The Project Gutenberg EBook of Vénus dans le cloître, ou la religieuse en chemise, by Abbé Du Prat This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: Vénus dans le cloître, ou la religieuse en chemise Nouvelle édition enrichie de figures gravées en taille douce Author: Abbé Du Prat Release Date: January 12, 2020 [EBook #61162] Language: French *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VÉNUS DANS LE CLOÎTRE, OU LA *** Produced by René Galluvot (This file was produced from images generously provided by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) VENUS DANS LE CLOÎTRE OU LA RELIGIEUSE EN CHEMISE NOUVELLE EDITION, Enrichie de Figures gravées en Taille Douce, A DUSSELDORP, Chez H. V. Roosen, Commis des Postes. MDCCXLVI. [Frontispice: VENUS dans le CLOÎTRE ou la RELIGIEUSE en CHEMISE.] A MADAME D. L. R. TRES-DIGNE ABBESSE DE BEAU-LIEU. MADAME, Comme il me seroit difficile de ne pas executer ce que vous me témoignez desirer, je n'ai aucunement deliberé sur la priere que vous m'avez faite, de reduire au plutôt par écrit, les doux entretiens où vôtre Communauté a eu si bonne part. Je m'engageai trop solemnellement à cette galante entreprise, pour vouloir m'en défendre à present, & pour m'excuser de ce travail, sur la difficulté qu'il y a, de rendre à la voix & aux actions, le beau feu dont elles ont été animées. Je ne sais si j'aurai bien rempli mes devoirs & vos esperances; l'exercice de deux ou trois matinées vous en découvrira la verité; & vous fera connoître que si je n'ai pas beaucoup d'éloquence, j'ai pour le moins assez de memoire, pour rapporter avec fidelité la plus grande partie des choses passées. Je me suis tellement proposé vôtre satisfaction dans cet Ouvrage, que j'ai passé indifferemment sur toutes les raisons qui sembloient devoir m'en éloigner; la crainte seule qu'il ne tombât en d'autres mains que les vôtres, m'a fait un peu differer à vous l'envoyer, & j'en serois moi-même le porteur, si mes affaires presentes me le permettoient, plutôt que de confier au hazard de la Poste, ou d'un Messager un paquet de cette consequence. Car de bonne foi, quelle confusion pour vous & pour moi, si des conferences si secretes alloient devenir publiques? & si des actions qui ne sont point blâmées, que parce qu'elles ne sont pas connues, alloient faire un nouveau sujet de Critique, & fournir des armes à tous ceux qui voudroient nous attaquer? Quelle posture & quelle contenance pourroit tenir nôtre belle Religieuse, si le malheur l'exposoit en chemise à la vue de tous les curieux? que d'opprobre! que de honte! que d'embarras! Toutes ces considerations sont fortes, mais vous avez voulu être obeïe, & vous avez traité de reflexions legeres & timides, des raisons solides & assurées. Quoi qu'il arrive, je m'en lave les mains, & pour quitter un peu le serieux, je vous dirai qu'il n'y a rien à apprehender pour Soeur Agnés, quand même le mauvais destin se mêleroit de la conduite de tout ceci, puisque la peinture que j'en fais dans mes Ecrits, ne la represente que dans une très-exacte observance de tous ces voeux. Car en effet pour commencer _par la Pauvreté_; peut-on être dans un plus grand détachement des biens de ce monde, que de s'en dépouiller volontairement jusques _à la Chemise_? peut-on dans ses paroles & dans ses actions faire paroître la beauté de _la Chasteté_ avec plus d'éclat, qu'en se proposant pour regle _la Nature toute pure_? Enfin si l'on veut faire preuve de son _obeïssance_ sans exception, l'on connoîtra qu'elle aura autant de docilité, que pas une de vos Novices. Voilà, MADAME, une longue lettre pour un petit Ouvrage, & une grande Porte pour une pauvre Maison, il n'importe, j'ai mieux aimé pecher contre quelques regles, que de me gêner en vous écrivant. Faites part à vos plus intimes & aux miennes, de ce que vous jugerez à propos qu'elles sachent, & croyez que je suis sans reserve, MADAME, Vôtre très-obeïssant & très-affectionné Serviteur, l'Abbé DU PRAT VENUS DANS LE CLOÎTRE, OU LA RELIGIEUSE EN CHEMISE. PREMIER ENTRETIEN. Soeur _Agnès_. Soeur _Angelique_. _Agnès._ Ah Dieu! Soeur Angelique n'entrez pas dans ma Chambre, je ne suis pas visible à present; faut-il ainsi surprendre les personnes dans l'état où je suis? Je croyois avoir bien fermé la porte. _Angelique._ Eh bien, tout doucement, qu'as-tu à t'allarmer? le grand mal de t'avoir trouvée en changeant de chemise, ou faisant autre chose de mieux; les bonnes amies ne se doivent aucunement cacher les unes aux autres. Assis-toi sur ta couche comme tu étois, je vais fermer la porte sur nous. _Agnès._ Je vous assure, ma Soeur, que je mourrois de confusion si une autre que vous m'avoit ainsi surprise; mais je suis certaine que vous avez beaucoup d'affection pour moi, c'est pourquoi je n'ai pas sujet de rien craindre de vous, quelque chose que vous eussiez pu voir. _Angelique._ Tu as raison mon enfant de parler de la sorte, & quand je n'aurois pas pour toi, toute la tendresse qu'un coeur peut ressentir, tu devrois toujours avoir l'esprit en repos de ce côté-là. Il y a sept ans que je suis Religieuse, & je suis entrée dans le Cloître à treize, & je puis dire, que je ne me suis point encore faite d'ennemie par ma mauvaise conduite; ayant toujours eu la médisance en horreur, & ne faisant rien plus au gré de mon coeur, que lorsque je rends service à quelques-unes de la Communauté. C'est cette maniere d'agir qui m'a procuré l'affection de la plupart, & qui m'a surtout assuré celle de nôtre Superieure, qui ne m'est pas d'un petit usage dans l'occasion. _Agnès._ Je le sais, & je me suis souvent étonnée comment vous aviez pu faire pour vous ménager celles mêmes qui sont d'un parti different: il faut sans doute avoir autant d'adresse & d'esprit que vous, pour engager de telles personnes. Pour moi je n'ai jamais pu me gêner dans mes affections, ni travailler à avoir pour amies celles qui naturellement m'étoient indifferentes; c'est là le foible de mon genie, qui est ennemi de la contrainte, & qui veut en tout agir librement. _Angelique._ Il est vrai qu'il est bien doux de se laisser conduire à cette nature pure & innocente, en suivant uniquement les inclinations qu'elle nous donne; mais l'honneur, & l'ambition qui sont venus troubler le repos des Cloîtres, obligent celles qui y sont entrées à se partager, & à faire souvent par prudence ce qu'elles ne peuvent faire par inclination. _Agnès._ C'est à dire qu'une infinité qui croyent être Maîtresses de vôtre coeur, n'en possedent seulement que la peinture, & que toutes vos protestations les assurent souvent d'un bien dont elles ne jouissent pas en effet. Je craindrois fort, je vous l'avoue, d'être de ce nombre, & d'être une victime de vôtre politique. _Angelique._ Ah, ma chere, tu me fais une injure, la dissimulation n'a point de part à des amitiés aussi fortes que la nôtre; Je suis toute à toi, & quand la nature m'auroit fait naître d'un même sang, elle ne m'auroit pu donner des sentimens plus tendres que ceux que je ressens. Permets que je t'embrasse afin que nos coeurs se parlent l'un à l'autre, au milieu de nos baisers. _Agnès._ Ah Dieu, comme tu me serres entre tes bras! Songes-tu que je suis nue en chemise? Ah tu me mets toute en feu. _Angelique._ Ah que ce vermeil dont tu es à present animée, augmente l'éclat de ta beauté! Ah que ce feu qui brille maintenant dans tes yeux te rend aimable! faut-il qu'une fille aussi accomplie que toi soit si retirée comme tu es! Non, non, mon enfant, je te veux faire part de mes plus secretes habitudes, & te donner une idée parfaite de la conduite d'une sage Religieuse. Je ne parle pas de cette sagesse austere & scrupuleuse, qui ne se nourrit que de jeûnes, & ne se couvre que de Haires & de Cilices; il en est une autre moins farouche, que toutes les personnes éclairées font profession de suivre, & qui n'a pas peu de rapport avec ton naturel amoureux. _Agnès._ Moi d'un naturel amoureux! il faut certes que ma phisionomie soit bien trompeuse, ou que vous n'en sachiez pas parfaitement les règles. Il n'y a rien qui me touche moins que cette passion, & depuis trois ans que je suis en Religion, elle ne m'a pas donné la moindre inquietude. _Angelique._ J'en doute fort, & je crois que si tu voulois en parler avec plus de sincerité, tu m'avouerois que je n'ai rien dit que de veritable. Quoi une fille de seize ans d'un esprit aussi vif & d'un corps aussi bien formé que le tien, seroit froide & insensible? Non je ne puis me le persuader, toutes tes démarches les plus negligées m'ont assuré du contraire, & ce _je ne sais quoi_ que j'ai apperçu au travers de la serrure de ta porte, avant que d'entrer, me fait connoître que tu es une dissimulée. _Agnès._ Ah Dieu je suis perdue! _Angelique._ Certes tu n'es pas raisonnable, dis-moi un peu ce que tu peux apprehender de moi, & si tu as sujet de craindre une amie. Je ne t'ai dit cela que dans le dessein de te faire bien d'autres confidences de mon côté: vraiment ce sont-là de belles bagatelles, les plus scrupuleuses les mettent en usage, & cela s'appelle en termes claustraux _l'Amusement des jeunes, & le passe-temps des vieilles_. _Agnès._ Mais encore qu'avez-vous donc apperçu? _Angelique._ Tu me fatigues par tes manieres, sais-tu bien que l'amour bannit toute crainte, & que si nous voulons vivre toutes deux, dans une intelligence aussi parfaite que je le desire, tu ne me dois rien celer, & je ne dois rien avoir de caché pour toi, baise-moi mon coeur? dans l'état où tu es une discipline seroit de bon usage pour te châtier du peu de retour que tu as pour l'amitié qu'on te marque. Ah Dieu que tu as d'embonpoint; & que tu es d'une taille bien proportionnée! Souffre que... _Agnès._ Ah de grace laissez-moi en repos, je ne puis revenir de ma surprise, car de bonne foi qu'avez vous vu? _Angelique._ Ne le sais-tu pas bien sotte, ce que je puis avoir vu? Je t'ai vue dans une action où je te servirai moi-même si tu veux, où ma main te fera à present l'office que la tienne rendoit tantôt charitablement à une autre partie de ton corps? Voilà le grand crime que j'ai découvert, que Madame l'Abbesse D. L. R. pratique comme elle dit, dans ces divertissemens les plus innocens, que la Prieure ne rejette point, & que la Maîtresse des Novices appelle _l'Intermission extatique_? Tu n'aurois pas cru que de si saintes Ames eussent été capables de s'occuper à des exercices si profanes? Leur mine & leurs dehors t'ont deçue, & cet exterieur de sainteté dont elles savent si bien se parer dans l'occasion, t'a fait penser qu'elles vivoient dans leur corps comme si elles n'étoient composées que du seul esprit. Ah, mon enfant, que je t'instruirai de quantité de choses que tu ignores; si tu veux avoir un peu de confiance en moi, & si tu me fais connoître la disposition d'esprit & de conscience où tu es à present: après quoi je veux que tu sois mon Confesseur, je serai ta penitente, & je te proteste que tu verras mon coeur aussi à découvert, que si tu en ressentois toi-même les plus purs mouvemens. _Agnès._ Après tant de paroles je ne crois pas devoir douter de vôtre sincerité, c'est pourquoi non seulement je vous apprendrai ce que vous souhaitez savoir de moi, mais même je veux me faire un sensible plaisir de vous communiquer jusques à mes plus secretes pensées & actions. Ce sera une confession generale dont je sais que vous n'avez pas dessein de vous prévaloir, mais dont la confidence que je vous en ferai ne servira qu'à nous unir l'une & l'autre d'un lien plus étroit & indissoluble. _Angelique._ C'est sans doute ma plus chere, & tu remarqueras dans la suite qu'il n'y a rien de plus doux dans ce monde que d'avoir une veritable amie, qui puisse être la dépositaire de nos secrets, de nos pensées, & de nos afflictions mêmes. Ah que des ouvertures de coeur sont soulageantes dans de semblables occasions! parle donc, ma mignonne, je vais m'assoir sur ta couche près de toi, il n'est pas necessaire que tu t'habilles, la saison te permet de rester comme tu es, il me semble que tu en es plus aimable, & que plus tu approches de l'état où la nature t'a fait naître, tu en as plus de charmes & de beauté. Embrasse-moi, ma chere _Agnès_, devant que de commencer, & confirme, par tes baisers les protestations mutuelles que nous nous sommes données de nous aimer éternellement. Ah que ces baisers sont purs & innocens! Ah qu'ils sont remplis de tendresse & de douceur! Ah qu'ils me comblent de plaisirs! un peu de tréve mon petit coeur, je suis toute en feu, tu me mets aux abois par tes caresses; ah Dieu que l'amour est puissant! & que deviendrai-je, si de simples baisers me transportent & m'animent si vivement? _Agnès._ Ah qu'il est difficile de se contenir dans les bornes de son devoir, lorsque nous lâchons tant soit peu la bride à cette passion! le croiriez-vous, _Angelique_, ces badineries qui dans le fonds ne sont rien, ont agi merveilleusement sur moi? Ah, ah, ah, laissez moi un peu respirer, il semble que mon coeur est trop resserré à present! Ah que ces soupirs me soulagent! Je commence à ressentir pour vous une affection nouvelle, & plus tendre & plus forte qu'auparavant! je ne sais d'où cela provient, car de simples baisers peuvent-ils causer tant de desordre dans une ame? il est vrai que vous êtes bien artificieuse dans vos caresses, & que toutes vos manieres sont extraordinairement engageantes; car vous m'avez tellement gagnée, que je suis maintenant plus à vous qu'à moi même; Je crains même que dans l'excès de la satisfaction que j'ai goûtée, il ne se soit mêlé quelque chose, qui me donnât sujet de reflechir sur ma conscience, cela me fâcheroit bien; car quand il faut que je parle à mon Confesseur de ces sortes de matieres je meurs de honte, & je ne sais par où m'y prendre. Ah Dieu, que nous sommes foibles, que nos efforts sont vains pour surmonter les moindres saillies & les plus legeres attaques d'une nature corrompue! _Angelique._ Voici l'endroit où je t'attendois, je sais que tu as toujours été un peu scrupuleuse sur beaucoup de sujets, & qu'une certaine tendresse de conscience, ne t'a pas donné peu de peine. Voilà ce que c'est que de tomber entre les mains d'un Directeur mal appris & ignorant: pour moi, je te dirai que j'ai été instruite d'un savant homme, de quel air je devois me comporter pour vivre heureuse toute ma vie sans rien faire neanmoins qui pût choquer la vue d'une Communauté reguliere ou qui fût directement opposé aux Commandemens de Dieu. _Agnès._ Obligez-moi Soeur _Angelique_, de me donner une idée parfaite de cette belle conduite; croyez que je suis entierement disposée à vous entendre, & à me laisser persuader par vos raisonnemens, lors que je ne pourai les détruire par de plus forts. La promesse que je vous avois faite de me découvrir toute à vous, n'en sera que mieux observée, parce qu'insensiblement dans mes réponses qui partageront nôtre entretien, vous remarquerez sur quel pied l'on m'a établie, & vous jugerez par l'aveu sincere que je vous ferai de toute chose, du bon ou du mauvais chemin que je suivrai. _Angelique._ Mon enfant, tu vas peut-être être surprise des leçons que je te vais donner, & tu seras étonnée d'entendre une fille de dix neuf à vingt ans faire la savante, & de la voir penêtrer dans les plus cachés secrets de la politique religieuse. Ne crois pas, ma chere, qu'un esprit de vaine gloire anime mes paroles, non, je sais que j'étois encore moins éclairée que toi à ton âge, & que tout ce que j'ai appris a succedé à une ignorance extrême; mais il faut que je t'avoue aussi qu'il faudroit m'accuser de stupidité, si les soins que plusieurs grands hommes ont pris à me former, n'avoient été suivis d'aucun fruit; & si l'intelligence qu'ils m'ont donnée de plusieurs langues, ne m'avoit fait faire quelque progrès par la lecture de bons livres. _Agnès._ Ma chere _Angelique_ commencez je vous prie vos instructions, je languis dans l'impatience où je suis de vous entendre, vous n'avez jamais eu d'écoliere plus attentive que je le serai à tous vos discours. _Angelique._ Comme nous ne sommes pas nées d'un sexe à faire des loix, nous devons obeïr à celles que nous avons trouvées, & suivre comme des verités connues, beaucoup de choses qui d'elles-mêmes ne passent chez plusieurs que pour opinions. Je prétends, mon enfant, te confirmer par là, dans les sentimens où tu es, qu'il y a un Dieu juste & misericordieux, qui demande nos hommages, & qui de la même bouche qu'il nous defend le mal, nous commande la pratique du bien: Mais comme tous ne conviennent pas de ce qui se doit appeller bien ou mal; & qu'une infinité d'actions pour lesquelles on nous donne de l'horreur, sont reçues & approuvées chez nos voisins: Je t'apprendrai en peu de paroles, ce qu'un Reverend Pere Jesuite qui a une affection particuliere pour moi, me disoit dans le temps qu'il tâchoit à m'ouvrir l'esprit, & à le rendre capable des speculations presentes. Comme tout vôtre bonheur, ma chere _Angelique_ (c'est ainsi qu'il me parloit) dépend d'une parfaite connoissance de l'état religieux que vous avez embrassé, je veux vous en faire une naïve peinture, & vous donner les moyens de vivre dans vôtre solitude, sans aucune inquietude ou chagrin, qui proviennent de vôtre engagement. Pour proceder avec methode dans l'instruction que je vous veux donner, vous devez remarquer que la Religion (j'entends par ce mot tous les Ordres monastiques) est composée de deux corps, dont l'un est purement celeste & surnaturel, & l'autre terrestre & corruptible, qui n'est que de l'invention des hommes; l'un est politique, & l'autre mystique par rapport à Jesus Christ qui est l'unique Chef de la veritable Eglise. L'un est permanent, parce qu'il consiste dans la parole de Dieu qui est immuable & éternelle, & l'autre est sujet à une infinité de changemens, parce qu'il dépend de celle des hommes qui est finie & faillible. Cela supposé, il faut separer ces deux corps, & en faire un juste