A la recherche de Bella

By Jean Giraudoux

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Title: A la recherche de Bella

Author: Jean Giraudoux

Release date: December 2, 2025 [eBook #77389]

Language: French

Original publication: Liège: A la lampe d'Aladdin, 1926

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK A LA RECHERCHE DE BELLA ***




  A LA RECHERCHE
  DE BELLA

  DE
  JEAN GIRAUDOUX


  A LA LAMPE D’ALADDIN
  14, Avenue Reine-Élisabeth
  1926




A LA RECHERCHE DE BELLA


Bella se dérobait. Plusieurs fois j’allai l’attendre à la porte du
Ministère de la Justice, place Vendôme. Au pied du mètre type gravé dans
le mur, j’attendais. J’attendais, sous la pluie, et en maugréant. Les
passants pouvaient croire que j’attendais la Justice elle-même. Je
faisais les cent pas, n’ayant d’autre distraction que de les étalonner
au mètre type. J’avais le col de mon pardessus relevé, les yeux aigus;
les passants coupables m’évitaient, me croyaient de la Justice secrète.
De la porte voisine, porte du Ritz, sortaient dix, vingt, cent femmes.
Je m’étais sans doute dans la vie trompé d’une porte! Que n’aurais-je
pas reçu à l’autre, mais par la mienne Bella ne sortit jamais... C’était
la première fois depuis la guerre que la chair féminine, les parfums,
les fourrures se raréfiaient autour de moi. C’était les premiers jours
depuis que je n’avais plus d’uniforme, où mes doigts n’avaient pas
ouvert un bâton de rouge, caressé, mamelle de luxe, souvent de l’amour,
un réticule, caressé des seins. J’avais troué ce filet de bras nus, qui
m’avait reçu en 1919 dans mon premier veston, et je me retrouvai seul
par terre, à Paris, sans amis. Mes meilleurs camarades étaient tués. Je
n’avais plus guère d’amis de mon âge que parmi les étrangers. Toutes ces
lettres, toutes ces pensées, destinées par ma nature et mon éducation à
des Limousins, à des Berrichons, à des Savoyards, c’étaient à des
Anglais, à un Italien, à un Balte, que je devais maintenant les envoyer.
C’est en Américain qu’on me félicitait de ma fête, de Noël. Ma jeunesse
ne me souriait plus guère qu’avec des dents en or. Mais voilà que ces
âmes de rechange se mettaient elles aussi à disparaître, Murphy tombait
dans le Niagara, Druso tuait son président du conseil et se suicidait.
Je souffrais un peu de l’immodestie de ces morts, mais les jeunes gens
que j’avais rencontrés chez mon père étaient justement, de retour chez
eux, les fauteurs de révolution ou de réformes. Celui qui fit sortir les
femmes des harems, celui qui souleva la Chine du Sud contre la Chine du
Nord, c’étaient mes nouveaux amis. Le journal du matin me donnait de mes
amis, en manchette, les nouvelles les plus personnelles. J’aurais mieux
aimé une carte postale. Moi qui avais désiré des amis rentiers,
notaires, jardiniers, pour lequel l’amitié était une partie de billard à
Vaucresson, un jardin à Pramain, mes nouveaux amis étaient Stefanik,
Mussolini. Je me cherchais des amis français. Je partais pour le pré
Catalan, pour les dancings, avec l’appréhension de mon premier départ
pour le lycée. Quels voisins allais-je voir? Je les cherchais au Café de
Paris, là où un autre eût cherché des femmes. Je les cherchais aux
environs des femmes, dans les endroits du monde où se trouvent le plus
de colliers et de diamants. Je m’asseyais dans le voisinage des jeunes
gens qui me paraissaient bien portants et gais. Je raccrochais surtout
la franchise, la loyauté. En deuil de l’amour, je raccrochais l’amitié.

J’avais eu tort de ne pas venir plus tôt au Palais de Glace. C’était la
fin des vacances. Les platanes du Grand Palais qui avaient
orgueilleusement résisté à l’essence des autos, au goudronnage,
succombaient à une souffrance qu’ils ne comprenaient pas, et qui était
l’automne. Ils me découvraient maintenant le fronton du Palais de Glace,
les feuilles mortes en jonchaient l’entrée, ils m’y menaient comme à
l’hiver. Ils m’effleuraient le visage de leur feuille la plus basse et
la plus solide, qui tombait, qui mourait de cette première caresse à un
homme. Je m’approchai d’eux, je les flattai, je n’avais plus ce sot
amour-propre qui empêche les humains de caresser les arbres; jusqu’à
hauteur d’homme, ils étaient maculés, souillés, mais, à partir de la
première fourche, plus intacts que ne l’a jamais été arbre à la campagne
et sans branche tranchée par l’orage, car le paratonnerre du théâtre
Marigny protégeait cette forêt de la foudre. Je me décidai, et, passant
sous le portique romain, pour cinq francs, j’arrivai au cœur de la
saison encore prochaine...

