Un coeur simple

By Gustave Flaubert

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Title: Un coeur simple

Author: Gustave Flaubert

Release Date: October 7, 2008 [EBook #26812]

Language: French


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Produced by Daniel Fromont










[Transcriber's note: Gustave FLAUBERT (1821-1880),
_Un coeur simple_, 1877, édition de 1910]





OEUVRES COMPLETES

DE

GUSTAVE FLAUBERT


(...)


UN COEUR SIMPLE


(...)


PARIS

LOUIS CONARD, LIBRAIRE-EDITEUR

17, BOULEVARD DE LA MADELEINE, 17

MDCCCCX


(...)


UN COEUR SIMPLE






I


Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont l'Evêque
envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité.

Pour cent francs par an, elle faisait la cuisine et le ménage,
cousait, lavait, repassait, savait brider un cheval,
engraisser les volailles, battre le beurre, et resta fidèle à
sa maîtresse, -- qui cependant n'était pas une personne
agréable.

Elle avait épousé un beau garçon sans fortune, mort au
commencement de 1809, en lui laissant deux enfants très jeunes
avec une quantité de dettes. Alors elle vendit ses immeubles,
sauf la ferme de Toucques et la ferme de Geffosses, dont les
rentes montaient à 5, 000 francs tout au plus, et elle quitta
sa maison de Saint-Melaine pour en habiter une autre moins
dispendieuse, ayant appartenu à ses ancêtres et placée
derrière les halles.

Cette maison, revêtue d'ardoises, se trouvait entre un passage
et une ruelle aboutissant à la rivière. Elle avait
intérieurement des différences de niveau qui faisaient
trébucher. Un vestibule étroit séparait la cuisine de la _salle_
où Mme Aubain se tenait tout le long du jour, assise près de
la croisée dans un fauteuil de paille. Contre le lambris,
peint en blanc, s'alignaient huit chaises d'acajou. Un vieux
piano supportait, sous un baromètre, un tas pyramidal de
boîtes et de cartons. Deux bergères de tapisserie flanquaient
la chemisée en marbre jaune et de style Louis XV. La pendule,
au milieu, représentait un temple de Vesta, -- et tout
l'appartement sentait un peu le moisi, car le plancher était
plus bas que le jardin.

Au premier étage, il y avait d'abord la chambre de "Madame",
très grande, tendue d'un papier à fleurs pâles, et contenant
le portrait de "Monsieur" en costume de muscadin. Elle
communiquait avec une chambre plus petite, où l'on voyait deux
couchettes d'enfants, sans matelas. Puis venait le salon,
toujours fermé, et rempli de meubles recouverts d'un drap.
Ensuite un corridor menait à un cabinet d'études; des livres
et des paperasses garnissaient les rayons d'une bibliothèque
entourant de ses trois côtés un large bureau de bois noir. Les
deux panneaux en retour disparaissaient sous des dessins à la
plume, des paysages à la gouache et des gravures d'Audran,
souvenirs d'un temps meilleur et d'un luxe évanoui. Une
lucarne au second étage éclairait la chambre de Félicité,
ayant vue sur les prairies.

Elle se levait dès l'aube, pour ne pas manquer la messe, et
travaillait jusqu'au soir sans interruption; puis, le dîner
étant fini, la vaisselle en ordre et la porte bien close, elle
enfouissait la bûche sous les cendres et s'endormait devant
l'âtre, son rosaire à la main. Personne, dans les
marchandages, ne montrait plus d'entêtement. Quant à la
propreté, le poli de ses casseroles faisait le désespoir des
autres servantes. Econome, elle mangeait avec lenteur, et
recueillait du doigt sur la table les miettes de son pain, --
un pain de douze livres, cuit exprès pour elle, et qui durait
vingt jours.

En toute saison, elle portait un mouchoir d'indienne fixé dans
le dos par une épingle, un bonnet lui cachant les cheveux, des
bas gris, un jupon rouge, et par-dessus sa camisole un tablier
à bavette, comme les infirmières d'hôpital.

Son visage était maigre et sa voix aiguë. A vingt-cinq ans, on
lui en donnait quarante. Dès la cinquantaine, elle ne marqua
plus aucun âge; -- et, toujours silencieuse, la taille droite
et les gestes mesurés, semblait une femme en bois,
fonctionnant d'une manière automatique.




II


Elle avait eu, comme une autre, son histoire d'amour.

Son père, un maçon, s'était tué en tombant d'un échafaudage.
Puis sa mère mourut, ses soeurs se dispersèrent, un fermier la
recueillit, et l'employa toute petite à garder les vaches dans
la campagne. Elle grelottait sous des haillons, buvait à plat
ventre l'eau des mares, à propos de rien était battue, et
finalement fut chassée pour un vol de trente sols, qu'elle
n'avait pas commis. Elle entra dans une autre ferme, y devint
fille de basse-cour, et, comme elle plaisait aux patrons, ses
camarades la jalousaient.

Un soir du mois d'août (elle avait alors dix-huit ans), ils
l'entraînèrent à l'assemblée de Colleville. Tout de suite elle
fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les
lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les
dentelles, les croix d'or, cette masse de monde sautant à la
fois. Elle se tenait à l'écart modestement, quand un jeune
homme d'apparence cossue, et qui fumait sa pipe les deux
coudes sur le timon d'un banneau, vint l'inviter à la danse.
Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et,
s'imaginant qu'elle le devinait, offrit de la reconduire. Au
bord d'un champ d'avoine, il la renversa brutalement. Elle eut
peur et se mit à crier. Il s'éloigna.

Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser
un grand chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant
les roues elle reconnut Théodore.

Il l'aborda d'un air tranquille, disant qu'il fallait tout
pardonner, puisque c'était "la faute de la boisson ".

Elle ne sut que répondre et avait envie de s'enfuir.

Aussitôt il parla des récoltes et des notables de la commune,
car son père avait abandonné Colleville pour la ferme des
Ecots, de sorte que maintenant ils se trouvaient voisins.

-- Ah! dit-elle.

Il ajouta qu'on désirait l'établir. Du reste, il n'était pas
pressé, et attendait une femme à son goût. Elle baissa la
tête. Alors il lui demanda si elle pensait au mariage. Elle
reprit, en souriant, que c'était mal de se moquer.

-- Mais non, je vous jure!

Et du bras gauche il lui entoura la taille; elle marchait
soutenue par son étreinte; ils se ralentirent. Le vent était
mou, les étoiles brillaient, l'énorme charretée de foin
oscillait devant eux; et les quatre chevaux, en traînant leurs
pas, soulevaient de la poussière. Puis, sans commandement, ils
tournèrent à droite. Il l'embrassa encore une fois. Elle
disparut dans l'ombre.

Théodore, la semaine suivante, en obtint des rendez-vous.

Ils se rencontraient au fond des cours, derrière un mur, sous
un arbre isolé. Elle n'était pas innocente à la manière des
demoiselles, -- les animaux l'avaient instruite; -- mais la
raison et l'instinct de l'honneur l'empêchèrent de faillir.
Cette résistance exaspéra l'amour de Théodore, si bien que
pour le satisfaire (ou naïvement peut-être) il proposa de
l'épouser. Elle hésitait à le croire. Il fit de grands
serments.

Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux: ses parents,
l'année dernière, lui avaient acheté un homme; mais d'un jour
à l'autre on pourrait le reprendre; l'idée de servir
l'effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une preuve de
tendresse; la sienne en redoubla. Elle s'échappait la nuit,
et, parvenue au rendez-vous, Théodore la torturait avec ses
inquiétudes et ses instances.

Enfin, il annonça qu'il irait lui-même à la Préfecture prendre
des informations, et les apporterait dimanche prochain, entre
onze heures et minuit.

Le moment arrivé, elle courut vers l'amoureux.

A sa place, elle trouva un de ses amis.

Il lui apprit qu'elle ne devait plus le revoir. Pour se
garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille
femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques.

Ce fut un chagrin désordonné. Elle se jeta par terre, poussa
des cris, appela le bon Dieu, et gémit toute seule dans la
campagne jusqu'au soleil levant. Puis elle revint à la ferme,
déclara son intention d'en partir; et, au bout du mois, ayant
reçu ses comptes, elle enferma tout son petit bagage dans un
mouchoir, et se rendit à Pont-l'Evêque.

Devant l'auberge, elle questionna une bourgeoise en capeline
de veuve, et qui précisément cherchait une cuisinière. La
jeune fille ne savait pas grand'chose, mais paraissait avoir
tant de bonne volonté et si peu d'exigences, que Mme Aubain
finit par dire:


-- Soit, je vous accepte!

Félicité, un quart d'heure après, était installée chez elle.

