Les touareg du nord

By Henri Duveyrier

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Title: Les touareg du nord

Author: Henri Duveyrier

Contributor: Jules René Bourguignat
        E. Cosson

Release date: July 29, 2025 [eBook #76587]

Language: French

Original publication: Paris: Challamel Ainé, 1864

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by Biblioteca de la Escuela de Estudios Árabes-CSIC and the Bibliothèque nationale de France/Gallica)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES TOUAREG DU NORD ***

                         EXPLORATION DU SAHARA

                               * * * * *

                              LES TOUAREG
                                DU NORD

                                  PAR
                            Henri DUVEYRIER

         Membre honoraire de la Société de géographie de Paris

      Membre étranger de la Société royale de géographie de Berlin

  Membre correspondant honoraire de la Société royale de géographie de
                                Londres

    Membre correspondant de la Société archéologique de Constantine

         Chevalier de l’ordre impérial de la Légion d’honneur.

                               * * * * *
                     AVEC 31 PLANCHES ET UNE CARTE
                               * * * * *

 OUVRAGE QUI A VALU A L’AUTEUR LA GRANDE MÉDAILLE D’OR DE LA SOCIÉTÉ DE
                     GÉOGRAPHIE DE PARIS, EN 1864

[Décoration]

                                 PARIS
                    CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
              COMMISSIONNAIRE POUR L’ALGÉRIE ET L’ÉTRANGER
                         30, RUE DES BOULANGERS


                         EXPLORATION DU SAHARA
                               * * * * *
                              TOME PREMIER


                    PARIS. — IMPRIMERIE DE J. CLAYE,
                          RUE SAINT-BENOIT, 7.


Pl. I. Fig. 1.

[Illustration : HENRI DUVEYRIER.

NÉ A PARIS, LE 28 FÉVRIER 1840.

D’après une photographie de M. Bertall.]


                         EXPLORATION DU SAHARA

                               * * * * *

                              LES TOUAREG
                                DU NORD

                                  PAR
                            HENRI DUVEYRIER

          CHEVALIER DE L’ORDRE IMPÉRIAL DE LA LÉGION D’HONNEUR

                  MEMBRE ÉTRANGER DE LA SOCIÉTÉ ROYALE

                        DE GÉOGRAPHIE DE BERLIN

[Décoration]

                                 PARIS
                    CHALLAMEL AINÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
              COMMISSIONNAIRE POUR L’ALGÉRIE ET L’ÉTRANGER
                         30, RUE DES BOULANGERS
                               * * * * *
                                  1864

                         Tous droits réservés.




                              A LA MÉMOIRE
                              DE MA MÈRE,
                 MADAME C. DUVEYRIER, NÉE CLAIRE DENIE,
             HOMMAGE DE PIÉTÉ FILIALE ET D’ÉTERNEL SOUVENIR
               DES SOINS DONT TU AS ENTOURÉ MON ENFANCE.

                               * * * * *

                              A MON PÈRE,
                           CHARLES DUVEYRIER.

Que la publication des travaux de mon exploration soit la récompense de
la sollicitude que tu as eue pour moi pendant toute sa durée, et des
soucis qu’une séparation prématurée, un voyage lointain, les dangers
d’une maladie mortelle, ont pu te causer.

                               * * * * *

                            A M. LE DOCTEUR
                            AUGUSTE WARNIER,

    OFFICIER DE LA LÉGION d’HONNEUR, MÉDECIN MILITAIRE EN RETRAITE,

       ANCIEN MEMBRE DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE DE L’ALGÉRIE,

      ANCIEN DIRECTEUR DES AFFAIRES CIVILES DE LA PROVINCE D’ORAN,

         ANCIEN MEMBRE DU CONSEIL DU GOUVERNEMENT DE L’ALGÉRIE.

Vous avez guidé et protégé, à distance, mon exploration du Sahara,
pendant les vingt-neuf mois de sa durée ;

Vous avez eu pour moi les soins attentifs d’une mère dans la cruelle
maladie qui m’a atteint au retour de mon voyage ;

Depuis, pendant que vous suiviez, comme médecin, les progrès de ma
longue convalescence, vous avez consacré près de deux années au
dépouillement de mes Notes et Journaux de voyage, ainsi qu’à la
rédaction d’un premier volume : _Les Touâreg du Nord_, et d’un second :
_Le Commerce du Sahara et de l’Afrique centrale_.

Acceptez, avec ceux qui me sont le plus chers au monde, la dédicace de
ces deux volumes.

Je ne puis les placer sous un patronage plus dévoué.

                                                      HENRI DUVEYRIER.




                              AVANT-PROPOS


Le voyage d’exploration que j’ai accompli entre El-Golêa’a à l’Ouest,
Zouîla à l’Est, Biskra au Nord et Rhât au Sud, avait le triple but de
recueillir sur le Sahara des données géographiques qui manquaient à nos
connaissances ; d’ouvrir avec les peuplades de cette région
intermédiaire des rapports indispensables avant de nouer des relations
politiques et commerciales entre l’Algérie et l’Afrique centrale ;
enfin, de me préparer moi-même, par une longue épreuve de la vie
africaine, par l’étude des hommes, des mœurs et des dialectes, à un
second voyage ayant pour objet plus spécial l’exploration des régions
soudaniennes.

J’ai voulu avancer avec lenteur, afin d’opérer plus sûrement ; je n’ai
pas craint de séjourner sur les points où je le jugeais nécessaire pour
assurer le succès de mon entreprise, et je me suis toujours efforcé
d’élargir ma zone d’action, en visitant les pays situés à l’Est et à
l’Ouest de la ligne embrassée par mes études. Avant de pénétrer plus
dans le Sud, j’ai donné à mes travaux une base large et solide, par une
reconnaissance nouvelle du Sahara algérien, tunisien et tripolitain.


Commencée dans les limites modestes d’un voyage privé, avec des
ressources dues à la libéralité de mon père, de M. Arlès-Dufour et de M.
Isaac Pereire, mon exploration n’a pu prendre le caractère étendu
qu’elle devait avoir, pour donner des résultats utiles, qu’à l’aide du
bienveillant et généreux appui du gouvernement.

Sous le puissant patronage de Son Excellence M. le maréchal duc de
Malakoff, si bien secondé, dans sa sollicitude, par M. le général sous-
gouverneur de Martimprey, ma mission fut entourée d’une protection et
d’encouragements qui ont rendu tout facile et qui me feraient craindre
d’être resté au-dessous de la responsabilité que j’ai acceptée, si je
n’avais l’avenir devant moi pour répondre aux espérances du
gouvernement.

Sa Majesté l’Empereur Napoléon III, souverain éclairé et jaloux de
l’extension de l’influence civilisatrice de la France, a voulu que les
subsides accordés fussent à la hauteur des besoins.

Mes très-humbles et très-respectueux remerciements Lui sont tout d’abord
acquis.

Je ne dois pas oublier, dans les témoignages de ma gratitude, Leurs
Excellences M. le maréchal Vaillant, M. le maréchal comte Randon, M.
Rouher, M. le comte de Chasseloup-Laubat, M. Thouvenel, ministres de Sa
Majesté l’Empereur, qui, tous, dans la limite de leurs attributions, ont
prêté à ma mission le concours le plus efficace.

M. le général Desvaux, commandant supérieur de la province de
Constantine, a droit aussi à toute ma reconnaissance, car c’est à lui
que je dois le précieux appui du marabout Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, chef de
la confrérie religieuse des Tedjâdjna, qui compte tant d’affiliés dans
le Sud.

Aux postes officiels dont ma mission relevait, j’ai eu le bonheur de
rencontrer partout des homme de cœur :

A Tripoli de Barbarie, M. P. E. Botta, consul général de France, et ses
collaborateurs, MM. Gauthier et Lequeux ;

En Algérie, MM. les colonels Séroka, Lallemand, Wolf, Marguerite, le
commandant de Forgemol, le lieutenant Auer, commandant la garnison de
Tougourt, qui, tous, m’ont honoré de la même bienveillance affectueuse
et ont aplani, autant qu’il dépendait d’eux, les difficultés de mon
entreprise.

Des savants français et étrangers, les uns, dans la phase préparatoire
de mon exploration, les autres dans la partie active, ont éclairé ma
jeunesse des lumières de leur science : les docteurs H. Barth et A.
Petermann ; les professeurs Fleischer, A. Duméril et Cherbonneau ; MM.
Renou, Yvon-Villarceau, Malte-Brun et O. Mac-Carthy.

Je dois à M. le docteur Millon, l’un des chefs du service de santé de
l’armée d’Afrique, un protectorat plus personnel.

Plusieurs chefs indigènes m’ont également secondé de tout leur pouvoir :
Sîdi-Hamza, khalîfa du Sud de la province d’Oran ; Sîdi-Mohammed-
el-’Aïd, grand maître de la confrérie des Tedjâdjna ; le marabout
Si-’Othmân-ben-el-Hâdj-el-Bekri, chef de la tribu des Ifôghas ; l’émîr
El-Hâdj-Mohammed-Ikhenoûkhen, chef des Touâreg Azdjer ; le marabout
Sîdi-el-Bakkây, cousin du célèbre cheïkh de Timbouktou ; Si-Selimân-
el-’Azzâbi, moûdîr de Faççâto, dans le Djebel-tripolitain.

Que tous reçoivent, ici, mes sincères remerciements.

Qu’il me soit aussi permis de donner un témoignage public de
l’inaltérable dévouement d’Ahmed-ben-Zerma, du Soûf, homme droit,
intelligent, énergique, qui fut mon compagnon pendant la partie la plus
difficile de mon voyage.

Parti de la province de Constantine, en mai 1859, je me dirigeai d’abord
sur le pays des Benî-Mezâb, dans l’espoir de trouver chez les Cha’anba
des guides pour aller au Touât.

L’état politique du pays, la présence du chérîf Mohammed-ben-’Abd-Allah
à In-Sâlah ne me permirent pas de réaliser ce projet.

Après plusieurs mois consacrés à l’étude de l’intéressante contrée
qu’habite la confédération Mezâbite, je risquai, muni d’une lettre de
recommandation impérative du khalîfa Sîdi-Hamza, une reconnaissance
aventureuse sur El-Golêa’a, ville dans laquelle aucun autre Européen n’a
encore pénétré.

J’y fus très-mal accueilli, mais probablement un voyageur qui s’y
rendrait aujourd’hui serait mieux reçu. Désormais nous connaissons les
deux routes qui y conduisent de Methlîli.

Le reste de l’année 1859 fut consacré à des reconnaissances dans les
différentes parties du Sahara dépendant des provinces d’Alger et de
Constantine, de Laghouât au Soûf, et de Biskra à Ouarglâ.

La sécurité dont jouit le voyageur, même le voyageur privé, européen ou
indigène, dans ces contrées gouvernées, à de grandes distances, par
l’autorité française, est digne de remarque et fait un contraste
frappant avec la situation qui a précédé leur soumission.

Les six premiers mois de l’année 1860 furent employés à explorer le
Sahara tunisien : le Djérîd, le Nefzâoua jusqu’à Gâbès sur la petite
Syrte. Protégé par des _amer_ du Bey Sîdi-Sâdoq, obtenus par la
bienveillante entremise de M. F. de Lesseps et de M. Léon Roches, consul
général de France à Tunis, je fus toléré partout ; mais je dois à la
vérité de constater les préventions et la fierté blessante dont les
sujets algériens sont victimes dans le Sud de la Tunisie.

En juin, j’étais de retour à Biskra. C’est là que je reçus des
instructions et des subsides du gouvernement, ainsi que de nouveaux
instruments, pour entreprendre l’exploration du pays des Touâreg. La
saison des plus grandes chaleurs était arrivée ; elle rendait pénible la
traversée d’El-Ouâd à Ghadâmès, mais l’expérience du marabout târgui
Si-’Othmân et des guides Souâfa me fit surmonter cette difficulté, non
sans fatigues, car j’étais à peine convalescent de fièvres contractées
dans l’Ouâd-Rîgh.

A Ghadâmès, je reconnus bientôt la nécessité de m’appuyer sur l’autorité
et le crédit dont jouit dans toute la Tripolitaine le consul général, M.
P. E. Botta, et, après une courte station dans l’antique Cydamus, je me
rendis sur le littoral, en prenant, à l’aller et au retour, des routes
différentes, notamment celle, jusqu’alors inexplorée, qui longe le
Djebel-Nefoûsa.

Sur la demande de M. Botta, Son Excellence Mahmoud Pacha, gouverneur de
la Tripolitaine, voulut bien me délivrer un _bouyourouldi_, ou ordre
général à tous les fonctionnaires relevant de son autorité de me
protéger et de me donner l’hospitalité.

Cet appui inespéré me fut très-utile dans la suite de mon voyage.

Rentré à Ghadâmès, je dus bientôt partir pour Rhât, avec l’émîr
Ikhenoûkhen, qui regagnait sa tribu. Ayant rencontré les campements des
Orâghen dans l’Ouâdi-Tikhâmmalt, au milieu de bons pâturages, nous y
séjournâmes pour refaire les chameaux ; aussi, les premiers jours de
1861 nous trouvèrent-ils à l’entrée du pays habité par les Touâreg.
Après bien des retards, dus à différentes causes, mais très-précieux
pour mes études, je pus atteindre Rhât, où je ne séjournai que quinze
jours, _extra muros_.

A Rhât, je me trouvais au foyer des ardentes rivalités d’intérêt qui
divisent les commerçants de ce grand marché et les Touâreg maîtres des
routes qui y aboutissent ; je crus prudent de ne pas m’immiscer à leurs
querelles, et je m’empressai de continuer à explorer le Nord du pays des
Azdjer.

Diverses raisons m’engagèrent à aller à Mourzouk, siége d’un kâïmakâmlik
turc, d’où je pouvais me mettre plus facilement en relation avec le
consulat général de France, à Tripoli ; je déterminai Ikhenoûkhen à m’y
accompagner. Ce n’était pas chose facile. Le chef târgui n’avait pas mis
les pieds dans cette ville depuis l’occupation du Fezzân par les Turcs.

Nous fîmes le voyage de Rhât à Mourzouk très-lentement, ce qui me permit
d’aller visiter les lacs si curieux de Mandara, Gabra’oûn et autres.

Une réception très-honorable nous fut faite à Mourzouk par l’autorité
politique de cette ville.

Je venais de passer plus de six mois sous la tente ; je pris, dans la
capitale du Fezzân, un repos devenu nécessaire ; malheureusement, je
n’avais pas le choix d’un lieu plus salubre.

Pour m’accompagner, Ikhenoûkhen avait négligé ses intérêts ; d’ailleurs,
dans l’Ouest, Mohammed-ben-’Abd-Allah, aujourd’hui interné à Bône,
préparait une nouvelle attaque contre le Sahara algérien ; le chef
târgui sentait la nécessité de se rapprocher du centre des intrigues,
pour préserver ses sujets de la contagion. Nous nous séparâmes.

Je crois que mon voyage à Mourzouk, en compagnie d’Ikhenoûkhen, servit
notre influence et nos intérêts, plus que tout ce que j’avais pu faire
jusque-là.

Bientôt, je fis une nouvelle excursion dans l’Est, vers Zouîla, petite
ville de chorfâ, marabouts très-fanatiques.

Enfin, je revins à Tripoli par la longue route de Sôkna.


Les difficultés qui se sont présentées à moi sont de deux ordres : les
unes tiennent à la nature des lieux parcourus ; les autres, au caractère
particulier des hommes avec lesquels je me suis trouvé en contact.

Les premières, inhérentes au climat, au manque d’eau, à la stérilité du
sol, aux fatigues et aux privations du voyage, sont de beaucoup les plus
faciles à surmonter, avec de la prévoyance et une bonne santé.

Les secondes, de natures essentiellement variables, sont dues à des
circonstances que le voyageur doit préalablement connaître et apprécier,
pour ne pas les voir se transformer en insurmontables écueils. Ici, ce
sont des zâouiya, communautés religieuses, les unes passives, les autres
militantes. Là, principalement dans les centres commerciaux, on a à
lutter contre des intérêts mal compris, placés entre les mains de gens
méfiants et égoïstes, qui trouvent un point d’appui dans l’intolérance
religieuse.

Tous ces obstacles, il faut l’espérer, disparaîtront graduellement avec
l’élément indispensable du temps et la puissance de la vérité.

Dans cette dernière voie, je crois avoir avancé l’état des choses, en
procédant à des levés topographiques qui permettent de donner plus
d’exactitude au tracé des routes ; en appuyant sur mes propres travaux
de nombreux renseignements oraux, recueillis avec le soin le plus
scrupuleux ; en étudiant la nature des lieux, le caractère des hommes ;
en affermissant des relations déjà préparées ou en en créant de
nouvelles ; enfin, en faisant partout une étude spéciale du commerce et
des moyens d’échange.


A mon retour à Alger, après un voyage qui avait duré près de trois ans,
j’allais rentrer en France pour me mettre en mesure d’utiliser les
bonnes dispositions de Sîdi-Mohammed-el-Bakkây et aller avec lui à
Timbouktou.

Mais le gouvernement de l’Algérie m’avait demandé auparavant de
m’occuper, à Alger, de l’impression d’un rapport sommaire, avec une
Carte à l’appui, sur les résultats de mon voyage.

Déjà la Carte était gravée et mon manuscrit en partie imprimé, lorsque
tout à coup je tombai gravement malade, atteint d’une fièvre typhoïde
compliquée d’accidents pernicieux.

Dans mon malheur, j’avais heureusement trouvé l’hospitalité chez un
second père, M. Warnier, lequel, assisté du concours dévoué de MM. les
docteurs Léonard et Dru et de tous les membres de la bonne et excellente
famille Bougenier, parvint à m’arracher à la mort.

Que tous, y compris les _Sœurs de l’Espérance_, qui veillèrent au chevet
de mon lit, reçoivent ici le témoignage de ma plus affectueuse
reconnaissance.

Après trois mois de maladie et de traitement j’étais sauvé, grâces à
Dieu, mais je n’étais que convalescent et j’avais le plus grand besoin
d’être en parfaite santé, car un Traité de Commerce allait être conclu
avec les Touâreg, un appel était fait à toutes les Chambres de commerce
de France, en vue de l’organisation de caravanes d’essai à expédier dans
l’intérieur de l’Afrique, et la publication des études faites pendant
mon exploration était considérée par le gouvernement comme urgente.

La Providence, qui m’avait fait arriver à Alger pour y trouver les soins
que ma santé allait réclamer, permit qu’après ma guérison M. le docteur
A. Warnier pût mettre à ma disposition, avec le temps nécessaire pour la
rédaction de deux volumes, l’expérience spéciale qu’il avait acquise en
Algérie par vingt-huit années de séjour et d’études.

Grâces à ce concours, je pus faire marcher de front la partie littéraire
avec la partie graphique de mon œuvre.

Mais mon exploration embrassait une contrée presque inconnue, et toutes
les collections que je rapportais ne pouvaient être classées avec
précision et certitude que par les maîtres de la science ; de même
toutes mes observations, soit astronomiques, soit météorologiques,
avaient besoin d’être comparées aux observations correspondantes faites
dans d’autres contrées.

A l’honneur des savants de notre pays, je dois le déclarer hautement,
tous ceux dont j’invoquai l’expérience répondirent avec une
bienveillance extrême à mes demandes.

MM. Des Cloizeaux, de Verneuil, Deshayes, le docteur Marès, pour la
géologie ; Berthelot, pour la minéralogie ; Renou, pour la
météorologie ; le docteur Cosson, Kralik, pour la botanique ; A.
Duméril, pour l’ichthyologie et l’erpétologie ; Léon Rénier, pour
l’archéologie ; H. Zotenberg, pour la linguistique ; Vivien de Saint-
Martin, pour la géographie ancienne ; Radau, pour les calculs de
quelques positions astronomiques, furent assez bons pour m’éclairer ou
me guider, chacun dans leur spécialité, et chaque fois que j’eus recours
à l’autorité que leur donne leur haute position dans le monde savant.

Pour la réduction de mes itinéraires et le dressement de mes cartes,
deux habiles dessinateurs, MM. E. Dubuisson et Picard, ont bien voulu me
prêter leur concours, le premier pour la _Carte du pays des Touâreg_ qui
accompagne ce volume ; le second pour la _Carte commerciale du Sahara et
de l’Afrique centrale_ destinée au volume relatif au commerce.

Enfin, aujourd’hui, je puis répondre à tant de sollicitude, en livrant
au public le premier résultat de mes travaux.

Puisse-t-il l’accueillir avec indulgence et bienveillance, en raison des
difficultés de l’entreprise !

Peut-être ai-je trop présumé de mes forces en abordant des questions
dont la solution eût demandé plus d’expérience. Le désir d’être utile
sera mon excuse.

                                                      HENRI DUVEYRIER.




                              INTRODUCTION


L’étude complète de toute société humaine est inséparable de celle du
milieu habité, car souvent les conditions de l’existence, la raison des
mœurs, sont fatalement subordonnées à la loi des nécessités de la
nature.

Quand le milieu est une contrée exceptionnelle, comme le plateau central
du Sahara, inhospitalière, même pour la plupart des végétaux et des
animaux, réputée avec raison inhabitable pour l’homme, il devient
indispensable de faire préalablement connaissance intime avec elle,
avant de parler des peuplades qui, après de nombreuses migrations, l’ont
adoptée pour patrie et s’y trouvent tellement heureuses, dans une
indépendance à l’abri de toute convoitise, que, pour rien au monde,
elles n’échangeraient leur sort contre celui de tout autre peuple.


Ces quelques lignes suffisent à l’exposé des motifs de la division de
cet ouvrage :

Un premier Livre fait connaître le milieu habité : terre et ciel,
géographie physique, hydrographie, géologie, météorologie, positions
astronomiques ;

Un second donne l’inventaire de la production dans les trois règnes de
la nature : minéral, végétal et animal ;

Un troisième Livre, intermédiaire entre les précédents et le suivant,
consacré aux centres de rayonnement, autour desquels gravite toute
société nomade, ajoute un complément à l’influence du milieu matériel,
celui de deux attractions sociales : les centres commerciaux et les
centres religieux ;

Enfin un quatrième et dernier Livre, exclusivement consacré aux Touâreg
du Nord, traite en autant de Chapitres particuliers de leur origine, de
leur division en tribus, de leur constitution sociale, de l’historique
des tribus, de leurs caractères distinctifs, de leur vie intérieure et
extérieure.

Un Appendice très-succinct, sous forme de _simples notes_, répond à un
des vœux de l’Académie des inscriptions et belles-lettres : rapprocher
et comparer les connaissances des anciens avec celles que les
explorations modernes ajoutent aux notions, de plus en plus positives,
sur la géographie du Nord de l’Afrique.

J’espère que cet ordre logique obtiendra l’approbation du lecteur, car
il procède du connu à l’inconnu.


Contrairement à l’usage généralement adopté par les voyageurs, de
publier d’abord les résultats de leurs explorations sous forme de
_Journal de voyage_, j’ai préféré l’ordre méthodique des matières, pour
ne pas compliquer un sujet, déjà abstrait par lui-même, de questions qui
lui sont étrangères, bien qu’elles ajoutent souvent beaucoup d’intérêt
au récit.

Si les circonstances le permettent, je publierai ultérieurement ce
_Journal_ ; mais, avant, j’ai à donner satisfaction aux besoins du
gouvernement.


La question commerciale du Sahara et de l’Afrique centrale n’est pas
traitée dans cette première partie. Elle forme la matière d’un second
volume, qui paraîtra prochainement.


La transcription, en caractères romains, des lettres ou des sons des
langues sémitiques et africaines est un point qui embarrasse toujours
les travailleurs consciencieux. Plusieurs systèmes ont été adoptés ; je
ne citerai que celui de la Commission scientifique de l’Algérie et ceux
des diverses Sociétés asiatiques de l’Europe.

Malheureusement, tous ont le défaut de n’être pas applicables à l’usage
général, à cause des caractères spéciaux, pointés ou accentués, que les
imprimeries ne possèdent pas. D’un autre côté, les accents employés dans
les transcriptions ont le défaut de dérouter le plus grand nombre des
lecteurs, qui ne tiennent pas à une accentuation aussi scrupuleuse.


Voici à quoi je me suis borné :

Les voyelles longues ont été distinguées par un accent circonflexe ;

Le ث arabe est rendu par _th_ qui a le son de la même lettre en
anglais ;

Le ح et l’ه sont rendus par l’_h_ ;

Le خ par _kh_ ;

Le ط et le ت par _t_ ;

Le ظ, le ض et le ذ par _dh_ ;

Le ص presque toujours par _ç_ ;

Le ع par _’a_, _’e_, _’i_, _’o_ ;

Le غ tantôt par _rh_, tantôt par _gh_, selon que la prononciation se
rapproche plus de l’_r_ ou du _g_, ce qui varie suivant les dialectes ;

Le ڧ par _q_ ;

Le و par le _w_ anglais, quand la prononciation oblige à lui garder sa
valeur comme consonne ;

Le ي tantôt par _y_, tantôt par _ï_.

Provisoirement, j’ai transcrit les noms de la langue temâhaq comme s’ils
étaient écrits en arabe.


Pour les noms de lieux, d’hommes et de choses, dont l’orthographe, en
français, est consacrée par un long usage, j’ai respecté, dans le texte,
le fait accompli, mais, dans l’_Erratum_, je restitue à chacun de ces
noms sa véritable orthographe.

De même, pour les noms de la nomenclature géographique, soit arabes,
soit berbères, je les ai écrits tels qu’ils sont en usage dans les
contrées dont je parle. Ainsi, j’ai appelé, en arabe, les rivières
tantôt _ouâd_, tantôt _ouâdi_, et, en berbère, les montagnes _adghagh_
et _adrâr_, suivant que les indigènes se servent eux-mêmes de ces
différentes expressions.

Les gravures qui accompagnent cet ouvrage ont été dessinées par M.
Bertall, soit d’après des photographies[1], soit d’après des croquis
pris sur les lieux, souvent à la hâte et sans aucune prétention
artistique. Dans la reproduction des types originaux par la gravure,
j’ai tenu essentiellement à ce que l’art ne pût pas les modifier,
quoique je reconnaisse mon infériorité comme dessinateur.


La Carte que je livre à la publicité comprend une partie positive et une
partie hypothétique.

La partie positive est la réduction de mes itinéraires, avec tous les
détails que la vue peut embrasser à droite et à gauche des lignes
parcourues. Ces lignes sont indiquées. Les routes des autres voyageurs
ont été fidèlement tracées.

La partie hypothétique est basée sur de nombreux itinéraires recueillis
à diverses sources. Pour me guider au milieu de renseignements qui ne
concordaient pas toujours entre eux, j’ai été assez heureux pour obtenir
du Cheïkh-’Othmân qu’il me fît, sur le sable, le plan en relief des
parties du territoire des Touâreg que je ne pouvais explorer, et quand
j’étais bien d’accord avec mon informateur sur l’ensemble et les détails
de sa composition, je la dessinais et j’en faisais ensuite la critique
avec lui.

Cette manière de procéder m’a permis de contrôler d’une manière plus
certaine les divergences de mes itinéraires par renseignements.

Pour la construction des routes que j’ai levées, chemin faisant, j’ai
souvent vérifié les distances parcourues. J’y suis arrivé en mesurant la
longueur moyenne du pas de chaque monture, et la moyenne du nombre de
pas faits en une minute. Une réduction était faite ensuite pour les
petits détours de la ligne droite et pour les facilités ou les
difficultés de la marche, d’après la nature des terrains, dont il est
impossible de tenir compte avec la boussole.

La moyenne des distances, entre une observation et une autre, est de
2,000 mètres ; dans les terrains accidentés, elles ont été multipliées,
quelquefois, de 200 en 200 mètres.

Pour les itinéraires par renseignements, les distances générales sont
prises par journées de marche de caravane, estimées suivant la nature
des lieux, entre 24 et 32 kilomètres et subdivisées, autant que je l’ai
pu, en demies et en quarts de journée. Souvent, j’ai été assez heureux
pour obtenir de mes informateurs des détails de 4 en 4 kilomètres.

Je ne publie pas ces itinéraires, mais la Carte en donne le tracé
fidèle, avec les corrections qu’un contrôle sévère a dû faire subir à
chacun d’eux.

Partout où j’ai pu appuyer mes renseignements sur des itinéraires
relevés par mes devanciers, je l’ai fait, en donnant toujours
religieusement la préférence à leurs indications, sur celles fournies
par les renseignements des indigènes, si précis qu’ils aient été.

Ces itinéraires sont également indiqués sur la Carte avec les noms de
leurs auteurs.


Tous les travaux graphiques préparatoires de la Carte sont mon œuvre,
mais le dessin définitif a été confié à M. E. Dubuisson, dont la
réputation, comme cartographe, est faite depuis longtemps. L’ouvrage
tout entier a été rédigé sur cette base fondamentale.

La Carte a été gravée après l’impression du texte, afin qu’il y eût
harmonie parfaite dans les deux ordres de travaux.


En résumé, en publiant les nombreux matériaux recueillis pendant la
durée de mon exploration, j’ai compris que le sujet était neuf pour
beaucoup de personnes, et, tout en restant dans les limites d’une
exposition scientifique, j’ai fait mes efforts en vue d’être clair et
intelligible pour le plus grand nombre.

Puissé-je avoir atteint le but proposé !

                               * * * * *


[Note 1 : Quelques-unes des photographies dont je me suis servi ont été
prises dans le Sahara algérien par M. Puig, pharmacien militaire.
Quelques autres ont été exécutées à Paris par divers artistes, quand les
marabouts Touâreg y sont venus ; enfin, d’autres ont été prises par moi,
sur les lieux, malgré la difficulté de modifier l’instrument suivant
l’intensité de la lumière. La plupart de mes épreuves sont brûlées, mais
lisibles cependant.]




                                RAPPORT
                                 SUR LE
           PRIX ANNUEL POUR LA DÉCOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE
                             EN GÉOGRAPHIE
      AU NOM D’UNE COMMISSION DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS
                             et composée de
          MM. D’AVEZAC, J. DUVAL, V. MALTE-BRUN, QUATREFAGES,
                 et VIVIEN DE SAINT-MARTIN, Rapporteur.

[Décoration]


    MESSIEURS,

Le 8 mai 1859, un jeune voyageur, un Français, débarquait à
Philippeville, cette antique station maritime de l’Algérie orientale,
qui est redevenue, sous son nom moderne, le port de Constantine.

Ce voyageur était M. Henri Duveyrier.

A l’âge où, parmi ceux que la fortune n’a pas astreints aux rudes
nécessités du labeur quotidien, tant d’autres préludent par une oisiveté
périlleuse aux devoirs sérieux de la vie, M. Henri Duveyrier avait conçu
le projet d’une grande et difficile entreprise. Il voulait pénétrer dans
les contrées, peu et mal connues, qui bordent au Midi nos trois
provinces algériennes ; il voulait étudier, sous la tente, au milieu de
leurs habitudes à demi nomades, les populations indépendantes de ces
contrées incultes qui ne sont pas encore le Désert, mais qui déjà en
offrent l’image ; il voulait, en poussant, aussi loin que possible, dans
toutes les directions, rattacher par une série d’observations physiques
et astronomiques ces plaines du Sahara algérien et leurs nombreuses
Oasis aux positions extrêmes où s’arrêtait alors l’action politique et
militaire de l’autorité française ; il voulait étendre par les conquêtes
de la science les conquêtes du drapeau.

Telle était la tâche que le jeune voyageur n’avait pas craint de se
proposer.

Il ne s’en dissimulait ni les difficultés, ni les dangers ; mais pour
ceux dont une éducation virile a développé de bonne heure les forces
morales, les difficultés et les dangers deviennent un stimulant de plus,
quand il s’agit d’atteindre un but utile ou d’accomplir un devoir.

M. Duveyrier, d’ailleurs, s’y était fortement préparé. Il possédait les
connaissances qui permettent d’étudier utilement le sol et ses
productions naturelles ; il s’était rendu familier l’usage des
instruments qui déterminent avec précision les phénomènes physiques et
les conditions climatologiques, ou qui fixent par l’observation des
astres les positions terrestres ; il avait acquis la pratique de la
langue arabe ; il s’était rompu, en un mot, à ces études préalables sans
lesquelles on a des touristes, mais qui, seules, font l’observateur
exact, le véritable voyageur.

Il n’a pas été donné à M. Duveyrier d’accomplir, dans son immense
étendue, le plan qu’il s’était tracé. L’état du pays ne lui a pas permis
de pénétrer dans les parties du Sahara algérien qui prolongent au Sud
notre province d’Oran[2], encore moins d’arriver jusqu’au Sahara
marocain, qui jusqu’à présent est resté fermé aux chrétiens. Il n’a
guère dépassé, à l’Ouest, le prolongement du méridien d’Alger. Mais s’il
a dû laisser en dehors de ses courses (et peut-être faut-il nous en
féliciter) une partie de son plan, la moitié occidentale, l’autre
moitié, la partie orientale, celle qui embrassait les contrées situées
au Sud de nos provinces d’Alger et de Constantine, en poussant plus à
l’Est encore, jusqu’au Sahara tunisien et tripolitain ainsi qu’au
Fezzân, toute cette partie orientale, dis-je, a été admirablement
remplie, avec une intelligence, une intrépidité, une persévérance, et
aussi avec un succès qui font de ce voyage une des plus belles et des
plus fructueuses explorations du continent africain.

M. Duveyrier avait donc pris pied à Philippeville au mois de mai 1859.
Il se dirige immédiatement au Sud, pour atteindre au plus vite le champ
projeté de ses opérations. Il traverse Constantine, coupe le plateau,
touche aux ruines de Lambèse que nos archéologues ont si heureusement
explorées, traverse les gorges du mont Aurès, qui domine de son massif
élevé toute l’Algérie orientale, et de là descend à Biskra, qui est, de
ce côté, la porte du Désert. C’est là que commence pour notre voyageur
le travail topographique. A partir de ce point, toutes les routes
parcourues sont relevées à la boussole, les détails en sont fixés comme
sur nos reconnaissances militaires, les positions sont fréquemment
corrigées par des hauteurs méridiennes, et, toutes les fois que cela est
possible, par des observations de longitude. Et ainsi se forme, d’heure
en heure, jour par jour, presque sans interruption, pendant vingt-neuf
mois, un large réseau de lignes bien étudiées, à travers des pays dont
une partie considérable n’avait été vue jusque-là par aucun Européen, et
dont la carte nous est maintenant parfaitement connue, au moins dans ses
traits essentiels.

Je ne veux ni ne puis suivre ici M. Duveyrier dans ses courses
multipliées. Il nous faudrait sillonner, à diverses reprises, une vaste
étendue de plaines arides, semées d’Oasis et coupées d’Ouâdi, en nous
portant alternativement : de Biskra sur El-Golêa’a par El-Guerâra et
Ghardâya, en remontant de là sur Laghouât ; puis, de nouveau, de Biskra
sur Ouarglâ par Tougourt ; sur Ghadâmès, par la dépression marécageuse
du Melghîgh ; sur Gâbès, en Tunisie, par la longue ligne de Sebkha ou
lacs temporaires que l’antiquité a connus sous le nom de lac Triton. Il
nous faudrait, en outre, rayonner de tous les points principaux sur les
positions intermédiaires ; il nous faudrait enfin suivre, plus à
l’Orient, les longues lignes qui relient entre elles les positions de
Tripoli et de Ghadâmès, de Ghadâmès et de Rhât, de Rhât et de Mourzouk,
de Mourzouk et de Tripoli. C’est sur la Carte qu’il faut étudier ce
vaste réseau, dont les points extrêmes laissent entre eux un intervalle
de plus de deux cent cinquante lieues, soit qu’on le mesure de l’Ouest à
l’Est, soit qu’on se porte du Nord au Sud. Ajoutons que, dans ce réseau,
une dizaine de points des plus importants, et, parmi ceux-là, El-
Golêa’a, Ghardâya, El-Ouâd et Ghadâmès, sont fixés par des observations
directes de latitude et de longitude ; et que, pour une trentaine
d’autres points au moins, notamment pour Ouarglâ, Tougourt, Tôzer et
Rhât, le voyageur a rapporté de bonnes latitudes. Quelques-unes de ces
positions, Ghadâmès, par exemple, et celles qui se rapprochent de nos
frontières, ainsi que les points principaux de la grande ligne du Fezzân
parcourue par la mémorable expédition de 1849, étaient déjà connus d’une
manière exacte ou très-approximative ; mais d’autres, particulièrement
dans l’Ouest, éprouvent un déplacement considérable. Et d’ailleurs, des
observations répétées, dans une géographie qui, comme celle-ci, est
encore en voie de formation, sont toujours extrêmement utiles, ne
serait-ce qu’à titre de contrôle et de vérification. En résumé, les
tracés de routes de M. Duveyrier constituent une véritable triangulation
qui couvre de ses lignes croisées toute la partie orientale du Sahara
algérien, triangulation dont la base, dans le sens des parallèles,
s’étend de Ghardâya à Ghadâmès, et qui se prolonge au Sud jusqu’aux
oasis d’El-Golêa’a et d’Ouarglâ, en se rattachant, vers l’Est, aux
positions déjà fixées de Ghadâmès, de Mourzouk et de Tripoli.

Les détails topographiques de cette vaste reconnaissance, je veux dire
les itinéraires du voyageur, relevés à la boussole et au chronomètre, et
rectifiés fréquemment par des observations astronomiques dont les
éléments et le calcul ont été soigneusement vérifiés, ces détails, dis-
je, sont contenus dans une longue suite de feuilles tracées jour par
jour sur le terrain, dont elles expriment tous les accidents. Le nombre
de ces feuilles, y compris les études par renseignements qui s’y
rattachent, ne s’élève pas à moins de 74. Ce sont ces minutes, ces
feuilles de détail, remises à Paris entre les mains d’un habile
dessinateur, qui ont servi à la construction de la Carte définitive où
vient se résumer la partie la plus importante des travaux de M. Henri
Duveyrier.

Le temps n’a pas permis encore d’achever la gravure de cette grande et
belle Carte ; mais le dessin terminé a été communiqué à votre
commission, qui a pu en apprécier la construction selon la nature des
matériaux sur lesquels elle repose dans ses diverses parties.

M. Duveyrier, se prêtant au désir que nous lui avons exprimé, a mis
aujourd’hui ce beau dessin à notre disposition, pour le placer ici même
sous les yeux de l’assemblée.

Il faut y distinguer deux ordres de matériaux différents : ceux qui
proviennent des reconnaissances directes et personnelles du voyageur, et
ceux qui proviennent, soit de reconnaissances européennes antérieures,
soit de renseignements reçus des indigènes.

Ces différentes sources de documents n’ont pas, on le conçoit, une
valeur égale au point de vue de l’exactitude absolue. L’immense Ouâdi
qui s’étend de Tougourt à Rhât sur une longueur de près de trois cents
lieues, et que les Touâreg désignent sous le nom d’Igharghar (ou
Igharghâren à la forme plurielle, et qui signifie _les Rivières_), cet
Ouâdi qui, à certains moments, offre dans quelques parties l’aspect d’un
grand fleuve, avec ses débordements, a été tracé, partie d’après les
relevés de M. Boû-Derba en 1858, document précieux, bien qu’il n’ait pas
la précision rigoureuse des levés de M. Duveyrier, partie d’après une
reconnaissance personnelle de ce dernier voyageur, dans une exploration
spéciale de la vallée basse, entre El-Ouâd et Ouarglâ. A l’Ouest et au
Sud de l’Igharghar, à l’exception des lignes parcourues par M. Boû-
Derba, M. Colonieu[3] et M. Henri Duveyrier, tout repose sur les
informations indigènes. Je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance
de cette distinction.

Cette réserve faite, embrassons d’un coup d’œil l’ensemble de la Carte
de M. Henri Duveyrier.

Ce qui nous frappe tout d’abord, c’est l’aspect du pays.

Voici une vaste région, une région presque égale en étendue à la France
ou à l’Espagne, et qui était, il y a cinq ans à peine, absolument en
blanc sur nos cartes ; aujourd’hui, non-seulement elle nous apparaît
couverte d’une multitude de noms et de détails, mais ces détails
renversent toutes les idées que l’on se formait naguère de ce qu’on
nomme, d’un terme générique, le Sahara. Il n’y a pas longtemps, nous
étions encore, sur l’intérieur du Nord de l’Afrique, à la notion des
anciens poétiquement exprimée par un de leurs géographes : une plaine
toujours unie, partout sablonneuse, « dont les vents du Midi fouillent
et tourmentent les flots arides pareils aux vagues de la mer[4]. » Nos
idées se sont déjà bien modifiées. Le Sahara est toujours un immense
désert, sans doute, et il reste comme le type et le point de départ, à
la fois, de la longue zone de pays incultes qui court à travers l’ancien
continent, depuis l’Atlantique jusqu’au fond de la Tartarie ; mais ce
n’est plus le désert monotone et nu que notre imagination se
représentait avec terreur. Déjà, l’expédition anglo-allemande de 1849,
par la découverte de la vaste oasis d’Aïr que le docteur Barth décrit
comme une véritable Suisse, entre le Fezzân et la Nigritie, aussi bien
que les explorations de plusieurs de nos officiers dans le pays des
Maures, entre le bas Sénégal et le Maroc, nous avaient pu donner une
première impression de la diversité qui se rencontre au sein de ces
solitudes africaines ; cette notion est singulièrement agrandie par les
informations de M. Duveyrier, et enfin par la Carte qui les résume. Là
où nous n’imaginions que des sables éternellement arides, nous avons
sous les yeux d’innombrables Ouâdi ou cours d’eau temporaires, et parmi
ces Ouâdi, nous l’avons déjà vu, le lit tantôt à sec, tantôt rempli,
d’un fleuve de trois cents lieues ; bien plus, nous voyons là des lacs
nombreux, des sources et de véritables rivières, des rivières
permanentes avec de vraies cascades, au rapport des indigènes, et, à
l’origine de ces rivières, des massifs élevés, des groupes de hautes
montagnes surmontées de pics sourcilleux, et, sur plusieurs de ces pics,
des neiges qui se maintiennent durant plusieurs mois de l’année, tout
comme dans les gorges de l’Aurès. Des lacs, des neiges et des rivières
dans le Sahara ! il était impossible de nous apporter un tableau plus
inattendu. Là où se présente cette nature alpestre, la vie est répandue
à profusion. La flore et la faune ont fourni au voyageur les éléments
d’une longue nomenclature, et encore n’en a-t-il pas vu les centres les
plus actifs. L’observation personnelle de M. Duveyrier a confirmé ce que
d’autres témoignages avaient déjà fait connaître. « J’ai vu, nous dit-
il, au moment où des pluies abondantes venaient d’arroser la terre, se
produire sous mes yeux le miracle de vastes espaces, nus la veille,
transformés instantanément en pacages de la plus belle verdure. Sept
jours suffisent pour que l’herbe nouvelle puisse nourrir les
troupeaux. »

Le noyau principal, le centre où vient aboutir cette configuration si
remarquable du Sahara intérieur, et qui la détermine en quelque sorte,
est un massif situé à environ quinze journées vers l’Ouest de Rhât. Les
informations de M. Duveyrier le représentent comme un plateau échelonné,
coupé de nombreuses vallées, hérissé de sommets élevés, et d’où
rayonnent, en diverses directions, de vastes Ouâdi dont le lit large et
profond se remplit à certaines époques de l’année d’un volume d’eau
considérable. Le principal de ces Ouâdi, ou du moins le mieux connu, est
celui qui se porte droit au Nord sur Tougourt : c’est l’Igharghar que
nous avons déjà nommé et dont une branche considérable vient de Rhât.
Les informateurs de M. Duveyrier (car il n’a pu pénétrer jusque-là) lui
désignèrent cette région montagneuse sous le nom d’Ahaggâr. Elle avait
été déjà signalée par le docteur Barth, mais d’une manière moins
circonstanciée, d’après ce qu’il en avait appris à Rhât et à Timbouktou.
Le nom, chez M. Barth, est écrit Hogâr ou Hâgara ; mais ces formes, dit-
il, sont des formes arabes, et le véritable nom indigène, c’est-à-dire
le nom berbère, sera Atakôr[5]. C’est le siége d’une des quatre grandes
divisions entre lesquelles se partage la nation des Touâreg. M. Barth
ajoute : « Mon intelligent ami, le Cheïkh-Sîdi-Ahmed-el-Bakkây de
Timbouktou, qui avait vécu quelque temps chez les Hogâr, ainsi que chez
les tribus du pays d’Aïr, m’assura de la manière la plus positive que ce
groupe de montagnes, et en particulier une longue chaîne qui en fait
partie, est beaucoup plus élevé que les montagnes d’Aïr, et que les
rochers, dont la couleur est rougeâtre, en sont très-escarpés. On voit,
dans l’intérieur de ces montagnes, de très-belles vallées et des gorges
pittoresques, et quelques-unes de ces vallées, où il y a de belles eaux
courantes qui ne tarissent jamais, produisent des figues et du
raisin[6]. »

Ces informations, on le voit, viennent complétement à l’appui de celles
qu’a recueillies M. Duveyrier ; seulement ces dernières sont infiniment
plus détaillées. Elles mettent hors de doute qu’au centre même du Grand
Désert, sous le méridien de Sétif et vers le 25e degré de latitude,
c’est-à-dire à mi-distance environ entre l’Algérie orientale et le grand
fleuve de Timbouktou, il existe une région montagneuse très-abrupte,
très-variée, très-pittoresque et d’une étendue considérable ; que dans
cette région, habitée par une forte et belliqueuse fraction de Touâreg,
il y a des montagnes assez hautes pour y conserver de la neige durant
trois mois de l’année ; qu’on voit là, comme dans l’oasis d’Aïr décrite
par le docteur Barth, de belles et fraîches vallées avec des sources
vives et des eaux courantes ; et qu’enfin des Ouâdi larges et profonds,
qui seraient de grandes rivières, si les pluies, dont le Désert est
privé, leur apportaient des eaux permanentes, divergent de ce noyau
montagneux en se portant vers tous les points de l’horizon, au Nord
(c’est l’Igharghar), à l’Ouest et au Sud. Tel est, dans son expression
générale, le résumé des informations recueillies par M. Duveyrier, et
qui sont parfaitement d’accord avec celles du docteur Barth.

Si M. Duveyrier avait pu s’avancer jusque-là ; s’il avait pu examiner de
près et de ses propres yeux cette curieuse région, en étudier la
structure géologique et la conformation extérieure, se rendre
précisément compte, par des observations directes, des conditions
climatologiques particulières au pays, du régime de ses eaux permanentes
et de la direction de ses vallées sèches ; si M. Duveyrier, disons-nous,
avait pu faire cela, il aurait ajouté une conquête bien précieuse à
toutes celles qu’il a rapportées de son beau voyage. Ce n’est pas faute
d’y avoir aspiré assurément, et d’y avoir fait tous ses efforts ; c’est
une tâche dont lui-même ne se tient pas quitte envers la science, car
son plus vif désir est de retourner promptement sur le théâtre de ses
premiers travaux, et d’y poursuivre ses explorations si bien commencées.
En attendant, il a étudié et combiné avec une profonde attention la
masse considérable de renseignements qu’il a pu recueillir de la bouche
des Arabes et des Touâreg, et en les rapprochant du précieux itinéraire
de M. Boû-Derba, il en a tiré toute la partie inférieure de sa Carte à
l’Ouest de Rhât. C’est une acquisition déjà fort importante, quoique
provisoire, pour cette région intérieure du Sahara. Si votre commission,
messieurs, avait à faire une observation sur cette partie de la Carte
qui repose, non sur les reconnaissances personnelles de M. Henri
Duveyrier, mais sur la combinaison de renseignements, cette observation
porterait seulement sur l’aspect net et précis que le dessin leur donne.
Peut-être y pourrait-on désirer, dans l’intérêt de la vérité rigoureuse,
un aspect et des contours moins arrêtés. Ce qui appartient en propre au
voyageur se distinguerait mieux de ce qui n’a qu’une valeur de
combinaison. Quand on sait à quel point les renseignements indigènes les
plus dignes de confiance se sont, pour la plupart, profondément modifiés
lorsqu’ils ont subi le contrôle direct de l’observation européenne, on
éprouve le besoin d’apporter une grande réserve dans l’emploi de cette
nature de documents. Notre remarque, au surplus, ne porte en aucune
façon sur la valeur spéciale des informations réunies par M. Duveyrier,
ni sur l’application générale qu’il en a faite : c’est une question de
mesure dans l’expression du dessin, rien de plus.

En définitive, il y a un grand fait qui ressort de la vue de cette
Carte, au total si remarquable, aussi bien que de l’ensemble des
informations déjà nombreuses que les observateurs européens nous ont
apportées dans ces derniers temps sur les diverses régions du Grand
Désert : c’est la diversité d’accidents et de configuration que présente
sa surface dans toutes les parties jusqu’à présent visitées. Une carte
qui représenterait, dès à présent, ce qu’on en connaît au Centre, au
Nord et à l’Ouest, une carte surtout, telle que la marche aujourd’hui si
active des explorations permettra de la construire d’ici à moins de dix
ans peut-être, présenterait, au lieu de cette immense étendue de plaines
uniformes qui occupe la moitié du Nord de l’Afrique sur nos cartes
actuelles, presque autant de particularités de configuration, sauf
l’absence des villes et de rivières permanentes, qu’une région
quelconque de l’Asie et de l’Europe. La nature ne fait rien d’inutile,
rien qui n’ait sa cause. Ces Ouâdi sans nombre, ces rivières sans eau
qui sillonnent le Désert comme les rivières et les ruisseaux sillonnent
nos campagnes, indiquent évidemment, dans le passé sinon dans le
présent, un état de choses que la pensée a peine à concilier avec la
privation presque absolue d’eaux courantes qui caractérise le Désert.
C’est là un sujet d’études déjà plus d’une fois touché sans doute, mais
qui appellera de plus en plus l’attention des voyageurs instruits et des
géologues.

De tous ces grands Ouâdi intérieurs, le plus étendu et maintenant le
plus accessible, l’Igharghar, devra être, dans son immense
développement, l’objet d’une investigation et d’une étude toutes
spéciales. Il y aura là, sans aucun doute, des questions du plus haut
intérêt à examiner et à résoudre. Cet objet seul justifierait et
récompenserait pleinement une expédition spéciale.

Au point de vue physique, cette immense vallée de l’Igharghar, presque
partout à sec ou qui n’a que des eaux temporaires, mais qui présente,
selon l’expression de M. Duveyrier, l’aspect du lit d’un grand fleuve,
offre un curieux phénomène. Partant de la région élevée de Rhât et de
l’Ahaggâr, et recevant de droite et de gauche, à mesure qu’elle avance
dans le Nord, un grand nombre d’Ouâdi secondaires pareils aux affluents
de nos fleuves, elle vient enfin se perdre, au Nord de Tougourt, dans
une large dépression marécageuse qu’on appelle le Chott-Melghîgh, où
vient aussi aboutir un grand courant, une véritable rivière, le Djedî,
qui a ses sources à l’Ouest, dans le Djebel-’Amoûr, et longe, depuis
Laghouât, le pied des montagnes. Les premiers observateurs qui de
l’Algérie descendirent au Melghîgh, il y a une dizaine d’années,
reconnurent avec étonnement, aux indications concordantes de leur
baromètre, que le sol où reposent ces vastes lagunes s’enfonce au-
dessous du niveau de la mer. M. Paul Marès a trouvé une altitude de − 13
mètres pour le fond du Chott dans sa partie Nord-Ouest. Ces observations
seront-elles confirmées par celles de M. Duveyrier[7] ? Si l’Igharghar
fut autrefois un véritable fleuve, il n’a donc pu, comme le pense M.
Duveyrier, aller déboucher dans le fond de la petite Syrte par le fleuve
Triton, à moins d’un changement complet dans la configuration et le
niveau du pays, changement qui, dans tous les cas, serait antérieur aux
temps historiques.

Cette condition physique, particulière à la région orientale du Sahara
algérien, de deux longues vallées parties des deux points opposés, l’une
de l’Ouest, celle du Djedî, l’autre du Sud, celle de l’Igharghar, et
venant l’une et l’autre aboutir à la même dépression du sol, le
Melghîgh, cette particularité physique, dis-je, nous fournit
l’explication d’un ancien texte géographique dont la rédaction avait dû
jusqu’à présent paraître assez bizarre. Je veux parler de la description
du cours du _Gir_ dans Ptolémée. Le _Gir_, ou, comme le nomment les
auteurs latins, le _Niger_, a été longtemps une pierre d’achoppement
pour les critiques. Trompés par les énormes aberrations des latitudes du
géographe alexandrin, on voulait retrouver très-loin dans le Sud une
rivière qui appartient à la région de l’Atlas ; on allait la chercher
jusque dans le Soûdân, où les anciens n’ont jamais pénétré. C’est de là
qu’est venue l’application que l’on fait encore tous les jours du nom de
_Niger_ au Dhioliba ou Kouâra, c’est-à-dire au grand fleuve de
Timbouktou, application qui se perpétue même après que l’erreur est
reconnue ; car, en géographie, comme en bien d’autres choses, rien n’est
plus difficile à déraciner qu’un abus. Habituellement, il y a dans une
rivière deux choses assez distinctes, une source et une embouchure ;
dans Ptolémée, le _Gir_ n’a pas de débouché, et il a deux sources
opposées, deux sources placées aux deux extrémités du fleuve, l’un au
Nord-Ouest dans l’Atlas, l’autre au Sud-Est dans une vallée nommée la
_Gorge garamantique_, c’est-à-dire au voisinage du Fezzân qui est le
pays des Garamantes. Rapproché des notions actuelles, des notions
fournies par M. Boû-Derba et complétées par M. Duveyrier, tout cet
agencement devient parfaitement clair, et, qui plus est, parfaitement
exact ; ce qui nous montre une fois de plus qu’en bien des cas le
progrès de nos propres découvertes confirme, en les appliquant, celle
des anciens. L’identité du _Niger_ avec les deux vallées confluentes du
Djedî et de l’Igharghar, identité que votre rapporteur a le premier
nettement affirmée, même avant le voyage de M. Duveyrier, est désormais
un fait hors de discussion.

Ce n’est pas seulement dans sa Carte que M. Duveyrier a condensé les
résultats physiques et mathématiques de ses vingt-neuf mois
d’explorations, il les a développés dans un volume d’une étendue
considérable auquel s’ajoutera plus tard un complément qui sera consacré
à la partie commerciale du voyage. Ce premier volume se compose tout
entier de faits et d’observations. L’hydrographie, la géologie, la
climatologie, les déterminations astronomiques, l’hypsométrie,
l’histoire naturelle et l’ethnographie, y sont l’objet d’une suite de
chapitres d’un grand intérêt scientifique, sans préjudice de
l’archéologie monumentale et épigraphique, sans oublier non plus les
informations utiles au commerce. Une notice très-détaillée sur les
Touâreg ajoute bien des particularités importantes, bien des faits
nouveaux, à ceux que d’autres investigateurs, M. Carette, M. Daumas, M.
Devaux, le docteur Barth, M. Hanoteau, nous avaient déjà donnés sur ce
peuple remarquable, qui garde au cœur du Sahara, où l’invasion arabe du
XIe siècle l’a repoussé, la pureté du sang berbère et l’idiome inaltéré
de sa race.

Dans cet aperçu encore bien restreint, malgré son étendue, du caractère
de cette exploration et de l’importance extrême de ses résultats, j’ai
eu surtout pour objet, messieurs, comme organe de votre commission,
d’exposer les raisons qui, d’une voix unanime, nous ont fait décerner à
M. Henri Duveyrier la grande médaille d’or que la Société a jusqu’à
présent consacrée chaque année à la découverte la plus importante en
géographie. Nous n’avons pas oublié non plus, messieurs, que les longues
investigations de M. Duveyrier, en même temps qu’elles ont puissamment
servi la science, ont eu aussi des résultats fort importants pour
l’extension de nos rapports avec les tribus intérieures. Servir à la
fois l’honneur scientifique et les intérêts de son pays est un double
titre que réunit M. Duveyrier.

Je n’aurai pas à m’étendre beaucoup, messieurs, sur les voyages qui
auraient pu, en dehors de celui de M. Duveyrier, balancer les suffrages
de votre commission. Il est une classe de travaux et d’explorations
d’une nature tellement spéciale, tellement circonscrite dans leur
nationalité et dans les intérêts qu’ils représentent, les explorations
australiennes, par exemple, et celles des Russes dans l’Asie centrale,
qu’elles restent nécessairement en dehors de nos concours. Parmi les
explorations d’un caractère plus général qui auraient pu entrer cette
année en balance avec celles de notre jeune compatriote, il n’en est
qu’une, une seule, sur laquelle a dû se porter l’attention de votre
commission : c’est le voyage si important du capitaine Speke et de son
compagnon le capitaine Grant à travers la région des sources du Nil. Les
capitaines Speke et Grant ont été les intrépides pionniers de cette
difficile exploration de l’Afrique équatoriale, qui attend maintenant
des investigations plus approfondies. Ils ont, pour la première fois,
traversé la zone inexplorée où se trouvent les sources encore inconnues
du fleuve d’Égypte ; leur voyage restera toujours comme une des
entreprises mémorables de notre époque, comme un des faits importants de
l’histoire des découvertes. Mais, d’une part, les droits de M. Henri
Duveyrier avaient été réservés l’année dernière ; d’autre part, c’est un
devoir pour votre Société d’attendre, avant de prononcer ses jugements,
qu’une lumière complète se soit faite sur les questions. Il est
d’ailleurs permis d’espérer que les deux voyageurs anglais ne
s’arrêteront pas en si brillant chemin, et qu’ils auront quelque jour de
nouveaux titres à ajouter à celui que nous avons cru devoir ajourner
pour cette fois.

Déterminée par ces considérations, messieurs, votre commission décerne
sa grande médaille d’or de 1864 à M. Henri Duveyrier, pour ses
explorations du Sahara algérien, tunisien et tripolitain, ainsi que du
pays des Touâreg. Nous honorons ainsi tout à la fois et l’importance des
résultats obtenus, et la rare énergie en même temps que les hautes
qualités scientifiques dont le voyageur a fait preuve, à un âge où il
est si rare de trouver de tels mérites développés à ce point. En
décernant ce prix si bien acquis, votre commission, messieurs, a obéi à
une double pensée : c’est une récompense pour le passé ; c’est une
espérance pour l’avenir.

[Décoration]


[Note 2 : El-Golêa’a, Methlîli, le pays des Cha’anba explorés d’abord
par M. Duveyrier, relèvent, il est vrai, de la province d’Oran.]

[Note 3 : M. le commandant Colonieu a bien voulu communiquer à M.
Duveyrier la carte itinéraire inédite de son voyage de Géryville aux
oasis septentrionales du Touât ; les renseignements fournis par les
indigènes sur les contrées à l’Ouest de l’Igharghar, s’appuyent donc sur
trois reconnaissances levées avec soin : par M. Boû-Derba, entre Ouarglâ
et El-Beyyodh ; par M. Colonieu, entre Géryville et le Bâten du
Tâdemâyt ; par M. Duveyrier, entre Methlîli et El-Golêa’a.]

[Note 4 : « Auster immodicus exsurgit, arenasque quasi maria agens,
siccis sævit fluctibus. » (_Mela_, I, 8).]

[Note 5 : _Atakôr_ signifie _faîte_. Atakôr-n-Ahaggâr, _faîte du
Ahaggâr_.]

[Note 6 : Dr Barth, _Travels in Central Africa_, I, 567.]

[Note 7 : Les observations barométriques publiées par M. Duveyrier pour
déterminer les altitudes des points de son exploration du pays des
Touâreg du Nord, commencent à El-Ouâd. Celles faites dans l’Ouâd-Righ,
sur les bords du Chott-Melghîgh, et dans le Nefzâoua, c’est-à-dire entre
le point où l’Igharghar se perd dans les lagunes et le golfe de Gâbès,
seront publiées ultérieurement dès que le voyageur pourra les calculer
au moyen des observations correspondantes faites sur le littoral, à
Alger, par M. O. Mac-Carthy.]




                          TECHNOLOGIE INDIGÈNE
                            ARABE OU BERBÈRE
                         DONT IL EST FAIT USAGE
           DANS CET OUVRAGE ET SUR LA CARTE QUI L’ACCOMPAGNE

[Décoration]


                                  SOL.


  Outa, Ouotia ; plaine.

  Reg ; plaine aride et déserte.

  Hofra ; dépression.

  Hamâda, pl. Hamâd ; plateau, plaine unie.

  _Tasîli_[8] ; plateau.

  Bâten (litt. _ventre_) ; montagne ou colline allongée.

  Koudîya ; mamelon isolé (montagne, dans l’Ouest).

  Toûmia, pl. Toûmiât (litt. _jumeaux_) ; mamelons doubles.

  Dra’ (litt. _bras_) ; coteau, colline allongée.

  Râs (litt. _tête_) ; cap.

  Khechem (litt. _nez_) ; pointe de rochers, cap dans le Désert.

  Châreb (litt. _lèvre_) ; crête.

  Kâf ; rocher.

  Djebel ; montagne.

  Djebîl ; petite montagne.

  _Adrâr, Adghâgh_ ; montagne.

  _Tadrârt_ ; petite montagne.

  Gâra, gâret, pl. Goûr ; élévation isolée, témoin géologique du sol
  primitif.

  Fedjdj ; col.

  Thenîya ; col.

  _Téhé_ ; col.

  Khenga, Kheneg ; défilé, passage étroit.

  Khoneïg ; petit défilé.

  _Aghelâd_ ; défilé, passage étroit.

  ’Aqba ; montée.

  Menzel ; descente.


                                SABLES.


  Remel, Ramla ; sable, plaine de sable.

  Ghoûrd, pl. Aghrâd ; haute dune ou montagne de sable.

  Zemla, pl. Zemoûl ; dune allongée.

  Sîf (litt. _sabre_) ; dune allongée à pente roide.

  Guelb, pl. Goloûb ; dune en forme de cœur.

  Guelîb ; petite dune en forme de cœur.

  ’Erg, ’Areg ; collection de dunes, région des dunes.

  ’Arîg ; petite collection de dunes.

  _Adehî_, pl. _Édeyen_ ; sables, collection de dunes.

  _Iguîdi_[9], _Idjîdi_ ; collection de dunes.

  Kheït (litt. _cordon_) ; cordon de dunes.

  Dourîya ; passage tournant autour d’une dune.

  Sahan ; dépression plate.

  Haoudh ; bassin entre des dunes.

  Hafîr ; dépression.


                                 EAUX.

  Bîr, pl. Abiâr (mot oriental) ; puits, puits profond.

  Bouîr, pl. Bouîrât ; puits petit.

  Mouï, Mouïa (litt. _eau_) ; puits.

  Hâssi (mot occidental) ; puits, puits profond.

  Hessî ; puisard.

  ’Ogla (dans l’Ouest) ; puits. (Dans l’Est) ; puits avec un camp
  permanent, et silos à provisions.

  Guettâr, Guettâra ; puits alimenté par des suintements.

  Sânia ; puits à bascule souvent entouré d’un jardin ; jardin.

  Souinîya ; petit puits à bascule.

  Themed ; puisard, puits qui se dessèche.

  _Anou_ ; puits.

  _Tânoût_, _Tânit_ ; puits, petite source.

  _Mâssîn_ ; puits qui donne peu d’eau.

  Fogâra ; puits à galeries d’écoulement horizontales.

  Sâguia ; canal d’écoulement des eaux.

  ’Aïn (litt. _œil_), pl. ’Aioûn ; source.

  ’Aouîna, pl. ’Aouînât ; petite source.

  _Tâla_ ; source.

  _Tit_, pl. _Tittaouîn_ (litt. _œil_) ; source.

  _Temâssint_ ; petite source.

  Rhedîr ; flaque d’eau persistante.

  _Abankôr_ ; flaque d’eau persistante.

  Bahar (litt. _mer_) ; lac permanent.

  _Adjelmam_ ; lac.

  Chott (litt. _rive, rivage_) ; lac salin desséché.

  Sebkha ; lac salin desséché, quelquefois submergé en hiver.

  Dhâya ; grande mare d’eau douce desséchée.

  Guera’a ; grande mare d’eau douce desséchée.

  Guerâra, pl. Guerâir ; bas-fond dans lequel se perd un Ouâd.

  Guereyyir ; petit bas-fond dans lequel se perd un Ouâd.

  Ouâdi, Ouâd, pl. Ouidiân ; rivière, lit de rivière.

  _Aghahar_ ; rivière, lit de rivière (mot ancien).

  _Aghezer_ ; rivière, lit de rivière (mot moderne.)

  Cha’aba, pl. Cha’ab ; ravin.

  _Tâlat_ ; ravin.

  Menkeba ; point où cesse un ravin.

  Defa’a ; point où se perd un ravin.


                               HABITANTS.


  Ouled, pl. Oulâd ; fils.

  _Ou_, pl. _Aït_, _At_ ; fils.

  Ould-Sîdi, Oulâd-Sîdi ; fils de monseigneur.

  _Ou-Sîdi_ ; fils de monseigneur.

  Hâdj, Hadjdji, pl. Hadjâdj ; pélerin, celui qui a fait le pèlerinage
  de la Mekke.

  Ben, pl. Benî ; fils, descendants de.

  Ahel ; gens.

  _Kêl_ ; gens.

  _Tédjéhé_ ; confédération.

  Merâbot, pl. Merâbotîn ; marabout, marabouts.

  Cheïkh, pl. Chioûkh ; vénérable, chef.


                              HABITATIONS.


  Dâr, pl. Diâr ; maison.

  Haouch ; ferme, maison.

  Zerîba, pl. Zerâïb ; cabane en branchages.

  Kheïma ; tente.

  _Ehen_ ; tente.

  Hoûma ; quartier, village. (Mot de l’île de Djerba.)

  Bordj ; fort, château.

  Qaçar, pl. Qeçoûr ; village fortifié.

  Qaçba ; citadelle.

  Zâouiya ; couvent musulman, école, ville religieuse.

  Belâd ; ville, village, pays.

  Kherba, pl. Khoroûb ; ruine.

  Kantara ; pont.


                                DIVERS.


  Ghâba ; verger de dattiers, forêt, oasis.

  Ghoût ; petite oasis.

  Soûk ; marché.

  Mersa, Mers ; port.

  Mi’aâd ; lieu de réunion.

  Hammâm ; bains d’eaux thermales.

  Cherg ; Est.

  Chergui, Cherguîya ; oriental.

  Gharb, Ouest.

  Gharbi, Gharbîya ; occidental.

  Guebla ; Sud.

  Guebli, Gueblîya ; méridional.

  Dahra ; Nord.

  Dahrâni, Dahrânîya ; septentrional.

  Lefa’âya ; séjour des vipères cérastes.

  Boû (litt. _père_) ; possesseur de.

  Oumm, pl. Oummât (litt. _mère_) ; possesseur de.

  Gober, pl. Gueboûr ; tombeau, cimetière.

  Moqsem ; partage d’eaux.

  _Dan_ : fils de, issu de.

  _In_, _En_, _Wân_, _Ouân_, _Ouen_ ; celui de, c’est-à-dire, endroit
  de.

  _Tîn_, _Tân_ ; celle de, localité de.

  _El_, _Ed_, _Edh_, _Et_, _Eth_, _Es_, _En_, _Ez_, représentent
  l’article : le, la, les, du, au, des, aux.

  _D_, _Ed_ ; et.


                   PRINCIPAUX ADJECTIFS QUALIFICATIFS


  Djedîd, Djedîda ; nouveau, nouvelle.

  Qedîm, Qedîma ; ancien, ancienne.

  Ahmar, Hamrâ ; rouge.

  Abiodh, Beïdha ; blanc, blanche.

  _Mellen_, _Mellet_ ; blanc, blanche.

  Kahal, Kâhela ; noir, noire.

  Asoued, Soûda, Sôda ; noir, noire.

  Azreg, Zerga ; bleu, bleue.

  Kebîr, Kebîra ; grand, grande.

  Seghîr, Seghîra ; petit, petite.

  Touîl, Touîla ; long, longue, profonde.

  Asfer ; jaune.

                               * * * * *


[Note 8 : Les noms écrits en lettres _italiques_ appartiennent à la
nomenclature berbère.]

[Note 9 : Mot des Berâber du Maroc.]




                                ERRATA.

                               * * * * *


                         CORRECTIONS GÉNÉRALES.


_Au lieu de_ : ’Abd-el-Kader, Adrar, Afahlehlé, Azel, Cheikh, Chorfa,
Fez, Golea’, In-Ezzan, In-Sâlah, Ismayl, Kadhi, Kasba, Mehyaf, Sahara,
Sanhâdja, Soudan, Targui, Tittaouin, Tlemsen.

_Lire_ : ’Abd-el-Qâder, Adrâr, Afahlêhlé, Azhel, Cheïkh, Chorfâ, Fâs,
Golêa’a, In-Ezzân, In-Çâlah, Isma’yl, Qâdhi, Qaçba, Mehyâf, Çahara,
Çanhâdja, Soûdân, Târgui, Tittaouîn, Tlemsân.


                       CORRECTIONS PARTICULIÈRES.


  PAGES.       _Au lieu de_ :                      _Lire_ :

     III  Milon,                          Millon.

       6  Caillé,                         Caillié.

  6 à 87  Marrès,                         Marès.

      40  il y a retrouvé les             il y a retrouvé quelques
          infusoires,                     infusoires.

      43  pyrogénique,                    pyrogène.

      58  redhîr,                         rhedîr.

      75  Massif de Hâroûdj,              Massif du Hâroûdj.

      76  Freudenbourgh,                  Frendenburgh.

      80  Gharbia,                        Gharbîya.

     111  2 décembre,                     20 décembre.

     112  il y en a 325,                  il y en a 335.

     149  Kerchoud,                       Kerchoûd.

     161  CROTULARIA SAHARÆ,              CROTALARIA SAHARÆ.

     166  au Sud de Maroc,                au Sud du Maroc.

     183  1 mètre,                        1/2 mètre.

     190  _Var_,                          _var_.

     191  ÆRVA,                           AERVA.

     191  Abesgui,                        Abezgui.

     192  Ouâdi-Sa’adan,                  Ouâdi-Sa’adâna.

     194  Tîn-Fedjacuîn,                  Tîn-Fedjaouîn.

     203  Comme le dîs du Tell,           Comme le gueçob du Tell.

     225  _begueur_,                      _beguer_.

     225  _ihinkad_,                      _ihinkâd_.

     226  _meçîci_,                      _meçîçi_.

     227  _arhâtâ_,                       _arhâta_.

     255  Abou l’’Abbâs,                  Aboû’l ’Abbâs.

     262  (voir la planche ci-contre),    (voir la pl. XI, fig. 1, page
                                          252).

     277  voi,                            voit.

     290  ouasis,                         oasis.

     339  du ménage, elle,                du ménage, si elle.

     388  (Pl. XXI), _iod_, _tegherit_,   _iod_, _tegherît_, _iar_.
          _iar_,

     390  (Pl. XXII), no   ,              no 30.

     403  _temankart_,                   _temankaït_.

     404  _taftak_,                       _taftaq_.

     405  _takkaouit_,                    _takhaouit_.

     405  _îméki_,                        _îmekî_.

     408  _tâserhmâlt_,                   _tâserhâlt_.

     427  _tekhôrmit_,                    _tekôrmit_.

     440  _amadjedol_,                    _amadjedâl_.

     448  _amârhelaî_,                    _amârhelâi_.

     458  passait par Telizzarhên, Anaï,  passait par Anaï.

     458  et conduit par,                 et conduits par.

     463  Aiele,                          Alele.

     496  Taibu des Ibôguelân,            Tribu des Ibôguelân.

                               * * * * *




                               ADDITIONS.

                               * * * * *


Page  45  PLANORBIS DUVEYRIERI. Voir au supplément : _Mollusques
          fossiles_, page 25.

      69  Douêssa est un point à l’Ouest de la route de M. le docteur
          Barth, entre El-Hesî et l’Ouâdi-ech-Chiâti, au Sud de la
          Hamâda-el-Homrâ, dans la Tripolitaine.

     150  DIPLOTAXIS DUVEYRIERANA. Voir sa description au supplément :
          _Plantes nouvelles_, page 31.

     161  CROTALARIA SAHARÆ. Voir sa description au supplément :
          _Plantes nouvelles_, page 33.

     182  HYOSCYAMUS FALEZLEZ. Voir sa description au supplément :
          _Plantes nouvelles_, page 35.

     229  Mollusques vivants déterminés après l’impression des
          _Touâreg du Nord_. Voir leur description au supplément, page 1
          et suivantes.

     458  La route garamantique qui passait par Telizzarhên était une
          autre voie que celle passant par Anaï.

                               * * * * *




                            TOUAREG DU NORD

                               * * * * *

                             LIVRE PREMIER.

                  DIVISIONS NATURELLES ET POLITIQUES.
                 GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. — SOL ET CLIMAT.

                               * * * * *




                           CHAPITRE PREMIER.

       DIVISIONS ET LIMITES GÉNÉRALES DES CONFÉDÉRATIONS TOUÂREG.


Cette étude est restreinte aux Touâreg du Nord ; mais, pour la
circonscrire dans les limites que je lui assigne, quelques lignes sur
l’ensemble de la nationalité târguie[10], sur ses divisions
territoriales et politiques, semblent un préliminaire indispensable.

Sous le nom général de Touâreg, nom d’origine arabe et adopté par les
Européens, quoiqu’il soit repoussé par ceux auxquels il s’applique, on
comprend quatre grandes divisions politiques correspondant à quatre
grandes divisions territoriales, savoir :

La confédération des AZDJER ou Kêl-Azdjer[11], au _Nord-Est_, avec le
plateau du _Tasîli du Nord_ et dépendances, pour patrie ;

La confédération des AHAGGÂR ou Kêl-Ahaggâr, au _Nord-Ouest_, dans le
mont _Ahaggâr_ ou _Hoggâr_ des Arabes ;

La confédération d’AÏR ou Kêl-Aïr, plus généralement connue sous le nom
de KÊL-OUÏ, au _Sud-Est_, dans le massif d’_Aïr_, également appelé
_Azben_ ;

La confédération des AOUÉLIMMIDEN, au _Sud-Ouest_, dont le territoire
comprend une portion montagneuse, l’_Adghagh_[12], et une portion plane,
l’_Ahâouagh_.

Les Azdjer et les Ahaggâr constituent les Touâreg du Nord, comme les Aïr
et Aouélimmiden ceux du Sud.

Ces derniers ayant été visités et étudiés avec beaucoup de soin par mon
savant ami et protecteur, M. le Dr Barth[13], je n’ai pas à m’en
occuper, estimant assez belle la part qui m’est dévolue, si je parviens
à combler la lacune de l’exploration de mon illustre devancier.

Quoi qu’il en soit, je constate d’abord un caractère commun aux quatre
confédérations des Touâreg ; c’est que chacune d’elles a adopté comme
centre de sa vie politique un système isolé de montagnes, refuge de son
indépendance et foyer de ses libertés.

Deux de ces massifs isolés, ceux occupés par les Touâreg du Nord,
embrassent les points culminants du plateau central du Sahara et les
points de partage des eaux entre le bassin de la Méditerranée et le
bassin de l’Océan Atlantique ; les deux autres, à un gradin inférieur du
plateau, appartiennent au bassin du Niger.

Entre les quatre massifs, s’étendent de vastes plaines, véritables
déserts arides, tantôt sablonneuses, tantôt rocheuses, tantôt à sol
crayeux, parfois affectant la formation alluvionnaire des bassins salins
des _Sebkha_, le plus souvent se présentant sous la forme d’un sol
caillouteux, très-dur, d’où le nom arabe de _Sahara_ qui signifie _terre
dure_.

S’il est permis d’assigner à chaque confédération, comme étant son
patrimoine propre, le massif de montagnes qu’elle occupe, il devient
impossible d’indiquer, dans les plaines, là où commence, là où finit le
territoire de chacune d’elles et de préciser les limites qui les
séparent de leurs voisins non Touâreg.

Le droit de premier occupant, le seul à invoquer dans ces immenses
terres de parcours, n’a de valeur sérieuse que s’il est appuyé sur une
force capable de le faire respecter. Néanmoins, sous la réserve
d’éventualités qui souvent substituent le fait brutal de l’invasion à la
pratique pacifique d’usages consacrés par le temps, on peut assigner
comme limites générales aux territoires occupés par les quatre
confédérations Touâreg, savoir :

_Au Nord_, 1o une ligne droite partant d’El-Hesî dans le Hamâda-el-Homra
de la Tripolitaine et allant à Ghadâmès ; 2o une ligne, également
droite, partant de Ghadâmès et aboutissant à la limite Nord de la
confédération indépendante du Touât ;

_A l’Ouest_, les rebords oriental et méridional du plateau de Tâdemâyt
et la route des caravanes d’Aqabli à Timbouktou ;

_Au Sud_, une ligne partant de Timbouktou et aboutissant à Oungoua-
Tsammit, au Nord de Zinder ;

_A l’Est_, d’abord une ligne parallèle à la route de Koûka à Mourzouk,
mais d’un quart de degré à l’occident, puis la route directe de Mourzouk
à Tripoli jusqu’à El-Hesî, où nous retrouvons le point de départ.

La limite septentrionale, sur laquelle je devrai revenir, sépare les
Touâreg du Nord des tribus algériennes, les Souâfa, les Rouâgha et les
Chaánba, avec lesquelles ils sont aujourd’hui en bonnes relations après
de longues luttes que l’administration française a fait cesser.

La limite occidentale sépare d’abord les Ahaggâr des oasis du Touât
ainsi que des tribus nomades qui en dépendent, entre autres les Oulâd-
Bâ-Hammou ; puis elle place d’immenses déserts entre les Ahaggâr, les
Aouélimmiden et les tribus nomades, arabes et berbères des rives de
l’Océan Atlantique. Malgré la barrière d’affreuses solitudes que la
Providence a placées entre des ennemis irréconciliables, ils parviennent
néanmoins à se rencontrer quelquefois les armes à la main.

La limite méridionale, telle que je l’ai indiquée, est celle qui
séparait autrefois les Touâreg du Sud de l’ancien empire de Zonghay ;
mais, depuis quelques années, les Aouélimmiden ayant reconquis sur les
Fellâta les deux rives du Niger, jadis occupées par les Zonghay, la
limite doit être reportée plus au Sud.

La limite orientale sépare les Touâreg d’Aïr du peuple Teboû, et les
Azdjer du Pachalik du Fezzân. En cette dernière partie, les Azdjer
occupent des territoires appartenant à la Turquie, mais sans subir sa
domination.

Dans ces limites, l’ensemble des territoires des quatre grandes
divisions du peuple târgui forme, entre l’Afrique septentrionale et
l’Afrique centrale, un immense quadrilatère que le tropique du Cancer
partage en deux moitiés à peu près égales, et que les géographes
connaissent sous le nom de plateau central du Sahara.

Les Touâreg donnent à leur pays le nom général d’_Adjema_, synonyme de
Sahara.

D’après eux, les points de Timissao sur l’Ouâdi-Tarhît, d’Asiou et d’In-
Guezzam sur l’Ouâdi-Tâfasâsset sépareraient les Touâreg du Nord de ceux
du Sud et les deux grandes gouttières d’écoulement des eaux de leur
pays, l’Ouâdi-Igharghar et l’Ouâdi-Tâfasâsset, l’une au Nord, l’autre au
Sud, seraient généralement acceptées, mais non sans quelques exceptions
particulières, comme lignes de démarcation entre les confédérations
orientales et les confédérations occidentales.

Ces divisions générales posées, je rentre dans l’objet spécial de ce
travail : _les Touâreg du Nord_.


[Note 10 : _Touâreg_, au singulier _Târgui_, au féminin _târguia_, en
français _târguie_.]

[Note 11 : _Kêl_ signifie _gens de_ ; souvent, dans le discours, on dit
Azdjer, Ahaggâr, Aïr, pour dire gens d’Azdjer, gens d’Ahaggâr, gens
d’Aïr. Pour simplifier, j’imiterai l’exemple des indigènes.]

[Note 12 : Forme emphatique du mot _adrâr_, montagne.]

[Note 13 : Voir le grand ouvrage de M. le docteur Barth, tomes I, IV et
V des éditions anglaise et allemande.]




                              CHAPITRE II.

                          GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.


La géographie physique du grand plateau central du Sahara offre à
l’observation deux phénomènes caractéristiques qui appellent au même
degré l’attention du voyageur et l’obligent, à son insu, à rechercher la
cause d’exceptions aussi considérables : d’un côté, d’immenses plateaux
dénudés, où la roche, continuellement balayée par les vents, n’est
recouverte de terre végétale que dans les parties abritées ; d’un autre
côté, d’immenses bas-fonds, envahis par les sables, de manière à faire
disparaître le sol primitif et dans lesquels s’amoncellent, en
véritables montagnes, des dunes de 100 mètres et plus de hauteur.

Quoique les dunes occupent peu d’espace dans les territoires parcourus
par les Touâreg du Nord, je ne crois pas pouvoir m’abstenir, avant de
pénétrer dans les régions élevées du plateau central du Sahara, de
chercher à donner une idée, aussi nette que possible, de la zone
qu’elles forment entre la chaîne atlantique et les massifs de
l’intérieur.

Ce chapitre comprendra donc deux paragraphes : l’un spécial à la zone
des dunes, l’autre exclusivement consacré aux parties surélevées des
plateaux, dont les détritus jouent un si grand rôle dans la géographie
physique du Sahara.


                        § Ier. — ZONE DES DUNES.


Les noms suivants ont été donnés aux diverses parties de cette zone par
les populations qui la traversent :


_’Erg_, _’Arg_, _’Areg_ (veines), par les Arabes[14] ;

_Adehî_, au plur. _Edeyen_ (dunes), par les Touâreg ;

_Iguîdi_, _Igdia_, _El-Guédéa_ (dunes), par les Berbères marocains et
sénégaliens.


Cette zone a été reconnue ou traversée, par des voyageurs européens, sur
différents points de son immense étendue, savoir :

_Au Sud de l’Ouâd-Noûn_, entre le Sénégal et le Maroc, du 22° au 23°
latitude N. par M. Panet, en 1850 ; par M. le capitaine Vincent, en
1860 ;

_Au Sud du Maroc_, par René Caillié, en 1828, du 22° au 28° latitude
N. ;

_Au Sud de l’Algérie_, entre les montagnes des Oulâd-Sîdi-Cheïkh et le
Touât, par MM. de Colomb, Colonieu et Marès ; entre El-Golêa’a et le
plateau de Tâdemâyt, par moi, en 1859 ; entre Ouarglâ et la Zaouiya de
Timâssanîn, par M. Isma’yl-Boû-Derba, en 1858 ; entre El-Ouâd et
Ouarglâ, par moi, en 1860 ;

_Au Sud de la Tunisie_, entre El-Ouâd et Nafta, par moi, en 1860 ; entre
El-Ouâd et Ghadâmès, par M. le capitaine de Bonnemain, en 1858 ; par
moi, en 1860 ; par la mission placée sous la direction de M. le
lieutenant-colonel Mircher, en 1862 ;

_Dans la partie Sud de la Tripolitaine_, entre El-Hesî et l’Ouâdi-el-
Gharbi, par M. le docteur Barth, en 1850 ; entre le plateau de Tînghert
et la vallée des Igharghâren, par moi, en 1860 ; entre l’Ouâdi-el-Gharbi
et les lacs du Fezzân, par moi, en 1861.

De plus, j’ai recueilli, par renseignements, de nombreux itinéraires
traversant l’’Erg dans toutes les directions : trente-trois, pour la
zone comprise entre Ouarglâ, Gâbès, Ghadâmès et Timâssanîn ; trois entre
El-Golêa’a et le Touât ; quatre entre le Beni-Mezâb et le Maroc ; trois
entre Géryville et le Gourâra ; enfin des détails très-circonstanciés
sur la limite des dunes au Nord et à l’Ouest des montagnes des Touâreg.

Avec ces éléments, complétant ceux fournis par les autres voyageurs, on
peut aujourd’hui estimer, au moins approximativement, l’étendue et la
direction générales de la zone des dunes, entre la Méditerranée et
l’Océan Atlantique.

Si je ne me trompe, cette zone s’étendrait, avec ou sans interruptions,
du Nord-Est au Sud-Ouest, sur une longueur de 240 myriamètres environ,
du golfe de Gâbès, dans la Méditerranée, au cap Barbas, sur l’Océan
Atlantique, en suivant une direction qui semble commandée par la
disposition réciproque de la chaîne atlantique et du massif des
montagnes des Touâreg. Le plus grande largeur de cette zone serait de 50
myriamètres ; la plus petite, de 5.

Les causes constitutives d’un phénomène géologique aussi étendu seront
étudiées ultérieurement ; pour le moment je me borne à constater ce que
j’ai vu et ce que j’ai appris.

Les indigènes distinguent quatre variétés de formes de dunes :

La _Gâra_ (plur. _Goûr_), sorte de _témoin_, rocheux ou terreux, qui
marque l’ancien niveau du sol primitif :

Le _Ghourd_, vraie montagne de sable qui atteint parfois les dimensions
des montagnes ordinaires ;

La _Zemla_, dune allongée, régulière, affectant la forme d’un dos d’âne,
avec pente normale sur ses deux principales faces ;

Le _Sîf_, dune comparée à la lame d’un _sabre_, semblable à la
précédente, mais en différant par la paroi verticale de l’une de ses
faces.

La Gâra n’est pas une dune proprement dite, car sa base est la roche ou
une terre compacte ; le Ghourd, la Zemla, le Sîf ne sont que des masses
de sables.

Ces différentes formes de dunes sont séparées entre elles par des
dépressions parmi lesquelles les indigènes distinguent aussi quatre
variétés : le _Thenîya_, l’_Ouâd_, le _Haoudh_, le _Sahan_.

Le Thenîya est un col oblong, étroit, resserré entre deux dunes, servant
généralement de passage aux caravanes, mais dont la traversée ne s’opère
pas toujours sans difficulté, car, en raison de leur étroitesse, ces
défilés sont souvent barrés par des amas de sable provenant
d’éboulements ou accumulés par les vents. Alors on doit parfois s’ouvrir
un sentier à lacets en pratiquant à la main un plan incliné qui permette
aux chameaux de prendre pied.

L’Ouâd est une vallée, plus large que le Thenîya, toujours ouverte dans
la direction des vents régnants et formée par eux. Son bas-fond sert de
réservoir aux eaux pluviales, d’où lui a été donné le nom d’_Ouâd_ (lit
de rivière).

Le Thenîya et l’Ouâd prennent le nom de _Dourîya_ (tournant), quand une
dune circulaire oblige la dépression à prendre la forme d’un labyrinthe.

Le Haoudh est un bassin d’une certaine étendue qui laisse quelquefois
plusieurs kilomètres d’intervalle entre une dune et une autre ;

Le Sahan est une dépression plate, dont le palier est généralement
composé de sable en mélange avec du plâtre cristallisé.

C’est dans les bas-fonds des Thenîya, des Ouâd, des Dourîya, des Haoudh,
des Sahan, comparés par les Arabes à un réseau de veines, (’Erg, ’Areg)
que se trouvent les chemins et les puits sans lesquels les dunes
seraient infranchissables.

On aura une idée approximative de l’aspect général des dunes en se
figurant une mer en courroux qu’un miracle aurait instantanément
solidifiée. Les Goûr seraient les pointes de rochers montrant leurs
têtes au milieu des eaux ; les Ghourd, les Zemla et les Sîf, les vagues
que les vents auraient soulevées et dressées au-dessus du niveau
général ; les Thenîya, les Ouâd, les Dourîya, les Haoudh et les Sahan,
les dépressions houleuses séparant les vagues.

Mais quelle que soit la puissance de l’imagination de l’homme, elle ne
peut pas plus se figurer l’émouvant spectacle du chaos des dunes que
celui des mers de glaces à leur dégel. Il faut avoir vu, et, quand on a
vu, renoncer à reproduire ses impressions.

Plus de détails sont nécessaires sur les dunes, les chemins et les puits
de l’’Erg.

Si la pente de quelque Zemla est assez douce pour qu’un homme, s’aidant
de ses mains et de ses pieds, puisse, à la rigueur, la gravir, on peut
affirmer que, ni homme ni animal d’aucune espèce, n’a pu lutter contre
les pentes de quelques Ghourd.

La hauteur des dunes, comme leurs formes, varie à l’infini, depuis celle
d’un petit tertre de 1 à 3 mètres, jusqu’à celle du pic s’élevant à 150
et même 200 mètres.

Ici, la base d’une dune présentera un développement de 4 à 6
kilomètres ; là, elle n’aura pas une centaine de mètres.

Dans les parties de l’’Erg que j’ai parcourues, il n’y a pas une dune
importante qui n’ait un nom propre que tous les bons guides connaissent.

Bien que les vents régnants déplacent continuellement les sables à la
superficie des dunes et en modifient nécessairement la forme, les
proportions, par rapport à la masse, dans lesquelles ont lieu ces
changements sont tellement minimes et inappréciables à l’œil, qu’il faut
la vie d’un homme pour constater quelque différence sensible. Cela se
comprend : le vent opposé remet en place, le lendemain, le grain de
sable déplacé la veille. Cependant, il est incontestable que les dunes
marchent dans la direction des vents alizés, du N.-E. au S.-O.

Il est plus facile de constater le déplacement continuel des sables sur
le terre-plein du sol. En marche, par exemple, lorsque le vent souffle,
un voyageur ne peut suivre la trace des pas de son compagnon, si ce
dernier le devance de quelques mètres seulement. Comme le navire à la
mer qui ne laisse de trace de son sillage que par les résidus de
l’office surnageant à la surface des eaux, de même la caravane ne marque
souvent son passage sur les sables que par les crottins de ses chameaux.

L’absence de tracé de route, l’obligation de cheminer dans des
dépressions sans horizons, le changement d’aspect des lieux, font que
les voyages à travers l’’Erg présentent toujours des difficultés
sérieuses.

Avant d’entrer dans l’’Erg, le Cheïkh-’Othmân, chargé de me conduire
chez les Touâreg, me fit quatre recommandations :

« M’armer de beaucoup de patience et de résignation ;

« Ne pas intervenir dans les discussions des guides ou _khebîr_,
relativement à la marche de la route ;

« Faire provision de beaucoup d’eau ;

« Être libéral envers les guides, envers mes serviteurs et mes
compagnons de voyage. »

L’expérience avait dicté ces conseils à la sagesse du Cheïkh-’Othmân.

Mes compagnons de voyage, connaissant les dangers de la traversée,
recommandèrent leur âme à Dieu, au prophète, à tous les marabouts, en
réclamant leur puissante intervention pour les faire sortir sains et
saufs d’un pays qu’ils qualifiaient de _champ de la mort_.

Des guides sont indispensables pour voyager dans l’’Erg ; quand je
quittai El-Ouâd, l’autorité locale exigea que j’en eusse deux, comme
garantie de sécurité.

La profession de guide est héréditaire dans certaines familles et elle
constitue chez elles une sorte de sacerdoce, car de l’expérience du
guide dépend souvent le salut ou la perte d’une caravane. On juge de
l’importance de cette profession par le respect dont tous les khebîr
sont entourés et par les honneurs qui leur sont rendus au départ et à
l’arrivée de chaque caravane.

La marche à travers les sables n’est pas sans difficultés pour les
chameaux eux-mêmes, et, pour les surmonter, il faut qu’ils y soient
habitués dès leur enfance, si la distance à parcourir est un peu
considérable. L’habitude des sables donne aux pieds de l’animal une
conformation appropriée aux besoins : élargissement de la surface
plantaire, à la façon des palmipèdes, pour ne pas enfoncer ; ongles
aigus et longs, pour éviter les glissements aux montées et aux
descentes.

Quoique les sables soient des éponges qui absorbent les eaux pluviales
et les conservent à l’abri de l’action solaire, la question des puits a
une importance réelle par la profondeur à atteindre pour trouver l’eau,
par la nécessité de les coffrer dans la partie sablonneuse et mouvante
des terrains traversés, par l’obligation d’entretenir ces coffrages et
de couvrir les orifices, si l’on veut prévenir les éboulements et les
ensablements, qui transforment les puits _vivants_ en puits _morts_,
pour me servir de l’expression caractéristique des indigènes.

Entre El-Ouâd et Ghadâmès, j’ai mesuré la profondeur des puits des
stations de ma route ; elle s’élève successivement de 8m 55 à 22m 30,
dernière limite que les indigènes, avec les moyens dont ils disposent,
puissent atteindre.

Le coffrage est fait au moyen de poutrelles de palmier et de fascines en
branchages.

Généralement, on trouve l’eau dès que la pioche du puisatier a traversé
la couche de sable qui recouvre le sol primitif, et généralement aussi
elle est de bonne qualité. Cependant il y a quelques puits dont l’eau
est saumâtre.

L’absence de seuil à l’orifice des puits, malgré le soin de les couvrir,
fait que les vents y amoncellent des sables et des crottins de chameau
qui les comblent ou altèrent la qualité de leurs eaux. Quelquefois
l’abondance des matières étrangères est assez considérable pour qu’à
l’arrivée des caravanes il faille les nettoyer avant d’avoir de l’eau
potable ; pour éviter ce travail très-fatigant et très-pénible, les
khebîr ont toujours le soin d’ordonner de recouvrir les puits d’une
couche de branchages ; mais jamais ce travail n’est fait avec assez de
soin pour empêcher les sables d’y pénétrer. Comment le pourrait-on,
quand on ne peut éviter leur introduction dans les chronomètres les
mieux fermés ?

Le fascinage qui couvre l’ouverture des puits n’est réellement efficace
que pour prévenir les chutes d’hommes ou d’animaux.

Pour abreuver les chameaux, on a des auges en terre argileuse pratiquées
dans les déblais qui ont été tassés à cet effet au moment de l’ouverture
des puits.

Dans toute la région de l’’Erg, le maximum de profondeur des puits
paraît être de 22 à 25 mètres. Quand il y a lieu à creuser plus
profondément, on s’abstient, sans doute à cause des difficultés de
forage et de coffrage ; aussi, dans les parties que j’ai parcourues, les
puits sont limités à la zone la plus rapprochée des lignes de fond des
oasis algériennes. Le reste est complétement dépourvu d’eau.

Sur la carte qui accompagne ce travail, je comprends la presque totalité
de la partie orientale de l’’Erg dans les limites frontières de
l’Algérie. Voici les raisons sur lesquelles s’appuie cette délimitation
nouvelle :

Tous les puits de cette partie de l’’Erg ont été creusés et sont
entretenus par les Souâfa, les Rouâgha et les Chaánba, tribus soumises
au gouvernement de l’Algérie.

Ces tribus sont les seules dont les chameaux aient la pratique de
l’’Erg ; enfin, elles sont les seules chez lesquelles on trouve des
khebîr pour guider les voyageurs.

Les puits de Berreçof, de Bîr-Ghardâya et de Bîr-Djedîd, ainsi que les
territoires de parcours qui en dépendent, appartiennent
incontestablement aux Souâfa, à l’exclusion de tous autres, car toujours
les bergers et les chasseurs de cette tribu y ont leurs campements.

Ces faits, dont l’authenticité est irrécusable, portent dans l’Est la
limite méridionale de l’Algérie, au delà du Sahara tunisien, jusqu’aux
territoires de la Tripolitaine et des Touâreg.

Le nom d’un de ces puits rappelle celui d’un gouverneur de Constantine,
Sâlah-Bey, dont le règne a laissé dans toute la province, par des
institutions et des travaux remarquables, les traces évidentes d’un
grand génie.

Au Sud de Methlîli, sur la ligne que j’ai reconnue en 1859, la limite
est celle des terres de parcours de Chaánba d’El-Golêa’a, limite qui, à
peu de distance au Sud de cette ville, vient se confondre avec celle des
terres de parcours des Touâreg et des Oulâd-Bâ-Hammou, arabes nomades de
la confédération indépendante du Touât.

Les chefs Touâreg, dont j’ai pris l’avis, assignent à leur territoire,
comme limite Nord, les points suivants :

TIN-YAGGUIN, sur la route de Ghadâmès à In-Sâlah, par la voie d’El-
Beyyodh ;

’AÏN-ET-TAÏBA, sur la route d’Ouarglâ à Timâssanîn ;

HAMÂD-EL-’ATCHÂN[15], sur l’Ouâd-Mîya, entre les Touâreg et les Chaánba
d’El-Golêa’a.

La localité de Tigmi, disent-ils, est aux Touâreg.

A moins d’admettre qu’entre ces points et ceux occupés par nos tribus,
il y ait une zone n’appartenant à personne, la presque totalité de
l’’Erg au Sud et au Sud-Est de nos possessions fait partie de l’Algérie.

D’ailleurs, dès que les Touâreg veulent généraliser leurs
déterminations, ils disent : « Les Dunes (El-’Erg) sont aux Souâfa et
aux Chaánba, et les Plateaux au Sud (Hamâd) aux Touâreg. »

Ces derniers revendiquent, comme leur appartenant, le plateau de
Tâdemâyt, quoique les arabes d’In-Sâlah et d’El-Golêa’a y mènent paître
leurs troupeaux.

J’aurai, dans la suite de ce travail, l’occasion d’apporter un nouveau
témoignage à l’appui de celui des Touâreg, en constatant que Ghadâmès
faisait partie de la Numidie et que sa garnison lui était fournie par la
IIIe Légion Auguste, dont le dépôt était à Lambèse.

A l’époque romaine, comme aujourd’hui, la propriété des puits entraînait
celle de la contrée qu’ils pourvoyaient d’eau.

Je terminerai ce que j’ai à dire de la zone de l’’Erg en signalant au
Sud-Est d’Ouarglâ et à l’Ouest de Ghadâmès les ruines d’El-Menzeha et
d’Es-Sohoûd, sur l’emplacement d’une ville fort ancienne, qui, d’après
la tradition, aurait eu jadis une certaine importance, mais dont les
chroniques arabes ne font aucune mention.

J’ignore en quoi consistent ces ruines, à quelle civilisation elles
appartiennent ; je sais seulement qu’elles sont au milieu des dunes et
que l’abandon de la ville est attribué à l’invasion des sables.


                        § II. — MASSIF TOUÂREG.


Vu de haut et d’ensemble, le massif Touâreg offre une série de plateaux
superposés, s’élevant graduellement, par étages, de hauteurs de 500 à
600 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu’à 2,000 mètres environ
d’altitude.

Le Ahaggâr est le point culminant ; viennent ensuite, en contre-bas, le
Tasîli[16] du Nord et la chaîne d’Anhef qui atteignent des altitudes de
1,500 à 1,800 mètres ; sur la circonférence de ces trois points
surélevés on trouve, à un gradin inférieur, le plateau d’Eguéré, la
chaîne de l’Akâkoûs, la chaîne de l’Amsâk, la Hamâda de Mourzouk, la
Hamâda-el-Homra, la Hamâda de Tînghert, le plateau de Tâdemâyt, celui du
Mouydîr, le Bâten Ahenet, le Tasîli du Sud et une Hamâda innomée, à
l’Est du Tâfasâsset, séparative du pays des Touâreg du Nord de celui des
Teboû.

Tout ce pâté constitue, sinon en totalité, du moins en partie, ce qu’on
appelle, en géographie, le plateau central du Sahara.

Dans son ensemble, il présente trois versants qui forment trois grands
bassins, vallées ou gouttières d’écoulement des eaux pluviales vers la
mer : un versant méditerranéen qui embrasse toutes les têtes de l’Ouâdi-
Igharghar ; un versant nigritien, à l’opposite du précédent, dont toutes
les eaux se réunissent dans l’Ouâdi-Tâfasâsset, affluent du Niger ;
enfin un versant occidental que j’appellerai atlantique, parce que,
malgré l’obstacle des dunes d’Iguîdi, ses eaux doivent aboutir à l’Océan
Atlantique par l’Ouâdi-Dráa.

Quelques lignes sur les principaux reliefs de ce pâté doivent compléter
cette énumération.

_Ahaggâr_ : Le Ahaggâr est le point le plus élevé du plateau central du
Sahara, dont il forme la tête occidentale. D’après un plan en relief
dressé dans le sable par le Cheïkh-’Othmân lui-même, ce serait un
immense plateau, de forme circulaire, se prolongeant vers le Nord, sous
le nom de Tîfedest, en forme de promontoire, jusqu’au mont Oudân que les
indigènes qualifient de _nez du Ahaggâr_. Ce massif s’élève par gradins
superposés, couronnés eux-mêmes par un dernier plateau, l’Atakôr-n-
Ahaggâr (_faîte du Ahaggâr_), au centre duquel se dressent deux pics
jumeaux, Ouâtellen et Hîkena, que je n’hésite pas à considérer ainsi que
l’Oudân comme des puys volcaniques analogues à ceux de l’Auvergne.
D’autres puys ou pics isolés, volcaniques ou non, existeraient aux
étages inférieurs de la montagne, ceux d’Aheggar, d’Ilamân, de Tahât,
sur le gradin intermédiaire ; ceux de Tasnao, de Téhé-n-Akeli, de
Tâhela-Ohât, de Serkout, sur le gradin inférieur.

_Tasîli du Nord_ : Ce tasîli, généralement connu sous le nom de Tasîli
des Azdjer, pour le distinguer d’un autre tasîli sis au Sud du Ahaggâr,
est un grand plateau, ainsi que l’indique son nom, mais très-accidenté,
car de nombreuses vallées, étroites et encaissées, le découpent en caps
allongés, surtout sur son rebord Nord. Son rebord Sud, plus élevé que le
précédent, est comme le Ahaggâr couronné d’un plateau supérieur,
l’Adrâr, dominé lui-même par le pic d’In-Esôkal, certainement un puy
volcanique. Divers plateaux secondaires ou pitons isolés marquent le
relief de ce massif. Je cite entre autres : Takarâhet, Asâdjen,
Tâfelâmin, Atafeyfagh, Tinaorherh, Têlout, Eselî, Aderedj, Mezzerîren,
Tahônt-Terohet, Eguelé, Adjer. A l’aval de ces points culminants et dans
les lignes de fond des ouâdi sont de nombreux lacs persistants dont
l’existence, en pareil lieu, ne s’explique que par la transformation
d’anciens cratères en réservoirs d’eau.

La forme du Tasîli du Nord est celle d’un grand carré long, isolé, dont
les murailles s’élèvent presque verticalement à pic au-dessus du milieu
environnant.

_Chaîne d’Anhef_ : Cette chaîne, entièrement isolée aussi, semble un
coin jeté entre le Ahaggâr et le Tasîli du Nord. M. le docteur Barth,
qui a traversé son faîte entre les origines du Tâfasâsset, la représente
couronnée de pics, comme le Tasîli et le Ahaggâr. Sans doute, cette
chaîne est aussi due à la même formation volcanique. Ce qu’on dit de la
localité de Tâdent, campement renommé pour l’abondance de ses eaux et la
richesse de sa végétation, l’assimile encore davantage au Tasîli et au
Ahaggâr.

_Plateau d’Eguéré_ : Plus encore que l’Anhef, le petit plateau d’Eguéré
ressemble à un coin, interposé entre le Tasîli, le Mouydîr et le
Ahaggâr, comme pour les séparer. On le prendrait volontiers pour un
fragment détaché de l’un de ces trois massifs, au moment de la
dislocation, par l’action souterraine du feu, du grand plateau central
du Sahara.

_Chaîne de l’Akâkoûs_ : Presque parallèle au rebord oriental du Tasîli
dont la gorge d’Ouarâret la sépare, la chaîne de l’Akâkoûs, peu large,
mais étendue du Nord au Sud, est un massif de rochers infranchissable et
peu connu, même des indigènes, car ils redoutent de s’y égarer. Ils
citent cependant la localité de Tâderart comme ayant dû être un ancien
centre d’habitation, car on y remarque des myrtes, nécessairement
introduits par la culture, et des sculptures rupestres importantes,
indices d’une civilisation disparue.

_Chaîne de l’Amsâk_ : Je donne ce nom, en cela d’accord avec les
indigènes, au rebord rocheux du grand plateau de Mourzouk, parce que sa
traversée, dans certaines parties, offre les difficultés d’une véritable
chaîne de montagnes. L’Amsâk nous est connue dans sa partie Ouest par le
voyage de M. le docteur Barth et dans sa partie Nord par mes
reconnaissances, entre le désert de Tâyta et l’Ouâdi-ech-Chergui. Ses
prolongements au Sud et à l’Est sont encore inconnus.

_Hamâda de Mourzouk_ : Quoique de nombreux voyageurs aient traversé ce
plateau dans toutes les directions, ses limites orientales et
méridionales sont vaguement indiquées, sans doute parce qu’il se
continue sans ligne de démarcation tranchée jusqu’au Hâroûdj-el-Abiodh
dans l’Est, et vers le Sud jusque dans une partie du Sahara encore
inexplorée.

Le caractère de ce plateau est d’être uniformément plat, sauf quelques
dépressions, bas-fonds d’anciens lacs desséchés, dans lesquelles sont
les oasis de l’Ouâdi-’Otba, de la Hofra et de la Cherguîya.

On pourrait à la rigueur considérer cette hamâda comme une prolongation
orientale du plateau du Tasîli des Azdjer.

_Hamâda-el-Homra_ : Partie seulement de cette hamâda, nommée le _plateau
rouge_ à cause de sa couleur, appartient aux Touâreg, mais,
géographiquement, elle ne saurait en être distraite, car elle sert
d’assise inférieure aux massifs du Sud et les relie aux formations
volcaniques du Hâroûdj-el-Asoued, de la Sôda, de la Syrte et du Djebel-
Nefoûsa.

Rien ne donne l’idée du désert, dans sa monotone nudité, comme cette
hamâda : ni une goutte d’eau, ni une plante, ni un insecte ne s’y
rencontrent. La puce elle-même ne peut y vivre, et la limite Nord de ce
plateau est la limite méridionale de ce parasite. A la place de tout ce
qui réjouit la vue du voyageur en d’autres pays, on a là la roche nue,
une chaleur réfractée accablante, des vents que rien ne brise, pas même
d’horizon, tant la hamâda est grande, de sorte que l’uniformité de la
désolation est absolue.

_Hamâda de Tînghert_ : Tînghert signifie _pierre à chaux_. Cette hamâda,
sur laquelle est assise la ville de Ghadâmès, n’est, en réalité, qu’une
continuation à l’Ouest de la Hamâda-el-Homra, sous un nom différent,
l’un arabe, l’autre berbère, à cause de la nature différente de la roche
de sa base. Au Nord-Est, ce plateau commence au pied du Djebel-Nefoûsa,
pour finir au Sud à la dépression d’Ohânet, tête des eaux de Timâssanîn.
Dans l’Ouest comme dans l’Est ses limites sont indéterminables, car tout
indique qu’il se continue sous les sables de l’’Erg jusqu’aux plateaux
de Tâdemâyt, des Cha’anba et des Benî-Mezâb, dans le Sahara algérien.

_Plateau de Tâdemâyt_ : Ce bas plateau, compris entre l’’Erg, le Touât
et les étages supérieurs du massif des Touâreg, joue un certain rôle
dans l’hydrographie de cette partie du Sahara. Par son rebord
occidental, qui porte le nom de Bâten, et par sa tête (Râs Tâdemâyt),
sise à l’angle Sud-Ouest du vaste quadrilatère qu’il forme, il donne au
Touât les eaux qui alimentent ses trois cents villages et arrosent les
forêts de palmiers qui les environnent ; par l’éventail de son versant
Nord-Est, il fournit à l’Ouâd-Mîya, _la rivière des cent sources_, les
nombreuses origines qui lui ont valu ce nom.

Un rebord nettement accentué limite ce plateau sur ses quatre faces et
protége la partie du Touât qu’il abrite contre l’invasion des sables de
l’’Erg.

_Plateau du Mouydîr_ : Ce plateau, qui semble former dans le Nord-Ouest
le pendant de la chaîne d’Anhef dans le Sud-Ouest, est remarquable par
sa forme oblongue, concave sur un de ses rebords, convexe sur l’autre,
et surtout par le pic d’Ifettesen qui en occupe le centre, probablement
un puy volcanique aussi[17], et d’où partent, dans trois directions
opposées, l’Ouâdi-Rharîs, affluent de l’Igharghar, l’Ouâdi-Tîrhehêrt et
l’Ouâdi-Akâraba, qui vont se perdre dans les sables de l’Ouest.

_Bâten Ahenet_ : Bâten est une expression technique de géographie
saharienne, comme hamâda, tasîli, adrâr ; elle indique un relief du sol,
allongé et peu considérable. Celui d’Ahenet, orienté Sud-Est et Nord-
Ouest, occupe le centre d’une hamâda entre le Ahaggâr, le Mouydîr, le
Touât, les dunes d’Iguîdi, le Tânezroûft et le Tasîli du Sud.

_Tasîli du Sud_ : Le Tasîli du Sud, qu’on désigne aussi sous le nom de
Tasîli des Ahaggâr, pour le distinguer de celui des Azdjer, est un
plateau rocheux, sans eau, sans végétation, presque inconnu des
indigènes eux-mêmes, tant il est inhospitalier. Les chameaux qui s’y
égarent, disent les Touâreg, ou périssent ou deviennent sauvages, car
personne ne veut exposer sa vie pour aller les rechercher.

Ce tasîli sépare le Ahaggâr de l’Adghagh des Aouélimmiden.

De ces détails, je passe à l’examen de la cause qui a déterminé ces
reliefs.

J’ai attribué à un soulèvement volcanique la formation isolée de chacun
de ces plateaux ; mon opinion à cet égard est basée, pour les points les
plus remarquables, sur des témoignages géologiques.

La présence certaine de roches pyrogènes[18] dans les massifs du Ahaggâr
et du Tasîli, ainsi que dans les montagnes de la Sôda au Sud de Sôkna et
du Hâroûdj à l’Est d’El-Fogha ; la situation de ces quatre massifs, sur
une même ligne courbe, me portent à penser que le soulèvement de ces
montagnes peut très-bien être dû au même effet volcanique, quoiqu’elles
soient à de grandes distances les unes des autres. Cette appréciation,
si elle était confirmée, s’accorderait parfaitement avec les nouvelles
découvertes sur l’action circulaire des tremblements de terre.

La distribution géographique des roches volcaniques dans cette partie du
continent africain nous montre l’action du feu souterrain commençant à
la grande Syrte où l’on connaît des mines de soufre, se continuant à
Ghariân où percent quelques roches de basaltes et se prolongeant jusqu’à
la Sôda et au Hâroûdj, pour reparaître dans le Tasîli et le Ahaggâr chez
les Touâreg.

La zone de ces formations est d’autant plus large qu’elle s’avance plus
vers le Sud-Ouest.

Telle est la charpente du pays des Touâreg du Nord, je devrais dire son
squelette, car les plateaux et les montagnes sont presque toujours
décharnés.

Entre ces montagnes et au pied de leurs versants, se trouvent des
plaines et des vallées qui complètent l’ensemble du territoire.

Ces plaines sont : Amadghôr, Admar, Ouarâret, Tâyta, Ouâdi-Lajâl,
Igharghâren et Adjemôr.

_Plaine d’Amadghôr_ : Cette plaine, connue sous le nom de _Reg_ (la
plaine), est un long couloir entre le Ahaggâr, la chaîne d’Anhef et le
Tasîli du Nord ; elle appelle l’attention à plus d’un titre.

Au centre est une sebkha ou lac salin desséché qui donne, en grande
abondance, un sel excellent, jadis utilisé, mais dont l’exploitation est
aujourd’hui abandonnée, par suite de l’insécurité qui règne dans la
contrée.

Jadis aussi une foire annuelle, remplacée depuis par celle de Rhât, se
tenait sur les bords de la saline, et une grande voie de communication
directe entre Ouarglâ, Agadez et le Soûdân, très-fréquentée par les
caravanes, la traversait dans toute sa longueur.

Comme il n’y a, dans le Sahara occidental, que quatre salines pour
alimenter de sel cinquante millions de nègres qui en ont le plus grand
besoin, il y a lieu d’espérer la réouverture prochaine du marché
d’Amadghôr, car, au dire des indigènes, le sel de cette contrée est
aussi beau que celui de la sebkha d’Idjîl, et supérieur à ceux de
Taodenni et de Bilma. C’est au gouvernement de l’Algérie, qui a le plus
grand intérêt à rétablir des relations directes avec le Soûdân, à hâter
le moment où la paix permettra de reprendre l’exploitation abandonnée.
Les quatre confédérations des Touâreg le désirent vivement ; déjà les
Kêl-Ouï de l’Aïr, dont les caravanes ont souvent été pillées à Bilma,
sont entrés en pourparlers avec les Azdjer et les Ahaggâr à cet effet.

La plaine d’Amadghôr doit être très-élevée au-dessus du niveau de la
mer, car elle est, avec le Ahaggâr et le Tasîli des Azdjer, un des
points de partage d’eau entre le bassin du Niger et celui de la
Méditerranée. La ligne séparative des deux bassins est jalonnée par une
série de petits monts isolés qui semblent relier le pic ahaggârien du
Serkoût au mont tasîlien d’Ounân et servir de trait d’union entre les
volcans éteints du Ahaggâr, ceux du Tasîli et même de l’Anhef.

La sebkha d’Amadghôr ne paraît plus communiquer aujourd’hui avec le lit
de l’Igharghar, mais, si elle ne lui fournit plus d’eau, elle donne
encore à tout le bassin les principes salins qui sont un des caractères
communs des puits et des chott échelonnés sur tout le parcours de
l’ouâdi.

_Plaine d’Admar_ : Resserrée entre le Tasîli et la chaîne d’Anhef, la
plaine d’Admar aboutit, par son extrémité occidentale, à celle
d’Amadghôr et, par son extrémité orientale, elle va se confondre avec un
désert sans nom, une hamâda, qui sépare le pays des Touâreg de celui des
Teboû.

_Vallée d’Ouarâret_ : Une partie porte le nom d’Aghelad-wân-Azârif,
_défilé de l’alun_, parce qu’on y trouve des affleurements de ce sel.
Cette vallée n’est en réalité qu’une large gorge qui sépare le Tasîli de
l’Akâkoûs et par laquelle passe la route de Ghadâmès à Rhât. En raison
de cette grande voie de communication, elle a une importance réelle dans
la géographie physique du pays.

_Plaine de Tâyta_ : Aride, sans aucune végétation, couverte de cailloux,
elle est plutôt un désert séparatif, participant de la nature des hamâd,
qu’une plaine proprement dite, car les indigènes ne réservent ce nom
qu’aux parties abritées de leur territoire et dans lesquelles les
alluvions des plateaux environnants permettent à la végétation de s’y
développer. J’ai considéré ce désert comme une plaine parce qu’il est
dominé par l’Akâkoûs et l’Amsâk entre lesquels il est situé.

_Vallée de l’Ouâdi-Lajâl_ : Cette vallée, comprise entre l’Amsâk et les
dunes d’Edeyen, est couverte d’oasis, de forêts de palmiers et de
gommiers. Dans sa partie occidentale, par laquelle elle communique avec
la plaine de Tâyta, elle prend le nom d’Ouâdi-el-Gharbi, et, dans sa
partie orientale, celui d’Ouâdi-ech-Chergui. La nature de son sol
rappelle celle des terres alluvionnaires de l’Ouâd-Rîgh, terres légères,
un peu salines, parfaitement propres à la culture.

Au Nord et au Sud de cette vallée principale on trouve deux petites
vallées isolées, de même nature, l’Ouâdi-ech-Chiati et l’Ouâdi-’Otba.

La Hofra (dépression) de Mourzouk et les oasis de la Cherguiya rentrent
aussi dans le même système de formation.

_Plaine des Igharghâren_ : Igharghâren[19], _les rivières_, est le
pluriel d’_Igharghar_, nom que porte la grande vallée d’écoulement des
eaux de tout le versant méditerranéen du massif des Touâreg. On a appelé
ainsi la vaste plaine qui longe le pied Nord du Tasîli, de Tîterhsîn à
Timâssanîn, parce qu’elle reçoit toutes les rivières qui descendent du
plateau et forment la tête orientale de l’artère principale du pays.

Cette plaine basse, abritée des vents du Sud, riche en alluvions et en
eaux à peu de profondeur, est le refuge des Touâreg Azdjer dans les
années calamiteuses, c’est-à-dire dans les périodes de longues
sécheresses.

Sa pente générale est du Sud-Est au Nord-Ouest, mais cette pente semble
ne plus être continue aujourd’hui ; dans le haut, des amas d’alluvions,
arrêtés à mi-chemin de leur course, ont transformé cette vallée en
plusieurs bassins ; dans le bas, des dunes de sables la barrent et
l’empêchent de communiquer à ciel ouvert avec le lit de l’Igharghar,
mais la communication souterraine des eaux a toujours lieu comme dans
les temps anciens.

La nature de son sol est une terre sablonneuse, micacée.

_Plaine d’Adjemôr_ : La plaine d’Adjemôr, orientée Est et Ouest, avec
pente à l’Ouest, est comprise entre les plateaux de Tâdemâyt au Nord et
du Mouydîr au Sud. Par son extrémité occidentale, elle aboutit au
Tidîkelt, l’une des confédérations du Touât.

Cette plaine est, dans l’Ouest, pour les Ahaggâr ce que celle des
Igharghâren, dans l’Est, est pour les Azdjer, c’est-à-dire un lieu de
refuge dans les années de sécheresse, car l’Ouâdi-Akâraba, avec ses
nombreux affluents du Sud et du Nord, est réputé pour l’abondance de ses
eaux souterraines. On dirait que, dans le Sahara, la Providence ait
voulu soustraire les eaux à l’action dévorante du soleil en remplaçant
les rivières à ciel ouvert de nos climats par des rivières souterraines.
Cette particularité, bien connue des indigènes, est appelée par eux
_Bahar-taht-el-Ardh_, mer sous terre. Le géographe doit tenir compte de
cette particularité dans la détermination des lits de ces rivières.


[Note 14 : Caillié écrit _Helk_, mais, par la description de la contrée
à laquelle il donne ce nom, il est facile de reconnaître qu’il a mal
entendu le mot _’Erg_.]

[Note 15 : Hamâd-el-’Atchân est situé près de Tîn-Fedjaouîn ; c’est un
point très-facile à trouver, car on y signale des peupliers blancs
(_safsaf_), arbres exceptionnels à cette latitude.]

[Note 16 : _Tasîli_ signifie _plateau élevé et accidenté_ ; _hamâda_
désigne un _plateau large, plat et bas_ ; _bâten_ est une expression
géographique propre au Sahara, qui correspond au mot _colline_.]

[Note 17 : Je suis d’autant plus disposé à croire à la formation
volcanique du pic d’Ifettesen, que dans la plaine d’Adjemôr, au pied du
plateau, se trouve une source sulfureuse, Dhâyâ-el-Kâhela.]

[Note 18 : Le massif d’Aïr aussi renferme des roches pyrogènes.]

[Note 19 : Le radical _ghar_, _ghor_, _ghir_, _gher_, signifie _eau qui
ruisselle_. Dans le mot Igharghar on a répété deux fois le radical pour
produire le son imitatif de l’eau quand elle coule avec rapidité.]




                             CHAPITRE III.

                             HYDROGRAPHIE.


Du Ahaggâr et du Tasîli descendent trois longues vallées : l’une au
Nord, l’Ouâdi-Igharghar ; l’autre au Sud, l’Ouâdi-Tâfassâset ; la
troisième à l’Ouest, l’Ouâdi-Tîrhehêrt. Elles méritent une attention
particulière comme principales gouttières d’écoulement des eaux de cette
partie du Sahara. Les lits de ces ouâdi, aujourd’hui à sec, ont dû être
autrefois des rivières importantes.

_Ouâdi-Igharghar_ : L’Ouâdi-Igharghar, sorti d’un des points culminants
du Ahaggâr, reçoit une grande partie des eaux de ce massif et de celui
du Tasîli du Nord ; à son issue des montagnes, il traverse, du Nord au
Sud, l’extrémité occidentale du plateau de Tînghert, la région des dunes
de l’’Erg, passe un peu à l’Est d’Ouarglâ et vient se perdre à Goûg,
village le plus méridional de l’Ouâd-Rîgh, après un cours de 1,000
kilomètres au moins.

A l’endroit où le lit de l’Igharghar se perd dans la dépression de
l’Ouâd-Rîgh, qui, en somme, n’en est que la prolongation, il existait
jadis un petit hameau, celui de Sîdi-Boû-Hânia, aujourd’hui ruiné, près
duquel on trouve encore une Ghâba (forêt) de palmiers dans le bas-fond
d’une sebkha et la Goubba où est enterré le marabout qui a donné son nom
à la localité.

Sur tout le cours de cette longue vallée, les puits creusés dans son lit
ne fournissent qu’une eau salée et amère comme celle de la sebkha de
Sîdi-Boû-Hânia et d’une partie des puits artésiens de l’Ouâd-Rîgh,
tandis que les puits creusés en dehors du lit, sur les berges de la
vallée, en donnent de bonne qualité.

La direction générale du bassin de l’Igharghar, du Sud au Nord, la
cessation de son lit à l’entrée de la dépression de l’Ouâd-Rîgh, la
nature similaire des eaux des puits creusés dans son lit avec celles des
eaux souterraines de Tougourt permettent de conclure que la nappe
artésienne constatée dans la ligne de bas-fonds de l’Ouâd-Rîgh est
alimentée par les eaux du Ahaggâr et du Tasîli.

Cette nappe artésienne, qu’on croyait, jusqu’à ce jour, limitée aux
bassins des oasis de l’Ouâd-Rîgh et d’Ouarglâ, paraît se prolonger plus
au Sud au delà de la zone de l’’Erg ; car, à Timâssanîn, à l’extrémité
occidentale de la dépression d’El-Djoua, existe un puits artésien,
aujourd’hui très-mal entretenu et à peu près comblé, mais dont M.
Isma’yl-Boû-Derba a constaté l’existence en se rendant à Rhât. C’est
avec les eaux de ce puits que les serviteurs de la Zaouiya de Timâssanîn
arrosent leurs cultures.

Ce fait, confirmatif d’ailleurs d’autres indications, me porte à croire
que des forages artésiens pourraient être tentés, non sans chance de
succès, au delà de l’’Erg, notamment dans la dépression d’El-Djoua, vers
Ohânet, et sur toute la ligne de la grande vallée des Igharghâren, entre
Timâssanîn et Rhât, au pied des versants du Tasîli.

Dans la vallée d’Ouarâret, à Ihanâren, et au delà de l’Akâkoûs, à
Serdélès, à la tête même des eaux du bassin, des puits artésiens
existent ; on peut donc, sans trop de présomption, espérer le succès de
semblables puits en contre-bas.

L’intérêt géographique qui s’attache au passage de l’Ouâdi-Igharghar à
travers les dunes de l’’Erg m’a engagé à recueillir le plus de
renseignements possibles sur le cours de cette rivière dans cette
région. Voici ceux qui m’ont été fournis par le Cheïkh-’Othmân,
propriétaire et chef de la Zaouiya de Timâssanîn :

A une grande journée de marche de Timâssanîn, droit au Nord, un puits a
été creusé sur la rive droite de l’Igharghar, par El-hâdj-el-Bekri, père
du Cheïkh-’Othmân. Ce puits porte le nom de Tânezroûft, du nom de la
localité.

A six journées au Nord de ce puits, dans le lit de la rivière, se trouve
la source salée d’’Aïn-El-Mokhanza.

En aval, en un point où l’ouâdi prend le nom arabe d’Ouâdi-es-Sâoudy,
est un second puits, celui de Meggarîn.

A six kilomètres en descendant le cours de l’ouâdi, est le puits d’El-
Khadrâya.

A trois kilomètres, dans le thalweg même, se trouve la source d’El-
Khadra ; là encore, la rivière change de nom et devient l’Ouâd-Chegga.

A El-Metekki, à douze kilomètres d’’Aïn-El-Khadra, est un quatrième
puits.

A égale distance, un cinquième se nomme Bey-Sâlah.

Entre ce point et Sîdi-Boû-Hânia, se trouve un dernier puits, celui de
Matmata.

En allant d’El-Ouâd à Ouarglâ, j’ai traversé le bas-Igharghar, au puits
de Bey-Sâlah, et je lui ai trouvé un lit large et profond, sur la nature
duquel il n’est pas permis de se tromper, car on y reconnaît facilement
des alluvions provenant de contrées autres que celles de l’’Erg.

Un intérêt géographique, non moins grand, s’attache à la détermination
précise des origines de cet immense bassin. Ma confiance dans les
renseignements que m’ont fournis les Touâreg à ce sujet est égale à
celle en mes observations personnelles, car tous les Sahariens sont
d’excellents hydrographes.

Voici les déterminations que je considère comme exactes :

La source la plus méridionale de l’Igharghar, celle qui fournit des eaux
à la ville d’Idèles, sort de l’Atakôr-n-Ahaggâr.

Du flanc Nord-Est de cette montagne naissent d’autres affluents qui,
après avoir longé ou traversé la plaine d’Amadghôr[20], viennent se
réunir au lit principal.

Le Mouydîr et le rebord occidental du Tasîli, entre lesquels l’Igharghar
marche dans une vallée encaissée, y déversent les eaux de leurs nombreux
ravins.

A la hauteur d’El-Bîr, au Sud-Ouest de Timâssanîn, on reconnaît l’amorce
de la tête orientale, celle alimentée par les nombreux Igharghâren qui
descendent des points les plus élevés du Tasîli et donnent leur nom à la
plaine qu’ils traversent.

Cette tête se prolonge dans l’Est au delà du Tasîli, car la vallée
d’Ouarâret, celle du Tânezzoûft, celle de l’Ouâdi-Serdélès et la partie
occidentale du désert de Tâyta, appartiennent aussi au même bassin, bien
que des barrages d’alluvions et de dunes en fassent autant de bassins
secondaires fermés aujourd’hui.

Indépendamment de ces deux têtes principales, l’Igharghar reçoit : sur
sa rive droite, à travers les sables, toutes les gouttières du plateau
de Tînghert et de l’immense bassin de l’’Erg ; sur sa rive gauche, les
eaux du Tâdemâyt par l’Ouâd-Miya, celles du plateau des Chaa’nba par de
nombreux ravins, celles du plateau des Benî-Mezâb par l’Ouâd-Mezâb,
celles de la chaîne atlantique même par l’Ouâd-Djedi. Il est vrai que
tous ces ouâd, aujourd’hui envahis par des sables ou des alluvions,
n’envoient plus leurs eaux au lit principal du bassin que par des
filtrations souterraines qui ont transformé un grand fleuve en nappes
artésiennes, alimentant ou des puits jaillissants ou des lacs vaseux
successivement échelonnés jusqu’à la mer sur le parcours de l’ancien
lit.

Nous verrons plus loin que cette situation ne date pas d’hier.

_Ouâdi-Tâfasâsset_ : A quelques kilomètres au Sud des points où
l’Igharghar prend ses nombreuses sources, on est à peu près certain de
trouver autant d’origines du Tâfasâsset.

Ses affluents supérieurs partent, les uns du Ahaggâr, les autres du
Tasîli, et voyagent isolément dans deux lits séparés jusqu’en un désert,
au Sud-Ouest des puits d’Asiou, où ils se réunissent.

La branche orientale, après avoir reçu tous les ouâdi qui descendent du
plateau de Tasîli et de la chaîne d’Anhef, en longeant le pied de cette
chaîne, change de direction à partir du puits de Falezlez pour prendre
celle du Sud ; à la hauteur des puits d’Asiou, elle se détourne vers le
Sud-Ouest pour se joindre à la branche occidentale, l’Ouâdi-Tin-Tarâbin,
dont la direction générale est Nord et Sud, et gagner l’Ahaouagh, au
centre du pays des Aouélimmiden.

D’après le Cheïkh-’Othmân, l’Ouâdi-Tâfasâsset, dans son cours inférieur,
recevrait sur ses deux rives de nombreux affluents venant des montagnes
de l’Adghagh dans l’Ouest et de celles d’Azben dans l’Est.

Je n’ai pu savoir de mes informateurs si cette rivière atteignait le
Niger, dont le pays d’Ahaouagh est limitrophe. Cela est très-probable,
même dans l’état actuel, quoique, faute d’un courant d’eau qui
l’entretienne, le lit des rivières sahariennes ne soit pas toujours
nettement marqué. M. le docteur Barth indique au Sud et à l’Est de Saï
des ouâdi dont l’un pourrait bien être le confluent du Tâfasâsset dans
le Niger. Une étude spéciale du pays des Touâreg du Sud pourra seule
nous apprendre si la communication existe d’une manière continue.

Quoi qu’il en soit, un fait important est désormais acquis à la
géographie physique du Sahara : c’est que les massifs du Ahaggâr et du
Tasîli ont formé jadis un partage d’eau entre la Méditerranée, par le
golfe de Gâbès, et l’Océan Atlantique, par le Niger et le golfe de
Benin.

_Ouâdi-Tîrhehêrt_ : Selon toute probabilité, une troisième grande vallée
formée à son origine des bassins de l’Ouâdi-Tîrhehêrt et de l’Ouâdi-
Akâraba, partirait du Mouydîr pour aller, dans l’Ouest, aboutir au lac
Debaya et, de là, déverser les eaux du versant occidental du massif du
Ahaggâr dans l’Océan Atlantique par le canal de l’Ouâd-Dráa.

Mais, pour arriver à l’Ouâd-Dráa, ces eaux auraient à traverser les
dunes d’Iguîdi, et le bassin même de la vallée disparaîtrait sous des
masses de sables.

Dans cette hypothèse, les eaux qui descendent de l’Atlas marocain par
les lits de l’Ouâd-Messaoura, de l’Ouâd-Guîr, de l’Ouâd-Tafilelt, et qui
se perdent aujourd’hui dans les sables, se réuniraient souterrainement à
celles de l’Akâraba et du Tîrhehêrt pour aller alimenter le grand lac du
Sahara marocain, comme celles de l’Igharghar, après de nombreuses
disparitions et réapparitions, se retrouvent dans le Rîgh, le Melghîgh
et les chott du Sud de la Tunisie.

Malheureusement, les déserts compris entre le pays des Touâreg et le
grand lac de l’Ouâd-Dráa n’ont été explorés par aucun européen et sont
même très-peu connus des indigènes, et à défaut d’indications plus
précises, je ne dois pas aller au delà des informations des hommes qui
connaissent le mieux la géographie de cette partie du Sahara.

D’après le Cheïkh-’Othmân, « l’Ouâdi-Tîrhehêrt, que les Touâreg du
Ahaggâr appellent Tîrhejîrt et les Aouélimmiden nomment Teghâzert,
prendrait sa source au point culminant du Mouydîr, dans la grande
montagne d’Ifettesen qui donne aussi naissance à l’Ouâdi-Akâraba et à
l’Ouâdi-Rharis ; puis, dès sa sortie de la montagne, il se dirigerait
droit à l’Ouest, pour aller passer entre In-Zîza et Ouâllen en coupant
le Bâten Ahenet. Il entrerait dans le Tânezroûft en un endroit appelé
Sedjendjânet et de là tournerait au Nord pour aller se perdre dans les
dunes d’Iguîdi en se dirigeant vers le bassin de l’Ouâd-Dráa où les
sables l’empêchent d’arriver.

« Au delà de Sedjendjânet, le cours de cet ouâdi est peu connu, car il
traverse alors des terrains inhabités et parcourus seulement par les
voleurs de grands chemins. »

_Ouâdi-Akâraba_ : Parallèle à l’Ouâdi-Tîrhehêrt, l’Ouâdi-Akâraba naît
comme lui dans le Mouydîr et comme lui se perd dans les sables d’Iguîdi.

Le point du pic d’Ifettesen, où se trouve sa source, se nomme Immahegh.

D’après les indigènes, cet ouâdi apporte souterrainement aux oasis du
Tidîkelt et d’Aqabli les eaux d’alimentation de leurs puits à galeries,
comme l’Igharghar fournit à l’Ouâd-Rîgh celles de ses puits artésiens.

Ainsi, quoique le nom d’ouâdi, dans le Sahara, soit à peu près synonyme
de _lit de rivière sans eau_, les lignes de bas-fonds qui les
caractérisent n’en ont pas moins d’importance, car leurs eaux
d’infiltration y alimentent, ou des puits ordinaires, ou des puits à
galeries, ou des puits artésiens, quelquefois des lacs temporaires,
Rhedîr ou Abankôr, même des lacs permanents, Adjelmâm, et enfin des
sources assez communes dans les montagnes.

L’eau ne manque donc pas d’une manière absolue sur le plateau central du
Sahara, ainsi qu’on le croit généralement ; cependant elle y est rare,
parce que les habitants de cette contrée, ou faute de temps ou faute de
moyens industriels suffisants, n’exécutent pas les travaux qui la leur
donneraient en plus grande abondance.

Quelques mots sur ces divers compléments de l’hydrographie saharienne.

_Puits ordinaires_ : Permanents, on leur donne, suivant leur profondeur,
les noms de _Mouï_, _’Ogla_, _Bîr_ ou _Hâsi_ ; temporaires, ils portent
celui de _Themed_.

Rarement, les puits sahariens atteignent une grande profondeur, car on
s’abstient d’en creuser là où le forage et le puisage de l’eau
demanderaient trop de travail.

On s’abstient également d’en ouvrir partout où ils pourraient devenir
des points de station et de refuge pour des maraudeurs. Souvent le
besoin de sécurité pour les voyageurs ou pour les tribus les a fait
combler sur des routes qui en étaient abondamment pourvues.

Sur tout le plateau central, les puits sont encore moins profonds que
dans les plaines et dans les hamâd : ainsi dans le bas des vallées, ils
n’ont guère plus de quatre à cinq mètres, et, dans les parties
supérieures, on trouve l’eau presque à fleur de terre. L’eau de ces
puits est généralement bonne.

_Fogâr_ ou _puits à galeries_ : Près des centres d’habitation ou de
culture, quand, à l’amont des terrains susceptibles d’être arrosés, on a
reconnu, au moyen de puits verticaux, l’abondance d’une couche aquifère,
on les réunit entre eux par des galeries horizontales, à pente réglée et
inclinée vers le terrain à arroser, de manière à avoir un courant
continu.

Ce procédé ingénieux pourrait recevoir plus d’une application utile en
Algérie, et même dans certaines contrées de la France.

Ainsi sont arrosées la plupart des oasis du Touât, et quelques-unes de
celles du Fezzân.

_Puits artésiens_ : Des puits artésiens ont été creusés avec succès sur
cinq points différents du versant méditerranéen du Sahara.

On en compte 335 dans l’Ouâd-Rîgh ; un grand nombre, dont le chiffre est
inconnu, dans l’oasis d’Ouarglâ ; un à Timâssanîn ; une dizaine à
Ihanâren ; deux à Serdélès.

Les indigènes donnent le nom d’_’Aïn_ (fontaine) à ces eaux
jaillissantes.

Avant l’occupation française, ces puits artésiens étaient creusés à main
d’homme, comme les puits ordinaires, et, quelquefois, les puisatiers
payaient de leur vie la richesse donnée à leur pays ; autrefois aussi
des éboulements les comblaient et rendaient inutile un travail très-
pénible ; aujourd’hui notre industrie a introduit dans le Sahara des
appareils de forage et de coffrage qui simplifient beaucoup l’opération,
et il ne paraît pas douteux (si les tremblements de terre ne viennent
pas rompre les tuyaux en fonte dont nous nous servons) qu’avec le temps,
le nombre des puits artésiens ne soit considérablement augmenté dans
tout le Sahara.

_Rhedîr_ ou _Abankôr_ : On donne, dans le Sahara, le nom de rhedîr soit
à des puits, à fleur de sol, creusés dans le lit d’un ouâdi et alimentés
par des eaux d’infiltration, soit à des flaques d’eaux pluviales
persistantes, ici dans les dépressions des plaines ou des plateaux, là
dans les trous des lits desséchés des ouâdi.

En langue temâhaq, les rhedîr des Arabes se nomment abankôr.

Ils sont nombreux ; je me borne à signaler les importants :

Ceux de Tirhorwîn, de Toursêl, sur les sommets du Tasîli ;

Ceux de Sâghen, dans la plaine des Igharghâren ;

Celui de l’Ouâdi-Ohânet, sur le plateau de Tînghert ;

Celui de Meniyet, sur la tête de l’Ouâdi-Tîrhejîrt.

Toujours un fond d’argile est nécessaire pour la conservation des eaux.

_Lacs_ (_Adjelmâm_ en langue temâhaq) : De véritables lacs existent en
assez grand nombre sur deux points différents de mon exploration : les
uns sur le plateau du Tasîli des Azdjer, les autres dans les dunes
d’Edeyen, au Nord du Fezzân.

D’après les Touâreg, il y aurait une quarantaine de lacs dans le Tasîli,
sur le parcours de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, mais il est probable que, dans ce
nombre, ils doivent comprendre quelques rhedîr. Les plus importants sont
ceux de Mîherô, dont le principal porte le nom de Sebbarhbârhet. Un
autre lac, également considérable, se trouve sur le versant Sud du
Tasîli, à la tête de l’Ouâdi-Tanârh, affluent du Tâfasâsset.

Ces lacs, très-profonds, sont probablement alimentés par des sources
assez fortes, car ils ne dessèchent jamais, et des crocodiles y vivent,
ce qui implique que le cube de la superficie aquifère est considérable.

Les débordements de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, au moment de mon passage dans le
Tasîli, m’ont empêché d’aller reconnaître ces lacs et de constater à
quelles causes était due leur formation. Plus heureux, j’ai pu visiter
un certain nombre de ceux du Fezzân et apprendre, _de visu_, ce que j’ai
à en dire.

Ils sont au nombre de dix, savoir :

  Le lac de Mandara,

    —    de Oumm-el-Mâ,

    —    de Tâzeroûfa,

    —    de Mâfou,

    —    de Bahar-ed-Doûd ou Gabra’oûn,

    —    de Bahar-et-Trounîa,

    —    de Oumm-el-hasan,

    —    de Nechnoûcha,

    —    de Ferêdrha,

    —    de Tademka.

Le Bahar-et-Trounîa ayant été visité par le docteur Vogel, qui avait
dans son bagage une petite barque, je me suis abstenu de renouveler une
exploration faite par un voyageur plus compétent ; mais j’ai reconnu
avec soin ceux dont je vais parler.

Le lac de Mandara peut avoir environ de deux à trois cents mètres de
large ; sa forme est circulaire ; il est peu profond. A l’époque où je
le visitai (28 mai 1861), il était presque entièrement desséché et les
riverains étaient occupés à exploiter le sel qu’il produit. Toute sa
circonférence est enveloppée par une ceinture de palmiers à l’ombre
desquels on cultive un sorgho appelé _gueçob_ et quelques légumes. En
hiver, il y a dans le lac de Mandara des vers comestibles comme ceux que
l’on pêche dans le Bahar-ed-Doûd.

Le lac d’Oumm-el-Mâ est intarissable et ses eaux sont vives, ainsi que
l’indique son nom ; il a la forme d’une nappe étroite, serpentant au
fond d’une vallée ombragée par de très-grands palmiers.

Le lac de Tazeroûfa n’est guère qu’une grande mare qui se dessèche au
commencement des chaleurs ; il est entouré d’une double ceinture de
palmiers et de tamarix ethel.

Le lac de Mâfou est également petit, mais il ne dessèche jamais et il
est très-profond. Sa nappe d’eau bleue, qui miroite à travers le
feuillage des palmiers, engage au repos sur ses rives. On pêche dans ce
lac des vers de qualité inférieure et des fucus comestibles.

Le Bahar-ed-Doûd est circulaire ; il a environ 300 mètres de largeur ;
le sondage en a été fait par le docteur Vogel. Son eau est très-amère et
très-salée, tellement saturée de sel, qu’elle a presque l’aspect du
sirop. Les fiévreux de tout le Fezzân viennent demander à sa vertu la
guérison de leurs maladies. Voulant apprécier par moi-même l’efficacité
de cette pratique, je me suis baigné dans le lac et je m’en suis bien
trouvé. A deux ou trois mètres de son bord Sud, existent de petits
puisards d’eau douce dans lesquels les baigneurs se plongent pour
dissoudre la couche de sel qui recouvre leur peau.

Les étoffes de coton, trempées dans l’eau de ce lac, si on ne les a pas
débarrassées des matières salines qu’elles contiennent, en les lavant
dans l’eau douce avant de les laisser sécher, se brisent et se déchirent
sous le moindre effort ; elles ont la propriété de s’enflammer comme de
l’amadou ; aussi les emploie-t-on à cet usage.

De même que les lacs précédents, le Bahar-ed-Doûd est entouré de
palmiers et de dunes de sables.

Pendant que je prenais un dessin de la vue du lac, j’entendis sous
l’eau, et dans la direction de l’Est, une détonation semblable à un coup
de tonnerre lointain. Un des indigènes présents ayant entendu comme moi
ce bruit, s’emporta en injures contre le lac. Je lui demandai ce que
c’était. Il me dit que ce phénomène se reproduisait souvent et que le
bruit souterrain venait presque toujours du côté Est ou Sud-Est du lac,
c’est-à-dire du côté où les hautes dunes s’élèvent à pic au-dessus des
eaux. Je compris alors que le roulement entendu ne pouvait provenir que
de l’éboulement des dunes de sables dans le fond du lac. Pendant les
détonations, il ne paraît cependant aucun signe d’ébranlement extérieur,
soit à la superficie des eaux, soit dans les dunes.

On donne à ce lac le nom de Bahar-ed-Doûd (la mer des vers), et aux
riverains celui de Douwâda (hommes des vers), parce qu’on y fait une
pêche de vers et de fucus comestibles dont j’aurai à m’occuper dans le
chapitre III du Livre suivant.

Les lacs de Nechnoûcha et de Ferêdrha, le premier au Nord-Est, le second
au Nord-Ouest du Bahar-et-Trounîa, contiennent du natron comme celui qui
en porte le nom.

L’eau d’Oumm-el-Hasan est amère et ne nourrit pas de vers.

Le lac de Tademka, autrefois producteur de vers, n’en donne plus depuis
quelque temps.

Tous ces lacs, situés au milieu d’un dédale de dunes de sables, sont
alimentés d’eaux par elles.

M. Isma’yl-Boû-Derba a constaté le même mode d’alimentation pour la mare
d’’Aïn-et-Taïba, dans l’’Erg, à l’Ouest de l’Igharghar.

_Sources_ : Les sources les plus considérables sont celles de
Ghadâmès[21], de Rhât, de Ganderma, d’Idélès, de Djânet, de Temâssînt,
de Tît-en-Afara, d’Aherêr, de Tânout, de Tidîdji, d’Aharhar, de
Tâzeroûk, de Dhâyet-el-Kâhela, d’Ahêr, de Tadjenoût, etc.

Il est bien entendu que je néglige d’énumérer toutes celles qui n’ont
pas une importance réelle.

Les abords de celles citées ci-dessus sont occupés ou par des villes, ou
par des villages, ou par des campements permanents. Partout où les eaux
sont abondantes, on les emploie à l’arrosage des plantations de
palmiers.

Les eaux de la source de Ghadâmès sont thermales[22] ; elles ont 29° 6
dans le vaste bassin qui les reçoit (observation du 9 décembre 1860) ;
celles de Sebbarhbârhet, à Mîherô, ont aussi une température élevée, du
moins, l’eau sort en bouillonnant et en soulevant des sables. Cependant
les Touâreg s’y baignent malgré sa chaleur.

La source de Dhâyet-el-Kâhela, au Nord de l’Ouâdi-Akâraba, est également
thermale et probablement sulfureuse, ainsi que l’indique son nom. Les
Ahaggâr, qui en font usage, ont reconnu son efficacité contre les
fièvres intermittentes contractées au Touât.


[Note 20 : _Ama_, en _temâhaq_, indique la possession. _Ghôr_ est
synonyme de ghar, _rivière_. Amadghôr ne serait-il pas un mot technique
équivalent de _tête de la rivière_ ?]

[Note 21 : M. Lefranc, pharmacien militaire, a analysé 1 kilogramme de
l’eau de Ghadâmès rapporté par M. le capitaine de Bonnemain. Voici le
résultat de son opération (année 1858, _Nouvelles Annales des
Voyages_) :

                        Gr.   milligr.

  Chlorure de sodium      »     800

  Sulfate de soude        »     250

     —       chaux        »     750

  Carbonate de chaux      »     200

      —        magnésie   »     100

  Chlorure de magnésium   »     250
                          ---------
                          2     350]

[Note 22 : Une seconde analyse de l’eau de Ghadâmès, faite en 1863, au
laboratoire des mines d’Alger (_Mission de Ghadâmès, Alger, 1863_, p.
260), a donné par 1000 grammes les résultats suivants :

                          Grammes.

  Chlorure de sodium       0,6210

     —        potassium    0,0200

  Sulfate de chaux         0,9000

     —       magnésie      0,3860

     —       soude         0,3424

  Acide azotique  _traces_    »

  Carbonate de chaux       0,1013

      —        magnésie    0,0975

  Silice                   0,0060

  Oxyde de fer             0,0050
                        ---------
                        2gr.,4792
]




                              CHAPITRE IV.

                               GÉOLOGIE.


Ce chapitre comprendra cinq sections :


1o Ma route d’El-Ouâd à Ghadâmès, du Nord-Ouest au Sud-Est ;

2o Ma route de Ghadâmès à Rhât, du Nord au Sud ;

3o Ma route de Tîterhsîn à Zouîla, de l’Ouest à l’Est ;

4o Ma route de Mourzouk à Bondjêm, du Sud au Nord ;

5o Divers renseignements sur le Tasîli et le Ahaggâr, de l’Est à
l’Ouest.


                           PREMIÈRE SECTION.

                         D’EL-OUÂD À GHADÂMÈS.


Toute cette section, sur un parcours de trente-sept myriamètres, est un
amas de dunes de sable, qui, à très-peu d’exceptions près, couvrent la
surface du sol primitif et laissent peu de place à aucune observation
géologique autre que celle de la formation des dunes elles-mêmes.

Le sable de ces dunes, fin, jaunâtre, varie dans ses caractères
physiques, comme aussi probablement dans ses caractères chimiques,
suivant les localités.

J’ai rapporté plusieurs échantillons de ces sables ; je regrette de
n’avoir pu en faire l’analyse. Ils figureront dans ma collection
géologique sous les numéros 1, 2, 3 et 4.

On s’est livré à beaucoup d’hypothèses pour expliquer l’accumulation
d’une aussi grande masse de sables sur une aussi immense étendue ; je ne
crois pas que, dans la limite des observations exactes, incontestables,
faites dans les dunes sahariennes, il soit encore permis de déduire la
loi générale d’un fait géologique aussi considérable.

M. le docteur Marès a vu dans l’Ouest, autour de la Dhâya-Hâbessa, des
dunes qui contenaient des coquilles fossiles du terrain sur lequel elles
reposaient, et, avec raison, il a conclu de son observation personnelle
que ces dunes avaient été formées sur place.

M. F. Vatonne, ingénieur des mines, qui, comme moi, a traversé l’’Erg
entre El-Ouâd et Ghadâmès, mais à petites marches et de jour, et qui a
pu étudier cette région avec plus de temps et de compétence, termine son
excellent mémoire[23] en émettant l’opinion qu’il ne peut exister aucun
doute sur la formation des dunes sur place, formation due à la
destruction des éléments constitutifs de la roche primitive.

« Cette destruction, dit-il, est due à la dilatabilité des roches, à la
présence du gypse, à l’action des agents atmosphériques, notamment de
l’eau, qui a amené à l’état farineux, c’est-à-dire à un état de
désagrégation complet, les roches de carbonate de chaux et de gypse ;
cette désagrégation de la roche amène un foisonnement, développe une
pression intérieure sous laquelle les couches dures des plateaux sont
complétement brisées, etc. »

M. Vatonne, convaincu que la formation des dunes est due à cette cause
unique, conclut de leur fixité, de l’absence de sables dans certaines
cuvettes, de l’inégalité même de la surface des sables, que l’action des
vents n’a d’autre effet que de déterminer les formes de quelques dunes,
et ne peut être invoquée comme cause générale de formation.

Comme M. Vatonne, et quoique voyageant dans les dunes, à grande vitesse,
nuit et jour, j’ai constaté des goûr rocheuses à côté de ghourd
exclusivement composés de sables ; comme lui, j’ai aussi été frappé du
grand nombre de roches à l’état de décomposition. Toutefois ce fait de
désagrégation des roches n’est pas une exception limitée à la région de
l’’Erg, mais l’effet d’une loi générale, commune à toutes les parties du
Sahara que j’ai visitées.

Dans l’ensemble de mes études, j’ai été beaucoup plus frappé de la
dénudation complète des hamâd et des montagnes à l’amont des bassins des
dunes.

Pl. II. Page 35. Fig. 2, 3, 4, 5, 6.

[Illustration : Fig. 1. — GÂRA DE TÎSFÎN.]

[Illustration : Fig. 2. — PROFIL DU MONT IDÎNEN.]

[Illustration : Fig. 3. — BLOCS DE TAKARÂHET.]

[Illustration : Fig. 4. — BERGES D’INGHER ET ASOUÎTAR.]

[Illustration : Fig. 5. — AGHELÂD DE TARÂT.]

J’ai été beaucoup plus surpris de l’élévation de ces témoins géologiques
de l’ancien niveau du sol, que les indigènes appellent _gâra_ (pl.
_goûr_) et qu’on trouve, de distance en distance, dans chaque hamâda.

(Voir figure no 1 de la planche ci-contre.)

J’ai été non moins étonné, dans les massifs montagneux, de rencontrer,
indépendamment de roches entièrement dénudées, ici, à Idînen, par
exemple, une sorte de squelette décharné affectant les formes et les
découpures les plus bizarres ; là, à Takarâhet dans le Tasîli, des blocs
titaniens, supportés sur une base étroite et représentant l’action
érosive des eaux sur les parties les plus tendres de la roche ;
ailleurs, dans la presque totalité des ouâdi, des berges de soixante à
cent mètres de hauteur, taillées à pic comme des murailles, tantôt assez
étroites pour qu’un chameau avec sa charge y passe difficilement, tantôt
larges de plusieurs kilomètres, disposition géographique que les Touâreg
désignent sous le nom spécial d’_aghelâd_, correspondant au _khanga_ des
Arabes.

(Voir figures nos 2, 3, 4 et 5 de la planche ci-contre.)

Quand, par la pensée ou la plume à la main, j’additionne une à une la
superficie des espaces dénudés autour de chaque groupe de dunes, quand
j’établis le cube du vide que laissent entre eux tous les témoins
géologiques du niveau de l’ancien sol et quand je compare la masse des
matériaux enlevés ici et apportés là, soit par les pluies, soit par les
vents, je me demande ce qu’est devenu le cube du vide, si les dunes sont
formées sur place, car je ne retrouve pas le total des déblais dans
l’ensemble des remblais, si considérable qu’il soit.

La carte qui accompagne le deuxième volume de cette étude comprend la
totalité des divers groupes de dunes du Sahara occidental, entre le
golfe de Gâbès dans la Méditerranée et le Sénégal sur la côte de l’Océan
Atlantique.

Ces groupes sont au nombre de sept :


Celui d’Edeyen, du 27° au 28° latitude N. et du 6° au 12° longitude E. ;

Celui de l’’Erg, du 29° au 34° latitude N. et du 7° longitude E. au 3°
longitude O. ;

Celui d’Iguîdi, du 24° au 30° latitude N. et du 3° au 5° longitude O. ;

Celui de Maghtîr, du 22° au 27° latitude N. et du 5° au 14° longitude
O. ;

Celui d’Adâfer, du 20° au 23° latitude N. et du 4° au 13° longitude O. ;

Celui d’Akchar, du 19° au 23° latitude N. et du 16° au 18° longitude
O. ;

Celui d’Iguîdi des Trârza, du 16° au 18° latitude N. et du 17° au 19°
longitude O.


La superficie des espaces que ces groupes de dunes couvrent (superficie
très-approximative, bien entendu, hypothétique même dans beaucoup de
cas), est de 45,000,000 d’hectares, savoir :

                      Nomb. d’hect.

  Édeyen                2,000,000

  ’Erg                 12,000,000

  Iguîdi                8,000,000

  Maghtîr              12,000,000

  Adâfer               10,000,000

  Akchar                  500,000

  Iguîdi des Trârza       500,000
                       ----------
           Ensemble    45,000,000

A chacun de ces groupes de dunes correspondent des plateaux
alimentateurs dont la superficie est triple environ, savoir :

                                                           Nomb. d’hect.

                   {  Le Hâroûdj                             3,000,000
                   {
                   {  Le plateau de Mourzouk                 6,000,000
  POUR EDEYEN      {
                   {  Le désert de Tâyta                     2,000,000
                   {
                   {  L’Akâkoûs                              1,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                     12,000,000

                   {  Le plateau de la Syrte                 6,000,000
                   {
                   {  La Hamâda-el-Homra                     8,000,000
                   {
                   {  Le plateau de Tînghert                 2,000,000
                   {
                   {  Le Tasîli du Nord                      4,000,000
                   {
  POUR L’’ERG      {  Les versants N. et E. du Ahaggâr       4,000,000
                   {
                   {  La chebka du Mezâb                     2,000,000
                   {
                   {  Le plateau des Cha’anba                3,000,000
                   {
                   {  Le plateau des O.-S. Cheïkh            2,000,000
                   {
                   {  Le plateau de Tâdemâyt                 2,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                     33,000,000

                   {  Le plateau de Groûz                    2,000,000
                   {
                   {  La plaine d’Adjemôr                    1,000,000
                   {
  POUR IGUÎDI      {  Le plateau du Mouydîr                  1,000,000
                   {
                   {  Le versant O. du Ahaggâr               8,000,000
                   {
                   {  Le Bâten Ahenet                        6,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                     18,000,000

                   {  Le versant S. du Ahaggâr               2,000,000
                   {
                   {  Le Tasîli du Sud                       4,000,000
                   {
                   {  Le désert de Tânezroûft                4,000,000
  POUR MAGHTÎR     {
                   {  Le désert d’Ouarân                     4,000,000
                   {
                   {  Le plateau des ’Arîb                   2,000,000
                   {
                   {  Le plateau de l’Ouâd-Dráa              4,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                     20,000,000

                   {  L’Adghagh de Kîdal                     8,000,000
                   {
  POUR ADÂFER      {  L’Azaouad                              6,000,000
                   {
                   {  Le désert d’Oualâta                    6,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                     20,000,000

                   {  Le plateau des O. Delîm                6,000,000
  POUR AKCHAR      {
                   {  L’Adrâr de Bafour                      2,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                      8,000,000

                   {  Le plateau de Tâgant                   2,000,000
  POUR IGUÎDI DES  {
  TRÂRZA           {  Le désert d’Aftot                      6,000,000
                                                            ----------
                                  TOTAL                      8,000,000


L’ensemble général de ces plateaux, dont la superficie a été plutôt
diminuée qu’augmentée, donne un total de 119,000,000 d’hectares.

Bien entendu, ces chiffres ne représentent ni la superficie réelle des
bassins des dunes ni celle des plateaux qui les alimentent, mais
seulement les surfaces que je suppose couvertes de sable d’un côté et
celles dénudées de l’autre.

L’observation de la totalité des dunes sahariennes nous les montre
suivant une direction générale, du Nord-Est au Sud-Ouest : elle nous les
montre sur une ligne plus étroite dans le vaste couloir entre le relief
atlantique et le plateau central du Sahara, puis s’élargissant et
s’étendant vers le Sud dès que les assises du Ahaggâr s’abaissent.

La disposition réciproque des montagnes du Nord et des montagnes du Sud
ne permet pas d’assigner une autre direction générale aux vents, du
moins à celle de leurs couches qui se rapproche le plus de terre.

De là, une première indication qui permet, sans trop sortir du domaine
de l’observation scientifique, d’attribuer à l’action dominante des
vents combinée avec l’action secondaire des eaux, la distribution
générale des masses de sable telle que nous la constatons dans la partie
occidentale du Sahara.

Examinons maintenant la question de production.

En tout pays, la source de production des sables la plus considérable,
si ce n’est l’unique, est la désagrégation des roches.

Dès que cet itinéraire géologique atteindra les parties rocheuses de mon
exploration, j’aurai soin de signaler les matériaux en décomposition
spontanée, et on verra qu’ils sont relativement nombreux.

Toutefois, il est une cause générale et permanente de désagrégation de
la partie superficielle des roches, qui me paraît avoir une grande part
dans la production des sables ; je veux parler de l’action
atmosphérique.

En général, la surface rocheuse des hamâd, des tasîli, des adrâr, en un
mot de toutes les parties relevées du relief saharien, est à nu et n’est
garantie contre les influences atmosphériques extérieures, ni par des
terres, ni par des produits végétaux.

Par suite, la lumière, la chaleur, le froid, les pluies torrentielles,
l’électricité agissent directement sur la surface extérieure des roches.

Il est difficile d’apprécier l’action de la lumière, mais la plaque
photographique nous révèle que la lumière solaire modifie les points par
elle atteints en raison de son intensité ; or, dans le Sahara la lumière
est intense, et nous avons la preuve de son action directe par la
coloration bronzée, noirâtre, brûlée, de la superficie de la presque
totalité des roches.

La lumière lunaire, dont l’influence sur la décomposition de certaines
pierres est démontrée, agit dans le Sahara encore plus qu’ailleurs, car
les nuits y sont d’une pureté admirable.

Les extrêmes de la température, atteignant souvent au soleil de 65 à 70
degrés dans le jour et descendant quelquefois à 5 degrés au-dessous de
zéro pendant la nuit, amènent inévitablement à la superficie des roches
des dilatations et des condensations dont l’effet immédiat est la
désagrégation de la partie la plus friable de leurs éléments.

L’électricité, assez abondante souvent pour que le moindre frottement
dégage des étincelles des vêtements, a bien aussi sa petite action
perturbatrice, action inconnue, inappréciable, mais qu’on n’oserait
nier.

Adviennent, pour compléter la série de ces agents de décomposition,
l’action dissolvante et la force impétueuse des pluies torrentielles, et
l’on comprendra que la production quotidienne des sables dans le Sahara
a dû, avec le temps, donner des masses aussi considérables que celles
des dunes, quel que soit le cube qu’elles représentent.

J’ai eu l’occasion, le 30 janvier 1861, étant à Oursêl, au pied du
Tasîli, d’observer le débordement d’un des nombreux torrents qui
descendent de cette montagne. La rapidité du courant était d’un mètre à
la seconde et les eaux charriaient des alluvions dans des proportions
telles que je regrette de ne pas en avoir constaté la quantité.
Toutefois, on en aura une idée par ce fait, qu’après leur dépôt les
Touâreg ont pu ensemencer des céréales là où la veille il n’y avait pas
de terre végétale.

