Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I

By Thomas Wright

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Title: Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I
       Publiées d'après le seul manuscrit connu avec introduction et notes

Author: Various

Editor: Thomas Wright

Release Date: September 14, 2012 [EBook #40763]

Language: French


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Note de Transcription

L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les
erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. Une
liste d'autres corrections faites se trouve à la fin du livre. A l'
original, les Notes, le Glossaire, la Table des Matières et les Errata
sont imprimés à la fin du deuxième tome.

Tout groupe de caractères imprimés en exposant dans l'original et dont
l'abréviation n'est pas évidente ou non courante, est mis en accolade.

  Marquage: _mots en italique_




     LES CENT NOUVELLES NOUVELLES




  Paris, imprimé par GUIRAUDET et JOUAUST, 338, rue S.-Honoré,
  avec les caractères elzeviriens de P. JANNET.




  LES CENT

  NOUVELLES

  NOUVELLES

  _Publiées d'après le seul manuscrit connu_

  AVEC INTRODUCTION ET NOTES

  Par

  M. THOMAS WRIGHT

  Membre correspondant de l'Institut de France


  TOME I

  [Illustration]

  A PARIS

  Chez P. JANNET, Libraire

  MDCCCLVIII




[Décoration]

INTRODUCTION.


Le recueil de contes publié sous le titre des Cent Nouvelles Nouvelles
est tellement connu, que nous croyons pouvoir nous dispenser de parler
ici de sa valeur littéraire. Par un hasard singulier, qui ne s'explique
pas facilement, on n'en connoissoit pas un seul manuscrit, et toutes les
éditions d'un ouvrage qu'on considère avec raison comme l'un des modèles
de la vieille prose françoise n'ont été jusqu'à présent que la
reproduction plus ou moins correcte des éditions imprimées dans les
dernières années du quinzième siècle. Cependant, on voit des indications
assez exactes de deux manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles. Dans le
Catalogue de la bibliothèque de Gaignat, publié par De Bure en 1769, en
deux volumes in-8, nous trouvons, sous le nº 2214: «Le livre des Cent
Nouvelles Nouvelles composées pour l'amusement du roi Louis XI,
lorsqu'il n'étoit encore que Duc de Bourgogne (_sic_), manuscrit sur
vélin, du quinzième siècle, en lettres gothiques, daté de l'année 1432
et décoré de petites miniatures assez jolies, petit in-folio, mar. cit.»
Vendu 100 liv. 1 sol. Un autre catalogue, mais beaucoup plus ancien,
l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne, publié dans la
_Bibliothèque protypographique_ (Paris, 1830, in-4, p. 283), nous
indique un manuscrit du même ouvrage qui en étoit probablement
l'exemplaire original. On y lit: «Nº 1261. Ung livre tout neuf escript
en parchemin, à deux coulombes, couvert de cuir blanc de chamoy,
historié en plusieurs lieux de riches histoires, contenant cent
nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que de plusieurs
autres de son hostel, quemanchant le second feuillet, après la table, en
rouges lettres: _celle qui se baignoit_, et le dernier: _lit demanda_.»

Voilà tout ce qu'on savoit des manuscrits des Cent Nouvelles Nouvelles,
et on les croyoit tous les deux irréparablement perdus, quand, par un
heureux hasard, durant une courte visite à Glasgow, j'ai trouvé un beau
manuscrit de cet ouvrage dans la précieuse bibliothèque du Musée
Huntérien, et qui répondoit assez bien à la description du manuscrit du
catalogue de 1769 d'un côté, et à celle du manuscrit des ducs de
Bourgogne de l'autre. Ma première idée fut que les trois manuscrits n'en
faisoient qu'un, et que j'avois devant les yeux l'exemplaire original de
ce célèbre recueil. En effet, je me suis bientôt convaincu que j'avois
entre les mains le manuscrit même qui avoit figuré dans le catalogue de
Gaignat.--Non-seulement la description de ce Catalogue s'appliquoit
parfaitement bien à notre manuscrit, mais la date 1432 s'y trouvoit. La
chose s'explique sans difficulté: le docteur Hunter, à qui l'Université
de Glasgow doit le musée et la bibliothèque qui portent encore son nom,
né en 1728, s'établit à Londres en 1763 et y est mort en 1793. Le
catalogue de Gaignat est précisément de l'époque à laquelle le docteur
Hunter s'occupoit le plus activement de l'achat des manuscrits. C'est
sans doute lui qui acheta pour 100 francs l'exemplaire des Cent
Nouvelles Nouvelles indiqué dans le catalogue de 1769.

Je ne pouvois donc plus douter que je tenois entre les mains le
manuscrit de Gaignat; mais je me suis également convaincu que notre
manuscrit n'étoit pas celui de l'Inventaire de la Bibliothèque des ducs
de Bourgogne, dont on avoit facilité l'identification, selon la manière
usuelle au moyen âge, en donnant les premiers mots du second et du
dernier feuillet. En effet, nous savons que le second feuillet du
manuscrit appartenant au duc de Bourgogne commençoit par les mots _celle
qui se baignoit_. Nous trouvons bien sur la première page de notre
manuscrit (le premier feuillet manque), dans le titre du premier conte,
les mots: «trouva _celuy qui se baignoit_ avec sa femme»; mais ils ne
sont pas les premiers mots de la page, et par conséquent du feuillet.
L'auteur de l'Inventaire a voulu sans doute nous informer que
l'avant-dernier feuillet finissoit par les mots _lict_, _demanda_, et
nous trouvons dans notre manuscrit (tom. II, p. 248, de notre édition)
les mots: «la vit couchée au _lict_, _demanda_ si pour ung seul, etc.»;
mais les deux mots en question ne sont ni au commencement ni à la fin du
feuillet. Le manuscrit de la bibliothèque des ducs de Bourgogne étoit
évidemment un exemplaire des Cent Nouvelles Nouvelles différent de celui
de Glasgow.

Mais, en comparant ainsi les manuscrits, une autre circonstance a fixé
mon attention. Les mots qui commençoient le second feuillet de
l'exemplaire appartenant aux ducs de Bourgogne sont identiques dans les
deux manuscrits (car je regarde le _celle_ de l'Inventaire comme une
simple erreur du compilateur), mais pas dans l'édition imprimée par
Verard, qui a changé un peu la phrase: «_le trouvoit qui se baignoit_
avec sa femme.» Nous devons conclure de cette conformité assez
importante dans le peu de mots conservés du manuscrit des ducs de
Bourgogne que le texte original des Cent Nouvelles Nouvelles est assez
exactement représenté dans le manuscrit de Glasgow, et par conséquent
que le texte de Verard et des éditions subséquentes est très imparfait
et très incorrect, car on n'a qu'à comparer quelques pages du texte de
notre manuscrit de Glasgow avec celui des éditions imprimées pour se
convaincre que le premier leur est très supérieur. Nous avons le droit
même de supposer que non-seulement Verard a tiré son texte d'un mauvais
manuscrit, mais encore qu'il l'a laissé imprimer avec beaucoup de
négligence; qu'on a continuellement changé les phrases qui sentoient le
dialecte picard plutôt que l'idiome parisien; qu'on a remplacé des
expressions vieilles ou triviales par d'autres plus modernes ou plus en
vogue; enfin, qu'on a fait des omissions assez considérables,
quelquefois par accident ou négligence, mais plus souvent pour abréger
le texte. Ces omissions deviennent beaucoup plus nombreuses et plus
importantes vers la fin de l'ouvrage qu'au commencement, et dans
l'édition de Verard, comparée avec le texte du manuscrit, le dernier
conte est abrégé presque d'un tiers. Le manuscrit de Glasgow nous permet
donc de donner le texte des Cent Nouvelles Nouvelles beaucoup plus
complet et plus correct que celui de toutes les éditions qui ont précédé
la nôtre.

Maintenant, qu'il me soit permis d'appeler l'attention des lecteurs sur
une autre circonstance qui me paroît d'une grande importance pour
l'histoire littéraire de l'ouvrage remarquable que nous publions. On
sait que, pour échapper aux poursuites de son père, Louis XI, alors
Dauphin de France, se retira, au milieu de l'année 1456, à la cour du
duc de Bourgogne Philippe le Bon, et qu'il y resta jusqu'à la mort de
Charles VII, en 1461. Philippe le Bon lui assigna pour sa demeure le
château de Génappe, et on prétend que c'étoit à la petite cour que le
Dauphin réunit autour de lui dans ce séjour qu'on répétoit les divers
contes que plus tard le duc de Bourgogne faisoit mettre en écrit pour en
conserver la mémoire. Telle étoit, selon ce qu'on dit, l'origine du
recueil des Cent Nouvelles Nouvelles; mais on n'a jamais nié que le seul
fondement de tous ces prétendus faits se trouve dans la dédicace placée
en tête de l'édition imprimée par Verard, à la fin de laquelle nous
lisons les mots suivants: «Et notez que par toutes les Nouvelles où il
est dit par Monseigneur, il est entendu par Monseigneur le Dauphin,
lequel depuis a succédé à la couronne et est le roy Loys unsieme; car il
estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne.» Ce passage remarquable ne
paroît pas dans notre manuscrit, et il faut avouer qu'il présente tout
le caractère d'une addition émanant de Verard lui-même. Il me paroît
évident aussi que ce passage manquoit également au manuscrit original
indiqué dans l'ancien Inventaire des livres de la bibliothèque des ducs
de Bourgogne déjà cité, qui parle du manuscrit de cet ouvrage comme
«contenant cent nouvelles, tant de Monseigneur, que Dieu pardonne, que
de plusieurs autres de son hostel.» Je n'ai pas besoin de dire que la
phrase «que Dieu pardonne» indique que celui dont on parle étoit alors
mort, et qu'elle s'applique ici nécessairement à Philippe le Bon, mort
en 1467; et, certainement, si on devoit finir par avouer que les contes
attribués à _Monseigneur_ étoient du Dauphin, on n'auroit pas commencé
par dire qu'ils étoient du duc Philippe. Du reste, il me paroît certain
que, dans un ouvrage composé à la cour de Bourgogne et par un sujet du
duc, ayant rapport spécialement à des circonstances arrivées dans ses
Etats, le titre de _Monseigneur_, sans autre qualification, ne pouvoit
désigner que le duc de Bourgogne. Notre livre même le prouve
suffisamment. Les deux premiers contes de notre recueil sont donnés,
comme de raison, au duc Philippe. On ne donne le nom du conteur du
premier que dans la table; mais le second, que la table donne également
à «Monseigneur le Duc», porte, dans le texte du livre, qu'il étoit
raconté «par Monseigneur». Verard a donc eu tort de dire que le titre de
_Monseigneur_ s'appliquoit ici à Louis XI, et nous pouvons déclarer
qu'il ne se trouve pas un seul mot dans le livre des Cent Nouvelles
Nouvelles qui puisse faire croire que Louis XI étoit un des conteurs.
Tout ce que dit son auteur, c'est qu'à la «requeste et advertissement»
du duc Philippe, il avoit composé «ce petit oeuvre» en imitation de la
collection italienne des _Cento Novelle_, qui, publiée au commencement
du quatorzième siècle, étoit devenue célèbre, et qui lui avoit donné
l'idée de limiter son recueil au même nombre de cent Contes et de lui
donner le titre de _Cent Nouvelles Nouvelles_. Il ajoute seulement que
ces Nouvelles Nouvelles ne sont pas arrivées, comme celles du conteur
italien, en Italie, mais «ès parties de France, d'Allemaigne,
d'Angleterre, de Haynault, de Brabant et autres lieux», et qu'elles sont
toutes «d'assez fresche mémoire». C'étoit sans doute pour plaire au duc
Philippe que l'auteur a mis les différents contes dans la bouche de lui
et des individus les plus familiers de sa maison. Nous savons, du reste,
que cette habitude de s'amuser en racontant de telles «nouvelles»
entroit profondément dans les moeurs du temps, et que Louis XI, qui y
avoit sans doute participé souvent à la cour de Bourgogne, dans sa
jeunesse, en avoit conservé l'habitude toute sa vie. Nous n'avons aucune
raison de supposer que les contes de notre recueil étoient véritablement
racontés par ceux dont les noms y sont attachés; mais le goût bien connu
de Louis XI pour ces contes, en général assez libres, et son long séjour
à la cour de Bourgogne, pouvoient faire croire à Antoine Verard que ce
roi étoit l'un des conteurs, celui qui se présente si souvent sous le
titre de Monseigneur, un titre que le Dauphin auroit porté en France;
mais, sans doute, il auroit été distingué en Bourgogne par le titre de
Monseigneur le Dauphin.

Je regarde cet ouvrage, donc, simplement comme un recueil de contes
composé à la cour de Bourgogne, à la «requeste», comme dit la dédicace,
de Philippe le Bon.

Qui en étoit l'auteur? Nous savons seulement qu'il s'attribue cinq de
ces Nouvelles, les 51e, 91e, 92e, 98e et 99e, et qu'ainsi il a dû être
attaché à la cour de Bourgogne. J'avoue que je me sens porté à partager
l'opinion émise par M. Le Roux de Lincy, que cet auteur est Antoine de
La Sale, déjà bien connu par deux ouvrages remarquables, le roman du
Petit Jehan de Saintré et les Quinze Joies de Mariage; et cette opinion
me paroît confirmée par une circonstance que M. Le Roux de Lincy n'a pas
observée: La Nouvelle cinquante est attribuée à monseigneur de La Sale,
et la cinquante-et-unième porte le nom de «l'acteur» (l'auteur). Comme
ses autres Nouvelles se présentent ensemble deux à deux, il me paroît
assez vraisemblable que l'auteur a voulu faire la même disposition ici,
et qu'ayant mis son nom à la première, il s'est contenté de se désigner
modestement dans les autres par le seul titre de «l'auteur».
«Monseigneur de La Sale» se désigne, en supposant que c'est lui qui a
composé cet ouvrage, par le titre de «premier maistre d'hostel de
monseigneur le duc». En effet, Antoine de La Sale, né en 1398, en
Bourgogne ou en Touraine, après un séjour en Italie (il étoit à Rome en
1422), s'établit en Provence, où il fut attaché à Louis III, comte
d'Anjou et de Provence, et nommé viguier d'Arles. Plus tard, La Sale
passa en Flandres, où il fut accueilli favorablement par le duc Philippe
le Bon. La date de son arrivée à la cour de Bourgogne n'est pas connue.
C'étoit probablement durant son séjour en Italie qu'il avoit eu
connoissance des _Cento Novelle_, ouvrage beaucoup plus ancien, dont la
compilation des Cent Nouvelles Nouvelles est (par le propre aveu de
l'auteur) une imitation, ainsi que des _Facéties_ du Pogge, dont
l'auteur des Cent Nouvelles Nouvelles a tiré plusieurs de ses récits, et
qui avoient dû être publiées tout récemment, quand La Sale étoit à Rome,
et du Decameron de Boccace. On trouve dans les Cent Nouvelles Nouvelles
quelques allusions historiques qui se rapportent principalement aux
temps des guerres entre les Armagnacs et les Bourguignons. La Nouvelle
soixante-deux raconte des circonstances de la conférence tenue en
juillet 1440, au château d'Oye, entre Calais et Gravelines; et la
Nouvelle quarante-deux commence par ces mots: «L'an cinquante derrenier
passé», d'où l'on peut conclure que ce livre a été composé dans
l'intervalle de 1450 à 1460, et probablement pas longtemps après la
première de ces années. Cette date s'accorde parfaitement avec celle des
autres ouvrages d'Antoine de La Sale; car la date des Quinze Joies est
rapportée à 1450, et celle du Petit Jehan de Saintré à 1459. Le premier
de ces deux ouvrages est cité directement dans les Cent Nouvelles
Nouvelles.

De même que la plupart de celles qui figurent dans toutes les
collections de contes, les Cent Nouvelles Nouvelles ne sont pas toutes
nouvelles. La collection de Boccace et celle du Pogge y ont certainement
contribué assez largement, et, des récits que notre auteur donne comme
des anecdotes contemporaines, plusieurs sans doute sont empruntés aux
fabliaux des treizième et quatorzième siècles. Cependant on a remarqué
avec justice que notre recueil se distingue de tous les autres par un
bon nombre d'histoires qu'on ne trouve dans aucun des recueils plus
anciens. Cette partie des Cent Nouvelles Nouvelles est sans doute la
plus intéressante, et paroît être composée d'anecdotes que l'auteur
savoit ou croyoit être arrivées dans la première moitié du quinzième
siècle. En revanche, nul conteur n'a été si généralement mis à
contribution par les compilateurs qui l'ont suivi que l'auteur des Cent
Nouvelles Nouvelles. J'ai déjà eu occasion de dire que la première
édition imprimée de ce recueil est sortie de l'imprimerie d'Antoine
Verard; elle date du mois de décembre 1486, et on peut supposer que la
publication fut accueillie assez favorablement, puisque Verard lui-même
l'a réimprimée. Cette seconde impression est sans date. Un autre
imprimeur parisien, Nicolas Desprez, a donné une troisième édition des
Cent Nouvelles Nouvelles, achevée d'imprimer le 3e jour de février 1505;
et une quatrième, sans date, porte le nom du célèbre imprimeur Michel Le
Noir. On connoît encore une édition de Paris, sans date, et une autre
imprimée à Lyon en 1532. Nous ne connoissons pas d'autre édition de cet
ouvrage avant le commencement du siècle dernier. Il fut imprimé à
Cologne, en 2 volumes in-12, avec des gravures d'après les dessins de
Romain de Hooge. Cette édition, qui porte la date de 1701, a été suivie
d'une autre imprimée à La Haye en 1733, et, comme l'autre, en 2
volumes. J'ai déjà dit que le texte original des Cent Nouvelles
Nouvelles est assez mal représenté par celui des éditions de Verard, qui
a été encore détérioré dans les éditions subséquentes; mais le texte de
celles de Cologne et de La Haye est détestable, et ces éditions n'ont
aucun intérêt littéraire; on les prise seulement pour les gravures.

Dans l'édition que nous offrons à nos lecteurs, nous avons reproduit
littéralement le texte du manuscrit de Glasgow, sauf quelques exceptions
rares. Le manuscrit est en général très correct; mais, de temps en
temps, l'écrivain a fait des omissions de quelques mots, et même de deux
ou trois lignes, en passant, par négligence, d'un mot dans une ligne au
même mot répété dans la ligne suivante ou deux ou trois lignes plus bas.
J'ai été obligé de suppléer à ces lacunes d'après le texte de Verard,
qui a été reproduit avec soin dans l'excellente édition de M. Le Roux de
Lincy. J'ai indiqué les variantes les plus importantes du texte de
Verard dans mes notes.

Nous publions ainsi un texte de cet ouvrage remarquable qui est
entièrement nouveau, et qui en est probablement le seul bon texte
qu'aujourd'hui l'on puisse retrouver, et en même temps nous lui rendons
pour la première fois sa véritable place dans l'histoire littéraire du
quinzième siècle. Le livre des Cent Nouvelles Nouvelles n'est plus,
comme on croyoit autrefois, un souvenir de la visite du Dauphin de
France à la cour de Bourgogne. C'est un recueil de contes faits
probablement par Antoine de La Sale, auteur spirituel et bien connu, en
imitation des conteurs italiens, dont il avoit eu connoissance durant
son séjour à Rome. Notre auteur a composé son livre à la cour de
Bourgogne, sous le duc Philippe le Bon, qui, par un caprice sans doute,
a voulu qu'on mît les diverses nouvelles dans la bouche de ses
courtisans; car la forme de la collection, le style uniforme qui y règne
partout, les termes dans lesquels l'auteur en parle lui-même dans sa
dédicace, rendent très peu vraisemblable l'idée qu'il a voulu nous
rapporter une véritable scène de la vie intime de cette brillante cour.
On se trompe grandement si l'on croit que c'étoit seulement à la Cour de
Bourgogne qu'existoit l'usage d'égayer les loisirs de la vie féodale par
le récit de telles «nouvelles»; mais en Antoine de La Sale, en supposant
que ce recueil lui appartient, nous avons un des plus anciens, et, sous
beaucoup de rapports, le plus intéressant des vieux conteurs françois.

    THOMAS WRIGHT.

[Décoration]




[Décoration]

A MON TRÈSCHIER ET TRÈSREDOUBTÉ SEIGNEUR MONSEIGNEUR LE DUC DE
BOURGOIGNE, DE BRABANT ETC.


_Comme ainsi soit qu'entre les bons et prouffitables passe-temps, le
trèsgracieux exercice de lecture et d'estude soit de grande et
sumptueuse recommendacion, duquel, sans flaterie, mon trèsredoubté
Seigneur, vous estes trèshaultement doé, Je, vostre trèsobéissant
serviteur, désirant, comme je dois, complaire à toutes vos trèshaultes
et trèsnobles intencions en façon à moy possible, ose et presume ce
present petit oeuvre, à vostre requeste et advertissement mis en terme
et sur piez, vous présenter et offrir; suppliant trèshumblement que
agréablement soit receu, qui en soy contient et tracte cent histoires
assez semblables en matère, sans attaindre le subtil et trèsorné
langage du livre de Cent Nouvelles. Et se peut intituler le livre de
Cent Nouvelles nouvelles. Et pource que les cas descriptz et racomptez
ou dit livres de Cent Nouvelles advindrent la pluspart ès marches et
metes d'Ytalie, jà long temps a, neantmoins toutesfoiz, portant et
retenant nom de Nouvelles, se peut trèsbien et par raison fondée en
assez apparente verité ce présent livre intituler de Cent Nouvelles
nouvelles, jà soit ce que advenues soient ès parties de France,
d'Alemaigne, d'Angleterre, de Haynau, de Brabant et aultres lieux; aussi
pource que l'estoffe, taille et fasson d'icelles est d'assez fresche
memoire et de myne beaucop nouvelle._

  De Dijon, l'an M.IIII^{C}.XXXII.

[Décoration]




[Décoration]

_Sensuyt la table de ce present livre, intitulé des Cent Nouvelles,
lequel en soy contient cent chapitres ou histoires, ou pour mieulx dire
nouvelles._


COMPTÉ PAR MONSEIGNEUR LE DUC.

La première nouvelle traicte d'un qui trouva façon d'avoir la femme de
son voisin, lequel il avoit envoyé dehors pour plus aisément l'avoir; et
luy, retourné de son voiage, trouva celuy qui se baignoit avec sa femme.
Et, non sachant que ce fust elle, la volut voir; et permis luy fut de
seullement veoir le derrière: et alors jugea que ce luy sembla sa femme,
mais croire ne l'osa. Et, sur ce, se partit et vint trouver sa femme à
l'ostel, qu'on avoit boutée hors par une posterne; et luy compta son
imaginacion.


PAR MONSEIGNEUR LE DUC.

La secunde nouvelle, comptée par monseigneur le duc Philipe, d'une jeune
fille qui avoit le mal de broches, la quelle creva à ung cordelier qui
la vouloit médiciner ung seul bon oeil qu'il avoit; et du procés qui en
fut.


PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.

La tierce nouvelle, de la tromperie que fist ung chevalier à la femme de
son musnier, à laquelle bailloit à croire que son con luy cherroit, si
luy recoingna plusieurs fois. Et le musnier, de ce adverty, pescha ung
dyamant que la femme au chevalier avoit perdu; et dedans son corps le
trouva, comme bien sceut le chevalier depuis; si l'appela pescheur, et
le musnier cuigneur le nomma.


PAR MONSEIGNEUR.

La quatriesme nouvelle, d'un archier escossois qui fut amoureux d'une
belle gente damoiselle, femme d'un eschopier, laquelle, par le
commandement de son mary, assigna jour au dit Escossois; et de fait y
comparut et besoigna tant qu'il voult, le dit eschopier estant caiché en
la ruelle de son lit, qui tout povoit veoir et oyr.


PAR PHILIPE DE LOAN.

La cinquiesme nouvelle, par Philipe de Loan, de deux jugements de
monseigneur Talebot, c'est assavoir, d'un François prins par ung Anglois
soubz son sauf-conduict, qui d'aguillettes à aorner se defendit contre
le François, qui d'une espée le feroit, présent Talebot; et d'un qui
l'Eglise avoit robée, auquel il fist jurer de non jamais plus entrer en
l'Eglise.

La sisiesme nouvelle, par monsieur de Launoy, d'un yvroigne qui au
prieuré des Augustins de La Haye en Hollendre se voult confesser, et
après sa confession, disant que son bon estat estoit, vouloit mourir. Et
cuida avoir la teste trenchée et estre mort, et par ses compaignons fut
emporté, qui luy disoient qu'ilz l'emportoient en terre.

La septiesme nouvelle, par Monseigneur, de l'orfevre de Paris qui fist
le charreton coucher avec luy et sa femme; et comment le charreton par
derrière se jouoit avec elle, dont l'orfevre se parceut et trouva ce
qui estoit; et des parolles qu'il dist au charreton.

La huictiesme, par monsieur de la Roche, d'un compaignon picard
demourant à Bruxelles, qui engrossa la fille de son maistre; et à ceste
cause print congié de haulte heure et vint en Picardie se marier. Et
tost après son partement, la mère de la fille se parceut de l'encloueure
de sa fille, laquelle, à quelque meschief que ce fust, confessa le cas
tel qu'il estoit. La mère la renvoya devers le dit compaignon; et depuis
leur espousée, par ung accident qui au compaignon advint le jour de ses
nopces.

La nefviesme nouvelle, par Monsieur le Duc, d'un chevalier de
Bourgoigne, amoureux d'une des chambrières de sa femme. Cuidant coucher
avecques celle, cogneut que c'estoit mesmes sa femme, qui ou lieu de sa
chambrière s'estoit boutée. Et comment ung aultre chevalier, son voisin,
par son ordonnance, avecques sa femme aussi avoit couschié, dont il fut
bien mal content, jà soit ce que sa femme n'en sceut oncques riens, et
ne cuidoit avoir eu que son mary.

La dixiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'un chevalier
d'Angleterre, qui, puis qu'il fut marié, voult que son mignon, comme
paravant son mariage, de belles filles luy fist finance; laquelle chose
il ne voult faire, et s'excusoit; mais son maistre à son premier train
le ramena par le faire servir de pastés d'anguilles.

La onziesme nouvelle, par Monseigneur, d'un paillard jaloux qui, après
beaucop d'offrandes faictes à divers sainz pour le remède de sa maudicte
maladie, fist offrir une chandelle au deable qu'on mect communement
desoubz saint Michel; et du songe qu'il songea, et de ce qui luy advint
au reveiller.

La dousiesme nouvelle parle d'ung Hollandois qui nuyt et jour, à toute
heure, ne cessoit d'assaillir sa femme au jeu d'amours; et comment
d'aventure il la rua par terre, en passant par ung bois, soubz un grand
arbre sur lequel estoit ung laboureur qui avoit perdu son veau. Et, en
faisant inventoire des beaux membres de sa femme, dist qu'il véoit tant
de belles choses et quasi tout le monde; à qui le laboureur demanda s'il
véoit point son veau qu'il cherchoit, quel il disoit qu'il lui sembloit
en veoir la queue.

La tresiesme nouvelle, comment le clerc d'ung procureur d'Angleterre
deceut son maistre pour luy faire accroire qu'il n'avoit nulz coillons,
et à ceste cause il eut le gouvernement de sa maistresse aux champs et à
la ville, et se donnèrent bon temps.

La quatorsiesme nouvelle, de l'ermite qui deceut la fille d'une povre
femme, et lui faisoit accroire que sa fille auroit ung filz de luy qui
seroit pape, et adonc, quant vint à l'enfanter, ce fut une fille, et
ainsi fut l'ambusche du faulx hermite descouverte, qui à ceste cause
s'enfouit du païs.

La quinsiesme nouvelle, d'une nonnain que ung moyne cuidoit tromper,
lequel en sa compaignie amena son compaignon, qui devoit bailler à
taster à elle son instrument, comme le marchié le portoit, et comme le
moyne mit son compaignon en son lieu, et de la response que elle fist.

La seiziesme nouvelle, d'ung chevalier de Picardie, lequel en Prusse
s'en ala; et tandiz ma dame sa femme d'ung autre s'accointa; et, à
l'eure que son mary retourna, elle estoit couchée avec son amy, lequel,
par une gracieuse subtilité, elle le bouta hors de sa chambre, sans ce
que son mary le chevalier s'en donnast garde.

La dix et septiesme nouvelle, d'ung president de parlement qui devint
amoureux de sa chamberière, laquelle à force, en bulletant la farine,
cuida violer, mais par beau parler de lui se desarma et lui fist
affubler le bulleteau de quoy elle tamisoit, puis ala querir sa
maistresse, qui en cet estat son mary et seigneur trouva, comme cy après
vous orrez.

La dix et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche,
d'ung gentilhomme de Bourgoingne, lequel trouva façon, moyennant dix
escuz qu'il fit bailler à la chamberière, de couchier avecques elle;
mais, avant qu'il voulsist partir de sa chambre, il eut ses dix escuz et
se fit porter sur les espaules de la dicte chamberière par la chambre de
l'oste. Et, en passant par la dicte chambre, il fist ung sonnet tout de
fait advisé qui tout leur fait encusa, comme vous pourrez ouyr en la
nouvelle cy dessoubz.

La dix neuviesme nouvelle, par Phelippe Vignieu, d'ung marchant
d'Angleterre, du quel la femme, en son absence, fist ung enfant, et
disoit qu'il estoit sien; et comment il s'en despescha gracieusement
comme elle luy avoit baillé à croire qu'il estoit venu de neige, aussi
pareillement au soleil comme la neige s'estoit fondu.

La vingtiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung lourdault
Champenois, lequel, quant il se maria, n'avoit encores jamais monté sur
beste crestienne, dont sa femme se tenoit bien de rire. Et de
l'expédient que la mère d'elle trouva, et du soudain pleur du dit
lourdault à une feste et assemblée qui se fit depuis après qu'on lui eut
monstré l'amoureux mestier, comme vous pourrez ouyr plus à plain cy
après.

La vingt et uniesme nouvelle, racomptée par Philippes de Loan, d'une
abesse qui fut malade par faulte de faire cela que vous savez, ce
qu'elle ne vouloit faire, doubtant de ses nonnains estre reprouchée; et
toutes lui accordèrent de faire comme elle; et ainsi s'en firent toutes
donner largement.

La vingt et deusiesme nouvelle racompte d'ung gentilhomme qui engroissa
une jeune fille, et puis en une armée s'en ala. Et, avant son retour,
elle d'ung autre s'accointa, auquel son enfant elle donna. Et le
gentilhomme, de la guerre retourné, son enfant demanda; et elle lui pria
que à son nouvel amy le laissast, promettant que le premier qu'elle
feroit sans faulte lui donneroit, comme cy dessoubz vous sera recordé.

La vingt et troisiesme nouvelle, d'ung clerc de qui sa maistresse fut
amoureuse, la quelle à bon escient s'i accorda, pourtant qu'elle avoit
passé la raye que le dit clerc lui avoit faicte. Ce voyant son petit
filz dist à son père, quant il fut venu, qu'il ne passast point la raye:
car, s'il la passoit, le clerc lui feroit comme il avoit fait à sa mère.

La vingt et quatriesme nouvelle, dicte et racomptée par monseigneur de
Fiennes, d'ung conte qui une trèsbelle, jeune et gente fille, l'une de
ses subjectes, cuida decevoir par force; et comment elle s'en eschappa
par le moyen de ses houseaux; mais depuis l'en prisa trèsfort, et l'aida
à marier, comme il vous sera declairé cy aprés.

La vingt et cinquiesme nouvelle, racomptée et dicte par Monseigneur de
Saint Yon, de celle qui de force se plaignit d'ung compaignon, lequel
elle avoit mesme adrecié à trouver ce qu'il queroit; et du jugement qui
en fut fait.

La vingt et siziesme nouvelle, racomptée et mise en terme par
monseigneur de Foquessoles, des amours d'ung gentilhomme et d'une
damoiselle, laquelle esprouva la loyauté du gentilhomme par une
merveilleuse et gente façon, et coucha troys nuytz avec lui sans
aucunement savoir que ce fust elle; mais pour homme la tenoit, ainsy
comme plus à plein pourrez ouyr cy après.

La vingt et septiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir,
des amours d'ung grant seigneur de ce royaume et d'une gente damoiselle
mariée, laquelle, affin de baillier lieu à son serviteur, fist son mary
bouter en ung bahu par le moyen de ses chamberières, et léans le fist
tenir toute la nuyt, tandis qu'avec son serviteur passoit le temps; et
des gaigeures qui furent faictes entre elle et son dit mary, comme il
vous sera recordé cy après.

La vingt et huitiesme nouvelle, dicte et racomptée par messire Michault
de Changy, de la journée assignée à ung grand prince de ce royaume par
une demoiselle servante de chambre de la Royne; et du petit exploit
d'armes que fist le dit prince, et des faintises que la dicte demoiselle
disoit à la royne de sa levrière, la quelle estoit tout à propos
enfermée dehors de la chambre de la dicte royne, comme orrez cy après.

La vingt et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur, d'ung
gentilhomme qui, dès la première nuyt qu'il se maria, et aprés qu'il eut
heurté ung coup à sa femme, elle luy rendit ung enfant; et de la manière
qu'il en tint, et des paroles qu'il en dist ses compagnons qui lui
apportoient le chaudeau, comme vous orrez cy aprés.

La trentiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Beauvoir, François,
de troys marchans de Savoye alans en pelerinage à saint Anthoine en
Viennois, qui furent trompez et deceuz par trois cordeliers, lesquelz
couchèrent avec leurs femmes, combien qu'elles cuidoient estre avec
leurs mariz; et comment, par le rapport qu'elles firent, leurs maryz le
sceurent, et de la manière qu'ilz en tindrent, comme vous orrez cy
après.

La trente et uniesme nouvelle, mise en avant par Monseigneur, de
l'escuier qui trouva la mulette de son compaignon et monta dessus,
laquelle le mena à l'uis de la dame de son maistre; et fist tant
l'escuier qu'il coucha léans, où son compaignon le vint trouver; et
pareillement des paroles qui furent entre eulz, comme plus à plain vous
sera declairé cy dessoubz.

La trente et deusiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Villiers,
des cordeliers d'Ostelleric en Castelongne qui prindrent le disme des
femmes de la ville; et comment il fut sceu, et quelle punicion par le
seigneur et ses subjetz en fut faicte, comme vous orrez cy après.

La trente et troisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung
gentil seigneur qui fut amoureux d'une damoiselle, dont se donna garde
ung autre grant seigneur, qui lui dist; et l'autre tousjours plus lui
celoit et en estoit tout affolé; et de l'entretenement depuis d'eulz
deux envers elle, comme vous pourrez ouyr cy après.

La trente et quatriesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la Roche,
d'une femme mariée qui assigna journée à deux compaignons, lesquelz
vindrent et besoingnèrent; et le mary tantost après survint; et des
paroles qui après en furent, et de la manière qu'ilz tindrent, comme
vous orrez cy après.

La trente et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung
chevalier du quel son amoureuse se maria, tandis qu'il fut en voyaige;
et à son retour, d'aventure la trouva en mesnage, la quelle, pour
couchier avec son amant, mist en son lieu couchier avec son mary une
jeune damoiselle, sa chamberière; et des paroles d'entre le mary et le
chevalier voyaigeur, comme plus à plain vous sera recordé cy après.

La trente et sisiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la Roche,
d'ung escuier qui vit sa maistresse dont il estoit moult feru, entre
deux autres gentilzhommes, et ne se donnoit de garde qu'elle tenoit
chascun d'eulz en ses laz; et ung autre chevalier qui savoit son cas le
lui bailla à entendre, comme vous orrez cy après.

La trente et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung
jaloux qui enregistroit toutes les façons qu'il povoit ouyr ne savoir
dont les femmes ont deceu leurs mariz, le temps passé; mais à la fin il
fut trompé par l'orde eaue que l'amant de sa dicte femme getta par une
fenestre sur elle, en venant de la messe, comme vous orrez cy après.

La trente et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur le seneschal
de Guienne, d'ung bourgois de Tours qui acheta une lamproye qu'à sa
femme envoya pour appointer, affin de festoier son curé, et la dicte
femme l'envoya à ung cordelier son amy; et comment elle fist couchier sa
voisine avec son mary, qui fut bastue, Dieu sçait comment, et de ce
qu'elle fist accroire à son dict mary, comme vous orrez cy dessoubz.

La trente et nefviesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Saint-Pol,
du chevalier qui, en attendant sa dame, besoingna troys fois avec la
chamberière qu'elle avoit envoyée pour entretenir le dit chevalier, afin
que trop ne luy ennuyast; et depuis besoingna troys fois avec la dame;
et comment le mary sceut tout par la chamberière, comme vous orrez.

La quarantiesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung Jacopin
qui abandonna sa dame par amour, une bouchière, pour une autre plus
belle et plus jeune; et comment la dicte bouchière cuida entrer en sa
maison par la cheminée.

La quarante et uniesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung
chevalier qui faisoit vestir à sa femme ung haubergon quand il lui
vouloit faire ce que savez, ou compter les dens; et du clerc qui lui
apprint autre manière de faire, dont elle fut à pou prés par sa bouche
mesmes encusée à son mary, se n'eust esté la glose qu'elle controuva
subitement.

La quarante et deusiesme nouvelle, par Meriadec, d'ung clerc de villaige
estant à Romme, cuidant que sa femme fust morte, devint prestre et
impetra la cure de sa ville; et, quand il vint à sa cure, la première
personne qu'il rencontra ce fut sa femme.

La quarante et troisiesme nouvelle, par Monseigneur de Fiennes, d'ung
laboureur qui trouva un homme sur sa femme, et laissa à le tuer pour
gaingner une somme de blé; et fut la femme cause du traictié, affin que
l'autre parfist ce qu'il avoit commencé.

La quarante et quatriesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung
curé de villaige qui trouva façon de marier une fille dont il estoit
amoureux, la quelle lui avoit promis, quant elle seroit mariée, de faire
ce qu'il vouldroit; laquelle chose le jour de ses nopces il luy
ramentéust, ce que le mary d'elle ouyt tout à plain, à quoy il mit
provision, comme vous orrez.

La quarante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung
jeune Escossois qui se maintint en habillement de femme l'espace de
quatorze ans, et par ce moyen couchoit avec filles et femmes mariées,
dont il fut puny en la fin, comme vous orrez cy après.

La quarante et siziesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Thienges,
d'ung Jacopin et de la nonnain qui s'estoient boutez en ung préau pour
faire armes à plaisance, dessoubz ung poirier où s'estoit caiché un qui
savoit leur fait tout à propos, qui leur rompit leur fait pour ceste
heure, comme plus à plain vous orrez cy après.

La quarante et septiesme nouvelle, par monseigneur de la Roche, d'ung
president saichant la deshonneste vie de sa femme, la fist noyer par sa
mulle, la quelle il fit tenir de boire par l'espace de huit jours; et
pendant ce temps lui faisoit bailler du sel à mengier, comme il vous
sera recordé plus à plain.

La quarante et huitiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de la
Roche, de celle qui ne vouloit souffrir qu'on la baisast, mais bien
vouloit qu'on lui rembourrast son bas; et habandonnoit tous ses membres
fors la bouche, et de la raison qu'elle y mettoit.

La quarante et nefviesme nouvelle, racomptée par Pierre David, de celui
qui vit sa femme avec ung homme auquel elle donnoit tout son corps
entierement, excepté son derrière, qu'elle laissoit à son mary, lequel
la fist habiller ung jour, présens ses amys, d'une robe de bureau et fit
mettre sur son derrière une belle piéce d'escarlate; et ainsi la laissa
devant tous ses amys.

La cinquantiesme nouvelle, racomptée et dicte par Anthoine de la Sale,
d'ung père qui voulut tuer son fils pource qu'il avoit voulu monter sur
sa mère grand, et de la reponse du dit filz.

La cinquante et uniesme nouvelle, racomptée par l'acteur, de la femme
qui départoit ses enfans au lit de la mort, en l'absence de son mary,
qui siens les tenoit; et comment ung des plus petiz en advertit son
père.

La cinquante et deusiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur de la
Roche, de trois enseignemens que ung père bailla à son fils, lui estant
au lit de la mort, lesquelz le dit filz mist à effet au contraire de ce
qu'il lui avoit enseigné. Et comment il se deslia d'une jeune fille
qu'il avoit espousée, pource qu'il la vit couchier avec le prestre de la
maison la première nuyt de leurs nopces.

La cinquante et troisiesme nouvelle, racomptée par monseigneur l'amant
de Brucelles, de deux hommes et deux femmes qui attendoient pour
espouser à la première messe bien matin; et, pource que le curé ne véoit
pas trop cler, il print l'une pour l'autre, et changea à chascun homme
la femme qu'il devoit avoir, comme vous orrez.

La cinquante et quatriesme nouvelle, racomptée par Mahiot, d'une
damoiselle de Maubeuge qui se abandonna à ung charreton et refusa
plusieurs gens de bien; et de la response qu'elle fist à ung noble
chevalier, pource qu'il lui reprouchoit plusieurs choses, comme vous
orrez.

La cinquante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'une
fille qui avoit l'épidimie, qui fit mourir troys hommes pour avoir la
compaignie d'elle; et comment le quatriesme fut saulvé et elle aussi.

La cinquante et sixiesme nouvelle, par monseigneur de Villiers, d'ung
gentilhomme qui attrappa en ung piege qu'il fist le curé, sa femme et sa
chamberière, et un loup avec eulz; et brula tout là dedans, pour ce que
le dit curé maintenoit sa femme.

La cinquante et septiesme nouvelle, par Monseigneur de Villiers, d'une
damoiselle qui espousa ung bergier, de la manière du traictié du
mariage, et des paroles qu'en disoit ung gentilhomme frère de la dicte
damoiselle.

La cinquante et huitiesme nouvelle, par Monseigneur le Duc, de deux
compaignons qui cuidoient trouver leurs dames plus courtoises vers eulz;
et jouèrent tant du bas mestier que plus n'en pouvoient; et puis
dirent, pource qu'elles ne tenoient compte d'eulz, qu'elles avoient
comme eulz joué du cymier, comme vous orrez cy après.

La cinquante et nefviesme nouvelle, par Poncelet, d'ung seigneur qui
contrefist le malade pour couchier avec sa chamberière, avec laquelle sa
femme le trouva.

La soixantiesme nouvelle, par Poncelet, de troys damoiselles de Malignes
qui accointées s'estoient de troys cordeliers, qui leur firent faire
couronnes et vestir l'abbit de religion, afin qu'elles ne fussent
apperceues, et comment il fut sceu.

La soixante et uniesme nouvelle, par Poncelet, d'ung marchant qui
enferma en sa huche l'amoureux de sa femme; et elle y mist un asne
secrettement, dont le mary eut depuis bien à souffrir et se trouva
confuz.

La soixante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, de
deux compaignons dont l'ung d'eulz laissa ung diamant ou lit de son
hostesse et l'autre le trouva, dont il sourdit entre eulz ung grant
debat, que le mary de la dicte hostesse appaisa par trèsbonne façon.

La soixante et troisiesme nouvelle, d'ung nommé Montbleru, lequel, à une
foire d'Envers, desroba à ses compaignons leurs chemises et couvrechiefs
qu'ilz avoient baillées à blanchir à la chamberière de leur hostesse; et
comme depuis ilz pardonnèrent tout au larron; et puis ledit Montbleru
leur compta le cas tout au long.

La soixante et quatriesme nouvelle, par messire Michault de Changy,
d'ung curé qui se vouloit railler d'ung chatreur nommé Trenchecouille;
mais il eut ses genitoires coupez par le consentement de l'oste.

La soixante et cinquiesme nouvelle, par monseigneur le prévost de
Vuatènes, de la femme qui ouyt compter à son mary que ung hostellier du
mont Saint-Michiel faisoit raige de ronciner, si y alla cuidant
l'esprouver; mais son mary l'en garda trop bien, dont elle fut trop mal
contente, comme vous orrez cy après.

La soixante et sixiesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung tavernier
de Saint Omer qui fist une question à son petit filz, dont il se
repentit après qu'il eut ouy la response, de laquelle sa femme en fut
trèshonteuse, comme vous orrez plus à plain cy après.

La soixante et septiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung
chapperon fourré de Paris qui une courdouennière cuida tromper; mais il
se trompa lui mesme bien lourdement, car il la maria à un barbier, et,
cuydant d'elle estre despesché, se voulut marier ailleurs; mais elle
l'en garda bien, comme vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.

La soixante et huitiesme nouvelle, d'ung homme marié qui sa femme trouva
avec ung autre, et puis trouva manière d'avoir d'elle son argent, ses
bagues, ses joyaux, à tout jusques à la chemise; et puis l'envoya
paistre en ce point, comme cy après vous sera recordé.

La soixante et neuviesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung
gentil chevalier de la comté de Flandres, marié à une trèsbelle et gente
dame, lequel fut prisonnier en Turquie par longue espace, durant
laquelle sa bonne et loyale femme, par l'amonestement de ses amys, se
remaria à ung autre chevalier; et tantost après qu'elle fut remariée
elle ouyt nouvelles que son premier mary revenoit de Turquie, dont par
deplaisance se laissa mourir, pource qu'elle avoit fait nouvelle
aliance.

La septantiesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung gentil
chevalier d'Alemaigne, grant voyaigier en son temps, lequel, aprés ung
certain voyaige par lui fait, fist veu de jamais faire le signe de la
croix, par la trèsferme foy et credence qu'il avoit ou saint sacrement
de baptesme, en laquelle credence il combastit le dyable, comme vous
orrez.

La septante et uniesme nouvelle, racomptée par Monseigneur, d'ung
chevalier de Picardie qui en la ville de Saint-Omer se logea en une
hostellerie, où il fut amoureux de l'ostesse de léans, avec laquelle il
fut trèsamoureusement; mais en faisant ce que savez, le mary de la dicte
hostesse les trouva, lequel tint manière telle que cy après pourrez
ouyr.

La septante et deuxiesme nouvelle, par monseigneur de Commesuram, d'ung
gentilhomme de Picardie qui fut amoureux de la femme d'ung chevalier son
voisin, lequel gentilhomme trouva façon par bons moyens d'avoir la grace
de sa dame, avec laquelle il fut assiegé, dont à grand peine trouva
manière d'en ysser, comme vous orrez cy après.

La septante et troisiesme nouvelle, par maistre Jehan Lambin, d'ung curé
qui fut amoureux d'une sienne paroichienne, avec laquelle le dit curé
fut trouvé par le dit mary de la gouge, par l'advertissement de ses
voisins; et de la manière comment le dit curé eschappa, comme vous orrez
cy après.

La septante et quatriesme nouvelle, par Philippe de Loan, d'ung prestre
boulenois qui eleva par deux fois le corps de nostre Seigneur, en
chantant une messe, pource qu'il cuidoit que monseigneur le seneschal de
Boulongne fust venu tard à la messe; et aussy comment il refusa de
prendre la paix devant monseigneur le seneschal, comme vous pourrez ouyr
cy après.

La septante et cinquiesme nouvelle, racomptée par monseigneur de
Talemas, d'ung gentil galant demy fol et non guères saige, qui en grant
aventure se mist de mourir et estre pendu au gibet, pour nuyre et faire
desplaisir au bailly, à la justice et autres plusieurs de la ville de
Troyes en Champaigne, desquelz il estoit hay mortellement, comme plus à
plain pourrez ouyr cy après.

La septante et sixiesme nouvelle, racomptée par Philippe de Loan, d'ung
prestre chapellain à ung chevalier de Bourgoingne, lequel fut amoureux
de la gouge du dit chevalier; et de l'aventure qui lui advint à cause de
ses dictes amours, comme cy dessoubz vous orrez.

La septante et septiesme nouvelle, racomptée par Alardin, d'ung
gentilhomme des marches de Flandres, lequel faisoit sa residence en
France; mais, durant le temps que en France residoit, sa mère fut malade
ès dites marches de Flandres; lequel la venoit tressouvent visiter,
cuidant qu'elle mourust; et des paroles qu'il disoit et de la manière
qu'il tenoit, comme vous orrez cy dessoubz.

La septante et huitiesme nouvelle, par Jean Martin, d'ung gentilhomme
marié, lequel s'avoulenta de faire plusieurs loingtains voyaiges, durant
lesquelz sa bonne et loyale preude femme de troys gentilz compaignons
s'accointa que cy après pourrés ouyr; et comment elle confessa son cas à
son mary, quand des ditz voyaiges fut retourné, cuidant le confesser à
son curé; et de la manière comment elle se saulva, comme cy après orrez.

La septante et neuviesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'ung
bonhomme de Bourbonnois, lequel ala au conseil à ung saige homme du dit
lieu, pour son asne qu'il avoit perdu, et comment il croioit que
miraculeusement il retrouva son dit asne, comme cy après pourrez ouir.

La huitantiesme nouvelle, par messire Michault de Changy, d'une jeune
fille d'Alemaigne qui de l'aage de XV à XVI ans, ou environ, se maria à
ung gentil galant, laquelle se complaignit de ce que son mary avoit trop
petit instrument à son gré, pource qu'elle véoit ung petit asne qui
n'avoit que demy an, et avoit plus grand ostil que son mary, qui avoit
XXIIII ou XXVI ans.

La huitante et uniesme nouvelle, racomptée par monseigneur de Vaulvrain,
d'un gentil chevalier qui fut amoureux d'une trèsbelle jeune dame
mariée, lequel cuida bien parvenir à la grâce d'icelle et aussi d'une
autre sienne voisine; mais il faillit à toutes deux, comme cy après vous
sera recordé.

La huitante et deusiesme nouvelle, par monseigneur de Lannoy, d'ung
bergier qui fit marchié avec une bergière qu'il monteroit sur elle afin
qu'il véist plus loing, par tel si qu'il ne l'embrocheroit non plus
avant que le signe qu'elle même fist de sa main sur l'instrument du dit
berger, comme cy après plus à plain pourrez ouyr.

La huitante et troisiesme nouvelle, par monseigneur de Vaulvrain, d'ung
carme qui en ung vilaige prescha; et comment, après son preschement, il
fut prié de disner avec une damoiselle; et comment, en disnant, il mist
grant peine de fournir et emplir son repoint, comme vous orrez cy après.

La huitante et quatriesme nouvelle, par monseigneur le marquis de
Rothelin, d'ung sien mareschal qui se maria à la plus douce et amoureuse
femme qui fut en tout le pays d'Alemaigne. S'il est vray ce que je dy
sans en faire grant serment, affin que par mon escript menteur ne soye
réputé, vous le pourrez veoir cy dessoubz plus à plain.

La huitante et cinquiesme nouvelle, d'ung orfevre marié à une trèsbelle,
doulce et gracieuse femme, et avec ce trèsamoureuse, par especial de
son curé leur prochain voisin, avec lequel son mary la trouva couchée
par l'advertissement d'ung sien serviteur, et ce par jalousie, comme
vous pourrez ouyr.

La huitante et sisiesme nouvelle racompte et parle d'ung jeune homme de
Rouen qui print en mariaige une belle et gente jeune fille, de l'aage de
quinze ans ou environ, lesquelz la mère de la dicte fille cuida bien
faire desmarier par monseigneur l'official de Rouen; et de la sentence
que le dit official en donna, après les parties par luy ouyes, comme
vous pourrez veoir cy dessoubz plus à plain, en la dicte nouvelle.

La huitante et septiesme nouvelle racompte et parle d'ung gentil
chevalier, lequel s'enamoura d'une trèsbelle, jeune et gente fille, et
aussi comment il luy print une moult grande maladie en ung oeil; pour
laquelle cause lui convint avoir ung medecin, lequel pareillement devint
amoureux de la dicte fille, comme vous ourrez; et des paroles qui en
furent entre le chevalier et le medecin, pour l'emplastre qu'il luy mist
sur son bon oeil.

La huitante et huictiesme nouvelle, d'ung bon simple homme païsan, marié
à une plaisante et gente femme, laquelle laissoit bien le boire et le
mangier pour aymer par amours; et de fait, pour plus asseurement estre
avec son amoureux, enferma son mary ou coulombier par la manière que
vous orrez.

La huitante et nefviesme nouvelle, d'ung curé qui oublia par negligence,
ou faulte de sens, à annoncer le karesme à ses paroichiens, jusqu'à la
vigille de Pasques fleuries, comme cy après pourrez ouyr; et de la
manière comment il s'excusa devers ses paroichiens.

La nonantiesme nouvelle, d'ung bon marchant du pays de Brebant qui
avoit sa femme trèsfort malade, doubtant qu'elle ne mourust, après
plusieurs remonstrances et exortacions qu'il lui fist pour le salut de
son ame, lui crya mercy, laquelle luy pardonna tout ce qu'il povoit luy
avoir meffait, excepté tant seulement ce qu'il avoit si peu besoingnié
en son ouvroir, comme en la dicte nouvelle pourrez ouyr plus à plain.

La nonante et uniesme nouvelle parle d'ung homme qui fut marié à une
femme laquelle estoit tant luxurieuse et tant chaulde sur le potaige que
je cuide qu'elle fut née ès estuves, ou à demie lieue prés du soleil de
midy: car il n'estoit nul, tant bon ouvrier fust il, qui la peust
refroidir; et comment il la cuida chastier, et de la reponse qu'elle lui
bailla.

La nonante et deusiesme nouvelle, d'une bourgeoise mariée qui estoit
amoureuse d'ung chanoine, laquelle, pour plus couvertement aller vers le
dit chanoine, s'accointa d'une sienne voisine; et de la noise et debat
qui entre elles sourdit pour l'amour du mestier dont elles estoient,
comme vous orrez cy après.

La nonante et troisiesme nouvelle, d'une gente femme mariée qui faignoit
à son mary d'aler en pelerinaige pour soy trouver avec le clerc de la
ville, son amoureux, avec lequel son mary la trouva; et de la manière
qu'il tint quant ensemble les vit faire le mestier que vous savez.

La nonante et quatriesme nouvelle, d'ung curé qui portoit courte robe
comme font ces galans à marier; pour laquelle cause il fut cité devant
son juge ordinaire, et de la sentence qui en fut donnée; aussi la
deffense qui lui fut faicte, et des autres tromperies qu'il fist après,
comme vous orrez plus à plain.

La nonante et cinquiesme nouvelle, d'ung moyne qui faignit estre
trèsfort malade et en dangier de mort, pour parvenir à l'amour d'une
sienne voisine, par la manière qui cy après s'ensuit.

La nonante et sisiesme nouvelle, d'ung simple et riche curé de villaige,
qui par sa simplesse avoit enterré son chien ou cymetière; pour laquelle
cause il fut cité par devant son evesque; et comme il bailla la somme de
cinquante escuz d'or au dit evesque; et de ce que l'evesque luy en dit,
comme pourrés ouyr cy dessoubz.

La nonante et septiesme nouvelle, par monseigneur de Launoy, d'une
assemblée de bons compaignons faisant bonne chère à la taverne et buvans
d'autant et d'autel, dont l'un d'iceulx se combatit à sa femme, quant en
son hostel fut retourné, comme vous orrez.

La nonante et huitiesme nouvelle, par l'acteur, d'un chevalier des
marches de France, lequel avoit de sa femme une fille, belle damoiselle
eagée de xv à xvij ans ou environ; mais, pour ce que son père la vouloit
marier à ung ancien chevalier, elle s'en alla avec ung aultre jeune
chevalier, son serviteur en amours, en tout bien et honneur. Et comment,
par merveilleuse fortune, ilz finirent tous deux piteusement, comme vous
orrez.

La nonante et nefviesme nouvelle, par Philipe de Loan, d'un evesque
d'Espaigne qui par defaulte de poisson mengea deux perdriz en ung
vendredi; et comment il dist à ses gens qu'il les avoit convertiz par
parolles de char en poisson, comme cy dessous vous sera recordé.

La centiesme et derrenière de ces nouvelles, par l'acteur, d'un riche
marchant de la cité de Jennes, qui se maria à une belle et jeune fille,
laquelle, pour la longue absence de son mary, et par son mesme
advertissement, manda quérir ung sage clerc pour la secourir de ce dont
elle avoit mestier; et de la response qu'il luy donna, comme cy après
pourrez ouyr.




[Décoration]

LA PREMIÈRE NOUVELLE.


En la ville de Valenciennnes eut naguères ung notable bourgois, en son
temps receveur de Haynau, lequel entre les autres fut renommé de large
et discrète prudence, et entre ses loables vertuz celle de liberalité ne
fut pas la maindre, car par icelle vint en la grace des princes,
seigneurs et aultres gens de tous estaz. En ceste eureuse felicité
Fortune le maintint et soustint jusques en la fin de ses jours. Devant
et après que la mort l'eust destaché de la chayne qui à mariage
l'accouploit, le bon bourgois cause de ceste histoire n'estoit point si
mal logé en la dicte ville que ung bien grand maistre ne se tenist pour
content et honoré d'avoir ung tel logis. Et entre les desirez et loez
edifices, sa maison descouvroit sur pluseurs rues; et de fait avoit une
petite posterne vis à vis de laquelle demouroit ung bon compaignon qui
trèsbelle femme et gente avoit et encores en meilleur point. Et, comme
il est de coustume, les yeulx d'elle, archiers du cueur, descochèrent
tant de flèches en la personne dudit bourgois que sans prochain remède
son cas n'estoit pas maindre que mortel. Pour laquelle chose seurement
obvier, trouva par pluseurs et subtiles fassons que le bon compaignon,
mary de ladicte gouge, fut son amy trèsprivé et familier; et tant que
pou de disners, de souppers, de bancquetz, de baings d'estuves, et
aultres telz passetemps, en son hostel et ailleurs, ne feissent jamais
sans sa compaignie. Et à ceste occasion se tenoit nostre compaignon bien
fier et encores autant eureux. Quand nostre bourgois, plus subtil que
ung regnard, eust gaigné la grace du compaignon, bien pou se soucya de
parvenir à l'amour de sa femme; et en pou de jours tant et si trèsbien
laboura que la vaillant femme fut contente d'oyr et entendre son cas.
Et, pour y bailler remède convenable, ne restoit mais que temps et lieu;
et fut à ce menée qu'elle luy promist que, tantost que son mary iroit
quelque part dehors pour sejourner une nuit, elle incontinent l'en
advertiroit. A chef de peche, ce desiré jour fut assigné, et dist le
compaignon à sa femme qu'il s'en alloit à ung chasteau loingtain de
Valenciennes environ trois lieues, et la chargea de bien se tenir à
l'ostel et garder la maison, pource que ses affaires ne povoient
souffrir que celle nuyt il retournast. S'elle en fut bien joyeuse, sans
en faire semblant en paroles, en manière, ne aultrement, il ne le fault
jà demander. Il n'avoit pas cheminé une lieue quand le bourgois sceut
ceste adventure de pieça desirée. Il fist tantost tirer les baings,
chauffer les estuves, faire pastez, tartres et ypocras, et le surplus
des biens de Dieu, si largement que l'appareil sembloit ung droit
desroy. Quand vint sur le soir, la posterne fut desserrée, et celle qui
pour la nuit le guet y devoit saillit dedans; et Dieu scet s'elle ne fut
pas trèsdoulcement receue. Je passe en bref, et espère plus qu'ilz ne
firent pluseurs devises d'entre ceulx qui n'avoient pas eue ceste
eureuse journée à leur première volunté. Après ce que en la chambre
furent descenduz, tantost se boutèrent ou baing, devant lequel le beau
soupper fut en haste couvert et servy. Et Dieu scet qu'on y beut
d'autant et souvent et largement. Des vins et viandes parler ne seroient
que redittes; et, pour trousser le compte court, faulte n'y avoit que du
trop. En ce trèsglorieux estat se passa la pluspart de ceste doulce et
courte nuyt: baisiers donnez, baisiers renduz, tant et si longuement que
chacun ne desiroit que le lit. Tandiz que ceste grande chière se
faisoit, et veez cy jà retourné de son voyage bon mary, non querant
ceste sa bonne adventure, qui heurte bien fort à l'huys de la chambre.
Et, pour la compaignie qui y estoit, l'entrée du prinsault luy fut
refusée jusques ad ce qu'il nommast son parain. Adonc il se nomma hault
et cler, et bien l'entendirent et cogneurent sa bonne femme et le
bourgois. Elle fut tant fort esserrée à la voix de son mary que à pou
que son loyal cueur ne failloit; et ne savoit jà plus sa contenance, si
le bon bourgois et ses gens ne l'eussent reconfortée. Le bon bourgoys,
tout asseuré, et de son fait trèsadvisé, la fist bien à haste coucher,
et au plus près d'elle se bouta, et luy chargea bien qu'elle se joignist
près de luy et caichast le visage qu'on n'en puisse rien appercevoir.
Et, cela fait au plus bref qu'on peut, sans soy trop haster, il commenda
ouvrir la porte. Et le bon compaignon sault dedans la chambre, pensant
en soy que aucun mistère y avoit, qui devant l'huys l'avoit retenu. Et,
quand il vit la table chargée de vins et de grandes viandes, ensemble le
beau baing très bien paré, et le bourgois en très beau lit encourtiné
avec sa secunde personne, Dieu scet s'il parla hault et blasonna bien
les armes de son bon voisin. Or l'appelle ribauld, après loudier, après
putier, après yvroigne; et tant bien le baptise que tous ceulx de la
chambre et luy avec s'en rioient bien fort. Mais sa femme à ceste heure
n'avoit pas ce loisir, tant estoient ses lèvres empeschées de se joindre
près de son amy nouvel. «Ha! dist-il, maistre houllier, vous m'avez bien
celée ceste bonne chére; mais, par ma foy, si je n'ay esté à la grande
feste, si fault-il bien qu'on me monstre l'espousée.» Et à cest cop,
tenant la chandelle en sa main, se tire près du lit; et jà se vouloit
avancer de hausser la couverture soubz laquelle faisoit grand penitence
en silence sa très parfecte et bonne femme, quand le bourgois et ses
gens l'en gardèrent; dont il ne se contentoit pas, mais à force, malgré
chascun, toujours avoit la main au lit. Mais il ne fut pas maistre
lors, ne creu de faire son vouloir, et pour cause. Mais ung
appoinctement trèsgracieux et bien nouveau au fort le contenta, qui fut
tel: le bourgois fut content que luy monstrast à descouvert le derrière
de sa femme, les rains et les cuisses, qui blanches et grosses estoient,
et le surplus bel et honeste, sans rien decouvrir ne veoir du visage. Le
bon compagnon, tousjours la chandelle en sa main, fut assez longuement
sans dire mot. Et, quand il parla, ce fut en loant beaucop la trèsgrande
beaulté de ceste sa femme; et afferma par ung bien grand serment que
jamais n'avoit veu chose si trèsbien ressembler le cul de sa femme; et,
s'il ne fust bien seur qu'elle fust à son hostel à ceste heure, il
diroit que c'est elle! Elle fut tantost recouverte, et il se tire
arrière, assez pensif; mais Dieu scet si on luy disoit bien, puis l'un,
puis l'aultre, que c'estoit de luy mal cogneu, et à sa femme pou
d'honneur porté, et que c'estoit bien aultre chose, comme cy après il
pourra veoir. Pour refaire les yeulx abusez de ce pouvre martir, le
bourgois commenda qu'on le feist seoir à la table, où il reprint
nouvelle ymaginacion par boire et menger largement du demourant du
soupper de ceulx qui entretant ou lit se devisoient à son grand
prejudice. L'eure vint de partir, et donna la bonne nuyt au bourgois et
à sa compaignie; et pria moult qu'on le boutast hors de leans par la
posterne, pour plustost trouver sa maison. Mais le bourgois lui
respondit qu'il ne saroit à ceste heure trouver la clef; pensoit aussi
que la serure fust tant enrouillée qu'on ne la pourroit ouvrir, pour ce
que nulle foiz ou pou souvent s'ouvroit. Il fut au fort content de
saillir par la porte de devant et d'aller le grand tour à sa maison; et,
tantdiz que les gens du bourgois le conduisoient vers la porte, tenant
le boc en l'eaue pour deviser, la bonne femme fut vistement mise sur
piez, et en pou d'heure habillée et lassée de sa cotte simple, son
corset en son bras, et venue à la posterne; ne fist que ung sault en sa
maison, où elle attendoit son mary, qui le long tour venoit, trésadvisée
de son fait et de ses manières qu'elle devoit tenir. Véez cy nostre
homme, voyant encores la lumière en sa maison, hurte à l'huys assez
rudement. Et sa bonne femme, qui mesnageoit par léans, en sa main tenant
ung ramon, demande ce qu'elle bien scet: «Qui est-ce là?» Et il respond:
«C'est vostre mary.--Mon mary! dist-elle: mon mary n'est-ce pas; il
n'est pas en la ville.» Et il hurte de rechef et dit: «Ouvrez, ouvrez,
je suis vostre mary.--Je cognois bien mon mary, dit-elle; ce n'est pas
sa coustume de soy enclorre si tard, quand il seroit en la ville; allez
ailleurs, vous n'estes pas bien arrivé; ce n'est point séans qu'on doit
hurter à ceste heure.» Et il hurte pour la tierce, et l'appella par son
nom, une foiz, deux foiz. Et adonc fist-elle aucunement semblant de le
cognoistre, en demandant dont il venoit à ceste heure. Et pour response
ne bailloit aultre que: «Ouvrez, ouvrez!»--«Ouvrez, dit-elle, encores
n'y estes-vous pas, meschant houllier? Par la force sainte Marie,
j'aymeroie mieulx vous veoir noyer que séans vous bouter. Alez coucher
en mal repos dont vous venez.» Et lors bon mary de se courroucer; et
fiert tant qu'il peut de son pié contre la porte, et semble qu'il doit
tout abatre, et menace sa femme de la tant batre que c'est rage, dont
elle n'a guères grand paour; mais au fort, pour abaisser la noise et à
son aise mieulx dire sa volunté, elle ouvrit l'huys, et, à l'entrée
qu'il fist, Dieu scet s'il fut servy d'une chére bien rechignée, et d'un
agu et bien enflambé visage. Et, quand la langue d'elle eut povoir sur
le cueur trèsfort chargé d'ire et de courroux, par semblant les parolles
qu'elle descocha ne furent pas mains trenchans que rasoirs de Guingant
bien affillez. Et entre aultres choses fort luy reproucha qu'il avoit
par malice conclu ceste faincte allée pour l'esprouver, et que c'estoit
fait d'un lasche et recreant courage d'homme, indigne d'estre allyé à si
preude femme comme elle. Le bon compaignon, jà soit ce qu'il fust fort
courroucé et mal meu par avant, toutesfoiz, pour ce qu'il voit son tort
à l'oeil et le rebours de sa pensée, refraint son ire, et le courroux
qu'en son cueur avoit conceu, quand à sa porte tant hurtoit, fut tout à
coup en courtois parler converty. Car il dit pour son excuse, et pour sa
femme contenter, qu'il estoit retourné de son chemin pource qu'il avoit
oublyé la lettre principale touchant le fait de son voyage. Sans faire
semblant de le croire, elle recommence sa grande legende dorée, luy
mettant sus qu'il venoit de la taverne et des estuves et des lieux
deshonnestes et dissoluz, et qu'il se gouvernoit mal en homme de bien,
maudisant l'eure qu'oncques elle eut son accointance, ensemble et sa
trèsmaudicte allyance. Le pouvre désolé, cognoissant son cas, voyant sa
bonne femme trop plus qu'il ne voulsist troublée, helas! et à sa cause,
ne savoit que dire. Si se prend à meiser, et, à chef de sa meditacion,
se tire près d'elle, plorant, ses genoulz tout en bas sur la terre, et
dist les beaulx motz qui s'ensuyvent: «Ma trèschère compaigne et
trèsloyale espouse, je vous requier et prie, ostez de vostre cueur tout
courroux que avez vers moy conceu, et me pardonnez au surplus ce que je
vous puis avoir meffait. Je cognois mon tort, je cognois mon cas, et
viens naguères d'une place où l'on faisoit bonne chère. Si vous ose bien
dire que cognoistre vous y cuidoye, dont j'estoye trèsdesplaisant. Et
pour ce que à tort et sans cause, je le confesse, vous avoie
suspessonnée d'estre aultre que bonne, dont me repens amerement, je vous
supplie et de rechef que tout aultre passé courroux, et cest icy, vous
obliez, vostre grace me soit donnée, et me pardonnez ma folie.» Le
maltalant de nostre bonne gouge, voyant son mary en bon ploy et à son
droit, ne se monstra meshuy si aspry ne si venimeux: «Comment,
dist-elle, villain putier, si vous venez de vos trèsinhonestes lieux et
infames, est-il dit pourtant que vous devez oser penser ne en quelque
fasson croire que vostre preude femme les daignast regarder?--Nenny, par
Dieu; helas! ce sçay-je bien, m'amye; n'en parlez plus, pour Dieu», dist
le bon homme. Et de plus belle vers elle s'incline, faisant la requeste
pieça trop dicte. Elle, jasoit qu'encores marrye et enragée de ceste
suspicion, voyant la parfecte contrition du bon homme, cessa son dire,
et petit à petit son troublé cueur se remist à nature, et pardonna,
combien que à grand regret, après cent mille seremens et autant de
promesses, à celuy qui tant l'avoit grevé. Et par ce point à mains de
crainte et de regret se passa maintesfois depuis ladicte posterne, sans
ce que l'embusche fust jamais descouverte à celuy à quy plus touchoit.
Et ce souffise quant à la première histoire.




LA SECUNDE NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR.


En la maistresse ville d'Angleterre, nommée Londres, assez hantée et
congneue de pluseurs gens, n'a pas long temps demouroit ung riche et
puissant homme qui marchant et bourgois estoit, qui entre ses riches
bagues et tresors innombrables s'esjoissoit plus enrichy d'une belle
fille que Dieu luy avoit envoyée que du bien grand surplus de sa
chevance, car de bonté, beaulté, et genteté, passoit toutes les filles
d'elle plus eagées. Et ou temps que ce très eureux bruyt et vertueuse
renommée d'elle sourdoit, en son quinziesme an ou environ, Dieu scet si
pluseurs gens de bien desiroient et pourchassoient sa grace par
plusieurs et toutes fassons en amours acoustumées, qui n'estoit pas ung
plaisir petit au père et à la mère d'elle. Et à ceste occasion de plus
en plus croissoit en eulz l'ardent et paternel amour que à leur
trèsbelle et trèsamée fille portoient. Advint toutesfois, ou car Dieu le
permist, ou car Fortune le voult et commenda, envieuse et mal contente
de la prosperité de celle belle fille, ou de ses parens, ou de tous deux
ensemble, ou espoir par une secrète cause et raison naturelle, dont je
laisse l'inquisition aux philosophes et medicins, qu'elle cheut en une
desplaisante et dangereuse maladie que communement l'on appelle broches.
La doulce maison fut trèslargement troublée, quand en la garenne que
plus chère tenoient lesdictz parens, avoient osé lascher les levriers et
limiers à ce desplaisant mal, et que plus est, toucher sa proye en
dangereux et dommageable lieu. La pouvre fille, de ce grand mal toute
affolée, ne scet sa contenance que de plourer et souspirer. Sa
trèsdolente mère est si trèsfort troublée que d'elle il n'est rien plus
desplaisant; et son trèsennuyé père destort ses mains, ses cheveux
detire, pour la grand rage de ce nouvel courroux. Que vous diray-je?
toute la grand triumphe qui en cest hostel souloit comblement abunder
est par ce cas abatue et ternye, et en amère et subite tristece à la
male heure converty. Or viennent les parens, amys et voisins de ce
dolent hostel visiter et conforter la compaignie; mais pou ou rien y
prouffite, car de plus en plus est aggressée et opprimée la pouvre fille
de ce mal. Or vient une matrone qui moult et trop enquiert de ceste
maladie; et fait virer et revirer puis çà, puis là, la trèsdolente
paciente, à trèsgrand regret, Dieu le scet, et puis la medecine de cent
mille fassons d'herbes; mais riens; plus vient avant et plus empire;
c'est force que les medicins de la ville et d'environ soient mandez, et
que la pouvre fille descouvre son trèspiteux cas. Or sont venuz maistre
Pierre, maistre Jehan, maistre cy, maistre là, tant de phisiciens que
vous vouldrez, qui veullent veoir la paciente ensemble, et les parties
du corps à descouvert où ce maudit mal de broches s'estoit, helas!
longuement embusché. Ceste pouvre fille, autant prinse et esbahie que si
à la mort fust adjugée, ne se vouloit accorder nullement qu'on la meist
en fasson que son mal fust apperceu, mesmes amoit plus cher morir que
ung tel secret fust à nul homme decelé. Ceste obstinée volunté ne dura
pas gramment, quand père et mère vindrent, qui pluseurs remonstrances
luy firent, comme de dire qu'elle pourroit estre cause de sa mort, qui
n'est pas ung petit peché, et pluseurs aultres mistères trop longs à
racompter. Finablement, trop plus pour à père et à mère obéir que pour
crainte de sa mort vaincue, la pouvre fille se laissa ferrer; et fut
mise sur une cousche, les dens dessoubz, et son corps tant et si
trèsavant descouvert que les medicins virent apertement le grant meschef
qui fort la tormentoit. Ilz ordonnèrent son regime, font faire aux
apothicaires clistères, pouldres, oignemens, et le surplus que bon leur
sembla; et elle prend et fait tout ce qu'on voult pour recouvrer santé.
Mais rien n'y vault, car il n'est tour ne engin que les dictz medecins
sachent pour alleger quelque pou de ce destresseux mal, ne en leurs
livres n'ont veu ne accoustumé, que si trèsfort la pouvre fille empire
avecques l'ennuy qu'elle s'en donne que autant semble morte que vive. En
ceste aspre doleur et langueur forte se passèrent mains jours. Et comme
le père et la mère, parens et voisins s'enqueroient par tout pour
l'allegence de la fille, fut rencontré ung ancien cordelier qui borgne
estoit, et en son temps avoit veu moult de choses, et de sa principale
science se mesloit fort de medicine, dont sa presence fut plus agreable
aux parens de la paciente, laquel, helas! à tant de regret que dessus,
regarda tout à son beau loisir, et se fist fort de la garir. Pensez
qu'il fut trèsvoluntiers oy, et tant que la dolente assemblée, qui de
lyesse pieça bannye estoit, fut à ce point quelque pou consolée,
esperant l'effect sortir tel que à sa parolle le touchoit. Il part de
léans, et prend jour à demain de retourner pourveu et garny de medicine
si trèsvertueuse qu'elle en pou d'heure effacera la grand douleur et le
martire qui debrise et gaste la pouvre paciente. La nuyt fut beaucop
longue, attendant ce jour desiré; neantmains passèrent tant d'heures à
quelque peine que ce fust, que nostre bon cordelier fut acquitté de sa
promesse par soy rendre devers la paciente à l'heure assignée. S'il fut
bien doulcement et autretant joyeusement receu, pensez que oy. Et quand
vint l'heure qu'il voult besoigner et la paciente mediciner, on la print
comme autrefois, et sur la cousche tout au plus bel qu'on peut fut à
bouchons couschée, et son derrière descouvert assez avant, lequel fut
incontinent par matrones d'ung beau blanc drap de linge garny, tapissé
et armé; et à l'endroit du secret mal fut fait ung beau pertus, par le
quel damp cordelier le povoit apertement choisir. Il regarde ce mal puis
d'un costé, puis d'aultre; maintenant le touche d'un doy tant
doulcement, une aultre foiz y souffle la pouldre dont mediciner la
vouloit; or regarde le tuyau dont il voult souffler ladicte pouldre par
dessus et dedans le mal; ore retourne arrière et jette l'oeil de rechef
sur ce dit mal, et ne se peut saouler de assez regarder. A chef de
peche, il prend sa pouldre à la main gauche, mise en ung beau petit
vaisseau plat, et de l'aultre son tuyau que emplir vouloir de la dicte
pouldre, et comme il regardoit trèsententivement et de trèsprès par ce
pertus et à l'environ le destresseux mal de la pouvre fille, si ne se
peut elle contenir, voyant l'estrange fasson de regarder à tout ung oeil
de nostre cordelier, que force de rire ne la surprint, qu'elle cuida
longuement retenir; mais si mal, helas! luy advint, que ce ris à force
retenu fut converty en ung sonnet dont le vent retourna si très à point
la pouldre que la pluspart il fist voler contre le visage et sur l'oeil
de ce bon cordelier, lequel sentent ceste doleur, habandonna tantost et
vaissel et tuyau; et à peu qu'il ne cheut à la renverse, tant fut fort
effrayé. Et quand il reut son sang, il met tout à haste la main à son
oeil, soy plaignant durement, disant qu'il estoit homme deffait et en
dangier de perdre ung bon oeil qu'il avoit. Il ne mentit pas, car en pou
de jours la pouldre, qui corrosive estoit, luy gasta et mengea l'oeil,
et par ce point aveugle fut et demoura. Si se fist guider et mener ung
jour jusques à l'ostel où il conquist ce beau butin; et firent tant ses
guides qu'ilz parlèrent au maistre de léans, auquel il remonstra son
piteux cas, priant et requerant, ainsi que droit le porte, qu'il luy
baille et assigne, ainsi que à son estat appartient, sa vie
honnorablement. Le bourgois luy respondit que de ceste son adventure
beaucop luy desplaisoit, combien que en rien il n'en soit cause, n'en
quelque fasson que ce soit chargé ne s'en ient. Trop bien est il
content pour pitié et aumosne luy faire quelque gracieuse aide d'argent,
pource qu'il avoit entrepris de garir sa fille, ce qu'il n'a pas fait;
car à luy ne veult en riens estre tenu; luy veult bailler autant en
somme que s'il eust sa fille en santé rendue, non pas, comme dit est,
qu'il soit tenu de ce faire. Damp cordelier, non content de ceste offre,
demande qu'il luy assigne sa vie, remonstrant tout premier comme la
fille l'avoit aveuglé en sa presence et d'aultres pluseurs, et à ceste
occasion estoit privé de la digne et trèssaincte consecracion du
precieux corps de Jhésus, du saint service de l'Eglise, et de la
glorieuse inquisicion des docteurs que escript ilz ont sur la saincte
Escripture; et par ce point de predicacion plus ne povoit servir le
peuple, qui estoit sa totale destruction, car mendiant estoit, et non
fondé sinon sur aumosnes, que plus conquester il ne povoit. Quelque
chose qu'il allègue ne remonstre, il ne peut finer d'aultre response que
ceste presente. Si se tira par devers la justice du parlement du dit
Londres, devant lequel fut baillé jour à nostre homme dessus dit. Et
quand vint l'heure de plaider sa cause par ung bon advocat bien informé
de ce qu'il devoit dire, Dieu scet que pluseurs se rendirent au
consistoire pour oyr ce nouvel procès, qui beaucop pleut aux seigneurs
du dit parlement, tant pour la nouvelleté du cas que pour les
allegations et argumens des parties devant eulz debatans, qui non
accoustumées mais plaisantes estoient. Ce procès tant plaisant et
nouveau, affin qu'il fust de pluseurs gens congneu, fut en suspens tenu
et maintenu assez et longuement; non pas que à son tour de rolle ne fust
bien renvoyé et mis en jeu, mais le juger fut differé jusques à la
fasson de cestes. Et par ce point celle qui auparavant par sa beauté,
bonté et genteté congneue estoit de pluseurs gens, devint notoire à tout
le monde par ce mauldit mal de broches, dont en la fin fut garie, ainsi
que puis me fut compté.