C’était, certes, la plus anodine des bacchanales d’après-guerre. Trente
couples tiraient de l’arène le grincement d’un archet sur un violon sans
résonance. Jamais la terre n’avait été instrument plus muet. Autour d’un
Atlantique terriblement condensé sous le gel, Américaines, Françaises,
Cubaines, étaient là à leur poste. On buvait de l’orgeat, de la
verveine. Toute la naïveté laissée pour compte des thés dansants était
là, et même l’on riait quand tombait un maladroit. La glace avait
conservé en ce lieu seul la bonne humeur. Les dangers qui étaient là
n’étaient plus mortels. L’eau était là, mais vaincue et solidifiée.
Quelques demi-mondaines étaient là, mais ce n’était pas l’amour qui
réunissait les couples, c’était l’équilibre. Un désir d’équilibre sans
doute me prit, d’équilibre avec une blonde, avec un boléro bordé de
chinchilla, je me lançai vers l’une d’elles. C’est juste à ce moment où
j’allais lui être infidèle que m’atteignit l’amitié. Un jeune homme me
heurta, vit mon visage contrarié, se mit à rire, et s’enfuit.

Je m’amusai à le poursuivre. Délaissant la femme qui m’attendait en
décrivant des circonférences parfaites, par une suite d’étoiles, de
quadrilatères et de triangles, j’arrivai à rejoindre mon ennemi, et à le
toucher du doigt. Il ne résista plus, il était pris. Je le fis
prisonnier, comme l’on fait d’ailleurs les prisonniers à la guerre et à
la marelle, en les touchant du doigt bien plus qu’en les saignant. Il se
présenta, m’invita à sa table que je voyais là-bas garnie d’un autre
jeune homme et de deux jeunes filles, et nous regagnâmes le sol ferme,
du pas des acteurs grecs en costume dans les coulisses, d’une marche
bien saccadée et laide pour deux nouveaux amis, et comme tous ceux
d’ailleurs qui sortent d’une belle fiction: en canards.

Je restai avec eux. De temps en temps un de mes amis s’échappait sans
prévenir, comme un pigeon de sa grange, patinait à toute allure derrière
quelque moucheron, et revenait satisfait. Dès qu’il s’était amassé un
peu de silence ou de gêne à notre table, l’un de nous se précipitait
ainsi et tournait un moment sur ce qu’il y a de plus lisse en fait de
croûtes jeunes. Quand nous entrions au bal, visage éclatant, sous des
becs électriques, ils me mettaient inconsciemment au milieu de leur
groupe, m’éloignaient de quelques mètres de ceux qui auraient reconnu
sur moi, à des stigmates invisibles aux jeunes, que j’avais passé la
trentaine, et quand je jouais au rugby avec les jeunes gens, ils me
plaçaient aussi au centre de l’équipe. Ils me soignaient tous quatre
comme les filles du roi soignaient Achille, dissimulant ces dix années
d’aînesse comme un sexe. A vrai dire, je ne me sentais vraiment leur
égal qu’au bal masqué, quand, tous cinq sous le même domino noir, nous
échangions toutes les plaisanteries qu’on fait sous les tunnels, nous
disions toutes les vérités qu’on dit dans l’obscurité. Mais, en plein
air, j’étais parfois acculé à la fourberie. J’éprouvais sans broncher
pour la seconde fois des impressions premières. Hypocritement, je devais
marquer un temps devant des sensations que je n’éprouvais plus, devant
un écrasé par exemple, car aucun d’eux n’avait vu d’accident et de mort.
Tous quatre pâlissaient, et moi, qui étais un de ceux qui depuis les
Teutons ou les Cimbres ont vu le plus de cadavres entassés, je devais
regarder une minute la mort avec mes yeux de vingt ans. Un sourire
devant cet écrasé, un geste d’indifférence, un jeu de mots, et j’étais
trahi. Devant les mariées aussi. Je vivais à nouveau avec des amis qui
n’avaient jamais vu de mort et jamais fait l’amour. Dans ces bals, ces
dancings, j’avais la jeunesse des couvents. Ils m’avaient présenté leurs
amis, les amis de leurs amis, je n’avais qu’à me laisser faire pour être
tissé dans une génération plus jeune. Je n’avais qu’à me mentir un peu
pour éprouver à nouveau mon premier amour, pour embrasser pour la
première fois, pour pousser pour la première fois sur les marches qui
conduisent au Sacré-Cœur, le soir, une jeune fille, pour faire mon
premier geste hardi. Ma jeunesse me retombait comme un doux rocher de
Sisyphe. Les grands orages, les tournants de la Seine à Meudon me
disaient:--Je suis ton premier orage, je suis ton premier tournant de
Seine! Trompée par mon entourage, toute la nature se trompait à mon
égard, et me fournissait, devant les châteaux, les forêts, les
charmilles, au lieu de son langage implacable connu de moi avec ses
roueries et ses grâces, me fournissait des naïvetés, des balbutiements.
Si j’éprouvais le besoin de montrer à mes amis les quartiers que
j’habitais autrefois, dans les rues usées depuis vingt ans par mon
regard et mon pas, je voyais tout rajeunir autour de moi, les couleurs
des devantures s’avivaient, les pieds des boutiques de moulagistes me
donnaient un jeune dégoût, et j’allais plus allègrement, en saumon qui
remonte son fleuve. La nuit tombait, je donnais le bras aux jeunes
filles; et soudain, si nous regardions le ciel, je voyais une étoile, la
première...