discernement, pour savoir à quoi nous sommes veritablement obligés. Ce n'est pas une petite difficulté de les bien démêler. La politique comme la plus foible partie s'est tellement unie à l'autre qui est la plus forte, que tout est presque à present confondu, & la voix des hommes confuse avec celle de Dieu. C'est de ce desordre que les illusions, les scrupules, les gênes, & les bourrellemens de conscience qui mettent souvent une pauvre ame au desespoir, ont pris naissance, & que ce joug qui doit être leger & facile à porter, est devenu par l'imposition des hommes, pesant, lourd, & insupportable à plusieurs. Parmi de si épaisses tenebres, & une si visible alteration de toutes choses, il faut s'attacher uniquement au gros de l'arbre, sans se mettre en peine d'embrasser ses branches, & ses rameaux. Il faut se contenter d'obeïr aux preceptes du Souverain Legislateur, & tenir pour certain que toutes ces oeuvres de surerogation, auxquelles la voix des hommes nous veut engagés, ne doivent pas nous causer un moment d'inquietude. Il faut en obeïssant à ce Dieu qui nous commande, regarder si sa volonté est écrite de ses propres doigts, si elle sort de la bouche de son Fils, ou si elle part seulement de celle du peuple. Tellement que soeur _Angelique_ peut sans scrupule, allonger ses chaînes, embellir sa solitude, & donnant un air gay à toutes ses actions, s'apprivoiser avec le monde, elle peut, continua-t-il, se dispenser, autant que prudemment elle pourra faire, de l'execution de tout ce fatras de voeux & de promesses, qu'elle a faite indiscretement, entre les mains des hommes; & rentrer dans les mêmes droits où elle étoit devant son engagement, ne suivant que ces premieres obligations. Voilà, poursuivit-il, pour ce qui regarde la paix intérieure, car pour l'exterieur vous ne pouvez sans pecher contre la prudence, vous dispenser de le donner aux loix, aux coutumes, & aux moeurs, auxquels vous vous êtes assujettie, en entrant dans le Cloître. Vous devez même paroître zelée, & fervente dans les exercices les plus penibles, si quelque interêt de gloire, ou d'honneur dépend de ces occupations, vous pouvez parer vôtre chambre de haires, de cilices, & de rosettes, & par ce devot étalage meriter autant que celle qui indiscretement s'en déchirera le corps. _Agnès._ Ah! que je suis ravie de t'entendre, l'extreme plaisir que j'y ai pris m'a empêché de t'interrompre, & cette liberté de conscience que tu commences à me rendre par ton discours, me décharge d'un nombre presque infini de peines qui me tourmentoient. Mais continue, je te prie, & m'apprends quel a été le dessein de la politique, dans l'établissement de tant d'Ordres, dont les Regles, & les Constitutions sont si rigoureuses? _Angelique._ On peut considerer dans la fondation de tous les Monasteres, deux Ouvriers qui y ont travaillé, à savoir le Fondateur & la Politique. L'intention du premier, a souvent été pure, sainte, & éloignée de tous les desseins de l'autre. Et sans avoir d'autre vue que le salut des ames, il a proposé des Regles & des manieres de vivre, qu'il a cru necessaires, ou tout au moins utiles à son avancement spirituel, & à celui de son prochain. C'est par là que les deserts se sont peuplés, & que les Cloîtres se sont bâtis; le zèle d'un seul en échauffoit plusieurs, & leur principale occupation étant de chanter continuellement les louanges du vrai Dieu, ils attiroient par ces pieux exercices, des compagnies entieres, qui s'unissoient à eux, & ne faisoient qu'un corps. Je parle en ceci, de ce qui s'est passé dans la ferveur des premiers siècles; car pour le reste il en faut raisonner autrement, & ne pas penser que cette innocente primitive, & ce beau caractere de devotion se soient long-temps conservés, & ayent fait le partage de ceux, que nous voyons à present. La Politique qui ne peut rien souffrir de défectueux dans un Etat, voyant l'accroissement de ces Reclus, leur desordre, & leur déreglement, a été obligée d'y mettre la main, elle en a banni plusieurs, & retranché des Constitutions des autres, ce qu'elle n'a pas cru necessaire à l'interêt commun. Elle auroit bien voulu se défaire entierement de ces sangsues, qui dans une oisiveté, & une faineantise horrible, se nourrissoient du pauvre peuple; mais ce bouclier de la Religion dont ils se couvroient; & l'esprit du vulgaire dont ils s'étoient déja emparés, ont fait prendre un autre tour, pour que ces sortes de Compagnies ne fussent pas entierement inutiles à la Republique. La Politique a donc regardé toutes ces maisons comme des lieux communs où elle se pourroit décharger de ses superfluités; elle s'en sert pour le soulagement des familles, que le grand nombre d'enfans rendroient pauvres & indigentes, s'ils n'avoient des endroits pour les retirer, & afin que leur retraite soit sans esperance de retour, elle a inventé les voeux, par lesquels elle prétend nous lier, & nous attacher indissolublement à l'état qu'elle nous fait embrasser: elle nous fait même renoncer aux droits que la nature nous a donnés, & nous separent tellement du monde, que nous n'en faisons plus une partie. Tu conçois bien tout ceci? _Agnès._ Oui, mais d'où vient que cette maudite politique, qui de libres nous rend esclaves, approuve davantage les Regles qui n'ont rien que de rude & d'austere, que celles qui sont moins rigoureuses? _Angelique._ En voici la raison. Elle regarde les Religieux & Religieuses comme des membres retranchés de son corps, & comme des parties separées dont la vie ne lui semble en particulier utile à aucune chose, mais bien plutôt dommageable au public. Et comme ce seroit une action qui paroîtroit inhumaine que de s'en defaire ouvertement elle se sert de stratagemes, & sous pretexte de devotion, elle engage ces pauvres victimes à s'égorger elles-mêmes, & à se charger de tant de jeûnes, de penitences, & de mortifications, qu'enfin ces innocentes succombent, & font place par leur mort, à d'autres qui doivent être aussi miserables, si elles ne sont pas éclairées. De cette maniere, un pere est souvent le bourreau de ses enfans, & sans y penser il les sacrifie à la politique, lors qu'il croit ne les offrir qu'à Dieu. _Agnès._ Ah pitoyable effet d'un détestable gouvernement! Tu me donnes la vie, ma chere _Angelique_, en me retirant par tes raisons du grand chemin que je suivois, peu de personnes mettoient plus en usage que moi toutes les mortifications les plus rudes, je me suis accablée de coups de discipline pour combattre souvent des mouvemens innocens de la nature, que mon Directeur faisoit passer pour des déreglemens horribles. Ah faut-il que j'aye ainsi été dans l'abus! C'est sans doute par cette cruelle maxime que les ordres mitigés sont méprisés, & que ceux qui n'ont rien que d'affreux, sont loués & élevés jusques au Ciel. Oh Dieu, souffrez-vous qu'on abuse ainsi de vôtre Nom, pour des executions si injustes? & permettrez-vous que des hommes vous contrefassent! _Angelique._ Ah, mon enfant, que ces exclamations me font bien connoître qu'il te manque encore quelque lumiere, pour voir clair universellement en toutes choses, demeurons-en là, ton esprit n'est pas capable pour le present d'une speculation plus delicate. _Aime Dieu, & ton prochain_, & crois que toute la loi est renfermée dans ces deux commandemens. _Agnès._ Quoi, Angelique, voudriez-vous me laisser quelque erreur? _Angelique._ Non, mon coeur, tu seras pleinement instruite, & je te mettrai un livre entre les mains, qui achevera de te rendre savante, & où tu apprendras avec facilité, ce que je n'aurois pu t'expliquer qu'avec confusion. _Agnès._ Cela suffit. Il faut que je vous avoue que j'ai trouvé cet endroit plaisant: _Que les Cloîtres sont les lieux communs, où la Politique se decharge de ces ordures!_ il me semble qu'on ne peut pas en parler d'une maniere plus basse & plus humiliante? _Angelique._ Il est vrai que l'expression est un peu forte; mais elle n'est gueres plus choquante que celle d'un autre qui disoit que _les Moines & les Moinesses étoient dans l'Eglise ce que les Rats, & les Souris étoient dans l'Arche de Noé._ _Agnès._ Vous avez raison, & j'admire la facilité que vous avez à vous énoncer, je ne voudrois pas pour tout ce que je puis avoir de plus cher, que l'occasion de ma porte entr'ouverte n'eût donné lieu à nôtre entretien? Oui j'ai penetré dans le sens de toutes vos paroles. _Angelique._ Eh bien, en feras-tu un bon usage? & ce beau corps qui n'est coupable d'aucun crime, sera-t-il encore traité comme le plus infame scelerat qui soit au monde? _Agnès._ Non, je prétends lui tenir compte du mauvais temps que je lui ai fait passer, je lui en demande pardon, & en particulier d'une rude discipline, que je lui fis hier ressentir par l'avis de mon Confesseur. _Angelique._ Baise-moi, ma pauvre enfant, je suis plus touchée de ce que tu me dis, que si je l'avois éprouvée sur moi-même, il faut que ce châtiment soit le dernier qui te fatigue: mais encore te fis-tu grand mal? _Agnès._ Helas! mon zèle étoit indiscret, & je croyois que plus je frappois plus j'avois de merite, mon embonpoint, & ma jeunesse me rendoient sensible aux moindres coups; tellement qu'à la fin de ce bel exercice, j'avois le derriere tout en feu: je ne sais même si je n'y avois point quelque blessure, parce que j'étois tout à fait transportée, lors que je l'outrageois si vivement. _Angélique._ Il faut ma mignonne que j'en fasse la visite, & que je voye de quoi est capable une ferveur mal conduite? _Agnès._ Oh Dieu! faut-il que je souffre cela? c'est donc tout de bon que vous parlez, je ne puis l'endurer sans confusion! Oh, oh! _Angelique._ Et à quoi sert donc tout ce que je t'ai dit, si une sotte pudeur te retient encore? quel mal y a-t-il à m'accorder ce que je te demande? _Agnès._ Il est vrai, j'ai tort, & vôtre curiosité n'est point blâmable, satisfaites-la comme vous souhaitez. _Angelique._ Oh! le voilà donc à découvert ce beau visage toujours voilé? met-toi à genoux sur ta couche, & baisse un peu la tête, afin que je remarque la violence de tes coups. Ah bonté divine quelle bigarrure! il me semble que je vois du taffetas de la chine, ou bien du rayé du temps passé! il faut avoir une grande dévotion au _Mystere de la Flagellation_ pour enluminer ainsi ses fesses? [Illustration] _Agnès._ Eh bien, as-tu assez contemplé cet innocent outragé? Oh Dieu comme tu le manies, laisse-le en repos, afin qu'il reprenne son premier teint, & qu'il se défasse de ce coloris étranger. Quoi tu le baises? _Angelique._ Ne t'y oppose pas, mon enfant, j'ai l'ame du monde la plus compassive, & comme c'est une oeuvre de misericorde de consoler les affligez; je crois que je ne saurois leur faire trop de caresse pour dignement m'acquitter de ce devoir. Ah que tu as cette partie bien formée! & que la blancheur, & l'embonpoint qui y paroissent, lui donnent d'éclat! j'apperçois aussi un autre endroit, qui n'est pas moins bien partagé de la Nature, c'est _la Nature même_. _Agnès._ Retire ta main je te prie de ce lieu, si tu ne veux y causer un incendie qui ne pouroit pas s'éteindre facilement? il faut que je t'avoue mon foible, je suis la fille la plus sensible qui se puisse trouver, & ce qui ne causeroit pas à d'autres la moindre émotion, me met souvent en desordre. _Angelique._ Quoi tu n'es donc pas si froide, comme tu voulois me persuader au commencement de nôtre conversation? & je crois que tu feras aussi bien ton personnage, qu'aucune que je connoisse, quand je t'aurai mise entre les mains de cinq ou six bons Freres. Je souhaiterois pour ce sujet, que le temps de la retraite, où je vais entrer selon la coutume, pût se differer, afin de me trouver avec toi au Parloir. Mais n'importe, je m'en consolerai par le recit que tu me feras de tout ce qui se sera passé; à savoir si _l'Abbé_ aura mieux fait que _le Moine_, si _le Feuillant_ l'aura emporté sur _le Jesuite_, & enfin si toute _la Fratraille_ t'aura pleinement satisfaite. _Agnès._ Ah que je me figure d'embarras dans ces sortes d'entretiens, & qu'ils me trouveront Novice en fait d'amourettes! _Angelique._ Ne te mets pas en peine, ils savent de la maniere qu'il faut user avec tout le monde, & un quart d'heure avec eux, te rendra plus savante, que tous les preceptes que tu pourrois recevoir de moi, dans une semaine, çà, couvre ton derriere, de crainte qu'il ne s'enrhume: tiens il aura encore ce baiser de moi, & celui-ci & celui-là. _Agnès._ Que tu es badine! Crois-tu que j'aurois souffert ces sottises, sans que je sais que rien n'y est offensé. _Angelique._ Si cela étoit je pecherois donc à tout moment, car le soin qu'on m'a donné des Ecolieres, & des Pensionnaires, m'oblige à visiter leur maison de derriere bien souvent. Encore hier je donnai le fouet à une plutôt pour ma satisfaction, que pour aucune faute qu'elle eût commise, je prenois un plaisir singulier à la contempler, elle est fort jolie & a déja treize ans. _Agnès._ Je soupire après cet emploi de maîtresse de l'Ecole, afin de prendre un semblable divertissement. Je suis frappée de cette fantaisie, & même je serois ravie de voir en toi ce que tu as consideré si attentivement dans ma personne. _Angelique._ Helas mon enfant, la demande que tu me fais ne me surprend point, nous sommes toutes formées de même pâte. Tiens je me mets dans ta posture, bon leve ma jupe & ma chemise le plus haut que tu pourras. _Agnès._ J'ai grande envie de prendre ma discipline, & de faire en sorte que ces deux Soeurs jumelles n'ayent rien à me reprocher. _Angelique._ Ouf! ouf! ouf! comme tu y vas! Ces sortes de jeux ne me plaisent que quand ils ne sont pas violens? tréve, tréve, si ta devotion t'alloit reprendre, je serois perdue: Oh Dieu que tu as le bras flexible, j'ai dessein de t'associer dans mon office, mais il y faut un peu plus de moderation. _Agnès._ Voilà certes bien de quoi se plaindre, ce n'est pas là la dixme des coups que j'ai reçus, je te remets le reste à une autre fois, il faut accorder quelque chose à ton peu de courage. Sais-tu bien que cet endroit en devient plus beau, un certain feu qui l'anime, communique un vermillon plus pur & plus brillant que tout celui d'Espagne. Approche-toi un peu plus près de la fenêtre, afin que le jour m'en découvre toutes les beautés. Voilà qui est bien. Je ne me lasserois jamais de le regarder, je vois tout ce que je souhaitois jusques à son voisinage, pourquoi couvres-tu cette partie de ta main? _Angelique._ Helas tu peux la considerer aussi bien que le reste, s'il y a du mal à cette occupation, il n'est pas préjudiciable à personne, & ne trouble aucunement la tranquilité publique. _Agnès._ Comment pourroit-il la troubler, puisque nous n'en faisons plus une partie; outre que les fautes cachées sont à demi pardonnées. _Angelique._ Tu as raison, car si l'on pratiquoit dans le monde autant de crimes, pour parler conformement à nos Regles, comme il s'en commet dans les Cloîtres, la Police seroit obligée d'en corriger les abus, & couperoit le cours à tous ces desordres. _Agnès._ Je crois aussi que les peres & meres ne permettroient jamais l'entrée de nos Maisons à leurs enfans, s'ils en connoissoient le déreglement. _Angelique._ Il n'en faut pas douter, mais comme la plupart des fautes y sont secretes, & que la dissimulation y regne plus qu'en aucun endroit, tous ceux qui y demeurent n'en apperçoivent pas les defauts; mais servent eux-mêmes à engager les autres. Outre que l'interêt particulier des familles, l'emporte souvent sur beaucoup d'autres considerations. _Agnès._ Les Confesseurs & les Directeurs des Cloîtres, ont un talent particulier, pour faire aller dans leur filets, de pauvres innocentes qui tombent dans un piege, en pensant trouver un tresor. _Angelique._ Il est vrai, & je l'ai éprouvé en ma personne. Je n'avois aucun penchant pour la Religion, je combattois vivement les raisons de ceux qui m'y portoient, & jamais je n'y serois entrée, si un Jesuite qui pour lors gouvernoit ce Monastere, ne s'en étoit mêlé, un interêt de famille obligea ma mere qui m'aimoit tendrement, & qui s'y étoit toujours opposée à y donner les mains. J'y resistai long-temps, parce que je ne prévoyois pas que le Comte de la Roche mon frere aîné, par le droit de Noblesse, & par les Coutumes du pays, emportoit presque tout le bien de la maison, & nous laissoit six, sans autre appui que celui qu'il nous promettoit, qui selon son humeur devoit être peu de chose. Enfin il ceda dix mille francs, à ce qu'il me dit, de ses prétentions, auxquels quatre autres furent ajoutés, tellement que j'apportai quatorze mille livres pour ma dot, en faisant profession dans ce Couvent: Mais pour revenir à l'adresse de celui qui m'en debaucha, tu sauras qu'on fit en sorte que je me rencontrasse avec lui, une après dînée que j'étois allée rendre visite à une de mes cousines qui étoit Religieuse, & qui mouroit d'envie de me voir revêtue d'un habit semblable au sien. _Agnès._ N'étoit-ce pas, Soeur Victoire? _Angelique._ Oui. Nous étant donc trouvez tous trois à un même parloir, le Jesuite, Victoire & moi, nous commençâmes par les complimens & les civilités, dont on use dans les premieres entrevues, elles furent suivies d'un discours de ce Loyoliste touchant les vanités du siècle, & la difficulté de faire son salut dans le monde, qui disposa beaucoup mon esprit à se laisser tromper: Ce n'étoient neanmoins que de legeres preparations, il avoit bien d'autres subtilités pour s'insinuer dans mon interieur; & pour me faire entrer dans ses sentimens, il me disoit quelquefois qu'il remarquoit dans ma phisionomie le veritable caractere d'une ame Religieuse, qu'il avoit un don particulier pour en faire un juste discernement, & que je ne pouvois sans faire une injure à Dieu, (c'est ainsi qu'il parloit) consacrer au monde une beauté aussi parfaite que la mienne. _Agnès._ Il ne s'y prenoit pas mal, que répondois-tu à tout cela? _Angelique._ Je combattis d'abord ces premieres raisons, par d'autres