Voyage à travers les Cévennes avec un âne

By Robert Louis Stevenson

The Project Gutenberg eBook of Voyage à travers les Cévennes avec un âne
    
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and
most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
of the Project Gutenberg License included with this ebook or online
at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States,
you will have to check the laws of the country where you are located
before using this eBook.

Title: Voyage à travers les Cévennes avec un âne

Author: Robert Louis Stevenson

Translator: Anatole Moulharac

Release date: June 24, 2024 [eBook #73904]

Language: French

Original publication: Paris: Au siège de la société, 1901

Credits: Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE À TRAVERS LES CÉVENNES AVEC UN ÂNE ***





  Au lecteur

  Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version
  originale. Les erreurs manifestes de typographie ont été corrigées.

  La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.
  Les mots en gras dans l'original sont entourés par des =.

  Veuillez noter que les pages du «Club Cévenol» ont été regroupées à
  la fin du livre.




  [Illustration: Cliché de MM. Abbeg et Hoffer.
  VUE GÉNÉRALE DE FLORAC]

  Voyage à Travers les Cévennes

  AVEC UN ANE

  [Illustration: _Frontispice de l'édition anglaise_]

  CAHORS

  IMPRIMERIE TYPOGRAPHIQUE A. COUESLANT

  1901




  =Pour Paraître Prochainement=

  L'Anacreoun Cebenoù

  ADAPTATION DES ODES ANACRÉONTIQUES

  EN VERS LANGUEDOCIENS

  AVEC TRADUCTION FRANÇAISE

  Par A. MOULHARAC




[Illustration]


Robert-Louis Stevenson, né à Edimbourg (Ecosse) en 1850, mort aux
Iles Samoa en 1894, est un des écrivains anglais les plus originaux
de la seconde moitié du XIXe siècle. Poète, humoriste, romancier et
voyageur doué d'un talent d'observation peu commun, il a écrit un
nombre considérable d'ouvrages devenus populaires. _L'île au trésor_
et plusieurs autres de ses livres traduits dans notre langue l'ont
fait apprécier comme il le mérite par les lecteurs français. Nous
avons voulu par un résumé assez développé, où certaines parties sont
traduites presque littéralement, faire connaître dans les _Mémoires du
Club Cévenol_ le très intéressant voyage de Stevenson dans les Cévennes
avec un âne[1]. MM. Chatto et Windus, propriétaires-éditeurs des œuvres
de cet écrivain, ont bien voulu nous autoriser à publier ce travail qui
avait fait l'objet d'une conférence donnée au groupe de Paris le 10 mai
1899.

  A. M.

  [1] Le titre anglais de l'ouvrage est: _Travels with a donkey in the
  Cevennes_, by Robert Louis Stevenson. London. Chatto and Windus.
  Piccadilly.




VOYAGE

A TRAVERS LES CÉVENNES

AVEC UN ANE

PAR R.-L. STEVENSON


Stevenson n'était pas un voyageur du genre de ceux que promène l'Agence
Cook.

Portant toujours avec lui un album et un carnet pour prendre des
croquis et consigner ses impressions de la journée, c'étaient les
contrées les moins fréquentées qu'il prenait pour but de ses excursions.

Il était âgé de 28 ans en 1878 lorsque sa fantaisie le conduisit au
Monastier, chef-lieu de canton de la Haute-Loire, à 20 kilomètres du
Puy, au milieu des Montagnes du Velay. Voici sur cette petite ville de
2.000 habitants les remarques qu'on lit dans son «_Voyage à travers les
Cévennes avec un âne_,» voyage fort original où nous le suivrons pas à
pas.

Le Monastier, écrit-il, est remarquable par la fabrication des
dentelles, par l'ivrognerie, la licence de langage de ses habitants
et l'acharnement de leurs discussions politiques. Tous les partis qui
divisent la France y sont représentés. Pleins de haine et de mépris les
uns pour les autres, ils se dénigrent, se calomnient et ne s'adressent
la parole que pour s'injurier: c'est une vraie «Pologne de montagne.»
L'appréciation est sévère; il serait à désirer qu'elle ne fût pas
juste, tant pour ce canton que pour beaucoup d'autres.

Au milieu de cette Babel de partis divergents, Stevenson devint un
centre de ralliement. Chacun s'empressa de se montrer complaisant
et serviable envers l'étranger, non pas seulement parce que ces
montagnards ont des mœurs hospitalières, mais surtout parce qu'il
s'était attiré leur intérêt en leur faisant part de son projet de se
rendre à pied dans le Midi en traversant les Cévennes.

Ce projet leur paraissait tellement extraordinaire que, tout en prenant
l'Anglais en pitié, ils éprouvaient pour lui un sentiment respectueux.
Tout le monde s'offrait pour l'aider dans ses préparatifs et lui
faciliter l'achat de ce qui lui serait nécessaire.

Le mois de septembre était aux trois quarts écoulé avant que Stevenson
fût prêt à se mettre en route, et sur les montagnes qu'il voulait
traverser l'été de la Saint-Martin est inconnu. Il était résolu à
camper au besoin en plein air, car il trouvait très incommode de courir
dans la nuit à la recherche d'une habitation et les auberges de village
ne lui semblaient pas très sûres. Une tente pour un seul voyageur est
peu pratique. Un sac de campement, au contraire, est ce qu'il y a de
plus commode; on n'a qu'à se glisser dedans. Il peut servir de lit
pendant la nuit et de valise pendant le jour. Rien ne fait prévoir
que ce paquet va servir de couchette à la belle étoile, et c'est, dit
Stevenson, un point important, car si l'on se doute que vous campez
ainsi, les gens du voisinage se feront un malin plaisir de venir voir
ce phénomène et de troubler votre sommeil.--Notre Anglais se décida
donc pour un sac de campement et, après plusieurs voyages au Puy et
des débats animés entre le futur voyageur et ses conseillers Cévenols,
l'objet fut commandé, bâti et apporté triomphalement à domicile.

Ce sac avait environ six pieds carrés (1m 85) avec deux revers
triangulaires, l'un en haut pour servir d'oreiller la nuit, et l'autre
au fond comme fermeture. C'était une espèce de long rouleau vert, en
peau imperméable, garni à l'intérieur de laine bleue, commode comme
valise, sec et chaud comme couchette. Une seule personne s'y trouvait
au large et au besoin deux y auraient tenu. Stevenson s'y enfonçait
jusqu'au cou. Il se couvrait la tête d'un bonnet de fourrure qui se
rabattait sur ses oreilles et ne laissait découvert que le nez. En
cas de grande pluie, il se serait fait une sorte de tente avec son
waterproof.

On conçoit qu'il ne pouvait porter sur ses épaules un paquet si
encombrant. Il lui fallait une bête de somme.

Un cheval coûte cher d'achat et d'entretien. Le cavalier ne peut
l'abandonner d'un pas, c'est donc un compagnon qui complique les tracas
d'un voyage.

Un coursier à bon marché, petit, dur à la fatigue et d'humeur
tranquille, voilà ce que désirait notre Anglais. Un âne seul réunissait
toutes ces qualités.

Il y avait justement au Monastier un vieux bonhomme quelque peu dément,
appelé le père Adam, qui allait par les rues avec une carriole traînée
par une ânesse minuscule, pas beaucoup plus haute qu'un chien, à la
robe couleur de souris, l'œil doux et la mâchoire inférieure très
prononcée. Elle avait en elle quelque chose de gentil, de distingué,
une simplicité élégante qui plurent tout de suite à Stevenson quand
il la vit sur la place du marché. Pour montrer que la bête était
d'humeur paisible, plusieurs enfants furent mis sur son dos et la
firent trotter. Elle les envoya tous rouler à terre les quatre fers en
l'air, si bien qu'aucun gamin ne voulut plus se risquer pour continuer
l'essai. Les conseillers de Stevenson le poussaient à acheter l'ânesse;
bientôt tous les gens du marché s'en mêlèrent. A la fin l'affaire fut
conclue au prix de 65 francs, et un petit verre. Le sac de campement
avait coûté 80 francs et deux verres de bière. _Modestine_,--c'est le
nom que Stevenson donna à l'ânesse--_Modestine_ était le moins cher
des deux achats. Et c'était naturel, car elle n'était en quelque sorte
qu'un accessoire du lit, couchette automatique se mouvant sur ses
quatre pieds.

Le père Adam en prenant le verre d'eau-de-vie stipulé par le marché eut
l'air d'être très affecté de se séparer de sa bête. Souvent, disait-il,
il l'avait nourrie avec du pain blanc quand il mangeait lui-même du
pain bis. Mais cela était sans doute un effet de son imagination, car
il avait la réputation de maltraiter brutalement la bourrique. Pourtant
une larme coula sur sa joue ridée au moment où il s'en sépara.

Sur le conseil d'un sellier de l'endroit une selle en cuir avait été
fabriquée et munie d'anneaux pour y attacher le paquet du voyageur. Il
s'occupa avec soin de la composition de son trousseau. En fait d'armes
et d'ustensiles, il y mit un revolver, une petite lampe à alcool,
une casserole, une lanterne et quelques petites bougies, un couteau
de poche, et une grande gourde recouverte de cuir. La partie la plus
importante du bagage consistait en deux assortiments complets d'habits
chauds, outre les habits de velours à côtes que Stevenson portait sur
lui, un paletot, et un gilet de laine; il y avait en plus quelques
livres et une couverture de voyage qui, étant aussi en forme de sac,
servirait d'abri supplémentaire pour les nuits froides. Les provisions
de bouche se composaient de tablettes de chocolat et de boîtes de
saucisson de Bologne. Tous ces objets, à l'exception de ce que
Stevenson avait sur lui, furent arrimés dans le sac de peau de mouton.

Il y enferma aussi heureusement son havresac plutôt pour la commodité
du transport que dans la pensée qu'il pourrait en avoir besoin au cours
de son voyage.

Pour ses besoins immédiats, il se munit d'un gigot de mouton cuit,
d'une bouteille de Beaujolais, d'une boîte à lait, d'un fouet pour les
œufs et d'une bonne provision de pain bis et blanc pour lui et pour
l'ânesse, mais, au contraire du père Adam, il réservait le pain blanc
pour lui.

Tous les politiciens du Monastier avaient prédit à Stevenson les
aventures les plus étranges et une mort inévitable. Il était menacé du
froid, des loups, des voleurs et des mauvais plaisants auxquels la nuit
on est exposé. Pourtant, pas un de ces prophètes n'avait annoncé le
vrai danger qui l'attendait. Ce fut de son bagage seul que vinrent les
ennuis de son voyage.

Avant de parler de ses mésaventures, relatons en deux mots les leçons
de son expérience. Si un ballot est retenu avec de bons liens aux deux
bouts et posé tout de son long à travers le bât, et non plié en deux,
le voyageur n'a rien à craindre. Le bât ira mal certainement, tel est
le peu de perfection des choses de ce monde. Il ballottera et tendra à
tourner; mais on trouve des pierres partout le long de la route et un
homme a vite appris l'art d'équilibrer, à l'aide d'une pierre, un poids
qui penche trop d'un côté.

Le 22 septembre, jour de son départ, Stevenson s'était levé à 5 heures.
A 6 heures on commença à charger l'ânesse et dix minutes après les
bagages roulaient à terre. La selle ne pouvait rester fixée une seconde
sur le dos de _Modestine_.

L'Anglais la rapporta chez le sellier et eut avec lui une violente
discussion. La selle était jetée des bras de l'un dans ceux de l'autre
pendant qu'ils échangeaient les paroles les plus discourtoises.

Le harnais fut changé. On mit sur le dos de l'ânesse ce qu'on appelle
une _barde_ dans le pays et on la chargea des effets du voyageur. Le
sac roulé et plié en deux, un paletot, une forte tranche de pain bis et
un panier contenant le pain blanc, le gigot et les bouteilles furent
reliés ensemble par des cordes savamment serrées et nouées. Toute cette
charge encombrante pesait sur les épaules de l'ânesse sans que rien
pendit des deux côtés pour faire équilibre, avec un bât tout neuf,
s'adaptant mal au dos de la bête, avec des courroies toutes neuves que
la marche ferait relâcher; il fallait être aveugle pour ne pas prévoir
une catastrophe.

A ce système compliqué d'attaches, trop de gens avaient mis la main.
Pour ce genre d'ouvrage une seule personne expérimentée fait plus sans
effort qu'une demi-douzaine d'aides maladroits.

Stevenson le comprit plus tard, mais à ce moment, sans expérience, même
après la mésaventure de la selle, il franchit la porte de l'écurie avec
une assurance imperturbable, comme un bœuf allant à l'abattoir.




L'ANIER A L'HABIT VERT


Neuf heures sonnaient à l'horloge du Monastier lorsque, délivré enfin
des obstacles qui avaient retardé son départ, Stevenson descendit la
colline à travers les vaines pâtures.

Tant qu'il fut en vue des maisons, la crainte de quelque accident
ridicule l'empêcha de taquiner _Modestine_. Elle trottinait sur ses
quatre petits pieds avec une lenteur compassée. Par instants, elle
secouait les oreilles ou la queue; et elle paraissait si petite sous le
paquet qu'il en avait pitié. Ils passèrent la rivière sans difficulté.
Il n'y avait pas à en douter, elle était la docilité même. Une fois
sur l'autre rive, là où la route commence à monter, à travers des bois
de pins, Stevenson, non sans hésiter, frappa l'ânesse de son bâton;
_Modestine_ alla plus vite pendant trois ou quatre pas, puis reprit sa
première allure. Un second et un troisième coup de bâton produisirent
le même effet. Stevenson observe qu'en sa qualité d'Anglais il se
ferait un cas de conscience de porter brutalement la main sur un animal
femelle. Il cessa de frapper et la regarda longuement. Les jambes de
la pauvre bête tremblaient et sa respiration était haletante. Il était
évident qu'elle ne pouvait aller plus vite à une montée. «Dieu me
garde, pensa-t-il, de brutaliser cet animal sans défense. Qu'elle aille
à son pas habituel et suivons-la avec patience.»

Ce pas était d'une lenteur mortelle: pour ne pas le devancer chacun des
pieds du conducteur devait rester en place pendant des minutes. Après
un quart d'heure de piétinement il était à bout de patience et avait
des crampes dans les jambes. Et cependant il fallait qu'il marchât à
côté de _Modestine_, réglant son pas sur celui de la bête, car s'il
était en avant ou en arrière celle-ci s'arrêtait aussitôt et se mettait
à brouter. La pensée que cela durerait ainsi jusqu'à _Alais_ était un
crève-cœur pour Stevenson et lui promettait le plus assommant de tous
les voyages. Il essaya de se distraire en contemplant le paysage, en
fumant, mais il ne pouvait chasser de sa pensée la perspective d'une
route d'une longueur infinie, à travers monts et vallées, sur laquelle
deux êtres se meuvent insensiblement, d'un pas à la minute, comme dans
un cauchemar, désespérant d'atteindre au terme désiré.

A ce moment arriva derrière eux un paysan d'une quarantaine d'années,
de taille élevée et de mine morose et ironique vêtu de l'habit vert à
basques de ce pays. Il les rejoignit sans se presser et s'arrêta pour
examiner leur marche pitoyable.

--Votre âne, dit-il, est très vieux!

--Je ne le crois pas, répondit Stevenson.

--Alors vous venez de très loin.

--Nous venons de quitter le Monastier.

--Et vous marchez comme ça! cria-t-il en éclatant de rire. Stevenson le
regardait offusqué de cet accès de gaîté. Il ne faut pas avoir pitié de
ces bêtes, dit le paysan, et, coupant une badine dans le taillis, il se
mit à cingler _Modestine_ sur la croupe en poussant un cri. La coquine
dressa les oreilles et se mit à marcher d'un pas agile qu'elle garda
sans faiblir ni sans montrer aucun symptôme de fatigue, tant que le
paysan marcha à ses côtés. Sa respiration haletante, son tremblement de
tout à l'heure étaient, il faut bien le dire, une comédie.

Ce paysan avisé, avant de quitter Stevenson lui donna quelques conseils
peu humains, mais utiles et lui mettant en main la badine, l'assura que
la bête y serait plus sensible qu'au bâton. Enfin il lui enseigna le
cri magique des âniers: _Prout!_ En même temps il le regardait d'un air
narquois et se moquait de son inexpérience à conduire un âne, comme
Stevenson aurait pu se moquer de son orthographe ou de son habit vert;
mais pour le moment, le paysan avait le beau rôle. Stevenson, tout
fier de ce qu'il venait d'apprendre, se croyait désormais maître dans
l'art de conduire un âne, et réellement _Modestine_ fit des merveilles
pendant le reste de l'après-midi. L'Anglais put à son aise contempler
le pays qu'il traversait.

C'était un dimanche. La solitude régnait dans les champs ensoleillés.
Lorsque le voyageur traversa Saint-Martin de Frugères, l'église était
pleine; il y avait des gens sur les degrés extérieurs de la porte et
le chant des prêtres se faisait entendre dans l'intérieur faiblement
éclairé. Je suis, écrit notre héros, originaire d'un pays où le
dimanche est observé par excellence; toutes les pratiques dominicales,
comme un accent écossais, réveillent en moi des sentiments de joie
et de peine. Il n'y a que le voyageur parcourant le monde à la hâte,
qui puisse réellement jouir du calme et de la beauté d'une grande
fête religieuse. La vue d'un pays en repos lui fait du bien. Un
silence inaccoutumé régnant dans l'espace est quelque chose de plus
impressionnant que la musique; il inspire des sentiments gracieux comme
le murmure d'un ruisseau ou les tièdes rayons du soleil.

Stevenson est poète, on s'en aperçoit vite en le lisant.

C'est dans ces agréables dispositions qu'il descendit la colline
où Goudet est situé au fond d'une verte vallée. En face, sur un
escarpement rocheux, s'élève le vieux château de Beaufort et un cours
d'eau limpide comme du cristal forme entre les deux sites comme un
lac profond. En amont et en aval, ce mince cours d'eau serpente à
travers des cailloux, gardant en quelque sorte la fraîche beauté d'une
rivière près de sa source et cette rivière est la _Loire_. Goudet est
de tous côtés enclos de montagnes. Des chemins rocailleux, praticables
seulement pour les ânes le mettent en communication avec le reste de
la France. Les habitants de ce nid de verdure boivent, jurent où, du
seuil de leur porte, contemplent en hiver les montagnes couvertes de
neige dans un isolement qu'on croirait pareil à celui du Cyclope de
l'Odyssée. Mais il n'en est pas ainsi. Le facteur arrive jusqu'à Goudet
et la jeunesse émancipée peut, par le chemin de fer, se rendre au Puy
en une journée. Et à l'auberge, on voit le portrait gravé de Régis
Senac neveu de l'aubergiste, professeur d'escrime et champion des deux
Amériques, titre qu'il gagna avec un prix de 500 dollars à New-York en
1876.

