Histoire du Bas-Empire. Tome 04

By Charles Le Beau

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Title: Histoire du Bas-Empire. Tome 04

Author: Charles Le Beau

Release date: August 21, 2024 [eBook #74290]

Language: French

Original publication: Paris: F. Didot, 1836

Credits: Brian Wilson, MFR, Pierre Lacaze and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. TOME 04 ***



  HISTOIRE

  DU

  BAS-EMPIRE.


  TOME IV.




A PARIS,


        { FIRMIN DIDOT PÈRE ET FILS, Libraires, rue Jacob, nº 24;
  CHEZ  { LEQUIEN, Libraire, rue des Noyers, nº 45;
        { BOSSANGE PÈRE, Libraire, rue de Richelieu, nº 60;
        { VERDIÈRE, Libraire, quai des Augustins, nº 25.




  HISTOIRE

  DU

  BAS-EMPIRE,

  PAR LEBEAU.


  NOUVELLE ÉDITION

  REVUE ENTIÈREMENT CORRIGÉE,

  ET AUGMENTÉE D'APRÈS LES HISTORIENS ORIENTAUX,

  PAR M. DE SAINT-MARTIN,

  MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET ΒELLES-LETTRES).


  TOME IV.

  PARIS,
  DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT,
  IMPRIMEUR DU ROI ET DE L'INSTITUT, RUE JACOB, nº 24.

  M. DCCC. XXIV.




HISTOIRE

DU

BAS-EMPIRE.




LIVRE XIX.

 I. Complots formés contre Valens. II. Devins consultés pour savoir
 quel sera son successeur. III. Caractère de Théodore. IV. Découverte
 de cette intrigue. V. Théodore est arrêté. VI. Punition de quelques
 conjurés. VII. Interrogatoire de Théodore et des principaux complices.
 VIII. Leur supplice. IX. Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore.
 X. Histoire d'Héliodore. XI. Innocents condamnés. XII. Funérailles
 d'Héliodore. XIII. Persécution excitée contre les philosophes. XIV.
 Cruautés de Festus. XV. Mort du philosophe Maxime. XVI. Para roi
 d'Arménie, attiré à Tarse. XVII. Para s'échappe. XVIII. Il regagne
 l'Arménie. XIX. Il est assassiné. XX. Négociations avec Sapor. [XXI.
 Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.] XXII. Assassinat de
 Gabinius roi des Quades. XXIII. Les Quades vengent la mort de leur
 roi. XXIV. Le jeune Théodose repousse les Sarmates. XXV. Paix avec
 Macrianus. XXVI. Débordement du Tibre. XXVII. Lois de Valentinien.
 XXVIII. Saint-Ambroise évêque de Milan. XXIX. Valentinien marche en
 Pannonie. XXX. Il apprend les vexations de Probus. XXXI. Il ravage
 le pays des Quades. XXXII. Mort de Valentinien. XXXIII. Valentinien
 II empereur. XXXIV. Conduite de Gratien à l'égard de son frère.
 XXXV. Caractère de Gratien encore César. XXXVI. Qualités de Gratien
 empereur. XXXVII. Mort de Théodose. XXXVIII. Punition de Maximin.
 XXXIX. Lois de Gratien. XL. Irruptions des Huns. XLI. Origine des
 Huns. XLII. Caractère et coutumes des Huns. XLIII. Idée générale
 de leur histoire. XLIV. Origine des Alains. XLV. Mœurs des Alains.
 XLVI. Les Huns passent en Europe. XLVII. Ils chassent les Ostrogoths.
 XLVIII. Défaite des Visigoths. XLIX. Les Goths s'assemblent sur les
 bords du Danube.


VALENTINIEN, VALENS, GRATIEN.

[Note latérale: AN 374.

I.

Complots formés contre Valens.

Amm. l. 29, c. 1.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.]

La révolte de Firmus ne causait à Valentinien que de légères
inquiétudes; il se reposait de la conservation de l'Afrique sur la
capacité de Théodose. Mais son frère Valens vivait dans de perpétuelles
alarmes: naturellement cruel et avare, il avait jusqu'alors forcé son
caractère; enflé des médiocres avantages qu'il venait de remporter
sur les Perses, il crut n'avoir plus besoin de se contraindre; ses
courtisans avides, qu'il avait su retenir aussi-bien que ses vices,
commencèrent à abuser de leur faveur pour ruiner les familles les
plus opulentes. Ce prince environné de flatteurs qui fermaient tout
accès aux plaintes et aux remontrances, plus obstiné dans sa colère
lorsqu'elle était moins raisonnable, crédule aux rapports secrets,
incapable par paresse d'examiner la vérité, et par orgueil de la
reconnaître, ne lançait plus que des arrêts d'exil et de confiscation.
Il se faisait un mérite d'être implacable, et il répétait souvent que
_quiconque s'apaise aisément s'écarte aisément de la justice_. Plus de
distinction entre l'innocent et le coupable; c'était par la sentence de
condamnation que les objets de sa colère apprenaient qu'ils étaient
soupçonnés[1]; ils passaient en un instant, comme dans un songe, de
l'opulence à la mendicité. Le trésor du prince engloutissait toutes les
fortunes, pour les verser ensuite sur ses favoris; et ses largesses
ne le rendaient pas moins odieux que ses rapines. Tant d'injustices
excitèrent la haine; et la haine publique produisit les attentats. Il
se formait sans cesse des conspirations contre Valens: un jour qu'il
dormait tranquillement après son dîner, dans un de ses jardins entre
Antioche et Séleucie, un de ses gardes, nommé Salluste, fut sur le
point de le tuer; et ce prince ne fut sauvé de ce péril et de plusieurs
autres, que par les décrets de la Providence qui l'avait condamné à
périr de la main des Goths.

[Note 1: _Inexpiabile illud erat, quod regaliter turgidus,
pari eodemque jure, nihil inter se distantibus meritis, nocentes
innocentesque malignâ insectatione volucriter perurgebat: ut dum adhuc
dubitaretur de crimine, imperatore non dubitante de pæna, damnatos se
quidam priùs discerent quam suspectos._ Amm. Marc. l. 29, c. 1.--S.-M.]

[Note latérale: II.

Devins consultés pour savoir quel sera son successeur.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Liban. or. 26, t. 2, p. 602.

Zos. l. 4, c. 13-15.

Greg. Naz. ep. 137, 138, t. 1, p. 864 et 865.

Chrysost. ad vid. Jun. t. 1. p. 343 et 344, et orat. 3 cont.

Anom. p. 470.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Philost. l. 9, c. 15.

Zon. l. 13, t. 2, p. 32.

Cedr. t. 1, p. 313.]

La même impatience qui faisait naître contre lui tant de complots,
excita quelques visionnaires à rechercher quel serait son successeur.
Fidustius, Irénée et Pergamius, tous trois d'un rang distingué,
s'adressèrent pour cet effet à deux devins célèbres, nommés Hilaire et
Patricius[2]. Je n'exposerai pas ici les ridicules cérémonies que ces
devins pratiquèrent[3], et dont on prétend qu'ils firent eux-mêmes le
détail dans leur interrogatoire. Il suffira de dire qu'ayant gravé
autour d'un bassin les caractères de l'alphabet grec, ils suspendirent
au-dessus un anneau enchanté, qui, par ses vibrations diverses, marqua
les lettres, dont l'assemblage formait la réponse de l'oracle. Elle
était conçue en vers héroïques, et signifiait que _le successeur de
Valens serait un prince accompli; que leur curiosité leur serait
funeste; mais que leurs meurtriers éprouveraient eux-mêmes la vengeance
des dieux, et périraient par le feu dans les plaines de Mimas_[4].
Comme l'oracle ne s'était exprimé sur le prince futur qu'en des termes
généraux, on demanda quel était son nom. Alors l'anneau ayant frappé
successivement sur ces lettres THEOD, un des assistants s'écria que les
dieux désignaient Théodore. Tous les autres furent du même avis; et la
chose parut si évidente, qu'on s'en tint là sans pousser plus loin la
recherche. Il faut avouer que si ce récit était vrai dans toutes ses
circonstances, jamais l'art magique n'aurait enfanté une prédiction
plus juste ni plus précise; c'est ce qui doit en faire douter. En
effet, les auteurs ne s'accordent pas sur le moyen qui fut employé: les
uns disent qu'on fit usage de la nécromancie; quelques-uns racontent
qu'on traça sur la terre un grand cercle, autour duquel on marqua, à
distances égales, les lettres de l'alphabet; qu'on les couvrit ensuite
de blé, et qu'un coq placé au centre du cercle avec des cérémonies
mystérieuses, alla choisir les grains de blé semés sur les lettres que
nous venons de dire.

[Note 2: On apprend de deux fragments d'Eunapius, insérés dans
le lexique de Suidas, sous les noms de ces deux personnages, que le
premier était Phrygien et le dernier Lydien. Zosime en dit autant, l.
4, c. 15. Le même auteur leur joint un certain Andronicus de Carie,
qu'il qualifie aussi du nom de philosophe. Presque tous les philosophes
de cette époque se mêlaient de magie et de divination.--S.-M.]

[Note 3: Ammien Marcellin en donne longuement le détail, l. 29, c.
1, d'après les dépositions d'un des accusés.--S.-M.]

[Note 4: Ces vers qui sont en grec, et qui paraissent bien avoir
été supposés après coup, se trouvent dans Ammien Marcellin, l. 29, c.
1.--S.-M.]

[Note latérale: III.

Caractère de Théodore.]

Ce Théodore en faveur duquel on était si fortement prévenu, était
né en Gaule, d'autres disent en Sicile, d'une famille ancienne et
illustre. Une éducation brillante avait perfectionné ses talents
naturels, et les graces de l'extérieur y ajoutaient un nouvel éclat:
ferme et prudent, bienfaisant et judicieux, modeste et savant dans
les lettres, il était chéri du peuple, respecté des grands, considéré
de l'empereur; et quoiqu'il ne tînt que le second rang entre les
secrétaires du prince, il était presque le seul qui fût assez courageux
pour lui parler avec franchise, et assez habile pour s'en faire
écouter. Eusérius, qui avait été vicaire d'Asie, et qui était dans le
secret de la consultation, l'instruisit des prétendus desseins du ciel
sur sa personne. Une tentation si délicate fit connaître que sa vertu
n'était pas à l'épreuve de l'ambition. Théodore se sentit flatté, et
aussitôt il devint criminel: il écrivit à Hilaire qu'il acceptait le
présent des dieux, et qu'il n'attendait que l'occasion de remplir sa
destinée.

[Note latérale: IV.

Découverte de cette intrigue.]

Il n'en eut pas le temps; la conspiration où l'on avait déja engagé un
grand nombre de personnes considérables, fut découverte par un accident
imprévu: Fortunatianus, intendant du domaine[5], poursuivait deux
de ses commis[6], coupables d'avoir détourné les deniers du prince.
Procope, ardent délateur, les accusa d'avoir voulu se tirer d'embarras,
en faisant périr Fortunatianus, et de s'être adressés, pour cet effet,
à un empoisonneur nommé Palladius, et à l'astrologue Héliodore[7].
L'intendant du domaine fit aussitôt saisir Héliodore et Palladius,
et les mit entre les mains de Modestus, préfet du prétoire. Dans les
tourments de la question, ils s'écrièrent qu'on avait tort d'employer
tant de rigueurs pour éclaircir un fait si peu important; que si on
voulait les écouter, ils révéleraient des secrets d'une toute autre
conséquence, et qui n'allaient à rien moins qu'au renversement général
de l'état. A cette parole on suspendit les tourments, on leur ordonna
de dire ce qu'ils savaient: ils étaient instruits de la conspiration,
et ils en exposèrent toute l'histoire. On leur confronta Fidustius,
qui avoua tout; Eusérius fut mis en prison. On informa le prince de
cette découverte; les courtisans, et surtout Modestus, s'empressaient
à l'envie d'exagérer le péril et d'enflammer la colère du souverain;
et comme il paraissait dangereux de faire arrêter tant de personnes,
dont plusieurs avaient un grand crédit, le préfet, flatteur outré et
impudent, élevant sa voix: _Et quel pouvoir_, dit-il, _peut résister à
l'empereur? il pourrait, s'il l'avait entrepris, faire descendre les
astres du ciel, et les obliger de comparaître à ses pieds_[8]. Cette
hyperbole insensée ne révolta nullement l'imbécile vanité de Valens.

[Note 5: C'est-à-dire qu'il était _Comes rerum privatarum_ ou
_Comes rei privatæ_. Ce Fortunatianus avait été très-lié avec Libanius,
comme on le voit par les lettres de ce dernier.--S.-M.]

[Note 6: C'étaient deux officiers du palais _palatini_, appelés
Anatolius et Spudasius.--S.-M.]

[Note 7: _Fatorum per genituras interpres._ Amm. Marc. l. 29, c.
1.--S.-M.]

[Note 8: _Ad extollendam ejus vanitiem sidera quoque, si jussisset,
exhiberi posse promittens._ Amm. Marc. l. 29, c. 1.--S.-M.]

[Note latérale: V.

Théodore est arrêté.]

On envoya en diligence à Constantinople pour enlever Théodore, qu'une
affaire particulière y avait rappelé. En attendant son retour, on
passait les jours et les nuits à interroger les complices qui se
trouvaient dans Antioche; et sur leurs dépositions, on dépêchait de
toutes parts jusque dans les provinces les plus éloignées, pour saisir
les coupables et les amener à la cour. Plusieurs d'entre eux étaient
distingués par leur noblesse et par leurs emplois. Les prisons
publiques, et même les maisons particulières, étaient remplies de
criminels, chargés de fers, tremblants pour eux-mêmes, et plus encore
pour leurs parents et leurs amis dont ils ignoraient le sort. Théodore
arriva: comme on appréhendait quelque violence de ses partisans, on
le fit garder dans un château écarté sur le territoire d'Antioche. Sa
disgrace avait du premier coup abattu son courage; et son ame qui avait
paru si ferme à la cour, ne se trouva pas d'une trempe assez forte pour
se soutenir à la vue d'une mort prochaine qu'il avait méritée.

[Note latérale: VI.

Punition de quelques conjurés.]

Valens forma un tribunal composé de grands officiers, auxquels
présidaient le préfet du prétoire. On donnait alors la question aux
criminels dans la salle même de l'audience, en présence de tous les
juges. Quand les bourreaux eurent étalé à leurs yeux les instruments
des diverses tortures, on fit entrer Pergamius. C'était un homme
éloquent et hardi; mais sentant bien qu'il ne pouvait éviter la mort,
au lieu de nier son crime et de désavouer ses complices, il prit une
voie toute contraire; et soit pour effrayer Valens, soit pour prolonger
sa vie, il n'attendit pas les interrogations des juges qui paraissaient
embarrassés, et dénonça des milliers de complices, nommant avec une
volubilité incroyable tout ce qu'il connaissait de Romains dans toute
l'étendue de l'empire; il demandait qu'on les fît tous venir, et
promettait de les convaincre. Une pareille déposition devenant inutile
par l'impossibilité d'en éclaircir la vérité, on lui imposa silence
pour lui prononcer son jugement, qui fut sur-le-champ exécuté. Après
qu'on en eut fait mourir plusieurs autres que l'histoire ne nomme
pas, on envoya chercher dans la prison Salia, qui avait été peu de
temps auparavant trésorier général de la Thrace[9]. Mais pendant que
ses gardes le détachaient pour le faire sortir du cachot, frappé
d'effroi comme d'un coup de foudre, il expira entre leurs bras. On
introduisit ensuite Patricius et Hilaire; on leur ordonna de faire le
détail de leur procédé magique: comme ils hésitaient d'abord, on leur
fit sentir les ongles de fer, et on les força ainsi d'exposer toutes
les circonstances de la consultation; ils ajoutèrent, par amitié pour
Théodore, qu'il ignorait tout ce qui s'était passé. Ils furent mis à
mort séparément.

[Note 9: C'est-à-dire Receveur-général de la Thrace. _Salia,
thesaurorum paulo antè per Thracias Comes._ Amm. Marc. l. 29, c.
1.--S.-M.]

[Note latérale: VII.

Interrogatoire de Théodore et des principaux complices.]

Ces supplices n'étaient que le prélude de la principale exécution.
On fit enfin comparaître ensemble tous les conjurés distingués par
des emplois et des titres d'honneur. A la tête des coupables étaient
Théodore, portant sur son visage tous les signes d'une profonde
douleur. Ayant obtenu la permission de parler, il en usa d'abord
pour demander grace par les plus humbles supplications; le président
l'interrompit, en lui disant qu'il était question de réponses précises,
et non pas de prières. Théodore déclara qu'ayant appris d'Eusérius la
prédiction qui faisait son crime, il avait plusieurs fois voulu en
informer l'empereur; mais que le même Eusérius l'en avait toujours
détourné, sous prétexte que cette prédiction n'annonçait qu'une
destination innocente, et qu'il parviendrait à l'empire par l'effet
d'un accident inévitable, auquel il n'aurait lui-même aucune part.
Eusérius, appliqué à une question cruelle, s'accordait parfaitement
avec Théodore; mais la lettre écrite à Hilaire les démentait tous
deux. Tous les autres, entre lesquels étaient Fidustius et Irénée,
furent interrogés et convaincus. Eutrope, alors proconsul d'Asie, le
même dont nous avons un abrégé de l'histoire romaine[10], et dont
saint Grégoire de Nazianze parle avec éloge[11], quoiqu'il fût païen,
avait été injustement confondu avec les conjurés. L'envie attachée
au mérite avait saisi cette occasion de le perdre; il fut redevable
de sa conservation au philosophe Pasiphile, qui résista constamment
à toute la violence des tortures, par lesquelles on s'efforçait de
lui arracher un faux témoignage. Un autre philosophe, nommé Simonide,
signala sa hardiesse: il était encore fort jeune, mais déja célèbre par
l'austérité de ses mœurs[12]. On l'accusait d'avoir été instruit de
toute l'intrigue par Fidustius; il en convint, et ajouta qu'_il savait
mourir, mais qu'il ne savait pas trahir un secret_. Fidélité louable,
si elle n'eût pas été employée à favoriser un crime.

[Note 10: _Eutropius Asiam proconsulari tunc obtinens potestate._
Amm. Marc. l. 29, c. 1. Festus qui avait tenté de le faire périr le
remplaça dans sa magistrature (voyez ci-après, § 14, p. 16). Il fut
préfet du prétoire en 380 et en 381, et consul en 387, sous le règne de
Théodose-le-Grand.--S.-M.]

[Note 11: Ce saint personnage lui avait eu de grandes obligations
pendant sa préfecture d'Asie; il nous reste deux lettres qu'il lui
adressa et dans l'une desquelles il l'appelle le grand Eutrope,
Εὐτρόπιος ὁ μέγας.--S.-M.]

[Note 12: _Adolescens ille quidem, verum nostrâ memoriâ
severissimus._ Amm. Marc. l. 29, c. 1.--S.-M.]

[Note latérale: VIII.

Leur supplice.]

Le tribunal ayant envoyé toutes les dépositions à l'empereur, le pria
de prononcer sur la punition. Il condamna tous les accusés à perdre
la tête; le seul Simonide, dont l'intrépidité lui parut une insulte,
fut destiné à un supplice plus rigoureux; Valens ordonna qu'il fût
brûlé vif. Ils furent tous exécutés dans la place publique d'Antioche,
à la vue d'une multitude innombrable, qui oublia leur crime pour
s'attendrir sur leur supplice. La haine qu'on avait conçue contre
l'empereur, leur tint lieu d'apologie; et le peuple voulut croire
qu'entre ceux qui périrent alors, l'avarice du prince avait enveloppé
un grand nombre d'innocents. La constance de Simonide rendit encore
l'exécution plus odieuse: il se laissa dévorer par les flammes sans
pousser aucun soupir, sans changer de contenance[13], et renouvela le
spectacle de cette effrayante fermeté, dont le philosophe Pérégrinus
avait fait volontairement parade sous le règne de Marc-Aurèle. La femme
de Théodore, qui égalait son mari en noblesse, dépouillée de ses biens,
fut réduite à vivre en servitude; n'ayant sur les femmes nées dans
l'esclavage que le triste privilège de tirer des larmes à ceux qui, en
la voyant, se rappelaient sa fortune passée.

[Note 13: «Fuyant la vie comme une maîtresse furieuse, dit
Ammien Marcellin, l. 29, c. 1, il mourut en riant». _Qui vitam, ut
dominam fugitans rabidam, ridens subitas momentorum ruinas, immobilis
conflagravit._ Il est bien difficile ici comme en beaucoup d'autres
endroits de rendre exactement les expressions recherchées de l'auteur
latin.--S.-M.]

[Note latérale: IX.

Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore.]

Les bons princes sont sévères par nécessité, et indulgents par
caractère; leur penchant naturel les ramène promptement à ces
sentiments de douceur, qui font autant leur félicité que celle de leurs
sujets. Mais Valens ne se lassa point de punir; il ouvrit son cœur
à tous les soupçons, ses oreilles à tous les délateurs; et pendant
quatre années, il ne cessa de frapper, jusqu'à ce que les Goths,
exécuteurs de la justice divine, l'appelérent lui-même au bruit de
leurs armes, pour recevoir la punition de tant de cruautés. Palladius
et Héliodore, qui n'avaient évité le supplice qu'en dénonçant les
conjurés, s'autorisant du service qu'ils avaient rendu à l'empereur,
étaient devenus redoutables à tout l'empire: maîtres de la vie des
plus grands seigneurs, ils les faisaient périr ou comme complices de
la conjuration, ou comme coupables de magie, crime proscrit depuis
long-temps, mais devenu irrémissible depuis qu'il avait donné naissance
au dernier complot. Ils avaient imaginé un moyen infaillible de
perdre ceux dont les richesses excitaient leur envie: après les avoir
accusés, lorsqu'on allait par ordre du prince saisir leurs papiers,
ils y faisaient glisser des pièces qui emportaient une condamnation
inévitable. Ce cruel artifice fut répété tant de fois, et causa la
perte de tant d'innocents, que plusieurs familles brûlèrent tout ce
qu'elles avaient de papiers[14], aimant mieux perdre leurs titres que
de s'exposer à périr avec eux.

[Note 14: C'est principalement dans les provinces orientales que
se firent ces recherches inquisitoriales. _Inde factum est_, dit
Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, _per Orientales provincias, ut omnes
metu similium exurerent libraria omnia: tantus universos invaserat
terror_.--S.-M.]

[Note latérale: X.

Histoire d'Héliodore.]

Héliodore était plus puissant et plus accrédité que Palladius, parce
qu'il était encore plus fourbe et plus méchant[15]. Il avait été
d'abord vendeur de marée[16]. Comme il passait par Corinthe, son hôte
qui avait un procès, tomba malade, et le pria de se rendre pour lui à
l'audience. Lorsqu'il eut entendu les avocats, il se persuada qu'il
réussirait dans cette profession: il partagea son temps entre son
commerce et l'étude des lois. La nature lui avait donné l'impudence,
et ce talent suppléa à tous les autres. Il trouva assez de dupes pour
faire une médiocre fortune. S'étant ensuite adonné à l'astrologie[17],
il s'attacha à la cour. Parvenu à la faveur du prince par la voie que
nous avons racontée, les courtisans le comblaient de présents, et il
les payait en accusations calomnieuses contre ceux qu'ils haïssaient.
Sa table était somptueuse; il entretenait dans sa maison plusieurs
concubines, auxquelles toutes les personnes en place se croyaient
obligées de payer un tribut. Le grand-chambellan lui rendait de
fréquentes visites de la part de l'empereur. Valens qui se piquait
d'éloquence jusque dans ces cruelles sentences qu'il prononçait contre
les innocents, s'adressait à Héliodore pour donner à son style le tour
et les graces oratoires.

[Note 15: _Heliodorus, tartareus ille malorum omnium cum Palladio
fabricator._ Amm. Marc. l. 29, c. 2.--S.-M.]

[Note 16: Ἄνθρωπος δέ τις γάρου κάπηλος, καὶ τοῦτο ποιῶν διὰ τῆς
θαλάττης, Ἡλιόδωρος ὄνομα αὐτῷ. Liban. or. 26, t. 2, p. 602.--S.-M.]

[Note 17: Il était ce que l'on appelait alors un mathématicien,
_mathematicus ut memorat vulgus_, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2.
Les mathématiciens de cette époque étaient des espèces de diseurs de
bonne aventure.--S.-M.]

[Note latérale: XI.

Innocents condamnés.]

Ces deux scélérats firent périr plus de noblesse, que n'en aurait
détruit une maladie contagieuse. Diogène, ancien gouverneur de
Bithynie, était noble[18], éloquent, chéri de tous par la douceur de
ses mœurs, mais il était riche; il fut mis à mort. Alypius, autrefois
vicaire des préfets dans la Grande-Bretagne, le même que Julien avait
inutilement employé pour rebâtir le temple de Jérusalem[19], s'était
retiré de la cour et des affaires. La calomnie vint l'arracher de sa
retraite. On l'accusa de magie avec son fils Hiéroclès, dont la probité
était connue. Le père fut condamné au bannissement et le fils à la
mort. Comme on traînait celui-ci au supplice, tout le peuple d'Antioche
courut au palais de l'empereur, et obtint par ses cris la grace de ce
jeune homme qui n'avait besoin que de justice. Bassianus, secrétaire
de l'empereur[20], avait consulté les devins sur la grossesse de sa
femme; on l'accusa d'avoir eu un objet de plus grande importance:
les sollicitations empressées de ses parents lui sauvèrent la vie,
mais ne purent lui conserver ses biens. Eusèbe et Hypatius, frères de
l'impératrice Eusébia[21], et beaux-frères de Constance, n'avaient pas
perdu depuis la mort de ce prince la considération qu'une si haute
alliance leur avait procurée. Héliodore les accusa d'avoir porté leurs
vues jusqu'à l'empire: il supposait une consultation de devins, et un
voyage entrepris pour exciter une révolte: il prétendait même qu'Eusèbe
s'était fait préparer les ornements impériaux. La colère de l'empereur
s'alluma aussitôt, il ordonna l'information la plus rigoureuse; sur
la requête d'Héliodore, il fit venir des provinces les plus éloignées
une infinité de personnes. On mit en œuvre toutes les tortures; et
quoiqu'une si dangereuse procédure n'eût servi qu'à faire éclater
l'innocence d'Eusèbe et d'Hypatius, l'accusateur ne perdit rien de son
crédit, et les accusés furent bannis. Il est vrai que cette injustice
ne subsista pas long-temps. Ils regagnèrent Héliodore, et obtinrent
leur rappel et la restitution de leurs biens.

[Note 18: _Vir nobili prosapiâ editus._ Ammien Marcellin, l. 29, c.
1.--S.-M.]

[Note 19: Voyez t. 3. p. 46, note 2, liv. XIII, § 35.--S.-M.]

[Note 20: _Notarius militans inter primos._ Amm. Marc. l. 29, c. 2.
Le même historien ajoute qu'il était d'une race illustre. _Bassianus
procerum genere natus._ Ces mots ont fait croire qu'il pouvait être le
fils de Bassianus César, beau-frère de Constantin. D'autres pensent
qu'il était le même que Bassianus fils de Thalassius qui avait été
préfet du prétoire d'Orient, et gendre d'Helpidius, qui obtint la même
dignité. Cette dernière opinion est la plus vraisemblable.--S.-M.]

[Note 21: Ils avaient été consuls en 359. Voyez t. 2, p. 268, liv.
X, § 45.--S.-M.]

[Note latérale: XII.

Funérailles d'Héliodore.]

Peu de temps après, ce calomniateur, abhorré de tout l'empire, mais
chéri de Valens, mourut de maladie, ou peut-être par l'effet d'une
vengeance secrète[22]. Valens inconsolable lui fit préparer de
magnifiques funérailles. Il avait résolu de les honorer de sa présence;
et il ne s'en dispensa que sur les prières réitérées de sa cour, qui
sentait mieux que lui l'indécence de cette démarche: mais il voulut
que les personnes titrées, et nommément les deux beaux-frères de
Constance marchassent devant le convoi en habit de deuil, la tête et
les pieds nus, les bras croisés sur la poitrine[23]. Cet avilissement
de ce qu'il y avait de plus respectable dans l'empire déshonorait le
prince, sans honorer la mémoire de cet indigne favori: mais c'était
le caractère de Valens, ainsi que de toutes les ames faibles, de se
livrer sans réserve à ceux qu'il aimait, et de n'observer à leur égard
aucune règle de bienséance et de justice. On en vit dans le même temps
un autre exemple[24]. Un tribun, nommé Pollentianus, très-méchant,
mais très-aimé du prince, avait ouvert le ventre à une femme enceinte
et vivante, pour évoquer les ombres des morts, et les consulter sur
le successeur de Valens. Le fait était avéré par la confession même
du coupable. L'empereur, qui venait de punir si rigoureusement cette
curiosité dans des circonstances beaucoup moins atroces, ne permit pas
de condamner le tribun; et, malgré l'indignation des juges, il le
laissa dans la possession paisible de ses biens et de son rang.

[Note 22: _Heliodoro_, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, _incertum
morbo an quadam excogitata vi mortuo. Nolim dicere, utinam nec ipsa res
loqueretur?_--S.-M.]

[Note 23: _Funus ejus per vespillones elatum pullati præcedere
honorati complures, inter quos et fratres jussi sunt consulares....
Inter quos omnes adolescentiâ et virtutum pulchritudine commendabilis
noster Hypatius præminebat._ Amm. Marc. l. 29, c. 2. Flavius Hypatius
fut préfet du prétoire d'Italie, en 382 et 383. Il joignit à cette
dignité la préfecture de Rome.--S.-M.]

[Note 24: Ammien Marcellin l'appelle par ironie une des belles
actions de Valens. _Accesserat hoc quoque eodem tempore ad Valentis
cæteras laudes_, l. 29, c. 2.--S.-M.]

[Note latérale: XIII.

Persécution excitée contre les philosophes.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Themist. or. 7, p. 99.

Eunap. in Max. t. 1, p. 62 et 63, ed. Boiss.

Liban. vit. t. 2, p. 52, 56 et 57.

Zos. l. 4, c. 15.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

Suid. in Φῆστος.]

Socrate, et d'après lui Sozomène, rapportent que Valens ordonna de
mettre à mort tous ceux dont le nom commençait par les deux syllabes
THEOD, et que pour éviter cette proscription, quantité de personnes
changèrent de nom. Cet ordre cruel aurait inondé de sang tous les
états de Valens: rien n'était plus commun que cette dénomination dans
les noms d'étymologie grecque. Aussi les auteurs les plus dignes de
foi épargnent à Valens ce trait d'inhumanité. Mais ils conviennent
qu'il fit brûler tous les livres de magie, et qu'il persécuta vivement
les philosophes, dont la science n'était alors qu'une cabale. Il en
fut des livres comme des hommes: on en condamna aux flammes un grand
nombre d'innocents, et cet incendie fit périr beaucoup d'ouvrages
de littérature, de physique et de jurisprudence[25]. Les délateurs
poursuivaient sans relâche les philosophes, et les livraient aux
magistrats, qui les condamnaient sans connaissance de cause. Il y en
eut qui s'empoisonnèrent pour se soustraire aux supplices[26]. Libanius
échappa à la haine de Valens; et si on veut l'en croire, ce fut à la
magie même qu'il fut redevable de n'être pas convaincu de magie. Le
nom de philosophe était devenu si funeste, qu'on en évitait avec soin
jusqu'à la moindre ressemblance dans les habits. Comme on faisait dans
toutes les provinces d'exactes recherches, on trouva entre les papiers
d'un particulier l'horoscope d'un nommé Valens: et quoique celui à qui
ils appartenaient, alléguât pour sa défense qu'il avait eu un frère
de ce nom, et qu'il était en état de prouver que cet horoscope était
celui de son frère, on le fit mourir sans vouloir l'entendre. Ce qui
n'était que folie et faiblesse d'esprit devint un crime d'état. L'usage
de ces remèdes extravagants, qui consistent en certaines paroles et en
pratiques bizarres et ridicules, fut puni de mort. Festus, proconsul
d'Asie, fit périr dans les plus grands tourments Céranius, Égyptien,
philosophe célèbre[27]; parce que dans une lettre latine écrite à sa
femme, il avait inséré du grec, que Festus n'entendait pas.

[Note 25: _Deinde congesti innumeri codices, et acervi voluminum
multi sub conspectu judicum concremati sunt, ex domibus eruti variis ut
illiciti, ad leniendam cæsorum invidiam: cùm essent plerique liberalium
disciplinarum indices variarum et juris._ Ammian. Marcell. l. 29, c.
1.--S.-M.]

[Note 26: Selon Zonare, l. 13, t. 2, p. 33, ce fut un philosophe
nommé Iamblique qui se donna ainsi la mort. Il est probable que ce
Iamblique est celui auquel Julien adressa plusieurs lettres qui
existent encore.--S.-M.]

[Note 27: _Philosophum quemdam Cœranium, haud exilis meriti virum._
Amm. Marc. l. 29, c. 2. Il est aussi question de ce philosophe dans un
fragment d'Eunapius, rapporté par Suidas: il nous apprend que Céranius
était Égyptien.--S.-M.]

[Note latérale: XIV.

Cruautés de Festus.]

Ce proconsul[28] était né à Trente [_Tridentinum_], d'une fort
basse extraction. Devenu avocat, il se lia d'une amitié étroite
avec Maximin[29], qui exerçait alors la même profession. Pendant
que celui-ci s'avançait par ses intrigues à la cour de Valentinien,
Festus passa en Orient, et s'attacha au service de Valens. Il fut
gouverneur de Syrie[30], et secrétaire du prince pour l'expédition des
brevets[31]. Dans ces deux emplois, il se fit aimer par sa douceur, et
mérita avec l'estime publique la charge de proconsul d'Asie. Il était
le premier à blâmer la conduite injuste et cruelle de son ancien ami:
mais la fortune de Maximin le piqua de jalousie, et étouffa dans son
cœur tout sentiment d'honneur et de vertu. Voyant que ce méchant homme
s'était élevé à la préfecture du prétoire à force de répandre du sang,
il crut devoir tenir la même route pour parvenir à la même dignité.
Changeant tout à coup de caractère, il devint violent, injuste,
inhumain; et tandis que l'Italie et la Gaule gémissaient sous le
gouvernement de Maximin, Festus, rival de ce tyran, désolait l'Asie par
ses cruautés et ses injustices. C'est à lui qu'on attribue un sommaire
fort court de l'histoire romaine, dédié à l'empereur Valens, aussi-bien
qu'une description de la ville de Rome[32].

[Note 28: Il se nommait Sextus Rufus Festus.--S.-M.]

[Note 29: Il paraît, d'après ce que dit Ammien Marcellin, l. 29, c.
2, qu'il était son parent, _in nexum germanitatis a Maximino dilectus,
ut sodalis et contogatus_.--S.-M.]

[Note 30: Il avait occupé cette place en l'an 368.--S.-M.]

[Note 31: Il était _magister memoriæ_ ou secrétaire intime.--S.-M.]

[Note 32: Ces deux ouvrages, presque sans importance, ont été
imprimés plusieurs fois dès le quinzième siècle. La meilleure édition
est celle qui a été donnée à Hanovre en 1815, 1 vol. in-8º, par M.
Guill. Muennich.--S.-M.]

[Note latérale: XV.

Mort du philosophe Maxime.]

Entre les innocents qu'il fit mourir, on ne peut compter le fameux
Maxime[33], dont la mort ne parut injuste qu'aux zélés partisans
de l'idolâtrie. Dès le commencement du règne des deux empereurs,
cet imposteur, après avoir couru risque de la vie, avait obtenu
la permission de retourner en Asie. Quoiqu'il n'éprouvât que des
disgraces, il ne prit point de part à la révolte de Procope, et
il essuya même à ce sujet une nouvelle persécution de la part des
rebelles. Ennuyé d'une vie si misérable, il pria sa femme de lui
apporter du poison: elle obéit, mais l'ayant elle-même avalé en sa
présence, elle expira entre ses bras. Il aurait succombé à tant de
malheurs, si Cléarque, alors proconsul d'Asie, imbu de sa doctrine, ne
se fût hautement déclaré son protecteur. La faveur de ce magistrat lui
rendit son repos et son ancienne fortune. Il revint à Constantinople.
Soupçonné d'être entré dans le complot de Théodore, il avoua qu'il
avait eu connaissance de l'oracle, mais qu'il aurait cru déshonorer la
philosophie, s'il eût révélé le secret de ses amis. Il fut, par ordre
de l'empereur, transféré à Éphèse, sa patrie[34], où Festus lui fit
trancher la tête. Ainsi fut vengé le sang de tant de chrétiens, que ce
fanatique avait fait couler sous le règne de Julien, son admirateur et
son disciple. Mais la religion chrétienne, instruite à ne se venger de
ses plus mortels ennemis que par des bienfaits, n'eut aucune part à ce
supplice. Elle n'entrait pour rien dans les conseils de l'ambitieux
Festus, qui cinq ans après, ayant embrassé l'idolâtrie sans qu'on en
puisse deviner la raison, tomba mort en sortant d'un temple[35].