LA TROYSIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


En la duché de Bourgoigne eut naguères ung gentil chevalier dont
l'ystoire presente passe le nom, qui maryé estoit à une belle et gente
dame. Et assez près du chasteau où le dit chevalier faisoit residence
demouroit ung musnier, pareillement à une belle, gente et jeune femme
marié. Advint une fois entre les aultres que comme le chevalier, pour
passer temps et prendre son esbatement, se pourmenast à l'environ de son
hostel et du long de la rivière sur laquelle estoient assis lesdictz
hostel et molin du dit musnier, qui à ce coup n'estoit pas à l'ostel,
mais à Dijon ou à Beaune, il perceut et choisit la femme du dit musnier
portant deux cruches et retournant de la rivière de quérir de l'eaue.
Si s'avança vers elle et doulcement la salua; et elle, comme sage et
bien aprinse, luy fist honneur et la reverence comme il appartenoit.
Nostre chevalier, voyant ceste musnière très-belle et en bon point, mais
de sens assez escharsement hourdée, s'approucha de bonnes et luy dist:
«Certes, m'amye, j'apperçoy bien que vous estes malade et en grand
péril.» Et à ces parolles la musnière s'approucha et dist: «Helas!
monseigneur, et que me fault il?--Vrayement, m'amye, j'apperçoy bien que
si vous cheminez guères avant, que vostre devant est en trèsgrand
dangier de cheoir; et vous ose bien dire que vous ne le porterez guères
longuement qu'il ne vous chiège, tant m'y cognois-je.» La simple
musnière, oyant les parolles de monseigneur, devint très ebahie et
courroucée, ebahie comment monseigneur povoit savoir ne veoir ce meschef
advenir, et courroucée d'oyr la perte du meilleur membre de son corps;
et dont elle se servoit le mieulx, et son mary aussi. Si respondit:
«Helas! monseigneur, et que dictes vous et à quoy congnoissez vous que
mon devant est en dangier de cheoir? Il me semble qu'il tient tant
bien.--Dya, m'amye, respondit monseigneur, suffise vous à tant, et soiez
seure que je vous dy la verité, et ne seriez pas la première à qui le
cas est advenu.--Helas! dist-elle, monseigneur, or suis je bien femme
deffaicte, deshonorée et perdue; et que dira mon mary, nostre Dame!
quand il saura ce meschef? Il ne tiendra plus comte de moi.--Ne vous
desconfortez que bien à point, m'amye, dist monseigneur; encores n'est
pas le cas advenu: aussi il y a de beaulx remèdes.» Quand la jeune
musnière oyt qu'on trouveroit bien remède en son fait, le sang luy
commence à revenir; et, ainsi qu'elle scet, prie à monseigneur, pour
Dieu! que de sa grace luy veille enseigner qu'elle doit faire pour
garder ce pouvre devant de cheoir. Monseigneur, qui trèscourtois et
gracieux estoit, mesmement tousjours vers les dames, luy dist: «M'amye,
pource que vous estes belle fille et bonne, et que j'ayme bien vostre
mary, il me prend pitié et compassion de vostre fait; si vous
enseigneray comment vous garderez vostre devant.--Helas! monseigneur, je
vous en mercy, et certes vous ferez une euvre bien meritoire, car autant
me vauldroit non estre que de vivre sans mon devant. Et que doy je dont
faire, monseigneur?--M'amye, dist-il, affin de garder vostre devant de
cheoir, le remède si est que plus tost et souvent que pourrez le facez
recoigner.--Recoigner, monseigneur? et qui le saroit faire? A qui me
fauldroit il parler pour bien faire ceste besoigne?--Je vous diray,
m'amye, respondit monseigneur, pource que je vous ay advertye de vostre
meschef, qui trèsprochain et gref estoit, et aussi du remède necessaire
pour obvier aux inconveniens qui sourdre pourroient à l'occasion de
vostre cas, dont je suis seur que bon gré m'en saurez, je suis content,
affin de plus en plus nourrir amour entre nous deux, vous recoigner
vostre devant, et le vous rendrai en tel et si trèsbon estat que par
tout le pourrez seurement porter, sans avoir crainte ne doubte que
jamais il vous puisse cheoir; et de ce me fais je bien fort.» Si nostre
musnière fut bien joyeuse, il ne le fault pas dire ne demander, qui
mettoit trèsgrand peine du peu de sens qu'elle avoit de souffisaument
mercier monseigneur. Si marchèrent tant, monseigneur et elle, qu'ilz
vindrent au molin, où ilz ne furent guères sans mettre la main à
l'euvre, car monseigneur, par sa courtoisie, d'un oustil qu'il avoit
recoigna en peu d'heure troys ou quatre foiz le devant de nostre
musnière, qui trèslyée et joyeuse en fut. Et après que l'euvre fut
ployé, et de devises ung millier, et jour assigné d'encores ouvrer à ce
devant, monseigneur part, et tout le beau pas s'en retourna à son
hostel. Au jour nommé se rendit monseigneur vers la musnière, et, en la
fasson que dessus, le mieulx qu'il peut il s'employa à recoigner ce
devant; et tant et si bien y ouvra, par continuacion de temps, que ce
devant fut trèstout asseuré et tenoit trèsferme et bien. Pendent le
temps que nostre chevalier recoignoit et chevilloit le devant de ceste
musnière, le musnier retourna de sa marchandise et fist grand chère, et
aussi fist sa femme. Et comme ilz eurent devisé de leurs affaires et
besoignes, la trèssage musnière va dire à son mary: «Par ma foy, sire,
nous sommes bien tenuz à monseigneur de ceste ville.--Voire, m'amye,
dist le musnier, en quelle fasson?--C'est bien raison que le vous dye,
affin que le sachez remercier, car vous y estes bien tenu. Il est vray
que tantdiz qu'avez esté dehors, monseigneur passoit par devant nostre
maison une foiz que à tout deux cruches alloye à la rivière; il me
salua, si feis je luy, et comme je marchoie, il apperceut, ne sçay
comment, que mon devant ne tenoit comme rien, et qu'il estoit en trop
grand adventure de cheoir; et le me dist de sa grace, dont je fus si
trèsesbahie, voire, par Dieu! autant courroucée que si tout le monde
fust mort. Le bon seigneur, qui me veoit en ce point lamenter, en eut
trèsgrand pitié; et de fait il m'enseigna ung bon remède pour me garder
de ce mauldit dangier. Et encores me fist il bien plus, ce qu'il n'eust
pas fait à une aultre, car le remède dont il m'advertit, qui estoit de
faire recoigner et recheviller mon devant, affin de le garder de cheoir,
lui mesmes le mist à execucion; qui luy fut trèsgrand peine et en sua
pluseurs foiz, pource que mon cas requeroit d'estre souvent visité. Que
vous diray je plus? il s'en est tant bien acquitté que jamais ne luy
saurions desservir. Par ma foy, il m'a tel jour de ceste sepmaine
recoigné les trois, les quatre fois, ung aultre deux, ung aultre trois;
il ne m'a jamais laissée tant que j'aye esté toute garie; et si m'a mise
en tel estat que mon devant tient à ceste heure aussi bien et fermement
que celui de femme de nostre ville.» Le musnier, oyant cette adventure,
ne fist pas semblant par dehors tel que dedans son cueur portoit, mais,
comme s'il fust bien joyeux, dist à sa femme: «Or çà, m'amye, je suis
bien joyeux que monseigneur nous a fait ce plaisir, et se Dieu plaist,
quand il sera possible, je feray autant pour luy. Mais toutes foiz,
pource que vostre cas n'estoit pas bien honeste, gardez vous bien d'en
rien dire à personne, et aussi, puis que vous estes bien garie, il n'est
jà mestier que vous traveillez plus monseigneur.--Vous n'avez garde,
dist la musnière, que j'en sonne jamais ung mot, car aussi le me
deffendit bien monseigneur.» Nostre musnier, qui estoit gentil
compaignon, ramentevoit souvent en sa teste la courtoisie que
monseigneur luy avoit faicte, et se conduisit si bien et si sagement que
oncques mon dit seigneur ne se perceut qu'il se doubtast de la tromperie
qu'il luy avoit faicte, et cuidoit en soy mesmes qu'il n'en sceust rien.
Mais, helas! si faisoit, et n'avoit ailleurs son cueur, son estude, ne
tous ses pensers, que à se venger de luy, s'il savoit, en fasson telle
ou semblable qu'il deceust sa femme. Et tant fist par son engin, qui
point oyseux n'estoit, qu'il advisa une manière par laquelle bien luy
sembloit, s'il en povoit venir à chef, que monseigneur raroit beurre
pour oeufs. A chef de peche, pour aucuns affaires qui survindrent à
monseigneur, il monta à cheval et print de madame congé bien pour ung
moys, dont nostre musnier ne fut pas moyennement joyeux. Ung jour entre
les aultres, madame eut volunté de se baigner, et fist tirer le baing et
chauffer les estuves en son hostel à part, ce que nostre musnier sceut
trèsbien, pource qu'il estoit assez familier léans; si s'advisa de
prendre ung beau brochet qu'il avoit en sa fosse, et vint au chasteau
pour le presenter à madame. Aucunes femmes de madame vouloient prendre
le brochet, et de par le musnier en faire present à madame; mais le
musnier trèsbien les en garda, et dist qu'il le voloit luy mesme à
madame presenter, ou vraiement qu'il le remporteroit. Au fort, pource
qu'il estoit comme de léans et joyeux homme, madame le fist venir, qui
dedans son baing estoit. Le gracieux musnier fist son present, dont
madame le mercya, et le fist porter en la cuisine et mectre à point pour
le soupper. En entretant que madame au musnier devisoit, il apperceut
sur le bout de la cuve ung trèsbeau dyamant et gros qu'elle avoit osté
de son doy, doubtant de l'eaue le gaster. Si le crocqua si simplement
qu'il ne fut de ame apperceu; et quand il vit son point, il donna la
bonne nuyt à madame et à sa compaignie, et s'en retourne à son molin,
pensant au surplus de son affaire. Madame, qui faisoit grand chère
avecques ses femmes, voyant qu'il estoit desjà bien tard et heure de
soupper, abandonna le baing et en son lit se bouta. Et comme elle
regardoit ses braz et ses mains, elle ne vit point son dyamant; si
appella ses femmes et leur demande ce dyamant, et à laquelle elle
l'avoit baillé. Chacune dist: «Ce ne fut pas à moy.--Ne à moy.--Ne à moy
aussi.» On cherche hault et bas, dedans la cuve, sur la cuve, et
partout; mais rien n'y vault, on ne le peut trouver. La queste de ce
dyamant dura longuement, sans qu'on en sceust oyr nouvelle, dont madame
se donnoit bien mauvais temps, pource qu'il estoit meschantement perdu
et en sa chambre. Et aussi monseigneur luy donna le jour de ses
espousailles, si l'en tenoit beaucop plus cher. On n'en savoit qui
mescroire, ne à qui le demander, dont grand dueil sourd par léans. L'une
des femmes s'advisa et dist: «Ame n'est céans entré que nous qui y
sommes et le musnier; si me sembleroit bon qu'il fust mandé.» On le
mande, et il y vint. Madame, si trèscourroucée et si desplaisante que
plus ne povoit, demanda au musnier s'il n'avoit pas veu son dyamant. Et
il, autant asseuré en bourdes que ung aultre à dire vérité, s'excusa
trèshaultement, mesmes osa bien dire à madame s'elle le tenoit pour
larron; à quoy elle respondit doulcement: «Certes, musnier, nenny; aussi
ce ne seroit pas larrecin si vous aviez par esbatement mon dyamant
emporté.--Madame, dist le musnier, je vous promectz par ma foy que de
vostre dyamant ne sçay je nouvelles.» Adonc fut la compaignie bien
simple, et madame specialement, qui en est si trèsdesplaisante qu'elle
ne scet sa contenance que de gecter larmes à grande abundance, tant a
regret de ceste verge. La triste compaignie se met au conseil pour
savoir qu'il est de faire. L'une dit qu'il fault qu'il soit en la
chambre, l'aultre dit qu'elle a serché par tout, et que impossible est
qu'il y soit qu'on ne le trouvast, attendu que c'est une chose qui à
ceste heure bien se monstre. Le musnier demande à madame s'elle l'avoit
à l'entrée du baing, et elle dit que si. «S'il est ainsi, certainement,
madame, veue la grande diligence qu'on a faicte de le querir sans en
savoir nouvelle, la chose est bien estrange. Toutesfoiz, il me semble
que s'il y avoit homme en ceste ville qui sceust donner conseil pour le
retrouver, que je seroye celuy; et, pource que je ne vouldroye pas que
ma science fust descouverte ne cogneue de pluseurs, il seroit expedient
que je parlasse à vous à part.--A cela ne tiendra pas», dist madame. Si
fist partir la compaignie, et au partir que firent les femmes dirent
dame Jehanne, dame Ysabeau et Katherine: «Helas! musnier, que vous serez
bon homme si vous faictes revenir ce dyamant.--Je ne m'en fays pas fort,
dist le musnier; mais j'ose bien dire, s'il est possible de jamais le
trouver, que j'en apprendray la manière.» Quand il se vit à part avec
madame, il luy dist qu'il se doubtoit trèsfort et pensoit certainement,
puisque à l'arriver au baing elle avoit son dyamant, qu'il ne fust
sailly de son doy et cheut en l'eaue, et dedans son corps se bouté,
attendu qu'il n'y avoit ame qui le voulsist retenir. Et la diligence
faicte pour le trouver, si fist madame monter sur son lit, ce qu'elle
eust voluntiers refusé si ce ne fust pour mieulx faire. Et après ce
qu'il l'eut assez avant descouverte, fist comme manière de regarder çà
et là, et dist: «Seurement, madame, le dyamant est entré en vostre
corps.--Et dictes vous, musnier, que l'avez appercéu?--Oy,
vrayement.--Helas! dit-elle, et comment le pourra l'on tirer?--Trèsbien,
madame; je ne doubte pas que je n'en vienne bien à chef, s'il vous
plaist.--Ainsi m'ayde Dieu, il n'est chose que je ne face pour le
ravoir, dist madame; or vous avancez, beau musnier.» Madame, encores sur
le lit couschée, fut mise par le musnier tout en telle fasson que
monseigneur mettoit sa femme quand il luy recoignoit son devant, et d'un
tel oustil fit il la tente pour querir et pescher le dyamant. Après les
reposées de la première et deuxiesme queste que le musnier fist du
dyamant, madame demande s'il l'avoit point senty. Et il dist que oy,
dont elle fut bien joyeuse, et luy pria qu'il peschast encores tant
qu'il l'eust trouvé. Pour abreger, tant fist le bon musnier qu'il rendit
à madame son trèsbeau dyamant, dont trèsgrand joye vint par léans; et
n'eut jamais musnier tant d'honneur ne d'avancement que madame et ses
femmes luy donnèrent. Ce bon musnier, en la trèsbonne grace de madame
après la trèsdesirée conclusion de sa haulte entreprinse, part de léans,
et vint en sa maison sans soy vanter à sa femme de sa nouvelle
adventure, dont il estoit plus joyeux que s'il eust tout le monde
gaigné. La Dieu mercy, petit de temps après, monseigneur revint en sa
maison, où il fut doulcement receu et de madame humblement bienvenu,
laquelle, après pluseurs devises qui au lit se font, luy compta la
trèsmerveilleuse adventure de son dyamant, et comment il fut de son
corps par le musnier repesché; et, pour abregier, tout du long luy
compta le procès, la fasson et la manière que tint le dit musnier en la
queste du dit dyamant, dont il n'eut guères grand joye, mais se pensa
que le musnier luy avoit baillée belle. A la première fois qu'il
rencontra le bon musnier, il le salua haultement et dist: «Dieu gard,
Dieu gard ce bon pescheur de dyamant!» A quoy le bon musnier respondit:
«Dieu gard, Dieu gard ce recoigneur de cons!--Par nostre Dame! tu dis
vray, dist le seigneur; tays toy de moy et si ferai-je de toy.» Le
musnier fut content, et jamais plus n'en parla; non fist le seigneur,
que je sache.




LA QUARTE NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR.


Le roy estant naguères en sa ville de Tours, ung gentil compaignon
escossois, archier de son corps et de sa grand garde, s'enamoura
trèsfort d'une trèsbelle et gente damoiselle mariée et mercière, et,
quand il sceut trouver temps et lieu, le mains mal qu'il peut compta son
trèsgracieux et piteux cas, auquel ne fut pas bien respondu à son
avantage, dont il n'estoit pas trop content ne joyeux. Neantmains, car
il avoit la chose fort au cueur, ne laissa pas sa poursuite, ainçois de
plus en plus et trèsaigrement pourchassa tant que la damoiselle, le
voulant enchasser et donner le total congié, luy dist qu'elle
advertiroit son mary du pourchaz deshoneste et damnable qu'il
s'efforçoit d'eschever, ce qu'elle fist tout au long. Le mary, bon et
sage, preu et vaillant, comme après vous sera compté, se courroussa
amerement encontre l'Escossois qui deshonorer le vouloit et sa trèsbonne
femme aussi; et, pour bien se venger de luy et à son aise et sans
reprinse, commenda à sa femme que s'il retournoit plus à sa queste,
qu'elle luy baillast et assignast jour, et, s'il estoit si fol que d'y
comparoir, le blasme qu'il luy pourchassoit luy seroit cher vendu. La
bonne femme, pour obéir au bon plaisir de son mary, dist que si feroit
elle. Il ne demoura guères que le pouvre Escossois amoureux fist tant de
tours qu'il vit en place nostre mercière, qui fut par luy humblement
saluée, et de rechef d'amours si doulcement priée que les requestes du
par avant devoient bien estre enterinées par la conclusion de ceste
piteuse et derrenière; qui le oyoit, jamais femme ne fut plus loyalement
obéye ne servye qu'elle seroit, si de sa grace vouloit passer sa
trèshumble et raisonnable requeste. La belle mercière, recordant de la
leczon que son mary luy bailla, voyant aussi l'heure propice, entre
aultres devises et pluseurs excusations servans à son propos, bailla
journée à l'Escossois au lendemain au soir de comparoir personnellement
en sa chambre, pour en ce lieu luy dire plus celéement le surplus de
son intencion et le grand bien qu'il luy vouloit. Pensez qu'elle fut
haultement merciée, doulcement escoutée, et de bon cueur obéye de celuy
qui, après ces nouvelles bonnes, laissa sa dame le plus joyeux que
jamais il avoit. Quand le mary vint à l'ostel, il fut servy de prinsault
comme l'Escossois fut léans, des parolles et grandes offres qu'il fist;
et en conclusion, qui mieulx vault, comment il se rendra demain au soir
devers elle en sa chambre. «Or le laissez venir, dist le mary; il ne
fist jamais si folle entreprise, que je luy cuide monstrer avant qu'il
parte, voire et son grant tort faire confesser, pour estre exemple aux
aultres folz oultrecuidez et enragez comme luy.» Le soir du lendemain
approucha, très désiré du pouvre Escossois amoreux pour venir et joir de
sa dame, trèsdésiré du bon mercier pour accomplir la trèscriminale
vengence qu'il veult executer en la personne de celuy qui veult estre
son lieutenant; trèsredoubté aussi de la bonne femme, qui, pour obéir à
son mary, attend de veoir ung grand hutin. Au fort, chascun s'appreste:
le mercier se fait armer d'un grand, lourd et vieil harnois, prend sa
salade, ses ganteletz, et en sa main une grand hache. Or est il bien en
point, Dieu le set, et semble bien que aultres fois il ait veu hutin.
Comme ung champion venu sur les rencs de bonne heure et attendant son
ennemy, en lieu de pavillon se va mectre derrière ung tapis en la
ruelle de son lit, et si trèsbien se caicha qu'il ne povoit estre
apperceu. L'amoureux malade, sentent l'heure trèsdesirée, se met au
chemin devers l'ostel à la mercière; mais il n'oblya pas sa grande,
forte et bonne espée à deux mains. Et comme il fut venu léans, la dame
monte en sa chambre sans faire effroy, et il la suyt tout doulcement. Et
quand il s'est trouvé léans, il demande à sa dame si en sa chambre y
avoit aultre qu'elle. A quoy elle respondit assez laschement et
estrangement, et comme non trop asseurée, que non. «Dictes verité, dist
l'Escossois; vostre mary n'y est il pas?--Nenny, dist-elle.--Or le
laissez venir; par sainct Trignan! s'il y vient, je luy fendray la teste
jusques aux dens; voire par Dieu! s'il estoient trois, j'en seray bien
maistre hardiment.» Et après ces criminelles parolles, vous tire hors du
fourreau sa grande et bonne espée, et si la fait brandir trois ou quatre
foiz, et auprès de luy sur le lit la cousche, et ce fait, vistement
baiser et accoler, et le surplus qu'après s'ensuyt tout à son bel aise
et loisir acheva, sans ce que le pouvre coux de la ruelle s'osast
oncques monstrer, mais si grand paour avoit qu'à pou qu'il ne mouroit.
Nostre Escossois, après ceste haulte adventure, prend de sa dame congé
jusques une aultre fois, et la mercye comme il scet de sa grand
courtoisie, et se met au chemin et descend les degrez de la chambre.
Quand le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois enseur de luy, ainsi
effrayé qu'il estoit, sans à peine savoir parler, sault de son
pavillon, et commence à tenser sa femme de ce qu'elle avoit souffert le
plaisir de l'archier. Et elle luy respondit que c'estoit sa coulpe et sa
faulte, et chargié luy avoit luy bailler jour. «Je ne vous commenday
pas, dist-il, de luy laisser faire sa volunté.--Comment, dit-elle, le
povois je refuser, voyant sa grand espée, dont il m'eust tuée en cas de
refus?» Et à cest cop veez cy bon Escossois qui retourne et monte
arrière les degrez de la chambre, et sault dedans et dit tout hault:
«Qu'est cecy!» Et bon homme de se sauver, et dessoubz le lit se boute
pour estre plus seurement, beaucop plus esbahy que par avant. La dame
fut reprinse et de rechef par l'amoureux enferrée trèsbien et à loysir,
en la fasson que dessus, tousjours l'espée au près de luy. Après ceste
rencharge et pluseurs aultres devises entre l'Escossois et la dame,
l'heure vint de partir, si luy donna bonne nuyt et picque et s'en va. Le
pouvre martir estant soubz le lit, à peu s'il s'osoit tirer de là,
doubtant le retourner de son adversaire, ou, pour mieulx dire, son
compaignon. A chef de pièce, il print courage, et, ou l'ayde de sa
femme, la Dieu mercy, il fut remis sur piez. S'il avoit bien tansé et
villannée sa femme auparavant, encores recommença il plus dure légende;
car elle avoit consenty après sa defense le deshonneur de luy et d'elle.
«Helas! dit-elle, et où est la femme tant asseurée qui osast dedire ung
homme ainsi eschauffé et enragé que cestuy est, quand vous, qui estes
armé, embastonné, et si vaillant que c'est rage, à qui il a trop plus
meffait que à moy, ne l'avez osé assaillir ne moy defendre?--Ce n'est
pas response, dist-il, dame; si vous n'eussiez voulu, jamais ne fust
venu à ses attainctes. Vous estes mauvaise et desloyale.--Mais vous,
dit-elle, lasche, meschant, et reprouché homme, par qui je suis
deshonorée, car pour vous obéir j'assignay le mauldit jour à
l'Escossois, et oncques n'avez eu tant de courage que d'entreprendre la
defence de celle où gist tout vostre bien et honneur. Et ne pensez pas,
j'eusse trop mieulx amé la mort que d'avoir de moy mesmes consenty ne
accordé ce meschef. Et Dieu scet le dueil que j'en porte et en porteray
tant que je vivré, quand celuy de qui je doy avoir et tout secours
attendre, en sa presence et par son advis m'a bien souffert deshonorer!»
Il fait assez à croire et penser qu'elle ne souffrit pas la volunté de
l'Escossois pour plaisir qu'elle y prensist, mais elle fut ad ce
contraincte et forcée par non resister, laissant la resistence en la
proesse de son mary, qui s'en estoit très bien chargé. Chacun d'eulx
cessa son dire et sa querelle après pluseurs argumens et repliques d'une
costé et d'aultre; mais en son tort evident fut le mary conclu, qui
demoura trompé de l'Escossois en la fasson et manière que avez oy.




LA CINQUIESME NOUVELLE,

PAR PHILIPE DE LOAN.


Monseigneur Talebot, à qui Dieu pardoint, capitaine anglois si preux, si
vaillant, et aux armes si eureux, comme chacun scet, fist en sa vie deux
jugemens dignes d'estre recitez et en audience et memoire perpétuelle
amenez; et, affin que aussi en soit fait d'iceulx jugemens en brefs motz
ma première nouvelle, ou renc des aultres la cinquiesme, j'en fourniray
et diray ainsi. Pendant le temps que la mauldicte et pestilencieuse
guerre de France et d'Angleterre regnoit, et qui encores n'a prins fin,
comme souvent advient, ung François, homme d'armes, fut à ung aultre
Anglois prisonnier; et puis qu'il se fut mis à finance, soubz le
saufconduit de monseigneur Talebot, devers son capitaine s'en retournoit
pour faire finance de sa renson, et à son maistre l'envoyer ou la
porter. Et comme il estoit en chemin, fut par un Anglois sur les champs
rencontré, lequel, le voyant François, tantost luy demande dont il
venoit et où il alloit. L'aultre respondit la verité. «Et où est vostre
saufconduit? dist l'Anglois.--Et il n'est pas loing», dit le François.
Lors tire une petite boyte pendant à sa couroye, où son saufconduit
estoit, et à l'Anglois le tendit, qui d'un bout à l'aultre le leut; et,
comme il est de coustume de mettre en toutes lettres de saufconduit:
Reservé tout vray habillement de guerre, l'Anglois note sur ces motz, et
voit encores les aguilletes à armer pendans au pourpoint du François. Si
va juger en soy mesmes qu'il avoit enfraint son saufconduit, et que
aguillettes sont vray habillement de guerre, et luy dit: «Amy, je vous
fays prisonnier, car vous avez rompu vostre saufconduit.--Par ma foy,
non ay, dist le François, sauve vostre grace; vous voiez en quel estat
je suis.--Nenny, nenny, dist l'Angloys, par sainct Jehan! vostre
saufconduit est rompu. Rendez vous, ou je vous tueray.» Le pouvre
François, qui n'avoit que son paige et qui estoit tout nu et de ses
armes desgarny, voyant l'autre armé et de trois ou quatre archiers
acompaigné pour le deffaire, à luy se rendit. L'Anglois le mena en une
place assez près de là et en prison le bouta. Le François, voyant ce
party, tout son estat à grand haste au capitaine manda; lequel, oyant le
cas de son homme, fut à merveilles esbahy; si fist tantost escripre
lettres à monseigneur Talebot, et par ung hérault les envoya, bien
enditté et informé de la matière que l'homme d'armes prisonnier avoit au
long au capitaine rescript, c'est assavoir comment ung tel de ses gens
avoit prins ung tel des siens soubz son saufconduit. Le dit hérault,
bien informé et aprins qu'il devoit dire et faire de son maistre,
partit, et à monseigneur Talebot ses lettres presenta. Il les lysit, et
par ung sien secretaire en audience, devant pluseurs chevaliers et
escuiers et aultres de sa rote, de rechef les feist relire. Si devez
savoir que tantost il monta sur son chevalet, car il avoit la teste
chaude et fumeuse, et n'estoit point bien content quand on faisoit
aultre chose que à point, et par especial en matière de guerre, et
d'enfraindre son saufconduyt, il enrageoit tout vif. Pour abreger le
compte, il fist venir devant luy l'Anglois et le François, et dist au
François qu'il deist son cas. Il dist comment il avoit esté prisonnier
d'ung tel de ses gens et s'estoit mis à finance. «Et soubz vostre
saufconduit, monseigneur, je m'en aloye devers ceulx de nostre party
pour querir ma renson. J'ay encontré ce gentil homme cy, aussi de voz
gens; il m'a demandé où je alloye, et se j'avoie saufconduyt. Je luy dys
que oy et luy monstre, et, quand il l'eut leu, il me dist que je l'avoye
rompu, et je luy respondy que non avoie et qu'il ne le saroit monstrer.
Bref, je ne peuz estre oy, et me fut force, si je ne me vouloye laisser
tuer en la place, de me rendre. Et ne sçay cause nulle par quoi il me
doive avoir retenu; si vous en demande justice.» Monseigneur Talebot,
oyant le Françoys, n'estoit pas bien à son aise; néantmains, quand il
eut dit, il dist à l'Anglois: «Que respons-tu à cecy?--Monseigneur,
dist-il, il est bien vray, comme il a dit, que l'encontray et voulu
veoir son saufconduit, lequel de bout en bout et tout au long je leyz,
et perceu tantost qu'il l'avoit enfraint et rompu, et autrement je ne
l'eusse arresté.--Comment le rompit-il? dist monseigneur Talebot; dy
tost.--Monseigneur, pource que en son saufconduit a et avoit «reservé
tout vray habillement de guerre»; et il avoit et a encores ses
aguillettes à armes, qui sont ung habillement de guerre, car sans elles
on ne se peut armer.--Voire, dist monseigneur Talebot, si aguillettes
sont donc vray habillement de guerre? Et ne scez-tu aultre chose par
quoy il puisse avoir enfraint son saufconduyt?--Vrayement, monseigneur,
nenny, respond l'Angloys.--Voyre, villain, de par vostre dyable! dist
monseigneur Talebot, avez vous retenu ung gentilhomme sur mon
saufconduyt pour ses aguillettes? Par saint George, je vous feray
monstrer si ce sont habillemens de guerre.» Alors, tout eschaufé et de
courroux trèsfort esmeu, vint au François, et de son porpoint print deux
aguillettes et à l'Angloys les bailla, et au François une bonne espée
d'armes fist en la main livrer, et puis la belle et bonne sienne du
fourreau tira, et à l'Anglois va dire: «Defendez vous de cest
habillement de guerre que vous dictes, se vous savez.» Et puis dist au
François: «Frappez sur ce villain qui vous a retenu sans cause et sans
raison; on verra comment il se defendra de vostre habillement de guerre.
Si vous l'espergnez, je frapperay sur vostre teste, par saint George!»
Alors le François, voulsist ou non, fut contraint de ferir sur
l'Anglois de l'espée toute nue qu'il tenoit, et le pouvre Angloys s'en
couroit par la chambre le plus qu'il pouvoit, et Talebot après, qui
tousjours faisoit ferir par le François sur l'aultre, et luy disoit:
«Defendez vous, villain, de vostre habillement de guerre.» A la verité,
l'Anglois fut tant batu que presque jusques à la mort, et crya mercy à
Talebot et au Françoys, qui par ce moien fut delivré, et de sa renson
par monseigneur Talebot acquitté, et, avecques ce, son cheval et son
harnoys et tout son bagaige que au jour de sa prinse avoit luy fist
rendre et bailler. Veez là le premier jugement que fist le bon seigneur
Talebot. Reste à compter l'aultre, qui fut tel: Il sceut que l'un de ses
gens avoit desrobé en une eglise le ciboire où l'on met _corpus Domini_,
et à bons deniers contens l'avoit vendu, je n'en sçay pas la juste
somme; mais il estoit bel et grand et d'argent doré, et trèsgentement
esmaillé. Monseigneur Talebot, quoy qu'il fust terrible et cruel, et en
la guerre très criminel, si avoit il en grand reverence tousjours
l'eglise, et ne voloit que nul en nesun moustier le feu boutast ne
desrobast; et où il savoir qu'on le feist, il en faisoit merveilleuse
discipline de ceulx qui, en ce faisant, son commendement trespassoient.
Or fist il devant luy mener, et vint celuy qui ce ciboire avoit en
l'eglise robé. Et quand il le vit, Dieu scet quelle chère il luy fist!
Il le voloit à toute force tuer, se n'eussent esté ceulx qui entour luy
estoient, qui tant luy prièrent que la vie luy fut sauvée. Mais
néantmains si le vouloit-il punir et luy dist: «Traistre ribauld,
comment avez-vous osé rober l'eglise oultre mon commendement et ma
defense?--Ha! monseigneur, pour Dieu, mercy! dist le pouvre larron; je
vous crye mercy; jamais ne m'adviendra.--Venez avant, villain», dist-il.
Et l'aultre, aussi voluntiers qu'on va au guet, devers monseigneur
s'avance. Et monseigneur Talebot, de son poing, qui estoit gros et
lourd, de charger sur la teste de ce bon pelerin, et luy disoit: «Ha!
larron, avez-vous desrobé l'eglise!» Et l'autre de crier: «Monseigneur,
je vous crye mercy; jamais ne le feray.--Le ferez-vous?--Nenny,
monseigneur.--Or, jurez donc que jamais en eglise, quelle qu'elle soit,
n'entrerez. Jurez, villain.--Et bien! monseigneur», dist l'aultre. Et
lors luy fist jurer que jamais en eglise pié ne mettroit, dont tous
ceulx qui là estoient eurent grand ris, quoy qu'ilz eussent pitié du
larron, pource que monseigneur Talebot luy defendoit l'eglise à
tousjours, et luy faisoit jurer de non jamais y entrer. Et croiez qu'il
cuidoit bien faire et à bonne intencion lui faisoit. Ainsi avez oy les
deux jugemens de monseigneur Talebot.




LA SIXIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LAUNOY.


En la ville de La Haye, en Hollandre, comme le prieur des Augustins
naguères se pourmenast disant ses heures, sur le serain, assés près de
la chapelle Saint-Anthoine, située au bois près la dicte ville, il fut
rencontré d'un grand lourd Hollandois si trèsyvre que merveilles, qui
demouroit en ung village nommé Stevelinghes, à deux lieues près d'illec.
Le prieur, de loing le voyant venir, cogneut tantost son cas par les
desmarches lourdes et malseures qu'il faisoit tirant son chemin, et,
quand ils vindrent pour joindre l'un à l'aultre, l'ivroigne salua
premier le prieur, qui luy rendit son salut tantost et puis passe
oultre, continuant son service, sans en aultre propos l'arrester ne
interroguer. L'yvroigne, tant oultré que plus ne povoit, retourne et
poursuit le prieur, et luy requiert confession. «Confession! dist le
prieur; va-t-en, va-t-en! tu es bien confessé.--Helas! sire, respond
l'yvroigne, pour Dieu, confessés-moy: j'ay à ceste heure très fresche
memoire de mes pechez et parfecte contricion.» Le prieur, desplaisant
d'estre empesché à ce cop par cest yvroigne, respond: «Va ton chemin, il
ne te fault aultre confession, car tu es en trèsbon estat.--Ha dya!
dist l'yvroigne, par la mort bieu, vous me confesserez, maistre curé,
car j'ay devocion.» Et le saisit par la manche et le voult arrester. Le
curé n'y voloit entendre, mais avoit tant grand fain que merveille
d'eschapper de l'aultre; mais rien n'y vault, car il est ferme en la
ruse que d'estre confessé, ce que le curé tousjours refuse, et si s'en
cuide desarmer, mais il ne peut. La devocion de l'yvroigne de plus en
plus s'enforce, et, quand il voit le curé refusant de oyr ses peschez,
il mect la main à sa grand coustille, et de sa gayne la tira, et dist au
curé qu'il l'en tuera si bientost il n'escoute sa confession. Le curé,
doubtant le cousteau et la main perilleuse qui le tenoit, ne sçet que
dire, si demande à l'aultre: «Que veulx-tu dire?--Je veil confesser,
dit-il.--Or avant, je le veil», dit le curé, avance-toy. Nostre
yvroigne, plus estourdy que une grive partant d'une vigne, commença,
s'il vous plaist, sa devote confession, laquelle je passe: car le curé
point ne la revela, mais vous pouvez bien penser qu'elle fut bien
nouvelle et estrange. Quand le curé vit son point, il couppa le chemin
aux lourdes et longues parolles de nostre yvroigne et l'absolucion luy
donne; et congé luy donnant luy dist: «Va-t-en, tu es bien
confessé.--Dictes-vous, sire? respond-il.--Oy vrayemement, dist le curé,
ta confession est trèsbonne. Va-t-en, tu ne peuz mal avoir.--Et puis que
je suis bien confessé et que j'ay l'absolution receue, si à ceste heure
je mouroye, n'yrois-je pas en paradis? dit l'yvroigne.--Tout droit,
tout droit, sans faillir, dit le curé, n'en fay nulle doubte.--Puis
qu'ainsi est, dit l'yvroigne, que je suis en bon estat maintenant, je
veil morir tout dès maintenant, affin que je y aille.» Si prend et
baille son cousteau à ce curé, en lui priant et requerant qu'on luy
trenche la teste, affin qu'il voist en paradis.--«Ha dya! dit le curé
tout esbahy, il n'est jà mestier d'ainsi faire, tu iras bien en paradis
par aultre voye.--Nenny, respond l'yvroigne, je y veil aller tout
maintenant, et cy morir par voz mains; avancez-vous et me tuez.--Non
feray pas, dit le curé; ung prestre ne doit ame tuer.--Si ferez, sire,
par la mort bieu, et, si bientost ne me despeschez et ne me mettez en
paradis, je mesme à mes deux mains vous occiray.» Et à ces motz brandit
son grand cousteau, et en fait monstre aux yeulx du pouvre curé, tout
espoenté et assimply. Au fort, après qu'il eut ung peu pensé, affin
d'estre de son yvroigne despeschié, qui de plus en plus l'aggresse et
parforce qu'il luy oste la vie, il saisist et prent le cousteau et si va
dire: «Or ça, puisque tu veulx par mes mains finer affin d'aller en
paradis, mets-toy à genoulz cy devant moy.» L'yvroigne ne s'en fist
guères prescher, mais tout à coup du hault de lui tumber se laissa, et à
chef de piece, à quelque meschef que ce fust, sur ses genoulz se releva,
et à mains joinctes le cop de l'espée, cuidant mourir, attendoit. Le
curé, du doz du Cousteau, fiert sur le col de l'yvroigne ung grand et
pesant cop, et à terre l'abbat bien rudement. Mais vous n'avez garde
qu'il se reliève, mesme cuide vrayement estre en paradis. En ce point le
laissa le curé, qui, pour sa seureté, n'oublia pas le cousteau. Et,
comme il fut ung peu avant, il rencontra ung chariot chargé de gens,
mesmes de la pluspart, vint si bien, de ceulx qui avoient esté prescris
où nostre yvroigne se chargea, auxquelz il racompta bien au long tout le
mystère, en leur priant qu'ilz le levassent et en son hostel le
voulsissent rendre et conduire, et puis leur bailla son cousteau. Ilz
promissent de l'emmener et charger avec eulx, et puis le curé s'en va.
Ilz n'eurent guères cheminé qu'ilz perceurent ce bon yvroigne couché
comme s'il fust mort, les dents contre la terre; et, quand ilz furent
près de lui, tréstous à une voiz par son nom l'appelèrent; mais ilz ont
beau hucher, il n'a garde de respondre; ilz recommencent à crier, mais
c'est pour neant. Adonc descendirent les aucuns de leur chariot, si le
prindrent par teste, par piez et par jambes, et tout en air le
sourdèrent et tant huchèrent qu'il ouvrit ses yeulx, et quand il parla
il dist: «Laissez-moy, laissez, je suis mort.--Non estes, non, dirent
ses compaignons; il vous en fault venir avecques nous.--Non feray, dist
l'yvroigne, où yrois je? Je suis mort et desjà en paradis.--Vous vous en
viendrez, dirent les aultres; il nous fault aler boire.--Boire! dit
l'aultre; jamais je ne buray, car je suis mort.» Quelque chose que ses
compaignons luy deissent ne fissent, il ne vouloit partir ne mettre
hors de sa teste qu'il ne fust mort. Ces devises durèrent beaucop, et ne
savoient trouver les compaignons fasson ne manière d'emmener ce fol
yvroigne: car, quelque chose qu'ilz dissent, tousjours respondoit: «Je
suis mort.» En la fin, ung entre les aultres s'avisa et dit: «Puis que
vous estes mort, vous ne voulez pas demourer icy, et comme une beste aux
champs estre enfouy; venez, venez avecques nous, si vous porterons en
terre sur nostre chariot, ou cimeitére de nostre ville, ainsi qu'il
appartient à ung crestian; autrement n'yrés pas en paradis.» Quand
l'yvroigne entendit que encores le falloit enterrer, ains qu'il montast
en paradis, il fut tout content d'obéyr; ci fut tantost troussé et mis
dessus le chariot, où guères ne fut sans dormir. Le chariot estoit bien
atelé, si furent tantost à Stevelinghes, où ce bon yvroigne fut descendu
tout devant sa maison. Sa femme et ses gens furent appelez, et leur fut
ce bon corps saint rendu, qui si trèsfort dormoit que, pour le porter du
chariot en sa maison et sur son lit le gecter, jamais ne s'esveilla, et
là fut il ensevely entre deux linceux sans s'esveiller bien de deux
jours après.




LA SEPTIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR.


Ung orfévre de Paris, naguères, pour despescher pluseurs besoignes de sa
marchandise à l'encontre d'une feste de Lendit et d'Envers, fist large
et grand provision de charbon de saulx. Advint ung jour, entre les
aultres, que le charreton qui ceste denrée livroit, pour la grand haste
de l'orfévre, fist si grand diligence qu'il amena deux voictures plus
que nul des jours par avant; mais il ne fut pas si tost à Paris à sa
derrenière charetée, que la porte à ses talons ne fust fermée. Il fust
trèsbien venu et receu de l'orfévre, et, après que son charbon fut
deschargé et les chevaulx mis en l'estable, il voult soupper tout à
loysir, et firent trèsgrande chère, qui pas ne se passa sans boire
d'autant et d'autel. Quand la brigade fut trèsbien repeue, la cloche
sonna xij heures, dont ilz se donnèrent grans merveilles, tant
plaisaimmant s'estoit le temps passé à ce soupper. Chacun loa Dieu comme
il savoit, faisans trèspetitz yeulx, et demandent le lit; mais, pource
qu'il estoit tant tard, l'orfévre retint au couscher son chareton,
doubtant la rencontre du guet, qui l'eust en Chastellet logié si à ceste
heure le trouvast. Pour cest cop nostre orfévre avoit tant de gens qui
pour luy ouvroient que force luy fut le chareton avec luy et sa femme en
son lit heberger; et, comme sage et non suspeçonneux, fist sa femme
entre luy et le chareton couscher. Or vous fault-il dire que ce ne fut
pas sans grand mystère, car le bon chareton refusoit de tout point ce
logis, et à toute force vouloit dessus le bang ou en la grange couscher;
force luy fut d'obéir, et, après qu'il fut despoillé, dedans le lit pour
dormir se boute, ou quel desjà estoient l'orfévre et sa femme en la
fasson que j'ay jà dicte. La femme, sentant le chareton, à cause du
froit et de la petitesse du lit, d'elle approucher, tost se vira vers
son mary, et, en lieu d'aureillier, sa teste mist sur sa poictrine, et
ou geron du chareton son gros derrière reposoit. Sans dormir ne se tint
guères l'orfévre, ne sa femme sans en faire le semblant; mais nostre
chareton, jasoit qu'il fust las et traveillé, n'en avoit garde. Car,
comme le poulain s'eschauffe sentant la jument, et se dresse et demaine,
aussi faisoit le sien, levant la teste contremont si très prochain de
l'aurfauveresse, et ne fut pas en la puissance du chareton qu'à elle ne
se joignist et de trèsprès. Et cest estat fut assez longue espace sans
que la femme s'esveillast, voire ou au mains qu'elle en fist semblant.
Non eust pas fait le mary, si n'eust esté la teste de sa femme sur sa
poictrine reposant, qui par l'assault et hurt de ce poulain luy donnoit
si grand branle que assez tost il s'en reveilla. Il cuidoit bien que sa
femme songeast, mais car trop longuement duroit, et qu'il oyoit le
chareton se remuer et trèsfort souffler, tout doulcement leva sa main en
hault, et si trèsbien à point en bas la rabatit qu'en dommage et en sa
garenne le poulain au chareton trouva, dont il ne fut pas bien content,
et ce pour l'amour de sa femme. Si l'en fist à haste saillir, et dist au
chareton: «Que faictes-vous, meschant coquart? Vous estes, par ma foy,
bien enragé, qui à ma femme vous prenez; n'en faictes plus, je vous en
prie. Par la mort bieu! s'elle se fust à cest cop eveillée que vostre
poulain ainsi la harioit, je ne sçay que vous eussiez fait: car je suis
tout certain, tant la cognois-je, qu'elle vous eust tout le visage
egratigné, et à ses mains les yeulx de vostre teste esrachez; vous ne
savez pas qu'elle est merveilleuse depuis qu'elle entre en sa manière,
et si n'est chose ou monde qui plustost l'y boutast. Le chareton à peu
de motz s'excusa qu'il n'y pensoit pas; et, quant le jour fut, il se
leva, et, après le bon jour donné à son hoste et à son hostesse, s'en va
et au charroier se remect. Pensez, si la bonne femme eust sceu le fait
du chareton, qu'elle l'eust fort plus grevé que son mary ne disoit.
Combien que depuis le chareton le racompta en la façon que avez oye,
sinon qu'elle ne dormoit point: non pas que le veille croire, ne ce
rapport faire bon.




LA HUITIESME NOUVELLE,

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


En la ville de Bruxelles, où maintes adventures sont en nostre temps
advenues, demouroit n'a pas long temps à l'ostel d'un marchant ung jeune
compaignon picard qui servit trèsbien et loyaument son maistre assez
longue espace. Et entre aultres services à quoy il obligea son dict
maistre vers luy, il fist tant par son gracieux parler, maintien, et
courtoisie, que si avant fut en la grace de la fille qu'il couscha avec
elle, et par ses euvres elle devint grosse et enceincte. Nostre
compaignon, voyant sa dame en cest estat, ne fut pas si fol que
d'actendre l'heure que son maistre le pourroit savoir et appercevoir; si
print de bonne heure ung gracieux congié pour pou de jours, combien
qu'il n'eust nulle envye de jamais retourner, faignant aller en Picardie
visiter son père et sa mère et ses aultres parens. Et quand il eut à son
maistre et à sa maistresse dit le derrain adieu, le trèspiteux fut à la
fille sa dame, à laquelle il promis tantost retourner, ce qu'il ne fist
point et pour cause. Luy estant en Picardie, en l'ostel de son père, la
pouvre fille de son maistre devenoit si trèsgrosse que son piteux cas ne
se pouvoit plus celer, dont entre les aultres sa bonne mère, qui au
mestier se cognoissoit, s'en donna garde la première. Si la tira à part
et luy demanda, comme assez on le peut penser, dont elle venoit en cest
estat et qui l'y avoit mise. S'elle se fist beaucop presser et menacer
avant qu'elle en voulsist rien dire, il ne le fault jà demander; mais au
fort en fin elle fut ad ce menée qu'elle cogneut son piteux cas, et dist
que le picard varlet de son père naguères party l'avoit seduicte et en
ce trèspiteux point laissée. Sa mère, toute enragée, forcenée et tant
marrie qu'on ne pourroit plus, la voyant ainsi deshonorée, si prend à la
tenser, et tant d'injures luy va dire que la pacience qu'elle eut de
tout escouter, sans mot sonner ne riens luy contredire, estoit assez
suffisante d'estaindre le crime qu'elle avoit commis par soy laisser
engrosser du Picard. Mais, helas! ceste pacience n'esmeut en rien sa
mère à pitié, mesmes luy dit: «Va-t-en, va-t-en ensus de moy, et fay
tant que tu trouves le Picard qui t'a fait grosse et luy dy qu'il te
defface ce qu'il t'a fait, et ne retournes jamais vers moy jusques ad ce
qu'il ara deffait tout ce que par son oultrage il t'a fait.» La pouvre
fille, en cest estat, marrie, Dieu le scet, et desolée, part de sa
cruelle et tumeuse mère et se met à la queste de ce Picard qui
l'engrossa. Et croiez avant qu'elle en peust oyr nouvelle ce ne fut pas
sans avoir peine et du malaise largement. En la parfin, comme Dieu le
voulut, après mains gistes qu'elle fist en Picardie, elle arriva par
ung jour de dimenche en ung gros village en Artois. Si trèsbien luy
vint, ce propre jour son amy le Picard faisoit ses nopses, dont elle fut
bien joyeuse, et ne fut pas si peu asseurée pour à sa mère obéir qu'elle
ne se boutast par la presse des gens, ainsi grosse qu'elle estoit, et
fist tant qu'elle trouva son amy et le salua, lequel tantost la
recogneut, et en la recognoissant son salut luy rendit, et luy dit:
«Vous soyez bien venue! Qui vous ameine à ceste heure, m'amye?--Ma mère,
dit-elle, m'envoye vers vous, et Dieu scet que vous m'avez bien fait
tanser. Elle m'a chargée et commendé que vous me deffacez ce que m'avez
fait, et s'ainsi ne le faictes que jamais je ne retourne vers elle.»
L'aultre entendit tantost la folie et au plustost qu'il peut il se
deffist d'elle et luy dit: «M'amye, je feray trèsvoluntiers ce que me
requerez et que vostre mère veult que je face, c'est bien raison; mais à
ceste heure, je n'y puis bonnement entendre: si vous prie que aiez
pacience meshuy, et demain je besoigneray à vous.» Elle fut contente, et
alors il la fist garder et en une chambre mener, et là trèsbien penser,
dont elle avoit bon mestier, à cause des grans labours et travaulx
qu'elle avoit eu en ceste queste. Vous devez savoir que l'espousée se
donna trèsbien garde et perceut son mary parler à nostre fille grosse,
dont elle n'estoit en riens contente, mais trèstroublée et marrye en
estoit. Si garda ce courroux sans en rien dire jusques ad ce que son
mary s'en vint coucher, et quand il la cuida accoler et baiser et au
surplus faire son devoir et gaigner le chaudeau, elle se vire puis d'ung
costé puis d'aultre, tellement qu'il ne peut parvenir à ses attainctes,
dont il est trèsebahy et courroucé, et luy va dire: «M'amye, pourquoy
faictes vous cecy?--J'ay bien cause, dit-elle, et aussi quelque manière
que vous facez, il ne vous chault guères de moy: vous en avez bien
d'aultres dont il vous chault plus que de moy.--Et non ay, par ma foy!
m'amye, dit-il; je n'ayme en ce monde aultre femme que vous.--Helas!
dit-elle, et ne vous ay-je pas bien veu après disner tenir voz longues
parolles à une femme en la sale en bas? On voit trop bien que c'est,
vous ne vous en sariez excuser ne sauver.--Cela, dit-il, nostre dame!
vous n'avez cause de vous en rien jalouser.» Et adonc luy va tout
compter, comment c'estoit la fille à son maistre de Bruxelles, et qu'il
coucha avecques elle et l'engrossa, et que à ceste cause il vint par
deçà; comment aussi après son departement elle devint si trèsgrosse
qu'on s'en perceut, et comme elle confessa à sa mère qu'il l'avoit
engrossée, et qu'elle l'envoyoit vers luy affin qu'il luy deffist ce
qu'il luy avoit fait, ou aultrement vers elle ne retournast. Quand
nostre homme eut tout au long compté, sa femme ne reprint que l'ung de
ses poinz et dist: «Comment, dit-elle, dictes-vous qu'elle dist à sa
mère que vous aviez couché avec elle?--Oy, par ma foy! dit-il, elle luy
cogneut tout.--Par mon serment! dist-elle, elle monstra bien qu'elle
estoit beste; le charreton de nostre maison a couché avecques moy plus
de quarante nuiz, mais vous n'avez garde que j'en deisse oncques ung
seul mot à ma mère: je m'en suis bien gardée.--Voire, dit-il, de par le
deable! dame, estes-vous telle? Le gibet y ait part! Or allez à vostre
charreton, si vous voulez, car je n'ay cure de vous.» Si se leva tout à
coup et se vint rendre à celle qu'il engrossa, et abandonna l'autre. Et
quand lendemain on sceut ceste nouvelle, Dieu scet la grand risée
d'aucuns, et le grant desplaisir de pluseurs, especialement du père et
de la mère!




LA NEUFIESME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


Pour continuer le propos de nouvelles histoires, comme les adventures
adviennent en divers lieux et diversement, on ne doit pas taire comment
naguères ung gentil chevalier de Bourgoigne, faisant residence en ung
sien chasteau bel et fort, fourny de gens et d'artillerie, comme à
seigneur de son estat appartenoit, devint amoureux d'une damoiselle de
son hostel, voire et la première après madame sa femme. Et car amours si
fort le contraignoit, jamais ne savoit sa manière sans elle, tousjours
l'entretenoit, tousjours la requeroit, et bref nul bien sans elle avoir
il ne povoit, tant estoit-il au vif feru de l'amour d'elle. La
damoiselle, bonne et sage, voulant garder son honneur, que aussi cher
elle tenoit que sa propre ame, voulant aussi garder la loyauté que à sa
maistresse elle devoit, ne prestoit pas l'oreille à son seigneur
toutesfoiz qu'il eust bien voulu; et si aucunes foiz force luy estoit de
l'escouter, Dieu scet la trèsdure response dont il estoit servy, luy
remonstrant sa trèsfole entreprinse, la grand lascheté de son cueur, et
au surplus bien luy disoit que, si ceste queste il continue plus, que à
sa maistresse il sera decelé. Quelque manière ou menace qu'elle face, il
ne veult laisser son emprinse, mais de plus en plus la pourchasse, et
tant en fait que force est à la bonne fille d'en advenir bien au long sa
maistresse. La dicte dame, advertie des nouvelles amours de monseigneur,
sans en monstrer semblant, en est très malcontente; mais non pourtant
elle s'advisa d'ung tour, ainçois que rien luy en dist, qui fut tel.
Elle charge à sa damoiselle que à la première foiz que monseigneur
viendra pour la prier d'amours, que, trestous refuz mis arrière, elle
luy baille jour à lendemain se trouver devers elle dedans sa chambre et
en son lict: «Et s'il accepte la journée, dit madame, je viendray tenir
vostre place, et du surplus laissez moy faire.» Pour obéir comme elle
doit à sa maistresse, elle est contente d'ainsi faire. Si ne tarda
guères après que monseigneur ne retournast à l'ouvrage, et s'il avoit
auparavant bien fort menty, encores à ceste heure il s'en efforce
beaucop de l'affermer, et qui à ceste heure l'oyst, mieulx luy vauldroit
la mort que sans prochain remède vivre en ce monde. Qu'en vauldroit le
long compte? La damoiselle de sa maistresse est escollée et advoée que
mieulx on ne pourroit, baille au bon seigneur à demain l'heure de
besoignier, dont il est tant content que son cueur tressault tout de
joye, et dit bien en soy mesmes qu'il ne fauldra pas à sa journée. Le
jour des armes assignées, survint au soir ung gentilhomme chevalier,
voisin de monseigneur et son trèsgrand et bon amy, qui le vint veoir,
auquel il fist trèsgrande et bonne chère, comme trèsbien le savoit
faire; si fait madame aussi, et le surplus de la maison s'efforçoit fort
de luy complaire, saichant estre le bon plaisir de monseigneur et de
madame. Après les trèsgrandes chères et du soupper et du bancquet, et
qu'il fut heure de retraire, la bonne nuyt donnée et à madame et à ses
femmes, les deux bons chevaliers se mettent en devises de pluseurs et
diverses matères, et entre aultres propos le chevalier estrange demanda
à monseigneur si en son village avoit rien de beau pour aler courre
l'aguillette, car la devocion luy en est prinse après ces bonnes chères
et le beau temps qu'il fait à ceste heure. Monseigneur, qui rien ne luy
vouldroit celer, pour la grand amour qu'il luy porte, luy va dire
comment il a jour assigné de coucher ennuyt avecques sa chambrière, et
pour luy faire plaisir, quand il aura esté avecques elle aucune espace,
il se levera tout doulcement et le viendra querir pour le surplus
parfaire. Le chevalier estrange mercya son compaignon, et Dieu scet
qu'il luy tarde bien que l'heure soit venue! L'oste prend congé de luy
et se retrait en sa garderobe, comme il avoit de coustume, pour soy
deshabiller. Or devez vous savoir que tantdiz que les chevaliers se
devisoient, madame se alla mettre dedans le lict où monseigneur devoit
trouver sa chambrière, et droit là attendoit ce que Dieu luy vouldra
envoyer. Monseigneur mist assez longue espace à soy deshabiller tout à
propos, pensant que desjà madame fust endormie, comme souvent faisoit,
pource que devant se couchoit. Il donne congé à son varlet de chambre,
et à tout sa longue robe s'en va au lict où madame l'attendoit, cuidant
y trouver aultry; et trestout coyement de sa robe se desarme, et dedans
le lit se boute, et car la chandelle est estaincte et madame mot ne
sonne, il cuide avoir sa chambrière. Il n'y eut guères esté sans faire
son devoir, et si trèsbien s'i acquitta que les trois, les quatre foiz
guères ne luy coustèrent, que madame print bien en gré, qui tost après,
pensant que ce soit tout, fut endormye. Monseigneur, trop plus legier
que par avant, voyant que madame dormoit et recordant de sa promesse,
tout doulcement se lève, et puis vient à son compaignon, qui n'attendoit
que l'heure d'aller aux armes, et luy dist qu'il aille tenir son lieu,
mais qu'il ne sonne mot, et qu'il retourne quand il aura bien besoigné
et tout son saoul. L'aultre, plus esveillé qu'un rat et viste comme ung
levrier, part et s'en va, et auprès de madame se loge sans qu'elle en
sache rien. Et quand il est tout rasseuré, si monseigneur avoit bien
besoigné, voire et à haste encores fist-il mieulx, dont madame n'est pas
ung peu esmerveillée, qui après ce bel passetemps, qui aucunement
traveil luy estoit, arrière s'endormit. Et bon chevalier de
l'abandonner, et à monseigneur s'en retourne, qui comme paravant emprès
madame se vint relogier, et de plus belle aux armes se ratoille, tant
bien luy plaist ce nouvel exercice. Tant d'heures se passèrent, tant en
dormant comme en aultres choses faisant, que le trèsbeau jour s'apparut;
et comme monseigneur se retournoit, cuidant virer l'oeil sur la
chambrière, il voit et congnoist que c'est madame, qui à ceste heure luy
va dire: «N'estes-vous pas bien putier, creant, lasche et meschant, qui,
cuidant avoir ma chambrière, par tant de foiz et oultre mesure m'avez
accolée pour acomplir vostre desordonnée volunté, dont vous estes, la
Dieu mercy! bien deceu, car aultre que moy, pour ceste heure, n'aura ce
qui doit estre mien.» Se le bon chevalier fut esbahy et courroucé se
voyant en ce train, ce n'est pas de merveilles. Et quand il parla, il
dist: «M'amye, je ne vous puis celer ma folie, dont beaucop il me poise
que jamais l'entreprins; si vous prie qu'en soyez contente et n'y pensez
plus, car jour de ma vie plus ne m'adviendra: cela vous prometz-je, et
sur ma foy. Et affin que n'aiez occasion d'y penser, je donneray congé à
la chambrière qui me bailla le vouloir d'envers vous faire cette
faulte.» Madame, plus contente d'avoir eu l'adventure de ceste nuyt que
sa chambrière, et oyant la bonne repentence de monseigneur, assez
legièrement s'en contenta, mais ce ne fut pas sans grans langages et
remonstrances. Au fort trestout va bien, et monseigneur, qui a des
nouvelles estoupes en sa quenoille, après qu'il est levé, s'en vient
devers son compaignon, auquel il compte tout du long son adventure, luy
priant de deux choses: la première si fut qu'il celast trèsbien ce
mistère et sa trèsdesplaisant adventure; l'autre si est que jamais il ne
retourne en lieu où sa femme sera. L'autre, trèsdesplaisant de ceste
male adventure, conforte le chevalier au mieulx qu'il peut, et promect
d'accomplir sa trèsraisonnable requeste, et puis monte à cheval et s'en
va. La chambrière, qui coulpe n'avoit au meffait desusdit, emporta la
punicion par en avoir congié. Si vesquirent depuis assez longtemps
monseigneur et madame assez paisiblement ensemble, sans qu'elle sceust
jamais qu'elle eust eu afaire au chevalier estrange.




LA DIXIESME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Pluseurs aultres haultes et dures adventures ont esté demenées et à fin
conduictes ou royaume d'Angleterre, dont la recitacion à present de la
pluspart ne serviroit pas à la continuacion de ceste hystoire presente.
Neantmains ceste presente hystoire, pour son propos continuer, et le
nombre de ces histoires accroistre, fera mencion comment ung grand
seigneur dudit royaume d'Angleterre entre les mieulx nez, riche,
puissant, et conquerant, entre les aultres ses serviteurs avoit parfecte
fiance, confidence et amour en ung jeune et gracieux gentil homme de son
hostel, pour pluseurs raisons, tant pour sa beauté, diligence, subtilité
et prudence; et, pour le bien qu'en lui avoit trouvé, ne luy celoit rien
de ses amours; mesmes par succession de temps, pour mieulx s'entretenir
en la grace de son maistre, le dit gentil homme estoit celuy qui
procuroit la plus part des bonnes adventures qu'en amour il avoit, et ce
pour le temps que son dit maistre encores estoit à marier. Advint
certain espace après, que, par le conseil de pluseurs ses parens, amis
et bien veillans, monseigneur se marya à une trèsbelle, bonne, et riche
dame, dont pluseurs furent trèsjoyeux; et entre les aultres nostre
gentil homme, qui mignon se povoit bien nommer, n'en fut pas le mains
contant, sentant en soy que c'estoit le bien et honneur de son maistre,
qui le retireroit de pluseurs menues folies, ausquelles espoir trop se
donnoit. Si dist ung jour à monseigneur qu'il estoit trèsjoyeux qu'il
avoit si trèsbelle et bonne dame espousée, car à ceste cause il ne
seroit plus empesché de faire queste ça et là pour luy, comme il avoit
de coustume. A quoy monseigneur respondit que pourtant ne se remuoit
droit, et, jasoit qu'il soit marié, si n'est-il pas pourtant du gracieux
service d'amours osté, mesmes de bien en mieulx s'i veult employer et
donner. Son mignon, non content de ce vouloir, luy respondit que sa
queste en amours doit estre bien finée, quand amours l'ont party de la
nonpareille des aultres, de la plus belle, de la plus sage, de la plus
loyalle et toute bonne; et quand à luy, face Monseigneur ce qu'il luy
plaist, mais, de sa part, jour de sa vie à aultre femme parolle ne
portera au prejudice de sa maistresse. «Je ne scay quel prejudice, dit
le maistre, mais il vous fault trop bien remettre en train mes besoignes
à telle, et à telle, et à telle, rop long-temps sans pourchaz
abandonnées. Et ne pensez pas qu'encores ne m'en soit autant que quand
vous en feiz premier parler.--Ha dea! monseigneur, dit le mignon, je ne
sçay trop emerveiller de vostre fait; il faut dire que vous prenez
plaisir à abuser femmes, qui par ma foy n'est pas bien fait: car vous
savez mieulx que nul aultre que toutes celles que vous avez cy nommées
ne sont pas à comparer en beauté ne aultrement à madame, à qui vous
ferez mortel desplaisir s'elle savoit vostre desordonné vouloir. Et, qui
plus est, vous ne povez ignorer qu'en ce faisant vous ne damnez votre
ame.--Cesse ton prescher, dit monseigneur, et va dire ce que je te
commende.--Pardonnez-moy, monseigneur, dit le mignon; un mot pour tous,
j'aymeroie mieulx mourir que à mon pourchaz sourdist noise ou debat
entre vous et madame, mesmes pour vous la mort eternelle; si vous prie
estre content de moy, s'il vous plaist, car je n'en feray rien plus.»
Monseigneur, qui voit son mignon enhurté, pour ce cop ne le presse. Mais
à chef de pièce de trois ou quatre jours, sans faire en rien semblant
des parolles precedentes, entre aultres devises à son mignon demande
quelle viande il mengoit plus voluntiers. Et il luy respondit que nulle
viande tant ne luy plaisoit que pastez d'anguilles. «Saint Jehan, c'est
bonne viande, ce dist le maistre, vous n'avez pas mal choisy.» Cela se
passe, et monseigneur se trait arrière et mande venir vers luy ses
maistres d'ostel, auxquelx il charge si cher qu'ilz luy veulent obeir
que son mignon ne soit servy d'aultre viande que de pastez d'anguille,
pour rien qu'il dye. Et ilz respondent et promectent d'accomplir son
commendement, ce qu'ilz feirent trèsbien: car, comme le dit mignon fut
assis à table pour menger en sa chambre, le propre jour du
commendement, ses gens luy apportèrent largement de beaulx et gros
pastez d'anguilles qu'on leur delivra en la cuisine, dont il fut bien
joyeux. Si en menga tout son saoul. Au lendemain pareillement, et cinq
ou six jours ensuyvans tousjours revenoient ces pastez en jeu, dont il
estoit desjà tout ennuyé; si demanda à ses gens si on ne servoit léans
que de pastez. «Ma foy, Monseigneur, dient-ilz, on ne vous baille autre
chose; trop bien voyons-nous servir en sale et ailleurs d'aultres
viandes; mais pour vous, il n'est memoire que de pastez.» Le mignon,
sage et prudent, que jamais sans grand cause pour sa bouche ne feroit
plainte, passa encores pluseurs jours tousjours usant de ces ennuyeux
pastez, dont il n'estoit pas bien content. Si s'advisa, ung jour entre
les aultres, d'aller disner avec les maistres d'ostel, qui le firent
servir comme paravant de pastez d'anguilles. Et quand il vit ce, il ne
se peut plus tenir de demander la cause pour quoy on le servoit plus de
pastez d'anguilles que les aultres, et s'il estoit pasté. «Par la mort
bieu! dist-il, j'en suis si treshodé que plus n'en puis; il me semble
que je ne voy que pastez. Et pour vous dire, il n'y a point de raison,
vous le m'avez fait trop longuement; il y a plus d'un mois que vous me
faictes ce tour, dont j'en suys tant maigre que je n'ay force ne
puissance; et ne saroye estre content d'estre ainsi gouverné.» Les
maistres d'ostel dirent que vrayement ilz ne faisoient chose que
monseigneur n'eust commendé, et que ce n'estoit pas par eulz. Nostre
mignon, plain de pastez, ne porta guères sa pensée sans la deceler à
monseigneur, et luy demanda à quel propos il l'avoit fait servir si
longuement de pastez d'anguilles, et defendu, comme disoient les
maistres d'ostel, qu'on ne luy baillast aultre chose. Et Monseigneur,
pour response, luy dist: «Ne m'as-tu pas dit que la viande qu'en ce
monde plus tu ames ce sont pastez d'anguilles?--Saint Jehan!
monseigneur, dist le mignon, oy.--De quoy te plains-tu donc? dist
monseigneur; je te fais bailler ce que tu aymes.--Aime! dit le mignon,
il y a manière: j'ayme trèsbien voirement pastez d'anguilles pour une
foiz, ou pour deux, ou pour trois, ou de fois à aultre, et n'est viande
que devant je preisse; mais de dire que tous les jours les voulsisse
avoir sans menger aultre chose, par nostre Dame, non feroye; il n'est
homme qui n'en fut rompu et rebouté: mon estomac en est si traveillé
que, tantost qu'il les sent, il a assez disné. Pour Dieu! monseigneur,
commendez qu'on me baille aultre viande pour recouvrer mon appetit,
aultrement je suis homme deffait.--Ha dya, dit monseigneur, et te
semble-il que je ne soye ennuyé, qui veulx que je me passe de la char de
ma femme; tu peuz penser, par ma foy, que j'en suys aussi saoul que tu
es de pastez, et que aussi voluntiers me renouvelleroye d'une aultre,
jasoit que point tant ne l'aymasse, que tu feroies d'aultre viande que
point tant n'aymes que pastez. Et, pour abreger, tu ne mengeras jamais
aultre viande jusques à ce que tu me serves ainsi que souloyes; et me
feras avoir des unes et des aultres, pour moy renouveller, comme tu
veulx changer de viande.» Le bon mignon, quand il entendit le mystère et
la subtille comparaison que monsieur a faicte, fut tout confus et se
rendit, et promect à son maistre de faire tout ce qu'il voudra affin
qu'il soit quitte de ses pastez. Et pour ce point monseigneur, pour
changer voire et madame espergnier, au pourchaz du mignon, passa le
temps comme il souloit avecques les belles et bonnes; et nostre bon
mignon fut delivré de ses pastez et à son premier mestier ratellé.




LA XIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


Ung lasche paillard et recreant, jaloux, je ne dy pas coulx, vivent à
l'ayse ainsi comme Dieu scet et que les entachez de ce mal pevent sentir
et les aultres pevent appercevoir et oyr dire, ne savoit à qui recourre
ne soy rendre pour trouver garison de sa dolente, miserable et bien pou
plaincte maladie. Il faisoit huy ung pelerinage, demain ung aultre, et
aussi le plus souvent par ses gens ses devocions et offrandes faisoit
faire, tant estoit assoté de sa maison, voire au mains du regard de sa
femme, qui miserablement son temps passoit avecques son trèsmaudit mary,
le plus suspessonneux hoignard que jamais femme accointast. Ung jour,
comme il pensoit qu'il fait et fait faire pluseurs offrandes à divers
sains de paradis, et entre aultres à monseigneur saint Michel, il
s'advisa qu'il en feroit une aultre à l'ymage qui est dessoubz ses piez,
qui est la representacion d'un deable. Et de fait commenda à ung de ses
gens qu'il luy allumast et feist offre d'une grosse chandelle de cyre,
en luy priant pour son intencion. Son commendement fut fait et accomply
par le varlet, qui luy fist son rapport. «Or ça, dist-il en soy mesmes,
je verray si Dieu ou deable me pourroit garir.» En son accoustumé
desplaisir, après ceste nouvelle offrande, se va coucher ce trèspaillard
jaloux auprès de sa trèsbonne femme; et, jasoit ce qu'il eust en sa
teste des fantasies et pensées largement, si le contraingnit nature
qu'elle eust ses droiz. Et de fait bien fermement s'endormit; et, comme
il estoit au plus parfont de son somme, celuy à qui ce jour la chandelle
avoit fait offrir par vision à luy s'apparut, qui le remercya de
l'offrende que naguères luy envoya, affermant que pieçà telle offrande
ne luy fut donnée. Dist au surplus qu'il n'avoit pas perdue sa peine, et
qu'il obtendroit ce dont il l'avoit requis. Et, comme à l'aultre sembla,
en ung doy de sa main ung anel y bouta, disant que, tant que cest anel y
fust, jaloux il ne seroit, ne cause aussi jamais venir ne luy pourroit
qui de ce le tentast. Après l'esvanuissement de ceste vision, nostre
jaloux se reveilla, et si trouva l'un des doiz de sa main bien avant ou
derrière de sa femme bouté, dont il et elle furent bien esbahiz. Mais du
surplus de la vie au jaloux, de ses affères et manières et maintiens,
ceste histoire se taist.




LA XIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Es metes du païs de Hollande, ung fol naguères s'advisa de faire le pis
qu'il pourroit, c'est assavoir se marier; et, tantost qu'il fut affublé
du doulx manteau de mariage, jasoit que alors il fust yver, il fut si
fort eschaufé que on ne le savoit tenir. Les nuiz, qui pour ceste saison
duroient et neuf et dix heures, n'estoient point assez souffisantes ne
d'assez longue durée pour estaindre le trèsardent desir qu'il avoit de
faire lignée; et de fait, quelque part qu'il encontrast sa femme, il
l'abbatoit, fust en sa chambre, fust en l'estable; en quelque lieu que
ce fust, tousjours avoit ung assault. Et ne dura pas ceste manière ung
moys ou deux seullement, mais si trèslonguement que pas ne le vouldroye
escripre, pour l'inconvenient qui sourdre en pourroit si la folie de ce
grant ouvrier venoit à la cognoissance de pluseurs femmes. Que vous en
diray-je plus? Il en fist tant que la memoire jamais estaincte ne sera
ou dit païs. Et à la verité, la femme qui naguères au bailly d'Amiens se
complaignit de son mary pour le trèsgrand traveil qu'il luy donnoit de
semblable cas n'avoit pas si bien matère de soy douloir que ceste cy.
Quoy que fust, jasoit que de ceste plaisante peine aucunes foiz se fust
trèsbien passée, pour obéir comme elle devoit à son mary, jamais ne fut
rebourse à l'esperon. Advint ung jour après disner que trèsbeau temps
faisoit, et que le soleil ses raiz envoyoit et departoit par la terre
paincte et brodée de belles fleurs, si leur print volunté d'aller jouer
au bois eulx deux tant seullement, et si se misrent au chemin. Or ne
vous fault il pas celer ce qui sert à l'ystoire: A la foiz que noz
bonnes gens eurent ceste devocion, ung laboureur avoit perdu son veau
qu'il avoit mis paistre dedans un pré marchissant au dit bois; lequel il
vint veoir et ne le trouva pas, dont il ne fut pas moyennement
courroussé, et se mist à la queste, tant par le bois comme ès prez,
terres et places voisines d'environ; mais il n'en scet trouver
nouvelles. Si s'advisa que à l'adventure il s'estoit bouté dedans
quelque busson pour paistre, ou dedans aucun fossé herbu, dont il
pourroit bien saillir quand il auroit le ventre plain. Et, affin qu'il
puisse mieulx veoir et à son aise, sans courre çà ne là son veau où il
est, comme il pensoit, il choisist le plus hault arbre et mieulx houssé
du bois, et monte dessus. Et quand il se trouve au plus hault de cest
arbre, qui toute la terre d'environ descouvroit, il luy est bien advis
que son veau est à moitié trouvé. Tantdiz que ce bon laboureur gectoit
ses yeulx de tous costés après son veau, véezcy nostre homme et sa femme
qui se boutent ou boys, chantans, jouans, et devisans, et faisans feste,
comme font les cueurs gaiz quand ilz se trouvent ès plaisans lieux. Et
n'est pas merveille si le vouloir luy creut et desir l'enorta d'accoler
sa femme en ce lieu si plaisant et propice. Pour executer ce vouloir à
sa plaisance et à son beau loisir, tant regarda à dextre et à senestre
qu'il apperceut le trèsbel arbre dessus lequel estoit le laboureur, dont
il ne sçavoit rien; et soubz cest arbre il disposa et conclut ses
gracieuses armes accomplir. Et quand il fut au lieu, il ne demoura
guères après la semonce de son desir, tenant le lieu de mareschal, qu'il
ne mist main à la besoigne, et vous assault sa femme, et la porte par
terre, et car alors il estoit bien degois, et sa femme aussi d'autre
part, il la voult voir devant et derrière, et de fait prend sa robe et
la luy osta, et en cotte simple la mect. Après il la haussa bien hault
malgré elle, comme efforcée, et n'est pas content de ce, mais, pour le
bien veoir à son aise et sa beaulté regarder, la tourne, et sus son gros
derrière par trois, par quatre foiz sa rude main il fait descendre; il
la revire d'aultre; et comme il avoit son derrière regardé, aussi fait
il le devant, ce que la bonne simple femme ne veult pour rien consentir;
mesmes avec la grant résistence qu'elle fait, Dieu scet que sa langue
n'estoit pas oyseuse! Or l'appelle malgracieux, fol, et enragé, aultre
foiz deshoneste, et tant luy dit que c'est merveille; mais riens n'y
vault, il est trop plus fort qu'elle, et si a conclu de faire inventoire
de tout ce qu'elle a; si est force qu'elle obéisse, mieulx aymant, comme
sage, le bon plaisir de son mary que par refus son desplaisir. Toute
defense du costé d'elle mise arrière, ce vaillant homme va passer temps
à ce devant regarder, et, si sans honneur on le peut dire, il ne fut pas
content si ses mains ne descouvroient à ses yeulx les secrez dont il se
devoit bien passer d'enquerre. Et comme il estoit en ce parfond estude,
il disoit maintenant: «Je voy cecy, je voy cela, encores cecy, encores
cela.» Et qui l'oyoit, il voyoit tout le monde et beaucop plus. Et,
après une longue pause, estant en ceste gracieuse contemplacion, dist de
rechef: «Saincte Marie, que je voy de choses!--Helas! dist lors le
laboureur sur l'arbre juché, et ne véez-vous pas mon veau, beau sire? il
me semble que j'en voy la queue.» L'aultre, jasoit qu'il fust bien
esbahy, subitement fist sa response et dist: «Ceste queue n'est pas de
ce veau.» Et à tant part et s'en va, et sa femme le suyt. Et qui me
demanderoit qui le laboureur mouvoit à faire ceste sa question, le
secretaire de ceste histoire respond que la barbe du devant de ladite
femme estoit assez et beaucop longue, comme il est de coustume à celles
de Hollande; si cuidoit bien que ce fust la queue de son veau; attendu
aussy que le mary d'elle disoit qu'il voyoit tant de choses, voire à pou
tout le monde, si pensoit en soy mesmes que son veau ne pouvoit guères
estre esloigné, et que avec aultres choses léans pourroit-il bien estre
embusché.




