Une nuit

By Georges Bernanos

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Title: Une nuit


Author: Georges Bernanos

Release date: January 30, 2024 [eBook #72836]

Language: French

Original publication: Paris: à la cité des livres, 1928

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK UNE NUIT ***





  GEORGES BERNANOS

  UNE NUIT


  SE TROUVE
  A LA CITÉ DES LIVRES
  27, RUE SAINT-SULPICE, 27
  PARIS

  MCMXXVIII




CE LIVRE, ACHEVÉ D’IMPRIMER LE CINQ OCTOBRE 1928 SVR LES PRESSES DV
MAITRE IMPRIMEVR R. COVLOVMA, A ARGENTEVIL, H. BARTHÉLEMY DIRECTEVR, A
ÉTÉ TIRÉ A 1090 EXEMPLAIRES: 15 EXEMPLAIRES NVMÉROTÉS DE 1 A 15, SVR
JAPON IMPÉRIAL; 50 EXEMPLAIRES NVMÉROTÉS DE 16 A 65, SVR GRAND PAPIER DE
HOLLANDE; 1000 EXEMPLAIRES NVMÉROTÉS DE 66 A 1065, SVR VERGÉ D’ARCHES;
ET 25 EXEMPLAIRES NVMÉROTÉS DE I A XXV, HORS COMMERCE SVR PAPIERS
DIVERS.

EXEMPLAIRE Nº




UNE NUIT

        Patientia pauperum non peribit in æternum.


D’un coup de sa longue cravache de cuir, il frappa furieusement,
follement, la douce bête cabrée, toute blanche d’écume. Elle se dressa
plus encore, secouant à droite et à gauche sa sotte petite tête
obstinée, avec un gémissement presque humain. Les rênes filèrent entre
les doigts, puis claquèrent d’un seul coup sec, les quatre fers
grincèrent à la fois, le taillis grêle s’ouvrit et se referma sur la
croupe... Et il regardait stupidement sa main sanglante, l’oreille
encore occupée du bruissement sauvage des feuilles, tandis qu’une pluie
de grosses fleurs blanches tombait sur son cou et ses épaules, lourdes
comme des fruits.

Le tonnerre du galop roula quelques instants encore à travers l’immense
désert d’arbres, puis se confondit par degrés avec la respiration plus
vaste du soir. De l’est à l’ouest, toutes les cimes frémirent à la fois,
et sans qu’un seul brin d’herbe remuât sur le sol exténué, il entendait
peiner et craquer les puissantes membrures, à cinquante pieds au-dessus
de sa tête.

--Zut! dit-il simplement, avec un calme qui le surprit. Pas la peine de
chercher la sale bête ce soir. Quelle sottise!

Il ramassa par terre une des fleurs étranges et machinalement épongea sa
paume et ses doigts poissés de sang. Le pétale, mou comme une pulpe,
s’écrasait à mesure sur la plaie gonflée, avec une odeur de poivre et de
cannelle, et sitôt touché le sol, ainsi qu’un petit tas de boue grise,
il semblait qu’elle commençât d’y pourrir. Il cracha dessus, par dégoût.

D’ailleurs, la rumeur d’en haut s’enflait peu à peu, déferlant d’un
horizon à l’autre, sur des centaines de lieues de feuillage peut-être;
puis le vent faiblit tout à coup, après une dernière et plus longue
plainte, aiguë, déchirante, surnaturelle, et pourtant si vivante qu’une
bête inconnue y répondit, au loin, d’un cri pareil. De l’humus noir et
vénéneux, gonflé de toutes les fécondités de la corruption, crevé çà et
là, ainsi qu’une pâte qui fermente, de grosses bulles livides, d’énormes
champignons phalliques, sortait une espèce de buée pesante, à hauteur
d’homme. Tournant la tête, il vit noircir la pente du ravin qu’il avait
eu tant de mal à descendre, et l’ombre courir entre les troncs à la
vitesse d’un cheval au galop. Il ne semblait pas que la nuit tombât du
ciel, mais plutôt que le jour remontât lentement, glissât lentement, de
bas en haut, comme pompé par cet autre abîme qu’on devinait sans voir,
au delà du vaste murmure des feuilles. Le crépuscule insidieux
s’évanouit lui-même comme il était venu, au point que le voyageur
solitaire ne perçut d’abord des ténèbres qu’une odeur plus violente et
plus âcre, parfois doucement miellée, de la forêt endormie. La chaleur
était égale, assidue, atroce, irrésistible. Il éclata d’un rire nerveux,
qu’il soutint longtemps, ainsi qu’une injure au silence et à sa propre
angoisse. Et se laissant enfin glisser à terre, il tâcha de se
recueillir, en fermant les yeux.

                   *       *       *       *       *

Le talus sur lequel il appuyait ses épaules cédait sous lui, par petites
secousses insensibles. Du sol éboulé dont il entendait l’imperceptible
glissement souterrain, jaillit d’abord une patte écailleuse, grise de
poussière, de la grosseur d’un demi-doigt, tâtant prudemment l’air, d’un
moignon circonspect. Puis l’insecte fabuleux parut, couleur de cendre,
dressé sur deux cuisses velues, offrant son ventre bombé et luisant,
avec une solennelle lenteur. Après lui un autre, et un autre, et un
autre encore, à la file, traçant le même sillon, leurs hideuses petites
têtes hérissées d’antennes s’agitant gravement toutes ensemble au rythme
de leur marche oblique. Furieux, il en écrasa un au hasard, de sa
semelle ferrée. Ils disparurent aussitôt, comme bus par la terre
grouillante, sous son hypocrite manteau de feuilles mortes.

--Sacrée, sacrée forêt de malheur! dit-il, en se mettant debout.

                   *       *       *       *       *

Son jeune visage trop tendu marquait une fatigue extrême, et aussi une
curiosité presque sensuelle que six mois d’une vie d’aventure n’avait
pas encore assouvie. Bien plus: presque à son insu, la surprise
émerveillée des premiers jours, aussi libre et fraîche qu’un rêve
enfantin, lorsqu’il s’enorgueillissait naïvement dans son cœur d’être
allé d’un coup si loin au delà du pays natal, de l’autre côté de la
terre, faisait place à un autre sentiment plus fort, dont nulle
déception, nul dégoût, n’épuiserait désormais l’essence secrète,
empoisonnée. Ce Français de vingt-cinq ans, trop tôt riche et orphelin,
qui sur la foi des manuels de colonisation ou des renseignements
techniques fournis par les consulats, une lettre de crédit dans sa
poche, était venu d’un trait des bords de la Seine à ceux du Guadamarra
pour d’illusoires exploitations forestières, avait vécu longtemps d’un
petit nombre de mots et d’images, choisis avec soin, faits à sa mesure,
grâce auxquels il avait franchi sans péril--c’est-à-dire sans rien
hasarder d’indispensable--le dangereux passage de l’enfance à
l’adolescence. Et maintenant, cette provision épuisée, dissipée en
quelques semaines, sous ce ciel terrible, le jeune avare non moins net
et froid que ses yeux pâles, né pour faire une carrière et non pas une
vie, d’ailleurs impuissant à reformer d’autres images protectrices,
subissait désarmé l’assaut de la nature barbare, toujours hostile, faite
pour l’ivresse ou l’ennui. L’embrasement du ciel, la vaste fécondité de
la terre, le torrent de vie trouble qui charriait vers le Pacifique,
dans le même flot bourbeux, la naissance et la mort lugubrement
conjointes, l’avaient d’abord rassasié jusqu’à l’écœurement. Mais il
commençait de s’y dissoudre.

                   *       *       *       *       *

Pour le moment, il cherchait des yeux les bêtes disparues comme par
miracle, la pointe de la botte tâtant l’ombre, sa bouche pincée d’une
moue puérile. Au ras du sol, se glissait encore une espèce de jour sale
et flétri, qui rôderait çà et là, il le savait, d’une clairière à
l’autre, jusqu’à la pointe de l’aube, jusqu’au rajeunissement du matin.
Le sillon creusé par les fortes pattes brunes était toujours visible,
brusquement interrompu, à la place même où la troupe ténébreuse avait
disparu par enchantement. Il s’était jeté à plat ventre, les coudes
repliés, le visage si près de la terre qu’il croyait en sentir la
profonde haleine, courte et brûlante, ainsi que d’une bête en amour. Le
sang battait sous son front, ses yeux distinguaient à peine le mince
filet de terreau brun, qu’il faisait couler entre ses doigts, et il
s’entêtait absurdement dans sa recherche, avec une hâte et une
maladresse fébriles, grognant d’impatience, comme si déjà l’avait mis
hors de lui cette caresse sauvage sur sa face. Enfin, tirant son
couteau, à grands coups furieux, il frappa le petit tertre, dont la
couche de boue durcie s’effondra aussitôt, dans un nuage de poussière, à
l’odeur intolérable. Une masse grisâtre, agitée d’un mouvement
frénétique, d’un ondulement de pattes et d’antennes, disparut, laissant
à découvert une forme vague, une lueur étrangement douce, où l’homme
porta la main qu’il retira presque aussitôt, avec un gémissement de
dégoût. Une poignée d’épais cheveux noirs restait prise entre son pouce
et sa paume. Il reconnut qu’il avait touché un cadavre.

                   *       *       *       *       *

Cette trouvaille le surprit un peu sans beaucoup l’émouvoir, car il
n’est pas rare de rencontrer en plein bois la tombe d’un de ces
pionniers que les grandes compagnies emploient pour la récolte du maté.
De l’extrémité de sa botte, il écartait doucement les brindilles et les
feuilles, dégageait l’humble tête bizarrement pelée et ridée, à peine
entamée par les tenailles et les mandibules des petits fossoyeurs, sans
doute à cause de l’enduit d’argile rouge que les ensevelisseuses
indigènes modèlent de leurs mains de singe sur la face des morts.
Évidemment celui-ci était un homme blanc, à en juger du moins par la
couleur et le grain plus tendre de la peau, encore visible au sillon des
fortes mâchoires, là où s’attache le muscle délicat de l’oreille. Mais
comment se trouvait-il ici, sans un peu de terre, sans un nom, sans une
croix?... Un crime peut-être?

Il en était là de ses réflexions, lorsqu’il crut entendre le frôlement
d’un corps à travers le taillis, deux bonds amples et légers, un grand
soupir. Puis tout se tut de nouveau.