Il se trouva que vers la même époque, je rencontrai aussi un camarade de
guerre qui m’emmena chez lui. Mais il n’était pas non plus de mon âge.
C’était mon aîné de quinze ans. Si l’égoïsme vital me poussait vers les
jeunes, un attrait aussi grand me jeta dans cette génération à cheveux
gris-sel pour les hommes et dorés pour les femmes. Mon camarade habitait
un appartement peuplé d’objets, de livres qui à dix ans près n’étaient
pas faits, n’étaient pas écrits pour moi, et dans ce mobilier à mes yeux
aussi inaliénable qu’un cercueil, il vivait un âge qu’il croyait libre
et vivant. Ses bronzes de Rodin, ses grès de Carriès, ses fleurs
d’Odilon Redon me paraissaient aussi anciens et fatals que les objets
des nécropoles. Du fait de ces quinze ans seulement, et bien qu’ils
eussent été jeunes pour mes aînés directs, c’était une lumière
d’éternité, presque le renoncement, de deuil, qui tombait des Cézanne et
des Renoir. Tous les artistes, toutes les particularités d’art qui
avaient ennobli la vie de mon camarade, me semblaient maintenant
l’alourdir, la pétrifier. Mais d’autre part, j’admirais ce quadragénaire
d’être au centre même de l’existence. Tous ces nœuds qu’une existence
d’homme a pour but de former ou de dénouer, il en avait le maniement.
Médecin, il était à l’âge où il pouvait être le plus redoutable pour la
maladie. Ce que la jeunesse appelle des biens fugitifs, la fortune, la
maîtrise de soi, la renommée, il était justement en train de les saisir.
Il était à cet âge où les hommes ont découvert la vapeur, l’électricité,
et le mouvement même des planètes. Il portait dans ses yeux, comme tous
les quadragénaires, cette flamme inconnue dans les autres regards et à
laquelle s’enflamme à distance l’essence du monde. Je le trouvais
entouré de gens dont pas un n’ignorait ce qu’est la vie, et dont tous,
femmes ou hommes, s’entendaient à la fois pour entasser le maximum de
besogne humaine et râfler le maximum de joies. Tous ces mots de jour,
d’aube, de crépuscule, coulaient sur des êtres mûrs, gonflés par l’âge à
leur densité extrême, mais les rides, la presbytie, étaient encore de
jeunes rides, une jeune presbytie. Les mots de Passion, de Liaison,
d’Amour se disaient devant les femmes à poitrine pleine, qui
connaissaient tous les procédés d’étreinte ou d’apaisement. Elles
étaient folles de couturières, et donnaient chaque semaine leurs beaux
corps à la mode comme à une armure éternelle. Chacun de ces êtres était
à la fois son symbole et son secret. Je les admirais et les plaignais.
Eux aussi affectaient de me croire leur contemporain, me plaçant en
serre-file cette fois quand nous sortions ensemble. Je les plaignais. Je
voyais cette génération entrer dans la lutte suprême contre l’âge avec
des armes de vieux modèle, avec des impressionnistes, des pastellistes
de fleurs, alors que les armes percutantes de l’année, et devant qui la
mort n’insistait pas, étaient Derain et Picasso. L’un d’eux déclarait
parfois tout haut son amour pour Sisley, pour Jongkind: c’était un aveu
d’impuissance, c’était une provocation à la mort. Chacun des noms
propres d’ingénieurs, de demi-mondaines, d’écrivains qu’ils prononçaient
me paraissaient sur eux des étiquettes de mortalité, tandis que ceux de
mes jeunes amis étaient des firmans contre la mort. Mais, au milieu
d’eux, sur cette mer agitée dont seul je ne courais pas les périls,
d’une chair et d’une âme encore insensibles à leurs maux et à leurs
soucis, j’avais tous les délires d’une traversée pour eux suprême et
pour moi anodine. Avec ceux-là aussi je devais être hypocrite. J’avais à
me montrer plus engourdi devant les voitures, devant les balles de
tennis. Aux mots de Bronchite, de Rhumatisme, qui étaient pour mes
cadets aussi inoffensifs que les mots Coryza ou Fluxion, je devais
prendre l’air grave, soucieux. C’étaient les ennemis, les vainqueurs des
hommes qui déjà s’annonçaient ainsi, par de petits coups à l’orteil ou
aux côtes. C’était la punition, comme disent les boxeurs, qui allait en
vingt ou trente ans les mettre hors du ring... C’est ainsi que pendant
deux mois, n’ayant plus autour de moi mes propres années, je vécus en
parasite chez la génération cadette, y buvant sournoisement la jeunesse,
chez la génération aînée, y goûtant un fruit non moins défendu, et
j’étais heureux, car de ces âges je n’avais ni du premier l’ignorance ni
du second la peur. Libre à moi de choisir définitivement l’une d’elles.
Deux âges différents s’ouvraient sans secrets et sans réserve à moi,
orphelin de mon âge propre.