LA XIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE CASTREGAT, ESCUIER DE MONSEIGNEUR.


A Londres en Angleterre, tout dedans avoit naguères ung procureur en
parlement qui entre aultres ses serviteurs avoit ung clerc habile et
diligent et bien escripvant, qui trèsbeau filz estoit, et, qu'on ne doit
pas oblier, pour ung homme de son eage il n'en estoit point de plus
subtil. Ce gentil clerc, frez et viveux, fut tantost picqué de sa
maistresse, que trèsbelle, gente et gracieuse estoit; et si trèsbien luy
vint, que, ainçois qu'il luy osast oncques dire son cas, le Dieu
d'amours l'avoit ad ce menée qu'il estoit le seul homme ou monde qui
plus luy plaisoit. Advint qu'il se trouva en place ramonnée; et de fait,
toute crainte mise arrière, à sa dicte maistresse son trèsgracieux et
doulx mal racompta, laquelle, pour la grand courtoisie que Dieu en elle
n'avoit pas obliée, desja aussi attaincte comme dessus est dit, ne le
fist guères languir: car après plusieurs excusacions et remonstrances
qu'elle en bref luy troussa, qu'elle eust à aultre plus aigrement et
plus longuement demené, elle fut contente qu'il sceust qu'il luy
plaisoit bien. L'aultre, qui entendoit son latin, plus joyeux que jamais
il n'avoit esté, s'advisa de batre le fer tantdiz qu'il estoit chault,
et si trèsroidde sa besoigne poursuyt qu'en pou de temps joyt de ses
amours. L'amour de la maistresse au clerc et du clerc à elle estoit et
fut longtemps si trèsardente que jamais gens ne furent plus esprins, et
n'estoit en la puissance de Malebouche, de Dangier, ne d'aultres telles
maudictes gens, de leurs bailler ne donner destourbier. En ce
trèsglorieux estat et joyeux passetemps se passèrent pluseurs jours qui
guères aux amans ne durèrent, qui tant donnez l'un à l'aultre estoient
qu'à pou à Dieu eussent quitté leur paradis pour vivre au monde leur
terme en ceste fasson. Et comme ung jour ensemble estoient, après les
trèshaulx biens que amour leur souffrit prandre, et se devisassent, en
pourmenant par une sale, comment ceste leur joye impareille continuer se
pourroient seurement, sans que l'embusche de leur dangereuse entreprinse
fust descouverte au mary d'elle, qui du renc des jaloux se tiroit
trèsprès du hault bout, pensez que plus d'un advis leur vint au devant,
que je passe sans plus au long escripre. La finale conclusion et
derrenière résolution que le bon clerc emprint sur luy de la trèsbien
conduire et à sa seure fin terminer, à quoy point ne faillit, veezcy
comment. Vous devez savoir que l'accointance et alliance que le clerc
eut à sa maistresse, à laquelle diligemment servoit et complaisoit,
qu'il n'estoit pas mains diligent de servir et complaire à son maistre,
jasoit que en toutes fassons aultres ce fust, et ce pour mieulx couvrir
son fait et aveugler les jaloux yeulx de celuy qui pas tant ne se
doubtoit qu'on luy en forgeoit bien la matère. Ung jour, nostre bon
clerc, voyant son maistre assez content de luy, emprint de parler et
tout seul trèshumblement, et doulcement et en grand révérence luy dist
qu'il avoit en son cueur ung secret que voluntiers luy decelast s'il
osoit. Et ne vous fault pas celer que comme pluseurs femmes ont larmes à
commendement qu'elles espandent toutesfoiz ou le plus souvent qu'elles
veulent, si eut à cest cop nostre bon clerc, car grosses larmes, en
parlant, luy descendoient en très grand abundance; et n'est homme qui ne
cuidast qu'elles ne fussent ou de contricion, de pitié ou de très bonne
intencion. Le pouvre maistre abusé, oyant son clerc, ne fut pas ung peu
esbahy n'esmerveillé, mais cuidoit bien qu'il y eust aultre chose que ce
que après il sceut. Si luy dist: «Que vous fault-il, mon filz, et
qu'avez vous à plorer maintenant?--Helas! sire, et j'ay bien cause plus
que nul aultre de douloir; mais helas! mon cas est tant estrange, et non
pas mains piteux sur tous requis d'estre celé, que jasoit que j'aye eu
vouloir de le vous dire; si m'en reboute crainte quand j'ay au long à
mon maleur pensé.--Ne plorez plus, mon filz, respond le maistre, et si
me dictes qu'il vous fault, et je vous asseure, s'en moy est de vous
aider, je m'y emploiray comme je doy.--Ha! mon maistre, dit le renard
clerc, je vous mercie; mais j'ay bien tout regardé, je ne pense pas que
ma langue eust la puissance de descouvrir la trèsgrand infortune que
j'ay si longuement portée.--Ostez-moy ces propos et toutes ces
doléances, ce dist le maistre; je suis celuy à qui rien ne devez céler;
je veil savoir que vous avez; avancez vous et le me dictes.» Le clerc,
sachant le tour de son baston, s'en fist beaucop prier, et a trèsgrand
crainte par semblant, et à grand abundance de larmes et à volunté se
laisse ferrer, et dit qu'il dira, mais qu'il luy veille promettre que
par luy jamais ame n'en sçaura nouvelle, car il aymeroit autant ou plus
cher morir que son maleureux cas fust cogneu. Ceste promesse par le
maistre vouée, le clerc mort et descoloré comme ung homme jugié à
pendre, si va dire: «Mon trèsbon maistre, il est vray que jasoit que
pluseurs gens et vous aussi pourriez penser que je fusse homme naturel
comme ung aultre, ayant puissance d'avoir compaignie avecques femme, et
de faire lignée, je vous ose bien dire et monstrer que point je ne suis
tel, dont, hélas! trop je me deulz.» Et, à ces paroles, asseurément tira
son membre à perche et luy fist monstre de la peau où les coillons se
logent, lesquelx il avoit par industrie fait monter en hault vers le
petit ventre, et si bien les avoit cachez qu'il sembloit qu'il n'en eust
nul. Or va il dire: «Mon maistre, vous veez mon infortune, dont de
rechef vous prie qu'elle soit celée; et oultre plus, trèshumblement vous
requier, pour tous les services que jamais vous féis, qui ne sont pas
telz que j'en eusse eu la volunté, si Dieu m'eust donné le povoir, que
me facez avoir mon pain en quelque monastère dévot, où je puisse le
surplus de mes jours au service de Dieu passer, car au monde ne puis-je
de rien servir.» L'abusé et deceu maistre remonstre à son clerc
l'aspreté de religion, le pou de mérite qui luy en viendroit quand il se
veult rendre comme par desplaisir de son infortune, et foison d'aultres
raisons luy amena, trop longues à racompter, tendans à fin de l'oster de
son propos. Savoir vous fault aussi que pour rien ne l'eust voulu
abandonner, tant pour son bien escripre et diligence que pour la fiance
que doresenavant à luy adjoustera. Que vous diray-je plus? Tant luy
remonstra, que ce clerc au fort pour une espace en son estat et en son
service demourer luy promet. Et comme ouvert luy avoit son secret, le
sien luy voult deceler, et dist: «Mon filz, de vostre infortune ne suis
je pas joyeux, mais, au fort, Dieu, qui fait tout pour le mieulx et scet
ce qui nous duyt et vault trop mieulx que nous mesmes, en soit loé! vous
me pourrez doresenavant trèsbien servir, que à mon povoir vous
meriteray. J'ay jeune femme assés legière et volage, et je suis, ainsi
que vous véez, desjà ancien et sur eage, qui aucunement peut estre
occasion à pluseurs de la requerre de deshonneur; et à elle aussi,
s'elle estoit aultre que bonne, me bailler matière de jalousie; et, pour
eviter ce danger et aultres pluseurs, je la vous baille et donne en
garde, et si vous prie que ad ce tenez la main que je n'aye cause d'en
trouver aucune matère de jalousie.» Par grand deliberacion fist le clerc
sa response; et quand il parla, Dieu scet s'il loa bien sa trèsloyalle
et bonne maistresse, disant que sur tous aultres il l'avoit belle et
bonne, et qu'il s'en devoit tenir content. Neantmains, en service et
autres choses, il est celuy qui s'i veult du tout son cueur employer, et
ne laissera, pour rien que luy puist advenir, qu'il ne l'advertisse de
tout ce que loyal serviteur doit faire à son maistre. Le maistre, lye et
joyeux de la nouvelle garde de sa femme, laisse l'ostel et en la ville à
ses afaires va entendre. Et le bon clerc incontinent fault à sa garde,
et, le plus longuement que il et sa dame osèrent, n'espergnèrent pas les
membres qui en terre pourriront; et ne firent jamais grigneur feste,
puisque la dame fut advertie de la fasson subtile qui son mary
abuseroit. Assez et longue espace dura le joieux passetemps de ceulx qui
tant bien s'entramoyent. Et si aucunes fois le bon mary alloit dehors,
il n'avoit garde d'emmener son clerc; plustost eust emprunté ung
serviteur à ses voisins que l'aultre n'eust gardé l'ostel; et si la dame
avoit congié d'aller en aucun pelerinage, plustost allast sans
chambrière que sans le trèsgracieux clerc. Faictes vostre compte: jamais
clerc vanter ne se peut d'avoir eu meilleure adventure, qui point ne
vint à cognoissance, voire au mains que je sache, à celuy qui bien s'en
fust desesperé s'il en eust sceu le demene.




LA XIIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE CRÉQUY, CHEVALLIER DE L'ORDRE DE MONSEIGNEUR.


La grande et large marche de Bourgoigne n'est pas si despourveue de
pluseurs adventures dignes de memoire et d'escripre, que, à fournir les
histoires qui à present courent, je n'ose bien avant mettre et en bruyt
ce que naguères y advint. Assez près d'un gros et bon village assis sur
la rivière d'Ouches avoit et encores a une montaigne où ung hermite tel
que Dieu scet faisoit sa residence, lequel, soubz umbre du doulx manteau
d'ypocrisie, faisoit des choses merveilleuses qui pas ne vindrent à
congnoissance ne en la voix publicque du peuple, jusques ad ce que Dieu
plus ne vouloit son trèsdamnable abus permettre ne souffrir. Ce saint
hermite, qui de son coup à la mort se tiroit, n'estoit pas mains
luxurieux que ung vieil cinge est malicieux; mais la manière du
conduire estoit si trèssubtille qu'il fault dire qu'elle passoit les
termes des engins communs. Veez cy qu'il fist: Il regarda qu'entre
aultres femmes et belles filles ses voisines, la plus digne d'estre
aimée et desirée estoit la fille à une simple femme vefve, trèsdevote et
bien ausmosnière; si va conclure en soy, si son sens ne lui fault, qu'il
en chevira bien. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit noir et rude
temps, il descendit de sa montaigne et vint à ce village, et tant passa
de voies et sentiers que soubz le toit de la mère à la fille, sans estre
oy, seul se trouva. L'ostel n'estoit pas si grand, ne si pou de luy
hanté tout en devocion, qu'il ne sceust bien les engins. Si va faire ung
pertuys en une paroy non guères espesse, à l'endroit de laquelle estoit
le lict de ceste simple vefve; et prent ung long baston percé et creux
dont il estoit hourdé, et, sans la vefvette esveiller, auprès de son
oreille l'arresta, et dit en assez basse voix par trois foiz: «Escoute
moy, femme de Dieu; je suis ung angel du Createur, qui devers toy
m'envoye toy annuncer et commender, par les haulx biens qu'il a volu en
toy enter, qu'il veult par ung hoir de ta chair, c'est à savoir ta
fille, l'Eglise son espouse reunir, reformer, et à son estat deu
remettre. Et veez cy la fasson: Tu t'en yras en la montaigne devers le
saint hermite, et ta fille luy meneras, et bien au long luy compteras ce
que à present Dieu par moy te commende. Il congnoistra ta fille, et
d'eulx viendra ung filz eleu de Dieu et destiné au saint siege de
Romme, qui tant de bien fera que à saint Pierre et à saint Pol le pourra
l'on bien comparer. Atant m'en vois, obéy à Dieu.» La simple femme,
trèsebahie, souprinse aussi et à demy ravye, cuida vrayement et de fait
que Dieu luy envoiast ce message; si dit bien en soy mesmes qu'elle ne
desobeira pas; si se rendort une grand pièce après, non pas trop
fermement, attendant et beaucop desirant le jour. Et entretant le bon
hermite prend le chemin devers son reclusage en la montaigne. Ce
trèsdesiré jour à chef de piece fut annuncé par les raiz du soleil, qui,
malgré les voirrières des fenestres, vindrent descendre enmy la chambre,
firent mère et fille bien à haste lever. Quand prestes furent et sur
piez mises, et leur pou de mesnage mis à point, la bonne mère si demande
à sa fille s'elle n'a rien oy en ceste nuyct, et elle luy respond:
«Certes, mère, nenny.--Ce n'est pas à toy, dit-elle aussi, que de
prinssault ce doulx message s'adresse, combien qu'il te touche beaucop.»
Lors luy va dire tout au long l'angelicque nouvelle que en ceste nuyt
Dieu luy manda; demande aussi qu'elle en veut dire. La bonne fille,
comme sa mère simple et devote, respond: «Dieu soit loé; ce qu'il vous
plaist, ma mère, soit fait.--C'est trèsbien dit, respond la mère. Or en
allons à la montagne à la semonce du bon angel devers le saint
preudomme.» Le bon hermite, faisant le guet quand la deceue veille sa
simple fille amenroit, la voit venir; si laisse son huys entreouvert,
et en prière se va mettre enmy sa chambre, affin qu'en devocion fust
trouvé. Et comme il desiroit il advint, car la bonne femme et sa fille,
voyans l'huys entreouvert, sans demander quoy ne comment, dedans
entrèrent. Et, comme elles parceurent l'ermite en contemplacion, comme
s'il fust Dieu l'onnorèrent. L'ermite, à voix humble et casse, les yeulx
vers la terre enclinez, de Dieu salue la compaignie. Et la veillote,
desirant qu'il sceust l'occasion qui l'amenoit, le tire à part et luy va
dire de bout en bout tout le fait, qu'il savoit trop mieulx qu'elle. Et,
comme en grand reverence faisoit son rapport, le bon hermite gettoit ses
yeulx en hault, joignoit les mains au ciel; et la veille ploroit, tant
avoit et joye et pitié. Quand ce rapport fut au long achevé, dont la
veillotte attendoit la response, celuy qui la doit faire ne se haste
pas. Au fort, à chef de pièce, quand il parla ce fut: «Dieu soit loé!
Mais, m'amye, dist-il, vous semble-il à la vérité, et à vostre
entendement, que ce que droit cy vous me dictes ne soit point fantosme
ou illusion? Que vous en juge le cueur? Sachez que la chose est
grande.--Certainement, beau père, j'entendiz la voix qui ceste joieuse
nouvelle apporta aussi plainement que je faiz vous, et croiez que je ne
dormoye pas.--Or bien, dit-il, non pas que je veille contredire au
vouloir de mon createur, si me semble-il que vous et moy dormions
encores sur ce fait; et, s'il vous appert de rechef, vous reviendrez icy
vers moy, et Dieu nous donnera bon conseil et advis. On ne doit pas
trop legierement croire, ma bonne mère; le dyable, aucunesfois envieux
d'aultruy, bien treuve tant de cautelles et se transforme en angel de
lumière. Creez, ma mère, que ce n'est pas pou de chose de ce fait cy;
et, si je y mectz ung pou de refus, ce n'est pas merveille: n'ay je pas
à Dieu voué chasteté? Et vous m'apportez la romptture de par lui.
Retournez en vostre maison, et priez Dieu, et au surplus demain nous
verrons que ce sera; et à Dieu soiez.» Après ung grand tas d'agyos, se
part la compagnie de l'ermite, et vindrent à l'ostel devisant. Pour
abreger, nostre hermite à l'heure accoustumée et deue, fourny du baston
creux en lieu de crochette, revint à l'oreille de la simple femme,
disant les propres motz, ou en substance, de la nuyt precedente; et, ce
fait, vistement retourne en son manoir. La veille, de joye emprise,
cuidant Dieu tenir par les piez, lève de haulte heure, à sa fille
racompte ses nouvelles sans doubte, confermans la vision de l'autre nuyt
passée. Il n'est que d'abreger: «Or allons devers le saint homme.» Elles
s'en vont, et il les voit approucher, si va prendre son breviaire, et
son service à recommander, et en cest estat devant l'huys de sa
maisonnette se fait des bonnes femmes saluer. Si la veille hier luy fist
ung grand prologue de sa vision, celuy de maintenant n'est de rien
maindre, dont le preudomme se signe et emerveille, disant: «Et vray
Dieu, qu'est cecy? Fay de moy tout ce qu'il plaist, combien que, si
n'estoit ta large grace, je ne suys pas digne d'executer ung si grand
euvre.--Or regardez, beau père, dist lors la bonne femme, vous voiez
bien que c'est à certes quand de rechef à moy s'est apparu l'angel.--En
verité, m'amye, ceste matère m'est si haulte et si trèsdifficile et non
accoustumée que je n'en sçay bailler, dist l'ermite, que doubtive
response. Non mye affin que vous entendez sainement qu'en attendant la
tierce apparition je veille que vous tentez Dieu; mais on dit de
coustume: A la tierce foiz va la luycte; si vous prie et requier
qu'encores se peust passer ceste nuyt sans aultre chose faire, attendant
sur ce fait la grace de Dieu; et, si par misericorde il nous demonstre
ennuyt comme les aultres precedentes, nous ferons tant qu'il en sera
loé.» Ce ne fut pas du bon gré de la bonne veille qu'on tarda tant
d'obeyr à Dieu, mais au fort l'ermite fut creu comme le plus sage. Comme
elle fut couchée, ou parfond pensemens des nouvelles qui en teste luy
revient, l'ypocrite pervers, de sa montaigne descendu, luy mect son
baston creux à l'oreille, en luy commendant de par Dieu, comme son ange,
une foiz pour toutes, qu'elle meine sa fille à l'ermite pour la cause
que dicte est. Elle n'oblya pas tantost qu'il fust jour ceste charge:
car, après les graces à Dieu de par elle et sa fille rendues, se mettent
à chemin par devers l'ermitage, où l'ermite leur vient au devant, qui de
Dieu les salue et beneist. Et la bonne mère, trop plus que nulle aultre
joyeuse, ne luy cela guère sa nouvelle apparicion, dont l'ermite, qui
par la main la tient, en sa chapelle les convoye, et la fille les suyt,
et leans font les trèsdevotes oroisons à Dieu le tout puissant, qui ce
trèshault mystère leur a daigné monstrer. Après ung pou de sermon que
fist l'ermite touchant songes, visions, apparicions et revelacions, qui
souvent aux gens adviennent, il cheut en propos de toucher leur matière
pour laquelle estoient assemblés. Et pensez que l'ermite les prescha
bien et en bonne devocion, Dieu le scet: «Puis que Dieu veult et
commende que je face lignée papale, voire et le daigne reveler non pas
une foiz ou deux seullement, mais bien la tierce d'abundance, il fault
croire, dire et conclure que c'est ung hault bien qui de ce fait en
ensuyvra. Si m'est advis que mieulx on ne peut faire que d'abreger
l'execution en lieu de ce que trop espoir j'ay differé de baillier foy à
la saincte aparicion.--Vous dictes bien, beau père; comment vous
plaist-il faire? respond la veille?--Vous laisserez ceans vostre belle
fille, dit l'hermite, et elle et moi en oroisons nous mettrons, et après
au surplus ferons ce que Dieu nous apprendra.» La bonne veille fut
contente, si fut sa fille pour obeir. Quand damp hermite se treuve à
part avec la belle fille, comme s'il la voulsist rebaptiser toute nue la
fist despoiller; et creez qu'il ne demoura pas vestu. Qu'en vauldroit le
long compte? Il la tint tant et si longuement avec luy, en lieu d'aultre
clerc, tant ala aussi et vint à l'ostel d'elle, pour la doubte des
gens, que le ventre luy commença à bourser, dont elle fut si trèsjoyeuse
qu'on ne vous le saroit dire. Mais, si la fille s'esjoissoit de sa
portée, la mère d'elle en avoit à cent doubles; et le mauldit bigot
faignoit aussi s'en esjoir, mais il en enrageoit tout vif. Ceste pouvre
mère abusée, cuidant de vray que sa belle fille deust faire ung trèsbeau
filz pour le temps advenir de Dieu eleu pape de Romme, ne se peut tenir
que à sa plus privée voisine ne le comptast, qui aussi esbahie en fut
comme si cornes luy venissent, non pas toutesfois qu'elle ne se doubtast
de tromperie. Elle ne cela pas longuement aux aultres voisins et
voisines comment la fille d'une telle est grosse, par les oeuvres du
saint ermite, d'un filz qui doit estre pape de Romme. «Et ce que j'en
sçay, dit-elle, la mère d'elle le m'a dit, à qui Dieu l'a voulu
reveler.» Ceste nouvelle fut tantost espandue par les villes voisines.
Et en ce temps pendant la fille acoucha, qui à la bonne heure d'une
belle fille se delivra, dont elle fut trèsesmerveillée et courroucée, et
sa trèssimple mère et les voisines aussi, qui attendoient vrayement le
saint Père advenir recevoir. La nouvelle de ce cas ne fut pas mains tost
sceue que celle precedente; et entre aultres l'ermite en fut des
premiers servy et adverty, qui tantost s'en fuyt en aultre païs, ne sçay
quel, une aultre femme ou fille decevoir, ou ès desers d'Egipte de cueur
contrit la penitence de son peché satisfaire. Quoy que soit ou fust, la
pouvre fille fut deshonorée, dont ce fut grand dommage, car belle, gente
et bonne estoit.




LA QUINZIÈME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Au gentil pays de Brabant, lez ung monastère de blancs moynes, est situé
ung aultre de nonnains, qui trèsdévotes et charitables sont, dont
l'ystoire taist le nom et la marche particulière. Ces deux maisons
voisines estoient, comme l'on dit de coustume, la grange et les bateurs:
car, Dieu mercy, la charité de la maison des nonnains estoit si
trèsgrande que pou de gens estoient esconduis de l'amoureuse
distribucion, voire si dignes estoient d'icelle recevoir. Pour venir au
fait de ceste histoire, ou cloistre des blancs moynes avoit ung jeune et
bel religieux qui devint amoureux si fort que c'estoit rage d'une
nonnain sa voisine; et de fait eut bien le courage, après les prémisses
dont ces amoureux scevent les femmes abuser, luy demander à faire pour
l'amour de Dieu. Et la nonnain, qui bien par renommée congnoissoit ses
oustilz, jasoit qu'elle fust bien courtoise, luy bailla trèsdure et
aspre response. Il ne fut pas pourtant enchassé, mais tant continua sa
trèshumble requeste que force fut à la belle nonnain ou de perdre le
bruit de sa trèslarge courtoisie, ou d'accorder au moyne ce que à
pluseurs sans prier avoit accordé. Si luy va dire: «En vérité, vous
poursuyvez et faictes grand diligence d'obtenir ce que à droit ne sariés
fournir; et pensez vous que je ne sache bien par oyr dire quelz oustilz
vous portez? croiez que si faiz; il n'en y a pas pour dire grans
merciz.--Je ne sçay, moy, qu'on vous a dit, respond le moyne; mais je ne
doubte point que vous ne soiez bien contente de moy, et que je ne vous
monstre que je suis homme comme ung aultre.--Homme, dit-elle, cela croy
je assez bien; mais vostre chose est tant petit, comme l'on dit, que, si
vous l'apportez en quelque lieu, à peu on se perçoit qu'il y est.--Il va
bien aultrement, dit le moyne; et si j'estoye en place je feroye, par
vostre jugement, menteurs tous ceulx ou celles qui bruyt me donnent.» Au
fort, après ce gracieux debat, la courtoise nonnain, affin d'estre
quitte de l'ennuyant poursuitte que le moyne faisoit, aussi qu'elle
sache qu'il vault et qu'il scet faire, et aussi qu'elle n'oblye le
mestier qui tant luy plaist, elle luy baille jour, à douze heures de
nuyt, devers elle venir et heurter à sa treille; dont mercyée elle fut
haultement. «Toutesfoiz, dit-elle, vous n'y entrerez pas que je ne sache
à la verité quelz oustilz vous portez, et se je m'en saroie aider ou
non.--Comme il vous plaist», respond le moyne. A tant s'en va et laisse
sa maistresse, et vint tout droit devers frère Courard, l'un de ses
compaignons, qui estoit oustillé Dieu scet comment! et à ceste cause
avoit ung grand gouvernement ou cloistre des nonnains. Il luy compta son
cas tout du long, comme il a prié une telle, la response et le refus
qu'elle fist, doubtant qu'il ne soit pas bien solier à son pié, et en la
parfin comment elle est contente qu'il entre vers elle, mais qu'elle
sente et sache premier de quelles lances il vouldra jouster encontre son
escu. «Or est-il ainsi, dit-il, que je suis mal fourny de grosse lance
telle que j'espere et voy bien qu'elle desire d'estre rencontrée. Si
vous prie tant que je puis que anuyt vous venez avecques moy, à l'heure
que me doy vers elle rendre, et vous me ferés le plus grand plaisir que
jamais homme fist à aultre. Je sçay qu'elle vouldra, moy là venu, sentir
et taster la lance dont je entens à fournir mes armes; et, à la coup qui
me fauldra ce faire, vous serez derrière moy sans dire mot, et vous
mettrez en ma place, et vostre gros bourdon ou poing luy mettrez. Elle
ouvrera l'huys cela fait, je n'en doubte point, et vous en irez, et
dedans j'entreray; et du surplus laissez moy faire.» Frère Courard,
desirant à complaire à son compaignon, accorde ce marché, et à l'heure
assignée se met avec luy par devers la nonnain; et quand ilz sont à
l'endroit de la fenestre, maistre moyne, plus eschaufé qu'un estalon, de
son baston ung coup heurta; et la nonnain n'attendit pas l'autre hurt,
mais ouvrit sa fenestre et dist en basse voix: «Qui est là?--C'est moy,
dit-il; ouvrez tost l'huys, qu'on ne nous oye.--Ma foy, dit-elle, vous
ne serez pas en mon livre enregistré, n'escript, que premier ne serez
pas à monstre, et que je ne sache quel harnois vous portez. Approuchez
prè set me monstrez que c'est.--Très voluntiers, dit-il.» Adonc tire
frère Courard, qui s'avançoit pour faire son personnage, qui en la main
de madame la nonnain mist son bel et trèspuissant bourdon, qui gros et
long estoit. Et tantost comme elle le sentit, comme si nature luy en
baillast la congnoissance, elle dist: «Nenny, dist-elle, je congnois
bien cest ycy; c'est le bourdon de frère Courard. Il n'y a nonnain céans
qui bien ne le cognoisse; vous n'avez garde que j'en soye deceue: je le
cognois trop. Allez quérir ailleurs vostre adventure.» Et à tant sa
fenestre referma bien courroussée et mal contente, non pas sur frère
Courard, mais sur l'autre moine, lesquelz, après ceste adventure, s'en
retournèrent vers leur hostel, tout devisant de ceste advenue.




LA SEIZIÈME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


En la conté d'Artoys naguères vivoit ung gentil chevalier, riche et
puissant, lyé par mariage avecques une trèsbelle dame et de hault lieu.
Ces deux ensemble par longue espace passèrent pluseurs jours
paisiblement et doulcement. Et car alors, la Dieu mercy, le trèspuissant
duc de Bourgoigne, conte d'Artois, et leur seigneur, estoit en paix avec
tous les bons princes chrestians, le chevalier, qui trèsdevot et
craignant Dieu estoit, delibera à Dieu faire sacrifice du corps qu'il
luy avoit presté bel et puissant, assouvy de taille desirée autant et
plus que nul de sa contrée, excepté que perdu avoit ung oeil en ung
assault où avec son prince s'estoit trèsvaillamment porté. Et pour faire
son oblacion en lieu eleu et de luy desiré, après les congez à madame sa
femme prins et de pluseurs ses parens et amys, se mect à voye devers les
bons seigneurs de Perusse, vraiz champions et defenseurs de la
trèssaincte foy chrestiane. Tant fist et diligenta qu'en Perusse, après
pluseurs adventures que je passe, sain et sauf se trouva, où il fist
assez et largement de grans proesses en armes, dont le grand bruyt de sa
vaillance fut tantost espandu en pluseurs marches, tant à la relacion de
ceulx qui veu l'avoyent, en leur pais retournez, que par lettres que les
demourez rescripvoient à pluseurs, qui grand gré leur en sceurent. Or ne
vous fault pas celer que madame, qui demourée est, ne fut pas si
rigoreuse que à la pryère d'un gentil escuier, qui d'amours la requist,
elle ne fust tantost contente qu'il fust lieutenant de monseigneur, qui
aux Sarrazins se combat. Tandiz que monseigneur jeune et fait penitence,
madame fait gogettes avecques l'escuier; le plus des foiz monseigneur se
disne et souppe de biscuit et de la belle fontaine, et madame a de tous
les biens de Dieu si largement que trop; monseigneur au mieulx se couche
en la paillace, et madame en ung trèsbeau lit avec l'escuyer se repose.
Pour abreger, tantdiz que monseigneur aux Sarrazins fait guerre,
l'escuier à madame combat, et si trèsbien s'i porte, que, si monseigneur
jamais ne retournoit, elle s'en passeroit trèsbien, et à pou de regret,
voire tant qu'il ne fasse aultrement qu'il a commencé. Monseigneur
voyant, la Dieu mercy, que l'effort des Sarrazins n'estoit point si
aspre que par cy devant a esté, sentant aussi que assez longue espace a
laissié son hostel et sa femme, que moult le regrette et desire, comme
par pluseurs ses lettres elle luy a fait savoir, dispose son partement,
et avec le pou de gens qu'il avoit se mect en chemin; et si bien
exploicta à l'ayde du grand desir qu'il a de se trouver en sa maison et
es braz de madame, que en pou de jours en Artois se trouva. Il, à qui
ceste haste plus touche que à nul de ses gens, est tousjours le premier
descouchez, trestout le premier prest et le devant au chemin. Et de fait
sa trop grande diligence le fait bien souvent chevaucher seul devant ses
gens, aucunesfoiz ung quart de lieue ou plus. Advint ung jour que
monseigneur, estant au giste, environ à six lieues de sa maison où il
doit trouver madame, se descoucha si matin et monta à cheval que bien
luy semble que son cheval à sa maison le rendra ains que madame soit
descouchée, qui rien de ceste sa venue ne scet. Ainsi comme il le
proposa il advint, et comme il estoit en ce plaisant chemin dist à ses
gens: «Venez tout à vostre aise, et ne vous chaille jà de moy suyvir; je
m'en iray tout mon train pour trouver ma femme au lict.» Ses gens hodez
et traveillez, et leurs chevaulx aussi, ne contredirent pas à
monseigneur, qui picque son courtaut et fait tant en peu d'heure qu'il
est en la basse court de son hostel descendu, où il trouva ung varlet
qui le deffist de son cheval. Ainsi housé et tout ainsi que descendu
estoit, s'en va tout sans ame rencontrer, car encores matin estoit,
devers sa chambre, où madame encores dormoit, ou espoir faisoit ce qui
tant a fait monseigneur traveiller. Creez que l'huys n'estoit pas
ouvert, à cause du lieutenant, qui tout fut ebahy, et madame aussi,
quand monseigneur heurta de son baston ung trèslourd coup: «Qui est-ce?
dist madame.--C'est moy, c'est moy, ce dit monseigneur; ouvrez, ouvrez.»
Madame, qui tantost a congneu monseigneur à son parler, ne fut pas des
plus asseurées; neantmains fait habiller incontinent son escuier, qui
mect peine de soy advancer le plus qu'il peut, pensant comment il pourra
eschaper sans dangier. Madame, qui fainct d'estre encore toute endormie
et non recognoistre monseigneur, après le second hurt qu'il fait à
l'huys demande encores: «Qui est ce là?--C'est vostre mary, dame; ouvrez
bien tost, ouvrez.--Mon mary! dit-elle; helas! il est bien loing d'icy;
Dieu le ramaine à joye et bref!--Par ma foy, dame, je suis vostre mary,
et ne me cognoissez vous au parler? Si tost que je vous oy respondre,
je cogneu bien que c'estiez vous.--Quand il viendra, je le sçaray
beaucop devant, pour le recevoir ainsi que je doy, et aussi pour mander
messeigneurs ses parens et amys pour le festoier et convier à sa bien
venue. Allez, allez, et me laissez dormir.--Saint Jehan! je vous en
garderay! ce dit monseigneur; il fault que vous ouvrez l'huys; et ne
voulez-vous cognoistre vostre mary?» Alors l'appelle par son nom; et
elle, qui voit que son amy est jà tout prest, le fait mettre derrière
l'huys, et puis va dire: «Ha! monseigneur, est-ce vous? Pour Dieu,
pardonnez moy, et estes vous en bon point?--Oy, la Dieu mercy, ce dist
monseigneur.--Or loé en soit Dieu! ce dit madame; je vien incontinent
vers vous et vous mettray dedans, mais que je soye un peu habillée et
que j'aye de la chandelle.--Tout à vostre aise, dit monseigneur.--En
verité, ce dit madame, tout à cest coup que vous avez hurté,
monseigneur, j'estoye bien empeschée d'un songe qui est de vous.--Et
quel est-il, m'amye?--Par ma foy, monseigneur, il me sembloit à bon
escient que vous estiez revenu, que vous parliez à moy, et si voiez tout
aussi cler d'un oeil comme de l'autre.--Pleust ores à Dieu! dit
monseigneur.--Nostre Dame, ce dit madame, je croy que aussi
faictes-vous.--Par ma foy, dit monseigneur, vous estes bien beste; et
comment ce seroit-il?--Je tien, moy, dit elle, qu'il est ainsi.--Il n'en
est riens, non, dit monseigneur, et estes-vous bien si fole que de le
penser?--Dya, monseigneur, dit-elle, ne me créez jamais s'il n'est
ainsi, et, pour la paix de mon cueur, je vous requier que nous
l'esprouvons.» Et à cest coup elle tenoit l'huys, tenant la chandelle
ardant en sa main. Et monseigneur, qui est content de ceste epreuve,
souffrit bien que madame luy bouchast son bon oeil d'une main, et de
l'autre elle tenoit la chandelle devant l'oeil de monseigneur qui crevé
estoit; et puis luy demanda: «Monseigneur, ne voiez vous pas bien, par
vostre foy?--Par mon serment, nenny, m'amye, ce dit-il.» Et entretant
que ces devises se faisoient, le lieutenant de monseigneur sault de la
chambre sans qu'il fust apperceu de luy. «Or attendez, monseigneur, ce
dit-elle, et maintenant vous me voiez bien, faictes pas?--Par Dieu!
m'amye, nenny, dit monseigneur, comment vous verroie je? vous avez
bouchié mon dextre oeil, et l'autre est crevé passé a dix ans.--Alors,
dist-elle, or voy-je bien que c'estoit songe voirement qui ce rapport me
fist; mais, toutesfoiz, Dieu soit loé et gracié que vous estes
cy!--Ainsi soit-il», ce dit monseigneur. Et à tant s'entreacolèrent et
baisèrent moult de foiz, et feirent grand feste, et n'oblya pas à
compter comment il avoit laissé ses gens derrière, et que pour la
trouver ou lit il avoit fait telle diligence. «Et vrayement, dit madame,
encores estes vous bon mary.» Et à tant vindrent femmes et serviteurs
qui bien beneirent monseigneur et le deshousèrent, et de tous poins le
deshabillèrent. Et ce fait se bouta ou lit avecques madame, qui le
repeut du demourant de l'escuier, qui s'en va son chemin, lye et joieux
d'estre ainsi eschappé. Comme vous avez oy fut le chevalier trompé, et
n'ay point sceu, combien que pluseurs gens depuis le sceurent, qu'il en
fust jamais adverty.




LA DIX-SEPTIÈME NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


N'aguères que à Paris presidoit en la chambre des comptes ung grand
clerc chevalier assez sur eage, mais très joyeux et plaisant homme
estoit, tant en sa manière d'estre comme en ses devises, où qu'il les
adressast, ou aux hommes ou aux femmes. Ce bon seigneur avoit femme
espousée desja ancienne et maladive, dont il avoit belle lignée. Et
entre aultres damoiselles, chambrières et servantes de son hostel, celle
où nature avoit mis son entente de la faire trèsbelle, meschine estoit,
faisant le mesnage commun, comme les litz, le pain et aultres telz
affaires. Monseigneur, qui ne jeunoit jour de l'amoureux mestier tant
qu'il trouvast rencontre, ne cela guères à la belle meschine le grant
bien qu'il luy veult, et lui va faire ung grand prologue d'amoureux
assaulx que incessamment amour pour elle luy envoye, continue aussi ce
propos, promettant tous les biens du monde, monstrant comme il est bien
en luy de luy faire tant en telle manière, en telle et en telle. Et qui
oyoit le chevalier, jamais tant d'eur n'advint à la meschine que de luy
accorder son amour. La belle meschine, bonne et sage, ne fut pas si
beste que aux gracieux motz de son maistre baillast response en rien à
son advantage, mais s'excusa si gracieusement que monseigneur en son
courage trèsbien l'en prise, combien qu'il amast mieulx qu'elle tenist
aultre chemin. Motz rigoreux vindrent en jeu par la bouche de
monseigneur, quand il perceust que par doulceur il ne fasoit rien; mais
la trèsbonne fille et entière, amant plus cher morir que perdre son
honneur, ne s'en effraya guères, ains asseurement respondit, dye et face
ce qu'il luy plaist, mais jour qu'elle vive de plus près ne luy sera.
Monseigneur, qui la voit ahurtée en ceste opinion, après ung gracieux à
Dieu, laisse ne sçay quans jours ce gracieux pourchaz de la bouche tant
seulement; mais regards et aultres petiz signes ne luy coustoyent
guères, qui trop estoient à la fille ennuyeux. Et si elle ne doubtast
mettre male paix entre monseigneur et madame, il ne luy chauldroit guère
de la desloyaulté de monseigneur; mais au fort elle conclud se deceler
au plus tard qu'elle pourra. La devocion que monseigneur avoit aux sains
de sa meschine de jour en jour croissoit, et ne luy suffisoit pas de
l'amer et servir en cueur seullement, mais d'oroison, comme il a fait cy
devant, la veult arrière resservir. Si vient à elle, et de plus belle
recommença sa harengue en la fasson comme dessus, laquelle il
confermoit par cent mille sermens et autant de promesses. Pour abreger,
rien ne luy vault: il ne peut obtenir ung tout seul mot, et encores
mains de semblant qui luy baille quelque pou d'espoir de jamais non
pervenir à ses attainctes. Et en ce point se partit, mais il n'oblya pas
à dire que, s'il la rencontre en quelque lieu marchant, ou elle obeyra,
ou elle fera pis. La meschine guères ne s'en effraya, et sans plus y
gueres penser va besoigner à sa cuisine ou aultre part. Ne sçay quans
jours après, par ung lundi matin, la belle meschine, pour faire des
pastez, thamisoit de la fleur. Or devez vous savoir que la chambrette où
se faisoit ce mestier n'estoit guère loing de la chambre de monseigneur,
et qu'il oyoit trèsbien le bruyt et la noise qui se faisoit. A ce coup
savoit aussi trèsbien que c'estoit sa chambriere qui de thamis jouoit;
si s'avisa qu'elle n'aroit pas seule ceste peine, mais luy vouldroit
aider, voire et fera au surplus ce qu'il luy a bien promis, car jamais
mieulx à point ne la pourroit trouver. Dit aussy en soy mesmes: «Quelque
refus que de la bouche elle m'ayt fait, si en cheviray je bien si je la
puis a graux tenir.» Il regarda que bien matin encores estoit, et que
madame n'estoit pas encores eveillée; il sault tout doulcement hors de
son lit, à tout son couvrechef de nuyt, et prent sa robe longue et ses
botines, et descend de sa chambre si celeement qu'il fut dedans la
chambrette où la meschine tamisoit qu'elle oncques n'en sceut rien tant
qu'elle le vit tout dedans. Qui fut bien esbahie, ce fut la pouvre
chambrière, qui à pou trembloit, tant estoit afferrée, doubtant que
monseigneur ne luy ostast ce que jamais rendre ne luy saroit.
Monseigneur, qui la voit effraiée, sans plus parler luy baille ung fier
assault, et tant fist en pou d'heure qu'il avoit la place emportée s'il
n'eust esté content de parlamenter. Si luy va dire la fille: «Helas!
monseigneur, je vous cry mercy, je me rends à vous; ma vie et mon
honneur sont en vostre main, aiés pitié de moy.--Je ne scay quel
honneur, dit monseigneur, qui trèseschaufé et esprins estoit; vous
passerez par là.» Et à ce coup recommence l'assault plus fier que
devant. La fille, voyant qu'eschapper ne pouvoit, s'advisa d'ung bon
tour, et dist: «Monseigneur, j'ayme mieulx vous rendre ma place par
amours que par force; donnez fin, s'il vous plaist, aux durs assaulx que
me livrez, et je feray tout ce qu'il vous plaira.--J'en suis content,
dist monseigneur; mais créez que aultrement vous n'eschapperez.--D'une
chose vous requier, dist lors la fille. Monseigneur, je doubte beaucop
que madame ne vous oye et ait oy, et s'elle venoit d'adventure, et droit
cy vous trouvast, je seroie femme perdue, car du mains elle me feroit
batre ou tuer.--Elle n'a garde de venir, non, dit monseigneur; elle dort
au plus fort.--Helas! monseigneur; je la doubte tant que je n'en scay
estre asseurée; si vous prie et requier, pour la paix de mon cueur et
plus grande seureté de nostre besoigne, que vous me laissés aller veoir
s'elle dort ou qu'elle fait.--Nostre Dame, tu ne retournerois pas, dit
monseigneur.--Si feray, par mon serment, dit-elle, trestout tantost.--Or
je le veil! dit-il, avance toy.--Ha! monseigneur, se vous voulez bien
faire, dit-elle, vous prendrez ce thamis et besoignerez comme je
faisoie, affin d'adventure, se madame est esveillée, qu'elle oye la
noise que j'ay devant le jour encommancée.--Or monstre ça, je feray bon
devoir, et ne demoure guère.--Nenny, monseigneur; tenez aussi ce
buleteau, dit-elle, sur vostre teste, vous semblerez tout à bon escient
estre une femme.--Or ça, dit-il, pardieu ça.» Il fut affublé de ce
buleteau, et si commence à thamiser, que c'estoit belle chose tant bien
lui siet. Et entretant la chambrière monta en la chambre et esveilla
madame, et luy compta comment monseigneur par cy devant d'amours l'avoit
priée et qu'il l'avoit assaillie à ceste heure où elle tamisoit. «Et
s'il vous plaist veoir comment j'en suis eschappée et en quel point il
est, venez en bas, vous le verrez.» Madame tout à coup se lève, et prend
sa robe de nuyt, et fut tantost devant l'huys de la chambre où
monseigneur tamisoit diligemment. Et quand elle le voit en cest estat,
et affublé du buleteau, elle luy va dire: «Ha! monseigneur, et qu'est
cecy? et où sont vos lettres, vos grands honeurs, vos sciences et
discretions?» Et monseigneur, qui deceu se voit, respondit tout
subitement: «Au bout de mon vit, dame, là ay je tout amassé aujourd'uy.»
Lors très-marry et courroucé sur la meschine se desarma du thamis et du
buleteau, et en sa chambre remonte; et madame le suyt, qui son
preschement recommence, dont monseigneur ne tient guères de compte.
Quand il fut prest, il manda sa mule, et au palais s'en va, où il compta
son adventure à pluseurs gens de bien qui en risirent bien fort. Et me
dist l'on depuis, quelque courroux que le seigneur eust de prinsault à
sa belle meschine, si l'ayda il depuis de sa parolle et de sa chevance à
marier.




LA XVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Ung gentil homme de Bourgoigne nagueres pour aucuns de ses affaires s'en
alla à Paris, et se logea en ung trèsbon hostel; car telle estoit sa
coustume de querir tousjours les meilleurs logiz. Il n'eut guères esté
en son logis, luy qui cognoissoit mousche en laict, qu'il ne perceust
tantost que la chambrière de leans estoit femme qui devoit faire pour
les gens. Si ne luy cela guères ce qu'il avoit sur le cueur, et, sans
aller de deux en trois, luy demanda l'aumosne amoureuse. Il fut de
prinsault bien rechassé des meures: «Voire, dist-elle, est-ce à moy que
vous devez adrecer telles parolles? Je veil bien que vous sachez que je
ne suis pas celle qui fera tel blasme à l'ostel où je demeure.» Et qui
l'oyoit, elle ne le feroit pour aussi gros d'or. Le gentil homme tantost
congneut que toutes ses excusacions estoient erres pour besoigner, si
luy va dire: «M'amye, si j'eusse temps et lieu, je vous diroye telle
chose que vous seriez bien contente, et ne doubte point que ce ne fust
grandement vostre bien; mais pource que devant les gens ne vous veil
guères araisonner, affin que ne soiez de moy souspeçonnée, croiez mon
homme de ce que par moy vous dira; et s'ainsi le faictes, vous en
vauldrez mieulx.--Je n'ay, dit-elle, ne à vous ne à luy que deviser.» Et
sur ce point s'en va, et nostre gentil homme appella son varlet, qui
estoit ung galant tout veillé, puis luy compta son cas et le charge de
poursuir roidement sa besoigne sans espergner bourdes ne promesse. Le
varlet, duyt et fait à cela, dit qu'il fera bien son personnage. Il ne
mist pas la chose en obly, car au plus tost qu'il sceut trouver la
meschine, Dieu scet s'il joa bien du bec! Et s'elle n'eust esté de
Paris, et plus subtile que foison d'aultres, son gracieux langage et les
promesses qu'il fait pour son maistre l'eussent tout à haste abatue.
Mais aultrement alla, car, après pluseurs parolles et devises d'entre
elle et luy, elle luy dist ung mot tranché: «Je scay bien que vostre
maistre veult, mais il n'y touchera jà si je n'ay dix escuz.» Le varlet
fist son rapport à son maistre, qui n'estoit pas si large, au mains en
tel cas, de donner dix escuz pour joyr d'une telle damoiselle. «Quoy que
soit, elle n'en fera aultre chose, dit le varlet; et encores y a il bien
manière de venir en sa chambre, car il fault passer par celle à l'oste.
Regardez que vous vouldrez faire.--Par la mort bieu! dit-il, mes dix
escuz me font bien mal d'en ce point les laisser aler; mais j'ay si
grant dévocion au saint, et si en ay fait tant de poursuite, qu'il fault
que je besoigne. Au deable voit chicheté! elle les ara.--Pourtant le
vous dy-je, dit le varlet, voulez vous que je luy dye qu'elle les
aura?--Oy, de par le dyable! oy, dit-il.» Le vallet trouva la bonne
fille et luy dit qu'elle aura ces dix escuz, voire et encores mieulx cy
après. «Trop bien, dit-elle.» Pour abréger, l'eure fut prinse que
l'escuier doit venir coucher avec elle; mais avant que oncques elle le
voulsist guider par la chambre de son maistre en la sienne, il bailla
tous les dix escuz content. Qui fut bien mal content, ce fut nostre
homme, qui se pensa, en passant par la chambre et cheminant aux nopces
qui trop à son gré luy coustoient, qu'il jouera d'un tour. Ilz sont
venuz si doulcement en la chambre que maistre ne dame ne scevent rien;
si se vont despoiller, et dit nostre escuier qu'il emploira son argent
s'il peut. Il se mect à l'ouvrage et fait merveille d'armes, et espoir
plus que bon ne luy fut. Tant en devises que aultrement se passèrent
tant d'heures que le jour estoit voisin et prouchain à celuy qui plus
voluntiers dormist que nulle aultre chose feist; mais la trèsbonne
chambrière luy va dire: «Or ça, sire, pour le trèsgrant bien, honneur et
courtoisie que j'ay oy et veu de vous, j'ay esté contente mettre en
vostre obeissance et joissance la rien que plus en ce monde doy cher
tenir. Si vous prie et requier que vistement vous veillez apprester et
habiller et de cy partir, car il est desja haulte heure; et, si
d'advanture mon maistre ou ma maistresse venoient icy, comme assez est
leur coustume au matin, et vous trouvassent, je seroie perdue et gastée,
et vous ne seriez pas le mieulx party du jeu.--Je ne sçay quoy, dit le
bon escuier, quel bien et quel mal en adviendra; mais je me reposeray et
dormiray tout à mon aise et à mon beau loisir avant que j'en parte; et,
affin que n'aye paour et que point je ne m'espante, vous me ferez
compaignie, s'il vous plaist.--Ha! monseigneur, dist-elle, il ne se peut
faire ainsi; par mon serment, il vous convient partir. Il sera jour
trestout en haste, et si on vous trouvoit icy, que seroit ce de moy?
J'aymeroie mieulx estre morte qu'ainsi en advenist, et, si vous ne vous
avancez, ce que trop je doubte en adviendra.--Il ne me chault, moy,
qu'en advienne, dit l'escuier; mais je vous dy bien que se ne me rendez
mes dix escuz, jà ne m'en partiray, advienne ce qu'en advenir peut.--Voz
dix escus? dit-elle; et estes-vous tel, se vous m'avez donné aucune
courtoisie ou gracieuseté, que vous me le vouldrez après retollir par
ceste façon? Sur ma foy, vous monstrez mal que vous soiez gentil
homme.--Tel que je suis, dit-il, je suis celuy qui de cy ne partiray, ne
vous aussi, tant que ne m'aiez rendu mes dix escuz; vous les aviez
gaignez trop aise.--Ha! dit-elle, se m'aist Dieu, quoy que vous diez, je
ne pense pas que soiés si mal gracieux, attendu le bien qui est en vous
et le plaisir que vous ay fait, que fussez si pou courtois que vous
n'aidissiez à garder mon honneur. Et pour ce de rechef vous supplie que
ceste ma requeste passez et accordez et que d'icy vous partez.»
L'escuier dit qu'il n'en fera rien, et, pour trousser le compte, force
fut à la bonne gentil femme, à tel regret que Dieu scet, de desbourser
les dix escuz, affin que l'escuier s'en aille. Quand les dix escuz
furent en la main dont ilz estoient, celle qui les rendoit cuidoit bien
enrager tant estoit mal contente, et celuy qui les a leur fait grant
chière. «Or avant, dit la courroucée et desplaisante, qui se voit ainsi
gouverner, quand vous estes bien joué et farsé de moy, au mains advancez
vous, et vous suffise que vous seul cognoissez ma folie, et que par
vostre tarder elle ne soit congneue de ceulx qui me deshonoreront s'ilz
en voient l'apparence.--A vostre honneur, dit l'escuier, point je ne
touche; gardez le autant que vous l'aimez. Vous m'avez fait venir icy,
et si vous somme que vous me rendez et mettez au lieu dont party, car ce
n'est pas mon intencion comme de venir et de retourner.» La chambrière,
où rien n'avoit à le courroucer, non pas mains doubtant l'esclandre de
son fait que la mort, voyant aussi que le jour commence à aparoir, avec
tout le desplaisir et crainte que son ennuyeux cueur charge et empire,
se hourde de l'escuier et à son col le charge. Et comme à tout ce
fardeau passoit par la chambre de son maistre marchant le plus soef
qu'oncques peust, le courtois gentil homme, tenant lieu de bahu sur le
doz de celle qui sur son ventre l'avoit soustenu, laissa couler ung gros
sonnet, dont le ton et le bruyt firent l'oste eveiller, et demanda assez
effrayement: «Qui est celà?--C'est vostre chambrière, dist l'escuier,
qui me porte rendre où elle m'avoit emprunté.» A ces motz, la pouvre
gentil femme n'eut plus cueur, puissance ne vouloir de soustenir son
fardeau desplaisant, si s'en va d'ung costé et l'escuier de l'aultre. Et
l'oste, qui congnoist bien que c'est, parla trèsbien à l'espousée, qui,
toute deceute et esclandrie, tost après se partit de leans. Et l'escuier
en Bourgoigne se retourna, qui aux galans et compaignons de sorte
joyeusement racompta ceste son adventure dessus dicte.




LA XIXe NOUVELLE.

PAR PHILIPE VIGNIER, ESCUIER DE MONSEIGNEUR.


Ardent desir de veoir pays, savoir et cognoistre pluseurs experiences
qui par le monde universel journellement adviennent, nagueres si fort
eschaufa l'atrempé cueur et vertueux courage d'un bon et riche marchant
de Londres en Angleterre, qu'il abandonna sa belle et bonne femme et sa
belle maignye d'enfans, parens, amis, héritages, et la pluspart de sa
chevance, et se partit de son royaulme assez et bien fourny d'argent
content et de très grande abundance de marchandises dont le païs
d'Angleterre peut les autres servir, comme d'estains, de riz, et foison
d'aultres choses que pour bref je passe. En ce son premier voyage vaqua
le bon marchant l'espace de cinq ans, pendant lequel temps sa bonne
femme garda trèsbien son corps, fist le prouffit de pluseurs
marchandises, et tant et si trèsbien le fist que son mary, au bout des
diz cinq ans retourné, beaucop la loa et plus que par avant l'ama. Le
cueur au dit marchant, non encores content, tant d'avoir veu et congneu
pluseurs choses estranges et merveilleuses, comme d'avoir gaigné
largement, le feist arrière sur la mer bouter cinq ou six mois puis son
retour, et s'en reva à l'adventure en estrange terre tant de chrestians
que de Sarrazins, et ne demoura pas si pou que les dix ans ne furent
passez ains que sa femme le revist. Trop bien luy rescripvoit et assez
souvent, à celle fin qu'elle sceust qu'il estoit encores en vie. Elle,
qui jeune estoit et en bon point et qui point n'avoit de faulte des
biens de Dieu, fors seulement de la presence de son mary, fut contrainte
par son trop demourer de prendre ung lieutenant, qui en peu d'heure luy
fist ung trèsbeau filz. Ce filz fut elevé, nourry et conduit avec les
aultres ses frères d'un cousté, et au retour du marchant mary de sa mère
avoit environ sept ans. La feste fut grande, à ce retour, d'entre le
mary et la femme; et, comme ils fussent en joyeuses devises et plaisans
propos, la bonne femme, à la semonce de son mary, fait venir devant eulx
tous leurs enfans, sans oblier celuy qui fut gaigné en l'absence de
celuy qui en avoit le nom. Le bon marchant, voyant la belle compaignie
de ses enfans, recordant trèsbien du nombre d'eulx à son partement, le
voit creu d'un, dont il est trèsfort esbahy et moult esmerveillé; si va
demander à sa femme qui estoit ce beau filz, le derrenier en reng de
leurs enfans. «Qui c'est? dit-elle, par ma foy, sire, c'est nostre filz;
à qui seroit-il?--Je ne sçay, dist-il; mais pource que plus ne l'avoie
veu, avez vous merveille si je le demande?--Saint Jehan! nenny,
dist-elle, mais il est mon filz.--Et comment se peut il faire? dist le
mary; vous n'estiez pas grosse à mon partement.--Non vrayement,
dit-elle, que je sceusse; mais je vous ose bien dire à la vérité que
l'enfant est vostre, et que aultre que vous à moy n'a touché.--Je ne dy
pas aussi, dit-il; mais toutesfoiz il a dix ans que je party, et cest
enfant se monstre de sept: comment doncques pourroit-il estre mien?
L'auriez-vous plus porté que ung aultre?--Par mon serment, dit-elle, je
ne sçay; mais tout ce que je vous dy est vray. Si je l'ay plus porté
qu'un aultre, il n'est rien que j'en sache, et si vous ne le me feistes
au partir, je ne sçay moy penser dont il peut estre venu, sinon que,
assez tost après vostre partement, ung jour j'estoie par ung matin en
nostre grand jardin, où tout à coup vint ung soudain appetit de menger
une fueille d'oseille qui pour l'heure de adonc estoit couverte et soubz
la neige tappie. J'en choisy une entre les aultres, belle et large, que
je cuiday avaler; mais ce n'estoit que ung peu de nege blanche et dure;
et ne l'eu pas si tost avalée que ne me sentisse en trestout tel estat
que je me suis trouvée quand mes aultres enfans ay porté. De fait, à
chef de terme, je vous ay fait ce trèsbeau filz.» Le marchand cogneut
tantost qu'il en estoit noz amis, mais il n'en voult faire semblant,
ainçois se vint adjoindre par parolles à confermer la belle bourde que
sa femme lui bailloit, et dit: «M'amye, vous ne dictes chose qui ne soit
possible, et que à aultres que à vous ne soit advenue. Loé soit Dieu de
ce qu'il nous a envoyé! S'il nous a donné ung enfant par miracle, ou
par aucune secrete fasson dont nous ignorons la manière, il ne nous a
pas oblié d'envoier chevance pour l'entretenir.» Quand la bonne femme
voit que son mary veult condescendre à croire ce qu'el luy dit, elle
n'est moyennement joyeuse. Le marchant, sage et prudent, en dix ans
qu'il fut puis à l'ostel sans faire ses loingtains voyages, ne tint
oncques manière envers sa femme en parolles ne aultrement par quoy elle
peust penser qu'il entendist rien de son fait, tant estoit vertueux et
pacient. Il n'estoit pas encores saoul de voyagier, si le vouloit
recommencer, et le dist à sa femme, qui fist semblant d'en estre
trèsmarrie et mal contente. «Appaisez-vous, dit-il; s'il plaist à Dieu
et à monseigneur saint George, je reviendray bref. Et pource que nostre
filz que feistes à mon aultre voyage est desja grand et habile et en
point de veoir et d'aprendre, si bon vous semble, je l'emmeneray
avecques moy.--Et par ma foy, dit-elle, vous ferez bien et je vous en
prie.--Il sera fait», dit-il. A tant se part, et emmaine le filz dont il
n'estoit pas père, à qui il a pieça gardé une bonne pensée. Ilz eurent
si bon vent qu'ilz sont venus au port d'Alixandrie, où le bon marchant
trèsbien se deffist de la pluspart de ses marchandises, et ne fut pas si
beste, affin qu'il n'eust plus de charge de l'enfant de sa femme et
d'ung aultre, et que après sa mort ne succedast à ses biens, comme ung
de ses aultres enfans, qu'il ne le vendist à bons deniers contens pour
en faire ung esclave. Et pource qu'il estoit jeune et puissant, il en
eust près de cent ducatz. A chef de pièce, il s'en revint en Angleterre
sain et sauf, Dieu mercy. Et n'est pas à dire la joye que sa femme luy
fist quand elle le vit en bon point. Elle ne voit point son filz, si ne
scet que penser. Elle ne se peut guères tenir qu'elle ne demandast à son
mary qu'il avoit fait de leur filz. «Ha! m'amye, dist-il, il ne le vous
fault jà celer: il luy est trèsmal prins.--Helas! comment? dit-elle;
est-il noyé?--Nenny vraiement, dist-il; mais il est vray que fortune de
mer par force nous mena en ung pais où il faisoit si chault que nous
cuidions tous mourir par la grant ardeur du soleil qui sur nous ses
raidz espandoit; et comme ung jour nous estions sailliz de nostre nave,
pour faire en terre chascun une fosse pour nous tappir pour le soleil;
nostre bon filz, qui de neige, comme sçavez, estoit, en nostre presence,
sur le gravier, par la grand force du soleil, il fut tout à coup fondu
et en eaue resolu. Et n'eussiez pas dict une sept seaumes que nous ne
trouvasmes plus rien de luy. Tout aussi à haste qu'il vint au monde,
aussi soudainement en est party. Et pensez que j'en fuz et suis bien
desplaisant, et ne vy jamais chose entre les merveilles que j'ay veues
dont je fusse plus esbahy.--Or avant, dit-elle, puis qu'il a pleu à Dieu
le nous oster comme il le nous avoit donné, loé en soit-il!» Si elle se
doubta que la chose allast aultrement, l'ystoire s'en taist et ne fait
pas mencion, fors que son mary lui rendit telle qu'elle luy bailla,
combien qu'il en demoura toujours le cousin.




LA XXe NOUVELLE.

PAR PHELIPE DE LOAN.


Il n'est pas chose nouvelle que en la conté de Champaigne a tousjours eu
bon à recouvrer de foison de gens lourds en la taille, combien qu'il
sembleroit assez estrange à pluseurs, pourtant qu'ilz sont si près
voisins à ceulx du mal engin. Assez et largement d'ystoires à ce propos
pourroit on mettre avant confermant la bestise des Champenois; mais,
quant au présent, celle qui s'ensuyt pourra souffire. En la dicte conté
naguères avoit ung jeune filz orphenin qui bien riche et puissant
demoura puis le trespas de son père et sa mère, et jasoit qu'il fust
lourd, très pou sachant, et encores aussi mal plaisant, si avoit-il une
industrie de bien garder le sien et conduire sa marchandise. Et à ceste
cause beaucop de gens, voire de gens de bien, luy eussent voluntiers
donné leur fille à mariage. Une entre les aultres pleut aux parens et
amys de nostre Champenois, tant pour sa bonté, beaulté, chevance, etc.;
et luy dirent qu'il estoit temps qu'il se mariast, et que bonnement il
ne povoit conduire son fait. «Vous avez aussi, dirent-ilz, desja xxiiij
ans, si ne pourriez en meilleur eage prendre cest estat; et, si vous y
voulez entendre, nous avons regardé et choisy pour vous une belle fille
et bonne qui nous semble bien vostre fait. C'est une telle, vous la
cognoissez bien.» Lors la luy nommèrent. Et nostre homme, à qui ne
chaloit qu'il feist, fust maryé ou aultre chose, mais qu'il ne tirast
point d'argent, respondit qu'il feroit ce qu'ilz vouldroient. «Et puis
que ce vous semble mon bien, conduisez la chose au mieulx que savez, car
je veil faire par vostre conseil et ordonnance.--Vous dictes bien,
dirent ces bonnes gens; nous regarderons et penserons pour vous comme
pour nous mesmes ou ung de noz enfans.» Pour abreger, à chef de pièce,
nostre Champenois fut maryé de par Dieu; mais si tost la première nuyt
qu'il fut près de sa femme couché, luy, qui oncques sur beste crestiane
n'avoit monté, tantost luy tourna le doz, après je ne sçay quants
simples baisiers qu'elle eut de luy, mais du surplus nichil au doz. Qui
estoit mal contente, c'estoit nostre espousée, jasoit qu'elle n'en feist
nul semblant. Ceste maudicte manière dura plus de dix jours, et encores
eust si la bonne mère à l'espousée n'y eust pourveu de remède. Il ne
vous fault pas celer que nostre homme, et neuf en fasson et en mariage,
du temps de feu son père et sa mère, avoit esté bien court tenu; et sur
toute rien luy estoit et fut defendu le mestier de la beste à deux doz,
doubtant, s'il s'i esbatoit, qu'il y despendroit sa chevance. Et bien
leur sembloit et à bonne cause qu'il n'estoit pas homme qu'on deust
aimer pour ses beaulx yeulx. Luy, qui pour rien ne courroussast père et
mère, et qui n'estoit pas trop chault sur potaige, avoit tousjours gardé
son pucellage, que sa femme eust voluntiers desrobé par bonne fasson
s'elle eust sceu. Ung jour se trouva la mère à nostre espousée devers sa
fille, et luy demanda de son mary, de son estat, de ses condicions, de
son mariage, et cent mille choses que femmes scevent dire. A toutes
choses bailla et rendit nostre espousée à sa mère trèsbonne response, et
dist que son mary estoit trèsbon homme et qu'elle ne doubtoit point
qu'elle ne se conduisist bien avecques luy. De ce fut nostre mère bien
joyeuse, et, pource qu'elle sçavoit bien par elle mesme qu'il fault en
mariage aultre chose que boire et menger, elle dist à sa fille: «Or,
vien ça et me dy par ta foy, et de ces choses de nuyt, comment t'en
est-il?» Quant la pouvre fille oyt parler de ces choses de nuyt, à pou
que le cueur ne luy faillit, tant fut marrye et desplaisante; et ce que
sa langue n'osoit respondre, monstrèrent ses yeulx, dont sailloient
larmes à trèsgrand abundance. Si entendist tantost sa mère que ces
larmes vouloient dire, et dist: «Ma fille, ne plorez plus; mais dictes
moy hardiement, je suis vostre mère, à qui ne devez rien celer, et de
qui ne devez estre honteuse. Vous a-il encores rien fait?» La pouvre
fille, revenue de paumoison et ung peu rasseurée et de sa mère
confortée, cessa la grand flotte de ses larmes; mais elle n'avoit
encores force ne sens de respondre. Si l'interroge encores sa mère, et
luy dit: «Dy moy hardiement et oste ces larmes. T'a il rien fait?» A
voix basse et de plours entremeslée respondit la fille et dist: «Par ma
foy, ma mère, il ne me toucha oncques; mais du surplus qu'il ne soit bon
homme et doulx, par ma foy, si est.--Or, dy moy, dit la mère, scez tu
point s'il est fourny de tous ses membres? Dy hardiement si tu le
sces.--Saint Jehan! si est trèsbien, dist-elle. J'ay pluseurs foiz senty
ses denrées d'aventure, ainsi que je me tourne et retourne en nostre
lit, quant je ne puis dormir.--Il souffist, dist la mère; laisse moy
faire du surplus. Veez cy que tu feras: Demain au matin il te convient
faindre d'estre malade trèsfort, et monstrer semblant d'estre tant
oppressée qu'il semble que l'ame s'en parte. Ton mary me viendra ou
mandera querir, je n'en doubte point, et je feray si bien mon personnage
que tu sçaras tantost comment tu fuz gaignée, car je porteray ton urine
à ung tel médicin qui donnera tel conseil que je vouldray.» Comme il fut
dit il fut fait, car landemain, si tost qu'on vit du jour, nostre gouge,
auprès de son mary couschée, se commença à plaindre et faire si trèsbien
la malade qu'il sembloit que une fièvre continue luy rongeast corps et
ame. Noz amis son mary estoit bien esbahy et desplaisant; si ne savoit
que faire ne que dire. Si manda tantost sa belle mère, qui ne se fist
guères attendre. Tantost qu'il la vit: «Helas! belle mère, vostre fille
se meurt.--Ma fille! dit-elle; et que luy fault-il?» Lors, tout en
parlant, marchèrent jusques en la chambre de la paciente. Si tost que la
mère voit sa fille, elle luy demande comment elle fait; et elle, bien
aprinse, ne respondit pas à la première foiz, mais à chef de pièce dit
«Mère, je me meurs.--Non faictes, si Dieu plaist, fille; prenez courage;
mais dont vous vient ce mal si à haste?--Je ne sçay, je ne sçay, dit la
fille; vous me paraffolez à me faire parler.» Sa mère la prent par la
main, et luy taste son poux, et son corps, et son chef, et puis dit à
son beau filz: «Par ma foy, creez qu'elle est malade; elle est plaine de
feu. Si fault pourveoir de remède. Y a-il point ycy de son urine?--Celle
de la mynuyt y est, dit une des meschines.--Baillez la moy, dit-elle.»
Quand elle eut ceste urine, fist tant qu'elle eut ung urinal et dedans
la bouta, et dit à son beau filz qu'il la portast monstrer à ung médicin
pour savoir qu'on pourra faire à sa fille, et si on y peut aider. «Pour
Dieu! n'y espergnons rien, dit-elle; j'ay encores de l'argent que je
n'ayme pas tant que ma fille.--Espergner! dist noz amis; creez, si on
luy peut aider pour argent je ne luy fauldray pas.--Or vous avancez,
dit-elle, et tandiz qu'el se reposera ung peu je m'en iray jusques au
mesnage; tousjours reviendray je bien, s'on a mestier de moy.» Or devez
vous savoir que nostre bonne mère avoit, le jour devant, au partir de sa
fille, forgé le medicin qui estoit bien adverty de la response qu'il
devoit faire. Veezcy nostre gueux qui arrive devers nostre medicin à
tout l'orine de sa femme; et, quand il luy eut fait la reverence, il luy
va compter comment sa femme estoit deshaitée et merveilleusement malade;
«et veezcy son urine que à vous j'apporte, affin que mieulx vous
informez de son cas, et que plus seurement me puissez conseiller.» Le
medicin prend l'orinal et contremont le lève, et tourne et retourne
l'urine, et puis va dire: «Vostre femme est fort aggravée de chaulde
maladie et en dangier de mort s'elle n'est prestement secourue. Veezcy
son urine qui le monstre.--Ha! maistre, pour Dieu mercy, veillez moy
dire, et je vous paieray bien, qu'on luy peut faire pour recouvrer
santé, et s'il vous semble qu'elle n'ayt garde de mort.--Elle n'a garde,
si vous luy faictes ce que je vous diray, dit le medecin; mais, se vous
tardez guères, tout l'or du monde ne la garantira pas de la
mort.--Dictes, pour Dieu, dit l'aultre, et on luy fera.--Il faut, dit le
medicin, qu'elle ayt compaignie d'homme, ou elle est morte.--Compaignie
d'homme! dit l'aultre, et qu'est ce à dire cela?--C'est à dire, dit le
medecin, qu'il fault que vous montez sur elle et que vous la roucynez
trèsbien trois ou quatre foiz tout à haste, et le plus que vous pourrez
à ce premier faire sera le meilleur; aultrement ne sera point estaincte
la grand ardeur qui la seche et tire à fin.--Voire, dit il, et seroit ce
bon?--Elle est morte, et n'y a pas de rechap, dit le medicin, s'ainsi ne
le faictes, voire et bien tost encores.--Saint Jehan? dit l'aultre,
j'essaieray comment je pourray faire.» Il se part de là, et vient à
l'ostel, et trouve sa femme qui se plaignoit et dolosoit trèsfort.
«Comment va, dit il, m'amye?--Je me meurs, mon amy, dit elle.--Vous
n'avez garde, si Dieu plaist, dist il; j'ay parlé au medecin, qui m'a
enseigné une medicine dont vous serez garie.» Et durant ces devises, il
se despoille et au près de sa femme se boute; et, comme il approuchoit
pour executer le conseil du medicin tout en lourdoys: «Que faictes vous,
dit elle; me voulez vous partuer?--Mais je vous gariray, dit il, le
medicin l'a dit.» Et ce dit, ainsi que nature luy monstra, et à l'aide
de la paciente, il besoigna trèsbien deux ou trois fois; et, comme il se
reposoit tout esbahy de ce que advenu luy estoit, il demande à sa femme
comment elle se porte. «Je suys ung pou mieulx, dit-elle, que par cy
devant n'ay esté.--Loé soit Dieu! dit il; j'espere que vous n'avez garde
et que le medicin ara dit vray.» Alors recommence de plus belles. Pour
abreger, tant et si bien le fist que sa femme revint en santé dedans pou
de jours, dont il fut trèsjoyeux, si fut la mère quant el le sceut.
Nostre Champenois, après ces armes dessus dictes, devint ung pou plus
gentil compagnon qu'il n'estoit par avant; et luy vint en courage, puis
que sa femme restoit en santé, qu'il semondroit à disner ung jour ses
parens et amys et le père et la mère d'elle, ce qu'il fit; et les servit
grandement en son patoys, à ce disner, faisoit trèsbonne et joyeuse
chère. On buvoit à luy, il buvoit aux aultres: c'estoit merveille qu'il
estoit gentil compaignon. Mais escoutez qu'il lui advint: à la coup de
la meilleure chère de ce disner; il commença trèsfort et soudainement à
plorer, et sembloit que tous ses amys, voire tout le monde, fussent
mors, dont n'y eut celuy de la table qui ne s'en donnast grant merveille
dont ces soudaines larmes procedoient; les ungs et les aultres luy
demandent qu'il a, mais à pou s'il povoit ou savoit respondre, tant le
contraignoient ses folles larmes. Il parla au fort, en la fin, et dist:
«J'ay bien cause de plorer.--Et par ma foy, non avez, ce dist sa belle
mère: que vous fault-il? Vous estes riche et puissant et bien logié, et
si avez de bons amys; et qui ne fait pas à oublier, vous avez belle et
bonne femme, que Dieu vous a remise en santé, qui naguères fut sur le
bord de sa fosse; si m'est advis que vous devez estre lye et
joyeux.--Helas! non fays, dit-il; c'est par moy que mon père et ma mère,
qui tant m'aymoient, et m'ont assemblé et laissé tant de biens, ne sont
encores en vie, car ilz ne sont mors tous deux que de chaulde maladie;
et si je les eusse aussi bien rouchynez quand ilz furent malades que
j'ay fait ma femme, ilz fussent maintenant sur piez.» Il n'y eut celuy
de la table après ces motz à pou qui se tenist de rire, mais non
pourtant il s'en garda qui peut. Les tables furent ostées, et chacun
s'en alla, et le bon Champenoys demoura avec sa femme, laquelle, affin
qu'elle demourast en santé, fut souvent de luy racolée.




LA XXIe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE LOAN.