Son premier mouvement fut de se jeter à plat ventre derrière la tombe.
Il n’eut que le temps de tourner autour du tronc d’un chêne. Une forme
humaine, une ombre menue venait d’apparaître à la lisière des
broussailles, à peine plus grise que le fond sombre des feuillages. Un
moment elle resta immobile, dans la suspension de l’attente. Puis elle
glissa sans bruit vers le bord de la fosse, s’accroupit..., se releva
d’un bond, surgit tout à coup immense, doublée par son ombre, avec un
sifflement de terreur. Il l’avait saisie comme au vol, entourée de ses
deux bras, et déjà il roulait à terre, une morsure à sa main blessée,
pressant plus fort contre sa poitrine le corps souple et nu, à chaque
détente des reins sauvages. Deux fois la douleur faillit lui faire
lâcher prise, et il sentait couler le sang et la sueur sur son visage
labouré par dix petits doigts, aussi durs que la corne. Enfin, perdant
patience, il le frappa cruellement de son poing fermé, à la jointure des
côtes, un peu au-dessous des seins puérils. Elle reçut le coup en
silence, cessa de combattre, et dit doucement:

--Laisse-moi aller. Lâche-moi. Qu’ai-je fait de mal?

Autant qu’il en put juger dans l’ombre, c’était une fille guarani, et
elle parlait le plus vieil idiome, avec l’accent des tribus libres de
l’Ouest. Il noua autour des minces poignets, par prudence, la longue
lanière de son fouet. Puis, choisissant péniblement ses mots, car il ne
savait du dialecte millénaire que ce qu’il est convenu d’en apprendre
dans la grammaire du jésuite Lallemonde:

--Le mort, fit-il. Le mort ici... Qu’est-ce que c’est? Hein?

Elle le fixa un moment de son regard calme, sans prêter la moindre
attention à ses liens.--Couvre-moi, dit-elle, cette fois en espagnol.
J’ai honte.

Elle montrait des yeux l’étoffe de coton, souillée de terre, à ses
pieds. Il la lui jeta sur la tête, et les bras toujours tendus,
immobile, par un simple mouvement des épaules et des hanches, elle entra
dedans, avec une souplesse barbare.

Il se tenait si près, qu’il sentait sur sa joue le souffle de la bouche
barbouillée de cannelle, dont on voyait l’écorce aller et venir à la
pointe de ses petites dents. La tombe ouverte était entre eux. La tête
corrompue luisait toujours, au fond du trou béant. Elle posa dessus son
pied nu.

--Mon maître, dit-elle (il n’y a qu’un mot dans sa langue, pour désigner
le maître ou l’amant).

--Pourquoi l’as-tu déterré? reprit-elle en espagnol. Les bêtes le
prendront. C’est moi qui l’ai mis là. Il n’y a pas beaucoup de terre
dessus. Je suis trop petite. Tu ris. Je ne mens pas... Une mule l’a
porté jusqu’ici (elle frappait du talon avec colère), mais c’est moi qui
ai creusé sa fosse, une vraie tombe, la tombe des hommes de mon pays.
Sur sa poitrine, tu verras, j’ai mis un bison d’argile. Oh! c’était un
homme beau et fort! Délie-moi les mains. Je poserai une grosse pierre
sur sa pauvre tête, et tu pourras tasser la terre autour, avec tes
bottes.

--Tiens-toi tranquille, vilain singe! fit-il durement. Je ferai bien
l’affaire sans toi. Et puis je saurai si tu m’as dit la vérité. A qui
es-tu maintenant?

--Au seigneur Alahowigh, répondit-elle. Je te conduirai quand tu
voudras: sa cabane est à un demi-mille, là-bas... Au jour, tu la verrais
rien qu’en grimpant jusqu’à la première branche de ce pin. Ah! tu peux
te fier à moi! Je ne mens jamais...

--Et qu’est-ce qu’il fait, ton seigneur Alahowigh?

--Il est venu d’Ascagna, de très loin, à la dernière saison, avec cet
homme mort, pour récolter le maté. A présent, il ne fait rien: il va
mourir aussi.

--Quelle histoire! dit-il. Avant de te délier, je vais toujours mettre
un peu d’ordre ici. Sois sage. Si tu bouges, je te tordrai le cou.
Regarde: tu m’as mordu jusqu’à l’os.

Il tendit vers elle sa main déchirée, sans qu’elle daignât lever les
yeux. Alors, il lui mit sous le nez la plaie fraîche, et comme elle
rejetait la tête en arrière, il appuya sa paume, brutalement, sur sa
bouche frémissante. En un éclair, il vit tout le maigre petit visage se
creuser d’angoisse, et elle fit en même temps pour échapper, un saut si
brusque, qu’elle roula deux fois sur elle-même, avec une plainte
étouffée. Elle se releva aussitôt.

--Je vais t’attacher plus solidement, dit-il. La précaution sera bonne.

Il passa l’autre extrémité du fouet dans sa ceinture, et en hâte, fit
retomber la terre dans la tombe. Puis ils se mirent en route tous les
deux. Elle le précédait d’un pas tranquille.

                   *       *       *       *       *

La lune était déjà haut dans le ciel lorsqu’ils atteignirent la cabane.
C’était une maison de bois solidement construite, au centre d’un
défrichement sans doute abandonné depuis des années, bien qu’on y
rencontrât encore çà et là, entre les jeunes arbres forts et drus, les
vieux troncs noirs brûlés par la flamme, ou des souches pourrissantes.
Sur le seuil, à côté d’une grande jarre vide, hors d’usage, énorme dans
la lumière blonde, une roue de bicyclette, rongée de rouille. La patte
traversée d’un clou de fer, et balancé par la faible brise nocturne, un
chat sauvage pendait au-dessus de la porte, à demi dépouillé de sa peau.

Elle s’écarta pour le laisser passer, le suivit docilement, de son pas
toujours muet... Mais si promptement qu’elle eût porté ses deux poings
liés à la bouche, il vit l’éclair de l’acier, et tira violemment à lui
la laisse de cuir. La fille tomba sur les genoux. Le couteau rebondit et
sonna deux fois contre la pierre. Il pensa qu’elle l’avait sans doute
adroitement happé des dents sur la table, en entrant.

--Holà! dit une voix dans la nuit. Qui va là? Est-ce toi, Mendoze?

--Je vous demande pardon, fit-il poliment. J’arrive en ami, monsieur.
J’ai trouvé par hasard une jolie bête d’une espèce très particulière. Je
pense que vous ne serez peut-être pas fâché de savoir ce qu’elle
faisait, si loin de son maître, en pleine brousse, le soleil couché, sur
la tombe d’un camarade. Êtes-vous réellement souffrant, monsieur?

Nulle réponse. Seule, l’ombre démesurée du chat sauvage allait et venait
sur le seuil. La prisonnière, toujours à genoux, ne bougeait pas plus
qu’une pierre. Mais, bien qu’elle retînt sûrement son souffle, le
sifflement léger de la petite poitrine haletante devint perceptible dans
le silence.

--Bisbillitta! s’écria soudain l’inconnu, d’un accent extraordinaire.

Il essaya sans doute de se mettre debout, car on l’entendit un moment
geindre et jurer.

--Monsieur..., camarade..., n’importe! reprit-il d’une voix épuisée.
Fermez la porte derrière vous. Fermez la porte. Elle vous échappera,
camarade! Bonté de Dieu! Elle est rusée comme une couleuvre.

--Comptez sur moi, répondit l’autre voix dans la nuit. Inutile de vous
tourmenter. J’ai trop bonne envie de savoir le dernier mot de cette
histoire, monsieur. Pauvre fille! La voilà tenue en laisse, pour le
moment... Mais je n’y vois pas plus que dans un four.

--Allume, Bisbillitta, commanda le malade très doucement. La lanterne
est toujours pendue au même clou, je pense. J’aurais préféré crever en
paix. Mais il faut à présent que je revoie tes yeux, femme.

Elle se releva silencieusement, et les bras tendus vers son gardien:

--Ferme la porte, dit-elle, et encore, si tu veux, entrave-moi les
jambes. Délie-moi seulement les poignets, ils me font mal.

Puis elle battit le briquet, suspendit la lanterne au clou d’une solive.

--Le diable vous brûle, si vous en croyez un mot! cria le mourant. Vous
auriez dû la tirer par ici, tout près, camarade, à portée de mes deux
mains pourries, là-contre, et plus près encore, le plus près possible,
car je n’y vois guère,--j’ai le feu de Dieu dans la tête--je la vois à
peine, camarade, mais j’entends tout, absolument tout, j’entends chaque
petit battement de son cœur.

La lumière éclairait à demi le buste nu, encore robuste, ruisselant de
sueur, tandis qu’il se retournait gémissant sur le tas de chiffons
bariolés qui lui servait de lit. De ses doigts écartés, il tâtait
l’ombre en aveugle, mais l’Indienne se glissant adroitement au long du
mur, gagna l’autre coin de la pièce de son pas silencieux et s’y tint
debout, impassible, mouillant de la pointe de la langue ses poignets
meurtris.

Peut-être alors le jeune Français eût-il cédé la place aux deux
singuliers adversaires, si une certaine pitié ne l’avait emporté à ce
moment sur le dégoût. Il aperçut, en effet, le ventre et la poitrine du
malheureux marqués de larges taches d’un rouge sombre. Et il pouvait
voir aussi le visage défiguré par une horrible enflure, telle que d’un
homme piqué par l’ammonic au triple dard.

--Je désirerais vous être utile à quelque chose, dit-il. Je m’appelle
Carlos Darnetal. Je viens de Rasami. Je croyais pousser ce soir jusqu’au
delà de Rio del Tinto, à l’Hacienda de Camaron. Ma jument a pris peur et
s’est échappée (elle ne s’écarte jamais beaucoup, mais je ne la
retrouverai qu’au jour). J’ai découvert par hasard, à deux milles d’ici
environ, une tombe fraîche et cette Birletta ou Birbilletta--qu’importe
le nom!--qui venait rôder autour du mort, Dieu sait pourquoi! et m’a
paru diablement louche. D’ailleurs, je vous l’aurais ramenée avec plus
d’égard, mais elle est aussi difficile à tenir qu’une belette. Et
maintenant, disposez de moi. Je ne croyais pas qu’à trente lieues
d’Assencion, on pût risquer de mourir sans aide et sans témoin, comme en
plein désert de l’Ouest.

--Écoutez-le, écoutez-le, interrompit le moribond à voix basse, écoutez
bien! Vous l’entendrez remuer et gratter... on dirait le nid d’une
musaraigne.

