Le droit à la paresse: réfutation du droit au travail de 1848

By Paul Lafargue

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Title: Le droit à la paresse: réfutation du droit au travail de 1848

Author: Paul Lafargue

Release date: October 11, 2025 [eBook #77029]

Language: French

Original publication: Paris: Henri Oriol, 1883

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE DROIT À LA PARESSE: RÉFUTATION DU DROIT AU TRAVAIL DE 1848 ***








  LE DROIT
  A LA
  PARESSE

  RÉFUTATION
  Du Droit au Travail de 1848

  PAR
  Paul LAFARGUE


  Henry ORIOL
  ÉDITEUR
  11, Rue Bertin-Poirée, 11
  1883




M. Thiers, dans le sein de la commission sur l’instruction primaire de
1849, disait: «Je veux rendre toute puissante l’influence du clergé,
parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui
apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir et non cette autre
philosophie qui dit au contraire à l’homme: jouis.»--M. Thiers formulait
la morale de la classe bourgeoise, dont il incarna l’égoïsme féroce et
l’intelligence étroite.

La bourgeoisie, alors qu’elle luttait contre la noblesse soutenue par le
clergé, arbora le libre-examen et l’athéisme; mais, triomphante, elle
changea de ton et d’allure; et, aujourd’hui, elle entend étayer de la
religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles,
elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la
chair et ses passions, réprouvées par le christianisme; de nos jours,
gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses
penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l’abstinence aux
salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale
chrétienne, frappe d’anathème la chair du travailleur; elle prend pour
idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de
supprimer ses joies et ses passions, de le condamner au rôle de machine
délivrant du travail sans trêve, ni merci.

Les socialistes révolutionnaires ont à recommencer le combat qu’ont
combattu les philosophes et les pamphlétaires de la bourgeoisie; ils ont
à monter à l’assaut de la morale et des théories sociales du
Capitalisme; ils ont à démolir, dans les têtes de la classe, appelée à
l’action, les préjugés semés par la classe régnante; ils ont à
proclamer, à la face des cafards de toutes les morales, que la terre
cessera d’être la vallée de larmes du travailleur; que dans la société
communiste de l’avenir que nous fonderons «pacifiquement si possible,
sinon violemment», les passions des hommes auront la bride sur le cou,
car «toutes sont bonnes de leur nature, nous n’avons rien à éviter que
leur mauvais usage et leurs excès»[1], et ils ne seront évités que par
le contre-balancement mutuel des passions, que par le développement
harmonique de l’organisme humain, car, dit le Dr Beddoe «ce n’est que
lorsqu’une race atteint son maximum de développement physique qu’elle
atteint son plus haut point d’énergie et de vigueur morale»[2].--Telle
était aussi l’opinion du grand naturaliste, Charles Darwin[3].

  [1] Descartes. _Les passions de l’âme_.

  [2] Docteur Beddoe. _Memoirs of anthropological Society_.

  [3] Ch. Darwin. _Descent of man_.

                   *       *       *       *       *

La réfutation du _droit au travail_ que je réédite, avec quelques notes
additionnelles, parut dans l’_Égalité_ hebdomadaire de 1880, deuxième
série.

P. L.

Sainte-Pélagie, 1883




LE DROIT A LA PARESSE

Réfutation du «Droit au Travail» de 1848.




I


Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la
civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite les misères
individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste
humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion furibonde du
travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu
et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale,
les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le
travail. Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que
leur Dieu; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce
que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne professe d’être chrétien,
économe et moral, j’en appelle de leur jugement à celui de leur Dieu;
des prédications de leur morale religieuse, économique, libre-penseuse,
aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste.

Dans la société capitaliste, le travail est la cause de toute
dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique. Comparez
le pur sang des écuries de Rothschild, servi par une valetaille de
bimanes, à la lourde brute des fermes normandes qui laboure la terre,
charriote le fumier, engrange la moisson. Regardez le noble sauvage que
les missionnaires du commerce et les commerçants de la religion n’ont
pas encore corrompu avec le christianisme, la syphilis et le dogme du
travail, et regardez ensuite nos misérables servants de machines[4].

  [4] Les explorateurs européens s’arrêtent étonnés devant la beauté
    physique et la fière allure des hommes des peuplades primitives, non
    souillés par ce que Pœppig appelait le «souffle empoisonné de la
    civilisation». Parlant des Aborigènes des îles océaniennes, lord
    George Campbell écrit: «Il n’y a pas de peuple au monde qui frappe
    davantage au premier abord. Leur peau unie et d’une teinte
    légèrement cuivrée, leurs cheveux dorés et bouclés, leur belle et
    joyeuse figure, en un mot, toute leur personne formaient un nouvel
    et splendide échantillon du _genus homo_; leur apparence physique
    donnait l’impression d’une race supérieure à la nôtre.» Les
    civilisés de l’ancienne Rome, les César et les Tacite, contemplaient
    avec la même admiration les Germains des tribus communistes qui
    envahissaient l’empire romain.--Ainsi que Tacite, Salvien, le prêtre
    du Ve siècle, qu’on surnomma le _maître des évêques_, donnait les
    barbares en exemple aux civilisés et aux chrétiens: «Nous sommes
    impudiques au milieu des barbares, plus chastes que nous. Bien plus,
    les barbares sont blessés de nos impudicités. Les Goths ne souffrent
    pas qu’il y ait parmi eux des débauchés de leur nation; seuls au
    milieu d’eux, par le triste privilège de leur nationalité et de leur
    nom, les Romains ont le droit d’être impurs. (La pédérastie était
    alors en grande mode parmi les chrétiens)... Les opprimés s’en vont
    chez les barbares chercher de l’humanité et un abri.»--(_De
    Gubernatione Dei_). La vieille civilisation et le christianisme
    naissant corrompirent les barbares du vieux monde; comme le
    christianisme vieilli et la moderne civilisation capitaliste
    corrompent les sauvages du nouveau monde.

    M. F. Le Play, dont on doit reconnaître le talent d’observation,
    alors même que l’on rejette ses conclusions sociologiques entachées
    de prudhomisme philanthropique et chrétien, dit dans son livre _les
    Ouvriers européens_ (1855): «La propension des bachkirs pour la
    paresse (les bachkirs sont des pasteurs semi nomades du versant
    asiatique de l’Oural); les loisirs de la vie nomade, les habitudes
    de méditation qu’elles font naître chez les individus les mieux
    doués communiquent souvent à ceux-ci une distinction de manières,
    une finesse d’intelligence et de jugement qui se remarque rarement
    au même niveau social dans une civilisation plus développée... Ce
    qui les répugne le plus, ce sont les travaux agricoles; ils font
    tout plutôt que d’accepter le métier d’agriculteur.» L’agriculture
    est, en effet, la première manifestation du travail servile dans
    l’humanité.

Quand, dans notre Europe civilisée, on veut retrouver une trace de la
beauté native de l’homme, il faut l’aller chercher chez les nations où
les préjugés économiques n’ont pas encore déraciné la haine du travail.
L’Espagne, qui, hélas! dégénère, peut encore se vanter de posséder moins
de fabriques que nous de prisons et de casernes; mais l’artiste se
réjouit en admirant le hardi Andalou, brun comme des castagnes, droit et
flexible comme une tige d’acier; et le cœur de l’homme tressaille en
entendant le mendiant, superbement drapé dans sa _capa_ trouée, traiter
d’_amigo_ des ducs d’Ossuna. Pour l’Espagnol, chez qui l’animal primitif
n’est pas atrophié, le travail est le pire des esclavages. Les Grecs de
la grande époque n’avaient, eux aussi, que mépris pour le travail; aux
esclaves seuls il était permis de travailler: l’homme libre ne
connaissait que les exercices corporels et les jeux de l’intelligence.
C’était aussi le temps où l’on marchait et respirait dans un peuple
d’Aristote, de Phidias, d’Aristophane; c’était le temps où une poignée
de braves écrasait à Marathon les hordes de l’Asie qu’Alexandre allait
bientôt conquérir. Les philosophes de l’antiquité enseignaient le mépris
du travail, cette dégradation de l’homme libre; les poètes chantaient la
paresse, ce présent des Dieux:

    _O Melibœe, Deus nobis hæc otia fecit[5]._

  [5] O Mélibé, un Dieu nous a donné cette oisiveté. Virgile,
    _Bucoliques_ (Voir appendice).

Christ, dans son discours sur la montagne, prêcha la paresse:
«Contemplez la croissance des lis des champs, ils ne travaillent ni ne
filent, et cependant, je vous le dis, Salomon, dans toute sa gloire, n’a
pas été plus brillamment vêtu[6].»

  [6] Évangile selon saint Mathieu, chap. VI.

Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême
exemple de la paresse idéale; après six jours de travail, il se repose
pour l’éternité.


Par contre, quelles sont les races pour qui le travail est une nécessité
organique? les Auvergnats; les Écossais, ces Auvergnats des îles
britanniques; les Gallegos, ces Auvergnats de l’Espagne; les
Poméraniens, ces Auvergnats de l’Allemagne; les Chinois, ces Auvergnats
de l’Asie. Dans notre société, quelles sont les classes qui aiment le
travail pour le travail? Les paysans propriétaires, les petits
bourgeois, qui les uns courbés sur leurs terres, les autres acoquinés
dans leurs boutiques, se remuent comme la taupe dans sa galerie
souterraine, et jamais ne se redressent pour regarder à loisir la
nature.

Et cependant, le prolétariat, la grande classe qui embrasse tous les
producteurs des nations civilisées, la classe qui, en s’émancipant,
émancipera l’humanité du travail servile et fera de l’animal humain un
être libre; le prolétariat, trahissant ses instincts, méconnaissant sa
mission historique, s’est laissé pervertir par le dogme du travail. Rude
et terrible a été son châtiment. Toutes les misères individuelles et
sociales sont nées de sa passion pour le travail.