Sur les mètes de Normandie siet une bonne et grosse abbaye de dames,
dont l'abbesse, qui belle et jeune et en bon point estoit, naguères se
acoucha malade. Ses bonnes soeurs devotes et charitables tantost la
vindrent visiter, en la confortant et administrant à leur povoir de tout
ce qu'elles sentoient que bon luy fut. Et quand elles parceurent qu'elle
ne se disposoit à garison, elles ordonnèrent que l'une d'elles yroit à
Rouen porter son urine, et compteroit son cas à ung medicin de grand
renommée. Pour faire ceste ambaxade, à lendemain l'une d'elles se mist
au chemin; et fit tant qu'el se trouva devers le dit medicin, auquel,
après qu'il eut visité l'urine de madame l'abbaesse, elle compta tout au
long la fasson et manière de sa maladie, comme de son dormir, d'aller à
chambre, de boire et de menger. Le sage medicin, vrayement du cas de
madame informé tant par son urine comme par la relacion de la
religieuse, voulut ordonner le regime. Et, jasoit qu'il eust de coustume
à plusieurs de leur bailler par escript, il se fya bien de tant à la
religieuse que de bouche luy dirait: «Belle seur, dit-il, pour
recouvrer la santé de madame l'abbesse, il est mestier et de necessité
qu'el ait compagnie d'homme; et bref aultrement elle se trouvera en pou
d'espace si adicte et de mal souprinse que la mort luy sera derrain
remède.» Qui fut bien esbahye d'oyr si trèsdures nouvelles, ce fut
nostre religieuse, qui alla dire: «Helas! maistre Jehan, ne voiez vous
aultre fasson pour la recouvrance de la santé de madame?--Certes nenny,
dit-il, il n'en y a point d'aultre, et si veil bien que vous sachez
qu'il se fault avancer de faire ce que j'ay dit: car si la maladie, par
faulte d'ayde, peut prendre son temps n'y viendra.» La bonne religieuse
à pou s'elle osa disner à son aise, tant avoit haste de nuncier à madame
ces nouvelles. Et à l'ayde de sa bonne hacquenée, et du grant desir
qu'el a d'estre à l'ostel, s'avança si bien que madame l'abbesse fut
trèstoute esbahie de si tost la reveoir. «Que dit le medicin, belle
seur? ce dist-elle; ay je garde de mort?--Vous serez tantost en bon
point, si Dieu plaist, Madame, dist la religieuse messagière; faictes
bonne chère et prenez cueur.--Et ne m'a le medicin point ordonné de
regime, dit madame?--Si a, dit-elle.» Lors luy va dire tout au long
comment le medicin avoit veu son urine, et les demandes qu'il fist de
son eage, de son mengier, de son dormir, etc. «Et puis pour conclusion
il dit et ordonne qu'il fault que vous aiez compaignie charnelle avecque
homme, ou bref aultrement vous estes morte: car à vostre maladie n'a
point d'aultre remède.--Compaignie d'homme! dit madame; j'ayme plus cher
morir mille foiz, s'il m'estoit possible.» Et lors va dire: «Puis que
mon mal est incurable et mortel si je n'y pourvoy de tel remède, loé
soit Dieu, je prens la mort en gré. Appellez moy bien tost tout mon
couvent.» Le tymbre fut sonné, si vindrent tantost devers madame
trestoutes ses bonnes religieuses. Et quand elles furent en la chambre,
madame, qui avoit encore toute la langue à commandement, quelque mal
qu'elle eust, commença une grande et longue harengue devant ses seurs,
remonstrant le fait et estat de son eglise, en quel point elle la trouva
et en quel estat elle est aujourduy; et vint descendre ses parolles à
parler de sa maladie, qui estoit mortelle et incurable, comme elle bien
sentoit et congnoissoit, et au jugement aussi d'ung tel medicin elle
s'arrestoit, qui morte l'avoit jugée. «Et pour tant, mes bonnes soeurs,
je vous recommende nostre eglise, et en voz plus devotes prières ma
pouvre ame...» Et, à ces parolles, larmes en grand abundance saillirent
de ses yeux, qui furent accompaignées d'aultres sans nombre, sourdans de
la fontaine du cueur de son bon couvent. Ceste plorerie dura assés
longuement, et fut là longtemps le mesnaige sans parler. A chef de
pièce, madame la prieure, qui bonne et sage estoit, print la parole pour
tout le couvent et dist: «Madame, de vostre maladie, ce scet Dieu, à qui
nul ne peut riens celer, il nous desplaist beaucop, et n'y a celle de
nous qui ne se vouldroit emploier autant que possible est et seroit à
personne vivant à la recouvrance de vostre santé. Si vous prions toutes
ensemble que vous ne nous espergnez en rien qui soit des biens de vostre
eglise, car mieulx nous vauldroit, et plus cher l'aymerions, de perdre
la plus part de noz biens temporelz que le prouffit espirituel que
vostre presence nous donne.--Ma bonne seur, dist madame, je n'ay pas
tant deservy que vous m'offrez, mais je vous en mercie tant que je puis,
en vous advisant et priant derechef que vous pensez comme je vous ay dit
aux afferes de nostre eglise, qui me touchent près du cueur, Dieu le
scet, en acompaignant aux prières que ferez ma pouvre ame, qui grant
mestier en a.--Helas! Madame, dist la prieure, et n'est-il possible par
bon gouvernement et soigneuse medicine que vous puissez repasser?--Nenny,
certes, ma bonne seur, dit-elle. Il me fault mettre ou reng des
trespassés, car je ne vaulx guères mieulx, quelque langage qu'encores je
pronunce.» Adonc saillit avant la religieuse qui porta son urine à
Rouen, et dist: «Madame, il y a bon remède, s'il vous plaisoit.--Créez
qu'il ne me plaist pas, dit-elle; véez cy seur Jehanne qui revient de
Roen, et a monstré mon urine et compté mon cas à ung tel medicin, qui
m'a jugée morte, voire si je ne me vouloye abandonner à aucun homme et
estre en sa compagnie. Et par ce point esperoit-il, comme il trouvoit
par ses livres, que je n'aroye garde de mort; mais, s'ainsi ne le
faysoie, il n'y a point de ressource en moy. Et quant à moy j'en loe
Dieu, qui me daigne appeller ainçois que j'aye fait plus de pechez; à
luy me rens, et à la mort je presente mon corps, vienne quand elle
veult.--Comment, Madame, dist l'enfermière, vous estes de vous mesmes
homicide! Il est en vous de vous garir et sauver, et ne vous fault que
tendre la main et requerre ayde, vous la trouverez preste; ce n'est pas
bien fait, et vous ose bien dire que vostre ame ne partiroit point
seurement si en cet estat vous moriez.--Ha! belle seur, dist madame,
quantesfoiz avez-vous oy prescher que mieulx vauldroit à une personne
s'abandonner à la mort que commettre ung seul peché mortel! Et vous
savez que je ne puis ma mort fuyr n'esloignier sans faire et commettre
peché mortel! Et qui bien autant au cueur me touche, s'en ce faisant ma
vie esloigneroie, ne viveroys-je pas deshonorée et à tousjours mès
reprochée, et diroit-on: Veez la dame, etc...? Mesmes vous toutes,
quelque conseil que me donnez, m'en ariez en irreverence et en mains
d'amour. Et vous sembleroit, et à bonne cause, que indigne seroie
d'entre vous presider et gouverner.--Ne dictes et ne pensez jamais cela,
dit madame la tresorière; il n'est chose qu'on ne doye entreprandre pour
eschever la mort. Et ne dit pas nostre bon père saint Augustin qu'il ne
loist à personne de soy oster la vie ne tollir ung sien membre? Et ne
yrez directement encontre sa sentence si vous laissez à escient ce qui
vous peut de mort garder?--Elle dit bien, dit le couvent en general.
Madame, pour Dieu, obeissez au medicin, et ne soiez en vostre opinion si
ahurtée qu'en la soustenant vous perdrez corps et ame, et laissez vostre
pouvre couvent, qui tant vous ayme, desolé et despourveu de
pastoure.--Mes bonnes seurs, dit madame, j'ayme mieulx à la mort
voluntairement tendre les mains, soubmettre mon col et honorablement
l'embrasser, que par la fuyr je vive deshonorée. Et ne diroit on pas:
Veez la dame qui fist ainsi et ainsi?--Ne vous chaille, Madame, qu'on
dye; vous ne serez jà reprouchée de gens de bien.--Si seroie, si seroie,
dit madame.» Le couvent se alla esmouvoir, et firent les bonnes
religieuses entre elles ung consistoire dont la conclusion s'ensuyt; et
porta les parolles d'icelle la prieure: «Madame, veez cy vostre desolé
couvent si trèsdesplaisant que jamais maison ne fut si desolée ni
troublée qu'el est, dont vous estes cause; et créez, si vous estes si
mal conseillée de vous abandonner à la mort que fuyr vous povez, vous
occirez, j'en suis bien seure. Et, affin que vous l'entendez que nous
vous aimons de bonne et loyale amour, nous sommes contentes et avons
conclu et meurement deliberé, toutes ensemble generalement, que, s'il
vous plaist, en sauvant vostre vie et nous, avoir compaignie secretement
d'aucun homme de bien, nous pareillement le ferons comme vous, affin que
vous n'ayez pensée ne ymaginacion qu'en temps advenir vous en sourdist
reprouche de nulle de nous. N'est ce pas ainsi, mes seurs?
dit-elle.--Oy, oy», dirent-elles trestoutes de bon cueur. Madame
l'abbesse, oyant ce que dit est, et portant au cueur ung grand fardeau
d'ennuy, pour l'amour de ses seurs se laissa ferrer et s'accorda,
combien que ce fut à grand regret, que le conseil du medicin fut mis en
euvre, pourveu que ses seurs luy tiendront compaignie. Adonc furent
mandez moynes, prestres et clercs, qui trouvèrent bien à besoigner; et
le feirent si trèsbien que madame l'abbesse fut en pou d'heure
rappaisée, dont son couvent fut trèsjoyeux, qui par honeur faisoit ce
que par honte oncques puis ne laissa.




LA XXIIe NOUVELLE.

PAR CARON.


N'a guères que ung gentilhomme demourant à Bruges tant et si longuement
se trouva en la compaignie d'une belle fille qu'il luy fist le ventre
lever. Et droit à la coup qu'elle s'en perceust et donna garde,
monseigneur fist une assemblée de gens d'armes; si fut force à nostre
gentilhomme d'abandonner sa dame et avecques les aultres aller au
service de mon dit seigneur, ce que de bon cueur et bien il fist. Mais
avant son partement il fist garnison et pourveance de parrains et
marraines et de nourrice pour son enfant advenir, logea la mère avecques
de bonnes gens, luy laissa de l'argent, et leur recommanda. Et quand au
mieulx qu'il sceut et le plus bref qu'il peut ses choses furent bien
disposées, il ordonna son partement et print congé de sa dame, et au
plaisir de Dieu promect de tantost retourner. Pensez que s'elle n'eust
jamais plouré, ne s'en tenist à ceste heure, puis qu'elle voit d'elle
eloigner la rien en ce monde dont la presence plus luy plaist. Pour
abreger, tant luy despleut ce dolent departir qu'oncques mot ne sceut
dire, tant empeschèrent sa doulce langue les larmes sourdantes du
parfond de son cueur. Au fort el s'appaisa, puis que aultre chose estre
n'en peut. Et quand vint environ ung mois après le partement de son amy,
desir luy eschaufa le cueur et si luy vint ramantevoir les plaisans
passetemps qu'elle souloit avoir, dont la trèsdure et trèsmaudicte
absence de son amy, helas! l'avoit privée. Le dieu d'amours, qui n'est
jamais oiseux, luy mist en bouche et en termes les haulx biens, les
nobles vertuz et la trèsgrand loyaulté d'un marchant son voisin, qui
pluseurs foiz, avant et puis le partement de son amy, luy avoit presenté
la bataille, et conclure luy fist que, s'il retourne plus à sa queste,
qu'il ne s'en retournera pas esconduyt; mesme, si la laissoit arrière,
elle tiendra bien telles et si bonnes manières qu'il entendra bien
qu'elle en veult à luy. Or vint-il si bien que au lendemain de ceste
conclusion, à la première euvre, Amour envoya nostre marchant devers sa
paciente, et luy presenta comme aultresfoiz, chiens et oyseaulx, son
corps et ses biens, et cent mille choses que ces abateurs de femmes
scevent tout courant et par cueur. Il ne fut pas escondit: car, s'il
avoit bonne volunté de combatre et faire armes, elle n'avoit pas mains
de desir de luy delyer son emprinse et le fournir de tout ce qu'il
vouldra requerre. Sans faire long procès, au prejudice de nostre gentil
homme, qui maintenant est en la guerre, nostre gentil femme fournit et
accomplit au bon marchant tout ce dont la requist; et si plus eust osé
demander elle estoit preste d'accomplir; et tant trouva en luy de bonne
chevalerie, de proesse et de vertuz, qu'elle oublya de tous poins son
amy par amours, qui à ceste heure guères ne s'en doubtoit. Beaucop aussi
au bon marchant pleut la courtoisie de sa nouvelle dame; et tant furent
conjoinctes les voluntés, desirs et pensées de luy et d'elle, qu'ilz
n'avoient pour eulx deux que ung seul cueur. Si s'appensèrent que, pour
le bien loger et à leur aise, il souffiroit bien d'un hostel; si troussa
ung soir nostre gouge ses bagues et habillemens, et avec elles à
l'hostel du marchant se vint rendre, en abandonnant le premier amy, son
hoste, son hostesse et foison d'aultres gens de bien auxquelx il l'avoit
recommandée. Elle ne fut pas si folle, quand elle se vit bien logée,
qu'el ne dist incontinent à son marchant qu'elle se sentoit grosse, qui
en fut trèsjoyeux, cuidant bien que ce fust de ses euvres. Au chef de
sept moys, ou environ, nostre gouge fit ung beau filz dont le père
adoptif s'acquitta trèsgrandement et de la mère aussi. Advint certain
espace après que le bon gentilhomme retourna de la guerre et vint à
Bruges, et au plustost qu'il peut honestement print son chemin vers le
logis où il laissa sa dame. Et luy venu leans, il la demanda à ceulx qui
en prindrent la charge de la penser, garder et aider en sa gesine.
«Comment! dirent-ilz, est ce ce que vous en savez? Et n'avez vous pas eu
les lettres que vous avons rescriptes?--Nenny, par ma foy, dit-il, et
quelle chose y a-il?--Quelle chose! saincte Marie! dirent-ilz; nostre
Dame! c'est bien raison que on le vous dye. Vous ne fustes en allé d'un
mois qu'elle ne troussa pignes et miroirs et s'en alla bouter cy devant
en l'ostel d'un tel marchant, qui la tient à fer et à clou. Et de fait
elle a fait ung beau filz et a jeu leans, et l'a fait le marchant
chrestienner, et si le tient à sien.--Saint Jehan! véez cy aultres
nouvelles, dit le bon gentilhomme; mais au fort, puis qu'el est telle,
au dyable voit elle! Je suis content que le marchant l'ayt et la tienne;
mais quant est de l'enfant, il est mien, et si le veil ravoir.» Et sur
ce mot, part et s'en va, et vint heurter bien rudement à l'huys du
marchant. De bonne adventure, sa dame qui fut vint à ce huit, qui ouvre
l'huys, comme toute de léans qu'elle estoit. Quant elle vit son amy
oblié et qu'il la congneut aussi, chacun fut esbahy. Non pourtant luy
demanda dont elle venoit en ce lieu. Et elle respondit que fortune ly
avoit amenée. «Fortune! dist-il; or fortune vous y tienne; mais je veil
ravoir mon enfant; vostre maistre ara la vache, et j'aray le veau, moy.
Or le me rendez bien tost, car je le veil ravoir, quoy qu'en
advienne.--Helas! dit la gouge, que diroit mon homme? Je seroye
deffaicte, car il cuide certainement qu'il soit sien.--Ne m'en chault,
dit l'autre, dye de ce qu'il vouldra, mais il n'ara pas ce qui est
mien.--Ha! mon amy, je vous requier que vous laissiez cest enfant à mon
marchant, et vous me ferez grand plaisir et à luy aussi. Et pour Dieu,
si vous l'aviez veu, vous ne feriés jà presse de l'avoir: c'est ung let
et ort garson, trestout roigneux et contrefait.--Dya, dit l'aultre, tel
qu'il est il est mien, et si le vueil ravoir.--Et parlez bas, pour Dieu,
ce dit la gouge, et vous appaisez de vostre demande, je vous en supplie;
et s'il vous plaist ceans laisser cest enfant, je vous promectz, par ma
foi, s'il vous plaist ainsi faire, je vous donneray le premier que
j'aray jamais.» Le gentil homme, à ces motz, jasoit qu'il fust esmeu et
courroucé, ne se peut tenir de soubrire, et sans plus dire de sa bonne
dame se partit, et tien, comme l'on me compta, qu'il n'a plus demandé le
dit enfant, et qu'encores le nourrist celluy qui la mère engranga en
l'absence de nostre gentil homme.




LA XXIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE QUIEVRAIN.


N'a guères qu'en la ville de Mons, en Haynau, ung procureur de la cour
du dit Mons, assez sur eage et jà ancien, entre aultres ses clercs avoit
ung très beau filz et gentil compaignon, du quel sa femme à chef de
pièce s'enamoura très fort; et très bien luy sembloit qu'il estoit
mieulx taillié de faire la besoigne que son mary. Et affin qu'el
esprouvast si son cuider estoit vray, elle conclut en soy mesmes qu'el
tiendra telz termes que, s'il n'est plus beste qu'un asne, il se donnera
tantost garde qu'el en veult à luy. Pour executer ce desir, ceste
vaillant femme, jeune, fresche et en bon point, venoit menu et souvent
couldre et filer auprès de ce clerc, et devisoit à luy de cent mille
besoignes dont la pluspart en fin sur amours retournoient. Et devant ces
devises elle n'oblya pas de le servir de landes, Dieu scet, largement:
une foiz le boutoit du coste en escripvant, une aultre foiz luy ruoit
des pierrettes qui brouilloient ce qu'il faisoit, et luy failloit
recommancer. Ung aultre jour retournoit ceste feste et luy ostoit papier
et parchemin, tant qu'il failloit qu'il cessast l'euvre, dont il estoit
trèsmal content, doubtant le courroux de son maistre. Quelque semblant
que la maistresse long temps à son clerc eust monstré, qui tiroit fort
au train de derrière, si luy avoit jeunesse et crainte les yeulx si
bandez que en rien il ne s'aparcevoit du bien qu'on luy vouloit;
neantmains enfin, par estre beaucop hutiné, il s'apparceut aucunement
qu'il estoit bien en grace, et se pensa qu'il l'esprouveroit. Ne demeura
guères après ceste deliberacion que, nostre procureur estant hors de
l'ostel, sa femme vint à nostre clerc bailler l'arrière ban et assault
en escripvant qu'elle avoit de coustume, voire trop plus aigre et plus
fort que nulle foiz de devant. Tant de ruer, tant de bouter, tant de
parler; mesme pour le plus empescher et bailler destourbier, elle
respandit sur buffet, sur papier, sur robe, son cornet à l'encre. Et
nostre clerc, plus cognoissant et mieulx voyant que cy dessus, saillit
en piez, assault sa maistresse et la reboute en sus de luy, priant
qu'elle le laisse escripre. Et elle, qui demandoit estre assaillie et
combatue, ne laissa pas pourtant l'emprinse encommancée, mais de plus
belle rend estire. «Savez-vous qu'il y a, ce dit le clerc, Madamoiselle?
c'est force que j'escheve en haste l'escript que j'ai encommancé; si
vous requier que vous me laissez paisible, ou, par la mort bieu, je vous
livreray castille.--Et que me ferez-vous, beau sire, ce dit-elle; la
moue?--Nenny, par Dieu.--Et quoy donc?--Quoy?--Voire quoy?--Pour ce,
dit-il, que vous avez respandu mon cornet à l'encre et avez brouillé et
mon escripture et ma robe, je vous pourray bien brouiller vostre
parchemin; et affin que faulte d'encre ne m'empesche d'escripre, je
pourray bien pescher en vostre escriptoire.--Par ma foy, dit-elle, vous
en estes bien l'omme; et creez que j'en ay grand paour.--Je ne sçay quel
homme, dist le clerc, mais tel que je suis, si vous y rembatez plus,
vous passerés par là. Et de fait véez cy une raye que je vous faiz, et
par Dieu, si vous la passez, tant pou soit-il, si je vous faulx je veil
qu'on me tue.--Et par ma foy, dit-elle, je ne vous en craings, et si
passeray la raye, et puis verray que vous ferez.» Et disant ces
parolles, marcha la dureau, faisant le petit sault oultre la raye bien
avant. Et le bon clerc la prend aux grifz, sans plus enquerre, et sur
son banc la rue, et créez qu'il la punit bien: car, s'elle l'avoit
brouillié, il ne luy en fist pas mains, mais ce fut en aultre fasson,
car elle le brouilla par dehors et à descouvert, et il à couvert et par
dedans. Et de ce cas fut le notaire ung jeune enfant environ de deux
ans, filz de léans. Il ne fault pas demander si après ces premières
armes de la maistresse et du clerc s'il y eut plusieurs secrètes
rencontres à mains de parolles que les premières. Il ne vous fault pas
celer aussi que peu de jours après ceste adventure, le dit petit enfant
ou comptouer estant où le clerc escripvoit, le procureur et maistre de
leans survint, et marche avant pour tirer vers son clerc, pour regarder
qu'il escripvoit, ou espoir pour aultre chose; et comme il approucha de
la raye que son clerc fist pour sa femme, qui encores n'estoit effacée,
son filz luy dist et crya: «Mon père, gardés bien que vous ne passez
ceste raye, car nostre clerc vous abateroit et huppilleroit ainsi qu'il
fist naguères ma mère.» Le procureur, oyant son filz, et regardant la
raye, si ne scet que penser, car il luy alla souvenir que folz, yvres et
enfans ont de coustume de vray dire; mais non pourtant il n'en fist pour
ceste heure nul semblant; et n'est encores venu à ma cognoissance se il
differa la chose ou par ignorance ou par doubte d'esclandre.




LA XXIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE FIENNES.


Jasoit que ès nouvelles dessus dictes les noms de ceulx et celles à qui
elles ont touché et touchent ne soient mis n'escripz, si me donne mon
appetit grand vouloir de nommer, en ma petite ratelée, le conte
Walerant, en son temps conte de saint Pol, et appellé le beau conte.
Entre aultres ses seigneuries, il estoit seigneur d'un village en la
chastellenie de Lisle nommé Vrelenchem, près du dit Lisle environ d'une
lieue. Ce gentil conte, de sa bonne et doulce nature, estoit et fut
tout son temps amoureux oultre l'enseigne. Il sceut, au rapport d'aucuns
ses serviteurs qui en ce cas le servoient, que au dit Vrelenchem avoit
une très belle fille, gente de corps et en bon point. Il ne fut pas si
paresseux que, assez tost après ceste nouvelle oye, il ne se trouvast en
ce village. Et feirent tant ses serviteurs, que les yeulx de leur
maistre confermèrent de tout point leur rapport touchant la dicte fille:
«Or ça, qu'est-il de faire? dist lors le gentil conte; c'est force que
je parle à elle entre nous deux seullement, et ne me chault qu'il me
couste.» L'un de ses serviteurs, docteur en son mestier, dit:
«Monseigneur, pour vostre honneur et celuy de la fille aussi, il me
semble qu'il vault mieux que je luy descouvre l'embusche de vostre
vouloir; et selon la response j'auray advis de parler et poursuyre.»
Comme l'aultre dist, il fut fait, car il vint devers la belle fille et
très courtoisement la salua. Et elle, qui n'estoit pas mains sage ne
bonne que belle, courtoisement luy rendit son salut. Pour abreger, après
pluseurs parolles d'accointances, le bon macquereau va faire un grant
premisse touchant les biens et les honneurs que son maistre luy vouloit;
et de fait, se à elle ne tenoit, elle seroit cause d'enrichir et honorer
tout son lignage. La bonne fille entendit tantost quelle heure il
estoit, si feist sa response telle qu'elle estoit, c'est assavoir belle
et bonne: car, au regard de monseigneur le conte, elle estoit celle, son
honneur saulve, qui luy vouldroit obéir, craindre et servir en toutes
choses. Mais qui la vouldroit requerre contre son honneur, qu'elle
tenoit aussi cher que sa vie, elle estoit celle qui ne le cognoissoit et
pour qui elle ne feroit neant plus que le singe pour les mauvais. Qui
fut esbahy et courroucé, ceste response oye, ce fut nostre va luy-dire,
qui s'en revint devers son maistre à tout ce qu'il avoit de poisson, car
à char avoit-il failly. Il ne fault pas demander si le conte fut mal
content quand il sceut la trèsfière et dure response de celle dont il
desiroit l'accointance et joissance, et autant et plus que de nulle du
monde. A chef de pièce va dire: «Or avant, laissons la là pour ceste
foiz; il m'en souviendra quant el cuidera qu'il soit oblié.» Il se
partit de là tantost après, et n'y retourna que les six sepmaines ne
furent passées; et quand il revint, ce fut si trèssecrètement que
nouvelle nulle n'en fut en la ville, tant simplement et en tapinage s'i
trouva. Il fist tant par ses espies qu'il sceust que nostre belle fille
sayoit de l'erbe au coing d'un bois, asseulée de toutes gens; il fut
bien joyeux, et, tout housé encores qu'il estoit, se mist au chemin
devers elle, en la compaignie de ses espies. Et quand il fut près de ce
qu'il queroit, il leur donna congé, et fist tant qu'il se trouva auprès
de sa dame sans ce qu'elle en sceust nouvelle sinon quand el le vit.
S'elle fut soupprinse et esbahie de se veoir tenue et saisie de
monseigneur le conte, ce ne fut pas merveilles; mesme el en changea
coleur, mua semblant, et pour ung peu en perdit la parolle, car elle
savoit par renommée qu'il estoit perilleux et noiseux entre femmes. «Ha
dya! Madamoiselle, dit lors le gentil conte, qui se trouva saisy, vous
estes à merveilles fière. On ne vous peut avoir sans siége. Or pensez
bien de vous defendre, car vous estes venue à la bataille; et avant que
de moy partez vous amenderez à mon vouloir et tout à ma devise des
peines et travaulx que j'ay souffers et enduré tout pour l'amour de
vous.--Helas! Monseigneur, ce dist la jeune fille, toute esbahye et
soupprinse qu'elle estoit, je vous cry mercy! Si j'ay dit ou fait chose
qui vous desplaise, veillez le moy pardonner, et combien que je ne pense
avoir dit ne fait chose dont me devez savoir mal gré. Je ne sçay, moy,
qu'on vous a rapporté. On m'a requis en vostre nom de deshonneur; je n'y
ay point adjousté de foy, car je vous tiens si vertueux que pour rien ne
vouldriez deshonorer une vostre simple subgecte, que je suys, mesmes la
vouldriez bien garder.--Ostez ce procès, dit monseigneur, et soyez seure
que vous ne m'eschapperez si que vous auray monstré le bien que je vous
veil et ce pourquoy j'envoyai par devers vous.» Et, sans plus dire, la
trousse et prend entre ses braz, et dessus ung pou d'herbe mise en tas
qu'elle avoit assemblé, souvyne la coucha et fort et roidde, et
vistement faisoit ses preparatives d'accomplir le desir qu'il avoit de
pieça. La jeune fille, qui se veoit en ce dangier et sur le point de
perdre ce qu'en ce monde trèschier tenoit, s'advisa d'un bon tour, et
dist à monseigneur: «Je me rends à vous: je feray ce qu'il vous plaira
sans nulz refus ne contredictz. Soiez plus content de prendre de moy ce
qu'en vouldrez par mon accord et volunté, qui tant y puis et en doy bien
requerre, que malgré moy vous paroultrez vostre vouloir desordonné.--A
dya! dit monseigneur, que vous m'eschappez, non; que voulez vous
dire?--Je vous requier, dit elle, puis qu'il fault que vous obéisse, que
vous me facez cest honneur que je ne soye pas souillée de voz houseaux,
qui sont et gras et ors, et vous suffise du surplus.--Et comment en
pourray-je faire? ce dit monseigneur.--Je les vous osteray, ce dit elle,
très bien, s'il vous plaist; car, par ma foy, je n'aroye cueur ne
courage de vous faire bonne chière avec ces paillards houseaulx.--C'est
peu de chose des houseaulx, dit monseigneur; mais non pourtant, puis
qu'il vous plaist, il seront ostez.» Et alors il abandonna sa prinse et
se siet dessus l'erbe, et tend sa jambe; et la belle fille luy oste
l'esperon et puis luy tire l'un de ses houseaulx, qui bien estroiz
estoient. Et quand il fut environ à moitié, à quoy faire elle eut moult
de peine, pour ce que tout au propos le tira de mauvais bihès, elle part
et s'en va tant que piez la peuvent porter, aider et soustenir de bon
vouloir, et là laissa le gentil conte, et ne fina de courre tant qu'elle
fut à l'ostel de son père. Le bon seigneur, qui se trouva ainsi deceu,
s'il enragoit, plus n'en pouvoit; et qui à ceste heure l'eust veu rire,
jamais n'eust eu les fievres. A quelque meschef que ce fut, se mist sur
piez, cuidant parmarcher sur son houseau et par ce l'oster de sa jambe;
mais c'est pour neant: il estoit trop estroict; si n'y trouva aultre
remède que de retourner vers ses gens. De sa bonne adventure, il n'eut
pas loing allé quand il trouva ses bons disciples sur le bord d'un fossé
qui l'attendoient, qui ne seurent que penser quand ilz le voyent ainsi
atourné. Il leur compta tout son cas et se fist rehouser. Et qui
l'oyoit, celle qui l'a trompé ne seroit pas seurement en ce monde, tant
luy cuide et bien luy veult faire desplaisir. Quelque vouloir qu'il eust
pour lors, quelque mal content qu'il fust pour ung temps, tant qu'il fut
ung peu refroidi, tout son courroux fut converty en cordiale amour. Et
qu'il soit vray, depuis à son pourchaz et à ses chers coustz et despens
il la fist marier trèsrichement et bien, à la contemplacion seullement
de la franchise et loyaulté qu'en elle avoit trouvé, dont il eut la
vraye congnoissance par le refus icy dessus compté.




LA XXVe NOUVELLE.

PAR PHILIPE DE SAINT YON.


La chose est si fresche et si nouvellement advenue dont je veil fournir
ma nouvelle, que je n'y puis ne tallier, ne roigner, ne mettre, ne
oster. Il est vray que au Quesnoy vint une belle fille naguères au
prevost se complaindre de force et violance en elle perpetrée et commise
par le vouloir desordonné d'un jeune compaignon. Ceste complaincte au
prevost faicte, le compaignon encusé de ce crime fut en l'heure prins et
saisi; et, au dict du commun peuple, ne valoit guères mieulx que pendu
au gibet, ou sans sa teste au vent sur une roe enmy les champs faire les
monstres. La fille, voyant et sentant celuy dont elle se doutoit
emprisonné, poursuyvoit roiddement le prevost qu'il luy en feist
justice, et de ce que, oultre son gré et vouloir, violantement et par
force on l'a deshonorée. Et le prevost, homme discret et sage et en
justice trèsexpert, fist assembler les hommes et puis manda le
prisonnier. Etainçois qu'il le feist venir devant les hommes desjà tout
prest pour le juger, s'il confessoit par geheyne ou aultrement l'orrible
cas dont il estoit chargé, parla à luy à part, et si le conjura de dire
la vérité. «Véez cy telle femme, dist-il, qui de vous se complaint de
force. Est-il ainsi? L'avez vous efforcée? Gardez que vous diez vérité,
car, si vous faillez, vous estes mort; mais si vous dictes vray, on vous
fera grace.--Par ma foy, monseigneur le prevost, dist le prisonnier, je
ne veil pas nyer ne celer que je ne l'aye pieça requise de son amour. Et
de fait, avant hier, après pluseurs parolles, je la ruay sur ung lict
pour faire ce que vous savez, et luy levay robe et chemise, et mon
furon, qui jamais n'avoit hanté larrier, ne savoit trouver la douyère de
son conin, si ne faisoit qu'aller çà et la; mais elle, par sa
courtoisie, luy dressa le chemin, et à ses propres mains le bouta tout
dedans. Je croy trop bien qu'il ne partit pas sans proye, mais qu'il y
eust entré à force, par mon serement, non eust.--Est-il ainsi? dit le
prevost.--Oy, par mon serement, dit le bon compaignon.--Or bien,
dist-il, nous en ferons trèsbien.» Après ces parolles, le prevost se
vient mettre en siège pontifical à dextre et environné de ses hommes, et
le bon compaignon fut mis et assis sur le petit banc ou parquet, ce
voyant tout le peuple et celle qui l'accusoit. «Or ça, m'amye, dit le
prevost, que demandez vous à ce prisonnier?--Monseigneur le prevost,
dit-elle, je me plains à vous de la force que il m'a violée oultre mon
gré et ma volunté, et malgré moy, dont je vous demande justice.--Que
respondez vous, mon amy? dit le prevost au prisonnier.--Monseigneur,
dist-il, je vous ay jà dit comment il en va, et je ne pense pas qu'elle
dye au contraire.--M'amie, dit le prevost, regardez bien que vous dictes
et que vous faictes de vous plaindre de force. C'est grant chose. Véez
cy qu'il dit qu'il ne vous fist oncques force, mesmes avez esté
consentant et pou près requerant de ce qu'il a fait; et qu'il soit vray,
vous mesmes adressastes et mistes son furon, qui s'esbatoit à l'entour
de vostre duyere, à voz deux mains ou à tout l'une, tout dedens la
duyere de vostre connin, laquelle chose il n'eust peu faire sans ceste
vostre ayde; et si vous y eussez tant pou soit resisté, jamais n'en fust
venu à bout. Si son furon a fourragé l'ostel, il n'en peut mais, car,
dès adonc qu'il est par eries ou duyere, il est hors de son
chastoy.--Ha! monseigneur le prevost, dist la fille plainctive, comment
l'entendez vous? Il est vray, je ne le veille pas nyer, que voirement je
prins son furon et le boutay en ma duyere, mais pour quoy fut ce? Par
mon serement, monseigneur, il avoit la teste tant roidde et le museau
tant dur, que je sçay tout de vray qu'il m'eust fait ung grant pertus,
ou deux ou trois, ou ventre, si je ne l'eusse bien à haste bouté en
celuy qui y estoit davantage; et véez là pourquoy je le feiz.» Pensez
qu'il y eust grand risée, après la conclusion de ce procès, de ceulx de
la justice et de tous les assistens. Et fut le compaignon delivré,
promettant de retourner à ses journées quand sommé en seroit. Et la
fille s'en alla bien courroussée qu'on ne pendoit bien en haste et bien
hault celuy qui avoit pendu à ses basses fourches. Mais ce courroux, ne
sa roidde poursuite, ne dura guères, car, à ce qu'on me dist, tantost
après par bons moyens la paix entre eulx si fut trouvée; et fut
abandonnée au bon compaignon garenne, connin et duyere, toutesfoiz et
quantes que chasser y vouldroit.




LA XXVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE FOQUESSOLES, DE LA CHAMBRE DE MONSEIGNEUR.


En la duché de Brabant, n'a pas long temps que la memoire n'en soit
fresche et presente à ceste heure, advint ung cas digne de reciter; et
pour fournir une nouvelle ne doit pas estre rebouté. Et, affin qu'il
soit enregistré et en apert congneu et declaré, il fut tel: A l'ostel
d'un grant baron du païs demouroit et residoit ung jeune, gent et
gracieux gentilhomme, nommé Gerard, qui s'enamoura trèsfort d'une
damoiselle de leans nommée Katherine. Et, quand il vit son cop, il luy
osa bien dire son gracieux et piteux cas. La response qu'il eut de
prinsault, chacun la peut penser et savoir, que pour abreger je
trespasse, et vien ad ce que Gerard et Katherine par succession de
temps s'entr'amèrent tant fort et si loyalement qu'ilz n'avoient qu'un
seul cueur et ung mesme vouloir. Ceste entière, leale et parfaicte amour
ne dura pas si peu que les deux ans ne furent accompliz et passez; à
chef de ceste pièce de temps, amour, qui bande les yeulx de ses
serviteurs, les bouscha si trèsbien que là où ilz cuidoient le plus
secretement de leurs amoureux affaires conclure et deviser, chacun s'en
parcevoit; et n'y avoit homme ne femme à l'ostel qui trèsbien ne s'en
donnast garde; mesmement fut tant la chose escriée qu'on ne parloit par
leans que des amours Gerard et Katherine. Mais, helas! les pouvres
aveugles cuidoient bien seulz estre empeschez de leur besoigne, et ne se
doubtoient guères qu'on en tenist conseil ailleurs qu'en leur presence,
ou le troiziesme de leur gré n'eust pas esté receu sans leur propos
changer et transmuer. Tant au pourchaz d'aucuns maudictz et detestables
envieux que pour la continuelle noise de pluseurs qui ne scevent taire
ce qui rien ou pou ne leur touche, vint ceste matière à la congnoissance
du maistre et de la maistresse des deux amans, et d'iceulx s'espandit et
saillit en audience du père et de la mère de Katherine. Si luy escheut
si trèsbien que par une damoiselle de leans, sa trèsbonne compaigne et
amye, elle fut advertie et informée du long et du large de la
descouverture des amours de Gerard et d'elle, tant à monseigneur son
père et à madame sa mère comme à monseigneur et à madame de leans.
«Helas! qu'est-il de faire, ma bonne seur et m'amye? dit Katherine. Je
suis femme deffaicte, puis que mon cas est si manifeste que tant de gens
le scevent et en devisent. Conseillez moy, pour Dieu, ou je suis femme
perdue et plus que aultre desolée et mal fortunée.» Et, à ces motz,
larmes à tant saillirent de ses yeulx et descendirent au long de sa
belle et clère face jusques bien bas sur sa robe. Sa bonne compaigne, ce
voyant, fut très marrie et desplaisante de son ennuy, et pour la
conforter luy dist: «Ma seur, c'est folie de mener tel dueil et si
grand; car on ne vous peut, la Dieu mercy, reproucher de chose qui
touche vostre honneur, ne celuy de voz amys. Si vous avez entretenu ung
gentilhomme en cas d'amours, ce n'est pas chose defendue en la court
d'honneur, mesme est la sente et la vraye adresse de y parvenir; et pour
ce vous n'avez cause de douloir, et n'est ame vivant qui à la verité
vous en puisse ou doyve charger. Mais toutesfoiz il me sembleroit bon,
pour estaindre la noise de pluseurs parolles qui courent aujourduy à
l'occasion de vos dictes amours, que Gerard, vostre serviteur, sans
faire semblant de rien, prensist ung gracieux congié de monseigneur et
de madame, colorant son cas ou d'aller en ung loingtain voyage ou en
quelque guerre apparente; et soubz cest umbre s'en allast quelque part
soy rendre en ung bon hostel, attendant que Dieu et amours aront disposé
sur voz besoignes; et luy arresté, vous face savoir de son estat, et
par son mesme message lui ferez savoir de voz nouvelles. Et par ce point
s'appaisera le bruit qui court à present, et vous entreamerez et
entretiendrez l'un l'aultre par lettres, attendans que mieulx vous
vienne. Et ne pense point pourtant que vostre amour doive cesser, ançois
de bien en mieulx se maintiendra, car par longue espace vous n'avez eu
rapport ne nouvelle, chacun de sa partie, que par la relacion de vos
yeulx, qui ne sont pas les plus eureux de faire les plus seurs jugemens,
mesmes à ceulx qui sont tenuz en l'amoureux servage.» Le gracieux et bon
conseil de ceste gentilfemme fut mis en oeuvre et à effect, car au plus
tost que Katherine sceut trouver la fasson de parler à Gerard son
serviteur, elle en bref luy compta comment l'embusche de leurs amours
estoit descouverte et venue desjà à la cognoissance de monseigneur son
père et de madame sa mère, et de monseigneur et de madame de leans. «Et
créez, dit-elle, avant qu'il soit venu si avant, ce n'a pas esté sans
passer l'abbayt au pourchaz des rapporteurs devant tous ceux de ceans et
de pluseurs voisins. Et pour ce que fortune ne nous est pas si amye de
nous avoir permis longuement vivre si glorieusement que en notre estat
encommancé, et si nous menace, advise, et forge et prepare encores plus
grans destourbiers, si ne pourveons à l'encontre, il nous est mestier,
et utile et necessité d'avoir advis bon et hastif. Et car le cas beaucop
me touche et plus que à vous, quant au dangier qui sourdre s'en
pourroit, sans vous desdire je vous diray mon opinion.» Lors luy va
compter de chef en bout le conseil et advertissement de sa bonne
compaigne. Gerard, desjà une peu adverty de ceste maudicte adventure,
plus desplaisant que si tout le monde fust mort, mis hors de sa dame,
respondit en telle manière: «Ma leale et bonne maistresse, véez cy
vostre humble et obeissant serviteur, qui après Dieu n'ayme rien en ce
monde si lealement que vous; et suis celuy à qui vous povez ordonner et
commender tout ce que bon vous semble, et qui vous vient à plaisir, pour
estre lyement et de bon cueur sans contredit obéye. Mais pensez qu'en ce
monde ne me pourra pis advenir quant il fauldra que j'esloigne vostre
trèsdesirée presence. Helas! s'il fault que je vous laisse, il ne m'est
pas advis que les premières nouvelles que vous arez de moy, ce sera ma
doulente et piteuse mort adjugée et executée à cause de vostre
esloignier; mais, quoy que soit, vous estes celle et la seulle vivante
que je veil obéyr, et ayme trop plus cher la mort en vous obéissant
qu'en ce monde vivre, voire estre perpetuel, non acomplissant vostre
noble commendement. Véez cy le corps de celuy qui est tout vostre;
taillez, roignez, prenez, ostez, faictes tout ce qu'il vous plaist.» Si
Katherine estoit marrye et desplaisante d'oyr son serviteur qu'elle
amoit plus que aultre loyalement, le voiant aussi plus troublé que dire
on ne vous pourroit, il ne le fault que penser et non enquerre; et, si
ne fust pour la grant vertu que Dieu en elle n'avoit pas oblyé de mettre
largement et à comble, elle se fust offerte de luy faire compaignie en
son voyage; mais, esperant de quelque jour recouvrer ad ce que
trèseureusement faillit, le retira de ce propos, et à chef de pièce si
dist: «Mon amy, c'est force que vous eloignez; si vous prie que vous
n'obliez pas celle qui vous a fait le don de son cueur, et affin que
vous aiez courage de mieulx soustenir la trèscrueuse et horrible
bataille que raison vous livre et amaine à vostre doloreux departement,
encontre vostre vouloir et desir, je vous promectz et asseure, sur ma
foy, que tant que je vive aultre homme n'aray espousé de ma volunté et
bon gré que vous, voire tant que me serez loyal et entier, que j'espere
que vous serez. Et en approbacion de ce, je vous donne ceste verge, qui
est d'or esmaillée de larmes noires. Et, si d'adventure on me vouloit
ailleurs marier, je me defendray tellement et tiendray telz termes que
vous devrez de moy estre content, et vous monstreray que je vous veil
tenir sans faulser ma promesse. Or je vous prie que tantost que vous
serez arresté, où que ce soit, que m'escrivez de voz nouvelles, et je
vous rescriray des miennes.--Ha! ma bonne maistresse, ce dit Gerard, or
voy-je bien qu'il fault que je vous abandonne pour ung espace. Je prie à
Dieu qu'il vous doint plus de bien et plus de joye qu'il ne m'appartient
d'en avoir. Vous m'avez fait de vostre grace, non pas que j'en soye
digne, une si haulte et honorable promesse, qu'il n'est pas en moy de
vous en savoir seullement et suffisamment mercier. Et encores ay-je
mains le povoir de le deservir; mais pourtant ne demeure pas que je n'en
aye bien la parfecte cognoissance, et si vous ose bien faire la pareille
promesse, vous suppliant trèshumblement et de tout mon cueur que mon bon
et loyal vouloir me soit reputé de tel et aussi grand merite que s'il
partist de plus homme de bien que moy. Et adieu, ma dame; mes yeulx
demandent leur tour d'audience, qui couppent à ma langue son parler.» Et
à ces motz la baisa, et elle luy trèsserrément, et puis en allèrent
chacun en leur chambre plaindre ses douleurs, Dieu scet! plorant des
yeux, du cueur et de la teste. Au fort, à l'heure qu'il se faillit
monstrer, chacun s'efforça de faire aultre chère de semblant et de
bouche que le desolé cueur ne faisoit. Et pour abreger, Gerard fist tant
en peu de jours qu'il obtint congé de son maistre, qui ne fut pas trop
difficile à impetrer, non pas pour faulte qu'il eust faicte, mais à
l'occasion des amours de luy et de Katherine, dont les amys d'elle
estoient mal contens, pour tant que Gerard n'estoit pas de si grand lieu
ne de si grande richesse comme elle estoit; et pour ce doubtoient qu'il
ne la fiançast. Ainsi n'en advint pas, et si se partit Gerard, et fist
tant par ses journées qu'il vint ou pays de Barrois, et trouva retenance
en l'ostel d'un grand baron du païs. Et luy arresté, tantost manda et
fist savoir à sa dame de ses nouvelles, qui en fut très joyeuse, et par
son message mesmes luy rescripsit de son estat et du bon vouloir qu'elle
avoit et aroit vers luy tant qu'il veille estre loyal. Or vous fault-il
savoir que, tantost que Gerard fut parti de Brabant, pluseurs
gentilzhommes, escuyers et chevaliers, se vindrent accointer de
Katherine, desirans sur toutes aultres sa bienveillance et sa grace,
qui, durant le temps que Gerard servoit et estoit present, ne se
monstroient n'apparoient, sachant de vray qu'il alloit devant eulx à
l'offerende. Et de fait pluseurs la requisrent à monseigneur son père de
l'avoir en mariage; et entre aultres y en vint ung qui luy fut agréable.
Si manda pluseurs ses amis et sa fille aussi, et leur remonstra comment
il estoit desja ancien, et que ung des grans plaisirs qu'il pourroit en
ce monde avoir, ce seroit de veoir sa fille en son vivant bien allyée.
Leur dist au surplus: «Ung tel gentilhomme m'a fait demander ma fille.
Ce me semble trèsbien son fait, et si vous le me conseillez et ma fille
me veille obéir, il ne sera pas escondit en sa trèshonorable et
raisonable requeste.» Tous ses amis et parens loèrent et accordèrent
beaucop ceste aliance, tant pour les vertuz, richesses et aultres biens
du dit gentilhomme. Et, quant vint à savoir la volunté de la bonne
Katherine, elle se cuidoit excuser de non soy vouloir marier,
remonstrant et allegant pluseurs choses dont elle se cuidoit desarmer et
eslonger ce mariage; mais en la parfin elle fut ad ce menée que s'elle
ne vouloit estre en la male grace de père, de mère, de parens, de amis,
de maistre et de maistresse, qu'elle ne tiendroit point la promesse
qu'elle avoit faite à Gerard son serviteur. Si s'advisa d'un trèsbon
tour pour contenter tous ses parens, sans enfraindre la loyauté qu'elle
veult tenir à son serviteur, et dit: «Mon trèsredoubté seigneur et père,
je ne suis pas celle qui vous vouldroye en manière du monde desobéir,
voire sans la promesse que j'aroie faicte à Dieu mon createur, de qui je
tiens plus que de vous. Or est-il ainsi que je m'estoye en luy resolue,
et proposé et promis luy avoie en mon cueur, non pas de jamais moy
marier, mais de le non faire encore, ne encore, attendant que par sa
grace enseigner me voulsist cest estat, ou aultre plus seur, pour
saulver ma pouvre ame. Neantmains, pource que je suis celle qui pas ne
veil troubler, où je puisse bonnement à l'encontre, je suis contente
d'emprandre l'estat de mariage, ou aultre tel qu'il vous plaira,
moyennant qu'il vous plaise me donner congié ainçois faire ung
pelerinage à saint Nicolas de Warengeville, lequel j'ay voué et promis
avant que jamais je change l'estat où je suis.» Et ce dit-elle affin
qu'elle puisse veoir son serviteur en chemin et luy dire comment elle
estoit forcée et menée contre son veil. Le père ne fut pas moyennement
joyeux d'oyr le bon vouloir et la sage response de sa fille, et luy
accorda sa requeste, et prestement voult disposer de son partement, et
desjà disoit à madame sa femme, sa fille presente: «Nous luy baillerons
ung tel gentilhomme, ung tel et ung tel; Ysabeau, et Margarite, et
Jehanneton; c'est assez pour son estat.--Ha! Monseigneur, dit Katherine,
nous ferons aultrement, s'il vous plaist. Vous savez que le chemin de cy
à saint Nicolas n'est pas bien seur, mesmement pour gens qui mainent
estat et conduisent femmes; et à quoy on doit bien prendre garde, je n'y
saroie ainsi aller sans grosse despence; et aussi c'est une grande bée,
et s'il nous advenoit meschef ou d'estre prins ou destroussez de biens
ou de nostre honneur, que jà Dieu ne veille! ce seroit un merveilleux
desplaisir. Si me semble bon, sauve toutesfoiz vostre bon plaisir, que
me feissez faire ung habillement d'homme et me baillassez en la
conduicte de mon oncle le bastard, chacun monté sur ung petit cheval.
Nous irons plus tost, plus seurement et à mains de despense; et, si
ainsi le vous plaist faire, je l'entreprendray plus hardiement que d'y
aller en estat.» Ce bon seigneur pensa ung peu sur l'advis de sa fille
et en parla à madame sa femme; si leur sembla que l'ouverture qu'elle
faisoit luy partoit d'ung grand sens et de bon vouloir. Si furent ses
choses prestes tantost pour partir, et ainsi se misrent au chemin, la
belle Katherine et son oncle le bastard, sans aultre compaignie,
habillez à la fasson d'Allemagne, bien et gentement, et estoit Katherine
le maistre, et l'oncle le varlet. Ilz firent tant par leurs journées que
leur pelerinage, voire de saint Nicolas, fut acomply. Et comme ilz se
mettoient au chemin de retour, loans Dieu qu'ilz n'avoient encores eu
que tout bien, et devisans de pluseurs aultres choses, Katherine va dire
à son oncle: «Mon oncle, mon amy, vous savez qu'il est à moy, la mercy
Dieu, qui suys seulle heritière de monseigneur mon père, de vous faire
beaucop de biens, laquelle chose je feray voluntiers, quand en moy sera,
si vous me voulez servir en une menue queste que j'ay entreprinse: c'est
d'aller en l'ostel d'ung seigneur de Barrois, qu'elle luy nomma, veoir
Gerard, que vous savez. Et affin que, quant nous reviendrons, puisse
compter quelque chose de nouveau, nous demanderons leans retenance; et,
si nous la povons obtenir, nous y serons par aucuns jours et verrons le
pays; et ne doubtez que je n'y garde mon honneur, comme une bonne fille
doit faire.» L'oncle, esperant que mieulx luy en seroit cy après, et
qu'el est si bonne qu'il n'y fault jà guet sur elle, fut content de la
servir et de l'accompagner en tout ce qu'elle vouldra. Il fut beaucop
mercyé, ne doubtez; et dès lors conclurent qu'il appellera sa niepce
Conrard. Ilz vindrent assez tost, comme on leur enseigna, ou lieu
desiré, et s'adrecèrent au maistre d'ostel du seigneur, qui estoit ung
ancien escuyer, qui les receut, comme estrangiers, trèslyement et
honorablement. Conrard luy demanda si monseigneur son maistre ne
vouldroit pas le service d'un jeune gentilhomme qui queroit adventure et
demandoit à veoir païs. Le maistre d'ostel demanda dont il estoit, et
il luy dist qu'il estoit de Brabant. «Or bien, dist-il, vous viendrez
disner ceans, et après disner j'en parleray à monseigneur.» Il les fist
tantost conduire en une trèsbelle chambre, et envoya couvrir la table et
faire beau feu et apporter la souppe, et la pièce de mouton, et le vin
blanc, attendant le disner. Et s'en ala devers son maistre, et luy
compta la venue d'un jeune gentilhomme de Brabant, qui le vouldroit bien
servir. Le seigneur estoit content, si luy semble bien son fait. Pour
abreger, quand il eut servy son maistre, il s'en vint devers Conrard
pour luy tenir compaignie au disner, et avecques luy amena, pour ce
qu'il estoit de Brabant, le bon Gerard dessus nommé, et dist à Conrard:
«Véez cy ung gentilhomme de vostre pays.--Il soit le trèsbien trouvé,
dist Conrard.--Et vous le trèsbien venu», ce dit Gerard. Mais créez
qu'il ne recognut pas sa dame, mais elle luy trèsbien. Durant que ces
accointances se faisoient, la viande fut apportée, et s'assiet après le
maistre d'ostel chacun en sa place. Ce disner dura beaucop à Conrard,
esperant après d'avoir de bonnes devises avec son serviteur, mais
pensant aussi qu'il la recognoistra tantost, tant à la parolle comme aux
responses qu'elle luy fera de son pais de Brabant; mais il ala tout
aultrement, car oncques durant le disner le bon Gerard ne demanda après
homme ne femme de Brabant, dont Conrard ne savoit que penser. Ce disner
fut passé, et après disner monseigneur retint Conrard en son service.
Et le maistre d'ostel, trèssachant homme, ordonna que Gerard et Conrard,
pour ce qu'ilz sont d'un pays, auroient chambre ensemble. Après ceste
retenue, Gerard et Conrard se prennent à braz et s'en vont veoir leurs
chevaulx; mais à deable Gerard s'il parla oncques ne demanda rien de
Brabant. Si se print à doubter le pouvre Conrard, c'est assavoir la
belle Katherine, qu'elle estoit mise avec les pechez obliez, et que,
s'il en estoit rien à Gerard, il ne se pourroit tenir qu'il n'en
demandast, ou au mains du seigneur et de la dame où elle demouroit. La
pouvrette estoit, sans guères le monstrer, en grant destresse de cueur,
et ne savoit lequel faire, ou de soy encores celer et l'esprouver par
subtilles paroles, ou de soy prestement faire cognoistre. Au fort, elle
s'arresta que encores demourra Conrard et ne deviendra pas Katherine, si
Gerard ne tient aultre manière. Ce soir se passa comme le disner, et
vindrent en leur chambre Gerard et Conrard, parlans de beaucop de
choses, mais il n'y venoit nulz propos en termes que pleussent à
Conrard. Quand elle vit qu'il ne dira rien si on ne luy mect en bouche,
elle luy demanda de quelz gens il estoit de Brabant, et il en respondit
ce que bon luy sembla. «Et congnoissez-vous pas, dit-elle, ung tel
seigneur, et une telle dame, et ung tel?--Saint Jehan! oy, dit-il.» Et
au derrenier elle luy nomma le seigneur où ilz demouroient. Et il dist
qu'il le cognoissoit bien, sans dire qu'il y eust demouré. «On dit, ce
dit-elle, qu'il y a de belles filles leans; en cognoissez-vous
nulles?--Bien peu, dit-il, et aussi il ne m'en chault; laissez-moy
dormir, je meurs de somme.--Comment, dit-elle, povez-vous dormir quand
on parle de belles filles? Ce n'est pas signe que vous soiez amoureux.»
Il ne respondit mot, mais s'endormit comme ung pourceau; et la pouvre
Katherine se doubta tantost de ce qui estoit, mais elle conclud qu'elle
l'esprouvera plus avant. Quant vint à l'endemain, chascun s'abilla,
parlant et devisant de ce que plus luy estoit, Gerard de chiens et
d'oiseaulx, Conrard des belles filles de leans et de Brabant. Quand vint
après disner, Conrard fist tant qu'il destourna Gerard des aultres, et
luy va dire que le païs de Barrois desjà luy desplaisoit, et que
vraiement Brabant est toute aultre marche, et en son langage luy donna
assez à cognoistre que le cueur luy tiroit fort devers Brabant. «A quel
propos? ce dit Gerard; que voiez-vous en Brabant qui n'est icy? et
n'avez vous pas icy les belles forestz pour la chasse, les belles
rivières, les belles plaines tant plaisantes que à souhaiter, pour le
deduyt des oyseaulx en temps de gibier et aultre?--Encores n'est ce
rien, ce dit Conrard; les femmes de Brabant sont bien aultres, qui me
plaisent bien autant et plus que voz chasses et voleries.--Saint Jehan!
c'est aultre chose, ce dit Gerard; vous y seriez hardyement amoureux en
vostre Brabant, je l'oz bien.--Par ma foy, ce dit Conrard, il n'est jà
mestier qu'il vous soit celé, je y suis amoureux voirement. Et à ceste
cause m'y tire le cueur tant roiddement et si fort que je faiz doubte
que force me sera d'abandonner vostre Barrois, car il ne me sera pas
possible à la longue de longuement vivre sans veoir ma dame.--C'est
folie donc, ce dit Gerard, de l'avoir laissé, si vous vous sentez si
inconstant.--Inconstant! mon amy; et où est celuy qui puist mestrier
loyaux amoureux? Il n'est si advisé ne si sage qui s'i sache souvent
conduire. Amours bannist souvent de ses servans et sens et raison.» Ce
propos sans plus avant le deduire se passa, et fut heure de souper; et
ne se reatelèrent à deviser tant qu'ilz furent au lict couchez. Et créez
que de par Gerard jamais n'estoit nouvelle que de dormir, se Conrard ne
l'eust assailly de procès, qui commença une piteuse, longue et doloreuse
plaincte après sa dame, que je passe, pour abreger. Et si dit en la fin:
«Helas! Gerard, et comment povez-vous avoir envye de dormir emprès de
moy qui suis tant eveillé, qui n'ay esperit qui ne soit plain de
regretz, d'ennuy et de soucis? C'est merveille que vous n'en estes ung
peu touché; et creez, si c'estoit maladie contagieuse, vous ne seriez
pas seurement si près sans avoir des esclabotures. Helas! je vous prie,
si vous n'en sentez nulles, aiez au mains compassion de moy qui meurs
sur bout si je ne voy bien bref ma dame.--Je ne vy jamais si fol
amoureux, ce dit Gerard; et pensez vous que je n'aye point esté
amoureux? Certes je sçay bien que c'est, car j'ay passé par là comme
vous, certes si ay; mais je ne fuz oncques si enragé que d'en perdre le
dormir ne la contenance, comme vous faictes à present: vous estes beste,
et ne prise point votre amour ung blanc. Et pensez-vous qu'il en soit
autant à vostre dame? Nenny, nenny.--Je suis tout seur, ce dit Conrard,
que si; elle est trop loyalle pour m'oblier.--A dya, vous direz ce que
vous vouldrez, ce dit Gerard, mais je ne croiray jà que femmes soient si
loyalles que pour tenir telz termes; et ceulx qui le cuident sont
parfaiz coquars. J'ay amé comme ung aultre, et encore en ayme je bien
une. Et pour vous dire mon fait, je party de Brabant à l'occasion
d'amours, et à l'heure de mon partement j'estoie bien avant en la grace
d'une trèsbelle, bonne et noble fille, que je laissay à trèsgrant
regret; et me despleut beaucop par aucuns pou de jours d'avoir perdu sa
presence, non pas que j'en laissasse le dormir, ne boire, ne menger,
comme vous. Quand je me vy ainsi d'elle éloigné, je vouluz user pour
remède du conseil d'Ovide, car je n'eu pas si tost accointance ne entrée
ceans que je ne priasse une des belles filles qui y soit; et ay tant
fait, la Dieu mercy! qu'elle me veult beaucop de bien, et je l'ayme
beaucop aussi. Et par ce point me suys-je deschargé de celle que par
avant amoye, et ne m'en est à present non plus que celle qu'oncques ne
viz, tant m'en a rebouté ma dame de present.--Et comment, ce dit
Conrard, est-il possible, si vous amiez bien l'aultre, que vous la
puissez si tost oublier et abandonner? Je ne le sçay entendre, moy, ne
concepvoir comment il se peut faire.--Il s'est fait toutefoiz, ce dit
Gerard; entendez le si vous voulez.--Ce n'est pas bien gardé loyauté, ce
dit Conrard; quant à moy, j'aymeroie plus cher morir mille foiz, si
possible m'estoit, que d'avoir fait à ma dame si grande faulseté. Et jà
Dieu ne me laisse tant vivre que j'aye non pas tant seulement le vouloir
ne une seule pensée de jamais amer ne prier aultre qu'elle.--Tant estes
vous plus beste, ce dit Gerard, et si vous maintenez ceste folie, jamais
vous n'arez bien et ne ferez que songer et muser, et secherez sur terre
comme la belle herbe dedans le four chault, et serez homicide de vous
mesmes; et si n'en arés jà gré; mesme, que plus est, vostre dame n'en
fera que rire, si vous estes si eureux qu'il vienne à sa
cognoissance.--Comment! ce dit Conrard, vous savez d'amours bien avant;
je vous requier doncques que veillez estre mon moien ceans ou aultre
part que je face dame par amours, asavoir mon si je pourroie garir comme
vous.--Je vous diray, ce dit Gerard, je vous feray demain deviser à ma
dame, et aussi je luy diray que nous sommes compaignons et qu'elle face
vostre besoigne à sa compaigne; et je ne doubte point que, si vous
voulez, qu'encores n'ayons du bon temps, et que bien bref se passera la
resverie qui vous affole, voire si à vous ne tient.--Si ce n'estoit
faulser mon serment à ma dame, je le desireroye beaucop, ce dit Conrard;
mais au fort j'essaieray comment il m'en prendra.» Et à ces motz se
retourna Gerard et tantost s'endormit. Et la trèsbelle Katherine estoit
de mal tant oppressée, voyant et oyant la desloyauté de celuy qu'elle
aymoit plus que tout le monde, qu'elle se souhaitoit morte. Non pourtant
elle adossa la tendreur feminine, et s'adouba de virile vertu. Car elle
eut bien la constance de longuement et largement lendemain deviser
avecques celle qui luy faisoit tort de la rien au monde que plus cher
tenoit; mesmes forsa son cueur, et ses yeulx fist estre notaires de
pluseurs entretenances à son trèsgrand et mortel prejudice. Comme elle
estoit en parolles avecques sa compaigne, elle apperceut la verge que au
partir donna à son desloyal serviteur, qui luy parcreut ses doleurs;
mais elle ne fut pas si fole, non pas par convoitise de la verge,
qu'elle ne trouva bonne gracieuse fasson de la regarder et bouter en son
doy. Et sur ce point, comme non y pensant, se part et s'en va. Et
tantost que le souper fut passé, elle vint à son oncle et lui dit: «Nous
avons assez esté Barroisiens, il est temps de partir; soiez demain prest
au point du jour, et aussi seray-je. Et regardez que tout nostre bagage
soit bien attinté. Venez si matin qu'il vous plaist.--Il ne vous fauldra
que monter», repondit l'oncle. Or devez vous savoir que tantdis, puis
souper, que Gerard devisoit avec sa dame, celle qui fut s'en vint en sa
chambre et se mect à escripre unes lettres qui narroient tout du long et
du lé les amours d'elle et Gerard, comme les promesses qu'ilz
s'entrefirent au departir, comment on l'avoit voulue marier, le refus
qu'elle en fist, et le pelerinage qu'elle emprinst pour sauver son
serment et se rendre à luy; la desloyaulté dont elle l'a trouvé saisy,
tant de bouche comme d'oeuvre et de fait. Et pour les causes dessus
dictes, elle se tient pour acquittée et desobligée de son serment et
promesse qu'elle jadiz luy fist. Et s'en va vers son pais, et ne le
quiert jamais ne veoir, ne rencontrer, comme le plus desloyal qu'il est
qui jamais priast femme. Et si emporte la verge qu'elle luy donna, qu'il
avoit desjà mise en main sequestre. Et si se peut bien vanter qu'il a
couché par trois nuiz au plus près d'elle; s'il y a que bien, si le dye,
car elle ne le craint. Escript de la main de celle dont il peut bien
cognoistre la lettre, et au dessoubz: «Katherine, etc., surnommée
Conrard»; et sur le dos: «Au desloyal Gerard, etc.». Elle ne dormit pas
guères la nuyt, et aussitost qu'on vit du jour, elle se leva tout
doulcement, et s'abilla sans ce qu'oncques Gerard s'en eveillast, et
prend sa lettre qu'elle avoit bien close et fermée, et la bouta en la
manche du pourpoint de Gerard; et à Dieu le commenda tout en basset, en
plorant tendrement, pour le grand deuil qu'elle avoit du trèsfaulx tour
qu'il luy avoit joué. Gerard, qui dormoit, mot ne luy respondit. Elle
s'en vint devers son oncle, qui luy bailla son cheval, et elle monte et
puis tire païs tant qu'ilz vindrent en Brabant, où ilz furent receuz
joyeusement, Dieu le scet. Et fut bien qui leur demanda des adventures
de leur voyage; mais quoy qu'ilz respondissent, ilz ne se vantèrent pas
de la principale. Pour parler comment il advint à Gerard, quant vint le
jour du partement de la bonne Katherine, environ dix heures, il
s'esveilla, et regarde que son compaignon estoit levé; si pensa qu'il
estoit tard, si sault sus tout en haste et saisit son pourpoint; et
comme il boutoit son bras dedans l'une des manches, il en saillit une
lettre, dont il fut assez esbahy, car il ne luy souvenoit pas que nulles
y en eust bouté. Il les releva toutesfoiz, et voit qu'elles sont
fermées; et avoit au dos escript: «Au desloyal Gerard, etc.» Si par
avant fut esbahy, encores le fut-il beaucop plus. A chef de pièce, il
les ouvrit et voit la soubscription qui disoit Katherine surnommée
Conrard. Si ne scet que penser; il les leut neantmains; en lysant, le
sang luy monte et le cueur luy fremist, et devint tout alteré de manière
et de coleur. A quelque meschef que ce fut, il escheva de lyre sa
lettre, par laquelle il cognent que sa desloyaulté estoit venue à la
cognoissance de celle qui luy vouloit tant de bien: non qu'elle sceust
estre tel au rapport d'aultruy, mais elles mesmes en personne en a la
vraye informacion; et, qui plus près du cueur luy touche, il a couché
trois nuiz avec elle sans l'avoir guerdonnée de la peine qu'elle avoit
prinse que de si loing le venir esprouver. Il ronge son frain aux dens
et tout vif enrage quand il se voit en celle peleterie. Et après beaucop
d'advis, il ne scet aultre remède que de la suyvir; et bien lui semble
qu'il la rataindra. Si prent congié de son maistre, et se met à la voie,
suyvant le froissie des chevaulx de ceulx qu'oncques ne rataindit
jusques ad ce qu'ilz fussent en Brabant, où il vint si à point que
c'estoit le jour des nopces de celle qui l'a esprouvé. Laquelle il cuida
bien aller baiser et saluer, et faire une orde excusance de ses faultes;
mais il ne luy fut pas souffert, car elle luy tourna l'espaule, et ne
sceut tout ce jour ne oncques puis trouver manière ne fasson d'avoir
devises avec elle. Mesmes il s'avanca une foiz pour la mener dancer,
mais elle le refusa plainement devant tout le monde, dont pluseurs se
prindrent garde. Ne demoura guères après que ung aultre gentilhomme
entra dedans, qui fist corner les menestrielz, et s'avança par devant
elle et elle descendit, voyant Gerard, et s'en ala dancer. Ainsi qu'avez
oy perdit le desloyal sa femme. S'il en est encores de telz, ils se
doivent mirer à cest exemple, qui est notoire et advenu depuis naguères.




LA XXVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE BEAUVOIR.


Ce n'est pas chose pou accoustumée, especialement en ce royaume, que les
belles dames et damoiselles se treuvent volontiers et souvent en la
compaignie des gentilz compaignons. Et à l'occasion des bons et joyeux
passetemps qu'elles ont avec eulx, les gracieuses et doulces requestes
qu'ilz leurs font ne sont pas si difficiles à impetrer. A ce propos, n'a
pas long temps que ung trèsgentil homme qu'on peut mettre ou renc et du
compte des princes, dont je laisse le nom en ma plume, se trouva tant en
la grace d'une trèsbelle damoiselle qui mariée estoit, dont le bruit
n'est pas si pou cogneu que le plus grand maistre de ce royaume ne se
tenist trèseureux d'en estre retenu serviteur, laquelle luy voult de
fait monstrer le bien qu'elle luy vouloit. Mais ce ne fut pas à sa
première volunté, tant l'empeschoient les anciens adversaires et ennemis
d'amours. Et par espécial plus luy nuysoit son bon mary, tenant le lieu
en ce cas du trèsmaudit Dangier: car, si ne fust-il, son gentil
serviteur n'eust pas encores à luy tollir ce que bonnement et par
honneur donner ne luy povoit. Et pensez que ce serviteur n'estoit pas
moyennement mal content de ceste longue attente, car l'achevement de sa
gente chasse luy estoit plus grand eur et trop plus desiré que nul
aultre quelconque bien qui luy povoit jamais advenir. Et à ceste cause,
tant continua son pourchaz que sa dame luy dist: «Je ne suis pas mains
desplaisante que vous, par ma foy, que je ne vous puiz faire aultre
chère; mais vous savez, tant que mon mary soit ceans, force est qu'il
soit entretenu.--Helas! dist-il, et n'est-il moien qui se puisse trouver
d'abreger mon dur et cruel martire?» Elle qui, comme dessus est dit,
n'estoit pas en maindre desir de se trouver à part avec son serviteur
que luy mesme, luy dit: «Venez ennuyt, à certaine heure, qu'elle luy
baillast, hourter à ma chambre; je vous feray mettre dedans, et
trouveray fasson d'estre delivrée de mon mary, si fortune ne destourne
mon emprinse.» Le serviteur n'oyt jamais chose qui mieulx luy pleust;
et, après les mercimens gracieux et deuz en ce cas, dont il estoit bon
maistre et ouvrier, se part d'elle, et s'en va attendant et desirant
l'heure assignée. Or devez vous savoir que environ une bonne heure, ou
plus ou mains, devant l'heure assignée dessus dicte, nostre gentille
damoiselle, avec ses femmes et son mary, qui va derrière, pour ceste
heure estoit en sa chambre retraicte puis le souper; et n'estoit pas,
creez, son engin oiseux, mais labouroit à toute force pour fournir la
promesse à son serviteur; maintenant pensoit d'un, puis maintenant d'un
aultre, mais rien ne luy venoit à son entendement qui peust eloigner ce
maudit mary; et toutesfoiz approuchoit fort l'heure trèsdésirée. Comme
elle estoit en ce profond penser, fortune luy fut si trèsamye que mesme
son mary donna le trèsdoulx advertissement de sa dure cheance et male
adventure, convertie en la personne de son adversaire, c'est assavoir du
serviteur dessus dit, en joye non pareille, déduit, solaz et lyesse très
accomplie. Et veez cy la fasson. Le pouvre mary, voyant sa femme ung peu
muser et ententivement penser, et ne savoit à qui ne à quoy, la
regardoit trèsfort, puis l'une puis l'autre des femmes de leans, et
aucunes foiz par la chambre. Tant regarda sans mos dire qu'il perceut
d'adventure au pié de la couchette ung bahu qui estoit à sa femme. Et
affin de la faire parler et l'oster hors de son penser, demanda de quoy
servoit ce bahu en la chambre, et à quel propos on ne le portoit point
en la garderobe ou en quelque aultre lieu, sans en faire leans parement.
«Il n'y a point de peril, Monseigneur, ce dit madamoiselle; ame ne vient
icy que nous; aussi je l'y ay fait laissier tout à propos pour ce
qu'encores sont aucunes de mes robes dedans; mais n'en soiez jà mal
content, mon amy; ces femmes l'osteront tantost.--Mal content! dit-il;
nenny, par ma foy; je l'ayme autant icy que ailleurs, puis qu'il vous
plaist; mais il me semble bien petit pour y mettre voz robes bien à
l'aise, sans les froisser, attendu les grandes et longues queues qu'on
fait aujourd'huy.--Par ma foy, Monseigneur, dit-elle, il est assez
grand.--Il ne le me peut sembler vraiement, dit-il, et le regardez
bien.--Or ça, Monseigneur, voulez faire un gage à moy?--Oy vraiement,
dit-il, quel sera-il?--Je gageray à vous, s'il vous plaist, pour une
demye douzaine de bien fines chemises encontre le satin d'une cotte
simple, que nous vous bouterons bien dedans tout ainsy que vous
estes.--Par ma foy, dit-il, je gage que non.--Et je gage que si.--Or
avant, ce dirent les femmes, nous verrons qui le gaignera.--A
l'esprouver le scera l'on, dit monseigneur.» Et lors s'avance et fist
tirer du bahu les robes qui dedans estoient; et quand il fut vuide,
madamoiselle et ses femmes à quelque peine firent tant que monseigneur
fut dedans tout à son aise. Et à cest cop fut grande la noise, et autant
joyeuse, et madamoiselle alla dire: «Or, monseigneur, vous avez perdu la
gaigeure, vous le congnoissez bien, faictes pas?--Ma foy, oy, dit-il,
c'est raison.» Et, en disant ces parolles, le bahu fut fermé, et tout
jouant, riant et esbatant, prindrent toutes ensemble et homme et bahu,
et l'emportèrent en une petite garderobe assez loing de la chambre, et
là le laissèrent. Et il crye et se demaine, faisant grand noise; mais
c'est pour néant, car il fut là laissé toute la belle nuyt, pense,
dorme, face du mieulx qu'il peut: car il est ordonné par madamoiselle et
son estroit conseil qu'il n'en partira meshuy, pource qu'il a tant
empesché le lieu de celuy qu'elle ayme beaucop mieulx que luy. Pour
retourner à la matière de nostre propos encommencé, nous lairrons nostre
nomme ou bahu, et dirons de madamoiselle, qui attendoit son serviteur
avec ses femmes, qui estoient telles, si bonnes et si secretes, que rien
ne leur estoit celé de ses affaires. Lesquelles savoient bien que le
bien amé serviteur, si à luy ne tenoit, tiendra la nuyt le lieu de celuy
qui ou bahu fait maintenant sa penitence. Ne demoura guères que le bon
serviteur, sans faire effroy ne bruyt, vint hurter à la chambre; et au
hurt qu'il fist on le cogneut tantost, et là fut bien qui le bouta
dedans. Il fut receu joyeusement et lyement, et entretenu doulcement de
madamoiselle et sa compaignie, et ne se donna garde qu'il se trouva tout
seul avec sa dame, qui luy compta bien au long la bonne fortune que Dieu
leur a donnée, c'est asavoir comment elle fist la gageure à son mary
d'entrer ou bahu, comment il y entra, et comment elle et ses femmes
l'ont porté en une garderobe. «Comment! ce dit le serviteur, je ne
cuidoye point qu'il fust céans; par ma foy, je pensoie, moi, que vous
eussiés trouvé aucune fasson de l'envoier ou faire aller dehors, et que
j'eusse icy meshuy tenu son lieu.--Vous n'en yrez pas pourtant dehors,
dit-elle, il n'a garde de yssir dont il est, et si a beau crier, il
n'est ame de nulz sens qui le puist oyr; et croiez qu'il y demourra
meshuy par moy; si vous le voulez desprisonner, je m'en rapporte à
vous.--Nostre Dame, dist-il, s'il ne sailloit tant que je l'en feisse
oster, il aroit bel attendre.--Or faisons donc bonne chère, et n'y
pensons plus.» Pour abréger, chacun se despoilla, et se couchèrent les
deux amans dedans le trèsbeau lit, bras à bras, et firent ce pourquoy
ilz estoient assemblez, qui mieulx vault estre pensé des lysans qu'estre
noté de l'escripvant. Quant vint au point du jour, le gentil serviteur
se partit de sa dame au plus secretement qu'il peut, et vint à son logis
dormir, j'espoire, ou desjeuner: car de tous deux avoient besoin.
Madamoiselle, qui n'estoit pas mains subtille que sage et bonne, quand
il fut heure, se leva et dist a ses femmes: «Il sera desormais heure de
oster nostre prisonnier; je vois oyr qu'il dira et s'il se vouldra
mettre à finance.--Mettez tout sur nous, ce dirent-elles, nous
l'appaiserons bien.--Creez que si feray-je», dit-elle. Et à ces motz se
seigne et s'en va; et comme non pensant ad ce qu'elle faisoit, tout
d'aguet et à propos entra dedans la garderobe où son mary encores estoit
dedans le bahu clos. Et quant il l'oyt, il commença à faire grand noise
et crier à la volée: «Qu'est cecy! me lairra l'on cy dedans?» Et sa
bonne femme, qui l'oyt ainsi demener, respondit effrayement et comme
craintivement, faisant l'ignorante: «Emy! qu'est-ce là que j'oy
crier?--C'est moy, de par Dieu, c'est moy, dit le mary.--C'est vous,
dit-elle, et dont venés vous à ceste heure?--Dont je viens? dit-il; et
vous le savez bien, madamoiselle, il ne fault jà qu'on le vous die; mais
vous faictes de moy, au fort je feray quelque jour de vous.» Et s'il
eust enduré, ou osé, il se fust très voluntiers courroucié et eust dit
villannie à sa femme. Et elle, qui le cognoissoit, luy couppa la parolle
et dist: «Monseigneur, pour Dieu, je vous crye mercy; par mon serment,
je vous asseure que je ne vous cuidoie pas icy à ceste heure; et creez
que je ne vous y eusse pas quis, et ne me sçay assez esbahir dont vous
venez à y estre encores: car je chargé hier soir à ces femmes qu'elles
vous missent dehors, tandiz que je diroye mes heures, et elles me dirent
que si feroient elles. Et de fait l'une me vint dire que vous estiez
dehors et desjà allé en la ville, et que ne reviendriez meshuy. Et à
ceste cause, je me couchay assez tost après sans vous attendre.--Saint
Jehan! dit-il, vous veez qu'est ce; or vous avancez de moy tirer d'icy,
car je suis tant las que je n'en puis plus.--Cela feray-je bien,
monseigneur, dit-elle, mais ce ne sera pas devant que vous n'ayez promis
de moy paier de la gaigeure qu'avez perdue; et pardonnez moy toutesfoiz,
car autrement ne le puis faire.--Et avancez, de par Dieu, dit-il; je le
paieray voirement.--Et ainsi vous le promettez?--Oy, par ma foy.» Et ce
procès finy, madamoiselle defferma le bahu et monseigneur yssit dehors,
lassé, froissé et traveillé. Et elle le prend à braz et baise et accole
tant doulcement qu'on ne pourroit plus, en luy priant pour Dieu qu'il ne
soit point mal content. Et le pouvre cocquard dit que non est-il,
puisqu'elle n'en savoit rien; mais il punyra trop bien ses femmes, s'il
y peut advenir. «Par ma foy, monseigneur, dit-elle, elles se sont bien
vengées de vous; je ne doubte point que vous ne leur ayez aucune chose
meffait.--Non ay, certes, que je sache, mais creez que le tour qu'elles
m'ont joé leur sera cher vendu.» Il n'eut pas finé ce propos quand
toutes ces femmes entrèrent dedans, qui si très fort rioyent et de si
grand cueur qu'elles ne sceurent mot dire grand pièce après. Et
monseigneur, qui devoit faire merveilles, quand il les vit rire en ce
point, ne se peut tenir de les contrefaire. Et madamoiselle, pour luy
faire compaignie, ne s'i faignoit point. Là veissez une merveilleuse
risée et d'un costé et d'aultre, mais celuy qui en avoit le mains cause
ne s'en pouvoit ravoir. A chef de pièce ce passetemps cessa, et dist
monseigneur: «Mesdamoiselles, je vous mercye beaucop de la courtoisie
que m'avez ennuyt faicte.--A vostre commendement, respondit l'une,
encores n'estes vous pas quitte: vous nous avez fait et faictes
tousjours tant de peine et de meschef que nous vous avons gardé ceste
pensée; et n'avons aultre regret que plus n'y avez esté. Et si
n'eussions sceu de vray qu'il n'eust pas bien pleu à madamoiselle,
encore y fussez vous; et prenez en gré.--Est-ce cela? dit-il. Or bien,
bien: vous verrez comment il vous en prendra; et par ma foy je suis bien
gouverné, quand avec tout le mal que j'ay eu l'on ne me fait que farser;
et encores, qui pis est, il me fault paier la cotte simple de satin. Et
vrayement je ne puis à mains que d'avoir les chemises de la gaigeure, en
recompensacion de la peine qu'on m'a fait.--Il n'y a, par Dieu, que
raison, dirent les damoiselles; nous voulons en ce estre pour vous,
monseigneur, et vous les arez; n'ara pas, madamoiselle?--Et à quel
propos, dit-elle? il a perdu la gaigeure.--Dya, nous savons bien cela,
il ne les peut avoir de droit; aussi ne les demande-il pas à ceste
intencion, mais il les a bien deservies en aultre manière.--A cela ne
tiendra-il pas, dit-elle, je feray voluntiers finance de la toille; et
vous, mesdamoiselles, qui tant bien procurez pour luy, vous prendrez
bien la peine de les coudre.--Oy vrayement, oy, madamoiselle.» Comme ung
chien qui ne fault que escourre la teste au matin quand il se lève qu'il
ne soit prest, estoit monseigneur; car il ne luy faillit que une
secousse de verges à nettoier sa robe et ses chausses qu'il ne fut
prest. Et ainsi à la messe s'en va, et madamoiselle et ses femmes le
suyvent, qui faisoient de luy, je vous asseure, grans risées; et creez
que la messe ne se passa pas sans foison de ris soudains, quand il leur
souvenoit du giste que monseigneur a fait ou bahu, lequel ne le scet,
encores qui fut celle nuyt enregistré ou livre qui n'a point de nom. Et
si n'est que vienne d'aventure ceste histoire entre ses mains, jamais
n'en ara, si Dieu plaist, la cognoissance, ce que pour rien je ne
vouldroye. Si prye aux lisans qui le cognoissent qu'ilz se gardent bien
de luy monstrer.