[Note 33: Ammien Marcellin en parle dans les termes les plus
honorables. _Maximus_, dit-il, _ille philosophus, vir ingenti nomine
doctrinarum, cujus ex uberrimis sermonibus ad scientiam copiosus
Julianus exstitit imperator_. l. 29, c. 1.--S.-M.]

[Note 34: Il avait été amené à Antioche pour y être jugé: ὁ Μάξιμος
συνηρπάσθη μὲν, καὶ εἰς τὴν Ἀντιόχειαν ἦλθεν, dit Eunapius, t. 1, p.
63, edit. Boiss.--S.-M.]

[Note 35: C'était un temple des Euménides. Eunapius, qui rapporte
ce fait, est bien tenté de le présenter, comme un effet de la vengeance
des dieux, et le juste châtiment de la mort de Maxime. Festus avait été
destitué par Théodose, peu de temps après son avènement à l'empire.
Il avait alors contracté un mariage riche, γάμον τυραννίδι πρέποντα,
qui avait peut-être eu de l'influence sur son changement de religion.
Eunap. in Max. t. 1, p. 64.--S.-M.]

[Note latérale: XVI.

Para, roi d'Arménie attiré à Tarse.

Amm. l. 30, c. 1.]

Les soupçons de Valens, qui mettaient en deuil tant de familles,
ne furent pas moins funestes au roi d'Arménie[36]. On persuada à
l'empereur que Para continuait d'entretenir des intelligences secrètes
avec les Perses: on lui dépeignait ce jeune prince comme un ingrat
et un perfide[37]. Ce rapport était du moins hasardé. On avait lieu
de croire que Para, qui ignorait l'art de feindre, après avoir été
quelque temps séduit par les artifices de Sapor[38], était revenu de
son erreur, et il paraissait rentré de bonne foi dans le parti des
Romains. Mais il avait un ennemi mortel dans la personne de Térentius,
qui résidait alors en Arménie de la part de l'empereur[39]. Térentius,
dont les écrivains ecclésiastiques font l'éloge[40], parce qu'il était
fort attaché à la foi catholique, était d'ailleurs un esprit sombre,
dangereux, ardent à semer la discorde[41]. Appuyé du témoignage de
quelques seigneurs Arméniens, qui voulaient perdre leur prince, parce
qu'ils l'avaient offensé[42], il ne cessait d'écrire à la cour, et
de remettre sous les yeux la mort de Cylacès et d'Artabannès[43].
Ces impressions malignes firent leur effet sur Valens. Il manda le
jeune monarque pour conférer avec lui sur des affaires pressées et
importantes[44]. Para était imprudent par caractère autant que par
jeunesse, et jamais ses malheurs passés ne purent l'instruire à
la défiance. Il partit avec trois cents cavaliers, et étant arrivé
à Tarse, il y fut retenu sous divers prétextes[45]. On lui rendait
tous les honneurs dus à sa dignité[46]; mais l'éloignement de la
cour, et le profond silence qu'on gardait sur des affaires, qu'on lui
avait annoncées comme pressantes[47], commençaient à lui donner de
l'inquiétude, lorsqu'il apprit, par des avis secrets, que Térentius
sollicitait vivement l'empereur d'envoyer au plus tôt un autre roi
en Arménie[48]. Ce général faisait entendre à Valens que la nation
détestait Para, et que, dans la crainte de retomber entre ses mains,
elle était prête à se donner aux Perses[49].

[Note 36: _Dirum in Oriente committitur facinus, Para Armeniorum
rege clandestinis insidiis obtruncato._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 37: _Consarcinabant inhunc etiamtum adultum crimina quædam
apud Valentem exaggerantes malè sollertes homines, dispendiis sæpè
communibus pasti._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 38: Voyez tom. 3, p. 431 et suiv., liv. XVIII, § 32.--S.-M.]

[Note 39: Il était, comme on s'exprimait alors, duc d'Arménie, _dux
Armeniæ_.--S.-M.]

[Note 40: S. Basile l'appelle (ep. 215, t. 3, p. 323) _un homme
admirable_ θαυμασιωτάτος ἄνηρ, ou bien (ep. 216, t. 3, p. 324) _un
homme excellent en tout_, τὸν πάντα ἄριστον ἄνδρα Τερέντιον. Nous avons
encore deux lettres de ce saint (ep. 99, t. 3, p. 193, et ep. 214, t.
3, p. 320) adressées à ce général, et où il ne le traite pas avec moins
de bienveillance. Il en est de même de Théodoret dans son Histoire
ecclésiastique (l. 4, c. 32).--S.-M.]

[Note 41: Le portrait qu'Ammien Marcellin fait de Térentius, l. 30,
c. 1, est loin d'être flatteur. _Inter quos erat_, dit-il, _Terentius
dux demissè ambulans, semperque submœstus, sed quoad vixerat, acer
dissensionum instinctor_.--S.-M.]

[Note 42: _Qui adscitis in societatem gentilibus paucis, ob
flagitia sua suspensis in metum._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 43: _Scribendo ad comitatum assiduè Cylacis necem replicabat
et Artabannis._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 44: _Unde quasi futurus particeps suscipiendi tunc pro
instantium rerum ratione tractatus._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 45: _Apud Tarsum Ciliciæ obsequiorum specie custoditus._ Amm.
Marc. l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 46: _Para regaliter vocatus_, dit Ammien Marcellin, l. 30, c.
1.--S.-M.]

[Note 47: _Nec urgentis adventus causam scire cunctis reticentibus
posset._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 48: _Tandem secretiore indicio comperit, per litteras Romano
rectori suadere Terentium, mittere propediem alterum Armeniæ regem._
Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il serait possible que Térentius ait voulu,
vers cette époque, placer sur le trône d'Arménie un prince arsacide
nommé Varazdat, qui, selon les historiens arméniens, était venu dans
ce royaume dans le temps même de la captivité d'Arsace. Ce qui peut
appuyer cette conjecture c'est que ce Varazdat, qui était, à ce qu'il
paraît, frère naturel de Para, fut déclaré roi d'Arménie, peu après
l'assassinat de ce prince.--S.-M.]

[Note 49: _Ne odio Paræ speque quod revertetur, natio nobis
opportuna deficeret ad jura Persarum, eam rapere vi vel metu vel
adulatione flagrantium._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note latérale: XVII.

Para s'échappe.]

Le jeune roi ouvrit alors les yeux sur le péril qui le menaçait[50]. Il
rassembla ses trois cents cavaliers[51], tous bien montés et pleins de
courage; et se mettant à leur tête, il sortit hardiment[52] de la ville
vers la fin du jour. L'officier chargé de la garde des portes[53],
courut après lui à toute bride, et l'ayant atteint à quelque distance,
le conjura de revenir. Pour toute réponse, on le menaça de le tuer,
s'il ne se retirait à l'instant. Peu de temps après, Para se voyant
poursuivi par une grande troupe de cavaliers, revint sur eux avec
les plus braves de ses gens, et fit si bonne contenance, qu'ils
n'osèrent hasarder une action, et le laissèrent librement continuer
sa route. Après avoir marché deux jours et deux nuits par des chemins
rudes et difficiles, sans prendre de repos, ils arrivèrent au bord
de l'Euphrate. Comme ils ne trouvaient point de bateaux, et qu'ils
ne pouvaient, sans s'exposer à une perte certaine, entreprendre de
traverser à la nage un fleuve si large et si rapide[54], ils se crurent
perdus sans ressource. Enfin on s'avisa d'un expédient. Ce pays était
un vignoble; on y trouva quantité d'outres, dont on se servit pour
soutenir des planches, sur lesquelles ils passèrent, tenant leurs
chevaux par la bride. Quelques-uns traversèrent le fleuve sur leurs
chevaux mêmes; et tous, avec un extrême danger, mais sans aucune perte,
atteignirent l'autre bord. Ils s'y reposèrent quelques moments, et
reprirent leur route avec encore plus de diligence.

[Note 50: _Quæ reputans, ille impendere sibi præsagiebat exitium
grave._ Ammien Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 51: _Conglobatis trecentis comitibus secutis eum e patria._
Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 52: _Audacter magis quàm consideratè._ Amm. Marc. l. 30, c.
1.--S.-M.]

[Note 53: Ce n'est pas le gardien des portes de la ville, mais
le gouverneur de la province qui courut après le roi, selon le récit
d'Ammien Marcellin, l. 30, c. 1. _Cumque eum provinciæ moderator,
apparitoris qui portam tuebatur imparatus, festinato studio reperisset
in suburbanis, ut remaneret enixius obsecrabat._--S.-M.]

[Note 54: _Inopiâ navium voraginosum amnem vado transire non
posset._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note latérale: XVIII.

Il regagne l'Arménie.]

Valens, averti de l'évasion de Para, avait sur-le-champ dépêché le
comte Daniel et Barzimer, tribun de la garde, avec mille hommes de
cavalerie légère[55]. Comme le prince, ne connaissant pas le pays,
perdait beaucoup de temps dans des détours inutiles[56], ceux-ci
gagnèrent les devants par des routes abrégées. S'étant arrêtés dans
un lieu où il n'y avait que deux passages éloignés d'une lieue l'un
de l'autre[57], ils se partagèrent sur ces deux chemins chacun avec
leur troupe. Un heureux hasard sauva le roi d'Arménie. Un voyageur
ayant aperçu les cavaliers postés sur ces deux routes, passa pour
les éviter au travers des buissons et des bruyères qui remplissaient
l'intervalle, et rencontra les Arméniens. On le conduisit au roi,
qu'il instruisit en secret de ce qu'il avait vu. Para le retint pour
servir de guide; et sans faire connaître à ses gens le danger où ils
étaient, il envoya séparément deux cavaliers, l'un à droite et l'autre
à gauche, pour préparer sur les deux chemins des logements et des
vivres. Un moment après il partit lui-même, guidé par le voyageur; et
ayant fait passer ses gens à la file par un sentier étroit et fourré,
il laissa l'embuscade derrière lui. Les Romains s'étant saisis des
deux cavaliers, l'attendirent inutilement aux deux passages tout le
reste du jour. Il eut le temps de gagner du pays, et arriva dans ses
états, où il fut reçu avec une extrême joie[58]. Daniel et Barzimer
retournèrent à Antioche, couverts de confusion[59]; et pour se défendre
des railleries dont on les accablait, ils publièrent que Para était un
enchanteur, et qu'il s'était rendu invisible lui et sa troupe[60]. Ce
conte absurde trouva croyance à la cour, entêtée pour lors de magie et
de sortiléges.

[Note 55: Le premier était comte et le second tribun des Scutaires.
_Cum sagittariis mille succinctis et levibus Danielum mittit et
Barzimerem revocaturos eum, comitem unum, alterum Scutariorum
tribunum._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 56: _Ut peregrinus et insuetus mæandros faciebat et gyros._
Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 57: _Vias proximas duas trium millium distinctas._ Amm. Marc.
l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 58: _Ille regno incolumis restitutus, et cum gaudio
popularium summo susceptus._ Amm. Marc. l. 30, c. 3.--S.-M.]

[Note 59: Pour se venger de la honte et du mépris que leur attira
cette mésaventure, Daniel et Barzimer ne cessèrent de calomnier Para
dans l'esprit de l'empereur, pour tâcher de le perdre. On pourrait
donc croire d'après ce qu'en dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, qu'ils
contribuèrent à décider l'empereur à ordonner le lâche assassinat,
que l'on commit bientôt sur la personne du jeune roi d'Arménie. _Ut
hebetatæ_, dit-il, _primo appetitu venenatæ serpentes, ora exacuere
letalia, cum primum potuissent, elapso pro virium copia nocituri.
Et leniendi causâ flagitii sui, vel fraudis quam meliore consilio
pertulerunt, apud imperatoris aures rumorum omnium tenacissimas
incessebant falsis criminibus Param_....--S.-M.]

[Note 60: Ammien Marcellin donne quelques détails, qui sont loin
d'être clairs, sur la prétendue puissance magique du roi d'Arménie.
Selon lui, Daniel et Barzimer accusaient ce prince de savoir, par des
enchantements semblables à ceux de Circé, affaiblir et changer les
corps d'une manière extraordinaire; ils ajoutaient que c'était en
usant de semblables moyens qu'il leur avait échappé, en s'enveloppant
d'un nuage et en prenant d'autres formes encore, et qu'il était à
craindre qu'il ne causât d'autres maux, si on ne faisait aucune
attention à son évasion. _Apud imperatoris aures rumorum omnium
tenacissimas incessebant falsis criminibus Param, incentiones Circeas
in vertendis debilitandisque corporibus miris modis eum callere
fingentes: addentesque quod hujusmodi artibus offusâ sibi caligine
mutatus, vasorumque formâ transgressus, tristes sollicitudines, si
huic irrisioni superfuerit, excitabit._ Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il
est difficile de se faire une idée juste de ce que cet auteur entend
par les mots _vasorum formâ transgressus_; doit-on penser qu'il veut
dire par là, que le roi d'Arménie avait échappé à ses ennemis sous la
forme de vases, ou qu'à la faveur d'un nuage factice, on avait pu le
prendre lui et les siens pour des bagages? Quoi qu'il en soit sur ce
point, qui n'importe guère, on ne sera pas peu surpris de retrouver des
récits à peu près semblables, et les mêmes imputations dans l'historien
arménien Faustus de Byzance qui était contemporain (l. 4, c. 44, et l.
5, c. 22). Cet auteur prétend que c'était là un effet de la conduite
criminelle de la reine Pharandsem, qui avait dévoué aux démons son
fils naissant. Aussi, selon lui, ces démons agissaient-ils dans ce
prince, et le dirigeaient-ils dans toutes ses actions. Il ajoute même
qu'ils étaient visibles, et qu'ils sortaient des épaules de ce roi,
lui environnant le cou de manière à épouvanter ceux qui étaient en sa
présence, mais qu'ils disparaissaient aussitôt que le patriarche Nersès
se montrait. Il en fut ainsi pendant toute la vie de Para; et c'est à
cette obsession qu'il faut attribuer selon Faustus de Byzance toutes
les mauvaises actions du jeune roi d'Arménie. Ces récits fabuleux, qui
décèlent un ennemi de Para, et qui montrent que l'historien arménien
était un fauteur secret des généraux romains qui tramaient la perte de
Para, font cependant voir, en les rapprochant de ce que rapporte Ammien
Marcellin, que ces bruits absurdes étaient réellement répandus à cette
époque dans l'Arménie et dans l'empire.--S.-M.]

[Note latérale: XIX.

Il est assassiné.

[Amm. l. 30, c. 1.

Faust. Byz. l. 5, c. 32.

Mos. Chor. l. 3, c. 39.

Theod. l. 4, c. 32.]]

Le roi d'Arménie, naturellement doux et paisible[61], dévora sans
se plaindre l'injure qu'il avait reçue. Il demeurait fidèle aux
Romains[62]. Mais Valens ne pouvait lui pardonner de s'être affranchi
d'un indigne esclavage. Il se vengea par une horrible perfidie du
mauvais succès de la première[63]. Le comte Trajan avait succédé à
Térentius. Celui-ci, à son retour d'Arménie[64], fit une action qui
serait digne d'un héros du christianisme, et qui montre entre mille
exemples que la méchanceté du caractère n'altère pas toujours la pureté
de la croyance. Valens content des services de Térentius, l'invita à
lui demander telle récompense qu'il désirerait. Le comte lui présenta
une requête, par laquelle il ne demandait ni or, ni argent, ni aucune
dignité, mais seulement une église pour les Catholiques. L'empereur
irrité la mit en pièces. _Demandez-moi toute autre chose_, lui
dit-il; _celle-ci est la seule que je ne puisse vous accorder_. Alors
Térentius ramassant les morceaux de sa requête: _Prince_, répondit-il,
_je me tiens pour récompensé; celui qui juge les cœurs me tiendra
compte de mon intention_. Valens, par des dépêches secrètes, chargea
le comte Trajan[65], qui avait succédé à Térentius, de le défaire
d'un prince dont la patience augmentait sa honte. C'était à force de
crimes vouloir étouffer les remords. Trajan se prêta sans scrupule à
ce détestable ministère. Il fit sa cour au jeune prince: il entrait
dans ses parties de plaisir; il lui remettait souvent des lettres
de l'empereur, par lesquelles il paraissait que tous les nuages de
défiance étaient dissipés[66]. [Le roi habitait alors un lieu nommé
Khou, dans le canton de Pakrévant[67], non loin du camp des Romains,
où se trouvait Trajan, qui] l'invita enfin à un festin. Le prince
s'y rendit[68]. Tout respirait le plaisir et la joie. [Para, traité
en apparence avec tous les égards que l'on doit à un roi, était à la
place d'honneur. Une garde nombreuse, armée de haches et de boucliers,
était placée à l'extérieur, tandis qu'un détachement se rangeait dans
l'intérieur autour de la tente où on faisait le festin. Le roi crut
que c'était une attention du général; mais bientôt il fut détrompé.
Au milieu du repas[69], pendant qu'on servait des mets délicats, que
la salle retentissait du bruit des chants et des instrumens, et que
le vin échauffait les convives,] Trajan sortit et en sa place on vit
entrer un Barbare[70], d'un regard effrayant, tenant en main une épée
nue. Les convives, les uns glacés d'effroi, les autres complices de
l'assassinat, demeurèrent immobiles, ou prirent la fuite. Para, ayant
tiré son poignard, disputa quelque temps sa vie, et tomba percé de
coups[71]. [Gnel, prince des Andsévatsiens[72], se fit tuer sur le
corps de son souverain.] Ainsi périt ce prince trop crédule[73]. [De
sa femme Zarmandokht, dont l'origine nous est inconnue, Para laissait
deux enfans en bas âge, et hors d'état de faire valoir leurs droits à
la couronne. Ils se nommaient Arsace et Valarsace. Il en sera question
par la suite.] Ce meurtre, plus affreux dans ses circonstances, que
n'avait été celui de Vithicabius, acheva de convaincre les nations
étrangères, que les Romains n'avaient plus de caractère propre; et que
sous un méchant prince, ils ne respectaient ni la foi des alliances, ni
la majesté des rois, ni les droits sacrés de l'hospitalité[74].

[Note 61: Faustus de Byzance représente au contraire le roi
d'Arménie comme très-méchant et surtout très-corrompu; il n'est aucune
débauche, aucune infamie, dont il ne le suppose capable (Faust. Byz. l.
4, c. 44 et l. 5, c. 22).--S.-M.]

[Note 62: Au contraire, selon Faustus de Byzance, l. 5, c. 32,
le roi d'Arménie aurait voulu faire alliance avec le roi de Perse;
il lui envoyait des ambassadeurs pour en obtenir des secours contre
l'empereur. Il assure que poussé par un orgueil insupportable, ou
plutôt par un accès de folie, il prétendait que l'empereur lui cédât
Césarée de Cappadoce et dix autres villes, ainsi qu'Édesse qui,
disait-il, avait été fondée par ses ancêtres; sans quoi, il saurait
bien s'en rendre maître. Le connétable Mouschegh et les autres princes,
ajoute-t-il, ne purent empêcher les démarches inconséquentes de leur
souverain. Quoiqu'il soit bien évident que toutes ces allégations
viennent d'un ennemi, il ne serait pas étonnant qu'elles eussent
quelques fondements. Il est assez clair en effet que, tout en blâmant
la conduite que l'empereur et ses officiers tinrent avec le roi
d'Arménie, Ammien Marcellin regarde comme constant que Para entretenait
des relations avec le roi de Perse. Quoiqu'il en rejette la faute sur
l'inexpérience et la jeunesse du prince, il établit involontairement
le fait, mieux attesté encore par les regrets que témoigna Sapor en
apprenant la mort de Para, dont il avait fait périr le père et la mère:
_Sapor_, dit-il, l. 30, c. 2, _comperto interitu Paræ, mærore gravi
perculsus_. Il paraît donc que malgré les secours que les Romains
avaient fournis à Para, pour le rétablir sur le trône de son père,
ce prince avait prêté l'oreille aux partisans des Perses. La crainte
d'être sacrifié et abandonné comme Arsace, si les Romains éprouvaient
des revers dans l'Orient, l'avait peut-être porté à chercher les
moyens de se préserver des mêmes malheurs. Il paraît, d'après ce que
raconte Faustus de Byzance, que Gnel prince des Andsévatsiens, était
le principal guide de Para, et qu'il était en Arménie le chef du parti
persan.--S.-M.]

[Note 63: _Hinc in illum inexplicabile auctum principis odium, et
doli struebantur in dies, ut per vim ei vel clam vita adimeretur._ Amm.
Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 64: Ἀπὸ τῆς Ἀρμενίας Τερέντιος τρόπαια στήσας. Theod. l. 4,
c. 32.--S.-M.]

[Note 65: _Agenti tunc in Armenia Trajano, et rem militarem
curanti, id secretis committitur scriptis._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.
Faustus de Byzance rapporte, l. 5, c. 32, que Térentius et Arinthée
étaient encore en Arménie. Les détails circonstanciés donnés par Ammien
Marcellin, font voir que l'auteur arménien n'a pas été bien informé de
ce qui concerne la catastrophe de son souverain. J'en dirai autant de
Moïse de Khoren, qui attribue aussi (l. 3, c. 39) à Térentius la mort
du jeune Para.--S.-M.]

[Note 66: _Qui inlecebrosis regem insidiis ambiens, et modò serenæ
mentis Valentis indices litteras tradens, modò ipse sese ejus conviviis
ingerens._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 67: Voy. t. 2, p. 224, note 1, liv. X, § 11.--S.-M.]

[Note 68: _Ad ultimum compositâ fraude ad prandium verecundius
invitavit: qui (rex) nihil adversum metuens venit, concessoque
honoratiore discubuit loco._ Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 69: _Cumque apponerentur exquisitæ cuppediæ, et ædes amplæ
nervorum et articulato flatilique sonitu resultarent, jam vino
incalescente; ipso convivii domino per simulationem naturalis cujusdam
urgentis egresso_, etc. Amm. Marc. l. 30, c. 1.--S.-M.]

[Note 70: Il était, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, du nombre
de ceux qu'on appelle _Supræ_. _Quidam barbarus asper, ex his quos
Supras appellant._--S.-M.]

[Note 71: _Quo viso regulus fortè prominens ultra torum, expedito
dolone adsurgens, ut vitam omni ratione defenderet, perforato pectore
deformis procubuit victima, ictibus multiplicatis fædè concisa._ Amm.
Marc. l. 30, c. 1. Faustus de Byzance raconte, l. 5, c. 32, précisément
de la même façon le meurtre de Para.--S.-M.]

[Note 72: On peut voir au sujet de ce personnage ce que j'ai
dit, t. 3, p. 432 et 433, liv. XVIII, § 32, et ci-devant p. 24, note
2.--S.-M.]

[Note 73: Para ou Bab avait régné sept ans, ainsi que l'atteste
Moïse de Khoren, l. 3, c. 39, et tous les autres écrivains arméniens.
Les détails que donne Ammien Marcellin font voir que Para fut assassiné
en l'an 374, ce qui fait remonter son avénement en l'année 367,
précisément celle dans laquelle son père Arsace fut détrôné.--S.-M.]

[Note 74: Moïse de Khoren raconte tout autrement, l. 3, c. 39, la
mort de Para, il est facile de voir que son récit est trop favorable
aux Romains pour qu'il ne vienne pas originairement d'un de leurs
partisans. Il suppose que cet événement arriva sous le règne de
Théodose, ce qui est impossible puisqu'Ammien Marcellin nous atteste de
la manière la plus formelle, qu'il arriva sous Valentinien et Valens,
par les ordres duquel le meurtre fut exécuté en l'an 374. Selon Moïse
de Khoren, le roi d'Arménie, profitant de la sédition de Thessalonique
en 390, chassa Térentius et son armée: mais celui-ci revint bientôt,
attaqua Para, qui fut vaincu; et il tua de sa main Gnel prince des
Andsévatsiens, que Para avait créé général de l'armée d'Orient. Para
fut pris et envoyé à Théodose, qui lui fit trancher la tête. Il est
impossible d'imaginer comment Gibbon a pu faire, t. 5, p. 109, note
1, pour confondre l'infortuné roi d'Arménie avec Tiridate, frère du
roi Arsace, dont j'ai raconté la mort, t. 2, p. 223, liv. X, § 10. Ce
Tiridate était le père de Gnel, premier mari de Pharandsem, mère de
Para. On peut voir ses aventures tragiques ci-devant t. 2, p. 223-231.
Je le répète encore: tous les renseignements que l'historien anglais a
empruntés à Moïse de Khoren, ont été toujours entendus et employés par
lui de la manière la plus contraire à la vérité. Selon Mesrob, dans
sa _Vie de S. Nersès_, ch. 10, l'empereur n'aurait fait mettre à mort
le roi d'Arménie, que pour le punir de l'empoisonnement du patriarche
Nersès.--S.-M.]

[Note latérale: XX.

Négociations avec Sapor.

Amm. l. 30, c. 2.

Zos. l. 4, c. 21.

Eunap. excerpt. leg. p. 21.]

Sapor, accoutumé lui-même aux grands crimes, fut moins indigné de la
mort de Para, qu'affligé de ce qu'elle détruisait ses espérances. Il
travaillait alors à regagner le roi d'Arménie[75]. Il menaça d'abord
de le venger: mais fatigué de tant de guerres, il prit la voie de
la négociation, et [envoya Arrhacès[76]] proposer à l'empereur de
ruiner entièrement l'Arménie, qui n'était pour les deux nations qu'un
sujet éternel de querelle et de discorde[77]. Si ce projet n'était
pas accepté, il demandait que Sauromacès et les garnisons romaines
sortissent de l'Ibérie, et qu'Aspacurès, qu'il avait établi roi de
ce pays, en demeurât seul possesseur[78]. Valens répondit qu'il ne
changerait rien aux dispositions précédentes, et qu'il était bien
résolu de maintenir les deux royaumes dans l'état où ils se trouvaient
alors. Le roi de Perse récrivit[79] que le seul moyen de terminer
toutes les disputes, était de s'en tenir au traité de Jovien, et que
pour en bien assurer les conditions, il fallait rassembler, en présence
des deux princes, tous les officiers qui en avaient été garants de
part et d'autre[80]. Sapor ne cherchait qu'à fatiguer Valens par des
chicanes: il n'ignorait pas qu'il proposait l'impossible, et que la
plupart de ceux qui avaient signé le traité étaient morts depuis ce
temps-là. L'empereur, pour mettre fin à toutes ces répliques, envoya
en Perse le comte Victor, général de la cavalerie, et Urbicius, duc de
la Mésopotamie[81]; avec une dernière réponse, dont il déclarait qu'il
ne se départirait pas; elle contenait en substance: _Que Sapor, qui se
vantait de justice et de désintéressement, manifestait son ambition et
son injustice par les desseins qu'il formait sur l'Arménie, après avoir
protesté aux Arméniens qu'il ne les troublerait jamais dans l'usage
de leur liberté et de leurs lois[82]: que l'empereur allait retirer
ses troupes de l'Ibérie, mais qu'il n'abandonnerait pas la défense de
Sauromacès; et que si Sapor inquiétait ce prince, Valens saurait bien
le forcer à respecter la protection de l'empire_[83]. Cette déclaration
était conforme à l'équité et à la majesté impériale. Mais les envoyés
passèrent leur pouvoir; et sans y être autorisés par l'empereur, ils
acceptèrent en son nom la cession de quelques cantons de l'Arménie,
que les seigneurs du pays abandonnèrent aux Romains[84]. Valens ne
jugea pas à propos de désavouer ses députés. Peu après leur retour à
Antioche, arriva Suréna, qui offrait au nom du roi de Perse de laisser
à Valens la libre possession de ces contrées[85], pourvu qu'il renonçât
à la défense de l'Ibérie et du reste de l'Arménie. Cet ambassadeur fut
reçu avec magnificence, mais sa proposition fut rejetée, et l'on se
prépara à la guerre. Ces négociations avaient duré deux ans[86]. Valens
devait entrer en Perse au commencement du printemps[87], avec trois
armées: il prenait à sa solde des troupes auxiliaires des Goths[88].
Sapor, plus irrité que jamais, donna ordre à son général Suréna
de reconquérir les contrées de l'Arménie, dont Victor et Urbicius
s'étaient emparés, et d'attaquer vivement Sauromacès, dont les états
étaient pour lors dépourvus de troupes romaines[89]. Un furieux orage
menaçait l'Asie, lorsque les mouvemens des Goths rappelèrent Valens
dans la Thrace, et le forcèrent de conclure avec Sapor une paix[90]
dont on ignore les conditions[91].

[Note 75: _Sapor post suorum pristinam cladem comperto interitu
Paræ, quem sociare sibi impendio conabatur, mærore gravi perculsus._
Amm. Marc. l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 76: Cet ambassadeur est nommé Arsace dans quelques manuscrits
d'Ammien Marcellin.--S.-M.]

[Note 77: _Arrace legato ad principem misso, perpetuam ærumnarum
causam deleri penitus suadebat Armeniam._ Amm. Marc. l. 30, c.
2.--S.-M.]

[Note 78: _Si id displicuisset, aliud poscens, ut Iberiæ divisione
cessante, remotisque inde partis Romanæ præsidiis, Aspacures solus
regnare permitteretur, quem ipse præfecerat genti._ Amm. Marc. l. 30,
c. 2.--S.-M.]

[Note 79: C'était à la fin de l'hiver, sans doute celui de l'an
374. _Contrariæ regis litteræ hieme jam extremâ perlatæ sunt_, dit
Ammien Marcellin, l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 80: Il faut que le traité conclu avec Jovien ait été rédigé
en des termes bien ambigus, puisqu'on eut besoin du témoignage et
des explications des officiers qui y avaient pris part des deux
côtés.--S.-M.]

[Note 81: _Victorem magistrum equitum et Urbicium Mesopotamiæ ducem
ire properè jussit in Persas, responsum absolutum..._ Amm. Marc. l. 30,
c. 2.--S.-M.]

[Note 82: _Quod rex justus et suo contentis, ut jactitabat,
scelestè concupiscat Armeniam, ad arbitrium suum vivere cultoribus ejus
permissis._ Amm. Marc. l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 83: Valens lui disait dans son message, que s'il tentait
d'arrêter les troupes, qui, comme on en était convenu, devaient partir
au commencement de l'année suivante, il saurait le contraindre à
observer les conventions. _Sed ni Sauromaci præsidia militum impertita
principio sequentis anni ut dispositum est inpræpedita reverterint,
invitus ea complebit, quæ sponte suâ facere supersedit._ Amm. Marc. l.
30, c. 2.--S.-M.]

[Note 84: _Absque mandatis oblatas sibi regiones in eadem Armenia
suscepit exiguas._ Amm. Marc. l. 30, c. 2. Il paraît que long-temps
avant le partage et la destruction du royaume d'Arménie, plusieurs
cantons et diverses petites principautés situées vers les frontières
de la Mésopotamie, sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, avaient
été réunies à l'empire. Rien n'empêche de croire que ces empiétements
ne remontent effectivement à l'époque de la mort de Para. Je crois
que le pays envahi alors est celui que les Arméniens désignent par
le nom de _Quatrième Arménie_. Cette dénomination semble indiquer en
effet que ce pays fut soumis au régime administratif des Romains.
Pour connaître la situation et les divisions de cette province, il
faut consulter ce que j'en ai dit dans mes _Mémoires historiques et
géographiques sur l'Arménie_, t. 1, pages 91-98. Les dynastes compris
dans l'étendue de ce pays conservèrent leurs possessions; seulement au
lieu d'être vassaux du roi d'Arménie, ils le furent de l'empire. On
trouve dans le Code Théodosien une loi de Théodose-le-Grand, datée du
14 juin 387, et adressée à Gaddanès, satrape ou seigneur de la Sophène
ou Sophanène, _Gaddanæ satrapæ Sofanenæ_. Cette même loi fait voir
aussi que les autres seigneurs de ce pays reconnaissaient comme lui
la suzeraineté de l'empire. Il y est question des couronnes que ces
seigneurs devaient fournir d'après un ancien usage, comme une marque
de leur soumission à l'empire. _Aurum coronarium his reddi restituique
decernimus, quibus inlicitè videtur ablatum, ut, secundùm consuetudinem
moris antiqui, omnes satrapæ, pro devotione quæ Romano debetur imperio,
coronam ex propriis facultatibus facient serenitati nostræ solemniter
offerendam._--S.-M.]

[Note 85: _Quâ regressâ, advenit Surena potestatis secundæ post
regem, has easdem imperatori offerens partes, quas audacter nostri
sumpsere legati._ Amm. Marc. l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 86: Pendant les années 374 et 375. Valens avait passé tout
ce temps à Antioche ou dans les environs. Il resta plus de cinq années
dans ces régions. Ses lois nous font voir qu'il résida pendant environ
trois mois à Hiérapolis à la fin de l'an 373. Nous avons trois lois de
lui, datées d'Antioche, pour l'an 374, le 16 février, 11 mars et 21
mai. Deux lois, du 2 juin et du 5 décembre 375, sont aussi d'Antioche.
Il était encore dans cette ville le 30 mai 376, se préparant à aller
faire la guerre aux Perses.--S.-M.]

[Note 87: De l'année 376.--S.-M.]

[Note 88: _Parabantur magna instrumenta bellorum, ut mollitâ hieme
Imperatore trinis agminibus perrupturo Persidem, ideoque Scytharum
auxilia festina celeritate mercante._ Amm. Marc. l. 30, c. 2.--S.-M.]

[Note 89: _Iram ejus conculcans Surenæ dedit negotium, ut
ea quæ Victor comes susceperat et Urbicius, armis repeteret si
quisquam repugnaret, et milites Sauromacis præsidio destinati malis
affligerentur extremis._ Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il paraît que
l'entreprise de Suréna, eut un plein succès, car Ammien Marcellin
rapporte qu'elle fut si promptement exécutée, qu'on ne put ni la
réparer, ni la venger. _Hæc ut statuerat maturata confestim: nec
emendari potuerunt nec vindicari._ La guerre des Goths tourna alors
toutes les pensées de l'empereur vers l'Occident, et l'empêcha de
poursuivre ses projets contre les Perses.--S.-M.]

[Note 90: C'était, dit Eunapius (excerpt. de leg. p. 21), une _paix
nécessaire_, πρὸς μὲν τοὺς Πέρσας ἀναγκαίαν εἰρήνην συνθέμενος. Il
s'arrangea avec les Perses comme il le put, dit Zosime, l. 4, c. 21, ὁ
δὲ τὰ πρὸς Πέρσας ὠς ἐνῆν διαθέμενος.--S.-M.]

[Note 91: Sans nous dire quelles furent ces conditions, les
auteurs arméniens nous font voir, comme on aura bientôt occasion de
le remarquer, que les affaires de l'Arménie furent laissées à la
discrétion du roi de Perse, qui y fit peu après déclarer rois les
enfants de l'infortuné Para.--S.-M.]

[Note latérale: XXI.

[Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 33 et 34.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]]

[Le meurtre de Para avait jeté la désolation dans l'Arménie. Ce crime
aussi lâche qu'impolitique, pouvait ramener dans ce malheureux royaume
toutes les calamités dont il était à peine délivré. En excitant
l'indignation du peuple et des nobles, il allait peut-être produire
ce que Valens avait voulu empêcher, et livrer l'Arménie au roi de
Perse, qui était parvenu à y recouvrer quelque influence, en inspirant
de la confiance au jeune roi que l'on venait d'immoler. Les troupes
romaines cantonnées au centre du pays, et la présence de Valens sur
les frontières de la Perse, n'auraient pu contenir les Arméniens,
s'ils eussent voulu venger leur souverain et se réunir aux Perses.
Étonnés d'un tel événement, tous les seigneurs vinrent trouver le
connétable Mouschegh et le grand-intendant, pour aviser aux mesures
qu'il fallait prendre dans ces conjonctures, pour le salut du royaume.
Ils ne déguisèrent pas la haine qui les animait contre les Romains, et
le désir qu'ils avaient de tirer vengeance du sanglant outrage qu'ils
venaient d'éprouver; mais leur attachement pour la religion chrétienne
modéra les élans d'une indignation aussi légitime. L'alliance avec les
Perses présentait trop de honte et trop de dangers. Les maux qu'ils
avaient causés à chacun d'eux et à l'Arménie étaient trop récents,
pour qu'ils en eussent perdu le souvenir, et d'ailleurs qui pouvait
les assurer de la sincérité des intentions de Sapor? ils résolurent
donc, quoique bien à regret, de rester attachés au parti des Romains
et de laisser à la décision de Valens le sort de l'Arménie. L'empereur
n'avait fait périr Para, dont il se défiait, et qui s'était montré peu
docile à ses volontés, que pour placer sur le trône un roi qui lui fût
plus dévoué. Aussitôt après la mort de Para, et sans consulter les
grands, il s'était empressé de disposer de la couronne d'Arménie, comme
avaient fait autrefois plusieurs de ses prédécesseurs. Un jeune Prince,
issu de la race des Arsacides[92], distingué par son courage, et qui se
nommait Varazdat[93], fut proclamé roi. Élevé chez les Romains[94],
il s'y était rendu fameux par sa force et son adresse dans les jeux et
les combats athlétiques de la Grèce[95]. Il avait aussi, disait-on,
acquis[96] une gloire plus noble et plus réelle dans une guerre contre
les Lombards[97]; enfin depuis quelques années[98], il était de retour
dans sa patrie. Il y avait signalé sa valeur contre les brigands
qui infestaient le canton de Taranaghi[99], situé sur les bords de
l'Euphrate. On raconte que dans une de ses expéditions, ceux-ci
poursuivis de trop près par le jeune guerrier, coupèrent un petit
pont, pour mettre ce fleuve entre eux et leur redoutable adversaire.
Un tel obstacle ne put arrêter Varazdat, il franchit d'un saut[100]
l'Euphrate encore faible et peu éloigné de sa source, fond sur ces
brigands et les contraint de se rendre. Les Arméniens accueillirent
avec joie le nouveau roi, et Mouschegh continua d'exercer sous son
règne l'influence qu'il avait eue du temps de Para, et il prit, de
concert avec les généraux romains, toutes les mesures nécessaires pour
défendre l'Arménie. On y fit donc construire une grande forteresse
destinée à servir de place d'armes aux Romains[101]; et des châteaux,
protégés par une double enceinte de murs, furent disposés par échelons
jusqu'à Gandsak-Schahastan, sur la frontière orientale du royaume; les
troupes et les seigneurs Arméniens reçurent une solde de l'empereur;
rien ne fut négligé pour s'assurer de ce royaume et le mettre à
l'abri des attaques des Perses. Ces soins durent être la principale
occupation de Valens[102], pendant le séjour de cinq années qu'il fit
à Antioche; et peut-être en aurait-il retiré le fruit dans la guerre
qu'il méditait contre les Perses, si les affaires de l'Occident et
la mauvaise tournure que prit la guerre contre les Goths, n'étaient
venus le troubler dans l'exécution de ses desseins, et le contraindre
en retirant ses troupes de l'Arménie, de laisser ce royaume exposé aux
entreprises de Sapor.]--S.-M.

[Note 92: Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, ne dit pas autre chose
sur l'origine de Varazdat. Il vaut mieux s'en tenir à ce qui résulte
du récit de Faustus de Byzance. Le prêtre Mesrob, historien de S.
Nersès, dont j'ai déja parlé, t. 3, p. 275, not. 3, liv. XVII, § 4,
dit cependant, dans le 11e chapitre de son ouvrage, que Varazdat était
neveu du roi Bab ou Para. Dans l'argument de ce chapitre, il donne le
nom d'Anob au père de Varazdat, mais ce nom ne se reproduit pas dans le
texte. Le peu de confiance que mérite cet auteur, m'empêche d'admettre
cette indication, qui d'ailleurs ne s'accorde pas avec le reste de
l'histoire d'Arménie. La reine Pharandsem, n'ayant pas eu du roi Arsace
d'autre fils que Bab ou Para, et Olympias n'ayant pas eu d'enfant à
ce qu'il paraît, il faudrait que le père de Varazdat, s'il était né
d'Arsace, eût été un fils naturel. Le fait peut avoir été ainsi, mais
il aurait besoin d'un autre garant que l'historien Mesrob. Faustus
de Byzance parle, l. 5, c. 34, de Varazdat, comme Moïse de Khoren:
«Après la mort de Bab, roi des Arméniens, dit-il, le monarque grec
fit roi un certain Varazdat, de la race des Arsacides.» Mais, dans un
autre endroit, l. 5, c. 37, il s'exprime, ou plutôt Varazdat lui-même
s'énonce comme s'il était frère de Bab ou Para. Répondant à Manuel,
prince des Mamigoniens, pour se justifier de la mort de Mouschegh,
frère de ce général, il dit: «Si je n'étais pas Arsacide, aurais-je
pris la couronne des Arsacides mes ancêtres; j'ai occupé le pays de
mes aïeux, et j'ai tiré vengeance sur ton méchant frère Mouschegh, de
la mort de mon frère paternel Bab.» Il est assez clair d'après cela
que Varazdat était réellement frère de Para. On voit seulement par la
lettre de Manuel, rapportée par le même auteur, l. 5, c. 37, qu'il
n'était pas fils légitime d'Arsace. «Non, lui dit Manuel, tu n'es pas
un Arsacide, mais tu es le fils de l'adultère.»--S.-M.]

[Note 93: Aucun auteur ancien, grec ou latin, ne nous a conservé
le nom de ce roi d'Arménie; ces écrivains nous laissent dans la plus
profonde ignorance sur les événements qui arrivèrent en Arménie, après
la mort de Para. La seule mention de Varazdat, qui se trouve dans
un auteur grec, existe dans un petit ouvrage, composé au huitième
siècle par un écrivain anonyme, mais arménien de naissance; il a été
inséré par le P. Combéfis dans le 2e volume de son Supplément à la
Bibliothèque des Pères, p. 271-291. J'ai déjà parlé de cet ouvrage t.
3, p. 443, not. 2, liv. XVIII, § 40. Cet auteur, en écrivant en grec,
ou bien ses copistes ont étrangement altéré le nom de Varazdat; il
l'appelle _Varistirtak_, ὁ Βαριστιρτάκ.--S.-M.]

[Note 94: Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat avait été
contraint de fuir l'Arménie dans son enfance pour éviter la cruauté
de Sapor. Cette indication semblerait devoir se rapporter à l'époque
de la mort d'Arsace et de l'envahissement de l'Arménie, qui suivit
de près cet événement. Elle serait alors en contradiction avec ce
que le même auteur dit du retour de Varazdat dans sa patrie, qui
coïncide précisément avec l'époque de cette catastrophe. Il est plus
probable que Varazdat avait été élevé à la cour des empereurs, comme
un ôtage envoyé par le roi d'Arménie, ainsi que c'était l'usage
alors. L'historien Moïse de Khoren en fournit lui-même plusieurs
exemples.--S.-M.]

[Note 95: Moïse de Khoren dit, l. 3, c. 40, qu'il se signala à Pise
et dans les jeux Olympiques.--S.-M.]

[Note 96: Moïse de Khoren compare, l. 3 c. 40, les exploits de
Varazdat, à ceux du grand Tiridate.--S.-M.]

[Note 97: C'est Moïse de Khoren qui rapporte encore, l. 3, c.
40, cette circonstance intéressante, parce qu'elle nous offre un des
plus anciens renseignements qui existent sur la nation des Lombards.
Ce peuple, bien connu au temps de Tacite qui en fait plusieurs fois
mention (_Ann._ l. 2, c. 45, et l. 11, c. 17, et _Germ._ c. 40), est
aussi rappelé dans Strabon, l. 7, p. 290, dans Velléius Paterculus,
l. 2, c. 106, et dans Ptolémée, l. 2, c. 11. Le témoignage de ces
écrivains fait voir que durant le premier siècle de notre ère et sans
doute long-temps avant, ce peuple habitait la partie de la Germanie,
située au-delà de l'Elbe, en allant vers la mer Baltique. Leur nom
disparaît ensuite et ne se trouve plus qu'à la fin du 4e siècle.
Prosper rapporte alors dans sa continuation de la Chronique d'Eusèbe,
sous l'an 379, que les Lombards, sortis de l'extrémité de la Germanie,
des rivages de l'Océan et de l'île de Scandie, pour chercher de
nouvelles demeures, vainquirent d'abord les Vandales, sous les ordres
d'Iboréa et d'Aïon. _Longobardi ab extremis Germaniæ finibus, Oceanique
protinus littore, Scandiaque insula magna egressi, et novarum sedium
avidi, Iborea et Aïone ducibus, Vandalos primum vicerunt._ Tous ces
événements sont racontés avec de plus grands détails dans l'histoire
des Lombards, écrite au huitième siècle par Paul Diacre. Le témoignage
de Moïse de Khoren vient donc appuyer celui de Prosper, et attester la
présence des Lombards dans la Germanie, pendant la durée du 4e siècle,
et à peu près dans les mêmes régions où ils avaient été connus par les
auteurs plus anciens. Tacite et presque tous les écrivains anciens les
appellent _Longobardi_: Moïse de Khoren les nomme à peu près de la même
façon _Langovard_.--S.-M.]

[Note 98: Moïse de Khoren rapporte que Varazdat était revenu en
Arménie, dans la 55e année de Sapor, roi de Perse, qui correspondait
aux années 365 et 366 de J. C. c'est-à-dire à la fin de la guerre
malheureuse qu'Arsace soutint contre les Perses. Il paraît que, depuis
cette époque, Varazdat resta en Arménie, où il est probable qu'il se
distingua dans les guerres contre les Perses, lorsque les Romains
rétablirent Para sur le trône. Il est à croire qu'il dut à la célébrité
qu'il acquit alors l'honneur d'être choisi par Valens pour remplacer
Para.--S.-M.]

[Note 99: Voyez au sujet de ce pays, t. 3, p. 376, not. 4, l. XVII,
§ 64.--S.-M.]

[Note 100: Moïse de Khoren le compare en cette occasion, l. 3, c.
40, à Achille franchissant, dans Homère, le lit du Scamandre.--S.-M.]

[Note 101: Faustus de Byzance, qui rapporte ces faits, l. 5, c. 34,
n'indique pas le lieu où était située cette forteresse.--S.-M.]

[Note 102: Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat fut créé
roi d'Arménie par Théodose. Il est évident qu'il se trompe, puisque le
témoignage irrécusable d'Ammien Marcellin nous apprend que le meurtre
de Para fut exécuté sous le règne de Valens et par les ordres de ce
prince. Comme Varazdat fut nommé presque aussitôt roi d'Arménie, il dut
l'être par Valens. Le récit de Faustus de Byzance ne contient pas le
nom du souverain qui lui donna la couronne; il se contente de l'appeler
le _roi des Grecs_, c'est-à-dire l'empereur romain. Moïse de Khoren
ajoute que Varazdat fut déclaré roi en la vingtième année de Théodose,
qu'on sait n'avoir régné que seize années non accomplies. En général,
je dois le remarquer, la chronologie de l'historien arménien présente
une multitude de difficultés et d'erreurs de détail, qui n'altèrent en
rien la vérité des faits qu'il rapporte, mais qui en rendent l'usage
très-difficile.--S.-M.]

[Note latérale: XXII.

Assassinat de Gabinius, roi des Quades.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Cod. Th. l. 15, tit. 1, leg. 18.]

Tandis que le meurtre du roi d'Arménie excitait l'horreur de tout
l'Orient, l'Occident fut témoin d'un forfait pareil dans toutes ses
circonstances. Le roi des Quades fut assassiné, parce qu'il avait sujet
de se plaindre; et l'on reconnut, par un nouvel exemple, que la table,
dont les droits sont sacrés jusque chez les nations sauvages, et qui
fut toujours regardée comme le centre de la confiance et de la sûreté,
est pour cette raison même le théâtre le plus souvent choisi par la
perfidie. Valentinien après avoir passé l'hiver à Milan, était revenu
à Trèves[103]. Il s'occupait depuis long-temps à garnir de forteresses
la frontière de la Gaule, du côté de la Germanie, et à réparer les
fortifications des villes aux dépens de la province. Emporté par un
trop grand désir d'étendre les limites de l'empire, il ordonna de
construire un fort au-delà du Danube, sur un terrain qui appartenait
aux Quades[104]. Ces peuples alarmés de cette entreprise, députèrent
à Valentinien, et obtinrent d'Équitius, commandant d'Illyrie, et
actuellement consul, que l'ouvrage demeurât suspendu jusqu'à la
décision de l'empereur. Le préfet Maximin, qui pouvait tout à la
cour, blâma fort cette condescendance d'Équitius, qu'il traitait de
faiblesse: il disait hautement que son fils Marcellianus, tout jeune
qu'il était, soutiendrait mieux l'honneur et l'intérêt de l'empire, et
qu'il saurait bien achever la forteresse en dépit des Barbares. Il fut
écouté: son fils fut envoyé avec le titre de duc de la Valérie; et ce
jeune homme, que le crédit de son père rendait hautain et insolent,
sans daigner rassurer les Quades, fit continuer les travaux. Gabinius,
roi de la nation, vint lui représenter avec douceur l'injustice de
cette usurpation. Marcellianus feignit de se rendre à ses remontrances;
et l'ayant invité à un repas, il le fit massacrer au sortir de la
table[105]. C'était la troisième tête couronnée qui tombait sous
les coups de la trahison, depuis le commencement du règne des deux
empereurs.

[Note 103: C'est l'hiver de l'an 373 que Valentinien avait passé
en Italie. Ce fut sans doute à Milan qu'il séjourna. Une loi nous fait
voir qu'il était encore dans cette ville le 5 février 374. Il retourna
ensuite dans les Gaules, et il était à Trèves le 21 mai et le 20 juin
374.--S.-M.]

[Note 104: Ammien Marcellin remarque, l. 29, c. 6, que cette nation
était peu redoutable à cette époque, _parum nunc formidanda_, mais
qu'elle avait été antérieurement, c'est-à-dire au temps de Marc-Aurèle,
très-guerrière et très-puissante, _sed immensum quantum antehac
bellatrix et potens_. On peut voir dans l'Histoire des Empereurs
de Crévier, le récit de leur grande irruption sous le règne de ce
prince.--S.-M.]

[Note 105: Zosime donne, l. 4, c. 16, le nom de Célestius
à l'assassin de Gabinius. C'était peut-être un des noms de
Marcellianus.--S.-M.]

[Note latérale: XXIII.

Les Quades vengent la mort de leur roi.]

Cette insigne perfidie mit les Quades en fureur[106]. Versant des
larmes de douleur et de rage, ils passent le Danube, égorgent les
paysans occupés alors aux travaux de la moisson, et portent de toutes
parts le ravage et le massacre. La province était dégarnie de troupes;
on en avait envoyé la plus grande partie en Afrique avec Théodose.
Il ne s'en fallut que d'un moment qu'ils n'enlevassent la fille de
Constance, qui traversait l'Illyrie pour aller épouser Gratien dans la
Gaule[107]. Messala, gouverneur de la province, sauva ce déshonneur
à l'empire, et transporta promptement la princesse à Sirmium, éloigné
de près de dix lieues[108]. Probus, préfet du prétoire, était pour
lors dans cette ville. Ce magistrat, peu accoutumé aux alarmes, prit
d'abord l'épouvante; il se préparait à s'enfuir pendant la nuit. Mais
étant averti que tous les habitants se disposaient à le suivre, et que
la ville resterait déserte et ouverte aux ennemis, il eut honte de
sa lâcheté; et s'étant rassuré, il fit nettoyer les fossés, relever
les murs abattus en plusieurs endroits, et construire les ouvrages
nécessaires. Quantité de matériaux, qu'on avait amassés pour bâtir un
théâtre, lui servirent à cet usage. Il rassembla les troupes dispersées
dans les postes voisins, et mit la ville en état de défense. Les
Barbares peu instruits dans l'art d'attaquer les places, et embarrassés
de leur butin, n'osèrent entreprendre un siége. Ils changèrent de
route, et prirent celle de la Valérie, pour y aller chercher Équitius,
auquel ils attribuaient le massacre de leur prince, parce qu'ils ne
connaissaient pas Marcellianus. Deux légions vinrent à leur rencontre,
celle de Pannonie et celle de Mésie[109]. Elles étaient en état de
vaincre, si elles se fussent réunies: mais la jalousie du premier rang
qu'elles se disputaient, les tint séparées. Les Barbares profitèrent de
cette mésintelligence: ils tombèrent d'abord sur la légion de Mésie; et
lui ayant passé sur le ventre avant quelle eût eu le temps de prendre
les armes, ils attaquèrent celle de la Pannonie; elle fut taillée en
pièces, et il ne s'en sauva qu'un petit nombre de soldats.

[Note 106: Ammien Marcellin y ajoute, l. 29, c. 6, les nations
voisines. _Quados_, dit-il, _et gentes circumsitas efferavit_. On voit
par la suite de sa narration que ces nations étaient les Sarmates, qui
prirent part aux ravages que les Quades commirent dans les provinces
romaines.--S.-M.]

[Note 107: Elle s'était arrêtée dans un lieu public, pour y
prendre son repas, selon Ammien Marcellin, l. 29, c. 6, _cibum sumens
in publica villa_: ce lieu s'appelait _Pistrensis_: _quam appellant
Pistrensem_; il n'en est question dans aucun autre auteur.--S.-M.]

[Note 108: Ou plutôt à vingt-six milles, _ad Sirmium vicesimo sexto
lapide_. Am. Marc. l. 29, c. 6.--S.-M.]

[Note 109: C'étaient les deux légions connues sous les noms de
_Pannonica_ et de _Mœsiaca_.--S.-M.]

[Note latérale: XXIV.

Le jeune Théodose repousse les Sarmates.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Them. or. 14, p. 182.]

Théodose, fils de celui qui poursuivait Firmus en Afrique, et de
Thermantia, illustre Espagnole, commandait dans la Mésie. Il était âgé
de vingt-huit ans[110]. Déjà connu par la valeur qu'il avait montrée
en plusieurs guerres sous le commandement de son père[111], il se fit
alors cette haute réputation qui l'éleva dans la suite à la dignité
impériale. Les Sarmates[112], animés par les Quades leurs voisins,
se jetèrent en Mésie: Théodose à la tête d'une poignée de nouvelles
levées, n'ayant de ressource réelle que dans sa bonne conduite et
dans son courage, défit les ennemis autant de fois qu'il put les
joindre. Tantôt courant à leur rencontre jusqu'aux bords du Danube,
il servit lui-même de barrière à l'empire: tantôt les attendant à des
passages dangereux et dans les forêts, il en fit un grand carnage. Les
Sarmates découragés par tant de pertes, eurent recours à la clémence
du vainqueur, et obtinrent la paix, qu'ils gardèrent tant qu'ils
se souvinrent de leurs défaites. Les Quades se retirèrent aussi,
lorsqu'ils apprirent qu'il arrivait des troupes de la Gaule pour
défendre l'Illyrie.

[Note 110: Il était né en l'an 346. Selon Zosime, l. 4, c. 24,
Théodose était né à Cauca, ville de la Gallice, ἐκ τῆς ἐν Ἰβηρίᾳ
Καλλεγίας, πόλεως δὲ Καύκας ὁρμώμενον.--S.-M.]

[Note 111: On apprend de Zosime, l. 4, c. 35, qu'il servit alors en
Angleterre avec Maxime, qui fut dans la suite l'assassin de Gratien et
qui était, à ce qu'on croit, Espagnol comme Théodose.--S.-M.]

[Note 112: Ammien Marcellin les appelle Sarmates libres, pour les
distinguer de leurs esclaves plus connus sous le nom de Limigantes.
_Sarmatas liberos ad discretionem servorum rebellium appellatos_,
dit-il, l. 29, c. 6. On a vu, t. 1, p. 337, liv. V, § 27, comment ces
Limigantes se révoltèrent contre leurs maîtres, et comment, après avoir
fait la guerre aux Romains, et avoir été vaincus, ils furent dispersés
sur le territoire de l'empire.--S.-M.]

[Note latérale: XV.

Paix avec Macrianus.

Amm. l. 30, c. 3.

Alsat. illust. p. 181 et 419.

God. ad Cod. Theod. l. 8, tit. 5. leg. 33.]

Valentinien, après avoir ravagé quelques cantons de l'Allemagne,
bâtissait sur le Rhin un fort, que les habitants appelèrent ensuite
_Robur_[113], et dont le terrain est aujourd'hui renfermé dans la
ville de Bâle. Dès qu'il apprit, par une lettre de Probus, l'invasion
des Quades en Illyrie, il dépêcha le secrétaire Paternianus pour
s'instruire de tout sur les lieux; et en ayant reçu des nouvelles
certaines, il voulait aller sur-le-champ châtier l'audace de
ces Barbares. Comme on était à la fin de l'automne[114], on lui
représenta qu'on ne trouverait ni vivres, ni fourrages, et que les
princes allemans, et surtout Macrianus, le plus redoutable de tous,
profiteraient de son éloignement pour attaquer la Gaule. Il se rendit
à ces raisons, et résolut d'attendre le printemps. Mais afin de ne
laisser derrière lui aucun sujet d'inquiétude, il voulut s'assurer de
Macrianus par un traité de paix, et l'invita à une entrevue près de
Mayence [_Mogontiacum_]. Le roi alleman, glorieux de se voir recherché,
se rendit au bord du Rhin, et parut dans une contenance fière à la
tête de ses bataillons, qui faisaient retentir leurs boucliers, en
les frappant de leurs épées. L'empereur en cette occasion sacrifia
au désir de la paix la prééminence de la majesté impériale: il
rassembla un grand nombre de bateaux, et traversant le fleuve avec
ses soldats rangés sous leurs enseignes, il s'approcha de Macrianus
qui l'attendait sur l'autre bord. Lorsqu'ils furent à portée de
s'entendre, et que les Barbares eurent fait silence, les deux princes
entrèrent en conférence. Ils convinrent des articles de la paix, et la
confirmèrent par leur serment. Macrianus, jusqu'alors si inquiet et si
turbulent, devint de ce moment un allié fidèle, et ne cessa jusqu'à sa
mort de donner des preuves de son attachement aux Romains. Quelques
années après, s'étant engagé trop avant dans le pays des Francs qu'il
ravageait, il fut surpris et tué dans une embuscade que lui dressa
Mellobaudès[115], prince guerrier, qui régnait alors sur cette nation.
Après la conclusion du traité, Valentinien se retira à Trèves, où il
passa l'hiver[116].

[Note 113: _Prope Basiliam, quod appellant accolæ Robur._ Amm.
Marcel. l. 30, c. 3. Sans Ammien Marcellin, on ignorerait la position
de ce fort, qui est encore connu par une loi que Valentinien y
rendit le 15 juillet 374; sans doute à l'époque où il était occupé
de sa fondation. On peut voir dans l'_Alsatia illustrata_ du savant
Schoepflin, p. 181, les raisons qu'il a de mettre ce château sur une
partie de l'emplacement occupé actuellement par la ville de Bâle, qui
en était séparée autrefois par le ruisseau appelé _Birsius_, au point
où il se jette dans le Rhin.--S.-M.]

[Note 114: _Abeunte autumno_, dit Ammien Marcellin, l. 30, c.
3.--S.-M.]

[Note 115: _Periit in Francia postea._ Amm. Marc. l. 30, c.
3.--S.-M.]

[Note 116: Il était déja dans cette ville, le 3 décembre de l'an
374.--S.-M.]

[Note latérale: XXVI.

Débordement du Tibre.

Amm. l. 29, c. 6 et ibi Vales.]

Sur la fin de cette année les pluies continuelles firent déborder le
Tibre. Rome fut long-temps inondée. Il fallut porter en bateau des
vivres aux habitants réfugiés dans les lieux les plus élevés de leurs
maisons. Claude, alors préfet, pourvut à tous leurs besoins avec une
activité infatigable, et maintint la tranquillité dans ce peuple mutin
et séditieux même au milieu de l'abondance. Ce magistrat fit construire
un superbe portique près des bains d'Agrippa; il le nomma le portique
du Bon Succès, _Boni Eventûs_, à cause d'un temple voisin qui portait
ce nom. Les payens adoraient sous ce titre la divinité qui faisait
prospérer les fruits de la terre.

[Note latérale: XXVII.

Lois de Valentinien.

Cod. Th. l. 4, tit. 17, leg. 1;
l. 9, tit. 24, leg. 3; l. 13, tit. 4, leg. 4.

Cod. Jus. l. 7, tit. 44, leg. 2.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 1, c. 20.]

Valentinien fit vers ce temps-là plusieurs lois utiles. Pour soutenir
les arts qui s'affaiblissaient en même proportion que la gloire de
l'empire, il accorda aux peintres de grands priviléges. Il décida qu'en
matière de rapt, après cinq ans écoulés, on ne serait plus reçu à
poursuivre le crime, ni à contester la légitimité du mariage, ou celle
des enfants qui en seraient sortis. Il avait déjà ordonné que les
juges ne prononceraient leurs sentences qu'après les avoir écrites; il
ajouta que les sentences qui seraient prononcées de mémoire, sans avoir
été mises par écrit, n'auraient aucune autorité et seraient censées
nulles, sans qu'il fût besoin d'en suspendre l'effet par un appel.
Il condamna au bannissement tous ceux qui, au mépris de la religion,
formeraient des assemblées illicites: il déclara que ceux qui auraient
été condamnés par le jugement des évêques catholiques, ne pourraient
s'adresser à l'empereur pour la révision de leur procès. Florent,
évêque de Pouzzoles, avait donné occasion à ce rescrit: ayant été
déposé à Rome par le pape et les évêques, il eut recours à l'empereur;
mais il n'en obtint d'autre réponse, sinon qu'après une condamnation
si canonique, il n'était plus permis à Florent de poursuivre sa
justification devant aucun tribunal.

[Note latérale: XXVIII.

S. Ambroise, évêque de Milan.

Paulin. vit. Ambros. § 5 et 6.

Basil. ep. 197 t. 3, p. 287.

Hier. chron. Socr. l. 4, c. 30.

Theod. l. 4, c. 6 et 7.

Soz. l. 4, c. 24, Pagi, in Bar. an. 369.

Herm. vie de S. Ambr. l. 1, c. 2, 3 et l. 2, c. 1.

Fleury, Hist. ecclés. l. c. 20 16.]

Auxentius, le principal soutien de l'arianisme en Italie, se maintint
jusqu'à sa mort dans le siége de Milan, quoiqu'il eût été deux ans
auparavant excommunié dans un concile de quatre-vingt-treize évêques,
tenu à Rome en conséquence d'un rescrit de l'empereur. Mais dès qu'il
fut mort, Valentinien qui était pour lors à Trèves, écrivit en ces
termes aux évêques assemblés à Milan: _Choisissez un prélat, qui par
sa vertu et par sa doctrine mérite que nous le respections nous-mêmes
et que nous recevions ses salutaires corrections. Car étant, comme
nous le sommes, de faibles mortels, nous ne pouvons éviter de faire
des fautes._ Les évêques prièrent l'empereur de désigner lui-même
celui qu'il croyait le plus capable; il leur répondit _que ce choix
était au-dessus de ses lumières; et qu'il n'appartenait qu'à des
hommes éclairés de la grâce divine_. Milan était rempli de troubles:
la cabale arienne faisait les derniers efforts pour placer sur le
siége d'Auxentius un prélat imbu des mêmes erreurs. Ambroise, aussi
distingué par la beauté de son génie et par la pureté de ses mœurs
que par sa noblesse et ses richesses, gouvernait alors la Ligurie
et l'Émilie. Instruit dans les lettres humaines, il avait d'abord
exercé à Rome la profession d'avocat, et était devenu assesseur de
Probus, préfet d'Italie. Lorsqu'il avait été chargé du gouvernement
de la province dont Milan était capitale, ce préfet, en lui faisant
ses adieux, lui avait dit: _Gouvernez, non pas en magistrat, mais en
évêque._ Cette parole devint une prophétie. La contestation sur le
choix de l'évêque s'échauffant de plus en plus, faisait craindre une
sédition. Ambroise, obligé par le devoir de sa charge de maintenir
le bon ordre, vint à l'église, et fit usage de son éloquence pour
calmer les esprits et les engager à choisir avec discernement et sans
tumulte celui qui devait être pour eux un ange de lumière et de paix.
Il parlait encore, lorsque tous d'une commune voix, Catholiques et
Ariens, s'écrièrent qu'ils demandaient Ambroise pour évêque. Ambroise
saisi d'effroi prit la fuite, et il n'oublia rien pour résister au
désir du peuple. Les évêques qui approuvaient ce choix s'adressèrent à
l'empereur, parce que les lois défendaient de recevoir dans le clergé
ceux qui étaient engagés dans des emplois civils. Valentinien fut
flatté d'apprendre que les magistrats qu'il choisissait fussent jugés
dignes de l'épiscopat; et dans le transport de sa joie: _Seigneur_,
s'écria-t-il, _grâces vous soient rendues de ce que vous voulez bien
commettre le salut des âmes à celui à qui je n'avais confié que le soin
des corps_. L'autorité du prince, jointe aux instances des prélats et à
la persévérance du peuple, força enfin la modestie d'Ambroise. Il fut
baptisé, car il n'était encore que catéchumène, quoiqu'âgé d'environ
trente-cinq ans. Il reçut l'onction épiscopale le 7 de décembre; et
par le crédit que lui procura auprès des empereurs l'élévation de son
ame, soutenue d'une éminente sainteté, son élection fut un événement
aussi avantageux pour l'État que pour l'Église. Dès les premiers jours
de son épiscopat, on vit un heureux présage de la généreuse liberté
dont il ferait usage avec les princes, et des égards que les princes
auraient pour ses avis. Il se plaignit à l'empereur de quelques abus
qui s'étaient glissés dans la magistrature. Valentinien lui répondit:
_Je connaissais votre franchise; elle ne m'a pas empêché de vous donner
mon suffrage. Continuez, comme la loi divine vous l'ordonne, de nous
avertir de nos erreurs._

[Note latérale: AN 375.

XXIX.

Valentinien marche en Pannonie.

Amm. l. 30, c. 5.

Zos. l. 4, c. 17.

Idat. chron.

Hier. chron.

Reines. insc. cl. 20, nº 432.]

L'année suivante se passa toute entière sans élection de nouveaux
consuls. Elle n'est désignée dans les fastes que par ces termes: _Après
le troisième consulat de Gratien, ayant pour collègue Equitius._
Il vaut mieux dire qu'on en ignore la raison, que de l'attribuer
aux occupations de Valentinien qui se préparait à tirer vengeance
des Quades et des Sarmates. Le printemps étant déjà avancé[117], le
prince partit de Trèves. Il marchait en diligence vers la Pannonie,
lorsqu'il rencontra des députés des Sarmates, qui, se prosternant à
ses pieds, le supplièrent d'épargner leur nation, lui protestant qu'il
ne la trouverait ni coupable ni complice des excès dont il avait à
se plaindre. Il leur répondit _qu'il s'éclaircirait de la vérité des
faits sur les lieux mêmes, et que les infracteurs des traités ne lui
échapperaient pas_. Il arriva bientôt à Carnuntum, ville de la haute
Pannonie, alors déserte et presque ruinée, mais située avantageusement
pour arrêter les incursions des Barbares[118]. On croit que c'est
aujourd'hui Pétronel sur le Danube, entre Vienne et Hainbourg[119]. Il
y demeura trois mois[120] à réparer les dommages que la province avait
soufferts, et à faire les dispositions nécessaires pour aller attaquer
les ennemis dans leur pays. On attendait de sa sévérité naturelle qu'il
informât de la trahison faite à Gabinius, et de la perfidie ou de la
lâcheté des officiers chargés de garder la frontière, qui avaient
ouvert aux Barbares l'entrée de la province. Mais selon sa coutume
de traiter avec dureté les soldats, et de pardonner tout à leurs
commandants, il ne fit aucune recherche sur ces deux objets.

[Note 117: _Pubescente jam vere_, dit Ammien Marcellin, l. 30, c.
5. Valentinien était encore à Trèves, le 9 avril.--S.-M.]

[Note 118: _Carnuntum, Illyriorum oppidum, desertum quidem nunc
et squalens, sed ductori exercitûs perquam opportunum, ubi fors
copiam dedisset aut ratio, â statione proxime reprimebat barbaricos
adpetitus._ Amm. Marc. l. 30, c. 5.--S.-M.]

[Note 119: D'Anville pense (Géogr. abrég. t. 1, p. 155) qu'elle
pourrait bien être Altenbourg, situé sur un bras du Danube, entre Raab
et Presbourg.--S.-M.]

[Note 120: On voit par une loi de Valentinien adressée à Laodicéus,
gouverneur de Sardaigne, qu'il se trouvait dans cette ville le 12
août.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Il apprend les vexations de Probus.]

Il ne put cependant fermer les yeux sur le mauvais gouvernement de
Probus. Ce préfet du prétoire, jaloux de se conserver dans cette
suprême magistrature, suivait une politique tout-à-fait indigne de sa
haute naissance[121]. Connaissant l'avidité du prince, au lieu de le
ramener à des sentiments d'humanité et de justice, il ne s'étudiait
qu'à servir sa passion pour l'argent. Financier impitoyable, il
imaginait tous les jours de nouvelles impositions. Ses vexations
allèrent si loin, qu'entre les principaux habitants des provinces de sa
juridiction, plusieurs abandonnèrent le pays; la plupart déjà épuisés
et toujours poursuivis, n'eurent plus d'autre séjour que les prisons:
quelques-uns se pendirent de désespoir. Cette tyrannie excitait les
murmures de tout l'Occident. Valentinien était le seul qui n'en fût
pas instruit: content de l'argent qu'il recevait, il se mettait peu en
peine des moyens employés pour le recueillir. Cependant des injustices
si criantes le révoltèrent lui-même, lorsque les gémissements des
peuples furent enfin parvenus jusqu'à ses oreilles. Les provinces
avaient coutume d'envoyer au prince des députés pour rendre témoignage
de la bonne conduite des gouverneurs. Probus ayant forcé la province
d'Épire de se conformer à cet usage, elle députa à l'empereur,
lorsqu'il était à Carnuntum, un philosophe cynique nommé Iphiclès,
autrefois ami de Julien. Il se défendit d'abord d'accepter cette
commission; mais on l'obligea de partir. Il était connu de l'empereur,
qui, après l'avoir entendu, lui demanda si les louanges que la province
donnait au préfet étaient bien sincères: _Prince_, répondit-il, _entre
les extorsions qui nous font gémir, l'éloge que Probus nous arrache,
n'est pas celle qui nous coûte le moins_[122]. Cette parole pénétra
jusque dans le cœur de Valentinien[123]. Il continua d'interroger
Iphiclès, et lui demanda des nouvelles de tous les Épirotes distingués
qu'il connaissait. Apprenant que les uns étaient allés chercher un
domicile au-delà des mers, que les autres s'étaient donné la mort,
il entra dans une violente colère. Léon, maître des offices, qui
aspirait lui-même à la préfecture, et qui, s'il y fût jamais parvenu,
aurait fait regretter tous ses prédécesseurs, n'oubliait pas d'aigrir
le prince. Probus, qui se trouvait alors à la cour, essuya les plus
terribles menaces, et il ne devait s'attendre qu'à en ressentir les
effets, si Valentinien fût revenu de cette expédition. Le préfet voulut
regagner les bonnes grâces de l'empereur par de nouvelles iniquités,
couvertes d'une apparence de zèle. Le secrétaire[124] Faustinus, neveu
de Juventius[125], ancien préfet de la Gaule, fut cité au tribunal de
Probus pour cause de magie[126]. Il s'en justifiait par des preuves
du moins aussi fortes que les charges. Pour achever de le peindre, on
alléguait qu'un certain Nigrinus le priant de lui procurer un emploi
dans le secrétariat, il lui avait répondu: _Faites-moi empereur, et je
vous ferai secrétaire_[127]. La malignité sut donner un si mauvais tour
à cette plaisanterie innocente, qu'elle coûta la vie à Faustinus et à
Nigrinus.

[Note 121: _Non ut prosapiæ suæ claritudo monebat._ Amm. Marc. l.
30, c. 5.--S.-M.]

[Note 122: Ammien Marcellin dit simplement, l. 30, c. 5, _quærente
curatius principe, si hi qui misere, ex animo bene sentiunt de
præfecto; Gementes, inquit, et inviti_.--S.-M.]

[Note 123: _Quo ille verbo tamquam telo perculsus._ Amm. Marc. l.
30, c. 5.--S.-M.]

[Note 124: _Notarius militans._ Amm. Marc. l. 30, c. 5. C'était une
espèce d'intendant militaire, ou de commissaire des guerres.--S.-M.]

[Note 125: On croit qu'il se nommait encore Viventius, et on place
sa préfecture en 369 et en 371.--S.-M.]

[Note 126: Il avait tué un âne. _Quod asinum occidisse dicebatur
ad usum artium secretarum._ Amm. Marc. l. 30, c. 5. On employait de
préférence cet animal dans les opérations magiques.--S.-M.]

[Note 127: _Fac me imperatorem, si id volueris impetrare._ Amm.
Marc. l. 30, c. 5.--S.-M.]