--Quoi donc?

--Son cœur. Vois-tu, elle fait la fière et la rusée, je suis plus rusé
encore. Elle tremble. Elle tremble jusqu’au fond de son misérable petit
cœur de traître. Sûrement, elle va mourir aussi.

Dans sa surprise, le Français interrogea la fille des yeux, mais elle
soutint son regard avec insolence.

--Ami, dit-il, laissez cette Bisbillitta tranquille. Tâchez de
raisonner, vous êtes un homme... Demain matin, j’irai chercher du
secours à Camaron, ou même à Noroni... En attendant, je ne dois pas vous
laisser seul avec l’Indienne, si je comprends bien votre désir. Et il ne
faudrait pas non plus qu’elle restât liée toute la nuit, car est-elle
coupable ou non? Dieu le sait! Avec votre permission je fermerai
solidement la porte, et passerai la nuit sur votre seuil, dans mon
manteau. Vous m’appellerez, rien qu’en frappant du poing au mur.
Avez-vous été piqué par une mouche charbonneuse, camarade?

L’homme le regarda sans répondre. Le Français posa la main sur l’épaule,
avec prudence, à une place encore saine, et sentit le froid de l’agonie
à travers le cuir léger de son gant.

--Donne-moi à boire, Bisbillitta, dit enfin le mourant. J’ai souillé la
cruche, comme un enfant, dans mon délire. Vide-la sur les cendres, et
remplis-la de bonne eau-de-vie. Je mâche une écume diablement amère, ma
jolie.

Elle obéit de nouveau docilement. Mais la cruche pleine, elle l’offrit à
Carlos, et sans daigner baisser la voix:

--Fais-le boire toi-même, seigneur, fit-elle. Il est encore plein de
vie, bien que ses longues jambes ne le porteront plus nulle part: le
poison a mangé ses reins. Toute sa vie est à présent dans sa tête, et je
ne puis m’en approcher. Qu’il me morde, et je suis morte.

--Elle a dit le poison... elle l’a dit... j’entends tout... geignit le
malade. Oh! petite chienne! Camarade, je m’appelle Alahowigh, qui est un
nom de païen. Je m’appelle aussi Lelandais, du nom de feu mon père. Et
pour l’homme que tu as vu là-bas dans la terre, il s’appelait Picard. Et
voilà que celle-ci nous a empoisonnés tous les deux.

--N’en crois rien, seigneur, fit-elle en souriant. Ils ont fait cuire de
mauvais champignons et les ont mangés, c’est la vérité.

Le Français vérifia d’un regard la fermeture de la porte, dont il avait
abaissé l’énorme loquet de chêne que Bisbillitta n’eût soulevé qu’à
grand’peine; puis il prit sur la table une sorte de timbale de fer,
l’emplit, et la tendit au malheureux qui s’en saisit en grognant de
plaisir. Alors seulement il revint vers la fille. Elle jouait
tranquillement avec une patate douce, tombée à terre, du bout de son
orteil nu.

--Ne mens pas, dit-il. L’autre est mort depuis longtemps, dix jours
peut-être? Je l’ai vu, je le sais. Ils n’ont pas mangé les mêmes
champignons, c’est sûr. Réponds-moi franchement. Je te croirai, car ce
seigneur est ivre sans doute, ou son mal le fait délirer. Veux-tu
répondre?

Elle se balançait sur les hanches, la tête penchée sur l’épaule droite,
et son profond regard suivait imperceptiblement chaque mouvement de son
corps ingénu. Tout à coup, sa voix jaillit dans le silence.

--Demande-lui d’abord ce qu’il a fait de l’homme blanc, son compagnon.
Pour lui, je te dirai, c’est un métis. Sa mère était une femme de ma
tribu, une mendiante, une esclave, rien. Quel chien aurait seulement
léché sa main noire?

Elle se tut et gémit, car le gobelet de fer, lancé à toute volée, venait
de l’atteindre au-dessus des sourcils.

--Ne l’écoutez pas, monsieur! Ai-je l’air d’un sauvage? Faites-la taire,
camarade. J’aime mieux mille poisons sous ma peau que ce filet de voix
douce dans ma tête... Bisbillitta!

Il s’était traîné hors de son grabat, et gisait maintenant au milieu de
la pièce, parmi les chiffons éparpillés, roulant terriblement les
épaules, et tâchant de tirer après lui ses cuisses mortes, en pleurant.

--Camarade, son père, à elle, était un voleur guarani, un pillard, un
chef d’assassins aux longues oreilles. Dieu nous punisse pour avoir
amené avec nous l’orpheline, en croupe, à travers tout le Chako! Je vais
encore te dire: elle fait la sauvage ainsi, mais elle a été instruite,
elle qui te parle, oui. Elle sait lire et compter, je le jure! Elle a
été un an chez les Pères de la Merci, camarade!

--Malheur sur toi! répliquait la fille, livide. Tu ravaleras en mourant
toute cette écume. Seigneur, il a voulu de moi, telle est la vérité. Je
le méprise, bien que je sois sa servante. Il était jaloux de l’homme
blanc. Ils se sont enivrés ensemble, puis il l’a tué. Et moi, à présent,
je le fais mourir. Le poison l’a déjà tout consumé: aucun dieu ne le
sauverait.

--Tu avoues donc, sacrée petite vermine! cria le Français exaspéré.
Cette fois, je m’en vais te ficeler comme un jambon.

Elle fit aussitôt un bond immense, mais Darnetal s’était déjà rué vers
la porte. Une longue minute ils restèrent immobiles, face à face, d’une
extrémité à l’autre de la vaste pièce vide, respirant avidement, mêlée
aux vapeurs de l’alcool, l’haleine terrible de la nuit. Alors, le
Français saisit son fouet par un bout et brandissant la lourde poignée
de cuivre, la fit tourner comme une fronde.

--Attention! Prends garde! geignait le moribond d’une voix suppliante,
ne lui fais pas de mal! Ne brise pas sa tête chérie! Doucement!
Doucement! Rends-toi, Bisbillitta, il n’y a pas de honte, il est fort.
Rends-toi, ma fille. Aie pitié, camarade! ce n’est pas une femme comme
les autres. Une seule goutte de sa chère salive sucrée me rendrait la
vie, et elle était entre nous deux jadis comme une branche de pommier
fleuri.

Il avait refermé sur la botte du Français, en gémissant, sa large main
de coureur des bois. L’Indienne coula son regard vers la terre, vit tout
en un clin d’œil, s’enleva comme un oiseau, et vint se poser si près de
son ennemi qu’il fit pour l’atteindre un pas rapide. La boule de cuivre
lui échappa en sifflant, et alla sonner sur les poutres, tandis qu’il
s’écroulait au sol, la face écrasée contre l’argile. Tout se passa dans
un éclair. Il reçut le petit corps, lancé à toute vitesse au travers des
reins. De ses deux cuisses, elle pressait étroitement la jambe libre, et
glissant son bras nu autour du cou, elle posa l’autre main sur la nuque,
en se roidissant. L’air manqua aux poumons du Français, et il sentait
craquer ses vertèbres.

--Donne ton couteau, disait-elle tout bas en guarani. Je le veux. Donne!
Donne!

L’attaque avait été trop précise et trop prompte, calculée avec tant
d’art, pour qu’il pût lui opposer sans péril une résistance brutale. Au
contraire, il mollit ses muscles, s’abandonna, roula doucement sur
lui-même, jusqu’à ce qu’il eût dégagé sa hanche droite. D’ailleurs, la
frénésie de la lutte, l’étreinte silencieuse du corps bondissant, et
aussi l’odeur de l’alcool l’avaient comme enivré. Presque à son insu, sa
propre main se serra autour de la poignée de l’arme avec une violence
inouïe. Et il frappa de bas en haut, si fort qu’il ne sentit aucune
résistance, et crut d’abord avoir manqué son coup.

Elle s’était relevée en même temps. Le regard qu’elle lui donna avait
une espèce de sérénité triste, une majesté barbare, et quelque chose
encore, qui ressemblait à une incompréhensible tendresse. C’était la
nuit, la nuit même, l’immense nuit de la terre sauvage, son appel
impérieux, sa soumission désespérée, la chaleur femelle de ses flancs
d’ombre. Tel quel, il n’osait affronter ce regard, sans pouvoir
néanmoins baisser le sien. Et, comme dans la lutte la lanterne s’était
détachée de la poutre et brûlait à terre, il la ramassa sans mot dire,
honteusement.

La fille était toujours devant lui, immobile, mais la tête à présent
penchée vers le sol. Elle eut un mouvement des épaules d’une lassitude
et d’une dignité incomparables, et s’éloigna lentement, d’un pas un peu
inégal, les deux mains croisées sur son ventre, jusqu’au coin le plus
ténébreux, où elle s’assit, ramenant sur ses genoux sa pauvre robe de
coton, en silence.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

--Monsieur... Hé! monsieur, disait l’homme étendu (ce vague murmure
s’élevait à peine au-dessus du sol) monsieur... fais-lui rendre le
couteau, camarade. Méfie-toi. Elle l’a pris à ma ceinture, la rusée.

--Fichez-moi la paix, vous! cria Darnetal, furieux. Vous avez failli me
faire tuer, imbécile! Encore un mot, et je flanque le feu à votre
baraque. Il y a de quoi devenir fou, ma parole! Que m’importe son
couteau! Je l’ai arraché de ses mains tout à l’heure. Il faut qu’elle
l’ait escamoté de nouveau, satanée petite sorcière.

Il éleva la voix sur cette dernière injure, par défi, et aussi dans
l’espoir qu’elle allait répondre, tenir tête, qu’il entendrait de
nouveau sa voix bien vivante. Car déjà, au fond de lui-même, il ne
doutait plus de l’avoir sérieusement blessée.

--Une sorcière, vous l’avez dit, monsieur. Toute baptisée qu’elle est,
je la crois plus noire que l’enfer. Ahi! Ahi!... Ho!... vous ne
connaissez pas le pays au delà de Gourmian? Non?... Des diables, de
vilains sauvages. Les hommes blancs, les vrais hommes blancs comme nous,
monsieur, à vivre là-bas, est-ce qu’ils ne gâtent pas leur sang, ne
croyez-vous pas, camarade?

Mais le Français ne se sentait plus d’humeur à poursuivre une aventure
incompréhensible, et d’ailleurs, il craignait d’être dupe.