Je ne me décidais pas. La jeunesse me flattait. J’étais flatté
d’escorter à bicyclette les jeunes filles le long de routes surchargées
de l’odeur des acacias, dans laquelle se noyait presque leur parfum à
nom encore inoffensif: Première Valse, Aube Grecque. J’aimais leur
aisance dans la vie, cette aisance qui permet à ceux-là seuls qui
ignorent tout de la vie de s’y promener sans erreur. Elles étaient
secrètes et souvent muettes, pleines d’une confiance voulue, d’une
défiance native, avec des mouvements justes, avec une pensée à la fois
sauvage et apprivoisée qui se plaçait toujours près de la vôtre,
dédaigneuse cependant et insaisissable, comme le chat à un millimètre du
point où le chien peut l’atteindre. Elles étaient dans cet âge si vite
déformé où la nature semble avoir créé les femmes pour faire de chacune
le symbole d’une qualité. L’une n’était que générosité, l’autre
qu’audace. Au lieu de ces palettes qu’étaient leurs aînées, sur
lesquelles tout était écrasé et mêlé, veulerie et énergie, indifférence
et dévouement, non sans un soutien de rouge et de kohl, j’avais là deux
couleurs séparées, nouvelles, et qui pouvaient me servir pour un nouvel
art. Cependant je les quittais sans peine. Avec elles j’avais souvent le
sentiment de celui qui au Jeu de l’Oie a dû rétrograder et revient dix
cases en arrière. J’avais, au milieu de ce groupe, le sentiment d’avoir
retourné la lorgnette, de regarder par le gros bout ce qui était le but,
l’enjeu de ma vie, ce que ces jeunes gens appelaient déjà de son vrai
nom la mort. De la voir faussement éloignée me causait un malaise. Dans
l’autre groupe au contraire, je la voyais par le petit bout, à travers
des femmes belles et mûres, des hommes puissants et minés... De la
savoir faussement proche, j’étais heureux.

Un jour, à l’exposition canine, je vis les deux groupes arriver chacun
par une porte. Ils se précipitèrent sur moi, se heurtèrent sur moi. Mon
camarade de guerre et le jeune homme du Palais de Glace me prirent en
même temps la main, puis se reconnurent, et la laissèrent tomber.

--Tiens, bonjour, Bernard! dit le premier.

--Bonjour, mon père! dit Bernard.

Ils s’affrontèrent du regard. C’était le père et le fils, qu’un divorce
avait éloignés depuis dix ans.

--Tu connais mon ami Philippe?

--Ton ami? C’est le mien. Je le vois tous les jours.

On eût dit un de ces coups montés, dans les comédies, où l’on découvre
les imposteurs. Je me sentis traître à chacun, traître aussi à mon vrai
âge. Ils me laissèrent là. Par bonheur, j’aperçus Fontranges. Je courus
à lui. Tout ce que mes rapports avec l’âge mûr et la jeunesse
contenaient d’équivoque disparut près de ce vieillard, comme il en eût
été d’ailleurs près d’un enfant.

                   *       *       *       *       *

Il ne m’évita pas, et je l’escortai tout l’après-midi, assistant à sa
réconciliation avec chaque espèce canine. J’étais à l’aise avec lui? Je
n’avais pas, avec cet homme à cheveux presque blancs, parvenu sans
équivoque à la vieillesse, à forcer ni ma jeunesse ni mon âge. Tout dans
son langage, son allure, son vêtement, calmait en moi, au lieu de la
troubler, ma vie. J’avais trouvé. A défaut de compagnons de génération,
ce n’était pas un aîné, ce n’était pas un cadet qui me donnaient la
force et la conscience de mon âge, mais un vieillard. J’avais ce
vis-à-vis pour me situer et me connaître. Quand je voyais ses veines un
peu gonflées, ses articulations un peu noueuses et craquantes, ses
prunelles pures encastrées dans un œil fendu de filets rouges, tous les
objets autour de nous, tous les sentiments se replaçaient de moi à la
bonne distance, la mort ni trop près ni trop loin, l’ambition à ma
gauche, l’amour dans mes bras mêmes. Peut-être un enfant de deux ans
m’eût-il donné la même conscience. Mais aujourd’hui, grâce à Fontranges,
je faisais le point de ma vie là où elle était la plus profonde. Près de
ces mains qui savaient encore serrer, à peine étreindre, de ce cerveau
lucide mais déjà exsangue, au son de cette voix presque blanche, à
entendre cet homme me raconter qu’il allait abattre des futaies qu’il
avait lui-même plantées, démolir le puits artésien qu’il avait foré à
l’époque des puits artésiens, je frémissais du génie exact de mon âge.
Oui, j’avais trente-quatre ans. Oui, j’étais à l’âge où les monuments
ont leur vérité, où les Pyramides, la Tour Eiffel, Trianon ont leurs
proportions exactes. La nature de mon amour pour les femmes me devenait
soudain évidente, à voir ce long nez fin où les cartilages déjà
succombaient. Le soleil éclaira tout à coup la Gare d’Orsay, la Légion
d’honneur, tous bâtiments que je croyais d’ailleurs exposés au Nord; je
ressentis soudain le degré exact de chaleur qu’aura eu pour moi dans ma
vie, le soleil. Mes instincts, mes désirs, mes penchants, plafonnaient
sous ce ciel d’arrière été. Je suivais Fontranges de cage à cage, aide
de camp de la vieillesse. Des femmes trop poudrées passaient, des pères
avec leurs filles, je sentais en moi une idée précise, pour la première
fois, sur l’adultère, sur le mariage. Ma virilité naissait tout à coup,
non de la guerre, non de l’étude, mais d’une promenade avec un homme âgé
et simple. Tout ce que Nietzsche, et Platon, et Plotin n’avaient fait
que brouiller en moi, Fontranges m’aidait à le dégager en champion de
jonchet. En moi je dégageais l’énergie sans que tremblât l’amitié,
l’ironie sans que la foi bascule. Fontranges, consolidant de temps à
autre son épingle de cravate en fouet d’or, ne se doutait pas qu’il
escortait un homme au comble de sa destinée. Comme on force un lutteur
qui va faire des poids à frotter ses mains à un tampon de talc, il me
forçait, avant chacune de mes pensées géantes, à passer les miennes sur
un dos de chien, et, avant la pensée qui contenait Bella, sa fille, pour
que mes mains fussent le plus souples et le plus sûres, sur un caniche.