[Note latérale: XXXI.

Il ravage le pays des Quades.

Amm. l. 30, c. 5 et 8.

Zos. l. 4, c. 17 et 18.]


Tout étant prêt pour entrer sur les terres des Quades, l'empereur
fit partir Mérobaudès et le comte Sébastien avec un détachement
d'infanterie. Ils avaient ordre de mettre tout à feu et à sang[128].
Pour lui, afin d'embrasser une plus grande étendue de pays, il alla
passer le Danube sur un pont de bateaux à Acincum, aujourd'hui Bude,
capitale de la Hongrie. Ce prince était brave de sa personne, et ne
méprisait rien tant que les lâches et les timides. Cependant, par une
bizarrerie de tempérament, il ne pouvait s'empêcher de pâlir toutes
les fois qu'il voyait ou croyait voir l'ennemi. C'était même un moyen
dont ses courtisans se servaient dans l'occasion pour arrêter les
emportements de colère auxquels il était sujet. Dès qu'il entendait
dire que les ennemis approchaient, il changeait de couleur et se
calmait aussitôt. Il n'en était pas moins hardi à affronter le péril,
et il s'attendait à trouver dans le pays des Quades de quoi signaler
sa valeur. Mais ils s'étaient retirés avec leurs familles sur les
montagnes, d'où ils considéraient avec frayeur les troupes romaines
qui portaient de toutes parts le ravage et l'incendie. On traversa le
pays; on égorgea, sans distinction d'âge ni de sexe, tous ceux qui
n'avaient pas eu la précaution de gagner les hauteurs; on brûla les
habitations, et l'empereur revint à Acincum sans avoir perdu un seul
homme[129]. On approchait de l'hiver. Il choisit, comme le lieu le plus
commode pour y passer cette saison, la ville de Sabaria[130], nommée à
présent Sarvar, sur le Raab. Mais avant que de s'y retirer, il remonta
le Danube, et fit élever des redoutes, qu'il garnit de soldats pour
assurer ses quartiers et défendre le passage du fleuve. S'étant arrêté
à Brégétio, qu'on croit être une ville nommée aujourd'hui Pannonie,
sur le Danube[131], au-dessus de Strigonie, il y passa quelques jours,
pendant lesquels, s'il en faut croire l'histoire superstitieuse de ce
temps-là, plusieurs prodiges lui annoncèrent une mort prochaine. Le
jour qu'il mourut, comme il sortait de grand matin, l'esprit occupé
d'un songe qu'il croyait funeste, son cheval s'étant cabré en sorte
qu'il ne put le monter, il s'emporta contre son écuyer, et donna ordre
de lui couper la main droite. Mais Céréalis chargé de cette cruelle
exécution, la différa avec beaucoup de risque pour lui-même, et la mort
de l'empereur les sauva tous deux. On ne manqua pas de regarder encore
comme un pronostic de la mort de Valentinien, les tremblements de terre
qui s'étaient fait sentir cette année dans l'île de Crète, et dans
toute la Grèce, où l'Attique seule en fut exempte.

[Note 128: _Ad vastandos cremandosque barbaricos pagos._ Amm. Marc.
l. 30, c. 5.--S.-M.]

[Note 129: _Itidemque apud Acincum moratus autumno præcipiti._ Amm.
Marc. l. 30, c. 5.--S.-M.]

[Note 130: Cette ville était alors mal fortifiée et presque ruinée
par les attaques qu'elle avait souffertes. _Invalidam eo tempore
assiduisque malis adflictam._ Amm. Marc. l. 30, c. 5.--S.-M.]

[Note 131: C'est ce que dit D'Anville dans sa Géographie ancienne
abrégée, t. 1, p. 155. Il n'indique pas d'une manière assez précise les
cartes sur lesquelles il prétend avoir vu le nom de Pannonie, donné à
cet endroit sur le Danube. Ce sont peut-être des cartes latines, faites
d'après les conjectures de quelques érudits. Ce qu'il y a de sûr, c'est
qu'on ne trouve à présent aucun lieu de ce nom sur les bords du Danube,
dans la position indiquée; il est même fort douteux qu'il y ait jamais
existé rien de pareil. Tout ce qu'on sait de certain sur ce point,
c'est que _Bregetio_ était sur le Danube, à trente milles à l'est
d'_Arrabona_, à présent Raab.--S.-M.]

[Note latérale: XXXII.

Mort de Valentinien.

Amm. l. 30, c. 6 et 10.

Vict. epit. p. 229 et 230.

Zos. l. 4, c. 17.

Hier. chron.

Socr. l. 4, c. 3r.

Soz. l. 6, c. 36.

Mar. Chron.]

Les campagnes, déja couvertes de glaces, ne fournissaient plus de
subsistances, et l'armée était sur le point de prendre ses quartiers,
lorsqu'on vit arriver une troupe de Barbares mal vêtus, et dont
l'extérieur n'avait rien que de méprisable: c'était une députation
des Quades. Equitius les ayant introduits devant le prince, ils y
parurent en tremblant et dans la contenance la plus humiliée. Ils
demandaient le pardon du passé, et la paix, protestant, avec serment,
_que les chefs de la nation n'avaient point eu de part aux ravages
dont l'empereur poursuivait la vengeance; que les paysans voisins du
Danube, voyant bâtir sur leurs terres une forteresse, avaient pris
l'alarme, et s'étaient joints aux Sarmates pour arrêter cette injuste
entreprise_. Valentinien, choqué de ce reproche, leur demanda, avec
mépris, qui ils étaient, et si les Quades n'avaient pas d'autres
députés à lui envoyer. Ils répondirent: _qu'ils étaient les premiers
de la nation; et qu'elle n'avait pu lui témoigner plus de respect
qu'en les députant eux-mêmes_. Alors ce prince fier et emporté:
_Quel malheur pour l'empire_, s'écria-t-il, _de m'avoir choisi pour
souverain, puisque sous mon règne il devait être déshonoré par les
insultes d'un peuple si misérable!_ Il prononça ces paroles avec un si
violent effort, qu'il se rompit l'artère pulmonaire. Saisi d'une sueur
mortelle, et vomissant le sang en abondance, on le porta sur son lit.
Ses chambellans, pour n'être pas soupçonnés d'avoir accéléré sa mort,
mandèrent promptement les officiers de l'armée. On fut long-temps à
trouver un de ses chirurgiens, parce qu'ils s'étaient dispersés par
son ordre pour panser les soldats attaqués d'une maladie épidémique.
Enfin on lui ouvrit la veine, dont on ne put tirer une goutte de sang.
Le prince, respirant à peine, mais plein de connaissance, sentant
approcher son dernier moment, témoignait, par le mouvement de ses
lèvres, par des sons forcés et inarticulés, et par l'agitation de ses
bras, qu'il voulait parler; mais il ne put former aucune parole: ses
yeux enflammés s'éteignirent; des taches livides se répandirent sur
son visage; et après une longue et violente agonie, il expira, le 17
de novembre, dans la cinquante-cinquième année de son âge, après avoir
régné douze ans moins cent jours[132]. Il fut la dernière victime de
cette fougueuse colère qui avait coûté la vie à un grand nombre de ses
sujets: prince guerrier, politique, religieux; mais violent, hautain,
avare, sanguinaire; et trop loué peut-être par les auteurs chrétiens,
qui, par l'effet d'une prévention trop ordinaire, lui ont pardonné tous
ses défauts pour une seule vertu qui leur était favorable. On embauma
son corps; il fut porté à Constantinople l'année suivante[133]; mais
il ne fut déposé que six ans après dans la sépulture des empereurs.
Outre Gratien, né de Sévéra sa première femme, il laissait quatre
enfants qu'il avait eus de Justine: un fils du même nom que lui, et
trois filles, Justa, Grata et Galla; les deux premières ne furent pas
mariées; Galla fut la seconde femme de l'empereur Théodose.

[Note 132: _Animam diu colluctatam efflavit ætatis quinquagesimo
anno et quinto; imperii, minùs centum dies, secundo et decimo._ Amm.
Marc. l. 30, c. 6. _Valentinianus imperavit annos duodecim minus diebus
centum._ Aur. Vict. ep. p. 229. Valentinien avait été déclaré empereur,
le 26 février 364. Ainsi le calcul de ces historiens est juste.--S.-M.]

[Note 133: Le corps de Valentinien fut reçu à Constantinople, le
28 décembre de l'an 376, mais il ne fut déposé dans le tombeau préparé
pour lui, que le 21 février 382, par les ordres de Théodose.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIII.

Valentinien II empereur.

Amm. l. 30, c. 10.

Zos. l. 4, c. 19.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 230.

Auson. grat. act.

Socr. l. 4, c. 31.

Philost. l. 9, c. 16.

Chron. Alex. vel Pasch. p. 303.

God. chron. p. 95, 101.

Till. Grat. art. 2, et not. 3 et Valent. n. 30.]

L'armée assemblée dans la ville d'Acincum craignait que les soldats
gaulois, naturellement audacieux et turbulents, qui s'étaient plus
d'une fois rendus arbitres de l'empire, ne se hâtassent de nommer un
empereur étranger à la famille impériale. Ils étaient encore au-delà
du Danube, bien avant dans le pays des Quades, sous les ordres de
Mérobaudès et de Sébastien. On prit donc le parti de rompre le pont
qui communiquait aux terres des Quades, et de mander Mérobaudès de
la part de l'empereur, comme si ce prince eût encore été vivant.
Mérobaudès, dont le nom fait croire qu'il tirait son origine des
Francs, était affectionné et même allié par un mariage à la famille
de Valentinien. Se doutant de la vérité, ou peut-être en étant
instruit par le courrier, il publia que l'empereur lui donnait ordre
de renvoyer les soldats gaulois avec le comte Sébastien, pour veiller
à la défense des bords du Rhin, menacés par les Allemans. Il était
de la prudence d'éloigner Sébastien, avant qu'on apprît la nouvelle
de la mort de l'empereur, non pas que ce comte donnât par lui-même
aucun soupçon; mais il était estimé et chéri des troupes. Après
avoir pris ces précautions, Mérobaudès, s'étant promptement rendu à
Acincum, proposa, de concert avec le comte Equitius, de conférer le
titre d'Auguste à Valentinien, âgé de quatre ans, qui se trouvait
alors à trente lieues[134] de l'armée avec sa mère Justine. Les
esprits y étaient déja disposés. Ainsi Céréalis, oncle maternel du
jeune prince, partit sur l'heure, et l'amena au camp. Ces démarches
se firent avec une si extrême diligence, que le 27 de novembre, dix
jours après le décès de l'empereur[135], son second fils fut proclamé
Auguste selon les formes ordinaires. Tous les auteurs, excepté la
chronique d'Alexandrie, abrègent encore de cinq jours cet intervalle,
et placent la proclamation de Valentinien II, au 22 de novembre; ce qui
me paraît incroyable. On peut conjecturer par quelques traces légères,
à peine marquées dans l'histoire, que l'armée romaine ne quitta ce
pays qu'après avoir remporté sur les Quades et les Sarmates un nouvel
avantage, et qu'on accorda la paix à ces peuples.

[Note 134: A cent milles de distance, selon Ammien Marcellin,
l. 30, c. 10, dans une maison de campagne, appelée _Murocincta_.
_Centesimo lapide disparatus_, dit-il, _degensque cum Justina matre in
villa quam Murocinctam appellant_.--S.-M.]

[Note 135: Ce fut le sixième jour après la mort de Valentinien,
selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 10. _Sextoque die post parentis
obitum imperator legitimè declaratus, Augustus nuncupatur more
solemni._ Je ne vois aucune bonne raison de rejeter le témoignage
de cet auteur et de lui préférer, comme le fait Lebeau, celui de la
Chronique d'Alexandrie.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIV.

Conduite de Gratien à l'égard de son frère.]

On s'attendait bien que Gratien aurait d'abord quelque mécontentement
qu'on lui eût donné un collègue sans le consulter; mais on comptait
sur la bonté de son cœur, et l'on ne fut pas trompé. Il aima
tendrement son frère, qu'il regarda comme son fils, et prit soin de
son éducation. Il le nomma consul pour l'année suivante, et ce jeune
prince fut collègue de Valens, qui prit le consulat pour la cinquième
fois. Quelques historiens disent que l'Occident fut alors partagé
entre les deux frères, et que Gratien laissa à Valentinien l'Italie,
l'Illyrie et l'Afrique; se réservant à lui-même la Gaule, l'Espagne
et la Grande-Bretagne. D'autres prétendent que ce partage ne se fit
qu'après la mort de Valens; mais selon l'opinion la mieux fondée,
Gratien gouverna seul tout l'Occident jusqu'à sa mort, qui arriva
lorsque le jeune Valentinien n'avait pas encore douze ans accomplis.
Il ne partagea donc avec son frère que le titre et les honneurs du
commandement, et non pas les provinces de l'empire.

[Note latérale: XXXV.

Caractère de Gratien encore César.

Auson. in Grat. act.

Themist. or. 9, p. 125, or. 13, p. 161, or. 15, p. 187.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 231.

Chron. Alex. p. 293.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.]

La jeunesse de Gratien pouvait donner de l'inquiétude, si ses bonnes
qualités n'eussent rassuré les esprits. Il était né à Sirmium le 18
d'avril de l'an 359[136]. Ainsi il n'était âgé que de seize ans et demi
dans le temps de la mort de son père. Marié depuis un an à Constantia,
fille de Constance, il n'avait nul penchant à la débauche, et jamais
il ne connut d'autre femme que la sienne. Ausone, le meilleur poète de
ce temps-là, avait été chargé de son éducation; et le jeune prince,
dès-lors honoré du titre d'Auguste, ne s'était distingué des enfants
ordinaires que par une soumission plus respectueuse. Son génie heureux
et docile avait aisément pris le goût des lettres; plus vertueux que
son maître, il n'avait appris de lui qu'à tourner agréablement des
vers, à s'exprimer avec grace, à composer des discours. Bien fait de
sa personne, il s'était adonné aux exercices du corps, il s'y était
même livré avec passion. Il surpassait ceux de son âge à la course,
à la lutte, à tirer de l'arc, à lancer le javelot avec force et avec
adresse; personne ne savait mieux manier un cheval. Sobre, frugal,
dormant peu, c'était dans les exercices qu'il mettait tout son
plaisir; mais il y mit aussi toute sa gloire; et l'on reproche à ses
instituteurs de ne s'être pas appliqués à le former de bonne heure aux
affaires de l'état, et à lui inspirer le goût des études politiques qui
conviennent à un souverain.

[Note 136: Selon la Chronique d'Alexandrie, ce fut le 23 du même
mois.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Qualités de Gratien empereur.]

L'usage de la puissance absolue ne changea rien dans son caractère.
Il commençait toutes ses journées par la prière, et sa piété ne fut
jamais équivoque. Sa démarche était modeste, sa contenance réservée,
ses habits décents, mais sans luxe. Dans son conseil il montrait
de l'intelligence et une prudence naturelle; il ne manquait que de
lumières. Il était prompt à exécuter. Son éloquence avait de la
force et de la douceur. Il avait trouvé le palais plein d'alarmes
et de terreur, il en fit un séjour aimable: on n'y entendit plus de
gémissement; on n'y vit plus d'instruments de tortures. Il rappela sa
mère et un grand nombre d'exilés, il ouvrit les prisons à ceux que la
calomnie y tenait enfermés; il rendit les biens confisqués injustement,
et fit oublier la dureté du gouvernement de son père. Il remit ce qui
restait à payer pour les impositions des années précédentes, faisant
publiquement brûler les cédules des redevances. Il rendait à ses amis
tous les devoirs de l'amitié la plus tendre. Traitant ses soldats
comme ses enfants: il allait visiter les blessés, assistait à leurs
pansements, faisait charger ses mulets de leurs bagages, leur prêtait
ses propres chevaux, les dédommageait de leurs pertes. Toujours
accessible, écoutant avec patience, rassurant par sa bonté ceux que
sa majesté intimidait, interrogeant lui-même ceux qui venaient lui
porter leurs plaintes, il faisait consister son bonheur à répandre des
graces et à pardonner. Il n'eut que trop d'indulgence, et il ne vécut
pas assez long-temps pour apprendre qu'il est aussi nuisible aux états
de ne pas châtier les crimes, que de ne pas récompenser les services.
Il s'attacha à saint Ambroise; mais tous ceux qui approchèrent de sa
personne, n'eurent pas les sentiments de cette ame élevée et généreuse;
et l'empire, sous un prince juste, humain, libéral, ressentit encore
quelquefois les tristes effets de l'iniquité, de la cruauté et de
l'avarice.

[Note latérale: AN 376.

XXXVII.

Mort de Théodose.

Hier. chron.

Ambr. or. in fun. Theod. § 53. t. 2, p. 1213.

Symm. l. 10, ep. 1 et 32.

Theod. l. 5, c. 5.

Oros. l. 7, c. 33.

Jorn. de regn. succ. ap. Murat. t. 1, p. 238.

Grut. inscr. p. 402, nº 3.

Reines. class. 3, nº 62.

Fléchier, vie de Theod. l. 1, c. 44.

Till. Grat. not. 5.]

La première action de son règne fut la plus blâmable de toutes. Pour
en effacer l'horreur, il aurait fallu à Gratien une vie plus longue,
et des vertus plus éclatantes. Théodose avait été, sous le règne de
Valentinien, l'honneur et le soutien de l'état. Sa valeur venait de
conserver l'Afrique, et sa sagesse y avait rétabli la paix et le bon
ordre. Tout l'empire célébrait ses exploits. Lui seul n'en était pas
ébloui; l'habitude des grandes actions lui en cachait le prix; et
quoiqu'il fût sur tout autre sujet fort éloquent, rien n'était plus
simple ni plus succinct que le compte qu'il rendait de ses victoires.
Il semblait ne mériter que des triomphes, lorsqu'il reçut son arrêt de
mort. La postérité ignore la cause d'un si étrange événement, et c'en
est assez pour faire trembler les sujets lorsqu'ils voient monter sur
le trône un prince encore jeune et sans expérience, quoiqu'avec les
plus excellentes qualités. Tout ce que l'histoire nous apprend, c'est
que ce guerrier invincible succomba sous une intrigue de cour, et sous
les coups meurtriers d'une cruelle jalousie. Il fut exécuté à Carthage.
Accoutumé à braver la mort, il la vit approcher sans effroi, et la
rendit, par sa fermeté, aussi glorieuse sur l'échafaud, qu'elle l'eût
été sur un champ de bataille. Après avoir demandé et reçu le baptême,
pour s'ouvrir l'entrée d'une vie immortelle, il présenta lui-même sa
tête à l'exécuteur. L'empire le pleura; on lui érigea dans la suite
des statues à Rome et dans les provinces; les payens l'honorèrent
du titre de _Divus_; et Gratien lui-même semble n'avoir pas différé
de ressentir une douleur amère d'une si noire ingratitude. Le choix
qu'il fit peu de temps après de Théodose le fils, pour l'associer à
l'empire, prouve autant ses regrets, qu'il justifie la mémoire du
père. Le jeune Théodose qui brillait déja d'une gloire personnelle,
se déroba pour lors aux traits de l'envie: il se retira en Espagne
où il avait pris naissance. Quelques auteurs épargnent à Gratien une
si atroce injustice; ils en chargent Valens: ce prince, disent-ils,
sacrifia Théodose à ses craintes: il le fit mourir avec tous ceux dont
le nom commençait par les quatre lettres fatales; mais outre qu'il
est au moins incertain que Valens ait fait périr personne pour une
cause si frivole, Théodose ne fut mis à mort que deux ans après cet
oracle prétendu dont nous avons parlé; et ce qui est encore plus fort,
il n'était pas sujet de Valens. Carthage, où s'exécuta cette funeste
tragédie, faisait partie de l'empire de Gratien; et le jeune empereur
n'était pas assez uni avec Valens pour se prêter, par une si criminelle
condescendance, aux alarmes chimériques de son oncle.

[Note latérale: XXXVIII.

Punition de Maximin.

Amm. l. 28, c. 1, et ibi Vales.

Symm. l. 10, ep. 2.

Cod. Th. l. 9, tit. 1, l. 13; tit. 6, leg. 1, 2; tit. 35, leg. 3.

Till. Grat. not. 4.]

Il est plus probable que ce fut le dernier effet de la méchanceté de
Maximin: ce barbare, teint du sang de tant de familles illustres, après
avoir déshonoré le règne de Valentinien par des cruautés sans nombre,
espérait noircir des mêmes horreurs celui de Gratien. La jeunesse
du prince augmentait encore sa hardiesse et son insolence. Gratien
ne tarda pas à le connaître, et bientôt il désarma sa fureur. Les
esclaves et les affranchis étaient les instruments les plus ordinaires
que Maximin mettait en œuvre. Gratien ordonna que ceux qui oseraient
accuser leurs maîtres de tout autre crime que de celui de lèse-majesté,
seraient, sans être entendus, brûlés vifs avec leurs libelles de
dénonciation. Bientôt après Maximin lui-même, convaincu de plusieurs
crimes, eut la tête tranchée. Simplicius subit la même peine en
Illyrie; et Doryphorianus, autre ministre de Maximin, après avoir été
renfermé dans la prison de Rome, en fut tiré par le conseil de la mère
de l'empereur, pour expirer dans les plus rigoureuses tortures. Après
la punition de ces hommes sanguinaires, Gratien songea à rassurer le
sénat qu'ils avaient tenu si long-temps dans des alarmes continuelles.
Il adressa à cette compagnie une lettre qui fut reçue avec joie: elle
contenait plusieurs réglements favorables; et dès le commencement
de l'année suivante il renouvela, par une loi expresse, un ancien
privilège des sénateurs, que Maximin n'avait jamais respecté; c'était
qu'ils fussent exempts des tourments de la question.

[Note latérale: XXXIX.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 10, tit. 19, leg. 8; l. 13, tit. 3, leg. 11; l. 15, tit.
1, leg. 19; l. 16, tit. 2, leg. 23, 24; tit. 5, leg. 4, 5, et ibi God.
tit. 6, leg. 2.

God. chron.

Hier. ep. 107, t. 1, p. 672.

Symm. l. 9, ep. 83.

Grut. inscr. p. 192, nº 3, et p. 1087, nº 4.]

Le jeune prince, naturellement pieux, était entretenu dans cette
heureuse disposition par les conseils de Gracchus, qu'il honorait de sa
confiance, et qu'il éleva à la dignité de préfet de Rome vers la fin de
cette année. On dit que Gracchus descendait de l'ancienne et illustre
famille Sempronia, dont il portait le surnom[137]. Plein de zèle pour
le christianisme, il profita de l'autorité que lui donnait sa charge
pour affaiblir l'idolâtrie; il détruisit un grand nombre d'idoles, mais
sans user de violence, et sans donner ouvertement atteinte à la liberté
de culte dont les payens jouissaient encore[138]. L'empereur fit, dès
cette année, et la suivante, plusieurs lois avantageuses à l'église.
Il ordonna que les contestations qui auraient pour objet les affaires
de la religion, seraient décidées par l'évêque ou par le synode de la
province, mais que les juges ordinaires demeureraient saisis des causes
civiles ou criminelles. Il exempta des charges personnelles les prêtres
et les ministres inférieurs. Les Donatistes avaient signalé leur zèle
en faveur de Firmus: ils furent aussi les premiers hérétiques que
l'empereur s'efforça de réprimer; il leur ôta leurs églises; il déclara
que les lieux où ils tiendraient leurs assemblées, seraient saisis
au profit du fisc[139]. Il étendit dans la suite cette loi sur tous
les hérétiques. Cependant après la mort de Valens, étant à Sirmium,
il leur rendit la liberté de s'assembler, exceptant seulement les
sectateurs de Manès, d'Eunomius et de Photinus; mais cette permission
fut bientôt révoquée. L'instruction publique a un rapport direct à la
religion: aussi Gratien s'occupait-il dans le même temps à soutenir
l'une et l'autre. L'étude des belles-lettres fleurissait alors dans
la Gaule: il chargea le préfet d'établir dans toutes les principales
cités des maîtres de rhétorique et de grammaire latine et grecque, et
d'avoir soin qu'on fît choix pour ces emplois des personnes les plus
capables. Il leur assigna, sur le trésor des villes, des appointements
considérables, qu'il voulut régler lui-même, ne s'en rapportant pas
sur ce point à la générosité des habitants: et comme Trèves était
alors la ville impériale, il y établit de plus fortes pensions pour
les professeurs[140]. La décadence des arts se faisait sentir de plus
en plus; les Romains commençaient ce que les Goths devaient bientôt
achever: ils détruisaient ou déshonoraient les magnifiques monuments
de l'ancienne architecture, pour élever ou embellir des édifices de
mauvais goût; et Rome perdait tous les jours de son antique majesté.
Gratien ordonna aux magistrats de cette ville d'entretenir les ouvrages
de leurs ancêtres; et afin qu'ils eussent la facilité d'en construire
de nouveaux sans dégrader les anciens, il abolit en faveur des
sénateurs les droits imposés sur le transport et l'entrée des marbres,
qu'on tirait des carrières de Macédoine et d'Illyrie.

[Note 137: _Gracchus nobilitatem patriciam nomine sonans_, dit S.
Jérôme, dans sa lettre à Léta, t. 1, p. 672.--S.-M.]

[Note 138: On cite quelques inscriptions de l'an 376, qui
offrent le nom de Turcius Secundus Asterius, de Servilius Ædesius et
d'Aurelius Victor Augentius, qui furent décorés de pontificats païens,
ou qui célébrèrent alors des fêtes, selon les rites de l'ancienne
croyance.--S.-M.]

[Note 139: Ce fut en vertu d'une loi dont le texte est perdu, mais
qui est souvent citée dans le code Théodosien. Elle était adressée à un
certain Nitentius dont la qualité nous est inconnue, et elle fut rendue
en l'an 376.--S.-M.]

[Note 140: Ces mesures furent prises en vertu d'une loi rendue à
Trèves, le 23 mai 376.--S.-M.]

[Note latérale: XL.

Irruption des Huns.

Zos. l. 4, c. 20.

S. Ambros. comment. in Luc. l. 10, c. 10, t. 1, p. 1506.]

L'Occident était en paix, et la négociation entamée avec Sapor
suspendait en Orient les hostilités, sans faire cesser les inquiétudes.
La Lycie et la Pamphylie étaient les seules provinces qui ne
jouissaient pas du repos. Les Isauriens y ravageaient les campagnes,
et, à l'approche des troupes romaines, ils se retiraient à l'ordinaire
avec leur butin dans leurs montagnes inaccessibles; mais un peuple
plus féroce que les Barbares connus jusqu'alors, portant l'effroi et
le carnage, vint annoncer de nouveaux malheurs. Les Huns, sortant
des Palus Méotides, poussèrent devant eux les nations qui habitaient
au nord du Danube; et ces fugitifs renversés les uns sur les autres,
se répandirent sur les provinces romaines, et changèrent la face
de l'empire[141]. C'est un des points les plus importants de notre
histoire, de faire connaître ce peuple redoutable, que la main de
Dieu conduisit d'une extrémité du monde à l'autre, pour châtier les
crimes de la terre. Son origine cachée dans les immenses forêts de la
Tartarie asiatique, est demeurée inconnue jusqu'à nos jours. M. de
Guignes, très-versé dans la littérature orientale, a découvert dans
les historiens chinois tout le détail de l'histoire des Huns[142].
Guidés par ses recherches, nous allons tracer une idée de cette nation
fameuse, et recueillir après lui dans les auteurs grecs et latins les
traits qui la caractérisent.

[Note 141: _Chunni in Alanos, Alani in Gothos, Gothi in Taïfalos et
Sarmatas insurrexerunt. Nosquoque in Illyrico exsules patriæ Gothorum
exsilia fecerunt, et nondum est finis._ Ambr. _Exp. in Ev. Luc._ l. 10,
c. 10.--S.-M.]

[Note 142: Deguignes est le premier savant qui ait tenté de
dissiper la profonde obscurité répandue sur l'origine de la puissante
nation des Huns, qui apparut à la fin du 4e siècle sur les frontières
de l'empire romain, qu'elle menaça d'une entière destruction. Les
recherches qu'il fit dans ce but furent immenses; il en a consigné
le résultat dans son _Histoire générale des Huns, Turks_, etc. qu'il
publia en cinq volumes in-4º. en 1756. Ce travail considérable
méritait certainement les éloges qu'on lui a prodigués, surtout à
l'époque où il parut. L'idée de faire connaître les Annales de la
Chine, et d'y chercher des renseignements sur l'origine des peuples
qui soumirent ce pays à diverses époques, et qui se répandirent dans
d'autres régions, était heureuse. Le rapprochement de tous ces faits
avec ceux qui se trouvent dans les anciens et dans nos historiens
européens devait amener quelques résultats importants. C'est dans
ce nombre qu'il faut placer la pensée de comparer les détails que
fournissent les Chinois sur les _Hioung-nou_, peuple célèbre parmi eux,
et long-temps dominateur des régions intérieures de l'Asie, avec ce
que les Grecs et les Latins nous apprennent des Huns sujets d'Attila.
Tout en rendant justice à cette idée lumineuse, on ne peut cependant
s'empêcher de reconnaître que Deguignes en a poussé trop loin les
conséquences. Ce ne serait pas la première fois qu'une observation
juste aurait donné lieu à de fausses applications, pour n'avoir pas
eu égard à beaucoup de considérations accessoires, mais non moins
importantes, par leur influence sur des déductions plus éloignées. L'un
des premiers inconvénients du système de Deguignes a été d'étendre le
nom des _Hioung-nou_ ou Huns, à toutes les tribus barbares de l'Asie
centrale. En les réunissant ainsi sous une dénomination commune, qui
a pu leur convenir à certaines époques, et sous certaines conditions,
il a considérablement affaibli son hypothèse. Effectivement il est
difficile de reconnaître dans son ouvrage à qui appartenait réellement
le nom de Huns, qu'il donne aux Turks, aux Mongols, aux Mandchous et
à beaucoup d'autres peuples encore, dont la différence d'origine est
démontrée par les langues dont ils se servent. A quelle branche de ces
peuples faut-il donc appliquer plus particulièrement la dénomination
dont il s'agit? Deguignes ne le décide pas et peut-être est-il vrai de
dire qu'elle ne convient parfaitement à aucun d'eux. Les historiens
occidentaux et ceux de l'Arménie, nous montrent les Huns anciennement
établis sur les rives du Volga et dans presque tous les pays à l'orient
du Borysthène, qui forment actuellement l'empire de Russie. Tous les
peuples soit anciens, soit modernes, qui paraissent tirer leur origine
de ces barbares, nous font voir par les langues dont ils se servent
encore, que les Huns durent former un peuple bien distinct et qu'il
ne faut pas confondre avec les Turks, les Mongols et les Mandchous,
quoique son nom, sa puissance et sa langue peut-être, se soient étendus
autrefois jusque dans des pays très-éloignés et occupés à présent par
les trois nations dont je viens de parler. Tous les peuples répandus
dans les monts Ourals et dans diverses parties de la Russie, et qui
paraissent descendre des anciens Huns, sont appelés actuellement
Finnois, du nom de la Finlande, région située sur la mer Baltique et
habitée par des hommes de la même race et de la même langue. Cette
dénomination doit également s'appliquer aux Hongrois on Madjars, qui
vinrent au neuvième siècle des bords du Volga, sur ceux du Danube.
Leurs souvenirs historiques les rattachent aux anciens Huns, et
leur langue prouve qu'ils sont Finnois. Ce dernier rapprochement ne
ferait-il pas voir aussi qu'il s'agit sous deux formes peu différentes
d'un seul et même nom. La fréquente permutation de l'H en F, dans
une multitude d'idiomes est trop connue et trop commune pour qu'il
soit nécessaire de s'y arrêter. Il n'est donc pas douteux à ce que
je pense que le nom de _Hunn_ diversement orthographié, ne soit le
même que celui de _Finn_, et qu'il s'applique à une même race. Il est
à remarquer que tous les renseignements qui le font connaître par
la mer Noire et la mer Caspienne donnent la première orthographe,
tandis que la dernière ne se rencontre que dans les relations venues
par le nord et par la mer Baltique. Ainsi dès le commencement du
deuxième siècle, Tacite avait connu les Finnois par la Germanie.
Cette indication prouve que dès lors, et sans doute long-temps avant,
les Huns ou Finnois s'étaient étendus jusqu'à la mer Baltique. Ce
rapprochement montre encore que dans l'antiquité, comme à des époques
plus récentes, les peuples de cette race étaient répandus sur tous
les pays qui forment l'empire de Russie, dont il est à croire qu'ils
furent les premiers habitants, avant l'arrivée des tribus gothiques et
slaves, qui les soumirent plus d'une fois à leur empire en tout ou en
partie. Si les Huns sont les indigènes des monts Ourals et des rives
du Volga, rien ne s'oppose à ce qu'à des époques très-anciennes leur
race ne se soit portée très-loin vers l'Orient, de manière à s'avancer
jusqu'aux frontières de la Chine, comme plus tard ils se répandirent
sur l'Europe. En soumettant à leurs lois les diverses tribus turques,
mongoles ou mandchoues établies dans la Sibérie et dans l'Asie
centrale, ils leur ont donné leur nom, qui s'est alors propagé jusque
chez les Chinois, qui le font remonter jusqu'à des temps très-reculés.
Rien n'empêche même de croire que des tribus, en tout semblables à
celles des Finnois, n'aient pénétré jusque dans l'intérieur de l'Asie.
L'un des résultats de l'établissement d'une aussi vaste puissance, a
été de faire confondre les Huns, avec plusieurs des peuples qui, en
devenant leurs sujets, partagèrent leur nom. C'est ainsi que les Turks
primitifs ont été confondus avec eux. Tous les mots de la langue des
anciens _Hioung-nou_ conservés par les auteurs chinois étant Turks, on
en a conclu que ces _Hioung-nou_ étaient des Turks. Cette considération
a fait douter à quelques personnes de l'identité des Huns, qui sont
certainement Finnois, avec les _Hioung-nou_, identité proposée par
Deguignes, qui ne balance pas à admettre la commune origine des deux
peuples. Sans pousser si loin les conséquences de son système, ne
serait-il pas plus naturel de croire, en admettant l'identité des deux
noms, soit qu'ils aient pris naissance dans le sein de la race turque
ou dans la race finnoise, qu'ils furent propres d'abord à une tribu
particulière qui le communiqua ensuite à tous les peuples d'origines
diverses qu'elle soumit à son empire? J'en dis autant du nom de _Turk_
qu'il est difficile d'assigner originairement à l'une plutôt qu'à
l'autre race. On conçoit alors comment le nom de Huns peut convenir
aux anciens Turks et aux Finnois. On en trouve une preuve assez claire
dans un passage de Théophylacte Simocatta, l. 3, c. 6, qui rapporte que
les Perses sont dans l'usage d'appeler Turks les Huns qui habitent du
côté du nord-est. Τῶν Οὔννων τοιγαροῦν τῶν πρὸς τῷ βοῤῥᾷ τῆς ἕω, οὕς
Τούρκους ἔθος Πέρσαις ἀποκαλεῖν. Il serait facile d'en citer d'autres
exemples. Les Hongrois actuels, dont le nom national est celui de
_Madjar_, étaient appelés Turks, lorsqu'ils vinrent s'établir sur
les bords du Danube au neuvième siècle de notre ère. Les écrivains
de Constantinople donnèrent alors à la Hongrie le nom de _Turquie_
Τούρκιας. Il est certain cependant que ces peuples qui se regardent
comme les descendants des Huns d'Attila, sont Finnois, et leur langue
qui le prouve présente très-peu de rapports avec le turk. Ces nouveaux
Huns devaient donc à des circonstances particulières un nom qui semble
appartenir à une race différente. De même, quand au treizième siècle
les fils de Tchinghiz-Khan répandirent sur presque toute l'Asie et
dans une grande partie de l'Europe la terreur et la puissance des
Mongols, leurs soldats portaient tous ce nom redouté, qui cependant
n'appartenait réellement qu'aux chefs et à une petite partie d'entre
eux. Presque tous ces conquérants étaient Turks; et parmi ceux de leurs
descendants qui existent en Russie, il n'en est aucun qu'on puisse
rapporter à la race des Mongols. Il serait donc possible que, par suite
d'un mélange de la même espèce, le nom de _Hioung-nou_ ou Huns, le même
que celui des Finnois, porté d'abord par une nation turque, se fût
introduit à une époque très-reculée chez les Finnois, qui l'auraient
seuls gardé et perpétué jusqu'à nous.--S.-M.]

[Note latérale: XLI.

Origine des Huns.

Deguignes, Hist. des Huns, descr. de la grande Tartarie, c. 1, art. 8,
§ 9, et c. 2, art. 4, et l. 1, p. 13, 15, 21, 34, 69 et 123.