II


En 1770, parut à Londres, un écrit anonyme intitulé: _An Essay on trade
and commerce_. Il fit à l’époque un certain bruit. Son auteur, grand
philanthrope, s’indignait de ce que «la plèbe manufacturière
d’Angleterre s’était mise dans la tête l’idée fixe qu’en qualité
d’Anglais, tous les individus qui la composent, ont, par droit de
naissance, le privilège d’être plus libres et plus indépendants que les
ouvriers de n’importe quel autre pays de l’Europe. Cette idée peut avoir
son utilité pour les soldats dont elle stimule la bravoure; mais moins
les ouvriers des manufactures en sont imbus, mieux cela vaut pour
eux-mêmes et pour l’État. Des ouvriers ne devraient jamais se tenir pour
indépendants de leurs supérieurs. Il est extrêmement dangereux
d’encourager de pareils engouements dans un État commercial comme le
nôtre, où peut-être les sept huitièmes de la population n’ont que peu ou
pas de propriété. La cure ne sera pas complète tant que nos pauvres de
l’industrie ne se résigneront pas à travailler six jours pour la même
somme qu’ils gagnent maintenant en quatre.»--Ainsi, près d’un siècle
avant Guizot, on prêchait ouvertement à Londres le travail comme un
frein aux nobles passions de l’homme. «Plus mes peuples travailleront,
moins il y aura de vices, écrivait d’Osterode, le 5 mai 1807, Napoléon.
Je suis l’autorité... et je serais disposé à ordonner que le dimanche,
passé l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les
ouvriers rendus à leur travail.» Pour extirper la paresse et courber les
sentiments de fierté et d’indépendance qu’elle engendre, l’auteur de
l’_Essay on trade_ proposait d’incarcérer les pauvres dans des maisons
idéales du travail (_ideal workhouses_) qui deviendraient «des maisons
de terreur où l’on ferait travailler 14 heures par jour, de telle sorte
que, le temps des repas soustrait, il resterait douze heures de travail
pleines et entières.»

Douze heures de travail par jour, voilà l’idéal des philanthropes et des
moralistes du dix-huitième siècle. Que nous avons dépassé ce _nec plus
ultra_! Les ateliers modernes sont devenus des maisons idéales de
correction, où l’on incarcère les masses ouvrières, où l’on condamne au
travail forcé pendant 12 et 14 heures, non seulement les hommes, mais
les femmes et les enfants[7]! Et dire que les fils des héros de la
Terreur se sont laissés dégrader par la religion du travail au point
d’accepter, après 1848, comme une conquête révolutionnaire, la loi qui
limitait à douze heures le travail dans les fabriques; ils proclamaient,
comme un principe révolutionnaire, le _Droit au travail_. Honte au
prolétariat français! Des esclaves seuls eussent été capables d’une
telle bassesse. Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un
Grec des temps antiques pour concevoir un tel avilissement.

  [7] Au premier Congrès de bienfaisance tenu à Bruxelles, en 1857, un
    des plus riches manufacturiers de Marquette, près de Lille, M.
    Scrive, aux applaudissements des membres du Congrès, racontait, avec
    la plus noble satisfaction d’un devoir accompli: «Nous avons
    introduit quelques moyens de distraction pour les enfants. Nous leur
    apprenons à chanter pendant le travail, à compter également en
    travaillant; cela les distrait et les fait accepter avec courage
    _ces douze heures de travail qui sont nécessaires pour leur procurer
    des moyens d’existence._»--Douze heures de travail, et quel travail!
    imposées à des enfants qui n’ont pas douze ans!--Les matérialistes
    regretteront toujours qu’il n’y ait pas un enfer pour y clouer ces
    chrétiens, ces philanthropes, bourreaux de l’enfance!

Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont
abattues sur le prolétariat, plus nombreuses que les sauterelles de la
Bible, c’est lui qui les a appelées.

Ce travail, qu’en juin 1848 les ouvriers réclamaient les armes à la
main, ils l’ont imposé à leurs familles; ils ont livré, aux barons de
l’industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils
ont démoli leur foyer domestique, de leurs propres mains ils ont tari le
lait de leurs femmes: les malheureuses, enceintes et allaitant leurs
bébés, ont dû aller dans les mines et les manufactures tendre l’échine
et épuiser leurs nerfs; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et
la vigueur de leurs enfants.--Honte aux prolétaires! Où sont ces
commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies aux
propos, franches de la gueule, amantes de la dive bouteille? Où sont ces
luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours courant,
toujours semant la vie, en engendrant la joie, enfantant sans douleurs
des petits sains et vigoureux?... Nous avons aujourd’hui les filles et
les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans
rutilance, à l’estomac délabré, aux membres alanguis!... Elles n’ont
jamais connu le plaisir robuste et ne sauraient raconter gaillardement
comment l’on cassa leur coquille!--Et les enfants? Douze heures de
travail aux enfants! O misère!--Mais tous les Jules Simon de l’Académie
des sciences morales et politiques, tous les Germinys de la jésuiterie,
n’auraient pu inventer un vice plus abrutissant pour l’intelligence des
enfants, plus corrupteur de leurs instincts, plus destructeur de leur
organisme, que le travail dans l’atmosphère viciée de l’atelier
capitaliste.

Notre époque est, dit-on, le siècle du travail; il est, en effet, le
siècle de la douleur, de la misère et de la corruption.

Et cependant les philosophes, les économistes bourgeois, depuis le
péniblement confus Auguste Comte, jusqu’au ridiculement clair
Leroy-Beaulieu; les gens de lettres bourgeois, depuis le
charlatanesquement romantique Victor Hugo, jusqu’au naïvement grotesque
Paul de Kock, tous ont entonné les chants nauséabonds en l’honneur du
dieu Progrès, le fils aîné du Travail. A les entendre, le bonheur allait
régner sur la terre; déjà on en sentait la venue. Ils allaient dans les
siècles passés fouiller la poussière et les misères féodales pour
rapporter de sombres repoussoirs aux délices des temps présents.--Nous
ont-ils fatigués, ces repus, ces satisfaits, naguère encore membres de
la domesticité des grands seigneurs, aujourd’hui valets de plume de la
bourgeoisie, grassement rentés; nous ont-ils fatigués avec le paysan du
rhétoricien La Bruyère? Eh bien! voici le brillant tableau des
jouissances prolétariennes en l’an de Progrès capitaliste 1840, peint
par un des leurs, par le Dr Villermé, membre de l’Institut, le même qui,
en 1848, fit partie de cette société de savants (Thiers, Cousin, Passy,
Blanqui l’académicien, en étaient), qui propagea dans les masses les
sottises de l’économie et de la morale bourgeoises.

C’est de l’Alsace manufacturière que parle le Dr Villermé, de l’Alsace
des Kestner, des Dollfus, ces fleurs de la philanthropie et du
républicanisme industriels.--Mais avant que le docteur ne dresse devant
nous le tableau des misères prolétariennes, écoutons un manufacturier
alsacien, M. Th. Mieg, de la maison Dollfus, Mieg et Cie, dépeignant la
situation de l’artisan de l’ancienne industrie: «A Mulhouse, il y a
cinquante ans (en 1813, alors que la moderne industrie mécanique
naissait), les ouvriers étaient tous enfants du sol, habitant la ville
et les villages environnants et possédant presque tous une maison et
souvent un petit champ[8].» C’était l’âge d’or du travailleur.--Mais
alors l’industrie alsacienne n’inondait pas le monde de ses cotonnades
et n’emmillionnait pas ses Dollfus et ses Kœchlin. Mais, vingt-cinq ans
après, quand Villermé visita l’Alsace, le minotaure moderne, l’atelier
capitaliste, avait conquis le pays; dans sa boulimie de travail humain,
il avait arraché les ouvriers de leurs foyers pour mieux les tordre et
pour mieux exprimer le travail qu’ils contenaient. C’étaient par
milliers que les ouvriers accouraient au sifflement de la machine. «Un
grand nombre, dit Villermé, cinq mille sur dix-sept mille, étaient
contraints, par la cherté des loyers, à se loger dans les villages
voisins. Quelques-uns habitaient à deux lieues et même deux lieues et
quart de la manufacture où ils travaillaient.

  [8] _Discours_ prononcé à la _Société internationale d’études
    pratiques d’économie sociale de Paris_, en mai 1863, et publié dans
    l’_Économiste français_ de la même époque.

«A Mulhouse, à Dornach, le travail commençait à cinq heures du matin et
finissait à huit heures du soir, été comme hiver... Il faut les voir
arriver chaque matin en ville et partir chaque soir. Il y a parmi eux
une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de
la boue et qui, à défaut de parapluies, portent renversés sur la tête,
lorsqu’il pleut ou qu’il neige, leurs tabliers ou jupons de dessus pour
se préserver la figure et le cou, et un nombre plus considérable de
jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons,
tout gras de l’huile des métiers qui tombe sur eux pendant qu’ils
travaillent. Ces derniers, mieux préservés de la pluie par
l’imperméabilité de leurs vêtements, n’ont même pas au bras, comme les
femmes dont on vient de parler, un panier où sont les provisions de la
journée; mais ils portent à la main ou cachent sous leurs vestes ou
comme ils peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à
l’heure de leur rentrée à la maison.

«Ainsi, à la fatigue d’une journée démesurément longue, puisqu’elle a au
moins quinze heures, vient se joindre pour ces malheureux celle des
allées et venues si fréquentes, si pénibles. Il résulte que le soir ils
arrivent chez eux accablés par le besoin de dormir, et que le lendemain
ils en sortent avant d’être complètement reposés pour se trouver à
l’atelier à l’heure de l’ouverture.»