que je lui opposois, qu'il détruisoit avec un artifice merveilleux; Victoire aidoit encore à me tromper, & me faisoit voir la Religion du côté qu'elle peut avoir quelque chose d'aimable, & me cachoit adroitement tout ce qui étoit capable de m'en rebuter. Enfin le Jesuite, qui comme j'ai appris, avoit bien fait des conquêtes plus difficiles, fit ses derniers efforts pour s'assurer de la mienne. Il y reussit par la peinture qu'il me fit du monde, & de la Religion, & me contraignit par la force de son éloquence, à embrasser étroitement son parti. _Agnès._ Mais encore que dit-il qui fut capable d'exercer un pouvoir si absolu sur ton esprit? _Angelique._ Je ne puis te le rapporter dans son étendue, car il me tint trois heures à la grille: tu sauras seulement, qu'il me prouva par des raisonnemens que je croyois forts, que c'étoit là ma vocation, dans laquelle seule je pouvois faire mon salut, qu'il n'y avoit point de sûreté pour moi, ni de chemin hors de là; que le monde n'étoit rempli que d'écueils, & de precipices; que les excès des Religieux valoient mieux que la moderation des Mondains, & que le repos & la contemplation des uns, étoit en même temps plus douce, & plus meritoire que l'action, & tout l'embarras des autres. Que c'étoit dans les Cloîtres seuls, où l'on pouvoit traiter familierement avec Dieu, & par consequent, que pour se rendre digne d'une communication si sainte & si relevée, il falloit fuir la compagnie des hommes. Que c'étoit dans ces lieux que se conservoient les restes de l'ancienne ferveur des Chrêtiens, & qu'on pouvoit voir l'image veritable de la primitive Eglise. _Agnès._ On ne pouvoit pas parler avec plus d'éloquence, & tout ensemble avec plus d'artifice, car je remarque qu'il ne te dit pas un mot des rigueurs & des austerités qui pouvoient t'épouvanter. _Angelique._ Tu te trompes il n'oublia rien: Mais les peines & les mortifications dont il me parla, furent assaisonnées de tant de douceur, que je ne les trouvai point de mauvais goût. Je ne veux rien vous cacher (me disoit-il.) Ces devotes compagnies, dont j'espere que vous augmenterez le nombre, travaillent jour & nuit par leurs austerités, & penitences, à dompter l'orgueil, & l'insolence de la nature, elles exercent sur leurs sens une violence qui dure toujours; sans mourir, leur ame est separée de leur corps; & méprisant également la douleur & la volupté, elles vivent comme si elles n'étoient faites que du seul esprit. Ce n'est pas tout (poursuivit-il d'un ton persuasif), elles font un sacrifice rigoureux de leur liberté, elles se dépouillent de tous leurs biens pour s'enrichir seulement d'esperances, & s'imposent par des voeux solemnels, la necessité d'une perpetuelle vertu. _Agnès._ C'étoit un maître Orateur, que ce Disciple de Loyola, je souhaiterois le connoître? _Angelique._ Tu le connois bien, & je t'apprendrai de petites particularités de sa vie, qui te feront croire, qu'il sait faire plus d'un personnage. Mais il faut que je t'acheve le reste. Voilà Mademoiselle, bien des chaînes, des rigueurs, & des mortifications que je vous presente; mais le croiriez-vous, me dit-il, ces saintes ames dont je vous parle presentement, sont glorieuses de ce joug, elles sont vaines de cette servitude, & il ne s'offre point de rude peine à souffrir, qu'elles n'estiment une grande recompense; elles font toutes leurs amours & leur passion du service de Jesus Christ; c'est lui seul qui les met toutes en feu, pour peu qu'il les touche, c'est lui qui est l'unique Maître de leur coeur, & qui sait faire succeder à leurs peines, des joyes & des douceurs incroyables. _Agnès._ Sans doute tu fus charmée par ce beau discours. _Angelique._ Oui mon enfant, ce Charlatan me persuada, ses paroles me changerent en un moment, elles m'arracherent à moi-même, & me firent rechercher avec ardeur, ce que j'avois toujours fui avec constance. Je devins la plus scrupuleuse du monde, & parce qu'il m'avoit dit qu'hors du Cloître, je ne pouvois faire mon salut, je m'imaginois devant que d'y être entrée, avoir tous les diables à mes côtés. Depuis ce temps, il a voulu lui-même me remettre dans le bon sens, il m'a donné les connoissances qui pouvoient me tirer des tenebres, où il m'avoit jettée, & c'est à sa Morale que je dois tout le repos, & la quietude d'esprit que je possede. _Agnès._ Apprends-moi donc vîte qui est ce personnage? _Angelique._ C'est le Pere de Raucourt. _Agnès._ Oh Dieu quel enchanteur! j'ai été une fois à confesse à lui, je le prenois pour l'homme du Monde le plus devot, il est vrai qu'il sait l'art de gagner les coeurs, en perfection, & qu'il persuade ce qu'il desire. Mais je lui veux mal de m'avoir laissée dans l'erreur où il me trouva, & d'où il me pouvoit dégager. _Angelique._ Ah! qu'il est trop prudent pour se mettre ainsi au hazard; il te voyoit dans une bigotterie extraordinaire, dans des scrupules horribles, & il savoit que d'une extremité à l'autre on ne peut pas reduire une fille si facilement. Outre que si un seul Saint éclairoit tous les aveugles, il n'y auroit plus de miracle à faire pour les autres, tu m'entends bien! c'est à dire, que si tu avois eu la foi, tu aurois été guerie, & que si ce sage Directeur eût reconnu en toi quelques dispositions à suivre ses ordonnances, il t'auroit servi de Medecin. _Agnès._ Je le crois, mais j'aime autant t'en avoir l'obligation qu'à lui même. Apprends-moi je te prie quelque trait de la vie de ce Bienheureux. _Angelique._ Je le veux mon petit coeur, baise-moi donc & m'embrasse bien amoureusement auparavant: ah! ah! voilà qui est bien. Ah que je suis charmée de la beauté de ta bouche & de tes yeux! un seul de tes baisers me transporte plus que je ne puis te l'exprimer. _Agnès._ Commence donc? ah que tu es une grande baiseuse! _Angelique._ Je ne me lasse jamais de caresser ce que je trouve aimable. Puisque tu connois le Pere de Raucourt, il n'est pas necessaire que je te dise que c'est l'homme du monde le plus intriguant, le plus adroit, & le plus spirituel qui se puisse trouver. Seulement je t'apprendrai qu'en fait d'amitié, il est délicat au dernier point, & que comme il croit valoir quelque chose, il faut avoir bien des qualités pour lui plaire. Entre toutes ces conquêtes il n'en comptoit point de plus glorieuse, que celle qu'il avoit faite d'une jeune Religieuse d'un Couvent de cette ville, qui s'appelle soeur Virginie. _Agnès._ J'en ai ouï parler comme d'une beauté achevée, mais je n'en sais point d'autres particularités. _Angelique._ C'est une fille la plus belle qui se puisse voir, si le portrait que son galant m'en a montré est fidele, pour de l'esprit elle en est autant bien partagée qu'elle le pouvoit souhaiter, elle est enjouée, elle touche plusieurs instrumens; & chante avec des charmes capables d'enlever les coeurs. Il y avoit déja quelques mois que nôtre Jesuite se l'étoit entierement acquise, & qu'ils jouissoient tous deux de cette douce tranquilité qui fait tout le bonheur des amans, lors que la jalousie commença le desordre que tu vas entendre. Il y avoit dans le même Monastere une Religieuse pour qui le Pere avoit témoigné avoir de l'amitié, & à qui il avoit fait plusieurs visites sur ce pied là: il en avoit même reçu quelques faveurs, capables d'engager fortement un homme un peu fidele, mais l'éclat de la beauté de Virginie, l'emporta sur son coeur, il se dégagea interieurement de cette premiere habitude, & ne donna plus à cette pauvre fille, que l'exterieur, & les apparences d'un veritable amour. Elle s'apperçut bien-tôt du changement, & vit clairement qu'il y avoit du partage. Elle dissimula neanmoins son chagrin, & voyant qu'elle avoit affaire à une Rivale qui la surpassoit en tout, elle ne fit point dessein de s'attaquer à elle, mais elle jura la perte de celui qui la méprisoit. Pour venir plus facilement à bout de son entreprise, elle étudia les heures, & les momens, que Virginie donnoit à l'entretien de ce Religieux amant, & comme elle avoit appris par experience, qu'il ne se contentoit pas de paroles, ni de faveurs legeres, elle crut avec raison qu'elle pourroit les surprendre dans de certains exercices dont la connoissance la rendroit Maîtresse du sort de son infidele: elle fut long-temps devant que de rien découvrir d'assez fort pour éclater, elle apperçut bien deux ou trois fois ce pauvre Pere qui se réchauffoit la main dans le sein de Virginie, elles les vit se donnant quelques baisers, avec une ardeur incroyable, mais cela passoit pour bagatelles dans son esprit, & comme elle savoit qu'on ne comptoit dans le Cloître ces sortes d'actions que pour des Peccadilles, que l'eau benite efface; elle s'en tut en attendant une meilleure occasion de parler. _Agnès._ Ah que je crains pour la pauvre Virginie! _Angelique._. Nos amans qui ne se doutoient point des embûches qu'on leur dressoit, ne prenoient point de mesures pour s'en défendre, ils se voyoient deux ou trois fois la semaine, & s'écrivoient des billets lors que la prudence les obligeoit à se separer pour quelque temps l'un de l'autre, de crainte de donner lieu à la médisance. Les lettres du Pere dont les expressions étoient fortes & tendres, acheverent de lui gagner tout à fait Virginie, il la fut voir après huit jours d'absence, & remarqua à ses yeux & à sa contenance, qu'il en auroit ce qu'elle lui avoit toujours refusé auparavant. Cependant sa rivale n'étoit pas oisive, car étant d'intelligence avec la Mere portiere, elle venoit d'apprendre l'arrivée du Jesuite, & ne doutant point qu'après un si long intervalle, ils n'en vinssent à des privautés telles qu'elles les auroit souhaitées pour soi-même, elle se transporta animée de la jalousie dans un lieu voisin du parloir, où par le moyen d'une petite ouverture qu'elle avoit faite, elle pouvoit découvrir jusques aux moindres mouvemens de ceux qui s'y entretenoient, & entendre leurs plus secretes conversations. _Agnès._ C'est ici que ma crainte se renouvelle. Ah que je veux de mal à cette curieuse de troubler si malicieusement le repos de deux malheureux amans? _Angelique._ Afin que les dépositions qu'elle avoit dessein de faire, de ce qu'elle verroit, fussent reçues sans difficulté elle prit une autre Religieuse avec soi, qui pût rendre un semblable témoignage. S'étant donc postées l'une & l'autre dans l'endroit dont je t'ai parlé, elles apperçurent nos deux amans qui s'entretenoient plus par leurs regards & par leurs soupirs, que par les paroles, ils se serroient étroitement la main, & se regardant avec langueur ils se disoient quelque mots de tendresse, qui partoient plus de leur coeur, que de leur bouche. Cette amoureuse contemplation, fut suivie de l'ouverture d'une petite fenêtre quarrée, qui étoit vers le milieu de la grille, & qui servoit à passer les paquets un peu gros dont on faisoit present aux Religieuses. Ce fut pour lors que Virginie reçut & donna mille baisers, mais avec des transports si grands, avec des saillies si surprenantes, que l'amour même n'auroit pas pu en augmenter l'ardeur; Ah ma chere Virginie, commença nôtre passionné, vous voulez donc que nous en demeurions là? helas! que vous avez peu de retour pour ceux qui vous aiment, & que vous savez bien pratiquer l'art de les tourmenter? eh quoi reprit nôtre Vestale puis-je encore vous faire present de quelque chose après vous avoir donné mon coeur? ah que vôtre amour est tyrannique, je sais ce que vous desirez, je sais même que j'ai eu la foiblesse de vous le faire esperer, mais je n'ignore pas que c'est tout mon bien, & toute ma richesse, & que je ne puis vous l'accorder, qu'en me reduisant à l'extremité. Ne pouvons-nous pas en demeurant dans les termes où nous sommes, passer ensemble de doux momens, & goûter des plaisirs d'autant plus parfaits, qu'ils seront purs & innocens? Si vôtre bonheur comme vous me dites, ne dépend que de la perte de ce que j'ai de plus cher, vous ne pouvez être heureux qu'une seule fois & moi toujours miserable, puisque c'est une chose qui ne se peut recouvrir, pour se laisser perdre comme auparavant, croyez-moi, aimons-nous comme un frere aime une soeur, & donnons à cette amour toutes les libertés qu'il pourra s'imaginer, à l'exception d'une seule. _Agnès._ Et le Jesuite ne répondoit-il point à tout cela? _Angelique._ Non pendant tout ce discours il ne dit rien, mais se soutenant la tête d'une main, dans une posture de melancolique, il regardoit avec des yeux remplis de langueur, celle qui lui parloit. Après quoi lui prenant la main au travers de la grille, il lui dit d'un air touchant. Il faut donc changer de methode, & n'aimer plus comme auparavant? le pouvez-vous Virginie? pour moi je ne puis rien retrancher de mon amour, & les regles que vous venez de me prescrire, ne peuvent être reçues d'un veritable amant: il lui exagera ensuite avec tant de feu l'excès de son ardeur, qu'il la déconcerta entierement; & tira d'elle une promesse de vive voix, de lui accorder dans quelques jours ce qui seul devoit le rendre parfaitement heureux, il la fit pour lors approcher plus près de la grille, & l'ayant fait monter sur un siege assez élevé, il la conjure de lui permettre au moins de satisfaire sa vue, puisque toute autre liberté lui étoit défendue, elle lui obeït après quelque resistance, & lui donna le temps de voir & de manier les endroits consacrés à la chasteté, & à la continence. Elle de son côté voulut aussi contenter ses yeux par une pareille curiosité, & le Jesuite qui n'étoit pas insensible en trouva aisement les moyens, & elle obtint de lui ce qu'elle desiroit, avec plus de facilité qu'elle ne le lui avoit accordé. Ce fut là, le moment fatal de l'un & de l'autre, & celui que desiroient nos Espionnes: elles contemploient avec une satisfaction extraordinaire, les plus beaux endroits du corps nu de leur compagne, que le Jesuite mettoit à découvert, & qu'il manioit avec les transports d'un amant insensé. Tantôt elles admiroient une partie, tantôt une autre, selon que le Pere officieux, tournoit & faisoit changer de situation à son amante, tellement que quand il consideroit le devant, il leur exposoit en vue son derriere, parce que sa jupe d'un côté & d'autre étoit levée jusques à la ceinture. _Agnès._ Il me semble que je suis presente à ce spectacle, tant tu en rapportes l'histoire naïvement. _Angelique._ Enfin ils terminerent leurs badineries, & nos deux Soeurs se retirerent dans le dessein de couper le cours à ces amours mal conduits: & d'empêcher l'effet de la promesse de Virginie. Par un bonheur particulier pour cette pauvre innocente, la Religieuse que sa Rivale étoit associée dans la consideration de ce qui s'étoit passé, avoit une amitié bien tendre pour elle, & tâcha de trouver un biais pour détruire le Jesuite, sans nuire à celle qu'elle cherissoit: elle lui fit connoître ce qu'elle savoit d'elle, l'assura de ne rien faire à son préjudice, pourvu qu'elle lui promît de rompre entierement avec ce Religieux, & de n'avoir pas à l'avenir la moindre communication avec lui. Virginie toute honteuse de ce qu'elle apprenoit, s'engagea à tout ce qu'on voulut, demandant seulement avec instance que l'on conservât la reputation du Jesuite parce qu'il étoit impossible de nuire à l'un sans porter dommage à l'autre. Elle protesta qu'elle ne vouloit plus le voir, & que ce billet qu'elle lui alloit écrire pour lui donner avis de ne plus revenir, seroit le dernier qu'il recevroit d'elle. Ces conditions furent reçues de toutes deux, quoi qu'avec peine, elles embrasserent Virginie dont elles étoient devenues amoureuses, & dirent en la quittant qu'elles vouloient prendre la place du Pere, & lier une étroite amitié avec elle. _Agnès._ Elle en étoit quitte à bon marché, je crois qu'elle devoit cette Indulgence à sa beauté, & à ses autres qualités qui la rendirent sans doute aimable à son ennemie même? _Angelique._ Ce n'est pas encore ici la fin de nôtre histoire. Virginie écrivit donc promptement au Pere de Raucourt, & l'avertit par son billet de tout ce qui se passoit, & des conditions auxquelles elle s'étoit engagée, pour sauver son honneur, & le sien: elle lui remontra le danger où il s'exposeroit s'il revenoit pour la voir, & lui fit connoître qu'il étoit même impossible qu'elle reçût de ses lettres s'il ne se servoit d'une intrigue particuliere, pour éviter leurs surprises. Elle finissoit par des protestations d'un amour constant, & à l'épreuve de toutes les plus rudes attaques de la jalousie, & lui faisoit esperer que le temps pourroit dissiper cet orage, qui les menaçoit, & les rendre plus heureux que jamais. Je ne dis point avec quelle surprise le pere reçut & lut cette lettre, ce fut un coup de foudre qui le frappa, il vit qu'il n'étoit pas à propos d'y faire réponse & qu'il falloit ceder au malheur qui s'opposoit à sa bonne fortune, dans le moment qu'il étoit prêt d'en jouir. Trois semaines s'étoient déja passées de ce veuvage, lors que Virginie s'ennuyant de sa solitude, trouva par une adresse merveilleuse le moyen d'apprendre des nouvelles de son Amant, & de lui faire part des siennes. Elle feignit de s'être oubliée d'envoyer au Pere de Raucourt un Bonnet quarré, qu'il lui avoit donné à faire, du temps de leurs familiarités passées: sa rivale lui dit qu'elle eût à lui remettre entre les mains, & qu'elle le feroit tenir par une Touriere. Cela fut fait, la messagere fut avertie de la maniere qu'elle devoit parler, elle s'acquitta de sa commission de point en point, & le Jesuite après avoir reçu le Bonnet, la pria d'attendre un moment dans l'Eglise afin d'avoir lieu de penser à ce qu'il voyoit. Après un peu de reflexion il se douta du stratageme, fit ouverture dans un endroit du Bonnet, & y trouva une lettre de Virginie, sans l'examiner beaucoup, il y fit promptement la réponse, qu'il plaça dans le même lieu qu'il ferma le mieux qu'il put avec deux ou trois points d'aiguilles. Il revint joindre la Touriere qu'il pria de rapporter le Bonnet afin qu'on le raccommodât parce