Le prêtre

By Eugène Louis Julien

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Title: Le prêtre

Author: Eugène Louis Julien

Release date: November 16, 2025 [eBook #77245]

Language: French

Original publication: Paris: Hachette, 1925

Credits: Laurent Vogel (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PRÊTRE ***




  LES CARACTÈRES
  DE CE TEMPS

  LE PRÊTRE

  PAR
  Mgr E. L. JULIEN
  MEMBRE DE L’INSTITUT


  A PARIS
  Chez HACHETTE

  ONZIÈME MILLE




LES CARACTÈRES DE CE TEMPS


LE POLITIQUE*, Par Louis BARTHOU, _de l’Académie Française_.--LE PAYSAN,
Par Henry BORDEAUX, _de l’Académie Française_.--LE DIPLOMATE, Par J.
CAMBON, _de l’Académie Française_.--LE MÉDECIN, Par le Dr MAURICE DE
FLEURY.--LE BOURGEOIS*, Par Abel HERMANT.--LE PRÊTRE*, Par Monseigneur
E. L. JULIEN, _Évêque d’Arras, Membre de l’Institut_.--LE JOURNALISTE,
Par Louis LATZARUS.--LE FINANCIER, Par R.-G. LÉVY, _Membre de
l’Institut_.--L’HOMME D’AFFAIRES, Par Louis LOUCHEUR.--L’ÉCRIVAIN*, Par
Pierre MILLE.--LE SAVANT*, Par le Prof. CH. RICHET, _Membre de
l’Institut_.--L’AVOCAT*, Par HENRI-ROBERT, _de l’Académie Française,
Ancien Bâtonnier_.--L’OUVRIER, Par Albert THOMAS, Etc.

Les volumes parus sont marqués d’un astérisque.




Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour
tous pays.

Copyright by Librairie Hachette, 1925.

Il a été tiré de cet ouvrage soixante exemplaires sur papier de
Hollande, numérotés de 1 à 60.




AVANT-PROPOS


Bien que l’éloge du prêtre puisse se glisser naturellement sous la plume
d’un évêque, le lecteur ne doit pas s’attendre à trouver ici le
panégyrique apprêté du prêtre français. Le montrer tel qu’il apparaît à
un observateur impartial, qui regarderait du dehors et tel aussi que
l’ont façonné le divin principe de sa vocation, la discipline de
l’Église et les vicissitudes de notre histoire nationale, a paru le plus
sûr moyen de lui laisser son vrai visage, placé dans son cadre habituel,
et d’amener le spectateur à dire amicalement: «Voilà bien mon curé, je
le reconnais.»




LE PRÊTRE




CHAPITRE I

COSTUME ET USAGES ECCLÉSIASTIQUES


En dépit des révolutions, et même, ce qui est pis, des périodes
d’impopularité, le prêtre continue à porter la soutane. Il fait
exception à la règle des sociétés modernes, chez lesquelles l’uniforme
n’est plus admis que pour les militaires.

Jadis, la profession n’imprimait pas seulement un caractère, elle
imposait un costume. Le costume devait rappeler au médecin, à l’avocat,
comme au soldat et au prêtre, l’obligation de ne jamais se dépouiller du
sentiment de son devoir et de l’esprit de sa profession.

Contrairement aux professions libérales, qui se sont pour ainsi dire
sécularisées, en prenant l’habit de tout le monde, le prêtre a marqué de
plus en plus nettement la séparation que le costume mettait entre le
siècle et lui. Primitivement, la soutane n’était qu’une longue «lévite»
commune à beaucoup de personnes et que rappelle assez l’habit de
«clergyman» porté par les pasteurs et même par les curés catholiques,
dans les pays protestants. Comme si l’habit ne suffisait pas à le
distinguer, le prêtre a les cheveux rasés en forme de couronne au sommet
de la tête. La tonsure est le symbole du renoncement au monde: elle
caractérise l’homme d’Église.

Au surplus, d’autres signes dénonceraient l’ecclésiastique, même sous un
habit d’emprunt. Il a le visage rasé, les cheveux longs et la démarche
grave. Il est vrai que l’ancien type classique du prêtre devient rare:
le passage des séminaristes par la caserne l’a modifié: il a pris une
allure plus dégagée, un ton plus décidé. Mais l’empreinte de la
profession n’est pas effacée pour cela. Regardez de plus près: un air
sérieux et réservé, un regard modeste et candide, une attitude de
déférence envers les supérieurs, enfin le pli de l’âme marqué en relief
sur les traits austères ou sereins de la physionomie, le prêtre est
toujours prêtre, même au dehors.

Le costume ecclésiastique n’est pas soumis aux variations de la mode. La
soutane est plus ou moins élégamment coupée, plus ou moins longue,
suivant le goût de celui qui la porte. Le rabat était naguère encore le
signe particulier du clergé français: il est en train de disparaître. Le
rabat ecclésiastique était jadis blanc comme celui des avocats, n’étant
après tout qu’un simple col rabattu. On prétend qu’il devint noir
obligatoirement à la mort de Louis XIV. Au rabat a succédé le col
romain, symbole d’un nouvel état d’esprit, romain lui aussi. Il est
moins coûteux de changer de col que de rabat, et la propreté y gagne,
surtout si le prêtre a gardé l’habitude ancienne de priser. Sur le
rabat, les grains de tabac faisaient une tache que ne pouvaient
s’empêcher de remarquer les plus charitables dévotes.

L’élégance de l’ancien régime comportait les boucles de souliers. Les
boucles ont rejoint les tabatières dans les vitrines des antiquaires,
et, sauf de rares exceptions, surtout parisiennes, parmi les prêtres,
les évêques seuls ont gardé les boucles. C’est grand dommage, à mon
avis. Les boucles étaient un ornement qui convenait à la dignité des
cérémonies religieuses. J’admets que les obligations du ministère
paroissial à travers champs ou à travers rues imposent aux curés ou aux
vicaires les brodequins solides et les fortes semelles, mais, à
l’église, à l’autel, et même dans les réceptions, je regrette toujours
la boucle d’argent qui se mariait si bien avec le cadre liturgique et
les vêtements sacerdotaux.

L’avantage de la soutane est de draper l’homme tout entier à la manière
de la toge romaine. Elle est certainement plus noble que l’habit étriqué
de nos jours, auquel s’ajuste avec peine le pantalon, et qui a le tort
de suivre la nature de trop près.

La soutane, par contre, a l’inconvénient d’exiger de celui qui la porte
un soin extrême pour la conserver en état de propreté. C’est là un
problème dont tous les prêtres ne trouvent pas la solution. L’incurie,
sous ce rapport, devient plus apparente chez l’ecclésiastique que chez
l’homme du monde. Le curé de campagne est tenu à moins de frais de
toilette que le curé de ville. Le paysan en habit de travail n’y regarde
pas de si près: il lui suffit que son curé soit bien propre et bien rasé
le dimanche.

Le prêtre séculier ne porte pas la barbe. Ce privilège est réservé aux
missionnaires, lesquels perdraient tout prestige auprès des peuples
qu’ils évangélisent, s’ils avaient le visage glabre comme des femmes.
Les prêtres combattants avaient rapporté de l’armée l’habitude de
laisser pousser leur barbe. Ce fut un vrai sacrifice pour quelques-uns
de la raser. Certaine barbe, si je suis bien informé, avait pris une
telle ampleur et donnait à l’ecclésiastique un si bel air de moine de
vitrail, que l’évêque lui fit grâce et qu’elle continue à se répandre
«comme un ruisseau d’avril».

La nécessité de faire sa barbe lui-même expose parfois le prêtre à la
faire moins souvent qu’il ne le faudrait. Ceux qui poussent trop loin
sous ce rapport la négligence deviennent la cible des taquineries de
leurs confrères. Cela donne parfois lieu à de piquantes plaisanteries.
On cite en Artois le trait suivant: Il existe dans le diocèse d’Arras un
village du nom de Thérouanne. C’est tout ce qui reste de l’ancienne cité
épiscopale à qui Charles-Quint fit expier cruellement sa glorieuse
résistance, en la détruisant de fond en comble. Or, à la fin du dernier
siècle, la paroisse du Thérouanne actuel avait à sa tête un curé qui
passait pour ne faire sa barbe que rarement. Un jour que Mgr X..., en
tournée de confirmation, recevait les curés, on lui présenta le curé de
Thérouanne en ces termes: «Monseigneur, voici le curé de Thérouanne,
rasé sous Charles-Quint.» Et Monseigneur, apercevant la face ombreuse du
prêtre désigné, de répondre: «J’aurais cru sous Clovis.»

S’il y a un type ecclésiastique imposé par le costume et l’esprit de la
profession, le type n’en admet pas moins une certaine variété dans ses
représentants. Rien n’est plus intéressant que l’aspect d’une assemblée
de prêtres réunis, par exemple, pour les exercices de la retraite. En
dépit de l’uniformité de l’habit et des gestes, les différences sautent
aux yeux. Un visage maigre et pâle tranche auprès d’un visage plein et
pourpre; les cheveux en brosse sur une jeune tête narguent un crâne
d’ivoire tout voisin: des cheveux blancs, longs et bouclés, inspirent le
respect comme une chose antique qu’on ne reverra peut-être plus.
Celui-ci semble s’effacer avec sa silhouette qui remplit mal la soutane,
et, légèrement voûté, se penche en marchant, mais les lèvres sont fines,
prêtes au sourire ou bien au mot malicieux; les traits sont reposés, le
regard paisible et doux. Celui-là se drape dans une enveloppe plus
majestueuse. Il est haut de port et de couleur. Son ventre proéminent le
force à dresser le buste et la tête, et à rejeter les épaules en
arrière. Cela lui vaut, comme on dit, une belle prestance et
l’admiration du peuple, qui aime l’apparence de la force, même chez les
hommes adonnés aux choses de l’esprit. Peut-être plus d’un lecteur se
rappelle-t-il la pochade d’un peintre connu du dernier siècle, intitulée
_Une bonne histoire_? Deux abbés: l’un, corps fluet, regard pétillant,
l’autre, taille imposante et air dominateur, se regardent en riant,
après la bonne histoire que l’un des deux vient de raconter, sa
tabatière à la main. En somme, le type ecclésiastique oscille entre ces
deux portraits d’un Giton et d’un Phédon qui sont frères.

                   *       *       *       *       *

La bonne tenue du clergé français est un fait admis du monde entier. La
soutane est un porte-respect qui agit d’abord sur celui qui en est
revêtu. Le public est sévère pour le prêtre, en France plus qu’ailleurs.
D’aucuns poussent un peu loin l’application de la maxime: «Un prêtre
n’est pas un homme comme un autre.» Il n’y a pas bien des années que les
personnes dévotes se scandalisaient de voir un ecclésiastique fumer le
cigare, encore plus la pipe. Les statuts diocésains en faisaient la
défense. Aujourd’hui, le clergé français, surtout celui qui a fait la
guerre, fume à l’instar de tous les clergés du monde.

Les usages ecclésiastiques sont tenaces: ils deviennent facilement des
obligations. Naguère, le curé de campagne était inévitablement un
piéton, inséparable de son bâton, moins élégant que solide. Quand il
avait quelque aisance, il se payait cheval et voiture, et en faisait
profiter ses confrères moins bien partagés. Plus anciennement, les curés
qui le pouvaient possédaient un bidet, et faisaient leurs courses au
petit trot. L’usage en est perdu. La bicyclette a remplacé le cheval, et
non sans peine. Ce fut une affaire, une affaire d’État, de savoir si les
prêtres pouvaient enfourcher la bécane. Cela ne s’était jamais vu, et,
dans l’Église, ce qui ne s’est jamais vu rencontre toujours une
opposition sérieuse. Les évêques, pour la plupart, commencèrent par
jeter l’interdit sur le nouvel instrument, trop léger, trop sautillant,
trop rapide, pour la dignité de la robe ecclésiastique. Aucun prélat ne
poussa la rigueur jusqu’à jeter l’interdit sur le prêtre récalcitrant,
mais plus d’un fit peut-être le jeu de mots cruel dont je connais la
victime: «M. X... ne veut point renoncer à la bicyclette. Soit.
Dites-lui qu’il aura beau aller vite, il _n’avancera pas_!»

En certain diocèse où la bicyclette était également défendue, il se
trouva que, l’archevêque étant venu dans une paroisse de campagne pour
donner la confirmation, les «saintes huiles» avaient été oubliées au
chef-lieu de canton où logeait Monseigneur. Que faire? L’heure de la
cérémonie avait sonné. Envoyer une voiture? Oui, mais le trajet était
long et le retard le serait aussi. Or, il y avait, parmi les curés
présents, un habitué de la bicyclette, qui avait déjà reçu de l’autorité
diocésaine maint avertissement, d’ailleurs resté lettre morte.
Timidement, il s’avança, sa machine à la main, et s’offrit à _courir_ au
plus vite pour apporter le saint-chrême. Il fallut bien pour cette fois
lever la défense.

Les mœurs sont devenues plus fortes que les règlements, même
ecclésiastiques. Aujourd’hui, ce sont les évêques qui font cadeau aux
curés de la bicyclette dont ils ont besoin pour exercer leur ministère.
On commence déjà à offrir des motocyclettes et même de petites
automobiles à ceux qui ont de grands espaces à parcourir. L’Église a
toujours embarqué la vérité évangélique sur tous les véhicules qui
passaient à sa portée. Bientôt elle enverra, sans doute, ses
missionnaires par un service d’avions. Elle trouverait des aviateurs au
besoin parmi les prêtres anciens combattants.




CHAPITRE II

LA FORMATION DU PRÊTRE


Ce n’est pas l’habit qui fait le moine, ni le prêtre. C’est la fonction,
et l’on sait que la fonction du prêtre fait de lui un être à part,
séparé du train commun du monde. En quoi consiste la fonction
sacerdotale, qui s’appelle dans la langue ecclésiastique le _ministère_,
le métier par excellence? Quand tous les métiers nécessaires à la
subsistance et au bien de la société ont trouvé des bras et des
cerveaux, quand toutes les fonctions sociales de l’ordre temporel ont
trouvé chacune leur fonctionnaire, que reste-t-il encore à faire pour le
service de la société? Rien apparemment, si la vie est tout entière
enfermée dans le cycle du temps et des affaires du temps. Mais, s’il
existe pour les membres de la grande famille humaine une affaire qui
dépasse les limites de la vie, à savoir l’affaire de la destinée,
autrement dit l’affaire des relations de l’homme avec Dieu, ne faut-il
pas quelqu’un qui ait mission de traiter au nom de tous, en parlant à
Dieu de ce qui intéresse les hommes, et en parlant aux hommes de tout ce
que Dieu réclame de leur bonne volonté? Cette affaire transcendante, la
grande affaire, a cela de particulier qu’elle est commune à tous et
forme un lien qui s’étend non seulement aux individus, mais aux
familles, aux nations, à l’humanité tout entière. C’est proprement
l’essence de la religion de relier les esprits, et d’avoir besoin, pour
maintenir l’union, de certains hommes spécialement consacrés à cet
effet, ministres ou prêtres, chargés d’offrir la prière officielle et le
sacrifice officiel de l’assemblée des croyants, de son vrai nom
l’Église.

Chez tous les peuples et dans toutes les religions, le sacerdoce forme
une classe séparée, une tribu, une caste. La plus religieuse des
religions, la religion catholique, devait aller plus loin encore. La
discipline du célibat rendait plus sensible la ligne de démarcation.
D’autre part, le célibat empêchait la prêtrise de devenir un apanage
héréditaire et coupait court aux abus des castes sacerdotales.

On le comprend, du reste, une fonction qui est à la fois humaine et
divine et qui est à part et au-dessus des autres, devra exiger une
sélection préalable, un apprentissage privilégié.

L’état ecclésiastique, comme on dit, suppose une vocation. La vocation,
ce n’est pas seulement l’attrait intérieur qui est au début de certaines
carrières, telles que l’armée ou les lettres. L’élu se sent appelé de
plus haut et, en suivant le secret instinct qui l’agite, il croit obéir
à Dieu; mais, comme l’illusion est possible, ce n’est pas l’enfant ou le
jeune homme qui se désigne lui-même, c’est l’évêque qui le choisit ou du
moins qui confirme l’appel du dedans par un appel d’autorité.

Les circonstances fournissent, bien entendu, les indices révélateurs de
la vocation. Le plus souvent, l’enfant appartient à une famille
pratiquante: un sentiment tendre s’éveille de bonne heure en son âme à
l’égard des choses de la religion, des cérémonies et des dévotions. Il
est un autre Éliacin, élevé à l’ombre de l’autel, et il peut dire avec
lui, en bon enfant de chœur:

    _Je présente au grand prêtre et l’encens et le sel._

Le curé de la paroisse connaît son petit monde, il a vite remarqué les
dispositions qui inclinent son servant de messe à une piété plus
consciente. Il songe à l’envoyer au petit Séminaire, où, tout en faisant
ses classes d’humanités, l’enfant aura tout le loisir de la réflexion.
Les parents sont peu aisés, mais qu’à cela ne tienne. La plupart des
prêtres furent des boursiers, non des boursiers du budget public, mais
du budget des œuvres catholiques. Le petit Séminaire est la pépinière au
premier degré des vocations sacerdotales. Naguère, sous le régime du
Concordat, les petits Séminaires n’étaient pas soumis aux conditions de
la loi Falloux, sur la liberté de l’enseignement. Privilège assez
onéreux, puisque l’État se réservait de régler le nombre des petits
Séminaires, un par diocèse, et même, comme sous Charles X, le nombre des
élèves ne devait pas dépasser vingt mille.

C’est principalement à la campagne et parmi les familles paysannes que
se recrute la grande majorité des séminaristes. Du moins, il en est
ainsi dans les régions agricoles. Ce serait manquer à la vérité que de
ne pas rendre aux populations maritimes l’honneur qui leur est dû de
fournir au Christ de nombreux «pêcheurs d’hommes». Telle petite ville du
Boulonnais n’est pas seulement célèbre par l’intrépidité de ses marins.
Elle est plus fière encore d’avoir donné au diocèse d’Arras, depuis un
demi-siècle, cinquante prêtres, dont une quarantaine sont vivants.
Cependant, le trouble causé par la séparation de 1905 dans les esprits a
eu sa répercussion sur le recrutement ecclésiastique. Inquiet pour le
pain quotidien du prêtre, dont le traitement n’était plus assuré, le
paysan regarda d’un œil moins satisfait le presbytère, où naguère il
avait rêvé de voir s’installer son fils et envisagé le repos de sa
propre vieillesse. Et puis, l’école primaire ayant cessé d’être
chrétienne, les élèves les mieux doués n’étaient plus dirigés vers le
sanctuaire, comme au temps où les instituteurs eux-mêmes étaient fiers
d’y destiner un de leurs enfants.

Les villes et les centres industriels sont moins universellement
religieux, mais les écoles libres, les patronages, les collèges
secondaires fournissent l’atmosphère favorable à l’éclosion des
vocations. Joseph de Maistre a écrit: «Si j’avais sous les yeux le
tableau des ordinations, je pourrais prédire de grandes choses.» Le
graphique avait beaucoup baissé depuis vingt-cinq ans; la guerre, en
décimant les rangs des jeunes clercs, avait encore aggravé le mal. Mais
le graphique commence à remonter, et de grandes choses sont possibles,
si Joseph de Maistre est bon prophète.

                   *       *       *       *       *

Quant aux sources auxquelles s’alimentent les vocations ecclésiastiques,
nous disions tout à l’heure qu’il en sort surtout du vieux terroir
populaire. Le peuple est toujours l’inépuisable réserve de l’énergie
sous toutes ses formes. Génie, courage, sainteté, tout ce qui fleurit au
sommet de l’arbre a pu s’élever plus ou moins lentement, mais c’est du
fond obscur où s’enchevêtrent les racines qu’il est monté à la vie, à la
lumière, à la gloire. Bourgeoisie, noblesse même ont leurs origines dans
le peuple et ne devraient pas oublier de rendre au peuple ce qu’elles
ont reçu de lui.

Quoi qu’il en soit, c’est du peuple principalement que vient le plus
grand nombre de prêtres. Il en a toujours été ainsi, mais, sous l’ancien
régime, les familles nobles destinaient leurs cadets à l’Église, alors
que l’Église pouvait leur offrir des «bénéfices» aussi lucratifs
qu’honorables.

Après le Concordat, le recrutement des prêtres se démocratisa. Les
sièges épiscopaux, naguère presque exclusivement occupés par la
noblesse, illustrèrent des noms roturiers. La noblesse, d’ailleurs,
s’était retirée et laissait le champ libre aux enfants de la classe
bourgeoise, paysanne et ouvrière. Il y eut de brillantes exceptions,
cela va sans dire, et, pour n’en nommer qu’un, l’abbé d’Hulst, même
avant d’être prélat et recteur de l’Institut catholique, pouvait passer
à bon droit pour le premier prêtre de France. Ainsi l’Église se
retrouvait dans son naturel avec l’avènement d’un régime fondé sur
l’égalité des droits et la disparition des privilèges. La richesse et
les honneurs n’étaient plus l’appât à capter des vocations. L’amour de
Dieu et le zèle du salut des âmes étaient les seuls attraits qui
pouvaient séduire les grands cœurs, et les grands cœurs ne manquèrent
pas. Le XIXe siècle fut un siècle de gloire pour le clergé de France qui
ne fut jamais plus digne, ni mieux instruit, ni plus apostolique.