Voici maintenant les bouges où s’entassaient ceux qui logeaient en
ville: «J’ai vu à Mulhouse, à Dornach et dans des maisons voisines, de
ces misérables logements où deux familles couchaient chacune dans un
coin, sur la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches...
Cette misère dans laquelle vivent les ouvriers de l’industrie du coton
dans le département du Haut-Rhin est si profonde, qu’elle produit ce
triste résultat que, tandis que dans les familles des fabricants,
négociants, drapiers, directeurs d’usines, la moitié des enfants atteint
la vingt et unième année, cette même moitié cesse d’exister avant deux
ans accomplis dans les familles de tisserands et d’ouvriers de filatures
de coton...»

Parlant du travail de l’atelier, Villermé ajoute: «Ce n’est pas là un
travail, une tâche, c’est une torture, et on l’inflige à des enfants de
six à huit ans... C’est ce long supplice de tous les jours qui mine
principalement les ouvriers dans les filatures de coton.» Et, à propos
de la durée du travail, Villermé observait que les forçats des bagnes ne
travaillent que dix heures, les esclaves des Antilles neuf heures en
moyenne, tandis qu’il existait dans la France qui avait fait la
Révolution de 89, qui avait proclamé les pompeux _Droits de l’Homme_,
«des manufactures où la journée était de seize heures, sur lesquelles on
n’accordait aux ouvriers qu’une heure et demie pour les repas[9].»

  [9] L.-R. Villermé, _Tableau de l’état physique et moral des ouvriers
    dans les fabriques de coton, de laine et de soie_ (1840). Ce n’était
    pas parce que les Dollfus, les Kœchlin et autres fabricants
    alsaciens étaient des républicains, des patriotes et des
    philanthropes protestants qu’ils traitaient de la sorte leurs
    ouvriers; car MM. Blanqui, l’académicien Reybaud, le prototype de
    Jérôme Paturot, et Jules Simon, le maître Jacques politique, ont
    constaté les mêmes aménités pour la classe ouvrière, chez les
    fabricants très catholiques et très monarchiques de Lille et de
    Lyon. Ce sont là des vertus capitalistes s’harmonisant à ravir avec
    toutes les fois politiques et religieuses.

O misérable avortement des principes révolutionnaires de la bourgeoisie!
ô lugubres présents de son dieu Progrès!--Les philanthropes acclament
bienfaiteurs de l’Humanité ceux qui, pour s’enrichir en fainéantant,
donnent du travail aux pauvres; mieux vaudrait semer la peste,
empoisonner les sources que d’ériger une fabrique capitaliste au milieu
d’une population rustique.--Introduisez le travail et adieu joie, santé,
liberté; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d’être vécue[10].

  [10] Les Indiens des tribus belliqueuses du Brésil tuent leurs
    infirmes et leurs vieillards; ils témoignent leur amitié en mettant
    fin à une vie qui n’est plus réjouie par des combats, des fêtes et
    des danses. Tous les peuples primitifs ont donné aux leurs ces
    preuves d’affection: les Massagètes de la mer Caspienne (Hérodote)
    aussi bien que les Wens de l’Allemagne et les Celtes de la Gaule.
    Dans les églises de Suède, dernièrement encore, on conservait des
    massues dites _massues-familiales_, qui servaient à délivrer les
    parents des tristesses de la vieillesse. Combien dégénérés sont les
    prolétaires modernes pour accepter en patience les épouvantables
    misères du travail de fabrique!

Et les économistes s’en vont répétant aux ouvriers: travaillez,
travaillez pour augmenter la fortune sociale! et cependant un
économiste, Destut de Tracy, leur répond: «Les nations pauvres, c’est là
où le peuple est à son aise; les nations riches, c’est là où il est
ordinairement pauvre»; et son disciple Cherbulliez de continuer: «Les
travailleurs eux-mêmes, en coopérant à l’accumulation des capitaux
productifs, contribuent à l’événement qui, tôt ou tard, doit les priver
d’une partie de leur salaire.»--Mais assourdis et idiotisés par leurs
propres hululements, les économistes de répondre: travaillez, travaillez
toujours pour créer votre bien-être! Et, au nom de la mansuétude
chrétienne, un prêtre de l’Église anglicane, le révérend Towsend,
psalmodie: travaillez, travaillez nuit et jour; en travaillant vous
faites croître votre misère, et votre misère nous dispense de vous
imposer le travail par la force de la loi. L’imposition légale du
travail «donne trop de peine, exige trop de violence et fait trop de
bruit; la faim, au contraire, est non seulement une pression paisible,
silencieuse, incessante, mais comme le mobile le plus naturel du travail
et de l’industrie, elle provoque aussi les efforts les plus puissants.»
Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et
vos misères individuelles; travaillez, travaillez, pour que devenant
plus pauvres vous ayez plus de raison de travailler et d’être
misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste.

Parce que prêtant l’oreille aux fallacieuses paroles des économistes,
les prolétaires se sont livrés corps et âme au vice du travail, ils
précipitent la société tout entière dans ces crises industrielles de
surproduction qui convulsent l’organisme social. Alors, parce qu’il y a
pléthore de marchandises et pénurie d’acheteurs, les ateliers se ferment
et la faim cingle les populations ouvrières de son fouet aux mille
lanières. Les prolétaires abrutis par le dogme du travail, ne comprenant
pas que le sur-travail qu’ils se sont infligés pendant le temps de
prétendue prospérité est la cause de leur misère présente, au lieu de
courir aux greniers à blé et de crier: «Nous avons faim, nous voulons
manger!... Vrai, nous n’avons pas un rouge liard, mais tout gueux que
nous sommes, c’est nous cependant qui avons moissonné le blé et vendangé
le raisin...»--Au lieu d’assiéger les magasins de M. Bonnet, de
Jujurieux, l’inventeur des couvents industriels et de clamer: «M.
Bonnet, voici vos ouvrières ovalistes, moulineuses, fileuses, tisseuses,
elles grelottent sous leurs cotonnades rapetassées à chagriner l’œil
d’un juif et cependant ce sont elles qui ont filé et tissé les robes de
soie des cocottes de toute la chrétienté. Les pauvresses travaillant
treize heures par jour, n’avaient pas le temps de songer à la toilette,
maintenant elles chôment et peuvent faire du frou-frou avec les soieries
qu’elles ont ouvrées. Dès qu’elles ont perdu leurs dents de lait, elles
se sont dévouées à votre fortune et ont vécu dans l’abstinence;
maintenant elles ont des loisirs et veulent jouir un peu des fruits de
leur travail. Allons, M. Bonnet, livrez vos soieries, M. Harmel fournira
ses mousselines, M. Pouyer-Quertier ses calicots, M. Pinet ses bottines
pour leurs chers petits pieds froids et humides... Vêtues de pied en
cap, et fringantes, elles vous feront plaisir à contempler. Allons, pas
de tergiversations;--vous êtes ami de l’humanité, n’est-ce pas, et
chrétien par dessus le marché?--Mettez à la disposition de vos ouvrières
la fortune qu’elles vous ont édifiée avec la chair de leur chair.--Vous
êtes ami du commerce?--Facilitez la circulation des marchandises; voici
des consommateurs tout trouvés; ouvrez-leur des crédits illimités. Vous
êtes bien obligé d’en faire à des négociants que vous ne connaissez ni
d’Adam ni d’Ève, qui ne vous ont rien donné, pas même un verre d’eau.
Vos ouvrières s’acquitteront comme elles le pourront; si, au jour de
l’échéance, elles gambettisent et laissent protester leur signature,
vous les mettrez en faillite, et si elles n’ont rien à saisir, vous
exigerez qu’elles vous paient en prières: elles vous enverront en
paradis, mieux que vos sacs noirs, au nez gorgé de tabac.»

Au lieu de profiter des moments de crise pour une distribution générale
des produits et un gaudissement universel, les ouvriers, crevant la
faim, s’en vont battre de leur tête les portes de l’atelier. Avec des
figures hâves, des corps amaigris, des discours piteux, ils assaillent
les fabricants: «Bon M. Chagot, doux M. Schneider, donnez-nous du
travail, ce n’est pas la faim, mais la passion du travail qui nous
tourmente!» Et ces misérables qui ont à peine la force de se tenir
debout, vendent douze et quatorze heures de travail deux fois moins cher
que lorsqu’ils avaient du pain sur la planche. Et les philanthropes de
l’industrie de profiter des chômages pour fabriquer à meilleur marché.

Si les crises industrielles suivent les périodes de sur-travail aussi
fatalement que la nuit le jour, traînant après elles le chômage forcé et
la misère sans issue, elles amènent aussi la banqueroute inexorable.
Tant que le fabricant a du crédit, il lâche la bride à la rage du
travail, il emprunte et emprunte encore pour fournir la matière première
aux ouvriers. Il fait produire, sans réfléchir que le marché s’engorge
et que, si ses marchandises n’arrivent pas à la vente, ses billets
viendront à l’échéance. Acculé, il va implorer le juif, il se jette à
ses pieds, lui offre son sang, son honneur. «Un petit peu d’or ferait
mieux mon affaire, répond le Rothschild, vous avez 20,000 paires de bas
en magasin, ils valent vingt sous, je les prends à quatre sous.» Les bas
obtenus, le juif les vend six et huit sous, et empoche de frétillantes
pièces de cent sous qui ne doivent rien à personne: mais le fabricant a
reculé pour mieux sauter. Enfin, la débâcle arrive et les magasins
dégorgent; on jette alors tant de marchandises par la fenêtre, qu’on ne
sait comment elles sont entrées par la porte. C’est par centaines de
millions que se chiffre la valeur des marchandises détruites; au siècle
dernier on les brûlait ou on les jetait à l’eau[11].