qu'il étoit de beaucoup trop étroit pour lui, qu'il l'avoit fait essayer à plusieurs de la maison afin d'exempter la personne de la peine qu'elle auroit à le reformer, mais qu'il ne s'étoit trouvé aucun Pere à qui il fût propre, qu'au reste qu'il lui étoit fort obligé de la patience qu'elle avoit eue à attendre si long-temps. La bonne soeur répondit par ses reverences aux civilités du Pere, & remporta le Bonnet quarré au Monastere, elle le remit par l'ordre de celle qui l'avoit envoyée, entre les mains de Virginie, qui fut ravie d'y apprendre des nouvelles de celui qu'elle aimoit, & de ce que son artifice avoit si bien réussi. _Agnès._ Il faut avouer que l'Amour est bien inventif. _Angelique._. Ce commerce dura plus d'un mois, il y avoit toujours quelque chose à refaire à ce venerable Bonnet; de trois jours l'un, il falloit le porter au College, & le rapporter au Monastere. Personne ne s'imaginoit neanmoins qu'il y eût rien de mysterieux dans une semblable chose, on n'y prenoit pas garde, & ils auroient pu encore se servir de ce postillon sans l'accident qui le cassa au gage. _Agnès._ Oh Dieu je m'imagine que le Pot au Rose fut découvert par la Touriere! _Angelique._ Non tu te trompes. Cela vint de ce qu'un jour de jeûne que le portier des Jesuites, étoit de mauvaise humeur pour n'avoir peut-être pas vuidé sa Roquille à l'ordinaire. La Touriere qui avoit une infinité de commissions, & entr'autres celle du Bonnet, sonna deux ou trois fois à la porte du College, pour se décharger au plutôt de son message. Ce bon Frere partit du Jardin où il étoit, & étant arrivé hors d'haleine, pensant que ce fût quelque Evêque, ou Archevêque, ou quelque autre Grandeur, qui eût ainsi sonné en Maître, il fut bien surpris à la vue de la bonne Soeur, qui n'avoit rien autre chose à lui dire, que de remettre le Bonnet quarré entre les mains du Pere de Raucourt. Ce demi Cuistre rebattu par tant de visite qui ne lui plaisoient pas, s'emporta de colere, & dit que ce Bonnet là se promenoit trop souvent, & qu'il le mettroit en la disposition d'un homme qu'il lui feroit faire un peu de retraite. La Touriere s'excusant le mieux qui lui fut possible, se retira, & le Recteur qui attendoit un compagnon, pour sortir, ayant entendu le Dialogue, appella le frere & voulut apprendre le sujet du differend, & pourquoi il traitoit ainsi rudement les personnes qui avoient à faire à ceux de la maison. Celui-ci se voyant chapitré de son Superieur, lui dit tout ce qu'il pensoit de ce Bonnet, l'assura qu'il avoit déja fait près de vingt tours & retours du College au Monastere, que sans doute il y avoit quelque dessein caché dans ces manieres, & que s'il plaisoit à sa Reverence, il visiteroit cette piece, qu'il disoit de contrebande; ce qu'il fit à l'instant, & d'un coup de ciseau, il fit voir le jour au quinzième _Enfant du Bonnet quarré_ qui venoit en droite ligne de la Soeur Virginie. _Agnès._ Oh Dieu qu'une personne a de peine à se sauver, quand un mauvais Destin la poursuit, & qu'il a juré sa perte! qu'arriva-t-il de tout cela? _Angelique._ Il est arrivé que le Pere a été confiné dans une autre Province, & que la pauvre Virginie a été mortifiée de quelques penitences, & c'est de là qu'est venu le proverbe _qu'il y a bien de la malice sous le Bonnet quarré d'un Jesuite._ _Agnès._ Ah Dieu c'étoit pour elle seule que j'apprehendois, mais dis-moi comment cela vint à la connoissance de la Prieure? _Angelique._ Je serois trop long-temps, à t'entretenir de la même chose, dans la premiere conversation qui succedera à ma retraite, je t'en dirai davantage sur ce sujet, je te ferai voir deux Enfans du Bonnet quarré, & t'apprendrai le sort de leur pere & mere. Pense seulement à present, ma plus chere, que je vais passer huit ou dix jours bien tristement, puisqu'il me sera defendu d'avoir la moindre conference avec toi. Je vais écrire à trois de mes bons amis afin qu'ils te fassent visite pendant ce temps; il y a un Abbé, un Feuillant, & un Capucin. _Agnès._ Oh Dieu quelle bigarrure! & que voulez-vous que je fasse avec tous ces gens-là, que je ne connois point? _Angelique._ Tu n'as qu'à être obeïssante, ils t'apprendront assez ce qui sera de ton devoir pour les satisfaire & pour te contenter. Tiens voici un livre que je te prête, fais en un bon usage, il t'instruira de beaucoup de choses, & donnera à ton esprit toute la quietude que tu peux souhaiter. Baise moi, ma chere enfant, pour tout le temps que je serai sans te voir. Ah que je passerois ma retraite avec bien du plaisir, si le Directeur que j'aurai étoit aussi aimable & aussi docile que toi! Adieu mon coeur habille-toi, tiens secretes toutes nos amitiés, & te prepare à me faire le recit de tous tes divertissemens, lors que je serai sortie de mes exercices. _Fin du Premier Entretien._ VENUS DANS LE CLOÎTRE, OU LA RELIGIEUSE EN CHEMISE. SECOND ENTRETIEN. Soeur _Agnès_. Soeur _Angelique_. _Angelique._ Ah Dieu soit loué! je commence à respirer, jamais je n'ai été plus accablée de devotions, de mysteres, & d'Indulgences, que depuis que je t'ai quittée: ah que je suis rebutée de toutes ces superstitions! Comment te portes-tu? tu ne me dis rien, qu'as-tu à rire? _Agnès._ Je suis toute honteuse de paroître devant vous, je m'imagine que vous savez déja jusques aux moindres particularités de tout ce qui s'est dit, & passé dans vôtre absence. _Angelique._ Et de qui aurois-je pu l'apprendre? tu te railles bien de moi, viens-t'en dans ma chambre, & songe par où tu commenceras à m'en faire un fidele récit. Pour moi je sors d'entre les mains d'un sauvage qui auroit mis au desespoir un esprit autrement tourné que le mien, je veux dire de mon Directeur, c'est l'homme le plus bourru, & le plus ignorant de son caractere. Je crois qu'il m'a fait gagner toutes les Indulgences, & les Pardons qui ont jamais été accordés par les Papes, depuis Gregoire le Grand, jusques à Innocent XI, si je l'avois cru je me serois mise le corps en sang par les disciplines qu'il m'a ordonnées, ce n'est pas que je lui aye fait montre de beaucoup de malice dans les Confessions qu'il a entendues de moi: mais c'est parce qu'il s'imagine que pour être dans le chemin du Paradis il faut être aussi sec, aussi maigre, & aussi décharné que lui, & que c'est assez que d'être un peu agreable, & d'avoir de l'embonpoint pour meriter toutes sortes de penitences. Juge par là comme j'ai passé mon temps, & si je n'ai pas eu sujet de m'ennuyer? _Agnès._ Pour moi je te dirai que tu m'as donné des Directeurs qui ne m'ont gueres moins fatiguée que le tien, je ne sais pas si j'ai gagné avec eux des Indulgences, mais je suis certaine que pour les gagner beaucoup de personnes n'en font pas tant que nous en avons fait. _Angelique._ Je n'en doute point. Mais dis-moi un peu des nouvelles de nôtre Abbé, & m'apprend s'il est capable de quelque chose. _Agnès._ Ce fut lui que je vis le premier, & en qui j'ai trouvé plus de feu, il n'y a rien de plus vif & de plus animé, & il y a plaisir à l'entendre discourir. J'étois à la recreation d'après le dîner lors qu'on vint m'avertir qu'il me demandoit. Comme je savois que Madame étoit indisposée, je lui fis dire par la Portiere qu'il allât au grand parloir, & qu'il ne s'impatientât pas. Je le fis bien attendre un bon quart d'heure, parce que je changeai de voile & de guimpe, afin de paroître devant lui un peu proprement, & de tâcher à répondre à l'esperance qu'il avoit, de voir une personne dont on lui avoit fait le portrait si avantageusement. A son abord je fis semblant de paroître un peu interdite, répondant fort serieusement aux civilités qu'il me faisoit, mais cela ne le démonta point; au contraire il prit de là occasion de me dire, fort hardiment, qu'il savoit qu'il étoit permis aux belles de parler d'un certain air indifferent, qui seroit mal séant à d'autres, mais qu'il avoit lieu d'esperer que se presentant à la faveur de ma meilleure amie sa visite ne pourroit m'être qu'agréable. _Angelique._ Il passe pour avoir de l'esprit, & on peut dire que ses grands voyages accompagnés de beaucoup d'experiences, ont ajouté à ses avantages naturels toute la perfection qui lui manquoit. _Agnès._ Je ne sais point ce que tu lui as dit de moi, mais je trouve qu'il s'avançoit beaucoup pour une premiere visite; il tourna la conversation sur l'austerité des Maisons Religieuses, & tâcha à me persuader par une infinité de raisons, de ne point suivre le zèle indiscret de la plupart, traitant de ridicules toutes celles qui mettoient sottement en usage toutes sortes de mortifications. Il me fit rire par le récit naïf de ce qui lui étoit arrivé en Italie avec une Religieuse de S. Benoît, de l'adresse dont il se servit pour la voir aussi souvent qu'il souhaitoit, & comme enfin il en reçut les faveurs qui devoient être le fruit de ses assiduités. Il m'assura que devant cette habitude il avoit toujours cru qu'il n'y avoit que chez les Religieuses que la chasteté refugiée se conservoit, & qu'il s'étoit toujours persuadé que ces ames recluses vivoient dans une continence aussi parfaite que celle des Anges mais qu'il avoit bien reconnu le contraire, & que comme rien de parfait ne se gâte mediocrement; & qu'une chose conserve dans sa corruption le même degré qu'elle avoit en sa bonté, il avoit remarqué qu'il n'y avoit rien de plus dissolu que toutes les Recluses & Bigottes lors qu'elles trouvoient l'occasion de se divertir. Il me montra un certain instrument de Verre qu'il avoit reçu de celle dont je t'ai parlé, & m'assura qu'il avoit appris d'elle qu'il y en avoit plus de cinquante de la sorte dans leur maison, & que toutes depuis l'Abbesse jusques à la derniere professe, le manioient plus souvent que leur chapelets. _Angelique._ Voilà qui est bien, mais tu ne me dis rien pour ce qui te regarde? _Agnès._ Que veux-tu que je te die? C'est l'homme du monde le plus badin, à la seconde visite qu'il me fit je ne pus me dispenser de lui accorder quelque grace, il opposa à toutes mes raisons une morale si forte, & si artificieuse qu'il rendit tout mes efforts inutiles, il me fit voir trois lettres de nôtre Abbesse, qui m'assuroient que quelque chose que je fisse, je ne pouvois marcher que sur ses pas. Elle a passé des nuits entieres avec lui, & ne le traite dans ses billets que d'Abbé de Beau-lieu: je lui representai que la grille étoit un obstacle insurmontable, & qu'il falloit de necessité qu'il se contentât de legeres badineries, puisqu'il étoit impossible d'aller plus avant. Mais il me fit bien connoître qu'il étoit plus savant que moi, & me fit voir deux planches qui se levoient, une de son côté, & l'autre du mien, & qui donnoient passage suffisant pour une personne: il me dit que c'étoit par son conseil que Madame avoit fait disposer cela de la sorte, qu'elle l'avoit nommé _le Détroit de Gibraltar_, & qu'elle lui disoit un jour, qu'il ne falloit pas s'hazarder de le passer, sans être bien muni de toutes les choses necessaires, particulierement si on avoit dessein de s'arrêter aux Colomnes d'Hercule. Après donc plusieurs contestations de part & d'autre, l'Abbé passa le Détroit, & arriva au port où il fut reçu, mais ce ne fut pas sans peine, & seulement après qu'il m'eut assurée, que son entrée n'auroit point de mauvaises suites; je lui permis autant de sejour qu'il en falloit pour le rendre heureux, c'étoit le septième du mois d'Août, qui étoit un jour que Madame avoit coutume d'employer dans des grandes ceremonies, mais que son indisposition l'avoit obligée à remettre jusques au mois prochain ce qu'elle observoit ordinairement dans celui-ci. Il me dit qu'elle avoit créé la seconde année qu'elle fut Abbesse un ordre de Chevallerie, qui n'étoit composé que de Prêtres, de Moines, d'Abbés, de Religieux, & de personnes Ecclesiastiques. Que ceux qui y étoient admis, faisoient serment de garder le secret de l'Ordre & s'appelloient _les Chevaliers de la Grille_ ou _de St. Laurent_, que le Collier qui leur étoit donné le jour de leur reception étoit composé des chiffres de Madame entrelacés dans des lacs d'amour, & qu'au bas pendoit une Medaille d'or representant le Patron de l'Ordre couché tout nu sur un gril, au milieu des flammes avec ces paroles, _Ardorem craticula fovet_, c'est-à-dire, _Le Gril augmente mes feux_. Il me montra le Collier qu'il avoit reçu, & après quelques presens qu'il me fit de livres curieux, nous nous séparâmes l'un & l'autre jusques à une nouvelle entrevue. _Angelique._ Tu ne m'as rien appris de nouveau, touchant l'Ordre établi par Madame; Mr. l'Evêque de ** en est le premier Chevalier, l'Abbé de Beaumont le second, l'Abbé Du Prat le troisième, le Prieur de Pompiere, le quatrième; voilà les principaux, & les premiers en date; ils sont suivis de Jesuites, de Jacobins, Augustins, Carmes, Feuillants, Peres de l'Oratoire, & du Provincial des Cordeliers. Tellement qu'à la derniere promotion qui se fit l'an passé, le nombre étoit de vingt-deux. Mais il est à remarquer qu'il y a beaucoup de difference entre eux, & qu'ils ne peuvent jouir tous de pareils privileges; il y en a qui s'appellent _les Cordons Bleus_ & ce sont ceux qui sont tout puissans, qui ont le secret de l'Ordre, & qui disposent des affaires de Madame, comme Madame conduit les leurs. Pour ce qui est des autres, leur pouvoir est limité, il a des bornes qu'ils ne peuvent pas passer. Et il n'ont gueres plus d'avantage que les aspirants, jusques à ce que par leur zèle, leur prudence, & leur discretion, ils se soient rendus dignes d'être de la grande profession. De tous les Moines, les seuls Capucins en sont exclus, parce que cette barbe qui les déguisent tant, les a rendus odieux à nôtre Abbesse, qui dit qu'elle ne peut s'imaginer qu'une personne du sexe, puisse vouloir du bien à ces Satires. Mais à propos dis-moi des nouvelles du Pere Vital de Charenton? _Agnès._ Je n'aurois jamais cru aussi bien que Madame, qu'un Capucin eût été capable d'une galanterie, si celui-là ne m'en eût persuadé par sa conduite. Il me vint voir trois jours après nôtre Abbé, nous allâmes dans le parloir de S. Augustin, & ce fut là où il me debita plus de fleurettes, que je n'en aurois pu attendre d'un Courtisan de profession, il parla au reste si hardiment que j'avois honte d'entendre sortir de la bouche d'un homme dont l'habit & la barbe ne prêchoient que la penitence, des paroles au commencement peu libres, mais dans la fin les plus dissolues que le plus grand débauché puisse mettre en usage. Je ne pus m'empêcher de lui en marquer mon étonnement & de lui faire connoître qu'il y avoit de l'excès dans ses transports. Ce qui fit qu'il y apporta un peu de moderation. Il m'a rendu trois visites, pendant ta retraite, & à la derniere il obtint peu de chose de moi, parce que le Parloir où nous étions, n'avoit pas les commodités de l'autre. Je te dirai seulement qu'il m'apprêta bien de quoi rire, en ce qu'ayant par ses efforts ébranlé une barre de fer de la grille, & croyant s'être fait un chemin assez large pour y passer, il s'y hazarda malgré moi, mais il n'en put venir à bout, d'autant qu'ayant passé la tête & une des épaules avec bien de la difficulté; son Capuchon s'accrocha à une des pointes du dehors, tellement qu'il avoit beau se remuer, il ne pouvoit se débarrasser de ce piege. Je ne pouvois le contempler dans cette posture sans éclater de rire, je le fis promptement repasser de son côté, & lui fit remettre la grille dans son premier état. Il me donna trois ou quatre livres dont il m'avoit parlé dans sa premiere visite, & se retira mal satisfait de son avanture. _Angelique._ Je suis fachée de ce desordre, car sans doute cela l'aura rebuté. _Agnès._ Rebuté bon Dieu! vraiment c'est bien un homme à se rebuter, il n'y a rien de plus effronté que lui, oh qu'il sera ici devant la fin de la semaine, il m'a promis le _Recueil des Amours secretes de Robert d'Abrissel_, il m'en commença l'histoire, mais je la crois fausse, & controuvée à plaisir. _Angelique._ Tu te trompes, il n'y a rien de plus veritable, & plusieurs graves Auteurs écrivent qu'il avoit coutume de coucher avec ses Religieuses afin de les éprouver, & de remarquer en même temps dans sa personne, jusques où pouvoient aller les forces de la vertu, qui combat les tentations de la Chair: il croyoit beaucoup meriter par là; & c'est ce qui a donné lieu à Godefroy de Vandôme, de traiter cette devotion de plaisante & de ridicule, dans une lettre qu'il écrit à S. Bernard, & d'appeller cette ferveur, un nouveau genre de martyre: cela a empêché jusques à present que cet homme n'ait été mis au rang des Saints par la Cour de Rome, on le traite neanmoins de Bien-heureux. _Agnès._ Il faut avouer qu'il y a bien des abus qui se pratiquent dans nôtre Religion, & je ne suis plus surprise de ce que tant de peuples s'en sont separés, pour s'attacher litteralement aux Ecritures. Le Pere Feuillant que je vis pendant ta retraite me fit remarquer visiblement, tous les endroits défectueux du gouvernement present, pour ce qui regarde la Religion: C'est un homme qui pour sa jeunesse (car il n'a que vingt-six ans) possede toutes les sciences qui peuvent rendre une personne accomplie, de quelque caractere qu'elle soit: il parle universellement de toutes choses, mais avec un air dégagé & qui n'a rien de pedantesque. _Angelique._ Je vois bien qu'il te plut, il est bien fait & beau garçon, pour moi je ne l'appellois que mon _Grand Blanc_, en quel Parloir le vis-tu? _Agnès._ Je l'ai vu deux fois, la premiere ce fut dans le Parloir de S. Joseph, & la derniere dans celui de Madame. _Angelique._ Bon bon, c'est-à-dire qu'il passa _le Detroit_? il le meritait bien, & il y a plaisir à lui voir faire son personnage. _Agnès._ Il me donna deux petites Fioles d'essences qui ont une odeur merveilleuse, il étoit parfumé depuis les pieds jusques à la tête, & avec un vermeil si animé, que je le soupçonnai d'abord de s'être servi du petit Pot, mais je reconnus le contraire dans la