Ajouterai-je que, dans les temps antérieurs à l’histoire, l’action
volcanique attestée dans le Djebel-Nefoûsa, la Sôda, le Hâroûdj, le
Tasîli et le Ahaggâr, a dû contribuer, dans des proportions
considérables, à la dislocation des roches et à la désagrégation de
leurs éléments constitutifs ?

Le Sahara, en son entier, est donc un foyer de grande production de
sables, et ces sables, s’ils ne restent pas sur place, doivent se
retrouver ailleurs.

De la production des sables, je passe à leur circulation.

Les deux grands moteurs de la circulation des sables sont les courants
atmosphériques et les torrents.

Pour les sables charriés par les courants atmosphériques, voici ce qui
est démontré :

M. Ehrenberg a eu l’occasion d’analyser des sables et des terres de
divers points du bassin du lac Tsâd qui lui avaient été envoyés par les
docteurs Barth et Vogel, et dans ces sables et terres il a reconnu cent
trente-trois formes d’animaux infusoires qu’il a déterminés.

Le savant professeur a fait aussi recueillir sur la côte occidentale
d’Afrique, en pleine mer, à bord des navires, les matières charriées par
les pluies de sable qui y sont communes, et, en analysant ces matières,
il y a retrouvé quelques infusoires des sables du bassin du lac Tsâd.

Or, entre le lac Tsâd et la côte occidentale d’Afrique, il n’y a pas
moins de 30 degrés de longitude.

M. Ehrenberg explique ces transports de sables à de si grandes distances
par la grande raréfaction de l’air échauffé dans le Sahara.

Pendant mon voyage, j’ai pu constater, plusieurs fois, des faits de
circulation de grandes masses de sables par des courants atmosphériques.
Je cite, entre autres, les observations suivantes extraites de mon
journal :

20 FÉVRIER 1861. — Campement de Tîterhsîn. — _Observations de 9 heures
15 minutes du matin_ : Bar. aner. 713.50. — Therm. fr. 25°8. — Ciel
voilé. — Vent du Sud modéré.

_Observation de 1 heure 30 du soir_ : A 1,500 mètres dans le N.-E.
trombe de sable, haute de 50 mètres au moins, chassée par un vent du
S.-E.

_Observations de 3 heures du soir_ : Bar. aner. 704.10. — Therm. fr.
30°75. — Ciel nuageux. — Vent du Sud assez fort.

28 AVRIL 1861. — Même campement. — _Observations de 6 heures du matin_ :
Bar. aner. 704.65. — Therm. fr. 22°3. — Ciel couvert. — Vent E. faible.

_Observation de 1 heure 30 du soir_ : Pluie par intervalle ; un immense
nuage de sable, rougeâtre, semblable à l’aspect d’un vaste incendie,
passe à l’E., à fleur de terre, en s’élevant vers le ciel. Sa marche, du
S.-O. au N.-E., est rapide comme celle d’un vent violent.

_Observations de 3 heures du soir_ : Bar. aner. 699.50. — Therm. fr.
31°4. — Ciel couvert. — Vent du S.-O. fort. — Pluie froide.

30 AVRIL 1861. — En route d’Iferdjan à In-Lêlen. — _Observations de 6
heures 30 du matin_ : Bar. aner. 704.60. — Therm. fr. 21°8. — Ciel
couvert. — Vent E. presque nul.

_Observation de 3 heures du soir_ : Un coup de vent terrible du S. amène
un nuage de sable, rouge, comme s’il était chargé de flammes. Il se rue
sur notre caravane, accompagné de grosses gouttes qui ressemblent à de
la neige fondue.

_Observations de 7 heures du soir_ : Bar. aner. 697.10. — Therm. fr.
31°7. — Ciel couvert. — Vent du Sud modéré.

3 MAI 1861. — Campement de Serdélès. — _Observation de 2 heures du
soir_ : Coups de tonnerre prolongés, lointains, au S. magnétique.

_Observations de 3 heures_ : Bar. aner. 694.40. — Therm. fr. 34°. — Ciel
couvert. — Vent O. faible.

_Observation de 3 heures 45_ : Une trombe de sable importante, rouge
comme les précédentes, passe au S.-E. Sa marche est vers l’E. Quelques
gouttes de pluie.

_Observations de 7 heures 30_ : Bar. aner. 700.00. — Therm. fr. 27°5. —
Ciel couvert. — Vent du S.-S.-O. modéré. — Quelques gouttes de pluie.

D’où provenaient les sables dont ces trombes étaient chargées ? où sont-
ils allés se fixer ? Je l’ignore. En reproduisant ces observations, j’ai
voulu constater leur fréquence et préciser les conditions dans
lesquelles elles se produisent.

J’ai choisi à dessein la période de février à mai, parce qu’alors je me
trouvais à la ligne de partage des bassins méditerranéen et océanien, et
sous le vent des plateaux alimentateurs des dunes.

Si les vents soulèvent les sables sur les plateaux, les réunissent en
trombes pour les transporter à de grandes distances, ce sont
incontestablement les courants d’eau qui les fixent dans les bassins où
nous les trouvons. Du moins, cela est exact pour le bassin de l’’Erg que
j’ai plus particulièrement observé et étudié. L’hydrographie de cette
immense cuvette nous la représente, en effet, comme l’aboutissant des
eaux de toutes les montagnes environnantes.

En est-il de même ailleurs ? C’est probable, mais je ne puis l’affirmer.

On jugera de l’action des eaux par les faits suivants :

Au printemps de 1862, une pluie d’orage tombée sur le versant Ouest du
Ahaggâr amena de telles quantités d’eau dans les vallées d’Idjeloûdjâl
et de Tarhît qu’elles entraînèrent une partie de la montagne. L’action
des eaux fut assez prompte pour qu’une nezla (tribu) entière, campée au
débouché des deux vallées, pérît corps et biens. Trente-quatre personnes
et un grand nombre de chameaux furent noyés. Une chamelle qui paissait
tranquillement sur la portion de la montagne emportée par les eaux, fut
retrouvée saine et sauve, trois jours après l’événement, à une très-
grande distance, sur le terrain même où elle avait été surprise et qui,
après une longue navigation, était venu échouer sur une des berges de
l’ouâdi.

Avant 1856, sur la rive gauche de l’Ouâdi-Tîterhsîn, existait une ligne
de dunes, du nom d’Azekka-n-Bôdelkha, assez hautes pour que les chameaux
ne pussent les franchir. Advint alors une crue accidentelle dans
l’ouâdi, et elle eut la puissance de faire disparaître toute la masse de
sable qui composait ces dunes.

La force motrice des eaux, dans le Sahara, n’est pas seulement démontrée
par les déblais qu’elles produisent sur certains points ; elle l’est
aussi par les immenses barrages que leurs alluvions créent sur d’autres
et qui, de siècle en siècle, modifient les cours des ouâdi.

Le bassin de l’Igharghar offre de nombreux exemples de ces barrages.
Jadis il communiquait avec la mer par le golfe de Gâbès et y portait les
sables qu’il charriait. Aujourd’hui une barre de terre et de sable de
dix-huit kilomètres sépare le Chott du Nefzâoua de la mer. C’est à peine
si on reconnaît dans la ligne de bas-fonds de l’Ouâdi-Akarît l’amorce de
l’ancienne communication.

Jadis, à l’époque de Ptolémée, le Chott-el-Kebîr du Nefzâoua, sous le
nom de _lac Triton_, le Chott-el-Djerîd, sous celui de _Pallas_, le
Chott-Melghîgh, sous celui de _Libye_, communiquaient entre eux, ou ne
formaient, comme à l’époque d’Hérodote, qu’un seul lac, sous le nom de
_Triton_ ; aujourd’hui ces anciens lacs, sans affluents, ne sont même
plus des lacs, mais des bas-fonds de chott, submergés en hiver,
desséchés en été. Toutefois, il ne serait pas prudent de s’aventurer à
les parcourir sans guide, car sur certains points, notamment dans le
Chott-Melghîgh, on disparaîtrait sans laisser trace de son passage.

Jadis, la tête orientale de l’Igharghar, formée de l’Ouâdi-Serdélès, de
l’Ouâdi-Tânezzoûft, de l’Ouâdi-Ouarâret, de l’Ouâdi-Tîterhsîn et de
l’Ouâdi-Tikhâmmalt qui les réunissait tous, communiquait avec la tête
occidentale venant du Ahaggâr ; aujourd’hui, chaque affluent de la tête
orientale forme un ouâdi distinct, aboutissant à des sables qui
absorbent leurs eaux et les rendent souterrainement à l’ancien lit.

La fantaisie de l’Igharghar de couler, tantôt à ciel ouvert en rompant
les barres qu’il s’était formées, tantôt souterrainement en se creusant
un lit sous les sables, ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier, car déjà, du
temps du roi Juba, au commencement de notre ère, le grand fleuve
saharien avait de pareils caprices, à ce qu’il paraît.

D’après les _Libyques_ du roi Juba citées par Pline, le grand fleuve de
la Libye, « indigné de couler à travers des sables et des lieux
immondes, se cache l’espace de quelques journées. Absorbé de nouveau par
les sables, il se cache encore une fois dans un espace de vingt journées
de désert. »

Cette citation, que j’emprunte au grand ouvrage de M. Vivien de Saint-
Martin, _le Nord de l’Afrique dans l’antiquité_, me permet de constater,
tout d’abord, combien le savant géographe a été heureusement inspiré en
assimilant le Niger de Juba et de Pline avec l’Igharghar[24] moderne des
Touâreg, le Ouâdi-es-Sâoudy des Arabes.

Au fur et à mesure que cette étude se complétera, on retrouvera les
poissons du Nil et les crocodiles dont l’existence faisait croire au roi
Juba que le grand fleuve d’Égypte avait une de ses origines dans ses
états.

Quoi qu’il en soit, par ce témoignage de Juba, confirmé par Pline et par
d’autres encore, il devient évident que la partie du Sahara dont je
m’occupe était déjà, il y a dix-huit cents ans, sinon sous le rapport de
la quantité des eaux, du moins sous le rapport des sables et de leur
circulation, telle qu’elle s’est présentée à mon observation.

Si, depuis cette époque, une partie du Sahara a pu être protégée contre
les influences atmosphériques qui désagrégent les roches même les plus
solides, c’est incontestablement celle qui est abritée contre le froid,
la chaleur, la lumière, l’électricité, par une couche épaisse de sables.

Sans doute, dans l’’Erg, avant l’invasion des sables, quelle que soit la
date éloignée du commencement, les parties solides de cette contrée
avaient, comme celles de l’universalité du plateau central du Sahara,
subi les influences destructives de l’atmosphère, et tout indique qu’il
y avait de nombreuses goûr en décomposition comme partout ailleurs. Ces
goûr, plus ou moins nombreuses, sont restées en place, devenant le noyau
de dunes, à côté de ghourd exclusivement composés de sable de la base au
sommet. Mais ces noyaux solides de quelques dunes, constatés par M.
Vatonne, n’infirment pas la loi générale de l’amoncellement des débris
des roches des plateaux supérieurs dans les bassins qui leur servent de
réceptacle. Partout, sur la surface du globe, les alluvions, qu’elles
soient de sables ou de terres, qu’elles soient charriées par les vents
ou par les eaux, obéissent aux lois de la pesanteur.

Si les alluvions sablonneuses des dunes n’ont pas obéi à la loi
ordinaire des nivellements des autres alluvions, la cause très-complexe
de ce phénomène n’est pas encore sur le point de recevoir sa solution,
car ce n’est pas en Afrique seulement que la circulation et la fixation
des sables déjouent la sagacité des plus habiles ingénieurs.

Quoi qu’il en soit, les excellentes et minutieuses observations de M.
Vatonne conservent toute leur valeur et contribueront, avec celles qui
pourront être faites ultérieurement, à la solution du problème.

Dans ma collection géologique sont indiqués comme étant de la provenance
de l’’Erg :

1o Un échantillon de sulfate de chaux très-pur[25] ;

2o Un échantillon de terre blanche, fine, calcaire, donnant une très-
forte effervescence à l’acide chlorhydrique[26].

Cette terre, trouvée sous les sables à Ghourd-Maámmer, contient, en
grande quantité, une espèce de coquille fossile nouvelle[27], que M.
Deshayes a décrite et à laquelle il a bien voulu donner mon nom.

« M. Duveyrier, écrit M. Deshayes, mérite bien l’honneur d’être signalé
à la reconnaissance des naturalistes, car pendant toute la durée d’un
périlleux voyage dans une région de l’Afrique que personne n’avait
visitée avant lui, il n’a cessé de recueillir des matériaux propres à
enrichir les diverses branches de l’histoire naturelle. Il nous a donc
paru équitable d’attacher le nom de l’intrépide et savant explorateur à
une espèce de mollusque qui nous paraît entièrement nouvelle. »

Pl. III. Page 45. Fig. 7 et 8.

[Illustration : Fig. 1. — PLANORBIS DUVEYRIERI.

Dessiné d’après nature, par M. Delahaye, sur les coquilles rapportées
par M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — DUNES DANS L’’ERG.

D’après un croquis de M. H. Duveyrier.]

Voici la description de cette coquille, telle que M. Deshayes a bien
voulu la rédiger :


                    PLANORBIS DUVEYRIERI. (_Desh._)

Pl. testa orbiculato-discoidea, crassiuscula, utroque latere inæqualiter
umbilicata, supra profundiore ; anfractibus quaternis, rapide
crescentibus, convexis, involventibus, sutura profunda junctis, interne,
ad peripheriam umbilici obtusissime angulatis, tenue et irregulariter
striatis ; ultimo anfractu majore, cylindraceo, crasso, ad aperturam
dilatato ; apertura magna, dilatata, lunari, paulo obliqua ; marginibus
tenuibus, acutis disjunctis.


« Le planorbe de Duveyrier est d’une taille médiocre, discoïde assez
épais et rapproché par sa taille et l’ensemble de ses caractères d’une
variété petite du _planorbis Dufourii_ de Graels. Discoïde
suborbiculaire assez épaisse, elle est ombiliquée de chaque côté, mais
plus profondément en dessus qu’en dessous. Elle est formée de quatre
tours de spire, dont les deux premiers sont fort étroits, les deux
autres s’élargissent rapidement. Ils sont en partie enveloppés les uns
par les autres, mais le dernier est très-grand, épais et s’accroît
rapidement, il est même un peu dilaté vers l’ouverture. Les tours sont
convexes de chaque côté et réunis par une suture simple et assez
profonde ; du côté inférieur, l’ombilic est circonscrit par un angle
très-obtus. Toute la surface est chargée de fines stries irrégulières
d’accroissement, et l’on remarque, de plus, à des distances inégales des
temps d’arrêt dans l’accroissement qui ont produit des angles obtus.
L’ouverture est assez grande, dilatée, peu oblique et suborbiculaire,
modifiée par l’avant-dernier tour dont elle embrasse le diamètre.

« Le plus grand échantillon a 7 millimètres de diamètre et 3
d’épaisseur. » (Voir la planche ci-contre.)


                              IIe SECTION.

                        DE GHADÂMÈS À RHÂT[28].


Cette section comprendra :


_A._ — Le plateau de Tînghert, de Ghadâmès à Ohânet ;

_B._ — La traversée des dunes d’Edeyen, entre Ohânet et la Hamâda
d’Eguélé ;

_C._ — La Hamâda d’Eguélé, des dunes d’Edeyen à la plaine des
Igharghâren ;

_D._ — La plaine des Igharghâren, de Sâghen à Tâdjenoût ;

_E._ — Le Tasîli des Azdjer, de Tâdjenoût à Tîterhsîn ;

_F._ — La vallée d’Ouarâret, de Tîterhsîn à Rhât.


                      A. — _Plateau de Tînghert._


Le plateau de Tînghert commence vers le Nord-Est au Djebel-Nefoûsa ;
dans le Sud-Est il vient se confondre avec la grande Hamâda-el-Homra,
dont il n’est séparé par aucun relief apparent ; dans le Sud, sa limite
est marquée par un rebord sous lequel sont les points d’El-Hesî, de
Tambalout et d’Ohânet qui le séparent des dunes d’Edeyen ; dans l’Ouest,
un rebord, assez caractérisé en quelques endroits, le sépare de la
région de l’’Erg. La ville de Ghadâmès est bâtie sur ce rebord.

Ce plateau a 185 kilomètres du Nord au Sud ; son étendue de l’Ouest à
l’Est ne peut être précisée, car nul ne connaît le point de séparation
entre la Hamâda de Tînghert et celle d’El-Homra. On sait seulement
qu’entre l’’Erg à l’Ouest et le Djebel-es-Sôda à l’Est, il y a 600
kilomètres sans eau et sans végétation ; ce qui interdit à qui que ce
soit d’aller faire la reconnaissance de cette immense solitude. Entre
Ghadâmès et Ohânet, ce plateau s’appelle Hamâda de Tînghert ; entre
Ghariân et El-Hesî, il s’appelle Hamâda-el-Homra, noms différents, l’un
berbère, l’autre arabe.

Les Sahariens appellent Hamâda tout plateau élevé, uni, pierreux, sans
végétation, sans eau, quelle que soit sa formation géologique.

Du Djebel-Nefoûsa aux environs de Ghadâmès, le calcaire est de couleur
grise ; aux environs de Ghadâmès, la coloration, du moins à la surface
du sol, devient plus uniformément sombre ; au delà de Ghadâmès, les
dolomies prennent les différentes couleurs des minéraux qui se trouvent
dans le voisinage.

Les environs immédiats de Ghadâmès offrent à l’observation du géologue :

Le sol même de l’oasis, léger, sablonneux et calcaire, fécondé par les
nombreux engrais de sa propre végétation ;

Les eaux de la source, dont j’ai fait connaître la température et
l’analyse au chapitre précédent, et sur laquelle je reviendrai au
paragraphe spécial à Ghadâmès, du Livre IIIe ;

Une carrière de plâtre exploitée près du cimetière du Dhâhara et qui
fournit un sulfate de chaux cristallisé, blanc, presque pur, quoique
mélangé à un peu de sable[29] ;

La roche du plateau qui entoure la ville ;

Enfin la gâra (témoin) de Tîsfîn, à sept kilomètres E. de la ville.

La roche du plateau de Ghadâmès[30], est un calcaire crétacé, de
formation marine, jaunâtre, avec grands fragments d’_inocerames_ et
quelques petites bivalves indéterminables, identiques comme aspect aux
calcaires jaunâtres coquilliers de la Chebka du Mezâb. Ce calcaire donne
une effervescence bien marquée à l’acide chlorhydrique, mais paraît
contenir une quantité assez notable de magnésie, comme la plupart des
roches du Mezâb.

La gâra de Tîsfîn a 90 mètres de hauteur environ.

Elle repose sur une roche siliceuse, grisâtre, homogène, ne donnant
aucune trace d’effervescence à l’acide[31].

Elle est couronnée, à son sommet, par une roche superficielle, calcaire,
rougeâtre, composée de fragments très-brisés de coquilles, dans
lesquelles on distingue quelques petites _limnées_ et des traces
nombreuses de _zoophytes_. Cette roche, très-compacte, rend un son
semblable à celui de la poterie cuite[32].

Entre les deux, l’intérieur de la gâra est formé d’un calcaire tendre,
jaune, blanc, marneux, d’une pâte très-homogène[33].

Ce dernier calcaire apparaît aussi dans les ravins des environs de la
gâra.

La gâra de Tîsfîn est entièrement isolée, mais à peu de distance on
voit, dans différentes directions, des goûr d’une élévation beaucoup
moindre et qui doivent appartenir à la même formation.

A 4 kilomètres au Sud de Ghadâmès, on entre dans la petite dépression de
Kaboû, formée par un lit d’alluvions sablonneuses et terreuses, au
milieu duquel on trouve des sables et du carbonate de chaux agrégés à la
façon des grès de Fontainebleau. Ces agrégations sont évidemment une
création des eaux.

Les bords de cette basse dépression sont d’un calcaire spathique,
rougeâtre, très-compact[34], dans lequel on trouve accidentellement de
la chaux cristallisée ; dans le lit même sont des concrétions composées
d’éléments calcaires en mélange avec le sable.

A 15 kilomètres de Kaboû, on traverse l’Ouâdi-Mâreksân dont la direction
est Est-Ouest. Son lit est de sable, graveleux à la surface, caillouteux
au fond. Sous le sable apparaissent des couches de sable marneux,
contenant de petits fragments de plâtre[35]. Les berges latérales, qui
ont 8 mètres de hauteur au-dessus de l’ouâdi, sont d’un calcaire
semblable à la roche du plateau de Ghadâmès.

Entre l’Ouâdi-Mâreksân et la dépression d’El-Gafgâf (48 kilom.), le
plateau se présente sous forme d’un chaos monotone de pierres calcaires
anguleuses, tantôt amoncelées sur le roc calcaire, tantôt enchâssées
dans des filons de terre sablonneuse.

De distance en distance, apparaissent dans l’Ouest, à 16 kilomètres
environ, les rebords d’un gradin plus élevé sur lequel se dressent des
goûrs calcaires indiquant l’ancien niveau du sol primitif ; eu égard à
leur distance, ces goûr doivent atteindre à une altitude assez grande.

Avant d’arriver à El-Gafgâf, pendant toute une journée de marche, le sol
est couvert de petites pierres noires qui donnent au paysage une teinte
funèbre.

Entre Mâreksân et El-Gafgâf on rencontre les lits des Ouâdi-Amâli et
Imoûlay qui vont se perdre dans l’’Erg.

El-Gafgâf est une petite dépression circulaire, à fond alluvionnaire,
d’un kilomètre environ. Du côté du Sud, ce bas-fond reçoit les petites
ravines d’Imozzelaouen (c’est-à-dire, _petites ravines étroites_) qui
traversent un sol calcaire à affleurements plus ou moins détériorés.

Au delà de ces ravines, la surface du plateau se nivelle et présente une
formation de graviers et de petites pierres.

Entre El-Gafgâf et Tifôchayen, la distance est de 34 kilomètres ; peu
avant ce dernier point, le plateau est couvert de pierres détachées.

Tifôchayen est une large vallée dont la direction générale est du Sud-
Est au Nord-Ouest. Le sol de cette vallée est sablonneux ; il provient
des sables de l’’Erg que les vents y ont apportés.

Entre Tifôchayen et Timelloûlen (12 kilomètres), le plateau reprend son
caractère précédent. La vallée de Timelloûlen consiste en un large ouâdi
dont le sol, comme celui de Tifôchayen, est formé de sables de l’’Erg
apportés par les vents. On y trouve l’eau à 1m 50 de profondeur.

Le plateau reparaît sur une étendue de 12 kilomètres et se montre
couvert d’affleurements de calcaire décomposé ; après quoi on arrive à
la dépression circulaire de Tahâla, qui a 5 kilomètres de diamètre et
est bordée de hautes berges à pic très-déchirées.

Du bas de la dépression, sur une épaisseur de 1m 50 à 2 mètres, la berge
consiste en assises marneuses d’un blanc légèrement verdâtre[36], avec
des veines et des noyaux de gypse blanc, pur, compact et excessivement
fin[37]. Cette roche ne contient pas de fossiles.

Le sommet de la berge est un calcaire rougeâtre, identique à celui qui
couronne la gâra de Tîsfîn.

Au centre de la dépression est une gâra à formes bizarres.

De Tahâla à Ahêdjren (20 kilomètres), le sol est alternativement un fond
de sable ou un fond de gravier solide, recouvert de petites pierres et
d’affleurements calcaires mêlés à des marnes vertes décomposées.

Avant l’arrivée à Ahêdjren, le flanc des hauteurs qui bordent la route à
l’Est est d’un calcaire blanc, exactement semblable à la craie de
Meudon, solide par endroits, friable dans d’autres.

Dans la partie friable, je détache facilement cinq échantillons de
coquilles moyennes[38] qui ont été reconnus être l’_ostrea columba_
(Desh) et appartenir au terrain _cénomanien_ de d’Orbigny et aux grès
verts supérieurs ainsi qu’à la craie chloritée du terrain crétacé.

Dans la partie compacte de la base de la roche sont d’autres coquilles
qui, à la vue, me paraissent de la même espèce que les précédentes, mais
grandes comme le creux de la main. La dureté de la gangue ne me permet
pas d’en prendre de spécimens.

Quoique le fond de cette roche soit blanc, elle est teinte de taches
brunes ou roussâtres en plusieurs endroits.

Sur toute la route, j’ai commencé à trouver des débris informes
d’ammonites au milieu des graviers.

Ahêdjren est un ouâdi à direction Sud-Est et Nord-Ouest et à lit
sablonneux. Ici, comme dans les vallées précédentes, la présence du
sable s’explique par le voisinage de l’’Erg.

De Ahêdjren à Ohânet, le plateau de Tînghert continue avec ses mêmes
caractères généraux sur une étendue de 25 kilomètres. Là, il finit et
contribue par son flanc méridional à former, avec le rebord
septentrional des dunes d’Edeyen, la longue dépression d’Ohânet dont la
direction générale est Est et Ouest.

Cette dépression d’Ohânet est appelée par les Arabes El-Djoua (le
fourreau), parce qu’elle ressemble à un couloir par lequel les eaux,
conservées comme dans un réservoir au milieu des dunes, s’écoulent dans
un lit pour aller rejoindre l’Igharghar au Sud de Timâssanîn.

La largeur de la vallée est de 12 kilomètres ; son fond est
alluvionnaire : sables et graviers mêlés.

Au centre est un _abankôr_ ou rhedîr, bassin argileux, qui, d’après les
Touâreg, conserve quelquefois l’eau pendant 2 ou 3 ans après les pluies.

Entre Ahêdjren et Ohânet, sur tout le parcours du trajet, les ammonites
continuent au milieu des pierres parsemées à la surface de ce désert.
Elles sont nombreuses, brisées en fragments. C’est avec grande peine que
je puis en trouver deux entières.

Les géologues à l’examen desquels ces ammonites ont été soumises, les
ont trouvées trop frustes pour pouvoir être sûrement déterminées[39].
Ils les croiraient volontiers nouvelles, mais se rapprochant de
l’_ammonites Mantellii_ du terrain _cénomanien_ de d’Orbigny ou des grès
verts supérieurs, de la craie tuffeau ou de la craie chloritée.

La pâte de ce fossile est un calcaire d’un blanc jaunâtre, compact,
légèrement saccharoïde, parsemé de quelques mouchetures de manganèse.


                         B. — _Dunes d’Édeyen._


Entre Ohânet et Abrîha, sur un parcours de 75 kilomètres, s’étend une
région de sables, continuation occidentale des dunes d’Edeyen, groupe
séparé de celui de l’’Erg par un prolongement du plateau de Tînghert.

A peu près à égale distance des points extrêmes de cette zone
sablonneuse, on trouve dans l’Est la ligne des goûr noires d’Ayderdjân,
au Nord de laquelle est un puits comblé, tandis qu’au Sud on trouve
accidentellement des flaques d’eau dans une dépression peu profonde à
fond d’argile.

Sur toute l’étendue de ces 75 kilomètres, les sables recouvrent le sol
qui apparaît de temps en temps, soit sous forme d’un calcaire noirâtre
ou violet, compact et solide, soit sous forme de graviers quartzeux
arrondis ; quelquefois ces graviers ont été cimentés avec le sable par
les pluies au moyen d’une substance calcaire agrégeable, et alors ils
forment un poudingue.

On rencontre aussi parfois dans ce parcours des places couvertes d’une
argile violette solide et lisse, mais fendillée par l’action du soleil ;
ces couches d’argile représentent les lits de mares desséchées, et
expliquent jusqu’à un certain point comment les graviers et le sable ont
pu se souder ensemble de manière à former la roche dont je viens de
parler.


                        C. — _Plateau d’Éguélé._


Je donne le nom de plateau d’Eguélé à une région mouvementée, partie
hamâda, partie dunes, qui sépare la région des dunes d’Edeyen de la
vallée des Igharghâren. Ce plateau bas a 106 kilomètres du Nord au Sud
dans la partie où je l’ai traversée. Sa longueur, de l’Est à l’Ouest,
est encore inconnue.

Entre Abrîha, point où les sables cessent, et Tâdjentoûrt, est une
hamâda plate, couverte de petites pierres.

Tâdjentoûrt, qu’il ne faut pas confondre avec l’ouâdi de ce nom situé
plus au Sud, est une dépression circulaire comme on en remarque si
souvent dans les régions sahariennes.

Au delà, sur une étendue de 9 kilomètres, ma route parcourt la
continuation du plateau au milieu de pierres calcaires et
d’affleurements de même nature. Çà et là apparaissent des sables mêlés à
du gravier et formant un terrain solide.

Eguélé est une chaîne de hauteurs de pierres calcaires noires, d’où leur
nom Eguélé (le coléoptère[40]), et dont la direction générale est du
Nord-Est au Sud-Ouest. Cette chaîne coupe la route et marque le point
culminant de cette section ; c’est pourquoi, à défaut d’un nom indigène
applicable à l’ensemble du plateau, je donne au tout le nom de sa partie
la plus remarquable.

Au Sud du point où je traverse la chaîne d’Eguélé, on rencontre l’Ouâdi-
Tâdjentoûrt, ravin sans eau qui a ses origines dans une ligne de
hauteurs que la route suit sur une étendue de 35 kilomètres ; ligne
qu’on laisse dans l’Est, et qui est la prolongation Sud de la chaîne
d’Eguélé.

Le trajet s’effectue au milieu des rochers, et on arrive à la dépression
d’Aseqqîfâf, réceptacle des eaux pluviales de la chaîne, mais à sec,
hors les temps de pluie.

Entre Aseqqîfâf et Isaouan (35 kilomètres) est le plateau calcaire de
Timozzoudjên, recouvert dans sa partie Nord, sur un parcours de 12
kilomètres, de petites dunes de sables auxquelles on donne le nom
d’Isoûlan-n-Emôhagh et vis-à-vis desquelles on voit dans l’Ouest les
sables de Tedjoûdjelt.

Ce plateau, dans son entier, est de même formation que celui de
Tînghert ; sa pente générale est légèrement inclinée vers le Sud.

Isaouan est le nom donné à la partie de la plaine des Igharghâren dans
laquelle se trouvent les grands rhedîr de Sâghen, alimentés par l’Ouâdi
Tikhâmmalt.

Le rebord méridional du plateau de Timozzoudjên termine la série des
calcaires sur lesquels est assise la route de ce point à Ghadâmès.


                     D. — _Plaine des Igharghâren._


La plaine des Igharghâren est une grande vallée de 320 kilomètres de
l’Est à l’Ouest, et d’une largeur moyenne de 35, formée au Nord par le
rebord méridional du plateau de Timozzoudjên et au Sud par les versants
septentrionaux des montagnes du Tasîli. Sa principale largeur est dans
l’Est.

Cette grande vallée d’alluvions sablonneuses est découpée du Sud au Nord
en forme de larges plates-bandes par les nombreux ouâdi du Tasîli, qui
tous viennent se réunir au pied du plateau d’Eguélé en un lit unique
prenant le nom de son principal affluent, l’Ouâdi-Tikhâmmalt, et qui,
après avoir suivi une direction générale Sud et Nord, du sommet du
Tasîli à Sâghen, tourne brusquement à l’Ouest pour aller se jeter dans
l’Ouâdi-Igharghar à El-Bîr, au Sud-Ouest de Timâssanîn.

Cette grande vallée, couverte d’arbres dans toutes ses lignes de bas-
fonds, fait un contraste très-remarquable entre l’aspect monotone des
plateaux du Nord et de ceux du Sud.

Elle pourrait être facilement transformée en une série d’oasis, avec des
eaux courantes, si les forages artésiens y réussissent, ainsi que tout
l’indique. Dans tous les cas, avec des puits ordinaires, on y aurait
l’eau à peu de profondeur, surtout dans les lits des principaux ouâdi.

Je reviens à mon itinéraire.

Les rhedîr de Sâghen ne sont ordinairement pleins qu’après les grandes
pluies, mais à environ un mètre du sol on trouve toujours l’eau
nécessaire à tous les besoins.

Au milieu des alluvions qui entourent les rhedîr, on remarque des
laves[41] noires, poreuses et légères, charriées, du sommet de l’Adrâr,
point le plus élevé du Tasîli, par les eaux de débordement de l’Ouâdi-
Tikhâmmalt.

Les Touâreg trempent quelquefois ces laves dans l’huile, qu’elles
absorbent comme le ferait une éponge ; après quoi ils y mettent le feu ;
l’huile brûle. Ce fait mal expliqué a fait croire à l’existence de la
houille dans les montagnes des Touâreg. Lorsqu’on leur demandait :
« Avez-vous dans votre pays des pierres noires qui brûlent ? » ils
répondaient : « Oui, nous en avons, » mais sans ajouter : « Nous les
imprégnons d’huile pour qu’elles puissent brûler. »

Déjà M. Isma’yl-Boû-Derba avait trouvé dans l’Ouâdi-Igharghar, mais
provenant du Ahaggâr, des laves de même nature.

Ces deux constatations, confirmatives d’autres indications données par
les Touâreg, ne laissent aucun doute sur la formation volcanique des
points culminants du Ahaggâr et du Tasîli.

Plus loin, j’aurai l’occasion de constater la présence de pierres de
même nature dans le Djebel-es-Sôda (la montagne noire) que j’ai pu
étudier avec plus de soin, mon itinéraire traversant ce massif de
montagnes.

Le fond du sol de Sâghen est un composé de sables et d’argile apportés
par les eaux d’inondations ; dans les sables, on trouve une grande
quantité de mica. Les pierres roulées par les eaux sont des grès ou des
détritus de roches plus grossières, formés de grains de quartz
agglomérés.

De Sâghen à Tâdjenoût, la route suit la vallée de l’Ouâdi-Tikhâmmalt,
tantôt sur une rive, tantôt sur une autre. En remontant le lit de cette
rivière, on remarque sur le sol des affleurements d’un grès grisâtre,
noirci à la surface.

A Tâdjenoût, pour la première fois depuis mon départ de Ghadâmès, je
rencontre des sources d’eau vive et je dois faire observer que, des
puits de Timelloûlen jusqu’à Tâdjenoût, sur un parcours de 310
kilomètres, l’eau ne se trouve qu’accidentellement dans les rhedîr ; ce
qui rend cette route difficile en dehors des années de grandes pluies.

La route orientale, celle des caravanes, est plus riche en eau, car en
tout temps on est certain d’en trouver dans les puits sur six points
différents.

De Ghadâmès à Tâdjenoût, mon itinéraire avait suivi une direction
générale Nord et Sud. Tout à coup, il tourne à l’Est et longe le versant
Nord du Tasîli jusqu’à l’Ouâdi-Izêkra.

Entre Tâdjenoût et l’Ouâdi-Izêkra, la distance est de 46 kilomètres. Au
Nord de la route, le terrain conserve les caractères généraux de la
plaine des Igharghâren ; au Sud, apparaissent en affleurements les grès
siliceux, fins, très-durs, gris jaunâtres du Tasîli[42].

Au point où l’Ouâdi-Izêkra sort du Tasîli pour déboucher dans la plaine,
le sol est recouvert par une couche de sable, en mélange avec de la
terre végétale.

Il n’y a d’eau dans cette rivière qu’après les grandes pluies. En temps
ordinaire il faut aller s’abreuver au puits d’In-Hemoûl, à 4 kilomètres
en aval dans le lit de l’ouâdi.

De l’Ouâdi-Izêkra à l’Ouâdi-Târat (30 kilomètres), la route continue,
comme la précédente, à suivre le pied du Tasîli en conservant les mêmes
caractères.

La vallée de Târat forme une large coupure dans la montagne ; à l’Est et
à l’Ouest, elle est bordée de pics de grès noir. La largeur de l’ouâdi
est de 800 mètres environ ; la hauteur des berges est de 90 à 100
mètres. Cette sorte de col porte le nom d’_Aghelâd_ (passage).

Dans l’Est, sur la rive droite de l’ouâdi, apparaît le haut pic de
Mârhet, qui domine le niveau moyen du plateau du Tasîli dans lequel on
va entrer. Dans le bas de la vallée, est une ligne de hautes dunes de
sables qui se prolongent dans l’Est jusqu’à Tânit-Mellet.

Sur la rive gauche de Târat, on trouve un énorme tamarix appelé Azhel-
en-Bangou.

Près de ce point, dans le fond de la vallée, je remarque des grès
ferrugineux sensibles à l’aimant[43], pierres détachées provenant de la
partie supérieure de l’ouâdi. Plusieurs de ces pierres me paraissent
avoir été soumises à l’action du feu ; j’en demande l’explication aux
Touâreg qui me répondent avoir l’habitude de les faire rougir et de les
jeter ensuite dans le lait afin d’en assurer la conservation.

Sans s’en douter, les Touâreg préparent ainsi un lait ferrugineux et
devancent, sous ce rapport, les peuples civilisés qui, jusqu’à ce jour,
se sont bornés à l’usage de l’eau ferrugineuse.


                       E. — _Tasîli des Azdjer._


Le Tasîli du Nord ou des Azdjer, dont il est ici question, est un
immense gradin de 500 kilomètres de longueur et de 130 kilomètres de
largeur moyenne, orienté du Sud-Est au Nord-Ouest, et dont le point le
plus élevé porte le nom d’Adrâr.

Ce plateau, à l’exception des vallées, est complétement dénudé ; on n’y
trouve pas même d’herbe.

A partir de Târat, pendant l’ascension, ma boussole perd momentanément
sa direction vers le Nord. Ne pouvant attribuer cet affolement aux grès
ferrugineux d’Azhel-en-Bangou, j’interroge les Touâreg sur l’importance
et l’étendue des gisements de fer dans leurs montagnes, et j’apprends
que je devais en trouver sur plusieurs points de mon itinéraire jusqu’à
Rhât.

Le ravin de l’Ouâdi-Alloûn me conduit sur les hauteurs du Tasîli.

Les berges de cet ouâdi constituent de chaque côté des murailles de
grès, noircis à la surface, dont la hauteur augmente à mesure qu’on
monte.

L’assise inférieure de ces murailles présente, au niveau du lit, un
sable jaune grisâtre, légèrement concret[44], au milieu duquel je trouve
des veines spathtiques[45] qui se prolongent en affleurements dans le
lit. La masse, jusqu’au sommet de la berge, est un grès siliceux[46],
compact, très-dur, dont la couleur varie suivant les minéraux dont il
est imprégné.

Sur la rive droite de l’Ouâdi-Alloûn, au fond d’un ravin affluent,
jaillit la source de Ahêr, dans un bassin à fleur de sol, d’un mètre
carré à peu près, mais dont le réservoir est couvert par un rocher sous
lequel résonne l’écho quand on plonge les seaux dans la source.

Sa température est de 19° 8, celle de l’air étant de 26°.

Le sol, autour de la source, porte des traces de dépôts salins.

Les rochers des environs forment des blocs anguleux détachés, des
grottes ou abris sous lesquels vivent des pigeons et autres oiseaux.

Dans une de ces grottes, et sur un des rochers voisins, je trouve douze
inscriptions en langue temâhaq que je copie.

A la sortie du ravin par lequel la source d’Ahêr débouche dans le lit de
l’Ouâdi-Alloûn, je rencontre, sur la route, des traces de constructions
régulières dont je lève le plan et qui me paraissent appartenir à la
civilisation berbère. Les Touâreg, que j’interroge sur l’origine de ces
constructions, me disent que ce sont les tombeaux des gens d’autrefois
qu’on appelait _Jabbâren_ ou géants. Il existe dans le pays un certain
nombre de ces tombeaux.

Après le ravin desséché de l’Ouâdi-Alloûn, le plateau est hérissé de
rocs énormes, séparés les uns des autres par de grandes crevasses. Ces
rocs ont souvent une forme curieuse qui rappelle les pierres levées des
anciens Druides ; mais, ici, l’origine de ces pierres étranges est toute
géologique.

Ce sont d’immenses blocs aplatis[47] dans leur partie supérieure et
tenus en équilibre sur une base étroite comme le pied d’une coupe, mais
assez haute pour qu’un cheval et son cavalier puissent circuler sous le
plateau supérieur. (Voir page 35.)

Ces formations bizarres sont dues à l’action des eaux diluviennes qui,
en respectant la partie supérieure et la plus dure de la roche, ont
rongé la partie la plus tendre du piédestal.

Le point du plateau qui supporte ces témoins géologiques, en nombre
assez considérable, s’appelle Takarâhet. Plus loin, dans l’Est, le même
plateau prend le nom significatif de Teroûrit (le dos), parce qu’il
devient le point de partage des eaux qui se rendent du côté de l’Ouest
dans le bassin de l’Igharghar, et dans l’Est, vers Tîterhsîn, d’où elles
vont se perdre dans le bassin des dunes d’Edeyen.

Entre Takarâhet et Teroûrit, la route traverse successivement trois
basses dépressions : celle de l’Ouâdi-Tîn-Array, de l’Ouâdi-Tîn-Têrdja,
de Tîn-Tâkelît, qui portent les eaux du plateau aux sables de Tânit-
Mellet, d’où elles vont rejoindre l’Ouâdi-Târat.

Les rochers nus qui séparent ces trois dépressions sont tellement
hérissés et distribués sans ordre, qu’un excellent guide est nécessaire
pour ne pas perdre la route. Ces rochers sont toujours de grès siliceux,
dur, compact, noir à la surface, gris cendré à l’intérieur[48].

Après de nombreux détours au milieu de ces rochers, le chemin atteint la
tête de l’Ouâdi-In-Ezzân, affluent du bassin de Tîterhsîn.

Le ravin assez large de cet ouâdi est bordé de chaque côté de hautes
murailles formées de deux assises bien distinctes : la supérieure,
composée d’un grès-quartzite[49], compact, blanchâtre à l’intérieur,
avec coloration brune ferrugineuse à la surface ; l’inférieure, composée
d’un grès grossier, siliceux, de couleur jaune sale[50].

Ce ravin conduit directement à Titerhsîn. Dans sa partie haute, il porte
le nom d’In-Akhkh ; dans sa partie basse, celui de Timsennanîn.

Au confluent de l’Ouâdi-Tiferghasîn dans Timsennanîn, je trouve une
pierre roulée[51], noire, à grain très-fin, lourde, qui, à l’examen, a
été reconnue être du fer oligiste de la plus grande richesse.

Timsennanîn est séparé du bas de la vallée par une dépression du nom de
Takhôba, au delà de laquelle on entre sur un terrain plus élevé, couvert
de blocs de grès de formes accidentées ; après quoi on descend par une
pente insensible dans le fond de la vallée.

Sur la rive gauche de l’ouâdi, à peu de distance de la route, est une
petite ligne de sable, encore appelée Azekka-n-Bôdelkha, dernier vestige
d’une chaîne de dunes dont j’ai déjà parlé (voir page 42) et qui tend à
se reconstituer.

La vallée de Tîterhsîn, à fond alluvionnaire, est à l’extrémité
orientale du Tasîli ce que la vallée des Igharghâren est à son versant
Nord, c’est-à-dire le réceptacle des eaux pluviales qui, avec celles
venant de l’Ouest de la plaine de Tâyta, vont se perdre dans les dunes
d’Edeyen. Avant l’obstacle apporté par les sables, toutes ces eaux se
réunissaient à celles des Igharghâren pour aller grossir l’Igharghar.
Elles doivent s’y rendre encore, mais souterrainement.

La vallée de Tîterhsîn cesse d’avoir un bassin tracé à partir de sa
sortie des montagnes ; de là jusqu’aux dunes, elle offre l’aspect d’une
vaste plaine de sable.

Malgré le rôle hydraulique qu’elle joue, on n’y trouve de puits qu’à
Tâdjenoût, au pied des dunes et à Tarz-Oûlli, dans la vallée. Ce dernier
est comblé. Après les grandes pluies, il est vrai, il existe dans le lit
de la rivière un endroit appelé Amezzien, où l’eau s’accumule et forme
un rhedîr qui persiste pendant deux ans.

En tout temps, les sources de Tihôbar, dans l’Ouâdi-Taouezzak, affluent
de Tîterhsîn, suffisent aux besoins des voyageurs.

Près de ces sources sont des cultures de blé.

Sur les rives desséchées du rhedîr d’Amezzien, je trouve des coquilles
d’eau stagnante, mortes depuis longtemps, et qui ont été reconnues par
M. Deshayes pour être la _physa contorta_ (Michaud) et la _bithinia
dupotetiana_ (Forbes).


                       F. — _Vallée d’Ouarâret._


Cette vallée porte communément et indistinctement les deux noms
d’Ouarâret et d’Aghelâd.

Ouarâret est le nom particulier du principal ouâdi de la vallée.

_Aghelâd_ signifie _passage_. En effet, la vallée est un vaste couloir
entre le Tasîli et l’Idînen, par lequel passe la grande route de
Ghadâmès à Rhât.

A 7 kilomètres de Tarz-Oûllî, on remarque sur le rebord rocheux du
Tasîli le mont Têlout, entièrement isolé aujourd’hui, mais dont la
constitution est tout à fait semblable à celle du Tasîli dont il semble
détaché.

A quelques kilomètres, à gauche, en entrant dans la vallée, au sortir de
Tîterhsîn, on aperçoit un petit plateau allant de l’Ouest à l’Est, du
nom de Tizoûl (même racine que _tazôli_, fer). La couleur de la roche me
paraît, de loin, noirâtre avec des nuances jaunes. Je ne tarde pas à
être fixé sur la nature de sa formation.

En effet, à 20 kilomètres de Tarz-Oûllî, je trouve les puits artésiens
d’Ihanâren, nouvellement curés, et, autour de ces puits, provenant des
déblais, des dépôts de sables ocreux, contenant des débris végétaux,
mais surtout remarquables par la quantité de fer qu’ils renferment[52].

Ces puits, au nombre d’une dizaine environ, ont été creusés à la façon
de ceux de l’Ouâd-Rîgh et, comme eux, donnent des eaux jaillissantes
servant à l’irrigation des terres voisines, au moyen de canaux et de
réservoirs en maçonnerie.

Le 12 mars 1861, jour où je rencontrai ces puits, la température des
eaux était de 24° 4 au fond des bassins, celle de l’air extérieur étant
de 8°. Je dois ajouter que les outres contenant nos provisions d’eau
avaient gelé dans la nuit du 11 au 12 et dans les deux précédentes.

La profondeur moyenne des puits est de 1m 50 à 2 mètres environ. Leurs
orifices sont entourés de branchages pour éviter que les animaux y
puissent tomber ; c’est pourquoi, sans doute, les déblais provenant du
curage contiennent des matières végétales.

La vallée qui conduit à Rhât a 44 kilomètres de longueur, sur une
largeur moyenne de 7. Sa direction générale est Nord et Sud.

Dans la vallée est une source, celle de Tinoûhaouen, appartenant à une
dame de Rhât et exploitée pour l’irrigation.

Cette source, connue des anciens Touâreg, avait depuis longtemps disparu
sous des masses de sables ; on l’avait déblayée en 1858.

Le sol de cette vallée, là où il n’est pas recouvert par des sables, est
composé d’argiles roses, micacées, tantôt terreuses[53], tantôt
schisteuses[54], qui se montrent sous forme de veines.

Les parties les plus basses de ces veines sont sillonnées
d’affleurements d’alun qu’on exploite[55].

Sous les grès quartzites des berges de la vallée, sont des grès
micacés[56], rougeâtres, très-fins et très-compacts, lamellés, se
détachant en couches de 8 à 9 millimètres d’épaisseur.

Le mont Idînen, qui marque le côté oriental de la vallée d’Ouarâret, est
réputé par les indigènes être le séjour mystérieux d’esprits
surnaturels, _Idînen_, d’où lui est venu son nom.

La forme d’Idînen est celle d’un fer à cheval, du centre duquel part un
ravin aboutissant au Tanezzoûft. M. le docteur Barth, qui a visité ce
mont, s’exprime ainsi sur sa nature : « J’atteignis enfin la crête qui
s’élève semblable à une muraille au sommet de la côte. Je constatai que
ce massif se composait généralement de couches horizontales de marne
reposant sur un lit de pierres calcaires ; sur le versant, je découvris
un vaste chaos de blocs de rochers tombés du haut de la montagne. »

Rhât est adossée à une chaîne de collines peu importantes qui portent le
nom de Koukkoûmen.

Autour de Rhât, on retrouve la terre végétale des oasis, légèrement
sablonneuse et arrosée par de nombreuses sources qui sourdent de tous
les points.


                             IIIe SECTION.

                         DE TÎTERHSÎN A ZOUÎLA.


Cet itinéraire géologique comprendra les divisions suivantes :


_A._ — Passage de l’Akâkoûs, entre Tîterhsîn et Serdélès ;

_B._ — Désert de Tâyta, entre Serdélès et Oubâri ;

_C._ — Parcours de l’Ouâdi-Lajâl, entre Oubâri et le plateau de
Mourzouk ;

_D._ — Dunes d’Edeyen ;

_E._ — Hamâda de Mourzouk ;

_F._ — Dépression d’El-Hofra ;

_G._ — Cherguîya ;

_H._ — Massif du Hâroûdj.


                    A. — _De Tîterhsîn à Serdélès._


La distance entre ces deux points est de 80 kilomètres.

Jusqu’à l’Ouâdi-Tanezzoûft, qui vient de Rhât et dont la vallée sépare
le plateau d’Idînen de la chaîne de l’Akâkoûs, la route ne traverse
guère que des sables et quelques petits plateaux pierreux entre des
dunes de sables.

A Amarhîdet, je retrouve les argiles schisteuses[57] de la vallée
d’Ouarâret, avec des colorations qui varient du rouge lie de vin au
blanc pur en passant par les nuances intermédiaires du violet, du rose
et du jaune, suivant les diverses stratifications.

Au delà du Tanezzoûft est le passage de l’Akâkoûs, d’abord par un
plateau inégal, ensuite par un dédale de collines, de pitons et de
ravins successivement échelonnés dans le plus grand désordre.

Sur un parcours de 4 kilomètres, la roche est nue, sans végétation et
composée d’un grès fin, micacé, de couleur rosée, stratifié, très-
solide[58].

La chaîne de l’Akâkoûs est tellement abrupte, dressée en forme de
muraille, que c’est à peine si, une fois en dix années, il se rencontre
parmi les Touâreg un homme assez adroit pour pouvoir en opérer
l’ascension, par un unique escalier très-étroit, Abarqa-wân-dârren
(chemin des piétons), et qui va chaque jour en se dégradant. On cite
dans le pays les rares individus qui ont gravi ce rempart de roches
dénudées, dont les pointes, dressées vers le ciel, présentent l’aspect
le plus bizarre.

Le versant méridional de la montagne conduit, par une pente insensible,
à Serdélès.

Ce point, que les Arabes appellent aussi El-’Aouïnât, est certainement
l’un des plus remarquables du Sahara.

Si l’artiste peut, dans un seul coup d’œil, embrasser trois des grandes
horreurs de la nature : le squelette dénudé de la chaîne de l’Akâkoûs,
le désert de Tâyta, les dunes d’Edeyen ; si l’archéologue trouve dans
les ruines du château d’Aghrem matière à exercer sa sagacité ; si
l’attention du botaniste est appelée par un arbre gigantesque, l’_acacia
albida_ de Delille, unique de son espèce dans tout le pays d’Azdjer,
celle du géologue est bien plus surexcitée encore par la constatation
d’une série de faits, tous nouveaux pour lui.

D’abord, il est au point de partage des eaux entre le bassin de la
Méditerranée et celui de l’Océan ; ensuite, au lieu d’une nature aride,
sans eaux, comme celle des contrées environnantes, il trouve dans
l’enceinte du château une source remarquable par son volume et, à côté,
deux puits artésiens, alimentant de leur jet continu divers bassins
aménagés pour l’irrigation des terres ; enfin, il est là sur le terrain
le plus ancien connu sur tout le continent africain, le terrain
dévonien, immédiatement inférieur aux dépôts houillers, et ce terrain
apparaît dans des conditions qui ne laissent aucun doute sur son
identification.

M. de Verneuil, celui de nos professeurs le plus versé dans l’étude des
terrains anciens, a bien voulu déterminer la nature des échantillons de
roches que j’ai rapportés de cette contrée. Voici textuellement les
notes qu’il a bien voulu rédiger à ce sujet.

« Il y a dans les échantillons de grès argileux de Serdélès soumis à mon
observation deux espèces de coquilles fossiles reconnaissables : un
_spirifer_ et le _chonotes crenulata_.

« La plus abondante des deux espèces est un _spirifer_ strié, à sillon
lisse, appartenant au groupe des _ostiolati_ de de Buch. C’est peut-être
même le _spirifer ostiolatus_ (Schlotheim) qu’on réunit aujourd’hui
généralement au _spirifer lævicosta_ (Valencienne).

« Il y en a deux variétés, l’une plus courte, l’autre plus transverse.
Ces deux variétés s’observent dans le _spirifer lævicosta_ tel que l’a
figuré M. Schur. (_Brachiopoden von der Eifel_, pl. 32 _bis_, fig. 3
a-h.)

« Un des échantillons de Serdélès représente un _area_ assez élevé qui
pourrait le rapprocher du _spirifer subcuspidatus_ (Schnur) de
l’_Eifel_.

« Enfin on peut aussi comparer cette espèce au _spirifer medialis_
(Hall), qui est abondant dans le _Hamilton Group_ ou terrain dévonien de
l’État de New-York.

« Quelle que soit l’espèce à laquelle on rattache le _spirifer_ de
Serdélès, c’est toujours avec une espèce caractéristique du terrain
dévonien qu’il sera identifié, et c’est là le point capital.

« L’autre brachiopode que je distingue dans les deux échantillons qui
m’ont été soumis est le _chonotes crenulata_ (Römer). C’est une coquille
exclusivement dévonienne et caractéristique surtout de l’étage moyen
ainsi que la précédente. Elle a beaucoup de ressemblance avec le
_chonotes striatella_ du système silurien, mais elle a l’_area_ un peu
moins développé et sa plus grande largeur est au milieu des deux valves,
ce qui lui donne une forme légèrement arrondie.

« Le terrain dévonien est aujourd’hui connu dans le Nord de l’Afrique
sur trois points :

« 1o Dans le Maroc, où il a été découvert et décrit par M. Coquand,
professeur à Marseille (voir le _Bulletin de la Société géologique_,
vol. IV, page 1204) ;

« 2o Dans le Fezzân, où le docteur Overweg l’a trouvé en traversant
l’Amsâk à 80 kilomètres environ à l’Est de Serdélès (voir _Zeitschrift
der deutschen geologischen Gesellschaft_, IV Band. — Berlin, 1852) ;

« 3o Enfin, à Serdélès, d’où proviennent les deux échantillons soumis à
mon examen par M. Henry Duveyrier[59].

« Dans le Sud de l’Afrique, ce même terrain dévonien se représente près
du cap de Bonne-Espérance, dans la montagne de la Table.

« Le terrain silurien et le terrain carbonifère, le premier au-dessous,
le second au-dessus du dévonien, n’ont pas encore été signalés en
Afrique, que je sache au moins.

« Cependant, au Maroc, M. Coquand croit pouvoir rapporter au terrain
silurien les calcaires à _bronteus_ et à _orthoceras_ qui sont au-
dessous des grès dévoniens. (Voir le _Bulletin_, vol. IV. p. 1204.)

« Des grès argileux, assez semblables à ceux de Serdélès, se trouvent
aussi à Almaden, en Espagne, dans le terrain dévonien. Ils abondent
également en moules de _spirifer_ dont quelques-uns sont voisins de
l’espèce que nous venons de mentionner. »

Les échantillons soumis à l’examen de M. de Verneuil figurent dans ma
collection sous les nos 37 et 38. Ils proviennent d’une roche près du
château.

La même localité me fournit encore un grès ferrugineux[60] présentant
quelques traces de coquilles indéterminables paraissant se rapporter aux
grès précédents.

Mais, chose curieuse, près de la source, je retrouve le calcaire
crétacé[61], jaunâtre, avec _inocerames_ et bivalves, du plateau sur
lequel est bâti Ghadâmès.

La source du château sort d’un bassin de 3 à 4 mètres de long, sur 1
mètre 50 de large. De là, les eaux s’écoulent, par un canal profond
creusé dans la butte sur laquelle est bâti le château, pour aller
arroser des cultures de céréales dans les environs.

A Serdélès, pour atteindre la nappe d’eau jaillissante, il faut creuser
à la profondeur de trois hauteurs d’homme ; mais, disent les habitants,
pour y arriver on a à percer une couche de roche très-dure, difficulté
devant laquelle on recule pour augmenter le nombre des puits. D’ailleurs
à quoi bon ? La nature du sol environnant, imprégné d’alun et de sel,
n’est pas favorable à la culture, et son infertilité ne sollicite pas à
entreprendre des travaux pénibles pour le féconder.

L’eau de la source, comme celle des puits, est excellente. L’une et
l’autre sont employées aux irrigations. Les puits son particulièrement
affectés à l’arrosage des palmiers.

A 4 kilomètres au Nord-Ouest, avant d’arriver au château de Serdélès, on
trouve la source de l’alun, _Tîn-Azârif_, près de laquelle, en effet, de
beaux affleurements d’alun blanc[62] me permettent d’en faire provision.


                        B. — _Désert de Tâyta._


Dès la sortie du bassin de l’Ouâdi-Serdélès, on entre sur un terrain
plus élevé, à gradins successifs, le tout de la plus grande aridité et
recouvert de grès noirâtres. Bientôt on atteint une plaine unie, de
gravier solide ; c’est le commencement du désert de Tâyta qui présente
une formation géologique nouvelle ; ici, de grandes parties calcaires
qui m’ont paru dolomitiques, sur et dans une pâte de grès avec laquelle
elles forment corps ; là, des pierres détachées, d’un calcaire gris
compact à grain très-fin[63] ; ailleurs, des rognons d’un conglomérat
composé de grains quartzeux blancs réunis par une pâte rouge
complétement siliceuse[64] ; à droite, du gravier pur ; à gauche, une
terre rougeâtre tendre, avec ou sans gravier ; enfin, une roche composée
de divers éléments : dolomies, quartz, silex, agglomérés ou plutôt
fondus les uns dans les autres.

Le désert de Tâyta occupe l’espace compris entre les chaînes de
l’Akâkoûs et de l’Amsâk, les oasis de l’Ouâdi-Lajâl, les dunes d’Edeyen
et la plaine des Igharghâren.

Sur toute son étendue la végétation est nulle.

Sa largeur, entre l’Akâkoûs et l’Amsâk, c’est-à-dire de l’Ouest à l’Est,
est de 65 kilomètres, et sa longueur, du Nord au Sud, est de 160.

Ma route coupe ce désert dans sa plus grande largeur, en me rapprochant
du coude de l’Amsâk et en m’éloignant des dunes d’Edeyen.

J’aperçois de loin, dans le Sud-Est, la coupure de l’Amsâk, que M. le
docteur Barth a traversée pour passer de l’Ouâdi-Aberdjoûch dans le
désert de Tâyta. Elle est appelée _Aghelâd_ par les Arabes et _Alfao_
par les Touâreg[65].

« Des deux côtés de l’étroit passage, dit le célèbre voyageur,
s’élevaient à une hauteur de cent pieds, des murailles de rochers à pic,
composées d’énormes couches de marne et de grès, qui se rapprochaient
quelquefois au point de ne plus laisser entre elles qu’un espace de six
pieds. »

A sa sortie du défilé, M. le docteur Barth a trouvé le sol du désert
aride, couvert de grès et de pierres calcaires.

Sous le même méridien, à 33 kilomètres dans le Nord, le sol se présenta
à moi sous forme d’une terre rougeâtre et tendre, mais toujours
recouvert de graviers et de pierres.

Plus on se rapproche de l’Amsâk, plus le plateau, tout en conservant ses
caractères généraux, est jonché de pierres détachées, de grès ordinaire.

Au pied d’un des nombreux caps de l’Amsâk, apparaît une profonde
caverne, avec une ouverture assez large pour donner passage à un
chameau ; cette caverne est une ancienne carrière de pierres meulières,
appelée _Ouiderêren_ (les meules).

Sur un autre point, nommé Tîn-Aboûnda, surgissent des affleurements de
calcaire blanc détérioré.

Avant l’arrivée à Tîn-Aboûnda, le désert perd son aspect désolé : à un
sol nu, aride, sans végétation, sans eau, succède une forêt de gommiers,
celle dite d’Oubâri, qui sépare le désert de Tâyta des nombreuses oasis
de l’Ouâdi-Lajâl.

Deux puits, celui d’Essâniet et d’In-Tafarat, peu éloignés l’un de
l’autre, témoignent aussi que la nature du sol a changé.

Le puits d’In-Tafarat, d’une profondeur de 4m 50, est creusé dans une
terre ocreuse.

La pente générale du désert de Tâyta est du Sud-Est au Nord-Ouest.
Toutes les eaux des versants de l’Amsâk, après avoir traversé la plaine
de Tâyta dans des dépressions à peine marquées, vont se perdre dans les
dunes d’Edeyen.

Le plateau sur lequel s’élève la forêt de gommiers est le point de
partage des eaux entre le bassin de Tâyta et celui de l’Ouâdi-Lajâl.


                          C. — _Ouâdi-Lajâl._


On donne le nom commun d’Ouâdi-Lajâl à une vallée de 190 kilomètres de
longueur dans sa partie habitée et cultivée, et d’une largeur moyenne de
8 kilomètres.

Cette longue vallée, dont la direction et la pente générale sont de
l’Ouest à l’Est, est bornée au Nord par le bourrelet méridional des
dunes d’Edeyen et au Sud par la prolongation de la chaîne de l’Amsâk.

Au Nord, les dunes forment une ligne à peu près droite, tandis qu’au Sud
la chaîne de l’Amsâk offre de nombreux caps et de nombreux golfes,
sortants et rentrants, qui découpent inégalement ce côté de l’ouâdi.

La partie Ouest de cette vallée porte le nom de Ouâdi-el-Gharbi (vallée
de l’Ouest) ; la partie Est, celui de Ouâdi-ech-Chergui (vallée de
l’Est) ; elles sont séparées l’une de l’autre par deux promontoires :
l’un de dunes, du côté du Nord ; l’autre de rochers, du côté du Sud.
Mais géologiquement, ces deux vallées n’en font qu’une ; car elles ont
la même pente à l’Est, la même nature d’eau et de sol.

Le sol, à la superficie, est un terrain de _heycha_, c’est-à-dire une
terre alluvionnaire, légère, saturée de sel et boursouflée par l’action
combinée des eaux et de la chaleur.

Ce terrain de heycha, on le retrouvera, plus au Sud, dans l’Ouâdi-’Otba,
dans la Hofra ou dépression de Mourzouk, et dans la Cherguîya, autour de
Zouîla.

Cette nature de terrain est aussi celle des oasis septentrionales du
Nefzâoua, d’El-Faïdh, de l’Ouâd-Rîgh, du bassin de Ouarglâ et même du
Touât.

Le sous-sol est un terrain d’alluvion jaunâtre, calcaire, mélangé de
petits grains quartzeux très-roulés[66].

Dans cette grande vallée de l’Ouâdi-Lajâl, il n’y a pas de lit de
rivière proprement dit ; mais, sur toute l’étendue de la vallée, on
trouve, à une profondeur moyenne de 3m 60, une couche aquifère dont
l’eau est amenée à la surface du sol au moyen de puits et d’appareils
en charpente qui ne sont pas sans quelque analogie avec ceux usités
en Égypte pour l’arrosage des terres. J’en donne un dessin ci-contre.

Toute la vallée est couverte de villages et de forêts de palmiers, à
l’ombre desquels on cultive des plantes maraîchères et des arbres à
fruits de diverses espèces.

J’ai à signaler comme dérogeant à l’uniformité générale de la vallée les
objets suivants :

1o Une carrière d’argile à poterie, encore exploitée aujourd’hui, au
pied du Djebel-Tîndé, l’un des caps de l’Amsâk qui dominent Oubâri ;

2o A Djerma, les grandes pierres de taille du monument romain, extraites
des carrières de l’Amsâk, en grès rose, analogue à ceux des édifices de
l’ancienne Égypte ;

3o Une mine de sel, de qualité inférieure à cause de son mélange avec
une terre rousse, et située au milieu de l’Ouâdi-El-Gharbi, entre la
chaîne de l’Amsâk et les dunes ;

Un système de puits à galeries, _fogârât_, creusé sur le flanc du
versant Sud de l’Amsâk dans un golfe vis-à-vis l’ancienne Garama.

Me trouvant à Djerma, je ne pus m’empêcher de penser aux émeraudes
garamantiques jadis si célèbres à Rome. Sur les lieux, on ne m’a donné
que des renseignements négatifs ; mais les Arabes nomades de l’Ouâdi-
ech-Chiati, à 120 kilomètres au Nord de Djerma, m’assurèrent que l’on
trouvait chez eux de ces émeraudes enchâssées dans des bagues provenant
des fouilles des anciens tombeaux. D’autre part, on sait que des
émeraudes ont été découvertes dans le Touât, qui devait être compris
dans le pays des Garamantes, dont la domination s’étendait dans l’Ouest
jusqu’à l’oasis du Tafilelt, l’ancienne Sedjelmâssa. Il est donc
possible que les émeraudes de l’antiquité aient été trouvées ailleurs
qu’aux environs de Djerma.

Le nombre des villages de l’Ouâdi-El-Gharbi est de onze, savoir :

Oubâri, Ghoreyfa, Touech, Djerma, Teouîoua, Berêg, El-Fogâr, Tekertîba,
El-Kharâig, Garâgara, El-Fejîj.

Je ne puis indiquer ceux de l’Ouâdi-Ech-Chergui, n’ayant pas visité
cette partie de la vallée.

Pl. IV. Page 68. Fig. 9.

[Illustration : APPAREIL A ÉLEVER L’EAU DANS LES OASIS DU FEZZÂN.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]


                         D. — _Dunes d’Édeyen._


_Edeyen_, en langue temâhaq, signifie _dunes_. Je donne ce nom à toute
une région de sables, courant de l’Ouest à l’Est, que j’ai traversée
entre les plateaux de Tînghert et d’Eguélé, puis longée dans la
traversée du désert de Tâyta, et que je retrouve au Nord de l’Ouâdi-el-
Gharbi en visitant les lacs de Gabráoûn et de Mandara. M. le docteur
Barth l’a parcourue dans sa plus grande largeur entre l’Ouâdi-ech-Chiati
et l’Ouâdi-el-Gharbi, en se rendant directement de Tripoli à Mourzouk.

La longueur de cette zone de sables, de l’Est à l’Ouest, est de 800
kilomètres environ.

Sa largeur moyenne est de 80.

Dans mon itinéraire géologique de Ghadâmès à Rhât, j’ai indiqué la
nature de cette zone entre Ohânet et Abrîha.

Un itinéraire de Ghadâmès à Rhât, recueilli par renseignements, me donne
sa largeur entre Tâghma et Tidjedakkannin, avec un puits au milieu,
celui d’El-Mîsla.

J’extrais de l’itinéraire du docteur Barth, entre l’Ouâdi-ech-Chiati et
l’Ouâdi-el-Gharbi, les renseignements suivants :

« Notre route, extrêmement pénible, nous conduisit presque sans cesse
entre de hautes et roides collines de sable. Il s’élevait encore dans
certains endroits des groupes de palmiers. Le plus important est
l’Ouâdi-ech-Chiouch, enseveli entre deux hautes dunes de sable blanc
mouvant.

« Dans notre seconde journée de marche, les collines de sable étaient si
escarpées qu’il nous fallait, de nos mains, en aplanir les côtés pour
que nos chameaux pussent y avoir pied ; l’un de nos chameliers me dit
que cette zone de sable s’étendait, du Sud-Ouest au Nord-Est, depuis
Douessa jusqu’à Foukka. »

J’ignore quelle est la position de Douessa, mais je connais celle de
Fogha, à l’Est de ma route de retour par Sôkna, et je crois devoir ne
pas prolonger jusque-là la zone de ces dunes, bien qu’en effet les
sables s’y montrent encore, mais non plus sous la forme de dunes
compactes et pressées les unes sur les autres.

« Notre troisième journée de marche, ajoute M. le docteur Barth,
continua à travers des collines de sable. Après avoir traversé l’Ouâdi-
Djemmal, nous arrivâmes à la pente la plus escarpée de ce désert de
sable.

« Nous campâmes dans l’Ouâdi-Tiguidéfa, près de deux palmiers plantés
l’un à côté de l’autre et d’une source abondamment pourvue de fort bonne
eau.

« Après douze heures de marche dans les dunes de sable, nous arrivâmes,
le quatrième jour, dans l’Ouâdi-el-Gharbi. »

En allant visiter les lacs de Mandara, de Gabráoûn, de Bahar-ed-Doûd et
autres, situés dans ces dunes, au Nord de l’Ouâdi-el-Gharbi, j’eus
l’occasion de les reconnaître de nouveau. Je les trouvai dépourvues de
végétation, d’un accès difficile, tantôt formant des chaînes, tantôt
s’élevant, à de grandes hauteurs, en pitons isolés taillés presque à
pic.

Un des caractères distinctifs de cette région est d’être abondamment
pourvue d’eau, car indépendamment des dix lacs salés ou d’eau douce dont
il a été question au chapitre précédent, il en est encore d’autres que
je n’ai pas cru utile d’aller visiter, parce qu’ils m’ont paru tous de
même nature.

M. le docteur Barth constate aussi la présence de l’eau en plusieurs
points.

On dirait donc que cette immense région de sable a pour mission de
conserver les eaux des hauteurs qui les bordent.


                       E. — _Hamâda de Mourzouk._


Entre l’Ouâdi-el-Gharbi et Mourzouk s’étend un plateau que les indigènes
appellent hamâda, sans le différencier par un nom particulier des autres
hamâd, mais auquel je donne le nom de la capitale du Fezzân, afin de le
distinguer de ses homonymes.

En sortant de l’Ouâdi-el-Gharbi, on doit traverser la chaîne de l’Amsâk
par un col étroit, difficile à gravir, à cause des pierres glissantes
qui obstruent le passage ; puis on entre dans la hamâda, dont le sol,
dépourvu de végétation, est couvert d’un gravier mélangé de terre
formant un tout solide. Cette contrée me rappelle, malgré moi, la hamâda
entre Laghouât et le pays des Beni-Mezâb, avec cette différence que les
pistachiers du Sahara algérien sont remplacés dans le Fezzân par des
gommiers.

On me signale à peu de distance, dans l’Ouest de la route, un puits de
45 mètres de profondeur ; plus loin, je trouve dans le lit de l’Ouâdi-
er-Resiou un autre puits qui n’a plus que 18 mètres ; il s’appelle
Bîr-’Amrân. La hamâda conserve toujours l’aspect d’un désert sec et
aride jusqu’à l’Ouâdi-’Otba.

L’Ouâdi-’Otba est une longue vallée qui prend son origine dans la chaîne
de l’Amsâk et se prolonge dans l’Est jusqu’au delà de la route de
Mourzouk à Sôkna. Il ne forme oasis que dans sa partie centrale, là où
des alluvions sablonneuses permettent la culture des palmiers et des
autres arbres.

On y compte cinq villages, savoir :

Tessâoua, Agâr, Tiggerourtîn, Marhaba, Doûjâl, tous rapprochés les uns
des autres et réunis ensemble par des plantations de palmiers.

Grâce à l’altitude du plateau, on trouve dans cette oasis des végétaux
des zones les plus différentes, entre autres l’olivier à côté du
palmier, le pommier et le pêcher à côté du gommier et d’autres arbres de
l’Afrique centrale.

L’Ouâdi-’Otba, comme l’Ouâdi-el-Gharbi, n’est alimenté d’eau que par des
puits. La nature du sol est la même, mais moins saline.

Entre l’Ouâdi-’Otba et la dépression de Mourzouk, on traverse la suite
de la hamâda, couverte de gravier en tout semblable à celui qu’on a
rencontré dans la partie Nord ; quelques petites dunes de sable viennent
de temps en temps atténuer la monotonie du paysage.

La distance entre l’Ouâdi-el-Gharbi et l’Ouâdi-’Otba est de 55
kilomètres, celle de l’Ouâdi-’Otba à Mourzouk est de 45 ; ensemble 100
kilomètres.

Ce plateau, que j’ai traversé obliquement, est limité au Nord et dans
l’Ouest par la chaîne de l’Amsâk ; mais dans le Sud et dans l’Est, il se
prolonge indéfiniment jusque dans le pays des Teboû ; ce qui rend les
routes méridionales de ce côté si pauvres en eau.


                     F. — _Dépression de la Hofra._


La dépression dans laquelle se trouve Mourzouk, et que les indigènes
appellent Hofra (bas-fond), est une surface unie de 110 kilomètres de
long sur 15 de large environ, divisée en deux parties inégales, l’une de
30 kilomètres à l’Ouest, l’autre de 80 à l’Est de la capitale du Fezzân.

Son fond est par excellence une terre de heycha, c’est-à-dire un terrain
alluvionnaire salin, à couches aquifères à peu de profondeur.

Les alluvions de la Hofra sont de sable mêlé d’argile, formant un tout
assez solide, mais facile à travailler.

La terre est tellement saline que les briques, avec lesquelles la ville
de Mourzouk est construite, se fondent à la pluie comme le sel lui-même.

La profondeur moyenne des puits est de quelques mètres ; l’eau qu’ils
fournissent est un peu saline comme le sol et d’une digestion difficile.

Aux environs de Trâghen, existe une source, celle de Ganderma, l’une des
plus belles qu’on puisse trouver dans la région saharienne.

La fontaine est entourée d’une muraille d’enceinte assez vaste, mais
très-mal conservée. Cette construction est défendue, sur toute sa
circonférence, par un fossé qui porte le nom de _gandô_. Il servait
autrefois de réservoir, d’où les eaux se rendaient par trois canaux aux
plantations de palmiers jusqu’à Ghoddoua, à 2 kilomètres de la source.
Ces canaux, dont on peut encore suivre le tracé, avaient de 0m 70 à 1
mètre de largeur ; ce qui témoigne d’un débit considérable.

Au moment de la conquête arabe, la source fut, dit-on, bouchée avec des
coins en pierre ; seul moyen que trouvèrent les conquérants pour réduire
à leur discrétion la ville païenne de Trâghen. Depuis cette époque, la
plus grande partie des eaux se perd dans le sol.

Toute l’étendue de la dépression de la Hofra est couverte, de l’Ouest à
l’Est, de villages, de plantations de palmiers et de cultures de toute
nature.

Au Sud-Ouest de Trâghen, à 2 kilomètres environ, s’étend une sebkha
autour de laquelle on rencontre des pierres bizarres appelées _merch_ ou
_fordogh_.

Ces pierres, de nature calcaire, ont subi une sorte de cristallisation,
mais, au lieu de prendre des facettes régulières comme celles des
cristaux, elles montrent les formes les plus étranges, cependant
toujours terminées par des lignes courbes ; ce sont probablement des
concrétions accidentelles des particules calcaires dont les terrains
voisins des sebkha sont comme imprégnés. Les produits naturels auxquels
on peut le mieux les comparer sont les stalactites.

Touîla est dans l’Est le dernier village de la Hofra ; il est bâti au
pied d’un petit plateau pierreux qui forme la limite orientale du
bassin. Sur l’un de ses versants, on a construit un puits à galerie ou
fogâr, qui amène l’eau dans les réservoirs échelonnés servant à
l’arrosage.


                          G. — _La Cherguîya._


La Cherguîya est séparée de la Hofra par une petite hamâda, continuation
probable de celle de Mourzouk et entrecoupée de dépressions
alluvionnaires salines de même nature que la Hofra elle-même.

En quittant Touîla pour aller dans la Cherguîya, on gravit immédiatement
le petit plateau pierreux auquel cette ville est adossée.

Ce plateau est composé d’un grès[67] quartzeux, brun lie de vin,
probablement chauffé par les anciens volcans, et d’un grès grossier,
très-siliceux, blanchâtre[68] dans certaines parties, jaunâtre[69] dans
d’autres.

A l’extrémité orientale de ce plateau, on trouve Maghoua, petit village
bâti dans une dépression saline dont l’eau a un goût de sel très-
prononcé.

En continuant la route dans l’Est, le sol est recouvert de buttes de
terre couronnées de tamarix ethel qui portent à croire que ces arbres
auraient protégé de leurs racines la partie d’un terrain autrefois plus
élevé. Une inondation formidable et récente aura probablement ravagé
celles de ces terres que les tamarix ne couvraient pas.

Dès qu’on quitte ce sol végétal, on rentre dans la hamâda avec son fond
pierreux. Au milieu est bâti le petit et misérable village de Tha’aleb.
Au delà, la hamâda recommence, d’abord avec un sol de sable et de
gravier, puis avec un sol pierreux. Enfin elle finit, et on arrive à
Oumm-el-Arâneb, village encore bâti sur le plateau.

Sur la droite de la route, on a laissé une dépression légère appelée El-
Guerâra, et plus loin une haute gâra ou témoin isolé.

En quittant Oumm-el-Arâneb, une longue colline rocheuse, de 20
kilomètres environ, reste dans le Nord ; le sol devient sablonneux sans
être mouvant jusqu’au village d’El-Bedîr ; au delà on continue à voyager
sur un fond de sable mélangé à de la chaux ; après quoi on traverse un
petit plateau pour descendre dans une dépression riche de végétation
dont le village d’Oumm-es-Sougouîn occupe le centre.

Après cette dépression, couverte de palmiers sur une étendue de
plusieurs kilomètres, reparaît une hamâda sablonneuse plus élevée que
l’oasis.

Je dois faire remarquer ici que, depuis l’entrée dans la hamâda
séparative de la Hofra, des sables se montrent toujours dans le Sud,
parallèlement à la route suivie. Au delà de la hamâda d’Oumm-es-
Sougouîn, les dunes se prolongent à 2 kilomètres de la route avec une
bordure de palmiers, puis on monte un nouvel échelon de la hamâda
redevenue pierreuse, et sur ce gradin, qui permet de dominer les dunes
de droite, on aperçoit une longue ligne de hauteurs bleues à 14
kilomètres environ. Je suppose que c’est le rebord du plateau sur lequel
on trouve Gatrôn et Wao.

Le village de Medjdoûl, qui fait partie de la Cherguîya, est situé entre
la ligne des sables et celle des hauteurs bleues.

Des points élevés de la hamâda d’où je plonge mes regards vers le Sud,
on descend par une pente douce dans les terres de culture et les
plantations de Zouîla.

De Touîla à Zouîla, la distance est de 70 kilomètres. Je n’ai pu ni
entrer ni séjourner dans cette dernière ville, et j’ai dû la quitter
quelques heures après avoir atteint ses jardins.

Tout ce que j’en sais, c’est que l’oasis de ce nom est considérable
comme étendue et couvre le bas-fond d’une dépression entre une ligne de
dunes de sables au Sud et une ligne de collines rocheuses au Nord. L’eau
qui alimente la ville est fournie par des puits.

Ici se termine ma reconnaissance à l’Est des montagnes occupées par les
Touâreg.

Je m’étais proposé, en m’avançant dans l’Est du Fezzân, d’aller jusqu’au
massif du Hâroûdj, sur la route de l’Égypte, pour embrasser dans son
ensemble le mouvement géologique auquel est due la formation des
montagnes de cette partie du Sahara ; mais, à la résistance que je
rencontrai à Zouîla, malgré l’appui du gouvernement turc, je reconnus
que je ne serais pas mieux accueilli chez les fanatiques des villes de
Fogha et de Zella et chez les Arabes nomades de la montagne ; je me
bornai donc à recueillir des renseignements qui, complétés par ceux du
voyageur Hornemann et de M. de Beurmann, ne laissent aucun doute ni sur
la nature volcanique de ce massif, ni sur sa position.


                       H. — _Massif du Hâroûdj._


Construit d’après mes renseignements combinés avec ceux du voyageur
Hornemann, le massif volcanique du Hâroûdj constitue un grand système de
montagnes entièrement isolé, de 224 kilomètres du Nord au Sud, sur une
largeur moyenne de 170 de l’Ouest à l’Est, traversé obliquement par la
route des caravanes du Fezzân en Égypte, entre Zouîla et Aoudjela, route
que Hornemann a parcourue à grandes marches en 5 jours 1/4.

Sa principale altitude, de 800 mètres environ au-dessus du niveau de la
mer, est indiquée à l’angle Nord-Est, à peu de distance de Zella ; de ce
point, la montagne s’incline graduellement vers le Sud-Ouest, de manière
à venir se confondre avec les collines de la hamâda calcaire qui
l’enveloppe, de Zella à Fogha, de Fogha à Temessa, de Temessa à Wao, ce
qui a fait distinguer un Hâroûdj noir (_el-Asoued_) au Nord et un
Hâroûdj blanc (_el-Abiod_) au Sud.

J’estime à 600 mètres l’altitude moyenne du plateau sur lequel se
développe le Hâroûdj.

D’après Hornemann, la surface générale du pays présenterait des chaînes
continues de collines courant dans diverses directions, de 8 à 12 pieds
seulement au-dessus du niveau intermédiaire, et entre ces coteaux (sur
une surface parfaitement unie) s’élèveraient des montagnes isolées à
rampes extrêmement escarpées ; l’une d’elles, le _Stres_, était fendue
depuis le haut jusqu’au milieu ; une autre, depuis le pied jusqu’au
sommet, était couverte de pierres détachées de même nature que les
collines.

Entre les collines basses et les pics surélevés, il y a de petites
vallées couvertes de sables et de végétation, dont quelques-unes de 4
kilomètres de largeur. Au milieu de ces parties planes seraient épars
des blocs de pierre, de même nature que celle des pics des montagnes.

La roche du Hâroûdj est moitié rouge, moitié noirâtre ; la partie rouge,
plus poreuse, plus spongieuse, plus légère, est moins dense que la
noire. Dans ces scories, Hornemann n’a pu découvrir aucune matière ou
substance étrangère.

La couche de terre servant d’assise à ces masses de verrues rocheuses
lui a paru des cendres sorties d’un volcan.

La stratification des pierres est horizontale, mais souvent dérangée :
une partie du premier lit s’enfonçant et se mêlant avec celles du second
et celles du second avec celles du troisième.

Quelquefois, ajoute le voyageur, il ne paraît pas du tout de _strata_ et
une suite de collines basses est formée d’une masse solide de rochers,
avec des crevasses dans la direction du Nord.

Hornemann rencontra une caverne de 9 pieds de profondeur et de 5 pieds
de largeur ; il éprouva, dit-il, des sensations telles que s’il avait vu
l’entrée des enfers.

Son interprète, Frendenburgh, en vit une autre dont les escaliers
étaient noirs jusqu’à une profondeur considérable et dont le _stratum_
était de pierre blanche.

Pour Hornemann, il n’y a pas de doute, la formation du Hâroûdj est due à
un soulèvement volcanique.

Dans sa partie occidentale, à une journée de marche dans l’intérieur du
massif, le cheïkh de Fogha indique une source sulfureuse, nouveau
témoignage de l’action volcanique.

A part cette source, impropre à l’alimentation, mes indicateurs ne me
signalent aucune eau dans toute cette région.

Après les pluies, on en trouve dans des rhedîr ; c’est là que
s’abreuvent les bergers et les troupeaux des tribus nomades des Riah,
des Oulâd-Khérîs et de la Cherguîya, qui, seuls, dans la saison des
pâturages, fréquentent cette contrée désolée.

Ce que Hornemann appelle le Hâroûdj blanc n’est qu’une partie de la
hamâda de la Cherguîya soulevée, mais non atteinte par l’action du feu
souterrain.

Dans les roches blanches et calcaires de cette contrée, dit-il, on
trouve des squelettes entiers de gros animaux marins pétrifiés, des
têtes de poissons qu’un homme pourrait à peine porter, des coquillages,
des conques variées et en grand nombre.

Il est regrettable que le fanatisme des habitants de la ville de Zouîla
ne permette pas à un géologue expérimenté d’aller explorer librement les
deux Hâroûdj ; car on pourrait y faire une ample collection de grands
fossiles. Le meilleur moyen de pénétrer avec sécurité dans cette contrée
est de se placer sous la protection des Riah, Arabes nomades des
environs de Sôkna, habitués aux relations avec les Européens et qui vont
chaque année faire paître leurs troupeaux dans le Hâroûdj.

J’aurai l’occasion de signaler un gisement de grand fossile dans le
Ahaggâr.

D’ailleurs, les fossiles ne paraissent pas rares dans certaines parties
de l’Afrique centrale ; car un de mes informateurs qui a fait de
fréquents voyages au Kânem m’indique de grands animaux fossiles dans les
roches des ravins du Bahar-el-Ghozâl.


                              IVe SECTION.

       DE MOURZOUK À LA MER PAR LE MASSIF VOLCANIQUE DE LA SÔDA.


Dans cet itinéraire géologique, accessoire à l’objet principal de ce
travail, je me bornerai à décrire à grands traits ma route, en
n’appelant l’attention que sur les points justificatifs de ma carte et
sur ceux dans lesquels l’action du feu souterrain se révèle.

De Mourzouk à la Sôda, on ne quitte guère qu’accidentellement les
terrains pierreux des hamâd, d’abord celle à laquelle j’ai donné le nom
de Hamâda de Mourzouk, puis la grande Hamâda-el-Homra, comprise entre
Ghadâmès et Sôkna de l’Ouest à l’Est, et entre El-Hesî et Gueria du Sud
au Nord.

Je me limiterai donc aux constatations suivantes :

Traversée de la Hofra, au Nord de Mourzouk ;

Rencontre successive d’une petite sebkha, produisant un peu de sel, à la
hauteur de Cheggoua ; d’un second bas-fond couvert de palmiers
broussailles ; d’une dépression à sol de sebkha humide ; du lit de
l’Ouâdi-’Otba qui se prolonge encore dans le Nord-Est ;

Entre ces bas-fonds, terrains couverts tantôt de pierres de grès-
quartzite grossier[70], tantôt d’un simple gravier, alternant entre
eux ;

Entre le puits de Néchoûà et le village de Delêm, un fragment roulé de
lave[71] dont la couleur varie du vert au noir ;

De ces points à Ghoddoua, gravier solide, semé de pierres noirâtres ;

Au Nord de Ghoddoua, terrain sablonneux couvert de tamarix ethel et de
palmiers broussailles qui indiquent la présence de l’eau à peu de
profondeur ;

Dans l’Ouâdi-Néchoûà, Bîr-el-Wouchka (puits entouré de palmiers
broussailles) au fond d’une petite grotte creusée dans l’argile ;

Gravier solide, avec affleurement de pierres ;

Fin des collines rocheuses signalées au Nord de ma route de Mourzouk à
la Cherguîya ;

Dépression d’El-Mehyâf, à sol nu, à bords déchiquetés et hérissés de
pitons ;

El-Bîbân (les portes), petit col entre le dernier contre-fort oriental
de la chaîne de l’Amsâk et les hauteurs rocheuses du Nord de la
Cherguîya qui n’en sont que la continuation atténuée ;

Terrain sablonneux, prolongement des dunes d’Edeyen, dans lequel des
palmiers à haute tige et en broussailles se succèdent d’El-Gordha à la
ville de Sebhâ ;

Au Nord de Sebhâ, continuation des sables avec palmiers ; hauteurs de 20
mètres composées de grès noir ; dépression pierreuse de Hadjâra (les
pierres), avec palmiers ; plaine de Ouâsâà-Khanga (large défilé), à sol
de gravier et de pierres et bordée à l’Est et à l’Ouest par des hauteurs
qui se prolongent jusqu’à Hotîyet-el-Ghazi (la plaine des maraudeurs),
où les sables reparaissent ;

A la sortie des sables, puits de Sâlah-ber-Rekheyyis, avec une eau
puante impossible à boire ; sol de gravier avec sables, devenant
argileux à l’approche des palmiers de Temenhent.

Les eaux de cette oasis sont douces ou salées, suivant les puits d’où on
les tire.

En continuant la route au Nord de Temenhent : d’abord terre argileuse et
palmiers avec dunes à 2 kilomètres au Nord ; ensuite sol couvert de
pierres noires et d’affleurements de calcaire blanc ; puis dépression
riche en végétation et dans laquelle se trouve le puits de Gourmêda.

Après Gourmêda, sol pierreux, ligne de petites montagnes coupant la
route. A l’Est apparaissent les plantations de Semnou et celles de
l’oasis de Zîghen.

A la sortie des palmiers de Zîghen, le sol s’élève par gradins
superposés ; à 10 kilomètres au Nord, les sables réapparaissent, et plus
loin, de leur milieu, se dressent des hauteurs noires ; entre les sables
et le plateau est la source d’’Aouînet-Tittaouîn. Toujours le voisinage
des sables donne de l’eau. On en retrouve encore au puits d’Oumm-
el-’Abîd et à un fogâr, ou puits à galerie horizontale situé sur la
route, et creusé dans le rebord occidental d’une petite dépression,
lequel rebord est composé d’argile feuilletée, recouverte de pierres de
grès noir et gris.

Entre ces puits et la montagne volcanique de la Sôda, la route est tout
entière dans une hamâda qui d’abord porte le nom de Serîr-ben-’Afîn,
puis celui de Boû-Hogfa.

Serîr est synonyme de hamâda.

Mais cette hamâda n’est pas un plateau uni : d’abord elle est coupée par
la ligne de collines de Mehyâf, de 10 mètres de hauteur environ,
composée d’une roche blanche analogue au plâtre sablonneux ; puis
viennent deux petites lignes de sable et une dépression, El-Hofer ; et
enfin la ligne des collines blanches du Gâf que la route traverse entre
deux mamelons symétriques.

A l’Ouest de Mehyâf se dresse la gâra ou témoin d’’Ameyma qui en est
détachée.

A l’Est de la route, mais entre El-Hofer et le Gâf, sont les hautes
dunes de Remla-el-Kebîra.

Au delà du Gâf, on aperçoit les hauteurs de la Sôda, et le sol, composé
d’un gravier rougeâtre, commence à être parsemé de pierres basaltiques
que l’on trouvera en plus grandes quantités dans le ravin de Máitbât, au
pied même de la Sôda.

Le Djebel-es-Sôda, ou montagne noire, est un massif volcanique comme le
Hâroûdj, isolé comme lui, au milieu d’une hamâda de calcaire blanc.

Sa longueur est de 110 kilomètres environ de l’Est à l’Ouest, et de 55
environ du Sud au Nord. Une sorte de col formé par une série successive
de ravins le traverse dans cette dernière direction, et le divise en
deux sections, la Sôda-Gharbîya et la Sôda-Cherguîya. C’est dans ce col
que passe la route.

L’altitude moyenne de la Sôda est de 736 mètres au dessus du niveau de
la mer ; les sommets les plus élevés sont le Dhâharet-es-Sôda dans
l’Ouest, et la Gâret-Tefîrmi dans l’Est.

A partir du ravin d’El-Máitbât, en continuant la route, on commence à
gravir les pentes méridionales du massif, au milieu d’amas de grosses
pierres basaltiques.

Dans l’Ouest, au loin, est une montagne importante, Gâra-el-Kohela (le
témoin noir), isolée comme toutes les goûr, mais, par sa nature noire,
appartenant au massif de la Sôda.

Les échantillons des roches que j’ai rapportés de cette contrée ont été
déterminés par M. Des Cloizeaux, ainsi qu’il suit :

_Échantillon no_ 50. « Roche volcanique amygdaloïde basaltique,
remarquablement lourde, contenant probablement du fer et du péridot.
Cette roche indique presque certainement un épanchement volcanique sous-
marin. »

_Échantillon no_ 51. « Amygdaloïde basaltique avec géodes remplies de
calcaire et d’une substance brune paraissant analogue à l’hyalosidérite.
Cette roche se retrouve dans les volcans éteints de l’Islande et de
l’Auvergne. »

Les Arabes qui m’accompagnent, et qui sont des Riah de Sôkna, dont les
troupeaux, après avoir consommé les pacages de la Sôda, vont dans le
Hâroûdj, m’affirment que les pierres de ce dernier massif sont de même
nature que celles de la Sôda.

Hornemann, qui traversa la Sôda après avoir reconnu le Hâroûdj, fit la
même constatation.

Le point culminant de la route, celui qui forme le partage des eaux, est
Dhâharet-Moûmen (_le dos de Moûmen_), plateau uni, très-vaste, couvert
de grosses pierres.

Au centre de ce plateau est une légère dépression à sol de gravier ;
elle se nomme El-Mejnah.

De Dhâharet-Moûmen, la route continue par une succession de ravins et de
vallées jusqu’à Sôkna, au pied du versant Nord de la montagne.

Dans cette seconde partie de la route, la nature des roches s’est
modifiée : les pierres basaltiques n’occupent plus que le haut des
berges ; celles qu’on trouve dans le lit de l’ouâdi ont toutes été
roulées ; le fond des roches est un calcaire coquillier, de couleur
rougeâtre, qui repose lui-même sur des argiles.

Les ravins successivement suivis ou traversés sont :


Au Sud de Dhâharet-Moûmen,

L’Ouâdi-Temechchîn, très-étroit, qui se dirige vers l’Est ;

L’Ouâdi-Fonguer ;

L’Ouâdi-Ouiddegânen (les lits de ces deux ouâdi se creusent de plus en
plus et ont des berges très-marquées) ;

Megrîz-es-Sâmeha ;

Megrîz-el-Ghârega ;

L’Ouâdi-Tîn-Guezzîn, assez vaste et profond ;

L’Ouâdi-Boû-l’Hâchem ;

L’Ouâdi-Boû-l’Ferêa’a ;

Au Nord de Dhâharet-Moûmen :

L’Ouâdi-Tefîrmi, profond ;

L’Ouâdi-Zeggâr, qui se dirige dans l’Est ;

L’Ouâdi-el-Wouchka ;

L’Ouâdi-Boû-Souwân ;

L’Ouâdi-el-Afenât.


Le nombre considérable d’ouâdi rencontrés ou traversés indique combien
la Sôda est ravinée et accidentée, et, bien certainement, la route la
parcourt dans sa partie la plus accessible.

Une argile verdâtre[72], imprégnée de sel marin, et parsemée de cristaux
de gypse lamellaire, sert de base au calcaire de l’Ouâdi-el-Wouchka.

Ce calcaire, crétacé[73], gris, jaunâtre, saccharoïde, contient des
moules de _cardium_ et de _turritella_ indéterminables.

L’Ouâdi-Tîn-Guezzîn a des puits-citernes (_themed_) dans le haut ; mais
le seul puits réel de la route est celui de Gottefa, dans la vallée de
Boû-Souwân.

Un pacha du Fezzân, Moukkeni, avait entrepris d’en faire creuser dans le
ravin de l’Ouâdi-Temechchîn ; il a dû abandonner cette entreprise ;
depuis, les travaux ont été continués par un riche marchand de Sôkna,
Makersou, mais sans plus de succès, malgré la grande profondeur du
forage.

Sur la périphérie du massif, on me signale huit puits, savoir :
Wenzeref, Oumm-es-Slâg, Meguettem, ’Açîla, ’Aâfia, Zâkem, Ferdjân,
Zemâmîya.

J’ignore quelle est la qualité des eaux de ces puits, mais celles de
Sôkna se troublent beaucoup par l’addition du nitrate d’argent, qui ne
s’y dissout pas complétement, ce que j’ai pu constater en cherchant à
préparer un collyre. Celle de la petite ville de Hôn, à 12 kilomètres
Est de Sôkna, est amère et encore plus désagréable au goût ; enfin celle
de Zemâmîya, que j’ai eu l’occasion de goûter, en allant de Sôkna à
Bondjêm, est aussi amère et mauvaise, comme celles de toute cette
région.

Je ne continuerai pas cet itinéraire dans les détails qu’il comporte
jusqu’à la mer. Je me bornerai à dire qu’au Nord de Zemâmîya, les sables
disparaissent, le sol devient calcaire, et toutes les montagnes sont de
calcaire blanc compact. La seule exception à cette loi générale est à
quatre journées de marche de Tripoli, dans les berges de l’Ouâdi-Nefîd :
on y retrouve la même structure géologique que sur le flanc Nord de la
Sôda, notamment dans le Chaa’bt-es-Sôda, où des pierres basaltiques sont
éparses sur une assez grande étendue de terrains calcaires[74].


Toutefois, je ne puis m’abstenir de parler de la grande Hamâda-el-Homra
(la rouge), dont les quatre points cardinaux sont marqués par Ghadâmès à
l’Ouest, Gueria-el-Gharbîya au Nord, Sôkna à l’Est et El-Hesî au Sud.

M. le docteur Barth l’a parcourue du Nord au Sud sur une étendue de 215
kilomètres. De l’Est à l’Ouest, elle en a 690. Dans cette dernière
direction, aucune route ne la traverse, parce qu’aucun animal ne peut
supporter la faim et la soif assez longtemps pour entreprendre un pareil
voyage.

D’après le savant voyageur, l’altitude moyenne du plateau est de 451 à
486 mètres. A son point le plus élevé, Redjem-el-Erha (_le tas de
pierres meulières_), il atteint 511 mètres.

Le caractère général de cette hamâda est d’être totalement dépourvue
d’eau et presque totalement de végétation et d’animaux. Les oiseaux eux-
mêmes n’entreprennent pas sa traversée sans danger ; aussi, comme en
mer, leur présence signale-t-elle le voisinage d’une terre habitable.

Une tranchée, profondément creusée dans le roc, permit à MM. Barth et
Overweg de constater la formation géologique de ce plateau.

« La masse générale des pierres de l’escarpement, dit le docteur Barth,
se compose de grès que l’on prendrait, au premier abord, pour du
basalte, à cause de la surface complétement noire qu’elles offrent,
ainsi que des blocs détachés qui gisent à leur pied.

« Au dessus de cet immense lit de grès, recouvert à certains endroits
d’une couche d’argile mêlée de gypse, reposait une autre couche de marne
au-dessus de laquelle se trouvait une croûte supérieure de calcaire et
de silice. »

Les renseignements particuliers qui m’ont été donnés par les indigènes
me permettent d’ajouter que le niveau uniformément plat de la hamâda
n’est interrompu que par quelques dunes, des goûr et de légères
dépressions.

M. Francesco Busettil, officier de santé de la garnison de Mourzouk, qui
a parcouru la hamâda, m’a remis plusieurs fossiles trouvés sur sa route,
entre autres :


1o L’_ostrea larva_[75] (Lamk), de l’étage sénonien de d’Orbigny, de la
craie blanche à silex, de la craie de Maëstricht ;

2o Une _ostrea_[76], du groupe de l’_ostrea frons_, du terrain crétacé
sénonien, dont une identique a été trouvée par M. Hébert, à Aubeterre
(Charente), mais qui n’est pas encore décrite ;

3o Des baguettes d’oursins[77] qui devaient être énormes ;

4o Plusieurs coquilles univalves[78] indéterminables ;

5o Enfin une concrétion curieuse[79] qui ressemble à l’agate.

Quand on constate l’état actuel de ce désert, nu, aride, sans eau, on se
demande comment les armées romaines ont pu le traverser à une époque où
le chameau n’était pas encore introduit dans le pays ; car l’assiette
des ruines romaines sur cette route, à l’exclusion de celle par Sôkna,
ne laisse aucun doute sur la voie suivie pour aller d’Œea (Tripoli) à
Garama (Djerma). D’ailleurs le passage suivant de Pline ne laisse aucune
incertitude sur la préférence donnée à la voie directe : « Jusqu’à ce
jour, le tracé de la route des Garamantes fut inexplicable. Dans la
dernière guerre que les Romains entreprirent avec le concours des
Œensiens, sous les auspices de l’empereur Vespasien, le total de la
route fut diminué de quatre jours. Ce chemin est appelé : _par la tête
de la montagne_, PRÆTER CAPUT SAXI. » (Liv. V, 5.)

Aujourd’hui, avec le concours du chameau, les caravanes traversent
péniblement la hamâda ; une armée, fût-elle exclusivement indigène, ne
le pourrait pas.


                              Ve SECTION.

                          DE RHÂT À IN-SÂLAH.


La présence de Mohammed-ben-’Abd-Allah au Touât, avec des contingents
qui devaient bientôt arborer l’étendard de la guerre sainte et envahir
le Sahara algérien, m’a empêché d’aller de Rhât à In-Sâlah par les
montagnes d’Azdjer et du Ahaggâr, et de prolonger dans l’Ouest, comme je
l’ai fait dans l’Est, de Tîterhsîn à la Cherguîya, l’étude géologique du
plateau central du Sahara, mais de nombreux renseignements me permettent
de suppléer à l’exploration personnelle.

Cette section comprendra, de l’Est à l’Ouest :


_A._ — Le plateau du Tasîli des Azdjer ;

_B._ — Le plateau d’Éguéré ;

_C._ — Le plateau du Mouydîr ;

_D._ — Le massif du Ahaggâr.


                       A. — _Plateau du Tasîli._


Je résume succinctement les indications géologiques sur le Tasîli que me
fournissent mes observations et mes itinéraires par renseignements.

La masse du plateau est de grès, noir à la surface, mais semblable aux
échantillons de ma collection pris entre l’Ouâdi-Târât et l’Ouâdi-
Tîterhsîn. — Le nom d’Éguélé (le coléoptère), donné à un pic isolé du
rebord Sud du Tasîli, indique que cette roche se retrouve dans le Sud-
Ouest comme dans la partie Nord-Est du plateau que j’ai traversée.

Sur plusieurs points, des roches blanches, probablement des calcaires
crayeux, sont signalées, notamment à Tâfelâmt-Tamellet et à Tiôkasîn.
L’informateur qualifie ce dernier point de hamâda à sol blanc.

Après les grès, les roches de formation volcanique, semblables à celles
que j’ai trouvées à Sâghen et dans la Sôda, les unes poreuses et
légères, les autres compactes et pesantes, semblent être fréquentes,
notamment dans l’Adrâr, dont la longueur est de quatre jours de marche
et la largeur de deux.

Le point culminant d’In-Esôkal est-il le seul volcan éteint d’où sont
sorties toutes ces roches volcaniques ? Je l’ignore, mais je suis tenté
de lui assigner ce rôle en commun avec d’autres pics isolés qui me sont
signalés sur toute l’étendue du plateau, car la dissémination des laves
démontre que le feu souterrain a dû se faire jour en plus d’un endroit.

Un long ravin, tellement profond et encaissé que le soleil y pénètre à
peine quelques heures par jour, coupe le Tasîli par son milieu, du Sud
au Nord, du pic d’In-Esôkal à la vallée des Igharghâren. Ce ravin, qui
porte le nom d’Ouâdi-Afara dans sa partie supérieure et d’Ouâdi-Sâmon
dans sa partie inférieure, peut être considéré comme une fracture du
plateau, contemporaine sans doute de l’action volcanique.

La force du feu épuisée pour soulever la portion orientale du Tasîli a
laissé en contre-bas la portion occidentale ; de là la brisure, de là le
niveau différent des deux parties du plateau, l’une surélevée, l’autre
plus basse et s’inclinant en pente douce vers le bassin de l’Igharghar.

Après ces indications générales, mes renseignements me donnent comme
détails les faits géologiques suivants :

Carrière de serpentine dans le ravin de Tehôdayt-tân-Hebdjân, ainsi
appelé parce qu’on en tire la pierre dont on fait les anneaux de bras
que portent les Touâreg ;

Débris d’un grand mammifère fossile[80] dans le ravin de Tehôdayt-tân-
Tamzerdja ;

Sebkha ou saline à laquelle aboutit ce dernier ravin ;

Mine de bon alun à Tifernîn sur la route d’’Aïn-el-Hadjâdj à ’Aouînet-
Tîn-Abderkeli ;

Fer oligiste semblable à l’échantillon no 29, et grès ferrugineux sur
plusieurs points du plateau ;

Roches bouleversées en un grand nombre d’endroits.

D’après les remarques et les échantillons de M. Isma’yl-Boû-Derba, les
grès et la craie blanche du Tasîli reposeraient sur le terrain dévonien.

Indépendamment des lacs de Mîherô, assez riches en eaux pour nourrir des
poissons, mes informateurs me signalent dans Amguîd, sur le rebord
occidental du Tasîli, une source du nom de Tîn-Selmakin, dont le bassin
est assez grand pour que de gros poissons y vivent aussi.


                        B. — _Plateau d’Éguéré._


Le petit plateau d’Éguéré semble être une seconde fracture du Tasîli,
mais la fracture, au lieu de s’étendre sur toute sa largeur comme celle
d’Afara, est restreinte à l’angle Sud-Ouest du plateau. La séparation,
au lieu d’une ravine profonde et étroite, forme ici une plaine ou large
vallée parcourue par l’Ouâdi-Têdjert, prolongement Nord de la plaine
d’Amadghôr.

Je n’ai aucune indication sur la nature de la roche d’Éguéré, mais tout
me porte à croire que la masse est de grès.


                       C. — _Plateau du Mouydîr._


La forme particulière du Mouydîr, la situation du point dominant,
l’Ifettesen, par rapport aux trois points culminants du Ahaggâr, le
prolongement de ses assises caractérisé dans l’Est par des pitons
isolés : Tisellêlin, Afisfés, Sakkâya, le voisinage de la source
sulfureuse de Dhâyet-el-Kâhela, tout semble indiquer que la formation de
ce plateau est due à l’action volcanique. Cependant, je dois le dire,
aucune indication précise de mon journal de voyage ne justifie cette
opinion ; j’ai négligé d’interroger les indigènes à ce sujet.

Mes notes se bornent à signaler la présence du fer à Tiwonkenîn, appelé
par les Arabes Kheng-el-Hadîd.

L’abondance relative des eaux dans le Mouydîr est aussi un fait confirmé
par tous les informateurs.


                       D. — _Massif du Ahaggâr._


Le soulèvement du massif du Ahaggâr par l’action du feu souterrain n’est
pas seulement attesté par la forme de son relief et par les témoignages
nombreux des indigènes, il est encore affirmé par les laves roulées que
M. Isma’yl-Boû-Derba a trouvées dans le lit de l’Igharghar à son
débouché des montagnes, dans un endroit où les sables ne sont pas venus
cacher la nature des alluvions.

Voici ce que dit ce voyageur :

_5 Septembre._ « Vers les quatre heures du matin, nous gagnâmes l’Ouâdi-
Igharghar. Une grande vallée unie venant du Sud-Ouest et se dirigeant
vers le Nord-Est forme le lit de la rivière. De gros cailloux roulés, en
pierre ponce, semblent indiquer l’origine de cet ouâdi.

« Les Touâreg, en me montrant cette pierre, me dirent qu’elle est tout à
fait semblable à celle dont est formé le pâté de montagnes du Ahaggâr.
Elle est très-légère, celluleuse, d’une couleur noirâtre, et affecte
l’apparence d’une éponge. »

M. le docteur Marès, qui a vu les échantillons de M. Isma’yl-Boû-Derba,
les a trouvés identiques à ceux que j’ai rapportés de Sâghen et que M.
Des Cloizeaux a reconnus être de la lave de volcan éteint.

Ces laves ne peuvent provenir du même point, car les sables de la plaine
des Igharghâren empêchent aujourd’hui et depuis longtemps la
communication de l’Ouâdi-Tikhâmmalt avec l’Igharghar. Ainsi la certitude
scientifique est absolue.

Voici maintenant les indications particulières que me donnent mes
renseignements.

Tout l’Atakôr-en-Ahaggâr est en pierres noires. Du côté du Touât, elles
s’étendent jusqu’à l’Ouâdi-Idjeloûdjâl. De ce point à Menîyet, la roche
est blanche, mais elle redevient noire lorsque l’on monte le Mouydîr.

Le promontoire du Tîfedest est aussi noir : tout indique qu’il a dû être
couvert par les laves du puy d’Oûdân, comme l’Atakôr par celles des puys
de Ouâtellen et Hîkena.

Quoi qu’il en soit, si l’identification des trois monts ci-dessus nommés
avec d’anciens volcans est permise, celle des cônes des gradins
inférieurs, quoique possible, est moins probable.

Le Ahaggâr doit à son altitude et à sa constitution géologique une
richesse de sources d’un débit assez abondant, car elles suffisent aux
besoins de l’irrigation. On y cite des ruisseaux à eaux courantes, ceux
d’Idélès, de Tâzeroûk et de Tazoûlt, très-grande rareté dans le Sahara.
On parle même de la cascade d’un ouâdi du nom d’Adjellal, descendant du
Tîfedest ; ce serait la seule peut-être entre la vallée du Nil et
l’Océan Atlantique.


                         CONCLUSION GÉOLOGIQUE.


J’ai donné à ce chapitre un développement considérable, sans craindre
même de suppléer à l’investigation personnelle par de nombreux
renseignements glanés çà et là auprès des indigènes ou dans les travaux
de mes devanciers, parce qu’il m’a semblé important de fixer d’une
manière plus nette l’opinion sur la constitution géologique de la partie
centrale du Sahara, la moins connue jusqu’à ce jour.

Désormais des faits importants me paraissent acquis à la science :

Jusqu’au versant Nord des montagnes des Touâreg, la nature du sol reste
la même, sans changements appréciables, et nous présente toujours le
terrain crétacé comme au Sud de l’Algérie, de la Tunisie et dans la
Tripolitaine.

Dans la montagne apparaissent des terrains paléozoïques reconnus d’abord
par le docteur Overweg sous le versant occidental du plateau de
Mourzouk, puis par M. Isma’yl-Boû-Derba dans le Tasîli du Nord, et enfin
par moi, au pied de l’Akâkoûs, en un point intermédiaire aux gisements
précédents.

Désormais, la production, la circulation, l’amoncellement des sables
sont circonscrits dans les limites que la nature leur a assignées, et la
comparaison du Sahara à une peau de panthère, faite par Strabon, cesse
d’être le dernier mot de nos connaissances sur des oasis disséminées
dans un désert de sables.

Enfin nous savons que le soulèvement du Tasîli et du Ahaggâr, et
probablement des plateaux secondaires qui en dépendent, est dû à une
action volcanique définie, comme le Djebel-Nefoûsa, la Sôda, le Hâroûdj
et le massif d’Aïr.

Ces connaissances sommaires ont besoin d’être complétées, cela est
certain ; mais en attendant, nous avons la satisfaction d’être arrivé à
un résultat qui nous permet de contrôler les récits fort obscurs des
anciens sur une contrée qui a excité la curiosité du monde depuis
l’antiquité.


[Note 23 : _Mission de Ghadâmès_. Alger, 1863. — _Études sur les
terrains et sur les eaux des pays traversés_, par M. F. Vatonne,
ingénieur des mines.]

[Note 24 : Avant de posséder des notions certaines et complètes sur le
désert de Libye, incomplétement connu des anciens, on ne pouvait que
commettre des erreurs en cherchant à faire l’application de leurs
récits. Et la plus grande erreur des géographes modernes était de leur
attribuer une valeur scientifique réelle. Au contraire, en les réduisant
au seul mérite qu’ils ont, celui de renseignements puisés à toutes les
sources et non contrôlés, on arrive à de meilleurs résultats.]

[Note 25 : Échantillon no 5.]

[Note 26 : Échantillon no 6.]

[Note 27 : Échantillon no 7.]

[Note 28 : La route que j’ai suivie pour aller de Ghadâmès à Rhât, du
moins jusqu’à Tîterhsîn, n’est pas celle que prennent les caravanes,
beaucoup plus directe et sise dans l’Est. J’eus l’heureuse chance de
trouver la tribu de l’émir Ikhenoûkhen près de Ghadâmès, et je la suivis
dans ses pérégrinations, ce qui m’a permis de beaucoup mieux connaître
le pays.]

[Note 29 : Échantillon no 8.]

[Note 30 : Échantillon no 9.]

[Note 31 : Échantillon no 10.]

[Note 32 : Échantillon no 11.]

[Note 33 : Échantillon no 12.]

[Note 34 : Échantillon no 13.]

[Note 35 : Échantillon no 14.]

[Note 36 : Échantillon no 16.]

[Note 37 : Échantillon no 17.]

[Note 38 : Échantillon no 18.]

[Note 39 : Échantillon no 19.]

[Note 40 : Presque tous les coléoptères du Sahara sont de couleur
noire.]

[Note 41 : Échantillon no 20, déterminé, ainsi que tous ceux ayant une
origine pyrogène, par M. Des Cloizeaux ; conséquemment on ne peut
craindre d’erreur.]

[Note 42 : Échantillon no 21.]

[Note 43 : Échantillon no 22.]

[Note 44 : Échantillon no 23.]

[Note 45 : Échantillon no 24.]

[Note 46 : Échantillon no 25.]

[Note 47 : Voir la page 35.]

[Note 48 : Échantillon no 26.]

[Note 49 : Échantillon no 27.]

[Note 50 : Échantillon no 28.]

[Note 51 : Échantillon no 29.]

[Note 52 : Échantillon no 30.]

[Note 53 : Échantillon no 31.]

[Note 54 : Échantillon no 32.]

[Note 55 : Échantillon no 33.]

[Note 56 : Échantillon no 34.]

[Note 57 : Échantillon no 35.]

[Note 58 : Échantillon no 36.]

[Note 59 : M. Vatonne, dans le Mémoire géologique dont j’ai déjà parlé,
nous apprend que M. Isma’yl-Boû-Derba a également trouvé le terrain
dévonien, au pied du Tasîli, non loin de Timâssanîn, près de la source
de Touskirin, et de nombreuses empreintes de _spirifer_ dans les
quartzites du ravin de l’Ouâdi-Ilêzi. Les échantillons de M. Boû-Derba
ont été déterminés par M. le professeur Coquand.]

[Note 60 : Échantillon no 39.]

[Note 61 : Échantillon no 40.]

[Note 62 : Échantillon no 41.]

[Note 63 : Échantillon no 42.]

[Note 64 : Échantillon no 43.]

[Note 65 : Mais ces deux noms sont de la langue temâhaq.]

[Note 66 : Échantillon no 44.]

[Note 67 : Échantillon no 45.]

[Note 68 : Échantillon no 46.]

[Note 69 : Échantillon no 47.]

[Note 70 : Échantillon no 48.]

[Note 71 : Échantillon no 49. Cet échantillon, déterminé par M. Des
Cloizeaux, porte la mention suivante : _lave d’un volcan qui a fait
irruption, mais qui peut être éteint aujourd’hui_.]

[Note 72 : Échantillon no 52.]

[Note 73 : Échantillon no 53.]

[Note 74 : Échantillon no 54.]

[Note 75 : Échantillon no 55.]

[Note 76 : Échantillon no 56.]

[Note 77 : Échantillon no 57.]

[Note 78 : Échantillon no 58.]

[Note 79 : Échantillon no 59.]

[Note 80 : D’après les Touâreg, une femme peut s’asseoir à l’aise dans
la cavité]




                              CHAPITRE V.

                             MÉTÉOROLOGIE.


Hérodote nous fait connaître (livre IV, §§ 173, 184 et 185) ce qu’était,
il y a deux mille trois cents ans, le climat du pays qu’embrasse mon
exploration. Voici ce qu’il en dit :


_Température_ : « Les Atarantes maudissent le soleil qui passe au-dessus
de leur tête et lui adressent toutes sortes d’outrages, parce que sa
chaleur consume les hommes et la contrée.

_Vents_ : « Le souffle de _Notus_ (S.-E.) dessécha tout ce qui contenait
de l’eau. D’après les Libyens, les Psylles marchèrent en armes contre
Notus. Or, quand ils arrivèrent au désert de sable, Notus souffla de
plus belle et les ensevelit tous.

_Eaux, pluies_ : « Le pays est désert, sans eau, sans bêtes fauves, sans
pluies, sans arbres ; on n’y trouve nulle humidité. »


Les observations que j’ai faites pendant les trois cent dix jours
consacrés à l’étude de la région qu’Hérodote appelle le désert de Libye
permettront d’apprécier quelles modifications le temps a apportées au
climat de ce pays.

Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, je limite le tableau ci-
après au pays des Touâreg et à une observation quotidienne ou locale
(total : 330 observ.), me réservant de publier dans un recueil spécial
l’ensemble de toutes celles faites pendant les vingt-neuf mois de mon
voyage.

Quant aux diverses séries d’observations qui n’ont pu trouver place dans
ce tableau, je les résume à la suite.


                   Observations météorologiques[81].


 [ALT : ALTITUDES
  DT : DATES. 1860
  HEU : HEURES.
  BARO : BAROMÈTRE réduit à 0° et corrigé.
  THER : THERMOMÈTRE fronde.]

 +------------------+-----+--+-----+------+----+--------------+-----------+
 |    LOCALITÉS.    | ALT |DT| HEU | BARO |THER| ÉTAT DU CIEL.| VENTS[82].|
 +------------------+-----+--+-----+------+----+--------------+-----------+
 |                  |  m  |Jl|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Ouâd (Soûf)    | 135 |26| 7.45|749.05|35,3|Couvert,      |?          |
 |                  |     |  |   s.|      |    |légers cumulus|           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |’Amich            | 193 |27| 5.30|744.58|23,0|Pur           |E. — 5.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Drá-el-Khezîn     | 169 |28| 4.55|748.73|23,5|Voilé         |O.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |3          |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Choûchet-el-      | 150 | »| 3.30|749.77|42,0|  Id.         |O.-N.-O. — |
 |Guedhâm           |     |  |   s.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mouï-er-Rebaáya   | 147 |29| 5.15|750.34|24,6|Couvert       |E. 1/4 N. —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mâleh-ben-’Aoûn   | 144 |30|  5.»|751.82|25,1|Nuageux       |E. — 4.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mouï-Rebah        | 152 | »| 2.30|750.78|39,7|Pommelé       |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-’Ogla          | 107 |31|10.55|754.57|25,0|Nuageux       |E. 1/4 N. —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |At|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-’Ogla          |     | 1| 5.10|756.75|22,2|Pommelé       |E. 1/4 N. —|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Er-Reguíáât       | 181 | »|  2.»|748.10|34,5|Couvert       |E. 1/4 N. —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Berreçof          | 177 | 2| 3.30|740.20|36,0|Quelques      |E. — 4.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |nuages        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |pommelés      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3| 8.30|752.59|30,7|Légèrement    |E. — 4.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |nuageux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4|  4.»|750.11|38,1|Presque       |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |serein,       |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5| 3.30|756.30|36,3|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |_En route_, Sieste| 168 | 6| 4.30|745.96|38,3|Légèrement    |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé         |3 —        |
 |                  |     |  |     |      |    |              |sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouidiân-el-Halma  | 213 | 7| 4.30|746.55|39,0|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |3 — id.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Dhahar-el-’Erg    | 355 | 8| 4.30|735.85|41,6|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |3 — id.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Haoudh-el-hâdj-   | 365 | 9| 4.30|733.43|40,0|Pur           |S.-E. — 3 —|
 |Sa’id             |     |  |   s.|      |    |              |  Id.      |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |_En route_, Sieste| 393 |10| 4.30|731.11|40,1|Pur           |S.-E. — 3 —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |  Id.      |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ghâba de Ghadâmès | 359 |11| 3.50|733.99|40,2|Pur           |S.-E. — 6 —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ghadâmès[83]      | 351 |12| 8.30|733.80|35,1|Pur           |S.-E. — 4 —|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |  Id.      |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |13|  8.»|731.58|34,0|Légèrement    |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 9.45|730.21|32.8|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15|  8.»|734.11|32,9|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16|  6.»|733.45|23,8|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |insensible.|
 |                  |     |  |     |      |    |              |— 1.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17|  8.»|730.49|34,2|Presque pur,  |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18|  2.»|734.41|38,1|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19|  2.»|741.30|36,6|Un peu voilé  |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |6.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20|  3.»|741.17|38,8|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21|  6.»|732.58|24,3|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |22| 2.30|734.86|38,3|Pur           |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23| 8.30|734.98|31,0|Pur           |S.-E. — 1 —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |par        |
 |                  |     |  |     |      |    |              |bouffées.  |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24|  9.»|737.30|31,1|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |1 — sirocco|
 |                  |     |  |     |      |    |              |par bouff. |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  2.»|743.22|38,8|Presque pur,  |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |petits cumulus|           |
 |                  |     |  |     |      |    |ronds         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  8.»|733.57|31,2|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27|  3.»|729.64|36,2|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |28|  2.»|736.45|34,7|Pur           |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |29|  2.»|733.48|36,4|Pur           |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30|  6.»|734.18|21,0|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |31|  2.»|736.96|38,1|Pur           |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Se|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 1|  2.»|736.21|38,2|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 2|  6.»|730.08|23,1|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3|  6.»|731.33|24,4|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4| 3.30|735.30|40,4|Quelques      |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5| 8.30|732.42|32,2|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  6.»|730.88|23,1|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7|  6.»|737.28|20,8|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8| 2.30|737.48|37,7|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9|  6.»|730.17|25,1|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10|  6.»|727.92|22,8|Cumulus       |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |irréguliers à |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’O.          |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11|  7.»|734.13|32,9|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12|  2.»|731.59|36,2|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |13| 2.30|737.90|37,1|Pur           |N.-E. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14|  2.»|738.96|38,1|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15|  6.»|734.92|38,9|Pur           |E. — 4.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |De|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10| 10.5|735.77|17,7|Pur           |S.-O. — 4 —|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mâreksân          | 348 |11| 7.30|735.04|9,7 |Pur           |S.-O.— 3.  |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12|  8.»|727.94|10,4|Pur           |S.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Timîsit     | 347 |13|  9.»|731.74|10,9|Pur           |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Imozzelâouen      | 337 |14| 9.30|727.79|12,1|Presque pur,  |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |stratus à     |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon N.  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tifôchayen        | 415 |15| 8.50|719.95|13,9|Presque pur,  |S. — 3.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |légers nuages |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Timelloûlen       | 421 |16| 7.15|718.68|10,5|Pur           |O. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 7.15|721.46|5,9 |Nuages légers,|Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |plumeux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18| 8.30|721.75|2,2 |Nuages plumeux|Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19| 9.20|727.93|10,5|Petits nuages |O.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tahâla            | 416 |20|  8.»|729.66|9,1 |Couvert       |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ahêdjren          | 505 |21| 8.30|720.11|9,3 |Couvert. —    |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |Petite pluie  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Adehi-n-Ouarân    | 456 |22|  8.»|715.94|4,9 |Nuages à      |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |l’horizon     |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tidjedakannîn     | 454 |23| 9.30|717.68|6,9 |Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24| 8.30|721.30|6,6 |Pur. — Rosée  |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  2.»|723.38|24,4|Légers nuages |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |blancs à      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26| 7.45|722.66|10,2|Légers nuages |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |plumeux       |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27| 7.30|722.53|7,1 |Pur           |N.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Sâghen            | 534 |28| 6.45|719.53|1,9 |Pur           |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |29| 8.30|718.89|4,9 |Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30| 8.30|721.22|8,5 |Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |31| 9.15|719.68|10,8|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |   1861 |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Jr|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 1| 8.30|718.51|7,0 |Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 2|  9.»|719.05|9,5 |Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3| 7.30|715.73|14,8|Pur. - Lueur  |Nul        |
 |                  |     |  |   s.|      |    |blanche à     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon O.  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4|  8.»|716.88|16,4|Couvert       |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |partout       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tikhâmmalt (1er   |  »  | 5| 10.»|716.96|18,7|Pur           |Nul.       |
 |camp)             |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Afara-n-          | 543 | 6|11.30|714.05|24,8|Pur           |S. — 1.    |
 |Wechcheran        |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7| 1.30|703.24|28,9|Presque       |S.-E. — 3 —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |serein, petits|sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |nuages rares  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8| 6.45|710.00|14,0|Pur           |N. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9|10.30|710.80|12,2|Presque pur,  |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |quelques      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |petits nuages |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10|  3.»|711.96|16,6|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11| 3.20|712.34|19,6|Pur           |N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2-3.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12|  3.»|709.01|22,9|Presque pur,  |N.-O. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |petits nuages |           |
 |                  |     |  |     |      |    |horiz. N.     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |13|  9.»|712.01|13,1|Pur           |S.-E. -    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2-3.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 10.»|715.78|14,7|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15| 11.»|715.99|18,9|Pur           |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16|  9.»|715.21|10,0|Un cinquième  |S.-E. —    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |nuages blancs |1-2.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 5.30|711.79|18,9|Couvert horiz.|O. — 6.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |N.            |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18|  3.»|711.12|17,8|Légers nuages |N.-O. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |blancs        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |transparents  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19|10.30|716.17|11,0|Nuages plumeux|E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |au N.         |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20| 1.30|715.32|17,2|Pur           |N.-O. —    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2-3.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21|11.30|721.32|15,2|Pur           |O.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2-3.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Inghar et Asouîtar| 611 |22|  3.»|718.16|16,6|Nuages ronds  |N.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |blancs        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23| 3.30|717.32|19,7|Nuages blancs |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |S.-E          |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24|  9.»|718.92|9,2 |Cinq sixièmes |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert       |5.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  8.»|722.34|13,6|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  3.»|722.16|16,6|Pur           |N.-E. — 5. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27|  9.»|719.20|10,3|Petits nuages,|E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |horiz. S.     |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |voilé         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |In-Tafersin       | 627 | »| 6.30|716.50|14,1|Couvert, pluie|E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |moitié de la  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |nuit          |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tâdjenoût         | 594 |28|10.30|717.99|15,5|Couvert       |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oursêl            | 624 |29|  7.»|712.33|12,9|Pur           |N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30|  7.»|716.91|12,0|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |31|  3.»|718.49|15,8|Couvert       |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Fr|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 1|  3.»|727.46|17,3|Presque tout  |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Id. (autre camp)  |  »  | 2| 10.»|719.63|14,8|Pur           |S. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3| 10.»|718.73|14,3|Presque pur,  |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |un petit nuage|           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4| 8.30|716.52|11,5|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Près d’In-Hemoûl  | 593 | 5|11.30|714.56|20,5|Petits nuages |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |dispersés     |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  9.»|715.96|16,7|Couvert       |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tamioutin         | 553 | 7|  9.»|717.67|19,3|Voilé         |S.-E. — 1. |
 |(Aghelâd)         |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Târat (Aghelâd)   | 549 | »|  8.»|714.61|21,3|Voilé         |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Targhaghît        | 542 | 8|  9.»|711.21|21,3|Quelques      |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |nuages        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9|  9.»|713.22|17,2|Pommelé au S. |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Près de Mârhet    | 478 |10| 9.20|708.69|19,6|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Azhel-en-Bangou   |655,5|11|  8.»|705.85|22,2|Pas très-pur  |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12| 11.»|713.68|23,5|Légèrement    |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |voilé         |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |13|  9.»|714.82|17,6|Couvert       |S.-E. —    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |0-1.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 10.»|714.04|15,7|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15|  8.»|713.50|12,3|Légèrement    |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |voilé à       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16|  9.»|712.06|18,6|Petits nuages |N. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |plumeux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 10.»|711.59|24,5|Quelques      |S.-O. — 1. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |petits nuages |           |
 |                  |     |  |     |      |    |plumeux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18|  3.»|705.57|26,0|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19| 8.45|709.97|21,7|Voilé. Halo à |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |20° 1/2 du    |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |bord de la    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |lune          |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20|  3.»|704.98|31,2|Un tiers      |S. — 5.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |nuageux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21| 2.30|703.82|29,1|Couvert, voilé|E. — 4.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |; nuages de   |           |
 |                  |     |  |     |      |    |poussière     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |In-Tâfaraout      | 631 |22| 2.30|708.25|24,7|Neuf dixièmes |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23|  3.»|707.89|26,5|Voilé         |O.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |0-1.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24|  3.»|705.96|22,8|Voilé         |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |4.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25| 7.30|710.83|16,3|Voilé         |O. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  8.»|711.41|9,6 |Pur           |S.-O. —    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |0-1.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27|  9.»|711.56|15,3|Presque pur,  |S.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |nuages plumeux|           |
 |                  |     |  |     |      |    |rares         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Alloûn      |  »  | »|  6.»|702.13|24,2|Pur           |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ahêr (source)     | 745 |28| 11.»|704.80|23,9|Ciel demi-    |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert,      |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |nuages alignés|           |
 |                  |     |  |     |      |    |S.-N.         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Takarâhet   | 820 | »| 6.15|698.65|20,8|Couvert au N. |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |à l’horizon   |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Ms|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |     | 1|  3.»|702.53|19,5|Petits nuages |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |plumeux au S. |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tîn-Arrây         | 975 | 2|  6.»|689.59|15,5|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tîn-Têrdja        |10..2| 3|  3.»|688.17|18,2|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tîn-Tâkelît       | 870 | 4| 3.15|695.82|19,2|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |In-Ezzân          | 945 | 5|  9.»|697.63|14,7|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |In-Akhkh          | 865 | 6|  6.»|695.41|10,0|Pur           |S. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tiferghasîn       | 864 | »|  9.»|697.91|16,6|Pur           |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tîterhsîn         | 784 | »| 6.30|703.90|19,0|Pur           |N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tarz-Oûlli        | 766 | 7|  9.»|696.69|13,7|Pur           |E. — 0-1.  |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8|  9.»|707.71|12,6|Gris uniforme,|N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |air trouble   |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10|  9.»|709.37|11,2|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-            | 667 |11|midi.|710.82|19,4|Pur           |N.-E. — 2. |
 |Tînselmadjîn      |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12| 7.30|706.67|8,5 |Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tinoûhaouen       | 772 |13|  9.»|692.31|14,7|Pur           |O. — 0-1.  |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Toûnîn (Rhât)     | 726 |14|11.58|702.23|29,3|Pur           |S.-O.      |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |violent. — |
 |                  |     |  |     |      |    |              |6.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15| 9.30|706.67|14,9|Pur           |N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16|  3.»|700.93|23,2|Pur           |N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 9.30|703.27|16,5|Pur           |S.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18|  6.»|698.68|6,8 |Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19|  3.»|700.47|23,6|Pur           |N.-O. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20|  9.»|704.42|18,3|Pur           |N. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21|midi.|706.37|25,1|Pur           |N.-E. — 1. |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |22|  9.»|703.86|18,5|Presque tout  |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23|midi.|700.48|33,5|Cirrho-cumulus|S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |     |      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24|  3.»|696.01|32,2|Cirrho-cumulus|S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  9.»|702.87|26,9|Cirrho-cumulus|S. — 3.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |et cirrho-    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |stratus çà et |           |
 |                  |     |  |     |      |    |là            |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  3.»|692.05|34,5|Voilé         |S.-E. et   |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |S.-S.-E.,  |
 |                  |     |  |     |      |    |              |tr.-violent|
 |                  |     |  |     |      |    |              |dans la    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |soirée et  |
 |                  |     |  |     |      |    |              |dans la    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |nuit. — 7. |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27|  3.»|692.47|28,6|Légèrement    |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé         |2-3.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |28|  9.»|703.42|20,6|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tinoûhaouen       | 772 |29|  3.»|693.35|31,5|Pur, horizon  |O. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30|  7.»|699.13|14,2|Bleu,         |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |légèrement    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |voilé         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |31|  3.»|697.71|26,6|Cirrho-cumulus|N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Al|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tarz-Oûlli        | 766 | 1| 8.30|704.31|21,8|Nuageux à     |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |l’horizon E.  |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 2|  9.»|704.05|22,3|Un tiers      |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3| 11.»|699.53|18,5|Pur           |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4|  9.»|701.36|27,5|Sept dixièmes |S. — 3.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5|10.30|701.30|22,3|Pur, horiz. S.|N.-O. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  3.»|695.30|33,9|Demi-cumulus  |S. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7|  3.»|696.80|33,7|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8|  6.»|693.84|30,0|Pur, horizon  |S.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |O. voilé      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10|  3.»|693.17|31,7|Voilé         |N.-O. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11|midi.|700.22|28,6|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |     |      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12| 7.30|699.17|24,6|Pur           |N. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |13|  6.»|693.77|28,6|Pur, horizon  |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |N. couvert    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14|  9.»|703.75|20,8|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15| 8.15|700.37|24,6|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16|  3.»|702.66|31,3|Pur           |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 3.45|697.22|34,5|Légèrement    |O. — 4.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé à       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon,    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |poussière et  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |sables        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |soulevés      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18|  9.»|702.21|22,8|Pur           |N.-E. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19|  3.»|696.06|32,9|Légèrement    |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |mais          |           |
 |                  |     |  |     |      |    |entièrement   |           |
 |                  |     |  |     |      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20|  8.»|702.23|30,3|Deux tiers    |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21| 7.30|700.77|32,1|Presque pur   |S. chaud. —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |22|  9.»|702.88|37,3|Voilé         |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |7 —        |
 |                  |     |  |     |      |    |              |sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23|  3.»|691.94|32,2|Un peu voilé à|N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |l’horizon     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |24|  3.»|693.06|37,8|Cirrho-cumulus|S.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  3.»|692.49|38,3|Quelques      |S.-S.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |petits cumulus|6 —        |
 |                  |     |  |     |      |    |              |sirocco.   |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  3.»|693.87|34,3|Voilé         |E. — 5.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27|  3.»|698.98|32,4|Cumulus aux   |S.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |deux tiers    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |28|  3.»|699.38|31,9|Couvert, pluie|S.-O. — 5. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |29|  6.»|701.80|22,1|Presque       |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |entièrement   |           |
 |                  |     |  |     |      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Iferdjân          | 769 |30| 6.30|701.25|22,3|Couvert       |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Mi|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Serdélès          | 709 | 2|  9.»|708.16|29,5|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3|  6.»|702.66|19,5|Pur           |S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |3.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4|  6.»|701.88|21,4|Demi-couvert  |S.-E. — 4. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |de cumulus    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5|  9.»|702.85|29,3|Un quart      |N.-O. —2.  |
 |                  |     |  |   m.|      |    |cumulus et    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |cirrho-cumulus|           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  9.»|701.58|33,4|Presque tout  |N. — 3.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7|  9.»|701.73|25,0|Légers cumulus|E. — 3.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8|  3.»|699.44|32,5|Cumulus       |Insensible.|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9|  6.»|703.21|24,2|Couvert,      |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |gouttes de    |           |
 |                  |     |  |     |      |    |pluie         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10|  6.»|702.37|30,2|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11| 4.50|703.89|14,2|Pur           |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Eraouen           | 594 |13| 5.45|712.03|29,5|Pur           |O. — 4.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 4.30|717.18|15,0|Cumulus à l’O.|Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tîn-Aboûnda       | 559 |15| 4.50|718.09|14,4|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |In-Tâfarat        | 572 | »|12.30|718.97|28,6|Légèrement    |N.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé, pur au |           |
 |                  |     |  |     |      |    |zénith        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Hotiya-Cheikh-el- | 552 | »| 7.45|719.17|23,4|Pur           |Nul.       |
 |Hoseyni.          |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oubâri            | 515 |16| 2.30|717.24|34,7|Couvert       |N.-O. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17|  6.»|718.66|25,5|Couvert       |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18| 7.20|725.09|25,6|Pur           |N. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Taguelelt         | 517 | »| 1.20|720.21|34,4|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Djerma            | 485 |19| 8.45|722.20|32,6|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Brêg              | 551 |20| 4.35|719.39|36,3|Cumulus       |S.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Fogâr          | 515 |21| 2.15|719.22|39,0|Pur           |S.-E. par  |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |bouffées. —|
 |                  |     |  |     |      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tekertîba         | 529 |22| 6.45|719.31|31,9|Pur           |S.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23| 6.50|718.43|33,2|Pur           |E.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             | 529 |24| 4.30|717.38|24,6|Pur           |S.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25|  2.»|714.00|40,3|Moitié gros   |O. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26| 8.15|718.92|27,5|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27| 4.20|721.34|19,0|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Lac de Mandara    | 527 |28| 4.50|721.14|29,5|Petits cirrho-|N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |cumulus       |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Goloûb-es-Soltân  | 474 |29| 2.20|721.26|31,5|Moitié cumulus|N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |et cirrho-    |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Gabráoûn          | 459 | »| 5.10|721.74|29,0|Cirrho-cumulus|N. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Gabráoûn    | 542 |30| 5.40|716.76|29,7|Légers cumulus|N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tekertîba         | 529 |31| 1.30|719.03|34,1|Pur           |E. 1/8 S. —|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |5.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Jn|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Fejîj          | 579 | 1|  4.»|717.81|33,9|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Indjârren         | 623 | 2| 1.30|714.66|35,1|Pur, un peu   |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé à       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |l’horizon     |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Bîr-’Amrân        | 569 | »| 6.35|717.50|27,5|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tessâoua          | 528 | 3| 1.30|720.40|36,7|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4| 7.15|718.44|25,2|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Agâr              | 586 | 5| 8.40|717.88|23,7|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oumm-el-Hamâm     | 543 | 6| 1.50|717.05|39,2|Pur           |S. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mourzouk          | 559 | 7|  2.»|719.26|38,5|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8| 1.30|720.15|39,1|Pur           |N.-E. — 5. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9| 4.15|721.57|22,7|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10| 1.30|719.63|41,0|Légèrement    |S.-E. — 5. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |voilé         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11|  7.»|719.48|32,7|Pur           |S.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12| 1.30|717.38|38,4|Voilé         |O. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 1.30|720.31|35,9|Voilé         |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |16| 2.30|719.16|36,5|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |17| 2.30|718.61|37,8|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18| 5.10|720.48|24,2|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |19| 1.30|719.96|36,5|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20|  2.»|720.78|36,5|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21| 1.30|720.29|34,5|Pur           |E. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |22| 1.30|719.04|33,1|Pur, légers   |E. — 3 par |
 |                  |     |  |   s.|      |    |nuages à 45°  |bouffées.  |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |23| 2.40|718.06|34,3|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |25| 1.30|720.39|35,6|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26|  2.»|718.94|36,3|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |27| 4.45|719.65|20,2|Pur           |N.-O. — 1  |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |29| 1.30|718.10|38,3|Pur           |N. — 3.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30| 1.30|720.73|36,2|Pur           |E. — 5.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Jl|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 1| 3.30|720.34|37,7|Pur           |E. — 5.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 2|1.» s|720.36|39,9|Un quart      |E. — 1     |
 |                  |     |  |     |      |    |cumulus à l’E.|faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 3| 1.30|718.96|40,8|Cumulus à l’E.|S.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |et au N.      |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 4|  2.»|717.20|40,6|Gros cumulus  |N.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |épars         |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5|  3.»|716.83|41,7|Petits cumulus|S.-S.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |blancs N. et  |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |E.            |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  1.»|718.78|41,5|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7|  3.»|718.89|22,7|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mokhâten          | 565 | 8| 3.10|720.37|21,9|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Trâghen           | 520 | 9|  6.»|721.08|27,3|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11| 3.45|721.35|24,4|Pur           |E. — 1     |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |12| 1.30|720.88|39,9|Pur           |E. ou N.-E.|
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |— 5.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |14| 2.30|720.01|36,5|Pur           |E. — 5.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |15|  4.»|722.06|22,2|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Touîla            | 589 |16| 1.30|719.70|40,5|Pur           |S.-O. —    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |Insensible.|
 |                  |     |  |     |      |    |              |1.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Maghoua           | 577 |17| 1.30|719.69|40,4|Pur           |N.-E. — 6. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Tha’aleb          | 595 |18| 1.45|717.48|41,6|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oumm-el-Arâneb    | 546 |19|  4.»|718.60|38,5|Pur           |N.-O. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Bedîr          | 546 |20| 1.30|719.58|40,0|Pur           |?          |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oumm-es-Sougouîn  | 506 |21|  3.»|722.24|22,3|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Zouîla            | 539 | »|  1.»|721.20|36,6|Pur           |N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Hammîra           | 446 |22|  1.»|728.70|37,5|Pur           |N.-E. — 4. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Trâghen           | 520 |23|  4.»|720.17|36,5|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Mourzouk          | 559 |27| 9.40|711.67|38,8|Pur           |?          |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |29|  3.»|701.21|38,5|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |At|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 5|  6.»|719.16|23,1|Pur           |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 6|  4.»|722.10|33,5|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 7| 2.30|725.39|36,4|Quelques      |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |petits cumulus|           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8|  3.»|726.13|37,4|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 9|  2.»|722.68|35,7|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |10| 3.30|719.32|35,9|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |11|  7.»|718.96|28,6|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Menzelet-el-Guefel| 545 |12| 2.30|721.12|36,6|Pur           |E. — 6.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Néchoûa’          | 608 |13| 3.45|717.68|35,7|Pur           |E.-N.-E. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |2.         |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ghoddoua          | 574 |14| 2.45|721.68|38,2|Petits cumulus|Nul.       |
 |                  |     |  |   s.|      |    |isolés        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Bîr-el-Moukkeni   | 569 |15| 4. 5|719.10|23,8|Pur           |N.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Et-Tolh           | 592 | »| 2.20|717.60|36,3|Pur           |N.-N.-O. — |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |4 très-    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |chaud.     |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Sebhâ             | 501 |16| 5.25|721.63|22,8|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Temenhent         | 503 |17| 7.10|727.68|29,4|Pur           |S.-E. — 4. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |18| 1.45|722.87|36,6|Pur           |N. — 2.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Gourmêda (puits)  | 482 |19| 4.10|724.76|20,5|Pur           |S. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Zîghen            | 531 | »| 7.55|720.08|26,9|Pur           |S.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |20| 4.30|722.44|22,5|Pur           |E. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oumm-el-’Abîd     | 473 | »|  3.»|724.13|37,3|Couvert de    |N.-O. — 3  |
 |                  |     |  |   s.|      |    |cumulus à     |chaud.     |
 |                  |     |  |     |      |    |moitié        |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |21|  2.»|728.44|36,5|Petits cumulus|N.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |épars         |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |22|  5.»|730.70|24,8|Horizon O.    |E.-S.-E.   |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert       |puis S.-E. |
 |                  |     |  |     |      |    |              |— 5.       |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Hafor-el-Homer | 552 |23|  4.»|722.98|21,5|Horizon E.    |N.-E. — 1. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |couvert       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Tîn-Guezzîn | 690 |25| 3.30|709.10|21,2|Deux tiers    |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |cumulus       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Mejnah         | 736 | »| 6.55|705.48|23,6|              |?          |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Gottefa           | 573 | »| 3.40|719.07|25,5|Couvert, pluie|S.-E. — 2. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |26| 6.30|720.98|23,4|Pur           |S. — 1     |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Bir-Ferdjân       | 397 |27|  5.»|735.97|20,8|Pur, nuages au|N. — 1     |
 |                  |     |  |   m.|      |    |S.            |faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Sokna             | 352 |28|  5.»|737.52|20,6|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  |30| 5.45|738.32|18,2|Pur           |E. — 1     |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |faible.    |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |Se|     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 1| 5.45|738.02|20,6|Cumulus à l’E.|E. — 1.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 2| 5.15|737.46|19,8|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |O. Talha-boû-Tobol| 322 | 3|  7.»|740.49|28,0|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             | 322 | 4| 4.30|741.60|20,3|Pur           |S.-O. — 2. |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi Zemam       | 309 | 5| 4.30|743.77|20,9|Pur           |O. — 2.    |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Nina        | 291 | 6| 4.30|743.11|18,3|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Bondjêm           | 138 | 7| 2.30|756.17|32,5|Pur           |N.-E. — 3. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |  Id.             |  »  | 8| 6.30|755.50|27,7|Pur           |N.-E. — 5. |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Oumm-el-Ghorbâl   | 113 |10| 4.20|754.64|16,9|Pur           |Insensible.|
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Mbellem     |  90 |11| 4.30|756.10|16,3|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Loummouileh       | 109 |12| 4.20|753.83|18,5|Pur           |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Ouâdi-Mîmoûn      | 234 |13|  4.»|749.54|16,0|Quelques      |Nul.       |
 |                  |     |  |   m.|      |    |nimbus N.-O.  |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Plateau au Nord de| 235 |14| 6.10|740.13|22,8|Horizon N.    |N.-E. — 2. |
 |Chaábet-el-Halma  |     |  |   m.|      |    |nuageux       |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |Melgha            | 372 |15|  6.»|733.49|24,4|Pur           |E. — 1.    |
 |                  |     |  |   s.|      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Menchîya       |  31 |19| 1.45|766.39|26,4|Petits cirrhus|Insensible.|
 |(Tripoli), villa  |     |  |     |      |    |              |           |
 |de M. Botta       |     |  |     |      |    |              |           |
 |                  |     |  |     |      |    |              |           |
 |El-Menchîya       |  »  |20| 1.10|764.63|26,9|Petits cirrho-|N. — 2.    |
 |(Tripoli), villa  |     |  |     |      |    |cumulus à     |           |
 |de M. Botta       |     |  |     |      |    |l’horizon     |           |
 +------------------+-----+--+-----+------+----+--------------+-----------+

NOTA. — Cette série de tableaux a été dressée principalement en vue de
mettre sous les yeux du lecteur les éléments d’après lesquels les
altitudes ont été déterminées.

M. O. Mac Carthy, dont la précision comme météorologue est justement
appréciée, a bien voulu mettre à ma disposition ses observations
correspondantes au niveau de la mer à Alger. On peut donc considérer
l’ensemble des altitudes comme aussi exactes que possible, au moyen
d’observations barométriques.

Quant aux détails qui vont suivre sur la température, l’hygrométrie, la
pression atmosphérique, les vents, la lumière, l’electricité, ils ont
été empruntés à l’ensemble de mes observations météorologiques.

En général, excepté dans les marches ou dans le cas de maladie, j’ai
fait quatre observations, souvent cinq, par jour : une avant le lever du
soleil, une après son coucher, et deux ou trois dans la journée.

J’ai toujours veillé au bon fonctionnement de mes instruments, et toutes
les observations que je livre à la publicité sont ramenées à zéro et
corrigées des erreurs des instruments.


                            _Températures._


_Instruments employés_ : Les divers thermomètres dont j’ai fait usage
sont :


Des thermomètres Baudin : no 204, no 329, no 660, no 663 ; no 665 pour
les _minima_, et no 662 pour les _maxima_ ;

Des thermomètres Salleron : nos 300 et 302 ;

Un thermomètre Fastré, qui m’a été envoyé par M. Mac Carthy avec la note
_très-bon_.

En voyage, le 18 décembre 1860, à Timelloûlen, j’ai pu contrôler la
marche de ces divers instruments au moyen de la glace fondante. De plus,
j’ai comparé tous mes thermomètres avec l’étalon Baudin, une première
fois à Tougourt, le 29 février 1860, et une seconde fois à Serdélès, le
2 mai 1861.


TEMPÉRATURE DE L’AIR : L’ensemble de mes observations sur la température
de l’air donne les constatations suivantes :


_Marche diurne_ : Dans la journée, le plus grand abaissement de la
température a lieu le matin avant le lever du soleil, et la plus grande
élévation entre deux et trois heures de l’après-midi.

Un tableau, ci-après (voir le § _Pression atmosphérique_, page 121),
indique la marche des différents thermomètres, de 15 en 15 minutes,
entre le lever et le coucher du soleil. Il peut être considéré comme
donnant approximativement la marche diurne moyenne.


_Variations suivant les saisons_ : Quelles que soient la latitude et
l’altitude, dans tout le Sahara, du moins sur le versant Nord du plateau
central, les températures les plus basses sont obtenues de décembre à
mars, et les plus hautes de juin à septembre. C’est ce que démontre le
journal météorologique de mon voyage, complété par celui que tient M. J.
Auer à Tougourt.


_Influences_ : L’altitude et l’éloignement de la mer, bien plus que la
latitude, exercent une influence sur le thermomètre.

Si l’on compare la température du plateau du Tasîli des Azdjer, d’un
degré et quart au Nord du tropique du Cancer, avec celle de Tougourt,
ville située à huit degrés plus au Nord, et sous l’influence probable de
la Méditerranée, on trouve rarement chez les Azdjer les fortes chaleurs
de l’Ouâd-Rîgh, mais, en revanche, on constate même dans les vallées
abritées du Tasîli des gelées inconnues ou exceptionnelles dans l’Ouâd-
Rîgh.

Chez les Touâreg même, suivant l’altitude des lieux, il y a de grandes
différences : entre la température du Ahaggâr, où les neiges persistent
pendant trois mois de l’année, et celle du Tasîli, où elles durent à
peine quelques jours ; entre les plateaux élevés, où l’on retrouve la
végétation de la côte européenne de la Méditerranée, et les basses
dépressions des plaines, en contre-bas des montagnes, où la végétation
désertique s’allie à celle des tropiques.


_Extrêmes de température_ : Ils sont fournis par les deux chiffres
suivants :

  _Maximum_ + 44°,6, à Mourzouk, les 5 et 26 juillet 1861 ;

  _Minimum_  − 2°,1, à Timelloûlen, le 18 décembre 1860.

La plus grande amplitude des oscillations thermométriques constatée dans
mon voyage chez les Touâreg a donc été de 46°,7.


_Maxima_ (saison d’été) : Les observations comprises entre les dates du
7 juin au 7 juillet et du 27 juillet au 11 août 1861 ont été faites à
Mourzouk, les autres en route sur divers points. (Voir, pour les
stations correspondantes, le tableau général qui précède.)

        1860.

   8   août      42°,2

   9     »       40 ,6

  10     »       40 ,7

  11     »       40 ,8

  12     »       41 ,6

  13     »       42 ,3

  14     »       41 ,8

  15     »       40 ,1

  16     »       40 ,2

   4 septembre   40 ,4

        1861.

  24    mai      40 ,5

  25     »       40 ,3

  10   juin      41 ,0

  19     »       37 ,8

  20     »       38 ,2

  21     »       37 ,8

  22     »       37 ,6

  23     »       36 ,1

  25     »       38 ,1

  26     »       38 ,8

  28     »       42 ,5

  29     »       39 ,4

  30     »       39 ,0

   1  juillet    40 ,0

   2     »       41 ,3

   3     »       42 ,4

   4     »       44 ,3

   5     »       44 ,6

  16     »       40 ,6

  17     »       40 ,5

  18     »       41 ,7

  26     »       44 ,6

  27     »       42 ,6

  28     »       42 ,6


_Maxima_ (saison d’hiver) : Je regrette de ne pas avoir de série
d’observations maxima pour la saison d’hiver. Il sera facile d’y
suppléer approximativement par les indications du thermomètre fronde,
dans les observations générales quotidiennes.


_Minima_ (saison d’hiver) : Je n’ai que peu d’observations de minima de
la température en hiver. Je donne ci-dessous le nombre des jours où j’ai
observé la congélation de l’eau.

        1860.

  17 décembre   − 2°,0

  18    »       − 2 ,1

  28    »       + 1 ,9

        1861.

  11 janvier   Eau gelée.

  12    »         Id.

  13    »         Id.

  14    »         Id.

  15    »         Id.

  16    »         Id.

  20    »         Id.

  22    »         Id.

  10 mars         Id.

  11    »         Id.

  12    »         Id.


_Minima_ (saison d’été) : Ces observations appartiennent toutes à
l’année 1861, savoir :

  20 juin     18°,6

  21   »      19 ,7

  22   »      20 ,9

  23   »      19 ,2

  24   »      17 ,5

  26   »      16 ,6

  27   »      17 ,6

  30   »      22 ,4

   2 juillet  23 ,6

   3   »      28 ,6

   4   »      23 ,4

   5   »      24 ,4

  25   »      21 ,6

  26   »      25 ,2

  30   »      23 ,1

   7 août     20 ,6

   8   »      22 ,4

   9   »      20 ,6

  10   »      21 ,2

Si, pour la saison d’été, je compare le chiffre le plus bas de la
température de l’air, 16°,6, obtenu le 26 juin à Mourzouk, avec le
chiffre le plus élevé, 44°,6, constaté dans la même localité et dans la
même année, les 5 et 26 juillet, je trouve une différence de 28° à
quelques jours d’intervalle.


TEMPÉRATURE DU SOL : Les observations relatives à la température du sol
ont été prises à l’ombre et au soleil, en hiver et en été.


_Maxima à l’ombre_ : Pendant le jour, pas d’observations faute de temps,
mes instants étant pris par d’autres études.


_Minima à l’ombre_ : Toutes les observations qui suivent ont été faites,
le thermomètre étant recouvert d’une légère couche de sable ou de terre.

                           _Saison d’hiver._

       1860.

  14 décembre  − 3°,0

  28    »      − 1 ,4

       1861.

  10 janvier   − 1 ,4

  11    »      − 0 ,4

  12    »      − 0 ,4

  16    »      − 2 ,4

  19    »      − 2 ,2

  22    »      − 4 ,7

  25    »      − 3 ,2

  26    »      − 3 ,2

  27    »      + 1 ,3

  30    »      + 1 ,1

                         _Saison d’été._ — 1861

  12 août       20°,8

  13   »        18 ,3

  14   »        18 ,9

  15   »        23 ,3

  16   »        21 ,5

  19   »        19 ,6

  20   »        23 ,6

  21   »        20 ,6

  22   »        24 ,6

  24   »        18 ,6

  25   »        20 ,6

  26   »        18 ,1

  27   »        20 ,8

  28   »        19 ,6

  30   »        19 ,9

   1 septembre  18 ,7

   2   »        19 ,1

   3   »        16 ,6

   4   »        19 ,8

   5   »        18 ,6

   7   »        14 ,2

   8   »        15 ,1

   9   »        21 ,6

  10   »        15 ,3

  11   »        14 ,0

  12   »        18 ,1

  13   »        16 ,3

  15   »        19 ,8


_Maxima au soleil_ : L’ombre n’existant pas dans le Sahara, ni pour le
sol ni pour les plantes qu’il nourrit, ni pour les hommes ni pour les
animaux qui l’habitent, il était important de déterminer, dans les
différentes saisons, la température du milieu au soleil.

C’est à ce besoin que correspondent les deux séries d’observations qui
suivent :

                       _Saison d’hiver._ — 1861.

  18 janvier. 29°,00, la température de l’air à l’ombre étant 17°,8

  19   »      26 ,05           »       »          »           17 ,35

  22   »      30 ,15           »       »          »           16 ,6

  31   »      19 ,8            »       »          »           14 ,0

  14 février. 39 ,65           »       »          »           29 ,35

                    _Saison d’été._ — 1860 et 1861.

  13 avril.   42°,55, la température de l’air à l’ombre étant 31°,85

  20 juin.    58 ,22           »       »          »           42 ,52

  28   »      65 ,12           »       »          »           38 ,62

  20 juillet. 65 ,12           »       »          »           37 ,50

  »    »      66 ,42           »       »          »           38 ,32

La moyenne de la différence des températures est de 9°,89 pour la saison
d’hiver et de 23°,1 pour la saison d’été.

Si, à défaut d’observations quotidiennes de la température du sol au
soleil, j’ajoute la moyenne différentielle de 23°,1 aux températures de
l’air pendant les journées des 5 et 26 juillet 1861, soit 44°,6, =
67°,7 ; si j’augmente ce dernier chiffre de − 4°,7, minimum du sol le 22
janvier, j’obtiens un total de 72°,4 représentant l’écart annuel entre
les extrêmes de la température du sol, et cet écart ne saurait être un
maximum.

On s’étonne moins alors si la flore et la faune d’un pareil climat sont
limitées à des espèces créées pour lui ; on comprend comment Hérodote a
pu dire que la chaleur consume les hommes et _le fonds même de la
contrée_. Il faut, en effet, des roches très-dures et très-compactes
pour résister à des dilatations de − 5° à + 67°,7. Bien certainement,
les extrêmes constatés dans une seule année ne représentent pas les
extrêmes absolus d’une période centenaire. Probablement l’écart est
souvent de 75° et peut-être de 80°.


TEMPÉRATURE DES PUITS ORDINAIRES : J’ai apporté le plus grand soin à la
constatation de la température des puits et de leur profondeur, en vue
d’aider à la détermination de la moyenne de la température annuelle de
chaque contrée.

Voici, pour chaque région, les résultats constatés :


                           _Dunes de l’’Erg._

                                                         Tempé    Profon
                                                       -rature.   -deur.

                     {  Bîr-es-Soûk                      23°,5     12m,5
                     {
                     {  Bîr-el-Djâma’                    23 ,2     10 ,2
  El-Ouâd (16 juin)  {
                     {  Bîr-Oulâd-Khalîfa                23 ,5     12 ,1
                     {
                     {  Bîr-el-Azâzla                    23 ,4     14 ,6

                     {  Bîr-djâma’-el-Gharbî             21 ,9      7 ,3
                     {
                     {  Bîr-djâma’-el-Akhouân            21 ,7      6 ,2
  Gomâr (19 juin)    {
                     {  Bîr-sîdi-’Abd-er-Rahman          22 ,2      6 ,5
                     {
                     {  Bîr-tâbet-Cheria’a               21 ,6      6 ,6

                     {  Premier puits (14 juillet)       22 ,7      3 ,9
                     {
  Mouï-el-Ferdjân    {  Deuxième puits (_id._)           22 ,6      3 ,4
                     {
                     {  Premier puits (21 juin)          21 ,7      3 ,9

  Mouïet-el-Kâid (15 juillet)                            22 ,3      6 ,5

  Choûchet-el-Guedhâm (28 juillet)                       23 ,1     13 ,7

  Bîr-ez-Zouâit (29 juillet)                             23 ,5     14 ,8

  Mâleh-ben-’Aoûn (30 juillet)                           22 ,7     13 ,3

  Moûï-er-Rebah (31 juillet)                             21 ,8      8 ,8

  El-’Ogla (_id._)                                       22 ,8     10 ,4

  Ma’atîg (1er août)                                     23 ,7     20 ,6

  Berreçof (2 août)                                      23 ,2     23 ,0


                           _Plateau de Tînghert._

               {  Premier puits (16 décembre)            17 ,7      1 ,3
  Timelloûlen  {
               {  Deuxième puits (20 décembre)           17 ,3      3 ,3


                         _Vallée des Igharghâren._

  Asouîtar (26 janvier)                                  11 ,4      4 ,0


                      _Vallée de l’Ouâdi-el-Gharbi._

  In-Tafarat (15 mai)                                    22 ,7      4 ,2

  Oubâri (18 mai)                                        20 ,3      2 ,5

  Brêg (20 mai)                                          24 ,2      1 ,2

             {  21 mai                                   23 ,4  }
             {                                                  }
  Takertîba  {  22 mai                                   25 ,7  }  10 ,0
             {                                                  }
             {  27 mai                                   23 ,8  }


                           _Dunes d’Edeyen._

  Mandara (28 mai)                                       23 ,5       ?

             {  29 mai                                   22 ,4      4 ,0
  Gabr’aoûn  {
             {  30 mai                                   22 ,5      1 ,8

  Bîr-en-Nechoûa’                                        22 ,4      2 ,4

  Bîr-el-Wouchka                                         23 ,7      2 ,5

  Bîr-Sâlah-ber-Rekheyyis (16 août)                      25 ,5      2 ,9

  Gourmêda (19 août)                                     22 ,0      2 ,8

  Oumm-el-’Abîd (21 août)                                24 ,9      1 ,2

  Gottefa (26 août)                                      24 ,7      3 ,7

  ’Aïn-el-Hamâm (2 septembre)                            24 ,2      1 ,5

TEMPÉRATURE DES SOURCES : Je donne comparativement la température de
l’air au moment de l’observation.

