quatre gros charruyers ou bouviers plus villains encores,
et entrèrent baudement en cest hostel, demandans rigoreusement où estoit
la ribauldelle que ung ruffien naguères avoit amenée derrière luy sur
ung cheval, et qu'il failloit qu'ilz bussent avec elle et à leur tour la
gouverner. L'oste, qui estoit homme bien cognoissant le dit chevalier,
bien sachant que ainsi n'estoit que les ribauldz disoient, leur
respondit gracieusement que telle n'estoit elle qu'ilz cuidoient. «Par
cy, par là, dirent ilz, si vous ne la nous livrés incontinent, nous
abattrons les huys et l'enmerrons par force et malgré vous deus.» Quand
le bon hoste entendit et cogneut leur rigueur, et que sa doulce parolle
ne luy prouffitoit point, il leur nomma le nom du chevalier, lequel
estoit trèsrenommé ès marches, mais pou cogneu des gens, à l'occasion
que tousjours avoit esté hors du païs, acquerant honneur et renommée
glorieuse ès guerres et voyages loingtains. Leur dist aussi que la
femme estoit une jeune pucelle parente au dit chevalier, laquelle estoit
née et yssue de grand maison et noble parentage. «Helas! messeigneurs,
vous povez, dist il, sans dangier de vous ne d'aultruy, estaindre et
passer voz chaleurs desordonnées avecques plusieurs aultres qui, à
l'occasion de la feste de ce village, sont venues et arrivées, et pour
aultre chose non que pour vous et voz semblables. Pour Dieu, laissez en
paix ceste noble fille, et mettez devant voz yeulx les grands dangiers
où vous boutez, et ne soiez jà si presumptueux de cuider que le
chevalier la vous laisse mener sans la defendre. Pensez, pensez voz
vouloirs desraisonnables et le grand mal que vous voulez commectre à
petite occasion.--Cessez vostre sermon, dirent les loudiers, tous alumez
du feu de concupiscence charnelle, et donnez nous voye que la puissions
avoir; aultrement vous ferons honte et blasme, car en publicque ycy nous
l'amerrons, et chacun de nous quatre en fera son bon plaisir.» Les
parolles finées, le bon hoste monta en la chambre où le chevalier et la
bonne pucelle estoient, puis hucha à part le chevalier, à qui il compta
la volunté des quatre villains enragez, lequel, quand il eut tout bien
et constamment entendu sans estre guères troublé, descendit, garny de
son espée, parler aux quatre ribaulx, leur demandant trèsdoulcement
quelle chose il leur plaisoit. Et ainsi, rudes et malsades qu'ilz
estoient, respondirent qu'ilz vouloient avoir la ribauldelle qu'il
tenoit fermée en sa chambre, et que, si doulcement ne leur bailloit,
ilz luy tolliroient et raviroient à son grand dommage. «Beaulx
seigneurs, dist le chevalier, si vous me cognoissiez bien, vous ne me
tiendriez pour tel qui maine par les champs les femmes telles que vous
nommez ceste; oncques ne feiz telle folie, la Dieu mercy; et quand la
volunté me seroit telle, que Dieu ne veille! jamais je ne le feroye ès
marches dont je suis et tous les miens. Ma noblesse et la netteté de mon
courage ne pourroient souffrir que ainsi me gouvernasse. Ceste femme est
une jeune pucelle, ma cousine prochaine, yssue de noble maison; et je
vois pour esbatre et passer temps doulcement, la menant avec moy,
acompaigné de mes gens, lesquelx, jasoit qu'ilz ne soient cy presens,
toutesfois viendront ilz tantost, et je les attens; et ne soiez jà si
abusez en voz courages que je me repute si lasche que je la laisse
villanner ne souffrir luy faire injure tant ne quant, mais la defendray
aussi avant et aussi longuement que la vigueur de mon corps pourra durer
et jusques à la mort.» Avant que le chevalier eust finé sa parolle, les
villains plastriers luy entrerompirent en nyant premier qu'il fust celuy
qu'il avoit nommé, pource qu'il estoit seul, et le dit chevalier ne
chevauchoit jamais que en grand compaignie de gens. Pour quoy luy
conseillèrent qu'il baillast la dicte femme, s'il estoit sage, ou
aultrement luy tolliroient par force, quelque chose qui s'en puist
ensuyr. Helas! quand le vaillant et courageux chevalier perceut que
doulceur n'avoit point lieu en ses responces, et que rigueur et haulteur
occupoient la place, il se ferma en son courage, et résolut que les
villains n'aroient jà la joissance de la pucelle, ou il y mourroit en la
defendant. Pour faire fin, l'un de ces quatre s'avança de ferir de son
baston à l'huis de la chambre, et les aultres le suyrent, qui furent
vaillamment reboutez du chevalier. Et ainsi se commença la bataille, qui
dura assez longuement. Combien que les deux parties fussent
dispareilles, ce bon chevalier vaincquit et rebouta les quatre ribaulx,
et, ainsi qu'il les poursuyvoit chassant pour en estre au dessus, l'un
d'iceulx, qui avoit ung glaive, se vira subit et le darda en l'estomac
du chevalier et le percha de part en part, du quel cop incontinent cheut
tout mort, dont ilz furent trèsjoieux. Ce fait, l'oste fut par eulx
contraint de l'enfouir et mettre en terre ou au jardin de l'ostel, sans
esclandre ne noise; aultrement ilz le menassoient tuer. Quand le
chevalier fut mort, ilz vindrent hurter à la chambre où estoit la
pucelle, à qui desplaisoit moult que son amoureux tant demouroit, et
boutèrent l'huis oultre. Et si tost qu'elle vit les bourgois entrer,
elle jugea tantost que le chevalier estoit mort, disant: «Helas! où est
ma garde? où est mon seul refuge? Qu'est il devenu? Dont vient que ainsi
me laisse seullette?» Les ribaulx, voyans qu'elle estoit ainsi troublée,
la cuidèrent faulsement decevoir par doulces parolles, en disant que le
chevalier estoit en une maison, et qu'il luy mandoit qu'elle y allast
avec eulx, et que plus seurement s'i pourroit garder; mais riens n'en
voult croire, car le cueur tousjours luy jugeoit qu'ilz l'avoient tué et
murdry. Si commença à soy dementer et crier plus amèrement que devant.
«Qu'est ce cy, dirent ilz, que tu nous faiz estrange manière? Cuides tu
que nous ne te cognoissions? Si tu as suspeçon sur ton ruffien qu'il ne
soit mort, tu n'es pas abusée: nous en avons delivré le païs. Pour quoy
soies toute asseurée que nous quatre arons chacun ta compaignie.» Et, à
ces motz, l'un d'eulx s'avance, qui la prent le plus rudement du monde,
disant qu'il aura sa compaignie avant qu'elle luy eschappe, veille ne
daigne. Quand la pouvre pucelle se voit ainsi efforcée, et que la
doulceur de son langage ne luy portoit point de prouffit, leur dist:
«Helas! messeigneurs, puis que vostre mauvaise volunté est ainsi
tournée, et que humble prière ne la peut adoulcir ne ploier, au mains
aiez en vous ceste honesteté que, puis qu'il fault que à vous je soie
abandonnée, ce soit premièrement à l'un sans la presence de l'autre.»
Ilz luy accordèrent, jasoit ce que trèsenvys, et puis luy firent choisir
pour eslire celuy d'eulx quatre qui devoit demourer avec elle. L'un
d'eulx, lequel elle cuidoit estre le plus begnin et doulx de tous, elle
eleut; mais de tous estoit il le pire. La chambre fut fermée, et tantost
après la bonne pucelle se gecta aux piez du ribaulx, en luy faisant
pluseurs piteuses remonstrances, luy priant qu'il eust pitié d'elle.
Mais tousjours perseverant en malignité, dist qu'il feroit sa volunté
d'elle. Quand elle le vit si dur et obstiné, et que sa prière trèshumble
ne vouloit exaulser, luy dist: «Or çà, puis qu'il convient qu'il soit,
je suis contente; mais je vous supply que cloiez les fenestres, affin
que nous soyons plus secrètement.» Il l'accorda bien envys, et, tantdiz
qu'il les cloyoit, la pucelle sacqa ung petit cousteau qu'elle avoit
pendu à sa cincture, se trencha la gorge et rendit l'ame. Et quand le
ribauld la vit couchée à terre morte, il s'en fuyt avecques ses
compaignons. Et est à supposer qu'ilz ont esté puniz selon l'exigence du
cas piteux. Ainsi finèrent leurs jours les deux loyaux amoureux tantost
l'un après l'autre, sans percevoir rien du joieux plaisir où ilz
cuidoient ensemble vivre et durer tout leur temps.




LA XCIXe NOUVELLE.

PAR L'ACTEUR.


S'il vous plaist, vous orrez, avant qu'il soit plus tard, tout à ceste
heure ma petite ratelée et compte abregé d'un vaillant evesque
d'Espaigne, qui pour aucuns afferes du roy de Castille, son maistre, ou
temps de ceste histoire, s'en alloit en court de Romme. Ce vaillant
prelat, dont j'entens fournir ceste derreniere nouvelle, vint ung soir
en une petite villette de Lombardie; et luy estant arrivé par ung
vendredy assez de bonne heure, vers le soir, ordonna son maistre d'ostel
le faire souper de bonne heure, et le tenir le plus aise que faire ce
pourroit, de ce dont on pourroit recouvrer en la ville; car la mercy
Dieu, quoyqu'il fust et gros et gras, et ne se donnoit de traveil que
bien à point, si n'en jeunoit il journée. Son maistre d'ostel, pour luy
obéir, s'en alla au marché, et par toutes les poissonneries de la ville
pour trouver du poisson. Mais pour faire le compte bref, il n'en peut
oncques recouvrer d'un seul lopin, quelque diligence que luy et son
hoste en sceussent faire. D'adventure, eulx s'en retournans à l'ostel
sans poisson, trouvèrent ung bon homme des champs qui avoit deux bonnes
perdriz et ne demandoit que marchant. Si s'en pensa le maistre d'ostel
que s'il en povoit avoir bon compte, elles ne luy eschapperoient pas, et
que bonnes seroient pour dimenche, et que son maistre en feroit grand
feste. Il les acheta et en eut bon pris. Il vint vers son maistre ses
deux perdriz en sa main, toutes vives, grasses, et bien refaictes, et pas
luy compta l'eclipse de poisson qui estoit en la ville, dont il n'estoit
trop joyeulx. Et luy, dist: «Et que pourrons nous soupper?--Monseigneur,
respondit il, je vous feray faire des oeufs en plus de cent mille
manières; vous aurez aussi des pommes et des poires. Nostre hoste a
aussi de bon fromage et bien gras: nous vous tiendrons bien aise. Ayez
pacience pour meshuy, ung soupper est tantost passé; vous serez demain
plus aise, si Dieu plaist. Nous yrons en la ville, qui est trop mieulx
empoissonnée que ceste cy; et Dimenche vous ne povez faillir d'estre
bien disné, car veezcy deux perdriz que j'ay pourveues, qui sont à bon
escient bonnes et bien nourries.» Ce maistre evesque se fist bailler ces
perdriz, et les trouva telles qu'elles estoient bonnes à bon escient; si
se pensa qu'elles tiendroient à soupper la place du poisson qu'il
cuidoit avoir, dont il n'avoit point; car il n'en peut oncques trouver.
Si les fist tuer bien en haste, plumer, larder et mettre en broche. Lors
le maistre d'ostel, voyant qu'il les vouloit rostir, fut esbahy et dist
à son maistre: «Monseigneur, elles sont bonnes tuées, mais les rostir
maintenant pour le Dimanche, il ne me semble pas bon.» Ledit maistre
d'ostel perdoit son temps, car, quelque chose qu'il sceut remonstrer, si
ne la voulut il croire: elles furent mises en broche et rosties. Le bon
prelat estoit la plus part du temps qu'elles mirent à cuire tousjours
present, dont son maistre d'ostel ne se sçavoit assez esbahir, et ne
savoit pas bien l'appetit desordonné de son maistre qu'il eust à ceste
heure de devorer ces perdrix, ainçois cuidoit qu'il le fist pour
Dimenche les avoir plus prestes au disner. Lors les fist ainsi habiller,
et quand elles furent prestes et rosties, la table couverte et le vin
aporté, oeufz en diverses façons habillez et mis à point, si s'assit le
prelat, et le _benedicite_ dit, demanda les perdris avec de la
moustarde. Son maistre d'ostel, desirant savoir que son maistre vouloit
faire de ces perdriz, si les luy mist devant luy toutes venantes de la
broche, rendantes une fumée aromaticque assez pour faire venir l'eaue à
la bouche d'ung friant. Et bon evesque d'assaillir ces perdrix et
desmembrer d'entrée la meilleure qui y fust; et commence à trencher et
menger, car tant avoit haste, que oncques ne donna loisir à son escuier
qui devant luy tranchoit qu'il eust mis son pain ne ses cousteaux à
point. Quand ce maistre d'ostel vit son maistre s'attraper à ces
perdris, il fust bien esbahy et ne se peut taire ne tenir de luy dire:
«Ha, monseigneur, que faictes vous? Estes vous Juif ou Sarrazin, qui ne
gardez aultrement le vendredy? Par ma foy, je me donne grand merveille
de vostre faict.--Tais toy, tais toy, dist le bon prelat, qui avoit
toutes les mains grasses et la barbe aussi de ces perdris; tu es beste,
et ne sçais que tu dis. Je ne fays point de mal. Tu sçais et congnois
bien que par parolles moy et tous les aultres prestres faisons d'une
hostie, qui n'est que de bled et d'eaue, le precieux corps de
Jhesu-Crist; et ne puis je donc pas, par plus forte raison, moy qui tant
ay veu de choses en court de Romme, et en tant de divers lieux, savoir
par paroles faire convertir ces perdriz, qui est chair, en poisson,
jasoit ce qu'elles retiennent la forme de perdriz? Si fais, dya;
maintes journées sont passées que j'en sçay bien la pratique. Elles ne
furent pas si tost mises à la broche que, par les parolles que je sçay,
je les charmé tellement que en substance de poisson se convertirent; et
en pourriez trestous qui estes icy menger, comme moy, sans peché. Mais
pour l'ymagination que vous en pouriez prendre, elles ne vous feroient
jà bien; si en feray tout seul le meschief.» Le maistre d'ostel et tous
les autres de ses gens commencèrent à rire, et firent semblant de
adjouster foy à la bourde de leur maistre, trop subtilement fardée et
colorée; et en tindrent depuis manière du bien de luy, et aussy
maintesfoiz en divers lieux joyeusement le racomptèrent.