suite, & vis que le rouge ne procedoit que de l'ardeur de sa passion, & de ce qu'il avoit le poil fraîchement fait. Son entretien & ses badineries me plurent infiniment, & je n'eus pas de peine à lui accorder le passage que j'avois tant disputé à nôtre Abbé. Je lui representai seulement, qu'il y avoit sujet de craindre que les sottises que nous faisions tous deux, ne fussent suivies d'une troisième: je vous entends, reprit-il, il tira en même temps un petit livre de sa poche qu'il me donna, il avoit pour titre, _Remedes doux & faciles, contre l'Embonpoint dangereux_, il me dit, qu'il m'apprendroit ce que j'aurois à faire dans une pareille occasion, il me mit dans la bouche un morceau de conserve, que je ne trouvois point de mauvais goût, je ne sais pas si elle renfermoit quelque vertu secrete, mais aussi-tôt il se mit en état d'arriver aux colomnes d'Hercule. _Angelique._ C'est à dire que le Grand Blanc gagna ton coeur? _Agnès._ Assurement qu'il le partagea avec l'Abbé, je ne puis te dire à qui je pourrois donner la preference: une seule chose me choqua dans le Feuillant, c'est que lui ayant vu au col un Reliquaire de vermeil dorée, qu'il portoit sur son coeur, j'eus la curiosité de l'ouvrir, mais je fus bien surprise de ne trouver rien autre chose que des Cheveux, & du poil de differentes couleurs, divisés dans des compartimens figurés & très-bien faits. Il m'avoua que c'étoit-là des faveurs de toutes ses Maîtresses, & me pria de favoriser aussi sa devotion, & que le plus bel endroit serviroit à placer ce que je lui ferois la grace de lui accorder! que veux-tu, je le satisfis? J'oubliois à te dire qu'il y avoit en caracteres d'or, cette inscription au milieu d'un cristal qui couvroit toute cette belle marchandise, _Reliques de Sainte Barbe_. Sur le dessus du Reliquaire, on voyoit gravé un Cupidon dans un Trône, & le Quidam prosterné à ses pieds, avec ces paroles que j'ai bien retenues quoi qu'elles soient latines, AVE, LEX, JUS, AMOR. Je le blâmai de cette irreverence, que je traitai d'impieté, mais il ne fit que d'en rire, & dit qu'il ne pouvoit refuser ces cultes, à celles qui meritoient toutes sortes d'adorations; & que si je savois déchiffrer sept autres lettres qui étoient de l'autre côté, je ferois bien plus d'exclamations. En effet, ayant regardé, je vis les sept lettres suivantes, A. C. D. E. D. L. G. il ne voulut jamais m'en donner l'intelligence, quelque instance que je puisse faire, je fis semblant d'en être fâchée, mais il s'apperçut bien que je ne lui voulois pas grand mal, c'est pourquoi il m'embrassa de nouveau, & nous prîmes congé l'un de l'autre. _Angelique._ Je suis ravie ma chere enfant que toutes choses soient allées selon mes souhaits, ce n'est qu'un échantillon de ce que je veux faire pour toi. Et je te ménagerai la connoissance d'un Jesuite, à qui sans doute tu donneras le prix, & tu avoueras qu'il aura emporté l'avantage sur tous les autres. Mais il est jaloux de ses habitudes jusques à l'excès, c'est l'unique defaut que tu pourras trouver en lui, au reste, bel homme, galant, beau parleur, & qui n'ignore rien de ce qui peut venir à la connoissance d'une personne. _Agnès._ Cette imperfection est assez grande, pour que je ne puisse pas m'accommoder avec lui. _Angelique._ Eh pourquoi? tu auras bien de la peine à trouver un homme qui aime veritablement, & qui ne soit pas jaloux. Je me souviens d'avoir connu un Benedictin, qui croyoit que toutes les Religieuses de saint Benoît, ne pouvoient en voir d'un autre Ordre sans injustice, & qu'elles déroboient à lui & à ses Confreres, toutes les faveurs qu'elles accordoient aux Capucins; & voici comme il raisonnoit. On ne peut pas douter que les hommes qui sont en Religion ne soient sujets aux mêmes passions & mouvemens, que ceux qui sont dans le Monde. C'est dans cette vue, disoit-il, que les Fondateurs des Ordres, qui étoient fort éclairés, n'ont point élevé des Cloîtres pour ceux de leur sexe, qu'ils n'en ayent en même temps bâti pour les filles, afin que sans avoir recours aux étrangers, ils pussent les uns & les autres se soulager de temps en temps, de la rigueur de leurs voeux. Dans les commencemens cela se pratiquoit selon l'intention des Instituteurs, ce qui faisoit qu'il n'y avoit aucun scandale, mais à present ces lieux se sentent de la corruption generale, on voit sans peine le Bernardin avec la Jacobine, le Cordelier avec la Benedictine & de cette confusion horrible, il ne peut naître que des Monstres. _Agnès._ Cette pensée étoit assez plaisante. _Angelique._ Helas! s'écrioit-il, que diroient tous ces Saints Fondateurs à la vue de tant d'adulteres, s'ils revenoient sur la terre? que de foudres, que d'anathemes ils fulmineroient contre leurs propres Enfans! Saint François ne renvoyeroit-il pas les Capucins, aux Capucines, les Cordeliers, aux Cordelieres: saint Dominique, saint Bernard, & tous les autres ne remettroient-ils pas tous ces dévoyés dans le premier chemin de leurs Regles, & de leurs constitutions. C'est à dire les Jacobins, aux Jacobines, les Feuillants aux Feuillantines. Mais que deviendroient les Jesuites, & les Chartreux, lui dis-je, car saint Ignace, ni saint Bruno n'ont point dressé de Regles pour le sexe. Oh que cet Espagnol, reprit-il, y a bien pourvu, il a fait cela exprès, afin qu'il eussent lieu d'aller impunement par tout; outre que suivant sa fantaisie qui étoit un peu Péderaste, il les a mis dans les emplois, où ils trouvent parmi la jeunesse des momens de satisfaction qu'ils preferent à tous les divertissemens des autres. Pour les Chartreux, continua-t-il, comme la retraite leur est étroitement ordonnée, ils cherchent dans eux mêmes, le plaisir qu'ils ne peuvent pas aller prendre chez les autres, & par une guerre vive & animée, ils viennent à bout des plus rudes tentations de la Chair. Ils reïterent le combat tant que leur ennemi leur fait de la resistance, ils y employent toute leur vigueur & nomment ces sortes d'expeditions, _La guerre de cinq contre un_. Eh bien le Disciple de saint Benoît ne parloit-il pas savamment? _Agnès._ Assurement, j'aurois pris plaisir à l'entendre. _Angelique._ Il n'y a rien de plus certain, que si cela se pratiquoit, & que si dans le desordre même, on suivoit quelque reglement, que tout en iroit mieux. Il y a un an qu'une jeune Religieuse n'auroit pas été si mal-heureuse comme elle a été depuis, si elle eût fait avec le Provincial de son Ordre, ce qu'elle fit avec celui d'un autre. Tu as peut-être entendu parler de la Soeur Cecile, & du Pere Raymond? _Agnès._ Non, apprends-moi ce que tu en sais? _Angelique._ La Soeur Cecile est une Religieuse de l'Ordre de saint Augustin, & le Pere Raymond étoit pour lors Provincial des Jacobins, je ne te dirai point de quelle maniere il s'insinua dans l'esprit de cette innocente, qui avoit été inaccessible à tout autre auparavant; mais tu sauras seulement qu'il se l'acquit tellement, que jamais amitié n'a été plus étroite, & ils ne pouvoient être un moment sans se voir, ou sans recevoir des nouvelles l'un de l'autre. On s'apperçut dans la Communauté de cet engagement, & le Provincial Augustin, qui gouvernoit cette maison, en ayant eu avis, fut au desespoir, parce que jamais il n'avoit pu rien faire auprès d'elle, quoi qu'il eût tâché par toutes sortes de moyens de la corrompre. C'étoit la plus belle de ce monastere. Etant ainsi choqué au vif, il écrivit à la Superieure, & lui donna ordre d'avoir les yeux sur les comportemens de Cecile: il fut facile à cette gardienne de découvrir bien-tôt quelques sottises, parce que personne ne se tenoit sur ses gardes, ce n'étoit neanmoins que des badineries; mais c'en étoit toujours assez pour donner lieu à un jaloux, qui avoit le pouvoir en main, de mal-traiter une pauvre Religieuse. Il n'en forma pourtant pas le dessein, mais se proposa de se servir de cette occasion, pour avoir d'elle, ce qu'il n'en avoit pu obtenir auparavant. Il lui écrivit à elle-même afin de ne point éclater, & lui défendit la grille jusques à son arrivée, il étoit éloigné de vingt lieues. _Agnès._ Mais pouvoit-on produire des preuves contre elle, qu'elle eût fait quelque chose de notable? _Angelique._ Oh qu'on sait bien le moyen d'en trouver, n'en fût-il point, quand on a dessein de perdre une personne. Mais tout le mal ne vint que de ce qu'elle fut mal conseillée. Le Provincial étant donc arrivé, lui dit que c'étoit sur les informations qu'il avoit eues de sa mauvaise conduite, qu'il s'étoit transporté sur les lieux, que c'étoit une chose honteuse, qu'une jeune Religieuse comme elle, s'abandonnât à des actions qui ne pouvoient être nommées pour leur infamie, & qu'il avoit bien du déplaisir de se voir obligé à en faire une punition exemplaire. Cecile qui n'étoit coupable devant les hommes, que de quelques badineries, comme regards & attouchemens, dit qu'il étoit vrai qu'elle avoit vu fort souvent le Pere Raymond dont on lui parloit, mais qu'elle savoit aussi qu'elle n'avoit rien fait avec lui, qui meritât une notable reprehension; qu'elle lui avoit donné son congé, aussi-tôt qu'elle en avoit reçu les ordres, & qu'elle avoit fait voir par là qu'il n'y avoit rien de fort étroit dans cet engagement. Le Provincial pour arriver à son but, changeant de discours, lui parla dans des termes plus doux qu'auparavant, & lui representa que s'il lui arrivoit quelque mortification elle en seroit elle même la cause, qu'elle pouvoit remedier au desordre qu'elle avoit causé, & qu'il lui étoit très-facile de se parer des corrections rigoureuses qui ne pouvoient lui manquer, si elle ne se servoit des avantages qu'elle possedoit. Il la prit en même temps par la main, qu'il lui serra amoureusement, en la regardant avec un souris qui devoit lui faire connoître la disposition du coeur de son Juge. _Agnès._ Ne se servit-elle pas de ce qu'elle pouvoit avoir d'engageant, pour se tirer du danger où elle étoit? _Angelique._ Non, elle prit une conduite toute opposée à celle qu'elle devoit suivre, elle s'imagina que c'étoit pour l'éprouver, que son Provincial lui parloit de la sorte, & qu'il n'avoit point d'autre dessein, que de juger par sa foiblesse, de ce qu'elle avoit été capable de faire avec l'autre. Sur ce mauvais fondement, elle ne répondit à celui qui brûloit d'amour pour elle, que par des froideurs & des paroles plus qu'indifferentes, qui changerent le coeur de ce passionné, & qui d'un tendre amant en firent un Juge implacable. Il proceda donc selon les formes, à l'instruction du procès de Cecile, il reçut les dépositions que la jalousie, & la flatterie mirent dans la bouche de plusieurs de ses Compagnes, & condamna cette pauvre enfant à être fouettée jusques au sang, à jeûner dix Vendredis au pain & à l'eau, & à être excluse du Parloir pendant six mois: tellement qu'on peut dire, qu'elle fut punie pour avoir été trop sage, & pour ne s'être pas laissée corrompre à la brutalité de son Superieur. _Agnès._ Oh Dieu que cela me touche! je regarde cette pauvre Religieuse comme une innocente victime, immolée à la rage d'un furieux, & je ne fais point de difference entre elle, & les onze mille Vierges. _Angelique._ Tu as raison, car on dit, que celles-ci furent égorgées pour n'avoir pas voulu satisfaire la passion d'un homme, & celle-là n'a été outragée que par la même raison. Comme il n'y a point d'animal au monde plus luxurieux qu'un Moine, il n'en est point aussi de plus malin & de plus vindicatif lors qu'on méprise son ardeur. J'ai lu sur ce sujet une Histoire d'un maudit Capucin, dans un livre qui avoit pour titre _le Bouc en chaleur_. Mais à propos dis-moi un peu quels sont les livres que tu as reçus pendant ma retraite? je prétends bien en avoir la lecture? _Agnès._ Tres-volontiers, il y en a d'assez plaisans, en voici le Catalogue. _La Chasteté Feconde_, Nouvelle Curieuse. _Le Passe-par-tout des jesuites_, Piece Galante. _La Prison Eclairée_, ou _l'Ouverture du petit Guichet_, le tout en Figures. _Le Journalier des Feuillantines._ _Les Prouesses des Chevaliers de S. Laurent._ _Regles & Statuts de l'Abbaye de Congne-au-fonds._ _Recueil des Remedes contre l'Embonpoint dangereux_ composé pour la commodité des Dames Religieuses de S. George. _L'Extrême-Onction de la Virginité mourante._ _L'Orvietan apostolique composé par les quatre Mendians_, ex præcepto Sanctissimi. _Le Coupe-Cû des Moines._ _Le Passe-temps des Abbez._ _La Guerre des Chartreux._ _Les Fruits de la Vie unitive_, &c. Je crois si je ne me trompe, que je n'en oublie aucun dans cette Liste, j'ai déja fait la lecture de cinq ou six, qui m'ont infiniment plu. _Angelique._ Certes, ils t'ont fait present d'une Bibliotheque toute entiere. Si le dedans repond au dehors comme je n'en doute point, ces livres doivent être fort divertissans. Tu as là de quoi perfectionner ton esprit, & te rendre telle que tu dois être, c'est-à-dire, universelle en toutes sciences, car il en est qui au milieu de beaucoup de lumiere conservent encore des doutes qui leur font quelquefois de la peine, & dont les suites sont souvent dangereuses. Je te veux dire une Histoire sur ce sujet, qui est arrivée dans l'Abbaye de Chelles. _Agnès._ Il faut que vous ayez des intrigues merveilleuses, pour apprendre tout ce qui se passe de plus secret dans tous les Monasteres? _Angelique._ Tu sauras, que l'Abbesse de cette Maison étant d'un naturel fort chaud, avoit coutume de prendre le Bain tous les Etés pendant quelques semaines. Il étoit dressé selon l'ordonnance de son Medecin, qui pour le faire trouver meilleur prescrivoit une regle & une methode particuliere à observer, sans laquelle il devoit être inutile. Il falloit le soir de la veille qu'on le devoit prendre, le preparer entierement, & laisser reposer l'eau toute la nuit jusques au lendemain, qu'on pouvoit à certaines heures se mettre dedans. Les odeurs, & les essences n'y étoient point épargnées, on les y repandoit avec profusion, & tout ce qui pouvoit flatter la sensualité de Madame entroit dans sa composition. _Agnès._ Ce sont les Medecins, qui par une fausse complaisance entretiennent ainsi le foible des personnes. _Angelique._ Quoi qu'il en soit, une jeune Religieuse de la Maison appellée Soeur Scolastique, & de l'âge de dix-huit ans. Voyant tous ces grands preparatifs pour Madame, & s'appercevant que le bain étoit en état dès le soir, forma le dessein, tant pour se soulager de l'incommodité de la saison, que de sa chaleur interieure qui n'étoit pas mediocre, de se servir de l'occasion, & de faire tous les soirs l'épreuve de ce salutaire _Lavabo_. En effet elle n'y manqua pas pendant huit jours, & trouva que cela donnoit du lustre à son embonpoint, & qu'elle en reposoit mieux. Elle sortoit de sa chambre sur les neuf heures, & presque nue en chemise, s'en alloit dans le lieu où tout étoit disposé; elle se défaisoit bien-tôt de sa jupe & de sa chemise, & ainsi toute nue se mettoit dans la Cuve, où elle se nettoyoit & se frottoit de tous côtés, d'où elle sortoit après aussi nette, aussi pure, & aussi belle qu'étoit Eve dans le Paradis Terrestre durant l'état de son innocence. _Agnès._ Ne fut-elle point découverte? _Angelique._ Tu l'apprendras presentement. Un soir que Scolastique se rafraîchissoit à l'ordinaire, une ancienne qui n'étoit pas encore endormie, ayant entendu marcher dans le Dortoir, à une heure que selon la coutume, toutes les Religieuses devoient être retirées, sortit de sa chambre, & après avoir cherché inutilement la personne qu'elle avoit entendue; elle entra dans le lieu où l'on prenoit le Bain, où elle apperçut aussi-tôt, au clair de la Lune, une Religieuse toute nue, qui s'essuyoit avec une serviette étant prête de reprendre sa chemise. La bonne Vieille pensant que c'étoit l'Abbesse, se retira promptement en demandant excuse de s'être ainsi avancée. Scolastique qui ne répondit rien, connut bien que cette bonne Mere s'étoit trompée, & l'avoit prise pour une autre. Elle s'en alla, après avoir donné le temps à l'autre de se retirer, & ne pensa plus à y revenir une autre fois, de crainte d'être découverte. _Agnès._ Est-ce là où tout se termina? _Angelique._ Non. Les Fesses de la pauvre Scolastique en auroient été bien aises. _Agnès._ Comment? cette belle Enfant reçut-elle quelque déplaisir? _Angelique._ La venerable Mere dont je t'ai parlé, ayant reflechi le matin sur ce qu'elle avoit vu le soir precedent, crut qu'il étoit à propos d'aller trouver Madame, & de lui faire des excuses particulieres de ce rencontre, qu'elle auroit pu attribuer à une mauvaise curiosité. Ce qu'elle fit malheureusement. Cela surprit tout à fait l'Abbesse, & lui fit croire, qu'elle n'avoit eu que les restes & les égouts de quelques infirmes de sa Communauté, elle en parla le lendemain dans son Chapitre, & commanda en vertu de _Sainte Obedience_ à celle qui s'étoit mise dans le bain de le declarer. Mais pas une de la compagnie ne parla, Scolastique n'étoit pas des plus scrupuleuses & avoit de l'esprit, c'est pourquoi elle se tut. Ce silence general mit l'Abbesse au desespoir, elle crie, elle fulmine, elle menace tout le monde, mais inutilement. Enfin par le conseil d'un Moine, elle pratiqua un plaisant stratageme. Elle fit assembler toutes ses Religieuses, & leur representa qu'il y en avoit une d'entre elles, excommuniée, & dans l'état de damnation, pour n'avoir pas relevé ce qui lui avoit été commandé de dire, _en vertu de Sainte Obedience_. Qu'un saint & savant homme, lui avoit donné un moyen sûr & infaillible, de la découvrir, mais qu'elle lui permettoit encore de parler, & d'éviter par ce moyen, les rudes penitences qu'elle s'attireroit par sa desobeïssance formelle. _Angelique._ Oh Dieu! que dans cet embarras, je crains pour la pauvre Scolastique, car tous les conseils des Moines sont toujours pernicieux. _Angelique._ Madame, voyant que cette derniere contrainte avoit été sans effet, elle suivit l'avis qui lui avoit été donné. Elle fit parer une table dans une chambre, d'un