Si l’on voulait, au point de vue social, caractériser d’un mot le siècle
qui vient de se terminer, on pourrait dire qu’il fut surtout l’ascension
du plus grand nombre aux emplois publics, à la richesse et aux honneurs.
Siècle de la démocratie naissante, le XIXe vit monter, grâce à
l’instruction, grâce à la prospérité de l’industrie, une foule de
talents qui trouvèrent la voie libre. Mais, en dépit des préjugés
contraires, c’est dans les rangs ecclésiastiques que se manifesta plus
sensiblement cette montée nouvelle. On ne prête pas assez d’attention à
ce phénomène social qui se renouvelle incessamment dans l’Église. La
vocation ecclésiastique choisissant ses élus surtout parmi les humbles
et les pauvres, par le seul effet de ce choix, voilà des jeunes gens qui
vont recevoir le bienfait d’une instruction étendue, qui vont devenir
une élite intellectuelle, autant qu’une élite religieuse et morale. Le
siècle n’en profite pas, dit-on. Erreur: toute lumière profite à tous,
et l’habit n’importe pas, si l’on a le flambeau en mains. D’ailleurs,
l’Église est une semeuse qui ne compte pas à quelques grains près. Sur
tant d’enfants qui viennent éprouver leurs vocations dans ses petits
séminaires, combien qui ne persévèrent pas, mais qui ont trouvé dans le
vestibule du sacerdoce, devant la porte qui ne devait pas s’ouvrir pour
eux, une culture littéraire qui devait être le premier degré de leur
ascension vers un rang social auquel ils ne pouvaient normalement
aspirer!

                   *       *       *       *       *

Le petit séminaire est le vestibule du grand séminaire, où se fait la
préparation définitive au sacerdoce. Le grand séminaire est une école
supérieure où le jeune clerc reçoit l’enseignement de la théologie,
pendant cinq années, et où il monte de degrés en degrés jusqu’à l’Ordre,
le sacrement qui fait le prêtre. Le grand séminaire est aussi une école
d’ascétisme. Par ce mot, l’Église entend les règles ou les exercices de
la vie spirituelle, laquelle consiste en trois choses principales. En
premier lieu, l’élévation de l’esprit, par la méditation assidue des
mystères de la Foi et des moyens surnaturels dont Dieu se sert pour
faire participer l’homme à sa divine essence. En second lieu, l’art de
discipliner les mouvements du cœur pour le soustraire à l’illusion des
attachements de la chair et du sang et pour le fixer dans le seul amour
qui demeure éternellement, l’amour de Dieu et de son Fils qu’il a
envoyé. Enfin, la méthode qui a pour but d’habituer la volonté à se
plier promptement, même s’il en coûte à la nature, à la règle, au
commandement, à la conscience, tout cela étant considéré comme la
volonté de Dieu, que cela vienne directement de Lui, ou de l’Église, ou
de la fonction.

Le grand séminaire est pour le futur prêtre ce qu’est le noviciat pour
le futur religieux. Certaines personnes ont vu là précisément, dans
cette similitude de préparation à deux genres de vie fort différents, le
point faible de la formation du clergé paroissial. Le clergé paroissial
étant destiné à vivre au milieu du monde et pour ainsi dire au grand air
de la vie du siècle, pourquoi lui faire subir cette épreuve en vase
clos, au sortir de laquelle il pourra être rompu aux exercices de la
spiritualité, mais aussi se trouver fort dépourvu devant la nouveauté
des choses et des personnes, quand il lui faudra passer aux réalités du
ministère pastoral? Le reproche est-il aussi fondé que spécieux? S’il
faut excéder en quelque chose, ne vaut-il pas mieux former le prêtre
d’abord, avant le pasteur, le prêtre devant d’autant mieux remplir son
pastorat qu’il sera prêtre plus profondément?

Sait-on que l’institution du grand séminaire est relativement récente?
Les décrets du Concile de Trente étaient restés lettre morte par suite
des guerres de religion. L’ère de la paix religieuse enfin ouverte avec
Henri IV, de zélés missionnaires parcoururent la France, mais ils
s’aperçurent bien vite que le fruit de leurs missions devait périr,
faute d’un clergé capable de le recueillir et de le conserver. Certains
prêtres dans les campagnes ignoraient même la formule de l’absolution.
La formation des ecclésiastiques était l’œuvre la plus pressante. Les
ordres religieux avaient leurs noviciats; le clergé séculier n’en avait
pas. L’évêque de Comminges, tout pieux qu’il était, ne demandait aux
clercs, pour les ordonner, que de venir la veille ouïr un sermon, et
d’éviter tout jeu ou toute débauche dans la maison où ils passeraient la
nuit. Saint Vincent de Paul, aidé des Pères de l’Oratoire, Condrin et
Eudes, institua la retraite de huit ou même de dix jours. Cela parut
alors une grande nouveauté. Le futur cardinal de Retz, Paul de Gondi, ne
subit pas d’autre épreuve, et, après une semaine de préparation, reçut
les ordres jusqu’à la prêtrise inclusivement. Les séminaires ne se
fondèrent que peu à peu, malgré la volonté expresse de Richelieu.
Quelques essais échouèrent. Ce ne fut que vers 1650 que M. Olier, qui
avait accepté la cure de Saint-Sulpice, fonda le séminaire devenu depuis
le modèle des autres. Oratoriens, Lazaristes, Jésuites même suivirent
son exemple. C’est un fait unique, écrit M. G. Goyau, que cet effort de
notre XVIIe siècle pour réorganiser l’éducation du clergé.

Faut-il laisser dire que, si la formation qui règne dans un grand
séminaire est tout à fait hors de pair au point de vue moral et
ascétique, elle est peut-être, au point de vue intellectuel et
scientifique, inférieure à celle dont bénéficient chez des peuples
voisins les étudiants ecclésiastiques qui suivent les cours des
Universités? Admettons que l’objection soit fondée. Il resterait encore
en faveur de l’internat ecclésiastique que la formation spirituelle y
court moins de risques, et que, s’il fallait opter entre plus de science
et moins de piété, d’une part, et, d’autre part, entre plus de piété et
moins de science, l’Église n’hésiterait pas, elle dirait: «Formez-moi de
saints prêtres d’abord, les prêtres savants viendront après.» Et le
peuple penserait là-dessus comme l’Église.

Mais, grâce à Dieu, la question ne se pose pas ainsi. Ce serait une
erreur de croire, en effet, que le séminariste français est placé devant
ce dilemme, ou l’indifférence pratique envers l’étude et l’effort
intellectuel, ou le souci exclusif de la perfection sacerdotale. Jetons
un simple coup d’œil sur l’emploi du temps dans une journée de
séminariste. Depuis cinq heures du matin jusqu’à neuf heures du soir,
tout est déterminé pour faire à la nature, à l’étude, à la piété leur
part respective, Toilette, repas, récréations occupent environ trois
heures et demie. Les exercices de piété, trois heures environ; ce qui
fait en tout, en prenant une marge, sept heures. Le reste, c’est-à-dire
neuf heures, est consacré aux cours et aux préparations de cours. Que
vaut ce travail? Ce que vaut l’intelligence des élèves, la compétence
des maîtres, la qualité des méthodes et des livres. On peut tout
contester, mais qui oserait dire que la tradition déjà trois fois
séculaire de l’enseignement théologique n’ait pas produit ce quelque
chose qui est supérieur même au génie, l’expérience, c’est-à-dire la
pierre de touche pour déterminer la dose raisonnable de science que peut
porter la moyenne des ecclésiastiques, eu égard aux nécessités du
ministère paroissial. C’est un des heureux effets de la fondation des
grands séminaires d’avoir mis à la portée des futurs prêtres un ensemble
de connaissances qui embrasse, avec la théologie dogmatique et morale,
toutes les sciences qui s’y rattachent, histoire ecclésiastique, droit
canon, exégèse, liturgie. Mais c’est tout autant une marque du prudent
réalisme de l’Église de France d’avoir maintenu le programme et les
méthodes dans les sages limites en deçà desquelles le travail de
l’esprit se tourne naturellement au service des âmes, et au delà
desquelles les recherches savantes peuvent devenir pour la plupart une
dépense stérile d’efforts et pour quelques-uns un dégoût de l’apostolat
commun. Qu’on se rassure d’ailleurs sur les résultats. Si le
recueillement de la vie est la meilleure garantie des progrès de
l’esprit, peut-on rêver une atmosphère plus favorable à l’étude que le
régime scolaire des séminaristes dont les journées s’écoulent
silencieuses et régulières, à l’égal des journées monastiques, à l’ombre
des cloîtres, en passant des cellules closes aux salles de cours et en
se ramifiant au centre de la vie morale, la chapelle.

Toutefois, les Universités auront leur place dans la hiérarchie de la
science sacrée. Elles sont d’origine ecclésiastique, et, dans le passé
elles ont contribué à l’essor de l’esprit humain, qui n’a pu sortir du
nid maternel que sur les ailes de la foi et de la raison alors
conjuguées.

Depuis les temps modernes, la philosophie ayant cessé d’être la servante
de la théologie, la théologie a dû se constituer à elle-même son domaine
et justifier ses droits. Les Universités catholiques ont rendu la vie et
l’éclat aux sciences religieuses, et les jeunes élèves, les mieux doués,
l’élite des grands séminaires, s’en va puiser aux sources du haut
enseignement la culture supérieure, aussi bien profane que sacrée, qui
permet au clergé de France de faire grande figure dans le monde
intellectuel de son temps.

                   *       *       *       *       *

Il n’est pas rare d’entendre dire que la formation du clergé a le tort
de s’attacher surtout à l’homme intérieur, en négligeant l’homme
extérieur, celui qui paraît d’abord aux regards et qui, selon
l’impression agréable ou non qu’il produit, attire ou repousse les laïcs
et les dispose favorablement ou non à l’égard de la religion.

Le prêtre catholique a été le plus souvent élevé à la campagne: il lui
faut beaucoup oublier et beaucoup apprendre pour se familiariser avec
les usages du monde. Les années d’études qu’il passe au petit séminaire
commencent à dégrossir la statue. Les directeurs donnent les conseils
nécessaires, et le contact des camarades plus favorisés fait le reste.

Le travail intellectuel, en affinant l’esprit, exerce un heureux
contre-coup sur la tenue extérieure. Et, surtout, les jeux et les sports
bien conduits ne tardent pas à marquer les gestes et les mouvements de
l’enfant du rythme de la vigueur, qui est le commencement de l’élégance
virile. Il y a plus, les exercices spirituels, comme on appelle
l’ensemble des actes qui sont destinés à former le prêtre, ne se bornent
pas à régler, selon l’idéal tracé par le Christ et l’Église, les pensées
et les sentiments de l’âme: ils réagissent sur les attitudes du corps
lui-même. Il est d’usage, dans les grands séminaires, de consacrer, à la
fin de la matinée, un quart d’heure à ce que l’on nomme l’examen
particulier.

Ainsi l’on se conforme au conseil des maîtres de la vie spirituelle,
lesquels ont eu des précurseurs parmi les moralistes anciens; on
s’examine sur les négligences qui se sont glissées dans la conduite
intérieure et extérieure. Le second supérieur de Saint-Sulpice, M.
Tronson, a donné le modèle de ces examens particuliers. Ils embrassent
toutes les actions, jusqu’aux plus simples, de la vie du séminariste.
Ils portent, bien entendu, sur l’esprit, sans lequel la vie spirituelle
n’est que grimace ou automatisme. C’est l’esprit qui anime tout, préside
à tout, sanctifie tout, en un mot spiritualise tout. Il faut voir avec
quelle minutie le bon M. Tronson rapporte à des vues de perfection
intérieure l’usage forcé des vêtements, de la nourriture, la manière de
voyager, de regarder la nature ou les belles choses, de converser avec
les personnes du monde, de se tenir en visite ou à l’église, de refuser
aux sens de l’ouïe et du toucher les satisfactions qui pourraient les
entraîner trop loin. Les séminaristes d’aujourd’hui ne peuvent
s’empêcher de sourire quand il est fait allusion aux coutumes du XVIIe
siècle, quand il est défendu aux clercs de regarder dans les carrosses
qui passent, de parler dans les récréations des affaires d’État, de
l’armée et des nouvelles du siècle, quand il est dit que les habits de
dessous doivent être de couleur brune, qu’il ne faut pas sortir sans
soutane et en habit court, etc. Mais tout n’est pas démodé dans ces
examens. C’est un véritable manuel de civilité, nullement puérile, mais
toujours chrétienne et particulièrement ecclésiastique. Qu’on en juge
par un exemple:

«Il est de la modestie de ne point marcher trop lentement, traînant les
pieds ou ne les levant qu’avec négligence. Il en est de même d’aller
d’un pas lourd et pesant, mais aussi il ne faut pas marcher avec tant
d’agilité et de délicatesse que de ne vouloir toucher la terre que du
bout des pieds, ce que saint Jérôme estime ne convenir nullement à des
clercs.»

La tradition sulpicienne a continué dans la même voie, en s’adaptant aux
mœurs nouvelles, et au XIXe siècle le livre de M. Branchereau, supérieur
du grand séminaire d’Orléans, sur la politesse du prêtre, est devenu
classique. La bonne éducation n’est pas indifférente au succès du
ministère pastoral. Le curé de campagne est exposé à se départir de la
surveillance sur soi que suppose la distinction, et, pour se rapprocher
de ses braves gens de paroissiens, il se laisse parfois aller à prendre
leur accent, leur abandon, leur démarche. Il croit se rendre populaire,
mais il se trompe. Les gens du peuple aiment qu’on leur parle comme à
des «messieurs», surtout quand il s’agit de leur parler de choses graves
et de leur ouvrir les perspectives de l’autre monde. Le curé sans gêne
peut devenir «Mon curé chez les riches», secouer l’apathie des
châtelains du pays par ses saillies et rayer leurs parquets avec ses
souliers à clous. C’est un genre qui expose à faire des «pas de clerc».
Il y avait une fois, dans une charmante paroisse normande, un curé qui
ne surveillait pas assez son langage. Il était reçu au château, et là il
tâchait de ne pas laisser échapper de gros mots. Un jour qu’il faisait
visite à la comtesse de X..., il lui arriva, en descendant l’escalier,
de glisser sur une marche et de tomber lourdement. Au bruit qu’il fit,
la comtesse, qui était en haut, demanda ce qui se passait. «Ce n’est
rien, madame la comtesse, répondit ingénument le curé, c’est moi qui me
f... bas.» Et il se servit d’un terme qui n’avait pas encore à cette
époque reçu dans la tranchée ses lettres de noblesse.




CHAPITRE III

LE CURÉ DE CAMPAGNE


On connaît le mot si souvent cité de l’historien anglais Gibbon: «Les
évêques ont fait la France comme les abeilles font la ruche.» Les
évêques, en effet, secondés par les moines, ont été les organisateurs de
la vie religieuse, qu’ils ont su mêler si étroitement à la vie nationale
que la religion semblait être aux institutions de l’État ce que l’âme
est au corps. Mais la vie religieuse elle-même n’aurait pas vivifié tout
l’organisme civil, et moins encore imprégné l’esprit du peuple, si les
diocèses n’avaient été partagés en paroisses, et si les paroisses
n’avaient eu à leur tête un prêtre résident, chargé d’enseigner le dogme
chrétien avec la morale de l’Évangile, et d’administrer les sacrements.
Pour autant que l’on puisse parler de l’âme française, ou, si on le
préfère, de la conscience française, ce sont les curés de France qui ont
façonné en grande partie l’une et l’autre.

Placez au centre d’un village, ou dans chaque quartier des cités, un
homme qui ait pour mission spéciale de s’occuper d’une affaire qu’aucun
autre que lui ne peut traiter, l’affaire des relations de la terre avec
le ciel, de l’homme avec Dieu, affaire dont le succès ou l’échec engage
la destinée de l’âme humaine. Donnez à cet homme un habit, un genre de
vie qui le distingue des autres; qu’il parle, non pas dans une école ou
sur une place publique; qu’il ait pour tribune la chaire de l’église et
qu’il enseigne au nom du Dieu qui habite cette église; qu’il ne se
contente pas de dire ce qu’il faut faire, ce qu’il faut éviter, pour
sauver son âme; qu’il montre le Père céleste ouvrant ses bras à ceux qui
observent ses commandements, et menaçant les autres d’un châtiment
terrible; qu’il rassure ceux qui tremblent en leur promettant comme
appui et comme recours la miséricorde divine sous les traits du Christ
fils de Dieu; qu’il tienne à la disposition de tous le remède souverain
des maladies et des chutes spirituelles, la grâce toujours coulant, pour
qui veut la recevoir, par les canaux des sacrements. Laissez cet homme à
cette même place, toujours le même, quoique sujet à la mort, mourant
comme tout le monde, mais toujours remplacé: laissez-le enseigner aux
enfants, de génération en génération, de siècle en siècle, ce qu’il
enseigna aux pères à peu près dans les mêmes termes. Et dites-moi si, à
la longue, et malgré les inévitables déchets, de village en village, de
cité en cité, la conscience du pays tout entier ne finira pas par être
pénétrée des enseignements de cet homme, de la morale qu’il prêche, et
surtout de ce sentiment du péché qui, dans l’infidélité même, est encore
une reconnaissance de la loi.

Il faut rendre justice à la fonction historique des curés de France.
Elle est aussi ancienne que la patrie elle-même. Elle n’a jamais fait
beaucoup de bruit. La renommée a été pour les ordres religieux, grands
défricheurs, grands voyageurs, grands prêcheurs. Le simple curé, lui, a
été mis par l’histoire à la _portion congrue_. Ses vertus sont demeurées
obscures, et sa sainteté n’a eu que bien rarement les honneurs des
autels. Le curé d’Ars a eu la bonne fortune de naître en un siècle où
les humbles et les petits ont trouvé des hérauts pour annoncer leurs
mérites et des avocats pour défendre leur cause.

Sans doute, la gloire du clergé séculier a connu des éclipses, comme la
civilisation française elle-même. La dureté des mœurs féodales,
l’ignorance et la superstition faillirent corrompre jusqu’à ceux-là qui
devaient être le sel de la terre. Malgré tout, le curé de France ne
laissa pas s’éteindre son idéal. En ces âges de ténèbres, il fut la
petite flamme qui montait de la terre au ciel pour servir d’étoile dans
la nuit. Aux époques ravagées par le fer et le feu, il apparaissait
comme le bon pasteur qui offrait aux peuples désespérés l’Agneau de la
paix divine. Dans les périodes traversées par le doute de l’esprit et la
corruption du cœur, son impuissance lui laissait au moins la ressource
d’être encore, selon la parole de Rancé, la borne qui montre le chemin
de l’au-delà.

                   *       *       *       *       *

A tout seigneur, tout honneur. Le curé de campagne est l’exemplaire le
plus répandu et le plus représentatif du prêtre français. Il n’est point
de figure plus populaire que la sienne, et qui soit à la fois plus
réelle et plus idéale. Nos poètes et nos prosateurs, et non des
moindres, l’ont chantée. D’autres se sont contentés de la peindre sous
son aspect simple et un peu rude, mais d’autant plus touchant. Pour moi,
le trait le plus saillant de cette physionomie, c’est qu’elle fait
partie de la physionomie même de la France. Soit qu’on nous la montre
voilée d’ombre et de modestie sous la charmille d’un presbytère, au cœur
d’un village planté comme un bouquet d’arbres dans la plaine, soit
qu’elle passe, discrète, au fond de la vallée d’où l’on voit à
grand’peine le ciel à travers la fumée des usines, soit qu’elle se
profile sur le littoral, également familière et attentive au labeur de
la terre apaisante et aux risques de la mer berceuse tour à tour et
traîtresse, soit enfin qu’elle s’accroche presque inaccessible au flanc
des montagnes, où la vie est dure comme le rocher, la silhouette du
prêtre français n’est dépaysée nulle part. Il est naturel que le
portrait se ressente de l’influence du cadre, ou plutôt le cadre et le
portrait semblent si bien faits l’un pour l’autre que le curé fait
partie du paysage presque autant que l’église et son clocher.

Le curé a des attaches au sol comme le paysan. Il n’est pas étranger; il
est né dans la région; la plupart du temps, il est de famille modeste et
ses paroissiens le reconnaissent comme un des leurs. Il sait la vie de
ceux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front. Il n’a pas peur du
travail. Bien que ses fonctions sacerdotales soient d’un ordre
supérieur, il ne laisse pas de se rapprocher de ses ouailles par une
certaine similitude de goûts et d’occupations. La commune tient encore à
honneur, malgré la loi de Séparation, de fournir à son curé une
habitation décente et confortable. Le presbytère communal est le signe
de l’ancienne alliance de l’Église et de l’État; s’il ne tenait qu’à ses
paroissiens, le curé ne serait pas contraint à payer une location. Le
curé est bien chez lui, étant dans la vieille maison qui a vu, depuis
plusieurs générations, les prêtres se succéder sous son toit. La maison
est accueillante, les pauvres et les affligés en connaissent le chemin.
La servante est peut-être un peu sur ses gardes. Le chien aussi, mais
c’est de tradition, et les temps ne sont pas sûrs.