LA XXVIIIe NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY, GENTILHOMME DE LA CHAMBRE DE
MONSEIGNEUR.


Se au temps du trèsrenommé et éloquent Boccace l'adventure dont je veil
fournir ma nouvele fust advenue et à son audience ou cognoissance
parvenue, je ne doubte point qu'il ne l'eust adjoustée et mise ou reng
du compte des nobles hommes mal fortunez. Car je ne pense pas que noble
homme eust jamais pour ung coup guères fortune plus dure à porter que le
bon seigneur, que Dieu pardoint, dont je vous compteray l'adventure. Et
se sa male fortune n'est digne d'estre ou dit livre de Boccace, j'en
fais juges tous ceux qui l'orront racompter. Le bon seigneur dont je
vous parle fut en son temps ung des beaulx princes de son royaulme,
garny et adressié de tout ce qu'on saroit loer et priser en ung noble
homme. Et entre aultres ses proprietez, il estoit tel destiné que entre
les dames jamais homme ne le passa de gracieuseté. Or luy advint que, au
temps que ceste sa renommée et destinée florissoit, et qu'il n'estoit
bruyt que de luy, Amours, qui sème ses vertuz où mieux luy plaist et bon
luy semble, fist allyance à une belle fille, jeune, gente, gracieuse et
en bon point en sa fasson, ayant bruyt autant et plus que nulle de son
temps, tant par sa grande et non pareille beaulté comme par ses
trèsloables meurs et vertus; et qui pas ne nuysoit au jeu, tant estoit
en la grace de la royne du pays qu'elle estoit son demy lit, les nuyz
que point ne couchoit avec le roy. Ces amours que je vous dy furent si
avant conduictes qu'il ne restoit que temps et lieu pour dire et faire,
chascun à sa partie, la chose au monde que plus luy pourroit plaire. Ilz
ne furent pas pou de jours pour adviser et elire lieu et place
convenables ad ce faire; mais en la fin celle qui ne desiroit pas mains
le bien de son serviteur que la salvacion de son ame, s'advisa d'un bon
tour, dont tantost l'avertit, disant ce qui s'ensuit: «Mon trèsloyal
amy, vous savés comment je couche avec la royne, et que nullement m'est
possible, si je ne vouloie tout gaster, d'abandonner cest honneur et
avancement, dont la plus femme de bien de ce royaume se tiendroit pour
bien eureuse et honorée; combien que par ma foy je vous vouldroye
complaire, et faire autant de plaisir et d'aussi bon cueur que à elle.
Et qu'il soit vray, je le vous monstreray de fait, toutesfoiz sans
abandonner celle qui me fait et peut faire tout le bien et l'onneur du
monde. Je ne pense pas aussi que vous voulsissez que autrement je
feisse.--Non, par ma foy, m'amye, respondit le bon seigneur; mais
toutesfoiz, je vous prie qu'en servant vostre maistresse, vostre loyal
serviteur ne soit point arrière du bien que faire lui povez, qui ne luy
est pas maindre que mieux y vouldroit et desire parvenir que gaigner le
surplus du monde.--Veezcy que je vous feray, dit-elle, monseigneur; la
royne a une levrière, comme vous savez, dont elle est beaucop assotée,
et la fait coucher en sa chambre; je trouveray fasson ennuyt de
l'enclorre hors de la chambre sans qu'elle en sache rien; et quand
chacun sera retrait, je feray ung sault jusques en la chambre de
parement, et deffermeray l'huys, et le lairray ouvert. Et quand vous
penserez que la royne sera couchée, vous viendrez tout secrètement, et
entrerez en la dicte chambre et fermerez l'huys; vous y trouverez la
levrière, qui vous cognoist assez, si se lairra bien approucher de vous;
vous la prendrez par les oreilles et la ferez bien hault crier; et quand
la royne l'orra, elle la cognoistra tantost; si ne me doubte point
qu'elle ne me face lever incontinent pour la mettre dedans. Et en ce
point viendray-je vers vous; si n'y faillez point si jamais vous voulez
parler à moy.--Ha! ma trèschère et loyale amye, dit monseigneur, je vous
mercye tant que je puis, pensez que je n'y fauldray pas.» Et à tant se
part et s'en va, et sa dame aussi, chacun pensant et désirant d'achever
ce qui est proposé. Qu'en vauldroit le long compte? La levrière se cuida
rendre, quand il fut heure, en la chambre de sa maistresse, comme elle
avoit accoustumé, mais celle qui l'avoit condemnée dehors la fist
retraire, en la chambre au plus près. Et la royne se coucha sans ce
qu'elle s'en donnast garde; et assez tost après luy vint faire
compaignie la bonne damoyselle, qui n'attendoit que l'heure d'oyr crier
la levrière et la semonce de bataille. Ne demoura guères que le gentil
seigneur se mist sur les rengs, et tant fist qu'il se trouva en la
chambre où la levrière se dormoit. Il la quist tant au pié et à la main
qu'il la trouva, et puis la print par les oreilles, et la fist hault
crier deux ou trois foiz. Et la royne, qui l'oyt, congneut tantost que
c'estoit sa levrière, et pensa qu'elle vouloit estre dedans; si appela
sa damoiselle et dist: «M'amye, veezla ma levrière qui se plaint là
hors; levez vous, si la mettez dedans.--Voluntiers, madame», ce dist la
damoiselle, et jasoit qu'elle attendist la bataille dont elle mesme
avoit l'heure et le jour assigné, si ne s'arma elle que de sa chemise;
et en ce point s'en vint à l'huys et l'ouvrit, où tantost luy vint à
l'encontre celuy qui l'attendoit. Il fut tant joyeux et tant surprins,
quant il vit sa dame si belle et en si bon point, qu'il perdit force,
sens et advis; et ne fut oncques en sa puissance de tirer sa dague pour
esprouver et savoir s'elle pourroit prendre sur ses cuirasses. Trop bien
de baiser, d'accoler, de manier le tetin, et le surplus, faisoit-il
assez diligence, mais du parfait, nichil! Si fut force à la gente
damoiselle qu'elle retournast sans luy laisser ce que avoir ne povoit se
par force d'armes ne le conquéroit. Et ainsi qu'elle se vouloit partir,
il la cuidoit retenir par force et par belles parolles, mais elle
n'osoit demourer, si luy ferma l'huys au visage et s'en revint par
devers la royne, qui luy demanda s'elle avoit mise sa levrière dedans.
Et elle dit que non, car oncques ne l'avoit sceu trouver, et si avoit
beaucop regardé. «Or bien, dit la roine, toujours l'ara-on; couchez
vous.» Le pouvre amoureux estoit à celle heure, Dieu scet! bien mal
content, qui se voit ainsy deshonoré et adnéanty; et si cuidoit
auparavant bien tant en sa force qu'en mains d'heure qu'il n'avoit esté
avecques sa dame il en eust bien combatu telles troys, et venu au dessus
d'elles à son honneur. Au fort il reprint courage et dit bien à soy
mesmes, s'il est jamais si eureux que de trouver sa dame en si belle
place, elle ne partiroit pas comme elle a fait l'aultre fois. Et ainsi
animé et aguillonné de honte et de désir, il reprend la levrière par les
oreilles, et la tira si rudement, tout courroucé qu'il estoit, qu'il la
fist crier beaucop plus hault qu'elle n'avoit fait devant. Si hucha
arrière à ce cry la royne sa damoiselle, qui revint ouvrir l'huys comme
devant, mais elle s'en retourna devers sa maistresse sans conquester ne
plus ne mains qu'elle fit à l'autre foiz. Or revint à la tierce foiz que
ce pouvre gentilhomme faisoit tout son pouvoir de besoigner comme il
avoit le desir, mais au deable de l'omme s'il peut oncques trouver
manière de fournir une pouvre lance à celle qui ne demandoit aultre
chose, et qui l'attendoit de pié coy. Et quand elle vit qu'elle n'aroit
point son panier percé, et qu'il n'estoit pas à l'aultre de seulement
mettre sa lance en son arrest, quelque avantage qu'elle luy feist,
tantost cogneut qu'elle aroit à la jouste failly, dont elle tint beaucop
mains de bien du jousteur. Elle ne voulut n'osa là plus demourer, pour
acquest qu'elle y feist; si voulut entrer en la chambre, et son amy la
retiroit à force et disoit: «Helas! m'amye, demourez encores ung peu, je
vous en prie.--Je ne puis, dit-elle, je ne puis, laissez moy aler; je
n'ay que trop demouré pour chose que j'aye prouffité.» Et à tant se
retourne vers la chambre, et l'autre la suyvoit, qui la cuidoit
retenir. Et quand elle vit ce, pour le bien payer, et la royne
contenter, elle alla dire tout en haut: «Passez, passez, orde caigne que
vous estes; par Dieu, vous n'y entrerez meshuy, meschante beste que vous
estes.» Et en ce disant, ferma l'huys. Et la royne, qui l'oyt, demanda:
«A qui parlez vous, m'amye?--C'est à ce paillard chien, madame, qui m'a
fait tant de peine de le querir; il s'estoit bouté soubz ung banc là
dedans et caiché tout de plat le museau sur la terre, si ne le savoye
trouver. Et quand je l'ay eu trouvé, il ne s'est oncques daingné lever,
quelque chose que luy aye fait. Je l'eusse trèsvoluntiers bouté dedans,
mais il n'a oncques daigné lever la teste; si l'ay laissé là dehors tout
par despit et fermé l'huys à son visage.--C'est trèsbien fait, m'amye,
dit la royne, couchez vous, couchez vous, si dormirons.» Ainsi que vous
avez oy, fut trèsmal fortuné ce gentil seigneur; et pour ce qu'il ne
peut, quand sa dame voulut, je tien, moy, quand il eust depuis bien la
puissance à commendement, le vouloir de sa dame fut hors de ville.




LA XXIXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


N'a pas cent ans d'huy que ung gentilhomme de ce royaume voulut savoir
et esprouver l'aise qu'on a en mariage; et, pour abreger, fist tant que
le très desiré jour de ses nopces fut venu. Après les bonnes chères et
aultres passetemps accoustumez, l'espousée fut couchée, et il a chef de
pièce la suyvit et se coucha au plus près d'elle, et sans delay bailla
l'assault incontinent à sa forteresse, et tellement qu'en peu d'heure,
quelque meschef que ce fust, il entra ens et la gaigna; mais vous devez
entendre qu'il ne fist pas ceste conqueste sans faire foison d'armes qui
longues seroient à racompter, car ainçois qu'il venist au donjon du
chastel, et force luy fut de gaigner et emporter boulevars, baillés, et
aultres plusieurs fors dont la place estoit bien garnye, comme celle qui
jamais n'avoit esté prinse, dont fust encores nouvelle, et que nature
avoit mis en defense. Quand il fut maistre de la place, il rompit
seulement une lance, et lors cessa l'assault et ploya l'oeuvre. Or ne
fait pas à oublier que la bonne damoiselle, qui se vit en la mercy de ce
gentilhomme son mary, qui desjà avoit fourragié la pluspart de son
manoir, luy voulut monstrer ung prisonnier qu'elle tenoit en ung
trèssecret lieu encloz et enserré; et pour parler plain, elle se
delivra, cy prins cy mis, après ceste première course, d'ung trèsbeau
filz, dont le pouvre mary se trouva si honteux et tant esbahy qu'il ne
savoit sa manière si non de soy taire. Et pour honesteté et pitié de ce
cas, il servit la mère et l'enfant de ce qu'il savoit faire. Mais créez
que la pouvre gentil femme à cest coup gecta ung bien hault et dur cry,
qui de pluseurs fut clerement oy et entendu, qui cuidoient à la vérité
qu'elle gectast ce cry à la despuceller, comme c'est la coustume en ce
royaume. Pendant ce temps, les gentilzhommes de l'ostel où ce nouvel
marié demouroit vindrent hurter à l'huys de ceste chambre et apportèrent
le chaudeau; ilz hurtèrent beaucop sans ce que ame respondist.
L'espousée en estoit bien excusée, et l'espousé n'avoit pas cause de
trop hault caqueter: «Et qu'est ce cy? dirent-ilz, et n'ouvrirez-vous
pas l'huys? Par ma foy, si vous ne vous hastez, nous le romperons; le
chaudeau que nous vous apportons sera tantost tout froit.» Et lors
commencèrent à rehurter de plus belle. Et le nouveau maryé n'eust pas
dit ung mot pour cent francs, dont ceulx de dehors ne savoient que
penser, car il n'estoit pas muet de coustume. Au fort il se leva, et
print une robe longue qu'il avoit, et laissa ses compaignons entrer
dedans, qui tantost demandèrent si le chaudeau estoit gaigné; et qu'ilz
l'apportoient à l'adventure. Et lors fut ung d'entre eulx qui couvrit la
table et mist le beau bancquet dessus, car ilz estoient en lieu pour ce
faire, et où rien n'estoit espergné en tel cas et aultres semblables.
Ilz s'assirent tous au menger, et bon mary print sa place en une chaize
à doz assez près de son lit, tant simple et tant piteux qu'on ne le vous
sauroit dire. Et quelque chose que les aultres dissent, il ne sonnoit
pas ung mot, mais se tenoit comme une droite statue ou une ydole en
quetaille: «Et qu'est cecy? dit l'un, et ne prenez vous point garde à la
bonne chère que nous fait nostre hoste? encores a-il à dire ung seul
mot.--A dya, dit l'autre, ses bourdes sont rabaissées.--Par ma foy, dit
le tiers, mariage est chose de grant vertu: regardez quand pour une
heure qu'il a esté marié il a jà perdu la force de sa langue! S'il l'est
jamais longuement, je ne donneroye pas maille du surplus.» Et à la
verité dire, il estoit auparavant ung trèsgracieux farseur, et tant bien
luy séoit que merveilles; et ne disoit jamais une parolle puis qu'il
estoit de gogues qu'elle n'apportast sa risée avec elle; mais il en est
à ceste heure bien rebouté. Ces gentilzhommes buvoient d'autant et
d'autel, et à l'espousé et à l'espousée, mais au dyable des deux s'il
avoit fain de boire; l'un enragoit tout vif et l'aultre n'estoit pas
mains en malaise: «Je ne me cognois en ceste manière, dist ung gentil
homme, il nous fault festoier de nous mesmes. Je ne vy jamais, moy,
homme de si hault esternu si tost rassis pour une femme; j'ay veu qu'on
n'oyst pas Dieu tonner en une compaignie où il fust; et il se tient
plus coy que ung feu couvert. A dya! ses haultes parolles sont bien bas
entonnées maintenant.--Je boy à vous, noz amys», disoit l'autre. Mais il
n'estoit pas plegé: car il jeunoit de boire, de menger, de bonne chère
faire, et de parler. Non pourtant à chef de pièce, quand il eust bien
esté ramponné sur ce et rigolé de ses compaignons, et, comme ung
sanglier mis aux abaiz de tous coustez, il dit: «Messeigneurs, quant je
vous ay bien entendu qui me semonnez de parler, je veil bien que vous
sachez que j'ay bien cause de beaucop penser, et de me taire trèstout
coy; et si suis seur qu'il n'y a nul de vous qui n'en fist autant s'il
en avoit le pourquoy comme j'ay. Et par la mort bieu, se j'estoie aussi
riche que le roy, que monseigneur, et que tous les princes chrestians,
si ne saroys-je fournir ce que m'est apparent d'avoir à entretenir:
véezcy pour un pouvre coup que j'ay accollée ma femme elle m'a fait ung
enfant. Or regardez, si à chacune foiz que je recommenceray elle en fait
autant, de quoy je pourray nourrir le mesnage?--Comment! ung enfant?
dirent ses compaignons.--Voire, vrayement ung enfant, dit-il; véezcy de
quoy, regardez.» Et lors se tourne vers son lit et lève la couverture et
leur monstre et la mère et l'enfant. «Tenez, dit-il, véezla la vache et
le veau, suis-je pas bien party?» Pluseurs de la compaignie furent bien
esbahiz et pardonnèrent à leur hoste sa simple chère; et s'en allèrent
chacun à sa chacune. Et le pouvre nouveau marié habandonna ceste
première nuyt la nouvelle acouchée, et, doubtant que elle n'en fist une
aultre foiz autant, oncques depuis ne s'y trouva.




LA XXXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE BEAUVOIR.


Il est vray comme l'Euvangile, que trois bons marchans de Savoye se
mirent à chemin avecques leurs trois femmes pour aller en pélerinage à
Saint Anthoine de Viennois; et pour y aller plus devotement et rendre à
Dieu et à monseigneur saint Anthoine leur voyage plus agréable, ilz
conclurent entre eulx et avec leurs femmes, dès le partir de leurs
maisons, que tout le voyage ilz ne coucheroient pas avec elles, mais en
continence yront et viendront. Ilz arrivèrent ung soir en la ville de
Chambery, et se logèrent à ung trèsbon logis, et firent au souper
trèsbonne chère, comme ceulx qui avoient trèsbien de quoy, et qui
trèsbien le sceurent faire; et croy et tiens fermement que si n'eust
esté le veu du voyage, que chacun d'eulx eust couché avec sa chacune.
Toutefoiz ainsi n'en advint pas, car quand il fut heure de soy retraire,
les femmes donnèrent la bonne nuyt à leurs mariz et les laissèrent, et
se boutèrent en une chambre au plus près, où elles avoient fait couvrir
chacune son lit. Or devez vous savoir que ce soir propre arrivèrent
léans trois cordeliers qui s'en alloient à Genève, qui furent ordonnez à
coucher en une chambre non pas trop loingtaine de la chambre aux
marchandes. Lesquelles, puis qu'elles furent entre elles, commencèrent à
deviser de cent mille propos, et sembloit, pour trois qu'il y en avoit,
de quoy on oyoit la noise qu'il suffiroit oir d'un quarteron. Ces bons
cordeliers, oyans ce bruit de femmes, saillirent de leur chambre sans
faire effroyt ne bruit, et tant approuchèrent de l'huys sans estre oiz,
qu'ilz perceurent par les pertus ces trois belles damoiselles, qui se
couchèrent chacune à part elle en ung beau lit assez grand et large pour
le deuxième recevoir d'aultre cousté; puis se revirent, et entendirent
leurs maris qui se couchoient en l'autre chambre. Cela fait, ils
rentrèrent en leur chambre, et puis dirent que fortune et honneur à
ceste heure leur court sus, et qu'ilz ne sont pas dignes d'avoir jamais
bonne adventure, si ceste, qu'ilz n'ont pas pourchassée, par lascheté
leur eschappoit. «De fait, dit l'un, il ne fault aultre deliberacion en
nostre fait; nous sommes trois et elles trois, chacun prenne sa place
quand elles seront endormies.» S'il fut dit, aussi fut il fait; et si
bien vint à ces bons frères qu'ilz trouvèrent la clef de la chambre aux
femmes dedans l'huys; si l'ouvrirent si très souef qu'ilz ne furent de
ame oiz. Ils ne furent pas si folz, quand ilz eurent gaigné ce premier
fort, pour plus seurement assaillir l'autre, qu'ilz ne tirassent la
clef dedans et resserrèrent trèsbien l'huys; et puis après, sans plus
enquerre, chacun print son quartier, et commencèrent à besoigner chacun
du mieux qu'ilz peurent. Mais le bon fut car l'une cuydant avoir son
mary parla et dist: «Et que voulez-vous faire, ne vous souvient il de
vostre veu?» Et le bon cordelier ne disoit mot, mais faisoit ce pour
quoy il vint de si grand cueur, qu'elle ne se peut tenir de luy aider à
parfournir. Les aultres deux, d'aultre part, n'estoient pas oiseux; et
ne savoient que penser ces bonnes femmes, qui mouvoit leurs mariz de si
tost rompre et casser leur promesse. Neantmains toutesfoiz, elles qui
doivent obéir, le prindrent bien en patience, sans dire mot, chacune
doubtant d'estre oye de sa compaigne, car il n'y avoit celle à la vérité
qui ne cuidast ce bien avoir seulle et emporter. Quand ces bons
cordeliers eurent tant fait que plus ne povoient, ilz se partirent sans
dire mot, et retournèrent en leur chambre, chacun comptant son
adventure. L'ung avoit rompu trois lances, l'aultre quatre, l'aultre
six. Oncques gens ne furent tant eureux. Ilz se levèrent par matin, pour
toute seureté, et tirèrent pays. Et ces bonnes femmes, qui pas n'avoient
toute la nuyt dormy, ne se descouchèrent pas trop matin, car sur le jour
sommeil les print, qui les fist lever sur le tard. D'aultre costé leurs
maris, qui avoient assez bien beu le soir, et qui s'attendoient à
l'appeau de leurs femmes, dormoyent au plus fort à l'heure que ès
aultres jours avoient jà cheminé deux lieues. Au fort elles se levèrent
après le repos du matin, et s'abillèrent au plus roidde qu'elles
peurent, non point sans parler. Et entre elles celle qui avoit la langue
plus preste ala dire: «Entre vous, mes damoiselles, comment avez-vous
passé la nuyt? Voz mariz vous ont ilz reveillées comme a fait le mien?
Il ne cessa ennuyt de faire la besoigne.--Saint Jehan! dirent-elles, si
vostre mary a bien besoigné ennuyt, les nostres n'ont pas esté oyseux;
ilz ont tantost oublié ce qu'ilz promisrent au partir, et creez qu'on ne
leur oblyra pas à dire.--J'en adverty trop bien le mien, dist l'une,
quand il commença, mais il n'en laissa oncques pourtant l'euvre: car,
comme ung homme affamé, pour deux nuiz qu'il a couché sans moy, il a
fait rage de diligence.» Quand elles furent prestes, elles vindrent
trouver leurs mariz, qui desjà estoient comme tous prestz et en
pourpoint: «Bon jour, bon jour à ces dormeurs, dirent-elles.--La vostre
mercy, dirent-ilz, qui nous avez si bien huchez.--Ma foy, dit l'une,
nous avions plus de regret à vous appeller matin que vous n'avez fait
ennuyt de conscience de rompre et casser vostre veu.--Quel veu? dit
l'un.--Le veu que vous feistes au partir, dit-elle, de point coucher
avec vostre femme.--Et qui y a couché? dit-il.--Vous le savez bien,
dit-elle, et aussi fais-je.--Et moy aussi, dit sa compaigne; véez là mon
mary, qui ne fut pieça si rude qu'il fut la nuyt passée; et s'il n'éust
si bien fait son devoir je ne seroye pas si contente de la ronteure de
son veu; mais au fort je le passe, car il a fait comme les jeunes
enfans, qui voulent emploier leur bature quant ilz ont deservy le
punir.--Saint Jehan! si a fait le mien, dit la tierce, mais au fort je
n'en feray jà procès; si mal y a, il en est cause.--Et je tien par ma
foy, dit l'un, que vous radoubtez, et que vous estez yvres de dormir.
Quant est de moy, j'ay icy couché tout seul et n'en party ennuyt.--Non
ay-je moy, dit l'aultre.--Ne moy, par ma foy, dit le tiers; je ne
voudroye pour rien avoir enfraint mon veu. Et si cuide estre seur de mon
compère, qui cy est, et de mon voisin, qu'ilz ne l'eussent pas promis
pour si tost l'oblier.» Ces femmes commencèrent à changer coleur, et se
doubtèrent de tromperie, dont l'un des mariz d'elles tantost se donna
garde, et luy jugea le cueur la verité du fait. Si ne leur bailla pas
induce de respondre; ainçois, faisant signe à ses compaignons, dist en
riant: «Par ma foy! mes damoiselles, le bon vin de séans et la bonne
chière du soir passé nous ont fait oublier nostre promesse; si n'en
soyez jà mal contentes. A l'adventure, se Dieu plaist, nous avons fait
ennuyt, à vostre ayde, chascun ung bel enfant, qui est chose de si hault
merite qu'elle sera suffisante d'effacer la faulte du cassement de
nostre veu.--Or, Dieu le veille, dirent-elles. Mais ce que si
affermement disiez que n'aviez pas esté vers nous nous a fait ung petit
doubter.--Nous l'avons fait tout au propos, dit l'autre, affin d'oyr que
vous diriez.--Et vous avez double peché, comme de faulser vostre veu et
de mentir à escient, et nous mesmes avez beaucop troublées.--Ne vous
chaille non, dit-il, c'est pou de chose, mais allez à la messe et nous
vous suivrons.» Elles se mirent au chemin devers l'eglise, et leur mariz
ung pou demourèrent sans les suyvir trop raidde, puis dirent tous
ensemble, sans en mentir de mot: «Nous sommes trompez, ces dyables de
cordeliers nous ont deceuz; ilz se sont mis en nostre place et nous ont
monstré nostre folie, car, si nous ne voulions pas coucher avec noz
femmes, il n'estoit jà mestier de les faire coucher hors de nostre
chambre; et s'il y avoit dangier de lictz, la belle paillasse est en
saison.--Dya! dit l'ung d'eulx, nous en sommes chastiez pour une aultre
foiz; et au fort il vault mieulx que la tromperie soit seulement sceue
de nous que de nous et d'elles, car le dangier y est bien grand s'il
venoit à leur congnoissance. Vous oyez par leur confession que ces
ribaulx moynes ont fait merveilles d'armes, et espoir plus et mieulx que
nous ne savons faire. Et s'elles le savoient, elles ne se passeroient
pas pour ceste foiz seulement; s'en est mon conseil que nous l'avalons
sans mascher.--Ainsi m'aist Dieu, ce dit le tiers, mon compère dit
trèsbien; quant à moy je rappelle mon veu, et n'ay pas intencion de plus
me mettre en ce dangier.--Puis que vous le voulez, dirent les deux
aultres, et nous vous ensuyvrons.» Ainsi couchèrent tout le voyage et
femmes et mariz ensemble, dont ilz se gardèrent trop bien de dire la
cause qui ad ce les mouvoit. Et quand les femmes virent ce, ce ne fut
pas sans demander la cause de ceste raherce; et ilz respondirent, par
couverture, puis qu'ilz avoient commencé de leur veu entrerompre, il ne
restoit que du parfaire. Ainsi furent les trois marchans deceuz des
trois bons cordeliers, sans ce qu'il venist à la cognoissance de celles
qui bien en fussent mortes de dueil s'elles en sceussent la vérité,
comme on en voit tous les jours morir de maindre cas et à mains
d'achoison.




LA XXXIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA BARRE.


Ung gentilhomme de ce royaume, escuyer bien renommé et de grand bruit,
devint amoureux, à Rouen, d'une trèsbelle damoiselle, et fist toutes ses
diligences de parvenir à sa grace. Mais fortune luy fut si contraire, et
sa dame si peu gracieuse, qu'enfin il abandonna sa queste comme par
desespoir. Il n'eut pas trop grand tort de ce faire, car elle estoit
ailleurs pourveue, non pas qu'il en sceust rien, combien qu'il s'en
doubtast, toutesfoiz celuy qui en joissoit, qui chevalier et homme de
grand auctorité estoit, n'estoit pas si peu privé de luy qu'il n'estoit
guères chose au monde qu'il ne se fust bien à luy descouvert sinon de ce
cas. Trop bien luy disoit-il souvent: «Par ma foy, mon amy, je veil
bien que tu saches que j'ay ung retour en ceste ville dont je suis
beaucop assoté; car quand je suis par force de traveil si rebouté, qu'on
ne tireroit point de moy une lyeuette de chemin, si je me treuve vers
elle, je suis homme pour en faire trois ou quatre, voire les deux tout
d'une alaine.--Et n'est-il requeste, ne prière, disoit l'escuier, que je
vous sceusse faire, que je sceusse tant seulement le nom de
celle?--Nenny, par ma foy, dist l'autre, tu n'en sceras plus avant.--Or
bien, dist l'escuier, quand je seray si eureux que d'avoir rien de beau,
je vous seray aussi pou privé que vous m'estes estrange.» Advint ce
temps pendant que ce bon chevalier le prya de soupper au chasteau de
Rouen, où il estoit logé. Et il y vint, et firent trèsbonne chère, et
quand le soupper fut passé et aucun pou de devises après, le gentil
chevalier, qui avoit heure assignée d'aller vers sa dame, donna congé à
l'escuier, et dit: «Vous savez que nous avons beaucop demain à
besoigner, et qu'il nous fault lever matin pour telles matères, et pour
telles, qu'il fault expedier; c'est bon de nous coucher de bonne heure,
et pour ce je vous donne la bonne nuyt.» L'escuier, qui estoit subtil,
ce voyant, se doubta tantost que ce bon chevalier vouloit aller courre,
et qu'il se couvroit des besoignes de lendemain pour luy donner congié,
mais il n'en fist quelque semblant, ainçois dist en prenant congié et
donnant la bonne nuyt: «Monseigneur, vous dictes bien, levez vous matin
et aussi feray-je.» Quand ce bon escuier fut en bas descendu, il trouva
une petite mulette au pié des degrez du chasteau, et ne vit ame qui la
gardast; et pensa tantost que le page qu'il avoit encontré en descendant
alloit querir la housse de son maistre, et aussi faisoit-il. «Ha! dit-il
en soy mesmes, mon hoste ne m'a pas donné congé de si haulte heure sans
cause; véezcy sa mulette qui n'attent aultre chose que je soie en voye,
pour porter son maistre où l'on ne veult pas que je soye. Ha! mulette,
dist-il, si tu savoies parler que tu diroies de bonnes choses; je te pry
que tu me maines où ton maistre veult estre.» Et à cest coup il se fist
tenir l'estrief par son paige, et luy mist la rene sur le col, et la
laissa aller où bon luy sembla tout le beau pas. Et la bonne mulette le
mena par rues et ruelles, deçà et delà, tant qu'elle se vint arrester au
devant d'un petit guichet qui estoit en une rue oblicque où son maistre
avoit acoustumé de venir, qui estoit l'huys du jardin de la damoiselle
qu'il avoit tant amée et par desespoir abandonnée. Il mist pié à terre,
et puis hurta ung petit coup au guichet, et une damoiselle qui faisoit
le guet par une faulse treille, cuidant que ce fust le chevalier, s'en
vint en bas et ouvrit l'huys, et dist: «Monseigneur, vous soiez bien
venu, véezla madamoiselle en sa chambre qui vous attend.» Elle ne le
congneut pas, pource qu'il estoit tard, et avoit une cornette de veloux
devant son visage. Et le bon escuier respondit: «Je vois vers elle.» Et
puis dit à son paige tout bas en l'oreille: «Va t'en bien à haste, et
remaine la mulette où je la prins, et puis t'en va coucher.--Si
feray-je, monseigneur, dit-il.» La damoiselle reserra le guichet, et
s'en retourna en sa chambre. Et nostre bon escuier, trèsfort pensant à
sa besoigne, marche trèsasseurement vers la chambre où sa dame estoit,
laquelle il trouva desjà mise en sa cotte simple, la grosse chayne d'or
au col. Et comme il estoit gracieux, courtois, et bien enparlé, la salua
bien honorablement, et elle, qui fut tant esbahie que si cornes luy
venissent, de prinsault ne sceut que respondre, sinon à chef de pièce
elle luy demanda qu'il queroit léens, et dont il venoit à ceste heure,
et qui l'avoit bouté dedans. «Madamoiselle, dit-il, vous povez assez
penser que si je n'eusse eu aultre aide que moy mesmes je ne fusse pas
icy; mais la Dieu mercy, ung qui a plus grant pitié de moy que vous
n'avez encores eu, m'a fait cest avantage.--Et qui vous y a amené, sire?
dit-elle.--Par ma foy, madamoiselle, je ne le vous quier jà celer: ung
tel seigneur, c'est assavoir son hoste du soupper, m'y a envoié.--Ha!
dit-elle, le traistre et desloyal chevalier qu'il est, se trompe-il en
ce point de moy? Or bien, bien, j'en seray vengée quelque jour.--Ha!
madamoiselle, ce n'est pas bien dit à vous, car ce n'est pas traïson de
faire plaisir à son amy, et luy faire secours et service quand on le
peut faire. Vous savez bien la grand amytié qui est de pieça entre luy
et moy, et qu'il n'y a celuy qui ne dye à son compaignon tout ce qu'il
a sur le cueur. Or est ainsi qu'il n'y a pas long temps que je luy
comptay et confessay tout le long la grant amour que je vous porte, et
que à ceste cause je n'avoie un seul bien en ce monde; et si par aucune
fasson je ne parvenoye à vostre bonne grace, il ne m'estoit pas possible
de longuement vivre en ce doloreux martire. Quand le bon seigneur a
cogneu à la verité que mes parolles n'estoient pas faintes, doubtant le
grant inconvenient qui m'en pourroit sourdre, a esté bien content de moy
dire ce qui est entre vous deux; et ayme mieulx vous abandonner en me
sauvant la vie, qu'en me perdant maleureusement vous entretenir. Et si
vous estiez telle que vous devriez, vous n'eussez pas tant attendu de
bailler confort et garison à moy vostre obéissant serviteur, qui savez
certainement que je vous ay loyaument servie et obéye.--Je vous requier,
dit-elle, que vous ne me parlez plus de cela, et si vous en allez d'icy.
Maudit soit celuy qui vous y fist venir!--Savez-vous qu'il y a,
madamoiselle? dit-il; ce n'est pas mon intencion de partir d'icy qu'il
ne soit demain.--Par ma foy, dit-elle, si ferez tout maintenant.--Par la
mort bieu, non feray, car je coucheray avec vous.» Quand elle vit que
c'estoit à bon escient et qu'il n'estoit pas homme pour enchacier par
rudes parolles, elle luy cuida donner congié par doulceur, et dist: «Je
vous prie tant que je puis, allez vous en pour meshuy; et par ma foy une
aultre foiz je feray ce que vous vouldrez.--Dya, dit-il, n'en parlez
plus, car je coucheray céans.» Et lors commence à soy despoiller, et
prend la damoiselle et la baise et la maine bancqueter, et fist tant,
pour abreger, qu'elle se coucha et luy d'emprès elle. Ils n'eurent
guères esté couchez, et plus couru d'une lance, quand véezcy bon
chevalier qui va venir sur sa mullette, et vient hurter au guichet. Et
le bon escuier qui l'oyt le cogneut tantost; si commence à grouiller,
contrefaisant le chien trèsfièrement.

Le chevalier, quant il l'oyt, fut bien esbahy, et autant courroucé. Si
rehurte de plus belle très rudement au guichet, et l'autre de
recommencer à grouiller plus fièrement que devant. «Qui est-ce là qui
grouille? dist celui de dehors; par la mort bieu! je le sauray. Ouvrez
l'huys, ou je le porteray en la place.» Et la bonne gentil femme, qui
enrageoit toute vive, saillit à la fenestre, en sa chemise, et dist:
«Estes-vous là, faulx chevalier et desloyal? Vous avez beau hurter, vous
n'y entrerez pas.--Pourquoy n'y entreray-je pas? dit-il.--Pource,
dit-elle, que vous estes le plus desloyal qui jamais femme accointast;
et n'estes pas digne de vous trouver avecques gens de bien.--Madamoiselle,
dist-il, vous blasonnez très bien mes armes! je ne sçay qui vous meut,
car je ne vous ay pas fait desloyauté, que je sache.--Si avez, dist
elle, et la plus grande que jamais homme fist à femme.--Non ay, par
ma foy, mais dictes moy qui est là dedans.--Vous le savez bien,
traistre mauvais, dit-elle, que vous estes.» Et à cest coup bon
escuier qui ou lit estoit commença à groutter, contrefaisant le chien,
comme par avant. «A dya, dist celuy de dehors, je n'entens point cecy;
et ne sceray point qui est ce grouilleur?--Saint Jehan! si ferez»,
dist-il; et il sault sus d'emprès sa dame, et vint à la fenestre, et
dist: «Que vous plaist-il, monseigneur? vous avez tort de nous ainsi
reveiller.» Le bon chevalier, quand il cogneut qui parloit à luy, fut
tant esbahy que merveilles. Et quand il parla il dist: «Et dont viens tu
cy?--Je vien de soupper de vostre maison pour coucher céans.--A male
faute», dit-il. Et puis adressa sa parole à la damoiselle et dist:
«Mademoiselle, hebergez vous telz hostes céans?--Oy, monseigneur,
dit-elle, la vostre mercy qui le m'avez envoyé.--Moy! dit-il; saint
Jehan! il n'en est rien; je suys mesme venu pour y tenir ma place, mais
c'est trop tard. Et au mains je vous prie, puis que je n'en puis avoir
aultre chose, ouvrez moy l'huys, si buray une foiz.--Vous n'y entrerez
jà, par Dieu! dit-elle.--Saint Jehan! si fera», dist l'escuier. Et lors
descendit et ouvrit l'huys, et s'en vint recoucher, et elle aussi, Dieu
scet bien honteuse et mal contente; mais il luy convenoit obeir pour
ceste heure. Quand le bon seigneur fut dedans, et il eut alumé de la
chandelle, il regarda la belle compaignie dedans le lict, et dist: «Bon
preu vous face, madamoiselle, et à vous aussi, mon escuier.--Bien grand
mercy, monseigneur», dist il. Mais la damoiselle, qui plus ne povoit si
le cueur ne luy sailloit du ventre, ne peut oncques dire ung seul mot,
et cuidoit tout certainement que l'escuier fust léans arrivé par
l'advertissement et conduicte du chevalier; si luy en vouloit tant de
mal qu'on ne le vous saroit dite: «Et qui vous a enseigné la voye de
céans, mon escuier? dist le chevalier.--Vostre mulette, monseigneur,
dist-il, que je trouvay en bas, au chasteau, quant j'eu souppé avecque
vous; elle estoit là seule et esgarée, si luy demanday qu'elle
attendoit, et elle me respondit qu'elle n'attendoit que sa housse et
vous.--Et pour où aller? dis-je.--Où nous avons de coustume,
dist-elle.--Je scay bien, dys-je, que ton maistre ne yra meshuy dehors,
car il se va coucher; mais maine moy là où tu scez qu'il va de coustume,
et je t'en prie.» Elle en fut contente, si montay sus, et elle m'adressa
céans, la sienne bonne mercy.--Dieu mecte en mal an l'orde beste qui m'a
encusé, dist le bon seigneur.--Ha! que vous le valez loyaument,
monseigneur! dit la damoiselle, quant elle peut prendre la peine de
parler. Je voy bien que vous trompez de moy, mais je veil bien que vous
sachez que vous n'y arez guères d'honneur. Il n'estoit jà mestier, si
vous n'y vouliez plus venir, d'y envoier aultruy soubs umbre de vous;
mal vous cognoist qui oncques ne vous vit.--Par la mort bieu! je ne l'y
ay pas envoyé, dist-il; mais puis qu'il y est, je ne l'en chasseray pas;
et aussi il en y a assez pour nous deux; n'a pas, mon compaignon?--Oy,
monseigneur, oy, dit-il, tout à butin, et je le veil; si nous fault
boire du marché.» Et lors se tourna vers le dressouer, et versa du vin
en une grant tasse qui y estoit, et dist: «Je boy à vous, mon
compaignon.--Je vous plege, dit l'autre, mon compaignon», et puis fist
verser de l'aultre vin à la damoiselle, qui ne vouloit nullement boire;
mais en la fin, voulsit ou non, elle baisa la tasse. «Or ça, dist le
gentil chevalier, mon compaignon, je vous lairray cy, besoignez bien,
c'est vostre tour aujourdui, le mien sera demain, si Dieu plaist; si
vous prie que vous me soiez aussi gratieux, quand vous m'y trouverez,
que je vous suys maintenant.--Nostre dame, mon compaignon, si seray je,
ne vous doubtez.» Ainsi s'en ala le bon chevalier, et là laissa
l'escuier, qui fist le mieulx qu'il peut ceste première nuyt. Et
advertit la damoiselle de tout point de toute la verité de son
adventure, dont elle fut ung peu plus contente que si l'aultre l'y eust
envoyé. Ainsi que avez oy fut la belle damoiselle deceue par la mulette,
et contraincte d'obéir au chevalier et à l'escuier, chacun à son tour,
dont en la fin elle s'accoustuma et trèsbien le print en patience. Mais
tant de bien y eut, que si le chevalier et l'escuier s'entraimoyent bien
par avant ceste adventure, l'amour d'entre eulx deux à ceste occasion en
fut redublée, qui entre aucuns mal conseillez, eust engendré discort et
mortelle hayne.




LA XXXIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


Affin que ne soye seclus du trèseureux et hault merite deu à ceulx qui
traveillent et labourent à l'augmentacion et accroissement des histoires
de ce present livre, je vous racompteray en bref une adventure nouvelle
par laquelle l'on me tiendra pour acquitté d'avoir fourny la nouvelle
dont j'ay naguères esté sommé. Il est notoire verité que en la ville
d'Ostellerie, en Casteloigne, naguères arrivèrent pluseurs frères
mineurs, qu'on dit de l'observance, eschassez et deboutez par leur
mauvais gouvernement et faincte devocion du royaume d'Espaigne. Et
trouvèrent fasson d'avoir accès et entrée devers le seigneur de la dicte
ville, qui desjà ancien et chargé d'ans estoit; et tant firent, pour
abreger, qu'il leur fonda et fist une trèsbelle église et couvent, et
les maintint et entretint toute sa vie le mieulx qu'il peut. Régna après
son filz aisné, qui ne leur fist pas mains de bien que son bon père. Et
de fait ilz prosperèrent en peu d'ans, si trèsbien qu'ilz avoient
suffisaument tout ce qu'on saroit demander par raison en ung couvent de
mandians. Et affin que vous sachez qu'ilz ne furent pas oyseux pendant
le temps qu'ilz acquisrent ces biens, ilz se misrent à prescher tant en
la ville que par les villages voisins, et gaignèrent tout le peuple, et
tant firent qu'il n'estoit pas bon crestian qui ne s'estoit à eulx
confessé, tant avoient grand bruyt et bon los de bien savoir remonstrer
aux pecheurs leurs defaultes. Mais qui les loast et eust bien en grace,
les femmes estoient du tout données à eulx, tant les avoienr trouvés
sainctes gens de grant charité et de profunde devotion. Or entendez la
deception mauvaise et horrible traison que ces faulx ypocrites
pourchassèrent à ceulx et celles qui tant de biens de jour en jour leur
faisoient: ilz feirent entendre à toutes les femmes generalement de la
ville qu'elles estoient tenues à Dieu de rendre le disme de tous leurs
biens, «comme au seigneur de telle chose et de telle, à vostre parroisse
et curé de telle chose et telle; et à nous vous devez rendre le disme du
nombre des foiz que vous couchez charnellement avecques voz mariz. Nous
ne prenons sur vous aultre disme, car, comme vous savez, nous ne portons
point d'argent; et si n'en querons point, car il ne nous est rien des
biens temporelz et transitoires de ce monde. Nous querons et demandons
seullement les biens espirtuelz. La disme que nous devez et que nous
vous demandons, elle n'est pas des biens temporelz; elle est à cause du
saint sacrement que vous avez receu, qui est une chose divine et
espirituelle. Et de celuy n'appartient à nul recevoir le disme que à
nous seullement, religieux de l'observance.» Les pouvres simples
femmes, qui mieulx cuidoient ces bons frères estre anges que hommes
terriens, ne refusèrent pas ce disme à paier. Il n'y eust celle qui ne
le paya à son tour, de la plus haulte jusques à la maindre; mesmes la
dame du seigneur n'en fust pas excusée. Ainsi furent toutes les femmes
de la ville appaties à ces vaillans moynes; et n'y avoit celuy d'eulz
qui n'eust à sa part de quinze à seize femmes le disme à recevoir; et à
ceste occasion, Dieu scet les presens qu'ilz avoient d'elles, tout soubz
umbre de devocion. Ceste manière de faire dura beaucop et longuement
sans qu'elle venist à la cognoissance de ceulx qui se fussent bien
passez de ceste disme nouvelle. Elle fut toutesfoiz en la fin
descouverte en la manière qui s'ensuyt: Ung jeune homme nouvellement
marié fut prié de soupper à l'ostel d'un de ses parens, et luy et sa
femme; et comme ilz retournoient de ce couvine, passans par devant
l'église des bons cordeliers dessus ditz, la cloche de l'_Ave Maria_
sonna tout à ce coup, et le bon homme s'enclina sur la terre pour dire
ses devocions, et sa femme luy dist: «S'il vous plaisoit, j'entreroye
voluntiers dedans ceste eglise pour dire ung _Pater noster_ et ung _Ave
Maria_.--Que ferez-vous là dedans à ceste heure? dist le mary; vous y
reviendrez bien quand il sera jour, demain ou une aultre foiz.--Je vous
requier, dit-elle, que je y aille; par ma foy, je retourneray
tantost.--Nostre dame, dist-il, vous n'y entrerez jà maintenant.--Par ma
foy, dit-elle, c'est force, il m'y convient aller; je ne demoureray
rien; si vous avez haste d'aller à l'ostel, allez tousjours devant, je
vous suyvray tout à ceste heure.--Picquez, picquez devant, dit-il, vous
n'y avez pas tant à faire; si vous voulez dire _Pater noster_ ne _Ave
Maria_, il y a assez place à l'ostel, et vous vauldra autant là le dire
que maintenant en ce moustier, où l'en ne voit goute.--A dya! dit-elle,
vous direz ce qu'il vous plaira; mais, par ma foy, il fault
necessairement que j'entre ung petit dedans.--Et pourquoy? dit-il;
voulez-vous aller coucher avecques les frères de léens?» Elle, qui
cuidoit à la vérité que son mary sceust bien qu'elle payoit le disme,
luy respondit: «Nenny, je n'y veil pas aller coucher, mais je veil aller
payer.--Quoy paier? dit-il.--Vous le savez bien, dit-elle, et si le
demandez.--Que scay-je bien? dit-il; je ne me mesle pas de voz
debtes.--Au mains, dit-elle, savez vous bien qu'il me fault paier le
disme.--Quel disme?--Ha hors, dit-elle, c'est ung jamès; et le disme de
nuyt de vous et de moy; vous avez bon temps, il fault que je le paye
pour nous deux.--Et à qui le payez vous? dit-il.--A frère Eustace. Allez
tousjours à l'ostel; si m'y laissez aller que j'en soye quitte: c'est si
grant peché de ne le non point paier que je ne suis jamais aise quand je
luy doy rien.--Il est meshuy trop tard, dit-il, il est couché passé une
heure.--Ma foy, ce dit-elle, je y ay esté ceste année beaucop plus tard;
puis qu'on veult paier on y entre à toutes heures.--Allons, allons,
dit-il, une nuyt n'y fait rien.» Ainsi s'en retournèrent le mary et la
femme mal contens tous deux, la femme qu'on ne l'a pas laissée paier son
disme, et le mary, qui se voit ainsi deceu, estoit tout esprins d'ire et
de maltalent, qui encores luy redoubloit sa peine qu'il ne l'osoit
monstrer. A chef de pièce toutesfoiz, ilz se couchèrent; le mary, qui
estoit subtil, interroga sa femme de longue main, si les aultres de la
ville ne payoient pas aussi bien ce disme qu'elle fait. «Quoy donc?
dit-elle; par ma foy, si font; quel privilége aroyent elles plus que
moy? Nous sommes encores seze ou vingt qui le payons à frère Eustace.
Ha! il est tant devot! et créez que ce luy est une grand peine et une
bien meritoire pacience. Frère Bertholomeu en a autant ou plus, et,
entre les aultres, madame est de son nombre. Frère Jacques aussi en a
beaucop, et frère Anthoine aussi; il n'y a celuy d'eulx qui n'ayt son
nombre.--Saint Jehan, dit le mary, ils n'ont pas oeuvre laissée; or
cognois je bien qu'ilz sont beaucop plus devotz qu'ilz ne semblent; et
vrayement je les veil avoir céans pour trestous l'un après l'autre les
festoier et oyr leurs bonnes devises. Et pource que frère Eustace reçoit
le disme de céans, faictes que nous ayons demain bien à disner, car je
l'amainray.--Très voluntiers, dit-elle; au mains ne me fauldra-il pas
aller en sa chambre pour payer; il le recevra bien céans.--Vous dictes
bien, dit-il; or dormons.» Mais créez qu'il n'en avoit garde, et si luy
tardoit beaucop qu'il fust jour; et en lieu de dormir il pensa tout à
son aise ce qu'il vouloit à lendemain executer. Ce disner vint, et frère
Eustace, qui ne sçavoit pas l'intencion de son hoste, fist assez bonne
chère dessoubz son chaperon. Et quand il véoit son point, il prestoit
ses yeulx à l'ostesse, sans espargner par dessous la table le gracieux
jeu des piez, de quoy s'apercevoit et donnoit très bien garde l'oste,
sans en faire semblant, combien que ce fust à son prejudice. Après les
graces, il appela frère Eustace, et luy dist qu'il luy vouloit monstrer
une ymage de Nostre Dame et une belle oroison qui estoit en sa chambre;
et il respondit qu'il le verroit voluntiers. Ilz entrèrent dedans, et
l'oste ferma l'huys, et puis saisit une grande hache, et dist à nostre
cordelier: «Par la mort bieu, beau père, vous ne saulterez jamais d'icy
sinon les piez devant, se vous ne confessez verité.--Helas! mon hoste,
dist frère Eustace, je vous cry mercy! et que me demandez-vous?--Je vous
demande, dit-il, le disme de la disme que vous avez prins sur ma femme.»
Quand le cordelier oyt parler du disme, il se pensa bien que ses
besoignes n'estoient pas bonnes; si ne sceut que respondre, sinon de
crier mercy, et de s'excuser le plus beau qu'il povoit: «Or me dictes,
dist l'oste, quel disme est ce que vous prenez sur ma femme et sur les
autres?» Le pouvre cordelier estoit tant efferré qu'il ne savoit parler,
et ne respondoit mot. «Dictes moy, dist l'oste, la chose comment elle
va, par ma foy je vous lairray aller, et ne vous feray jà mal; si non
je vous tueray tout roidde.» Quand l'autre se vit asseuré, il ayma
mieulx confesser verité et son peché et celuy de ses compaignons et
eschapper, que le celer et tenir clos et estre en dangier de perdre sa
vie; si dist: «Mon hoste, je vous cry mercy, je vous diray verité. Il
est vray que mes compaignons et moy avons fait accroire à toutes les
femmes de ceste ville qu'elles doivent le disme des foiz que vous
couchez avec elles; elles nous ont creuz, si le payent et jeunes et
vieilles; puisqu'elles sont mariées, il n'en y a pas une qui en soit
excusée; madame mesmes la paye comme les aultres, ses deux niepces
aussi, et generalement nulle n'en est exemptée.--Ha dya, dist l'oste,
puis que monseigneur et tant de gens de bien le payent, je n'en doy pas
estre quitte, combien que je m'en passasse bien. Or vous en allez, beau
père, par tel fin que vous me quitterez le disme que ma femme vous
doit.» L'autre ne fut oncques si joyeux quand il se fut sauvé dehors, si
dist que jamais n'en demanderoit rien, comme non fist-il, ainsi que vous
orrez. Quand l'oste du cordelier fut bien informé de sa femme et de son
dismeur de ceste nouvelle disme, il s'en vint à son seigneur et luy
compta tout du long le cas du disme, comme il est touché sy dessus.
Pensez qu'il fut bien esbahy et dist: «Oncques ne me pleurent ces
papelars, et si me jugeoit bien le cueur qu'ilz n'estoient pas telz par
dedens qu'ilz se monstroient par dehors. Ha maudictes gens qu'ils sont!
maudicte soit l'heure qu'onques monseigneur mon père, à qui Dieu
pardoint, les accoincta! Or sommes nous par eulx gastez et deshonorez.
Et encore feront-ilz pis s'ils durent longuement. Qu'est-il de
faire?--Par ma foy, monseigneur, dit l'autre, s'il vous plaist et semble
bon, vous assemblerez tous vos subjects de cette ville: la chose leur
touche comme à vous; si leur declarez ceste adventure, et puis arez
advis avec eulx de pourveoir au remède, combien que ce soit tard.»
Monseigneur le voult; si manda tous ses subjectz mariez tant seullement,
et ilz vindrent vers luy; et en la grand sale de son hostel, il leur
declara tout au long la cause pourquoy il les avoit assemblez. Si
monseigneur fut bien esbahy de prinsault, quand il sceut premier ces
nouvelles, aussi furent toutes ces bonnes gens qui là estoient. Les uns
disoient: Il les faut tuer; les aultres: Il les fault pendre; les
aultres: noyer. Les aultres disoient qu'ilz ne pourroient croire que ce
fust verité, et qu'ilz sont trop devotz et de saincte vie. Ainsi dirent
longuement les unz d'un et les aultres d'aultre. «Je vous diray, dist le
seigneur: nous manderons icy noz femmes, et ung tel maistre Jehan, etc.,
lequel fera une petite collacion, laquelle enfin cherra à parler des
dismes, et leur demandera au nom de nous tous s'elles s'en acquictent,
car nous voulons qu'elles soient paiées; nous orrons leur response.» Et
après advis sur cela, ilz s'accordèrent tous au conseil et à l'oppinion
de monseigneur. Si furent toutes les femmes mariées de la ville
mandées; si vindrent en la sale où tous leurs mariz estoient.
Monseigneur mesme fist venir madame, qui fut toute esbahie de voir
l'assemblée de ce peuple. Ung sergent de par monseigneur commenda faire
silence. Et maistre Jehan se mist ung peu au dessus des aultres, et
commença sa petite collacion comme il s'ensuyt: «Mesdames et
mesdamoiselles, j'ay la charge de par monseigneur qui cy est et ceulx de
son conseil vous dire en bref la cause pourquoy vous estes icy mandées.
Il est vray que monseigneur, son conseil et son peuple qui cy est, ont
tenu à ceste heure ung petit chapitre du fait de leurs consciences; la
cause si est qu'ilz ont volunté, Dieu devant, dedans bref temps de faire
une belle procession et devote à la loange de Nostre Seigneur Jhesu
Crist et de sa glorieuse mère, et à icelluy jour se mettre trestous en
bon estat, affin qu'ilz soient mieulx exaulsiez en leurs plus devotes
prières et que les oeuvres qu'ils feront soient à celuy jour à Dieu plus
agréables. Vous savez assez que, la mercy Dieu, nous n'avons eu nulles
guerres de nostre temps, et noz voisins en ont esté terriblement
persecutez, et de pestilence et de famine. Quand les aultres en ont esté
examinez, nous avons peu dire et encores disons que Dieu nous en a
preservez. C'est bien raison que nous cognoissons que ce vient non pas
de noz propres vertuz, mais de la seulle large et liberale grace de
nostre benoist redempteur, qui huche, appelle, et invite au son des
devotes prières qui se font en nostre eglise parochiale, et où nous
adjoustons très grand foy et tenons ferme devocion. Le devot couvent des
cordeliers de ceste ville nous a beaucop valu et vault à la conservacion
des biens dessus dictz. Au surplus nous voulons savoir de vous si vous
acquictez à faire ce à quoy vous estez tenues; et combien que nous
tenons assez estre en vostre memoire l'obligacion qu'avez à l'église, il
ne vous desplaira pas pour plus grand seureté si je vous en touche
aucuns des plus gros poincts. Quatre foiz l'an, c'est assavoir à quatre
nataulx, vous devez confesser du mains à quelque ung prestre ou
religieux ayant sa puissance; et si à chaqu'une foiz receviez vostre
créateur, ce seroit trèsbien fait; deux foiz ou une foiz l'an du mains
le devez-vous faire. Allez à l'offrande tous les dimanches, et à chacune
messe; celles qui en ont la puissance, paiez loyaument les dismes à
Dieu, comme de fruiz, de poules, d'aigneaulx, de cochons, et aultres
telz usages accoustumez. Vous devez aussi ung aultre disme aux devotz
religieux du couvent de saint Françoys, que non voulons expressement
qu'il soit payé; c'est celuy qui plus nous touche au cueur, et dont nous
desirons plus l'entretenance; et pourtant s'il y a nulles de vous qui en
ait fait son devoir aultrement que bien, soit ou par sa negligence ou
par faulte de le demander, de le payer s'avance. Vous savez que ces bons
religieux ne peuvent venir en voz hostelz querir leur disme, ce leur
seroit trop grand peine et trop grand destourbier; il doit bien suffire
s'ilz prenent la peine de le recevoir. Véezla partie de ce que je vous
ay à dire; reste à savoir celles qui ont paié et celles qui doivent.»
Maistre Jehan n'eut pas sitost finé son dire que plus de vingt femmes,
toutes à une voix, commencèrent à crier: «J'ay paié, moy; j'ay paié,
moy; je ne doy rien; ne moy, ne moy!» D'aultre costé dirent ung cent
d'aultres, et generalement toutes, qu'elles ne devoient rien; mesmes
saillirent avant quatre ou six belles jeunes femmes qui dirent qu'elles
avoient si bien payé qu'on leur devoit sur le temps advenir, à l'une
quatre foiz, à l'autre six, à l'autre dix. Il y avoit aussi d'autre
costé je ne scay quantes veilles qui ne disoient mot; et maistre Jehan
leur demanda s'elles avoient bien payé leur disme, et elles respondirent
qu'elles avoient faict traicté avec les cordeliers. «Comment, dit-il, ne
paiez vous pas? vous devriez semondre et contraindre les aultres de ce
faire, et vous mesmes faictes la faulte!--Dya, ce dit l'une, ce n'est
pas par moy; je me suis plusieurs foiz presentée de faire mon devoir,
mais mon confesseur n'y veult jamais entendre; il dist tousjours qu'il
n'a loisir.--Saint Jehan, dirent les aultres veilles, nous avons
converty par traicté fait avec eulx la disme que devons en toille, en
drap, en coussins, en bancquiers, en oreilliers, et en aultres telles
bagues; et ce par leur conseil et advertissement, car nous amerions
mieulx à paier comme les aultres.--Nostre Dame, dist maistre Jehan, il
n'y a point de mal, c'est trèsbien fait.--Elles s'en peuvent bien aller
quand leur plaira, monseigneur, dist maistre Jehan; ne font pas?--Oy,
dit-il; mais quoy que soit, que ce disme ne soye pas oublyé.» Quand
elles furent toutes hors de la sale, l'huis fut serré; si n'y eut celuy
des demourez qui ne regardast son compaignon. «Or ça, dist monseigneur,
qu'est-il de faire? Nous sommes acertenez de la traïson que ces ribaulx
moynes nous ont faicte par l'un d'eulx et par noz femmes; il ne nous
fault plus de tesmoings.» Après pluseurs et diverses opinions, la finale
et derrenière resolucion si fut, qu'ils yront bouter le feu ou couvent,
et brulleront et moynes et moustier. Si descendirent en bas en la ville,
et vindrent au monastère; et ostèrent hors le _Corpus Domini_, et aucuns
aultres reliquiaires, et l'envoyèrent en la parroisse; et puis, sans
plus enquerre, boutèrent le feu en divers lieux léens, et ne s'en
partirent tant que tout fut consumé, et moynes, et convers, et eglise,
et dortoir, et le surplus des edifices, dont il avoit foison léens.
Ainsi achetèrent bien chèrement les pouvres cordeliers le disme non
accoustumé qu'ilz misrent sus. Dieu mesmes, qui n'en povoit mais, en eut
bien sa maison brullée.




LA XXXIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR.


Ung gentil chevalier des marches de Bourgoigne, sage, vaillant, et très
bien adrecié, digne d'avoir bruit et los, comme il eut tout son temps,
entre les mieulx et plus renommez, se trouva tant et si bien en la grace
d'une belle damoiselle qu'il en fut retenu serviteur, et d'elle obtint à
chef de pièce tout ce que par honneur donner luy povoit; et au surplus,
par force d'armes ad ce la mena que refuser ne luy peut nullement ce que
pluseurs devant et après ne peurent obtenir. Et de ce se print et donna
trèsbien garde ung très gentil et gracieux seigneur, trèscler voyant,
dont je passe le nom et les vertuz, lesquelles, si en moy estoit de les
racompter, n'y a celuy de vous qui tantost ne congneust de quoy ce
compte se feroit, ce que pas ne vouldroye. Ce gentil homme que je vous
dy, qui se perceut des amours du chevalier dessus dit, quand il vit son
point, luy demanda s'il n'estoit point amoureux d'une telle damoiselle,
c'est assavoir de celle dessus dite? Et il luy respondit que non; et
l'autre, qui bien savoit le contraire, luy dist qu'il cognoissoit
trèsbien que si. Neantmains, quelque chose qu'il luy dist ou
remonstrast, qu'il ne luy devoit pas celer ung tel cas, et que si il
luy estoit advenu semblable, ou beaucop plus grand, il ne luy celeroit
jà, si ne luy voult oncques confesser ce qu'il savoit certainement et
bien. S'il se pensa qu'en lieu d'aultre chose faire, et pour passer
temps, s'il scet trouver voie ne fasson, en lieu que celuy luy est tant
estrange et prend si peu de fiance en luy, il s'accointera de sa dame et
se fera privé d'elle. A quoy il ne faillit pas, car en peu d'heure il
fut vers elle si très bien venu, que celuy qui le valoit, qu'il se
povoit vanter d'en avoir aultant obtenu, sans faire guères grand queste
ne poursuite, que celuy qui mainte peine et foison de travaux en
soustint; et si avoit ung bon point: il n'en estoit en rien feru. Et
l'aultre, qui ne pensoit point avoir compaignon, en avoit tout au long
du bras ou autant qu'on en pourroit entasser à force ou cueur d'un
amoureux. Et ne vous fault pas penser qu'il ne fust entretenu de la
bonne gouge autant et mieulx que par avant, qui le faisoit plus avant
bouter et entretenir en sa fole amour. Et affin que vous sachez que
ceste vaillant gouge n'estoit pas oiseuse, qui en avoit à entretenir
deux du mains, lesquelz elle eust à grand regret perduz, et spécialement
le derrenier venu, car il estoit de plus haulte estoffe et trop mieulx
soulier à son pié que le premier venu, et elle leur bailloit et
assignoit tousjours heure de venir vers elle l'un après l'aultre, comme
l'un aujourd'huy et l'aultre demain. Et de ceste manière de faire savoit
bien l'occasion le derrenier venu, mais il n'en faisoit nul semblant,
et aussi à la vérité il ne luy en challoit guères, si non que ung pou
luy desplaisoit la folie du premier venu, qui trop fort à son gré se
boutoit en chose de petite value. Et de fait se pensa qu'il l'en
advertiroit tout du long, ce qu'il fist. Or savoit-il bien que les jours
que la gouge luy defendoit de venir vers elle, dont il faisoit trop bien
le mal content, estoient gardez pour son compaignon le premier venu. Si
fist le guet par pluseurs nuiz; et le véoit entrer vers elle par le
mesme lieu et à celle heure que ès aultres ses jours faisoit. Si luy
dist ung jour entre les aultres: «Vous m'avez beaucop celé les amours
d'une telle et de vous; et n'est serment que vous ne m'ayez fait au
contraire, dont je m'esbahis bien que vous prenez si peu de fiance en
moy, voire quand je sçay davantage et véritablement ce qui est entre
vous et elle. Et affin que vous sachiez que je sçay qui en est, je vous
ay veu entrer de vers elle par pluseurs foiz à telle heure et à telle;
et de fait hier, n'a pas plus loing, je teins sur vous, et d'un lieu où
j'estoye, je vous y vy entrer; vous savez bien si je dy vray.» Le
premier venu, quand il oyt si vives enseignes tant notoires, il ne sceut
que dire; si luy fut force de confesser ce qu'il eust très voluntiers
celé, et qu'il cuidoit que ame ne sceust que luy. Et dist à son
compaignon le derrenier venu que vrayement il ne luy peut plus ne veult
celer qu'il en soit bien amoureux, mais il luy prie qu'il n'en soit
nouvelle. «Et que diriez-vous, dit l'autre, si vous aviez
compaignon?--Compaignon! dist-il, quel compaignon? En amours, je ne le
pense pas, dit il.--Saint Jehans! dist le derrenier venu, et je le sçay
bien; il ne fault jà aller de deux en trois, c'est moy. Et pour ce que
je vous voy plus feru que la chose ne vaille, vous ay-je pieça voulu
advenir, mais vous n'y avez voulu entendre; et si je n'avoie plus grant
pitié de vous que vous mesmes n'ayez, je vous lairroye en ceste folye;
mais je ne pourroye souffrir que une telle gouge se trompast et de vous
et de moy si longuement.» Qui fut bien esbahy de ces nouvelles, ce fut
le premier venu, car il cuidoit tant estre en grace que merveilles; si
ne savoit que dire ne penser. Au fort, quand il parla, il dist: «Nostre
dame! on m'a bien baillé de l'oye, et si ne m'en doubtoie guères; si en
ay esté plus aisié à decevoir; le dyable emporte la gouge quand elle est
telle!--Je vous diray, dit le derrenier venu, elle se cuide tromper de
nous, et de fait elle a desjà trèsbien commencé, mais il la fault nous
mesmes tromper.--Et je vous en prie, dist le premier venu, le feu de
saint Anthoine l'arde quand oncques je l'accointay!--Vous savés, dist le
derrenier venu, que nous allons vers elle tour à tour, il fault qu'à la
première foiz que vous yrez ou moy, ainsi qu'il viendra, que vous dictes
que vous avez bien cogneu et apperceu que je suis amoureux d'elle, et
que vous m'avez veu entrer et vers elle venir, à telle heure, et ainsi
habillé; et que par la mort bieu, si vous m'y trouvez plus, vous me
tuerez tout roidde, quelque chose qui vous en doibve advenir. Et je
diray pareillement de vous, et nous verrons sur ce qu'elle fera et dira
et arons advis du surplus.--C'est très bien dit, et je le veil», dit le
premier venu. Comme il fut dit il en fut fait, car je ne scay quans
jours après, le derrenier venu eut son tour d'aller besoigner, si se
mist au chemin et vint au lieu assigné. Quand il se trouva seul avecques
la gouge, qui le receut très doulcement et de grand cueur, comme il
sembloit, il faindit, comme bien le savoit faire, une sure et matte
chère, et monstra semblant de courroux. Et elle, qui avoit accoustumé de
le voir tout aultre, ne sceut que penser; si luy demanda qu'il avoit et
que sa manière monstroit que son cueur n'estoit pas à son
aise.--«Vrayement, madamoiselle, dist-il, vous dictes vray, que j'ay
bien cause d'estre mal content et desplaisant; la vostre mercy
toutesfoiz que le m'avez pourchassé.--Moy, dist-elle. Hélas! non ay, que
je sache; car vous estes le seul homme en ce monde à qui je vouldroye
faire plus de plaisir, et de qui plus près me toucheroit l'ennuy et le
desplaisir.--Il n'est pas damné qui ne le croit, dit-il; et pensez-vous
que je ne me soye bien apperceu que vous entretenez ung tel, c'est
assavoir le premier venu. Si faiz, par ma foy, je l'ai trop bien veu
parler à vous à part; et que plus est, je l'ay espié et veu entrer
ceans. Mais par la mort bieu, si je l'y trouve jamais, son derrenier
jour sera venu, quelque chose qu'il en doyve ou puisse advenir; que je
souffrisse ne peusse veoir qu'il me fist ce desplaisir, j'aymeroye
mieulx à morir mille foiz, s'il m'estoit possible. Et vous estes aussi
bien desloyalle, qui savez certainement et de vray que, après Dieu, je
n'ayme rien tant que vous, qui à mon très grant prejudice le voulez
entretenir.--Ha! monseigneur, dit-elle, et qui vous a fait ce raport?
Par ma foy, je veil bien que Dieu et vous sachez que la chose va tout
aultrement, et de ce je le prens à tesmoignage qu'oncques en jour de ma
vie je ne tins termes à cestuy dont vous parlez, ne à aultre, quel qui
soit, tant que vous ayez tant soyt peu de cause d'en estre mal content.
Je ne veil pas nyer que je n'aye parlé et parle à luy tous les jours, et
à pluseurs aultres, mais qu'il y ait entretiennement, rien; ains tiens
que ce soit la maindre de ses pensées, et aussi, par Dieu, il se
abuseroit. Jà Dieu ne me laisse tant vivre que aultruy que vous ait une
part ne demye en ce qui est tout entière vostre.--Madamoiselle, dit-il,
vous le savez très bien dire, mais je ne suis pas si beste de le
croire.» Quelque malcontent qu'il y eust, il fist ce pourquoy il estoit
venu, et au partir luy dist: «Je vous ay dit et de rechef vous faiz
savoir que si je m'apperçoy jamais que l'aultre y vienne, je le mettray
ou feray mettre en tel point qu'il ne courroussera jamais ne moy ne
aultre.--Ha! monseigneur, dit elle, par dieu vous avez tort de prendre
vostre ymaginacion sur luy, et croiez que je suis seure qu'il n'y pense
pas.» Ainsi departit nostre derrenier venu. Et au lendemain son
compaignon le premier venu ne faillit pas à son lever pour savoir des
nouvelles; et il luy en compta largement et bien au long le demené,
comment il fist le courroucié, comment il la menasse de tuer, et les
responses de la gouge. «Par mon serment, c'est bien joué. Or laissez moy
avoir mon tour; si je ne fays bien mon personnage, je ne fuz oncques si
esbahy.» A chef de pièce son tour vint, et se trouva vers la gouge, qui
ne luy fist pas mains de chère qu'elle avoit de coustume, et que le
derrenier venu en avoit emporté naguères. Si l'aultre son compaignon le
derrenier venu avoit bien fait du mauvais cheval et en maintien et en
paroles, encores en fist-il plus, et comme celuy qui sembloit plus
courroucié qu'oncques homme ne fut joyeux, dist en telle manière: «Je
doy bien maudire l'heure et le jour qu'oncques j'eu vostre accointance;
car il n'est pas possible à Dieu ne au monde tout ensemble d'amasser
plus de doleurs, regretz, et d'amers desplaisirs au cueur d'un pouvre
amoureux que j'en trouve aujourd'uy dont le mien est environné et
assiégé. Helas! je vous avoye entre aultres choisie comme la non
pareille de loyaulté, genteté et gracieuseté, et que je y trouveroye
largement et à comble la trèsnoble vertu de loyauté; et à ceste cause
m'estoye de mon cueur defait, et du tout l'avoye mis en vostre mercy,
cuidant à la vérité que plus noblement ne en meilleur lieu asseoir ne le
pourroie; mesmes m'avez ad ce mené que j'estoye prest et délibéré
d'attendre la mort, ou plus, si possible eust esté, pour vostre honneur
sauver. Et quand j'ay cuidié estre plus seur de vous, que je n'ay pas
seullement sceu par estrange rapport, mais à mes yeulx mesmes perceu ung
aultre venu de costé, qui me toust et rompt tout l'espoir que j'avoye en
vostre service d'estre de vous tout le plus cher tenu.--Mon amy, dist la
gouge, je ne sçay qui vous a troublé, mais vostre manière et voz
parolles portent et jugent qu'il vous fault quelque chose, que je ne
saroie penser ne inferrer que ce peut estre, si vous n'en dictes plus
avant, si non ung peu de jalousie qui vous tourmente, ce me semble, de
laquelle, si vous estiez bien sage, n'ariez cause de vous accointer. Et
là où je saroye, je ne vous en vouldroye pas bailler l'occasion; et si
vous pensez bien à tout, vous n'estes pas si peu accoinct de moy que je
ne vous aye monstré la chose au monde qui plus vous en peut donner et
bailler cause d'asseurance, à quoy vous me feriez tantost avoir regret,
par me servir de telz paroles.--Je ne suis pas homme, dit le premier
venu, que vous doyez contenter de paroles, car excusance n'y vault rien.
Vous ne povez nyer que ung tel, c'est asavoir le derrenier venu, ne soit
de vous entretenu; je le scay bien, car je m'en suis donné garde, et si
ay bien fait le guet, car je l'ay veu venir vers vous hier, n'a pas
plus loing; il y vint à telle heure et ainsi habillé. Mais je voue à
Dieu qu'il en a prins ses quaresmeaux, car je tendray sur luy; et
fust-il plus grand maistre cent foiz, si je l'y puis rencontrer je luy
osteray la vie du corps, ou luy à moy, ce sera l'un des deux; car je ne
pourroie vivre voyant ung aultre joïr de vous. Et vous estes bien faulse
et desloyale, qui m'avez en ce point deceu; et non sans cause maudiz-je
l'heure qu'oncques vous accointay, car je sçay tout certainement que
c'est ma mort, si l'aultre scet ma volunté, et espère que oy. Et par
vous je sçay de vray que je suis mort; et s'il me laisse vivre, il
aguyse le cousteau qui sans mercy à ses derrains jours le mainra. Et
s'ainsi en advient, le monde n'est pas assez grand pour moy sauver que
morir ne me faille.» La gouge n'avoit pas moyennement à penser pour
trouver soudaine et suffisante excusance pour contenter celuy qui est si
mal content. Toutesfoiz ne demoura qu'elle ne se mist en ses devoirs de
l'oster hors de ceste melencolie, et pour assiete en lieu de cresson,
elle luy dist: «Mon amy, j'ay bien au long entendu vostre grand ratelée
qui, à la verité dire, me baille à cognoistre que je n'ay pas esté si
sage que je deusse, et que j'ay trop tost adjousté foy à voz semblans et
decevables parolles, et qu'elles m'ont conclut et rendue en vostre
obeissance; vous en tenez à present trop mains de biens de moy. Aultre
raison aussi vous meut, car vous savez et assez cognoissez de fait que
je suis prinse et que amours m'ont ad ce menée que sans vostre presence
je ne puis vivre ne durer. Et à ceste cause et pluseurs aultres qu'il ne
fault jà dire, vous me voulez tenir vostre subjecte et esclave, sans
avoir loy de parler ne deviser à nul aultre que à vous. Puis qu'il vous
plaist, au fort j'en suis contente, mais vous n'avez nulle cause de moy
suspessonner en rien de personne qui vive, et si ne fault aussi jà que
m'en excuse; verité, que tout vaint, m'en defendra si luy plaist.--Par
dieu, m'amye, dist le premier venu, la verité est telle que je vous ay
dicte, qui vous sera quelque jour prouvée et cher vendue pour aultry et
pour moy, si aultre provision de par vous n'y est mise.» Après ces
parolles et aultres trop longues à racompter, se partit le premier venu,
qui pas n'oblya lendemain tout au long racompter à son compaignon le
derrain venu, Et Dieu scet les risées et joyeuses devises qu'à ceste
cause qu'ilz eurent entre eulx deux. Et la gouge en ce lieu avoit bien
des estouppes en sa quenoille, qui veoit et savoit très bien que ceulx
qu'elle entretenoit se doubtoient et percevoient chacun de son
compaignon, mais pourtant ne laissa pas de leur bailler tousjours
audience, chacun à sa foiz, puis qu'ils la requeroient, sans en donner à
nul congié. Trop bien les advertissoit qu'ilz venissent bien secrètement
vers elle, affin qu'ilz ne fussent de quelque ung apperceuz. Mais vous
devez savoir, quand le premier venu avoit son tour, qu'il n'oblioit pas
à faire sa plaincte comme dessus; et n'estoit rien de la vie de son
compaignon s'il le povoit rencontrer. Pareillement le derrenier, le jour
de son audience, s'efforçoit de monstrer semblant plus desplaisant que
le cueur ne luy donnoit; et ne valoit son compaignon, qui oyoit son
dire, guères mieulx que mort, s'il le treuve en belles. Et la subtille
et double damoiselle le cuidoit abuser de paroles, qu'elle avoit tant à
main et si prestes, que ses bourdes sembloient autant véritables comme
l'Euvangile. Et si cuidoit bien en son sens tant, quelque doubte ne
suspicion qu'ilz eussent, que jamais la chose ne fust plus avant
efforcée, et qu'elle estoit aussi bien femme pour les fournir tous deux
et mieux trop que nesung d'eulx à part n'estoit pour la seulle servir à
gré. La fin fut aultre, car le derrenier venu, qu'elle craignoit beaucop
à perdre, quelque chose qu'il fust de l'aultre, luy dist ung jour trop
bien sa leçzon. Et de fait dit qu'il n'y retourneroit plus; et aussi ne
fist-il grand pièce après, dont elle fut très desplaisante et
malcontente. Or ne fait pas à oblyer, affin qu'elle eust encores mieulx
le feu, il envoya vers elle ung gentilhomme de son estroict conseil,
affin de luy remonstrer bien au long le desplaisir qu'il avoit d'avoir
compaignon en son service; et bref et court, si elle ne lui donne congé
il n'y reviendra jour qu'il vive. Comme vous avez oy dessus, elle n'eust
pas volontiers perdu son accointance: si n'estoit saint ne saincte
qu'elle ne parjurast, soy excusant de l'entretenance du premier; et en
fin comme toute forcenée dist à l'escuier: «Et je monstreray à vostre
maistre que je l'ayme; et me baillez vostre cousteau.» Quand elle l'eut,
elle se desatourna, et couppa tous ses cheveulx de ce cousteau, non pas
bien à l'ung. L'aultre print ce present, qui bien savoit toutesfoiz la
verité du cas, et s'offrit de faire le mieulx qu'il pourroit et du
present faire devoir, ainsi qu'il fist tantost après. Le derrenier venu
receut ce present, qu'il destroussa et trouva les cheveulx de sa dame,
qui beaulx estoient et beaucop longs; si ne fut guères aise tant qu'il
trouva son compaignon, au quel il ne cela pas l'ambassade qu'on a mise
sus, et à luy envoyée, et les gros presens qu'on luy envoye, qui n'est
pas pou de chose; et lors monstra les beaulx cheveulx: «Je croy, dit-il,
que je suis bien en grace; vous n'avez garde qu'on vous en face
autant.--Saint Jehan, dit l'aultre, véez cy aultre nouvelle; or voy je
bien que je suis frict. C'est fait, vous avez bruyt tout seul; sur ma
foy, fist le derrenier venu, je tien, moy, qu'il n'en est pas encores
une telle; je vous requier, pensons qu'il est de faire? Il luy fault
monstrer à bon escient que nous la cognoissons telle qu'elle est.--Et je
le veil», dit l'aultre. Tant pensèrent et contrepensèrent qu'ilz
s'arrestèrent à faire ce qui s'ensuyt. Le jour ensuyvant, ou tost après,
les deux compaignons se trouvèrent en une chambre ensemble où leur
loyale dame avec pluseurs aultres estoit; chacun s'assist et print sa
place où mieulx luy pleut, le premier venu auprès de la bonne
damoiselle, à laquelle tantost après pluseurs devises il monstra les
cheveux qu'elle avoit envoyez à son compaignon. Quelque chose qu'elle en
pensast, elle n'en monstra nul semblant d'effroy; mesme disoit qu'elle
ne les cognoissoit, et qu'ils ne venoient point d'elle.--«Comment,
dist-il, sont-ilz si tost changez et descogneuz?--Je ne scay, dit-elle,
qu'ilz sont, mais je ne les cognois.» Et quand il vit ce, il se pensa
qu'il estoit heure de jouer son jeu; et fist manière de vouloir mettre
son chapperon qui sur son espaule estoit dessus sa teste, et en ce
faisant tout au propos luy fist hurter si rudement à son atour qu'il
l'envoya par terre, dont elle fut bien honteuse et malcontente, et ceulx
qui là estoient apperceurent bien que ses cheveulx estoient couppez, et
assez lourdement. Elle saillit sus bien à haste, et si reprint son atour
et s'en entra en une aultre chambre pour se aller ratourner, et il la
suyt; si la trouva toute marrie et courroucée, voire bien fort plorant
de dueil qu'elle avoit estre desatournée. Si luy demanda qu'elle avoit à
plorer, et à quel jeu elle avoit perdu ses cheveulx? Elle ne savoit que
respondre, tant estoit à celle heure prinse soupprinse. Et il, qui ne se
peut plus tenir de executer la conclusion prinse entre son compaignon et
luy, luy dist: «Faulse et desloyale que vous estes, il n'a pas tenu à
vous que ung tel et moy ne nous sommes entretuez et deshonorez. Et je
tien moy que vous l'eussiez bien voulu, à ce que vous en avez monstré,
pour en racointer deux aultres nouveaulx; mais Dieu mercy, nous n'en
avons garde. Et affin que vous sachez que je sçay son cas et luy le
mien, véez cy voz cheveulx que luy avez envoyez, dont il m'a fait
présent; ne pensez pas que nous soyons si bestes que nous avez tenuz
jusques cy.» Lors se part d'elle, et il appelle son compaignon, et il y
vint: «J'ay rendu à ceste bonne damoiselle ses cheveulx, et si luy ay
commencé à dire comment de sa grace elle nous a bien tous deux
entretenuz; et combien que à sa manière de faire elle a bien monstré
qu'il ne luy challoit se nous deshonnorions l'un l'autre, Dieu nous en a
gardez.--Saint Jehan, ce a mon», dit-il. Et alors adressa sa parolle
mesmes à la gouge; et Dieu scet s'il parla bien à elle, en luy
remonstrant sa très grand lascheté et desloyauté de cueur. Et ne pense
pas que guères oncques femme fust mieulx capitulée qu'elle fut pour
adonc, puis de l'un puis de l'aultre. A quoy elle ne savoit que dire ne
respondre, comme prinse en meffait évident, sinon de larmes, que point
elle n'espargnoit. Et ne pense pas qu'elle eust oncques guères plus de
plaisir en les entretenant tous deux qu'elle avoit à ceste heure de
desplaisir. La conclusion fut telle toutesfoiz qu'ilz ne
l'abandonneroient point, mais par accord doresenavant chacun à son tour
ira; et silz y viennent tous deux ensemble, l'un fera place à l'autre,
et bons amys comme devant, sans plus jamais parler de tuer et de batre.
Ainsi en fut-il fait, et maintindrent les deux compaignons assez
longuement ceste vie et plaisant passetemps, sans ce que la gouge les
osast oncques desdire. Et quand l'un aloit à sa journée, il le disoit à
l'autre; et quand d'adventure l'un esloignoit la marche, et le lieu
demouroit à l'autre, très bon faisoit oyr les recommendacions qu'il
faisoit au partir; mesmes firent de très bons rondeaulx, et pluseurs
chansonnettes, qu'ilz mandèrent et envoyèrent l'un à l'autre, dont il
est aujourduy bruyt, servans au propos de leur matère dessus dicte, dont
je cesseray le parler, et donneray fin au compte.