LA Ce ET DERRENIÈRE NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


En la bonne, puissant et bien peuplée cité de Jannes, puis certain temps
en çà, demouroit ung gros marchant plain et comblé de biens et de
richesses, duquel l'industrie et manière de vivre estoit de mener et
conduire grosses marchandises par la mer ès estranges païs, et
specialement en Alixandrie. Tant vacca et entendit au gouvernement des
navires, à entasser thesaur et amonceler grandes richesses, que durant
tout le temps, jusques à l'eage de cinquante ans, qu'il s'y adonna
depuis sa tendre jeunesse, ne luy vint volunté ne souvenance d'aultre
chose faire. Et comme il fut parvenu à l'eage dessus dicte, ainsi que
une foiz pensoit sur son estat, voyant qu'il avoit despendu tous ses
jours et ans à rien aultre chose faire que cuillir et accroistre sa
richesse, sans jamais avoir eu ung seul moment ou minute de temps ouquel
sa nature luy eust donné inclinacion pour penser ou induire à soy
marier, affin d'avoir generacion qui aux grans biens qu'il avoit à grand
diligence et grand labour amassez et acquis luy succedast, et luy après
luy les possedast, conceut en son courage une aigre et trèspoingnant
doleur; et luy despleut à merveilles que ainsi avoit exposé et despendu
ses jeunes jours. En celle aigre doleance et regretz demoura aucuns
jours, pendant lesquelx advint que en la cité dessus nommée, les jeunes
et petiz enfans, après qu'ilz avoient solennizé aucune feste accoustumée
entr'eulx par chacun an, habillez et desguisez diversement et assez
estrangement, les ungs d'une manière, les aultres d'aultre, se vindrent
rendre en grant nombre en ung lieu où les publicques et accoustumez
esbatemens de la cité se faisoient communement, pour jouer en la
presence de leurs pères, mères et amys, affin d'en reporter gloire,
renommée et loange. A ceste assemblée comparut et se trouva ce bon
marchant, remply de fantasies et de souciz; et voyant les pères et les
mères prendre grand plaisir à veoir enfans jouer et faire souplesses et
apertises, aggrava sa doleur qu'il par avant avoit de soy mesmes conceu;
et en ce point, sans les povoir plus adviser ne regarder, triste et
pensif retourna en sa maison, et seulet se rendit en sa chambre, où il
fut aucun temps faisant complainte en ceste manière: «Ha! pouvre
maleureux veillart, tel que je suis et tousjours ay esté, de qui la
fortune et destinée sont dures, amères et mal goustables! O chetif
homme, plus que tous aultres recreant et las, par les veilles, peines,
labours et ententes que tu as prins et porté tant par mer que par terre!
Ta grande richesse et tes comblés thesors sont bien vains, lesquelx
soubz perilleuses adventures, en peines dures et sueurs, tu as amassé et
amoncelé, et pour lesquelx tout ton temps as despendu et usé, sans avoir
oncques une petite et passant souvenance de penser qui sera celuy qui,
toy mort et party de ce siècle, les possedera, et à qui par loy humaine
les devray laisser en memoire de toy et de ton nom. Ha! meschant
courage, comment as tu mis en non challoir ce à quoy tu devois donner
entente singulière? Jamais ne t'a pleu mariage, fuy l'as tousjours,
craint et refusé, mesmement hay et mesprisé les bons et justes conseilz
de ceulx qui t'y ont voulu joindre affin que tu eusses lignée qui
perpetuast ton nom, ta loange et renommée. O bien heureux sont les pères
qui laissent à leurs successeurs bons et sages enfans! Combien ay je
aujourd'huy regardé et perceu de pères estans aux jeuz de leurs enfans
qui se disoient trèseureux, et jugeroient trèsbien avoir employé leurs
ans si après leurs decès leurs povoint laisser une petite partie des
grans biens que je possède. Mais quel plaisir, quel soulas puis je
jamais avoir? Quel nom, quelle renommée aray je après la mort? Où est
maintenant le filz qui maintiendra et fera memoire de moy, après mon
trespas? Beney soit ce saint mariage par quoy la memoire et souvenance
des pères est entretenue, et dont leurs possessions et heritages ont par
leurs doulx enfans à eternelle permanence et durée!» Quand ce bon
marchant eust longue espace à soy mesmes argué, subit donna remède et
solucion à ses argumens, disant ces motz: «Or çà, il ne m'est desormais
mestier, obstant le nombre de mes ans, tourmenter ne troubler de
doleurs, d'angoisses ne de pensemens. Au fort, ce que j'ay fait par cy
devant prenne semblance et comparaison aux oyselletz qui font leurs nidz
et preparent avant qu'ilz y pondent leurs oeufz. J'ay, la mercy Dieu,
richesses suffisantes pour moy, pour une femme et pour pluseurs enfans,
s'il advient que j'en ye, et ne suis si ancien, ne tant deffourny de
puissance naturelle, que je me doye soucier ne perdre esperance de non
pouvoir jamais avoir generacion. Si me convient arrester et donner toute
entente, veiller et traveillier, advisant où je troveray femme propice
et convenable à moy.» Ainsi son long procès finant, vuida hors de sa
chambre, et fist vers luy venir deux de ses bons soichons, mariniers
comme luy, aus quelx il descouvrit son cas tout au plain, les priant
trèsaffectueusement qu'ilz luy voulsissent aider à querir et trouver
femme pour luy, qui estoit la chose du monde que plus desiroit. Les deux
marchans, entendu le bon propos de leur compaignon, le prisèrent et
loèrent beaucop, et prindrent la charge de faire toute diligence et
inquisicion possible pour luy trouver femme. Et tantdiz que la diligence
et enqueste se faisoit, nostre marchant, tant eschaudé de marier que
plus ne povoit, faisoit de l'amoureux, cherchant par toute la cité entre
les plus belles la plus jeune, et d'aultres ne tenoit compte. Tant
chercha qu'il en trouva une telle qu'il la demandoit; car de honnestes
parens née, belle à merveilles, jeune de XV ans ou environ, gente,
doulce et trèsbien adrecée estoit. Après qu'il eut congneu les vertuz et
doulces condicions d'elle, il eut telle affection et desir qu'elle fust
dame de ses biens par juste mariage, qu'il la demanda à ses parens et
amys, lesquelx, après aucunes petites difficultez qui guères ne
durèrent, luy donnèrent et accordèrent. Et en la mesme heure luy firent
fiancer et donner caution et seureté du douaire dont il la vouloit doer.
Et si ce bon marchant avoit prins grand plaisir en sa marchandise,
pendant le temps qu'il la menoit, encores l'eut il plus grand quand il
se vit asseuré d'estre marié, et mesmement avec femme telle que d'en
povoir avoir de beaulx et doulx enfans. La feste et solennité des
nopces fut honorablement en grand sumptuosité faicte et celebrée; la
quelle feste faillie, il, mettant en obly et non chaloir sa première
manière de vivre, c'est assavoir sur la mer, fist trèsbonne chère et
prenoit grand plaisir avec sa belle et doulce femme. Mais le temps ne
luy dura guères que saoul et tanné en fut, car la première année, avant
qu'elle fut expirée, print desplaisance de demourer à l'ostel en
oysiveté et d'y tenir mesnage en la manière qu'il convient à ceulx qui y
sont liez, se oda et tanna, ayant si grand regret à son aultre mestier
de navyeur qu'il luy sembloit plus aysié et legier à maintenir que celuy
qu'il avoit si voluntiers entreprins à gouverner nuyt et jour. Aultre
chose ne faisoit que subtilier et penser comment il se pourroit en
Alixandrie trouver en la façon qu'il avoit accoustumée, et luy sembloit
bien qui n'estoit pas seulement difficille de soy tenir de navier, non
hanter la mer, et l'abandonner de tous poins, mais aussi chose la plus
impossible de ce monde. Et combien que sa volunté fust plainement
deliberée et resolue de soy retraire et revenir à son dit premier
mestier, toutesfois le challoit il à sa femme, doubtant qu'el ne le
print à desplaisir; avoit aussi une crainte et doubte qui le destourboit
et donnoit empeschemeut à executer son desir, car il cognoissoit la
jeunesse du courage de sa femme, et luy estoit bien advis que s'il
s'absentoit, elle ne se pourroit contenir; consyderoit aussi la muableté
et variableté de courage femenin, et mesmement que les jeunes galans,
luy present, estoient coustumiers de passer souvent devant son huys pour
la veoir, dont il supposoit qu'en son absence ilz la pourroient de plus
près visiter et par adventure tenir son lieu. Et comme il eut esté par
longue espace poinct et aguillonné de ces difficultez et diverses
ymaginacions, sans en sonner mot, et qu'il congneut qu'il avoit jà
achevé et passé la plus part de ses ans, il mist à non challoir et femme
et mariage et tout le demourant qu'il affiert au mesnage, et aux
argumens et disputacions qui luy avoient troublé la teste donna brefve
solucion, disant en ceste manière: «Il m'est trop plus convenable vivre
que morir, et se je ne laisse et abandonne mon mesnage en brefz jours,
il est tout certain que je ne puis longuement vivre ne durer. Lairray je
donc ceste belle et doulce femme? Oy, je la lairray; elle ait
doresnavant la cure et soing d'elle mesme, s'il luy plaist, je n'en veil
plus avoir la charge. Helas! que feray je! Quel deshonneur, quel
desplaisir sera ce pour moy s'elle ne se contient et garde chasteté. Ho!
il me vault mieulx vivre que morir pour prendre soing pour la garder; jà
Dieu ne veille que pour le ventre d'une femme je prende si estroicte
cure ne soing; aultre loyer ne salaire ne recevroye que torment de corps
et d'ame. Ostez moy ces rigueurs et angoisses que pluseurs seuffrent
pour demourer avec leurs femmes; il n'est chose en ce monde plus cruelle
ne plus grevant les personnes. Jà Dieu ne me laisse tant vivre que pour
quelque adventure qu'en mon mariage puist sourdre, je m'en courrousse ne
monstre triste. Je veil avoir maintenant liberté et franchise de faire
tout ce qui me vient à plaisir.» Quand ce bon marchand eut donné fin à
ces trèslongues devises, il se trouva avec ses compaignons navieurs, et
leur dist qu'il vouloit encore une foiz visiter Alixandrie et charger
marchandises, comme aultrefoiz et souvent avoient fait en sa compaignie;
mais il ne leur declara pas les troubles qu'il prenoit à l'occasion de
son mariage. Ilz furent tantost d'accord et luy dirent qu'il se feist
prest au premier bon vent qui sourvendroit. Les navires et bateaulx
furent chargez et preparez pour partir et mis ès lieux où il failloit
attendre vent propice et oportun pour navyer. Ce bon marchant doncques,
ferme et tout arresté en son propos, comme le jour precedent, se trouva
seul après souper avec sa femme en sa chambre; il luy descouvrit son
intencion et manière de son prochain voyage, et faindant que trèsjoyeux
fust, luy dist ces parolles: «Ma trèschère espouse, que j'ayme mieulx
que ma vie, faictes, je vous requier, bonne chère, et vous monstrez
joyeuse, et ne prenez ne desplaisance ne tristece en ce que je vous veil
declarer. J'ay proposé de visiter, se c'est le plaisir de Dieu, une foiz
encore le pais d'Alixandrie, en la fasson que j'ay de long temps
accoustumée, et me semble bien que n'en devez estre marrye, attendu que
vous congnoissez que c'est ma manière de vivre, mon art et mon mestier,
auquel moien j'ay acquis richesses, maisons, nom, renommée, et trouvé
grand nombre d'amys et de familiarité. Les beaulx et riches vestements,
aneaulx, ornemens, et toutes les aultres precieuses bagues dont vous
este parée et ornée plus que nulle aultre de ceste cité, comme bien
savez, ai je achatez du gaing et avantage que j'ay fait en mes
marchandises. Ce voyage, doncques, ne vous doit guères ennuyer, et ne
prenez jà desconfort, car le retour en sera bref. Et je vous promectz
que si à ceste foiz, comme j'espoire, la fortune me donne eur, plus
jamais n'y veil aller, je y veil prendre congé à ceste foiz. Il convient
donc que prenez maintenant courage bon et ferme; car je vous laisse la
disposicion, administracion et gouvernement de tous les biens que je
possède; mais avant que je parte, je vous veil faire aucunes requestes.
Pour la première, je vous prie que soiez joyeuse, tantdiz que je feray
mon voyage, et vivez plaisamment, et si j'ay quelque pou d'ymaginacion
que ainsi le facez, j'en chemineray plus lyement. Pour la seconde, vous
savez qu'entre nous deux rien ne doit estre tenu couvert ne celé, car
honneur, prouffit et renommée doivent estre, comme je tiens qu'ilz sont,
communs entre nous deux, et la loange et honneur de l'un ne peut estre
sans la gloire de l'autre, neant plus que le deshonneur de l'un ne peut
estre sans la honte de tous deux. Or je veil bien que vous entendez que
je ne suis si desfourni ni despourveu de sens que je ne pense bien
comment je vous laisse jeune, belle, doulce, fresche et tendre, sans
soulas d'homme, et que de plusieurs en mon absence serez desirée.
Combien que je cuide fermement que avez maintenant nette pensée, courage
chaste et honeste, toutesfoiz, quand je cognois quelz sont vostre eage
et l'inclinacion de la secrète et mussée chaleur en quoi vous abundez,
il ne me semble pas possible qu'il ne vous faille, par pure necessité et
contraincte, ou temps de mon absence avoir compaignie d'homme, dont je
ne suis, la Dieu mercy, en rien troublé. C'est bien mon plaisir que vous
vous accordez où vostre nature vous forcera et contraindra; car je sçay
qu'il ne vous est possible d'y resister. Veezcy doncques le point où je
vous veil tresaffectueusement prier, c'est que gardez nostre mariage le
plus longuement en son entiereté que vous pourrez. Intencion n'ay ne
volunté aucune de vous mettre en garde d'aultruy pour vous contenir;
mais veil que de vous mesmes aiez la cure et le soing et soiez
gardienne. Veritablement, il n'est si estroicte garde au monde qui peut
destourber n'empescher la femme oultre sa volunté à faire son plaisir.
Quand doncques vostre chaleur naturelle vous aguillonnera et poindra par
telle manière que pour vous contenir aurez perdu puissance, je vous
prie, ma chère espouze, que à l'execution de vostre desir vous vous
conduisiez prudentement et subtillement, et tellement qu'il n'en puist
estre publicque renommée; et que, si aultrement le faictes, vous, moy et
tous noz amys sommes infames et deshonorés. Si en fait doncques et par
effect vous ne povez garder chasteté, au mains mettez peine de la garder
tant qu'il touche fame et commune renommée. Mais je vous veil apprendre
et enseigner la manière que vous devrez tenir en celle matère, s'elle
survient. Vous savez qu'en ceste bonne cité a foison de beaulx jeunes
hommes; entre eulx tous, vous en choisirez ung seul, et vous en tiendrez
contente et assovye pour faire ce où vostre nature vous inclinera.
Toutesfoiz, je veil que, en faisant l'election et le chois, vous aiez
singulier regard qu'il ne soit homme vague, deshonneste et pou vertueux;
car de tel ne vous devez accointer, pour le grand peril qui vous en
pourroit sourdre. Car, sans nul doubte, il descouvreroit et
publicqueroit à la volée vostre secret. Rien n'est tenu couvert, clos ne
celé par telz gens ne leurs semblables. Doncques, vous elirez celuy que
cognoistrez fermement estre sage et prudent, affin que, si le meschief
vous advient, il mecte aussi grand peine à le celer comme vous. De ceste
article vous requier je tresaffectueusement, et que me promectez en
bonne et ferme leaulté que garderez ceste lecçon et retiendrez. Si vous
advise que ne me respondez sur ceste matière en la forme et façon que
soulent et ont de coustume les aultres femmes quand on leur parle telz
propos comme je vous dy maintenant; je sçay leurs responses et de quelz
motz sçevent user, qui sont telz ou semblables: «Hé! hé! mon mary, dont
vous vient ceste tristèce, ce courage troublé? Qui vous a ainsi meu à
ire? Où avez vous chargé ceste opinion cruelle plaine de tempeste? Par
qu'elle manière ne comment me pourroit advenir ung si abhominable
delict? Nenny! nenny! jà Dieu ne veille que je vous face telles
promesses, à qui je prie qu'il permette la terre ouvrir qui me
engloutisse et devore toute vive, au jour et heure que je n'y pas
commettray, mais auray une seule et legère pensée à la commettre?» Ma
chère espouse, je vous ay ouvert ces manières de respondre affin que
vers moy n'en usez aucunement. En bonne foy, je croy et tiens fermement
que vous avez pour ceste heure tresbon et entier propos, ou quel je vous
prie que demourez autant que vostre nature en pourra souffrir. Et point
n'entendez que je veille que me promettez faire et entretenir ce que je
vous ay monstré et aprins, fors seulement ou cas que ne pourriez donner
resistence ne bataillier contre l'appetit de vostre fraile et doulce
jouvence.» Quand ce bon mary eut finé sa parolle, la belle, doulce et
debonnaire sa femme, la face rosée, se print à trembler quand deut
donner responses aux requestes que son espoux luy avoit faictes. Ne
demoura guères, toutesfoiz, que la rougeur s'evanuyt, et print
asseurance, en fermant et appuyant son courage de constance; et en ceste
manière causa sa gracieuse response, combien que voix tremblant la
pronunçast: «Mon doulx et tresamé mary, je vous asseure qu'onques ne fuz
si espoventée, si troublée et evanuye de mon entendement, que j'ay esté
presentement par voz parolles, quand elles m'ont donné la congoissance
de ce que oncques je n'oiz ne aprins, voirement qu'oncques n'euz telle
presumption que d'y penser. Et aultre opinion ou supposition ne puis de
vous avoir fors que me querez et contendez traveiller et tenser, car
vous cognoissez ma simplesse, jeunesse et innocence, qui est pour vous,
ce me semble, non pas moins delict, mais tresgrand: certainement il
n'est point possible à mon eage de faire ou pourpenser un tel meschief
ou defaulte. Vous m'avez dit que vous estes seur et savez vraiment que,
vous absent, je ne me pourroye contenir ne garder l'entiereté de nostre
mariage. Ceste parolle me tormente fort le courage, et me fait trembler
toute, et ne sçay quelle chose je doye maintenant dire, respondre, ne
proposer à voz raisons, ainsi m'avez tollu et privé l'usage de parler.
Je vous diray toutesfoiz ung mot qui viendra de la profondesse de mon
cueur, et en telle manière qu'il gist vuidera il de ma bouche: Je
requier treshumblement à Dieu et à joinctes mains luy prie qu'il face et
commende ung abysme ouvrir où je soye gectée, les membres tous erachez,
et tourmentée de mort cruelle, si jamais le jour vient où je doye non
seullement commectre desloyauté en nostre mariage, mais sans plus en
avoir une brève pensée de le commettre; et comment ne par quelle
manière ung tel delict me pourroit advenir, je ne le sçaroye entendre.
Et pource que m'avez forclos et seclus de telles manières de respondre,
disant que les femmes sont coustumières d'en user pour trouver leurs
eschappatoires et alibiz forains, affin de vous faire plaisir et donner
repos à vostre ymaginacion, et que voiez que à voz commendemens je suis
preste d'obeir, garder et maintenir, je vous promectz de ceste heure, de
courage ferme, arresté et estable opinion, d'attendre le jour de vostre
revenue en vraie, pure et entière chasteté de mon corps; et si que Dieu
ne veille il advient le contraire, tenez vous tout asseur, et je le vous
promectz, je tiendray la règle et doctrine que m'avez donnée en tout ce
que je feray, sans la trespasser aucunement. S'il y a aultre chose dont
vostre courage soit chargé, je vous prie, descouvrez tout et me
commendez faire et accomplir vostre bon desir; aultre rien ne desire que
de conjoindre noz deux vouloirs en ung, et de faire le vostre, non pas
le mien.» Nostre marchant, oye la response de sa femme, fut tant joyeux
qu'il ne se pouvoit contenir de plorer, disant: «Ma chère espouse,
puisque vostre doulce bonté m'a voulu faire la promesse que j'ay requis,
je vous prie que l'entretenez.» Le lendemain bien matin, le bon marchant
fut mandé de ses compaignons pour entrer en la mer; si print congé de sa
femme, et elle le commenda à la garde de Dieu, puis monta en la mer.
Lors se misrent à cheminer et navyer vers Alixandrie, où ilz parvindrent
en brefs jours, tant leur fut le vent propice et convenable, ou quel
lieu s'arrestèrent longue espace de temps, tant pour delivrer leurs
marchandises comme pour en charger de nouvelles. Pendant et durant
lequel temps, la trèsgente et gracieuse damoiselle dont j'ai parlé
demoura garde de l'ostel, et pour toute compaignie n'avoit que une
petite jeune fillette qui la servoit. Et, comme j'ay dit, ceste belle
damoiselle n'avoit que quinze ans, pour quoy, si aucune faulte fist, il
semble qu'on ne le doit pas tant imputer à malice comme à la fragilité
de son jeune eage. Comme doncques le marchant eust jà pluseurs jours
esté absent des doulx yeulx d'elle, pou à pou il fut mys en obly. Et
pour ce que sa doulceur, beaulté et gracieuseté singuliers estoient
cogneues par toute la cité de longtemps, si tost que les jeunes gens
sceurent du departement de son mary, ilz la vindrent visiter, laquelle
au premier ne vouloit vuyder de sa maison ne soy monstrer; mais
toutesfoiz, par force de continuacion et frequentacion quotidienne, pour
le grand plaisir qu'elle print aux doulx et melodieux chans et armonie
d'instrumens dont l'on jouoit à son huys, elle s'avança de venir veoir
et regarder par les crevaces des fenestres et secretz treilliz
d'icelles, par lesquelles povoit trèsbien veoir ceulx qui l'eussent plus
voluntiers veue. En escoutant les chansons et dances, prenoit à la foiz
si grand plaisir que amours esmouvoit son courage tellement que chaleur
naturelle souvent l'induisoit à briser sa continence. Tant souvent fut
visitée en la manière dessus dicte, qu'en la fin sa concupiscence et
desir charnel la vaincquirent, et fut du dart amoureux bien avant
touchée; et comme elle pensast souvent comment elle avoit, si à elle ne
tenoit, si bonne habitude et opportunité de temps et de lieu, car nul ne
la gardoit, nul ne luy donnoit empeschement pour mectre à execution son
desir, conclut et dist que son mary estoit trèssage quand si bien luy
avoit acertené que garder ne se pourroit en continence et chasteté, de
qui toutesfoiz elle vouloit garder et tenir la doctrine, et avecques ce
la promesse que faicte luy avoit. «Or me convient-il, dist elle, user du
conseil de mon mary; en quoy faisant, je ne puis encourir crime aucun ne
deshonneur, puis qu'il m'en a baillé la licence, mais que je n'excède
les termes de la promesse que j'ay fait. Il m'est advis et il est vray
qu'il me chargea, quand le cas adviendrait que rompre me conviendroit ma
chasteté, que je eleusse homme qui fust sage, bien renommé et de grand
vertu, et non aultre. En bonne foy, ainsi feray-je, mais que je puisse;
en non trespasser le conseil de mon mary il me souffist largement. Et je
tiens qu'il n'entendoit point que l'homme deust estre ancien, ains,
comme il me semble, qu'il fust jeune, ayant autant de renommée en
clergie et science qu'ung veil; telle fut la lecçon, ce m'est advis.» Es
mesmes jours que se faisoient ces argumentacions pour la partie de
nostre belle damoiselle, et qu'elle queroit ung sage jeune homme pour
luy refroider les entrailles, ung trèssage jeune clerc arriva de son eur
en la cité, qui venoit freschement de l'université de Bouloigne la
crasse, où il avoit esté plusieurs ans sans retourner. Tant avoit vacqué
et donné son entente à l'estude, que en tout le pays n'y avoit clerc de
plus grant renommée; tous les magistratz et gouverneurs de la cité luy
assistoient continuellement, et avecques aultres gens que grans clercs
ne se trouvoit. Il avoit de coustume depuis sa venue, et jamais ne
failloit, d'aller chacun jour sur le marché, à l'ostel de la ville, et
au lieu où le parlement se faisoit, pour plaider les causes de pluseurs,
se rendoit; or estoit sa droicte voie de son hostel au dit marché la rue
où la maison de cele damoiselle estoit située et assise, et jamais ne
povoit passer que par devant l'huys d'icelle maison, puis qu'il prenoit
son chemin par la dicte rue. Il n'y avoit point passé cent foiz qu'il
fut choisy et noté, et pleut trèsbien sa doulce manière et gravité à la
damoiselle. Et combien qu'elle ne l'eust oncques veu exercer les faiz de
clergie, toutesfoiz jugea elle tantost qu'il estoit trèsgrand clerc,
mesmement qu'elle l'oyoit priser et renommer pour le plus sage de toute
la cité. Auxquelz moyens elle le commença à desirer et ficha toute son
amour en luy, disant qu'il seroit celuy, si à luy ne tenoit, qui luy
feroit garder la lecçon de son mary; mais par quelle fàcon elle luy
pourroit monstrer son grand et ardent amour et ouvrir le secret desir de
son courage, elle ne savoit, dont elle estoit trèsdesplaisante. Elle
s'advisa neantmains que, pource que chacun jour ne falloit point de
passer devant son huys, allant au marché, elle se mettroit au perron,
parée le plus gentement qu'elle pourroit, affin que au passer, quand il
gecteroit son regard sur sa beaulté, il la convoitast et requist de ce
dont on ne luy feroit refus. Pluseurs fois la damoiselle se monstra;
combien que ce ne fust au paravant sa coustume, et jasoit ce que
trèsplaisante fust et telle pour qui ung jeune courage devoit tantost
estre esprins et alumé d'amours, toutesfoiz le sage clerc jamais ne
l'apperceut, car il marchoit si gracieusement qu'il ne gectoit sa veue
ne çà ne là. Et par ce moien la bonne damoiselle ne prouffita rien en la
façon qu'elle avoit pourpensée et advisé. S'elle fut dolente et
desplaisante, jà n'est mestier d'en faire enqueste, et plus pensoit à
son clerc, et plus alumoit et esprenoit son feu. A fin de pièce, après
ung tas d'ymaginacions que pour abreger je passe, conclut et determina
d'envoier sa petite meschinette devers luy. Si la hucha et commenda
qu'elle s'en allast demander la maison d'un tel, c'est assavoir de ce
grand clerc, et quand elle l'aroit trouvé, où qu'il fust, luy dist que
le plus en haste qu'il pourroit venist à l'ostel d'une telle damoiselle,
espouse d'un tel; et que s'il demandoit quelle chose il plairoit à la
damoiselle, elle luy respondist que rien n'en savoit, mais tant
seulement qu'elle lui avoit dit qu'il estoit grand necessité qu'il
venist. La fillette mist en sa memoire les motz de sa charge, et se
partit pour querir celuy qu'elle trouva; ne demoura guères que l'en luy
enseigna la maison où il mengeoit au disner, en une grande compaignie de
ses amys et aultres gens de grant façon. Ceste fillette entra ens, et en
saluant la compaignie s'adressa au clerc qu'elle queroit; et oyans tous
ceulx de la table, luy fist son message bien et sagement, ainsi que sa
charge le portoit. Le bon seigneur, qui cognoissoit de sa jeunesse le
marchant dont la fillette luy parloit, et sa maison, mais ignorant qu'il
fust marié ne qui fust sa femme, pensa tantost que, pour l'absence du
dit marchant, sa dicte femme le demandoit pour estre conseillée en
aucune grosse cause, comme elle vouloit; mais ne l'entendoit-il comme
elle. Il respondit à la fillette: «M'amye, allez dire à vostre
maistresse que incontinent que nostre disner sera achevé, je iray vers
elle.» La messagère fist la response telle qu'il failloit et qu'on luy
avoit dit, et Dieu sçait s'elle fut joyeusement recueillie de la
marchande, que pour sa grand joye et ardent desir qu'elle avoit de tenir
son clerc en sa maison, trembloit et ne savoit tenir manière. Elle fist
baloiz courre par tout, espandre la belle herbe vert partout en sa
chambre, couvrir le lit et la couchette, desployer riches couvertes,
tappiz et courtines, et se para et atourna des meilleurs atours et plus
precieux qu'elle eust. En ce point l'attendit aucun petit de temps, qui
luy sembla long à merveilles, pour le grand desir qu'elle avoit. Tant
fut desiré et attendu qu'il vint; et ainsi que elle l'appercevoit venir
de loing, montoit et descendoit de sa chambre, aloit et venoit
maintenant cy, maintenant là, tant estoit esmeue qu'il sembloit qu'elle
fust ravye de son sens. En fin monta en sa chambre, et illec prepara et
ordonna les bagues et joyaulx qu'elle avoit attains et mis dehors pour
festoier et recevoir son amoureux. Si fist demourer en bas la fillette
chambrière pour l'introduire et le mener où estoit sa maistresse. Quant
il fut arrivé, la fillette le receut gracieusement, le mist ens et ferma
l'huys, laissant tous ses serviteurs dehors, aux quelz il fut dit qu'ilz
attendissent illec leur maistre. La damoiselle, oyant son amoureux estre
arrivé, ne se peut tenir de venir en bas à l'encontre de luy, qu'elle
salua doucement, le print par la main et le mena en la chambre qui luy
estoit appareillée, et où il fut bien esbahy quand il s'i trouva, tant
pour la diversité des paremens, belles et precieuses ordonnances qui y
estoient, comme aussi pour la trèsgrande beaulté de celle qui le menoit.
Si tost qu'il fut en la chambre entré, elle se seyt sur une scabelle,
auprès de la couchette, puis le feist asseoir sur une aultre joignant
d'elle, où ilz furent aucune espace tous deux sans mot dire, car chascun
attendoit tousjours la parole de son compaignon, l'un en une manière,
l'autre en l'autre: car le clerc, cuidant que elle luy deust ouvrir
quelque matière grosse et difficile, la vouloit laisser commencer; et
elle, d'aultre costé, pensant qu'il fust si sage que, sans luy declarer
ne monstrer plus avant, il dust entendre pour quoy elle l'avoit mandé.
Quand elle vit que manière ne faisoit pour parler, elle commença et
dist: «Mon trèscher parfait amy et trèssage homme, je vous diray
presentement quoy et la cause qui m'a meue à vous mander. Je cuide que
vous avez bonne cognoissance et familiarité avec mon mary; en l'estat
que vous me voyez icy m'a il laissée et abandonnée pour mener ses
marchandises ès parties d'Alixandrie, ainsi qu'il a de long temps
accoustumé. Avant son partement me dist que quand il seroit absent, il
se tenoit tout seur que ma nature me contraindroit à briser ma
continence, et que par necessité me conviendroit à converser avec homme.
En bonne foy, je le repute ung trèssage homme, car de ce qu'il me
sembloit adonc impossible advenir, j'en voy l'experience veritable, car
mon jeune eage, ma beaulté, mes tendres ans, ne pevent souffrir que le
temps despende et consume ainsi mes jours en vain; ma nature aussi ne se
pourroit contenter. Et affin que vous m'entendez bien à plain, mon sage
et bien advisé mary, qui avoit regart à mon cas, quand il se partit, en
plus grande diligence que moy mesmes, voyant que comme les jeunes et
tendres fleurettes se seichent et amatissent quand aucun petit accident
leur survient, et contre l'ordonnance et inclinacion naturelle, par
telle manière consideroit il ce qu'il m'estoit à advenir. Et voyant
clèrement que se ma complexion et condicion n'estoient gouvernées selon
l'exigence de leurs naturelz principes, guères ne luy pourroye durer, si
me fist jurer et promettre que quand il adviendroit ainsi que ma nature
me forceroit à rompre et briser mon entièreté, je eleusse ung homme sage
et de haulte auctorité, qui couvert et subtil fust à garder nostre
secret. Si est il que en toute la cité je n'ay sceu penser homme qui
soit plus ydoine que vous, car vous estes jeune et sage. Or m'est il
advis que ne me reffuserez pas ne rebouterez. Vous voiez quelle je suis,
et si povez l'absence de mon bon mary supplier, car nul n'en sara
parler; le lieu, le temps, toute opportunité nous favorisent.» Le bon
seigneur, prevenu et anticipé, fut tout esbahy en son courage, combien
que semblant n'en feist. Il prit la main dextre à la damoiselle, et de
joyeux viaire et plaisante chère dist ces parolles: «Je doy bien donner
et rendre graces infinies à madame Fortune, qui aujourd'uy me donne tant
d'eur et me fait percevoir le fruit du plus grand desir que je povoye au
monde avoir; jamais infortuné ne me veil reputer ne clamer quand en elle
treuve si large bonté. Je puis seurement dire que je suis aujourd'uy le
plus eureux de tous les aultres, car quand je conçoy en moy, ma
trèsbelle et doulce amye, comment ensemble passerons nos jeunes jours
joyeusement sans que personne s'en puist donner garde, je sengloutiz de
joye. Où est maintenant homme qui est plus amy de Fortune que moy? Se ne
fust une seule chose qui me donne ung petit et legier empeschement à
mectre à excecucion ce dont la dilacion aigrement me poise et desplaist,
je seroye le plus et mieulx fortuné de ce monde.» Quand la damoiselle
oyt qu'il y avoit aulcun empeschement qui ne lui laissoit desployer ses
armes, elle trèsdolente lui pria qu'il le declairast, pour y remedier
s'elle povoit. «L'empeschement, dist il, n'est point si grand qu'en
petit de temps n'en soie delivré; et, puis qu'il plaist à vostre
doulceur le sçavoir, je le vous diray. Ou temps que j'estoie à l'estude
à l'université de Boulongne la crasse, le peuple de la cité fut seduit
et meu tellement que par mutemacque se leva encontre le seigneur; si fuz
accusé avec les aultres, mes compaignons, d'avoir esté cause et moyen de
la sedicion, pour quoy je fus mis en prison estroicte, ou quel lieu,
quant je m'y trouvay, craignant perdre la vie, pource que je me sentoye
innocent du cas, je me donnay et voué à Dieu, lui promettant que, s'il
me delivroit des prisons et rendoit icy entre mes parens et amys, je
jeusneroye pour l'amour de lui ung an entier, chascun jour au pain et à
l'eaue, et durant ceste abstinence ne feroye peché de mon corps. Or ay
je par son ayde fait la plus part de l'année, et ne m'en reste guères.
Je vous prie et requier toutesfoiz, puis que vostre plaisir a esté moy
elire pour vostre, que ne me changez pour autre, et ne vous veille
ennuyer le petit delay que je vous donneray pour paracomplir mon
abstinence, qui sera bref faicte, et qui pieçà eust esté faicte se je me
eusse ozé fyer en aultry qui m'en eust peu donner aide, car je suis
quitte de chacune jeusne que ung autre feroit pour moy comme se je le
faisoye. Et pource que je perçoy vostre grande amour et confiance que
vous avez fiché en moy, je mettray, s'il vous plaist, la fiance en vous
que jamais n'ay ozé mettre en frères ne amis que j'aye, doubtant que
faulte ne me feissent touchant la jeusne; et vous prieray que m'aidez à
jeusner une partie des jours qui restent à l'acomplissement de mon an,
affin que plus bref je vous puisse secourir en la gracieuse requeste que
m'avez faicte. M'amye doulce et entière, je n'ay mais que soixante
jours, lesquelz, se c'est vostre plaisir, je partiray en deux parties.
Vous en aurez l'une et moy l'aultre, par telle condicion que sans fraude
me promettrez m'en acquitter justement; et quant ilz seront acomplis,
nous passerons plaisamment noz jours. Doncques, si vous avez la volunté
de moy aider en la manière que j'ay dessus dit, dictes le moy
maintenant.» Il est à supposer que la grande et longue espace de temps
ne luy pleut guères; mais, pource qu'elle estoit si doulcement requise
et qu'elle desiroit le jeusne estre parfaict et finé, pensant aussi que
trente jours n'aresteroient guères, elle promist de les faire et
acomplir sans fraulde ne sans deception ne mal engin. Le bon seigneur,
voyant qu'il avoit gaigné sa cause, print congié de la damoiselle, luy
disant que, puis que sa voie et chemyn estoit, en venant de sa maison au
marché, de passer devant son huys, il la viendroit souvent visiter.
Ainsi se partit; et la belle dame commença le lendemain à faire son
abstinence, en prenant règle et ordonnance que durant le temps de son
jeune ne mengeroit son pain et son eaue jusques après soleil couché.
Quand elle eut jeuné trois jours, le sage clerc, ainsi qu'il alloit au
marché à l'heure qu'il avoit acoustumé, vint veoir sa dame, à qui se
devisa longuement; puis, au dire adieu, lui demanda si le jeune estoit
encommencé; et elle respondit que oy. «Entretenez vous ainsi, dist il,
et gardez la promesse que m'avez faicte.--Tout entièrement, dit elle; ne
vous en doubtez.» Il print congé et se partit, et elle, poursuyvant de
jour en jour en son jeune, gardoit l'observance en la façon que promis
l'avoit, tant estoit de loyale et bonne nature. Elle n'avoit pas jeuné
huit jours que sa chaleur naturelle commença fort à refroider, et
tellement que force luy fut de changer habillemens, car les mieulx
fourrés et empanés, qui ne servoient qu'en yver, vindrent servir au lieu
des sangles et tendres qu'elle portoit avant l'abstinence entreprinse.
Au quinziesme jour fut arrière visitée de son amoureux le clerc, qui la
trouva si foible que à grand paine povoit elle aller par la maison; et
la bonne simplette ne se savoit donner garde de la tromperie, tant
s'estoit donnée à amours et mis son entente à perseverer à cel jeune,
pour le joyeux et plaisant delict qu'elle attendoit seurement avoir avec
son grand clerc, lequel, quand à l'entrer en la maison la vit ainsi
foible, luy dist: «Quel viaire est ce là et comment marchez vous?
Maintenant j'aperçoy que avez besoigné l'abstinence et comment. Ma
trèsdoulce et seule amye, aiez ferme et constant courage; nous avons
aujourd'huy achevé la moitié de nostre jeusne. Si vostre nature est
foible, vaincquez la par roiddeur et constance de cueur, et ne rompez
vostre loyale promesse.» Il l'ammonesta si doulcement qu'il luy fist
prendre courage par telle façon qu'il luy sembloit bien que les aultres
quinze jours qui restoient ne luy dureroient guères. Le xxve vint,
auquel la simplette avoit perdue toute couleur et sembloit à demi morte,
et ne luy estoit plus le desir si grand qu'il avoit esté. Il luy convint
prendre le lict et y continuellement demourer, où elle se donna
aucunement garde que son clerc luy faisoit faire l'abstinence pour
chastier son desir charnel; si jugea que manière et façon de faire
estoient sagement advisées, et ne povoient venir que d'homme bien sage.
Toutesfoiz, ce ne la demeut point ne destourna qu'elle ne fust deliberée
et arrestée d'entretenir sa promesse. Au penultime jour, elle envoya
querir son clerc, qui, quand il la vit couchée au lict, demanda si pour
ung seul jour qui restoit avoit perdu courage; et elle, interrumpent sa
parole, luy respondit: «Ha! mon bon amy, vous m'avez parfectement et de
bonne amour amée, non pas deshonnestement, comme j'avoie presumé de
vous amer; pour quoy je vous tien et tiendray, tant que Dieu me donnera
vie, mon trèschier et trèssingulier amy, qui avez gardé et moy aprins et
enseigné à garder mon entière chasteté et ma chaste entièreté, l'onneur
et la bonne renommée de moy, mon mary, mes parens et amys. Beneist soit
mon cher espoux, de qui j'ay gardé et entretenu la leçon qui donne grand
appaisement à mon cueur! Or çà, mon vray amy, je vous rends telles
graces et remercie comme je puis du grand honneur et bien que m'avez
faiz, pour lesquelx je ne vous saroie rendre ne donner suffisantes
graces, non feroit mon mary, mes parens, ne tous mes amys.» Le bon et
sage seigneur, voyant son entreprise estre bien achevée, print congé de
la bonne damoiselle, et doulcement l'amonnesta qu'il luy souvint
desoremais de chastier sa nature par abstinence et toutes les foiz
qu'elle s'en sentiroit aguillonnée, par le quel moien elle demoura
entière jusques au retour de son mary, qui ne sceut rien de l'adventure,
car elle luy cela; si fist le clerc pareillement.