Le presbytère n’est pas une maison triste, comme on pourrait le croire.
La solitude n’en est pas pesante. Le curé a souvent la satisfaction
d’avoir chez lui soit son père, soit sa mère, soit un autre membre de sa
famille. Et puis, si le curé sait être l’homme de tous ses paroissiens,
il se sent entouré de leur sympathie, et il n’est rien moins qu’un
étranger au milieu d’eux. Il n’attend pas que ses ouailles aient
expressément besoin de son ministère pastoral, il s’intéresse à tout ce
qui les touche, il saisit l’occasion de les voir, de leur parler, il est
l’ami de tous, et, tout isolé qu’il paraisse être, dans sa maison, grâce
à l’amitié de sa paroisse, il est le moins solitaire des hommes. Au
reste, s’il lui faut de temps à autre se détendre en la compagnie de ses
confrères, c’est un usage bien traditionnel que les réunions entre
curés. Il en est d’obligatoires, comme les conférences, les fêtes de
l’Adoration perpétuelle. Les conférences ont un but d’utilité. Il s’agit
de conférer sur des questions de théologie ou de discipline. La
conférence est suivie d’un repas, dont le menu est réglé par ordonnance
épiscopale. Où donc le peintre Courbet a-t-il pris l’idée de son _Retour
de la Conférence_? Ces prêtres rougeauds et titubants, ce peut être un
tableau satirique, mais nullement peint d’après nature. Avant la
séparation de l’Église et de l’État, les curés--plus nombreux et partant
moins occupés--se réunissaient assez souvent à tour de rôle les uns chez
les autres, et, une fois fini l’exposé de la discussion théologique, le
dîner n’était pas la principale affaire. C’était la partie de cartes,
passionnée malgré la modicité de l’enjeu. Était-ce un péché? Non pas,
mais bien plutôt, peut-être, pour quelques-uns, une pratique salutaire
qui les mettait en sûreté contre la tentation de médire du prochain et
même de l’administration.

                   *       *       *       *       *

Les conditions nouvelles d’existence imposées à l’Église de France par
la Séparation ont-elles modifié la situation et l’attitude du clergé
français? Oui, sans doute, mais plus à la surface qu’au fond des choses.
Le curé de campagne n’émarge plus au budget de l’État et reçoit son
traitement de l’évêque, qui le met à la charge des fidèles. En est-il
moins libre vis-à-vis de ces derniers? On craignait que la Séparation,
en obligeant les curés à tendre la main pour leur subsistance, ne les
plaçât sous la dépendance de leurs bienfaiteurs. Je ne sache pas que le
_denier du culte_, comme on appelle cette nouvelle contribution, ait
donné lieu à ce genre d’inconvénient. Ce n’est jamais la paroisse qui
«paye» son curé. Les paroissiens remettent leur offrande au curé, lequel
la transmet au doyen, lequel la transmet à l’évêque.

Le traitement nouveau suffit-il en ce temps de vie chère? L’ancien
traitement de 900 francs serait aujourd’hui un traitement de famine. Il
faudrait qu’un diocèse fût bien dénué et le cœur des catholiques bien
froid pour réduire le curé de paroisse à une portion aussi peu
«congrue». Malheureusement, le denier du culte n’est pas entré partout
dans les mœurs; de là encore en certaines régions des détresses
ecclésiastiques sur lesquelles s’est émue à bon droit l’opinion.
Heureusement, le potager est un supplément de ressources. On peut y
ajouter le poulailler, et, si possible, le rucher.

Distraction ou nécessité, le jardin du presbytère absorbe une bonne part
des loisirs du curé. Celui-ci dépose le bréviaire pour prendre la bêche,
et réciproquement. Qui n’a rencontré le prêtre jardinier? En voici un
qui fait plaisir à voir. Le curé de X... semble avoir reçu en partage un
coin du paradis perdu et retrouvé. Son presbytère, de modeste apparence,
est situé à trente mètres de son église, sur un terrain qui descend en
pente douce vers la berge de la rivière ombragée et solitaire. Toute
l’étendue disponible, devant et derrière la maison, n’est que jardin,
et, en été, le jardin n’est que légumes divers, arbres fruitiers de
toute espèce, et fleurs variées. Un rucher bourdonne au bord de l’eau.
Des truites rôdent sous les roseaux et attendent l’heure du bon curé.
Celui-ci évolue à l’aise parmi ses bêtes et ses plantes. Sa paroisse ne
l’absorbe pas tout entier, bien qu’il ne lui ménage pas son temps, ses
exhortations, ses services et son dévouement. Mais c’est dans son jardin
qu’il déploie peut-être le plus de science, le plus d’art et j’oserai
dire le plus de psychologie. Comme l’amateur des jardins dont la
Fontaine dit que, «étant prêtre de Flore, il l’était de Pomone encore»,
notre curé de X... exerce un second sacerdoce envers ses abeilles, ses
fraisiers, ses groseilliers et ses rosiers. Une âme flotte sur tout
cela, qui vient de l’amour que porte le jardinier à ces merveilles, son
œuvre ou plutôt l’œuvre de Dieu secondé par son serviteur. On dirait que
les roses ont hâte d’éclore et les poires de mûrir pour lui faire
honneur, et pour lui procurer la joie de cueillir les primeurs du
printemps et de l’automne. _Primus vere rosam atque autumno carpere
poma._ On dirait que les fraises savent que les curés du doyenné en sont
friands, quand ils se réunissent au presbytère à l’occasion de la
neuvaine de saint Liévin, et que Monseigneur lui-même... Cependant, M.
le curé garde son naturel, l’artiste en lui ne gâte point le pasteur;
soit qu’il dise son bréviaire, soit qu’il écussonne ses arbres, il loue
toujours Dieu dans ses bienfaits.

                   *       *       *       *       *

Ce ne sont pas là des mérites indispensables, mais ce sont des attaches
au sol qui gagnent le cœur du paysan et l’empêchent de regarder le
prêtre comme un _passant_ et qui n’est bon à rien, hors de son église.
Le travail étant la loi commune, le peuple aime le prêtre qui s’occupe,
et le prêtre qui s’intéresse en connaisseur à l’ouvrage de ses
paroissiens. Le curé de campagne, en pays d’agriculture, doit être né
rural ou le devenir. Les trois quarts des prêtres sont des paysans et
souvent même sortent de famille agricole. Un ministre républicain,
voulant les flatter, les appelait les «_robustes fils du sillon_».
Beaucoup sauraient, au besoin, les deux mains sur le manche de la
charrue, «creuser profond et tracer droit». Du moins, le curé rural a le
goût inné des travaux de la terre, il a le coup d’œil sûr, il apprécie,
à l’égal d’un homme du métier, les promesses et le rendement des
cultures. Il connaît les sentiments et les passions que la terre excite
chez le laboureur de race. Il en éprouve sa part: il a pour les champs
de son village une sorte de tendresse. Il est le pasteur des âmes, c’est
entendu, mais la terre est pour ainsi dire aussi sa paroissienne. Il
l’aime, il veut son salut, et fait le compte de ses mérites et de ses
épreuves. Aussi bien, il obéit à l’esprit même de la liturgie; il est
appelé à bénir la terre comme une personne vivante; au matin des trois
jours des Rogations, il lui chante des litanies, au rythme des
processions traditionnelles, et porte le long des champs, d’un village à
l’autre, de copieuses bénédictions.

                   *       *       *       *       *

Le curé rural est amené à rendre aux cultivateurs des services positifs.
On ne compte plus dans certains diocèses les paroisses où le curé est
devenu l’inspirateur ou le conseiller des membres du syndicat agricole;
la chose est moins nouvelle qu’on ne pense, s’il est vrai que saint
Pierre Fourrier, le célèbre curé de Mattaincourt, le grand Lorrain qui
sut tenir tête à Richelieu, avait déjà doté les laboureurs de sa
paroisse d’une véritable «caisse rurale». C’est du pur Évangile, en
réaction contre l’esprit de défiance individualiste qu’entretient trop
souvent en chacun des agriculteurs le désir de gagner plus que le
voisin. Le curé rural a beau jeu de commenter les paraboles évangéliques
si fécondes en leçons morales, plus généreuses et plus humaines que la
fable de La Fontaine: _l’Alouette et ses petits_, qui illustre le
proverbe aussi peu social que chrétien: «Ne t’attends qu’à toi seul.»

Pourquoi les travaux de la terre ou de la mer retiennent-ils l’homme
plus près de Dieu et de son représentant, alors que les travaux de
l’industrie ou de la mine semblent au contraire l’en éloigner?

Les gens de mer ne sont pas très raffinés en matière de sentiment
religieux. Ils ont la foi des simples; ils l’ont reçue toute faite des
mains de leurs parents. Ils l’emportent avec eux dans leurs périlleuses
navigations, et, s’ils sont tentés parfois de l’oublier, ils la
retrouvent, toujours amie et consolatrice, à l’heure où leur vie est
suspendue au-dessus de l’abîme. L’espoir en Dieu se ranime avec la
crainte de la mort. Le scepticisme n’est pas à l’aise dans la tempête.
La foi des matelots se répand volontiers, au sommet du danger, en
promesses dont la Vierge, étoile de la mer, est principalement l’objet.
C’est l’honneur des gens de mer de tenir fidèlement leurs vœux. Il faut
le remarquer, la dévotion n’ôte rien à leur intrépidité, et, bien au
contraire, elle les empêche de se laisser tomber dans le désespoir. Il
entre une forte dose de foi chrétienne dans le courage renommé de nos
marins.

Les paysans gardent la tradition, telle que l’ont faite des siècles
d’une forte organisation paroissiale. Au village, le chrétien n’est pas
un isolé, il n’est pas livré à sa fantaisie. Il est moins exposé aux
entraînements; il est membre d’une famille qui a conservé des habitudes
religieuses. La famille est le cadre qui le protège, et la paroisse est
le bercail qui défend le troupeau. Sans doute la corporation paroissiale
n’est plus intacte, mais elle vit toujours et elle rallie encore bon
nombre de fidèles. Et puis, l’organisme étant sauf, le curé peut
toujours s’en servir pour exercer son apostolat.

L’apostolat religieux est moins facile parmi la multitude de
travailleurs qui n’ont pour trait d’union que l’intérêt matériel, pour
clocher qu’une cheminée d’usine, pour paroisse que le syndicat, pour
pasteurs que des hommes qui prédisent le paradis sur terre au risque d’y
mettre l’enfer. Pour avoir l’audience des âmes, il faut que l’apôtre
commence par prêter une attention sympathique aux aspirations actuelles
des personnes et à leurs intérêts immédiats. Ainsi le Bon Pasteur, pour
préparer les voies au royaume de Dieu, s’apitoyait sur les foules
affamées, guérissait les infirmes et consolait les affligés.

De là le curé social, promoteur de syndicats chrétiens, propagateur de
la doctrine vraiment catholique proclamée dans la célèbre Encyclique de
Léon XIII sur la condition des ouvriers. Le curé social a quelque chose
de décidé, de familier, de chaud, d’apostolique, qui donne confiance. Il
va au peuple; il aime les ouvriers; il leur prêche leurs devoirs,
certes, envers Dieu et envers les hommes, mais il s’enquiert aussi de
leurs besoins, de leurs impuissances, et il les encourage, et il les
éclaire, et il leur fait comprendre les vertus de la fraternité et le
bienfait de l’union; il les dirige dans leurs revendications pour les
contenir dans les limites de la justice; il leur enseigne l’amour de
Dieu le Père et de son Fils, le frère aîné de tous les chrétiens, afin
qu’ils ne traitent point en ennemis leurs chefs ou leurs patrons.

S’il ne tenait qu’à lui, en effet, les ouvriers n’auraient point de
haine, ils ne feraient point la guerre de classes. Beaucoup savent gré
au pasteur qui a le souci de leur bien-être en cette vie comme de leur
salut dans l’autre, ils restent attachés à une religion qui ne leur
apparaît pas seulement comme la consolation suprême dans le malheur ou
dans la mort, mais comme la providence assidue de leur vie terrestre et
quotidienne. C’est là malheureusement un idéal rarement réalisé, mais
c’est déjà quelque chose pour le prêtre de l’avoir conçu. On a trop
amèrement raillé les «abbés démocrates» qui ont fait monter la «question
sociale» dans la chaire. Ils avaient pourtant d’illustres devanciers.
Aucun d’eux n’a rien dit de plus que les Pères de l’Église. Et, sans
remonter aux libres prêcheurs du XVIe siècle, ont-ils frappé plus fort
sur la richesse mal employée que le père Lejeune, le père Bourdaloue et
le père Bridaine? Eux du moins n’ont pas perdu leur peine. Les œuvres
ont suivi la théorie. Les curés sociaux s’efforcent de faire rentrer la
religion dans le plan de la cité de demain. D’aucuns ont fait des
merveilles. Pour ne parler que des morts, qui ne connaissait en Alsace,
et même en France, la rude et sympathique figure du chanoine Cetty, curé
de Saint-Joseph de Mulhouse, et cette admirable organisation paroissiale
de la classe ouvrière qui marchait sous la houlette du pasteur? Inutile
de dire qu’il avait le cœur français, si français que ce cœur se brisa
de joie le jour de l’entrée triomphale de nos soldats dans l’Alsace
délivrée.




CHAPITRE IV

LE CURÉ DE VILLE


Le curé de ville reçoit du milieu dans lequel il exerce son ministère
certains traits particuliers qui le distinguent du curé de campagne. Des
ressources plus abondantes lui permettent de tenir maison plus conforme
aux habitudes bourgeoises. La vie paroissiale est plus active, le
confessionnal plus fréquenté, les prédications plus suivies. La semaine
est moins vide qu’au village, le presbytère moins désert. Les œuvres de
tout genre nécessitent des relations qui deviennent des occupations. Les
charges sont aussi plus lourdes d’ordinaire; n’y eût-il que pour le
soutien des écoles libres, le curé de ville est souvent en quête
d’argent. L’argent est le grand souci, souvent même l’entrave de
l’apostolat urbain.

Autre tourment: le curé de campagne peut dire, comme le bon pasteur: _Je
connais mes brebis et mes brebis me connaissent._ Il a tout loisir pour
les ramener, si elles s’égarent. Il les attend et sait où les trouver.

Le curé de ville, si la ville a quelque importance, ne peut se flatter
d’en faire autant. Les enfants eux-mêmes lui échappent trop souvent.
S’il veut recenser tous ses paroissiens, c’est une longue et minutieuse
besogne. En tout cas, l’action individuelle est difficile, le troupeau
est trop dispersé.

Par contre, la partie restée fidèle est plus vivante; la religion est
moins froide qu’à la campagne. Les associations de piété sont plus
florissantes. Le curé est exposé à se contenter de ce jardin de délices
spirituelles, quitte à s’excuser, faute de temps, de négliger la grosse
culture des âmes du commun.

C’est, en effet, dans les villes que le peuple désapprend de plus en
plus le chemin de l’église. Un fait social se manifeste, qui est
significatif au point de vue religieux. Le peuple ouvrier fréquente peu
volontiers une église qui est établie dans un quartier riche. On dirait
qu’il redoute d’y paraître presque autant que dans un salon. Je sais un
curé d’une grande cité maritime qui fut chargé, après la guerre de 1870,
de fonder une paroisse. Il n’avait d’abord pour chapelle qu’un vaste
baraquement. Les «pauvres gens» ne se faisaient pas prier pour y venir.
Mais, quand la nouvelle église fut bâtie, ornée, toute claire dans sa
robe de pierre blanche, ils n’osèrent plus s’y montrer. Le bon curé en
eut du chagrin, et, si la mort lui en avait laissé le temps, il aurait
élevé une nouvelle chapelle exprès pour eux dans leur quartier.

Il est fâcheux que la cloison morale qui tend à se former entre les
classes de la société, en dépit des apparences démocratiques, pénètre
jusque dans les églises, où devrait régner l’égalité évangélique.
Faudra-t-il en venir à morceler plus encore les paroisses, trop vastes
pour être bien servies, et à créer, selon le caractère des milieux, des
chapelles de secours appropriées, comme on met à la portée des familles
des écoles, des dispensaires, et en général des œuvres d’assistance?
Pourquoi la religion serait-elle la seule chose distante, solennelle et
toujours endimanchée?

Le régime concordataire rendait bien difficile la création de nouveaux
centres religieux. Il fallait tant de formalités pour obtenir
l’autorisation de l’État que les évêques reculaient devant les
obstacles. La Séparation eut cela de bon qu’elle laissa l’autorité
ecclésiastique juge et maîtresse de ses décisions en cette matière.
Aussi toute une floraison d’églises s’est épanouie dans les grandes
cités industrielles. Le procédé est classique. Un comité se forme pour
l’achat d’un terrain sur lequel on bâtira un presbytère et une église.
On commencera par une salle qui servira de chapelle provisoire. La
grande affaire est le choix du prêtre qui sera le curé bâtisseur. C’est
une vocation, et ne l’a pas qui veut. Il faut se faire quêteur d’abord,
jusqu’à concurrence de plusieurs centaines de mille francs. Le quêteur
connaît les joies extrêmes et les extrêmes ennuis. Il passe par toutes
les émotions d’un drame palpitant. Des fondations au faîte, du faîte au
clocher, il suit les péripéties de la naissance et du développement de
cet être aimé comme un enfant, son église. Les curés bâtisseurs sont
tour à tour maudits et admirés. Ils méritent une place à part dans le
livre d’or du clergé. Leur vertu propre est d’avoir osé et surtout
d’avoir eu confiance dans la générosité des fidèles, et d’avoir réuni
dans le même geste de foi religieuse toutes les classes sociales, et
dans la même escarcelle toutes les offrandes, depuis l’obole de la veuve
et le sou de l’enfant jusqu’aux chèques des riches paroissiens. La
tradition continue; cathédrales ou pauvres chapelles, les églises de
France sont la plupart l’œuvre de tous les Français et le trésor commun
de la nation.

Le curé de ville a son auxiliaire, le vicaire. Entre le vicaire et le
curé, la vie commune est de règle dans la plupart des diocèses. C’est
une école ou une épreuve, selon les cas. Le stage obligatoire du
vicariat a ses émotions. Le premier sermon est un événement. Le cœur des
assistants bat presque aussi vite que celui du novice prêcheur. Si le
fil du discours ne casse pas en chemin, c’est de bon augure, et
l’opinion est acquise. Les patronages sont un surcroît qui s’ajoute à la
tâche ordinaire. Les jeudis et les dimanches, sans parler de certaines
soirées, sont lourdement chargés. Il y a des vicaires qui ont le don;
les enfants viennent à eux, et c’est plaisir de voir défiler, à travers
les rues des grandes villes, drapeau en tête, les petits bataillons
scolaires qui vont s’ébattre à la campagne, sous la garde de «M.
l’abbé». C’est lui encore qui préside aux sports, ou qui campe avec les
Scouts de France. Il y a décidément quelque chose de changé dans le
ministère paroissial.

                   *       *       *       *       *

De la crise religieuse qui sévit encore en France est né le prêtre
moderne. Un mot le définit: c’est le prêtre des «œuvres». On entend
assez ce que cela veut dire. On ne rejette rien des formes
traditionnelles de l’apostolat. Elles n’ont pas vieilli; elles ne
peuvent pas vieillir. Baptiser, prêcher, confesser, communier, placer
comme des jalons sur la route de la vie les sacrements de l’Église,
c’est toujours le même mot d’ordre donné aux ministres de Jésus-Christ.

Mais, autant le mot d’ordre est facile à exécuter quand tout marche
selon le train d’autrefois, quand le curé n’a d’autre souci que de se
tenir à la disposition de ses paroissiens pour accomplir son ministère,
autant la tâche est difficile quand la paroisse n’existe pas ou n’existe
que de nom, et n’a gardé de l’organisme mort que le cadre, une église
qui reste toujours à peu près vide. Il arrive même que tout est à créer,
tout à organiser. Les grandes villes ont vu leur population augmenter
dans les faubourgs où l’industrie est venue s’installer. Les anciennes
paroisses limitrophes regorgeaient déjà; les nouveaux quartiers sont
hors de l’atteinte pastorale. Paris en offre un effrayant exemple. Au
temps du Concordat, où les créations de nouvelles paroisses étaient
presque impossibles, des agglomérations immenses demeuraient incultes et
désertes au point de vue religieux. Véritable phénomène historique que
l’on ne saurait qualifier de païen, le paganisme étant une religion, et
nulle religion n’étant connue ni pratiquée sur les confins des grandes
paroisses parisiennes. Combien de baptisés? Ce n’est peut-être pas le
plus grand nombre.

La création de nouveaux centres religieux s’imposait depuis longtemps.
Les chapelles de secours se sont multipliées, surtout depuis la
Séparation. Paris et les villes de province ont rivalisé de zèle et de
générosité. Mais on comprend qu’il ne suffit pas de construire une salle
en guise de chapelle pour constituer un organisme paroissial. C’est la
place et le moment des œuvres: c’est l’heure du prêtre moderne.