D'abord elle y vécut dans une sorte de tremblement que lui
causaient "le genre de la maison" et le souvenir de
"Monsieur", planant sur tout! Paul et Virginie, l'un âgé de
sept ans, l'autre de quatre à peine, lui semblaient formés
d'une matière précieuse; elle les portait sur son dos comme un
cheval, et Mme Aubain lui défendit de les baiser à chaque
minute, ce qui la mortifia. Cependant elle se trouvait
heureuse. La douceur du milieu avait fondu sa tristesse.

Tous les jeudis, des habitués venaient faire une partie de
boston. Félicité préparait d'avance les cartes et les
chaufferettes. Ils arrivaient à huit heures bien juste, et se
retiraient avant le coup de onze.

Chaque lundi matin, le brocanteur qui logeait sous l'allée
étalait par terre ses ferrailles. Puis la ville se remplissait
d'un bourdonnement de voix, où se mêlaient des hennissements
de chevaux, des bêlements d'agneaux, des grognements de
cochons, avec le bruit sec des carrioles dans la rue. Vers
midi, au plus fort du marché, on voyait paraître sur le seuil
un vieux paysan de haute taille, la casquette en arrière, le
nez crochu, et qui était Robelin, le fermier de Geffosses. Peu
de temps après, -- c'était Liébard, le fermier de Toucques,
petit, rouge, obèse, portant une veste grise et des houseaux
armés d'éperons.

Tous deux offraient à leur propriétaire des poules ou des
fromages. Félicité invariablement déjouait leurs astuces; et
ils s'en allaient pleins de considération pour elle.

A des époques indéterminées, Mme Aubain recevait la visite du
marquis de Gremanville, un de ses oncles, ruiné par la crapule
et qui vivait à Falaise sur le dernier lopin de ses terres. Il
se présentait toujours à l'heure du déjeuner, avec un affreux
caniche dont les pattes salissaient tous les meubles. Malgré
ses efforts pour paraître gentilhomme jusqu'à soulever son
chapeau chaque fois qu'il disait: "Feu mon père", l'habitude
l'entraînant, il se versait à boire coup sur coup, et lâchait
des gaillardises. Félicité le poussait dehors poliment:

-- Vous en avez assez, M. de Gremanville! A une autre fois!

Et elle refermait la porte.

Elle l'ouvrait avec plaisir devant M. Bourais, ancien avoué.
Sa cravate blanche et sa calvitie, le jabot de sa chemise, son
ample redingote brune, sa façon de priser en arrondissant le
bras, tout son individu lui produisait ce trouble où nous
jette le spectacle des hommes extraordinaires.

Comme il gérait les propriétés de "Madame", il s'enfermait
avec elle pendant des heures dans le cabinet de "Monsieur", et
craignait toujours de se compromettre, respectait infiniment
la magistrature, avait des prétentions au latin.

Pour instruire les enfants d'une manière agréable, il leur fit
cadeau d'une géographie en estampes. Elles représentaient
différentes scènes du monde, des anthropophages coiffés de
plumes, un singe enlevant une demoiselle, des Bédouins dans le
désert, une baleine qu'on harponnait, etc.

Paul donna l'explication de ces gravures à Félicité. Ce fut
même toute son éducation littéraire.

Celle des enfants était faite par Guyot, un pauvre diable
employé à la Mairie, fameux pour sa belle main, et qui
repassait son canif sur sa botte.

Quand le temps était clair, on s'en allait de bonne heure à la
ferme de Geffosses.

La cour est en pente, la maison dans le milieu; et la mer, au
loin, apparaît comme une tache grise.

Félicité retirait de son cabas des tranches de viande froide;
et on déjeunait dans un appartement faisant suite à la
laiterie. Il était le seul reste d'une habitation de
plaisance, maintenant disparue. Le papier de la muraille en
lambeaux tremblait aux courants d'air. Mme Aubain penchait son
front, accablée de souvenirs, les enfants n'osaient plus
parler.

-- Mais jouez donc! disait-elle.

Ils décampaient.

Paul montait dans la grange, attrapait des oiseaux, faisait
des ricochets sur la mare, ou tapait avec un bâton les grosses
futailles qui résonnaient comme des tambours.

Virginie donnait à manger aux lapins, se précipitait pour
cueillir des bleuets, et la rapidité de ses jambes découvrait
ses petits pantalons brodés.

Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages.

La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel,
et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités
de la Toucques. Des boeufs, étendus au milieu du gazon,
regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans
la troisième pâture quelques-uns se levèrent, puis se mirent
en rond devant elles.

-- Ne craignez rien! dit Félicité.

Et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur
l'échine celui qui se trouvait le plus près; il fit volte-face,
les autres l'imitèrent. Mais, quand l'herbage suivant
fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un
taureau, que cachait le brouillard. Il avança vers les deux
femmes. Mme Aubain allât courir.

-- Non! non! moins vite!

Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière
un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des
marteaux, battaient l'herbe de la prairie; voilà qu'il
galopait maintenant! Félicité se retourna, et elle arrachait à
deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les
yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait
de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de
l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment
franchir le haut bord. Félicité reculait toujours devant le
taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui
l'aveuglaient, tandis qu'elle criait:

-- Dépêchez-vous! dépêchez-vous!

Mme Aubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite,
tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force
de courage y parvint.

Le taureau avait acculé Félicité contre une claire voie; sa
bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il
l'éventrait. Elle eut le temps de se couler entre deux
barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.

Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de
conversation à Pont-l'Evêque. Félicité n'en tira aucun
orgueil, ne se doutant même pas qu'elle eût rien fait
d'héroïque.

Virginie l'occupait exclusivement; -- car elle eut à la suite
de son effroi, une affection nerveuse, et M. Poupart, le
docteur, conseilla les bains de mer de Trouville.

Dans ce temps-là, ils n'étaient pas fréquentés. Mme Aubain
prit des renseignements, consulta Bourais, fit des préparatifs
comme pour un long voyage.

Ses colis partirent la veille, dans la charrette de Liébard.
Le lendemain, il amena deux chevaux dont un avait une selle de
femme, munie d'un dossier de velours; et sur la croupe du
second un manteau roulé formait une manière de siège. Mme
Aubain y monta, derrière lui. Félicité se chargea de Virginie,
et Paul enfourcha l'âne de M. Lechaptois, prêté sous la
condition d'en avoir grand soin.

La route était si mauvaise que ses huit kilomètres exigèrent
deux heures. Les chevaux enfonçaient jusqu'aux paturons dans
la boue, et faisaient pour en sortir de brusques mouvements
des hanches; ou bien ils butaient contre les ornières;
d'autres fois, il leur l'allait sauter. La jument de Liébard,
à de certains endroits, s'arrêtait tout à coup. Il attendait
patiemment qu'elle se remît en marche; et il parlait des
personnes dont les propriétés bordaient la route, ajoutant à
leur histoire des réflexions morales. Ainsi, au milieu de
Toucques, comme on passait sous des fenêtres entourées de
capucines, il dit, avec un haussement d'épaules:

-- En voilà une Mme Lehoussais, qui au lieu de prendre un jeune
homme...

Félicité n'entendit pas le reste; les chevaux trottaient,
l'âne galopait; tous enfilèrent un sentier, une barrière
tourna, deux garçons parurent, et l'on descendit devant le
purin, sur le seuil même de la porte.

La mère Liébard, en apercevant sa maîtresse, prodigua les
démonstrations de joie. Elle lui servit un déjeuner où il y
avait un aloyau, des tripes, du boudin, une fricassée de
poulet, du cidre mousseux, une tarte aux compotes et des
prunes à l'eau-de-vie, accompagnant le tout de politesses à
Madame qui paraissait en meilleure santé, à Mademoiselle
devenue "magnifique", à M. Paul singulièrement "forci", sans
oublier leurs grands-parents défunts que les Liébard avaient
connus, étant au service de la famille depuis plusieurs
générations. La ferme avait, comme eux, un caractère
d'ancienneté. Les poutrelles du plafond étaient vermoulues,
les murailles noires de fumée, les carreaux gris de poussière.
Un dressoir en chêne supportait toutes sortes d'ustensiles,
des brocs, des assiettes, des écuelles d'étain, des pièges à
loup, des forces pour les moutons; une seringue énorme fit
rire les enfants. Pas un arbre des trois cours qui n'eût des
champignons à sa base, ou dans ses rameaux une touffe de gui.

Le vent en avait jeté bas plusieurs. Ils avaient repris par le
milieu; et tous fléchissaient sous la quantité de leurs
pommes. Les toits de paille, pareils à du velours brun et
inégaux d'épaisseur, résistaient aux plus fortes bourrasques.
Cependant la charreterie tombait en ruines. Mme Aubain dit
qu'elle aviserait, et commanda de reharnacher les bêtes.

On fut encore une demi-heure avant d'atteindre Trouville. La
petite caravane mit pied à terre pour passer les _Ecores;_
c'était une falaise surplombant des bateaux; et trois minutes
plus tard, au bout du quai, on entra dans la cour de l'_Agneau
d'or_, chez la mère David.