  [11] Au Congrès industriel tenu à Berlin, le 21 janvier 1879, on
    estimait à 568 millions de francs la perte qu’avait éprouvée
    l’industrie du fer en Allemagne pendant la dernière crise.

Mais avant d’aboutir à cette conclusion, les fabricants parcourent le
monde en quête de débouchés pour les marchandises qui s’entassent; ils
forcent leur gouvernement à annexer des Congo, à s’emparer des Tonkin, à
démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs
cotonnades. Aux siècles derniers, c’était un duel à mort entre la France
et l’Angleterre à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amérique
et aux Indes. Des milliers d’hommes jeunes et vigoureux ont rougi de
leur sang les mers, pendant les guerres coloniales des XVIe, XVIIe et
XVIIIe siècles.

Les capitaux abondent comme les marchandises. Les financiers ne savent
plus où les placer; ils vont alors, chez les nations heureuses qui
lézardent au soleil en fumant des cigarettes, poser des chemins de fer,
ériger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette
exportation de capitaux français se termine un beau matin par des
complications diplomatiques: en Égypte, la France, l’Angleterre,
l’Allemagne étaient sur le point de se prendre aux cheveux pour savoir
quels usuriers seraient payés les premiers; par des guerres du Mexique
où l’on envoie les soldats français faire le métier d’huissiers pour
recouvrer de mauvaises dettes[12].

  [12] La _Justice_ de M. Clemenceau, dans sa partie financière, disait
    le 6 avril: «Nous avons entendu soutenir cette opinion, que, à
    défaut de la Prusse, les milliards de la guerre de 1870 eussent été
    _également perdus_ pour la France et ce sous forme d’emprunt
    périodiquement émis pour l’équilibre des budgets étrangers; telle
    est également notre opinion.» On estime à cinq milliards la perte
    des capitaux anglais dans les emprunts des républiques de l’Amérique
    du Sud.--Les travailleurs français ont non seulement produit les
    cinq milliards payés à M. Bismarck; mais ils continuent à servir les
    intérêts de l’indemnité de guerre, aux Ollivier, aux Girardin, aux
    Bazaine et autres porteurs de titres de rente qui ont amené la
    guerre et la déroute. Cependant, il leur reste une fiche de
    consolation: ces cinq milliards n’occasionneront pas de guerre de
    recouvrement.

Ces misères individuelles et sociales, pour grandes et innombrables
qu’elles soient, pour éternelles qu’elles paraissent, s’évanouiront
comme les hyènes et les chacals à l’approche du lion, quand le
Prolétariat dira: «Je le veux.» Mais pour qu’il parvienne à la
conscience de sa force, il faut que le Prolétariat foule aux pieds les
préjugés de la morale chrétienne, économique, libre-penseuse; il faut
qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les _Droits de
la paresse_, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que les
phthisiques _Droits de l’homme_ concoctés par les avocats métaphysiciens
de la révolution bourgeoise; qu’il se contraigne à ne travailler que
trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée
et de la nuit.

Jusqu’ici ma tâche a été facile, je n’avais qu’à décrire des maux réels
bien connus de nous tous, hélas! Mais convaincre le Prolétariat que la
morale qu’on lui a inoculée est perverse, que le travail effréné auquel
il s’est livré dès le commencement du siècle est le plus terrible fléau
qui jamais ait frappé l’humanité, que le travail ne deviendra un
condiment des plaisirs de la paresse, un exercice bienfaisant à
l’organisme humain, une passion utile à l’organisme social que lorsqu’il
sera sagement réglementé et limité à un maximum de trois heures par
jour, est une tâche ardue au-dessus de mes forces; seuls des
physiologistes, des hygiénistes, des économistes communistes pourraient
l’entreprendre. Dans les pages qui vont suivre, je me bornerai à
démontrer qu’étant donnés les moyens de production modernes et leur
puissance reproductive illimitée, il faut mater la passion extravagante
des ouvriers pour le travail et les obliger à consommer les marchandises
qu’ils produisent.




III


Un poète grec, du temps de Cicéron, Antiparos, chantait ainsi
l’invention du moulin à eau (pour la mouture du grain) qui allait
émanciper les femmes esclaves et ramener l’âge d’or: «Épargnez le bras
qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez paisiblement! Que le
coq vous avertisse en vain qu’il fait jour! Dao a imposé aux nymphes le
travail des esclaves et les voilà qui sautillent allègrement sur la roue
et voilà que l’essieu ébranlé roule avec ses raies, faisant tourner la
pesante pierre roulante. Vivons de la vie de nos pères et oisifs
réjouissons-nous des dons que la déesse accorde.»--Hélas! les loisirs
que le poète païen annonçait ne sont pas venus; la passion aveugle,
perverse et homicide du travail transforme la machine libératrice en
instrument d’asservissement des hommes libres: sa productivité les
appauvrit.

Une bonne ouvrière ne fait avec le fuseau que cinq mailles à la minute,
certains métiers circulaires à tricoter en font trente mille dans le
même temps. Chaque minute de la machine équivaut donc à cent heures de
travail de l’ouvrière; ou bien chaque minute de travail de la machine
délivre à l’ouvrière dix jours de repos. Ce qui est vrai pour
l’industrie du tricotage est plus ou moins vrai pour toutes les
industries renouvelées par la mécanique moderne.--Mais que voyons-nous?
A mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l’homme
avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes, l’ouvrier, au
lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il
voulait rivaliser avec la machine. Oh! concurrence absurde et
meurtrière!

Pour que la concurrence de l’homme et de la machine prît libre carrière,
les prolétaires ont aboli les sages lois qui limitaient le travail des
artisans des antiques corporations; ils ont supprimé les jours
fériés[13]. Parce que les producteurs d’alors ne travaillaient que cinq
jours sur sept, croient-ils donc, ainsi que le racontent les économistes
menteurs, qu’ils ne vivaient que d’air et d’eau fraîche?--Allons
donc!--Ils avaient des loisirs pour goûter les joies de la terre, pour
faire l’amour et rigoler; pour banqueter joyeusement en l’honneur du
grand dieu de la Fainéantise. La morose Angleterre, encagottée dans le
protestantisme, se nommait alors la «joyeuse Angleterre» (_Merry
England_).--Rabelais, Quevedo, Cervantes, les auteurs inconnus des
romans picaresques, nous font venir l’eau à la bouche avec leurs
peintures de ces monumentales ripailles[14] dont on se régalait alors
entre deux batailles et deux dévastations, et dans lesquelles tout
«allait par escuelles.»--Jordaens et l’école flamande les ont écrites
sur leurs toiles réjouissantes. Sublimes estomacs gargantuesques,
qu’êtes-vous devenus? Sublimes cerveaux qui encercliez toute la pensée
humaine, qu’êtes-vous devenus?--Nous sommes bien dégénérés et bien
rapetissés. La vache enragée, la pomme de terre, le vin fuchsiné, le
schnaps prussien savamment combinés avec le travail forcé ont débilité
nos corps et borné nos esprits. Et c’est alors que l’homme rétrécit son
estomac et que la machine élargit sa productivité, c’est alors que les
économistes nous prêchent la théorie malthusienne, la religion de
l’abstinence et le dogme du travail? Mais il faudrait leur arracher la
langue et la jeter aux chiens.

  [13] Sous l’ancien régime, les lois de l’Église garantissaient au
    travailleur 90 jours de repos (52 dimanches et 38 jours fériés)
    pendant lesquels il était strictement défendu de travailler. C’était
    le grand crime du catholicisme, la cause principale de l’irréligion
    de la bourgeoisie industrielle et commerçante. Sous la Révolution,
    dès qu’elle fut maîtresse, elle abolit les jours fériés; et remplaça
    la semaine de sept jours par celle de dix; afin que le peuple n’eût
    plus qu’un jour de repos sur dix. Elle affranchit les ouvriers du
    joug de l’Église pour mieux les soumettre au joug du Travail.

    La haine contre les jours fériés n’apparaît que lorsque la moderne
    bourgeoisie industrielle et commerçante prend corps, entre les XVe
    et XVIe siècles. Henri IV demanda leur réduction au pape; il refusa
    parce que «une des hérésies qui courent le jourd’hui, est touchant
    les fêtes» (_Lettres du cardinal d’Ossat_). Mais, en 1666, Péréfixe,
    archevêque de Paris, en supprima 17 dans son diocèse. Le
    protestantisme, qui était la religion chrétienne, accommodée aux
    nouveaux besoins industriels et commerciaux de la bourgeoisie, fut
    moins soucieux du repos populaire; il détrôna au ciel les saints
    pour abolir sur terre leurs fêtes.

    La réforme religieuse et la libre pensée philosophique n’étaient que
    des prétextes qui permirent à la bourgeoisie jésuite et rapace
    d’escamoter les jours de fête du populaire.

  [14] Ces fêtes pantagruéliques duraient des semaines. Don Rodrigo de
    Lara gagne sa fiancée en expulsant les Maures de Calatrava la
    vieille, et le _Romancero_ narre que,

        _Las bodas fueron en Burgos,
        Las tornabodas en Salas:
        En bodas y tornabodas
        Pasaron siete semanas.
        Tantas vienen de las gentes,
        Que no caben por las plazas..._

    (Les noces furent à Burgos, les retours de noces à Salas; en noces
    et retours de noces, sept semaines passèrent; tant de gens
    accoururent que les places ne purent les contenir...)

    Les hommes de ces noces de sept semaines étaient les héroïques
    soldats des guerres de l’indépendance.