--Assez de discours! J’ai agi comme un nigaud en me mêlant de ce qui ne
me regardait pas. Bien malin celui qui saurait, d’elle ou de vous, qui
est le menteur, car peut-être étiez-vous d’accord pour me tuer et me
voler, hein?... Oui! Oui! Et qui donc a tenu ma botte quand je sautai
sur la petite gueuse, tout à l’heure? Dès demain je vous flanque la
police d’Assencion au derrière: on saura si vous tombez ou non de la
lune. Car je donnerais ma tête à couper que la bicoque n’est pas à vous.
Néanmoins, il se peut que vous soyez sérieusement malade, et je ne suis
pas un type à laisser par terre, sur le dos, comme une tortue, un homme
qui va mourir. Si vous en êtes capable, liez-moi les mains autour du
cou: je vais tâcher de vous porter jusqu’à votre lit.

Mais il ne put retenir une grimace de compassion lorsque le moribond
tendit ses bras, avec la docilité d’un enfant. Le regard aveugle
exprimait la résignation, la honte, une soumission presque abjecte.
Maintenant toujours l’homme pressé contre sa poitrine, il rassembla du
pied les chiffons, en fit un tas, et le coucha dessus. Puis il se mit à
marcher de long en large pour calmer ses nerfs et rêver à la décision
qu’il allait prendre.

Si absorbé qu’il fût, ou peut-être en raison même de son exaltation, il
entendait nettement chacun des bruits légers qui troublaient un à un le
silence. Au bout d’un instant, il crut s’apercevoir que le râle du
malade à peine distinct, mais lent et régulier, s’interrompait dès qu’il
avait tourné le dos, pour reprendre sitôt qu’il marchait de nouveau vers
le grabat. Il s’arrêta, prêta l’oreille. L’inconnu appelait en effet, à
voix très basse, humblement, comme s’il désirait et redoutait à la fois
d’être entendu:

--Camarade... s’il vous plaît... hé! camarade?

Le Français s’approcha brusquement et dit:

--Que me voulez-vous?

--La fille... L’avez-vous tuée? Elle ne fait pas plus de bruit qu’une
mouche.

--Laisse la fille tranquille! Elle est là-bas dans son coin, sage comme
une image. Je m’occuperai d’elle tout à l’heure. Et que te fait à
présent une fille ou dix filles, puisque tu seras mort demain?

--Oh! fit l’homme, elle s’étonne de me voir encore en vie, voilà tout.
Elle connaît son poison. L’autre nuit, je vais te dire, je l’ai entendue
s’asseoir tout près de moi une heure, deux heures, qui sait? Je n’ai pas
ouvert les yeux ni bougé un poil de moustache. Quand elle se penchait
pour mieux voir, je sentais son souffle sur ma joue. J’étais encore
vigoureux, j’aurais pu... Mais alors le sang blanc a parlé, camarade...
tu ne crois pas? mon vrai sang, je le jure! Ainsi je l’ai épargnée. Un
Espagnol, tu penses, un de ces singes au poil noir, dis-moi, ne
l’aurait-il pas étranglée? Car il est sûr qu’elle m’a fait mourir, je le
sais... Excuse-moi encore, camarade: tu n’as ni le teint, ni l’accent
des hommes de ce pays: il faut que tu sois Russe ou Allemand?

--L’alcool te travaille, fit sèchement Darnetal. Tu ferais mieux de
dormir. Qui sait? Le médecin viendra peut-être, et te sauvera.

--Ahi! Ahi! celle-ci en sait plus long que le médecin, sois sûr. Il n’y
a pas de salut pour moi. Que m’importe? Je l’ai voulu. La police montée
d’Assencion mettra-t-elle le nez dans mes affaires? Je n’ai de compte à
rendre à personne, sinon peut-être à ce mort, que tu as vu dans la
terre. Et pour l’alcool, sache qu’il m’empêche de souffrir: voilà mon
ventre gros déjà comme une outre, et je n’ai encore presque rien
senti... Un dernier mot encore, camarade. Tu parles espagnol avec un
certain accent... Es-tu Français?

--Je suis Français, en effet, fit Darnetal. Et il ajouta par moquerie,
cruellement: Et toi?

--Nous sommes donc du même sang, dit l’homme tout à coup dans son
prétentieux jargon, mais aussi d’une voix si lente, si profonde, que le
rire du jeune homme sécha littéralement sur ses lèvres.

«Mon père était un seigneur français, vieux et sage. Il avait combattu
et tué jadis, à ce que je sais, un de ces soldats qui portent de l’or
dans une sacoche, et il a été condamné par les juges de ce pays, car il
y était craint et redouté. Puis il s’est échappé sur un radeau, à
travers un fleuve immense, là-bas, à des centaines et des centaines de
milles vers le nord. Et il est venu vivre en homme libre, au delà du Rio
Colorado, loin de ses ennemis, hors de leur portée... Pour moi, je
l’accompagnais sans cesse, je ne l’ai quitté non plus que son ombre, et
il m’a fait tel que je suis. Depuis ma jeunesse jusqu’à ces derniers
mois, le croirais-tu? je n’ai connu d’autre homme véritablement blanc,
sinon celui-là dont tu as ouvert la tombe--et il n’était pas des nôtres,
je le jure! (Qu’importe un chien de plus ou de moins?) Sans doute, je ne
sais ni lire, ni écrire, bien que je puisse compter sans me tromper, à
la manière des sauvages, et cependant je n’ignore pas que notre peuple
est un grand peuple, supérieur à tous les autres, qui a vaincu les
Anglais et coupé la tête même à son roi Napolion. Quelle ville peut être
comparée à Parisse, je te demande, et mon père était né dans une autre
belle cité qui se nomme San Tropez. Je sais encore que nos femmes sont
les plus belles du monde, redoutées même de la police, indomptables, et
pourtant généreuses et magnifiques envers leurs amants. Voilà longtemps
que je remue ces idées dans ma tête, car le poison m’est sorti sous la
peau il y a un jour et une nuit, et alors j’ai connu que la chasse était
finie... Donne-moi à boire, laisse-moi boire tout mon saoul, hardiment!
Heureux sois-tu dans ta jeunesse, pour être venu de si loin vers moi, à
une telle heure! Il convient désormais, camarade, que je m’applique à
mourir selon les coutumes de notre nation.

--Es-tu fou? dit sottement Darnetal, penchant vers le grabat son visage
sans rides. Rêves-tu? Je te donnerai autant d’alcool que tu voudras,
pourvu que tu me laisses en paix, avec ces sombres histoires. Il n’est
pas temps de mourir, mon vieux, mais de te reposer. Je filerai vers
Camaron dès l’aube.

--Ahi! Ahi! gémit l’homme. Je vois que tu me méprises.

Il laissa retomber ses épaules sur les chiffons sordides. Sa pauvre
bouche écumeuse remuait terriblement, sans qu’il parvînt d’abord à
proférer aucun son. Puis il glissa son bras droit sous ses reins, en
grinçant des dents, soit d’impatience, soit de douleur, car il semblait
que son torse ne fût plus qu’une masse pesante. Le Français avait
lui-même dégagé sa propre épaule, par prudence, et il suivait tous ses
mouvements d’un œil agile, le poing fermé. Le clair de lune, tournant
autour de la hutte, projetait maintenant jusqu’à eux l’ombre immobile de
l’Indienne.

Enfin la main du malheureux reparut, tenant bien serré un petit sac de
cuir brut, au poil usé, qu’il tâta longtemps des doigts.

--Mets-toi devant, fit-il. Cache-moi un moment. Elle est si attentive et
si rusée! Vois ce sac: reconnais-le. Tu le prendras sous moi dès que je
serai mort... Dès que je serai mort, tu le prendras... Il y a de quoi
s’amuser plus d’une semaine, à Noroni ou à Tuihto, pour un garçon de ton
âge. Cela est à toi, camarade, cela t’appartiendra (je n’ai rien
d’autre!) si tu daignes enseigner à un homme de ton pays ce que tes
pères, là-bas, t’ont appris. Hélas! le mien reçut son coup au lever de
l’aube, et mourut le soir même, la tête fracassée, loin de moi, son
fils, entre les mains de vieilles femmes aux dents noires, qui font la
médecine des sauvages, lui... un Français... Quoi donc, ami! Une
mauvaise nuit est tôt passée, tu verras encore bien des saisons! Je
t’offre un prix raisonnable pour cette affaire, je ne veux pas mentir.
Oui, nous ferons cette affaire ensemble, commodément. Le froid m’a
saisi, je me sens déjà tout vide et bourdonnant comme un nid de mouches.
Approche-toi de moi. Je t’obéirai point par point. S’il y a des paroles,
je suis en état de les prononcer. Ami, je t’écoute...

La surprise laissa Darnetal sans voix, mais son cœur se serrait
cependant de pitié.

--Je ferai ce que tu veux, dit-il, je ne te quitterai pas cette nuit. Et
si la fille te gêne, je la jetterai dehors dans un instant. Par exemple,
ne me demande pas l’impossible: je n’abuserai pas de ta simplicité. On
t’a raconté des histoires, camarade, ou tu les as rêvées... De ce
côté-ci de la mer, ou de l’autre, il n’est pas deux façons de mourir.
Sans doute, nous aussi, nous avons nos vieilles femmes à médecine et nos
sorciers, mais c’est bon pour les imbéciles. Je ne te cacherai pas que
je ne prends plus au sérieux ces niaiseries. Ne te tourmente pas, reste
en paix. Je te donnerai autant d’alcool que tu peux en désirer: avec un
peu de chance, tu passeras en dormant, camarade!

--Malheur sur toi! dit le moribond entre ses dents. Je ne t’ai jamais
fait aucun tort, et tu refuses cela même qu’on ne peut refuser qu’une
fois à un homme. Je veux te montrer les papiers, des lettres écrites
dans ta langue, une autre feuille avec des signes dessus, et tout...
Vois toi-même si mon père était ou non ce que j’ai dit. Et tu trouveras
encore un livre que je respecte à l’égal d’un dieu, car, avec lui, il
avait traversé la mer, et il en avait grand soin, comme d’un charme.

Dans sa hâte il jetait, une par une, sur sa poitrine nue, les pauvres
reliques de son cœur, la photographie d’un cuirassier, aux cheveux
tondus, tenant son casque sur la hanche. (_A son petit trognon d’amour_,
disait la dédicace, _le grand Louis_), quelques lettres amollies par le
temps et la sueur, et enfin une bizarre feuille de service, datée et
timbrée, sur laquelle Darnetal put lire, en écriture moulée de
sergent-major:

  PÉNITENCIER DE FALLORI

  Journée du 27 août 1880.