BELLA AUX JEUX OLYMPIQUES


C’était le début des Jeux et les nations défilaient. Elles débouchaient
de la porte d’honneur dans l’ordre où elles seraient sorties de l’arche,
par lettre alphabétique. Autour du stade flottaient toute une série de
nouveaux drapeaux. Des couleurs qui jusqu’à ce jour n’avaient jamais
personnifié les sentiments humains de premier ordre, ni les révoltes de
bonne classe, ni les sacrifices historiques, le tango, le mauve,
l’aubergine, flottaient. Le traité de Versailles donnait aux géographes
et aux enfants un prisme neuf pour voir le monde. Ces langes aux
couleurs modernes des nations naissantes attendrissaient Bella, sensible
à toute mode. Sous un soleil qui soulignait dans le défilé la moindre
cocarde prune ou mordorée, mais qui doublait le cortège d’un cortège
égal d’ombres toutes bleues et semblables, chaque peuple nous saluait
maintenant, car les Orgalesse m’avaient forcé à prendre des tickets
spéciaux pour la tribune d’honneur. Ils nous saluaient de façon
différente, le Brésil en portant son pavillon au nez et en le pointant
vers l’unique nuage qui passât au zénith, l’Uruguay par des signes
individuels à la foule, à toutes les jolies femmes, et, reconnues par
l’Uruguay, les jolies femmes souriaient et lui étaient pour toujours
attachées. Les Chinois étaient absents, mais l’on avait choisi pour
porter leur panonceau et leur pavillon, les deux athlètes français dont
les yeux étaient le plus bridés. C’était deux grands Chinois coiffés à
l’argentine et roses et blancs comme les Chinois du XVIIIe. Parfois, une
nation pauvre, dont le comité sportif manquait d’argent, défilait nue,
un peu honteuse, mais la nudité est la richesse des athlètes, et l’on
acclamait leurs muscles luxueux, leurs cuisses millionnaires. Puis des
peuples qu’on devinait, tant le costume de ses coureurs était de coupe
nette, leur crâne bien rasé, qu’on devinait riches en téléphones, en
tramways, en appareils automatiques pour les cuisines, en balais
aspirateurs. Pas de Colombie. Entre la Chine et Cuba, pas de Colombie.
Une de nos voisines regrettait que la Colombie ne vînt pas à Colombes et
souriait, imaginant faire un jeu de mots, mais son sourire était d’un
degré plus tendre, plus fin qu’elle ne croyait, car c’était une
allitération et non un calembour. En tête de chaque délégation marchait
un géant. C’était le défilé des rois grecs avant le départ à la
recherche d’Hélène, et justement les Grecs passaient maintenant, les
seuls qui eussent des culottes de soie. Les femmes aussi allaient à la
conquête d’Hélène, des Américaines qui marchaient au pas jusqu’au fond
des hanches, des Françaises qui allaient l’amble, des Méditerranéennes
qui marchaient au pas jusqu’au genou et des Danoises à gros gants, à
masque de treillis, qui semblaient partir à la chasse aux abeilles. Dans
ces femmes et ces hommes déguisés en communiants du sport, notre
voisine, une sportive sans doute, découvrait à leur regard les nageurs
et les nageuses qu’elle n’avait vus que nus. Toutes les grandes nations
étaient groupées au milieu du ruban, autour des lettres médianes, E, F,
G, I, effleurant les seins de la gloire. La Nouvelle-Zélande ne
présentait qu’un couple, un jeune homme en veston bleu et pantalon
blanc, une jeune fille en flanelle pure. Ils avaient des canotiers. Ils
étaient réservés vis-à-vis l’un de l’autre, mais ils souriaient à la
foule... On aurait dit un mariage. Puis mille pigeons furent lâchés. Ils
partirent à tire d’aile, mais sans exagérer. Ils avaient dix jours pour
revenir avant la revue du 14 juillet. Dans les cohortes, notre voisine
découvrait maintenant à des organes et à des muscles invisibles pour
nous et que les Orgalesse tentaient vainement de voir, les tireurs, les
sauteurs, les boxeurs. Des soigneurs couraient pour remettre quelque
chronomètre à un chef de délégation comme on court le long du quai après
le bateau qui s’ébranle. Tout cela avait bien l’air en effet d’un grand
départ, d’une de ces parades de peuples qui se rendent chez le Minotaure
ou à la croisade, et c’était le départ d’une course de cent mètres.