Stevenson déjeuna à la hâte dans cette auberge et reprit immédiatement
son voyage. Mais hélas! Quand il fallut gravir les immenses collines
du côté opposé, «_Prout_» sembla avoir perdu sa vertu magique. Ce
cri poussé fort comme un rugissement, ou doucement roucoulé comme
par une colombe, ne pouvait plus amadouer ni intimider _Modestine_.
Elle s'obstina dans sa marche lente. Rien que les coups, ne pouvait
la faire avancer plus vite, et cela pendant une seconde. Il fallait
la frapper sans relâche. Aussitôt qu'elle ne sentait plus le bâton
elle reprenait son allure désespérante. Quelle situation pitoyable!
Stevenson voulait arriver avant le coucher du soleil au lac du
Bouchet où il se proposait de camper et pour cela il fallait frapper
continuellement cet animal entêté. Le bruit des coups le navrait. «A un
moment, dit-il, je la regardai et je lui trouvai quelque ressemblance
avec une dame que j'avais connue et qui m'avait anciennement comblé de
ses bontés. Ce souvenir me faisait davantage sentir l'horreur de ma
cruauté.»

Pour comble de malchance, on rencontra un âne qui se trouvait en
liberté. L'âne et l'ânesse se mirent simultanément à témoigner leur
joie en leur patois et Stevenson dut couper court à un commencement de
roman par un redoublement de bastonnade. Si l'âne rencontré avait eu
quelque courage, il aurait attaqué l'homme des pieds et des dents. Ce
fut pour celui-ci une sorte de consolation de le trouver tout à fait
indigne de l'affection de _Modestine_; mais l'incident ne laissa pas
que de l'attrister. La chaleur était accablante. Stevenson obligé de
fouailler continuellement la bourrique était inondé de sueur. A chaque
instant, le sac, le panier et le paletot s'en allaient à droite ou à
gauche. Il fallait arrêter _Modestine_, juste quand elle avait pris
un pas convenable, pour redresser et consolider la charge. Enfin au
village d'Ussel, bât et charge firent la culbute et traînèrent dans la
poussière sous le ventre de l'ânesse qui s'arrêta aussitôt paraissant
fort satisfaite. Un groupe composé d'un homme, d'une femme et de deux
enfants s'étant avancé riait de la catastrophe.

L'Anglais avait à peine remis les choses en place que tout basculait
du côté opposé. Jugez de sa détresse. Et personne ne s'offrait pour
lui prêter la main. L'homme, il est vrai, disait que le paquet aurait
dû être attaché autrement. Stevenson riposta que s'il n'avait rien
de mieux à dire il pouvait se taire, et l'autre bonasse, sourit de
la repartie. C'était navrant! Il fallait ne laisser que le sac de
campement sur le dos de _Modestine_ et que Stevenson se chargeât du
reste des bagages; une canne, une bouteille d'un litre, un paletot dont
les poches étaient lourdement chargées, deux livres de pain bis et
un panier plein de provisions et de flacons. Il ne manquait, certes,
pas d'énergie, car il chargea du mieux qu'il put ces objets sur ses
bras et dirigea _Modestine_ à travers le village. Selon son invariable
habitude, elle tenta d'entrer dans chaque cour, dans chaque maison
le long des rues et, n'ayant aucune main libre pour l'en détourner,
l'homme se trouvait dans le plus terrible embarras. Les gens qui le
voyaient passer se moquaient de lui et il se rappelait lui-même avoir
ri quelquefois des autres en pareille situation, mais il se promettait
bien d'être plus indulgent à l'avenir.

Au sortir du village, _Modestine_ eut la fantaisie de s'arrêter sur
le bord du chemin et s'obstina à ne pas repartir. Stevenson déposa à
terre ses paquets et la frappa sans ménagement à la tête. Elle fermait
les yeux résignée à chaque nouveau coup. Lui allait pleurer de rage,
mais il se ravisa, s'assit par terre pour considérer sa situation sous
l'influence calmante d'une cigarette et d'une lampée d'eau-de-vie.
Pendant cette pause _Modestine_ mangeait du pain bis d'un air contrit.
Stevenson comprit qu'il fallait sacrifier une partie de son chargement.
Il se débarrassa de la boîte au lait, du pain blanc, du gigot et du
fouet, bien que ce dernier objet lui tint au cœur. Il put ranger tout
le reste dans le panier et même attacher le paletot au-dessus. Avec un
bout de corde passé à l'épaule, il suspendit le panier à son côté et
bien que la corde lui meurtrît les chairs et que le paletot traînât
presque à terre, il se remit en marche le cœur soulagé.

Il avait maintenant un bras libre pour frapper _Modestine_ et il le
lui fit rudement sentir. Pour qu'on pût atteindre aux bords du lac du
Bouchet avant la nuit il fallait qu'elle trottinât vivement. Le soleil
s'était déjà couché au milieu de vapeurs rougeâtres, et bien qu'on
aperçut encore quelques bandes d'or au sommet des collines et des bois
de pins à l'est, tout était déjà gris et froid autour du voyageur. Un
réseau inextricable de petits sentiers croisait les champs dans toutes
les directions. C'était un vrai labyrinthe. Stevenson pouvait voir bien
haut le pic qui domine le lac, mais pas un des chemins qu'il avait
devant lui n'y aboutissait. La tombée de la nuit qui décolore tout, le
pays dénudé, stérile et rocailleux qu'il traversait le jetèrent dans
une sorte de découragement. Le bâton ne s'arrêtait pas et il fallait
frapper deux fois pour faire avancer _Modestine_ d'un pas. Le bruit de
cette bastonnade troublait seul le silence du chemin.

Soudain la charge roula encore à terre, toutes les attaches se défirent
comme par enchantement et les bagages s'éparpillèrent sur la route.
Le paquetage dut être entièrement refait d'après un meilleur système
et cela prit une demi-heure de temps. La nuit était tout à fait
venue lorsque Stevenson se trouva sur un espace gazonné et parsemé
de pierres. Rien n'indiquait la direction à prendre. Il commençait à
se désespérer lorsqu'il aperçut deux personnages venant à lui, l'un
derrière l'autre comme des vagabonds. D'abord un garçon mal fait et
discourtois, et après lui sa mère, en habits de dimanche, avec un
bonnet garni de beaux rubans, recouvert d'un chapeau neuf et qui, en
marchant la robe retroussée, proférait des paroles grossières et des
jurons.

Stevenson s'adressa à l'enfant et lui demanda son chemin. Celui-ci
indiqua vaguement l'Ouest et le Nord-Ouest en marmottant des paroles
inintelligibles et, sans ralentir un instant le pas, traversa la route
à angle droit. La mère le suivit sans même tourner la tête. Il eut beau
leur adresser appel sur appel, ils continuèrent à monter la colline
sans avoir l'air d'entendre. Abandonnant _Modestine_, il courut après
eux en continuant ses cris. Ils s'arrêtèrent à son approche, la mère
jurant toujours. C'était une femme assez belle qui avait l'air d'une
matrone respectable. Le fils lui répondit de nouveau brusquement et
d'une manière inintelligible, et il allait encore s'éloigner, mais
cette fois Stevenson saisit la mère qui était plus près de lui et,
s'excusant de sa violence, déclara qu'il ne les laisserait pas s'en
aller avant qu'ils ne lui eussent indiqué sa route. Au lieu de se
fâcher, ils devinrent plus traitables et lui dirent de les suivre.
Après quelques mots échangés ils continuèrent à gravir la colline
dans le crépuscule qui s'assombrissait de plus en plus. L'Anglais
revint vers _Modestine_, la poussa vivement et, après une rude montée
de 20 minutes, atteignit le bord du plateau. Le pays qu'il venait de
parcourir lui parut, de ce point, sauvage et triste. Les masses sombres
du Mézenc et des monts au delà de Saint-Julien se détachaient à l'Est,
sur un ciel clair et froid. Les collines et les vallées intermédiaires
étaient noyées dans un chaos d'ombre d'où émergeaient çà et là des
taches noires formées par des bouquets de bois et des espaces blancs
indiquant des cultures. On distinguait aussi les gorges où serpentent
la Loire, la Gazeille et la Laussonne.

A quelques pas de là il se trouva sur une grande route et fut tout
étonné d'apercevoir un village assez important dans ce voisinage.
On lui avait dit que les bords du lac n'étaient fréquentés que par
les truites. La route était encombrée par des troupeaux rentrant du
pâturage. Deux femmes revenant du marché voisin, à califourchon sur
leur monture et parées de leurs plus beaux atours, passèrent au grand
trot devant lui. Il s'informa auprès des petits bergers. Ceux-ci lui
dirent qu'il se trouvait au Bouchet Saint-Nicolas. C'était-là, à un
mille au-dessous du point désiré et sur le revers d'une crête élevée,
que des chemins mal connus et des paysans sans bonne foi l'avaient
mené. Son épaule meurtrie par le cordon du panier lui faisait grand mal
et son bras était tout endolori à force d'avoir frappé la bourrique. Il
renonça à aller camper au bord du lac et chercha une auberge.




L'AIGUILLON


L'auberge du Bouchet Saint-Nicolas était une des plus modestes que
Stevenson eut vues jusque-là; mais il en rencontra beaucoup de
pareilles dans son voyage. Voici comment notre Anglais décrit ces
auberges de nos montagnes:

Une maison à deux étages avec un banc à côté de la porte, une étable
attenant à la cuisine, si bien que _Modestine_ et lui mangeaient à
peine séparés par une cloison. L'ameublement est des plus sommaires,
parquet en terre battue et pour les voyageurs, une chambre à coucher
qui n'a d'autres meubles que des lits. Dans la cuisine on prépare le
repas, on mange et on couche. Celui qui veut se débarbouiller le fait
en public à un lavabo commun. La nourriture parfois est peu abondante:
poisson salé et omelette; vin très médiocre et eau-de-vie exécrable.
Quelquefois un porc familier, glissant sous la table et vous caressant
les jambes, vient agrémenter le repas de sa visite. Mais, neuf fois
sur dix, les gens de l'auberge se montrent aimables et attentionnés.
Aussitôt que vous avez franchi leur porte vous n'êtes plus un étranger
pour eux; et quoique ces paysans soient grossiers et bourrus hors de
chez eux, dans leur intérieur, ils traitent leurs hôtes assez poliment.

Ainsi, au Bouchet, Stevenson déboucha sa bouteille de Beaujolais et
invita l'aubergiste à en boire. Celui-ci voulut à peine y goûter,
«j'aime ce vin, dit-il, et je serais capable de ne pas vous en laisser
assez».

Dans ces petites auberges, le voyageur doit avoir un couteau à lui. Un
verre, une fourchette en fer et un morceau de pain, voilà tout ce qu'on
trouve en se mettant à table. L'aubergiste admira beaucoup le couteau
anglais de Stevenson. C'était un beau vieillard affable, mais tout à
fait ignorant; sa femme était d'humeur moins agréable, mais elle savait
lire et parlait d'un ton d'autorité, faisant sentir que c'était elle
qui gouvernait dans le ménage, ce que le mari acceptait de bonne grâce.

Stevenson fut accablé de questions sur son voyage et la femme lui
suggéra ce qu'il devait consigner dans la relation qu'il en ferait;
par exemple ce qu'on récolte dans telle ou telle contrée; s'il y a
des forêts; quelles sont les coutumes des gens et les conversations
qu'ils lui ont tenues. Stevenson approuvait ironiquement. Tu vois,
dit-elle à son mari, que je devine ce que le livre contiendra. Tous
deux écoutèrent avec le plus grand intérêt le récit des mésaventures du
voyageur.

--Demain matin, dit le mari, je vous ferai quelque chose de mieux que
votre canne. Les ânes ont la peau dure, vous pouvez les rouer de coups
de trique sans les faire avancer d'un pas. Cette promesse intrigua
Stevenson.

Il y avait deux lits dans la chambre à coucher. Quant il monta pour
prendre possession de l'un, il fut abasourdi de trouver un jeune homme,
sa femme et leur enfant prenant possession de l'autre. C'était la
première fois que pareille aventure lui arrivait et si, écrit-il, je
devais toujours me trouver aussi sot et embarrassé, je prie Dieu que ce
soit la dernière. Je n'insisterai pas sur l'embarras de notre Anglais,
ni sur l'originalité de la situation. Le coucher se passa d'ailleurs de
façon décente.

Le lendemain, lundi 23 septembre, Stevenson se leva le premier et se
hâta de faire sa toilette afin de laisser place libre à ses compagnons
de chambre. Il prit une tasse de lait et sortit pour voir les environs
du Bouchet. Il faisait terriblement froid par cette matinée grise. Des
nuages chargés de pluie rasaient le sol, poussés par un vent glacial
qui sifflait sur le plateau dénudé. On apercevait un seul point coloré,
bien loin derrière le mont Mézenc et les crêtes de l'est, où le ciel
était illuminé des teintes orangées de l'aube.

A cinq heures du matin, sur un plateau de plus de 1.200 mètres de
hauteur, Stevenson dut abriter ses mains dans ses poches et courir pour
se réchauffer. Les gens qui s'en allaient par groupes travailler aux
champs se retournaient en passant pour considérer cet étranger. Il les
avait vus rentrer du travail la veille, il les y voyait retourner le
lendemain. Ainsi allait la vie dans le minuscule village du Bouchet.
Lorsqu'il rentra à l'auberge pour déjeuner, l'hôtesse peignait sa
fillette dans la cuisine. Il lui fit compliment sur la belle chevelure
de l'enfant.

Non, dit la mère, elle n'est pas si belle qu'elle pourrait l'être;
ses cheveux sont trop fins.--Ainsi, à notre époque de démocratie
débordante, la majorité fait de ses défauts un type de beauté.

Où est votre mari? demanda Stevenson.

Il est en haut, répondit-elle, il vous fait un aiguillon.

Béni soit celui qui inventa l'aiguillon. Béni soit l'aubergiste du
Bouchet Saint-Nicolas qui m'en fit connaître l'usage, s'écrie notre
héros. Cette simple baguette armée d'une pointe de trois millimètres
fut un vrai sceptre mis entre ses mains. A partir de ce moment
_Modestine_ fut son esclave. Un coup d'aiguillon la détournait des
portes d'étables les plus tentantes. Un coup d'aiguillon lui faisait
prendre un petit trot et dévorer l'espace. La vitesse n'était pourtant
pas excessive, dix milles en 4 heures au plus. Mais quel admirable
changement depuis hier. Plus d'odieux coups de gourdin, plus de fatigue
au bras pour fustiger. Rien que quelques coups de pointe discrets et
sans brutalité. Parfois une goutte de sang coulait sur la croupe de
_Modestine_; qu'y faire? Stevenson en était désolé sans doute. Mais les
exploits de la journée précédente avaient banni la pitié de son cœur.
Puisqu'on ne pouvait rien obtenir par la douceur de ce petit animal
pervers, il fallait bien employer l'aiguillon pour le faire marcher.

Le temps était sombre et froid et jusqu'à Pradelles, Stevenson
ne rencontra sur la route qu'un groupe de femmes chevauchant à
califourchon et des courriers. Un jeune poulain qui paissait dans une
prairie avec une clochette au cou s'avança au galop jusqu'au bord de la
route, puis s'enfuit avec la même hâte et le tintement de la clochette
retentit longtemps à l'oreille de Stevenson.

Pradelles est situé sur une haute colline au-dessus de _l'Allier_, au
milieu des vertes prairies d'où lui est venu son nom. De tous côtés on
fauchait le regain et cette orageuse matinée de septembre était toute
parfumée de l'odeur de foin coupé. De l'autre côté de _l'Allier_ des
collines montaient par degrés jusqu'à l'horizon lointain; paysage
d'automne d'un brun terne, avec des espaces sombres de bois de pins
et des rubans de routes blanches traversant les collines sous un ciel
voilé de nuages cuivrés.

Tout cela engageait le voyageur à ne pas s'attarder en route, car
il était maintenant à la limite du _Velay_ et ce qu'il avait devant
lui faisait partie d'une autre région: le _Gévaudan_, pays sauvage,
montagneux, peu habité et déboisé, il n'y a pas très longtemps par
terreur des loups. Je laisse à Stevenson la responsabilité de cette
assertion plus que contestable. Le passage suivant est aussi presque
littéralement extrait de son récit:

Les loups hélas! de même que les brigands semblent fuir à mesure que
s'accroît l'affluence des voyageurs; on peut parcourir toute l'Europe
sans la moindre rencontre de ces deux espèces nuisibles. Mais ici,
plutôt que nulle part ailleurs il devrait être permis d'espérer, car
nous sommes dans la région de la légendaire «_bête du Gévaudan_, ce
_Napoléon Buonaparte_ des loups» (la qualification est bien anglaise).
Quelle carrière que celle de ce loup! Il parcourut pendant de longs
mois le _Gévaudan_ et le _Vivarais_ de 1764 à 1767 dévorant des femmes,
des enfants et des bergères renommées pour leur beauté; il poursuivit
des cavaliers armés. On le vit, en plein midi, courir sur le grand
chemin après une chaise de poste qui s'enfuyait au galop. Il fut
signalé comme un ennemi public et sa tête fut mise à prix pour 10.000
francs. Lorsqu'il fut tué et envoyé à Versailles, il se trouva que ce
n'était qu'un loup et non des plus grands.

Stevenson prit son repas à la hâte et, se dispensant de visiter
Notre-Dame de Pradelles, malgré les conseils de son hôtesse, il
descendait au bout de trois quarts d'heure la pente rapide qui mène à
Langogne sur l'Allier.

Des deux côtés de la route, les paysans labouraient pour les semailles.
Dans chaque champ un attelage de grands bœufs creusait de longs sillons
et ces bêtes pacifiques en tirant la charrue suivaient de leurs grands
yeux étonnés l'homme et l'ânesse qui passaient le long de la route.
C'était un tableau charmant d'activité rustique. A mesure que Stevenson
continuait à descendre, les montagnes du Gévaudan se dressaient en face
de lui jusque dans les nuages. Il avait franchi la Loire la veille;
maintenant il allait traverser l'Allier; tant ces deux rivières sont
rapprochées au commencement de leurs cours.

Juste sur le pont de Langogne la pluie qui menaçait depuis longtemps
se mit à tomber. Ce fut la bienvenue qu'il reçut en entrant dans le
Gévaudan.