  Ghadâmès (9 décembre)   30°,15, la température de l’air étant 17°,7

  Tâdjenoût (29 janvier)  11 ,95         »       »      »       13 ,1

  Ahêr (23 février)       20 ,35         »       »      »       26 ,6

  Serdélès (4 mai)        25 ,55         »       »      »       21 ,4

  Ganderma (11 juillet)   22 ,55         »       »      »       24 ,4

  Ayâl-Slîmân (_id._)     25 ,05         »       »      »       24 ,4

  Bel-Hasan (13 juillet)  23 ,95         »       »      »       37 ,0

M. Isma’yl-Boû-Derba avait antérieurement constaté les températures de
trois autres sources, au pied N. du Tasîli, que je n’ai pas visitées,
savoir :

  ’Aïn-Tabelbâlet (10 septembre) 23°,0, l’air étant 30°,0

  ’Aïn-el-Hadjâdj (12   _id._  ) 24 ,0       »      35 ,0

  Tihoûbar        (24   _id._  ) 26 ,0       »      35 ,0

La source de Ghadâmès est thermale ; il y en a d’autres d’ailleurs dans
le pays.


TEMPÉRATURE DES PUITS ARTÉSIENS : Dans le voisinage des dunes les puits
artésiens sont très-nombreux, car dans le seul district de l’Ouâd-Rîgh,
il y en a 335 qui arrosent 600,000 palmiers ; dans l’oasis d’Ouarglâ, il
y en a aussi en quantité. Pour le groupe de l’Ouâd-Rîgh, je me bornerai
à donner la température de quelques puits seulement.

                                                         Tempé    Profon
                                                       -rature.   -deur.

             {                  {  Premier puits         24°,71    57m,0
             {  ’Aïn-Bâ-Mendîl  {
             {                  {  Deuxième puits        24 ,75    58 ,10
             {
             {  ’Aïn-el-Amîra                            24 ,83    57 ,95
             {
             {                  {  Premier Puits         24 ,40    54 ,0
  Tougourt   {  ’Aïn-Boû-’Alem  {
             {                  {  Deuxième puits        24 ,82    52 ,0
             {
             {  ’Aïn-Azaz                                24 ,75    53 ,0
             {
             {  ’Aïn-el-Bîr                              23 ,85    64 ,0
             {
             {  ’Aîn-es-Soûk                             24 ,65    55 ,0

             {  ’Aïn-Mellâha                             24 ,85    39 ,0
  Merhayyer  {
             {  ’Aïn-Battâh                              24 ,91    39 ,0

  Ouarglâ (nombreux puits, pas d’observations).

  Ihanâren (l’un des puits)                              24 ,95     1 ,25

             {  Un puits                                 26 ,42     5 ,50
  Serdélès   {
             {  Un autre puits                           26 ,52     5 ,50

M. Isma’yl-Boû-Derba a trouvé, le 25 septembre, une température de 26°
pour le puits d’Ihanâren et le même chiffre pour le puits artésien de
Timâssanîn (6 septembre) ; mais j’ignore s’il a tenu compte des
corrections à faire à son thermomètre.


TEMPÉRATURE DES EAUX PLUVIALES : Le 25 août 1861, à Gottefa, la pluie
qui tombait me paraissant aussi chaude que celle des bains ordinaires,
j’en déterminai la température, qui se trouva être à 29°,4, celle de
l’air étant seulement de 25°,52.


TEMPÉRATURE DES RHEDÎR OU FLAQUES D’EAU : Le 3 juin, la température de
l’air étant 29°,95, le thermomètre plongé dans l’eau du Rhedîr de Setîl
marqua 21°,8.


TEMPÉRATURE MOYENNE MENSUELLE DE L’AIR A TOUGOURT. — M. le lieutenant J.
Auer, commandant supérieur de la garnison indigène de Tougourt, fait des
observations thermométriques depuis son installation dans la capitale de
l’Ouâd-Rîgh. A mon arrivée dans le Sahara, j’ai calculé les moyennes de
42 mois de ses observations, et je crois utile de les publier pour
permettre la comparaison entre un climat encore sous l’influence
maritime de la Méditerranée et celui tout continental des hauts plateaux
qu’habitent les Touâreg.

Le thermomètre à alcool de M. Auer était exposé au Nord, à l’ombre, dans
un courant d’air. M. Renou, secrétaire de la Société météorologique,
craint qu’un thermomètre à alcool, exposé dans une embrasure de fenêtre,
ne donne des chiffres trop élevés de plusieurs degrés.

  +-------+---------+-------+-------------+-------+---------------+
  |       |         |   Un  |             |       |               |
  |       |         | quart |             |       |               |
  |       |         |d’heure|             |SOLEIL.|ATMOSPHÉRIQUES.|
  |       |         | avant | 2 heures 30 |COUCHER|  PRINCIPAUX   |
  |ANNÉES.|  MOIS.  |   le  |    m. de    |   du  |  PHÉNOMÈNES   |
  |       |         | lever |l’après-midi.|SOLEIL.|ATMOSPHÉRIQUES.|
  |       |         |   du  |             |       |               |
  |       |         |soleil.|             |       |               |
  +-------+---------+-------+-------------+-------+---------------+
  |       {Septembre|  26,7 |     41,6    |  35,8 |4 siroccos, 2  |
  |       {         |       |             |       |petites pluies.|
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Octobre  |  20,1 |     32,7    |  28,8 |4 siroccos.    |
  | 1855. {         |       |             |       |               |
  |       {Novembre |  10,3 |     20,2    |  17,7 |3 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Décembre |  7,8  |     15,6    |  12,5 |5 pluies, 1    |
  |       |         |       |             |       |tonnerre.      |
  |       |         |       |             |       |               |
  |       {Janvier  |  9,3  |     18,8    |  15,9 |1 pluie.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Février  |  10,1 |     19,4    |  16,5 |3 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mars     |  11,8 |     23,3    |  18,9 |7 pluies, 1    |
  |       {         |       |             |       |orage, 1       |
  |       {         |       |             |       |sirocco.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Avril    |  16,3 |     29,6    |  25,4 |1 petite pluie,|
  |       {         |       |             |       |6 siroccos.    |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mai      |  21,7 |     36,7    |  31,9 |2 orages, 1    |
  |       {         |       |             |       |pluie, 8       |
  |       {         |       |             |       |siroccos.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Juin     |  25,8 |     39,3    |  33,7 |1 petite pluie,|
  |       {         |       |             |       |7 siroccos.    |
  | 1856. {         |       |             |       |               |
  |       {Juillet  |  27,3 |     46,6    |  27,9 |1 tempête avec |
  |       {         |       |             |       |pluie, 10 sir. |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Août     |  23,3 |     41,3    |  35,5 |1 tempête, 2   |
  |       {         |       |             |       |orages, 2      |
  |       {         |       |             |       |petites pluies,|
  |       {         |       |             |       |7 siroccos.    |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Septembre|  24,8 |     38,2    |  34,1 |1 orage avec   |
  |       {         |       |             |       |petite pluie, 7|
  |       {         |       |             |       |sir.           |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Octobre  |  16,7 |     27,1    |  23,1 |6 siroccos.    |
  |       |         |       |             |       |               |
  |       {Janvier  |  8,6  |     18,2    |  13,8 |2 petites      |
  |       {         |       |             |       |pluies, 1 avec |
  |       {         |       |             |       |orage.         |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Février  |  8,6  |     18,2    |  13,7 |1 orage.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mars     |  12,5 |     21,4    |  16,0 |1 orage.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Avril    |  17,8 |     28,4    |  23,2 |               |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mai      |  19,0 |     38,2    |  25,7 |3 orages, 1    |
  |       {         |       |             |       |tempête, 1     |
  |       {         |       |             |       |sirocco.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Juin     |  24,0 |     41,3    |  36,3 |               |
  | 1857. {         |       |             |       |               |
  |       {Juillet  |  27,8 |     45,2    |  39,2 |2 pluies, 1    |
  |       {         |       |             |       |orage, 10      |
  |       {         |       |             |       |siroccos.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Août     |  28,8 |     45,9    |  40,6 |18 siroccos.   |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Septembre|  24,2 |     40,0    |  36,0 |1 petite pluie,|
  |       {         |       |             |       |3 siroccos.    |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Octobre  |  18,5 |     32,5    |  26,1 |3 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Novembre |  13,3 |     24,9    |  21,4 |4 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Décembre |  7,4  |     14,6    |  11,6 |4 petites      |
  |       |         |       |             |       |pluies.        |
  |       |         |       |             |       |               |
  |       {Janvier  |  4,3  |     12,3    |  9,2  |9 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Février  |  8,7  |     19,6    |  14,7 |4 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mars     |  11,0 |     24,4    |  19,8 |1 pluie, 1     |
  |       {         |       |             |       |orage.         |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Avril    |  17,7 |     32,1    |  23,7 |3 pluies, 1    |
  |       {         |       |             |       |orage.         |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Mai      |  22,4 |     29,8    |  27,7 |1 sirocco.     |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Juin     |  26,6 |     34,8    |  32,7 |1 pluie avec   |
  |       {         |       |             |       |tempête, 3     |
  | 1858. {         |       |             |       |orages, 5      |
  |       {         |       |             |       |siroccos.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Juillet  |  29,1 |     39,1    |  35,4 |1 pluie, 2     |
  |       {         |       |             |       |orages, 4      |
  |       {         |       |             |       |siroccos.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Août     |  29,2 |     38,2    |  35,0 |5 siroccos avec|
  |       {         |       |             |       |4 orages.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Septembre|  23,5 |     32,8    |  29,6 |1 petite pluie.|
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Octobre  |  20,2 |     29,4    |  26,5 |1 pluie.       |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Novembre |  14,1 |     21,9    |  18,7 |2 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Décembre |  8,9  |     14,7    |  12,0 |4 pluies.      |
  |       |         |       |             |       |               |
  |       {Janvier  |  5,9  |     12,2    |  8,8  |6 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Février  |  8,0  |     14,5    |  14,6 |9 pluies.      |
  | 1859. {         |       |             |       |               |
  |       {Mars     |  12,3 |     20,8    |  16,1 |3 pluies.      |
  |       {         |       |             |       |               |
  |       {Avril    |  18,3 |     28,3    |  23,7 |3 pluies, 6    |
  |       |         |       |             |       |siroccos.      |
  +-------+---------+-------+-------------+-------+---------------+

Les deux extrêmes constatés ont été : _minimum_ + 2, _maximum_ + 51 =
49, chiffre supérieur de 2° 3 à celui que j’ai trouvé sur le plateau
central du Sahara.

Les variations, suivant les saisons, diffèrent peu : les plus basses
températures, sur le plateau central, ont lieu de décembre à mars ; la
même période, dans les bas fonds de l’Ouâd-Rîgh, est limitée à décembre,
janvier et février. Les hautes températures, sur le plateau central, se
répartissent sur quatre mois : juin, juillet, août et septembre ; dans
l’Ouâd-Rîgh, juin et juillet sont les deux mois les plus chauds.

Mais quelles différences dans les extrêmes : ici + 2° 3, là − 2° pour
_minimum_ ; ici 51° 9, là 44° 6 pour _maximum_.

Ajoutons l’influence d’une quantité de journées de pluies, dans toutes
les saisons, sur un sol alluvionnaire empreigné de divers sels, pendant
que la même période ne compte pas une seule pluie sur le plateau
central, et on comprendra comment les hommes de race noire peuvent seuls
supporter le climat de l’Ouâd-Rîgh, pendant que les blancs jouissent
d’une santé florissante dans le Sud.


                             _Hygrométrie._


Au moment de mon arrivée chez les Touâreg, il y avait neuf années
qu’aucune pluie sérieuse n’était tombée sur leur territoire ; mais à
peine étais-je entré dans leur pays (décembre 1860), que les pluies
commencèrent : conséquemment, la série de celles de mes observations
destinées à faire apprécier la sécheresse ou l’humidité du climat peut
être considérée comme représentant une période relativement humide.

_Vapeur d’eau de l’atmosphère._ — Les observations ont été faites au
moyen de deux thermomètres stables : l’un mouillé, l’autre sec ; elles
embrassent deux périodes : l’une du 16 août au 15 septembre 1860,
l’autre du 26 juin au 5 juillet 1861. A mon grand regret, j’ai dû
négliger ce genre d’observation en route, faute de temps suffisant.

A défaut de tables de réduction s’appliquant au climat saharien, je ne
puis calculer ni la force élastique de la vapeur d’eau ni l’humidité
relative pour quelques-unes de mes observations : je me borne donc à
livrer les expériences elles-mêmes, en indiquant les différences entre
les deux thermomètres.


                      PREMIÈRE PÉRIODE (GHADÂMÈS).

 +----------+-----------------------------+-----------------------------+
 |          |    OBSERVATIONS DE 6 A 7    |   OBSERVATIONS DE 2 A 3     |
 |  DATES.  |      HEURES DU MATIN.       |      HEURES DU SOIR.        |
 |          |Thermom.|Thermom.|Différence.|Thermom.|Thermom.|Différence.|
 |          |  sec.  |mouillé.|           |  sec.  |mouillé.|           |
 +----------+--------+--------+-----------+--------+--------+-----------+
 |  Août.   |        |        |           |        |        |           |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    16    | 23°77  | 16°64  |    7°13   | 40°57  | 24°64  |   15°93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    17    | 27,47  | 19,94  |    7,43   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    18    | 24,47  | 18,84  |    5,63   | 39,77  | 29,14  |   10,63   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    19    | 23,67  | 19,04  |    4,63   | 37,97  | 24,54  |   13,43   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    20    | 24,07  | 19,14  |    4,93   | 39,37  | 26,34  |   13,03   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    21    | 24,07  | 19,34  |    4,73   | 39,47  | 27,14  |   12,33   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    22    | 22,67  | 16,94  |    4,73   | 38,97  | 25,54  |   13,43   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    23    | 23,27  | 16,94  |    6,33   | 38,07  | 25,14  |   12,93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    24    | 23,67  | 18,24  |    5,43   | 40,47  | 26,34  |   14,13   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    25    | 22,87  | 17,04  |    5,83   | 37,37  | 26,04  |   11,33   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    26    |   »    |   »    |     »     | 39,07  | 28,54  |   10,53   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    27    | 22,47  | 18,64  |    3,83   | 36,87  | 28,14  |    8,73   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    28    |   »    |   »    |     »     | 35,77  | 23,84  |   11,93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    29    | 20,17  | 15,34  |    4,73   | 36,77  | 25,74  |   11,03   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    30    | 20,17  | 15,24  |    4,93   | 37,87  | 23,24  |   14,63   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    31    | 22,07  | 15,44  |    6,63   | 38,37  | 22,94  |   15,43   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |Septembre.|        |        |           |        |        |           |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    1     | 23,97  | 17,14  |    6,83   | 39,17  | 24,84  |   14,33   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    2     |   »    |   »    |     »     | 38,87  | 20,84  |   18,03   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    3     | 24,47  | 18,94  |    5,53   | 38,77  | 21,84  |   16,93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    4     | 23,07  | 14,54  |    8,43   | 39,67  | 22,34  |   17,33   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    5     | 22,87  | 14,74  |    8,13   | 37,97  | 22,14  |   15,83   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    6     | 23,47  | 17,84  |    5,63   | 37,77  | 21,54  |   16,23   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    7     | 20,97  | 17,14  |    3,83   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    8     |   »    |   »    |     »     | 36,87  | 21,94  |   14,93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    9     | 24,57  | 15,04  |    9,53   | 38,67  | 21,34  |   17,33   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    10    | 24,07  | 21,14  |    2,93   | 37,47  | 21,74  |   15,73   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    11    | 23,87  | 18,74  |    5,13   | 35,17  | 24,64  |   10,53   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    12    | 21,07  | 17,14  |    3,93   | 36,07  | 20,14  |   15,93   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    13    | 19,37  | 13,64  |    5,73   | 37,57  | 22,14  |   15,43   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    14    | 22,17  | 15,14  |    7,03   | 39,27  | 22,84  |   16,43   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    15    | 22,77  | 15,44  |    7,33   | 39,07  | 22,84  |   16,23   |
 +----------+--------+--------+-----------+--------+--------+-----------+

Je ne dois pas négliger de faire remarquer que l’oasis de Ghadâmès est
une des plus riches en eaux de tout le Sahara, et qu’elles y circulent
en ville et dans les jardins, la nuit et le jour, dans des conditions
qui, sous une température élevée, permettent une grande évaporation.


                      DEUXIÈME PÉRIODE (MOURZOUK).

 +----------+-----------------------------+-----------------------------+
 |          |     OBSERVATIONS DE 6       |   OBSERVATIONS DE 2 A 3     |
 |  DATES.  |      HEURES DU MATIN.       |      HEURES DU SOIR.        |
 |          |Thermom.|Thermom.|Différence.|Thermom.|Thermom.|Différence.|
 |          |  sec.  |mouillé.|           |  sec.  |mouillé.|           |
 +----------+--------+--------+-----------+--------+--------+-----------+
 |  Juin.   |        |        |           |        |        |           |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    26    | 36°32  | 16°02  |   20°30   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    27    | 37,32  | 17,22  |   20,10   | 20,22  |  9,22  |   11,00   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    29    | 38,32  | 17,52  |   20,80   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |    30    | 36,22  | 17,22  |   19,00   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 | Juillet. |        |        |           |        |        |           |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |     1    | 37,72  | 16,82  |   20,90   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |     2    | 39,92  | 18,52  |   21,40   |   »    |   »    |     »     |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |     3    | 40,77  | 18,82  |   21,95   | 30,12  | 14,57  |   15,55   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |     4    | 40,62  | 17,92  |   22,70   | 28,47  | 14,52  |   13,95   |
 |          |        |        |           |        |        |           |
 |     5    | 41,72  | 18,52  |   23,20   |   »    |   »    |     »     |
 +----------+--------+--------+-----------+--------+--------+-----------+

L’altitude et la latitude de Mourzouk expliquent seules la différence
hygrométrique des observations de cette dernière station comparées à
celles de Ghadâmès, car Mourzouk comme Ghadâmès est assise au milieu de
plantations de palmiers arrosées deux fois par mois, au moins. Il est
vrai que l’eau est moins abondante à Mourzouk.

Par comparaison, je donne les différences constatées sur d’autres points
du Sahara, mais plus au Nord.

A Mouï-el-Ferdjân, près de l’Ouâd-Rîgh, par un violent vent du Sud, j’ai
constaté, les 20 et 21 juin 1860, des différences de 19° 4 et 21° 5.

A Tougourt, dans l’Ouâd-Rîgh, du 22 juin au 1er juillet inclus, même
année, j’ai constaté les différences suivantes : 6° 7, 6° 9, 7° 5, 7° 7,
10° 8, 10° 9, 12° 5 et 13° 15.

Antérieurement, en juillet et août 1859, j’avais obtenu sur le plateau
des Benî-Mezâb des différences de 16° 20, 16° 99, 17° 68, 18° 28, 19°
05, 19° 56 et 19° 71.

Malheureusement, mes observations n’embrassent que la saison d’été et ne
comprennent pas les parties les plus arides du Sahara, celles où la
sécheresse de l’atmosphère est la plus grande.


_Rosée._ — Dans la série de 310 jours d’observations applicables au pays
des Touâreg, je n’ai constaté de rosée que les jours suivants : 22 et 23
décembre 1860, 23, 24, 26 août, et 1er, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12
septembre 1861. En tout 14 rosées sur 310 jours. Les cinq premières
suivaient des journées de pluie ; les autres coïncidaient avec un
abaissement notable de la température du sol, sous l’influence des
vents.


_Gelée blanche._ — Quoique la température de l’air ou du sol, du 14
décembre au 12 mars, soit descendue 26 fois au-dessous de zéro, je n’ai
jamais constaté ni gelée blanche, ni rien qui pût y ressembler, et je
m’autorise de cette observation négative pour conclure que l’air
atmosphérique, sur les grands plateaux sahariens, ne contient pas plus
d’humidité en hiver qu’en été.


_Brouillard._ — Deux fois seulement j’ai vu le brouillard se produire :
d’abord le 30 août 1860, dans les jardins de Ghadâmès, mais limité aux
jardins ; puis dans les sables d’Eguélé, après deux jours de pluie, le
matin du 30 décembre de la même année. Cette fois le brouillard était
épais et paraissait embrasser tout le pays. Une heure après le lever du
soleil, il était dissipé.


_Pluie._ — Depuis longtemps, les pluies semblent être devenues plus
rares dans la partie centrale du Sahara habitée par les Touâreg. La
dernière période de sécheresse, qui a cessé vers le milieu de l’été
1860, avait duré neuf ans. Elle avait été précédée de plusieurs autres
de dix à douze années. A In-Sâlah, au pied du Ahaggâr, on avait même,
dit-on, traversé une série de vingt années sans qu’une seule pluie y eût
été constatée.

Mon journal de voyage, d’El-Ouâd à Tripoli, signale comme journées dans
lesquelles il est tombé plus ou moins de pluie celles des 31 juillet, 20
et 21 décembre 1860, 27 et 30 janvier, 28 et 29 avril, 6, 7, 9 et 25
mai, 21 et 25 août 1861.

Au dire des Touâreg, la quantité d’eau tombée dans les montagnes, en
1860 et 1861, avait été considérable et, depuis mon retour, j’ai appris
que les pluies avaient continué jusqu’au printemps de 1862.

Je dois faire remarquer que l’ouverture de cette période de pluies a
coïncidé avec une humidité excessive en France, et avec les crues
extraordinaires du Nil en 1860 ; ce qui implique que le Sahara central
n’est pas complétement en dehors de l’action des grands mouvements
atmosphériques qui ont lieu dans les autres contrées et particulièrement
dans les régions tropicales.

La coïncidence des pluies sur le plateau central du Sahara avec les
grands débordements du Nil d’Égypte a été constatée par d’autres et ne
paraît pas dater de nos jours seulement, car Pline, qui vivait au
commencement de l’ère chrétienne, en fait mention dans deux passages de
son _Histoire naturelle_.

« La crue du Nigris (l’Igharghar moderne) se fait aux mêmes époques que
celles du Nil : _iisdem temporibus augescit_. » (L. V, 8.)

« En outre, on a observé que la crue du Nil correspond à l’abondance des
neiges et des pluies en Mauritanie. _Præterea observatum est, prout in
Mauritania nives imbresve satiaverint, ita Nilum increscere_. » (L. V,
10.)

Probablement, nous ne tarderons pas à apprendre que les pluies tombées
chez les Touâreg en 1860, en 1861, en 1862, se sont prolongées jusqu’en
1863 sous l’influence des pluies tropicales qui viennent de produire un
nouveau grand débordement du Nil.

Les orages qui amènent les pluies, disent les indigènes, se produisent
dans toutes les saisons et viennent indistinctement de tous les points
de l’horizon ; mais, d’après eux, ceux qui donnent de l’eau en plus
grande abondance sont toujours le résultat du choc de nuages de l’Est
contre d’autres venant de l’Ouest.

D’après mes observations personnelles, la pluie du 31 juillet a été
amenée par le vent du N., celles des 21 et 22 décembre par le vent d’E.,
celles des 27 et 30 janvier par le N.-E., celles des 28 et 29 avril, des
6, 7 et 9 mai, par une lutte entre les vents de l’E. et du N.-E. contre
le S.-O., celle du 25 mai par le S.-E. et celle du 21 août par le N.-O.

Quand les pluies sont générales et abondantes, les rivières débordent,
couvrant de leurs inondations les vallées dans lesquelles elles déposent
leurs alluvions, seules terres de culture que les Touâreg connaissent.

Presque toutes les rivières des montagnes agissent à la façon des
torrents, ravageant et dévastant tout sur leur passage. Malheur à ceux
que ces avalanches liquides surprennent dans leur chute désordonnée !

Il ne m’a pas été permis d’apprécier les quantités variables d’eau que
donne chaque pluie ; mais, d’après les indigènes, je dois croire que,
dans certains cas, les pluies sahariennes sont de véritables déluges.


_Neige._ — Non-seulement il tombe de la neige chez les Touâreg, mais
encore elle s’y conserve pendant trois mois de l’année, du mois de
décembre au mois de mars. Les sommets du Ahaggâr, il est vrai, jouissent
seuls de ce privilége. J’ignore si ce bienfait est annuel ou s’il est
limité aux seules années de pluie.

J’ai estimé l’altitude de Ahaggâr à 2,000 mètres au-dessus du niveau de
la mer, amené à cette détermination par la comparaison avec l’Adrâr du
Tasîli et avec l’Anhef qui ne conservent pas les neiges, bien
qu’atteignant des hauteurs de 1,500 et 1,800 mètres.


                       _Pression atmosphérique._


_Observations barométriques._ — Pendant les 29 mois de mon exploration
dans le Sahara, j’ai fait chaque jour plusieurs observations
barométriques, principalement en vue de déterminer les altitudes des
points visités.

Les baromètres dont je me suis servi successivement et quelquefois
concurremment, pendant toute la durée de mon voyage chez les Touâreg,
sont l’anéroïde et un baromètre Fortin, qui m’a été envoyé en route par
M. O. Mac Carthy.

Ces deux instruments ont été contrôlés, à mon retour à Alger, par M. O.
Mac Carthy, et les observations que je publie sont corrigées de toutes
les erreurs constatées.

Quoique des marches et des déplacements journaliers soient peu
favorables pour tirer quelques conclusions sur les variations diurnes,
mensuelles ou annuelles du baromètre dans le Sahara, je trouve cependant
dans mon journal météorologique quelques détails utiles à publier.


_Oscillations diurnes._ — A Ghardâya, le 22 août 1859, à la suite d’un
violent orage qui avait duré une partie de la nuit, j’ai consacré toute
la journée, du lever au coucher du soleil, à constater les oscillations
barométriques de 15 en 15 minutes.

Pour cette observation spéciale, je me suis servi du baromètre Fortin no
892, construit par M. Tonnelot.

Les résultats de cette étude sont consignés dans le tableau qui suit.

 +-------+---------+----------+----------+----------+-----------------+
 |       |BAROMÈTRE|THERMOMÈT.|THERMOMÈT.|THERMOMÈT.|ÉTAT DU CIEL ET  |
 |HEURES.| FORTIN à|   sec.   | mouillé. | fronde.  |     VENTS.      |
 |       |  zéro.  |          |          |          |                 |
 +-------+---------+----------+----------+----------+-----------------+
 | h. m. |         |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  6.40 |  719.38 |          |          |  26°,1   |Cumulus pommelés |
 |       |         |          |          |          |au zénith        |
 |       |         |          |          |          |N.-N.-E. et au   |
 |       |         |          |          |          |N.-O. sur un     |
 |       |         |          |          |          |quart du ciel.   |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  7.30 |  719.43 |  29°,5   |  18°,9   |  28 ,5   |Vent N. frais    |
 |       |         |          |          |          |(force 1) ;      |
 |  7.45 |  719.60 |          |          |          |cumulus pommelés |
 |       |         |          |          |          |au zénith ; bande|
 |  8.»  |  719.62 |  30 ,2   |  18 ,8   |          |de cumulus au    |
 |       |         |          |          |          |S.-S.-E ; cumulus|
 |  8.15 |  719.69 |          |          |          |en bande du N.   |
 |       |         |          |          |          |(du N.-O. au     |
 |       |         |          |          |          |S.-E.).          |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  8.30 |  719.65 |  31 ,0   |  18 ,2   |  31 ,8   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  8.45 |  719.66 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  9.»  |  719.76 |  31 ,6   |  18 ,1   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  9.15 |  719.69 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  9.30 |  719.68 |  32 ,7   |  18 ,4   |  32 ,8   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  9.45 |  719.90 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  10.» |  719.77 |  33 ,1   |  18 ,4   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 10.15 |  719.65 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 10.45 |  719.46 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  11.» |  719.31 |  34 ,0   |  18 ,6   |  34 ,3   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 11.15 |  719.49 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 11.30 |  719.36 |  34 ,5   |  19 ,4   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 11.45 |  719.13 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  12.» |  718.84 |  35 ,1   |  19 ,2   |  35 ,3   |Vent N. faible ; |
 |       |         |          |          |          |cumulus légers   |
 |       |         |          |          |          |sur la moitié du |
 |       |         |          |          |          |ciel.            |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 12.15 |  718.92 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 12.30 |  718.93 |  35 ,9   |  19 ,8   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 12.45 |  718.91 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 | 1. s. |  718.77 |  35 ,5   |  19 ,0   |  34 ,9   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  1.15 |  718.71 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  1.30 |  718.62 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  1.45 |  718.52 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  2.»  |  718.08 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  2.30 |  717.73 |  35 ,3   |  18 ,9   |  34 ,9   |Cumulus couvrant |
 |       |         |          |          |          |les 2/3 du ciel. |
 |       |         |          |          |          |Vent N. toujours |
 |       |         |          |          |          |très-faible.     |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  2.45 |  717.72 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  3.»  |  717.69 |  35 ,8   |  18 ,9   |  35 ,0   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  3.15 |  717.50 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  3.30 |  717.47 |  36 ,0   |  18 ,7   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  3.45 |  717.31 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  4.»  |  717.18 |  36 ,7   |  19 ,8   |  36 ,3   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  4.15 |  716.92 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  4.30 |  717.03 |  36 ,2   |  18 ,5   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  4.45 |  716.89 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  5.»  |  716.87 |  36 ,3   |  18 ,7   |  36 ,0   |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  5.15 |  716.50 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  5.30 |  716.75 |  36 ,0   |  19 ,1   |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  5.45 |  716.46 |          |          |          |                 |
 |       |         |          |          |          |                 |
 |  6.»  |  716.51 |  35 ,5   |  19 ,0   |  35 ,0   |Vent très-faible,|
 |       |         |          |          |          |toujours N. ;    |
 |  6.15 |  716.60 |          |          |          |horizon S.       |
 |       |         |          |          |          |nuageux ; petits |
 |       |         |          |          |          |cumulus au N. et |
 |       |         |          |          |          |au N.-E.         |
 +-------+---------+----------+----------+----------+-----------------+


Dans cette journée, le baromètre atteint son maximum d’amplitude 719,90
à 9 heures 45 minutes du matin, et son minimum 716,46 à 5 heures 45
minutes du soir.

L’oscillation diurne du 22 août 1859 a donc été, à Ghardâya, de 3mm 44.

A Tougourt, une période de 21 jours d’observation, du 23 juin au 13
juillet 1860, donne pour maximum des oscillations diurnes 12m m22, le 27
juin, et une moyenne de 2mm 78.

A Ghadâmès, une seconde période de 33 jours d’observation, du 12 août au
15 septembre 1861, donne un maximum de 20mm 41, le 3 septembre, et une
moyenne de 5mm 84.

Une troisième période de 16 jours, à Afara-n-Wechcheran, du 6 au 21
janvier 1861, donne un maximum d’oscillation de 12mm 19 pour la journée
du 9 janvier, et une moyenne de 5mm 26.

Une quatrième période de 15 jours, à Toûnîn, faubourg de Rhât, du 14 au
28 mars, donne un maximum de 10mm 78, le 28 mars, et une moyenne de
7mm 04.

Une cinquième période de 31 jours, à Tarz-Oûlli, du 8 mars au 29 avril
1861, donne un maximum de 9mm 75, le 25 avril, et une moyenne de 4mm 87.

Enfin, une sixième période de 34 jours, à Mourzouk, du 7 juin au 11
juillet 1861, donne un maximum de 3mm 77 et une moyenne de 1mm 73.

La moyenne de ces six séries d’observations est de 4mm 59 ; mais, si on
défalque de chaque série les chiffres accidentels et exceptionnels
donnés par les _maxima_, on arrive à une moyenne d’oscillations diurnes
qui se rapproche beaucoup de celle de la journée du 26 août 1859 à
Ghardâya.


_Extrêmes pour chaque période d’observation._ — Je prends pour termes de
comparaison les observations du matin, au lever du soleil ; celles du
milieu de la journée, à l’heure où le thermomètre est le plus haut ; et
celles du soir, au coucher du soleil.

Les plus grands abaissements de la colonne mercurielle sont indiqués,
dans le tableau qui suit, pour chaque heure d’observation en regard des
plus hautes élévations : la colonne de gauche représentant les _minima_,
celle de droite les _maxima_.

  +----------------------+-------------+-------------+-------------+
  |      STATIONS.       |   MATIN.    | 2h. 1/2 SOIR|    SOIR.    |
  +----------------------+------+------+------+------+------+------+
  | Période de Tougourt  |753,63|761,66|749,22|765,82|750,82|761,35|
  |                      |      |      |      |      |      |      |
  |    —    de Ghadâmès  |730,08|737,92|731,29|748,55|728,14|738,85|
  |                      |      |      |      |      |      |      |
  |    —    d’Afara      |710,71|716,93|698,61|715,32|705,10|716,25|
  |                      |      |      |      |      |      |      |
  |    —    de Toûnîn    |698,36|706,90|692,05|706,37|695,91|706,67|
  |                      |      |      |      |      |      |      |
  |    —    de Tarz-Oûlli|696,69|709,37|691,72|707,11|693,77|707,68|
  |                      |      |      |      |      |      |      |
  |    —    de Mourzouk  |711,67|721,97|701,21|725,39|718,96|720,19|
  +----------------------+------+------+------+------+------+------+



_Moyennes pour chaque période._ — A défaut d’autres observations
barométriques connues pour la région saharienne, j’ai pensé qu’il
n’était peut-être pas sans intérêt d’établir la moyenne, à diverses
altitudes, des 150 jours de stations que comprennent les six périodes.
Voici ces moyennes :

  +----------------------+---------+---------+------------+----------+
  |      STATIONS.       |ALTITUDE.|  MATIN. |2h. 1/2 SOIR|  SOIR.   |
  +----------------------+---------+---------+------------+----------+
  | Période de Tougourt  | 89[84]  | 757,15  |   756,06   |  755,49  |
  |                      |         |         |            |          |
  |    —    de Ghadâmès  |  351    | 733,13  |   737,43   |  733,53  |
  |                      |         |         |            |          |
  |    —    d’Afara      |  543    | 715,04  |   710,34   |  711,36  |
  |                      |         |         |            |          |
  |    —    de Toûnîn    |  726    | 702,55  |   697,70   |  702,22  |
  |                      |         |         |            |          |
  |    —    de Tarz-Oûlli|  766    | 703,18  |   696,99   |  700,94  |
  |                      |         |         |            |          |
  |    —    de Mourzouk  |  559    | 720,11  |   719,36   |  719,47  |
  +----------------------+---------+---------+------------+----------+


_Instruments._ — Quoique je me sois servi le plus souvent du baromètre
anéroïde exclusivement, on peut cependant avoir confiance aux chiffres
qu’il a fournis, parce que j’ai pu en faire usage concurremment avec
trois baromètres Fortin, et pendant assez de temps, avant que ces
derniers aient été brisés, pour bien étudier les dilatations de
l’anéroïde et le corriger de ses erreurs.

A dater de Serdélès jusqu’à Tripoli, je me suis servi du baromètre
Fortin que j’ai reçu en route.

La marche de cet instrument avait été contrôlée avant son expédition par
M. Mac Carthy, qui a eu la généreuse obligeance de me l’envoyer pour
remplacer ceux que des accidents de voyage avaient mis hors de service.


                                _Vents._


Le tableau suivant, résumé du tableau général placé en tête de ce
chapitre, indique la direction principale des vents, suivant les
saisons, et leur force moyenne. Quoique restreint aux observations qui
ont servi à déterminer les altitudes, il n’en représente pas moins la
moyenne de l’état de l’atmosphère.


            DIRECTION MENSUELLE ET FORCE MOYENNE DES VENTS.

 +--------+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+------+-----+
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |TOTAL |     |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   | par  |     |
 | VENTS. |Jan|Fév|Mar|Avr|Mai|Jun|Jul|Aoû|Sep|Oct|Nov|Déc|nature|FORCE|
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |  de  |MOYN.|
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |vents.|     |
 +--------+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+------+-----+
 |Calme   | 8 | 6 | 4 | » | 7 | 6 | 8 | 11| » | » | » | 8 |  58  | 0,0 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |N.      | 2 | 4 | » | 3 | 5 | 1 | 1 | 5 | 1 | » | » | » |  22  | 1,8 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |N.-N.-E.| 2 | » | 1 | » | 3 | » | 1 | 1 | » | » | » | » |  8   | 3,0 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |N.-E.   | 5 | » | 5 | 3 | 3 | 1 | 4 | 4 | 7 | » | » | 1 |  33  | 2,7 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |E.-N.-E.| 2 | 1 | 1 | 1 | 1 | 4 | 4 | » | » | » | » | 2 |  16  | 2,4 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |E.      | 2 | 4 | 4 | 4 | 3 | 13| 9 | 8 | 7 | » | » | 2 |  56  | 2,3 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |E.-S.-E.| 1 | 3 | 1 | 1 | 1 | » | » | 2 | » | » | » | 1 |  10  | 2,2 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |S.-E.   | 3 | 2 | 2 | 2 | 5 | 2 | 1 | 8 | » | » | » | » |  25  | 2,7 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |S.-S.-E.| 1 | 1 | 3 | 1 | 1 | » | 1 | 9 | » | » | » | 1 |  18  | 2,6 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |S.      | 1 | 3 | 3 | 4 | » | 2 | » | 4 | » | » | » | 1 |  18  | 1,7 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |S.-S.-O.| 1 | 1 | » | 2 | » | » | » | 3 | » | » | » | 1 |  8   | 3,2 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |S.-O.   | » | 3 | 1 | 2 | » | » | 1 | » | 1 | » | » | 3 |  11  | 2,5 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |O.-S.-O.| » | 1 | » | » | » | » | » | » | 1 | » | » | 2 |  4   | 1,5 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |O.      | 1 | 1 | 2 | 3 | 1 | 1 | » | » | » | » | » | » |  9   | 2,4 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |O.-N.-O.| 1 | » | » | » | » | » | 2 | » | » | » | » | » |  3   | 2,3 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |N.-O.   | 3 | » | 5 | 3 | 2 | 1 | 2 | 2 | » | » | » | » |  18  | 2,2 |
 |        |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |N.-N.-O.| » | 2 | 1 | 1 | » | » | » | 2 | » | » | » | » |  6   | 2,8 |
 |        +---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+------+-----+
 | TOTAUX |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |   |      |     |
 |  mens. | 33| 32| 33| 30| 32| 31| 34| 59| 17| » | » | 22| 323  |     |
 +--------+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+---+------+-----+

La période de mes observations, modifiée par des pluies exceptionnelles,
ne représente peut-être pas l’année moyenne, car, d’après les Touâreg,
les vents de la partie E., en temps ordinaire, souffleraient, pendant la
saison d’été, avec la constance de vents alisés.

Cependant, je remarque que les observations faites par M. Boû-Derba, du
1er août au 3 octobre 1858, c’est-à-dire au milieu de la dernière
période de sécheresse, ne modifient pas sensiblement le résultat de mes
observations personnelles, car sur 94 observations il constate :


(Calme/46 f.) (N/8 f.) (NE/8 f.) (E/12 f.) (SE/5 f.) (S/13 f.) (O/3 f.)
                               (NO/4 f.).

Il est vrai que ces observations s’appliquent à l’automne, et non à
l’été.


_Variations suivant les saisons._ — D’après les indigènes, le vent d’E.
serait le vent dominant de l’année. Pendant la saison des chaleurs, il
inclinerait au S. ; pendant la saison tempérée, au N. Les vents du N. et
de l’O., ceux qui amènent le plus souvent la pluie, ne souffleraient
guère, d’une manière un peu continue, que dans la saison froide.


_Variations diurnes._ — En général, dans tout le Sahara, le temps est
calme le matin, dans la proportion de 12 à 15 jours sur 30, et dès que
le soleil baisse, le soir, le vent mollit, s’il n’arrive au calme
parfait.

Par exception, à Bondjêm, dans la Tripolitaine, une brise du N.-E.,
venant de la mer, s’élèverait tous les soirs. J’ai constaté cette brise
à mon passage, les 7 et 8 septembre 1861, mais je n’oserais affirmer
qu’elle est quotidienne, ainsi que le prétendent les indigènes.


_Vitesse du vent._ — L’échelle que j’ai adoptée pour mesurer la vitesse
du vent est celle de 0 à 10, ce dernier chiffre correspondant aux vents
qui renversent tout sur leur passage.

A défaut d’anémomètre, j’ai estimé toutes les vitesses au jugé.

Sur 310 jours, 8 fois seulement la force du vent a dépassé 5, que
j’assimile à la brise fraîche des marins : 2 fois en août, 2 fois en
janvier, 2 fois en mars, 2 fois en avril ; 3 fois par le S.-E., 1 fois
par le S.-S.-E., 1 fois par le S.-O., 2 fois par le S.-S.-O., 1 fois par
le vent d’O.

Nos tentes ont toujours été renversées par les vents arrivant à la
puissance de 7. C’est probablement parce que les Touâreg ont constaté la
difficulté de lutter contre pareille force, qu’ils ont généralement
renoncé à avoir des tentes en voyage, préférant coucher à la belle
étoile, sous l’abri des ballots qui composent le chargement de leurs
chameaux. D’ailleurs, dans le Sahara, on ne trouve pas toujours un sol
favorable à la tenue des piquets de tente.

Quoi qu’il en soit, à part ces exceptions généralement dues au sirocco,
le pays des Touâreg du Nord peut être réputé tempéré, sous le rapport
des vents.


_Pluies et trombes de sable._ — Les trombes de sable constituent un des
phénomènes caractéristiques de la climatologie saharienne.

Ces trombes sont produites par des vents venant de toutes les
directions, mais principalement par le sirocco.

Le sirocco est un phénomène atmosphérique complexe, qui toujours a pour
origine un vent de la partie Sud, une température élevée et un
soulèvement souvent considérable des parties les plus tenues des masses
de sable.

Les siroccos directs venant du Sud sont les plus fréquents, mais il y a
aussi des siroccos en retour, repoussés par les vents du Nord, de l’Est
et de l’Ouest, quand la force de ces derniers domine la puissance des
vents du Sud.

Pendant la durée du sirocco, l’atmosphère est comme embrasée, rougeâtre,
desséchante, obscurcie partiellement par les matières terreuses ou
siliceuses qu’elle tient en suspension.

Sous son influence, la respiration de l’homme est haletante, la peau,
les muqueuses de la bouche et du nez sont sèches et arides, et, pour peu
que pareil état dure, le cerveau ne tarde pas à manifester des symptômes
de prostration.

Les animaux, même les mieux acclimatés, souffrent comme les hommes :
quelquefois les chevaux refusent de marcher et tournent le dos au vent.

Les plantes herbacées, au lendemain d’un sirocco, sont flétries comme le
sont dans nos climats des herbes coupées depuis quarante-huit heures.
Beaucoup de feuilles et de jeunes tiges sont, pour jamais, privées de
vie. Quant aux plantes ligneuses persistantes, organisées pour vivre
sous une température élevée, elles résistent même aux siroccos les plus
violents.

Les trombes de sables m’ont toujours apparu sous forme de gros nuages de
couleur rouge, embrasés, d’une épaisseur de 50 à 60 mètres, marchant à
la vitesse des grands coups de vent, tantôt à fleur de terre, tantôt à
une certaine hauteur du sol, s’abaissant ici, s’élevant là, mais
s’avançant dans l’atmosphère à la façon d’un corps étranger, entièrement
isolé.

Du mois de février au mois de mai 1861, j’ai observé, à peu de distance,
quatre de ces trombes, et une cinquième a enveloppé de toutes parts
notre caravane sans que nous ayons pu l’éviter.

La première, celle du 19 février, chassée par un vent de S.-O., a passé
à 2 kilomètres N.-E. de notre campement. Elle n’a pas même eu d’action
sur la température de notre milieu, car le thermomètre est resté à 29°
95, température ordinaire à pareille heure.

La seconde, du jour suivant, 20 février, et de la même localité, s’est
présentée dans la même direction, mais à 1 kilomètre 1/2 seulement et
poussée par un vent du S.-E. Comme celle de la veille, elle n’a exercé
aucune influence sur mes instruments.

La troisième, du 28 avril, passa à notre E. comme un immense nuage
rougeâtre et tellement semblable au foyer d’un vaste incendie, qu’on
aurait pu s’y tromper, s’il ne s’était successivement élevé et abaissé
au-dessus de l’horizon, en suivant une marche du S.-O. au N.-O., avec la
rapidité d’un ouragan.

La quatrième, du 3 mai, annoncée par des coups de tonnerre lointains
dans le S. et par une baisse du baromètre, de 15mm 20 en 3 heures, passa
à notre S.-E., embrassant comme la précédente un immense espace, rouge,
enflammé comme elle, et se dirigeant vers l’E.

Le passage très-rapproché de cette masse de sables nous valut quelques
gouttes de pluie et une élévation du thermomètre à 43°.

Le 30 avril, en route, nous avions fait connaissance plus intime avec
pareille avalanche de sables arrivant du S., toujours sous la forme d’un
nuage rouge, et qui se rua sur nous comme un torrent dévastateur
accompagné de grosses gouttes de pluie froide que je trouvai semblables
à de la neige fondue.

Le désordre qui s’était mis dans notre caravane m’empêcha de constater
l’effet de cette trombe sur mes instruments qui n’étaient pas sous ma
main.

Voilà ce fameux _Notus_ d’Hérodote contre lequel marchèrent les Psylles
et qui les ensevelit tous.

Inutile de dire, je crois, que, pendant la durée des grands vents, du
sirocco particulièrement, la marche est très-pénible, surtout dans la
région des dunes. On a parlé de caravanes englouties corps et biens sous
des avalanches de sables ; je ne crois pas ce fait bien constaté. En
traversant l’’Erg, dans la saison la plus chaude de l’année et pendant
une période constante des vents du Sud, notre caravane, fatiguée par des
tourbillons de sables qui obscurcissaient l’atmosphère et empêchaient
les guides de diriger la marche, a dû s’arrêter plusieurs fois. Alors
les hommes se couchaient pour dormir, tournant le dos au vent et offrant
par conséquent un certain obstacle aux sables. Jamais aucun de nous,
quoique enveloppé de toutes parts, n’a éprouvé, au réveil, aucune
difficulté pour secouer son linceul.

Par les vents desséchants du Sud, les provisions d’eau diminuent
rapidement, et quand elles sont épuisées sans pouvoir les renouveler,
les caravanes périssent de soif. Les indigènes ont conservé le souvenir
de pareilles catastrophes, même sur des parcours de peu d’étendue et
loin des zones sablonneuses. A distance, on a imputé à l’ensevelissement
des sables un sinistre qui ne devait être attribué qu’au manque d’eau.


_Influence des vents sur le thermomètre et le baromètre._ — Je n’ai
jamais constaté, sous l’influence des vents du Sud, une élévation des
thermomètres proportionnelle à l’action de la chaleur sur la peau ; de
même, par les vents du Nord, l’abaissement de la température est peu
sensible, parce que ces vents ont le temps de s’échauffer avant
d’arriver sur le plateau central du Sahara.

Le baromètre subit davantage l’action des vents ; presque toujours il
annonce l’approche du sirocco par une baisse remarquable.


                             _Électricité._


Je n’étais muni d’aucun instrument pour mesurer l’électricité de
l’atmosphère : conséquemment toutes mes observations reposent sur des
faits appréciables à l’œil ou à l’oreille. Toutefois, je n’ai jamais
négligé de consigner même les plus petits phénomènes que je pouvais
attribuer au fluide électrique. Voici, à ce sujet, les notes que je
trouve dans mon journal de voyage :


_Étincelles électriques._ — (13 janvier 1861. Vent violent du O.-S.-O.
Température du sable — 1° le matin, celle de l’air = + 12°2 à 9 heures.)
— Vers le milieu de la journée et dans la nuit, décharges d’étincelles
électriques dans les vêtements de laine qu’on secoue.

(30 mars 1861. Vent nul. Température, 13°7 le matin.) — Le soir, ma
jument fait jaillir des étincelles électriques de sa queue en fouettant
les mouches.

(13 avril. Vent épouvantable de l’O. 1/8 S.) — Toute la journée et toute
la nuit, ciel couvert, sables soulevés. Le soir, électricité dans les
étoffes de soie et de coton.


_Éclairs._ — (31 juillet 1860. Températ. max. de la journée, 33° 8.) —
Dans la nuit des nuages apportés par un vent violent du Nord lancent des
éclairs non interrompus.

(7 mai 1861. Vent fort de S.-O. Pluie d’averse, ciel couvert ;
température, 29°25.) — Au coucher du soleil, éclairs au S.-O. et à l’O.

(8 mai. Vent nul, ciel couvert.) — A 6 heures 10m du soir, éclairs à
l’horizon S.-O., puis à l’E.


_Tonnerre._ — (25 avril 1861. Journée orageuse, vent fort du S.-S.-O. ;
températ., 37°8.) — Vers 7 heures du soir, un coup de tonnerre très-
lointain.

(2 mai. Vent O., ciel couvert ; températ., 34°.) — A 2 heures de
l’après-midi, coups de tonnerre prolongés, mais lointains, au Sud
magnétique.

(8 mai. Vent S.-O., orages la veille, petite pluie le soir.) — Tonnerre
lointain avant le coucher du soleil.


_Orages._ — Si, par orage, on doit entendre un grand trouble
atmosphérique, principalement dû à l’électricité et se manifestant par
une grosse pluie, avec grand vent, éclairs, tonnerre, grêle, etc., je
dois dire que je n’ai rien vu de semblable pendant les 230 jours
consacrés à l’exploration des hauts plateaux habités par les Touâreg, et
d’après mes conversations avec les indigènes, je dois croire que ces
bouleversements de l’atmosphère, très-fréquents au delà du tropique,
assez communs dans les parties septentrionales du Sahara encore soumises
à l’action du climat de la Méditerranée, doivent être assez rares dans
les parties élevées du Sahara central. Des orages secs, dus
exclusivement à l’action des vents et sans le concours de l’électricité,
me semblent plus caractéristiques du climat de ce pays.


                               _Lumière._


_Intensité, couleur, transparence._ — La lumière, dans tout le Sahara,
mais particulièrement dans les lieux élevés, est tellement intense, que
son action, soit directe, soit réfléchie, ne peut être, ni pendant
longtemps ni impunément, supportée par l’œil : aussi tous les habitants
du plateau central, à peu près sans exception, sont obligés de porter le
voile, s’ils veulent conserver la vue, et encore, malgré cette
précaution, la plupart des hommes de 40 à 50 ans sont atteints d’opacité
de la cornée transparente et d’une sorte de paralysie du cercle
ciliaire ; beaucoup sont borgnes ou aveugles, et les vieillards
atteignent difficilement le terme de leur existence sans que leur vue
soit beaucoup affaiblie. Les appareils photographiques construits pour
nos climats tempérés ne donnent que des épreuves brûlées.

La couleur bleue de l’air, mais d’un beau bleu indigo clair, est le fait
qui frappe le plus l’Européen dans le Sahara. Cette splendide coloration
s’alliant à une extrême transparence de l’atmosphère fait qu’on ne peut
plus cesser de regretter le ciel du Sahara dès qu’on l’a connu.

On aura une idée de la transparence de l’air par le fait suivant : Le 28
décembre, sur le sommet du plateau de Timozzoudjên, j’ai pu distinguer
nettement les découpures du Tasîli des Azdjer ; cependant le pied de ces
montagnes est, en ligne droite, à 80 kilomètres de Timozzoudjên. Bien
souvent, pour dresser la carte de mes itinéraires, j’ai déterminé, à la
boussole et avec certitude, des points à des distances de 30 à 60
kilomètres.

Les indigènes, dont la vue a reçu l’éducation du milieu atmosphérique,
distinguent les objets à de bien plus grandes distances encore, car
souvent, à mon grand étonnement, ils m’ont annoncé la venue de voyageurs
qu’ils avaient reconnus plusieurs heures avant leur arrivée.

Plus on s’élève dans les montagnes, plus le ciel devient bleu, plus
l’atmosphère est transparente et l’air pur.

En parlant du Ahaggâr, point le plus élevé de leur pays, les Touâreg
disent : « La quantité de nourriture nécessaire pour nourrir trois
hommes dans la plaine suffit pour en rassasier cinq dans le Ahaggâr,
tant l’air et l’eau y sont fortifiants. »


_Mirage._ — Le mirage est un phénomène si commun, sur les hamâd, dans
les plaines et vallées, que nécessairement je ne l’ai pas mentionné dans
mon journal de voyage. J’aurais dû écrire ce mot aussi souvent que le
ciel était pur et la température un peu élevée. Comme tous les voyageurs
en Orient, quoique prévenu, j’ai été victime de ses illusions. Comment
ne pas l’être dans un pays où l’on désire toujours l’eau et où, chaque
jour, une fée, fille de Tantale, vient mettre sous votre regard les lacs
les plus merveilleux qu’on puisse imaginer ? Souvent le mirage ne se
borne pas à tromper, il fatigue beaucoup la vue et l’esprit par
l’oscillation continuelle et le changement de forme des objets bizarres
qu’il représente.

Dans le Sahara, comme ailleurs, le mirage cesse dès que le sol devient
accidenté ou dès que le vent entraîne l’atmosphère dans un courant
continu.


_Aurore et crépuscule._ — Plus on avance dans le Sud et moins est grand
l’intervalle qui sépare la nuit du lever et du coucher du soleil. Sous
ce rapport, le Sahara obéit à la loi générale, car l’aurore et le
crépuscule y ont si peu de durée qu’on n’en tient pas compte. Lever du
jour et lever du soleil sont à peu près synonymes.

Au crépuscule, l’horizon O. prend une teinte rose ou rougeâtre, que
l’horizon général a presque toute la journée, à un degré moindre.


_Lueur crépusculaire._ — Au campement de Sâghen, le 3 janvier, à 7 h. 30
m. du soir, je remarquai à gauche de la voie lactée, dans l’Ouest,
environ au point où le soleil s’était couché, une lueur blanche, partant
de l’horizon, et se répandant comme une colonne de fumée.

A Tarz-Oûlli, le 8 mars, à 7 h. 21 m. du soir, j’ai encore observé dans
l’Ouest la même colonne de lumière, mais, cette fois, elle était séparée
de l’horizon par une bande obscure.

Serait-ce la lueur crépusculaire de Humboldt ?


_Arc-en-ciel._ — Les arcs-en-ciel sont aussi rares que les pluies dans
le Sahara ; cependant, j’ai pu en observer deux : l’un le 8 mai 1861,
consécutif à deux jours de pluie ; l’autre le 20 août, précédant la
pluie du lendemain. Le premier se montra vers 5 heures du soir ; ses
deux bases seules furent visibles. Le second parut à 4 h. 50 m. du soir.


_Halo lunaire._ — Le 19 août 1859, à Ghardâya, par un ciel couvert de
stratus, la lune, au moment où elle approchait du méridien, était
entourée d’un superbe halo.

Le 19 février 1861, à Azhel-n-Bangou, à 8 h. 45 m. du soir, le ciel
étant couvert de cirrho-stratus, je constatai un halo autour de la lune.
Sa distance du bord de la lune, mesurée au sextant, s’est trouvée être
de 20° 30′.


_Lune rouge sang._ — Le 21 août 1861, à Oumm-el-’Abîd, vers 8 h. 15 m.
du soir, la lune, à son lever, se présenta avec une couleur rouge sang,
tirant un peu sur le brun. Les indigènes prétendent que cet aspect de la
lune présage le sirocco. En effet, le lendemain 22, le vent souffla
d’abord E.-S.-E., puis S.-E.


_Étoiles filantes._ — On signale la nuit du 10 au 11 août comme l’une de
celles dans lesquelles on observe le plus d’étoiles filantes, et parmi
elles on a cru en reconnaître de périodiques.

Me trouvant le 10 août 1859 à Ghardâya, par une belle nuit, je la
consacrai à observer ces météores ignés. Voici les résultats constatés
dans mon journal :

Vers 8 h. 30 m., à une demi-minute d’intervalle, deux belles étoiles
filantes tombent vers 10° du méridien, au-dessous de la lune, à une
dizaine de degrés au-dessus de l’horizon.

A 10 h. 25 m., une grosse étoile rouge tombe de haut en bas, à l’Ouest,
à peu d’élévation au-dessus de l’horizon ;

A 12 h. 22 m., une belle étoile bleue se montre dans l’Est, allant du
Sud au Nord.

Je dors de minuit 30 m. à 2 h. 30 m., après quoi, jusqu’au matin, je
compte de nombreuses étoiles filantes, se dirigeant pour la plupart de
haut en bas dans la direction de Methlîli, c’est-à-dire au Sud.

Antérieurement, dans la nuit du 23 au 24 juillet, à Methlîli, j’avais
constaté de nombreuses étoiles filantes, entre autres une superbe.

Ces météores apparaissent en si grande quantité dans les belles nuits du
Sahara, qu’un voyageur ne peut les noter toutes.


_Globe lumineux._ — Dans le grand nombre de mes observations nocturnes,
je dois une mention spéciale à un globe enflammé observé le 21 juillet
1859, vers 9 heures du soir. Ce globe, dès qu’il m’apparut, s’éleva à
quelques degrés au-dessus de l’horizon et retomba en augmentant d’éclat.
Je ne puis mieux comparer ce phénomène qu’à une bombe d’artifice très-
brillante et très-forte.


                              CONCLUSION.


Le climat du pays des Touâreg du Nord est essentiellement continental et
parfaitement distinct de celui du bassin de la Méditerranée, ainsi que
de celui du bassin du Niger. Au Nord comme au Sud, des pluies
périodiques divisent l’année en deux saisons : l’une sèche, l’autre
humide. Chez les Touâreg, il y a des périodes d’années, de 6 à 12, sans
aucunes pluies, et des périodes d’années, de 1 à 3, dans lesquelles il
pleut en toutes saisons : conséquemment, il n’y a chez les Touâreg que
des saisons chaudes et des saisons froides.

Dans les unes, comme dans les autres, mêmes vents, même sécheresse de
l’air, même électricité, mêmes effets de la lumière.

En somme, le climat du Sahara est très-exceptionnel sur la surface du
globe, et c’est à ce climat que le Sahara doit d’être le Sahara.


[Note 81 : Dans la suite de ce chapitre, je ferai connaître les
instruments dont je me suis servi et les corrections qu’ils ont dû
subir.]

[Note 82 : La force du vent est estimée sur une échelle de 0, calme
parfait, à 10, ouragan.]

[Note 83 : Faute d’observations correspondantes au niveau de la mer,
l’altitude de Ghadâmès n’a pu être calculée que sur une moyenne de cinq
journées : celles des 12, 13, 14, 15 août et 10 décembre 1860.]

[Note 84 : Altitude donnée par M. P. Marès pour le premier étage de la
Qaçba.]




                              CHAPITRE VI.

                      OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES.


Le but de ce chapitre est de faire connaître les principaux éléments
d’observations astronomiques d’après lesquels a été dressée la carte qui
accompagne ce volume.

Je ne publie pas les observations elles-mêmes. Je me borne à les tenir à
la disposition des personnes qui auraient besoin de les contrôler.

Le matériel de mon observatoire ambulant se composait de chronomètres,
d’un sextant, d’une lunette astronomique, d’une boussole avec lunette,
c’est-à-dire des instruments les plus simples et les plus facilement
portatifs à dos de chameau.

Le plus grand nombre de mes observations a été calculé, par moi, pendant
mon voyage et depuis mon retour ; d’autres, les plus compliquées, l’ont
été par MM. Yvon-Villarceau, Bruhns et Radau, qui ont bien voulu me
prêter le concours de leur longue pratique.

Aucune de ces observations ne donne lieu à des remarques particulières
qui méritent d’être consignées ici. Le seul côté par lequel le Sahara
diffère des autres points du globe pour l’étude des phénomènes célestes,
est que le ciel y est presque toujours pur, d’une transparence
exceptionnelle, et qu’on y peut presque continuellement suivre la marche
des astres dès que l’obscurité se fait : aussi est-il à regretter
qu’aucun observatoire sédentaire ne soit pas établi dans cette région.

Voici, par ordre de dates, le relevé des observations faites pendant mon
voyage qui ont servi à établir la latitude et la longitude des
principaux points de la carte :

 +------------------+----------+-----------+----------+-----------------+
 |    LOCALITÉS.    |  DATES.  | LATITUDE. |LONGITUDE |  OBSERVATIONS.  |
 |                  |          |           |ORIENTALE.|                 |
 +------------------+----------+-----------+----------+-----------------+
 |Ghardâya          |du 8 août |32° 28′ 36″|1° 33′ 54″|Hauteurs du      |
 |                  |   au 7   |           |          |Soleil, de la    |
 |                  | octobre  |           |          |Lune et de la    |
 |                  |  1859.   |           |          |Polaire au       |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |Hauteurs du      |
 |                  |          |           |          |Soleil et de la  |
 |                  |          |           |          |Lune, d’Arcturus,|
 |                  |          |           |          |de Véga et d’α   |
 |                  |          |           |          |d’Ophiucus à     |
 |                  |          |           |          |l’Est ou à       |
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |Distances de la  |
 |                  |          |           |          |Lune au Soleil.  |
 |                  |          |           |          |Visées de        |
 |                  |          |           |          |boussole sur le  |
 |                  |          |           |          |Soleil et sur la |
 |                  |          |           |          |Lune.            |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Methlîli          |du 28 août|32° 14′ 30″|          |Hauteurs du      |
 |                  |  au 13   |           |          |Soleil, de la    |
 |                  |septembre.|           |          |Lune et de la    |
 |                  |          |           |          |Polaire au       |
 |                  |          |           |          |méridien ;       |
 |                  |          |           |          |d’Arcturus et de |
 |                  |          |           |          |Véga à l’Est ou à|
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |Distances        |
 |                  |          |           |          |d’Antarès à la   |
 |                  |          |           |          |Lune. Apozénithes|
 |                  |          |           |          |lunaires. Visées |
 |                  |          |           |          |de boussole sur  |
 |                  |          |           |          |le Soleil.       |
 |                  |          |           |          |                 |
 |El-Golêa’a        |    4     |30° 32′ 12″|0° 47′ 31″|Hauteur du Soleil|
 |                  |septembre.|           |          |au méridien, du  |
 |                  |          |           |          |Soleil à l’Ouest.|
 |                  |          |           |          |Distances de la  |
 |                  |          |           |          |Lune au Soleil.  |
 |                  |          |           |          |Visées de        |
 |                  |          |           |          |boussole sur la  |
 |                  |          |           |          |Lune.            |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tougourt[85]      |29 novemb.| 33° 6′ 35″|          |Hauteur du Soleil|
 |                  | 1859, 7  |           |          |au méridien.     |
 |                  |juin 1869.|           |          |                 |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Ouarglâ           |    18    |31° 57′ 20″|          |Hauteur du Soleil|
 |                  | février. |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Nafta             | 9 mars.  |33° 52′ 21″|          |Hauteur du Soleil|
 |                  |          |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tôzer             | du 11 au |33° 54′ 48″|          |Hauteurs du      |
 |                  | 31 mars. |           |          |Soleil et de la  |
 |                  |          |           |          |Polaire au       |
 |                  |          |           |          |méridien ; du    |
 |                  |          |           |          |Soleil,          |
 |                  |          |           |          |d’Arcturus et de |
 |                  |          |           |          |Sirius à l’Est ou|
 |                  |          |           |          |à l’Ouest.       |
 |                  |          |           |          |Distances de la  |
 |                  |          |           |          |Lune au Soleil et|
 |                  |          |           |          |à Régulus. Visées|
 |                  |          |           |          |de boussole.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |El-Bordj          | 15 mars. |           |          |Hauteurs de      |
 |(Nefzâoua)        |          |           |          |Régulus et       |
 |                  |          |           |          |hauteurs         |
 |                  |          |           |          |circumméridiennes|
 |                  |          |           |          |de Sirius.       |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Gâbès[86]         | 18 et 19 |           |          |Hauteurs de      |
 |                  |  mars.   |           |          |Régulus et de    |
 |                  |          |           |          |Procyon à l’Est  |
 |                  |          |           |          |ou à l’Ouest ; du|
 |                  |          |           |          |Soleil au        |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |El-Ouâd[87]       |  du 10   |33° 21′ 40″|4° 57′ 20″|Hauteurs du      |
 |                  |février au|           |          |Soleil et de la  |
 |                  |    24    |           |          |Polaire au       |
 |                  | juillet. |           |          |méridien ; du    |
 |                  |          |           |          |Soleil et de Véga|
 |                  |          |           |          |à l’Est et à     |
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |Observation du   |
 |                  |          |           |          |dernier contact  |
 |                  |          |           |          |de l’éclipse du  |
 |                  |          |           |          |Soleil.          |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Berreçof          |du 3 au 5 |32° 31′ 51″|          |Hauteurs de la   |
 |                  |  août.   |           |          |Polaire et de    |
 |                  |          |           |          |Mars au méridien |
 |                  |          |           |          |; du Soleil et   |
 |                  |          |           |          |d’Arcturus à     |
 |                  |          |           |          |l’Est et à       |
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |Distances de     |
 |                  |          |           |          |Mars, du Soleil  |
 |                  |          |           |          |et d’Antarès à la|
 |                  |          |           |          |Lune. Visées de  |
 |                  |          |           |          |boussole sur     |
 |                  |          |           |          |Mars.            |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Ghadâmès          |du 15 août| 30° 7′ 48″|6° 43′ 15″|Hauteurs de Mars,|
 |                  |   au 8   |           |          |de la Polaire et |
 |                  |décembre. |           |          |du Soleil au     |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |Hauteurs du      |
 |                  |          |           |          |Soleil, d’α de   |
 |                  |          |           |          |Persée et d’α du |
 |                  |          |           |          |Cygne à l’Est et |
 |                  |          |           |          |à l’Ouest.       |
 |                  |          |           |          |Occultations des |
 |                  |          |           |          |étoiles 7202 (B. |
 |                  |          |           |          |astr. Cat.) et   |
 |                  |          |           |          |1165 (B. astr.   |
 |                  |          |           |          |Cat.). Visées de |
 |                  |          |           |          |boussole sur la  |
 |                  |          |           |          |Polaire,         |
 |                  |          |           |          |Fomalhaut, Véga  |
 |                  |          |           |          |et Rigel.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tagotta           |    18    |30° 12′ 11″|          |Hauteur de Mars  |
 |                  |septembre.|           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Djâdo             |  du 24   |31° 58′ 28″|          |Hauteurs du      |
 |                  |octobre au|           |          |Soleil, de Mars  |
 |                  |    11    |           |          |et de la Polaire |
 |                  |novembre. |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |Hauteurs du      |
 |                  |          |           |          |Soleil et de Véga|
 |                  |          |           |          |à l’Est et à     |
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |Distances de la  |
 |                  |          |           |          |Lune au Soleil.  |
 |                  |          |           |          |Occultation de   |
 |                  |          |           |          |l’étoile _q_ de  |
 |                  |          |           |          |la Vierge. Visées|
 |                  |          |           |          |de boussole sur  |
 |                  |          |           |          |la Polaire, Mars,|
 |                  |          |           |          |α de la Chèvre et|
 |                  |          |           |          |Véga.            |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Nâloût            | 18 et 19 |31° 52′ 56″|8° 45′ 10″|Hauteurs du      |
 |                  |novembre. |           |          |Soleil et de Mars|
 |                  |          |           |          |au méridien ; du |
 |                  |          |           |          |Soleil, d’α de   |
 |                  |          |           |          |l’Aigle, d’α de  |
 |                  |          |           |          |Pégase et de la  |
 |                  |          |           |          |Lune à l’Est et à|
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Sinâoun           |    22    | 31° 1′ 40″|          |Hauteurs de      |
 |                  |novembre. |           |          |Fomalhaut au     |
 |                  |          |           |          |méridien, de la  |
 |                  |          |           |          |Chèvre à l’Est.  |
 |                  |          |           |          |Visées de        |
 |                  |          |           |          |boussole sur la  |
 |                  |          |           |          |Polaire,         |
 |                  |          |           |          |Fomalhaut, Véga  |
 |                  |          |           |          |et la Chèvre.    |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Timelloûlen       | 16 et 19 |           |          |Hauteurs de β de |
 |                  |décembre. |           |          |la Balance et du |
 |                  |          |           |          |Soleil au        |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Sâghen            |    30    |26° 59′ 33″|          |Hauteur du Soleil|
 |                  |décembre. |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Oursêl            |30 janvier|26° 25′ 25″|          |Hauteur du Soleil|
 |                  |  1861.   |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Azhel-en-Bangou   |14 février| 26° 11′ 2″|          |Hauteurs du      |
 |[88]              |  au 10   |           |          |Soleil, de Sirius|
 |                  |  mars.   |           |          |et de la Polaire |
 |                  |          |           |          |au méridien ; du |
 |                  |          |           |          |Soleil à l’Est et|
 |                  |          |           |          |à l’Ouest.       |
 |                  |          |           |          |Éclipse du       |
 |                  |          |           |          |premier satellite|
 |                  |          |           |          |de Jupiter.      |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tinoûhaouen       | 14 et 28 |24° 58′ 38″|7° 53′ 40″|Hauteurs du      |
 |                  |  mars.   |           |          |Soleil et de la  |
 |                  |          |           |          |Polaire au       |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |Hauteurs         |
 |                  |          |           |          |d’Arcturus et de |
 |                  |          |           |          |γ Geminorum à    |
 |                  |          |           |          |l’Est et à       |
 |                  |          |           |          |l’Ouest. Éclipse |
 |                  |          |           |          |du premier       |
 |                  |          |           |          |satellite de     |
 |                  |          |           |          |Jupiter. Visées  |
 |                  |          |           |          |avec la boussole |
 |                  |          |           |          |sur Sirius.      |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Toûnîn (Rhât)     | 27 et 28 |24° 57′ 14”|          |Hauteurs du      |
 |                  |  mars.   |           |          |Soleil au        |
 |                  |          |           |          |méridien, à l’Est|
 |                  |          |           |          |et à l’Ouest.    |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Serdélès          | 4 et 10  |25° 46′ 20″|          |Hauteurs du      |
 |                  |   mai.   |           |          |Soleil à l’Est,  |
 |                  |          |           |          |d’α de la grande |
 |                  |          |           |          |Ourse au         |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Oubâri            | 17 mai.  |           |          |Hauteurs du      |
 |                  |          |           |          |Soleil à l’Ouest,|
 |                  |          |           |          |de β du Corbeau  |
 |                  |          |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Djerma[89]        | 18 et 19 |26° 32′ 52″|          |Hauteurs de l’Épi|
 |                  |   mai.   |           |          |de la Vierge au  |
 |                  |          |           |          |méridien ; du    |
 |                  |          |           |          |Soleil à l’est et|
 |                  |          |           |          |à l’Ouest.       |
 |                  |          |           |          |                 |
 |El-Fogâr          | 20 et 21 |           |          |Hauteurs de la   |
 |                  |   mai.   |           |          |Lune, d’ε et d’η |
 |                  |          |           |          |de la grande     |
 |                  |          |           |          |Ourse au méridien|
 |                  |          |           |          |; d’Arcturus, de |
 |                  |          |           |          |Jupiter et du    |
 |                  |          |           |          |Soleil à l’Est et|
 |                  |          |           |          |à l’Ouest.       |
 |                  |          |           |          |Distances de la  |
 |                  |          |           |          |Lune à Antarès et|
 |                  |          |           |          |à Jupiter.       |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tekertîba         | du 22 au |           |          |Hauteurs d’ε et  |
 |                  | 27 mai.  |           |          |d’η de la grande |
 |                  |          |           |          |Ourse, de δ du   |
 |                  |          |           |          |Corbeau, de π de |
 |                  |          |           |          |l’Hydre femelle  |
 |                  |          |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |Hauteurs du      |
 |                  |          |           |          |Soleil et de la  |
 |                  |          |           |          |Lune à l’Est et à|
 |                  |          |           |          |l’Ouest.         |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Lac Mandara       | 28 mai.  |26° 40′ 57″|          |Hauteur d’ε de la|
 |                  |          |           |          |grande Ourse au  |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Lac Gabr’aoûn     | 29 mai.  |           |          |Hauteurs d’ε de  |
 |                  |          |           |          |la grande Ourse  |
 |                  |          |           |          |et de l’Épi de la|
 |                  |          |           |          |Vierge au        |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |El-Fejîj          | 31 mai.  |           |          |Hauteur d’ε de la|
 |                  |          |           |          |grande Ourse au  |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Tessâoua          | 4 juin.  | 20° 5′ 50″|          |Hauteurs de ζ de |
 |                  |          |           |          |η de la grande   |
 |                  |          |           |          |Ourse et de β de |
 |                  |          |           |          |la Balance au    |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Oumm-el-Arâneb    |    19    | 26° 8′ 4″ |          |Hauteur du Soleil|
 |                  | juillet. |           |          |au méridien.     |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Delêm             | 12 août. |           |          |Hauteur de σ du  |
 |                  |          |           |          |Sagittaire au    |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Bîr-en-Nechoûa’   | 13 août. |           |          |Hauteur de λ du  |
 |                  |          |           |          |Scorpion au      |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Gourmêda          | 18 août. |           |          |Hauteurs de la   |
 |                  |          |           |          |Polaire et de    |
 |                  |          |           |          |l’Épi de la      |
 |                  |          |           |          |Vierge.          |
 |                  |          |           |          |                 |
 |Zîghen            | 19 août. |           |          |Hauteur de μ du  |
 |                  |          |           |          |Sagittaire au    |
 |                  |          |           |          |méridien.        |
 |                  |          |           |          |                 |
 |O. Tîn-Guezzîn    | 21 août. |           |          |Hauteurs         |
 |                  |          |           |          |d’Arcturus et de |
 |                  |          |           |          |la Polaire.      |
 +------------------+----------+-----------+----------+-----------------+

Ne sont pas comprises dans ce tableau toutes les observations faites sur
les points intermédiaires. Le détail en eût été trop long. Je me borne à
indiquer les latitudes que j’ai calculées en voyage pour un certain
nombre de ces points secondaires.

  +--------------------------------+-----------------+
  |          LOCALITÉS.            | LATITUDES NORD. |
  +--------------------------------+-----------------+
  |                                |                 |
  | Hâssi-Djedîd                   | 32° 12′  8″     |
  |                                |                 |
  | Hâssi-Dhomrân                  | 31° 51′ 48″     |
  |                                |                 |
  | Hâssi-Berghâoui                | 31° 32′ 47″     |
  |                                |                 |
  | Hâssi-Zirâra                   | 31° 15′ 18″     |
  |                                |                 |
  | El-Guerâra                     | 32° 47′ 25″     |
  |                                |                 |
  | Chegga (puits artésien)        | 34°  9′ 39″     |
  |                                |                 |
  | Gomâr                          | 33° 29′ 20″     |
  |                                |                 |
  | Hâssi-Sîdi-el-Bâchîr           | 32° 45′ 36″     |
  |                                |                 |
  | Hâssi-Oulâd-Miloûd             | 32° 29′ 56″     |
  |                                |                 |
  | Sedâda (Djérîd tunisien)       | 34°  0′ 37″     |
  |                                |                 |
  | Gafça (id.)                    | 34° 26′ 32″     |
  |                                |                 |
  | Nemlât (id.)                   | 33° 58′ 33″     |
  |                                |                 |
  | Sîdi-Râched (O. Rîgh)          | 33° 19′ 29″     |
  |                                |                 |
  | Mouï-er-Roba’âya-el-Gueblâoui  | 33°  0′  2″     |
  |                                |                 |
  | Mâleh-ben-’Aoûn                | 32° 51′  1″     |
  |                                |                 |
  | Mâtrès                         | 30° 11′ 53″     |
  |                                |                 |
  | Bîr-’Allâg                     | 31°  4′ 27″     |
  |                                |                 |
  | Târedié                        | 32°  8′ 27″     |
  |                                |                 |
  | Kherbet-Dzîra                  | 31° 59′  0″     |
  |                                |                 |
  | Kaçar-Yêfren                   | 32°  3′ 43″     |
  |                                |                 |
  | Bîr-Terrîn                     | 32° 39′ 32″     |
  |                                |                 |
  | Zâouiya-el-Gharbîya (le Bordj) | 32° 46′ 35″     |
  |                                |                 |
  | Tînzeght                       | 31° 54′  2″     |
  |                                |                 |
  | Kâbâo                          | 31° 51′ 39″     |
  |                                |                 |
  | Ch’aouâ                        | 30° 58′ 49″     |
  |                                |                 |
  | Tarz-Oûlli                     | 25° 32′ 53″     |
  +--------------------------------+-----------------+

Les emprunts de positions astronomiques qui ont été faits, pour la
construction de la carte, aux travaux des autres explorateurs, sont :

Le tracé de la côte, d’après le capitaine Smith, de la marine anglaise ;

Les positions du docteur Vogel entre Tripoli et le Bornou ;

Les latitudes de M. de Beurmann, d’après la carte de M. le docteur
Petermann, entre Ben-Ghâzi et Zouîla ;

Quelques points du Sahara algérien, antérieurement déterminés
astronomiquement par M. le capitaine Vuillemot, et adoptés par le Dépôt
de la Guerre ;

Enfin la position d’In-Sâlah du major Laing.


Deux mots sur l’éclipse du 18 juillet 1860 et sur une comète du 1er
juillet 1861. Je copie mon journal :

J’étais au lit, atteint d’une violente fièvre contractée dans l’Ouâd-
Rîgh, quand je sortis pour aller observer l’éclipse. J’avais calculé
l’heure à laquelle elle devait se produire, comme si elle devait être
totale à El-Ouâd ; elle ne le fut pas complétement ; aussi, quand
j’arrivai à ma lunette, comptant sur dix minutes d’avance, je trouvai le
disque solaire entamé. Je ne puis donc indiquer le moment exact du
premier contact.

Le ciel était pur.

A l’observation, je vis la lune couvrir successivement le soleil, comme
le ferait une tache ; à un moment je crus voir certaines montagnes faire
éclipse totale, mais à peine mon œil avait-il quitté la lunette pour
prendre l’heure, que l’éclipse commença à diminuer lentement.

Le dernier contact eut lieu à 4 h. 55 m. 18 s. de mon chronomètre, qui
marquait encore le temps de Paris.

La lumière la plus faible a été celle qui, dans cette saison, succède au
coucher du soleil.

Les Arabes me dirent avoir vu des étoiles.

Mieux portant, j’aurais pu apporter une plus grande attention aux
détails de cette éclipse ; mais la maladie paralyse les forces de
l’esprit comme celles du corps. Quand je fus me remettre au lit, la
fièvre s’était aggravée et je fus pris de vomissements très-pénibles.

A 2 h. 30 m., le baromètre marquait 749,05, le thermomètre 45° 5 ; le
vent soufflait du Sud.

A 5 heures, le baromètre était à 740,95 et le thermomètre à 41° 8, le
vent restant le même.


Je me portais heureusement mieux quand, à Mourzouk, le 1er juillet, à 7
h. 15 m. du soir, on vint m’annoncer un phénomène astronomique qui
remplissait de terreur toute la population.

C’était une comète ; on ne l’avait pas vue la veille, elle devait
disparaître le surlendemain.

D’après les habitants, elle avait apparu, à leurs yeux, rouge et très-
belle, un peu après le coucher du soleil, vers le méridien Nord.

Quand je l’observai à la lunette, elle était à 5 degrés environ au-
dessus de l’horizon, en ligne à peu près droite sous α de la grande
Ourse ; sa queue, de lumière blanchâtre, se prolongeait jusqu’à β et γ
de la petite Ourse ; continuée en arc de cercle, elle eût coupé la voie
lactée par son milieu. Le noyau, très-distinct à la lunette,
apparaissait comme une étoile de 3e ou de 4e grandeur.

Le lendemain, à la même heure, ou un peu avant, la comète était plus
haut dans le ciel, mais, probablement à cause des nuages qui le
voilaient en cet endroit, elle paraissait sans queue et sous la forme de
deux disques lumineux juxtaposés. Du moins, c’est l’effet qu’elle
produisait à l’œil.

Depuis je n’ai plus entendu parler de cet objet d’effroi et je ne l’ai
plus vu.


[Note 85 : Pour les longitudes de Tougourt et d’Ouarglâ, j’ai adopté
celles du Dépôt de la Guerre établies d’après les observations de M. le
capitaine Vuillemot.]

[Note 86 : Position du capitaine Smith.]

[Note 87 : Pour El-Ouâd, j’ai cru devoir donner la préférence à la
longitude du capitaine Vuillemot. Malade au moment de mon observation,
je ne puis y avoir une confiance absolue.]

[Note 88 : J’ai rejeté la longitude d’Azhel-en-Bangou parce qu’elle ne
concordait pas avec le relevé de ma route.]

[Note 89 : Pour les points relevés astronomiquement par Vogel, qui était
astronome de profession et mieux outillé que moi, j’ai toujours donné la
préférence aux résultats de ses observations de longitude.]




                               LIVRE II.

                              PRODUCTION.

                               * * * * *

Les productions minérales, végétales et animales d’un pays aussi peu
favorisé sous le double rapport de la constitution du sol et du climat,
ne peuvent être qu’en petit nombre ; cependant elles ne sont pas
complétement nulles, et je vais les passer successivement en revue.

                               * * * * *

                           CHAPITRE PREMIER.

                               MINÉRAUX.


Mon exploration n’a pas été assez complète, surtout dans la partie
montagneuse du pays, pour que je puisse prétendre connaître toute sa
richesse minérale ; d’un autre côté, les Touâreg ne sont pas un peuple
assez industriel pour que j’aie pu suppléer à l’insuffisance de mes
recherches personnelles par une enquête sur les produits minéraux qu’ils
exploitent. Les besoins des peuples nomades ne sont pas ceux des nations
civilisées et sédentaires : aussi n’est-on pas autorisé à conclure de
l’absence d’exploitations au manque de minéraux exploitables. Au
contraire, en constatant que les Touâreg ont trouvé chez eux tout ce qui
est nécessaire à leur existence, on peut croire qu’il y a beaucoup plus.
Quoi qu’il en soit, je signalerai ce que j’ai vu et ce qui m’a été
indiqué par les indigènes.


                    _Métaux et pierres précieuses._


_Fer._ (Tazhôli). — J’ai constaté la présence du fer en plusieurs
endroits : notamment à Azhel-en-Bangou, dans les environs du mont
Têlout, sur le rebord Nord du Tasîli, dans le ravin d’In-Akhkh, autour
des puits artésiens d’Ihanâren, dans la vallée d’Ouarâret. Les
renseignements des indigènes signalent aussi ce minerai sur d’autres
points du Tasîli et du Ahaggâr, en massifs plus ou moins considérables.
Mais à quoi bon ? Le fer fût-il plus riche et plus abondant encore,
comment l’exploiterait-on sans combustible ?

Tout le fer employé par les Touâreg leur est apporté par le commerce.

_Cuivre._ (Dârogh). — Les Touâreg ne connaissent aucun minerai de cuivre
dans leur pays. Tous les cuivres qu’ils emploient à l’ornementation de
leurs armes viennent d’Europe ; jadis, quand Mourzouk entretenait encore
des relations commerciales avec le Waday, ils pouvaient en recevoir de
cette contrée.

_Plomb._ (Alloûn). — Le nom d’Ouâdi-Alloûn (rivière du plomb) donné à
l’un des torrents qui descendent du versant Nord du Tasîli rappelle-t-il
la découverte de minerai de plomb dans le lit de l’ouàdi ? Je l’ignore.

Les Touâreg ne faisant généralement pas usage des armes à feu, l’emploi
du plomb est assez restreint chez eux pour qu’ils n’aient jamais songé à
utiliser les galènes de leur pays, fussent-elles même riches.

_Étain._ (?) — Un gisement de ce minerai ou d’un métal analogue m’a été
signalé dans l’Ouâdi-ech-Chiâti (Fezzân). Cette indication est-elle
fondée ou non ? L’avenir l’apprendra.

_Sulfure d’antimoine._ (Tazôlt). — Le sulfure d’antimoine est récolté
aux environs d’El-Barakat, près de Rhât, mais dans la proportion des
besoins locaux, limités à l’application du _kohel_ sur les cils et les
sourcils.

_Kohel_, en Arabe, signifie _tout ce qui noircit_. Donc, sous ce nom, on
emploie indistinctement ou le sulfure de plomb, ou le sulfure
d’antimoine, suivant la facilité de se les procurer.

L’emploi du kohel est des plus anciens chez les peuples orientaux.
Jérémie dit, chap. IV, vers. 30 : « _Cum stibio pinxeris oculos tuos._ »
Le prophète Mohammed, copiant Jérémie, répète : « Employez l’antimoine,
il fortifie la vue et fait pousser les cils. »

Sur la foi de ces autorités, l’habitude du kohel est passée dans les
mœurs, surtout dans le Sahara, où la réverbération du soleil affaiblit
si promptement la vue et cause si souvent des ophthalmies.

Le docteur Bertherand, dans son ouvrage sur la _Médecine des indigènes
de l’Algérie_, dit que l’emploi du kohel, dans toute espèce
d’ophthalmies, lui a toujours rendu les plus grands services.

_Pierres précieuses._ — Les Touâreg modernes font usage d’une espèce de
serpentine dont ils fabriquent leurs anneaux de bras. On trouve cette
pierre dans le ravin de Tahôdayt-tân-Hebdjân (rebord méridional du
Tasîli), sur la route directe de Rhât à In-Sâlah, non loin du ravin de
Tahôdayt-tân-Tâmzerdja, où sont les restes fossiles d’un grand mammifère
antédiluvien.

Mais il est hors de doute que les peuples anciens de cette contrée
connaissaient et faisaient usage d’autres pierres précieuses, car on en
trouve dans tous les tombeaux des _Jabbâren_ (géants), nom que les
Touâreg donnent à la génération qui les a précédés dans le pays. Ces
pierres sont enchâssées dans les bagues ou dans les boucles d’oreilles.

J’ai déjà dit qu’on avait trouvé des émeraudes dans le Touât ; moi-même
j’ai rapporté de mon excursion à El-Golêa’a des cristaux qui y
ressemblent. Il est probable qu’une exploration complète des montagnes
des Touâreg et des bassins qui en dépendent ferait retrouver l’ancienne
émeraude garamantique des musées.


                             _Sels divers._


_Sel commun._ (Tîsemt.) — Une belle mine de sel, longtemps exploitée et
abandonnée pour cause d’insécurité, existe dans la Sebkha d’Amadghôr,
sur l’ancienne route des caravanes d’Ouarglâ à Agadez, au pied d’un des
contre-forts orientaux du Ahaggâr. D’après les indigènes, cette mine
serait la plus belle connue dans tout le Sahara. Elle sera
ultérieurement l’objet d’une attention toute spéciale.

Une mine de sel m’est aussi signalée dans la montagne au Sud de
Tikhâmmalt.

Sur beaucoup d’autres points, on trouve du sel de qualité inférieure,
mélangé de terre : aux environs de Rhât et à Tekertîba, ou provenant de
l’évaporation des eaux salines de sebkha desséchées, notamment sur le
cours inférieur de l’Igharghar, à Menkebet-Izîman et à Sîdi-Boû-Hânia.

Les puits salés, indiquant la nature saline des terres traversées par
les eaux, sont communs. Je citerai entre autres celui de Tînessedj sur
la route septentrionale de Tebalbâlet à In-Sâlah ; celui de Harhé, dans
une sebkha, sur la route de Tikhâmmalt à Oubâri.

Je citerai aussi, comme sources salines, celle de Tânout sur la
précédente route, et d’’Aïn-el-Mokhanza (la fontaine pourrie, puante),
sur l’Igharghar, sans compter celles que j’ai signalées précédemment
dans mes itinéraires géologiques.

_Alun._ (Azârîf.) — Après le sel, l’alun est la production minérale la
plus commune du pays des Touâreg. On en trouve des dépôts, entre autres,
dans la vallée d’Ouarâret, au Nord du Rhât ; à Serdélès ; à In-Hâs, dans
la plaine d’Adjemôr ; sur l’Ouâdi-Tetch-Oûlli, affluent de l’Ouâdi-
Akâraba. Ces deux dernières mines sont situées au Nord de Mouydîr, et
non loin d’In-Sâlah, marché sur lequel on vend leurs produits.

J’ai rapporté un échantillon des dépôts d’alun de la vallée de Serdelès.
Il est pur et de bonne qualité.

_Salpêtre._ (Tîsemt-n-elbaroûd.) — Tout le salpêtre consommé par les
Touâreg vient du Touât, où cette matière paraît très-abondante. Il n’est
pas douteux qu’on en trouve également et en quantité importante dans les
contrées similaires du pays des Touâreg, car ces derniers m’en signalent
un dépôt assez important dans la vallée de Tikhâmmalt et d’autres dans
les ouâdis aux environs de Rhât. N’employant pour ainsi dire pas la
poudre, ne sachant pas la préparer, ils négligent ce produit et n’y font
aucune attention ; mais, si le commerce français demandait du salpêtre
au Touât, les Touâreg ne tarderaient probablement pas à lui faire
concurrence.

_Natron._ (Elatroûn et Oksem.) — Le natron est récolté en assez grande
abondance dans le Bahar-et-Trounîa au Nord-Ouest de Mourzouk. Il est
employé par les Touâreg en mélange avec la feuille du tabac, soit pour
la prise, soit pour la chique ; il est aussi d’un usage journalier comme
mordant dans les préparations tinctoriales. Inutile d’ajouter qu’il
entre dans la matière médicale des indigènes, car, à défaut de produits
européens, ils utilisent tout ce qu’ils ont sous la main.

J’aurai l’occasion de faire connaître ultérieurement l’importance
commerciale de ce sel.

_Soufre_ (Tazzefrît et Aouodhîs). — Quoique le Ahaggâr, le Tasîli, le
Hâroûdj et la Sôda, soient le produit de soulèvements volcaniques ;
quoique le soufre se montre, au Nord, en assez grande quantité dans la
Syrte, il est à peu près certain qu’il n’existe pas dans le pays des
Touâreg, car, s’ils y connaissaient des soufrières, elles seraient
exploitées pour les besoins des chameaux, atteints fréquemment de la
gale, que le soufre seul guérit d’une manière radicale. Je conclus donc
de ce que le soufre n’est pas exploité par les Touâreg qu’il n’y en a
pas chez eux.


                       MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION.

                          _Pierres et terres._


Bien que des nomades ne tirent aucun parti des matériaux de construction
dont leur pays est doté, je ne crois pas devoir omettre cette partie
importante de la richesse minérale du Sahara.

_Pierre calcaire_ (Tahônt-n-Tîngher). — Tous les plateaux dits hamâd
sont généralement recouverts d’une couche calcaire qui donne
d’excellents moellons pour les constructions urbaines. Cette pierre
domine dans celles de Ghadâmès.

_Grès_ (Tîlellît, _la pierre noble_). — Le grès est la pierre la plus
abondante, surtout dans le Tasîli du Nord. On trouve dans la chaîne de
l’Amsâk le beau grès rose des ruines romaines de Djerma.

_Gypse_ (Têhemaq). — Commun au Nord et autour de Ghadâmès, où on
l’exploite pour les enduits de la ville, il est peut-être plus rare sur
tous les autres points du pays, mais il est hors de doute qu’on n’a pas
dû aller le chercher au loin pour les constructions des autres villes.

_Chaux_ (Ezzebch). — La pierre propre à la chaux est commune partout ;
autour de Ghadâmès, on ramasse les calcaires du plateau de Tînghert et,
de leur grillage, on obtient une chaux excellente.

_Argile_ (Tabâriq et Telaq). — Tous les enfants des Touâreg ont des
poupées et des bonshommes en argile ; dans tous les ménages on trouve
des vases en poterie qui doivent être fabriqués sur les lieux, ce qui
prouve que la terre à poterie ne manque pas. Quant à l’argile propre à
la préparation des tuiles et des briques, elle existe dans plusieurs
ravins. J’ai déjà dit que les auges dans lesquelles on abreuvait les
chameaux autour des puits étaient en argile provenant des déblais de ces
puits.

_Terre à ciment._ — Les canaux d’irrigation de Ghadâmès sont cimentés
et, d’après les renseignements qui m’ont été donnés, ce ciment était
obtenu au moyen d’un mortier fait avec la chaux des ammonites et les
argiles rouges ferrugineuses des goûr.

J’ai rapporté de Ghadâmès et de Djerma des ciments de l’époque
garamantique ; ils sont de la plus grande solidité.

_Pierre meulière_ (Tasîrt et Tahônt-n-Ezhîd). — L’usage du moulin à
bras, ustensile obligatoire pour chaque ménage, rend la pierre meulière
de première nécessité chez tous les nomades. Heureusement, les carrières
qui la fournissent ne sont pas rares. J’en ai déjà cité une, abandonnée,
à l’entrée de l’Ouâdi-el-Gharbî ; on en indique d’autres au Nord et au
Sud du Tasîli.

_Ocre_ (Tamâdjohît). — L’ocre est exploitée aux environs de Djânet pour
les besoins de la teinturerie, mais surtout pour être employée avec
l’indigo comme cosmétique tinctorial et hygiénique de la peau, en vue de
la préserver, par l’interposition d’un corps étranger, des influences
atmosphériques extérieures.


                        _Combustibles minéraux._


Pendant longtemps, à Alger, on a cru à l’existence de la houille dans le
Ahaggâr, par suite de réponses faites, de bonne foi, par des Touâreg
venus en Algérie, qu’il y avait dans leur pays des pierres noires qui
brûlaient.

J’ai déjà fait connaître comment les Touâreg, interrogés à ce sujet,
avaient pu nous induire en erreur sans manquer à la vérité.

Toutefois, la découverte de terrains très-anciens dans la vallée de Rhât
et du terrain dévonien, inférieur aux terrains houilliers, sur plusieurs
points, permet d’espérer le succès de recherches de gisements de
combustibles minéraux, dans le centre du Sahara, ou tout au moins dans
les parties que mon exploration recommande à l’attention des ingénieurs.

Là se borne, à ma connaissance, la liste des produits minéraux
utilisables dans le pays des Touâreg ; mais il n’est pas douteux que des
recherches plus complètes en augmenteraient le nombre.




                              CHAPITRE II.

                               VÉGÉTAUX.


Le règne végétal est un peu plus riche que le règne minéral, car,
quoique les sommets des montagnes, leurs versants, ainsi qu’une partie
des plateaux, soient dénudés et entièrement stériles, on trouve, dans
les nombreuses vallées du pays, des points plus favorisés où la
végétation saharienne s’allie avec quelque représentants de celle des
tropiques et du bassin de la Méditerranée.

Les végétaux domestiques sont en très-petit nombre. Si je devais ne
citer que ceux cultivés par les Touâreg eux-mêmes, la liste serait close
quand j’aurais nommé le dattier, le figuier, le blé, l’orge, le sorgho,
le millet : en tout six végétaux.

Mais, dans le territoire même des Touâreg, sont les oasis de Ghadâmès,
de Rhât, de l’Ouâdi-Lajâl, de l’Ouâdi-’Otba, de Djânet, d’Idélès,
habitées par des sédentaires dont les cultures sont un peu plus variées.

Voyageur et non botaniste, j’ai recueilli à peu près toutes les plantes
que j’ai vues et tous les renseignements que pouvaient me donner les
indigènes sur la végétation de leur pays ; mais je n’ai pas la
prétention d’avoir rapporté de mon voyage toute la richesse végétale des
contrées traversées, comme eût pu le faire un explorateur exclusivement
chargé d’étendre le domaine de nos connaissances en histoire naturelle
au Sud de l’Algérie.

J’ai scrupuleusement recueilli les noms indigènes, en langue arabe et en
langue temâhaq, parce que je crois la connaissance de cette double
synonymie nécessaire aux personnes auxquelles l’avenir réserve de
voyager avec les caravanes. Cette synonymie n’a pas les défauts de celle
des noms vulgaires assignés aux plantes par nos paysans en Europe ; chez
les peuples pasteurs, chacun connaît exactement le nom, les stations et
les propriétés de chaque plante, et les noms, quand les caractères
distinctifs sont bien tranchés, ne varient pas d’une localité à une
autre, mais se conservent tant que la même langue est parlée. Or, comme
la langue arabe est connue dans tout le monde musulman, et la langue
berbère, dont le temâhaq est un des dialectes, dans tout le Nord du
continent africain, il y a presque certitude d’être compris des
indigènes en leur nommant une plante dans l’une de ces deux langues.

Dans la classification des plantes, objet de cet examen, j’ai adopté
l’ordre naturel des familles.

Je dois à l’extrême obligeance de M. le docteur Cosson, président de la
Société botanique de France et chargé par le gouvernement de la
publication de la _Flore de l’Algérie_, la détermination exacte de
toutes les plantes de mon herbier et même de quelques-unes de celles
dont je me suis borné à mentionner le nom dans mon journal de voyage,
sachant par les comptes-rendus des explorations du savant botaniste
qu’il les avait déjà déterminées.

Je mentionne cet utile concours, autant par reconnaissance que pour
assurer à cette partie de mon travail le caractère sérieux que lui donne
la collaboration de M. le docteur Cosson.


                             RENONCULACÉES.


                        ADONIS MICROCARPA DC. ?

Boû-garoûna (_arabe_).

Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Melghîgh.

Sans emploi connu.


                        RANUNCULUS MURICATUS L.

Kosberbîr (_arabe_).

Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Melghîgh.

Sans emploi connu. Croît dans les terrains humides.


                           NIGELLA SATIVA L.

Sahnoudj, Habbet-es-soûda (_arabe_).

Cultivé dans quelques jardins des oasis.

« Procurez-vous de la graine noire (mot à mot, _habbet-es-soûda_), a dit
le prophète Mohammed : c’est un préservatif contre toutes les
maladies. »

En exécution de cette prescription, les bons musulmans prennent
volontiers, le matin, une pincée de graine de nigelle dans une cuillerée
de miel, à l’effet de préparer les voies digestives et d’ouvrir
l’appétit.


                              FUMARIACÉES.


                         FUMARIA CAPREOLATA L.

Guerîn-djedey, Sibân (_arabe_).

Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Melghîgh.

Cette plante est employée par les indigènes en lotion contre les
démangeaisons et en fumigations contre les douleurs.


                              CRUCIFÈRES.


                          MATTHIOLA LIVIDA DC.

Guelguelân (_arabe_) d’après M. le docteur Cosson ; Tamadé (_temâhaq_).

Récolté le 2 mars 1861, à Tîn-Arrây.

Cette plante vient dans les sables.


                         MATTHIOLA OXYCERAS DC.

Hârra (_arabe_) ; Tânekfâït (_temâhaq_).

Récolté le 7 mars 1860, au S.-O. de Nafta, entre Guettâra-Ahmed-
Ben-’Amâra et Gâret-Djâb-Allah.

Affectionne les terres de heycha.


                      ANASTATICA HIEROCHUNTICA L.

Akarba (_temâhaq_) ; Kômecht-en-Nebî (_arabe fezzanien_) ; Kerchoûd (_au
Bergou_).

Reconnu entre Ghadâmès et Rhât.

Cette plante est vulgairement connue sous le nom de _rose de Jéricho_.


                      MALCOLMIA ÆGYPTIACA Spreng.

El-Maroûdjé, El-Hamâ (_arabe_) ; Almaroûdjet (_temâhaq_).

Récolté le 2 janvier, les 8, 21 et 29 février 1861, sur l’Ouâdi-Alloûn
et à Aghelâd. Reconnu en huit stations entre Ghadâmès et Rhât.

Cette plante donne un excellent fourrage que tous les animaux
recherchent. Elle vient dans les sables.


        SENEBIERA LEPIDIOIDES Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Harharha (_arabe_ et _temâhaq_).

Récolté à Sâghen, le 1er janvier 1861.

Peu commun, comestible.


   MORICANDIA SUFFRUTICOSA Coss. et DR. _Brassica suffruticosa_ Desf.

Foûl-el-djemel, Foûl-el-ibel (_arabe_) ; Afarfar (_temâhaq_).

Récolté aux environs de Ghadâmès et sur l’Ouâdi-Tînzeght, les 12 et 13
novembre 1860. Peu commun. Plus abondant dans les montagnes du Ahaggâr,
entre Rhât et In-Sâlah.

Plante recherchée par les chameaux, ainsi que l’indique son nom
indigène : _fève du chameau_.


          HENOPHYTON DESERTI Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Alga, Allegommo (_arabe_).

Récolté dans les dunes de l’’Erg, entre ’Erg Boû-Delîl et Medhaheb-ech-
Cherguîya ; sur la route de Merhayyer à Gomâr, le 5 février 1860, et
entre El-Ouâd et Ouarglâ, sur l’Ouâdi-Çîdah, le 16 février 1860.

Cette plante recherche les sables.


               DIPLOTAXIS DUVEYRIERANA Coss. _sp. nova._

Hârra (_arabe_) ; Tânekfâït (_temâhaq_).

Récolté les 9 et 18 février 1861, sur l’Ouâdi-Alloûn et l’Ouâdi-Târât.
Rencontré en onze stations entre Ghadâmès et Rhât.

Cette espèce nouvelle, désormais destinée à rappeler le souvenir de mon
voyage, grâce à l’extrême bienveillance de M. le docteur Cosson, est une
de ces nombreuses plantes de la famille des Crucifères dont les Touâreg
font usage pour leur alimentation. A défaut d’autres provisions, j’ai
été souvent heureux de la mettre à contribution pour l’approvisionnement
de ma table et de celle de mes serviteurs. Son usage délassait mon
estomac fatigué des légumes secs, les seuls à la disposition des
caravanes. Je ne me doutais pas alors que je mangeais un plante qui plus
tard porterait mon nom.


                         DIPLOTAXIS PENDULA DC.

Récolté le 12 mars 1860, dans les montagnes de Kerîz.

Comestible comme la précédente.


           ERUCA SATIVA Lmk. _E. stenocarpa_ Boiss. et Reut.

Hârra (_arabe_) ; Tânekfâït (_temâhaq_).

Récolté à Sâghen et sur l’Ouâdi-Alloûn, les 1er janvier et 29 février
1861. Commun.

Cette plante est également comestible et mangée par les Touâreg.

La graine et le suc de cet _Eruca_, concurremment avec les mêmes parties
des deux _Diplotaxis_ ci-dessus, sont employés comme remède contre la
gale des chameaux.


                          SCHOUWIA ARABICA DC.

Alouâs (_temâhaq_).

Trouvé et récolté à Tikhâmmalt, le 27 janvier, et à Tîn-Têrdja, le 2
mars 1861.

Plante rare, spéciale aux déserts d’Arabie et non encore trouvée en
Berbérie.


              ZILLA MACROPTERA Coss. in _Bull. Soc. bot._

Chobrom, dans l’Est ; Chebreg, dans l’Ouest (_arabe_) ; Oftozzon
(_temâhaq_).

Récolté à Aghelâd, le 8 février, et sur l’Ouâdi-Alloûn, les 28 et 29
février 1861, entre Ghadâmès et Rhât ; signalé sur le plateau de
Tâdemâyt, entre le Touât et le pays des Benî-Mezâb.

Cette plante épineuse, qui croît en touffes larges, est avidement mangée
par les chameaux.


                          BRASSICA NAPUS L. ?

Left (_arabe_) ; Afrân (_temâhaq_).

Le navet est cultivé dans les jardins de toutes les oasis, où il vient
très-bien.

Sa racine, crue ou cuite, sert à l’alimentation.

Sa graine est employée comme médicament.


                         BRASSICA OLERACEA L. ?

Kronb (_arabe_).

Le chou ne paraît pas très-bien réussir dans les oasis, à moins que la
variété qui y est cultivée ne soit inférieure à celle de nos jardins
d’Europe.


                              CAPPARIDÉES.


                           CLEOME ARABICA L.

Mekhînza, Oumm-el-djelâdjel (_arabe_) : le premier usité à Ghadâmès, le
second au Fezzân ; Ahôyyarh, Wôyyarh (_temâhaq_).

Récolté le 26 août 1859, dans l’Ouâd-Mezâb ; le 6 septembre 1860, aux
environs de Ghadâmès ; le 7 février 1861, à Aghelâd ; le 2 mars 1861, à
Tîn-Têrdja.

Cette plante croît dans les sables et dans les pierres.


                          MÆRUA RIGIDA R. Br.

Sarah (_arabe_) ; Adjâr (_temâhaq_).

Récolté le 1er avril 1861, à Ouarâret.

Cet arbre, assez rare, vit toujours isolé.

Son tronc a de 3 à 4 mètres de hauteur et de 0m 70 à 1m de
circonférence en moyenne.

Ses branches, noueuses, peu nombreuses, ne retombent pas comme dans les
autres arbres, mais se dressent verticalement vers le ciel. Elles
partent de terre et donnent à l’arbre l’aspect d’une grande broussaille.

Ses feuilles sont petites.

Il était en fleur le 1er avril.

Par son port et sa taille cet arbre rappelle le _Balanites Ægyptiaca_,
mais il n’a pas d’épines et ses feuilles sont différentes.


                  CAPPARIS SPINOSA L. _var._ CORIACEA.

Kebbâr (_arabe_).

Récolté le 24 août 1859, dans une ravine aride montant au Qaçar-Sîdi-
Saád. Reconnu dans les vallées de l’Ouâd-Mezâb et entre Methlîli et El-
Golêa’a, où il est commun.

Les belles fleurs roses de cet arbrisseau rampant et épineux distraient
agréablement la vue de la monotonie des solitudes désertiques.

Les médecins arabes font un grand usage du bois de câprier dans les
maladies chroniques et notamment dans la dyssenterie.


                               CISTINÉES.


                    HELIANTHEMUM SESSILIFLORUM Pers.

Semhari, Reguîg (_arabe_) ; Tahaouat, Tahesouet (_temâhaq_).

Reconnu en cinq stations dans la région de l’’Erg, entre El-Ouâd et
Ghadâmès ; commun aux environs de Ghadâmès, dans les plaines au pied du
Ahaggâr et entre El-Golêa’a et Methlîli.

Récolté dans la Hamâda de Tînghert, près de la Gâra de Tîsfîn, le 16
septembre 1860.

Plante de sables, mangée par les chameaux.


                     HELIANTHEMUM CAHIRICUM Delile.

Rega (_arabe_) ; Aheo (_temâhaq_).

Récolté dans l’Ouâd-Mezâb. Commun dans les environs de Ghadâmès.

Plante sans importance.

       HELIANTHEMUM TUNETANUM Coss. et Kral. in _Bull. Soc. bot._

Récolté le 18 mars 1860, entre El-Hâmma et Gâbès, dans un pays aride et
rocheux.

Cette plante est sans importance pour l’alimentation des animaux.


                              RÉSÉDACÉES.


                          RESEDA STRICTA Pers.

Récolté dans les montagnes de Kerîz, le 12 mars 1860.

Plante sans importance.


                             FRANKÉNIACÉES.


                       FRANKENIA PULVERULENTA L.

Guenoûna, Melêfa (_arabe_).

Récolté autour des mares des dattiers, dans les jardins de Ghardâya, en
1859, et dans ceux de Sîdi-Khelîl, le 5 juin 1860.

Cette plante aime l’ombre et les endroits humides. Sans importance.


                   FRANKENIA PALLIDA Boiss. et Reut.

Melêfa (_arabe_).

Récolté sous les dattiers de Sîdi-Khelîl, le 5 juin 1860.

Même observation que ci-dessus.


                               MALVACÉES.


                          MALVA PARVIFLORA L.

Khoubbîz (_arabe_).

Récolté en 1859, dans les jardins de Ghardâya.

Plante émolliente, employée comme médicament par les indigènes.


                         HIBISCUS ESCULENTUS L.

Meloûkhîa (_arabe_).

Le meloûkhîa (_gombo_ des Européens) est le légume favori des Orientaux,
aussi le cultive-t-on dans tous les jardins potagers des oasis. C’est un
fruit très-mucilagineux, sain et d’une digestion facile.

On le mange en ragoût avec la viande.

On l’emploie également cru en salade.


                       GOSSYPIUM VITIFOLIUM Lmk.

Koton-bernâoui (_arabe_) ; Tâbdoûq (_temâhaq_).

Récolté le 24 juin 1861, à Mourzouk, où ce cotonnier est cultivé.

Ce cotonnier, cultivé dans tout le Fezzân, a été importé du Bornou
(Afrique centrale), ainsi que l’indique son nom arabe. Il est à courte
soie. Dans les graines que j’en ai rapportées, M. Hardy, directeur du
jardin d’acclimatation d’Alger, a reconnu deux variétés : l’une blanche
et l’autre nankin.


                         GOSSYPIUM HERBACEUM L.

Koton-fezzâni (_arabe_) ; Tâbdoûq (_temâhaq_).

Récolté le 22 mai, à Tekertîba, oasis de l’Ouâdi-el-Gharbî, et à
Mourzouk, le 24 juin 1861, où il est cultivé.

Le cotonnier du Sahara ne peut figurer ici que pour mémoire, en raison
du peu d’importance de sa production. Cependant, il y est cultivé et à
très-bas prix ; c’est là un point important, car le bas prix résulte de
l’abondance de la main-d’œuvre et des conditions climatériques qui
rendent cette culture certaine, sans exiger aucun travail sérieux autre
que celui de la cueillette, conditions qui ne peuvent être modifiées.

Au Fezzân, j’ai trouvé le cotonnier en fleur au mois de juin, c’est-à-
dire à l’époque où il commence à sortir de terre sur le littoral
algérien.

Il en est de même au Touât.

Dans ces deux archipels d’oasis, rien ne sollicite la production,
limitée aux besoins des ménages ; car on y reçoit de l’Europe et de
l’Afrique centrale des étoffes qu’il est plus commode d’acheter. Mais,
dans ces deux districts, il y a un excédant de population qui est forcé
d’émigrer pour aller demander des moyens d’existence à d’autres
contrées, et il préférerait trouver sur place l’emploi de ses bras. Il
s’adonnerait donc volontiers à la culture du coton, si ce produit avait
un débouché régulier et assuré.

L’espace non plus ne manque pas, car avec des puits on peut créer des
oasis partout où la terre végétale recouvre la roche et les sables.

Si le Touât et le Fezzân paraissaient trop éloignés des ports de
l’Algérie, ou si leur situation en dehors de notre colonie devait être
un obstacle à des encouragements directs à une culture développée, il y
a, dans le Sahara algérien même, la zone des puits artésiens, qui peut
produire le coton courte soie dans des conditions climatériques et de
main-d’œuvre analogues à celle du Fezzân et du Touât.

Là, le nègre est dans son climat de prédilection, et dès qu’il saura
qu’un gouvernement capable de le faire respecter y creuse des puits pour
cultiver le coton, il y viendra, et il suffira de lui donner de bonnes
graines et de lui enseigner les meilleures méthodes de culture.

J’ai rapporté des graines du cotonnier fezzanien et du cotonnier
soudanien, pour être ensemencées au jardin d’acclimatation d’Alger. On
ne tardera pas à être fixé sur leur valeur comme semences à propager en
Algérie.

Pl. V. Page 155. Fig. 10 et 11.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DE LA ZÂOUIYA DU CHEÏKH-EL-HOSEYNI, A
OUBÂRI.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — VUE DU VILLAGE DE TEKERTÎBA.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]


                             AURANTIACÉES.


                            CITRUS MEDICA L.

Chedjret-el-Lîm (_arabe_).

Un seul citronnier existe dans l’oasis de Ghadâmès. Je ne pense pas
qu’il y en ait à Rhât. Au Fezzân, on en compte quelques-uns. Au Touât,
ils doivent être rares aussi.

Si un arbre, dont le fruit est si précieux dans la saison des grandes
chaleurs, n’est pas plus répandu dans les oasis, c’est que probablement
il y résiste à l’acclimatation.


                          CITRUS AURANTIUM L.

Chemmâm (_arabe_).

L’oranger réussit un peu mieux que le citronnier et il y est un peu plus
commun, sans cesser d’être rare cependant.

Les oranges des oasis, même celles du Zibân, sont loin de valoir celles
du littoral méditerranéen.


                              AMPÉLIDÉES.


                           VITIS VINIFERA L.

Dâlia (_arabe_).

La vigne est cultivée dans toutes les oasis. Le 12 juillet 1861, les
raisins étaient mûrs à Trâghen, au moment de mon passage.

Le raisin frais, _’aneb_, qui en provient, de qualité inférieure, est
mangé en fruit. Le raisin sec, _zebîb_, qui entre comme condiment dans
le couscoussou, est tiré du Nord.

D’après les renseignements qui me sont fournis, il existerait dans les
montagnes du Ahaggâr trois variétés de vignes sauvages auxquelles les
Touâreg donnent les noms de _tezzebibt_, de _tâlekat_ et _telôkat_.

Le raisin des vignes sauvages, toujours petit, est de qualité
inférieure.

Le Touât paraît posséder quelques bonnes variétés de raisin.

Les musulmans ne font jamais de vin, mais ils conservent des raisins
cuits et confits dans le sucre ; ils donnent à cette préparation le nom
de _robb-el-’aneb_.


                              GÉRANIACÉES.


                       ERODIUM GLAUCOPHYLLUM Ait.

Sa’adân (_arabe_).

Récolté le 7 mars, entre Guettâra-Ahmed-ben-’Amâra et Nafta, et le 12
mars dans les montagnes de Kerîz.

Cette petite plante affectionne les terres de heycha.


                             ZYGOPHYLLÉES.


  TRIBULUS MEGISTOPTERUS Kral. in _Ann. sc. nat._ _var._ MACROCARPUS.

Bôriel (_temâhaq_).

Trouvé et récolté dans une station unique, le 5 mars 1861, à
Tiferghasîn, entre Ghadâmès et Rhât.

Sans importance.


             ZYGOPHYLLUM GESLINI Coss. in _Bull. Soc. bot._

Bou-grîba, Agga (_arabe_).

Récolté le 13 mars 1860 sur les bords de la Sebkha de Sedâda.

Affectionne les terres salines des sebkha.


                         FAGONIA SINAICA Boiss.

Choreïka (_arabe_).

Récolté le 12 mars 1860, dans les montagnes de Kerîz et près de la Gâra
de Tisfîn, aux environs de Ghadâmès. Abondant dans les dunes.

Malgré ses épines, les chameaux ne dédaignent pas cette plante.


              FAGONIA FRUTICANS Coss. in _Bull. Soc. bot._

Chega’a, Reguîg (_arabe_).

Récolté en septembre 1859, entre Hâssi-Dhomrân et Chaábet-Timedaqsîn,
sur la route de Methlîli à El-Golêa’a, et sur la hamâda, près de la
Gâra-Tîfsîn, aux environs de Ghadâmès, le 16 septembre 1860.

Assez commun, quoique rare dans le Sahara algérien.


                      BALANITES ÆGYPTIACA Delile.

Hadjilidj (_arabe local_), Heglig (_arabe d’Égypte_), Tebôraq
(_temâhaq_), Tchaïchot (au _Touât_), Addaoua (au _Haoussa_).

Trouvé, chargé de fleurs et de fruits, le 3 mars à In-Ezzân, et le 4 mai
1861 à Tîterhsîn.

Sa limite Nord est au pied des montagnes du Tasîli. On le trouve aussi
dans le Ahaggâr et au Touât, mais à l’état isolé, sans être rare.

Son tronc, d’une circonférence de 1m à 1m 50 environ, s’élève à 5 mètres
de hauteur sous branches. Dans les pays où cet arbre est le plus commun,
son bois est employé à faire des planchettes, des colliers, ce qui
indique qu’il est fin et très-dur. Chez les anciens Égyptiens, on en
faisait des statues. On dit aussi qu’il sert à l’éclairage à la façon du
bois résineux.

Ses feuilles, persistantes, sont petites et charnues ; quand elles sont
nouvelles, on les cueille pour en assaisonner les aliments, surtout dans
les contrées où le sel manque. Elles sont aussi employées pour déterger
les plaies de mauvaise nature.

Des épines formidables défendent les feuilles et les branches contre les
attaques de la dent des animaux.

Son fruit, _iborâghen_, qui a la grosseur d’une forte jujube allongée,
est enveloppé dans une écorce jaune, mince, qu’il faut enlever pour
arriver au noyau.

Le noyau, de nature cornée, très-dense, jaunâtre, est recouvert d’une
pulpe brune qui s’enlève facilement avec l’ongle et se délaye dans
l’eau.

L’amande que contient le noyau, de la grosseur d’une arachide ordinaire,
d’un jaune verdâtre, a un goût d’amertume légère.

Avec la pulpe, d’une amertume plus prononcée encore, on prépare une pâte
à laquelle on attribue la propriété de guérir les maladies de la rate et
de tuer le ver de Guinée (_vena medensis_).

Avec le fruit, débarrassé de son amertume par la macération, on prépare
une pâte, sucrée avec du miel.


                               RUTACÉES.


                           RUTA BRACTEOSA DC.

Djell, Jell, Fîdjel (_arabe_) ; Issîn (_temâhaq_).

Récolté le 7 novembre 1860, sur l’Ouâdi-Tîji, près de Djâdo.

Dans les oasis, on attribue à l’odeur de cette plante la propriété
d’éloigner les scorpions des habitations.

Ses feuilles et ses graines sont employées comme médicaments.


                HAPLOPHYLLUM TUBERCULATUM Adr. de Juss.

Chedjret-er-rîh (_arabe_).

Récolté le 17 septembre 1860 sur l’Ouâdi-Aouâl, au Nord-Est de Ghadâmès.

Cette plante, ainsi que l’indique son nom arabe, l’_arbre au vent_, est
employée contre les douleurs causées par les refroidissements.


                           PEGANUM HARMALA L.

Harmel (_arabe_) ; Bender-tifîn (_temâhaq_).

Très-commun dans l’Ouâd-Mezâb, où je l’ai récolté. Signalé en plusieurs
stations, dans les montagnes, entre Rhât et In-Sâlah.

Cette plante, dont « chaque racine, chaque feuille, dit le Prophète, est
gardée par un ange, en attendant qu’un homme y vienne chercher sa
guérison, » est très-employée par les indigènes dans tout le Sahara.

Avec sa graine on fait une huile, _zît-el-harmel_, qui s’exporte au
loin.

J’aurai l’occasion de revenir sur les propriétés de cette plante.


                               RHAMNÉES.


                     ZIZYPHUS SPINA-CHRISTI Willd.

Zegzeg (_arabe_), même racine que _zizyphus_ ; Korna (_au Fezzân_) ;
Abaka (_temâhaq_) ; Nabq (_en Égypte_) ; Sidr (_traducteurs et
commentateurs du Coran_).

Cet arbre est cultivé dans le Fezzân, et particulièrement dans l’Ouâdi-
el-Gharbî, près de Djerma. C’est de Tekertîba, dans la même oasis, que
provient l’échantillon de mon herbier. Je l’ai également récolté à
Nafta, le 9 mars 1860.

Ainsi que l’indique son nom scientifique, cet arbre passe pour avoir
fourni la couronne d’épines qui ensanglanta la tête de Jésus. Pour ce
motif et malgré le triste souvenir qu’il rappelle, ce jujubier est
l’objet d’un certain culte chez les chrétiens d’Orient.

Chez les musulmans, il est non moins vénéré, car, d’après le prophète
Mohammed, le _sidr_ est un arbre du paradis, et il y en a même un dont
la tête est assez considérable pour qu’un cavalier, en un siècle, ne
puisse traverser l’ombre qu’il projette.

Au chapitre 66, verset 17 du Coran, il est dit :

« Le sidr est un arbre sous lequel les élus du paradis feront leur
séjour. »

Ainsi, à des titres bien différents, cet arbre se recommande à la
mémoire des hommes religieux de l’Orient et de l’Occident. Les pèlerins
de Jérusalem en rapportent des branches pour orner leurs oratoires, les
musulmans en récoltent les feuilles, dont ils font une décoction pour
lotionner les morts, afin de donner à leurs dépouilles terrestres un
avant-goût des jouissances du paradis.

Indépendamment du culte dont il est l’objet, ce jujubier forme un bel et
grand arbre qui contribue à l’embellissement des oasis.

Son fruit est d’un goût assez savoureux quand il est frais. Il est
recherché comme aliment.

Ses feuilles sont employées comme anthelminthiques.

Le jujubier couronne du Christ est aussi cultivé dans la Tunisie et même
en Algérie, dans le Zibân. En cette dernière contrée, il atteint des
proportions assez considérables pour être remarqué.


                           ZIZYPHUS LOTUS L.

Sedra (_arabe_) ; Tâbakat (_temâhaq_).

Ce jujubier nain, si commun dans le Tell de l’Algérie et dont les épines
sont si redoutables pour les vêtements, apparaît de temps à autre,
jusqu’au pied des montagnes du Tasîli. Près de Djerma, dans le Fezzân,
j’en ai retrouvé un pied unique, vers la même latitude que sur la route
de Ghadâmès à Rhât. Je l’avais également rencontré dans le Mezâb et
entre Methlîli et El-Golêa’a.

Mes itinéraires par renseignements le signalent sur le versant Nord du
Ahaggâr, mais pas au delà.

Son fruit est comestible, il a un goût sucré légèrement acidule,
agréable pendant la saison des chaleurs, mais pas assez pour faire
perdre aux étrangers le souvenir de leur patrie, ainsi que le dit
Homère.

Ce fruit est-il bien le même que celui qui a donné son nom aux
Lotophages ? Il est permis d’en douter, car la description de l’arbre et
du fruit que nous donnent Polybe et Hérodote se rapporte peu à la baie
que les Arabes appellent _nabqa_ et les Touâreg _ibakâten_.

Mohammed (le prophète), qui devait se connaître en botanique désertique,
autant que les savants qui ont assimilé le _nabqa_ au _Lotus_ des
anciens, ne se trompe pas quand il qualifie le saveur du fruit du
_sedra_.

Les habitants de Saba s’étant rendus coupables de pacte avec l’erreur,
il les punit en convertissant leurs jardins, couverts de fruits
délicieux, en d’autres jardins produisant des fruits amers, et au nombre
de ces fruits figure celui du _sedra_.


                            TÉRÉBINTHACÉES.


                           RHUS DIOICA Willd.

Djedârîa, Djedâri (_arabe_) ; Dezougguert (_berbère-nefoûsien_) ;
Tehônaq (_temâhaq_).

Récolté le 18 novembre 1860, sur l’Ouâdi-Tirhît ; le 3 mars 1861, à In-
Ezzân, affluent du bassin de Tîterhsîn ; trouvé en trois stations entre
Ghadâmès et Rhât ; signalé dans les montagnes entre Rhât et In-Sâlah,
ainsi que sur le plateau de Tâdemâyt, entre In-Sâlah et Methlîli.

Antérieurement, j’avais constaté la présence de cet arbuste dans les
vallées du Djebel tripolitain, dans le Sud de la Tunisie et même autour
de quelques rhedîr du Sahara algérien.

L’écorce des racines et de la tige de ce sumac est recherchée pour le
tannage des peaux de moutons. On en fait un commerce assez important par
Gâbès. Les Touâreg l’emploient aussi aux mêmes usages. Ils l’appellent
_aoufar_.


                             LÉGUMINEUSES.


                  CROTALARIA SAHARÆ Coss. _sp. nova._

Observé en une station unique, sur la Hamâda de Tînghert, près Ghadâmès,
et récolté le 13 septembre 1860.

Cette espèce nouvelle, dénommée par M. le docteur Cosson, n’a encore été
ni décrite ni publiée.


                  RETAMA RÆTAM Webb in _Ann. sc. nat._

Retem (_arabe_) ; Telit (_temâhaq_).

Récolté dans le Sahara algérien ; reconnu sur onze points de ma route,
entre Ghadâmès et Rhât, où, avec le _Calligonum comosum_, il fournit le
seul bois de chauffage à l’usage des caravanes ; signalé comme étant
commun dans les montagnes du Ahaggâr.

Cet arbrisseau atteint de 1 à 2 mètres de hauteur, rarement 3.

Les branches du retem, nous apprend M. le docteur Cosson, ont été
utilisées à Géryville par le Génie militaire pour remplacer les lattes
dans la construction des plafonds et des terrasses.

Ses feuilles recherchées par les chèvres et les chamelles communiquent à
leur lait un goût d’amertume prononcé.

Ses racines sont employées en décoction comme vermifuges.


            GENISTA SAHARÆ Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Merkh (_arabe_).

Récolté dans le Sahara algérien, le 20 février 1860.

Cet arbuste ne paraît pas s’étendre dans le Sud. Dans le Nord, il forme
de gros buissons.


                               GENISTA ?

Hana (_arabe_) ; Asabay (_temâhaq_).

Sur ma route, de Ghadâmès à Rhât, de Rhât à Mourzouk, j’ai rencontré, en
trois stations, notamment le 3 mars 1861, à In-Ezzân, un genêt très-
connu des indigènes, sous ses noms arabe et temâhaq. Je ne l’ai pas
récolté, parce qu’il n’avait ni fleurs ni fruits. On le signale comme
étant plus commun dans les montagnes entre Rhât et In-Sâlah.

J’appelle l’attention des voyageurs sur cette espèce ligneuse, si, plus
heureux que moi, ils peuvent la récolter dans des conditions qui
permettent de la déterminer.

Par sa forme, cet arbuste rappelle celles du _Retama Rætam_ et des
_Ephedra_.

Le 3 mars, les gousses vides tenaient encore à la plante.


                        ONONIS ANGUSTISSIMA Lmk.

Récolté le 12 mars 1860, dans les montagnes de Kerîz.

Plante sans importance.


                       TRIGONELLA ANGUINA Delile.

Nefel (_arabe_) ; Ahazès (_temâhaq_).

Trouvé en sept stations, entre Ghadâmès et Rhât ; récolté le 9 février
1861, dans l’Ouâdi-Târat.

Bon fourrage. Quelquefois cette Légumineuse forme des prairies dans
lesquelles les caravanes font des provisions de route.


                    TRIGONELLA LACINIATA L. _var._ ?

Handegoûg (_arabe_) ; Ahazès (_temâhaq_).

Récolté à Sâghen, en fleurs, mais sans fruits, le 3 janvier 1861 ;
reconnu en dix stations, entre Ghadâmès et Rhât ; signalé sur quelques
points, entre Rhât et In-Sâlah.

Cette plante, qui croît volontiers dans les lits des ouâdi après les
pluies, est très-recherchée par les animaux.


                           LOTUS CRETICUS L.

Récolté les 17 et 21 mars 1860, aux environs de Gâbès.

Petite plante.


                         LOTUS CORNICULATUS L.

Nedjem (_arabe_).

Récolté dans la Ghâba de Sedâda, aux environs du Chott-el-Djérîd, le 13
mars 1860.

Petite plante fourragère.


                         INDIGOFERA ARGENTEA L.

Nîla (_arabe_) ; Bâbba (_temâhaq_).

Récolté le 4 juin 1861, dans les jardins de Tessâoua. Cultivé dans le
Fezzân et au Touât.

La culture de l’indigotier n’est pas très-développée dans les oasis, non
qu’elle n’y réussisse, mais parce que les Oasiens, se procurant
facilement l’indigo par les caravanes du Soûdân, préfèrent réserver
leurs terres pour des céréales.

On prépare l’indigo par la macération de la plante et par l’évaporation
à l’air de sa partie aqueuse qui surnage au-dessus du résidu.

On verra plus loin quel usage particulier en font les Touâreg.


           ASTRAGALUS GOMBO Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Foggoûs-el-Hamîr (_arabe_).

Récolté dans l’Ouâd-Mezâb où il est assez commun.

Sans usage.


                      ASTRAGALUS PROLIXUS Sieber.

Adreylal (_temâhaq_).

Récolté à Tîn-Têrdja, le 2 mars 1861, sur la route de Ghadâmès à Rhât,
reconnu aussi sur deux autres points.

Petite plante fourragère rampante.


                      ASTRAGALUS HAUARENSIS Boiss.

Tâmerazraz (_temâhaq_).

Récolté à Tîn-Têrdja, le 3 mars 1861. Station unique.


     HIPPOCREPIS ELEGANTULA Hochst. in _Schimp. Pl. Arab. exsicc._

Têskart (_temâhaq_).

Récolté à Tîn-Têrdja, le 3 mars 1861. Station unique.


                          ALHAGI MAURORUM DC.

’Agoûl (_arabe_).

Reconnue en six stations, dans la Cherguîya, entre Mourzouk et Zouîla,
où cette plante est assez abondante pour qu’elle couvre, sur plusieurs
lieues d’étendue, tous les espaces que la culture ne lui dispute pas.

Elle ne figure pas dans mon herbier. J’ai cru inutile de recueillir une
espèce dont les caractères sont tellement reconnaissables, qu’elle porte
le même nom indigène dans toutes ses stations, de la Perse au Sénégal.
Je ne crois pas, d’ailleurs, être le premier voyageur qui signale son
existence dans l’Est du Fezzân, car l’’agoûl y constitue un fait de
peuplement si exceptionnel, qu’il a dû appeler l’attention de tous ceux
de mes devanciers qui ont reconnu, exploré ou simplement traversé la
Cherguîya.

Les indigènes du Fezzân mangent les longues racines de cette plante. A
cet effet, ils les font sécher ; après quoi, ils les réduisent en farine
par la mouture.

Tous les ruminants domestiques et même les sauvages, chameaux, chèvres,
moutons, gazelles, mangent les sommités de l’’agoûl malgré les épines
qui les défendent. L’âne lui-même ne les dédaigne pas.

Il ne paraît pas que cette plante fournisse aux Fezzaniens la sécrétion
qu’on a appelée dans l’Orient _la manne des pèlerins_ ; car cette
production ne m’a pas été signalée au nombre des produits utiles de cet
arbuste.

Il était en fleur en juillet.


                           LUPINUS VARIUS L.

Djezey-Fôk, regarde soleil (_temâhaq_).

Récolté le 5 mars 1861 à Tîterhsîn. Reconnu seulement en deux stations
entre Ghadâmès et Rhât.


                         ACACIA ALBIDA Delile ?

Ahadès, Ahatès (_temâhaq_) ; Agawô (_en haoussa_).

Récolté le 4 mai 1861 près des ruines du château de Serdélès, sur un
arbre gigantesque, mais unique dans le pays des Touâreg Azdjer.

Signalé comme étant plus commun, mais toujours à l’état isolé, dans les
montagnes du Ahaggâr.

La cime de cet acacia atteint 15 mètres au moins de hauteur. Son tronc
colossal, duquel s’élèvent cinq grands rejetons remarquables par leurs
énormes dimensions, semble avoir été couché par les vents depuis fort
longtemps. (Voir la planche ci-contre.)

D’après la tradition, il y a un trésor enfoui là où s’arrête l’ombre de
l’arbre à l’_’aser_ (3 heures du soir) ; mais on ne l’a pas encore
trouvé.


                     ACACIA ARABICA Willd. ; Benth.

Talha (_arabe_) ; Absaq (_temâhaq_) ; Guerodh (_au Fezzân_).

Récolté le 7 mars 1861 dans les jardins du Fezzân, mais il croît aussi
spontanément en forêts, car j’ai constaté qu’il constitue seize massifs
entre Ghadâmès et Rhât, et vingt-deux entre Rhât et Mourzouk, et j’ai
déterminé sur mes cartes itinéraires l’étendue de chacun des trente-huit
bois qu’il forme.

J’ai acquis aussi la certitude que le talha existe en forêts dans le
Tasîli des Azdjer, dans les montagnes du Ahaggâr, sur le plateau de
Tâdemâyt et dans tout le Touât, ce qui est confirmé, pour cette dernière
station, par M. le commandant Colonieu, qui l’a trouvé dans les oasis du
Gourâra.

Plus au Nord, M. Pélissier avait antérieurement constaté son existence
au Boû-Heudma, dans le Sud de la régence de Tunis, où il constitue une
forêt de plus de 30 kilomètres de longueur.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que le _talha_ est signalé dans les mêmes
contrées. Voici ce qu’en disait Léon l’Africain il y a trois siècles :

« Et-talche est un grand arbre épineux, ayant les feuilles comme le
genèvre, et jette une gomme semblable au mastic, lequel est pour les
apothicaires africains sophistiqué avec cette gomme, pour ce qu’elle est
de semblable couleur et odeur. _Il s’en trouve au désert de la Numidie,
de la Libye_, et au pays des noirs : mais les arbres qui croissent en la
Numidie estant ouverts apparaissent de telle blancheur au dedans que les
autres arbres et ceux de Libye sont violets et très-noirs : mais ceux de
la terre des noirs sont très-noirs, et du cœur d’iceus (que les Italiens
appellent _sangu_) l’on fait de très-beaux et gentils instruments de
musique. Le bois violet est aujourd’huy en usage entre les médecins pour
guérir le mal de Naples, au moyen de quoy le bois prend son nom de
l’effet : _bois guérissant de la vérole_. »

Pl. VI. Page 164. Fig. 12 et 13.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DES RUINES DU CHÂTEAU D’AGHREM, A
SERDÉLÈS(PRISE DU CÔTÉ OUEST).

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — AHATÈS (ACACIA ALBIDA).(ARBRE GIGANTESQUE PRÈS
DU CHÂTEAU RUINÉ DE SERDÉLÈS.)

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

L’arbre de la Numidie et de la Libye auquel Jean Léon attribue tant de
propriétés est bien le talha rencontré par moi dans mon voyage, mais il
ne jouit plus de la même réputation qu’autrefois, car on se borne à
récolter sa gomme, sans exploiter son bois.

L’_Acacia Arabica_ des forêts du pays des Touâreg atteint les
proportions des plus grands amandiers dans le Nord de l’Afrique et en
Provence : 3 mètres environ d’élévation sous branches et 1 mètre de
circonférence. D’après M. Pélissier, ceux de Boû-Heudma seraient non
moins remarquables par leur grosseur et leur grandeur.

La gomme que j’ai récoltée à Oubâri est aussi belle que celle de la côte
de l’Océan. L’échantillon de la forêt du Boû-Heudma, que M. Pélissier
avait envoyé à Marseille, y a été reconnu, par le commerce de cette
ville, d’aussi bonne qualité que la gomme du Sénégal.

La gomme, on le sait, est une production maladive de l’arbre, provoquée
par une haute température et sous l’influence souvent renouvelée des
vents du Sud. Elle sort spontanément des gerçures que la chaleur
détermine sur l’écorce de l’arbre ; du moins c’est ce que j’ai constaté
dans mon voyage.

On a écrit que la gomme était obtenue par incision ; il est possible
que, pour avoir une plus grande production de gomme, on se livre à cette
opération, mais elle est inusitée dans les contrées que j’ai parcourues.
D’ailleurs, chez les Touâreg, qui manquent souvent de vivres, la gomme
est presque toujours mangée dès qu’elle est produite, et on ne la
récolte, pour le commerce, que dans les oasis du Fezzân, où l’homme
trouve facilement une nourriture plus substantielle.

J’ai cherché à préciser d’une manière certaine les stations de l’_Acacia
Arabica_ dans les parties les plus rapprochées du Sahara algérien, parce
que cet arbre est un de ceux que nous avons le plus d’intérêt à y
acclimater.

Avant moi, M. le docteur Cosson, juge beaucoup plus compétent, a déjà
appelé l’attention du gouvernement sur le choix à faire de cette essence
pour le reboisement des solitudes sahariennes.

D’après les points où sa présence a été constatée ou signalée, il semble
que l’altitude et la qualité du sol lui sont à peu près indifférentes.
La seule condition que réclame cet acacia pour prospérer et produire de
la gomme est d’avoir beaucoup d’air et de lumière. Dans tous les bois
que j’ai parcourus, les arbres sont très-espacés, ce qui avait déjà été
remarqué au Sénégal et au Sud du Maroc.

L’_Acacia Arabica_ ne croît pas toujours en arbre : sur la circonférence
des forêts et à l’exposition Nord, il ne forme guère que des buissons.

Les Fezzaniens et les Touâreg considèrent l’acacia broussaille comme
constituant une espèce différente de l’acacia arbre et lui donnent des
noms différents : ’Ankîch (_arabe_), Tamât (_temâhaq_) ; mais après
comparaison des échantillons de l’_’ankîch_ récoltés à Ouarâret avec
ceux du _guerodh_ de provenance fezzanienne, les deux ont été reconnus
appartenir à la même espèce.

Les gousses de l’’ankîch, plus faciles à récolter, sont employées à la
préparation des cuirs.

La broussaille, comme l’arbre, donne de la gomme.

Les fleurs de l’_Acacia Arabica_ m’ont paru répandre un parfum suave qui
aurait quelque succès, s’il pouvait être fixé.

Dans l’inventaire des arbres cultivés au Touât figure un acacia du nom
d’_aggâra_ dont les gousses sont aussi récoltées pour la tannerie.

Cet arbre croît spontanément dans le Ahaggâr où il est connu sous le nom
de Tâdjdjart. Il m’est indiqué avec la note suivante : « Arbre épineux,
à graines amères, dont les gousses sont employées comme tannin.
Semblable au talha ou _Acacia Arabica_, mais distinct cependant. »

Est-ce, sous un nom différent, une variété de l’_Acacia Arabica_ ? Est-
ce une autre espèce ? Je l’ignore.

Je consigne ici ce détail pour mémoire et à titre de simple
renseignement.


                          CASSIA OBOVATA Coll.

Senâ, Hachîcha, Senâ-el-Mekki (_arabe_) ; Adjerdjer (_temâhaq_).

Récolté à Oubâri le 17 mai 1861 ; trouvé sur deux points de ma route
entre Ghadâmès et Rhât, sur quatre points différents du Fezzân, sur un
point entre Methlîli et El-Golêa’a ; signalé comme couvrant de grands
espaces à Wahellidjen et à Arhafra dans les montagnes du Ahaggâr ; très-
commun dans le pays d’Aïr.

Le séné pullule partout où les vents portent sa graine. Jadis on le
récoltait en abondance pour le vendre sur les marchés de Tripoli, mais
la concurrence a tellement fait baisser les prix qu’ils ne couvrent plus
les frais de transport.

Les Touâreg distinguent deux variétés de séné : l’_adjerjer-afelâmi_ ou
séné des autruches, qui est le plus commun, et l’_adjerjer-ouân-Anhef_,
que produisent les montagnes d’Anhef et qui est le séné noble des
Arabes.

Celui du Ahaggâr, qui croît en montagne, est réputé plus actif que celui
des autres contrées.

Les indigènes des pays de production, sur la foi de cette parole du
Prophète : « Procurez-vous du séné ; vous y trouverez des remèdes contre
toutes les maladies, excepté la mort, » en font usage dès qu’ils
éprouvent le moindre mal.


                           PISUM SATIVUM L. ?

Hammîz, Hommoz, Djeldjelân (_arabe_).

Cultivé dans les oasis. Près de la source de Tinoûhaouen, entre Rhât et
le village de Fêouet, j’en ai trouvé un grand champ à maturité le 13
mars 1861. Le propriétaire consentit à m’en vendre. Ce pois me parut
délicieux.

Les indigènes mangent toujours les pois secs et non verts. Les ménagères
aiment à décorer les plats de couscoussou de guirlandes de pois.

Indépendamment du _Pisum sativum_, les Oasiens cultivent aussi, pour le
même usage, le _Cicer arietinum_ L., sous le nom de _djelbâna_.


                          LATHYRUS OCHRUS DC.

Garfâla (_arabe_).

Ce lathyrus est cultivé au Fezzân comme plante fourragère.


                          FABA VULGARIS Mœnch.

Foûla (_arabe_).

La fève de marais est également cultivée dans les oasis. On la mange
crue ou cuite. Au printemps, les citadins s’en nourrissent presque
exclusivement.


                             DOLICHOS... ?

Loûbia (_arabe_).

Le haricot dolichos est plus rare dans les oasis ; cependant il doit
figurer au nombre des plantes potagères qui y sont cultivées.


                               MEDICAGO ?

Guedhob (_arabe_ et _temâhaq_).

Sous ce nom, on cultive au Fezzân, comme plante fourragère, une luzerne
qui croît spontanément dans le pays et que j’ai trouvée en six stations
entre Oubâri et Zouîla.

Ne l’ayant rencontrée ni en fleurs, ni en fruits, elle ne figure pas
dans mon herbier.

Cette plante serait-elle le _Medicago pentacycla_ DC. que Prax a trouvée
dans les cultures tunisiennes ?


                              TRIFOLIUM ?

Foçça (_arabe_).

Cultivé au Fezzân et au Touât comme plante fourragère, principalement
pour l’usage des chevaux.

D’après M. le commandant Colonieu, au Touât, on faucherait cette
Légumineuse tous les vingt jours pour en nourrir les moutons.

Au Fezzân, on vend également cette plante sur tous les marchés.


                               ROSACÉES.


                         NEURADA PROCUMBENS L.

Saàdân, Kofeïza (_arabe_) syn. Coss. ; Nefel, Anefel (ânefel)
(_temâhaq_).

Récolté le 2 mars 1861 à Tîn-Têrdja. Reconnu en huit stations de
Ghadâmès à Rhât. Indiqué comme étant commun dans les montagnes entre
Rhât et In-Sâlah.

Bonne plante fourragère.


                              AMYGDALÉES.


                         AMYGDALUS COMMUNIS L.

Chedjret-el-Loûz (_arabe_) ; Ibaobaoen (_temâhaq_).

L’amandier, dans le Sahara, rencontre les conditions qui lui conviennent
le mieux, bien qu’il n’existe pas dans les oasis du Nord ; on le trouve
à Ghadâmès, à Tessâoua et dans les jardins du Fezzân.

Son fruit frais, _frek_, est très-recherché.

Son fruit sec, _loûz_, est quelquefois employé en boisson émulsive. On
en extrait une huile, _zît-el-loûz_, consacrée aux mêmes usages que chez
nous.

L’arbre donne une gomme, _’alk-el-loûz_, qui est mangée.


                          AMYGDALUS PERSICA L.

Chedjret-el-Khoûkh (_arabe_).

Le pêcher réussit mal dans les oasis. Il est rare, ses fruits sont de
qualité médiocre.

La station la plus méridionale de cet arbre est à Tessâoua.


                          PRUNUS ARMENIACA L.

Chedjret-el-Berkoûk (_arabe_).

L’abricotier atteint souvent dans les oasis, notamment à Ghadâmès, le
développement des plus grands arbres, mais ses fruits perdent de leur
qualité au fur et à mesure qu’on avance dans le Sud.

A Tunis et à Biskra, on prépare des abricots secs qui sont vendus dans
le commerce sous le nom de _mechmâch_.


                          PRUNUS DOMESTICA L.

Chedjret-el-’Aïn (_arabe_).

Le prunier à fruits oblongs, cultivé dans les oasis du Nord, se retrouve
encore dans les oasis du Sud, mais plus rarement.


                               POMACÉES.


                           MALUS COMMUNIS L.

Chedjret-et-Teffâh (_arabe_).

Le pommier, quoique rare, est aussi acclimaté dans les oasis, mais ses
fruits sont sans goût et mauvais.

Les pommes étaient en pleine maturité à mon passage à Tessâoua, le 5
juin.

Tous ces arbres importés d’autres climats ne sont pas là dans leur
élément. Sans l’ombre protectrice des dattiers, ils ne pourraient pas
même vivre.


                         CYDONIA VULGARIS Pers.

Seferdjel (_arabe_).

Le coignassier est aussi un des arbres fruitiers cultivés dans les oasis
où il acquiert un développement considérable.


                              LYTHRARIÉES.


                          LAWSONIA INERMIS L.

Henna (_arabe_) ; Anella (_temâhaq_).

Cultivé dans toutes les oasis, mais particulièrement au Touât, car on
donne souvent au district qui la produit le nom de Touât-el-Henna.

Le henné affectionne les terres basses, chaudes, humides des lignes de
fonds du Sahara, comme celles de Gâbès, du Nefzâoua, du Belâd-el-Djerîd,
de l’Ouâd-Rîgh, d’Ouarglâ et du Touât, qui constituent une zone de même
formation et de même climat, également riche en eau et en chaleur,
conditions que réclame impérieusement la culture de cette plante
tinctoriale pour atteindre les développements que désire l’industrie.

Si je suis bien renseigné, le henné peut être cultivé comme plante
herbacée et annuelle, à la façon des plantes fourragères, semé comme
elles, fauché comme elles, et séché comme elles.

S’il en était ainsi, le Sahara pourrait produire le henné en grande
quantité et aux conditions de prix fixées par le commerce, qui sont en
moyenne de 1 fr. par kilo.

Au Nord de la ligne des bas-fonds ci-dessus énumérés, le henné ne vient
qu’exceptionnellement à maturité. Aussi, pour toutes les cultures du
Tell algérien, il faut demander des graines au Sahara ; dès lors c’est
dans le Sahara et non le Tell que le commerce doit aller chercher le
henné dont il a besoin.

Ce que j’aurai à dire du henné dans le deuxième volume de cet ouvrage,
au chapitre consacré à la _matière commerciale saharienne_, me dispense
d’entrer ici dans de plus grands détails sur les divers emplois de cette
plante.


                               GRANATÉES.


                           PUNICA GRANATUM L.

Roummâna (_arabe_) ; Tarroummant (_temâhaq_).

Le grenadier est cultivé avec succès dans toutes les oasis.

Son fruit aigrelet convient particulièrement au climat : aussi est-il
très-estimé.

Les écorces du tronc et de la racine sont employées comme vermifuges et
les feuilles comme hémostatiques.


                             CUCURBITACÉES.


                            CUCUMIS MELO L.

Bettîkha (_arabe_).

De nombreuses variétés de melons sont cultivées par les Sahariens.
Celles préférées sont les melons à chair aqueuse, particulièrement les
melons verts d’Espagne.


                           CUCUMIS SATIVUS L.

Foggoûs (_arabe_) ; Itekel (_temâhaq_).

Le concombre entre pour une part très-considérable dans l’alimentation
des Oasiens. On le mange généralement avec des dattes, à l’imitation du
Prophète, qui disait : « Le froid des concombres compense la chaleur des
dattes, et la chaleur des dattes compense le froid des concombres. »


                         CUCUMIS COLOCYNTHIS L.

Handhal (_arabe_) ; Alkat (_temâhaq_) ; Tajellet (_mezabite_).

Récolté le 18 janvier 1859 dans l’Ouâd-Mezâb et le 24 août 1861 dans les
montagnes de la Sôda.

Croît spontanément partout. Rencontré en cinq stations entre Ghadâmès et
Rhât ; en deux de Tîterhsîn à la Cherguîya ; indiqué dans les montagnes
entre Rhât et In-Sâlah. Assez commun dans le pays des Teboû pour que la
vente de ses graines, _aguellet_, soit l’objet d’un commerce.

Les auteurs grecs et romains ont signalé, comme une très-grande
aberration du goût, l’usage que les Troglodites (Teboû modernes)
faisaient de la graine de la coloquinte. Cet usage s’est perpétué
jusqu’à nos jours. Les graines de coloquinte, débarrassées de leur
principe amer par l’ébullition et torréfiées, sont encore vendues
aujourd’hui sous le nom de _taberka_ par les Teboû sur les marchés et
recherchées comme aliment de luxe.

A l’imitation de mes compagnons de route, j’ai mangé des graines de
coloquinte et je n’ai pas trouvé qu’elles fussent dignes de la
réprobation des anciens. J’avoue cependant qu’il faut habiter le pays de
la famine pour avoir l’idée de chercher un aliment dans la graine d’une
pareille plante.

La graine de coloquinte, non débarrassée de son principe amer, est
donnée comme boisson, en mélange avec de l’ail, contre les morsures de
vipères.


                         CUCURBITA MAXIMA Duch.

Guera’a (_arabe_) ; Takasâïm (_temâhaq_).

Le potiron, qui atteint dans les oasis des proportions gigantesques, est
un aliment très-prisé dans le Sahara, comme tous les fruits de la
famille des Cucurbitacées.


                        CUCURBITA PEPO Seringe.

Kâboûïa (_arabe_) ; Kabêoua (_temâhaq_).

La citrouille est cultivée concurremment avec le potiron et est
recherchée comme lui.


                       CUCUMIS CITRULLUS Seringe.

Della’a (_arabe_) ; Tiledjest (_temâhaq_).

Dans les pays chauds, la pastèque est le sorbet le plus agréable qu’on
puisse trouver. On en cultive, dans tout le Sahara, de nombreuses
variétés à chair rouge, à chair blanche et à chair jaune. Toutes sont
sucrées et très-rafraîchissantes.


                      LAGENARIA VULGARIS Seringe.

Guera’a (_arabe_).

Cette courge bouteille est principalement cultivée pour son écorce
solide. On en fait des vases, mais surtout des instruments de musique à
cordes, compagnons obligés de toutes les femmes et de tous les nègres
qui se vengent de l’infériorité de leur position sociale, en chantant et
en dansant, dès que leurs maîtres leur laissent un instant de liberté.


                             TAMARISCINÉES.


                        TAMARIX ARTICULATA Vahl.

Ethel (_arabe_) ; Tabarkat (_temâhaq_).

Échantillon récolté à El-Bedîr le 20 juillet 1861.

La carte itinéraire de mon voyage indique 65 bois de tamarix, dont 58
entre Ghadâmès et Rhât et 7 entre Tîterhsîn et la Cherguîya.

Chez les Touâreg, le tamarix éthel est l’arbre le plus important par son
nombre, par les proportions qu’il atteint et par les services qu’il
rend.

Sur la ligne de Rhât à Ghadâmès, la limite Nord de cet arbre est à
Tahâla par le 29e degré de latitude ; à partir de ce point, on le trouve
dans tous les bas-fonds des vallées, où il forme quelquefois, soit seul,
soit mélangé à d’autres tamarix, d’importantes forêts qui rompent la
monotonie saharienne.

Au Sud de l’Algérie, l’éthel se montre pour la première fois sur l’Ouâd-
Nesâ inférieur.

Cet arbre, à moins de mutilation dans son jeune âge, pousse en un tronc
unique, qui s’élève à plusieurs mètres de hauteur et porte généralement
de 1m 50 à 2m de circonférence.

A Azhel-n-Bangou, un éthel, celui sous lequel le forgeron Bangou avait
établi son atelier, d’où lui est venu ce nom, mesure à sa base 5m 40 de
circonférence. C’est un véritable géant pour la région saharienne ; mais
il n’est pas le seul, car j’en ai remarqué d’autres qui m’ont paru
presque aussi gros.

Souvent cet arbre pousse en groupes de quatre à cinq pieds, mais
toujours distincts les uns des autres.

Souvent aussi il se ramifie à partir de terre et projette des branches
tortueuses dans toutes les directions.

Son feuillage, composé de fils articulés, retombe gracieusement comme
des plumes. Il est d’un beau vert bleuâtre.

Le bois de l’éthel, de couleur jaune rosé, léger, tendre, cependant
solide, fournit à l’industrie locale des planches, des poutres, mais
surtout du bois de tour avec lequel on confectionne des plats, des vases
et même des selles de dromadaire.

Son fruit, nommé par les Arabes _adabeh_, paraît jouir de propriétés
astringentes et tannantes très-marquées, car on l’emploie concurremment
avec la galle de cet arbre et celles des autres tamarix sahariens à la
préparation des cuirs.

La galle des tamarix, nommée _takaout_, est un des meilleurs tannins
connus. J’aurai l’occasion de revenir sur ce produit dans le deuxième
volume de cet ouvrage.

L’éthel n’est pas partout apprécié comme il l’est dans le pays des
Touâreg, car on lit dans le Coran, chapitre XXIV, verset 15 :

« Dieu, pour se venger des habitants de Saba, rompit les digues qui les
préservaient de l’inondation, et leurs jardins furent envahis par
l’éthel. »

Arbre de malédiction à Saba, l’éthel est souvent béni dans le Sahara
pour l’ombre qu’il donne aux voyageurs après des marches pénibles.


                           TAMARIX GALLICA L.

Tarfa, Ethel (_arabe_) ; Tabarkat (_temâhaq_).

Échantillons rapportés de la Heycha de Chegga, le 25 novembre 1859 ;
d’El-Faïdh le 31 mai ; de l’Ouâdi-’l-Ethel, le 17 octobre ; de l’Ouâdi-
Tirhît, le 18 novembre 1860 ; de Tekertîba, le 28 mai 1861.

Les indigènes confondent souvent cette espèce avec la précédente, parce
qu’elles peuplent les mêmes forêts, donnent les mêmes produits et
servent aux mêmes usages. J’ai pu constater cette confusion par le nom
d’Ouâdi-’l-Ethel, qu’ils donnent à des vallées dont les lits sont
couverts des deux espèces et quelquefois même du _T. Gallica_ seul, à
l’exclusion de l’_articulata_.

Le _Tamarix Gallica_, qui est l’espèce dominante dans le Tell, paraît
s’étendre très-loin au Sud dans le Sahara.

Le bois de cet arbre, presque toujours atteint par la pourriture, dans
le Nord, ce qui le rend impropre à tout usage, paraît conserver toutes
les qualités d’un bois d’œuvre dans le Sud.


                      TAMARIX PAUCIOVULATA J. Gay.

Tarfa, Ethel, Azaoua (_arabe_) ; Tâzaouat, Tabarkat (_temâhaq_).

Récolté le 11 décembre 1860, sur l’Ouâdi-Sodof, et le 1er janvier 1861,
à Sâghen. Paraît commun dans les vallées du Ahaggâr.

Mélangé dans les vallées avec les précédents, il est souvent confondu
avec eux.


                        TAMARIX AFRICANA Poir ?

Tarfa (_arabe_).

Récolté à ’Aïn-ed-Dowîra le 4 février 1860.


               TAMARIX AFRICANA _var._ LAXIFLORA J. Gay.

Tarfa (_arabe_).

Récolté aux environs de Nafta le 8 mars 1860.

Ces deux dernières espèces, communes sur le littoral, semblent
affectionner des stations septentrionales, car je ne les ai pas trouvées
au delà de la zone de l’’Erg.


                             PARONYCHIÉES.


                     SCLEROCEPHALUS ARABICUS Boiss.

Tasakkaroût (_temâhaq_).

Récolté à Tiferghasîn, entre Ghadâmès et Rhât, le 5 mars 1861.

Cette plante, ainsi que l’indiquent son nom botanique et la station dans
laquelle elle a été trouvée, appartient aux régions chaudes du Sahara.


                              PORTULACÉES.


                         PORTULACA OLERACEA L.

Ridjla (_arabe_) ; Benderâkech (_temâhaq_).

Le pourpier est une des cultures des oasis et une de celles qui
réussissent le mieux.

Indépendamment du ridjla, on trouve encore deux autres variétés de
pourpier : le _tafrîta_ et le _boguel_, ce dernier connu aussi sous le
nom de _bortoulâkech_, probablement parce qu’il a été importé du
Portugal.


                               FICOIDÉES.


                          AIZOON CANARIENSE L.

Taouit (_temâhaq_).

Trouvé et récolté dans une station unique, à Tîn-Arrây, le 1er mars
1861.

Cette plante est mangée par les Touâreg, ce qui implique qu’elle est
assez commune dans d’autres contrées de leur pays.


                       NITRARIA TRIDENTATA Desf.

Ghardek (_arabe_) ; Atarzîm (_temâhaq_).

Échantillon du Sahara algérien, récolté entre ’Oglat-Setîl et Merhayyer,
le 3 juin 1860. Reconnu en six stations entre Tîterhsîn et le Cherguîya,
principalement entre Mourzouk et Zouïla, où il dispute le sol à
l’_Alhagi Maurorum_.

« Le fruit de cet arbrisseau, _damouch_, est une baie rougeâtre, dit M.
le consul Pélissier, d’un goût exquis, mélange de ceux de la fraise, de
la framboise et de la groseille. L’effet de ce fruit sur l’organisme,
ajoute-t-il, est une fraîcheur vivifiante, disposant l’esprit à la
gaieté et laissant dans la mémoire de l’estomac une forte appétence pour
cet aliment suave et presque aérien. »

M. Pélissier, auquel j’emprunte cette appréciation, estime que c’est là
le véritable _Lotus_ des anciens, attendu qu’il croît en abondance dans
l’île de Djerba, l’ancienne _Lotophagitis_.

_Adhuc sub judice lis est._


                             OMBELLIFÈRES.


                          APIUM GRAVEOLENS L.

Kerâfes (_arabe_).

Récolté sous les palmiers de Sîdi-Khelîl.

Plante sans importance.

           DEVERRA SCOPARIA Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Gouzzah (_arabe_).

Trouvé et récolté le 14 novembre 1860, dans l’Ouâdi-Tirhît, du plateau
de Tînghert. Reconnu sur la Chebka des Benî-Mezâb. Signalé sur le
plateau de Tâdemâyt.

Petite plante, très-odorante, très-commune dans les stations qu’elle
affectionne.


                       SCANDIX PECTEN-VENERIS L.

Sennârt-el-Behâïm (_arabe_).

Récolté dans les environs du Chott-Melghîgh.

Plante sans importance.


                            DAUCUS CAROTA L.

Zeroûdïa (_arabe_) ; Ezzeroûdîet (_temâhaq_).

La carotte est cultivée dans les oasis, mais en très-petite quantité.


                           CUMINUM CYMINUM L.

Kerouïa (_arabe_).

Cultivé dans les jardins des oasis comme épice. On mêle sa graine avec
le sel et le poivre pour saupoudrer les aliments.

Dans les embarras gastriques, on en avale une pincée matin et soir.

Dans quelques villes du littoral méditerranéen, on distille la graine et
on en obtient une liqueur, _mâ-kerouïa_, qui est considérée comme un
spécifique des douleurs intestinales.


                         CORIANDRUM SATIVUM L.

Gouzbîr (_arabe_).

Cette Ombellifère aromatique est cultivée dans les jardins pour sa
graine connue sous le nom de _tabel_.

Le tabel est employé avec le sel et le poivre pour conserver les viandes
sèches à l’usage des caravanes. On s’en sert aussi dans les ragoûts.

La médecine indigène préconise un sirop de graine de coriandre dans les
affections chroniques de poitrine.


                       COMPOSÉES (CORYMBIFÈRES).


                        FRANCŒURIA CRISPA Cass.

Récolté le 20 septembre 1860 à la Gueráa de Ben-’Aggiou.


                         PULICARIA UNDULATA DC.

Ameo (_temâhaq_).

Trouvé et récolté en une station unique sur l’Ouâdi-Alloûn le 29 février
1861.


                        ASTERICUS GRAVEOLENS DC.

Nogued (_arabe_) ; Akatkat (_temâhaq_).

Récolté sur le sommet de la Gâra de Tisfîn le 16 septembre 1860 et à
Aghelâd le 8 février 1861.

Reconnu dans les environs de Ghadâmès, en sept stations entre Ghadâmès
et Rhât. Signalé dans les montagnes entre Rhât et In-Sâlah, ainsi que
sur le plateau de Tâdemâyt.

Plante sans importance, au point de vue de l’utilité.

           ANVILLEA RADIATA Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Chedjret-edh-dhobb, ’Arfej (_arabe_) ; Tehetit (_temâhaq_).

Reconnu dans l’’Erg, à Tîterhsîn, et à Serdelès.