LA XXXIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


J'ay congneu en mon temps une notable et vaillant femme, digne et de
memoire et de recommendacion, car ses vertuz ne doivent estre cellées
n'estainctes, mais en commune audience publicquement blasonnées. Vous
orrez en bref, s'il vous plaist, en la deduction de ceste nouvelle, la
chose de quoy j'entens amplier et accroistre sa trèseureuse renommée.
Ceste vaillante preude femme, par saint Denis, mariée à ung tout oultre
noz amys, avoit pluseurs serviteurs en amours, pourchassans et desirans
sa grace, qui n'estoit pas trop difficile de conquerre, tant estoit
doulce et pitéable celle qui la vouloit et pouvoit departir largement
par tout où bon et mieulx luy sembloit. Advint ung jour que les deux
vindrent devers elle, comme ilz avoient de coustume, non sachans l'un de
l'autre, demandans lieu de cuyre et leur tour d'audience. Elle, qui pour
deux ne pour trois n'eust reculé ne desmarché, leur bailla jour et heure
de se rendre vers elle, comme à lendemain, l'un à huyt heures du matin,
et l'autre à neuf ensuyvant, chargeant à chacun par exprès et bien
acertes qu'il ne faille pas à son heure assignée. Ilz promisrent sur foy
et honneur, s'ilz n'ont mortel exoine, qu'ilz se rendront au lieu au
terme limité. Quand vient au lendemain, environ vj. heures du matin, le
mary de ceste vaillant femme se lève, habille, et mect en point; et la
huche et appelle pour se lever, mais il ne fut pas obey, ains refusé
tout plainement: «Ma foy, dit-elle, il m'est prins ung tel mal de teste
que je ne saroye tenir sur piez, si ne me pourroye encores lever pour
morir, tant suis et foible et traveillée; et que vous le sachez, je ne
dormy ennuyt. Si vous prie que me laissez icy, j'espoire quand je seray
seulle je prendray quelque pou de repos.» L'aultre, combien qu'il se
doubtast, n'osa contredire ne replicquer, mais s'en alla, comme il avoit
charge, besoigner en la ville, tantdiz que sa femme ne fut pas oiseuse à
l'ostel; car huit heures ne furent pas si tost sonnées que véezcy bon
compaignon, du jour devant à ce point assigné, qui vint hurter à l'huys;
et elle le bouta dedans. Il eut tantost sa longue robe despoillie, et le
surplus de ses habillemens, et puis vint faire compaignie à
madamoiselle, affin qu'elle ne s'espantast. Tant furent entre eulx deux
bras à bras et aultrement que le temps s'écoula et passa, et ne se
donnèrent garde qu'ilz oyrent assez rudement hurter à l'huys. «Ha,
dist-elle, par ma foy, véezcy mon mary, avancez vous bien tost, prenez
vostre robe.--Vostre mary, dit-il, et le cognoissez vous à hurter?--Oy,
dit-elle, je sçay bien que c'est il; abregez-vous, qu'il ne vous trouve
icy.--Il faut bien, se c'est il, qu'il me voye; je ne me saroye où
sauver.--Qu'il vous voye, dit-elle, non fera, si Dieu plaist, car vous
seriez mort et moy aussi; il est trop merveilleux. Montez en hault, en
ce petit garnier, et vous tenez tout coy, sans mouvoir, qu'il ne vous
voye.» L'autre monta, comme elle luy dist, et se vint trouver en ce
petit garnier, qui estoit d'ancien edifice, tout desplanché, delaté et
pertuisé en plusieurs lieux. Et madamoiselle le sentent tout là dessus,
fait ung sault jusques à l'huys, très bien sachant que ce n'estoit pas
son mary; et mist dedans celuy qui ce jour avoit à neuf heures promis
devers elle se rendre. Ilz vindrent en la chambre, où pas ne furent
longuement debout, mais tout plat s'entreaccolèrent et baisèrent en la
mesme ou semblable fasson que celuy du garnier avoit fait; lequel par
ung pertuis véoit à l'oeil la compaignie, dont il n'estoit pas trop
content. Et fut grant piece à son courage, asavoir si bon estoit qu'il
parlast ou si mieulx luy valoit le taire. Il conclud toutesfoiz tenir
silence et nul mot dire jusques ad ce qu'il verra mieulx son point; et
pensez qu'il avoit belle pacience. Tant attendit, tant regarda sa dame
avecques le survenu, que bon mary vint à l'ostel pour savoir de l'estat
et santé de sa très bonne femme, ce qu'il estoit trèsbien tenu de faire.
Elle l'oyt tantost, si n'eut aultre loisir de faire subitement lever sa
compaigne; et car elle ne savoit où le sauver, pour ce que ou garnier ne
l'eust jamais envoyé, elle le fist bouter en la ruelle du lit, et puis
le couvrit de ses robes, et luy dist: «Je ne vous sçay où mieulx loger,
prenez en pacience.» Elle n'eut pas finé son dire que son mary entra
dedans, qui aucunement ce luy sembloit avoit noise entreoye; si trouva
le lit tout defroissié et despillié, la couverture mal honnye et
d'estrange byhès; et sembloit mieulx le lit d'une espousée que couche de
femme malade. La doubte qu'il avoit auparavant, avecques l'apparence de
present, luy fist sa femme appeller par son nom, et dist: «Paillarde
meschante que vous estes, je n'en pensoye pas mains huy matin, quand
vous contrefeistes la malade! Où est vostre houllier? Je voue à Dieu, si
je le trouve, il aura mal finé et vous aussi.» Et lors mist la main à la
couverture, disant: «Véezcy pas bel appareil? il semble que les
pourceaux y ayent couchié.--Et qu'avez vous, meschant yvroigne, ce
dist-elle, fault-il que je compare le trop de vin que vostre gorge a
entonné? Est ce la belle salutacion que vous me faictes de m'appeller
paillarde? Je veil bien que vous le sachez que je ne sois pas telle;
mais suis trop bonne et trop loyale pour ung tel paillard que vous
estes; et n'ay aultre regret que si bonne vous ay esté, car vous ne le
valez pas. Et ne sçay qui me tient que je ne me lève et vous egratigne
le visage par telle fasson que tousjours mes aurez memoire de m'avoir
sans cause villennée.» Et qui me demanderoit comment elle osoit en ce
point respondre, et à son mary parler, je y trouve deux raisons: la
première si est le bon droit qu'elle avoit en la querelle, et l'aultre
car elle se sentoit la plus forte en la place. Et fait assez penser que,
si la chose fust venue jusques aux horions, celui du garnier et l'aultre
de la ruelle l'eussent servy et secouru. Le pouvre mary ne savoit que
dire, qui oyoit le dyable sa femme ainsi tonner; et, pource qu'il véoit
que hault parler ne fort toucher n'avoit pas lors son lieu, il remist le
procès tout en Dieu, qui est juste et droiturier. Et à chef de sa
meditacion, entre aultres parolles, il dist: «Vous vous excusez beaucop
de ce dont sçay tout le voir; au fort, il ne m'en chault pas tant qu'on
pourroit bien dire; je n'en quier jamais faire noise; celuy qui est là
hault paiera tout.» Et par celuy de la hault il entendoit Dieu, comme
s'ils voulsist dire: «Dieu, qui rend à chacun ce qui luy est deu, vous
paiera de vostre desserte.» Mais le galant qui estoit ou garnier, qui
oyoit ces parolles, cuidoit à bon escient que l'autre l'eust dit pour
luy, et qu'il fust menacié de porter la paste au four pour le meffait
d'aultruy; si respondit tout en hault: «Comment, sire, il suffist bien
que j'en paye la moitié; celuy qui est en la ruelle peut bien paier
l'autre, il y est autant tenu que moy.» Qui fut bien esbahy, ce fut
l'oste, car il cuidoit que Dieu parlast à luy; et celuy de la ruelle ne
savoit que penser, car il ne savoit rien de l'aultre. Il se leva
toutesfoiz, et l'aultre descendit, qui le congneut. Si se partirent
ensemble, et laissèrent la compaignie bien troublée et mal contente,
dont guères ne leur chaloit à bonne cause.




LA XXXVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE VILLIERS.


Ung gentilhomme, chevalier de ce royaume, trèsvertueux et de grand
renommée, grand voyagier et aux armes trèspreu, devint amoureux d'une
trèsbelle damoiselle; et à chef de pièce fut si avant en sa grace que
rien ne luy fut escondit de ce qu'il osa demander. Advint, ne sçay
combien après ceste alliance, que ce bon chevalier, pour mieulx valoir
et honneur acquerre et embrasser, se partit de sa marche, trèsbien en
point et accompaigné, portant emprinse d'armes du congé de son maistre.
Et s'en alla ès Espaignes et en divers lieux, où il se conduisit
tellement que à grand triumphe à son retour fut receu. Pendant ce temps,
sa dame fut mariée à ung ancien chevalier, qui gracieux et sachant homme
estoit, qui tout son temps avoit hanté à court, et pour vray dire estoit
le vray registre d'honneur. Et n'estoit pas ung petit dommage qu'il
n'estoit mieulx allié, combien toutesfoiz qu'encores n'estoit pas
descouverte l'encloueure de son infortune si avant que d'estre commune,
comme elle fut depuis, ainsi comme vous orrez. Ce bon chevalier amoureux
dessusdit, retournant d'accomplir ses armes, comme il passoit païs,
arriva d'aventure à ung soir au chasteau où sa dame demouroit. Et Dieu
scet la bonne chère que monseigneur son mary et elle luy feirent, car de
pieça avoit grand accointance et amytié entre eulx. Mais vous devez
savoir que tantdiz que le seigneur de léens pensoit et s'efforçoit de
faire finance de pluseurs choses pour festoyer son hoste, l'oste se
devisoit à sa dame qui fut, et s'efforçoit de la festoyer et conjoyr
comme il avoit fait ainçois que monseigneur. Elle, qui ne demandoit
aultre chose, ne s'excusoit en rien sinon du lieu. «Mais il n'est pas
possible qu'il se puisse trouver.--Ha! madame, dist-il, par ma foy, si
vous voulez bien, il n'est manière qu'on ne treuve. Et que scera vostre
mary, quand il sera couché et endormy, si vous me venez veoir jusques
en ma chambre? ou si mieulx vous plaist et bon vous semble, je viendray
bien vers vous.--Il ne se peut certes ainsi faire, ce dit-elle, car le
dangier y est trop grand; car monseigneur est de trop legier somme, et
ne s'esveille jamais qu'il ne taste après moy; et s'il ne me trouvoit
point, pensez que ce seroit.--Et quand il s'est en ce point trouvé,
dit-il, que vous fait-il?--Aultre chose, dit-elle, point; il se vire
d'aultre costé.--Ma foy, dit-il, c'est ung trèsmauvais mesnagier, il
vous est bien venu que je suis arrivé pour vous secourir, et luy aider à
parfournir ce qui n'est pas bien en sa puissance d'achever.--Si m'aist
Dieu, dit-elle, quand il besoigne une foiz en ung moys, c'est au mieulx
venir; il ne fault jà que j'en face la petite bouche; creez que je
prendroye bien mieulx.--Ce n'est pas merveille, dit-il, mais regardez
comment nous ferons.--Il n'est manière que je voye, dit elle, comment il
se puisse faire.--Et comment, dit il, n'avez vous femme céens en qui
vous osassiez fier de luy deceler nostre cas?--J'en ay, par Dieu, une,
dit-elle, en qui j'ay bien tant de fiance que de luy dire la chose en ce
monde que plus vouldroye en estre celée, sans avoir suspicion ne doubte
que jamais par elle fust descouverte.--Que nous fault-il donc plus?
dit-il, regardez vous et elle du surplus.» La bonne dame, qui bien avoit
la chose au cueur, appella ceste damoiselle et luy dist: «M'amye, c'est
force ennuyt que tu me serves, et que tu m'aydes à achever une des
choses au monde qui plus au cueur me touche.--Madame, dist la
damoiselle, je suis preste, et contente comme je doy, de vous servir et
obéir en tout ce qui me sera possible; commendez, je suis celle qui
accompliray vostre commendement.--Et je te remercye, m'amye, dist
madame, et soies seure que tu n'y perdras rien. Véezcy le cas: ce
chevalier qui céens est, est l'homme ou monde que le plus j'ayme; et ne
vouldroye pour rien qui fust qu'il se partit de moy sans aultrement
avoir parlé à luy. Or ne me peult-il bonnement dire ce qu'il a sur le
cueur sinon entre nous deux et à part; et je ne m'y puis trouver si tu
ne vas tenir ma place devers monseigneur. Il a de coustume, comme tu
scez, de se virer par nuyt vers moy, et me taster ung peu, et puis me
laisse et se rendort.--Je suis contente de faire vostre plaisir, madame;
il n'est rien qu'à vostre commendement ne face.--Or bien, m'amye;
dit-elle, tu te coucheras comme je faiz, assez loin de monseigneur; et
garde bien que, quelque chose qu'il face, que tu ne dies ung tout seul
mot; et quelque chose qu'il vouldra faire, seuffre tout.--A vostre
plaisir, madame, et je le feray.» L'heure du soupper vint, et n'est jà
mestier de vous compter au service; ce seulement vous souffise qu'on y
fist trèsbonne chère, et qu'il y avoit bien de quoy. Après soupper, la
compaignie s'en ala à l'esbat; le chevalier estrange tenant madame par
le braz, et aucuns aultres gentilzhommes tenans le surplus des
damoiselles de léens. Et le seigneur de l'ostel venoit derrière; et
enqueroit des voyages de son hoste à ung ancien gentil homme qui avoit
conduit le fait de sa despense en son voyage. Madame n'oblya pas de dire
à son amy que une telle de ses femmes tiendra ennuyt sa place, et elle
viendra vers luy. Il en fut trèsjoyeux, et largement la mercya,
trèsdesirant que l'heure fust venue. Il se misrent au retour et vindrent
en la chambre à parer, où monseigneur donna la bonne nuyt à son hoste,
et madame aussi. Et le chevalier estrange s'en vint en sa chambre, qui
estoit belle à bon escient, bien mise à point; et estoit le beau buffet
fourny d'espices, de confictures, et de bon vin de pluseurs façons. Il
se fist tantost deshabiller, et beut une foiz, puis fist boire ses gens
et les envoya coucher, et demoura tout seul, attendant sa dame, laquelle
estoit avec son mary, qui tous deux se despoilloient et se mettoient en
point pour entrer au lit. La damoiselle estoit en la ruelle, qui tantost
que monseigneur fut couché, se vint mettre en la place de sa maistresse;
et elle qui aultre part avoit le cueur, ne fist que ung sault jusques à
la chambre de celuy qui l'attendoit de pié coy. Or est chacun logé,
monseigneur avec sa chambrière, et son hoste avec madame. Et fait à
penser qu'ilz ne passèrent pas toute la nuyt à dormir. Monseigneur,
comme il avoit de coustume, une heure environ devant le jour, se
reveilla, et vers sa chambrière se vira, cuidant estre sa femme, et au
taster qu'il fist hurta sa main d'adventure à son tetin, qu'il sentit
trèsdur et poignant; et tantost cogneut que ce n'estoit point celuy de
sa femme, car il n'estoit point si bien troussé. «Ha, dit-il en soy
mesme, je voy bien que c'est, on m'a joué d'un tour, et j'en bailleray
ung aultre.» Il se vire vers ceste belle fille, et à quelque meschef que
ce fust, il rompit une seulle lance, mais elle le laissa faire sans dire
ung seul mot, ne demy. Quand il eut ce fait, il commence à appeller tant
qu'il peut celuy qui couchoit avecques sa femme: «Hau, monseigneur de
tel lieu, où estes vous? parlez à moy.» L'aultre, qui se oyt appeller,
fut beaucop esbahy, et la dame fut tant esperdue, qu'elle ne savoit sa
manière. «Helas! dit-elle, nostre fait est descouvert, je suis femme
perdue.» Et bon mary de rehucher: «Hau! monseigneur, hau, mon hoste,
parlez à moy.» Et l'aultre s'adventura de respondre et dist: «Que vous
plaist, monseigneur?--Je vous feray tousjours ce change quand vous
vouldrez.--Quel change? dist-il.--D'une vieille jà toute passée,
deshonneste et desloyale, à une belle, bonne, et fresche jeune fille;
ainsi m'avez-vous party, la vostre mercy.» La compaignie ne sceut que
respondre; mesme la pouvre chambrière estoit tant soupprinse que s'elle
fut à la mort condamnée, tant pour le deshonneur et desplaisir de sa
maistresse que pour le sien mesmes qu'elle avoit meschamment perdu. Le
chevalier estrange se departit de sa dame au plus toust qu'il sceut,
sans mercier son hoste, et sans dire adieu. Et oncques puis ne s'i
trouva, car il ne scet encores comme la chose se conduit puis avec son
mary; plus avant ne vous en puis dire.




LA XXXVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Ung trèsgracieux gentilhomme, désirant d'emploier son service et son
temps en la trèsnoble court d'amours, soy sachant de dame improveu, pour
bien choisir et son temps employer, donna cueur, corps et biens à une
belle damoiselle et bonne, qui mieulx vault; laquelle, faicte et duicte
de façonner gens, l'entretint bel et bien assez longuement. Et trop bien
luy sembloit qu'il estoit bien avant en sa grace; et à dire la verité,
si estoit il voire comme les aultres, dont elle avoit pluseurs. Advint
ung jour que ce bon gentilhomme trouva sa dame d'adventure à la fenestre
d'une chambre, ou mylieu d'un chevalier et d'un escuyer, auxquels elle
se devisoit par devises communes. Aucunesfoiz parloit à l'un à part,
sans ce que l'aultre en oyst rien; d'aultre costé faisoit à l'aultre la
pareille, pour chacun contenter; mais, quelque fust bien à son aise, le
pouvre amoureux enrageoit tout vif, qui n'osoit approucher la
compaignie. Et si n'estoit en luy d'esloigner, tant fort desiroit la
presence de celle qu'il amoit mieulx que le surplus des aultres. Trop
bien luy jugeoit le cueur que ceste assemblée ne se departiroit point
sans conclure ou procurer aucune chose à son prejudice; dont il n'avoit
pas tort de ce penser et dire. Et s'il n'eust eu les yeulx bandez et
couvers, il povoit veoir appertement ce dont ung aultre à qui rien ne
touchoit se perceut à l'oeil. Et de fait luy monstra, et véez cy
comment. Quand il congneut et perceut à la lettre que sa dame n'avoit
loisir ne volunté de l'entretenir, il se bouta sur une couche et se
coucha; mais il n'avoit garde de dormir, tant estoient ses yeulx
empeschez de veoir son contraire. Et comme il estoit en ce point,
survint ung gentilhomme qui salua la compaignie, lequel voyant que la
damoiselle avoit sa charge, se tira devers l'escuyer, qui sur la couche
n'estoit pas pour dormir. Et entre aultres devises luy dist l'escuyer:
«Par ma foy, monseigneur, regardez à la fenestre, véez là gens bien
aises. Et ne veez vous pas comment ilz se devisent plaisamment?--Saint
Jehan, tu diz voir, dist le chevalier. Encores font-ilz bien aultre
chose que deviser.--Et quoy? dit l'autre.--Quoy? dit-il; et ne voiz-tu
pas comment elle tient chacun d'eulx par la resne.--Par la resne!
dit-il.--Voire vrayement, pouvre beste, par la resne. Où sont tes yeulx?
Mais il y a bien chois des deux, voire quant à la façon, car celle
qu'elle tient de gauche n'est pas si longue ne si grande que celle qui
emplist sa dextre main.--Ha! dit l'escuyer, par la mort bieu! vous
dictes voir; saint Anthoine arde la louve!» Et pensez qu'il n'estoit pas
bien content. «Ne te chaille, dit le chevalier, porte ton mal le plus
bel que tu peuz; ce n'est pas icy que tu doiz dire ton courage, force
est que tu faces de necessité vertuz.» Aussi fist-il, et véez cy bon
chevalier qui s'approuchoit de la fenestre où la galée estoit, si
perceut d'adventure que le chevalier à la resne gauche se liève en piez,
et regardoit que faisoient et disoient la damoiselle gracieuse et
l'escuier son compaignon. Si vint à luy et luy dist, en luy donnant ung
petit coup sur le chapeau: «Entendez à vostre besoigne, de par le
dyable, et ne vous soussyez des aultres.» L'aultre se retira et commença
de rire; et la damoiselle, qui n'estoit pas femme à effrayer de legier,
ne s'en mua oncques; trop bien tout doulcement laissa sa prinse, sans
rougir ne changer coleur. Regret eut elle assez en soy mesmes
d'abandonner de la main ce que aultre part luy eust bien servy. Et fait
assez à croire que par avant et depuis n'avoit celuy des deulx qui ne
luy fist très voluntiers service; si eust bien fait, qui eust voulu, le
dolent amoureux malade qui fut contraint d'estre notaire du plus grand
desplaisir qu'au monde advenir luy pourroit, et dont la seule pensée en
son pouvre cueur renurée estoit assez, et trop puissante de le mettre en
desespoir, si raison ne l'eust à ce besoing secouru, qui luy fist tout
abandonner, et aultre part sa queste en amours commencer, la quelle il
puisse aultrement achever, car de ceste cy on ne pourroit ung seul bon
mot à son avantage compter.




LA XXXVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Tantdiz que les aultres penseront et à leur memoire ramainront aucuns
cas advenuz et perpetrez, habilles et suffisans d'estre adjoustez à
l'ystoire presente, je vous compteray, en brefz termes, en quelle façon
fut deceu le plus jaloux de cest royaume pour son temps. Je croy assez
qu'il n'a pas esté seul entaché de ce mal; mais toutesfoiz, car il le
fut oultre l'enseigne, je ne le saroie passer sans vous faire savoir le
gracieux tour qu'on luy fist. Ce bon jaloux dont je vous compte estoit
très grand historien et avoit beaucoup veu, leu et releu de diverses
histoires; mais la fin principale à quoy tendoit son exercice et tout
son estude, estoit de savoir et cognoistre les façons et manières et
quoy et comment femmes pevent decepvoir leurs mariz. Et car, la Dieu
mercy, les histoires anciennes, comme Matheolet, Juvenal, les Quinze
Joyes de mariage, et aultres pluseurs dont je ne scay le compte, font
mencion de diverses tromperies, cauteles, abusions et deceptions en cest
estat advenues. Nostre jaloux les avoit tousjours entre ses mains, et
n'en estoit pas mains assotté qu'un follastre de sa massue; toutesfoiz
lysoit, tousjours estudioit, et d'iceulx livres fist ung petit extrait
pour luy, ou quel estoient emprinses, descriptes et notées pluseurs
manières de tromperies, au pourchaz et emprinses de femmes, et ès
personnes de leurs mariz executées. Et ce fist-il tendant à fin d'estre
mieulx premuny et sur sa garde si sa femme à l'adventure vouloit user de
telles querelles en son livre croniquées et registrées. Qu'il ne gardast
sa femme d'aussi près comme ung jaloux Ytalien, si faisoit, et si
n'estoit pas encores bien asseuré, tant estoit fort feru du maudit mal
de jalousie. En cest estat et aise delectable fut ce bon homme trois ou
quatre ans avecques sa femme, laquelle pour tout passetemps n'avoit
aultre loisir d'estre hors de sa presence infernale, sinon allant et
retournant de la messe, accompaignée d'une vieille serpente qui d'elle
avoit la charge. Ung gentil compaignon, oyant la renommée de ce
gouvernement, vint rencontrer ung jour ceste bonne damoiselle, qui
gracieuse et belle à bon escient estoit; et luy dist le plus
gracieusement que oncques peut le bon vouloir qu'il avoit de luy faire
service, plaignant et souspirant pour l'amour d'elle sa maudicte
fortune, d'estre allyée au plus jaloux que la terre soustiene, et
disant au surplus qu'elle estoit la seule en vie pour qui plus vouldroit
faire. «Et pource que je ne vous puis pas icy dire combien je suis à
vous, et pluseurs aultres choses dont j'espere que ne serez que
contente, s'il vous plaist, je le mettray par escript et demain le vous
bailleray, vous suppliant que mon petit service, partant de bon vouloir
et entier, ne soit pas refusé.» Elle l'escouta voluntiers; mais, pour la
presence du Dangier, qui trop près estoit, guères ne respondit;
toutesfoiz elle fut contente de veoir ses lettres quand elles viendront.
L'amoureux print congé assez joyeux et à bonne cause; et la damoiselle,
comme elle estoit doulce et gracieuse, le congya; mais la vieille qui la
suyvoit ne faillit pas de demander quel parlement avoit esté entre elle
et celuy qui s'en va. «Il m'a, dit-elle, apporté nouvelle de ma mère,
dont je suis bien joyeuse, car elle est en bon point.» La vieille
n'enquist plus avant; si vindrent à l'ostel. L'aultre au lendemain,
garny d'unes lettres Dieu scet comment dictées, vint rencontrer sa dame,
et tant subitement et subtilement les luy bailla que oncques le guet de
la vieille serpente n'en eut la cognoissance. Ces lettres furent
ouvertes par celle qui voluntiers les vit quand elle fut à part. Le
contenu en gros estoit comment il estoit esprins de l'amour d'elle, et
que jamais ung seul jour de bien n'aroit si temps et loisir prestez ne
luy sont pour plus au long l'en advertir, requerant en conclusion
qu'elle luy veille de sa grace jour et lieu assigner convenable à ce
faire, ensembles et response à ce contenu. Elle fist unes lettres par
lesquelles très gracieusement s'excusoit de vouloir en amours entretenir
aultre que celuy auquel elle doit et foy et loyauté; néantmains
toutesfoiz, pourtant qu'il est tant fort esprins d'amours à cause
d'elle, qu'elle ne vouldroit pour rien qu'il n'en fust guerdonné, elle
seroit très contente d'oyr ce qu'il luy vouldroit dire, si nullement
povoit ou savoit; mais certes nenny; tant près la tient son mary, qu'il
ne la laisse d'ung pas sinon à l'heure de la messe, qu'elle vient à
l'église, gardée et plus que gardée par la plus pute veille qui jamais
aultruy destourba. Ce gentil compaignon, tout aultrement habillé en
point que le jour precedent, vint rencontrer sa dame, qui très bien le
congneut; et au passer qu'il fist assez près d'elle receut de sa main sa
lettre dessus dicte. S'il avoit faim de veoir le contenu, ce n'estoit
pas de merveille; il se trouva en ung destour où tout à son aise et beau
loisir vit et congneut l'estat de sa besongne, qui luy sembloit estre en
bon train. Si regarda qu'il ne luy fault que lieu pour venir au dessus
et à chef de sa bonne entreprise, pour laquelle achever il ne finoit
nuyt ne jour de adviser et penser comment il se pourroit conduire. Il
s'advisa d'un trèsbon tour en la parfin, qui ne fait pas à oublier: car
il s'en vint à une sienne bonne amye qui demouroit entre l'eglise où sa
dame alloit à la messe et l'ostel d'elle; et luy compta sans rien celer
le fait de ses amours, luy priant que à ce besoing luy veille aider et
secourir. «Ce que je pourroye faire pour vous, dist-elle, ne pensez pas
que je ne m'y employe de trèsbon cueur.--Je vous mercye, dit-il; et
seriez vous contente qu'elle venist céans parler à moy?--Ma foy, dit
elle, pour l'amour de vous, il me plaist bien.--Et bien! dit il, s'il
est en moy de vous faire autant de service, pensez que j'aray
cognoissance de ceste courtoisie.» Il ne fut oncques aise tant qu'il
eust rescript à sa dame et baillé ses lettres, qui contenoient qu'il
avoit tant fait à une telle «qui est ma très grande amye, femme de bien,
loyalle et secrète, et qui vous ame et cognoist bien, qu'elle nous
baillera sa maison pour deviser. Et véez cy que j'ai advisé: je seray
demain en la chambre d'enhault, qui descouvre sur la rue, et si aray
emprès de moy ung grand seau d'eaue et de cendres entremeslées, dont je
vous affubleray tout à coup que vous passerez. Et si seray en habit si
descogneu que vostre veille ne ame du monde n'ara garde de moy
cognoistre. Quand vous serez en ce point atournée, vous ferez bien de
l'esbahie et vous sauverez en ceste maison; et par vostre Dangier
manderez querre une aultre robe; et tantdiz qu'elle sera au chemin, nous
parlerons ensemble.» Pour abréger, ces lettres furent baillées, et la
response fut rendue par celle qui fut contente. Or fut venu ce jour, et
la damoiselle affublée par son serviteur du seau d'eaue et de cendres,
voire par telle façon que son couvrechef, sa robe et le surplus de ses
habillemens furent tous gastez et percez. Et Dieu scet qu'elle fist bien
de l'esbahie et de la malcontente; et comme elle estoit estollée, elle
se bouta en l'ostel, ignorant d'y avoir cognoissance. Tantost qu'elle
vit la dame, elle se plaindit de son meschef, et n'est pas à vous dire
le dueil qu'elle menoit de ceste adventure. Maintenant plaint sa robe,
maintenant son couvrechef, et l'aultre foiz son tixu; bref, qui l'oyoit,
il sembloit que le monde fust finé. Et Dangier sa meschine, qui
enrageoit d'angaigne, avoit ung coulteau en sa main dont elle nestoioit
sa robe le mieulx qu'elle savoit. «Nenny, nenny, m'amye, vous perdés
vostre peine, ce n'est pas chose à nettoyer si en haste; vous n'y sariez
faire chose maintenant qui valust rien; il fault que j'aye une aultre
robe et ung aultre couvrechef, il n'y a point d'aultre remède; allez à
l'ostel et les m'apportez, et vous avancez de retourner, que nous ne
perdons la messe avecques tout nostre mal.» La vieille, voyant la chose
estre necessaire, n'osa desdire sa maistresse; si print et robe et
couvrechef soubz son manteau, et à l'ostel s'en va. Elle n'eut pas si
tost tourné les talons que sa maistresse ne fut guidée en la chambre où
son serviteur estoit, qui voluntiers la vit en cotte simple et en
cheveulx. Et, tantdiz qu'ilz se devisèrent, nous retournerons à parler
de la vieille qui revint à l'ostel, où elle trouva son maistre, qui
n'attendit pas qu'elle parlast, mais demanda incontinent: «Qu'avez vous
fait de ma femme, et où est elle?--Je l'ay laissée, dit-elle, chés une
telle, et en tel lieu.--Et à quel propos?» dit-il. Lors elle luy monstra
robe et couvrechef, et luy compta l'adventure de la tyne d'eaue et des
cendres, disant qu'elle vient querir aultres habillemens, car en ce
point sa maistresse n'osoit partir dont elle estoit. «Est ce cela?
dit-il; nostre dame, ce tour n'estoit pas en mon livre! Allez, allez, je
voy bien que c'est.» Il eust voluntiers dit qu'il estoit coux, et creez
que si estoit-il à ceste heure; et ne l'en sceut oncques garder livre ne
brevet où pluseurs tours estoient enregistrez. Et fait assez à penser
qu'il retint si bien ce derrenier qu'oncques depuis de sa memoire ne
partit, et ne luy fut nesung besoing que à ceste cause il l'escripsist,
tant en eut fresche souvenance le pou de bons jours qu'il vesquit.




LA XXXVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LOAN.


N'a guères que ung marchant de Tours, pour festoyer son curé et aultres
gens de bien, achatta une belle et grosse lemproye, et l'envoya à son
hostel, et chargea trèsbien sa femme de la mettre à point, ainsi
qu'elle savoit bien faire. «Et faictes, dist-il, que le disner soit
prest à douze heures, car j'ameneray nostre curé, et aucuns aultres
qu'il luy nomma.--Tout sera prest, dit-elle, amenez qui vous vouldrez.»
Elle mist à point ung grand tas de bon poisson; et quand vint à la
lemproie, elle la souhaicta aux Cordeliers, à son amy, et dist en soy
mesmes: «Ha, frère Bernard, que n'estez vous cy! Par ma foy, vous n'en
partiriez tant qu'auriez tasté de la lemproye, ou, se mieulx vous
plaisoit, vous l'emporteriez en vostre chambre; et je ne fauldroye pas
de vous y faire compaignie.» A trèsgrant regret mettoit ceste bonne
femme la main à ceste lemproye, voire pour son mary, et ne faisoit que
penser comment son cordelier la pourroit avoir. Tant pensa et advisa
qu'elle conclud de luy envoyer par une vieille qui savoit de son secret,
ce qu'elle fist, et luy manda qu'elle viendroit ennuyt soupper et
coucher avecques luy. Quand maistre cordelier vit celle belle lemproye
et entendit la venue de sa dame, pensez qu'il fut joyeux et bien aise;
et dist bien à la vieille, s'il peut finer de bon vin, que la lemproye
ne sera pas frustrée du droit qu'elle a, puis qu'on la mengeue. La
vieille retourna de son message et dist sa charge. Environ douze heures,
véez cy nostre marchant venir, le curé et aucuns aultres bons
compaignons, pour devorer ceste lemproye, qui estoit bien hors de leur
commendement. Quand ilz furent trestous en l'ostel du marchant, il les
mena trestouz en la cuisine pour leur monstrer la grosse lemproye dont
il les veult festoier; et appella sa femme, et luy dist: «Monstrez nous
nostre lemproye, je veil savoir à ces gens si j'ay eu bon
marché.--Quelle lemproye? dit elle.--La lemproye que je vous fiz bailler
pour nostre disner, avecques cest aultre poisson.--Je n'ay point veu de
lemproye, dit elle; je cuide, moy, que vous songez. Véezcy une carpe,
deux brochez et je ne scay quelx aultres poissons; mais je ne viz
aujourd'uy lemproye.--Comment, dit il, et pensez vous que je soye
yvre?--Ma foy ouy, dirent lors et le curé et les aultres, nous n'en
pensasmes aujourd'uy mains; vous estes un peu trop chiche pour acheter
lemproye maintenant.--Par Dieu, dist la femme, il se farse de vous, ou
il a songé d'une lemproye, car seurement je ne viz de cest an lemproye.»
Et bon mary de soy courroucer, et dit: «Vous avez menty, paillarde, ou
vous l'avez mengée, ou vous l'avez cachée quelque part; je vous promectz
qu'oncques si chère lemproye ne fut pour vous. «Puis se vira vers le
curé et les aultres, et juroit la mort bieu et ung cent de sermens qu'il
avoit baillé à sa femme une lemproye qui luy cousta ung franc. Et ilz,
pour encores plus le tourmenter et faire enrager, faisoient semblant de
le non croire, et tenoient termes comme s'ilz fussent mal contens, et
disoient: «Nous estions priez de disner cheux ung tel et cheux ung tel,
et si avons tout laissé pour venir icy, cuidans menger de la lemproye;
mais ad ce que nous voyons, elle ne nous fera jà mal. L'oste, qui
enrageoit tout vif, print ung baston et marchoit vers sa femme pour la
tresbien frotter, si les aultres ne l'eussent tenu, qui l'emmenèrent à
force hors de son hostel, et misrent peine de le rappaiser le mieulx
qu'ilz sceurent, quand ilz le virent ainsi troublé. Puis qu'ilz eurent
failly à la lemproye, le curé mist la table et firent la meilleure chère
qu'ilz sceurent. La bonne damoiselle à la lemproye manda l'une de ses
voisines qui vefve estoit, mais belle femme et en bon point, et la fist
disner avec elle. Et, quand elle vit son point, elle dist: «Ma bonne
voisine, il seroit bien en vous de me faire ung service et un
tressingulier plaisir; et si tant vouliez faire pour moy, il vous seroit
tellement par moy desservy que vous en devriez estre contente.--Et que
vous plaist il que je face? dit l'aultre.--Je le vous diray, dit elle:
mon mary est si trèsrude à ses besongnes de nuyt que c'est grand
merveille; et de fait, la nuyt passée, il m'a tellement retournée que,
par ma foy, je ne l'oseroye bonnement ennuyt attendre. Si vous prie que
vous veillez tenir ma place, et si jamais puis rien faire pour vous, me
trouverez preste de corps et de biens.» La bonne voisine, pour luy faire
plaisir et service, fut contente de tenir son lieu, dont elle fut
beaucop et largement mercyée. Or devez vous savoir que nostre marchant à
la lemproye, quand il vint puis le disner, il fist trèsgrande et grosse
garnison de bonnes verges de boul qu'il apporta secrètement en sa
maison, et auprès de son lit il les caicha, disant en soy mesmes que sa
femme ennuyt en sera trop bien servie. Il ne scéut ce faire si celéement
que sa femme ne s'en donna tresbien garde, qui n'en pensoit pas mains,
cognoissant assez par longue expérience la cruaulté de son mary, lequel
ne souppa pas à l'ostel, mais tarda tant dehors qu'il pensa bien qu'il
la trouveroit nue et couchée. Mais il faillit à son emprinse, car quand
vint sur le soir et tard, elle fit despouillier sa voisine et couchier
en sa place, en la chargeant expressément que elle ne responde mot à son
mary quand il viendra, mais contreface la muette et la malade. Et si
fist encores plus, car elle estaindit le feu de léens, tant en la
cuisine comme en la chambre. Et ce fait, à sa voisine chargea que
tantost que son mary sera levé le matin, qu'elle s'en voise en sa
maison. Elle, lui promist que si feroit elle. La voisine ainsi logée et
couchée, aux Cordeliers s'en va la vaillant femme pour menger la
lemproye et gaigner les pardons, comme assez avoit de coustume. Tantdiz
qu'elle se festiera léens, nous dirons du marchant, qui après soupper
s'en vint à son hostel, esprins d'ire et de maltalent à cause de la
lemproye; et pour executer ce qu'en son pardedans avoit conclud, il vint
saisir ses verges et en sa main les tint, cherchant partout de la
chandele, dont il ne scéut oncques recouvrer; mesmes en la cheminée
faillit il au feu trouver. Quand il vit ce, il se coucha sans dire mot,
et dormit jusques sur le jour, qu'il se leva et s'abilla, et print ses
verges et baptit tant la lieutenante de sa femme que à pou qu'il ne la
cravanta, en luy ramantevant la lemproye, et la mist en tel point
qu'elle saignoit de tous costez, mesmes les draps du lit estoient tant
sanglans qu'il sembloit que ung beuf y fut escorché; mais la pouvre
martire n'osoit pas dire ung mot, ne monstrer le visage. Ses verges luy
faillirent, et fut lassé; si s'en alla hors de l'ostel. Et la pouvre
femme, qui s'attendoit d'estre festoyée de l'amoureux jeu et gracieux
passetemps, s'en alla tantost après à sa maison, plaindre son mal et son
martire, non pas sans menacer et sa voisine bien maudire. Tantdiz que le
mary estoit dehors, revint des Cordeliers sa bonne femme, qui trouva sa
chambre de verges toute jonchée, son lit dérompu et desfroissié et ses
draps tous ensanglantez; si cogneut bien tantost que sa voisine avoit eu
afaire de son corps, comme elle pensoit bien; et sans tarder ne faire
arrest refist son lit et d'aultres beaulx draps et frez le rempara, et
sa chambre nettoya, et puis vers sa voisine s'en alla, qu'elle trouva en
piteux point; et ne fault pas dire qu'elle ne trouva bien à qui parler.
Au plus tost qu'elle peut en son hostel s'en retourna, et de tous poins
se deshabilla, et ou beau lit qu'elle avoit mis à point se coucha, et
dormit trèsbien jusques ad ce que son mary retourna de la ville comme
sanchié de son courroux, pource qu'il s'en estoit vengé, et vint à sa
femme, qu'il trouva ou lit faisant la dormeveille: «Et qu'est cecy,
madamoiselle, dist il, n'est il pas temps de lever?--Emy, dit elle, et
est il jour? Par mon serment, je ne vous ay pas oy lever; j'estoye
entrée en ung songe qui m'a tenue ainsi longuement.--Je croy, dit il,
que vous songiez de la lemproye, ne faisiez pas? Ce ne seroit pas trop
grand merveille, car je la vous ay bien ramantue à ce matin.--Par dieu,
dit elle, il ne me souvenoit de vous ne de vostre lemproye.--Comment,
dit il, l'avez vous si tost oublyée?--Oublyée, dit elle, ung songe ne
m'arreste rien.--Et a ce esté songe, dit il, de ceste poingnée de verges
que j'ay usée sur vous n'a pas deux heures.--Sur moy? dit elle.--Voire
vrayement, sur vous, dit-il. Je scay bien qu'il y appert largement, et
aux draps de nostre lit avecques.--Par ma foy, beaulx amys, dit elle, je
ne scay que vous avez fait ou songié, mais quant à moy il me souvient
très bien qu'aujourduy, au matin, vous feistes de trèsbon appétit le jeu
d'amours; aultre chose ne scay je; aussi bien povez vous avoir songé de
m'avoir fait aultre chose comme vous feistes hier de m'avoir baillé la
lemproye.--Ce seroit ung estrange songe, dit il; monstrez vous ung peu
que je vous voye.» Elle osta la couverture et reversa, et toute nue se
monstra, sans tache ne blesseure quelconque. Voit aussi les draps beaulx
et blancs sans souilleure ne tache. Si fut plus esbahy qu'on ne vous
saroit dire, et se print à muser et largement penser; et en ce point
longuement se tint. Mais toutesfoiz à chef de pièce il dist: «Par mon
serment, m'amye, je vous cuidoye à ce matin avoir trèsfort jusques au
sang batue, mais je voy bien qu'il n'en est rien, si ne sçay qu'il m'est
advenu.--Dya, dit elle, ostez vous hors d'ymaginacion de ceste baterie,
car vous ne me touchastes oncques, vous le povez veoir; faictes vostre
compte, vous l'avez songé.--Je cognois, dist il lors, que vous dictes
voir; si vous requier qu'il me soit pardonné, car je sçay bien que j'euz
hier tort de vous dire villannie devant les estrangiers que j'amenay
céans.--Il vous est legierement pardonné, dit elle, mais toutesfoiz
advisez bien que vous ne soyez plus si legier ne si hastif en voz
affaires.--Non seray je, dit il, m'amye.» Ainsi qu'avez oy fut le
marchant par sa femme trompé, cuidant avoir songé avoir acheté la
lamproye et le surplus fait ou compte dessus dit.




LA XXXIXe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE SAINT POL.


Ung gentil chevalier des marches de Haynau, riche, puissant, vaillant,
et trèsbeau compaignon, fut amoureux d'une trèsbelle dame assez et
longuement; fut aussi tant en sa grace, et si privé d'elle, que
toutesfoiz que bon luy sembloit se rendoit en ung lieu de son hostel à
part et destourné, où elle luy venoit faire compagnie; et là devisoient
tout à leur beau loisir de leurs gracieuses amours. Et n'estoit ame qui
rien scéust de leur très plaisant passe temps, sinon une damoiselle qui
servoit ceste dame, qui bonne bouche trèslonguement porta; et tant les
servoit à gré en tous leurs affaires qu'elle estoit digne d'ung grand
guerdon en recevoir. Elle avoit aussi tant de vertu que non pas
seulement sa maistresse avoit gaignée par la servir comme dit est, et
aultrement, mais le mary de sa dame ne l'amoit pas mains que sa femme,
tant la trouvoit loyalle, bonne, et diligente. Advint ung jour que ceste
dame sentent son serviteur le chevalier dessusdit en son hostel, devers
lequel elle ne povoit aller si tost qu'elle eust bien voulu, à cause de
son mary qui les destournoit, dont elle estoit bien desplaisante,
s'advisa de luy mander par la damoiselle qu'il eust encores ung peu de
pacience, et que au plustost qu'elle saroit se desarmer de son mary
qu'elle viendra vers luy. Ceste damoiselle vint vers le chevalier qui sa
dame attendoit, et dist sa charge. Et il, qui gracieux estoit, la mercya
beaucop de ce messaige, et la fist seoir auprès de luy, puis la baisa
deux ou trois foiz très doulcement; elle l'endura voluntiers, qui bailla
courage au chevalier de proceder au surplus, dont il ne fut pas reffusé.
Cela fait, elle revint à sa maistresse, et luy dist que son amy
n'attendoit qu'elle: «Helas! dit elle, je scay bien qu'il est vray, mais
monseigneur ne se veult coucher; ilz sont cy je ne sçay quelz gens que
je ne puis laisser. Dieu les maudye! j'aymasse mieulx estre vers luy. Il
luy ennuye bien, fait pas, d'estre ainsi seul?--Par ma foy, creez que
oy, dit elle, mais l'espoir de vostre venue le conforte, et attend tant
plus aise.--Je vous en croy, mais toutesfoiz il est là seul, et sans
chandelle, et sont plus de deux heures qu'il y est; il ne peut estre
qu'il ne soit beaucop ennuyé. Si vous prie, m'amye, que vous retournez
encores vers luy une foiz pour m'excuser, et luy faictes compaignie ung
espace; et entretant, si Dieu plaist, le dyable emportera ces gens qui
nous tiennent cy.--Je feray ce qu'il vous plaira, madame; mais il me
semble qu'il est si content de vous qu'il ne vous fault jà excuser, et
aussi se je y alloye vous demourriez icy toute seule de femmes, et
pourroit monseigneur demander pour moy, et l'on ne me saroit où
trouver.--Ne vous chaille de cela, dist elle, j'en feray bien s'il vous
mande; il me desplaist que mon amy est seul; allez veoir qu'il fait, je
vous en prie.--Je y vois, puis qu'il vous plaist», dit elle. S'elle fut
bien joyeuse de ceste ambassade, il ne le fault jà demander; mais pour
couvrir sa volunté, elle en fist l'excusance et le refus à sa
maistresse. Elle fust tantost vers le chevalier attendant, qui la receut
joieusement; si lui dist:--«Monseigneur, madame m'envoie encores icy
s'excuser devers vous pource que tant vous fait attendre, et croyez
qu'elle en est la plus courroucée.--Vous luy direz, dit il, qu'elle face
tout à loisir, et qu'elle ne se haste de rien pour moy, car vous
tiendrez son lieu.» Lors de rechef la baise et acole, et ne la souffrit
partir tant qu'il eut besognié deux foiz, qui guères ne luy coustèrent;
car alors il estoit frez et jeune et homme fort à cela. Ceste damoiselle
print bien en pacience sa bonne adventure, et eust bien voulu avoir
souvent une telle rencontre, sans le prejudice de sa maistresse. Et
quand vint au partir, elle pria au chevalier que sa maistresse n'en
sceust rien. «Vous n'avez garde, dit il.--Je vous en requier», dist
elle. Et puis s'en vint à sa maistresse, qui demanda tantost que fait
son amy? «Il est là, dit elle, et vous attend.--Voire, dit elle, et est
il point mal content?--Nenny, dit elle, puis qu'il a compaignie. Il vous
scet trèsbon gré que vous m'y avez envoyée; et si ceste attente estoit
souvent à faire, il seroit content m'avoir pour deviser et passer temps;
et par ma foy je y voys voluntiers, car c'est le plus plaisant homme de
jamais; et Dieu scet qu'il le fait bon oyr maudire ces gens qui vous
retiennent, excepté monseigneur: à luy ne vouldroit il toucher.--Saint
Jehan! dit elle, je voudroye que luy et la compaignie fussent en la
rivière, et je fusse dont vous venez.» Tant passa le temps que
monseigneur, Dieu mercy, se deffist de ses gens, vint en sa chambre, se
déshabilla et coucha. Madame se mist en cotte simple, et print son
attour de nuyt, et ses heures en sa main, et commence devotement, Dieu
le scet, à dire sept pseaulmes et paternostres; mais monseigneur, qui
estoit plus esveillé qu'un rat, avoit grand fain de deviser, si vouloit
que madame laissast ses oroisons jusques à demain, et qu'elle parle à
luy: «Ha! monseigneur, dit elle, pardonnez moy, je ne puis vous
entretenir maintenant; Dieu va devant, vous le savez; je n'aroye meshuy
bien, ne de sepmaine, si je n'avoie dit le tant pou de service que je
luy sçay faire; et encores de mal venir je n'eu piéça tant à dire que
j'ay maintenant.» Alors dist monseigneur: «Vous m'affolez bien de ceste
bigoterie; et est ce à faire à vous de dire tant d'heures? Ostez, ostez,
laissez les dire aux prestres. Dy je pas bien, Jehannette?» dist il à la
damoiselle dessus dicte.--«Monseigneur, dit elle, je n'en sçay que dire,
sinon, puis que madame est accoustumée de servir Dieu, qu'elle
parface.--A dya, dit madame, monseigneur, je voy bien que vous estes
avoyé de plaider, et j'ay volunté d'achever mes heures; si ne sommes pas
bien d'un accord. Si vous lairray Jehannette qui vous entretiendra, et
je m'en iray en ma chambrette là derrière tancer à Dieu.» Monseigneur
fut content. Si s'en alla madame les grans galotz vers le chevalier son
amy, qui la receut Dieu scet en grand liesse et reverence, car l'onneur
qu'il luy fist n'estoit pas maindre qu'à genouz ployez et enclinez
jusques à terre. Mais vous devez savoir que tantdiz que madame achevoit
ses heures avec son amy, monseigneur son mary, ne sçay de quoy il lui
sourvint, prya Jehannette, qui luy faisoit compaignie, d'amours à bon
escient. Et pour abreger, tant fist par promesses et par beau langage,
qu'elle fut contente d'obéyr; mais le pis fut que madame, au retour de
son amy, qui l'acola deux foiz à bon escient avant son partir, trouva
monseigneur son mary et Jehannette sa chambrière en tel ouvrage et
semblable qu'elle venoit de faire, dont elle fut bien esbahye, et
encores plus monseigneur et Jehannette, qui se trouvèrent ainsi
sourprins. Quand madame vit ce, Dieu scet comment elle salua la
compaignie, jà soit qu'elle eust bien cause de se taire; et se print à
la pouvre Jehannette par si très grant courroux qu'il sembloit bien
qu'elle eust ung dyable ou ventre, tant luy disoit de villainnes
parolles. Encores fist elle plus et pis, car elle print ung grant baston
et l'en chargea trèsbien le doz, voyant monseigneur, qui en fut mal
content et desplaisant, et se leva sur piez et batit tant madame qu'elle
ne se povoit sourdre. Et quant elle vit qu'elle n'avoit puissance que de
sa langue, Dieu scet s'elle la mist en oeuvre, mais adressoit la plus
part de ses motz venimeux sur la pouvre Jehannette, qui n'en peut plus
souffrir, si dit à monseigneur le gouvernement de madame, et dont elle
venoit à ceste heure de dire ses oroisons et avec quy. Si fut la
compaignie bien troublée, monseigneur tout le premier, qui se doubtoit
assez, et madame, qui se trouve affolée et batue et de sa chambrière
accusée. Le surplus du gouvernement du mesnaige bien troublé demoure en
la bouche de ceulx que le scevent, si n'en fault jà plus avant enquerir.




LA XLe NOUVELLE.

PAR MESSIRE MICHAULT DE CHANGY.


Il advint naguères à Lille que ung grand clerc et prescheur de l'ordre
Saint Dominicque convertit, par sa sainte et doulce predicacion, la
femme d'un bouchier, par telle et si bonne façon qu'elle l'aimoit plus
que tout le monde, et n'avoit jamais au cueur bien ne en soy parfaicte
liesse s'elle n'estoit emprès luy. Mais maistre moyne en la parfin
s'ennuya d'elle, et estoit sur son corps dependant, ce qu'il luy feist
grand pièce après, et eust trèsbien voulu qu'elle se fust deportée de si
souvent le visiter; dont elle estoit tant mal contente que plus ne
povoit, mesmes le reboutement qu'il luy faisoit trop plus avant en son
amour l'enracinoit. Damp moyne, ce voyant, luy defendit sa chambre, et
chargea bien expressement à son clerc qu'il ne la souffrist plus entrer
dedans, quelque chose qu'elle luy dye. S'elle fut plus mal contente que
par avant, ce ne fut pas de merveille, car elle estoit ainsi que
forcenée. Et si vous me demandez à quel propos damp moyne ce faisoit, je
vous respons que ce n'estoit pas par devocion ne pour vouloir qu'il eust
de devenir chaste; mais la cause est qu'il en avoit racointée une plus
belle, plus jeune beaucop, et plus riche, qui desjà estoit tant privée
qu'elle avoit la clef de sa chambre. Tant fist toutesfoiz que la
bouchière ne venoit plus vers luy comme elle avoit de coustume; si avoit
trop meilleur et plus seur loysir sa dame nouvelle de venir gaingner les
pardons en sa chambre et paier le disme, comme les femmes d'Ostellerie,
dont cy dessus est touché. Ung jour fut prest de faire bonne chère en la
chambre de maistre moyne, après disner, où sa dame promist de comparoir
et faire apporter sa porcion, tant de vin comme de viande. Et car aucuns
de ses frères de léens estoient assez de son mestier, il en invita deux
ou troys tout secretement; et Dieu scet la grand chère qu'on fist à ce
disner, qui ne se passa point sans boire d'autant. Or devez vous savoir
que nostre bouchière cognoissoit assez les gens de ces prescheurs,
qu'elle veoit passer devant sa maison, qui portoient puis du vin, puis
des pastez, et puis des tartres, et tant de choses que merveilles. Si ne
se peut tenir de demander quelle feste on fait à leur hostel? Et il luy
fut respondu que ces biens sont pour ung tel, c'est assavoir son moyne,
qui a gens de bien au disner. «Et qui sont ilz? dit elle.--Ma foy je ne
scay, dit il; je porte mon vin jusques à l'huys tant seullement, et là
vient nostre maistre qui me descharge; je ne sçay qui y est.--Voire, dit
elle, c'est la secrète compaignie. Or bien allez vous en et les servez
bien.» Tantost passa ung aultre serviteur qu'elle interroga
pareillement, qui luy dist comme son compaignon, mais plus avant, car il
dit: «Je pense qu'il y a une damoiselle qui ne veult pas estre veue ne
congneue.» Elle pensa tantost ce qui estoit; si cuida bien enrager, tant
estoit mal contente, et disoit en soy mesmes qu'elle fera le guet sur
celle qui luy fait tort de son amy, et qui luy a baillé le bout. Et
s'elle la peut rencontrer, ce ne sera pas sans luy dire sa leçon, et
egratigner le visage. Si se mist au chemin en intencion d'executer ce
qu'elle avoit conclud. Quand elle fut venue au lieu desiré, moult luy
tardoit de rencontrer celle qu'elle hayt plus que personne; si n'eut pas
tant de constance que d'attendre qu'elle saillist de la chambre où elle
avoit fait maintes bonnes chères, mais s'advisa de prendre une eschalle
que ung couvreur avoit laissée lez son ouvrage tantdiz qu'il estoit allé
disner; elle dressa ceste échelle à l'endroit de la cheminée de la
cuisine de l'ostel, où elle vouloit estre pour saluer la compaignie, car
bien savoir que aultrement n'y pourroit entrer. Ceste eschelle mise à
point comme elle la voulut avoir, elle monta jusques à la cheminée, à
l'entour de laquelle elle lya très bien une moyenne corde qu'elle
trouva d'adventure. Et cela fait, trèsbien, comme luy sembloit, elle se
bouta dedans la dicte cheminée, et se commença à descendre et ung peu
avaler; mais le pis fut qu'elle demoura en chemin, sans se pouvoir
ravoir, ne monter, ne avaler, quelque peine qu'elle y mist, et ce à
l'occasion de son derrière qui estoit beaucop gros et pesant, et de sa
corde qui rompit, par quoy ne se povoit ressourdre. Si estoit, Dieu
scet, en merveilleux desplaisir, et ne savoit que faire ne que dire. Si
s'advisa qu'elle attendroit le couvreur et qu'elle se mettroit en sa
mercy, et l'appellera quand il viendra querre son eschelle et sa corde.
Elle fut bien trompée, car le couvreur ne vint à l'oeuvre jusques au
lendemain bien matin, pource qu'il fist trop grand pluye, dont elle eut
bien sa part, car elle fut toute percée. Quand vint sur le soir, bien
tart, nostre bouchière oyt gens deviser en la cuisine; si commença à
hucher, dont ilz furent bien esbahiz et effraiez, et ne savoient qui les
huchoit ne où elle estoit. Toutesfoiz, quelque esbahiz qu'ilz fussent,
ilz entendirent encores ung peu: s'ilz oyrent la voix du par avant,
arrière hucher très aigrement; si cuidèrent que ce fut ung esperit, et
le vindrent annuncer à leur maistre, qui estoit en dortouer, et ne fut
pas si vaillant d'y venir veoir que c'estoit, mais il mist tout à
demain. Pensez la belle patience que ceste bonne femme eut, qui fut
toute la nuyt en ceste cheminée. Et de sa bonne adventure, il ne pleut
long temps aussi fort, ne si bien. Lendemain, assez matin, nostre
couvreur revint à l'oeuvre pour recouvrer la perte que la pluye luy fist
le jour devant. Il fut tout esbahy de veoir son eschelle ailleurs qu'il
ne la laissa, et la cheminée lyée de sa corde: si ne savoit qui ce avoit
fait ne à quoy. Si s'advisa d'aller querre sa corde, et monta à mont son
eschelle, et vint jusques à la cheminée, et destacha sa corde; et de
bien venir, bouta sa teste dedans la cheminée, où il vit nostre
bouchière plus simple qu'un chat baigné, dont il fut très esbahy. «Et
que faictes vous icy, dame? dit il; voulez vous desrober les pouvres
religieux de ceans?--Helas! mon amy, dist elle, par ma foy, nenny. Je
vous requier, aidez moy à saillir d'icy, et je vous donneray ce que me
vouldrez demander.--A! je m'en garderay bien, dist le couvreur, si je ne
sçay dont vous y venez.--Je le vous diray, puis qu'il vous plaist, dit
elle; mais je vous prie, qu'il n'en soit nouvelle.» Lors luy compta tout
du long les amours d'elle et du moyne, et la cause dont elle venoit là.
Le couvreur eut pitié d'elle, si fist tant, à quelque meschef que ce
fut, moyennant sa corde, qu'il la tira dehors, et la mena en bas. Et
elle luy promist que, si tenoit bonne bouche, elle luy donneroit de la
char et de boeuf et de mouton pour fournir son mesnage pour toute ceste
année, ce qu'elle fist. Et l'autre tint si secret son cas que chascun en
fut adverty.




LA XLIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Ung gentil chevalier de Haynau, sage, subtil et trèsgrand voyageur,
après la mort de sa très bonne femme et sage, pour les biens qu'il avoit
trouvez en mariage ne sceut passer son temps sans soy lyer comme il fut
par avant, car il espousa une trèsbelle et gente damoiselle, non pas des
plus subtiles du monde; car, à la verité dire, elle estoit ung peu
lourde en la taille, et c'estoit en elle qui plus plaisoit à son mary,
pource qu'il esperoit par ce point mieulx la duyre et tourner à la
fasson qu'avoir la vouldroit. Il mist sa cure et son estude à la
fassonner, et de fait elle luy obéissoit et complaisoit comme il le
desiroit, si bien qu'il ne sceut mieulx demander. Et entre aultres
choses, toutesfoiz qu'il vouloit faire l'amoureux jeu, qui n'estoit pas
si souvent qu'elle eust bien voulu, il luy faisoit vestir ung très beau
jaserant, dont elle estoit bien esbahie; et de prinsault lui demanda
bien à quel propos il la faisoit armer. Et il luy respondit qu'on ne se
doit point trouver à l'assault amoureux sans armes. Et fut contente de
vestir se jaserant; et n'avoit aultre regret que monseigneur n'avoir
l'assault plus au cueur, combien que ce luy estoit assez grand peine
s'aucun plaisir ne fust ensuy. Et si vous demandez à quel propos son
seigneur ainsi la gouvernoit, je vous respons que la cause qui à ce
faire le mouvoit estoit affin que madame ne désire pas tant l'assault
amoureux, pour la peine et empeschement de ce jaserant. Mais combien
qu'il fust bien sage, il s'abusoit de trop; car si le jaserant à chacun
assault luy eust cassé et doz et ventre, si n'eust elle pas refusé le
vestir, tant luy estoit et doulx et plaisant ce qui s'ensuyvoit. Ceste
manière de faire dura beaucop, et tant que monseigneur fut mandé pour
servir son prince en la guerre, et en aultre assault que le dessusdit.
Si print congié de madame et s'en alla où il fut mandé. Elle demoura à
l'ostel en la garde et conduicte d'un ancien gentil homme et d'aucunes
damoiselles qui la servoient. Or devez vous savoir qu'en cest hostel
avoit gentil compaignon clerc, qui trèsbien chantoit et jouoit de la
harpe, et avoit la charge de la despense. Et aprés disner s'esbatoit
voluntiers de la harpe; à quoy madame prenoit trèsgrand plaisir, et se
rendoit souvent vers luy au son de la harpe. Tant y ala et tant s'i
trouva que le clerc la pria d'amours; et elle, désirant de vestir son
jaserant, ne l'escondit pas, ainçois luy dist: «Venez vers moy à tele
heure et en telle chambre, et je vous feray response telle que vous
serez content.» Elle fut beaucop merciée, et à l'heure assignée, nostre
clerc ne faillit pas devenir hurter où madame luy dist, qui l'attendoit
de pié coy, le beau jaserant en son doz. Elle ouvrit la chambre, et le
clerc la vit armée; si cuida que ce fust aultry qui fust embusché léens
pour luy faire desplaisir; dont il fut si trèseffrayé que, de la grand
paour qu'il eut, il chéut à la reverse et descompta ne sçay quants
degreez si trèsroiddement qu'à pou qu'il ne se rompit le col. Mais
toutesfoiz il n'eut garde, tant bien luy aida Dieu et sa bonne querelle.
Madame, qui le vit en ce point et dangier, fut très desplaisante et mal
contente; si vint en bas et luy aida à sourdre, et luy demanda dont luy
venoit ceste paour. Et il luy compta et dist que vrayement il cuydoit
estre deceu. «Vous n'avez garde, dit elle, je ne suis pas armée pour
vous faire mal»; et en ce disant, montèrent arrière les degrez, et
entrèrent en la chambre. «Madame, dit le clerc, je vous pry, dictes moy,
s'il vous plaist, qui vous meut de vestir ce jaserant.» Et elle, comme
ung peu faisant la honteuse, luy respondit: «Et vous le savez bien.--Par
ma foy, sauf vostre grace, madame, dit il, se je le sceusse je ne le
demandasse pas.--Monseigneur, dit elle, quand il me veult baiser et
parler d'amours, il me fait en ce point habiller, et je sçay bien que
vous venez icy à ceste cause; et pour ce me suys mise en point.--Madame,
dit il, vous avez raison; et aussi vous me faictes souvenir que c'est la
manière des chevaliers d'en ce point faire adouber leurs dames. Mais les
clercs ont tout aultre manière de faire, qui à mon advis est trop plus
belle et plus aisée.--Et quelle est elle, dist la dame, je vous
prie?--Je la vous monstreray», dit il. Lors la fist despoiller de son
jaserant et du surplus de ses habillemens jusques à la belle chemise, et
il pareillement se deshabilla, et misrent à point le beau lit qui là
estoit, et se coucherent tout dedans et se désarmèrent de leurs chemises
et passèrent temps deux ou trois heures bien plaisamment. Et avant
partir, le gentil clerc monstra à madame la coustume des clercs, quelle
beaucop loa et trop plus que celle des chevaliers. Assez et souvent se
rencontrèrent depuis en la fasson dessusdicte, sans qu'il en fust
nouvelle, quoy que madame fust pou subtille. A chef de pièce,
monseigneur retourna de la guerre, dont madame ne fut pas trop joyeuse
en son pardedans, quelque semblant qu'elle monstrast au pardehors. Et à
l'heure de disner, et car el savoit sa venue, il fut servy, Dieu scet
comment. Ce disner se passa; et quand vint à dire graces, monseigneur se
mist en son reng, et madame print son quartier. Tantost que graces
furent achevées et dictes, monseigneur, pour faire du mesnagier et du
gentil compaignon, dist à madame: «Allez tost en nostre chambre et
vestez vostre jaserant.» Et elle, recordant du bon temps qu'elle avoit
eu avec son clerc, respondit tout subit: «Ha! monseigneur, la coustume
des clercs vault mieulx.--La coustume des clercs! dit-il. Et savez vous
leur coustume?» Si se commença à fumer, et coleur changer, et se doubta
de ce qui estoit, combien qu'il n'en sceut oncques rien, car il fut tout
à coup mis hors de sa doubte. Madame ne fut pas si beste qu'elle
n'aperceust bien que monseigneur n'estoit pas content de ce qu'elle
avoit dit, si s'advisa de trouver le ver: «Monseigneur, je vous ay dit
que la coustume des clercs vault mieulx, et encores le vous dy je.--Et
quelle est elle? dit il.--Ilz boivent après grâces.--Voire dya, dit il,
saint Jehan! vous dictes vray, c'est leur coustume voirement, qui n'est
pas mauvaise; et pource que vous la prisez tant, nous la tiendrons
doresenavant. Si firent apporter du vin et beurent, et puis madame alla
vestir son jaserant, dont elle se fust bien passée, car le gentil clerc
luy avoit monstré aultre fasson de faire qui trop mieulx luy plaisoit.
Comme vous avez oy fut monseigneur par madame en sa response abusé. Et
fault dire que le sens subit qui luy vint à mémoire à ce coup luy
descendit en la vertu du clerc, qui depuis luy monstra foison d'aultres
tours, dont monseigneur en la parfin se trouva noz amis.




LA XLIIe NOUVELLE.

RACOMPTÉE PAR MÉRIADECH.