Stevenson, arrêté par la pluie, dut coucher à Langogne le 23 septembre,
bien qu'il n'en dise rien dans son livre.




UN CAMPEMENT DANS LES TÉNÈBRES


Le lendemain 24 septembre, il était 2 heures de l'après-midi lorsqu'il
eut rédigé son journal de voyage et préparé son havresac qu'il s'était
décidé à porter sur son dos, ne voulant plus s'embarrasser d'un panier.
Il partait aussitôt pour le Cheylard-l'Evêque, localité située sur le
bord de la forêt de Mercoire. C'était, lui disait-on, à une heure et
demie de distance. Il pensa qu'avec son ânesse il ne mettrait pas plus
de quatre heures.

Tout le long de la montée, à partir de Langogne, la pluie et la grêle
se succédaient sans interruption. Le vent devint de plus en plus froid.
Le ciel était couvert de gros nuages venant du Nord, les uns bas et
chargés de pluie, les autres en masses moins sombres présageant la
neige. Le voyageur sortit bientôt de la vallée cultivée de l'Allier.

Plus d'attelages de bœufs au labour, plus de riants paysages. La lande
nue; des bruyères et des marécages; des espaces rocheux parsemés de
pins; des bois de bouleaux au feuillage jauni par l'automne, de loin
en loin quelque ferme isolée et de maigres cultures, voilà l'aspect
de la contrée. C'est une suite sans fin de montagnes et de vallées.
Les petits sentiers rocailleux que les bestiaux tracent en passant sur
le gazon se coupent et s'enchevêtrent, formant trois ou quatre lignes
qui vont se perdre dans une flaque d'eau, puis reparaissent quand le
terrain se relève, ou à la lisière d'un bois.

Aucune route directe ne conduisait au Cheylard et il n'était pas
facile de se diriger dans un pays si accidenté, à travers ces mille
sentiers si peu apparents. Il était 4 heures quand Stevenson arriva à
_Sagnerousse_. C'était un point de repère assuré. Deux heures après, le
vent s'étant calmé et la nuit venant rapidement, il sortit d'un bois de
pins où il s'était égaré et trouva, au lieu du village qu'il cherchait,
un enfoncement marécageux entouré de pentes escarpées et glissantes. Il
entendait depuis un moment des tintements de clochettes.

En émergeant du bois, il aperçut devant lui une douzaine de vaches
et un nombre peut-être plus grand de personnes qu'il pensa être des
enfants, bien qu'ils parussent à travers le brouillard d'une taille
exagérée. Ils exécutaient en silence une ronde, tantôt se tenant par
la main, tantôt se séparant et se faisant la révérence. Une danse
d'enfants n'inspire que des sentiments d'innocente gaîté; mais à la
tombée de la nuit, dans ce site sauvage, elle lui parut étrange et
fantastique.

Lui qui avait pourtant beaucoup étudié Herbert Spencer resta un
moment tout étonné. Mais il ne tarda pas à se reprendre et d'un coup
d'aiguillon fit repartir _Modestine_. Sur un chemin battu l'ânesse
avançait sans se faire prier, mais une fois sur le gazon ou dans les
broussailles elle perdait la tête et s'obstinait à tourner en rond; il
fallait que Stevenson déployât toute son adresse pour la faire avancer
en droite ligne dans un champ où nul chemin n'était tracé.

Pendant qu'il cherchait à se tirer de la fondrière, enfants et vaches
s'en allaient; il ne restait plus que deux fillettes à qui il demanda
son chemin. Les paysans, en général, sont, selon lui, peu disposés
à renseigner le voyageur. Un vieillard diabolique s'était barricadé
dans sa maison à son approche, il avait eu beau frapper à la porte à
tour de bras, le vieux avait fait la sourde oreille. Un autre qu'il
avait mal compris le vit prendre une fausse direction sans lui faire
un signe. Que lui importait que le voyageur errât toute la nuit sur la
montagne? Les deux fillettes auxquelles il s'adressa alors se moquèrent
impudemment de lui: l'une lui tira la langue et l'autre le renvoya
à ses vaches, et toutes les deux se mirent à rire en se poussant du
coude. La bête du Gévaudan avait dévoré une centaine d'enfants dans ces
parages. Elle commençait à lui inspirer de la sympathie.

N'obtenant rien des deux espiègles, Stevenson traversa la fondrière,
puis un autre bois et tomba sur un grand chemin. La nuit devenait de
plus en plus noire. _Modestine_, pressentant quelque mésaventure, hâta
spontanément le pas et, à partir de ce moment, ne lui donna plus de
tracas. Ce fut le premier signe d'intelligence qu'il remarqua en elle.
A la même heure une rafale du vent du Nord amena une forte averse.
Stevenson aperçut de l'autre côté du bois des fenêtres éclairées.
C'était le hameau de Fouzilhet bâti sur la colline près d'un bois de
bouleaux. Il trouva là un brave homme qui l'accompagna sous la pluie
pour le mettre sur le chemin du Cheylard et qui refusa énergiquement
toute rémunération. Notre héros, l'esprit plus tranquille, se voyait
déjà à table à côté d'un bon feu alors que de nouvelles et plus grandes
misères allaient l'atteindre. Subitement la nuit était arrivée telle
qu'il n'en avait jamais vu de plus obscure. Les rochers, la route
bien battue et les arbres étaient à peine perceptibles. Le ciel était
absolument noir et Stevenson ne pouvait même pas distinguer l'aiguillon
qu'il portait à la main.

Bientôt le chemin qu'il suivait se divisa, selon l'habitude du pays,
en trois ou quatre tracés dans une espèce de pâtis pierreux. Stevenson
dans cette conjoncture comptait sur l'instinct de _Modestine_. Mais que
peut-on attendre de l'instinct d'un âne? Au bout de quelques minutes
elle tournait dans les pierres absolument incapable de retrouver son
chemin. L'Anglais aurait campé n'importe où s'il eût eu les provisions
nécessaires, mais, vu le peu de longueur du trajet à faire ce jour-là,
il n'avait emporté ni vin, ni pain pour lui, mais seulement une ration
pour _Modestine_.

En outre, il était, ainsi que l'ânesse, trempé jusqu'aux os, ne
trouvant même d'autre eau que celle qu'il recevait sur le dos. Il se
détermina à revenir à Fouzilhet pour y chercher un guide. Mais ce
retour était bien difficile. Stevenson n'avait pour se guider que la
direction du vent.

Ne retrouvant plus la route il se jeta à travers champs, pataugeant
dans des flaques d'eau, tournant les murs que la bête ne pouvait
franchir, jusqu'à ce qu'il retrouvât les fenêtres éclairées. Elles ne
se présentaient pas du même côté. Il se trouvait, non à Fouzilhet,
mais à Fouzilhac, hameau peu éloigné du premier, dont les habitants
différaient entièrement par leurs mœurs inhospitalières.

La première maison à laquelle il frappa était habitée par une femme
qui refusa de lui ouvrir, prétextant qu'elle était seule et boiteuse.
Il heurta à une autre porte. Un homme, deux femmes et une petite fille
s'avancèrent avec une lanterne pour examiner le voyageur. L'homme
n'avait pas une mauvaise apparence, mais il souriait d'un air matois.
Il s'accota au montant de sa porte et le laissa exposer son cas.
Stevenson ne demandait qu'un guide pour le mener au Cheylard.--Il fait
trop noir, répondit l'homme. Stevenson eut beau prier, promettre une
récompense, insister jusqu'à se mettre en colère. Rien ne put vaincre
l'obstination de cet homme.--Il fait trop noir répétait-il, je ne
sortirai pas par une pareille nuit. Stevenson hors de lui se retira en
lui lançant ces mots: «Vous êtes un poltron.»

En voyant l'air embarrassé de ce paysan il pensa que le souvenir de
la _bête du Gévaudan_ était la cause de sa pusillanimité. Il battait
en retraite quand, à un éclat de rire de la gamine, il reconnut que
c'était justement une de celles de la ronde qui s'était déjà moquée de
lui. «Tous _bêtes du Gévaudan_,» grommela-t-il en s'éloignant. Toutes
les autres maisons du village étaient noires et silencieuses.

Après avoir en vain frappé à plusieurs portes, il revint à _Modestine_
en chargeant Fouzilhac de ses malédictions. Avec ou sans eau, il dut
se résigner à camper. Il chercha un abri sous les arbres, car le vent
était froid et violent et, dans ce pays tout boisé, il fut près d'une
heure à trouver l'endroit désiré.

Il rencontra enfin un bouquet d'arbres dont les branches entrelacées
formaient sur le bord du chemin une espèce de voûte toute noire dont
l'entrée simulait vaguement celle d'un donjon. Il chercha à tâtons une
tige solide et y attacha _Modestine_. La pauvre bête était effarée,
ruisselante de pluie et exténuée de fatigue. Alors il déchargea son
ballot, le plaça le long du mur sur le bord de la route et déboucla
les courroies du sac de campement. Il trouva bien la lanterne, mais
où étaient les bougies? En fouillant il rencontra la lampe à alcool.
Quelle chance! elle remplaçait la lanterne.

Le vent mugissait sans trêve dans les arbres secouant les branches et
faisant bruire les feuilles; cependant la place du campement était
noire comme un four, mais admirablement abritée. A la seconde allumette
la mèche s'enflamma. A cette lumière livide et mouvante, les ténèbres
semblaient tout autour devenir plus épaisses.

Stevenson attacha _Modestine_ de manière à lui ménager l'espace
nécessaire et lui donna à manger la moitié du pain bis, réservant
l'autre moitié pour le lendemain matin. Il réunit à portée de sa main
tout ce dont il pouvait avoir besoin, enleva ses chaussures et ses
guêtres détrempées et les enveloppa dans son waterproof. Il mit son
havresac comme oreiller au-dessous du revers du sac de campement, se
glissa dans ce sac et s'y boucla comme un enfant au maillot. Il ouvrit
une boîte de saucisson de Bologne et mangea avec cette conserve une
tablette de chocolat. Ce fut tout son dîner, dîner étrange, et il n'eut
pour l'arroser que de l'eau-de-vie, boisson également étrange pour le
repas. Mais il avait grand faim et la cigarette qu'il fuma après lui
parut délicieuse.

Ensuite il mit une pierre dans son chapeau de paille, rabattit la
fourrure de sa casquette sur son cou et ses yeux, posa son revolver à
côté de sa main et s'emmitoufla bien chaudement dans la peau de mouton.
Il se demanda d'abord s'il pourrait dormir. Son cœur battait plus vite
que d'habitude, comme sous l'impression d'un grand bien-être physique.
Mais une fois ses paupières fermées il ne les rouvrit plus. Le souffle
du vent à travers les arbres lui servait de berceuse. Tantôt c'était un
gémissement monotone et prolongé, tantôt des grondements furieux qui
secouaient les arbres et faisaient pleuvoir sur Stevenson de larges
gouttes des averses de la veille. Pendant bien des nuits, couché dans
son lit en Ecosse il avait écouté ce bruyant concert du vent dans les
bois, mais ici, soit que les arbres ou le sol fussent d'une autre
espèce, soit parce qu'il était en plein air, il constatait que le vent
chantait sur un ton différent au milieu de ces monts du Gévaudan.

Cependant le sommeil l'envahit peu à peu; la dernière sensation dont il
se rendit compte fut ce bruit du vent auquel ses oreilles d'étranger
n'étaient pas habituées.

Une première fois pendant la nuit, froissé par un caillou qui était
sous le sac, et une seconde fois dérangé par _Modestine_ qui, à bout de
patience, frappait du pied et grattait le sol sur la route, le dormeur
rouvrit les yeux et aperçut des étoiles et les festons du feuillage se
découpant sur le firmament. Lorsqu'il se réveilla pour la troisième
fois, la terre était éclairée par cette teinte bleu-clair qui annonçait
l'aurore du mercredi 25 septembre. Il eut devant les yeux les feuilles
secouées par le vent et le blanc ruban de la route. A côté de lui
_Modestine_, attachée à un bouleau, se tenait presque au milieu de la
route, dans une attitude de patience angélique.

Il constata avec surprise que sa nuit s'était passée facilement et
non sans agréments, même par un temps de tempête. Sans la pierre qui
l'avait gêné, sans l'obligation de camper par une nuit si noire, il
n'aurait éprouvé d'autre désagrément que de rencontrer sous son pied
la lanterne ou le second volume des _Pasteurs du Désert_ qui faisaient
partie des objets contenus dans le sac de campement. Il n'avait pas
ressenti le moindre froid et s'éveillait l'esprit content et le corps
dispos.

Alors il se secoua, se chaussa, donna à _Modestine_ le pain réservé
la veille et parcourut les environs, cherchant à se reconnaître.
Notre original voyageur déclare qu'il a couru toute sa vie après
une aventure, comme les anciens chevaliers errants: Or, s'éveiller
par hasard un matin au coin d'un bois du Gévaudan, sans boussole,
aussi ignorant du pays environnant qu'un homme jeté subitement dans
une île déserte, c'était presque la réalisation de ses rêves. Il se
trouvait sur la lisière d'un petit bois de bouleaux mêlés de hêtres;
derrière s'étendait un autre bois de pins; en face s'ouvrait un
petit vallon herbeux. Tout autour se dressaient des cimes dénudées
à peu près de même hauteur. Le vent courbait les arbres et balayait
des tourbillons de feuilles jaunies. Le ciel était traversé de
nuages qui disparaissaient rapides sous le souffle de la tempête. La
température était glaciale. Stevenson mangea du chocolat, but une
gorgée d'eau-de-vie et fuma une cigarette; ses doigts commençaient à
s'engourdir.

Pendant qu'il rassemblait ses bagages et les attachait sur le bât,
le jour était venu; le soleil se levait et couvrait d'une traînée
d'or les cimes nuageuses des montagnes situées à l'est. Il se mit
gaîment en route et au bout de quelques minutes, à un tournant de
chemin il se retrouva en face de Fouzilhet. Pour comble de chance il
rencontra encore le vieillard complaisant qui, la veille, l'avait
accompagné quelques pas pour lui montrer son chemin. Le brave homme
courut vers lui avec des exclamations de surprise. Stevenson lui
raconta ses mésaventures. Le refus de l'homme de Fouzilhac le mit dans
l'indignation: «Cette fois, du moins, dit-il, je ne veux pas que vous
vous égariez», et malgré ses jambes à demi percluses il l'accompagna
pendant plus d'un quart d'heure jusqu'à ce qu'on fut presque en vue du
Cheylard, embryon de village après lequel Stevenson avait si longtemps
soupiré.




LE CHEYLARD ET LUC


Notre Anglais trouva dans ce village une auberge dans le genre de celle
du Bouchet, tenue également par de bonnes gens qui l'accueillirent
de leur mieux. Il commença par avaler une pinte de lait, se prépara
du chocolat qu'il prit sur la table poussiéreuse qui se levait et
s'abaissait à l'aide de charnières au coin d'un vaste foyer.

C'est sur cette table qu'il écrivit son journal pendant que ses bottes
et ses guêtres séchaient devant un feu si ardent qu'il lui brûlait
les jambes. Après s'être encore fait servir une omelette, Stevenson
rechargea _Modestine_ pour se remettre en route. L'aubergiste, ancien
muletier, l'aida avec une adresse remarquable.--«Cette bête est
«mal chargée, dit-il, et cela la fatigue beaucoup: voyez!» Ses pieds
de devant et sa croupe étaient en effet écorchés. Stevenson ne s'en
préoccupa point. A quoi serait bonne une ânesse si elle ne pouvait
porter un sac de nuit et quelques accessoires? Il voyait le moment où
il serait peut-être obligé de porter cette bête sur ses épaules, comme
dans la fable.

_Modestine_ n'était pas la seule préoccupation de Stevenson. Il
réfléchissait sur les difficultés qui se multipliaient devant ses
pas. Du Cheylard à Luc le vent soufflait si fort qu'il fut obligé de
soutenir continuellement de la main la charge de l'ânesse. En outre, le
pays qu'il traversait, froid, nu, désolé, sans arbres, sans une plante,
était bien fait pour augmenter sa mélancolie. La route et quelques
clôtures étaient les seuls accidents de ce plateau monotone. Une ligne
de piliers de pierre s'espaçait sur la route pour servir de direction
en temps de neige.

Luc et le Cheylard ne méritent guère l'attention du voyageur, mais
Stevenson ne voyageait pas, dit-il, pour aller quelque part, il ne
recherchait que la sensation du déplacement. La grande affaire pour
lui était de se mouvoir, de se sentir de plus près aux prises avec les
nécessités et les embarras de la vie, de s'arracher au lit moelleux du
milieu civilisé et de pénétrer jusqu'à la couche de granit et de silex
que la civilisation a recouverte, à mesure que nous avançons dans la
vie et que les affaires nous absorbent davantage.

Lutter contre le vent pour maintenir une charge sur un âne, cela
n'exige pas de grands efforts intellectuels, mais cela occupe et calme
l'esprit. Et lorsque le présent attire notre attention, nous ne pensons
pas à nous tourmenter de l'avenir.

Stevenson était revenu sur les bords de l'Allier. On ne pourrait
imaginer de plus triste paysage à cette saison de l'année. C'était
un entassement de collines, les unes boisées, les autres nues, avec
quelques bouquets d'arbres à leur sommet. Les ruines du château de Luc
se dressaient en face du voyageur, dominées par une statue colossale de
la Vierge, statue qui pèse, dit-on, cinquante quintaux. C'est dans ces
gorges ravinées que coule l'Allier grossi par un affluent descendant
d'une large vallée du Vivarais.

Luc se compose d'une double rangée de maisons bâties sur le flanc de
la montagne et n'a de remarquable que les ruines du vieux castel et la
statue dont il a été question. Mais il y avait une auberge spacieuse
et propre. La cuisine, avec ses deux lits-armoires garnis de rideaux à
carreaux, sa vaste cheminée surmontée d'une longue étagère garnie de
lanternes, de statuettes de saints en plâtre colorié, avec ses bahuts
et ses deux pendules, était vraiment le modèle des cuisines anciennes,
une cuisine de mélodrame.

L'hôtesse, une femme d'un certain âge, encore belle, mais silencieuse
et vêtue et coiffée de noir ne déparait pas cette salle d'une autre
époque. La chambre à coucher, commune aussi, était remarquable avec ses
longues tables et ses bancs où pouvaient s'asseoir cinquante personnes
et ses trois lits-armoires sur les côtés. Dans un de ces lits, garni de
paille, Stevenson, mal couvert et claquant des dents, passa une longue
nuit, regrettant sa chaude peau de mouton et la voûte de feuillage
d'une forêt.