Comment peindre en quelques traits ce conquérant d’un nouveau genre?
C’est un jeune prêtre qui a fait son apprentissage dans une grande
paroisse déjà organisée. Aucun des secrets de l’apostolat traditionnel
ne lui échappe. Le voilà, par ordre supérieur, envoyé en mission
permanente dans un quartier de la grande banlieue, _aux Moulineaux_; il
est chargé de fonder la paroisse et de contruire l’église de
Notre-Dame-de-la-Paix. C’est une histoire qu’il nous raconte lui-même et
que j’abrège à regret. «Avant tout, connaître mon peuple et me faire
connaître de lui--et puis procéder avec méthode et persévérance--enfin,
montrer partout et à tous une bonté que rien ne décourage.

«J’ai choisi, pour mes introducteurs auprès des paroissiens, les
enfants. J’ai dans mon album les photographies de tous mes enfants
depuis bientôt dix ans. Je la demande à chacun et à chacune comme
souvenir de la première communion, de préférence à toutes les
autres images. Il faut voir comment la famille entière vient
processionnellement me la remettre!... Plus d’une fois, l’enfant
rencontré avec son papa, citoyen très rouge selon la renommée, venait me
sauter au cou et retournait chercher le papa pour l’amener et mettre,
pour ainsi dire, sa main dans la mienne.

«Les fêtes, à double caractère patriotique et religieux, ont un attrait
qui prend toujours sur l’âme populaire.

«Le Bulletin paroissial _Le clocher des Moulineaux_--qui a la forme d’un
journal--arrive à domicile, non par la poste, ce qui est trop
impersonnel, mais porté par les envoyés de M. le curé. Le Bulletin et
son porteur, quel puissant intermédiaire!

«Le _Livre des âmes_ tient à jour le nom et la composition des familles.
Ce livre est un _fichier_ composé d’une double série de cartes. Dans une
première série, portant le nom de la rue, on trouve l’indication
complète de chaque maison d’habitation, avec ses étages, ses escaliers,
ses cours intérieures. Une autre série porte le nom des familles avec le
nombre de leurs membres. «Le Bon Pasteur connaît ses brebis et ses
brebis le connaissent.»

«Ce n’est pas tout de connaître, il faut pénétrer. Comment?

«1º Admettre un principe directeur, c’est-à-dire l’autorité du curé.

«2º Procéder avec une certaine lenteur. J’ai mis quatre ans à préparer
un premier groupement d’hommes. Invités à cinquante-huit ils se
trouvèrent cinquante-sept.

«3º Donner un but personnel très net à chaque groupement, _femmes
chrétiennes_ pour monter la garde spirituelle autour des malades du
quartier; _enfants de Marthe_, non seulement pour la satisfaction de la
piété des jeunes filles, mais pour être les auxiliaires du prêtre, au
catéchisme, au chant, aux soins de la sacristie et de l’église.

«4º Garder chaque groupement très attaché à la paroisse; la pierre de
touche de cette fidélité est la participation au denier du culte, celui
qui donne étant gagné à la cause qu’il sert.

«Enfin, la conquête des âmes est une question de bonté,

«_Premièrement_, à l’égard de chacun, en ne demandant à sa bonne volonté
que ce qu’elle peut donner;

«_Deuxièmement_, à l’égard de l’assemblée des fidèles, en évitant le ton
du commandement; on fera confiance aux qualités en ne se plaignant
jamais de personne;

«_Troisièmement_, à l’égard des œuvres de jeunesse. Le curé gardera
toujours le contact avec la jeunesse, sur qui se fonde l’avenir;

«_Quatrièmement_, à l’égard des œuvres de charité et des œuvres
sociales--la série en est longue--le curé n’y doit pas être étranger. Le
_secrétariat du peuple_ est l’œuvre la plus intéressante. Deux bureaux:
un bureau de consultation juridique et un bureau d’assistance par le
travail ou de placement.

«Ce dernier a un tel succès comme intermédiaire entre l’employeur et
l’employé que le délégué du parti communiste, ayant fait venir un jour
M. Cachin, faisait publiquement cet aveu: Camarade, aux Moulineaux,
jadis si purs, il n’y a plus moyen d’opérer, car ils ont un curé qui
fait l’union entre le patron et l’ouvrier. Si par ailleurs quelque
meneur cherche à leur bourrer le crâne, on me raconte que les plus
rouges eux-mêmes défendent le curé des Moulineaux, le seul qu’ils
connaissent et qui, malgré cela, n’est pas, disent-ils, comme les
autres.

«Reste, après avoir organisé la paroisse, à recourir aux pratiques de
pénétration. Elles consistent en trois choses: la _dévotion au Saint
Sacrement_, l’_apostolat individuel_ et le _groupement des forces_.

«Autour de la dévotion au Saint Sacrement je me suis efforcé de faire
aimer _l’église, les chants, les cérémonies_.

«L’apostolat individuel, je l’exerce, pour l’ensemble des fidèles, à
l’occasion des baptêmes, des mariages, des enterrements. Un bout de
causerie, un serrement de main, une médaille, un mot amical, il en reste
toujours quelque chose. L’apostolat individuel, pour les élites,
consiste à former des cercles d’études, un comité paroissial, qui n’est
que le conseil d’administration de l’union paroissiale plus étendu et
plus varié, enfin des œuvres de jeunesse, avec la devise de
l’association de la jeunesse catholique: piété, étude, action. Je fais
une place à part aux âmes privilégiées, lesquelles travaillent par leur
esprit de sacrifice et font plus que tous les autres. Le groupement des
forces est le dernier mot de cette organisation paroissiale moderne. Les
forces de la paroisse sont tenues sous ma main par un _conseil_ qui se
compose des présidents des groupes, des directeurs et directrices
d’œuvres, des délégués des élites. Les forces du clergé consistent dans
la division du travail entre les vicaires, surtout la division par
_œuvres_, c’est-à-dire encore l’union des œuvres et la collaboration
étroite, que facilite beaucoup la vie de communauté.»




CHAPITRE V

LE PRÊTRE PRÉDICATEUR


Le prêtre, par vocation, est voué à la parole, et cependant le don de la
parole n’est pas une condition nécessaire de la vocation. L’Église n’a
pas pensé que la prédication de l’Évangile eût besoin, pour être
efficace, du talent des prédicateurs. Un avocat qui ne saurait pas
parler ferait mieux d’être maçon. Un prêtre peut et doit prêcher sans
aucune disposition oratoire. C’est à peine si les séminaristes reçoivent
quelques leçons d’éloquence, leçons théoriques en tout cas, qui ne
rappellent en rien les exercices de rhétorique auxquels étaient soumis
les futurs orateurs chez les Grecs et les Romains. On apprend à prêcher
en prêchant, et l’on prêche comme tous les prédicateurs que l’on a
entendus, c’est-à-dire suivant une formule admise et qui change peu
depuis le XVIIe siècle.

L’apprentissage de la chaire ne va pas sans péril. Un double écueil
attend le débutant. Ou bien il écrit son sermon, et il l’apprend par
cœur. Or il arrive qu’il perd la mémoire et reste court. Ou bien il
improvise, et c’est un autre danger de parler pour ne rien dire et faire
rire à ses dépens.

Les improvisateurs sont rares. On cite à l’honneur d’un prélat normand,
Mgr Jourdan de la Passardière, ce fait remarquable. Il était séminariste
de Saint-Sulpice. Son tour était venu de prêcher. L’usage était de
donner ces sermons d’essai au réfectoire, pendant le repas des élèves.
Monté dans la chaire, le jeune homme s’apprête à débiter le texte qu’il
avait écrit, mais la nature l’emporte sur l’artifice. Il oublie le
sermon préparé, et improvise séance tenante un nouveau discours. Il n’a
jamais écrit depuis.

La mémoire rend parfois de mauvais services. Elle est une tentation pour
ceux qui désespèrent de faire aussi bien que les maîtres de la chaire.
Ils apprennent des sermons tout faits. Ils s’exposent à ce que quelqu’un
de l’auditoire ait souvenance d’avoir lu le même auteur. Ce travers,
bien excusable, n’est pas nouveau. Un prédicateur du XVe siècle
n’avait-il pas composé un recueil de sermons auxquels il avait donné ce
titre plaisant: _Dormi secure_: dormez tranquille. Peut-être les
auditeurs eux-mêmes s’appliquaient-ils le conseil.

La Bruyère dépense beaucoup d’esprit à se moquer des prédicateurs de son
temps, à qui il reproche l’affectation du style, la manie des portraits,
l’abus des citations, le trop grand nombre de divisions et de
subdivisions. L’aimable Fénelon n’est guère plus tendre envers les
orateurs à la mode: il les rappelle à la simplicité, au naturel, à la
vivacité spontanée de l’esprit qui a longuement médité sur son sujet et
se laisse aller au cours de l’inspiration. Comme il est séduisant, ce
portrait de l’orateur sacré! Il tient à la fois du penseur, du prophète
et de l’apôtre! Que n’ajoute-t-il à tous ces dons, qui sont déjà rares,
le génie qui l’est plus encore!

Il faut reconnaître que le prédicateur idéal est introuvable, comme
l’orateur que Cicéron cherche à définir. Chacun se le figure selon ses
goûts. La vogue s’attache aux sermons comme aux livres. Il faut avoir
entendu le Père Un tel. Tant pis si la vogue s’égare. A tout prendre, le
meilleur prédicateur serait celui dont on ne parle pas, celui qui à
l’autorité d’une vie vraiment sacerdotale joint l’art de dire justement
ce qu’il faut dire.

Aussitôt qu’un orateur s’élève au-dessus du commun, il brille parfois
autant par ses défauts que par ses qualités. Ses défauts lui survivent
dans ses imitateurs. Que de génie il fallait à Lacordaire pour que la
postérité lui ait pardonné son romantisme et ses disciples!

Le peuple subit le sermon comme un accessoire inévitable de la messe.
Quand le sermon est simple, abordable à son intelligence,
instructif,--et qu’il mérite son nom d’_instruction_--le peuple est
satisfait, mais il n’admire pas son curé. Pour lui, ce n’est pas ainsi
que l’on prêche. Prêcher, c’est parler fort, se démener dans la chaire,
jeter de grandes phrases en l’air, tonner de la voix et menacer du
geste--à l’adresse des auditeurs,--et leur annoncer de grands malheurs
en cette vie ou dans l’autre. Moins que cela quelquefois, c’est
prononcer des mots savants et pour beaucoup inintelligibles. Il ne faut
pas toujours prendre pour un succès oratoire l’attention silencieuse
d’un auditoire populaire. Mme Roland raconte que, assistant à un sermon
du célèbre abbé Poulle, elle avait remarqué l’attitude d’un paysan qui
restait bouche bée, le regard fixé sur l’orateur. «Quel triomphe,
pensait-elle, de suspendre à ses lèvres un homme simple, plus sensible
au fond des choses qu’à la beauté littéraire!» Tout à coup, ce paysan
qui semblait ne pouvoir dominer son émotion s’écria: «Comme il sue!»
C’était tout ce qu’il avait compris du sermon.

Si les prédicateurs méditaient sur ce petit fait, ils seraient peut-être
moins tentés de s’enorgueillir de leurs succès oratoires. La leçon leur
vient parfois d’où ils ne l’attendaient pas. Un jour, en descendant de
chaire, un chanoine, assez content de son sermon, rentre à la sacristie,
précédé par le suisse, qui lui fait, avant de retourner dans l’église,
un salut d’homme averti. «Eh bien, dit le prédicateur, vous avez l’air
satisfait de l’impression que j’ai produite sur l’auditoire, qui
m’écoutait si bien!--Je vous crois, répondit le suisse, c’est toujours
ainsi quand je suis là.»

                   *       *       *       *       *

Ce qu’on peut dire à la décharge des prédicateurs, c’est que les
discours d’apparat semblent faire partie de la pompe des solennités de
l’Église. Quand un curé prend la peine d’inviter un prêtre du dehors
pour porter la parole un jour de fête, personne n’est étonné que
l’orateur s’efforce de mettre son discours à l’unisson de la cérémonie,
au risque de paraître attacher moins d’importance au fond qu’à la forme
et de faire de son mieux sa partie dans le concert sacré. «L’orateur,
dit encore Fénelon, se sert de la parole, comme l’honnête homme d’un
habit, pour se couvrir.» Soit, mais l’honnête homme et l’orateur ne
peuvent-ils avoir leur habit du dimanche?

Au reste, la plupart des défauts que la critique reproche à l’éloquence
de la chaire sont dus moins aux hommes qu’aux circonstances. Ainsi
l’espèce d’emphase dont se débarrassent à grand peine les plus
expérimentés tient à deux causes, l’une d’ordre moral, l’autre d’ordre
matériel. Il ne faut pas oublier d’abord que le thème obligatoire du
sermon est de sa nature fort au-dessus des affaires du temps, et qu’il
s’agit au contraire de ce qu’il y a de plus élevé, de plus passionnant,
la grande affaire de l’éternité. Sans doute, tout peut se dire sur le
ton le plus simple, mais le sujet a tout de même sa tonalité propre, et,
quand on parle de grandes choses, il va de soi que l’on en parle
grandement. De là ces exordes pompeux, ces prosopopées célèbres, ces
péroraisons émouvantes, qui sont l’honneur de l’éloquence humaine et qui
ne sont jamais déplacés quand on pense au caractère tragique de la
question traitée, même dans la plus humble chaire de village.

Il y a plus: le lieu où l’on parle a nécessairement une influence sur le
ton de la voix et sur la sonorité des phrases. On a beaucoup plaisanté,
dans les temps modernes, la grande éloquence des orateurs anciens; on a
souri des périodes à la Cicéron qui se déroulent avec la régularité du
souffle du large et le balancement des vagues de la mer. On devrait se
rappeler que l’orateur antique parlait le plus souvent sur la place
publique à une assemblée nombreuse, et que ni la voix ni l’idée
n’auraient porté assez loin sans l’ampleur de la phrase et
l’agrandissement forcé du ton et du geste, comme pour mieux projeter la
pensée sur le vaste écran de l’âme populaire. Le prêtre ne parle guère
sur les places publiques depuis le temps des apôtres. Mais les enceintes
de nos églises, surtout des églises cathédrales, sont assez étendues
pour imposer à l’orateur qui veut les emplir de sa parole l’effort de
l’organe et la structure de la phrase capables de porter jusqu’aux
derniers rangs de l’auditoire. On oppose volontiers la simplicité
actuelle de l’éloquence du barreau à la solennité de la chaire
chrétienne; qu’on fasse monter les avocats dans la chaire et qu’on mette
le prêtre à la barre, les uns et les autres prendront le ton de la
«maison». Le temple a son style, le palais a le sien; l’un et l’autre
font loi. Le genre et les orateurs sont contraints de s’adapter au
cadre.

                   *       *       *       *       *

Il faut en prendre son parti: l’éloquence de la chaire, étant ce que
l’ont faite les Bossuet, les Bourdaloue et les Massillon, est devenue
chez nous un genre littéraire; elle en doit subir les inconvénients, si
elle en veut avoir les avantages. Elle y a gagné la bonne tenue, mais
elle y a perdu le naturel et la spontanéité; elle s’est soumise aux
règles de la rhétorique, mais elle est tombée dans le convenu et dans
les lieux communs. Telle qu’elle est, elle fait honneur au clergé, qui
est, sans contredit, la corporation où l’on parle le plus, sinon le
mieux. L’habitude à laquelle s’assujettissent les prêtres d’écrire leurs
sermons, du moins pendant plusieurs années, leur vaut une correction de
style, une élégance littéraire que l’on ne rencontre pas partout
ailleurs, même dans les assemblées politiques.

                   *       *       *       *       *

L’épreuve de l’orateur de la chaire consiste en ce que l’auditoire
n’attend de lui rien de nouveau. C’est une disposition peu favorable;
tant pis s’il n’arrive pas à forcer l’attention par la «manière»! Le
dogme prête peu à la passion, sans laquelle le plus beau discours du
monde nous laisse froids. Cependant, les mystères de la religion
catholique ont leur beauté, profonde comme l’infini; les arguments ont
leur vie. La religion est d’ailleurs un drame historique qui permet de
toucher du doigt le divin. Le dogme, chez Bossuet, prend quelquefois le
ton d’un poème lyrique. La morale est pourtant plus accessible et parle
à tous. Aussi la morale fait-elle le fond de la plus grande partie des
sermonnaires. Massillon a excellé dans le genre; il présente le miroir
aux grands de ce monde avec tant de grâce! Les grandes dames, disait-on,
raffolent du «Petit Carême» et dans leurs boudoirs,

    Auprès d’un pot de rouge, on voit un Massillon.

Par malheur, après lui, ce fut la mode de prêcher surtout la morale aux
dépens du dogme. Et la morale elle-même se sécularisa si bien qu’on en
vint à prêcher sur la _sainte agriculture_.

Le XIXe siècle fut le siècle des orateurs. La tribune et le barreau
s’accommodent mieux de la liberté. La chaire en fut éclipsée, mais
Lacordaire parut à Notre-Dame de Paris et devint l’égal des plus grands.
Son triomphe fut de forcer le siècle incrédule à prêter l’oreille à la
parole d’un prêtre, d’un dominicain. Son souffle puissant, émané d’une
poitrine vraiment humaine, alla ranimer, sous les cendres épaisses du
doute, les étincelles de la foi. Depuis, dans la même chaire, il a été
surpassé en précision théologique: d’autres ont fait de magistrales
expositions dogmatiques ou morales, ils se sont appelés: Ravignan,
Félix, Monsabré, d’Hulst et Janvier, mais ils ont prêché des convertis.
A quand le nouveau Lacordaire, dont la parole imprévue et pénétrante
remuera la fibre chrétienne dans l’âme des indifférents? Est-il vrai
qu’il ait paru ces derniers temps sous un nom qui sera bientôt illustre?

                   *       *       *       *       *

D’aucuns regrettent que la chaire chrétienne ait consenti, pour plaire
au siècle, au sacrifice de ses libertés primitives. Les apôtres
affectaient, au contraire, de ne pas se plier aux règles de la
persuasion usitées dans les écoles d’éloquence humaine: ils n’en
forçaient que mieux l’attention de leurs auditeurs, même de ceux qui
étaient initiés aux secrets de l’art de persuader. Ce qui est certain,
c’est que le contact entre le prédicateur et l’auditoire était plus
intime et plus chaud. Les sermons des Pères de l’Église tenaient de la
conversation; c’étaient des homélies, origine du prône actuel, simple
commentaire de l’Évangile du jour. Les auditeurs étaient une véritable
assemblée qui manifestait, qui applaudissait, qui murmurait, qui se
passionnait enfin.

Que nous sommes loin de ces assemblées vivantes, avec nos auditoires
assis, somnolents, sur qui tombent des généralités qui s’adressent à
tout le monde et par conséquent à personne, des reproches mérités par
les absents, et des diatribes encouragées par un silence forcé! Ce sont
les auditeurs qui font les prédicateurs, dit un proverbe italien cité
par Bossuet. Il faut avouer que les auditeurs trop disciplinés ont
contribué à couper le fil de la sympathie et de la communication entre
la chaire et l’assemblée.

                   *       *       *       *       *

Il n’en fut pas toujours ainsi, et la tradition des Pères de l’Église
régna, plus ou moins respectée, à travers le moyen âge jusqu’à la fin du
XVIe siècle. Ce qui caractérise la chaire chrétienne en ces époques de
foi incontestée, c’est la liberté de la parole, qui ne ménage rien ni
personne. On peut croire que le clergé séculier au moyen âge, faute de
formation particulière, était incapable de prêcher convenablement les
dogmes et la morale chrétienne. L’ignorance était commune aux pasteurs
et aux ouailles. Seuls les religieux étaient les vrais prédicateurs, et
la matière ne manquait pas à une parole qui n’avait rien à redouter ni
des grands seigneurs ni du peuple. Il faut aux époques de misère et
d’oppression au moins la détente du franc-parler et du franc-rire. Les
fabliaux avaient déjà pris toute licence contre toutes les autorités. Le
théâtre, qui avait l’église pour berceau et les mystères pour aliment,
vengeait à tout propos les petits de la dureté des grands. Restait à
faire monter la satire générale des mœurs dans la chaire, au moment même
où les moines artisans des cathédrales la sculptaient dans la pierre et
dans le bois pour l’éternité. Les «libres prêcheurs», si libres qu’ils
fussent de pensée et de parole, ne scandalisaient pas leurs
contemporains. La chaire était une tribune devant laquelle défilaient,
pour être mis à nu et fustigés, tous les représentants de la société,
tous les abus, tous les vices, fussent-ils d’église. Ces terribles
censeurs, les Michel Menot, les Olivier Maillard, les Jean Raulin, les
Jean Clérée, les Robert Messier, arrachèrent tous les masques, au nom de
l’Évangile, la seule puissance qui était reconnue, même alors que l’on
méconnaissait ses lois les plus essentielles. On a peine à comprendre
aujourd’hui la hardiesse de langage et la licence des tableaux de mœurs
que se permettaient ces moines précurseurs de Rabelais. Il faut dire à
leur décharge que leur époque n’avait pas plus peur du mot que de la
chose. Il est impossible de placer ici des citations, qui ne
s’accorderaient plus avec la pruderie au moins verbale de notre temps.