  3e Section (surveillant général Gros).
  Deuxième corvée de bois.
  Liste des hommes.

  ... et en marge, souligné au crayon bleu: _ne détacher, sous aucun
  prétexte, les détenus Proust, Janne et Lelandais._

A ce moment la main du moribond ayant tâté au fond du sac un livre relié
de toile brune, se resserra dessus, et il l’éleva péniblement à la
hauteur de son front, avec un gémissement enfantin. Puis il fixa sur
Darnetal un regard dévoré d’inquiétude, dont celui-ci put à peine
supporter la prière muette.

--Tout est bien, tout est en règle, balbutia le jeune homme, bêtement.
N’aie aucun souci. Tâche de dormir.

--Au nom de ton propre père... commença l’homme.

Mais il n’acheva pas: sa poitrine épuisée retentit encore d’une plainte
terrible, inhumaine. Il tendit le bras. Son énorme et faible poing vint
heurter le visage du Français, sans lui faire aucun mal, et retomba
toujours fermé sur le sol ainsi qu’une boule inerte, avec un bruit mou.
Et aussitôt le malheureux éclata en sanglots convulsifs.

--Pardonne! seigneur, suppliait-il, pardonne... Je ne suis qu’un chien.
Je me traîne à tes genoux. Je te baise les pieds. Ah! ce seul coup
jadis, il y a quelques heures encore, t’eût écrasé la face! N’aimes-tu
pas l’argent? La fille a cousu dans sa robe un beau disque d’or qui pèse
bien dix guazus, je te le donne... Tu le prendras. Ahi! Ahi! qui peut se
vanter de tromper un seigneur comme toi, si sage? Tu lis dans le cœur...
Sûrement tu vois couler le sang dans ma peau. Et il est vrai que j’ai bu
le lait d’une sauvagesse. La maudite fille a dit vrai, Bisbillitta, ma
jolie, petit serpent. N’asseois pas un misérable dans sa honte...
Épargne celui qui a perdu sa force! Qu’importe le ventre dont je suis
sorti, puisque je vais rentrer dans la terre! Approche-toi de moi,
seigneur, ne me trompe pas. Je connais ton secret. Il y a un secret des
hommes blancs. Comment l’aurais-je appris, sinon par Bisbillitta, la
chérie? Oui, je sais que l’eau fut répandue sur sa tête, et que morte
elle sera l’égale et la compagne des autres femmes, pour une vie qui ne
finit pas. Et moi? Hélas! j’ai vieilli parmi ces singes, méprisé même de
mon père, bien que je lui fusse plus soumis qu’un esclave, et son
commandement était dur. Pourtant, écoute-moi! Par le soleil qui luira
demain, par ta célèbre nation, par ce que tu as de plus sacré--que dire
encore?--par ta première femme, camarade, par la première femme dont tu
as desserré les genoux, je te jure! mon père était bien celui-là que tu
as vu ici peint, avec ses habits magnifiques; les papiers très précieux
lui appartiennent, et il lisait de ses yeux dans ce livre que je tiens.
N’ai-je pas le droit d’être fier d’un tel homme? S’il m’eût conduit dans
son pays, qui se serait soucié de ma mère, je te demande? J’y eusse vécu
libre et puissant. Hélas! Hélas! Alors qu’il t’est si aisé de me
satisfaire, veux-tu que je paraisse tout à l’heure devant lui, et qu’il
rougisse encore de moi? Serais-je un de ces chiens, à jamais?

--N’ajoute rien, dit le jeune Français, cela suffit. Je prends tous les
dieux à témoin, d’ici ou d’ailleurs, bons ou mauvais, que tu n’es pas
plus un chien que moi, qui te parle. Et tu ne t’en iras pas, camarade,
que je ne t’aie embrassé sur les joues, à la mode de mon pays, comme je
le ferais pour un frère. En attendant, je vais m’efforcer de te
contenter.

Il se leva brusquement, et en deux pas fut devant la silencieuse fille,
toujours accroupie à l’angle du mur, immobile, bien qu’un peu d’air,
entre les rondins du mur, fît flotter lentement le bas de sa robe.

--Bisbillitta, fit-il, allons! Du diable si je démêle le vrai et le faux
dans toute cette histoire, mais d’une manière ou d’une autre, tu as fait
assez de mal, je pense...

La tête penchée reposait presque sur les genoux, entre les deux bras
croisés. Il voyait la nuque de cuivre, lisse et nue.

--Lève-toi, dit-il durement. Pourquoi ruser? et il lui frappa l’épaule
de sa main ouverte. Le petit corps glissa en avant, roula sur lui-même
et demeura étendu, gravement, le genou plié sous les cuisses. Un jet de
sang déjà épais rougit instantanément la misérable jupe, souillée de
terre.

--Que veux-tu? supplia l’homme, avec terreur. Ordonne qu’elle se taise.
Ah! que je ne l’écoute plus en ce monde! Hé! ah! il me semble que je
sens d’ici l’odeur de ses bras toujours frais. Vois-tu, camarade,
l’écorce d’un jeune arbre n’a pas d’autre parfum, et d’y penser
seulement, cela met de la salive sous ma langue. Ordonne qu’elle se
tienne tranquille encore un moment...

--Il faut donc que le couteau ait glissé dans ma main... dit le
Français. Une arme pour rire... un joujou... Elle est morte.

Il avait parlé presque à voix basse, et l’agonisant n’entendit que le
dernier mot, car il répondit après un silence, mais avec un calme
étrange:

--Morte? Ho! tu ne la connais pas. Elle s’enroule parfois comme un petit
serpent, et reste immobile tout un jour. Ce qu’elle veut ou ne veut pas,
qui le sait? Laisse-la. Retiens seulement ce que je vais dire: je te
donnerai ce que j’ai promis. Les piastres t’appartiennent, tu en feras
ce que tu voudras. Mais décidément, tu mettras le livre avec moi dans la
terre. De tout ce que j’ai possédé, c’est le seul bien qui ne m’ait
jamais déçu. Que de fois j’ai vu mon père y lire en suivant chaque ligne
du doigt, le visage riant, épanoui! Et mon père, même parmi les
sauvages, fut traité avec honneur. Que n’eût-il pas été parmi les siens!
Je veux que tu ouvres ce livre à la première page, tout à l’heure, et tu
épelleras chaque mot, très, très lentement, pour que j’entende à mon
aise le langage de votre nation et les derniers ordres de mon père. A
présent, fais toi-même ce que tu as promis.

--Quoi donc?

--Donne le secret... Donne le secret avant que je ne meure. Dans un
instant l’alcool--une pinte de cette eau-de-vie, camarade--ne pourra
plus rien pour moi.

--Je dois te dire... commença le jeune Français.

Mais il n’osa poursuivre. D’un regard furtif, il mesurait la distance
qui le séparait de la porte, il l’eût franchie d’un bond, il eût percé à
travers la broussaille comme une bête, il respirait déjà la nuit
profonde. L’aveugle ramait doucement l’air de ses mains ouvertes, le
faible cadavre barrait le seuil du geste vain de ses bras en croix, nul
obstacle que la parole d’un moribond, sans doute coupable de meurtre,
fils de forçat, voleur lui-même. Et pourtant cette parole lui parut tout
à coup la plus solennelle qu’il eût jamais entendue, qu’il entendrait
jamais en ce monde, impossible à éluder, d’une autre espèce. La naïveté
même en était plus urgente et plus dure qu’aucune menace, qu’aucune
espèce de malédiction. Elle mit littéralement le jeune homme à genoux,
rouge de honte.

--Je dois... je dois t’avouer, camarade... Ne me blâme pas. Comment
t’expliquerais-je? Eh! bien, là, oui, vieux frère... ne te fâche pas. Je
donnerais dix ans de ma vie, je le jure! pour être en état de t’accorder
ce que tu demandes. Je ne puis te mentir. On m’a appris ces choses-là
dans ma jeunesse... peut-être. Et si la fille avait parlé, quoi! cela me
serait revenu, sans doute... Il est vrai que les Français ont une
religion, ainsi que les sauvages. Beaucoup l’ont oubliée, hein?
Naturellement, il serait facile de te tromper. Je te verserais de l’eau
sur la tête, en bégayant n’importe quoi. Ce n’est pas possible, non!
Mais écoute bien, camarade. Je sais du moins que ce Dieu est juste et
bon. Il a pitié des hommes méchants et il est mort pour eux, cloué par
les pieds et par les mains, en pleurant. Voilà ce que je sais.
Recommande à lui ton âme. S’il existe, sois sûr qu’il a pitié de toi
plus que moi-même, qu’il connaît ton désir, et qu’il a déjà posé sa main
sur ton vieux cœur plein de péchés. Ne m’en demande pas plus: je
porterai le poids de la faute, s’il y en a une.

Dans sa surprise, le moribond avait réussi à se soulever un peu sur ses
coudes et, la tête droite, il fixait sur les yeux du Français un regard
aussi noir et attentif que celui d’un animal pris au fer.

--Peut-être dis-tu vrai, fit-il après un silence horrible, peut-être
non... Mais en acceptant de porter le poids de cette faute tu parles
raisonnablement.

--Laisse-moi te donner un baiser!

--Non! dit l’homme. Est-il croyable que tu aies laissé perdre un secret
si merveilleux qui referait de moi un petit enfant?

Il se laissa glisser en arrière, et frappa le sol si rudement des
épaules et de la nuque que Darnetal le crut mort. Le livre avait roulé à
terre. Il le ramassa. C’était un de ces almanachs tels que les
colporteurs en proposaient jadis aux ivrognes et aux belles filles, à la
porte des cabarets sur les champs de foire, sots et sordides. Il
s’ouvrit de lui-même aux pages les plus usées, noires de crasse,
marquées çà et là d’un pouce énorme, au chapitre sans doute lu et relu:

    MILLE ET UNE BLAGUES A FAIRE EN SOCIÉTÉ
    suivi de cent manières de gagner l’apéro
    par
    JEAN LOUSTIC

Le jeune Français levait déjà le bras pour lancer l’absurde relique à
travers la chambre, lorsqu’il rencontra de nouveau le regard vide, muet,
plein de terreur, et d’une attente désespérée. La pitié surnaturelle, et
aussi un désir irrésistible de se punir, de s’humilier soi-même,
l’emporta sur le dégoût. «C’est donc là, se dit-il, le dernier message
du pays à l’enfant perdu, qui l’a tant cherché?... Mais moi-même,
qu’ai-je de meilleur à donner?» Il lui parut qu’ainsi la mesure était
comble, la misère parfaite et que dans l’extrême dénuement de cet homme,
la miséricorde d’un dieu allait éclater comme la foudre.