NOTRE-DAME DES NEIGES


FRÈRE APOLLINAIRE

En partant de Luc, le matin du 26 septembre, Stevenson changea le
système de chargement de _Modestine_. Le sac ne fut plus doublé:
il forma un rouleau long de six pieds placé en travers du bât et
rabattu de chaque côté. C'était plus pittoresque. La charge était plus
équilibrée, partant moins susceptible de culbuter et fatiguait moins la
bête.

Le voyageur remonta le cours de l'Allier. La vallée qui sépare le
Gévaudan (Lozère) du Vivarais (Ardèche), vallée dénudée, sauf quelques
espaces boisés, renferme des prairies, des cultures et des pâturages:
mais les vraies gorges de l'Allier s'ouvrent plus loin, aux confins de
la Haute-Loire et de la Lozère.

Arrivé à la Bastide, l'Anglais, sur les indications qu'on lui donna,
quitta la rivière et prit une route qui se dirigeait à l'Est dans les
montagnes de l'Ardèche. Il voulait visiter l'Abbaye de Notre-Dame des
Neiges qui se trouve dans les environs.

Du point où il était, il avait devant lui, au sud-est, de profondes
vallées et une succession de crêtes en étage qui allaient se perdre
dans un lointain bleuâtre. Il était heureux de trouver enfin un paysage
gai et coloré après les mornes contrées qu'il venait de traverser. Mais
c'était une terre promise dans laquelle il était encore loin d'entrer.
Le froid et la solitude continuaient à régner sur les hauteurs qu'il
parcourait. Une croix plantée sur chaque mamelon faisait présager le
voisinage d'un asile pieux et bientôt une blanche statue de la Vierge
placée au coin d'une plantation récente indiqua au voyageur _Notre-Dame
des Neiges_.

Quelques pas plus loin il entendit le tintement d'une cloche et sans
savoir pourquoi, son cœur en fut troublé. En approchant du Monastère il
fut pris d'un sentiment de vague terreur, nouveau pour lui. C'était,
dit-il, le résultat de son éducation protestante. Soudain, à un
tournant du chemin, la peur le prit, si bien qu'il n'osait avancer.
Là, sur un bout de route nouvellement tracée au milieu des pins, parut
comme un revenant du Moyen-Age, un frère traînant une brouettée
de mottes. C'était à n'en pas douter un des ermites du Monastère
représentés sur les gravures du livre de _Marco Sadeler_ qui l'avaient
tant fait rêver dans son enfance. Il était vêtu de blanc, comme un
spectre et son capuchon rejeté en arrière laissait voir un crâne rasé
d'un jaune d'ivoire.

Stevenson, n'osant lui parler, ôta son chapeau et lui fit une grande
révérence. Le frère rendit le salut et lui demanda s'il se rendait au
monastère. «Vous êtes Anglais, dit-il, peut-être Irlandais?»--Non, dit
Stevenson je suis Ecossais.» Il n'avait jamais vu d'Ecossais et en le
regardant sa bonne grosse figure en fut toute réjouie. On n'admettait
pas tout le monde à _N.-D. des Neiges_. Peut-être cependant lui
donnerait-on à manger. Puis, quand il apprit que Stevenson n'était pas
un colporteur, mais un homme de lettres paysagiste, il se ravisa et lui
conseilla d'aller voir le père Prieur et de lui adresser sa requête.

[Illustration: ABBAYE DE NOTRE-DAME DES NEIGES.]

Au fait, dit-il, je vais vous accompagner. Puis-je dire que vous êtes
géographe?--Pas précisément.--Auteur alors. Mais au moins êtes-vous
chrétien?--A peu près.--Cette réponse ne le satisfit qu'à demi. Ce
robuste religieux avait construit lui-même, dans l'espace d'un an, la
route qu'ils suivaient. Bientôt des bâtiments blancs se dressèrent
devant eux au-delà d'un bois. La cloche tinta; ils allaient arriver.
Le frère Apollinaire, c'était ainsi qu'il s'appelait, dit à Stevenson:
Je ne puis parler qu'à l'extérieur de l'Abbaye, mais adressez-vous au
frère portier et tout ira bien. Alors il prit les devants et disparut
dans l'intérieur.

Stevenson, non sans appréhension, poussa en avant _Modestine_, mais la
bête avait sans doute aussi des préjugés à l'égard des Monastères,
car c'était la première fois qu'en voyant une porte elle n'entrait
pas sans vergogne.--L'Anglais sonna, et, après avoir parlementé avec
frère Michel l'hospitalier et deux ou trois autres frères à robe brune,
il put pénétrer dans la place. Il pensa que c'était le sac porté par
_Modestine_ qui, en excitant la curiosité des autres frères, comme il
avait déjà fasciné frère Apollinaire, lui en avait facilité l'accès.
Assurés que ce n'était pas un colporteur, les religieux chargés de la
réception des étrangers l'avaient admis sans difficulté. _Modestine_
fut conduite aux écuries par des frères servants et le voyageur et son
sac furent reçus dans la salle destinée aux pèlerins.




LES RELIGIEUX


Le père Michel, homme d'environ 35 ans, de bonnes manières et de figure
fraîche et souriante, conduisit Stevenson à l'Office et lui servit
un verre de liqueur en attendant le dîner. Il fut un moment laissé
seul dans le jardin, espèce de cour dans laquelle étaient des allées
sablées, des plates-bandes de dahlias, et au milieu, une fontaine avec
la statue de la Vierge. Les bâtiments qui formaient les quatre côtés
de ce jardin n'avaient d'autre ornementation architecturale qu'un
clocheton et deux pignons couverts d'ardoise. Des frères vêtus les uns
de blanc, les autres de brun, se promenaient silencieusement dans les
allées; d'autres priaient prosternés à terre.

Le monastère est dominé d'un côté par un sommet nu, de l'autre par un
bois. Il est battu par le vent, et la neige y règne du mois d'octobre
au mois de mai. Les bâtiments eux-mêmes respirent le froid et la
tristesse, et déjà en septembre, avant le dîner, Stevenson était pris
de frissons tant à l'intérieur que dans la cour.

Après un dîner confortable, notre voyageur fut conduit dans une
cellule faisant partie du bâtiment affecté aux retraitants. Cette
cellule était propre, blanchie à la chaux et meublée sommairement
d'un crucifix, d'un buste du pape, d'une imitation de Jésus-Christ et
de quelques autres livres de piété. Un règlement suspendu au-dessus
de la table indiquait à _MM. les retraitants_ les offices auxquels
ils doivent assister, l'heure de réciter le chapelet ou de faire la
méditation, celle du lever et du coucher, etc...

Stevenson avait à peine passé sa cellule en revue que le frère Ambroise
revint lui annoncer qu'un pensionnaire anglais désirait lui parler et
introduisit un Irlandais de cinquante ans environ qui n'était encore
que diacre. Il était resté sept ans dans un couvent en Belgique et
cinq à _N.-D. des Neiges_, sans avoir lu un seul journal anglais.
D'un caractère sociable, à la fois curieux et naïf, il fut enchanté
de guider son compatriote dans le monastère. Il lui montra sa chambre
où il passait son temps à dire son bréviaire, à lire la bible et les
romans de Walter Scott.

De là il le mena dans le cloître, à la salle capitulaire, au vestiaire,
à la bibliothèque, où se trouvaient les œuvres de Veuillot, de
Chateaubriand, les Odes et Ballades, voire Molière, sans parler des
Pères de l'Eglise et de quantités d'ouvrages historiques. On se rendit
ensuite dans les ateliers où les frères font, l'un du pain, un autre
des roues de char, un autre de la photographie.

Pendant qu'un religieux classe une collection de curiosités, un autre
élève des lapins; car une fois les devoirs religieux et les travaux
communs accomplis, chaque trappiste a une occupation de son choix.
Chacun doit chanter au chœur, s'il a de la voix et l'oreille juste, et
aider à faire les foins, s'il a des bras robustes; mais aux heures dont
il peut disposer il peut travailler comme il lui plaît pourvu qu'il
travaille. Tel s'occupe de littérature; le frère Apollinaire construit
des routes et l'Abbé s'adonne à la reliure.

Dans leurs pérégrinations, Stevenson et son guide rencontraient
des pères ou des frères qui passaient sans paraître les voir. Si
l'Irlandais avait une permission à leur demander, elle était accordée
ou refusée sur un simple signe de la tête ou de la main.

Les religieux faisaient encore à cette époque deux repas par jour, mais
pendant le temps de leur grand jeûne qui dure de la fin de septembre à
Pâques, ils ne mangent qu'une fois toutes les 24 heures, à deux heures
de l'après-midi, 12 heures après leur lever. Ces repas si espacés sont
d'une grande frugalité. Un carafon de vin est attribué aux religieux,
mais beaucoup n'y touchent pas. Les excès de nourriture sont nuisibles,
mais, par contre, ce régime des trappistes semblerait défectueux au
premier abord, et Stevenson fut étonné de la fraîcheur de leur teint et
de leur bonne humeur. Ces gens-là lui paraissaient les plus heureux et
les mieux portants du monde.

Vivant sous un climat très rigoureux et travaillant sans trêve, ils
arrivent rarement à un âge très avancé, mais les longues souffrances
leur sont épargnées. Tous les religieux avec lesquels notre voyageur
entra en conversation lui plurent par leur enjouement et leur douceur.
Ils s'intéressaient à tout et particulièrement aux voyages et au sac de
campement de leur hôte. Les frères affectés au service des étrangers
ont l'autorisation de parler, mais pour ceux qui sont astreints à un
rigoureux silence Stevenson s'étonne qu'ils puissent supporter un si
triste et si solennel isolement.

Et cependant il trouve, en dehors de l'esprit de mortification une
certaine sagesse dans la règle qui exclut les femmes de ce cloître
et qui impose le vœu du silence. Il avait fréquenté des phalanstères
laïques, tous d'une durée éphémère. La femme par les passions qu'elle
fait naître est le principal dissolvant de ces associations; le second
c'est la langue.

Un autre point qui fait de la règle des trappistes un modèle de
sagesse, c'est que de deux heures du matin à huit heures du soir,
moment du coucher, la cloche sonne, heure par heure, et parfois à
chaque quart d'heure, tellement la journée est divisée en une variété
infinie d'occupations. Le frère qui soigne les lapins, par exemple,
court de ses clapiers à la chapelle, à la salle du chapitre, au
réfectoire tout le long du jour; à chaque heure il y a un office à
chanter, un devoir à remplir. Il se lève bien avant le jour, à deux
heures du matin, et il reste sur pied changeant cent fois d'occupations
jusqu'à huit heures du soir où il va enfin se livrer au sommeil.

Dans combien de maisons le son de cette cloche du monastère, qui règle
si exactement toutes les occupations de la journée, n'apporterait-elle
pas le calme de l'âme et une salutaire activité du corps?

Pour être admis dans l'ordre il faut se soumettre à un long noviciat
et donner les preuves les plus convaincantes d'une vocation ferme et
d'une santé robuste. Pourtant peu de novices se découragent dans ces
épreuves. Stevenson vit dans l'atelier de photographie le portrait d'un
novice en costume de simple soldat. Ce jeune homme appelé par la loi
militaire pendant son noviciat, avait fait l'exercice et monté la garde
en garnison en Algérie jusqu'au jour de sa libération.

Celui-là certainement avait pu voir le pour et le contre de deux genres
de vie bien différents, cependant, quand il eut obtenu son congé il
revint finir son noviciat et prononça ses vœux[2].

  [2] _Voici une curieuse appréciation de l'ordre des trappistes par
  Schopenhauer_:

    «C'est chez le peuple le plus gai, le plus vif, le plus sensuel,
    le plus léger,--est-il besoin de nommer la France?--que cet ordre,
    seul entre tous, s'est maintenu intact à travers toutes les
    révolutions et il faut attribuer sa durée au sérieux profond que
    l'on ne peut méconnaître dans l'esprit qui l'anime et qui exclut
    toute considération secondaire. La décadence de la religion ne l'a
    pas atteint, car ses racines tiennent aux profondeurs de l'âme
    humaine bien plus encore qu'à quelque dogme positif.» (_La Vie,
    l'Amour et la Mort p. 275, 276._)

Lorsque le trappiste tombe sérieusement malade, il ne quitte pas
ses habits, il gît couché sur son lit de mort, tel qu'il a prié et
travaillé pendant sa frugale et silencieuse existence et quand la mort
libératrice arrive, avant même qu'on l'ait porté, revêtu de sa robe,
pour faire sa dernière station à la chapelle, au milieu des chants de
la communauté, du haut du clocheton d'ardoise la cloche tinte en sons
joyeux, comme pour un mariage, annonçant qu'une autre âme s'est envolée
vers la patrie céleste.

Le soir, Stevenson conduit par le bon Irlandais prit place dans la
tribune pour entendre les _complies_ et le _Salve Regina_ qui terminent
la journée des religieux Cisterciens. Les murs blancs de la chapelle,
les moines encapuchonnés dans le chœur, les cierges allumés, les chants
mâles, suivis d'un profond silence et le spectacle de toutes ces têtes
inclinées pour la prière, puis la cloche sonnant la fin de l'office
et l'heure du repos: tout cela impressionna fortement l'étranger. Il
rentra fatigué dans sa cellule et s'endormit au bruit du vent qui
grondait dans le bois de pins environnant. Il fut éveillé dans la nuit
noire, à 2 heures du matin, par la cloche qui sonnait le lever. Tous
les frères se hâtaient de se rendre à la chapelle. Ceux qui sont morts
pour le monde commençaient déjà à cette heure où tout repose encore, le
cercle monotone de leurs travaux quotidiens. Stevenson qui n'était pas
comme eux las des vanités de cette vie, se félicita de n'être pas mort
au monde.




LES PENSIONNAIRES


Il y a à _Notre-Dame des Neiges_ un bâtiment destiné aux retraitants
et aux visiteurs. Ce bâtiment qui se trouve près de l'entrée de
l'Abbaye est composé d'une petite salle à manger au rez-de-chaussée et
d'une rangée de cellules s'ouvrant sur un corridor au premier étage.
C'est dans l'une de ces cellules que Stevenson avait été logé. Les
retraitants paient environ 3 francs par jour de pension. Les visiteurs
accidentels donnent ce qu'ils veulent; mais les religieux font
difficulté pour accepter les sommes dépassant cent sous.

Stevenson avait dîné seul à cause de l'heure tardive de son arrivée.
A souper il eut pour commensaux deux retraitants. L'un était un curé
de campagne des environs de Mende, arrivé le matin même à pied pour
se livrer pendant 4 jours au recueillement et à la prière. C'était
un homme vigoureux, le visage haut en couleur et sillonné de rides,
avec de grandes jambes et retroussant les pans de sa soutane qui
embarrassaient sa marche. L'autre était un homme gros et court à
figure grisonnante de 45 à 50 ans, vêtu d'un veston et d'un gilet
de laine, portant à la boutonnière le ruban de la Légion d'Honneur.
C'était un vieux soldat arrivé au grade de commandant. Il avait gardé
quelque chose de la brusquerie militaire. Aussitôt qu'il avait obtenu
sa retraite, il était venu à _Notre-Dame des Neiges_ comme pensionnaire
et avait décidé d'y entrer comme novice après en avoir pendant quelque
temps étudié la discipline. Déjà ses manières sentaient moins la
caserne. Il était à moitié soldat, à moitié trappiste. Sorti du tumulte
des camps il avait mis le pied dans cette région voisine de la tombe où
les frères dorment la nuit vêtus de la robe qui leur servira de suaire
et, pareils à des fantômes, ne communiquent que par signes.

Pendant le repas on vint à parler politique. Stevenson se faisait,
dit-il, une règle en France de prêcher la modération et la tolérance,
rappelant les malheurs de la Pologne. Le prêtre et le commandant
l'assuraient qu'ils étaient dans les mêmes sentiments; mais le hasard
l'ayant amené à louer Gambetta, le commandant devint rouge de colère,
frappa du poing sur la table, et le défia de justifier son opinion.
A ce moment le curé lui lança un regard sévère; l'autre comprit le
ridicule de sa sortie et la discussion cessa aussitôt.

Le lendemain matin, vendredi 27 septembre, après le café, les deux
retraitants découvrirent que Stevenson était hérétique à propos d'une
question qui lui fut posée inopinément. Le frère Apollinaire, le frère
Michel et le bon diacre Irlandais en apprenant le vice dont il était
entaché, sous le rapport de l'orthodoxie, s'étaient montrés pleins de
tolérance et lui avaient dit en lui frappant doucement sur l'épaule.
«Vous deviendrez catholique et vous irez au ciel.»

Mais ici il avait affaire à des orthodoxes d'une autre espèce, aigres,
raides et à l'esprit aussi étroit que l'Ecossais le plus entêté.

Stevenson eut à subir un terrible assaut de controverse; il riposta
d'abord avec calme, cela ne fit qu'exciter ses contradicteurs; il
tenta des diversions qui compliquèrent la dispute au lieu d'y mettre
fin. Dieu l'avait conduit à _Notre-Dame des Neiges_ pour le salut de
son âme, lui dirent-ils; il devait sans plus tarder aller trouver le
prieur et lui soumettre son cas. Fatigué de ces objurgations, l'Anglais
prétexta qu'il avait froid aux pieds et s'en fut explorer les alentours
de l'Abbaye. A dîner la tentative de conversion recommença plus
pressante; le curé se permit quelques appréciations sarcastiques sur ce
qu'il appelait la secte écossaise. Stevenson à la fin perdit patience
et bien que le prêtre fût âgé et eût droit à ses égards, il ne put
s'empêcher de lui reprocher ce mot de _secte_, comme une impolitesse.
Celui-ci fut tout désappointé. «Je n'avais, dit-il, d'autre objet que
le salut de votre âme».

Ainsi finit ce débat; mais Stevenson n'en garda aucune rancune. Honnête
homme, écrit-il, c'était un curé de campagne plein de zèle et de foi.
Puisse-t-il longtemps parcourir les monts du Gévaudan avec sa soutane
retroussée pour aller réconforter ses paroissiens à leur lit de mort!
Il braverait sans hésiter les tourmentes de neige pour répondre à
l'appel du devoir.




A TRAVERS LE GOULET


Le vent très fort dans la matinée s'était calmé vers midi, le ciel
était sans nuages. Stevenson rechargea _Modestine_, prit congé de son
nouvel ami l'Irlandais et de frère Apollinaire et se remit en route.
Il remonta le cours de l'Allier jusqu'à la forêt de Mercoire où cette
rivière prend sa source et suivant la route qui gravit une montagne
et traverse un plateau dénudé, il arriva à Chasseradès au coucher du
soleil.