Trivialité à part, la liberté de tout dire en chaire n’a jamais été
entièrement abolie en France. Il est, en général, difficile à un curé
qui réside au milieu de ses paroissiens de parler ouvertement des
pécheurs de la paroisse. Il est tenu, s’il veut ne pas s’exposer à
l’impopularité, de surveiller ses sermons. Mais les prédicateurs de
passage, missionnaires, religieux surtout, peuvent se donner carrière,
et, selon le mot de Mme de Sévigné sur Bourdaloue, «frapper comme des
sourds»! Il est encore et il sera toujours de ces «libres prêcheurs» qui
n’auront pas crainte de donner, comme on dit, la chair de poule à leurs
auditeurs. Tel capucin, qui ne remonte pas au XVe siècle, prêchant sur
l’adultère et menaçant de jeter sa barrette à la tête des coupables,
faisait baisser les têtes féminines de l’assemblée.

Il n’y a pas si longtemps que l’on voyait encore de ces «curés
d’autrefois», comme on disait, très peu diserts, incapables d’écrire un
sermon et de l’apprendre par cœur, et qui montaient en chaire pour faire
le prône. Ils passaient en revue, le dimanche, la chronique de la
semaine, relevaient les scandales gros ou petits, publiaient les bans de
mariages, avec un «commentaire» sur les «promis», et disaient leur fait
à tous ceux qui avaient manqué à leur devoir chrétien. C’était la
«coulpe» que le prêtre battait sur la poitrine de ses paroissiens, comme
une sévère leçon de morale donnée en famille. Il fallait à de tels
pasteurs de telles brebis. Les temps sont changés. La bonhomie elle-même
doit se surveiller. Les audaces du zèle pastoral passent pour des
offenses. L’église serait déserte si les curés revenaient au
«franc-parler» des anciens.

Il faut le dire, un esprit nouveau s’est introduit dans les paroisses et
a rompu avec la cordialité toute familiale des rapports entre le pasteur
et ses ouailles. La politique a semé des pièges partout, et jusque dans
la chaire chrétienne. Les fidèles ont toujours permis à leur curé de
leur dire au prône «leurs vérités», sauf en ce qui touche les opinions
politiques. Sur ce point, le peuple français est ombrageux; le
prédicateur doit se tenir sur ses gardes.

Règle générale: l’actualité lui est interdite. Les sermons roulent sur
le dogme et les raisons de croire. Couramment, le prône du dimanche qui
se fait à la grand-messe est un catéchisme pour l’usage des grandes
personnes. La morale y vient à sa place dans l’explication des
Commandements de Dieu. D’ordinaire, le programme de ces instructions est
tracé par l’évêque. Le cours est interrompu, aux grandes fêtes, par un
sermon d’apparat, sur le mystère ou le saint du jour. La station de
carême est un vieil usage qui a peine à se maintenir. Les vêpres sont
moins fréquentées. La station commence à la mi-carême. Elle consiste
surtout en des retraites prêchées chaque soir, tour à tour, aux hommes,
aux femmes et aux jeunes filles. Les réunions de piété, mois de Marie,
mois du Rosaire et du Sacré-Cœur, sont l’occasion de petites
allocutions, plus intimes, comme il convient, car elles s’adressent à un
auditoire restreint et fermé, et descendent de la petite chaire roulante
qui commande la causerie.

Il ne faudrait pas tenir pour une institution sans importance cette
immense organisation de la «parole sacrée» qui ne se tait presque aucun
jour de l’année et qui distribue à tous les âges, à toutes les
conditions, la vérité d’où dépend l’orientation de la vie en ce monde et
en l’autre. De cette institution ne pourrait-on pas dire aussi que, si
elle n’existait pas, il faudrait l’inventer? Elle a perdu
malheureusement de son efficacité. Le nombre des incroyants s’étant
accru, d’autres chaires se sont élevées qui prétendent enseigner une
autre règle de vie. Le prêtre a beau, dans sa chaire, devant ses
fidèles, répondre aux objections des incrédules, les incrédules ne sont
pas là pour l’entendre, et c’est peine perdue. De là une nécessité qui
commence à triompher de la routine. Le prédicateur de salle publique se
fait accepter; il a le regard franc, la parole prompte, il a fait la
guerre et il n’a pas peur des mots. Il connaît le peuple; il l’aime,
puisqu’il vient lui parler chez lui. Il annonce un sujet d’apologétique,
mais les objections sortent presque toutes du sujet. Il lui faut avoir
réponse à tout et ne s’étonner de rien. L’esprit et la bonne humeur font
valoir les arguments. La verve seule a le dernier mot. C’est là un genre
nouveau qui suscitera des apôtres. Il a déjà produit un maître, le
chanoine Desgranges.




CHAPITRE VI

LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE


Brunetière aimait à dire que l’Église est un gouvernement, et sans doute
voulait-il dire par là ce que le catéchisme apprend aux enfants, à
savoir que l’Église est la société des fidèles «_gouvernée_» par Notre
Saint Père le Pape et les évêques. Gouverner, dans l’Église, c’est
_conserver_ l’ordre établi par le fondateur et le législateur de
l’Église, l’Homme-Dieu. Gouverner, c’est maintenir le dogme tel qu’il a
été révélé, et combattre l’hérésie qui rompt l’unité de foi. Gouverner,
c’est maintenir la discipline, par l’observation des commandements de
Dieu et de l’Église, et par la docilité aux décrets des Conciles ou des
Pontifes. L’enseignement se donne au nom de l’infaillibilité du
magistère ecclésiastique. La vérité elle-même a force de loi; une fois
que le croyant est membre de la société des fidèles, il doit recevoir la
vérité toute faite et y soumettre son esprit et sa conduite, sous peine
d’entrer en rébellion contre le gouvernement de l’Église. Les
gouvernants dans l’Église sont le Pape et les évêques. Le Pape est le
chef qui a reçu mission de tenir la place de Jésus-Christ et de
concentrer en sa personne l’autorité sur le monde catholique. La
primauté du siège de Saint Pierre, reconnue en droit et en fait,
impliquait, pour le maintien de l’unité de foi dans l’Église, le
privilège de l’infaillibilité personnelle du Souverain Pontife dans la
définition des dogmes et dans les prescriptions de la discipline. Après
les gouvernants, les gouvernés. Ce sont les prêtres et les fidèles qui
doivent recevoir, comme venant de Dieu lui-même, tous les ordres se
rapportant aux vérités qu’il faut croire et aux directions qu’il faut
accepter, pour le salut de leurs âmes.

Ces fonctions ainsi superposées qui constituent la société de l’Église
seraient plus proprement appelées une hiérarchie qu’un gouvernement. La
hiérarchie, comme le mot l’indique, est la gradation sacrée des
pouvoirs. Contraste remarquable, les fonctions sont immuables dans
l’Église, étant d’origine surnaturelle, et les titulaires n’en forment
pas pour cela une caste ou une aristocratie. Le célibat ecclésiastique,
comme je l’ai dit ailleurs, a sauvé le sacerdoce de l’hérédité. A défaut
de l’hérédité, c’est l’élection qui est le principe de la hiérarchie
sacrée. Ainsi, le gouvernement le moins démocratique du monde est un
gouvernement électif. Le Pape est l’élu des cardinaux. Primitivement,
les évêques étaient les élus du peuple fidèle, des laïcs, selon le sens
étymologique du mot grec _laos_, lequel signifie peuple, et a pour
dérivé _laikos_. Tant que les communautés chrétiennes furent peu
nombreuses, les élections purent se faire avec ordre et gravité. Mais,
quand le peuple chrétien devint foule, les abus se glissèrent. Les
élections se faisaient alors sur la place publique, et, comme il arrive,
il suffisait d’un cri inattendu partant on ne sait d’où pour provoquer
par acclamations le succès des candidatures les plus extraordinaires. Il
en est qui tournèrent au bien de l’Église. On sait que le célèbre
Ambroise, préfet de Milan, fut désigné par des enfants qui crièrent tout
d’un coup: «Ambroise évêque»! Ambroise dut obéir à la voix du peuple: il
reçut en peu de jours tous les ordres sacrés et devint le grand homme,
le saint que l’on connaît.

Quelquefois, la fantaisie de la foule allait plus loin encore. C’était à
Comane, dans le Pont. L’élection ne se déclenchait pas. Voici que vient
à passer un charbonnier, à la face noire, honnête au demeurant, et sans
doute populaire. «Alexandre évêque», cria quelqu’un. Et Alexandre fut
élu. Dieu fit un miracle. Il plut à sa grâce de transformer si bien
l’élu du caprice électoral que son épiscopat fut fécond et lui valut
d’ailleurs le martyre.

Mais de tels abus finirent par rendre les élections épiscopales
impossibles. L’Église y pourvut. Le principe resta toutefois, et les
chefs d’État s’autorisèrent de leur qualité de «substituts» du peuple
pour se réserver la nomination des évêques dans leurs royaumes. Ce fut
la pratique des rois Mérovingiens, confirmée par les Concordats et
maintenue jusqu’à ces derniers temps.

                   *       *       *       *       *

Ce n’est pas ici le lieu de tracer l’évolution historique de l’épiscopat
du moyen âge. Il suffit de se rappeler que l’évêque entrait dans
l’organisation féodale au même plan que les seigneurs; il avait rang de
comte; grand propriétaire foncier, il jouissait des privilèges attachés
à la propriété. Il contribua à sauver les débris de la civilisation
gallo-romaine; il fut souvent encore, contre les invasions, le défenseur
de la cité. Autour de lui se rallient dans le malheur ou dans le péril
les populations atterrées. Héritier de l’organisation d’empire, il
impose d’abord aux barbares et puis aux féodaux qui n’ont pas dépouillé
la barbarie. Il est appelé dans les conseils des rois et il travaille
avec eux à la grandeur future de l’unité française.

On connaît le rôle des grands ministres mitrés qui honorèrent la
politique dans l’ancien régime. Tous les évêques ne furent pas également
bons Français aux époques troubles où la monarchie luttait contre les
grands vassaux, où les querelles entre Armagnacs et Bourguignons
livraient la France à l’Angleterre. Le procès de Jeanne d’Arc éclaire
d’un jour déplorable certaines consciences épiscopales. Un Regnault de
Chartres, archevêque de Reims, même après le sacre de Charles VII, avait
une politique en réserve, en cas de retour de mauvaise fortune. L’évêque
de Beauvais ne fut pas déshonoré de son vivant pour avoir fait condamner
la Pucelle. La patrie et la légitimité n’étaient pas encore ce qu’elles
seront après Louis XI, enserrées dans le même anneau. Le cardinal de la
Ballue s’apercevra que les temps étaient changés.

Au surplus, le rôle politique des évêques alla diminuant avec
l’accroissement de la puissance royale. Ce fut un cardinal, Richelieu,
qui consomma la ruine de l’aristocratie féodale. Les évêques se
rangèrent comme les grands seigneurs. Ils devinrent l’ornement de la
cour. La résidence en souffrit, mais il fallait plaire au roi, lequel
pouvait toujours exiler dans leur diocèse ceux qu’il punissait de sa
disgrâce. On y perdait un peu de l’indépendance que supposait la mission
épiscopale, en des matières qui ne devaient relever que de l’Église et
de ses chefs. On tenait beaucoup à conserver les libertés de l’Église
gallicane, et à les défendre contre les protestations de l’Église
romaine. Louis XIV chargea Bossuet de définir les droits respectifs du
Pape et des évêques, ou, mieux, du roi qui était ou voulait être
l’évêque temporel. Bossuet évita le schisme, mais n’échappa point à
l’erreur. Rome ne ratifia jamais la déclaration de 1682. Les
gouvernements qui succédèrent à l’ancien régime la reprirent à leur
profit. Elle reparut dans les articles organiques du Concordat et devint
un article de foi imposé aux évêques avant leur sacre et aux professeurs
ecclésiastiques de la Sorbonne. Pure formalité, d’ailleurs, que personne
ne prenait au sérieux.

Au reste, la papauté avait eu l’occasion de prendre une belle revanche
sur les libertés de l’Église gallicane, et cette occasion lui avait été
fournie précisément par l’auteur du Concordat. Napoléon, en effet, avait
exigé de Pie VII un coup d’État inouï dans les fastes du droit canon. Il
réclama la démission en bloc de tous les évêques survivants de l’ancien
régime, écarta les récalcitrants, et nomma les nouveaux titulaires qu’il
prit, partie parmi les anciens, et partie parmi des prêtres assermentés.
Ainsi fut détruite, par les mains de celui qui tenait à la maintenir, la
citadelle du gallicanisme. Grâce à Napoléon, il était démontré que le
Souverain Pontife est le véritable chef de l’Église, au-dessus des
évêques et des conciles, maître absolu dans le gouvernement du monde
catholique.

Tel qu’il fut, même dans les entraves gallicanes, l’épiscopat de
l’ancien régime fut une des gloires de la France. Des hommes tels que
Bossuet et Fénelon ont rendu au grand siècle autant d’éclat qu’ils en
ont reçu.

                   *       *       *       *       *

Le contraste est frappant entre les évêques d’ancien régime et les
évêques concordataires. Le revenu tomba de 100 000 livres à 10 000
francs pour les évêques, à 15 000 pour les archevêques. Seulement,
l’autorité épiscopale grandit. Autrefois, l’évêque avait autour de lui
des institutions rivales de la sienne. Les chapitres des cathédrales
étaient des puissances; ils avaient des droits sur lesquels l’évêque ne
pouvait rien. Grands propriétaires, eux aussi, ils nommaient des curés
dans les paroisses qui dépendaient d’eux. L’évêque d’Arras nommait à
quarante-sept cures et le chapitre à soixante-six. L’évêque de Boulogne,
sur cent quatre-vingts paroisses, ne disposait que de quatre-vingts.
L’évêque de Saint-Omer venait, sous ce rapport, au troisième rang, après
l’abbaye de Saint-Bertin et après le chapitre.

D’incessants procès se greffaient sur des compétitions inévitables. Dans
le grand naufrage de la Révolution, seule l’autorité des évêques
surnagea. Le nombre des curés inamovibles était tombé à moins de 4 000,
alors qu’en 1789 il y avait 36 000 curés inamovibles et 2 500 seulement
amovibles. La seule entrave aux libres choix de l’évêque fut
l’assentiment du gouvernement, en ce qui concerne les curés inamovibles.
La politique rentra dans l’Église par cette porte, et amena des conflits
qui ne cessèrent qu’avec la Séparation. En l’absence des lois canoniques
qui réglaient dans ses moindres détails l’administration des diocèses,
les évêques n’eurent plus d’autre règle de conduite que leur bon
plaisir, nécessairement tempéré par leur bonne volonté et l’intérêt de
leur diocèse.

L’esprit de paternité vint heureusement rendre de plus en plus rares les
abus de pouvoir. Cependant, le sentiment de leur autorité n’abandonnait
pas les évêques concordataires, surtout ceux-là qui avaient vécu sous
l’ancien régime ou qui en avaient gardé les traditions. D’ailleurs,
pendant la première moitié du XIXe siècle, beaucoup de prélats
appartenaient encore à la noblesse. Les gouvernements de Louis XVIII et
de Charles X les comblaient d’honneurs. Le prince de Croy, archevêque de
Rouen, était pair de France, grand aumônier de la Cour, et rappelait par
sa fortune et son train de vie les évêques grands seigneurs du XVIIIe
siècle. Même sous le second Empire, les cardinaux étaient sénateurs, et
c’est l’un d’eux, le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen, qui
prononça un jour à la tribune du Sénat la parole dont abusèrent les
esprits malveillants, à savoir que son clergé marchait sous ses ordres
comme un régiment.

Cette extrême dépendance du clergé à l’égard du pouvoir immédiat des
évêques explique en partie l’entraînement qui le porta, sous l’impulsion
du Lamennais de la première heure, vers les idées ultramontaines. Quoi
qu’il en dût advenir, l’obéissance paraissait plus facile envers un chef
qui était trop loin pour être incommode. Au surplus, l’épiscopat
concordataire occupait encore une grande place dans la nation. Les
évêques s’entendaient appeler _monseigneur_, alors que, selon les
articles organiques, on devait leur dire simplement: _monsieur_ ou
_citoyen_. Ils logeaient encore leurs «Grandeurs» dans des «palais». Une
pauvreté relative, loin de leur nuire, leur attirait le vrai respect,
celui qui n’est pas de commande, mais vient du cœur. La générosité des
fidèles leur permettait de répandre autour d’eux les bonnes œuvres. Les
fondations renaissaient, après la disparition des biens d’Église, et
malgré les entraves de la loi des fabriques.

Le choix des évêques était, naturellement, réservé à l’État, qui nommait
les titulaires, laissant seulement au Pape le soin de donner
l’institution canonique. Au préalable, et pour éviter des différends
sans issue, la troisième République, à ses débuts, fit précéder la
nomination de l’évêque de pourparlers officieux entre les directeurs des
cultes et le nonce, de sorte que le candidat était déjà agréé par les
deux pouvoirs avant que son nom parût à l’_Officiel_.

Bien entendu, le gouvernement tâchait de choisir des hommes qu’il
croyait favorables à sa politique. Il se trompa souvent, parce qu’il fut
souvent trompé. Tel prêtre qui se montrait, avant la nomination, sous un
jour favorable au régime du moment, ne tardait pas, une fois sur son
siège, à donner au ministre des Cultes des raisons de se repentir de
l’avoir désigné. C’est ce genre de surprise que traduisait
Louis-Philippe, en un langage un peu irrévérencieux: «Quand les évêques
ont reçu le Saint-Esprit, on dirait qu’ils ont le diable au corps!»

Napoléon s’était laissé guider dans le choix des évêques par le désir de
donner satisfaction aux idées nouvelles d’égalité, tout en réservant une
part à la noblesse qu’il voulait rallier à l’Empire. La Restauration
favorisa les candidatures aristocratiques, si bien que la première
moitié du XIXe siècle, au point de vue de la hiérarchie, semble
continuer le XVIIIe. La Révolution de 1830 qui marqua l’avènement
définitif de la bourgeoisie, et plus encore celle de 1848, accentuèrent
la tendance démocratique, et peu à peu les particules devinrent moins
nombreuses dans les listes des évêques, si bien que l’annuaire
épiscopal, à cent ans d’intervalle, offre un renversement à peu près
complet. En 1789, sur 134 évêques ou archevêques, cinq seulement sont
roturiers. En 1889, sur 90 évêques ou archevêques, il n’y en a que
quatre qui appartiennent à la noblesse.

                   *       *       *       *       *

L’ancien régime n’avait pas à craindre chez les évêques un état d’esprit
qui ressemblât à ce qu’on a nommé depuis l’esprit d’opposition au
gouvernement. Il y avait entre la monarchie et l’ordre du clergé une
nécessité de s’entendre et de se prêter un mutuel soutien; la religion
catholique étant la religion de l’État, l’État en la personne du roi lui
accordait sa protection, et l’obéissance au roi était seulement un
devoir, mais un penchant naturel pour tous les membres du clergé.

Le Concordat ne rétablit l’ancienne Église gallicane ni dans ses
privilèges ni dans sa dépendance. L’État s’affranchit de sa fonction
traditionnelle d’évêque du dehors, et, en mettant sur le même pied les
divers cultes, il commença cette œuvre de sécularisation qui devait
aboutir à la neutralité et à la Séparation. De là, chez les évêques mal
résignés à voir l’Église moins protégée et souvent mal défendue contre
les attaques de la libre pensée ou de la politique, un juste
mécontentement qui se traduisait en protestations indignées, seulement
tempérées par le ton un peu conventionnel des lettres pastorales. Le
gouvernement de la Restauration, tout bienveillant qu’il était, dut
sacrifier les jésuites et fermer quelques petits séminaires, sous
prétexte de protéger le pouvoir civil contre les empiétements de la
Congrégation. Ce n’était pas le moyen de maintenir l’épiscopat dans la
soumission. Le gouvernement de Juillet alla plus loin dans l’offense,
mais du moins il libéra les évêques du sentiment de reconnaissance qui
les liait à la Restauration. L’opposition trouva des organes nouveaux,
moins gênés que l’épiscopat dans l’expression de leurs doléances. Les
jeunes rédacteurs de l’_Avenir_, Lamennais, Montalembert, Lacordaire et
Gerbet, ne ménagèrent pas le vieux gallicanisme. Ils se firent les
apôtres de la liberté religieuse, mais avec une telle fougue que les
évêques prirent peur et qu’ils préférèrent subir le joug qui attelait
l’Église et l’État au même char. Rome fut de leur avis: l’heure de la
liberté religieuse n’était pas encore arrivée.

Toutefois, un mouvement profond s’était dessiné qui emportait les chefs
de l’Église de France hors de son orbite traditionnelle. Molestée par
l’État, elle regardait de plus en plus vers la Papauté, d’où elle
attendait la force et la ligne de conduite. Peu à peu, les évêques, bien
que retenus par le lien concordataire et la réserve qu’il imposait,
s’accoutumaient à juger les actes du pouvoir et à les citer devant
l’opinion du pays et du monde. L’État se défendait par des moyens qui ne
portaient plus. Les appels comme d’abus ne réussissaient qu’à rendre
populaires les noms des évêques qui en étaient l’objet. Le second Empire
lui-même, qui pourtant avait rallié à son programme la plupart des
évêques de France, ne trouva pas grâce devant le haut clergé, du jour où
il découvrit son jeu dans la politique qui préparait l’unité italienne.
La critique épiscopale devint amère, et trancha même sur le ton
ordinaire de la presse. Mgr Pie osa s’écrier un jour dans sa chaire de
Poitiers: «Lave tes mains, Pilate!» et l’Empereur ne pouvait pas prendre
pour dites à un autre ces paroles qui le visaient évidemment. Les
brochures ardentes de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, ressemblaient à
des Philippiques.