[Décoration]




NOTES.


TOME I.

P. xxj. Dans le manuscrit, la dédicace suit la table; mais j'ai adopté
de préférence l'ordre des éditions imprimées.

P. xxij. _De Dijon_, etc. Cette date, qui me paroît une erreur évidente,
est reproduite très exactement d'après le manuscrit; mais elle est d'une
écriture un peu plus récente que celle du manuscrit lui-même, et d'une
encre plus pâle. L'édition de Verard ne donne pas de date, mais
l'éditeur (sans doute) a ajouté à la dédicace les mots: _Et notez que
par toutes les nouvelles où il est dit par monseigneur, il est entendu
par monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succédé à la couronne, et
est le roy Loys unsiesme, car il estoit lors ès pays du duc de
Bourgoingne._ Voyez ce que j'ai dit à ce sujet dans l'Introduction.

P. xxvj. _La dousiesme nouvelle._ Il manque ici au manuscrit un cahier
de quatre feuillets qui contenoit les titres des nouvelles 12e à 96e
inclusivement; j'ai suppléé cette lacune d'après l'édition de Verard.

P. 1. _La première nouvelle._ Ce conte se trouve dans un fabliau
probablement du treizième siècle, intitulé _Des deux changeors_, et
imprimé dans la collection de Barbazan, t. III, p. 254, et aussi dans le
Pecorone, nov. 11. Brantôme, dans ses _Dames galantes_, le raconte comme
une aventure qui étoit véritablement arrivée à Louis, duc d'Orléans, et
à sa maîtresse Mariette d'Enghien, mère du bâtard comte de Dunois.

P. 6, l. 3. _Serure._ Le manuscrit lit _ceruse_, qui n'est probablement
qu'une erreur de l'écrivain.

P. 8, l. 12. _Meiser._ _Penser_, Verard.

P. 9. _La secunde nouvelle._ On ne trouve ce conte dans aucun ouvrage
plus ancien que _Les Cent Nouvelles nouvelles_; mais Malespini l'a imité
dans les _Ducento Novelle_, nov. 37.

P. 16. _La troysiesme nouvelle._ Imitée des _Facéties_ de Pogge, p. 64,
édit. de 1798. Ce conte a été reproduit souvent sous différentes formes
par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.--_Monseigneur de
la Roche._ Philippe Pot, seigneur de la Roche de Nolay, un des plus
intimes et plus fidèles conseillers de Philippe le Bon et de son fils
Charles le Téméraire, ducs de Bourgogne. En 1449, on le trouve nommé
comme un des échansons du duc Philippe. Plus tard, il avoit l'office de
chambellan dans la maison de Bourgogne, sous lequel titre il est
mentionné dans un compte de l'année 1457, et il le tenoit encore en
1474. En 1466, Charles le Téméraire lui a donné l'office de capitaine
de Lille, et il tenoit en même temps la capitainerie de Douai et
d'Orchies. En 1470, le seigneur de la Roche reçut du duc Charles la
charge de grand maître d'hôtel et chambellan de Bourgogne. Après la mort
de son bienfaiteur, il entra dans la faveur de Louis XI, qui le nomma
grand sénéchal de Bourgogne en 1477. Il est mort vers l'année 1498.

P. 26. _La quarte nouvelle._ Ce conte et les trois suivants se trouvent
pour la première fois dans _Les Cent Nouvelles nouvelles_.

P. 29, l. 15. _Sainct Trignan._ Sainct _Engnan_, Verard.

P. 32. _Philipe de Loan._ Cet individu est mentionné sous le titre
d'écuyer d'écurie du duc Philippe le Bon, en 1461, dans un manuscrit de
la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n. 6702. Verard a toujours
changé ce nom en Philippe de _Laon_.

P. 32, l. _1. Monseigneur Talelot._ _Thalebot_, Verard. C'étoit le
célèbre guerrier, sir John Talbot, créé comte de Shrewsbury en 1441. Ses
beaux faits d'armes faisoient la merveille du quinzième siècle. Il fut
défait et fait prisonnier par Jeanne d'Arc à Patai en 1429, et tué à
Châtillon le 20 juillet 1453, à l'âge de quatre-vingts ans.

P. 32, l. 2. _Si preux, si vaillant, et aux armes._ Ces mots sont omis
dans le texte de Verard, qui n'approuvoit pas, sans doute, l'éloge qu'un
Bourguignon faisoit de l'ennemi de la France.

P. 33, l. 1. _Couroye._ _A sa ceinture_, Verard.

P. 36, ll. 16 et 28. _Ciboire._ _Tabernacle_, Verard. Le dernier mot est
tout simplement une traduction de l'autre. On seroit porté à croire que
le mot _ciboire_ n'étoit plus en usage général à Paris.

P. 38. _Par monseigneur de Launoy._ Le nom de Jean de Launoy (ou Lannoy)
est assez connu dans l'histoire de Bourgogne. En 1451, il fut créé
chevalier de la toison d'or, et nous le trouvons plus tard gouverneur de
Lille. Il paroît avoir secrètement servi les intérêts de Louis XI, et sa
trahison étoit devenue si évidente, qu'en 1464 il fut obligé de se
sauver en France, tandis que le comte de Charolois s'empara de son
château. Durant le règne de Charles le Téméraire, il étoit en complète
disgrâce à la cour de Bourgogne; mais après la mort de ce prince il
reprit une grande influence en Bourgogne. Il n'est mort qu'en 1481.

P. 39, l. 3. _Maistre curé._ Ici et dans la suite, le texte de Verard a
toujours substitué le mot _prieur_ au mot _curé_.

P. 41, l. 7. _Mesmes._ _Au mains_, Verard.

P. 43, l. 4. _Feste._ _Foire_, Verard.

P. 43, l. 4. _Feste de Lendit et d'Envers._ La célèbre foire tenue à
Saint-Denis dans le mois de juin.

P. 46. _La huitiesme nouvelle._ Cette nouvelle, qui est l'origine des
_Aveux indiscrets_, de la Fontaine, est imitée des _Facéties_ de Pogge,
p. 165 de l'édition de 1798.

P. 50. _La neufiesme nouvelle._ Ce conte étoit assez populaire dans le
moyen âge, et se trouve dans des ouvrages bien antérieurs à la date des
_Cent Nouvelles nouvelles_, comme le fabliau du _Meunier d'Aleu_ par le
trouvère Enguerrand d'Oisi, le _Décameron_ de Boccace, où il forme la 4e
nouvelle de la 8e journée, et les _Facéties_ de Pogge, p. 248. Les
imitations modernes en sont nombreuses. C'est _Les Quiproquos_ de la
Fontaine.

P. 56. _La dixiesme nouvelle._ Imitée par la Fontaine et par d'autres
conteurs; mais on ne la trouve dans aucun recueil antérieur aux _Cent
Nouvelles nouvelles_.Verard a changé beaucoup le texte de cette nouvelle
et de la suivante.