Parce que la classe ouvrière avec sa bonne foi simpliste s’est laissée
endoctriner, parce que, avec son impétuosité native, elle s’est
précipitée à l’aveugle dans le travail et l’abstinence, la classe
capitaliste s’est trouvée condamnée à la paresse et à la jouissance
forcées, à l’improductivité et à la sur-consommation. Mais, si le
sur-travail de l’ouvrier meurtrit sa chair et tenaille ses nerfs, il est
aussi fécond en douleurs pour le bourgeois.

L’abstinence à laquelle se condamne la classe productive oblige les
bourgeois à se consacrer à la sur-consommation des produits qu’elle
manufacture désordonnément. Au début de la production capitaliste, il y
a un ou deux siècles de cela, le bourgeois était un homme rangé, de
mœurs raisonnables et paisibles; il se contentait de sa femme ou à peu
près; il ne buvait qu’à sa soif et ne mangeait qu’à sa faim. Il laissait
aux courtisans et aux courtisanes les nobles vertus de la vie débauchée.
Aujourd’hui il n’est fils de parvenu qui ne se croit tenu de développer
la prostitution et de mercurialiser son corps pour donner un but aux
labeurs que s’imposent les ouvriers des mines de mercure; il n’est
bourgeois qui ne s’empiffre de chapons truffés et de Laffite navigué,
pour encourager les éleveurs de la Flèche et les vignerons du Bordelais.
A ce métier, l’organisme se délabre rapidement, les cheveux tombent, les
dents se déchaussent, le tronc se déforme, le ventre s’entripaille, la
respiration s’embarrasse, les mouvements s’alourdissent, les
articulations s’ankylosent, les phalanges se nouent. D’autres, trop
malingres pour supporter les fatigues de la débauche, mais dotés de la
bosse du prudhomisme, dessèchent leur cervelle comme les Garnier de
l’Économie politique, les Acollas de la philosophie juridique, à
élucubrer de gros livres soporifiques pour occuper les loisirs des
compositeurs et des imprimeurs.

Les femmes du monde vivent une vie de martyr. Pour essayer et faire
valoir les toilettes féériques que les couturières se tuent à bâtir, du
soir au matin elles font la navette d’une robe dans une autre; pendant
des heures, elles livrent leur tête creuse aux artistes capillaires qui,
à tout prix, veulent assouvir leur passion pour l’échafaudage des faux
chignons. Sanglées dans leurs corsets, à l’étroit dans leurs bottines,
décolletées à faire rougir un sapeur, elles tournoient des nuits
entières dans leurs bals de charité afin de ramasser quelques sous pour
le pauvre monde. Saintes âmes!

Pour remplir sa double fonction sociale de non-producteur et de
sur-consommateur, la bourgeoisie dut non seulement violenter ses goûts
modestes, perdre ses habitudes laborieuses d’il y a deux siècles et se
livrer au luxe effréné, aux indigestions truffées et aux débauches
syphilitiques; mais encore soustraire au travail productif une masse
énorme d’hommes afin de se procurer des aides.

Voici quelques chiffres qui prouvent combien colossale est cette
déperdition de forces productives. D’après le recensement de 1861, la
population de l’Angleterre et du pays de Galles comprenait 20,066,244
personnes, dont 9,776,259 du sexe masculin et 10,289,965 du sexe
féminin. Si l’on déduit ce qui est trop vieux ou trop jeune pour
travailler, les femmes, les adolescents et les enfants improductifs,
puis les professions _idéologiques_ telles que gouvernants, police,
clergé, magistrature, armée, prostitution, arts, sciences, etc., ensuite
les gens exclusivement occupés à manger le travail d’autrui, sous forme
de rente foncière, d’intérêt, de dividendes, etc..., il reste en gros
huit millions d’individus des deux sexes et de tout âge, y compris les
capitalistes fonctionnant dans la production, le commerce, la finance,
etc... Sur ces huit millions, on compte:

  Travailleurs agricoles (y compris les bergers, les valets
    et les filles de ferme habitant chez les fermiers)         1,098,261
  Ouvriers des fabriques de coton, de laine, de chanvre, de
    lin, de soie, de tricotage                                   642,607
  Ouvriers des mines de charbon et de métal                      565,835
  Ouvriers métallurgiques (hauts fourneaux, laminoirs, etc.)     396,998
  Classe domestique                                            1,208,648

«Si nous additionnons les travailleurs des fabriques textiles et ceux
des mines de charbon et de métal, nous obtenons le chiffre de 1,208,442;
si nous additionnons les premiers et ceux de toutes les usines
métallurgiques, nous avons un total de 1,039,605 personnes; c’est-à-dire
chaque fois un nombre plus petit que celui des esclaves domestiques
modernes. Voilà le magnifique résultat de l’exploitation capitaliste des
machines[15].» A toute cette classe domestique dont la grandeur indique
le degré atteint par la civilisation capitaliste, il faut ajouter la
classe nombreuse des malheureux voués exclusivement à la satisfaction
des goûts dispendieux et futiles des classes riches: tailleurs de
diamants, dentelières, brodeuses, relieurs de luxe, couturières de luxe,
décorateurs des maisons de plaisance, etc...[16]

  [15] Karl Marx, _Le Capital_.

  [16] «La proportion suivant laquelle la population d’un pays est
    employée comme domestique, au service des classes aisées, indique
    son progrès en richesse nationale et en civilisation.» (_R. M.
    Martin_, _Ireland before and after the Union_, 1848.) Gambetta, qui
    niait la question sociale, depuis qu’il n’était plus l’avocat
    nécessiteux du Café Procope, voulait sans doute parler de cette
    classe domestique sans cesse grandissante quand il réclamait
    l’avènement des nouvelles couches sociales.

Une fois accroupie dans la paresse absolue et démoralisée par la
jouissance forcée, la bourgeoisie, malgré le mal qu’elle en eut,
s’accommoda de son nouveau genre de vie. Avec horreur elle envisagea
tout changement. La vue des misérables conditions d’existence acceptées
avec résignation par la classe ouvrière et celle de la dégradation
organique engendrée par la passion dépravée du travail augmentaient
encore sa répulsion pour toute imposition de travail et pour toute
restriction de jouissances.

C’est précisément alors que, sans tenir compte de la démoralisation que
la bourgeoisie s’était imposée comme un devoir social, les prolétaires
se mirent en tête d’infliger le travail aux capitalistes. Les naïfs, ils
prirent au sérieux les théories des économistes et des moralistes sur le
travail et se sanglèrent les reins pour en imposer la pratique aux
capitalistes. Le Prolétariat arbora la devise: _Qui ne travaille pas, ne
mange pas_; Lyon, en 1831, se leva pour du _plomb ou du travail_; les
insurgés de Juin 48 réclamèrent le _Droit au travail_; les fédérés de
Mars 1871 déclarèrent leur soulèvement, _la Révolution du travail_.

A ces déchaînements de fureur barbare, destructives de toute jouissance
et de toute paresse bourgeoises, les capitalistes ne pouvaient répondre
que par la répression féroce; mais ils savent que s’ils ont pu comprimer
ces explosions révolutionnaires, ils n’ont pas noyé dans le sang de
leurs massacres gigantesques l’absurde idée du Prolétariat de vouloir
infliger le travail aux classes oisives et repues; et c’est pour
détourner ce malheur qu’ils s’entourent de prétoriens, de policiers, de
magistrats, de geôliers entretenus dans une improductivité laborieuse.
On ne peut plus conserver d’illusion sur le caractère des armées
modernes, elles ne se sont maintenues en permanence que pour comprimer
«l’ennemi intérieur»; c’est ainsi que les forts de Paris et de Lyon
n’ont pas été construits pour défendre la ville contre l’étranger, mais
pour l’écraser si elle se révoltait. Et s’il fallait un exemple sans
réplique, citons l’armée de la Belgique, de ce pays de Cocagne du
Capitalisme; sa neutralité est garantie par les puissances européennes
et cependant son armée est une des plus fortes proportionnellement à la
population. Les glorieux champs de bataille de la brave armée belge sont
les plaines du Borinage et de Charleroy; c’est dans le sang des mineurs
et des ouvriers désarmés que les officiers belges trempent leurs épées
et ramassent leurs épaulettes. Les nations européennes n’ont pas des
armées nationales, mais des armées mercenaires: elles protègent les
capitalistes contre la fureur populaire qui voudrait les condamner à dix
heures de mines ou de filature.

Donc, en se serrant le ventre, la classe ouvrière a développé outre
mesure le ventre de la bourgeoisie, condamnée à la sur-consommation.

Pour être soulagée dans son pénible travail, la bourgeoisie a retiré des
classes ouvrières une masse d’hommes de beaucoup supérieure à celle qui
restait consacrée à la production utile, et l’a condamnée à son tour à
l’improductivité et à la sur-consommation. Mais ce troupeau de bouches
inutiles, malgré sa voracité insatiable, ne suffit pas à consommer
toutes les marchandises que les ouvriers, abrutis par le dogme du
travail, produisent comme des maniaques, sans vouloir les consommer, et
sans même songer si l’on trouvera des gens pour les consommer.

En présence de cette double folie des travailleurs, de se tuer de
sur-travail et de végéter dans l’abstinence, le grand problème de la
production capitaliste n’est plus de trouver des producteurs et de
décupler leurs forces, mais de découvrir des consommateurs, d’exciter
leurs appétits et de leur créer des besoins factices. Puisque les
ouvriers européens, grelottants de froid et de faim, refusent de porter
les étoffes qu’ils tissent, de boire les vins qu’ils récoltent, les
pauvres fabricants, ainsi que des dératés, doivent courir aux antipodes
chercher qui les portera et qui les boira: ce sont des centaines de
millions et de milliards que l’Europe exporte tous les ans aux quatre
coins du monde à des peuplades qui n’en ont que faire[17]. Mais les
continents explorés ne sont plus assez vastes, il faut des pays vierges.
Les fabricants de l’Europe rêvent nuit et jour de l’Afrique, du lac
Saharien, du chemin de fer du Soudan; avec anxiété, ils suivent les
progrès des Livingstone, des Stanley, des du Chaillu, des de Brazza;
bouche béante, ils écoutent les histoires mirobolantes de ces courageux
voyageurs. Que de merveilles inconnues renferme «le Continent noir»! Des
champs sont plantés de dents d’éléphant, des fleuves d’huile de coco
charrient des paillettes d’or, des millions de culs noirs, nus comme la
face de Dufaure ou de Girardin, attendent des cotonnades pour apprendre
la décence, des bouteilles de schnaps et des bibles pour connaître les
vertus de la civilisation.