                   *       *       *       *       *

C’était un exemple qui devait avoir des imitateurs dans le dernier quart
du XIXe siècle, sous le régime anticlérical de la troisième République.
Les raisons de parler étaient plus justifiées encore. Et puis, l’audace
était moins méritoire d’élever la voix pour adresser un blâme à des
ministres ou à un président qui n’avaient pas le prestige des têtes
couronnées. Les lettres épiscopales ne laissaient passer aucune atteinte
aux droits de l’Église, et, collectives ou individuelles, elles
cherchaient à émouvoir l’opinion contre la politique des républicains.
L’opposition unanime de l’épiscopat n’était diverse que par le ton,
suivant le tempérament des opposants. Les sanctions frappaient
indistinctement les illustres et les autres. L’appel comme d’abus ne
suffisant plus, la République inaugura les suppressions de traitements.

Ce rôle public, pour ne pas dire politique, que les circonstances
imposèrent à l’épiscopat concordataire ne doit pas faire oublier l’œuvre
de réorganisation religieuse qu’il accomplit pendant plus d’un siècle.
Hippolyte Taine s’en est fait l’historien impartial. On a parfois blâmé
les habitudes trop administratives de l’autorité épiscopale, mais une
bonne administration n’est-elle pas la condition nécessaire d’un bon
gouvernement, même spirituel? Si les traditions d’ancien régime avaient
survécu jusqu’à laisser entre les prêtres et l’évêque une distance peu
en rapport avec la simplicité des mœurs modernes, cet apparat n’était
pas l’effet d’une vanité vulgaire, mais seulement la sauvegarde du
prestige dont devait être entouré le chef du diocèse. Au reste, les
honneurs que le protocole officiel assignait aux évêques entretenaient
dans l’esprit des fidèles le sentiment du respect religieux que leur
inspirait la dignité épiscopale.

Une des conséquences de la «Séparation» fut de simplifier le cadre
extérieur de la fonction de l’évêque, de le tenir lui-même plus près de
ses ouailles et d’enhardir prêtres et laïcs à se rapprocher de sa
personne. Le prélat concordataire ne prodiguait pas ses présences, en
dehors des tournées de confirmation, dans les églises de son diocèse.
Aujourd’hui, l’évêque se montre partout où l’on a besoin de lui pour
rehausser l’éclat d’une fête, pour présider un congrès de jeunesse
catholique, des journées d’œuvres, des bénédictions d’églises, des
baptêmes de cloches, des noces d’or sacerdotales. Le respect en a-t-il
été diminué? Je ne le pense pas, mais sûrement l’affection en a été
augmentée. L’administrateur est devenu le père de son peuple.

De là, un pouvoir nouveau, qui est d’un autre ordre que le pouvoir
proprement épiscopal. L’évêque est le chef incontesté de tout ce qui
fait profession de catholicisme; c’est de lui que l’on attend le mot
d’ordre et la consigne du moment. Naguère encore, les laïcs étaient
tenus à l’écart des affaires religieuses. Les conseils de fabrique
représentaient le vieil esprit qui avait inspiré la législation
concordataire. Les disciples de Lamennais, soldats d’avant-garde,
n’attendaient pas toujours, pour «tirer», le commandement des chefs
hiérarchiques. Le journalisme pénétra dans l’Église malgré les évêques,
et les conflits célèbres de l’_Univers_ avec Mgr Dupanloup prouvent que
l’épiscopat n’aimait pas ce nouveau «magistère», qui résolvait les
questions devant l’opinion avant même que les évêques en eussent été
saisis. L’évêque de Langres, Mgr Parisis, devenu plus tard évêque
d’Arras, comprit avant les autres que la hiérarchie avait intérêt à
s’appuyer sur les laïcs de bonne volonté. Les temps sont venus qui ont
donné raison aux vues de ce grand évêque, précurseur de notre temps sur
tant de points. Aujourd’hui, l’union est faite, en dépit des nuances
diverses d’opinion, entre laïcs et évêques. La politique antireligieuse
a toujours travaillé contre elle-même; elle a fait la cohésion des
forces catholiques, et il n’est pas de concordat qui soit comparable au
concordat spontané des fidèles et de la hiérarchie.




CHAPITRE VII

LE PRÊTRE ET LA POLITIQUE


Existe-t-il dans la vocation et les fonctions ecclésiastiques une
certaine prédisposition à la politique, dans le sens élevé du mot?
L’Église est-elle une école de gouvernement? D’aucuns l’ont soutenu, qui
ont surtout envisagé la cour de Rome et la grande politique des Papes à
travers les âges. Tout le monde connaît d’ailleurs l’influence
qu’exercèrent auprès de nos rois des hommes d’église, célèbres par leur
sainteté ou par leur génie: un saint Éloi auprès de Dagobert, un Suger
auprès de Louis VI et de Louis VII, et surtout un Richelieu auprès de
Louis XIII, et un Mazarin auprès de Louis XIV. Nul doute que l’habitude
de manier des affaires délicates, la connaissance des âmes et par
conséquent du cœur humain, l’étude de la théologie et des sciences qui
s’y rattachent, métaphysique, logique et psychologie, ne soient une
préparation lointaine, mais profonde, à l’art de gouverner. Naguère, en
passant à Vienne, au moment où le chancelier, Mgr Seipel, était encore,
du fait de l’attentat que l’on sait, entre la vie et la mort, quelqu’un
nous disait: «Si notre chancelier est un des premiers hommes d’État de
l’Europe, cela tient à son éducation théologique.» Richelieu, aussi,
était un éminent théologien. Et ce n’est un mystère pour personne que,
sous l’ancien régime, les études libérales se terminaient par des cours
de théologie, sans lesquels on n’était pas un «honnête homme»,
c’est-à-dire un homme bien élevé. Ne dit-on pas que le prince de Condé,
qui assistait à la soutenance de la thèse de doctorat du jeune Bossuet,
fut tenté de rétorquer ses arguments?

De là toutefois à prétendre que la théologie suffit pour faire un grand
général ou un grand politique, il y a loin. Certes, la logique apprend à
raisonner juste, le dogme et la morale catholiques accoutument l’esprit
à mettre à leur place respective les droits de Dieu, de la conscience et
des peuples. Mais les principes sont une chose, et l’application une
autre chose. La politique est l’art de concilier les contingences avec
l’absolu, et l’art tient plus de l’intuition que de la science, de la
finesse de l’esprit que de l’habileté scolastique. Frédéric II, l’ami de
Voltaire et des philosophes, n’en disait pas moins que, s’il voulait
punir une province, il chargerait un philosophe de la gouverner.

Quoi qu’il en soit, les théologiens catholiques ne se sont jamais
désintéressés de la politique, ne fût-ce que pour exposer les principes
et les règles du gouvernement. Saint Thomas, Suarez et leurs disciples
ont défini avec précision les divers systèmes politiques fondés sur la
nature des choses et sur la pratique des siècles passés. Ils ont tenu,
haute et claire, au sommet de leurs thèses, la distinction entre les
deux pouvoirs, le spirituel et le temporel, tout en affirmant, au nom de
l’Évangile, la suprématie de l’ordre surnaturel sur l’ordre naturel, et
la nécessité qui s’impose aux États chrétiens de subordonner aux lois
divines, et par conséquent aux lois de l’Église qui en est la gardienne,
tout ce qui relève, dans les choses du gouvernement, de la morale et du
salut des âmes.

                   *       *       *       *       *

Ce que le moyen âge accepta, tant bien que mal, pour la paix relative de
la chrétienté, devint un joug insupportable pour les États modernes, qui
se modelèrent peu à peu, sous l’influence des légistes nourris de droit
romain, sur la conception antique de l’État, dans lequel se résumait le
bien public, le droit et même la religion. De là des conflits qui se
résolurent en Concordats. De là surtout des nationalismes religieux, qui
tous tendaient au schisme, si tous n’y aboutissaient pas. Le
gallicanisme royal suscita le gallicanisme épiscopal, dont Bossuet fut
chez nous le docteur et le défenseur. Il faut dire à sa décharge que le
dogme de l’infaillibilité pontificale n’était pas encore défini. Et,
d’ailleurs, Bossuet n’avait garde de mettre l’État au-dessus ou en
dehors de la souveraineté divine. Il tirait de l’Écriture Sainte une
politique qui investissait, il est vrai, Louis XIV d’un pouvoir absolu,
mais aussi d’une sorte de pontificat qui le liait à la religion et
imposait des limites à son bon plaisir. Le roi gallican était en quelque
sorte l’_évêque du dehors_, protecteur né de la religion d’État et
nécessairement intolérant, jusqu’au point de révoquer l’Édit de Nantes.

Tout aussi royaliste--politiquement--que son rival de génie et de
gloire, Fénelon ne mettait pas si haut l’absolutisme religieux de la
monarchie. Il redoutait d’empiéter en faveur de César sur ce qui
n’appartenait qu’à Dieu et à son représentant sur la terre, le chef
visible de l’Église. Pendant que Bossuet déduisait de l’histoire du
peuple juif des maximes capables de former le roi idéal, sans qu’aucune
l’obligeât à rendre compte de son gouvernement, Fénelon était plus
frappé par les inconvénients de l’irresponsabilité royale et plaidait la
cause du peuple opprimé, soit dans les transparentes rêveries du
_Télémaque_, soit dans les fameuses remontrances qui lui valurent la
disgrâce du roi et l’exil dans son diocèse.

En dehors des grands protagonistes de la politique ecclésiastique, le
clergé dans son ensemble n’avait pas, sous l’ancien régime, d’autre
parti que le parti du roi considéré comme le chef de la nation, ou
plutôt la nation incarnée.

On peut dire que le clergé français, au cours de l’histoire, soutint de
son influence la politique des rois de France, comprenant que la France
ne pouvait être grande et forte au dehors et vraiment aimée au dedans
que sous l’autorité d’une dynastie héréditaire, qui devait confondre son
intérêt propre avec l’intérêt du pays lui-même. C’était là un sentiment
profondément religieux, que notre Jeanne d’Arc avait porté jusqu’au
sublime, élevant le monarque à la dignité de représentant et de vassal
du souverain des souverains, Notre Seigneur Jésus-Christ. Il se formait
ainsi dans le patriotisme de l’ancienne France un lien indissoluble
entre la royauté française et le règne du Sauveur et la mission de son
Église. Le roi très chrétien ne pouvait être que catholique.

Les guerres de religion furent aussi bien des guerres civiles. On le vit
trop quand Henri de Navarre, élevé dans la religion protestante, essaya
de conquérir par les armes le royaume qui lui revenait par droit de
naissance. La France récusa le droit de l’hérédité pour sauvegarder le
droit de la nation qui voulait demeurer catholique. Henri de Navarre dut
se soumettre à la volonté nationale pour devenir le bon roi Henri IV. On
a pu blâmer les excès de zèle des moines ligueurs, mais quel est le bon
Français, même un peu sceptique en matière de religion, qui ne soit
reconnaissant à la Ligue d’avoir sauvé la tradition et préparé le siècle
de Louis XIV?

C’est encore l’esprit nationaliste, si l’on peut dire, qui inspira les
doléances du clergé à la veille de la Révolution. Le clergé, qui vivait
de la vie du peuple, entra joyeusement dans l’immense perspective des
réformes et donna sa confiance au tiers état. Ce n’est pas sa faute si
l’inexpérience des assemblées et la faiblesse du roi livrèrent le
mouvement national à la violence des clubs et au sectarisme des
Jacobins. Le roi tomba avec la chute de l’ancienne Église gallicane et
le clergé fut entraîné dans la ruine de la monarchie et de la religion.
Ceux qui prêtèrent serment à la grande erreur de la «constitution
civile» croyaient sauver la foi catholique; ils la perdaient en la
remettant aux mains des philosophes. Ceux-là au contraire se tinrent
plus près du cœur de la nation qui semblaient s’en éloigner en restant
fidèles au Saint-Siège et plus fidèles au roi que le roi lui-même. C’est
avec leur sang que fut écrit le Concordat, qui nous valut cent ans de
paix religieuse.

Napoléon n’ayant pas tardé à porter atteinte à la dignité et aux droits
du bon et doux Pie VII, la plupart des prêtres de France se réjouirent
de sa chute et pensèrent retrouver dans le gouvernement de la
Restauration tout ce qu’ils avaient cru perdre et chérissaient toujours,
leur foi monarchique inséparable de leur foi religieuse. Dans son
ensemble, le clergé français était demeuré royaliste et gallican. Il
faudra encore beaucoup d’années et plusieurs révolutions pour séparer
dans l’esprit des curés la cause du roi et celle de l’église de France.
Ce sera l’œuvre d’un siècle, le XIXe.

Il y a des épisodes qui valent toutes les dissertations. Voici une
histoire vraie, qui a une valeur de fait crucial.

A la veille de La Révolution, la paroisse de Montreuil-sur-Mer, en
Ponthieu--aujourd’hui rattachée au département du Pas-de-Calais--avait
pour curé un certain abbé Godefroy. Fort opposé aux idées nouvelles,
l’abbé Godefroy refusa le serment et, pour échapper aux sanctions qui le
menaçaient, émigra. Il s’en fut à Coblence où vivaient en grand nombre
les membres du haut clergé et de la noblesse. L’armée de Condé s’était
formée là et s’apprêtait à marcher avec les Allemands contre les troupes
de la France révolutionnaire. Ces bons alliés commencèrent par piller le
petit bagage du curé. Il ne se rebuta point. Il suivit l’armée. Il était
à Valmy, en spectateur d’abord, mais, emporté par son ardeur royaliste,
et voyant les émigrés en mauvaise posture, il enfourche un cheval sans
cavalier, met le sabre à la main et charge comme s’il n’avait fait autre
chose toute sa vie. Il fonçait sur un cavalier français de l’armée
révolutionnaire, quand celui-ci lui cria: «Monsieur le curé, grâce! ne
me tuez pas! je suis Roussel, votre paroissien de Montreuil!--Ah! c’est
toi, dit l’abbé Godefroy, qui le reconnut, va-t’en, je te fais grâce!»

Le feu du combat tombé, le curé de Montreuil a des remords, non pas
d’avoir bataillé contre son pays, mais d’avoir contrevenu aux canons de
l’Église qui défend aux clercs de verser le sang. Il faut qu’il aille
chercher l’absolution à Rome, et le voilà parti, pauvre pélerin, oui,
très pauvre, car il doit mendier son pain sur la route. Arrivé à Rome il
est tout étonné d’en être quitte à si bon marché. Il ne se croit pas
assez puni et il revient en France, toujours pauvre et courant le risque
d’être reconnu et traité moins doucement qu’à Rome, en prêtre
réfractaire. Il vit caché, mais il vit, pendant la Terreur. Le Concordat
le rétablit dans son bénéfice de curé de Montreuil; il a pour concurrent
un prêtre assermenté, mais celui-ci doit se contenter d’être chanoine.
L’Empire écroulé, l’avènement de Louis XVIII console l’abbé Godefroy de
ses malheurs. Entre temps, voici qu’il est appelé en hâte auprès d’un
paroissien malade à toute extrémité. Ce malade, c’est Roussel, le
trembleur de Valmy, qui passe pour un esprit fort et inabordable à la
religion. «Comment, lui dit le curé, tu ne veux pas te réconcilier avec
Dieu?--Ah! dit l’autre, tout ce que vous voudrez, vous m’avez sauvé la
vie, confessez-moi!»

Tout alla bien jusqu’à la Révolution de juillet 1830. L’abbé Godefroy,
dans le presbytère occupé encore aujourd’hui par l’archiprêtre de
Montreuil, et qui regarde sur la place de l’Église, donnait ce jour-là à
dîner à quelques notabilités de la paroisse.

Tout à coup, au milieu du repas, on entend les cloches sonner, et dans
la rue passent des jeunes gens portant des drapeaux tricolores et
chantant. C’était la Révolution. Le vieux curé put à grand’peine achever
le dîner. Il dut s’aliter, sous le coup d’une congestion, et mourut
quelques jours après.

Tous les curés de France ne moururent pas de la surprise de «Juillet»,
mais tous en furent frappés de stupeur et de regret. Détachés de la
royauté qui n’était plus la royauté catholique, ils suivirent peu à peu
le mouvement mennaisien qui les poussait vers Rome et les détournait de
l’esprit gallican, par la faute d’un gouvernement qui faisait déjà de
l’anticléricalisme avant la lettre.

A partir du règne de Louis-Philippe, la politique du clergé de France
fut en fonction de l’attitude religieuse des gouvernants. Les retours de
faveur facilitaient les ralliements politiques aux régimes existants. La
République de 1848 faillit rendre les curés républicains, mais
l’anarchie menaçante les rejeta vers l’Empire qui «ne sortait,
disait-il, de la légalité que pour rentrer dans le droit».

La troisième République, en laïcisant les écoles, en expulsant les
congrégations, en séparant l’Église de l’État, rendit plus difficile et
plus méritoire au clergé français le loyalisme envers les nouvelles
institutions. Il y a longtemps que tous les prêtres français auraient
fait leur deuil de la monarchie, si la République n’avait mis
cruellement à l’épreuve leur conscience civique. Leur patriotisme n’en a
pas été entamé, la guerre l’a bien fait voir.

                   *       *       *       *       *

Les curés ont beau être pacifiques par vocation, il ne leur est pas
toujours facile de le rester dans la mêlée des opinions. L’un des plus
grands journalistes du dernier siècle, Louis Veuillot, a contribué pour
sa bonne part à élever la polémique à la hauteur d’un genre littéraire,
très proche de la satire. Il a paru, dès lors, à plusieurs, qu’on
pouvait être chrétien et manquer de charité chrétienne envers les
adversaires de la foi. Le zèle de la vérité parut justifier la colère.
Tant pis pour les personnes qui se mettaient en travers! Ce genre
«impétueux» ne s’imposa pas sans quelque scandale. Beaucoup parmi les
membres du clergé ne s’y accoutumèrent jamais. Ceux que le style à
emporte-pièce du directeur de l’_Univers_ choquait comme un non-sens
évangélique, se retranchaient dans la sereine et apaisante correction du
journal _le Monde_.

Plus tard, pour ne parler que des morts, les outrances de Paul de
Cassagnac dans l’_Autorité_ et celles de Drumont dans la _Libre Parole_,
ont retenti dans un bon nombre de presbytères. On ne peut pas s’étonner
si les curés de France ont pris un malin plaisir à voir fustiger tous
les matins des hommes qu’ils considéraient comme les ennemis jurés de
l’Église. La situation du clergé français était, alors, si elle ne l’est
plus tout à fait autant, fort embarrassante au point de vue de la
politique. Sous le régime concordataire, l’État voulait voir dans les
membres du clergé paroissial de simples fonctionnaires. Se
permettaient-ils en chaire une allusion malveillante envers le
gouvernement, soutenaient-ils ostensiblement le candidat de
l’opposition, ils se voyaient privés de leur maigre traitement. Il leur
fallait supporter en silence ce qu’ils regardaient comme des vexations.
Aussi était-il le bienvenu, l’article de journal qui libérait pour
quelques instants leurs pensées de la tyrannie des faits et empêchait la
tyrannie des hommes de jouir en paix de son triomphe. Affranchi par la
Séparation, le clergé n’a plus à contraindre ses sentiments politiques.
Il a gardé, dans son ensemble, le sens de la mesure. Il ne s’agit pas,
pour la plupart des curés, de choisir entre la République et la
Monarchie. Ils n’ont pas le choix. Il s’agit seulement de demander à la
République la paix avec la liberté.

Au surplus, le clergé français vit trop près du peuple pour ne pas
partager les sentiments du peuple. La République a pour elle l’avantage
de favoriser l’esprit démocratique cher aux Français d’aujourd’hui.
L’esprit démocratique consiste dans un minimum de dépendance à l’égard
des personnes et un maximum de liberté dans l’élargissement des cadres
sociaux. Il comporte également le souci de rendre de plus en plus
équitable le partage des commodités de la vie au profit des travailleurs
manuels. Ce sont là des aspirations qui n’ont rien de contraire à la foi
catholique et dont la source remonte à l’Évangile. Et puis les prêtres,
venant en si grand nombre de familles bourgeoises, ouvrières ou
paysannes, ne sauraient oublier ce qu’ils doivent au régime moderne de
l’égalité politique qui ouvre l’accès des charges au mérite, et non pas
à la naissance; ils ne pourraient tenir pour un faux progrès
l’augmentation du bien-être populaire. Il faut déplorer les excès de la
Révolution et s’attaquer aux erreurs qui l’ont entraînée hors de la voie
des justes réformes, mais le clergé de France pécherait par ingratitude
s’il ne reconnaissait, lui aussi, tout ce qu’il doit à ce qu’il y a
d’évangélique dans les principes de 89.