Ce soir-là, dans la cuisine de l'auberge, il soupa avec des employés
occupés à un tracé de chemin de fer, gens intelligents et affables,
avec lesquels il disserta fort avant dans la nuit sur l'avenir de la
France en buvant du vin chaud. Il y avait quatre lits dans l'unique
pièce du premier étage et ils étaient six. Stevenson eut un de ces
lits, les autres s'arrangèrent comme ils purent. Le lendemain samedi
28 septembre, au point du jour, le voyageur eut en ouvrant les yeux le
spectacle de cinq bonnets de nuit émergeant des lits qui l'entouraient.
Le temps était calme et promettait une belle journée. Il se leva et
partit sans retard.

La route qu'il suivait quitta bientôt le plateau pour descendre dans
la vallée du Chassezac, cours d'eau qui arrose de vertes prairies
bordées de falaises. Elle franchit la rivière et s'élève sur des pentes
échelonnées jusqu'à la montagne du Goulet qu'elle traverse.

A Lestampe, Stevenson trouva un troupeau de moutons qui encombrait
le chemin et, par ses bêlements et l'accompagnement des sonnailles,
formait un étrange concert. Plus haut, deux hommes émondaient un arbre
et l'un chantait la bourrée. Puis ce furent les chants du coq et un
air de flûte venant d'un hameau lointain. Ces sons familiers firent
présager au voyageur des contrées moins sauvages.

Il lui sembla qu'à l'autre versant de la montagne qu'il franchissait il
descendrait comme dans un jardin; et, en effet, il n'eut plus à subir
les jours de pluie et de vent qui avaient rendu maussade la première
partie de son voyage. Pourtant avant d'arriver au sommet de la montagne
il y eut encore un sérieux conflit entre lui et _Modestine_. La route
faisait de si longs zigzags qu'il voulut prendre un raccourci. La
bête, trouvant la montée trop raide, se retourna, recula, se cabra et
protesta si bruyamment que tous les environs en retentirent. Jouant
de l'aiguillon d'une main et de l'autre soutenant la charge, l'homme
parvint à hisser la bête au haut du raidillon avec des peines infinies.

Sur la crête du Goulet, il n'y avait d'autres traces de chemin que des
pierres plantées de distance en distance. Sous les pieds s'étendait un
gazon élastique et odorant. De Lestampe au Bleymard, Stevenson n'avait
rencontré que des alouettes et un char traîné par des bœufs. Il avait
maintenant devant lui une vallée peu profonde et au delà la chaîne du
mont Lozère, dont les flancs sont en partie boisés et d'aspect assez
agréable, mais dont la ligne de faîte est d'une rigidité monotone.
L'œil n'aperçoit guère d'autre apparence de culture que des prairies
qui bordent autour du Bleymard le ruban de route allant de Mende à
Villefort, prairies plantées de hauts peupliers et où l'on entend
résonner les clochettes des troupeaux de bœufs.




UNE NUIT AU MILIEU DES PINS


Stevenson dîna au Bleymard, et, bien que la journée fût déjà avancée,
il entreprit la montée du mont Lozère par un sentier rocailleux tracée
par les bestiaux. A l'extrémité supérieure de la partie boisée qui
s'arrête à mi-côte sur cette pente battue des vents il se dirigea à
gauche, sous les pins, jusqu'à ce qu'il rencontrât un enfoncement
tapissé de gazon, à côté d'une source limpide, s'épanchant du creux
d'une roche. C'était un asile à souhait pour la nuit. Les arbres
n'étaient pas très élevés, mais leurs troncs rapprochés cachaient la
clairière de tous côtés. Il n'hésita pas à y installer son campement.
Quand il eut pris ses arrangements et donné à manger à _Modestine_, le
jour était à son déclin. Il se boucla les jambes jusqu'à la ceinture
dans le sac de peau de mouton, soupa de très bon appétit; puis, lorsque
le soleil eut disparu à l'horizon, il rabattit sa casquette sur ses
yeux et s'endormit.

La nuit sous un toit est lente et monotone; mais en plein air, elle
passe légèrement avec son cortège d'étoiles, la fraîcheur de la rosée
et les saines odeurs que la terre exhale, et chaque heure amène un
changement d'aspect dans la nature.

Ce qui semble une sorte de mort momentanée aux gens enclos de murs et
de rideaux, n'est qu'un assoupissement léger pour celui qui dort en
pleine campagne. Dans tout le cours de la nuit il entend pour ainsi
dire respirer la nature. La terre accomplit sa rotation pendant que
tout repose. Il est une heure émouvante que ne connaissent pas ceux qui
se claquemurent dans des maisons, alors qu'un souffle léger de réveil
se répand sur l'hémisphère endormi et met sur pied tous les animaux des
champs.

C'est alors que le coq chante pour la première fois, non pour annoncer
l'aurore, mais comme une sentinelle attentive, marquant que la nuit
hâte sa course. Les troupeaux s'éveillent dans les pâturages et les
gens sans asile, couchés n'importe où, entr'ouvrent les yeux pour
contempler la beauté de la nuit.

Par quel appel secret, par quel charme impulsif de la nature, tous ces
êtres dormants sont-ils ainsi réveillés à la même heure? Les étoiles
versent-elles d'en haut un fluide magique ou sentons-nous frémir sous
notre couche notre mère la terre avec laquelle nous sommes en contact?
Les bergers et les vieux paysans qui ont le plus cherché à scruter les
secrets de la nature ne peuvent former de conjecture sur les causes et
le but de cette nocturne résurrection. Ils déclarent qu'elle se produit
à deux heures du matin; ils n'en savent et ne cherchent pas à en savoir
davantage. C'est pourtant un phénomène très curieux. Notre sommeil
n'est interrompu que pour que nous puissions mieux sentir l'agrément
du repos. Nos yeux peuvent alors s'élever jusqu'aux étoiles. Et il y
a pour certains esprits une satisfaction particulière à se sentir en
communion avec les êtres qui vivent en liberté autour d'eux, d'échapper
aux bastilles de la civilisation et de ne se croire pour le moment
qu'un innocent animal, une simple brebis du troupeau de la Nature.

Stevenson s'éveilla à cette heure de la nuit au milieu des pins. Se
sentant altéré, il prit son gobelet à moitié plein d'eau à côté de lui
et le vida d'un trait. Complètement réveillé par cette boisson fraîche,
il s'assit sur son séant et fuma une cigarette. Les étoiles brillaient
sur un ciel pur comme des diamants et l'air n'était pas froid. La voie
lactée s'étendait au-dessus de sa tête comme une légère vapeur et
autour de lui les troncs des pins se dressaient immobiles. La blancheur
du bât lui faisait deviner _Modestine_ marchant en rond autant que la
longueur de son attache le lui permettait; elle broutait l'herbe sans
perdre de temps. Rien, que le léger bruit de la source, coulant parmi
les cailloux, ne troublait le silence de la nuit. Stevenson fumait
lentement observant la couleur de l'espace d'un gris rougeâtre à la
cime des pins et d'un bleu foncé et lumineux dans l'immensité étoilée.

Un vent très faible, plutôt un souffle frais qu'un courant d'air,
passait par moments dans la clairière, si bien que l'air était
renouvelé toute la nuit dans cette chambre à coucher improvisée. Notre
héros se rappela avec horreur la nuit passée à l'auberge de Chasseradès
et les cinq bonnets de nuit réunis dans la même pièce.

La pensée des exploits nocturnes des étudiants, de l'atmosphère viciée
des salles de théâtre et de l'espace étroit des alcôves lui inspira
un profond dégoût. Il s'était rarement senti plus en possession de
lui-même, plus indépendant de toute aide matérielle.

Le monde extérieur dont nous nous isolons en nous enfermant dans des
maisons, lui semblait après tout un séjour agréable. N'y a-t-il pas
chaque nuit un lit préparé pour l'homme dans les champs où Dieu tient
maison ouverte? Stevenson croyait avoir découvert une de ces vérités
révélées aux sauvages et ignorées des économistes. Il avait, tout au
moins, découvert un plaisir nouveau pour lui. Pourtant il s'aperçut que
quelque chose manquait à son bonheur dans ce nouvel Eden entouré de
pins sur les flancs du mont Lozère. Il était seul, Eve était absente.

Pendant qu'il se livrait à ces réflexions, des sons d'abord à peine
perceptibles montèrent vers lui du milieu du bois. Ces sons devinrent
de plus en plus distincts.

Quelque passant suivait la grande route dans la vallée en chantant
à pleine voix; ce chant était fruste, mais assez puissant pour se
répandre dans tout le vallon. Stevenson avait souvent entendu, dit-il,
des gens passant la nuit dans une rue déserte, il avait pendant
quelques minutes perçu de son lit le roulement d'une voiture sous
ses fenêtres. Il y a un roman dans les allées et venues de tous ces
passants nocturnes, nous cherchons du moins à nous le figurer. Ici
le roman avait deux faces. D'un côté ce brave passant excité par le
vin dont la chanson rompait le silence de la nuit, et de l'autre ce
voyageur bouclé dans son sac et fumant solitaire dans le bois de pins,
à quelque 13 ou 1,400 mètres d'altitude vers les étoiles.

Lorsque Stevenson rendormi se réveilla pour la seconde fois (dimanche
29 septembre): la plupart des constellations avaient disparu. Les
astres de première grandeur restaient seuls visibles. A l'horizon, du
côté de l'Est, il aperçut une légère brume lumineuse, comme la voie
lactée vue à son précédent réveil. Le jour allait paraître. Il alluma
sa lanterne et chaussa ses bottes et ses guêtres. Il donna du pain à
manger à _Modestine_, remplit sa gourde à la source et se prépara du
chocolat à l'eau avec sa lampe à alcool.

La clairière où il avait si commodément dormi était encore plongée dans
une demie obscurité: mais bientôt une large bande orangée, puis jaune
d'or, se montra sur le sommet des montagnes du Vivarais. Stevenson
éprouva un joyeux transport à contempler cet épanouissement progressif
du jour naissant. Il écouta le murmure de la source avec ravissement et
regarda autour de lui espérant apercevoir quelque chose de magnifique
et d'inattendu.

Les pins à la verdure sombre, la clairière creuse, l'ânesse broutant,
tout gardait son apparence ordinaire, mais tout était baigné par la
lumière qui anime les êtres et les choses d'un esprit de vie et de paix
dont il éprouvait avec délices l'influence étrange.

Il prit son chocolat bien chaud et arpenta la clairière en long et
en large. Pendant ce temps un courant de vent froid, prolongé comme
un grand soupir, s'éleva du côté de l'Est. Le branchage sombre des
arbres voisins s'agitait à son passage et on pouvait voir le long de la
colline les cimes élancées des pins se balancer au souffle du matin.
Dix minutes après le soleil dorait la montagne, la marbrant de taches
d'ombre et de lumière. Le jour avait complètement pris possession de
l'espace. Stevenson se hâta de charger ses bagages pour gravir la
montée qu'il avait à escalader.

Au moment de quitter son asile il fut pris d'une singulière fantaisie.
Il avait été hospitalièrement accueilli et ponctuellement servi dans
ce vert caravansérail. La chambre était bien aérée, l'eau excellente
et l'aube l'avait appelé au moment voulu; ajoutons pour mémoire, la
tapisserie, le plafond inimitable et la vue magnifique qu'on avait des
fenêtres. Il était redevable à quelqu'un de cette libérale réception et
il voulut, moitié par plaisanterie, laisser en s'en allant sur le gazon
en pièces de monnaie le prix de son coucher, avec l'espoir qu'elles ne
seraient ramassées que par quelque pauvre berger de la contrée.




LE PAYS DES CAMISARDS

SUR LE MONT LOZÈRE


En sortant du bois Stevenson ne trouva plus de trace de chemin. Un
alignement de pierres plantées, comme pour le mont du Goulet, le
guidait sur cette pente où ne pousse plus que du gazon. Le soleil
était chaud; il quitta sa jaquette ne gardant sur lui que son tricot.
_Modestine_ en belle humeur se mit pour la première fois à trotter
de son propre mouvement. A chaque pas de montée, la vue en arrière
s'étendait plus au loin dans le Nord du Gévaudan.

Quelques arbres, quelques maisons isolées apparaissaient sur la vaste
étendue de cette chaîne, qui s'élève au Nord, à l'Est et à l'Ouest,
dans un lointain vaporeux, dorée par le soleil du matin. Des vols de
petits oiseaux se levaient en gazouillant à l'approche du voyageur, se
posaient sur les pierres alignées, picoraient dans l'herbe ou volaient
en cercle dans les airs.

Depuis quelque temps un murmure sourd arrivait à l'oreille de
Stevenson, pareil au bruit d'une cascade lointaine. Ce bruit devint
bientôt un sifflement prononcé et en même temps il sentit des bouffées
d'air frais qui lui arrivaient du sommet de la montagne. Il comprit
bientôt que le vent du sud soufflait avec force sur l'autre versant de
la Lozère et qu'à mesure qu'il approchait de la crête il en ressentait
davantage les atteintes. Ce sommet si longtemps désiré, ce fut presque
sans s'en apercevoir qu'il l'atteignit. Un pas qui n'était pas plus
grand que tous ceux qu'il venait de faire le mit en présence d'une
nouvelle partie du monde. Au lieu de cet immense rempart gazonné qu'il
avait si longtemps escaladé, il avait au-dessus de sa tête le ciel à
peine noyé d'une brume transparente et à ses pieds une contrée couverte
d'un réseau de croupes baignant dans l'azur.

La chaîne de la Lozère court de l'Est à l'Ouest coupant le Gévaudan
en deux portions inégales. Son point culminant, le pic de _Finiels_
sur lequel Stevenson se trouvait, s'élève à 1702 mètres d'altitude.
Par un temps clair la vue s'étend de là sur tout le bas Languedoc
jusqu'à la Méditerranée. Derrière lui il laissait au Nord cette contrée
montagneuse qu'il venait de traverser, contrée déboisée, habitée par
une population d'intelligence lente. Mais devant lui, à demi voilé
par une vapeur transparente, s'étendait un nouveau Gévaudan, riche,
pittoresque et que des évènements dignes de mémoire ont illustré.

Au Monastier et dans les endroits qu'il venait de parcourir Stevenson
était, sans doute, dans les Cévennes, mais la contrée mouvementée et
couverte d'arbres qu'il avait à ses pieds, c'étaient les Cévennes des
Cévennes, pour parler comme les gens du pays. C'était la contrée des
Camisards, la patrie des Cavalier, des Roland, des Castanet, guerriers
étranges, inspirés par l'esprit prophétique qui infligèrent aux troupes
de Louis XIV de sanglants échecs.

Les piliers de pierre qui avaient dirigé Stevenson n'allaient pas
plus loin que le bord du plateau sur lequel il s'était arrêté pour
contempler le panorama qui s'offrait à sa vue, mais on pouvait
descendre par un sentier de chèvre en lacets jusqu'au bas d'une pente
vertigineuse au fond de laquelle commence le grand tapis de verdure de
Prat-Soubeyran où la réunion de plusieurs sources forme le ruisseau de
Rieumalet. Ce ruisseau descend en une succession de cascades écumantes,
entre des prairies et les arbres du frais vallon, jusqu'au Pont de
Montvert où il va se jeter dans le Tarn. Ses eaux sont si limpides et
forment à la chute des cascades des bassins d'un vert si cristallin
que Stevenson, qui les côtoyait en descendant vers ce bourg par une
route assez bonne, fut pris d'une folle envie de se dépouiller de ses
vêtements souillés de poussière et de baigner ses membres nus dans cet
air et cette eau si purs de la montagne. Après une descente opérée
rapidement, mais sans incidents dignes de remarque, Stevenson et sa
fidèle compagne _Modestine_ arrivèrent au Pont-de-Montvert, lieu de
tragique mémoire.

[Illustration: _Vue générale du Pont de Montvert. (Lozère)_]




LE PONT-DE-MONTVERT


Ce qui frappa d'abord les regards de Stevenson en arrivant au
Pont-de-Montvert ce fut le temple protestant bâti sur une plate-forme
dominant le bourg. Ce n'était que la nouveauté la plus en évidence
de toutes celles qu'il allait observer. Bien qu'il soit difficile de
caractériser exactement ce qui fait différer le Pont-de-Montvert du
Monastier, de Langogne ou du Bleymard, la différence est indéniable. La
place publique, les maisons, les allées et la rivière limpide qui le
traverse dénotent déjà le Midi.

Le dimanche dans les montagnes règne un calme absolu. Ici les rues et
les cafés et cabarets sont pleins d'animation et de bruit. A l'auberge,
Stevenson déjeuna en nombreuse compagnie et de nouveaux consommateurs
arrivaient sans cesse. De ce côté de la Lozère les paysages avaient
un autre aspect et les habitants paraissaient de race différente.
Ils étaient vifs, de figure expressive, le questionnaient et lui
répondaient avec à propos. Sa manière de voyager, loin de les choquer,
les intéressait par son originalité.

Au point de vue plastique, le changement n'était pas moins agréable.
Depuis le Monastier où Stevenson avait vu une jolie femme, une seule,
il n'avait rencontré que des figures sans attraits. Ici, sur trois
dames qui avaient mangé à table avec lui, deux étaient d'une beauté
au-dessus de l'ordinaire. Et Clarisse? Que dire de Clarisse? Elle
servait à table d'un air doux, grave, indifférent, avec de grands
yeux noyés de langueur; la bouche, le nez, les joues étaient d'une
pureté de lignes peu ordinaire. Quel dommage qu'une si belle personne
restât dans une auberge de campagne et n'eût pour admirateurs que des
paysans! Stevenson lui adressa ses compliments qu'elle reçut sans
baisser les yeux, comme une personne habituée aux hommages de tous.
L'humoriste ajoute malicieusement que si Clarisse savait lire l'Anglais
il se ferait scrupule de mentionner que sa taille ne répondait pas à
sa figure et qu'elle était faite comme un échalas, mais qu'elle se
formerait peut-être avec le temps.

Le Pont-de-Montvert est célèbre dans l'histoire des Camisards. C'est
là que la guerre débuta. La révocation de l'Edit de Nantes en 1685 fut
un des actes les plus impolitiques et les plus malheureux de Louis
XIV. Pour établir en France l'unité religieuse il ne recula pas devant
les mesures les plus violentes. Les hommes furent envoyés aux galères,
les femmes enfermées dans des couvents ou emprisonnées; mais ni les
sévices, ni les dragonnades, ni les incendies, ni même le gibet et la
roue ne purent ramener les dissidents à l'Eglise catholique. Ce fut
alors que dans tous ces esprits exaspérés se répandit cette espèce de
trouble prophétique constaté chez les hommes, les femmes et les tout
petits enfants.