  [17] Deux exemples: le gouvernement anglais, pour complaire aux
    paysans indiens, qui malgré les famines périodiques qui désolent le
    pays s’entêtent à cultiver le pavot au lieu du riz ou du blé, a dû
    entreprendre des guerres sanglantes, afin d’imposer au Gouvernement
    chinois la libre introduction de l’opium indien. Les sauvages de la
    Polynésie, malgré la mortalité qui en fut la conséquence, durent se
    vêtir et se soûler à l’anglaise, pour consommer les produits des
    distilleries de l’Écosse et des ateliers de tissage de Manchester.

Mais tout est impuissant: bourgeois qui s’empiffrent, classe domestique
qui dépasse la classe productive, nations étrangères et barbares que
l’on engorge de marchandises européennes; rien, rien ne peut arriver à
écouler les montagnes de produits qui s’entassent plus hautes et plus
énormes que les pyramides d’Égypte: la productivité des ouvriers
européens défie toute consommation, tout gaspillage. Les fabricants,
affolés, ne savent plus où donner de la tête; ils ne peuvent plus
trouver de matière première pour satisfaire la passion désordonnée,
dépravée, de leurs ouvriers pour le travail. Dans nos départements
lainiers, on effiloche les chiffons souillés et à demi pourris, on en
fait des draps dits de _renaissance_, qui durent ce que durent les
promesses électorales; à Lyon, au lieu de laisser à la fibre soyeuse sa
simplicité et sa souplesse naturelle, on la surcharge de sels minéraux
qui, en lui ajoutant du poids, la rendent friable et de peu d’usage.
Tous nos produits sont adultérés pour en faciliter l’écoulement et en
abréger l’existence. Notre époque sera appelée l’_âge de la
falsification_, comme les premières époques de l’humanité ont reçu les
noms d’_âge de pierre_, d’_âge de bronze_, du caractère de leur
production. Des ignorants accusent de fraude nos pieux industriels,
tandis qu’en réalité la pensée qui les anime est de fournir du travail
aux ouvriers, qui ne peuvent se résigner à vivre les bras croisés. Ces
falsifications, qui pour unique mobile ont un sentiment humanitaire,
mais qui rapportent de superbes profits aux fabricants qui les
pratiquent, si elles sont désastreuses pour la qualité des marchandises,
si elles sont une source intarissable de gaspillage du travail humain,
prouvent la philanthropique ingéniosité des bourgeois et l’horrible
perversion des ouvriers qui, pour assouvir leur vice de travail,
obligent les industriels à étouffer les cris de leur conscience et à
violer même les lois de l’honnêteté commerciale.

Et cependant, en dépit de la sur-production de marchandises, en dépit
des falsifications industrielles, les ouvriers encombrent le marché
innombrablement, implorant du travail! du travail!--Leur surabondance
devrait les obliger à refréner leur passion; au contraire, elle la porte
au paroxysme. Qu’une chance de travail se présente, ils se ruent dessus;
alors c’est douze, quatorze heures qu’ils réclament pour en avoir leur
saoûl, et le lendemain les voilà de nouveau rejetés sur le pavé, sans
plus rien pour alimenter leur vice. Tous les ans, dans toutes les
industries, des chômages reviennent avec la régularité des saisons. Au
sur-travail meurtrier pour l’organisme, succède le repos absolu, pendant
des trois et six mois; et plus de travail, plus de pitance. Puisque le
vice du travail est diaboliquement chevillé dans le cœur des ouvriers;
puisque ses exigences étouffent tous les autres instincts de la nature;
puisque la quantité de travail requise par la société est forcément
limitée par la consommation et par l’abondance de la matière première,
pourquoi dévorer en six mois le travail de toute l’année?--Pourquoi ne
pas le distribuer uniformément sur les douze mois et forcer tout ouvrier
à se contenter de six ou cinq heures par jour, pendant l’année, au lieu
de prendre des indigestions de douze heures pendant six mois?--Assurés
de leur part quotidienne de travail, les ouvriers ne se jalouseront
plus, ne se battront plus pour s’arracher le travail des mains et le
pain de la bouche; alors, non épuisés de corps et d’esprit, ils
commenceront à pratiquer les vertus de la Paresse.

Abêtis par leur vice, les ouvriers n’ont pu s’élever à l’intelligence de
ce fait, que, pour avoir du travail pour tous, il fallait le rationner
comme l’eau sur un navire en détresse. Cependant des industriels, au nom
de l’exploitation capitaliste, ont depuis longtemps demandé une
limitation légale de la journée de travail. Devant la commission de 1860
sur l’enseignement professionnel, un des plus grands manufacturiers de
l’Alsace, M. Bourcart, de Guebwiller, déclarait: «Que la journée de
douze heures était excessive et devait être ramenée à onze, que l’on
devait suspendre le travail à deux heures le samedi. Je puis conseiller
l’adoption de cette mesure quoiqu’elle paraisse onéreuse à première vue;
nous l’avons expérimentée dans nos établissements industriels depuis
quatre ans et nous nous en trouvons bien, et la production moyenne, loin
d’avoir diminué a augmenté.» Dans son étude sur _les machines_, M. F.
Passy, cite la lettre suivante d’un grand industriel belge, M.
Ottevaere. «Nos machines, quoique les mêmes que celles des filatures
anglaises, ne produisent pas ce qu’elles devraient produire et ce que
produiraient ces mêmes machines en Angleterre, quoique les filatures
travaillent deux heures de moins par jour... Nous travaillons tous _deux
grandes heures de trop_: j’ai la conviction que si l’on ne travaillait
que onze heures au lieu de treize, nous aurions la même production et
produirions par conséquent plus économiquement.» D’un autre côté, M.
Leroy-Beaulieu affirme que «c’est une observation d’un grand
manufacturier belge que les semaines où tombe un jour férié n’apportent
pas une production inférieure à celle des semaines ordinaires...[18]»

  [18] Paul Leroy-Beaulieu. _La question ouvrière au XIXe siècle_, 1872.

Ce que le peuple, pipé en sa simplesse par les moralistes, n’a jamais
osé, un gouvernement aristocratique l’a osé. Méprisant les hautes
considérations morales et industrielles des économistes, qui, comme les
oiseaux de mauvais augure, croassaient que diminuer d’une heure le
travail des fabriques c’était décréter la ruine de l’industrie anglaise,
le gouvernement de l’Angleterre a défendu par une loi, strictement
observée, de travailler plus de dix heures par jour; et, après comme
avant, l’Angleterre demeure la première nation industrielle du monde.

La grande expérience anglaise est là, l’expérience de quelques
capitalistes intelligents est là: elles démontrent irréfutablement que,
pour puissancier la productivité humaine, il faut réduire les heures de
travail et multiplier les jours de paye et de fêtes, et le peuple
français n’est pas convaincu.--Mais si une misérable réduction de deux
heures a augmenté en dix ans de près d’un tiers la production
anglaise[19], quelle marche vertigineuse imprimera à la production
française une réduction légale de la journée de travail à trois heures?
Les ouvriers ne peuvent-ils donc comprendre qu’en se surmenant de
travail, ils épuisent leurs forces et celles de leur progéniture; que,
usés, ils arrivent avant l’âge à être incapables de tout travail;
qu’absorbés, abrutis par un seul vice, ils ne sont plus des hommes, mais
des tronçons d’hommes; qu’ils tuent en eux toutes les belles facultés
pour ne laisser debout et luxuriante que la folie furibonde du travail?

  [19] Voici, d’après le célèbre statisticien R. Giffen, du _Bureau de
    statistique_ de Londres, la progression croissante de la richesse
    nationale de l’Angleterre et de l’Irlande: en

      1814--elle était de...  55     milliards de francs.
      1865--       --        162 1/2     --         --
      1875--       --        212 1/2     --         --

Ah! comme des perroquets d’Arcadie ils répètent la leçon des
économistes: «Travaillons, travaillons pour accroître la richesse
nationale.» O idiots! c’est parce que vous travaillez trop que
l’outillage industriel se développe lentement. Cessez de braire et
écoutez un économiste; il n’est pas un aigle, ce n’est que M. L.
Reybaud, que nous avons eu le bonheur de perdre il y a quelques mois:
«C’est en général sur les conditions de la main-d’œuvre que se règle la
révolution dans les méthodes du travail. Tant que la main-d’œuvre
fournit ses services à bas prix, on la prodigue, on cherche à l’épargner
quand ses services deviennent plus coûteux[20].» Pour forcer les
capitalistes à perfectionner leurs machines de bois et de fer, il faut
hausser les salaires et diminuer les heures de travail des machines de
chair et d’os. Les preuves à l’appui? c’est par centaines qu’on peut les
fournir. Dans la filature, le métier renvideur (_self acting mule_) fut
inventé et appliqué à Manchester, parce que les fileurs se refusaient à
travailler aussi longtemps qu’auparavant.

  [20] Louis Reybaud.--_Le coton, son régime, ses problèmes_ (1863).