P. 61. _La onziesme nouvelle._ Imitée d'après Pogge, _Facéties_, p. 141.
C'est le conte bien connu de _L'Anneau d'Hans Carvel_, de Rabelais.

P. 62, l. 21. _Des fantaisies et pensées._ C'est la leçon de Verard. Le
manuscrit ne donne qu'un mot, que je n'ai pas pu déchiffrer d'une
manière satisfaisante, mais qui ressemble à _ermons_.

P. 63. _La douziesme nouvelle._ Ce conte se trouve dans les _Cento
Novelle antiche_ et dans Pogge. Les imitations modernes sont très
nombreuses.

P. 67. _Monseigneur de Castregat._ _Par monseigneur l'amant de
Brucelles_, Verard. Jean d'Enghien, sieur de Kessergat, étoit
maître-d'hôtel de duc de Bourgogne en 1461. Il tenoit en même temps
l'office de chambellan. Il étoit amann (une charge municipale) de
Bruxelles.

P. 67, l. 8. _Procureur en Parlement._ L'auteur des _Cent Nouvelles
nouvelles_ supposoit que le Parlement de Londres étoit une institution
semblable à celui de Paris.

P. 68, l. 14. _Malebouche... Dangier._ Personnages du Roman de la Rose.

P. 73. _La quatorzième nouvelle._ La 2e nouvelle de la 4e journée du
_Décameron_ de Boccace. C'est le conte de _L'Ermite_ de la Fontaine.

P. 73. _Monseigneur de Créquy._ Jean, seigneur de Créquy, de Canaples et
de Tressin, fut élu chevalier de la Toison d'or lors de la fondation de
cet ordre en janvier 1431. A la mort de Philippe le Bon, Jean de Créquy
étoit un des douze seigneurs choisis pour porter son corps. Ce fut lui
qui, en 1469, introduisit auprès du duc Charles le Téméraire les
ambassadeurs de Louis XI.

P. 74, ll. 9 et 13. _Ung soir... se trouva._ _Ung soir, environ la
mynuyt, qu'il faisoit fort et rude temps, il descendit de sa montaigne
et vint à ce village, et tant passa de voyes et sentiers que à l'environ
de la mère et la fille sans estre oiseux se trouva_, Verard. Un bon
exemple des corruptions que Verard introduisit dans le texte de son
édition.

P. 75, l. 11. _Reclusage._ _Hermitaige_, Verard.

P. 76, l. 17. _Et pitié._ Le texte de Verard ajoute: _Et la povre fille
aussi plouroit, quand elle véoit ce bon et sainct hermite en si grande
dévocion prier et ne sçavoit pourquoy._ En comparant les deux textes, on
trouvera plusieurs additions semblables, qu'on y a mises probablement
dans l'idée de rendre le récit plus piquant.

P. 77, l. 15. _Crochette._ _Potense_, Verard.

P. 84. _La seiziesme nouvelle._ Un des contes les plus populaires du
vieux temps, et qui a eu le plus grand nombre d'imitateurs. On le trouve
dans la _Disciplina clericalis_ de Pierre Alfonse, dans les _Gesta
Romanorum_, dans les _Fabulæ Adolphi_ publiées par Leyser, et dans
Boccace. Les imitations modernes sont innombrables.

P. 85, l. 15. _Perusse._ _Prusse_, Verard. Les Chevaliers de l'ordre
Teutonique, en Prusse, étoient toujours en guerre contre les infidèles.

P. 92, l. 13. _Thamisoit de la fleur._ _Buletoit de la farine_, Verard.

P. 101. _La dix-neuviesme nouvelle._ Ce conte se trouve assez souvent
répété dans les manuscrits du moyen âge. Il forme le sujet d'un fabliau
publié par Barbazan, tom. III, p. 215, _De l'enfant qui fu remis au
soleil._

P. 101. _Philipe Vignier._ Philippe Vignier est nommé parmi les valets
de chambre de Philippe le Bon sous la date de 1451. Voyez les _Mémoires
pour servir à l'Histoire de France et de Bourgogne_, p. 225.

P. 106. _La vingtiesme nouvelle._ Ce conte ressemble un peu à une des
_Facéties_ de Pogge, _Priapi vis,_ p. 118 de l'édition de 1798.

P. 114. _La vingt-uniesme nouvelle._ Le conte de _L'Abbesse guérie_ de
la Fontaine, liv. IV, conte 2.

P. 120. _Caron._ G. Chastelain, dans ses _Chroniques de Bourgogne_, 3e
partie, ch. 73, appelle Caron «le clerc de chappelle» de Philippe le
Bon.

P. 121, l. 17. _Sourdantes._ C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit
_soudaines_, une erreur évidente.

P. 125. _La vingt-troisiesme nouvelle._ Imitation du fabliau _De celui
qui vota la pierre_, imprimé dans la collection de Méon, t. I, p. 307.
Ce conte a été souvent reproduit par les conteurs des seizième et
dix-septième siècles.

P. 125. _Monseigneur de Quievrain._ _Monseigneur de Commesuram_, Verard.

P. 125, l. 19. _Le servir de landes, Dieu scet, largement._ _Le servir
d'aubades assez largement_, Verard.

P. 127, ll. 23-25. _E de ce cas... de léans. Or est-il vray que là
present y estoit ung jeune enfant de environ deux ans, filz de léans_,
Verard. J'aurais peut-être dû admettre dans le texte la leçon de Verard.

P. 128, l. 2. _Approucha._ C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit,
_il apperceu de la raye_.

P. 128, l. 2. _Monseigneur de Fiennes._ Thibaut de Luxembourg, seigneur
de Fiennes, étoit un des chevaliers qui accompagnoient le comte de
Charolois à Lille en 1466. Vers la fin de sa vie, il devint
ecclésiastique, et mourut, en 1477, évêque du Mans.

P. 134. _Philipe de Saint Yon._ Peut-être le fils de Garnot de
Saint-Yon, qui étoit un des officiers de la maison du duc Jean
Sans-Peur.

P. 135, l. 13. _Larrier._ _Levrier_, Verard.

P. 136, ll. 10, 12, 22. _Duyere._ _Terrier_, Verard.

P. 137. _Monseigneur de Foquessoles._ G. Chastelain parle d'un bailli de
Fouquerolles, en 1419, qui étoit peut-être le père de notre conteur.

P. 140, l. 24. _L'abbayt._ _Sans passer grans langaiges_. Verard.

P. 151, l. 9. _Mestrier_, leçon de Verard; _mestre_. dans le manuscrit.

P. 154, l. 7. _Tendreur._ J'ai adopté la leçon de Verard; le manuscrit
lit _teneur_.

P. 157. _Monseigneur de Beauvoir._ Jean de Montespedon, seigneur de
Beauvoir, écuyer, conseiller, et premier valet de chambre de Louis XI,
dont il étoit partisan avant son accession au trône.

P. 160, l. 20. _Queues._ _Traynées_, Verard.

P. 166. _Messire Michault de Changy._ Michault de Changy étoit
conseiller du grand conseil, chambellan, premier écuyer tranchant, puis
premier maître d'hôtel des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire.

P. 166, l. 22. _Boccace._ L'ouvrage de Boccace auquel il est fait
allusion ici est le livre latin _De Casibus virorum illustrium_, dont il
existoit déjà des traductions françoises.

P. 173, l. 17. _Boulevars, bailles. Bellèvres, baublières_, Verard.

P. 177, l. 12. _La ville de Chambery._ Le nom de la ville manque dans le
texte de Verard.

P. 183. _Monseigneur de la Barre._ Une faute d'impression. Lisez
_Barde._ Jean d'Estecer, seigneur de la Barde, étoit compagnon d'exil du
Dauphin de France, et conserva sa faveur lorsqu'il fut roi. En 1462, il
fut envoyé par Louis XI comme son ambassadeur à la cour d'Angleterre.

P. 184, l. 29. _Courre. Coucher_, Verard.

P. 192. _La trente-deuxiesme nouvelle._ Ce conte se trouve dans Pogge
(_Facetiæ_, p. 163, _decimæ_), et dans La Fontaine, liv. II, conte 3.
L'auteur des _Cent Nouvelles nouvelles_ l'a pris sans doute du premier
de ces conteurs.

P. 192. _Monseigneur de Villiers._ Ce doit être Antoine de Villiers,
premier écuyer du duc de Bourgogne, qui fut, à ce qu'on dit, un des
seigneurs qui formoient la cour du Dauphin à Genappe. En 1475, il fut un
des courtisans de Louis XI chargés de traiter les Anglois au camp devant
Amiens.

P. 192, l. 9. _La ville d'Ostellerie en Casteloigne._ _Hostelerie_,
Verard.

P. 205, l. 29. _Trop mieulx soulier à son pié._ _Trop mieulx garny au
pongnet_, Verard.

P. 218. _La trente-quatriesme nouvelle._ Ce conte est le sujet d'un
fabliau par un trouvère nommé Jean de Condé, publié dans la collection
de Méon, tom. I, p. 165, sous le titre: _Du Clerc qui fut repus deriere
l'escrin_. On en trouve plusieurs imitations aux XVIe et XVIIe siècles.

P. 221, l. 8. _Le survenu._ C'est la leçon de Verard que j'ai adoptée,
en place de celle du manuscrit, _souvenir_.

P. 232. _La trente-septiesme nouvelle._ Imitée par La Fontaine (liv. II,
conte 10), et reproduite assez souvent par les conteurs des seizième et
dix-septième siècles.

P. 232, l. 25. _Les Quinze Joyes de mariage._ Ouvrage célèbre d'Antoine
de la Sale; voyez mon Introduction.

P. 233, l. 6. _Qu'un follastre de sa massue._ _Que ung fol de sa
marote_, Verard.

P. 238. _La trente-huitiesme nouvelle._ On trouve ce conte dans Boccace
(_Décam._, journée VIIe, nov. 8), et dans un fabliau (voy. _Legrand
d'Aussy_, Fabl., tom. II, p. 340). L'origine se trouve dans les
collections de contes indiens.

P. 238. _Monseigneur de Loan._ _Monseigneur de Lau_, Verard.

P. 245. _Monseigneur de Saint Pol._ Louis de Luxembourg, comte de
Saint-Pol, fut créé connétable de France en 1465, et décapité par ordre
de Louis XI en 1475.

P. 254, l. 2. _Dedans la dicte cheminée._ _Dedens le bouhot de la dicte
cheminée_, Verard.

P. 256, l. 20. _Jaserant._ _Haubergon_, Verard. Cette variante, répétée
dans le courant de la nouvelle, nous feroit croire qu'entre la date de
la rédaction des _Cent Nouvelles nouvelles_ et celle de l'édition de
Verard, le _jaserant_, qui étoit une pièce d'armure plus légère que
l'_haubergeon_, avoit cessé d'être en usage.

P. 261. _Racomptée par Mériadech._ Les documents contemporains parlent
de Hervé de Mériadec au nombre des officiers de la maison de Bourgogne.
Selon la chronique de Jacques de La Laing, il avoit accompagné
l'expédition en Ecosse, et s'y étoit fait remarquer par ses exploits. En
1461, Louis XI lui donnoit le gouvernement de Tournai.

P. 283. _Monseigneur de Thieuges_, lisez _Thienges_. Thianges étoit la
seigneurie de Chrestien de Digoine, conseiller et chambellan de Philippe
le Bon. On le retrouvera dans les _Cent Nouvelles nouvelles_, cité comme
le conteur de la nouvelle LXVIII.

P. 286, l. 7. _Sa goune._ _Son manteau_, Verard.

P. 287. _La quarante-septiesme nouvelle._ On a prétendu que cette
aventure étoit arrivée à Grenoble, à Chaffrey Carles, président du
parlement, au commencement du seizième siècle; mais la date de la
nouvelle est évidemment trop ancienne pour que l'aventure de Chaffrey
ait pu en être l'origine.

P. 295. _Pierre David._ Cet individu n'est connu que par un compte de la
maison de Bourgogne, daté du 30 mai 1448, qui le porte aux appointements
de 12 sols par mois.

P. 301. _La cinquantiesme nouvelle._ On trouve l'origine de cette
nouvelle dans les _Facéties_ de Pogge et dans l'ancienne collection
italienne de Sacchetti, nov. XIV.

P. 301. _Monseigneur de la Salle._ Lisez, d'après le manuscrit, _la
Sale_; ce n'est qu'une faute d'impression. Voyez sur Antoine de la Sale
notre Introduction.

P. 301, l. 7. _Au pays de Lannoys._ Lannois, ou Lannoy, dans le
Beauvoisis.


TOME II.

P. 5. _L'acteur._ Probablement Antoine de la Sale. Voyez notre
Introduction.

P. 8. _La cinquante-deuxiesme nouvelle._ Se trouve dans la collection de
Sacchetti, nov. XVI, et dans les _Contes tartares_.

P. 14, l. 32. _Canonicque._ A ce mot, assez expressif, Verard a
substitué _cronique_.

P. 15, l. 2. _Deux advis._ _Trois advis_, Verard.

P. 15. _Monseigneur l'Amant de Bruxelles._ Voyez la note à la treizième
nouvelle, p. 255.

P. 15, l. 24. _L'église de Saincte Goule._ L'église principale de
Bruxelles est dédiée à sainte Gudule.

P. 17, l. 7. _Les amis de l'espousée la prennent et mainent._ _Sic_,
manuscrit. La leçon de Verard paroît préférable et plus en accord avec
ce qui suit: _Les amis de l'espousé prennent l'espousée et l'emmainent_.

P. 17, l. 24. _Sa faille._ _Ses atournements_, Verard. Il paroît que les
imprimeurs de Paris ne comprenoient pas le mot _faille_, qui se trouve
néanmoins dans le Dictionnaire de Cotgrave.

P. 21. _Par Mahiot d'Anquasms._ _D'Auquesne_, Verard. On trouve les noms
de Mahiot Regnault et Mahiot Noël dans les comptes de la maison de
Bourgogne, dont le premier étoit argentier.

P. 35, l. 5. _Tapissées._ Changé par Verard en _pavées_.

P. 41. _Par Poncellet._ Ce nom de Poncellet et Poncelet, mis en tête de
cette nouvelle et des deux suivantes, ne se trouve dans aucun des
documents contemporains.

P. 46, l. 12. _Sorner._ _Farcer_, Verard.

P. 46, l. 18. _Mousseau._ _Une très bonne pièce de beuf_, Verard.

P. 49. _La soixantiesme nouvelle._ Un conte à peu près semblable forme
le sujet de: _Li diz de frere Denise, cordelier_, de Rutebeuf. Voyez les
_Oeuvres de Rutebeuf_, publ. par Jubinal, tom. II, p. 260.

P. 49, l. 1. _Malines._ _Troyes_, Verard.

P. 53. _La soixante-uniesme nouvelle._ C'est le fabliau _Des Tresces_,
par le trouvère Guérin, publié par Babazan, tom. IV, p. 393.

P. 60. _Monseigneur de Gueuvain._ Voyez la soixante-deuxième nouvelle.

P. 60, l. 23. _A laquelle assemblée._ Cette assemblée fut tenue au
château d'Oye, entre Calais et Gravelines, au mois de juillet 1440, pour
négocier la délivrance de Charles, duc d'Orléans, prisonnier en
Angleterre depuis la bataille d'Azincourt. Notre nouvelle donne des
renseignements intéressants sur les circonstances de cette conférence.

P. 61, l. 3. _Le cardinal de Viscestre._ L'évêque de Winchester, Henri
Beaufort, fils de Jean de Gand, duc de Lancastre, un prélat qui a joué
un rôle très remarquable en Angleterre sous le règne d'Henri VI.

P. 71. Le texte de Verard ajoute à la fin de cette nouvelle: _Et ainsi
fut tout le maltalent pardonné, et la paix faicte entre les parties,
c'est assavoir entre le dit Jehan Stotton et le dit Thomas Brampton, et
furent bons amys ensemble_.

P. 72. _Par monsieur Montbleru._ Guillaume de Montbléru fut bailli
d'Auxerre de 1467 à 1469, et dans un compte de la maison du comte de
Charolois, de l'année 1459, il est qualifié écuyer d'écurie. Il étoit le
neveu de Jean Regnier, bailli d'Auxerre, qui a laissé un volume de
poésies. Pierre de Montbléru, écuyer-échanson du duc Philippe en 1420,
fut probablement le père de Guillaume.

P. 72, l. 14. _Monseigneur d'Estampes._ Jean de Nevers, comte
d'Etampes, cousin du duc Philippe.

P. 78. _La soixante-quatriesme nouvelle._ Le sujet de ce conte est
identique avec celui du fabliau du _Prestre crucifié_, publié dans la
collection de Barbazan, tom. III, p. 14. On le trouve aussi dans une des
nouvelles de Sacchetti.

P. 82. _La soixante-sixiesme nouvelle._ Cette nouvelle se trouve, dans
une forme un peu moins développée, dans le fabliau _Du Fevre de Creeil_,
publié dans Barbazan, tom. IV, p. 265.

P. 82. _Le prévost de Wastennes._ Le chroniqueur Jacques du Clercq parle
de ce personnage comme d'un de ceux qui étoient attachés au comte de
Charolois, mais il ne nous donne pas son nom.

P. 94. _Messire Chrestian de Dygonye._ Voyez la note à la
quarante-sixième nouvelle, p. 262.

P. 97, l. 17. _Le roy de Honagrie et monseigneur le duc Jehan._
Sigismond, roi d'Hongrie, et Jean Sans-Peur, duc de Bourgogne. On parle
ici de la bataille de Nicopolis, livrée en 1395, dans laquelle l'armée
chrétienne, commandée par ces deux princes, fut détruite par les Turcs,
sous Bajazet Ier.

P. 106, l. 19. _Philippe._ On a voulu effacer ce mot dans le manuscrit,
mais à quel dessein?

P. 109, l. 21. _Mesnage._ J'ai adopté ici la leçon de Verard; le
manuscrit lit _mariage_.

P. 114. _Par maistre Jehan Lauvin._ _Jehan_ _Lambin_, Verard; nom qui
ne se trouve pas dans les comptes de la maison de Bourgogne, bien qu'on
cite un Berthelot Lambin au nombre des valets de chambre de Philippe le
Bon.

P. 123. _Monseigneur de Thalemas._ Gui, seigneur de Thalemas, mort en
1463, sans enfants.

P. 128. _La soixante-seiziesme nouvelle._ L'origine de ce conte se
trouve dans Pogge, sous le titre de _Priapus in laqueo_.

P. 132. _Par Alardin._ On trouve dans les comptes de la maison de
Bourgogne deux individus de ce nom, le premier, Alardin la Griselle,
écuyer-échanson du duc Philippe en 1436; l'autre, Alardin Bournel, un
des officiers de cette maison de Bourgogne qui passèrent au service de
Louis XI.

P. 133, l. 7. _A Mortaigne._ Sans doute c'est la ville de Mortagne, près
de Tournai, dont on veut parler. Nos ancêtres, au Moyen Age, aimoient
beaucoup à faire des jeux de mots sur les noms des personnes et des
places, et _s'en aller à Mortaigne_ est devenu une phrase populaire pour
dire _mourir_.

P. 135. _La soixante-dix-huitiesme nouvelle._ Ce conte, très populaire
et bien connu, se trouve dans un fabliau publié dans la collection de
Barbazan, tom. III, p. 229 (_Du Chevalier qui fist sa fame confesse_),
et dans le _Décameron_ de Boccace, journée VIIe, conte 5, et a été imité
par la Fontaine, _Le Mari confesseur_, liv. I, conte 4.

P. 135. _Par Jehan Martin._ Jean Martin, seigneur de Bretonnières, mort
en 1475, fut en 1467 valet de chambre et premier sommelier de corps du
duc de Bourgogne.

P. 141. _La soixante-dix-neuviesme nouvelle._ Voyez _Poggii Facetiæ_, p.
89 (éd. 1798), _Circulator_, pour l'origine de ce conte. Les conteurs
modernes l'ont souvent répété.

P. 141, l. 17. _Qu'on l'appeloit par tout._ _Que on l'appeloit maistre
Jehan par tout_, Verard.

P. 143. _La quatre-vingtiesme nouvelle._ _Poggii Facetiæ_, vol. I, p.
52, _Aselli Priapus_.

P. 144. Dernière ligne. _Par mon serment._ _Par sainct Martin_, Verard.

P. 146. _Monseigneur de Vaurin._ _Monseigneur de Waulvrin_, Verard. Jean
Waurin est connu comme l'auteur d'une grande chronique d'Angleterre,
dont les manuscrits sont assez nombreux. Il étoit, comme son père, qui
fut tué à la bataille d'Azincourt, attaché à la maison des ducs de
Bourgogne, et il étoit un des seigneurs qui accompagnèrent le duc
Philippe à Paris en 1461. Voyez sur lui M. Paulin Paris, _les Manuscrits
françois de la Bibliothèque du roi_, tom. I, p. 26.