Virginie, dès les premiers jours, se sentit moins faible,
résultat du changement d'air et de l'action des bains. Elle
les prenait en chemise, à défaut de costume; et sa bonne la
rhabillait dans une cabane de douanier qui servait aux
baigneurs.

L'après-midi, on s'en allait avec l'âne au-delà des Roches-Noires,
du côté d'Hennequeville. Le sentier, d'abord, montait
entre des terrains vallonnés comme la pelouse d'un parc, puis
arrivait sur un plateau où alternaient des pâturages et des
champs en labour. A la lisière du chemin, dans le fouillis des
ronces, des houx se dressaient; çà et là, un grand arbre mort
faisait sur l'air bleu des zigzags avec ses branches.

Presque toujours on se reposait dans un pré, ayant Deauville à
gauche, Le Havre à droite et en face la pleine mer. Elle était
brillante de soleil, lisse comme un miroir, tellement douce
qu'on entendait à peine son murmure; des moineaux cachés
pépiaient, et la voûte immense du ciel recouvrait tout cela.
Mme Aubain, assise, travaillait à son ouvrage de couture;
Virginie près d'elle tressait des joncs; Félicité sarclait des
fleurs de lavande; Paul, qui s'ennuyait, voulait partir.

D'autres fois, ayant passé la Toucques en bateau, ils
cherchaient des coquilles. La marée basse laissât à découvert
des oursins, des godefiches, des méduses; et les enfants
couraient, pour saisir des flocons d'écume que le vent
emportait. Les flots endormis, en tombant sur le sable, se
déroulaient le long de la grève; elle s'étendait à perte de
vue, mais du côté de la terre avait pour limite les dunes la
séparant du _Marais_, large prairie en forme d'hippodrome. Quand
ils revenaient par là, Trouville, au fond sur la pente du
coteau, à chaque pas grandissait, et avec toutes ses maisons
inégales semblait s'épanouir dans un désordre gai.

Les jours qu'il faisait trop chaud, ils ne sortaient pas de
leur chambre. L'éblouissante clarté du dehors plaquait des
barres de lumière entre les lames des jalousies. Aucun bruit
dans le village. En bas, sur le trottoir, personne. Ce silence
épandu augmentait la tranquillité des choses. Au loin, les
marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise
lourde apportait la senteur du goudron.

Le principal divertissement était le retour des barques. Dès
qu'elles avaient dépassé les balises, elles commençaient à
louvoyer. Leurs voiles descendaient aux deux tiers des mâts;
et, la misaine gonflée comme un ballon, elles avançaient,
glissaient dans le clapotement des vagues, jusqu'au milieu du
port, où l'ancre tout à coup tombait. Ensuite le bateau se
plaçait contre le quai. Les matelots jetaient par-dessus le
bordage des poissons palpitants; une file de charrettes les
attendait, et des femmes en bonnet de coton s'élançaient pour
prendre les corbeilles et embrasser leurs hommes.

Une d'elles, un jour, aborda Félicité, qui peu de temps après
entra dans la chambre, toute joyeuse. Elle avait retrouvé une
soeur; et Nastasie Barette, femme Leroux, apparut, tenant un
nourrisson à sa poitrine, de la main droite un autre enfant,
et à sa gauche un petit mousse les poings sur les hanches et
le béret sur l'oreille.

Au bout d'un quart d'heure, Mme Aubain la congédia.

On les rencontrait toujours aux abords de la cuisine, ou dans
les promenades que l'on faisait. Le mari ne se montrait pas.

Félicité se prit d'affection pour eux. Elle leur acheta une
couverture, des chemises, un fourneau; évidemment ils
l'exploitaient. Cette faiblesse agaçait Mme Aubain, qui
d'ailleurs n'aimait pas les familiarités du neveu, -- car il
tutoyait son fils; -- et, comme Virginie toussait et que la
saison n'était plus bonne, elle revint à Pont-l'Evêque.

M. Bourais l'éclaira sur le choix d'un collège. Celui de Caen
passait pour le meilleur. Paul y fut envoyé; et fit bravement
ses adieux, satisfait d'aller vivre dans une maison où il
aurait des camarades.

Mme Aubain se résigna à l'éloignement de son fils, parce qu'il
était indispensable. Virginie y songea de moins en moins.
Félicité regrettait son tapage. Mais une occupation vint la
distraire; à partir de Noël, elle mena tous les jours la
petite fille au catéchisme.




III


Quand elle avait fait à la porte une génuflexion, elle
s'avançait sous la haute nef entre la double ligne des
chaises, ouvrait le banc de Mme Aubain, s'asseyait et
promenait ses yeux autour d'elle.

Les garçons à droite, les filles à gauche, emplissaient les
stalles du choeur; le curé se tenait debout près du lutrin;
sur un vitrail de l'abside, le Saint-Esprit dominait la
Vierge; un autre la montrait à genoux devant l'Enfant-Jésus,
et, derrière le tabernacle, un groupe en bois représentait
saint Michel terrassant le dragon.

Le prêtre fit d'abord un abrégé de l'Histoire Sainte. Elle
croyait voir le paradis, le déluge, la tour de Babel, des
villes tout en flammes, des peuples qui mouraient, des idoles
renversées; et elle garda de cet éblouissement le respect du
Très-Haut et la crainte de sa colère. Puis, elle pleura en
écoutant la Passion. Pourquoi l'avaient-ils crucifié, lui qui
chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les
aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu des
pauvres, sur le fumier d'une étable? Les semailles, les
moissons, les pressoirs, toutes ces choses familières dont
parle l'Evangile, se trouvaient dans sa vie; le passage de
Dieu les avait sanctifiées; et elle aima plus tendrement les
agneaux par amour de l'Agneau, les colombes à cause du Saint-Esprit.

Elle avait peine à imaginer sa personne; car il n'était pas
seulement oiseau, mais encore un feu, et d'autres fois un
souffle. C'est peut-être sa lumière qui voltige la nuit aux
bords des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix
qui rend les cloches harmonieuses; et elle demeurait dans une
adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la
tranquillité de l'église.

Quant aux dogmes, elle n'y comprenait rien, ne tâcha même pas
de comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient,
elle finissait par s'endormir; et se réveillait tout à coup,
quand ils faisaient en s'en allant claquer leurs sabots sur
les dalles.

Ce fut de cette manière, à force de l'entendre, qu'elle apprit
le catéchisme, son éducation religieuse ayant été négligée
dans sa jeunesse; et dès lors elle imita toutes les pratiques
de Virginie, jeûnait comme elle, se confessait avec elle. A la
Fête-Dieu, elles firent ensemble un reposoir.

La première communion la tourmentait d'avance. Elle s'agita
pour les souliers, pour le chapelet, pour le livre, pour les
gants. Avec quel tremblement elle aida sa mère à l'habiller!

Pendant toute la messe, elle éprouva une angoisse. M. Bourais
lui cachait un côté du choeur; mais juste en face, le troupeau
des vierges portant des couronnes blanches par-dessus leurs
voiles abaissés formait comme un champ de neige; et elle
reconnaissait de loin la chère petite à son cou plus mignon et
à son attitude recueillie. La cloche tinta. Les têtes se
courbèrent; il y eut un silence. Aux éclats de l'orgue, les
chantres et la foule entonnèrent l'_Agnus Dei;_ puis le défilé
des garçons commença; et, après eux, les filles se levèrent.
Pas à pas, et les mains jointes, elles allaient vers l'autel
tout illuminé, s'agenouillaient sur la première marche,
recevaient l'hostie successivement, et dans le même ordre
revenaient à leurs prie-Dieu. Quand ce fut le tour de
Virginie, Félicité se pencha pour la voir; et, avec
l'imagination que donnent les vraies tendresses, il lui sembla
qu'elle était elle-même cette enfant; sa figure devenait la
sienne, sa robe l'habillait, son coeur lui battait dans la
poitrine; au moment d'ouvrir la bouche, en fermant les
paupières, elle manqua de s'évanouir.

Le lendemain, de bonne heure, elle se présenta dans la
sacristie, pour que M. le curé lui donnât la communion. Elle
la reçut dévotement, mais n'y goûta pas les mêmes délices.

Mme Aubain voulait faire de sa fille une personne accomplie;
et, comme Guyot ne pouvait lui montrer ni l'anglais ni la
musique, elle résolut de la mettre en pension chez les
Ursulines d'Honfleur.

L'enfant n'objecta rien. Félicité soupirait, trouvant Madame
insensible. Puis elle songea que sa maîtresse, peut-être,
avait raison. Ces choses dépassaient sa compétence.

Enfin, un jour, une vieille tapissière s'arrêta devant la
porte; et il en descendit une religieuse qui venait chercher
Mademoiselle. Félicité monta les bagages sur l'impériale, fit
des recommandations au cocher, et plaça dans le coffre six
pots de confiture et une douzaine de poires, avec un bouquet
de violettes.