Récolté le 20 septembre entre Gueráa-ben-’Aggiou et l’Ouâdi-Gober-Sâlah.

Signalé comme étant commun entre Rhât et In-Sâlah.

Cette plante frutescente, qui croît en vastes touffes blanchâtres,
couvertes de fleurs jaunes au printemps, embrasse souvent de grands
espaces auxquels elle donne un aspect tout particulier.


                       CYRTOLEPIS ALEXANDRINA DC.

Récolté dans des lieux incultes à Gâbès, les 17 et 21 mars 1860.

Sans utilité.


                       ARTEMISIA HERBA-ALBA Asso.

Chîh (_arabe_) ; Azezzeré (_temâhaq_).

Reconnu de Methlîli à El-Golêa’a.

Signalé commun entre Rhât et In-Sâlah.

Les sommités fleuries de cette plante sont récoltées, séchées, réduites
en poudre et prises comme digestives.

Quand les Touâreg sont venus en France, ils avaient leur provision de
cette poudre et en faisaient souvent usage.

Une décoction de feuilles et de fleurs est donnée aux enfants atteints
de vers intestinaux.


                        ARTEMISIA CAMPESTRIS L.

Chîh (_arabe_) ; Tiheredjdjelé (_temâhaq_).

Commun dans le Ahaggâr.

Cette espèce, plus grande que la précédente, sert aux mêmes usages.


                         TANACETUM CINEREUM DC.

Robîta (_arabe_) ; Tâkkilt (_temâhaq_).

Récolté le 9 février 1861 sur l’Ouâdi-Tarât. Reconnu en six stations
entre Ghadâmès et Rhât.

     CHLAMYDOPHORA PUBESCENS Coss. et DR. _Cotula pubescens_ Desf.

Gartoûfa (_arabe_), syn. Coss.

Récolté le 7 mars 1860 entre Guettâra-Ahmed-ben-’Amâra et Gâret-Djâb-
Allah et le 8 février 1861 à Aghelâd.

Affectionne les terres alluvionnaires salines de heycha. Plante sans
importance.


                      SENECIO CORONOPIFOLIUS Desf.

Beddâna (_arabe_) ; Temasâsoui (_temâhaq_).

Récolté entre Guettâra-Ahmed-ben-’Amâra et Gâret-Djâb-Allah le 7 mars
1860 et à Sâghen le 1er janvier 1861.

Croît dans les terrains de heycha.


                        COMPOSÉES (CHICORACÉES).


                    SPITZELIA SAHARÆ Coss. et Kral.

Tasoûyé (_temâhaq_).

Récolté sur l’Ouâdi-Alloûn le 29 février 1861.


                      LOMATOLEPIS GLOMERATA Cass.

Harchâïa (_arabe_), syn. Coss. ; Rhardélé (_temâhaq_).

Récolté le 29 février 1861 sur l’Ouâdi-Alloûn.


                          SONCHUS MARITIMUS L.

Sîf-el-Ghorâb (_arabe_).

Récolté aux environs de Nafta le 8 mars 1860.

Sans importance.


            TOURNEUXIA VARIIFOLIA Coss. in _Bull. Soc. bot._

Récolté entre Hâssi-Dhomrân et Cháabet-Timedaqsin le 9 septembre 1859.


  ZOLLIKOFERIA QUERCIFOLIA Coss. et Kral. _Sonchus quercifolius_ Desf.

Récolté le 12 mars 1860 dans les montagnes de Kerîz.

Petite plante sans importance.


  ZOLLIKOFERIA ANGUSTIFOLIA Coss. et DR. _Sonchus angustifolius_ Desf.

Récolté sur la Hamâda de Tînghert près de la Gâra de Tîsfîn (environs de
Ghadâmès), le 16 septembre 1860.


     ZOLLIKOFERIA RESEDIFOLIA Coss. _Sonchus chondrilloides_ Desf.

’Adhîdh (_arabe_).

Récolté sur l’Ouâd-Mezâb le 18 juillet 1859 et sur le rivage de la mer à
Gâbès les 17 et 21 mars 1860. Commun dans la partie septentrionale du
Sahara algérien et tunisien.

Recherché par les chameaux.


                              PRIMULACÉES.


                         ANAGALLIS ARVENSIS L.

Récolté, le 13 mars 1860, dans les terrains humides aux environs du
Chott-Melghîgh.

Aime les terrains humides.


                          SAMOLUS VALERANDI L.

Récolté à Tânout-Tîrekîn, près de Djâdo, le 7 novembre 1860.


                               OLÉACÉES.


                            OLEA EUROPÆA L.

Zitoûna (_arabe_) ; Tahatimt (_temâhaq_).

L’olivier croît spontanément dans toutes les parties de la péninsule
atlantique réputées appartenir au Tell (_Tellus_ des Romains), mais,
dans le Sahara, il est toujours une conquête de la culture.

A Tessâoua, capitale de l’Ouâdi-’Otba, ancien centre de civilisation
nègre et l’une des premières villes conquises par les Arabes, on en
trouve d’énormes, à gros fruits, aussi remarquables par leur
développement que les plus beaux sujets de la même espèce sur le
littoral méditerranéen.

Tant à Tessâoua que dans le reste du Fezzân, on en compte une vingtaine
de pieds, tous cultivés pour olives de table. Que je sache, ces oliviers
doivent être les plus méridionaux de ceux connus sur le continent
africain.

On constate facilement, dans cette localité, qu’on est sur le terrain
d’une zone de transition, car, à côté de cultures soudaniennes, coton et
indigo, croissent l’olivier, le pêcher, le pommier et le citronnier, qui
appartiennent aux zones plus tempérées du Nord.


                             ASCLÉPIADÉES.


                     PERIPLOCA ANGUSTIFOLIA Labill.

Hallâb (_arabe_).

Récolté dans les ouâdi de la Djefâra, près de Tripoli, les 18 octobre et
12 novembre 1860.

En 1859, j’avais rencontré cette plante sur l’Ouâd-Mâssek, entre
Methlîli et El-Golêa’a.

Cette broussaille est mangée par les chameaux.


                       CALOTROPIS PROCERA R. Br.

Korounka (_arabe_) ; Tôreha (_temâhaq_).

Récolté à Methlîli en juillet et août 1859. Déjà trouvé, en 1858, sur le
même point, par M. le docteur Cosson. Reconnu en quatre stations entre
Ghadâmès et Rhât. Signalé au Touât.

La limite Nord de cette plante tropicale est à Methlîli, au Sud de
l’Algérie, et dans la Djefâra, plaine au Sud de Tripoli.

La forme et la couleur de cet arbuste rappellent celles du chou
domestique. Sa fleur est blanche à la base et violette au sommet. Sa
tige atteint 2m de hauteur.

Les graines que j’avais envoyées, en 1859, au Jardin d’acclimatation
d’Alger, n’ont pas levé, probablement parce qu’elles n’étaient pas en
parfaite mâturité. Depuis, je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer cette
espèce en graine.

Les Touâreg utilisent la tige de cette plante dans la confection des
selles et des cages de voyage pour les femmes. Au Touât, on l’emploie
exclusivement, convertie en charbon, pour la préparation de la poudre.

Pl. VII. Page 180. Fig. 14 et 15.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DE TESSÂOUA, PRISE DU CÔTÉ NORD.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — INSCRIPTION COUFIQUE SUR UNE TOMBE DE L’ANCIEN
CIMETIÈRE DE TESSÂOUA.

D’après un estampage de M. H. Duveyrier.]

Les Arabes de la Tripolitaine, dit-on, s’en servent comme purgatif.


                          DÆMIA CORDATA R. Br.

Oumm-el-leben (_arabe_) ; Tellâkh (_temâhaq_).

Récolté le 24 août 1861 sur l’Ouâdi-Tîn-Guezzîn dans la Sôda. Reconnu en
deux points de ma route entre Ghadâmès et Rhât.


                              GENTIANÉES.


                   ERYTHRÆA PULCHELLA Fries _var._ ?

Tifechkan (_temâhaq_).

Récolté près de la source de Serdélès, le 3 mai 1861.


                            CONVOLVULACÉES.


                           CRESSA CRETICA L.

’Achbet-el-mâ (_arabe_).

Récolté sur l’Ouâdi-Aouâl le 17 septembre 1860.


                              BORRAGINÉES.


                        HELIOTROPIUM EUROPÆUM L.

Dhaharet-ech-chems (_arabe_).

Récolté dans l’Ouâd-Mezâb, pendant l’été 1859.


                      ECHIOCHILON FRUTICOSUM Desf.

Ras-hamrâ (_arabe_).

Récolté le 7 mars 1860, entre El-Ouâd et Nafta.

Commun dans les terres de heycha.

Sans importance.


                      LITHOSPERMUM CALLOSUM Vahl.

Ralma (_arabe_).

Récolté dans la plaine d’El-Bâla entre Methlîli et El-Golêa’a le 8
septembre 1859.

Plante des sables, sans importance.


                      TRICHODESMA AFRICANUM R. Br.

Tâlkaït (_temâhaq_).

Récolté le 1er mars 1861 à Tîn-Arrây.


                               SOLANÉES.


                         PHYSALIS SOMNIFERA L.

Farhaorhao (_temâhaq_).

Récolté le 17 mai et le 24 juin à Oubâri et à Mourzouk. Commun dans
toutes les oasis du Fezzân.

Grande plante ; narcotique comme les autres Solanées vireuses.


                      LYCIUM MEDITERRANEUM Dunal.

Aoused (_arabe_).

Récolté dans les rochers de Djâdo, le 28 octobre 1860, et à Qaçar-el-
Hâdj, le 18 octobre 1861.

Les Arabes font avec une décoction concentrée de _Lycium_ et le blanc
d’Espagne (_Biodh-el-Ouedj_) une pâte dont on couvre les yeux, dans la
petite-vérole, pour éviter qu’ils soient atteints.

La même pâte est employée dans les ophtalmies graves.


                  HYOSCYAMUS FALEZLEZ Coss. sp. nova.

Goungot (_arabe tripolitain_) ; Falezlez (_arabe saharien_) ; Afahlêhlé
(_temâhaq_).

Récolté sur l’Ouâdi-Aouâl, le 17 septembre, et sur la Gueráa-
ben-’Aggiou, le 20 septembre 1860 ; commun entre Ghadâmès et Rhât, dans
tout le pays des Touâreg ainsi qu’au Fezzân.

Plusieurs localités, sur le versant nigritien du plateau central du
Sahara, portent le nom de cette plante, _Falezlez_ ou _In-Afahlêhlé_,
notamment sur les routes de Rhât à Agadez et d’In-Sâlah à Timbouktou.

Le désert de Tânezroûft en est aussi empoisonné, mais elle ne croît plus
au Sud. Cette plante nouvelle paraît exclusivement saharienne.

Le falezlez est un poison très-actif pour tous les animaux autres que
les ruminants. Il engraisse les chameaux, les chèvres et les moutons, et
donne la mort, en quelques heures, à l’homme, au cheval, à l’âne et au
chien.

J’ai apprécié les qualités vénéneuses de cette plante dans des
circonstances qui doivent être relatées.

Un jour, mon cheval qui, pour la première fois dans le Sahara,
rencontrait des feuilles vertes et tendres, se jeta avec avidité sur cet
_Hyoscyamus_. Les Touâreg témoins de son inexpérience m’annoncèrent la
mort très-prochaine de la pauvre bête.

Comme on exagérait toujours à mes yeux les dangers du voyage d’un
chrétien dans le Sahara, je ne voulus pas m’en rapporter au pronostic de
mes compagnons indigènes, et, malgré leurs prières de m’abstenir, je
goûtai une feuille de cette maudite herbe et je reconnus bientôt que les
Touâreg avaient raison.

Mon cheval mourut en peu de temps et je fus assez gravement indisposé.

Peu après l’expérience, je fus pris d’un engourdissement et d’un froid
général, avec la vue voilée, tendance et disposition au sommeil. Je me
remis d’abord en prenant quelques gouttes de rhum, mais, pendant
plusieurs jours, je ressentis les effets de mon imprudence.

Mon cheval, qui avait été moins réservé que moi, commença à se coucher
sur le flanc et à donner, de temps à autre, des ruades et des coups de
tête convulsifs. L’œil devint terne tout de suite.

En vain je lui administrai de l’ammoniaque et de l’alcool étendu d’eau,
puis, sur le conseil des Touâreg, une boisson faite avec du poivre rouge
et des dattes : rien n’y fit. En quelques heures, l’animal était
ballonné, il n’ouvrait plus les yeux et respirait difficilement. Dans la
nuit il mourut gonflé comme une outre.

Qui le croirait ? malgré les dangers de l’usage de cette plante, les
indigènes l’emploient comme aliment et comme médicament ! Ses feuilles
récoltées sont transportées, vendues et recherchées sur le marché de
Timbouktou.

Je ferai connaître le mode d’emploi du falezlez en passant en revue les
pratiques médicales des Touâreg.

D’après les indigènes, les propriétés toxiques de cette Solanée, comme
celles de beaucoup de plantes, seraient en raison directe de l’altitude
des lieux où elle croît. Presque inoffensive aux environs de Tripoli,
déjà dangereuse sur les plateaux du Fezzân, elle devient poison actif
dans les montagnes des Touâreg. J’ignore si mes informateurs ne
confondent pas des espèces voisines, mais jouissant de propriétés
différentes.

Quoi qu’il en soit, dans les cas où cette plante vireuse agit avec le
moins de gravité, elle détermine des accidents cérébraux qui sont
qualifiés de folie par les gens du pays.

L’_Hyoscyamus Falezlez_ s’élève à 1/2 mètre de hauteur et met deux
années pour atteindre tout son développement. Il vit pendant 5 ou 6 ans,
montrant ses grandes feuilles vertes au-dessus des herbes sèches de la
végétation annuelle.

En attendant la description de cette plante par M. le docteur Cosson,
voici comment elle est définie dans mon journal de voyage :

Racine simple, s’enfonçant verticalement à une certaine profondeur.

Feuilles larges, charnues, succulentes, d’un vert peu foncé, avec larges
nervures presque blanches ;

Calice grand, vert, charnu, à cinq sépales ou échancrures au sommet ;

Fleur violette ;


                          SOLANUM MELONGENA L.

Badindjâl (_arabe_).

L’aubergine est encore un des fruits cultivés et estimés dans les oasis.


                     LYCOPERSICUM ESCULENTUM Dunal.

Tomâtich (_arabe_).

La tomate, plus encore que l’aubergine, est commune dans les jardins des
oasis.


                           CAPSICUM ANNUUM L.

Felfel-el-ahmar (_arabe_) ; Chitta (_temâhaq_).

Le piment est le condiment de la plupart des mets africains. On en
cultive plusieurs variétés et en grande quantité, non-seulement pour
l’approvisionnement des citadins, mais encore pour celui des nomades.


                          NICOTIANA RUSTICA L.

Doukhkhân (_arabe_) ; Tâba, Tâberha (_temâhaq_).

La seule variété cultivée dans les oasis est le tabac rustique, qui est
très-fort et dont l’odeur est très-piquante.

C’est au Soûf et au Touât que les cultures sont les plus étendues.

L’usage du tabac est plus général parmi les indigènes du Sahara que dans
le Tell, et on le prend sous toutes les formes, _per fas et nefas_.

Chez les Touâreg, hommes et femmes fument, et, quoique la fumée du tabac
rustique soit très-âcre, hommes et femmes la rendent par le nez.

Le tabac en poudre est pilé très-fin et mêlé à un huitième de natron
pour lui donner plus de montant. En cet état on le prend par le nez et
par la bouche.

Les femmes arabes, mariées à onze ans, mères à douze, vieilles à vingt,
employent le tabac comme aphrodisiaque en s’en saupoudrant certain
organe.

Pour l’honneur de l’humanité, je m’empresse de dire que cet usage
exceptionnel et impudique, inconnu des Touâreg, est circonscrit dans le
Sud-Est du Sahara algérien, de Laghouât au Soûf, particulièrement chez
les arabes Nemêmcha. Là, ce mode d’emploi semble si naturel que la femme
n’attend pas, dit-on, d’être hors de la vue de l’homme pour utiliser la
prise qui lui a été offerte.

En raison de ces nombreux usages, le tabac est l’objet d’un grand
commerce dans le Sud.


                            SCROFULARINÉES.


                        LINARIA FRUTICOSA Desf.

Tâzeret (_temâhaq_).

Récolté le 1er mars 1861, à Tîn-Arrây.

Plante presque ligneuse.


                        LINARIA LAXIFLORA Desf.

Récolté le 1er mars 1860 à Mouï-el-Ferdjân, entre l’Ouâd-Rîgh et le
Soûf.

Commun dans les terres de heycha.

Petite plante sans importance.


                             OROBANCHACÉES.


                        PHELIPÆA VIOLACEA Desf.

Dhânoûn (_arabe_) ; Ahêliwen, Timzhellitîn, Fetekchên (_temâhaq_).

Récolté sur le littoral de Gâbès, les 17 et 21 mars 1860. Signalé en
plusieurs stations, dans les montagnes, entre Rhât et In-Sâlah.

Cette plante remarquable, à tige unique, sans branches ni feuilles,
haute de 60 centimètres, n’apparaissant que dans les sables, est mangée
dans les temps de disette. A cet effet, disent les indigènes, on la fait
bouillir, puis sécher au soleil, afin de pouvoir la réduire en farine.
La fécule ainsi obtenue est mélangée à d’autres substances alimentaires.


                                LABIÉES.


                         LAVANDULA MULTIFIDA L.

Kammoûn-el-djemel, Kerouïet-el-djemel (_arabe_) ; Djey (_temâhaq_).

Récolté sur l’Ouâdi-Arhlân, près de Djâdo, le 28 octobre 1860 ; dans le
pays des Harâba, le 12 novembre 1860 ; à Tîn-Arrây, le 1er mars 1861.
Signalé comme étant commun dans les montagnes du Ahaggâr.

Cette plante est recherchée par les chameaux à raison de ses propriétés
aromatiques.


                          THYMUS HIRTUS Willd.

Za’ater (_arabe_).

Récolté entre Hâmma et Gâbès, le 18 mars 1860.

Tous les thyms auxquels les indigènes donnent le nom de _za’ater_ sont
récoltés et employés pour aromatiser les aliments. Les habitants des
pays où ils croissent les échangent dans les oasis contre des dattes.

Dans la médecine arabe, les thyms sont employés comme stomachiques.


                    THYMUS CAPITATUS Link et Hoffm.

Za’ater (_arabe_).

Récolté sur l’Ouâdi-Tirhît, le 18 novembre 1860.

En général, dans le Sahara, les thyms marquent les lignes des bas-fonds
par lesquelles s’écoulent les eaux pluviales.


                          SALVIA ÆGYPTIACA L.

Récolté sur les berges de l’Ouâd-Mezâb, le 18 juillet 1859.

Les feuilles et les sommités fleuries de toutes les sauges sont
employées par les indigènes en infusion théiforme, comme excitant
digestif.

Beaucoup d’entre eux mettent volontiers des feuilles de sauge dans leurs
fosses nasales pour y maintenir la fraîcheur.


                       ROSMARINUS OFFICINALIS L.

Kelîl (_arabe_) ; Ouzbîr (_berbère_).

Récolté dans le pays des Harâba, le 12, et sur l’Ouâdi-Tirhît, le 18
novembre 1860.

Les feuilles de romarin, récoltées dans le Sahara, sont transportées par
les caravanes dans l’Afrique centrale comme article d’échange.

On s’en sert pour aromatiser les aliments.

La médecine arabe leur attribue des propriétés vulnéraires : aussi
toutes les plaies récentes sont-elles couvertes de poudre de romarin.


                             GLOBULARIÉES.


                          GLOBULARIA ALYPUM L.

Tâselrha (_arabe_ et _temâhaq_).

Reconnu entre Ghadâmès et Rhât.

Dans toutes les contrées où pousse cette plante, ses branches et ses
feuilles sont employées en tisane concentrée, et avec succès, contre les
fièvres intermittentes et les éruptions furonculeuses.


                             PLOMBAGINÉES.


                       STATICE BONDUELLII Lestib.

Châchîet-edh-dhobb (_arabe_).

Récolté sur l’Ouâd-Mezâb, dans l’été 1859.


                     STATICE GLOBULARIÆFOLIA Desf.

Messâs (_arabe_).

Récolté dans l’Ouâdi-Tagotta, le 18 novembre 1860.


                          STATICE PRUINOSA L.

Guedhâm-el-ghozâl (_arabe_).

Récolté dans la heycha de Chegga, le 25 novembre 1859.

En général, toutes les _Statice_ sont recherchées par les animaux comme
plantes salées.


                      LIMONIASTRUM GUYONIANUM DR.

Zeïta (_arabe_) ; Tafonfela (_temâhaq_).

Récolté dans la heycha de Chegga, le 25 novembre 1859 ; à El-Faïdh, le
31 mai 1860 ; signalé comme étant commun dans les oasis du Touât et dans
les montagnes du Ahaggâr.

Cet arbuste atteint quelquefois les proportions d’un petit arbre et
couvre d’assez grands espaces pour former des bosquets.


                        BUBANIA FEEI de Girard.

Melhafet-el-khâdem, Râs-el-khâdem (_arabe_).

Reconnu en 1859, entre Methlîli et El-Golêa’a.

L’herbier de cette course, ainsi que d’autres parties de mon bagage, a
été confisqué par les habitants de la ville alors inhospitalière d’El-
Golêa’a.


                             PLANTAGINÉES.


                         PLANTAGO OVATA Forsk.

Halma (_arabe_).

Reconnu en quatre stations de ma route, entre El-Ouâd et Ghadâmès, du 26
juillet au 12 août 1860.


                          PLANTAGO ALBICANS L.

Inem (_arabe_).

Récolté le 7 mars 1860, aux environs de Nakhlet-el-Mengoûb.

Affectionne les terrains de heycha.


                          PLANTAGO PSYLLIUM L.

Récolté le 13 mars 1860, aux environs du Chott-Melghîgh.

La poudre de tous les plantains est employée comme astringent pour
cicatriser les ulcères.


                              SALSOLACÉES.


                     BETA VULGARIS L. _var._ CICLA.

Selk (_arabe_).

Cultivé comme plante alimentaire dans les oasis.


                         ATRIPLEX MOLLIS Desf.

Jell, Djell (_arabe_).

Récolté dans la heycha de Chegga, le 25 novembre 1859 ; reconnu en six
stations, de Tîterhsîn à la Cherguîya.

Les Arabes attribuent au suc de cette plante la propriété d’amener la
stérilité : aussi les femmes trop fécondes en font-elles souvent usage.


                          ATRIPLEX HALIMUS L.

Guetof (_arabe_) ; Aramâs (_temâhaq_).

Récolté en mai et en octobre 1860, à El-Faîdh et à Djâdo. Reconnu en
quatre stations, entre Ghadâmès et Rhât. Signalé dans les montagnes,
entre Rhât et In-Sâlah, ainsi que sur le plateau de Tâdemâyt.

Cette plante est recherchée par tous les animaux à cause de la saveur
saline de ses jeunes pousses. L’homme lui-même ne la dédaigne pas comme
aliment. De plus, les Touâreg récoltent ses graines qu’ils mangent en
bouillie.

Le bois de sa racine sert de brosse à dent ; on lui attribue des vertus
antiscorbutiques.

On extrait de sa tige une soude que les indigènes appellent _melh-el-
guetof_. Cette soude, quelquefois employée en médecine, sert
principalement à la saponification de l’huile.

Cette plante frutescente, qui forme d’énormes buissons, déjà commune sur
les côtes de Provence, s’étend sur le continent africain du littoral aux
confins les plus reculés de mon exploration. Partout où le sol est un
peu salin, on est à peu près certain de la retrouver.


                         CHENOPODIUM MURALE L.

Lessîg (_arabe_) ; Tîbbi (_mezabite_).

Récolté à Ghardâya, en 1859, sur la lisière des jardins et sur les murs
d’enceinte.


                     CHENOPODINA VERA Moq.-Tand. ?

Souïd (_arabe_) ; Tirbâr (_temâhaq_).

Récolté sur l’Ouâdi-Tagotta, le 18 septembre 1860.


                        SUÆDA VERMICULATA Forsk.

Souïd (_arabe_) ; Tirbâr (_temâhaq_).

Récolté dans les dunes d’El-’Arefdji, près de Negoûsa, le 20 février
1860. Reconnu aux environs de Ghadâmès.


                        TRAGANUM NUDATUM Delile.

Dhomrân, Souïd-Ahmar (_arabe_) ; Tirehît (_temâhaq_) ; Tâsra
(_mezabite_).

Échantillons de l’Ouâdi-Saádâna (19 août 1859), entre Methlîli et El-
Golêa’a ; reconnu depuis en deux stations, autour de Ghadâmès ; en cinq,
entre Ghadâmès et Rhât ; en trois, entre Tîterhsîn et la Cherguîya.
Signalé dans le Ahaggâr, plaine et montagne, ainsi qu’au Touât.

Cette plante frutescente est recherchée avec avidité par les chameaux.


                    CAROXYLON ARTICULATUM Moq.-Tand.

Remeth (_arabe_) ; Ouân-Ihedân (_temâhaq_).

Récolté, en 1859 et 1860, dans le Sahara algérien et tripolitain, où il
est très-commun. Reconnu en six stations, plus au Sud, entre Ghadâmès et
Rhât.


    SALSOLA VERMICULATA L. _var._ MICROPHYLLA. _S. brevifolia_ Desf.

Guedhâm (_arabe_) ; Adjerwâhi (_temâhaq_).

Récolté dans les sables de Mouî-er-Robáâya, le 29 juillet 1860. Signalé
comme étant commun dans les montagnes des Touâreg et dans l’oasis du
Touât.


                       SALSOLA LONGIFOLIA Forsk.

Semommed (_arabe_).

Récolté, le 12 novembre 1860, sur l’Ouâdi-Tînzeght.

Par l’incinération, cette plante, comme la précédente, donne une soude
employée dans la fabrication du savon.


            ANABASIS ARTICULATA Moq.-Tand. _var._ GRACILIS.

Bâguel, Belbâl, Belbâla (_arabe_) ; Abelbâl, Tâza (_temâhaq_).

Récolté, le 20 novembre 1860, à Dhâhar-el-Djebel, et le 23 novembre
1859, à El-Mogherreb, au N.-O. d’El-’Alîya. Reconnu en cinq stations,
dans la région de l’’Erg, entre El-Ouâd et Ghadâmès. Commun aux environs
de Ghadâmès.

Cette plante ligneuse, quoique peu riche en matière alimentaire, est
mangée par les chameaux.

Les Sahariens prétendent qu’on peut creuser des puits avec sécurité
partout où croît le _belbâl_, parce qu’on est certain de trouver l’eau à
peu de profondeur.

Ainsi, entre El-Ouâd et Ghadâmès, au milieu des dunes de l’’Erg, mes
guides et le Cheïkh-’Othmân ont été unanimes à me signaler Haoudh-el-
Belbâlât comme un point d’élection pour doter cette route de l’eau qui
lui manque.

La disposition de la localité m’a paru correspondre aux indications des
khebîr.


                      CORNULACA MONACANTHA Delile.

El-Hâdh (_arabe_) ; Tâhara (_temâhaq_).

Récolté à Chaábet-Lekkâz, le 21 novembre 1859. Reconnu en cinq stations,
entre El-Ouâd et Ghadâmès ; en trois stations, de Ghadâmès à Rhât ; en
deux, de Tîterhsîn à la Cherguîya. Indiqué comme étant commun dans les
plaines au pied du Ahaggâr.

Cette plante sous-frutescente couvre de très-grands espaces sur les
versants Sud des montagnes des Touâreg. Elle constitue un des fourrages
recherchés des chameaux, malgré ses épines.


                             AMARANTACÉES.


                           AERVA JAVANICA L.

Tamakerkaït, Timekerkest (_temâhaq_).

Récolté à Aghelâd, le 8 février 1861. Signalé dans les montagnes entre
Rhât et In-Sâlah.


                             SALVADORACÉES.


                          SALVADORA PERSICA L.

Siouâk (_arabe vulgaire_) ; Irâk (_arabe littéral_) ; Têhaq (_temâhaq du
Nord_) ; Abezgui (_dialecte d’Aïr_) ; Teguî, Tijat (_dialecte de
Timbouktou_).

Récolté en fleurs et en fruits à Afara-n-Wechcherân, le 1er janvier
1861. Commun partout au delà de la région de l’’Erg.

Cet arbre de la région tropicale, très-répandu dans le bassin du Niger,
vient cependant en troisième ligne comme importance de la végétation
ligneuse de la partie du territoire des Touâreg que j’ai visitée.
Toutefois on ne l’y trouve que dans les vallées abritées et de
préférence dans celles où les alluvions sablonneuses abondent.

C’est un bel arbre, de deuxième grandeur, dont le feuillage d’un beau
vert tendre repose agréablement la vue fatiguée de la couleur sombre du
pays.

Son fruit, d’un goût délectable, est employé comme aliment et comme
médicament.

Ce fruit consiste en petites baies, semblables aux raisins de Corinthe,
dit M. le docteur Barth, lesquels offrent un léger supplément au frugal
menu du désert ; frais, il a un goût de poivre assez prononcé.

Comme l’illustre voyageur, j’ai mangé ce fruit, et mes impressions sur
son mérite sont les mêmes.

Son bois odorant et solide, susceptible de se diviser en fibres très-
fines, fournit les cure-dents et les brosses à dents si recherchés par
les musulmans pour l’entretien de leur bouche. On sait que pour tous les
peuples d’Orient la question du cure-dents est une grave affaire pour
laquelle il est fait d’importantes recommandations dans les ouvrages de
religion et de jurisprudence.

L’écorce de l’arbre, légèrement épispastique, est appliquée par les
indigènes sur les blessures d’animaux venimeux.

Les chameaux mangent volontiers les feuilles fraîches de cet arbre, mais
mélangées avec celles d’autres plantes à cause de leur goût d’amertume
prononcé.

Dans toute la région où croît ce _Salvadora_, ses feuilles sont
employées comme antisiphylitiques. A cet effet, on les réduit en poudre
avec les épices connues sous le nom de _râs-el-hânout_ (tête de la
boutique), et chaque matin on en prend une dose en breuvage.


                      CALLIGONUM COMOSUM L’Hérit.

Arta, Resoû, Ezâl (_arabe_) ; Aresoû, Isaredj (_temâhaq_).

Récolté dans l’Ouâdi-Sa’adâna, le 21 août 1859 ; sur l’Ouâdi-Izêkra, le
5 février ; à Tîn-Têrdja, le 2 mars ; à Ouarâret, le 11 mars 1861.
Reconnu en treize stations dans l’’Erg, entre El-Ouâd et Ghadâmès ; en
onze stations, de Ghadâmès à Rhât ; en trois, de Tîterhsîn à la
Cherguîya ; en plusieurs stations, de Methlîli à El-Golêa’a. Signalé
dans les montagnes entre Rhât et In-Sâlah, ainsi que dans tout le Touât.

Le _Calligonum comosum_ forme d’épais buissons auxquels les chameaux
donnent toujours un coup de dent en passant. Le bois de cette
broussaille est souvent la seule ressource des caravanes pour cuire les
aliments. Dans l’’Erg, cet arbuste devient un véritable arbre.


                              POLYGONÉES.


                 POLYGONUM EQUISETIFORME Sibth. et Sm.

Récolté dans la Djefâra, 16 octobre 1860.


                          RUMEX VESICARIUS L.

El-Hommîz (_arabe_) ; Tânesmîm (_temâhaq_).

Récolté au Rhedîr de Sâghen, dans l’Ouâdi-Tikhâmmalt, le 3 janvier, et
dans l’Ouâdi-Alloûn, le 19 février 1861.

Plante comestible dont le goût rappelle celui de l’oseille.


                             THYMÉLÉACÉES.


             THYMELÆA HIRSUTA Endl. _Passerina hirsuta_. L.

Methenân (_arabe_).

Récolté dans l’Ouâd-Biskra, en janvier 1860.

Croît dans les sables. Commune sur le littoral de la Syrte.


                             EUPHORBIACÉES.


         EUPHORBIA CALYPTRATA Coss. et DR. in _Bull. Soc. bot._

Oumm-el-leben (_arabe_) ; Tellâkh (_temâhaq_).

Récolté le 3 janvier 1861, à Sâghen.


                  EUPHORBIA GUYONIANA Boiss. et Reut.

Lebbîn (_arabe_).

Récolté dans les sables du Soûf, entre El-Ouâd et Sahên, le 5 mars 1860.


                         EUPHORBIA PARALIAS L.

Lebbîn, Lebeïna (_arabe_).

Récolté près de Gâbès, les 17 et 21 mars 1860.

Le suc de ces diverses Euphorbiacées est employé contre les morsures des
vipères.


                              CANNABINÉES.


                           CANNABIS SATIVA L.

Kerneb, Tekroûri, Hachîcha (_arabe_).

Cultivé dans quelques oasis, notamment dans le Fezzân, à Trâghen.

Les sommités fleuries de ce chanvre sont fumées dans des pipes ou
mangées en confitures en vue de déterminer une sorte d’extase que les
amateurs de hachîch (_hachchâchîn_) appellent _kîf_.

L’hébétude résulte souvent de ces pratiques qui heureusement ne sortent
guère du cercle des fainéants ou de ceux qui ont voyagé en Orient. Les
Touâreg entre autres ne font jamais usage du hachîch.


                                MORÉES.


                            FICUS CARICA L.

Kerma (_arabe_) ; Ahar, Tâhart (_temâhaq_).

Après le dattier, le figuier est l’arbre le plus cultivé chez les
Touâreg. Non-seulement on en trouve quelques pieds dans chaque jardin
des oasis, mais encore on compte çà et là, dans les montagnes, quelques
vergers exclusivement peuplés de figuiers.

Les figues provenant de ces cultures sont généralement mangées fraîches.
Les figues sèches sont principalement tirées du littoral : cependant, on
m’en a donné provenant de Mîherô.


                              SALICINÉES.


                            POPULUS ALBA L.

Safsaf (_arabe_).

Signalé sur un point du plateau de Tâdemâyt, à Hamâd-el-’Atchân, près de
Tîn-Fedjaouîn.

Le peuplier blanc, très-commun dans le Tell, est une exception unique à
cette latitude.


                               CONIFÈRES.


                          EPHEDRA ALATA Dcne.

’Alenda (_arabe_) ; Tîmatart (_temâhaq_).

Reconnu en douze stations, entre El-Ouâd et Ghadâmès.

Les chameaux mangent ses jeunes pousses, à défaut d’autre nourriture.

Ses tiges et ses sommités, douées de propriétés astringentes, sont
employées dans la matière médicale indigène.

Ses fruits sont comestibles.

Les branches de cet arbuste atteignent quelquefois trois mètres de
hauteur. Près d’El-Arba-Tahtanîya, M. le docteur Cosson en a découvert
« un magnifique pied dont le tronc, jusqu’aux ramifications principales,
mesurait au-dessus du sol près d’un demi-mètre et dont la circonférence,
prise au niveau du sol, atteignait 48 centimètres. »

Il y en a de plus grands encore sur l’Ouâd-el-’Alenda, dans le Soûf.


                               POTAMÉES.


                       POTAMOGETON PECTINATUS L.

Récolté dans la source de Tagotta.

Plante aquatique submergée.


                               PALMIERS.


                         PHŒNIX DACTYLIFERA L.

Nakhla (_arabe_) ; Tâzzeït (_temâhaq_).

Le palmier dattier est, sans contredit, le roi de la végétation
saharienne, non-seulement par le nombre des _ghâbâ_ qu’il constitue,
mais encore par l’importance des services directs ou indirects qu’il
rend à l’habitant de la région désertique.

On donne, dans tout le Sahara, le nom de _ghâbâ_ ou forêt à toute
plantation de dattiers, quel que soit le nombre des arbres.

Généralement, les plantations sont agglomérées, autour ou à peu de
distance des habitations. Leur ensemble forme ce qu’on appelle une
oasis.

Dans la partie du Sahara, objet de cette étude, quatre principaux
groupes d’oasis appellent l’attention : celui de Ghadâmès, celui de
Rhât, celui du Fezzân, celui du Touât.

A Ghadâmès, on compte, m’a-t-on dit, 63,000 palmiers ; à Rhât, y compris
les plantations des villages voisins, le nombre de ces arbres n’est pas
moins considérable ; quant à ceux innombrés et presque innombrables du
Fezzân et du Touât, ils atteignent peut-être le chiffre de deux millions
de pieds, car, dans ces contrées favorisées, les oasis se succèdent les
unes aux autres sur d’immenses étendues : cent lieues du Nord au Sud
pour le Touât, quarante lieues de l’Est à l’Ouest pour le Fezzân.

En dehors de ces massifs principaux, il y a encore une dizaine de
petites oasis dans les montagnes des Touâreg : à Djânet, à Idelès, et
autres points arrosés par des sources, mais elles ne peuvent pas être
comparées aux premières, car toutes ces plantations ne donneraient peut-
être pas un total de 6,000 palmiers.

Les produits directs du dattier sont les suivants :

La datte, _themer_ des Arabes, _teïni_ des Touâreg, aliment farineux et
sucré, d’une conservation et d’un transport faciles, immense ressource
pour des populations nomades et voyageuses ;

La palme, _djerîda_ en arabe, _taratta_ en temâhaq, comprenant le
pétiole, _ahebêr_, et la feuille, _takôla_ des Touâreg, employés, l’un
sous forme de lattes, dans les constructions et les clayonnages, l’autre
comme matière textile, à la fabrication de nattes, de paniers, de sacs,
de cordes, en un mot, à la confection de ces mille petits riens connus
sous le nom d’articles de sparterie exécutés ailleurs avec le palmier
nain et le halfâ ;

La bourre, _sa’af_, provenant des feuilles radicales ou du tronc, et
avec laquelle on fait des tissus, des rembourrages de bâts, etc. ;

Le noyau de la datte, _a’lef_, que l’on écrase et que l’on donne à
manger aux animaux : chameaux, chèvres et moutons ;

La sève, _lâgmi_, obtenue par incision et de laquelle on retire :

A l’état frais, le _lait_ de palmier, boisson fade, quoique sucrée ;

Fermentée, le _vin_ de palmier, dont le goût rappelle celui d’une jeune
bière ;

Distillée, un _alcool_ très-inférieur ;

Les fleurs, _nouâr_, réputées aphrodisiaques ;

L’involucre des fleurs, _kemmamîn_, aussi employé en médecine ;

Enfin, la tige du palmier, _khechba_, débitée comme le bois des autres
arbres, et qu’à raison de ses services on a appelée _sapin du Sahara_.
On l’emploie dans les constructions, dans les coffrages des puits, sous
forme de planches, de poutres ou de madriers. Dans la région saharienne,
le dattier est la seule essence qui donne des bois droits et de
longueur.

En présence de tant de produits fournis par le dattier, on ne peut
s’empêcher de reconnaître que, si la Providence a été avare envers les
Sahariens, en limitant à un petit nombre les arbres utiles de leur pays,
elle a tellement prodigué ses faveurs au dattier, qu’à lui seul il peut
remplacer tous les autres arbres.

Mais le dattier n’est pas seulement utile par les produits directs dont
il comble l’habitant des oasis, il l’est encore, au même degré, par les
produits indirects qu’il permet d’obtenir à l’ombre de sa cime
parasolaire qu’on peut comparer, contre la chaleur, à l’effet des serres
contre le froid.

Les extrêmes se touchent en tout : dans nos climats tempérés, les
plantes tropicales ne peuvent germer, croître, fructifier, qu’à l’aide
d’une chaleur factice ; dans le Sahara, les plantes des climats tempérés
ne peuvent prospérer qu’à l’abri d’une chaleur excessive et d’une
lumière intense ; et cet abri, le dattier le donne en permettant à l’air
de circuler, à la lumière et à la chaleur de pénétrer dans les
proportions réclamées par la végétation sous-palméenne.

Que, dans les oasis, les palmiers soient décapités, le sol qu’ils
couvrent de leur ombre rentre dans les conditions climatériques des
terres voisines frappées de mort, de juin à septembre, par l’excès de la
chaleur, comme ailleurs, de novembre à mars, par l’excès du froid.

Sous l’abri protecteur des palmiers, l’Oasien peut cultiver une
cinquantaine de plantes alimentaires ou industrielles dont il serait
complétement privé sans l’auxiliaire que la Providence a mis si
libéralement à sa disposition : j’ai donc raison de dire que le dattier
rend à l’habitant du Sahara autant de services par ses produits
indirects que par ses produits directs, si nombreux qu’ils soient.

On ne sera donc pas étonné d’apprendre que le dattier, dans le Sahara,
soit l’objet de soins qui ne sont donnés à aucun arbre, dans aucun autre
pays du monde.

J’estime à l’égal des plus grandes conquêtes de l’homme sur la nature
les travaux exécutés par les Sahariens pour assurer à cet arbre les
conditions nécessaires à son existence.

Dans l’Ouâd-Rîgh et le bassin d’Ouarglâ, des puits artésiens creusés à
bras d’homme jusqu’à la couche d’eau jaillissante ; dans l’Ouâd-Mezâb,
d’immenses barrages jetés en travers des torrents ; dans le Fezzân et
dans le Touât, des puits à galeries souterraines pour créer des rivières
artificielles ; dans le Soûf et dans les autres oasis de l’’Erg, la
lutte de tous les instants contre les envahissements des sables,
constituent des efforts de géants que tout homme impartial compare, avec
la différence des moyens, aux plus beaux résultats obtenus par la
science et l’industrie dans nos États civilisés.

Le dattier, disent les Sahariens, doit, pour produire de bons fruits,
avoir la tête dans le feu et les pieds dans l’eau.

Le soleil africain pourvoit suffisamment aux besoins de sa cime ;
l’homme doit procurer à ses racines l’eau qu’elles réclament. Ce n’est
pas toujours facile, mais, partout où il y a des dattiers, on leur sert,
d’une manière ou de l’autre, l’eau nécessaire.

Dans les oasis pourvues de puits artésiens, de puits à galeries, de
fontaines aménagées, l’irrigation est facile et se pratique à eau
courante ; mais là où il n’y a que des puits ordinaires, l’eau doit être
élevée par des machines ou à bras d’hommes, et l’arrosage, dans ce cas,
impose des peines considérables.

Dans l’oasis du Soûf, où l’eau se trouve au-dessous du sol à des
profondeurs variables de 0m 85 à 2m 55 et 4m 10, on plante le dattier de
manière à ce que ses racines plongent dans l’eau. Là, du moins, le
planteur est exonéré de l’obligation d’irriguer, mais cet avantage est
chèrement acheté par la nécessité de lutter continuellement contre
l’envahissement des sables et de féconder ces sables par de nombreux
engrais.

La charge d’engrais de crottin de chameaux (150 kilos) coûte, dans le
Soûf, 10 francs, et on n’hésite pas à donner, à un seul palmier, douze
charges d’engrais, d’une valeur de 120 francs, ce qui, à raison d’une
fumure tous les huit ou dix ans, porte à 12 et à 15 fr. par an la
dépense d’engrais de chaque palmier. Mais, il faut le dire, les dattes
de cette oasis sont de qualité très-supérieure.

Généralement, dans tout le Sahara, on préfère les plantations par
boutures à celles par noyaux, parce que la bouture produit le même fruit
que le pied de l’arbre d’où elle a été extraite, tandis qu’avec le noyau
on n’est jamais certain de la qualité du fruit.

Cependant, c’est par les semis de noyaux qu’on a obtenu les nombreuses
variétés de dattes du Sahara. On n’en compte guère moins de quarante. Il
est vrai de dire qu’elles ne sont pas toutes également bonnes.

Les boutures provenant d’arbres faibles et maladifs paraissent mieux
reprendre ; on leur donne le nom de _arhedd_.

On a remarqué aussi que les boutures tirées de pays lointains acquièrent
en voyage plus d’aptitude à la reprise. Il suffit, pour les conserver en
bon état, de leur enlever leurs feuilles.

Certaines boutures sont obtenues du tronc mère avec des racines ; elles
portent le nom de _zalloûch_. On se borne à éviter de blesser les
racines en les détachant du tronc. De même, pour les boutures sans
racines, on a soin de faire des incisions nettes, sans mâchures ni
déchirures.

On plante les boutures à l’automne, et, pour cette opération, on
reconnaît plusieurs procédés.

Le plus sûr est celui appelé _mechtoûla_ : il consiste à planter les
boutures auprès d’un puits qui en permet l’arrosage. Au bout de six
mois, elles ont pris racine et on les transporte dans des terrains
défoncés, nommés _toloûa’_.

Au Soûf, on emploie un procédé appelé _hachchâna_ : à cet effet, on met
de suite en place les boutures dans les trous qui leur sont destinés et
qu’on a préalablement creusés jusqu’à apparition de l’eau. La bouture
est plantée de manière à ce qu’elle ait le pied dans l’humidité. Quand
elle a réussi, au bout de six mois, elle a poussé trois petites
branches, _djerîdât_, et, au bout de trois ans, l’arbre est assez
développé pour qu’il puisse être fécondé. Alors on creuse la terre tout
autour pour mettre du fumier de chèvre sous ses racines.

Au Soûf, on a aussi, pour rajeunir les vieux dattiers, un procédé qui
n’est pas usité dans les autres oasis.

Quand un sujet, atteint de vieillesse, ne produit plus, on creuse le sol
sous ses racines, on supporte le tronc pendant l’opération et, sans le
faire changer de place, on lui donne un nouveau lit de sable, de fumier
et d’eau, qui ne tarde pas à lui faire recouvrer sa jeunesse. Les
palmiers ainsi restaurés sont appelés _meseggueta_.

En toute plantation, on distingue les dattiers mâles, _dhokkâra_, des
dattiers femelles, _nakhla_. Il suffit de quelques mâles pour féconder
une plantation entière de femelles.

On distingue deux sortes de dattiers mâles : le _sersâr_, dont les
spathes renferment une semence peu abondante, peu active et qui tombe
dès qu’on la touche ; cette espèce ne féconde pas toujours et
quelquefois même, après la fécondation, on ne récolte que des dattes
avortées, _sîch_. L’autre espèce, appelée _khowwâr_, produit des spathes
d’une farine abondante, tenace et conservant ses propriétés fécondantes
pendant deux années. Cette variété est, de beaucoup, la préférée.

Inutile d’ajouter que les Oasiens aident à la fécondation de leurs
dattiers par la caprification.

Dans le Fezzân, on trouve souvent des forêts de palmiers dattiers qui se
sont créées spontanément de graines. Venus sans culture, ne recevant
aucun soin de l’homme, au lieu de s’élever en un tronc élancé, comme le
dattier cultivé, ils se développent en broussailles, à la façon des
palmiers nains (_Chamærops humilis_) du Tell. On donne à ces palmiers le
nom de _hachchâna_. Ils produisent des fruits maigres et peu savoureux
qui sont cependant récoltés par les pauvres, quand la concurrence des
gazelles laisse les régimes intacts.


                       CUCIFERA THEBAICA Delile.

Doûm (_arabe_) ; Tâgaït (_temâhaq_).

Ce palmier, dont la véritable région est beaucoup plus au Sud, est
représenté par quelques pieds dans une des oasis méridionales du Fezzân,
celle de Tedjerri.


                               LILIACÉES.


                      ASPHODELUS TENUIFOLIUS Cav.

Tâzia (_arabe_) ; Iziân (_temâhaq_).

Récolté, le 9 février 1860, dans la vallée de l’Ouâdi-Târât, seule
station où je l’aie rencontré.


                             ALLIUM CEPA L.

Boçla (_arabe_) ; Efelêli (_temâhaq_).

Cultivé dans les oasis.

L’oignon est non moins nécessaire dans la cuisine monotone des Sahariens
que dans celle plus variée des Européens. Ici, il n’est qu’un auxiliaire
dont on se passe facilement ; là, il est souvent l’unique élément de la
digestion.


                           ALLIUM SATIVUM L.

Thoûm (_arabe_) ; Têskart (_temâhaq_).

Je n’ai pas pris le soin de constater si l’ail, vendu sur tous les
marchés, était cultivé dans toutes les oasis ou provenait du Nord ;
cependant je crois, sans en être certain, qu’il est le produit des
cultures locales. Pour l’oasis de Ghadâmès, je puis l’affirmer.

Toute la matière médicale, à l’usage du chameau, comme application
interne, se résume dans l’unique emploi de l’ail.


                             MÉLANTHACÉES.


                   ERYTHROSTICTUS PUNCTATUS Schlecht.

Kaïkoût (_arabe_) ; Afahlêhlé-n-ehedan (_temâhaq_).

Récolté entre les dunes d’El-’Arefdji et Hassi-Ma’ammer, le 21 février,
et dans la plaine d’Ihanâren, au pied des montagnes du Tasîli, le 1er
avril 1851.

L’oignon de cette plante répand une odeur aromatique agréable. Les ânes
fuient cette odeur, d’où son nom, _poison des ânes_, en _temâhaq_.

La fécule de cet oignon est quelquefois introduite dans le pain ou dans
le couscoussou pour l’aromatiser.


                                JONCÉES.


                         JUNCUS MARITIMUS Link.

Semâr (_arabe_) ; Talegguît (_temâhaq_).

Récolté, le 18 septembre 1860, près la source de Tagotta, et le 8 mai
1861, près de la source de Serdélès.

Commun autour des sources, mais rare comme elles.


                               TYPHACÉES.


                               TYPHA... ?

Berdi (_arabe_) ; Tahelé (_temâhaq_).

Reconnu en beaucoup de points, à peu près partout où il y a de l’eau
permanente. Commun dans les montagnes, autour des lacs et des sources.

Les chaumières des serfs des Touâreg sont presque toutes couvertes avec
la feuille de cette plante.


                              CYPÉRACÉES.


                      CYPERUS CONGLOMERATUS Rottb.

Sa’ad, Se’ad (_arabe_).

Récolté, le 29 juillet 1860, dans les sables de l’’Erg, autour du puits
de Mâleh-ben-’Aoûn, entre El-Ouâd et Berreçof ; reconnu sur d’autres
points de ma route, entre El-Ouâd et Ghadâmès et autour de Ghadâmès.


                          CYPERUS ROTUNDUS L.

Azejmîr (_mezabite_).

Récolté à Ghardâya, dans les mares d’irrigation des dattiers (août
1859).


                          CYPERUS LÆVIGATUS L.

Récolté autour de la source de Tagotta, le 18 septembre 1860.


   CYPERUS LÆVIGATUS L. _var._ DISTACHYUS. _Cyperus junciformis_ Cav.

Merga, _le plongeur_ (_arabe_).

Récolté dans les sources de l’Ouâd-Nafta, le 8 mars 1861.


                         SCIRPUS HOLOSCHŒNUS L.

Sommîd (_arabe_) ; Iregga, Ilegga (_temâhaq_).

Récolté près de la source d’Ahêr, le 28 février, et près de celle de
Serdélès, le 3 mai 1861.


                          SCIRPUS MARITIMUS L.

Leoulîoua (_arabe_ et _temâhaq_).

Récolté, le 1er janvier 1861, autour du Rhedîr de Sâghen. Reconnu en
trois autres stations, entre Ghadâmès et Rhât.


                               GRAMINÉES.


                          LYGEUM SPARTUM Lœfl.

Senrha, dans l’Ouest ; Halfâ, dans l’Est (_arabe_).

Récolté dans le Djebel-Nefoûsa et entre Chefî et Djâdo,le 1er novembre
1860.

Au Sud de l’Algérie, le senrha croît dans les mêmes régions que le halfâ
(_Stipa tenacissima_), et, à première vue, quand les deux plantes n’ont
pas atteint tout leur développement, on peut les confondre ; mais dès
que l’épi se montre, les deux espèces apparaissent bien distinctes.

En Algérie, on préfère le halfâ au senrha pour les travaux de sparterie,
parce que le chaume du premier est trois fois aussi long que celui du
second. En Tunisie, le senhra est plus estimé, parce qu’on le croit plus
solide.

Les chameliers, conducteurs des caravanes, qui font grand usage de
cordes en sparterie pour l’arrimage de leurs chargements, ne règlent
leur choix entre le halfâ et le senrha que par le prix de vente. La
préférence est toujours acquise au meilleur marché.


                          PHALARIS MINOR Retz.

Seboûs (_arabe_) ; Tanâla (_temâhaq_).

Trouvé et récolté en une station unique à Sâghen.


                        PANICUM TURGIDUM Forsk.

Boû-rekoûba (_arabe_) ; Afezô (_temâhaq_).

Échantillons récoltés sur l’Ouâdi-Tîn-Guezzîn et à Ouarâret, le 1er
avril 1851. Reconnu en huit stations, entre Ghadâmès et Rhât, et en six
stations, entre Tîterhsîn et la Cherguîya.

Plante commune dans tout le Sahara central, où elle concourt à la
nourriture des chameaux. Ses graines sont récoltées par les Touâreg et
mangées comme celle du drîn (_Arthratherum pungens_).


                       SETARIA VERTICILLATA P.B.

Oulâffa (_mezabite_).

Récolté dans les jardins de Ghardâya (août 1859), autour des mares
formées par les canaux d’irrigation.


                     PENNISETUM DICHOTOMUM Delile.

Boû-roukeba (_arabe_) ; Tehaoua (_temâhaq_).

Récolté à Sâghen, le 2 janvier 1861. Reconnu entre El-Ouâd et Ghadâmès,
entre Ghadâmès et Rhât, entre Tîterhsîn et la Cherguîya.

Plante fourragère, mais en général peu recherchée par les animaux.


                        IMPERATA CYLINDRICA P.B.

Dîs (_arabe_) ; Bastô, Taïsest (_temâhaq_).

Récolté dans la plaine d’Ihanâren, le 1er avril 1861. Reconnu en quatre
stations, entre Ghadâmès et Rhât ; en six stations, de Tîterhsîn à la
Cherguîya. Signalé comme étant commun entre Rhât et In-Sâlah, dans la
montagne et sur le plateau de Tâdemâyt.

Comme le gueçob du Tell (_Phragmites communis_ Trin.), celui du Sahara
croît en touffes épaisses et couvre souvent de grands espaces. Ses
feuilles droites, vertes, servent également à la nourriture des
troupeaux.


                        ANDROPOGON LANIGER Desf.

Lemmâd (_arabe_) ; Tiberrimt (_temâhaq_).

Récolté, le 24 août 1859, sur le plateau des Benî-Mezâb, et le 1er mars
1861, à Tîn-Arrây.

Cette Graminée a une odeur aromatique prononcée.


           PIPTATHERUM MILIACEUM Coss. _Agrostis miliacea_ L.

Récolté le 27 octobre 1860 dans les rochers de Djâdo.


                          STIPA TENACISSIMA L.

Halfâ, en Algérie ; Gueddîm, Bechna, en Tripolitaine (_arabe_).

Récolté entre Zintân et Riâyna, le 27 septembre 1860, et dans les
montagnes de Guettâr, le 23 mars 1861.

La solidité des fibres de cette plante textile, avec laquelle on fait
tous les travaux de sparterie dans le Sud de l’Algérie, a
l’inconvénient, comme plante fourragère, de ne pas se prêter facilement
à la digestion. Son usage, chez les animaux, amène des constipations qui
réclament l’emploi d’eaux laxatives. Ces eaux se trouvent heureusement
être assez communes dans les parties du Sahara algérien où croît le
halfâ. Aussi, tous les quatre ou cinq jours, les bergers de chameaux et
ceux de moutons conduisent-ils leur troupeaux à ces sources pour
combattre les effets constipants du halfâ.

La limite méridionale de cette plante, qui couvre de si grands espaces
dans la région des steppes, me paraît être : au Sud de l’Algérie, au
point de partage des eaux du bassin de l’Ouâd-Djédi et de celui de
l’Ouâd-Miya ; au Sud de la Tunisie, la limite de l’’Erg ; au Sud de la
Tripolitaine, un point mitoyen entre Chefî et Djâdo.

La connaissance de cette limite a son importance, car souvent les
caravanes qui doivent la franchir sont forcées de changer de relais de
chameaux. La loi de la circulation dans le Sahara, subordonnée à celle
de la végétation, sera l’objet d’un examen particulier dans le deuxième
volume de cette étude, spécialement consacré au commerce.


                        ARISTIDA ADSCENSIONIS L.

Neçi-oueddân (_arabe_) ; Arhemmoûd-ouân-ihedân (_temâhaq_).

Récolté dans l’Ouâdi-Alloûn, le 29 février 1861. Reconnu entre El-Ouâd
et Ghadâmès et entre Ghadâmès et Rhât.


                       ARTHRATHERUM PUNGENS P.B.

Drîn, en Algérie, Sebot en Tripolitaine (_arabe_) ; Toûlloult
(_temâhaq_).

Récolté sur l’Ouâdi-Alloûn, le 29 février 1861. Reconnu dix-neuf fois
entre El-Ouâd et Ghadâmès, quarante-trois fois entre Ghadâmès et Rhât,
deux fois entre Tîterhsîn et la Cherguîya, en de nombreuses stations
entre Golêa’a et Methlîli. Signalé comme étant commun entre Rhât et In-
Sâlah, ainsi qu’au Touât.

C’est incontestablement la plante la plus répandue et celle qui couvre
le plus d’espace dans la partie du Sahara au Nord des montagnes des
Touâreg, car dès qu’il y a un peu de terre végétale sur le sol, on est
assuré de la voir paraître.

C’est incontestablement aussi la Graminée qui rend le plus de services
aux Sahariens, car, si son chaume nourrit les troupeaux, son grain est
souvent le seul aliment de l’homme.

Le grain de l’_Arthratherum pungens_ se nomme _loûl_. Chez les Touâreg,
comme dans tout le reste du Sahara, on le récolte, et après l’avoir
réduit en farine, on le mange, soit en bouillie, soit en galette. Je me
suis trouvé moi-même, faute d’autres provisions, dans la nécessité d’en
faire usage, et je reconnais volontiers, la faim aidant, que ce n’est
pas un aliment à dédaigner.

Le loûl se vend comme les autres céréales, mais son prix est toujours
inférieur. Dans le Sahara algérien, trois mesures de loûl sont échangées
contre une mesure d’orge.

Quand on se préoccupera d’améliorer les voies de communication dans le
Sahara, en y creusant des puits et en créant autour de ces puits des
pacages pour les caravanes, on fera bien certainement des semis de loûl,
car on ne peut trouver une plante qui convienne mieux au climat du
Sahara que l’_Arthratherum pungens_.


              ARTHRATHERUM PLUMOSUM Nees _var._ FLOCCOSUM.

Neçi (_arabe_) ; Arhemmoûd (_temâhaq_).

Récolté le 24 août 1861 sur l’Ouâdi-Tîn-Guezzîn, dans les montagnes de
la Sôda. Reconnu en huit stations, entre Ghadâmès et Rhât, en deux entre
Tîterhsîn et la Cherguîya. Signalé en quelques stations, dans les
montagnes, entre Rhât et In-Sâlah.

Plante fourragère, basse, croissant en touffes, recherchée par les
animaux.


                       ARTHRATHERUM OBTUSUM Nees.

Récolté, le 24 août 1859, sur le plateau des Benî-Mezâb.


             ARTHRATHERUM BRACHYATHERUM Coss. et Balansa ?

Seffâr (_arabe_) ; Imateli (_temâhaq_).

J’ai reconnu cette plante en cinq stations, dans les dunes de l’’Erg,
entre El-Ouâd et Ghadâmès, mais je ne l’ai pas récoltée, de sorte que sa
détermination exacte reste douteuse.

Cette Graminée est mangée par les animaux comme fourrage.


                      AGROSTIS VERTICILLATA Vill.

Récolté dans l’Ouâd-Mezâb (août 1859).


                     POLYPOGON MONSPELIENSIS Desf.

Seboûl-el-fâr, Dheïl-el-fâr (_arabe_), syn. Coss. ; Tamatasast
(_temâhaq_).

Récolté près de la source de Serdélès, le 4 mai 1861.


                       POLYPOGON MARITIMUS Willd.

Seboûl-el-fâr (_arabe_).

Récolté, le 5 juin 1860, sous les dattiers de Sîdi-Khelîl.


                       PHRAGMITES COMMUNIS Trin.

Gueçob (_arabe_).

Récolté à Hassi-’Arefdji, le 20 février 1861, et dans l’Ouâdi-Tagotta,
le 18 septembre 1861.


                         CYNODON DACTYLON Rich.

En-nedjem (_arabe_) ; Ajezmîr (_mezabite_) ; Aoukeraz (_temâhaq_).

Récolté à Ghardâya, autour des dattiers et des petites mares formées par
les canaux d’irrigation. Commun autour des sources, dans les montagnes
des Touâreg.

Cette plante toujours verte, parce qu’elle choisit toujours des endroits
humides, est d’une grande ressource pour les troupeaux, quand tout le
reste de la végétation est desséché par le soleil.

Plus d’une fois, les troupeaux de l’Algérie, comme ceux du Sahara, lui
ont dû leur salut dans les mauvaises années.

On en fait des tisanes diurétiques.


                       DANTHONIA FORSKALII Trin.

Aharay (_temâhaq_).

Récolté à Tîterhsîn le 5 mars 1861.


                           HORDEUM MURINUM L.

Zer’a-el-boû-’Aoud (_arabe_) ; Imendi-n-boû-’Aoud (_mezabite_).

Récolté dans l’Ouâd-Mezâb (août 1859).


                           HORDEUM VULGARE L.

Ch’aïr (_arabe_) ; Tîmzin (_temâhaq_).

Cultivé dans toutes les oasis, alternativement avec le blé, de manière à
ne pas épuiser les terres.


                         HORDEUM VULGARE _var._

Ch’aïr-hamra (_arabe_) ; Tarîda (_temâhaq_).

Spécialement cultivé au Fezzân.

On donne la préférence à l’orge noire parce qu’elle craint moins
l’action du soleil.


                         TRITICUM DURUM Desf. ?

Guemh (_arabe_) ; Tîmzîn (_temâhaq_).

Le blé est cultivé dans toutes les oasis, mais sa culture exige le
concours des irrigations, ce qui en restreint nécessairement l’étendue.

La récolte se fait ordinairement au mois de mai.

En 1861, le cheïkh du Ahaggâr, El-Hâdj-Ahmed, a fait entreprendre des
cultures assez importantes à Tâzeroûk, au Sud-Est d’Idélès. Elles
paraissent y avoir parfaitement réussi, puisque le cheïkh, pour sa part
de dîme, a reçu trente-deux charges de chameaux de grains.

Cet exemple a engagé le Cheïkh-’Othmân à acheter à Alger un chargement
de pioches, en vue de donner plus d’extension à la culture, car chez les
Touâreg les céréales sont cultivées à la pioche.

A Rhât, où l’espace cultivable est grand, on compte quelques attelages
de zébus pour les labours ; mais les Touâreg n’ont aucune bête de
travail qui puisse leur venir en aide, si ce n’est l’âne, qui est
heureusement de première force. On rendrait un immense service à ces
peuplades en introduisant parmi elles des charrues légères avec des
colliers d’ânes, le tout confectionné de manière à ce que leurs ouvriers
puissent en copier les modèles.


                      PENICILLARIA SPICATA Willd.

Bechna (_arabe_) ; Abôra (_temâhaq_).

Cultivé dans toutes les oasis, surtout par les nègres, qui affectionnent
cette céréale.


               SORGHUM VULGARE Pers. _Holcus sorghum_ L.

Gafoûli (_arabe_) ; Gafoûli (_temâhaq_).

La graine de cette plante entre pour une part considérable dans
l’alimentation de ceux des Sahariens assez éloignés pour ne pas recevoir
le blé du Tell méditerranéen.

On la cultive dans les oasis, mais en quantité inférieure aux besoins.
On tire généralement cette graine de l’Afrique centrale.

Les Touâreg distinguent trois variétés de sorgho : le _gafoûli_,
l’_abôra_, le _tâbsout_.


                          PANICUM MILIACEUM L.

Gueçob-el-abiodh, Gueçob-hamra (_arabe_) ; Enelî (_temâhaq_).

Le millet blanc et le millet noir sont également cultivés dans les
oasis, mais la plus grande partie de celles de ces graines que consomme
le Sahara vient du Soûdân.

Dans les oasis, on sème le gueçob en août et on le récolte en octobre et
novembre.


                        LOLIUM ITALICUM A. Br. ?

Khortân (_arabe_).

Pendant mon séjour à Rhât, ma jument a été nourrie avec le chaume vert
d’une Graminée cultivée dans l’oasis et que j’assimile, à raison de
l’identité du nom indigène, au _Lolium Italicum_ récolté aussi dans le
Soûf.


                             BALANOPHORÉES.


                        CYNOMORIUM COCCINEUM L.

Tertoûth (_arabe_) ; Aoukal (_temâhaq_).

Reconnu, mais non récolté, en trois stations, entre Ghadâmès et Rhât.

La fécule fournie par la racine de cette plante est souvent mêlée aux
aliments pour en relever le goût.

Chez les Touâreg, quand le tertoûth se dessèche et devient noir, signe
de maturité, on le réduit en farine et on en fait une galette au beurre.
Ce mets est considéré comme un spécifique contre les engorgements de la
rate.


                               FOUGÈRES.


                      ADIANTUM CAPILLUS-VENERIS L.

Rafraf (_arabe_).

Récolté sur l’Ouâdi-Arhlân le 28 octobre 1860. Croît sur les racines des
dattiers et sur les pierres qui bordent les rigoles des canaux
d’irrigation.

Les médecins arabes emploient les feuilles de cette plante en
fumigations.


                               CHARACÉES.


                        CHARA GYMNOPHYLLA A. Br.

Récolté le 4 février à ’Aïn-ed-Dowwîra, et le 7 novembre 1860 à Tânout-
Tirekîn.

Cette petite plante affectionne le voisinage des sources.


                              CHAMPIGNONS.


           CHEIROMYCES LEONIS L.R. Tul. _Tuber niveum_ Desf.

Terfâs (_arabe_) ; Tirfâsen (_temâhaq_).

Commun après les pluies dans tous les terrains sablonneux du Sahara,
surtout dans les environs de Ghadâmès.

Ben-’Abd-en-Noûri-el-Hamîri-et-Toûnsi, auteur d’un traité de géographie
saharienne, prétend qu’autour de Ghadâmès les terfâs deviennent assez
grosses pour que des gerboises et des lièvres puissent y aller faire
leurs nids.

Pline indique comme originaire de la Cyrénaïque une truffe blanche,
probablement le terfâs, d’un goût et d’un parfum exquis, qui était très-
renommée dans l’antiquité sous le nom indigène de _misy_.

J’avoue n’avoir jamais trouvé dans le Sahara des terfâs ni aussi grosses
que celles de Ben-’Abd-en-Noûri, ni aussi parfumées que celles de Pline.
Celles que j’ai mangées avaient un goût intermédiaire entre la truffe et
le champignon, goût agréable, sans doute, mais perdant beaucoup de sa
valeur par le sable qui pénètre dans la chair du tubercule et qui craque
désagréablement sous la dent.

Quoi qu’il en soit, des tribus entières font une grande consommation de
ce champignon, dès qu’il devient abondant.


                                ALGUES.


                       DANGA (_arabe fezzanien_).

Parmi les produits rencontrés dans mon voyage, je ne dois pas oublier
une plante Cryptogame qui croît dans les lacs producteurs de vers
comestibles du Fezzân et que les indigènes appellent danga.

On récolte ce fucus, soit seul, soit en mélange avec les vers. Quand ces
derniers sont nombreux, le danga est rare, et _vice versâ_. Les
riverains disent que les vers en font leur pâture. A l’époque de ma
visite aux lacs, la plupart de ces insectes étant formés en chrysalides,
le danga était plus abondant.

Le danga, pêché avec les vers, entre dans la conserve alimentaire
préparée avec ces larves. Quand il est récolté seul, on en fait des
petits pains qui, desséchés, ont la couleur brune de l’aloès, une
cassure vitreuse, et sont employés comme condiment. (Voir page 244.)


                         PLANTES INDÉTERMINÉES.


Aucun échantillon des plantes suivantes n’a été rapporté : par
conséquent, la détermination scientifique de ces espèces n’a pu être
faite.


                          _PLANTES DE HAMADA._


               GOÇEYBA (_arabe_) ; TIKAMAYT (_temâhaq_).

Entre El-Ouâd et Ghadâmès ; indiquée aussi dans le Ahaggâr.

Cette plante fourragère est incontestablement une Graminée.


                          BERESMOUN (_arabe_).

Entre Ghadâmès et Rhât.

Probablement un _Hypericum_. Beresmoun est, en effet, le nom que les
indigènes du Tell donnent au _Millepertuis officinal_.


               ’AGGÂYA (_arabe_) ; TABELKOST (_temâhaq_).

Trouvé dans le Fezzân. Indiqué aussi dans le Ahaggâr et au Touât.


                      TECHT-EDH-DHEBA’ (_arabe_).

L’échantillon de mon herbier, après trois années de voyage, est arrivé
dans un état qui n’a pas permis de le déterminer. Heureusement, c’est le
seul.


                           KHORÎDH (_arabe_).

Reconnu entre Ghadâmès et Rhât.


                            SEDNA (_arabe_).

Reconnu entre Ghadâmès et Rhât.


               GUEÇOB (_arabe_) ; TISENDJELT (_temâhaq_).

Roseau à canne trouvé autour des sources.

Commun au Fezzân, au Soûdân et dans les montagnes des Touâreg.

Probablement le _Phragmites communis_ Trin. ou une espèce voisine.


                 GUEÇOB (_arabe_) ; ALEMÈS (_temâhaq_).

Trouvé comme le précédent autour des sources.

Plus grand et plus fort que le tisenguelt, probablement l’_Arundo
donax_.

Ces deux roseaux me sont indiqués comme existant sur plusieurs points du
territoire des Touâreg.

Comme dans le Tell, ils servent à dresser les murailles et les toitures
des cabanes. Les serfs en font des manches de ligne ; les nègres et les
bergers, des chalumeaux.

La tabatière à priser des Touâreg consiste en un tube de ces roseaux,
plus ou moins couvert de dessins ou d’inscriptions en langue temâhaq.


                      FERS (_arabe_ et _temâhaq_).

Reconnu en plusieurs points de ma route.

Assimilé à une _Anabasis_.

_Nota_ : Les neuf plantes indéterminées qui précèdent ont été reconnues
par moi, et leurs stations sont indiquées dans mon journal de voyage ;
celles qui suivent me sont connues seulement par les renseignements des
indigènes.


                        _PLANTES DE MONTAGNES._


                          TAROÛT (_temâhaq_).

Thuya articulé ? _Thuya articulata_ Desf. ?

Forêt sur le versant Sud du Tasîli, entre Rhât et Djânet.

Échantillon de planche rapporté.

La forêt qui produit cette essence paraît considérable, car tous les
bois employés dans les constructions de Rhât et de Djânet en
proviennent.

Les dimensions des planches, la couleur, la finesse et la solidité du
bois, rappellent celles du thuya.

Le nom de taroût, forme berbérisée du mot _’ar’ar_, employé dans le Tell
pour désigner le _Thuya articulata_, m’engage à identifier,
provisoirement, le taroût des Touâreg avec l’_’ar’ar_ des Arabes.

Cet arbre fournit une résine, du nom de _tighanghert_, qui est employée
pour rendre sonores les cordes des rebâza ou violons du pays.

On en extrait du goudron.

Ces deux faits viennent à l’appui de l’identification du taroût avec le
_Thuya articulata_.

D’après les indigènes, quelques sujets atteignent 24 coudées de
circonférence.

Cet arbre commence à se montrer à Tarharha, dans le haut de l’Ouâdi-
Tarât, et à Eriey, dans le haut de l’Ouâdi de Rhât.


                          YÂBNOÛS (_temâhaq_).

Grand arbre, probablement l’_ébénier_, auquel on assigne comme station
plusieurs points du mont Ahaggâr.

Jusqu’à ce jour, le bois d’ébène n’avait été fourni au commerce que par
des plaqueminiers originaires de l’Inde et de l’Amérique du Sud. D’après
M. le docteur Barth, l’ébénier aurait été rencontré par lui sur son
parcours de Kanô à Timbouktou, dans le bassin du Niger, mais il
n’indique pas le nom botanique de l’espèce.

Le Cheïkh Mohammed-et-Toûnsi, dans son _Voyage au Darfour_, dit que les
Fôriens reçoivent l’ébène du Dâr-Fertît.

« Ce qu’on appelle l’ébène, dit-il, est le bois d’un arbre de grandeur
moyenne, dont l’écorce est d’un vert foncé. Lorsqu’on l’enlève, on met à
découvert un bois noirâtre qui, par la dessiccation, acquiert une nuance
plus franche et plus noire. La plus belle ébène, ajoute-t-il, est celle
qu’on retire des racines. »

Mohammed-et-Toûnsi, si scrupuleux pour indiquer le nom indigène de
toutes les plantes signalées par lui, ne donne pas celui de l’ébénier,
ou plutôt le traducteur n’aura pas jugé nécessaire de mettre _yabnoûs_ à
côté du mot ébénier, ces deux noms étant les mêmes.

La synonymie du nom, la découverte de l’ébénier plus au Sud, la
coloration en noir du bois, sa dureté et sa finesse, l’emploi qui en est
fait, permettent de penser que le _yabnoûs_ du mont Oudân (prolongement
Nord du Ahaggâr) est l’ébénier.

Le bois de cet arbre est principalement employé pour faire des hampes de
lance et des manches de poignards.

Le yabnoûs n’existerait pas seulement dans le Ahaggâr ; on le trouverait
encore sur le Tasîli, mais toujours isolé et jamais en massifs.


                           ALEO (_temâhaq_).

Grand arbre, dit-on, en tout semblable à l’olivier, à l’exception que
son fruit n’est pas une olive. Il se montre par petits groupes dans
quelques stations du Ahaggâr.

Je suis d’autant plus disposé à identifier l’aleo au _Phylliræa_, que,
d’après le rapport de Valentin Ferdinand, le phylliræa existerait dans
une île au Sud de celle d’Arguin sur la côte de l’Océan.

Rien d’étonnant, d’ailleurs, de trouver cet arbre là où vivent le thuya
et le laurier rose. L’altitude explique la présence de ces arbres dans
ces stations méridionales.


                           NERION OLEANDER L.

Defla (_arabe_) ; Elel (_temâhaq_).

En quelques points, sur les rives des ouâdi.

Le delfa est trop facile à reconnaître pour que des Touâreg, ayant
beaucoup voyagé, puissent se tromper en assimilant l’_elel_ de leur pays
au _Nerion_ si caractéristique des berges des ouâdi du Tell.


                EL-IATÎM (_arabe_) ; ADJÂR (_temâhaq_).

Grand arbre, sans épines, unisexuel, à fruits petits qui n’appellent pas
l’attention. L’arbre mâle se dit _adjâr_ ; l’arbre femelle se dit
_tâdjart_ ; ce dernier est toujours moins développé que le mâle.

Les Touâreg recommandent de ne pas le confondre avec l’_agâr_ du Tasîli
dont j’ai récolté un échantillon et qui a été reconnu être le _Mærua
rigida_.

Les deux noms s’écrivent d’ailleurs avec une orthographe différente.

Cet arbre est commun dans le Ahaggâr ; il se montre quelquefois sur les
points les plus élevés du Tasîli.

On l’exploite comme l’ébénier pour la monture des armes. Son bois est
couleur marron, fin, léger et souple.


                          ISARHÊR (_temâhaq_).

L’isarhêr, disent les Touâreg, appartient à la même famille que le tamât
et le talha (_Acacia Arabica_), mais il ne peut pas être confondu avec
cette espèce, parce que, vivant ensemble sur les flancs du Ahaggâr,
leurs caractères distinctifs sont trop faciles à constater.

Les Arabes donnent à l’isarhêr le nom de _talha_.


                           KÎNBA (_temâhaq_).

D’après les Touâreg, le kînba est une variété d’acacia (_talha_) qui
croît plutôt en gaulis qu’en arbre, très-commun dans le pays d’Aïr, mais
qu’on trouve aussi dans le Tasîli et le Ahaggâr et dont les gaules sont
employées, concurremment avec les branches du _Mærua rigida_, à faire
les hampes des javelots et des lances.


               EL-BERGOU (_arabe_) ; EKAYWOD (_temâhaq_).

Roseau, le même que celui du Niger, produisant une sorte de miel. Il
croît autour des sources et des mares.


                         AMATELTEL (_temâhaq_).

Plante grasse grimpante.


      KERMÂYET-EDH-DHÎB (_arabe_) ; TÂHERT-N-ABEGGUI (_temâhaq_).

Plante à fruits en forme de grappe de raisin.

Les Arabes de l’Algérie donnent le nom de kermâyet-edh-dhîb (petites
figues de chakal) au _Solanum nigrum_.


                            MYRTUS COMMUNIS.

Rehân (_arabe_).

D’après les Touâreg, le myrte existe en assez grande quantité sur le
plateau de Tâderart dans l’Akâkoûs.


                          GAOTA (_fezzanien_).

A Trâghen, les indigènes cultivent sous le nom de gaota un fruit
légumineux, de la grosseur d’une tomate. On le mange cru. J’en ai goûté.
Il est sucré et légèrement amer. On le dit très-digestif.


                         WORTEMÈS (_temâhaq_).

Broussaille, peu commune dans les montagnes des Touâreg, mais abondante
au Touât où elle porte le nom de _chaliât_.


                          AHARADJ (_temâhaq_).

Plante herbacée, grimpante, venant mêler ses feuilles jaunes à la
verdure foncée des bois de tamarix, d’où lui est venu son nom arabe
d’_es-soffâr-el-ahrech_, le _jaunissant les arbres verts_. Probablement
une clématite.


                 ADAL (_temâhaq_) ; EL-KHOZZ (_arabe_).

Mousse aquatique.


             TÂNEDFERT (_temâhaq_) ; EL-’ATTÂSA (_arabe_).

Commune. Pas de renseignements.


                    FARSÎGA (_arabe_ et _temâhaq_).

Commune dans les montagnes du Ahaggâr et au Touât.


              AKERFAL (_temâhaq_) ; EL-IADHÎDH (_arabe_).

Quelques stations.


                         _PLANTES DE PLAINES._


                 TASSAK (_temâhaq_) ; ASKÂF (_arabe_).

Commune. S’élève quelquefois dans la montagne.


               AFESSÔR (_temâhaq_) ; ET-TOLÎHA (_arabe_).

Commune.


           TAMEDDOÛNET (_temâhaq_) ; OUMM-ES-SÎMA (_arabe_).

Commune.


              TAHENNA (_temâhaq_) ; ET-TEHENNA (_arabe_).

Herbe toujours verte. Commune.


               AFARFAR (_temâhaq_) ; EL-FOÛLA (_arabe_).

Légumineuse.


                           RHASSÂL (_arabe_).

Commune sur le plateau de Tâdemâyt.


                              CONCLUSION.


Je le répète, si, dans cet inventaire, figure le plus grand nombre des
plantes qui composent la végétation persistante du pays, celle sur
laquelle comptent ses habitants pour la nourriture de leurs troupeaux,
il est hors de doute que la végétation annuelle, celle qui naît, vit et
meurt dans une courte saison, n’y est représentée que pour une très-
minime partie. Mon exploration directe ou indirecte ne comprend
d’ailleurs que le versant méditerranéen des montagnes des Touâreg ;
quand on pourra explorer le versant nigritien de ces montagnes, quand
surtout on pourra pénétrer dans le massif du Ahaggâr, plus élevé que le
Tasîli, plus riche en eau, mieux boisé, il est probable que la flore du
plateau central comprendra presque autant de plantes que celle du Sahara
algérien aujourd’hui parfaitement connue par les voyages botaniques de
M. le docteur Cosson et de ses collaborateurs.

Plus on avance dans l’étude de la région désertique, et plus le désert,
tel que notre imagination l’avait créé, disparaît pour faire place à une
région exceptionnelle, sans doute, mais plus aride par le fait de
l’homme que par l’abandon du Créateur.

Tous les voyageurs chargés d’explorer le Sahara ont constaté que la
morte-saison des végétaux correspondait aux mois des plus grandes
chaleurs, et qu’après chaque pluie le sol se couvrait presque
instantanément de plantes qu’on n’aurait pas soupçonnées s’y trouver en
germe. Mon témoignage doit confirmer le leur. J’ai eu l’occasion de me
trouver chez les Touâreg au moment où, après neuf années de sécheresse
absolue, des pluies abondantes venaient d’arroser la terre, et j’ai vu
se produire sous mes yeux le miracle de vastes espaces, nus la veille,
transformés instantanément en pacages de la plus belle verdure. Sept
jours suffisent pour que l’herbe nouvelle puisse nourrir les troupeaux.
On donne à cette production spontanée le nom d’_’acheb_ ou celui de
_rebîàa_, printemps.

Mon exploration confirme aussi une loi bien connue de la géographie
botanique : celle qui subordonne les stations des plantes bien plus à
l’altitude des lieux qu’à leur latitude. Ainsi, alors que dans les
vallées au Nord du Tasîli je trouvais des représentants de la flore
intertropicale, au sommet de la montagne, au Sud, les plantes des
environs de Montpellier n’étaient pas rares.

Le lecteur comprendra pourquoi j’ai donné autant de développement à
cette étude :

Le pays, objet de mon exploration, est réputé un désert sans
végétation ; j’ai tenu à constater que la Providence avait, même pour
les lieux les plus arides, des ressources spéciales.

Les botanistes qui avaient exploré le Sahara algérien avaient prévu, par
la comparaison de leurs herbiers avec ceux du Sénégal, de la haute
Égypte et de l’Arabie, qu’à partir de la zone reconnue par eux jusqu’à
la limite des pluies tropicales, la végétation saharienne ne pouvait pas
se modifier sensiblement ; j’avais à démontrer cette vérité.

Enfin la marche des caravanes est souvent subordonnée aux lois
naturelles du développement des plantes qui alimentent les chameaux ;
j’avais à mettre sous les yeux du lecteur les éléments d’appréciation
des causes qui règlent les départs et obligent à avoir des relais
d’animaux.

J’ose espérer que ces motifs feront excuser l’aridité d’une nomenclature
très-étendue.




                             CHAPITRE III.

                                ANIMAUX.


La faune du pays des Touâreg est en rapport avec sa flore. En général,
les animaux y sont relativement plus rares que dans les parties du
Sahara rapprochées du littoral. Cette remarque s’applique aussi bien aux
animaux domestiques qu’aux animaux sauvages.


                     § Ier. — ANIMAUX DOMESTIQUES.


Les animaux domestiques que possèdent les Touâreg sont :

  Le chameau,    _Amadjoûr_[90] ;

  Le cheval,     _Aïs_ ;

  Le zébu,       _Esoû_ ;

  L’âne,         _Eyhad_ ;

  Le mouton,     _Akerêr_ ;

  La chèvre,     _Tîrhsi_, plur. _Oûlli_ ;

  Le chien,      _Eydi_.

On trouve, dans les villes seulement :

  Le chat,       _Akârouch_ ;

  Le pigeon,     _Tidebîrt_, plur. _Idebîren_ ;

  Le coq,        _Ikahi_ ; la poule, _Tîkahit_.

Inutile de dire que le porc est exclu pour des motifs religieux.

Les Touâreg n’ont aucun oiseau domestique, par la raison qu’ils n’en
mangent pas.


                               _Chameau._


La vie des Touâreg, plus encore que celle des autres Sahariens, est
intimement liée à celle du chameau ; car ce noble animal est non-
seulement sa monture de guerre, la locomotive de ses trains de caravane,
l’_express_ qui fait disparaître l’espace, ce grand ennemi de l’habitant
du désert, mais encore il est le pourvoyeur de ses principaux besoins.

Son lait est presque l’unique aliment de la famille dans la saison des
pâturages ;

Sa viande est le _nec plus ultra_ de l’hospitalité offerte à l’hôte de
distinction ;

Son cuir, l’un des meilleurs qui existe, donne le tissu de la tente, la
matière première des selles, des bâts, des chaussures et de la plupart
des ustensiles de ménage ;

Son poil fournit la matière textile des cordes d’arrimage des convois ;

Sa fiente, récoltée, sert, ici, d’engrais fécondant pour les palmiers ;
là, dans les grands espaces sans aucune végétation, de combustible avec
lequel on fait cuire les aliments ;

Enfin, sa trace, interrogée dans toutes les marches, fournit au voyageur
des indications précieuses dont il est toujours tenu compte, soit
qu’elle annonce le voisinage pacifique d’un troupeau au pacage, soit
qu’elle signale le passage d’individus, isolés ou en caravanes, chargés
ou non, amis ou ennemis ; car la largeur du pied, la longueur des
ongles, la nature des déjections, révèlent à l’homme expérimenté tout ce
qu’il a besoin de savoir sur les dispositions de ceux qui suivent la
même route ou la traversent.

La nécessité de pourvoir à la nourriture d’un animal si utile, on le
comprendra sans peine, a obligé les Touâreg à adopter la vie nomade pour
aller, suivant les saisons, suivant les pluies, chercher, ici l’eau, là
les pacages que le chameau réclame.

On distingue le chameau de selle du chameau de bât, qui diffèrent l’un
de l’autre comme le cheval de course du cheval de trait :

Le chameau de bât (_taouti_, plus communément _âmis_, fém. _tâlamt_,
plur. _imenâs_, hongre, _indân_) constitue la base des troupeaux,
l’élément des transports par caravanes ;

Le dromadaire de selle (_arhelâm_, fém. _tarhelâmt_, hongre _aredjdjân_)
est un animal presque de luxe, que les riches seuls possèdent.

A son défaut, les pauvres montent souvent dans leurs courses des
chameaux de bât dressés pour la marche accélérée auxquels on donne le
nom spécial de _imenâs-wân-terîk_.

La chamelle laitière, _tasaghârt_, providence des ménages, et l’étalon,
_amâli_, objet de soins particuliers, représentent encore des
individualités distinctes, ainsi que le chameau ayant la moitié de la
tête blanche et l’autre moitié noire, _azerghâf_, considéré avec raison
comme appartenant à une race en dégénérescence.

Tandis que, pour les différents âges de l’homme, on ne connaît que
l’enfance, la virilité, l’âge mur et la vieillesse, pour le chameau et
la chamelle, il y a une série de périodes qui n’en finissent pas.

Voici, par sexes, cette nomenclature :

                        Mâle.                  Femelle.

  A la naissance   _Aoura_,                   _Taouraït_.

  Avant un an      _Asâka_,                   _Tesâkaït_.

  A un an          _Aledjôd_ (_âledjôd_),     _Tâledjot_.

  A deux ans       _Aleggès_ (_âleggès_),     _Tâleggest_.

  A trois ans      _Akkanafoûd_,              _Takkanafoûd_.

  A quatre ans     _Arhâir_,                  _Tarhâirt_.

  A cinq ans       _Egg-essîn_,               _Ouelt-essîn_.

  A six ans        _Egg-ekkôz_,               _Ouelt-ekkôz_.

  A sept ans       _Ameçadîs_ (_âmeçadîs_),   _Tâmeçadîst_.

  A huit ans       _Ouân-tahelât_,            _Tahelât_.

Ces distinctions ont leur importance pour la détermination des charges à
mettre sur le dos des animaux. Des proverbes qui, dans le Sahara comme
ailleurs, formulent les préceptes de l’expérience, règlent les questions
de poids à porter suivant l’âge des animaux.

Mon intention n’est pas de faire ici une monographie du chameau, quoique
l’importance du rôle de cet animal dans la vie saharienne exigerait
quelques développements ; je me bornerai à dire que le chameau des
Touâreg, de selle ou de bât, comparé à celui du Nord, a généralement les
formes délicates, le poil ras, la robe d’un ton clair, se rapprochant de
la couleur des sables ou des plaines jaunâtres au milieu desquels il
vit.

Sa sobriété aussi est plus grande, il endure mieux la faim et la soif ;
cependant sept journées sont la plus grande limite d’abstinence qu’il
puisse supporter en été, lorsqu’il est en marche et chargé. En hiver,
quand les herbes sont aqueuses, il peut rester au pâturage un et deux
mois, même plus, sans avoir besoin d’être abreuvé.

Par les immenses quantités de chameaux que possèdent les tribus du
Sahara algérien, on serait tenté de croire que ces animaux doivent être
plus nombreux encore chez les Touâreg ; il n’en est pas ainsi. Le plus
riche propriétaire de chameaux, dans tout le pays d’Azdjer, n’en a
qu’une soixantaine environ. Il y a lieu d’ajouter que la sécheresse et
le manque de pâturages, dans les neuf dernières années, y ont beaucoup
diminué la richesse cameline.

Le chameau, chez les Touâreg, est abattu comme bête de boucherie, et sa
viande, avec celle du mouton et de la chèvre, est à peu près la seule
qu’ils mangent, soit fraîche, soit salée, soit séchée. J’ai dû m’en
nourrir souvent dans mon voyage et je lui ai reconnu de bonnes qualités.

Quoique le lait des chamelles soit la principale nourriture des familles
pendant la saison des pâturages, il est toujours rare dans les tribus,
parce que les bonnes laitières, sans pacages suffisants, sont difficiles
à trouver dans l’espèce cameline comme dans toutes les autres races
d’animaux : aussi les Touâreg croyaient-ils me faire un grand cadeau en
m’envoyant un litre de lait.


                               _Cheval._


Le cheval est aujourd’hui très-rare chez les Touâreg, la période de
sécheresse que le pays vient de traverser en ayant réduit beaucoup le
nombre. Jadis quelques chefs avaient des juments poulinières et
faisaient des élèves, maintenant ceux qui veulent avoir des chevaux les
tirent du Touât où l’espèce chevaline paraît être belle.

En temâhaq, le cheval se dit _aïs_, la jument _tâbedjoût_, _tâbedjooût_,
le poulain _ahoûdj_, la pouliche _tahôk_.

Quoique les chevaux soient rares dans le Sahara, et quoiqu’il soit très-
difficile de les y nourrir et de les y abreuver, j’ai acquis, par
expérience personnelle, la preuve qu’un voyageur, avec des provisions
d’eau et d’orge suffisantes, n’est pas obligé d’adopter exclusivement la
monture incommode du chameau, même dans les régions sablonneuses.

Si je dois en croire le marabout Sîdi-el-Bakkây et le Cheïkh-’Othmân,
deux autorités indiscutables dans les questions sahariennes, les Arabes
nomades des rives de l’Océan viennent avec des chevaux, jusque sur la
route d’In-Sâlah à Timbouktou, pour y piller les caravanes. Des
chameaux, chargés d’eau et de suif, accompagnent ces expéditions. On
nourrit d’abord les chevaux avec le suif, et dès qu’un chameau est
déchargé, on le tue, et sa viande est employée à nourrir hommes et
chevaux. Ainsi approvisionnés, ces pillards peuvent attendre, pendant
des mois entiers, dans les solitudes les plus arides.

Des expéditions de cavalerie ont été entreprises par les sultans de
Mourzouk contre le Kânem, dans l’Afrique centrale, et elles ont surmonté
les difficultés de la nourriture des chevaux.

Le cheval s’habitue très-bien à ne boire que tous les deux jours.


                                _Zébu_.


Le zébu ou bœuf à bosse, très-commun dans le Soûdân, est représenté,
chez les Touâreg, par quelques individus dont les habitants de Rhât font
usage pour leurs labours.

On lui donne, dans le pays, le nom d’_esoû_, pl. _tisita_. La vache
s’appelle _têsout_, le veau _tahârhôlt_, le veau qui tette _alôki_.

Cet animal doux, intelligent, sobre, facile à manier, sert maintenant
comme bête de somme ; autrefois on l’employait comme bête de trait.

Avant l’importation du chameau dans le Sahara, à une époque incertaine,
mais qu’on peut fixer approximativement du IIIe au IVe siècle de notre
ère, tous les transports entre le Nord et le centre de l’Afrique étaient
faits par des zébus, non pas à dos, ainsi que cela se pratique
aujourd’hui encore dans la zone des pluies tropicales et à l’exclusion
du chameau, qui n’est même plus connu au delà du Niger, mais au moyen de
chariots que les zébus traînaient.

Sur la route que suivaient les Garamantes, de Djerma au pays d’Aïr,
route encore parfaitement tracée, comme sont les anciennes voies
romaines, on trouve, à la station d’Anaï[91], de grandes sculptures sur
le rocher, qui représentent très-distinctement des chariots avec roues,
traînés par des bœufs à bosse.

Je n’ai pas pu visiter cette contrée, mais d’après les renseignements
qui m’ont été donnés, je ne puis douter de la signification de ces
sculptures.

En traversant la vallée de Telizzarhên, sur la route directe de Mourzouk
à Rhât, M. le docteur Barth a trouvé plusieurs sculptures analogues à
celles d’Anaï, dans lesquelles le bœuf à bosse joue le principal rôle.
Il est à remarquer qu’aucune des sculptures de l’époque garamantique
trouvées jusqu’à ce jour ne rappelle le chameau, et que cet animal
n’apparaît, à l’exclusion du bœuf, que dans les épigraphies grossières
des Touâreg modernes.

L’emploi exclusif du bœuf pour les transports, dans les temps anciens,
implique une richesse en eaux et en pâturages beaucoup plus grande que
celle de l’époque actuelle. J’aurai l’occasion de faire remarquer, dans
le cours de ce chapitre, qu’il a dû en être ainsi.


                                 _Ane._


En temâhaq, l’âne s’appelle _eyhad_, l’ânesse _têihêt_, l’ânon
_amâïnou_.

Après le chameau, l’âne est l’animal domestique qui rend le plus de
services aux Touâreg, surtout aux serfs, dont le plus grand nombre est
réduit à cette unique bête de somme.

Les ânes du pays des Touâreg sont remarquables par leur taille élevée et
leur sobriété, presque égale à celle du chameau. Ils ont le pelage gris
cendré sur le dos, blanc sous le ventre, avec une croix très-marquée,
d’un beau noir, sur les épaules.

L’âne existant encore à l’état sauvage, dans quelques contrées du pays,
il en est beaucoup, parmi ceux domestiqués aujourd’hui, qui ont été
arrachés à la liberté depuis peu de temps : aussi sont-ils généralement
peu dociles et se ressentent-ils de l’état sauvage dans lequel ils ont
vécu.


                               _Mouton._


Les seuls troupeaux de bétail de rente, chez les Touâreg, se composent
de chèvres et de moutons à poils comme ceux du Soûdân.

Le mouton, en général, s’appelle _akerêr_ en langue temâhaq. Les Touâreg
distinguent le _mouton à laine_ des Arabes du Nord du _mouton à poil_ de
leur pays, en donnant au premier le nom d’_akerêr-âjelbi_ ou _ouân-
tedoûft_, et au second celui de _akerêr-Emmôhagh_ ou mouton des Imôhagh.

Cette variété de la race ovine se distingue surtout de ses congénères
par la hauteur de ses membres : c’est pourquoi les zoologistes lui ont
donné le nom d’_Ovis longipes_, ou mouton à longues jambes.

A la taille il joint un développement considérable de toutes les parties
de son corps.

La tête est allongée, le nez arqué, les oreilles pendantes, la queue
longue et fine.

Sa toison, blanche et noire ou de couleur fauve, à poil long et rude, ne
rappelle nullement celle des moutons à laine.

Le mâle seul a des cornes, et il en a souvent quatre.

La brebis se dit _tâheli_, l’agneau _âbedjoûdj_, le petit qui vient de
naître, _âkarouât_, le mouton bistourné, _adjoûr_.

Ce mouton supporte la marche du cheval, sans doute par suite de
l’habitude qu’il a contractée de parcourir de grands espaces pour
trouver sa nourriture.

Les Touâreg n’élèvent le mouton que pour sa viande et son cuir ; sous ce
double rapport, l’animal ne laisse rien à désirer, car il donne autant
de viande et un cuir aussi grand que deux moutons de l’Algérie. J’ai
trouvé sa viande bonne : il est vrai que je n’ai pu la juger
comparativement.


                               _Chèvres._


Les Touâreg distinguent deux espèces de chèvres : celle à poils ras,
_tîrhsi_, pl. _oûlli_, et celle à longs poils, _tâjelbît_. Ils nomment
le bouc _ahôlagh_, le chevreau _aboûledj_, le petit _erheïd_ ou
_tirheïdet_, suivant son sexe.

Les troupeaux de chèvres sont beaucoup plus nombreux que ceux de
moutons, parce que leur aptitude à aller dans tous les terrains et à
vivre de broussailles leur permet de trouver plus facilement leur
nourriture.

Les chèvres du pays des Touâreg n’ont rien qui les différencie
sérieusement de celles de l’espèce commune du Nord de l’Afrique ; elles
sont d’une grande ressource pour les serfs auxquels elles donnent
viande, lait, poil et cuir, qu’ils utilisent.


                               _Chiens._


Les Touâreg possèdent trois sortes de chiens : le lévrier, _ôska_, le
chien arabe, à long poil, _âbar-hoûh_, très-rare, et un bâtard de ces
deux espèces, à poil ras, qui porte le nom commun de l’espèce, _eydi
teydît_, suivant les sexes. Ce dernier, de beaucoup le plus nombreux,
sert à la fois de chien de garde et de chien de chasse.

Quand j’aurai ajouté à cette liste le chat ordinaire, quelques poules et
des pigeons, mais seulement dans les villes, j’aurai énuméré tous les
animaux domestiques qui se trouvent dans le pays.

Sans aucun doute le nombre des espèces, et, dans chaque espèce, le
nombre des individus, pourraient être plus considérables malgré
l’aridité générale du sol ; mais le servage est un obstacle presque
insurmontable à l’accroissement des animaux domestiques. Le serf n’a
aucun intérêt à accroître les troupeaux de son seigneur ; car leur
augmentation doublerait son travail de garde. Quant à ceux qui lui
appartiennent en propre, il aurait un bénéfice réel à les multiplier, si
le seigneur n’était là, prélevant une sorte de dîme et quelquefois plus
que la dîme, puisqu’il peut prendre tout ce que possède et produit
l’homme attaché à la glèbe.


                       § II. — ANIMAUX SAUVAGES.


Si la nomenclature des animaux domestiques laisse à désirer, celle des
bêtes fauves, quoique plus riche, dénonce également un pays pauvre.


                             _Mammifères._


Parmi les mammifères on compte :


La chauve-souris, _watwat_, _thîr-el-lîl_ (ar.) ;

La hyène, _irkenî_, _bêtfen_ (tem.), _dhebaá_ (ar.) ;

Un carnivore ? _tahoûri_ (tem.) ;

Le chacal, _âbaggui_ (tem.), _dhîb_ (ar.) ;

Le loup ? _adjoûlé_ (le mâle en temâhaq) ;

_Id._ _tarhsît_ (la femelle), pl. _tirhés_ ;

Le fennec (Fennecus Brucei), _akhôr-hi_, _akôzhekkal_, _khônchekki_,
_arhôleh_ (tem.), _el-fenek_ (ar.) ;

Le renard, _abârrân_ (tem.), _thaáleb_ (ar.) ;

Le guépard (Felis jubata) _amayâs_ (tem.), _fehed_ (ar.) ;

Le chat sauvage (Felis catus) _târhda_ (tem.) ;

_Id._ _bârheda_ (tem.) ;

_Id._ _el-gatt_ (tem.) ;

Le rat rayé (Mus barbarus) _akoûnder_ (tem.), _djird_ (ar.) ;

Le rat ordinaire, _akôteh_ (tem.), _fâr_ (ar.) ;

Le Ctenodactyle de Masson, _têlout_ (tem.), _goundi_ (ar.) ;

La gerboise, _idhaoui_ (tem.), _djerbouá_ (ar.) ;

Le lièvre isabelin, _tîmerouelt_ (tem.), _arneb_ (ar.) ;

L’onagre, _ahoûlil_ ( tem.) ;

Le hérisson, _tikanêsit_ (tem.), _ganfoûd_ (ar.) ;

L’antilope addax, _amellâl_ (m.), _tamellâlt_ (fém. tem.), _el-
meha_(ar.) ;

L’antilope mohor, _êner_ (tem.), _el-mohor_ (ar.) ;

L’Alcelaphe bubale (ant. orix) _tiderît_ (tem.), _beguer-el-ouahch_
(ar.) ;

Le mouflon à manchettes, _oûdad_ (tem.), _laroui_ (ar.) ;

La gazelle commune, _akankôd_, pl. _ihinkâd_ (tem.), _ghozâl_ (ar.) ;

La gazelle des dunes, _tedemît_ (tem.), _er-rîm_ (ar.) ;

Un petit mammifère ? _akaokao_ (tem.) ;

Un rat des champs (au Fezzân), _koroumbâko_.


Le lion _âhar_ ; la panthère, _anâba_, _dâmesâ_ ; le sanglier,
_azhîbara_ (appelé _adaouiydaouay_ dans l’Aïr et _aganguera_ dans le
Ahaggâr) ; l’éléphant, _êlou_, le buffle, _tahâlmous_, ainsi que le
rhinocéros et l’hippopotame, quoique connus des Touâreg du Nord, dans
leurs voyages au Nord et au Sud, ne sont pas des animaux propres à leur
pays, trop pauvre en eaux, en végétaux ou en gibier, pour qu’ils
viennent s’y aventurer.

Quelquefois les Touâreg rapportent du Soûdân, soit comme articles de
commerce, soit comme objets de curiosité, des singes, _adâguel_ (tem.),
_guerd_ (ar.), connus sous le nom de Guenon patas (_Cercopithecus
ruber_) ; j’en ai acheté deux qui sont au _Muséum d’histoire naturelle_
de Paris.


                         _Oiseaux_ (_îguedâd_).


Parmi les oiseaux figurent :


Un aigle noir et blanc, _îhadar_ (tem.) ;

Un aigle à tête blanche, _azhîzh_ (tem.) ;

Le néophron, _tarhâldji_ (tem.) ;

Le gypaète, _tamîdda_ ( tem.) ;

Le faucon, _imestarh_ (tem.) ;

La chouette, _taouîk_ (tem.) ;

Le hibou, _bôinhên_ (tem.) ;

Le corbeau, _arhâlidj_, _arhâla_ (tem.) ;

Le moineau des arbres, _çiden-n-izelán_ (tem.) ;

Un motteux, _belrhô_ (tem.), _boû-bechîr_ (ar.) ;

Une bergeronnette, _meçîçi_ (ar.) ;

L’hirondelle, _amêstarh_ (tem.), _khotteïfa_ (ar.) ;

Le pigeon ramier, _tîdebîrt_ (tem.) ;

Le flamant, _adjâïs_ (tem.) ;

Le Pteroclurus alchata, _erak_ (tem.) ;

Le ganga, _tîkedouin_ (tem.), _gatâ_ (ar.) ;

La bécassine, _tenêq_ (tem.) ;

Le canard sauvage, _tenêq-en-âman_ (tem.) ;

La demoiselle de Numidie, _arhellendjoûm_ (tem.) ;

L’autruche, _ânhil_ (m.), _tânhîlt_ (fém.), plur. _tînhâl_ (tem.).


Tels sont, sauf quelques omissions, les seuls oiseaux que nourrit et que
peut nourrir le pays, oiseaux voraces pour la plupart, et qui
trouveraient à vivre là où il n’y a rien.

Quant aux autres espèces, celles qui aiment l’ombrage, les fleurs, les
eaux, le voisinage de l’homme, la vie et le mouvement, que feraient-
elles au milieu d’une nature désolée, aride, où la mort règne sur
d’immenses espaces ?

Un des caractères du désert, celui qui surprend le plus les voyageurs
européens, est l’absence d’oiseaux. On peut voyager une semaine, dans
certaines contrées, sans en rencontrer un seul.

Souvent les caravanes rapportent aussi du Soûdân des perroquets, _akoû_
(tem.).


                              _Reptiles._


La série des reptiles est plus complète, quoique la famille des
chéloniens manque entièrement.

Parmi les sauriens, on compte :


Le crocodile, _arhôchchâf_ (tem.) ;

Le gecko des murailles, _amazregga_ (tem.) ;

Le gecko des sables, _timakouert_ (tem.), _boû-kechâch_ (ar.) ;

Un lézard vert et rouge, _ametarhtarh_ (tem.) ;

Un lézard jaune, _tîmekelkelt_ (tem.) ;

Le scinque, _tân-ahâlmouit_ (tem.), _zelgâg_ (ar.) ;

Le même (jeune), _imechellerh_ (tem.) ;

Le fouette-queue (Uromastix), _aguezzarâm_ (tem.), _dhobb_ (ar.) ;

Le varanus, _arhâta_ (tem.), _el-ourân_ (ar.).


Les batraciens n’ont que deux représentants : la grenouille, _âdjeroû_,
autour des sources et des lacs, et le crapaud des joncs, autour des
oasis.

Les ophidiens venimeux sont très-connus, et même au delà du chiffre de
leur nombre réel, car la nomenclature locale comprend deux espèces dont
l’existence est au moins douteuse.

Voici cette nomenclature :


Vipère cornue, _tâchchelt_ (tem.), _lefa’a_ (ar.) ;

Vipère des jongleurs, _seffeltès_ (tem.) ;

Vipère minute, _zorreïg_ (ar.) ;

Serpent fabuleux, _âchchel_ (tem.) ;

Autre serpent fabuleux, _tânerhouet_ (tem.).


Les ophidiens non venimeux, probablement plus nombreux que les
précédents, sont tous confondus sous deux noms communs : _âchchel_ et
_emedjel_ (tem.).


                              _Poissons._


Dans un pays où l’eau manque, les poissons doivent être rares ;
cependant on en distingue trois espèces :

Le Clarias lazera, _asoûlmeh_ (tem.) ;

Une autre espèce, _isâttafen_ (tem.) ;

_Id._ _imanân_ (tem.).


                             _Arachnides._


Deux familles de cette classe sont représentées dans le pays par les
scorpions, _tâzherdâmt_, et les araignées, _sârâs_, dont l’une, très-
grande, _tîn-aghrân_, est réputée venimeuse par les indigènes.


                              _Insectes._


L’entomologie intéresse assez peu les Touâreg pour qu’ils ne s’amusent
pas à donner des noms particuliers aux myriades de petits êtres qui
composent cette classe d’animaux ; ils se bornent à distinguer par des
noms particuliers les grandes familles qui ont des caractères bien
tranchés. Leur classification peut être résumée ainsi qu’il suit :


Coléoptères, _éguélê_ (gros), _téguéleyt_ (petits) ;

Orthoptères (sauterelles), _tâhouâlt_ ;

Névroptères (libellules), _tâtel-oûlarhet_ (mot-à-mot, qui vole bien).

Hyménoptères (abeilles), _tîhenkêkert-en-toûraout_ ;

_Id._ _id._ _tîhenkêkert-en-tâment_ ;

Hémyptères (punaises du chameau), _tachelloûft_ ;

_Id._ (_id._ sa larve), _adjôrmel_ ;

_Id._ (punaises des maisons), _bîzbîz_ ;

Lépidoptères (papillons), _ehellêloû_ ;

Diptères (moustiques), _tadast_ ;

_Id._ (mouches du chameau), _aheb_ ;

_Id._ (mouches de l’homme), _ehi_, pl. _ehân_ ;

_Id._ (_Arthemia Oudneii_, larve), _ed-doûda_.


                             _Myriapodes._


Cette classe très-nombreuse d’animaux inférieurs n’est représentée que
par un seul type, la scolopendre, _téouânt_ des Touâreg, _sott-el-kheïl_
des Arabes.


                              _Annélides._


Un seul genre de cette famille, les sangsues, _tâdelît_, appelle
l’attention par les accidents qu’elle détermine sur les animaux qui vont
boire avec avidité dans les eaux troubles.

Le ver de terre se dit _tâoukki_.


                             _Mollusques._


Toutes les coquilles sont confondues sous le nom général d’_issînen-
tafoûk_ (tem.).

Cependant les Touâreg donnent le nom d’_izhabi_ à une volute venant de
la côte de Guinée, et qui est employée comme pendant d’oreille ; de
_tâmguelloût_ à la _Cyprea moneta_, qui sert de monnaie au Soûdân ; de
_ifarghas_ aux coquilles d’eau douce et particulièrement à celles du
genre _Melania_.

Parmi les coquilles fluviales ou palustres que j’ai recueillies dans mon
voyage se trouvent :

Une _Planorbis_ nouvelle et la _Physa contorta_ récoltées à Bîr-ez-
Zouâït, région des dunes ;

La _Melania fasciolata_, commune dans les environs de Ghadâmès et de
Titerhsîn ;

La _Melanopsis Dufouri_ de l’Ouâd-Biskra ;

Une _Paludine_ à déterminer, provenant d’Aïn-Temôguet (environs de
Djâdo).


                              _Parasites._


L’un est spécial au pays, le ver de Guinée, _arhân_ ; l’autre, le pou,
_tillik_, commun à toute la partie de l’espèce humaine qui vit dans la
malpropreté.

Les vers intestinaux, fréquents chez les enfants, se nomment
_achchellen_ (serpents).

Un parasite des végétaux, donnant un miel de qualité inférieure, porte
le nom de _kharnît_.


                        _ESPÈCES REMARQUABLES._

Cette nomenclature aride exige, comme complément, quelques lignes sur
les espèces qui appellent l’attention.


                               _Tahoûri._


Sous ce nom, les Touâreg connaissent un grand carnivore, de la taille de
la hyène, commun dans toute l’Afrique centrale et qui porte les noms
suivants dans les pays qu’il habite :

  Au Haoussa,    _Kora_ ;

  A Timbouktou,  _Kourou_ ;

  Au Touât,      _Gabou_.

D’après les Touâreg venus à Paris, il y aurait au Jardin des plantes un
tahoûri originaire du Sénégal.

D’après M. le commandant Hanoteau, il en existerait dans le Ahaggâr deux
variétés : l’une noire, l’autre blanche. Cette dernière serait très-
craintive.


                           _Loup. — Adjoûlé._


Je donne le nom de loup à une espèce très-féroce qui vit dans le haut du
Tasîli et dans les montagnes du Ahaggâr. Je n’ai pas vu cet animal et je
n’ose pas affirmer qu’il soit réellement un loup ; cependant, par les
renseignements qui m’ont été donnés, je ne puis que l’assimiler à cet
animal.

« Il ressemble à un grand chien fauve, disent les Touâreg, et il est le
seul carnivore de notre pays qui attaque l’homme sans même être provoqué
à la défense. »

Les anciens auteurs avaient signalé la présence du loup dans le Nord de
l’Afrique : il n’est donc pas étonnant qu’il s’y retrouve là où la
présence de l’homme ne lui dispute pas le terrain.

Cette espèce semble d’ailleurs tendre à disparaître des montagnes des
Touâreg, comme elle a disparu du Tell, car aujourd’hui, si l’on en croit
les indigènes, elle serait déjà assez rare.


                               _Guépard._


Le guépard est assez commun dans toute la région de l’’Erg, au Sud de la
Tunisie, de l’Algérie et du Maroc ; il entre peu dans les montagnes des
Touâreg.

Les Souâfa le chassent pour sa peau, plus petite, mais aussi belle que
celle de la panthère.

Dans l’Asie méridionale, où cet animal existe, on le dresse pour la
chasse : d’où lui est venu le nom vulgaire de _tigre-chasseur_. Dans les
contrées de l’Afrique septentrionale, où on le rencontre, le guépard
chasse pour son compte seulement.


                               _Onagre._


L’onagre ou âne sauvage vit en troupeaux dans le Tasîli du Nord, dès la
plus haute antiquité, car Pline le signale à peu près dans les mêmes
lieux. C’est un bel animal, assez grand, très-rapide, mais d’une
domestication difficile.

Les Touâreg ont renoncé à le poursuivre ; ils lui tendent des piéges.
Les jeunes seuls, susceptibles d’être dressés, sont conservés vivants.
On tue les vieux pour avoir leur peau.


                           _Antilope mohor._


Ce ruminant, si remarquable par ses cornes recourbées en avant, par la
blancheur de son pelage, par la gracieuseté de sa démarche, vit en grand
nombre dans la plaine d’Admar. On commence à le trouver dans les dunes
de l’’Erg. Il est très-commun dans le pays d’Aïr. Les Touâreg le
chassent pour sa viande et pour sa peau dont ils font leurs boucliers.

Le cuir de l’antilope mohor est épais et assez résistant pour parer
utilement les coups de flèche, de sabre, de javelot et de lance. Il peut
dévier la balle, l’amortir, mais non la repousser.


                            _Antilope oryx._


La viande de cet animal, appelé _bœuf sauvage_ par les indigènes, sert
en grande partie à l’alimentation des Sahariens et des caravanes.

Les Cha’anba et les Souâfa lui font de grandes chasses dans l’’Erg et
viennent vendre à Ghadâmès la chair salée et séchée qui en est le
produit.

Pendant mon séjour dans cette ville, j’ai souvent fait usage de cette
viande.


                               _Akaokao._


Les Touâreg donnent ce nom à un petit mammifère noir, à peau
excessivement dure, qu’on trouve dans les ouâdi de l’Akâkoûs et du
Tasîli, et qui vit sur les arbres dont il mange les feuilles.

Cet animal est très-craintif et fuit dans les fentes des rochers dès
qu’il entend venir quelqu’un.


                              _Autruche._


L’autruche est rare dans le pays des Touâreg et on ne chasse même pas
celles qui y sont, parce que les habitants de cette contrée, n’utilisant
pas, comme les Arabes, sa graisse et sa chair, ne trouvent pas d’intérêt
sérieux à la poursuivre. Quant aux plumes, déchirées par les rochers,
elles n’ont aucune valeur.

Celles de la région sablonneuse de l’’Erg sont, au contraire, très-
renommées pour leur belle conservation. Les Souâfa obtiennent des
dépouilles de ces oiseaux des prix plus élevés que de celles de toute
autre provenance.

Le 7 mars 1861, au puits de Tarz-Oûlli, sur la route de Rhât, j’ai
rencontré un marchand de Ghadâmès, El-Hâdj-Mohammed-ben-Deloû, qui
suivait une caravane lui appartenant. Il était accompagné dans son
voyage par une autruche femelle privée. On lui mettait des entraves
comme aux chameaux qui vont au pacage. Ce fait ne parut pas
extraordinaire à mes compagnons de route.


                               _Gypaète._


Les Touâreg tirent cet oiseau, d’ailleurs commun, pour en avoir la
graisse et la viande. L’une et l’autre sont préconisées contre les
piqûres et les morsures d’animaux venimeux.


                              _Crocodile._


Je signale la présence du crocodile dans les lacs de Mîherô, et aussi à
la tête de l’Ouâdi-Tedjoûdjelt, en un endroit appelé Tadjeradjeré, sur
le rebord Sud du Tasîli du Nord.

Les grandes inondations qui ont eu lieu à l’époque de mon passage à
Tikhâmmalt m’ont empêché d’aller moi-même constater l’identité de cet
animal amphibie avec ceux du Nil ou du Niger, mais les renseignements
précis et certains qui m’ont été donnés par des personnes ayant vu le
crocodile en Égypte et dans le Soûdân, l’effroi qu’il inspire aux serfs
riverains, la dîme qu’il prélève sur les troupeaux qui vont boire aux
lacs, enfin les blessures dont quelques Touâreg portent la cicatrice, ne
me laissent aucun doute à cet égard.

D’après les Touâreg, ce reptile reste caché dans des grottes sous-
aquatiques pendant l’hiver et il vient à partir du printemps sur le
rivage.

A la saison des amours, disent-ils, les femelles poussent des cris
semblables à ceux des chameaux en rut.

Toutefois, l’existence d’un aussi grand animal dans de petits lacs de
quelques hectares à peine et dans un pays où les pluies sont rares
semble d’abord improbable. Cependant l’histoire et la constatation
récente de l’existence du crocodile dans des régions similaires
m’autorisent à maintenir ce saurien dans la nomenclature de la faune du
pays des Touâreg du Nord.

Pline nous apprend que le fleuve Nigris (l’Igharghar moderne) était
habité par des crocodiles ; que l’éléphant se trouvait à l’état sauvage
sur les bords du Guîr, rivière saharienne qui aboutit au Touât, et même
dans les belles vallées de Ghariân, au pied des montagnes de la
Tripolitaine, au Nord des lacs de Mîherô.

Les historiens, d’accord avec les géographes et les naturalistes, nous
enseignent en outre que les Carthaginois se servaient d’éléphants
domestiques dans leurs guerres.

Pour que des éléphants aient pu vivre en liberté dans le Nord de
l’Afrique, il a fallu que le pays fût alors plus boisé et mieux arrosé
qu’aujourd’hui.

Là où il y a assez d’eau pour l’éléphant, il y en a assez pour le
crocodile, car l’un et l’autre se rencontrent à peu près partout dans
les mêmes localités.

On a été aussi surpris en apprenant, par les explorations de MM. V.
Guérin et Roth, que le crocodile se trouvait encore en Palestine dans
l’Ouâdi-Timsah, torrent analogue à ceux du Sahara. Désormais ce fait est
accepté par la géographie zoologique.

D’ailleurs, l’existence du crocodile dans les lacs du Tasîli du Nord ne
serait pas une exception dans la région saharienne, car, s’il faut en
croire les Teboû, plusieurs lacs de leurs pays, notamment celui de
Domor, sur la frontière du Borgou, seraient aussi peuplés de crocodiles.

L’étonnement du lecteur sera moins grand, s’il se rappelle que les lacs
à crocodiles de Mîherô sont une des têtes de l’Igharghar ; que, dans les
temps anciens, l’Igharghar était, d’après Hérodote, un grand fleuve
« ποταμός μέγας, » qui, sous le nom de _Triton_, se jetait dans la mer
après avoir traversé trois grands lacs.

Si le grand fleuve, dont le lit, à sec, n’a pas moins de 6 kilomètres de
largeur au point où je l’ai traversé, roulait encore de grandes eaux,
personne ne serait surpris que le crocodile fut un de ses hôtes ; par la
même raison, on doit accepter comme vraisemblable, l’eau à ciel ouvert
ayant manqué dans la partie inférieure du fleuve, que les animaux
auxquels il donnait la vie soient remontés jusqu’à ses sources.

Si le ποταμός μέγας d’Hérodote explique la présence des crocodiles dans
les eaux des petits lacs de Mîherô, au besoin, ces crocodiles justifient
l’identification de l’Igharghar moderne avec l’ancien fleuve Triton.

Avec le temps tout a changé : faute d’eau, le chameau a remplacé le
zébu ; faute d’eau, l’Igharghar est devenu un grand ouâdi au lieu d’être
un grand fleuve, et de même qu’il y a encore quelques zébus dans
l’oasis, riche en eau, de Rhât, de même il y a encore des crocodiles
dans les lacs de Mîherô.

La zoologie, dans ces cas, vient confirmer les traditions de l’histoire.


                          _Gecko des sables._


Les Touâreg et les Arabes sont unanimes pour proclamer le gecko
venimeux. Dans le midi de la France aussi le gecko des murailles est
réputé dangereux. Tout au plus peut-on admettre que les plaies contuses
résultant de la morsure de ce lézard ne guérissent pas comme des plaies
simples.


                             _Ametarhtarh._


Ce lézard, que j’ai rapporté du pays des Touâreg dans de l’alcool, a été
reconnu, au Muséum d’histoire naturelle, n’être autre que l’_Agama
colonorum_.

Les Touâreg le disent venimeux et prétendent que son virus tue les
chiens et rend les hommes malades.

Ce saurien, comme beaucoup d’autres Agames, inspire de l’effroi quand on
le voit, pour sa défense, dresser sa tête et son cou armé de piquants,
mais il n’est certainement pas venimeux.


                           _Autres lézards._


Parmi les lézards dont mon exploration constate de nouveau l’existence
dans le Sud de l’Algérie se trouvent :

  L’_Acanthodactylus Savignyi_,  }
                                 }  _timekelkelt_ des Touâreg.
  L’_Acanthodactylus vulgaris_,  }

  L’_Agama agilis_.

Toutes ces déterminations, ainsi que celles des poissons, m’ont été
données par M. le professeur Duméril.


                            _Vipère cornue._


La vipère cornue ou _Cerastes Ægyptiaca_ se trouve dans tout le Sahara :
commune dans les bas-fonds et les vallées, rare dans les lieux élevés,
recherchant les points où le sol est blanc, fuyant ceux où il est noir.

Plus encore que les autres vipères, ce reptile a besoin d’une grande
chaleur pour être dangereux. En hiver, engourdi, il reste enfoui sous
les sables ; en été, il se tient volontiers dans son trou pendant tout
le temps que le soleil n’échauffe pas la terre de ses rayons.
D’ailleurs, craintif, il fuit avec la rapidité de l’éclair au moindre
bruit, de sorte qu’une double surprise est nécessaire pour qu’un
accident ait lieu.

Quoique plus rare chez les Touâreg que dans les autres parties du
Sahara, cette vipère n’en est pas moins redoutée à cause de la gravité
de sa morsure, et on prend des précautions pour s’en préserver.


                        _Vipère des jongleurs._


La vipère des jongleurs, si remarquable par sa marche, la tête relevée
et le cou étalé, en signe de menace, lorsqu’elle voit quelqu’un, est
rare chez les Touâreg ; on la trouve plus communément au pied du versant
Sud de l’Aurès à El-Faïdh et à Chegga, points les plus chauds et les
mieux abrités du Sahara algérien.

Les Arabes de ces deux contrées appellent le mâle _tha’abân_ et la
femelle _na’adja_, nom conforme à celui sous lequel cette vipère est
connue en zoologie : _Naja haje_.

Ce serpent, m’a-t-on dit, atteint la grosseur de la cuisse de l’homme et
une longueur de deux à quatre mètres. Il est noir, et, quand il devient
vieux, il porterait sur le cou une touffe de poils !

Il est de remarque générale que l’effroi causé par la vue des reptiles
leur fait attribuer des dimensions en longueur et en grosseur qu’ils
n’ont pas : il y a donc lieu de se tenir en garde contre l’appréciation
et les descriptions des gens d’El-Faïdh et de Chegga.

On sait que cette vipère est venimeuse, mais on ne se souvient pas que
quelqu’un ait été atteint par son poison.


                               _Zorreïg._


Le _zorreïg_ est la vipère vulgairement connue en Algérie sous le nom de
_Vipère minute_, par une fausse identification avec la vipère du cap de
Bonne-Espérance, rapportée par Levaillant. Son nom scientifique est
_Échis carinata_ ou _Vipère des Pyramides_ de Geoffroy.

On l’a trouvée aux environs d’Oran, mais elle est plus commune dans le
Sud, sans y être très-fréquente. Elle n’existe pas chez les Touâreg.

Desfontaines, qui, le premier, a signalé l’existence du zorreïg dans le
Sud de l’Algérie, mais sans l’assimiler à aucune vipère connue, n’ayant
pu se la procurer, lui attribue, d’après les indigènes, la faculté de
s’élancer comme une flèche contre l’animal ou l’homme qu’elle veut
atteindre. Sans avoir cette faculté au degré que la peur a peut-être
amplifiée, il est incontestable que le zorreïg se dresse et se lance
contre son ennemi, mais toujours à très-faible distance.

L’identification de l’_Échis carinata_ avec le zorreïg des indigènes
n’est pas douteuse, car, à Biskra, M. le capitaine Pigalle en possède un
exemplaire trouvé dans la contrée, et les Arabes ne lui donnent pas
d’autre nom.


                        _Psammophis punctatus._


Parmi les reptiles que j’ai rapportés du pays des Touâreg et qu’ils
confondent avec d’autres sous le nom général d’_âchchel_, s’en trouve un
petit que j’ai capturé sur un arbre et qui a été reconnu être le
_Psammophis punctatus_.

En l’examinant, on lui a trouvé à la mâchoire supérieure des dents
cannelées, à venin, et à la base des dents une glande produisant
nécessairement une sécrétion sur les propriétés toxiques de laquelle la
science n’est pas bien fixée.

Ce reptile est rangé dans la classe des _Opisthoglyphes_.


                        _Cœlopeltis insignitus._


Je signale ici, pour mémoire seulement, une couleuvre trouvée dans le
Sahara algérien, qui a été reconnue être le _Cœlopeltis insignitus_.


                          _Serpents fabuleux._


Ils sont au nombre de deux.

Le plus petit, quoique ayant quatre fois la longueur de l’homme, porte
une robe grise argentée avec des taches jaunes rougeâtres.

On l’appelle _âchchel_.

Cet animal sort peu l’hiver, il craint le froid.

Le plus grand s’appelle _tânerhouet_ ; il est rare.

Sa peau est tachetée, sa tête est couronnée de cornes, il crie comme un
chevreau.

Quand ce serpent marche, il laisse sur le sol des traces profondes de
son passage.

Voilà ce que disent les Touâreg.

Mais, leur demande-t-on s’ils ont vu ces serpents, de leurs yeux vu,
tous reconnaissent qu’ils en ont seulement entendu parler.

Rien d’étonnant à ces créations imaginaires. Les ancêtres des Touâreg
ont probablement, eux aussi, entendu parler de ce fameux serpent de
Régulus qui anéantit une armée romaine près de Carthage.


                              _Poissons._


J’ai déjà dit que les Touâreg avaient trois espèces de poissons dans
leur pays : les _imanân_ qui vivent dans quelques rivières, l’_asoûlmeh_
et l’_isattâfen_ qui se tiennent dans les lacs.

Pendant que je séjournais à Tikhâmmalt, les eaux de débordement venues
du Tasîli, en traversant les lacs, emmenèrent dans la plaine quelques
poissons. Le seul que je pus me procurer est le _Clarias lazera_,
l’asoûlmeh des Touâreg, armé de longues barbes, comme ceux de la même
espèce trouvés dans le Nil et dans le Niger[92]. (Voir la planche ci-
contre.)

D’après les Touâreg, les isattâfen atteindraient la grosseur de la
cuisse de l’homme et auraient une longueur de deux à trois coudées.

Les poissons des lacs de Mîhero donnent lieu à une pêche qui contribue à
l’alimentation des serfs riverains. A cet effet, ils creusent sur les
bords des lacs de petits canaux étroits, aboutissant à des réservoirs
dans lesquels les poissons viennent pour y chercher une nourriture
qu’ils ne trouvent pas dans les profondeurs des lacs. Quand ils y sont
entrés, on referme les conduits et on les prend.

La présence des crocodiles dans ces lacs rend ce mode de pêche difficile
et en interdit tout autre.

J’ai rapporté de mon voyage, mais non du pays des Touâreg, d’autres
poissons qui ont été reconnus être :

L’un, trouvé dans les fossés de Tougourt, le _Glyphisodon Zillii_.
Val. ;

Deux autres, fournis par les eaux artésiennes de l’Ouâd-Rîgh, le
_Cyprinodon doliatus_ et le _Cyprinodon cyanogaster_.

Enfin, un quatrième, un _Chromis_, encore indéterminé, commun dans les
eaux du Belâd-el-Djérîd, oasis de la Tunisie.

Pl. VIII. Page 238. Fig. 16.

[Illustration : CLARIAS LAZERA (POISSON DE L’OUADI-TIKHAMMALT).

Dessiné d’après nature, par M. Bocourt, sur le sujet rapporté par M. H.
Duveyrier et déposé au Muséum d’histoire naturelle de Paris.]


                              _Scorpion._


Le scorpion est généralement plus commun que la vipère, mais, comme ce
reptile, il préfère les bas-fonds chauds et humides aux terrains élevés,
froids et secs.

On en distingue deux variétés : le noir et le jaune. On dit le venin du
noir plus dangereux. C’est à vérifier.

Cette arachnide est relativement plus rare chez les Touâreg que dans les
autres parties du Sahara, et sa piqûre y est moins dangereuse, car on
dit qu’elle ne détermine pas des accidents graves. Dans les maisons des
oasis, les piqûres sont plus fréquentes, le scorpion trouvant un refuge
dans les interstices des briques crues des murailles, et l’obscurité
favorisant ses attaques. A El-Ouâd, j’ai été piqué ainsi, dans mon lit,
en dormant ; heureusement, une légère cautérisation avec l’ammoniaque
liquide a aussitôt neutralisé les effets du virus.


                         _Araignée venimeuse._


Cette araignée du genre _Galeodes_, dont l’Algérie possède plusieurs
espèces, paraît affecter les plateaux élevés, car, dans mon exploration
du Sahara, je ne l’ai trouvée que chez les Beni-Mezâb et chez les
Touâreg.

L’exemplaire de cette espèce que j’ai rapporté n’a pu être, faute de
temps, déterminé par M. Lucas, professeur au Muséum d’histoire
naturelle. (Voir _Mémoires de l’Académie des sciences_ : Galeodes.)

Le venin de cette araignée ne produit jamais d’accidents sérieux.


                             _Coléoptères._


D’autant moins nombreux et moins variés qu’on s’avance dans le Sahara,
les coléoptères n’offrent guère à l’entomologiste que les genres
suivants : cicindèles, graphiptères, carabes, scarites, buprestes,
ateuchus, bouziers, blaps, pimelies.

A peu près tous les insectes du pays des Touâreg sont noirs.

Les sujets que j’ai rapportés de mon voyage sont :


Des _Cicindèles_, indéterminables par suite d’avaries ;

L’_Anthia venatrix_ ;

L’_Anthia sexmaculata_ ;

Le _Scarites heros_ ;

La _Pimelia senegalensis_ ;

Une _Adesmia_, voisine de la _montana_ de Klug ;

Le _Trachiderma hispida_ ;

Le _Scaurus carinatus_ ;

Une _Akis_ indéterminée ;

L’_Agryporus notodenta_ ;

L’_Ateuchus sacer_.


                             _Sauterelles._


Lors de mon séjour chez les Touâreg, il y avait plusieurs années que la
sauterelle voyageuse n’avait paru : aussi n’en avaient-ils plus en
provision. Je sais toutefois que l’apparition de ces orthoptères,
calamité pour les habitants du Tell, est pour eux, comme pour tous les
autres Sahariens, une bonne fortune, car elle leur assure des
subsistances pour quelque temps.

On conserve les sauterelles, soit confites dans l’huile, soit desséchées
ou réduites en poudre.

D’après la loi musulmane, ces animaux doivent être privés de la vie par
un procédé quelconque, l’asphyxie ou l’ébullition, avant d’être
conservés pour la nourriture de l’homme, car, si on les laissait mourir
de leur belle mort, ils seraient réputés _djîfa_ et défendus ; mais il
est douteux que cette prescription religieuse soit observée.

Depuis mon retour, on m’a fait part de la bonne nouvelle de l’arrivée de
cette manne du désert.

Il faut avoir vu des invasions de sauterelles pour se faire une idée de
l’étendue qu’elles embrassent et des ravages qu’elles causent.

Quelquefois leurs essaims, aussi épais que des nuages, obscurcissent le
soleil à plusieurs kilomètres à la ronde et font en volant un bruit
sourd qui s’entend à de très-grandes distances.

Malheur aux contrées sur lesquelles ils s’abattent, car ils y détruisent
toute la végétation et dévorent les champs les plus riches, comme si le
feu y avait tout consumé !


                             _Libellules._


Elles n’existent qu’autour des sources, les unes rares comme les autres.
C’est à peine si j’en ai vu quelques-unes pendant toute la durée de mon
voyage.


                              _Abeilles._


L’apiculture est très-restreinte chez les Touâreg : l’état nomade des
populations et la pauvreté de la flore la rendent difficile ; néanmoins,
dans les établissements fixes, quelques ruches donnent, dit-on,
d’excellent miel.

Des abeilles sauvages, plus communes que les abeilles domestiques,
déposent leurs gâteaux dans les rochers, dans les trous des arbres.
Quand on les découvre, on les récolte avec soin.

Il semblerait que cette abeille, domestique ou sauvage, a été importée
chez les Touâreg, soit de Tunis, soit du Soûdân, car ils assimilent
l’espèce productive du véritable miel à celle de ces contrées, et ils
l’appellent _tîhenkêkert-en-toûrâout_ (mouche du miel), pour la
distinguer d’une autre mouche indigène à laquelle ils donnent le nom de
_tîhenkêkert-en-tâment_ (mouche du _tâment_).

Les Touâreg appellent _tâment_ des gouttes de miel ou de résine
mielleuse qu’on trouve adhérente aux feuilles du tamarix éthel.

Cette liqueur, douce, sucrée, que j’ai souvent goûtée, et à laquelle
j’ai trouvé beaucoup des qualités du miel, est-elle produite par l’arbre
ou par une mouche mellifère ? Je l’ignore.

Quoi qu’il en soit, jusqu’à ce que le doute ait disparu, je constate
qu’il y a chez les Touâreg une mouche spéciale, abeille ou non, à
laquelle ils donnent le nom de mouche d’un miel particulier, autre que
celui de l’abeille ordinaire.

Un troisième miel, fourni par un insecte ou par une larve que les
Touâreg appellent _kharnît_, est de qualité inférieure.


Dans la XXVIe surate du Coran, le Prophète s’exprime ainsi sur le miel :

Verset 70. « Ton Seigneur a fait cette révélation à l’abeille : Cherche-
toi des maisons dans les montagnes, dans les arbres, dans les
constructions des hommes. »

Verset 71. « Nourris-toi de tous les fruits et voltige dans les chemins
frayés par ton Seigneur. De tes entrailles sort une liqueur de
différentes espèces, et elle contient un remède pour les hommes. »

Commentant lui-même la parole de Dieu révélée par l’ange Gabriel, le
Prophète ajoute dans ses _Hadîth_ :

« Deux choses sont salutaires et nécessaires : le Coran et le miel. »

Et ailleurs, il complète sa pensée en disant : « Quiconque en mourant
aura du miel dans le ventre ne verra pas le feu de l’enfer. »

Es-Sioûti, qui a recueilli en un livre toutes les pratiques médicales du
Prophète, enseigne que le miel détruit la pituite, chasse la trop grande
humidité du corps, déterge les ulcères de mauvaise nature et guérit les
affections dépendantes de l’atrabile.

« Mêlez, dit-il, du sel avec du miel, frictionnez avec ce mélange la
langue d’un enfant qui n’a pas encore parlé : non-seulement cette
opération lui donne la parole, mais elle développe extraordinairement
son organe vocal. » Avis aux chanteurs qui voudront faire usage de la
recette ; je la leur livre telle qu’elle se trouve dans Es-Sioûti.


Recommandé par le Prophète, le miel est le remède par excellence de tous
les musulmans ; il joue un rôle d’autant plus grand dans la vie des
Touâreg que le sucre leur manque.

Les riches font usage du _toûrâout_, les moins riches du _tâment_ et les
pauvres du _kharnît_, mais cet usage est très-limité.


                            _Lépidoptères._


Je n’ouvre ici un compte aux papillons du Sahara que pour constater leur
rareté et leur infériorité sur tous les papillons connus.

A quoi bon des animaux si brillants et si délicats au milieu du désert
et d’une nature désolée ?


                        _Mouches et moustiques._


Si les papillons n’embellissent pas le désert, par contre les mouches et
les moustiques contribuent à y rendre l’existence de l’homme très-
pénible, surtout dans les parties habitées.

Pendant le jour les mouches, pendant la nuit les moustiques : c’est à
n’y pas tenir. Il faut cependant s’habituer à leurs persécutions.

Les moustiques au moins restent dans les oasis, dans les campements où
il y a de l’eau ; mais les mouches suivent les caravanes au milieu des
déserts les plus arides.

Plus d’une fois, dans les villes, pour pouvoir écrire, je me suis vu
dans la nécessité de faire la nuit autour de moi et d’allumer la bougie
en plein jour.


                             _Scolopendre._


Ce myriapode, généralement connu sous le nom vulgaire de _mille-pieds_,
se trouve dans le Sahara, particulièrement dans les endroits pierreux.

Ses fourches caudines contiennent un venin subtil assez puissant pour
renverser l’homme, comme pourrait le faire une forte décharge
d’électricité ; mais, ce premier effet passé, les traces du virus
disparaissent promptement. Cependant il détermine parfois des
vomissements et une sorte d’engourdissement général.


                          _Vers comestibles._


Ces vers, que l’on pêche dans les lacs du Fezzân, ne sont autres que les
larves d’une diptère à laquelle on a donné le nom de _Arthemia Oudneii_,
en souvenir de l’exploration qui coûta la vie au docteur Oudney.

Mouches et larves se trouvent par myriades : les premières sur les rives
des lacs et sur les eaux assez denses pour les porter ; les secondes
dans les vases d’où elles sortent à des époques périodiques,
correspondant, pour le printemps, à la maturité de l’orge, et pour
l’automne, à la maturité des premières dattes ; époques auxquelles les
lacs sont agités et bouleversés par les tempêtes équinoxiales.

On distingue deux sortes de vers : l’un, rouge-carmin, la _doûda_
proprement dite, de qualité supérieure ; l’autre, brun-jaunâtre, la
_tâkeroûka_, de qualité inférieure.

Le corps de ces petits animaux a quelques millimètres de longueur à
peine, de la tête à la queue, entre lesquelles est un petit canal
intestinal tracé en noir. La tête supporte deux antennes terminées par
des points noirs qui sont les yeux ; la queue et les flancs sont armés
de petites rames ou nageoires en éventail. Ces vers nagent
indistinctement sur le ventre et sur le dos.

La pêche se fait au moyen d’un sac allongé, tenu ouvert par un cercle et
supporté par un long manche.

Dans le sac de pêche se trouvent aussi, avec les vers, des fucus dont
j’ai déjà parlé. (Voir page 209.) Vers et fucus sont laissés ensemble.

La pêche et la préparation des vers sont dévolues aux femmes.

Après chaque pêche, les vers sont pétris en pains et exposés au soleil
pour être séchés, puis on les met dans des petites bourriches pour les
conserver en silos.

Cette denrée alimentaire se vend dans tout le Fezzân ; on la mange
quelquefois seule, bouillie, mais le plus souvent en sauce, avec
d’autres aliments. Le goût de ces vers rappelle celui de crevettes un
peu faisandées ou mal préparées ; nonobstant, les indigènes en font
grand cas.

Les vers de première qualité ne se trouvent que dans le Bahar-ed-Doûd ;
ceux de seconde qualité sont pêchés dans le lac de Mâfou ; on en trouve
aussi dans le premier lac. (Voir la planche ci-contre.)

Pl. IX. Page 244. Fig. 17 et 18.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DU BAHAR-ED-DOÛD.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : LARVE. NYMPHE. MOUCHE.

(La taille de l’insecte sous chaque forme est indiquée par un petit
trait.)

Fig. 2. — ARTHEMIA OUDNEII.

Dessinée d’après nature, par M. Bocourt, sur les insectes rapportés par
M. H. Duveyrier et déposés au Muséum d’histoire naturelle.]


                        _Parasites de l’homme._


Le ver de Guinée est trop connu pour que je le décrive. Je constaterai
seulement qu’il atteint presque tous les Touâreg qui vont au Soûdân, et
que cet animal, dont on se débarrasse difficilement, laisse après lui
des traces de cicatrices considérables.

Les Européens qui iront dans l’Afrique centrale doivent s’attendre à
subir, sous ce rapport, la loi commune.


                                _Puce._


Je dois constater ici un fait important : la puce n’existe pas sur le
plateau central du Sahara. Elle accompagne le voyageur jusqu’aux points
où l’humidité de l’air lui permet de vivre, mais elle disparaît dès
qu’on entre dans le pays sec.


                                 NOTE.


Tous les échantillons de roches, de minéraux, de plantes, d’animaux,
rapportés de mon voyage et classés dans l’ordre de cet ouvrage, vont
être prochainement remis au _Muséum d’histoire naturelle_ de Paris, où
chaque personne intéressée à consulter ces collections pourra en prendre
connaissance.

Mon registre d’observations météorologiques sera également remis au
Bureau de la _Société météorologique_ de France, qui, je l’espère, le
publiera dans son _Bulletin_.

Quant à l’Atlas original de mes itinéraires, comprenant quatre-vingt
feuilles, il sera déposé soit au _Dépôt des cartes de la Guerre_, soit à
la _Bibliothèque de la Société de géographie_ de Paris, dès que le
dessin et la gravure des diverses cartes de mon exploration me
permettront d’en disposer.


[Note 90 : Nom général de l’espèce.]

[Note 91 : Ne pas confondre cette localité avec celle du même nom, sur
la route de Mourzouk à Koûka.]

[Note 92 : Voici la description de ce poisson, d’après un extrait de
l’_Histoire naturelle des Poissons_, par M. le baron Cuvier et M. A.
Valenciennes, tome XV, page 372 :

             _Le Harmouth lazera_ (_Clarias lazera_, Nob.).

Nous trouvons une figure parfaitement reconnaissable de l’un d’eux dans
les dessins faits dans la haute Égypte par M. Riffaud.

Les caractères tirés de la disposition des dents vomériennes sont très-
sensibles. Le crâne est un peu plus large en avant, surtout parce que le
grand sous-orbiculaire postérieur est plus large ; il est un peu convexe
transversalement, et sa pointe mitoyenne, due à la proéminence
interpariétale, est un peu plus obtuse ; ses barbillons beaucoup plus
longs. Le maxillaire dépasse la pectorale, et atteindrait à la naissance
de la dorsale ; le nasal a moitié de sa longueur, le sous-mandibulaire
externe en a les trois quarts, et touche le milieu de la pectorale ;
l’interne est de moitié plus court que l’externe. Une autre différence
bien marquée, c’est que les dents vomériennes sont mousses, ou comme de
petits pavés ronds, serrés, disposés sur un croissant plus large dans le
milieu...

Le dessus de ce poisson paraît cendré, et le dessous blanchâtre. Les
nageoires sont d’un cendré brun. Sur le dos sont de chaque côté des
séries verticales de points blancs, au milieu de chacun desquels paraît
un petit pore, elles ne dépassent pas la ligne latérale, et l’on en
compte neuf ou dix depuis la nuque jusqu’au milieu de la longueur où
elles s’effacent par degrés.

Le cabinet du roi en a un long de trois pieds.]




                               LIVRE III.

                        CENTRES DE RAYONNEMENT.


Dans tout le Sahara, l’existence matérielle et morale des nomades n’est
assurée qu’au moyen d’annexes sédentaires, assises dans des lieux
d’élection, au centre de leurs pérégrinations ou sur la périphérie de
leurs terres de parcours.

Ces annexes, organes essentiels de la vie intérieure et des relations
extérieures des tribus, appellent tout d’abord l’attention.

Parmi ces centres, les uns sont exclusivement commerciaux, les autres
exclusivement religieux.

Les centres commerciaux sont des villes : Ghadâmès et Rhât, en
territoire târgui ; Mourzouk, Ouarglâ et In-Sâlah, sur les frontières de
leurs parcours, mais dans le rayon des relations journalières des
Touâreg.

Les centres religieux, au nombre de quatre, sont ou des confréries
organisées en vastes associations ou des familles princières de
marabouts exerçant une sorte de pouvoir spirituel sur leurs clients.

Les confréries sont : celle des Tedjâdjna, dont le siége principal est à
Temâssîn, dans l’Ouâd-Rîgh (Algérie), et celle des Senoûsi, dont la
métropole est à Jerhâjîb, dans un désert situé entre la Tripolitaine et
l’Égypte.

Les familles princières de marabouts sont les Bakkây, à Timbouktou, et
les Oulâd-Sîdi-Cheïkh, à El-Abiodh, dans le cercle de Géryville
(Algérie).

Dans les confréries, les chefs sont des _cheïkh_, vénérables, des
_moqaddem_, gardiens ; les disciples sont des _khouân_, frères.

Dans les familles de marabouts, l’autorité souveraine est exercée par
l’aîné, _cheïkh_, vénérable, mais avec le concours des autres membres de
sa famille, marabouts comme lui ; les clients sont des _khoddâm_,
serviteurs.

Ces quatre centres religieux embrassent dans leurs juridictions, à peu
près sans exception, toutes les populations des villes et des campagnes
du Sahara central.

Leur action s’exerce, dans chaque groupe, soit par des _zâouiya_,
sanctuaires fixes, à la fois églises ou lieux de réunion et écoles ou
académies d’enseignement, vers lesquelles convergent les disciples et
les serviteurs, soit par des missionnaires ambulants qui vont, de tribu
en tribu, pour diriger les consciences et rappeler aux nomades les liens
qui les rattachent à leurs chefs spirituels.

Ce livre sera donc divisé en deux chapitres : les centres commerciaux et
les centres religieux ; et chaque chapitre subdivisé en autant de
paragraphes qu’il y a de centres d’attraction.




                           CHAPITRE PREMIER.

                          CENTRES COMMERCIAUX.


Je range dans cette catégorie les points d’arrivée et de départ des
grandes caravanes, des caravanes de long cours, à l’exclusion des points
secondaires, dont les opérations peuvent être comparées à celles du
cabotage, parce que, si les Touâreg ont des rapports journaliers avec
les grands centres, ils n’en ont presque aucun avec les petits.

Je n’embrasse dans ce chapitre que l’étude des rapports sociaux des
Touâreg avec ces centres, et non la question commerciale, réservée pour
un second volume, dont la publication ne se fera pas attendre.


                           § Ier. — GHADÂMÈS.


La ville de Ghadâmès, quoique située dans les terres de parcours des
Touâreg Azdjer et quoique relevant socialement de cette peuplade
indépendante, est aujourd’hui incorporée politiquement dans la
Tripolitaine, conséquemment dans l’Empire Ottoman.

Les nécessités de son commerce l’ont obligée à subir la double loi du
maître du port maritime avec lequel elle opère, et des maîtres de toutes
les routes par lesquelles elle importe ou exporte ses marchandises.


Ghadâmès est une ville fort ancienne : la tradition et l’histoire
l’affirment ; les ruines de différentes époques et de différentes
civilisations trouvées dans son enceinte confirment, en les complétant,
les renseignements que nous ont transmis à ce sujet les auteurs grecs et
latins.

Le choix de l’emplacement de cette ville fut déterminé par la présence
d’une source d’eau douce des plus abondantes presque à égale distance de
quatre points que nous trouvons être des centres d’habitation fixe de
l’homme, dès les premiers âges de l’histoire :

Djerma (_Garama_), dans le Sud-Est ;

Ouarglâ, dans l’Ouest-Nord-Ouest ;

Gâbès (_Tacape_) et Tripoli (_Oea_), dans le Nord, sur le littoral
méditerranéen.

De plus, cette source placée entre deux barrières que les sables
opposent à la circulation : les dunes de l’’Erg, dans l’Ouest, les dunes
d’Édeyen dans le Sud-Est, était située sur la grande voie commerciale de
la Méditerranée à la région mystérieuse de la Nigritie, voie dont la
fréquentation était consacrée par le temps et sur laquelle circulaient
des produits alors fort recherchés.

Il fallait tous ces avantages de position pour décider des hommes
entreprenants à venir s’établir au milieu de la plus aride des
solitudes, loin des points plus favorisés auxquels ils ont dû, doivent
et devront toujours demander les denrées nécessaires à leur
consommation.


D’après les habitants de Ghadâmès, l’origine de leur ville remonte au
temps d’Abraham.

L’Égypte était en pleine prospérité à l’époque des patriarches bibliques
et Ghadâmès a conservé jusqu’à nos jours un bas-relief que j’y ai
découvert et qui ressemble trop aux productions si caractérisées des
anciens Égyptiens pour qu’on puisse lui assigner une autre origine. On
en jugera par la planche ci-contre. (Fig. no 1.)

Ce fragment, ainsi que d’autres objets que l’on met à nu, de temps à
autre, en creusant les fondations de nouvelles maisons, semble être la
preuve qu’il florissait là, dès la plus haute antiquité, une
civilisation sœur de celle des rives du Nil, quoique moins avancée et
moins parfaite.

Pline nous apprend qu’au commencement de l’ère chrétienne et dans la
contrée où se trouve aujourd’hui Ghadâmès vivaient des _Liby-
Égyptiens_[93], c’est-à-dire des Libyens d’origine égyptienne.

Le témoignage de Pline, confirmé par le bas-relief libyco-égyptien dont
je reproduis le dessin exact, semble donner quelque valeur à la
tradition locale : car, pour que des colons égyptiens soient devenus
Libyens au commencement de notre ère, plusieurs générations avaient dû
se succéder dans le pays.

Pl. X. Page 250. Fig. 19 et 20.

[Illustration : Fig. 1. — BAS-RELIEF LIBYCO-ÉGYPTIEN

(TROUVÉ AU BORDJ-TASKÔ, EN CREUSANT LES FONDATIONS D’UNE MAISON).

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — COLONNES ET CHAPITEAUX DE LA PLACE
D’EL-’AOUÎNA, A GHADÂMÈS.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]


Mais à Ghadâmès il n’y a pas que des ruines libyco-égyptiennes : à 250
mètres environ, au Sud-Ouest de l’oasis, sur le plateau d’El-Esnâmen
(les idoles), on remarque des ruines _sui generis_, postérieures à
l’époque égyptienne et antérieures à l’époque romaine et auxquelles je
n’ai pu assigner de caractère, avant d’avoir visité en détail les ruines
de l’ancienne capitale des Garamantes. Aujourd’hui le doute n’est plus
permis pour moi : les débris auxquels les indigènes donnent le nom
d’idoles, parce que leur construction est due à des peuples idolâtres,
ces débris, dis-je, composés des mêmes matériaux, liés entre eux par un
même ciment, appartiennent à l’époque garamantique, époque d’une
civilisation indigène qui a laissé plus d’une trace dans le Sahara.

M. Vatonne, membre de la mission de Ghadâmès (1862), dans son
remarquable Mémoire déjà cité, nous fait connaître un autre monument de
la même origine.

« Une autre construction analogue, dit-il, est assez éloignée des six
idoles ; elle se trouve à un des angles du rempart de Ghadâmès, du côté
Nord-Ouest. C’est une tour carrée, en matériaux du pays, grès, gypse et
dolomie ; les pierres ont été choisies de forme plate ; on y a fait
entrer quelques briques. L’une de ces pierres plates, en grès rouge,
nous a été apportée par un indigène et donnée comme provenant de cette
tour. Quelques caractères étaient tracés dessus ; _nous les reproduisons
sans savoir quels ils sont ni l’intérêt qu’ils peuvent avoir_. A la
partie inférieure, il y a une chambre dans laquelle on pénètre par une
porte basse. Dans le fond, il y a une saillie de mur formant banquette
sur laquelle on peut s’asseoir ou s’étendre ; au-dessus est un
emplacement qui a dû être voûté. La voûte est aujourd’hui détruite ; il
y a une ouverture ou sorte de fenêtre par laquelle nous avons pu
pénétrer. La destination de cette tour, dont la construction doit
remonter à une époque très-reculée, est complétement inconnue des
indigènes. A côté de celle encore debout, il y a les ruines d’une autre
petite tour dont les débris sont épars sur le sol. D’autres inscriptions
ont-elles été trouvées en ce point ? Nous l’ignorons, mais il nous a été
dit que le vice-consul anglais se rendait très-souvent à cette tour ;
peut-être y a-t-il trouvé quelque chose de plus intéressant que la dalle
qui nous a été donnée. »

Je cite ce passage du Mémoire de M. Vatonne parce que sa description me
rappelle celle du Qeçîr-el-Watwat ou _châtelet des chauves-souris_ de
Djerma-el-Kedîma, et constate l’origine commune des deux monuments et de
leurs similaires. (Voir la planche d’El-Esnâmen, ci-contre, et celle du
Qeçir-el-Watwat, page 279.)

Pl. XI. Page 252. Fig. 21 et 22.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DE L’OASIS DE GHADÂMÈS

(PRISE DU DHAHARA).

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — VUE DES RUINES DES ESNÂMEN, A GHADÂMÈS.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

Quant à l’inscription trouvée dans la tour décrite par M. Vatonne, elle
est bilingue : moitié en caractères grecs, moitié en caractères
inconnus, peut-être ceux de la langue garamantique. Dans la partie
grecque de l’inscription on lit distinctement les mots suivants :


                                ΕΛΚΑΡΕΔΙ

                         ΕΝΖΥΛΝ[Caractères]ΕΥ,


soit _elkaredi enzulnuchen_, qui n’ont aucune signification en grec,
mais qui peuvent être la transcription de mots étrangers en caractères
grecs.

Ce petit détail offre beaucoup d’intérêt à l’archéologue, car il
témoigne d’un certain contact, à Ghadâmès, entre la civilisation grecque
et une civilisation indigène inconnue de nous. A quoi eût servi une
inscription grecque dans une ville où nul Grec n’aurait pu la lire ?

Mais les Égyptiens, les Garamantes et les Grecs ne sont pas les seuls
parmi les grands peuples de l’antiquité qui aient laissé à Ghadâmès des
indices certains de leur passage.


Par Pline, nous savions qu’au nombre des lieux subjugués par les armes
romaines, sous la conduite de Cornelius Balbus, figuraient les villes
importantes de Cydamus et de Garama ; par un passage des _Fastes
capitolins_, nous savions que cette expédition avait été entreprise en
l’an de Rome DCCXXXIV (19 avant J.-C.), mais nous ignorions si la ville
de Cydamus avait été occupée par les conquérants, si leur occupation
avait été temporaire ou durable.

Une inscription romaine[94], enfouie jusqu’au moment de la découverte
que j’en fis en 1860, à la porte des jardins, en venant de la Zâouiya de
Sîdi-Maábed, et probablement placée à l’entrée du camp fortifié qui
protégeait la ville, non-seulement assigne une longue durée à
l’occupation de Cydame par les Romains, mais encore nous révèle des
détails importants sur cette occupation.

Bien que cette inscription ait déjà été publiée dans l’_Annuaire de la
Société archéologique de Constantine_ (1860-1861), je la reproduis ici.
(Voir sur la planche ci-contre.)

Pl. XII. Page 253. Fig. 23.

[Illustration : INSCRIPTION ROMAINE TROUVÉE A GHADÂMÈS.

D’après un estampage pris par M. H. Duveyrier.

Hauteur de la pierre 0m 52.

Largeur 0m 26.

Les lettres des deux premières lignes ont 1 centimètre de plus que les
autres.

Le trait de la gravure est brisé partout où il y a eu de martelage.]

M. Léon Régnier, membre de l’Institut, auquel des connaissances
spéciales assurent une incontestable autorité dans toutes les questions
d’archéologie africaine, a bien voulu, sur ma demande, contrôler
l’interprétation de cette inscription telle qu’elle a été faite à
Constantine par M. Cherbonneau. Voici son avis à ce sujet :

« L’inscription latine trouvée à Ghadâmès par M. Henri Duveyrier n’est
pas du règne de Caracalla, mais de celui d’Alexandre Sevère (221-235).
Les noms qui ont été effacés avec intention dans l’antiquité sont ceux
de ce prince et de sa mère _Julia Mammæa_. Le nom de Julia Domna n’a
jamais été effacé sur les monuments.

« Le monument a été élevé, non par un _vexillaire_, mais par une
_vexillatio_, c’est-à-dire par un détachement de la Légion _IIIe
Augusta_ commandé par un centurion dont le nom a disparu, mais dont le
titre subsiste dans les sigles :


                           . > . LEG. EIVSDEM


c’est-à-dire :


                      _Centurio Legionis ejusdem._


« Cette inscription est très-importante, parce qu’elle prouve que le
territoire de la province de Numidie s’étendait alors jusqu’à
Ghadâmès. »

D’après la nouvelle interprétation de M. Léon Régnier, l’occupation de
Cydamus par les Romains aurait eu une durée minimum de 250 ans, et comme
il n’est pas probable que le monument orné de cette inscription ait été
élevé au moment de l’évacuation de la ville, on est autorisé à donner à
l’occupation une limite beaucoup plus considérable.

La rectification de l’honorable membre de l’Institut, indépendamment du
fait considérable qu’elle constate, — l’extension de la province de
Numidie au delà de la zone des sables de l’’Erg, — apporte une nouvelle
preuve matérielle à l’appui de l’opinion unanime des indigènes, qui fait
arriver la frontière actuelle de la province de Constantine jusqu’aux
portes même de Ghadâmès.

De plus, elle fait pressentir que les Romains, pour leurs relations
commerciales avec l’intérieur du continent, avaient considéré la voie
indirecte par Cirta, Lambesse et Cydame, préférable à la voie directe
par Sabrata ou Oea, car ce n’est pas sans motif sérieux que, maîtres de
tout le littoral, ils ont rattaché l’administration de Cydame à celle de
Lambesse et non à celle de toute autre métropole plus rapprochée soit de
la Province d’Afrique, soit de la Tripolitaine. La question de
production ne doit pas être étrangère à ce choix.

Enfin, la subalternisation de Cydame à Lambesse implique que les Romains
avaient pu surmonter les difficultés de la communication, car un
détachement de la IIIe Légion Auguste, dont le dépôt était en deçà de
l’obstacle des sables et de la chaîne de l’Aurès, ne pouvait pas être
isolé de son quartier-général, des magasins et du siége administratif de
la Légion.

Mes études personnelles sur l’’Erg, ainsi que celles plus complètes de
la mission qui avait pour chef M. le lieutenant colonel Mircher,
démontrent que, sur le parcours des différentes routes entre El-Ouâd et
Ghadâmès, on pourra, avec des moyens plus puissants que ceux dont
disposent les indigènes, multiplier les puits autant qu’on voudra.

D’autres traces de l’occupation romaine se retrouvent encore à
Ghadâmès : ainsi, sur la place d’El-’Aouïna, j’ai vu des débris de
chapiteaux et de colonnes, témoignage d’un luxe d’une autre nature.
(Voir page 250, figure 2 de la planche.)

Si je suis bien informé, la charpente de la principale mosquée de la
ville est supportée par des colonnes romaines et les murs de l’edifice
sont en matériaux de même origine. On comprendra que je me sois abstenu
de chercher à constater ce fait.

Dans l’immense nécropole, dite le cimetière des Benî-Ouazît, on remarque
des tombes de tous les âges, depuis l’époque païenne anté-islamique
jusqu’à nos jours. Il est possible qu’on y retrouverait des inscriptions
tumulaires romaines, si on pouvait fouiller les tombes les plus
anciennes.

Ghadâmès est donc autorisée à revendiquer une origine antérieure à
l’histoire, et tout porte à croire qu’elle n’a cessé d’être habitée
depuis sa fondation.


Le général arabe ’Amrou-ben-el-’Aâçi, qui fit la conquête du Sud de la
Tripolitaine sur les Romains[95], obligea, dit la tradition, les
habitants de Ghadâmès à embrasser l’islamisme, et cette conversion
forcée ne paraît pas s’être réalisée sans difficulté, car il y a encore
aujourd’hui dans la ville une rue, celle d’El-Wahchi, appelée aussi la
_rue du NON_, c’est-à-dire _de ceux qui refusèrent d’accepter tout
d’abord la religion de Mohammed_.

Avant la conquête musulmane, quelle religion professaient les
Ghadâmèsiens : païenne ou chrétienne ? On n’a malheureusement aucun
renseignement précis sur la population de Ghadâmès dans ces temps
reculés.