P. 150. Dernière ligne. _Ne fust couché_, leçon de Verard. Le manuscrit
porte: _ne fist comme_, ou _connue_, ce qui n'est pas un sens
intelligible.

P. 155, l. 4. _Nostre chastellenie de Lisle._ Jean de Lannoy étoit en
effet gouverneur de Lille en Flandre. Voyez la note à la sixième
nouvelle, p. 254.

P. 156, l. 5. _Et bon bergier._ Verard ajoute: _que on appeloit
Hacquier_.

P. 157. _Monseigneur de Vaurin._ _Waulvrin_, Verard.

P. 157, l. 7. _Libers._ Lisez, avec le manuscrit, Lilers (c'est une
faute d'impression). Lillers est une petite ville en Artois.

P. 161. _Le marquis de Rothelin._ Ce personnage, Philippe, marquis de
Rocheberg, comte de Neufchâtel, et seigneur de Rothelin et de
Badenoiller, est assez connu dans l'histoire de son temps. Il fut
maréchal de Bourgogne, et plus tard grand chambellan de France.

P. 163. _Par monseigneur de Santilly._ Le nom du conteur manque dans
l'édition de Verard.

P. 167. _Par monseigneur Philipe Vignier_, etc. Le nom du conteur manque
dans l'édition de Verard.

P. 173. _Par monsieur le Voyer._ Ce nom manque aussi dans l'édition de
Verard.

P. 173, l. 7. _Du duc de Bourgoigne._ Ces mots, qui manquent au
manuscrit, sont ajoutés d'après le texte de Verard.

P. 177. _La quatre-vingt-huitiesme nouvelle._ On trouve ce conte, avec
des circonstances un peu différentes, dans le fabliau de la _Bourgeoise
d'Orléans_, Barbazan, tom. III, p. 161; dans Boccace, _Décameron_,
journée VIII, nouv. 7, et dans Pogge, _Facéties_, p. 20, _Fraus
mulieris_. C'est l'origine du conte de La Fontaine, _Le Cocu battu et
content_, et les autres écrivains de ce genre l'on souvent imité.

P. 177. _Par Alardin._ Le texte de Verard ne donne pas le nom du
conteur.

P. 181. _Par Poncelet._ Ici encore le nom du conteur manque dans le
texte de Verard. Poncelet est déjà connu comme le conteur de trois
autres nouvelles, les cinquante-neuvième, soixantième et
soixante-unième.

P. 182, l. 10. _La blanche Pasque._ C'est, comme _Pasques flories_, le
dimanche des Rameaux.

P. 183, l. 5. _Pasques flories._ Le sixième dimanche du carême.

P. 183, l. 7. _Que l'on dit Pasques communiaulx._ _Que l'en dit la
Resurrection nostre Seigneur_, Verard. Le jour de Pâques fut appelé
souvent la Pâque communiant.

P. 184. _La quatre-vingt-dixiesme nouvelle._ On trouve l'origine de ce
conte dans Pogge, _Facetiæ_, p. 51: _Venia rite negata_.

P. 184. _Monseigneur de Beaumont._ Le texte de Verard ne donne pas le
nom du conteur.

P. 187. _La quatre-vingt-onziesme nouvelle._ Ce conte se trouve aussi
dans Pogge: _Novum supplicii genus_.

P. 187. _Par l'acteur_, c'est-à dire par l'auteur. Cette nouvelle et la
suivante sont sans nom de conteur dans l'édition de Verard.

P. 189, l. 7. _Mix._ _Mez en Loraine_, Verard.

P. 194. _La quatre-vingt-treiziesme nouvelle._ _Poggii Facetiæ_, p. 73:
_Quomodo calceis parcatur_.

P. 194. _Par messire Timoleon Vignier_, etc. Le nom du conteur manque
dans l'édition de Verard. Peut-être ce Timoléon Vignier étoit le frère
de Philippe Vignier, à qui la dix-neuvième nouvelle est donnée.

P. 196, l. 6. _Sur le bancq._ _A la taverne_, Verard.

P. 201. _La quatre-vingt-quinziesme nouvelle._ L'origine de ce conte se
trouve dans Pogge, _Facetiæ_, t. I, p. 205: _Digiti tumor_.

P. 201. _Par Philipe de Loan._ _Par monseigneur de Villiers_, Verard.

P. 202, l. 29. _Frère Aubry._ _Frère Henry_, Verard.

P. 205. _La quatre-vingt-seiziesme nouvelle._ On trouve l'origine de
cette nouvelle dans le fabliau du _Testament de l'âne_, par Rutebeuf
(_Oeuvres_, par Jubinal, I, 273), et dans les _Facetiæ_ de Pogge, p. 45:
_Canis testamentum_. C'est sans doute de cette dernière collection que
notre auteur l'a tirée.

P. 208: _Par monseigneur de Launoy._ Le nom du conteur manque dans le
texte de Verard.

P. 211. _Par l'acteur._ _Par Lebreton_, Verard.

P. 217, l. 26. _Les bourgois._ _Les brigans_, Verard.

P. 219. _La quatre-vingt-dix-neuviesme nouvelle._ L'origine se trouve
dans _Poggii Facetiæ_, p. 222: _Sacerdotii virtus_.

P. 219. _Par l'acteur._ Dans le texte de Verard, cette nouvelle reste
sans nom de conteur.

P. 223. _Par Philipe de Loan._ Le nom du conteur manque dans Verard.

P. 227, l. 2. _Bons soichons._ _Compaignons_, Verard.

P. 239, l. 6. _Bouloigne la Grasse._ Bologne en Italie. Sa terre est si
fertile que, dans le moyen age, on lui a donné le nom de _Bologna la
Grassa_.

[Décoration]




GLOSSAIRE.


    A avec.

    A TOUT, _atout_, avec.

    ABAIZ, abois. II, 47.

    ABBAYT, commérages. I, 140.

    ABREGEMENT, brièvement. II, 126.

    ABSOILLE, absolve. II, 97.

    ABSOLU, absous. II, 95.

    ABUSION, déception. I, 233.

    ABUSTINÉ, distribué, partagé. I, 295.

    ACCOINCTE, familier. «Se fist par gracieux et subtilz moyens
    _accoincte_ de celuy dont il vouloit estre compaignon.» II, 114.

    ACCOINTANCE, connoissance, relations, familiarité. I, 8; II, 152.

    ACCORDEMENT, conciliation. II, 69.

    ACCOUSTUMANCE, habitude. II, 116.

    ACEVÉ, achevé. II, 146.

    ACHOISON, occasion, cause. I, 183.

    ACHOPÉ, surpris, pris. I, 268.

    ACONSUYVIR, rattraper. II, 79.

    ACOUCHER, _acoucher malade_, se coucher, se mettre au lit pour
    cause de maladie. I, 114; II, 5.

    ACQUERRE, acquerir. I, 267.

    ADICTE, interdite, accablée. «Elle se trouvera en pou d'espace si
    _adicte_ et de mal souprinse.» I, 115. Voyez Du Cange, _Glossarium
    mediæ et infimæ latinitatis_, VII, 10, vº _Adis_.

    ADNICHILER, annuler. II, 93.

    ADOLÉ, triste, chagrin. II, 202.

    ADONC, alors. II, 243.

    ADOSSER, mettre arrière. I, 154.

    ADOUBER, armer. «Dieu, qui ses chevaliers de telles armes scet
    adouber.» II, 105.

    ADOUBER (S'), s'armer. I, 154.

    ADRECIÉ, instruit, dressé. I, 204.

    ADVENIR, à venir, futur. I, 80.

    ADVISEMENT, avis, conseil. II, 10.

    ADVOÉ, adressé, instruit: «La damoiselle de sa maistresse est
    escollée et _advoée_ que mieulx on ne pourroit.» I, 52.

    AFFAICTIÉ, simulé, dressé. «Le mary se fist mander querir par ung
    messagier _affaictié_.» II, 30.--«Certaines matrones _affaictiées_.»
    II, 50.

    AFFERRÉ, effrayé. I, 93.

    AFFIERT, appartient, concerne. II, 138.

    AFFOLER, blesser. II, 159.

    AFFRES, peur, effroi. II, 128.

    AFFULÉ, coiffé. II, 181. Se dit au figuré: «Je vous feroie
    _affuler_ la prison.» II, 199.

    AGGRESSER, attaquer. I, 11, 40.

    AGU, aigu. I, 7.

    AGUET (D'), de dessein prémédité. I, 163.

    AGUILLETTE, _aiguillette_. _Courre l'aiguillette._ (I, 52), courir
    après les filles.

    AGYOS, façons, cérémonies. I, 77.

    AHURTER (S'), s'arrêter obstinément à une détermination. I, 95; II,
    174. Voy. _Enhurter_.

    AINÇOIS, avant, plutôt. I, 67, 224.

    AINS, mais au contraire. I, 209.

    AITRE, cimetiere. II, 206.

    ALIBIZ _forains_, mauvaises excuses. II, 236.

    AMANT. Voy. t. II, p. 255, l. 33.

    AMATIR, flétrir, ternir, devenir languissant. II, 243.

    AMENDER, réparer, expier une faute. II, 50.

    AMIS. Etre de _nos amis_, est dit souvent pour désigner un mari
    trompé. Voy. I, 103, 260.

    AMMIRACIONS, exclamations. II, 51.

    AMMONESTEMENS, réprimandes. II, 185.

    ANGAIGNE, chagrin, peine. «Et Dangier, sa meschine, qui enrageoit
    d'angaigne...» I, 237.

    ANUYT, aujourd'hui, ou plutôt «cette nuit.» I, 83. Voy. _Ennuyt_.

    APAROIR, paroître. I, 100, 144; II, 117.

    APERTEMENT, ouvertement, clairement. I, 13.

    APERTISES, tours d'adresse. «Faire souplesses et _apertises_.» II,
    225.

    APIERT (S'), s'attaque. II, 158.

    APPATI, abandonné par suite d'un arrangement, d'un pacte: «Ainsi
    furent toutes les femmes de la ville _appaties_ à ces vaillans
    moynes.» I, 194.

    APPEAU, appel. I, 179.

    APPENSER (S'), s'imaginer, se figurer, se mettre en tête. I, 122;
    II, 90.

    ARAISONNER, parler à quelqu'un, lui expliquer ses raisons, I, 96.

    ARAY, aurai, II, 175.

    ARBALESTE. Proverb.: «Ne tenir serre non plus qu'une vieille
    _arbaleste_.» (I, 296.) Faire peu de résistance, être d'un caractère
    foible.

    ARDRE, bruler.

    ASPRY, âpre, aigri. I, 8.

    ASSEULÉ, isolé. I, 130.

    ASSEUR, assuré, certain. II, 164.

    ASSIETE. Proverb.: «Et pour _assiete_ en lieu de cresson, elle lui
    dist...» I, 212.

    ASSIMPLY, affoibli, chancelant. «Tout espoenté et _assimply_.» I,
    40.

    ASSOVIR, accomplir, achever. II, 138.

    ASSOVI, pourvu, ayant assez. II, 38, 233.

    ATELÉE, attelage, union naturelle de l'homme et de la femme. II,
    107.

    ATOUR, coiffure. I, 216.

    ATREMPÉ, ferme, solide, bien trempé. «_Atrempé_ cueur et vertueux
    courage.» I, 101.

    ATTAINCTES, visées, but. «Parvenir à ses _attainctes_.» II, 201.

    ATTINTÉ, arrangé, disposé. I, 154.

    ATTROTTER, arriver en trottant. I, 285.

    AULTIER, autel. II, 16, 122.

    AULTRHIER (L'), l'autre jour, dernièrement. II, 205.

    AUMOSNIER, libéral, faisant de riches aumônes. I, 74.

    AURFAVERESSE, femme d'un orfévre. I, 44.

    AUTANT. «Boire d'autant et d'autel» (I, 43, 175), faire raison à
    tout le monde, le verre à la main.

    AUTEL. «Boire d'autant et d'_autel_.» Voy. _Autant_.

    AUTRETANT, autant, encore autant. I, 271.

    AVAL, parmi, en long et en large de: «_Aval_ la chambre.» II,
    131.--«_Aval_ Paris.» II, 92.

    AVALER, descendre, aller ou mettre _à val_, en bas. I, 254.

    AVERER, vérifier. II, 119.

    AVERTIN, vertige, accès de mauvaise humeur. II, 137.

    AVOLENTER (S'), prendre la détermination. II, 135.

    AVOYÉ, en voie, en train. I, 249.


    BACULER, bâtonner, II, 104.

    BAGUER, pourvoir de bijoux, linge, meubles. II, 139.

    _Bagué_, garni de bijoux, de linge, etc. II, 92.

    BAGUES, bijoux, hardes, bagages. I, 10, 202.

    BAILLER, donner.

    BAILLE, lieu fermé de palissades, première défense d'une ville.
    «Force luy fut de gaigner et emporter boulevars, _bailles_, et
    aultres plusieurs fors dont la place estoit bien garnie.» I, 173.

    BALME, baume; au figuré, merveilles. II, 207.

    BALOCHOIT, se balançoit. II, 156.

    BALOCHOUERE, balançoire. II, 156.

    BALOIZ, balais. «Elle fist _baloiz_ courre partout.» Elle fit
    nettoyer avec soin. II, 241.

    BANCQ. «S'en aller sur le _bancq_», aller au cabaret, aller
    _banqueter_. II, 196.

    BANCQUIERS, coussins, housses pour mettre sur les bancs. I, 202.

    BANDON (A), à discrétion. II, 91.

    BAPTISEMENT, baptême. II, 102.

    BARBAIER, raser, faire la barbe. II, 200.

    BARGUIGNER, marchander. «Et quiconque la _barguignoit_, il l'avoit
    aussi bien à créance que à argent sec.» II, 187.

    BARRES. «Comment il avoit prins le galant à ses _barres_.» II, 57.

    BAS, parties naturelles de la femme. II, 135.

    BAS _instrumens_, parties naturelles. II, 201.

    BASSET (_En_) à voix basse, secrètement. I, 155.

    BASTON. «Le baston de quoy on plante les hommes», le membre viril.
    II, 144.

    BATERIE, action de battre. I, 245.

    BATURE, action d'être battu. I, 181.

    BAUDEMENT, gaiement, hardiment. II, 172, 214.

    BEC, bouche. «Jouer bien du _bec_» (I, 96), faire des discours
    captieux.

    BEDON, instrument de musique. Ce mot est employé pour désigner les
    parties naturelles de la femme. II, 131.

    BÉE, passage, route, voie. I, 146. «Payer a bée» (II, 150).

    BELLE. «Trouver en belle» (I, 282), avoir l'occasion favorable.

    BENEISSON, bénédiction. II, 184.

    BESOIGNER, travailler, s'occuper de... I, 48.

    BESTE. «Le mestier de la beste à deux dos» (I, 107), l'amour.

    BEURRE. Prov.: «Ravoir _beurre_ pour oeufs» (I, 21), être payé avec
    usure d'un tour qu'on a joué à quelqu'un.

    BIENVIENGNER, donner la bienvenue, recevoir joyeusement. II, 106.

    BIHÈS, _byhès_, biais. I, 132.

    BLASONNER, blâmer, critiquer, décrier, «Vous blasonnez très bien
    mes armes.» I, 188, 218.

    BLEU, «Craindoit trèsfort estre du reng des _bleuz vestuz_, qu'on
    appelle communement noz amis.» II, 118. Voy. _Amis_.

    BOESTE _aux cailloux_, prison. II, 207.

    BOUCHONS (A), sens dessus dessous, à l'envers. «Fut à _bouchons_
    couchée et son derrière descouvert.» I, 13.

    BOUL, bouleau. I, 241.

    BOURDELOIS (Le roi de), souverain imaginaire des mauvais lieux. II,
    193.

    BOURDES, mensonges.

    BOURDON, _bourdon joustouer_, membre viril. I, 84; II, 172.

    BOURSER, enfler, s'arrondir comme une bourse pleine. «Le ventre luy
    commença à _bourser_.» I, 80.

    BOUT (_Bailler le_) (?). I, 253, BOUTER, mettre.

    BRAYES, culotte, II, 12.

    BREFMENT, bientôt, brièvement. II, 6.

    BREFTÉ, brièveté. II, 53.

    BRICHOUART, membre viril. II, 87.

    BROCHES, hémorroïdes, I, 10.

    BROUET, soupe, sauce. II, 45.

    BRUYT, renommée. I, 193.

    BRUYT, victoire, triomphe. I, 215.

    BUFFE, soufflet. II, 58.

    BULETEAU, blutoir. «Tenez ce buleteau sur vostre teste.» I, 94.

    BUREAU, bure, étoffe grossière. I, 299.

    BUROYE, boirois. II, 208.

    BUVRAIGES, breuvages. II, 141.

    BYHÈS. Voy. _Bihès_.


    CALENGER, demander, reclamer, contester. II, 129.

    CALONGE (?). II, 207.

    CAMUS, désappointé. II, 81.

    CAPITULÉ, grondé, chapitré. I, 217.

    CAR, presque toujours employé dans le sens de _parce que_: «Ou
    _car_ Dieu le permist, ou _car_ Fortune le voult et commenda.» I,
    10.

    CASSE, cassé.

    CASTILLE, querelle, lutte. I, 126.

    CAUTELLES, ruses. I, 77.

    CE, se.

    CÉANS, _céens_, ici dedans.

    CEL, ce, cet. I, 291; II, 248.

    CELÉEMENT, en cachette. I, 92.

    CELER, cacher, dissimuler. I, 69.

    CES, ses.

    CEST, ce.

    CESTES (?). «Mais le juger fut differé jusques à la fasson de
    _cestes_.» I, 16.

    CHAILLOIT, soucioit. II, 130.

    CHALLUT, soucioit. I, 268.

    CHAMBERIÈRE, servante, femme de chambre. II, 85.

    CHAMBRE A PARER, chambre de toilette. I, 227.

    CHANDELLE. «Allumer sa chandelle», prétexte honnête pour
    s'introduire chez quelqu'un. Nous n'ayons pas besoin de signaler
    l'allusion qui se trouve dans ce passage: «Veezcy maistre curé qui
    vient pour allumer sa chandelle, ou pour mieux dire pour
    l'estaindre.» II, 117.

    CHAPPERON, sorte de coiffure que portoient les femmes. I, 216.

    CHAPERON FOURRÉ, officier de justice. II, 90.

    CHAR, chair. Voy. _Poisson_.

    CHARETON, _charreton_, charretier, voiturier. I, 43; II, 120.

    CHARRUYER, laboureur, bouvier. II, 214.

    CHARTRE, prison. II, 97.

    CHASTOY, direction, gouvernement. I, 136.

    CHAUFFER _la cire_, attendre longuement une chose qu'on désire; on
    dit aujourd'hui dans le même sens: «Se voir passer quelque chose
    devant le nez.» II, 190.

    CHAULD _sur potage_, enclin à l'amour. I, 108; II, 187.

    CHAULT, soucie. «Il ne vous _chault_ guères de moy.» I, 49.

    CHÉANCE, chute. I, 159.

    CHEF, tête. _A chef de peche_, au bout de quelque temps, de _pièce_
    de temps. I, 2.

    CHEF, bout. «Venir à chef», venir à bout. I, 21.

    CHÈRE, visage. I, 7; II, 244.

    CHEVANCE, biens, fortune. I, 101, 267.

    CHEVAULCHER, faire l'amour. I, 276.

    CHEVIR, venir à bout de. I, 74.

    CHICHETÉ, avarice. I, 97.

    CHIÈGE, choie, tombe. I, 17.

    CHOISIR, regarder, voir, apercevoir. I, 13. «Et avoient torches et
    flambeaulx pour mieulx choisir partout.» II, 58.

    CHRESTIENNER, baptiser. I, 123.

    CHULA, celui-là. II, 127.

    CICANEUR, homme de chicane, sergent. II, 206.

    CIMBALES (_Jouer des_), faire l'acte amoureux. II, 107.

    CIRE (_Chauffer la_). II, 190. Voy. _Chauffer_.

    CLAMER, déclarer, proclamer. II, 76.

    CLERGIE, science. II, 238.

    CLIGNE-MUSSE, sorte de jeu où l'un ferme les yeux pendant que
    l'autre se cache. Cligne-musette. II, 176.