En Amérique, la machine envahit toutes les branches de la production
agricole, depuis la fabrication du beurre jusqu’au sarclage des blés:
pourquoi? Parce que l’Américain, libre et paresseux, aimerait mieux
mille morts que la vie bovine du paysan français. Le labourage si
pénible en notre glorieuse France, si riche en courbatures, est, dans
l’Ouest américain, un agréable passe-temps au grand air que l’on prend
assis, en fumant nonchalamment sa pipe.

Si, en diminuant les heures de travail, l’on conquiert à la production
sociale de nouvelles forces mécaniques; en obligeant les ouvriers à
consommer leurs produits, on conquerra une immense armée de forces
travail. La bourgeoisie, déchargée alors de sa tâche de consommateur
universel, s’empressera de licencier la cohue de soldats, de magistrats,
de figaristes, de proxénètes, etc., qu’elle a retirés du travail utile
pour l’aider à consommer et à gaspiller.--C’est alors que le marché du
travail sera débordant; c’est alors qu’il faudra une loi de fer pour
mettre l’interdit sur le travail: il sera impossible de trouver de la
besogne pour cette nuée de ci-devant improductifs, plus nombreux que les
poux des bois. Et après eux il faudra songer à tous ceux qui
pourvoyaient à leurs besoins et goûts futiles et dispendieux. Quand il
n’y aura plus de laquais et de généraux à galonner, plus de prostituées
libres et mariées à couvrir de dentelles, plus de canons à forer, plus
de palais à bâtir, il faudra, par des lois sévères, imposer aux
ouvrières et ouvriers en passementeries, en dentelles, en fer, en
bâtiments, du canotage hygiénique et des exercices chorégraphiques pour
le rétablissement de leur santé et le perfectionnement de la race. Du
moment que les produits européens consommés sur place ne seront plus
transportés au diable, il faudra bien que les marins, les hommes
d’équipe, les camionneurs s’assoient et apprennent à tourner les pouces.
Les bienheureux Polynésiens pourront alors se livrer à l’amour libre
sans craindre les coups de pied de la Vénus civilisée et les sermons de
la morale européenne.

Il y a plus. Afin de trouver du travail pour toutes les non-valeurs de
la société actuelle, afin de laisser l’outillage industriel se
développer indéfiniment, la classe ouvrière devra, comme la bourgeoisie,
violenter ses goûts abstinents, et développer indéfiniment ses capacités
consommatrices. Au lieu de manger par jour une ou deux onces de viande
coriace, quand elle en mange, elle mangera de juteux beefsteaks de une
ou deux livres; au lieu de boire modérément du mauvais vin, plus
catholique que le pape, elle boira à grandes et profondes rasades du
bordeaux, du bourgogne sans baptême industriel et laissera l’eau aux
bêtes.

Les prolétaires ont arrêté en leur tête d’infliger aux capitalistes des
dix heures de forge et de raffinerie; là est la grande faute, la cause
des antagonismes sociaux et des guerres civiles. Défendre et non imposer
le travail, il faudra. Les Rothschild, les Say seront admis à faire la
preuve d’avoir été, leur vie durant, de parfaits vauriens; et s’ils
jurent vouloir continuer à vivre en parfaits vauriens malgré
l’entraînement général pour le travail, ils seront mis en carte et à
leur mairie respective ils recevront tous les matins une pièce de vingt
francs pour leurs menus plaisirs. Les discordes sociales s’évanouiront.
Les rentiers, les capitalistes, tous les premiers, se rallieront au
parti populaire, une fois convaincus que loin de leur vouloir du mal, on
veut au contraire les débarrasser du travail de sur-consommation et de
gaspillage dont ils ont été accablés dès leur naissance. Quant aux
bourgeois incapables de prouver leurs titres de vauriens, on les
laissera suivre leurs instincts: il existe suffisamment de métiers
dégoûtants pour les caser,--Dufaure nettoierait les latrines publiques,
Galliffet chourinerait les cochons galeux et les chevaux farcineux; les
membres de la commission des grâces, envoyés à Poissy, marqueraient les
bœufs et les moutons à abattre; les sénateurs, attachés aux pompes
funèbres, joueraient les croque-morts. Pour d’autres, on trouverait des
métiers à portée de leur intelligence. Lorgeril, Broglie boucheraient
les bouteilles de champagne, mais on les muselerait pour les empêcher de
s’enivrer; Ferry, Freycinet, Tirard détruiraient les punaises et les
vermines des ministères et autres auberges publiques; il faudra
cependant mettre les deniers publics hors de la portée des bourgeois de
peur des habitudes acquises.

Mais, dure et longue vengeance on tirera des moralistes qui ont perverti
l’humaine nature, des cagots, des cafards, des hypocrites «et aultres
telles sectes de gens qui se sont déguisés comme masques pour tromper le
monde. Car donnant entendre au populaire commun qu’ils ne sont occupés
sinon à contemplation et dévotion, en jeusnes et macération de la
sensualité, sinon vrayement pour sustenter et alimenter la petite
fragilité de leur humanité: au contraire font chière, Dieu sçait quelle!
_et Curios simulant sed Bacchanalia vivunt_[21]. Vous le pouvez lire en
grosse lettre et enlumineure de leurs rouges muzeaulx et ventres à
poulaine, sinon quand ils se parfument de soulphre[22].» Aux jours des
grandes réjouissances populaires, où, au lieu d’avaler de la poussière
comme aux 15 août et aux 14 juillet du bourgeoisisme, les communistes et
les collectivistes feront aller les flacons, trotter les jambons et
voler les gobelets, les membres de l’Académie des sciences morales et
politiques, les prêtres à longue et courte robe de l’église économique,
catholique, protestante, juive, positiviste et libre-penseuse, les
propagateurs du malthusianisme et de la morale chrétienne, altruiste,
indépendante ou soumise vêtus de jaune, tiendront la chandelle à s’en
brûler les doigts et vivront en famine auprès des femmes galloises et
des tables chargées de viandes, de fruits et de fleurs, et mourront de
soif auprès des tonneaux débondés. Quatre fois l’an, au changement des
saisons, ainsi que les chiens des rémouleurs, on les enfermera dans de
grandes roues et pendant dix heures on les condamnera à moudre du vent.
Les avocats et les légistes subiront la même peine.

  [21] Ils simulent des Curius et vivent comme aux Bacchanales
    (_Juvénal_).

  [22] _Pantagruel_. Livre II, chapitre LXXIV.

En régime de paresse, pour tuer le temps qui nous tue seconde par
seconde, il y aura des spectacles et des représentations théâtrales
toujours et toujours; c’est de l’ouvrage tout trouvé pour nos bourgeois
législateurs. On les organisera par bandes, courant les foires et les
villages, donnant des représentations législatives. Les généraux en
bottes à l’écuyère, la poitrine chamarrée d’aiguillettes, de crachats,
de croix de la Légion d’honneur, iront par les rues et les places,
racolant les bonnes gens. Gambetta et Cassagnac son compère feront le
boniment de la porte. Cassagnac, en grand costume de matamore, roulant
des yeux, tordant la moustache, crachant de l’étoupe enflammée, menacera
tout le monde du pistolet de son père et s’abîmera dans un trou dès
qu’on lui montrera le portrait de Lullier; Gambetta discourra sur la
politique étrangère, sur la petite Grèce, qui l’endoctorise et mettrait
l’Europe en feu pour filouter la Turquie; sur la grande Russie, qui le
stultifie avec la compote qu’elle promet de faire de la Prusse et qui
souhaite à l’ouest de l’Europe plaies et bosses pour faire sa pelote à
l’est et étrangler le nihilisme à l’intérieur; sur M. de Bismarck, qui a
été assez bon pour lui permettre de se prononcer sur l’amnistie... puis,
dénudant sa large bedaine peinte aux trois couleurs, il battra dessus le
rappel et énumérera les délicieuses petites bêtes, les ortolans, les
truffes, les verres de Margaux et d’Yquem qu’il y a engloutonnés pour
encourager l’agriculture et tenir en liesse les électeurs de Belleville.

Dans la baraque, on débutera par la _Farce électorale_.

Devant des électeurs à tête de bois et à oreilles d’ânes, les candidats
bourgeois, vêtus en paillasse, danseront la danse des libertés
politiques, se torchant la face et la post-face avec leurs programmes
électoraux aux multiples promesses, et parlant avec des larmes dans les
yeux des misères du peuple et avec du cuivre dans la voix des gloires de
la France: et les têtes des électeurs de braire en chœur et solidement
hi han! hi han!

Puis commencera la grande pièce: _Le Vol des biens de la Nation_.

La France capitaliste, énorme femelle, velue de la face et chauve du
crâne, avachie, aux chairs flasques, bouffies, blafardes, aux yeux
éteints, ensommeillée et bâillant, s’allonge sur un canapé de velours; à
ses pieds, le Capitalisme industriel, gigantesque organisme de fer, à
masque simiesque, dévore mécaniquement des hommes, des femmes, des
enfants dont les cris lugubres et déchirants emplissent l’air; la Banque
à museau de fouine, à corps d’hyène et mains de harpies, lui dérobe
prestement les pièces de cent sous de la poche. Des hordes de misérables
prolétaires décharnés, en haillons, escortés de gendarmes, le sabre au
clair, chassés par des furies, les cinglant avec les fouets de la faim,
apportent aux pieds de la France capitaliste des monceaux de
marchandises, des barriques de vin, des sacs d’or et de blé. Langlois,
sa culotte d’une main, le testament de Proudhon de l’autre, le livre du
budget entre les dents se campe à la tête des défenseurs des biens de la
nation et monte la garde. Les fardeaux déposés, à coups de crosse et de
baïonnette, ils font chasser les ouvriers et ouvrent la porte aux
industriels, aux commerçants et aux banquiers. Pêle-mêle, ils se
précipitent sur le tas, avalant des cotonnades, des sacs de blé, des
lingots d’or, vidant des barriques: n’en pouvant plus, sales,
dégoûtants, ils s’affaissent dans leurs ordures et leurs vomissements...
Alors le tonnerre éclate, la terre s’ébranle et s’entr’ouvre, la
Fatalité historique surgit; de son pied de fer elle écrase les têtes de
ceux qui hoquettent, titubent, tombent et ne peuvent plus fuir, et de sa
large main elle renverse la France capitaliste, ahurie et suante de
peur.