Quatre mille athlètes à gestes rythmés, à bouche silencieuse, dont le
pas lui-même était feutré par des souliers de tennis, c’était bien les
figurants qu’il fallait à notre pantomime. Mais c’était bien par contre
le défilé des quatre mille humains les moins faits pour intriguer Jérôme
et Pierre. Presque tous avaient vingt ans à peine, en presque tous le
souci du corps avait reculé l’âge de l’amour, écarté le drame. On
sentait qu’une liaison fatale eût compromis la course de haies, un
esprit homicide le saut en hauteur. C’était la cohorte sur laquelle
l’adultère, le remords, la cocaïne avaient au monde le moins de prise.
La curiosité des Orgalesse s’émoussait sur ces vestales. Ils trouvaient
peu intéressant de voir tout le sang-froid de l’univers couler au milieu
d’une foule qui y trempait son délire. Ce n’était vraiment pas
intelligent, pour mûrir un conflit moral, de l’avoir conduit dans cet
espace libre où, aux accents d’une cantate suisse chantée pour la
première fois à si faible altitude, par ce défilé d’âmes stérilisées et
de corps communiants, cette procession sans divinité parvenait à faire
naître, dans quarante mille cœurs latins, le premier sentiment
anglo-saxon, et le plus naïf. La foule française, amie des héros, était
justement en train d’acclamer tous ceux qui, à la place des grands héros
de l’histoire, seraient restés anonymes à cause de leur force ou de leur
adresse même. Si celui-là avait été le soldat de Salamine, il serait
arrivé à peine haletant. Si celui-là avait été Léandre, il eût nagé sans
accroc à travers le Bosphore. C’était des Roland qui auraient pu
souffler tout le jour sans que la veine se rompît, des Louis XVI qui,
même à pied, n’eussent pas été rattrapés à Varennes. Les Orgalesse
souffraient de voir remplacer les grands efforts par la puissance, les
morts sublimes par l’aisance. Que de dénouements, que de tragédies
pathétiques l’athlétisme allait ravir aux humains! Ils n’y tinrent plus,
se levèrent, et nous entraînèrent à la piscine.

C’était un vaisseau moins grand certes que le stade, mais guère plus
intime. Rien de la piscine de l’Automobile-Club, voilée, sourde, où l’on
pouvait confier à son voisin sans crainte d’être entendu les victoires
obtenues sur la femme du nageur le plus proche. Le moindre geste des
concurrents renvoyait un rond de soleil, les mots non officiels
eux-mêmes de l’arbitre retentissaient. Des amis placés aux virages
opposés conversaient sans élever la voix, comme dans les vallées et les
salles antiques. L’âme des Orgalesse en était à regretter la poussière,
la verdure du stade, qui étaient du moins des éléments de secret.
C’était l’eau la plus transparente, l’eau la moins mystérieuse du monde.
Les plongeons de champions qui s’y précipitèrent de toutes parts ne
parvenaient pas à faire croire qu’elle contînt un seul trésor. Rien à
espérer de nous deux au milieu de cette race marine. Les spectateurs
étaient plus gros du tiers que les spectateurs des théâtres, du rugby,
plus gros du double que ceux des thés dansants. Les Français étaient des
Français énormes, mais la proportion des tailles entre les races
subsistait quand même, et les Hollandais étaient des géants. Les
spectatrices elles-mêmes étaient plus grandes et plus larges; c’était
toutes d’anciennes nageuses, elles n’avaient aucune poudre, aucun rouge;
en se noyant, elles ne risquaient pas de laisser au-dessus d’elles, sur
la surface de l’eau, ce masque de fard qui décèle, dans les étangs et
les eaux tranquilles, une Parisienne noyée. C’était les femmes qui, le
jour du déluge, se débattraient jusqu’au bout, nageant la brasse sur le
dos jusqu’à l’arrivée de l’arche. D’ailleurs il était tard, la séance
finissait. Les entraîneurs attiraient les nageurs hors du bassin comme
des otaries, en leur montrant des toasts et des crackers. Polies par
l’eau à la paille de fer, les nageuses, sur le rebord de la piscine, au
lieu de remettre un chapeau, arrachaient leur bonnet, et mettaient des
cheveux blonds touffus, excepté l’une, qui eût des cheveux blancs. Il
n’y eut bientôt plus dans l’eau obscurcie par le crépuscule qu’un seul
remous, et soudain la tête du champion des champions femmes apparut
juste au milieu du bassin, à peu près là d’où surgit, dans les parties
de Water-polo, la corbeille qui tient la balle... Pour quelle partie
entre quelles équipes? Le champion femme semblait ne rien sentir, ne
rien entendre. Nous voyions les bras, les mains, les épaules s’agiter
dans l’eau, mais les paupières, les lèvres étaient immobiles. Tout le
jeu de ses jambes, de ses reins, nourrissait sur cette tête
l’impassibilité. Ses pieds remuaient doucement, ses hanches s’ouvraient.
Tous les réflexes marins nourrissaient un chagrin, une distraction
terrestre. C’était la première île de mélancolie qui eût flotté sur ce
bassin d’ébats municipaux. Les Orgalesse se précipitèrent sur le
programme comme sur une carte, pour savoir son nom, mais déjà le visage
avait plongé et reparu joyeux...