    COCQUARD. Voy. _Coquard_.

    COGNOISSANCE, reconnoissance. I, 272.

    COLLACION, discours. I, 200.

    COLONS, pigeons. II, 180.

    COMBLEMENT, amplement, à mesure comble. I, 11.

    COMMENDER, recommender. II, 7.

    COMPARER, payer. I, 222.

    COMPTER, battre, charger de coups. «Ce dyable, sans mot dire, le
    commença à _compter_, et bon chevalier de se défendre.» II, 104.

    COMPTOUER, étude, lieu de travail. I, 127.

    CONCLU, convaincu, vaincu. «Mais en son ton évident fut le mary
    _conclu_.» I, 31. Voy. I, 212.

    CONFERMER, confirmer. I, 106.

    CONGYER, congedier.

    CONQUESTER, conquérir, acquérir, gagner.

    CONSEQUEMMENT, consécutivement. «Et ainsi _conséquemment_ jusques
    ad ce que tout fut party et portionné.» II, 120.

    CONTENDRE, tendre, chercher. II, 122.

    CONTENT, comptant. I, 97.

    CONVENIR, être nécessaire. «La bonne dame laissoit tout _convenir_,
    car de donner conseil au contraire ne s'osoit avancer.» II, 121.

    COQUARD, _coquart_, sot, imbécile. «Que faites vous, meschant
    _coquart_?» I, 45.--«Ceulx qui le cuident sont parfaiz _coquars_.»
    I, 152.

    CORDOANNIER, cordonnier. II, 90.

    CORNER, jouer des instruments. «Fist _corner_ les menestrielz.» I,
    157.

    COULPE, faute. II, 62.

    COUP (A LA ), au moment. «Tenir sur fons son enfant, dont la mère
    s'estoit delivrée droit _à la coup_ du retour dudit chevalier.» II,
    101.

    COUPAULT, mari trompé. I, 288; II, 108.

    COURRE, courir.

    COUSINE. Etre _de noz cousines_, être au rang des courtisanes. «Et
    tiens, qui en aroit à faire, qu'on la trouverait aujourd'huy ou reng
    de _noz cousines_, en Avignon, à Vienne, à Valence, ou en quelque
    aultre lieu en Dauphiné.» II, 29. Voy. II, 40.

    COUSTILLE, couteau, épée. I, 39.

    COUSTRE, gardien, sacristain. II, 194.

    COUSTRERIE, garde, surveillance. I, 261.

    COUVINE, invitation. «Et comme ilz retournoient de ce couvine.» I,
    194.

    COUX, mari trompé. I, 29, 238; II, 110.

    CRASSE, grasse. «Bouloigne la crasse.» II, 239.

    CRASTINE, lendemain, matinée. «Et laissoit sa femme prendre la
    longue _crastine_ jusques à viij ou à IX heures.» II, 63.

    CRAVANTER, renverser. I, 243.

    CRÉANT. I, 54. Voy. _Recréant_.

    CREDENCE, créance, confiance. II, 115.

    CRÉEZ, croyez. I, 77.

    CREMOIT, craignoit. II, 44.

    CRESSON. Voy. _Assiète_.

    CRESTIAN, chrétien. «Luy, qui oncques sur beste crestiane n'avoit
    monté.» I, 107.

    CRISTIEN, chrétien. II, 102.

    CROCHETTE, petite crosse. I, 77.

    CROQUER, prendre, saisir, accrocher. I, 22.

    CROIX. Prov.: «Je n'en fineroye néant plus que de la vraye _croix_.»
    I, 294.

    CRUEUX, cruel. I, 142.

    CUEUR, coeur. Prov.: «N'avoit pas son _cueur_ en sa chausse.» II,
    168.

    CUIDER, croire.

    CUIGNER, connoître charnellement. II, 187.

    CULETTÉ _la selle_, couru à cheval. II, 154.


    DANGIER, défaut, manque. «Et s'il y avoit _dangier_ de lictz, la
    belle paillasse est en saison.» I, 182.

    DANGIER, dépendance, domination. «Or bien, je suis en vostre
    _dangier_.» II, 176.

    DANGIER, difficulté. «Mais comme souvent chose eue en _dangier_ est
    trop plus cher tenue que celle qu'on a à bandon...» II, 91.

    DANGIER, personnage allégorique du Roman de la Rose. L'auteur des
    _Cent Nouvelles_ paroît avoir en mince estime l'oeuvre célèbre de
    Guillaume de Lorris et de Jean de Meung. Voy. I, 68, 158.

    DANGIER, garde. Nom donné à une duègne. I, 236.

    DE, que. I, 294; II, 84.

    DEABLE, diable. II, 104.

    DEBOUTÉ, rebuté, renvoyé. I, 192.

    DECEUTE, trompée. I, 100.

    DECEVABLE, trompeur. I, 212.

    DEDUIT. «Luy qui estait homme de _deduit_» (II, 10), c'est-à-dire
    qui aimoit à s'amuser.

    DEFAULTE, faute. II, 235.

    DEFFIGURANCE, difformité. II, 187.

    DEFFUBLER, décoiffer. II, 52.

    DEGOIS, disposé. I, 65.

    DEHET, gai, dispos. I, 294.

    DEMENÉ, le détail d'une affaire, la manière dont elle s'est passée.
    I, 73. «Et il luy en compta largement et bien au long le _demené_.»
    I, 210. Voy. II, 69.

    DEMEUT, détourna de son projet. II, 248.

    DENRÉES, instruments génitaux. I, 109.

    DÉPENDANT (?). «Et estoit sur son corps dépendant.» I, 251.

    DEPORTER (SE ) d'une chose, y renoncer. I, 251.

    DERRAIN, dernier.

    DESARMER, défaire. «Et ne savoit que penser comment il se pourroit
    de luy _desarmer_.» II, 9.

    DESATOURNÉ, décoiffé. I, 216.

    DESCEU (_Au_), à l'insu. II, 113.

    DESCOMBRÉ, débarrassé, désencombré, II, 33.

    DESCONFORTÉ, affligé. II, 18.

    DESCOUCHÉ, levé. I, 86.

    DESERVIR, meriter. I, 181, 273.

    DESFOURNI, privé. II, 232.

    DESFRAYÉ, peureux, ombrageux, sauvage. I, 290.

    DESHAITÉ, malade. I, 111.

    DESHOUSER, débotter. II, 110.

    DESLONGER, détacher de sa longe. II, 131.

    DESPLAISANT, fâché. II, 42.

    DESPOILLI, dévêtu, dépouillé. I, 220.

    DESPRISONNER, mettre hors de prison, délivrer. I, 162.

    DESROY, désarroi. I, 3.

    DESROMPRE, séparer. II, 115.

    DESSERRER, ouvrir. «La posterne fut _desserrée_.» I, 3.

    DESSERTE, ce qu'on a mérité. I, 223.

    DESTENÉ, destiné, prédestiné. II, 135.

    DESTOURBIER, trouble, embarras. I, 68, 126.

    DESTRESSEUX, plein de détresse, qui met en détresse. I, 12.

    DEVANT. «Dieu devant», Dieu aidant. I, 200.

    DEVISES, discours. I, 42.

    DEXTRE, droite.

    DILACION, retard. II, 170, 245.

    DOLEZ, affligez. II, 20.

    DOMINE, surnom dorme à un curé. «Respondit maistre _Domine_.» II,
    129.

    DOMMAGE, terme de droit. «Et si très bien à point la rabatit qu'en
    _dommage_ et en sa garenne le poulain au chareton trouva.» I, 45.

    DONT, d'où. I, 32.

    DONT, donc. I, 18.

    DONZELLE, fille facile. II, 128.

    DORMEVEILLE (_Faire la_), faire semblant de dormir; dormir d'un
    oeil. I, 244.

    DOUBTE, _doute_, crainte. I, 128, 267; II, 54, 56.

    DOUBTER, craindre. I, 100.

    DOUBTIF, dubitatif, incertain. I, 78.

    DOULOIR (_Se_), se plaindre, gémir. I, 64.

    DOUYÈRE, _duyère_, porte, entrée, I, 135.

    DOY, doigt.

    DUREAU. «Marcha la dureau, marcha hardiment.» I, 127.

    DUYÈRE. I, 136. Voy. _Douyère_.

    DYA, diable. I, 17.


    EAGE, âge. _Etre sur eage_, être déjà vieux. I, 90, 172.

    EFFRAYEMENT, avec effroi, tout effrayé. II, 7.

    EFFROY, bruit. «La dame monte en sa chambre sans faire effroy.» I,
    29.

    EFFROYT, bruit. I, 178.

    EMBRONCHÉ, enveloppé, entortillé. «Elle fut tantost desarmée de sa
    faille, où elle estoit bien enfermée et _embronchée_.» II, 17.

    EMENDE, amende. II, 198.

    EMPANÉ, garni de drap, d'étoffe. II, 247.

    EMPAPINÉ, barbouillé. «Doré et _empapiné_ d'oeufz, de fromage, de
    laict, etc.» II, 121.

    EMPRENDRE, prendre, entreprendre. «Et entre aultres qui devoient
    emprendre ce doulx et seur estat de mariage.» II, 16.

    EMPRÈS (D'), auprès de. I, 188, 272.

    EMPRINSE, entreprise, projet. I, 51; II, 39.

    EMPRINSE D'ARMES. I, 224.

    EMPRINT, prit, entreprit. I, 68.

    EMY! exclamation. I, 244.

    ENCEPÉ, enchaîné. II, 131.

    ENCHARGÉ, commandé, imposé. II, 53.

    ENCHASSER, chasser, repousser. I, 81.

    ENCLINER, incliner, pencher. II, 173.

    ENCLOIT (S'), s'enferma. II, 190.

    ENCONTRE, au-devant. II, 7.

    ENCOULPIT, accusé, confessé. II, 140.

    ENCOURTINÉ, garni, fermé de rideaux. I, 4.

    ENCUEILLIR, accueillir. II, 79.

    ENCUSER, déclarer, dévoiler, accuser. I, 134; II, 89, 125.

    ENDITTÉ, éloquent, informé de ce qu'il doit dire. I, 33.

    ENFERMIÈRE, infirmière. I, 118.

    ENFERRER, verbe actif, connoître une femme. II, 130.

    ENGIN, esprit, imagination. I, 21.

    ENGIN, ruse, moyen ingénieux. I, 12. «Mais ilz n'y sçavoient
    _engin_ trouver.» I, 284.

    ENGIN (_Mal_), ruse. II, 246. J'ignore qui sont «ceulx du _mal
    engin_», qui sont voisins des Champenois. Voy. I, 106.

    ENGINS, détours. «L'ostel n'estoit pas si grand, ne si pou de lui
    hanté en toute devocion, qu'il ne sceust bien les _engins_.» I, 74.

    ENGREGER, aggraver. II, 111.

    ENHURTÉ, obstiné, butté. I, 58. Même sens que _ahurté_.

    ENLANGAGÉ, beau parleur, prompt à la riposte. II, 90.

    ENMY, au milieu de. I, 75.

    ENNUYEUSE, accablée d'ennui, de chagrin. II, 154.

    ENNUYT, aujourd'hui; mais dans ce livre le mot est constamment
    pris dans le sens de _cette nuit_. «Et si par miséricorde il nous
    démonstre _ennuyt_ comme les autres precedentes...» I, 78. Voy. I,
    52, 159, 180, 241; II, 43, 47.

    ENOEILLER, lorgner. I, 271.

    ENORTEMENT, exhortation. II, 51.

    ENORTER, exciter, exhorter. I, 65.

    ENQUERRE, enquérir, rechercher, s'informer, I, 66.

    ENS, dedans. I, 173; II, 241.

    ENSEUR, loin. «Quand le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois
    _enseur_ de luy.» I, 29.

    ENSUS, loin. I, 293. «Va-t'en en sus de moy.» I, 47.

    ENSUYZ, suivis. II, 115.

    ENTENTIVEMENT, attentivement. I, 14.

    ENTIÈRE, restée fidèle à son mari. II, 249.

    ENTIERETÉ, chasteté, fidélité conjugale. II, 235, 244, 249.

    ENTREOYT, entendoit. II, 111.

    ENTREROMPRE, interrompre. I, 183.

    ENTRETANT (_En_), pendant le temps. I, 22, 89.

    ENTRETENANCES, entretiens, devis familiers. I, 154; II, 30.

    ENTRETIENNEMENT, relations coupables entre homme et femme. I, 209.

    ENVERS, Anvers. «Une feste de Lendit et d'Envers.» I, 43.

    ENVIS, _envys_, à contre-coeur, malgré soi. II, 152, 218.

    ERIES (?). I, 136.

    ERRER, se tromper, II, 10.

    ERRES, indices. «Le gentil homme tantost congneut que toutes ces
    excusacions estoient _erres_ pour besoigner.» I, 96.

    ESCHARSEMENT, petitement, chichement, avec parcimonie. I, 17.

    ESCHASSÉ, chassé. I, 192.

    ESCHEVER, achever. I, 126.

    ESCLABOTURES, éclaboussures. I, 151.

    ESCLANDRI, deshonoré par un esclandre. I, 100.

    ESCOLLER, instruire, faire la leçon. I, 52; II, 167.

    ESCOURRE, secouer. I, 166.

    ESLOIGNIER, éloignement. I, 141.

    ESPANTER, épouvanter. I, 98, 220.

    ESPARTENT (S'), se répandent. II, 157.

    ESPIES, espions. I, 130.

    ESPOENTER, épouvanter, effrayer.

    ESPOIR, peut être. I, 57, 128.

    ESPOIRE, peut-être. I, 262.

    ESRACHER, arracher. II, 176.

    ESRAILLÉ, ouvert. «Et les deux jambes _esraillées_ en dehors du
    bancq.» II, 166.

    ESSERRÉ, effrayé. I, 3.

    ESTABLE, stable. II, 236.

    ESTAINS, etain; ce métal venoit d'Angleterre dès l'antiquité. I,
    101.

    ESTERNU, décidé. «Je ne vy jamais, moy, homme de si hault _esternu_
    si tost rassis.» I, 175.

    ESTIRE (?). «Mais de plus belle rend _estire_.» I, 126.

    ESTOLLÉ (?). I, 237.

    ESTOUPPES. Avoir «des estouppes en sa quenouille», être embarrassé,
    avoir une mauvaise affaire sur les bras. Voy. I, 213; II, 11.

    ESTRAIN, paille. II, 33, 166.

    ESTRAINS, serrés. II, 52.

    ESTRANGE, étranger. I, 102.

    ESTRANGE, réservé, sur le quant à soy. «Je vous seray aussi pou
    privé que vous m'estes _estrange_.» I, 184.

    ESTRANGÉ, éloigné, isolé. II, 213.

    ESTRES, choses, objets quelconques. «Je n'en portay oncques la
    clef, mais pend à vostre cincture avec les vostres, dès le temps que
    vous y mettiez vos _estres_.» II, 59.

    EUR, heur. II, 162.

    EUVANGILE, Evangile. Prov.: «Une assez bonne histoire qui n'est
    moins vraye que l'_Euvangile_.» II, 106.

    EUVRE (_A la première_), dès le matin. I, 122.

    EXAMINÉ, tourmenté. «Nos voisins ont esté terriblement persecutez
    et de pestilence et de famine. Quand les aultres en ont esté
    _examinez_, nous avons peu dire que Dieu nous en a preservez.» I,
    200.

    EXCUSACIONS, excuses, défaites. I, 96.

    EXCUSANCES, excuses. II, 36.


    FABRICE, fabrique d'une église. II, 199.

    FAEBLETÉ, foiblesse, simplicité. II, 105.

    FAILLE, sorte de mante flamande. II, 17.

    FAILLY, fini. «Et tantost après la feste _faillye_...» II, 167.

    FAIN, faim, désir, envie, besoin.

    FAINDIT, feignit. II, 117.

    FAIRE, faire l'acte amoureux. I, 81.

    FAME, réputation. II, 233.

    FARSER, moquer. I, 97.

    FAULSETÉ, méchanceté, trahison. I, 153.

    FEL, méchant, traître, félon. II, 142.

    FER. «Tenir quelqu'un à fer et à clou», l'entretenir. I, 123.

    FERIR, frapper. I, 302.

    FERRER, dompter. «La pouvre fille se laissa _ferrer_.» I, 12. Voy.
    II, 91, 94.

    FIABLEMENT, avec confiance. I, 273.

    FICHÉ, mis, fixé. II, 246.

    FIERT, frappe.

    FIN. Prov.: «Plus _fine_ que moutarde.» II, 128.

    FINANCE, rançon. «On eust eu nouvelle de luy pour faire sa
    _finance_.» II, 98.--Mettre un prisonnier _à finance_, c'étoit
    exiger de lui une rançon. Voy. I, 32.

    FINER, finir. «Sa queste en amour doit estre bien _finée_.» I, 57.
    Voy. I, 132, 237; II, 246.

    FINER, obtenir. «Mais vous ne vous en irez pas si je ne la puis
    _finer_.» II, 20.

    FLAMBE, flamme. II, 103.

    FOLYE (_La_), l'acte amoureux. II, 40.

    FORS, hormis, excepté. II, 9.

    FORT (_Au_), au fond, à la fin. I, 113, 121; II, 172.

    FOURCHES (_Basses_). Pendre aux _basses fourches_ d'une femme, la
    connoître. I, 137.

    FRAILE, frêle, délicat. II, 234.

    FRAIN, frein. «Ronger son frain.» I, 156.

    FRICT, perdu, détruit. I, 215.

    FRISQUE, frais, gai, fringant. II, 135.

    FROISSIE, traces. «Suivant _le froissie_ des chevaulx.» I, 157.

    FUMER. I, 259.

    FURON, furet; membre viril. I, 135.


    GAITTE, soldat qui fait le guet. II, 126.

    GALÉE, galère, navire. II, 99.

    GALÉE, amusement, fête, plaisanterie. I, 231.

    GALIOFFE, grossier personnage, vaurien. «Regardez quel _galioffe_!
    il a couché plus de vingt nuiz avecques ma femme.» I, 282.

    GARIN, homme déterminé, qui a réponse à tout. «Vrayment, ma mye,
    dist le moyne, qui estoit ung _garin_ tout fait...» II, 160.

    GARIN (_Prendre_), s'enfuir. «Veez là l'huys: prenez _garin_, et si
    vous faites que sage, ne vous trouvez jamais devant moy.» II, 96.
    Voy. II, 136.

    GARNIER, grenier. I, 220.

    GAY. Prov.: «Plus _gay_ que une mitaine.» I, 265.

    GEHEYNE, gêne, torture. I, 134.

    GENTETÉ, gentillesse. I, 10.

    GERON, giron, sein. I, 44.

    GESINE, couches. I, 123.

    GLATISSOIT, aboyoit, chassoit. II, 110.

    GOGETTES, _goghettes_, _goguettes_, réjouissances, fête. I, 85,
    294; II, 196.

    GOGHETTES. Voy. _Gogettes_.

    GOGUES (_Etre de_), être en gaieté. I, 175.

    GOGUETTES. Voy. _Gogettes_.

    GOISSON, compagnon. II, 196.

    GORGIAS, _gorgyas_, élégant. «Faisoit du _gorgias_.» II,
    197.--«Deux ou trois _gorgyas_ qui la devoient accompaigner.» I,
    290.

    GOUGE, fille, femme portée à l'amour. I, 2.

    GOUNE, manteau. I, 286.

    GOURMANDER, exercer sa gourmandise. II, 159.

    GOUSTABLE (_Mal_), de mauvais goût. II, 225.

    GRAIN, pas du tout. «Le lieu n'est _grain_ honneste.» II, 180.

    GRAMMENT, grandement.

    GRAUX, gré. I, 92.

    GREF, grave. I, 18.

    GRIFZ, griffes, mains. I, 127.

    GRIGNEUR, plus grand, plus grande. I, 72.

    GROS, sorte de monnoie. II, 157.

    GROUILLER, gronder, grogner à la manière des chiens. I, 188.

    GROUTTER, comme _grouiller_. I, 189.

    GUERDON, récompense. I, 246.

    GUERDONNER, récompenser. I, 156.

    GUINGANT, Guingamp, célèbre par ses rasoirs. Voy. I, 7.


    HALLE, marché. Prov.: «Sans tenir cy _halle_ de néant» (II, 192),
    sans nous occuper de choses vaines.

    HALOZ, branches ou troncs d'arbres. On a le mot _hallier_. II,
    156.

    HAMELET, petit hameau. II, 122.

    HANTISE, fréquentation. II, 9.

    HARIER, fatiguer, assaillir. Pris dans le sens de _saillir_. I, 45.