Virginie, au dernier moment, fut prise d'un grand sanglot;
elle embrassait sa mère qui la baisait au front en répétant:

-- Allons! du courage! du courage!

Le marchepied se releva, la voiture partit.

Alors Mme Aubain eut une défaillance; et le soir tous ses
amis, le ménage Lormeau, Mme Lechaptois, _ces_ demoiselles
Rochefeuille, M. de Houppeville et Bourais se présentèrent
pour la consoler.

La privation de sa fille lui fut d'abord très douloureuse.
Mais trois fois la semaine, elle en recevait une lettre, les
autres jours lui écrivait, se promenait dans son jardin,
lisait un peu, et de cette façon comblait le vide des heures.

Le matin, par habitude, Félicité entrait dans la chambre de
Virginie, et regardait les murailles. Elle s'ennuyait de
n'avoir plus à peigner ses cheveux, à lui lacer ses bottines,
à la border dans son lit, -- et de ne plus voir continuellement
sa gentille figure, de ne plus la tenir par la main quand
elles sortaient ensemble. Dans son désoeuvrement, elle essaya
de faire de la dentelle. Ses doigts trop lourds cassaient les
fils; elle n'entendait à rien, avait perdu le sommeil, suivant
son mot, était "minée".

Pour "se dissiper", elle demanda la permission de recevoir son
neveu Victor.

Il arrivait le dimanche après la messe, les joues roses, la
poitrine nue, et sentant l'odeur de la campagne qu'il avait
traversée. Tout de suite, elle dressait son couvert. Ils
déjeunaient l'un en face de l'autre; et, mangeant elle-même le
moins possible pour épargner la dépense, elle le bourrait
tellement de nourriture qu'il finissait par s'endormir. Au
premier coup des vêpres, elle le réveillait, brossait son
pantalon, nouait sa cravate, et se rendait à l'église, appuyée
sur son bras dans un orgueil maternel.

Ses parents le chargeaient toujours d'en tirer quelque chose,
soit un paquet de cassonade, du savon, de l'eau-de-vie,
parfois même de l'argent. Il apportait ses nippes à
raccommoder; et elle acceptait cette besogne, heureuse d'une
occasion qui le forçait à revenir.

Au mois d'août, son père l'emmena au cabotage.

C'était l'époque des vacances. L'arrivée des enfants la
consola. Mais Paul devenait capricieux, et Virginie n'avait
plus l'âge d'être tutoyée, ce qui mettait une gêne, une
barrière entre elles.

Victor alla successivement à Morlaix, à Dunkerque et à
Brighton; au retour de chaque voyage, il lui offrait un
cadeau. La première fois, ce fut une boîte en coquilles; la
seconde, une tasse à café; la troisième, un grand bonhomme en
pain d'épice. Il embellissait, avait la taille bien prise, un
peu de moustache, de bons yeux francs, et un petit chapeau de
cuir, placé en amère comme un pilote. Il l'amusait en lui
racontant des histoires mêlées de termes marins.

Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n'oublia pas la date), Victor
annonça qu'il était engagé au long cours, et, dans la nuit du
surlendemain, par le paquebot de Honfleur irait rejoindre sa
goélette, qui devait démarrer du Havre prochainement. Il
serait, peut-être, deux ans parti.

La perspective d'une telle absence désola Félicité; et, pour
lui dire encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de
Madame, elle chaussa des galoches, et avala les quatre lieues
qui séparent Pont-l'Evêque de Honfleur.

Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à
gauche, elle prit à droite, se perdit dans des chantiers,
revint sur ses pas; des gens qu'elle accosta l'engagèrent à se
hâter. Elle fit le tour du bassin rempli de navires, se
heurtait contre les amarres; puis le terrain s'abaissa, des
lumières s'entrecroisèrent, et elle se crut folle, en
apercevant des chevaux dans le ciel.

Au bord du quai, d'autres hennissaient, effrayés par la mer.
Un palan qui les enlevait les descendait dans un bateau, où
des voyageurs se bousculaient entre les barriques de cidre,
les paniers de fromage, les sacs de grain; on entendait
chanter des poules, le capitaine jurait; et un mousse restait
accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela. Félicité, qui
ne l'avait pas reconnu, criait: "Victor!" Il leva la tête;
elle s'élançait, quand on retira l'échelle tout à coup.

Le paquebot, que des femmes halaient en chantant, sortit du
port. Sa membrure craquait, les vagues pesantes fouettaient sa
proue. La voile avait tourné, on ne vit plus personne; -- et,
sur la mer argentée par la lune, il faisait une tache noire
qui pâlissait toujours, s'enfonça, disparut.

Félicité, en passant près du Calvaire, voulut recommander à
Dieu ce qu'elle chérissait le plus; et elle pria pendant
longtemps, debout, la face baignée de pleurs, les yeux vers
les nuages. La ville dormait, des douaniers se promenaient; et
de l'eau tombait sans discontinuer par les trous de l'écluse,
avec un bruit de torrent. Deux heures sonnèrent.

Le parloir n'ouvrirait pas avant le jour. Un retard, bien sûr,
contrarierait Madame; et malgré son désir d'embrasser l'autre
enfant, elle s'en retourna. Les filles de l'auberge
s'éveillaient, comme elle entrait dans Pont-l'Evêque.

Le pauvre gamin, durant des mois, allait donc rouler sur les
flots! Ses précédents voyages ne l'avaient pas effrayée. De
l'Angleterre et de la Bretagne, on revenait; mais l'Amérique,
les Colonies, les Iles, cela était perdu dans une région
incertaine, à l'autre bout du monde.

Dès lors, Félicité pensa exclusivement à son neveu. Les jours
de soleil, elle se tourmentait de la soif; quand il faisait de
l'orage, craignait pour lui la foudre. En écoutant le vent qui
grondait dans la cheminée et emportait les ardoises, elle le
voyait battu par cette même tempête, au sommet d'un mât
fracassé, tout le corps en amère, sous une nappe d'écume; ou
bien, -- souvenirs de la géographie en estampes, -- il était
mangé par les sauvages, pris dans un bois par des singes, se
mourait le long d'une plage déserte. Et jamais elle ne parlait
de ses inquiétudes.

Mme Aubain en avait d'autres sur sa fille.

Les bonnes soeurs trouvaient qu'elle était affectueuse, mais
délicate. La moindre émotion l'énervait. Il fallut abandonner
le piano.

Sa mère exigeait du couvent une correspondance réglée. Un
matin que le facteur n'était pas venu, elle s'impatienta; et
elle marchait dans la salle, de son fauteuil à la fenêtre.
C'était vraiment extraordinaire! depuis quatre jours, pas de
nouvelles!

Pour qu'elle se consolât par son exemple, Félicité lui dit:

-- Moi, Madame, voilà six mois que je n'en ai reçu!...

-- De qui donc?...

La servante répliqua doucement:

-- Mais... de mon neveu!

-- Ah! votre neveu!

Et, haussant les épaules, Mme Aubain reprit sa promenade, ce
qui voulait dire: "Je n'y pensais pas!... Au surplus, je m'en
moque! un mousse, un gueux, belle affaire!... tandis que ma
fille... Songez donc!..."

Félicité, bien que nourrie dans la rudesse, fut indignée
contre Madame, puis oublia.

Il lui paraissait tout simple de perdre la tête à l'occasion
de la petite.

Les deux enfants avaient une importance égale; un lien de son
coeur les unissait, et leur destinée devait être la même.

Le pharmacien lui apprit que le bateau de Victor était arrivé
à la Havane. Il avait lu ce renseignement dans une gazette.

A cause des cigares, elle imaginait la Havane un pays où l'on
ne fait pas autre chose que de fumer, et Victor circulait
parmi les nègres dans un nuage de tabac. Pouvait-on "en cas de
besoin" s'en retourner par terre? A quelle distance était-ce
de Pont-l'Evêque? Pour le savoir, elle interrogea M. Bourais.

Il atteignit son atlas, puis commença des explications sur les
longitudes; et il avait un beau sourire de cuistre devant
l'ahurissement de Félicité. Enfin, avec son porte-crayon, il
indiqua dans les découpures d'une tache ovale un point noir,
imperceptible, en ajoutant: "Voici."

Elle se pencha sur la carte; ce réseau de lignes coloriées
fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre; et Bourais,
l'invitant à dire ce qui l'embarrassait, elle le pria de lui
montrer la maison où demeurait Victor. Bourais leva les bras,
il éternua, rit énormément; une candeur pareille excitait sa
joie; et Félicité n'en comprenait pas le motif, -- elle qui
s'attendait peut-être à voir jusqu'au portrait de son neveu,
tant son intelligence était bornée!

Ce fut quinze jours après que Liébard, à l'heure du marché
comme d'habitude, entra dans la cuisine, et lui remit une
lettre qu'envoyait son beau-frère. Ne sachant lire aucun des
deux, elle eut recours à sa maîtresse.

Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa près
d'elle, décacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix
basse, avec un regard profond:

-- C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu...

Il était mort. On n'en disait pas davantage.

Félicité tomba sur une chaise, en s'appuyant la tête à la
cloison, et ferma ses paupières, qui devinrent roses tout à
coup. Puis, le front baissé, les mains pendantes, l'oeil fixe,
elle répétait par intervalles:

-- Pauvre petit gars! pauvre petit gars!

Liébard la considérait en exhalant des soupirs. Mme Aubain
tremblait un peu.

Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, à Trouville.

Félicité répondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas
besoin.

Il y eut un silence. Le bonhomme Liébard jugea convenable de
se retirer.

Alors elle dit:

-- Ça ne leur fait rien, à eux!

Sa tête retomba; et machinalement elle soulevait, de temps à
autre, les longues aiguilles sur la table à ouvrage.

Des femmes passèrent dans la cour avec un bard d'où
dégouttelait du linge.

En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa
lessive; l'ayant coulée la veille, il fallait aujourd'hui la
rincer; et elle sortit de l'appartement.

Sa planche et son tonneau étaient au bord de la Toucques. Elle
jeta sur la berge un tas de chemises, retroussa ses manches,
prit son battoir; et les coups forts qu'elle donnait
s'entendaient dans les autres jardins à côté. Les prairies
étaient vides, le vent agitait la rivière; au fond, de grandes
herbes s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres
flottant dans l'eau. Elle retenait sa douleur, jusqu'au soir
fut très brave; mais dans sa chambre, elle s'y abandonna, à
plat ventre sur son matelas, le visage dans l'oreiller, et les
deux poings contre les tempes.

Beaucoup plus tard, par le capitaine de Victor lui même, elle
connut les circonstances de sa fin.

On l'avait trop saigné à l'hôpital, pour la fièvre jaune.
Quatre médecins le tenaient à la fois. Il était mort
immédiatement, et le chef avait dit:

-- Bon! encore un!

Ses parents l'avaient toujours traité avec barbarie. Elle aima
mieux ne pas les revoir; et ils ne firent aucune avance, par
oubli, ou endurcissement des misérables.

Virginie s'affaiblissait.

Des oppressions, de la toux, une fièvre continuelle et des
marbrures aux pommettes décelaient quelque affection profonde.
M. Poupart avait conseillé un séjour en Provence. Mme Aubain
s'y décida, et eût tout de suite repris sa fille à la maison,
sans le climat de Pont-l'Evêque.

Elle fit un arrangement avec un loueur de voitures, qui la
menait au couvent chaque mardi. Il y a dans le jardin une
terrasse d'où l'on découvre la Seine. Virginie s'y promenait à
son bras, sur les feuilles de pampre tombées. Quelquefois le
soleil traversant les nuages la forçait à cligner ses
paupières, pendant qu'elle regardait les voiles au loin et
tout l'horizon, depuis le château de Tancarville jusqu'aux
phares du Havre. Ensuite on se reposait sous la tonnelle. Sa
mère s'était procuré un petit fût d'excellent vin du Malaga;
et riant à l'idée d'être grise, elle en buvait deux doigts,
pas davantage.

Ses forces reparurent. L'automne s'écoula doucement. Félicité
rassurait Mme Aubain. Mais, un soir qu'elle avait été aux
environs faire une course, elle rencontra devant la porte le
cabriolet de M. Poupart; et il était dans le vestibule. Mme
Aubain nouait son chapeau.

-- Donnez-moi ma chaufferette, ma bourse, mes gants; plus vite
donc!

Virginie avait une fluxion de poitrine; c'était peut-être
désespéré.

-- Pas encore! dit le médecin.

Et tous deux montèrent dans la voiture, sous des flocons de
neige qui tourbillonnaient. La nuit allait venir. Il faisait
très froid.

Félicité se précipita dans l'église, pour allumer un cierge.
Puis elle courut après le cabriolet, qu'elle rejoignit une
heure plus tard, sauta légèrement par derrière, où elle se
tenait aux torsades, quand une réflexion lui vint: "La cour
n'était pas fermée! si des voleurs s'introduisaient?" Et elle
descendit.

Le lendemain, dès l'aube, elle se présenta chez le docteur. Il
était rentré et reparti à la campagne. Puis elle resta dans
l'auberge, croyant que des inconnus apporteraient une lettre.
Enfin, au petit jour, elle prit la diligence de Lisieux.

Le couvent se trouvait au fond d'une ruelle escarpée. Vers le
milieu, elle entendit des sons étranges, un glas de mort.
"C'est pour d'autres," pensa-t-elle; et Félicité tira
violemment le marteau.

Au bout de plusieurs minutes, des savates se traînèrent, la
porte s'entre-bâilla, et une religieuse parut.

La bonne soeur avec un air de componction dit qu' "elle venait
de passer." En même temps, le glas de Saint-Léonard
redoublait.

Félicité parvint au second étage.

Dès le seuil de la chambre, elle aperçut Virginie étalée sur
le dos, les mains jointes, la bouche ouverte, et la tête en
arrière sous une croix noire s'inclinant vers elle, entre les
rideaux immobiles, moins pâles que sa figure. Mme Aubain, au
pied de la couche qu'elle tenait dans ses bras, poussait des
hoquets d'agonie. La supérieure était debout, à droite. Trois
chandeliers sur la commode faisaient des taches rouges, et le
brouillard blanchissait les fenêtres. Des religieuses
emportèrent Mme Aubain.

Pendant deux nuits, Félicité ne quitta pas la morte. Elle
répétait les mêmes prières, jetait de l'eau bénite sur les
draps, revenait s'asseoir, et la contemplait. A la fin de la
première veille, elle remarqua que la figure avait jauni, les
lèvres bleuirent, le nez se pinçait, les yeux s'enfonçaient.
Elle les baisa plusieurs fois; et n'eût pas éprouvé un immense
étonnement si Virginie les eût rouverts; pour de pareilles
âmes le surnaturel est tout simple. Elle fit sa toilette,
l'enveloppa de son linceul, la descendit dans sa bière, lui
posa une couronne, étala ses cheveux. Ils étaient blonds, et
extraordinaires de longueur à son âge. Félicité en coupa une
grosse mèche, dont elle glissa la moitié dans sa poitrine,
résolue à ne jamais s'en dessaisir.

Le corps fut ramené à Pont-l'Evêque, suivant les intentions de
Mme Aubain, qui suivait le corbillard, dans une voiture
fermée.

Après la messe, il fallut encore trois quarts d'heure pour
atteindre le cimetière. Paul marchait en tête et sanglotait.
M. Bourais était derrière, ensuite les principaux habitants,
les femmes, couvertes de mantes noires, et Félicité. Elle
songeait à son neveu, et, n'ayant pu lui rendre ces honneurs,
avait un surcroît de tristesse, comme si on l'eût enterré avec
l'autre.

Le désespoir de Mme Aubain fut illimité.

D'abord elle se révolta contre Dieu, le trouvant injuste de
lui avoir pris sa fille, -- elle qui n'avait jamais fait de
mal, et dont la conscience était si pure! Mais non! elle
aurait dû l'emporter dans le Midi. D'autres docteurs
l'auraient sauvée!. Elle s'accusait, voulait la rejoindre,
criait en détresse au milieu de ses rêves. Un, surtout,
l'obsédât. Son mari, costumé comme un matelot, revenait d'un
long voyage, et lui disait en pleurant qu'il avait reçu
l'ordre d'emmener Virginie. Alors ils se concertaient pour
découvrir une cachette quelque part.

Une fois, elle rentra du jardin, bouleversée. Tout à l'heure
(elle montrait l'endroit) le père et la fille lui étaient
apparus l'un auprès de l'autre, et ils ne faisaient rien; ils
la regardaient.

Pendant plusieurs mois, elle resta dans sa chambre, inerte.
Félicité la sermonnait doucement; il fallait se conserver pour
son fils, et pour l'autre, en souvenir d' "elle".

-- Elle? reprenait Mme Aubain, comme se réveillant. "Ah!
oui!... oui!... Vous ne l'oubliez pas!"

Allusion au cimetière, qu'on lui avait scrupuleusement
défendu.

Félicité tous les jours s'y rendait.

A quatre heures précises, elle passait au bord des maisons,
montait la côte, ouvrait la barrière, et arrivait devant la
tombe de Virginie. C'était une petite colonne de marbre rose,
avec une dalle dans le bas, et des chaînes autour enfermant un
jardinet. Les plates-bandes disparaissaient sous une
couverture de fleurs. Elle arrosait leurs feuilles,
renouvelait le sable, se mettait à genoux pour mieux labourer
la terre. Mme Aubain, quand elle put y venir, en éprouva un
soulagement, une espèce de consolation.