ATTENTE DEVANT LE PALAIS BOURBON


Victime lui aussi de la crise du logement, qui maintenait dans les
ministères les ministres déchus et en éloignait les ministres nouveaux,
Rebendart ne pouvait encore s’installer place Vendôme et demeurait
jusqu’à nouvel ordre au Palais-Bourbon. C’est là, devant le quai, à
hauteur du Palais d’Orsay, qu’un matin je vins m’installer, moins pour
attendre Bella que pour essayer de voir si la volupté de l’attente
m’était encore accordée. Au dernier moment, je n’avais pas eu le courage
d’attendre à pied, j’attendais en automobile. Quelle heureuse place
d’attente j’avais d’ailleurs choisie! J’étais juste en face de
l’Exposition des Arts décoratifs naissante, de la ville qui fut
construite le plus vite, et je pouvais suivre à l’œil nu, en ma matinée,
la croissance des monuments. J’étais en face du kiosque où les ouvriers
achetaient leur pain et leur saucisson. J’étais nourri. Des agents
voulurent me chasser. Je leur montrai cette carte de circulation qui
m’avait permis d’arriver jusqu’aux incendies, aux inondations, au cœur
des scandales, de voir les ruines fraîches, les cadavres frais. Elle me
permettait aujourd’hui de voir Bella, de voir Bella à sa première
sortie, avec son premier fard. J’attendais la seule femme qui vécût dans
ce palais. Le Palais lui-même s’éveillait avec honneur, sans les
ébrouements et les vulgarités qu’avaient les maisons de celles que
j’avais aimées jusque-là, sans volets qui battent, sans tapis, sans
poubelle. Le soleil faisait évaporer du jardin un léger brouillard, et
du ministère les chiffreurs de nuit. Je les reconnaissais. Leurs yeux
papillotaient devant ce jour dont moi seul avais le chiffre. Je ne les
enviais pas. Je ne voulais rien savoir d’aucun mystère. Je me réservais
pour la matinée un cœur à jeun, une âme vide. Rien ne me manquait dans
cette île au milieu du monde qu’était ma petite voiture, île bleue,
avec, nickelées, les parties d’elle que l’on touche. J’avais réalisé
l’isolement. Les êtres dont je désirais autrefois la présence dans les
carrefours de ma vie, je n’avais plus besoin d’eux. Benjamin Constant,
Lautréamont, je ne souhaitais pas qu’ils fussent là, sur les coussins
d’arrière, s’amusant à ouvrir les phares ou à corner. La terre m’avait
poussé ce matin hors d’elle sur cette barque isolante, et aucun de ses
mouvements ne m’atteignait. J’avais pour la première fois un amour, un
sentiment sans cortège. Je le sentais aujourd’hui mordre sur mon cœur
même, sans ces témoins classiques ou vivants qui m’assistaient jusqu’ici
en tout duel. Ce qui allait m’arriver aujourd’hui était pour moi, et non
pour mes ascendants, mes descendants, ou mes maîtres. Pour la première
fois les autobus effleuraient un homme vraiment seul, les trains de
Versailles que j’entendais sous leur tunnel attaquaient souterrainement
un homme seul. La rumeur de la terre m’arrivait sans que je fisse aucun
bruit dans ce murmure, comme à l’aéronaute. Parfois je descendais de mon
auto. Je faisais quelques pas autour d’elle. Je jetais un coup d’œil sur
la Seine. J’y voyais, comme l’aéronaute, des poissons. Puis je remontais
vite, comme un lapin qui regagne son terrier ou plutôt une statue,
surprise en fraude, son piédestal. Tout ce qui arrive d’ailleurs aux
automobilistes dans une longue course m’arrivait dans cette halte. Un
pneumatique s’affaissa soudain. Une courroie de capote sauta. J’eus
l’impression que le moteur, bien qu’à l’arrêt, défaillait. Tous les
accidents d’une longue vieillesse survinrent dans cette matinée. Une
légère ondée tomba. Je tendis ma capote. J’étais enfin sous ma tente.
J’étais bien un nomade. A nouveau, comme autrefois, la volupté
d’attendre me libérait de tout, et même de celle que j’attendais. Il ne
manquait autour de l’auto qu’un cheval broutant et les levriers de
garde.