CHAPITRE VIII

L’ESPRIT ECCLÉSIASTIQUE


S’il y a un esprit de corps, il doit être très vif dans la corporation
ecclésiastique. Elle a sa vie propre, en effet, ses fonctions séparées;
elle a derrière elle un long et glorieux passé. Elle a été et est encore
en butte à certaines hostilités. Rien d’étonnant qu’elle soit animée du
sentiment de la solidarité. L’esprit de corps n’est pas incompatible
avec les divergences intérieures, compétitions et querelles de
préséance. L’Église de l’ancien régime nous en offre des exemples
nombreux. Depuis que les privilèges sont supprimés, les charges priment
les honneurs, et donnent moins prise à la contestation et aux procès.

On a cru remarquer, entre prêtres séculiers et prêtres réguliers,
autrement dit entre curés et religieux, une certaine opposition plus ou
moins cachée. Les religieux, spécialisés, si j’ose dire, par vocation
dans un genre d’apostolat, enseignement, prédication, direction
spirituelle, semblaient à quelques-uns accaparer la renommée et la
faveur, surtout parmi les gens du monde. Ils prenaient la meilleure
part, et laissaient au clergé proprement dit les besognes communes.
Waldeck-Rousseau n’invoquait-il pas contre les congrégations des
arguments de cet ordre, en se disant autorisé par les plaintes de
certains curés des grandes villes? Quoi qu’il en soit, la loi
Waldeck-Rousseau eut pour conséquence, inattendue de son auteur, de
cimenter l’union cordiale entre séculiers et réguliers. La solidarité
entre les deux clergés n’a jamais été plus parfaite. L’histoire de
l’Église confirme la maxime connue de l’«utilité des ennemis».

D’ailleurs, l’esprit des ordres religieux n’est plus aussi exposé
qu’autrefois à l’inconvénient du particularisme. La collaboration est
devenue plus facile entre tous les membres du corps ecclésiastique. A
l’intérieur des diocèses, les missions, les œuvres de piété trouvent
chez les religieux des auxiliaires toujours prêts. S’agit-il
d’organisation interdiocésaine, de grandes associations, d’action
sociale, de documentation, les congréganistes ont le loisir, le
personnel, la continuité.

Un doute injurieux a été répandu. On s’est demandé si les ordres
religieux, détachés qu’ils sont du sol national, obligés souvent
d’exercer leur ministère hors de France, sous la dépendance d’un
supérieur qui peut être un étranger, ont gardé l’âme aussi française que
les membres du clergé résidant et soumis à la hiérarchie. On a pu
craindre que la persécution dont ils avaient souffert, jusqu’à se
résigner à l’exil, ne les poussât involontairement à devenir au dehors
les témoins à charge dans le procès que font sans cesse à la France les
nations jalouses ou ennemies. La guerre a répondu pour eux et les a
lavés de tout reproche. Les religieux sont venus de tous les points du
monde, où ils faisaient aimer la France. Ils ont offert comme les autres
leur sang pour la patrie quelque peu ingrate envers eux. Ils ont gagné
sur le champ de bataille ou dans les tranchées un brevet de patriotisme
que personne ne peut récuser. Naguère mourait en Océanie un missionnaire
du Sacré-Cœur d’Issoudun, le Père Bourjade, un des «as» de l’aviation,
dont le nom volera d’âge en âge près de celui de Guynemer. Ne parlons
donc plus de distinction à faire entre Français et Français, entre
moines et curés. La République les a tous appelés au moment du danger.
Comment pourrait-elle, à l’heure de la paix, garder les uns et repousser
les autres?

                   *       *       *       *       *

L’esprit ecclésiastique a marqué le prêtre d’une empreinte spéciale qui
le distingue des autres hommes. Pendant les journées révolutionnaires de
1848, le supérieur du grand séminaire de Saint-Sulpice, entendant parler
des discours trop excités de certains hommes politiques, disait
doucement à son entourage: «On voit bien que ces gens-là ne font pas
oraison.» Le prêtre est un homme qui fait oraison. De là, en général,
cet air méditatif qui ne le quitte pas d’ordinaire; de là cette prudence
dans les paroles et dans les actes; de là cette vigilance sur soi-même
qui le garde de tout excès, en un sens ou dans l’autre. Le prêtre est
l’homme de la règle. Une règle de vie est imposée à la plupart des
hommes par les exigences de leur profession; les heures de travail leur
sont commandées du dehors par la nécessité. Le prêtre a sans doute aussi
des occupations impérieuses qui règlent une partie de l’emploi de son
temps, mais le reste n’est pas livré au hasard, le reste est aussi bien
réparti par un règlement volontaire qui le partage entre l’étude et la
prière, la visite des malades et le confessionnal. Il est des existences
de prêtres qui sont admirables d’unité et d’harmonie, d’ordre et de
régularité. J’ai connu, parmi eux, des vieillards qui pouvaient se
flatter d’avoir mené à peu près sans exception, tous les jours, la vie
d’un séminariste, se levant à cinq heures, se couchant à neuf, et ayant
toujours accompli leurs exercices religieux, méditation, messe et
bréviaire, à la même heure. Et ceux-là n’étaient pas des religieux
soumis à la règle d’un couvent!

Ces vies tout d’une teneur deviennent rares. Les habitudes modernes ne
s’accommodent pas avec le calme de ces existences tracées d’avance et
tirées au cordeau. Mais il en est encore qui donnent l’impression
majestueuse de l’ordre, de la paix, de la possession de soi-même et d’un
service impeccablement ordonné.

La règle est une barre fixe; il n’y a rien de fixe sans quelque raideur.
C’est parfois le revers de la médaille dans le caractère de ces prêtres
tout d’une seule pièce, tout d’une seule ligne, tout d’un seul chemin.
Tout doit être pour eux simple et droit dans la vie. Le devoir ne peut
jamais plier. Point d’atténuation, point de complaisance. La religion
est un code qui a tout prévu, tout réglé, tout résolu. La miséricorde
elle-même, qui est la loi de l’Évangile, n’est pas abandonnée aux libres
inspirations du cœur. Elle est prisonnière, elle aussi, des formes et
des formules. Le pasteur est vigilant, le bercail est bien gardé, le
loup tenu à l’écart, le troupeau se sent en sûreté, mais il ne se sent
pas à l’aise. Il a plus de crainte que d’amour.

La formation théologique du prêtre le pénètre à fond du sens de
l’autorité, soit qu’il s’agisse d’énoncer les principes, soit qu’il
faille en poursuivre l’application. Quand on représente la vérité
absolue, il est naturel que l’on parle de haut et sur le ton de
l’infaillibilité. La religion s’impose plus encore qu’elle ne s’expose.
L’autorité, dans la parole et dans la conduite, c’est-à-dire dans le
gouvernement, voilà la maxime du curé selon la tradition. Rien
d’étonnant que le curé conserve l’accent de la chaire, même quand il en
est descendu. L’argument d’autorité reste l’arme principale de la
discussion entre ecclésiastiques. La coutume d’invoquer les auteurs,
depuis Aristote jusqu’à saint Thomas, persiste dans les entretiens. _Le
maître l’a dit_ dispense d’autres raisons. Et cela même est raisonnable,
plus raisonnable que la prétention--très moderne--de parler de tout, au
pied levé, et sans examen.

Les esprits intransigeants se rencontrent partout, même et surtout chez
ceux qui n’ont rien appris. Mais s’ils ont quelque part leur raison
d’être ou leur excuse, c’est dans le clergé, qui vit de principes
immuables et s’appuie à une tradition, laquelle semble pour jamais
fixée. Malheureusement, l’intransigeance des principes, admirable pour
conserver, est moins efficace pour conquérir. On n’agit pas sur ses
contemporains avec des idées qui leur sont étrangères. On doit prendre
les intelligences où elles en sont pour les amener où l’on veut qu’elles
arrivent. Saint Paul, parlant devant l’aréopage, commença par louer les
Athéniens de leur esprit religieux et s’empara d’une de leurs
superstitions pour les gagner à la croyance en Dieu. L’intransigeance
dans l’action ne réussit pas mieux. Il faut choisir un terrain commun
pour agir. La politique, qui est l’art de transiger pour aboutir, est
nécessaire même dans la vie quotidienne et dans les affaires
paroissiales. A plus forte raison est-elle indispensable dans les
affaires publiques. C’est aller à un échec certain que de combattre au
nom de principes qui ne sont pas reconnus par tout le monde. Le droit
commun n’est pas l’idéal catholique; mais mieux vaut le droit commun,
qui est à la portée de la main, que le droit privilégié qui a cessé
d’être et n’est pas près de ressusciter.

Il y a une disposition d’esprit qui, sans méconnaître la valeur
dogmatique des principes et leur importance historique, aime mieux
s’adapter aux circonstances et aux nécessités des temps et des lieux.
C’est la disposition du plus grand nombre des prêtres qui mettent la
main aux œuvres d’apostolat. L’homme est d’abord sympathique; il attire,
il semble deviner que l’on vient à lui. Il trouve toujours le temps de
vous recevoir. Il sait écouter, et c’est déjà comprendre et déjà
compatir. On dit de lui qu’il a l’esprit large, dites plus sûrement
encore qu’il a le cœur très bon. Les fidèles n’en sont pas moins
fidèles. Les autres, qui sont ou tièdes, ou indifférents, ou éloignés,
regardent du côté du bon pasteur et se disent: «Si j’ai besoin d’un
prêtre quelque jour, c’est celui-là que je veux.» Faut-il engager des
conversations avec le pouvoir civil à l’occasion d’une cérémonie
patriotique, d’un service funèbre officiel? Tout s’arrange au mieux:
l’accord est vite fait. La politique sévit-elle autour de l’église
paroissiale? Soyez certain qu’elle restera à la porte et que, du moins,
devant l’autel, elle ne troublera pas la paix.

Rarement les caractères sont aussi tranchés. Les nuances sont plus
ordinaires que les couleurs. Tant pis pour l’originalité, elle gâte
souvent les meilleurs dons. Cependant un trait plus marqué ne nuit pas.
La plus grande originalité du prêtre, c’est la sainteté. Le curé d’Ars
doit tout ce qu’il fut à la sainteté. Il n’était pas intelligent; le
manque de moyens lui avait fermé dans sa jeunesse l’entrée du séminaire.
Il ne savait pas prêcher comme on prêche d’habitude. Il n’avait rien,
humainement, de ce qui plaît et de ce qui attire. Mais il avait au cœur
une flamme, l’amour de Dieu et des âmes. Et cela à un degré qui emporte
tout. Chez tous les saints prêtres, il y a quelque chose de la
physionomie du curé d’Ars: c’est la charité toujours prompte à soulager
la misère, celle de l’esprit et celle du corps.

En général, le curé de paroisse est dévoué par pur zèle, sans retour sur
lui-même. Il n’est pas tourmenté du désir de l’avancement. On le voit à
la tête du même village, dans le même poste, vingt-cinq ans, quelque
fois cinquante. Il n’a amassé là ni honneurs ni argent, et le peu qu’il
ait mis de côté, il en réserve une part pour les œuvres du diocèse. Il
se souvient toujours de ce qu’il doit au séminaire, sa seconde famille.
Les curés les plus obscurs sont les plus admirables. Il en est de tous
les styles. L’onction n’est pas nécessaire au succès. Le curé de X...
est prêtre depuis un demi-siècle, ce qui suppose au moins
soixante-quatorze ans d’âge. Il est un peu rude d’allures et de formes.
«Ce n’est pas ma faute, dit-il, si je suis mal équarri.» Sous sa parole
inculte, où la vérité consiste parfois dans les vérités qu’elle dit aux
paroissiens, on sent tout de même le cœur d’un père. Tous les matins, il
se rend à son église à cinq heures et demie, l’hiver aussi bien que
l’été. Il sonne l’_Angelus_, appelant ainsi tout son monde à la prière
et au travail. Il reste à l’église jusqu’à l’heure de sa messe, à la
disposition de ses ouailles. Il est compris de tous. Il ne vit pas
confiné dans sa bibliothèque. Il prend son bâton, ce vieux compagnon de
route, et il s’en va à travers sa paroisse, à travers champs, visitant
les malades, et rendant service à ses confrères. Pèlerin à l’ancienne
mode, il fait ses pèlerinages, même lointains, à pied, et ne consent à
monter en voiture qu’au retour. Pendant la guerre, tout en desservant
trois paroisses, il faisait venir du charbon pour ses paroissiens, à la
gare voisine, il le déchargeait lui-même dans de grands sacs qu’il
portait, sur son dos, du wagon à la voiture, sans vergogne. La charité
prend tous les visages, même celui du charbonnier.

On aurait tort de croire que ce genre, plus réaliste que mystique, n’est
pas fait pour affiner le sentiment religieux dans les fidèles. La foi
est vive dans ces rudes âmes de prêtres. Le surnaturel et le miraculeux
leur sont très familiers. Leurs églises sont peuplées des images des
saints et animées par les «dévotions» les plus en faveur. Ils ne perdent
pas de vue toutefois que leurs paroissiens sont gens fort occupés et
qu’il ne faut pas les charger au delà de ce qu’ils peuvent porter. Les
bons curés sont des croyants éprouvés, mais ils ne sont pas aussi
crédules qu’on le dit en certains milieux. Ils admettent sans
difficultés les miracles que la science a authentiqués ou que l’Église a
canonisés. Mais ils n’acceptent pas sans réserve tout le merveilleux qui
pullule dans les imaginations. Ils redouteraient même, comme une cause
de trouble et de tracas, toute «apparition» qui aurait pour théâtre leur
propre village. Ils diraient volontiers la parole qui échappa jadis à un
vieux curé apprenant qu’une jeune fille de sa paroisse avait des
«stigmates»: «Qu’ai-je donc fait au bon Dieu pour qu’il accomplisse des
miracles chez moi!»

Le bon prêtre n’a pas nécessairement l’air un peu compassé que lui
prêtent volontiers ceux qui ne l’approchent pas de près. Il n’a, tout au
contraire, rien d’affecté dans l’attitude qui trahisse l’effort ou la
contrainte. Il a le regard droit et clair. Sa conversation est enjouée;
il évite les mondanités et les médisances. Il rappelle au besoin les
autres à la charité. Il s’intéresse aux choses dont on parle devant lui.
S’il juge les événements, il ne croit pas avoir tout dit, en les
ramenant aux desseins de la Providence; il en cherche les causes
immédiates et les effets humains. Quant aux hommes, il ne les blâme ni
ne les loue en vertu des croyances ou des opinions qu’ils professent.
S’agit-il d’un adversaire, il penche vers l’indulgence, c’est-à-dire
vers l’équité.

On a parfois relevé comme un signe particulier du monde ecclésiastique,
la gaieté. On avait raison. Le prêtre est gai, comme il convient, quand
on a la paix de la conscience, et quand on est exempt des soucis
qu’entraîne après elle la vie du siècle. Il n’est rien de moins triste
qu’une réunion ou un dîner de curés. Le repas est sobre, les plats ne
sont point compliqués. Mais l’esprit en est le meilleur assaisonnement.
Il y a toujours quelques conteurs dont les histoires provoquent des
rires bruyants. Elles ne sont pas jeunes, ces histoires, et renouent la
tradition du clergé national à la tradition du vieil esprit français,
parfois même gaulois.

L’esprit, en France, n’est le monopole d’aucune corporation, mais il a
dans certains milieux un ennemi, c’est le sans-gêne de la conversation
ou la licence de tout dire sans rien laisser à deviner. La réserve
sacerdotale est plus favorable à la finesse et aux sous-entendus du
langage. La loi chrétienne de la charité n’est pas étrangère à
l’heureuse contrainte qui oblige le prêtre à émousser le trait d’une
malicieuse repartie. Les «bons mots» ecclésiastiques abondent, et les
recueils en sont pleins. Tout le monde en pourrait citer quelques-uns.
Il en est encore plus d’inédits qui font la joie des presbytères. En
voici un qui est bien actuel. Le curé d’une cité industrielle et
ouvrière fait visite au maire. Ce maire est, bien entendu, cabaretier et
communiste. Brave homme, au demeurant, il cause poliment avec son curé,
et veut lui faire honneur en élevant l’entretien sur les hauteurs des
idées. «Votre doctrine, dit-il au prêtre, a un avantage sur la nôtre,
elle est plus ancienne.--Je le crois bien, répond celui-ci, en montrant
sur les étagères du cabaret les bouteilles alignées, je le crois bien,
monsieur le maire, la nôtre a deux mille ans de bouteille!»

La bonne humeur est la note dominante de l’esprit ecclésiastique. Dans
les circonstances où le prêtre, comme il arrive, est attaqué
publiquement, une réplique spirituelle et joviale met les rieurs de son
côté. Au reste, la camaraderie de la guerre a donné au jeune clergé une
assurance qu’il n’avait pas toujours auparavant. Le prêtre ancien soldat
a la riposte prompte et piquante. Le mot propre, qui peut être un peu
gros, n’exclut pas la cordialité. Le regard est ferme, le geste
vigoureux, mais la «poigne», qui tient l’insulteur en respect, se change
bien vite en poignée de main. Le cœur est le même, prêt à l’accueil et
au pardon: seulement, le silence ressemblant à la peur, il faut bien que
l’on sache que le prêtre n’a plus peur et qu’ayant été appelé comme les
autres à se faire tuer pour son pays, il entend se faire respecter comme
les autres. La bravoure de la parole n’est pas si banale qu’on pourrait
le croire, et elle n’est pas pour déplaire en France, où l’on applaudit
à tous les courages.




CHAPITRE IX

LE PRÊTRE DEVANT L’OPINION


Il est tout naturel que le prêtre, étant un personnage public, connaisse
tour à tour les faveurs et les disgrâces de l’opinion. On répète
volontiers que la France n’est pas cléricale, sans doute pour l’avoir
été jadis abondamment. La politique, qui exploite tout, a contribué
depuis un demi-siècle à fortifier dans le peuple le préjugé contre le
«gouvernement des curés». Cependant, par un illogisme heureux, s’il est
vrai que le Français «moyen» n’aime pas les curés, il n’est pas moins
vrai qu’il aime son curé. Le fait le plus grave est l’impopularité, ou
tout le moins l’indifférence qui s’attache au clergé dans les milieux où
se débat l’avenir temporel des classes populaires. L’abstentionnisme
politique a conduit le prêtre à l’abstentionnisme social. Le point
faible des Églises établies, je veux dire étroitement unies à la
constitution des États, est de compromettre le sort des membres du
clergé national dans celui des classes occupantes et de séparer de la
cause de l’Église la cause du peuple toujours en travail d’une meilleure
condition. Peuple et clergé s’en vont sur des voies différentes. Le
clergé se plaint de n’être pas suivi, le peuple se plaint de n’être pas
entendu.

La divergence des chemins remonte plus haut qu’on ne le pense
d’ordinaire, si l’on s’en rapporte à un témoignage qui n’est pas suspect
de parti pris démocratique. L’illustre archevêque de Cambrai, Fénelon,
écrivait, en 1707, à l’évêque d’Arras, ces remarques suggestives: «Les
pasteurs ont perdu cette grande autorité que les anciens pasteurs
savaient employer avec tant de douceur et de force; maintenant, les
laïcs sont toujours prêts à plaider contre leurs pasteurs devant les
juges séculiers, même sur la discipline ecclésiastique. Il ne faut pas
que les évêques se flattent de cette autorité; elle est si affaiblie
qu’à peine en reste-t-il des traces dans l’esprit du peuple. On est
accoutumé à nous regarder comme des hommes riches et d’un rang
distingué, qui donnent des bénédictions, des dispenses et des
indulgences; mais l’autorité qui vient de la confiance, de la
vénération, de la docilité et de la persuasion des peuples est presque
effacée. On nous regarde comme des seigneurs qui dominent et qui
établissent au dehors une police rigoureuse; mais on ne nous aime point
comme des pères tendres et compatissants qui se font tout à tous. Ce
n’est point à nous qu’on va demander conseil, consolation, direction de
conscience!» Ainsi cet évêque du grand siècle signalait, comme un
symptôme attristant, la diminution du sentiment filial chez les
chrétiens à l’égard de leurs chefs qu’ils avaient cessé d’aimer. Les
malheurs de l’Église de France ont rapproché tous les rangs de la
hiérarchie, mais l’affection selon le Christ n’est pas encore
redescendue du sommet jusque dans les masses profondes de notre peuple.
Le peuple, pour se donner, veut se sentir aimé pour lui-même. Quelle
est, de nos jours, l’opinion qu’il a du prêtre?