    HAULTE _heure_ (_de_), de bonne heure. I, 185.

    HEBREOS. «_Usque ad hebreos_» (II, 208), équivoque d'_hébreu_ à
    _ebriosus_;--jusqu'à être ivre.

    HET, réjouissance, entrain. II, 78. «Et hurta l'on de bon _het_ à
    la porte.» II, 150.

    HOC (?). «Tenant le _hoc en l'eau_ pour deviser.» I, 6.

    HOCHER, connoître charnellement. II, 188.

    HODÉ, lassé, fatigué. S'écrivoit aussi _odé_. «Par la mort bieu!
    dist-il, j'en suis si trèshodé que plus n'en puis: il me semble que
    je ne voy que pastez.» I, 59. Voy. I, 87; II, 228.

    HOIGNARD, grondeur. I, 62.

    HOMS, homme. I, 275. Vieille forme du nominatif singulier, que La
    Sale employoit volontiers. On la trouve souvent dans les _Quinze
    joyes de mariage_.

    HOSTELLAIN, hôtelier. II, 82.

    HOULETTE, confrérie des femmes débauchées, des dames du _Huleu_,
    et, par extension, des maris trompés. «Aussi suis-je pieça de la
    _Houlette_.» I, 189; II, 38.

    HOULLIER, débauché, coureur de filles. I, 4. Un mari trompé
    reproche à sa femme son _houllier_. I, 221.

    HOURDER, fournir, pourvoir, charger. «Mais de sens assez
    escharsement _hourdée_.» I, 17. Voy. I, 74. «Se _hourde_ de
    l'escuyer et à son col le charge.» I, 100.

    HOURTER, heurter. I, 159.

    HOUSÉ, botté, chaussé de houseaux. I, 87; II, 182.

    HOUSEAUX, bottes.

    HOUSER, botter, et, par extension, vêtir. I, 298.

    HOUSERIE, habillement, action de vêtir. I, 299.

    HOUSSER, vêtir. II, 133.

    HOUSSÉ, fourni, vêtu. «Le plus hault arbre et mieux _houssé_ du
    bois.» I, 64. C'est-à-dire le mieux garni de feuilles.

    HUCHER, appeler à haute voix, en criant. I, 41, 180.

    HUCQUER, frapper. II, 178.

    HUÉE, réputation, notoriété. II, 142.

    HUMET, sauce, ragoût. II, 45.

    HUPPILLER, houspiller. I, 128.

    HURT, action de heurter. I, 161.

    HUTIN, bruit, querelle, dispute, combat amoureux. «Et ne demandoit
    que _hutin_.» II, 187.

    HUTINER, tracasser, lutiner. I, 126.

    HUYS, porte.


    ILLEC, là. II, 242.

    IMPAREIL, non pareil, incomparable. I, 68.

    IMPROVEU, dépourvu. I, 229.

    INDUCE, délai, loisir, «Si ne leur bailla pas _induce_ de
    respondre.» I, 181.

    INFORTUNE, malheureuse, infortunée. I, 288.

    INTRODUIRE, instruire. II, 167.

    INVENTOIRE, inventaire. I, 66.

    IRE, colère. II, 234.


    JANNES, Gênes, II, 223.

    JASERANT, cotte de mailles. I, 256.

    JASOIT, bien que, quoique. II, 11.

    JOUER _des cimbales_, faire l'acte amoureux. II, 107.

    JOURNÉE, affaire, combat. «Et s'il accepte la _journée_, dit
    Madame, je viendray tenir vostre place.» I, 51.

    JOUSTEUR, qui aime les joutes, les luttes. II, 21.

    JOUSTOUER, destiné à la joute. II, 172.

    JOUVENCE, jeunesse. II, 234.

    JUGIÉ, condamné. I, 70.

    JUS, à bas. II, 43, 138.

    JUSTICE, lieu où se faisoient les exécutions. II, 126.


    LAIRRAY, laisserai. I, 191.

    LAISSER, lasser. II, 27.

    LANDES (?). I, 125.

    LANGAGIER (Beau), beau parleur. «Car il estoit bon clerc et très
    beau _langagier_.» II, 157.

    LARRIER, mot tiré sans doute de _larris_, lande, terre en friche.
    I, 135.

    LAS, lac, lacet, piége. I, 272.

    LASSÉ, lacé. I, 6.

    LÉANS, là dedans.

    LÉAULTÉ, foi, loyauté. II, 233.

    LEDANGER, injurier. II, 58.

    LÉGENDE dorée, ouvrage célèbre de Jacques de Voragine, contenant les
    Vies des saints. La femme qui recommence _sa grande légende dorée_,
    t. I, p. 8, dit à son mari une kyrielle d'injures.

    LENDIT, foire qui se tenoit à Saint-Denis. «Une feste de Lendit et
    d'Envers.» I, 43.

    LEZ, côtés. «Visiter les angletz de sa chambre à tous _lez_ au
    mieulx qu'il luy fut possible.» II, 119. «Elle se pourchassoit à
    tous _lez_.» II, 187.

    LIEUTENANT, celui qui remplace le mari auprès de sa femme. I, 267;
    II, 118.

    LIGNAGE, famille. I, 271.

    LINGE, fin, délié. «Draps linges.» I, 181; II, 202.

    LOER, louer. II, 105.

    LOIST, est loisible, permis. I, 118.

    LOS, renommée. I, 193.

    LOUDIER, débauché, coureur de filles. I, 4.--Employé en mauvaise
    part dans le sens d'_amant_. II, 58.--Se prenoit aussi dans la
    signification plus étendue de _mauvais sujet_, _vaurien_. Voy. II,
    124.

    LOURDOYS (_En_), lourdement, à la façon d'un lourdaud. I, 112.

    LUYCTE, lutte. Prov. «A la tierce foiz va la _luycte_.» I, 78.

    LYE, joyeux. I, 72.

    LYÉ, joyeux. I, 19.

    LYESSE, gaieté, joie. I, 12.

    LYSIT, lut. I, 34.


    MAIGNYE, famille, les gens de la maison. «_Maignye_ d'enfans,
    parens, amis, héritages.» I, 101.

    MAIN MISE (?). «Il en eust prins vengence criminelle et de _main
    mise_.» II, 30.

    MAINS, moins. I, 9.

    MAL, mauvais.

    MAL VENIR (_De_), par malheur. I, 268.

    MALEBOUCHE, personnage allégorique du _Roman de la Rose_. I, 68.

    MALTALANT, colère, mauvaise disposition d'esprit. I, 8.

    MANIÈRE, colère, mauvaise humeur. «Elle est merveilleuse depuis
    qu'elle entre en sa _manière_.» I, 45.

    MARCHANDER, faire le métier de marchand. II, 118.

    MARCHANT, marchand. «En lieu marchant», dans une situation
    favorable. I, 92.

    MARCHE, contrée, frontière. I, 72.

    MARCHISSANT, attenant. I, 64.

    MARESCAUCIÉ, traité comme les individus arrêtés par les soldats de
    la maréchaussée? II, 166.

    MATÈRE, matière. I, 69.

    MATHEOLET. Le livre de Matheolus, poëme de Jean Le Febvre dirigé
    contre les femmes. I, 232. La Sale en parle dans les _Quinze joyes
    de mariage_.

    MATTE, triste. «Une sure et _matte_ chère.» I, 208.

    MAUVAISTIÉ, méchanceté, condition d'une chose mauvaise. II, 161.

    MEFFAIT PRÉSENT, flagrant délit. I, 268; II, 94.

    MEISER, penser, réfléchir. I, 8.

    MEMBRE _à perche_, membre viril. I, 70.

    MENESTRIELZ, musiciens, ménétriers. I, 157.

    MERCI. «Obtenir le don de merci d'une dame», obtenir ses dernières
    faveurs. II, 22.

    MERCIER, remercier. I, 19.

    MERCQUE, marque. II, 155.

    MERCY, grâce. II, 121.

    MERITER, récompenser. I, 71.

    MERVEILLEUX, méchant. I, 220.

    MERVEILLEUSE, méchante, acariâtre. I, 45.

    MESCHEF, accident, malheur. I, 18. «A quelque _meschef_ que ce
    fust.» I, 156; II, 7.

    MESCHIEF, faute. «Si en feray tout seul le _meschief_.» II, 223.

    MESCHINE, servante. I, 91.

    MESCHINETTE, petite servante. II, 240.

    MESCROIRE, soupçonner. I, 23.

    MESHUY, jamais. I, 8, 161.

    MESHUY. Aujourd'hui. «Si vous prie que ayez patience _meshuy_, et
    demain je besoigneray à vous.» I, 48. Voy. II, 149.

    MESMES, soi-même, «Et que pour mieulx besoigner, il y vouloit
    _mesmes_ aller.» II, 116.

    MESNAGER, s'occuper du ménage. I, 6.

    MESTIER, besoin. I, 21, 140.

    MESTRIER, maîtriser, gouverner. I, 151.

    METES, limites. I, 63.

    MEURES, mûres. «Etre rechassé des meures», être repoussé avec
    perte. I, 95; II, 93.

    MIGNON, beau, agréable. «Et entre les aultres nostre gentilhomme,
    qui _mignon_ se povoit bien nommer.» I, 57.

    MINOT, cachette, petit trésor, petite _mine_ d'argent. «Et si vous
    avez quelque _minot_ d'argent à part...» II, 95.

    MITAINE. Prov.: «Plus gay que une _mitaine_.» I, 265.

    MOLIN, moulin.

    MOMMERIES, mascarades. II, 21.

    MOMMEUR, homme masqué, qui fait des _mommeries_. II, 200.

    MONCELET, petit monceau. II, 181.

    MONSTRE, montre, revue. «Etre à monstre», être passé en revue. (I,
    84).

    MONTER. «Monter sur son chevalet», se mettre en colère. II, 161.

    MONTOUER, montoir, borne qui servoit pour monter à cheval. I, 290.

    MORE, mûre. II, 155.

    MORSE, amorce. «Pour voir s'il ne reviendroit point à la _morse_.»
    II, 156. Peut-être falloit-il imprimer _l'amorse_.

    MORTAIGNE. «Aller à Mortaigne», mourir. II, 133.

    MOULT, beaucoup. II, 169.

    MOURIR _sur bout_, sécher sur pied. I, 151.

    MOUSCHE, mouche. Prov.: «Luy qui cognoissoit _mousche_ en laict.» I,
    95.

    MOUSSEAU, ragoût, sauce. II, 46.

    MOUSTARDE. Prov.: «Plus fine que _moustarde_.» II, 128.

    MOUSTIER, couvent. I, 36.

    MOYEN, chose située entre deux autres. «La maison du curé tenoit à
    la sienne sans _moyen_.» II, 164.

    MUABLETÉ, inconstance, disposition au changement. II, 228.

    MUCER, _musser_, cacher. II, 117.

    MUSNIER, meunier.

    MUSSER, cacher. II, 180.

    MUTEMACQUE, mutinerie, rebellion. II, 245.

    MYE, nullement. I, 273.


    N', ni. II, 232.

    NATAULX, jours solennels. «Quatre foiz l'an, c'est assavoir, à
    quatre _nataulx_, vous devez confesser.» I, 201. Voy. Du Gange, vº
    _Natalis_.

    NAVE, navire. I, 105.

    NAVRER, blesser. II, 159.

    NAVYEUR, marin, navigateur. II, 228.

    NE, non plus. «Je vous requier que nous ne tenons compte d'elles
    _ne_ qu'elles font de nous.» II, 39.

    NÉANTÉ, néant. «Il la veult trop bien tancer et luy dire la
    lascheté et _néanté_ de son coeur.» II, 23.

    NEN, non. II, 95.

    NENNY, non.

    NESQ'UN, non plus qu'un. II, 158.

    NESUN, _nesung_, aucun. I, 214.

    NICHIL, rien. «_Nichil_ au doz», vieux terme de procédure: néant
    au dossier. I, 107.

    NOEVE (?). «Belle et gente et gracieuse estoit au temps qu'elle fut
    _noeve_.» II, 5.

    NOISE, bruit, tapage. I, 92.

    NOISEUX, querelleur, entreprenant. I, 131.

    NONCHALLOIR, négligence, indifférence. II, 155.

    NONNE (_Basse_), trois heures après midi. II, 148.

    NOTAIRE. Être le notaire d'une chose, y assister, en être témoin.
    I, 127, 154.

    NOU, nage. II, 35.

    NOUVEL (_De_), nouvellement. II, 161.

    NOUVELLETÉ, nouveauté. II, 47.

    NUNCIER, annoncer. I, 115.


    OBSTANT, nonobstant. II, 115.

    ODER, fatiguer. «Se _oda_ et tanna.» II, 228. Voy. _Hodé_.

    OEUFS. Prov. Voy. _Beurre_.

    OEZ, entendez. II, 115.

    OFFERENDE, offrande. «Il alloit devant eulx à l'offerende.» Il
    étoit le préféré. I, 144.

    OIGNEMENS, onguents. I, 12.

    ONCQUES, jamais.

    ORDE, sale, grossiere. «Une orde excusance.» I, 157.

    ORDOYER, salir, souiller. II, 95.

    ORES, maintenant. II, 40.

    ORINAL, vase à uriner. I, 111.

    ORPHENIN, orphelin. I, 106.

    ORRA, entendra. II, 33.

    ORREZ, entendrez. II, 164.

    OSTEL, maison.

    OSTELLERIE, nom de lieu. I, 192, 252.

    OU, avec.

    OUSTILLÉ, garni d'instrument naturel. II, 84.

    OUVRANT, travaillant. II, 202.

    OUVRER, travailler.

    OUVROUER, laboratoire. Est dit de la partie naturelle d'une femme.
    II, 117.

    OYE, ouïe. I, 128.


    PAIN. «Tenoit à _pain_ et à pot une donzelle belle et gente»,
    l'entretenoit. II, 128.

    PARACHEVER, terminer, accomplir. II, 13. On rencontre souvent dans
    ce livre cette syllable explètive _par_, qui indique l'achévement,
    la perfection. Voy. les mots ci-après.

    PARACCOMPLIR, accomplir. II, 91.

    PARAFFOLER, affoler, martyriser complétement. I, 110.

    PARBONDY, bondi, sauté. II, 131.

    PARCEURENT, aperçurent. I, 114.

    PARCHON, partage. II, 120, 193.

    PARDEDANS (_En son_), intérieurement, à part soi. I, 242, 259.

    PARDEHORS, extérieur, mine, apparence. I, 258.

    PAREMENS, vêtements, parures. II, 242.

    PARENTAGE, parenté. II, 211.

    PARESTOIT, étoit complétement. II, 112.

    PARFACE, accomplisse. I, 249.

    PARFAIT, achévement. «Mais du _parfait_, nichil!» I, 170.

    PARFIN (_En la_), à la fin. II, 94.

    PARFOND, profond. I, 121.

    PARFORCER, forcer complétement. I, 40.

    Parfournir, compléter. II, 34.

    PARLEMENT, discours, conversation. I, 234.

    PARMENTIER, passementier. II, 198.

    PAROULTRER, passer outre complétement, accomplir. I, 132.

    PARTEMENT, départ. I, 86.

    PARTISSONS, partagions. II, 119.

    PARTUER, tuer tout à fait. I, 112.

    PARTY, partagé, pourvu. I, 228; II, 145.

    PASQUE (_Blanche_), le jour des Rameaux. II, 182.

    PASQUES _communiaux_, le jour de Paques. II, 183.

    PASQUES _flories_, les Rameaux. II, 182.

    PASSE ROUTE, expert, routier. «Tout ce que bon et sage chien doit
    et scet faire il estoit le _passe route_.» II, 205.

    PASSIONNER, souffrir. II, 203.

    PASTE, prov. «Porter la paste au four.» I, 288.

    PASTOURE, conductrice d'un troupeau. Est dit d'une abbesse. I, 119.

    PATARS, sorte de monnaie. II, 157.

    PATOYS, langage de paysan. «Et les servit grandement en son
    _patoys_ à ce disner.» I, 112.

    PAULMÉ, pâmé. II, 100, 113.

    PAUMOISON, pâmoison. I, 108.

    PECHE, pièce. I, 2.

    PÉCHÉ. Etre mis avec les _péchés oubliés_ (I, 148), être
    complétement oublié.

    PELETERIE, mauvaise situation. «Il ronge son frain aux dens et
    tout vif enrage quand il se voit en celle _peleterie_.» I, 156.

    PENNES, pièces de drap. «Pluseurs pennes entières et de très bonne
    valeur.» II, 95.

    PENSEMENS, pensées, soucis. II, 226.

    PENULTIME, avant-dernier. II, 248.

    PERCEVANT, adroit, pénétrant. II, 140.

    PERCEVOIR, apercevoir. II, 9.

    PERCHANT, bâton, perche; pris pour membre viril. II, 204.

    PERCHA, perça. II, 217.

    PERILLEUX, dangereux. I, 131.

    PERTUISER, percer. II, 14.

    PERTUS, trous. I, 178.

    PHISICIEN, médecin. I, 11.

    PIE, boisson. «En pluseurs religions y a de bons compaignons à la
    _pie_ et au jeu des bas instrumens.» II, 201. On disoit aussi
    _pier_, boire; _piot_, vin; _croquer la pie_, boire.

    PIEÇA, il y a longtemps, il y a _pièce_ de temps. I, 3.

    PIEZ, pieds. «Vous ne saulterez jamais d'icy sinon les _piez_
    devant.» C'est-à-dire: Vous ne sortirez que mort. I, 197.

    PIGNE, peigne. «Trousser _pignes_ et miroirs» (I, 123), faire ses
    paquets.

    PILLER, prendre. II, 81.

    PLAISANCE, volonté, fantaisie. I, 65.

    PLASTRIER, homme grossier, malpropre. «Les villains _plastriers_.»
    II, 216.

    PLÉGER, tenir tête à quelqu'un qui boit à notre santé. I, 176.

    PLORERIE, action de pleurer. I, 116.

    PLUC, ce qu'on a recueilli. Cueillir se dit en allemand _pflücken_.
    En gascon, manger un raisin grain à grain se dit _pluca_. Cotgrave
    donne le mot _plucquoter_... «Car du _pluc_ et butin qu'elle avoit à
    la force de ses reins conquesté avoit acquis vaisselle et
    tapisserie.» II, 136.

    POISSON. «S'en revint devers son maistre à tout ce qu'il avoit de
    _poisson_, car à char avoit-il failli», est dit d'un entremetteur.
    I, 130.

    PORCIONNER, faire des parts, partager. II, 120.

    POSTERNE, poterne. I, 1.

    POT (_A pain et à_). Voy. _Pain_.

    POU, peu.

    POURCHAZ, recherche, diligence. I, 133, 267.

    POURSUIR, poursuivre. I, 96.

    PREMISSE, discours, prologue, exorde. I, 129, 274.

    PRENIST, prît. II, 177.

    PRESCHEMENT, sermon, remonstrance. I, 95.

    PREU, profit, avantage. «Bon _preu_ vous fasse!» I, 189.

    PRINS, prov. «Cy _prins_ cy mis.» II, 134, 149. On dit aujourd'hui:
    «Sitôt pris, sitôt pendu.»

    PRINSAULT, prime abord. I, 3.

    PROCURER, plaider, intercéder, servir de procureur. I, 166.

    PUBLICQUEROIT, divulgueroit, publieroit. II, 233.

    PUIS, après. I, 178.

    PUIS, dès. I, 195.

    PUTE, méchant, pervers. Des deux genres. I, 235.

    PUTERIE, mauvaise vie, débauche. I, 288.

    PUTIER, débauché. I, 4.


    QUARESME. Prov. «Il sembloit qu'ils voulsissent tuer Quaresme.» II,
    178. C'est-à-dire: Ce sont des gens déterminez, qui tueroient tout,
    même Carême, tout maigre qu'il est.

    QUARESMEAULX, jours maigres. I, 212.

    QUANS, combien de. I, 92.

    QUE, comme. «Et s'asseura _que_ celuy qui en beaucop de perilz
    s'estoit trouvé.» II, 28.

    QUERELLE, recherche, demande, prétention. I, 233, 258.

    QUERIR, vouloir, chercher. «Je ne vous le _quier_ jà celer.» I,
    186. Voy. I, 222; II, 11.

    QUESNOY (LE ). I, 134.

    QUETAILLE (?). «Se tenoit comme une droite statue ou ydole en
    _quetaille_.» I, 175.

    QUIBUS, argent. II, 136.

    QUIS, cherché. I, 163.

    QUITTER, abandonner, céder. I, 68.

    QUONIAM, parties naturelles de la femme. II, 135.


    RACANER, braire. II, 143.