Au moyen âge, les doctrines hérésiarques de la secte des Ouahabites, qui
paraissent avoir été embrassées avec tant d’ardeur par les Berbères,
firent à Ghadâmès de nombreux prosélytes, et, pour les docteurs
musulmans des rites orthodoxes, les Ghadâmèsiens ne sont pas encore
aujourd’hui purs de l’accusation d’hérésie.

Sîdi-Mohammed-el-Bakkây, de Timbouktou, qui était à Ghadâmès, de
passage, en même temps que moi, avait résumé ses impressions sur
l’orthodoxie des modernes habitants de cette ville dans le quatrain
suivant :


لا رَيت الى لحڧ من العباد

ڢى ڧلّة العروض غدامس

ولانى ڧالع منها زاد

يعودوا ڢى الدين خوامس



                        _Traduction mot à mot :_

« Je n’ai pas vu parmi les hommes qui surpassent, en manque
d’hospitalité, (ceux de) Ghadâmès : aussi je n’emporte de chez eux que
la certitude qu’en fait de religion ils sont schismatiques. »


Les Ghadâmèsiens font partie de la section des Berbères que les
géographes arabes appellent _molâthemîn_, c’est-à-dire _les voilés_,
parce que, comme les Touâreg, ils portent un voile sur la figure.

Mais, quoique voilés, quoique Berbères, ils ne sont pas Touâreg, car ils
diffèrent d’eux par leur origine, par leur dialecte, par leurs
vêtements, par leurs habitudes urbaines, enfin par leur aptitude
spéciale à l’industrie et au grand commerce.


Quatre groupes distincts d’habitants constituent la population de
Ghadâmès :

Les _Benî-Ouazît_, Berbères, se prétendant nobles et descendants des
fondateurs de la ville ;

Les _Benî-Oulîd_, également Berbères, également nobles, également
anciens habitants de la ville ;

Les _Oulâd-Bellîl_, Arabes, nobles, originaires de Sinâoun, ville
voisine ;

Les _’Atrîya_, mélange de nègres affranchis et des enfants de sang mêlé
que les Ghadâmèsiens ont eus de leurs rapports avec des négresses.

Pendant longtemps, les Benî-Ouazît et les Benî-Oulîd ont été en guerre
entre eux, et les quartiers qu’ils habitaient étaient isolés les uns des
autres ; aujourd’hui, quoique en meilleur intelligence, ils évitent
réciproquement de prendre demeure en dehors du quartier de leurs tribus.

Les Oulâd-Bellîl n’ont qu’un rang secondaire dans une ville
principalement berbère.

Les ’Atrîya, attachés en qualité de clients aux familles de leurs
anciens maîtres, comme autrefois les affranchis chez les Romains, n’ont
aucune influence, malgré leur grand nombre, car il leur est interdit,
par les coutumes locales, de franchir l’échelon social qui les sépare de
la classe noble.

Au Sud-Ouest de Ghadâmès est un plateau, celui de _Dhâhara_, où campent
les Touâreg qui viennent en ville. Quelques-uns même y sont à résidence
fixe. C’est une sorte de faubourg târgui.


Bien que les Ghadâmèsiens parlent l’_arabe_ avec les Arabes qui
fréquentent leur ville, le _temâhaq_ avec les Touâreg, le _haoussa_ avec
leurs esclaves, ils font usage entre eux d’un _dialecte berbère
particulier_ qui tient le milieu entre celui des Nefoûsa et celui des
Touâreg. L’isolement absolu de leur ville explique la conservation d’un
idiome propre.

Les femmes n’ayant aucune relation avec les étrangers, ne parlent que le
dialecte ghadâmèsien.

Elles sont rigoureusement cloîtrées. Il ne leur est permis de sortir
dans les rues que voilées et le soir seulement, pour aller chercher de
l’eau à la fontaine, pendant que les hommes sont à la mosquée. Mais,
pendant le jour, les terrasses des maisons leur sont exclusivement
abandonnées, et comme ces toitures communiquent toutes ensemble, elles
peuvent se visiter entre elles, aller faire leurs emplettes, sans
affronter des regards indiscrets. Cependant presque toutes sont
instruites dans leurs devoirs de religion, prient aux heures prescrites
et vont même à la mosquée, qui reste ouverte pour elles seules après la
prière du Maghreb.

Le voile des habitants de Ghadâmès est toujours blanc ; presque tous
leurs vêtements viennent du Soûdân, et ils choisissent de préférence
ceux d’une couleur claire.

Le costume des femmes consiste en une longue gandoûra, dalmatique
orientale, qui couvre tout le corps, et leur coiffure en une sorte de
diadème qui donne un air de grandeur à leur physionomie. Les femmes
d’origine noble sont toujours voilées ; les ’Atrîyât seules sortent au
dehors le visage découvert.

Comme les nomades Touâreg, les Ghadâmèsiens sont souvent sur les routes
pour leurs affaires : mais rencontre-t-on une ville, ces derniers
saisissent, en vrais citadins, l’occasion qui leur est offerte d’aller
chercher un abri sous un toit protecteur, tandis que les Touâreg
semblent tenir à honneur de ne jamais accepter l’hospitalité dans
l’enceinte d’une ville, dans l’intérieur d’une maison. On dirait qu’ils
craignent de ne pas avoir assez d’air à respirer ou assez d’espace pour
se mouvoir, s’ils interposent quelque obstacle entre eux et l’immensité
du ciel et de la terre.

Le caractère des Ghadâmèsiens est grave et réservé ; il se ressent de la
position exceptionnelle de leur ville au milieu d’un désert improductif
qui les oblige à ne voir de la vie que le côté sérieux, et à s’ingénier
à remédier par le commerce et l’industrie à l’extrême pauvreté et à
l’isolement du milieu qui les a vus naître.

Leur aptitude au grand commerce est surtout digne de remarque. Il n’est
par rare de trouver à Ghadâmès des maisons ayant des succursales à Kanô,
à Katsena dans le Soûdân, à Timbouktou sur le Niger, à Rhât et à In-
Sâlah dans le centre du Sahara, à Tripoli et à Tunis sur le littoral de
la Méditerranée.

En voyant, au milieu d’un désert, dans une ville sans gouvernement
sérieux, sans autres lois que celles du Coran, sans garanties pour les
personnes et pour les marchandises, sans routes autres que des sentiers
dont la trace, comme celle du sillage du navire, se perd à l’instant du
passage ; en voyant, dans de semblables conditions, des maisons de
commerce embrasser des marchés si nombreux et si différents, et à des
distances aussi considérables, on se demande si le mirage saharien ne
grossit pas un peu trop les objets et ne multiplie pas les relations.
Cependant le doute ne peut être permis, car le contrôle le plus sévère
démontre que le commerce du littoral méditerranéen avec l’Afrique
centrale et les villes intermédiaires, sauf la portion dévolue au Maroc,
est en presque totalité aux mains des Ghadâmèsiens ou de leurs
correspondants.

La priorité et la fidélité des relations, le génie commercial, de
grandes richesses acquises et multipliées par la plus sévère économie,
une prudence consommée, des alliances solides avec les Touâreg, ne
suffisent pas pour expliquer comment une bourgade, isolée de l’univers
par la solitude des déserts, a pu perpétuer, à travers tant de siècles
et au milieu de tant de révolutions, des entreprises aussi
considérables ; il a fallu encore que le besoin de rapports entre le
Nord et le Sud fût une nécessité impérieuse, et que le commerce, objet
de ces rapports, fût lucratif, respecté et non soumis aux avanies et aux
risques de perte qui ont valu aux pirates du Sahara la réputation dont
ils jouissent parmi nous.

Je n’anticiperai pas, pour démontrer qu’il en est ainsi, sur une matière
qui ne peut être traitée incidemment ; cependant je crois utile de
prouver immédiatement, par des faits authentiques, que les bénéfices du
commerce saharien sont énormes, et que les risques sont à peu près nuls,
si le commerçant se soumet aux coutumes respectées du pays.

Peu de temps après mon arrivée à Ghadâmès, je reçus la visite d’un
marchand qui, à Kanô, avait prêté à M. le docteur Barth, lors de son
retour de Timbouktou, de l’argent au taux fabuleux de 100 pour % pour
quatre mois. L’ayant dérisoirement complimenté sur sa libéralité, il me
répondit : « Mais, je ne lui ai demandé que ce que m’eût rapporté, dans
le même laps de temps, pareille somme employée en achat d’ivoire et sans
courir l’ombre de chance de perte. »

Il est d’ailleurs accepté par tous les Sahariens, comme axiome
proverbial, que, pour s’enrichir, il suffit de faire un voyage au
Soûdân.

Mais voici d’autres faits qui éclairent encore mieux la question :

M. le capitaine de Bonnemain, dans le compte rendu de son voyage à
Ghadâmès en 1856, dit : « La plupart des caravanes qui arrivent à
Ghourd-Taferiest (environ moitié chemin entre El-Ouâd et Ghadâmès) ont
l’habitude d’y déposer, à ciel ouvert, une partie des provisions qui
doivent leur servir pour le retour ; il n’y a pas à craindre que
d’autres voyageurs songent à s’en emparer.

« Au retour, ajoute M. de Bonnemain, la caravane reprit les vivres
qu’elle avait déposés à son passage. »

Sur la même ligne, mais par un chemin différent, en 1860, j’ai aussi
trouvé des marchandises ainsi confiées à la garde de Dieu.

M. Isma’yl-Boû-Derba, entre Ouarglâ et Rhât, a, comme M. de Bonnemain,
déposé et retrouvé des provisions de retour à mi-chemin ; comme moi, il
a remarqué en route des ballots abandonnés par d’autres caravanes.

Sur les routes de Mourzouk et de Rhât au Soûdân, tous les voyageurs
européens ont rencontré sur leur passage des charges de marchandises
attendant le retour de leur propriétaire pour être rendues à
destination.

Dans les caravanes, disent tous les indigènes, il n’y a pas de bêtes de
somme de rechange. Quand un chameau vient à périr ou se trouve dans
l’impossibilité de continuer à porter son fardeau, on laisse sa charge
sur la route, avec la certitude de la retrouver intacte, attendît-on une
année pour venir la chercher.

Je ne cite pas ces faits pour en tirer la conclusion que toutes les
routes sahariennes offrent plus de sécurité que les routes européennes.
Non. Il y a dans le Sahara des routes protégées par des populations
auxquelles les caravanes paient un faible droit de passage pour prix de
leurs services. Ces routes, généralement suivies par les caravanes,
offrent les exemples de sécurité que je viens de rapporter. D’autres,
celles qui traversent des territoires en proie à l’anarchie, ne sont
plus dans les mêmes conditions ; les caravanes fortes et armées, seules,
peuvent les parcourir, comme les navires pourvus de moyens de défense
peuvent, seuls, fréquenter certaines mers.

L’industrie, ai-je dit, est aussi un des éléments d’activité de
Ghadâmès. En effet, on y trouve tous les corps de métiers qu’exige
l’isolement de la ville : tailleurs, tisserands, cordonniers, tanneurs,
forgerons, selliers, bijoutiers, menuisiers, maçons, et ces professions
sont généralement exercées de père en fils dans la même famille. Déjà,
au XIe siècle, Ghadâmès était renommée pour le travail des cuirs[96] et
elle a conservé cette réputation justement méritée, car nulle part, en
Afrique, on ne fait d’aussi bonnes chaussures.

L’industrie agricole, quoique limitée à la culture des jardins compris
dans le mur d’enceinte de l’oasis, occupe un certain nombre de bras,
l’isolement de la ville obligeant ses habitants à y pratiquer la culture
la plus intensive possible. Les engrais et les irrigations n’y sont pas
négligés.

Les eaux d’irrigation sont fournies par des puits et par la source qui
donne des eaux alimentaires à la population.

Le débit total de la source est divisé, sur une rotation de treize
jours, en 925 _dermîsa_, subdivisées elles-mêmes en 6,475 _qâdoûs_,
qu’un fonctionnaire répartiteur distribue à tous les ayant droits
d’après un règlement municipal religieusement observé.

Le qâdoûs étant la 500e partie du volume des eaux fourni par la source
dans les 24 heures, correspond à une part journalière de 2m 53s du débit
total, soit, en nombre rond, _trois minutes_.

La dermîsa se composant de sept qâdoûs, représente 20m 11s du volume
total fourni en treize jours, soit 20m 11s répartis sur 18,720m.

La dermîsa arrose, en moyenne, une superficie indéterminée couverte de
64 dattiers[97], à l’ombre desquels sont cultivés d’autres arbres et
toutes les plantes maraîchères que consomment les habitants de l’oasis.

Toutes les eaux d’irrigation appartiennent au gouvernement, qui en
aliène la jouissance perpétuelle aux familles propriétaires des jardins.
La dermîsa est louée 80 riâl sebîli par an, soit 55 fr. 20. L’ensemble
des eaux rapporte donc à l’État environ 50,000 fr. par an[98].

L’usufruitier d’une dermîsa ainsi que ses héritiers en disposent comme
s’ils en étaient propriétaires, sous la réserve qu’à l’extinction de la
famille du tenancier le droit de libre disposition fait retour à l’État.

Cette sage mesure, conforme aux règles de l’islamisme sur
l’appropriation des eaux, a pour but de prévenir l’accaparement d’un
produit naturel indispensable à tous et inséparable de la terre qu’il
doit féconder.

Les eaux de la source sont recueillies dans un vaste bassin, de
construction ancienne, assez étendu et assez profond pour qu’on y puisse
nager à l’aise ; de ce bassin, elles sont réparties dans l’oasis par
cinq canaux également de construction ancienne.

En langue temâhaq, cette source porte le nom d’_arhechchoûf_, mot dont
la racine est la même que celle de _arhôchchâf_, crocodile ; non que le
crocodile y ait jamais existé, mais parce que le nom temâhaq du
crocodile signifierait l’_animal des sources_ ou _des eaux vives_.

L’étude des terrains environnants et des puits de l’oasis, ainsi que la
température[99] élevée des eaux de la source, paraissent à M. Vatonne
des indications suffisantes pour faire espérer qu’avec un sondage de 120
mètres on pourrait atteindre la nappe qui alimente la source actuelle et
augmenter dans des proportions considérables le volume des eaux de
Ghadâmès et des environs.

Je m’associe volontiers à ces espérances, non-seulement pour Ghadâmès,
mais encore pour beaucoup d’autres points du Sahara.

Pour Ghadâmès en particulier, la question des relations commerciales
avec l’Algérie serait bien simplifiée, si, à la limite de notre
frontière, des forages artésiens permettaient d’y établir une colonie de
Souâfa, succursale d’El-Ouâd, le plus avancé de nos marchés dans le Sud-
Est.

Un entrepôt de marchandises françaises, installé dans cette colonie,
offrirait au commerce de Ghadâmès beaucoup de produits qui lui manquent
aujourd’hui, et entre autres ceux d’Alger et de l’industrie orientale
des Maures d’Alger.

En attendant que l’avenir réalise ou démente ces espérances, je reviens
à l’état actuel du principal centre commercial de la Tripolitaine.

La physionomie de la ville de Ghadâmès répond très-bien au degré de
développement industriel et commercial de ses habitants, à leur
richesse, à leur intelligence et à leur moralité.

Les maisons vastes, bien aérées, blanchies à la chaux, sont souvent à
plusieurs étages.

Les rues sont presque toutes couvertes, pour leur conserver le plus de
fraîcheur possible.

Dans les rues principales, des boutiques de détail, boutiques à la façon
de Berbèrie, bien entendu, consistant en un étal et un siége pour le
débitant, pourvoyent aux besoins journaliers des citadins.

Un marché hebdomadaire, qui se tient tous les vendredis sur la place
d’El-’Aouîna, supplée, par des apports étrangers, aux approvisionnements
quotidiens des boutiquiers ordinaires. Là, comme sur la plupart des
marchés de consommation de l’intérieur, les denrées sont vendues à
l’encan. L’importance de ce marché varie suivant les saisons, les
arrivées ou les départs des caravanes. Pendant mon séjour, on y vendait,
par marché, environ 300 moutons destinés à la boucherie.

Des boucheries, des boulangeries et des biscuiteries, à l’usage de la
population flottante, remplacent pour les étrangers les abatages et la
fabrication de pain qui, pour les habitants sédentaires, s’effectuent
dans l’intérieur de chaque famille.

Des fontaines, dans chaque quartier, donnent abondamment l’eau à tous.

Enfin, ce qui ne se voit dans aucune autre partie du Sahara, l’ensemble
des plantations de palmiers est entouré d’un mur de défense, en ruines,
il est vrai, sur plusieurs points, quoiqu’il porte des traces de
différentes reconstructions. (Voir la pl. XI, fig. 1, page 252)

Sans doute, Ghadâmès, ville souvent réédifiée, n’offre ni la régularité
ni le confortable des cités européennes modernes ; mais dans le jugement
que je porte sur son assiette, je ne puis raisonnablement que la
comparer aux autres centres sahariens, et je n’hésite pas à lui accorder
un rang distingué entre toutes ses rivales.

Les principaux quartiers de la ville sont : In-Djoûra, Taskô, Tîn-
Guezzîn, Taferfar, El-’Aouîna ou Benî-Mâzigh, Amaendj, Aydrâr, Djer-
Essân et Oulâd-Bellîl.

7,000 habitants environ peuplent ces divers quartiers.

La population flottante varie avec les départs et les arrivées des
caravanes.

Une seule grande porte donne accès dans la ville, ce qui rend la
surveillance des entrées et des sorties plus facile.

A l’époque de mon séjour à Ghadâmès (1860), l’autorité politique et
administrative des Turcs y était représentée par un moûdîr, assisté d’un
kaououâs.

La fonction de moûdîr correspond à celle de kaïd des tribus algériennes.

La force publique mise à la disposition de cette autorité supérieure
consistait en quelques Arabes du Djebel-Nefoûsa, quelquefois au nombre
de quatre seulement, envoyés en corvée pour trois mois, par le kâïmakâm
du Djebel, duquel Ghadâmès dépendait. Pour empêcher cette garnison
temporaire de rentrer dans ses foyers avant l’expiration du délai fixé,
le moûdîr était obligé de prendre en gage ses fusils.

La mission de ce simulacre de gendarmerie, _sans armes_, était de garder
la porte de la ville, de prêter main-forte au chef de la douane, pour
l’acquittement des droits, et de servir de chaouch ou agents de police
au moûdîr.

A la fin de 1862, quand une mission française s’est rendue à Ghadâmès
pour y conclure un traité de paix avec les Touâreg, cette ville ayant
été, par un édit de la Porte Ottomane, placée sous le régime de la
liberté commerciale, la garde protectrice de la douane avait été
supprimée avec elle, et Ghadâmès offrait le spectacle, peut-être unique
dans le monde, d’une ville relevant d’une autorité étrangère représentée
par un seul agent, le moûdîr.

Mais, depuis, cet âge d’heureuse quiétude a disparu. Le kaïd algérien,
’Aly-Bey, ayant franchi les dunes de l’’Erg avec une troupe (_goûm_) de
cavaliers Souâfa et Rouâgha, pour venir faire escorte aux missionnaires
officiels à leur retour, la paisible population de Ghadâmès s’est crue
menacée de conquête et a obligé le gouvernement de Tripoli à prendre des
mesures pour la défendre au cas de nécessité.

Au moûdîr a succédé un pacha ; une garnison de Turcs (_redîf_), envoyée
d’Europe et renforcée de cavaliers du Sâhel (_bachi-bouzouk_), est venue
occuper la place.

Désormais Ghadâmès est devenue le chef-lieu d’un kâïmakâmlik saharien
relevant de Tripoli, et embrassant, dans sa circonscription, une partie
du Fezzân.

Cette organisation, fondée sur la peur, n’est-elle que transitoire ?

Je l’ignore. Quoi qu’il en soit de craintes sans motifs[100], je ne puis
que me réjouir de voir un nouvel élément d’ordre introduit dans le pays.

De 1850 à 1858, le gouvernement anglais a entretenu à Ghadâmès un vice-
consul, probablement en vue de surveiller le commerce des nègres. Ce
consulat est aujourd’hui supprimé, ainsi que celui de Mourzouk.

La création d’une agence consulaire de France, beaucoup plus nécessaire,
est à l’état de projet depuis plusieurs années. Elle ne tardera pas,
sans doute, à être installée, car les intérêts des Touâreg, devenus
aujourd’hui nos alliés, ainsi que ceux de notre commerce, réclament
cette institution.

La cité est administrée par un _cheïkh_, avec le concours d’une
assemblée libre des notables (_djema’a_), suivant les anciennes coutumes
municipales des Berbères.

Ce fonctionnaire, nommé par l’autorité politique locale, est le
véritable magistrat de la ville.

La justice est rendue, au nom du sultan de Constantinople, par un
_qâdhi_, qui reçoit son investiture de l’autorité judiciaire de Tripoli.

Un _imâm_ est le chef de la religion, en même temps que le suppléant du
qâdhi.

L’instruction publique est représentée par un _mouderrîs_ ou maître
d’école.

En 1860, le moûdîr seul recevait un traitement de l’État.

La garde n’était ni payée ni nourrie.

Le cheïkh, le qâdhi et l’imâm n’avaient d’autres honoraires que ceux
inhérents à leurs fonctions et payés directement par les administrés.

Le maître d’école et les amîn des corporations avaient, pour toute
rétribution, la jouissance d’une portion d’eau.

Dans ces conditions, le budget des dépenses s’élevait à 3,500 fr.,
chiffre du traitement du moûdîr.

Le budget des recettes, non compris les produits de la douane et des
locations d’eau, s’élevait à 2,500 mitkhal d’or, soit 30,937 fr. 50 c.,
au taux du change de l’époque.

Il paraît que, nonobstant la levée des droits de douane, l’impôt
mobilier et immobilier a aussi subi une réduction, car, d’après M. le
lieutenant-colonel Mircher, en 1862, il avait été fixé à 21,000 francs
seulement.

L’érection du moûdîrît en kâïmakâmlik, avec des charges inconnues
jusque-là, aura probablement fait augmenter la part d’impôt de Ghadâmès,
car les Turcs ont pour habitude de mettre au compte des populations les
dépenses que leur protection occasionne.

Quel que soit l’avenir réservé au nouvel ordre de choses, la force de
l’habitude, comme celle de la nécessité, maintiendra l’administration
intérieure de la ville aux mains des notables commerçants du pays et le
gouvernement des relations extérieures au pouvoir des chefs Touâreg,
car, sans une alliance intime des maîtres des routes et des
propriétaires des marchandises qui alimentent le commerce de la place,
Ghadâmès, déjà en décadence depuis l’abolition de la traite, ne
tarderait pas à devenir une ville morte, inhabitable même pour ses
habitants, en raison du haut prix de toutes les denrées de consommation.

En vain le drapeau de la Porte Ottomane, dans les circonstances
solennelles, est hissé à Ghadâmès, sur une maison à loyer qu’y occupe un
gouverneur turc ; en vain l’acquittement volontaire d’un faible impôt,
tribut religieux autant que politique, semble sanctionner la
reconnaissance d’une autorité étrangère : Ghadâmèsiens et Touâreg
Azdjer, unis entre eux par les liens du sang et de l’intérêt, se
considèrent réciproquement comme faisant partie de la même
confédération. En frères associés à la même entreprise, les uns, maîtres
de l’espace, forts, actifs, protégent sur les routes les convois de
leurs clients ; les autres, maîtres de la fortune et des relations qui
permettent d’acheter des vivres et des vêtements au dehors, donnent
libéralement à leurs protecteurs ce qui est nécessaire à leur existence.

La sollicitude et les égards des commerçants de Ghadâmès pour les
Touâreg, grands et petits, révèlent combien est intime l’union des deux
populations.

Que chaque maison de commerce pourvoie aux besoins de la famille de son
protecteur particulier et prévienne même ses désirs : rien de plus
naturel que la réciprocité des services rendus.

Mais là ne se bornent pas les bons offices des citadins envers les
nomades.

Un chef târgui tombe-t-il dans la misère, la corporation des marchands
l’invite à venir habiter la ville, l’entretient et le nourrit.

L’un des Touâreg, homme libre ou serf, vient-il en ville pour ses
affaires, le repas de l’hospitalité lui est donné pendant toute la durée
de son séjour.

Des mendiants se permettent-ils d’enfoncer les portes d’une maison qui
ne s’ouvrent pas assez vite, on s’excuse de n’avoir pas deviné qu’ils
étaient Touâreg.

Par extraordinaire, des Touâreg ont-ils quelques démêlés avec l’autorité
turque, aussitôt les notables habitants interviennent pour éviter tout
conflit en prenant à leur charge la responsabilité des fautes commises,
et l’autorité s’associe à la prudence des habitants.

Ghadâmès, nominalement vassale de la Porte Ottomane, obligatoirement
tributaire de Tripoli pour ses besoins commerciaux, est donc bien plus
une ville neutre qu’une ville d’État, et si elle était mise en demeure
d’arborer le drapeau d’une nationalité, tout l’obligerait à adopter
celui des Touâreg.

De cette situation, je conclus que la convention commerciale signée à
Ghadâmès le 26 novembre 1862, par les principaux chefs des Touâreg
Azdjer et les délégués du gouvernement général de l’Algérie, engage
aussi bien la corporation des commerçants de Ghadâmès que les Touâreg
eux-mêmes, quoique la convention n’en fasse pas une mention speciale,
mais les deux parties contractantes l’ont explicitement compris ainsi.


                             § II. — RHÂT.


Rhât est une ville berbère, indépendante des Touâreg, quoiqu’elle soit
assise au milieu de leurs campements et quoiqu’elle relève de leur
protectorat.

Sa position, au débouché de la gorge d’Ouarâret et de la vallée du
Tânezzoûft, sur la grande voie commerciale de Tripoli au Soûdân, en un
point riche en eaux de sources et en terres susceptibles de culture,
semble l’avoir prédestinée au rôle qu’elle joue au milieu de populations
nomades.

D’après la tradition locale, la fondation de Rhât daterait de quatre ou
cinq siècles au plus, ce qui explique le silence des auteurs arabes du
moyen âge à son sujet.

Mais la même tradition lui donne pour fondateurs une tribu berbère
noble, les Ihâdjenen, avec le concours des Kêl-Rhâfsa, des Kêl-Tarât,
des Têl-Telaq et des Ibakammazên, également Berbères, mais d’origine
moins noble que les Ihâdjenen.

La coopération des Kêl-Rhâfsa à la restauration de la ville moderne
permet de lui assigner une origine ancienne et de retrouver
l’emplacement d’un des centres de population vaincus par les armées
romaines dans l’expédition de la Phazanie.

En effet, Pline (_Hist. natur._, Lib. V, c. 5) nous apprend, d’après les
auteurs du temps, que parmi les peuples, les villes et les lieux dont la
conquête a valu les honneurs du triomphe à Cornelius Balbus, figure le
nom de RAPSA, qualifiée _oppidum_.

L’_oppidum_ des Romains était une ville, avec enceinte fortifiée, dans
une position stratégique.

Sans doute, cet _oppidum_ commandait le Φάραγξ Γαραμαντικὴ de Ptolémée,
comme Rhât moderne commande l’_Aghelâd d’Ouarâret_.

Les noms ont changé, mais les hommes et les choses sont restés les
mêmes. Les gens de l’antique Rapsa, les Kêl-Rhâfsa de l’époque moderne,
trop faibles pour défendre par leurs seules forces une position qui peut
à juste titre être considérée comme une des clefs du plateau central du
Sahara, auront dû s’associer avec les seigneurs Ihâdjenen et leurs
serviteurs, pour restaurer leur ville sous un nom dont l’étymologie nous
échappe, Kêl-Rhât, _gens de Rhât_, mais qui doit être emprunté à des
circonstances locales, car trois des portes de la ville, contre
l’habitude, portent le nom commun de _Tamelrhât_, et une quatrième celui
de _Tafelrhât_.

Une exploration spéciale permettrait peut-être de retrouver dans les
constructions modernes de Rhât des traces de l’ancienne Rapsa ; il est
regrettable que la jalousie superstitieuse de ses habitants n’ait pas
encore permis de rechercher si l’emplacement de l’_oppidum_ des Romains
était là, ou dans quelque autre ville du voisinage habitée jadis par les
Kêl-Rhâfsa.

La petite confédération à laquelle la Rapsa des anciens dut sa
résurrection porta d’abord le nom de Kêl-Rhât, qu’elle conserva jusqu’à
ce jour, concurremment avec le nom arabe de Rhâtïa. Mais ce n’est pas le
seul changement à noter dans l’histoire de cette petite agglomération.

Les Ihâdjenen, frères consanguins des Touâreg, liés d’une étroite amitié
avec eux, ont longtemps conservé leur autonomie sous le protectorat
dévoué de leurs puissants alliés. La bonne harmonie entre deux pouvoirs
indépendants l’un de l’autre s’explique, d’un côté, par la répulsion
instinctive des Touâreg pour l’habitation dans les villes, par le besoin
qu’ils avaient d’un centre commun d’intérêts, et, de l’autre côté, par
la nécessité qu’il y avait pour les Ihâdjenen d’être en relations
amicales avec des peuplades les environnant de toutes parts et pouvant
ouvrir ou fermer les routes aboutissant à leur ville.

Dès le début, la cité de Rhât s’est d’ailleurs signalée par une
constitution administrative et gouvernementale fort simple, mais très-
bien entendue :

Pour les affaires intérieures, une municipalité élective, issue de la
tradition berbère, administrait sans contrôle ;

Pour les affaires extérieures, un cheïkh héréditaire, sorte de sultan,
comme ceux de Tougourt, d’Ouarglâ et d’Agadez, gouvernait, sous le titre
d’_amghâr_, et défendait l’indépendance des Ihâdjenen.

La tradition a conservé les noms de ces anciens sultans ; les voici dans
l’ordre chronologique :


Khammadi,

Ahmâdou,

El-Hâdj-Mohammed-Settaqa,

El-Hâdj-Arhdâl,

Arhdâl,

El-Hâdj-Khatîta,

El-Hâdj-Bel-Qâsem, qui régnait au commencement de ce siècle,

Enfin, Mohammed-Ould-Arhdâl.


Mohammed-ould-Arhdâl devait clore la série des sultans d’origine
Ihâdjenen pure, par application d’une loi locale sur les successions à
laquelle les Ihâdjenen doivent la fondation d’une dynastie et Rhât le
développement de sa prospérité, mais qui, par un retour des choses
d’ici-bas, pourra bien faire perdre à cette ville son indépendance, si
ce n’est sa fortune.

Dans le Sahara, les tribus d’origine berbère, suivant l’ordre de
succession en usage, sont ou EBNA-SÎD (_fils de leur père_) ou BENÎ-
OUMMÏA (_fils de leur mère_).

Les Ihâdjenen étaient Benî-Oummïa et, à Rhât, comme chez les Touâreg,
comme dans d’autres tribus berbères, la transmission du pouvoir n’a pas
lieu, ni d’après la loi musulmane, ni d’après la coutume générale des
autres peuples, en ligne directe, du père au fils, mais par voie
indirecte, _du défunt au fils aîné de sa sœur aînée_.

Dans le Livre suivant, exclusivement consacré aux Touâreg, cette loi
sera l’objet d’un examen tout particulier ; toutefois, je dois dire,
avant de passer outre, que, par ce mode de succession, les Berbères
Benî-Oummïa croient mieux assurer la transmission du sang. En effet, la
sœur, fille d’une mère consanguine, transmet certainement à son fils une
parcelle du sang de son frère, quel que soit le père, tandis que
l’épouse infidèle introduit un sang étranger dans la famille.

Comme complément de cette loi, les mariages avec des étrangers sont
interdits, mais quand les familles s’éteignent, résultat presque
inévitable des alliances trop rapprochées ; quand les seuls survivants
sont des femmes, il faut bien que ces femmes aillent chercher des époux
en dehors de la famille.

C’est ce qui est advenu aux princes Ihâdjenen. La sœur de Mohammed-Ould-
Arhdâl a du se marier avec un riche négociant du Touât, et de ce mariage
est né un fils, El-Hâdj-Ahmed-Ould-es-Saddîq, et à la mort du dernier
amghâr, le fils du touâti s’est trouvé, par droit de naissance, cheïkh
héréditaire de Rhât.

Depuis longtemps, les descendants des fondateurs de Rhât étaient en
minorité — tant il est vrai que des nomades se perpétuent difficilement
dans l’enceinte d’une ville — et ils avaient été remplacés par une
nouvelle génération d’enfants issus du mariage des Rhâtiennes avec les
nombreux marchands de Ghadâmès, du Touât, de Sôkna et de Djâlo, venus à
Rhât pour profiter des avantages de son commerce.

Quand s’est produit le fait nouveau d’un fils de touâti arrivant au
pouvoir, les nombreux étrangers, composant aujourd’hui la grande
majorité de la population de la ville, ont trouvé tout naturel qu’un
étranger comme eux fût le souverain du pays, et El-Hâdj-Ahmed fut
accueilli avec faveur. Toutefois, il ne prit que le titre de cheïkh et
non celui d’amghâr.

Mais cette substitution d’un Arabe touâti à un Berbère ihâdjeni blessait
l’amour-propre berbère des Touâreg, et, depuis lors, à de bons rapports
entre les Rhâtiens et les Azdjer a succédé une rivalité dont les causes
sont nombreuses.

L’avénement du fils d’un Arabe à l’autorité souveraine dans une ville
berbère devait surtout blesser les chefs des Orâghen, véritables sultans
du pays.

Il y a deux siècles environ, les Imanân, rois des Touâreg du Nord,
avaient à peu près usurpé le pouvoir des amghâr Ihâdjenen dans la ville
de Rhât et tenaient ses habitants sous le joug de leur oppression.

Une révolution, dont les détails seront racontés ci-après, mais faite
par les Orâghen, détrôna les Imanân et permit à la ville de Rhât de
recouvrer son ancienne indépendance sous la protection de ses
libérateurs.

De plus, il y a cinquante ans environ, sous le règne de l’amghâr Bel-
Qâsem, Rhât fut inopinément attaquée par une armée du sultan du Fezzân,
qui, déjà alors, convoitait la domination ou la destruction de la rivale
du commerce de Mourzouk.

Rhât, réduite aux seules forces de ses habitants, eût peut-être
succombé, mais les chefs des Orâghen vinrent à son secours et, sous leur
bannière, les Fezzaniens, battus par les Adzjer, laissèrent entre les
mains de leurs vainqueurs 2,000 chevaux chargés de bagages, ce qui ne
les engagea pas à renouveler leur audacieuse entreprise.

Après cette victoire, comme après celle qui avait mis en leurs mains le
pouvoir des Imanân, les Orâghen auraient pu s’emparer de Rhât et y
commander en souverains. Ils ne l’ont pas fait, par respect des droits
héréditaires des Ihâdjenen.

Il ne pouvait donc pas leur convenir de voir les destinées d’une ville
affranchie par eux, défendue par eux, et de la prospérité de laquelle
dépend la leur, passer aux mains d’étrangers, fils d’Arabes, c’est-à-
dire d’hommes auxquels les Berbères reprochent d’être toujours prêts à
accepter toutes les dominations, pourvu qu’on leur donne un beau burnous
d’investiture.


Rhât est loin d’avoir comme ville l’importance qu’elle a comme marché,
car elle compte à peine 600 maisons et 4,000 habitants ; mais elle
s’agrandit tous les jours, par la création de villages voisins qui, par
leur accroissement successif, pourront devenir de nouveaux quartiers de
la ville primitive. L’un deux, Tâderâmt, est à 600 mètres du mur
d’enceinte de Rhât ; l’autre, Toûnîn, est à 800 mètres environ. Toûnîn,
de fondation toute récente (douze ans), compte déjà 500 habitants :
c’est là qu’est le château particulier d’El-Hâdj-Ahmed-Ould-es-Saddîq.

Pl. XIII. Page 271. Fig. 24 et 25.

[Illustration : Fig. 1. — VUE DE RHÂT.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — VUE DU PIC DE TÊLOUT DANS LA VALLÉE DE
TÎTERHSÎN

(VOIR PAGE 58).

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

Rhât, Tâderâmt, Toûnîn, marquent trois côtés d’un vaste espace sur
lequel se tient le grand marché annuel, source de la fortune de cette
contrée.

La ville a une forme circulaire. Au centre se trouve une petite place
nommée _Eseli_, de laquelle rayonnent six rues qui divisent la cité en
six massifs de maisons et vont aboutir à six portes ouvertes dans le mur
irrégulier qui sert d’enceinte.

Trois des portes sont désignées sous le nom de Tâmelrhât, qui est celui
d’un quartier, une quatrième s’appelle Tafelrhât, la cinquième est Bâb-
Kelâla, la sixième est Bâb-el-Kheïr.

La construction dominante de la ville est le _Mesid_ ou école ; l’unique
mosquée a un minaret assez élevé.

Les maisons sont à deux étages comme celles de Ghadâmès, mais dans des
dimensions moins vastes.

Vue du dehors, Rhât semble et est en effet bâtie sur un petit mamelon
qui domine le pays circonvoisin du Sud-Sud-Est au Nord-Nord-Ouest. Elle
est elle-même dominée, à peu de distance du mur d’enceinte, par les
derniers contreforts de Koukkoûmen, petite ligne de collines, entre le
Tasîli et l’Akâkoûs, qui sépare la vallée d’Ouarâret de celle du
Tânezzoûft. (Voir la planche ci-contre.)

L’eau abonde autour de Rhât, et c’est à cette circonstance, comme à sa
position au débouché d’un large col, que cette localité doit l’avantage
d’avoir toujours été recherchée par des populations sédentaires.

Les plantations de dattiers forment au Sud des bois ou des groupes de
jardins isolés, dont quelques-uns, ceux d’Iberkân et de Temattîn, sont à
2 et 3 kilomètres.

Plus au Sud encore se trouve la petite ville târguie d’El-Barkat, qui a
une existence indépendante.

La population de Rhât est aujourd’hui un mélange de toutes les
populations qui, depuis sa fondation, s’y sont donné rendez-vous dans un
intérêt commercial : blancs, noirs, métis, hommes libres, esclaves,
Arabes, Berbères, gens du Sud, gens du Nord, gens de l’Est, gens de
l’Ouest.

Les femmes seules représentent la tribu primitive des Ihâdjenen, et
comme le droit berbère leur réserve, même dans le mariage,
l’administration de tout ce qu’elles possèdent, elles seules disposent,
en qualité de propriétaires, des maisons, des sources, des jardins, en
un mot, de toute la richesse foncière du pays. Ce fait a contribué à
conserver à Rhât sa physionomie propre, ses mœurs, son idiome
particulier.

Il en est résulté aussi, au profit des femmes, un développement
d’intelligence et un esprit d’initiative qui étonnent au milieu d’une
société musulmane.

Le costume des Rhâtiens est, en général, celui des Touâreg : voile,
blouse, longs pantalons, vêtements de couleur provenant du Soûdân.

La langue de Rhât, quoique parente de celle des Touâreg, constitue
cependant un dialecte à part.

Comme chez les Touâreg, la femme est respectée.

Comme chez tous les Berbères, l’esprit municipal est développé au plus
haut point.

Tout en conservant des traces aussi importantes de leur origine berbère,
les Rhâtiens ont largement emprunté aux nègres leurs superstitions ; ils
croient aux sorciers, _amâ-sahhâr_, et leur attribuent le pouvoir de
préserver des balles, du fer, des maladies, de la dent des bêtes
fauves ; mieux encore, de métamorphoser un homme en une bête quelconque.

Beaucoup de Rhâtiens, ennemis des chrétiens, ennemis surtout des
Français, coupables d’avoir conquis une terre de l’Islâm, avaient crié,
tempêté, juré, avant mon arrivée, que, si je foulais le sol de leur
territoire, ils me feraient regretter mon imprudence.

Parmi eux, quelques-uns, les plus audacieux, voulurent voir de leurs
yeux ce chrétien tant redouté, tant maudit.

Grand fut leur désappointement : le chrétien était un jeune homme,
parlant une langue qui leur est familière, causant de tout, s’enquérant
de tout, passant son temps à écrire, à dessiner, à observer les étoiles.

A leur rentrée en ville, ces visiteurs avaient de l’infidèle, cause de
tant d’agitation, une opinion toute différente.

Il n’en fallut pas davantage pour me transformer en sorcier aux yeux des
plus récalcitrants. N’avais-je pas, d’ailleurs, guidé par mes
observations météorologiques, prédit des changements de temps ? Aussi
El-Hâdj-el-Amîn, cheïkh actuel de la ville, l’homme le plus opposé à ma
venue à Rhât, prit-il toutes les précautions pour éviter mon regard : il
craignait que je ne l’ensorcelasse.

Rhât a tenu à poser vis-à-vis de moi, chrétien, en ville musulmane,
fanatique de sa religion. On serait dans une grande erreur, si l’on
imputait cette attitude à une ferveur religieuse exceptionnelle. Il n’en
est rien. La religion n’est qu’un masque, l’intérêt est le seul mobile
de cette conduite.

Le Cheïkh-el-Hâdj-el-Amîn, dévoré d’ambition, pétri d’intrigues, a forcé
son frère aîné, El-Hâdj-Ahmed-Ould-es-Saddîq, le successeur du dernier
amghâr, à lui abandonner la souveraineté de la ville. Cela ne lui suffit
pas. Il voudrait qu’une investiture de la Porte Ottomane vînt ratifier,
en sa personne, la substitution, sur le trône de Rhât, d’un Arabe à un
Berbère, d’un touâti à un ihâdjeni, d’un frère cadet à un frère aîné
encore vivant, et, dans ce but, depuis qu’il est au pouvoir, il
travaille à amener les Turcs à Rhât, d’abord pour faire consacrer son
usurpation, ensuite pour n’avoir plus à compter avec les Orâghen, ses
voisins.

L’éventualité possible de l’occupation de Rhât par les Turcs est
envisagée par les Touâreg comme un des plus grands malheurs qui puissent
leur arriver : nobles et serfs y perdraient le plus net de leurs moyens
d’existence, car le monopole du protectorat du marché de Rhât donne aux
premiers une partie des revenus qui les font vivre, et aux seconds des
transports pour leurs chameaux. Puis, il n’est pas de târgui, petit ou
grand, qui n’ait, en quelque sorte, le droit d’exiger, de temps à autre,
des Rhâtiens, soit un déjeuner, soit un dîner, soit quelque bagatelle,
et dans un pays où tout manque, c’est là une ressource _in extremis_ qui
n’est pas dédaignée.

Il est vrai que les rapports fraternels qui existaient autrefois entre
les Ihâdjenen et les Touâreg ont cessé, et que les Rhâtiens ont souvent
aujourd’hui de légitimes motifs de se plaindre des avanies et des
exigences de leurs voisins, mais l’appel fait aux Turcs[101] par le
cheïkh actuel de la ville ne me paraît pas une solution heureuse, car
leur arrivée à Rhât, fût-elle possible devant la résistance des Touâreg,
aurait pour résultat immédiat de ruiner le commerce local.

On comprend dès lors pourquoi les chefs des Touâreg, bénéficiaires de ce
commerce, se sont montrés aussi favorables à une alliance française. Ils
ont le sentiment instinctif que, de tous les gouvernements avec lesquels
ils peuvent être en relations, celui de l’Algérie est le seul assez
éclairé et assez puissant pour sauvegarder leurs intérêts menacés.

Ainsi, à Rhât, il y a deux partis en présence : celui des Turcs et celui
des Français, représentant tous deux des intérêts rivaux ; le parti
français, composé de la grande majorité des Azdjer et de quelques
marchands de la ville, est le plus puissant. Grâce à son appui, j’ai pu
arriver sous les murs de Rhât[102], y séjourner quinze jours, lever une
esquisse du plan extérieur de la ville et de ses environs, recueillir
tous les renseignements dont j’avais besoin, faire toutes mes
observations, malgré les imprécations du parti adverse.

Inutile de dire, je crois, que les gouvernements d’Alger et de Tripoli
sont étrangers à la création de ces deux partis nés des circonstances et
d’intérêts en conflit. J’en ai trouvé la preuve dans l’accueil qui m’a
été fait à Mourzouk, ainsi qu’aux Touâreg qui m’accompagnaient, et dans
une lettre que le pacha de Tripoli a écrite aux Rhâtiens pour les
engager à m’accueillir convenablement.

Peut-être les deux gouvernements amis devront-ils intervenir de leur
influence réciproque pour faire cesser pacifiquement les rivalités qui
divisent les Rhâtiens et les Touâreg. La France, puissance chrétienne,
aurait un beau rôle à jouer, en prenant l’initiative au Maroc, à Tunis,
à Tripoli, à Timbouktou même, d’une sorte de médiation générale, à
l’effet de résoudre toutes les difficultés qui tiennent en conflit
toutes les peuplades du Sahara, les unes vis-à-vis des autres.


Le commerce en gros pour les riches, en détail pour les pauvres, est la
principale source de richesse des Rhâtiens ; cependant l’industrie y a
quelque importance, quoique limitée aux besoins de la localité. On y
fait des pelleteries, des vases en bois, des montures ou des étuis pour
armes : poignards, sabres, fusils, etc., etc.

Les principaux commerçants de Rhât sont : El-Hâdj-el-Amîn, cheïkh de la
ville, dont la richesse paraît considérable ; El-Hâdj-Ahmed, frère aîné
et prédécesseur du cheïkh actuel, fondateur de Toûnîn, qui peut devenir
une rivale de Rhât ; un jeune marchand, originaire de Djerba, nommé
Yoûnis, fort entreprenant.

El-Hâdj-el-Amîn, protecteur avoué de la zâouiya de la confrérie d’Es-
Senoûsi, contiguë à la ville, et foyer d’un fanatisme exalté, est le
chef du parti hostile à l’extension de l’influence française.

El-Hâdj-Ahmed conserve une sage neutralité entre les partis.

Yoûnis, dévoué à notre cause, aurait déjà tenté d’ouvrir des relations
entre Rhât et Alger, si le Cheïkh-el-Hâdj-el-Amîn ne menaçait de
l’expulser de la ville.


                           § III. — MOURZOUK.


Mourzouk est la capitale du Fezzân, groupe d’oasis au Sud de la
Tripolitaine, érigé, depuis 1841, en kâïmakâmlik de l’Empire Ottoman.

Je n’aurais à m’occuper ni de Mourzouk, ni du Fezzân, si tout ne se
liait dans la vie saharienne, si d’importantes fractions des Touâreg
Azdjer, quoique indépendantes des Turcs, n’étaient comprises dans le
kâïmakâmlik du Fezzân, notamment celles qui habitent l’Ouâdi-el-Gharbi
et l’Ouâdi-’Otba, aux portes mêmes de Mourzouk ; si je n’avais à appeler
l’attention sur Djerma, la _Garama_ des anciens, et sur une civilisation
antérieure à la conquête romaine, dont le type se trouve à Djerma ; si,
enfin, je n’avais à constater, par l’exemple du Fezzân, que le Sahara
n’est pas un pays à exploiter comme source de revenus gouvernementaux,
mais à féconder par l’ordre, la paix et des institutions libérales.


Le Fezzân actuel comprend des oasis et des terres de parcours.

Dans les oasis, on distingue les groupes du Sud qui représentent
l’ancienne _Phazania_, et un groupe au Nord, celui d’El-Jofra, qui a
pour capitale Sôkna, sous la dépendance de laquelle se trouvent deux
villes isolées : Fogha et Zella.

Le groupe des oasis du Sud a eu successivement pour capitale :

Djerma, sous les Garamantes ;

Garama, sous les Romains ;

Trâghen, sous la dynastie des Nesoûr ;

Zouîla, sous les conquérants arabes ;

Mourzouk, sous les dynasties des Oulâd-Mehammed et des Karamanli, sous
’Abd-el-Djelîl et sous les Turcs.

Les Oasiens, tous sédentaires, habitent des villes et des villages au
milieu de forêts de dattiers ; ils appartiennent, en très-grande
majorité, à un type nègre que j’appelle _sub-éthiopien_ ; quelques-uns
sont Teboû, également nègres ; d’autres sont Touâreg, blancs ou de sang
mélangé.

Les terres de parcours sises entre les oasis sont occupées par trois
grandes tribus arabes, savoir :

Les Hotmân et les Megâr-ha, qui rayonnent autour de l’Ouâdi-ech-Chiâti,
dans les dunes d’Edeyen, la Hamâda de Mourzouk et une partie de la
Hamâda-el-Homrâ ;

Les Rîah, qui campent alternativement dans la Hamâda-el-Homrâ et dans
les massifs volcaniques de la Sôda et du Hâroûdj.


La capitale des Garamantes se retrouve, sous le nom de Djerma-el-Qedîma,
au Sud de la Djerma moderne, dans une sorte de baie que forme la
montagne de l’Amsâk. Le principal caractère de ces ruines nous est
transmis par le _Qeçîr-el-Watwat_ ou _châtelet des chauves-souris_.

La capitale des Nesoûr est représentée par les ruines de l’_ancien
château de Trâghen_, qui ont quelque rapport avec celles de Djerma-el-
Qedîma.

De la Garama des Romains, il ne reste plus aujourd’hui qu’un monument
carré, très-bien conservé, au milieu de pierres de taille, couvrant une
superficie de 60 mètres environ, ainsi qu’un amas de pierres de taille
très-étendu au Sud de la Djerma moderne. (Voir la planche ci-contre).

Zouïla, ville de Chorfâ, est le chef-lieu de la Cherguîya.

Mourzouk, capitale actuelle, est le siége du kâïmakâmlik.


La tradition, d’accord d’ailleurs avec l’histoire, nous apprend ce qui
suit :

Les plus anciens habitants des oasis étaient des Berâouna, nom sous
lequel les Arabes confondent tous les nègres du Bornou, aussi bien que
les Teboû.

La dynastie la plus ancienne qui ait gouverné les Berâouna est celle des
Nesoûr, originaire du Soûdân. Elle régnait à Trâghen. On y voit encore
les ruines du château des sultans et le tombeau de l’un d’eux,
_Maï-’Ali_ (le sultan ’Ali).

Pl. XIV. Page 276. Fig. 26.

[Illustration : MONUMENT ROMAIN DE L’ANCIENNE GARAMA.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

Les Nesoûr régnèrent longtemps, mais ils furent vaincus et détrônés par
une tribu arabe, les Khormân, qui réduisirent les Fezzaniens à l’état
d’esclaves et les accablèrent d’injustices.

Sous le gouvernement des Arabes Khormân, Zouîla était la capitale du
Fezzân.

Pendant que le peuple opprimé souffrait, passa un chérîf du Maroc,
allant au pèlerinage de la Mekke. On lui raconta tous les malheurs du
pays et on le supplia de venir le délivrer. Ce chérîf, au retour de la
ville sainte, obtint de son père l’autorisation de secourir les
malheureux Fezzaniens, ce qu’il fit avec le concours d’hommes dévoués
qui le suivirent.

Ce chérîf s’appelait Sîd-el-Monteser-ould-Mehammed.

Il ne tarda pas à vaincre les Khormân et à les expulser.

Par reconnaissance, les Fezzaniens élurent sultan leur libérateur. Ainsi
fut fondée la dynastie des Oulâd-Mehammed.

Si l’on s’en rapporte aux souvenirs des indigènes, cette dynastie, qui
régna 550 ans environ, fit le bonheur du pays et agrandit le Fezzân, peu
à peu, par de sages conquêtes, jusqu’à Sôkna, vers le Nord.

Voici les noms de quelques-uns des successeurs de Sîd-el-Monteser :


Sultan Djeheïm ;

  —    Mehammed ;

  —    Mehammed ;

  —    Ahmed, qui régnait en 1747 ;

  —    Mehammed ;

  —    El-Monteser.


Le dernier de ces sultans fut tué aux environs de Trâghen, où l’on voit
son tombeau, en 1811, par El-Moukkeni, l’un des lieutenants de Youçef-
Pacha, le dernier souverain de la dynastie indépendante des Karamanli de
Tripoli.

El-Moukkeni, devenu sultan du Fezzân, se rendit célèbre par les
expéditions qu’il fit en Nigritie, et dans lesquelles il emmena, non-
seulement beaucoup de chevaux, mais encore de petits canons. Dans ses
courses, il s’avança jusqu’au centre du Borgou, du Bahar-el-Ghozâl et du
Baguirmi. La capture des esclaves était le but principal de ses
expéditions, qui ne furent pas toujours couronnées d’un succès
incontesté.

En 1831, après vingt ans de règne des lieutenants des Karamanli, ’Abd-
el-Djelîl, le célèbre chef de la tribu arabe des Oulâd-Slîmân,
s’emparait du pouvoir qu’il conserva dix années, au milieu d’une lutte
qui ensanglanta tout le Fezzân.

En 1841, la Tripolitaine ayant été érigée en province de l’Empire
Ottoman, Bakir-Bey fut envoyé, avec une colonne, pour soumettre le
Fezzân. Une rencontre eut lieu à El-Bagla, non loin de la mer. ’Abd-el-
Djelîl battu trouva la mort en se défendant.

De 1811 à nos jours, il n’y a pas de doute sur l’exactitude des
renseignements ci-dessus donnés.

Antérieurement à 1811, des documents conservés par les marabouts de
Trâghen démontrent que la dynastie des Oulâd-Mehammed a occupé le trône
du Fezzân pendant de longs siècles, mais la date de son avénement, en
1261, est peut-être contestable.

Quoi qu’il en soit, si la période postérieure à la conquête arabe peut
être réputée appartenir à l’histoire positive, la période antérieure
appartient à l’histoire hypothétique.

Cependant le champ de l’hypothèse est fort restreint, car l’histoire
romaine confirmée par la triple découverte de la Djerma païenne, de la
Garama romaine et de la Djerma actuelle, confirme ce fait, qu’avant
l’ère chrétienne vivait au Fezzân un peuple du nom de Garamantes.

Mais de ce peuple nous ne connaissons que le nom et l’espace qu’il
occupait, sans savoir à quelle race, blanche ou noire, il appartenait.

Cependant, si les anciens Garamantes étaient d’origine nigritienne,
Berâouna ou Teboû, la tradition serait d’accord avec l’histoire, et les
Berâouna du Fezzân seraient identifiés avec les Garamantes.

Si l’on tient compte du peu de distance entre Djerma et Trâghen (130
kilomètres) ; si l’on compare les ruines des deux villes capitales, les
matériaux qui les composent, leurs formes, leur caractère ; si on
examine attentivement les tombeaux anciens des deux localités, surtout
si on constate qu’à Trâghen, comme à Djerma, comme dans toutes les oasis
du Fezzân, le sang noir domine, comme aussi plus au Nord, dans les
villes habitées par la même race, le doute n’est plus permis, et l’on
est porté à admettre que Garamantes, Berâouna et les sujets des sultans
Nesoûr appartiennent à cette race noire qui existe encore aujourd’hui
sur les lieux.

Pl. XV. Page 279. Fig. 27, 28 et 29.

[Illustration : Fig. 1. — RUINES DU QEÇÎR-EL-WATWAT.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 2. — TOMBES DE L’ANCIENNE NÉCROPOLE DE QEÇÎRÂT-ER-
ROÛM.

D’après un dessin de M. H. Duveyrier.]

[Illustration : Fig. 3. — TOMBES DES JABBÂREN, DANS L’OUÂDI-ALLOÛN.

D’après un croquis de M. H. Duveyrier.]

Dans le Fezzân méridional, d’ailleurs, on retrouve, à chaque pas, des
noms de lieux appartenant à la langue du Bornou (le _kanôri_) :
_Ngouroutou_, _Karakoura_, _Kerekerimi_, _Kangaroua_, tous noms de puits
anciens de l’oasis de Trâghen.

Ainsi, il est désormais à peu près certain qu’à une époque très-ancienne
a régné dans tout le Sahara une civilisation nègre très-avancée pour
l’époque, et que cette civilisation a doté le pays de travaux
hydrauliques remarquables, de constructions distinctes de toutes les
autres, de tombeaux qui ont partout le même caractère, de sculptures sur
les rochers qui rappellent les faits principaux de leur histoire.

A cette civilisation appartiennent :


1o Les forages des puits artésiens de l’Ouâd-Rîgh et d’Ouarglâ ;

2o L’aménagement des eaux de Ghadâmès et de Ganderma ;

3o Les puits à galeries, _fogârât_, communs au Fezzân et au Touât ;

4o Le châtelet des _chauves-souris_ (Qeçîr-el-Watwat), de Djerma-el-
Qedîma ;

5o Les ruines de Serdélès et de l’Ouâdi-Takarâhet ;

6o Les Esnâmen de Ghadâmès ;

7o Les chapiteaux de la place du marché de la même ville, s’ils ne sont
pas d’origine romaine ;

8o La nécropole de Qeçîrât-er-Roûm à Djerma ;

9o La grande nécropole isolée, entre Garâgara et Kharâig, à l’Est de
Djerma ;

10o Les anciennes tombes du cimetière de Ghadâmès ;

11o Celles des _Jabbâren_, que j’ai trouvées sur ma route, en allant à
Rhât ;

12o Celles de Djelfa (Algérie) et d’El-Fogâr (Fezzân), qui ont des liens
de parenté ;

13o Les sculptures de Bordj-Taskô à Ghadâmès ;

14o Les sculptures d’Anaï ;

15o Les sculptures trouvées par M. le docteur Barth dans la vallée de
Telizzarhên ;

16o Les sculptures de Moghar et d’’Asla, dans le cercle de Géryville ;

Enfin, tant d’autres monuments d’origine incertaine, mais très-ancienne,
qu’on retrouve dans le Sud de l’Algérie, de la Tunisie et de la
Tripolitaine.

La description, la filiation de tous ces débris de la civilisation
garamantique, ne peuvent trouver place ici, mais, pour qu’on en puisse
saisir les caractères généraux, je reproduis les dessins de ceux de ces
types qui m’ont paru les plus remarquables.

Mon but principal est de constater que des nègres, dont quelques-uns
sont encore sur place, mais dont la masse a été refoulée, ont occupé le
Sahara avant toute autre race, et qu’ils y ont atteint un degré de
civilisation qui n’a jamais été dépassé depuis par leurs successeurs. La
constatation de ce fait a une grande importance pour la colonisation
ultérieure du Sahara, si la France croit devoir s’en occuper.

A Djerma, à Trâghen, dans toutes les parties du Fezzân où j’ai été admis
à rendre visite aux _djema’a_, ou assemblées municipales de notables, je
me suis informé si l’on possédait des archives relatives à l’histoire
ancienne.

A Djerma, les vieillards disent que leurs chroniques ont été perdues,
mais qu’elles assignaient aux Teboû la possession originaire de leur
pays et même la fondation de leur ville ; leur langue primitive était le
_tedâ_.

A Trâghen, de vieux titres conservés par la famille des Thâmer donnent
le Bornou pour origine aux habitants de cette ville.

Interrogé sur le même sujet, Boû-Beker-Effendi, l’un des principaux
officiers civils du gouvernement turc à Mourzouk, répond : « Du temps
des Oulâd-Mehammed, tout était à la mode du pays des nègres. Le sultan
avait une _ganga_, une garde-noire ; la langue était presque le
_kanôri_, et tous les noms donnés aux lieux et aux choses étaient de
cette langue : ainsi le boulevard commercial de la ville s’appelait le
_dendal_, comme dans les villes de la Nigritie. »

Abba-Serki, le dernier descendant des Oulâd-Mehammed, ajoute à ces
renseignements un témoignage très-remarquable : « Sous ses ancêtres, il
était permis aux marchands de race blanche de rester à Mourzouk, pour
leurs affaires, pendant les trois mois de l’hiver seulement. Dès que les
chaleurs commençaient, le sultan faisait annoncer par un héraut que les
blancs eussent à se retirer, sous peine d’amende et d’expulsion, parce
que les blancs étaient toujours malades et communiquaient leurs maladies
aux autres habitants. » Donc, l’expérience avait démontré qu’il fallait
être noir pour supporter impunément l’insalubrité du climat pendant les
grandes chaleurs.

Serait-ce cette insalubrité qui aurait conservé au pouvoir de la race
primitive les contrées insalubres du Fezzân, du Nefzâoua, de l’Ouâd-
Rîgh, d’Ouarglâ et du Touât ? Il est permis de le croire, car on
remarque que les populations blanches intercalées entre ces contrées
insalubres habitent toutes des territoires plus sains. Encore un fait
d’observation pratique à noter pour la colonisation du Sahara.

Je résume le résultat de toutes ces informations : Les Fezzaniens sont
unanimes à attribuer le premier peuplement de leurs oasis à des nègres
païens, _djohâla_.


De ces préliminaires je passe à la ville de Mourzouk.

Elle fut fondée par les Oulâd-Mehammed, il y a environ cinq cents ans,
vers 1310. Le chérîf, qui devint plus tard sultan, trouva là quelques
_zerâïb_ ou chaumières en palmes. Il en fit sa demeure, et, comme
c’était un saint homme, il ouvrit une école, laquelle attira beaucoup de
gens autour de lui.

Une des premières constructions fut celle de la Qaçba, dans la partie
Ouest de la ville. Les Turcs l’ont restaurée, ainsi que le mur
d’enceinte de la ville, qui a la forme d’un carré presque parfait, avec
de petits bastions en saillie.

Les constructions particulières de Mourzouk ont un type uniforme :
toutes sont en briques d’une terre crue, tellement riche en sel et
tellement pauvre en argile, que les pluies, heureusement fort rares, les
dégradent beaucoup. Les habitations ordinaires n’ont qu’un rez-de-
chaussée ; celles des riches marchands de Sôkna et d’Aoudjela ont un
étage ; ces dernières sont vastes et bien aménagées pour le climat et
pour les besoins des habitants.

La ville est coupée en deux par une sorte de large boulevard, le
_dendal_, garni de boutiques de chaque côté et aboutissant par ses deux
extrémités aux deux portes principales : celle de l’Ouest, près de la
Qaçba, celle de l’Est, entre un corps-de-garde et le poste de la douane.

Au _dendal_ arrivent toutes les rues latérales, qui divisent la ville en
quartiers.

Contrairement à ce qu’on observe dans les villes arabes et berbères, les
rues sont larges, droites et découvertes, comme dans les villes nègres,
ce qui n’est pas le plus agréable, car la chaleur y est accablante.

La ville est alimentée par des puits dont l’eau est lourde.

La salubrité locale laisse à désirer, surtout pour les individus
originaires des climats tempérés. Jusqu’à ce jour, tous les gouverneurs,
d’origine turque, envoyés au Fezzân, y sont morts, à l’exception de
Mehemed-Bey, qui gouvernait le pays à mon arrivée et qui était tout
nouvellement installé.

L’insalubrité doit être attribuée à ce que Mourzouk est bâtie dans le
bas-fond d’une sebkha, saline desséchée.

La langue aujourd’hui parlée à Mourzouk et même dans la plus grande
partie du Fezzân est l’arabe.

L’esprit religieux est celui des centres dans lesquels des
fonctionnaires, une garnison et des commerçants étrangers dominent.
Cependant il y a une mosquée à la Qaçba et une autre dans la ville.

Mourzouk est assez bien approvisonnée en viande, légumes, fruits, car
les environs sont productifs.

Pendant longtemps, les gouverneurs turcs ont craint d’habiter la Qaçba,
parce qu’elle avait la réputation d’être hantée par de mauvais esprits.
Cependant le kâïmakâm militaire actuel, Moustafa-Agha, y est établi.

Autour de la citadelle sont des casernes et des magasins, récemment
construits à l’européenne.


L’établissement militaire et administratif de Mourzouk comprend :

1o Une garnison de 250 hommes environ de troupes régulières (_redîf_),
presque tous indigènes du Fezzân ou nègres ;

2o Quatre pièces d’artillerie de campagne avec une vingtaine de chevaux
pour les traîner ;

3o Des magasins réputés approvisionnés pour une année ;

4o Un hôpital dirigé par un médecin européen ;

5o Environ 50 cavaliers arabes irréguliers (_bachi-bouzouk_) que les
tribus de la côte, Mesrâta et Mesellâta, sont tenues de renouveler tous
les ans. Les irréguliers sont commandés par un bâch-agha arabe.

Jusqu’au moment de mon arrivée à Mourzouk et depuis l’érection du Fezzân
en kâïmakâmlik, le gouvernement avait été confié à deux chefs,
indépendants l’un de l’autre, le kâïmakâm civil (bey ou pacha), le
kâïmakâm militaire (agha ou bey), suivant le grade du titulaire. Le chef
civil gouvernait et administrait toutes les populations du kâïmakâmlik,
le chef militaire s’occupait exclusivement de la force publique. Mais,
pendant que j’étais à Mourzouk, tous les pouvoirs ont été concentrés
entre les mains du chef militaire, et le chef civil lui a été
subalternisé. Ces deux fonctionnaires supérieurs nommés par le
gouvernement de la Porte-Ottomane ne peuvent être changés que par un
ordre de Constantinople. A part cela, ils sont les subordonnés du
moûchîr, pacha de Tripoli.

Les autorités secondaires du pays sont :

Pour le civil : le _kâteb-el-mâl_, administrateur des finances ; le
_bach-cheïkh_, chef de la ville de Mourzouk ; les _kaïd_ et _cheïkh_ des
différentes oasis, qui demeurent au milieu de leurs administrés.

Pour le militaire : les officiers des redîf et des bachi-bouzouk, dont
les titres varient suivant leurs grades.

De tous ces fonctionnaires, civils ou militaires, huit à peine sont
d’origine turque.

Je serai sobre de remarques sur l’administration du Fezzân. En ce qui
concerne les impôts et accessoires de l’impôt, je me bornerai à
constater que le sultan ’Abd-el-Medjîd, avant sa mort, après avoir
apprécié les raisons de la dépopulation du Fezzân et de l’anéantissement
de son commerce, a cru devoir abolir les droits de douane et réduire
l’impôt du quart, soit de 175,000 piastres.

Pendant longtemps, l’occupation du Fezzân a coûté des sommes importantes
à l’Empire Ottoman ; on m’a assuré que les recettes couvrent aujourd’hui
les dépenses.


Les personnes qui, par expérience, savent combien on s’était trompé, au
début de la conquête de l’Algérie, en voulant estimer en bloc le chiffre
de sa population indigène avant que des recensements réguliers et
généraux eussent éclairé la question, comprendront pourquoi je
m’abstiens de dire quel est, même approximativement, le chiffre de la
population de Mourzouk et du Fezzân.

L’infortuné Vogel, qui séjourna à Mourzouk, du 5 août au 19 octobre
1853, donne à cette ville un chiffre de 2,800 habitants, et au Fezzân
une population totale de 54,000 âmes. J’accepte ces chiffres sans les
approuver, sans les infirmer, jusqu’à plus ample informé d’un
recensement réel.

Ce que je sais, pour l’avoir vu et constaté, c’est que le Fezzân est en
grande voie de décadence. Les travaux de culture sont délaissés, les
villages tombent en ruines, la partie mâle adulte de la population
émigre vers le Soûdân ou vers le littoral, partout où elle espère
trouver des conditions meilleures d’existence. Il y en a même en
Algérie, entre autres à Guelma, où l’on paraît très-content d’eux,
puisqu’on provoque de nouvelles immigrations. Les femmes seules restent,
et il est facile de prévoir que, si cet état de choses continue, le
Fezzân changera totalement d’aspect.

Dans un village où j’ai vu cent personnes au moins, il n’y avait qu’une
dizaine d’hommes ; dans tout l’Ouâdi-el-Gharbî, vaste agglomération de
villages et de forêts de dattiers, il n’y a que cent dix hommes adultes.

Cependant la fécondité du Fezzân est incontestable. J’y ai vu la moisson
mûre et récoltée en mai, les cotons en fleur en juin ; j’y ai mangé, à
la même époque, presque tous les fruits de l’Europe méridionale. A côté
de dattiers cultivés, d’autres poussent en broussailles, sans soins, et
donnent encore des fruits ; l’olivier lui-même, cet arbre du littoral,
s’y trouve. Dans toutes les oasis, à côté des légumes des climats
tempérés, on voit les légumes et les céréales de l’Afrique centrale. Une
population, sobre d’ailleurs, devrait être heureuse dans un tel pays.

Faut-il imputer à l’abolition du commerce des esclaves la ruine d’une
contrée naguère si prospère ? Sans doute, ce sacrifice fait aux grandes
puissances de l’Europe occidentale y a une grande part, car il n’entrait
pas moins de 2,500 à 3,000 esclaves par an à Mourzouk : mais est-ce là
la seule et unique cause du mal ? L’examen de la situation commerciale
de Mourzouk dans le second volume de ce travail éclairera la question.


                            § IV. — OUARGLÂ.


Ouarglâ est bien certainement l’une des villes les plus anciennes du
Sahara algérien, sans qu’il soit possible d’assigner à son origine une
date certaine.

On n’y trouve aucune trace de l’occupation romaine, et il y a peu de
chance pour qu’on en découvre, car cette occupation paraît s’être
arrêtée beaucoup plus au Nord, aux versants méridionaux du Djebel-’Amoûr
et de l’Aurâs.

Cependant cette ville semble avoir été connue d’Hérodote, car il décrit
exactement son site (l. II, 32) comme point extrême de la reconnaissance
des Nasamons au delà des sables de l’’Erg.

Les Romains, qui tenaient à la vie autant que nous, ont évité avec le
plus grand soin la ligne des bas-fonds insalubres du Touât, d’Ouarglâ et
de l’Ouâd-Rîgh.

Alors cette ligne, tout l’indique, était occupée par la race sub-
éthiopienne, dont le type se retrouve sur les lieux et à laquelle on
doit ce remarquable aménagement des eaux souterraines qui est un des
caractères généraux de cette contrée.

Ultérieurement, environ vers le IXe siècle de notre ère, toute cette
région fut envahie par la race berbère, et c’est de cette époque que
date ou la restauration ou la prise de possession d’Ouarglâ par les
Benî-Ouarglâ, de la grande famille des Zenâta.

Ebn-Khaldoûn nous apprend que les Benî-Ouarglâ n’étaient primitivement
qu’une faible peuplade qui, d’abord, habita plusieurs bourgades voisines
les unes des autres et qu’ils réunirent pour former une ville
considérable.

En 325 de l’hégire, les Benî-Ouarglâ étaient assez forts, d’après le
même historien, pour donner refuge au sectaire khâredjite, Abou-Yezîd,
dont le père visitait souvent le pays des noirs pour y faire le
commerce.

Bientôt après, les Benî-Ouarglâ fortifièrent leur ville, et quand l’émîr
Aboû-Zekerîya (de 1319 à 1346 de J.-C.) fut devenu souverain de
l’Ifrikïa, il fut si émerveillé de l’importance d’Ouarglâ, que pour
ajouter à sa splendeur il y fit bâtir une mosquée.

« De nos jours, dit Ebn-Khaldoûn, Ouarglâ est la porte du désert par
laquelle doivent passer les voyageurs qui veulent se rendre au Soûdân.
Son chef porte le titre de sultan. Il descend d’Abou-Thaboul, de la
famille des Benî-Ouagguîn, personnage dont la postérité, en ligne
directe, a toujours exercé la souveraineté. »

En 1353, Ebn-Khaldoûn vit à Biskra un ambassadeur du seigneur de
Takedda, ville importante de l’Afrique centrale, avec laquelle Ouarglâ
faisait un grand commerce.

A l’époque de Jean Léon (XVIe siècle), il y avait à Ouarglâ « des
marchands étrangers, même de Tunis et de Constantine, qui faisaient
arriver en la cité la marchandise de Barbarie, laquelle ils troquaient
avec le produit de la terre des noirs. »

Takedda ayant alors disparu comme place commerciale, Ouarglâ commerçait
avec Agadez.

Elle avait un roi avec 2,000 chevaux de garde et 150,000 ducats de
revenu.

De l’époque de Jean Léon à nos jours, les documents historiques manquent
sur Ouarglâ. Pour suppléer à leur absence, on pouvait compter sur les
chroniques de la ville, conservées précieusement par la municipalité,
mais, quand j’ai visité Ouarglâ en 1860, elles avaient été enlevées
quelques années auparavant par Mohammed-ben-’Abd-Allah, alors que cette
cité est tombée en son pouvoir.

Aujourd’hui on est réduit à consulter les souvenirs des vieillards pour
combler cette lacune.

Voici ce que j’ai appris :

Ouarglâ a toujours conservé, jusqu’en ces derniers temps, et ses sultans
et sa municipalité. J’ai même pu connaître et interroger le fils du
dernier sultan.

Depuis longtemps des rivalités de pouvoir entre les sultans et la
djema’a avaient amené le désordre dans l’administration des intérêts
publics.

A une époque que nul ne peut préciser et pour des causes multiples, mais
toutes rapportées à la décadence du pouvoir local, le grand commerce
avec l’Afrique centrale avait cessé ; la ville s’était dépeuplée ; les
maisons, la Qaçba, le mur d’enceinte, étaient tombés en ruines ; les
eaux n’avaient plus été aménagées, et l’insalubrité, avec la maladie,
était venue substituer la désolation à une situation jadis prospère.

A Ghadâmès et à Rhât, j’ai pu compléter, par des renseignements plus
précis, ce que la notoriété publique et la vue des lieux m’avaient
appris à Ouarglâ.

Entre Ouarglâ et Agadez existe une grande voie dont les traces sont
parfaitement conservées, et que de vieux Kêl-Ouï, Touâreg d’Aïr, se
rappellent avoir parcourue.

Je donne le tracé de cette route sur mes cartes, et des détails
complémentaires dans la partie commerciale de cette étude.

Les sultans d’Agadez, ceux des Touâreg du Nord et d’Ouarglâ, souverains
jadis puissants, assuraient la sécurité de cette route, et elle était le
passage d’un très-grand commerce.

Agadez a commencé par tomber en décadence par des causes qui seront
indiquées ailleurs.

Le commerce, dont cette ville était le point de départ au Sud, ne
donnant plus de revenus aux sultans des Touâreg et d’Ouarglâ, ceux-ci
n’en continuèrent pas moins à vivre dans le luxe aux dépens de leurs
sujets qui, eux-mêmes, souffraient de la cessation du négoce. Les
exactions amenèrent la révolte, et rois d’Agadez, rois des Touâreg, rois
d’Ouarglâ, disparurent les uns après les autres, entraînant dans leur
ruine commune un commerce dont ils étaient les créateurs, les soutiens
et presque les maîtres.

Le principe d’autorité avait créé l’ordre et, à sa suite, de grandes
relations commerciales : l’anarchie a amené le désordre et, à sa suite,
la situation que nous constatons aujourd’hui :

Le commerce d’Agadez s’est réfugié à Katsena et à Kanô dans le Soûdân ;

Celui d’Ouarglâ, qui s’opérait par la route directe de la Sebkha
d’Amadghôr, s’est détourné sur Rhât, sur Ghadâmès et sur El-Ouâd ;

Le pouvoir du roi des Touâreg du Nord a été remplacé par celui du cheïkh
des Azdjer, en laissant la confédération du Ahaggâr dans l’anarchie ;

Dans cette révolution, Ouarglâ a sombré, corps et biens, ne laissant à
El-Ouâd que quelques bribes de son grand commerce ;

Ghadâmès a tout absorbé, même le commerce qui s’opère par les routes
aboutissant à In-Sâlah.


On se demande si, avec le rétablissement de l’ordre au Sud de nos
possessions, Ouarglâ peut recouvrer son ancienne splendeur.

L’état présent de cette ville, hommes et choses, répondra à cette
question.

Quatre groupes d’habitants composent la population d’Ouarglâ :

Les Benî-Ouagguîn,

Les Benî-Brahîm,

Les Benî-Sisîn,

Des Benî-Mezâb qui, d’après un document que j’ai trouvé à Ghardâya,
confirmé d’ailleurs par Ebn-Khaldoûn, sont probablement les
contemporains des Benî-Ouarglâ dans l’oasis à laquelle ces derniers ont
imposé leur nom.

Les Benî-Mezâb confondus aujourd’hui avec les Benî-Sisîn habitent le
même quartier.

En réalité, les quatre groupes d’habitants d’Ouarglâ n’en font que
trois, et, par suite de leurs prétentions réciproques, ils ne sont
jamais d’accord ; ce qui fait que, quoique constituant un chiffre total
de 4 à 5,000 habitants, ils ont souvent succombé dans leurs luttes
contre la petite ville voisine de Negoûsa (1,000 âmes environ) et contre
les Arabes qui les enveloppent.

Les rivalités qui divisent les habitants d’Ouarglâ sont déjà une
première cause de faiblesse.

De plus, quoique les membres des quatre groupes berbères composant la
population d’Ouarglâ soient autorisés à revendiquer une origine blanche,
tous, à peu près sans exception, appartiennent au type sub-éthiopien du
Tafîlelt, du Touât, de l’Ouâd-Rîgh, du Nefzâoua et du Fezzân. Par leurs
traits, ils se rapprochent des Caucasiens ; par la coloration de la
peau, ce sont des noirs.

Les Ouargliens attribuent leur teint noir au mélange de leur sang avec
celui des nombreuses esclaves que leurs ancêtres ont achetées aux
caravanes du Soûdân.

Il est possible aussi que les Berbères Benî-Ouarglâ, très-peu nombreux à
leur origine, ainsi que le constate Ebn-Khaldoûn, et rencontrant de
grandes difficultés d’acclimatation dans le bas-fond de la cuvette de
l’Ouâd-Mîya, aient cherché dans une fusion de leur sang avec celui des
noirs de la race garamantique, qui s’étendaient jusque dans ces parages,
l’unique chance qu’ils avaient de se reproduire dans une contrée où la
race blanche ne peut vivre.

Une étude complète du Sahara nous montre toutes les régions basses des
lits des anciennes sebkha habitées par des noirs et toutes les régions
élevées et sèches environnant ces bas-fonds, peuplées de blancs. Il y a
dans ce cantonnement général autre chose que le fait de l’importation
d’esclaves noirs, car les tribus des hauts plateaux ont reçu autant
d’esclaves que celles des bas-fonds. Je ne puis m’empêcher d’y voir
l’application d’une des lois les plus simples de la nature. Le sang
nègre a vaincu le sang blanc dans les lieux où le climat se rapproche de
celui de la Nigritie ; le sang blanc a dominé le sang nègre partout où
la race blanche a retrouvé les conditions du climat originel.

Pl. XVI. Page 288. Fig. 30.

[Illustration : TYPES FÉMININS DE LA RACE SUB-ÉTHIOPIENNE OU
GARAMANTIQUE

(OUAD-RÎGH).

D’après des photographies de M. H. Duveyrier et de M. Puig.]

Les plantes ne se conduisent pas autrement. La plus vivace étouffe la
plus faible.

L’impossibilité, pour les blancs, de vivre et de se reproduire à
Ouarglâ, crée donc une seconde cause de faiblesse pour cette ville.

Enfin, tout est en ruine à Ouarglâ : habitations, habitants, moral même.

La Qaçba que j’ai visitée en détail et qui était une petite ville
fortifiée au milieu de la grande est aujourd’hui inhabitable : à peine
pourrait-on en dresser le plan.

Les maisons de la ville, quoique bien bâties, à plusieurs étages, avec
des portes encadrées et décorées d’arabesques, sont mal entretenues ou
en ruines. On voit cependant qu’elles ont été construites par des
propriétaires riches, car elles offrent le luxe de passages voûtés qui
donnent, pour l’été, d’agréables lieux de repos pendant la chaleur du
jour.

Les mosquées sont à peine en meilleur état que la Qaçba et les maisons.

Le fossé, large de douze mètres environ, qui enveloppe extérieurement le
mur d’enceinte de la ville et qui sert d’exutoire à toutes les
immondices et à l’excédant des irrigations des jardins, est aujourd’hui
un immense cloaque infect, sans issue, dont les émanations
empoisonneraient l’air le plus pur.

Aussi, au printemps et à l’automne, la fièvre paludéenne atteint-elle
tous les habitants.

Déjà bon nombre d’entre eux ont émigré à Tunis ; ce qui reste ne sait
que se plaindre et accuser.

Aujourd’hui, à Ouarglâ, il n’y a plus un riche négociant, mais des
propriétaires mal aisés et des _khammâs_[103], qui vivent du cinquième
des produits des jardins qu’ils cultivent.

On dit qu’il y vient encore quelques caravanes de Rhât, d’El-Golêa’a,
d’In-Sâlah, mais, évidemment, ce ne peut être que pour échanger des
marchandises sans valeur contre des dattes, seule production sérieuse de
l’oasis.

Aujourd’hui Ouarglâ est une ville morte, et nul ne la ressuscitera, je
le crains ; cependant la belle ceinture de 60,000 palmiers qui
l’environne, ses eaux artésiennes, sa situation à l’embranchement d’une
route sur Timbouktou par In-Sâlah, et sur le Soûdân par les mines de sel
d’Amadghôr, les nombreux Cha’anba avec leurs chameaux qui peuplent sa
banlieue, lui donnent une grande valeur comme station de caravanes,
entre le plateau rocheux des Benî-Mezâb et la zone des dunes qui la
séparent des montagnes des Touâreg.

Conservons à Ouarglâ ce rôle dans l’avenir et cherchons au Nord un
endroit plus salubre pour servir d’entrepôt à notre commerce. Methlîli,
Ghardâya et Laghouât ne laissent que l’embarras du choix.

Ouarglâ a encore un autre rôle à jouer : c’est le point de nos
possessions le plus rapproché des Touâreg du Nord, notamment des Ifôghas
qui viennent quelquefois camper à très-peu de distance de cette ville.
De bons rapports entre un centre soumis à notre domination et des
peuplades indépendantes peuvent être un excellent trait d’union. Mais,
pour cette mission spéciale, il faudrait que le chef d’Ouarglâ fût en
même temps le représentant des intérêts de la France près des Touâreg et
non un personnage exclusivement préoccupé d’intérêts personnels ou
locaux.


                      § V. — IN-SÂLAH ET LE TOUÂT.


Cinq groupes d’oasis constituent l’archipel auquel on donne le nom
collectif de Touât, forme berbère du mot _Oasis_.

Le Tidîkelt est le plus méridional de ces groupes. In-Sâlah[104] en est
le chef-lieu. En même temps, cette ville est le principal centre de
commerce de la contrée, dans ses rapports avec l’Afrique centrale,
l’Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine.

In-Sâlah est, à vol d’oiseau, à peu près à une égale distance de
Timbouktou, de Mogador, de Tanger, d’Alger et de Tripoli. Par sa
position centrale, cette ville devait devenir et est devenue un centre
commercial important, l’une des clefs du commerce du Nord avec
Timbouktou.

Pl. XVII. Page 290. Fig. 31.

[Illustration : TYPE MASCULIN DE LA RACE SUB-ÉTHIOPIENNE OU
GARAMANTIQUE.

(OUAD-RÎGH).

D’après une photographie de M. H. Duveyrier.]


Le Touât est une confédération indépendante de trois cents à quatre
cents petites villes ou villages, à quelques journées de marche au Sud
de nos possessions, et qui embrasse, du Nord au Sud, une longueur de 300
kilomètres et, de l’Est à l’Ouest, une largeur de 160 kilomètres, entre
les méridiens d’Alger et d’Oran, sur la route directe de l’Algérie au
Niger moyen.

Par sa situation, cette confédération se trouve dans le rayon naturel
d’attraction de notre colonie.

Elle est, en outre, dans notre dépendance immédiate pour ses besoins de
première nécessité : la viande et le blé dont elle se nourrit, la laine
dont elle fait une partie de ses vêtements. Ces denrées sont portées
annuellement par nos tribus algériennes du Sahara occidental dans les
divers oasis du Touât qui ne pourraient se les procurer ailleurs, car
l’anarchie, qui est l’état normal du Maroc, ne leur permet pas de
compter, pour leurs approvisionnements, sur la production, d’ailleurs
très-restreinte, de cet Empire.

Le Touât reconnaît la souveraineté religieuse des _chorfâ_, empereurs du
Maroc, et, à ce titre, lui envoie des présents en argent, quelque chose
comme le denier de saint Pierre de l’Europe catholique ; mais là se
bornent ses rapports avec les souverains de Fez. Au même titre, le Touât
fait des dons aux marabouts de Timbouktou, les Bakkây, et les Touâtiens
ont bien le soin de faire remarquer que ces témoignages de déférence
religieuse ne s’adressent pas au pouvoir temporel, mais au pouvoir
spirituel dont ces marabouts sont revêtus.

Jaloux de leur indépendance politique, même vis-à-vis des souverains
musulmans, les Touâtiens le sont, à plus forte raison, vis-à-vis de la
France, puissance chrétienne.

Instinctivement, appréciant mieux leur position que nous ne l’avons fait
nous-mêmes, ils ont le pressentiment que tôt ou tard ils tomberont sous
notre influence, si ce n’est sous notre domination.

L’occupation de Laghouât et de Géryville, l’extension donnée à nos
possessions du Sénégal, ont répandu chez eux de grandes craintes :
aussi, quand simultanément, en 1861, M. le commandant Colonieu et le
khalîfa Sîdi-Hamza se sont avancés, le premier jusqu’à Timmîmoun avec
une caravane d’essai, le second jusqu’à El-Golêa’a, où il a des
propriétés, a-t-on vu tous les Touâtiens trembler comme si leur
indépendance politique avait été menacée et songer à fuir dans les
montagnes des Touâreg Ahaggâr.

Alors, en quelques jours, le prix des chameaux s’est élevé de 200 à 500
francs.

Une ambassade a été envoyée à l’empereur du Maroc pour le prier
d’intervenir, probablement par la voie officieuse de la diplomatie ; des
supplications ont été adressées au marabout de Timbouktou à l’effet de
rendre favorable à la cause du Touât l’influence qu’il peut exercer à
Londres et à Constantinople.

Avant d’implorer l’intervention de leurs chefs religieux, les Touâtiens
s’étaient jetés dans les bras d’El-Hâdj-Ahmed, le moqaddem de la
confrérie hostile des Senoûsi, et dans ceux de Mohammed-ben-’Abd-Allah,
qu’on a vu, les armes à la main, nous disputer la domination du Sahara
algérien.

Ainsi, pendant qu’on s’occupe peu du Touât en Algérie, on ne pense qu’à
nous, on ne parle que de nous au Touât, et, je le répète, cette
agitation est due à la conviction que cette contrée est naturellement
destinée à subir la loi du maître d’Alger.

Convaincus de leur impuissance à nous résister, ces Oasiens ont adopté
contre nous la politique de l’isolement et de l’abstention de tout
rapport, dans l’espoir que l’ignorance de leur position favorisée les
protégera mieux que la lumière.

Cependant tous les hommes intelligents comprennent le côté faible de
cette tactique et le danger que court l’indépendance de leur
confédération en accueillant les prédications des Senoûsi, en donnant
asile à des Mohammed-ben-’Abd-Allah, en refusant toute relation de
commerce avec nous.

Les principaux propriétaires, les riches commerçants, les capitalistes,
en un mot, tous ceux qui ont voyagé, devinent qu’une puissance comme la
France ne peut pas permettre au commerce de Timbouktou de longer toute
la limite Sud de ses possessions, pour aller gagner le port de Tripoli,
sans être tentée d’y prendre une part quelconque.

Il est vrai qu’à côté de ces hommes sensés il y a la classe turbulente
et inquiète des _tolba_ ou gens lettrés vivant aux dépens de la
crédulité publique et exploitant l’ignorance des Sahariens. Cette classe
a le sentiment instinctif que son règne cessera le jour où notre
influence se fera sentir au Touât.

En attendant, elle va partout semant les plus grandes absurdités sur
notre compte et recrutant des auxiliaires aux Senoûsi et aux agitateurs
comme Mohammed-ben-’Abd-Allah.

Néanmoins, la lumière se fait, et, peu à peu, les préventions
disparaîtront.

Au nombre de ces préventions, il en est une que le gouvernement doit
dissiper : c’est qu’il n’a aucun intérêt à grever son budget des
dépenses de l’occupation du Touât, si de bons rapports avec ses
habitants permettent au commerce de l’Algérie, comme à celui de Malte et
de Gibraltar, de prendre part aux échanges avec l’Afrique centrale, mais
que, si les Touâtiens continuent à vouloir fermer aux marchandises
françaises la route de l’Algérie à Timbouktou, au profit exclusif des
marchandises anglaises, il se verra contraint ou de conquérir le Touât,
ce qui n’est pas difficile, ou de rouvrir l’ancienne route rivale par
Ouarglâ, El-Beyyodh, Aghelâchchem, Timîssao et Mabroûk, entreprise
réalisable, qui enlèverait au Touât et à In-Sâlah tout le commerce qui
les enrichit.

Malheureusement, la république touâtienne n’a, ni un pouvoir central
pour la totalité de la confédération, ni un pouvoir local pour chaque
groupe. Au contraire, chaque centre a son autorité distincte : ici, dans
les villages berbères, la municipalité démocratique ; là, dans les
villages arabes, le pouvoir héréditaire de familles nobles ou
religieuses ; ailleurs, dans les villages où le sang noir domine, la
municipalité aristocratique, et partout pour couronnement de l’édifice
anarchique deux partis politiques : les _Sefiân_ et les _Ihâmed_ ; deux
partis religieux : les _Senoûsi_ et les _Tedjâdjna_, qui achèvent de
diviser les populations.

Sans cette division à l’infini du pouvoir et des partis, le Touât, placé
comme il l’est sur une grande route commerciale, favorisé d’un
territoire fertile et bien arrosé, serait un pays très-riche.

Comme ancre de salut apparaît dans le lointain l’intervention efficace
du marabout Sîdi-Ahmed-el-Bakkây de Timbouktou, qui, sollicité par son
intérêt personnel de propriétaire de plusieurs zâouiya au Touât et de
maître du marché alimentateur de celui d’In-Sâlah, semble aujourd’hui
disposé à entrer en rapports avec le gouvernement de l’Algérie.

Le désir du marabout de Timbouktou est le même que le nôtre : développer
les relations commerciales de l’Afrique centrale avec l’Europe, sans que
l’occupation du Touât par des chrétiens soit nécessaire.

L’intérêt des commerçants de l’Afrique centrale dans la question est
encore plus grand que celui des Algériens, car, si l’Europe peut, à la
rigueur, se passer des produits de la Nigritie, la Nigritie ne peut
guère rester privée des produits de l’Europe.

Le gouvernement marocain pourrait aussi être sollicité, par
l’intermédiaire de notre consul général de Tanger, à éclairer le Touât
sur ses véritables intérêts, et ce gouvernement peut le faire : car la
route du Maroc à Timbouktou est indépendante de celle d’In-Sâlah, et il
importe peu au souverain de Fez que les marchands du Touât soient les
intermédiaires du commerce d’Alger ou de celui de Tripoli.

Trois races distinctes peuplent le Touât : les Noirs, les Berbères et
les Arabes.

Les Noirs sont les plus nombreux et les plus anciens habitants du pays.
Le Gourâra et l’Aougueroût paraissent ne pas en avoir d’autres.

Les auteurs grecs et latins indiquent le Tafilelt (la Sédjelmâssa du
moyen âge) comme limite Ouest au territoire des Garamantes. Les Noirs du
Touât, d’après cette indication, auraient la même origine que leurs
frères du Fezzân. L’usage commun des puits à galerie (fogârât des
Garamantes) confirme cette assimilation.

Plus au Nord, à Moghâr et à ’Asla, les rochers portent des sculptures
_sui generis_ rappelant la civilisation garamantique.

On est donc autorisé à considérer les Noirs du type sub-éthiopien du
Touât comme ayant appartenu primitivement au groupe garamantique.

L’historien Ebn-Khaldoûn nous fait connaître quelles tribus berbères
sont venues envahir le Touât : les Benî-Yaleddès, fraction des Ouemmanou
avec des Benî-Ourtatghîr, des Benî-Mezâb, des Benî-Abd-el-Ouâd et des
Benî-Merîn.

On comptait à cette époque, au Touât, deux cents bourgades, plus cent
dans le Gourâra, ce qui correspond assez exactement au nombre actuel des
Qeçoûr.

Tementît et Boûda étaient alors les centres commerciaux, points
d’arrivée et de départ des caravanes de l’Afrique centrale.

Avant l’invasion de ces Berbères dans le Touât, les Touâreg du Ahaggâr
auraient étendu leur domination sur les oasis méridionales de
l’archipel, mais Ebn-Khaldoûn n’en fait pas mention.

Depuis, des tribus arabes nomades, dont quelques essaims se sont
stabilisés en élevant de nouveaux villages, sont venues ajouter un
nouvel élément de population, sinon de discorde, aux éléments berbères
et noirs qui, jusque-là, semblent avoir vécu en assez bonne
intelligence.

Cependant le _berbère_ est resté la langue nationale du Gourâra, de
l’Aougueroût et du Tîmmi, quoique l’_arabe_ soit devenu la langue
écrite, commerciale et religieuse de tout le Touât.


Si de l’origine des habitants je passe aux détails de leur assiette sur
le territoire qu’ils occupent, je trouve chaque groupe d’oasis installé
sur le versant Ouest, à pente douce, du plateau du Tâdemâyt, et tirant
de ce plateau ses eaux d’alimentation et d’irrigation, au moyen de
travaux hydrauliques particuliers, inconnus des Berbères et des Arabes,
mais communs partout où j’ai constaté la préexistence du type sub-
éthiopien. Ces travaux étaient nécessaires pour que le Touât fût
habitable, car il y pleut rarement, et souvent, à l’époque actuelle, on
y traverse des périodes de vingt-cinq années sans pluies.

Quoique sur le versant d’un plateau, le territoire du Touât peut être
considéré comme se rapprochant beaucoup de la nature des bas-fonds de
sebkha d’Ouarglâ, de l’Ouâd-Rîgh, du Nefzâoua et du Fezzân, occupés par
leurs frères noirs de même race. On dirait que ces enfants de l’Afrique
centrale ont partout recherché, dans le Nord du continent, les régions
dont le climat ressemblait le plus à celui de leur patrie originelle. Il
est vrai qu’ailleurs ils s’acclimatent et se reproduisent difficilement.

La population surabonde au Touât, aussi a-t-elle dû recourir à
l’émigration pour faire cesser le trop-plein. On rencontre des Touâtiens
partout : à Timbouktou, à Agadez, à Rhât, à Ghadâmès, à Tripoli, à
Tunis, à Tlemsen, dans toute la partie occidentale du Sahara algérien et
dans les principales villes du Maroc. Dans les centres commerciaux, ils
s’adonnent au commerce ; dans les tribus, ils sont instituteurs. Comme
les Benî-Mezâb et les Biskri, dès qu’ils ont gagné un petit pécule, ils
rentrent dans leur patrie.

Bien que la fertilité du Touât soit grande, sa production est inférieure
à ses besoins : aussi est-il tributaire des provinces d’Alger et d’Oran,
pour la partie de sa consommation qui ne consiste pas en dattes et en
légumes frais.

Les vêtements, la plus grosse affaire après l’alimentation, sont par
moitié en coton venant de Timbouktou ou du Soûdân, par moitié en laine
dont la matière première vient de l’Algérie.

Plusieurs villes de la confédération touâtienne ont une certaine
importance commerciale, les unes comme centres d’un commerce local :
Tîmmi, Timmîmoun, Tabalkosa ; les autres comme centres d’échange entre
les produits de l’Europe et ceux de l’Afrique centrale : In-Sâlah et
Aqabli. Ces deux dernières villes doivent aux relations journalières
qu’elles entretiennent avec les Touâreg d’avoir monopolisé en leurs
mains un commerce qui exige de bons rapports avec les maîtres des
routes. Jadis Aqabli avait la prédominance, aujourd’hui c’est In-Sâlah.


In-Sâlah est une des villes les moins anciennes du Touât, car aucun
document ne la mentionne avant le XVe siècle, et ses habitants ne font
remonter sa fondation qu’à deux cents ans. Néanmoins elle est
aujourd’hui l’une des plus grandes, des plus peuplées et
incontestablement la plus riche.

Il faut, toutefois, s’entendre sur ce qu’on est convenu d’appeler la
ville d’In-Sâlah.

In-Sâlah est un nom collectif donné à quatre qeçoûr ou centres
d’habitation qui se touchent et sont échelonnés à l’Orient l’un de
l’autre.

Ces quatre qeçoûr sont :

Qaçar-el-’Arab ou Qaçar-el-Kebir ;

Qaçar-Bel-Qâsem ;

Qaçar-Oulâd-el-Hâdj ;

Qaçar-ed-Derhâmcha.

De ces quatre qeçoûr le plus important, celui auquel pourrait
s’appliquer le titre de ville portant le nom d’In-Sâlah, est Qaçar-el-
Kebîr (le grand centre) ou Qaçar-el-’Arab (le centre des Arabes) : mais,
je le répète, In-Sâlah n’est pas une ville dans le sens que nous
attachons à ce mot : c’est une collection de quatre bourgades
fortifiées, ayant chacune leur vie propre.

Autour de ce point central, capitale du Tidîkelt, convergent d’autres
qeçoûr : Ej-Jedîd, Ez-Zâouiya, Es-Souâhel, Meliâna, Hâss-el-Hadjâr,
Igueston, Qaçbet-Oulâd-Zommît, Fogâret-ez-Zouâ, Ez-Zâouiyet-Mouley-
Heyba, Sillâfen, Fogâret-Oulâd-el-Hâdj-Badjoûda, Fogâret-Oulâd-el-
Hâdj-’Ali, Fogâret-Oulâd-el-Hâdj-Mohammed, Sâhel, El-Barka. Ces quinze
villages fortifiés peuvent être considérés comme formant une grande
banlieue autour des quatres qeçoûr constituant In-Sâlah.

La portion la plus active de la population d’In-Sâlah est arabe ;
quelques étrangers, particulièrement les Ghadâmèsiens, y ont des
établissements. Plusieurs des chefs Touâreg y tiennent en dépôt tout ce
qu’ils possèdent : ainsi le Cheïkh-’Othmân y a maison, magasins, jardins
de dattiers. C’est là qu’il emmagasine tout ce qu’il a de précieux, et
il se considère autant habitant d’In-Sâlah que de Timâssanîn.

En cela, In-Sâlah, quoique centre d’un grand commerce, conserve le rôle
dévolu à tout qaçar, celui de servir de lieu de dépôt à la partie de la
fortune des nomades qu’ils n’emportent pas avec eux dans leurs
pérégrinations.

Une municipalité ou djema’a gouverne la ville.

Les familles les plus influentes sont les Oulâd-Badjoûda et les Oulâd-
el-Mokhtâr.

Ce qui assure la prospérité d’In-Sâlah est la solidarité d’intérêts qui
existe entre les commerçants de cette ville, d’un côté avec les chefs
des Touâreg Ahaggâr, de l’autre, avec les marabouts de Timbouktou ;
solidarité que le courage de ses habitants, appuyé sur le concours de la
tribu belliqueuse des Oulâd-Bâ-Hammou, a toujours su maintenir.

In-Sâlah est aux Touâreg Ahaggâr ce que Rhât et Ghadâmès sont aux
Azdjer, c’est-à-dire un marché sur lequel ils peuvent, à peu près sans
bourse délier, s’approvisionner de tout ce qui leur manque dans leurs
montagnes.

Sans les coutumes, les présents, les victuailles que les gens d’In-Sâlah
donnent aux Ahaggâr, ces derniers seraient souvent exposés à mourir de
faim ; sans la protection que les Ahaggâr donnent aux caravanes d’In-
Sâlah sur les routes, le commerce qui fait la richesse de la ville ne
serait pas possible.

La même solidarité existe entre les marabouts de Timbouktou et les
commerçants d’In-Sâlah. Sur le Niger, les marabouts appuient de leur
toute-puissance les commerçants du Touât, et les commerçants d’In-Sâlah
font respecter et entretiennent au Touât les trois zâouiya des marabouts
El-Bakkây.

Les gens d’In-Sâlah sont réputés excellents guerriers : montés sur des
chevaux, armés de fusils et de pistolets, ils ont sur leurs ennemis
l’avantage de ne pas fuir devant les armes à feu.

Les Oulâd-Bâ-Hammou, leurs parents et leurs alliés, sont aussi très-
braves et très-redoutés.


Un mot sur cette tribu qui pèse d’un si grand poids dans les destinées
d’In-Sâlah, car elle lui permet de faire respecter ses caravanes et même
de réduire les exigences des Touâreg Ahaggâr à de légitimes proportions.

Les Oulâd-Bâ-Hammou sont d’origine arabe, ils parlent l’arabe et vivent
de la vie des nomades ; mais, depuis longtemps, ils ont adopté toutes
les coutumes des Touâreg.

Comme eux, ils portent des vêtements bleus en coton du Soûdân, le voile,
le poignard de bras et la lance.

Comme eux, ils ont des imrhâd (serfs), Arabes ou Touâreg, et les uns et
les autres, propriétaires de chèvres et de chameaux, habitent avec les
tribus imrhâd des Touâreg dans les montagnes du Ahaggâr et même de
l’Adzjer les plus rapprochées du Touât.

Cette similitude de vie les a souvent fait appeler Touâreg blancs,
_Touâreg-el-biodh_, parce qu’ils portent généralement le voile blanc.

D’ailleurs, les Touâreg, sans les considérer comme des frères, ne les
tiennent pas pour étrangers, car ils regardent le territoire de leurs
parcours comme faisant partie du domaine national de leurs
confédérations.

A une époque, difficile à préciser, les Touâreg auraient abandonné aux
Touâtiens et aux Oulâd-Bâ-Hammou le territoire qu’ils occupent
aujourd’hui, mais sans renoncer aux droits que la conquête leur avait
conférés.

Les Oulâd-Bâ-Hammou ont un village leur appartenant dans la banlieue
d’In-Sâlah, celui d’Igueston, où ils tiennent leurs approvisionnements
sous la garde de quelques-uns d’entre eux ; mais la tribu mène la vie
nomade sur le grand plateau de Tâdemâyt, entre les dunes de l’’Erg, les
oasis de la confédération touâtienne et les montagnes des Ahaggâr.

Les Oulâd-Bâ-Hammou sont assez forts pour se faire respecter des
Touâreg. En 1860, ils sont même venus faire un rhezî sur les Azdjer à
Tikhâmmalt : mais généralement ils préfèrent vivre en bons rapports avec
eux, parce qu’ils ont à défendre les caravanes d’In-Sâlah contre
d’autres ennemis, notamment contre les Berâber, les Douï-Menîa’ du Maroc
et les Oulâd-Moûlât des rives de l’Océan.

Ainsi que je l’ai déjà dit, les Douï-Menîa’ et les Oulâd-Moûlât viennent
à cheval, de deux cents à trois cents lieues, enlever les chameaux des
Touâtiens jusque dans les pâturages de leurs oasis.

Pour résister à des adversaires aussi audacieux, le commerce d’In-Sâlah
avait besoin de trouver dans la tribu des Oulâd-Bâ-Hammou une force qui
ne le laissât pas complétement à la discrétion des Touâreg Ahaggâr. Là
est peut-être le secret de la puissance d’In-Sâlah et de sa supériorité
sur Aqabli, Tementît et Boûda.


Un petit district du Tidîkelt, celui d’Ingher, est habité, partie par
des Arabes, partie par des Touâreg.

Deux villages du district d’Aqabli : El-Mançoûr et Arrekâch, sont
occupés par une tribu târguie, les Iouînhédjen, qui antérieurement
habitait les environs d’El-Barkat, au Sud de Rhât, mais qui a été forcée
d’émigrer par les anciens sultans des Touâreg. Les Arabes donnent le nom
de _sattâf_[105] à ces Touâreg.

Ces deux groupes, devenus Touâtiens, servent de trait d’union entre les
oasis et les Touâreg Ahaggâr et Adzjer.


[Note 93 : Dans l’intérieur de l’Afrique, dit Pline, du côté du Midi,
au-dessus des Gétules, et après avoir traversé des déserts, on trouve
d’abord des Liby-Égyptiens, puis les Leuc-Éthiopiens ; plus loin des
nations éthiopiennes... Tous ces peuples sont bornés du côté de l’Orient
par de vastes solitudes, jusqu’aux Garamantes, aux Augyles et aux
Troglodytes.]

[Note 94 : Cette inscription a été envoyée à Tougourt, pour de là être
expédiée au Muséum d’Alger, mais elle ne paraît pas être encore arrivée
à destination.]

[Note 95 : J’ai rapporté de mon voyage la copie d’un livre d’histoire
sur ces contrées au moment de la conquête musulmane. Il a été écrit par
Aboû’l ’Abbâs-ben-Sa’ïd ech-Chemâkhi, et a pour titre _Kitâb fi Sahâïb-
el-Gholoûb_, ou _Livre sur les conquérants_. Je n’ai eu, jusqu’à
présent, ni le temps ni la santé nécessaires pour le traduire, mais un
jour viendra, je l’espère, où je pourrai extraire de cet ouvrage tout ce
qu’il contient d’important.]

[Note 96 : Voir : _Description de l’Afrique_, par un anonyme, texte
arabe publié à Vienne, par M. A. de Kremer, 1854.]

[Note 97 : D’après les habitants, le nombre des palmiers de l’oasis
s’élèverait à 63,000, mais j’ignore si cette estimation est le résultat
d’un dénombrement régulier, ancien ou moderne.]

[Note 98 : Ces chiffres sont ceux qui m’ont été donnés en 1860. Ceux
fournis, en 1862, à M. le lieutenant-colonel Mircher, sont plus élevés.]

[Note 99 : Voir, pour la température et l’analyse des eaux de la source,
liv. I, chap. III, pages 31 et 32.]

[Note 100 : Pendant quinze jours, les Turcs de Tripoli ont cru qu’’Aly-
Bey s’était emparé de Ghadâmès, et on affirmait que des Français
déguisés, venus avec lui, construisaient un fort près du bassin de la
source.]

[Note 101 : Depuis la conclusion d’un traité de commerce entre la France
et les chefs Touâreg, le cheïkh de Rhât, appuyé par une partie des
habitants de la ville, a renouvelé avec plus d’ardeur ses instances près
des Turcs pour l’annexion de Rhât à la Tripolitaine.]

[Note 102 : Malgré mon grand désir d’entrer dans Rhât pour visiter la
ville, j’ai dû m’abstenir par respect pour l’émir des Touâreg,
Ikhenoûkhen, qui, pour rien au monde, n’aurait consenti à exposer son
hôte aux avanies d’un fanatique. Campé avec lui sur le marché même de la
ville, dont la police appartient aux Touâreg, je n’avais à redouter
aucun danger.]

[Note 103 : Le khammâs, c’est-à-dire _cultivateur au cinquième_, est un
engagé à la disposition duquel les propriétaires mettent tout ce qui est
nécessaire à la culture : sol, plantations, semences, eaux, instruments,
et qui donne gratuitement sa main-d’œuvre, moyennant le cinquième de la
récolte.]

[Note 104 : In-Sâlah doit être écrit en deux mots et non en un seul
comme on le fait ordinairement. Ce nom est composé du pronom
démonstratif temâhaq, _In_, celui de, et du nom propre arabe _Sâlah_,
c’est-à-dire l’endroit, la ville de Sâlah.]

[Note 105 : Corruption du mot temâhaq _isattafenîn_, les noirs, c’est-à-
dire ceux qui portent le voile noir. Les habitants du Tidîkelt ont
ordinairement des voiles blancs.]




                              CHAPITRE II.

                           CENTRES RELIGIEUX.


Je l’ai déjà dit, deux grandes confréries et deux grandes familles de
marabouts tiennent sous leur dépendance religieuse la presque totalité
des populations du Sahara.

L’une des confréries, celle des Tedjâdjna, la plus ancienne, constituée,
il y a un siècle environ, en dehors de toute influence de l’antagonisme
de la religion chrétienne et de la religion musulmane et basée sur les
vraies lumières de l’Islâm, semble avoir été créée par son fondateur
dans un but de rapprochement et de lien entre toutes les peuplades
divisées du Sahara et de l’Afrique centrale.

L’autre, celle des Senoûsi, organisée depuis la conquête de l’Algérie,
depuis que la question d’Orient est devenue l’objet permanent des
préoccupations des puissances chrétiennes, s’est, au contraire, proposée
pour but spécial de lutter contre l’influence toujours croissante de la
politique européenne sur les États musulmans et de préserver les
populations du Sahara et de l’Afrique centrale de tout rapport avec les
Européens.

La première, par ses actes, par son exemple, prêche la tolérance ; la
seconde enseigne le fanatisme le plus exalté et, dans sa carrière active
et militante, cherche à opposer une barrière matérielle à une fusion
d’intérêts entre des peuples qui ne peuvent vivre séparés les uns des
autres.

Les représentants de la première, pendant toute la durée de ma mission,
ont été mes protecteurs dévoués ; ceux de la seconde, inférieurs en
nombre et en puissance, ont été partout mes adversaires les plus
redoutables.

Je dois à la reconnaissance de signaler la conduite tolérante des
Tedjâdjna, et à la vérité d’éclairer le gouvernement sur l’hostilité des
Senoûsi et sur les obstacles qu’ils peuvent opposer à l’extension de nos
rapports avec le Sahara et l’Afrique centrale.

Les deux familles de marabouts que je considère comme des centres
religieux sahariens doivent être aussi connues, car celle des Bakkây,
toute-puissante à Timbouktou et chez les Touâreg Aouélimmiden, peut
exercer une grande influence sur l’avenir de nos relations avec les
populations du Niger, et celle d’Oulâd-Sîdi-Cheïkh doit encore nous
rendre d’importants services au Touât.

La face politique des deux congrégations étant la seule qui doive
m’occuper, je m’abstiendrai d’aborder le côté religieux de ces deux
institutions.

L’ordre méthodique de ce travail m’impose l’obligation de mettre d’abord
en scène les Senoûsi, nos ennemis, avant de m’occuper de nos amis, les
Tedjâdjna, les Bakkây et les Oulâd-Sîdi-Cheïkh, afin de mieux démontrer
que, si le fanatisme aveugle peut nous créer des embarras, la raison
éclairée est assez puissante pour nous aider à les surmonter.


                    § Ier. — CONFRÉRIE DES SENOÛSI.


Es-Senoûsi, originaire de Djâlo (Tripolitaine), disent les uns, de la
tribu algérienne des Benî-Senoûs, au Sud-Ouest de Tlemcen, disent les
autres, était un savant et pieux musulman qui a longtemps séjourné dans
les villes saintes de la Mekke et de Médine et qui, dans l’Orient
asiatique comme dans l’Orient africain, notamment en Égypte, a toujours
recherché la société des champions les plus exaltés de l’islamisme, de
ceux surtout dont l’orgueil était blessé de voir les gouvernements de
Constantinople et du Caire adopter toutes nos coutumes, copier toutes
nos institutions, subir notre influence.

En homme éclairé, il avait pu constater dans ses voyages, avec la
décadence toujours progressive de la puissance politique de l’Islâm, des
injustices nombreuses, des exactions fréquentes, plaie fort ancienne des
gouvernements de l’Orient, et naturellement il avait attribué tous ces
vices à l’abandon de la morale islamique et à l’invasion de l’esprit
nouveau de progrès venu de l’Occident.

De là au projet de former un rempart derrière lequel pourrait se
réfugier l’indépendance politique et religieuse des vrais musulmans il
n’y avait qu’un pas. Ce pas, il le franchit en instituant la confrérie à
laquelle il donna son nom.

La pensée fondamentale de cette association est donc une triple
protestation : contre les concessions faites à la civilisation de
l’Occident ; contre les innovations, conséquences du progrès,
introduites dans divers États de l’Orient par les derniers souverains ;
enfin, contre de nouvelles tentatives d’extension d’influence dans les
pays encore préservés par la grâce divine.

Mais, dans l’état des rapports qui existent aujourd’hui entre tous les
gouvernements, il était difficile de trouver, à l’abri de la
surveillance des chancelleries, un point où un tel projet pût être mis
en pratique.

Entre le Nil et l’Océan, entre l’Afrique septentrionale et l’Afrique
centrale, s’étend un vaste désert où, jusqu’à ce jour, de rares
voyageurs, à la discrétion des populations qui l’habitent, ont seuls pu
pénétrer, où même plus d’un point reculé a été à l’abri de la souillure
des pas de l’infidèle : c’est ce désert qu’Es-Senoûsi choisira pour
champ d’application de ses projets ; c’est ce désert sans eau, dévoré
par un soleil ardent, qu’il opposera comme un cordon sanitaire à la
contagion européenne.

Donc, pendant que d’autres fanatiques préparent les massacres de Djedda
et de Damas, protestation directe, mais impuissante, Es-Senoûsi dresse
le plan de la conquête du Sahara par une propagande active, y fonde des
zâouiya successivement échelonnées de manière à ce que la dernière, la
plus isolée, la plus éloignée, puisse encore servir de refuge, _in
extremis_, aux derniers éléments d’une foi déjà atteinte par
l’indifférence religieuse.

Le Djebel-el-Akhdar, situé à environ 20 kilomètres à l’Est de Ben-Ghâzi
et se prolongeant jusqu’à Derna, habité d’ailleurs par des tribus arabes
turbulentes qui causent souvent des difficultés au gouvernement de
Tripoli, devient d’abord le berceau et le siége central de l’institution
nouvelle.

Bientôt l’ordre d’Es-Senoûsi est accueilli avec faveur dans tout le
Sahara, où il recrute de nombreux khouân. Une circonstance, née en
Algérie de la lutte soutenue contre l’émir ’Abd-el-Kâder, doit
contribuer à lui donner une certaine importance.

Mohammed-ben-’Abd-Allah, aujourd’hui interné à Bône, avait été notre
khalîfa dans la subdivision de Tlemsen. Compromis, destitué et exilé à
la Mekke, il avait eu occasion de rencontrer Es-Senoûsi dans l’Orient ;
et comme les projets du novateur s’alliaient aux vues de haine et de
vengeance de notre ancien serviteur, une sorte d’alliance s’établit
entre eux.

Peu de temps après, Mohammed-ben-’Abd-Allah, qui avait emporté de
l’Algérie une grande fortune (500,000 francs environ), était de retour à
Ouarglâ et au Touât où il prenait le titre de _cherîf_ et arborait un
drapeau hostile dans le Sud de nos possessions.

Alors vivait au Tidîkelt, dans la plus profonde obscurité, un _tâleb_ de
troisième ordre sous le rapport de l’intelligence et de l’instruction,
mais animé d’un fanatisme aveugle et d’une ambition sans bornes. Homme
actif d’ailleurs, audacieux et entreprenant. Son nom est El-Hâdj-Ahmed-
et-Touâti, plus connu aujourd’hui sous le surnom d’El-’Aâlem (le
savant), qu’il s’est donné et que ses partisans illettrés lui conservent
respectueusement.

Par Mohammed-ben-’Abd-Allah, ce _tâleb_ est adressé à Es-Senoûsi et, sur
sa recommandation, il est investi du titre de _moqaddem_, ou vicaire
général de l’ordre pour la région à l’Ouest du Djebel-el-Akhdar, c’est-
à-dire le Fezzân, le pays des Touâreg et le Touât.

A partir de ce moment, le cherîf Mohammed-ben-’Abd-Allah et le moqaddem
El-Hâdj-Ahmed ne poursuivent qu’un même but. L’un recrute des khouân,
l’autre les enrôle sous sa bannière pour la guerre sainte. On sait
comment Mohammed-ben-’Abd-Allah paie de sa liberté ses tentatives contre
notre domination.

Cependant la propagande mettait de grandes ressources à la disposition
du chef de l’ordre, de nouvelles zâouiya s’élevaient à Sôkna, à Zouîla,
à Mourzouk, à Ghadâmès et à Rhât.

Quand M. le capitaine de Bonnemain vint à Ghadâmès, il n’y avait qu’une
zâouiya de marabouts, celle de Sîdi Ma’abed, fort ancienne, inoffensive,
à laquelle le gouvernement turc a conservé son indépendance.
Aujourd’hui, à côté, une nouvelle zâouiya, plus grande et plus belle, a
surgi sous la baguette miraculeuse d’Es-Senoûsi.

Quand M. Isma’yl-Boû-Derba visita Rhât, il n’y avait pas de zâouiya ;
aujourd’hui, à la sollicitation et avec l’appui du cheïkh de la ville,
El-Hâdj-el-Amîn, un autre fanatique, le moqaddem de l’ordre, en a
construit une sous les murs de la ville. On y travaillait activement
pendant mon séjour à Rhât (avril 1861).

Cependant Es-Senoûsi, sentant la mort venir et trouvant le Djebel-el-
Akhdar encore trop rapproché des Turcs de Ben-Ghâzi et des consuls qui y
résident, ordonna la création d’une nouvelle zâouiya à Jerhâjîb, dans un
désert, un peu au Nord de la route de Sîoua à Aoudjela.

A Jerhâjîb, il n’y avait qu’un seul puits d’eau amère, dans une vallée,
au milieu du vide ; de nouveaux puits y ont été creusés, et la zâouiya
s’est élevée comme par enchantement. Au printemps 1861, on y plantait
des dattiers.

Aujourd’hui la zâouiya de Jerhâjîb est la métropolitaine de l’ordre.

En même temps on bâtissait une autre zâouiya, en plein désert, à Wao,
ancienne plantation de palmiers, abandonnée sur la frontière du pays des
Teboû, à 208 kilomètres au Sud-Est de Zouîla.

Ainsi, dans une période fort courte, moins de quinze années, voilà huit
centres de fanatisme créés, organisés et pourvus de moyens d’existence
par les tributs volontaires des khouân.

Mais, en 1859, l’homme qui avait conçu et improvisé de si grandes choses
meurt ; son fils lui succède comme chef de l’ordre : le remplacera-t-il
comme continuateur de son œuvre ?

A la mort d’un homme comme Es-Senoûsi, surtout quand cette mort arrive
avant que l’institution dont il est le fondateur ait jeté de profondes
racines, il est rare que la pensée mère du créateur soit adoptée sans
modification par ses héritiers ou ses lieutenants. Au respect pour les
lois du maître succède l’esprit d’innovation chez les uns, de
relâchement chez les autres. Ce double effet me semble s’être produit.

Au rôle passif et purement défensif de l’institution ; à la création de
zâouiya, à la fois refuges et centres d’un enseignement réputé plus
orthodoxe, les plus ardents ont tout d’abord cherché à substituer
l’action offensive. El-Hâdj-Ahmed-et-Touâti, le moqaddem de l’Ouest,
devait naturellement se trouver à leur tête.

En effet, dès que la mort du chef de l’ordre lui permet de prendre une
plus grande initiative, on le voit aller, de ville en ville, prêchant la
guerre sainte, ordonnant à ses partisans d’acheter des armes et des
munitions, poussant Mohammed-ben-’Abd-Allah à entrer en campagne, enfin,
organisant ce mouvement qui a agité et troublé tout le Sahara algérien
dans le cours de l’été 1861 et auquel la capture de Mohammed-ben-’Abd-
Allah a mis fin.

Pendant ce temps, le jeune fils d’Es-Senoûsi semblait se borner à jouir,
dans la zâouiya de Jerhâjîb, de l’héritage de fortune, d’honneurs et de
respect que lui avait laissé son père : aussi voit-on les quatre
premières années de son règne s’écouler sans que la création d’aucune
nouvelle zâouiya soit entreprise.

Un fait plus significatif démontrerait que le chef actuel de l’ordre
serait disposé à se contenter des résultats acquis. Si mes informations
sont exactes, il aurait, en 1861, mandé près de lui le moqaddem de
l’Ouest pour le rappeler aux principes expectants du fondateur.

Sur toute ma route, à Rhât, à Mourzouk, à Trâghen, à Zouîla, j’ai
rencontré cet homme, suivant lentement mes pas, me créant des embarras
partout où il le pouvait.

Il se rendait à Jerhâjîb, pour comparaître devant le grand maître, mais
il cheminait comme un coupable qui n’est pas pressé d’arriver,
prétextant de la nécessité de me surveiller, de faire obstacle à mes
desseins, pour retarder le moment des explications. Peut-être attendait-
il, avant de recevoir l’ordre de remettre l’épée dans le fourreau, que
Mohammed-ben-’Abd-Allah eût jeté dans la balance le poids d’un fait
accompli.

Une circonstance imprévue, la mort du sultan ’Abd-el-Medjîd, auquel les
musulmans reprochent trop de condescendance pour les chrétiens, et son
remplacement par le sultan ’Abd-el-’Azîz, paraissaient à El-Hâdj-Ahmed-
et-Touâti un signe providentiel justificatif de ses menées et de
l’initiative belliqueuse qu’il avait prise.

Dans tout le Nord de l’Afrique, l’avénement du nouveau sultan de
Constantinople a été l’occasion d’une grande agitation.

Quoi qu’il en soit des dispositions respectives du chef de la confrérie
et du moqaddem de l’Ouest, du désaccord qui a pu exister entre eux sur
l’attitude expectante ou militante à prendre, il est certain que dans
l’état actuel des choses les zâouiya de Sôkna, de Zouîla, de Rhât et de
Ghadâmès, forment déjà les quatre points cardinaux d’un immense
quadrilatère élevé pour la défense du fanatisme dans cette partie de
l’Afrique.

Je n’ai pas à apprécier, au point de vue théologique musulman,
l’orthodoxie des enseignements de cette confrérie ; néanmoins je ne puis
omettre de signaler la lutte qui s’est engagée à mon sujet, pendant mon
séjour à Rhât, entre le moqaddem d’Es-Senoûsi et le marabout très-pieux,
très-instruit, très-éclairé de Timbouktou, Sîdi-Mohammed-el-Bakkây. Le
moqaddem, sur l’autorité d’un livre dont il m’a été impossible de
connaître même le titre, enseignait qu’il était non-seulement permis,
mais encore louable, de me voler et d’assassiner moi et mes serviteurs
musulmans. A ces prédications fanatiques Sîdi-el-Bakkây opposait
l’autorité des principaux docteurs de l’Islâm et la correspondance que
son oncle, le grand marabout de Timbouktou, avait adressée au roi
fanatique des Fellâta, qui voulait s’opposer au séjour de M. le docteur
Barth dans son Empire. La copie de cette correspondance si remarquable,
véritable manifeste de tolérance, a été laissée aux habitants de Rhât
pour qu’ils puissent la méditer.

Grâce à l’appui moral de Sîdi-el-Bakkây et à l’autorité toute-puissante
de l’émîr Ikhenoûkhen, j’ai pu braver, pendant quinze jours, sur le
marché _extra muros_ de Rhât, la colère des khouân d’Es-Senoûsi, mais je
n’ai pu pénétrer en ville, et ceux de mes serviteurs musulmans qui y
sont allés pour faire des provisions de bouche y ont été maltraités.

L’opposition que M. Isma’yl-Boû-Derba, quoique musulman, a rencontrée à
Rhât, n’a eu d’autre cause que la résistance des sectateurs d’Es-
Senoûsi.

Tout voyageur européen qui parcourra les mêmes contrées, surtout s’il
est Français, doit s’attendre à rencontrer le même obstacle.

La conclusion de ce qui précède est qu’il est nécessaire de surveiller
cette confrérie religieuse et de s’opposer à son développement partout
où on le pourra.


                    § II. — CONFRÉRIE DES TEDJÂDJNA.


Cette confrérie fut fondée, vers 1775, par Sîdi-Ahmed-et-Tidjâni, de la
famille des marabouts d’’Aïn-Mâdhi.

Par les exemples de vertu et de piété de son père, par les leçons de ses
professeurs, par les connaissances acquises dans des voyages à Fez et à
la Mekke, et de longs séjours auprès des savants les plus renommés de
l’islamisme, Sîdi-Ahmed était l’homme de son époque et de son pays le
mieux préparé à fonder une confrérie religieuse sur la double base du
_triomphe du droit par le droit et de la tolérance dans la voie de
Dieu_[106].

La réputation de sainteté de Sîdi-Ahmed, le libéralisme de ses
doctrines, attirèrent autour du marabout beaucoup de disciples, autour
du fondateur d’une confrérie beaucoup d’adeptes. De son vivant, il ne
recueillit que des témoignages éclatants d’un souverain respect, tant de
la part des rois que de la part des peuples. Les cours de Fez, de Tunis,
avaient prodigué toutes leurs faveurs à l’apôtre des nouvelles idées ;
seule, l’oligarchie des janissaires d’Alger lui gardait ses rancunes. On
comprend pourquoi : _le triomphe du droit par le droit_ devait amener
l’abolition de la piraterie à l’intérieur et à l’extérieur, seul mode de
gouvernement que connaissaient les pachas d’Alger.

Aussi était-il réservé aux deux fils du fondateur de l’ordre d’assister
à de grands événements.

Ces fils avaient tous deux le même nom : _Mohammed_. Pour les
distinguer, on appela : l’aîné _Mohammed-el-Kebîr_ (le grand), et le
cadet _Mohammed-es-Seghîr_ (le petit).

Mais à la mort de leur père, ces deux fils étant trop jeunes pour
administrer les intérêts de la confrérie, Sîd-el-Hâdj-’Ali-ben-el-
Hâdj-’Aïssa, marabout de Temâssîn, fut, par testament, institué grand
maître des khouân. Peut-être le fondateur de la confrérie naissante,
prévoyant l’avenir et connaissant la jalousie des Turcs, espérait-il, en
se donnant pour successeur un marabout qui ne fût pas en même temps
héritier de son nom, détourner de la tête de ses fils les coups dont ils
étaient menacés.

Mais _la voie de Dieu est impénétrable aux hommes_, et pendant que le
marabout de Temâssîn gouvernait la confrérie, Mohammed-el-Kebîr, le fils
aîné, était appelé, en 1822, à défendre ’Aïn-Mâdhi contre les Turcs et
périssait en 1827, dans la plaine d’Eghréis, sous Ma’askara, trahi par
les Hâchem, en prenant lui-même l’offensive contre le pouvoir que nous
devions détrôner trois ans plus tard.

Le sang versé alors séparait à jamais les Tedjâdjna de la cause des
Turcs et de celle des Hâchem, tribu qui, en 1808, avait donné le jour à
’Abd-el-Kâder, également fils d’un chef de zâouiya.

Bientôt après la chute des Turcs, en 1832, les Hâchem avaient élu sultan
l’un d’eux, ’Abd-el-Kâder, fils de Mahi-ed-Dîn, et le premier acte du
nouvel _Emîr-el-Moûmenîn_ avait été de proclamer la guerre sainte contre
les Français nouvellement débarqués à Oran.

Si alors ’Abd-el-Kâder avait appelé le cadet des fils de Sîdi-Ahmed-et-
Tidjâni à lui prêter son appui dans la lutte qu’il allait soutenir
contre les chrétiens, peut-être eût-on vu Mohammed-es-Seghîr oublier la
trahison des Hâchem et renouveler la tentative audacieuse de son frère,
en venant, avec ’Abd-el-Kâder, mettre le siége devant Oran.

Alors du sang eût été mis entre nous et les Tedjâdjna, comme il y en
avait entre eux et les Turcs.

Mais _dans la voie de Dieu tout est impénétrable_, répéterai-je avec
l’auteur du _Kounnâch_, le guide des khouân Tedjâdjna. Non-seulement
’Abd-el-Kâder, le commandeur des croyants, ne réclame pas le concours de
Mohammed-es-Seghîr contre les chrétiens, mais encore, en 1838, après
avoir fait la paix avec eux, il va mettre le siége devant ’Ain-Mâdhi, où
il tient bloqué, pendant neuf mois, mais sans résultat, l’héritier d’un
nom vénéré.

Dans cette lutte impie et que rien ne justifiait, ’Abd-el-Kâder
compromet son titre de marabout, ses finances et tout le prestige de ses
réguliers.

De plus, il met de nouveau du sang entre les Tedjâdjna et les Hâchem.

Pendant que ces faits s’accomplissent dans l’Ouest, El-Hâdj-’Ali, le
marabout de Temâssîn, le chef de la confrérie, est attaqué dans l’Est
par les frères d’une autre confrérie, les Mouley-Tayyeb, nos ennemis
acharnés, sous la conduite de Ben-Djellâb, sultan de Tougourt, autre
ennemi de notre drapeau.

Dans l’Est comme dans l’Ouest, les Tedjâdjna avaient donc été amenés à
mettre du sang entre eux et tous nos adversaires, sans le moindre
conflit avec nous. A notre insu, nous étions devenus amis les uns des
autres, par l’audacieuse imprudence des mêmes ennemis que nous avions
eus à combattre.

Ce qui précède explique la réponse du chef des Tedjâdjna, El-Hâdj-’Ali,
aux gens du Zibân, de l’Ouâd-Rîgh et du Soûf, qui vinrent en 1844 lui
signaler notre marche sur Biskra et lui demander quelle conduite il
fallait tenir.

Voici cette très-remarquable réponse :

« C’est Dieu qui a donné aux Français l’Algérie et toutes les provinces
qui en dépendent ; c’est Lui qui veut les y voir dominer. Restez donc en
paix et ne faites pas parler la poudre contre eux. Dieu a changé ceux
qui, jadis nos maîtres, n’avaient d’autre loi que l’oppression, d’autre
règle que la violence, qui sans cesse faisaient le mal et portaient le
trouble avec eux. Laissez donc faire aux Français ce qu’ils veulent, car
ils paraissent avoir pris un chemin juste et sage, qui doit faire
fructifier le bien de tous. »

Pl. XVIII. Page 309. Fig. 32.

[Illustration : SÎDI-MOHAMMED-EL-’AÏD,

GRAND-MAÎTRE DE LA CONFRÉRIE DES TEDJÂDJNA.

D’après une photographie de M. Puig.]

M. le colonel de Neveu, auteur des _Khouân_, livre auquel j’emprunte
cette réponse, en garantit l’exactitude.

Elle doit être authentique, en effet, car elle n’est que la paraphrase
du mot de passe de la confrérie : _triomphe du droit par le droit,
tolérance dans la voie de Dieu_.

Un an après cette réponse, qui nous livrait sans résistance tout le Sud
de la province de Constantine, le marabout de Temâssîn mourait et la
grande maîtrise de la confrérie passait aux mains du fils cadet du
fondateur de l’ordre, Sîdi-Mohammed-es-Seghîr-ould-Sîdi-Ahmed-et-
Tidjâni, l’adversaire d’’Abd-el-Kâder.

Ce grand marabout, notre ami comme son prédécesseur, laissa prendre
Laghouât, ville voisine d’’Aïn-Mâdhi où il résidait, d’abord, en 1846,
par M. le général Marey-Monge, puis en 1851 par M. le général Pélissier,
sans sortir des limites assignées aux khouân de l’ordre par la réponse
antérieure du marabout de Temâssîn.

A la mort de Mohammed-es-Seghîr, advenue peu de temps après la dernière
prise de Laghouât, le gouvernement de la confrérie retourna aux mains du
marabout de Temâssîn, Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, fils d’El-Hâdj-’Ali, encore
en possession aujourd’hui du titre d’_ouâli_.

C’est à lui que je fus recommandé par M. le général Desvaux, commandant
supérieur de la province de Constantine ; c’est à l’aide de son concours
que j’ai pu pénétrer, avec sécurité, chez les Touâreg, malgré
l’opposition des khouân et du moqaddem des Senoûsi.

Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, fidèle à la tradition de la confrérie, est un
excellent homme, instruit, bienveillant, charitable et conséquemment
très-vénéré. (Voir son portrait ci-contre.)

Pour mieux me protéger à distance, par un signe visible émanant de lui,
il me conféra le titre de _frère_ et me revêtit du chapelet de l’ordre.

Ainsi, quoique chrétien, quoique Français, titre aggravant pour tous
ceux qui croient leur indépendance menacée, j’ai voyagé comme frère de
l’ordre des Tedjâdjna, et j’ai été accueilli comme tel par tous les
khouân.

Il est de croyance dans la confrérie que les prières de Sîd-el-
Hadj-’Ali, père de Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, ont fait tomber Alger au
pouvoir des Français pour punir les Turcs, coupables d’avoir tué son
fils.

La zâouiya de Temâssîn est probablement la plus importante de toute
l’Algérie. En y entrant, on sent qu’on est là au siége d’une importante
institution, d’un grand gouvernement : mosquée pour le culte ; nombreux
logements pour les disciples et les serviteurs ; palais somptueux pour
le maître, avec glaces de Venise et fauteuils dorés à l’européenne, le
tout d’un luxe qu’on ne soupçonnerait pas dans une ville saharienne.
(Voir la planche ci-contre.)

C’est qu’en effet cette zâouiya est un grand centre : protégée par les
souverains de Fez, de Tunis, dans les meilleurs rapports avec l’autorité
française, elle étend ses ramifications jusqu’à Timbouktou, jusqu’au
Soûdân, jusqu’en Égypte et à la Mekke. Des rois nègres, affiliés à la
confrérie des Tedjâdjna, font une active propagande contre le paganisme
dans l’Afrique centrale.

Une zâouiya secondaire de l’ordre, celle de Timâssanîn, dont le marabout
Si-’Othmân est le moqaddem, assise entre les Touâreg Azdjer et les
Touâreg Ahaggâr, exerce son influence conciliatrice sur ces deux
peuplades.

Accompagné jusqu’à Ghadâmès par le moqaddem des Tedjâdjna, confié par
lui à la vigilance d’Ikhenoûkhen, remis par ce dernier au gouverneur de
Mourzouk, j’étais donc en mesure de faire face à la malveillance des
Senoûsi.

La zâouiya de Timâssanîn a été fondée par El-Hâdj-el-Faqqi, ancêtre de
Si-’Othmân, il y a environ 160 ans. Depuis sa fondation, la zâouiya n’a
eu que trois moqaddem : El-Hâdj-el-Faqqi, El-Hâdj-el-Bekrî et
Si-’Othmân. Il est vrai qu’El-Hâdj-el-Bekrî, mort en 1831, était âgé de
108 années lunaires.

Une autre zâouiya secondaire de la confrérie existe au Gourâra, dans le
Touât. El-Hâdj-Mohammed-el-Feguîgui en est le moqaddem.

Il y a des khouân Tedjâdjna dans toute l’Afrique centrale, au Bornou, à
Timbouktou, dans le fond du Foûta ; mais là où l’ordre compte le plus de
frères, c’est à El-Ouâd, à Temâssîn et à Chinguît dans l’Adrâr, entre
Timbouktou et l’Océan Atlantique.

Pl. XIX. Page 310. Fig. 33.

[Illustration : VUE DE TEMÂSSÎN.

D’après une photographie de M. Puig.]


                      § III. — ZÂOUIYA DES BAKKÂY.


Avec les Senoûsi, avec les Tedjâdjna, une troisième grande influence,
plus grande peut-être que celle de ses rivales, règne dans tout le
Sahara et dans toutes les parties de l’Afrique centrale où le nom de
Timbouktou est connu. Cette troisième autorité est celle des Bakkây.

D’après son arbre généalogique, cette famille descendrait de ’Oqba-ebn-
Nâfa’-el-Fahri, le conquérant de l’Afrique occidentale, ce général arabe
qui n’arrêta ses conquêtes que dans les flots de l’Océan Atlantique.

’Oqba, dans sa première incursion, s’était avancé jusqu’à Djaouân, au
centre du pays des Teboû ; dans la seconde, jusqu’au grand désert habité
par les Lemtoûna, entre le Maroc et le Niger. Par la renommée que ses
succès lui avaient acquise dans des contrées inabordées jusque-là, il
avait préparé à ses héritiers le chemin de l’Afrique centrale.

L’arrivée des Bakkây à Timbouktou date de cette époque de prosélytisme
religieux qui amena les Almoravides jusqu’au centre de la Nigritie,
apostolat glorieux, qui fit de Timbouktou un foyer de lumières et de
lettres, dont les ouvrages historiques du Cheïkh-Ahmed-Bâba, le
Timbouktien, analysés par M. le docteur Barth et M. le professeur
Cherbonneau, nous ont dernièrement révélé l’existence.

Les Bakkây ont perpétué ce mouvement à travers les générations depuis le
XIIe siècle jusqu’à nos jours, bravant toutes les révolutions qui ont
alternativement mis le pouvoir aux mains des Berbères, des Arabes ou des
Nègres.

Aujourd’hui encore la zâouiya des Bakkây à Timbouktou reçoit de nombreux
disciples, _telâmîd_, qui, du Maroc, du Touât, du Sénégal et des divers
États nègres, viennent y puiser tous les genres d’instruction de la
civilisation musulmane : l’étude de l’arabe ancien et moderne, la
grammaire, la rhétorique, la versification, l’histoire, la jurisprudence
et surtout la théologie.

Souverains religieux, indépendants de l’empire des Fellâta et des autres
États nègres qui les enveloppent, les Bakkây représentent encore
aujourd’hui la plus grande puissance morale de tout le continent
africain.

Alliés des souverains du Maroc, dont ils reconnaissent la suprématie
religieuse et pour lesquels ils font la prière officielle ; amis des
rois de Sokkoto et du Bornou, ils n’ont d’autres adversaires que le chef
de Hamd-Allâhi, capitale du nouvel Empire des Fellâta.

Mais, sans armée, sans autre appui que l’autorité qu’ils exercent comme
marabouts sur les tribus arabes de l’Azaouad, sur les Trârza[107], les
Brâkna et autres Maures du Sénégal, ainsi que sur les Touâreg
Aouélimmiden, sur les Ahaggâr, sur les Azdjer et le Touât, ils tiennent
tête aux Fellâta et les empêchent de soumettre toute l’Afrique centrale
à leurs lois.

Les revenus de ces marabouts sont considérables : d’abord, ils possèdent
de grands troupeaux de chameaux, de zébus, de moutons et des chevaux que
gardent de nombreux esclaves et leurs serviteurs, les Machrhoûfa, l’une
des tribus arabes de l’Azaouad ; ensuite, toutes les caravanes et toutes
les populations de leur dépendance religieuse leur paient volontairement
tribut.

Les Bakkây ont aussi des zâouiya importantes et de grandes propriétés au
Touât[108] ; ce qui fait qu’ils sont autant Touâtiens que Timbouktiens.
Cette circonstance nous explique pourquoi ils tiennent à l’indépendance
politique de cette confédération.

Les représentants de cette grande famille sont au nombre de huit.

Sîdi-Ahmed est leur chef.

Sîdi-Mohammed, son fils et successeur ; Sîdi-Mohammed, son neveu, celui
que j’ai rencontré dans mon voyage, et Sîdi-Alaouété, sont, après le
cheïkh souverain, les personnages les plus influents.

Jusqu’à ce jour, ces marabouts ne nous sont connus que par leur
tolérance envers les chrétiens.

Ils avaient bien accueilli le major Laing et ils n’ont pas encore voulu
accorder le pardon aux Berâbîch qui l’ont assassiné.

Grâce à eux, M. le docteur Barth a pu rester sept mois à Timbouktou,
malgré l’opposition des chefs politiques du pays.

Sîdi-Mohammed, le neveu, a été pour moi plus qu’un protecteur, un
véritable ami. Mon cheval étant mort, il m’a imposé, avec une extrême
délicatesse, l’obligation d’accepter la jument qu’il montait ; service
énorme, car, dans tout le pays d’Azdjer où je me trouvais, il était
impossible de me procurer un nouveau cheval.

Les Bakkây seraient entrés plus tôt en relations avec nous, s’ils ne
s’étaient crus engagés par l’alliance que M. le docteur Barth a négociée
avec eux au nom de l’Angleterre, et s’ils n’avaient supposé, à tort, la
France, sinon en hostilité, du moins en continuelle rivalité avec le
gouvernement de la Grande-Bretagne : mais la lettre de pressante
recommandation que M. le docteur Barth m’avait donnée pour le Cheïkh-
Ahmed, et que je lui ai transmise par son neveu, a dû faire disparaître
l’erreur, accréditée d’ailleurs dans tout le Sahara et dans toute
l’Afrique centrale, que, pour conserver de bonnes relations avec les
Anglais, il faut refuser tous rapports avec les Français.

La seule pierre d’achoppement entre les Bakkây et le gouvernement de
l’Algérie est le Touât. Les fanatiques de cet archipel d’oasis nous
représentent comme convoitant l’occupation de ce point, bien que notre
conduite témoigne que nous ne voulons pas avancer notre ligne
d’occupation au delà de Laghouât et de Géryville. Mais Timbouktou est
loin de nous et la vérité y arrive difficilement, surtout par la bouche
des indigènes. Pour mettre fin à l’incertitude, donnons aux Bakkây toute
sécurité de ce côté, et immédiatement les résistances tomberont entre
l’Algérie et Timbouktou, et Timbouktou et le Sénégal.

Sîdi-Mohammed m’avait offert de me conduire près de son oncle, en me
faisant traverser le Touât ; je n’ai pu accepter cette proposition parce
qu’après un voyage de deux ans j’étais démuni de tout ce qu’il faut à un
explorateur pour entreprendre utilement une semblable course, et parce
que le marabout, retenu par des affaires de famille, n’était pas libre
de reprendre tout de suite le chemin de son pays : mais, si le
gouvernement daigne agréer la continuation de mes services, j’espère
pouvoir mettre à profit les bonnes dispositions de Sîdi-Mohammed pour
moi.


                 § IV. — ZÂOUIYA DES OULÂD-SÎDI-CHEÏKH.


S’il faut en croire la tradition, la partie de l’Algérie sise sur la
frontière du Maroc, et connue aujourd’hui sous le nom de Sahara des
Oulâd-Sîdi-Cheïkh, était, il y a environ 500 ans, un véritable désert,
théâtre des incursions des nomades du voisinage.

Un marabout, de la descendance du Prophète par les femmes, homme sage,
instruit, tolérant, chassé de Tunis par des discordes de famille,
choisit cette solitude pour y vivre en paix. Sa réputation de sainteté
commença par attirer quelques serviteurs à la zâouiya qu’il avait fondée
à El-Abiodh.

Ses enfants, héritiers de ses vertus, avaient déjà conquis une grande
influence, lorsque la prise de possession d’Oran par les Espagnols, la
destruction du pouvoir des Benî-Ziân de Tlemsen par les Turcs,
l’établissement à main armée d’une domination nouvelle, vinrent jeter la
plus grande perturbation au milieu des tribus de la province de l’Ouest.

Alors la famille des marabouts d’El-Abiodh avait pour chef l’homme dont
la réputation, surpassant celle de ses ancêtres, donne encore
aujourd’hui du prestige à ses descendants. La commune renommée lui avait
décerné le titre de Sîdi-Cheïkh, _Monseigneur le vénérable_.

Tous les malheureux, victimes des discordes politiques qui agitaient
alors le pays, vinrent chercher un refuge près de lui, et il fut
charitable, consolateur pour tous. Sa zâouiya devint l’asile de la
proscription.

La clientèle formée par l’émigration s’accrut encore de celle des gens
généreux dont l’obole est toujours à la disposition des mains appelées à
centraliser l’assistance dans les malheurs publics.

Les aumônes, d’abord temporaires, que des circonstances exceptionnelles
rendaient nécessaires, devinrent, en se renouvelant, définitives, et
aujourd’hui elles sont transformées en redevances religieuses,
volontairement acquittées entre les mains des successeurs du marabout
par les fils des contemporains de Sîdi-Cheïkh.

M. le colonel de Colomb, ancien commandant supérieur du cercle de
Géryville, n’estime pas à moins de 80,000 francs l’impôt annuel versé
par les clients de Sîdi-Cheïkh au moqaddem de sa zâouiya.

Quand un établissement religieux dispose, pendant des siècles, d’un
pareil revenu ; quand, d’ailleurs, la famille qui dirige cet
établissement possède de grandes richesses personnelles, ils peuvent
produire beaucoup de bien ; malheureusement, les Oulâd-Sîdi-Cheïkh sont
devenus depuis longtemps des administrateurs temporels, laissant à leurs
esclaves affranchis les devoirs de la zâouiya, et l’institution
religieuse est un peu en décadence.

Cependant Sîdi-Hamza, chef de cette famille, élevé, sous notre
gouvernement, à la dignité de khalîfa du Sud de la province d’Oran, a
contribué puissamment à la soumission des tribus de sa dépendance
religieuse, embrassant tout le pays compris entre la frontière du Maroc
à l’Ouest, Ouarglâ et El-Golêa’a au Sud-Est. Son fils, Sîdi-Boû-Beker,
nous a rendu un plus grand service encore en capturant le perturbateur
Mohammed-ben-’Abd-Allah, qui agita si profondément le Sahara, au nom de
la confrérie des Senoûsi.

Quand, en 1859, au début de mon exploration, je partis pour El-Golêa’a
(la _Tâorert_ des Berbères), le khalîfa Sîdi-Hamza m’avait envoyé une
lettre de recommandation pour la djema’a ou assemblée des notables de
cette ville. El-Golêa’a, quoique appartenant aux Cha’anba, administrés
de Sîdi-Hamza, élevait la prétention de ne pas dépendre de l’Algérie et
de ne relever que de sa municipalité ; l’hospitalité m’y fut refusée,
avec accompagnement de beaucoup de menaces, qui auraient été suivies
d’exécution, si je n’avais pris le parti prudent de la retraite. El-
Golêa’a a payé sa conduite de son indépendance, car Sîdi-Hamza a reçu
l’ordre, en 1861, de prendre possession de cette ville au nom de la
France, et aujourd’hui le gouverneur général de l’Algérie nomme
directement les chefs de cette petite cité.

Parmi les clients des Oulâd-Sîdi-Cheïkh, on compte, indépendamment de la
plupart des tribus du cercle de Géryville et des Cha’anba d’Ouarglâ, de
Methlîly et d’El-Golêa’a, les Oulâd-el-Mokhtâr, d’origine arabe, qui
constituent la population active d’In-Sâlah. Quelques autres groupes
arabes du Touât relèvent aussi de l’autorité religieuse de la zâouiya
d’El-Abiodh.

Ainsi, aux services que la famille de Sîdi-Hamza nous a déjà rendus elle
peut encore joindre celui d’établir de bons rapports entre nous et le
Touât. Cette tâche lui est facile, car les Oulâd-Sîdi-Cheïkh commandent
toutes les routes par lesquelles le Touât tire ses approvisionnements de
l’Algérie.


En terminant ce paragraphe sur les centres religieux sahariens, je ne
puis m’empêcher de constater que quatre marabouts m’ont prêté le plus
grand appui dans mon voyage : Sîdi-Hamza, Sîdi Mohammed-el-’Aïd, le
Cheïkh-’Othmân et Sîdi-Mohammed-el-Bakkây. Il est vrai que ces marabouts
sont des hommes éclairés, et non des ignorants obligés d’abriter la
pauvreté de leur esprit et de leur cœur sous le manteau si facile à
porter du fanatisme.


[Note 106 : Mot à mot : _le droit suit le droit ; tout ce qui vient de
Dieu doit être respecté_. Telle est la formule de la profession de foi
des Tedjâdjna.]

[Note 107 : Les Trârza, d’après Sîdi-Mohammed-el-Bakkây, enverraient
annuellement à la zâouiya de sa famille, à Timbouktou, à titre d’impôt
religieux, cent pièces d’indienne et neuf fusils.

Le roi Mohammed-el-Habîb et autres chefs des Trârza seraient des
_telâmid_ des Bakkây.]

[Note 108 : Les Bakkây prétendent être propriétaires d’Aqabli, de
Zâouiyet-Kounta et de Djedîd, dans le Tidîkelt.]




                               LIVRE IV.

                        TOUÂREG PROPREMENT DITS.


Sans aucun doute, plus d’un des nombreux détails qu’embrasse ce Livre
peut s’appliquer à l’ensemble des quatre confédérations berbères connues
sous le nom général de Touâreg, mais je tiens à avertir de nouveau le
lecteur que mes observations et mes recherches ont été limitées aux
Touâreg du Nord, Azdjer et Ahaggâr, et que si, accidentellement, je
parle des Touâreg d’Aïr et des Aouélimmiden, je n’entends pas les
comprendre dans cette étude.

                               * * * * *

                           CHAPITRE PREMIER.

                          ORIGINE DES TOUÂREG.


A quel peuple primitif, à quelle langue primordiale rattacher les
Touâreg et le dialecte qu’ils parlent ? Comment établir leur filiation ?


L’opinion des Touâreg sur ces diverses questions a l’avantage d’être
unanime.

« Nous sommes _Imôhagh_, disent les Azdjer ; _Imôcharh_, disent les
Ahaggâr et les Aouélimmiden ; _Imâjirhen_, disent les Touâreg d’Aïr.

« La langue que nous parlons s’appelle _temâhaq_ ou _temâcheq_, suivant
les dialectes.

« Les Arabes ont donné à nos tribus le nom de _Touâreg_ et à notre
langue celui de _târguïa_, du participe arabe _târek_, au pluriel
_touâreg_, qui signifie les _abandonnés_ « de Dieu, » sous-entendu,
parce que nous avons, pendant longtemps, refusé d’adopter la religion
que les Arabes nous apportaient, et parce que, après l’avoir embrassée,
nos pères ont souvent renié la foi nouvelle. Mais ce nom, qui rappelle
une situation ancienne dont le souvenir est aujourd’hui injurieux pour
nous, n’a jamais été celui de notre race.

« Les cinq mots, Imôhagh, Imôcharh, Imajirhen, temâhaq, temâcheq, qui
sont les noms de notre race et de notre langue, dérivent de la même
racine, le verbe _iôhagh_, qui signifie : il est _libre_, il est
_franc_, il est _indépendant_, il _pille_. »

La signification historique de cette racine sera ultérieurement
précisée.


Quant à la filiation des Touâreg du Nord, elle a été dressée, pour
chaque tribu noble, par le Cheïkh-Brahîm-Ould-Sîdi, réputé l’homme le
plus instruit parmi les Touâreg, ses contemporains, dans une _Note_
adressée à Sîdi-Mohammed-el-’Aïd, le grand maître de la confrérie des
Tedjâdjna, note qui m’a été remise en original et qui est acceptée par
les Touâreg comme étant l’expression de leurs communes opinions.

Voici l’analyse de cette pièce :

« Tu nous demandes des renseignements sur notre origine. Je réponds :
Notre descendance la plus générale est celle des Édrisides de Fez ;
quelques-uns viennent d’Ech-Chinguît, entre Timbouktou et l’Océan ;
d’autres sont des gens de l’Adghagh, entre le Niger et nos montagnes.

« Nous descendons des Édrisides par un chérîf qui fut tué par le roi
Ourmîn, et ce chérîf est à la fois l’ancêtre commun des chorfâ d’Azdjer,
des chorfâ de Kerzâz[109] et des chorfâ d’Ouazzân[110].

« Ainsi nos chorfâ Ifôghas et Imanân sont de la même lignée que les plus
grandes familles du Maghreb.

« Si tu nous demandes de mieux caractériser les origines de chaque tribu
et de distinguer les nobles des serfs, nous te dirons que notre ensemble
est mélangé et entrelacé comme le tissu d’une tente dans lequel entre le
poil du chameau avec la laine du mouton. Il faut être habile pour
établir une distinction entre le poil et la laine. Cependant nous savons
que chacune de nos nombreuses tribus est sortie d’un pays différent. »

Après ces considérations générales, le Cheïkh-Brahîm-Ould-Sîdi passe en
revue chaque tribu d’origine noble, en commençant par les Azdjer et en
finissant par les Ahaggâr. Il continue en ces termes :


                 _Origine des tribus du pays d’Azdjer._


_Imanân_ : « Les Imanân ou _Es-Solatîn_ (les sultans) sont de vrais
chorfâ, moitié Édrisiens de la famille régnante de Fez, moitié
’Alouyiens, descendant de Sîdna-’Aly, petit-fils du Prophète. »

_Orâghen_ : « Ils sont fils de sultans par leurs pères, mais vilains par
leurs mères, car elles ne sont pas toutes de noble origine. »

_Imanghasâten_ : « Ils sont issus des Arabes de l’Est (’Arab-ech-Cherg).
Ni leur roture, ni leur noblesse n’est bien démontrée. S’il y a parmi
eux des fils de sultans, ils ne sont pas bien nombreux. »

_Ifôghas_ : « Dans l’origine, les Ifôghas ne faisaient qu’une seule
tribu avec les Iouadâlen, les Igaouaddâren, les Idaoura’a et les Ahel-
es-Soûki et toutes ces fractions constituaient la population de la ville
d’Es-Soûk. »

« Es-Soûk, ajoute un commentateur, était une ville très-grande et très-
peuplée, située à moitié chemin entre In-Sâlah et Gôgo, sur la route qui
relie ces deux points, à peu près à l’ancienne limite de la race blanche
et de la race noire.

« Les Noirs ont bâti Es-Soûk ;

« Les Touâreg l’ont conquise, occupée, agrandie, embellie ;

« Elle a été détruite à trois reprises différentes :

« Une première fois par l’envie ;

« Une seconde fois par des plantes épineuses, tellement épaisses qu’on
ne pouvait trouver une place pour prier Dieu (probablement l’hérésie) ;

« Une troisième fois par l’ennemi ;

« Enfin elle a été anéantie par les Noirs de l’armée du roi de Gôgo. »

L’auteur de la _Note_, n’osant pas avouer que les habitants d’Es-Soûk
ont beaucoup mélangé leur sang avec celui des Noirs, raconte une longue
histoire dans laquelle il met alternativement en scène quarante jeunes
vierges blanches et quarante jeunes vierges noires données annuellement
en tribut : les premières par les Touâreg d’Es-Soûk à un sultan
infidèle, du nom de Djebbâr, probablement un Noir idolâtre ; les
secondes, par le roi de Gôgo, au sultan berbère d’Es-Soûk, suivant que
le succès des armes donnait la victoire aux blancs ou aux noirs.

Cette histoire établit en même temps que la conquête de l’Adghagh,
depuis des siècles définitivement consommée par les Touâreg
Aouélimmiden, a été longtemps disputée par la race noire à la race
blanche et n’a pas été réalisée sans de nombreuses alternatives de
revers et de succès.

Toutefois, l’auteur de la _Note_ fait remarquer que les familles des
hommes religieux ont toujours été préservées, par la protection divine,
de tout contact avec les païens, et que leur sang est resté pur de tout
mélange.

Il ajoute « qu’à la dispersion des habitants d’Es-Soûk, les Iouadâlen et
les Idaoura’a se sont réfugiés dans le pays d’Adrâr[111] ; les
Igaouaddâren aux environs de Timbouktou où ils sont encore sous les
ordres du Cheïkh-Eg-el-Khenna ; que les Ifôghas, parmi lesquels on
compte les plus grands marabouts et les plus grands brigands, sont chez
les Touâreg du Nord ; enfin, qu’après les épreuves de l’ennemi, de la
faim et de la soif, il est resté à Es-Soûk un seul homme, le savant
Mohammed-ben-Eddâni, avec quarante femmes, lequel a reconstitué une
tribu nouvelle des Ahel-es-Soûk, en donnant en mariage, avec quarante
chamelles pour dot, les femmes survivantes à autant d’hommes de la tribu
d’El-Abâker, de la descendance des Ansâr. »

Le commentateur et l’auteur de la _Note_ prient le lecteur de ne pas
confondre les Ahel-es-Soûk émigrés après la destruction de la ville avec
ceux qui ont conservé le nom et la résidence des tribus primitives.

D’après les habitants de Timbouktou, Es-Soûk serait l’ancienne Tademekka
ou Takedda, avec laquelle Ouarglâ entretenait jadis de grandes relations
commerciales ; d’après le Cheïkh-’Othmân, les ruines de cette ville
seraient situées dans l’Est, mais il ignore où elles sont.

On trouve encore à Es-Soûk les traces du mur d’enceinte et un cimetière
dont l’étendue est d’une demi-journée de marche selon les uns, d’une
journée selon les autres. Là seraient enterrés des _sohâba_, ou
compagnons du Prophète, envoyés pour convertir les nègres à l’islamisme.

Au centre de l’ancienne ville était un puits de bonne eau et très-
abondant, puisqu’il suffisait à tous les besoins. On devait le déblayer
en 1861.

Non loin de ces ruines, ou sur leur emplacement, s’élevait le petit
qaçar de Gounhân habité par la fraction des Aouélimmiden, qui a conservé
le nom de Ahel-es-Soûk.


Brahîm-Ould-Sîdi continue :

_Kêl-Izhabân_ : « Ils proviennent de la fraction des habitants d’Es-
Soûk, qui, avant la dispersion, s’appelaient Ahel-es-Soûk. »

_Imettrilâlen_ : « On ne sait pas bien d’où sort leur tribu. »

_Ihadhanâren_ : Ici, c’est le commentateur qui parle : « Les
Ihadhanâren-es-Soûda sortent d’Es-Soûk, et sont nobles ; les Ihadhanâren
proprement dits sont de basse extraction par leurs pères et par leurs
mères. »

_Ihêhaouen_ : « Il est écrit dans le _Livre_ d’Es-Soûk que leurs mères
furent achetées et que leurs pères sont El-Yezîd et ’Abd-er-Rahmân,
meurtriers de Hasen-ben-’Ali-ben-Tâleb, arrière petit-fils du Prophète.
Que Dieu leur fasse miséricorde ! »

Le commentateur, pour l’honneur de sa race, ajoute que Yezîd et ’Abd-er-
Rahmân, quoique devenus Touâreg Benî-Oummïa, sont Arabes, et que leurs
descendants ont conservé l’usage de la langue arabe.

_Ilemtîn_ : « Cette tribu est issue des Lemtoûna, à l’Ouest de
Timbouktou. On ne voit pas bien s’ils sont nobles ou roturiers. »


                    _Origine des Tribus du Ahaggâr._


« Les nobles du Ahaggâr sont généralement des Oulâd-Sîd-Ben-Sîd-Mâlek
qui avaient pour ancêtre un chérîf du nom d’Aggâg, l’émîr, qui était un
soûki. »

_Tâïtoq_ : « Partie de cette tribu est de la race des Imanân d’Azdjer,
c’est-à-dire de la descendance des Édrisiens ; partie est originaire des
Ahel-Fadây, du pays d’Aïr, où la souche de leur tribu existe encore. »
(Ce sont les Kêl-Fadây de M. le docteur Barth.)

« Mais tous sont d’origine noble ; on le reconnaît à leur science et à
leur manière de vivre.

« Cependant, parmi eux, à côté des _Ahel-Bît-el-Bîdh_ (gens de maison
blanche ou de sang blanc), il y a des _Ahel-Bît-es-Soûd_ (gens de maison
noire ou de sang noir). »

_Kêl-Rhelâ_ : « Ce sont des Ebna-Sîd, c’est-à-dire des _fils de leurs
pères_, qui tous avaient pour aïeul le sultan El-’Alouï.

« Parmi eux sont des fils de Hatîta ;

« D’autres sont des fils d’El-Mahoûk, târgui, ayant du sang de chorfâ. »

_Ikadéen_ : « Ils sont originaires d’Es-Soûk, mais de familles
blanches. »

_Irhechchoûmen_ : « Aussi originaires d’Es-Soûk.

« Une partie de la tribu descend des Édrisiens et une autre partie a
pour pères des Ikadéen.