L'an cinquante derrenier passé, le clerc d'un village du diocèse de
Noyon, pour impetrer et gaigner les pardons qui furent à Romme, qui sont
tels que chascun sçait, se mist à chemin, en la compaignie de pluseurs
gens de bien de Noyon, de Compiengne, et des lieux voisins. Mais avant
son departement disposa de ses besoignes bien et surement: premièrement
de sa femme et de son mesnage, et le fait de sa coustrerie recommenda à
ung jeune gentil clerc pour la desservir jusques à son retour. En assez
bref temps il vint à Romme lui et sa compaignie, et firent chacun leur
devocion et pelerinage le mains mal qu'ilz sceurent; mais vous devez
savoir que nostre clerc trouva d'adventure à Romme ung de ses
compaignons d'escole du temps passé, qui estoit ou service d'un grand
cardinal, et en grand autorité, qui fut trèsjoieux de l'avoir trouvé,
pour l'accointance qu'il avoit à luy, et luy demanda de son estat. Et
l'autre luy compta tout du long tout premier comment il estoit, hélas!
maryé, son nombre d'enfans, et comment il estoit clerc d'une parroiche.
«Ha! dit son compaignon, par mon créateur, il me desplaist bien que vous
estes maryé.--Pourquoy? dit l'autre.--Je le vous diray, dit il; ung tel
cardinal m'a chargé expressément que je luy trouve un serviteur pour
estre son notaire, qui soit de nostre marche; et croiez que ce seroit
trèsbien vostre fait, pour estre tost et largement pourveu, se ce ne
fust vostre mariage, qui vous fera repatrier, et espoire plus grans bien
perdre que vous n'y arez.--Par ma foy, dit le clerc, mon mariage n'y
fait rien, mon compaignon; car, à vous dire vérité, je me suis party de
nostre pays soubz umbre du pardon qui est à present icy. Mais creez que
ce n'a pas esté ma principale intention, car j'ay conclud d'aller jouer
deux ou trois ans par pays; et ce pendant ce temps si Dieu vouloit
prendre ma famme, jamais je ne fu si eureux. Et pourtant je vous requier
que vous soyez mon moyen vers ce cardinal que je le serve; et, par ma
foy, je feray tant que vous n'arez jà reprouche pour moy; et s'ainsi le
faictes vous me ferez le plus grand service que jamais compaignon fist à
autre.--Puis que vous avez ceste volunté, dist son compaignon, je vous
serviray à ceste heure, et vous logeray pour avoir bon temps, se à vous
ne tient.--Et, mon amy, je vous mercie», dit l'autre. Pour abreger,
nostre clerc fut logié avecques ce cardinal, laquelle chose il manda à
sa femme, l'ensemble et son intencion, que n'est pas de retourner par
delà si tost qu'il luy dist au partir. Elle se conforta, et luy
rescripst qu'elle fera le mieulx qu'elle pourra. Ou service de ce
cardinal se maintint et conduisit gentement nostre bon clerc, et fist
tant à chef de pièce qu'il gaigna son maistre, lequel n'avoit pas pou de
regret qu'il n'estoit habile à tenir bénéfices, car largement l'en eust
pourveu. Pendant le temps que nostre dit clerc estoit ainsi en grace que
dit est, le curé de son village alla de vie à mort, et ainsi vaca son
benefice, qui estoit ou mois du pape, dont le coustre, tenant le lieu de
son compaignon estant à Romme, se pensa qu'au plus tost qu'il pourroit
qu'il courroit à Romme et feroit tant à l'ayde de son compaignon qu'il
auroit ceste cure. Il ne dormit pas, car en pou de jours, après maintes
peines et travaulx, tant fist qu'il se trouva à Romme, et n'eut oncques
bien tant qu'il eust trouvé son compaignon, le clerc servant le
cardinal. Après grosses recognoissances et d'ung costé et d'aultre, le
clerc demanda de sa femme, et l'autre, esperant de luy faire ung
trèsgrand plaisir, et affin que la besoigne dont il le veult requerre en
vaille mieulx, luy respondit qu'elle estoit morte; dont il mentoit, car
je tien qu'à ceste heure elle saroit bien tanser son mary. «Dictes vous
doncques que ma femme est morte, dit le clerc, et je prie à Dieu qu'il
luy pardonne ses pechez.--Oy vrayement, dit l'autre, la pestilence de
l'année passée avecques aultres pluseurs l'emporta.» Or faindoit il
ceste bourde, qui depuis luy fut cher vendue, pource qu'il savoit que
le clerc ne s'estoit party de son pais qu'à l'occasion de sa femme, qui
estoit trop peu paisible, et que plus plaisant nouvelle d'elle ne luy
pourroit on apporter que de sa mort. Et à la vérité ainsi en estoit il,
mais le rapport fut faulx. «Et qui vous amaine en ce pais? dist il,
après pluseurs et diverses devises.--Je le vous diray, mon compaignon et
mon amy. Il est vrai que le curé de nostre ville est trespassé; si vien
vers vous pour que par vostre bon moien je puisse parvenir à son
benefice. Si vous prie tant que puis que me veillez aider à ce besoing.
Je sçay bien qu'il est en vous de le me faire avoir, à l'aide de
monseigneur vostre maistre.» Le clerc, pensant sa femme estre morte et
la cure de sa ville vacquer, conclud en soy mesmes que il happera ce
benefice, et aultres encores, s'il y peut parvenir. Mais toutesfoiz il
ne le dit pas à son compaignon, ainçois luy dist qu'il ne tiendroit pas
à luy qu'il ne soit curé de leur ville, dont il fut beaucop mercyé. Tout
autrement alla, car au lendemain nostre saint père, à la requeste du
cardinal maistre de nostre clerc, luy donna ceste cure. Si s'en vint ce
clerc à son compaignon, quand il sceut ces nouvelles, et luy dist: «Ha!
mon amy, par ma foy, vostre fait est rompu, dont me desplaist bien.--Et
comment? dit l'aultre.--La cure de nostre ville est donnée, dit il, mais
je ne sçay à qui. Monseigneur mon maistre vous a cuidé aider, mais il
n'a pas esté en sa puissance de faire vostre fait.» Qui fut bien mal
content, ce fut celuy qui estoit venu de si loing perdre sa peine et
despendre son argent, dont ce ne fut pas dommaige. Si print congié bien
piteux de son compaignon, et s'en retourna en son pais, sans soy vanter
de la bourde qu'il a semée. Or retournons à nostre clerc, qui estoit
plus gay que une mitaine de la mort de sa femme, et de la cure de leur
ville que nostre saint père, à la requeste de son maistre, luy avoit
donnée pour recompense. Et disons comment il devint prestre à Romme, et
y chanta sa bien devote première messe, et print congié de son maistre
pour une espace de temps, à venir par deçà à leur ville prendre
possession de sa cure. A l'entrée qu'il fist de leur ville, de son
boneur la première personne qu'il rencontra ce fut sa femme, dont il fut
bien esbahy, je vous en asseure, et encores beaucop plus courroucé. «Et
qu'est ce cy, dist il, m'amye? et on m'avoit dit que vous estiez
trespassée.--Je m'en suis bien gardée, dit elle. Vous le dictes, ce croy
je, pource que l'eussez bien voulu; et vous l'avez bien monstre, qui
m'avez laissée l'espace de cinq ans à tout une grant tas de petiz
enfans.--M'amye, dit il, je suis bien joyeux de vous veoir en bon point,
et en loe Dieu de tout mon cueur; maudit soit qui m'en apporta aultres
nouvelles!--Ainsi soit il, dit elle.--Or je vous diray, m'amye: je ne
puis arrester pour maintenant; force est que je m'en aille hastivement
devers monseigneur de Noyon, pour une besongne qui luy touche; mais au
plus bref que je pourray je vous verray.» Il se partit de sa femme et
prend son chemin devers Noyon, mais Dieu scet s'il pensa en chemin à son
pouvre fait: «Hélas! dit il, or suis je homme deffait et deshonoré:
prestre, clerc, et maryé! Je croy que je suis le premier maleureux de
cest estat.» Il vint devers monseigneur de Noyon, qui fut bien esbahy
d'oyr son cas, et ne le sceut conseiller; si le renvoya à Romme. Quand
il y fut venu, il compta à son maistre, du long et du lé, la verité de
son adventure, qui en fut trèsamèrement desplaisant. Au lendemain il
compta à nostre saint père, en la presence du colliège des cardinaux et
de tout le conseil, l'adventure de son homme qu'il avoit fait curé. Si
fut ordonné qu'il demourra prestre et maryé et curé aussi. Et demourra
avec sa femme en la façon que ung homme maryé honorablement et sans
reprouche, et seront ses enfans legitimez et non bastards, jà soit que
le père soit prestre. Mais au surplus, s'il est trouvé qu'il aille
aultre part que à sa femme, il perdra son benefice. Ainsi qu'avez oy fut
ce galant puny par faulx donner à entendre de son compaignon; et fut
contraint de venir demourer sur son benefice, et qui plus et pis est,
avecques sa femme, dont il se fust bien passé si l'eglise ne l'eust
ordonné.




LA XLIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE FIENNES.


N'a guères que ung bon homme, laboureur et marchant et tenant sa
residence en ung bon village de la chastellenie de Lille, trouva façon
et manière, au pourchaz de luy et de ses bons amis, d'avoir à femme une
trèsbelle jeune fille qui n'estoit pas des plus riches; et aussi
n'estoit son mary, mais trèsconvoiteux estoit et homme de grand
diligence, et qui fort tiroit d'acquerre et gaigner. Et elle d'aultre
part mettoit peine d'entretenir le mesnage selon le desirier de son
mary, qui à ceste cause l'avoit beaucop en grace, lequel à mains de
regret alloit souvent es affaires de sa marchandise, sans avoir doubte
ne suspicion qu'elle feist aultre chose que bien. Mais le pouvre homme
sur ceste fiance tant y alla et tant la laissa seule, que ung gentil
compaignon s'approucha, et pour abreger fist tant à pou de jours qu'il
fut son lieutenant, dont guères ne se doubtoit celuy qui cuidoit avoir
du monde la meilleur femme, et qui plus pensast à l'accroissement de son
honneur et de sa chevance. Ainsi n'estoit pas, car elle abandonna tost
l'amour qu'elle luy devoit, et ne luy challut du prouffit ne du
dommage; ce seulement luy suffisoit qu'elle se trouvast avecques son
amy, dont il en advint ung jour ce qui s'ensuyt. Nostre bon marchant
dessusdit estant dehors, comme il avoit de coustume, sa femme le fist
tantost savoir à son amy, qui n'eust pas failly voluntiers à son
mandement, mais vint tout incontinent. Et affin qu'il ne perdist temps,
au plustost qu'oncques peut ne sceust s'approucha de sa dame, et luy
mist en terme pluseurs et divers propos amoureux; et pour conclusion, le
desiré plaisir ne luy fut pas escondit néant plus que autresfoiz, dont
le nombre n'estoit pas petit. De mal venir, tout à ce beau cop que ces
amours se faisoient, véez bon mary d'arriver, qui trouve la compagnie en
besoigne, dont il fut bien esbahy, car il n'eust pas pensé que sa femme
fust telle. «Qu'est ce cy? dist il; par la mort bieu, ribauld, je vous
tueray tout roidde.» Et l'aultre, qui se treuve surprins et en meffait
present achopé, ne savoit sa contenance; mais car il le savoit diseteux
et fort souffreteux, il luy dist tout subit: «Ha! Jehan, mon amy, je
vous cry mercy, pardonnez moy si je vous ay rien meffait, et par ma foy
je vous donray six rasures de blé.--Par dieu, dit il, je n'en feray
rien; vous passerez par mes mains et auray la vie de vostre corps, si je
n'en ay douze rasures. Et la bonne femme, qui oyoit ce débat, pour y
mettre le bien comme elle estoit tenue, s'advança de parler et dist à
son mary: «Et Jehan, beau sire, laissez luy achever ce qu'il a
commencé, je vous requier, et vous aurez huit rasures. N'ara pas? dit
elle, en se virant vers son amy.--J'en suis content, dit il, mais, par
ma foy, c'est trop, ad ce que le blé est cher.--Est ce trop? dist le
vaillant homme; et par la mort bieu, je me repens bien que je n'ay dit
plus hault, car vous avez forfait une emende, s'il venoit à la
cognoissance de la justice, qui vous seroit beaucop plus tauxée;
pourtant faictes vostre compte que j'en aray douze rasures, ou vous
passerez par là.--Et vrayement, dit sa femme, Jehan, vous avez tort de
me desdire; il me semble que vous devez estre content à ces huit
rasures, et pensez y que c'est ung grand tas de blé.--Ne m'en parlez
plus, dit il, j'en auray douze rasures, ou je le tueray et vous
aussi.--A dya, dit le compaignon, vous estes ung fort marchant; et au
mains puis qu'il fault que vous aiez tout à vostre dit, j'auray terme de
paier.--Cela veil je bien, mais j'aray mes douze rasieres.» La noise
s'appaisa; et fut prins jour de paier à deux termes, les six rasures au
lendemain, et les aultres à la saint Remy prouchainement venant, et ce
par l'ordonnance de sa femme comme moien, qui dist à son mary: «Or ça,
vous estes content, n'est ce pas, de recevoir vostre blé comme j'ay
dit.--Oy, vrayement, dit il.--Or vous en allez, dit elle, tant qu'il ayt
achevé ce qu'il avoit encommencé quand vous sourvenistes; aultrement son
marché seroit nul, que vous l'entendez, car je l'ay mis en devis, s'il
vous en soubvient.--Saint Jehan, il est ainsi, dit le bon compaignon;
je n'yray pas à l'encontre de mon mot, dist le bon marchand. Jà Dieu ne
veille que en marché que je face on me trouve trompeur ne mensongier.
Vous achèverez ce qu'avez entreprins, et j'aray mes douze rasieres de
blé aux termes dessusdictz. Veez là nostre marchié, n'est pas?--Oy,
vrayement, dit sa femme.--Et adieu donc, dist il; mais toutesfoiz qu'il
n'y ait pas faulte que je n'aye demain six rasieres de blé.--Ne vous
doubtez, dit l'aultre, je vous tiendray promesse.» Ainsi se partit ce
vaillant homme de sa maison, joyeux en son courage, pour ces douze
rasieres de blé qu'il doit avoir. Et sa femme et son amy recommencèrent
de plus belle. Du payer soit à l'adventure, combien toutesfoiz qu'il me
fut dit depuis que le blé fut payé et délivré au jour et terme dessus
dictz.




LA XLIVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Comme il est aujourduy largement de prestres et curez qui sont si
gentilz compaignons que nulles des folies que font et commettent les
gens laiz ne leur sont impossibles ne difficiles, avoit n'a guères en
ung bon village de Picardie ung maistre curé qui faisoit rage d'amer
par amours. Et entre les autres femmes et belles filles de sa parroiche,
il choisit et enoeilla une trèsbelle jeune et gente fille à marier, et
ne fut pas si peu hardy qu'il ne luy comptast tout du long son cas. De
fait, son bel et asseuré langage, cent mille promesses et auttretant de
bourdes, la menèrent ad ce qu'elle estoit assez comme contente d'obéyr à
ce curé, qui n'eust pas esté ung petit dommage, tant estoit belle,
gente, et de plaisans manières; et n'avoit en elle que une faulte,
c'estoit qu'elle n'estoit pas des plus subtilles du monde. Toutesfoiz je
ne sçay dont luy vint cest advis ne manière de respondre; elle dist ung
jour à son curé, qui chauldement poursuyvoit sa besogne, qu'elle
n'estoit pas conseillée de faire ce qu'il requéroit tant qu'elle fust à
marier; car si par adventure, comme il advient chacun jour, elle faisoit
ung enfant, elle seroit à tousjours mès femme deshonorée et reprouchée
de son père, de sa mère, de ses frères, et de tout son lignage; laquelle
chose elle ne pourroit souffrir, et n'a pas cueur pour soustenir et
porter le desplaisir et ennuy qu'endurer luy conviendroit à ceste
occasion: «Et pourtant hors de ce propos, si je suis quelque jour
mariée, parlez à moy, je feray ce que je pourray pour vous, et non
aultrement; affin que vous ne vous y attendez point je le vous dy, et
m'en creez une fois pour toutes.» Monseigneur le curé ne fut pas trop
joyeux de ceste response absolue; et ne scet penser de quel courage, ne
à quel propos elle part; toutesfoiz luy, qui estoit prins ou las
d'amours et féru bien à bon escient, ne veult pas pourtant sa queste
abandonner; si dit à sa dame: «Or ça, m'amye, estez vous en ce fermée et
conclue que de riens faire pour moy si vous n'estes mariée?--Certes oy,
dit elle.--Et si vous estiez mariée, dit il, et j'en estoie le moien et
la cause, en ariez vous après cognoissance, en moy tenant loyaulment et
sans faulseté ce que m'avez promis?--Par ma foy, dit elle, oy, et de
rechef le vous promectz.--Or bien grant mercy, dit il, faictes bonne
chère, car je vous promectz seurement qu'il ne demourra pas à mon
pourchaz ne à ma chevance que vous ne le soyez, et de bref, car je suis
seur que vous ne le desirez pas tant que je faiz; et affin que vous
voiez à l'oeil que je suis celuy qui veil emploier et corps et biens en
vostre service, vous verrez comment je me conduiray en ceste
besoigne.--Or bien, dit elle, monseigneur le curé, l'on verra comment
vous ferez.» Sur ce se fist la despartie; et bon curé, qui avoit le feu
d'amours, ne fut depuis guères aise tant qu'il eut trouvé le père de sa
dame, et se mist en langage avecques luy de pluseurs et diverses
matères; et en la fin il vint et cheut à parler de sa fille, et luy va
dire bon curé: «Mon voisin, je me donne grand merveille, si font aussi
pluseurs voz voisins et amys, que vous ne mariez vostre fille, et à quel
propos vous la tenez tant d'emprès vous, et si savez toutesfoiz que la
garde est périlleuse. Non pas, Dieu me veille garder que je dye ou
voulsisse dire qu'elle ne soit toute bonne; mais vous en voiez tous les
jours mesadvenir puis qu'on les tient oultre le terme deu. Pardonnez-moy
toutesfoiz que si fiablement vous ouvre et descouvre mon courage; car
l'amour que je vous porte, la foy aussy que je vous doy, en tant que je
suis vostre pasteur indigne, me semonnent et obligent de ce faire.--Par
dieu! monseigneur le curé, dist le bon homme, vous ne me dictes chose
que je ne cognoisse estre vraye; et tant que je puis vous mercye; et ne
pensez pas ce que je la tiens si longuement avecques moy c'est malgré
moy; car quand son bien viendra, par ma foy, je me traveilleray pour
elle comme je doy. Vous ne voulez pas que je luy pourchasse ung mary,
mais s'il en vient ung qui soit homme de bien, je feray comme ung bon
père doit faire.--Vous dictes trèsbien, dit le curé, et par ma foy, vous
ne povez mieulx faire que de vous en despescher, car c'est grand chose
de veoir ses enfans allyez en sa plaine vie. Et que diriez vous d'un
tel, le filz d'un tel vostre voisin? par ma foy, il me semble bon homme,
bon mesnagier, et ung grand laboureur.--Saint Jehan, dit le bon homme,
je n'en dy que tout bien; quant à moy je le cognois pour ung bon jeune
homme et bon laboureur. Son père et sa mère et tous ses parens sont gens
de bien; et quand ilz feroient cest honneur à ma fille que de la
requerre à mariage pour luy, je leur en respondroye tellement qu'ilz
devroient estre contens par raison.--Ainsi m'aïst Dieu, dist le curé,
l'on ne dist jamais mieulx, et pleust à Dieu que la chose en fust ores
bien faicte ainsi comme je le desire; et pource que je sçay à la verité
que ceste allyance seroit le bien des parties, je m'y veil emploier; et
sur ce adieu vous dy.» Si ce maistre curé avoit bien fait son personnage
au père de sa dame, il ne le fist pas mains mal au père du jeune homme
qu'il avoit mis en bouche à son beau père qui sera s'il peut; et luy va
faire ung grand premisse, que son filz estoit en eage de marier, et
qu'il le deust pieça estre; et cent mille raisons luy amène par
lesquelles il dit et veult conclure que le monde est perdu si son filz
n'est tantost maryé. «Monseigneur le curé, dit ce segond bon homme, je
scay que vous dictes au plus près de verité; et en conscience, si je
fusse aussi bien à l'avantage que j'ay esté puis ne sçay quants ans, il
ne fust pas encores à marier; car c'est une des choses en ce monde que
plus je desire; mais faulte d'argent l'en a retardé, et c'est force
qu'il ait encores pacience jusques ad ce que nostre seigneur nous envoye
plus de bien que encores n'avons.--A dya, dit le curé, je vous entens
bien, il ne vous fault que de l'argent.--Par ma foy non, dit il; si j'en
eusse comme aultresfoiz ay eu, je luy querroye tantost une femme.--J'ay
regardé en moy, dit le curé, pource que je vouldroye le bien et
avancement de vostre filz, que la fille d'un tel, c'est assavoir sa
dame, seroit trop bien sa charge; elle est belle et bonne, et a son
père bien de quoy, et tant en sçay je il luy veult trèsbien aider, et
qui n'est pas pou de chose, c'est ung sage homs, de bon conseil, et bon
amy, et à qui vous et vostre filz ariez ung grand recours et trèsbon
secours. Quen dictes vous?--Certainement, dit le bon homme, pleust à
Dieu que mon filz fust si eureux que d'avoir allyance en si bon hostel;
et certes si je pensoye en aucune fasson qu'il y peust parvenir, et je
fusse fourny d'argent aussi bien que je ne suis mye, je y emploiroye
tous mes amis, car je sçay tout de vray qu'il ne saroit en ceste marche
mieulx trouver.--Je n'ay pas donc, dit le curé, mal choisy. Et que
diriez vous se je parloie de ceste besoigne au père, et je la conduisoie
tellement qu'elle sortist à effect desiré, et je vous faisoie encores
avecques ce le plaisir que de vous prester jusques a vingt frans jusques
à ung terme que nous deviserons?--Par ma foy, dit le bon homme,
monseigneur le curé, vous m'offrez plus de biens que je ne vaulx ne
qu'en moy n'est du deservir. Mais s'ainsi le faisiez, vous m'obligeriez
à tousjours mès à vostre service.--Et vrayement, dit le curé, je ne vous
ay dit chose que je ne face; et faictes bonne chère, car j'espère ceste
besongne mener à fin.» Pour abreger, maistre curé, esperant de joyr de
sa dame quand elle seroit mariée, conduisit les besoignes en tel estat,
et par le moien des vingt francs qu'il presta, ce mariage fut fait et
passé et vint le jour des nopces. Or est il de coustume que l'espousé
et l'espousée se confessent à tel jour. Si vint l'espousé premier, et se
confessa à ce curé; et quand il eut fait, il se tire ung petit arrière
de luy, disant ses oroisons et paternostres. Et véez cy l'espousée qui
se mect à genoux devant le curé et se confesse. Quand elle eut tout dit,
il parla voire si hault que l'espousé, qui n'estoit pas loing,
l'entendit tout du long, et dist: «M'amye, je vous prie qu'il vous
souvienne maintenant, car il est heure, de la promesse que me feistes
n'a guères; vous me promistes que quand vous seriez mariée que je vous
chevaulcheroye; or l'estes vous, Dieu mercy, par mon moien et pourchaz,
et moyennant mon argent que j'ay presté.--Monseigneur le curé, dit elle,
je vous tiendray ce que je vous ay promis, se Dieu plaist, n'en faictes
nulle doubte.--Je vous en mercie», dit il; puis luy bailla l'absolucion,
après ceste devote confession, et la laissa courre. Mais l'espousé, qui
avoit oy ces parolles, n'estoit pas bien à son aise. Toutesfoiz il
n'estoit pas heure de faire le courroucié. Après que toutes les
solennitez de l'eglise furent passées, et que tout fut retourné à
l'ostel, et que l'heure de coucher approuchoit, l'espousé vint à ung
sien compaignon qu'il amoit trèsbien, et luy pria qu'il luy feist
garnison d'une grosse poignée de verges, et qu'il la mist secrètement
soubz le chevet de son lit, et l'autre le fist. Quand il fut heure,
l'espousée fut couchée, comme il est de coustume, et tint le coing du
lit, sans mot dire. L'espousé vint assez tost après, et se mect à
l'autre bort du lit sans l'approucher, ne mot dire; et à lendemain se
lève sans aultre chose faire, et caiche ses verges dessoubz son lit.
Quand il fut hors de la chambre, véezcy bonnes matrones qui viennent, et
trouvent l'espousée ou lit, et ne fut pas sans demander comment c'est
portée la nuyt, et qu'il luy semble de son mary. «Ma foy, dit elle,
véezlà sa place, là loing, monstrant le bort du lit, et véezcy la
mienne; il n'approucha ennuyt de plus près et aussi n'ay je de luy.
«Elles furent bien esbahies et plus y pensèrent les unes que les
aultres; toutesfoiz elles s'accordèrent ad ce qu'il l'a laissie par
devocion, et n'en fut plus parlé pour ceste foiz. La deuxiesme nuyt
vint, et se coucha l'espousée en sa place du jour devant, et le mary
arrière en la sienne, fourny de ses verges; et ne luy fist aultre chose,
dont elle n'estoit pas contente, et ne faillit pas de le dire au
lendemain à ses matrones, qui ne scevent que penser. Les aucunes
disoient: «Espoir qu'il n'est pas homme, il le fault esprouver, car
jusques à la IIIJe nuyt il a continué ceste manière. Si fault dire qu'il
y ait à dire en son fait; pourtant si la nuyt qui vient il ne vous fait
aultre chose, dirent elles à l'espousée, tirez vers luy, si l'accolez et
le baisez, et luy demandez si on ne fait aultre chose en mariage. Et
s'il vous demande quelle chose vous voulez qu'il vous face, dictes luy
que vous voulez qu'il vous chevauche, et vous orrez, qu'il vous
dira.--Je le feray», dit elle. Elle ne faillit pas; car quand elle fut
couchée en sa place de tousjours, le mary reprint son quartier et ne
s'avançoit aultrement qu'il avoit fait les nuiz passées. Si se vira tost
vers luy et le print à bon braz de corps et luy commence à dire: «Et
venez çà, mon mary, est ce la bonne chère que vous me ferez? Véezcy jà
la cinquiesme nuyt que je suis avecques vous, et si ne m'avez daigné
approucher; et par ma foy, si je ne cuidasse qu'on feist aultre chose en
mariage, je ne m'y fusse jà boutée.--Et quelle chose, dist lors, vous a
l'on dit que l'on face en mariage?--On m'a dit, dit elle, qu'on y
chevauche l'un l'autre; si vous prie que vous me chevauchez.--Chevaucher,
dit il, cela ne vouldroye je pas faire encores, ne suis je pas si mal
gracieux.--Hélas, je vous prie que vous si facez, car on le fait en
mariage.--Le voulez vous? dit il.--Je vous en requier, dit elle; et
en ce disant le baisa trèsdoulcement.--Par ma foy, dit il, je le faiz
à grand regret, mais puis que vous le voulez le feray, mais je sçay
bien que vous ne vous en loerez jà.» Lors prend, sans plus mot
dire, ses verges de garnison, et descouvre madamoiselle et l'en batit
trèsbien et dos et ventre, jambes et cuissez, tant que le sang en
sailloit de tous costez. Elle crie, elle plore, elle se demaine, c'est
grand pitié que de la veoir; elle maudit qui oncques luy fist requerre
d'estre chevauchée: «Je le vous disoye bien», dit lors son mary. Après
la prend entre ses braz, et la roucina trèsbien, qui luy fist oublier
la douleur des verges. «Et comment appelle on, dit elle, ce que vous
m'avez maintenant fait?--On l'appelle, dit il, souffle en cul.--Souffle
en cul! dit elle, le nom n'est pas si beau que de chevauchier; mais la
manière de le faire vault trop mieulx d'assez, et puisque je le scay, je
sceray bien doresenavant duquel je vous doy requerre.» Or devez vous
savoir que monseigneur le curé tendoit tousjours l'oreille quand sa
nouvelle mariée viendroit à l'eglise, pour luy ramantevoir ses
besoignes, et luy souvenir de sa promesse. Le jour qu'elle y vint, se
pourmenoit et se tenoit près du benoistier; et quand elle fut près, il
luy bailla de l'eaue beneite, et luy dist assez bas:--«M'amye, vous
m'avez promis que je vous chevaucheroie quand vous seriez mariée; vous
l'estes, Dieu mercy, si seroit heure de penser quand ce pourroit
estre.--Chevaucher? dit elle, j'aymeroie par dieu mieulx que vous fussez
noyé, voire pendu; ne me parlez point de chevaucher. Mais je suis
contente que vous me soufflez ou cul, si vous voulez.--Et je feray, dit
le curé, voz fièvres quartaines, paillarde que vous estes, qui tant
estes et orde et sale et malhonneste: ay je tant fait pour vous que
d'estre guerdonné pour vous souffler ou cul?» Ainsi mal content se
partit monseigneur le curé de la nouvelle mariée, qui se va mettre en
son siége pour oyr la devote messe que le bon curé vouldra dire. En la
fasson qu'avez oy dessus perdit monseigneur le curé son adventure de
joir de sa dame, dont il fut cause et non aultre, pource qu'il parla
trop hault à elle le jour qu'il la confessa; car son mary qui l'oyt
l'empescha en la fasson que dessus, par faire acroire à sa femme que la
fasson de roucyner s'appelle souffle en cul.




LA XLVe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Combien que nulle des histoires précédentes n'aye touché ou racompté
aucun cas advenu es marches d'Ytalie, mais seullement face mencion des
advenues en France, Alemaigne, Angleterre, Flandres et Brabant, si
s'estendra elle toutesfoiz, à cause de la fresche advenue, à ung cas à
Romme naguères advenu et connus, qui fut tel: A Romme avoit ung
Escossois de l'eage d'environ vingt à XXII ans, lequel par l'espace de
XIIIJ ans se maintint et conduisit en l'estat et habillement de femme,
sans ce que dedans le dit terme il fust venu à la coignoissance
publicque qu'il fust homme; et se faisoit appeler donne Margarite, et
n'y avoit guères bon hostel en la ville de Romme à rate de temps où il
n'eust son tour et cognoissance, et specialement estoit il bien venu des
femmes, comme entre les chambrières, meschines de bas estat, et aussi
des aucunes des plus grandes de Romme. Et affin de vous descouvrir
l'industrie de ce bon Escossois, il trouva fasson d'apprendre à blanchir
les draps linges, et s'appelloit la lavendière; et soubz ceste umbre,
hantoit, comme dessus est dit, par toutes bonnes maisons de Romme, car
il n'y avoit femme qui sceust l'art de blanchir draps comme il faisoit.
Mais vous devez savoir qu'encores savoit il bien plus; car puis qu'il se
trouvoit en quelque part à descouvert avecques quelque belle fille, il
luy monstroit qu'il estoit homme. Il demouroit bien souvent au couscher,
à cause de faire la buée, ung jour, deux jours, ès maisons dessus
dictes; et le faisoit on coucher avecques la chambrière et aucunes foiz
avecques la fille; et bien souvent et le plus, la maistresse, si son
mary n'y estoit, vouloit bien avoir sa compaignie. Et Dieu scet s'il
avoit bien le temps, et moyennant le labour de son corps, il estoit bien
venu par tout; et n'y avoit bien souvent meschine ne chambrière qui ne
se combatist pour luy bailler la moitié de son lit. Les bourgois mesmes
de Romme, à la relacion de leurs femmes, le voient trèsvoluntiers en
leurs maisons; et s'ilz alloient quelque part dehors, trèsbien leur
plaisoit que donne Margarite aidast à garder le mesnage avecques leurs
femmes; et qui plus est la faisoient coucher avecques elles, tant la
sentoient bonne et honeste, comme dessus est dit. Par l'espace de XIIIJ
ans continua donne Margarite sa manière de faire. Mais fortune bailla la
cognoissance de l'abus de son estat dessus dit par la bouche d'une
jeune fille, qui dist à son père qu'elle avoit couché avec elle et luy
dist qu'elle l'avoit assaillie, et luy dist veritablement qu'elle estoit
homme. Ce père feist preuve à la relacion de sa fille de donne
Margarite; elle fut regardée par ceulx de la justice, qui trouvèrent
qu'elle avoit tous telz membres et oustilz que les hommes portent, et
que vrayement elle estoit homme, et non pas femme. Si ordonnèrent qu'on
le mectroit sur ung chariot et qu'on le mainroit par la ville de Romme,
de quarrefour en quarrefour, et là monstreroit on, voyant chacun, ses
genitoires. Ainsi en fut fait, et Dieu scet que la pouvre donne
Margarite estoit honteuse et soupprinse. Mais vous devez savoir que
comme le chariot venist en ung quarrefour, et qu'on faisoit ostension
des denrées de donne Margarite, ung Rommain qui le vit dist tout hault:
«Regardez quel galioffe: il a couché plus de vingt nuiz avecques ma
femme.» Et le dirent aussi pluseurs aultres comme luy; pluseurs ne le
dirent point qui bien le savoient, mais pour leur honneur ilz s'en
teurent. En la fasson que vous oyez fut puny nostre pouvre Escossois qui
la femme contrefist; et après ceste punicion il fut banny de Romme, dont
les femmes furent bien desplaisantes: car oncques si bonne lavendière ne
fut, et avoyent bien grand regret que si meschantement l'avoient perdu.




LA XLVIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE THIEUGES.


Ce n'est pas chose estrange que les moynes hantent voluntiers les
nonnains. A ce propos il advint naguères que ung maistre jacobin tant
hanta, visita et fréquenta en une bonne maison de dames de religion de
ce royaume, qu'il parvint à son intencion, laquelle estoit de coucher
avec une des dames de léens. Et Dieu scet puis qu'il eut ce bien s'il
estoit diligent et soigneux de se trouver vers celle qu'il amoit plus
que tout le demourant du monde; et tant y continua sa hantise que
l'abbesse de léens et pluseurs des religieuses se parceurent de ce qui
estoit, dont elles furent bien mal contentes. Mais toutesfoiz, pour
eviter esclandre, elles n'en dirent mot, voire au religieux, mais trop
bien chantèrent la leczon à la religieuse nonnain, laquelle se sceut
bien excuser; mais l'abbesse qui veoit cler et estoit bien percevante,
cogneut tantost à ses responses et excusances, aux manières qu'elle
tenoit et aux apparences qu'elle avoit veues, qu'elle estoit coulpable
du fait; si voulut pourvoir de remède, car elle fist tenir bien de
court, à cause de ceste religieuse, toutes les aultres, fermer les huys
des cloistres et des aultres lieux de léens, et tellement fist que le
pouvre jacobin ne povoit plus venir veoir sa dame. Si luy en
desplaisoit, et à elle aussi, il ne le fault pas demander. Et vous dy
bien qu'ilz pensoient et jour et nuyt par quelle façon et moien ilz se
pourroient rencontrer; mais ilz n'y savoient engin trouver, tant faisoit
faire le guet sus eulx madame l'abbesse. Or advint toutesfoiz ung jour
que une des niepces de madame l'abbesse se marioit, et faisoit sa feste
en l'abbaye; et y avoit grosse assemblée des gens du païs; et estoit
madame l'abbesse fort empeschée de festoyer les gens de bien qui
estoyent venuz à la feste faire honneur à sa niepce. Si s'advisa bon
jacobin qu'il viendroit veoir sa dame, et que à l'adventure pourroit il
estre si eureux que de la trouver en belle. Il y vint, comme il proposa,
et de fait trouva ce qu'il queroit, et à cause de la grosse assemblée,
et de l'empeschement que l'abbesse et ses guettes avoient, il eut bien
loisir de dire à sa dame ses doléances et regretter le bon temps passé;
et elle qui beaucop le amoit le vit trèsvoluntiers, et si en elle eust
esté elle luy eust fait aultre chère. Entre aultres parolles il luy dit:
«Hélas! m'amye, vous savez qu'il a jà long temps que point ne sommes
devisez ainsi que nous soulions; je vous requier, s'il est possible,
tantdiz que l'ostel de céens est fort donné à aultre choses que à nous
guetter, que vous me diez où je pourray parler à vous à part.--Ainsi
m'aist Dieu, dit-elle, mon amy, je ne le desire pas mains que vous.
Mais je ne sçay penser ne lieu ne place ou ce se puisse faire; car tout
le monde est par céens, et ne seroit pas en moy d'entrer en ma chambre,
tant y a d'estrangiers logez qui sont venuz à ceste feste; mais je vous
diray que vous ferez. Vous savés bien le grand jardin de céens, faictes
pas?--Saint Jehan! oy, dit-il.--Au coing de ce jardin, dit-elle, a ung
trèsbeau préau bien encloz de belles hayes fortes et espesses, et au
milieu ung grant poirier, qui rendent le lieu umbragé et couvert. Vous
en yrez là et m'attendrez; et tantost que je pourray eschapper je feray
ma diligence de me trouver bientost vers vous.» Elle fut beaucop
merciée, et dit maistre jacobin qu'il s'i en va tout droit. Or devez
vous savoir que ung jeune galant venu à la feste n'estoit guères loing
de ces deux amans, si oy et entendit toute leur conclusion; si s'advisa,
car il savoit le préau, qu'il s'i viendra embuscher pour veoir les armes
qui s'i feront. Il se mist hors de la presse, et tant que piez le
peurent porter, il s'en court devers ce préau, et fist tant qu'il y fut
devant le jacobin. Et luy là venu, il monte sur ce beau poirier qui
estoit large et ramu, trèsbien vestu de fueilles et de poires, et s'i
ambuscha si bien qu'il n'estoit pas aisié à veoir. Il n'y eut guères
esté que véezcy bon jacobin qui attrotte, regardant derrière lui si ame
le suyvoit. Et Dieu scet qu'il fut bien joyeux de se trouver en ce beau
lieu, et se garda bien de lever les yeulx contre mont le poirier; car
jamais ne se fust doubté qu'il y eust quelqu'ung; mais tousjours avoit
l'oeil vers le chemin qu'il estoit venu. Tant regarda qu'il vit sa dame
venir le grand pas, qui fut tost d'emprès luy; si se firent grand feste,
et bon jacobin d'oster sa goune et son scapulaire, et de baiser et
accoler bien serrément la belle nonnain. Ilz vouldrent faire ce pour
quoy ilz estoient venuz: et se mist chacun en point, et en ce faisant
commence à dire la nonnain: «Pardieu, mon amy frère Aubry, je vuil bien
que vous sachez que vous avez aujourd'uy à dame et en vostre
commandement ung des beaulx corps de nostre religion; et je vous en fais
juge, vous le voiez: regardez quelz tetins, quel ventre, quelles
cuisses, et du surplus il n'y a que dire.--Par ma foy, dist frère Aubry,
seur Jehanne m'amye, je cognois ce que vous dictes; mais aussi vous
povez dire que vous avez à serviteur ung des beaulx religieux de tout
nostre ordre, aussi bien fourny de ce que ung homme doit avoir que nul
de ce royaume.» Et à ces motz mist la main au baston dont il vouloit
faire ses armes, et le brandissoit voyant sa dame, en luy disant: «Qu'en
dictes-vous? que vous en semble? n'est-il pas beau? vault-il pas bien
une belle fille?--Certes oy, dit-elle.--Et aussi l'arez vous.--Et vous
arez, dist lors celuy qui estoit dessus le poirier, sur eulz, tous des
meilleures poires du poirier.» Lors prend à ses deux mains les brances
du poirier, et fait tumber en bas sur eulx et ou préau des poires
trèslargement, dont frère Aubry fut tout effraié qu'à peu s'il eut sens
ne loisir de reprendre sa goune; si s'en picque tant qu'il peut sans
attendre, et ne fut oncques asseuré tant qu'il fut hors de léens. Et la
nonnain, qui fut autant ou plus effrayée que luy, ne sceut si tost se
mettre au chemin que le galant qui estoit sur le poirier ne fut
descendu, qui la va prandre par la main et luy defendit le partir, et
luy dist: «M'amye, ainsi n'en yrez vous; il vous fault bien premier
paier le fruictier.» Elle, qui estoit prinse et soupprinse, vit bien que
le refuz n'estoit pas de saison, et fut contente que le fruictier fist
ce que frère Aubry avoit laissié en train.




LA XLVIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


En Prouvence avoit naguères ung president de haulte et bien eureuse
renommée, qui trèsgrand clerc et prudent estoit, vaillant aux armes,
discret en conseil; et en bref dire, en lui estoient tous les biens de
quoy l'on pourroit jamais loer homme. D'une chose tant seulement estoit
noté dont il n'estoit pas cause, mais estoit celuy à qui plus en
desplaisoit; et la raison y estoit bonne. Et pour dire la note que de
luy estoit, c'estoit qu'il estoit coupault par faulte d'avoir femme
aultre que bonne. Le bon seigneur veoit et cognoissoit la desloyauté de
sa femme, et la trouvoit encline de tous poincts à sa puterie; et
quelque sens que Dieu luy eust donné, il ne savoit remède à son cas,
fors de soy taire et faire du mort; car il n'avoit pas si peu leu et veu
en son temps qu'il ne sceust vrayement que correction n'a point de lieu
à femme de tel estat. Toutesfoiz vous povez penser que ung homme de
courage et vertueux, comme cestuy estoit, ne vivoit pas bien à son aise,
mais fault dire et conclure que son dolent cueur portoit la paste au
four de ceste maladie infortune. Et car au pardehors avoit manère et
semblant de rien savoir et percevoir le gouvernement de sa femme, ung de
ses serviteurs le vint trouver un jour en sa chambre, à part, et luy va
dire par grand sens: «Monseigneur, je suis celuy qui vous vouldroye
advenir, comme je doy, de tout ce qui peut especialement toucher à
vostre honneur; je me suis prins et donné garde du gouvernement de
madame vostre femme, mais je vous asseure qu'elle vous garde trèsmal la
loyaulté qu'elle vous a promise: car seurement un tel (qui luy nomma)
tient vostre lieu bien souvent.» Le bon president, sachant aussi bien ou
mieulx l'estat de sa femme que son serviteur qui faisoit ce rapport, luy
respondit trèsfièrement: «Ha! ribauld, je sçay bien que vous mentez de
tout ce que me dictes; je cognois trop ma femme, elle n'est pas telle,
non. Et vous ay-je nourry pour me rapporter une telle bourde, voire de
celle qui tant est bonne et loyale? Et vrayement vous ne m'en ferez
plus: dictes que je vous doys, et vous en allez tost, et ne vous trouvez
jamais devant moy, si cher que vous amez vostre vie.» Le pouvre
serviteur, qui cuidoit faire grand plaisir à son maistre de son
adventure, dist qu'il luy devoit. Il le receut et s'en alla. Nostre
president, voyant encores de plus en plus rafrescher la desloyauté de sa
femme, estoit tant mal content et si trèsfort troublé qu'on ne pourroit
plus. Si ne savoit que penser ne ymaginer par quelle façon il s'en
pourroit honestement descharger. Si s'advisa, comme Dieu le voult, ou
comme fortune le consentit, que sa femme devoit aller à unes nopces
assez tost; et si ce qu'il pense peut advenir il sera du monde le mieulx
fortuné. Il vint à ung varlet qui la garde avoit de ses chevaulx, et
d'une belle mule qu'il avoit, et luy dit: «Garde bien que tu ne bailles
à boire à ma mule de nuyt ne de jour, tant que je le te diray; et à
chacune foiz que tu luy donneras son avene si mectz parmy une bonne
poignée de sel; et garde que n'en sonnez mot.--Non feray-je, dit le
varlet, et si feray ce que vous me commendez.» Quand le jour des nopces
de la cousine de madame la presidente approucha, elle dist au bon
president: «Monseigneur, si c'estoit votre plaisir, je me trouveroye
voluntiers aux nopces de ma cousine, qui se feront dimenche en ung tel
lieu.--Trèsbien, m'amye, j'en suis bien content; allez, Dieu vous
conduyse.--Je vous mercie, monseigneur, dit-elle, mais je ne sçay
bonnement comment y aller; je n'y menasse point voluntiers mon chariot,
pour le tant pou que ay à y estre; vostre hacquenée aussi est tant
desfrayée que je n'oseroie pas bien emprendre le chemin sur elle.--Et
bien! m'amie, si prenez ma mule; elle est trèsbelle et si va bien et
doulx, et est aussi seure du pié que je n'en trouvay oncques point.--Et,
par ma foy, monseigneur, dit-elle, je vous en mercye, vous estes bon
mary.» Le jour de partir vint, et se firent prestz les serviteurs de
madame la presidente et ses femmes qui la devoient servir et
accompaigner; pareillement vont venir à cheval deux ou troys gorgyas qui
la devoient accompagner, qui demandent se madame est preste, et elle
leur fait savoir qu'elle viendra maintenant. Elle fut preste et vint en
bas, et luy fut amenée la belle mule au montouer, qui n'avoit beu de
viij. jours; et enrageoit de soif, tant avoit mengé de sel. Quand elle
fut montée, les gorgias se misrent devant, qui faisoient fringuer leurs
chevaulx, et estoit rage qu'ilz faisoient bien et hault. Et se pourroit
bien faire que aucuns de la compaignie savoient bien que madame savoit
faire. En la compaignie de ces gentilz gorgyas, de ses serviteurs et de
ses femmes, passa madame par la ville, et se vint trouver aux champs; et
tant alla qu'elle vint à ung destroit auprès duquel passe la grosse
rivière du Rosne, qui en cel endroit est tant roidde que merveilles. Et
comme ceste mule, qui de viij. jours n'avoit beu, perceut la rivière,
courant sans demander pont ne passage, elle de plain vol saulta dedans à
tout sa charge, qui estoit du precieux corps de madame. Ceulx qui la
virent la regardèrent trèsbien; mais aultre secours ne luy firent, car
aussi il n'estoit pas en eulx; si fut madame noyée, dont ce fut grand
dommage. Et la mule, quand elle eut beu son saoul, naigea tant par le
Rosne qu'elle trouva la rive, si fut sauvée. La compaignie fut moult
troublée, qui eut perdu madame; si s'en retourna en la ville. Et vint
ung des serviteurs de monseigneur le president le trouver en sa chambre,
qui n'attendoit aultre chose que les nouvelles qu'il luy dist, et luy va
dire tout plorant la piteuse adventure de madame sa maistresse. Le bon
president, plus joyeux en cueur qu'oncques triste ne fut, se monstra
trèsdesplaisant; et de fait se laissa cheoir du hault de luy, menant
trèspiteus dueil en regretant sa bonne femme. Il maudisoit sa mule, les
belles nopces qui firent sa femme partir ce jour. «Et Dieu! dit-il, ce
vous est grand reprouche qui estiez tant de gens et n'avez sceu
rescourre la pouvre femme qui trèstant vous amoit; vous estes lasches et
meschans, et l'avez bien monstré.» Le serviteur s'excusa et les aultres
aussi, le mains mal qu'ilz sceurent; et laissa monseigneur le president,
qui loa Dieu à joinctes mains de ce qu'il est quicte de sa femme. Quand
point fut, il fist faire ses funérailles comme il appartint; mais
croiez, combien qu'encorez il fust en eage, il n'eut garde de se
rebouter en mariage, craignant le dangier où tant avoit esté.




LA XLVIIIe NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA ROCHE.


Ung gentil compaignon devint amoureux d'une jeune damoiselle qui n'a
guères estoit mariée; et le mains mal qu'il sceut, après qu'il eut
trouvé façon d'avoir vers elle accointance, il compta son cas, et au
rapport qu'il fist, il sembloit fort malade; et à la verité dire, aussi
estoit-il bien picqué. Elle fut bien si gracieuse qu'elle luy bailla
bonne audience, et pour la première foiz il se partit trèscontent de la
response qu'il eut. S'il estoit bien feru au paravant, encores fut il
plus touché au vif quand il eut dit son fait; si ne dormoit ne nuyt ne
jour, de force de penser à sa dame et de trouver la façon et manière de
parvenir à sa grace. Il retourna à sa queste quand il vit son point; et
Dieu scet, s'il avoit bien parlé la première foiz, que encores fist-il
mieulx son personnage à la deuxiesme, et si trouva de son boneur sa dame
assez encline à passer sa requeste, dont il ne fut pas moyennement
joyeux. Et car il n'avoit pas tousjours ne le temps ne le loisir de se
trouver vers elle, il luy dist à ceste foiz la bonne volunté qu'il avoit
de luy faire service et en quelle façon. Il en fut mercyé de celle, qui
estoit tant gracieuse qu'on ne pourroit plus. Bref il trouva en elle
tant de courtoisie en maintien et parler qu'il n'en sceust plus demander
par raison; si se cuida avancer de la baiser, mais il en fut refusé de
tous poins; mesme quand vint au partir et au dire adieu, il n'en peut
oncques finer, dont il fut trèsesbahy. Et quand il fut en sus d'elle, il
se doubta beaucop de point parvenir à son intencion, veu qu'il ne povoit
obtenir d'elle ung seul baiser. Il se confortoit d'aultre costé des
gracieuses parolles qu'il eut au dire adieu, et de l'espoir qu'elle luy
baille. Il revint comme aultresfoiz à sa queste; et pour abreger, tant y
alla et tant y vint qu'il eut heure assignée de dire à sa dame, à part,
le surplus de ce qu'il ne vouldroit dire sinon entre eulx deux. Et, car
temps estoit, il print congé d'elle, si l'embrassa bien doulcement et la
voulut baiser; et elle s'en defend trèsbien et luy dit assez rudement:
«Ostez, ostez-vous, et me laissez, je n'ay cure d'estre baisée.» Il
s'excusa le plus gracieusement que oncques sceut, et sur ce se partit.
«Et qu'est cecy? dist-il en soy-mesmes; je ne vy jamais ceste manière en
femme: elle me fait la meilleure chère du monde, et si m'a desjà accordé
tout ce que je luy ay osé requerre; mais encores n'ay je peu finer d'un
pouvre baiser.» Quand il fut heure, il vint où sa dame luy avoit dit,
et fist tout ce pour quoy il y vint tout à son beau loisir: car il
coucha entre ses braz toute la belle nuyt, et fist tout ce qu'il voulut,
fors seullement baiser, et de cela n'eust-il jamais finé. «Et je
n'entens point ceste manière de faire, disoit-il en son pardedens; ceste
femme est contente que je couche avecques elle et que je face tout ce
qu'il me plaist; mais du baiser je n'en fineroye neant plus que de la
vraye croix? Par la mort bieu! je ne sçay entendre cecy; il fault qu'il
y ait aucun mistère; il est force que je le sache.» Ung jour entre les
aultres, qu'il estoit avecques sa dame à goguettes, et qu'ilz estoient
beaucoup dehet tous deux: «M'amye, dist-il, je vous requier que vous me
dictes la cause qui vous meut de moy tenir si grand rigueur quand je
vous veil baiser. Vous m'avez de vostre grace baillé la joyssance de
vostre beau et gracieux corps tout entièrement, et d'un petit baiser
vous me faictes le refus!--Par ma foy, mon amy, dit-elle, vous dictes
voir, le baiser vous ay refusé, et ne vous y attendez point, vous n'en
finerez jamais; et la raison y est bonne, si la vous diray: Il est vray,
quand j'espousay mon mary, que je luy promis de la bouche tant
seullement beaucop de belles choses. Et car ma bouche est celle qui luy
a juré et promis de luy estre bonne, je suis celle qui luy veil
entretenir, et ne souffreroye pour mourir qu'aultre de luy y touchast;
elle est sienne et à nul aultre; et ne vous attendez d'en rien avoir.
Mais mon derrière ne luy a rien promis ne juré; faictes de luy et du
surplus de moy, ma bouche hors, ce qu'il vous plaise; je le vous
habandonne.» L'autre commença à rire trèsfort, et dist: «M'amye, je vous
mercye, vous dictes trèsbien, et si vous sçay grand gré que vous avez la
franchise de bien garder vostre promesse.--Jà Dieu ne veille, dist-elle,
que je luy face faulte.» En la façon que avez oy fut ceste femme
abustinée: le mary avoit la bouche seullement, et son amy le surplus; et
si d'adventure le mary se servoit aucunes foiz des aultres membres, ce
n'estoit que par manière d'emprunt, car ilz estoient à son amy par le
don de sa dicte femme. Mais il avoit ceste advantage, que sa femme
estoit contente qu'il emprint sur ce qu'elle avoit donné à son amy; mais
pour rien n'eust souffert que l'amy eust joy de ce que à son mary avoit
donné.




LA XLIXe NOUVELLE.

PAR PIERRE DAVID.


J'ay bien scéu que n'a guères, en la ville d'Arras, avoit ung bon
marchant auquel il mescheut d'avoir femme espousée qui n'estoit point de
meilleur au monde: car elle ne tenoit serre, tant qu'elle peust veoir
son cop, et qu'elle trouvast à qui, neant plus que une vieille
arbaleste. Ce bon marchant se donna garde du gouvernement de sa femme;
il en fut aussi adverty par aucuns ses plus prives amis et voisins. Si
se bouta en une bien grande frenesie et parfonde melencolie, dont il ne
valut pas mieulx. Puis s'advisa qu'il esprouveroit s'il savoit par bonne
façon s'il pourrait veoir ce qu'il scet que bien peu luy plaira;
c'estoit de veoir venir en son hostel, devers sa femme; ung ou pluseurs
de ceulx qu'on dit qui sont les lieutenans. Si fainit ung jour d'aller
dehors, et s'embuscha en une chambre de son hostel dont luy seul avoit
la clef. Et destournoit la dicte chambre sur la rue, sur la court, et
par aucuns secrez pertus et treilliz regardoit en plusieurs aultres
lieux et chambres de léens. Tantost que la bonne femme pensa que son
mary estoit dehors, elle fist prestement savoir à une de ses amys qu'il
vensist vers elle; et il obéyt comme il devoit, car il suyvit pié à pié
la meschine qui le vint querre. Le mary, qui, comme dit est, estoit en
sa chambre, vit trèsbien entrer celuy qui venoit tenir son lieu; mais il
ne dit mot, car il veult veoir plus avant s'il peut. Quand l'amoureux
fut léens, la dame le mena par léans par la main tout devisant en sa
chambre, et serra l'huys, et se commencent à baiser et à accoler, et
faire la plus grand chère de jamais; et bonne damoiselle de despoiller
sa robe, et se mectre en cotte simple; et le bon compaignon de la
prendre à bons braz de corps, et faire ce pourquoy il vint. Et tout ce
veoit à l'oeil le pouvre mary par une petite treille; pensez s'il estoit
à son aise; mesme estoit-il si près d'eulz qu'il entendoit plainement
tout ce qu'ilz disoient. Quand les armes d'entre la bonne femme et son
serviteur furent achevées, ilz se mirent sur une couche qui estoit en la
chambre, et se commencent à deviser de pluseurs choses. Et comme le
serviteur regardast sa dame, qui tant belle estoit que merveilles, il la
commence à rebaiser, et dit en baisant: «M'amye, à qui est ceste belle
bouche?--C'est à vous, mon bel amy, dit-elle.--Et je vous en mercie,
dit-il. Et ces beaulx yeulx?--A vous aussi, dit-elle.--Et ce beau tetin
qui tant est bien troussé, n'est-il pas de mon compte? dit-il.--Oy, par
ma foy, dit-elle, il est à vous, et non à aultre.» Il mect après la main
au ventre et à son devant, où il n'avoit que redire, et luy demanda: «A
qui est cecy, m'amye?--Il ne le fault jà demander, on scet bien que tout
est vostre.» Il vint après gecter la main sur son gros derrière, et luy
demanda en soubariant: «Et à qui est cecy?--Il est à mon mary, dit-elle,
c'est sa part; mais tout le demourant est vostre.--Et vrayement, dit-il,
je vous en mercie beaucop. Je ne me doy pas plaindre, vous m'avez très
bien party; et aussi d'aultre costé, par ma foy, pensez que je suis tout
entier vostre.--Je le sçay bien», dit elle. Et après ces offres
recommencèrent leurs armes de plus belle; et ce fait, le serviteur se
partit de léans. Le pouvre mary, qui tout avoit veu et oy, n'en povoit
plus, s'il n'enraigeoit tout vif; toutesfoiz, pour mieulx faire que
laisser, il avala ceste première, et au lendemain fist trèsbien son
personnage, faisant semblant qu'il vient de dehors. Et quand vint au
disner, il dist qu'il vouloit avoir au disner, dimenche prochain venant,
son père et sa mère, telz et telles de ses parens et cousines; et
qu'elle face garnison de vivres, et qu'ilz soient bien aises à ce jour.
Elle se chargea de ce faire et il de les inviter. Ce dimenche vint, le
disner fut prest, et ceulx qui mandez y furent comparurent, et print
chacun place comme leur hoste l'ordonnoit, qui estoit debout et sa femme
aussi, qui servirent du premier mes. Quand le premier mes fut assis,
l'oste, qui secrètement avoit fait faire une robe pour sa femme de gros
bureau gris, et à l'endroit du derrière fist mectre une pièce de bonne
escarlate, à manière de tasseau, dist à sa femme: «Venez jusques en la
chambre»; il se mect devant et elle le suyt. Quand ilz y furent, il luy
fist despoiller sa robe et va prendre celle de bureau dessusdicte et luy
dit: «Or vestez ceste robe.» Elle la regarde et voit qu'elle est de gros
bureau; si en est toute esbahie et ne scet penser qu'il fault à son
mary, ne pourquoy il la veult ainsi habiller. «Et à quel propos me
voulez-vous ainsi housser? dit-elle.--Ne vous chaille, dit-il, je veil
que vous la vestez.--Ma foy, dit elle, je n'en tien compte, je ne la
vestiray jamais. Faictes-vous du fol? Vous voulez-vous bien faire farcer
de vous et de moy devant tant de gens.--Il n'y a ne fol ne sage, dit
il, vous la vestirez.--Au mains, dit-elle, que je sache pour quoy.--Vous
le sarez, dit-il, cy après.» Pour abreger, force fut qu'elle endossast
ceste robe, qui estoit bien estrange à regarder. Et en ce point fut
amenée à la table, où la pluspart de ses amys et parens estoient. Mais
pensez qu'ilz furent bien esbahiz de la veoir ainsi habillée; et creez
qu'elle estoit bien honteuse; et si la force eust esté sienne, elle ne
fust pas là venue. Droit là fut bien qui demanda que signifioit cest
habillement. Et le mary respondit qu'ilz pensent trestous de faire bonne
chère, et que après disner ilz le sceroient. Mais vous devez savoir que
la bonne femme houssée du bureau ne mengea chose qui bien luy feist; et
luy jugeoit le cueur que le mistère de sa housserie luy feroit ennuy. Et
encore eust-elle esté plus troublée d'assez s'elle eust sceu du tasseau
d'escarlate; mais nenny. Le disner se passa, et fut la table ostée, les
grâces dictes, et chacun debout. Lors le mary se mect avant et commence
à dire: «Vous telz qui cy estes, s'il vous plaist, je vous diray en bref
la cause pourquoy j'ay vestu ma femme de cest habillement. Il est vray
que jà pieçà j'ay esté adverty que vostre fille qui cy est me gardoit
trèsmal la loyaulté qu'elle me promist en la main du prestre;
toutesfoiz, quelque chose que l'on m'ait dit, je ne l'ay pas creu
legerement, mais l'ay voulu esprouver; et qu'il soit vray, il n'y a que
six jours que je faindy d'aller dehors, et m'enbuschay en ma chambre là
hault. Je n'y eu guères esté que véezcy venir ung tel, que ma femme
mena tantost en sa chambre, où ilz firent ce que mieulx leur pleut.
Entre leurs aultres devises, l'homme luy demanda de sa bouche, de ses
yeulx, de ses mains, de son tetin, de son ventre, de son devant et de
ses cuisses, à qui tout ce bagage estoit. Et elle luy respondit: «A
vous, mon amy.» Et quand vint à son derrière, il luy dist: «Et à qui est
cecy, m'amye?--A mon mary», dist elle. Lors, pource que je l'ay trouvée
telle, je l'ay en ce point habillée: elle a dit que d'elle il n'y a rien
mien que le derrière, si l'ay houssé comme il appartient à mon estat; le
demourant ay-je houssé de vesture qui est deue à femme desloyale et
deshonorée, car elle est telle; je la vous rends.» La compaignie fut
bien esbahie d'oyr ce propos, et la pouvre femme bien honteuse. Mais
toutesfoiz, quoy qu'il fust, oncques puis avecques son mary ne se
trouva, ains deshonorée et reprouchée entre ses amys depuis demoura.




LA Le NOUVELLE.

PAR MONSEIGNEUR DE LA SALLE, PREMIER MAISTRE D'HOSTEL DE MONSEIGNEUR LE
DUC.


Comme jeunes gens se mettent à voyager et prennent plaisir à veoir et
sercher les adventures du monde, il y eut n'a guères au pays de Lannoys
le filz d'un laboureur qui fut depuis l'eage de dix ans jusques à l'eage
de vingt et six tousjours hors du pays; et puis son partement jusques à
son retour, oncque son père ne sa mère n'en eurent une seule nouvelle:
si pensèrent pluseurs foiz qu'il fust mort. Il revint après toutesfoiz,
et Dieu scet la joye qui fust en l'ostel, et comment il fut festoié à
son retour du tant pou de biens que Dieu leur avoit donné. Mais qui le
vit voluntiers et en fist grand feste, sa grand mère, la mère de son
père, luy faisoit plus grand chère et estoit la plus joyeuse de son
retour; elle le baisa plus de cinquante foiz, et ne cessoit de loer Dieu
qu'il leur avoit rendu leur beau filz et retourné en si beau point.
Après ceste grande chère, l'heure vint de dormir; mais il n'y avoit à
l'ostel que deux lictz: l'un estoit pour le père et la mère et l'autre
pour la grand mère. Si fut ordonné que leur filz coucheroit avecques sa
taye, dont elle fut joyeuse; mais il s'en fust bien passé, combien que
pour obéir il fut content de prendre la pacience pour ceste nuyt. Comme
il estoit couché avec sa taye, ne sçay de quoy il luy sourvint, il monta
dessus. «Et que veulz-tu faire? dit-elle.--Ne vous chaille, dit-il, ne
dictes mot.» Quand elle vit qu'il vouloit besoigner à bon escient, elle
commence de crier tant qu'elle peut après son filz, qui dormoit en la
chambre au plus près; si se leve de son lit et se va plaindre à luy de
son filz, en plorant tendrement. Quand l'autre entendit la plainte de sa
mère et l'inhumanité de son filz, il se leva sur piez trèscouroussié et
mal meu, et dit qu'il l'occira. Le filz, oye ceste menace, si sault sus,
et s'en picque par derrière et se sauve. Son père le suyt, mais c'est
pour néant: il n'estoit pas si radde du pyé comme luy; il vit qu'il
perdoit sa peine, si revint à l'ostel et trouva sa mère lamentant à
cause de l'offense que son filz avoit faicte. «Ne vous chaille, dit-il,
ma mère, je vous en vengeray bien.» Ne sçay quants jours après ce père
vint trouver son filz, qui jouoit à la paulme en la ville de Laon; et
tantost qu'il le vit, il tire bonne dague et marche vers luy et l'en
cuide ferir. Le filz se destourna, et son père fut tenu. Aucuns qui là
estoient sceurent bien que c'estoit le père et le filz. Si dit l'un au
filz: «Et vien çà; qu'as tu meffait à ton père, qui te veult tuer?--Ma
foy, dist-il, rien. Il a le plus grand tort de jamais; il me veult tout
le mal du monde pour une pouvre foiz que j'ay voulu rouciner sa mère;
il a rouciné la mienne plus de cing cens foiz, et je n'en parlay oncques
ung seul mot.» Tous ceux qui oyrent ceste response commencèrent à rire
de grand cueur et dirent bien qu'il estoit bon homme. Si s'efforcèrent à
ceste occasion de faire sa paix à son père, et tant si employèrent
qu'ils en vindrent au bout, et fut tout pardonné d'un costé et d'aultre.


FIN DU TOME PREMIER.

[Décoration]


       *       *       *       *       *

NOTES.


TOME I.

P. xxj. Dans le manuscrit, la dédicace suit la table; mais j'ai adopté
de préférence l'ordre des éditions imprimées.

P. xxij. _De Dijon_, etc. Cette date, qui me paroît une erreur évidente,
est reproduite très exactement d'après le manuscrit; mais elle est d'une
écriture un peu plus récente que celle du manuscrit lui-même, et d'une
encre plus pâle. L'édition de Verard ne donne pas de date, mais
l'éditeur (sans doute) a ajouté à la dédicace les mots: _Et notez que
par toutes les nouvelles où il est dit par monseigneur, il est entendu
par monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succédé à la couronne, et
est le roy Loys unsiesme, car il estoit lors ès pays du duc de
Bourgoingne._ Voyez ce que j'ai dit à ce sujet dans l'Introduction.

P. xxvj. _La dousiesme nouvelle._ Il manque ici au manuscrit un cahier
de quatre feuillets qui contenoit les titres des nouvelles 12e à 96e
inclusivement; j'ai suppléé cette lacune d'après l'édition de Verard.

P. 1. _La première nouvelle._ Ce conte se trouve dans un fabliau
probablement du treizième siècle, intitulé _Des deux changeors_, et
imprimé dans la collection de Barbazan, t. III, p. 254, et aussi dans le
Pecorone, nov. 11. Brantôme, dans ses _Dames galantes_, le raconte comme
une aventure qui étoit véritablement arrivée à Louis, duc d'Orléans, et
à sa maîtresse Mariette d'Enghien, mère du bâtard comte de Dunois.

P. 6, l. 3. _Serure._ Le manuscrit lit _ceruse_, qui n'est probablement
qu'une erreur de l'écrivain.

P. 8, l. 12. _Meiser._ _Penser_, Verard.

P. 9. _La secunde nouvelle._ On ne trouve ce conte dans aucun ouvrage
plus ancien que _Les Cent Nouvelles nouvelles_; mais Malespini l'a imité
dans les _Ducento Novelle_, nov. 37.

P. 16. _La troysiesme nouvelle._ Imitée des _Facéties_ de Pogge, p. 64,
édit. de 1798. Ce conte a été reproduit souvent sous différentes formes
par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.--_Monseigneur de
la Roche._ Philippe Pot, seigneur de la Roche de Nolay, un des plus
intimes et plus fidèles conseillers de Philippe le Bon et de son fils
Charles le Téméraire, ducs de Bourgogne. En 1449, on le trouve nommé
comme un des échansons du duc Philippe. Plus tard, il avoit l'office de
chambellan dans la maison de Bourgogne, sous lequel titre il est
mentionné dans un compte de l'année 1457, et il le tenoit encore en
1474. En 1466, Charles le Téméraire lui a donné l'office de capitaine de
Lille, et il tenoit en même temps la capitainerie de Douai et d'Orchies.
En 1470, le seigneur de la Roche reçut du duc Charles la charge de grand
maître d'hôtel et chambellan de Bourgogne. Après la mort de son
bienfaiteur, il entra dans la faveur de Louis XI, qui le nomma grand
sénéchal de Bourgogne en 1477. Il est mort vers l'année 1498.

P. 26. _La quarte nouvelle._ Ce conte et les trois suivants se trouvent
pour la première fois dans _Les Cent Nouvelles nouvelles_.

P. 29, l. 15. _Sainct Trignan._ Sainct _Engnan_, Verard.

P. 32. _Philipe de Loan._ Cet individu est mentionné sous le titre
d'écuyer d'écurie du duc Philippe le Bon, en 1461, dans un manuscrit de
la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n. 6702. Verard a toujours
changé ce nom en Philippe de _Laon_.

P. 32, l. 1. _Monseigneur Talelot._ _Thalebot_, Verard. C'étoit le
célèbre guerrier, sir John Talbot, créé comte de Shrewsbury en 1441. Ses
beaux faits d'armes faisoient la merveille du quinzième siècle. Il fut
défait et fait prisonnier par Jeanne d'Arc à Patai en 1429, et tué à
Châtillon le 20 juillet 1453, à l'âge de quatre-vingts ans.

P. 32, l. 2. _Si preux, si vaillant, et aux armes._ Ces mots sont omis
dans le texte de Verard, qui n'approuvoit pas, sans doute, l'éloge qu'un
Bourguignon faisoit de l'ennemi de la France.

P. 33, l. 1. _Couroye._ _A sa ceinture_, Verard.

P. 36, ll. 16 et 28. _Ciboire._ _Tabernacle_, Verard. Le dernier mot est
tout simplement une traduction de l'autre. On seroit porté à croire que
le mot _ciboire_ n'étoit plus en usage général à Paris.

P. 38. _Par monseigneur de Launoy._ Le nom de Jean de Launoy (ou Lannoy)
est assez connu dans l'histoire de Bourgogne. En 1451, il fut créé
chevalier de la toison d'or, et nous le trouvons plus tard gouverneur de
Lille. Il paroît avoir secrètement servi les intérêts de Louis XI, et sa
trahison étoit devenue si évidente, qu'en 1464 il fut obligé de se
sauver en France, tandis que le comte de Charolois s'empara de son
château. Durant le règne de Charles le Téméraire, il étoit en complète
disgrâce à la cour de Bourgogne; mais après la mort de ce prince il
reprit une grande influence en Bourgogne. Il n'est mort qu'en 1481.

P. 39, l. 3. _Maistre curé._ Ici et dans la suite, le texte de Verard a
toujours substitué le mot _prieur_ au mot _curé_.

P. 41, l. 7. _Mesmes._ _Au mains_, Verard.

P. 43, l. 4. _Feste._ _Foire_, Verard.

P. 43, l. 4. _Feste de Lendit et d'Envers._ La célèbre foire tenue à
Saint-Denis dans le mois de juin.

P. 46. _La huitiesme nouvelle._ Cette nouvelle, qui est l'origine des
_Aveux indiscrets_, de la Fontaine, est imitée des _Facéties_ de Pogge,
p. 165 de l'édition de 1798.

P. 50. _La neufiesme nouvelle._ Ce conte étoit assez populaire dans le
moyen âge, et se trouve dans des ouvrages bien antérieurs à la date des
_Cent Nouvelles nouvelles_, comme le fabliau du _Meunier d'Aleu_ par le
trouvère Enguerrand d'Oisi, le _Décameron_ de Boccace, où il forme la 4e
nouvelle de la 8e journée, et les _Facéties_ de Pogge, p. 248. Les
imitations modernes en sont nombreuses. C'est _Les Quiproquos_ de la
Fontaine.

P. 56. _La dixiesme nouvelle._ Imitée par la Fontaine et par d'autres
conteurs; mais on ne la trouve dans aucun recueil antérieur aux _Cent
Nouvelles nouvelles_.Verard a changé beaucoup le texte de cette nouvelle
et de la suivante.

P. 61. _La onziesme nouvelle._ Imitée d'après Pogge, _Facéties_, p. 141.
C'est le conte bien connu de _L'Anneau d'Hans Carvel_, de Rabelais.

P. 62, l. 21. _Des fantaisies et pensées._ C'est la leçon de Verard. Le
manuscrit ne donne qu'un mot, que je n'ai pas pu déchiffrer d'une
manière satisfaisante, mais qui ressemble à _ermons_.

P. 63. _La douziesme nouvelle._ Ce conte se trouve dans les _Cento
Novelle antiche_ et dans Pogge. Les imitations modernes sont très
nombreuses.

P. 67. _Monseigneur de Castregat._ _Par monseigneur l'amant de
Brucelles_, Verard. Jean d'Enghien, sieur de Kessergat, étoit
maître-d'hôtel de duc de Bourgogne en 1461. Il tenoit en même temps
l'office de chambellan. Il étoit amann (une charge municipale) de
Bruxelles.

P. 67, l. 8. _Procureur en Parlement._ L'auteur des _Cent Nouvelles
nouvelles_ supposoit que le Parlement de Londres étoit une institution
semblable à celui de Paris.

P. 68, l. 14. _Malebouche... Dangier._ Personnages du Roman de la Rose.

P. 73. _La quatorzième nouvelle._ La 2e nouvelle de la 4e journée du
_Décameron_ de Boccace. C'est le conte de _L'Ermite_ de la Fontaine.

P. 73. _Monseigneur de Créquy._ Jean, seigneur de Créquy, de Canaples et
de Tressin, fut élu chevalier de la Toison d'or lors de la fondation de
cet ordre en janvier 1431. A la mort de Philippe le Bon, Jean de Créquy
étoit un des douze seigneurs choisis pour porter son corps. Ce fut lui
qui, en 1469, introduisit auprès du duc Charles le Téméraire les
ambassadeurs de Louis XI.

P. 74, ll. 9 et 13. _Ung soir... se trouva._ _Ung soir, environ la
mynuyt, qu'il faisoit fort et rude temps, il descendit de sa montaigne
et vint à ce village, et tant passa de voyes et sentiers que à l'environ
de la mère et la fille sans estre oiseux se trouva_, Verard. Un bon
exemple des corruptions que Verard introduisit dans le texte de son
édition.

P. 75, l. 11. _Reclusage._ _Hermitaige_, Verard.

P. 76, l. 17. _Et pitié._ Le texte de Verard ajoute: _Et la povre fille
aussi plouroit, quand elle véoit ce bon et sainct hermite en si grande
dévocion prier et ne sçavoit pourquoy._ En comparant les deux textes, on
trouvera plusieurs additions semblables, qu'on y a mises probablement
dans l'idée de rendre le récit plus piquant.

P. 77, l. 15. _Crochette._ _Potense_, Verard.

P. 84. _La seiziesme nouvelle._ Un des contes les plus populaires du
vieux temps, et qui a eu le plus grand nombre d'imitateurs. On le trouve
dans la _Disciplina clericalis_ de Pierre Alfonse, dans les _Gesta
Romanorum_, dans les _Fabulæ Adolphi_ publiées par Leyser, et dans
Boccace. Les imitations modernes sont innombrables.

P. 85, l. 15. _Perusse._ _Prusse_, Verard. Les Chevaliers de l'ordre
Teutonique, en Prusse, étoient toujours en guerre contre les infidèles.

P. 92, l. 13. _Thamisoit de la fleur._ _Buletoit de la farine_, Verard.

P. 101. _La dix-neuviesme nouvelle._ Ce conte se trouve assez souvent
répété dans les manuscrits du moyen âge. Il forme le sujet d'un fabliau
publié par Barbazan, tom. III, p. 215, _De l'enfant qui fu remis au
soleil._

P. 101. _Philipe Vignier._ Philippe Vignier est nommé parmi les valets
de chambre de Philippe le Bon sous la date de 1451. Voyez les _Mémoires
pour servir à l'Histoire de France et de Bourgogne_, p. 225.

P. 106. _La vingtiesme nouvelle._ Ce conte ressemble un peu à une des
_Facéties_ de Pogge, _Priapi vis,_ p. 118 de l'édition de 1798.

P. 114. _La vingt-uniesme nouvelle._ Le conte de _L'Abbesse guérie_ de
la Fontaine, liv. IV, conte 2.

P. 120. _Caron._ G. Chastelain, dans ses _Chroniques de Bourgogne_, 3e
partie, ch. 73, appelle Caron «le clerc de chappelle» de Philippe le
Bon.

P. 121, l. 17. _Sourdantes._ C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit
_soudaines_, une erreur évidente.

P. 125. _La vingt-troisiesme nouvelle._ Imitation du fabliau _De celui
qui vota la pierre_, imprimé dans la collection de Méon, t. I, p. 307.
Ce conte a été souvent reproduit par les conteurs des seizième et
dix-septième siècles.

P. 125. _Monseigneur de Quievrain._ _Monseigneur de Commesuram_, Verard.

P. 125, l. 19. _Le servir de landes, Dieu scet, largement._ _Le servir
d'aubades assez largement_, Verard.

P. 127, ll. 23-25. _E de ce cas... de léans. Or est-il vray que là
present y estoit ung jeune enfant de environ deux ans, filz de léans_,
Verard. J'aurais peut-être dû admettre dans le texte la leçon de Verard.

P. 128, l. 2. _Approucha._ C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit,
_il apperceu de la raye_.

P. 128, l. 2. _Monseigneur de Fiennes._ Thibaut de Luxembourg, seigneur
de Fiennes, étoit un des chevaliers qui accompagnoient le comte de
Charolois à Lille en 1466. Vers la fin de sa vie, il devint
ecclésiastique, et mourut, en 1477, évêque du Mans.

P. 134. _Philipe de Saint Yon._ Peut-être le fils de Garnot de
Saint-Yon, qui étoit un des officiers de la maison du duc Jean
Sans-Peur.

P. 135, l. 13. _Larrier._ _Levrier_, Verard.

P. 136, ll. 10, 12, 22. _Duyere._ _Terrier_, Verard.

P. 137. _Monseigneur de Foquessoles._ G. Chastelain parle d'un bailli de
Fouquerolles, en 1419, qui étoit peut-être le père de notre conteur.

P. 140, l. 24. _L'abbayt._ _Sans passer grans langaiges_. Verard.

P. 151, l. 9. _Mestrier_, leçon de Verard; _mestre_. dans le manuscrit.

P. 154, l. 7. _Tendreur._ J'ai adopté la leçon de Verard; le manuscrit
lit _teneur_.

P. 157. _Monseigneur de Beauvoir._ Jean de Montespedon, seigneur de
Beauvoir, écuyer, conseiller, et premier valet de chambre de Louis XI,
dont il étoit partisan avant son accession au trône.

P. 160, l. 20. _Queues._ _Traynées_, Verard.

P. 166. _Messire Michault de Changy._ Michault de Changy étoit
conseiller du grand conseil, chambellan, premier écuyer tranchant, puis
premier maître d'hôtel des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire.

P. 166, l. 22. _Boccace._ L'ouvrage de Boccace auquel il est fait
allusion ici est le livre latin _De Casibus virorum illustrium_, dont il
existoit déjà des traductions françoises.

P. 173, l. 17. _Boulevars, bailles. Bellèvres, baublières_, Verard.

P. 177, l. 12. _La ville de Chambery._ Le nom de la ville manque dans le
texte de Verard.

P. 183. _Monseigneur de la Barre._ Une faute d'impression. Lisez
_Barde._ Jean d'Estecer, seigneur de la Barde, étoit compagnon d'exil du
Dauphin de France, et conserva sa faveur lorsqu'il fut roi. En 1462, il
fut envoyé par Louis XI comme son ambassadeur à la cour d'Angleterre.

P. 184, l. 29. _Courre. Coucher_, Verard.

P. 192. _La trente-deuxiesme nouvelle._ Ce conte se trouve dans Pogge
(_Facetiæ_, p. 163, _decimæ_), et dans La Fontaine, liv. II, conte 3.
L'auteur des _Cent Nouvelles nouvelles_ l'a pris sans doute du premier
de ces conteurs.