Il prit dans la sienne la main glacée, y déposa pieusement le petit
livre, tâcha de refermer dessus les gros doigts. Ils s’ouvrirent malgré
lui, et il reconnut que l’homme était mort.




DIALOGUE D’OMBRES


N’ayez pas peur, dit-elle. La Rance déborde: depuis Verneuil, le chemin
est sous un pied d’eau, peut-être... Voyez: elle a déjà poussé ses
vaches vers la remontée. Dans cinq minutes, nous ne l’entendrons même
plus.

Elle le regardait dans les yeux, avec une sorte de curiosité tranquille.

--Partout ailleurs nous pouvions être surpris, Jacques. Ici, non. J’y
avais bien songé.

Un petit sourire triste, à peine malicieux, passa sur son visage, comme
une ombre.

--Cela vous étonne?

--M’étonner de quoi, ma chérie?

--Ne mentez pas, Jacques, fit-elle. Je devrais être moins réfléchie,
moins prudente. Pour une femme aimée, je sens qu’il y a tant de grâce à
n’être plus qu’une enfant, aussi capricieuse, aussi folle et simple
aussi, tout à fait simple! Mais n’est pas étourdie qui veut.

--C’est ainsi que je vous aime, moi, dit-il. J’aime à vingt-trois ans
cette ride de rien, presque invisible, ce pli à votre beau front, entre
vos deux sourcils. A mon âge, on ne croit plus guère aux capricieuses ni
aux folles, et l’étourderie, voyez-vous, est trop souvent la comédie
qu’on se joue à soi-même lorsqu’on doute des forces de son cœur. Mais
qu’importe, si vous ne doutez ni de vous ni de moi.

--C’est vrai, qu’importe? fit-elle en détournant un peu son regard vers
l’horizon trempé de pluie.

--Françoise, reprit-il après un silence, pardonnez-moi, ce n’est pas
cela qu’il faut dire. Je crois en vous, comme je n’ai jamais cru à
personne au monde. Je vous crois. Je crois en vous plus encore que je ne
vous aime, par une sorte de nécessité, par un mouvement de l’être aussi
fort, aussi spontané que l’instinct de conservation. Je dépends de vous,
je suis dans votre dépendance. Ou ma vie ne signifie rien, ou elle a son
sens en vous. A supposer que l’âme existe, et qu’il m’en ait été donné
une, si je vous perds, je l’aurai donc portée en vain, à travers tant
d’années vides.

--Qui sait? dit-elle seulement, de sa voix sage. Qui peut savoir?

--Je le saurai.

--Moi aussi, je dépends de vous! s’écria-t-elle soudain, avec un
frémissement de joie si profonde qu’elle ressemblait à l’emportement de
la colère. Je dépends de vous entièrement. Oui, Jacques, vous espérez
quelque chose que vous ne recevrez jamais de moi ni d’aucune autre, et
néanmoins vous l’espérez. Pour moi, je n’espère rien. Oh! mon chéri, ne
faites pas cette moue, ne vous hâtez pas de me plaindre. On peut se
passer d’espérance si on a le cœur assez fort et assez prompt pour
saisir son bonheur comme au vol, et l’épuiser d’un seul coup. Mon chéri,
tout mon bonheur tient dans cette minute même, où vous avez tellement
besoin de moi. Je suis une pauvre fille maladroite, têtue, solitaire,
qui n’exprime pas ce qu’elle sent, et dont vous ne tireriez pas un cri,
pas un soupir qui méritât d’être entendu et répété dans vos livres, pas
un cri, pas un soupir, quand vous devriez l’écraser.

--Vous écraser, Françoise? Est-ce vous, si prudente, si sage, qui pouvez
parler ainsi?

--Je ne suis pas du tout ce que vous dites. (Une bouffée de vent, à
travers le taillis encore grêle d’avril, lui jetait l’averse au visage
et elle passait nerveusement sur ses joues sa petite main blonde.) Ne
m’épargnez pas. Ne m’épargnez jamais. Il est vrai que j’ai été prudente
et sage, mais c’était pour préparer de loin, pour rendre inévitable et
nécessaire, un don de moi si total, si absolu, qu’aucune de celles qui
vous ont aimé n’en a jamais rêvé de semblable. Je sais que je me perds,
mon chéri. Seulement, je les perdrai toutes avec moi. Oui, je me perds,
parce que je vous fais ce soir, à cet instant, une promesse qui ne peut
être tenue. Oui, vous m’en voudrez un jour de mon sacrifice, parce que
d’avance il est vain. Puis-je croire que je sois justement la seule
entre les femmes capable de vous plaire et de vous attacher? Quelle
folie! Et quand cela serait encore, puis-je espérer de vous rendre ce
qui m’appartenait, à quoi j’avais droit, et que vous avez donné à
d’autres, épuisé, prodigué, tari--votre jeunesse, votre chère jeunesse,
dont je suis jalouse. Mon Dieu, Jacques, regardez-moi! Que je voie au
moins vos yeux! Vous m’aimez, tout est bien, tout est beau, tout est
sacré, rien n’est vain--non, rien n’est vain! J’ai parlé comme une
sotte, et il n’y a qu’un mot de vrai, dans ces folies: c’est qu’en me
perdant, je perds avec moi tant de rivales que j’efface aujourd’hui, à
jamais, moi la dernière.

--Mon amour, fit-il à voix basse, quel étrange plaisir prenez-vous à
vous humilier?

Elle le fixa longuement, avec une attention extrême, et ses admirables
prunelles grises se fonçaient à mesure, ainsi qu’une eau profonde.

--Je ne sais pas, dit-elle. J’étais une fille orgueilleuse. Depuis que
je vous aime, je sens que c’est la seule chose en moi qui ne puisse être
à vous tout entière. Alors, je voudrais l’arracher. Je voudrais que vous
l’arrachiez de mon cœur.

Si brusquement qu’elle détournât son visage, il y vit jaillir les
larmes, et plus tragique qu’aucun sanglot, à travers le vent et l’ondée,
il entendit sa plainte, comme le soupir d’une bête blessée.

--Mon chéri!... dit-il simplement. Et il posa un instant ses doigts sur
le petit poing fermé, en silence.

La pluie ruisselait toujours autour d’eux, sans percer tout à fait la
noire frondaison des pins. L’air était plein du sifflement modulé de la
bourrasque et du grave appel des corbeaux.

--Je me tais, reprit-il, daignez me permettre de me taire. Rien ne peut
être arraché d’un cœur comme le vôtre. Mais je l’apaiserai, je le jure,
je lui donnerai le repos. Ayez confiance en moi.

--Le repos! murmura-t-elle, les dents serrées. Oh! Jacques ne me parlez
pas de repos. Je sais ce que c’est. Vous voyez derrière nous cette
maison hideuse, les pelouses, l’argile des allées, ces vallonnements
déserts, l’horizon vaste et vain, tous ces affreux paysages sans
fierté... j’aurai quitté cela demain.

--Ce soir, si vous voulez, Françoise... Si j’avais (à Dieu ne plaise!)
vingt ans de moins, je serais sans doute assez fou pour essayer de
prouver que cela n’était pas le repos, que vous appeliez repos la
révolte silencieuse d’une pauvre petite âme écrasée. A quoi bon prouver?
Rien ne se prouve. L’amour ne console pas, mon amie, il est impuissant à
consoler; il ne faut exiger de lui que les biens extrêmes, parce qu’il
est sans règle et sans mesure, comme vous. Ne cherchez donc plus. Ne
vous mettez plus en peine. S’il vous donne quelque chose, il vous
donnera ce que vous demandez, tout. Cela nous regarde. Rassurez-vous, ma
chérie. Il n’est rien de plus fort et de plus strict au monde que le
dernier amour d’un homme.

--Oh! dit-elle en secouant la tête, avec un sourire encore
enfantin--fort et strict, je le crois! Il ne m’épargnera pas.

Elle lui prit le bras, d’un geste tendre et hésitant, toujours un peu
farouche.

--Voyez-vous, Jacques, il ne faut pas m’en vouloir. Il faut comprendre.
Songez seulement que j’ai vécu dans ce village perdu d’un pays qui n’est
pas le mien, quinze ans, quinze ans! Quinze ans seule, ou presque (vous
avez vu mardi, chez Mme d’Houdelot, ces hobereaux ridicules, ces petits
paysans titrés), j’ai horreur de me plaindre. J’ai horreur de la pitié,
sinon de la vôtre. Je ne dirai pas que j’étais malheureuse. J’attendais?
Quoi? Est-ce qu’on sait?

--Vous êtes une âme religieuse, Françoise.

--Non! non! s’écria-t-elle, avec une espèce d’emportement sauvage. Je
n’ai aucune idée de Dieu, je n’en veux pas avoir. Si je le trouvais
jamais, ce serait dans un dénuement si absolu, au fond d’un désespoir si
parfait, que je n’ose pas même l’imaginer, et il me semble que je le
détesterais. Le seul bienfait que j’ai reçu de mon père est cette
incrédulité paisible, sans détours et sans débats, qui ressemble à la
sienne.

--Paisible! Ce mot dans votre bouche, ma chérie!

--Pourquoi pas? Mais non! Je ne suis pas ce personnage que vous
imaginez, je ne suis pas cette fille romanesque, une héroïne de vos
romans. Vos romans! Je ne puis plus les lire. Mon amour, cela me fait
trop mal de vous y rencontrer à chaque page, si subtil, si caressant,
avec un visage que je ne connais pas. Mon Dieu! ce sera déjà bien assez
de vos futurs mensonges! Et savez-vous encore ce qui me rend fière?
C’est que je suis sûre--je ne puis absolument douter--qu’heureuse ou
malheureuse, quoi qu’il arrive, vous ne pourrez mettre notre amour dans
un livre, jamais.

--Parce que?...

Elle éclata de rire, et le repoussa doucement vers le tronc du pin.

--Mettez-vous d’abord à l’abri, vous allez gâter votre beau feutre. Vous
craignez l’eau du ciel comme les chats. Méchant que vous êtes! Toute
votre vie s’est passée, ainsi qu’au pied de cet arbre, à l’ombre en été,
au sec en hiver, et vous n’auriez pas reçu une seule éclaboussure de la
boue d’autrui--pas une tache de boue--si...