« Je ne sais si cette dernière partie est un essaim détaché de la tribu
paternelle ou bien si elle est née de la prostitution de leurs mères. »

_Tédjéhé-n-oû-Sîdi_ : « Ceux qui restent des Oulâd-Aoused ont des pères
sultans, et ils ne font qu’une même tribu avec les Imanân des Azdjer.
Leur séparation n’indique qu’une bifurcation du même arbre. »

_Tédjéhé-Mellen_ ou _Oulâd-Meça’oûd_ : « Ce sont des nobles ; huit
d’entre eux, les Ouggoûg, ont trace du sang de chorfâ. »

Le commentateur ajoute : « Ils sont très-forts et très-hauts de
stature[112]. »

_Autres tribus_ : « Elles sont originaires de Es-Soûk, mais de familles
_Bît-es-Soûd_, c’est-à-dire mulâtres. »

Cette _Note_, que j’ai analysée, pour ne pas fatiguer le lecteur, avoue
un grand mélange de sang, et assigne comme dernière station à la presque
totalité des Azdjer et des Ahaggâr, avant leur fixation dans les
montagnes dont ils ont pris le nom, une ligne circulaire de l’Ouest au
Sud, jalonnée par les points de Fez, capitale du Maroc, de Chinguît,
ville de l’Adrâr, et d’Es-Soûk, ville de l’Adghagh. Cette ligne est
aussi celle assignée par tous les historiens du moyen âge au mouvement
de migration des Berbères Lemtoûna et Sanhâdja, vers le pays des Noirs.
Une expansion politique les avait portés du Nord au Sud, une réaction
les refoula du Sud au Nord.

La prétention à une descendance édriside qui donnerait aux principales
familles des Touâreg une origine arabe et leur conférerait le titre de
chorfâ est à peu près celle de toutes les grandes familles berbères, et
elle serait presque justifiée par les nombreuses alliances matrimoniales
que les souverains de Fez ont contractées avec les familles des chefs
dont ils ne pouvaient obtenir la soumission par la force des armes.

Aujourd’hui encore, au Maroc, les unions de l’empereur avec les filles
des chefs de Berbères indépendants du trône temporel sont érigées à
l’état de système gouvernemental. Quand, dans une province rebelle, un
Berbère peut faire échec au pouvoir du souverain nominal, on fait tomber
sa résistance en offrant à l’une de ses filles une place au harem. Cet
honneur est toujours accepté, parce qu’il confère le titre de chérîf aux
enfants qui naîtront de cette union, et la répudiation presque immédiate
qui réintègre femme et enfant dans la famille maternelle, loin d’être
considérée comme un affront, est acceptée comme un titre autorisant à
faire souche.

Les deux derniers souverains du Maroc, Mouley-’Abd-er-Rahmân et Mouley-
Slîmân, pendant la durée de leurs longs règnes, ont autorisé, par ces
sortes d’unions, plus de cinq cents familles berbères à revendiquer pour
leurs héritiers la descendance édriside ; et si leurs prédécesseurs,
depuis le IXe siècle de notre ère, ont procédé de même à l’égard des
grandes familles berbères du Maghreb, — ce que l’histoire semble
démontrer, — il devient très-probable que les nobles Touâreg d’Azdjer et
du Ahaggâr, soit par des alliances directes, soit par des alliances
indirectes avec les chorfâ de Kerzâz et d’Ouazzân, sont aussi autorisés
à revendiquer la même descendance.

Quoi qu’il en soit, les Touâreg, malgré le mélange de leur sang avec
celui des Édrisiens arabes, sont restés Berbères, et, comme fraction du
peuple berbère, leur origine est loin d’être incertaine.


La tradition populaire, chez les Azdjer, ajoute à la _Note_ de Brahîm-
Ould-Sîdi quelques détails sur la formation de la confédération et sur
le partage des terres entre les différentes tribus.

D’après cette tradition, les premiers Touâreg qui prirent possession du
pays d’Azdjer furent les chorfâ Imanân et Ifôghas ; puis,
successivement, d’autres tribus vinrent se ranger autour d’eux.

Un beau jour, le chef des Imanân invita à sa cour les femmes douairières
des autres tribus, c’est-à-dire celles des dames nobles dont le ventre
avait le privilége de donner naissance aux chefs, et, mu par un généreux
sentiment de galanterie, il affecta à chacune d’elles un douaire
foncier.

La dame douairière des Orâghen reçut en apanage la plaine des
Igharghâren ;

La dame douairière des Imanghasâten eut pour lot la vallée de
Tikhâmmalt ;

Chaque tribu fut dotée de la même manière.

Ce qui frappe dans cette tradition, comme dans toutes celles relatives
aux origines des coutumes exceptionnelles des Touâreg, c’est le rôle
principal qu’y joue la femme.


A Ghadâmès, cherchant la lumière sur cette question d’origine, je
m’adressai au qâdhi, l’homme le plus instruit de la ville ; il me
répondit en ouvrant un livre qui fait autorité dans le Sahara.

Il a pour titre : _Roûdh-el-mo’attâr, fi akhbâr-el-aqtâr_ (ou Le Jardin
parfumé par les nouvelles des pays), et pour auteur : Ebn-’Abd-en-Nour-
el-Hamîri, de Tunis.

Ce livre assigne pour origine aux Berbères musulmans voilés qui habitent
l’espace compris entre Ghadâmès et Tademekka (espace de quarante jours
de marche) les tribus de Lemtoûna, Massoûfa et autres.


Ebn-Khaldoûn est plus explicite encore.

Les Molâthemîn ou les _voilés_, dit-il, qui habitent la région stérile
au Midi du désert sablonneux, entre Barka, Ghadâmès, à l’Orient, et
l’Océan Atlantique, à l’Occident, proviennent des tribus de Guedâla, de
Lemtoûna, de Outzila, de _Târga_, de Zegâoua et de Lemta, tous
descendants des Sanhâdja de seconde race.

Ainsi les Târga ou Touâreg modernes sont Sanhâdja, c’est-à-dire de la
race de ces Almoravides Lemtouniens qui, selon l’expression d’Ebn-
Khaldoûn, « après avoir soumis le désert et forcé les nègres à devenir
musulmans, fonda un Empire en Espagne et dans le Nord de l’Afrique, et,
épuisée à force de dominer, consumée dans de lointaines expéditions et
ruinée par le luxe, disparut exterminée par les Almohades, » sauf les
fractions restées dans le désert et représentées aujourd’hui par les
Touâreg, dans le Sahara central, par les Maures de la côte de l’Océan
Atlantique, débris de ces Sanhâdja qui ont donné leur nom au Sénégal.

Ebn-Khaldoûn nous éclaire encore sur beaucoup d’autres points.

« Les Sanhâdja, d’après lui, forment la majeure partie de la population
de l’Afrique occidentale, au point que bien des personnes les regardent
comme formant le tiers de toute la race berbère.

« Primitivement ils occupaient la presque totalité du littoral
méditerranéen.

« De temps immémorial, — bien des siècles avant l’islamisme, — les
voilés parcouraient la région qui sépare le pays des Berbères de celui
des Noirs, » c’est-à-dire le plateau central du Sahara, entre le bassin
de la Méditerranée et celui du Niger.

« Ils ne cessèrent de se tenir dans ce pays et de le parcourir avec
leurs troupeaux qu’après la conquête de l’Espagne par les Arabes, moment
où ils abandonnèrent le magisme pour embrasser l’islamisme. » C’était
dans le troisième siècle de l’hégire.

« D’abord les Sanhâdja se rangèrent parmi les clients de la famille
d’’Ali-ben-Abî-Tâleb, gendre de Mohammed, mais leur conversion fut
suivie de retours fréquents au paganisme.

« Ce fut un missionnaire de Sédjelmâssa, envoyé par Aggâg, de la tribu
de Lemta, » — probablement celui dont les nobles des Ahaggâr prétendent
descendre, — « qui les ramena dans la bonne voie en leur enseignant la
vraie religion.

« Au IVe siècle de l’hégire, un des plus illustres de leurs rois,
Tinezwa, étendait sa domination sur une région longue de deux mois de
marche et large d’autant. Vingt rois nègres reconnaissaient son
autorité, mais, sous ses fils, l’unité de la nation sanhâdjienne se
brisa, et chaque tribu, chaque fraction de tribu eut un roi. »

Dans le milieu du VIIIe siècle de l’hégire, à l’époque où Ebn-Khaldoûn
écrivait son _Histoire des Berbères_, « les Sanhâdjiens porteurs du
voile, soumis à l’autorité du roi des Noirs (Mâlek-es-Soûdân), lui
payaient l’impôt et fournissaient des contingents à ses armées. »

Ce roi des Noirs doit être le sultan de Gôgo qui détruisit la ville
d’Es-Soûk et détermina la migration d’une partie des habitants de cette
ville dans le pays d’Azdjer et du Ahaggâr.

A cette époque, dit encore Ebn-Khaldoûn, « les Lemta se trouvaient en
face des Arabes Riâh, au Sud de la province de Constantine, » tribu dont
nous retrouvons aujourd’hui une grande fraction aux environs de Sôkna
dans le Fezzân, « et les Târga se tenaient vis-à-vis des Soleïm, tribu
arabe de l’Ifrikïa, c’est-à-dire de la Tunisie. »

Depuis cette époque, les Târga paraissent avoir absorbé les Lemta, ce
qui explique comment la tribu des Ilemtîn, descendant des Lemta, occupe
un rang secondaire dans la société târguie.


Par la _Note_ moderne de Brahîm-Ould-Sîdi, nous connaissons
approximativement l’origine de chaque fraction noble des Azdjer et des
Ahaggâr.

Par le _Livre_ de Ben-’Abd-en-Noûr-el-Hamîri, nous savons à quelles
tribus d’origine berbère il faut rattacher les musulmans voilés au Sud
de Ghadâmès.

Par l’_Histoire des Berbères_ d’Ebn-Khaldoûn, nous savons que les Târga
(Touâreg des Arabes modernes) sont d’origine sanhâdjienne ; que,
primitivement, les Sanhâdja étaient répandus sur le littoral
méditerranéen, du désert de Barka au Maghreb-el-Aqsa ; qu’avant l’époque
islamique les fractions sanhâdjiennes, auxquelles appartenaient les
Târga, habitaient le désert ; qu’après y avoir fondé un grand royaume
embrassant la partie centrale et occidentale du Sahara, ils se sont
dispersés ; enfin que, vers le VIIIe siècle de l’hégire, les Târga,
chassés par un roi nègre, sont venus chercher un refuge au Sud de
l’Algérie, de la Tunisie et de la Tripolitaine, c’est-à-dire dans le
pays que les Touâreg occupent aujourd’hui.

Par les études récentes de M. le docteur Barth, par les renseignements
recueillis en Algérie et au Sénégal, par mon exploration personnelle, il
est démontré que les Târga, simple fraction d’une grande nation au VIIIe
siècle de l’hégire (XIIIe de J.-C.), sont devenus aujourd’hui, par
l’absorption des tribus consanguines des Sanhâdja, le peuple le plus
considérable du Sahara central.

Cela étant, pouvons-nous rattacher les Touâreg modernes aux peuples
autochthones de l’époque grecque et romaine ?


Rien n’est plus facile.

Rappelons-nous d’abord que les hommes auxquels les Arabes ont donné le
nom de Touâreg, les _délaissés_, les _abandonnés_, n’acceptent d’autres
noms patronymiques que ceux d’Imôhagh, d’Imôcharh, d’Imâjirhen, et que
leur langue s’appelle temâhaq et temâcheq ; ensuite interrogeons les
auteurs, tant modernes qu’anciens, dont les écrits ont pour objet
l’étude des peuples de l’Afrique septentrionale.

Les modernes nous apprennent que les Berbères du Maroc donnent à leur
langue le nom de tamâzigh ou tamâzirht et à leur race celui d’Amâzigh
(pl. Imâzighen), qui signifierait _libre_.

Les généalogistes du moyen âge, consultés par Ebn-Khaldoûn, pour la
rédaction de son _Histoire des Berbères_, assignent : les uns _Mâzigh_,
fils de Canaan, fils de Cham ; les autres _Tâmzigh_, fille de Medjdel,
ceux-ci pour mère, ceux-là pour père, sinon à la totalité, du moins à
une grande partie des Berbères.

Du temps de Jean Léon, en 1556, le seul nom général donné par les
Berbères à leur race et à leur langue était celui d’Amâzigh.

Or, Hérodote appelait Libye l’Afrique septentrionale et Libyens les
peuples qui l’habitaient, mais il distinguait parmi eux les sédentaires
des nomades, les agriculteurs des pasteurs. Deux noms indigènes
correspondent à cette distinction : les _Mazyes_ et les _Auses_.

Sous la plume des écrivains grecs et latins, le nom de Mazyes se
transforme en celui de Maziques, qui est identique à ceux de Mâzigh,
d’Amâzigh, d’Imôhagh, d’Imôcharh et d’Imâjirhen.

Un nom qui se transmet à travers tant de siècles, presque sans
altération, est bien celui qu’un peuple a le droit de porter et de
revendiquer.

Laissons donc de côté, comme nom de race, celui de Berbères, qui ne
s’applique qu’à une fraction de cette race, les Berâber du Maroc ;
laissons de côté, comme nom de peuple, celui de Touâreg, que repoussent
ceux auxquels on le donne, et appelons du nom général d’Imâzighen ou
d’Imôhagh toutes les peuplades de race berbère et du nom de temâhaq ou
temâcheq la langue qu’elles parlent.

Conservons à toutes les peuplades de cette race et à leurs différents
dialectes les noms particuliers sous lesquels ils sont connus, et alors
nous pourrons comprendre les indigènes, et ils pourront nous comprendre.


Maintenant, si on me demande à quelle souche primitive je rattache les
Imôhagh descendants des Imâzighen du moyen âge, des Mâzigh des
généalogistes et des Mazyes ou Maziques de l’antiquité, je dirai que
désormais l’étude de la langue temâhaq, comparée aux autres langues
africaines et asiatiques, peut seule jeter quelque lumière dans la
question.

En vue de fournir mon faible contingent à ces recherches, j’ai
recueilli, avec le soin le plus scrupuleux, toutes les inscriptions,
tant anciennes que nouvelles, en caractères _tefînagh_, que j’ai
trouvées sur les rochers, et j’ai réuni, en un vocabulaire, environ
1,500 mots de la langue temâhaq, surtout de ceux dont j’ai pu contrôler
la véritable signification, et j’ose espérer que ce travail ne sera pas
sans quelque utilité pour établir la filiation anté-historique des
Touâreg modernes.

D’un autre côté, M. le docteur Barth, qui a longtemps vécu parmi les
Touâreg du Sud, a recueilli un riche vocabulaire du dialecte _temâcheq_,
dialecte aussi étudié par M. le chef de bataillon Hanoteau[113].

Avec ces éléments modernes, comparés avec les éléments anciens de
l’inscription bilingue de Thugga, dont la partie gauche reproduit la
presque totalité de l’alphabet _temâhaq_ ou _temâcheq_, il est
impossible qu’on n’arrive pas prochainement à rattacher les Imôhagh et
leur langue à l’une des souches primitives de l’antiquité.


[Note 109 : Les chorfâ de Kerzâz existent encore à Tabalbâlet, entre le
Touât et le Tafîlelt. Ils y possèdent une zâouiya qui jouit de la plus
grande réputation.

Ceux qui y entrent ignorants, malades, affamés, nus, attristés, en
sortent instruits, guéris, rassasiés, habillés, consolés. Du moins,
c’est ce qu’en disent les indigènes.]

[Note 110 : Les chorfâ d’Ouazzân habitent une ville du Maroc, entre Fez
et Tanger. Ils sont les chefs de la grande confrérie des Mouley-Tayyeb,
et, à ce titre, ils consacrent l’investiture des empereurs du Maroc à
chaque changement de règne.]

[Note 111 : L’Adrâr dont il est ici question est un groupe d’oasis plus
rapprochées des rives de l’Océan Atlantique, dont Chinguît est la
capitale.]

[Note 112 : Les Chorfâ du Tafîlelt (Maroc) sont aussi remarquables par
leur taille élevée.]

[Note 113 : _Essai de grammaire de la langue temâchek’_, par M. A.
Hanoteau, chef de bataillon du génie. (Paris, Imprimerie impériale,
1860.)

M. Hanoteau écrit temâchek’ par un _k_ suivi d’un accent ; j’ai préféré
représenter la même lettre de l’écriture _tefînagh_ par un _q_. Voilà la
raison des différences de transcription, l’orthographe du mot restant la
même.]




                              CHAPITRE II.

                   DIVISIONS ET CONSTITUTION SOCIALE.


Les Touâreg du Nord se divisent en deux grandes sections : les Azdjer à
l’Est, les Ahaggâr à l’Ouest.

Les Ahaggâr, je l’ai déjà dit, sont les Hoggâr des Arabes et des
Européens.

Chacune des deux sections se subdivise en tribus.

Les unes sont nobles et prennent le titre de _ihaggâren_ ; les autres
sont serves et placées dans la dépendance absolue des nobles ; on les
appelle _imrhâd_. Quelques-unes ne sont ni nobles ni serves, mais
rayonnent dans le cercle d’action d’une tribu noble à laquelle elles
payent impôt ; d’autres, enfin, sont des tribus de marabouts remplissant
le rôle de modérateurs, de conciliateurs et d’instructeurs, rôle
important au milieu d’une société qui n’est soumise à aucune forme de
gouvernement régulier, mais qui, grâce à une certaine force de cohésion,
traverse la série des siècles, sans subir de modifications sérieuses,
malgré ses nombreuses pérégrinations, ses guerres intestines et les
luttes qu’elle a dû soutenir pour conserver son indépendance.


Dans la section des Azdjer, les tribus nobles sont :

    Les Imanân,

    Les Orâghen,

    Les Imanghasâten,

    Les Kêl-Izhabân,

    Les Imettrilâlen,

    Les Ihadhanâren.


Les tribus de marabouts sont :

    Les Ifôghas,

    Les Ihêhaouen.


Les tribus mixtes sont :

    Les Ilemtîn,

    Les Kêl-Tîn-Alkoum.


J’indiquerai les noms des tribus serves au chapitre suivant en faisant
l’historique des tribus nobles auxquelles elles appartiennent.


Dans la section des Ahaggâr, il n’y a que des nobles et des serfs. On
pourrait considérer comme tribus mixtes celles qui habitent les villages
du Touât, mais elles ne sont plus considérées par les Touâreg comme
faisant partie de leurs confédérations.

Primitivement, les Ahaggâr ne constituaient qu’une seule tribu, celle
des Kêl-Ahamellen, divisée en un grand nombre de fractions : mais
l’accroissement de la population, l’obligation de se disperser sur
d’immenses espaces pour assurer la subsistance des troupeaux,
probablement aussi la rivalité de familles à familles, ont amené les
fractions de la tribu mère à se constituer en tribus indépendantes, et
aujourd’hui, au lieu d’une seule tribu, on en compte quatorze, savoir :

Les Tédjéhé-Mellen,

    Les Tédjéhé-n-oû-Sîdi,

    Les Ennîtra,

    Les Tâïtoq,

    Les Tédjéhé-n-Eggali,

    Les Inembâ, }
                } Kêl-Émoghrî,
    Kêl-Tahât,  }

    Les Kêl-Rhelâ,

    Les Irhechchoûmen,

    Les Tédjéhé-n-Esakkal,

    Les Kêl-Ahamellen,

    Les Ikadéen,

    Les Ibôguelân,

    Les Ikerremôïn.


Comme pour les Azdjer, je ferai connaître, au chapitre suivant, les
tribus serves de la dépendance de chaque tribu noble.

De la division des tribus je passe à quelques considérations générales
sur chacun des organes constitutifs de cette société.


             _Du Pouvoir souverain. — Amanôkal et Amghâr._


Il y a environ deux siècles, une famille, réunissant à la noblesse de
race la noblesse religieuse des chorfâ, celle des Imanân, dominait au
dessus des Azdjer et des Ahaggâr, nobles, marabouts et serfs, et son
chef, sous le titre d’_amanôkal_[114], nom berbère synonyme de _sultan_,
représentait le roi d’une monarchie féodale.

Par suite d’une révolution, les Imanân, vaincus par leurs sujets, avec
le concours d’un élément étranger, les Ioûrâghen, sont, depuis, réduits
à l’état de simple tribu noble, et les deux groupes des Azdjer et des
Ahaggâr, constitués en confédérations aristocratiques, reconnaissent
l’autorité supérieure de cheïkh héréditaires, sous le nom d’_amghâr_,
synonyme de _cheïkh_.

Malgré sa déchéance, l’héritier du titre d’amanôkal continue à le
porter, et on le lui accorde par déférence pour sa qualité de chérîf,
mais ce titre est purement nominal. Aujourd’hui, les deux amghâr
exercent dans chacune des deux confédérations les pouvoirs autrefois
dévolus à l’unique souverain.

Ces pouvoirs, on le comprend, ne sont définis par aucune charte, et ils
varient, dans les limites de la loi musulmane, suivant l’autorité ou le
crédit personnel dont jouit l’_amghâr_.


                             _Des Nobles._


Les nobles, _ihaggâren_, sont seuls en possession des droits politiques
dans la confédération et seuls ils exercent le pouvoir dans la tribu.

Tous, dès qu’ils ont atteint leur grande majorité, sont appelés à faire
partie des _mia’âd_, ou assemblées, dans lesquelles se discutent les
intérêts communs.

Un seul, dans la tribu, par une sorte de droit d’aînesse spécial,
gouverne et administre, avec ou sans le concours des autres membres de
sa famille.

L’occupation ordinaire des nobles est de faire la police du territoire
de la tribu, d’assurer la sécurité des routes, de protéger les caravanes
de leurs clients, de veiller sur l’ennemi, de le combattre au besoin,
et, au cas d’une guerre qui appelle tout le monde sous les armes, nobles
et serfs, de prendre le commandement des serfs.

Tout travail manuel est considéré par les nobles comme indigne de leurs
seigneuries ; ils seraient même disposés, en leur qualité de
gentilshommes, à n’apprendre ni à lire ni à écrire, si l’obligation de
suppléer par la correspondance aux relations orales, que l’espace à
parcourir rend souvent impossibles, n’imposait au plus grand nombre,
nobles ou serfs, hommes ou femmes, la nécessité de la lecture et de
l’écriture.

D’ailleurs, la vie des nobles est loin d’être inactive, car, pour
remplir les devoirs qui leur incombent, ils sont toujours par voies et
par chemins, par monts et par vaux. L’espace que chacun d’eux parcourt
dans une année dépasse tout ce que l’imagination la plus féconde peut
supposer. Chez les Touâreg, une femme franchit à mehari 100 kilomètres
pour aller à une soirée, et un homme sera quelquefois dans la nécessité
de voyager vingt jours pour aller à un marché. L’immensité du désert
dévore la vie des nobles.


                            _Des Marabouts._


Les marabouts, _inislimîn_, sont des nobles qui ont abdiqué tout rôle
politique dans la gestion des affaires des confédérations pour conquérir
une plus grande autorité religieuse, autorité nécessaire dans une
société où la justice n’est représentée par aucun pouvoir et où la loi
de la force est souvent la seule invoquée, où enfin l’instruction
publique, civile ou religieuse, serait délaissée sans leur puissante
intervention.

Les marabouts, chez les Touâreg, sont donc à la fois ministres de la
religion, ministres de la justice et ministres de l’instruction
publique.

Prêtres, ils veillent au maintien de l’orthodoxie musulmane et prêchent
la vertu et la morale par l’exemple de leur vie autant que par leurs
paroles, car, chez les nomades, il n’y a ni mosquées ni lieux de réunion
pour la prédication.

Juges, ils interviennent, comme amiables compositeurs, dans toutes les
querelles d’individu à individu, de tribu à tribu, de confédération à
confédération, de Touâreg à étrangers. Souvent ils sont assez heureux
pour faire entendre le langage de la saine raison, mais ils n’ont
d’autre pouvoir que celui d’hommes à l’estime desquels on tient
généralement.

Professeurs, ils enseignent, suivant le degré de leur instruction, tout
ce qu’ils savent eux-mêmes : la lecture, l’écriture, le Coran, aux
enfants ; l’histoire, le droit, la théologie, l’astronomie, le calcul, à
ceux qui se constituent leurs disciples, _telâmîd_, et, par ces
disciples, marabouts comme eux de naissance, ils font pénétrer
l’enseignement dans toutes les classes de la société.

A la différence des marabouts arabes, qui attendent leurs clients à
domicile, les marabouts des Touâreg, pour peu qu’ils veuillent exercer
de l’influence sur leurs contribules[115], sont obligés, comme des
missionnaires, de se rendre partout où leur intervention est nécessaire.
Un marabout, le Cheïkh-’Othmân entre autres, est souvent forcé d’être,
pendant des mois, des années entières, absent de sa zâouiya.

Ne l’a-t-on pas vu venir en France chercher à établir de bons rapports
entre nous et les peuplades dont il est le chef religieux !

Dans une société comme celle des Touâreg, sans l’intervention des
marabouts dans tous les actes de la vie privée et publique, le désordre
et l’anarchie n’auraient plus de limites. Des hommes qui remplissent la
mission si difficile de maintenir dans les bornes du devoir un élément
aussi mobile et aussi passionné méritent, au plus haut degré, la
considération de toutes les personnes de cœur de toutes les religions et
de toutes les civilisations. Aussi le gouvernement français doit-il être
félicité d’avoir accueilli le Cheïkh-’Othmân et ses deux disciples, avec
la distinction dont il les a entourés pendant leur voyage en France, et
je ne doute pas que la bienveillance dont ces marabouts ont été l’objet
ne produise les meilleurs effets chez les Touâreg.

Une leçon du Cheïkh-’Othmân à ses disciples, à sa sortie des Tuileries,
mérite d’être consignée ici :

« Chacune des religions révélées, leur dit-il, peut élever la prétention
d’être la meilleure : ainsi, nous, musulmans, nous pouvons soutenir que
le Coran est le complément de l’Évangile et de la Bible, mais nous ne
pouvons contester que Dieu ait réservé pour les chrétiens toutes les
qualités physiques et morales avec lesquelles on fait les grands peuples
et les grands gouvernements. »

Cette remarque, dans la bouche d’un marabout musulman, révèle une haute
philosophie en même temps qu’une instruction solide : car les fanatiques
n’admettent, pour les chrétiens, de supériorité que par l’intervention
du diable, et seulement pour égarer les musulmans.


                          _Des Tribus mixtes._


Je donne ce nom, à défaut d’autre, à des tribus qui ne sont ni nobles,
ni serves, mais qui achètent cependant la liberté en payant un impôt aux
nobles.

Cet impôt est celui de la _gharâma_, qui existait autrefois en Algérie
sous la domination des Turcs.

Cette classe correspond à celle des _ra’aya_ de l’Orient.


                              _Des Serfs._


J’ai longtemps hésité à traduire le mot _amrhîd_, pl. _imrhâd_, par le
mot français _serf_, par la raison que les Touâreg, à défaut d’un mot
spécial, traduisent le mot temâhaq _amrhîd_ par celui de _ra’aya_ en
arabe, lequel correspond au mot _sujet_ de notre langue : mais
l’hésitation a cessé à partir du moment où j’ai su que les tribus mixtes
représentaient les vrais ra’aya et que la religion musulmane défendait
aux marabouts d’avoir des imrhâd.

Le ra’aya des Arabes et des Turcs est _un sujet_, plus ou moins
corvéable, plus ou moins contribuable, mais ce n’est qu’un ra’aya
politique, tandis que l’amrhîd est un ra’aya social, c’est-à-dire un
_serf_ dans la pire acception du mot, serf duquel on peut exiger non-
seulement des corvées et des contributions, mais encore l’abandon absolu
de tout ce qu’il possède.

En droit, l’amrhîd plaidant devant un qâdhi contre son maître ne lui
doit rien, parce que la loi musulmane, qui admet l’esclavage, repousse
l’inféodation de l’homme à l’homme : mais, en fait, chez les Touâreg,
l’amrhîd doit tout, parce que, dans ce pays, l’autorité du sabre
remplace souvent celle de la loi.

Cependant, avec le droit de la force, comme avec tous les autres droits,
il y a des accommodements.

Dans la pratique ordinaire, le droit du maître restant absolu sur les
biens du serf, le maître aime que le serf soit riche en argent, en
troupeaux, en esclaves, en mobilier, et il lui laisse toute liberté pour
arriver à la fortune, parce qu’il sait devoir trouver là, en cas de
besoin, des ressources qui ne lui seront pas refusées, mais dont il
n’usera qu’avec discrétion pour ne pas décourager le serf, pour ne pas
tuer la poule aux œufs d’or.

Le noble, je l’ai déjà dit, ne se livre à aucun travail manuel ; sa
grande occupation est d’assurer la sécurité des routes au profit du
commerce.

A l’époque des récoltes, il se rapproche des oasis habitées par les
commerçants dont il protége les intérêts ; là, ses clients lui font une
part sur les produits de leurs jardins, et il vit temporairement de
cette dîme.

A l’époque où les caravanes marchent, il campe sur les routes et il se
nourrit des _dhîfa_ que lui offrent les voyageurs.

Entre temps, il vient s’installer chez ses serfs, et ceux-ci
l’alimentent.

Pour ces derniers, exclusivement occupés de pourvoir à leurs propres
besoins, et d’ailleurs beaucoup plus nombreux que les nobles, la charge
est lourde, sans doute, car le pays est pauvre, mais elle n’excède pas
leurs forces.

Parfois, quand le noble a perdu ses chameaux, soit par excès de fatigue,
soit par manque de nourriture, il se remontera chez ses serfs, et ces
derniers trouveront cet impôt presque légitime : car, si les nobles
usent des chameaux pour assurer la sécurité du pays, les serfs n’ont
guère d’autre besogne sérieuse que d’en élever, et, pour cela, l’espace
leur est abandonné en pacage, et ils savent toujours choisir, pour y
conduire leurs troupeaux, les vallées les plus plantureuses.

Les redevances ordinaires des imrhâd envers leurs maîtres consistent à
leur donner annuellement un chameau, une _botta_ ou pot de beurre, à
leur réserver le lait de dix brebis ou chèvres et à garder leurs
troupeaux. De cette fonction spéciale leur est venu le surnom de _kêl-
oûlli_, gens de bétail.

Il faut bien que les nobles n’abusent pas trop de leurs serfs, car il en
est quelque-uns plus riches que leurs maîtres. De ce nombre est un nommé
El-Hâdj-Mohammed, de la tribu des Iworworen, serf de l’émîr Ikhenoûkhen,
dont la fortune est égale à celle de son maître, incontestablement le
plus riche des Touâreg du Nord. Ce Hâdj-Mohammed, qui doit sa position à
son intelligence, est très-considéré, et il n’est pas rare de voir
Ikhenoûkhen prendre ses conseils.

Le serf se transmet par héritage ou donation, mais ne se vend pas,
condition qui le distingue de l’esclave.


Quelle est l’origine de l’asservissement des imrhâd ?

Plusieurs réponses sont faites à cette question.

Chaque noble possède, suivant sa fortune, un nombre plus ou moins
considérable d’esclaves noirs qui souvent, à la mort de leurs
propriétaires, sont affranchis. C’est une œuvre pie chez les musulmans.
Dans la société târguie, l’esclave affranchi ne peut trouver à louer ses
bras pour vivre ; fatalement il est amené à transformer son
affranchissement en servage, car souvent son retour dans sa patrie est
impossible. Ainsi se recrutent journellement les tribus d’imrhâd noirs
désignés sous le nom d’_ikelân_.

Les imrhâd blancs sont de même origine que les autres Touâreg et
proviennent de tribus congénères asservies par la force des armes, ou
qui ont réclamé le protectorat des nobles.

Quelques-uns attribuent le servage à la position exceptionnelle de la
femme chez les Touâreg. Les extrêmes se touchent, et souvent, comme dit
le proverbe, le mieux est l’ennemi du bien.

Chez les Berbères sahariens, la femme dispose de la plus grande partie
de la richesse. Or, il s’est trouvé, dans les temps anciens, dit la
tradition, des femmes non mariées possédant de nombreux troupeaux, et
qui, dans l’impossibilité de les défendre par elles-mêmes contre le vol
et le pillage, ont réclamé le protectorat de familles princières et ont
consenti à leur payer tribut. Plus tard, ces femmes se sont mariées et
leurs enfants ont constitué le noyau des premières tribus serves.

Mais ce ne peut être qu’une des origines nombreuses du servage.

Dans l’_Histoire des Berbères_ d’Ebn-Khaldoûn, l’exemple de
l’asservissement des vaincus ou de leur réduction en servage est souvent
mentionné. Si le servage ne s’est pas maintenu comme fait plus général
dans l’Afrique septentrionale, c’est qu’il a été aboli, comme chez les
marabouts Touâreg, au nom de la morale islamique.

Mais les Touâreg ne sont pas les seuls à avoir des serfs : les Oulâd-Bâ-
Hammou, Arabes nomades du Touât, ont aussi des imrhâd, les uns Arabes,
les autres Berbères. Il est vrai de dire que les Oulâd-Bâ-Hammou, comme
les Touâreg, appartiennent à une confédération indépendante de tout
gouvernement régulier.

Au Nord du Sénégal aussi, plusieurs tribus arabes ou berbères tiennent
sous leur dépendance d’autres tribus dont l’état social me paraît
correspondre à celui des imrhâd chez les Touâreg.

D’après les hommes les plus éclairés dont j’ai pris l’avis, le servage,
pour quelques tribus imrhâd des Imanân, daterait du règne du dernier
amanôkal, Gôma, qui tuait impitoyablement ceux qui résistaient à ses
volontés, et qui, pour ses méfaits, fut tué lui-même par Bîska, l’un des
principaux chefs des Azdjer.

Déjà, à cette époque, la réduction des faibles en servage paraissait un
fait tellement monstrueux, tellement contraire à la morale du Coran,
qu’un homme de haute lignée n’a pas craint de se dévouer pour
débarrasser son pays d’un tel monstre.

Quant aux autres imrhâd, leur asservissement est antérieur à la
conversion des Touâreg à l’islamisme, ou doit dater de la dispersion des
Kêl-es-Soûk par le roi de Gôgo.

On comprend qu’alors des familles faibles, étrangères au métier des
armes, et voulant échapper à la mort ou à l’esclavage qui les attendait
en tombant au pouvoir du roi noir et païen, aient acheté la protection
des nobles en se constituant leurs serfs.

D’ailleurs, font remarquer les nobles, la plupart des imrhâd ont eu pour
mères des esclaves noires ; s’ils fussent restés dans la condition que
leur créait le ventre de leurs mères, d’après la coutume târguie, ils
auraient dû être esclaves. En devenant serfs, ils ont conquis la liberté
personnelle et ont pu épouser des femmes blanches, ce qui est à la fois
un grand avantage et un grand honneur pour eux.


L’enfant, chez les Touâreg, suit le sang de sa mère ;

Le fils d’un père esclave ou serf et d’une femme noble est noble ;

Le fils d’un père noble et d’une femme serve est serf ;

Le fils d’un noble et d’une esclave est esclave.

« C’est le ventre qui teint l’enfant, » disent-ils dans leur langage
primitif.

Et, ajoutent-ils, « l’amrhîd, quels que soient son intelligence, son
instruction, son courage, sa force, sa richesse, ne peut s’affranchir du
servage.

« Il ne peut ni se racheter, ni fuir, car son maître a sur lui un droit
imprescriptible. »

Cependant, quand il y a mélange successif et prolongé de sang noble avec
le sang serf dans la même famille, on admet que l’amrhîd puisse devenir
un demi-noble. On en cite quelques rares exemples.


En général, les imrhâd sont aussi fiers d’être Touâreg que les nobles,
et, pour défendre l’honneur de leur nom, ils font merveille quand ils
sont appelés au combat, surtout quand ils se battent contre les Arabes,
ces grands mangeurs, qu’ils accuseraient volontiers d’affamer la terre,
tant ils envient même leurs plus modestes repas.

On a écrit que les imrhâd, par mesure de prudence, n’étaient pas armés,
et que jamais ils n’étaient appelés à combattre, dans la crainte qu’ils
n’apprissent à tourner leurs armes contre leurs maîtres.

C’est le contraire qui est presque la vérité, car tous les imrhâd ont le
sabre, la lance, le poignard, le bouclier, et quelques-uns même des
fusils achetés, quand les nobles n’ont que des fusils donnés.

Dans toutes les guerres, les imrhâd sont les premiers en avant, et ils
se croiraient déshonorés si on ne les appelait à défendre la cause de
leurs maîtres.

Souvent ils entreprennent des _rhezî_ pour leur compte ou avec le
concours des nobles, et, dans ces expéditions périlleuses, ils se
montrent audacieux comme des hommes qui ont à racheter leur infériorité
sociale par une supériorité dans la profession qui a ennobli leurs
maîtres.

Quand des contestations s’élèvent entre des tribus imrhâd, elles les
vident les armes à la main.

M. le commandant Hanoteau, dans son _Essai de grammaire temâchek’_,
raconte longuement une querelle entre les Isaqqamâren et les Kêl-Ouhât,
deux tribus serves du Ahaggâr.

La tradition n’a transmis la mémoire d’aucun fait ressemblant à une
coalition des serfs contre leurs maîtres, quoiqu’il y ait parfois des
actes de rébellion d’individus assistés des membres actifs de leurs
familles. Mais le respect du maître est si grand que, par l’intervention
des autres imrhâd, tout rentre bientôt dans l’ordre.

On cite le cas d’un amrhîd, maltraité par son maître, qui alla se
plaindre à Tripoli. Il y a longtemps de cela. Le sultan de cette ville,
croyant à une révolte des serfs qui lui permettrait d’avoir raison des
nobles Touâreg, envoya contre eux une armée, laquelle arriva jusqu’à
Djânet. On lui permit de mettre à mort le coupable, et l’armée rentra à
Tripoli. Les descendants du noble et de l’amrhîd, acteurs dans ce petit
drame, existent encore aujourd’hui et vivent dans de bons rapports.


                            _Des Esclaves._


Presque tous les Touâreg nobles et riches ont des esclaves nègres du
Soûdân amenés par les caravanes, et aujourd’hui vendus à vil prix dans
le pays. Quelques serfs en possèdent aussi.

Les nègres servent de domestiques, gardent les troupeaux, font des
convois ; les négresses, quand elles sont des concubines, accompagnent
leurs maîtres dans leurs longs voyages ; autrement, elles remplissent le
rôle de servantes dans les ménages et permettent aux dames de bonne
famille de vaquer à leurs plaisirs avec une liberté que ne connaissent
pas les femmes arabes.

L’esclavage, chez les Touâreg comme chez tous les peuples musulmans, est
très-doux et n’a rien de commun avec le travail forcé des colonies. Dans
la famille musulmane, l’esclave est traité par ses maîtres avec les plus
grands égards, et il n’est pas rare de voir l’esclave se considérer
comme un des enfants de la maison.


                             _De la Femme._


S’il est un point par lequel la société târguie diffère de la société
arabe, c’est par le contraste de la position élevée qu’y occupe la femme
comparée à l’état d’infériorité de la femme arabe.

Chez les Touâreg, la femme est l’égale de l’homme, si même, par certains
côtés, elle n’est dans une condition meilleure.

Jeune fille, elle reçoit de l’éducation.

Jeune femme, elle dispose de sa main, et l’autorité paternelle
n’intervient que pour prévenir des mésalliances.

Dans la communauté conjugale, elle gère sa fortune personnelle sans être
jamais forcée de contribuer aux dépenses du ménage, si elle n’y consent
pas : aussi arrive-t-il que, par le cumul des produits, la plus grande
partie de la fortune est entre les mains des femmes. A Rhât, la presque
totalité de la propriété foncière leur appartient. Nous l’avons déjà vu.

Dans la famille, la femme s’occupe exclusivement des enfants, dirige
leur éducation.

Les enfants sont bien plus à elle qu’à son mari, puisque c’est son sang
et non celui de l’époux qui leur confère le rang à prendre dans la
société, dans la tribu, dans la famille.

En dehors de la famille, quand la femme s’est acquise, par la rectitude
de son jugement, par l’influence qu’elle exerce sur l’opinion, une sorte
de réputation, on l’admet volontiers, quoique exceptionnellement, à
prendre part aux conseils de la tribu. Libre de ses actes, elle va où
elle veut, sans avoir à rendre compte de sa conduite, pourvu que ses
devoirs d’épouse et de mère de famille ne soient pas négligés.

Son autorité est telle que, bien que la loi musulmane permette la
polygamie, elle a pu imposer à l’homme l’obligation de rester monogame,
et cette obligation est respectée sans aucune exception.

Pour que la femme târguie ait pu se placer ainsi au-dessus de la loi, de
la religion et des passions, il lui a fallu plus que la puissance
attractive du sexe féminin sur le sexe masculin.

Cette puissance, quelle qu’elle soit, elle l’a exercée, et les résultats
attestent son heureuse influence, car, dans le même milieu, quelle
différence entre la famille arabe polygame et la famille târguie
monogame !

Dans cette dernière, malgré de grands éléments de dissolution, la
monogamie a retenu autour du foyer domestique de très-beaux restes de
ces vertus qui ont fait jadis la gloire de la race berbère. Dans la
famille arabe, au contraire, du moins dans certaines tribus du Sahara,
malgré de meilleures conditions matérielles d’existence, la polygamie a
fait descendre assez bas le niveau de la morale publique pour que le
père, avant de marier sa fille, puisse exiger d’elle le remboursement,
prélevé sur son corps, de ce qu’elle a coûté à sa famille, et pour que
la fille, déshonorée selon nous, rachetée suivant les idées locales,
soit d’autant plus recherchée en mariage, qu’elle aura eu plus de succès
dans le commerce de ses attraits. La conséquence de ces prémices est que
la femme arabe, tombée dans la décrépitude à l’âge où la femme monogame
brille de tout son éclat, descend au rang des bêtes de somme pour servir
son père, son mari, ses enfants, voire même la femme qui l’a remplacée
dans les faveurs de l’époux et qui partagera bientôt avec elle le
fardeau de la domesticité.

Que d’enseignements découlent de ces constatations !

Dans la société târguie, le rôle du marabout et celui de la femme
semblent plutôt procéder de la civilisation chrétienne que des
institutions musulmanes. Faut-il voir dans ces deux exceptions un reste
d’une tradition ancienne ? Rappelons-nous que les Touâreg portent ce nom
pour avoir longtemps repoussé et renié l’islamisme. Parmi eux il y a eu
lutte et lutte prolongée entre une foi antérieure et la religion
nouvelle. Mais, quelles que soient les causes de la résistance des
Touâreg à l’islamisme, il est hors de doute que leur société
exceptionnelle, au milieu de tant d’éléments de destruction, s’est
maintenue, telle que nous la retrouvons, par la femme et par le
marabout.

La civilisation française, dont nous sommes fiers à si juste titre,
n’est-elle pas aussi l’œuvre de la femme chrétienne et des évêques
éclairés du moyen âge ?


[Note 114 : Mot à mot : _ama_ possesseur, _n_ du, _akal_ pays.]

[Note 115 : _Contribule_, de la même tribu. Ce mot a pour les tribus la
même valeur que le mot _concitoyen_ pour les habitants de la même
ville.]




                             CHAPITRE III.

                         HISTORIQUE DES TRIBUS.


Le but de ce chapitre est de faire connaître l’importance relative de
chaque tribu, ses chefs, sa force, ses ressources, ses principaux lieux
de campement, en un mot, le rôle qu’elle joue dans chaque confédération.

On ne s’attend pas, sans doute, à ce que je donne ici la monographie des
diverses tribus ; pareille tâche ne pourrait être remplie, même par
l’amghâr de chaque confédération, tant l’espace occupé par les Touâreg
du Nord est considérable, tant il existe de divisions dans les
différentes confédérations, tant le caractère particulier de chaque
tribu diffère, tant il est difficile, enfin, de suivre, dans leurs
pérégrinations, des tribus qui se mêlent à tout instant ou se dispersent
de manière à ne jamais se rencontrer. Puis, chacun des groupes se divise
en plusieurs partis, et les renseignements qu’on obtient de chaque parti
rival sont souvent contradictoires. Démêler l’erreur de la vérité
dépasse les forces d’un étranger auquel on ne confie pas tous les
secrets de la vie intérieure des tribus.

Ainsi, quel chiffre donner à la population, quand jamais aucun
recensement n’a été fait ? Quelle richesse lui attribuer, quand aucun
impôt n’est prélevé ? Quel territoire assigner à chaque tribu, quand
chaque saison, chaque querelle amène des déplacements ; quand, surtout,
après les pluies qui ont fécondé un territoire, toutes les tribus s’y
rendent avec leur bétail, et se mélangent entre elles comme leurs
troupeaux ?

Sous la réserve de ces difficultés à surmonter, j’entre en matière, avec
la conviction cependant d’apporter quelques lumières dans des questions
jusque-là fort obscures.


                   § Ier. — CONFÉDÉRATION DES AZDJER.


Dans l’ordre hiérarchique des confédérations des Touâreg, celle des
Azdjer me paraît occuper le premier rang, non par sa force numérique,
car elle est une des plus faibles ; non par sa richesse, car elle est
une des plus pauvres, mais par le degré de civilisation qu’elle a
atteint, par l’ordre qui y règne, par la réputation dont elle jouit au
dehors, par l’influence légitime qu’elle exerce sur les autres
confédérations, par la part qu’elle prend au commerce du Sahara avec
l’Afrique centrale, enfin, par le caractère éclairé, conciliateur et
ferme en même temps des hommes qui la dirigent.

C’est par le pays des Azdjer et avec le concours de leurs chefs que les
Européens ont pu, jusqu’à ce jour, pénétrer dans l’Afrique centrale et
l’explorer ; c’est dans le pays des Azdjer que les routes commerciales
sont les plus sûres et les plus suivies ; c’est sous le protectorat des
Azdjer que Ghadâmès, comme entrepôt, Rhât, comme marché, ont pu
atteindre le degré de prospérité que leur envient les autres villes
commerciales du Sahara ; enfin, c’est par les Azdjer seuls que l’Europe,
les États du Nord de l’Afrique, communiquent avec les autres Touâreg et
une partie des peuplades nègres de l’Afrique centrale.

Cette puissance morale est le résultat, du moins dans ces deux derniers
siècles, de la prépondérance politique des Orâghen dans la
confédération, et aussi de l’influence religieuse des marabouts Ifôghas
sur tout ce qui les environne. Le voisinage des populations sédentaires
de Mourzouk, de Rhât, de Ghadâmès, de cette dernière ville, surtout,
l’un des plus anciens foyers de civilisation dans le Sahara, a contribué
puissamment à préparer la facilité des relations, qui est le caractère
dominant des Azdjer.

Dans cette confédération, il y a lieu aussi à signaler une tendance à la
stabilisation : ainsi les Touâreg Fezzaniens sont tous sédentaires,
vivant de la vie des Oasiens, dans des villages entourés de forêts de
dattiers ; les habitants de Rhât sont d’anciens nomades, de même ceux
d’El-Barkat et de Djânet, petites villes situées au Sud de Rhât ; à
Ghadâmès, les Touâreg ont, _extra muros_, un faubourg qui leur
appartient. La seule zâouiya bâtie dans l’immensité des parcours des
Touâreg, celle de Timâssanîn, est sur le territoire des Azdjer, et il ne
faudrait pas faire beaucoup d’efforts pour décider le Cheïkh-’Othmân à
donner plus d’importance à ses constructions.

Parmi les nomades mêmes, on remarque que leurs tribus tendent à se
renfermer dans des limites définies de territoire, ce qui n’a pas lieu,
au même degré, dans les autres confédérations, car déjà les imrhâd des
Azdjer semblent rechercher des résidences fixes qui leur permettent de
donner plus de développement à la culture.

Le maintien de la paix, l’appui moral que le gouvernement de l’Algérie
donne aux principaux chefs des Azdjer, l’introduction de quelques
appareils de sondage artésien, contribueront puissamment à développer,
dans les limites du possible, ces tendances à la stabilisation.


                          _Tribu des Imanân._


Imanân signifie _sultans_. En effet, jadis la famille des Imanân tenait
sous son autorité souveraine tous les Touâreg du Nord.

Rhât était le lieu ordinaire de la résidence du sultan, et la tribu des
Imanghasâten formait la garde et la force armée de cette famille.


Il y a deux cents ans environ régnait l’amanôkal Gôma. Ses prédécesseurs
avaient désolé le pays par des guerres intestines et ruiné le commerce
de Rhât par des avanies faites aux caravanes qui fréquentaient son
marché.

Gôma, plus injuste que ses devanciers, voulut, à leur imitation,
anéantir ou réduire en servage ceux de ses sujets qui n’acceptaient pas
son despotisme sans protestation.

De ce nombre, entre autres, était un petit essaim des Orâghen[116],
venant du Niger et depuis peu arrivé dans le pays.

En leur qualité d’étrangers, ces Orâghen étaient principalement l’objet
des persécutions de Gôma, mais ils étaient braves et pouvaient, au
besoin, compter sur l’appui de leurs contribules, voisins de Timbouktou.
Ils ne se laissèrent pas entamer.

Cependant la mesure de l’iniquité fut bientôt à son comble et la mort de
Gôma résolue par ses malheureux sujets.

Bîska, l’un des nobles des Azdjer outragés par le roi, le tua, aux
applaudissements de ses victimes.

Sur ces entrefaites arriva un chef des Ioûrâghen du Niger, du nom de
Mohammed-eg-Tînekerbâs, homme de guerre, juste et estimé, qui venait à
Rhât demander réparation de dommages causés à ses frères, devenus
Azdjer, et à d’autres Ioûrâghen du Sud, appelés sur le marché du Rhât
pour affaires de commerce.

Dieu aidant, il acheva de renverser la dynastie des Imanân, fort
compromise par l’assassinat de Gôma et généralement détestée de tous les
Touâreg.

Cette révolution sera racontée, ci-après, dans ses détails légendaires.

De cette époque date la séparation des Ahaggâr et des Azdjer en deux
confédérations indépendantes.

Cependant les Imanân continuèrent à donner à leur doyen d’âge le vain
titre d’amanôkal.


Les successeurs de Gôma furent :

    Mahâoua, réputé un géant[117],

    Ouân-Alla,

    Hamma,

    Jebboûr,

    Mohammed-eg-Jebboûr, l’amanôkal actuel.


Chez les Imanân, pour hériter du titre d’amanôkal, il faut être issu de
père et de mère originaires de la tribu.

Les Imanân ont la prétention d’être chérîfs : mais quelle est la famille
africaine un peu puissante et un peu ancienne qui ne revendique pas
l’honneur de descendre du Prophète ?

La _Note_ de Brahîm-Ould-Sîdi sur l’origine des Touâreg, analysée au
chapitre Ier de ce livre, leur accorde cette descendance ; tous les
Touâreg sont unanimes pour la leur reconnaître, et c’est à cette
considération que les anciens sujets des Imanân leur portent encore
quelque respect. Je ne leur contesterai donc pas le seul mérite qui leur
reste.

Aujourd’hui il n’y a plus que cinq hommes Imanân, mais beaucoup de
femmes.

Ennemis naturels d’Ikhenoûkhen, coupable, à leurs yeux, d’avoir usurpé
un pouvoir qu’ils ont laissé tomber de leurs mains impuissantes, les
Imanân sont le centre de toutes les intrigues contre ce grand chef, et
conséquemment contre l’influence française. Heureusement, ils ne
jouissent pas de grand crédit dans le pays, quoiqu’ils aient encore
conservé le tambour, _tobol_, symbole de leur ancienne royauté.

Rois fainéants, les cinq représentants de cette race déchue mènent la
vie sédentaire des Arabes, comme s’ils n’étaient pas Touâreg, habitant
tantôt à Rhât, où ils négocient avec El-Hâdj-el-Amîn la cession du pays
aux Turcs, tantôt à Djânet, où ils se trouvent au milieu de leurs serfs.

Comme moyens d’existence, les Imanân ont les redevances de leurs serfs
et les coutumes de leurs clients étrangers.


Leurs serfs sont :

    Les Ibattanâten,

    Les Ikourkoumen,

    Les Ikendemân,

    Les Kêl-el-Mîhân,

    Les Kêl-Ahérêr.


A l’exception des Kêl-Ahérêr qui habitent d’une manière fixe le village
d’Ahérêr, à la tête de l’Ouâdi-Tikhâmmalt, les autres serfs des Imanân
cultivent et parcourent, partie dans le Tasîli, chez les Azdjer, partie
chez les Kêl-Ahamellen, dans le Mouydîr.

Leurs ikelân, serfs noirs, sont également répandus sur les territoires
des deux grandes sections des Touâreg du Nord, mais surtout dans le
Ahaggâr, témoignage de leur ancienne autorité sur les Ihaggâren aussi
bien que sur les Azdjer.


Les Imanân ont encore en commun avec les Orâghen les tribus serves
suivantes :

    Izedjazâten,

    Kêl-Djânet,

    Kêl-Farhî,

    Kêl-Tamelrhik,

    Kêl-Tazoûlt.


Djânet est un village important, au pied du versant Sud du Tasîli, sur
l’Ouâdi-Titsîn, affluent du Tâfassâset, à 125 kilomètres Sud-Ouest de
Rhât. Des sources y arrosent quelques cultures et des plantations de
dattiers.

Farhî, Tamelrhik et Tazoûlt sont des points de résidences fixes
d’imrhâd, où ils ont des _zerâïb_ ou chaumières. Je ne connais pas la
position exacte de ces campements.

En leur qualité de rois déchus, les Imanân n’ont pas le droit
d’entraîner leurs serfs à la guerre, mais, si les nobles des autres
tribus les appellent sous les armes, ces derniers doivent obéir, même
malgré l’opposition de leurs maîtres.

La galanterie târguie a conservé aux femmes des Imanân le titre de
_timanôkalîn_, femmes royales, à cause de leur beauté et de leur
supériorité dans l’art musical. Souvent elles donnent des soirées où les
hommes viennent de très-loin et parés comme des mâles d’autruche,
_delîm_. Dans ces soirées, les femmes chantent en s’accompagnant du
tambour (_tobol_) et d’une sorte de violon (_rebâza_).

Le sang des Imanân, par leurs femmes, est très-répandu chez les
Touâreg ; on les recherche volontiers en mariage, en raison du titre de
chérîf qu’elles confèrent à leurs enfants.


                          _Tribu des Orâghen._


Elle s’appelait autrefois Ioûrâghen.

D’après la tradition, cette tribu est originaire des environs de Sôkna.
Avant de se fixer là où nous la trouvons aujourd’hui, elle habita
successivement le Fezzân, le pays de Rhât et l’Ahâouagh, territoire
situé sur la rive gauche du Niger, à l’Est de Timbouktou.

A cette dernière station, la tribu se divisa : une fraction, celle dont
il est ici question, revint aux environs de Rhât ; l’autre, la plus
nombreuse, resta dans l’Ahâouagh, où elle compte, dit-on, 1,200
combattants réputés pour leur valeur guerrière.

Autour de Rhât, les Orâghen eurent à conquérir l’autorité dont ils
jouissent aujourd’hui.

Voici comment la légende raconte les hauts faits auxquels ils doivent la
suprématie dans le pays :


« Il y a deux cents ans environ, vivait Mohammed-eg-Tînekerbâs, grand
seigneur des Ioûrâghen.

« Son père était originaire de l’Ahâouagh et sa mère était née dans le
pays des Azdjer.

« Eg-Tînekerbâs eut l’idée de venir visiter le pays maternel, et comme
un noble Amôhagh ne voyage jamais seul, il emmena avec lui des
compagnons.

« En passant à Djânet, petit village appartenant aux Imanân, Eg-
Tînekerbâs y trouva une pauvre femme en pleurs, à laquelle les sultans
venaient de prendre son maigre dîner, et, dans ses lamentations, elle
invoquait le nom de Mohammed-eg-Tînekerbâs, comme étant le seul assez
vaillant pour venger tous les affronts subis par les Azdjer.

« Étonné que son nom fût connu si loin de sa patrie, Eg-Tînekerbâs
s’approcha de la femme, lui demanda la cause de son chagrin. Celle-ci
lui raconta en détail tous les malheurs de ses frères maternels. Eg-
Tînekerbâs la consola.

« Les plaintes de la bonne femme rappelèrent à la mémoire du voyageur
quelques avanies dont les Ioûrâghen, ses contribules, avaient été
l’objet de la part des Imanân, sur le marché de Rhât qu’ils
fréquentaient, et des plaintes récentes adressées à la tribu métropole
par une petite colonie d’Orâghen établie depuis peu chez les Azdjer.

« Tel était alors le despotisme des Imanân, qu’un nommé Bîska venait de
tuer le sultan Gôma, et cet événement n’était pas étranger aux motifs
qui avaient déterminé Eg-Tînekerbâs à venir dans le pays de sa mère.

« En ce temps-là, Kôtika était le chef des Imanghasâten. Jeune, il avait
joui d’une grande réputation de bravoure et était très-considéré. Alors
il était vieux et aveugle.

« Pour lui permettre d’aller faire ses ablutions, une corde avait été
tendue entre sa maison de Rhât et son jardin, voisin de la ville, où il
y avait un puits appelé Tânout-Imanân.

« L’aveugle, guidé par la corde, se rendait à son jardin, lorsque les
Ioûrâghen, qui de Rhât allaient au village de Fêouet, le virent, et,
sans autre motif que celui de chercher une querelle aux Imanghasâten,
amis et complices des Imanân, le jetèrent dans le puits.

« Une chienne, qui était dans le jardin, se mit à aboyer. Un des
Ioûrâghen la perça d’une lance, mais elle ne fut pas tuée sur le coup et
se sauva dans Rhât, emportant, accrochée dans son ventre, l’arme qui
l’avait blessée, pièce de conviction qui devait révéler aux Imanghasâten
les noms des auteurs du crime commis.

« La ville fut bientôt en émoi, et chacun de dire : « _Yoûdjer âdjen
Orâghen tenerhîn en teydit_ — ce sont les Orâghen armés qui ont tué la
chienne. » On ignorait encore la mort de Kôtika.

« Le lendemain, un homme très-redouté parmi les Imanghasâten, et qui se
nommait Edôkân, sortit de la ville et trouva la trace des meurtriers de
la chienne. Il la suivit jusqu’au village de Fêouet.

« Les Ioûrâghen, venus des environs de Timbouktou, faisaient route pour
rentrer chez eux.

« Edôkân, qui avait reconnu les voyageurs, avertit ses frères les
Imanghasâten et les Imanân, qui se mirent à leur poursuite.

« Une rencontre eut lieu. Eg-Tînekerbâs tua de sa main Edôkân, au pied
de l’arbre, _azhel_, encore appelé aujourd’hui _Azhel-n-Edôkân_. C’est
un _Acacia Arabica_ situé près de Fêouet.

« La mort d’Edôkân jeta la terreur parmi les Imanghasâten ; ils prirent
la fuite. Quant aux Imanân, ils furent battus à plate coutur »


La défaite des forces réunies des Imanân et des Imanghasâten par une
poignée d’hommes est due à ce que les Ioûrâghen, comme tous les Touâreg
du Sud, avaient quelques chevaux et des dromadaires de race supérieure à
ceux de leurs ennemis.

Et puis, sans aucun doute aussi, les Orâghen d’Azdjer n’avaient pas
ignoré la visite d’Eg-Tînekerbâs et ses projets de vengeance, et, en
bons frères, ils étaient là, embusqués dans quelque petit ravin, pour
lui prêter appui en cas de besoin.

La légende n’entre pas dans ces détails, mais ils sont faciles à
deviner.

L’effroi causé dans le pays par une pareille victoire fut si grand que
le vide ne tarda pas à se faire.

Les Imanân, parents et alliés des souverains d’Agadez, allèrent se
placer sous leur protection.

Les Imanghasâten se réfugièrent chez les Arabes Megâr-ha, leurs cousins,
dont j’ai déjà fait connaître la station autour de l’Ouâdi-ech-Chiati.
(Voir page 276.)

Les Ihadhanâren se sauvèrent dans le pays d’Aïr, chez les Kêl-Fadây.

D’autres Touâreg se rendirent au Fezzân, où ils habitent encore
aujourd’hui.

Les Kêl-Tîn-Alkoum, dont le berceau est voisin d’El-Barkat, les y
avaient précédés, fuyant les injustices des Imanân : aussi ont-ils été
les premiers et sont restés les plus fidèles alliés des Orâghen.

Seuls, les habitants de Rhât, fixés au sol par le lien de la propriété
et ennemis des Imanân, restèrent dans le pays ; ils s’empressèrent de
faire leur soumission à Eg-Tînekerbâs.

Ce chef, pour utiliser sa victoire et se mettre à l’abri des retours
offensifs, fit venir près de lui les membres de sa famille restés sur le
Niger, et quand son pouvoir fut bien assis, il autorisa les fugitifs à
rentrer dans leurs anciens campements.

C’est ainsi que les Orâghen conquérirent le premier rang chez les
Azdjer, en réduisant les Imanân au rôle de rois sans sujets, en
subalternisant les Imanghasâten et en s’emparant des campements qui
commandent les positions de Rhât et de Ghadâmès, les deux clefs de voûte
de la contrée. Ils complètent aujourd’hui leur mission en cherchant de
nouvelles destinées pour leur patrie adoptive.

Je l’ai déjà dit, il y a deux cents ans environ que cette révolution eut
lieu.


La reconnaissance a conservé les noms des successeurs de Mohammed-eg-
Tînekerbâs ; ce sont :

    Alghoûd,

    Sîd-el-Hâdj-Saddîq,

    Ilbak,

    Mohammed-eg-Amîdi,

    Integga,

    Eg-es-Saghâda, père de la mère d’Ikhenoûkhen,

    Akkeya,

    Et-Tafrîs,

    Mohammed-Châffao,

    Mohammed-eg-Khatîta, chef actuel des Orâghen.


A la mort de Châffao, il y a environ quarante ans, Ikhenoûkhen, fils de
la sœur aînée de Châffao, devait, d’après la coutume des Touâreg,
hériter du titre d’amghâr, mais il renonça à ce droit en faveur de son
cousin, Mohammed-eg-Khatîta, époux de sa sœur, ne voulant pas se
soumettre à l’obligation de rester sédentaire comme il convient à un
amghâr des Azdjer.

Eg-Khatîta est donc le chef couvert de l’investiture, mais El-Hâdj-
Mohammed-Ikhenoûkhen a la puissance de fait, comme il l’avait par droit
de naissance.

Ikhenoûkhen est fils d’’Osmân,

Petit-fils de Dembalou,

Arrière-petit-fils de Koûsa, qui quitta les rives du Niger avec Eg-
Tînekerbâs pour conquérir le pays d’Azdjer.

Ikhenoûkhen a pour frères Edegoum et ’Omar-el-Hâdj ; la seule de ses
sœurs actuellement existante est Zahra, mariée à Mohammed-Eg-Khatîta.

Ses fils sont : Es-Senoûsi, ’Omar-el-Hâdj, Mohammed.

Il a pour filles : Fadhimâta, mariée à Sîdi-Mohammed-El-Bakkây ;
Toûraout et Khadîdjet, encore demoiselles.

Le fils de sa sœur, héritier de sa puissance, en vertu du droit berbère
local, est Ouitîti.


Les fils d’’Osmân ont été chantés par un poëte indigène, et les vers
consacrés à leur louange ont été cités à titre d’exemple par M. le
commandant Hanoteau, dans sa _Grammaire temâchek’_. J’en extrais les
passages suivants qui reproduisent fidèlement l’opinion des Orâghen et
de leurs alliés sur Ikhenoûkhen et sa famille :

« Les fils d’’Osmân[118] sont des hommes forts et braves, qui ne se
souillent pas du sang de leurs parents et ne mesurent pas le grain à
leurs hôtes, à petite mesure ou par poignée.

« Si un homme vient les chercher, ils lui font tâter du combat.

« Leurs chamelles de race ne viennent ni d’Adher, ni d’Aïr, ni de chez
les Arabes, _qui paient l’impôt !!!_ et si l’une d’elles s’égare, ne
croyez pas que ce soit pour s’enfuir et retourner dans son pays.

« Leurs chameaux de charge ont le pied aussi large qu’un tambour, et les
fardeaux qu’ils portent sont comme des sommets de montagnes.

« Ils ont des juments, avec une belle crinière, dont les reins sont
larges comme des dalles : nuit et jour elles sont sellées.

« Dieu a réuni dans leurs méharis les qualités nécessaires pour la
course et la marche du voyage.

« Ce n’est pas d’aujourd’hui que les fils d’’Osmân brillent de cet
éclat ; tout l’Ahaggâr et l’Azdjer le savent. »


D’après ses contribules, Ikhenoûkhen est arrivé au degré de puissance
qu’il a atteint parce qu’il est de tous les Touâreg celui qui manie le
plus habilement le glaive et le bouclier. Ainsi doivent raisonner des
hommes pour lesquels la force matérielle est tout. Quant à moi, qui,
pendant près de sept mois, ai vécu avec Ikhenoûkhen, l’observant
attentivement, je suis convaincu que les qualités de son cœur et de son
esprit, la générosité et la droiture de son caractère, ont autant
contribué à son élévation que son habileté à manier les armes.
Ikhenoûkhen a aujourd’hui soixante-seize ans, mais il supporte encore
les fatigues de la vie nomade comme le plus jeune de ses fils. Tout,
dans ses allures, dans sa voix, dans sa manière de commander, révèle
l’homme d’une civilisation encore barbare, mais, au milieu des défauts
inhérents à sa race, on ne tarde pas à reconnaître en lui une grande
solidité de principes, un dévouement sans bornes à ce qu’il croit son
devoir, et un respect inaltérable pour la foi jurée.

Après l’émîr Ikhenoûkhen et l’amghâr, Mohammed-eg-Khatîta, les
principaux chefs des Orâghen sont : Djebboûr, Kelâla et Elegoui,
également Orâghen, mais d’une autre souche.

En effet, on distingue les Orâghen en _grands_, Oui-Idjdjeroûtenîn, et
en _petits_, Oui-Djezzoûlenîn.

Les fils d’’Osmân sont les grands ; les autres chefs appartiennent à la
fraction des petits.


Les tribus serves des Orâghen sont :

    Les Idjerâdjrîwen avec les Kêl-Tândjet,

    Les Kêl-Tôberen avec les Oui-Ihaggârhenîn,

    Les Iworworen avec les Kêl-Abâda,

    Les Ifilâlen,

    Les Kêl-Intoûnên,

    Les Kêl-Arâs,

    Les Kêl-Aharhar,

    Les Kêl-Errekhmet,

    Les Kêl-Djahîl,

    Les Kêl-Fadhnoûn,

    Les Kêl-Medak,

    Les Imekkerasen,

    Les Chêt-Ihemma,

    Les Kêl-Kelouaz.


A cette liste il faut ajouter les tribus serves qui appartiennent en
commun aux Imanân et aux Orâghen, savoir :

    Les Izedjazâten,

    Les Kêl-Djânet,

    Les Kêl-Farhî,

    Les Kêl-Tamelrhik,

    Les Kêl-Tazoûlt.


Les nobles Orâghen parcourent les vallées des Igharghâren, de
Tikhâmmalt, le pays de Mîherô et les environs de Djânet.

Leurs serfs habitent le Tasîli.

Parmi les chefs Orâghen, celui qui a le plus de serfs est Kelâla,
quoiqu’il n’appartienne pas à la famille la plus puissante.

Ikhenoûkhen abandonne aux autres membres de sa famille les redevances
des serfs, remplaçant, par le droit général qu’il s’est attribué sur les
Azdjer et sur les voyageurs, le droit personnel que sa naissance lui
donnait sur les serfs.


J’ai cherché, par tous les moyens possibles, à me rendre compte de la
force et de la richesse des Touâreg, et je dois avouer n’être pas arrivé
à un résultat très-satisfaisant.

Cependant je suis à peu près certain des chiffres suivants :

Ikhenoûkhen, avec tous les nobles de sa famille, les Oui-Idjdjeroûtenîn,
et leurs serfs, peut avoir à sa disposition une force de 100 combattants
à dromadaire.

Les chefs des Oui-Djezzoûlenîn, ayant ensemble une force à peu près
égale, la tribu en son entier, et la plus puissante des Azdjer, aurait
environ 200 guerriers.

Pour des Européens, 200 hommes armés sont un bien faible contingent.
Pour le désert, c’est beaucoup, car il est peu de puits qui puissent
abreuver rapidement 200 chameaux, et, entre une étape de puits et une
autre, il y a quelquefois 200 et 300 kilomètres d’intervalle.

La force des Orâghen est donc en harmonie avec les difficultés
militaires du pays.

Ikhenoûkhen est l’un des plus riches des Azdjer, si même il n’est le
plus riche, et sa richesse consiste principalement en chameaux. Il en a
une soixantaine environ, sans compter les chamelles.

Après Ikhenoûkhen, le plus puissant personnage est l’amghâr. Pendant que
j’étais là, il eut une mission de pacification à aller remplir à une
certaine distance. Eh bien ! un étranger au pays dut lui prêter un
chameau de selle, le seul que l’amghâr possédait devant être affecté à
porter ses provisions.

Voilà un exemple de la force et de la richesse des Touâreg.

Ils sont tellement pauvres, les malheureux, que souvent, quand ils ont
des courses à faire, ils doivent, pour avoir des montures, arracher avec
la main les fœtus du ventre de leurs chamelles, mutilation qu’ils ne
pratiqueraient pas, s’ils avaient des montures de rechange.

Et cependant, telle est la valeur des Touâreg, que deux grandes tribus
tunisiennes du Nefzâoua : les Ghorîb et les Merâzig, payent tribut, _la
gharâma_, les premiers à Ikhenoûkhen, les seconds au Cheïkh-’Othmân,
pour n’avoir pas à redouter leurs attaques.


                       _Tribu des Imanghasâten._


Les Touâreg tiennent pour un fait de notoriété publique que les
Imanghasâten descendent des Arabes Megâr-ha, qui habitent aujourd’hui
l’Ouâdi-ech-Chiati, dans le pachalik du Fezzân.

Brahîm-Ould-Sîdi, dans sa _Note_ sur les origines, d’accord avec
l’opinion générale, les dit issus des Arabes de l’Est.

Eux-mêmes avouent leurs liens de parenté avec ces Arabes et se réfugient
sur leur territoire, comme on l’a vu, dans les mauvais jours.

Comment des Arabes ont-ils pu devenir Touâreg ?

La réponse à cette question est bien simple. Les Imanghasâten
constituaient le makhzen, ou force armée, des Imanân, et, pour ces
fonctions, les anciens sultans ont préféré des étrangers, et les
étrangers ont accepté cette position en raison des avantages attachés à
la qualité de défenseurs du pouvoir.

Comme noblesse, comme puissance et comme importance numérique, les
Imanghasâten contre-balancent la suprématie des Orâghen.

Eg-ech-Chîkh est leur chef. C’est un homme âgé, de haute stature et
très-influent.

Dans toutes les affaires où l’esprit de parti est en jeu, les
Imanghasâten sont de l’opinion des Imanân contre les Orâghen, mais à
part les questions qui réveillent d’anciennes rivalités, leurs chefs se
mettent facilement d’accord avec ceux des Orâghen.

L’un des chefs des Imanghasâten, du nom de Hatîta, aujourd’hui décédé, a
accompagné le docteur Oudney et le capitaine Clapperton dans leur voyage
de Mourzouk à Rhât, et de plus il a protégé la mission dont M. le
docteur Barth faisait partie. Par ces précédents, les Imanghasâten se
considèrent les alliés des Anglais, de même que les Orâghen et les
Ifôghas, pour m’avoir protégé ainsi que M. Isma’yl-Boû-Derba, sont
désignés par tous comme les amis des Français[119]. Il est probable que,
si la route de Rhât était ouverte au commerce européen, ces tribus
prétendraient au droit respectif de prélever l’impôt de protection sur
les voyageurs de ces deux nationalités. Cependant M. le docteur Barth
constate, dans son grand ouvrage, que le chef de la mission anglaise,
pour avoir pris au sérieux le titre d’amanôkal du doyen des Imanân et
réclamé l’appui de son parti dont les Imanghasâten sont les principaux
soutiens, n’a pas trouvé chez les Touâreg les facilités d’exploration
qu’ils eussent eus, s’ils avaient demandé le protectorat des nobles
Orâghen.


Les Imanghasâten se divisent en trois fractions :

    Les Tédjéhé-n-Abbâr,

    Les Inannakâten,

    Les Tédjéhé-n-Bedden.


Leurs serfs sont :

    Les Isesmodân,

    Les Ikêlezhzhân,

    Les Kêl-Touan.


De plus ils ont encore, comme les Imanân et les Orâghen, une partie des
Kêl-Tamelrhik.

Les nobles habitent alternativement la vallée de Tikhâmmalt et le
Fezzân.

Les serfs ont pour campement les vallées du Tasîli, dans le pays
d’Azdjer, et l’Ouâdi-el-Gharbi dans le Fezzân.

Pendant mon séjour chez les Touâreg, quelques Imanghasâten avaient pris
dans un rhezî vingt chameaux aux Oulâd-Bâ-Hammou d’In-Sâlah. Ces
derniers vinrent les réclamer. Ikhenoûkhen, Sîdi-Mohammed, l’amghâr, le
marabout Si-’Othmân et Eg-ech-Chîkh, chef des détenteurs des chameaux,
intervinrent pour faire restituer cette prise, mais tous leurs efforts
furent impuissants.

La résistance des capteurs était fondée sur ce que le propriétaire des
chameaux volés avait autrefois tué l’oncle de l’un d’eux, et qu’à ce
crime il avait ajouté l’immense injustice de payer ses coutumes, non à
l’aîné des neveux, selon l’usage târgui, mais à son frère cadet. Le
détenteur des chameaux pardonnait bien l’assassinat de son oncle, crime
un peu oublié, mais il ne voulait pas entendre raison sur la violation
des règles relatives aux coutumes.

Ikhenoûkhen se fâcha, renonça à maintenir l’ordre et la paix dans le
pays, et menaça d’abandonner les Azdjer à leur mauvais génie.

Le marabout Si-’Othmân jura que, si je n’étais pas là, et s’il n’avait
pris l’engagement d’être à ma disposition, il serait déjà parti pour ne
jamais revenir chez les Azdjer.

Eg-ech-Chîkh était résolu à se séparer de pillards incorrigibles, et à
les abandonner à la vengeance de leurs ennemis.

Tous les grands des Imanghasâten témoignèrent de leur désir de rendre
les chameaux à tout prix.

Un _mia’âd_ fut tenu. Nobles Orâghen et nobles Imanghasâten y
assistèrent. Il dura toute la journée, sans solution.

Les Oulâd-Bâ-Hammou offrirent de racheter leurs chameaux à un prix
double de leur valeur ; leur proposition fut repoussée.

Ikhenoûkhen passa la nuit en conciliabule, parlant de manière à être
entendu de tout le camp.

Au point du jour, furieux de voir son autorité méconnue, il sella son
dromadaire et partit pour Rhât.

Effrayés du départ de leur émîr, les Imanghasâten se décidèrent enfin à
rendre aux Oulâd-Bâ-Hammou deux chameaux et un chamillon (_hâchi_).

Ainsi se termina cette grande querelle, dont j’ai reproduit toutes les
péripéties afin de permettre de mieux apprécier ce qu’est la vie au
désert.


                        _Tribu des Kêl-Izhabân._


Satellite des Orâghen, cette tribu n’a pas d’importance. Ses serfs sont
les Ikelzen.

Nobles et serfs vivent sur les mêmes territoires que les Orâghen.


                       _Tribu des Imettrilâlen._


Cette tribu est un composé de petits groupes, ayant pour ainsi dire
renoncé à la vie politique des Touâreg et vivant entre Rhât et Mourzouk
dans le Fezzân, à la manière des Fezzaniens, c’est-à-dire plus adonnés à
l’agriculture et à l’horticulture qu’à l’art pastoral.

Quoique habitant un territoire nominalement rattaché au pachalik du
Fezzân, les Imettrilâlen, comme les autres Touâreg de la même contrée,
ne relèvent pas du gouvernement turc.

Dans des vues politiques que je n’ai pas à apprécier ici, les Turcs
tolèrent cette situation pour n’avoir pas à lutter contre les Touâreg.


                        _Tribu des Ihadhanâren._


Cette tribu est à la fois la plus turbulente et la plus nomade des
Azdjer. Heureusement elle est peu forte, très-pauvre, mais son audace
supplée au nombre de ses guerriers.

Tantôt les Ihadhanâren campent dans la plaine d’Admar sur le territoire
des Azdjer ; tantôt ils vivent avec les Kêl-Ahamellen, chez les Ahaggâr,
suivant que leur conduite leur a valu l’amitié ou l’inimitié des uns ou
des autres.

Dans toutes les guerres entre les Azdjer et les Ahaggâr, ils ont
toujours trahi les premiers au profit des seconds.


En 1860, dix hommes de cette tribu sont allés dans l’Azaouad, près de
Timbouktou, à 1,200 kilomètres de Djânet, d’où ils étaient partis, pour
opérer une rhezî sur les serviteurs de la zâouiya des marabouts El-
Bakkây. Leur entreprise réussit : trois cents chameaux, disent les
victimes, deux cents, disent les capteurs, sont devenus leur proie.

C’est cet acte de piraterie qui avait amené le marabout Sîdi-Mohammed-
El-Bakkây chez les Azdjer pendant mon voyage.

D’abord il s’était rendu personnellement chez les Ihadhanâren, espérant
que sa qualité de marabout et de bonnes paroles les engageraient à une
restitution.

A l’acte coupable qu’ils avaient déjà commis les Ihadhanâren joignirent
l’insulte en offrant au marabout, pour _dhîfa_, la viande d’une de ses
chamelles. Cette _dhîfa_, ou repas de l’hospitalité, fut refusée, la
viande d’un animal volé ne pouvant pas être _halâl_, c’est-à-dire
permise, suivant la loi musulmane. Tout ce que put obtenir le marabout
fut la restitution de sept chameaux.

Mécontent de l’insuccès de sa démarche pacifique, Sîdi-Mohammed-el-
Bakkây vint demander justice à l’amghâr des Azdjer.

Celui-ci, accompagné d’autres nobles, se rendit chez les Ihadhanâren,
pour convoquer un _mia’âd_ et obtenir une solution amiable à cette
affaire. Les délégués furent aussi repoussés.

Un recours aux armes étant devenu nécessaire, Sîdi-Mohammed, l’amghâr,
envoya l’ordre à tous ses sujets, Ikhenoûkhen compris, de se rendre à
Rhât, pour de là aller reprendre aux Ihadhanâren le butin capturé.

Mais, pendant que les Azdjer se préparaient à entrer en campagne, les
Ihadhanâren se dispersaient dans le Sahara, emmenant avec eux tout leur
butin.

Cette circonstance m’a permis de connaître exactement la force des
Ihadhanâren, qui est de quarante hommes pouvant entrer en ligne de
combat.

Sîdi-Mohammed-el-Bakkây, quoique marabout, quoique appuyé par tous les
chefs des Azdjer, dut, comme les Oulâd-Bâ-Hammou du Touât, renoncer à
obtenir justice.


Les Ihadhanâren n’ont pas de serfs. Avant le rhezî dont il est ici
question, ils n’avaient que très-peu de chameaux et peu ou pas de
troupeaux de chèvres ou de moutons.

Nobles, sans serfs, sans coutumes, ne pouvant travailler pour vivre,
leurs titres de noblesse le leur défendant, ils devaient naturellement
demander au vol et au pillage les moyens d’existence qu’ils n’avaient
pas autrement. En tout pays, la faim chasse le loup hors du bois. Puisse
la richesse qu’ils viennent d’acquérir si illicitement les rendre
meilleurs !


La tribu des Ihadhanâren comprend trois fractions :

    Les Oui-Sattafenîn,

    Les Oui-Temoûlat,

    Les Dergou.


Quoique la qualification adjective de _Sattafenîn_, noirs, soit
appliquée à l’une de ces fractions, tous les Ihadhanâren sont blancs.
Cette épithète doit se rapporter à la couleur du voile qu’ils portent.


                          _Tribu des Ifôghas._


Les Ifôghas comprennent trois fractions :

    Les N-Ouqqirân,

    Les N-Iguedhâdh,

    Les N-et-Tobol.


Les deux premières sont des marabouts, de descendance de chorfâ ; la
dernière se compose de gentilshommes, jadis au service des rois Imanân,
près desquels ils remplissaient le rôle d’officiers du palais et de
tambours, en battant la marche sur le passage de leurs maîtres : d’où
leur est venu le surnom d’_Et-Tobol_, Ifôghas du tambour.

Les trois fractions sont originaires de la ville d’Es-Soûk, dernière
station de la plupart des tribus Touâreg, avant leur installation dans
les lieux qu’elles occupent aujourd’hui.

Les Touâreg contestent aux Ifôghas le titre de nobles ou Ihaggâren, tout
en leur reconnaissant celui de marabouts. Cependant, quand un Fâghîs
(singulier d’Ifôghas) des fractions de N-Ouqqirân ou de N-Iguedhâdh se
présentait devant les anciens sultans, ceux-ci se levaient et allaient
eux-mêmes dresser le tapis et la natte sur lesquels le visiteur était
invité à s’asseoir. Cet honneur exceptionnel n’était jamais rendu aux
ihaggâren, quels que fussent leur rang et leur puissance. Le sultan
restait assis à leur entrée et les laissait s’installer où ils
voulaient.

Les N-Ouqqirân sont répandus :

_Chez les Azdjer_, dans le Tasîli, à Mîherô et dans le Bas-Igharghar ;

_Chez les Ahaggâr_, dans le Haut-Igharghar ;

_Au Touât_, dans les oasis méridionales de cette confédération ;

_En Algérie_ même, dans la région des dunes, au Sud d’Ouarglâ et de
l’Ouâd-Rîgh.

La zâouiya de Timâssanîn, établissement secondaire de la confrérie des
Tedjâdjna, dont Si-’Othmân est le _moqaddem_, est le centre de réunion
de toutes les familles de la fraction.

Rapprochés des Arabes Cha’anba, les N-Ouqqirân ont été souvent exposés à
leurs coups, avant l’incorporation de ces tribus dans le cercle d’action
de l’administration française et leur soumission à un régime
gouvernemental.

Si-’Othmân raconte que sa zâouiya, malgré le caractère religieux qui la
protége, a été pillée par les Cha’anba, en l’absence de ses défenseurs,
et que sa mère, tombée au pouvoir des profanateurs d’un lieu sacré, a
subi de leur part les plus mauvais traitements.

Les marabouts N-Ouqqirân, et particulièrement ceux qui habitent la
zâouiya de Timâssanîn, ont donc beaucoup gagné à la soumission des
Cha’anba à notre domination. Depuis cette époque, ils peuvent s’adonner
plus librement au commerce.

La route si fréquentée de Ghadâmès à In-Sâlah est placée sous leur
protectorat et leurs chefs y perçoivent les droits de protection en
usage dans le pays.

Toutes les matières précieuses qui sont expédiées sur cette route,
notamment l’or en poudre et en lingots, sont confiées exclusivement aux
marabouts et aux chameliers de la zâouiya de Timâssanîn.

Chaque caravane allant d’In-Sâlah à Ghadâmès, à destination de l’Europe,
compte, m’a-t-on dit, dans sa cargaison, deux, trois, quatre et même
quelquefois cinq charges d’or.

La charge étant de 150 kilos, en supposant une moyenne de deux convois
par an et de trois charges par convois, In-Sâlah opérerait annuellement,
d’après le Cheïkh-’Othmân, sur une moyenne de 900 à 1,000 kilogrammes
d’or, qui, au cours actuel de Paris (août 1863), représentent une somme
de 3,265,100 francs.

Si-’Othmân fait remarquer que les convois d’or entre In-Sâlah et
Ghadâmès sont moins fréquents depuis que M. le gouverneur Faidherbe a
donné aux routes du Sénégal une sécurité qu’elles n’avaient jamais
connue jusque-là, et il craint que la concurrence de nos possessions
sénégaliennes n’achève de priver les routes du Nord de ce riche produit.

Les marabouts N-Ouqqirân vivent en grande partie, soit comme négociants,
soit comme convoyeurs, du trafic des routes qui traversent leurs
territoires.

C’est par eux que le gouvernement français a pu entrer en relations avec
le reste des Touâreg ; c’est encore par eux qu’il maintiendra de bons
rapports, car ils se distinguent par leur loyauté, par leur tolérance et
par l’exercice professionnel de la conciliation.


Les Ifôghas-n-Iguedhâdh sont ainsi appelés parce que, comme des oiseaux
(_Iguedhâdh_), ils voyagent continuellement, ne se fixant nulle part.
Dans leurs courses, ils s’étendent du Tasîli du Nord au Soûdân, campant
tantôt au milieu des Touâreg Azdjer, tantôt au milieu des Touâreg d’Aïr,
suivant que les pluies ont fait pousser l’herbe nécessaire à la
nourriture de leurs troupeaux.

Marabouts ambulants, parcourant des parages tous situés au Sud des
points occupés par leurs frères N-Ouqqirân, les N-Iguedhâdh sont un
trait d’union entre les Touâreg du Sud et ceux du Nord, comme les
N-Ouqqirân sont un lien entre les Azdjer et les Ahaggâr et entre ces
deux confédérations et les Algériens.

Les N-Iguedhâdh, protégés contre les dangers de la piraterie par leur
caractère religieux, autorisés à user des meilleurs pâturages pour leurs
troupeaux, trouvent dans la production pastorale les ressources
nécessaires à leur existence.

En pays târgui, les amulettes sont très-recherchées, car tous en sont
couverts, et ce sont les marabouts qui les rédigent. Ils ne les vendent
pas, moyen d’en tirer un prix plus élevé, car chaque amulette augmente
au moins d’une chèvre ou d’un mouton le troupeau de celui qui la
délivre.


Les Ifôghas-n-et-Tobol, restés fidèles à leurs anciens maîtres, les
Imanân, et à la tradition qui les a pourvus de tambours, continuent à
constituer la cour et le corps de musique des sultans déchus. Ils vivent
avec ces derniers entre Rhât et Djânet, partageant leurs revenus et
aussi leur haine contre les Orâghen et leurs amis. Les revenus sont-ils
insuffisants pour subvenir aux besoins de tous, l’exaction y supplée.

Le rôle des Ifôghas-n-et-Tobol se borne donc à faire du bruit.

Quant aux marabouts N-Iguedhâdh et N-Ouqqirân, franchement dévoués aux
Orâghen, ils suivent en toutes choses la bannière d’Ikhenoûkhen ; mais
il y a lieu d’ajouter que le chef des Azdjer croirait manquer à ses
devoirs en ne prenant pas leurs conseils dans toutes les affaires de
quelque importance. Ainsi, Ikhenoûkhen est notre ami parce que les
Ifôghas lui ont conseillé de rechercher notre alliance.


Les Ifôghas constituent une tribu très-importante, non par leur valeur
militaire, car les marabouts ne portent les armes que pour leur défense
personnelle, mais par leur caractère religieux, qui les rend arbitres de
toutes les contestations, par leur aptitude au commerce, par leur
dispersion, qui les met en contact avec les différentes confédérations,
sauf celle des Aouélimmiden des environs de Timbouktou, qui
reconnaissent les Bakkây pour leurs marabouts.

Le chiffre de la population des trois fractions réunies est, assure-t-
on, égal à celui des autres tribus d’Azdjer. Leur dispersion et leur
qualité de marabouts font qu’on n’en tient pas compte dans l’évaluation
des forces du pays ; autrement, si tous les Ifôghas étaient réunis sous
la main d’un chef militaire, ils pourraient, à eux seuls, constituer une
confédération égale, en force et en nombre, à celles de leurs voisins de
l’Est et de l’Ouest : car, quoique marabouts, quand la nécessité les
oblige à armer en guerre, ils se battent bravement. Le Cheïkh-’Othmân
est même réputé pour sa valeur militaire à l’égal des premiers guerriers
de sa nation.

Les Ifôghas n’ont pas de serfs, par la raison qu’ils sont marabouts et
que la religion musulmane ne permet pas le servage ; mais, comme tous
les marabouts, ils ont des _serviteurs_ attachés librement à leurs
personnes et qui, de père en fils, tiennent à honneur d’être leurs
_khoddâm_. Des esclaves nombreux, sous la direction de ces serviteurs,
sont chargés des troupeaux et des travaux domestiques.

Les dames Ifôghas sont renommées pour leur savoir-vivre et leur habileté
en toutes choses. Mieux que les femmes des autres clans târguis, elles
savent jouer de la _rebâza_, sorte de violon avec lequel elles
accompagnent leurs chants improvisés. Dans l’art musical, elles ne sont
surpassées que par les princesses Imanân. Mieux que toutes leurs
rivales, elles savent monter à mehari. Huchées dans leurs cages, elles
soutiennent la course des plus intrépides cavaliers, — si on peut donner
ce nom aux chevaucheurs de dromadaire : — aussi, pour conserver
l’habitude de ce genre d’équitation, se réunissent-elles pour faire de
petits voyages, allant où bon leur semble, sans être accompagnées
d’aucun homme. La liberté dont elles jouissent est grande, et elles ne
paraissent pas en abuser.


Si-’Othmân est le chef des trois fractions des Ifôghas. Ce marabout est,
avec l’émir Ikhenoûkhen, la plus grande figure des Touâreg du Nord.

Son père, El-Hâdj-el-Bekrî-ben-el-Hâdj-el-Faqqi a vécu cent huit années
lunaires, entouré de la vénération publique. On lui doit la construction
de plusieurs puits sur les principales routes du pays.

Yamîna, frère d’El-Hâdj-el-Bekrî et oncle d’’Othmân, jouissait d’une
réputation de sainteté dans tout le Sahara et du plus grand crédit, même
chez les Cha’anba, ennemis nés des Touâreg. Par sa pieuse intervention
bien des effusions de sang ont été prévenues.

Héritier de l’auréole de réputation de ses ancêtres, ’Othmân, dès son
enfance, s’est fait remarquer par sa perspicacité.

Jeune encore, à l’époque des grandes guerres du premier Empire français,
il était à Ghadâmès au milieu d’une réunion d’hommes graves, lorsqu’on
apporta la nouvelle d’une reprise d’hostilités entre les chrétiens.

« Tant mieux ! dit un vieux marchand, puissent-ils s’entre-tuer jusqu’au
dernier !

« Tant pis ! dit l’imberbe ’Othmân, au grand étonnement de tous, car, si
les chrétiens se font la guerre, le commerce en souffrira. »

Le lendemain, une caravane, chargée de produits soudaniens, partait pour
Tripoli et devait, en retour, prendre des marchandises d’Europe.

A Tripoli, la caravane ne trouva ni acheteur ni vendeur.

On se souvient encore à Ghadâmès de la prédiction du jeune ’Othmân.

Pourquoi, à cet âge, un jeune târgui se préoccupait-il, instinctivement,
des affaires des chrétiens ? La suite de sa vie va nous révéler sa
prédestination providentielle.

De 1826 à 1827, arrive à Ghadâmès un chrétien recommandé par le consul
général d’Angleterre à Tripoli. C’est le major Alexandre Gordon Laing.
Il veut se rendre à In-Sâlah et de là tenter d’arriver à Timbouktou.

Mais In-Sâlah est encore plus inabordable aux chrétiens que Timbouktou.
Qui l’y conduira ?

’Othmân.

Seul entre tous ses coreligionnaires, il a assez de crédit pour faire
accepter un chrétien dans une ville où nul autre n’a pu pénétrer depuis.

Pendant le voyage, ’Othmân apprend quelques mots d’anglais que sa
mémoire avait fidèlement conservés jusqu’en 1862.

A son retour de Timbouktou, le major Laing est assassiné. L’Angleterre
et sa famille ont intérêt à retrouver ceux de ses papiers qui n’ont pas
été détruits.

Mais qui osera aller, sur la trace d’assassins, s’intéresser aux notes
d’une infidèle victime du fanatisme musulman ?

Encore ’Othmân.

Par ses soins, le consul général d’Angleterre à Tripoli recevra
religieusement tout ce que des recherches de plusieurs années peuvent
reconquérir sur la cupidité de barbares.

Enfin, l’heure est venue où les Touâreg et les Français ont besoin de se
connaître.

’Othmân fait d’abord trois voyages en Algérie et, entre chacun de ces
trois voyages, il conduit des explorateurs français dans son pays ;
enfin, pour couronner ses efforts, tendant à des ouvertures de
relations, il vient, en 1862, à Paris, ville où jamais un târgui n’avait
mis les pieds et à près de trois mille kilomètres de son pays.

Homme d’une haute intelligence et d’un grand sens pratique, ’Othmân a
surtout remarqué en France ce qui contraste avec le désert : le nombre
considérable des habitants, l’abondance des eaux, la richesse et la
variété de la végétation, la rapidité et la sécurité des communications,
enfin la généreuse hospitalité qu’il y a reçue.

Au milieu de toutes les merveilles qui ont captivé son attention, il a
choisi, pour les reporter dans son pays, les choses les plus utiles :
une collection de médicaments, un choix de livres arabes sur la
religion, le droit, l’histoire et la littérature, un assortiment
d’outils de professions les plus ordinaires et spécialement des
instruments agricoles, des pelles et des pioches pour creuser des puits
et des poulies pour en tirer l’eau.

Le Cheïkh-’Othmân n’a pas d’enfants. Son ambition, avant de mourir,
après avoir accompli le pèlerinage de la Mekke, est de consacrer sa
fortune à poursuivre l’œuvre commencée par son père : doter les routes
de son pays de puits utiles aux voyageurs.

En tout lieu, le Cheïkh-’Othmân serait un homme remarquable par son
instruction, par la douceur de ses mœurs, par sa bonté et sa franchise ;
mais quand on rencontre un tel ensemble de qualités chez un enfant du
désert, on ne peut se défendre d’un certain étonnement.

J’aime le Cheïkh-’Othmân, par reconnaissance des services qu’il m’a
rendus pendant mon voyage, mais je l’aime surtout parce qu’il sait se
faire aimer.

Son nom complet est : ’Othmân-ben-el-Hâdj-el-Bekrî-ben-el-Hâdj-el-Faqqi-
ben-Mohammed-Boûya-ben-Si-Mohammed-ben-si-Ahmed-es-Soûki-ben-Mahmoûd.


                         _Tribu des Ihêhaouen._


Les Ihêhaouen sont les marabouts des Touâreg Fezzaniens. Excellentes
gens, hospitaliers, communicatifs, ils n’ont d’autres défauts que celui
d’être un peu mendiants. En cela ils ressemblent à tous ceux de leur
caste qui répudient le sacerdoce du marabout pour exploiter le titre
qu’ils portent.

Les Ihêhaouen habitent entre Rhât et Mourzouk dans les oasis, notamment
à El-Fogâr où je les ai rencontrés.

Par une particularité caractéristique de la position exceptionnelle de
la femme chez les Touâreg, les marabouts Ihêhaouen d’El-Fogâr ont pour
chef une _cheïkha_ qui a la réputation d’être fort belle. En son
honneur, Ikhenoûkhen, mon compagnon de voyage, revêtit ses plus beaux
habits, témoignage d’un très-grand respect.

Les Ihêhaouen sont peu nombreux, mais ils jouissent d’une certaine
aisance.

Quoique marabouts, ils ont des serfs, les Isourekkien, qui, comme tous
les autres Fezzaniens, se livrent à la petite culture dans les oasis.

Je dois dire que la tribu des Isourekkien n’est pas considérée par tous
les Touâreg comme étant serve, mais comme une tribu de serviteurs
(_khoddâm_), des marabouts Ihêhaouen.


                      _Tribu des Kêl-Tîn-Alkoum._


Il y a deux siècles, avant la révolution qui enleva aux Imanân le
pouvoir souverain, les Kêl-Tîn-Alkoum habitaient le qaçar Tîn-Alkem,
dont on voit encore aujourd’hui les ruines au Sud d’El-Barkat, sur la
route de Rhât à Djânet. Après de longues luttes contre des maîtres trop
avides, ils prirent le parti d’émigrer au Fezzân où ils habitent des
oasis dont ils sont propriétaires et qu’ils cultivent. Ces Touâreg sont
donc sédentaires et cultivateurs quand les autres sont nomades et
pasteurs.

Les Kêl-Tîn-Alkoum se distinguent encore des autres Azdjer en ce qu’ils
ne sont ni nobles ni serfs, mais libres comme on l’est dans les tribus
arabes ou dans l’intérieur des villes : cependant ils reconnaissent la
souveraineté des nobles Orâghen, leur payent tribut, les traitent en
sultans quand ils passent sur leur territoire.

Comme tous les Oasiens, les Kêl-Tîn-Alkoum sont aussi commerçants,
entrepreneurs de transports, industriels même. Les plus pauvres vont
vendre des légumes, des fruits, du beurre, de la viande, du bois à
brûler, à Mourzouk et à Rhât. Les plus riches font pour leur compte le
commerce avec le Soûdân. D’autres louent leurs chameaux aux caravanes et
les accompagnent. Les explorateurs anglais, qui ont voyagé dans
l’intérieur, du moins ceux qui ont choisi le Fezzân pour point de départ
de leurs explorations, ont toujours pris des Tîn-Alkoum comme
chameliers. D’autres se livrent au tannage des peaux et à la préparation
des outres, industrie importante dans un pays où tout voyageur doit
emporter avec lui sa provision d’eau.

Par suite de leurs rapports avec de nombreux étrangers, les Tîn-Alkoum
sont devenus des hommes presque civilisés. Beaucoup d’entre eux savent
lire et écrire ; tous parlent l’arabe en même temps que le temâhaq ;
quelques-uns même comprennent le haoussa.

Leurs habitations, construites en branches de palmiers, ressemblent à
nos chaumières ordinaires. Assez vastes pour loger une famille, avec
tout son mobilier, elles abritent bien contre le froid, le chaud et même
la pluie.

Pour arroser leurs cultures, généralement entourées de haies sèches en
_djerîd_ ou palmes, ils ont au-dessus des puits un appareil en
charpente, dont la hauteur est égale à la profondeur des puits et qui
supporte un système de cordages et de poulies, au moyen duquel, par un
simple va-et-vient, l’eau est amenée à fleur de terre, d’où elle est
conduite dans les cultures. (Voir la planche, page 68.)

Le travail a donné aux Kêl-Tîn-Alkoum une aisance relative ;
malheureusement, le pays qu’ils habitent, s’il est productif, n’est pas
très-sain : aussi ont-ils toujours beaucoup de malades. Les ophthalmies
règnent endémiquement chez eux ; moi-même, j’en ai été atteint en
traversant leur territoire.

La tribu des Kêl-Tîn-Alkoum est très-nombreuse ; elle est généralement
armée de fusils qui servent plus à la chasse qu’à la guerre.

Bien que Touâreg Azdjer, et sous la dépendance des Orâghen, les Kêl-Tîn-
Alkoum, comme les autres Touâreg Fezzaniens, prennent une part très-
minime à l’agitation des Touâreg nomades. Leurs intérêts et leur genre
de vie sont trop distincts pour que l’assimilation soit complète entre
eux.


                          _Tribu des Ilemtîn._


Les Ilemtîn habitent la petite ville d’El-Barkat, à 10 kilomètres de
Rhât, et le village de Fêouet, dans la vallée d’Ouarâret.

Leur chef est El-Khabîd.

Ils ont pour serfs la tribu des Ifarqanen, qui réside hors la ville,
dans des cases en palmes, au milieu des cultures.

Les Ilemtîn sont des citadins, cultivateurs, commerçants, conséquemment
gens paisibles, qui n’auraient de commun avec les Touâreg nomades qu’une
même origine, s’ils ne payaient tribut, la gharâma, aux chefs Orâghen.

Assise au milieu d’une belle oasis, El-Barkat est une jolie petite
ville, de 200 maisons à plusieurs étages, entourée d’un mur d’enceinte
et construite, comme toutes les villes de cette contrée, en briques
d’argile cuites au soleil.

Les plantations de dattiers et les cultures de plantes alimentaires, aux
produits desquels ils trouvent un débouché certain sur le marché de
Rhât, à l’époque de la foire, constituent la principale richesse de la
tribu des Ilemtîn et de leurs serfs, les Ifarqanen.


                   § II. — CONFÉDÉRATION DES AHAGGÂR.


Dans le classement des quatre confédérations des Touâreg, j’ai donné le
premier rang aux Azdjer, mais je suis forcé d’assigner le dernier aux
Ahaggâr.

Depuis la révolution, qui a réduit à néant le pouvoir des anciens rois
Imanân et permis aux deux groupes des Touâreg du Nord de se gouverner
eux-mêmes, la plus grande anarchie règne chez les Ahaggâr.

A l’autorité de l’amghâr, souvent contestée, s’est substitué un
gouvernement à quatorze têtes, représenté par les quatorze chefs des
tribus nobles, qui, dans toutes les contestations, ont pour habitude de
recourir à la force des armes.

La tribu des Kêl-Rhelâ, la plus importante de la confédération, a le
droit, comme celle des Orâghen chez les Azdjer, de conférer le titre
d’amghâr à son chef héréditaire : mais autant vaut l’homme, autant vaut
la chose.

Malheureusement, le chef actuel des Kêl-Rhelâ, par droit de naissance,
est Guemâma, le doyen des centenaires du Sahara, depuis longtemps
aveugle et depuis longtemps dans l’impuissance de gouverner.

Cependant le besoin d’une autorité supérieure se faisait sentir, non-
seulement chez les Ahaggâr, mais encore à In-Sâlah, à Timbouktou, pour
la sécurité des routes, et dans les autres confédérations Touâreg, pour
les rapports de bon voisinage.

Que faire ? Ouvrir la succession de Guemâma, de son vivant, était
contraire à la loi du pays. L’héritier d’aujourd’hui transmet le pouvoir
dans une branche de la famille, tandis que l’héritier de demain pourra
le transmettre dans une autre, le droit de succéder étant réservé au
fils de la sœur. Quand l’oncle est vieux comme Guemâma, les neveux
utérins doivent être bien près de la tombe.

Donner à Guemâma un successeur, par droit de naissance, la mort n’ayant
pas saisi le vif, n’était pas une solution, car c’était allumer le feu
de la guerre civile entre toutes les familles des Kêl-Rhelâ et autres
ayant épousé des sœurs, peut-être des nièces ou des petites-nièces de
l’amghâr vivant.

On tourna cette difficulté en trouvant miraculeusement réunies sur la
tête d’un homme trois conditions importantes :

Le titre de marabout, qui imposait le respect ;

La qualité d’étranger, qui anéantissait toutes les rivalités locales ;

La condition de fils d’une sœur de Guemâma.

Cet homme est le marabout El-Hâdj-Ahmed, frère du Cheïkh-’Othmân, de la
tribu des Ifôghas, de la confédération des Azdjer, mais appartenant aux
Ahaggâr et aux Kêl-Rhelâ par sa mère.

Ce choix, dicté par la sagesse, fut au moins une solution provisoire.
Pour la faire accepter, le marabout Sîdi-el-Bakkây, de Timbouktou, dut
envoyer un de ses frères sur les lieux : mais Dieu seul sait quelles
prétentions rivales vont surgir à la mort de Guemâma.

En attendant, le nouvel amghâr, par l’intermédiaire de son frère
Si-’Othmân, a donné aux Ahaggâr une sorte de sécurité du côté des
Cha’anba, leurs plus redoutables ennemis.

De même, le voyage d’’Othmân à Paris, les présents qu’il en a emportés
pour El-Hâdj-Ahmed, contribueront à consolider son autorité, et peut-
être à amener pacifiquement dans la confédération des Ahaggâr une
révolution analogue à celle qui, chez les Azdjer, a transporté le
pouvoir des anciens sultans aux mains des Orâghen. L’appui d’un
gouvernement fort exerce un grand prestige sur des populations comme les
Touâreg.

Par son esprit conciliateur, par l’autorité que lui donnent son âge et
son titre de marabout, El-Hâdj-Ahmed, s’il n’est pas encore parvenu à
rétablir la paix, l’ordre et l’harmonie entre toutes les tribus, a au
moins conjuré la guerre civile et établi de meilleurs rapports entre les
Ahaggâr et leurs voisins. Déjà même quelques heureux symptômes de
progrès matériel, fruits de la sécurité pour les biens et les personnes,
commencent à se manifester. Ainsi, le village d’Idélès, situé dans le
Haut-Igharghar, et qui date d’une vingtaine d’années à peine, voit
chaque jour augmenter ses constructions et tend à devenir une petite
ville. Au Sud-Est de cet établissement se trouve un autre village, celui
de Tâzeroûk, où il a été entrepris, en 1861, des cultures de céréales
assez importantes pour donner, à la récolte, environ 350 charges de
grains.


Les Touâreg Ahaggâr jouissent, généralement, de la réputation d’avoir un
caractère indépendant, irascible et emporté, qui rend les relations
très-difficiles avec eux, et ils avouent mériter cette réputation, même
dans leurs rapports entre eux, et ils s’en vantent de manière à laisser
croire qu’ils tiennent à honneur de se montrer intraitables en toutes
choses.

Ce caractère indompté, qui fait des Ahaggâr des hommes redoutés dans le
Sahara, est, en dehors de la situation anarchique du pays, le résultat
de nombreuses causes matérielles, parmi lesquelles je signale en
première ligne : l’habitation dans un pâté de montagnes déchirées,
dénudées et d’une sauvagerie exceptionnelle, ou dans des déserts arides
dont presque toutes les plantes sont épineuses ; l’impossibilité de
vivre des produits de leur sol, à moins d’avoir la sobriété du chameau ;
enfin l’abandon des routes commerciales qui longent ou traversent leur
territoire et qui, jadis, suppléaient, par les bénéfices retirés du
passage des caravanes, à l’improductivité de leurs montagnes ou de leurs
déserts. En tout pays, le caractère et la nature de l’homme subissent
l’influence du milieu qu’il habite. Les autres peuplades Touâreg,
quoique de même race, ont un caractère plus souple et plus docile, parce
que le pays habité par elles est moins sauvage et plus clément. Sans
aucun doute, l’introduction possible de quelques cultures dans les
vallées et le rétablissement des routes abandonnées, en améliorant
l’existence matérielle des Ahaggâr, contribueront aussi à adoucir leurs
mœurs.

Probablement ils valent mieux que leur réputation. Partout on m’a dit et
répété qu’ils n’avaient jamais permis à un étranger, même musulman, de
visiter leurs montagnes, parce qu’ils voulaient réserver pour eux seuls
le secret du dédale de leurs repaires. Cependant tous mes rapports avec
eux protestent contre cette assertion.

Ils m’ont donné, sans réserve, tous les itinéraires à l’aide desquels
j’ai dressé la carte de leur pays.

Afinguenân, l’un de leurs chefs, que je rencontrai à Methlîli, en 1859,
à l’époque de la plus grande puissance de notre ennemi Mohammed-
ben-’Abd-Allah, accepta, si je voulais me confier à lui et payer,
suivant la coutume, sa protection la somme de 1,000 francs, de me
conduire au sein de leurs tribus et de me mettre en rapport avec tous
les chefs.

Le Cheïkh-’Othmân, auquel je demandai, en 1861, si, avec sa protection
et celle de son frère El-Hâdj-Ahmed, je pourrais visiter le Ahaggâr avec
la même sécurité que le pays des Azdjer, me répondit comme Afinguenân :
« Tout Français qui voudra explorer le Ahaggâr sera bien accueilli, s’il
se conforme aux usages. »

Donc, si je n’ai pas traversé ce pâté de montagnes, par la route de Rhât
à In-Sâlah, comme j’en avais le désir, ce n’est pas que les Ahaggâr s’y
soient opposés, mais parce que les gens sages qui avaient répondu de ma
sécurité au gouvernement français, connaissant les intentions de
Mohammed-ben-’Abd-Allah de tenter un coup de main contre nos
établissements, ne voulurent pas m’exposer à être capturé par lui en
arrivant à In-Sâlah, où cet agitateur avait établi son quartier général.

Les Ahaggâr ont aussi la réputation d’être batailleurs, querelleurs, par
un amour particulier de la guerre, du sang et du carnage. Ils avaient
une magnifique occasion de satisfaire cette passion en s’enrôlant sous
le drapeau de Mohammed-ben-’Abd-Allah. Ils y ont été vivement sollicités
et par les promesses de riches captures et par l’exemple des Touâreg à
voiles blancs du Touât, mais pas un d’entre eux n’a succombé à la
tentation. Le _veto_ des marabouts Ifôghas a suffi pour maintenir leur
neutralité.

Il est cependant vrai qu’ils ont à peu près pour ennemis tous leurs
voisins : ainsi, ils ne peuvent se rencontrer, ni avec les Berâber du
Sud du Maroc, ni avec les Berâbîch du Nord de Timbouktou, sans que du
sang soit versé. Avec les Touâreg Aouélimmiden, les Kêl-Ouï et les
Azdjer, il y a, en ce moment, trève d’hostilités, parce que les intérêts
de chacune des confédérations se meuvent dans des cercles distincts,
mais il y a abstention presque complète de rapports et plutôt tendance à
l’antipathie qu’à la réconciliation.

Par unique exception, les Ahaggâr sont les alliés des Touâtiens et les
amis des commerçants d’In-Salâh, et cette exception donne la raison de
leur attitude hostile vis-à-vis de leurs autres voisins. In-Sâlah a
aujourd’hui le monopole du commerce de Timbouktou avec le Nord ; ses
caravanes ont besoin de la protection et du concours des Ahaggâr, et In-
Sâlah, ainsi que les autres villes du Touât, les fait vivre par les
coutumes qu’elle paye aux chefs et les transports qu’elle procure aux
serfs.

Le commerce, en donnant d’une main, reprend de l’autre, car les Touâreg
du Ahaggâr, en raison de leur isolement, sont forcés d’acheter au Touât,
au poids de l’or, tout ce dont ils ont besoin, et d’y vendre, à vil
prix, tout ce qu’ils produisent.

En dehors de l’influence de celui qui remplit leurs ventres, pour me
servir d’une expression consacrée, les Ahaggâr en subissent peu
d’autres, même quand elles se présentent au nom des principes de la
religion. Le grand marabout de Timbouktou, El-Bakkây, qui a passé une
partie de sa jeunesse dans leurs tribus, est bien un peu écouté quand il
fait entendre de sages conseils ; le chef de la confrérie des Tedjâdjna,
qui compte beaucoup de khouân chez les Ahaggâr, jouit bien aussi d’un
peu de crédit, mais il ne faut pas que la faim, cette mauvaise
conseillère de tous les peuples, ferme les oreilles et empêche
d’entendre le langage de la raison. Le Cheïkh-’Othmân seul est apprécié
des Ahaggâr, non parce qu’il est marabout, chef d’une tribu puissante et
frère de leur amghâr, mais parce qu’il a contribué, par ses relations
avec les Français, à rendre la sécurité à la route de Ghadâmès et à
faire arriver à In-Sâlah plus de marchandises.

A donneur donnant. Les Ahaggâr ne connaissent pas d’autre politique, et
c’est la seule à suivre avec eux.

A nombre égal, les Ahaggâr, habitués à une lutte constante, triomphent
toujours de leurs ennemis, mais leurs forces collectives sont de
beaucoup inférieures à celles de leurs voisins. En bloc, le chiffre de
leur population est d’un tiers inférieur à celui des tribus des Azdjer ;
du moins, c’est l’opinion générale.

Mais, protégés par leurs montagnes, inaccessibles aux chameaux habitués
à vivre dans les plaines, ils n’ont pas à redouter, dans une guerre
offensive, l’enlèvement de leurs familles ou de leurs troupeaux. Dans la
guerre offensive, au contraire, ils sont redoutables, parce que, sans
inquiétude pour ceux des leurs qu’ils abandonnent, ils peuvent aller au
loin porter la ruine et la désolation.


A part quelques jardins autour d’In-Sâlah, d’Idélès et de Tâzeroûk,
quelques champs ensemencés exceptionnellement au débouché des vallées,
après les inondations, les Ahaggâr ne cultivent pas.

Les seules industries qu’ils connaissent sont celles de la fabrication
des armes et de la préparation des vêtements de peaux, le tout à leur
usage.

Exclusivement pasteurs, ils pratiquent l’art pastoral dans les
conditions les plus défavorables du monde : au sein de leurs montagnes
abruptes, où il y a des eaux et de la sécurité, l’herbe manque ; dans
les plaines où les pâturages sont plus abondants, l’eau et la sécurité
font souvent défaut.

Cette obligation de sortir des montagnes pour nourrir les troupeaux
entraîne les Ahaggâr à errer dans les plaines et à changer de campements
chaque fois que les eaux et les pâturages sont épuisés. La famille est
obligée de suivre le bétail, d’abord parce que le bétail la nourrit de
son lait, ensuite parce que des bras sont nécessaires pour abreuver les
bêtes et repousser les attaques de l’ennemi.

Il résulte de l’état continuellement nomade dans lequel vivent quelques-
unes des tribus de cette confédération qu’on ne peut leur assigner de
territoires. Toutes ont, dans la montagne, des asiles pour le cas de
nécessité, mais, dans les terres de parcours, elles vont là où une pluie
accidentelle peut leur assurer de l’eau et de l’herbe pendant quelque
temps.

Dans un pays où l’on a vu des périodes de douze ans sans pluies, les
habitants sont quelquefois amenés à mettre fin à toutes leurs discordes
et à se grouper, amis et ennemis, autour du seul point où les puits
donnent encore un peu d’eau. Ainsi, pendant la période contemporaine,
Azdjer et Ahaggâr ont dû abandonner complétement leur pays et venir
partager, avec les Touâtiens, le peu d’eau qui restait dans les bas-
fonds de leurs oasis, et si la sécheresse eût continué, les Touâreg
eussent dû émigrer, soit vers le littoral méditerranéen, soit vers le
bassin du Niger.

Dans le climat où nous vivons, nous ne saurions nous rendre compte de ce
que peut être un pays, sous le tropique, après une sécheresse de douze
ans. Faute d’eau, les plantes meurent ; faute de plantes, les animaux
meurent, et l’homme, malgré son intelligence, a besoin d’être fabriqué
avec du bronze pour résister aux causes qui détruisent tout autour de
lui.

En de telles conditions on ne vit pas, on ne peut pas vivre, et, pour ne
pas périr, il faut nécessairement, faute d’autre moyen d’existence,
piller ceux que le ciel a plus favorisés.

Je ne me sens pas le courage de jeter la pierre à des gens qui, s’ils
n’existaient pas, devraient être inventés : car, sans eux, les déserts
qu’ils habitent et qui séparent la race blanche de la race noire
seraient infranchissables.


Chez les Touâreg du Ahaggâr, il n’y a que des tribus nobles et des
tribus serves. Quand les conditions de l’existence sont aussi
difficiles, on est fatalement sollicité à asservir, si on n’est pas soi-
même asservi. Inutile d’ajouter que les serfs sont beaucoup plus
nombreux que les nobles. Si, chez les Azdjer, quatre serfs sont
nécessaires pour nourrir un noble, il en faut au moins huit chez les
Ahaggâr.


Pendant la durée de mon exploration, j’ai toujours espéré pouvoir
visiter les Ahaggâr et prendre sur place les renseignements
indispensables à l’établissement de l’historique de chacune de leurs
tribus. On sait pourquoi j’ai dû m’abstenir : on ne sera donc pas étonné
si je n’entre pas dans de plus grands détails sur chaque tribu, mais on
peut considérer comme exact ce qui va suivre.

A l’origine, tous les Ahaggâr ne formaient qu’une seule tribu, celle des
Kêl-Ahamellen, divisée en quatorze fractions, mais, par suite de
l’impossibilité de vivre réunies, chacune des divisions a dû se séparer
de la souche mère et se constituer à l’état de tribu indépendante, avec
son autonomie spéciale. Les fractions qui avaient des imrhâd se sont
réservé pour leurs besoins des territoires particuliers dans les parties
protégées de la montagne ; celles qui ne possédaient pas de serfs ont
adopté la vie errante des nomades dans les déserts qui les séparent de
leurs voisins.

De ces généralités je passe aux détails.


               _Tribu des Kêl-Ahamellen proprement dits._


Cette tribu, qui a d’abord embrassé quatorze fractions, en comprendrait
encore trois aujourd’hui, d’après quelques Touâreg, savoir :

Les Tédjéhé-n-Esakkal,

    Les Tédjéhé-n-Eggali,

    Les Kêl-Ahamellen-wân-Taghert.


Selon cette version, la confédération des Ahaggâr ne comprendrait que
douze divisions.

D’après d’autres Touâreg, les Essakal et les Eggali constitueraient des
tribus ayant une vie propre, et les Kêl-Ahamellen-wân-Taghert seraient
aujourd’hui les seuls représentant la tribu mère. J’adopte cette
dernière version.

Cette tribu vit dans le Mouydîr, entre In-Sâlah et le Ahaggâr. De tous
les Touâreg de l’Ouest, elle est la plus rapprochée de l’Algérie et
celle qui fréquente le plus souvent nos marchés.

Elle n’a pas de serfs.

Le voisinage d’In-Sâlah, la fertilité relative de son territoire, assez
abondamment pourvu d’eau, permettent à cette tribu de vivre dans de
meilleures conditions d’aisance que les autres.

On est généralement d’accord pour donner le titre d’hommes sages à tous
ses membres, première preuve à l’appui de l’opinion que tous les Ahaggâr
abandonneraient la carrière des aventures, si, comme les Kêl-Ahamellen,
il pouvaient ajouter aux produits de leurs troupeaux quelques bénéfices
réalisés par le commerce.


                      _Tribu des Tédjéhé-Mellen._


Son chef est Mohammed-eg-Brahîm.

Cette tribu, faible par le petit nombre de ses nobles, a une importance
réelle par les serfs dont elle dispose et par la position qu’elle occupe
sur la frontière du territoire des Azdjer, dans la partie occidentale du
plateau de Tasîli.


Les serfs des Tédjéhé-Mellen sont :

    Les Kêl-Ouhât (fraction des Isaqqamâren),

    Les Aït-Lôahen (une partie),

    Les Kêl-Taroûrit.


On accorde aux Tédjéhé-Mellen un esprit de conciliation utile aux bons
rapports entre les deux branches de la grande famille des Touâreg du
Nord.


                         _Tribu des Kêl-Rhelâ._


La plus puissante de la confédération par le nombre de ses hommes
nobles, de ses serfs et des tribus satellites qui gravitent autour
d’elle, la tribu des Kêl-Rhelâ est aux Ahaggâr ce que celle des Orâghen
est aux Azdjer. La position qu’elle occupe à la tête et au centre du
plateau, citadelle de la confédération, lui assigne aussi le rang de
tribu capitale. On sait déjà, par la _Note_ de Brahîm-Ould-Sîdi, que
l’aïeul des Kêl-Rhelâ est un sultan du nom d’El-’Alouï.

A tous ces titres, cette tribu donne à la confédération son amghâr ou
chef des chefs.

J’ai dit que le centenaire Guemâma était en possession de cette dignité,
par droit de naissance, mais que, par suite de nécessité majeure, on
avait dû en conférer les fonctions à El-Hâdj-Ahmed, de la tribu des
Ifôghas, et frère du Cheïkh-’Othmân. Je ne reviendrai pas sur cette
transaction.

Ahitârhen est le chef particulier de la tribu.


Les serfs des Kêl-Rhelâ sont :

    Les Imesselîten (un tiers),

    Les Kêl-Rhâfsa (la moitié),

    Les Isaqqamâren (une partie),

    Les Kêl-Ingher,

    Les Kêl-Rhârîs,

    Les Kêl-Tesôka,

    Les Kêl-Adenek,

    Les Kêl-Tîfedest,

    Les Kêl-Tâzhôlet,

    Les Kêl-Tahât,

    Les Isândaten,

    Les Martamaq,

    Les Dag-wân-Taouât.


J’ai à faire ici plus d’une remarque sur le rôle, l’importance et la
position des tribus imrhâd de la dépendance des Kêl-Rhelâ.

In-Sâlah est le marché des Ahaggâr ; les Kêl-Ingher habitent le petit
village de ce nom dans le Tidîkelt et servent de point d’appui aux
nobles quand ils se rendent au marché.

La route de Rhât à In-Sâlah est la principale artère qui traverse les
montagnes ; les Isaqqamâren dans le Tasîli et les Kêl-Rhârîs dans le
Mouydîr en commandent les principaux passages.

Sur cette route s’effectuent de nombreux transports ; les Isaqqamâren,
riches en chameaux, en ont le monopole.

La seule production de quelque valeur commerciale dans le Ahaggâr est
celle du séné ; les Kêl-Rhâfsa occupent les territoires de Wahellidjen
et d’Arhafra qui le produisent.

Les nobles seigneurs peuvent redouter des surprises dans leur citadelle
du Ahaggâr ; quatre tribus serves, sédentaires, veilleront, sentinelles
vigilantes, aux quatre points cardinaux de leur territoire : les Kêl-
Tahât au Sud-Ouest, les Kêl-Tazhôlet au Sud-Est, les Kêl-Tîfedest et les
Kêl-Adenek au Nord. Par ces deux dernières tribus, les Kêl-Rhelâ
commandent les deux routes d’Idélès à In-Sâlah, et d’Idélès à Ouarglâ.

A ces signes, on reconnaît une tribu qui domine et qui veut conserver sa
prépondérance.


M. le commandant Hanoteau, dans sa _Grammaire temâchek’_, donne quelques
détails sur les Isaqqamâren ; je les consigne ici :

« Les Isaqqamâren comptent deux douârs de quarante tentes chacun. Ils
ont beaucoup de chameaux.

« Leur territoire est compris entre Tiferkan du côté du Touât, Tîn-
Zaouâten du côté de Rhât et Tîn-Gharest du côté du Ahaggâr. »

L’esclave duquel M. le commandant Hanoteau a obtenu ces renseignements
se souvenait encore d’un chant sur les Isaqqamâren ; il le cite comme
exemple de poésie temâchek’. Je le copie, car il reproduit l’opinion des
Touâreg sur eux-mêmes :

« Les Isaqqamâren, dit-il, ne sont pas des hommes, car ils n’ont ni
lances en fer, ni lances à hampe de bois, ni harnachements, ni selles,
ni boucliers, rien, en un mot, de ce qui rend l’homme joyeux, pas même
de chameaux gras et bien portants.

« Cependant ne portez pas sur eux un jugement trop absolu, car ils sont
très-mélangés, et l’on trouve chez eux des gens de toute condition.

« Quelques-uns n’ont que leur bâton pour tout bien ; d’autres sont
pauvres, mais à l’abri du besoin ; d’autres sont possédés du démon.

« Il y en a qui font le pèlerinage de la Mekke et le renouvellent ; il y
en a qui savent lire le Coran et qui l’apprennent par cœur.

« Il y en a, enfin, qui ont aux pâturages des chamelles avec leurs
petits et des lingots d’or bien enveloppés dans des chiffons.

« Quant aux armées, ils ne se joignent pas à elles : c’est pourquoi les
pointes de leurs lances sont aussi aiguës et leurs boucliers si beaux. »

Nonobstant le dire du poëte, les Isaqqamâren passent pour des convoyeurs
de caravanes très-braves, et même on les accuse d’aimer un peu trop les
querelles.


                       _Tribu des Irhechchoûmen._


Petite tribu, satellite des Kêl-Rhelâ, vivant comme ces derniers sur les
plateaux les plus élevés du Ahaggâr.

Son chef est Ouân-Sella.


                         _Tribu des Ibôguelân._


Le nom d’Ibôguelân est un objet d’effroi dans tout le Sahara, car cette
tribu ne vit que du produit de ses courses.

Nomade, elle n’a pas de territoire, si ce n’est un centre de réunion
entre le Tîfedest et les sommets du Ahaggâr, chez les Kêl-Rhelâ, leurs
parents et alliés.

Assurée de sa retraite et certaine d’être protégée au besoin, en cas de
revers, elle ne craint pas de s’aventurer au loin, et même d’aller en
course jusque dans l’Azaouad, au Nord de Timbouktou.

Les autres indigènes, Arabes ou Touâreg, ne pouvant s’expliquer comment
les Ibôguelân ne succombent pas au rude métier qu’ils font, prétendent
très-sérieusement qu’ils sont fils d’un _djinn_ ou génie et d’une fille
d’Ève. Le généalogiste Brahîm-Ould-Sîdi s’abstient même de les
mentionner.

Leur chef est Akourzelli.

Leurs serfs sont les Imesselîten (un tiers) et les Iberbêren.

Ce dernier nom, comme celui des Iworworen, tribu serve des Orâghen,
rappelle celui de _Berbères_ que nous donnons à toute la race.


                          _Tribu des Tâïtoq._


Cette tribu, à peu près égale en forces à celle des Kêl-Rhelâ, leur sert
de contre-poids, dans le Ahaggâr, comme les Imanghasâten contre-
balancent la puissance des Orâghen chez les Azdjer.

Elle occupe le versant Ouest du massif du Ahaggâr, position qui la
rapproche de la route d’In-Sâlah à Timbouktou.

Son chef est Si-Mohammed.


Leurs serfs sont :

Les Kêl-Ahenet, placés en sentinelle avancée entre la route de
Timbouktou et la montagne ;

Les Kêl-Rhâfsa (par moitié avec les serfs des Kêl-Rhelâ), dans la
contrée productrice du séné ;

Les Imesselîten (un tiers) ;

Les Ikelân, tirant leur origine de nègres affranchis ;

Les Tédjéhé-n-Afîs.


Ces deux dernières tribus serves sont nomades et chargées de la garde
des troupeaux.

Les principales familles des Tâïtoq passent pour avoir conservé des
traces de leur noble origine et pour mener une existence moins
matérielle que celle des autres tribus.


                     _Tribu des Tédjéhé-n-Eggali._


Tribu nomade, satellite des Kêl-Ahamellen.

Pas de territoire propre, pas de serfs.

Son chef est El-Ouahâb.


                          _Tribu des Ikadéen._


Autre satellite des Tâïtoq, habitant le versant occidental du Ahaggâr.

Cette tribu a pour serfs les Eharhân.

Son chef est Mohammed-Eg-Semâna, sorte de géant, redouté à cause de sa
bravoure.


                     _Tribu des Inembâ-Kêl-Tahât._


Le mont Tahât, que cette tribu habite, est un des points les plus élevés
du Ahaggâr.

Ces montagnards ont peu d’importance ; un tiers de la tribu serve des
Imesselîten leur appartient.

Leur chef est Ourzîg.


                    _Tribu des Inembâ-Kêl-Émoghrî._


Les vallées d’Ouâdinki et d’Emoghrî, qui descendent du versant Nord-Est
du Ahaggâr, pour aboutir à la Sebkha d’Amadghôr, sont les lieux de
résidence de cette tribu, peu importante d’ailleurs.


Ses serfs sont :

    Les Aït-Loâhen (une partie),

    Les Ehen-n-Ehôlagh,

    Les Aït-Loâhen-kêl-Tazhôlet.


Son chef se nomme Oû-Rhalla.


                        _Tribu des Ikerremôïn._


Petite tribu sans importance, n’ayant pas de serfs vivant à Tazhoûlt.

Elle a pour chef El-Kounti-eg-Findeguema.


                     _Tribu des Tédjéhé-n-oû-Sîdi._


La tribu qui porte ce nom n’a aucun point de résidence fixe ; elle erre
dans le désert, sous la conduite de Mettoûk.


                          _Tribu des Ennîtra._


Autre tribu nomade qui, de même que la précédente, parcourt l’immensité
du Sahara.

Son chef, Eg-Antéouen, a la réputation d’être un brigand.


                     _Tribu des Tédjéhé-n-Esakkal._


Encore une tribu, annexe des Kêl-Ahamellen, qui a pour chef Afinguenân,
et sur laquelle, comme pour les trois précédentes, il m’a été impossible
d’avoir des renseignements.

On les connaît de nom, on sait quels sont leurs chefs. Que peut-on
savoir de plus de tribus n’ayant ni feu ni lieu, et dont toute
l’existence se consume à suivre des troupeaux et à disputer des puits et
des pâturages à leurs voisins ?

Sans aucun doute, ces tribus trouvent beaucoup de charmes dans leur vie
vagabonde, mais il faudrait se faire nomade comme elles pour pouvoir les
apprécier.


[Note 116 : Le nom de la partie de cette tribu restée sur les rives du
Niger est grammaticalement un peu différent : il s’écrit et se prononce
_Ioûrâghen_.]

[Note 117 : A Ghadâmès, dans le quartier de Tîn-Guezzîn, un clou planté
dans le mur indique à quelle hauteur arrivait la tête de Mahâoua quand
il se tenait debout.]

[Note 118 : Les Touâreg prononcent souvent ce nom comme s’il était écrit
_Rhosmân_, parce qu’ils n’ont pas dans leur langue les sons de l’_’aïn_
et du _tha_ arabe.]

[Note 119 : Le traité de Ghadâmès confère à la famille d’Ikhenoûkhen la
protection des voyageurs français, à charge par eux d’acquitter des
droits qui ne sont pas encore déterminés.]




                              CHAPITRE IV.

                  CARACTÈRES DISTINCTIFS DES TOUÂREG.


Le mouvement de migration des Touâreg, du Nord au Sud, s’est opéré avant
les grandes conquêtes qui ont amené tant de peuples différents dans le
Nord de l’Afrique.

Refoulant une race inférieure, beaucoup d’entre eux, les nobles surtout,
paraissent avoir mis un point d’honneur à s’abstenir de toute union avec
les vaincus.

Préservés, depuis leur implantation au centre du Sahara, de toute
invasion : du côté du Nord, par la zone défensive des dunes de l’’Erg ;
du côté du Sud, par la barrière que leurs frères d’Aïr et les
Aouélimmiden ont opposée à la réaction de la race noire contre la race
blanche, les Touâreg du Nord semblent devoir, au plus haut degré,
représenter le type primitif de la race berbère, si ce type peut être
retrouvé en toute pureté.

Seuls, du haut de leurs montagnes, ils ont pu contempler toutes les
révolutions qui ont tant de fois bouleversé l’Afrique occidentale, sans
jamais être atteints par elles.

On ne sera donc pas étonné que je consacre un chapitre spécial à l’étude
des caractères qui distinguent les Touâreg du Nord des autres peuplades
qui les environnent.


                        _Caractères physiques._


En général, les Touâreg sont de haute taille, quelques-uns même
paraissent de vrais géants.

Tous sont maigres, secs, nerveux ; leurs muscles semblent des ressorts
d’acier.

Blanche est leur peau, dans l’enfance ; mais le soleil ne tarde pas à
lui donner la teinte bronzée spéciale aux habitants des tropiques.

Chez les serfs, une teinte plus foncée de la peau est souvent due au
mélange du sang noir avec le sang blanc.

Le type caucasique est celui de leur figure : face ovale et allongée
chez les uns, ronde chez les autres ; front large, yeux noirs, nez
petit, pommettes saillantes, bouche moyenne, lèvres fines, dents
blanches et belles, quand elles n’ont pas été cariées par l’usage du
natron, barbe noire et rare, cheveux lisses et noirs. Quelques-uns ont
des yeux bleus, mais cette nuance se rencontre peu fréquemment.

Les yeux, chez toutes les personnes qui ont dépassé quarante ans,
paraissent voilés et obscurs. Cet effet est dû à l’intensité de la
lumière et à l’action de la réverbération solaire. Beaucoup deviennent
borgnes ou aveugles avant l’âge de la vieillesse.

Le tronc, aussi bien chez l’homme que chez la femme, est largement
développé.

Les membres supérieurs et inférieurs, allongés, musculeux, se terminent
par des mains petites et bien faites et par des pieds qui seraient
également beaux, si le gros orteil, effet ou cause de la chaussure
employée, ne faisait une saillie désagréable à l’œil.

Les hommes sont généralement forts, robustes, infatigables, quoique leur
alimentation moyenne soit de beaucoup inférieure à celle de l’Européen ;
chez eux, pas d’individus chétifs, rachitiques. Le climat fait
rapidement justice de tout ce qui est mal constitué.

Les femmes, grandes aussi, au port altier, sont généralement belles,
mais de cette beauté à laquelle l’éducation ne donne pas de distinction.
Leur physionomie les rapproche cependant beaucoup plus des femmes
européennes que des femmes arabes.

Un des caractères physiques auxquels un târgui peut se reconnaître entre
mille, est l’attitude de sa démarche grave, lente, saccadée, à grandes
enjambées, la tête haute, attitude qui rappelle un peu celle de
l’autruche ou du chameau en marche, mais qui est due principalement au
port habituel de la lance.

Cette démarche a été remarquée par tous les Algériens, chaque fois que
des Touâreg sont venus dans la colonie.

Pour l’ensemble, voir la planche ci-contre.

Pl. XX. Page 382. Fig. 34.

[Illustration : TYPES TOUÂREG.

D’après des photographies de M. Crémière.]


                          _Caractères moraux._


Ebn-Khaldoûn, dans son _Histoire des Berbères_[120], trace, en ces
termes, les caractères moraux de cette race :


« Citons, dit-il, les vertus qui font honneur à l’homme et qui étaient
devenues, pour les Berbères, une seconde nature : leur empressement à
s’acquérir des qualités louables, la noblesse d’âme qui les porta au
premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils
méritèrent les louanges de l’univers : _bravoure et promptitude à
défendre leurs hôtes et clients ; fidélité aux promesses, aux
engagements et aux traités ; patience dans l’adversité, fermeté dans les
grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts
d’autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux,
respect pour les vieillards et les hommes pieux, empressement à soulager
les infortunés, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de
l’oppression, valeur déployée contre les empires qui les menaçaient_,
victoires remportées sur les princes de la terre, dévouement à la cause
de Dieu et de sa religion : voilà, pour les Berbères, une foule de
titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont
l’exposition, mise par écrit, aurait pu servir d’exemple aux nations à
venir. »


Les Touâreg ont encore, au plus haut degré, quelques-unes des belles
vertus assignées à leur race, il y aura bientôt six siècles, par un
historien impartial, car il était Arabe.

La bravoure des Touâreg est proverbiale. Quoi qu’on en ait dit, ils
n’empoisonnent jamais leurs flèches ni leurs lances ; entre eux ils
dédaignent l’emploi des armes à feu, qu’ils appellent _armes de la
traîtrise_, parce qu’un homme embusqué derrière une broussaille peut
tuer son adversaire sans courir aucun danger.

La défense de leurs hôtes et de leur clients est encore la vertu par
excellence des Touâreg, et, si elle n’était érigée chez eux à l’état de
religion, le commerce à travers les déserts du Sahara serait impossible.

La fidélité aux promesses, aux traités, est poussée si loin par les
Touâreg, qu’il est difficile d’obtenir d’eux des engagements et
dangereux d’en prendre, parce que, s’ils se font scrupule de manquer à
leur parole, ils exigent l’accomplissement rigoureux des promesses qui
leur sont faites. Il est de maxime chez les Touâreg, en matière de
contrat, de ne s’engager que pour la moitié de ce qu’on peut tenir, afin
de ne pas s’exposer au reproche d’infidélité. Comme tous les autres
musulmans, ils subordonnent bien leur exactitude à la volonté de Dieu,
mais ils ne spéculent pas sur cette réserve.

Quand un târgui quitte sa famille pour aller en voyage, il confie à son
voisin l’honneur de sa maison, et le voisin venge les affronts faits à
l’absent avec plus de rigueur que s’il s’agissait de lui-même.

La patience, la résignation et la fermeté des Touâreg dans la misère,
peuvent être égalées, mais non surpassées : car, sans ces vertus,
comment pourraient-ils vivre au milieu de déserts où l’on ne voit
souvent ni une plante, ni le plus petit des animaux ?

Je n’ose pas affirmer les qualités du cœur des Touâreg, dans les termes
qu’Ebn-Khaldoûn employait en parlant des Berbères, au temps de la plus
grande puissance de cette race, parce que, dans plus d’une circonstance,
je les ai vus emportés, vindicatifs, indifférents aux souffrances des
autres. Cependant, au fond, il faut que les nobles soient bons envers
leurs serfs et leurs esclaves, pour que ceux-ci ne se révoltent pas, ne
les abandonnent pas. Et puis, là où il n’y a rien, la charité, comme le
roi, perd ses droits. Chez les Touâreg, nobles et serfs, riches et
pauvres, se serrent le ventre avec une ceinture quand il n’y a plus de
vivres au logis, et vont dans les champs disputer aux troupeaux les
quelques plantes qui peuvent entretenir leur existence. La générosité,
dans ce cas, serait une vertu plus qu’humaine.

Les capacités industrielles des Touâreg sont encore à la hauteur de
celles des autres Berbères. Ils ne sont pas riches en matières
premières, mais ils approprient à leurs besoins tout ce qu’ils ont sous
la main.

Quant à la haine de l’oppression, elle est encore aussi vivace chez eux
qu’aux plus beaux jours de la puissance des Berbères, car c’est leur
amour de l’indépendance qui les a conduits et les maintient au désert.

Il est une qualité, spéciale aux Touâreg, qu’Ebn-Khaldoûn ne mentionne
pas et qui a une valeur réelle pour des hommes perdus dans l’immensité
des déserts ; je veux parler de leur aptitude aux grands voyages, au
milieu de dangers de toute nature. Essentiellement cosmopolite, le
târgui passe sans transition du climat sain de ses montagnes dans les
marécages de l’Afrique centrale, d’une température quelquefois au-
dessous de zéro à celle de la zone torride, d’un pays où il pleut
rarement dans des contrées où les pluies tropicales amènent des déluges
d’eau. Dans ces pérégrinations, il résiste à des épreuves qui tuent les
animaux les plus robustes.

J’ajouterai encore que le mensonge, le vol domestique et l’abus de
confiance sont inconnus des Touâreg.

Un târgui a-t-il commis un crime, il fuira ; mais, s’il est pris, il
l’avouera, dût sa vie dépendre de son aveu.

Un târgui arme-t-il en course et fait-il huit cents kilomètres pour
aller enlever au pâturage du bétail appartenant à une tribu ennemie ;
s’il rencontre en chemin des marchandises ou des vivres déposés par une
caravane, il les respectera. Jamais il ne pénétrera dans une tente ou
dans un bivac pour y prendre quoi que ce soit.

Confie-t-on à un târgui des marchandises, de l’argent, pour les porter
d’une ville dans une autre, il aura beau, à mi-chemin, séjourner dans sa
tente ; ni lui, ni sa femme, ni ses enfants, fussent-ils dans le plus
grand dénûment, n’y toucheront.

Prête-t-on sur parole, même sans témoin, de l’argent à un târgui, il le
rendra, fût-ce vingt ans après, s’il lui a fallu ce temps pour réaliser
la somme empruntée, et il passera trois mois sur les routes pour aller
la restituer. Si le prêteur est mort, la dette est remboursée à ses
héritiers, et si l’emprunteur meurt insolvable, ses enfants tiennent à
honneur de payer dès qu’ils pourront.

Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas ici de ces dons, déguisés sous
le nom de prêts, que les Touâreg sollicitent souvent de leurs clients,
voyageurs ou commerçants, en sus du prix de protection stipulé.

Un târgui meurt-il en voyage, ses compagnons de caravane acceptent,
_ipso facto_, le mandat de gérer ses affaires au mieux de ses intérêts,
et, au retour, ils rendent un compte fidèle de leurs opérations à ses
héritiers.

Un peuple qui a de telles qualités, au milieu de quelques défauts
inséparables de l’humanité, ne mérite pas la réputation que lui ont
faite des écrivains renseignés par ses ennemis.


                 _Conservation de l’écriture berbère._

                              (Tefînagh.)


Depuis longtemps on savait que les plus anciens habitants de l’Afrique
septentrionale se servaient de différents dialectes d’une langue à
laquelle, sans la connaître, on avait donné le nom de _langue berbère_,
comme on avait appelé _Berbères_ ceux qui la parlaient. Des vocabulaires
de divers dialectes avaient même été publiés, avant et depuis
l’occupation de l’Algérie, par Venture, MM. Delaporte et Brosselard.

On savait aussi par Ebn-Khaldoûn que le Coran avait été traduit, au
Maroc, de l’arabe en berbère, mais que cette traduction, écrite
d’ailleurs avec les lettres de l’alphabet arabe, avait été détruite, la
parole de Dieu ne pouvant, sans profanation, être exposée à être altérée
par des traducteurs.

On savait, enfin, par la narration du voyage de Denham et Clapperton
dans l’Afrique centrale, que le docteur Oudney, leur compagnon
d’exploration, qui succomba dans le Soûdân, avait recueilli, en 1822, un
alphabet de dix-neuf lettres, au moyen duquel les Touâreg représentaient
les mots de la langue de leur pays.

Depuis, nos découvertes en cette matière ont beaucoup progressé.
Aujourd’hui nous possédons une _Grammaire de la langue temâchek’_, par
M. le chef de bataillon du génie, A. Hanoteau, avec un recueil de
fables, d’histoires, de poésies, de conversations et de _fac-simile_
d’écriture _tefînagh_ et, de plus, les caractères typographiques qui ont
été fondus pour composer ce remarquable ouvrage. Aussi quand, l’année
dernière, les marabouts Touâreg furent conduits à l’Imprimerie
impériale, ont-ils été émerveillés de voir sortir des presses un
magnifique tableau commémoratif de leur visite, imprimé en français et
en tefînagh.

Plus récemment (1862), l’imprimeur Harrison, de Londres, a publié une
seconde grammaire du même dialecte, _Grammatical sketch of the temâhuq_,
par M. Stanhope Freeman, gouverneur de Lagos, ancien vice-consul
britannique à Ghadâmès.

Antérieurement, la Société biblique de Londres avait aussi publié dans
la même langue quelques fragments des Écritures, d’après James
Richardson, mort depuis dans l’exploration dont M. le docteur Barth est
le seul survivant.


Par quelle exception les Touâreg, ces enfants perdus dans le désert,
avaient-ils conservé l’écriture de leur langue, quand toutes les autres
peuplades berbères du littoral méditerranéen avaient même perdu le
souvenir de son ancienne existence ?

L’invasion par les Arabes de tous les pays berbères, la conversion
forcée à l’islamisme, la substitution de la langue du Coran à toute
autre, la destruction même des traductions berbères du Livre saint,
l’ardeur avec laquelle quelques-uns des nouveaux convertis se mirent à
la tête du prosélytisme religieux, expliquent comment la langue arabe a
partout remplacé, comme langue écrite, toutes celles antérieurement en
usage dans le Nord du continent africain.

Carthage aussi avait vu de même sa langue et son écriture nationales,
qui étaient celles des Phéniciens, effacées par le fanatisme politique,
terribles exemples de ce que peut l’homme en matière de destruction
quand la passion l’anime. Toutefois, au centre du Sahara, dans un de ces
lieux arides où des hommes simples abritent leur indépendance et où
l’ambition des conquérants ne pénètre pas, il y avait des peuplades de
la race vaincue, mais non asservie, qui purent conserver et transmettre
à la postérité ce qui avait été anéanti avec tant de soin partout
ailleurs.

Au nombre de quatre, ces peuplades, représentant les quatre fractions
des Touâreg, ont conservé la même écriture malgré la divergence de leurs
dialectes parlés. Il y a bien quelques différences dans la forme donnée
à certaines lettres, suivant les contrées ; mais ces variantes n’ont
rien d’étonnant. Dans toute langue écrite, quand l’imprimerie n’est pas
là pour rappeler au type primitif, la forme des lettres varie à
l’infini, suivant le caprice des maîtres et des copistes. Sous ce
rapport, le tefînagh offre moins de types différents que les écritures
de nos anciennes chartes, car les lettres modernes, à quelques
exceptions près, sont les mêmes que celles de l’inscription de Tugga,
contemporaine de l’époque carthaginoise.

Tout est exceptionnel dans la conservation de cette écriture ; car c’est
principalement aux dames târguies que nous sommes redevables de ce
miracle.

Miracle en effet ! dans tout le continent africain, les femmes lettrées
se comptent par unités, tandis que chez les Touâreg presque toutes les
femmes savent lire et écrire, dans une proportion plus grande même que
les hommes.

Dès mon arrivée au milieu de leurs tribus, je manifestai le désir
d’apprendre le temâhaq, et je demandai qui pourrait m’enseigner la
lecture et l’écriture de cette langue. A mon grand étonnement, on
m’apprit que l’enseignement du tefînagh était réservé exclusivement aux
femmes, et quelques-unes s’offrirent pour me donner des leçons.

Pour me guider dans mes études, j’avais un exemplaire de la _Grammaire
temâchek’_ de M. Hanoteau. Cette circonstance me fit trouver, en station
comme en voyage, autant de professeurs que je pouvais le désirer ; car
toutes les dames târguies voulaient voir, examiner, contrôler cette
œuvre merveilleuse. Jamais livre en Europe n’a eu plus de succès.
D’abord, il flattait l’amour-propre national ; puis, il témoignait du
grand intérêt que nous portons à tout ce qui concerne les peuples
conservateurs de la langue temâhaq ; il était imprimé sur beau papier,
avec le luxe typographique de l’Imprimerie impériale ; enfin, il
contenait un recueil de fables, de poésies, d’histoires qui n’étaient
pas toutes connues dans le pays et qui apportaient une grande
distraction dans la vie monotone du désert.

J’ai lu la _Grammaire_ de M. Hanoteau avec les Touâreg, et je dois dire
que le contrôle des linguistes du pays est tout en faveur de ce travail.
Le seul reproche qu’on puisse lui adresser est d’avoir été fait loin des
lieux où l’on parle le temâhaq, ce qui n’a pas permis à l’auteur de
distinguer les différences propres à chaque dialecte. D’ailleurs le nom
de _temâchek’_ qu’il donne à l’idiome objet de ses études témoigne que
M. Hanoteau a puisé principalement ses connaissances dans le dialecte du
Sud ; car celui du Nord porte le nom de _temâhaq_.

Chez les Azdjer, presque toutes les femmes savent lire et écrire, tandis
qu’un tiers des hommes à peine est arrivé à ce degré d’instruction. La
majorité sait mal, et il est facile, même à un Européen, de constater
beaucoup de fautes ; mais quelques-unes écrivent correctement et
paraissent être guidées par de véritables règles.

On a publié plusieurs alphabets tefînagh plus ou moins complets. Les
plus corrects sont ceux de MM. Richardson, Hanoteau et Freeman.
Nonobstant, je crois utile de donner ici celui que j’ai recueilli dans
mon voyage, en faisant remarquer toutefois que les différences les plus
importantes tiennent à la forme variable de quelques lettres.

Pl. XXI. Page 388. Fig. 35.

[Illustration : ALPHABET TEFÎNAGH.]


J’ajouterai à ce qu’ont dit mes devanciers, savoir :

1o Que le tefînagh s’écrit à volonté, horizontalement ou verticalement ;

2o Que, dans l’écriture horizontale ou verticale, les caractères sont
tracés indistinctement de droite à gauche, de gauche à droite, de haut
en bas, de bas en haut, bien que la manière arabe ou hébraïque, de
droite à gauche, soit la plus généralement adoptée ;

3o Que les lettres n’ont pas, comme dans nos caractères, d’une manière
absolue, un haut, un bas, un côté droit et un côté gauche, mais
s’emploient à volonté dans tous les sens ; ainsi, la lettre _iedh_,
correspondant à notre _dh_, s’emploie indistinctement comme il suit :
[Variants d’ⴹ].


D’après le Cheïkh-’Othmân, guide excellent dans toutes les recherches
spéciales à l’étude de son pays, il existerait un livre de droit,
traduit en bon temâhaq, mais écrit en lettres arabes. Un exemplaire de
ce livre existe à Aqabli, et un autre entre les mains de Brahîm-Ould-
Sîdi, le savant des Ifôghas. Le brave cheïkh m’a promis d’en faire
prendre une copie.

Autrement, on ne trouve écrits en tefînagh que des inscriptions sur les
rochers, sur les armes, sur les anneaux de bras, les bracelets, les
instruments de musique, les lanières de cuir, les boucliers ou des
broderies sur les vêtements. Tous les écrits sérieux, les livres, les
chroniques, la correspondance, les amulettes sont en arabe, langue que
beaucoup parlent, mais que les lettrés seuls savent écrire.

Les inscriptions sur les rochers sont les unes anciennes, les autres
modernes ; les unes gravées en creux au burin, les autres en relief et
exécutées au moyen d’un mastic auquel le goudron sert de base et qui a
la double propriété, comme l’encre des transpositions lithographiques,
de faire corps avec la pierre et de se conserver plus ou moins
longtemps.

Sur les rochers aussi, on trouve souvent, soit isolées, soit
rapprochées, des sculptures, des gravures, informes bien entendu, mais
qui, quelquefois, ont la prétention de représenter des scènes
allégoriques.

M. le docteur Barth a déjà livré à la publicité quelques _fac-simile_ de
tableaux rupestres qu’il a rencontrés sur sa route. Moins heureux que
lui, je n’ai pas eu la chance d’en trouver d’assez importants pour
mériter la reproduction ; mais, par contre, ma collection d’inscriptions
est plus riche, et j’en donne, dans la planche ci-contre, quelques-unes,
principalement celles qui ne me paraissent pas se borner à de simples
noms d’hommes[121].

Tôt ou tard, l’examen comparé des sculptures et des inscriptions
rapportées par les divers voyageurs pourra donner lieu à d’importantes
remarques ethnographiques.

En général, les lettres des inscriptions sur les rochers ont environ 6
centimètres de hauteur ; le trait se ressent de l’inhabileté des
graveurs. Quelques-unes sont frustes et d’une lecture difficile.

Les Touâreg disent que les inscriptions en creux sont anciennes, car les
modernes se bornent aux inscriptions en relief, en noir avec le charbon,
ou en rouge avec l’ocre.

Pl. XXII. Page 390. Fig. 36.

[Illustration : INSCRIPTIONS TEFÎNAGH.]


                           _Usage du voile._


Si, pour les hommes de science, la conservation de l’écriture, d’une
écriture perdue, et qui fut jadis celle exclusivement en usage dans tout
le Nord du continent africain, est un fait capital qui permettrait de
donner aux Touâreg le surnom de _Conservateurs du tefînagh_, l’usage du
voile est pour le vulgaire un signe plus caractéristique encore ; car,
dès leur arrivée en Afrique, les Arabes ont immédiatement appelé ces
peuples : _Molâthemîn_, les voilés, ou _Ahel-el-lithâm_, les gens du
voile ; et les historiens arabes leur ont depuis conservé ce surnom.

Le voile, en effet, est d’usage général chez les Touâreg, et ils ne le
quittent jamais, ni en voyage, ni au repos, pas même pour manger, encore
moins pour dormir ; de là, grande difficulté pour voir le visage d’un
târgui.

Quoique, par imitation, les chefs arabes de Timbouktou, les princes
Fellâta, les gens d’In-Sâlah, de Ghadâmès, de Rhât, les Arabes nomades
du Touât, et les Teboû, aient aussi la figure voilée ou couverte, les
Touâreg sont réellement les seuls chez qui l’usage du voile est général
et passé dans les mœurs.


Il est difficile de remonter à l’origine de cette coutume et de lui
assigner une cause.

L’usage du voile est hygiénique, dit-on. Il préserve les yeux de
l’action trop intense du soleil, le nez et la bouche de la poussière
fine des sables et il entretient l’humidité à l’entrée des deux
principales voies respiratoires, ce qui est important sous un climat où
l’air est excessivement sec.

Mais, si une raison exclusivement hygiénique a fait adopter le voile,
pourquoi les femmes ne le portent-elles pas ? pourquoi les hommes ne se
débarrassent-ils pas la nuit, au repos, quand il n’y a ni soleil, ni
sables, ni air chaud et sec, d’un vêtement toujours gênant, malgré la
grande habitude de le porter ?

Un târgui, quel qu’il soit, croirait manquer aux convenances en se
dévoilant devant quelqu’un, à moins que ce ne soit dans l’extrême
intimité ou pour satisfaire à la demande d’un médecin à l’effet de
constater la nature d’une maladie. A part ces cas exceptionnels, le
voile doit toujours couvrir le visage.

A Paris, j’ai vainement sollicité le Cheïkh-’Othmân et ses deux
disciples de laisser tomber leur voile devant l’appareil photographique,
en leur affirmant que ce n’était à autre fin que d’avoir une image
fidèle des traits d’hommes aimés ; je ne pus obtenir cette faveur.

Ce n’était pas affaire de religion, car le Cheïkh-’Othmân avait sous les
yeux les photographies d’’Abd-el-Kâder et du chef de la confrérie dont
il est un des principaux dignitaires, et il ne les blâmait pas de leur
condescendance ; mais sa qualité de târgui lui faisait considérer comme
une sorte de profanation de se dévoiler, en dehors de tout regard, même
devant le miroir d’un appareil.

On a cru, d’après des informations inexactes, que les Touâreg portaient
le voile parce qu’ils ne voulaient pas être reconnus comme auteurs des
cruautés qu’ils exercent sur leurs ennemis.

Cette interprétation est fausse pour trois motifs : d’abord les Touâreg
ne sont pas cruels ; puis, malgré leur voile, ils se reconnaissent entre
eux comme s’ils n’étaient pas voilés ; enfin, ils repoussent les armes à
feu, qu’ils appellent armes de traîtrise, considérant comme seul
honorable le combat à l’arme blanche, corps à corps, face à face.


Parmi les porteurs de voile, on distingue ceux qui font usage du voile
blanc de ceux qui ont le voile noir.

Par un contraste fréquent dans la nature, les Touâreg à figure blanche,
aux traits caucasiques, les nobles en particulier, ont adopté
exclusivement le voile noir ; au contraire, les hommes de race
inférieure, ceux chez lesquels le sang du nègre se manifeste, ont donné
la préférence au voile blanc. Ce dernier, plus facile à laver, d’un prix
inférieur, est aussi préféré par un grand nombre des habitants des
villes de Rhât, de Ghadâmès et d’In-Sâlah.

De là, deux classes de Lithâmiens : les blancs et les noirs.

Dans le langage vulgaire, et par abréviation, les Arabes disent
quelquefois aussi Touâreg blancs pour Touâreg serfs et Touâreg noirs
pour Touâreg nobles.

Ceux qui ont fait de cette division en blancs et en noirs, d’après la
couleur du voile, une division basée sur la couleur de la peau, ont donc
commis une erreur.


                      _Anneau de pierre au bras._


Tous les Touâreg, dès que leur âge leur permet de prendre les armes,
portent au bras droit, entre le ventre du biceps et l’attache inférieure
du deltoïde, un anneau en pierre qui, une fois mis en place, n’est
jamais enlevé.

Le but de cet usage, disent les Touâreg, est de donner plus de force au
bras pour assener un coup de sabre.

Dans les combats corps à corps, quand deux champions se tiennent enlacés
de manière à ne pouvoir plus faire usage de leurs armes, chaque
combattant cherche à écraser les tempes de son adversaire sous l’anneau
de son bras.

Ces anneaux, en serpentine, de couleur verte, avec des raies d’un vert
plus foncé, sont larges et arrondis, de manière à ne pas blesser celui
qui les porte. On les fabrique dans les contrées où se trouve la
serpentine, chez les Aouélimmiden et chez les Azdjer.

Quoique chaque târgui, à l’exception des marabouts, ait un anneau à son
bras, cet article est assez rare dans le pays pour que je n’aie pas eu
l’occasion d’en acheter un pour mes collections.

Seuls, au milieu de tous les peuples qui les environnent, les Touâreg
portent l’anneau de pierre au bras droit.


                        _Poignard d’avant-bras._


Il est une arme aussi dont un târgui ne se sépare jamais ; c’est un
poignard plat, de la longueur d’une coudée, fixé par un large bracelet
en cuir à la face interne de l’avant-bras gauche, de manière que la
poignée soit toujours à la disposition de la main droite, sans gêner
aucun mouvement.

Cette arme exceptionnelle, portée d’une manière si exceptionnelle,
n’appartient encore qu’aux Touâreg seuls.


_Succession maternelle. — Droit d’aînesse politique au profit du fils de
                            la sœur aînée._


                             (Benî-Oummïa.)

Déjà, la _Note_ de Brahîm-Ould-Sîdi sur leurs origines a fait connaître
que les Touâreg attachent un aussi grand prix à la filiation maternelle
qu’à la descendance paternelle, et qu’entre eux ils distinguent les
tribus qui suivent l’ordre de succession maternelle, par le nom de
_Benî-Oummïa_, de celles qui, exceptionnellement, et depuis
l’introduction de l’islamisme, ont adopté la succession paternelle, et
qu’ils appellent _Ebna-Sîd_.

Déjà, dans le paragraphe consacré à Rhât, j’ai été amené à constater
chez les Berbères Ihâdjenen, fondateurs de cette ville, une constitution
de la famille et une loi d’hérédité différentes de celles des autres
peuples de religion juive, chrétienne ou musulmane.

Déjà aussi le lecteur a pu pressentir qu’une sorte de droit d’aînesse,
comme dans les familles patriarcales, sanctionnait l’hérédité de pouvoir
aux mains d’un aîné, à l’exclusion de ses cadets.

Enfin, l’étude de la constitution sociale de la famille et de la tribu
chez les Touâreg a signalé, au profit de la femme, des priviléges dont
on ne retrouve aucun exemple, ni chez les autres peuples musulmans, ni
même dans les autres tribus berbères de l’Afrique occidentale.

Mais, jusque-là, l’observation ne constate pas un droit _sui generis_,
caractéristique d’une civilisation spéciale et dont on ne retrouve la
trace ni dans le présent, ni dans le passé.

Le droit d’aînesse, aussi ancien que l’histoire, a été et est encore de
droit commun dans la législation des sociétés aristocratiques.

Dans tous les temps et dans tous les lieux, la loi et les mœurs ont
consacré des priviléges en faveur de la femme.

La formule romaine : « _Partus sequitur ventrem_, » ne diffère pas de la
coutume târguie : « _Le ventre teint l’enfant_. »

Dans l’ancienne Égypte, d’après Diodore de Sicile (liv. Ier, chapitre
XX), la femme pouvait, par contrat de mariage, se réserver l’autorité
sur son mari, même entre reine et roi.

Aux îles Maldives, d’après Fr. Picard, non-seulement les femmes
transmettent aux enfants leur condition sociale, mais encore elles
exercent dans la famille des droits supérieurs à l’autorité du mari.

La transmission du pouvoir par les fils de la sœur n’est même pas sans
précédents dans l’histoire :

Montesquieu (_Esprit des lois_, liv. XXVI, chap. VI) dit, d’après
l’autorité de documents de la Compagnie anglaise des Indes :

« Dans les pays où la polygamie est établie, le prince a beaucoup
d’enfants. Il y a des États où l’entretien des enfants du roi serait
impossible au peuple ; on a pu y établir que les enfants du roi ne lui
succéderaient pas, mais ceux de sa sœur.