drap mortuaire, elle fit mettre au milieu un Calice de la Sacristie. Cela étant ainsi disposé, elle commanda à toutes ses Filles d'entrer l'une après l'autre dans ce lieu, & de toucher avec la main le pied du Vase sacré (c'est ainsi qu'elle parloit) qui étoit exposé sur la table, que par ce moyen elle connoîtroit celle qui s'étoit jusques-là tenue cachée, parce qu'elle n'auroit pas plutôt mis les doigts sur cette Coupe sacrée, que la table tomberoit par terre, & découvriroit par une vertu secrete d'enhaut, celle qui seroit la coupable. Cela se fit sur les neuf heures du soir & dans l'obscurité, elles entrerent donc toutes dans cette chambre & toucherent le pied du Calice avec la main. Scolastique fut l'unique qui n'osa le faire de crainte d'être decelée & toucha seulement le tapis. Après quoi elle se retira avec les autres dans une seconde chambre qui étoit aussi sans lumiere, d'où l'Abbesse les fit venir à soi l'une après l'autre, quand toute la ceremonie fut faite. Or il est à remarquer qu'elle avoit noirci le pied du Calice avec de l'huile & du noir de fumée, tellement qu'il étoit impossible d'y toucher sans en porter les marques, ayant donc allumé une chandelle, dans la chambre où elle étoit, elle considera les mains de toutes ces Religieuses, & reconnut que toutes avoient touché la Coupe excepté Scolastique, qui n'avoit aucune noirceur aux doigts comme les autres de la Communauté: Cela lui fit juger que c'étoit elle qui avoit fait la faute. Cette pauvre innocente se voyant ainsi trompée par un faux artifice, eut recours aux larmes & aux excuses, & elle en fut quitte pour une couple de Disciplines, qu'elle reçut devant toute la compagnie. Eh bien! ce fut seulement cet exterieur de Religion dont on se servoit avec impieté, qui lui fit peur, & si elle avoit fait un peu de reflexion sur l'impossibilité qu'il y avoit de la découvrir par un si ridicule artifice, elle ne l'auroit pas été. [Illustration] _Agnès._ Il est vrai; mais l'Abbesse devoit pardonner à sa beauté, & à sa jeunesse. _Angelique._ Elle le pouvoit, mais elle ne le fit pas, & même j'ai ouï dire, que la premiere discipline qu'elle lui ordonna, dura près d'un quart d'heure, juge de là en quel état pouvoient être les fesses de cette belle enfant? _Agnès._ Elles étoient sans doute à peu près comme les miennes, lors que je te les fis voir. S'il ne dépendoit que de moi, je condamnerois à de perpetuelles galeres, le maudit Conseiller de l'Abbesse: & si cela m'étoit ainsi arrivé, je dresserois tant d'embûches à ce Moine par le moyen de quelques amies du dehors, que je le ferois repentir de son Stratageme. _Angelique._ Crois-tu que s'il eût pensé que Scolastique eût dû être châtiée pour cela, qu'il y auroit servi? Non, il s'imaginoit aussi bien que l'Abbesse, que c'étoit quelque vieille, ou quelque infirme qui avoit été surprise & c'est ce qui faisoit mal au coeur de Madame, de s'être comme elle croyoit, lavée dans les ordures de telles personnes. _Agnès._ Pour moi je crois qu'elle fut soulagée, quand elle connut que c'étoit Scolastique, qui s'étoit mise dans son bain, parce qu'on ne se dégoûte pas d'une jeune fille, propre & bien faite comme tu me la representes. La penitence qu'elle reçut me fait penser à celle de Virginie, & aux enfans du bonnet quarré du Jesuite. _Angelique._ Il faut que je t'en fasse voir deux que j'ai dans ma cassette, il y en a un du Pere de Raucourt, & l'autre de Virginie, tiens fais la lecture de celui-ci. _Agnès._ Voici quasi un caractere de fille, tout en paroît negligé. Ah Dieu, ma chere Enfant, que ce commerce de lettres commence à m'ennuyer! il ne fait qu'augmenter mes feux, & il ne les soulage aucunement: il m'apprend que Virginie me veut du bien, mais il me marque aussi-tôt qu'il m'est impossible d'en jouir. Ah que ce mêlange de douceur & d'amertume cause d'étranges mouvemens dans un coeur fait comme le mien. J'avois bien ouï dire que l'Amour donnoit quelquefois de l'esprit à ceux qui en étoient dépourvus, mais je ressens chez moi un effet tout contraire & je puis dire avec verité qu'il m'ôte ce qu'il presente aux autres. Plusieurs s'apperçoivent de ce changement, mais ils en ignorent la cause. Je prêchai hier chez les Religieuses de la Visitation, jamais je n'ai été plus animé, je devois conformement à mon sujet entretenir la Compagnie de la Mortification & de la Penitence, & je n'ai parlé dans tout mon Discours que d'Affections, que de Tendresses, que de saillies & de Transports. C'est vous, Virginie, qui causez tout ce desordre, prenez donc compassion de mon égarement, & travaillez à trouver promptement le moyen de me remettre dans mon bon sens. Adieu. _Angelique._ Eh bien Agnès que dis-tu de cet Enfant fait à la hâte. _Agnès._ Je le trouve digne de son Pere, & capable tout nu qu'il est d'habit & d'ornement, de se conserver non seulement un Coeur qu'il possede, mais même d'y exciter de nouveaux mouvemens. _Angelique._ Tu as raison, car en Amour le style le plus negligé est toujours le plus persuasif, & souvent toute l'éloquence d'un Orateur, ne pourroit faire naître dans une ame ces doux transports, qui ne sont que les effets d'un terme peu relevé, mais expressif. C'est une verité dont je puis rendre témoignage, puisque je l'ai éprouvé plusieurs fois dans moi-même. Mais voyons un peu si Virginie s'exprime aussi bien que son Amant. _Agnès._ Donne-moi la lettre que j'en fasse la lecture. _Angelique._ Tiens la voilà, c'est plutôt un billet qu'une lettre, car le tout n'est composé que de cinq ou six lignes. _Agnès._ Son caractere n'est gueres different du mien. Ah que vous êtes artificieux dans vos paroles, & que vous savez bien troubler le peu de repos qui reste à une innocente qui vous aime? pouvez-vous avec raison me demander si je pense à vous? Helas, mon cher, consultez-vous vous-mêmes, & croyez que nous ne pouvons tous deux être animés d'une même passion, sans ressentir de pareilles atteintes. Adieu, songez à la rupture de nos chaînes, l'Amour me rend capable de toute entreprise. Ah qu'il me cause de foiblesse! Adieu. _Angelique._ N'est-il pas vrai, que tu trouves ce billet bien plus tendre que la lettre? _Agnès._ Assurement. On peut dire qu'il est tout coeur, & que deux ou trois periodes expriment autant la disposition de l'ame d'une Amante, que le feroient deux pages d'un Roman. Mais je ne vois pas que ce soit une réponse à celle que nous avons lue du Pere de Raucourt. _Angelique._ Non, ce n'en est pas une, c'est celle d'une autre qu'on ne m'a pas envoyée. _Agnès._ Le malheur de ces deux pauvres Amans me touche; surtout je porte une extreme compassion aux déplaisirs de Virginie, car sans doute elle passe le temps à present dans beaucoup de chagrin, & mene une vie bien ennuyeuse. _Angelique._ Si elle n'eût point conservé les lettres & les billets qui lui étoient adressés, elle ne seroit pas si malheureuse, car on n'auroit pas découvert le dessein qu'elle avoit de sortir du Monastere. _Agnès._ C'est donc sans doute de cela qu'elle parle, quand elle dit dans son billet _pensez à la rupture de nos chaînes_, je n'aurois pas donné le veritable sens à ces paroles; Oh qu'elle auroit été malheureuse, la pauvre Enfant, si elle eût fait cette méchante démarche! helas dequoi l'Amour n'est-il point capable, quand il se voit combattu? _Angelique._ Si-tôt que le Recteur des Jesuites eut appris ce qui se passoit, par la lettre qu'il trouva dans le Bonnet, il en donna avis à la Superieure, qui alla aussi-tôt avec son Assistante visiter la chambre de Virginie, où elle trouva dans la cassette une infinité de Billets & d'autres bagatelles, qui lui firent connoître la verité de ce qu'elle n'auroit pu croire si elle ne l'avoit vu, comme elle aimoit beaucoup Virginie elle ne fit paroître dans ces procedures, que ce qu'elle ne put cacher, & modera le châtiment que les Constitutions prescrivoient. _Agnès._ Le Jesuite a été plus heureux, puisqu'il en a été quitte pour changer de Province. _Angelique._ Oh que ces affaires ne se sont pas passées si doucement que tu t'imagines, il est à present hors de la Compagnie. Tu sauras que comme dans la Societé tout roule & n'est établi que sur l'estime & la reputation, il est impossible à un homme d'honneur d'y rester après qu'il l'a perdu par quelque accident, dans l'esprit de ses Confreres, ces deux choses qui flattent si agreablement l'ambition des hommes. Le Pere de Raucourt se voyant donc déchu par le malheur que tu sais, de ce degré de gloire qu'il s'étoit acquis par ses merites, & où y s'étoit toujours conservé par sa prudence, fit peu de cas de l'indulgence que ses Superieurs lui offroient, & ne pensa plus qu'à les abandonner, ce qu'il a fait depuis quelque temps & s'est retiré en Angleterre. _Agnès._ Mais que peut faire dans un pays étranger un homme qui n'a point d'autres bien que la science, & qui n'a que la Philosophie pour partage? _Angelique._ Ce qu'il peut faire? il peut par son esprit se rendre plus utile à la Republique, si elle le veut employer, que tous les Artisans qui la composent. Il peut par ses Ecrits donner de la vigueur aux Loix les plus opposées à l'inclination du peuple, il peut porter la gloire d'une Nation dans les lieux les plus éloignés. Enfin il est peu d'emploi qu'il ne puisse dignement remplir, & dont l'Etat ne puisse tirer de grands fruits. Comme ce que je dis n'est pas hors de raison, il n'est pas aussi sans exemple, & j'ai appris d'un Dominicain, qu'un mécontent de leur Ordre étoit à la Cour de ce Royaume où de Raucourt s'est retiré, & qu'il y faisoit très-belle figure, en qualité de Resident ou d'Envoyé d'un Prince d'Allemagne. _Agnès._ Sans doute qu'il auroit conduit Virginie dans ce pays, s'ils fussent venus à bout de leurs desseins. Helas qu'il y auroit peu de Reclus & de Recluses, si on donnoit le temps à ceux & à celles qui entrent dans les Cloîtres, de reflechir sur les avantages d'une honnête liberté, & sur les suites fâcheuses d'un funeste engagement? _Angelique._ Pourquoi parles-tu de la sorte? ne pouvons-nous pas goûter des plaisirs aussi parfaits dans l'enceinte de nos murailles, comme ceux qui sont au dehors? les obstacles qui s'y opposent ne servent qu'à les rendre de meilleur goût, quand après les avoir adroitement surmontés nous possedons ce que nous avons desiré: Ce seroit être, & malin, & ingrat que de censurer les divertissemens des Moines & Moinesses, car je dirois à ces gens-là, n'est-il pas vrai que la continence est un don de Dieu, duquel il gratifie qui il lui plaît & dont il ne fait pas largesse à ceux qu'il n'en veut pas honorer. Cela supposé, il ne fera rendre compte de ce present qu'à ceux à qui il l'aura donné. _Agnès._ Je conçois bien la force de cette raison, mais on pouroit dire que les voeux par lesquels nous nous y engageons solemnellement nous en rendent responsables devant lui. _Angelique._ Et ne vois-tu pas bien que ces Voeux là, que tu fais entre les mains des hommes, ne sont que des chansons? Peux-tu avec raison t'obliger à donner ce que tu n'as pas? & ce que tu ne peux avoir, s'il ne plaît à celui à qui tu l'offres de te l'accorder? juge de-là, de la nature de nos engagemens, & si à la rigueur nous sommes tenues selon Dieu, à l'effet de nos promesses, puisqu'elles renferment en elles une impossibilité morale. Tu ne peux rien dire qui détruise ce raisonnement? _Agnès._ Il est vrai & c'est ce qui doit nous mettre l'esprit en repos? _Angelique._ Pour moi, je te puis dire que rien ne me chagrine, je passe le temps dans une égalité d'esprit qui me rend insensible aux peines qui fatiguent les autres. Je vois tout, j'écoute tout, mais peu de choses sont capables de m'émouvoir, & si mon repos n'est troublé par quelque indisposition corporelle, il n'y a personne qui puisse vivre avec plus de tranquillité que moi. _Agnès._ Mais dans une conduite si opposée à celle des autres Cloîtres que pensez-vous de la disposition de leur ame, & ces actions qui sont suivies comme ils prêchent, de tant de merites ne vous tentent-elles point par l'esperance qu'elles proposent. On pourroit nous dire, que le libertinage est souvent capable de nous fournir des raisons pour nous perdre. Car qu'y a-t-il de plus saint que la meditation des choses celestes, à laquelle ils s'employent? qu'y a-t-il de plus louable que cette haute pieté qu'ils mettent en pratique, & les jeûnes & les austerités dont ils se mortifient peuvent-elles passer pour des oeuvres infructueuses? _Angelique._ Ah! mon Enfant, que ces objections sont foibles. Il faut que tu saches qu'il y a bien de la difference entre la licence, & la liberté, dans mes actions je me tiens souvent sur la pente de celle-ci, mais je ne me laisse jamais tomber dans le desordre de celle-là. Si je ne donne point de bornes à ma joye & à mes plaisirs, c'est parce qu'ils sont innocens & qu'ils ne blessent jamais par leur excès les choses pour lesquelles je dois avoir de la veneration. Mais tu veux bien que je te dise ce que je pense de ces fous melancoliques, dont les manieres te charment? Sais-tu que ce que tu appelles contemplation des choses divines, n'est dans le fonds qu'une lâche oisiveté, incapable de toute action? Que les mouvemens de cette pieté heroïque que tu fais éclater, ne procedent que du desordre d'une raison alterée! & que pour trouver la cause generale qui les fait se déchirer comme des desesperés, il la faut chercher dans les vapeurs d'une humeur noire, ou dans la foiblesse de leur cerveau. _Agnès._ Je prends tant de plaisir à entendre tes raisons, que je t'ai proposé tout exprès comme une difficulté ce qui ne me faisoit souffrir aucun doute? mais j'entends la cloche qui nous appelle. _Angelique._ C'est pour aller au Refectoire. Après le dîner nous pourrons continuer nos entretiens. _Fin du Second Entretien._ VENUS DANS LE CLOÎTRE, OU LA RELIGIEUSE EN CHEMISE. TROISIEME ENTRETIEN. Soeur _Agnès_. Soeur _Angelique_. _Agnès._ Ah que la beauté du jour est agreable! cela me réveille tous les esprits. Retirons-nous toutes deux dans cette allée, afin de nous éloigner de la compagnie des autres. _Angelique._ Nous ne pouvions pas trouver dans tout le Jardin un lieu plus propre à la promenade, car les arbres qui l'environnent nous donneront autant d'ombre, qu'il en faut pour n'être pas exposées à la chaleur du Soleil. _Agnès._ Il est vrai: mais il est à craindre que Madame ne vienne pour s'y recréer, car c'est ici l'endroit qu'elle choisit le plus souvent pour prendre l'air après le repas. _Angelique._ N'apprehendez pas qu'elle nous chasse d'ici, elle est à present incommodée, & si tu savois la cause de son indisposition, tu rirois trop? _Agnès._ Elle se portoit pourtant bien hier? _Angelique._ Assurement! Le mal ne lui est arrivé que cette nuit, & il faut que tu ayes dormi d'un profond sommeil, pour ne t'être pas apperçue, comme par ses cris, elle a mis tout le Dortoir en allarme; j'avois dessein de m'en divertir avec toi quand je t'ai été trouver ce matin, mais insensiblement nôtre conversation nous en a éloignées. _Agnès._ Il est vrai que je n'apprends les nouvelles, que quand elles sont publiques. _Angelique._ Tu sais que _Madame_ fait un de ses principaux plaisirs, de nourrir toutes sortes d'Animaux, & qu'elle ne se contente pas d'avoir une infinité d'oiseaux de toutes sortes de pays, qu'elle a encore rendu domestiques jusques à des Tortues & des poissons. Comme elle ne se cache point de cette folie, & que tous ses amis savent que cette occupation est le charme de sa solitude, ils s'efforcent tous à contribuer à son divertissement en lui faisant present tantôt d'une bête, tantôt d'une autre. L'Abbé de Saint Valery ayant appris qu'elle avoit même rendu comme on lui avoit mandé des Carpes & des Brochets familiers. Il lui envoya il y a quatre jours deux Macreuses en vie, & deux grosses Ecrevisses de Mer, pareillement vivantes. Après avoir fait couper les ailes à ce demi-Canars, elle les fit jetter dans le Vivier, & voulut donner toute son application à élever les Ecrevisses. Pour cette raison elle fit apporter dans sa chambre une petite cuvette de bois qu'elle fit remplir d'eau, & où elle mit ces Langoustes, (c'est ainsi qu'on appelle ces animaux.) J'aurois de la peine à t'exprimer tous les soins qu'elle apportoit pour leur conservation, jusques à leur jetter des douceurs & des pistaches. En fin elle ne vouloit les nourrir que des viandes les plus delicates. _Agnès._ Ces sortes de passe-temps sont innocens, & sont excusables dans la jeunesse. _Angelique._ Hier au soir par un malheur, Soeur Olinde, qui avoit ordre de changer tous les jours l'eau de la Cuve pour le rafraîchissement des poissons, s'en oublia; c'est ce qui causa tout le desordre. Tu sauras que la nuit derniere ayant été fort chaude, une de ces Langoustes qui se trouvoit incommodée de la chaleur qu'elle ressentoit, sortit de la Cuve, & se traîna assez long-temps par la chambre, jusques à ce que se voyant sans soulagement, elle rechercha l'eau qu'elle avoit quittée comme son plus naturel élement. Mais comme il lui avoit été bien plus facile de descendre que de monter, elle fut obligée de recourir à l'eau du pot de chambre de _Madame_, où sans examiner si elle étoit douce ou salée, elle s'y posta. Quelque temps après nôtre Abbesse eut envie de pisser, & à demi endormie, & sans sortir du lit elle prit son Urinal: mais helas, elle pensa mourir de frayeur, cette Ecrevisse qui se sentit arrosée d'une pluye un peu trop chaude, se lança vers le lieu d'où elle sembloit partir, & le serra si vivement avec une de ses pattes, qu'elle y a laissé les marques pour plus de trois jours. [Illustration] _Agnès._ Ah, ah, ah, que cette avanture est plaisante! _Angelique._ Dans le moment elle fit un cri qui éveilla toutes ses voisines, elle jetta le pot de chambre par terre, & se levant promptement appella tout le monde à son aide. Cependant cet animal qui n'avoit jamais trouvé de morceau si delicat & plus friand, ne quittoit point sa prise. La