Puis des années s'écoulèrent, toutes pareilles et sans autres
épisodes que le retour des grandes fêtes: Pâques,
l'Assomption, la Toussaint. Des événements intérieurs
faisaient une date, où l'on se reportait plus tard. Ainsi, en
1825, deux vitriers badigeonnèrent le vestibule; en 1827, une
portion du toit, tombant dans la cour, faillit tuer un homme.
L'été de 1828, ce fut à Madame d'offrir le pain bénit;
Bourais, vers cette époque, s'absenta mystérieusement; et les
anciennes connaissances peu à peu s'en allèrent: Guyot,
Liébard, Mme Lechaptois, Robelin, l'oncle Gremanville,
paralysé depuis longtemps.

Une nuit, le conducteur de la malle-poste annonça dans
Pont-l'Evêque la Révolution de Juillet. Un sous-préfet nouveau, peu
de jours après, fut nommé: le baron de Larsonnière, ex-consul
en Amérique, et qui avait chez lui, outre sa femme, sa belle-soeur
avec trois demoiselles, assez grandes déjà. On les
apercevait sur leur gazon, habillées de blouses flottantes;
elles possédaient un nègre et un perroquet. Mme Aubain eut
leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin
qu'elles paraissaient, Félicité accourait pour la prévenir.
Mais une chose était seule capable de l'émouvoir, les lettres
de son fils.

Il ne pouvait suivre aucune carrière, étant absorbé dans les
estaminets. Elle lui payait ses dettes; il en refaisait
d'autres; et les soupirs que poussait Mme Aubain, en tricotant
près de la fenêtre, arrivaient à Félicité, qui tournait son
rouet dans la cuisine.

Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier; et
causaient toujours de Virginie, se demandant si telle chose
lui aurait plu, en telle occasion ce qu'elle eût dit
probablement.

Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la
chambre à deux lits. Mme Aubain les inspectait le moins
souvent possible. Un jour d'été, elle se résigna; et des
papillons s'envolèrent de l'armoire.

Ses robes étaient en ligne sous une planche où il y avait
trois poupées, des cerceaux, un ménage, la cuvette qui lui
servait. Elles retirèrent également les jupons, les bas, les
mouchoirs, et les étendirent sur les deux couches, avant de
les replier. Le soleil éclairait ces pauvres objets, en
faisait voir les taches, et des plis formés par les mouvements
du corps. L'air était chaud et bleu, un merle gazouillait,
tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles
retrouvèrent un petit chapeau de peluche, à longs poils,
couleur marron; mais il était tout mangé de vermine. Félicité
le réclama pour elle-même. Leurs yeux se fixèrent l'une sur
l'autre, s'emplirent de larmes; enfin la maîtresse ouvrit ses
bras, la servante s'y jeta; et elles s'étreignirent,
satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les égalisait.

C'était la première fois de leur vie, Mme Aubain n'étant pas
d'une nature expansive. Félicité lui en fut reconnaissante
comme d'un bienfait, et désormais la chérit avec un dévouement
bestial et une vénération religieuse.

La bonté de son coeur se développa.

Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un régiment en
marche, elle se mettait devant la porte avec une cruche de
cidre et offrait à boire aux soldats. Elle soigna des
cholériques. Elle protégeait les Polonais; et même il y en eut
un qui déclarait la vouloir épouser. Mais ils se fâchèrent;
car un matin, en rentrant de l'angélus, elle le trouva dans sa
cuisine, où il s'était introduit, et accommodé une vinaigrette
qu'il mangeait tranquillement.

Après les Polonais, ce fut le père Colmiche, un vieillard
passant pour avoir fait des horreurs en 93. Il vivait au bord
de la rivière, dans les décombres d'une porcherie. Les gamins
le regardaient par les fentes du mur, et lui jetaient des
cailloux qui tombaient sur son grabat, où il gisait
continuellement secoué par un catarrhe, avec des cheveux très
longs, les paupières enflammées, et au bras une tumeur plus
grosse que sa tête. Elle lui procura du linge, tâcha de
nettoyer son bouge, rêvât à l'établir dans le fournil, sans
qu'il gênât Madame. Quand le cancer eut crevé, elle le pansa
tous les jours, quelquefois lui apportait de la galette, le
plaçait au soleil sur une botte de paille; et le pauvre vieux,
en bavant et en tremblant, la remerciait de sa voix éteinte,
craignait de la perdre, allongeait les mains dès qu'il la
voyait s'éloigner. Il mourut; elle fit dire une messe pour le
repos de son âme.

Ce jour-là, il lui advint un grand bonheur: au moment du
dîner, le nègre de Mme de Larsonnière se présenta, tenant le
perroquet dans sa cage, avec le bâton, la chaîne et le
cadenas. Un billet de la baronne annonçait à Mme Aubain que,
son mari étant élevé à une préfecture, ils partaient le soir;
et elle la priait d'accepter cet oiseau, comme un souvenir, et
en témoignage de ses respects.

Il occupait depuis longtemps l'imagination de Félicité, car il
venait d'Amérique; et ce mot lui rappelait Victor, si bien
qu'elle s'en informait auprès du nègre. Une fois même elle
avait dit:

-- C'est Madame qui serait heureuse de l'avoir!

Le nègre avait redit le propos à sa maîtresse, qui, ne pouvant
l'emmener, s'en débarrassait de cette façon.




IV


Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses
ailes rose, son front bleu, et sa gorge dorée.

Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton,
s'arrachait les plumes, éparpillait ses ordures, répandait
l'eau de sa baignoire; Mme Aubain, qu'il ennuyait, le donna
pour toujours à Félicité.

Elle entreprit de l'instruire; bientôt il répéta: "Charmant
garçon! Serviteur, monsieur! Je vous salue, Marie!" Il était
placé auprès de la porte, et plusieurs s'étonnaient qu'il ne
répondît pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets
s'appellent Jacquot. On le comparait à une dinde, à une bûche
: autant de coups de poignard pour Félicité! Etrange
obstination de Loulou, ne parlant plus du moment qu'on le
regardait!

Néanmoins il recherchait la compagnie; car le dimanche,
pendant que _ces_ demoiselles Rochefeuille, monsieur de
Houppeville et de nouveaux habitués: Onfroy l'apothicaire, M.
Varin et le capitaine Mathieu, faisaient leur partie de
cartes, il cognait les vitres avec ses ailes, et se démenait
si furieusement qu'il était impossible de s'entendre.

La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait très drôle.
Dès qu'il l'apercevait, il commençait à rire, à rire de toutes
ses forces. Les éclats de sa voix bondissaient dans la cour,
l'écho les répétait, les voisins se mettaient à leurs
fenêtres, riaient aussi; et, pour n'être pas vu du perroquet,
M. Bourais se coulait le long du mur, en dissimulant son
profil avec son chapeau, atteignait la rivière, puis entrait
par la porte du jardin; et les regards qu'il envoyait à
l'oiseau manquaient de tendresse.

Loulou avait reçu du garçon boucher une chiquenaude, s'étant
permis d'enfoncer la tête dans sa corbeille; et depuis lors il
tâchait toujours de le pincer à travers sa chemise. Fabu
menaçait de lui tordre le cou, bien qu'il ne fût pas cruel,
malgré le tatouage de ses bras et ses gros favoris. Au
contraire! il avait plutôt du penchant pour le perroquet,
jusqu'à vouloir, par humeur joviale, lui apprendre des jurons.
Félicité, que ces manières effrayaient, le plaça dans la
cuisine. Sa chaînette fut retirée, et il circulait par la
maison.

Quand il descendait l'escalier, il appuyait sur les marches la
courbe de son bec, levait la patte droite, puis la gauche; et
elle avait peur qu'une telle gymnastique ne lui causât des
étourdissements. Il devint malade, ne pouvant plus parler ni
manger. C'était sous sa langue une épaisseur comme en ont les
poules quelquefois. Elle le guérit en arrachant cette
pellicule avec ses ongles. M. Paul, un jour, eut l'imprudence
de lui souffler aux narines la fumée d'un cigare; une autre
fois que Mme Lormeau l'agaçait du bout de son ombrelle, il en
happa la virole; enfin, il se perdit.

Elle l'avait posé sur l'herbe pour le rafraîchir, s'absenta
une minute; et, quand elle revint, plus de perroquet! D'abord
elle le chercha dans les buissons, au bord de l'eau et sur les
toits, sans écouter sa maîtresse qui lui criait:

-- Prenez donc garde! vous êtes folle!

Ensuite elle inspecta tous les jardins de Pont l'Evêque; et
elle arrêtait les passants.

-- Vous n'auriez pas vu, quelquefois, par hasard, mon
perroquet?

A ceux qui ne connaissaient pas le perroquet, elle en faisait
la description. Tout à coup, elle crut distinguer derrière les
moulins, au bas de la côte, une chose verte qui voltigeait.
Mais au haut de la côte, rien! Un porte-balle lui affirma
qu'il l'avait rencontré tout à l'heure, à Sainte-Melaine, dans
la boutique de la mère Simon. Elle y courut. On ne savait pas
ce qu'elle voulait dire. Enfin elle rentra, épuisée, les
savates en lambeaux, la mort dans l'âme; et, assise au milieu
du banc, près de Madame, elle racontait toutes ses démarches
quand un poids léger lui tomba sur l'épaule: Loulou! Que
diable avait-il fait? Peut être qu'il s'était promené aux
environs?