Amm. l. 31, c. 2.

Claud. in Ruf. l. 1, v. 323-333.

Agathias, l. 5, p. 154.

Proc. bel. Pers. l. 1, c. 10.

Soz. l. 6, c. 37.

Philost. l. 9, c. 17.

Jornand. de reb. Get. c. 24.

Ptol. geogr. l. 6, c. 16.]

L'Occident ne commença à connaître les Huns qu'au moment qu'ils se
firent voir en Europe, après avoir passé le Tanaïs[143]. On n'a pas
suivi plus loin la trace de leur origine; et la plupart des auteurs
placent leur première demeure à l'orient des Palus Méotides[144].
C'est pour cette raison que Procope les confond avec les Scythes et
les Massagètes, dont il y avait des peuplades établies en-deçà comme
au-delà de la mer Caspienne[145]. Jornandès raconte sérieusement que
les Huns naquirent du commerce des diables avec des sorcières, que
les Goths avaient reléguées dans les déserts de la Scythie[146]. Les
Chinois, mieux instruits de l'histoire de ce peuple, avec lequel ils
ont presque toujours été en guerre, nous apprennent qu'il habitait au
nord de la Chine[147]. Ce sont les _Annibi_ de Ptolémée[148]. Ils
s'étendaient d'occident en orient dans l'espace de cinq cents lieues,
depuis le fleuve Irtisch jusqu'au pays des Tartares nommés aujourd'hui
_Mantcheous_[149]. Ils occupaient trois cents lieues de pays, du
septentrion au midi, étant bornés d'un côté par les monts Altaï, de
l'autre par la grande muraille de la Chine et les montagnes du Thibet.

[Note 143: Ce fait n'est pas certain. Ammien Marcellin, le premier
et le plus exact des auteurs qui ont parlé de l'apparition des Huns,
se contente de dire, l. 31, c. 2, que c'était une nation peu connue
des anciens. _Hunnorum gens, monumentis veteribus leviter nota._ Ce
n'est pas là dire qu'il s'agit d'une nation tout-à-fait inconnue. J'ai
déjà observé, tom. 3, p. 277, note 3, liv. XVII, § 5, que les auteurs
arméniens en parlent de manière à faire voir, que les Huns étaient bien
connus dans leur pays, au quatrième siècle de notre ère. Ce qu'ils en
disent montre, qu'ils étaient alors les plus puissants des peuples
établis entre la mer Noire et la mer Caspienne, sur les bords du Volga
et du Tanaïs. Mais, long-temps avant cette époque, les Huns s'étaient
avancés jusqu'au Borysthène. Ils paraissent dans Ptolémée, l. 3, c. 5,
sous le nom de _Chuni_, et ce géographe les place entre les Bastarnes
et les Roxolans, μεταξὺ βαστέρνων καὶ Ῥωξολάνων Χοῦνοι. La forte
aspiration qui commence le nom des Huns dans Ptolémée, se retrouve
souvent dans les auteurs latins du 5e et du 6e siècle. On a pu déjà,
en voir un exemple dans le passage de S. Ambroise, cité p. 60, note 1.
Il serait facile d'en citer beaucoup d'autres. Les auteurs arméniens
donnent aussi une aspiration à ce nom, mais moins forte; les écrivains
du Nord, qui connurent les Huns par les invasions qu'ils firent dans la
Scandinavie, ne manquent pas non plus de placer une aspiration devant
leur nom. Ils appellent presque tout le pays, qui forme actuellement la
Russie Européenne, _Chunigard_, c'est-à-dire, _la demeure des Huns_.
La lettre initiale du nom des Finnois y représente aussi l'aspiration
de celui des Huns. Denys le Périégète, v. 730, donne une autre mention
des Huns, presque aussi ancienne que celle de Ptolémée. Il les place
sur les bords de la mer Caspienne, dans le voisinage des Albaniens,
précisément au lieu où les mettaient les Arméniens. C'est pour cette
raison que ceux-ci appelaient le défilé de Derbend _le rempart des
Huns_. Ces autorités font voir bien clairement que, dès avant le
deuxième siècle de notre ère, les Huns étaient établis sur les bords
de la mer Caspienne, sur les rives du Volga et du Tanaïs, et même
sur ceux du Borysthène. Si on admet, comme on n'a guère au reste de
raison pour s'y refuser, si on admet, dis-je, l'identité de ce peuple
avec les Finnois, on le retrouvera dans Tacite, et dans Ptolémée, l.
3, c. 5, comme bornant du côté de l'orient les nations sarmates et
germaniques, de manière à occuper tout l'espace compris entre la mer
Noire et la mer Baltique, s'étendant jusqu'à l'océan glacé. La chose
résulte assez clairement de ce que Tacite dit (_German._ c. 46.) au
sujet des _Fenni_. Si les Huns ne furent pas connus d'une manière
éclatante avant le 4e siècle, ce n'est pas qu'ils occupassent alors des
régions très-éloignées, c'est qu'ils n'avaient pas encore vaincu les
Goths, dont ils étaient probablement sujets, et qui les séparaient des
terres de l'empire. Il est évident, après ces détails, qu'il y a de
l'exagération dans Sozomène, quand il dit, l. 6, c. 27, que les Huns
étaient inconnus aux Thraces du Danube et aux Goths eux-mêmes. Τοῦτο δὲ
τὸ ἔθνος, ῶς φασὶν, ἄγνωστον ἦν προτοῦ Θρᾳξὶ τοῖς παρὰ τὸν Ἴστρον, καὶ
Γότθοις αὐτοῖς.--S.-M.]

[Note 144: Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 2, qu'ils habitaient
au-delà des Palus Méotides, s'étendant jusqu'à la mer Glaciale,
_ultra Paludes Mæoticas, Glacialem Oceanum accolens_; ce qui indique
clairement qu'ils occupaient dès lors tout le pays, où on retrouve les
hommes de race finnoise. Ce témoignage est tout-à-fait d'accord avec
celui de Claudien, qui dit que les Huns étaient la plus célèbre des
nations du septentrion, et qu'ils habitaient au-delà des glaces du
Tanaïs, vers l'orient, _contr. Ruf._ l. 1, v. 323 et seq.

    Est genus extremos Scythiæ vergentis in ortus
    Trans gelidum Tanain, quo non famosius ullum
    Arctos alit.

S. Jérôme en dit autant, ep. 77, t. 1, p. 460. Tous les auteurs
s'accordent à leur donner pour habitation les vastes plaines qui
s'étendent au nord du mont Caucase, entre les deux mers, se prolongeant
fort au loin vers la mer Glaciale et l'orient. Agathias dit de plus,
l. 5, p. 154, que la nation des Huns, οἱ Οὖννοι τὸ γένος, habitait
autrefois sur les bords du marais Méotis, τὸ μὲν παλαιὸν κατώκουν τῆς
Μαιώτιδος λίμνης, du côté du nord-est, τὰ πρὸς ἀπηλιώτην ἄνεμον, et
qu'ils étaient bien au nord du Tanaïs, καὶ ἦσαν τοῦ Τανάῖδος ποταμοῦ
ἀρκτικώτεροι. On voit que tous ces auteurs sont d'accord et que leur
témoignage est conforme à ce que j'ai dit dans les notes précédentes.
Quant à ce que rapportent Zosime, l. 4, c. 20, et Philostorge, l. 9, l.
17, que les Huns étaient, selon le premier, les mêmes que les Scythes
royaux d'Hérodote, et, selon le second, les Neures du même auteur, ce
sont des assertions qui ne méritent ni confiance, ni discussion.--S.-M.]

[Note 145: Les Alains, comme on le verra bientôt d'après le
témoignage d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, étaient les mêmes que
les anciens Massagètes. Comme les Huns avaient vaincu les Alains et
s'étaient emparés du pays qu'ils occupaient, il n'est pas étonnant
que Procope, _de Bell. Goth._ l. 2, c. 1, les ait regardés comme le
même peuple. Ceci doit faire voir que les rapprochements établis par
les auteurs grecs et latins entre deux peuples anciens n'indiquent
pas toujours que ces deux nations appartiennent à la même race; ils
montrent seulement qu'elles se sont succédées dans les mêmes régions.
C'est par la même raison que les Huns portent souvent aussi le nom
de Scythes, avec lesquels on ne peut les confondre, puisque ceux-ci
étaient les mêmes que les Gètes ou Goths, qui furent chassés par les
Huns des pays qu'ils possédaient entre le Danube et le Tanaïs. Il est
évident qu'on n'a pu les confondre que parce qu'ils ont occupé les
mêmes contrées. Il en doit être de même de la confusion des Huns avec
les Massagètes.--S.-M.]

[Note 146: Ces sorcières, selon l'historien goth, étaient appelées
_Aliorumnæ_; elles furent chassées, à ce qu'il dit, par les Goths,
sous le règne de Filimer, fils du grand Gandaric, le cinquième
de leurs rois, après leur sortie de la Scandinavie. _Repperit_,
dit-il, _in populo suo quasdam magas mulieres, quas patrio sermone
Aliorumnas is ipse cognominat, easque habens suspectas de medio sui
proturbat, longeque ab exercitu suo fugatas in solitudinem coegit
terræ. Quas spiritus immundi per eremum vagantes dum vidissent, et
earum se complexibus in coitu miscuissent, genus hoc ferocissimum
edidere; quod fuit primum inter paludes minutum, tetrum atque exile,
quasi hominum genus, nec alia voce notum, nisi quæ humani sermonis
imaginem assignabat. Tali ergo Hunni stirpe creati, Gothorum finibus
advenere._ Tous les peuples ont inventé des fables pareilles contre les
Barbares leurs voisins qu'ils détestaient; ces fables ne sont que des
témoignages de leur haine.--S.-M.]

[Note 147: Voici ce que dit M. Abel-Rémusat, dans ses _Recherches
sur les langues Tartares_, t. 1, p. 327, sur l'étendue de l'ancienne
puissance des _Hioung-nou_ ou Huns. «Les _Hioung-nou_ avaient à
l'orient les barbares appelés _Toung-hou_ ou barbares orientaux;
dénomination vague, sous laquelle nous avons vu que probablement
les Mongols et les Tongous avaient été confondus. Au sud-est, ils
touchaient aux provinces chinoises du _Chan-si_ et du _Chen-si_, dans
lesquelles beaucoup de leurs tribus se sont répandues plus tard, et
ont fondé des principautés. Au sud, était établie, deux siècles avant
notre ère, la nation des _Youeï-chi_, chassée ensuite vers l'occident
par les _Hioung-nou_; au sud-ouest, les _Saï_, dont les écrivains
chinois font une race distincte, habitant primitivement au nord-est de
la mer Caspienne, repoussée par les _Youeï-chi_ vers le midi, entre
_Khasigar_ et _Samarkand_; à l'ouest des _Hioung-nou_, étaient les
_Ou-sun_, grande et puissante nation, qui différait, par les traits du
visage et par la langue, de tous les autres peuples de la haute Asie.
Les hommes étaient remarquables par la couleur bleue de leurs yeux et
par leurs cheveux rouges. C'est d'eux que tirent leur origine tous
ceux des Tartares, qui, dans différentes tribus, offrent ces traits
caractéristiques. Ils avaient d'abord été soumis aux _Hioung-nou_;
mais leur puissance s'étant augmentée, ils devinrent indépendants, et
s'emparèrent même du pays des _Saï_, jusqu'aux villes, c'est-à-dire
jusqu'à la Boukharie. Il n'est pas difficile de reconnaître, dans
toute cette description, un peuple gothique, opposant, depuis qu'il
était devenu indépendant, une limite à l'extension des Turks du côté
de l'occident. Plus au nord, étaient les _Ting-ling_, peuple de même
origine que le précédent, et qui vivait mêlé avec les _Kirgis_. Enfin,
du côté du septentrion, jusqu'à la mer Glaciale, étaient beaucoup de
petites nations, dont le nombre augmenta encore, à mesure que les
tribus turkes se détachèrent de la monarchie des _Hioung-nou_, et
prirent des noms particuliers.» Le peuple gothique, qui bornait les
_Hioung-nou_ du côté de l'occident, n'était autre que les Alains, et la
description qu'en donnent les auteurs chinois, est tout-à-fait conforme
à celle d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2. Quant au nom d'_Ou-sun_,
qu'ils portent dans les auteurs chinois, c'est celui d'_Asiani_, qu'on
trouve dans Strabon et dans quelques autres auteurs, et qui s'est
conservé chez les descendants des Alains, qui habitent encore au milieu
du Caucase, où on les connaît sous le nom d'_Ossi_. Pour les _Saï_ des
Chinois, ce sont les Saces des anciens, c'est-à-dire la portion de la
nation des Scythes, qui habitait sur la frontière nord-est de la Perse.
Ils avaient même dès long-temps fait des établissements dans ce pays,
où ils avaient donné leur nom à une province limitrophe de l'Inde, qui
fut appelée _Sacastan_, _Sedjestan_ et _Saïstan_; ce dernier nom prouve
bien l'identité des _Saï_ avec les Saces. C'est à cause d'eux que les
anciens Persans donnaient le nom de Saces à tous les Scythes.--S.-M.]

[Note 148: Il est difficile d'imaginer les raisons qui ont pu
porter Deguignes à confondre les Huns avec les _Annibi_ de Ptolémée,
une de ces nombreuses tribus tout-à-fait inconnues d'ailleurs, qui
ont été accumulées assez confusément par ce géographe dans la partie
nord-est de l'Asie. Ptolémée se contente de dire que les _Annibi_
étaient dans le voisinage des anthropophages, et qu'ils avaient à
l'orient un peuple également inconnu qu'il appelle les _Garinæi_.
Il est possible que l'on doive comprendre les _Annibi_ dans les
_Hioung-nou_ des Chinois, mais on ne doit pas assimiler, comme
l'a fait Deguignes, un aussi petit peuple avec une aussi grande
puissance.--S.-M.]

[Note 149: C'est-à-dire des Mandchoux, qui sont les maîtres de la
Chine depuis environ deux siècles.--S.-M.]

[Note latérale: XLII.

Caractère et coutumes des Huns.

Deguignes, l. 1, p. 14, 15, 16, l. 4, p. 293.

Amm. l. 31, c. 2.

Zos. l. 4, c. 20.

Jornand. c. 24, Proc. bel.

Goth. l. 2, c. 1, l. 4, c. 3, et Vandal. l, 1, c. 12 et 18.

Agath. l. 5, p. 156.

Sidon. Apoll. carm. 2, v. 243-272.

Salv. de gubern. Dei, l. 4, c. 14.]

Les Huns étaient de tous les barbares les plus affreux à voir[150]. Ce
n'était qu'une masse informe, et les Romains les comparaient à une
pièce de bois à peine dégrossie[151]. Ils avaient la taille courte
et ramassée, le cou épais et rentrant dans les épaules[152], le dos
courbé, la tête grosse et ronde, le teint noir, les yeux petits et
enfoncés, mais le regard vif et perçant[153]. Ils s'étudiaient encore
à augmenter leur difformité naturelle. Dès que les enfants mâles
venaient au monde, les mères leur écrasaient le nez, afin que le
casque pût s'appliquer plus juste à leur visage[154]; et les pères
leur tailladaient les joues, afin d'empêcher la barbe de croître.
Cette opération cruelle rendait leur visage défiguré de coutures et
de cicatrices[155]. Leur façon de vivre n'était pas moins sauvage
que leur figure. Ils ne mangeaient rien de cuit, et ne connaissaient
nulle espèce d'assaisonnement. Ils vivaient de racines crues ou de la
chair des animaux un peu mortifiée entre la selle et le dos de leurs
chevaux[156]. Jamais ils ne maniaient la charrue[157]: les prisonniers
qu'ils faisaient à la guerre cultivaient la terre, et prenaient soin
des troupeaux. Ils n'habitaient ni maisons ni cabanes; toute enceinte
de murailles leur paraissait un sépulcre[158]; ils ne se croyaient
pas en sûreté sous un toit[159]. Accoutumés dès l'enfance à souffrir
le froid, la faim, la soif[160], ils changeaient fréquemment de
demeure, ou, pour mieux dire, ils n'en avaient aucune; errants dans
les montagnes et dans les forêts, suivis de leurs nombreux troupeaux,
transportant avec eux toute leur famille dans des chariots traînés
par des bœufs. C'était là que leurs femmes renfermées s'occupaient à
filer ou à coudre des vêtements pour leurs maris, et à nourrir leurs
enfants[161]. Ils s'habillaient de toile ou de peaux de martres qu'ils
laissaient pourrir sur leur corps, sans jamais s'en dépouiller[162].
Ils portaient un casque, des bottines de peau de bouc, et une chaussure
si informe et si grossière, qu'elle les empêchait de marcher librement;
aussi n'étaient-ils pas propres à combattre à pied[163]. Ils ne
quittaient presque jamais leurs chevaux, qui étaient petits et hideux,
mais légers et infatigables[164]. Ils y passaient les jours et les
nuits, tantôt montés en cavaliers, tantôt assis à la manière des
femmes[165]. Ils n'en descendaient ni pour manger, ni pour boire; et
lorsqu'ils étaient pris de sommeil, se laissant aller sur le cou de
leur monture, ils y dormaient profondément[166]. Ils tenaient à cheval
le conseil de la nation[167]. Toutes les troupes de leur empire étaient
commandées par vingt-quatre officiers, qui étaient à la tête chacun de
dix mille cavaliers; ces corps se divisaient en escadrons de mille,
de cent et de dix hommes; mais dans les combats ils n'observaient
aucun ordre. Poussant des cris affreux, ils s'abandonnaient sur
l'ennemi[168]: s'ils trouvaient trop de résistance, ils se dispersaient
bientôt, et revenaient à la charge avec la vitesse des aigles et la
fureur des lions, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontrait
sur leur passage. Leurs flèches étaient armées d'os pointus, aussi durs
et aussi meurtriers que le fer[169]; ils les lançaient avec autant
d'adresse que de force, en courant à toute bride et même en fuyant.
Pour combattre de près, ils portaient d'une main un cimeterre et de
l'autre un filet, dont ils tâchaient d'envelopper l'ennemi[170]. Une de
leurs familles avait le glorieux privilége de porter le premier coup
dans les batailles; il n'était permis à personne de frapper l'ennemi,
qu'un cavalier de cette famille n'en eût donné l'exemple[171]. Leurs
femmes ne craignaient ni les blessures ni la mort; et souvent après une
défaite, on en trouva parmi les morts et les blessés. Dès que leurs
enfants pouvaient faire usage de leurs bras, on les armait d'un arc
proportionné à leur force; assis sur des moutons, ils allaient tirer
des oiseaux et faisaient la guerre aux petits animaux. A mesure qu'ils
avançaient en âge, ils s'accoutumaient de plus en plus aux fatigues et
aux périls de la chasse; enfin, lorsqu'ils se sentaient assez forts,
ils allaient dans les combats repaître de sang et de carnage leur
férocité naturelle. La guerre était pour eux l'unique moyen de se
signaler: les vieillards languissaient dans le mépris; la considération
était attachée à l'usage actuel des armes[172]. Ces Barbares, tout
grossiers qu'ils étaient, ne manquaient ni de pénétration, ni de
finesse. Leur bonne foi était connue: ils ignoraient l'art d'écrire;
mais en traitant avec eux, on n'avait pas besoin d'autre sûreté que de
leur parole[173]; d'ailleurs, ils avaient au souverain degré tous les
vices de la barbarie[174]: cruels, avides de l'or[175], quoiqu'il leur
fût inutile; impudiques, prenant autant de femmes qu'ils en pouvaient
entretenir, sans aucun égard aux degrés d'alliance ni de parenté[176],
le fils épousait les femmes de son père[177]; adonnés à l'ivrognerie,
avant même qu'ils eussent connu l'usage du vin, ils s'enivraient d'un
certain breuvage composé de lait de jument qu'ils laissaient aigrir.
Les Romains ont cru qu'ils n'avaient aucune religion[178], parce qu'on
ne voyait aucune idole qui fût l'objet de leur culte; mais, selon les
auteurs Chinois, ils adoraient le ciel, la terre, les esprits et les
ancêtres.

[Note 150: Voici le portrait que Claudien fait des Huns, dans le
Ier livre de ses Invectives contre Rufin, v. 325 et seq.

    ........... Turpes habitus; obscœnaque visu
    Corpora; mens duro nunquam cessura labori;
    Præda cibus, vitanda Ceres, frontemque secari
    Ludus, et occisos pulchrum jurare parentes.
    Nec plus nubigenas duplex natura biformes
    Cognatis aptavit equis: acerrima nullo
    Ordine mobilitas, insperatique recursus.

Tacite ne parle pas d'une manière plus avantageuse des Finnois, _Germ._
c. 46. _Fennis_, dit-il, _mira feritas, fœda paupertas_.--S.-M.]

[Note 151: _Prodigiosæ formæ et pandi, ut bipedes existimes
bestias, vel quales in commarginandis pontibus effigiati stipites
dolantur incomptè._ Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 152: _Compactis omnes firmisque membris, et opimis
cervicibus._ Am. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 153: La laideur et l'étrangeté du visage des Huns,
pourraient donner lieu de croire, comme quelques savants l'ont pensé,
que ce peuple appartenait à la race des Mongols. Effectivement les
descriptions que l'on donne de leur constitution physique, si elles
n'ont pas été outrées, comme il y a lieu de le croire, par la terreur
que les Huns inspiraient, ne pourraient s'appliquer à des Turks ou à
des Finnois. Voici comment Sidonius Apollinaris les dépeint, carm. 2,
v. 245-252.

    Gens animis membrisque minax: ita vultibus ipsis
    Infantum suus horror inest. Consurgit in arctum
    Massa rotunda caput: geminis sub fronte cavernis
    Visus adest oculis absentibus: acta cerebri
    In cameram vix ad refugos lux pervenit orbes,
    Non tamen et clausos. Nam fornice non spatioso,
    Magna vident spatia, et majoris luminis usum
    Perspicua in puteis compensant puncta profundis.

On voit que les anciens et les modernes se sont attachés à rendre leur
portrait le plus hideux possible. Cependant en lisant avec soin ce
que disent les anciens auteurs, on ne trouve aucune raison suffisante
pour faire croire que les Huns puissent être rangés parmi les nations
qui appartiennent à la race calmuke ou mongole. Tout ce qu'on dit de
leur configuration s'explique fort bien par leurs usages, sans qu'il
soit besoin de recourir à des interprétations plus scientifiques. A
l'exception de la difformité de leur visage, qui leur venait plutôt,
comme on le voit, de leurs habitudes que de la nature, les Huns, dit
plus loin Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 258, étaient de beaux
hommes, d'une taille bien prise, et doués d'une vaste poitrine et de
larges épaules.

    Cetera pars est pulchra viris. Stant pectora vasta,
    Insignes humeri, succincta sub ilibus alvus.
    Forma quidem pediti media est, procera sed extat
    Si cernas equites, sic longi sæpe putantur,
    Si sedeant.

--S.-M.]

[Note 154: Cette circonstance est encore empruntée à Sidonius
Apollinaris, carm. 2, v. 253-257.

    Tum ne per malas excrescat fistula duplex,
    Obtundit teneras circumdata fascia nares,
    Ut galeis cedant. Sic propter prælia natos
    Maternus deformat amor, quia tensa genarum
    Non interjecto fit latior area naso.
--S.-M.]

[Note 155: _Ubi quoniam ab ipsis nascendi primitiis infantium ferro
sulcantur altiùs genæ, ut pilorum vigor tempestivus emergens corrugatis
cicatricibus hebetetur, senescunt imberbes absque ulla venustate,
spadonibus similes._ Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 156: _In hominum autem figura licet insuavi ita visi sunt
asperi, ut neque igni, neque saporatis indigeant cibis, sed radicibus
herbarum agrestium et semicruda cujusvis pecoris carne vescantur, quam
inter femora sua et equorum terga subsertam, fotu calefaciunt brevi._
Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 157: _Nemo apud eos arat, nec stivam aliquando contingit._
Amm. Marcel. ibid.--S.-M.]

[Note 158: _Ædificiis nullis unquam tecti; sed hæc velut ab usu
communi discreta sepulcra declinant. Nec enim apud eos vel arundine
fastigatum reperiri tugurium potest._ Amm. Marc. _ibid._--S.-M.]

[Note 159: _Peregrè tecta nisi adigente maxima necessitate non
subeunt: nec enim apud eos securos existimant esse sub tectis._ Amm.
Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 160: _Sed vagi montes peragrantes et silvas, pruinas, famem,
sitimque perferre ab incunabulis assuescunt_. Amm. Marc. _ibid._--S.-M.]

[Note 161: _Omnes enim sine sedibus fixis, absque lare vel lege
aut ritu stabili dispalantur, semper fugientium similes, cum carpentis
in quibus habitant: ubi conjuges tetra illis vestimenta contexunt,
et coeunt cum maritis, et pariunt, et adusque pubertatem nutriunt
pueros._ Am. Marc. _ibid._ Aucun d'eux, ajoute le même historien,
n'aurait pu indiquer le lieu de sa naissance. Conçus dans un endroit,
nés dans un autre, ils étaient élevés bien loin de là. _Nullus apud eos
interrogatus, respondere unde oritur potest, alibi conceptus, natusque
procul, et longius educatus._--S.-M.]

[Note 162: _Indumentis operiuntur linteis, vel ex pellibus
silvestrium murium consarcinatis; nec alia illis domestica vestis est,
alia forensis. Sed semel obsoleti coloris tunica collo inserta non
antè deponitur aut mutatur, quam diuturna carie in pannulos defluxerit
defrustata._ Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 163: _Galeris incurvis capita tegunt; hirsuta crura coriis
munientes hædinis: eorumque calcei formulis nullis aptati, vetant
incedere gressibus liberis. Quâ causâ ad pedestres parum accommodati
sunt pugnas._ Amm. Marc. l. 31, c. 2. C'est pour cette raison que les
Huns étaient souvent appelés par les Grecs ἄποδες, _sans pieds_, ou
ἀκροσφαλεῖς, c'est-à-dire, _chancelants_ dans leur marche.--S.-M.]

[Note 164: Ils semblaient, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2,
cloués sur leurs robustes, mais vilains chevaux, _equis propè affixi
duris quidem, sed deformibus_. Les poètes disent également qu'ils
étaient semblables à des centaures, et qu'il était difficile de séparer
le cheval du cavalier.

    Nec plus nubigenas duplex natura biformes
    Cognatis aptavit equis.

dit Claudien _in Rufin._ l. 1, v. 352. Selon Sidonius Apollinaris,
carm. 2, v. 262, les Huns, encore enfants, étaient placés sur le dos
des coursiers, et dès lors ils n'avaient plus d'autre habitation.

          Vix matre carens ut constitit infans,
    Mox præbet dorsum sonipes: cognata reare
    Membra viris, ita semper equo ceu fixus adhæret
    Rector. Cornipedum tergo gens altera fertur,
    Hæc habitat.

--S.-M.]

[Note 165: _Et muliebriter iisdem nonnumquam insidentes, funguntur
muneribus consuetis._ Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 166: _Ex ipsis quivis in hac natione pernox et perdius emit
et vendit, cibumque sumit et potum, et inclinatus cervici angustæ
jumenti, in altum soporem adusque varietatem effunditur somniorum._
Amm. Marc. _ibid._ Zosime dit également, l. 4, c. 20, que ces hommes ne
savaient point se tenir à pied, et qu'ils passaient les jours et les
nuits sur leurs chevaux, οἱ μήτε εἰς γῆν πῆξαι τοὺς πόδας οἷοί τε ὄντες
ἑδραίως, ἀλλ' ἐπὶ τῶν ἵππων καί διαιτώμενοι καὶ καθεύδοντες.--S.-M.]

[Note 167: _Et deliberatione super rebus proposita seriis, hoc
habitu omnes in commune consultant._ Amm. Marc. l. 31, c. 2. Selon le
même historien, ils n'étaient point soumis à une autorité royale, mais
ils suivaient, dans leurs entreprises, les impulsions de différents
chefs. _Aguntur nulla severitate regali, sed tumultuario optimatum
ductu contenti, perrumpunt quidquid inciderit._ Cette indication
est d'accord avec ce que les historiens rapportent des Huns avant
Attila.--S.-M.]

[Note 168: _Pugnant nonnumquam lacessiti, sed ineuntes prœlia
cuneatim vocibus sonantibus torvum._ Amm. Marc. ibid.--S.-M.]

[Note 169: _Eoque omnium acerrimos facilè dixeris bellatores, quod
procul missilibus telis, acutis ossibus pro spiculorum acumine arte
mira coagmentatis, sed distinctis._ Amm. Marc. _ibid._ Tacite rapporte
(_Germ._ c. 46) que les Finnois armaient leurs flèches de la même
façon. _Sola in sagittis spes_, dit-il, _quasi inopia ferri ossibus
asperant_.--S.-M.]

[Note 170: _Comminus ferro sine sui respectu confligunt, hostesque
dum mucronum noxias observant contortis laciniis illigant ut laqueatis
resistentium membris equitandi vel gravandi adimant facultatem._ Amm.
Marc. l. 31, c. 2. Plusieurs auteurs anciens font mention de cet usage
qu'ils attribuent généralement aux Scythes, aux Sarmates, aux Alains et
aux Parthes. Les poètes persans en parlent souvent aussi en racontant
les exploits des anciens héros de la Perse. Cette manière de combattre
leur était familière. Il en est aussi question dans les Argonautiques
de Valérius Flaccus, l. 6, v. 144, en parlant du peuple scythe qu'il
appelle _Auchates_.

    Doctus et Auchates patulo vaga vincula gyro
    Spargere, et extremas laqueis adducere turmas.

--S.-M.]

[Note 171: Procope cite un exemple de cet usage, _de Bell. Vand_.
l. 1, c. 18. Pendant la guerre des Romains contre les Vandales, sous
le commandement de Bélisaire, un guerrier hun ou massagète usa de ce
privilège.--S.-M.]

[Note 172: Tous ces détails sont tirés des écrivains
chinois.--S.-M.]

[Note 173: Ce sont les Chinois qui parlent de la loyauté des
_Hioung-nou_. Ammien Marcellin ne donne pas une idée aussi avantageuse
des Huns, qu'il taxe au contraire de perfidie et d'inconstance. _Per
inducias_, dit-il, _infidi, inconstantes ad omnem auram incidentis spei
novæ perquam mobiles, totum furori incitatissimo tribuentes_. l. 31, c.
2.--S.-M.]

[Note 174: _Hunnorum gens omni ferocitate atrocior._ Jornand. _de
reb. Get._ l. 24. _Omnem modum feritatis excedit_, dit Amm. Marc. l.
31, c. 2.--S.-M.]

[Note 175: _Auri cupidine immensa flagrantes._ Amm. Marc.
_ibid._--S.-M.]

[Note 176: _Inconsultorum animalium ritu, quid honestum
inhonestumve sit penitus ignorantes._ Amm. Marc. _ibid._ Salvien parle
aussi, _de gubern. Dei_, l. 4, c. 14, de l'impudicité des Huns, qu'il
prétend cependant être moins grande que celle des Romains. _Numquid tam
criminosa est Chunorum impudicitia quam nostra._--S.-M.]

[Note 177: Cet usage existait chez toutes les nations de l'Asie
centrale. On le retrouve chez les Mongols au treizième siècle. Les
veuves d'un prince passaient à son fils et tenaient alors le premier
rang entre ses femmes. On voit même dans l'histoire des Mongols que
ces sortes de femmes jouissaient de beaucoup de considération et d'une
grande influence politique.--S.-M.]

[Note 178: _Nullius religionis vel superstitionis reverentiâ
aliquando districti_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, c'est-à-dire,
que comme tous les autres Barbares nomades de l'Asie intérieure, les
Huns n'avaient ni temples, ni statues ou simulacres révérés, ce qui
n'aurait guère été compatible avec leurs mœurs errantes. Quand les
Turks se répandirent vers l'Occident au onzième siècle, ils étaient
encore dans le même état, n'adorant que le ciel matériel, qu'ils
appelaient _le Dieu bleu, Kouk Tangri_. On voit par le témoignage de
Théophylacte Simocatta, l. 7, c. 8, qu'aux sixième et septième siècles,
les Turks voisins de la Perse vers l'orient n'avaient non plus d'autres
dieux que l'air, le feu, l'eau, le ciel et la terre. Voyez à ce sujet
les _Recherches sur les langues tartares_, de M. Abel-Rémusat, t. 1, p.
297.--S.-M.]

[Note latérale: XLIII.

Idée générale de leur histoire.

Deguignes, l. 1. pass.]

L'ancienneté de cette nation remonte aussi haut que l'empire Chinois.
Elle était connue plus de deux mille ans avant J.-C.[179]. Huit cents
ans après, on la voit gouvernée par des princes, dont la succession
est ignorée jusque vers l'an 210 avant l'ère chrétienne[180]. C'est
à cette époque que l'histoire commence à donner la suite des Tanjou;
ce nom qui, dans la langue des Huns signifiait _fils du ciel_,
était le titre commun de leurs monarques[181]. Les Huns, divisés en
diverses hordes, qui avaient chacune son chef, mais réunis sous les
ordres d'un même souverain, ne cessaient de faire des courses sur
les terres de leurs voisins. La Chine, pays riche et fertile, était
surtout exposée à leurs ravages. Ce fut pour les arrêter, que les
monarques Chinois firent construire cette fameuse muraille, qui couvre
la frontière septentrionale de leurs états dans l'espace de près de
quatre cents lieues. On retrouve dans l'ancienne histoire des Huns
tout ce qui a servi à établir et à étendre les plus puissants empires,
de grandes vertus et de plus grands crimes. Les vertus y sont brutes
et sauvages; les crimes sont plus étudiés et plus réfléchis. Mété,
le second de leurs monarques connus, s'étant rendu redoutable par
des forfaits, porta ses conquêtes depuis la Corée et la mer du Japon
jusqu'à la mer Caspienne. La grande Bukharie[182] et la Tartarie
occidentale obéissaient à ses lois. Il avait assujetti vingt-six
royaumes; il fit plier la fierté Chinoise, et à force d'injustices
et de violences, il réduisit l'empereur de la Chine à lui accorder
la paix, et à faire l'éloge de son humanité et de sa justice. Ses
successeurs régnèrent avec gloire pendant près de trois cents ans. La
gloire de cette nation consistait dans le succès de ses brigandages;
enfin, la discorde s'étant mise entre les Huns, ceux du Midi, étant
soutenus par les Chinois et par les Tartares orientaux, forcèrent
ceux du Nord d'abandonner leurs anciennes demeures. Les vaincus se
retirèrent du côté de l'occident; et vers le commencement du second
siècle de l'ère chrétienne[183], ils vinrent s'établir près des sources
du Jaïk, dans le pays des Baskirs, que plusieurs historiens ont nommé
la Grande-Hongrie, parce qu'ils ont cru que les Huns en étaient
originaires[184]. Là ils se réunirent à d'autres peuplades de leur
nation, que les révolutions précédentes avaient déja portées vers la
Sibérie.

[Note 179: Les Chinois connaissent les Huns depuis une époque
très-reculée, sous les dénominations de _Hiun-yu_, _Hian-yun_, et
_Hioung-nou_. Ce ne sont là que trois transcriptions diverses d'un seul
et même nom, que les Chinois traduisaient par _esclaves méprisables_.
Les Huns étaient déja connus en Chine, par leurs fréquentes invasions
avant la dynastie des _Hia_ qui remonte à l'an 2207 avant J.-C. Ils
ne cessèrent depuis de désoler la Chine par leurs courses jusque vers
le deuxième siècle avant notre ère, époque à laquelle ils prirent un
nouveau degré d'accroissement.--S.-M.]

[Note 180: C'est alors que vivait _Théouman_, le premier des
souverains _Hioung-nou_, connus dans l'histoire chinoise; il était
le successeur d'une longue série de rois qui faisaient remonter leur
origine jusqu'à un prince chinois nommé _Chun-hoai_, issu de la
dynastie impériale des _Hia_, qui s'était retiré dans l'intérieur
de l'Asie, après la chute de cette dynastie en l'an 1122 avant
J.-C.--S.-M.]

[Note 181: Le titre national des souverains _Hioung-nou_ n'était
pas _Tan-jou_, comme le dit Deguignes, mais _Tchhen-yu_; l'historien
des Huns a mal lu les deux caractères chinois qui forment ce nom. Le
nom de _Tchhen-yu_ ne signifiait pas non plus _fils du ciel_, comme
Deguignes l'a cru aussi (l. 1, p. 25), mais on ajoutait ce titre dont
le sens est inconnu, à celui de _Tangri-koutou_ qui voulait dire _fils
du ciel_. Le mot _Tangri_ qui signifie _ciel_, se retrouve dans la
langue turque, dans laquelle il avait autrefois ce sens, tandis qu'à
présent il veut dire _Dieu_. Il est probable qu'originairement il avait
les deux sens. La qualification de _fils du ciel_ que prenaient les
chefs des _Hioung-nou_ était équivalente à celle d'empereur. C'était
une imitation de ce qui se pratiquait à la Chine, dont les souverains
se désignent par l'appellation de _Thian-tseu_, qui a le même
sens.--S.-M.]