Dix heures sonnèrent. La gare de Versailles qui n’avait déversé
jusqu’ici que des dactylographes, déversait maintenant leurs patrons. Je
voyais maintenant entrer au ministère des Affaires étrangères ses
habitués. C’était le seul ministère où tous les fonctionnaires étaient
vêtus avec soin. Ils y arrivaient comme à un cercle où l’on se rend dès
l’aube. Je reconnaissais les spécialistes que j’avais vus à l’École des
Langues orientales, celui de copte, celui d’abyssin poétique, celui
d’abyssin pratique, le chaldéen, le persan. Au passage de chacun, leur
spécialité et leur vocabulaire colorait mon attente, me fournissait de
l’attente une nouvelle définition. L’attente est un tapis vivant.
L’attente est une gélinotte entre des mains puissantes... Le directeur
de la comptabilité passa. L’attente c’est mille divisions, mille
multiplications, les quatre règles se rongeant elles-mêmes... Oui,
j’avais à nouveau cet heureux fonctionnement, ce calme de mes artères,
de mes sens que je n’éprouve que dans l’attente, cet état de divination
qui m’eût fait trouver en ce moment, bactériologue, le microbe du
cancer, diplomate, la vraie formule de la Société des Nations. A peine
mécanicien, je voyais à apporter sur cette petite automobile dix
perfectionnements faciles. A peine architecte, je voyais tout ce qui
manquait, tout ce qu’il y avait en trop au Pont Alexandre III. Ignorant
du quai d’Orsay, je voyais, je sentais que le Directeur de l’Océanie,
ami de mon père, n’était pas encore passé, et je l’attendais. Ce n’était
pas que je fusse tout optimisme. J’avais un regard bien trop perçant
aujourd’hui. Je voyais sur ma machine des fourmis déjà établies sur les
roues, de l’eau rouillant le nickel. Je la voyais un peu enfoncée dans
la chaussée. Le travail de délabrement qui ensevelit Babylone, et
Bactres et la Crète, avait déjà commencé sur elle. Ne croyez pas non
plus que je ne voyais pas ces passants vieillir, la Tour Eiffel sous la
poussée des matériaux s’épaissir, la Seine avancer sur chaque quai dans
son labeur de destruction. Mais j’avais remplacé l’attente de Bella,
ainsi qu’on échange pour un bal son vrai collier contre un faux, par
l’attente de ce directeur d’Océanie. C’était sans danger pour mon âme,
et le plaisir était de même ordre. J’y gagnais même. Au lieu de garder
la seule porte par laquelle Bella pouvait sortir, j’avais à surveiller
tous les ponts de la Seine, car il habitait à Courcelles. Soudain, je
tressaillis, il était près de mon auto et me parlait.

--Eh bien, jeune homme? dit-il.

On ne pouvait trouver pour m’appeler deux mots plus justes. Je me sentis
qualifié jusqu’au fond de l’âme. Jeunesse et virilité, c’était bien
aujourd’hui mes composantes, et je n’avais que celles-là. Les mots bel
adolescent, vieil ami, cher camarade, étaient des anses cassées pour me
saisir. Comment allais-je pouvoir répondre à tant de précision et aussi
à tant de justice?--Jeune homme!--Quelle conversation étonnante allait
être la nôtre, si le directeur d’Océanie avait aujourd’hui pour désigner
humains et sentiments des termes aussi exacts et redoutables.

--Qui attendez-vous? demanda-t-il.

Voilà que j’allais être obligé de mentir à ce voyant.

--Vous, lui dis-je en riant.

Il se sentait au cœur d’un secret. Il se doutait que je m’amusais à
faire de cette conversation banale une joute et une épreuve pour le
langage humain. Il dit, et ce fut encore la seule chose qu’il pouvait
dire:

--Excusez-moi donc d’être en retard, et bonjour à votre père, auquel
vous ressemblez.

Et m’ayant remis comme un masque cette ressemblance auquel je tenais
tant, m’ayant recouvert, suivant quelque politesse océanienne, non de
mon chapeau, mais de la tête même de mon père, il me quitta, d’un pas
plus lent, comme si son office n’avait pas été de venir étudier la
nomination de l’Évêque des Nouvelles Hébrides, mais de me libérer de
l’obligation volontaire que j’avais prise à son égard, et il entra dans
le Ministère... C’en était fait. J’étais seul avec Bella...




TABLE


  A la recherche de Bella              5

  Bella aux jeux olympiques           37

  Attente devant le Palais Bourbon    53




Il a été tiré de cet ouvrage, le deuxième de la collection “A LA LAMPE
D’ALADDIN” 1 exemplaire unique sur vieux Japon portant le nº 1. 20
exemplaires sur papier du Japon, numérotés 2 à 21. 40 exemplaires sur
papier Madagascar des papeteries Navarre, numérotés 22 à 61. 300
exemplaires sur papier vergé baroque thé, numérotés 62 à 361. Il a été
tiré en outre, 35 exemplaires sur vergé baroque crème, numérotés en
chiffres romains I à XXXV, réservés à M. Herbillon-Crombé, libraire à
Bruxelles.

Exemplaire Nº





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK A LA RECHERCHE DE BELLA ***


    

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