Elle eut du mal à s'en remettre, ou plutôt ne s'en remit
jamais.

Par suite d'un refroidissement, il lui vint une angine; peu de
temps après, un mal d'oreilles. Trois ans plus tard, elle
était sourde; et elle parlait très haut, même à l'église. Bien
que ses péchés auraient pu sans déshonneur pour elle, ni
inconvénient pour le monde, se répandre à tous les coins du
diocèse, M. le curé jugea convenable de ne plus recevoir sa
confession que dans la sacristie.

Des bourdonnements illusoires achevaient de la troubler.
Souvent sa maîtresse lui disait:

-- Mon Dieu! comme vous êtes bête!

Elle répliquait:

-- Oui, Madame, en cherchant quelque chose autour d'elle.

Le petit cercle de ses idées se rétrécit encore, et le
carillon des cloches, le mugissement des boeufs n'existaient
plus. Tous les êtres fonctionnaient avec le silence des
fantômes. Un seul bruit arrivait maintenant à ses oreilles, la
voix du perroquet.

Comme pour la distraire, il reproduisait le tic tac du
tournebroche, l'appel aigu d'un vendeur de poisson, la scie du
menuisier qui logeait en face; et, aux coups de la sonnette,
imitait Mme Aubain.

-- Félicité! la porte! la porte!

Ils avaient des dialogues, lui, débitant à satiété les trois
phrases de son répertoire, et elle, y répondant par des mots
sans plus de suite, mais où son coeur s'épanchait. Loulou,
dans son isolement, était presque un fils, un amoureux. Il
escaladait ses doigts, mordillait ses lèvres, se cramponnait à
son fichu; et, comme elle penchait son front en branlant la
tête à la manière des nourrices, les grandes ailes du bonnet
et les ailes de l'oiseau frémissaient ensemble.

Quand des nuages s'amoncelaient et que le tonnerre grondait,
il poussait des cris, se rappelant peut être les ondées de ses
forêts natales. Le ruissellement de l'eau excitait son délire;
il voletait éperdu, montait au plafond, renversait tout, et
par la fenêtre allait barboter dans le jardin; mais revenait
vite sur un des chenets, et, sautillant pour sécher ses
plumes, montrait tantôt sa queue, tantôt son bec.

Un matin du terrible hiver de 1837, qu'elle l'avait mis devant
la cheminée, à cause du froid, elle le trouva mort, au milieu
de sa cage, la tête en bas, et les ongles dans les fils de
fer. Une congestion l'avait tué, sans doute? Elle crut à un
empoisonnement par le persil; et malgré l'absence de toutes
preuves, ses soupçons portèrent sur Fabu.

Elle pleura tellement que sa maîtresse lui dit:

-- Eh bien! faites-le empailler!

Elle demanda conseil au pharmacien, qui avait toujours été bon
pour le perroquet.

Il écrivit au Havre. Un certain Fellacher se chargea de cette
besogne. Mais, comme la diligence égarait parfois les colis,
elle résolut de le porter elle-même jusqu'à Honfleur.

Les pommiers sans feuilles se succédaient aux bords de la
route. De la glace couvrait les fossés. Des chiens aboyaient
autour des fermes; et les mains sous son mantelet, avec ses
petits sabots noirs et son cabas, elle marchait prestement,
sur le milieu du pavé.

Elle traversa la forêt, dépassa le Haut-Chêne, atteignit
Saint-Gatien.

Derrière elle, dans un nuage de poussière et emportée par la
descente, une malle-poste au grand galop se précipitait comme
une trombe. En voyant cette femme qui ne se dérangeait pas, le
conducteur se dressa par-dessus la capote, et le postillon
criait aussi, pendant que ses quatre chevaux qu'il ne pouvait
retenir accéléraient leur train; les deux premiers la
frôlaient; d'une secousse de ses guides, il les jeta dans le
débord, mais furieux releva le bras, et à pleine volée, avec
son grand fouet, lui cingla du ventre au chignon un tel coup
qu'elle tomba sur le dos.

Son premier geste, quand elle reprit connaissance, fut
d'ouvrir son panier. Loulou n'avait rien, heureusement. Elle
sentit une brûlure à la joue droite; ses mains qu'elle y porta
étaient rouges. Le sang coulait.

Elle s'assit sur un mètre de cailloux, se tamponna le visage
avec son mouchoir, puis elle mangea une croûte de pain, mise
dans son panier par précaution, et se consolait de sa blessure
en regardant l'oiseau.

Arrivée au sommet d'Ecquemauville, elle aperçut les lumières
de Honfleur qui scintillaient dans la nuit comme une quantité
d'étoiles; la mer, plus loin, s'étalait confusément. Alors une
faiblesse l'arrêta; et la misère de son enfance, la déception
du premier amour, le départ de son neveu, la mort de Virginie,
comme les flots d'une marée, revinrent à la fois, et, lui
montant à la gorge, l'étouffaient.

Puis elle voulut parler au capitaine du bateau; et, sans dire
ce qu'elle envoyait, lui fit des recommandations.

Fellacher garda longtemps le perroquet. Il le promettait
toujours pour la semaine prochaine; au bout de six mois, il
annonça le départ d'une caisse; et il n'en fut plus question.
C'était à croire que jamais Loulou ne reviendrait. "Ils me
l'auront volé!" pensait-elle.

Enfin il arriva, -- et splendide, droit sur une branche
d'arbre, qui se vissait dans un socle d'acajou, une patte en
l'air, la tête oblique, et mordant une noix, que l'empailleur
par amour du grandiose avait dorée.

Elle l'enferma dans sa chambre.

Cet endroit, où elle admettait peu de monde, avait l'air tout
à la fois d'une chapelle et d'un bazar, tant il contenait
d'objets religieux et de choses hétéroclites.

Une grande armoire gênait pour ouvrir la porte. En face de la
fenêtre surplombant le jardin, un oeil-de-boeuf regardait la
cour; une table, près du lit de sangle, supportait un pot à
l'eau, deux peignes, et un cube de savon bleu dans une
assiette ébréchée. On voyait contre les murs: des chapelets,
des médailles, plusieurs bonnes Vierges, un bénitier en noix
de coco; sur la commode, couverte d'un drap comme un autel, la
boîte en coquillages que lui avait donnée Victor; puis un
arrosoir et un ballon, des cahiers d'écriture, la géographie
en estampes, une paire de bottines; et au clou du miroir,
accroché par ses rubans, le petit chapeau de peluche! Félicité
poussait même ce genre de respect si loin, qu'elle conservait
une des redingotes de Monsieur. Toutes les vieilleries dont ne
voulait plus Mme Aubain, elle les prenait pour sa chambre.
C'est ainsi qu'il y avait des fleurs artificielles au bord de
la commode, et le portrait du comte d'Artois dans
l'enfoncement de la lucarne.

Au moyen d'une planchette, Loulou fut établi sur un corps de
cheminée qui avançait dans l'appartement. Chaque matin, en
s'éveillant, elle l'apercevait à la clarté de l'aube, et se
rappelait alors les jours disparus, et d'insignifiantes
actions jusqu'en leurs moindres détails, sans douleur, pleine
de tranquillité.

Ne communiquant avec personne, elle vivait dans une torpeur de
somnambule. Les processions de la Fête-Dieu la ranimaient.
Elle allait quêter chez les voisines des flambeaux et des
paillassons afin d'embellir le reposoir que l'on dressait dans
la rue.

A l'église, elle contemplait toujours le Saint Esprit, et
observa qu'il avait quelque chose du perroquet. Sa
ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image
d'Epinal, représentant le baptême de Notre-Seigneur. Avec ses
ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était vraiment le
portrait de Loulou.

L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte
d'Artois, -- de sorte que, du même coup d'oeil, elle les voyait
ensemble. Ils s'associèrent dans sa pensée, le perroquet se
trouvant sanctifié par ce rapport avec le Saint-Esprit, qui
devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Le Père, pour
s'énoncer, n'avait pu choisir une colombe, puisque ces bêtes-là
n'ont pas de voix, mais plutôt un des ancêtres de Loulou.
Et Félicité priait en regardant l'image, mais de temps à autre
se tournait un peu vers l'oiseau.

Elle eut envie de se mettre dans les demoiselles de la Vierge.
Mme Aubain l'en dissuada.

Un événement considérable surgit: le mariage de Paul.

Après avoir été d'abord clerc de notaire, puis dans le
commerce, dans la douane, dans les contributions, et même
avoir commencé des démarches pour les eaux et forêts, à
trente-six ans, tout à coup, par une inspiration du ciel, il
avait découvert sa voie: l'enregistrement! et y montrait de si
hautes facultés qu'un vérificateur lui avait offert sa fille,
en lui promettant sa protection.