Le principal agent des persécutions était l'abbé du Chayla,
inspecteur des missions et archiprêtre des Cévennes. Il habitait
à Saint-Germain-de-Calberte, mais se rendait de temps à autre au
Pont-de-Montvert où il possédait une maison avec une prison pour les
catéchumènes récalcitrants.

A ce moment, le séjour dans le pays était devenu intolérable pour
les protestants et il était rigoureusement défendu de s'expatrier.
Une famille de six personnes qui tentait de s'enfuir à Genève sous
la conduite d'un guide connaissant bien les sentiers de ces contrées
montagneuses, tomba entre les mains des gens de du Chayla fut
emprisonnée et mise aux ceps dans le cachot du Pont-de-Montvert. Les
parents des prisonniers implorèrent le secours des protestants à une
assemblée tenue au bois d'Altefage sur le Bougès. Le prophète Séguier
déclara que le temps de la soumission était passé, qu'il fallait
délivrer les captifs et purger le pays de tous les prêtres de Baal.

Les paysans, entraînés par les discours de leurs prédicants se
réunirent en armes au nombre de plus de cinquante (Louvreleuil dit
200) et entrèrent au Pont-de-Montvert à 10 heures du soir en chantant
des psaumes. Ils entourèrent la maison de l'archiprêtre et enfoncèrent
la porte, se servant d'une poutre en guise de bélier. Entrés au
rez-de-chaussée, ils délivrèrent les prisonniers et voulurent aussi
s'emparer de du Chayla et de ses gens réfugiés au premier étage;
ceux-ci tirèrent sur eux et en abattirent un. Alors les assaillants
furieux et craignant une sérieuse résistance mirent le feu à la maison
qui fut tout aussitôt en flammes. L'abbé chercha à s'échapper par une
fenêtre, mais en tombant il se cassa la cuisse. On le découvrit à la
lueur de l'incendie, auprès de la haie du jardin où il avait cherché
à se cacher en rampant. Il fut traîné sur la place du quai et frappé
de 52 blessures dont 5 à la tête, 11 au visage, 26 à la poitrine ou au
ventre et 10 au côté ou au dos. 24 des plaies étaient mortelles.

Je ne veux pas insister sur cette tragédie. J'en ai lu le récit dans
quatre historiens, un prêtre, deux pasteurs et un libre-penseur. A
mon avis aucun n'a gardé dans son œuvre une impartialité complète,
mais j'ai le regret de déclarer que le libre-penseur s'est montré
le plus passionné des quatre. Le Pont-de-Montvert possède un poète,
brave ouvrier devenu aveugle par suite d'un éclat de mine, qui a
composé un poème en vingt-cinq chants redisant l'histoire de cette
triste guerre[3]. Il serait hasardeux de prédire à ce poème les vingt
ou trente siècles de durée, de l'Iliade, œuvre d'un autre aveugle
immortel. On y sent pourtant vibrer le sentiment persistant que ces
luttes religieuses ont laissé dans l'âme du peuple. Le vers n'a pas
l'envolée des œuvres de génie, mais on y trouve le reflet de passions
que le temps n'a pas encore tout à fait éteintes. Guerres civiles,
guerres religieuses! ne remuons pas ces cendres brûlantes de crainte
d'en voir jaillir des étincelles.

  [3] La _Guerre des Camisards_, mise en vers par Jean-Louis Guin.--En
  vente chez l'auteur, au Pont-de-Montvert (Lozère).--Prix: 3 francs.

Séguier et ses montagnards chantèrent toute la nuit des cantiques de
victoire et de mort autour de ce cadavre affreusement mutilé. A l'aube,
ils se rendirent à Frugères dont le curé fut aussi tué d'un coup de
fusil. Celui de Saint-Maurice ne dut son salut qu'à la vitesse de
son cheval. A Saint-André-de-Lancize, curé et maître d'école furent
également tués et mutilés.

A la Devèze une famille de six personnes fut impitoyablement immolée
pour avoir refusé de livrer ses armes, et les meurtres étaient
accompagnés de pillage; mais les troupes royales étaient déjà sur
les traces des révoltés. Le Capitaine Poul les surprit à Font-Morte.
Séguier et deux de ses compagnons furent pris, jugés et condamnés.
Séguier fut brûlé vif au Pont-de-Montvert. Les deux autres furent, l'un
roué à la Devèze, et l'autre pendu à Saint-André de l'Ancize.

La maison de du Chayla dont on refit le toit détruit par l'incendie est
encore debout à côté du pont du Rieumalet ayant devant elle le jardin
en terrasse dans lequel il tomba en s'échappant par la fenêtre.




DANS LA VALLÉE DU TARN


Mais revenons à Stevenson et à son ânesse. Les voilà en chemin sur la
nouvelle route qui va du Pont-de-Montvert à Florac par la vallée du
Tarn. Cette route court à mi-côte entre le lit de la rivière et le
sommet de la falaise, s'enfonçant dans des combes à ce moment déjà
noyées dans l'ombre, puis doublant des promontoires éclairés par le
soleil à son déclin.

Le Tarn coule en grondant au fond de cette vallée profonde au sommet
de laquelle le frêne pousse parmi les rochers comme le lierre sur des
murs en ruines; mais sur les pentes inférieures, le long du vallon, le
châtaignier dresse partout sa tige robuste couronnée d'un majestueux
branchage. Ces arbres forment les uns comme des allées au bord de la
rivière, d'autres croissent sur les étroites terrasses qui s'élèvent
par degrés sur la pente et d'autres enfin poussent accrochés par
les racines aux flancs des précipices. Stevenson fait de ces arbres
magnifiques une intéressante description.

Il faut, dit-il, avoir contemplé d'une hauteur tous ces monticules de
verdure ou admiré un bouquet de châtaigniers séculaires groupés au haut
d'une colline pour avoir une idée de la puissance féconde de la nature.
J'ajouterai que le châtaignier est un arbre vraiment providentiel
pour les habitants des Cévennes. Il leur fournit libéralement son
tronc, comme bois de charpente et de menuiserie, ses branches et ses
racines comme chauffage, sa ramure pour la nourriture et la litière des
animaux domestiques. De plus une partie de la population se nourrit de
châtaignes fraîches ou séchées pendant presque la moitié de l'année.

Notre Anglais attardé par l'humeur traînarde de _Modestine_ et
la beauté du paysage ne fit pas beaucoup de chemin pendant cette
après-midi. Le soleil avait déjà quitté l'étroite vallée du Tarn.
Il fallut chercher une place pour camper la nuit. Cela n'était pas
facile. Les terrasses étaient très étroites et la pente si rapide que
l'on aurait roulé jusqu'à la rivière. Stevenson aperçut à trente pas
au-dessus de la route, une petite plate-forme à laquelle un tronc
d'arbre énorme formait une sorte d'abri et de parapet. Il y fit monter
_Modestine_ avec grand peine et la déchargea. Mais la place était trop
étroite pour deux et il fallut trouver un plateau encore plus haut
pour y attacher l'ânesse. Après lui avoir donné sa ration de pain et
d'avoine avec un supplément de feuilles fraîches de châtaignier, le
voyageur redescendit à son campement. Des chars passèrent sur la route.
Redoutant les visites et les regards indiscrets, il se tint caché
derrière son tronc protecteur tant que la nuit ne fut pas venue. Il
mangea à la hâte, l'œil au guet et à moitié couché, pour qu'on ne put
le voir. Ce camp était bien différent de celui de la nuit précédente
dans la paisible et fraîche clairière du bois de pins. L'air était
chaud et lourd. Le tremolo des grenouilles résonnait au bord de la
rivière avant même le coucher du soleil. Quand la nuit fut tout à fait
venue, de légers frémissements passaient dans les feuilles sèches,
des bruits d'insectes se faisaient entendre et parfois des formes
indistinctes semblaient se glisser entre les châtaigniers. Des milliers
de grosses fourmis couraient sur le sol; des chauves-souris passaient
rapidement et un essaim de moustiques bourdonnaient en l'air.

Stevenson resta longtemps sans pouvoir dormir et, juste au moment
où le sommeil s'emparait de lui, un bruit sous sa tête le réveilla
brusquement. C'était comme un grattage d'ongles venant de dessous le
havresac qui lui servait d'oreiller et qui se répéta trois fois avant
qu'il eût le temps de se relever et de retourner le havresac. Il ne vit
ni n'entendit plus rien que le chant des grenouilles et le clapotis
de la rivière. Le lendemain on lui dit que les châtaigneraies étaient
infestées de rats et tous les bruits qui l'avaient alarmé provenaient
probablement de ces rongeurs; mais à cette heure et dans ce lieu, le
trouble qu'il éprouva le tint longtemps privé de sommeil.

Il fut réveillé le lundi 30 septembre à la pointe du jour par un bruit
de pas sur les cailloux, non loin de son refuge. C'était un paysan
suivant au milieu des arbres un sentier que Stevenson n'avait pas
remarqué la veille. Ce paysan passa sans regarder ni à droite ni à
gauche et disparut heureusement sans apercevoir le voyageur, mais il
était grand temps de décamper. Il était monté pour donner l'avoine à
_Modestine_ et redescendait à la hâte lorsqu'il vit arriver un homme et
un enfant auprès de sa couchette défaite. Après un moment de silence
l'homme lui dit: Vous avez couché là?

--Oui, comme vous voyez.

--Et pourquoi?

--Ma foi! parce que j'étais fatigué, répondit Stevenson, d'un air
dégagé. L'homme lui demanda où il allait et comment il avait soupé.
Puis il ajouta d'un ton brusque: «C'est bien, allez-vous-en» et il
s'éloigna à quelque distance pour émonder un châtaignier. Stevenson peu
satisfait du gîte le quitta sans laisser de monnaie pour en acquitter
le prix et descendit sur la route en grignotant une tablette de
chocolat. A cette heure matinale la vallée était ravissante.

Bientôt la route côtoya le bord de la rivière et l'Anglais voulut faire
sa toilette du matin dans l'eau du Tarn merveilleuse de limpidité et de
fraîcheur. Se laver dans l'eau d'une rivière du bon Dieu, en plein air,
c'était à ses yeux une sorte de rite lustral et un acte d'adoration
demi-païen. Sans doute un cabinet de toilette est commode pour les
ablutions, mais cela ne dit rien à l'imagination. Stevenson ainsi
rafraîchi reprit son chemin le cœur joyeux, chantant des cantiques au
Dieu invisible qui entend tout.

Il rencontra soudain une vieille femme qui lui demanda l'aumône. --Bon,
se dit-il, voici la servante qui me présente la note de mon coucher, et
il paya sans observations.

Un peu plus loin il fut rejoint par un vieillard coiffé d'un bonnet
brun, suivi d'une petite fille qui conduisait deux brebis et une
chèvre. Ce brave homme, au regard bon et intelligent sous ses traits
ridés, entra en conversation avec lui et, trompé par une réponse
ambiguë de son interlocuteur, lui déclara qu'il était méthodiste.
Stevenson, touché de sa candeur et de sa foi, s'entretint avec lui
comme un fidèle coreligionnaire.

A la Vernède, hameau des bords du Tarn où il demeurait, ce bon
vieillard le mena à l'auberge et recommanda qu'on le fit bien déjeuner.
Le voyageur se loue grandement de ses bons offices ainsi que de
l'accueil bienveillant des habitants de cet endroit (tous protestants,
assure-t-il).

Au-delà de la Vernède, la vallée devient de plus en plus pittoresque.
Ici ce sont des falaises rapprochées et croulant dans la rivière;
plus loin des collines élargies et couvertes de verdure. La route
passe sous le vieux château de Miral, juché sur un escarpement. Puis,
c'est l'ancien Monastère de Bedouès, aujourd'hui église et presbytère;
ensuite le village de Cocurès entouré de vignes, de vergers et de
prairies. On était alors en train de gauler les noix sur les bords de
la route et de les ramasser dans des paniers.

La vallée s'élargit là de plus en plus, mais les parties hautes des
collines sont escarpées et nues et le Tarn coule toujours bruyant dans
un lit de pierres arrondies. La température était encore très douce,
pourtant l'automne avait déjà teinté de reflets jaunes le feuillage des
châtaigniers et des peupliers. Ce pays dont des récits exagérés lui
avaient fait un tableau effrayant, Stevenson le trouvait sauvage, mais
non sans attrait.




FLORAC


Nous voici à Florac, modeste sous-préfecture qui joua jadis un rôle
important pendant la guerre des Camisards. Florac, situé dans un riant
vallon, au fond d'un amphithéâtre de montagnes escarpées, possède un
vieux château transformé en prison, une esplanade centrale, ombragée de
beaux platanes, de vieilles maisons et des ruelles curieuses. Au flanc
de la montagne qui couronne la ville s'épanche la magnifique source du
Pêcher qui, en hiver, forme presque une rivière.

A Florac, observe Stevenson, les femmes sont d'une beauté remarquable.
Je ne me permettrai pas de contredire cette flatteuse assertion.

Après déjeuner, l'Anglais fut mené au Café attenant à l'hôtel et son
voyage fut le sujet général de la conversation pendant l'après-midi.
Chacun lui donnait son avis au sujet de la direction qu'il aurait à
suivre. On alla même chercher la carte de la Sous-Préfecture pour
lui faire voir le pays à parcourir. Beaucoup de ces conseillers
bénévoles étaient protestants et Stevenson remarqua que protestants et
catholiques vivaient là ensemble en bonne harmonie.

Vers le soir un pasteur jeune encore vint le voir. «La population de
Florac, lui dit-il, est en partie protestante, en partie catholique
et la différence des croyances religieuses se double ordinairement
de celle des opinions politiques; malgré cela les gens vivent en
excellents termes, se fréquentent et se rendent service, en bons
voisins.» Stevenson qui avait été témoin des discordes du Monastier fut
tout étonné de voir régner ici le calme et la concorde. Il fut heureux
de trouver cet état d'esprit dans un coin des Cévennes où la guerre
religieuse avait jadis exercé ses ravages.




DANS LA VALLÉE DE LA MIMENTE


Notre voyageur coucha à Florac et se remit en route le lendemain,
mardi 1er octobre, assez tard dans l'après-midi. Remontant un peu le
Tarnon il le franchit sur un pont couvert et entra dans la vallée de la
Mimente, affluent de cette rivière.

Des hauteurs escarpées et hérissées de rochers dominent le cours de la
Mimente; de grands chênes et des châtaigniers croissent sur les pentes
et les terrasses soutenues par des murs en pierre sèche. D'espace en
espace, des champs de sarrasin et des pommiers couverts de fruits
apparaissaient autour des hameaux aux toits d'ardoise et le vieux
château de Montvaillant dressait ses murs à mâchicoulis sur la croupe
d'un promontoire.

Bientôt le soleil disparut sur la crête des montagnes et les sons des
cors des bergers ramenant leurs troupeaux à l'étable retentirent dans
la vallée. Le voyageur dut se préoccuper de trouver une place pour
camper la nuit. Sous les arbres le sol était très en pente et couvert
de pierres roulantes; et dans les endroits découverts, des précipices
hérissés de broussailles s'étendaient jusqu'au bord de l'eau. Il
aperçut enfin un coin de pré au-dessous de la route, à un coude de la
rivière. Il y descendit, attacha _Modestine_ à un arbre et explora les
environs.

L'ombre avait envahi le vallon et l'on ne distinguait que vaguement les
objets les plus rapprochés.

Stevenson alla vers un grand chêne qui se trouvait presque au bord de
la rivière et bien qu'il aperçut une maison en face, de l'autre côté de
l'eau, il s'installa dans un enfoncement au pied du chêne pour y passer
la nuit. Quand il eut préparé son sac, donné à manger à _Modestine_
et pris lui-même son repas, la nuit était complète et le ciel tout
illuminé d'étoiles. Celui-là, dit notre héros, ne se doute pas de la
beauté d'un pareil spectacle qui n'a pas passé une nuit à la belle
étoile. Les plus grands poètes y ont puisé de sublimes inspirations. Un
vent assez fort soufflait sur les hauteurs et cependant cette première
nuit d'octobre n'était pas plus fraîche qu'une nuit de mai. Le sommeil
de Stevenson fut plusieurs fois troublé par les aboiements d'un chien,
ce qui l'amène à déclarer que pour un vagabond comme lui cet animal
représente le monde bourgeois par son côté le plus détestable et qu'il
redoute moins un loup qu'un chien de garde.

Le lendemain matin, mercredi 2 octobre, il fut réveillé par le même
chien qui était accouru en jappant jusque sur l'autre bord de l'eau
et qui en le voyant se mettre sur son séant s'éloigna en grondant. Le
ciel était déjà teinté de cette belle couleur gris-bleu qui précède
l'aurore. La silhouette des arbres de la montagne se détachait très
nettement sur le fond azuré du firmament. Stevenson se leva, rechargea
ses hardes sur le bât de _Modestine_ et reprit le chemin qui remonte
la Mimente. Tout le flanc de la montagne était déjà doré par le soleil
dont le disque apparut enfin, flottant dans l'azur, dans une échancrure
de la crête qui domine à l'Est. Ce fut la quatrième et dernière nuit
que notre héros passa en plein air pendant ce voyage.




LE CŒUR DE CÉVENNES


Stevenson contempla en passant les ruines du vieux château de
Saint-Julien-d'Arpaon; il continua à suivre la route qui longe la
Mimente sur la rive gauche et franchit la rivière pour suivre la
rive droite un peu avant le hameau des Crozes. Cette route se relève
peu à peu sur le flanc de la montagne jusqu'au village de Cassagnas,
agglomération de maisons entourées de châtaigniers qui s'est fait une
notoriété dans l'histoire des Camisards.

Un de leurs arsenaux était caché non loin de là dans des cavernes de
la montagne. C'était là que la troupe de Séguier et de Salomon Couderc
avait ses provisions de vêtements, de vivres, d'armes et de munitions,
là qu'ils étaient parvenus à fabriquer de la poudre et des balles. Les
blessés y étaient aussi amenés et secrètement soignés par des femmes
des environs.

Les habitants de Cassagnas parurent intelligents et d'humeur sociable
à Stevenson. Sa qualité de protestant lui valut un bon accueil parmi
cette population entièrement calviniste, et la connaissance de
l'histoire locale dont il eut l'occasion de faire preuve lui attira la
considération des fortes têtes de l'endroit. Il dîna à l'auberge avec
un gendarme et un colporteur tous deux étrangers et catholiques. Il y
eut à table une sorte de controverse religieuse assez courtoise de part
et d'autre. Le marchand n'était pas du même avis que l'Anglais au point
de vue historique et il s'échauffa un peu dans la discussion; mais le
gendarme l'approuva pleinement. «Que chacun vive dans la religion de
ses pères, dit-il sentencieusement», et tout le monde se rangea à cette
opinion.