                   *       *       *       *       *

L’idée que se fait du prêtre le peuple des campagnes a beaucoup varié.
Elle est en rapport avec l’idée qu’il se fait de la religion. La
religion populaire, avec le progrès de l’instruction générale, s’est
épurée au cours des âges. Jadis, elle apparaissait, au fond des
consciences obscures, comme une sorte de magie mystérieuse au moyen de
laquelle les hommes essayaient de conjurer les mauvais sorts qui les
menaçaient de toutes parts en cette vie ou en l’autre. En ce temps-là,
l’agent visible de cette puissance occulte, c’est le prêtre. On le
craint encore, en certains endroits, plus qu’on ne l’aime. On lui
attribue pour faire du mal le même pouvoir que pour faire du bien. La
superstition s’en mêle. On suppose chez le prêtre le don d’opérer, sinon
des miracles, du moins des choses extraordinaires. Il a le secret
d’empêcher les «maléfices»; on a recours à lui contre les sorciers. Sa
seule présence suffit, dit-on, à éteindre les incendies. Vous êtes de
passage à la campagne, dans votre pays natal. Vous venez de la ville, où
vous occupez un poste ecclésiastique en vue. Vous rencontrez un brave
homme qui fut un de vos camarades d’enfance, vous causez. Lui, tout fier
et tout heureux, vous fait ses confidences. Il est mal portant, il a
l’estomac fort débile, il a vu le médecin qui n’en peut mais! Il a fait
maint pèlerinage à Sainte-Wilgeforte. En vain. Vous lui répondez en lui
donnant de bons conseils. Il boit vos paroles, il sourit d’un air
entendu. Il vous remercie et vous serre la main avec effusion. Vous
croyez n’avoir fait qu’une chose fort ordinaire, en causant
familièrement avec cet ancien compagnon de vos jeunes années. Vous ne
savez pas que vous avez accompli presque un miracle; car vous apprendrez
quelque temps après que l’estomac du paysan est revenu à l’état normal,
et cela, grâce à vous, je ne dis pas grâce à vos conseils, ils n’ont pas
été suivis; mais votre présence magique opéra toute seule et le délivra
de son mal. Ce n’est pas la faute du peuple si les curés ne font pas
plus de miracles.

Superstition à part, le peuple, même indifférent, ne laisse pas de faire
au prêtre une place d’honneur dans la société. Il n’est pas toujours
prêt à demander ses services; il est parfois sceptique sur la mission et
sur les prérogatives du prêtre; il est même gouailleur et raconte
volontiers des histoires dans lesquelles le clergé n’a pas le beau rôle.
Cependant, sauf exception, le peuple «considère» le curé; il ne se
résigne pas à se passer de lui; il le veut pour être au village l’homme
de tous et de chacun, l’homme qui n’a pas de famille et qui appartient à
toutes les familles, l’homme qui n’a pas de métier et ne fait pas
concurrence aux autres, l’homme qui est le témoin des joies et des
deuils, que l’on peut toujours appeler comme le médecin des maladies
morales, et le confident des peines cachées.

Le village est comme un corps sans âme, quand il est sans curé. La
politique ne change rien aux dispositions: les évêques connaissent des
maires d’opinion très avancée, qui n’ont pas peur de se compromettre en
venant à l’évêché demander pour leur commune la faveur de posséder un
curé pour elle toute seule. On fera ce qu’il faut pour lui être
agréable; on remettra le presbytère à neuf; on réparera l’église et le
clocher.


LE PRÊTRE DANS LA LITTÉRATURE

La littérature est le miroir des mœurs et des idées de la société, on
sait cela, mais il faut ajouter que le miroir renvoie l’image et
multiplie les sentiments qu’il ne faisait d’abord que refléter. Le
théâtre et le roman, le roman surtout, sont les genres littéraires les
plus propres à la peinture des passions dominantes à une époque donnée.
Dans l’ancien régime, le prêtre jouissait d’une sorte d’immunité, et le
respect de la religion interdisait aux écrivains de mettre en scène les
ministres et les cérémonies de la religion. La censure ne l’aurait pas
permis, et s’il y avait çà et là des infractions à la règle, c’était
sous forme d’allusions, ou bien sous le couvert de pamphlets anonymes
que leurs auteurs supposés s’empressaient de renier. Témoin Voitaire
dont les tragédies fourmillent de critiques transparentes à l’adresse du
clergé, et qui poussa l’ironie jusqu’à dédier son _Mahomet_ au pape
Benoît XIV.

Cependant, la crainte révérentielle qui entourait presque partout le
curé dans sa paroisse ne le mettait pas à l’abri des plaisanteries du
paysan, né malin. La veine des fabliaux n’est pas d’ailleurs épuisée.
L’esprit gaulois se rattrape toujours aux dépens de ses maîtres. La
haine est absente des contes et des bons mots dont, les curés font les
frais. La haine d’ailleurs n’a pas d’esprit. Histoires du Nord,
galéjades du Midi, le curé est le premier à les raconter et à en rire.
La popularité en France ne peut se passer du grain de sel de la
raillerie. Le moyen âge s’amusait de la cupidité de certains curés dans
le célèbre conte de «Brunain, la vache au prêtre». Le prêtre avait dit
au prône qu’il faut donner et que Dieu rend au double ce que l’on donne.
Un vilain et sa femme en furent touchés. Les voilà qui, au retour du
sermon, conduisent leur vache unique au curé. Celui-ci fait attacher la
vache avec la sienne, Blérain avec Brunain, sous prétexte de
l’apprivoiser. Mais Blérain n’est pas contente. Elle fait tant qu’elle
entraîne avec elle Brunain, la vache au prêtre, et revient chez son
maître qui s’écrie: «Dieu a vraiment doublé le don, car nous avons deux
vaches pour une.»

Plus près de nous, le Béarnais Jean Palay, conteur populaire, recueille
les histoires qui courent les chaumières et dans lesquelles le curé fait
des niches à ses montagnards qui les lui rendent bien. «Le curé de
Sérou» est proche parent des curés d’Alphonse Daudet et de Roumanille.

Cacaussus, qui veut se venger d’un mauvais tour de son curé, l’envoie,
sous le prétexte d’un mal subit, chercher à deux lieues de sa maison,
par une nuit de gelée et de verglas. Le prêtre, transi, s’engage à pied
à travers des chemins impraticables. Il arrive enfin au chevet du
prétendu mourant. Cacaussus se plaint à lui d’insomnies et lui demande
de refaire un de ces sermons qui l’ont si souvent endormi le dimanche à
l’église. Le curé, qui n’était pas en reste, se dit: A trompeur,
trompeur et demi... et il se sauva, confus, à travers la bourrasque de
neige. Le curé de Cucugnan se chargera de venger tous ses confrères en
reprenant l’avantage que lui donne la crainte de l’enfer.

Cependant, le prêtre ne devient tout à fait un personnage littéraire
qu’avec la Révolution et le XIXe siècle. Ce ne fut d’abord pas pour sa
gloire, puisqu’il s’agissait, à l’époque de la Terreur, de détruire dans
le peuple ce qu’on appelait le fanatisme, en jetant sur le froc et sur
la soutane de la boue et du sang.

La bataille pour ou contre l’Église est transportée sur le théâtre. La
Révolution terminée, Napoléon met bon ordre à ce dévergondage qui n’a
rien de littéraire et ordonne de jouer les classiques, à commencer par
_Polyeucte_. La Restauration ne se montre pas moins sévère, mais elle
est moins obéie. Le _Tartuffe_ devient la pièce à la mode, et tel est le
sens violemment antireligieux que le public prête à cette comédie que la
force armée doit un soir expulser le parterre. La Révolution de 1830
émancipa encore une fois le théâtre, qui aggrava le répertoire ordurier
dans lequel prêtres et moines étaient peints sous d’affreuses couleurs.

Depuis lors, l’anticléricalisme apprit à se mieux tenir. Le prêtre parut
encore au théâtre, mais, sauf une ou deux exceptions, ne fut pas livré à
la risée publique. Tout au plus fit-il sourire, car, en dépit des bonnes
intentions de Ludovic Halévy ou de Coppée et de tant d’autres, le curé
de théâtre ne rappelle que de fort loin le vrai curé de France. Du moins
il attire généralement le respect et la sympathie. C’était même un signe
des temps que la popularité du prêtre sur la scène pouvait passer pour
une leçon au parti politique qui s’efforçait de le rendre impopulaire
dans le pays.

                   *       *       *       *       *

Plus riche encore de figures ecclésiastiques, mais non moins
fantaisiste, le roman s’est emparé du prêtre comme d’un caractère
capable de piquer la curiosité du lecteur. En général, les romanciers
ont eu le souci de peindre le prêtre tel qu’ils le voyaient, sans trop
de parti pris. Mais l’ont-ils vu tel qu’il est? Le prêtre n’est pas un
héros de roman comme les autres. Certes, il a ses passions et ses
vertus, ses grandeurs et ses misères, il y a chez lui l’homme qui est
chez tous les hommes. Mais il est encore autre chose: il représente sa
fonction, et sa fonction est sujette à des interprétations diverses,
suivant la croyance de l’écrivain, qui introduit dans son œuvre une
personne qui est en même temps un «personnage». Ce qu’on peut dire de
moins désobligeant aux romanciers du XIXe siècle, c’est que l’homme leur
a caché le prêtre. Je ne saurais mieux dire que M. Joseph Ageorges sur
ce point: «Imaginez un peu ce que deviendrait le diocèse de Paris si on
nommait dans les paroisses les prêtres ordonnés par les romanciers.
Mettons Bournisien à Saint-Sulpice, Constantin à Saint-Germain-des-Prés,
Mouret à Saint-Étienne-du-Mont, l’abbé Jules au Sacré-Cœur, Courbezon
dans une chapelle de secours. Semons çà et là, Daniel, Gevrezin, le curé
Farjeas, Germane et les autres. Faisons un «chapitre de Notre-Dame» de
tous les Jérôme Coignard du bas feuilleton et poussons sur le siège
archiépiscopal un Mgr Bienvenu quelconque, avec Tigrane pour vicaire
général, vous aurez beau y joindre un «conseil des œuvres» composé de
Victor Hugo, de Ferdinand Fabre, d’Halévy, de Zola, de Theuriet, de
Huysmans, de Lafargue, et de vingt-cinq autres, je ne donne pas quinze
jours à l’Église de Paris pour tomber dans les plus joyeuses et les plus
tristes aventures!»

Le plus difficile n’est pas d’habiller d’une soutane plus ou moins bien
taillée un caractère banal, sujet à des faiblesses humaines, ou même
orné de qualités sympathiques: ceci est à la portée de tout le monde, et
ne vaut à l’auteur ni éloge ni blâme. La plus redoutable épreuve est de
créer un type de prêtre remplissant tout l’idéal de son ministère et ne
laissant pas d’être un personnage réel et vivant, un homme de Dieu,
soit, mais un homme, dont le lecteur puisse dire: «Je l’ai rencontré.»
C’est là l’écueil où ont échoué Chateaubriand et Lamartine eux-mêmes. Le
père Aubry et Jocelyn ont pour excuse le cadre qui les met à lui seul
hors de la vie ordinaire. Il ne faut pas leur chercher chicane sur leur
orthodoxie, et encore moins sur leur liturgie. Le grand réaliste Balzac
serre de plus près la réalité, mais son Birotteau est un pauvre homme,
au total, et seul son curé de village s’élève jusqu’à la beauté d’un
cœur d’apôtre et d’une âme évangélique. M. Paul Bourget n’aime pas les
abbés démocrates, mais il a le sens catholique et sait donner aux
prêtres le rôle, la dignité, le ton de leur vocation.

Autre chose est de placer dans un roman, comme un personnage accessoire,
une silhouette ecclésiastique; autre chose est de tenter pour la
corporation tout entière une large peinture de mœurs comparable à
l’œuvre que Balzac réalisa pour les différentes classes de la société.
Ferdinand Fabre voulut être le Balzac de la hiérarchie de l’Église. Il
n’omit aucun travers: il campa quelques types qui forcent l’attention,
et parmi les plus saillants l’abbé Tigrane, l’ambitieux. Peut-être ses
personnages s’offriraient-ils en une plus lumineuse perspective, s’ils
paraissaient plus dégagés de l’abondance et de la minutie des détails
descriptifs où se complaît le romancier, dont l’enfance a dû s’écouler
dans la familiarité des cérémonies, des coutumes et des ustensiles
sacrés.

En résumé, les prêtres ne gagnent pas à se présenter sous la figure de
héros de roman. Imparfaits, ils perdent en considération ce que l’auteur
exploite à leurs dépens. Parfaits, ils risquent de sembler irréels et
fades. Heureux les prêtres qui n’ont pas d’histoire!... Les meilleurs et
les plus vrais sont ceux dont on ne parle pas. L’art de les ajuster à
une œuvre littéraire serait de les prendre sur le vif, dans la
simplicité de leur genre de vie; c’est ce qu’a voulu faire Jules
Pravieux. Je demanderais grâce toutefois pour un roman ecclésiastique
qui mettrait en scène un prêtre tel que l’oncle de Sylvain Briollet.
C’est dans un homme de grand cœur la fleur de l’esprit ecclésiastique,
le raffinement du lettré et de l’artiste, le curé français tel que l’a
fait l’ancienne Église de France et l’ancienne culture classique. Et ce
roman sans aventures est écrit dans la langue d’un Anatole France
chrétien. M. Maurice Brillant y a-t-il pensé? Les opinions de l’abbé
Boisard nous relèvent des opinions de l’abbé Jérôme Coignard.




ÉPILOGUE

LE PRÊTRE ÉDUCATEUR


On n’apprend rien à personne en disant que les débris du savoir antique,
après le désastre de la civilisation submergée par les Barbares, furent
sauvés, recueillis dans les monastères. La science fut alors le monopole
de l’Église et une des occupations des clercs. Science et clergie furent
synonymes. Même après que les arts libéraux furent sortis des cloîtres
pour se séculariser, le clergé ne cessa pas de tenir son rang dans la
recherche intellectuelle et dans l’enseignement. Tous les domaines du
savoir humain comptent des illustrations ecclésiastiques. Sans parler de
la théologie, qui suffirait à la gloire du clergé, et sans remonter
jusqu’au moine anglais Roger Bacon, un des pères de la physique et de la
chimie, l’Église de France a fourni des maîtres dans tous les genres.
Inutile de rappeler les noms des orateurs ou des écrivains qui, depuis
Bossuet et Fénelon jusqu’à Lacordaire et à Lamennais, sont l’honneur des
lettres françaises. La philosophie a le chanoine Gassendi et le Père
Malebranche, émules de Descartes: les mathématiques, le Père Mersenne;
la physique, l’abbé Mariotte et l’abbé Nollet; l’histoire, le Père
Daniel, jésuite, l’abbé Fleury, et de nos jours, avec d’autres méthodes,
Mgr Duchesne. Il serait injuste de ne parler que des célébrités, et de
passer sous silence ces prêtres érudits qui meurent souvent inconnus,
sauf dans la petite ville ou tout au plus dans la province où ils ont
travaillé. Tel curé de campagne s’est fait l’historien de sa paroisse;
tel autre a abordé la grande histoire, comme l’abbé Gorini, qui releva
les erreurs du célèbre historien Augustin Thierry. La création des
Universités catholiques a suscité des vocations scientifiques ou
littéraires qui s’ignoraient, par exemple celle du regretté abbé
Rousselot, l’inventeur de la phonétique expérimentale. Le plus grand
bienfait que l’esprit français doit au clergé est celui de la culture
humaniste. Le siècle de la Renaissance qui avait remis le monde à
l’école des Anciens se prolongea, dans les collèges des Jésuites en
particulier, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Le latin surtout était
couramment parlé et élégamment écrit par les maîtres et par leurs
élèves. Santeuil dans ses hymnes faisait penser aux odes d’Horace. Le
cardinal de Polignac réfutait Lucrèce en vers latins, malgré la
difficulté du sujet, comme aurait pu le faire un contemporain du poète.
Le Père La Rue chantait les jardins dans la langue de Virgile, ce qui
supposait plus de talent que Delille n’en mettait à traduire l’auteur
des _Géorgiques_. Qu’on ne sourie pas: les vers latins de collège ont eu
leur influence sur la poésie française. Je ne serais pas surpris si les
chercheurs découvraient une parenté entre ces exercices scolaires, alors
si appréciés, et le renouveau romantique commencé avec André Chénier et
poursuivi avec Victor Hugo.

Quoi qu’il en soit, l’humanisme nous a été transmis par les maîtres du
XVIIe et du XVIIIe siècle, dont les plus célèbres étaient des Jésuites.
Le XIXe siècle dut faire dans les études secondaires une place plus
importante aux sciences mathématiques. L’Université napoléonienne adapta
ses méthodes aux besoins nouveaux, même au détriment de la vieille
culture. Le clergé, héritier des traditions de l’Église, sauva tout ce
qu’il put de la discipline classique. Ses collèges n’ont pas laissé
s’éteindre le flambeau des anciens.

La conquête de la liberté d’enseignement, en 1850, obligea les jeunes
prêtres à acquérir les grades universitaires, et ce fut un bienfait pour
leur formation intellectuelle. Une élite ecclésiastique se créa de la
sorte dans chaque diocèse, qui, après avoir passé quelques années dans
les collèges, se consacra ensuite au ministère pastoral avec un esprit
plus affiné et des connaissances plus étendues. On sait bien ce que les
générations élevées dans les établissements catholiques doivent à
l’éducation qu’elles y ont reçue; on ne pense peut-être pas assez à ce
que le clergé de France doit au stage que bon nombre de ses membres ont
fait dans l’enseignement. Un peu de statistique en dira plus long que
les considérations générales. La province ecclésiastique du Nord et du
Pas-de-Calais, composée des diocèses de Cambrai, d’Arras et de Lille,
compte, sur un total d’environ trois mille prêtres, 283 licenciés ès
lettres ou ès sciences, 18 docteurs ès lettres ou ès sciences, 38
docteurs en théologie, philosophie, droit canon, en tout 339
ecclésiastiques munis de diplômes d’études supérieures. Il est vrai que
Lille est le siège d’une Université catholique.

Le clergé français, en définitive, est redevable d’une partie du
prestige dont il jouit à sa fonction d’éducateur.

Éducateur, le prêtre l’est encore dans le sens le plus large du mot,
même quand il est voué aux fonctions sacerdotales proprement dites.
Qu’est-ce que la prédication, sinon une éducation prolongée, étendue à
toutes les classes et à tous les âges? Qu’est-ce que la confession, ou,
si l’on veut, la direction? Personne, j’imagine, ne prendrait plus au
sérieux les terreurs que Michelet feint d’éprouver à la vue d’un
confessionnal et à la pensée des prétendues scènes d’envoûtement moral
qui s’y déroulent. Le directeur selon la Bruyère, s’il a existé, n’est
plus qu’un mythe. Reste le confesseur qui entend les confessions et qui
absout. Ne ferait-il que cela, qu’il serait déjà l’homme le plus utile à
l’État, puisque l’État n’a guère à craindre du pécheur qui confesse son
péché et soumet ainsi sa conscience à la morale de l’Évangile. Mais le
confesseur n’est pas seulement l’homme qui absout indéfiniment; il est
le conseiller qui remet les coupables dans la voie droite, qui relève
les volontés chancelantes, qui rend l’espérance aux malheureux et donne
à tous le mot d’ordre du devoir. La confession est à la fois un frein et
un élan. Certes, une nation qui se confesse n’est pas pour cela exempte
de misères, car l’esprit est prompt et la chair est faible, mais je
n’ose pas me demander ce qu’il adviendrait d’un peuple qui ne se
confesserait plus. Le prêtre est en vérité un éducateur sans pareil; il
donne la leçon, il signale la faute, et il l’efface. Le pécheur, en
recouvrant l’innocence, retrouve la force perdue. Ce n’est pas tout.
L’homme n’est qu’ébauché par la parole et par l’absolution. Il faut
achever l’œuvre, et c’est dans la communion au corps et au sang, à l’âme
et à la divinité de Jésus-Christ dans l’Eucharistie que le chrétien
approche de la perfection. De l’aveu de Taine lui-même, et quelque
attitude que prenne la raison devant le mystère, la religion est une
admirable éducatrice de l’humanité. Ce que l’historien dit du
christianisme en général est encore plus vrai de la plus chrétienne des
religions, la religion catholique. «Elle est la grande paire d’ailes
indispensable pour soulever l’homme au-dessus de lui-même, au-dessus de
sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers
la patience, la résignation et l’espérance, jusqu’à la sérénité, pour
l’emporter, par delà la tempérance, la pureté, et la bonté, jusqu’au
dévouement et au sacrifice!»

Mais qui donc instruit et élève, absout et purifie au nom de la
religion? Le prêtre, tout simplement. Si Platon l’eût connu, ce n’est
pas lui qui l’eût chassé de sa République.




TABLE DES MATIÈRES


    AVANT-PROPOS                           5
  CHAPITRE I
    COSTUME ET USAGES ECCLÉSIASTIQUES      7
  CHAPITRE II
    LA FORMATION DU PRÊTRE                15
  CHAPITRE III
    LE CURÉ DE CAMPAGNE                   31
  CHAPITRE IV
    LE CURÉ DE VILLE                      45
  CHAPITRE V
    LE PRÊTRE PRÉDICATEUR                 55
  CHAPITRE VI
    LA HIÉRARCHIE ECCLÉSIASTIQUE          69
  CHAPITRE VII
    LE PRÊTRE ET LA POLITIQUE             84
  CHAPITRE VIII
    L’ESPRIT ECCLÉSIASTIQUE               96
  CHAPITRE IX
    LE PRÊTRE DEVANT L’OPINION           108
  ÉPILOGUE: LE PRÊTRE ÉDUCATEUR          120







*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PRÊTRE ***


    

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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
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