[Note 182: Cette expression tout-à-fait impropre, selon moi,
sert à désigner la partie de la Transoxiane où se trouve la ville de
Boukhara. On donne le nom de petite Boukharie à toute la partie de
l'Asie centrale qui s'étend à l'orient de la Transoxiane, entre ce
pays et la Chine. C'est de cette ville, très-voisine de la Perse que
vient cette dénomination qui a reçu fort mal-à-propos une extension si
disproportionnée. Les marchands sortis de Boukhara, et qui parcourent
toutes ces régions, où ils ont répandu l'usage de la langue persane, en
ont été la cause.--S.-M.]

[Note 183: Les historiens chinois placent en l'an 93 de notre ère,
l'époque de la destruction de l'empire des _Hioung-nou_ du nord, qui
était déja affaibli depuis long-temps. On voit bien dans les récits de
ces auteurs, que les restes de cette nation et de la race royale se
retirèrent vers les monts Ourals, mais il n'est pas possible d'établir
positivement leur identité avec les Huns, qui plus tard furent
gouvernés par Attila. Il y a tout lieu de croire que le nom de Huns
étant le même que celui de Finns, ceux-ci habitaient déja les pays où
nous les connaissons actuellement.--S.-M.]

[Note 184: Les Baschkirs dont le nombre est peu considérable
maintenant, sont une des nombreuses tribus d'origine turque, dispersées
dans l'empire de Russie. On les trouve vers les bords du Wolga et dans
les monts Ourals, qui sont à l'orient de ce fleuve. Ils y sont établis
depuis fort long-temps; les récits des voyageurs du treizième siècle
et les témoignages des auteurs arabes et persans en sont la preuve.
Les premiers les appellent _Pascatyr_ et les autres _Baschgard_,
c'est le nom au reste qu'ils se donnent eux-mêmes. Ils furent soumis
au treizième siècle par les princes mongols de la postérité de
Tchinghiz-Khan, et ils firent alors partie du grand empire de Kaptchak.
Les premiers voyageurs du treizième siècle les ont regardés comme les
ancêtres des Hongrois ou Madjars établis en Europe; cependant les
langues parlées par ces deux nations suffisent pour faire voir qu'ils
appartiennent à des races différentes. Ce qui a pu donner naissance à
cette opinion et faire qu'elle soit vraie en un certain sens, c'est que
les Hongrois sont effectivement originaires des régions où se trouvent
les Baschkirs. Thwrocz, qui a compilé au quatorzième siècle, en latin,
les traditions nationales des Hongrois, a bien soin de distinguer les
Madjars des Baschkirs, quoiqu'il en fasse deux divisions de la nation
des Huns, ce qui pourrait être arrivé par suite du mélange intime des
nations finnoises et turques. L'historien hongrois appelle, l. 1, c. 5,
_Bascardia_, le pays des Baschkirs. Il est donc bien possible que des
individus de cette nation soient passés sur les bords du Danube, avec
les Madjars, ce qui pourrait servir à justifier le nom de Turks que les
auteurs grecs du dixième siècle donnent aux Hongrois.--S.-M.]

[Note latérale: XLIV.

Origine des Alains.

Deguignes, l. 4, p. 279, 280 et 281.

Amm. l. 31, c. 2.

Luc. Phars. l. 8 et 10.

Proc. bel. Goth. l. 4, c. 3. et Vand. l. 1, c. 3.]

Ces pays avaient été anciennement occupés par les Alains: et cette
nation qui contribua à la destruction de l'empire Romain, mérite aussi
d'être connue. Les Alains tirent leur nom du mot _alin_, qui en langue
tartare signifie _montagne_[185], parce qu'ils habitaient les montagnes
situées au nord de la Sarmatie asiatique. C'était un peuple nomade,
ainsi que les autres Tartares[186]. Environ quarante ans avant J.-C.,
ils furent obligés de céder les contrées du nord à une colonie de
Huns révoltés, qui s'étaient séparés du corps de la nation, et de se
retirer vers les Palus Méotides[187]. Ils s'étaient depuis long-temps
rendus formidables[188]. Tous les peuples barbares, jusqu'aux sources
du Gange, furent soumis aux Alains, et prirent leur nom. Procope les
appelle une nation gothique[189]; les Chinois les confondent avec les
Huns: en effet, par l'étendue de leurs conquêtes, ils approchaient
fort près des sources de l'Irtisch, et les diverses hordes qui se
détachaient de temps en temps de la nation des Huns, se portant
toujours du côté de l'occident, il devait se former un mélange des
deux peuples[190]; cependant la figure des Alains annonçait une autre
origine. Ils étaient connus des Romains dès le temps de Pompée[191]. On
les vit plusieurs fois sous les premiers empereurs franchir les défilés
du Caucase, et faire des irruptions dans la Médie, dans l'Arménie, dans
la Cappadoce, d'où Arrien les chassa sous le règne d'Hadrien[192].
Du temps de Gordien, ils pénétrèrent jusque dans la Macédoine, et ce
prince éprouva leur valeur dans les campagnes de Philippes[193].

[Note 185: Il est vrai que le mot _Alin_ signifie _montagne_
dans la langue des Mandchous; mais comment supposer que ce soit là
l'origine du nom d'une nation séparée des Mandchous, par toute la
largeur de l'Asie, et avec laquelle elle ne paraît jamais avoir eu
de rapport. S'il en était réellement ainsi, ce serait sans doute une
coïncidence fortuite qu'il faudrait rapporter au hasard seul, car on
doit expliquer d'une toute autre façon l'origine du nom des Alains.
On s'est trompé en interprétant le passage d'Ammien Marcellin, où
il est question de cette origine, il doit se traduire d'une manière
différente. Cet historien s'exprime ainsi, l. 31, c. 2, _Alani, ex
montium appellatione cognominati_. Ce passage dit qu'ils tiraient
leur nom _des montagnes qu'ils habitaient_, mais non pas d'un mot qui
signifie _montagne_. Eustathe dit effectivement, dans son commentaire
sur Denys le Periégète, que ce nom venait d'une montagne de Sarmatie
appelée _Alanus_. Ὀτι Ἀλανὸς ὄρος Σαρματίας ἀφ' οὖ τὸ ἔθνος οἱ Ἀλανοὶ
ἔοικεν ὀνομάζεται. Ce texte fait bien voir qu'on a mal compris Ammien
Marcellin.--S.-M.]

[Note 186: L'expression de Tartare quoique assez vague de sa nature
est fort bonne pour désigner la totalité des nations nomades, qui
depuis plusieurs siècles parcourent les régions de l'Asie centrale.
Elle appartient originairement à l'une des grandes divisions de la
nation mongole, et c'est par les conquêtes de Tchinghiz-khan et des
princes de sa race, qu'elle se répandit dans toute l'Asie et même
jusque dans l'Europe. On conçoit qu'une telle expression doit par cette
raison être tout-à-fait impropre pour désigner les tribus nomades
qui, neuf siècles avant, se jetèrent sur l'empire romain; c'est une
de ces expressions abusives que Lebeau a eu le tort d'emprunter à
Deguignes. Le nom de Scythe aussi vague que celui de Tartare, convenait
mieux.--S.-M.]

[Note 187: Il est fort probable que les contrées voisines de
l'_Altaï_ ou des montagnes appelées _Alanniques_ par Ptolémée, l. 6, c.
14, furent les premières que les Alains abandonnèrent aux Huns.--S.-M.]

[Note 188: Ammien Marcellin, cet historien si exact et si bien
instruit de tout ce qui concerne les Barbares qui renversèrent l'empire
romain, nous apprend qu'à l'époque où les Alains furent attaqués pour
la première fois par les Huns, la puissance de ces peuples s'étendait
sur tous les pays compris entre le Pont Euxin et la mer Caspienne,
se prolongeant à une grande distance vers le nord et vers l'est, de
manière à parvenir jusqu'à l'Indus et même, dit-il, jusqu'au Gange.
_In immensum extentas Scythiæ solitudines Alani inhabitant_, dit-il,
l. 31, c. 2, et plus loin, _prope Amazonum sedes Alani sunt orienti
adclines, diffusi per populosas gentes et amplas, Asiaticos vergentes
in tractus, quas dilatari adusque Gangem accepi fluvium, intersecantem
terras Indorum, mareque inundantem australe_. On doit bien penser
que tous les individus répandus sur un espace aussi considérable
n'étaient pas réellement des Alains, mais comme Ammien Marcellin
le remarque avec raison, les victoires et la célébrité des Alains,
avaient communiqué leur nom aux nations qu'ils avaient soumises, ce
qui était aussi arrivé aux Perses. _Paulatimque nationes conterminas
crebritate victoriarum attritas ad gentilitatem sui vocabuli traxerunt
ut Persæ._ Les Alains répandus parmi des nations grandes et populeuses,
_diffusi per populosas gentes et amplas_, au milieu desquelles ils
occupaient de vastes cantons où ils vivaient en nomades, _dirempti
spatiis longis, per pagos, ut nomades, vagantur immensos_, avaient
fini par se confondre avec elles, et elles avaient toutes été réunies
sous la dénomination du peuple dominateur. C'est encore une remarque
d'Ammien Marcellin: _ævi tamen progressu_, dit-il, _ad unum concessere
vocabulum, et summatim omnes Alani cognominantur_. Il existe d'autres
autorités qui font voir que cette extension extraordinaire donnée au
nom et à la puissance des Alains n'a rien d'imaginaire, et que ce
fut bien là leur état pendant les quatre premiers siècles de notre
ère. Du temps de Ptolémée (Geogr., l. 6, c. 14), il se trouvait des
Alains dans la partie nord-est de l'Asie, et ils donnaient le nom
d'_Alanniques_ aux montagnes qui se prolongeaient fort loin dans
l'intérieur de l'Asie, dans une direction qui semblerait faire croire
qu'elles répondent à la chaîne des monts _Altaï_. Les Chinois font
voir que le nom des Alains leur était bien connu. Les _A-lan-na_ sont,
selon eux, des peuples remarquables par leur chevelure blonde, leurs
yeux bleus, leur haute taille, et tout-à-fait semblables aux Alains
décrits par Ammien Marcellin. _Proceri autem Alani pæne sunt omnes et
pulchri, crinibus mediocriter flavis._ Les Chinois les mettent au nord
et à l'orient de la mer Caspienne, vivant à la façon des nomades et
étendant plus ou moins leur puissance, selon les chances de la fortune
et de la guerre. Les mêmes auteurs, dont l'autorité est d'ailleurs
confirmée par les écrivains arabes du 10e siècle, nous apprennent que
des branches de la nation Alane portèrent leur nom dans l'Inde jusque
vers les bouches de l'Indus et qu'ils s'y perpétuèrent jusque vers le
quatorzième siècle. A cette époque les géographes arabes donnaient à la
mer qui sépare l'Arabie de la presqu'île de Guzarate, le nom de _mer
des Alains_. Du côté de l'occident, il semble que le cours du Tanaïs
marque au 4e siècle le terme de la domination des Alains, ce fleuve les
séparait des Ostrogoths ou Gruthonges. Cependant le nom des Rhoxolans,
qui dès le temps de Mithridate-le-Grand, c'est-à-dire un siècle avant
notre ère, étaient répandus dans toutes les régions comprises entre le
Tanaïs et le Borysthène, semble être un indice que les Alains s'étaient
déja avancés vers l'occident au-delà du Tanaïs. Les auteurs grecs,
latins et arméniens, s'accordent à nous apprendre que durant les quatre
premiers siècles de notre ère, les Alains furent le peuple dominateur,
dans les vastes plaines qui s'étendent au nord du Caucase, entre la
mer Noire et la mer Caspienne, et qu'ils portaient leurs pillages dans
toutes les directions, vers les Palus Méotides, le Bosphore Cimmérien,
passant même le Caucase, pour aller ravager la Médie et l'Arménie.
_Latrocinando et venando adusque Mæotica stagna et Cimmerium Bosporon,
itidemque Armenios discurrentes et Mediam_, Am. Marc., l. 31, c. 2.
L'histoire romaine et celle des Arméniens font également connaître
leurs invasions fréquentes au midi du mont Caucase. J'ai déja eu
occasion d'en parler, tom. 3, p. 277, not. 4, liv. XVII, § 5. Après que
les Huns eurent détruit le vaste empire des Alains, une grande partie
de la nation s'enfuit au-delà du Tanaïs, tandis que l'autre devenait
l'auxiliaire forcée des Huns dans leur marche vers l'occident. Beaucoup
se réfugièrent dans les gorges et sur les hauts sommets du Caucase,
où ils trouvèrent un asile contre leurs ennemis. Ce nouveau séjour
était vers le grand défilé caucasien, lieu de leur passage ordinaire,
quand ils voulaient descendre en Asie. Il avait reçu d'eux le nom de
_porte des Alains_, qu'il conserva jusqu'à une époque très-moderne.
Cette portion de la nation, toujours connue des Arméniens, des
Géorgiens, des Grecs et des Arabes, sous le nom des Alains, s'est
perpétuée jusqu'à nos jours. Elle a conservé au milieu des peuples
caucasiens une langue dont presque tous les mots se retrouvent avec
peu de changement dans les dialectes persans et allemands, ce qui
est la preuve incontestable de leur origine. Ces descendants des
anciens Alains, compris au milieu des possessions russes, sont connus
actuellement sous le nom d'_Ossi_, ou d'Ossètes qu'ils se donnent
eux-mêmes. On le retrouve dans les écrivains orientaux sous la forme
_As_. Cette indication fait voir que les Ases si célèbres dans les
auteurs du Nord, les _Asi_ et les Asianiens que Ptolémée et Strabon
placent dans les régions situées à l'orient de la mer Caspienne, que
les _A-si_ et les _Ou-sioun_ des Chinois sont un seul et même peuple
avec les _A-lan-na_, dont le nom fut diversement prononcé à des époques
diverses, et dans différents dialectes. Il est bon de remarquer que
les Chinois placent ces dernières nations dans les lieux habités par
les Alains, et qu'ils ont soin de remarquer que ces dénominations
variées s'appliquent à un même peuple. Ces indications, en confirmant
ce que j'ai déja dit de la grande extension de la puissance des Alains,
contribuent à les mieux faire connaître pour les époques anciennes, et
elles font voir que dès le premier siècle avant notre ère ils étaient
maîtres de toutes les régions qui s'étendent fort loin au nord et
à l'orient de la mer Caspienne, comme nous avons vu qu'ils étaient
vers la même époque au nord du Caucase et sur les bords de la mer
Noire. Il serait possible de pousser plus loin les conséquences de ces
rapprochements et de retrouver le nom des Ases ou des Alains, sous des
formes peu différentes et à des époques bien plus anciennes; mais il
faudrait entrer dans des détails d'une nature toute particulière et
très-étrangers à l'histoire du Bas-empire. Je dois me borner à faire
bien connaître les Barbares qui furent en contact avec les Romains à
l'époque de la chute de l'empire. Je me contenterai donc d'une dernière
observation qui, en faisant remonter de cinq siècles l'histoire des
Alains, contribuera à les mieux faire connaître en les rattachant à
d'autres nations célèbres dans l'antiquité. Je ne m'y arrête que parce
que c'est le judicieux Ammien Marcellin, qui fournit ce renseignement.
Cet auteur rapporte en deux endroits de son ouvrage, que les Alains
sont les mêmes que les anciens Massagètes, _Massagetas, quos Alanos
nunc appellamus_, dit-il, l. 23, c. 5, et _adusque Alanos pervenit
veteres Massagetas_, l. 31, c. 2. On sait qu'au temps d'Hérodote les
Massagètes habitaient de toute antiquité les contrées limitrophes de
la Perse à l'orient de la mer Caspienne. On peut entrevoir toutes
les conséquences de ce rapprochement, qui est de la plus grande
importance, pour retrouver ou pour poursuivre dans la haute antiquité
l'origine première des peuples qui renversèrent l'empire romain. Tout
ce qu'Ammien Marcellin raconte des mœurs des Alains est conforme à ce
qu'on sait des usages des Massagètes. On aura bientôt encore occasion
d'en faire la remarque.--S.-M.]

[Note 189: C'est ce que dit Procope, _de bell. Vand._, l. 1, c. 3,
Ἀλανοὺς γοτθικὸν ἔθνος. La langue des Ossètes, descendants bien connus
des Alains, montre la justesse de l'observation faite par Procope.
Elle est aussi une preuve de l'identité des Alains avec les anciens
Massagètes, attestée par Ammien Marcellin.--S.-M.]

[Note 190: Les Alains comme le dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2,
ayant communiqué leur nom à tous les peuples qu'ils avaient soumis,
ou au milieu desquels ils vivaient, il n'est pas étonnant qu'on ait
pu les assimiler quelquefois avec les Huns, quoiqu'ils eussent une
origine bien différente. Il est certain, qu'il y avait parmi eux des
tribus finnoises, qui durent partager leur nom, pendant le temps de
leur domination; c'en est assez pour justifier tout ce qu'on a dit de
leur affinité; c'est même une remarque qu'il ne faut pas perdre de
vue, car on trouve souvent l'occasion d'en faire de semblables, quand
on s'occupe de l'histoire et de la migration des peuples. C'est par
suite de la confusion si naturelle des Alains avec les Huns que ceux-ci
à leur tour ont été confondus par Procope avec les Massagètes; voyez
ci-devant, § 43, p. 72, note 3.--S.-M.]

[Note 191: Ils devaient l'être bien avant cette époque si, comme
tout porte à le croire, ils étaient les mêmes que les Rhoxolans ou
Rhoxalans. Il en est question dans la Pharsale de Lucain, VIII, 223 et
X, 454.--S.-M.]

[Note 192: Le célèbre historien de Nicomédie avait écrit des
Alaniques, qui renfermaient le récit de cette invasion, et des
opérations militaires exécutées sous ses ordres, pour expulser ces
Barbares des terres de l'empire et de l'Arménie qu'ils ravageaient
continuellement. Cet ouvrage, qui paraît avoir été considérable,
contenait en outre des détails sur l'histoire des Alains. Il nous en
reste un fragment intéressant, où se trouve un ordre de bataille,
dressé par Arrien, pour une des affaires qui eurent lieu dans cette
campagne.--S.-M.]

[Note 193: Spartien l'indique en termes assez confus dans sa vie de
Gordien. Voyez Till. Gord., art. 4.--S.-M.]

[Note latérale: XLV.

Mœurs des Alains.]

Les Alains étaient de haute stature et d'une belle physionomie. Ils
avaient les cheveux blonds, le regard plus fier que farouche[194].
Quoique légèrement armés et fort agiles, ils étaient toujours à
cheval, et tenaient à déshonneur de marcher à pied[195]. Leur
façon de vivre tenait beaucoup de celle des Huns; mais ils étaient
moins sauvages[196]. Errants par troupes dans les déserts de la
Tartarie[197], ils ne connaissaient d'autre habitation que leurs
chariots couverts d'écorces d'arbres[198]. Ils s'arrêtaient dans les
lieux où ils trouvaient des pâturages pour leurs troupeaux: rangeant
leurs chariots en cercle, ils formaient une vaste enceinte; c'était
là leur ville; ils la transportaient ailleurs quand les pâturages
étaient consumés[199]. Toujours les armes à la main, ils faisaient
leur occupation de la chasse, et leur divertissement de la guerre:
ils y apportaient plus d'intelligence et de discipline que les autres
Barbares[200]. Mourir dans une bataille, c'était le sort le plus digne
d'envie: on méprisait comme des lâches, et on chargeait d'opprobres
ceux qui mouraient de vieillesse ou de maladie[201]. L'action la plus
glorieuse était de tuer un ennemi; ils lui enlevaient la peau avec la
tête, et en faisaient une housse pour leurs chevaux[202]. Ils adoraient
le dieu Mars, qu'ils représentaient par une épée plantée en terre[203].
Ils prétendaient connaître l'avenir par le moyen de certaines baguettes
enchantées[204]. Tous étaient nobles; ils n'avaient aucune idée de
l'esclavage[205]. Leurs chefs portaient le nom de juges: on déférait
cet honneur aux guerriers les plus expérimentés[206].

[Note 194: _Proceri autem Alani pæne sunt omnes et pulchri,
crinibus mediocriter flavis, oculorum temperata torvitate terribiles._
Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 195: _Juventus verò equitandi usu a prima pueritia
coalescens, incedere pedibus existimat vile._ Amm. Marc. ibid.--S.-M.]

[Note 196: _Hunnis per omnia suppares, verùm victu mitiores et
cultu._ Amm. Marc. _ibid._ _Alanos quoque pugna sibi pares, sed
humanitatis victu, formaque dissimiles... subjugavere._ Jorn. c.
24.--S.-M.]

[Note 197: Voyez ci-devant, § 44, p. 77, not. 2.--S.-M.]

[Note 198: _Plaustris supersidentes, quæ operimentis curvatis
corticum per solitudines conferunt._ Amm. Marc. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 199: _Cum ad graminea venerint, in orbiculatam figuram
locatis sarracis ferino ritu vescuntur: absumptisque pabulis, velut
carpentis civitates impositas vehunt._ Amm. Marc. _ibid._ C'est sur
ces chariots qu'ils naissent et qu'ils sont élevés; c'est leur demeure
perpétuelle, et leur patrie est partout où ils arrivent; _maresque
supra cum fœminis coeunt, et nascuntur in his et educantur infantes; et
habitacula sunt hæc illis perpetua; et quocumque ierint, illic genuinum
existimant larem_.--S.-M.]

[Note 200: _Multiplici disciplina prudentes sunt bellatores._ Amm.
Marcel. l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 201: _Utque hominibus quietis et placidis otium est
voluptabile; ita illos pericula juvant et bella. Judicatur ibi beatus,
qui in prælio profuderit animam: senescentes enim et fortuitis
mortibus mundo digressos, ut degeneres et ignavos convicis atrociibus
insectantur._ Amm. Marc. l. 31, c. 2. Strabon en dit autant des mœurs
des Massagètes. Il est facile de reconnaître dans ces détails, les
habitudes guerrières des Scandinaves, et leur farouche mépris de la
mort.--S.-M.]

[Note 202: _Necquidquam est quod elatiùs jactent, quam homine
quolibet occiso; proque exuviis gloriosis, interfectorum avulsis
capitibus detractas pelles pro phaleris jumentis accommodant
bellatoriis._ Amm. l. 31, c. 2. Hérodote décrit avec détail, IV, 64,
les mœurs des Scythes, et il en rapporte des traits d'une atrocité non
moins révoltante.--S.-M.]

[Note 203: _Nec templum apud eos visitur, aut delubrum, ne tugurium
quidem culmo tectum cerni usquam potest: sed gladius barbarico ritu
humi figitur nudus, eumque ut Martem, regionum quas circumcircant
præsulem verecundius colunt._ Amm. Marc. _ibid._ Les mentions du culte
que les Scythes rendaient à une épée sont trop fréquentes dans les
auteurs de la haute, moyenne et basse antiquité, et ils sont trop
connus, pour qu'il soit nécessaire d'en alléguer ici aucun.--S.-M.]

[Note 204: _Futura miro præsagiunt modo: nam rectiores virgas
vimineas colligentes, easque cum incantamentis quibusdam secretis
præstituto tempore discernentes, apertè quid portendatur norunt._ Amm.
l. 31, c. 2.--S.-M.]

[Note 205: _Servitus quid sit ignorabant, omnes generoso semine
procreati._ Amm. Marc. _ibid._ Il en était des Alains, comme de toutes
les nations nomades: il n'y avait parmi eux d'autres esclaves, que
les hommes pris à la guerre ou leurs descendants. C'est de là que
vient l'usage si commun chez les nations barbares de cette époque,
de se désigner par des noms, qui signifient tous _nobles_, _libres_,
_braves_, _héros_, etc.--S.-M.]

[Note 206: _Judices etiam nunc eligunt, diuturno bellandi usu
spectatos._ Amm. Marc. _ibid._ Il paraît que la plupart de ces barbares
n'avaient pas d'autres chefs que des juges; on l'a déja vu pour les
Goths, t. 3, p. 332, not. 3, liv. XVII, § 32.--S.-M.]

[Note latérale: XLVI.

Les Huns passent en Europe.

Deguignes, l. 4, p. 289, et 290.

Amm. l. 31, c. 3.

Zos. l. 4, c. 20.

Agath. l. 5, p. 152 et 153.

Soz. l. 6, c. 37.

Jornand. de reb. Get. c. 24.]

Les Huns établis dans le pays des Baskirs, pressés eux-mêmes par de
nouvelles peuplades qui venaient inonder la Tartarie occidentale,
descendirent vers le midi, traversèrent le Volga, et vinrent attaquer
les Alains[207]. Après plusieurs sanglantes batailles, ceux-ci furent
forcés d'abandonner le pays. Les uns s'enfoncèrent dans les montagnes
de la Circassie, où leur postérité subsiste encore aujourd'hui[208]:
une partie passa le Tanaïs; et quelques-uns s'arrêtèrent sur le bord
occidental de ce fleuve; d'autres, après avoir erré quelque temps,
se fixèrent aux environs du Danube. Les Huns couvrirent de leurs
tentes les vastes plaines entre le Volga et le Tanaïs; et si l'on s'en
rapporte à Jornandès, bornés par les Palus Méotides, ils ignoraient
même qu'il y eût au-delà aucune terre. Quelques-uns de leurs chasseurs
poursuivant une biche, traversèrent après elle les Palus, et furent
étonnés de trouver un gué qui les conduisit à l'autre bord. La vue d'un
beau pays qu'ils découvrirent au-delà, les surprit encore davantage;
et le rapport qu'ils en firent à la nation, lui fit prendre la même
route. Selon d'autres auteurs, ce fut un bœuf piqué par un taon, qui
leur servit de guide. Zosime dit que le limon charrié par le Tanaïs,
avait formé un banc au travers du Bosphore Cimmérien, mais l'auteur
de l'histoire des Huns rejette avec raison ces traditions fabuleuses.
Les Huns ne furent guidés que par la passion des conquêtes qui leur
était naturelle: ils passèrent le Tanaïs[209], comme ils avaient passé
le Volga, selon l'usage des peuples Tartares, qui traversent les plus
grands fleuves à la nage, en tenant la queue de leurs chevaux, ou sur
des ballons qu'ils forment avec leur bagage.

[Note 207: Les Alains, que les Huns attaquèrent, étaient, comme le
rapporte Ammien Marcellin, l. 31, c. 3, ceux qu'on appelait Tanaïtes
et qui étaient voisins des Gruthunges ou Ostrogoths. Après les avoir
vaincus et dépouillés, les Huns firent alliance avec ceux qui étaient
échappés. _Igitur Hunni pervasis Alanorum regionibus, quos Greuthungis
confines Tanaitas consuetudo nominavit, interfectisque multis et
spoliatis, reliquos sibi concordandi fide pacta junxerunt._ Ces Alains,
devenus alliés des Huns, les suivirent dans toutes leurs expéditions en
Europe. Il y en avait beaucoup avec Attila.--S.-M.]

[Note 208: Il s'agit ici des Ossètes, dont j'ai parlé ci-dessus, §
44, p. 78, not. 2.--S.-M.]

[Note 209: Les premières tribus des Huns, qui passèrent le Tanaïs,
sont nommées par Jornandès, Alipzures, Alcidzures, Ithamares, Tuncasses
et Boïsces. _Mox_, dit-il, c. 24, _ingentem illam paludem transiere,
illico Alipzuros, Alcidzuros, Itamaros, Tuncassos et Boiscos, qui ripæ
istius Scythiæ insidebant_.--S.-M.]

[Note latérale: XLVII.

Ils chassent les Ostrogoths.]

Les Alains et les autres Barbares voisins du Tanaïs furent les premiers
qui éprouvèrent la fureur des Huns. Ceux qui échappèrent au massacre,
se joignirent au vainqueur; et cette innombrable cavalerie vint, sous
les ordres d'un chef nommé Balamir, fondre sur les Ostrogoths[210].
Hermanaric, de la race des Amales[211], régnait alors avec gloire[212].
Les Goths le comparaient au grand Alexandre; il avait étendu ses
conquêtes du Pont-Euxin à la mer Baltique; et une grande partie de la
Scythie et de la Germanie était soumise à sa domination[213]. Agé de
cent dix ans, il ne manquait encore ni de force, ni de courage. Mais
il n'eut pas l'honneur de mourir en défendant sa couronne. Un seigneur
du pays des Rhoxolans, nation sujette à Hermanaric[214], s'étant joint
aux Huns, le prince, outré de colère, fit attacher la femme[215] de
ce déserteur à la queue d'un cheval indompté qui la mit en pièces. Un
frère[216] de cette femme la vengea, en perçant Hermanaric d'un coup
d'épée. Sa blessure le mettant hors d'état de combattre les Barbares,
il se tua de désespoir[217]. Vithimir, son successeur, résista quelque
temps[218]; enfin il fut défait et tué dans une bataille. Il laissait
un fils encore enfant, nommé Vidéric, sous la tutelle d'Alathée et de
Saphrax, guerriers intrépides et expérimentés[219]. Cependant pressés
par les vainqueurs, ils prirent le parti de passer le Borysthène, et
de se retirer au-delà du Dniester[220]. Les Huns firent un horrible
carnage; ils n'épargnèrent ni les femmes ni les enfants; et tout ce qui
n'avait pu se dérober à leur fureur par une fuite précipitée, périt
sous le tranchant de leurs cimeterres[221].

[Note 210: Jornandès est le seul auteur qui ait jamais parlé de ce
chef des Huns.--S.-M.]

[Note 211: _Post temporis aliquod, Ermanaricus nobilissimus
Amalorum in regno successit,....... Quem meritò nonnulli Alexandro
magno comparavere majores._ Jorn. c. 23. Il est nommé un peu plus loin,
c. 24, le triomphateur d'une multitude de nations, _Ermanaricus rex
Gothorum, multarum gentium triumphator_. On peut, au sujet de la race
des Amales, voir ce que j'ai dit, t. 3, p. 332, not. 1, liv. XVII, §
32.--S.-M.]

[Note 212: _Multas et bellicosissimas arctoas gentes perdomuit,
suisque parere legibus fecit._ Jornand. c. 23. Le même auteur donne
en ces termes la liste des nations qui avaient été subjuguées par
Hermanaric. _Habebat siquidem quos domuerat, Gothos, Scythas, Thuidos
in Aunxis, Vasinabroncas, Merens, Mordensimnis, Caris, Rocas, Tadzans,
Athual, Navego, Bubegentas, Coldas._ Il est impossible d'indiquer avec
exactitude les pays qui furent occupés par toutes ces nations. Il en
est plusieurs, dont les noms, sans doute fort altérés, ne se retrouvent
nulle part ailleurs. On voit seulement que la domination d'Hermanaric
dut s'étendre sur presque toute la Russie méridionale, la Lithuanie,
la Courlande, et tous les pays compris entre le Pont-Euxin et la mer
Baltique, depuis l'embouchure du Borysthène jusqu'au golfe de Finlande.
Il paraît que toutes ces provinces, qui formèrent depuis le royaume de
Pologne, et même une partie de l'Allemagne, furent aussi soumises à son
empire. Il vainquit aussi la nation des Hérules, commandée alors par
un prince, nommé Alaric, et la plus guerrière de toutes ces tribus.
Il attaqua ensuite, selon Jornandès, c. 23, les Vénètes (c'est-à-dire
les Vendes) peu habiles aux armes, mais très-nombreux: ils opposèrent
d'abord de la résistance, mais leur nombre causa leur perte, et ils
furent obligés de se soumettre au vainqueur de tant de nations. _Post
Hærulorum cædem, idem Ermanaricus in Venetos arma commovit; qui
quamvis armis disperiti, sed numerositate pollentes, primo resistere
conabantur; sed nihil valet multitudo in bello, præsertim ubi et
multitudo armata advenerit._ Hermanaric subjugua ensuite les Esthiens,
qui paraissent avoir occupé les côtes orientales de la mer Baltique,
_qui longissima ripa Oceani germanici insident_. Ainsi, dit Jornandès,
c. 23, Hermanaric ne dut qu'à ses seuls exploits son empire sur les
nations de la Scythie et de la Germanie, _omnibusque Scythiæ, et
Germaniæ nationibus ac si propriis laboribus imperavit_.--S.-M.]

[Note 213: Ammien Marcellin ne parle pas avec moins d'éloges
d'Hermanaric, qu'il appelle _Ermeneric_. Il dit, l. 31, c. 3, que
c'était un prince très-belliqueux et redouté de toutes les nations
voisines, pour ses grandes et belles actions, _bellicosissimus
rex, et per multa variaque fortiter facta vicinis nationibus
formidatus_.--S.-M.]

[Note 214: _Roxolanorum gens infida, quæ tunc inter alias illi
famulatum exhibebat._ Jornand. c. 24.--S.-M.]

[Note 215: Jornandès donne, c. 24, à cette femme le nom de
_Sanielh_.--S.-M.]

[Note 216: Jornandès rapporte que ce furent les deux frères de
cette femme, qui blessèrent Hermanaric. Ils se nommaient Sarus et
Ammius. _Fratres ejus_, dit-il, cap. 24, _Sarus, et Ammius germanæ
obitum vindicantes, Ermanarici latus ferro petierunt_.--S.-M.]

[Note 217: _Inter hæc Ermanaricus tam vulneris dolorem, quam
etiam incursiones Hunnorum non ferens, grandævus et plenus dierum,
centesimo decimo anno vitæ suæ defunctus est._ Jornand. c. 24. Ammien
Marcellin fait aussi mention, l. 31, c. 3, de la mort volontaire
d'Hermanaric, qui, s'exagérant les forces des Huns, après avoir tenté
de leur résister, se porta à cet acte de désespoir. _Qui vi subitæ
procellæ perculsus, quamvis manere fundatus et stabilis diu conatus
est, impendentium tamen diritatem augente vulgatius fama, magnorum
discriminum metum voluntaria morte sedavit._--S.-M.]

[Note 218: Ce Vithimir, que les Ostrogoths avaient créé roi, après
la mort d'Hermanaric, avait pris à sa solde les Alains et quelques
tribus de Huns; mais, malgré ce secours, il avait été défait dans un
grand nombre de rencontres, et il avait perdu la vie dans un dernier
combat. _Cujus (Ermenrichi) post obitum rex Vithimiris creatus restitit
aliquantisper, Alanis, Hunnis aliis fretus, quos mercede sociaverat
partibus suis. Verum post multas quas pertulit clades, animam effudit
in prælio, vi superatus armorum._ Amm. l. 31, c. 3.--S.-M.]

[Note 219: _Cujus parvi filii Viderichi nomine curam susceptam
Alatheus tuebatur et Saphrax, duces exerciti et firmitate pectorum
noti._ Am. Marc. l. 31, c. 3.--S.-M.]

[Note 220: _Qui cum tempore arto præventi abjecissent fiduciam
repugnandi, cautius discedentes ad amnem Danastum pervenerunt, inter
Istrum et Borysthenem per camporum ampla spatia diffluentem._ Amm.
Marc. l. 31, c. 3. Je crois qu'il faut lire _Danastrum_, dans le texte
d'Ammien Marcellin. L'antique nom de ce fleuve s'est perpétué jusqu'à
nous, car il est le même que le Dniester, appelé _Danastrus_ dans
Jornandès, c. 5, et Δάναστριι, dans Constantin Porphyrogénète; _de adm.
Imp._ c. 8. C'est le _Tyras_ des anciens Grecs.--S.-M.]

[Note 221: Après la mort d'Hermanaric, tous ceux des Ostrogoths,
qui n'avaient pas succombé dans la lutte contre les Huns, ou qui
n'avaient pas traversé le Borysthène avec leurs princes, se soumirent
aux vainqueurs et restèrent dans leur pays, comme le rapporte
Jornandès, c. 48. _Ostrogothæ Ermanarici regis sui decessione a
Vesegothis divisi, Hunnorum subditi ditioni, in eadem patria remorati
sunt._ Un nommé Winithar, de la race des Amales, fut leur chef,
_Winithario tamen Amalo principatus sui insignia retinente_. Ce prince
releva les forces de sa nation, s'étendit aux dépens de plusieurs
peuples voisins, et tenta de s'affranchir de la domination des Huns.
Balamber, qu'on croit être le même que Balamir, voulut mettre un terme
aux entreprises de Winithar; soutenu par un grand nombre de Goths, il
lui fit la guerre. Ses alliés furent défaits en deux batailles; mais,
dans le troisième combat, livré sur le bord du fleuve _Erac_, dont on
ignore la position, Winithar fut tué d'un coup de flèche par Balamber.
Les Ostrogoths furent obligés de se soumettre, mais ils conservèrent un
chef de leur nation; _ita tamen, ut genti Gothorum semper unus proprius
regulus, quamvis Hunnorum consilio, imperaret_. Jornand. _de reb.
Get._, c. 48. Balamber épousa Waladamarca, nièce de Winithar, et donna
la royauté des Ostrogoths à son allié Hunimund, fils d'Hermanaric, qui
la transmit à ses descendants.--S.-M.]