--Je vous défends! dit-il. Je vous défends de dire un mot de plus!

--A quoi bon? puisque vous m’avez bien comprise. Jacques, je ne me crois
pas du tout déshonorée. Si j’avais perdu l’honneur, qu’aurais-je
maintenant à vous sacrifier? C’est vous qui le prendrez, mon amour. Vous
aurez le droit de me mépriser, dès que vous ne m’aimerez plus, non pour
la faute ancienne, mais parce que, vous l’ayant avouée, j’aurai reçu mon
pardon de votre bouche chérie, et que je me serai donnée à vous, je me
serai donnée à vous quand même. Cela, je suppose, aucune femme de ma
race ne l’eût fait. Nous autres Italiennes...

--Italienne! vous l’êtes si peu! A peine savez-vous parler la langue de
votre pays. Et qu’avez-vous appris des femmes de votre race, je vous
demande? Françoise, Françoise, je n’oublie pas qu’il faut vous ménager,
qu’une âme ainsi blessée ne souhaite rien d’autre que l’amoureuse
compassion, un tendre silence, mais comment osez-vous seulement
prononcer le mot de mépris? Vous mépriser! Qui suis-je pour vous
mépriser? Ah! je pense de mes livres ce que vous en pensez vous-même, je
ne puis les relire sans honte. Plût au ciel qu’ils fussent tout à fait
insincères! Mais il y a entre eux et moi une ressemblance monstrueuse,
que je n’avais jamais connue, que vous m’avez fait connaître. Ils
tiennent le secret de certains mensonges--les plus sournois, les plus
vils--ceux qui m’ont servi. Par eux, j’ai pu être médiocre à l’aise, je
n’ai même pas couru le risque de mes vices. Un scepticisme ingénieux, la
gentillesse, ce frémissement partout sensible et qui enchante, hélas!
mon amie, j’en sais les sources cachées. Ainsi sommes-nous liés
désormais l’un à l’autre d’un lien plus fort qu’aucune volupté: vous
êtes la première femme qui m’ait fait rougir de moi. Ma chérie, ne me
parlez donc plus du passé, d’une faute imaginaire, d’un rival absurde
dont je ne suis même pas jaloux. Qu’il soit béni plutôt, cet imbécile à
qui vous vous êtes donnée sans amour! Bénie la faute qui a fait cette
précieuse ride à votre beau front pur, l’erreur--fut-ce une
erreur?--l’erreur d’un soir que vous avez su transformer en tristesse,
par une divine alchimie. Mon Dieu! vous ne pouvez pas comprendre... Tout
ce qui entre une fois dans votre petite âme insatiable, intrépide, y
brille aussitôt d’une lueur égale et douce, d’une sorte de tristesse
sacrée. Je suis libre, Françoise. Nous serons libres demain. Je vous
épouserai. Je le veux.

--Non, dit-elle simplement. Si vous exigiez cette promesse, je ne vous
suivrais pas. Il est hors de mon pouvoir d’accepter de vous plus que je
ne peux donner. Sans doute j’aurais dû me taire, mais j’ai parlé. J’ai
avoué. Cela ne se répare plus. Je suis, je resterai à votre merci.

--Vous avez parlé par orgueil, Françoise.

--Oui. J’ai parlé par orgueil, je crois. Et aussi encore parce que je ne
peux m’empêcher de porter des défis, que je suis folle, que je vous
aime... A présent, voilà que j’accepte votre pardon; je le reçois
humblement heureuse et lâche. Vous me verrez déshonorée entre vos bras,
sur votre cœur, toute à vous, à votre discrétion, corps et âme.

--Cela est de l’orgueil aussi, Françoise.

--Ne me persécutez pas, supplia-t-elle. Laissez-moi. Oh! votre pardon
non plus n’est pas si pur, Jacques... Et d’abord, qui vous assure que je
me sois donnée sans amour? Personne n’oserait comparer l’homme que vous
êtes à un malheureux petit vicomte campagnard, d’ailleurs bien sot. Mais
j’ai fait pis que l’aimer, mon amour. J’ai fait pis que tomber entre ses
bras par caprice, par étourderie, ou par jeu.

--Vous ne pouvez rien contre moi, ma chérie. Seulement qu’il est vain de
se déchirer soi-même! Que je plains votre âme!

--Laissez-moi, laissez-moi! Je crois que j’épuise ainsi le malheur, que
je m’en vais renaître. Et puis, c’était un soir de printemps trop
semblable à celui-ci, un soir de pluie et de boue, et de grand vent
d’ouest, avec ces cris de corbeaux. Pourquoi m’a-t-on, à quatre ans,
menée ici--à quatre ans, pauvre petite fille! Loin de ma patrie, des
miens, du passé de toute notre race, comme un enfant trouvé, comme une
esclave? J’ai, là-bas, en Vénétie, un oncle encore, paraît-il, des
cousins, d’anciens amis, que sais-je? Pas une histoire de notre
république où je ne lise notre nom presque à chaque page. Pourtant,
jamais mon père n’a voulu dire un mot devant moi qui me permît de rompre
ce silence, tellement plus affreux que l’exil! Car il a renié tous les
siens. Il se croit quitte envers eux, envers moi, envers tous. Il ne
doit rien.

--On n’épuise pas le malheur, mon amour, on l’oublie. Vous ne voulez pas
l’oublier.

--Ce soir moins que jamais.

--Jadis, j’eusse pensé comme vous. Maintenant, heureux ou malheureux, le
passé peut tout corrompre. Il corrompt tout.

--Et moi je renais, vous dis-je. Jacques, mon amour, vous ne comprenez
pas. Ces histoires de filles persécutées, de pères féroces et de
tyrannie domestique, cela sent son mauvais roman, c’est très bête. Oui,
c’est bête. Avec ça (ne souriez pas!) j’ai encore ce ridicule d’être
étrangère, noble, orpheline, d’habiter un château perdu dans la
campagne, et je suis entre les mains d’un grand seigneur hypocondre qui
ressemble au père de Chateaubriand. Que voulez-vous que j’y fasse? Ai-je
choisi? Ai-je choisi ce décor? Je le hais.

--Ne prenez donc pas la peine de haïr ce que vous quitterez demain.

--Je le hais. Je l’ai haï en silence. Nul ne s’en doute. J’ai souffert
ici sans larmes, simplement, le plus simplement que j’ai pu, et Dieu
sait ce que cette simplicité m’a coûté! Jacques, si vous n’étiez venu,
il me semble qu’elle eût dévoré, une à une, toutes les forces de mon
cœur.

--A qui auriez-vous fait ce sacrifice? Ah! Françoise, j’ai bien raison
de dire que vous êtes une âme religieuse. Rien ne vous sollicite. Rien
ne vous tente. Il faut que vous possédiez avant d’avoir désiré. Oui,
dans le désir où vivent et meurent tristement les hommes, vous ne
trouverez jamais aucune relâche, aucun repos. Mais la plus grande folie
d’un cœur qui les pressent toutes, c’est encore d’avoir rêvé, de
poursuivre obstinément ce rêve insensé, ce monstrueux rêve d’un
sacrifice sans amour. Pas un saint, parmi les plus extravagants, n’eût
osé faire un tel choix. Qu’il y ait une chance sur mille pour que Dieu
existe, c’en est assez: il ne faut pas tenter Dieu.

--Il n’y a pas une chance sur mille. C’est moi que je tente, Jacques, et
non pas Dieu.

--Un de ces saints dirait sans doute que cela revient au même. Je ne
mentirai pas, Françoise: je comprends à merveille ce qu’un pareil défi a
de puéril, mais un rêve enfantin, lorsqu’il est cruel, n’est pas cruel à
demi. C’est vous, c’est vous que vous détestez, ma chérie! C’est sur ce
que vous avez de plus précieux, de plus douloureux, de plus vulnérable
aussi,--votre fierté--c’est sur votre fierté que vous prenez vos
affreuses revanches. Vous êtes une petite sainte, Françoise, voilà le
mot. Vous êtes une petite sainte, seulement votre sainteté est sans
objet. Sans connaissance et sans objet, comme ma tristesse, ma tristesse
qui épouse si étroitement la vôtre, bien que la source en soit tellement
impure que j’ai honte de la nommer devant vous--la débauche--et de
toutes la plus médiocre, la débauche de l’homme de lettres, d’un
marchand d’histoires imaginaires.

--La débauche! fit-elle en serrant sa bouche pâle.

--Ne me cherchez pas d’excuse. Je n’en ai pas d’autre que l’ennui.
Personne, je pense, ne s’est ennuyé comme moi; c’est par l’ennui que je
me connais une âme. Du moins ai-je fait chaque fois ce qu’il fallait
pour la rendormir sitôt que l’ennui la réveillait. Au lieu que vous,
chère petite folle, vous provoquez sans cesse la vôtre, vous ne lui
laissez nul repos, ainsi qu’un dompteur avec ses fourches et son fouet,
et elle finira par vous manger.

--Quelle idée vous avez là! s’écria-t-elle en riant de toutes ses dents,
mais livide.

--Écoutez-moi! écoutez-moi! encore une minute. Nous sommes fous. Nous
sommes deux fous. Vous êtes dans l’ombre d’une aile immense qui va se
refermer sur nous. On fait sa part à l’ennui, au vice, au désespoir
même: on ne fait pas à l’orgueil sa part.

Elle tourna vers lui son visage sérieux, paisible, et il le vit, avec
surprise et presque avec terreur, ruisselant de larmes.

--L’orgueil? Méchant, dit-elle à voix basse, méchant que vous êtes,
est-ce donc pour rire que j’ai avoué ce que... oui! ce que n’importe
quelle autre que moi vous eût caché.

--Je n’en demandais pas tant, pauvre chérie. Ne me méprisez pas trop
vite, Françoise! Je venais à vous comme un homme qui a perdu sa vie, qui
n’en éprouve que de l’ennui sans remords, qui l’a perdu sans savoir où.
Et il fallait que je fusse bien malade, à mon insu, pour songer un
moment à acheter quelque chose, une bicoque, une espèce d’ermitage
(l’ermitage d’un homme de lettres, hélas! je vois ça!) dans ce pays
pluvieux qui sent même en avril la pourriture de l’automne. Mais je vous
ai rencontrée. Pour la première fois, je vous ai rencontrée chez Madame
Addington. Pensez-vous que j’ai pu croire, un seul instant, que vous
étiez une jeune fille comme les autres? Étais-je en droit de vous
demander ce qu’exige un amoureux de vingt ans? Étais-je en droit de rien
demander? Je ne voyais que ma tristesse, ma propre tristesse, qui se
levait dans vos yeux calmes. Je n’attendais de vous que la pitié lucide,
divinatrice, qui vous tient lieu d’expérience, ce pressentiment de la
douleur d’autrui si fatal, si déchirant qu’il passe toute poésie.
Était-il utile de m’éprouver, Françoise, d’éprouver mes forces, au
risque de détruire d’un coup la dernière et misérable chance qui me
restât d’être heureux? Devais-je courir ce risque avec vous?