                   *       *       *       *       *

Si, déracinant de son cœur le vice qui la domine et avilit sa nature, la
classe ouvrière se levait dans sa force terrible, non pour réclamer les
_Droits de l’homme_, qui ne sont que les droits de l’exploitation
capitaliste, non pour réclamer le _Droit au travail_ qui n’est que le
droit à la misère, mais pour forger une loi d’airain, défendant à tout
homme de travailler plus de trois heures par jour, la terre, la vieille
terre, frémissant d’allégresse, sentirait bondir en elle un nouvel
univers... Mais, comment demander à un prolétariat corrompu par la
morale capitaliste une résolution virile...

Comme Christ, la dolente personnification de l’esclavage antique, les
hommes, les femmes, les enfants du Prolétariat gravissent péniblement
depuis un siècle le dur calvaire de la douleur: depuis un siècle, le
travail forcé brise leurs os, meurtrit leurs chairs, tenaille leurs
nerfs; depuis un siècle, la faim tord leurs entrailles et hallucine
leurs cerveaux... ô Paresse, prends pitié de notre longue misère! ô
Paresse, mère des arts et des nobles vertus, sois le baume des angoisses
humaines!


FIN




APPENDICE


Nos moralistes sont gens bien modestes; s’ils ont inventé le dogme du
travail, ils doutent de son efficacité pour tranquilliser l’âme, réjouir
l’esprit et entretenir le bon fonctionnement des reins et autres
organes; ils veulent en expérimenter l’usage sur le populaire, _in animâ
vili_, avant de le tourner contre les capitalistes, dont ils ont mission
d’expliquer et d’autoriser les vices.

Mais, philosophes à quatre sous la douzaine, pourquoi vous battre ainsi
la cervelle à élucubrer une morale dont vous n’osez conseiller la
pratique à vos maîtres? Votre dogme du travail, dont vous faites tant
les fiers, voulez-vous le voir bafoué, honni?--Ouvrons l’histoire des
peuples antiques et les écrits de leurs philosophes et de leurs
législateurs.

«Je ne saurais affirmer, dit le père de l’histoire, Hérodote, si les
Grecs tiennent des Égyptiens le mépris qu’ils font du travail, parce que
je trouve le même mépris établi parmi les Thraces, les Scythes, les
Perses, les Lydiens; en un mot parce que chez la plupart des barbares,
ceux qui apprennent les arts mécaniques et même leurs enfants sont
regardés comme les derniers des citoyens... Tous les Grecs ont été
élevés dans ces principes, particulièrement les Lacédémoniens[23].»

  [23] _Hérodote_. Tom. II. Trad. LARCHER, 1786.

«A Athènes, les citoyens étaient de véritables nobles qui ne devaient
s’occuper que de la défense et de l’administration de la communauté,
comme les guerriers sauvages dont ils tiraient leur origine. Devant donc
être libres de tout leur temps pour veiller, par leur force
intellectuelle et corporelle, aux intérêts de la République, ils
chargeaient les esclaves de tout travail. De même à Lacédémone, les
femmes mêmes ne devaient ni filer ni tisser pour ne pas déroger à leur
noblesse[24].»

  [24] BIOT. _De l’abolition de l’esclavage ancien en Occident_, 1840.

Les Romains ne connaissaient que deux métiers nobles et libres,
l’agriculture et les armes; tous les citoyens vivaient de droit aux
dépens du Trésor, sans pouvoir être contraints de pourvoir à leur
subsistance par aucun des _sordidæ artes_ (ils désignaient ainsi les
métiers), qui appartenaient de droit aux esclaves. Brutus, l’ancien,
pour soulever le peuple, accusa surtout Tarquin, le tyran, d’avoir fait
des artisans et des maçons avec des citoyens libres[25].

  [25] _Tite-Live_, Liv. I.

Les philosophes anciens se disputaient sur l’origine des idées, mais ils
tombaient d’accord s’il s’agissait d’abhorrer le travail. «La nature,
dit Platon, dans son utopie sociale, dans sa république modèle, la
nature n’a fait ni cordonnier, ni forgeron; de pareilles occupations
dégradent les gens qui les exercent, vils mercenaires, misérables sans
nom, qui sont exclus par leur état même des droits politiques. Quant aux
marchands accoutumés à mentir et à tromper, on ne les souffrira dans la
cité que comme un mal nécessaire. Le citoyen qui se sera avili par le
commerce de boutique sera poursuivi pour ce délit. S’il est convaincu,
il sera condamné à un an de prison. La punition sera double à chaque
récidive[26].»

  [26] Platon. _République_. Liv. V.

Dans son _Économique_, Xénophon écrit: «Les gens qui se livrent aux
travaux manuels ne sont jamais élevés aux charges et on a bien raison.
La plupart, condamnés à être assis tout le jour, quelques-uns même à
éprouver un feu continuel ne peuvent manquer d’avoir le corps altéré et
il est bien difficile que l’esprit ne s’en ressente.» «Que peut-il
sortir d’honorable d’une boutique? professe Cicéron, et qu’est-ce que le
commerce peut produire d’honnête? tout ce qui s’appelle boutique est
indigne d’un honnête homme... les marchands ne pouvant gagner sans
mentir, et quoi de plus honteux que le mensonge! Donc, on doit regarder
comme quelque chose de bas et de vil le métier de tous ceux qui vendent
leur peine et leur industrie; car quiconque donne son travail pour de
l’argent se vend lui-même et se met au rang des esclaves[27].»

  [27] Cicéron. _Des devoirs_ I. Tit. II. Ch. XLII.

Prolétaires, abrutis par le dogme du travail, entendez-vous le langage
de ces philosophes, que l’on vous cache avec un soin jaloux:--Un citoyen
qui donne son travail pour de l’argent se dégrade au rang des esclaves,
il commet un crime, qui mérite des années de prison.

La tartuferie chrétienne et l’utilitarisme capitaliste n’avaient pas
perverti ces philosophes des républiques antiques; professant pour des
hommes libres, ils parlaient naïvement leur pensée. Platon, Aristote,
ces penseurs géants, dont nos Cousin, nos Caro, nos Simon ne peuvent
atteindre la cheville qu’en se haussant sur la pointe des pieds,
voulaient que les citoyens de leurs Républiques idéales vécussent dans
le plus grand loisir; car, ajoutait Xénophon, «le travail emporte tout
le temps et avec lui on n’a nul loisir pour la République et les amis.»
Selon Plutarque, le grand titre de Lycurgue, «le plus sage des hommes,»
à l’admiration de la postérité, était d’avoir accordé des loisirs aux
citoyens de la République en leur interdisant l’exercice d’un métier
quelconque[28].

  [28] Platon, _Rep._ V et _les Lois_ VIII; Aristote, _Rep._ II, et VII;
    Xénophon, _Econom._ IV et VI. Plutarque, _Vie de Lycurgue_.

Mais répondront les Bastiat, les Dupanloup et les Beaulieu de la morale
chrétienne et capitaliste, ces penseurs, ces philosophes préconisaient
l’esclavage!--Parfait, mais pouvait-il en être autrement, étant donné
les conditions économiques et politiques de leur époque? La guerre était
l’état normal des sociétés antiques; l’homme libre devait consacrer son
temps à discuter les lois de l’État et à veiller à sa défense; les
métiers étaient alors trop primitifs et trop grossiers pour que les
pratiquant on pût exercer son métier de soldat et de citoyen; afin de
posséder des guerriers et des citoyens, les philosophes et les
législateurs devaient tolérer des esclaves dans leurs républiques
héroïques.--Mais les moralistes et les économistes du Capitalisme ne
préconisent-ils pas l’esclavage moderne, le salariat? Et à quels hommes
l’esclavage capitaliste donne-t-il des loisirs?--A des Rothschild, à des
Germiny, à des Alphonses, inutiles et nuisibles, esclaves de leurs vices
et de leurs domestiques.

«Le préjugé de l’esclavage dominait l’esprit d’Aristote et de
Pythagore», a-t-on écrit dédaigneusement; et cependant Aristote rêvait
que: «si chaque outil pouvait exécuter sans sommation, ou bien de
lui-même, sa fonction propre, comme les chefs-d’œuvre de Dédale se
mouvaient d’eux-mêmes, ou comme les trépieds de Vulcain se mettaient
spontanément à leur travail sacré; si, par exemple, les navettes des
tisserands tissaient d’elles-mêmes, le chef d’atelier n’aurait plus
besoin d’aides, ni le maître d’esclaves.» Le rêve d’Aristote est notre
réalité. Nos machines, au souffle de feu, aux membres d’acier
infatigables, à la fécondité merveilleuse, inépuisable, accomplissent
docilement et d’elles-mêmes leur travail sacré, et cependant l’esprit
des grands philosophes du Capitalisme reste dominé par le préjugé du
salariat, le pire des esclavages. Ils ne comprennent pas encore que la
machine est le rédempteur de l’humanité, le Dieu qui rachètera l’homme
des _sordidæ artes_ et du travail salarié, le Dieu qui lui donnera des
loisirs et la liberté.


FIN


MOULINS.--TYP. AMANT COUVREUL.






*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE DROIT À LA PARESSE: RÉFUTATION DU DROIT AU TRAVAIL DE 1848 ***


    

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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
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