« Un nombre prodigieux d’enfants, ajoute-t-il, exposerait l’État à
d’affreuses guerres civiles. L’ordre de succession qui donne la couronne
aux enfants de la sœur, dont le nombre n’est pas plus grand que ne
serait celui des enfants d’un prince qui n’aurait qu’une seule femme,
prévient ces inconvénients. »

Tacite (_Mœurs des Germains_, liv. XX), avant de constater que chez les
Germains le fils hérite du père, dit : « Le fils d’une sœur est aussi
cher à son oncle qu’à son père ; _quelques-uns pensent même que le
premier de ces liens est le plus saint et le plus étroit_, et, en
recevant des otages, ils préfèrent des neveux comme inspirant un
attachement plus fort et intéressant la famille par plus d’endroits. »

Guillaume Bosman, dans son _Voyage de Guinée_ (un vol. in-18, Utrecht,
1705), donne aux nègres de toute la côte des lois et des coutumes sur
lesquelles j’appelle l’attention.

Il dit, _Lettre onzième_, page 197 et 198 : « On marie beaucoup de
princesses étant fort jeunes, et on ne regarde point au bien ni à la
naissance comme parmi nous ; car il n’y a pas la moindre différence
entre les enfants des rois et ceux de leurs sujets. Chacun se choisit
une femme comme il veut, sans que les mariages soient pour cela inégaux,
quand même la fille d’un roi épouserait un esclave, ce qui arrive tous
les jours, et cela s’accorde mieux que si le fils du roi épousait une
fille esclave ; car, comme _les enfants suivent la mère_ dans ce pays,
les enfants de la fille du roi mariée avec un esclave sont libres, au
lieu que les enfants du fils du roi, qui a épousé une esclave, sont
aussi esclaves. »

Dans sa _Douziéme lettre_, page 207, Bosman ajoute : « L’hérédité est
ici réglée d’une assez plaisante manière, et, autant que je l’ai pu
comprendre, voici comme cela va. _Les enfants du frère ou de la sœur
sont les véritables et légitimes héritiers_ ; en sorte qu’un garçon, qui
est l’aîné de la famille hérite des biens du frère de sa mère et de ceux
de son fils s’il en a un, et la fille aînée hérite des biens de la sœur
de sa mère ou de ceux de sa fille si elle en a une.

« Les nègres ne nous en peuvent point dire la raison, mais je crois que
cet usage a été introduit à l’occasion de la débauche des femmes. Comme
ceux qui ont voyagé dans les Indes orientales rapportent qu’il y a des
rois qui déclarent pour leur successeur le fils de leur sœur au lieu de
leur propre fils ; car ils se peuvent assurer que le fils de leur sœur
est de leur propre sang, au lieu qu’ils n’ont pas la même certitude de
leurs propres enfants. Ces rois en usent ainsi pour empêcher que leur
couronne ne passe dans une autre famille ; et les nègres, afin que leurs
biens ne tombent pas entre les mains des étrangers. »

Bosman constate cependant que toutes les tribus nègres ne suivent pas la
succession maternelle, et que chez quelques-unes l’héritage direct du
père au fils est la règle.

M. Paul du Chaillu (_Voyages et aventures dans l’Afrique équatoriale_,
Paris, 1863), retrouve la même loi de succession en usage dans quelques
peuplades nègres qu’il a visitées. Il dit, chap. XVI, page 282 : « Ce
qu’il y a de particulier chez ce peuple, c’est que la filiation et les
successions proviennent du chef de la mère. Le fils d’un Commi et d’une
femme étrangère n’est pas réputé Commi. D’après ce principe appliqué aux
familles, pour être un véritable Abouya (citoyen de Goumbi), il faut
être né d’une femme Abouya. Si le père seul est Abouya, les enfants sont
regardés comme de _demi-sang_. »

Mais toutes ces coutumes anciennes et modernes, romaines, féodales,
orientales et nigritiennes, diffèrent de la loi _Benî-Oummïa_ des
Touâreg, par leur origine, leur esprit et leur caractère.


Voici, autant qu’il est permis à un étranger de les formuler, les
principales dispositions de cette loi.

Les Touâreg Benî-Oummïa distinguent deux sortes de biens transmissibles
par héritage :


Les biens _légitimes_,

Les biens _illégitimes_.


Je me sers des mots légitimes et illégitimes à défaut d’autres, dans
notre langue, pour remplacer l’expression technique de la langue
temâhaq.

Les premiers sont ceux acquis par le travail individuel et dont la
possession est sacrée : l’argent, les armes, les esclaves achetés, les
troupeaux, les récoltes et les provisions ;

Les seconds, _éhéré-n-boûtelma_, mot à mot : _biens d’injustice_, sont
ceux conquis les armes à la main, et dont la possession ne repose que
sur le droit de la force, biens conquis collectivement par tous les
membres actifs de la famille et conservés par leur concours, savoir :


Les _rhefer_ ou droits coutumiers, perçus sur les caravanes et les
voyageurs ;

La _gharâma_ ou tribut de protection, payé par les _ra’aya_ ;

Les _imrhâd_ ou droits sur les personnes et sur les biens des tribus
réduites en servage ;

Les _melâk_ ou droits territoriaux, tant sur les terres de parcours que
sur les terres de culture, les eaux, etc. ;

Enfin le _soltna_ ou droit de commander et d’être obéi.

A la mort d’un chef de famille, quand l’héritage s’ouvre, tous les biens
légitimes sont divisés, par parts égales, entre tous les enfants, sans
distinction de primogéniture ou de sexe.

Cette pratique est observée dans toutes les classes de la société
târguie : nobles, marabouts, tributaires ou serfs.

Quant aux biens de la seconde catégorie, les illégitimes, apanage
exclusif de la noblesse, ils reviennent, par droit d’aînesse, sans
division ni partage, au fils aîné de la sœur aînée :

_Sans division_, sur une tête unique, mais sans possibilité d’aliéner,
afin de conserver au chef de la famille, et à la famille elle-même, les
moyens matériels de maintenir son influence et sa prépondérance ;

_Au fils aîné de la sœur aînée_, pour assurer, contre toute éventualité,
la transmission du sang, la conservation de la tradition familiale, à la
tête des tribus.


On serait dans l’erreur si on attribuait exclusivement à la crainte
d’infidélités de la part de l’épouse d’aussi grandes précautions pour
éviter l’avénement d’un homme de sang étranger à la tête de la famille,
car, en général, la femme târguie, sévère sur ses droits, l’est aussi
sur ses devoirs.

Les inconvénients de la polygamie, aussi, doivent rester étrangers aux
motifs qui ont fait préférer l’aîné des neveux utérins au fils aîné du
chef de famille, car si la monogamie a pu lutter contre le polygamisme
musulman, c’est qu’elle devait être d’institution très-ancienne chez les
Touâreg.

D’autres motifs, puisés dans les superstitions du paganisme, doivent
avoir contribué plus puissamment à faire adopter la loi Benî-Oummïa.

Rappelons-nous avoir déjà lu au chapitre consacré aux tribus du Ahaggâr
que, d’après la croyance générale et inébranlable de tous les Touâreg,
les Ibôguelân passent pour être les fils d’un esprit surnaturel et d’une
fille d’Ève.

Nous verrons plus loin qu’en fait d’idées superstitieuses les Touâreg
dépassent tout ce que l’imagination la plus féconde peut inventer.

En attendant, voici ce que racontent les Touâreg sur les causes qui leur
ont fait adopter la loi de succession en usage chez les Benî-Oummïa.

Dans les temps très-anciens, dit la tradition, un de leurs sultans se
trouva atteint par le mauvais œil.

Le mauvais œil, quelque chose comme la _jettatura_ des Italiens !

L’effet du mauvais œil fut que la première femme du sultan conçut de lui
un _djinn_ ou _génie_ qui, aussitôt entré dans ce monde, alla rejoindre
ses frères dans le royaume des esprits.

Le sultan, comme il arrive toujours en pareil cas, accusa sa femme et la
répudia.

Il prit une seconde femme. Même résultat, avec cette différence que le
produit de leurs amours fut un _inn_, autre être surnaturel, au lieu
d’être un _djinn_.

Nouveau divorce, nouveau mariage, renouvelé une troisième, une
quatrième, une cinquième fois.

On dit même que le sultan eut la vertu d’aller jusqu’au chiffre de
soixante femmes sans pouvoir obtenir, pour héritier de son royaume,
autre chose que des _inn_ ou des _djinn_ qui, tous, à leur naissance,
disparaissaient, laissant en deuil père et mère et tous ceux intéressés
à leur malheureux sort.

Pendant toute cette série d’épreuves, le sultan était devenu vieux et,
le chagrin aidant, il ne pouvait songer à convoler à de nouvelles noces.

Quel parti prendre en telle occurrence ?

En homme sage, désireux d’épargner à ses sujets les malheurs de la
guerre civile, inévitable à sa mort, pour le partage de ses biens et de
son pouvoir, le sultan réunit, de son vivant, une assemblée générale de
tous ses sujets, masculins et féminins, et leur demanda leur opinion sur
les mesures à adopter pour assurer la paisible transmission de son
héritage : grave question, souvent agitée dans le monde.

Beaucoup d’avis furent ouverts. Chaque opinant, voulant être sultan,
présentait une solution favorable à ses prétentions. Après de longs et
vifs débats, les concurrents au trône allaient en appeler à la force des
armes, lorsqu’un des assistants, silencieux jusque-là, parce qu’il ne
voulait pas changer sa modeste condition contre un trône, demanda et
obtint la parole.

Ce sage était un savant marabout, très-versé dans les sciences
occultes : la magie, l’astrologie, la sorcellerie et la connaissance des
génies.

Il rappela à l’assemblée les malheurs advenus à un homme aussi
respectable que le sultan régnant et à ses soixante femmes, toutes
choisies parmi l’élite des plus nobles familles ; il disculpa ces
dernières, une à une, des soupçons qui avaient injustement pesé sur
elles, — tactique habile pour se rendre favorable la plus belle moitié
de l’assemblée et tous ceux de l’autre moitié qui, en galants
chevaliers, avaient pris les couleurs de leurs belles, pour assister à
la délibération.

Après l’exposé d’une infortune sans précédents dans l’histoire, il
démontra que le Grand-Maître des hommes et des choses, celui par la
volonté duquel tout arrive, n’avait pas voulu, sans motifs, soumettre le
peuple des Imôhagh à une pareille épreuve, et qu’au lieu de se disputer
la succession d’un trône qui, grâce à Dieu, n’était pas encore vacant,
il était bien plus conforme à la raison de rechercher le motif pour
lequel le Grand-Maître avait refusé au sultan un fils, héritier de son
sang et de son pouvoir.

C’est ce que fit le marabout en interrogeant successivement toutes les
probabilités des secrets desseins de la Divinité.

L’énumération des causes possibles ou probables fut longue ; la critique
de ces hypothèses fut plus longue encore. Pendant ce temps la passion
des prétendants s’était calmée, et l’assemblée, subjuguée par
l’éloquence d’un homme qui savait se taire, quand il savait si bien
parler, attendait avec impatience la conclusion d’un discours qui
révélait une si grande connaissance de choses mystérieuses pour tout le
monde.

La conclusion tant attendue arriva.

Dans le cas particulier, Dieu n’avait pas voulu que la transmission du
pouvoir s’effectuât par le ventre des épouses ; c’était incontestable.

Cependant, un peuple ne pouvait rester sans sultan, et sans sultan de
sang royal ; c’était incontestable encore.

Alors, il fallait chercher ce sang dans le ventre où on était assuré de
le trouver, avec le plus de garanties de consanguinité.

La sœur du sultan se trouvait naturellement indiquée, non pour régner,
mais pour donner la couronne à son fils aîné.

On le croira sans peine, les femmes applaudirent à une solution qui
donnait tant d’importance à leur sexe ; les chevaliers Imôhagh saisirent
avec empressement l’occasion de donner une nouvelle preuve de leur
galanterie, et la loi Benî-Oummïa, proposée par un saint marabout,
approuvée avec bonheur par le sultan, aux malheurs duquel elle mettait
fin, fut acclamée avec enthousiasme par l’assemblée générale.

Depuis cette époque, le fils aîné de la sœur aînée du sultan est
l’héritier légitime du trône, et, par extension du même principe, le
droit d’aînesse suit le même ordre de succession dans la famille, dans
la tribu.


Quoi qu’il en soit des circonstances qui ont pu déterminer les ancêtres
des Touâreg à adopter une pareille coutume, il est hors de doute que son
origine est antérieure à l’islamisme, car les marabouts Ifôghas et les
Aouélimmiden, serviteurs des marabouts de Timbouktou, y ont renoncé pour
adopter les lois du Coran sur les héritages.

D’après les Touâreg, les Kounta et les Tadjakânt, tribus berbères de la
côte de l’Océan Atlantique, et d’origine sanhâdjienne comme eux, sont
aussi Benî-Oummïa.

Le géographe arabe Ebn-Batoûta, qui a voyagé dans tous les pays
musulmans de son époque et dont les écrits sont justement appréciés, a
constaté la même loi de succession chez les Massoûfa, sis alors à
l’Ouest de Timbouktou et aussi frères consanguins des Touâreg, en tant
que membres de la grande famille des Sanhâdja de la seconde race.

Il est donc probable que, dans le principe et avant la conquête de
l’Afrique par les musulmans, toutes les tribus Sanhâdja suivaient la
même loi.

Ebn-Batoûta ajoute à ce qu’il dit des Massoûfa que nulle part, ni en
Afrique ni en Asie, il n’a trouvé semblable coutume, si ce n’est chez
les Malabares idolâtres de la côte occidentale de l’Inde.

Assurément les Berbères Sanhâdja ne viennent pas de l’Inde. Cependant, à
l’appui de l’observation d’Ebn-Batoûta, j’ajouterai que M. P. E. Botta
m’a donné quelques médailles fort anciennes, trouvées à Ben-Ghâzi, dont
une est incontestablement indienne.


Avant de clore ce paragraphe, je ferai remarquer à nouveau que, dans les
légendes historiques des Touâreg, les femmes jouent toujours le
principal rôle.

Une révolution doit-elle détrôner la famille des Imanân, la plainte
d’une vieille femme armera le bras vengeur d’Eg-Tînekerbâs ;

Le territoire doit-il être distribué entre les tribus, il est donné aux
dames douairières de chaque tribu noble.

L’islamisme est-il assez difficilement accepté par les Touâreg pour que
leurs convertisseurs les surnomment les _renégats_, la faute en est à la
nouvelle religion qui subalternise la femme à l’homme.

Les Touâreg sont-ils forcés de constater l’existence du sang noir dans
quelques-unes de leurs familles, la nécessité politique est invoquée :
la victoire ou la défaite les a contraints de recevoir ou de donner un
tribut annuel de jeunes vierges.

Enfin, ont-ils à remonter à l’origine d’un ordre de succession qui
semble mettre en suspicion la régularité de la vie de leurs épouses, la
puissance surnaturelle des djinn vient les venger de tout soupçon
d’infidélité.


           _Abstinence de la chair de poissons et d’oiseaux._


Encore un caractère distinctif des Touâreg, et l’un des plus
remarquables !

Le Sahara est le pays de la famine, et, en général, tous les Sahariens,
non Touâreg, mangent tout ce qui tombe sous leur main, même les viandes
qui répugnent aux peuples civilisés : entre autres celles du chien, du
lézard, etc., etc. Le poisson, la chair et les œufs des oiseaux sont
pour eux pain bénit.

Plus pauvres que leurs voisins arabes, les Touâreg devraient être moins
difficiles encore sur le choix de leurs aliments. Loin de là, les
ihaggâren (les nobles) n’admettent guère dans leurs repas que les
viandes de chameau, de mouton et de chèvre, et repoussent, comme
immondes, les poissons, les oiseaux et leurs œufs.

Non-seulement ils ont une répugnance instinctive pour la chair de ces
animaux, mais encore ils n’aiment pas à en voir faire usage. Ainsi,
quand les esclaves nègres, qui n’ont pas les mêmes scrupules de
conscience pour s’abstenir, ont mangé du poisson, il leur est interdit,
pendant un temps plus ou moins long, de boire dans les vases servant à
l’usage commun.

Interroge-t-on les Touâreg sur les motifs de cette abstinence
exceptionnelle, ils répondent ne pas savoir quelles raisons leurs pères
ont eues pour proscrire de leur nourriture le poisson et les oiseaux,
mais qu’ils s’en abstiennent comme tous les bons musulmans, eux compris,
s’interdisent l’usage de la viande de porc.

Cependant, tous les Touâreg ne partagent pas la répugnance commune ;
ainsi, les marabouts, qui ont le plus complétement rompu avec les
anciennes traditions du paganisme, mangent-ils du poisson, de la
volaille, des œufs, comme de tous les autres aliments que le Coran
n’interdit pas.

Les serfs et les esclaves aussi, à l’imitation des marabouts, mangent
les poissons qu’ils pêchent dans les lacs de leurs montagnes. Mais,
malgré ces exemples, les nobles des Azdjer et des Ahaggâr, chez lesquels
la tradition des cultes antérieurs à l’islamisme est plus vivace,
s’abstiennent et croiraient faillir à leurs quartiers de noblesse en ne
se conformant pas à la tradition.


                       CONCLUSION DE CE CHAPITRE.


Sans doute, ces caractères ne suffisent pas encore pour autoriser le
classement des Touâreg dans l’une ou l’autre des races de la grande
famille humaine, mais déjà ils fournissent à l’observation des éléments
de comparaison assez nombreux pour guider les recherches ultérieures.

J’ai attaché une grande importance à l’étude de ces caractères
distinctifs, parce que les Touâreg, surtout ceux du Nord, me paraissent
avoir le mieux conservé, à travers les âges, les coutumes, les mœurs et
les habitudes des anciens Berbères ; parce que la connaissance du type
le plus pur me semble un commencement sérieux de conquête sur l’inconnu.


[Note 120 : Traduction française par M. le baron de Slane. Alger, 1852.
Tome I, p. 199 et 200.]

[Note 121 :

              NOTES EXPLICATIVES DE LA PLANCHE CI-CONTRE.

Les inscriptions du no 1 au no 12 inclusivement ont été copiées sur des
blocs de grès détachés de la berge de l’Ouâdi-Tamioutîn. Elles doivent
être anciennes et sont peut-être incomplètes, car il est facile de
reconnaître des brisures dans les pierres. Les quatre premières
appartiennent à un bloc, et les huit dernières à un second bloc. Les
lettres ont 6 centimètres de hauteur en moyenne, le trait en est large
et peu profond. Le dessin de chameau qui figure au bas de la planche a
été copié sur un bloc voisin des inscriptions.

Les inscriptions du no 13 au no 24 sont de la source d’Ahêr ou des
grottes et des rochers environnants. Parmi un très-grand nombre, j’ai
choisi les moins frustes, et je doute encore qu’elles soient toutes
complètes. L’une d’elles, le no 15, _Ouinek anislim_ (moi, musulman),
semble révéler une origine ancienne, car il y a longtemps déjà que les
Touâreg n’ont plus besoin d’attester leur foi par des témoignages
extérieurs. Des sujets, représentant des autruches et des chameaux,
appellent mon attention ici comme dans l’Ouâdi-Tamioutîn.

Les inscriptions du no 25 au no 28 et celles du no 29 au no 32
proviennent : les premières de l’Ouâdi-Alloûn, les secondes du monument
romain de Djerma.

Ces sortes d’inscriptions sont tellement communes dans certaines parties
du pays des Touâreg que, si on allait à leur recherche, on en trouverait
en très-grand nombre, surtout dans les lieux qui sont d’anciens centres
d’habitation.]




                              CHAPITRE V.

                   TOUÂREG DANS LEUR VIE INTÉRIEURE.


Les Touâreg étant nomades, pasteurs, musulmans, et habitant le désert,
leur vie intérieure a beaucoup d’analogie avec celle des Arabes nomades
de la même région. La manière de vivre de ces derniers étant connue, je
la prendrai pour terme de comparaison.

J’entrerai peut-être dans des détails qui, au premier abord, peuvent
paraître surabondants. J’ai eu l’heureuse chance de voyager en tribu, de
voir, d’observer la vie du peuple târgui ; je puis donc essayer de la
raconter, ce qui n’a pas encore été fait.


                      _Campements. — Habitations._


Les Touâreg ont des campements de station et des campements de marche.

Dans leurs campements de station, toujours choisis près des points les
plus riches en eaux et en pacages, les nobles habitent la tente, les
serfs la chaumière.

Un grand camp de tentes est un _âmezzâgh_ ; un petit camp, un
_êrhêouen_.

L’habitation, qu’on appelle tente, comprend :

Un _velum_ ou abri contre les intempéries des saisons, tantôt en tissu
de chaume, _êhen_, tantôt en peau, _ehakît_, tantôt en laine,
_abêrdjen_ ;

Un pilier, support de la couverture, _têmankaït_ ;

Des piquets, _âmateïté_.

Un groupe de chaumières, au nombre de six à douze environ, dans lequel
les familles consanguines se concentrent pour se protéger en cas
d’attaque, mais pas assez pour se gêner, constitue une _taousit_ ou
tribu.

Généralement, les réunions de tentes sont disposées en rond, comme les
_douâr_ des Arabes ; l’espace circulaire qu’elles laissent entre elles,
la cour, dans laquelle on réunit les troupeaux pour la nuit, porte le
nom de _tasaguîft_.

La tente a la forme de la _kheïma_ arabe ; mais elle est beaucoup plus
petite.

Les peaux de l’_ehakît_ sont tannées, peintes en rouge et bien cousues.

La chaumière, _tîkabert_, dont les murailles sont en branchages et les
toits en roseaux et en paille de marais, ressemble assez au _gourbi_ des
indigènes de l’Algérie, quoique généralement plus grande.

Pour le climat du Sahara, ces deux habitations sont d’assez médiocres
abris.

Dans les campements fixes des serfs, chaque habitation a souvent son
petit jardinet, avec une haie sèche en palmes, dans lequel on cultive
quelques légumes. Ce petit potager porte le nom d’_âfaradj_.

En marche, à l’exception des nobles et des riches, qui ont des tentes,
la masse campe en plein air, sans ordre, au milieu des bagages, en se
servant de ces bagages, _kâya_, comme abri contre le vent.

Quoique voyageant avec les chefs, et pendant huit mois, je n’ai peut-
être pas vu dix tentes.


                       _Mobilier. — Ustensiles._


Le mobilier d’un ménage târgui comprend :

Des nattes en sparterie, _êhen_, tenant lieu de plancher ;

Des nattes paravent, _âsalâ_ ;

Des tapis en laine, de diverses couleurs, _tâhouârt_, très-rares ;

Des tapis en laine, rouges, _tâgdoûmfest_, également rares ;

Des peaux de bœuf tannées, _îserkow_, servant de table à manger ;

Des matelas, _ettorâh_ ; des oreillers, _âsâmou_ ; des couvertures,
_elbottânîet_ ; des lits, _tâftaq_ ; mais ces objets de luxe sont à
peine connus même des chefs, la plèbe se contentant de l’_âdebên_ ou lit
creusé dans le sable avec la main ;

Des coussins en cuir, _âdafôr_ ;

Des corbeilles en sparterie, _tarhéennat_ ;

Des sacs en peaux, _âdjerâ_ ou _ârheredj_, tenant lieu d’armoires et
fermés à l’aide d’une clef, _asârou_, au moyen d’un cadenas, _tenâst_ ;

Des cages à dromadaire, _takhâouit_, avec leur couverture, _âhenneka_,
pour abriter les dames en voyage ;

Des bâts d’âne, _eroûkkou_ ;

Des outres, _abeôq_, pour les provisions d’eau ;

Des seaux en cuir, _adjâ_, et des cordes, _erhorêfi_, pour puiser
l’eau ;

Des outres, _tânouart_, pour le lait ;

Des gourdes, _titakalt_, tenant lieu de vases ;

Des cruches en terre, _îmekî_ ;

Des cruches en bois, _tahattint_, pour le beurre ;

Des vases en bois, _akoûs_, pour boire ;

Des tasses, _têbênt_ ;

Des plats en bois, _târhelâlt_ : grands, _ârhelâl_ ; petits,
_târhehoût_ ;

Des vases en fer battu, _êrhêr_ : ceux pour manger, _êrhêr-wân-efoûs_ ;
ceux pour se laver, _êrhêr-wân-emoûd_ ;

Des cuillers en bois, _tesôkalt_ ;

Un mortier en bois, _âkabar_, pour remplacer le moulin à bras des
Arabes, avec un pilon en pierre, _tîndi_, pour écraser les grains dans
le mortier ;

Une lampe, _tâftîlt_ ;

Des miroirs, _tîsit_ ;

Des violons, _amzhâd_ (la _rebâza_ des Arabes), avec leur archet,
_tadjegnhé_ ;

Si, à ces principaux ustensiles, on joint quelques menus objets, on aura
l’inventaire de tout le mobilier d’une famille târguie ; cependant il ne
faut pas que j’oublie l’écuelle, _êbedjî_, du chien, ce fidèle gardien
de la maison.


           _Vêtements. — Coiffures. — Chaussures. — Parures._


Les Touâreg, nobles et serfs, portent les mêmes vêtements, plus ou moins
beaux, plus ou moins nombreux, suivant leur richesse respective.

Presque tous ont une chemise longue, _tikamist_, à manches,
_îhenfâssen_, le tout en toile de coton blanc.

Ceux qui n’ont pas la chemise portent une blouse large, _refîrha_,
également en toile de coton blanc, mais très-forte.

Un long pantalon large, _karteba_, à la façon de ceux des anciens
Gaulois, en toile de coton bleue, lustrée, provenant du Soûdân, couvre
la partie inférieure du corps, de la ceinture à la cheville du pied.

Une longue blouse, _tikamist-koré_ (le _tob_ des Arabes), en toile de
coton bleue, teinte à l’indigo, lustrée, sert de pardessus.

Des broderies, _êzhiren_, décorent ce vêtement ; des poches, _alhîb_, le
rendent utile pour serrer le mouchoir, _elmakharmet_, la tabatière, la
pipe et ses accessoires.

Une ceinture en coton bleu, _tâmentika_, ou _tachêrbit_ quand elle est
en laine rouge, fixe ce pardessus au niveau de la taille et donne de la
tournure à ce vêtement.

Quelques-uns ont le pardessus en peau ; c’est même un vêtement estimé.

Ceux des Touâreg qui ont des relations avec les Arabes portent
quelquefois, par fantaisie, différentes pièces de leurs vêtements : la
_gandoura_, qui est une longue robe, _akhbay_ ; le _haïk_, longue pièce
d’étoffe de laine, _elhaouli_, ordinairement blanche, mais quelquefois
teinte en bleu ; alors elle prend son nom de sa couleur, _ennîl_.


Une longue calotte rouge de Tunis, _tekoûmbout_, avec un gland en soie,
sert de coiffure.

Le voile, _tiguêlmoust_, couvre la tête, le front, la nuque, la figure
et le cou. C’est une longue pièce de toile de coton, peu large, teinte à
l’indigo et lustrée d’un côté, qu’on arrange de façon que les yeux seuls
soient visibles, et encore sont-ils masqués par un large pli qui forme
en avant une sorte de visière. Le _tiguêlmoust_ est fabriqué au Soûdân.

La partie du voile qui recouvre la tête s’appelle _îtelli_.

Ceux trop pauvres pour acheter cette pièce se voilent avec de la gaze
blanche d’Europe, _achchâch_, qu’ils roulent autour de la tête en forme
de turban.

Pendant la saison des grandes chaleurs, les voyageurs sahariens portent
volontiers un grand chapeau de paille parasol, _têli_, mais cette
coiffure est rarement adoptée par les Touâreg.


La chaussure consiste en une forte et large semelle composée de quatre
épaisseurs de cuir de chameau, habilement cousues avec des lanières de
cuir, et en une bride à trois attaches, posée sur la semelle, sous forme
de trépied ; deux des attaches, plates, posées latéralement comme les
brides de nos sabots découverts, servent à maintenir le cou-de-pied ; la
troisième, arrondie, de la grosseur du petit doigt, est fixée sur la
ligne médiane de la semelle, en un point central, à peu près à égale
distance de son rebord circulaire. Cette troisième attache, introduite
entre le gros orteil et le premier doigt, sert à asseoir l’ensemble du
pied sur la semelle. Le dessus de la semelle et les brides sont en peau
de chèvre maroquinée, de couleur rouge, avec des dessins variés. (Voir
planche XXV, fig. 9.)

Les chaussures ou sandales faites à Kanô (Soûdân) sont appelées
_irhâtimen_, celles fabriquées dans le pays, _îmerkeden_.

Les chefs ont quelquefois des bottes molles en maroquin, _ibôhadjen_.

La chaleur du sol, sa nature pierreuse et sablonneuse empêchent les
Touâreg de marcher pieds nus comme les Arabes.

Les pauvres seuls n’ont pas de chaussure.

Tel est, avec un chapelet, _îçedhenen_, autour du cou, le costume
national.

Les chefs y ajoutent quelquefois, à la manière arabe, un gilet, une
veste à manches, un burnous en drap de couleur rouge ou bleu clair. Le
rouge est préféré.


Le costume des femmes est plus simple encore.

Il comprend une, deux ou trois longues blouses de coton, _tikamist-
koré_, serrées autour de la taille par une ceinture de laine rouge,
_tachêrbit_.

Par-dessus ces blouses, une longue pièce de laine, tantôt blanche,
_alhaouli_, tantôt rouge, _tabarrakamt_, tantôt à bandes rouges et
blanches, _tâbrogh_, dans laquelle elles se drapent à la façon
orientale, achève de couvrir leur corps.

La coiffure consiste en bandeaux faits avec les cheveux, qu’elles
recouvrent d’une pièce d’étoffe, _îkar-hay_, plus ou moins riche, en
laine ou en coton, et dont elles encadrent leur face.

La chaussure est la même que celle des hommes, mais plus légère et plus
ornementée.


Les seuls objets de parure à leur usage sont :

Des bagues, _tîsak_ ;

Des bracelets en verre, _tihokaouîn_, ou en argent, _îouoki_ ;

Quelques grains de verroterie, _tâserhâlt_.

Avec d’aussi minces éléments de toilette, les femmes trouvent cependant
le moyen de rappeler la pose altière des déesses de l’antiquité. Le
mariage de couleurs tranchantes se prête à de nombreuses combinaisons
qui sont étudiées avec soin.


            _Aliments. — Boissons. — Thé. — Café. — Tabac._


Jamais peuple ne fut plus pauvre en ressources alimentaires ; aussi, à
l’exception d’une bouillie, _asînk_, ne trouve-t-on pas chez les
Touâreg, comme ailleurs, un mets national, base de leur nourriture.
Chacun mange ce qu’il trouve ou ce qu’il peut se procurer au plus bas
prix possible, généralement en petite quantité et tout juste ce qu’il
faut pour ne pas mourir, excepté dans le cas où l’occasion se présente
de manger gratuitement ; car alors l’appétit, surexcité par la
gourmandise, ne connaît pas de limites.

Les Touâreg, comme tous les animaux de leur pays, supportent
admirablement la faim et la soif. Il est de notoriété publique parmi eux
qu’un homme, contraint par la nécessité, peut voyager sans boire ni
manger pendant plusieurs jours. Alors, pour supporter plus facilement la
privation, on se serre le ventre avec une courroie ou avec une ceinture.

En voyage, les Touâreg ne mangent qu’une fois, quand la marche de la
journée est terminée. L’unique repas se dit _azhebri_.

En station, ils font deux repas : le déjeuner, _âmeklî_ ; le dîner,
_amedjîn_.


Par le nombre des matières premières qui entrent dans l’alimentation, il
est facile de se convaincre que le pays ne suffit pas aux besoins de ses
habitants.

Je les énumère ici par ordre de nature :

_Graines_ : blé, orge, sorgho, millet, _toûlloûlt_ (graine de
l’_arthratherum pungens_) ;

_Fruits_ : dattes, figues, raisin sec, jujube sauvage, fruits du
_Salvadora Persica_ ;

_Légumes domestiques_ : oignons, tomates, aubergines, melons, pastèques,
concombres, courges, citrouilles, potirons ;

_Légumes sauvages_ : les principaux sont connus sous les noms indigènes
de _tânekfâït_, _harharha_, _tanesmîm_, _inekkân_, _azezzedja_ ; ils
sont principalement fournis par la grande famille botanique des
Crucifères ;

_Viande d’animaux domestiques_ : chameau, mouton, chèvre ;

_Viande d’animaux sauvages_ : mouflon, antilope, gazelle, gerboise, rat
des champs, sauterelles, vers ;

_Condiments_ : lait, beurre, huile, graisse, suif, miel, cassonade,
gomme, ail, poivre, poivron, sel et un piment du Soûdân, la _chitta_ ;

Des fromages, importés du pays d’Aïr, complètent la liste des ressources
alimentaires des Touâreg.

Le riz, _tâfarhat_, abondant dans tout le Soûdân occidental, est
quelquefois acheté par les caravanes comme provisions de retour ; on le
mange cuit et assaisonné comme le pilau dans le Levant.


Avec les farines du blé, de l’orge et du _toûlloûlt_, soit prises
isolément, soit mélangées, on fait quelques galettes, mais
principalement une bouillie cuite, grossière et épaisse, qui rappelle le
brouet des anciens Spartiates.

Cette bouillie, qui est la base de la nourriture des Sahariens, porte,
suivant les contrées, les noms d’_asînk_, _táraouit_, en temâhaq, et
d’_’açîda_, en arabe.

La même bouillie, non cuite, la _mohamsa_ des Arabes, est appelée
_tikhammazîn_ par les Touâreg.

Le _kouskousou_, mets national des Arabes, apparaît quelquefois, mais en
de rares circonstances, sur la table des nobles et des marabouts ; on
lui a conservé son nom, _kaskasoû_, ce qui constate son origine
étrangère.

Dans les jours de fête aussi, on prépare une pâtisserie, _alkâk_, sorte
de gâteau à base de farine, lait, beurre et miel.

Avec les farines du gâfoûli et du gueçob, on fait aussi des bouillies,
mais principalement des crêpes, _elfêtât_, que les Arabes appellent
_cherchîch_.

Dans les villes seules on fabrique du pain :

Frais, on le nomme _takeïa_ et _tadjella_ ;

Biscuité, pour l’usage des caravanes, _takeïa-taqqôret_.

La datte (_âheggarh_ pl. _îheggarhen_), la figue et la jujube sont
souvent mangées en nature ; le raisin sec est mis dans les ragoûts.

La datte, pilée dans de l’eau et du beurre, constitue le _târekît_ ;

Pétrie avec la farine du gueçob et du piment, et mise en gâteaux crus,
sous forme de petits bondons, elle constitue le _takodart_, conserve que
l’on mange ensuite en la délayant dans de l’eau.

Les légumes de jardins ne se trouvent que près des villes ou des
campements fixes des serfs ; ils sont assez peu abondants pour qu’on ne
les mange jamais secs ; les légumes sauvages constituent souvent la
principale ressource des malheureux.

On les cuit à l’eau et au sel, avec ou sans beurre ou graisse.

Ordinairement, on ne tue d’animaux domestiques que pour célébrer la
bienvenue d’un hôte.

Le repas de l’hospitalité, _âmadjârou_, doit toujours être assez copieux
pour rassasier trois ordres de convives : l’hôte, _âmadjâr_ ; le voisin,
_anâradj_, qui, sous prétexte d’honorer l’étranger, ne manque jamais
l’occasion de remplir son ventre ; et le mendiant, _dadâla_, auquel
reviennent de droit les miettes du festin.

Suivant le rang du visiteur et la fortune du visité, c’est tel ou tel
animal qui est égorgé : la jeune chamelle grasse est le grand extra de
l’hospitalité ; viennent ensuite, par ordre de mérite, le chamillon, le
chameau, le mouton, la brebis, le chevreau et la chèvre.

Les viandes de ces animaux sont mangées en rôti ou en ragoût.

Les Sahariens excellent dans l’art du rôtisseur, quoiqu’ils n’aient pour
tout appareil qu’une broche en bois, deux piquets fourchus, plantés au-
dessus de tisons ardents.

Bien que les viandes des animaux nourris avec les plantes odorantes du
Sahara aient généralement du goût, on augmente encore leur fumet en les
garnissant des mêmes espèces odorantes.

Les viandes en ragoût sont ou pilées dans du beurre, ou découpées en
petits morceaux et cuites, avec assaisonnements, dans des vases en terre
ou en fer étamé. Les ragoûts de la première espèce sont des
_tâlebadjdjat_, les seconds des _ikerrâyen_.

Quoique cette cuisine ne ressemble pas à la nôtre et se recommande
surtout par les épices, elle est cependant bonne, et ceux qui sont admis
à la goûter la trouvent délicieuse.

Mais voici le revers de la médaille !

Pendant que le grand seigneur, _âhaggar_, le maître, _mess_, se régalent
d’une manière aussi somptueuse, il n’est pas rare de voir la plèbe des
pauvres, _talekki_, prendre leur part de la fête en mangeant la peau de
l’animal sacrifié, si cet animal est un mouton ou une chèvre. A cet
effet, après avoir ébouillanté la peau pour en détacher le poil, on la
découpe en petites lanières, sous forme de vermicelle, puis on la fait
cuire ou frire, suivant qu’elle est supposée dure ou tendre.

J’ai été initié à ce détail de mœurs d’une assez singulière façon. En
route, à l’occasion, j’achetais quelquefois une chèvre ou un mouton pour
ma nourriture et celle de mes serviteurs. D’après l’usage, la peau de
ces animaux revient de droit à celui qui a eu la peine de le tuer, le
nettoyer et le dépecer. Un beau jour, une bête ayant été abattue, un de
mes serviteurs, qui n’avait pas droit au pourboire de la peau, vint me
la demander, au détriment d’un de ses camarades. A ma question :
« Pourquoi il voulait me faire commettre une injustice ? » il me
répondit : « J’ai une femme et des enfants qui souffrent peut-être de la
faim, moi absent, et je la leur enverrai pour la manger. » Je me fis
expliquer comment on faisait du vermicelle avec la peau d’un mouton, et,
en homme qui n’avait jamais été réduit à un tel mets, je payai la leçon
le prix d’un mouton, pour que la pauvre femme et les pauvres enfants
pussent au moins en goûter la viande, ce qui leur était arrivé bien peu
souvent. Probablement ma charité n’a pas reçu sa destination, car mon
malheureux serviteur aura englouti mon argent dans son escarcelle, et
j’en suis à me demander si je n’ai pas commis une mauvaise action, en
refusant à une pauvre famille le régal d’une peau de mouton.

La viande des mouflons, des antilopes et des gazelles, chassés dans les
dunes pour les besoins de la boucherie, est séchée et gardée
précieusement pour les voyages. Cet article est l’objet d’un commerce
assez important à Ghadâmès.

La chair de ces animaux sauvages est excellente, et serait très-
appréciée si elle pouvait arriver sur nos marchés.

Les sauterelles, considérées comme un fléau dans le Tell, sont une
bénédiction de Dieu dans le Sahara. On les sale, ou on les confit dans
l’huile pour les conserver.

Le poisson, fourni par les lacs du plateau du Tasîli, est mangé frais,
mais par les serfs et les nègres seulement.

Avec les vers des lacs du Fezzân, on fait une pâte alimentaire dont le
goût rappelle celui des crevettes ; c’est presque une friandise dans un
pays si dépourvu, mais les Fezzaniens seuls en font usage, en délayant
cette pâte dans leurs sauces.

Le lait est la base essentielle de la nourriture des Touâreg ; dans la
saison des pâturages, ils ne consomment guère autre chose. En toute
saison, il fournit le principal condiment de l’alimentation.

Le lait pur se dit _akh_ ou _akh-wâkafâyen_, le lait aigre _akh-wân-
tenouârt_, le lait caillé et écrémé _aoulîs_.

On fait peu de beurre, _oûdi_, le lait étant presque tout consommé en
nature.

Par la même raison, le _caseum_ manque pour les fromages. Ceux que l’on
consomme chez les Touâreg du Nord, fromages secs, _tikammârin_, viennent
du pays d’Aïr et du Soûdân.

L’huile, _ahatîm_, le suif, _tâdent_, et la graisse (suif fondu),
_îsîm_, viennent du Nord.

Avec le beurre, ces trois matières grasses, toujours rares, sont les
seuls assaisonnements de la nourriture.

Les Touâreg ont, pour remplacer le sucre, trois sortes de miel : le
_toûraout_, de qualité supérieure, le _tâment_ et le _kharnît_, de
qualité inférieure. (Voir liv. II, chap. III, page 241.)

La gomme, _tahaha_, produite par l’_Acacia Arabica_, est souvent mangée,
à défaut d’autre aliment, avant qu’elle soit concrète.

Tout le sel, _tîsemt_, employé dans les aliments, vient de la sebkha
d’Amadghôr, ou des salines du Fezzân.


Les boissons en usage chez les Touâreg sont :

L’eau, le lait pur, le lait coupé, le lait aigre et le lait caillé.

Ils font une boisson rafraîchissante avec de la farine de sorgho, du
fromage du Soûdân, du poivre et des dattes ; elle se nomme _aghâhara_.

Dans les oasis, à l’occasion, ils font usage de la séve de palmier, le
_lâgmi_ des Arabes, qu’ils appellent _ilâjbi_ ; mais ils ne la boivent
pas fermentée.


Le thé en infusion, le café en décoction sont des boissons de luxe que
les chefs seuls connaissent. Ces articles, de provenance étrangère, sont
à un prix si élevé que la masse, trop pauvre, ne peut s’en procurer.

L’usage du tabac, _tâberha_, _tâba_, est presque général chez les
Touâreg, car, à l’exception des marabouts, hommes et femmes fument et
prisent ou chiquent, les femmes moins que les hommes cependant.

Le tabac employé vient du Fezzân, de Tripoli, du Soûf ou du Touât,
contrées où on le cultive en assez grande quantité. Il est d’une qualité
très-inférieure.

L’arsenal du fumeur se compose d’une blague en peau, _abelboûdh_, et
d’une pipe composée d’un fourneau, _tekoûgna_, et d’un tuyau, _annefêr_.
Un chapeau en cuivre, fixé au tuyau par une chaînette, couvre le
fourneau, précaution très-utile pour éviter les incendies et qui devrait
bien être imitée en Algérie.

La tabatière consiste en un segment de roseau. Le tabac prisé est en
poudre très-fine.

Le tabac de chique est toujours mélangé avec du natron, pour atténuer
les effets de l’âcreté du tabac, mais le correctif est loin d’être
innocent, car son usage gâte promptement les dents.


                      _Religion. — Superstitions._


Les Touâreg sont musulmans, mais à l’exception des marabouts et de
quelques hommes pieux, ils ne pratiquent pas.

L’islamisme impose aux vrais croyants de nombreuses obligations : la
prière, précédée d’ablutions, le jeûne du ramadhân, le pèlerinage à la
Mekke, l’aumône, etc.

Comment les Touâreg pourraient-ils s’acquitter de ces prescriptions ?

La prière et le pèlerinage exigent du temps, le jeûne et l’aumône
supposent le superflu, et ils n’ont ni l’un ni l’autre.

A peine compterait-on chez les Touâreg du Nord une trentaine d’individus
ayant visité le tombeau du prophète, quoique le titre de _hâdj_ soit
très-considéré chez eux ; c’est que, pour aller à la Mekke, il faut être
riche et avoir quelqu’un qui, en l’absence du chef de la famille,
réponde de sa sécurité.

L’aumône ne saurait être pratiquée dans un pays qui semble avoir pour
loi générale de vivre aux dépens d’autrui.

Ainsi, les principales prescriptions de l’islamisme ne sont pas
observées.

D’ailleurs, rien au milieu d’eux qui rappelle aux devoirs religieux :
pas d’imâm, pas de mufti, pas de mosquées, pas de chapelles. La zâouiya
de Timâssanîn est une exception comme le marabout Si-’Othmân, qui en est
le chef ; aussi les Arabes disent-ils des Touâreg : « _ma’andhoum-ed-
dîn_, ils n’ont pas de religion. »

Le reproche d’impiété que les Arabes formalistes adressent aux Touâreg
n’est cependant pas complétement fondé, car si, comme tous les hommes
aux prises avec les difficultés matérielles de l’existence, ils sont
forcés de négliger la forme, ils pratiquent la morale mieux que les
Arabes.

Néanmoins, les Azdjer reconnaissent l’autorité spirituelle du sultan de
Constantinople, et les Ahaggâr, comme les Touâtiens, celle de l’empereur
du Maroc, pour lesquels ils font la prière officielle dans les grandes
solennités.


Si on interroge les croyances, les superstitions des Touâreg, on
retrouve vivantes encore dans leurs âmes les traces des diverses
religions qu’ils ont professées.

Leur Dieu est _Amanaï_ (l’Adonaï de la Bible) ; il est unique ;

Le ciel, _adjenna_, le paradis, _idjennaouen_, où l’homme reçoit la
récompense de ses bonnes actions après la mort, est habité par les
anges, _andjeloûs_ pl. _andjeloûsen_ (ἄγγελος, _angelus_) ;

L’enfer est _tîmsi-tân-elâkhart_, le dernier feu ;

Le diable, _iblîs_, y règne.

La croix se trouve partout : dans leur alphabet, sur leurs armes, sur
leurs boucliers, dans les ornements de leurs vêtements. Le seul tatouage
qu’ils portent sur le front, sur le dos de la main, est une croix à
quatre branches égales ; le pommeau de leurs selles, les poignées de
leurs sabres, de leurs poignards, sont en croix.

Les selles des chameaux sont garnies de clochettes, quoique partout
l’islamisme ait détruit et repoussé la cloche comme une sorte de cachet
du christianisme.

Dans les mœurs, les traces du christianisme sont encore plus évidentes :
la monogamie, le respect de la femme, l’horreur du vol, du mensonge,
l’accomplissement de la parole donnée, etc., etc.

Quoique musulman, le târgui n’a jamais qu’une femme ; quoique musulmane,
la femme est l’égale de son mari en toutes choses.

Ebn-Khaldoûn semble douter que les Sanhâdja Lithâmiens aient jamais été
chrétiens, et il affirme même qu’ils professaient le magisme quand ils
ont été si difficilement convertis à l’islamisme ; car, d’après les
historiens du temps, ils ont renié quatorze fois leur nouvelle religion.

Probablement, ils n’ont pas été meilleurs chrétiens qu’ils ne sont
aujourd’hui bons musulmans. Les traditions païennes devaient, à cette
époque, comme de nos jours, dominer dans leurs croyances.


Souvent, soit pour le commerce, soit pour le pillage, les Touâreg vont
en expéditions lointaines et, pendant ces longues absences, leurs
familles sont privées de leurs nouvelles. Pour se mettre en
communication avec ceux qui leurs sont chers, les femmes, parées de
leurs vêtements et ornements les plus riches, vont se coucher sur les
anciennes tombes, où elles évoquent l’âme de celui qui les renseignera.
A leur appel, _Idebni_, un esprit, se présente sous la forme d’un homme.
Si l’évocatrice a su plaire à l’esprit, Idebni lui raconte tout ce qui
s’est passé dans l’expédition ; dans le cas contraire, il l’étrangle. Il
va sans dire que les femmes, connaissant les exigences d’Idebni, font si
bien qu’elles reviennent toujours avec des nouvelles qui, dit-on, sont
confirmées par les voyageurs à leur retour.

Pomponius Mela (_Afrique intérieure_, ch. IX) constate la haute
antiquité de cette superstition : « Les Augiliens, dit-il, ne
reconnaissent d’autres divinités que les âmes des morts. Ils ne jurent
que par elles et ils les consultent comme des oracles ; à cet effet,
après avoir expliqué leur demande, ils se couchent sur quelque tombeau
et reçoivent la réponse en songe. »

_Augilæ manes tantum Deos putant ; per eos dejurant ; eos ut oracula
consulunt : precatique quæ volunt, ubi tumulis incubuere, pro responsis
ferunt somnia_.

L’oasis d’Aôudjela, où les mânes étaient consultés comme des oracles,
est la première station que l’histoire et la tradition assignent aux
peuples objet de cette étude.

La perpétuité de cette superstition est d’autant plus étrange, qu’à part
cette évocation exceptionnelle des âmes les Touâreg ont horreur de tout
ce qui leur rappelle le souvenir des morts. Ils n’en parlent jamais, ne
veulent pas qu’on en parle devant eux, qu’on prononce leurs noms, et,
quand une tombe se rencontre sur leur route, ils l’évitent avec le plus
grand soin.


Mais rien n’est comparable à la croyance aux génies, _âlhîn_, _âlhînen_,
êtres surnaturels, auxquels l’imagination donne la forme humaine, avec
des cornes, une queue et du poil pour vêtements.

D’après la tradition orientale, les génies sont partout, mais chez les
Touâreg Azdjer, les _âlhînen_ occupent un pâté de montagnes isolées qui
leur est entièrement abandonné et où nul n’oserait pénétrer.

Cette montagne est située sur la route des caravanes de Ghadâmès à Rhât,
près la chaîne de l’_Akâkoûs_, à 30 kilomètres au Nord de Rhât. Les
Arabes l’appellent _Qaçar-el-Djenoûn_, les Touâreg _Idînen_.

Ce palais enchanté, dont on distingue tous les détails de la route, est
composé d’une série d’énormes blocs de pierres lavées par les eaux et
représentant les formes les plus bizarres. Pour peu que l’imagination
vienne vivifier ces masses inertes, on y voit des temples, des
fortifications, des tours, des châteaux, tout ce que l’on veut. (Voir la
planche ci-contre.)

On raconte qu’un individu ayant cherché à y entrer par la gouttière
d’écoulement des eaux, y trouva, au centre, un cimetière de grands
tombeaux de païens, _djohâla_, qui lui inspira une frayeur à le faire
rebrousser chemin.

Une plantation de palmiers, affirme-t-on, existerait dans l’intérieur de
ces montagnes qui ont la forme d’un fer à cheval. On aurait la preuve de
ce fait par les troncs de palmiers trouvés, à l’époque des grandes
pluies, dans les eaux qui descendent d’Idînen dans le lit du
_Tânezzoûft_.

M. le docteur Barth a entrepris d’explorer la montagne d’_Idînen_, mais
nul târgui n’a voulu l’y accompagner. Sans guide, il s’est perdu, et,
sans eau, sans vivres, sous un ciel ardent, il a failli périr de soif et
de faim, à ce point qu’il a dû ouvrir une de ses veines pour en boire le
sang. Bien qu’il n’y eût rien que de naturel dans le grave danger couru
par l’intrépide voyageur, les Touâreg y voient une preuve de plus de
l’impossibilité de pénétrer impunément dans le domaine des génies.

Quand j’ai témoigné à Ikhenoûkhen le désir de visiter la montagne
d’Idînen, il en fut aussi effrayé que s’il s’était agi de la chose la
plus difficile du monde. Je n’insistai pas.

Inutile de dire que M. le docteur Barth, qui a parcouru en détail les
monts Idînen, n’y a trouvé ni cimetière, ni palmiers.

Chez les Ahaggâr, le mont Oudân est aussi abandonné aux âlhînen et nul
n’y pénètre. Les génies qui l’habitent auraient, dit-on, l’humeur
batailleuse, car on raconte qu’ils viennent attaquer leurs frères, chez
les Azdjer, et qu’on entend parfois le bruit de leurs combats.

Pl. XXIII. Page 416. Fig. 37 et 38.

[Illustration : Fig. 1. — VUE ISOLÉE DE L’IDÎNEN OU QAÇAR-EL-DJENOÛN,

Réputé la demeure des esprits chez les Azdjer.]

[Illustration : Fig. 2. — VUE DE L’IDÎNEN ET DE L’AKÂKOÛS.

D’après les profils relevés à la boussole par M. H. Duveyrier.]

Chez les Touâreg d’Aïr, les génies occupent une oasis enchantée que
personne ne connaissait lorsque la découverte en fut faite de la manière
suivante :

Un târgui de la vallée de l’Ouâdi-Tâfasâsset, après avoir abreuvé ses
chameaux aux puits de son campement, les conduisit au pâturage dans un
désert du côté du pays des Teboû, où il les abandonna, selon l’habitude,
les chameaux revenant toujours vers les puits quand ils ont soif. Cette
fois, les chameaux furent très-longtemps à reparaître, et quand ils
rentrèrent leurs crottins étaient pleins de noyaux de dattes.

D’où venaient-ils donc ? on ne connaissait pas de dattiers dans le pays.

Intrigué de cette découverte, le propriétaire des chameaux suivit leurs
traces. Elles le conduisirent au milieu des sables, à une plantation de
dattiers arrosés par des sources. Il mangea des dattes, en remplit une
outre, après quoi il monta un de ses chameaux pour regagner sa demeure.

Quel ne fut pas son étonnement, quand, après avoir voyagé toute la nuit,
il se retrouva, au point du jour, à la source qu’il avait quittée la
veille !

Peut-être l’obscurité l’a-t-elle empêché de reconnaître sa route ?

Il se remet en marche et voyage tout le jour. Au soir, il est encore au
même point.

A bon entendeur, salut ! Notre târgui a compris que le génie
conservateur de la plantation ne veut pas qu’il emporte des dattes. Il
vide donc son outre et repart ; mais, après une longue marche, la source
fatale est encore là. Alors le târgui fouille son bagage, et il y trouve
une datte oubliée. C’est là la cause de l’enchantement. Il la jette, se
remet en route et arrive enfin pour raconter à ses contribules
l’histoire de ses mésaventures.

Personne n’a mis en doute son récit, mais nul n’est allé à la recherche
de l’oasis enchantée.

Il y a probablement aussi un territoire réservé aux alhînen chez les
Aouélimmiden, de sorte qu’il y aurait, dans chaque grande fraction
târguie, une tribu de génies correspondant à chacune d’elles.

En voyant, au XIXe siècle, les Touâreg assigner, au milieu de leurs
campements, un territoire aux génies, et respecter ce territoire comme
inviolable, on est tout étonné de retrouver une tradition qui remonte
aux premiers âges de l’histoire.

Pomponius Mela place dans les montagnes, aujourd’hui occupées par les
Touâreg, « des peuples plus qu’à demi sauvages, qui méritent à peine
qu’on les mette au rang des hommes et qu’on nomme les Égipanes, les
Blemyens, les Gamphasantes et les Satyres, qui, n’ayant ni feu ni lieu,
ne font qu’errer d’un endroit à l’autre sans s’arrêter nulle part.

« Les Gamphasantes sont nus ; les Blemyens n’ont pas de tête, leur
visage étant placé sur leur poitrine ; les Satyres n’ont rien de l’homme
que la figure. Les Égipanes sont faits comme on le dit communément. »

Depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, la somme des connaissances sur ces
êtres surnaturels s’est beaucoup agrandie, car on ne serait pas
embarrassé de trouver aujourd’hui dans les bibliothèques des zâouiya
bien des volumes, œuvres d’hommes graves, qui donnent les détails les
plus intimes sur la vie des génies, leurs divisions en nations, en
tribus, leurs mœurs, leurs coutumes, etc., etc. L’imagination de l’homme
ne recule devant rien, quand il s’agit de mystères.

Dans toute l’Afrique, il n’y a pas un individu, éclairé ou ignare,
instruit ou illettré, qui n’attribue aux génies tout ce qui arrive
d’extraordinaire sur la terre.

Chez les Touâreg, cette croyance est tellement puissante qu’ils ne
veulent jamais passer la nuit sous un toit, dans la crainte de s’y
trouver emprisonné par les alhînen : aussi, mettre un târgui en prison
est presque le condamner à mourir de peur.

Toute maladie nerveuse : épilepsie, catalepsie, convulsion, etc., est
réputée prise de possession par les génies ; pour les conjurer d’évacuer
la place, on a recours aux exorcismes les plus étranges.


Les Touâreg croient aussi aux sorciers, aux enchanteurs, auxquels ils
attribuent le pouvoir de métamorphoser les hommes en bêtes. Tout
voyageur européen, par le seul fait qu’il ose aborder des pays inconnus,
est réputé quelque peu sorcier. Aussi El-Hâdj-el-Amîn, le cheïkh de
Rhât, évitait-il mes regards avec le plus grand soin, dans la crainte de
tous les dangers possibles.

L’ignorance des peuples barbares, qui transforme les voyageurs européens
en êtres surnaturels et les fait apparaître comme dangereux, a souvent
créé de grands dangers à de nobles martyrs de la science. Peut-être la
mort de Vogel est-elle due à cette cause. C’est pourquoi les voyageurs
agiront toujours prudemment en ne s’avançant dans des contrées où ils
sont inconnus que sous la caution des hommes qu’ils viennent de quitter
et qui ont eux-mêmes expérimenté la limite tout humaine de la puissance
de l’étranger.


En raison de ces terreurs et superstitions, l’amulette joue un grand
rôle chez les Touâreg, car on lui attribue la propriété de pouvoir
préserver de tout, excepté de la mort. Et comme les Touâreg craignent
beaucoup de choses, ils ont la tête, le cou et la poitrine couverts
d’amulettes.

Les amulettes des Touâreg ressemblent à celles de tous les autres
musulmans : elles consistent en petits sachets de cuir, plus ou moins
ornementés, ajustés sur une lanière également en cuir, de manière à
former des colliers. Dans ces sachets sont enfermées des feuilles de
papier couvertes de versets du Coran ou de signes cabalistiques.

Il y a deux classes bien distinctes d’amulettes : celles destinées à
appeler sur la personne qui les porte toute la série des biens que
l’homme peut désirer ; celles appelées à éloigner toute la série des
maux qu’il peut redouter.

Les marabouts qui les fabriquent ont chacun leur spécialité.
L’Islamisme, en son entier, est mis à contribution pour constituer la
collection de chaque croyant.


                             _Instruction._


La langue parlée dans chaque confédération constitue un dialecte propre.

Bien que les Touâreg des quatre confédérations se comprennent entre eux,
il y a cependant des différences notables dans chaque dialecte, surtout
dans ceux du Sud qui ont donné l’hospitalité à beaucoup de mots des
diverses langues nègres de l’Afrique centrale. Ceux du Nord paraissent
plus purs de mélange. Si on y trouve quelques mots arabes,
nécessairement importés avec la religion musulmane, du moins, les mots
d’origine nègre ne les ont pas envahis.

Pour la prononciation des mots, la principale différence entre les
dialectes du Nord et ceux du Sud est que, dans les premiers, l’_h_ est
aspirée, et que, dans les seconds, cette lettre est remplacée par un
_ch_ ou par un _z_, ce qui rend la prononciation plus douce[122].

En général, hommes et femmes savent lire et écrire, mais les femmes plus
que les hommes, surtout dans la classe des nobles.

La lecture et l’écriture du tefînagh sont enseignées dans la famille par
les femmes : c’est pourquoi, sous ce rapport, le degré de leur
instruction est supérieur à celui des hommes.

La connaissance de la langue arabe écrite est restreinte à une minorité
d’élite. Un plus grand nombre se sert de la langue arabe parlée.

La langue arabe est enseignée par des tolba du Touât, qui entreprennent
l’éducation de toute une famille, filles et garçons. Les familles un peu
aisées, celles des chefs, ont un maître qui les accompagne partout où
elles vont, tant qu’il y a un enfant à instruire. Comme les filles sont
moins distraites de leurs travaux que les garçons, elles profitent mieux
qu’eux des leçons de leur instituteur.

Les livres arabes qu’on trouve chez les Touâreg sont le Coran et ses
commentaires. Ils sont rares.

Ceux des Touâreg qui parlent la langue arabe s’expriment en termes bien
plus corrects que les Arabes de l’Algérie, mais au bout de cinq mots on
reconnaît qu’ils sont Touâreg, car ils ne peuvent prononcer l’_h_ dur,
et remplacent cette lettre par un _kh_ : ainsi ils ne disent pas
_hânoût_, _halîb_, mais _khânoût_, _khalîb_.

Parmi les femmes, il en est de véritablement instruites et qui feraient
honte aux femmes des Arabes de l’Algérie. Aussi, quand on constate quel
degré d’influence l’éducation a donné à la femme târguie dans la
famille, on regrette d’apprendre que, sur la proposition de quelques
membres musulmans des conseils généraux de l’Algérie, on ait renoncé à
enseigner la lecture et l’écriture aux jeunes filles mauresques qui
fréquentent les écoles d’Alger, surtout quand on avait surmonté les
premières difficultés du professorat.

Dans cette circonstance, on a trop subi l’influence d’hommes habitués à
considérer la femme comme un être inférieur qui doit, en toutes choses,
être subordonnée aux caprices de l’homme.


Les connaissances en calcul sont à peu près nulles, si ce n’est chez les
marchands des villes de Ghadâmès, de Rhât et d’In-Sâlah.

Quant aux Touâreg nomades, ils comptent sur les grains de leurs
chapelets, ou au moyen de points marqués sur le sable.

Cependant, à la différence des Arabes, la plupart des Touâreg savent
leur âge, en années lunaires.


La division de l’année est la même que chez les Arabes.


Voici, en temâhaq, les noms des mois :

  Azhoûm (âzhoûm)         correspondant à _Ramadhân_.

  Tesesî                        —       à _El-fotor_.

  Djer-moûhadan                 —       à _El-fotor-eth-thâni_.

  Tafâski                       —       à _El-’aïd_.

  Tâmessadaq                    —       à _’Achoûra_.

  Tâllit-sattafet               —       à _Sefer_.

  Tâllit-ârarhet                —       à _El-mouloûd_.

  Aouhêm-iezzâren               —       à _Teba’at-mouloûd-el-oouel_.

  Aouhêm-ilkemen                —       à _Teba’at-mouloûd-eth-thâni_.

  Saret                         —       à _Chaa’bân-el-oouel_.

  Tîn-tenslemîn                 —       à _Chaa’ban-eth-thâni_.

  Tîn-tenslemîn-imezzehêl       —       à _Chaa’ban-eth-thâleth_.


Les noms des jours de la semaine sont :

  Vendredi   _El-djemet_,

  Samedi     _Es-sebet_,

  Dimanche   _El-hâd_,

  Lundi      _El-îtni_,

  Mardi      _El-tenâta_,

  Mercredi   _Enârda_,

  Jeudi      _El-rhamîs_,

tous empruntés à la langue arabe et dénaturés.


En dehors de la géographie de la partie de l’Afrique comprise entre le
Niger et la Méditerranée, de celle des pays de l’Orient sur la route de
la Mekke, qu’ils connaissent bien, les Touâreg savent tout au plus qu’il
y a des pays qui s’appellent l’Angleterre, la France, la Russie, et que
le premier de ces pays est séparé des deux autres par des mers. A cela
se borne la science géographique du peuple le plus voyageur du monde.

Mais on peut dire que le dernier d’entre eux connaît son pays, dans ses
détails, comme peu d’entre nous connaissent le leur.


A l’exception de quelques faits conservés par les légendes et la
tradition, l’histoire est un livre clos pour eux.

Cependant, par la _Note_ de Brâhîm-Ould-Sîdi, par les listes de sultans,
de cheïkh, qui m’ont été données et qui embrassent plusieurs siècles, on
voit que les Touâreg, comme tous les Orientaux, tiennent à la
conservation de leurs généalogies.


En botanique, les Touâreg défieraient les plus érudits : ils savent le
nom de toutes les plantes du Sahara, leurs propriétés utiles ou
nuisibles, les terrains qu’elles préfèrent, les époques de leur
floraison et de leur fructification. On reconnaît en cela qu’ils sont
essentiellement pasteurs.


En zoologie, ils sont moins instruits, mais tous connaissent les grands
animaux de leur pays, leurs mœurs et leurs habitudes. Quelques-uns
possèdent traditionnellement, en médecine et en art vétérinaire, des
connaissances qui suffisent à leurs besoins.


En minéralogie, leur science se borne à distinguer entre elles les
substances minérales qu’ils emploient.

Ils savent aussi discerner, par l’observation, les terrains dans
lesquels il y a chance de trouver de l’eau pour le forage des puits.

Dans le forage des puits, ils tiennent compte des couches traversées,
leur donnent des noms et attachent la plus grande attention à bien
reconnaître celle qui précède immédiatement l’eau.

Sur tous les points du Sahara, on trouve des mineurs et des puisatiers
qui ont une certaine expérience. Quelques-uns même prétendent être
hydroscopes et reconnaître les couches d’eau souterraines que les Arabes
appellent _Bahar-taht-el-ardh_, mer sous la terre.


Les marabouts ont des notions de théologie et de droit. Malheureusement
les marabouts instruits sont rares chez les Touâreg : obligés d’être
continuellement sur les routes pour les devoirs de leur ministère, ils
ne peuvent consacrer aux études sérieuses le temps qu’elles réclament.

Les controverses religieuses ont pour thèmes, d’un côté, le fanatisme le
plus exalté prêché dans les zâouiya de la confrérie des Senoûsi, de
l’autre, la tolérance et la conciliation recommandées par les zâouiya
des Tedjâdjna et des Bakkây.


Pour l’enseignement du droit, on suit les préceptes du _Traité de
jurisprudence de Sîdi Khelîl_, modifiés par les _Coutumes de Fez_. Dans
la pratique, chez les Touâreg, les coutumes locales ont la préférence
sur les décisions des plus savants jurisconsultes.


Le _maximum_ de la science, pour ceux qui ont des prétentions à
l’érudition, est de se proclamer savants en sorcellerie et en alchimie.
Mais, quand on les interroge sur ces sujets, ils évitent habilement
toute discussion. Les sciences occultes aiment le secret.


Mais là où excellent incontestablement les Touâreg, c’est dans
l’astronomie.

Un peuple qui voyage toujours dans des déserts, et qui, pour éviter la
chaleur, préfère les marches de nuit à celles du jour ; ce peuple, s’il
n’a pas de boussole, est obligé de guider sa marche sur celle des
étoiles. L’esprit d’observation a dû bientôt suppléer chez lui à
l’enseignement méthodique, et si ce peuple, comme tout l’indique, a des
liens de parenté avec les anciens Égyptiens, la tradition vient en aide
à l’observation.

Je n’ai pas la prétention de donner ici une situation des connaissances
des Touâreg en astronomie : il eût fallu, pour cela, consulter un grand
nombre de guides des caravanes et contrôler les unes par les autres
leurs informations : je me borne donc à constater ce que j’ai appris, en
conservant autant que possible à la poésie saharienne tout son
caractère.

Le Firmament est _Erher_.

Le Soleil est _Tafoûk_, et la Lune _Ayôr_.

Quand il y a éclipse, c’est une rhazia que l’un des deux astres opère
sur l’autre.

L’éclipse de Soleil ou la rhazia de la Lune sur le Soleil est _Tafoûk-
temêhagh_.

L’éclipse de Lune est _Ayôr-ïemêhagh_.

La nouvelle Lune s’appelle _Tâllit_ ;

La pleine Lune, _Afaneôr_ ;

La Lune avec halo, _Ayôr-ieffrâdj_ ;

Les Étoiles, en général, _Itrân_, au sing. _âtri_ ;

La Voie lactée, _Mâhellaou_.

Vénus est _Tâtrit-tan-toûfat_ (l’_étoile du matin_), comme l’appellent
aussi nos bergers.

Orion est _Amanâr_ (_celui qui ouvre_), étymologie qui rappelle celle du
nom classique.

Le Baudrier d’Orion, _Tâdjebest-en-Amanâr_ (mot à mot _ceinture de celui
qui ouvre_), est une traduction plus complète encore.

Rigel est _Adâr-n-elâkou_ ou _le Pied dans la vase_.

Sirius est _Eydi_, le Chien, c’est-à-dire _le chien du chasseur Amanâr_.

D’après les uns, Orion (Amanâr) sort d’un puits vaseux, et Rigel (Adâr-
n-elâkou) est le dernier pied qu’il sort de la vase, c’est-à-dire la
dernière étoile qui apparaît lorsque la constellation monte dans l’Est.

D’après d’autres, Amanâr est un Chasseur ceint de sa Ceinture ; il est
suivi par un Chien, _Eydi_ (Sirius), et précédé par des Gazelles,
_Ihenkâdh_, qui sont les étoiles de la constellation du Lièvre.

A l’époque où Adâr-n-elâkou (Rigel) paraît au firmament, les fruits du
_Zizyphus Lotus_, arrivés à maturité, sont déjà tombés à terre.
L’apparition de cette étoile est donc à la fois une époque astronomique
et botanique.

La grande et la petite Ourse est une Chamelle avec son Chamillon,
_Tâlemt-de-rôris_.

Le Chamillon, sans sa mère (la petite Ourse), s’appelle _Aourâ_.

L’Étoile Polaire est dite _Lemkechen_, mot à mot, _tiens_, c’est-à-dire
qu’une Négresse est supposée recevoir l’ordre de tenir le Chamillon
_Aourâ_, pour qu’on puisse traire sa mère, _Tâlemt_, la Chamelle (c’est-
à-dire la grande Ourse).

Les étoiles de la même constellation ψ, λ, μ, ν, ξ, qui forment un
triangle, figureraient une Assemblée, _El-Djema’at_, qui délibérerait
pour tuer _Lemkechen_ (la Négresse) ; c’est pourquoi cette dernière,
saisie d’effroi, ne bouge pas et cherche à se cacher.

Les Pléiades sont les Filles de la Nuit, _Chêt-Ahadh_ ; chacune des six
principales étoiles de cette constellation a son nom propre ; la
septième est l’œil d’un garçon, qui, après avoir quitté l’orbite
oculaire de son propriétaire terrestre, est allé se fixer au ciel.

Cela est expliqué dans les cinq vers suivants :


  Chêt-Ahadh essa hetîsenet

  Mâteredjrê d-Erredjeâot,

  Mâteseksek d-Essekâot,

  Mâtelarhlarh d-Ellerhâot,

  Ettâs djenen, barâd, tît-ennît abâtet.


Ce qui mot à mot signifie :


  « Les Filles de la Nuit sont sept :

  « _Mâteredjrê_ et _Erredjeâot_,

  « _Mâteseksek_ et _Essekâot_,

  « _Mâtelarhlarh_ et _Ellerhâot_,

  « La septième est un garçon dont un œil s’est envolé. »


Le Scorpion est tantôt désigné sous le nom de _Tâzherdamt_ (scorpion),
tantôt sous celui de _Tâzzeït_ (palmier). Cette dernière désignation
convient très-bien à la figure de cette constellation.

Un jeune homme, du nom d’_Amrôt_ (_Antarès_), disent les astrologues
Touâreg, veut monter sur le Palmier, _Tâzzeït_, mais arrivé à mi-hauteur
de l’arbre, il aperçoit de belles jeunes Filles, _Tibaradîn_, revêtues
de haoulis rouges, venant de la Mare, appelée _Tesâhak_, et se dirigeant
vers lui ; il reste alors à mi-hauteur du Palmier pour les contempler.
Sans doute cette image peut s’expliquer, mais je ne veux pas me risquer
à appliquer ces dénominations à telles ou telles étoiles voisines de la
constellation du Scorpion.

La constellation du Lièvre est désignée sous le nom d’_Ihenkâdh_, les
Gazelles.

La constellation du grand Chien (ε δ et η) est appelée _Ifarakfarâken_,
mot qui sert ordinairement à indiquer le bruit que fait un éventail
agité dans l’air, ou le vol d’un oiseau à son passage, parce qu’à
l’époque où paraît cette constellation des vents violents agitent
toujours l’atmosphère.

β du grand Chien est _Aouhêm_, le petit de la Gazelle.

Les étoiles de la constellation du Navire sont désignées : δ, sous le
nom de _Tenâfelit_, la Richesse, l’Opulence ; ο, sous celui de
_Tôzzert_, la Misère, le Besoin, la Pauvreté.

Quand on traverse le désert de Tânezroûft, de Ouâllen à Am-Rhannân, ces
deux étoiles servent à indiquer la direction en prenant le point central
entre celui de leur lever et celui de leur coucher, c’est-à-dire droit
au Sud. Ces étoiles étant près de l’horizon, il est toujours facile de
se guider sur leur passage au méridien. Entre leur coucher et leur
lever, les guides disent qu’il y a la longueur de l’emplacement de la
ville d’Araouân.

Aldébaran est _Kôkoyyodh_.

Canopus est _Ouâdet_.

Une Comète se dit _Aharôdh_. Comme chez tous les peuples, l’apparition
inattendue de ces corps lumineux étonne et effraie.

Le Soleil et les Étoiles servent aux Touâreg à distinguer les quatre
points cardinaux :

  Le Nord se dit :  _Fôy_,

  Le Sud            _Anehôl_,

  L’Est             _Leqqâblet_,

  L’Ouest           _Idjedel-en-Tafoûk_.

Les divisions du jour, _Ahel_, sont :

  Le matin                     _Toûfat_,

  Le midi                      _Imoghri_,

  L’après-midi (trois heures)  _Takkâst_,

  Le soir                      _Tadeggat_,

  La nuit                      _Ehadh_.

Tout le temps de la grande chaleur, la _Gaïla_ des Arabes, celui pendant
lequel les caravanes se reposent, se dit _Taroût_.

Les Touâreg, comme tous les Arabes du Sahara, pour avoir l’heure du
midi, plantent un piquet dans le sable et calculent la projection de
l’ombre suivant la saison.


La boussole, aussi utile dans les voyages sahariens que dans la
navigation maritime, était entièrement inconnue, non-seulement chez les
Touâreg, mais encore dans toute l’Afrique centrale. On n’en savait même
pas le nom.

Par mes soins, les Touâreg la connaissent désormais. Le marabout Sîdi-
el-Bakkây attachait le plus grand prix à en avoir une ; j’ai pu
satisfaire ce désir. Ikhenoûkhen aussi en désirait une, mais il a dû
attendre. Le Cheïkh-’Othmân en a fait ample provision à Paris.

J’estime donc que la boussole est un des présents les plus utiles qu’on
puisse faire aux chefs du Sahara, à la condition que l’instrument sera
portatif et leur sera remis par une personne qui leur indiquera la
manière de s’en servir.


A Ghadâmès, on m’a parlé de deux _Traités d’astronomie_, en langue
arabe, qui existeraient dans la bibliothèque de la mosquée, preuve
incontestable de l’importance que les Sahariens attachent à la
connaissance de la marche des astres.


Je ne puis terminer ce que je viens de dire sur l’instruction des
Touâreg sans faire remarquer que la somme de leur savoir se transmet,
traditionnellement, de père en fils et avec le concours d’une seule
famille : celle des marabouts de Timâssanîn.


                     _Droit. — Justice. — Police._


Le droit écrit n’est invoqué qu’à défaut du droit coutumier, pour les
contestations exceptionnelles. Alors, on ouvre le _Traité de
jurisprudence_ du grand légiste Sîdi-Khelîl.

Le droit coutumier, _’Aâda_, conservé traditionnellement dans la mémoire
des anciens, doit être une émanation de l’ancien droit berbère. Pour en
avoir une idée nette, il faudrait vivre pendant plusieurs années chez
les Touâreg, tenir note des solutions données à tous les litiges et
demander aux juges la raison de leurs jugements. Un voyageur ne peut
entrer dans de pareils détails.

Les Touâreg n’ont pas de qâdhi dans leurs tribus, et on n’a recours à
ceux de Rhât, de Ghadâmès et d’In-Sâlah, que très-exceptionnellement.

Le chef de famille supplée à leur absence dans la famille, comme les
chefs de tribus dans les tribus. Quand il y a lieu, les marabouts
interviennent.

La police intérieure est faite par les chefs de tribus. Les peines
qu’ils appliquent sont l’amende, _isekkeser_, la bastonnade, _tiboûren_,
et la mise aux fers.

La peine de la prison, _tekôrmit_, et la peine de mort, _tâmattant_, ne
sont jamais appliquées. La punition des crimes, assez graves pour
emporter l’une ou l’autre de ces deux peines, d’après nos lois, est
réservée aux représailles des parents des victimes.

Cependant, quand, pour un crime particulier, on a recours à
l’intervention de l’_amghâr_, en vue d’éviter des guerres de tribu à
tribu, il prononce la peine du talion, conformément aux prescriptions du
Coran : _œil pour œil, dent pour dent, coup pour coup_.

Dans ce cas, les plus proches parents de la victime décident du sort du
criminel : ils peuvent accepter le rachat du sang, moyennant une somme
d’argent, ou désigner celui d’entre eux qui remplira les fonctions
d’exécuteur des hautes œuvres de la justice.

Si le prix du sang n’est pas accordé, malheur, malheur au coupable ! Il
subira, en présence de témoins, de sa propre famille et de celle de sa
victime, le plus terrible des supplices, car l’enivrement de la
vengeance ne se contente pas d’un œil pour un œil, d’une dent pour une
dent.

Quel affreux spectacle que celui de cette justice patriarcale !

Dans toutes les sociétés musulmanes, l’absence d’une justice officielle
est une des principales causes qui entretiennent les haines et les
divisions entre les familles et entre les tribus.

Cependant, les crimes ayant un caractère individuel sont rares :
l’infanticide, à la suite des grossesses illicites, est assez commun.
Dans ce cas, le père de la coupable est juge de l’offense faite à sa
maison et généralement il cache sa honte.


                   _Naissances. — Mariages. — Décès._


A ma connaissance, les naissances, chez les Touâreg, appellent peu
l’attention. Un fils est toujours le bienvenu parce qu’il augmente le
nombre des défenseurs de la tribu. A l’âge ordinaire, il est circoncis,
suivant la coutume musulmane.

Chez les Touâreg, à la différence des Arabes, les jeunes gens ne sont
pas admis à prendre part à la gestion des affaires publiques. La grande
majorité pour eux ne commence pas avant quarante ans ; jusque-là, on est
admis à l’action, pas au conseil.

La longévité des Touâreg explique cette longue durée de la minorité
comme aussi le retard apporté au mariage, car les centenaires n’y sont
pas très-rares. On cite même des individus qui ont atteint cent trente
et cent cinquante ans ; entre autres celui qui m’a conduit à la
sculpture Lybico-égyptienne de Bordj-Taskô, à Ghadâmès, auquel on donne
plus de cent cinquante ans. Il est vrai qu’il est actuellement en
enfance. Les auteurs arabes du moyen âge avaient déjà constaté ce fait
exceptionnel. Ebn-Khaldoûn, entre autres, dans sa notice sur les
_Molâthemîn_, dit : « Dans le pays habité par ce peuple, on vivait
ordinairement jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans. » J’ai constaté qu’il
en est encore de même aujourd’hui.

Les mariages donnent lieu aux remarques suivantes : la femme se marie
rarement avant vingt ans, l’homme avant trente. Un târgui n’a jamais
qu’une femme. Il peut divorcer, mais il n’introduira pas une nouvelle
épouse au foyer conjugal avant d’avoir réglé le sort de la femme
répudiée.

La femme mariée jouit d’autant plus de considération qu’elle compte plus
d’amis parmi les hommes, mais, pour conserver sa réputation, elle ne
doit en préférer aucun. Une femme qui n’aurait qu’un ami ou qui
témoignerait plus d’affection pour l’un de ses adorateurs serait
considérée comme pervertie et montrée au doigt.

Les mœurs permettent, entre hommes et femmes, en dehors de l’époux et de
l’épouse, des rapports qui rappellent la chevalerie du moyen âge : ainsi
la femme pourra broder sur le voile ou écrire sur le bouclier de son
chevalier des vers à sa louange, des souhaits de prospérité ; le
chevalier pourra graver sur les rochers le nom de sa belle, chanter ses
vertus, et personne n’y voit rien de mal. « L’ami et l’amie, disent les
Touâreg, sont pour les yeux, pour le cœur, et non pour le lit seulement,
comme chez les Arabes. »

Presque tous les soirs, les femmes chantent en s’accompagnant de la
_rebâza_ ; elles improvisent généralement leurs chants, à la façon des
anciens trouvères. Les hommes font cercle, accroupis autour des
chanteuses, et, pour honorer la réunion, ils revêtent leurs plus beaux
habits.

Au milieu de ces mœurs patriarcales, la femme demanderait immédiatement
le divorce, si elle avait une rivale, et l’homme aurait le droit de tuer
sa femme, sans avoir à rendre compte de sa vie à sa famille, si elle
commettait une infidélité.

Est-ce à dire pour cela que les mœurs soient d’une pureté
irréprochable ? Je ne le crois pas. Il y a près de Ghadâmès un campement
de târguies qui rappelle les Nâylîyât de Biskra et de Tougourt, et plus
d’une jeune fille est accusée d’être devenue mère avant le mariage.

Dans les rapports de l’homme avec la femme, en mariage, la formule du
Code Napoléon est la règle : « La femme doit obéissance au mari et le
mari doit pourvoir aux besoins de la femme dans la limite de ses
ressources. » La délaisser même est un motif à reproche.

Les Touâreg mangent en compagnie de leurs épouses : ce qui est contraire
à l’usage des autres musulmans ; la meilleure part du repas leur est
donnée. Toutefois, il est, dans les aliments, des parties exclusivement
réservées à l’un ou à l’autre : le cœur, les intestins des animaux, ne
sont mangés que par l’homme ; le foie et les rognons reviennent aux
femmes. Le café et le thé ne peuvent être bus que par les hommes.

La tenue des dames Touâreg est toujours décente et convenable. Une sorte
d’étiquette préside à tous leurs mouvements quand elles sont en société.
Une grande marque de leur respect pour l’homme auquel elles parlent est
de lui cacher leur figure, quoiqu’elles ne portent jamais le voile, et,
à cette fin, elles tournent le dos à leur interlocuteur, ou bien elles
ramènent un coin de leur par-dessus sur leur figure.

Le sentiment de la pudeur, inconnu et impossible au milieu des familles
polygames, recouvre tous ses droits dans les ménages monogames des
Touâreg.

Plus heureuse que la femme arabe, la femme târguie n’est obligée ni à
moudre le blé, ni à aller chercher sur son dos l’eau et le bois, ni à
faire la cuisine ; les esclaves pourvoient à tous ces besoins, de sorte
que, comme les dames des contrées civilisées, elles peuvent consacrer du
temps à la lecture, à l’écriture, à la musique et à la broderie. Ce
n’est pas sans quelque émotion, qu’après avoir traversé quatre cents
lieues de pays dans lesquels la femme est réduite à l’état de bête de
somme, on constate, en plein désert, une civilisation qui a tant
d’analogie avec celle de l’Europe chrétienne au moyen âge.

La célébration du mariage, chez les Touâreg, ressemble beaucoup à celle
des autres pays musulmans, avec cette différence que, les armes à feu
étant inconnues ou à peu près chez les nomades, on n’y fait pas parler
la poudre. Chez les nobles, la _fantazia_ à dromadaire remplace la
_fantazia_ à cheval ; on chante, on joue de la rebâza ; chez les serfs
et chez les esclaves, on danse à la mode de Nigritie, au son de la
derboûka.

Un marabout préside à la bénédiction nuptiale et rédige les conventions
particulières des époux, quand il y a lieu à contrat.

Les morts sont enterrés conformément aux prescriptions de la religion
musulmane ; lavage du corps à l’eau chaude, linceul neuf, prières pour
tous, aromates pour les riches. Mais on ne les pleure pas, et dès qu’on
leur a rendu les derniers devoirs de la sépulture, après un repas
propitiatoire, on évite tout ce qui pourra ressusciter leur souvenir.
Ainsi, on change de campement, on ne prononce jamais leur nom, et, afin
qu’ils disparaissent du milieu des vivants, on n’appellera pas leurs
enfants, comme chez les Arabes, _tel fils d’un tel_, on leur donnera un
nom qui vivra et mourra avec eux. Il n’y a d’exception à cette règle que
dans les familles des marabouts, ou dans les familles princières dont le
nom est intimement lié à l’histoire de la tribu[123]. Cet oubli apparent
ou réel des morts a sa cause dans la crainte des revenants, crainte
générale et qui fait éviter tout ce qui pourrait être considéré comme
une évocation.


                        _Pratiques hygiéniques._


L’hygiène est en grand honneur chez les Touâreg, et ses préceptes, plus
ou moins orthodoxes, plus ou moins rationnels, sont religieusement
suivis.

Jamais un târgui, à moins d’une circonstance exceptionnelle, ne se lave
ni la figure, ni les mains, ni les pieds, à plus forte raison les autres
parties du corps, parce que l’eau est réputée rendre la peau plus
impressionnable au froid et au chaud. Les ablutions prescrites par la
religion sont faites avec du sable ou avec un caillou.

Toujours en vue de soustraire la peau aux influences extérieures, les
Touâreg se teignent les mains, les bras et la figure, avec de l’indigo
en poudre. Le reste de leur corps, également couvert d’indigo par la
déteinte continuelle de leurs vêtements, est soumis aux mêmes effets.

Les femmes emploient souvent, mais sur leur visage seulement, l’ocre au
lieu de l’indigo.

Ainsi, quoique blancs, les Touâreg paraissent bleus, et leurs femmes
jaunes, ce qui contribue à leur donner un aspect si étrange.

Il va sans dire que jamais on ne lave les vêtements teints à l’indigo,
attendu que, par le lavage, ils perdraient leur propriété essentielle,
qui est de déteindre sur le corps.

La conséquence de pareilles habitudes est que ceux des Touâreg qui n’ont
pas une garde-robe de rechange sont largement pourvus de parasites.

Comme les Arabes, les Touâreg se rasent la tête, mais, au lieu de se
borner à laisser une simple mêche de cheveux, _tahoqqôt_, pour que
l’ange puisse les enlever de terre au ciel, le jour du jugement dernier,
et les faire comparaître convenablement devant le Grand Maître, ils
conservent, du front à la nuque, une sorte de crête de cheveux,
_ahoqqôt_, qui ressemble assez à celle de certains casques, et, en
attendant que ces cheveux servent à l’usage commun après la mort, ils en
tirent un parti hygiénique dans cette vie. A cet effet, cette crête est
tressée en petites mêches, réunies les unes aux autres, de manière à
former une charpente pour supporter la calotte et permettre à l’air de
circuler entre le cuir chevelu et le tissu de laine qui recouvre la
tête.

Les enfants et les jeunes gens portent à une oreille un grand anneau,
tantôt en métal, tantôt en corne, tantôt en bois. Est-ce là aussi une
pratique hygiénique pour préserver, pendant le jeune âge, par un
dérivatif continuel, des nombreuses maladies auxquelles les yeux sont
exposés ?

L’usage du sulfure d’antimoine, le _kohel_ des Arabes, sur le bord libre
des paupières, a incontestablement ce but. Cette poudre est appliquée
avec délicatesse au moyen d’un stylet en bois, _tâfendit_.

Mais la pratique hygiénique par excellence des Touâreg est la religion
du voile, pour préserver leurs organes extérieurs les plus délicats,
yeux, oreilles, fosses nasales et bouche, de l’action des sables, du
soleil, des vents et de la sécheresse extrême de l’air ; jamais coutume
ne fut mieux appropriée au climat, aussi tous les étrangers qui voyagent
dans leur pays s’empressent-ils de l’adopter. Moi-même j’ai suivi la
mode générale et je n’ai qu’à m’en féliciter.


                   _Maladies et pratiques médicales._


Le genre de vie menée par les Touâreg est promptement fatal aux
constitutions faibles, et la sélection opérée par la mortalité ne laisse
dans la population que des sujets forts et robustes.

D’un autre côté, le climat est sain, et la sobriété, commandée par
l’aridité du sol, contribue puissamment à maintenir la santé.

Les maladies sont donc rares, quoique les voyageurs étrangers soient
assaillis par des demandes de médicaments ; mais ces demandes ne font
que révéler l’impuissance des pratiques médicales en usage dans le pays.

Les maladies les plus graves et les plus générales sont les ophtalmies,
les rhumatismes, les fièvres intermittentes, les engorgements des
viscères consécutifs aux fièvres, la variole, les affections cutanées,
les maladies de la vessie, le ver de Guinée, enfin le boûri chez les
nègres.

Il est peu de Touâreg dont les yeux n’aient été le siége d’ophtalmies
les plus graves, probablement d’ophtalmies purulentes si communes en
Égypte, sous l’influence des mêmes causes ; car, chez un grand nombre,
la cornée transparente est devenue opaque ; beaucoup sont aveugles ou ne
voient que pour se conduire.

La réverbération solaire, les sables charriés par les vents ; les
variations extrêmes de température, entre la nuit et le jour ; la
sécheresse de l’air ; les effluves salines qui se dégagent du fond des
lacs desséchés ; la contagion elle-même, sont les causes de ces
ophtalmies endémiques. Au Fezzân, j’ai trouvé une grande partie de la
population atteinte de maux d’yeux.

Les remèdes empiriques qu’emploient les indigènes sont plutôt de nature
à aggraver qu’à guérir.

Un des plus grands services qui puisse être rendu aux Touâreg, serait
d’introduire chez eux, à titre de complément de l’usage du voile, la
coutume de conserves à verres bleus avec œillères. Il suffit pour cela
d’en donner en cadeau aux principaux chefs, — c’est ce qui a été fait, —
et d’introduire cet article dans les pacotilles des caravanes à des
conditions de prix qui le rendent abordable à toutes les bourses.

Les Anglais ont bien opéré un plus grand miracle, en remplaçant l’usage
du café par celui du thé. Ils ont commencé par en faire présent aux
chefs, et, par esprit d’imitation, tout le monde a voulu en goûter.
Aujourd’hui le Maroc, presque tout le Sahara et une partie de l’Afrique
centrale sont tributaires de l’Angleterre pour le thé.

Au-dessus de trente ans, peu d’hommes ou de femmes sont exempts de
rhumatismes ; quelques-uns en sont perclus. Le coucher sur le sable
refroidi pendant la nuit, et l’usage exclusif des vêtements de coton
expliquent la multiplicité et la gravité de ces affections. Parvenons à
livrer aux Touâreg des vêtements de laine, chemises, blouses et
pantalons, à des prix peu supérieurs à ceux de coton, et nous verrons le
coton abandonné pour la laine ; car déjà les chefs recherchent les
tissus en laine des Arabes. Mais le prix élevé de ces derniers est un
obstacle réel à leur adoption, tant le peuple est pauvre.

A l’exception de quelques liniments et du feu appliqué à la manière
arabe, par la cautérisation transcurrente, les Touâreg n’ont aucun moyen
curatif ou palliatif rationnel contre les rhumatismes. Ceux qui en sont
atteints souffrent jusqu’à leur mort.

Les fièvres intermittentes, _tâzzaq_, contractées dans le pays, sont
rares, mais comme les Touâreg voyagent beaucoup et sortent souvent des
régions saines de leurs montagnes, ils rapportent de leurs voyages des
fièvres persistantes auxquelles le changement de climat met quelquefois
fin, mais qui souvent se transforment en engorgements chroniques et
incurables du foie et de la rate.

Les seuls remèdes connus sont des tisanes laxatives ou purgatives
préparées avec des plantes du pays ou des médicaments tirés du Soûdân.
Notre commerce pourrait substituer à ces préparations, sans valeur
sérieuse, les principaux fébrifuges, les purgatifs et les vomitifs de
notre matière médicale, dont l’emploi deviendrait bientôt général, si la
vente de ces médicaments était accompagnée de notices simples rédigées
en langue arabe.

La variole, _âchek_ ou _bedî_, vient périodiquement décimer ces
malheureuses populations ; à mon passage à Ghadâmès, une épidémie y
régnait et n’épargnait ni jeunes ni vieux. Elle avait antérieurement, au
printemps 1860, exercé ses ravages sur les Ifôghas du Cheïkh-’Othmân.
Contre ce terrible fléau on ne connaît ni la vaccine ni même
l’inoculation du virus variolique, en usage chez les Arabes.

Sans doute, un jour, grâces aux relations que nous sommes appelés à
entretenir avec les peuplades du Sahara et de l’Afrique centrale, elles
nous seront redevables de l’introduction de la vaccine, et de ce moment
datera pour elles une ère nouvelle qui fera époque dans leurs souvenirs
historiques ; jusque-là, nous sommes impuissants à leur venir en aide.

La rougeole, _loûmet_, ainsi que les autres maladies de l’enfance,
n’épargnent pas plus les Touâreg que les autres peuples.

On comprendra facilement que les maladies de la peau, du cuir chevelu,
de la paume des mains et de la plante des pieds, soient fréquentes et
presque incurables chez un peuple dévoré de vermine et qui redoute de se
laver avec de l’eau, dans la crainte de rendre la peau plus
impressionnable au froid et au chaud. L’importation par le commerce des
préparations sulfureuses et mercurielles peut donc, en attendant mieux,
devenir un objet d’échange utile et lucratif.

Les dartres, _ânerhoû_, sont communes.

Les voyages fréquents, l’allure fatigante du chameau, la dureté des
selles, en vue de prévenir le sommeil, déterminent souvent des maladies
chroniques de la vessie, dites _tezhaggâlt_, qui, d’après les symptômes
indiqués, pourraient bien être la pierre.

Contre cette maladie les Touâreg n’ont aucun remède.

Les hernies, _âmokketes_, suites de longues marches, sont aussi
fréquentes. Des bandages, plus ou moins grossiers, les maintiennent
réduites.

Généralement, les Touâreg qui vont au Soûdân en rapportent le ver de
Guinée, _farentît_, parasite qui vit entre cuir et chair, cause
d’atroces souffrances, et revient pendant longtemps, tous les ans, à la
même époque.

En langue temâhaq, la maladie que donne le ver de Guinée est appelée
_âtleb_.

Les Européens, comme les indigènes, paient le tribut au farentît. M. le
docteur Barth en a été atteint et ne s’en est débarrassé qu’avec peine.

Le suc laiteux du _Calotropis procera_ (voir page 180) est le seul
remède connu à ce mal.

Probablement, notre matière médicale, si riche en toxiques, aura à
donner aux habitants de l’Afrique centrale un spécifique plus puissant
que le suc de ce _Calotropis_. Un débouché certain est assuré à ce
médicament, dès qu’il sera trouvé.

Le _boûri_ est une affection vertigineuse du cerveau, qui atteint
spécialement les nègres dans la période d’acclimatation, et les rend
fous à lier. Cette maladie se présente sous forme d’accès. On se borne,
pour tout traitement, à séquestrer les malades.

La syphilis, _tâlaouaït_, héréditaire ou acquise, vient couronner la
série des maladies qui atteignent les Touâreg, quoique ce mal soit moins
commun que dans les populations sahariennes du Sud de l’Algérie et de la
Tunisie. La sévérité des mœurs explique la préservation plus générale et
aussi la gravité moins grande des accidents.

Les symptômes les plus ordinaires de cette affection sont des ulcères,
_amahâr_.

Des tisanes et des poudres de diverses plantes sont d’abord employées à
l’intérieur et à l’extérieur contre les premiers symptômes de cette
maladie, et quand elles n’ont pas amené la guérison, on a recours au
traitement traditionnel par la salsepareille, _el-’acheba_, qui est
très-compliqué.

La salsepareille, qui vient d’Europe, est l’objet d’un commerce
important dans le Sahara. Les préparations mercurielles, employées avant
tant de succès par nos médecins sur les indigènes de l’Algérie, peuvent
très-bien prendre place avec la salsepareille dans les pacotilles à
destination de l’intérieur.

Les Touâreg se plaignent souvent d’ulcères, dans les fosses nasales,
déterminés probablement par les sables ou l’excessive chaleur ; ils
donnent à cette maladie spéciale le nom de _fandhefîr_.

Les bronches elles-mêmes ne paraissent pas toujours à l’abri de la
pénétration des sables, malgré l’usage du voile ; ils provoquent la
toux, _tîsoût_, mais ne déterminent pas d’autres accidents.

Dans les cas de piqûre d’animaux venimeux, vipères ou scorpions, les
Touâreg étranglent par une ligature le membre ou la partie atteinte,
pour faire obstacle à la transmission du venin par la circulation ;
après quoi, ou ils appliquent le feu, ou ils font des lotions
oléagineuses, ou ils mettent en contact avec la plaie la chair sanglante
et encore vivante d’un animal quelconque, poulet, mouton ou chèvre, en
attribuant aux chairs vivantes la propriété d’absorber le virus.

La seule chose rationnelle dans ces pratiques est la destruction des
parties atteintes par le cautère incandescent ; mais on pourra utilement
substituer à cette méthode douloureuse l’emploi de l’ammoniaque liquide
à l’intérieur et à l’extérieur.

Est-il nécessaire de constater que les ’Aïssâoua, qui prétendent charmer
les vipères et affronter impunément leur morsure, ne vont jamais dans la
contrée où leur prétendue exemption anti-septique pourrait être mise à
l’épreuve ? Ils sont même inconnus chez les Touâreg.

Dans quelques tribus du Sud de la province d’Oran, quand la gale du
cheval ou du chameau a résisté au traitement par le goudron, on détruit
l’_Acarus_ ou insecte de la gale par le virus du scorpion ; à cet effet,
on fait piquer l’animal galeux au-dessous de la croupe, et on affirme
que les _Acarus_ sont bientôt tués. Cette pratique n’est pas en usage
chez les Touâreg, quoique la gale du chameau y soit fréquente et
difficile à guérir.

Dans le Tell algérien et tunisien, on fait quelquefois aussi, dit-on, un
coupable usage de viandes présentées à la dent des vipères et
empoisonnées par leur venin. Je dois dire que les Touâreg sont trop
honnêtes et trop loyaux, même vis-à-vis de leurs ennemis, pour employer
de tels moyens.

La seule plante vénéneuse que produise le pays des Touâreg est
l’_Hyoscyamus Falezlez_ (Voir page 182). On ne s’en sert pas comme
poison, mais comme aliment et comme médicament.

L’observation a appris aux Touâreg que l’_afahlêhlé_ engraissait les
chameaux, les moutons et les chèvres (tous ruminants), et ballonnait,
avant de les tuer, les chevaux et les ânes qui en avaient mangé.

Leurs femmes, pour lesquelles l’embonpoint est le suprême de la beauté,
ont voulu savoir si la susdite plante agirait sur elles, soit en les
engraissant, soit en les ballonnant, et, en vraies filles d’Ève, elles
ont touché au fruit défendu, sans qu’il leur soit advenu trop grand mal,
en prenant certaines précautions, toutefois.

Donc, les femmes maigres qui veulent devenir grasses mangent de la
viande assaisonnée avec une petite quantité d’_afahlêhlé_, puis elles se
couchent en ayant soin de se couvrir de manière à appeler à la peau une
abondante transpiration. Pour la provoquer, elles boivent, par gorgées,
de grandes quantités de lait aigre. Si la médication réussit, la peau se
dilate, et, après quelque temps de ce régime, l’embonpoint se développe.
Dans le cas où, au lieu de la chaleur, survient le froid, alors il y a
folie momentanée, quand des accidents plus graves ne se manifestent pas.

Comme médicament, l’extrait d’_afahlêhlé_, incorporé à du beurre fondu,
est employé en frictions dans les douleurs rhumatismales.

Dans les maladies de l’utérus, les femmes font usage de tampons en coton
recouverts de beurre chargé de la même substance. Cette pratique
rappelle l’usage que les dames romaines faisaient de la belladone, dans
les mêmes cas.


Je suis entré, à dessein, dans ces détails, pour faire comprendre quelle
importance le commerce des médicaments, _asafar_, avec le Sahara et
l’Afrique centrale peut acquérir un jour. Quoique fatalistes, les
musulmans n’hésitent pas à acheter des drogues pour calmer leurs
souffrances et prolonger leur existence.

Un médecin, _âdhabîb_, qui accepterait avec dévouement la mission
d’aller passer quelques années au milieu des Touâreg, non-seulement
serait considéré par eux comme un personnage sacré, mais encore y
exercerait la plus heureuse influence pour l’avenir de nos relations
commerciales ou politiques.

Quand la France aura un agent consulaire à Ghadâmès ou à Rhât, on pourra
utilement confier cette glorieuse mission à l’un de ces nombreux
officiers de santé de l’armée pour lesquels l’occasion de rendre des
services est toujours une bonne fortune. Si ce médecin parlait l’arabe
et avait le goût des voyages, le Sahara n’aurait bientôt plus de secrets
pour nous.


                               _Travail._


Le Touâreg n’ont pas d’habitation, ils ne produisent ni les vêtements
qu’ils portent ni les aliments qu’ils consomment ; à les juger par leur
impuissance à suffire à leurs premiers besoins, surtout quand on sait
qu’ils ont des vallées où la terre est profonde et l’eau presque à la
superficie du sol, on est, à première vue, disposé à les classer parmi
les peuples paresseux, dignes de toutes les misères qui les atteignent.

Il n’en est rien cependant, car le târgui est un homme actif, toujours
occupé ; mais l’immensité de l’espace dévore son temps et ne lui laisse,
après chaque course, que trop peu d’intervalle pour vaquer à d’autres
soins.

On se rendra compte de la lutte de l’homme contre l’espace en
rapprochant deux chiffres : celui de la population, environ 30,000 âmes,
pour la totalité des Touâreg du Nord ; et celui de la superficie
occupée, 100 millions d’hectares environ, probablement plus, dont ils
doivent faire la police, soit pour protéger les caravanes de leurs
clients, soit pour surveiller les mouvements de leurs ennemis.

Pour aller à un marché, vendre ou acheter, ce qui, partout ailleurs,
n’exige qu’un jour au plus, demande souvent un mois à un târgui, et
ainsi de tout.

Dans cette situation, les Touâreg ne peuvent être ni agriculteurs, ni
industriels, mais seulement pasteurs des très-maigres et des très-petits
troupeaux indispensables à leur existence, à leurs courses, à leurs
transports. Néanmoins la surveillance de leur territoire, la garde de
leurs troupeaux, les voyages, les déplacements fréquents que la
transhumance impose, obligent les Touâreg à un travail continu qu’une
race forte et robuste peut seule supporter.

A part les oasis de Ghadâmès, de Rhât, du Fezzân, de Djânet et d’Idélès,
qui ne produisent même pas tout ce que leurs habitants consomment, on ne
trouverait peut-être pas 1000 hectares cultivés dans les 100 millions
occupés par les nomades. Du moins, je suis autorisé à tirer cette
conclusion de ce que j’ai vu et des renseignements qui m’ont été donnés.
On cite, chez les Azdjer, trois groupes de dattiers et deux groupes de
figuiers, et à peine un plus grand nombre chez les Ahaggâr.

D’ailleurs, les Touâreg n’ont ni bœufs, ni chevaux, ni charrues pour
abréger le travail de la terre ; ils sont donc fatalement condamnés à ne
cultiver que les rares petits jardinets qu’ils peuvent piocher avec
leurs bras.

On cite cependant un fait exceptionnel de culture que je dois
mentionner. Sur l’un des points culminants du Tasîli, à Harêr, il n’y
avait qu’un plateau dont la roche était à nu. Les serfs y ont apporté de
la terre végétale à dos d’hommes et d’animaux, et ils y cultivent
aujourd’hui des dattiers, des vignes et des céréales.

Ce point est assez élevé au-dessus du niveau général du plateau pour
que, du pied de la montagne, un homme placé à son sommet ne paraisse pas
plus grand qu’un corbeau.

L’industrie est un peu moins bornée que l’agriculture, sans cependant
dépasser les limites imposées par la stricte nécessité.

Des forgerons, _inat_, réparent les armes ; après les nobles, ces
artisans sont les principaux personnages de la tribu.

Des tanneurs, _sefel_, préparent les peaux de tous les animaux tués :
chameaux, moutons, chèvres, mouflons, antilopes.

Des selliers, des cordonniers mettent ces peaux en œuvre.

Quelques-uns font des travaux de sparterie et de poterie en argile.

D’autres travaillent le bois, tournent des plats et des sebiles,
préparent des arcs et des flèches, des hampes de lance, des manches de
sabre et de poignard.

D’autres sont vétérinaires, saignent, bistournent les animaux, leur
appliquent le feu.

Enfin quelques-uns se hasardent à faire du goudron, matière
indispensable au chameau.

Je dois dire que les ouvriers de ces professions ne manquent pas
d’adresse. J’avais perdu la clef de mon chronomètre ; un forgeron târgui
d’El-Fogâr, où cet accident est arrivé, a pu m’en faire une. Le travail
de la pelleterie, de la cordonnerie et de la sellerie a atteint,
notamment à Ghadâmès, un assez haut degré de perfection pour pouvoir
rivaliser avec les produits des mêmes industries du Maroc, qui n’ont pas
encore été surpassés pour la force, la souplesse et la couleur des
cuirs, par les imitateurs européens. Quelques échantillons de fine
sparterie témoignent d’une supériorité réelle sur les produits
similaires du Sud de l’Algérie et de la Tunisie.

L’intelligence qui distingue le peuple târgui ne saurait lui faire
défaut en industrie ; malheureusement il n’a ni le temps, ni les
ressources suffisantes pour l’appliquer.

Les professions autres que celles ci-dessus dénommées sont celles de
marchand, _anesbarhôr_ ; guide, _âkhabîr_ ; chamelier, _âmakâri_ ;
voyageur, _amesôkal_ ; chasseur, _amadjedâl_ ; berger de chameaux,
_amadân_ ; berger de moutons, _amaouâl_.

La garde des troupeaux et les soins à leur donner occupent beaucoup de
bras, car l’eau qu’ils consomment doit souvent être tirée de puits
profonds.


[Note 122 : M. le docteur Henri Barth, qui a étudié surtout les Touâreg
du Sud, écrit le nom de ce peuple _Imôcharh_ d’après le dialecte des
Aouélimmiden. J’ai adopté dans cet ouvrage la forme _Imôhagh_, qui est
celle usitée dans le Nord. Le même changement de lettres se trouve dans
un grand nombre de mots de nos deux vocabulaires.]

[Note 123 : Les auteurs de l’antiquité grecque et romaine parlent
d’hommes habitant le pays actuel des Touâreg qui ne portaient pas de
noms propres. Sans doute il est question de noms patronymiques et d’un
usage analogue à celui que je constate, car il est douteux que des
hommes aient jamais pu vivre en société sans avoir un nom personnel.]




                              CHAPITRE VI.

                   TOUÂREG DANS LEUR VIE EXTÉRIEURE.


La conservation de leur indépendance au milieu de voisins de races
différentes, leurs ennemis ou leurs rivaux, a exigé des Touâreg, souvent
affaiblis par leurs divisions intestines, toujours à la discrétion
d’étrangers pour les besoins de leur consommation, un grand déploiement
de vitalité extérieure, ici pour conserver de bonnes relations, là pour
défendre leur territoire. L’examen des procédés par lesquels ils font
face aux besoins de leur politique n’est donc pas sans intérêt.

Ces procédés sont ceux des nations civilisées : les négociations
amiables ou la lutte à main armée. A l’exception de rares moments de
trève, la vie des nobles se passe ou à prendre part à des assemblées,
_mia’âd_, ou à faire la guerre, _âmdjer_, sous la forme de course,
_êdjen_.


                     § Ier. — ASSEMBLÉES OU MIA’ÂD.


Je suppose le cas, journalier d’ailleurs, où s’élèvent des
contestations, soit entre Touâreg, soit entre Touâreg et étrangers. On
essaie d’abord les voies de la conciliation. A cet effet, un _mia’âd_
est proposé et presque toujours accepté, parce que si les Touâreg
tiennent à leur réputation d’hommes de guerre, ils aiment aussi à faire
preuve d’habileté diplomatique, à se montrer éloquents, mais surtout à
prendre leur large part des repas homériques qui ouvrent et terminent
les assemblées publiques.

Le choix du lieu de la réunion est toujours une affaire importante, car
chaque parti élève ordinairement la prétention de placer son adversaire
dans des conditions défavorables pour sa défense, si le démon de la
traîtrise venait à s’introduire dans l’assemblée.

Quand les circonstances sont délicates, on choisit ordinairement un
terrain neutre et on détermine à l’avance le nombre d’hommes armés qui
pourront, de part et d’autre, assister à la réunion.

Une fois les préliminaires réglés et le lieu de la réunion fixé d’un
commun accord, les chefs, les hommes graves, s’y rendent avec l’escorte
convenue.

La politesse la plus exquise préside à la rencontre. Les salutations,
les compliments durent le temps nécessaire à la cuisson d’un chameau et
de plusieurs moutons.

« Quand le ventre est satisfait, dit un proverbe local, le cerveau est
bien près de l’être aussi. »

Conformément aux habitudes musulmanes, la première entrevue s’effectue
sans qu’il soit question de l’objet de la réunion.

En attendant, chaque parti scrute les regards de l’autre, sonde les
dispositions hostiles ou favorables des hommes influents et demande à la
nuit quelque bon conseil.

Le lendemain, la conférence s’ouvre.

Ces congrès, inutile de le dire, ont toujours lieu en plein air et en
présence de toute l’assistance.

Deux arcs de cercle concentriques, formés vis-à-vis l’un de l’autre par
les plénipotentiaires, gravement assis à la façon orientale et roulant
leurs chapelets dans leurs doigts, marquent la limite de l’enceinte
réservée aux orateurs.

Autour, deux autres arcs de cercle réunissent la foule des auditeurs,
debout ou assis, qui écoutent, dans le plus grand respect, toutes les
raisons pour ou contre, afin d’en rendre un compte exact aux absents.

Toujours le silence est rompu par une imprécation contre le démon :

« Que Dieu éloigne ses mauvais conseils ! »

« _Amîn_, ainsi soit-il, » répondent tous les assistants.

Chacun prend la parole, à tour de rôle, les chefs des chefs, ceux qui
doivent tirer la conclusion, se réservant de parler les derniers.

L’habitude, dans ces réunions, est de parler lentement, distinctement,
sobrement, après avoir pesé, avec une grande réserve, les arguments de
la partie adverse.

Aucun secrétaire ne dresse procès-verbal de la séance, mais personne n’a
d’effort de mémoire à faire pour se rappeler tout ce qui a été dit, tant
il y a de calme dans toute la délibération.

Rien n’est simple, mais rien n’est majestueux comme ces assemblées
d’hommes voilés, aux vêtements noirs, désarmés pour délibérer, mais dont
les lances et les javelots, plantés en terre, se dressent en faisceaux
derrière eux.

Enfin le moment solennel de la conclusion est arrivé.


La conclusion ordinaire d’Ikhenoûkhen peut se résumer en ces quelques
mots :

« Tout ce que vous venez de dire n’a pas le sens commun. Voilà ce qui
sera, _quia ego nominor leo_. »

Chez les Touâreg, comme ailleurs, la raison du plus fort est souvent la
meilleure.

Cependant, comme la diplomatie saharienne ne se tient pas pour battue
après un insuccès, elle en appelle d’un premier mia’âd à un second, même
à un troisième. Souvent, dans l’intervalle, les passions s’appaisent, la
réflexion l’emporte sur la colère et un marabout arrive à point pour
tout concilier.

Dans ces cas heureux, on ne se sépare pas sans sceller l’alliance
nouvelle en mangeant le même pain et le même sel, avec l’accompagnement
obligatoire de chamelles et de moutons rôtis, et, souvent, pour
perpétuer la mémoire d’un aussi heureux résultat, on dresse une pyramide
en pierres sèches sur le point où le mia’âd a été tenu.

Mais quand, de chaque côté, il y a un Ikhenoûkhen, malgré les efforts
des marabouts, malgré l’intérêt général qui réclame la paix, il faut
avoir recours à la force des armes.


                            § II. — GUERRE.


Les Touâreg distinguent la guerre, _âmdjer_, de la course, _êdjen_ (le
_rhezî_ des Arabes), quoique le plus souvent la course soit l’unique
manifestation d’un état hostile après une déclaration de guerre.

La guerre offensive et défensive n’est qu’exceptionnellement possible de
nomade à nomade. La surprise ou la fuite constitue la seule tactique
dans le Sahara, aussi les Touâreg doivent-ils toujours veiller et être
prêts à lever leurs camps.

Mais avant d’arriver sur le champ de la lutte, il y a lieu de faire
connaître, de pied en cap, le chevalier târgui, son armement, son
équipement, sa monture, en un mot tous les détails d’une guerre
exceptionnelle.


                              _Armement._


L’armement complet d’un târgui comprend un sabre, un poignard, une
lance, un javelot, un arc, des flèches, un anneau de pierre, un
bouclier, quelquefois un fusil et des pistolets.

Le sabre, _takôba_, est un glaive droit et long, tranchant des deux
bords ; les plus estimés sont fabriqués dans le pays ; le plus grand
nombre vient de Solingen en Allemagne. (Voir planche XXV, fig. 2.)

Le fourreau du sabre, partie en fer ou cuivre et partie en cuir,
s’appelle _tedoummân_. Il est toujours un produit de l’industrie locale.

Le poignard, _têlaq_, porté sur la face interne de l’avant-bras gauche,
est tantôt un long couteau de chasse droit, tantôt un large poignard qui
représente en petit le sabre actuel de notre infanterie.

Cette arme, que le târgui ne quitte jamais, comprend une poignée, une
lame, un fourreau et un bracelet.

La poignée est en bois d’ébène, avec des incrustations en cuivre ;

La lame est en acier à trempe douce ;

Le fourreau, en cuir rouge avec des garnitures en cuivre festonnées à
l’emporte-pièce, peut être considéré comme un ornement ;

Le bracelet, en maroquin rouge avec des broderies de soie ou de cuir
jaune, permet tous les mouvements sans les gêner. Il fait corps avec le
fourreau.

Le tout, sauf la lame, est de fabrication locale. (Voir fig. 8.)

La lance, _âllârh_, de 2m 70 centimètres à 3 mètres de hauteur environ,
est une verge en fer, de quatre centimètres de circonférence, fabriquée
dans le pays avec du fer tendre de première qualité. Latéralement, sur
ses quatre faces, au-dessous du fer tranchant destiné à ouvrir la voie,
elle est armée de crochets comme les harpons, de sorte qu’en la retirant
du ventre ou de la poitrine de l’ennemi, on ramène au dehors une partie
des intestins ou des poumons. (Voir fig. 1.)

Le javelot est une arme de jet, sous forme de lance, avec hampe en bois
et pointe en fer à crochets. Un petit javelot se dit _târhda_, un grand,
_âdjedel_. Cette arme ne peut être lancée qu’à une distance très-
rapprochée. (Voir fig. 1 _bis_.)

Pl. XXIV. Page 444. Fig. 39.

[Illustration : ÉQUIPEMENT DE MARCHE DES TOUÂREG.

D’après une photographie de M. Puig.]

L’arc, _tanâchchabt_, faite avec un bois léger nommé _kînba_, est plus
en usage chez les Touâreg du Sud que chez les Touâreg du Nord. (Voir
fig. 3.)

Les flèches, _enderbâ_, sont en roseau ou en bois léger avec pointes
ailées en fer. (Voir fig. 4.) Jamais elles ne sont empoisonnées.

L’anneau de bras, _âhabedj_, a un double but : donner plus de force pour
porter le coup de sabre ; offrir un point d’appui solide pour écraser la
tête de son ennemi, en cas de prise de corps. Cette manière de tuer
prend le nom de _temârhaît_.

Cette arme, je l’ai déjà dit, est portée au bras droit, entre l’attache
inférieure du deltoïde et le ventre du biceps.

Le bouclier, _ârhar_, est la seule arme défensive des Touâreg. C’est un
grand disque, en peau épaisse, qui couvre tout le corps, moins la tête
et les pieds.

La peau adoptée pour la confection des boucliers est celle de
l’_antilope mohor_, très-commun dans le pays d’Aïr.

Impuissant contre la balle, le bouclier résiste aux flèches, amortit les
coups de sabre et de lance. On voit qu’ils sont utiles, car beaucoup
sont couverts d’honorables cicatrices.

Les armes à feu, très-rares chez les Touâreg nomades, sont plus communes
chez les serfs pacifiques du Fezzân, qui s’en servent principalement
pour la chasse ; cependant quelques chefs ont des fusils et des
pistolets à pierre, du même modèle que ceux des Arabes du Sud de
l’Algérie.

Les noms donnés à ces armes témoignent du peu d’habitude de s’en
servir :

On appelle : un fusil _albârôd_, du mot arabe qui signifie _poudre_ ; un
pistolet _elrhodrîyet_, d’un mot également arabe qui signifie
_traîtrise_ ; la poudre, _etoû_ ; la balle, _tabellâlt_ ; la pierre à
fusil, _tafarâst_ ; la corne à poudre, _attelkhîg_.

A la joie qu’Ikhenoûken a éprouvée en recevant de moi une paire de
pistolets, et de M. le gouverneur général de l’Algérie un magnifique
fusil, je dois croire que les Touâreg apprécient à leur valeur les armes
à feu, et que, s’ils n’en sont pas tous pourvus, il faut l’imputer à la
difficulté de s’en procurer.

Cependant, la substitution des armes à feu aux armes blanches mettra le
pouvoir aux mains du premier groupe qui pourra faire entendre la poudre.
S’il entrait jamais dans la politique française de constituer un
_makhzen_ târgui, pour la protection de notre commerce et la sécurité
des routes, ainsi que l’a proposé M. le commandant Hanoteau, la
délivrance de quelques centaines de fusils à ces auxiliaires les aurait
bientôt rendu les arbitres des destinées du pays.

En l’état de l’armement, les rencontres ont lieu de très-près, presque
corps à corps, mais, en somme, elles sont très-peu meurtrières. Le
combat cesse dès qu’il y a quelques hommes tués ou blessés de part ou
d’autre.

En 1860, les Azdjer et les Ahaggâr en sont venus aux prises ensemble ;
les premiers ont eu quatre hommes tués.

Antérieurement, les Cha’anba avaient opéré une grande rhazia sur les
Azdjer, au pied du Tasîli ; la perte a été de quelques hommes seulement.

Dans leurs rencontres avec les Teboû, les Touâreg sont exposés aux
blessures très-dangereuses du _changuermanguer_, à la fois arme de jet
et d’escrime. (Voir planche XXV, fig. 5.)


                             _Équipement._


Le méhari, _aredjdjân_, est, par excellence, l’animal de guerre, car on
n’en connaît pas d’autre. C’est à peine si, dans la totalité des tribus
des Azdjer, on trouverait une dizaine de chevaux de selle.

Le méhari est au chameau porteur ce que, chez nous, le cheval de selle
est au cheval de trait. Autant l’un est lourd et lent, autant l’autre
est léger et vif.

Le méhari marche, trotte et galope, mais ses allures accélérées sont
très-dures. Généralement, on le tient au pas.

Comparé au cheval, il peut faire une plus longue marche sans boire ni
manger ; il peut porter un poids plus lourd, mais il a moins de vitesse,
il est moins docile ; quand le méhari est en fureur, ce qui arrive
souvent, c’est un animal terrible. Parfois il jette à terre celui qui le
monte, et les chutes sont suivies d’accidents graves.

Pour monter un méhari ou pour en descendre, il faut qu’il se soit mis à
genoux, et un long dressage est nécessaire pour qu’il se prête à cette
manœuvre. Par précaution, les chefs sont assistés d’un homme à pied
chaque fois qu’ils veulent monter ou descendre.

Pl. XXV. Page 447. Fig. 40 à 54.

[Illustration : ARMEMENT ET HARNACHEMENT.

No 7, fouet. — No 9, sandale. — No 11, coussin. — No 15, boîte en cuir.]

L’équipement du méhari est à peu près celui du cheval.

La selle ordinaire, _ârhazer_ (_rihla_ des Arabes), la selle de luxe des
chefs, _âtarâm_, sont construites sur le modèle de celles de nos spahis.
Le dossier en est moins large et moins élevé, le pommeau est en croix au
lieu d’être rond. En somme, ce serait un bon siége de marche s’il était
rembourré. (Voir planche XXV, fig. 6 et planche XXIV.)

A la différence de la selle du cheval, la selle du dromadaire n’a pas
d’étriers, _îlekif_, support inutile, les pieds du cavalier à
dromadaire, _eg-emîs_, étant croisés sur le cou de la bête. Mais, en
revanche, elle est ornée d’une masse de lanières en cuir, de toutes
couleurs, qui tombent sur les jambes de l’animal et le sollicitent à la
marche.

Des groupes de clochettes, _anaïna_, en cuivre et étain, fixées à
l’avant et à l’arrière de la selle, servent de parure et tiennent
continuellement le dromadaire en éveil.

La selle est posée sur le garot, à l’endroit où le cou s’attache au
corps, en avant de la bosse. Elle est fixée au moyen d’une sangle en
fines lanières de cuir tressées à plat. Ce genre de sangle, à la fois
souple et solide, doit avoir une très-grande durée.

Entre la selle et le dos de l’animal, un feutre épais, _isâtfâr_,
prévient les blessures.

La bride, _tîrhounîn_, est aussi une corde tressée, en cuir, qui
s’attache à un anneau en métal fixé au nez de l’animal, et qui le fait
obéir à la main du cavalier. (Voir planche XXV, fig. 10.)

Les accessoires de la selle sont considérables, car ils doivent contenir
tout ce que l’homme de guerre emporte avec lui. Ils consistent :

1o En un grand sac de cuir, _ârheredj_, orné de lanières, de franges et
de dessins, dans les divers compartiments duquel entre tout l’arsenal du
cavalier : sabre, fusil, javelot, arc, flèches, pistolets, quand on ne
les porte pas à la ceinture ; en un mot, les armes et les munitions. Ce
sac est à droite, pour être toujours à la disposition de la main. Il est
recouvert et protégé par le bouclier. (Voir planche XXV, fig. 12.)

2o En un second sac en cuir, servant de pendant à l’_ârheredj_, et
contenant les provisions de bouche : farine de gafoûli, farine de
gueçob, tabac à fumer, tabac à chiquer, natron, pipes, etc., etc., le
tout dans des compartiments séparés. (Voir planche XXV, fig. 14.)

3o En une ou plusieurs outres, _abeôq_, ou peaux tannées, dans
lesquelles est la provision d’eau.

Les chefs ont quelquefois la _djebîra_ des Arabes, pour y serrer leurs
objets les plus précieux. (Voir planche XXV, fig. 13.)

A part ce qui est sur le méhari, les guerriers Touâreg n’ont pas
d’autres bagages, ni tentes, ni vivres, ni bêtes de somme.

Si l’expédition est heureuse, les chameaux conquis sur l’ennemi
porteront les prises. En cas de revers, on ne veut pas d’embarras.


                             _Rencontres._


Les éclaireurs, _amârhelâi_, jouent un grand rôle dans les guerres de
surprise ; c’est par eux que la proie est signalée, guettée, livrée aux
capteurs. Si tous les Touâreg, en général, ont la vue et l’ouïe d’une
délicatesse qui les fait voir et entendre à des distances incroyables,
les éclaireurs ont ces qualités au suprême degré. Devançant la troupe au
loin, pour observer, ils savent toujours où ils retrouveront leurs amis.
La subtilité de leurs sens est pour eux un guide certain.

Les interrogatoires que les Touâreg font subir à tous les étrangers
traversant leurs territoires sont aussi un moyen de savoir ce qui se
passe autour d’eux, car on s’expose peu à les tromper.

La rapidité de la transmission des nouvelles par les voyageurs est
quelque chose d’incroyable. Pendant mon séjour dans le Sahara, j’ai
toujours appris les événements importants longtemps avant d’en avoir été
avisé par ma correspondance ; ainsi l’entrée de notre khalîfa Sîdi-Hamza
à El-Golêa’a, la marche de M. le commandant Colonieu sur Timmîmoun, la
mort du sultan ’Abd-el-Medjîd, ont été connues très-rapidement.

L’ennemi découvert, on cherche toujours à l’aborder en le surprenant.

Les hommes montés se battent du haut de leurs chameaux ; les serfs, qui
n’ont pas de méharis, se battent à pied.

L’armement exige qu’on s’aborde de très-près, à la distance d’un fer de
lance.

Chaque târgui, dit M. le commandant Hanoteau, tient le bouclier de la
main gauche et le javelot de la droite ; le sabre est suspendu au côté.
Le combat commence en lançant le javelot, dont on pare les coups avec le
bouclier, puis on s’aborde au sabre.

L’agilité des Touâreg, leur habileté à manier le bouclier, le long
apprentissage qu’ils ont fait de l’escrime, font qu’ils peuvent se
battre longtemps sans résultat. Tant que l’un des deux partis ne tourne
pas le dos, il n’y a pas d’action décisive. Mais, malheur à celui qui
est obligé de battre en retraite, car il est poursuivi, la lance dans
les reins. Quoique les combats, _akennâs_, cessent dès que l’honneur
peut être réputé satisfait et dès qu’il y a un certain nombre de tués ou
de blessés, on cite cependant des batailles qui ont été très-meurtrières
et dans lesquelles la destruction du parti vaincu a été la conséquence
de la victoire.

Mais, généralement, on préfère la surprise à la rencontre. Voici ce qui
a lieu dans ce cas. Les tribus enveloppées n’opposent pas de résistance
et fuient, abandonnant tout ce qu’elles possèdent. De leur côté, les
assaillants, plus préoccupés de piller que de poursuivre leur ennemi, se
hâtent de s’emparer au plus tôt du butin, dans la crainte d’un retour
offensif, qui est à redouter, même après quatre et cinq jours de
capture.

C’est dans les retours offensifs que les Touâreg paraissent redoutables.

Les pillés, _imîhaghen_, (sing. _amîhagh_), réunissent leurs méharis,
font appel à leurs amis et alliés, et quelle que soit la célérité que
les pilleurs, _imôhagh_, apportent à la retraite, on se met à leur
poursuite.

On tâchera de les devancer aux premiers puits où ils doivent abreuver
leurs montures et leurs bêtes de somme, et là, on est sur que le besoin
de boire amènera toutes les bêtes de prise au pouvoir de leurs anciens
maîtres.

Les capteurs, chargés de butin, traînant à leur remorque des bêtes de
somme, au pas lent, et obéissant mal à la voix de nouveaux conducteurs,
n’ont d’autre expédient, pour échapper à la poursuite d’ennemis légers
et résolus à reconquérir leurs biens, qu’en dérobant leur marche de
retraite, ce qui n’est pas facile avec des rôdeurs comme les Touâreg.

On cite un retour offensif d’Ikhenoûkhen contre les Cha’anba, où après
quatre grands jours de marche forcée ces derniers ont été obligés
d’abandonner toutes leurs prises, en perdant beaucoup de monde.

Par nature, par tempérament, les Touâreg sont constitués pour être de
braves guerriers, et ils le sont, sans quoi ils eussent déjà été dévorés
par leurs voisins, bien plus nombreux, bien mieux armés qu’eux, surtout
ceux du Nord, les Cha’anba et autres. Mais indépendamment de leurs
dispositions naturelles à la bravoure chevaleresque, les Touâreg sont
encore sollicités à l’héroïsme par leurs femmes qui, dans leurs chants,
dans leurs improvisations poétiques, flétrissent la lâcheté et
glorifient le courage. Un târgui qui lâcherait pied devant l’ennemi et
qui, par sa défection, compromettrait le succès de ses contribules, ne
pourrait plus reparaître au milieu des siens. Aussi est-ce sans exemple.

Entre Touâreg, quand deux partis en sont venus aux mains, et que l’un
des deux est battu, les vainqueurs crient aux vaincus, de ce cri sauvage
particulier aux Touâreg :


  Hia hia ! hia hia !

  Il n’y aura donc pas de rebâza !


Le rebâza est le violon sur lequel les femmes chantent la valeur de
leurs chevaliers.

A la menace du silence des rebâza, les vaincus reviennent à la charge,
tant est grande la crainte du jugement défavorable des femmes.


                          _Chants de guerre._


Comme tous les peuples guerriers, les Touâreg ont leur chants de guerre.

Les Arabes, ces grands mangeurs, qui vivent dans une abondance enviée et
enviable, ont surtout excité la verve de poëtes affamés. Voici leur
_Marseillaise_ contre les Cha’anba, jadis leurs plus intimes ennemis :


  Abâ mak, Ma’talla, alhîn, keïhân !

  Mîdden dîh souort arhêledh iyyân

  Ezzâin asîkel aked aoudân

  Ezzâin înnen înhâyen ôdouân

  Ezzâin iddâsin âles insân

  Nanesberhôr sâdhittes telâ djân

  Tekenâs atiti âberdjen îkenân

  Tekenâs tâftaq imêzhen îmedân

  Ietkâr derhêred idemânen ingngân

  Dakh-an-tlemîn sîkid izzedj edsân

  Sarhtîn des âllarh ioulân desennân

  Ieqqân isîfef âttedjmodan mân

  Nellilouet ournoûye oualâmân

  Ietkît tekhamkhâm iôkây ezegzân.


Voici la traduction, mot à mot, de ce chant. Les mots en italiques sont
sous-entendus dans le texte original.


  « Que _Dieu_ maudisse ta mère, Ma’talla[124], _car_ le diable est en
  ton corps !

  « Ces hommes, _les Touâreg_, tu les prends pour des lâches ;

  « _Cependant_, ils savent voyager, et même guerroyer ;

  « Ils savent partir de bon matin et marcher le soir ;

  « Ils savent surprendre, dans son lit, tel homme couché ;

  « _Surtout_ le riche qui dort, au milieu de ses troupeaux
  agenouillés ;

  « Celui qui a orgueilleusement étendu sa large tente ;

  « Celui qui a déployé, en leur entier, et ses tapis et ses doux
  lainages ;

  « Celui _dont le ventre_ est plein de blé cuit avec de la viande,

  « Et arrosé de beurre fondu et de lait chaud sortant du pis des
  chamelles ;

  « Ils le clouent de leur lance, pointue comme une épine,

  « Et lui se met à crier, jusqu’à ce que son âme s’envole.

  « Nous le laverons _de son bien_, sans même lui laisser d’eau ;

  « Sa gourmande de femme[125] ne pourra plus supporter son
  désespoir[126]. »


La traduction est impuissante à rendre et l’harmonie imitative et le
laconisme de cette poésie sauvage.

Que de choses en peu de mots !

La guerre est sainte, car Ma’talla est un suppôt de Satan.

Elle est juste, car Ma’talla traite de lâches des hommes qui sont les
plus braves de la terre.

Puis vient l’appel à toutes les passions qui remuent le cœur d’un
târgui :


  Ma’talla dort,

  Sur de moelleux tapis,

  Dans une large tente,

  Entourée de gras troupeaux !

  Ma’talla a le ventre plein :

  De blé cuit,

  Avec de la viande.


Et cet assaisonnement n’a pas suffi à sa gourmandise ; il a encore
arrosé son blé et sa viande de beurre fondu et de lait chaud.


  La femme de Ma’talla,

  Celle qui fait _tekhamkhâm_ en mangeant,

  Elle est là aussi,

  Avec le ventre plein.


Toutes ces jouissances, inconnues des Touâreg, car ils n’ont ni lits, ni
tapis, ni tentes ; car leurs troupeaux maigres ne donnent pas assez de
lait pour faire du beurre ;

Toutes ces richesses, dont leurs femmes, à l’estomac vide, sont toujours
privées ;


  Un coup de lance les leur donnera.


Quel bonheur pour un târgui d’aller sonder un ventre si bien plein, avec
une épine bien pointue et armée de harpons !

Et ce coup de lance lui donnera, non-seulement la vie de Ma’talla, mais
encore tous ses biens.


  Et on emportera tout, même l’eau.


Quant à la tekhamkhâm, en lui épargnant la douleur de la lance, on lui
réserve un supplice bien plus cruel : celui de vivre avec rien, comme
les femmes des Touâreg. Mais elle ne résistera pas, parce qu’elle n’est
pas habituée aux privations.

D’où la conclusion, sous forme de morale, que les femmes târguies
doivent apprécier le mérite de leur misère habituelle, puisqu’elle les
préserve du sort de la tekhamkhâm.


Mais, quelles que soient les chances diverses de la lutte, quel que soit
le parti qui entonne les chants de victoire, il y aura toujours lieu à
traiter de la paix. Alors recommence la série des mia’ad. S’ils sont
vainqueurs, les Touâreg se montrent de bonne composition, car ils sont
généreux dès que leur amour-propre est satisfait. D’ailleurs, il est à
remarquer, quoiqu’ils soient souvent en guerre, qu’ils font tout leur
possible pour l’éviter.


                              CONCLUSION.


Dans leurs rapports avec les Français, les Touâreg se sont montrés,
jusqu’à ce jour, fort dociles. On leur a demandé de venir à Alger ; ils
y sont venus. On m’a envoyé au milieu d’eux, ils m’ont bien accueilli.
On a invité leur principal marabout à visiter la France ; malgré
l’imprévu de la demande, malgré l’inconvénient d’abandonner sa famille,
pendant plusieurs mois, sans avoir pourvu à tous ses besoins, le
Cheïkh-’Othmân s’est rendu à nos désirs. En vain Mohammed-ben-’Abd-Allah
a sollicité le concours des Touâreg dans la prise d’armes qui l’a fait
tomber en nos mains, les Touâreg se sont abstenus.

Espérons qu’il en sera toujours ainsi. D’ailleurs, en terminant, je
constate un fait capital : jusqu’à ce jour, aucun des voyageurs
européens qui ont exploré l’intérieur de l’Afrique n’a été victime d’un
acte de brutalité ou de fanatisme, ni sur le territoire des Touâreg, ni
de la main d’un târgui.

Cette honorable exception répond à toutes les calomnies que les Arabes,
leurs ennemis, avaient propagées sur leur caractère indomptable.


[Note 124 : Ma’talla est le nom d’un chef arabe.]

[Note 125 : Je traduis le mot _tekhamkhâm_, par _sa gourmande de femme_,
à défaut d’un mot dans notre langue pour signifier _celle qui, devant un
bon mets, fait hen, hen, hen, comme le cheval auquel on apporte sa
musette pleine d’orge_.]

[Note 126 : M. Hanoteau, dans son _Essai de Grammaire tamâchek’_, donne,
livre VI, pages 209, 210, 211, une variante de ce chant.

J’ai tout lieu de croire que l’auteur doit mieux se rappeler son œuvre
que ceux qui récitent un chant, en le modifiant au gré de leurs
caprices ; c’est pourquoi j’en donne ici une seconde édition conforme à
l’original.]




                               APPENDICE.

                               * * * * *

                          GÉOGRAPHIE ANCIENNE.


La partie aujourd’hui explorée du Sahara était comprise dans la Libye
intérieure des géographes grecs et romains.

Les documents anciens sur cette contrée sont vagues et, jusqu’au moment
de la publication du dernier ouvrage de M. Vivien de Saint-Martin : _le
Nord de l’Afrique dans l’antiquité grecque et romaine_, leur
interprétation prématurée est venu jeter la confusion au milieu
d’erreurs originelles, inévitables pour des compilateurs qui n’avaient
pas vu le pays, qui ne connaissaient ni les langues ni la technologie
géographique locales et qui, pour la plupart, se sont faits les échos
des dires des indigènes, sans pouvoir les contrôler. On ne sera donc pas
étonné que je ne laisse pas à d’autres, beaucoup plus érudits, sans
doute, mais qui ne peuvent s’inspirer de mes appréciations personnelles,
le soin de comparer les éléments de la géographie moderne avec ceux de
la géographie ancienne que le hasard a fait arriver jusqu’à nous.


Dans l’état actuel de nos informations sur le Sahara, je me crois
autorisé à conclure :

1o Qu’à l’exception de l’oasis, jadis éthiopienne, d’Aïr,
identifiée[127] avec raison à l’_Agisymba regio_ des expéditions de
Septimius Flaccus et de Julius Maternus, les anciens n’ont pas connu le
plateau central du Sahara au delà du tropique du Cancer qui correspond,
à peu près, à la limite de la Libye intérieure avec l’Éthiopie
intérieure ;

2o Que, restreintes à cette limite méridionale, leurs connaissances se
bornent :

A la topographie des masses montagneuses qui séparaient la Libye
intérieure des autres contrées au Nord et au Sud ;

A la division de l’espace intermédiaire en deux grands bassins ;

A la présence d’immenses masses de sables dans les bas-fonds de ces
bassins ;

3o Que les détails donnés par Pline, Ptolémée et autres, détails résumés
en des noms de lieux, de peuples, quelques distances et orientations — à
supposer que, primitivement, ils fussent tous exempts d’erreurs et de
confusions, ce qui n’est pas, — ne peuvent être vraisemblablement
retrouvés aujourd’hui, après les changements survenus depuis dix-huit
cents ans, à l’exception, toutefois, des centres les plus importants qui
semblent être restés comme des points géodésiques pour guider et diriger
les recherches.

Cet Appendice n’a d’autre but que de démontrer ces trois propositions.

                           _Agisymba regio._

L’_Agisymba regio_ est le point le plus méridional du Sahara que les
anciens puissent revendiquer à leur avoir géographique. Voici, en
résumé, à quoi se borne ce qu’ils nous apprennent sur cette contrée.


« Septimius Flaccus faisant une expédition contre les Éthiopiens était
arrivé chez ceux-ci, _en trois mois_, à partir du pays des Garamantes,
_en se portant dans la direction du Sud_.

« Julius Maternus qui avait rejoint, à Garama, le Roi des Garamantes
pour opérer avec lui contre les Éthiopiens, _avait mis quatre mois, en
marchant constamment au Sud_, pour atteindre le pays éthiopien
d’_Agisymba_. »

C’est Marin de Tyr qui nous révèle ces faits.

Ptolémée, en reproduisant ces extraits, critique les appréciations de
son informateur quant à la latitude donnée à _Agisymba_, mais y ajoute
deux détails importants.

« Les Éthiopiens contre lesquels l’expédition de Maternus est dirigée
sont, dit-il, les propres sujets du Roi des Garamantes. »

L’_Agisymba regio_, d’après le géographe grec, est une région de
montagnes, dans laquelle il place « les monts _Mesche_, _Zipha_ et
_Bardetus_. »


La distance de Garama à Agisymba, l’orientation de la marche, la nature
montagneuse de la contrée, but de l’expédition, ont paru à M. Vivien de
Saint-Martin des motifs suffisants pour identifier l’_Agisymba regio_ de
Ptolémée au pays d’Aïr ou Azben, patrie des Touâreg Kêl-Ouï.

Mes recherches personnelles me permettent d’appuyer ces déductions de
l’autorité d’un fait matériel important dans la question.

Ce fait matériel est celui de la route de Garama à Agisymba, car des
armées romaines, à une époque où le chameau n’était pas encore introduit
en Afrique, ne se portaient pas en avant, à trois et quatre mois de leur
point de départ, sans avoir des masses de bagages, attendu que, dans le
désert, les besoins du retour doivent être prévus à l’avance, et, sans
que ces masses de bagages eussent une route carrossable pour y circuler,
car, à défaut d’animaux porteurs, des voitures étaient indispensables.

La date probable des expéditions de Flaccus et de Maternus est de la fin
du Ier siècle de l’ère chrétienne.

A cette époque vivait Pline, mort en 81 de J.-C.

Or, Pline qui énumère tous les animaux de l’Afrique ne mentionne pas le
chameau, mais parle des bœufs des Garamantes qui paissent à reculons
(Liv. VIII, 70), reproduisant en cela une notion tirée d’Hérodote (Liv.
IV, 183).

Le même Pline nous révèle en outre (Liv. V, 5) une préoccupation de son
temps, au sujet du parcours entre Œa (Tripoli) et le pays des Garamantes
(Fezzân), et nous apprend que, dans la dernière guerre, on a enfin
trouvé une route, celle qu’on appelle : par la tête du rocher. « _Hoc
iter vocatur_ : PRÆTER CAPUT SAXI[128]. »

Pourquoi cette préoccupation ?

C’est qu’à l’époque de Pline, comme à l’époque d’Hérodote, les
transports, dans le pays des Garamantes, se faisaient en chars qui
exigent des routes, et non à dos de bêtes de somme qui passent partout.

« Les Garamantes chassent en chars à quatre chevaux, » dit Hérodote.
(Liv. IV, 183.)

La seule différence, entre l’époque d’Hérodote et celle de Pline,
consiste en ce que les chevaux ont été remplacés par des bœufs à bosse,
zébus.

Une route était donc nécessaire aux armées romaines pour le passage de
leurs trains de chars, non-seulement entre Œa et Garama, mais encore
pour aller de Garama à Agisymba.

Cette route, carrossable, si son tracé existe encore, nous apprendra où
était Agisymba.

Or, ce tracé existe, très-reconnaissable sur plusieurs points de son
parcours.

Comme l’_iter præter caput saxi_ du Nord, et pour éviter les reliefs des
montagnes qui eussent barré le passage, il traversait la hamâda plate
qui sépare le pays des Touâreg de celui des Teboû, à peu près à égale
distance des deux routes modernes suivies par les dernières missions
anglaises.

Cette route passait par Anaï et Tîn-Telloust.

A Anaï, — point qu’il ne faut pas confondre avec l’Anaï au Nord de
Bilma, — la voie, _avec ses anciennes ornières_, est encore assez
caractérisée pour que des Teboû, mes informateurs, qui en arrivaient,
n’aient laissé dans mon esprit aucun doute à ce sujet.

D’ailleurs, ajoutaient-ils, pour qu’on ne puisse se tromper sur la
destination de cette artère, les anciens ont pris la peine de buriner,
dans le roc, sur une des berges de la voie, des tableaux représentant un
convoi de chars, avec des roues, traînés par des bœufs à bosse et
conduits par des hommes.

Ce tableau rupestre, très-lisible encore aujourd’hui, même pour des
Teboû, est interprété unanimement par eux dans le sens que je viens de
dire, car je traduis ici leur paroles presque textuellement.

A Telizzarhên d’ailleurs, M. le Dr Barth a vu lui-même sur le rocher des
sculptures analogues à celles d’Anaï ; il en donne la description et le
dessin au chap. IX, tome Ier de son grand ouvrage[129].

On y reconnaît facilement les bœufs à bosse, dont parlent les Teboû.

Cette voie, qui serait peut-être encore accessible aux voitures, est
abandonnée aujourd’hui faute d’eau. Sans doute, à une époque ancienne
déjà, on aura dû en combler les puits, pour des motifs de sécurité. Dans
tout le Sahara, dans les temps de trouble, des routes, avec puits, sur
la frontière de deux peuplades, sont un danger pour chacune d’elles.
Mieux vaut une hamâda déserte.

Déjà, du temps de Pline, les Garamantes eux-mêmes, pour éviter la
conquête de leur pays par les Romains, avaient comblé les puits des
routes qui y conduisaient. On en trouve la preuve dans les lignes
suivantes : « _Ad Garamantas iter inexplicabile adhuc fuit, latronibus
gentis ejus puteos (qui sunt non alte fodiendi, si locorum notitia
adsit), arenis operientibus_. »

Ainsi, plus de doute, une route carrossable ouverte par les anciens
Garamantes unissait l’ancienne Phazanie à Agisymba, et cette route
conduisait directement à l’oasis d’Aïr ou Azben.

           _Limite séparative de la Libye et de l’Éthiopie._

La Libye des Grecs était l’Afrique des Romains : _Africam Græci Libyam
appellavere_ (Pline, Liv. V, 1).

La limite méridionale de la Libye sera donc celle de l’Afrique.

Quelques lignes des documents anciens résument toutes nos connaissances
sur cette limite :

« Le fleuve NIGRIS sépare l’Afrique de l’Éthiopie. » (Pline, Liv. V,
10.)

« La Libye intérieure a pour limite méridionale la région inconnue,
désignée sous le nom d’Éthiopie intérieure, dans laquelle est le pays
d’Agisymba. » (Ptolémée, Liv. IV, 4.)

« Au Midi de la Mauritanie de Sétif sont les montagnes Uzzar, au delà
desquelles on ne trouve plus que des nations d’Éthiopiens. » (Paul
Orosius.)

« Au Midi de la Mauritanie de Sétif se trouve le mont SUGGAR, au delà
duquel il n’y a plus que des Éthiopiens. » (Éthicus.)

Un nom de fleuve, le _Nigris_ ; un nom de montagne, écrit _Suggar_ et
_Uzzar_ ; une direction, le _Sud_ de la Mauritanie de Sétif : tels sont
les seuls éléments qui doivent guider les recherches.

Heureusement le relief du plateau central du Sahara étant aujourd’hui
mieux connu, il n’est pas nécessaire d’un bien grand effort pour trouver
la synonymie moderne des noms anciens.

Si Pline, Orose et Éthicus nous ont transmis des indications
concordantes entre elles, la montagne servant de limite doit également
donner naissance au fleuve séparatif des Libyens et des Éthiopiens. La
raison l’indique.

Ce premier point établi, vérifions la valeur de la direction conforme
donnée par Éthicus et Orose.

Droit au Sud de Sétif, _au delà de la Mauritanie_, le premier nom de
montagne rencontré sur ma carte, nom de notoriété publique et
correspondant à un relief qui appelle l’attention, est celui du
_Ahaggâr_ des Touâreg ou _Hoggâr_ des Arabes, identique à ceux de
_Suggar_ et _Uzzar_.

_Sétif_ et l’_Atakôr-n-Ahaggâr_ sont exactement sur le même méridien.

Cette première constatation nous conduit à une seconde qui la confirme.

Le Ahaggâr donne naissance au plus grand fleuve du Nord de l’Afrique,
après le Nil, à l’Igharghar (_le courant en murmurant_) des Touâreg,
l’Ouâdi-es-Sâoudy (_la rivière noire_) des Arabes.

Ce fleuve serait-il le _Nigris_, de Pline, le fameux _Africam ab
Æthiopia dispescens_ ?

Le doute n’est pas possible, quelque soit le radical, latin ou libyque,
adopté comme origine du mot _Nigris_, car, en libyen, _Nigris_ et
_Igharghar_ sont identiques, — ce qui va être bientôt démontré — et en
latin, _Flumen Nigrum_ est exactement traduit par _Ouâdi-es-Sâoudy_.

Bientôt aussi il sera démontré que les expressions géographiques de
Γείρ, Νίγειρ des Grecs, _Niger_, _Nigris_ des Romains, doivent être
entendues, non dans un sens appellatif, restreint à la désignation
spéciale d’un fleuve ou d’une rivière, mais dans un sens qualificatif
plus général correspondant au _bassin_ d’un fleuve, d’une rivière.

Pris dans cette dernière acception, le _Nigris dispescens Africam ab
Æthiopia_ a un sens, tandis que dans l’autre il n’en a pas.

En effet, les origines du bassin du Nigris (l’Igharghar) embrassant
quinze degrés, de l’Ouest à l’Est, séparent très-bien les Libyens au
Nord, des Éthiopiens au Sud, tandis que le cours principal du Nigris, à
direction Sud et Nord, pourrait tout au plus séparer la Libye en
occidentale et en orientale.

De ces faits acquis, je tire la conclusion que la limite séparative de
la Libye et de l’Éthiopie était au point de partage des eaux de la
Méditerranée avec celles de l’Océan, limite naturelle, si jamais il en
fut.

Si ma conclusion est rigoureuse, les anciens ont dû connaître le versant
méditerranéen du massif aujourd’hui habité par les Touâreg du Nord.
L’occupation de Cydamus, de Garama, ne pouvait laisser aucune
incertitude à cet égard.

Voyons quelle était l’étendue de leurs connaissances, restreintes dans
ces limites.

                   _Mons ater ou Massif des Touâreg._

Pline dit : (Liv. V, 5.)

« De la Phazanie s’étend, sur un long espace, du Levant au Couchant, une
_montagne noire_ que les NOTRES ont appelée _Mons ater_, soit que
naturellement elle semble brûlée, soit qu’elle doive cette apparence à
l’action du soleil.

« Au delà de cette montagne sont des déserts. »

L’orientation, l’étendue, la couleur de la montagne, partie brûlée par
le soleil, partie vulcanisée par le feu, sa situation par rapport aux
vrais déserts, ne permettent pas l’hésitation. Le massif des Touâreg du
Nord, Tasîli et Ahaggâr compris, avec leurs dépendances, est bien le
_Mons ater_ de Pline.

Antérieurement et successivement, ce _Mons ater_ avait été identifié au
Djebel-Nefoûsa, à la Sôda, au Hâroûdj-el-Asoued, en raison de la nature
volcanique de ces montagnes, parce qu’on ne connaissait pas les contrées
au Couchant de la Phazanie ; mais, aujourd’hui, tous les géographes
seront unanimes pour reconnaître que le massif des Touâreg, seul, répond
à toutes les exigences du texte de l’encyclopédiste latin.

Mais répétons-le : _Mons ater_ est un nom romain, et Pline ne paraît pas
connaître le nom indigène, unique ou multiple, que ce massif portait
alors.

Toutefois, Pline ne se borne pas à constater l’existence du _Mons ater_
et des déserts qui l’environnent ; il ajoute :

« Toutes ces contrées ont été subjuguées par les armées romaines ;
Cornelius Balbus en a triomphé. »

Pour ces conquêtes, Balbus a obtenu les honneurs du char triomphal, et,
à son triomphe, — qui eut lieu en l’an 44 de J.-C., — il fit porter les
noms et les images de toutes les nations et villes qu’il avait soumises.

Pline donne, d’après les auteurs du temps, l’ordre dans lequel ces
trophées suivaient le char triomphal. Cet ordre n’ayant rien de
géographique, il n’y a pas à en tenir compte. J’aime mieux les classer
suivant leur désignation.


_Villes_ : Cydamus, Garama, Tabidium, Negligemela, Thuben, Nitibrum,
Rapsa, Debris, Thapsagum, Boin, Pège, Baracum, Buluba, Alasi, Balsa,
Galla, Maxala, Zizama ;

_Nations_ : Niteris, Bubéium, Enipi, Discera, Nannagi ;

_Montagnes_ : Niger, Gyri, — cette dernière, avec une inscription
portant qu’_on y trouve des pierres précieuses_.

_Rivières_ (flumina) : Nathabur, Dasibari.


Indépendamment de cette nomenclature décorative, riche en noms de lieux,
mais pauvre en détails, Pline cite encore, comme appartenant à la
contrée conquise par les armes romaines, des noms de peuples et de
villes, sur lesquels il possède des renseignements personnels, dont il
fait usage pour déterminer, aussi approximativement que possible, leurs
stations ou leurs emplacements.

Voici ces noms, avec les renseignements qui les accompagnent :

_Peuples_ : Les Nasamons, sur la côte de la Syrte, appelés auparavant
par les Grecs, Mesammons, à cause de leur situation au milieu des
sables ;

 Les Asbystes, }
               } après les Nasamons ;
 Les Maces,    }

Les Hammanientes, au-delà des Asbystes et des Maces, à douze journées de
marche de la grande Syrte, vers l’Occident, et entourés eux-mêmes de
sables de tous les côtés ;

Les Troglodytes, à quatre journées de marche des Hammanientes, du côté
du Couchant d’hiver ;

Les Phazaniens, du côté des déserts d’Afrique, au-dessus de la petite
Syrte ;

Les Garamantes, dont la ville célèbre de Garama est la capitale.

_Villes_ : Alele et Cillaba, villes des Phazaniens ; Matelgæ, ville des
Garamantes ; Debris, où est une fontaine dont les eaux sont bouillantes,
de midi à minuit, et glaciales, de minuit à midi.


Cette double nomenclature, en partie étrangère à la région montagneuse
du _Mons ater_, mais s’en rapprochant cependant, laisse à désirer, car,
à l’exception de Cydamus, de Garama, de Rapsa, de Boin, qu’on retrouve
dans les villes modernes de Ghadâmès, de Djerma, de Rhât (Kêl-
Rhâfsa[130]) et de Bondjêm, quatre des points les plus importants du
pays, il est vrai, le reste a moins de valeur[131] ; on en jugera par
les noms de montagnes.

_Niger_, sous sa forme latine, synonyme de _ater_, est aussi, sous sa
forme libyque, identique au nom _Nigris_, donné au fleuve qui a ses
sources dans le _Mons ater_.

_Gyri_[132], autre mont, est en double emploi, car la racine des mots
_Niger_, _Nigris_ et _Gyri_ est la même ; mais ce double emploi est
justifié par le besoin de compter au nombre des conquêtes du
triomphateur les pierres précieuses du susdit mont.


Sans doute, les pages de Pline sur les conquêtes des Romains, dans le
Sud de la Tripolitaine, ont leur valeur, mais ce n’est que dans Ptolémée
qu’on trouve, au milieu de nombreuses confusions, des détails relatifs
au massif des Touâreg du Nord, ou _Mons ater_ des Romains, détails que
la géographie moderne confirme.

Orose, Éthicus, Corippus, de beaucoup inférieurs en mérite et en savoir,
donnent aussi cependant quelques indications utiles.


Ptolémée connaît aux deux extrémités du massif deux points importants,
car ils sont deux têtes de bassins :

La Gorge Garamantique, Φάραγξ Γαραμαντίκη, dans l’Est, origine du grand
fleuve oriental de la Libye, le Γείρ ;

Le Mont Thala, Θαλα, dans l’Ouest, origine d’un fleuve occidental, le
Νίγειρ, qui, avec le précédent, constituent les deux seules grandes
rivières qui coulent dans l’intérieur du pays (Liv. IV, 5).

Le premier de ces points, que M. Vivien de Saint-Martin a identifié
d’une manière certaine avec l’Aghelâd (gorge) d’Ouarâret ou vallée de
Rhât, et le second, qui a conservé son nom ancien : Tâhela-Ohât, mont
d’où sort l’Ouâdi-In-Amedjel, nous serviront de jalons principaux.

Entre ces deux repères est un troisième point, le lac Nouba, Νούβα
λίμνη, situé à la tête des eaux du Gir (Liv. IV, chap. VI), à l’Ouest de
la montagne appelée _la Gorge_, τῆς Φαραγγος ὄρος, et au Sud du mont
Girgyris, dans la direction des Garamantes (même Liv., même chap.).

Il m’est bien difficile de ne pas identifier le lac Nouba, si bien
caractérisé par Ptolémée, avec la plaine d’Amadghôr, l’une des origines
de l’Igharghar, sise à l’Ouest de la gorge de Rhât et au Sud du Tasîli
des Azdjer, et dans laquelle est une sebkha ou lac desséché qui doit
être connue de toute antiquité. (Voir Liv. Ier, chap. II, pages 18 et
19 ; et chap. III, page 24.)

Ptolémée connaît encore, dans la même contrée, un mont Girgyris,
Γίργυρις ou Γίργιρι, sis au Sud de Lynxama, ville sur la rivière du Gir,
et au Nord du lac Nouba.

Il m’est encore impossible, en tenant compte de la position absolue que
Ptolémée donne à son Girgyris, et de sa position relative par rapport au
lac Nouba et à la ville de Lynxama, de ne pas assimiler le plateau riche
en eaux du géographe alexandrin avec le plateau que les Touâreg nomment
simplement _tasîli_, plateau, mais qui donne naissance aux nombreux
_igharghâren_ (les ruisseaux ruisselants) qui, avant les barrages des
dunes, formaient autrefois la tête orientale de l’Igharghar.

J’ai déjà dit pourquoi je n’acceptais pas l’identification du mont
Girgyris avec le Djebel-Ghariân, mais je conserve comme étant hors de
contestation la remarque de M. Vivien de Saint-Martin, à savoir que
Girgyris, Djerdjera ou Djurjura, sont absolument identiques, et j’ajoute
que les noms d’Igharghar, d’Igharghâren, ont aussi la même signification
dans la nomenclature géographique des Berbères.

Le radical de tous ces noms indique une contrée riche en eaux, mais
s’applique aussi bien aux rivières par lesquelles elles s’écoulent
qu’aux montagnes dans lesquelles elles prennent naissance.

Les Berbères de la grande Kabylie algérienne ont donné au massif des
montagnes qu’ils habitent le nom général de Djerdjera, parce que l’eau y
_idjerdjère_ sur toute son étendue, et parce que, sous ce rapport, il
est le point le plus favorisé du Tell. De même, les Berbères Touâreg ont
donné le nom d’Igharghar à la principale gouttière d’écoulement des eaux
de leur pays, et d’Igharghâren à la plaine, au plateau et aux ravins,
tête du bassin, parce que les eaux y _ighargharent_, et parce que, dans
tout le Sahara, il n’y a pas un autre point aussi riche en eau.

Le Girgyris de Ptolémée est aussi un mot imitatif qui doit avoir la même
signification.

On me pardonnera, je l’espère, la création des verbes _idjerdjerer_ et
_ighargharer_. Pour bien faire comprendre des choses nouvelles, le plus
simple souvent est de créer des mots nouveaux.

La signification réelle du radical ne tardera pas à être précisée.

En attendant, je considère comme exactes les identifications suivantes :


Celle de l’Aghelâd d’Ouarâret, avec le Φάραγξ Γαραμαντικη ;

Celle du Tâhela-Ohât avec le Θαλα ;

Celle de la Sebkha d’Amadghôr avec le Νούβα λίμνη ;

Celle du Tasîli des Azdjer ou plateau des Igharghâren, avec le Γίργυρις
ou Γίργιρι.

Mais avant de demander aux documents grecs et romains plus qu’on ne doit
attendre d’eux, je tiens à faire une autre constatation importante, en
remontant du présent au passé.

Aujourd’hui, deux confédérations politiques, composées de tribus
diverses, occupent le _Mons ater_ des Romains, et, entre les deux, est
une grande tribu de marabouts, aussi nombreuse, et occupant autant
d’espace que leurs voisins de l’Est et de l’Ouest.

Nous savons par Ebn-Khaldoûn et par la _Note sur les origines_ de
Brahîm-Ould-Sîdi que ces trois grandes fractions des Touâreg du Nord
n’occupaient pas le _Mons ater_ à l’époque romaine, et qu’avant leur
dernier mouvement de migration elles portaient d’autres noms qu’elles
ont échangés contre celui des contrées nouvelles qu’elles ont
définitivement adoptées pour leur patrie.

Ainsi, les Kêl-Ahamellen se sont transfigurés en _Kêl-Ahaggâr_, gens du
Ahaggâr, comme leurs devanciers, de l’époque romaine, s’étaient appelés
_Æzaræ_, _Uzzaræ_, _Suggaræ_[133], suivant les époques et la manière de
prononcer les noms d’une langue étrangère, et aussi suivant la pureté ou
la corruption des textes.

De même les _Ioûrâghen_, des environs de Timbouktou, sont devenus les
_Kêl-Azdjer_, pour perpétuer jusqu’à nous le souvenir des _Astacuri_,
Αστακοῦροι, de la Gorge Garamantique ;

De même encore les marabouts d’Es-Soûk, anciennement _Kêl-es-Soûk_, ont
pris le nom d’_Ifôghas_, afin qu’on ne perde pas le souvenir des
_Ifuraces_ de Corippus.

Maintenant, étant connu le massif occupé par les Touâreg du Nord, est il
nécessaire de torturer les textes pour retrouver les noms des anciens et
faire justice des doubles emplois de leurs nomenclatures ?

Non.

S’agit-il de noms généraux de races ?

On n’est pas étonné de voir, pêle-mêle, des Libyens, des Mélano-Gétules,
des Éthiopiens rouges et noirs, en un point de contact, alors contesté
et disputé, entre les descendants de Sem et de Cham. Suivant les chances
heureuses ou malheureuses de la fortune, on trouvera les uns ou les
autres tantôt au Sud, tantôt au Nord du tropique du Cancer, mais on peut
être assuré que, dans les moments d’armistice, les hommes de race noire
prendront position dans les bas fonds, où la fertilité est plus grande,
et les hommes de race blanche sur les hauteurs, là où la salubrité
convient mieux à leur tempérament.