P. 192. _Monseigneur de Villiers._ Ce doit être Antoine de Villiers,
premier écuyer du duc de Bourgogne, qui fut, à ce qu'on dit, un des
seigneurs qui formoient la cour du Dauphin à Genappe. En 1475, il fut un
des courtisans de Louis XI chargés de traiter les Anglois au camp devant
Amiens.

P. 192, l. 9. _La ville d'Ostellerie en Casteloigne._ _Hostelerie_,
Verard.

P. 205, l. 29. _Trop mieulx soulier à son pié._ _Trop mieulx garny au
pongnet_, Verard.

P. 218. _La trente-quatriesme nouvelle._ Ce conte est le sujet d'un
fabliau par un trouvère nommé Jean de Condé, publié dans la collection
de Méon, tom. I, p. 165, sous le titre: _Du Clerc qui fut repus deriere
l'escrin_. On en trouve plusieurs imitations aux XVIe et XVIIe siècles.

P. 221, l. 8. _Le survenu._ C'est la leçon de Verard que j'ai adoptée,
en place de celle du manuscrit, _souvenir_.

P. 232. _La trente-septiesme nouvelle._ Imitée par La Fontaine (liv. II,
conte 10), et reproduite assez souvent par les conteurs des seizième et
dix-septième siècles.

P. 232, l. 25. _Les Quinze Joyes de mariage._ Ouvrage célèbre d'Antoine
de la Sale; voyez mon Introduction.

P. 233, l. 6. _Qu'un follastre de sa massue._ _Que ung fol de sa
marote_, Verard.

P. 238. _La trente-huitiesme nouvelle._ On trouve ce conte dans Boccace
(_Décam._, journée VIIe, nov. 8), et dans un fabliau (voy. _Legrand
d'Aussy_, Fabl., tom. II, p. 340). L'origine se trouve dans les
collections de contes indiens.

P. 238. _Monseigneur de Loan._ _Monseigneur de Lau_, Verard.

P. 245. _Monseigneur de Saint Pol._ Louis de Luxembourg, comte de
Saint-Pol, fut créé connétable de France en 1465, et décapité par ordre
de Louis XI en 1475.

P. 254, l. 2. _Dedans la dicte cheminée._ _Dedens le bouhot de la dicte
cheminée_, Verard.

P. 256, l. 20. _Jaserant._ _Haubergon_, Verard. Cette variante, répétée
dans le courant de la nouvelle, nous feroit croire qu'entre la date de
la rédaction des _Cent Nouvelles nouvelles_ et celle de l'édition de
Verard, le _jaserant_, qui étoit une pièce d'armure plus légère que
l'_haubergeon_, avoit cessé d'être en usage.

P. 261. _Racomptée par Mériadech._ Les documents contemporains parlent
de Hervé de Mériadec au nombre des officiers de la maison de Bourgogne.
Selon la chronique de Jacques de La Laing, il avoit accompagné
l'expédition en Ecosse, et s'y étoit fait remarquer par ses exploits. En
1461, Louis XI lui donnoit le gouvernement de Tournai.

P. 283. _Monseigneur de Thieuges_, lisez _Thienges_. Thianges étoit la
seigneurie de Chrestien de Digoine, conseiller et chambellan de Philippe
le Bon. On le retrouvera dans les _Cent Nouvelles nouvelles_, cité comme
le conteur de la nouvelle LXVIII.

P. 286, l. 7. _Sa goune._ _Son manteau_, Verard.

P. 287. _La quarante-septiesme nouvelle._ On a prétendu que cette
aventure étoit arrivée à Grenoble, à Chaffrey Carles, président du
parlement, au commencement du seizième siècle; mais la date de la
nouvelle est évidemment trop ancienne pour que l'aventure de Chaffrey
ait pu en être l'origine.

P. 295. _Pierre David._ Cet individu n'est connu que par un compte de la
maison de Bourgogne, daté du 30 mai 1448, qui le porte aux appointements
de 12 sols par mois.

P. 301. _La cinquantiesme nouvelle._ On trouve l'origine de cette
nouvelle dans les _Facéties_ de Pogge et dans l'ancienne collection
italienne de Sacchetti, nov. XIV.

P. 301. _Monseigneur de la Salle._ Lisez, d'après le manuscrit, _la
Sale_; ce n'est qu'une faute d'impression. Voyez sur Antoine de la Sale
notre Introduction.

P. 301, l. 7. _Au pays de Lannoys._ Lannois, ou Lannoy, dans le
Beauvoisis.




GLOSSAIRE.


    A avec.

    A TOUT, _atout_, avec.

    ABAIZ, abois. II, 47.

    ABBAYT, commérages. I, 140.

    ABREGEMENT, brièvement. II, 126.

    ABSOILLE, absolve. II, 97.

    ABSOLU, absous. II, 95.

    ABUSION, déception. I, 233.

    ABUSTINÉ, distribué, partagé. I, 295.

    ACCOINCTE, familier. «Se fist par gracieux et subtilz moyens
    _accoincte_ de celuy dont il vouloit estre compaignon.» II, 114.

    ACCOINTANCE, connoissance, relations, familiarité. I, 8; II, 152.

    ACCORDEMENT, conciliation. II, 69.

    ACCOUSTUMANCE, habitude. II, 116.

    ACEVÉ, achevé. II, 146.

    ACHOISON, occasion, cause. I, 183.

    ACHOPÉ, surpris, pris. I, 268.

    ACONSUYVIR, rattraper. II, 79.

    ACOUCHER, _acoucher malade_, se coucher, se mettre au lit pour
    cause de maladie. I, 114; II, 5.

    ACQUERRE, acquerir. I, 267.

    ADICTE, interdite, accablée. «Elle se trouvera en pou d'espace si
    _adicte_ et de mal souprinse.» I, 115. Voyez Du Cange, _Glossarium
    mediæ et infimæ latinitatis_, VII, 10, vº _Adis_.

    ADNICHILER, annuler. II, 93.

    ADOLÉ, triste, chagrin. II, 202.

    ADONC, alors. II, 243.

    ADOSSER, mettre arrière. I, 154.

    ADOUBER, armer. «Dieu, qui ses chevaliers de telles armes scet
    adouber.» II, 105.

    ADOUBER (S'), s'armer. I, 154.

    ADRECIÉ, instruit, dressé. I, 204.

    ADVENIR, à venir, futur. I, 80.

    ADVISEMENT, avis, conseil. II, 10.

    ADVOÉ, adressé, instruit: «La damoiselle de sa maistresse est
    escollée et _advoée_ que mieulx on ne pourroit.» I, 52.

    AFFAICTIÉ, simulé, dressé. «Le mary se fist mander querir par ung
    messagier _affaictié_.» II, 30.--«Certaines matrones _affaictiées_.»
    II, 50.

    AFFERRÉ, effrayé. I, 93.

    AFFIERT, appartient, concerne. II, 138.

    AFFOLER, blesser. II, 159.

    AFFRES, peur, effroi. II, 128.

    AFFULÉ, coiffé. II, 181. Se dit au figuré: «Je vous feroie
    _affuler_ la prison.» II, 199.

    AGGRESSER, attaquer. I, 11, 40.

    AGU, aigu. I, 7.

    AGUET (D'), de dessein prémédité. I, 163.

    AGUILLETTE, _aiguillette_. _Courre l'aiguillette._ (I, 52), courir
    après les filles.

    AGYOS, façons, cérémonies. I, 77.

    AHURTER (S'), s'arrêter obstinément à une détermination. I, 95; II,
    174. Voy. _Enhurter_.

    AINÇOIS, avant, plutôt. I, 67, 224.

    AINS, mais au contraire. I, 209.

    AITRE, cimetiere. II, 206.

    ALIBIZ _forains_, mauvaises excuses. II, 236.

    AMANT. Voy. t. II, p. 255, l. 33.

    AMATIR, flétrir, ternir, devenir languissant. II, 243.

    AMENDER, réparer, expier une faute. II, 50.

    AMIS. Etre de _nos amis_, est dit souvent pour désigner un mari
    trompé. Voy. I, 103, 260.

    AMMIRACIONS, exclamations. II, 51.

    AMMONESTEMENS, réprimandes. II, 185.

    ANGAIGNE, chagrin, peine. «Et Dangier, sa meschine, qui enrageoit
    d'angaigne...» I, 237.

    ANUYT, aujourd'hui, ou plutôt «cette nuit.» I, 83. Voy. _Ennuyt_.

    APAROIR, paroître. I, 100, 144; II, 117.

    APERTEMENT, ouvertement, clairement. I, 13.

    APERTISES, tours d'adresse. «Faire souplesses et _apertises_.» II,
    225.

    APIERT (S'), s'attaque. II, 158.

    APPATI, abandonné par suite d'un arrangement, d'un pacte: «Ainsi
    furent toutes les femmes de la ville _appaties_ à ces vaillans
    moynes.» I, 194.

    APPEAU, appel. I, 179.

    APPENSER (S'), s'imaginer, se figurer, se mettre en tête. I, 122;
    II, 90.

    ARAISONNER, parler à quelqu'un, lui expliquer ses raisons, I, 96.

    ARAY, aurai, II, 175.

    ARBALESTE. Proverb.: «Ne tenir serre non plus qu'une vieille
    _arbaleste_.» (I, 296.) Faire peu de résistance, être d'un caractère
    foible.

    ARDRE, bruler.

    ASPRY, âpre, aigri. I, 8.

    ASSEULÉ, isolé. I, 130.

    ASSEUR, assuré, certain. II, 164.

    ASSIETE. Proverb.: «Et pour _assiete_ en lieu de cresson, elle lui
    dist...» I, 212.

    ASSIMPLY, affoibli, chancelant. «Tout espoenté et _assimply_.» I,
    40.

    ASSOVIR, accomplir, achever. II, 138.

    ASSOVI, pourvu, ayant assez. II, 38, 233.

    ATELÉE, attelage, union naturelle de l'homme et de la femme. II,
    107.

    ATOUR, coiffure. I, 216.

    ATREMPÉ, ferme, solide, bien trempé. «_Atrempé_ cueur et vertueux
    courage.» I, 101.

    ATTAINCTES, visées, but. «Parvenir à ses _attainctes_.» II, 201.

    ATTINTÉ, arrangé, disposé. I, 154.

    ATTROTTER, arriver en trottant. I, 285.

    AULTIER, autel. II, 16, 122.

    AULTRHIER (L'), l'autre jour, dernièrement. II, 205.

    AUMOSNIER, libéral, faisant de riches aumônes. I, 74.

    AURFAVERESSE, femme d'un orfévre. I, 44.

    AUTANT. «Boire d'autant et d'autel» (I, 43, 175), faire raison à
    tout le monde, le verre à la main.

    AUTEL. «Boire d'autant et d'_autel_.» Voy. _Autant_.

    AUTRETANT, autant, encore autant. I, 271.

    AVAL, parmi, en long et en large de: «_Aval_ la chambre.» II,
    131.--«_Aval_ Paris.» II, 92.

    AVALER, descendre, aller ou mettre _à val_, en bas. I, 254.

    AVERER, vérifier. II, 119.

    AVERTIN, vertige, accès de mauvaise humeur. II, 137.

    AVOLENTER (S'), prendre la détermination. II, 135.

    AVOYÉ, en voie, en train. I, 249.


    BACULER, bâtonner, II, 104.

    BAGUER, pourvoir de bijoux, linge, meubles. II, 139.

    _Bagué_, garni de bijoux, de linge, etc. II, 92.

    BAGUES, bijoux, hardes, bagages. I, 10, 202.

    BAILLER, donner.

    BAILLE, lieu fermé de palissades, première défense d'une ville.
    «Force luy fut de gaigner et emporter boulevars, _bailles_, et
    aultres plusieurs fors dont la place estoit bien garnie.» I, 173.

    BALME, baume; au figuré, merveilles. II, 207.

    BALOCHOIT, se balançoit. II, 156.

    BALOCHOUERE, balançoire. II, 156.

    BALOIZ, balais. «Elle fist _baloiz_ courre partout.» Elle fit
    nettoyer avec soin. II, 241.

    BANCQ. «S'en aller sur le _bancq_», aller au cabaret, aller
    _banqueter_. II, 196.

    BANCQUIERS, coussins, housses pour mettre sur les bancs. I, 202.

    BANDON (A), à discrétion. II, 91.

    BAPTISEMENT, baptême. II, 102.

    BARBAIER, raser, faire la barbe. II, 200.

    BARGUIGNER, marchander. «Et quiconque la _barguignoit_, il l'avoit
    aussi bien à créance que à argent sec.» II, 187.

    BARRES. «Comment il avoit prins le galant à ses _barres_.» II, 57.

    BAS, parties naturelles de la femme. II, 135.

    BAS _instrumens_, parties naturelles. II, 201.

    BASSET (_En_) à voix basse, secrètement. I, 155.

    BASTON. «Le baston de quoy on plante les hommes», le membre viril.
    II, 144.

    BATERIE, action de battre. I, 245.

    BATURE, action d'être battu. I, 181.

    BAUDEMENT, gaiement, hardiment. II, 172, 214.

    BEC, bouche. «Jouer bien du _bec_» (I, 96), faire des discours
    captieux.

    BEDON, instrument de musique. Ce mot est employé pour désigner les
    parties naturelles de la femme. II, 131.

    BÉE, passage, route, voie. I, 146. «Payer a bée» (II, 150).

    BELLE. «Trouver en belle» (I, 282), avoir l'occasion favorable.

    BENEISSON, bénédiction. II, 184.

    BESOIGNER, travailler, s'occuper de... I, 48.

    BESTE. «Le mestier de la beste à deux dos» (I, 107), l'amour.

    BEURRE. Prov.: «Ravoir _beurre_ pour oeufs» (I, 21), être payé avec
    usure d'un tour qu'on a joué à quelqu'un.

    BIENVIENGNER, donner la bienvenue, recevoir joyeusement. II, 106.

    BIHÈS, _byhès_, biais. I, 132.

    BLASONNER, blâmer, critiquer, décrier, «Vous blasonnez très bien
    mes armes.» I, 188, 218.

    BLEU, «Craindoit trèsfort estre du reng des _bleuz vestuz_, qu'on
    appelle communement noz amis.» II, 118. Voy. _Amis_.

    BOESTE _aux cailloux_, prison. II, 207.

    BOUCHONS (A), sens dessus dessous, à l'envers. «Fut à _bouchons_
    couchée et son derrière descouvert.» I, 13.

    BOUL, bouleau. I, 241.

    BOURDELOIS (Le roi de), souverain imaginaire des mauvais lieux. II,
    193.

    BOURDES, mensonges.

    BOURDON, _bourdon joustouer_, membre viril. I, 84; II, 172.

    BOURSER, enfler, s'arrondir comme une bourse pleine. «Le ventre luy
    commença à _bourser_.» I, 80.

    BOUT (_Bailler le_) (?). I, 253, BOUTER, mettre.

    BRAYES, culotte, II, 12.

    BREFMENT, bientôt, brièvement. II, 6.

    BREFTÉ, brièveté. II, 53.

    BRICHOUART, membre viril. II, 87.

    BROCHES, hémorroïdes, I, 10.

    BROUET, soupe, sauce. II, 45.

    BRUYT, renommée. I, 193.

    BRUYT, victoire, triomphe. I, 215.

    BUFFE, soufflet. II, 58.

    BULETEAU, blutoir. «Tenez ce buleteau sur vostre teste.» I, 94.

    BUREAU, bure, étoffe grossière. I, 299.

    BUROYE, boirois. II, 208.

    BUVRAIGES, breuvages. II, 141.

    BYHÈS. Voy. _Bihès_.


    CALENGER, demander, reclamer, contester. II, 129.

    CALONGE (?). II, 207.

    CAMUS, désappointé. II, 81.

    CAPITULÉ, grondé, chapitré. I, 217.

    CAR, presque toujours employé dans le sens de _parce que_: «Ou
    _car_ Dieu le permist, ou _car_ Fortune le voult et commenda.» I,
    10.

    CASSE, cassé.

    CASTILLE, querelle, lutte. I, 126.

    CAUTELLES, ruses. I, 77.

    CE, se.

    CÉANS, _céens_, ici dedans.

    CEL, ce, cet. I, 291; II, 248.

    CELÉEMENT, en cachette. I, 92.

    CELER, cacher, dissimuler. I, 69.

    CES, ses.

    CEST, ce.

    CESTES (?). «Mais le juger fut differé jusques à la fasson de
    _cestes_.» I, 16.

    CHAILLOIT, soucioit. II, 130.

    CHALLUT, soucioit. I, 268.

    CHAMBERIÈRE, servante, femme de chambre. II, 85.

    CHAMBRE A PARER, chambre de toilette. I, 227.

    CHANDELLE. «Allumer sa chandelle», prétexte honnête pour
    s'introduire chez quelqu'un. Nous n'ayons pas besoin de signaler
    l'allusion qui se trouve dans ce passage: «Veezcy maistre curé qui
    vient pour allumer sa chandelle, ou pour mieux dire pour
    l'estaindre.» II, 117.

    CHAPPERON, sorte de coiffure que portoient les femmes. I, 216.

    CHAPERON FOURRÉ, officier de justice. II, 90.

    CHAR, chair. Voy. _Poisson_.

    CHARETON, _charreton_, charretier, voiturier. I, 43; II, 120.

    CHARRUYER, laboureur, bouvier. II, 214.

    CHARTRE, prison. II, 97.

    CHASTOY, direction, gouvernement. I, 136.

    CHAUFFER _la cire_, attendre longuement une chose qu'on désire; on
    dit aujourd'hui dans le même sens: «Se voir passer quelque chose
    devant le nez.» II, 190.

    CHAULD _sur potage_, enclin à l'amour. I, 108; II, 187.

    CHAULT, soucie. «Il ne vous _chault_ guères de moy.» I, 49.

    CHÉANCE, chute. I, 159.

    CHEF, tête. _A chef de peche_, au bout de quelque temps, de _pièce_
    de temps. I, 2.

    CHEF, bout. «Venir à chef», venir à bout. I, 21.

    CHÈRE, visage. I, 7; II, 244.

    CHEVANCE, biens, fortune. I, 101, 267.

    CHEVAULCHER, faire l'amour. I, 276.

    CHEVIR, venir à bout de. I, 74.

    CHICHETÉ, avarice. I, 97.

    CHIÈGE, choie, tombe. I, 17.

    CHOISIR, regarder, voir, apercevoir. I, 13. «Et avoient torches et
    flambeaulx pour mieulx choisir partout.» II, 58.

    CHRESTIENNER, baptiser. I, 123.

    CHULA, celui-là. II, 127.

    CICANEUR, homme de chicane, sergent. II, 206.

    CIMBALES (_Jouer des_), faire l'acte amoureux. II, 107.

    CIRE (_Chauffer la_). II, 190. Voy. _Chauffer_.

    CLAMER, déclarer, proclamer. II, 76.

    CLERGIE, science. II, 238.

    CLIGNE-MUSSE, sorte de jeu où l'un ferme les yeux pendant que
    l'autre se cache. Cligne-musette. II, 176.

    COCQUARD. Voy. _Coquard_.

    COGNOISSANCE, reconnoissance. I, 272.

    COLLACION, discours. I, 200.

    COLONS, pigeons. II, 180.

    COMBLEMENT, amplement, à mesure comble. I, 11.

    COMMENDER, recommender. II, 7.

    COMPARER, payer. I, 222.

    COMPTER, battre, charger de coups. «Ce dyable, sans mot dire, le
    commença à _compter_, et bon chevalier de se défendre.» II, 104.

    COMPTOUER, étude, lieu de travail. I, 127.

    CONCLU, convaincu, vaincu. «Mais en son ton évident fut le mary
    _conclu_.» I, 31. Voy. I, 212.

    CONFERMER, confirmer. I, 106.

    CONGYER, congedier.

    CONQUESTER, conquérir, acquérir, gagner.

    CONSEQUEMMENT, consécutivement. «Et ainsi _conséquemment_ jusques
    ad ce que tout fut party et portionné.» II, 120.

    CONTENDRE, tendre, chercher. II, 122.

    CONTENT, comptant. I, 97.

    CONVENIR, être nécessaire. «La bonne dame laissoit tout _convenir_,
    car de donner conseil au contraire ne s'osoit avancer.» II, 121.

    COQUARD, _coquart_, sot, imbécile. «Que faites vous, meschant
    _coquart_?» I, 45.--«Ceulx qui le cuident sont parfaiz _coquars_.»
    I, 152.

    CORDOANNIER, cordonnier. II, 90.

    CORNER, jouer des instruments. «Fist _corner_ les menestrielz.» I,
    157.

    COULPE, faute. II, 62.

    COUP (A LA ), au moment. «Tenir sur fons son enfant, dont la mère
    s'estoit delivrée droit _à la coup_ du retour dudit chevalier.» II,
    101.

    COUPAULT, mari trompé. I, 288; II, 108.

    COURRE, courir.

    COUSINE. Etre _de noz cousines_, être au rang des courtisanes. «Et
    tiens, qui en aroit à faire, qu'on la trouverait aujourd'huy ou reng
    de _noz cousines_, en Avignon, à Vienne, à Valence, ou en quelque
    aultre lieu en Dauphiné.» II, 29. Voy. II, 40.

    COUSTILLE, couteau, épée. I, 39.

    COUSTRE, gardien, sacristain. II, 194.

    COUSTRERIE, garde, surveillance. I, 261.

    COUVINE, invitation. «Et comme ilz retournoient de ce couvine.» I,
    194.

    COUX, mari trompé. I, 29, 238; II, 110.

    CRASSE, grasse. «Bouloigne la crasse.» II, 239.

    CRASTINE, lendemain, matinée. «Et laissoit sa femme prendre la
    longue _crastine_ jusques à viij ou à IX heures.» II, 63.

    CRAVANTER, renverser. I, 243.

    CRÉANT. I, 54. Voy. _Recréant_.

    CREDENCE, créance, confiance. II, 115.

    CRÉEZ, croyez. I, 77.

    CREMOIT, craignoit. II, 44.

    CRESSON. Voy. _Assiète_.

    CRESTIAN, chrétien. «Luy, qui oncques sur beste crestiane n'avoit
    monté.» I, 107.

    CRISTIEN, chrétien. II, 102.

    CROCHETTE, petite crosse. I, 77.

    CROQUER, prendre, saisir, accrocher. I, 22.

    CROIX. Prov.: «Je n'en fineroye néant plus que de la vraye _croix_.»
    I, 294.

    CRUEUX, cruel. I, 142.

    CUEUR, coeur. Prov.: «N'avoit pas son _cueur_ en sa chausse.» II,
    168.

    CUIDER, croire.

    CUIGNER, connoître charnellement. II, 187.

    CULETTÉ _la selle_, couru à cheval. II, 154.


    DANGIER, défaut, manque. «Et s'il y avoit _dangier_ de lictz, la
    belle paillasse est en saison.» I, 182.

    DANGIER, dépendance, domination. «Or bien, je suis en vostre
    _dangier_.» II, 176.

    DANGIER, difficulté. «Mais comme souvent chose eue en _dangier_ est
    trop plus cher tenue que celle qu'on a à bandon...» II, 91.

    DANGIER, personnage allégorique du Roman de la Rose. L'auteur des
    _Cent Nouvelles_ paroît avoir en mince estime l'oeuvre célèbre de
    Guillaume de Lorris et de Jean de Meung. Voy. I, 68, 158.

    DANGIER, garde. Nom donné à une duègne. I, 236.

    DE, que. I, 294; II, 84.

    DEABLE, diable. II, 104.

    DEBOUTÉ, rebuté, renvoyé. I, 192.

    DECEUTE, trompée. I, 100.

    DECEVABLE, trompeur. I, 212.

    DEDUIT. «Luy qui estait homme de _deduit_» (II, 10), c'est-à-dire
    qui aimoit à s'amuser.

    DEFAULTE, faute. II, 235.

    DEFFIGURANCE, difformité. II, 187.

    DEFFUBLER, décoiffer. II, 52.

    DEGOIS, disposé. I, 65.

    DEHET, gai, dispos. I, 294.

    DEMENÉ, le détail d'une affaire, la manière dont elle s'est passée.
    I, 73. «Et il luy en compta largement et bien au long le _demené_.»
    I, 210. Voy. II, 69.

    DEMEUT, détourna de son projet. II, 248.

    DENRÉES, instruments génitaux. I, 109.

    DÉPENDANT (?). «Et estoit sur son corps dépendant.» I, 251.

    DEPORTER (SE ) d'une chose, y renoncer. I, 251.

    DERRAIN, dernier.

    DESARMER, défaire. «Et ne savoit que penser comment il se pourroit
    de luy _desarmer_.» II, 9.

    DESATOURNÉ, décoiffé. I, 216.

    DESCEU (_Au_), à l'insu. II, 113.

    DESCOMBRÉ, débarrassé, désencombré, II, 33.

    DESCONFORTÉ, affligé. II, 18.

    DESCOUCHÉ, levé. I, 86.

    DESERVIR, meriter. I, 181, 273.

    DESFOURNI, privé. II, 232.

    DESFRAYÉ, peureux, ombrageux, sauvage. I, 290.

    DESHAITÉ, malade. I, 111.

    DESHOUSER, débotter. II, 110.

    DESLONGER, détacher de sa longe. II, 131.

    DESPLAISANT, fâché. II, 42.

    DESPOILLI, dévêtu, dépouillé. I, 220.

    DESPRISONNER, mettre hors de prison, délivrer. I, 162.

    DESROY, désarroi. I, 3.

    DESROMPRE, séparer. II, 115.

    DESSERRER, ouvrir. «La posterne fut _desserrée_.» I, 3.

    DESSERTE, ce qu'on a mérité. I, 223.

    DESTENÉ, destiné, prédestiné. II, 135.

    DESTOURBIER, trouble, embarras. I, 68, 126.

    DESTRESSEUX, plein de détresse, qui met en détresse. I, 12.

    DEVANT. «Dieu devant», Dieu aidant. I, 200.

    DEVISES, discours. I, 42.

    DEXTRE, droite.

    DILACION, retard. II, 170, 245.

    DOLEZ, affligez. II, 20.

    DOMINE, surnom dorme à un curé. «Respondit maistre _Domine_.» II,
    129.

    DOMMAGE, terme de droit. «Et si très bien à point la rabatit qu'en
    _dommage_ et en sa garenne le poulain au chareton trouva.» I, 45.

    DONT, d'où. I, 32.

    DONT, donc. I, 18.

    DONZELLE, fille facile. II, 128.

    DORMEVEILLE (_Faire la_), faire semblant de dormir; dormir d'un
    oeil. I, 244.

    DOUBTE, _doute_, crainte. I, 128, 267; II, 54, 56.

    DOUBTER, craindre. I, 100.

    DOUBTIF, dubitatif, incertain. I, 78.

    DOULOIR (_Se_), se plaindre, gémir. I, 64.

    DOUYÈRE, _duyère_, porte, entrée, I, 135.

    DOY, doigt.

    DUREAU. «Marcha la dureau, marcha hardiment.» I, 127.

    DUYÈRE. I, 136. Voy. _Douyère_.

    DYA, diable. I, 17.


    EAGE, âge. _Etre sur eage_, être déjà vieux. I, 90, 172.

    EFFRAYEMENT, avec effroi, tout effrayé. II, 7.

    EFFROY, bruit. «La dame monte en sa chambre sans faire effroy.» I,
    29.

    EFFROYT, bruit. I, 178.

    EMBRONCHÉ, enveloppé, entortillé. «Elle fut tantost desarmée de sa
    faille, où elle estoit bien enfermée et _embronchée_.» II, 17.

    EMENDE, amende. II, 198.

    EMPANÉ, garni de drap, d'étoffe. II, 247.

    EMPAPINÉ, barbouillé. «Doré et _empapiné_ d'oeufz, de fromage, de
    laict, etc.» II, 121.

    EMPRENDRE, prendre, entreprendre. «Et entre aultres qui devoient
    emprendre ce doulx et seur estat de mariage.» II, 16.

    EMPRÈS (D'), auprès de. I, 188, 272.

    EMPRINSE, entreprise, projet. I, 51; II, 39.

    EMPRINSE D'ARMES. I, 224.

    EMPRINT, prit, entreprit. I, 68.

    EMY! exclamation. I, 244.

    ENCEPÉ, enchaîné. II, 131.

    ENCHARGÉ, commandé, imposé. II, 53.

    ENCHASSER, chasser, repousser. I, 81.

    ENCLINER, incliner, pencher. II, 173.

    ENCLOIT (S'), s'enferma. II, 190.

    ENCONTRE, au-devant. II, 7.

    ENCOULPIT, accusé, confessé. II, 140.

    ENCOURTINÉ, garni, fermé de rideaux. I, 4.

    ENCUEILLIR, accueillir. II, 79.

    ENCUSER, déclarer, dévoiler, accuser. I, 134; II, 89, 125.

    ENDITTÉ, éloquent, informé de ce qu'il doit dire. I, 33.

    ENFERMIÈRE, infirmière. I, 118.

    ENFERRER, verbe actif, connoître une femme. II, 130.

    ENGIN, esprit, imagination. I, 21.

    ENGIN, ruse, moyen ingénieux. I, 12. «Mais ilz n'y sçavoient
    _engin_ trouver.» I, 284.

    ENGIN (_Mal_), ruse. II, 246. J'ignore qui sont «ceulx du _mal
    engin_», qui sont voisins des Champenois. Voy. I, 106.

    ENGINS, détours. «L'ostel n'estoit pas si grand, ne si pou de lui
    hanté en toute devocion, qu'il ne sceust bien les _engins_.» I, 74.

    ENGREGER, aggraver. II, 111.

    ENHURTÉ, obstiné, butté. I, 58. Même sens que _ahurté_.

    ENLANGAGÉ, beau parleur, prompt à la riposte. II, 90.

    ENMY, au milieu de. I, 75.

    ENNUYEUSE, accablée d'ennui, de chagrin. II, 154.

    ENNUYT, aujourd'hui; mais dans ce livre le mot est constamment
    pris dans le sens de _cette nuit_. «Et si par miséricorde il nous
    démonstre _ennuyt_ comme les autres precedentes...» I, 78. Voy. I,
    52, 159, 180, 241; II, 43, 47.

    ENOEILLER, lorgner. I, 271.

    ENORTEMENT, exhortation. II, 51.

    ENORTER, exciter, exhorter. I, 65.

    ENQUERRE, enquérir, rechercher, s'informer, I, 66.

    ENS, dedans. I, 173; II, 241.

    ENSEUR, loin. «Quand le vaillant homme d'armes sceut l'Escossois
    _enseur_ de luy.» I, 29.

    ENSUS, loin. I, 293. «Va-t'en en sus de moy.» I, 47.

    ENSUYZ, suivis. II, 115.

    ENTENTIVEMENT, attentivement. I, 14.

    ENTIÈRE, restée fidèle à son mari. II, 249.

    ENTIERETÉ, chasteté, fidélité conjugale. II, 235, 244, 249.

    ENTREOYT, entendoit. II, 111.

    ENTREROMPRE, interrompre. I, 183.

    ENTRETANT (_En_), pendant le temps. I, 22, 89.

    ENTRETENANCES, entretiens, devis familiers. I, 154; II, 30.

    ENTRETIENNEMENT, relations coupables entre homme et femme. I, 209.

    ENVERS, Anvers. «Une feste de Lendit et d'Envers.» I, 43.

    ENVIS, _envys_, à contre-coeur, malgré soi. II, 152, 218.

    ERIES (?). I, 136.

    ERRER, se tromper, II, 10.

    ERRES, indices. «Le gentil homme tantost congneut que toutes ces
    excusacions estoient _erres_ pour besoigner.» I, 96.

    ESCHARSEMENT, petitement, chichement, avec parcimonie. I, 17.

    ESCHASSÉ, chassé. I, 192.

    ESCHEVER, achever. I, 126.

    ESCLABOTURES, éclaboussures. I, 151.

    ESCLANDRI, deshonoré par un esclandre. I, 100.

    ESCOLLER, instruire, faire la leçon. I, 52; II, 167.

    ESCOURRE, secouer. I, 166.

    ESLOIGNIER, éloignement. I, 141.

    ESPANTER, épouvanter. I, 98, 220.

    ESPARTENT (S'), se répandent. II, 157.

    ESPIES, espions. I, 130.

    ESPOENTER, épouvanter, effrayer.

    ESPOIR, peut être. I, 57, 128.

    ESPOIRE, peut-être. I, 262.

    ESRACHER, arracher. II, 176.

    ESRAILLÉ, ouvert. «Et les deux jambes _esraillées_ en dehors du
    bancq.» II, 166.

    ESSERRÉ, effrayé. I, 3.

    ESTABLE, stable. II, 236.

    ESTAINS, etain; ce métal venoit d'Angleterre dès l'antiquité. I,
    101.

    ESTERNU, décidé. «Je ne vy jamais, moy, homme de si hault _esternu_
    si tost rassis.» I, 175.

    ESTIRE (?). «Mais de plus belle rend _estire_.» I, 126.

    ESTOLLÉ (?). I, 237.

    ESTOUPPES. Avoir «des estouppes en sa quenouille», être embarrassé,
    avoir une mauvaise affaire sur les bras. Voy. I, 213; II, 11.

    ESTRAIN, paille. II, 33, 166.

    ESTRAINS, serrés. II, 52.

    ESTRANGE, étranger. I, 102.

    ESTRANGE, réservé, sur le quant à soy. «Je vous seray aussi pou
    privé que vous m'estes _estrange_.» I, 184.

    ESTRANGÉ, éloigné, isolé. II, 213.

    ESTRES, choses, objets quelconques. «Je n'en portay oncques la
    clef, mais pend à vostre cincture avec les vostres, dès le temps que
    vous y mettiez vos _estres_.» II, 59.

    EUR, heur. II, 162.

    EUVANGILE, Evangile. Prov.: «Une assez bonne histoire qui n'est
    moins vraye que l'_Euvangile_.» II, 106.

    EUVRE (_A la première_), dès le matin. I, 122.

    EXAMINÉ, tourmenté. «Nos voisins ont esté terriblement persecutez
    et de pestilence et de famine. Quand les aultres en ont esté
    _examinez_, nous avons peu dire que Dieu nous en a preservez.» I,
    200.

    EXCUSACIONS, excuses, défaites. I, 96.

    EXCUSANCES, excuses. II, 36.


    FABRICE, fabrique d'une église. II, 199.

    FAEBLETÉ, foiblesse, simplicité. II, 105.

    FAILLE, sorte de mante flamande. II, 17.

    FAILLY, fini. «Et tantost après la feste _faillye_...» II, 167.

    FAIN, faim, désir, envie, besoin.

    FAINDIT, feignit. II, 117.

    FAIRE, faire l'acte amoureux. I, 81.

    FAME, réputation. II, 233.

    FARSER, moquer. I, 97.

    FAULSETÉ, méchanceté, trahison. I, 153.

    FEL, méchant, traître, félon. II, 142.

    FER. «Tenir quelqu'un à fer et à clou», l'entretenir. I, 123.

    FERIR, frapper. I, 302.

    FERRER, dompter. «La pouvre fille se laissa _ferrer_.» I, 12. Voy.
    II, 91, 94.

    FIABLEMENT, avec confiance. I, 273.

    FICHÉ, mis, fixé. II, 246.

    FIERT, frappe.

    FIN. Prov.: «Plus _fine_ que moutarde.» II, 128.

    FINANCE, rançon. «On eust eu nouvelle de luy pour faire sa
    _finance_.» II, 98.--Mettre un prisonnier _à finance_, c'étoit
    exiger de lui une rançon. Voy. I, 32.

    FINER, finir. «Sa queste en amour doit estre bien _finée_.» I, 57.
    Voy. I, 132, 237; II, 246.

    FINER, obtenir. «Mais vous ne vous en irez pas si je ne la puis
    _finer_.» II, 20.

    FLAMBE, flamme. II, 103.

    FOLYE (_La_), l'acte amoureux. II, 40.

    FORS, hormis, excepté. II, 9.

    FORT (_Au_), au fond, à la fin. I, 113, 121; II, 172.

    FOURCHES (_Basses_). Pendre aux _basses fourches_ d'une femme, la
    connoître. I, 137.

    FRAILE, frêle, délicat. II, 234.

    FRAIN, frein. «Ronger son frain.» I, 156.

    FRICT, perdu, détruit. I, 215.

    FRISQUE, frais, gai, fringant. II, 135.

    FROISSIE, traces. «Suivant _le froissie_ des chevaulx.» I, 157.

    FUMER. I, 259.

    FURON, furet; membre viril. I, 135.


    GAITTE, soldat qui fait le guet. II, 126.

    GALÉE, galère, navire. II, 99.

    GALÉE, amusement, fête, plaisanterie. I, 231.

    GALIOFFE, grossier personnage, vaurien. «Regardez quel _galioffe_!
    il a couché plus de vingt nuiz avecques ma femme.» I, 282.

    GARIN, homme déterminé, qui a réponse à tout. «Vrayment, ma mye,
    dist le moyne, qui estoit ung _garin_ tout fait...» II, 160.

    GARIN (_Prendre_), s'enfuir. «Veez là l'huys: prenez _garin_, et si
    vous faites que sage, ne vous trouvez jamais devant moy.» II, 96.
    Voy. II, 136.

    GARNIER, grenier. I, 220.

    GAY. Prov.: «Plus _gay_ que une mitaine.» I, 265.

    GEHEYNE, gêne, torture. I, 134.

    GENTETÉ, gentillesse. I, 10.

    GERON, giron, sein. I, 44.

    GESINE, couches. I, 123.

    GLATISSOIT, aboyoit, chassoit. II, 110.

    GOGETTES, _goghettes_, _goguettes_, réjouissances, fête. I, 85,
    294; II, 196.

    GOGHETTES. Voy. _Gogettes_.

    GOGUES (_Etre de_), être en gaieté. I, 175.

    GOGUETTES. Voy. _Gogettes_.

    GOISSON, compagnon. II, 196.

    GORGIAS, _gorgyas_, élégant. «Faisoit du _gorgias_.» II,
    197.--«Deux ou trois _gorgyas_ qui la devoient accompaigner.» I,
    290.

    GOUGE, fille, femme portée à l'amour. I, 2.

    GOUNE, manteau. I, 286.

    GOURMANDER, exercer sa gourmandise. II, 159.

    GOUSTABLE (_Mal_), de mauvais goût. II, 225.

    GRAIN, pas du tout. «Le lieu n'est _grain_ honneste.» II, 180.

    GRAMMENT, grandement.

    GRAUX, gré. I, 92.

    GREF, grave. I, 18.

    GRIFZ, griffes, mains. I, 127.

    GRIGNEUR, plus grand, plus grande. I, 72.

    GROS, sorte de monnoie. II, 157.

    GROUILLER, gronder, grogner à la manière des chiens. I, 188.

    GROUTTER, comme _grouiller_. I, 189.

    GUERDON, récompense. I, 246.

    GUERDONNER, récompenser. I, 156.

    GUINGANT, Guingamp, célèbre par ses rasoirs. Voy. I, 7.


    HALLE, marché. Prov.: «Sans tenir cy _halle_ de néant» (II, 192),
    sans nous occuper de choses vaines.

    HALOZ, branches ou troncs d'arbres. On a le mot _hallier_. II,
    156.

    HAMELET, petit hameau. II, 122.

    HANTISE, fréquentation. II, 9.

    HARIER, fatiguer, assaillir. Pris dans le sens de _saillir_. I, 45.

    HAULTE _heure_ (_de_), de bonne heure. I, 185.

    HEBREOS. «_Usque ad hebreos_» (II, 208), équivoque d'_hébreu_ à
    _ebriosus_;--jusqu'à être ivre.

    HET, réjouissance, entrain. II, 78. «Et hurta l'on de bon _het_ à
    la porte.» II, 150.

    HOC (?). «Tenant le _hoc en l'eau_ pour deviser.» I, 6.

    HOCHER, connoître charnellement. II, 188.

    HODÉ, lassé, fatigué. S'écrivoit aussi _odé_. «Par la mort bieu!
    dist-il, j'en suis si trèshodé que plus n'en puis: il me semble que
    je ne voy que pastez.» I, 59. Voy. I, 87; II, 228.

    HOIGNARD, grondeur. I, 62.

    HOMS, homme. I, 275. Vieille forme du nominatif singulier, que La
    Sale employoit volontiers. On la trouve souvent dans les _Quinze
    joyes de mariage_.

    HOSTELLAIN, hôtelier. II, 82.

    HOULETTE, confrérie des femmes débauchées, des dames du _Huleu_,
    et, par extension, des maris trompés. «Aussi suis-je pieça de la
    _Houlette_.» I, 189; II, 38.

    HOULLIER, débauché, coureur de filles. I, 4. Un mari trompé
    reproche à sa femme son _houllier_. I, 221.

    HOURDER, fournir, pourvoir, charger. «Mais de sens assez
    escharsement _hourdée_.» I, 17. Voy. I, 74. «Se _hourde_ de
    l'escuyer et à son col le charge.» I, 100.

    HOURTER, heurter. I, 159.

    HOUSÉ, botté, chaussé de houseaux. I, 87; II, 182.

    HOUSEAUX, bottes.

    HOUSER, botter, et, par extension, vêtir. I, 298.

    HOUSERIE, habillement, action de vêtir. I, 299.

    HOUSSER, vêtir. II, 133.

    HOUSSÉ, fourni, vêtu. «Le plus hault arbre et mieux _houssé_ du
    bois.» I, 64. C'est-à-dire le mieux garni de feuilles.

    HUCHER, appeler à haute voix, en criant. I, 41, 180.

    HUCQUER, frapper. II, 178.

    HUÉE, réputation, notoriété. II, 142.

    HUMET, sauce, ragoût. II, 45.

    HUPPILLER, houspiller. I, 128.

    HURT, action de heurter. I, 161.

    HUTIN, bruit, querelle, dispute, combat amoureux. «Et ne demandoit
    que _hutin_.» II, 187.

    HUTINER, tracasser, lutiner. I, 126.

    HUYS, porte.


    ILLEC, là. II, 242.

    IMPAREIL, non pareil, incomparable. I, 68.

    IMPROVEU, dépourvu. I, 229.

    INDUCE, délai, loisir, «Si ne leur bailla pas _induce_ de
    respondre.» I, 181.

    INFORTUNE, malheureuse, infortunée. I, 288.

    INTRODUIRE, instruire. II, 167.

    INVENTOIRE, inventaire. I, 66.

    IRE, colère. II, 234.


    JANNES, Gênes, II, 223.

    JASERANT, cotte de mailles. I, 256.

    JASOIT, bien que, quoique. II, 11.

    JOUER _des cimbales_, faire l'acte amoureux. II, 107.

    JOURNÉE, affaire, combat. «Et s'il accepte la _journée_, dit
    Madame, je viendray tenir vostre place.» I, 51.

    JOUSTEUR, qui aime les joutes, les luttes. II, 21.

    JOUSTOUER, destiné à la joute. II, 172.

    JOUVENCE, jeunesse. II, 234.

    JUGIÉ, condamné. I, 70.

    JUS, à bas. II, 43, 138.

    JUSTICE, lieu où se faisoient les exécutions. II, 126.


    LAIRRAY, laisserai. I, 191.

    LAISSER, lasser. II, 27.

    LANDES (?). I, 125.

    LANGAGIER (Beau), beau parleur. «Car il estoit bon clerc et très
    beau _langagier_.» II, 157.

    LARRIER, mot tiré sans doute de _larris_, lande, terre en friche.
    I, 135.

    LAS, lac, lacet, piége. I, 272.

    LASSÉ, lacé. I, 6.

    LÉANS, là dedans.

    LÉAULTÉ, foi, loyauté. II, 233.

    LEDANGER, injurier. II, 58.

    LÉGENDE dorée, ouvrage célèbre de Jacques de Voragine, contenant les
    Vies des saints. La femme qui recommence _sa grande légende dorée_,
    t. I, p. 8, dit à son mari une kyrielle d'injures.

    LENDIT, foire qui se tenoit à Saint-Denis. «Une feste de Lendit et
    d'Envers.» I, 43.

    LEZ, côtés. «Visiter les angletz de sa chambre à tous _lez_ au
    mieulx qu'il luy fut possible.» II, 119. «Elle se pourchassoit à
    tous _lez_.» II, 187.

    LIEUTENANT, celui qui remplace le mari auprès de sa femme. I, 267;
    II, 118.

    LIGNAGE, famille. I, 271.

    LINGE, fin, délié. «Draps linges.» I, 181; II, 202.

    LOER, louer. II, 105.

    LOIST, est loisible, permis. I, 118.

    LOS, renommée. I, 193.

    LOUDIER, débauché, coureur de filles. I, 4.--Employé en mauvaise
    part dans le sens d'_amant_. II, 58.--Se prenoit aussi dans la
    signification plus étendue de _mauvais sujet_, _vaurien_. Voy. II,
    124.

    LOURDOYS (_En_), lourdement, à la façon d'un lourdaud. I, 112.

    LUYCTE, lutte. Prov. «A la tierce foiz va la _luycte_.» I, 78.

    LYE, joyeux. I, 72.

    LYÉ, joyeux. I, 19.

    LYESSE, gaieté, joie. I, 12.

    LYSIT, lut. I, 34.


    MAIGNYE, famille, les gens de la maison. «_Maignye_ d'enfans,
    parens, amis, héritages.» I, 101.

    MAIN MISE (?). «Il en eust prins vengence criminelle et de _main
    mise_.» II, 30.

    MAINS, moins. I, 9.

    MAL, mauvais.

    MAL VENIR (_De_), par malheur. I, 268.

    MALEBOUCHE, personnage allégorique du _Roman de la Rose_. I, 68.

    MALTALANT, colère, mauvaise disposition d'esprit. I, 8.

    MANIÈRE, colère, mauvaise humeur. «Elle est merveilleuse depuis
    qu'elle entre en sa _manière_.» I, 45.

    MARCHANDER, faire le métier de marchand. II, 118.

    MARCHANT, marchand. «En lieu marchant», dans une situation
    favorable. I, 92.

    MARCHE, contrée, frontière. I, 72.

    MARCHISSANT, attenant. I, 64.

    MARESCAUCIÉ, traité comme les individus arrêtés par les soldats de
    la maréchaussée? II, 166.

    MATÈRE, matière. I, 69.

    MATHEOLET. Le livre de Matheolus, poëme de Jean Le Febvre dirigé
    contre les femmes. I, 232. La Sale en parle dans les _Quinze joyes
    de mariage_.

    MATTE, triste. «Une sure et _matte_ chère.» I, 208.

    MAUVAISTIÉ, méchanceté, condition d'une chose mauvaise. II, 161.

    MEFFAIT PRÉSENT, flagrant délit. I, 268; II, 94.

    MEISER, penser, réfléchir. I, 8.

    MEMBRE _à perche_, membre viril. I, 70.

    MENESTRIELZ, musiciens, ménétriers. I, 157.

    MERCI. «Obtenir le don de merci d'une dame», obtenir ses dernières
    faveurs. II, 22.

    MERCIER, remercier. I, 19.

    MERCQUE, marque. II, 155.

    MERCY, grâce. II, 121.

    MERITER, récompenser. I, 71.

    MERVEILLEUX, méchant. I, 220.

    MERVEILLEUSE, méchante, acariâtre. I, 45.

    MESCHEF, accident, malheur. I, 18. «A quelque _meschef_ que ce
    fust.» I, 156; II, 7.

    MESCHIEF, faute. «Si en feray tout seul le _meschief_.» II, 223.

    MESCHINE, servante. I, 91.

    MESCHINETTE, petite servante. II, 240.

    MESCROIRE, soupçonner. I, 23.

    MESHUY, jamais. I, 8, 161.

    MESHUY. Aujourd'hui. «Si vous prie que ayez patience _meshuy_, et
    demain je besoigneray à vous.» I, 48. Voy. II, 149.

    MESMES, soi-même, «Et que pour mieulx besoigner, il y vouloit
    _mesmes_ aller.» II, 116.

    MESNAGER, s'occuper du ménage. I, 6.

    MESTIER, besoin. I, 21, 140.

    MESTRIER, maîtriser, gouverner. I, 151.

    METES, limites. I, 63.

    MEURES, mûres. «Etre rechassé des meures», être repoussé avec
    perte. I, 95; II, 93.

    MIGNON, beau, agréable. «Et entre les aultres nostre gentilhomme,
    qui _mignon_ se povoit bien nommer.» I, 57.

    MINOT, cachette, petit trésor, petite _mine_ d'argent. «Et si vous
    avez quelque _minot_ d'argent à part...» II, 95.

    MITAINE. Prov.: «Plus gay que une _mitaine_.» I, 265.

    MOLIN, moulin.

    MOMMERIES, mascarades. II, 21.

    MOMMEUR, homme masqué, qui fait des _mommeries_. II, 200.

    MONCELET, petit monceau. II, 181.

    MONSTRE, montre, revue. «Etre à monstre», être passé en revue. (I,
    84).

    MONTER. «Monter sur son chevalet», se mettre en colère. II, 161.

    MONTOUER, montoir, borne qui servoit pour monter à cheval. I, 290.

    MORE, mûre. II, 155.

    MORSE, amorce. «Pour voir s'il ne reviendroit point à la _morse_.»
    II, 156. Peut-être falloit-il imprimer _l'amorse_.

    MORTAIGNE. «Aller à Mortaigne», mourir. II, 133.

    MOULT, beaucoup. II, 169.

    MOURIR _sur bout_, sécher sur pied. I, 151.

    MOUSCHE, mouche. Prov.: «Luy qui cognoissoit _mousche_ en laict.» I,
    95.

    MOUSSEAU, ragoût, sauce. II, 46.

    MOUSTARDE. Prov.: «Plus fine que _moustarde_.» II, 128.

    MOUSTIER, couvent. I, 36.

    MOYEN, chose située entre deux autres. «La maison du curé tenoit à
    la sienne sans _moyen_.» II, 164.

    MUABLETÉ, inconstance, disposition au changement. II, 228.

    MUCER, _musser_, cacher. II, 117.

    MUSNIER, meunier.

    MUSSER, cacher. II, 180.

    MUTEMACQUE, mutinerie, rebellion. II, 245.

    MYE, nullement. I, 273.


    N', ni. II, 232.

    NATAULX, jours solennels. «Quatre foiz l'an, c'est assavoir, à
    quatre _nataulx_, vous devez confesser.» I, 201. Voy. Du Gange, vº
    _Natalis_.

    NAVE, navire. I, 105.

    NAVRER, blesser. II, 159.

    NAVYEUR, marin, navigateur. II, 228.

    NE, non plus. «Je vous requier que nous ne tenons compte d'elles
    _ne_ qu'elles font de nous.» II, 39.

    NÉANTÉ, néant. «Il la veult trop bien tancer et luy dire la
    lascheté et _néanté_ de son coeur.» II, 23.

    NEN, non. II, 95.

    NENNY, non.

    NESQ'UN, non plus qu'un. II, 158.

    NESUN, _nesung_, aucun. I, 214.

    NICHIL, rien. «_Nichil_ au doz», vieux terme de procédure: néant
    au dossier. I, 107.

    NOEVE (?). «Belle et gente et gracieuse estoit au temps qu'elle fut
    _noeve_.» II, 5.

    NOISE, bruit, tapage. I, 92.

    NOISEUX, querelleur, entreprenant. I, 131.

    NONCHALLOIR, négligence, indifférence. II, 155.

    NONNE (_Basse_), trois heures après midi. II, 148.

    NOTAIRE. Être le notaire d'une chose, y assister, en être témoin.
    I, 127, 154.

    NOU, nage. II, 35.

    NOUVEL (_De_), nouvellement. II, 161.

    NOUVELLETÉ, nouveauté. II, 47.

    NUNCIER, annoncer. I, 115.


    OBSTANT, nonobstant. II, 115.

    ODER, fatiguer. «Se _oda_ et tanna.» II, 228. Voy. _Hodé_.

    OEUFS. Prov. Voy. _Beurre_.

    OEZ, entendez. II, 115.

    OFFERENDE, offrande. «Il alloit devant eulx à l'offerende.» Il
    étoit le préféré. I, 144.

    OIGNEMENS, onguents. I, 12.

    ONCQUES, jamais.

    ORDE, sale, grossiere. «Une orde excusance.» I, 157.

    ORDOYER, salir, souiller. II, 95.

    ORES, maintenant. II, 40.

    ORINAL, vase à uriner. I, 111.

    ORPHENIN, orphelin. I, 106.

    ORRA, entendra. II, 33.

    ORREZ, entendrez. II, 164.

    OSTEL, maison.

    OSTELLERIE, nom de lieu. I, 192, 252.

    OU, avec.

    OUSTILLÉ, garni d'instrument naturel. II, 84.

    OUVRANT, travaillant. II, 202.

    OUVRER, travailler.

    OUVROUER, laboratoire. Est dit de la partie naturelle d'une femme.
    II, 117.

    OYE, ouïe. I, 128.


    PAIN. «Tenoit à _pain_ et à pot une donzelle belle et gente»,
    l'entretenoit. II, 128.

    PARACHEVER, terminer, accomplir. II, 13. On rencontre souvent dans
    ce livre cette syllable explètive _par_, qui indique l'achévement,
    la perfection. Voy. les mots ci-après.

    PARACCOMPLIR, accomplir. II, 91.

    PARAFFOLER, affoler, martyriser complétement. I, 110.

    PARBONDY, bondi, sauté. II, 131.

    PARCEURENT, aperçurent. I, 114.

    PARCHON, partage. II, 120, 193.

    PARDEDANS (_En son_), intérieurement, à part soi. I, 242, 259.

    PARDEHORS, extérieur, mine, apparence. I, 258.

    PAREMENS, vêtements, parures. II, 242.

    PARENTAGE, parenté. II, 211.

    PARESTOIT, étoit complétement. II, 112.

    PARFACE, accomplisse. I, 249.

    PARFAIT, achévement. «Mais du _parfait_, nichil!» I, 170.

    PARFIN (_En la_), à la fin. II, 94.

    PARFOND, profond. I, 121.

    PARFORCER, forcer complétement. I, 40.

    Parfournir, compléter. II, 34.

    PARLEMENT, discours, conversation. I, 234.

    PARMENTIER, passementier. II, 198.

    PAROULTRER, passer outre complétement, accomplir. I, 132.

    PARTEMENT, départ. I, 86.

    PARTISSONS, partagions. II, 119.

    PARTUER, tuer tout à fait. I, 112.

    PARTY, partagé, pourvu. I, 228; II, 145.

    PASQUE (_Blanche_), le jour des Rameaux. II, 182.

    PASQUES _communiaux_, le jour de Paques. II, 183.

    PASQUES _flories_, les Rameaux. II, 182.

    PASSE ROUTE, expert, routier. «Tout ce que bon et sage chien doit
    et scet faire il estoit le _passe route_.» II, 205.

    PASSIONNER, souffrir. II, 203.

    PASTE, prov. «Porter la paste au four.» I, 288.

    PASTOURE, conductrice d'un troupeau. Est dit d'une abbesse. I, 119.

    PATARS, sorte de monnaie. II, 157.

    PATOYS, langage de paysan. «Et les servit grandement en son
    _patoys_ à ce disner.» I, 112.

    PAULMÉ, pâmé. II, 100, 113.

    PAUMOISON, pâmoison. I, 108.

    PECHE, pièce. I, 2.

    PÉCHÉ. Etre mis avec les _péchés oubliés_ (I, 148), être
    complétement oublié.

    PELETERIE, mauvaise situation. «Il ronge son frain aux dens et
    tout vif enrage quand il se voit en celle _peleterie_.» I, 156.

    PENNES, pièces de drap. «Pluseurs pennes entières et de très bonne
    valeur.» II, 95.

    PENSEMENS, pensées, soucis. II, 226.

    PENULTIME, avant-dernier. II, 248.

    PERCEVANT, adroit, pénétrant. II, 140.

    PERCEVOIR, apercevoir. II, 9.

    PERCHANT, bâton, perche; pris pour membre viril. II, 204.

    PERCHA, perça. II, 217.

    PERILLEUX, dangereux. I, 131.

    PERTUISER, percer. II, 14.

    PERTUS, trous. I, 178.

    PHISICIEN, médecin. I, 11.

    PIE, boisson. «En pluseurs religions y a de bons compaignons à la
    _pie_ et au jeu des bas instrumens.» II, 201. On disoit aussi
    _pier_, boire; _piot_, vin; _croquer la pie_, boire.

    PIEÇA, il y a longtemps, il y a _pièce_ de temps. I, 3.

    PIEZ, pieds. «Vous ne saulterez jamais d'icy sinon les _piez_
    devant.» C'est-à-dire: Vous ne sortirez que mort. I, 197.

    PIGNE, peigne. «Trousser _pignes_ et miroirs» (I, 123), faire ses
    paquets.

    PILLER, prendre. II, 81.

    PLAISANCE, volonté, fantaisie. I, 65.

    PLASTRIER, homme grossier, malpropre. «Les villains _plastriers_.»
    II, 216.

    PLÉGER, tenir tête à quelqu'un qui boit à notre santé. I, 176.

    PLORERIE, action de pleurer. I, 116.

    PLUC, ce qu'on a recueilli. Cueillir se dit en allemand _pflücken_.
    En gascon, manger un raisin grain à grain se dit _pluca_. Cotgrave
    donne le mot _plucquoter_... «Car du _pluc_ et butin qu'elle avoit à
    la force de ses reins conquesté avoit acquis vaisselle et
    tapisserie.» II, 136.

    POISSON. «S'en revint devers son maistre à tout ce qu'il avoit de
    _poisson_, car à char avoit-il failli», est dit d'un entremetteur.
    I, 130.

    PORCIONNER, faire des parts, partager. II, 120.

    POSTERNE, poterne. I, 1.

    POT (_A pain et à_). Voy. _Pain_.

    POU, peu.

    POURCHAZ, recherche, diligence. I, 133, 267.

    POURSUIR, poursuivre. I, 96.

    PREMISSE, discours, prologue, exorde. I, 129, 274.

    PRENIST, prît. II, 177.

    PRESCHEMENT, sermon, remonstrance. I, 95.

    PREU, profit, avantage. «Bon _preu_ vous fasse!» I, 189.

    PRINS, prov. «Cy _prins_ cy mis.» II, 134, 149. On dit aujourd'hui:
    «Sitôt pris, sitôt pendu.»

    PRINSAULT, prime abord. I, 3.

    PROCURER, plaider, intercéder, servir de procureur. I, 166.

    PUBLICQUEROIT, divulgueroit, publieroit. II, 233.

    PUIS, après. I, 178.

    PUIS, dès. I, 195.

    PUTE, méchant, pervers. Des deux genres. I, 235.

    PUTERIE, mauvaise vie, débauche. I, 288.

    PUTIER, débauché. I, 4.


    QUARESME. Prov. «Il sembloit qu'ils voulsissent tuer Quaresme.» II,
    178. C'est-à-dire: Ce sont des gens déterminez, qui tueroient tout,
    même Carême, tout maigre qu'il est.

    QUARESMEAULX, jours maigres. I, 212.

    QUANS, combien de. I, 92.

    QUE, comme. «Et s'asseura _que_ celuy qui en beaucop de perilz
    s'estoit trouvé.» II, 28.

    QUERELLE, recherche, demande, prétention. I, 233, 258.

    QUERIR, vouloir, chercher. «Je ne vous le _quier_ jà celer.» I,
    186. Voy. I, 222; II, 11.

    QUESNOY (LE ). I, 134.

    QUETAILLE (?). «Se tenoit comme une droite statue ou ydole en
    _quetaille_.» I, 175.

    QUIBUS, argent. II, 136.

    QUIS, cherché. I, 163.

    QUITTER, abandonner, céder. I, 68.

    QUONIAM, parties naturelles de la femme. II, 135.


    RACANER, braire. II, 143.

    RACOLER, faire l'acte amoureux. I, 113.

    RADDE, vif, alerte. «_Radde_ du pyé», agile. I, 302.

    RADOUBTER, radoter. I, 181.

    RAFFROIGNÉ, refrogné. II, 86.

    RAFRESCHER, rappeler, renouveler, rafraîchir. I, 289.

    RAHERCE (?). I, 183.

    RAIDZ, rayons. I, 105.

    RAMENTEVOIR, rappeler. I, 121.

    RAMONNÉ. Prov. «Se trouver en place _ramonnée_» (I, 67), en lieu
    propre, favorable.

    RAMPONNER, quereller, gronder. I, 176.

    RAROIT, auroit de nouveau. I, 21.

    RASIERE, mesure de blé. I, 270.

    RASTELÉE, _râtelée_, ce qu'on sait, ce qu'on pense d'une chose.
    «Compta sa _rastelée_ à madamoiselle.» II, 128.

    RASURE, mesure de blé. I, 268.

    RATAINDIT, ratteignit. I, 157.

    RATE, un peu. Espagnol, _rato_. «A _rate_ de temps.» I, 180.

    RATELÉE. Voy. _Rastelée_.

    RATOILLE, réattelle. I, 54.

    REBOUTEMENT, action de rebuter, repousser. I, 251; II, 98.

    REBOUTER, remettre. I, 292.

    REBOUTER, rebuter, repousser. I, 70.

    RECANER, braire. II, 59.

    RECEVEUR, celui qui reçoit des coups. «Il compteroit avecques luy
    et le feroit receveur oultre son plaisir.» II, 115.

    RECHAP, action de réchapper d'un danger. «Elle est morte, et n'y a
    pas de _rechap_.» I, 111.

    RECLUSAGE, ermitage. I, 75.

    RECORS (Etre), se souvenir. II, 183.

    RECRÉANT, las, lâche. «Plus que tous aultres _recréant_ et las.» I,
    7, 61; II, 104, 225.

    REFROIDEMENT, refroidissement. II, 42.

    REHOUSER, remettre les bottes. I, 133.

    RELIGION, couvent. II, 201.

    REMANENT, restant, demeurant. II, 192.

    REMBATRE, revenir sur ses anciens errements (?). I, 127.

    RENARD, fin, rusé. I, 70.

    RENCHOIR, retomber. II, 15.

    RENCOULER, roucouler. II, 180.

    RENDY (?). «Car la mercy Dieu elle avoit _rendy_ et couru païs plus
    tant que du monde ne savoit que trop.» II, 128

    RENGREGER, aggraver. II, 91.

    RENURÉ, profondément gravé. I, 231.

    REPAIRE, visite, fréquentation. II, 115.

    REPATRIER. I, 262.

    REPRINSE, repréhension. «Pour bien se venger de luy à son aise et
    sans _reprinse_.» I, 27.

    REPROCHÉ, _reprouché_, blâmé, décrié, diffamé. I, 31, 118, 300.

    REQUERRE, requérir. I, 118.

    REQUESTES. «Passer les _requestes_ de quelqu'un», lui accorder ce
    qu'il demande. «Elle passa legerement les requestes de ceulx qui
    mieulx luy pleurent.» II, 5.

    RESCOURRE, secourir. I, 291.

    RESCRIPSIT, écrivit en réponse. I, 144.

    RESERRER, refermer. I, 186.

    RESNE, rêne. Employé dans le sens de membre viril. I, 230.

    RETOLLIR, reprendre ce qu'on avoit donné. I, 99.

    RETOUR, retraite, habitude, amourette. «J'ay ung retour en ceste
    ville dont je suis beaucop assoté.» I, 184.

    RETOURNER, retour. II, 110.

    REVIRER, retourner. I, 178.

    REUT, eut de nouveau. I, 14.

    RIBAULD, homme de mauvaise vie. I, 4.

    RIBAULDELLE, ribaude, femme de mauvaise vie. II, 215.

    RIEN, chose. «La _rien_ en ce monde dont la présence plus luy
    plaist.» I, 121.

    RIGOLER, railler. Verbe actif. I, 176.

    RIRE. Prov.: «Qui à ceste heure l'eust veu _rire_, jamais n'eust eu
    les fièvres.» I, 133.

    RISIT, rit. II, 22.

    RIZ, indiqué comme une marchandise dont l'Angleterre fournissoit
    les autres pays. I, 101.

    ROE, roue. I, 134.

    ROMPTURE, rupture. I, 77.

    RONTEURE, rupture. I, 181.

    ROTE, troupe. I, 34.

    ROUCYNER, _rousyner_, faire l'acte amoureux. I, 111, 280.

    ROUIL, rouille. II, 177.

    ROUTIER (?). «Son mary avoit demouré deux ou trois jours
    _routiers_.» II, 178.

    RUER, jeter. II, 176.

    RUSE (?). «Car il estoit ferme en la _ruse_ que d'estre confessé.»
    I, 39.


    SACQUA  tira. II, 219.

    SAILLIR, sortir. II, 12.

    _Saillir sus_, se lever vivement. II, 43.

    _Saillir avant_, s'avancer vivement. I, 117.

    SAINS, saints. «La devocion que monseigneur avoit aux _sains_ de sa
    meschine de jour en jour croissoit.» I, 91.

    SAINT ANTHOINE. «Saint Anthoine arde la louve!» I, 231.

    SAINT NICOLAS DE WARENGEVILLE. I, 141.

    SAINT POL (comte de). Voy. Walerant. I, 128.

    SAINT REMY, époque d'échéance. I, 269.

    SAINT TRIGNAN. I, 29.

    SAINTE GOULE, sainte Gudule. II, 15.

    SALADE, sorte de casque. I, 28.

    SANCHIÉ (?) «Son mary retourna de la ville comme _sanchié_ de son
    courroux, pource qu'il s'en estoit vengé.» I, 243.

    SANÉ, guéri. II, 174.

    SANGLES, simples. II, 247.

    SARA, saura. II, 244.

    SAULDREZ, sortirez, sauterez. II, 124.

    SAULT, sort. I, 92.

    SAULTEREZ, sortirez. I, 197.

    SAULX, saule. «Charbon de saulx.» I, 43.

    SAUVEMENT, salutairement. «Si _sauvement_ preservé.» II, 105.

    SAYOIT, scioit. I, 130.

    SÇARAS, sauras.

    SCERA, saura. I, 60.

    SE, ce.

    SÉANS, céans, ici. I, 6.

    SEAUMES, psaumes. I, 105.

    SECLUS, exclu. I, 192; II, 236.

    SEMONCE, invitation. I, 169.

    SEMONNEZ, invitez, engagez. I, 176.

    SEMONS, invité. II, 34.

    SENESTRE, gauche.

    SENGLOUTIR, jeter des sanglots. II, 245.

    SENTE, route, sentier. I, 139.

    SENTEMENT, sentiment. II, 131.

    SEQUESTRE. «Et si emporte la verge qu'elle luy donna, qu'il avoit
    desja mise en main _sequestre_.» I, 155.

    SERAIN, soir. I, 38.

    SERCHER, chercher. I, 23.

    SERRE. Prov.: «Elle ne tenoit _serre_ non plus qu'une vieille
    arbaleste.» I, 295.

    SES, ces.

    SEUFFRIR, souffrir. I, 226.

    SI, oui, oui certes. «Le musnier demanda à madame se elle l'avoit à
    l'entrée du baing, et elle dit que _si_.» I, 24.

    SI QUE, jusqu'à ce que. I, 131.

    SIET, est assis, situé. I, 114.

    SIGNIFIANCE, signification. II, 13.

    SIMPLESSE, simplicité, bêtise. II, 181.

    SINGE. Prov.: «Pour qui elle ne feroit néant plus que le _singe_
    pour les mauvais.» I, 130.

    SOEF, doucement. I, 100.

    SOICHONS, compagnons. II, 227.

    SOLAZ, plaisir, réjouissance. I, 159.

    SOLIER, soulier. Prov.: «Doubtant qu'il ne soit pas bien _solier_ à
    son pié.» I, 83.

    SONNET, pet. I, 14, 100.

    SORNER, se moquer. II, 46.

    SOUEF, doucement. I, 178.

    SOUFFISAUMENT, suffisamment. I, 19.

    SOUFFLE-EN-CUL, nom donné à l'acte amoureux. I, 279.

    SOUFFRANCE, patience. Employé ironiquement, II, 209.

    SOULAS, plaisir, réjouissance. II, 232.

    SOULOIR, avoir coutume. I, 284.

    SOUPRINS, surpris. I, 75.

    SOURDOIENT, provenoient. II, 137.

    SOURDRE, naissance, origine. «Quelque menace qui _sourdre_ prist.»
    II, 115.

    SOURVENISTES, survîntes. I, 269.

    SOUVYNE, sur le dos. I, 131.

    SUBTILIER, chercher des détours. II, 187.

    SURE, aigre. «Une _sure_ et matte chère.» I, 208.

    SUS, chez. II, 50, 54.

    SUS (_En_), loin. I, 126.

    SUSCITER, réveiller, ranimer. II, 186.

    SUSPEÇONNER, soupçonner. I, 8.

    SUSPEÇONNEUX, soupçonneux.

    SUSPICION, soupçon. I, 267; II, 118.

    SUSPICIONNÉ, soupçonné. II, 114.

    SUYR, suivre. II, 106.


    TAILLÉ _de_, fait, disposé pour..., apte à..., en passe de... I,
    125; II, 193.

    TALEBOT, Talbot. I, 32.

    TAMBURCH, bruit. II, 176.

    TANCER, gronder, quereller, parler. «Et je m'en iray en ma
    chambrette là derrière _tancer_ à Dieu.» I, 249.

    TANNÉ, lassé, fatigué. II, 228.

    TANTES, tant de. II, 109.

    TAPINAGE (_En_), en cachette, en tapinois. I, 130.

    TAS. «Monter sur le _tas_ pourvoir plus loin», est dit d'un homme
    qui caresse une femme. II, 131.

    TASSEAU, pièce. I, 299.

    TAUXÉ, taxé. I, 269.

    TAYE, grand'mère, ayeule. I, 302.

    TEINS, veillé. I, 206. Voy. _Tenir_.

    TENDREUR, tendresse. I, 154.

    TENIR sur quelqu'un, le surveiller. «Car je _tendray_ sur luy.» I,
    212.

    TENSER, tancer, quereller. I, 30.

    TENTE, instrument de chirurgie, appareil. «Et d'un tel oustil fit
    il la _tente_ pour querir et pescher le dyamant.» I, 25.

    TERMES (_Mis en_), proposé, convenu. II, 52.

    TERMINÉ (?). «Ensuyvant le _terminé_ propos.» II, 159.

    TERRIEN, terrestre. I, 194.

    TIERS, TIERCE, troisième.

    TOLLU, enlevé. II, 131.

    TOUST, ôte. I, 211.

    TRAIN. «Tirer au _train_ de derrière» (I, 126), être enclin à
    l'amour.

    TRAINNÉE, _traynée_, _traynnée_, intrigue, secret. Allusion à la
    traînée de poudre d'une mine. II, 59, 113, 117. On dit aujourd'hui:
    «Eventer la mine.»

    TRANSMUER, changer. I, 138.

    TRAVEILLER, fatiguer. «Il n'est jà mestier que vous _traveillez_
    plus monseigneur.» I, 21.

    TRAYNÉE, _traynnée_. Voy. _Trainnée_.

    TRESPASSER, passer outre. I, 137.

    TRESTOUS, tous. II, 124.

    TRIUMPHE, joie, allégresse. I, 11.

    TROMPER (_Se_) de quelqu'un, s'en moquer. I, 207.

    TYNE, tonneau. I, 238.


    UNES, une paire de. «_Unes_ brayes qui pendoient.» II, 13.

    UNG (A L' ), également, d'une manière unie. I, 215.


    VA-LUY-DIRE, messager d'amour. I, 130.

    VAISSEL, vaisseau, vase. I, 14.

    VARIABLETÉ, condition de ce qui change facilement. II, 228.

    VÉEZ CY, voici.

    VÉEZ LA, voilà.

    VEIL, volonté, vouloir. I, 145.

    VEILLE, veux. I, 136.

    VEILLÉ, éveillé, vif, rusé. «Son varlet, qui estoit ung galant tout
    _veillé_.» I, 96.

    VEILLOTE, petite vieille. I, 76.

    VENSIST, vînt. I, 296.

    VERGE, bague, anneau. I, 23.

    VEYER (?). II, 126.

    VIAIRE, visage. II, 174.

    VIANDER, manger. II, 79.

    VILLANNER, injurier, décrier, offenser grièvement de paroles. I,
    30.

    VILLANIE (_Dire_), dire des injures. I, 163, 245; II, 24.

    VIRER, tourner. I, 225.

    VIRETON, bâton. II, 205.

    VITAILLES, victuailles. II, 118.

    VIVEUX, vif, éveillé. I, 67.

    VOER, jurer, faire voeu. II, 13.

    VOIRRÉ, garni de vitraux, de _verrières_. II, 35.

    VOIRRIÈRES, _verrières_, vitrages. I, 75.

    VOULSIST, voulût.

    VUIDER, quitter le lieu où l'on est. II, 116.


    WALERANT (Comte). I, 128.

    WRELENCHEM, près de Lille. I, 128.


    YDOINE, propre, approprié, convenable, suffisant. S'écrit
    ordinairement _idoine_. II, 244.




TABLE DES MATIÈRES.

AVEC LES TITRES DES NOUVELLES ÉDITIONS DE COLOGNE ET DE LA HAYE.


  TOME I.
                                                       Pages.

  INTRODUCTION                                           v

  DÉDICACE                                               xxj

  TABLE DES SOMMAIRES                                    xxiij

  NOUVELLE I. La médaille à revers                       1

          II. Le cordelier médecin                       9

         III. La pêche de l'anneau                       16

          IV. Le cocu armé                               26

           V. Le duel d'aiguillettes                     32

          VI. L'ivrogne au paradis                       38

         VII. Le charreton à l'arrière-garde             43

        VIII. Garce pour garce                           46

          IX. Le mari maquereau de sa femme              50

           X. Les pastés d'anguille                      56

          XI. L'encens au diable                         61

         XII. Le veau                                    63

        XIII. Le clerc châtré                            67

         XIV. Le faiseur de papes, ou l'homme de Dieu    73

          XV. La nonne savante                           81

         XVI. Le borgne aveugle                          84

        XVII. Le conseiller au bluteau                   90

       XVIII. La porteuse du ventre et du dos            95

         XIX. L'enfant de neige                          101

          XX. Le mari médecin                            107

         XXI. L'abbesse guérie                           114

        XXII. L'enfant à deux pères                      120

       XXIII. La procureuse passe la raye                125

        XXIV. La botte à demi                            128

         XXV. Forcée de gré                              134

        XXVI. La demoiselle cavalière                    137

       XXVII. Le seigneur au bahut                       157

      XXVIII. Le galant morfondu                         166

        XXIX. La vache et le veau                        173

         XXX. Les trois cordeliers                       177

        XXXI. La dame à deux                             183

       XXXII. Les dames dîmées                           192

      XXXIII. Madame tondue                              204

       XXXIV. Seigneur dessus, seigneur dessous          218

        XXXV. L'échange                                  223

       XXXVI. A la besogne                               229

      XXXVII. Le bénitier d'ordure                       232

     XXXVIII. Une verge pour l'autre                     238

       XXXIX. L'un et l'autre payé                       245

          XL. La bouchère lutin dans la cheminée         251

         XLI. L'amour et l'aubergon en armes             256

        XLII. Le mari curé                               261

       XLIII. Les cornes marchandes                      267

        XLIV. Le curé courtier                           270

         XLV. L'Ecossois lavendière                      280

        XLVI. Les poires payées                          283

       XLVII. Les deux mules noyées                      287

      XLVIII. La bouche honnête                          292

        XLIX. Le cul d'écarlate                          295

           L. Change pour change                         301




ERRATA.

TOME I.

  Pag. Ligne.

   14  33 _au lieu de_ ient       _lisez_ tient.

   84   5 -- pré set              -- prés et.

  134  24 -- Etainçois            -- Et ainçois.

  173  10 -- a chef               -- à chef.

  173  19 -- baillés              -- bailles.

  183  14 -- La Barre             -- La Barde.

  229  26 -- quelque              -- quel que.

  233   3 -- advenues. Nostre     -- advenues, nostre.

  252  27 -- veoit                -- véoit.

  275   7 -- Quen                 -- Qu'en.

  283   2 -- Thieuges             -- Thienges.

  283  21 -- l'abbesse qui veoit  -- l'abbesse, qui véoit.

  301   2 -- La Salle             -- La Sale.




Corrections

La première ligne indique l'original, la seconde la correction:

Glossaire:

    Ung (A l'), également, d'une manière unie. 215.
    Ung (A l'), également, d'une manière unie. I, 215.






End of Project Gutenberg's Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome I, by Various

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1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
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in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
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Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation information page at www.gutenberg.org


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at 809
North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887.  Email
contact links and up to date contact information can be found at the
Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit:  www.gutenberg.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For forty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.

Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     www.gutenberg.org

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