Ce n'était pas l'avis du curé et du commandant de N.-D. des Neiges;
mais les gens de ce pays sont d'une race différente.

Le colporteur s'intéressa fort au récit du voyage de Stevenson. Il
observa que coucher dehors exposé aux loups et aux rôdeurs de nuit
était dangereux. Ce fut la seule personne qui trouva téméraire une
chose si simple. Beaucoup, il est vrai, n'en voyaient pas la nécessité;
mais par contre, le méthodiste de la Vernède s'était écrié que c'était
admirable de dormir ainsi à la lueur des étoiles, sous l'œil du
Seigneur.

Stevenson repartit de là vers les deux heures. Abandonnant la route
107bis il traversa la Mimente et prit un sentier raboteux qui s'élevait
sur l'autre versant de la montagne couvert de pierres roulantes et de
touffes de broussailles. Sur le sommet du mont, il n'y avait plus trace
de sentier et Stevenson dut s'avancer au hasard sur le plateau pour
retrouver son chemin.

Cette crête forme la ligne de séparation des eaux de deux vastes
bassins. Au Nord, les cours d'eau s'écoulent dans la Garonne et l'Océan
Atlantique; au Midi, elles vont dans le bassin du Rhône.

On peut, dit notre voyageur, considérer cette montagne comme le centre,
le cœur du pays des Camisards. De leurs cinq légions, quatre campaient
dans un rayon de quelques lieues, deux au Nord, deux au Sud et quand
l'œuvre de dévastation accomplie par Julien dans les hautes Cévennes,
en octobre et novembre 1703 fut terminée, quand la pioche, la hache et
l'incendie eurent détruit les 199 villages ou hameaux des 32 paroisses
environnantes, toute vie sembla s'être retirée de ce pays désolé.

Heureusement des temps meilleurs sont venus et l'activité de l'homme a
réparé ces ruines. De cette élévation le spectacle est d'une grandeur
étrange. On a derrière soi la montagne du Bougès et plus haut la cime
de la Lozère. Devant soi au Sud, on voit tout un réseau de crêtes
couronnées par des pics s'élevant les uns sur les autres. Les torrents
formés par les pluies de l'hiver ont creusé un labyrinthe de profondes
vallées empanachées de châtaigniers de haut en bas et présentant en
certains endroits des précipices de rochers vertigineux.

Le soleil allait disparaître et l'ombre avait déjà envahi le fond des
collines lorsque Stevenson rencontra un vieux berger qui le mit sur
le chemin de Saint-Germain-de-Calberte. La partie haute de ce pays
est fort solitaire. A peine aperçoit-on au loin quelque séchoir de
châtaignes ou quelque ferme isolée. Après une assez longue descente,
l'Anglais trouva une grande route poussiéreuse: la nuit était venue et
la lune argenta bientôt de sa lumière le versant de la vallée.

Stevenson prenant sa gourde qu'il avait remplie de vieux Bourgogne à
Florac la porta à ses lèvres et but à la majesté sacrée de l'astre de
la nuit. Cette libation lui rendit des forces et _Modestine_ elle-même,
ranimée par cette lumière, prit une allure plus rapide. Sur la pente
opposée, les arêtes et les creux des ravins se distinguaient vaguement
à la lueur de la lune et au loin, dans quelque maison isolée, une
fenêtre éclairée formait une tache de feu au milieu du vaste espace
d'ombre.

Après un grand nombre de tournants Stevenson trouva un ravin plus
profond que les autres que la route traversait au milieu d'une grande
obscurité et, arrivé au bord opposé, il fut tout surpris de tomber
brusquement dans Saint-Germain-de-Calberte. Ce bourg n'a ni gaz ni
réverbères et il semblait endormi dans un paisible silence. Cependant
il y avait encore de la lumière à l'auberge. Le voyageur put s'y faire
donner à souper et y prendre gîte pour la nuit.




LA DERNIÈRE JOURNÉE


Lorsque Stevenson se leva le lendemain, jeudi 3 octobre, il se mit à
la fenêtre de la chambre propre et confortable où il avait passé la
nuit. Le jour se levait sans nuages et il avait devant lui une vallée
profonde plantée de grands châtaigniers. Il sortit dans la fraîcheur du
matin pour visiter les environs.

St-Germain est assis sur la croupe d'une haute colline au milieu d'une
des plus belles châtaigneraies des Cévennes. Le temple protestant est
bâti au-dessous du bourg sur un épaulement; l'église, qui d'après
Louvreleuil remonte à Urbain V, mais qui n'offre rien de bien
remarquable, s'élève au centre de la localité. C'est là que l'Abbé
du Chayla avait sa maison, son séminaire et sa bibliothèque; c'est
là qu'on rapporta son corps le surlendemain du meurtre horrible du
Pont-de-Montvert, là enfin qu'il fut enseveli près de l'autel de la
Vierge où il avait fait préparer son tombeau. Les funérailles furent,
sinon interrompues, au moins hâtées par le bruit qui se répandait que
Séguier avec sa troupe était à une demi-heure de là. Tous les prêtres
des environs réunis pour la funèbre cérémonie se hâtèrent de s'en aller
en des lieux plus sûrs.

Maintenant tout est bien tranquille à Saint-Germain-de-Calberte. Le
pouls de la vie humaine bat si lentement dans cette paisible bourgade
des Cévennes! Le passage de Stevenson y fut un gros événement, objet
de toutes sortes de commentaires. Les enfants couraient après lui,
les gens se retournaient ou se mettaient sur leur porte pour le
voir passer. Cette curiosité, quoique n'ayant rien de malveillant,
l'importunait.

Il quitta les rues et se réfugia sur les terrasses qui sont à cet
endroit tapissées de vert gazon et il essaya de rendre avec le crayon
les formes inimitables des châtaigniers avec leur majestueux dais de
feuillage.

Une faible brise qui soufflait à de courts intervalles agitait les
branches et les châtaignes tombaient de tous côtés autour de lui sur
la pelouse avec un petit bruit mat. Bientôt le cultivateur pourrait
recueillir cette manne précieuse. Au-dessus de sa tête il voyait ces
fruits d'un brun luisant apparaître du cœur des bogues entre-bâillées
et, à travers les arbres, l'œil embrassait un amphithéâtre de collines
ensoleillées et emmantelées de vert feuillage. Il s'était rarement
trouvé en présence d'un spectacle si impressionnant. Enveloppé dans une
atmosphère de joie il marchait d'un pied léger et en belle humeur.

Revenu à l'auberge, Stevenson déjeuna avec quelques catholiques et
la question religieuse fut encore agitée à propos d'un jeune homme
qui avait embrassé la religion réformée pour épouser une jeune fille
protestante et qui était blâmé par les deux partis. C'est une mauvaise
idée d'abandonner la foi de ses pères, disait-on ici comme à Cassagnas,
et cela paraissait résumer l'opinion commune du pays.

A cette époque le phylloxera avait ravagé les vignes de la contrée
et l'on n'y buvait qu'une pauvre piquette qui, dit Stevenson, était
agréable au goût mais peu fortifiante.

S'étant attardé à table et au café, il ne partit de Saint-Germain que
peu avant quatre heures. Il descendit au sud-ouest jusqu'au Gardon de
Mialet dont le lit large et caillouteux est à peu près à sec en été,
traversa St-Etienne-Vallée-Française et arriva vers le soir au bas de
la côte de Saint-Pierre qu'il se hâta de gravir aussi rapidement que le
permettaient les pas menus de _Modestine_, car il désirait contempler
le côté opposé de la montagne en plein jour.

Mais la nuit le surprit avant qu'il eût atteint le sommet. Une vallée
indistincte, s'enfonçant dans les ténèbres, formait comme un immense
trou aux pieds du voyageur; par contre les crêtes des montagnes se
détachaient nettement sur l'azur, du firmament dominées par le mont
Aigoual. Ce sommet, jadis forteresse de Castanet, chef d'une des cinq
légions des Camisards, est aujourd'hui couronné d'un observatoire
météorologique.

Au haut de la montée de Saint-Pierre _Modestine_ et son conducteur
prirent ensemble leur dernière réfection au clair de la lune. La pauvre
bête s'était prise d'affection pour son maître et mangeait de meilleur
appétit ce qu'il lui donnait dans le creux de la main.

La descente sur Saint-Jean-du-Gard fut longue. A dix heures du soir
seulement Stevenson était arrivé dans cette ville et se mettait à table
pour souper. Il avait marché plus de six heures et gravi une côte des
plus pénibles.




ADIEU MODESTINE!!


Le vendredi 4 octobre dans la matinée il fut constaté après examen
que _Modestine_ n'était pas en état de se remettre en route. Au
dire de l'hôtelier elle avait besoin de deux jours de repos pour le
moins. Mais Stevenson avait hâte d'arriver à Alais où l'attendait sa
correspondance. Il se décida donc à vendre sa compagne de voyage et
à partir l'après-midi en diligence. Des acheteurs flairant une bonne
affaire ne tardèrent pas à se présenter. Vers dix heures il y eut une
offre de 25 francs et avant midi, après un marchandage opiniâtre,
l'Anglais céda la bête et le harnais pour 35 francs. Ce marché n'était
guère avantageux pour lui, mais il y gagnait sa liberté.

[Illustration]

Ce ne fut que lorsqu'il se trouva sur la diligence, assis à côté du
postillon et roulant dans une vallée rocailleuse parmi des oliviers,
qu'il se rendit compte de sa perte. Tant qu'il avait eu _Modestine_ à
ses côtés il avait cru la détester; mais maintenant il sentait qu'elle
lui manquait.

Du 22 septembre au 4 octobre, elle avait été pendant douze jours sa
fidèle compagne; ils avaient fait un trajet d'environ cent lieues,
franchi plusieurs chaînes de montagnes et arpenté avec leurs six jambes
une infinité de chemins de traverse, les pieds dans les cailloux ou
dans la boue.

Après la première journée, sauf quelques accès de mauvaise humeur, il
avait supporté sa lenteur avec patience. Quant à elle, la pauvre bête,
elle le regardait presque comme un Dieu et elle se plaisait à manger
dans sa main. Elle était patiente, élégante de forme, d'un gris idéal
et de taille si menue; ses défauts étaient ceux de sa race et de son
sexe; mais ses qualités, elle ne les devait qu'à elle-même. Pauvre
_Modestine!_ il ne devait plus la revoir.

Le père Adam avait pleuré quand il lui avait livré l'ânesse et lui,
l'ayant vendue à son tour, était sur le point de pleurer pareillement.
Et il aurait, dit-il, cédé à son émotion s'il n'avait pas eu près de
lui le postillon et cinq ou six joyeux compagnons de voyage.




MÉMOIRES DU CLUB CÉVENOL


Le «_Bulletin illustré du Club Cévenol_» publication trimestrielle,
n'est pas fait pour relater les travaux de longue haleine que des
correspondants érudits veulent bien consacrer à nos Cévennes.

Pour que le fruit de ces recherches ne soit pas perdu, la nécessité
s'imposait de publier à part les plus remarquables de ces études; c'est
de cette préoccupation qu'est née la série entreprise sous le titre
générique: «_Mémoires du Club Cévenol_».

Histoire,--géographie,--archéologie,--récits et légendes,--recherches
dans le sous-sol, les «_Mémoires du Club Cévenol_» ont un cadre
assez large pour offrir l'hospitalité à tous ces genres de travaux.
Il suffira que chacun des ouvrages présentés offre une originalité
suffisante et un caractère local pour qu'il soit digne de figurer dans
la collection.

Si le succès répond à nos espérances, chaque année la collection
s'enrichira d'un volume du même format que le Bulletin. Chaque volume
des «_Mémoires_» sera mis en souscription par l'un des groupes du Club
Cévenol et le jour où le nombre de souscripteurs sera assez élevé, la
publication aura lieu.

L'année 1901 inaugure la série de ces études et successivement
paraîtront:

Tome I Nº 1 _Barre et sa Seigneurie_; par M. L. JOURDAN, député de la
              Lozère;

  --   Nº 2 _La Salindrinque_: par M. X., membre correspondant du _Club
              Cévenol_;

  --   Nº 3 _Voyage à travers les Cévennes_; par STEVENSON; adaptation
              française par A. MOULHARAC;

Ces ouvrages viennent de paraître.

Tous ceux qui ont à cœur de grossir la phalange cévenole des pionniers
de nos montagnes, tous ceux qui veulent entretenir un commerce intime
avec les souvenirs présents et passés du coin de terre natal, viendront
à nous comme souscripteurs, apporter leur modeste part contributive
a l'œuvre entreprise et seconderont ainsi le _Club Cévenol_ dans la
direction nouvelle où il s'est engagé au seuil du XXe siècle.

  F. V.

========================================================================
A détacher et à renvoyer au secrétaire du groupe du Mt Liron à LASALLE
(Gard).

  _Je soussigné_ (nom; prénom et adresse)...............................

  ......................................................................

  _déclare souscrire aux Nos 2 et 3 des_ «Mémoires du Club Cévenol» _et
  m'engage à verser la somme de 2 fr. plus les frais de port, dès la
  réception des susdits ouvrages_.

  Signature,

========================================================================




Compagnie des SERVICES INTERNATIONAUX

DES CHEMINS DE FER

[Illustration: International Palace]


RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX

La Compagnie des Services Internationaux des Chemins de fer, dont
la fondation remonte à quatorze années, a été instituée dans le but
d'établir des relations entre toutes les compagnies de Chemins de fer
d'Europe et de les représenter: elle développe les voyages dans tous
les pays et fait connaître au public les nouvelles combinaisons de
billets qui lui permettent de bénéficier des grandes réductions et des
facilités accordées par les différentes Compagnies.

Elle centralise les tarifs et horaires, soude entre elles les lignes
directes et rapides, pour les relier aux points frontières afin
d'éviter toute interruption dans les parcours.

Ces tarifs, horaires et tracés de voyages sont publiés par
l'Administration centrale, à l'aide de divers guides, remis
gratuitement au public par ses soins, dans toutes les parties du
Continent.

Les bureaux de l'Administration sont installés dans l'=International
Palace=, 7 et 7 bis, Avenue Bosquet (_près du pont de l'Alma et des
Champs-Elysées_), centre essentiellement mondain et riche du Tout-Paris.


PUBLICITÉ DU BULLETIN ILLUSTRÉ ET DES MÉMOIRES DU "CLUB CÉVENOL"

Par suite de traités conclus avec l'Administration de la _Compagnie des
Services Internationaux des chemins de fer_, la publicité du _Bulletin
Illustré et des Mémoires du Club Cévenol_ est désormais confiée à M.
l'Administrateur délégué de la Compagnie qui a bien voulu nous prêter
son concours et celui de ses agents.

L'agent spécial chargé de ce service, M. LACOSTE, se présentera sous
peu chez nos anciens abonnés et chez quelques-uns de nos collègues:
Tous lui réserveront, nous n'en doutons pas, le meilleur accueil.


Excursions dans les Cévennes et les Causses
Service de Renseignements du «Club Cévenol»

Grâce à l'obligeance de M. l'Administrateur de la _Compagnie des
Services Internationaux des chemins de fer_, notre service de
renseignements pour les excursions dans les Cévennes et les Causses, va
être installé dans l'=International Palace= 7 et 7 bis, Avenue Bosquet,
à Paris.

M. HENRI DEGAS, secrétaire du Comité central, a bien voulu se charger
de réorganiser et de diriger notre nouveau service de renseignements.




CHEMIN DE FER D'ORLÉANS


PUBLICATIONS éditées par les soins de la Compagnie d'Orléans et mises
en vente dans ses gares

Le Livret-Guide illustré de la Compagnie d'Orléans (Notices, Vues,
Tarifs, Horaires), est mis en vente, au prix de =30= centimes:

1º à =Paris=: dans les bureaux de quartier et dans les gares du Quai
d'Orsay, du Pont-Saint-Michel, d'Austerlitz, Luxembourg, Port Royal et
Denfert;

2º en =Province=: dans les gares et principales stations.

Les publications ci-après, éditées par les soins de la Compagnie
d'Orléans, sont mises en vente dans toutes les bibliothèques des gares
de son réseau au prix de: =25= centimes.

  =Le Cantal.=
  =Le Berry= (au pays de George Sand).
  =Bretagne.=
  =De la Loire aux Pyrénées.=
  =La France en chemin de fer= (Itinéraire      }
    géographique de Paris à Tours).             }
  =La France en chemin de fer= (Itinéraire      }
  géographique de St-Denis-près-Martel à        }
    Arvant, ligne du Cantal).                   }  Premières livraisons
  =La France en chemin de fer= (Itinéraire      }  d'une collection
    géographique de Tours à Nantes).            }  qui sera continuée.
  =La France en chemin de fer= (Itinéraire      }
    géographique de Limoges à Clermont-Ferrand, }
    avec embranchement de Laqueuille au         }
    Mont-Dore).                                 }


Voyage d'Excursion aux Plages de Bretagne

Du 1er Mai au 31 Octobre, il est délivré des Billets de voyage
d'excursion aux plages de Bretagne, à prix réduits et comportant le
parcours ci-après:

=Le Croisic, Guérande, Saint-Nazaire, Savenay, Questembert, Ploërmel,
Vannes, Auray, Pontivy, Quiberon, Le Palais (Belle-Isle-en-Mer),
Lorient, Quimperlé, Rosporden, Concarneau, Quimper, Douarnenez,
Pont-l'Abbé, Châteaulin.=


ALLER ET RETOUR

Prix des billets: 1re classe, =45= fr.; 2e classe, =36= fr. Durée de
validité: =30= jours.

Ces billets comportent la faculté d'arrêt à tous les points du
parcours, tant à l'aller qu'au retour. Le voyage peut être commencé à
l'un quelconque des points du parcours.

Les voyageurs peuvent s'arrêter aux gares intermédiaires situées
entre les points indiqués à l'itinéraire, à la condition de déposer,
pendant le temps de leur séjour, leurs billets à la gare à laquelle ils
s'arrêtent.

Les voyageurs peuvent suivre, à leur gré, l'itinéraire dans le sens
inverse de celui indiqué ci-dessus; ils peuvent également ne pas
effectuer tous les parcours détaillés dans cet itinéraire, et se rendre
directement sur les seuls points où ils désirent passer ou séjourner,
en suivant, toutefois, le sens général de l'itinéraire qu'ils ont
choisi et en abandonnant leurs droits aux parcours non effectués. Ils
peuvent de même revenir directement à leur point de départ en suivant
au retour l'itinéraire parcouru à l'aller.