[Note latérale: XLVIII.

Défaite des Visigoths.]

Athanaric, prince des Visigoths, était trop brave pour prendre
l'épouvante[222]. Il résolut de les attendre de pied ferme; et s'étant
retranché avantageusement sur le bord du Niester[223], il envoya
Munderic[224] avec plusieurs autres capitaines, jusqu'à vingt milles
de son camp[225], pour observer les mouvements des ennemis, et lui en
apporter des nouvelles. Pendant ce temps-là il fit les dispositions
de la bataille. Ses précautions furent inutiles. Les Huns, ayant
aperçu les cavaliers, jugèrent qu'il y avait plus loin un corps plus
considérable: ils attendirent la nuit; et laissant à côté Munderic, qui
se reposait avec sa troupe, comme si l'ennemi eût été fort éloigné,
ils gagnèrent le fleuve à la faveur de la lune, le passèrent à gué, et
tombèrent brusquement sur Athanaric, avant le retour de ses coureurs.
Le prince surpris de cette attaque imprévue, n'eut que le temps de se
sauver sur des montagnes de difficile accès, et laissa sur la place une
partie de ses soldats. Instruit par cette épreuve de ce qu'il avait à
craindre d'un ennemi si impétueux, il se cantonna entre le Danube et
le Hiérassus, nommé aujourd'hui le Pruth[226], et il s'enferma d'une
muraille, qui traversait d'un fleuve à l'autre[227]. Les Huns, dont
la marche était ralentie par le butin dont ils s'étaient chargés, lui
laissèrent le temps d'achever cet ouvrage.

[Note 222: Ammien Marcellin l'appelle juge des Thervinges. _Hoc
ita præter spem_, dit-il, l. 31, c. 3, _accidisse doctus Athanaricus,
Thervingorum judex, stare gradu fixo tentabat, surrecturus in vires, si
ipse quoque lacesseretur ut cæteri_.--S.-M.]

[Note 223: Ammien Marcellin désigne le lieu où Athanaric attendit
les Huns, mais il est impossible d'en indiquer la position. _Castris
prope Danasti margines ac Greuthungorum vallem longiùs opportunè
metatis._--S.-M.]

[Note 224: Ce Munderic passa dans la suite au service des Romains,
et devint duc de la frontière d'Arabie, comme le dit Ammien Marcellin,
l. 31, c. 3. _Munderichum ducem postea limitis per Arabiam._--S.-M.]

[Note 225: _Cum Lagarimano et optimatibus aliis adusque vicesimum
lapidem misit._ Amm. Marc. _ibid._--S.-M.]

[Note 226: Ce fleuve est appelé _Gerasus_ par Ammien Marcellin,
l. 31, c. 3. C'est dans Ptolémée, liv. 3, c. 8, qu'on trouve le nom
d'_Hiérasus_. Les Grecs, selon Hérodote, l. IV, c. 8, l'appelaient
_Pyretus_, et les Scythes _Porata_, et c'est le nom qui, sans beaucoup
de changements, s'est perpétué jusqu'à nous.--S.-M.]

[Note 227: Ammien Marcellin indique, l. 31, c. 3, d'une manière
précise, le lieu de la retraite d'Athanaric; _A superciliis_, dit-il,
_Gerasi fluminis adusque Danubium Taifalorum terras præstringens, muros
altius erigebat_. On sait par Eutrope, l. 7, que ces Taïfales, que je
regarde comme le reste des anciens Daces, occupaient alors avec les
Victophales et les Thervinges, c'est-à-dire les Visigoths, la plus
grande partie du pays situé au nord du Danube, qui forme actuellement
les deux principautés de Moldavie et de Valachie, avec la Transylvanie.
_Provincia trans Danubium facta_, dit Eutrope, en parlant des conquêtes
de Trajan, _in his agris, quos nunc Thaïphali tenent, et Victophali
et Thervingi habent_. Malgré ces renseignements, ce n'en est pas
assez pour pouvoir fixer, avec quelque précision, la position du lieu
où Athanaric et les siens se retirèrent pour se défendre contre les
Huns.--S.-M.]

[Note latérale: XLIX.

Les Goths s'assemblent sur les bords du Danube.

Amm. l. 31, c. 3.

Isidor. chron. Goth.

Theoph. p. 55.

Socr. l. 4, c. 33.

Eunap. excerpt. leg. p. 19.]

La terreur s'était répandue dans toute la nation des Goths. L'extérieur
affreux des Huns n'imprimait pas moins de frayeur que la cruauté de
leurs ravages. On publiait au loin que des monstres sortis des lacs et
des déserts de la Scythie, venaient dévorer les peuples de l'Europe,
et qu'ils désolaient tout sur leur passage[228]. Une discorde civile
tenait alors les Visigoths divisés. Une partie de la nation s'était
séparée d'Athanaric, et avait choisi pour chefs Alavivus et Fritigerne.
Il s'était livré des combats, dans lesquels ces deux capitaines, aidés
de quelques secours des Romains, avaient remporté l'avantage[229]. La
disette où se trouvait Athanaric resserré entre deux fleuves, détacha
encore de lui un grand nombre de ses sujets. Quantité d'autres, que
la crainte rassemblait de toutes parts, se joignirent à eux; et tous
s'étant réunis, ils convinrent ensemble de se soustraire à la barbarie
de leurs nouveaux ennemis[230]. La Thrace semblait leur offrir une
retraite sûre et commode. C'était un pays fertile, que le Danube, bordé
de places fortes, défendait contre les incursions étrangères. Ils se
rendirent au bord de ce fleuve, sous la conduite d'Alavivus et de
Fritigerne, au nombre de près de deux cent mille hommes, propres à la
guerre, résolus d'abandonner les demeures où ils étaient établis depuis
cent cinquante ans[231].

[Note 228: _Fama tamen latè serpente per Gothorum reliquas gentes,
quod inusitatum antehac hominum genuis modo ruens ut turbo montibus
celsis, ex abdito sinu coortum apposita quæque convellit et corrumpit._
Amm. Marc. l. 31, c. 3.--S.-M.]

[Note 229: Ces détails se trouvent dans Socrate, l. 4, c. 33. Selon
lui, le parti d'Athanaric prévalut sur celui de Fritigerne, qui, obligé
de se réfugier chez les Romains, en obtint des secours, avec lesquels
il repassa le Danube et triompha d'Athanaric. Les choses en étaient là
quand les Huns survinrent. Sozomène, qui parle aussi, l. 6, c. 37, de
ces divisions, les met contre toute vraisemblance après le passage du
Danube par les Goths; ce qui est impossible. Du reste les détails qu'il
donne sont les mêmes que ceux de Socrate.--S.-M.]

[Note 230: _Populi pars major, quæ Athenaricum attenuata
necessariorum penuria deseruerat, quæritabat domicilium remotum ab omni
notitia Barbarorum._ Amm. l. 31, c. 3.--S.-M.]

[Note 231: Les Goths étaient depuis long-temps fixés dans ces
régions. Voyez à ce sujet la note que j'ai placée, t. 3, p. 324, n. 1,
liv. XVII, § 29.--S.-M.]


FIN DU LIVRE DIX-NEUVIÈME.




LIVRE XX.

 I. Les Visigoths obtiennent la permission de passer en Thrace. II. Ils
 passent le Danube. III. Mauvaise conduite des Romains. IV. L'arianisme
 s'établit chez les Goths. V. Les Ostrogoths demandent le passage qui
 leur est refusé. VI. Avarice des Romains. VII. Révolte des Visigoths.
 VIII. Horribles ravages en Thrace. IX. Siége d'Andrinople. X. Valens
 et Gratien y envoient des secours. XI. Les deux armées se préparent au
 combat. XII. Bataille de _Salices_. XIII. Suites de la bataille. XIV.
 Ravages par toute la Thrace. XV. Succès de Frigérid. XVI. Préparatifs
 de Valens. XVII. Irruption des Allemans dans la Gaule. XVIII. Bataille
 d'Argentaria. XIX. Gratien réduit les Allemans Lentiens. XX. Il se met
 en marche pour aller joindre Valens. XXI. Valens à Constantinople.
 XXII. Sébastien général. XXIII. Il taille en pièces un grand parti
 de Goths. XXIV. Valens marche aux ennemis. XXV. Ruse de Fritigerne.
 XXVI. Valens range son armée en bataille. XXVII. Nouvelle ruse de
 Fritigerne. XXVIII. Bataille d'Andrinople. XXIX. Fuite des Romains.
 XXX. Mort de Valens. XXXI. Perte des Romains. XXXII. Divers traits du
 caractère de Valens. XXXIII. Les Goths attaquent Andrinople. XXXIV.
 Belle défense des assiégés. XXXV. Les Goths marchent à Périnthe.
 XXXVI. Ils sont repoussés de devant Constantinople. XXXVII. Massacre
 des Goths en Asie. XXXVIII. Ravages des Goths. XXXIX. Théodose
 rappelé. XL. Victoire de Théodose. XLI. Gratien rétablit en Orient les
 affaires de l'Église. XLII. Ausone consul. [XLIII. État de l'Arménie
 sous le règne de Varazdat. XLIV. Assassinat du connétable Mouschegh.
 XLV. Manuel son frère se révolte contre Varazdat. XLVI. Varazdat est
 détrôné. XLVII. Manuel est maître de l'Arménie. XLVIII. Alliance
 des Arméniens avec la Perse.] XLIX. Théodose empereur. L. Partage de
 l'empire.


VALENS, GRATIEN, VALENTINIEN II.

[Note latérale: I.

Les Visigoths obtiennent la permission de passer en Thrace.

Amm. l. 31, c. 4.

Hier. chron.

Zos. l. 4, c. 20.

Idat. chron.

Eunap. excerpt. leg. p. 19 et 20.

Socr. l. 4, c. 34.

Soz. l. 6, c. 37.

Oros. l. 7, c. 33.

Jorn. de reb. Get. c. 25.]

Lupicinus, comte de la Thrace, était en cette qualité général de toutes
les troupes de la province, et Maxime, avec le titre de duc, commandait
les garnisons de la frontière. A la nouvelle d'un mouvement si
extraordinaire, ils s'avancèrent au bord du Danube pour en défendre le
passage. Ils virent sur la rive opposée une multitude innombrable qui
leur tendait les bras en posture de suppliants, et poussait de grands
cris. Les principaux de la nation des Visigoths[232], s'étant jetés
dans une barque, vinrent exposer leurs désastres, conjurant les Romains
de leur accorder un asile[233], et protestant qu'ils se consacreraient
au service de l'empire avec une fidélité inviolable[234]. On leur
répondit qu'il fallait attendre les ordres de l'empereur. On dépêcha
aussitôt des courriers à Antioche, et les députés des Visigoths
partirent avec eux[235]. Les avis furent d'abord partagés dans le
conseil. Mais dès qu'on sentit que Valens était flatté d'acquérir
en un moment tant de nouveaux sujets, on s'empressa de seconder sa
vanité: _C'était_, disait-on, _la fortune du prince qui lui amenait des
troupes assez nombreuses pour former une armée invincible: qu'au lieu
des recrues qu'il tirait tous les ans des provinces, il en tirerait
de l'or; que cet accroissement de forces allait donner à l'empire
d'Orient une supériorité décidée: qu'on ne devait rien craindre d'un
peuple ignorant et grossier; que ce n'était qu'une multitude de bras,
dont l'empereur réglerait les mouvements à son gré, et que la politique
Romaine saurait profiter du service de ces Barbares, tant qu'ils
seraient fidèles, et les détruire dès qu'ils deviendraient suspects_.
Ces mauvaises raisons suffisaient dans une occasion où il n'en fallait
aucune, parce que l'empereur avait pris son parti. Il accorda aux
Visigoths le passage et un établissement en Thrace[236], à condition
qu'ils remettraient auparavant leurs armes entre les mains des
officiers Romains. Pour avoir des gages de leur fidélité, il ordonna
que les plus jeunes seraient transportés en Asie; et il chargea le
comte Jules de veiller à leur entretien.

[Note 232: C'est-à-dire des Thervinges. _Primates eorum et duces,
qui regum vice illis præerant._ Jornand. c. 26. Les premiers chefs
de cette nation qui descendirent sur le territoire romain, étaient
Alavivus et Fritigerne, qui sont souvent appelés rois. Fritigerne est
qualifié de _regulus Gothorum_ par Jornandès, c. 26.--S.-M.]

[Note 233: Selon Jornandès, c. 25, les Goths demandaient qu'on
leur cédât une partie de la Thrace ou de la Mésie pour la cultiver
et y vivre selon leurs lois; _ut partem Thraciæ, sive Mæsiæ si illis
traderet ad colendum, ejus legibus viverent_. Ceci est confirmé
par ce que dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 4, des vivres et des
terres données par l'empereur à Fritigerne, à Alavivus, et aux Goths
qui les suivaient. _Et primus cum Alavivo suscipitur Fritigernus,
quibus et alimenta pro tempore et subigendos agros tribui statuerat
imperator._--S.-M.]

[Note 234: Jornandès ajoute, c. 25, qu'ils promettaient de se
faire chrétiens, pourvu qu'on leur donnât des catéchistes qui sussent
leur langue, _promittunt se, si doctores linguæ suæ donaverit, fieri
christianos_. On pourra voir ci-après, soit dans le texte, soit dans
les notes du § 4, que les Goths étaient déja pour la plupart chrétiens.
Il ne s'agit sans doute ici que de l'adoption de l'arianisme, professé
par Valens, et qui fit alors des progrès très-rapides parmi les Goths,
qui l'embrassèrent presque tous.--S.-M.]

[Note 235: Selon Sozomène, l. 6, c. 37, le chef de cette ambassade
était le célèbre évêque des Goths, Ulfilas. Voy. ci-après, § 4, p. 102.
Philostorge en dit autant, l. 2, c. 5.--S.-M.]

[Note 236: Il en fit, dit Jornandès, _de reb. Get._ c. 25, comme un
mur contre les autres Barbares. _Susceptosque in Mœsiæ partibus Getas,
quasi murum regni sui contra cæteras gentes statuit._--S.-M.]

[Note latérale: II.

Ils passent le Danube.]

Pendant le cours de la négociation, quelques Goths plus fougueux
et plus hardis que les autres, s'ennuyant d'attendre la réponse de
l'empereur, entreprirent de forcer le passage. Ils abordèrent, mais
ils furent taillés en pièces. La nation envoya sur-le-champ porter
ses plaintes à Valens, qui, regardant déjà les Goths comme ses
sujets, cassa les officiers qui avaient fait leur devoir: peu s'en
fallut même qu'il ne les condamnât à mort. Enfin la permission de
l'empereur arriva, et les conditions qu'il exigeait furent acceptées.
Lupicinus fit passer sur la rive où les Goths étaient assemblés, des
officiers et des soldats[237], avec ordre de n'en laisser embarquer
aucun qui n'eût rendu ses armes. On prépara en diligence des barques,
des bateaux plats, des canots[238]. Les Visigoths s'y jetaient en
foule, mais tous n'atteignirent pas l'autre bord. Quelques-uns furent
emportés et engloutis par la rapidité du fleuve que les pluies avaient
grossi depuis peu. D'autres coulèrent à fond avec les bateaux trop
chargés, ou qui se brisaient en se heurtant mutuellement. Il y en
eut d'assez téméraires pour se jeter à la nage: ils se noyèrent. On
employa plusieurs jours et plusieurs nuits à ce passage. Les Barbares
abordaient avec tant de confusion, qu'on entreprit inutilement de les
compter[239].

[Note 237: On envoya même, selon Ammien Marcellin, l. 31, c. 4,
des personnes qui pénétrèrent dans l'intérieur du pays, pour amener
des Goths sur des voitures. _Hacque spe mittuntur diversi, qui cum
vehiculis plebem transferant truculentam._ On en eut le plus grand
soin; on n'en abandonna aucun, pas même ceux qui étaient attaqués de
maladies mortelles. _Et navabatur opera diligens, ne qui Romanam rem
eversurus derelinqueretur, vel quassatus morbo lethali._--S.-M.]

[Note 238: _Transfretabantur in dies et noctes, navibus ratibusque
et cavatis arborum alveis agminatim impositi._ Amm. Marc. l. 31, c.
4.--S.-M.]

[Note 239: _Illud sanè neque obscurum est neque incertum, infaustos
transvehendi barbaram plebem ministros, numerum ejus comprehendere
calculo sæpe tentantes, conquievisse frustratos._ Amm. Marc. l. 31, c.
4.--S.-M.]

[Note latérale: III.

Mauvaise conduite des Romains.]

La plupart gardèrent leurs armes. Ceux qui étaient chargés de les
désarmer, songèrent bien plutôt à satisfaire leur avarice et d'autres
passions encore plus honteuses. Ils enlevaient dans la jeunesse des
deux sexes tout ce qui plaisait à leurs yeux; ils ravissaient les
filles à leurs mères, les femmes à leurs maris; ils saisissaient les
troupeaux et les bagages de quelque valeur. Les Goths abandonnaient
tout, n'étant occupés que du soin de leurs armes; ils achetaient même à
grand prix la permission de les conserver, persuadés que leurs javelots
et leurs épées leur rendraient bientôt plus qu'ils ne perdaient. Ainsi
se préparait la révolution qui allait éclater; et l'on peut dire qu'en
cette occasion les Romains firent le rôle des Barbares, les Barbares
celui qui convenait à des Romains. Les Visigoths, contents d'avoir
échappé à la fureur des Huns, s'étendirent le long du Danube, dans
les plaines et sur les montagnes de la Mésie et de la Thrace. Ils se
consolaient de leur infortune, qui leur faisait trouver un climat plus
doux et un pays plus riche et plus fertile[240].

[Note 240: En échange des déserts de la Scythie et d'un abîme,
dit Eunapius, _excerpt. leg._, p. 20, ils obtinrent l'empire romain.
Οἵγε ἀντὶ τῆς Σκυθῶν ἐρημίας, καὶ τοῦ βαράθρου, τὴν Ῥωμαϊκὴν ἀρχὴν
ὑπελάμβανον.--S.-M.]

[Note latérale: IV.

L'Arianisme s'établit chez les Goths.

Hier. chron.

S. Aug. de Civ. l. 18, c. 52, t. 7, p. 535.

Socr. l. 4, c. 33.

Theod. l. 4, c. 37.

Soz. l. 6, c. 37.

Oros. l. 7, c. 32 et 33.

Jorn. de reb. Get. c. 25.

Isidor. chron. Goth.

Vulcanius de litteris et lingua Goth.

Till. Arian. art. 132 et 133.

Fleury, Hist. Eccl. l. 16, c. 42, l. 17, c. 36.]

Ce fut alors que l'arianisme jeta chez les Goths de plus profondes
racines. Il y avait environ un siècle que la religion chrétienne
s'était introduite parmi eux[241]. Leur évêque Théophile avait assisté
au concile de Nicée[242]: mais la croyance orthodoxe commençait à
s'altérer depuis quelque temps. Ils avaient pour évêque Ulphilas,
Cappadocien d'origine[243], prélat plus zélé qu'éclairé sur les
matières alors contestées dans l'Église. Il avait converti un grand
nombre d'idolâtres: car l'idolâtrie était encore parmi les Goths la
religion dominante, et Athanaric persécutait même les chrétiens avec
violence[244]. Ulphilas encourageait les fidèles[245]; il contribua
aussi par ses sages avis à adoucir les mœurs de la nation: ses paroles
étaient respectées comme des lois[246]. Les auteurs anciens lui
attribuent l'honneur d'avoir inventé l'alphabet gothique, et communiqué
aux Goths la connaissance des lettres[247]. Cependant il paraît, par
les caractères runiques gravés sur les rochers de la Suède, et qu'on
croit antérieurs à la migration des Goths, que ce peuple avait l'usage
de l'écriture avant que de quitter le pays de son origine[248]. La
langue gothique en traversant la Germanie et la Scythie, dut se
charger de plusieurs termes étrangers[249]; elle dut aussi contracter
quelque teinture de la langue grecque, par le voisinage des colonies
grecques établies sur le bord du Pont-Euxin[250]. En effet on aperçoit
plusieurs caractères grecs dans l'alphabet attribué à Ulphilas[251].
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il traduisit la Bible en langue du
pays[252], à l'exception des livres des Rois, qu'il ne voulut pas
mettre sous les yeux des Goths, de peur que la lecture de tant de
guerres n'enflammât encore la passion que ce peuple avait pour les
combats[253]. Mais il ne fut pas en garde contre les artifices des
Ariens: il se laissa corrompre, et corrompit ensuite sa nation[254].
Il s'était trouvé en 360 au concile de Constantinople, où les Anoméens
l'avaient engagé à signer le formulaire de Rimini[255]. Fritigerne
ayant ensuite embrassé l'arianisme en reconnaissance des secours que
Valens lui avait prêtés contre Athanaric[256], l'erreur s'était peu
à peu répandue[257]. Enfin lorsque les Goths demandèrent à Valens
la permission de passer en Thrace, Ulphilas étant le chef de la
députation, les évêques Ariens qui se trouvaient à la cour, profitèrent
de l'occasion pour achever de le pervertir. Ils lui firent entendre
qu'il ne s'agissait entre les deux partis que d'une dispute de mots,
et l'appuyèrent de leur crédit auprès de l'empereur, à condition
qu'il prêcherait leur doctrine. Valens fit partir avec lui[258] des
évêques ariens[259]. Ainsi les Visigoths infectés de l'hérésie, la
communiquèrent aux Ostrogoths, aux Gépides[260], aux Vandales, aux
Bourguignons. Tous ces peuples la portèrent avec eux dans leurs
conquêtes, et y demeurèrent opiniâtrement attachés.

[Note 241: Le christianisme avait été introduit chez les Goths
par les esclaves qu'ils avaient amenés de l'Asie-Mineure, et
particulièrement de la Cappadoce, lors des expéditions qu'ils y
entreprirent, pendant les troubles qui agitèrent l'empire sous le règne
de Gallien. On peut voir à ce sujet le récit de Philostorge, l. 2, c.
5. Les auteurs arméniens font aussi souvent mention des captifs de
Cappadoce, qui portèrent la religion chrétienne chez les Goths.--S.-M.]

[Note 242: On doit la connaissance de ce fait important à
l'historien Socrate, l. 2, c. 41. Selon le P. Lequien (_Oriens Christ._
p. 1241), Théophile serait le même qu'Ulfilas. Cette opinion est peu
vraisemblable; l'intervalle de temps est trop considérable.--S.-M.]

[Note 243: Cet évêque que Philostorge, l. 2, c. 5, appelle
_Ourphilas_, descendait de ces captifs amenés de Cappadoce. Ses
ancêtres avaient habité dans ce pays le bourg de _Sadagolthina_, situé
près d'une ville de Parnassus dont on ignore la position. Oἱ Οὐρφίλα
πρόγονοί, Καππαδόκαι μὲν γένος, πόλεως δὲ πλησίον Παρνασσοῦ, ἐκ κώμης
δὲ Σαδαγολθινὰ καλουμένης.--S.-M.]

[Note 244: Socrate, l. 4, c. 33, et particulièrement Sozomène, l.
6, c. 37, donnent des détails circonstanciés sur les persécutions que
les chrétiens de la Gothie eurent à souffrir de la part d'Athanaric,
fort zélé pour l'ancien culte de sa patrie. Orose en parle en ces
termes, l. 7, c. 32: _Athanaricus, rex Gothorum, christianos in gente
sua crudelissime persecutus, plurimos barbarorum ob fidem interfectos,
ad coronam martyrii sublimavit, quorum tamen plurimi in romanum solum
non trepidi, velut ad hostes, sed certi, quod ad fratres, pro Christi
confessione, fugerunt_.--S.-M.]

[Note 245: Selon Philostorge, l. 2, c. 5, Ulfilas avait été ordonné
évêque des Goths, ou plutôt des chrétiens de la Gothie, τῶν ἐν τῇ
Γετικῇ χριστιανιζόντων par l'arien Eusèbe de Nicomédie et par les
prélats de son parti. Il fut, selon Socrate, l. 4, c. 33, le directeur
spirituel de tous les Visigoths, non-seulement de ceux qui obéissaient
à Fritigerne, mais encore de ceux qui reconnaissaient la souveraineté
d'Athanaric. Ἐπειδὴ δὲ Οὐλφίλας οὐ μόνον τοὺς ὑπὸ Φριτιγέρνην, ἀλλὰ
καὶ τούς ὑπὸ Ἀθανάριχον ταττομένους βαρβάρους τὸν χριστιανισμὸν
ἐξεδίδασκεν.--S.-M.]

[Note 246: Τοὺς ἐκείνου λόγους ἀκινήτους ὑπελάμβανον νόμους.
Theod., l. 4, c. 37. Gibbon a remarqué, t. 5, p. 175, que le comte
Du Buat avait eu (_hist. des anc. peup. de l'Eur._, t. 6, p. 407)
la singulière idée de croire que l'évêque Ulfilas était le même
qu'Alavivus prince des Visigoths, dont Ammien Marcellin parle si
souvent dans son récit de la guerre de Valens contre les Goths. M.
Graberg de Hemso, dans son Essai sur les Scaldes (_Saggio sugli
Scaldi_, p. 131), a émis au sujet du même personnage une opinion non
moins extraordinaire. Il a pensé qu'il était le même que le roi de
Suède Gylfe, qui, selon les récits historiques du Nord, fut détrôné par
Odin. Il imagine que Gylfe se retira alors sur les bords du Danube, où
il se fit chrétien et devint évêque, sans qu'il fasse aucune mention,
sans qu'il paraisse se rappeler de ce que Philostorge raconte, l. 2, c.
5, de l'origine cappadocienne d'Ulfilas.--S.-M.]

[Note 247: Socrate, l. 4, c. 33, Sozomène, l. 6, c. 37, et
Philostorge, l. 2, c. 5, s'accordent sur ce point. «Ulfilas, évêque des
Goths, dit Socrate, imagina les lettres des Goths.» Οὐλφίλας, ὁ τῶν
Γότθων ἐπίσκοπος, γράμματα ἐφεῦρε Γοτθικὰ· «Il donna aux Goths, dit
Philostorge, des lettres qui leur furent propres», καὶ γραμμάτων αὐτοῖς
οἰκείων εὑρετὴς καταστὰς. Selon Sozomène, il fut chez eux le premier
inventeur des lettres, πρῶτος δὲ γραμμάτων εὑρετὴς αὐτοῖς ἐγένετο.
Voilà donc un fait qui paraît hors de doute. Il en est aussi question
dans Jornandès, c. 51, qui donne aux Goths, régis par Ulfilas, le
surnom de petits. _Erant siquidem, dit-il, et alii Gothi, qui dicuntur
minores, populus immensus, cum suo pontifice, ipsoque primate Ulfila,
qui eis dicitur et litteras instituisse; hodieque sunt in Mæsia regione
incolentes Nicopolitanam._ On voit que Jornandès désigne les Goths qui
existaient encore de son temps sur les bords du Danube où ils étaient
restés, n'ayant pris aucune part aux entreprises des Ostrogoths et des
Visigoths dans l'Occident. L'alphabet inventé par Ulfilas, est celui
que nous connaissons sous le nom de Méso-gothique, parce qu'il fut en
usage chez les Goths établis dans la Mésie, sur les bords du Danube,
où il fut destiné à écrire la langue gothique qui porte aussi par
la même raison le nom de Méso-gothique. Il est impossible en jetant
les yeux sur les lettres méso-gothiques, de ne pas reconnaître tout
de suite, les rapports qu'elles présentent avec l'alphabet grec, de
manière à confirmer ce que les auteurs racontent de leur origine. Il
ne doit, ce me semble, y avoir aucune incertitude sur ce point. Mais
doit-on penser que les Goths n'eussent jamais connu l'usage des lettres
avant Ulfilas? c'est un fait que je ne crois pas possible. Pour s'en
convaincre il suffit de jeter les yeux sur la version gothique du
Nouveau Testament, pour reconnaître que la langue qu'elle nous retrace,
était une langue cultivée et écrite depuis long-temps. Jornandès
rapporte, c. 5, que l'étude de la sagesse, avait fait de grands progrès
parmi les anciens Goths, et il s'appuie de l'autorité de Dion Cassius,
qui avait lui-même écrit une histoire de ce peuple. Le même Jornandès
parle, c. 11, des ouvrages composés par Dicénéus le législateur des
Gètes et qui existaient encore de son temps. Quand on n'admettrait
pas à la lettre ce qu'il rapporte des connaissances des Goths, il
est impossible en comparant son récit avec ceux de plusieurs autres
auteurs de ces temps, de ne pas se convaincre que les Goths n'étaient
plus alors des Barbares. Jornandès et le géographe anonyme de Ravenne,
citent des historiens et des géographes goths appelés Ablabius,
Athanarid, Edelvald et Marcomir, ce qui est une forte présomption
pour croire que ce peuple connaissait depuis long-temps l'écriture.
L'alphabet méso-gothique semble en fournir lui-même la preuve; car,
indépendamment des lettres grecques et latines qu'il contient, il en
renferme quelques-unes qui sont destinées à exprimer des articulations
propres à la langue gothique. La lettre TH qui existe dans toutes les
langues gothiques ou germaniques, est d'une forme presque semblable
à celle qu'elle a dans tous les alphabets runiques ou saxons, ce qui
en supposant leur identité, établit leur haute antiquité. Je ne crois
pas qu'on puisse douter qu'au quatrième siècle de notre ère, au temps
d'Ulfilas, il y avait déja long-temps que l'écriture était établie chez
toutes les divisions de la nation gothique.--S.-M.]

[Note 248: Ceci est une suite de l'opinion adoptée par Lebeau sur
l'origine des Goths (voy. t. 3, p. 324, l. XVII, § 29). Parce qu'il
les distingue mal à propos des Gètes, et qu'il les fait venir en corps
de nation de la Scandinavie, il a cru qu'ils ont dû nécessairement
se servir de l'écriture propre à cette région. La chose pourrait
être, sans qu'on fût obligé de l'expliquer ainsi. Les Goths auraient
pu se servir de runes avant l'alphabet d'Ulfilas, sans qu'on dût
supposer qu'ils vinssent de la Scandinavie. Il est à croire en effet
que les lettres runiques ont été en usage chez tous les peuples
scythiques et si on les retrouve dans la Scandinavie, c'est que des
colonies scythiques y ont porté la connaissance de ces lettres, et
qu'elles s'y conservèrent jusqu'à l'établissement du christianisme
et même long-temps après. Déja quelques savants ont remarqué que
ces caractères sont peu appropriés aux sons des langues scandinaves
et qu'ils s'adaptent mieux à ceux des idiomes germaniques; ce qui
semblerait indiquer qu'ils appartiennent originairement aux nations du
midi de la Baltique. Partout où l'on se servait des runes, on était
dans l'habitude de les tracer sur des baguettes ou des bâtons. Cette
manière d'écrire s'est conservée jusqu'à une époque très-récente,
dans les régions où les Goths avaient autrefois habité. On apprend de
l'historien hongrois Thwrocz, que les Szekels ou Sicules, ancien peuple
de la Transylvanie, avait conservé jusqu'à son temps cette manière
d'écrire inséparable des runes, comme nous en avons un témoignage
incontestable dans le poète Vénance Fortunat, _carm._ VII, v. 18, qui
était évêque de Poitiers au milieu du sixième siècle:

    Barbara fraxineis pingatur runa tabellis
    Quodque papyrus egit, virgula planè valet.

Ce passage atteste non-seulement l'usage dont je viens de parler,
mais encore il démontre l'antiquité des runes, chez les Francs et
par conséquent chez les nations germaniques. On sait aussi que les
Anglo-Saxons, se servaient des mêmes lettres avant qu'ils fussent
chrétiens. Rhaban Maur atteste que de son temps, c'est-à-dire au
huitième siècle, tous ceux des _Nordmani_, un des peuples qui
occupaient les bords de l'Elbe, qui étaient restés païens, _qui adhuc
paganis ritibus involvuntur_, pratiquaient encore l'usage des runes.
Il est bon de faire observer que partout où les runes existent,
elles disparaissent avec le christianisme. On en conçoit sans peine
la cause. L'usage de ces lettres dont le nom signifie _mystères_,
était intimément lié avec toutes les pratiques superstitieuses de
l'idolâtrie; il n'est donc pas étonnant qu'elles aient été proscrites
par les missionnaires chrétiens, qui devaient les regarder comme
indignes d'exprimer les vérités évangéliques. Il a dû en résulter, que
partout ils leur substituèrent les lettres latines; c'est ainsi qu'ils
en agirent en Allemagne, en Angleterre et dans le Nord, et il est
probable qu'Ulfilas en avait fait autant avant eux dans la Mésie et au
nord du Danube.--S.-M.]

[Note 249: La langue des Goths, telle qu'on la connaît par ce
qui reste de la version d'Ulfilas, présente un idiome arrivé à un
haut degré de perfection, sous le rapport grammatical. Tout le fond
de la langue, soit pour les mots, soit pour la grammaire, soit pour
la syntaxe est identique avec l'allemand, surtout avec les anciens
dialectes teutoniques. Les mots qu'on sait être communs à l'allemand et
au persan, et qui sont en si grand nombre, se retrouvent aussi dans le
méso-gothique, avec une orthographe qui les rapproche davantage de la
manière d'écrire usitée dans les anciens dialectes du persan. C'est un
fait très-remarquable et qui peut fournir de nouvelles lumières pour
expliquer l'origine des langues répandues dans presque toute l'Europe
et en Asie. On remarque de plus que le méso-gothique a un certain
nombre d'expressions qui semblent avoir été empruntées au grec, au
latin, et au slavon, et qui sont très-propres à faire reconnaître une
langue qui a dû se parler sur les rives du Danube, à la proximité des
Grecs et des Romains et au milieu de nations qui devaient appartenir à
la race des Slaves.--S.-M.]

[Note 250: Les Goths étant les mêmes que les anciens Scythes
établis depuis le Danube jusqu'au Tanaïs et même au-delà, il est
impossible que les fréquentes relations politiques et commerciales
qu'ils eurent avec les nombreuses colonies grecques établies sur les
côtes de la mer Noire, n'aient pas exercé une très-grande influence sur
la langue, et même sur les mœurs et les opinions de ces nations. On
voit par les récits d'Hérodote, que cette influence s'exerçait depuis
long-temps.--S.-M.]

[Note 251: L'alphabet méso-gothique contient vingt-cinq lettres,
dont quinze sont évidemment prises dans l'alphabet grec, huit
appartiennent à celui des latins; pour les deux autres, le _th_ et le
_hw_, comme ils expriment des sons que les lettres grecques et latines
ne pouvaient rendre exactement, ils furent pris ailleurs. Ce sont sans
doute d'anciens caractères dont on conserva l'usage. L'une d'elles,
le _th_, est tout-à-fait semblable à la lettre runique qui a la même
valeur. On voit que les éléments d'origine grecque prédominent dans
l'alphabet d'Ulphilas, et il devait en être ainsi, à cause du voisinage
et des fréquentes relations des Goths avec Constantinople et les pays
où se parlait la langue grecque.--S.-M.]