    RACOLER, faire l'acte amoureux. I, 113.

    RADDE, vif, alerte. «_Radde_ du pyé», agile. I, 302.

    RADOUBTER, radoter. I, 181.

    RAFFROIGNÉ, refrogné. II, 86.

    RAFRESCHER, rappeler, renouveler, rafraîchir. I, 289.

    RAHERCE (?). I, 183.

    RAIDZ, rayons. I, 105.

    RAMENTEVOIR, rappeler. I, 121.

    RAMONNÉ. Prov. «Se trouver en place _ramonnée_» (I, 67), en lieu
    propre, favorable.

    RAMPONNER, quereller, gronder. I, 176.

    RAROIT, auroit de nouveau. I, 21.

    RASIERE, mesure de blé. I, 270.

    RASTELÉE, _râtelée_, ce qu'on sait, ce qu'on pense d'une chose.
    «Compta sa _rastelée_ à madamoiselle.» II, 128.

    RASURE, mesure de blé. I, 268.

    RATAINDIT, ratteignit. I, 157.

    RATE, un peu. Espagnol, _rato_. «A _rate_ de temps.» I, 180.

    RATELÉE. Voy. _Rastelée_.

    RATOILLE, réattelle. I, 54.

    REBOUTEMENT, action de rebuter, repousser. I, 251; II, 98.

    REBOUTER, remettre. I, 292.

    REBOUTER, rebuter, repousser. I, 70.

    RECANER, braire. II, 59.

    RECEVEUR, celui qui reçoit des coups. «Il compteroit avecques luy
    et le feroit receveur oultre son plaisir.» II, 115.

    RECHAP, action de réchapper d'un danger. «Elle est morte, et n'y a
    pas de _rechap_.» I, 111.

    RECLUSAGE, ermitage. I, 75.

    RECORS (Etre), se souvenir. II, 183.

    RECRÉANT, las, lâche. «Plus que tous aultres _recréant_ et las.» I,
    7, 61; II, 104, 225.

    REFROIDEMENT, refroidissement. II, 42.

    REHOUSER, remettre les bottes. I, 133.

    RELIGION, couvent. II, 201.

    REMANENT, restant, demeurant. II, 192.

    REMBATRE, revenir sur ses anciens errements (?). I, 127.

    RENARD, fin, rusé. I, 70.

    RENCHOIR, retomber. II, 15.

    RENCOULER, roucouler. II, 180.

    RENDY (?). «Car la mercy Dieu elle avoit _rendy_ et couru païs plus
    tant que du monde ne savoit que trop.» II, 128

    RENGREGER, aggraver. II, 91.

    RENURÉ, profondément gravé. I, 231.

    REPAIRE, visite, fréquentation. II, 115.

    REPATRIER. I, 262.

    REPRINSE, repréhension. «Pour bien se venger de luy à son aise et
    sans _reprinse_.» I, 27.

    REPROCHÉ, _reprouché_, blâmé, décrié, diffamé. I, 31, 118, 300.

    REQUERRE, requérir. I, 118.

    REQUESTES. «Passer les _requestes_ de quelqu'un», lui accorder ce
    qu'il demande. «Elle passa legerement les requestes de ceulx qui
    mieulx luy pleurent.» II, 5.

    RESCOURRE, secourir. I, 291.

    RESCRIPSIT, écrivit en réponse. I, 144.

    RESERRER, refermer. I, 186.

    RESNE, rêne. Employé dans le sens de membre viril. I, 230.

    RETOLLIR, reprendre ce qu'on avoit donné. I, 99.

    RETOUR, retraite, habitude, amourette. «J'ay ung retour en ceste
    ville dont je suis beaucop assoté.» I, 184.

    RETOURNER, retour. II, 110.

    REVIRER, retourner. I, 178.

    REUT, eut de nouveau. I, 14.

    RIBAULD, homme de mauvaise vie. I, 4.

    RIBAULDELLE, ribaude, femme de mauvaise vie. II, 215.

    RIEN, chose. «La _rien_ en ce monde dont la présence plus luy
    plaist.» I, 121.

    RIGOLER, railler. Verbe actif. I, 176.

    RIRE. Prov.: «Qui à ceste heure l'eust veu _rire_, jamais n'eust eu
    les fièvres.» I, 133.

    RISIT, rit. II, 22.

    RIZ, indiqué comme une marchandise dont l'Angleterre fournissoit
    les autres pays. I, 101.

    ROE, roue. I, 134.

    ROMPTURE, rupture. I, 77.

    RONTEURE, rupture. I, 181.

    ROTE, troupe. I, 34.

    ROUCYNER, _rousyner_, faire l'acte amoureux. I, 111, 280.

    ROUIL, rouille. II, 177.

    ROUTIER (?). «Son mary avoit demouré deux ou trois jours
    _routiers_.» II, 178.

    RUER, jeter. II, 176.

    RUSE (?). «Car il estoit ferme en la _ruse_ que d'estre confessé.»
    I, 39.


    SACQUA  tira. II, 219.

    SAILLIR, sortir. II, 12.

    _Saillir sus_, se lever vivement. II, 43.

    _Saillir avant_, s'avancer vivement. I, 117.

    SAINS, saints. «La devocion que monseigneur avoit aux _sains_ de sa
    meschine de jour en jour croissoit.» I, 91.

    SAINT ANTHOINE. «Saint Anthoine arde la louve!» I, 231.

    SAINT NICOLAS DE WARENGEVILLE. I, 141.

    SAINT POL (comte de). Voy. Walerant. I, 128.

    SAINT REMY, époque d'échéance. I, 269.

    SAINT TRIGNAN. I, 29.

    SAINTE GOULE, sainte Gudule. II, 15.

    SALADE, sorte de casque. I, 28.

    SANCHIÉ (?) «Son mary retourna de la ville comme _sanchié_ de son
    courroux, pource qu'il s'en estoit vengé.» I, 243.

    SANÉ, guéri. II, 174.

    SANGLES, simples. II, 247.

    SARA, saura. II, 244.

    SAULDREZ, sortirez, sauterez. II, 124.

    SAULT, sort. I, 92.

    SAULTEREZ, sortirez. I, 197.

    SAULX, saule. «Charbon de saulx.» I, 43.

    SAUVEMENT, salutairement. «Si _sauvement_ preservé.» II, 105.

    SAYOIT, scioit. I, 130.

    SÇARAS, sauras.

    SCERA, saura. I, 60.

    SE, ce.

    SÉANS, céans, ici. I, 6.

    SEAUMES, psaumes. I, 105.

    SECLUS, exclu. I, 192; II, 236.

    SEMONCE, invitation. I, 169.

    SEMONNEZ, invitez, engagez. I, 176.

    SEMONS, invité. II, 34.

    SENESTRE, gauche.

    SENGLOUTIR, jeter des sanglots. II, 245.

    SENTE, route, sentier. I, 139.

    SENTEMENT, sentiment. II, 131.

    SEQUESTRE. «Et si emporte la verge qu'elle luy donna, qu'il avoit
    desja mise en main _sequestre_.» I, 155.

    SERAIN, soir. I, 38.

    SERCHER, chercher. I, 23.

    SERRE. Prov.: «Elle ne tenoit _serre_ non plus qu'une vieille
    arbaleste.» I, 295.

    SES, ces.

    SEUFFRIR, souffrir. I, 226.

    SI, oui, oui certes. «Le musnier demanda à madame se elle l'avoit à
    l'entrée du baing, et elle dit que _si_.» I, 24.

    SI QUE, jusqu'à ce que. I, 131.

    SIET, est assis, situé. I, 114.

    SIGNIFIANCE, signification. II, 13.

    SIMPLESSE, simplicité, bêtise. II, 181.

    SINGE. Prov.: «Pour qui elle ne feroit néant plus que le _singe_
    pour les mauvais.» I, 130.

    SOEF, doucement. I, 100.

    SOICHONS, compagnons. II, 227.

    SOLAZ, plaisir, réjouissance. I, 159.

    SOLIER, soulier. Prov.: «Doubtant qu'il ne soit pas bien _solier_ à
    son pié.» I, 83.

    SONNET, pet. I, 14, 100.

    SORNER, se moquer. II, 46.

    SOUEF, doucement. I, 178.

    SOUFFISAUMENT, suffisamment. I, 19.

    SOUFFLE-EN-CUL, nom donné à l'acte amoureux. I, 279.

    SOUFFRANCE, patience. Employé ironiquement, II, 209.

    SOULAS, plaisir, réjouissance. II, 232.

    SOULOIR, avoir coutume. I, 284.

    SOUPRINS, surpris. I, 75.

    SOURDOIENT, provenoient. II, 137.

    SOURDRE, naissance, origine. «Quelque menace qui _sourdre_ prist.»
    II, 115.

    SOURVENISTES, survîntes. I, 269.

    SOUVYNE, sur le dos. I, 131.

    SUBTILIER, chercher des détours. II, 187.

    SURE, aigre. «Une _sure_ et matte chère.» I, 208.

    SUS, chez. II, 50, 54.

    SUS (_En_), loin. I, 126.

    SUSCITER, réveiller, ranimer. II, 186.

    SUSPEÇONNER, soupçonner. I, 8.

    SUSPEÇONNEUX, soupçonneux.

    SUSPICION, soupçon. I, 267; II, 118.

    SUSPICIONNÉ, soupçonné. II, 114.

    SUYR, suivre. II, 106.


    TAILLÉ _de_, fait, disposé pour..., apte à..., en passe de... I,
    125; II, 193.

    TALEBOT, Talbot. I, 32.

    TAMBURCH, bruit. II, 176.

    TANCER, gronder, quereller, parler. «Et je m'en iray en ma
    chambrette là derrière _tancer_ à Dieu.» I, 249.

    TANNÉ, lassé, fatigué. II, 228.

    TANTES, tant de. II, 109.

    TAPINAGE (_En_), en cachette, en tapinois. I, 130.

    TAS. «Monter sur le _tas_ pourvoir plus loin», est dit d'un homme
    qui caresse une femme. II, 131.

    TASSEAU, pièce. I, 299.

    TAUXÉ, taxé. I, 269.

    TAYE, grand'mère, ayeule. I, 302.

    TEINS, veillé. I, 206. Voy. _Tenir_.

    TENDREUR, tendresse. I, 154.

    TENIR sur quelqu'un, le surveiller. «Car je _tendray_ sur luy.» I,
    212.

    TENSER, tancer, quereller. I, 30.

    TENTE, instrument de chirurgie, appareil. «Et d'un tel oustil fit
    il la _tente_ pour querir et pescher le dyamant.» I, 25.

    TERMES (_Mis en_), proposé, convenu. II, 52.

    TERMINÉ (?). «Ensuyvant le _terminé_ propos.» II, 159.

    TERRIEN, terrestre. I, 194.

    TIERS, TIERCE, troisième.

    TOLLU, enlevé. II, 131.

    TOUST, ôte. I, 211.

    TRAIN. «Tirer au _train_ de derrière» (I, 126), être enclin à
    l'amour.

    TRAINNÉE, _traynée_, _traynnée_, intrigue, secret. Allusion à la
    traînée de poudre d'une mine. II, 59, 113, 117. On dit aujourd'hui:
    «Eventer la mine.»

    TRANSMUER, changer. I, 138.

    TRAVEILLER, fatiguer. «Il n'est jà mestier que vous _traveillez_
    plus monseigneur.» I, 21.

    TRAYNÉE, _traynnée_. Voy. _Trainnée_.

    TRESPASSER, passer outre. I, 137.

    TRESTOUS, tous. II, 124.

    TRIUMPHE, joie, allégresse. I, 11.

    TROMPER (_Se_) de quelqu'un, s'en moquer. I, 207.

    TYNE, tonneau. I, 238.


    UNES, une paire de. «_Unes_ brayes qui pendoient.» II, 13.

    UNG (A L' ), également, d'une manière unie. I, 215.


    VA-LUY-DIRE, messager d'amour. I, 130.

    VAISSEL, vaisseau, vase. I, 14.

    VARIABLETÉ, condition de ce qui change facilement. II, 228.

    VÉEZ CY, voici.

    VÉEZ LA, voilà.

    VEIL, volonté, vouloir. I, 145.

    VEILLE, veux. I, 136.

    VEILLÉ, éveillé, vif, rusé. «Son varlet, qui estoit ung galant tout
    _veillé_.» I, 96.

    VEILLOTE, petite vieille. I, 76.

    VENSIST, vînt. I, 296.

    VERGE, bague, anneau. I, 23.

    VEYER (?). II, 126.

    VIAIRE, visage. II, 174.

    VIANDER, manger. II, 79.

    VILLANNER, injurier, décrier, offenser grièvement de paroles. I,
    30.

    VILLANIE (_Dire_), dire des injures. I, 163, 245; II, 24.

    VIRER, tourner. I, 225.

    VIRETON, bâton. II, 205.

    VITAILLES, victuailles. II, 118.

    VIVEUX, vif, éveillé. I, 67.

    VOER, jurer, faire voeu. II, 13.

    VOIRRÉ, garni de vitraux, de _verrières_. II, 35.

    VOIRRIÈRES, _verrières_, vitrages. I, 75.

    VOULSIST, voulût.

    VUIDER, quitter le lieu où l'on est. II, 116.


    WALERANT (Comte). I, 128.

    WRELENCHEM, près de Lille. I, 128.


    YDOINE, propre, approprié, convenable, suffisant. S'écrit
    ordinairement _idoine_. II, 244.

[Décoration]




[Décoration]

TABLE DES MATIÈRES.

AVEC LES TITRES DES NOUVELLES ÉDITIONS DE COLOGNE ET DE LA HAYE.


  TOME I.
                                                       Pages.

  INTRODUCTION                                           v

  DÉDICACE                                               xxj

  TABLE DES SOMMAIRES                                    xxiij

  NOUVELLE I. La médaille à revers                       1

          II. Le cordelier médecin                       9

         III. La pêche de l'anneau                       16

          IV. Le cocu armé                               26

           V. Le duel d'aiguillettes                     32

          VI. L'ivrogne au paradis                       38

         VII. Le charreton à l'arrière-garde             43

        VIII. Garce pour garce                           46

          IX. Le mari maquereau de sa femme              50

           X. Les pastés d'anguille                      56

          XI. L'encens au diable                         61

         XII. Le veau                                    63

        XIII. Le clerc châtré                            67

         XIV. Le faiseur de papes, ou l'homme de Dieu    73

          XV. La nonne savante                           81

         XVI. Le borgne aveugle                          84

        XVII. Le conseiller au bluteau                   90

       XVIII. La porteuse du ventre et du dos            95

         XIX. L'enfant de neige                          101

          XX. Le mari médecin                            107

         XXI. L'abbesse guérie                           114

        XXII. L'enfant à deux pères                      120

       XXIII. La procureuse passe la raye                125

        XXIV. La botte à demi                            128

         XXV. Forcée de gré                              134

        XXVI. La demoiselle cavalière                    137

       XXVII. Le seigneur au bahut                       157

      XXVIII. Le galant morfondu                         166

        XXIX. La vache et le veau                        173

         XXX. Les trois cordeliers                       177

        XXXI. La dame à deux                             183

       XXXII. Les dames dîmées                           192

      XXXIII. Madame tondue                              204

       XXXIV. Seigneur dessus, seigneur dessous          218

        XXXV. L'échange                                  223

       XXXVI. A la besogne                               229

      XXXVII. Le bénitier d'ordure                       232

     XXXVIII. Une verge pour l'autre                     238

       XXXIX. L'un et l'autre payé                       245

          XL. La bouchère lutin dans la cheminée         251

         XLI. L'amour et l'aubergon en armes             256

        XLII. Le mari curé                               261

       XLIII. Les cornes marchandes                      267

        XLIV. Le curé courtier                           270

         XLV. L'Ecossois lavendière                      280

        XLVI. Les poires payées                          283

       XLVII. Les deux mules noyées                      287

      XLVIII. La bouche honnête                          292

        XLIX. Le cul d'écarlate                          295

           L. Change pour change                         301


  TOME II.

          LI. Les vrais pères                            4

         LII. Les trois monuments                        8

        LIII. Le quiproquo des épousailles               15

         LIV. L'heure du berger                          21

          LV. L'antidote de la peste                     25

         LVI. La femme, le curé, la servante, le loup    29

        LVII. Le frère traitable                         34

       LVIII. Fier contre fier                           38

         LIX. Le malade amoureux                         41

          LX. Les nouveaux frères mineurs                49

         LXI. Le cocu dupé                               53

        LXII. L'anneau perdu                             60

       LXIII. Montbléru, ou le larron                    72

        LXIV. Le curé rasé                               78

         LXV. L'indiscrétion mortifiée et non punie      82

        LXVI. La femme au bain                           87

       LXVII. La dame à trois maris                      90

      LXVIII. La garce dépouillée                        94

        LXIX. L'honnête femme à deux maris               97

         LXX. La corne du diable                         101

        LXXI. Le cornard débonnaire                      106

       LXXII. La nécessité est ingénieuse                109

      LXXIII. L'oiseau en la cage                        114

       LXXIV. Le curé trop respectueux                   122

        LXXV. La musette                                 123

       LXXVI. Le laqs d'amour                            128

      LXXVII. La robe sans manches                       132

     LXXVIII. Le mari confesseur                         135

       LXXIX. L'âne retrouvé                             141

        LXXX. La bonne mesure                            143

       LXXXI. Le malheureux                              146

      LXXXII. La marque                                  155

     LXXXIII. Le carme glouton                           157

      LXXXIV. La part au diable                          161

       LXXXV. Le curé cloué                              163

      LXXXVI. La terreur panique, ou l'official juge     167

     LXXXVII. Le curé des deux                           173

    LXXXVIII. Le cocu sauvé                              177

      LXXXIX. Le curé distrait                           181

          XC. La bonne malade                            184

         XCI. La femme obéissante                        187

        XCII. Le charivari                               189

       XCIII. La postillonne sur le dos                  194

        XCIV. Le curé double                             197

         XCV. Le doigt du moine guéri                    201

        XCVI. Le testament du chien                      205

       XCVII. Les hausseurs                              208

      XCVIII. Les amants infortunés                      211

        XCIX. La métamorphose                            219

           C. Le sage Nicaise, ou l'amant vertueux       223

  NOTES                                                  251

  GLOSSAIRE                                              273


FIN DE LA TABLE.

[Décoration]




[Décoration]

ERRATA.


TOME I.

  Pag. Ligne.

   14  33 _au lieu de_ ient       _lisez_ tient.

   84   5 -- prè set              -- près et.

  134  24 -- Etainçois            -- Et ainçois.

  173  10 -- a chef               -- à chef.

  173  19 -- baillés              -- bailles.

  183  14 -- La Barre             -- La Barde.

  229  26 -- quelque              -- quel que.

  233   3 -- advenues. Nostre     -- advenues, nostre.

  252  27 -- veoit                -- véoit.

  275   7 -- Quen                 -- Qu'en.

  283   2 -- Thieuges             -- Thienges.

  283  21 -- l'abbesse qui veoit  -- l'abbesse, qui véoit.

  301   2 -- La Salle             -- La Sale.


TOME II.

   28  28 -- quon                 -- qu'on.

   65  30 -- requis,              -- requist.

   99  31 -- qu                   -- qui.

  109  15 -- cueur que            -- cueur, que.

  157   9 -- Libers               -- Lillers.

  166  33 -- alousie              -- jalousie.

  202  10 -- la dole              -- l'adolé.

  226  26 -- ye                   -- aye.

  231   7 -- este                 -- estes.

[Décoration]




Corrections

La première ligne indique l'original, la seconde la correction:

    p. 263:

    P. 1. _L'acteur._ Probablement Antoine de la Sale.
    P. 5. _L'acteur._ Probablement Antoine de la Sale.

    p. 317:

    UNG (A l'), également, d'une manière unie. 215.
    UNG (A l'), également, d'une manière unie. I, 215.

    p. 320:

    LI. Les vrais pères 4
    LI. Les vrais pères 5





End of Project Gutenberg's Les Cent Nouvelles Nouvelles,  tome II, by Various

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES CENT NOUVELLES ***

***** This file should be named 40768-8.txt or 40768-8.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        http://www.gutenberg.org/4/0/7/6/40768/

Produced by Laurent Vogel, Eleni Christofaki, gdm and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net.
(This book was produced from scanned images of public
domain material from the Google Print project.)


Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties.  Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark.  Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission.  If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy.  You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research.  They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks.  Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License available with this file or online at
  www.gutenberg.org/license.


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation information page at www.gutenberg.org


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at 809
North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887.  Email
contact links and up to date contact information can be found at the
Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit:  www.gutenberg.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For forty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.