Mere assistante & Soeur Cornelie furent les plus promptes à se lever, elles eurent bien de la peine à s'empêcher de rire, à la vue d'un tel spectacle; mais elles se retinrent neanmoins le mieux qu'elles purent, & furent obligées de couper la patte de cette bête sacrilege, qui n'abandonna point sa proye jusques à ce temps-là. La Mere Assistante se retira, & Soeur Cornelie qui est la confidente de Madame, passe le reste de la nuit avec elle pour la consoler. Voilà la cause de l'indisposition de nôtre Abbesse, & ce qui l'empêchera apparament de venir interrompre nos entretiens. _Agnès._ Ah! je n'oserois paroître, si un semblable accident m'étoit arrivé & qu'il fût venu à la connoissance des autres. _Angelique._ Vrayment il y a bien là dequoi être honteuse. Elle ne fit rien voir qu'elle n'ait souvent montré à d'autres, & les Chevaliers de l'ordre ont mis plusieurs fois la main, où l'Ecrevisse porta sa patte. _Agnès._ Qui est celui qui est son meilleur ami? _Angelique._ Je ne sais pas quel il est, mais je sais bien qu'un Jesuite la visite fort souvent, & qu'il a eu avec elle des privautés qui font connoître qu'il est des Cordons Bleus. Je l'apperçus un jour avec lui, dans un entretien fort allumé, & une autre fois qu'elle sortoit d'avec le même personnage, je trouvai dans le parloir qu'elle venoit de quitter, une serviette fine, humectée dans de certains endroits d'une liqueur un peu visqueuse, elle l'avoit laissée tomber proche de la fenêtre, je remarquai seulement que cette perte lui donna un peu d'inquietude. _Agnès._ Qu'a-t-elle à apprehender, l'Evêque de qui elle dépend uniquement est à sa discretion, & dans la visite qu'il a faite de ce Monastere, il n'a rien ordonné que ce qu'elle lui avoit auparavant prescrit. _Angelique._ Il est vrai. Elle est maîtresse de tout, & les Directeurs & Confesseurs ne sont reçus & changés que par son ordre. _Agnès._ Ah que je souhaiterois de tout mon Coeur que le Confesseur ordinaire que nous avons à present, lui déplût comme à moi. Qu'en dis-tu? _Angelique._ Il est vrai qu'il est fort austere, & qu'il est capable de faire bien de la peine à celles qui ne savent pas se conduire, mais à nous autres cela nous doit être bien indifferent, que ce soit lui ou un moins rigoureux qui nous entende. _Agnès._ Pour moi je ne puis lui dire la moindre peccatille qu'il ne s'emporte. Pour une pensée dont je m'accuserai, il m'ordonnera des mortifications & des penitences horribles & me fera jeûner deux jours pour le moindre mouvement de la chair dont je me confesserai. Outre que je ne sais la plupart du temps de quoi l'entretenir, de crainte de lui dire quelque chose qui le choque. Et je ne puis concevoir comment tu fais, toi qui le tiens si long-temps? _Angelique._ Eh crois-tu que je suis si sotte de lui declarer le secret de mon coeur? bien loin de cela, comme je le connois tout à fait rigide, je ne lui dis que les choses sur lesquelles il n'y a point de prise. Il ne peut conclure de tout ce qu'il apprend de moi sinon que je suis une fille d'oraison & de contemplation, qui ne connoît point tous les mouvemens d'une Nature corrompue, ce qui fait qu'il n'ose pas même m'interroger sur cette matiere. La penitence la plus rude que j'ai reçue, c'est cinq _Pater noster_ & _les Litanies_. _Agnès._ Mais encore que lui dis-tu donc? car pour avoir rompu le silence, ou raillé une personne de la Communauté (ce qui n'est rien) il me prônera un quart d'heure? _Angelique._ Toutes ces fautes-là étant designées en particulier, avec leurs circonstances, de legeres elles deviennent quelquefois plus considerables; & c'est ce qui te rend sujette à sa reprehension. Mais tiens, voici comme je m'y prends, écoute ma derniere confession. Après lui avoir demandé bien humblement sa benediction, la vue baissée, les mains jointes, & le corps à demi courbé; je commence de la sorte: _Mon Pere, je suis la plus grande pecheresse du monde, & la plus foible des creatures, je tombe presque toujours dans les mêmes defauts._ _Je m'accuse d'avoir troublé la tranquilité de mon ame, par des divagations universelles, qui m'ont mis l'interieur en desordre._ _De n'avoir pas eu assez de recueillement d'esprit, & de m'être trop épanchée dans des occupations exterieures._ _De m'être trop arrêtée aux operations de l'entendement, y passant la plupart de mon oraison, au préjudice de ma volonté, qui en est demeurée seche & sterile._ _De m'être une autre fois laissée d'abord lier aux affections, & exposée par là à des distractions fâcheuses, & à une oisiveté d'esprit, contraire à la perfection methodique des Contemplatifs._ _D'avoir trop conservé en moi, tout ce qui étoit de moi, sans dégager mon coeur de toutes les choses creées, par un acte genereux d'aneantissement, d'amour propre, interêts, desirs, & volontés, & de tout moi-même._ _D'avoir fait une offrande de mon coeur, sans l'avoir tranquillisé auparavant, & dénué du trouble des passions trop remuantes, & des affections mal reglées._ _De m'être trop laissée emporter aux inclinations du vieil homme, & au penchant de la nature non reparée, au lieu de faire divorce avec tout, pour gagner tout._ _De n'avoir pas été soigneuse de me renouveller par une revue de moi-même, en moi-même, & de faire en moi la reparation de ce qui étoit déchu de moi,_ &c. Eh bien Agnès tu peux juger de la piece par l'échantillon. Ce n'est pas là le tiers de ma Confession, mais le reste ne me rend pas plus criminelle que ce commencement. _Agnès._ Il est vrai que je serois bien empêchée, si je devois ordonner des penitences, à des pechés si spirituellement debités: C'est neanmoins là, l'unique moyen de tromper la curiosité des jeunes Directeurs, & d'éviter la reprimande des vieux. _Angelique._ Ces derniers sont ordinairement les moins traitables, car je n'en ai gueres vu de jeunes depuis que je suis dans la Communauté, qui n'ayent été assez indulgens. _Agnès._ Il est vrai, qu'ils n'ont pas tous les mêmes rigueurs, témoin celui qui mit la devotion si avant dans l'ame de deux de nos Soeurs, qu'elles s'en trouverent fort incommodées neuf mois après? _Angelique._ Ah Dieu! qu'il a fallu d'adresse pour cacher cela comme on a fait, & pour empêcher qu'il ne fût su du dehors. L'Evêque même n'en a pas eu de connoissance, que lors qu'on ne pouvoit plus en donner de preuve. Cela me fait souvenir d'un Jesuite Italien qui confessant un jour un jeune Gentilhomme françois qui avoit appris la langue du pays, fit une Exclamation sans y penser, qui fit paroître sa foiblesse. Le penitent s'accusoit, d'avoir passé la nuit avec une fille des premieres maisons de Rome, & d'en avoir joui selon ses desirs. Le bon Pere regardant attentivement celui qui lui parloit, qui étoit beau garçon & très bien fait, s'oublia du lieu qu'il occupoit & s'imaginant être dans une conversation libre, tant il étoit transporté; il demanda au jeune homme, si cette fille étoit belle, quel âge elle pouvoit avoir, & combien il l'avoit fait avec elle? Le François ayant répondu qu'il l'avoit trouvée d'une beauté achevée, qu'elle n'avoit que dix-huit ans, & qu'il l'avoit baisé trois fois. _Ah che gusto Signor_: s'écria-il pour lors assez hautement. C'est-à-dire, ah que ce plaisir étoit grand! _Agnès._ Cette saillie n'étoit pas mal plaisante, & très-capable d'exciter le coeur du penitent à la repentance d'une telle faute. _Angelique._ Que veux-tu? ce sont des hommes comme les autres: & j'ai ouï dire à un de mes amis qui étoit dans ces sortes d'emplois, que souvent un Confesseur ne s'exposeroit pas tant à l'incontinence en allant au Bordel, comme en entendant ce que les Devotes lui disent à l'oreille. _Agnès._ Pour moi, je trouverois ce me semble cette occupation assez divertissante, pourvu qu'il me fût permis, de faire le choix de mes penitens: je prendrois plaisir à les entendre, & mon imagination seroit vivement frappée, par le recit qu'ils me feroient de leurs sottises. Ce qui ne pouroit être sans une grande satisfaction de mon côté. _Angelique._ Helas, mon Enfant! tu ne sais ce que tu demandes, si une Devote donne un peu de plaisir à un Confesseur par le recit ingenu de ses foiblesses, il y en a mille qui les fatiguent par leurs redites, qui les accablent par leurs scrupules, & qu'ils tireroient plus facilement d'un abîme, que de leurs doutes. Soeur Dosithée a été plus de trois ans à occuper presque toute seule par ses questions, le Directeur commun de la maison, il avoit beau lui representer que ces recherches curieuses par lesquelles elle gênoit sa conscience, ne croyant jamais avoir apporté assez de soin pour s'examiner, étoient non seulement inutiles, mais même vicieuses & contraires à la perfection. Il ne put rien gagner sur elle, & fut obligé de l'abandonner à elle même, & de la laisser dans son erreur. _Agnès._ Il me semble neanmoins qu'elle est à present fort raisonnable, & je me souviens qu'une fois que nous fûmes obligées de coucher toutes deux ensemble. Pendant qu'on élevoit nôtre Dortoir, elle me tint des discours, non seulement fort éloignés du scrupule, mais même que je trouvois en ce temps-là un peu trop libres. Outre mille badineries auxquelles elle m'excita par le recit de cent Histoires les plus lubriques, & les plus lascives du Monde. _Angelique._ Je vois bien, que tu ne sais pas comment elle étoit sortie des tenebres où la superstition l'avoit plongée si avant: son Confesseur n'a eu aucune part à sa delivrance. On peut dire que c'est la Devotion même qui a produit ce changement, & qui d'une fille extremement scrupuleuse, en a fait une Religieuse tout à fait raisonnable. Je veux te raconter ce que j'en ai appris par son rapport. _Agnès._ Je ne conçois pas cela. Car de dire que la devotion puisse défaire une personne de ses scrupules, c'est dire, qu'un aveugle est capable d'en tirer un autre d'un precipice. _Angelique._ Ecoute-moi seulement, & tu connoîtras que je ne t'avance rien qui ne soit veritable. Soeur Dosithée comme on peut remarquer à ses yeux, est née d'une complexion la plus tendre & la plus amoureuse du monde. Cette pauvre enfant à son entrée en Religion, tomba entre les mains d'un vieux Directeur ignorant au superlatif, & d'autant plus ennemi de nature que son âge le rendoit inhabile à tous les plaisirs qu'elle propose. Reconnoissant donc que le penchant de sa Penitente étoit du côté de la chair, & que les foiblesses dont elle s'accusoit tous les jours en étoient une preuve assurée. Il crut qu'il étoit de son devoir de réformer cette nature qu'il appelloit corrompue, & qu'il lui étoit permis de s'ériger en second Reparateur. Pour venir à bout de ce dessein, il jetta d'abord dans son ame toutes les semences de scrupules, de doutes, & de peines de conscience qu'il se pût imaginer. Il le fit avec d'autant plus de succès, qu'il y trouva beaucoup de disposition, & que les confessions ingenues de cette innocente, lui avoient fait connoître l'extreme tendresse où elle étoit pour ce qui regardoit son salut. Il lui fit donc la peinture du chemin du Ciel avec des couleurs si rudes, qu'elles auroient été capables de rebuter de sa poursuite une personne moins zelée & moins fervente qu'elle, il ne lui parloit que de la destruction de ce corps qui s'opposoit à la jouissance de l'esprit, & les penitences horribles dont il l'accabloit, étoient selon lui des moyens absolument necessaires, sans lesquels il étoit impossible d'arriver dans cette celeste Jerusalem. Dosithée n'étant pas capable de se défendre de ces argumens, se laissa aveuglement conduire par la devotion indiscrete dont elle devint infatuée; la simple pratique des Commandemens de Dieu ne passa plus chez elle pour être de grand prix auprès de lui; il falloit que les oeuvres de surerogation l'accompagnassent, & encore avec tout cet attirail, elle étoit toujours dans une crainte continuelle des peines de l'autre monde dont elle étoit si souvent menacée. Comme il est impossible ici bas de détruire en nous ce qu'on appelle connoissance, elle n'étoit jamais en paix avec soi-même, c'étoit une guerre sans relache qu'elle faisoit imprudemment à son pauvre corps, & les combats atroces qu'elle lui livroit, étoient rarement suivis de quelque courte tréve. _Agnès._ Helas qu'elle étoit à pleindre, & qu'elle m'auroit fait de compassion, si je l'avois vue dans cet égarement. _Angelique._ Comme son naturel amoureux causoit selon elle, ses plus grands defauts; elle ne negligeoit rien de tout ce qui pouvoit éteindre ses feux les plus innocens; les jeûnes, les haires, & les cilices étoient mis en usage, & le changement d'un Directeur plus raisonnable que le premier, ne put apporter la moindre diminution à sa folie: elle fut quatre ans entiers dans cet état, & y seroit toujours restée sans un trait de devotion qui l'en tira. Entre les conseils qu'elle avoit reçus de son ancien Confesseur, elle en pratiquoit un avec une regularité sans égale. C'étoit de recourir à un tableau de saint Alexis, miroir de chasteté, qui étoit à son Oratoire, & de s'y prosterner lors qu'elle se verroit pressée de la tentation, ou qu'elle ressentiroit en elle-même ces mouvemens dont elle s'accusoit si souvent. Un jour donc qu'elle se trouva plus émue qu'à l'ordinaire, & que sa nature la combattoit plus vivement que de coutume, elle eut recours à son Saint, elle lui representa les larmes aux yeux, la face en terre, & le coeur porté vers le Ciel l'extreme danger où elle se trouvoit, lui raconta avec une candeur & une simplicité merveilleuse, combien inutilement elle s'étoit défendue, & avoit fait ses efforts pour reprimer les violens transports qu'elle ressentoit. Elle accompagna sa priere de penitence & de discipline, qu'elle prit en presence de ce Bien-heureux pellerin. Mais comme on rapporte de lui qu'il ne fut aucunement touché de la beauté de sa femme la premiere nuit de ses nôces, qu'il abandonna; Le beau corps de cette innocente exposé nu devant lui, ne fit aucune impression sur son esprit, & les coups dont elle le chargeoit si vivement ne le porterent aucunement à en avoir compassion. Après s'être ainsi déchirée elle se recommanda de nouveau à ce bon Romain, & se retira comme victorieuse pour aller vaquer avec tranquillité à des exercices moins fatigans. _Agnès._ Ah Dieu! que la superstition fait de ravage dans une ame lors qu'elle s'en est emparée! _Angelique._ A peine Dosithée fut-elle sortie de sa chambre, qu'elle se sentit le corps tout en feu, & l'esprit porté à la recherche d'un plaisir qu'elle ne connoissoit point encore. Un chatouillement extraordinaire anima tous ses sens, & son imagination se remplissant de mille idées lascives, laissa cette pauvre Religieuse à demi vaincue. Dans ce pitoyable état elle retourne à son Intercesseur, elle redouble ses prieres, & le conjure par tout ce que la devotion peut avoir de plus sensible à lui accorder le don de continence, sa ferveur n'en demeura pas là, elle prit encore les instrumens de penitence en main & s'en servit pendant un quart d'heure avec une ardeur la plus folle, & la plus indiscrete du monde. _Agnès._ Eh bien cela la soulagea-t-il un peu? _Angelique._ Helas bien loin de cela, elle se retira de son Oratoire encore plus transportée de l'amour qu'auparavant. Vêpres sonnerent, elle eut beaucoup de peine à y assister tout au long. Des étincelles de feu lui sortoient des yeux & sans savoir ce qu'elle souffroit j'admirois son instabilité, & comme elle étoit dans un mouvement continuel. _Agnès._ Mais d'où provenoit cela? _Angelique._ Cela étoit causé par l'ardeur extreme qu'elle ressentoit par tout le corps, & surtout aux parties où elle s'étoit disciplinée. Car il faut que tu saches que bien loin que ces sortes d'exercices eussent été capables d'éteindre les flammes qui la consumoient, au contraire ils les avoient augmentées de plus en plus, & avoient reduit cette pauvre Enfant dans un état à ne pouvoir quasi plus y resister. Cela est facile à concevoir, d'autant que les coups de fouet qu'elle s'étoit donnés sur le Derriere, ayant excité la chaleur dans tout le voisinage, y avoient porté les esprits les plus purs & les plus subtils du sang, qui pour trouver une issue conforme à leur nature toute de feu, aiguillonnoient vivement les endroits ou ils étoient assemblés, comme pour y faire quelque ouverture. _Agnès._ Le combat dura-t-il long-temps? _Angelique._ Il commença & fut terminé dans une journée, si-tôt que vêpres furent achevées comme si Dosithée n'avoit pas pu s'adresser directement à Dieu, elle s'en alla se prosterner, derechef devant son Oratoire elle prie, elle pleure, elle gemit, mais toujours inutilement. Elle se sent plus pressée que jamais, & pour insulter de nouveau à cette nature opiniâtre elle prend le fouet en main & relevant ses jupes & sa chemise jusqu'au nombril, & l'attachant d'une ceinture, elle outrage avec violence ses fesses, & cette partie qui lui causoit tant de peine, qui étoient toutes à découvert. Cette rage ayant duré quelque temps les forces lui manquerent pour ce cruel exercice, elle n'en eut pas même assez pour détacher ses habits qui l'exposoient à demi nue, elle s'appuya la tête sur sa couche, & faisant reflexion sur la condition des hommes qu'elle appelloit malheureuse, de ce qu'ils étoient nés avec des mouvemens que l'on condamnoit quoi qu'il fût presque impossible de les reprimer. Elle tomba en foiblesse, mais ce fut une foiblesse Amoureuse que la fureur de la passion causa, & qui fit goûter à cette jeune Enfant un plaisir qui la ravit jusques au Ciel. Dans ce moment la nature unissant toutes ses forces, brisa tous les obstacles qui s'opposoient à ses saillies, & cette Virginité qui jusque-là avoit été captive, se delivra sans aucun secours avec impetuosité, en laissant sa gardienne étendue par terre pour marque évidente de sa défaite. _Agnès._ Ah Dieu j'aurois voulu être là presente! _Angelique._ Helas quel plaisir aurois-tu eu? Tu aurois vu cette innocente à demi nue pousser des soupirs dont elle ignoroit la