Paul, devenu sérieux, l'amena chez sa mère.

Elle dénigra les usages de Pont-l'Evêque, fit la princesse,
blessa Félicité. Mme Aubain, à son départ, sentit un
allégement.

La semaine suivante, on apprit la mort de M. Bourais, en basse
Bretagne, dans une auberge. La rumeur d'un suicide se
confirma; des doutes s'élevèrent sur sa probité. Mme Aubain
étudia ses comptes, et ne tarda pas à connaître la kyrielle de
ses noirceurs: détournements d'arrérages, ventes de bois
dissimulées, fausses quittances, etc. De plus, il avait un
enfant naturel, et "des relations avec une personne de
Dozulé".

Ces turpitudes l'affligèrent beaucoup. Au mois de mars 1853,
elle fut prise d'une douleur dans la poitrine; sa langue
paraissait couverte de fumée, les sangsues ne calmèrent pas
l'oppression; et le neuvième soir elle expira, ayant juste
soixante-douze ans.

On la croyait moins vieille à cause de ses cheveux bruns, dont
les bandeaux entouraient sa figure blême, marquée de petite
vérole. Peu d'amis la regrettèrent, ses façons étant d'une
hauteur qui éloignait.

Félicité la pleura, comme on ne pleure pas les maîtres. Que
Madame mourût avant elle, cela troublait ses idées, lui
semblait contraire à l'ordre des choses, inadmissible et
monstrueux.

Dix jours après (le temps d'accourir de Besançon), les
héritiers survinrent. La bru fouilla les tiroirs, choisit des
meubles, vendit les autres, puis ils regagnèrent
l'enregistrement.

Le fauteuil de Madame, son guéridon, sa chaufferette, les huit
chaises, étaient partis! La place des gravures se dessinait en
carrés jaunes au milieu des cloisons. Ils avaient emporté les
deux couchettes, avec leurs matelas, et dans le placard on ne
voyait plus rien de toutes les affaires de Virginie. Félicité
remonta les étages, ivre de tristesse.

Le lendemain il y avait sur la porte une affiche;
l'apothicaire lui cria dans l'oreille que la maison était à
vendre.

Elle chancela, et fut obligée de s'asseoir.

Ce qui la désolait principalement, c'était d'abandonner sa
chambre, -- si commode pour le pauvre Loulou. En l'enveloppant
d'un regard d'angoisse, elle implorait le Saint-Esprit, et
contracta l'habitude idolâtre de dire ses oraisons agenouillée
devant le perroquet. Quelquefois, le soleil entrant par la
lucarne frappait son oeil de verre, et en faisait jaillir un
grand rayon lumineux qui la mettait en extase.

Elle avait une rente de trois cent quatre-vingts francs,
léguée par sa maîtresse. Le jardin lui fournissait des
légumes. Quant aux habits, elle possédait de quoi se vêtir
jusqu'à la fin de ses jours, et épargnait l'éclairage en se
couchant dès le crépuscule.

Elle ne sortait guère, afin d'éviter la boutique du
brocanteur, où s'étalaient quelques-uns des anciens meubles.
Depuis son étourdissement, elle traînait une jambe; et, ses
forces diminuant, la mère Simon, ruinée dans l'épicerie,
venait tous les matins fendre son bois et pomper de l'eau.

Ses yeux s'affaiblirent. Les persiennes n'ouvraient plus. Bien
des années se passèrent. Et la maison ne se louait pas, et ne
se vendait pas.

Dans la crainte qu'on ne la renvoyât, Félicité ne demandait
aucune réparation. Les lattes du toit pourrissaient; pendant
tout un hiver son traversin fut mouillé. Après Pâques, elle
cracha du sang.

Alors la mère Simon eut recours à un docteur. Félicité voulut
savoir ce qu'elle avait. Mais, trop sourde pour entendre, un
seul mot lui parvint: "Pneumonie." Il lui était connu, et elle
répliqua doucement:

-- Ah! comme Madame, trouvant naturel de suivre sa maîtresse.

Le moment des reposoirs approchait.

Le premier était toujours au bas de la côte, le second devant
la poste, le troisième vers le milieu de la rue. Il y eut des
rivalités à propos de celui-là; et les paroissiennes
choisirent finalement la cour de Mme Aubain.

Les oppressions et la fièvre augmentaient. Félicité se
chagrinait de ne rien faire pour le reposoir. Au moins, si
elle avait pu y mettre quelque chose! Alors elle songea au
perroquet. Ce n'était pas convenable, objectèrent les
voisines. Mais le curé accorda cette permission; elle en fut
tellement heureuse qu'elle le pria d'accepter, quand elle
serait morte, Loulou, sa seule richesse.

Du mardi au samedi, veille de la Fête-Dieu, elle toussa plus
fréquemment. Le soir son visage était grippé, ses lèvres se
collaient à ses gencives, des vomissements parurent; et le
lendemain, au petit jour, se sentant très bas, elle fit
appeler un prêtre.

Trois bonnes femmes l'entouraient pendant l'extrême-onction.
Puis elle déclara qu'elle avait besoin de parler à Fabu.

Il arriva en toilette des dimanches, mal à son aise dans cette
atmosphère lugubre.

-- Pardonnez-moi, dit-elle avec un effort pour étendre le bras,
je croyais que c'était vous qui l'aviez tué!

Que signifiaient des potins pareils? L'avoir soupçonné d'un
meurtre, un homme comme lui! et il s'indignait, allait faire
du tapage.

-- Elle n'a plus sa tête, vous voyez bien!

Félicité de temps à autre parlait à des ombres.

Les bonnes femmes s'éloignèrent. La Simonne déjeuna.

Un peu plus tard, elle prit Loulou, et, l'approchant de
Félicité:

-- Allons! dites-lui adieu!

Bien qu'il ne fût pas un cadavre, les vers le dévoraient; une
de ses ailes était cassée, l'étoupe lui sortait du ventre.
Mais, aveugle à présent, elle le baisa au front, et le gardait
contre sa joue. La Simonne le reprit, pour le mettre sur le
reposoir.




V


Les herbages envoyaient l'odeur de l'été; des mouches
bourdonnaient; le soleil faisait luire la rivière, chauffait
les ardoises. La mère Simon, revenue dans la chambre,
s'endormait doucement.

Des coups de cloche la réveillèrent; on sortait des vêpres. Le
délire de Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la
voyait, comme si elle l'eût suivie.

Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers
marchaient sur les trottoirs tandis qu'au milieu de la rue,
s'avançaient premièrement: le suisse armé de sa hallebarde, le
bedeau avec une grande croix, l'instituteur surveillant les
gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles; trois
des plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans
l'air des pétales de roses; le diacre, les bras écartés,
modérait la musique; et deux encenseurs se retournaient à
chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais
de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé,
dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière,
entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons; et l'on
arriva au bas de la côte.

Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité. La Simonne
l'épongeait avec un linge, en se disant qu'un jour il lui
faudrait passer par là.

Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort,
s'éloignait.

Une fusillade ébranla les carreaux. C'était les postillons
saluant l'ostensoir. Félicité roula ses prunelles, et elle
dit, le moins bas qu'elle put:

-- Est il bien? tourmentée du perroquet.

Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui
soulevait les côtes. Des bouillons d'écume venaient aux coins
de sa bouche, et tout son corps tremblait.

Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix
claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se
taisait par intervalles, et le battement des pas, que des
fleurs amortissaient, faisait le bruit d'un troupeau sur du
gazon.

Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise
pour atteindre à l'oeil-de-boeuf, et de cette manière dominait
le reposoir.

Des guirlandes vertes pendaient sur l'autel, orné d'un falbala
en point d'Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre
enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et,
tout le long, des flambeaux d'argent et des vases en
porcelaine, d'où s'élançaient des tournesols, des lis, des
pivoines, des digitales, des touffes d'hortensias. Ce monceau
de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier
étage jusqu'au tapis se prolongeant sur les pavés; et des
choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait
une couronne de violettes, des pendeloques en pierres
d'Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois
montraient leurs paysages. Loulou, caché sous des roses, ne
laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de
lapis.


Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les
trois côtés de la cour. Le prêtre gravit lentement les
marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d'or qui
rayonnait. Tous s'agenouillèrent. Il se fit un grand silence.
Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs
chaînettes.

Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle
avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique;
puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les
mouvements de son coeur se ralentirent un à un, plus vagues
chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un
écho disparaît; et, quand elle exhala son dernier souffle,
elle crut voir, dans les cieux entr'ouverts, un perroquet
gigantesque, planant au-dessus de sa tête.




Erreurs typographiques:

=buttaient= remplacé par =butaient=









End of the Project Gutenberg EBook of Un coeur simple, by Gustave Flaubert

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https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


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Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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