--Je vous prie de me pardonner, fit-elle après un si long silence que le
tintement d’une enclume vint jusqu’à eux, sur une bouffée de vent aigre,
du village lointain. Je vous prie de me pardonner, mon amour.

--Acceptez maintenant d’être ma femme. Promettez-moi du moins que vous
accepterez un jour. A quoi bon nous enfuir comme deux voleurs, courir
jusqu’en Syrie, lorsqu’il était si facile de vous demander à votre père,
et de passer outre s’il refusait?

--N’exigez pas des choses impossibles, dit-elle pleurant toujours, mais
sans aucun sanglot, sans un tressaillement de son lumineux visage. Oh!
ce n’est pas ici un caprice, cruel ou non. Je serai votre maîtresse,
Jacques, mon chéri, je ne serai que votre maîtresse, je serai à vous sur
un mot, sur un signe, je n’appartiens qu’à vous. Que faut-il de plus?
Mais je ne serai pas votre femme. Je ne porterai pas votre nom. Il ne
tenait qu’à moi de me taire; j’ai parlé, vous me prenez quand même, c’en
est assez. Mon amour, j’ai reçu votre pardon sans mourir de honte;
n’exigez pas que cela devienne un pardon légalisé, une affaire entre
hommes de loi. Les saints, dont vous parliez tout à l’heure, n’ont rien
qu’au jour le jour, mais ils espèrent des biens éternels, leur compte
est en règle sur les registres du Paradis. Que je sois plus pauvre que
de la pauvreté des saints! Je recevrai de toi, de ton bon vouloir, de ta
pitié chérie chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque matin de
mon humble vie. Ah! chaque nuit passée dans ta maison sera ma victoire
remportée sur le temps, l’oubli, la satiété, l’opinion du monde, toutes
les forces qui m’oppriment et que je hais. Tu le disais, tu l’as dit, je
l’avoue: hélas! d’où vient cet orgueil que je ne puis arracher? Je
l’arracherai! D’où vient ce goût hideux d’une perfection impossible,
inhumaine, du renoncement, du martyre! Je l’étoufferai. Si c’est là mon
âme, ange ou bête, je ne puis la supporter plus longtemps.

--Ange ou bête, croyez-moi, Françoise; elle a toujours raison de nous.

--Il n’est pas si vrai que vous dites. Certes, je n’ai aucune idée de
Dieu, ni la moindre curiosité de lui. Je suppose qu’ils ont divinisé
leur crainte de la mort, ou je ne sais quoi. Qu’est-ce que cela nous
fait? Nous ne craignons pas la mort.

--Je la crains, je ne crains qu’elle.

--Alors vous ne craignez rien. Que connaîtrez-vous jamais d’elle, mon
chéri? Une minute d’angoisse bien vivante... Non, je ne saurais croire
en Dieu, ni aux âmes, mais je crois à un certain principe en moi qui me
blesse, qui usurpe ma volonté, ou cherche à la suborner par ruse. Ah!
quand vous m’accusez de me contredire et de me déchirer en vain, c’est
contre lui que je lutte, et si je vous parais souvent téméraire ou
folle, c’est que je lutte en aveugle, car je ne découvre cet ennemi que
peu à peu, aux coups qu’il me porte. Oui, je découvre peu à peu sa
force, et la duplicité de sa force. Toutefois, je pourrais le nommer par
son nom: c’est l’orgueil, Jacques, c’est ce même orgueil dont vous
m’accusiez, il y a un moment, d’être dupe, et qui me fait sage et
insensée tour à tour, prudente ou téméraire, jamais pareille. L’orgueil,
mais pas le mien.

--Est-ce seulement l’orgueil, Françoise, un emportement si lucide?

--Oh! vous ne savez pas ce que c’est d’être opprimée par sa race,
asservie, écrasée! Vous avez vu quelquefois mon père, depuis deux mois.
C’est bien assez de le voir et de l’entendre un moment--ce regard, par
une contradiction inexplicable, rêveur et dur, ce visage long, étroit,
marqué de rides perpendiculaires, impassible jusque dans le rire, ce
menton hautain, la manière qu’il a de détourner un peu les épaules en
levant le front, ainsi qu’un homme qui n’accepte pas de prendre parti,
qui se dégage, qui se tient quitte par avance des malheurs ou des
sottises de son espèce, avec une compassion insolente, plus insolente
que le mépris. Jamais je n’ai reçu de lui un avis, un conseil, un ordre,
qui ne fût donné du bout des lèvres. Il y a des politesses glacées: la
sienne n’a même pas ce froid qui fait mal. Je jure que tout est marqué,
tout est en règle, dans sa vie pourtant solitaire, si secrète: la pire
malice n’y saurait mordre. Ma mère est morte six mois après ma
naissance, en pleine jeunesse, en pleine beauté, et il m’a dit un jour
qu’elle avait été simple et parfaite (de quel ton!)... Hé bien, vous ne
trouveriez pas un seul portrait d’elle dans son appartement, ni--j’en
suis sûre--au fond de ses tiroirs. La jolie gravure de Mondoli est
accrochée dans le petit salon d’atours, où il n’entre plus. Que dire
encore? S’il a rompu avec les siens, s’il se résigne à vieillir à quatre
cents lieues de son pays natal, c’est pour une raison que j’ignore, mais
que je pressens, pour une raison qui lui ressemble, par servitude
stoïque à quelque point d’honneur--son honneur, son honneur à lui, car
il n’est qu’un honneur à son usage, inaccessible aux autres hommes,
élémentaire et superstitieux, comme la religion des sauvages. Oui,
l’orgueil, le seul orgueil l’a mené ici, l’y fera mourir, pour quelque
cause que ce soit... Et toute sa race est ainsi, Jacques. Ne riez pas!
En France, vous ne savez plus guère ce que c’est qu’une race, vous avez
trop d’esprit, vous vous en tirez avec un éclat de rire--et c’est vrai
que le rire délivre, le vôtre, le rire à la française. Je n’ai jamais pu
rire comme vous. Je ne pourrais pas. Une race comme la nôtre, quel
fardeau.

--Un fantôme, ma chérie. Il eût suffi de le regarder en face. Un fantôme
qui traîne dans vos brouillards, sur vos pelouses... Mais vous irez si
loin avec moi que vous ne le rencontrerez plus, jamais.

--Mon Dieu! puissiez-vous dire vrai, Jacques.

--Souhaitez-vous tellement que je dise vrai, ma pauvre amie?

--Oh! je sais bien ce que vous pensez! Il y a toujours dans votre pitié
un peu de malice. Et certes, je ne connais rien des miens, des plus
proches. Ce que je sais de notre famille, je l’ai appris de la vieille
histoire de mon pays, et que m’importe aujourd’hui ces doges et ces
dogaresses? Je me moque d’eux. Ils ne peuvent me faire aucun mal.
M’estimez-vous, sans rire, capable de la même vanité nobiliaire que Mme
de La Framette, ou le petit Clerjan, dont nous nous sommes amusés hier?
Il est d’autres pauvres filles comme moi, par le monde, qui sentent sur
leurs épaules un poids aussi lourd, bien qu’elles ne soient titrées ni
nobles: le scrupule, l’intégrité, la vertu roide et domestique d’aïeules
et de bisaïeules, d’une lignée de femmes irréprochables, obscures,
tenaces dans le bien, à la fois sages et ingénues, toujours prêtes à
l’oubli de soi, au renoncement, au sacrifice, enragées à se sacrifier.
Me sacrifier à quoi? disais-je. Elles étaient pieuses, sans doute,
craignaient Dieu, l’enfer, le péché, croyaient aux Anges, résistaient
aux tentations, les ont vaincues. Elles ont emporté leur piété, ne m’ont
laissé que leur sagesse. Que puis-je faire de leur sagesse? Elle
découronne ma vie. Je n’ai jamais été tentée. Ce qu’elles appelaient
folie rebute encore mes sens et ma raison. Leur dépendance était
consentie, la mienne est absurde, tyrannique, intolérable. J’ai cédé une
fois, je me suis donnée, non par amour, ni curiosité, encore moins par
vice, seulement pour franchir ce cercle magique, rompre avec elles, me
retrouver enfin, au fond de l’humiliation, du dégoût, de la honte, avoir
à rougir devant quelqu’un. Mais comment ai-je pu espérer d’anéantir un
orgueil dont les racines ne sont pas en moi? Même le regard de mon père
ne me faisait pas baisser les yeux. Je sentais trop bien que s’il eût pu
lire dans mon cœur ma déception, ma fureur, il m’eût reconnue sienne à
ma manière de soutenir un tel défi.

Elle tourna vers lui sa bouche frémissante, et dit d’une voix comme
étrangère.

--Mais votre pardon, à vous, Jacques, votre pardon m’a humiliée.

Il la reçut dans ses bras; il sentit un court instant sur les siennes
ses lèvres froides et il osait à peine presser de la main le petit corps
tiède et tremblant. Déjà elle était debout à ses côtés.

--Ce n’est pas moi, c’est toi, fit-elle, qui auras raison de mon âme...
Une âme, vois-tu, c’est un grand mot, ça n’est pas si terrible qu’on le
suppose. Ne fais pas ces yeux sévères! Es-tu si superstitieux, mon
amour?

Elle lui échappa en riant.

--Je vous attendrai demain à Louciennes, demain matin... Et je
n’emporterai rien d’ici, vous savez? rien de rien, non... les cheveux
tondus des Suppliantes, et les mains nues.

Par une longue déchirure à l’ouest, le ciel parut, d’un bleu pâle, et
les flancs épars des nuages s’allumèrent tous à la fois. La dernière
palpitation de l’astre errant brilla soudain aux mille facettes de la
pluie.



TABLE


  Une Nuit              1
  Dialogue d’Ombres    49






        
            *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK UNE NUIT ***
        

    

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or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

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the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
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