La durée de validité des Billets de =Voyage d'Excursion= peut être
prolongée de 10 jours, moyennant le paiement d'un supplément égal à 10
0/0 des prix ci-dessus. Cette prolongation pourra être accordée =trois
fois au plus=; le supplément à payer pour chaque prolongation de 10
jours sera de 10 0/0 du prix primitif. La demande de prolongation devra
être faite et le supplément payé avant l'expiration de la durée de la
validité, en tenant compte, s'il y a lieu, de la prolongation déjà
payée.

Il est délivré de toute station du réseau d'Orléans pour Savenay ou
tout autre point situé sur l'itinéraire du Voyage d'excursion aux
plages de Bretagne et inversement de Savenay, ou de tout autre point
situé sur ledit itinéraire à toute station dudit réseau, des billets
spéciaux de 1re et de 2e classe, comportant une réduction de 40 0/0 sur
le prix ordinaire des places, sous condition d'un parcours minimum de
50 kilomètres par billet.

Ces billets sont délivrés distinctement, le premier pour aller
rejoindre l'itinéraire du Voyage d'excursion aux plages de Bretagne, le
second pour quitter cet itinéraire lorsque le voyageur l'a terminé ou
veut l'abandonner.




CHEMINS DE FER DU MIDI


VOYAGES CIRCULAIRES

PARIS--CENTRE DE LA FRANCE--PYRÉNÉES

3 Voyages différents au choix du voyageur

Billets délivrés toute l'année aux prix uniformes ci-après pour les 3
itinéraires. 1re classe, 163 fr. 50--2e classe, 122 fr. 50--Durée: 30
jours non compris celui du départ.


_Faculté de prolongation moyennant supplément de 10 %_


VOYAGES CIRCULAIRES A PRIX RÉDUITS

EN PROVENCE ET AUX PYRÉNÉES


       { 1er, 2e et 3e parcours      68 fr. en 1re classe;  51 fr. en 2e classe.
  PRIX { 4e, 5e, 6e et 7e parcours   91 --           --     68 --          --
       { 8e parcours                114 --           --     87 --          --

Le 8e parcours peut, au moyen de billets spéciaux d'aller et retour
à prix réduits de ou pour Marseille, s'étendre de Marseille sur le
littoral jusqu'à Hyères, Cannes, Nice ou Menton, etc., au choix du
voyageur.

Durée: 20 jours pour les sept premiers parcours et 25 jours pour le
huitième.


_Faculté de prolongation moyennant supplément de 10 %_


BILLETS D'ALLER ET RETOUR INDIVIDUELS

Pour les stations hivernales et balnéaires des Pyrénées

Billets délivrés toute l'année avec réduction de 25 % en première
classe et 20 % en 2e et 3e classes dans les gares des réseaux du Nord
(Paris-Nord excepté), de l'Etat, d'Orléans et dans les gares du Midi
situées à 50 kilomètres au moins de la destination.

--Durée: 33 jours, non compris les jours de départ et d'arrivée.


_Faculté de prolongation moyennant supplément de 10 %_

Ces billets doivent être demandés 3 jours à l'avance à la gare de
départ.

Un arrêt facultatif est autorisé à l'aller et au retour pour tout
parcours de plus de 400 kilomètres.


BILLETS DE FAMILLE

Pour les stations hivernales et balnéaires des Pyrénées

Billets délivrés toute l'année dans les gares des réseaux du
Nord (Paris-Nord excepté), de l'Etat, d'Orléans, du Midi et de
Paris-Lyon-Méditerranée, suivant l'itinéraire choisi par le voyageur,
et avec les réductions suivantes sur les prix du tarif général pour un
parcours (aller et retour compris) d'au moins 300 kilomètres.--Pour une
famille de 2 personnes, 20 %; de 3, 25 %; de 4, 30 %; de 5, 35 %; de 6,
ou plus, 40 %.

Exceptionnellement pour les parcours empruntant le réseau de
Paris-Lyon-Méditerranée, les billets ne sont délivrés qu'aux familles
d'au moins quatre personnes et le prix s'obtient en ajoutant au prix de
6 billets simples ordinaires, le prix d'un de ces billets pour chaque
membre de la famille en plus de trois.

Arrêts facultatifs sur tous les points du parcours désignés sur la
demande.

Durée: 33 jours, non compris les jours de départ et d'arrivée.


_Faculté de prolongation moyennant supplément de 10 %_

Ces billets doivent être demandés au moins 4 jours à l'avance à la gare
de départ.


=AVIS.=--Un livret indiquant en détail les conditions dans lesquelles
peuvent être effectuées les excursions ci-dessus, est envoyé franco à
toute personne qui en fait la demande à la compagnie du Midi. Cette
demande doit être adressée au bureau commercial de la Compagnie, 54,
boulevard Haussmann, à Paris.




CHEMINS DE FER DE PARIS-LYON-MÉDITERRANÉE


Billets d'aller et retour collectifs

DÉLIVRÉS POUR LES

VILLES D'EAUX

DESSERVIES PAR LE RÉSEAU P.-L.-M.


Il est délivré du 15 Mai au 15 Septembre, dans toutes les gares
du réseau P.-L.-M., sous condition d'effectuer un parcours simple
minimum de 150 kilomètres, aux familles d'au moins quatre personnes
payant place entière et voyageant ensemble, des billets d'aller et
retour collectifs de 1re, 2e et 3e classes, =valables 33 jours=
pour les stations thermales suivantes: Aix (Aix-en-Provence),
Aix-les-Bains (Aix-les-Bains, Marlioz), Baume-les-Dames (Guillon),
Besançon, Bollène-la-Croisière (Condorcet), Bourbon-Lancy, Carpentras
(Montbrun), Celle (Balaruc), Chambéry (Challes), Charbonnières,
Clermont-Ferrand (Royat), Coudes (Saint-Neclaire), Digne, Divoune,
Euzet-les-Bains, Evian-les-Bains, Genève (Champel), Grenoble (Uriage),
Groisy-le-Plot-la-Caille, La Bastide-Saint-Laurent-les-Bains, Le
Fayet-Saint-Gervais (Saint-Gervais-les-Bains), Lépin-Lac-d'Aiguebelette
(La Bauche), Le Vigan (Cauvalat-lès-Vigan), Lons-le-Saunier, Manosque
(Gréoulx), Menthon (Lac d'Annecy), Montélimar (Bondonneau), Montpellier
(Brides), Pontcharra-sur-Bréda (Allevard), Pougues-les-Eaux, Rémilly
(Saint-Honoré-les-Bains), Riom (Châtelguyon, Châteauneuf), Roanne
(Saint-Alban), Sail-sous-Couzan, Saint-Georges-de-Commiers (La Motte),
Saint-Julien-de-Cassagnas (Les Fumades), Saint-Martin-Sail-les-Bains
(Sail-les-Bains), Salins (Jura), Santenay, Sarrians-Montmirail, Sauve
(Fonsange-les-Bains), Thonon-les-Bains, Vals-les-Bains-Labégude,
Vandenesse-Saint-Honoré-les-Bains, Vichy, Villefort (Bagnols).

Le prix s'obtient en ajoutant au prix de six billets simples (pour
les trois premières personnes) le prix d'un billet simple pour la
quatrième personne, la moitié de ce prix pour la cinquième et chacune
des suivantes.

=Arrêts facultatifs=: Faire la demande de billets 4 jours à l'avance.


Voyages circulaires à coupons combinables

Sur le réseau P.-L.-M.

Il est délivré toute l'année, dans toutes les gares du réseau P.-L.-M.,
des carnets individuels ou de famille pour effectuer sur ce réseau en
1re, 2e et 3e classes, des voyages circulaires à itinéraire tracé par
les voyageurs eux-mêmes, avec parcours d'au moins 300 kilomètres. Les
prix de ces carnets comportent des réductions très importantes qui
atteignent, pour les carnets de famille, 50 0/0 du Tarif général.

La validité de ces carnets est de 30 jours jusqu'à 1,500 kilomètres;
45 jours de 1,501 à 3,000 kilomètres; 60 jours pour plus de 3,000
kilomètres.

Faculté de prolongation, à deux reprises, de 15, 23 ou 30 jours suivant
le cas, moyennant le paiement d'un supplément égal au 10 0/0 du prix
total du carnet, pour chaque prolongation.

Arrêts facultatifs à toutes les gares situées sur l'itinéraire: Le
délai de demande est réduit à 2 jours (dimanches et fêtes non compris)
pour certaines grandes gares.


EXCURSIONS EN DAUPHINÉ

La Compagnie P.-L.-M., offre aux touristes et aux familles qui désirent
se rendre dans le Dauphiné vers lequel les voyageurs se portent de
plus en plus nombreux chaque année, diverses combinaisons de voyages
circulaires à itinéraires fixes ou facultatifs permettant de visiter à
des prix réduits, les parties les plus intéressantes de cette admirable
région: =La Grande Chartreuse=, =Les Gorges de la Bourne=, =Les
Grands-Goulets=, =Les Massifs d'Allevard= et des =Sept-Laux=, la =Route
de Briançon=, =Les Massifs du Pelvoux=, =etc.=

La nomenclature de ces voyages, avec prix et conditions, figure dans
le Livret-Guide-Officiel P.-L.-M., qui est mis en vente au prix de
50 cent., dans les gares du réseau, ou envoyé contre 0 fr. 85 cent.,
en timbres-poste adressés au Service Central de l'Exploitation
(Publicité), 20, boulevard Diderot, Paris (12e arr.)




CLUB CEVENOL

_Fondé à Florac, le 18 Septembre 1894_


NOUVEAUX STATUTS

ADOPTÉS PAR L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 13 SEPTEMBRE 1897

ET APPROUVÉS PAR ARRÊTÉ DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR DU 14 MAI 1898


I.--Objet de la Société--Siège Social

ARTICLE PREMIER.--Une société dite _Club Cévenol_ est fondée entre
les personnes qui adhèrent aux présents statuts. Elle a pour but
de recueillir et de centraliser les renseignements sur la région
des Cévennes et des Causses, d'explorer les Grottes ou Avens encore
inconnus et de publier le résultat de ses recherches. Elle se propose
également d'attirer l'attention des compagnies de chemins de fer, des
agences de voyages et des touristes sur les sites merveilleux de la
région et d'en faciliter l'accès et le séjour.

Le siège social de la Société est à Paris, 5, rue Las Cases, Hôtel du
Musée Social.


II.--Composition de la Société--Ressources

ART. 2.--La société se compose:

1º De _membres donateurs_ ayant versé une fois pour toutes une somme
d'au moins deux cents francs ou payant chaque année une cotisation de
dix francs au minimum;

2º De _Membres à vie_ ayant racheté leurs cotisations par un versement
une fois fait de cent francs;

3º De _Membres honoraires_ payant une cotisation de cinq francs par an;

4º De _Membres actifs_, rattachés à un groupe local et payant une
cotisation de deux francs par an;

5º De _Membres correspondants_ isolés de tout groupe local et payant
une cotisation annuelle de deux francs.

Les sociétaires appartenant à l'une des catégories ci-dessus et qui ont
soldé la cotisation de 1894 sont considérés comme _Membres fondateurs_.

ART. 3.--Pour entrer dans la société, il suffit de se rattacher à un
groupe local à titre de membre actif ou d'y être admis par le Comité
Central à l'un des titres énumérés par l'article 2. Il faut de plus
avoir versé ses cotisations dans les délais réglementaires.

Nul ne peut assister aux réunions s'il n'a été reçu membre du Club dans
la forme prévue par les statuts.

Une personne mineure ne pourra entrer dans la société sans le
consentement de ses parents.

ART. 4.--Toutes les cotisations sont payables d'avance en un seul
versement au 1er Janvier et avant le 1er Mai de chaque année. Le
produit en est intégralement remis au Comité Central qui l'emploie
aux dépenses d'intérêt général: achat de matériel nécessaire aux
explorations, aménagement de grottes, frais de correspondances,
publications, etc.

Toutefois la moitié du versement des Membres à vie et des cotisations
des Membres honoraires pourra être attribuée, sur la demande écrite de
ces membres, à la caisse particulière d'un groupe.

ART. 5.--Les discussions politiques et religieuses sont interdites dans
les réunions des membres du Club Cévenol.

La société devra se pourvoir d'une autorisation spéciale, pour chaque
fête organisée par ses soins.


III.--Groupes locaux--Délégués des Groupes

ART. 6.--Le nombre de membres nécessaires à la fondation d'un groupe
local est fixé a cinq. Tout groupe peut prendre le nom de la région
dont il est chargé de défendre les intérêts.

ART 7.--Les groupes sont autonomes, mais ils doivent se conformer aux
statuts et aux règlements de la Société ainsi qu'aux décisions prises
par le Comité Central.

ART. 8.--Le bureau de chaque groupe se compose au moins d'un Président,
d'un Secrétaire et d'un Trésorier.

Les membres de chaque groupe élisent un délégué par cinq membres pour
l'élection du Comité Central.

Le bureau et les délégués sont élus tous les ans au mois de décembre.

Ils sont rééligibles.

Nul ne peut être élu membre du bureau s'il n'est Français, majeur et ne
jouit de ses droits civils, civiques et politiques.

ART. 9.--Le secrétaire du groupe fait part dans la huitaine au
secrétaire général des délibérations du groupe.

ART. 10.--Le trésorier du groupe réunit les sommes dues au Comité
Central et les fait parvenir au trésorier général. Il remet un
récépissé aux sociétaires et en adresse un double au trésorier général.

ART. 11.--Le Comité Central consulte les délégués des groupes toutes
les fois qu'il le juge nécessaire.


IV.--Administration de la Société--Comité Central

ART. 12.--La direction et l'administration de la Société sont confiées
à un Comité Central composé de douze membres nommés par la réunion
plénière des délégués et renouvelables par tiers chaque année. Ces
membres sont immédiatement rééligibles.

Ce Comité élit un Président, un Vice-Président, un Secrétaire général,
deux Secrétaires et un Trésorier général. Il choisit parmi les membres
du groupe de Florac un Conservateur du musée et un Conservateur du
matériel.

Les Présidents de groupe font partie de droit du Comité Central: ils
y sont représentés par un délégué choisi par le groupe parmi les
membres du groupe de Paris; mais les délégués n'ont voix délibérative
au sein du Comité Central que pour les questions qui intéressent
particulièrement leur groupe.

ART. 13.--Le Comité Central institue autant de Commissions spéciales
qu'il le juge nécessaire à la prospérité de la société: publications,
excursions, musée, photographie et topographie, etc.

Toutes les fonctions sont gratuites.

ART. 14.--Un _Bulletin du Club Cévenol_ sera envoyé gratuitement à tous
les membres de la Société qui auront soldé leur cotisation.


V.--Assemblée générale--Réunion plénière des délégués

ART. 15.--Une assemblée générale sera convoquée chaque année en août
ou septembre dans l'une des localités où fonctionne un groupe local.
A cette assemblée, il sera donné lecture des rapports du Secrétaire
général et du Trésorier général.

ART. 16.--Une réunion plénière des délégués est convoquée à cette
occasion. Elle procède au renouvellement du Comité Central et prend
toutes les décisions qu'exige l'intérêt social du Club Cévenol.

Le Président fera connaître à l'autorité compétente tous les
changements survenus dans la composition du bureau, et chaque année lui
adressera un compte-rendu sur la situation morale et financière de la
société.

ART. 17.--En cas de dissolution, une assemblée générale sera convoquée
au siège du Comité Central et décidera de l'emploi de l'actif social à
la majorité absolue des membres votants.

Toutefois le Musée de la Société reviendra à la ville de Florac pour
servir à former un Musée lui appartenant.

ART. 18.--En cas de modifications aux statuts, la société devra
demander de nouveau l'autorisation prescrite par l'article 291 du Code
pénal.


MÉMOIRES DU CLUB CÉVENOL

Nº 1 =BARRE & SA SEIGNEURIE=; par M. LOUIS JOURDAN, député de la
  Lozère; prix: =1= fr. =50=.

Nº 2 =LA SALINDRINQUE=; prix: =3= fr.

Nº 3 =VOYAGE A TRAVERS LES CÉVENNES= avec un âne, par STEVENSON.
  Adaptation française par M. A. MOULHARAC; prix =1= fr. =50=.

Adresser les demandes à M. F. VIALA, Sociétaire du _Club Cévenol_, à
Lasalle (Gard).

N. B. D'autres Mémoires seront bientôt mis en souscription.


CAHORS ET LE VIGAN.--IMP. A. COUESLANT.--LE VIGAN




  TABLE DES MATIÈRES


  PRÉFACE écrite par Anatole Moulharac.                  3

  Voyage à travers les Cévennes avec un âne, par
  R. L. Stevenson.                                       5

  L'ânier à l'habit vert.                                8

  L'aiguillon.                                          13

  Un campement dans les ténèbres.                       17

  Le Cheylard et Luc.                                   21

  Notre-Dame des Neiges.                                23

  Les religieux.                                        25

  Les pensionnaires.                                    28

  A travers le Goulet.                                  30

  Une nuit au milieu des pins.                          31

  Le pays des camisards.                                34

  Le Pont-de-Montvert.                                  37

  Dans la vallée du Tarn.                               39

  Florac.                                               42

  Dans la vallée de la Mimente.                         43

  Le cœur de Cévennes.                                  44

  La dernière journée.                                  46

  Adieu Modestine!!                                     47





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE À TRAVERS LES CÉVENNES AVEC UN ÂNE ***


    

Updated editions will replace the previous one—the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for an eBook, except by following
the terms of the trademark license, including paying royalties for use
of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
copies of this eBook, complying with the trademark license is very
easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
of derivative works, reports, performances and research. Project
Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may
do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
license, especially commercial redistribution.


START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE

PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase “Project
Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg™ License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the
Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg™ License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work
on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the
phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

    This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
    other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
    whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
    of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
    at www.gutenberg.org. If you
    are not located in the United States, you will have to check the laws
    of the country where you are located before using this eBook.
  
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase “Project
Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg™.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg™ License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format
other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg™ website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain
Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works
provided that:

    • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
        the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method
        you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
        to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has
        agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
        within 60 days following each date on which you prepare (or are
        legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
        payments should be clearly marked as such and sent to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
        Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg
        Literary Archive Foundation.”
    
    • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
        you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
        does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™
        License. You must require such a user to return or destroy all
        copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
        all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™
        works.
    
    • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
        any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
        electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
        receipt of the work.
    
    • You comply with all other terms of this agreement for free
        distribution of Project Gutenberg™ works.
    

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right
of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.