cause! Tu l'aurois vue dans un extase les yeux à demi mourans, sans force ni vigueur, succomber sous les loix de la nature toute pure, & perdre malgré ses soins ce tresor dont la garde lui avoit donné tant de peine. _Agnès._ He bien, c'est enquoi j'aurois pris du plaisir, de la considerer ainsi toute nue, & de remarquer curieusement tous les transports, que l'Amour lui auroit causé au moment qu'elle fut vaincue. _Angelique._ Si-tôt que Dosithée fut revenue de cette syncope, son esprit qui n'étoit auparavant enseveli que dans d'épaisses tenebres, se trouva à l'instant développé de toute son obscurité, ses yeux furent ouverts, & reflechissant sur ce qu'elle avoit fait, & sur le peu de vertu de son saint qu'elle avoit tant invoqué; elle connut qu'elle avoit été dans l'erreur, & s'éleva ainsi de sa propre force par une metamorphose surprenante, au dessus de toutes les choses qu'elle n'osoit auparavant regarder, & n'eut plus que du mépris pour celles qui avoient fait son plus grand attachement. _Agnès._ C'est-à-dire que de scrupuleuse elle devint indevote, & qu'elle ne fit plus d'offrande à tous _les Sanctarelles_ qu'elle adoroit auparavant. _Angelique._ Tu prends mal les choses. On peut se défaire de la superstition sans tomber dans l'impieté; c'est ce que fit Dosithée; elle apprit par son experience, que c'étoit au souverain Medecin qu'il falloit recourir dans ses foiblesses; que les tentations n'étoient pas dans la puissance des Fideles, & que dans l'ame la plus soumise il s'élevoit souvent des pensées & des mouvemens involontaires, qui ne faisoient pas seulement le moindre defaut. Tu vois comme je ne t'ai rien dit que de veritable quand je t'ai assurée que c'étoit la devotion qui l'avoit tirée de ses scrupules. Il en arriva presque le même à une Religieuse Italienne, qui après s'être prosternée fort souvent devant la figure d'un enfant nouvellement né qu'elle appelloit son petit Jesus, & l'avoir conjuré plusieurs fois de lui accorder la même chose, par ces tendres paroles, qu'elle proferoit avec une affection extraordinaire. _Dolce Signore mio Gjesu, fate-mi la gratia &c._ voyant que toutes ses prieres étoient sans effet, elle crut que l'enfance de celui qu'elle invoquoit, en étoit la cause, & qu'elle trouveroit mieux son compte en s'adressant à l'image du pere Eternel, qui le representoit dans un âge plus avancé, elle alla donc retrouver son petit Signor à qui elle reprocha son peu de vertu, lui protestant qu'elle ne s'amuseroit jamais à lui ni à aucun enfant de sa sorte, & le quitta ainsi en lui appliquant ces paroles du proverbe. _Chi S'impaccia con Fanciulli, con Fanciulli fi ritrova._ Reflechis un peu jusques où va la superstition, & à quelle extremité de folie, l'ignorance nous conduit quelquefois. _Agnès._ Il est vrai que cet exemple en est une preuve sensible, & que la simplicité de cette Religieuse est sans égale. Les Italiennes ne passent pas neanmoins pour sottes, on dit qu'elles ont infiniment de l'esprit, & que peu de choses sont capables de les arrêter & d'échapper à leur penetration. _Angelique._ Cela est vrai communement parlant, mais il s'en trouve toujours quelqu'unes qui ne sont pas si éclairées que les autres. Outre que ce n'est pas toujours une marque de stupidité que d'avoir des scrupules & des doutes. Car il faut que tu saches ma chere Agnès (qu'hors les choses de la Religion) il n'y a rien de certain ni d'assuré dans ce monde, il n'y a point de parti qui ne puisse se soutenir, & que nous n'avons pour l'ordinaire que des idées fausses & confuses des choses que nous croyons savoir plus parfaitement. La verité est encore inconnue, & tous les soins & les artifices des hommes qui s'appliquent serieusement à sa recherche, n'ont pu encore nous la rendre sensible, quoi qu'ils ayent cru souvent l'avoir découverte. _Agnès._ Mais comment conduire donc nôtre esprit dans une ignorance si universelle? _Angelique._ Il faut mon Enfant pour ne point abuser, regarder les choses dès leur origine, les envisager dans leur simple nature, & en juger ensuite conformement à ce que nous y voyons. Il faut surtout éviter de laisser prévenir sa raison & de la laisser obseder par les sentimens d'autrui qui ne peuvent être pour l'ordinaire que des opinions. Et il faut enfin se donner de garde de se laisser prendre par les yeux & par ses oreilles, c'est-à-dire par mille choses exterieures dont on se sert souvent pour seduire nos sens, mais se conserver toujours l'esprit libre & degagé des sottes pensées & de niaises maximes dont le vulgaire est infatué, qui comme une bête, court indifferemment après tout ce qu'on lui presente, pourvu qu'il soit revêtu de quelque belle apparence. _Agnès._ Je conçois bien tout ceci, & je crois même qu'on peut pousser encore ton raisonnement plus loin & y comprendre bien des choses que tu en exemptes. Il faut avouer qu'il y a un extreme plaisir à t'entendre, quand tu ne serois pas aussi belle & aussi jeune comme tu es, ton esprit seul te rendroit aimable. Donne-moi un baiser? _Angelique._ De tout mon coeur ma plus chere, je suis ravie de te plaire en quelque chose, & d'avoir trouvé en toi tant de disposition à recevoir les lumieres qui te manquoient. Quand on a l'esprit développé des tenebres, & débarrassé de toutes sortes d'inquietude, il n'y a point de moment dans nôtre vie que nous ne goûtions quelques plaisirs, & que nous ne puissions même des peines & des scrupules des autres, faire un sujet de recreation. Mais laissons là toute cette Morale, à laquelle je me suis insensiblement engagée. Baise-moi ma mignonne je t'aime plus que ma vie. _Agnès._ Eh bien es-tu contente? tu ne songes pas qu'on peut nous appercevoir ici. _Angelique._ Eh quel sujet avons-nous de craindre, entrons dans ce Berceau; nous n'y pourrons être vues de personne. Mais je ne suis pas encore satisfaite, tes baisers n'ont rien que de commun, donne m'en un à la Florentine? _Agnès._ Je crois que tu es folle? est-ce que tout le monde ne baise pas de la même maniere? Que veux-tu dire par ton _baiser à la Florentine_? _Angelique._ Approche-toi de moi je vais te l'apprendre. _Agnès._ Oh Dieu tu me mets toute en feu, ah que cette badinerie est lascive, retire-toi donc, ah comme tu me tiens embrassée, tu me devores. _Angelique._ Il faut bien que je me paye des leçons que je te donne. Voilà de la façon que les personnes qui s'aiment veritablement se baisent, en lançant amoureusement la langue entre les levres de l'objet qu'on cherit, pour moi je trouve qu'il n'y a rien de plus doux & de plus delicieux, quand on s'en acquitte comme il faut, & jamais je ne le mets en usage que je ne sois ravie en extase, & que je ne ressente par tout mon corps un chatouillement extraordinaire, & un certain je ne sais quoi que je ne te puis exprimer, qu'en te disant que c'est un plaisir qui se répand universellement dans toutes les plus secretes parties de moi-même, qui penêtre le plus profond de mon coeur, & que j'ai droit de le nommer _Un abregé de la souveraine volupté_. Eh toi tu ne dis rien! quel sentiment t'a-t-il causé? _Agnès._ Ne te l'ai-je pas assez fait connoître, quand je t'ai dit que tu me mettois toute en feu, mais d'où vient que tu appelles ces sortes de caresses _Un Baiser à la Florentine_? _Angelique._ C'est parce qu'entre les Italiennes, les Dames de Florence passent pour être les plus amoureuses, & pour pratiquer ce Baiser de la maniere que tu l'as reçu de moi. Elles y trouvent un plaisir singulier, & disent qu'elles le font à l'imitation de la colombe qui est un oiseau innocent, & qu'elles y rencontrent je ne sais quoi de lascif & de piquant, qu'elles n'éprouvent point & ne goûtent pas dans les autres. Je m'étonne comment l'Abbé & le Feuillant ne t'apprirent point cela pendant ma retraite? car ils ont fait l'un & l'autre le voyage d'Italie, & apparemment s'y sont rendus savans dans toutes les pratiques les plus secretes de l'Amour, qui sont particulieres à ceux du Pays. _Agnès._ Vraiment j'avois bien l'esprit autre part qu'à ces badineries, lors qu'ils me vinrent voir, pour m'en souvenir à present. Je sais bien qu'il n'y eut point de caresses ni de sottises dont leur fureur ne s'avisât; mais quoi, le plaisir que j'y prenois étoit si grand, & le ravissement que ces transports me causoient si excessif, qu'il ne me restoit pas assez de liberté de Jugement pour y reflechir. _Angelique._ Il est vrai que les doux momens où l'on goûte cette volupté nous occupent tellement, que nous ne sommes pas capables de nous distraire par aucune application, de nôtre memoire, ni de faire un _Agenda_ sur le champ, de tout de qui se passe au dedans de nous-mêmes. Je ne doute pas neanmoins que l'Abbé ou le Feuillant n'ayent poussé leur galanterie jusques là; car outre que tu as une bouche divine, ils sont parfaitement instruits de toutes les manieres les plus douces & les plus engageantes de ceux qui savent passionnement aimer. _Agnès._ Helas! pour des personnes consacrées aux autels, & dévouées à la continence, ils n'en savent que trop. _Angelique._ Vrayment tu fais bien ici la plaisante, & ceux qui ne te connoîtroient pas, croiroient que tu parles serieusement. Mais veux-tu que je te dise ma pensée? Je crois qu'ils n'en sauroient trop savoir mais qu'ils en pourroient moins pratiquer? Car il est certain qu'ayant la direction des ames ils doivent avoir une parfaite connoissance tant du bien que du mal, pour en faire un juste discernement, & pour nous exhorter avec force à la poursuite & à l'amour de l'un, & nous prêcher avec un même zèle la fuite & la haine de l'autre. Mais ils ne font rien moins que cela, & les mauvais livres dont ils puisent leur lumiere, corrompent aussi-tôt leur volonté qu'ils éclairent leur entendement. _Agnès._ Je crois que tu abuses des termes, & que tu ne penses pas que parmi les Savans il n'y a point de livre, qui de sa nature porte le titre de défendu, & que le seul usage que nous en faisons lui donne la qualité de bon; de mauvais, ou d'indifferent. _Angelique._ Ah Dieu, je crois que tu rêves de parler de la sorte, & tu dois convenir avec moi qu'il y a de certains livres dont toutes les parties ne valent rien, & dont les instructions sont essentiellement opposées à la bonne Morale, & à la pratique de la vertu. Que peux-tu dire de _l'Ecole des Filles_, de cette infame _Philosophie_, & de l'Examen de la Religion de St. Ev... qui n'ont rien que de fade & d'insipide, & dont les sots raisonnemens ne peuvent persuader que les ames basses & vulgaires, ni toucher que celles qui sont à demi corrompues, ou qui d'elles-mêmes se laissent aller à toutes sortes de foiblesses? _Agnès._ j'avoue que ces livres là peuvent être mis au rang des choses inutiles, & même de celles qui sont défendues, je voudrois pouvoir racheter le temps que j'ai employé à en faire la lecture, il n'y a rien qui m'ait plu, & que je ne condamne. L'Abbé qui me les fit voir m'en donna un autre qui est presque sur la même matiere, mais qui la traite, & la manie avec bien plus d'adresse & de spiritualité. _Angelique._ Je sais de quel livre tu veux parler, il ne vaut pas mieux pour les moeurs que le precedent, & quoi que la pureté de son style, & son éloquence aisée, ayent quelque chose d'agreable, cela n'empêche pas qu'il ne soit infiniment dangereux. Puisque le feu & le brillant qui y éclatent en beaucoup d'endroits, ne peuvent servir qu'à faire couler avec plus de douceur le venin dont il est rempli, & l'insinuer insensiblement dans les coeurs qui sont un peu susceptibles: il a pour titre _l'Academie des Dames_, ou _les sept Entretiens Satiriques d'Alosia_, je l'ai eu plus de huit jours entre les mains, & celui de qui je le reçus m'en expliqua les traits les plus difficiles, & me donna une intelligence parfaite de tout ce qu'il y a de mysterieux. Sur tout il m'en interpreta ces paroles qui sont dans le septième Entretien, _Amori, vera lux_, & me découvrit le sens Anagrammatique qu'elles cachent, sous la simple apparence de l'inscription d'une Medaille. Je crois que c'est de ce livre dont tu as eu dessein de me parler? _Agnès._ Assurement. Ah Dieu qu'il est ingenieux à inventer de nouveaux plaisirs à une ame saoule & dégoûtée! de quelles pointes & de quels aiguillons ne se sert-il pas pour réveiller la convoitise la plus endormie, la plus languissante, & celle même qui n'en peut plus, que d'appetits extravagans! que d'objets étrangers! & que de viandes inconnues il presente! Mais je vois bien que je n'y suis pas encore si savante que toi. _Angelique._ Helas, mon Enfant, la science que tu ambitionnes ne pourroit que t'être préjudiciable? Il faut que les plaisirs que nous nous proposons soient bornés par les Loix, par la Nature, & par la Prudence, & toutes les maximes dont ce livre pourroit t'instruire s'éloignent presque également de ces trois choses. Crois-moi, toutes les extremités sont dangereuses, & il est un certain milieu que nous ne pouvons quitter, sans tomber dans le precipice. _Aimons_, il n'est pas défendu, _cherchons la volupté_ tant qu'elle est legitime, mais évitons ce qui ne peut être inspiré que par la débauche, & ne nous laissons point seduire par les persuasion d'une éloquence, qui ne nous flatte que pour nous perdre, & qui ne s'exprime bien que pour nous porter plus facilement au mal. _Agnès._ Oh la belle Morale! & que tu sais bien dorer la pillule quand il te plaît! ce n'est pas que je ne me rende à tes raisons, & que je ne blâme toutes les choses que tu condamne, mais je ne puis m'empêcher de rire, quand je te vois prêcher la réforme avec tant de feu, & que je t'entends parler à des sourds & à des aveugles, tels que sont nos sens, qui ne veulent recevoir de regles que celles qu'ils se proposent eux mêmes. _Angelique._ Il est vrai, & je l'avoue que c'est mal employer le temps, c'est à dire inutilement, que de travailler à reprimer le vice, & à élever la vertu, dans la corruption du siècle où nous sommes. La maladie est trop grande & la contagion trop universelle, pour y apporter du remede par de simples paroles, & pour qu'elle puisse être guerie par un appareil qui ne peut agir que sur l'esprit. Ce n'est aucunement là mon dessein, mais j'ai seulement été bien-aise de te faire connoître, que je n'approuve point le libertinage de ceux qui ne goûtent jamais de parfaits plaisirs s'ils ne les vont chercher dans les leçons d'une imagination corrompue, au delà des bornes les plus inviolables de la nature, & jusques dans la licence la plus dissolue des fables passées. Je ne suis point ennemie des delices, ni attachée à cette vertu incommode dont nôtre siecle n'est pas capable, & je sais que l'ame la plus noble ne peut être maîtresse de ses passions ni purgée des autres infirmités humaines, tant qu'elle sera attachée à nôtre corps. _Agnès._ Ah ce retour me plaît, & cette indulgence raisonnable peut être reçue. Car quel mal peut-on trouver dans la volupté quand elle est bien reglée? il faut bien de necessité donner quelque chose au temperament du corps, & compatir à la foiblesse de nos esprits, puisque nous les recevons tels que la nature nous les baillent, & qu'il ne dépend pas de nous d'en faire le choix. Nous ne sommes pas responsables des fantaisies, du penchant, & des inclinations qu'elle nous donne, si se sont des fautes, c'est elle qui en est coupable, & qui en doit être blâmée. Et on ne peut reprocher aux hommes, les vices qui naissent avec eux, ou qui ne procedent que de leur naissance. _Angelique._ Tu as raison ma mignonne, & je ne puis t'exprimer la joye que je ressens, lors que tes paroles me font voir le progrès que tu as fait par mes instructions. Mais ne nous fatiguons pas davantage l'esprit par la recherche des crimes d'autrui, supportons ce que nous ne saurions réformer, & ne touchons point à des maux qui découvriroient sans doute l'impuissance de nos remedes. Vivons pour nous mêmes, & sans nous faire malades des infirmités étrangeres, établissons dans nôtre interieur cette paix & cette tranquilité spirituelle, qui est le principe de la joye & le commencement du bonheur que nous pouvons raisonnablement desirer. _Agnès._ Pour moi je suis déja dans cette paisible jouissance du repos, & de la quiétude d'esprit. Où je puis dire, que je n'ai pu arriver que par ton moyen. Ce sont des obligations que je ne pourrai jamais assez reconnoître comme je le souhaiterois, car il faut que pour toutes ces peines que tu as prises à me tirer de l'erreur où j'étois, tu te contentes de l'amitié que je t'ai jurée, & qu'elle te tienne lieu de toute autre recompense. _Angelique._ Helas mon enfant que pourrois-tu m'offrir qui me plût davantage? je prefere tes caresses à tous les tresors du monde, un seul de tes baisers me charme, & me comble de biens. Mais voici quelqu'un qui vient: separons-nous afin de leur ôter le soupçon qu'ils pourroient avoir de nos entretiens. Baise-moi ma chere enfant. _Agnès._ Je le veux, & _à la Florentine_? _Angelique._ Ah tu me ravis! tu me transportes! je n'en puis plus! tu me causes mille plaisirs. _Agnès._ En voici assez pour le present. Adieu Angelique. C'est soeur Cornelie qui s'approche? _Angelique._ Je la vois. C'est sans doute pour me donner quelque ordre de la part de Madame. Adieu Agnès, Adieu mon Coeur, mes Delices, mon Amour. FIN. Note sur la transcription électronique Les variantes très erratiques d'orthographe de l'original (Agnés/Agnès, a/à/á/â, moien/moïen/moyen, vue/vuë/vûë/veuë, ...) ont été normalisées. End of the Project Gutenberg EBook of Vénus dans le cloître, ou la religieuse en chemise, by Abbé Du Prat *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VÉNUS DANS LE CLOÎTRE, OU LA *** ***** This file should be named 61162-8.txt or 61162-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/6/1/1/6/61162/ Produced by René Galluvot (This file was produced from images generously provided by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. 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