S’agit-il de noms particuliers de tribus, que les anciens appelaient des
Nations ?

D’abord, pour retrouver leurs anciens campements, on a désormais une
base géodésique : naturellement les _Thalæ_, qui avaient pris le nom de
leur montagne, se mettront au lieu et place des _Kêl-Ohât_, tribu serve
du versant Ouest du Ahaggâr qui, eux, par un retour des choses d’ici-
bas, ont ajouté leur nom propre à celui de la montagne pour en faire
_Tâhela-Ohât_. De même les _Noubæ_, les _Nigritæ_, les _Asaracæ_,
reprendront leur ancienne position, les premiers autour de la saline
d’Amadghôr, les seconds sur les rives de l’Igharghar, les troisièmes
dans la Gorge d’Ouarâret.

Puis, autour des territoires de ces anciennes tribus, aujourd’hui
retrouvés, viendront se ranger comme autant de satellites, et dans
l’orientation donnée par Ptolémée, toutes les autres tribus dont il nous
transmet les noms.

On préviendra toute erreur en assignant comme campements probables à ces
dernières tribus les points du territoire actuel des Touâreg les plus
riches en eau et en pâturages, car, dans tout le Sahara, hier comme
aujourd’hui, ces points exceptionnels ont toujours été des lieux
d’élection pour l’habitation de l’homme.

Maintenant, si, ce placement de détail opéré, nous voulons constituer
des groupes généraux, d’après la circonscription territoriale habitée,
nous aurons des _Uzzaræ_, des _Suggaræ_, dans lesquels seront compris
les _Thalæ et leurs voisins_ ; des _Ifuracæ_ qui engloberont les
_Nigritæ_, les _Noubæ et autres_ ; enfin des _Astacuræ_, avec leurs
subdivisions, comme nous avons aujourd’hui des _Kêl-Ahaggâr_, des
_Ifôghas_, des _Kêl-Azdjer_ embrassant, sous ces dénominations
générales, des tribus nobles et serves, des tribus à sang blanc et à
sang noir, sans compter les mélanges, et des tribus de race arabe, de
race berbère et de race éthiopienne.

Dans les circonscriptions territoriales modernes, nous retrouvons donc,
comme dans les anciennes, des _Mélano-Gétules_, des _Libyens_, des
_Libo-Égyptiens_, des _Éthiopiens blancs, rouges et autres_, suivant
l’origine éthnographique des populations ou la variété des langues
qu’elles parlaient, mais dont la nomenclature fait double emploi avec
celle qui a pour base la division du territoire ou les confédérations
politiques de groupes.

S’agit-il de noms de lieux ?

L’identification d’un grand nombre est certaine, notamment pour les
montagnes et les fleuves.

Si je sors de la limite de mon exploration, le Daradus et le Rufus-
Campus, dont on retrouve les noms anciens dans la synonymie moderne,
viennent, comme de nouveaux jalons, servir de guide dans le placement
des tribus.

Les nouvelles conquêtes de la géographie nous ont donc, enfin, affranchi
des erreurs de longitude et de latitude de Ptolémée. C’est là un point
capital.


De l’orographie je passe à l’hydrographie.


                        _Des Niger de la Libye._


Je dois rappeler au lecteur qu’en langue libyque, berbère ou temâhaq, le
radical _ghar_, _gher_, _ghir_, _ghor_, signifie _eau qui coule_, sans
distinction entre l’eau superficielle ou souterraine, et par extension
BASSIN HYDROGRAPHIQUE.

Je dois ajouter aussi que, dans tout le Nord du continent africain, le
mot _Nîl_ est employé pour désigner tous les grands fleuves ; enfin que,
depuis la plus haute antiquité, les indigènes ont toujours considéré les
grandes rivières de leur pays comme étant autant de sources du Nîl
d’Égypte.

La description des Niger de la Libye, par Pline et Ptolémée, n’étant que
la reproduction des dires des indigènes de leur époque, on doit tenir
compte de ces manières de voir les choses, si l’on veut comprendre leurs
récits.

Pline connaît deux grandes rivières dans la Libye :

Le _Nigris_ ou _Niger_, dans l’Est ; le _Ger_ ou _Gir_ dans l’Ouest.

Sa description du Niger est empruntée aux _Libyques_ du roi Juba, celle
du Ger aux _Mémoires_ de Suetonius Paulinus, ouvrages aujourd’hui
perdus.

Ptolémée est plus explicite : il n’y a, dit-il, que deux grandes
rivières dans l’intérieur du pays : le Ghèr (Γείρ) et le Nighèr
(Νίγειρ)[134] ;

Le Ghèr, à l’Est, aboutissant d’un côté au Mont Usargala et de l’autre à
la Gorge Garamantique ;

Le Nighèr, à l’Ouest, aboutissant d’un côté au Mont Mandrus et de
l’autre au Mont Thala.

En apparence, Pline et Ptolémée ne sont d’accord ni sur les noms ni sur
la situation respective de chacune de leurs deux rivières, mais, si on
fait abstraction de la différence des noms, identiques d’ailleurs entre
eux, pour ne tenir compte que des détails de leurs descriptions, on
reconnaît que l’un et l’autre ont voulu parler des mêmes bassins.

Le Nigris ou Niger de Pline, comme le Ghèr de Ptolémée, prend sa source,
au Nord, dans la région orientale de l’Atlas, et se dirige au Sud, vers
la partie orientale du _Mons ater_, pour aller séparer la Libye de
l’Éthiopie ;

Tous deux traversent deux lacs dont les noms sont différents, il est
vrai, mais tous deux placés aux mêmes étages du bassin :

Les premiers, _Nilis_ de l’un, Τας χελωνιδας de l’autre, dans les bas-
fonds de l’Ouâd-Rîgh ;

Les seconds, _Nigris_ dans Pline, Νούβα dans Ptolémée, sur la ligne de
partage des eaux de l’Océan et de la Méditerranée ;

L’un comme l’autre, absorbés par les sables qu’ils traversent,
disparaissent pour réapparaître et disparaître encore.

Je ne poursuivrai pas plus loin ces comparaisons, j’aime mieux expliquer
comment le radical libyque _gher_, qui suivant les dialectes s’écrit et
se prononce aussi _ger_, _guir_, _djir_, _rîgh_, s’est transformé sous
la plume de Pline, de Ptolémée ou de leurs copistes, en _Niger_ ou
Νίγειρ.

La démonstration est facile.

Dans certains dialectes libyques, un i préfixe est souvent ajouté au
radical ; exemples : _i Gharghar_, _i Ahaggâren_. Ainsi _ger_ et γείρ
sont d’abord devenus _i Ger_ et ί Γειρ.

Puis, souvent une N, conjonction, lie le mot qui précède au mot qui
suit ; exemples : _Atakôr-N-Ahaggâr_, _Adehî-N-Ouaran_, _Afara-N-
Wechcheran_. Ainsi _i Ger_ et ί Γειρ sont devenus _N-Iger_ et Ν-Ιγειρ,
et par abréviation on aura écrit _Niger_ et Νίγειρ, en retranchant le
trait d’union.

Enfin, dans la langue berbère, beaucoup de noms géographiques sont
précédés du technique _In_, qui signifie _endroit de_ ; exemple : _In-
Gher_ ou _In-Ghar_, _endroit de l’eau_, noms que portent un point de la
vallée des Igharghâren et un village du Touât. Souvent, même
aujourd’hui, et c’est ce que j’ai fait, on écrit _Ingher_ et _Inghar_,
sans trait séparatif. Entre _Ingher_ et Νίγειρ ou _Niger_, la seule
différence consiste dans le déplacement d’une lettre, faute _qu’un
copiste_ aura bien pu commettre.

La signification latine du mot _Niger_, correspondant à la couleur des
habitants, a dû contribuer à la propagation de l’erreur.

En Algérie, nous inventons aujourd’hui encore de semblables
assimilations.

Quelle que soit la version adoptée, on se rend compte désormais comment
les Grecs ont donné indistinctement les noms de ποταμος-ν-ίΓειρ ou
ποταμος Γείρ, ou ποταμος Νίγειρ, et les Romains ceux de _flumen-n-iGer_
ou _flumen Ger_ ou _flumen Niger_ à tout endroit du territoire libyque
où il y avait de l’eau, sans faire attention que ποταμος et _flumen_
étaient synonymes de _Niger_ ou _Ger_.

Comment les Grecs et les Romains auraient-ils évité ces erreurs, quand
nous, Français, éclairés sur toutes ces questions beaucoup mieux qu’on
ne pouvait l’être dans l’antiquité, nous sommes forcés, pour être
compris, d’écrire chaque jour : le bassin de l’Ouâd-Rîgh, la rivière de
l’Ouâd-Igharghar, le plateau du Tasîli, la montagne du Djebel-Adrâr, la
fontaine d’’Aïn-Thâla ?

Les Arabes et les Turcs se rendent aussi coupables de pareils pléonasmes
dans leurs nomenclatures géographiques. La responsabilité en incombe à
l’ignorance des masses.

Sans doute, les hommes de science ont tort de ne pas s’affranchir des
lois que leur imposent ceux qui ne savent pas. Mais quel but se propose-
t-on en écrivant ? Éclairer. Et pour éclairer, il faut d’abord être
compris.

M. le commandant Hanoteau a pu intituler _Grammaire temâchek’_ son étude
sur la langue que parlent les Touâreg et donner le nom d’Imôcharh aux
peuples qui la parlent, parce que tous ceux qui doivent lire son livre
savent préalablement quelle est la valeur des termes dont il se sert. Si
j’avais intitulé ce livre : _Imôhagh_, au lieu de _Touâreg du Nord_,
aucun de ceux auxquels il est destiné n’aurait su de qui je veux parler.

Mais je dois revenir aux Niger.

Les géographes du moyen âge n’ont donc pas commis une erreur en donnant
le nom berbère de Niger au grand fleuve du Soûdân occidental, en tant
que la signification de ce nom est restreinte à celle de : _eau qui
coule, fleuve_, cette désignation n’ayant pas plus de valeur que celle
de : _Nîl des noirs_. Mais ils se sont grossièrement trompés, si,
induits en erreur par la latitude de Ptolémée, ainsi que l’a
victorieusement démontré M. Vivien de Saint-Martin, ils ont cru
retrouver dans le fleuve de Timbouktou l’un des Niger de la Libye.

Ce point acquis aux débats, j’ai à démontrer que, pour les anciens, les
mots _Niger_ ou _Ger_ signifiaient moins un fleuve qu’un bassin
hydrographique.

J’en trouve la preuve dans les textes mêmes de Pline et de Ptolémée.

Pline (L. V, 10) nous donne, d’après le roi Juba, un exemple bien
remarquable du peu de respect des indigènes de son temps pour les lois
physiques de la circulation des eaux. Son Niger naît dans une montagne
de la Mauritanie, probablement le Djebel-’Amoûr des modernes ; de là, il
descend dans un bas-fonds, où il forme le lac Nilis, comme l’Ouâd-Djedî,
auquel il est assimilé dans cette partie de son cours, va se perdre dans
le Chott-Melghîgh. Mais, du lac Nilis, au lieu d’aller déverser ses eaux
à la mer, au golfe de Gâbès, comme l’exige le sens attaché au mot
_flumen_, son fleuve, devenu, dans son imagination, une des têtes du Nil
d’Égypte, va gravir des pentes de 1,000 à 1,500 mètres environ, à
l’inverse du cours de l’Igharghar, mais, comme lui, à travers de
nouvelles lagunes et des masses de sables qui se succèdent et
l’absorbent, pour arriver au sommet du massif des Touâreg, où il sépare
l’Afrique de l’Éthiopie. « _Là, sans doute_, ajoute Pline, d’après le
roi Juba, _jaillissant de cette source qu’on a nommée Nigris, il
s’élance..._, » probablement au-dessus du point de partage des eaux !!!
Pline n’ose pas l’écrire, mais il le laisse deviner, car son fleuve,
jusque-là renfermé dans le bassin libyen de la Méditerranée, va passer
dans le bassin éthiopien de l’Océan, « sous le nom d’_Astapus_, pour
séparer, par le milieu, le pays des Éthiopiens. _Astapus medios Æthiopas
secat_. »

Cette description, contraire aux lois naturelles, si le mot _Niger_ est
restreint à la signification de _fleuve_, devient, au contraire, d’une
exactitude remarquable, si l’on généralise le sens de ce mot en le
considérant comme l’équivalent du mot _bassin_ dans nos langues
modernes.

En effet, non-seulement la description du Niger de Pline est conforme à
celle de l’Igharghar, que j’ai faite dans le livre Ier de cet ouvrage ;
non-seulement la communauté des origines de l’Igharghar et du
Tâfasâsset, symbolisée dans la source que Pline nomme _Nigris_, est une
réalité incontestable, mais encore l’_Astapus_[135] sépare par le milieu
les peuplades éthiopiennes, comme le Tâfasâsset isole les Touâreg d’Aïr
des Touâreg Aouélimmiden.

Le Niger de Pline est donc un bassin et non un fleuve.

Ptolémée appuie d’une autorité indiscutable la nouvelle interprétation
donnée au mot Niger.

Ses deux Niger, celui de l’Est comme celui de l’Ouest, marchent du Nord
au Sud, à la façon des siphons. Nés tous deux dans l’Atlas, par des
altitudes de 700 à 1,000 mètres, ils descendent dans des bas-fonds de 90
à 200 mètres, au maximum, et viennent aboutir, en remontant dans le
massif des Touâreg, à une altitude de plus de 700 mètres pour la Gorge
Garamantique, et de 1,000 à 1,200 pour le Mont Thala.

Cette constitution n’est pas celle des rivières ou des fleuves, dans le
sens ordinaire des mots _flumen_ et ποταμος, mais celle des _bassins_ de
tous les cours d’eau.

Pline et Ptolémée, en traduisant les récits des indigènes, par
l’intermédiaire d’interprètes illettrés, n’ont pas compris le sens du
mot libyque _Niger_ ; nous, nous devons lui restituer sa véritable
signification, autrement, il est impossible de faire l’application des
récits des anciens auteurs aux lieux tels que nous les retrouvons
aujourd’hui.

Maintenant abordons la délimitation des bassins des deux Niger de la
Libye et indiquons les noms de la nomenclature grecque et romaine, qu’on
peut, avec autorité, identifier avec ceux de la nomenclature moderne.


                           _Niger oriental._


Dans l’état actuel de nos connaissances géographiques, les limites du
bassin du Niger oriental de la Libye peuvent être déterminées, sinon
mathématiquement, du moins très-approximativement.

Au Sud, les points culminants du Ahaggâr, de la plaine d’Amadghôr, du
plateau dit le Tasîli des Azdjer, de l’Akâkoûs, de l’Amsâk et de la
forêt de gommiers séparative du désert de Tâyta et de l’Ouâdi-Lajâl,
jalonnent une longue ligne de partage d’eau entre le bassin éthiopien de
l’Astapus (Tâfasâsset moderne) et le bassin libyen du Niger oriental
(l’Igharghar des Touâreg).

A l’Est, une ligne droite, de la tête occidentale de l’Ouâdi-Lajâl à
Gâbès, par le _caput saxi_ de la Hamâda-el-Homra et les sommets du
Djebel-Douîrât, marque aussi exactement que possible un second partage
d’eau, peu caractérisé, il est vrai, sur sa plus grande étendue, entre
la Hamâda-el-Homra et les dunes de l’’Erg, sorte d’éponge qui rend
souterrainement au principal thalweg du bassin, l’Igharghar, les eaux
qu’elles ont absorbées.

Au Nord, le versant méridional de la chaîne atlantique, de Gâbès au
Djebel-’Amoûr, l’Aurès compris, ferme le bassin de ce côté, d’une
manière plus accentuée, à raison de son imposant relief.

A l’Ouest, la limite séparative du Niger oriental avec le Niger
occidental, peu caractérisée dans le Sahara algérien, où elle est
d’ailleurs bien connue, se relève dans le Sud, où le Bâten de Tâdemâyt,
l’Ifettesen du Mouydîr ainsi que le Tîfedest et l’Atakôr du Ahaggâr, lui
donnent des points de partage d’eau nettement définis.

Dans ces limites, l’étendue du bassin oriental embrasse près de 20
degrés, du Nord au Sud, et 16 de l’Est à l’Ouest, et comprend,
indépendamment de l’Igharghar, aboutissant de tous les affluents :
d’abord les _igharghâren_ de sa tête orientale, puis les _ouâdi_ de sa
tête occidentale, qui descendent du Ahaggâr, du Mouydîr et de la plaine
d’Amadghôr, enfin l’Ouâd-Mîya, l’Ouâd-Mezâb, l’Ouâd-Nesâ, l’Ouâd-Djedî,
plus les nombreux torrents du versant Sud de l’Aurès.

De cet immense réseau de gouttières d’écoulement des eaux qui, toutes,
venaient aboutir aux lagunes du Rîgh, d’Ouarglâ et du Melghîgh, et, de
là, déversaient leur trop-plein dans le golfe de Gâbès par les Chott du
Djerîd et du Nefzâoua, les anciens ne connaissaient, en réalité, que
fort peu de chose ; du moins, ce qu’ils nous en ont transmis laisse
beaucoup à désirer :

Une dizaine de noms de centres d’habitation fixe de l’homme pour
représenter les districts formés par huit groupes d’oasis : les Qeçoûr
de l’’Amoûr, le Mezâb, les Zibân, Ouarglâ avec son annexe d’El-Golêa’a,
le Rîgh, le Soûf, le Djerîd et le Nefzâoua, districts qui alors devaient
être très-peuplés, car l’occupation romaine, étendue jusqu’à la limite
de ces oasis, n’aurait pas eu sa raison d’être sans de nombreux
indigènes à dominer au Sud ;

Quelques noms de tribus nomades, parmi lesquels des doubles emplois,
pour occuper l’espace que les Larba’a, les Cha’anba, les Oulâd-Bâ-
Hammou, les Kêl-Ahaggâr, les Ifôghas, les Kêl-Azdjer, les Rouâgha, les
’Arab du Zibân, les Souâfa, les Ourghamma et autres, couvrent de leurs
campements ;

Quelques noms généraux ou particuliers de montagnes, au lieu de milliers
que nous connaissons aujourd’hui d’une manière certaine ;

Quelques détails sur les bas-fonds, sur les sables, sur le cours
souterrain des eaux, sur les plantes et les animaux exceptionnels de
cette contrée qui, heureusement, sont très-exacts, quoique leur mention
repose sur l’erreur qui attribuait à cette partie de la Libye l’honneur
d’appartenir au bassin du Nîl d’Égypte ;

Enfin des noms de lacs et celui du bassin dans son ensemble complètent
tout ce que les anciens, Grecs et Romains, y compris le très-savant roi
Juba, nous ont transmis sur une contrée d’autant plus intéressante pour
eux, qu’ils lui attribuaient un rôle fabuleux.


La comparaison des noms de villes, de montagnes, de rivières, de lacs,
de tribus, donnés par les nomenclatures anciennes, avec ceux beaucoup
plus considérables de la nomenclature moderne, autorise, d’une manière
certaine, les identifications suivantes :

La ville de _Cydamus_ avec Ghadâmès ;

L’_Oppidum Rapsa_ avec Rhât, reconstruite par les Kêl-Rhâfsa ;

_Agar Selnepte_ avec Nafta ;

_Tysurus_ avec Tôzer ;

_Capsa_ avec Gafça ;

_Tacape_ avec Gâbès ;

Le _Mons ater_ avec le massif des Touâreg, Tasîli et Ahaggâr compris ;

Le Φαραγξ Γαραμαντικη avec l’Aghelâd d’Ouarâret ;

Le pays des _Astacuri_ avec celui des Azdjer ;

Celui des _Ifuraces_ avec le territoire des Ifôghas ;

Le mont des _Suggar_, des _Uzzar_, des _Æzar_, avec la patrie actuelle
des Ahaggâr ou Hoggâr ;

Le mont Γίργιρι avec le Tasîli du Nord, dans lequel naissent de nombreux
_igharghâren_ ;

L’_Aurasius_ avec la chaîne de l’Aurès ;

Le _Niger_ avec l’Igharghar ;

L’_Astapus_ avec le Tâfasâsset ;

Le lac _Nigris_ avec les lacs de Mîherô ;

Le lac _Nouba_ avec la Sebkha ou saline d’Amadghôr ;

Le _lac de Libye_ ou _Palus Chelonides_ avec le Chott-Melghîgh ;

Le _lac Pallas_ avec le Chott-el-Djerîd ;

Le _lac Triton_ avec le Chott du Nefzâoua ;

L’_ile de Phla_ avec l’oasis du Nefzâoua.


Toutes ces identifications sont justifiées ou par la similitude des
noms, ou par des rapports de position, ou par des détails qui excluent
toute incertitude.


Ptolémée cite dix noms de villes dans le bassin du Gir, savoir :

  Au Sud,   Gira, métropole,  Γείρα μητρόπλις,

  Au Nord,  Thykimath,        Θυκιμαθ,

     —      Ghéoua,           Γηούα,

     —      Badiath,          Βαδιάθ,

     —      Iskhérî,          Ισχερεῖ,

     —      Toucroumouda,     Τσυκρούμουδα,

     —      Thoûspa,          Θοῦσπα,

     —      Artaghîra,        Αρτάγειρα,

     —      Rhoubounê,        Ρουβούνη,

     —      Lynxama,          Δύγξαμα.

Je néglige les longitudes et les latitudes, qui ne peuvent qu’induire en
erreur.

M. Vivien de Saint-Martin constate avec raison que Thykimath, Ghéoua,
Iskhérî, s’échelonnent sur la rive Nord du Gir, comme Tadjemout,
Laghouât et Biskra sur la rive gauche de l’Ouâd-Djedî.

L’assimilation de Gira, métropole, avec Guerâra, admise sous réserve par
M. Vivien de Saint-Martin, me paraîtrait plus heureuse avec Tougourt,
car cette ville est encore la ville principale de la contrée, tandis que
Guerâra située hors centre, dans un pays aride, sans voies de
communication, n’a jamais pu être une métropole.

D’ailleurs, d’après les chroniques de cette ville qui m’ont été
communiquées, Guerâra a été fondée par les Benî-Mezâb, en l’année 1589
de notre ère.

Les détails que Pline (Liv. V, 10) donne d’après Juba, sur les
intermittences du cours de son Niger, sur les animaux qu’il nourrit, sur
les plantes spontanées de ses rives, sur ses débordements correspondant
avec les crues du Nîl, non-seulement sont plus exacts, mais suffiraient
à eux seuls pour justifier son identification avec l’Igharghar.

« Sorti du lac Nilis, dit Pline, le fleuve s’indigne de couler à travers
des lieux sablonneux et arides et il se cache pendant un trajet de
quelques jours de marche ; puis traversant un plus grand lac dans la
Massæsylie, portion de la Mauritanie Césaréenne, il s’élance et jette
pour ainsi dire un regard sur les sociétés humaines ; la présence des
mêmes animaux prouve que c’est toujours le même fleuve. Reçu de nouveau
dans les sables, il se dérobe encore une fois dans des déserts de vingt
journées de marche, jusqu’aux confins de l’Éthiopie, et lorsqu’il a
reconnu derechef la présence de l’homme, il s’élance, sans doute
jaillissant de cette source qu’on a nommée le Nigris. Là, séparant
l’Afrique de l’Éthiopie, les rives en sont peuplées, sinon d’hommes, du
moins de bêtes et de monstres : créant des forêts dans son cours, il
traverse l’Éthiopie sous le nom d’Astapus. »

Tout cela est encore exact aujourd’hui ; pour le constater ouvrons la
Carte qui accompagne ce volume, et suivons le cours de l’Igharghar, de
l’aval à l’amont, comme le fait Pline.

Du lac Melghîgh, où le Djedî s’est perdu et d’où il est réputé sortir,
il traverse souterrainement les bas-fonds sablonneux du Rîgh (150 kilom.
environ) ; puis, traversant la Sebkha de Sîdi-boû-Hâniya, probablement
réunie autrefois aux sebkha voisines de Negoûsa pour former le grand lac
de la Massæsylie, il s’élance de nouveau sur la Hamâda des Cha’anba et,
après avoir attesté qu’il est toujours le même fleuve, se dérobe de
nouveau dans les dunes de l’’Erg et sans doute aussi sous les sables de
la vallée des Igharghâren (ensemble 380 kilomètres, correspondant à
vingt journées de marche dans les sables). Après quoi, dans la montagne,
sont les sources d’eau vive.

Dans ce fleuve et dans les lacs qu’il alimente, ajoute Pline, « on
trouve, en fait de poissons, des alabètes, _alabetæ_[136], des coracins,
_coracini_[137], des silures, _siluri_[138] ; un crocodile,
_crocodilus_, en a été rapporté et consacré par Juba même, — preuve que
c’est bien le Nîl — dans le temple d’Isis à Césarée (la moderne
Cherchel), où on le voit encore aujourd’hui. »

Chose curieuse, les Touâreg connaissent encore trois espèces de poissons
dans les lacs et sources de leurs montagnes, savoir : les _imanân_,
l’_asoûlmeh_ et les _isattâfen_.

J’ai rapporté de leur pays, comme pièce justificative, le _Clarias
lazera_, l’asoûlmeh des Touâreg, aussi un poisson du Nîl. (Voir Liv. II,
chap. III, page 238.)

Quant au crocodile, il s’est perpétué, depuis 2,000 ans, dans les lacs
de Mîherô et de Tanârh. (Voir page 232.)

« En outre, ajoute Pline, on a observé que la crue du Nîl correspond à
l’abondance des neiges et des pluies en Mauritanie. »

Moi-même j’ai constaté la même coïncidence, en 1861 et 1862, après neuf
années de sécheresse absolue. (Voir Liv. Ier. chap. V, page 119.)

Avant (même Liv. V, 8), Pline avait dit :

« Le Nigris a la même nature que le Nîl ; il produit le roseau, le
papyrus, _calamus et papyrus_, et les mêmes animaux ; la crue s’en fait
aux mêmes époques ; il a sa source entre les Éthiopiens Tareléens et les
Œcaliques. »

Encore aujourd’hui on trouve dans les lieux humides du pays des roseaux
et des _typha_, voisins, sinon identiques au roseau et au _papyrus_
d’Égypte.

Cette dernière citation me permet, en terminant ce que j’ai à dire du
Niger oriental, de constater que Pline savait exactement où le Nigris
avait sa source dans le massif des Touâreg, ce qui ne l’a pas empêché,
dans la description générale de ce fleuve, d’intervertir l’ordre naturel
de son cours, par respect pour les idées des indigènes, tant il est vrai
que son Niger n’était pas seulement un fleuve, mais un bassin.

                          _Niger occidental._

Le bassin du Niger occidental, séparé du Niger oriental comme il a été
dit ci-dessus, est délimité au Nord par la chaîne atlantique, à l’Ouest
par l’Océan, au Sud par les reliefs du Sâguiet-el-Hamrâ, du Djebel-Azour
et du plateau du Tânezroûft. Sauf la partie du littoral océanien, sur
laquelle les documents abondent, ce bassin a été connu des anciens d’une
manière plus vague encore que celui de l’Est.

Bien qu’aucun explorateur moderne n’ait encore étudié le Sahara marocain
comme nous pourrions le désirer, nous le connaissons assez cependant par
les voyages de René-Caillié, de Robert Adams, de Davidson, qui y a été
assassiné, de MM. Léopold Panet, Si-Boû-l’Moghdad et Gerhard Rohlfs, par
les écrits des Arabes, par les renseignements verbaux des indigènes, par
les travaux de M. Renou, de M. le capitaine Beaudouin et de M. le
général Faidherbe, pour ne pas commettre de grandes erreurs en comparant
les connaissances des anciens avec l’état actuel du pays. Le champ
possible des erreurs est d’ailleurs très-rétréci depuis la publication
_du Nord de l’Afrique dans l’antiquité_, par M. Vivien de Saint-Martin.


La critique de ce savant géographe resterait complète, si je n’avais à
apporter à l’appui de son exposé des éléments nouveaux qu’il a
soupçonnés, mais qu’il ne pouvait inventer. Ces éléments sont :

D’abord, une portion entièrement inconnue de la tête du bassin, celle du
versant océanien du Ahaggâr, dont un des contreforts, le Tâhela-Ohât,
perpétue jusqu’à nos jours le nom du Mont Thala de Ptolémée et d’où
descendent des ouâdi dont le principal m’est indiqué comme se dirigeant
vers l’Ouâdi-Dra’a. (Voir Liv. Ier, chap. III, page 26.)

Ensuite, entre le Haut-Niger occidental et la vallée du Daradus, les
masses de dunes d’Iguîdi qui, comme celles de l’’Erg pour le Niger
oriental, absorbent les eaux des affluents supérieurs et ne les
restituent que souterrainement à la vallée exutoire. (Voir Liv. Ier,
chap. II, pages 5 et 6, et chap. IV, pages 35, 36 et 37.)

Ces éléments nouveaux permettent de mieux apprécier les connaissances
des anciens sur cet immense bassin.

Topographiquement, les dunes de l’Iguîdi le divisent en deux sections,
l’une supérieure, l’autre inférieure, mais hydrographiquement la
capillarité des éléments constitutifs des dunes permet aux eaux des
affluents supérieurs de se rendre au lit inférieur, surtout quand elles
sont abondantes, ce qui a toujours lieu après les grandes pluies
périodiques.


Des affluents supérieurs du Niger occidental, les anciens n’ont connu
que la branche du _Ger_ de Suetonius Paulinius ou Νίγειρ de Ptolémée,
qui prend sa source dans la partie de l’Atlas marocain où naît aussi le
_Malua flumen_ ; mais à la manière dont Ptolémée constitue son Νίγειρ,
on voit qu’il réunit les eaux du versant saharien de l’Atlas à celles du
versant océanien du massif des Touâreg.

Voici sa description :

« Le fleuve Nigir (Νίγειρ) aboutit d’un côté au mont _Mandrus_ et de
l’autre au mont _Thala_, et forme le lac _Nigris_.

« Deux embranchements qui descendent du Nord, l’un du mont _Sagapola_,
l’autre du mont _Usargala_, viennent se réunir au Nigir ; ce dernier
forme un détour à l’Est pour aller se terminer au lac _Libya_.

« Au Sud, _dans la direction du Daradus_, le Nigir reçoit un
embranchement. »

Sauf les latitudes et les longitudes, dont je ne tiens pas compte, parce
qu’elles sont erronées, toutes ces indications, quoique très-vagues,
sont conformes à la vérité.


Au Mandrus et au Thala correspondent :

Le Djebel-Aït-’Aïach de l’Atlas marocain ;

Le Tâhela-Ohât du versant occidental du Ahaggâr.

Le lac Nigris auquel aboutissaient les eaux des monts Mandrus et Thala,
assis vis-à-vis l’un de l’autre, mais à 15 degrés de distance, est le
bas-fonds desséché du Touât, aujourd’hui couvert d’oasis ;

Le lac Libya, dans lequel allait se perdre l’affluent de l’Usargala, se
retrouve dans la Sebkha du Gourâra, encore aujourd’hui le réceptacle des
eaux de l’Ouâd-Seggeur, malgré le barrage des dunes de l’’Erg ;

Le Nigir est cet ouâd qui porte actuellement le nom de Guîr, dans sa
partie supérieure, et de Messâoura, dans son cours inférieur ;

Nous connaissons déjà son affluent de l’Est, l’Ouâd-Seggeur, qui vient
du Djebel-’Amoûr, l’ancien Usargala ;

L’affluent oriental correspond à l’Ouâdi-Tafîlelt, comme le mont
Sagapola, d’où il sort, nous représente ce point de l’Atlas marocain,
d’où descendent les principales rivières du bassin océanien du Maroc ;

La tête des eaux venant du Sud et se dirigeant vers le Daradus est
encore plus facile à déterminer, car, grâce à la loyale franchise des
Touâreg, nous sommes mieux renseignés sur les détails du Ahaggâr que sur
ceux de l’Atlas marocain ;

L’identification du Tâhela des Ohât avec le Thala des Thalæ de Ptolémée
ne laisse que l’embarras du choix entre les nombreux ouâdi fournis par
l’Ifettesen, le Tîfedest et le Ahaggâr, pour avoir un embranchement dans
la direction du Daradus ;

L’Ouâdi-Tîrhehêrt, par son importance, par la notoriété dont il jouit,
semble le mieux répondre aux indications de Ptolémée.

En analysant la description du géographe grec, je ne puis m’empêcher de
faire une remarque qui révèle une connaissance complète de la limite des
bassins des deux Niger : entre l’Usargala et le Thala, quoique
l’intervalle soit de 16 degrés, Ptolémée ne fait arriver aucun affluent
à son Niger occidental. Il savait donc que toutes les eaux de la région
intermédiaire se déversaient dans le Niger oriental.


Malgré l’exactitude des informations topographiques de Ptolémée, il
était probablement moins bien renseigné sur le nombre des centres de
populations situés sur son Niger, car il ne cite que dix-sept noms de
villes ou villages là où nous en comptons plus de quatre cents
aujourd’hui.

Faut-il admettre que le pays n’avait alors que de rares habitants ?

Pline l’affirme. Voici ce qu’il dit :

« Suetonius Paulinus, le premier des généraux romains qui ait dépassé
l’Atlas, rapporte qu’au delà, jusqu’à un fleuve qui porterait le nom de
Ger, on traverse des déserts couverts d’un sable noir, au milieu duquel
s’élèvent, d’intervalle en intervalle, des rochers comme brûlés ; _que
ces lieux sont inhabitables à cause de la chaleur, même en hiver, et
qu’il l’a éprouvé_. » (Pline, Liv. V, 1.)

Puis, si le lac Nigris occupait, comme tout l’indique, l’emplacement
actuel du Touât, les 300 centres de population qui constituent cette
agglomération d’oasis ne pouvaient alors exister.

La tradition locale, d’accord avec le rapport de Suétonius Paulinus,
nous représente la première population du Touât réduite à quelques
colonies de nègres, asservies postérieurement et successivement par les
Berbères et les Arabes. (Voir Liv. III, chap. V, page 294.)

Quoi qu’il en soit, des dix-sept noms de villes donnés par Ptolémée deux
seulement peuvent être identifiés avec les noms modernes :

Taloubath, Ταλουβαθ, avec l’oasis de Tabelbâlet ;

Toukabat, Τουκαβαθ, avec la ville de Teçâbit.

Cependant, je serais tenté de croire que, dans le dénombrement et la
dénomination des villes du Niger occidental, Ptolémée aurait été mal
informé, car il lui donne, pour métropole, Νίγειρα Μητρόπολις, nom
identique à celui de la capitale du Niger oriental, Γείρα Μητρόπολις. Il
est douteux que deux centres, devant avoir des relations entre eux,
aient porté le même nom, bien que l’un et l’autre ne signifient que
ceci : _métropole du bassin_.

D’autre part, les noms des lacs Nigris et de Libye, donnés aux
principaux réceptacles du bassin, noms identiques à ceux d’autres lacs
du Niger oriental, attestent une confusion très-grande dans les éléments
dont Ptolémée s’est servi pour dresser sa carte de la Libye.

Je ne poursuivrai pas l’étude critique de ce bassin jusqu’à la mer ; ce
serait sortir du domaine de mes investigations personnelles.


Mais avant de clore cet examen sur les deux Niger de la Libye, je ne
puis me défendre de le résumer en constatant que, si, jusqu’à ce jour,
les documents anciens sur la Libye nous ont paru obscurs, la faute n’en
est pas seulement imputable à leurs auteurs, mais encore et bien plus à
ce que nous manquions nous-même du premier élément de critique : la
connaissance des lieux, des hommes et des choses de ce pays. Sans doute,
ni les Grecs ni les Romains n’ont possédé des détails très-
circonstanciés sur la topographie de cette contrée, mais, du moins,
leurs idées sur ses principaux caractères ont été nettes et exactes :
montagnes au Nord et au Sud ; bassin oriental et occidental, aboutissant
tous deux à la mer ; sables dans les bas-fonds intermédiaires ; oasis
disséminées çà et là, mais principalement sur le versant méridional de
l’Atlas, les dites oasis ressemblant, par l’éclat de leur verdure, sur
un fond jaunâtre, aux maculatures d’une peau de panthère ; populations
sédentaires dans les oasis, nomades dans les déserts ; voire même
quelques fables pour que la comparaison avec la situation actuelle soit
plus complète.

Toutefois, on reste étonné que les Romains, qui ont possédé tant
d’établissements sur les limites de cette région, se soient contentés de
documents aussi sommaires sur sa constitution, sur ses productions et
sur sa population si variée.

                         _Peuples de la Libye._

Les anciens donnaient le nom de _peuples_ ou _nations_ à ce que nous
appelons _tribus_.


Voici d’abord la liste la plus moderne, celle du géographe d’Alexandrie.

Les peuples les plus considérables de la Libye et les positions qu’ils
occupent sont, dit-il :

Les Garamantes, du Bagradas au lac Nouba ;

Les Mélano-Gétules, entre les monts Sagapola et Usargala ;

Les Éthiopiens-Rouges, au Sud du Gir ;

Les Éthiopiens-Nigrites, au Nord du Nigir ;

Les Daradæ, sur le Daradus ;

Les Perorses, écartés de la mer, à l’Orient de Theôn Okhêma ;

Les Éthiopiens-Odrangides, entre les monts Caphas et Thala ;

Les Mimak, au Sud du Thala ;

Les Noubæ, entre le lac Nouba et la Gorge Garamantique ;

* Les Derbik, à l’Ouest du mont Aranga,


Viennent ensuite d’autres petits peuples, savoir :

 Les Autololes, }
                }
 Les Sirangæ,   } au Sud de la Gétulie, entre la mer et le mont
                } Mandrus ;
 Les Mausoli,   }

 Les Rhabii,  }
              }
 Les Malcoæ,  } entre le mont Mandrus et le fleuve Daradus ;
              }
 Les Mandori, }

Les Sophucæi, après ces derniers ;

Les Leucæthiopiens, séparés des Pérorses par le Rufus-Campus ;

Les Pharusii, entre le Rufus-Campus et le mont Sagapola ;

Les Natembes, au Nord du mont Usargala ;

 Les Lynxamatæ, }
                } au Nord du Girgyris ;
 Les Samamycii, }

 Les Salthi,   }
               } entre les monts Mandrus et Sagapola ;
 Les Daphnitæ, }

 Les Zamazii, }
              }
 Les Aroccæ,  } entre ces monts et le fleuve Nigir ;
              }
 Les Cetiani, }

Les Suburpores, au Sud du mont Usargala ;

 Les Maccoi,   }
               }
 Les Dauchitæ, } au Sud du mont Girgyris, entre les Garamantes et le
               } lac Nouba ;
 Les Caletæ,   }

Les Macchurebi, à l’Est des Daradæ ;

Les Soloëntii, à l’Est des Sophucæi ;

 Les Anticoli, }
               }
 Les Churitæ,  } à l’Est des deux précédents jusqu’au mont Caphas ;
               }
 Les Stachiræ, }

* Les Orpheis, entre le Caphas et le Theôn Okhêma ;

 * Les Tarvaltæ,    }
                    }
 * Les Maltitæ,     } au Sud des Orpheis ;
                    }
 * Les Africerones, }

Les Achæmæ, au Sud des Éthiopiens-Odrangides ;

 Les Gongalæ,   }
                } au Sud des Mimak ;
 Les Nanosbeis, }

* Les Nabathræ, entre le mont Thala et le mont Arvaltes ;

 Les Alitambi, }
               } entre le mont Thala et le lac Libyque ;
 Les Maurali,  }

 Les Harmiæ,    }
                }
 Les Thalæ,     }
                } entre le lac Libyque, le lac Nouba et la Gorge
 Les Dolopes,   } Garamantique ;
                }
 Les Astacuri ; }

* Les Aroccæ, au Nord du mont Aranga ;

* Les Asaracæ, à l’Est du susdit mont ;

* Les Dermonenses, entre le mont Aranga et le mont Arvaltes ;

* Les Éthiopiens-Aganginæ, entre le mont Arvaltes et le mont Aranga, au
Sud-Ouest des Africerones ;

 * Les Éthiopiens-Xyliccenses,   }
                                 } au Sud du mont Arvaltes, à l’Est des
 * Les Éthiopiens-Uchaliccenses, } Agangines.


Pline nous transmet aussi sa nomenclature des peuples ; la voici avec
les positions données par le naturaliste :

Les Marmarides, au cap Chersonèse ;

Les Araraucèles, sur la côte de la Grande Syrte ;

Les Nasamons ou Mésammons, au milieu des sables, sur la côte de la
Petite Syrte ;

Les Asbystes et les Maces, après les Nasamons ;

Les Hammanientes, au delà des Asbystes et des Maces, à douze journées de
marche de la Grande Syrte, vers l’Occident, et entourés eux-mêmes de
sables de tous les côtés ;

Les Troglodytes, à quatre journées de marche des Hammanientes, du côté
du Couchant d’hiver ;

Les Phazaniens, sur la route de l’Éthiopie ;

 * Les Niteris ou Nitiebres,     }
                                 }
 * Les Bubéium, nation ou ville, }
                                 }
 * Les Enipi,                    } sans désignation d’habitat ;
                                 }
 * Les Discera,                  }
                                 }
 * Les Nannagi,                  }

 Les Éthiopiens-Taréléens, }
                           } sur la source du Nigris ;
 Les Œcaliques,            }

Les Éthiopiens-Nigrites, sur le Nigris ;

 Les Liby-Égyptiens, }
                     } au-dessus des Gétules, par delà les déserts ;
 Les Leucéthiopiens, }

Enfin, les Garamantes, séparés des précédents, du côté de l’Occident,
par de vastes solitudes.


Je renonce à énumérer les noms de peuples ou de nations des autres
auteurs grecs ou romains, les nomenclatures de Pline et de Ptolémée les
comprenant à peu près tous avec plus de précision. Je préfère constater
qu’à l’exception des noms de peuples précédés du signe * dans les deux
listes ci-dessus, tous peuvent être rationnellement placés sur une carte
moderne, grâce aux nombreuses identifications de noms de lieux qui ne
peuvent plus être contestées.

Je remarque également que, le placement fait, suivant les indications de
Pline et de Ptolémée, toutes les populations indiquées comme étant de
sang noir ou occupent les lignes de bas-fonds du Sahara ou sont
transférées au delà de la limite de la Libye avec l’Éthiopie.

Quant à l’assimilation des noms des peuples anciens avec ceux des tribus
modernes, il faut être très-prudent, car les tribus berbères ont bien
souvent changé de noms depuis l’antiquité, les unes ayant entièrement
disparu, les autres ayant été complétement transformées.

D’ailleurs, tous les noms grecs et romains reproduisent très-
inexactement l’ethnique indigène. Pour les noms dont l’identification
est la plus certaine, ne constatons-nous pas des différences trop
grandes, entre les uns et les autres, pour ne pas reculer devant une
assimilation impossible ?

Mieux vaut terminer cette étude comparée en la complétant par l’exposé
des renseignements, non écrits dans les livres, mais nettement tracés
sur le sol, que nous fournissent les ruines de l’occupation romaine sur
la frontière de la Libye.


            _Limites méridionales de l’occupation romaine._


Les reconnaissances de MM. les officiers d’état-major et de M. Victor
Guérin, complétées par les miennes, assignent comme limite à
l’occupation romaine au Sud des Mauritanies, de la Numidie, de la
Province d’Afrique et de la Cyrénaïque, savoir : une ligne suivant le
bassin de l’Ouâd-Djedî, de Laghouât à Biskra ; le versant saharien de la
chaîne aurasique, de Biskra à Mîdâs ; le rebord méridional des Chott-el-
Djerîd et Chott-el-Nefzâoua, de Mîdâs à Gâbès ; le versant occidental du
Djebel-Douîrât, de Gâbès à Nâloût ; enfin, Ghadâmès et Djerma, de Nâloût
au Fezzân.

A l’exception des bas-fonds, au Sud de la Tunisie, les Romains semblent
avoir arrêté leur ligne d’occupation à la limite des terres habitables
pour des hommes d’origine européenne.

Les ruines de leurs établissements-frontières sont indiquées sur la
Carte dressée pour l’intelligence de cet ouvrage par le signe ordinaire
(R. R.) des ruines romaines.

Ces ruines, autant que j’ai pu en juger par l’espace qu’elles couvrent,
sont celles de petits postes d’observation, de centres de commandement,
peut-être de comptoirs-entrepôts pour les relations commerciales avec
les populations indépendantes du Sud.

Rien n’indique que les Romains aient tenté par eux-mêmes des entreprises
de commerce au delà de la limite que j’assigne à leur occupation, car,
au Sud de cette ligne, aucun monument ne révèle leur présence, et leurs
écrits attestent que leurs connaissances géographiques elles-mêmes
avaient pour limite le versant méditerranéen du _Mons ater_.

A l’Ouest du Djebel-’Amoûr, sur tout le versant de l’Atlas marocain, les
ruines romaines paraissent fort rares, car aucun de mes informateurs
indigènes ne m’en a signalé. Peut-être, dans les ruines de Sedjelmâssa,
dont la position m’a été bien précisée au centre des qeçour du Tafîlelt,
retrouverait-on quelques débris de la grandeur romaine, mais c’est
encore très-douteux.

Les Touâreg, que j’ai souvent interrogés sur les ruines de constructions
qui pouvaient se trouver dans leur pays, se sont bornés à me signaler
les vestiges des tombeaux des Jabbâren, comme ceux que j’ai trouvés près
de la source d’Ahêr (voir Livre Ier, chap. 4, pages 56 et 57) et qui
m’ont paru destinés à des hommes qu’on enterrait assis ; plus, les
ruines d’un monument religieux, probablement une mosquée, dont la
construction est attribuée aux Sohâba ou compagnons du prophète
Mohammed, qui s’étaient avancés en conquérants dans le pays pour le
convertir à l’islamisme et qui ont perpétué jusqu’à nos jours le
souvenir de leur passage à Timissao, au moyen d’inscriptions, en arabe
coufique, encore très-lisibles aujourd’hui, dit-on.

Ainsi, au delà de la ligne que j’ai tracée, les indigènes eux-mêmes ne
connaissent aucune ruine de l’occupation romaine.


                       CONCLUSION DE L’APPENDICE.


Dans ce travail de géographie comparée, je ne me suis pas proposé une
étude critique des textes, œuvre délicate qui exige une expérience que
je n’ai pas ; j’ai seulement voulu exposer comment j’interprétais les
récits des anciens, en procédant de la connaissance des lieux à
l’inconnu des origines et des sources des textes parvenus jusqu’à nous ;
je me suis principalement proposé pour but de démontrer que la dernière
exploration du Sahara confirmait dans son ensemble et dans ses
principaux détails le dernier exposé de nos connaissances sur la Libye
des Grecs et des Romains, d’après M. Vivien de Saint-Martin, dont
l’ouvrage si remarquable, _Le Nord de l’Afrique dans l’antiquité_, a été
couronné par l’Académie des inscriptions et belles-lettres.

Sans doute, dans les détails secondaires, quelques identifications ne
sont pas les mêmes, mais il était inévitable qu’il n’en fût pas ainsi.
L’honorable géographe ne pouvait pas connaître le massif des Touâreg
avant qu’il eût été étudié, exploré, reconnu.

Pour mon compte personnel, je m’estimerai heureux, si, par les preuves
nouvelles que j’apporte à l’appui de ses déductions, je contribue à
accroître l’autorité dont le livre de M. Vivien de Saint-Martin doit
jouir.

Si je n’avais eu pour guide une critique aussi sûre, cet Appendice,
rédigé pendant l’impression de ce volume, n’aurait probablement pas vu
le jour.


                          FIN DU TOME PREMIER.


[Note 127 : M. Vivien de Saint-Martin est le premier, et peut-être le
seul encore aujourd’hui, qui ait établi cette correspondance dont
l’importance est fondamentale, car elle marque, sur ce point, la limite
extrême de la mappemonde ancienne.]

[Note 128 : Traduisons l’_iter præter caput saxi_ de Pline, par le mot à
mot arabe : _terîq-’ala Râs-el-Hamâda_ et nous aurons le nom de la route
directe de Tripoli à Mourzouk par Djerma, celle suivie par M. le docteur
Barth.]

[Note 129 : Voir _Reisen und Entdeckungen in Nord und Central-Afrika_,
von doctor H. Barth. T. 1, p. 207-217. Gotha. Justus Perthes, 1857.]

[Note 130 : Voir Livre III, _Centres commerciaux_, page 267 et
suivantes.]

[Note 131 : M. Vivien de Saint-Martin, convaincu qu’après les
reconnaissances de MM. Barth, Overweg, Richardson et Vogel, on pouvait
ajouter quelque chose aux identifications déjà constatées, n’a pas
hésité, dans ce but, à se livrer à un long et pénible travail dont voici
le résultat :

  Matelgæ              Assimilé   à Ouâdi-Talha,

  Debris                  —       à Éderi,

  Tabidium                —       à Tabounîyé,

  Thapsagum               —       à Tessâoua,

  Nannagi                 —       à Denhadja,

  Maxala                  —       à Mechaal,

  Zizama                  —       à Ouâdi-Zemzem,

  Gyri, Girgyris          —       à Djebel-Ghariân,

  Cillaba                 —       à Zouîla ou Zeila,

  Alele                   —       à Hall ou Holl,

  Mons Ater et Niger      —       au Djebel-Nefoûsa.


Sans contester la valeur critique des motifs sur lesquels s’appuie M.
Vivien de Saint-Martin, je ne puis m’empêcher de constater que Talha
(Acacia Arabica, Zemzem (nom d’un puits très-vénéré de la Mekke) et
Ghariân (cavernes), sont trois dénominations arabes, introduites dans la
nomenclature géographique moderne, seulement depuis la conquête arabe,
et, que, pour les autres points, aucune raison réellement déterminante
ne légitime l’assimilation.

On conteste, il est vrai, au Djebel-Ghariân sa signification arabe,
parce que les Berbères de la contrée prononcent plus ou moins
correctement le nom que les Arabes ont donné à leur montagne ; mais ce
point n’est pas le seul dans le Nord de l’Afrique où des cavernes
servent de refuge aux populations, et partout le même nom arabe est
employé pour caractériser ce mode d’habitation. En Algérie, au Nord de
Frenda, dans le pays de Sedama, il y a des tribus qui habitent des
cavernes et les Arabes les ont appelées Ahel-el-Ghîrân (les gens des
cavernes), comme ils ont appelé la montagne des cavernes, au Sud de
Tripoli, Djebel-Ghariân.]

[Note 132 : M. Vivien de Saint-Martin, assimile les _Gyri montes_ du
triomphe de Balbus au Γίργυρις ou Γίργιρι de Ptolémée et les place dans
les montagnes de Ghariân ; dans ce cas, il n’y aurait pas double emploi.

Mais M. Vivien de Saint-Martin a été amené à cette détermination parce
que Ptolémée place la source du fleuve Cinyps dans le Γίργυρις et parce
que l’embouchure de ce fleuve étant bien connue, d’après les indications
d’Hérodote et de Scylax, sa source ne peut être, en effet, que dans la
chaîne de montagne du littoral tripolitain.

Toutefois, si Ptolémée (Liv. IV, chap, VI) place la source du Cinyps
dans le Girgyris, il la fait sortir aussi (Liv. IV, chap. III) du mont
Zuchabari ou Chusambari.

Entre ces deux indications contradictoires, laquelle choisir ?

Ptolémée ne laisse aucune incertitude à cet égard. La position qu’il
donne au Zuchabari correspond aux sommets du versant maritime du Djebel
tripolitain, tandis que celle du Girgyris, dans le Sud-Ouest de Garama,
correspond au massif des Touâreg.

D’ailleurs, la position vraie du Girgyris, au Sud de Lynxama, sur le
Gir, est encore mieux fixée par celle de Lynxama elle-même.

En identifiant le Girgyris à une partie du Djebel tripolitain, il
devient impossible de placer le Gir, Lynxama et les Lynxamatæ comme ils
doivent l’être.

L’analogie de nom entre Girgyris et Ghariân a doublement trompé M.
Vivien de Saint-Martin, car le nom de Ghariân lui-même, limité à la
partie de la chaîne dans laquelle existent des cavernes, n’est pas celui
de la chaîne et ne donne naissance à aucun fleuve qui puisse être le
Cynips.]

[Note 133 : Je sais que les monts Uzzaræ et Suggaræ d’Orose et d’Éthicus
sont considérés comme représentant les monts Usargala et Buzara de
Ptolémée, monts qui donnent naissance à l’Ouâd-Seggeur des modernes, ce
qui semble confirmer leur identification avec la partie occidentale du
Djebel-’Amoûr.

Je me garde de contester le mérite de cette identification, mais je
pense qu’on peut, sans audace, faire appel à un plus ample informé.

L’identification ancienne repose, d’abord sur une ressemblance de noms,
puis sur une limite.

Ressemblance pour ressemblance, j’aime mieux celle qui compare Uzzaræ et
Suggaræ à Hoggâr et à Ahaggâr que celle qui transforme, sans preuves,
Uzzaræ et Suggaræ en Usargala et Buzara, pour les identifier à une
portion du Djebel-’Amoûr.

La limite donnée par Orose et Éthicus est celle de la race blanche avec
la race noire, et non celle de la Mauritanie ou de la Numidie avec la
Libye, et tout le monde est d’accord aujourd’hui que, si quelques
infiltrations de noirs ont pénétré dans quelques parties du Sahara, en
deçà des points culminants du massif des Touâreg, la limite vraie a été
au point de partage des eaux entre le bassin méditerranéen, occupé par
la race blanche, et le bassin nigritien, occupé par la race noire.

Enfin, il faut lire les textes tels qu’ils sont : c’est au Midi de la
Mauritanie de Sétif et non au Midi de la Mauritanie Césaréenne que sont
les monts dont parlent Orose et Éthicus.

Donc, jusqu’à preuve contraire, je maintiens, provisoirement,
l’identification des monts Uzzaræ et Suggaræ avec le Hoggâr ou Ahaggâr.]

[Note 134 : Les Grecs modernes prononceraient ces mots _Ghîr_ et
_Nighîr_.]

[Note 135 : Pour les anciens Africains, la plupart des grandes rivières
de l’intérieur du continent africain étaient des embranchements du Nîl
d’Égypte qui y allaient déverser leurs eaux sous le nom d’Astapus, qui
est, en effet, le nom ancien d’une des branches supérieures du Nîl.

Cette erreur, née chez les indigènes, est acceptée sans contradiction
par Hérodote et par Pline, qui nous transmettent leurs traditions.]

[Note 136 : On ne sait pas au juste ce qu’est ce poisson. D’ordinaire on
le prend, soit pour un _gadus lota_ L., soit pour un _petromyzon
fluviatilis_ L. (Note de M. E. Littré, traducteur de l’_Histoire
naturelle_ de Pline. Paris, 1859.)]

[Note 137 : Le coracinus de Pline est le _labrus niloticus_ L.]

[Note 138 : Le silurus de Pline est le _silurus glanis_ L., poisson
très-gros qui habite le Nîl.]




                                 TABLE.

                               * * * * *


                             AVANT-PROPOS.

                                                                  Pages.

  But de l’expédition. — Patronage gouvernemental et
  scientifique. — Les diverses reconnaissances exécutées.
  — Difficultés surmontées et résultats acquis. — Maladie
  grave à Alger. — Concours obtenu pour la rédaction de mes
  travaux                                                              I

                             INTRODUCTION.

  Division de l’ouvrage. — Sa raison. — Transcription des noms
  indigènes. —  Des gravures. — De la carte. — Sur quelles bases
  elle a été établie                                                  XI

                            LIVRE PREMIER.

  DIVISIONS NATURELLES ET POLITIQUES. — GÉOGRAPHIE PHYSIQUE,
  SOL ET CLIMAT.                                                       1

  CHAPITRE PREMIER. — Divisions et limites générales des
  confédérations Touâreg                                               1

      Divisions en quatre confédérations                               1

      Patrimoine de chaque confédération                               2

      Limites générales                                                3

      Limites particulières                                            3

  CHAP. II. — Géographie physique                                      5

    § 1er. — _Zone des dunes_                                          5

      Étendue de cette zone                                            6

      Variétés de dunes                                                7

      Voyages dans les dunes                                           9

      Puits dans les dunes                                            10

      Limite de l’Algérie dans les dunes                              11

    § 2. — _Massif des Touâreg_                                       13

      Tasîli du Nord. — Chaîne d’Anhef. — Plateau d’Eguéré            14

      Chaîne de l’Akâkoûs. — Chaîne de l’Amsâk. — Hamâda de
      Mourzouk — Hamâda-el-Homra                                      15

      Hamâda de Tînghert. — Plateau de Tâdemâyt. — Plateau du
      Mouydîr                                                         16

      Bâten Ahenet. — Tasîli du Sud                                   17

      Plaine d’Amadghôr                                               18

      Plaine d’Admar. — Vallée d’Ouarâret. — Plaine de Tâyta.
      — Vallée de l’Ouâdi-Lajâl                                       19

      Plaine des Igharghâren. — Plaine d’Adjemôr                      20

  CHAP. III. — Hydrographie                                           22

      Ouâdi-Igharghar                                                 22

      Ouâdi-Tâfasâsset                                                25

      Ouâdi-Tirhehêrt                                                 26

      Ouâdi-Akâraba. — Puits ordinaires                               27

      Puits à galeries. — Puits artésiens. — Rhedîr                   28

      Lacs                                                            29

      Sources                                                         31

  CHAP. IV. — Géologie                                                33

    1re section. — _D’El-Ouâd à Ghadâmès_                             33

      Formation des dunes                                             33

      Dénudation des plateaux et des montagnes en amont des
      dunes                                                           35

      Groupes de dunes entre la Méditerranée et le Sénégal            35

      Superficie des plateaux alimentateurs                           37

      Influences atmosphériques sur les roches. — Production
      des sables                                                      38

      Circulation des sables                                          39

      Trombes de sables                                               40

      Fixation des sables par les eaux                                41

      Formation des dunes sur place et formation par
      amoncellement des sables étrangers                              43

      _Planorbis Duveyrieri_                                          44

    2e section. — _De Ghadâmès à Rhât_                                45

      _A._ Plateau de Tînghert                                        46

      _B._ Dunes d’Édeyen                                             51

      _C._ Plateau d’Eguélé                                           51

      _D._ Plaine des Igharghâren                                     52

      _E._ Tasîli des Azdjer                                          55

      _F._ Vallée d’Ouarâret                                          59

    3e section. — _De Tîterhsîn à Zouîla_                             61

      _A._ De Tîterhsîn à Serdélès                                    61

      _B._ Désert de Tâyta                                            65

      _C._ Ouâdi-Lajâl                                                67

      _D._ Dunes d’Édeyen                                             69

      _E._ Hamâda de Mourzouk                                         70

      _F._ Dépression de la Hofra                                     71

      _G._ La Cherguîya                                               73

      _H._ Massif du Hâroûdj                                          75

    4e section. — _De Mourzouk à la mer_                              77

      Djebel-es-Sôda                                                  79

      Hamâda-el-Homra                                                 82

    5e section. — _De Rhât à In-Sâlah_                                84

      _A._ Plateau du Tasîli                                          84

      _B._ Plateau d’Éguéré                                           86

      _C._ Plateau du Mouydîr                                         86

      _D._ Massif du Ahaggâr                                          87

      _Conclusion géologique_                                         88

  CHAP. V. — Météorologie                                             90

      _Tableau résumé des observations météorologiques_ faites
      du 26 juillet 1860 au 20 septembre 1861, à l’effet de
      déterminer les altitudes de chaque station                      91

      _Température_ de l’air                                         106

           —        du sol                                           109

           —        des puits ordinaires                             110

           —        des puits artésiens                              112

           —        des eaux pluviales et des flaques d’eau          113

      Température moyenne mensuelle de l’air à Tougourt (série
      comprenant tout ou partie des années 1855, 1856, 1857,
      1858 et 1859)                                                  113

      _Hygrométrie._ — Vapeur d’eau de l’atmosphère                  115

      Rosée. — Gelée blanche. — Brouillard. — Pluie                  118

      Neige                                                          120

      _Pression atmosphérique._ — Observations barométriques         120

      Oscillations diurnes                                           120

      Extrêmes des oscillations                                      122

      Moyennes des oscillations                                      123

      _Vents._ — Direction mensuelle et force moyenne                124

      Variations diurnes et suivant les saisons                      125

      Vitesse du vent                                                125

      Pluies et trombes de sable                                     126

      Influence des vents sur le thermomètre et sur le baromètre     128

      _Électricité._ — Étincelles électriques                        128

      Éclairs. — Tonnerre. — Orages                                  129

      _Lumière._ — Intensité. — Couleur. — Transparence              130

      Mirage. — Aurore et crépuscule. — Lueur crépusculaire.
      — Arc-en-ciel                                                  131

      Halo lunaire. — Lune rouge sang. — Étoiles filantes. —
      Globe lumineux                                                 132

      _Conclusion météorologique_                                    133

  CHAP. VI. — Observations astronomiques                             134

      _Tableau résumé_ des observations faites pour établir la
      latitude et la longitude des principaux points de la carte     135

      Éclipse de soleil du 18 juillet 1860 à El-Ouâd                 138

      Comète à Mourzouk le 1er juillet 1861                          139

                               LIVRE II.

  PRODUCTION                                                         141

  CHAPITRE PREMIER. — Minéraux                                       141

      Métaux et matières précieuses                                  142

      Sels divers                                                    143

      Matériaux de constructions. — Pierres et terres                145

      Combustibles minéraux                                          146

  CHAP. II. — Végétaux                                               147

      Renonculacées                                                  148

      Fumariacées                                                    149

      Crucifères                                                     149

      Capparidées                                                    152

      Cistinées                                                      153

      Résédacées                                                     153

      Frankéniacées                                                  153

      Malvacées                                                      154

      Aurantiacées                                                   155

      Ampélidées                                                     156

      Géraniacées                                                    156

      Zygophyllées                                                   156

      Rutacées                                                       158

      Rhamnées                                                       159

      Térébintbacées                                                 160

      Légumineuses                                                   161

      Rosacées                                                       168

      Amygdalées                                                     168

      Pomacées                                                       169

      Lythrariées                                                    170

      Granatées                                                      171

      Cucurbitacées                                                  171

      Tamariscinées                                                  172

      Paronychiées                                                   174

      Portulacées                                                    175

      Ficoidées                                                      175

      Composées (corymbifères)                                       177

      Composées (chicoracées)                                        178

      Primulacées                                                    179

      Oléacées                                                       179

      Asclépiadées                                                   180

      Gentianées                                                     181

      Convolvulacées                                                 181

      Borraginées                                                    181

      Solanées                                                       182

      Scrophularinées                                                185

      Orobanchacées                                                  185

      Labiées                                                        186

      Globulariées                                                   187

      Plombaginées                                                   187

      Plantaginées                                                   188

      Salsolacées                                                    188

      Amarantacées                                                   191

      Salvadoracées                                                  191

      Polygonées                                                     192

      Thyméléacées                                                   192

      Euphorbiacées                                                  193

      Cannabinées                                                    193

      Morées                                                         193

      Salicinées                                                     194

      Conifères                                                      194

      Potamées                                                       194

      Palmiers                                                       194

      Liliacées                                                      199

      Mélanthacées                                                   200

      Joncées                                                        200

      Typhacées                                                      201

      Cypéracées                                                     201

      Graminées                                                      201

      Balanophorées                                                  207

      Fougères                                                       208

      Characées                                                      208

      Champignons                                                    208

      Algues                                                         209

      Plantes indéterminées                                          209

      Conclusion botanique                                           215

  CHAP. III. — Animaux                                               217

    § 1er. — _Animaux domestiques_                                   217

      Chameau                                                        218

      Cheval                                                         220

      Zébu                                                           221

      Ane                                                            222

      Mouton                                                         222

      Chèvre                                                         223

      Chien                                                          224

    § 2. — _Animaux sauvages_                                        224

      Mammifères (_nomenclature_)                                    224

      Oiseaux           —                                            225

      Reptiles           —                                           226

      Poissons           —                                           227

      Arachnides           —                                         227

      Insectes           —                                           228

      Myriapodes           —                                         228

      Annelides           —                                          228

      Mollusques           —                                         229

      Parasites           —                                          229

    _Espèces remarquables_ : Tahoûri                                 229

      Loup                                                           230

      Guépard                                                        230

      Onagre                                                         231

      Antilope mohor                                                 231

      Antilope oryx                                                  231

      Akaokao                                                        231

      Autruche                                                       232

      Gypaète                                                        232

      Crocodile                                                      232

      Gecko des sables                                               234

  _Agama colonorum_                                                  234

      _Acanthodactylus Savignyi_                                     235

      _Acanthodactylus vulgaris_                                     235

      _Agama agilis_                                                 235

      Vipère cornue                                                  235

      Vipère des jongleurs                                           235

      Vipère des Pyramides                                           236

      _Psammophis punctatus_                                         237

      _Cœlopeltis insignitus_                                        237

      Serpents fabuleux                                              237

      Poissons, (_Clarias lazera_)                                   237

      Scorpion                                                       239

      Araignée venimeuse                                             239

      Coléoptères                                                    240

      Sauterelles                                                    240

      Libellules                                                     241

      Abeilles                                                       241

      Lépidoptères                                                   243

      Mouches et moustiques                                          243

      Scolopendre                                                    243

      Vers comestibles                                               243

      Parasites de l’homme                                           244

      Puce                                                           245

    _Dépôt des collections_ minéralogiques, géologiques,
    botaniques, zoologiques, ainsi que des cartes itinéraires        245

                               LIVRE III.

  CENTRES DE RAYONNEMENT                                             247

  CHAPITRE PREMIER. — Centres commerciaux                            249

    § 1er. — _Ghadâmès_                                              249

      Motifs du choix de cet emplacement                             249

      Ruines liby-égyptiennes                                        250

      Ruines garamantiques                                           251

      Ruines grecques                                                252

      Ruines romaines                                                253

      Conquête arabe                                                 254

      Population de la ville                                         256

      Dialecte particulier                                           256

      Costume. — Mœurs                                               257

      Commerce. — Ses bénéfices                                      258

      Industrie. — Horticulture                                      260

      Eaux d’irrigation                                              260

      Habitations. — Quartiers. — Marchés                            262

      Gouvernement et administration                                 263

      Rapports avec les Touâreg                                      265

    § 2. — _Rhât_                                                    256

      Ancienne Rapsa des Romains                                     267

      Sa restauration par les Ihâdjenen et les Kêl-Rhâfsa            268

      Sultans Ihâdjenen                                              268

      Loi particulière de succession                                 269

      Substitution d’un Arabe touâti à un Berbère ihâdjeni dans
      le gouvernement de la ville                                    269

      Motifs de mécontentement des chefs Touâreg                     270

      Détails sur la ville de Rhât                                   271

      Pourquoi l’entrée de la ville m’a été refusée                  272

      Parti des Turcs. — Parti des Français                          274

    § 3. — _Mourzouk_                                                275

      Le Fezzân moderne                                              275

      Le Fezzân ancien                                               276

      Civilisation garamantique                                      279

      Ville de Mourzouk                                              281

      Gouvernement. — Administration. — Garnison                     282

      Décadence du Fezzân                                            284

    § 4. — _Ouarglâ_                                                 284

      Ce qu’on sait de sa fondation, de son histoire, de son
      ancienne prospérité, des causes de sa décadence                285

      Cette ville peut-elle recouvrer son ancienne splendeur ?       287

      Rôle que lui assignent les circonstances                       290

    § 5. — _In-Sâlah et le Touât_                                    290

      Le Touât, confédération politique indépendante, mais
      dépendant de l’Algérie pour ses besoins matériels              291

      Du pouvoir et des partis au Touât                              293

      Noirs. — Berbères. — Arabes du Touât                           294

      Assiette de ces populations                                    295

      In-Sâlah. — Ce que ce nom comprend                             296

      Causes de la prospérité de ce point                            297

      Tribu des Oulâd-Bâ-Hammou                                      298

  CHAP. II. — Centres religieux                                      300

    § 1er. — _Confrérie des Senoûsi_                                 301

      Es-Senoûsi. — Le but qu’il s’est proposé en instituant
      une confrérie                                                  301

      Pourquoi il choisit le désert                                  302

      Moqaddem de l’Ouest et Mohammed-ben-’Abd-Allah                 303

      Jerhâjîb, métropolitaine de l’ordre                            304

      Avénement du fils d’Es-Senoûsi                                 305

      Opposition de cette confrérie à ma mission                     306

    § 2. — _Confrérie des Tedjâdjna_                                 306

      Profession de foi tolérante                                    306

      Luttes contre les Turcs, contre ’Abd-el-Kâder et
      les Mouley-Tayyeb                                              307

      Rapports de bonne amitié avec les Français                     308

      Protection que m’a donnée cette confrérie                      309

      Son influence dans le Sahara et l’Afrique centrale             310

    § 3. — _Zâouiya des Bakkây_                                      310

      Les Bakkây descendent du conquérant ’Oqba                      311

      Leur puissance morale                                          311

      Composition de cette famille                                   312

      Sîdi-Mohammed offre de me conduire à Timbouktou                313

    § 4. — _Zâouiya des Oulâd-Sîdi-Cheïkh_                           313

      Fondée pour devenir l’asile de la proscription                 314

      Son chef me recommande aux habitants d’El-Golêa’a              315

      Services que nous a rendus et que peut nous rendre encore
      la famille des Oulâd-Sîdi-Cheïkh                               315

                               LIVRE IV.

  TOUÂREG PROPREMENT DITS                                            317

  CHAPITRE PREMIER. — Origine des Touâreg                            317

      Opinion des Touâreg sur leur origine                           317

      Analyse d’une _Note_ sur les origines des diverses tribus
      Touâreg, par le Cheïkh-Brahîm-Ould-Sîdi                        318

      Origine des tribus du pays d’Azdjer                            319

      Origine des tribus du Ahaggâr                                  321

      Justification des prétentions de la _Note_                     323

      Partage des terres chez les Azdjer                             324

      Opinion d’Ebn-’Abd-en-Nour-el-Hamîri sur la question
      des origines                                                   324

      Opinion émise, sur le même sujet, par Ebn-Khaldoûn dans
      son _Histoire des Berbères_                                    325

      Résumé de ces opinions                                         326

      Les Touâreg sont les Mazyes d’Hérodote                         327

      L’étude de la langue _temâhaq_ peut seule éclairer
      l’ethnologie des Touâreg                                       328

  CHAP. II. — Divisions et constitution sociale                      329

      Divisions des Azdjer                                           329

      Divisions des Ahaggâr                                          330

      Du pouvoir souverain                                           331

      Des Nobles                                                     331

      Des Marabouts                                                  332

      Des Tribus mixtes                                              334

      Des Serfs                                                      334

      Des Esclaves                                                   339

      De la Femme                                                    339

  CHAP. III. — Historique des tribus                                 342

    § 1er. — _Confédération des Azdjer_                              343

      Tribu des Imanân                                               344

      Tribu des Orâghen                                              347

      Tribu des Imanghasâten                                         354

      Tribu des Kêl-Izhabân                                          357

      Tribu des Imettrilâlen                                         357

      Tribu des Ihadhanâren                                          357

      Tribu des Ifôghas                                              359

                        N-Ouqqirân                                   360

                        N-Iguedhâdh                                  361

                        N-et-Tobol                                   361

      Le Cheïkh-’Othmân                                              363

      Tribu des Ihêhaouen                                            365

      Tribu des Kêl-Tîn-Alkoum                                       366

      Tribu des Ilemtîn                                              367

    § 2. — _Confédération des Ahaggâr_                               368

      Tribu des Kêl-Ahamellen                                        374

      Tribu des Tédjéhé-Mellen                                       375

      Tribu des Kêl-Rhelâ                                            375

      Tribu des Irhechchoûmen                                        377

      Tribu des Ibôguelân                                            378

      Tribu des Taîtoq                                               378

      Tribu des Tédjéhé-n-Eggali                                     379

      Tribu des Ikadéen                                              379

      Tribu des Inembâ-Kêl-Tahât                                     379

      Tribu des Inembâ-Kêl-Emoghrî                                   379

      Tribu des Ikerremôïn                                           380

      Tribu des Tédjéhé-n-oû-Sîdi                                    380

      Tribu des Ennîtra                                              380

      Tribu des Tédjéhé-n-Esakkal                                    380

  CHAP. IV. — Caractères distinctifs des Touâreg                     381

      _Caractères physiques_                                         381

      _Caractères moraux_                                            383

      _Conservation de l’écriture berbère_                           386

      Alphabet tefînagh                                              388

      Inscriptions rupestres                                         389

      _Usage du voile_                                               390

      _Anneau de pierre au bras_                                     392

      _Poignard d’avant-bras_                                        393

      _Succession maternelle._ — Benî-Oummïa                         393

      Exemples de ce mode de succession chez d’autres peuples        394

      Loi spéciale aux Touâreg                                       396

      Origine de cette loi                                           398

      Part faite à la femme dans toutes les institutions
      des Touâreg                                                    400

      _Abstinence de la chair de poissons et d’oiseaux_              401

      _Conclusion_ du chapitre IV                                    402

  CHAP. V. — Touâreg dans leur vie intérieure                        403

      _Campements. — Habitations_                                    403

      _Mobilier. — Ustensiles_                                       404

      _Vêtements. — Coiffures. — Chaussures. — Parures_              405

      _Aliments. — Boissons. — Thé. — Café. — Tabac_                 408

      _Religion. — Superstitions_                                    413

      Traces du christianisme                                        414

      Évocation des âmes                                             415

      Croyances aux génies                                           416

      Préjugés sur la sorcellerie                                    418

      Amulettes                                                      419

      _Instruction_                                                  419

      Lecture. — Écriture                                            420

      Connaissances en calcul                                        421

            —       en géographie                                    421

            —       en histoire                                      422

            —       en botanique                                     422

            —       en zoologie                                      422

            —       en minéralogie                                   422

            —       en théologie                                     423

            —       en droit                                         423

            —       en astronomie                                    423

      _Droit. — Justice. — Police_                                   427

      Droit écrit et coutumier                                       427

      Police intérieure. — Peines                                    427

      Peine du talion                                                428

      _Naissance. — Mariages. — Décès_                               428

      Circoncision. — Majorité. — Longévité                          428

      Position de la femme dans le mariage                           429

      Célébration du mariage                                         430

      Morts. — Enterrement. — Noms personnels                        431

      _Pratiques hygiéniques_                                        431

      Peinture du corps à l’indigo                                   431

          —      —      à l’ocre                                     432

      Coupe des cheveux                                              432

      Boucles d’oreilles hygiéniques                                 432

      Usage du sulfure d’antimoine                                   432

      Voile                                                          432

      _Maladies et pratiques médicales_                              433

      Ophthalmies                                                    433

      Rhumatismes                                                    434

      Fièvres intermittentes                                         434

      Variole                                                        434

      Rougeole                                                       435

      Maladies de la peau                                            435

      Ver de Guinée                                                  435

      Boûri des nègres                                               435

      Syphilis                                                       436

      Piqûres et morsures d’animaux venimeux                         436

      Emploi médical de l’_Hyoscyamus Falezlez_                      437

      _Travail_                                                      438

      Agriculture et horticulture                                    439

      Industries professionnelles                                    440

  CHAP. VI. — Touâreg dans leur vie extérieure                       441

      _Assemblées politiques_                                        441

      Convocation. — Réunion                                         441

      Tenue de ces assemblées                                        442

      Conclusions ordinaires                                         443

      _Guerre_                                                       443

      Armement                                                       444

      Équipement                                                     446

      Rencontres                                                     448

      Chants de guerre                                               450

      _Conclusion_ du chapitre VI                                    452

                               APPENDICE.

  GÉOGRAPHIE ANCIENNE                                                455

      Objet de l’Appendice                                           455

      _Agisymba regio_                                               456

      Identification avec l’oasis d’Aïr                              457

      Route qui y conduisait                                         458

      _Limite séparative de la Libye et de l’Éthiopie_               459

      Concordance des documents anciens avec les
      connaissances modernes                                         460

      _Mons ater_                                                    461

      Identification avec le massif des Touâreg                      461

      Connaissances des anciens sur cette région                     462

      Pline                                                          462

      Ptolémée                                                       464

      Identification de la Gorge Garamantique avec l’Aghelâd
      d’Ouarâret, du mont Thala avec le Tâhela, du lac Nouba
      avec la Sebkha d’Amadghôr, du Girgyris avec le Tasîli
      des Azdjer                                                     465

      Identification des Uzzar ou Suggar aux Ahaggâr, des
      Astacuri aux Azdjer, des Ifuraces aux Ifôghas                  466

      _Des Niger de la Libye_                                        469

      Deux Niger                                                     470

      Éthymologie du mot Niger                                       471

      Sa signification : _bassin_ et non _fleuve_                    472

      _Niger oriental_                                               474

      Ses limites                                                    474

      Ce qu’en connaissaient les anciens                             475

      Identifications possibles                                      475

      _Niger occidental_                                             479

      Ses limites                                                    479

      Nouveaux éléments de critique                                  479

      Description de Ptolémée. — Assimilation des points
      connus du géographe grec                                       480

      Le Niger occidental était à peu près un désert à
      l’époque de Ptolémée                                           481

      Résumé des connaissances des anciens sur les deux
      bassins de la Libye                                            482

      _Peuples de la Libye_                                          483

      D’après Ptolémée                                               483

      D’après Pline                                                  485

      Assimilation des peuples anciens aux tribus modernes           486

      _Limites méridionales de l’occupation romaine_                 486

      Ruines romaines                                                486

      Ruines indigènes                                               487

      _Conclusion de l’appendice_                                    489


                            FIN DE LA TABLE.




                          TABLE DES PLANCHES.

                               * * * * *


                                                                  Pages.

  PLANCHE I, M. Henri Duveyrier                                        I

  —       II, fig. 1, Gâra de Tîsfîn ; fig. 2, Profil du mont
  Idînen ; fig. 3, Blocs de Takarâhet ; fig. 4, Berges d’Ingher
  et Asouîtar ; fig. 5, Aghelâd de Tarât                              35

  —       III, fig. 1, _Planorbis Duveyrieri_ ; fig. 2,
  Dunes dans l’’Erg                                                   45

  —       IV, Appareil à élever l’eau                                 68

  —       V, fig. 1, Zâouiya du Cheïkh-el-Hoseyni, à Oubâri ;
   fig. 2, Tekertîba                                                 155

  —       VI, fig. 1, Château d’Aghrem, à Serdélès ; fig. 2,
  Ahatès (_Acacia albida_)                                           164

  —       VII, fig. 1, Tessâoua ; fig. 2, Inscription coufique       180

  —       VIII, _Clarias lazera_                                     238

  —       IX, fig. 1, Bahar-ed-Doûd ; fig. 2, _Arthemia Oudneii_     244

  —       X, fig. 1, Bas-relief libyco-égyptien ; fig. 2,
  Colonnes et chapiteaux d’El-’Aouîna                                250

  —       XI, fig. 1, Oasis de Ghadâmès ; fig. 2, Ruines
  des Esnâmen                                                        252

  —       XII, Inscription romaine trouvée à Ghadâmès                253

  —       XIII, fig. 1, Ville de Rhât ; fig. 2, Pic de Têlout        271

  —       XIV, Monument romain de l’ancienne Garama                  270

  —       XV, fig. 1, Ruines du Qeçir-el-Watwat ; fig. 2,
  Tombes de Qeçirat-er-Roûm ; fig. 3, Tombes des Jabbâren            279

  —       XVI, Types féminins de la race subéthiopienne              288

  —       XVII, Types masculins de la race subéthiopienne            288

  —       XVIII, Sîdi-Mohammed-el-’Aïd                               309

  —       XIX, Temâssîn                                              310

  —       XX, Types Touâreg                                          382

  —       XXI, Alphabet Tefînagh                                     388

  —       XXII, Inscriptions Tefînagh                                390

  —       XXIII, fig. 1, Vue isolée de l’Idînen ; fig. 2,
  Vue de l’Idînen et de l’Akâkoûs                                    416

  —       XXIV, Équipement de marche des Touâreg                     444

  —       XXV, Armement et harnachement                              447


         PARIS. — IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SA1NT-BENOIT, 7.




                               SUPPLÉMENT
                                  AUX
                            TOUAREG DU NORD


                               MOLLUSQUES
                       TERRESTRES ET FLUVIATILES
                   RECUEILLIS PAR M. HENRI DUVEYRIER
                             DANS LE SAHARA
                  ET DÉCRITS PAR M. J.-R. BOURGUIGNAT

[Décoration]


                         1o — ESPÈCES VIVANTES.


                         ZONITES CANDIDISSIMUS.


 Helix candidissima, _Draparnaud_, Tabl. moll., p. 75. 1801. — Et Hist.
                moll. France, p. 89, pl. V, f. 19. 1805.

Zonites candidissimus, _Moquin-Tandon_, Observ. mach. Hel. in Mém. acad.
               Toulouse (3e série), t. IV, p. 374. 1848.

Espèce abondante à Biskra, Laghouât, Tougourt, Ghardâya, etc... dans le
Sahara algérien.

Environs de Tripoli, sur les vieux murs.


                             HELIX APERTA.


Helix aperta, _Born_, Ind. mus. Cæs. Vindob. test., p. 399, tabl. XV, f.
                              19-20. 1778.

 Helix neritoides, _Chemnitz_, Conch. cab. IX (2e partie), p. 150, pl.
                      CXXXIII. f. 1204-1205. 1786.

       Helix naticoides, _Draparnaud_, Tabl. moll., p. 78. 1801.

  Cantareus naticoides, _Risso_, Hist. nat. Eur. mérid., t. IV, p. 64.
                                 1826.

            Pomatia aperta, _Beck_, Ind. moll., p. 44. 1837.

          Cænatoria naticoides, _Held_, in Isis, p. 911. 1837.

Sous les pierres. Oasis d’El-Kantara. Environs de Biskra.

Cette espèce s’enfonce sous terre pour résister aux chaleurs.


                           HELIX WARNIERIANA.


Testa perforata, carinata, globoso-conica, solidula, cretacea, passim
subpellucida, albido-lutescente, maculis corneis subtranslucidis
irregulariter variegata, ac striata obscureque passim malleata ; spira
parum elata, conica ; apice minuto, levigato, nitidissimo, fulvo ; —
anfractibus 6 1/2 vix subconvexiusculis, carinatis (carina ad
peripheriam evanescens), regulariter crescentibus, sutura paululum
impressa separatis ; ultimo majore, basi rotundato, ad insertionem labri
externi paululum descendente ; — apertura obliqua, lunato-rotundata ;
peristomate acuto, recto, intus remote albo-incrassato præsertim ad
basin ; margine columellari ad partem superiorem reflexo ; marginibus
callo tenui junctis.

Coquille perforée, carénée, de forme globuleuse-conoïdale. Test solide,
crétacé, d’une teinte jaune blanchâtre parsemé çà et là par de petites
taches cornées un peu translucides, et orné de striations grossières,
interrompues par des malléations plus ou moins prononcées. Spire peu
élancée, conique, à sommet petit, lisse, fauve, très-brillant. Six tours
et demi à peine convexes, s’accroissant avec régularité, munis d’une
carène qui disparaît vers l’ouverture et séparés par une suture peu
profonde. Dernier tour plus grand, bien arrondi à sa base, offrant vers
l’insertion du bord externe une direction descendante régulière.
Ouverture oblique, échancrée, arrondie. Péristome droit, aigu, encrassé
à l’intérieur, surtout vers la base de l’ouverture, par un léger
bourrelet blanchâtre peu saillant, assez enfoncé. Bord columellaire
réfléchi surtout à sa partie supérieure. Bords marginaux réunis par une
callosité délicate.

  Hauteur     8 millimètres.

  Diamètre   10       —

Espèce abondante dans le Sud de la Tunisie, surtout aux alentours du
petit village de Kerîz, près du Chott-el-Djérîd.

Cette hélice, que nous dédions au docteur A. Warnier, se rencontre
également dans les briques de _toûb_, dont les habitants se servent pour
construire leurs demeures.


                            HELIX AGRIOICA.


Helix agrioica, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. I, p. 201, pl. XXII, fig.
                               1-6. 1863.

Testa anguste umbilicata, depressa, cretacea, albida, maculis corneis
translucidis irregulariter (supra vel subtus) passim sparsis, munita,
supra costulis distantibus sulcata, subtus crebre obscureque
subcostulata ; — spira convexa ; apice minuto, levigato, corneo ; —
anfractibus sex convexis, regulariter crescentibus, sutura impressa
separatis ; ultimo paululum majore, obscure subcarinato (carina ad
peripheriam evanescens), ad aperturam subito deflexo ; — apertura
obliqua, lunata, oblonga ; peristomate recto, acuto, intus valide
albido-labiato ; margine columellari paululum patulo.

Coquille étroitement ombiliquée, déprimée, subcarénée, à test crétacé,
solide, blanchâtre, moucheté, en dessus ou en dessous, par quelques
petites taches cornées, translucides, d’inégale grandeur et
irrégulièrement espacées les unes des autres. Côtes émoussées (surtout
sur le dernier tour), espacées en dessus et devenant en dessous beaucoup
plus petites, plus serrées et moins saillantes. Spire convexe, à sommet
petit, lisse et corné. Six tours convexes, à croissance régulière,
séparés par une suture prononcée. Dernier tour proportionnellement plus
dilaté, subcaréné (la carène disparaît vers le péristome), et offrant à
l’insertion du bord externe une petite déflexion subite. Ouverture
oblique, échancrée, oblongue. Péristome droit, tranchant, intérieurement
épaissi par un fort bourrelet blanchâtre. Bord columellaire légèrement
évasé.

  Hauteur    4  millimètres.

  Diamètre   7      —

Au pied des arbrisseaux, sous les touffes d’herbes, dans les endroits
arides, à Methlîli.


                           HELIX REBOUDIANA.


  Helix Reboudiana, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. I, p. 212, pl. XXI,
                           fig. 19-30. 1863.

Testa anguste umbilicata, depressa, solida, cretacea, griseo-albida,
fulvo-flammulata, præsertim supra ; eleganter irregulariterque costulata
(costis albidis) ; — spira depresso-convexa ; apice fulvo, levigato,
obtusissimo ; — anfractibus sex convexiusculis, celeriter crescentibus,
sutura impressa separatis ; ultimo majore, dilatato, subrotundato, supra
convexiusculo, subtus exacte convexo, ad aperturam regulariter valde
descendente ; — apertura obliqua, vix lunata, rotundata ; peristomate
recto, acuto, intus paululum labiato ; marginibus (_columellari_
reflexo, _basali_ subpatulo) approximatis.

Coquille étroitement ombiliquée, déprimée, à test solide, crétacé,
opaque, terne, d’un blanc grisâtre, flammulé, surtout en dessus, par de
petites taches fauves peu prononcées. Striations en forme de côtes
élégantes, irrégulières, assez espacées et se détachant en blanc plus
vif sur le fond de la coquille. Spire convexe, peu élevée, à sommet
fauve, lisse et très-obtus. Six tours peu convexes, à croissance rapide,
séparés par une suture assez profonde. Dernier tour dilaté,
proportionnellement beaucoup plus grand, faiblement convexe en dessus,
bien arrondi en dessous, présentant, vers l’insertion du bord externe,
une déclivité régulière, assez forte. Ouverture oblique, à peine
échancrée, arrondie, à péristome droit, aigu, épaissi par un faible
bourrelet blanchâtre. Bord columellaire réfléchi. Bord basal légèrement
évasé. Bords marginaux assez rapprochés.

  Hauteur     6 millimètres.

  Diamètre   10       —

VAR. B. — _Zonata._ Coquille bien costulée, de petite taille, ornée de
cinq zonules, dont deux en dessus (une suit la suture) et trois en
dessous (celle du milieu est la plus large et la mieux colorée).
Mechoûnêch.

VAR. C. — _Subcostulata._ Coquille à stries émoussées en dessus, d’un
blanc sale, avec une zone noire interrompue sur le milieu du dernier
tour. El-Kantara.

VAR. D. — _Subcarinata._ Coquille plus déprimée, à carène obsolète peu
sensible, ornée, en dessus, d’une série de flammules grisâtres également
espacées, et ceinte, sur le milieu du dernier tour, d’une bande noire
assez large, interrompue par des fascies blanchâtres. Mechoûnêch.

Au pied des touffes d’herbes, sous les pierres dans l’oasis de
Mechoûnêch, sur l’Ouâd-el-Abiadh à 24 kilomètres de Biskra, ainsi qu’à
El-Kantara... Espèce abondante.


                           HELIX RUFOLABRIS.


                    Helix rufolabris, _Benoit_, mss.

 Helix rufolabris, _L. Pfeiffer_, in Malak. Blätt., p. 184. 1856. — Et
                Monogr. Hel. viv., t. IV, p. 132. 1859.

 Helix rufolabris, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. I, p. 210, pl. XXIV,
                           fig. 11-16. 1863.

Espèce abondante dans la partie Sud de la Tunisie, à Gâbès, sur les
herbages du littoral ; à Kerîz, à Nafta, sur le bord du Chott-el-Djérîd.

Cette hélice se trouve fréquemment dans la terre qui sert à fabriquer
les briques de _toûb_, employées dans les constructions.


                             HELIX LINEATA.


          Helix lineata, _Olivi_, Zool. Adriat., p. 177. 1792.

Helix maritima, _Draparnaud_, Hist. moll. France, p. 85, pl. V, f. 9-10.
                                 1805.

            Theba maritima, _Beck_, Ind. moll., p. 12. 1837.

Espèce commune sur toute la côte méditerranéenne. Environs de Tripoli ;
alentours de Gâbès, de Kerîz, de Nafta, au Sud de la Tunisie.


                              HELIX LAUTA.


Helix lauta[139], _Lowe_, Primit. faunæ Mader., p. 53, no 43, pl. V, f.
                                9. 1831.

Helix submaritima, _Desmoulins_, in _Rossmässler_, iconogr. IX et X, pl.
                     XLIII, f. 575 (optima). 1839.

            Helix variabilis, _varietas_, plur. auct., etc.

Se rencontre avec la _lineata_ sur les plantes du littoral, sur les
murs, etc., à Tripoli, à Gâbès, à Kerîz, etc... Espèce très-abondante.


                             HELIX PISANA.


          Helix Pisana, _Müller_, Verm. hist. II, p. 60. 1774.

Helix zonaria, _Pennant_, Brit. zool., p. 137, pl. LXXXV, f. 133. 1777.

         Helix petholata, _Olivi_, Zool. Adriat., p. 178. 1792.

       Helix rhodostoma, _Draparnaud_, Tabl. moll., p. 74. 1801.

  Theba Pisana, _Risso_, Hist. nat. Europ. mérid., t. IV, p. 73. 1826.

            Xerophila Pisana, _Held_, in Isis, p. 913. 1837.

 Euparypha rhodostoma, _Hartmann_, Gasterop. Schw. I, p. 204, pl. LXXIX
                             et LXXX. 1840.

Hélice commune à Tripoli, à Gâbès, à Kerîz, à Nafta, etc...


                             HELIX TERVERI.


Helix Terveri, _Michaud_, Compl. Drap., p. 26, pl. XIV, f. 20-21. 1831.

 Helix Terveri, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. I, p. 249, f. XXIX, fig.
                               1-5. 1863.

Voici les caractères de cette hélice peu connue, qui jusqu’à présent a
été confondue par presque tous les auteurs avec une quantité d’autres
espèces voisines :

Testa mediocriter umbilicata, globoso-depressa, vel depressa, solida,
subopaca, subnitida, albida, sæpius fulvo-vel-nigro-purpurascente,
multifasciata et sæpe quasi maculata aut tæniata, regulariter
striatula ; — spira convexa ; apice minuto, levigato, nitido, corneo ; —
anfractibus 6 convexis, primo lente, deinde celeriter crescentibus,
sutura impressa separatis ; ultimo maximo, globoso-rotundato, antice non
descendente ; — apertura obliqua, lunato-rotundata ; peristomate recto,
acuto, intus albo-vel-fulvo-labiato ; margine columellari vix
reflexiusculo.

Coquille déprimée, ordinairement assez globuleuse, solide, légèrement
transparente, assez brillante, finement striée avec régularité et
pourvue d’une perforation ombilicale profonde, étroite et non évasée.
Test blanchâtre, orné, le plus souvent, de zonules fauves ou d’un
pourpre noirâtre, interrompues et flammulées. Spire convexe, à sommet
petit, lisse, brillant et corné. Six tours assez convexes, à croissance
d’abord lente, ensuite plus rapide, séparés par une suture prononcée.
Dernier tour proportionnellement bien dilaté, globuleux, arrondi et
rectiligne vers l’insertion du bord externe. Ouverture oblique,
échancrée, arrondie. Péristome droit, aigu, intérieurement bordé par un
renflement blanchâtre ou fauve. Bord columellaire peu réfléchi.

  Hauteur     9-12 millimètres.

  Diamètre   13-18       —

Environs de Methlîli, au Sud de la province d’Alger.


                           HELIX ERICETORUM.


        Helix ericetorum, _Müller_, Verm. hist. II, p. 33. 1774.

    Zonites ericetorum, _Leach_, Brit. moll., p. 101. 1818. (Teste,
                            _Turton_, 1831.)

   Oxychilus ericetorum, _Fitzinger_, Syst. Verzeichn, p. 100. 1833.

           Theba ericetorum, _Beck_, Ind. moll., p. 13. 1837.

          Xerophila ericetorum, _Held_, in Isis, p. 913. 1837.

Environs de Methlîli. — L’on rencontre également dans cette localité une
variété zonulée, dont le dernier tour est légèrement subcaréné.


                           HELIX PYRAMIDATA.


  Helix pyramidata, _Draparnaud_, Hist. moll. France, p. 80, pl. V, f.
                               5-6. 1805.

Theba pyramidata, _Risso_, Hist. nat. Europ. mérid., t. IV, p. 74. 1826.

         Xerophila pyramidata, _Beck_, Ind. moll., p. 11. 1837.

Espèce commune sur les plantes du littoral, sur les rochers, etc. —
Tripoli ; Gâbès ; Kerîz, près du Chott-el-Djérîd.

On trouve dans cette dernière localité une petite variété dont le test
est élégamment sillonné par des costulations serrées, assez saillantes,
surtout sur le milieu du dernier tour.


                          HELIX DUVEYRIERIANA.


Helix Duveyrieriana, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. I, p. 265, pl. XIX,
                           fig. 30-35. 1863.

Testa aperte perspectiveque umbilicata, lenticulari-depressa, supra
subtusque convexa, subcarinata, parvula, solidiuscula, cretacea,
subopaca, griseo-albida, irregulariter corneo-marmorata, crebre
costulata ; — spira convexiuscula ; apice obtuso, levigato, nitido,
corneo ; — anfractibus 5 convexiusculis, regulariter crescentibus,
sutura impressa separatis ; — ultimo vix majore, compresso, subcarinato
(carina ad peripheriam evanescens), antice recto ; — apertura obliqua,
parum lunata, transverse subangulato-oblonga ; peristomate recto, acuto,
intus non labiato ; margine columellari superne reflexiusculo ;
marginibus approximatis.

Coquille petite, déprimée, de forme lenticulaire, convexe en dessus et
en dessous, subcarénée, assez solide, crétacée, un peu transparente,
d’un gris blanchâtre et irrégulièrement mouchetée, surtout en dessus, de
petites taches cornées peu foncées. Test sillonné de côtes serrées,
régulières, saillantes, surtout sur la carène, et pourvu d’un ombilic
très-évasé, en entonnoir, laissant voir facilement l’enroulement
intérieur des tours. Spire peu élevée, convexe, à sommet obtus, lisse,
brillant et corné. Cinq tours, faiblement convexes, à croissance lente,
régulière, et séparés par une suture très-prononcée. Dernier tour à
peine plus développé que l’avant-dernier, comprimé dans le sens de la
hauteur, rectiligne vers l’insertion du bord externe et subcaréné (la
carène disparaît vers le péristome). Ouverture oblique, peu échancrée,
transversalement oblongue, subanguleuse, convexe à la base. Péristome
droit, aigu, non épaissi à l’intérieur. Bord columellaire court,
légèrement réfléchi à sa partie supérieure. Bords marginaux rapprochés.

  Hauteur    3 1/2 millimètres.

  Diamètre   6         —

Oasis de Mechoûnêch, près de Biskra, sous les pierres, au pied des
arbrisseaux sur les coteaux arides.


                              HELIX ACUTA.


          Helix acuta, _Müller_, Verm. hist. II, p. 100. 1774.

 Bulimus acutus, _Bruguière_, in Encycl. méth., t. VI (1re partie), p.
                               323. 1789.

Très-abondante aux environs de Tripoli, de Gâbès, de Kerîz, etc.


                          BULIMUS DECOLLATUS.


    Helix decollata, _Linnæus_, Sys. nat. (ed. x), 1, p. 773. 1758.

 Bulimus decollatus, _Bruguière_, in Encycl. méth., t. VI (1re partie),
                             p. 326. 1789.

Rumina decollata, _Risso_, Hist. nat. Europ. mérid., t. IV, p. 79. 1826.

         Obeliscus decollatus, _Beck_, Ind. moll., p. 61. 1837.

Alentours de Laghouât, de Biskra, de Tougourt, de Ghardâya, dans le
Sahara algérien.

Environs de Tripoli.


                          FERUSSACIA CHAROPIA.


 Ferussacia charopia, _Bourguignat_, Malac. Alg., t. II, p. 54, pl. IV,
                       f. 8-10. (Janvier.) 1864.

Testa cylindrico-lanceolata, sat solidula, pellucida, nitida, polita,
levigata vel sub lente obsolete striatula, pallide cornea ; — spira
elongata ; apice pallidiore, obtuso ; — anfractibus septem vix
subconvexiusculis, gradatim crescentibus, sutura pallidiore, obscure
superficiali, duplicata, separatis ; ultimo 1/3 altitudinis paululum
superante ; — apertura oblonga, intus albidula, in medio ventre
penultimi lamellifera (lamella valida, crassa, albida) ; columella alba,
valida, contorta, callosa ; peristomate recto, leviter crassiusculo ;
margine externo regulariter antice arcuato ; marginibus callo albidulo
junctis.

Coquille cylindrique-lancéolée, assez solide, transparente, brillante,
polie, d’une teinte cornée, lisse ou paraissant, au foyer d’une loupe,
ornée de petites striations émoussées. Spire allongée, à sommet plus
pâle et obtus. Sept tours à peine convexes, s’accroissant peu à peu,
avec régularité, et séparés par une suture superficielle, ceinte
inférieurement par une seconde ligne ressemblant à une rainure suturale.
Dernier tour dépassant un peu le tiers de la hauteur. Ouverture
oblongue, blanchâtre à l’intérieur et offrant, vers le milieu de la
convexité de l’avant-dernier tour, une forte lamelle épaisse, blanche,
saillante et plongeant à l’intérieur. Columelle blanche, forte,
contournée et calleuse. Bord externe arqué en avant avec régularité.
Bords marginaux réunis par une callosité blanchâtre.

  Hauteur                  10     millimètres.

  Diamètre                  3          —

  Hauteur de l’ouverture    3 1/2      —

Sous les pierres et les touffes d’herbes dans l’oasis d’El-Kantara et
aux environs de Biskra.


                              PUPA GRANUM.


 Pupa granum, _Draparnaud_, Tabl. moll., p. 59. 1801. — Et Hist. moll.
               France, p. 63, pl. III, fig. 45-46. 1805.

       Torquilla granum, _Studer_, Kurz. verzeichn., p. 89. 1820.

       Chondrus granum, _Hartmann_, in Neue-Alpin., p. 219. 1821.

         Helix granum, _Ferussac_, Tabl. system., p. 64. 1821.

 Jaminia granum, _Risso_, Hist. nat. Europ. mérid., t. IV, p. 90. 1826.

  Stomodonta granum, _Mermet_, Hist. moll., Pyr.-occid., p. 52. 1843.

Testa rimata, subcylindrica, sat tenui, subpellucida, cornea, ac
subtilissime costulato-striata ; — spira attenuata, plus minusve
acuminata ; apice obtusiusculo ; — anfractibus 7-8 convexiusculis, lente
regulariterque crescentibus, sutura impressa separatis ; ultimo paululum
majore, basi rotundato, ac ad aperturam ascendente ; — apertura semi-
ovata, septemplicata ; plica parietali unica, valida ; duabus plicis
columellaribus, approximatis, dentiformibus ; plicis palatalibus 4 valde
immersis (tertia plica validior) ; — peristomate expansiusculo,
acutiusculo ; marginibus conniventibus, valde approximatis, tenui callo
junctis.

Coquille presque cylindrique, allongée, assez fragile, faiblement
transparente, légèrement brillante, d’une teinte cornée uniforme,
sillonnée par de petites côtes délicates, fines, serrées, régulières, et
pourvue d’une fente ombilicale assez prononcée. Spire atténuée, plus ou
moins acuminée, suivant les échantillons. Sommet assez obtus, lisse et
d’une nuance généralement plus pâle. Sept à huit tours assez convexes, à
croissance lente et régulière, séparés par une suture bien marquée.
Dernier tour un peu plus grand, arrondi à sa base et offrant vers
l’insertion du bord externe une direction ascendante. Ouverture
échancrée, semi-ovale, ornée de sept plis ainsi placés : un pli
pariétal, fort, saillant, sur la convexité de l’avant-dernier tour ;
deux plis columellaires, rapprochés, dentiformes, dont l’inférieur est
le plus petit ; quatre plis palataux n’atteignant pas le péristome, dont
le troisième est le plus grand. Péristome légèrement évasé, mince,
tranchant. Bords marginaux convergents, très-rapprochés, réunis par une
faible callosité.

  Hauteur                      4-5 millimètres.

  Diamètre                 1 3/4-2      —

  Hauteur de l’ouverture   1 1/2        —

Oasis d’El-Kantara, de Mechoûnêch près de Biskra, ainsi qu’aux alentours
de cette ville au pied des arbres, dans les anfractuosités des rochers
ou sous les pierres.


                           LIMNÆA TRUNCATULA.


     Buccinum truncatulum, _Müller_, Verm. hist. II, p. 130. 1774.

         Helix truncatula, _Gmelin_, Syst. nat., p. 3659. 1788.

Bulimus truncatus, _Bruguière_, Encycl. méthod., vers. 1, p. 310. 1789.

        Limneus minutus, _Draparnaud_, Tabl. moll., p. 51. 1801.

  Lymnæa minuta, _Lamarck_, An. s. vert., t. VI, (2e partie), p. 162.
                                 1822.

Limnæus truncatulus, _Jeffreyss_, Syn. test. in trans. Linn., t. XVI (2e
                         partie), p. 377. 1830.

          Limnæa truncatula, _Beck_, Ind. moll., p. 112. 1837.

Abondante dans l’Ouâd-Mezî, près de Laghouât. Se rencontre dans presque
tous les fossés d’irrigation pratiqués pour l’arrosement des palmiers
dans les oasis du Sahara.


                          HYDROBIA PERAUDIERI.


Hydrobia Peraudieri, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 108. 1862. Et
              Paléont. Alg., p. 94, pl. V, f. 12-15. 1862.

Testa rimata, elongatissima, turriculato-conica, pallide cornea,
striatula, ac sæpe passim spiraliter paululum lineolata ; — spira
lanceolata ; apice obtusiusculo ; — anfractibus 7 1/2 convexis, superne
paululum subangulatis, regulariter crescentibus, sutura profunda
separatis ; — ultimo rotundato ; — apertura recta, rotundata ;
peristomate acuto, recto ; margine columellari reflexiusculo ;
marginibus subcontinuis.

Coquille pourvue d’une fente ombilicale assez ouverte. Test très-
allongé, turriculé, conique, d’une teinte pâle cornée, un peu
transparent, strié et quelquefois sillonné çà et là par de petites
stries spirales. Spire lancéolée, à sommet un peu obtus. Sept tours et
demi convexes, un peu subanguleux vers la suture, qui paraît, par cela
même, profonde. Accroissement spiral des plus réguliers. Dernier tour
parfaitement arrondi. Ouverture droite, presque ronde, à péristome aigu
et droit. Bord columellaire légèrement réfléchi. Bords marginaux presque
continus. Callosité blanchâtre. Opercule d’un brun rouge.

  Hauteur                  6-7   millimètres.

  Diamètre                 1 1/2      —

  Hauteur de l’ouverture   2          —

Cette magnifique espèce habite dans le gouffre froid à Biskra[140].


                           HYDROBIA BRONDELI.


  Paludina acuta[141], _Forbes_, On the land and freshw. moll. Alg. in
          Ann. nat. Hist. or Magaz. zool., etc., p. 254. 1838.

 Paludina acuta, _Terver_, Cat. moll., Nord de l’Afrique, p. 37. 1839.

  Paludina acuta, _Rossmässler_, in _Wagner_, Reise in der Regentsch.
                          Alg., p. 251. 1841.

   Paludina acuta, _Morelet_, in Journ. conch., t. IV, p. 296. 1853.

 Hydrobia Brondeli, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 110. 1862. Et
                      Paléont. Alg., p. 96. 1862.

Testa rimata, obeso-conoidea, nitidula, sat solidula, cornea vel fusco-
luteola, fere lævigata ; — spira obesa ; apice obtuso ; — anfractibus 5
convexiusculis, celeriter crescentibus ; — penultimo ultimoque magnis,
rotundatis, sutura profunda separatis ; — apertura oblonga ; peristomate
recto, continuo, ad columellam paululum reflexiusculo ac incrassato ;
margine externo antrorsum paululum arcuato.

Coquille pourvue d’une faible fente ombilicale. Test obèse, conoïde,
assez solide, un peu brillant, tant soit peu transparent, presque lisse,
d’une teinte cornée ou d’un brun jaunâtre. Spire courte, trapue, à
sommet obtus. Cinq tours convexes, s’accroissant avec rapidité ; les
deux derniers sont grands, arrondis, plus convexes, par conséquent
séparés par une suture plus profonde. Ouverture oblongue, à péristome
droit, continu, un peu réfléchi et épaissi à l’endroit de la columelle.
Bord externe légèrement arqué en avant.

  Hauteur                  4     millimètres.

  Diamètre                 2          —

  Hauteur de l’ouverture   1 3/4      —

Dans le gouffre froid à Biskra.

L’Hydrobia Brondeli diffère de l’_Hydrobia Peraudieri_, par sa taille
plus petite, plus trapue ; par son test presque lisse ; par son sommet
obtus ; par ses tours qui sont moins convexes et qui ne s’accroissent
point avec régularité ; par son ouverture plus grande ; par son bord
externe arqué en avant et non droit.


                           HYDROBIA ARENARIA.


 Hydrobia arenaria, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 111. 1862. Et
                      Paléont. Alg., p. 97. 1862.

Testa oblongo-pyramidali, corneo-viridescente, lævigata ; — spira
conica ; apice obtuso ; — anfractibus 6 fere planulatis vel paululum
convexiusculis, celeriter crescentibus, sutura marginata parum impressa
separatis ; — penultimo ultimoque magnis ; — apertura oblongo
piriformi ; peristomate acuto, recto ; margine externo antrorsum
arcuato ; marginibus callo junctis.

Coquille oblongue, pyramidale, lisse, d’une teinte cornée verdâtre.
Spire conique, à sommet obtus. Six tours presque plans ou à peine
convexes, s’accroissant avec rapidité, séparés par une suture marginée,
peu profonde ; les deux derniers sont grands et un peu plus convexes.
Ouverture oblongue, piriforme, à péristome droit et aigu, seulement
réfléchi au bord columellaire. Bord externe arqué en avant. Bords
marginaux réunis par une callosité.

  Hauteur                  4 1/4 millimètres.

  Diamètre                 2          —

  Hauteur de l’ouverture   2          —

Habite à Tougourt, dans les eaux des sources artésiennes.

L’Hydrobia arenaria diffère de l’_Hyd. Brondeli_, par sa forme plus
pyramidale, moins obèse ; par ses tours moins convexes ; par sa suture
moins profonde ; par ses deux derniers tours proportionnellement plus
forts et surtout ventrus à leur partie inférieure, ce qui est l’inverse
chez la _Brondeli_ ; par son ouverture plus oblongue ; enfin, par son
péristome non continu, mais dont les bords sont réunis par une
callosité.


                          HYDROBIA DUVEYRIERI.


Testa lanceolato-turrita, solida, subpellucida, cornea, vel corneo-
viridescente, argutissime sub lente striatula ; — spira elato-
acuminata ; apice minuto, obtusiusculo ; — anfractibus 7 convexiusculis
(prope suturam planiusculis), paulatim crescentibus, sutura lineari
separatis ; — ultimo rotundato, sat ventroso, 1/3 altitudinis paululum
superante ; — apertura ovata, superne angulata, inferne rotundata ;
peristomate acuto, intus albido-incrassato ; margine columellari leviter
expansiusculo ; margine externo præsertim ad partem exteriorem valde
antrorsum arcuato ; marginibus callo valido junctis.

Coquille lancéolée, turriculée, à test solide, bien qu’un peu
transparent, d’une teinte cornée uniforme, passant quelquefois à une
nuance cornée-verdâtre. Striations excessivement délicates, visibles
seulement à la loupe. Spire allongée, diminuant peu à peu et terminée
par un sommet petit, un peu obtus. Sept tours faiblement convexes,
légèrement aplatis vers la suture qui est linéaire, et s’accroissant peu
à peu. Dernier tour arrondi, assez ventru, dépassant le tiers de la
hauteur. Ouverture ovale, anguleuse à sa partie supérieure, bien
arrondie à sa partie inférieure. Péristome droit, tranchant, muni à
l’intérieur d’un bourrelet blanchâtre. Bord columellaire légèrement
évasé. Bord externe arqué en avant, surtout à sa partie inférieure.
Bords marginaux réunis par une callosité assez épaisse.

  Hauteur    5 millimètres.

  Diamètre   2       —

Dans la rivière d’eau tiède de Kerîz (Djérîd), au Nord du Chott-el-
Djérîd (Sud de la régence de Tunis).


                           BYTHINIA SIMILIS.


 Cyclostoma simile, _Draparnaud_, Hist. moll. France, p. 34, pl. 1, f.
                               15. 1805.

       Valvata similis, _Hartmann_, Syst. Gasterop., p. 57. 1821.

        Paludina similis, _Michaud_, Compl. Drap., p. 93. 1831.

   Bithinia similis, _Dupuy_, Cat. extram. Galliæ, etc., no 48. 1849.

        Bythinia similis, _Stein_, Schneck. Berl., p. 93. 1850.

 Hydrobia similis, _Dupuy_, Hist. moll. France (5e fasc.), p. 552, pl.
                           XXVII, f. 9. 1851.

Dans les eaux à Laghouât.


                         BYTHINIA DUPOTETIANA.


Paludina Dupotetiana, _Forbes_, On the land and freshw. moll. of Algiers
and Bougia, in Ann. nat. Hist., or magaz. zool., etc., p. 254, pl. XII,
                              f. 3. 1838.

 Bythinia Dupotetiana, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 116. 1862.

Ruisseau de la fontaine chaude de Biskra, où cette espèce est très-
abondante.

M. H. Duveyrier a encore recueilli cette bythinie en très-grand nombre
dans la vase des rigoles de la source d’’Aïn-Temôguet, près de Djâdo,
dans l’Ouâdi-Arhlân (Djebel-Nefoûsa).


                         BYTHINIA PYCNOCHEILA.


 Bythinia pycnocheila, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 117. 1862.

Testa vix rimata, ventricosa, solida, crassa, levigata, viridescente ; —
spira brevi, acutiuscula ac apice obtusiusculo ; — anfractibus 5
convexis, celeriter crescentibus, sutura bene impressa separatis ; —
penultimo ultimoque maximis, rotundatis ; — apertura parum obliqua,
ovata, intus albidula ; peristomate continuo, acuto, intus undique valde
incrassato.

Coquille à peine pourvue d’une fente ombilicale, ventrue, à test solide,
épais, lisse et verdâtre. Spire courte, conoïde, à sommet un peu obtus.
Cinq tours convexes, séparés par une suture bien marquée et
s’accroissant avec rapidité ; les deux derniers tours sont arrondis et
proportionnellement très-grands. Ouverture à peine oblique, ovale,
intérieurement blanchâtre, ornée d’un péristome continu, aigu et
fortement épaissi à l’intérieur. Opercule d’un rouge orangé.

  Hauteur                  4      millimètres.

  Diamètre                 3           —

  Hauteur de l’ouverture   2 1/4       —

Espèce abondante à Temâssîn, près de Tougourt.


                           BYTHINIA SEMINIUM.


Paludina seminium, _Morelet_, Append. conch. Alg., in journ. conch., t.
                   VI, p. 376, pl. XII, f. 10. 1857.

   Bythinia seminium, _Bourguignat_, in Spicil. malac., p. 121. 1862.

Cette charmante espèce microscopique est très-commune dans l’oasis d’El-
Outâya, près de Biskra.


                          MELANIA TUBERCULATA.


      Nerita tuberculata, _Müller_, Verm. hist. II, p. 191. 1774.

 Strombus costatus, _Schröter_, Flussconchyl., p. 373, pl. VIII, f. 14.
                                 1779.

 Melanoides fasciolata, _Olivier_, Voy. emp. Ott., vol. II, p. 10, pl.
                           XXXI, f. 7. 1804.

  Melania fasciolata, _Lamarck_, An. s. vert., vol. VI (2e partie), p.
                           167, no 16. 1822.

 Melania tuberculata, _Bourguignat_, Cat. rais. moll. Or., p. 65. 1853.

Testa conico-oblongoque-turrita, tenui, plus minusve diaphana, corneo-
fusca ac sæpe flammulis luteolis vel castaneis longitudinalibus aut
interruptis, ornata ; elegantissime spiraliter costulis numerosis
sulcata, vel tenuissime decussata, aut sæpe transverse tuberculoso-
costata ; — spira acuta ; apice acuto ; — anfractibus 10-12 vel 14
convexiusculis, sat regulariter crescentibus, sutura bene impressa
separatis ; — apertura elliptica, basi fere rotundata ; peristomate
recto, acuto ; columella albidula, ad basin paululum effusa ; margine
externo antrorsum arcuato ; marginibus callo junctis.

Coquille allongée, conique-turriculée, assez fragile, plus ou moins
transparente, d’une teinte fauve cornée, quelquefois ornée de petites
flammules jaunes ou d’un brun-marron, longitudinales et la plupart du
temps interrompues. Test sillonné, d’une manière délicate et élégante,
par une foule de stries spirales plus ou moins fortes et saillantes.
Quelquefois ces stries sont interrompues par d’autres transversales, ce
qui donne au test une apparence treillissée, ou, lorsque les stries sont
fortes, une apparence tuberculeuse. Spire aiguë, à sommet petit et aigu.
10 à 12, quelquefois jusqu’à 14 tours plus ou moins convexes,
s’accroissant assez régulièrement, et séparés par une suture bien
marquée. Ouverture elliptique, à base presque arrondie. Péristome simple
et aigu. Columelle blanchâtre, un peu réfléchie vers la base. Bord
externe arqué en avant. Bords marginaux réunis par une callosité.

  Hauteur    15-35 millimètres.

  Diamètre   6-10       —

Espèce des plus communes dans presque toutes les eaux du Sahara. M.
Henri Duveyrier l’a notamment recueillie dans la fontaine chaude de
Chetma et dans l’Ouâd-Melîly, près de Biskra ; — aux environs
d’Ouarglâ ; — dans les eaux de l’oasis de Merhayyer, près de
Tougourt[142] ; enfin dans les eaux tièdes de Djérîd, au Nord du Chott-
el-Djérîd (Sud de la Tunisie), ainsi qu’au fond du Désert dans l’Ouâdi-
Tîlerhsîn, au Nord de Rhât.


                         MELANOPSIS MAROCCANA.


Buccinum Maroccanum, _Chemnitz_, Conch. cab. (ed. 1), t. XI, p. 285, pl.
                       CCX, fig. 2080-2081. 1795.

Melanopsis Dufouri, _Ferussac_, Monogr. Mel. in. Mem. soc. d’Hist. nat.
                Paris, 1, p. 153, pl. VII, f. 16. 1823.

Melanopsis Dufourei, _Deshayes_, in _Lamarck_, An. s. vert. (2e ed.), t.
                          VIII, p. 493. 1838.

  Melanopsis Buccinoidea[143], _Michaud_, Cat. test. viv. Alg., p. 11.
                                 1833.

 Melanopsis Maroccana, _Morelet_, Cat. moll. Alg., in Journ. conch., t.
                           IV, p. 297. 1853.

Espèce abondante dans la fontaine chaude de Chetma, près de Biskra ;
dans les eaux d’Ouarglâ et de Tougourt (Ouâd-Rîgh) ; enfin, dans les
petits ruisseaux d’eau tiède de Nafta et de Kerîz (Djérîd), au Nord du
Chott-el-Djérîd.


                          MELANOPSIS PRÆMORSA.


  Buccinum præmorsum, _Linnæus_, Syst. nat. (ed. Halæ), p. 740. 1760.

   Buccinum prærosum, _Linnæus_, Syst. nat. (ed. XII), p. 1203. 1767.

Melania buccinoidea, _Olivier_, Voy. emp. Ott., t. I, p. 297, pl. XVII,
                              f. 8. 1801.

    Melanopsis buccinoidea, _Ferussac_, in Mém. géol., p. 54. 1814.

  Melanopsis prærosa, _Rossmässler_, Iconogr. IX et X, pl. L, f. 677.
                                 1839.

  Melanopsis præmorsa, _Dupuy_, Hist. nat. moll. France (5e fasc.), p.
                               450. 1851.

Cette mélanopside a été recueillie dans les eaux, aux alentours de
Biskra et d’Ouarglâ.


                           MELANOPSIS MARESI.


 Melanopsis Maresi, _Bourguignat_. Paléontol. Alg., p. 106, pl. VI, f.
                               1-4. 1862.

Testa ovato-conica, solida, opaca, corneo-viridula, vel fusco-cornea,
costis crassis (sub sutura nodosis) numerosisque sulcata ; — spira
acuto-acuminata ; apice levigato, acuto ; — anfractibus 7 subplanulatis,
gradatis, sutura lineari separatis ; ultimo maximo, ad partem superiorem
impresso, ac dimidiam altitudinis paululum superante ; — apertura ovato-
lanceolata ; columella recta, truncata ; sinu columellari e margine
exteriore valde retroflexo ; — margine exteriore in medio antrorsum
paululum arcuato ; callo sat valido.

Coquille de forme ovalaire-conique, aiguë, solide, opaque, d’une teinte
cornée-verdâtre, ou brune-cornée, et munie de grosses côtes transverses,
assez espacées les unes des autres, présentant vers la suture un
renflement tuberculeux. Spire aiguë-acuminée, terminée par un sommet
lisse et aigu. Sept tours presque plans, comme étagés les uns sur les
autres, séparés par une suture linéaire. Dernier tour très-grand,
offrant vers sa partie supérieure une inflexion prononcée et dépassant
la moitié de la hauteur. Ouverture ovale-lancéolée, très-rétrécie à sa
partie supérieure, très-dilatée à sa base. Columelle forte, droite,
nettement tronquée, dont la base se trouve un peu infléchie en avant et
séparée du bord extérieur par un sinus profond, parfaitement arrondi.
Bord droit, légèrement arqué en avant. Bords marginaux réunis par une
callosité assez forte.

  Hauteur    15-20 millimètres.

  Diamètre   8-9       —

Cette mélanopside, recueillie à l’état fossile par M. Marès, dans la
Dhâya de Hâbessa[144], a été retrouvée vivante dans le petit ruisseau de
Kerîz, qui se perd dans le Chott-el-Djérîd (Sud de la Tunisie). Il est à
présumer que cette espèce doit vivre dans tous les cours d’eau du Nord
du Sahara.

La Melanopsis Maresi est très-voisine, par sa forme et l’apparence de
ses costulations, des _Melanopsis costata_ du Jourdain[145] et _cariosa_
d’Espagne[146] ; mais notre espèce diffère complétement de ces
mollusques par sa columelle droite (et non courbe), plus allongée et
infléchie en avant ; ce qui est le contraire chez les _costata_ et
_cariosa_ ; enfin, par son sinus columellaire plus profond, plus arrondi
et presque fermé, tandis que chez les _costata_ et _cariosa_ le sinus,
comparativement plus profond, est très-ouvert.


                         2o — ESPÈCES FOSSILES.



                       PLANORBIS AUCAPITAINIANUS.


Testa sat inflata, supra profunde umbilicata, subtus concava, fragili,
striatula ac irregulariter sulcis incrementi subdeformata ; —
anfractibus 5 convexis (supra rotundatis, subtus ad umbilicum obscure
subangulatis), celeriter crescentibus, sutura (in prioribus lineari, in
ultimis impressa) separatis ; ultimo maximo, dilatato, rotundato-
subcompressiusculo, supra antice descendente ; — apertura valde obliqua,
parum lunata, subrotunda ; peristomate recto, expansiusculo ; margine
supero dilatato, arcuato ; marginibus callo junctis.

Coquille assez renflée, discoïde, profondément ombiliquée en dessus,
concave en dessous, fragile, finement striée et la plupart du temps
déformée par quelques bourrelets dus au temps d’arrêt de
l’accroissement. Cinq tours convexes, arrondis en dessus, subanguleux en
dessous vers l’ombilic, à croissance rapide et séparés par une suture,
d’abord linéaire vers le sommet, puis devenant de plus en plus
prononcée. Dernier tour très-grand, dilaté, arrondi tout en étant
légèrement comprimé dans le sens de la hauteur, et offrant en dessus
vers l’insertion du bord externe une direction descendante très-marquée.
Ouverture oblique, peu échancrée, presque arrondie. Péristome droit,
aigu, légèrement évasé. Bord supérieur dilaté, projeté en avant et
arqué. Bords marginaux peu écartés, réunis par une callosité.

  Diamètre   11 millimètres.

  Hauteur     4      —

Cette nouvelle espèce se trouve à l’état fossile dans un dépôt de terre
blanche savonneuse, près de Ghoûrd-Ma’ammer, grande dune, sur la route
d’El-Ouâd à Ghadâmès, sur la section de cette artère, à laquelle
aboutissent tous les chemins venant du Nord-Ouest.


                         PLANORBIS DUVEYRIERI.


  Planorbis Duveyrieri, _Deshayes_, in _Duveyrier_, _Touâreg du Nord_.
                      (Voy. p. 45, pl. III, f. 1.)

Testa supra profunde infundibuliformi, subtus late umbilicata,
crassiuscula, eleganter arguteque striatula ; — anfractibus 4 1/2
convexis, supra rotundatis, paululum involventibus, subtus ad
peripheriam umbilicalem subangulatis, celeriter crescentibus, sutura
impressa separatis ; ultimo maximo, dilatato præsertim ad aperturam,
convexo-rotundato, supra antice recto ; — apertura obliqua, maxima,
dilatata, lunata, semi-rotundata, superne convexa, interne subangulata ;
peristomate recto, acuto, intus remote labiato ; marginibus tenui callo
junctis.

Coquille discoïde, de taille médiocre, infondibuliforme en dessus,
largement ombiliquée en dessous, à test assez épais et élégamment
sillonné de striations fines et régulières. Quatre tours et demi
convexes, arrondis, s’enroulant légèrement les uns sur les autres en
dessus, et présentant en dessous, vers le pourtour ombilical, une partie
anguleuse, imitant une carêne obsolète. Accroissement très-rapide.
Suture prononcée. Dernier tour très-grand, développé surtout vers
l’ouverture, convexe-arrondi et offrant en dessus, vers l’insertion du
bord externe, une direction rectiligne. Ouverture oblique, très-grande,
dilatée, échancrée, semi-arrondie, bien convexe à sa partie supérieure,
anguleuse à sa partie inférieure. Péristome droit, aigu, épaissi
intérieurement par un bourrelet assez enfoncé. Bords marginaux écartés,
réunis par une callosité délicate.

  Diamètre   7 1/2 millimètres.

  Hauteur    3 1/2      —

Ce planorbe a été récolté avec l’espèce précédente dans les couches de
terre blanche savonneuse près de Ghoûrd-Ma’ammer, sur la route d’El-Ouâd
à Ghadâmès.

Le Planorbis Duveyrieri diffère de l’_Aucapitainianus_ par son test plus
petit, plus délicatement strié, plus fortement ombiliqué en dessus et en
dessous ; par ses tours plus convexes, plus arrondis en dessus et plus
anguleux en dessous vers la concavité ombilicale ; par son dernier tour
rectiligne vers l’insertion du bord externe, et non descendant comme
celui de l’_Aucapitainianus_ ; par son ouverture plus oblique, anguleuse
à sa partie inférieure, plus haute que large ; par son péristome
intérieurement bordé ; enfin par son bord externe non arqué et ne se
projetant pas en avant à sa partie supérieure comme celui de
l’_Aucapitainianus_.


                         PLANORBIS MARESIANUS.


Testa utrinque umbilicata (umbilicus inferus profundior, pervior),
fragili, translucida, argute striatula ; — anfractibus 5 convexo-
rotundatis, utrinque prope umbilicum subangulatis, celeriter
crescentibus, sutura impressa separatis ; ultimo paululum majore,
rotundato, ad aperturam supra non subangulato, ac antice lente
descendent ; — apertura obliqua, leviter lunata, oblonga ; peristomate
recto, acuto ; marginibus callo junctis.

Coquille fragile, transparente, finement striée, pourvue en dessus et en
dessous d’une dépression ombilicale très-prononcée. L’ombilic inférieur
est plus profond et plus en forme d’entonnoir. Cinq tours convexes
arrondis, présentant en dessus et en dessous vers le pourtour de
l’ombilic une partie anguleuse. Croissance rapide. Suture bien marquée.
Dernier tour un peu plus grand, bien arrondi, surtout en dessus (la
partie anguleuse disparaît vers l’ouverture), et, offrant une direction
descendante lente, et si prononcée que l’avant-dernier tour paraît plus
proéminent que le dernier. Ouverture oblique, faiblement échancrée,
oblongue. Péristome droit, aigu. Bords marginaux réunis par une
callosité délicate.

  Diamètre   11 millimètres.

  Hauteur     4      —

Cette espèce a été recueillie à l’état fossile dans une couche
sablonneuse près du puits de Bîr-Ez-Zouâit entre El-Ouâd et Berreçof.


                            PHYSA CONTORTA.


Physa contorta, _Michaud_, Desc. coq. viv. in Act. soc. Linn. Bordeaux,
                           III, p. 268. 1829.

Fossile dans les sables d’un bas-fond, près du puits de Bîr-Ez-Zouâit,
entre El-Ouâd et Berreçof.


                            PHYSA BROCCHII.


         Isidora Brocchii, _Ehrenberg_, Symb. phys. moll. 1831.

  Physa Brocchii, _Bourguignat_, in Amén. malac., t. I, p. 169. 1856.

              Et Paléont. Alg., p. 84, pl. V, f. 20. 1862.

Dans les mêmes sables que l’espèce précédente.


                            PHYSA TRUNCATA.


                    Physa truncata, _Ferussac_, mss.

 Physa truncata, _Bourguignat_, in Amén. malac., t. I, p. 170, pl. XXI,
                             f. 5-7. 1856.

             Et Paléont. Alg., p. 85, pl. V, fig. 19. 1862.

Dans les sables de Bîr-Ez-Zouâit, avec les précédentes.


Toutes ces espèces fossiles, que nous venons de signaler, des sables de
Bîr-Ez-Zouâit, ou des terres savonneuses de Ghoûrd-Ma’ammer près de
Ghadâmès, sont des espèces de l’époque contemporaine. Les couches où ces
mollusques ont été recueillis sont également de formation moderne.

Ces fossiles sont une preuve nouvelle que la région de l’’Erg du Sahara,
qui était, il y a quelques mille ans, une vaste et profonde mer, s’est,
depuis l’apparition de l’homme, élevée lentement, graduellement, puisque
les fossiles de ses dépôts sont tous des espèces de l’époque
contemporaine.

                               * * * * *

[Illustration : PL. XXVII. Mollusques, Page 29. Fig. 79 à 104.

 _Arnoul del et lith._

_Imp. Becquet, Paris._]

[Illustration : PL. XXVI. Mollusques, Page 29. Fig. 55 à 78.

 _Arnoul del et lith._

_Imp. Becquet, Paris._]


                        EXPLICATION DES PLANCHES


                               * * * * *


                             PLANCHE XXVI.


1. HELIX AGRIOICA. Coq. grossie vue en dessus. — 2. La même, de grand.
nat., vue de face. — 3. La même grossie, vue de face. — 4. La même, de
grand. nat., vue en dessous. — 5. La même grossie, vue en dessous.

6. HELIX DUVEYRIERIANA. Coq. grossie vue en dessus. — 7. La même, de
grand. nat., vue de face. — 8. La même grossie, vue de face. — 9. La
même, de grand. nat., vue en dessous. — 10. La même grossie, vue en
dessous.

11. HELIX REBOUDIANA. Coq. de grand. nat., vue de face. — 12. La même,
vue en dessus. — 13. La même, vue en dessous. — 14. Variété
« _subcostulata_, » coq. vue de face. — 15. Variété « _subcarinata_, »
coq. vue de face. — 16. Variété « _zonata_, » coq. vue de face. — 17.
Même variété, vue en dessous.

18. HELIX WARNIERIANA. Coq. de grand. nat., vue de face. — 19. La même,
vue en dessous. — 20. La même, vue en dessus.

21. HELIX TERVERI (type). Coq. de grand. nat., vue de face. — 22. La
même, vue en dessous. — 23. La même, vue en dessus. — 24. Variété, vue
en dessus.


                             PLANCHE XXVII.


1. HELIX ERICETORUM. Coq. de grand. nat., vue de face. — 2. La même, vue
en dessous. — 3. La même, vue en dessus. — 4. Variété « _subcarinata_, »
de Methlîli, vue de face.

5. FERUSSACIA CHAROPIA. Coq. grossie vue de face. — 6. La même, au
trait, vue de face, de grand. nat. — 7. Dernier tour grossi, vu de
profil.

8. PUPA GRANUM. Ouverture très-grossie vue de face. — 9. Coq. au trait,
vue de face, de grand. nat. — 10. Dernier tour grossi, vu de profil. —
11. Coq. grossie, vue de face.

12. HYDROBIA BRONDELI. Coq. grossie vue de face. — 13. La même, au
trait, vue de face, de grand. nat. — 14. Dernier tour grossi, vu de
profil.

15. HYDROBIA PERAUDIERI. Coq. au trait, vue de face, de grand. nat. —
16. La même grossie, vue de face. — 17. La même, au trait, de grand.
nat., vue de profil.

18. HYDROBIA DUVEYRIERI. Coq. au trait, de grand. nat., vue de face. —
19. Dernier tour grossi, vu de profil. — 20. Coq. grossie, vue de face.

21. HYDROBIA ARENARIA. Coq. grossie, vue de face. — 22. La même, de
grand. nat., vue de face.

23. BYTHINIA DUPOTETIANA. Coq. grossie, vue de face. — 24. La même, de
grand. nat., vue de face.

25. BYTHINIA PYCNOCHEILA. Coq. de grand. nat., vue de face. — 26. Coq.
grossie, vue de face.


                            PLANCHE XXVIII.


1. PLANORBIS AUCAPITAINIANUS. Coq. grossie, vue en dessus. — 2. La même,
de grand. nat., vue en dessus. — 3. La même, vue de face. — 4. La même,
vue en dessous. — 5. La même grossie, vue en dessous.

6. PLANORBIS DUVEYRIERI. Coq. grossie, vue en dessus. — 7. La même, de
grand. nat., vue en dessus. — 8. La même, vue de face. — 9. La même, vue
en dessous. — 10. La même, grossie, vue en dessous.

11. PLANORBIS MARESIANUS. Coq. grossie, vue en dessus. — 12. La même, de
grand. nat., vue en dessus. — 13. La même, vue de face. — 14. La même
grossie, vue en dessous. — 15. La même, de grand. nat., vue en dessous.

16. MELANIA TUBERCULATA. Variété _maxima_ (d’après un échantillon de
l’oasis de Merhayyer). Coq. de grand. nat., vue de face. — 17. (d’après
un autre échantillon du Djérîd). Coq. de grand. nat., vue de face.

18. MELANOPSIS MARESI. Coq. de grand. nat., vue de face. — 19. Dernier
tour vu en dessous. — 20. Dernier tour grossi, vu de face. — 21. Coq. de
grand. nat., vue par le dos.

[Illustration : PL. XXVIII. Mollusques, Page 30. Fig. 105 à 125.

_Arnoul del et lith._

_Imp. Becquet, Paris._]


[Note 139 : Non Helix lauta de _Lovell Reeve_, Conch. icon., t. CXL, f.
891, qui est une autre espèce.]

[Note 140 : Le _gouffre froid_ de Biskra est un bassin, appelé El-Bourma
par les Arabes, et ainsi dénommé par les Européens pour le distinguer de
la source thermale de Hammâm-Sâlahîn, qui est dans le voisinage.]

[Note 141 : Non _Paludina acuta_, des auteurs français.]

[Note 142 : Où se trouvent des échantillons magnifiques qui atteignent
55 millimètres de hauteur sur 15 de diamètre.]

[Note 143 : Non Melanopsis buccinoidea, de _Ferussac_. 1814 (Melania
buccinoidea, d’_Olivier_. 1804), qui est la Melanopsis præmorsa de
_Dupuy_. 1851.]

[Note 144 : Ancien lac desséché dans la région de l’’Erg, au Sud de la
province d’Oran.]

[Note 145 : Melanopsis costata, _Ferussac_, in Monogr. mélan., p. 28, no
6, pl. I, f. 14-15. 1823. — Melania costata, _Olivier_, Voy. emp.
Ottom., t. II, p. 294, pl. XXXI, f. 2. 1804.]

[Note 146 : _Rossmässler_, iconogr. IX et X, pl. 42, f. 680. 1839. —
(Murex cariosus, de _Linnæus_, Syst. nat., p. 1220. — Et Melania
Sevillensis de _Grateloup_.)]




                              DESCRIPTION

                                  DES

          PLANTES NOUVELLES DÉCOUVERTES PAR M. HENRI DUVEYRIER

                            PAR M. E. COSSON

[Décoration]

                DIPLOTAXIS DUVEYRIERANA Coss. _sp. nov._

Planta _annua_. Radix indurata, fusiformis, fibras paucas emittens.
Caulis erectus, robustus, subangulatus, in specimine completo suppetente
circiter 5 decim. longus et subsimplex, pilis longis rigidulis albidis
patentibus præsertim in parte inferiore hispidus. _Folia_ alterna,
oblonga vel obovato-oblonga, _inæqualiter et grosse sinuato-lobulata_
vel inferne pinnatifida, inferiora in petiolum elongatum attenuata,
superiora sæpius subsessilia, præsertim in petiolo et in pagina
inferiore ad nervos densius pilis rigidulis longis hispida. _Flores
magni_, 17-27 millim. longi, in racemum aphyllum primum confertum dein
laxiusculum dispositi, siliquas juniores superantes. _Pedicelli_ sub
anthesi 15-20 dein 25-35 millim. longi, ut et petioli _patenter longeque
hispidi_, erecto-patuli. Calyx dense patenterque hispido-villosus,
sepalis oblongis erectis lateralibus basi subsaccatis. _Petala lilacina_
interdum alba venis saturatioribus picta, limbo obovato integro, in
unguem calycem subæquantem attenuata, calycem duplum subæquantia.
Glandulæ hypogynæ 4, 2 trapezoideæ staminum lateralium insertionem
circumvallantes, 2 ovato-lanceolatæ intra staminum longiorum
insertionem. Stamina tetradynama, filamentis linearibus, membranaceo-
complanatis, edentulis, liberis. _Siliquæ in pedicellis ascendentes_,
glabræ, circiter 65-68 millim. longæ, 2-3 millim. latæ, pedicellum
subduplum longæ, elongato-lineares, _compressæ_, stipitatæ stipite
circiter 2 1/2 millim. longo, valvis membranaceis tenuibus uninerviis
subtorulosis venulis lateralibus obsoletis ; septo membranaceo ;
_stigmate subsessili_, tereti-compresso, obscure bilobo. _Semina_
plurima, minima, _biseriata_, pallide fuscescentia, ovato-subglobosa,
_compressa_, immarginata, lævia. _Cotyledones_ obovato-suborbiculatæ,
transverse latiores, _conduplicatæ_, radiculam in plicatura foventes. —
Mense Februario florifera et jam fructifera lecta.

In Sahara per 26° lat. sept., ad septentrionem urbis _Rhât_ in planitie
excelsa _Tasîli_ ad alveos _Ouâdi-Târat_ et _Ouâdi-Alloûn_, ubi ab
indigenis _Azezzedja_ et _Tânekfâït_ nuncupatur, a clarissimo
peregrinatore et indefesso Saharæ scrutatore H. Duveyrier lecta cui
lubentissimo animo dicatam voluimus. Locis alteris undenis inter
_Ghadâmès_ et _Rhât_ visa (H. Duveyrier).


              EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE XXIX.


  1. Partie supérieure de la plante, de grandeur naturelle.

  2. Fragment de la grappe fructifère, de grandeur naturelle ; l’une des
  siliques est figurée après la chute des valves.

  3. Fleur de grandeur naturelle.

  4. Pétale vu de face, grossi.

  5. Fleur grossie et dont les sépales et les pétales ont été enlevés
  pour montrer les étamines et l’ovaire.

  6. Embryon fortement grossi.

  7. Le même, les cotylédons étant écartés artificiellement.

                               * * * * *

Pl. XXIX. _Plantes nouvelles_, Page 32. Fig. 126 à 132.

[Illustration : DIPLOTAXIS DUVEYRIERANA _Coss._

_Riocreux del_

_Imp. Lemercier r. de Seine 57 Paris_]

                   CROTALARIA SAHARÆ Coss. _sp. nov._

_Planta_ dumosa, erecta, _indurato-frutescens_, divaricato-ramosa,
_ramis_ elongatis teretibus haud striatis _pube densa_ brevi patente
_incano-tomentosis_. _Folia petiolata, palmatim composita, 4-5_-rarius
abortu _3-foliolata_, foliolis cum petiolo articulatis, oblongis,
obtusis, petiolo multo longioribus, utrinque pube sericea canescentibus
vel pagina superiore minus pubescente virentibus. _Stipulæ minutæ_,
lineares vel subulatæ. _Racemi pluriflori_ (sub-10-flori), caules
terminantes vel oppositifolii, _laxiusculi_. _Bracteæ_ anguste lineares
_pedicello paulo longiores_, demum deflexæ. Flores mediocres, circiter 1
centim. longi, nutantes, breviter pedicellati, pedicello tubo calycis
breviore, bibracteolati, bracteolis calyci adpressis minimis linearibus.
_Calyx dense sericeo-villosus_, tubo campanulato, limbo bilabiato, labio
superiore bipartito, inferiore tripartito, _laciniis lanceolatis_
subæquilongis vel inferiore paulo longiore, tubi longitudinem
subæquantibus. _Corolla flava_, vexilli dorso excepto glabra, calyce
subdimidio longior. Vexillum venis fuscescentibus saturatioribus pictum,
magnum, alas et carinam subæquilongas subæquans, late obovato-
subcuneatum, ascendens et inde limbi basis quasi cordata, in unguem
latum intus incrassato-callosum callo villoso calycis tubum subæquantem
contractum. Alæ liberæ, oblongo-obovatæ, obtusæ, plurinerviæ, extus in
parte inferiore inter nervos corrugatæ, in unguem abrupte contractæ,
demum ascendentes et carinam nudantes. _Carina_ e petalis in dimidia
longitudine superiore adnatis formata, ovato-inæquilatera dorso arcuato
margine superiore recto, _acutiuscula_, petalis abrupte in unguem
contractis et supra unguem late emarginatis. Stamina 10, alternatim
inæqualia longiora antheris minoribus suborbiculatis breviora antheris
majoribus ovato-oblongis, filamentis elongatis filiformibus, in
longitudine dimidia inferiore complanatis et in tubum superne fissum
coadunatis. _Ovarium_ dense sericeo-villosum, stipitatum, oblongo-
inæquilaterum ventre convexo, a lateribus compressum, in stylum sensim
attenuatum, stylo tereti arcuato-ascendente ovarium subæquante apice et
in latere superiore usque ad mediam longitudinem barbato,
_sub-6-ovulatum_, ovulis ad basim suturæ ventralis insertis. _Legumen_
nutans, brevissime stipitatum, _dense sericeo-tomentosum, calycem_ plus
quam _duplum superans, oblongo-obovatum turgidum dorso gibbum_, sutura
ventrali basi styli mucronata obtusissime carinata, _valvis_ valde
inflato-ventricosis _indurato-cartilagineis_ intus lana destitutis,
abortu _subdispermum_. Semina (immature) suborbiculato-reniformia,
compressa, lævia.


In Sahara per 27° lat. sept. inter _Ouarglâ_ et _Rhât_ loco dicto _’Aïn-
el-Hadjâdj_ a cl. Ism’ayl Boû-Derba 26a die octobris 1858 florifera
inventa, per 30° haud procul a _Ghadâmès_ in planitie excelsa _Hamâda-
Tînghert_ 13a die septembris 1860 a cl. H. Duveyrier florifera et
fructifera lecta.


Le _C. Saharæ_ dans l’ordre artificiel adopté par De Candolle dans le
_Prodromus_ doit être placé à côté du _C. quinquefolia_ (L. _Sp._ 1006 ;
DC. _Prodr._ II, 135. — _C. heterophylla_ L. f. _Suppl._ 323 et DC.
_Prodr._ II, 131 sec. Benth.) dont il est très-différent par le calice
velu-soyeux, par les légumes tomenteux, etc. Dans la classification plus
rationnelle adoptée par M. Bentham (Benth. in Hook. _Lond. journ._ II,
472, et in Walp. _Repert._ V, 435), il doit être rapporté à la sous-
section des _Polyphyllæ_, caractérisée par les feuilles toutes ou la
plupart à 5-7 folioles articulées au sommet du pétiole, par la tige
souvent frutescente à rameaux divergents, par les stipules très-petites
ou indistinctes, par les fleurs en grappes lâchement pluri-multiflores,
par le calice ord. profondément fendu à divisions lancéolées.


               EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE XXX.


  1. Rameau de la plante de grandeur naturelle.

  2. Fleur grossie, vue de profil.

  3. Étendard étalé artificiellement, vu de face, grossi.

  4. Aile vue par la face extérieure, grossie.

  5. Carène grossie.

  6. Étamines grossies ; le tube résultant de la soudure de la partie
  inférieure des filets a été fendu en dessus et étalé artificiellement.

  7. Ovaire grossi.

  8. Le même, coupé longitudinalement, vu à un plus fort grossissement.

  9. Graine imparfaitement mûre, grossie.

                               * * * * *

Pl. XXX. _Plantes nouvelles_, Page 34. Fig. 133 à 141.

[Illustration : CROTALARIA SAHARÆ _Coss._

_Riocreux del_]

                  HYOSCYAMUS FALEZLEZ Coss. _sp. nov._

Planta indurato-perennans, plus minus pubescenti-viscidula, pallide et
sordide virens. Radix fusiformis elongata, indurato-sublignosa. Caulis
herbaceus crassus demum induratus, fistulosus, albidus, teres, erectus,
in speciminibus junioribus vix florigeris sæpe 1 decim. non superans,
demum sæpius 1 metr. et ultra longus, subsimplex vel superne ramosus.
_Folia_ crassiuscula ; infima rosulata, 6-20 centim. longa, 13-35
millim. lata, oblonga vel ovato-acuminata, in petiolum longiusculum
marginatum attenuata vel contracta, integra, sinuato-repanda vel
utrinque grosse angulato-dentata dentibus 2-3, petiolo cum nervo medio
et primariis albidis ; caulina media ovato- vel oblongo-lanceolata,
brevius petiolata ; _bractealia_ multo minora, _sessilia, oblongo-
lanceolata vel oblongo-linearia, integra_, basi apiceque attenuata,
pleraque calycibus fructiferis breviora. _Flores_ extra-axillares,
singuli folio bracteali lateraliter suffulti, sub anthesi in racemum
scorpioideum spiciformem secundum densum primum circinatum dein erecto-
arcuatum dispositi, inferiores interdum longe _superiores breviter
pedicellati_. _Calyx_ pubescenti-viscidulus, 10-costatus, campanulatus,
irregulariter ad tertiam partem 5-fidus, _dentibus late ovato-
triangularibus acutis_ sæpe mucronatis inferiore minore, sub anthesi
viridulus, post anthesin accrescens, _fructifer_ 20-28 millim. longus
indurato-coriaceus et costis venisque prominentibus _reticulato-
venosus_, marcescenti-persistens demum albidus _tubo vix inflato
campanulatus_ limbo ampliato erectiusculo hiante. _Corolla sub anthesi
calyce_ non latior et _vix longior_, infundibuliformi-subcampanulata a
basi ad apicem sensim ampliata, ad quartam partem superiorem inæqualiter
5-loba, inter lobos 2 inferiores minores profunde fissa, lobis late
ovato-triangularibus obtusis, extus pubescenti-viscidula et albido-
virens, _intus superne atro-violaceus absque venis purpureis_, demum
marcescens albida intus apice tantum violacea ovario crescente soluta et
calycem longius superans. Stamina declinata, superiora subinclusa,
inferiora exserta, filamentis albis filiformibus inferne complanatis
ibique pubescenti-viscidis, antheris violaceis oblongis paulo infra
medium in filamento insertis lobis infra insertionem discretis. Stylus
longe exsertus, arcuato-declinatus, stamina inferiora subæquans vel
superans. _Capsula_ calyce abscondita, ejusque tubo brevior, ovato-
oblonga basi haud ventricosa, chartacea, bilocularis, _paulo supra
medium circumscissa_, operculo mucronato incomplete biloculari. Semina
numerosa, subreniformia vel suborbiculata, contacta mutuo angulata,
luteolo-fuscescentia, crebre reticulato-punctata.


In Sahara australi et australiore, ubi ab indigenis _Goungot_,
_Falezlez_ et _Afahlêhlé_ nuncupatur, late ut videtur dispersa : per 30°
lat. sept. in provincia Tripolitana ad orientem urbis _Ghadâmès_ loco
dicto _Guera’a-ben-’Aggiou_ et ad alveum _Ouâdi Aouâl_ (H. Duveyrier) ;
per 27° inter _Ouarglâ_ et _Rhât_ ad septentrionem planitiei excelsæ
_Tasîli_, ad fontem _Touskirîn_ (Ism’ayl Boû-Derba). Inter _Ghadâmès_ et
_Rhât_ nec non in ditione _Fezzân_ vulgaris (sec. H. Duveyrier). Loci
plures in declivitate Saharæ australioris ad regionem nigritarum versa a
planta nomen _Falezlez_ aut _In-Afahlêhlé_ mutuantur, præsertim inter
_Rhât_ et _Agadez_ et inter _In-Sâlah_ et _Timbouktou_ (confer supra p.
182).


Bien que notre plante soit surtout voisine, par la forme de son calice
et de sa capsule et par la plupart de ses caractères, des _H. muticus_
L. et _Datora_ Forsk., rapportés par Dunal à sa section _Datora_ du
genre _Scopolia_, je crois devoir la rattacher au genre _Hyoscyamus_. En
effet, notre espèce et celles qui composent la section _Datora_ de Dunal
me paraissent être de véritables _Hyoscyamus_ ; elles en présentent le
calice et la corolle irréguliers et n’en diffèrent que par la forme de
la capsule et la hauteur à laquelle a lieu sa déhiscence. — Le _H.
Falezlez_ diffère du _H. muticus_ (L. _Mant._ 45 ; Jaub. et Spach
_Illustr. pl. Or._ V, t. 415. — _H. betæfolius_ Lmk _Encycl. méth._ III,
329 excl. var. β. — _H. Datora_ Delile _Ég. Illustr._ n. 242 non Forsk.
— _Scopolia mutica_ Dun. in DC. _Prodr._ XIII pars I, 552) par le port
moins robuste, par les grappes fructifères plus serrées, par le calice
fructifère plus brièvement pédicellé, de moitié plus petit, à limbe
beaucoup moins ample à réticulations plus prononcées, par la corolle
moins ample et par la capsule plus petite et plus courte. Le _H.
muticus_ n’a encore été observé que dans l’Égypte inférieure aux
environs du Caire, où il est abondant, et dans l’Égypte supérieure
(Lippi ! in herb. Mus. Par., Delile !, Olivier et Bruguière !, Wiest !
_Pl. Æg. exsicc._ un. it. [1835] n. 518 sub nomine _H. muticus_, Aucher-
Éloy ! _Pl. exsicc._ [1837] n. 2471 in herb. Mus. Par., Boissier !,
Kralik !). Les échantillons recueillis, dans la Perse méridionale, à
Géré entre Abouchir et Chiraz, par M. Kotschy (_Pl. Pers. Austr.
exsicc._ ed. 1845, n. 38) paraissent appartenir à une espèce nouvelle
distincte des _H. muticus_ et _Datora_, ainsi que l’ont fait remarquer
MM. Jaubert et Spach (loc. cit.). A cette même espèce devraient être
rapportés les échantillons recueillis par Aucher-Éloy en Perse (Aucher-
Éloy ! _Pl. exsicc._ n. 5040 in herb. Mus. Par.) et en Cappadoce
(Aucher-Éloy ! _Pl. exsicc._ n. 2478 in herb. Mus. Par.). — Le _H.
Falezlez_ diffère du _H. Datora_ Forsk. (_Descr. pl. Æg.-Arab._ p. 45,
loco natali forsan excludendo ? ; Jaub et Spach. loc. cit. in adnot. —
_Scopolia Datora_ Dun. in DC. _Prodr._ XIII pars I, 553. — _Sc. Boveana_
Dun., loc. cit., discrimine certo nullo distinguenda sec. Jaub. et
Spach, loc. cit.) par les fleurs plus brièvement pédicellées, par le
calice beaucoup moins grand à limbe moins dilaté, par la corolle
dépassant à peine le calice lors de la floraison, et non pas longue de
plus de 5 centimètres et environ deux fois aussi longue que le calice.
Tous les échantillons de l’_H. Datora_ que j’ai pu observer dans
l’herbier du Muséum proviennent de la péninsule du Sinaï (Bové ! _Pl.
exsicc._ n. 78 sub nom. _H. muticus_ ; Botta ! ; Aucher-Éloy ! _Pl.
exsicc._ [1837] n. 2472). — Consulter sur les propriétés vénéneuses de
l’_H. Falezlez_ l’article publié dans ce volume p. 182 par M. H.
Duveyrier.


              EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE XXXI.


  1. Plante jeune, de grandeur naturelle.

  2. Fleur vue de profil, un peu grossie.

  3. Corolle fendue par le côté inférieur, et étalée artificiellement
  pour montrer la forme des lobes et l’insertion des étamines, un peu
  grossie.

  4. Calice fructifère, de grandeur naturelle.

  5. Le même, coupé longitudinalement, pour montrer la capsule.

  6. Graine fortement grossie.

[Décoration]

Pl. XXXI. _Plantes nouvelles_, Page 37. Fig. 142 à 147.

[Illustration : HYOSCYAMUS FALEZLEZ _Coss._

_Riocreux del_]




                          TABLE DU SUPPLÉMENT

                               * * * * *


                              MOLLUSQUES.

                               * * * * *

                        1o — ESPÈCES VIVANTES.

                                                                  Pages.

  Zonites candidissimus                                                3

  Helix aperta                                                         4

    —   Warnieriana                                                    4

    —   agrioica                                                       5

    —   Reboudiana                                                     6

    —   rufolabris                                                     7

    —   lineata                                                        8

    —   lauta                                                          8

    —   Pisana                                                         8

    —   Terveri                                                        9

    —   ericetorum                                                    10

    —   pyramidata                                                    10

    —   Duveyrieriana                                                 10

    —   acuta                                                         11

  Bulimus decollatus                                                  12

  Ferussacia charopia                                                 12

  Pupa granum                                                         13

  Limnæa truncatula                                                   14

  Hydrobia Peraudieri                                                 15

     —     Brondeli                                                   16

     —     arenaria                                                   17

     —     Duveyrieri                                                 17

  Bythinia similis                                                    18

     —     Dupotetiana                                                19

     —     pycnocheila                                                19

     —     seminium                                                   20

  Melania tuberculata                                                 20

  Melanopsis Maroccana                                                21

      —      præmorsa                                                 22

      —      Maresi                                                   22

                         2o — ESPÈCES FOSSILES.

  Planorbis Aucapitainianus                                           24

      —     Duveyrieri                                                25

      —     maresianus                                                26

  Physa contorta                                                      27

    —   Brocchii                                                      27

    —   truncata                                                      27

  Explication des planches XXVI, XXVII, XXVIII                        29

                               * * * * *

                           PLANTES NOUVELLES.

                               * * * * *

  Diplotaxis Duveyrierana                                             31

  Explication des fig. de la XXIXe pl.                                32

  Crotalaria Saharæ                                                   33

  Explication des fig. de la XXXe pl.                                 34

  Hyoscyamus Falezlez                                                 35

  Explication des fig. de la XXXIe pl.                                37


           PARIS. — J. CLAYE, IMPRIMEUR, RUE SAINT-BENOIT, 7.


[Illustration : EXPLORATION DU SAHARA — ANNÉES 1859, 1860, 1861.
CARTE DU PLATEAU CENTRAL DU SAHARA comprenant LE PAYS DES TOUÂREG DU
NORD LE SAHARA ALGÉRIEN, TUNISIEN ET TRIPOLITAIN par HENRI DUVEYRIER.

GÉOGRAPHIE ANCIENNE.

Gravé chez Erhard, 12 r. Duguay-Trouin.

DESSINÉ PAR E. DESBUISSONS.

Paris. Imp. Lemercier, r. de Seine 57.]




Note du transcripteur :


  Les changements dans l’ERRATA ont été apportés, ainsi qu'aux pages
  non citées.

  Quelques CORRECTIONS GÉNÉRALES n'ont pas été effectuées en faveur de
  l'orthographe originale : " ’Abd-el-Kâder ", " Fez ", " In-Sâlah ",
  " Sahara ", " Sanhâdja " et " Tlemsen ".

  " Golêá " et " Golêà " ont été aussi changés en " Golêa’a ".

  Autrement :

  Page xx, " près de trois c nts lieues " a été remplacé par " cents "

  Page xxi, note 4, ajouté " « " avant " Auster "

  Page 18, " directe entre Ouraglâ, Agadez " a été remplacé par "
  Ouarglâ "

  Page 23, " par le Ckeikh-’Othmân " a été remplacé par
  " Cheikh-’Othmân "

  Page 26, " le golfe de Gabès " a été remplacé par " Gâbès "

  Page 37, " Le Tasîlí du Sud " a été remplacé par " Tasîli "

  Page 42, " aussi par les immenses barages " a été remplacé par "
  barrages "

  Page 42, " le Chott du Nefzaoua " a été remplacé par " Nefzâoua "

  Page 44, " sur la surface du globle " a été remplacé par " globe "

  Page 47 et suivants (notes), dans L. 1er, ch. IV., les traits " — "
  indiquant " Échantillon " ont été remplacées par " Échantillon " lui-
  même.

  Page 54, " De Ghadâmês à Tâdjenoût " a été remplacé par " Ghadâmès "

  Page 55, " Le Tâsîli du Nord ou des " a été remplacé par " Tasîli "

  Page 70, " la hamâda entre Laghouat et " a été remplacé par
  " Laghouât "

  Page 77, " comprise entre Ghâdamès et Sôkna " a été remplacé par "
  Ghadâmès "

  Page 138, " El-Guerâra | 32° 47° 25″ " a été remplacé par " 32° 47′
  25″ "

  Page 143, " Tadôhayt-tân-Tâmzerdja " a été remplacé par " Tahôdayt "

  Page 185, " de Lahgouât au Soûf " a été remplacé par " Laghouât "

  Page 189, " lui atttribue des vertus " a été remplacé par " attribue "

  Page 235, " rare chez les Toûareg " a été remplacé par " Touâreg "

  Page 239, " piqûres sont plus féquentes " a été remplacé par "
  fréquentes "

  Page 241, " toute la dnrée de mon voyage " a été remplacé par
  " durée "

  Page 242, ajouté " » " après " constructions des hommes "

  Page 243, " vu dans la néccessité " a été remplacé par " nécessité "

  pl. XII., " TROUVÉE A GHADAMÈS. " a été remplacé par " GHADÂMÈS "

  Page 268, " Mohammed-ould-Ardhâl devait clore " a été remplacé par "
  Mohammed-Ould-Arhdâl "

  Page 294, " l’occcupation du Touât " a été remplacé par
  " l’occupation "

  Page 309, " Sîdi-Mohammed-es-Seghîr-ould-Sîdi-Admed-et-Tidjâni " a été
  remplacé par " Ahmed "

  pl. XVIII., " CONFRÉRIE DES TEDJADJNA " a été remplacé par
  " TEDJÂDJNA "

  Page 310, " a des khouân Tedjâdna " a été remplacé par " Tedjâdjna "

  Page 351, " chantés par par un poëte " a été remplacé par " chantés
  par un poëte "

  Page 363, " sa vie va nous révé- er " a été remplacé par " révéler "

  Page 365, " des marabouts Ihêhaoune " a été remplacé par " Ihêhaouen "

  Page 371, " des commerçants d’In-Salâh " a été remplacé par " d’In-
  Sâlah "

  Page 407, " (Voir planche XXIV, fig. 9.) " a été remplacé par "
  planche XXV "

  Page 416, " des caravanes de Ghadamès " a été remplacé par
  " Ghadâmès "

  Page 425, " du Palmier pour les comtempler " a été remplacé par "
  contempler "

  Page 441, " TOUAREG DANS LEUR VIE EXTÉRIEURE " a été remplacé par "
  TOUÂREG "

  Pages 444-448 (plusieurs), " planche XXIV " remplacé par " XXV " et "
  planche XXV " remplacé par " XXIV "

  Page 458, " chevaux, » dit Héro-rodote " a été remplacé par
  " Hérodote "

  Page 458, " destination de cete artère " a été remplacé par " cette "

  Page 466, " les indentifications suivantes " a été remplacé par "
  identifications "

  Page 490, " Ouâdî-Akâraba " a été remplacé par " Ouâdi-Akâraba "

  Page 498, " la Gorge Garamantîque " a été remplacé par
  " Garamantique "

  Page 499, " à l’époque de Ptolémée. — 181 " a été remplacé par " 481 "

  De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et d’orthographe
  ont été apportés.

  Quelques abréviations ont été utilisées dans certains tableaux
  larges.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES TOUAREG DU NORD ***


    

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Volunteers and financial support to provide volunteers with the
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Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
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state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
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array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
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have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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