[Note 252: Nous avons encore sur ce point l'autorité réunie des
trois historiens Socrate, l. 4, c. 33, Sozomène, l. 6, c. 37, et
Philostorge, l. 2, c. 5. «Il traduisit les livres saints dans leur
langue nationale, dit Sozomène, Καὶ εἰς τὴν οἰκείαν φωνὴν μετέφρασε
τὰς ἱερὰς βίβλους.» En traduisant «les saintes écritures dans la
langue des Goths, il rendit les Barbares capables de comprendre les
préceptes divins», dit Socrate, Καὶ τὰς θείας γραφὰς εἰς τὴν Γότθων
μεταβαλὼν, τοὺς βαρβάρους μανθάνειν τὰ θεῖα λόγια παρεσκεύασεν.
Beaucoup de faits viennent à l'appui de ces paroles de Socrate, et
font voir qu'effectivement la vérité évangélique fit de grands progrès
parmi les Goths. Théodoret donne de grands détails à ce sujet, l. 5,
c. 30 et 31. Les lettres de S. Jérôme nous attestent que plusieurs
Goths correspondaient avec lui, dans le but de comparer les versions
gothique, grecque et latine, avec la _vérité_ hébraïque. _Quis hoc
crederet_, dit-il, _ut barbara Getarum lingua hebraicam quæreret
veritatem; et dormitantibus, immo contendentibus Græcis, ipsa Germania
Spiritus Sancti eloquia scrutaretur?_ Epist. 106, t. 1, p. 635. Ce
saint père, qui devait être bon juge des travaux entrepris dans le but
d'interpréter l'Écriture, place les ouvrages des Goths bien au-dessus
de ceux des Grecs. On croit qu'Ulfilas avait été secondé dans son
travail par Sélénas, qui fut après lui évêque des Goths et qui était
son secrétaire ὑπογραφὲυς (Socrate, l. 5, c. 23, Soz., l. 7, c. 17).
Ce Sélénas était né d'un père goth et d'une mère phrygienne. Il nous
reste une portion considérable de la traduction gothique d'Ulfilas.
Un manuscrit très-célèbre connu sous le nom de manuscrit d'argent,
_codex argenteus_, qui fut trouvé au seizième siècle à Wenden auprès
de Cologne, et qui se garde actuellement à Upsal, contient les quatre
évangiles presqu'en totalité. Il est écrit en lettres d'argent sur
parchemin pourpre. Il en existe un grand nombre d'éditions. La dernière
et la plus estimée a été donnée à Weissenfels en Saxe, en 1805, par
J. Christ. Zahn, un volume grand in-4º. En 1762, Fr. Ant. Knittel,
découvrit, dans un manuscrit palimpseste de Wolfenbuttel, cinq
chapitres de la version gothique de l'épître de saint Paul aux Romains,
qui furent publiés en la même année à Brunswick et réimprimés à Upsal
en 1763. Depuis cette époque, le célèbre abbé Maï, a retrouvé dans un
manuscrit palimpseste de Milan, une portion très-considérable de la
version d'Ulfilas avec plusieurs autres fragments qui appartiennent
à la littérature gothique. Il en a publié une portion en 1819 en un
petit volume in-4º, sous ce titre _Ulphilæ partium ineditarum in
Ambrosianis palimpsestis ab Ang. Maïo repertarum specimen_. Ce volume
contient un fragment du 2e chapitre d'Esdras, plusieurs versets des
chapitres 5, 6, et 7 de Néhémie, des morceaux de l'évangile de saint
Mathieu qui manquent dans le manuscrit d'argent, et des fragments assez
considérables des épîtres de saint Paul aux Philippiens, à Titus et à
Philémon. Ce volume contient en outre des portions d'une homélie et
d'un calendrier, aussi en langue gothique.--S.-M.]

[Note 253: C'est Philostorge qui nous instruit de cette omission.
«Il traduisit en leur langue, dit-il, l. 2, c. 5, toutes les écritures
excepté les livres des Rois, etc. Μετέφρασεν εἰς τὴν αὐτῶν φωνὴν τὰς
γραφὰς ἁπάσας, πλὴν γε δὴ τῶν βασιλειῶν, κ. τ. λ.--S.-M.]

[Note 254: On apprend de S. Epiphanes que l'hérésie des Audiens
s'était aussi répandue parmi les Goths, et il nomme deux évêques de ces
sectaires établis au-delà du Danube. C'étaient Uranius et Silvanus.
Epiph. _hæres._ 70, t. 1, p. 823 et 824.--S.-M.]

[Note 255: Les Pères de l'église n'en jugeaient pas tous, ni
toujours ainsi; on pourrait même croire qu'Ulfilas n'avait pas
complètement embrassé l'hérésie d'Arius, ou que cette hérésie n'avait
pas fait de grands progrès chez les Goths, car S. Basile (ep. 164, t.
3, p. 254), S. Ambroise (_in Luc._ l. 2, c. 26), et S. Augustin (_de
Civ. Dei_, l. 18, c. 52, t. 7, p. 535), ne doutent pas que les martyrs
de la Gothie ne fussent orthodoxes. Ceci est confirmé par le passage
déja cité de S. Épiphanes, dans lequel il n'est question que de Goths
catholiques et de ceux qui partageaient les opinions des Audiens. Saint
Jérôme (_Chron._) et Orose, l. 7, c. 32, en parlant des Goths morts
pour la foi, ne paraissent pas douter de leur orthodoxie: il n'y a donc
aucune raison de croire que l'hérésie d'Arius se fût répandue chez les
Goths, avant qu'ils eussent passé le Danube, pour venir s'établir sur
les terres de l'empire.--S.-M.]

[Note 256: Isidore se trompe en rapportant que les secours de
Valens furent accordés à Athanaric, qui triompha de Fritigerne, et
répandit l'arianisme chez les Goths. _Fridigernum Athanaricus Valentis
imperatoris auxilio superans, hujus rei gratia cum omni gente Gothorum
in Arianam hæresim devolutus est._ Isid. _Chron. Goth._ Il est évident
que ce fut précisément le contraire.--S.-M.]

[Note 257: Il est possible que Fritigerne et quelques autres Goths
de son parti aient embrassé l'arianisme, mais il paraît constant que
cette hérésie ne fit pas de grands progrès parmi eux, avant le passage
du Danube. Voyez à ce sujet une savante note de Tillemont, dans son
_Histoire ecclésiastique_, t. VI, Arianisme, note 97.--S.-M.]

[Note 258: Valens faisait une si grande estime d'Ulfilas, qu'il
l'appelait, selon Philostorge, l. 2, c. 5, le Moïse de son temps, ὁ ἐφ'
ἡμῶν Μωσῆς λέγειν περὶ αὐτοῦ. Le zèle de Valens pour l'arianisme est
trop connu, on doit donc en conclure que de tels éloges s'adressaient
à un évêque arien. Il est bien probable en effet qu'Ulfilas et les
chefs des Goths avaient adopté l'arianisme, pour se concilier la
bienveillance de Valens.--S.-M.]

[Note 259: C'est ce que dit Jornandès, c. 25. _Et quia tunc Valens
imperator Arianorum perfidia saucius, nostrarum partium omnes ecclesias
obturasset, suæ partis fautores ad illos dirigit prædicatores, qui
venientibus rudibus et ignaris, illicò perfidiæ suæ virus defundunt._
Ce passage est tout-à-fait propre à confirmer l'opinion que j'ai
émise dans les notes précédentes, sur l'époque vraisemblable de
l'introduction de l'arianisme parmi les Goths.--S.-M.]

[Note 260: _Sic quoque Vesegothœ a Valente imperatore Ariani
potius, quam Christiani effecti. De cætero tam Ostrogothis, quam
Gepidis parentibus suis per affectionis gratiam evangelizantes, hujus
perfidiæ culturam edocentes, omnem ubique linguæ hujus nationem ad
culturam hujus sectæ invitavere._ Jornand. c. 25.--S.-M.]

[Note latérale: AN 377.

V.

Les Ostrogoths demandent le passage qui leur est refusé.

Amm. l. 31 c. 4.]

Les Ostrogoths[261], campés au bord du Dniester [_Danastris_], y
passèrent l'hiver dans de continuelles alarmes, appréhendant sans cesse
d'être forcés dans leurs retranchements, et foulés aux pieds par la
cavalerie innombrable des Huns. Au retour du printemps, Gratien étant
consul pour la quatrième fois, avec Mérobaudès, Alathée et Saphrax,
tuteurs de Vidéric[262], s'approchèrent du Danube, et envoyèrent
demander à Valens la même grâce qu'il avait déjà accordée à leurs
compatriotes. On s'aperçut enfin qu'on ne pouvait sans un danger
évident recevoir tant de Barbares dans le sein de l'empire. On leur
refusa le passage. Ce refus ôta toute espérance à Athanaric, qui se
souvenait d'ailleurs que huit ans auparavant il s'était lui-même fermé
cet asile, lorsque, pour se dispenser de se rendre auprès de Valens,
il avait allégué un serment qu'il avait fait de ne jamais entrer sur
les terres des Romains[263]. Il prit donc alors le parti de se retirer
dans un lieu nommé Caucalande[264], environné de hautes forêts et de
montagnes inaccessibles, dont il chassa les Sarmates[265].

[Note 261: C'est-à-dire _les Greuthunges_, comme les appelle Ammien
Marcellin.--S.-M.]

[Note 262: Ammien Marcellin y joint un autre seigneur, nommé
_Farnobius_.--S.-M.]

[Note 263: Voyez t. 3, p. 353, l. XVII, § 52.--S.-M.]

[Note 264: _Ad Caucalandensem locum altitudine silvarum inaccessum
et montium cum suis omnibus declinavit, Sarmatis inde extrusis._ Am.
Marc. l. 31, c. 4. Les savants ont beaucoup différé d'opinion sur
la position de ce pays, dont le nom par sa forme extérieure semble
être tout-à-fait germanique ou gothique. On y reconnaît à la fin le
mot _land_, qui signifie _terre_, _pays_. L'opinion émise par M.
Malte-Brun, dans son _Précis de Géographie universelle_, t. 1, p. 325,
me paraît la plus vraisemblable de toutes. Il pense que le pays de
_Caucaland_ est le territoire des _Cacoenses_, placé par Ptolémée, l.
3, c. 8, vers les monts Carpathes, du côté de la Transylvanie actuelle,
et qui doit être le canton de _Cacawa_; situé au sud d'Hermanstadt,
capitale de cette principauté. Il est évident que _Caucaland_ est la
forme gothique de ces différents noms. La Transylvanie est tout-à-fait
propre, et par son nom et par sa constitution montagneuse, à rendre
raison des expressions employées par Ammien Marcellin, _locum
altitudine silvarum inaccessum et montium_. M. Graberg de Hemso a pensé
(_Scandinavie vengée_, p. 91, 95 et 158), que ce pays devait être plus
éloigné, parce que, selon Ammien Marcellin, il était habité par des
Sarmates; comme si, à cette époque, les Sarmates n'étaient pas répandus
dans toute la partie de la Hongrie, qui s'étendait du Danube aux monts
Crapacks, depuis l'embouchure de la Save, de sorte que la Transylvanie
a dû nécessairement faire partie du territoire qu'ils occupaient.
Trompé par un passage d'Ammien Marcellin qu'il ne paraît pas avoir
bien compris, ce savant a cru qu'Athanaric s'était retiré dans une
région bien éloignée. Ce passage s'applique au contraire à la portion
des sujets d'Athanaric, qui s'étaient séparés de leur souverain,
c'est-à-dire les Goths de Fritigerne et d'Alavivus, qui avaient passé
le Danube, pour chercher une habitation _éloignée des Barbares_, qui
leur causaient tant de terreur. _Populi, major pars quæ Athanaricum
deseruerat, quæritabat domicilium remotum ab omni notitia Barbarorum._
Am. Marc. l. 31, c. 3. Ce texte ne présente aucune difficulté, et
ne peut s'appliquer au pays de _Caucaland_, mais au territoire de
l'empire. Il faut donc renoncer à toutes les conséquences que M.
Graberg s'est cru en droit de tirer de ces rapprochements.--S.-M.]

[Note 265: Nous verrons bientôt, l. XXI, § 21, ci-après pag. 195,
qu'Athanaric fut chassé de cet asile par de nouveaux ennemis, et qu'il
fut obligé de se réfugier à Constantinople, auprès du grand Théodose,
et qu'il y mourut bientôt après. Aucun des auteurs contemporains ou des
écrivains originaux, qui ont raconté l'histoire des Goths, n'a douté
de la parfaite identité du roi des Goths Athanaric, célèbre par les
guerres qu'il soutint contre Valens, et de celui qui mourut auprès de
Théodose, en l'an 381. Il semble qu'il ne peut y avoir de discussion
sur un point d'histoire aussi clair et aussi bien constaté. Cependant
M. Graberg de Hemso a tenté de le révoquer en doute et d'établir que
cet Athanaric, réfugié dans le pays de Caucaland, était différent
de celui qui mourut à Constantinople, et il a supposé que ce prince
s'était retiré avec les siens dans la Scandinavie, et qu'il était le
même que Sigge, fils de Fridulf, plus connu sous le nom d'Odin, et dont
on place ordinairement l'existence au premier siècle avant notre ère.
Quand il serait vrai qu'il fallût beaucoup rapprocher de nous l'âge de
ce fameux conquérant et le faire descendre jusqu'au quatrième siècle,
ce ne serait pas au moins par les raisons qui ont été alléguées par M.
Graberg en faveur de son opinion (_Scandinavie vengée_, pag. 88, 91,
150 et 158). S'il pouvait rester des doutes sur ce point, le témoignage
d'Isidore, dans sa Chronique des Goths, suffirait pour les lever. On
sait, à n'en pouvoir douter, qu'Athanaric devint roi des Goths, durant
la guerre que cette nation soutenait contre Valens. On était alors en
la 5e année de ce prince, c'est-à-dire en l'an 368. En nous apprenant
que, depuis cette époque, il régna treize ans, ce qui porte sa mort
en l'an 381, Isidore nous fait voir que l'Athanaric dont il parle,
est bien celui qui mourut en la même année à Constantinople. _Anno
Valentis quinto_, dit-il, _Gothorum gentis administrationem Athanaricus
accepit, regnans annos tredecim_. Le même auteur place la mort de cet
Athanaric en la troisième année de Théodose, c'est-à-dire en l'an 381.
_Anno imperii Theodosii Hispani tertio, Athanaricus cum Theodosio jus
amicitiæ disponens, mox Constantinopolim pergit: ibique_ XV _die ex quo
fuerat a Theodosio favorabiliter susceptus, interiit_. Tout démontre
donc la solidité d'un fait qui n'a jamais été contesté que par le
savant que j'ai cité.--S.-M.]

[Note latérale: VI.

Avarice des Romains.

Amm. l. 31, c. 4, 5 et 6.

Hier. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Idat. chron.

Jorn. de reb. Get. c. 26.

Isidor. chron. Goth.]

Toute la prudence humaine eût été nécessaire pour contenir cette nation
turbulente et indocile. Mais il semblait que Valens avait rassemblé
autour des Visigoths tout ce que l'empire avait alors d'officiers
injustes, violents, ravisseurs. Lupicinus et Maxime, les chefs et
les plus avares de tous, s'acharnèrent sur ces nouveaux hôtes comme
sur une proie; et après les avoir dépouillés, ils les abandonnaient
encore à l'avidité de leurs subalternes[266]. Au lieu de leur fournir
des subsistances, on ferma les magasins. On leur fit acheter bien
cher les plus misérables nourritures; ils furent réduits à manger
des chiens[267]; on leur vendait un chien pour un esclave; et ces
malheureux, après s'être défaits de tout ce qu'ils possédaient, furent
réduits à livrer leurs propres enfans, auxquels ils ne pouvaient
conserver la vie qu'au prix de leur liberté. Les principaux même de
la nation ne furent pas exempts de cette nécessité déplorable[268].
Ils n'avaient plus de ressource que dans le désespoir; et il allait
éclater, lorsque Lupicinus, prévoyant l'orage, les fit presser par ses
soldats d'abandonner les bords du Danube, et d'avancer dans l'intérieur
du pays, où il espérait les affaiblir, ou les détruire en les séparant
les uns des autres. Pendant que les troupes romaines, qui gardaient
le passage du fleuve, s'en éloignaient pour escorter les Barbares,
Alathée et Saphrax ne voyant plus d'obstacles, traversèrent le Danube
en diligence à la tête des Ostrogoths, et suivirent la trace de
Fritigerne[269].

[Note 266: On les laissait errer sur les bords du fleuve, dit
Ammien Marcellin, l. 31, c. 5. _At vero, Thervingi jamdudum transire
permissi, prope ripas etiamtum vagabantur._--S.-M.]

[Note 267: Jornandès décrit ainsi, c. 26, les vexations et les
maux que l'avarice des généraux romains fit éprouver aux Goths.
_Cæperunt duces avaritia compellente, non solum ovium, boumque carnes,
verum etiam canum, et immundorum animalium morticina eis pro magno
contradere: adeo ut quodlibet mancipium in unum panem, aut decem
libras in unam carnem mercarentur. Sed jam mancipiis, et supellectili
deficientibus, filios eorum avarus mercator victûs necessitate
exposcit. Haud enim secus parentes faciunt, salutem suorum pignorum
providentes, satius deliberant ingenuitatem perire, quam vitam; dam
misericorditer alendus quis venditur, quam moriturus servatur._--S.-M.]

[Note 268: _Cum traducti Barbari victûs inopiâ vexarentur,
turpe commercium duces invisissimi cogitarunt; et quantos undique
insatiabilitas colligere potuit canes, pro singulis dederant mancipiis,
inter quæ et filii ducti sunt optimatum._ Amm. Marc. l. 31, c.
4.--S.-M.]

[Note 269: Ils passèrent sur des radeaux faits à la hâte et
vinrent se camper fort loin de Fritigerne, dit Ammien Marcellin, l.
31, c. 5; _id tempus opportunum nacti Greuthungi, cum alibi militibus
occupatis... ratibus transiere malè contextis, castraque a Fritigerno
locavere longissimè_.--S.-M.]

[Note latérale: VII.

Révolte des Visigoths.]

Ce général prudent et avisé, instruit de ce qui se passait derrière
lui, continua sa marche, mais avec lenteur, pour leur donner le temps
de le joindre[270]. On arriva à Marcianopolis[271]; et ce fut en ce
lieu que la guerre s'alluma[272]. Lupicinus ayant invité à un repas
Alavivus et Fritigerne, avec un petit nombre des principaux seigneurs
de la nation, plaça des gardes aux portes de la ville, pour en
interdire l'entrée aux Barbares. Ceux-ci demandant avec instance la
permission d'entrer pour acheter des vivres, la querelle s'échauffa;
on en vint aux mains; les Goths animés par la faim et par la fureur,
se jetèrent sur les soldats romains, les massacrèrent et se saisirent
de leurs armes. Lupicinus plongé dans les excès de la débauche et déjà
plein de vin, étant informé de ce désordre, l'augmenta par un trait
de perfidie: il fit égorger la garde d'Alavivus et de Fritigerne.
Cet ordre cruel ne put être si secrètement exécuté, que les cris des
mourants ne pénétrassent jusque dans la salle du festin; et dans le
même moment la nouvelle s'en étant répandue hors de la ville, les
Goths persuadés qu'on en voulait à leurs capitaines, accoururent en
foule, poussant des cris horribles, et menaçant de la plus terrible
vengeance. Fritigerne qui avait l'esprit présent et l'ame intrépide,
voulant s'échapper des mains de Lupicinus, et sauver avec lui les
seigneurs qui l'avaient accompagné, se lève, s'écrie _que tout est
perdu, si on ne les laisse sortir pour se montrer à la nation qui
les croit égorgés; que leur présence peut seule rétablir le calme_.
En même temps il met l'épée à la main, et sort de la ville avec ses
camarades[273]. Il est reçu avec des acclamations de joie: Alathée et
Saphrax venaient d'arriver. Toute la nation monte à cheval; on déploie
les étendards[274]; les Goths marchent, et avec eux le carnage et
l'incendie. Lupicinus rassemble à la hâte tout ce qu'il a de troupes,
les poursuit avec plus de hardiesse que de prudence, et les atteint
à trois lieues[275] de Marcianopolis. A la vue des Romains la rage
des Barbares s'allume; ils fondent sur les bataillons les plus épais,
ils percent, ils massacrent, ils taillent en pièces tout ce qu'ils
rencontrent. Ceux mêmes qui sont désarmés, se jettent à corps perdu
sur l'ennemi, ils lui arrachent ses armes; ils enlèvent les enseignes:
presque tous les Romains périssent avec leurs tribuns. Lupicinus,
épouvanté d'une si étrange furie, prit la fuite dès le commencement
du combat, et regagna à toute bride Marcianopolis. Les vainqueurs
s'emparèrent des armes des vaincus, et ne trouvant plus de résistance,
ils portèrent au loin tous les désastres d'une guerre sanglante.

[Note 270: Il marchait lentement, dit Ammien Marcellin, l. 31, c.
5, pour obéir à l'empereur et pour se joindre à des rois puissants, _ut
et imperiis obediret et regibus validis jungeretur, incedens segnius_.
Ces rois puissants, _reges validi_, sont Alathée et Saphrax, tuteurs du
roi Vidéric.--S.-M.]

[Note 271: Cette ville dont on ignore le nom moderne, était dans la
partie septentrionale de la Thrace, voisine de la mer noire, sur les
frontières de la Mésie.--S.-M.]

[Note 272: _Ubi aliud accessit atrocius, quod arsuras in commune
exitium faces furiales accendit._ Amm. Marc. l. 31, c. 5.--S.-M.]

[Note 273: Jornandès, qui parle de ce festin, c. 26, et de la
perfidie du général romain, ne relate pas cette ruse de Fritigerne; il
rapporte qu'il se fraya jusqu'aux siens un chemin l'épée à la main.
_Fridigernus_, dit-il, _evaginato gladio in convivio, non sine magna
temeritate, velocitateque egreditur, suosque socios ab imminenti morte
ereptos ad necem Romanorum instigat_.--S.-M.]

[Note 274: Selon l'usage de la nation, dit Ammien Marcellin, l. 31,
c. 5, et ils font retentir l'air du son lugubre de leurs instruments
de guerre; _vexillis de more sublatis, auditisque triste sonantibus
classicis_.--S.-M.]

[Note 275: A neuf milles, _in nono ab urbe milliario stetit_. Amm.
Marc. l. 31, c. 5.--S.-M.]

[Note latérale: VIII.

Horribles ravages de la Thrace.]

La prudence de Fritigerne, soutenue d'une éclatante valeur, lui
attirait la confiance de la nation, et ses avis n'étaient jamais
contredits. Il répandit les Goths dans toutes les parties de la Thrace,
mais avec ordre. Leurs différents corps se donnaient la main les uns
aux autres, et avaient tous un point de réunion. Les gens du pays qui
se rendaient à eux, ou qu'ils faisaient prisonniers, leur servaient
de guides pour les conduire dans les cantons les plus riches et les
mieux pourvus de vivres. Leurs compatriotes enlevés autrefois par
les pirates de Galatie[276], et vendus en Thrace, ceux que la famine
les avait eux-mêmes obligés de vendre quelques jours auparavant,
venaient en foule les rejoindre. Les ouvriers employés au travail
des mines, et qui étaient surchargés d'impôts, accouraient aussi
se jeter entre leurs bras: ceux-ci leur furent d'un grand secours
pour déterrer les magasins, et pour découvrir les souterrains où les
habitants se cachaient eux-mêmes avec leurs richesses. Toute la Thrace
fut bouleversée; rien n'échappa à leurs recherches que ce qui était
inaccessible: et tandis qu'on fouillait les entrailles de cette terre
malheureuse, sa surface était couverte de sang et de flammes. On
massacrait les enfants entre les bras de leurs mères, on brûlait les
vieillards dans leurs cabanes; les jeunes hommes et les jeunes femmes
étaient seuls réservés pour un esclavage plus cruel que la mort même.

[Note 276: J'ai déja fait voir, t. 2, p. 403, note 1, l. XII, § 10,
que les Galates étaient alors des marchands d'esclaves, mais que la
situation continentale de leur pays ne leur permettait pas d'y joindre
le métier de pirates. Ammien Marcellin dit seulement, l. 31, c. 6, _a
mercatoribus venum dati_.--S.-M.]

[Note latérale: IX.

Siége d'Andrinople.

Amm. l. 31, c. 6.]

Les Visigoths et les Ostrogoths réunis composaient une armée
innombrable: il y avait outre ceux-là un troisième corps commandé
par Suéridus et Colias. C'étaient des Visigoths, indépendants de
Fritigerne, arrivés en Thrace avant l'irruption des Huns[277]. Valens,
qui n'espérait pas un grand succès de la négociation entamée avec
Sapor, les avait pris à la solde de l'empire, et les tenait campés
auprès d'Andrinople [_Hadrianopolis_], à dessein de les faire passer
en Asie, et de les joindre aux troupes d'Orient, dès que la guerre
serait déclarée. Ils ne prirent d'abord aucune part au soulèvement de
la nation: contents de la paie qu'ils recevaient de l'empereur, ils
demeuraient simples spectateurs des hostilités de leurs compatriotes.
Valens leur ayant donné ordre de passer l'Hellespont, ils témoignèrent
qu'ils étaient prêts d'obéir; ils demandaient seulement le paiement
de leur solde, des vivres, et deux jours de délai pour préparer leurs
équipages. Le magistrat d'Andrinople, irrité de quelque dégât qu'ils
avaient fait dans une terre qui lui appartenait, reçut fort mal leur
demande; pour toute réponse, il fit armer la bourgeoisie[278], et
signifia aux Goths que s'ils ne partaient sur-le-champ, il allait les
faire charger[279]. Les Goths plus étonnés qu'alarmés de cette bravade,
ne s'en mirent pas fort en peine: tant qu'on s'en tint aux injures, ils
les reçurent sans s'émouvoir. Mais quand ils virent leur camp attaqué,
et les traits pleuvoir sur eux, ils tombèrent à grands coups d'épée sur
cette populace téméraire; en tuèrent une partie, repoussèrent le reste
dans la ville; et comme Fritigerne n'était pas éloigné, ils allèrent se
joindre à lui, et revinrent ensemble mettre le siége devant Andrinople.
S'il n'eût été besoin que de valeur, Andrinople était prise. Les Goths
bravaient la mort avec une audace intrépide: les flèches, les javelots,
les pierres lancées des machines en abattaient un grand nombre, sans
ralentir le courage des autres. Mais Fritigerne voyant que, faute
d'entendre l'art des siéges, le sang de tant de braves gens coulait
en pure perte, laissa devant la ville un détachement pour la tenir
bloquée, et décampa avec le reste de ses troupes, disant _qu'il ne
faisait pas la guerre aux murailles[280], et que les Goths trouveraient
dans les campagnes de la Thrace beaucoup plus de profit et moins de
péril_.

[Note 277: Rien ne prouve qu'ils fussent Visigoths, Ammien
Marcellin se contente de dire que c'étaient des nobles Goths;
_Sueridus_, dit-il, l. 31, c. 6, _et Colias, Gothorum optimates, cum
populis suis longè antè suscepti_. Ils étaient en quartier d'hiver
auprès d'Andrinople, _apud Hadrianopolim hiberna dispositi_.--S.-M.]

[Note 278: Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 6, que c'était la
populace et les ouvriers employés dans les fabriques d'armes.
_Plebem omnem cum fabricensibus, quorum illic ampla est multitudo._
On apprend de la Notice de l'empire et de quelques autres ouvrages
qu'il se trouvait effectivement à Andrinople une fameuse fabrique
d'armes.--S.-M.]

[Note 279: _Jussisque bellicum canere buccinis, ni abirent ocius ut
statutum est, pericula omnibus minabatur extrema._ Amm. Marc. l. 31, c.
6.--S.-M.]

[Note 280: _Pacem sibi esse cum parietibus memorans._ Amm. Marc. l.
31, c. 6.--S.-M.]

[Note latérale: X.

Valens et Gratien envoient des secours.

Amm. l. 31, c. 7.]

Valens apprit avec douleur ces tristes nouvelles. Il se hâta
de conclure la paix avec Sapor[281], et résolut d'aller à
Constantinople[282]. Comme l'été était déjà fort avancé, et que
la Thrace avait un besoin pressant de secours, il envoya d'avance
Profuturus et Trajan[283], à la tête des légions qui revenaient
d'Arménie. C'étaient des troupes d'une valeur éprouvée. A leur approche
les Goths se retirèrent au-delà du mont Hœmus[284]. Les Romains
s'emparèrent des passages, à dessein de leur fermer l'entrée de la
Thrace, et d'attendre les secours que Gratien envoyait à la prière
de Valens[285]. Frigérid, excellent capitaine, amenait des troupes de
la Gaule et de la Pannonie; et Richomer, comte des domestiques[286],
marchait séparément avec un autre corps[287] tiré aussi de la Gaule,
mais dont la plus grande partie déserta dans la route, et retourna sur
ses pas. On soupçonna le consul Mérobaudès d'être l'auteur secret de
cette désertion, parce qu'il craignait que la Gaule trop dégarnie ne
demeurât exposée aux incursions des Allemans. Frigérid, attaqué de la
goutte, fut obligé de s'arrêter en chemin; et l'envie ne manqua pas
de publier que ce n'était qu'un prétexte pour couvrir sa timidité.
Richomer s'étant donc chargé de la conduite des deux corps, joignit
Profuturus et Trajan, lorsqu'ils marchaient à _Salices_[288], ville de
la petite Scythie.

[Note 281: Il envoya le général de la cavalerie Victor du côté
de la Perse, pour arranger les affaires de l'Arménie, qui n'était
pas tranquille à cette époque, comme on peut le voir par les détails
que j'ai placé ci-après § 43-47. _Confestim Victore magistro equitum
misso ad Persas, ut super Armeniæ statu pro captu rerum componeret
impendentium._ Amm. Marc. l. 31, c. 7.--S.-M.]

[Note 282: Valens passa encore toute cette année à Antioche; ses
lois font voir qu'il était dans cette ville le 4 avril, tandis que le 4
juillet et le 9 août suivants il se trouvait à Hiérapolis. Il était de
retour à Antioche le 24 septembre, sans doute après l'époque à laquelle
il fit partir Trajan et Profuturus, avec les troupes qu'il avait
retirées de l'Arménie.--S.-M.]

[Note 283: C'étaient deux officiers ambitieux, dit Ammien
Marcellin, mais peu capables, _ambo rectores, anhelantes quidem altiùs,
sed imbelles_. C'est Trajan qui avait fait assassiner dans un repas le
roi d'Arménie. Voyez ci-devant, p. 24 et suiv., l. XIX, § 19.--S.-M.]

[Note 284: Ce sont les Romains au contraire qui les repoussèrent
au-delà du mont Hémus; _truso hoste ultra Hæmi montis abscisos scopulos
faucibus insedere prœruptis_. Amm. Marc. l. 31, c. 7.--S.-M.]

[Note 285: Depuis le commencement de son règne, Gratien n'avait
pas quitté Trèves, alors résidence impériale. On voit par les lois de
l'an 377 qu'il était le 28 juillet de cette année à Mayence, à cause,
à ce qu'on présume, d'une expédition contre les Allemans. De retour à
Trèves le 17 septembre, il y resta jusqu'au commencement de l'année
suivante.--S.-M.]

[Note 286: _Richomeres domesticorum tunc comes._ Ce général fut
ensuite fait maître de la milice par Gratien, qui le mit bientôt après
au service de Théodose. Il fut créé consul en l'an 384. Il paraît qu'il
était païen, car Libanius (_de Vita_, t. 2, p. 67), l'appelle _un homme
dévoué au culte des Dieux_. Ἱεροῖςτε καὶ θεοῖς προσκείμενος ἄνθρωπος.
Il mourut avec le grade de maître de l'infanterie et de la cavalerie,
_magister peditum equitumque_. On croit sans en citer des preuves bien
évidentes qu'il était du sang royal des Francs.--S.-M.]

[Note 287: Il paraît que c'étaient de mauvaises troupes, car Ammien
Marcellin dit, l. 31, c. 7, avec mépris, _cohortes aliqua nomine
tenus_.--S.-M.]

[Note 288: _Salices_ ou _ad Salices_, cette ville qui devait sans
doute ce nom latin aux saules de son voisinage, est mentionnée dans
l'Itinéraire d'Antonin (ed. Wessel, p. 227) qui la place non loin des
bouches du Danube dans la mer Noire, à 43 milles de Halmyris et à 62 de
Tomes, célèbre par l'exil d'Ovide.--S.-M.]

[Note latérale: XI.

Les deux armées se préparent au combat.]

A quelque distance de cette ville campait un corps innombrable de
Goths. Leurs chariots rangés en cercle autour d'eux, leur servaient
de palissades. Les généraux Romains, qui brûlaient d'envie de se
signaler[289], se tenaient prêts à les attaquer au premier mouvement
qu'ils feraient pour décamper; car ces Barbares changeaient souvent
de position. Les Goths, instruits de ce dessein par les transfuges,
prirent le parti de rester en place; et voyant que l'armée romaine
se fortifiait tous les jours par de nouveaux renforts, ils
rappelèrent[290] les détachements qui couraient la campagne. Toutes
leurs forces s'étant réunies, la vue d'une si grande multitude
resserrée dans l'enceinte de leurs chariots[291], embrasait leur
courage: un murmure confus, mêlé au bruit de leurs armes, annonçait
leur impatience; et pour les satisfaire, leurs généraux déclarèrent
qu'ils livreraient la bataille le lendemain. Ils passèrent la nuit sans
dormir, préparant leurs armes, et appelant à grands cris le jour qui
semblait devoir leur apporter la victoire. Les Romains, qui entendaient
ce tumulte, n'osèrent prendre du repos, craignant d'être attaqués dès
la nuit même; et quoiqu'inférieurs en nombre, ils espéraient tout de
la protection du ciel et de leur bravoure.

[Note 289: Ammien Marcellin blâme, l. 31, c. 7, la résolution des
généraux romains, qui au lieu d'affaiblir l'ennemi par des escarmouches
multipliées, prirent le funeste parti d'aller affronter, avec des
troupes braves il est vrai, mais peu nombreuses, les forces bien plus
considérables d'un ennemi qui couvrait les campagnes et les plaines de
ses bataillons.--S.-M.]

[Note 290: _Tessera data gentili._ Amm. Marc. l. 31, c. 7.
C'est-à-dire que les messagers chargés de porter des _tessères_ ou
baguettes, sur lesquelles étaient tracés des ordres de rappel, furent
expédiés selon l'usage de la nation.--S.-M.]

[Note 291: Cette enceinte s'appelait _Carrago_, en leur langue;
_carraginem, quam ita ipsi appellant_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c.
7. C'était une espèce de camp retranché formé par des chariots. Il en
est très-souvent question dans le récit des faits militaires, relatifs
aux guerres contre les Barbares. Les Grecs du Bas-empire en adoptèrent
l'usage et lui donnèrent le nom de καραγὸς. Claudien en donne la
description, dans son 2e livre contre Rufin, v. 127 et suiv.

    Tum duplicem fossam non exsuperabile vallum,
    Asperat alternis su dibus, murique locata
    In speciem cæsis obtendit plaustra juvencis.

--S.-M.]

[Note latérale: XII.

Bataille de _Salices_.]

Aux premiers traits de la lumière, les trompettes sonnèrent dans les
deux camps: on prit les armes; et les Barbares après avoir, selon leur
usage, fait serment entre eux de vaincre ou de mourir[292], allèrent
en courant s'emparer des éminences, pour se porter de là avec plus de
force et de rapidité sur l'armée ennemie. Les Romains se rangèrent
dans la plaine, chacun ferme dans son poste, sans qu'aucun sortît de
la ligne. Les deux armées restèrent ainsi quelque temps immobiles,
s'observant l'une l'autre, dans une contenance fière et menaçante. Les
troupes de Valens s'animèrent par le cri accoutumé[293], et les Goths
par des chansons guerrières sur les exploits de leurs ancêtres[294].
Le combat s'engagea par de légères escarmouches. Après les décharges
de flèches et de javelots, ils s'approchèrent la pique baissée, et
couverts de leurs boucliers, ils se choquèrent avec fureur. Les Goths
plus dispos et plus agiles, se ralliaient plus aisément, lorsque
leurs rangs étaient rompus. Une partie d'entre eux était armée de
fortes massues d'un bois durci au feu, qu'ils maniaient avec beaucoup
de dextérité. L'aile gauche des Romains pliait déjà, et allait se
mettre en déroute, si elle n'eût été soutenue par un grand corps
qui se détacha du centre et repoussa les ennemis. Le carnage devint
horrible; tout se mêla; on combattait, on fuyait de part et d'autre.
Les cavaliers taillaient en pièces, à grands coups de sabre, les
fantassins qui fuyaient; les fantassins coupant les jarrets des
chevaux, abattaient les cavaliers, et les tuaient à terre. Le champ
de bataille était jonché de morts, de mourants, de blessés. Cet
affreux spectacle animait encore la rage des combattants; comme s'ils
reprenaient de nouvelles forces dans le sang de leurs camarades, ils ne
se lassaient ni de porter ni de recevoir des coups; et la fin du jour
les surprit encore affamés de carnage. La nuit les sépara malgré eux;
ils retournèrent dans leur camp, frémissant de fureur, et désespérés
de laisser sur la place un si grand nombre de leurs plus braves
soldats. Cette journée fut également funeste aux deux partis. La perte
des Romains fut moindre à la vérité, mais beaucoup plus sensible que
celle des Barbares, dont le nombre était fort supérieur. On enterra
à la hâte les officiers les plus distingués; le reste fut abandonné
sans sépulture; et après les ravages et les combats de cette guerre
meurtrière, les plaines de Thrace dépouillées de culture et blanchies
d'ossements, ne présentèrent pendant plusieurs années que les horreurs
d'un vaste cimetière[295].

[Note 292: _Barbari inter eos ex more juratum est._ Amm. Marc. l.
31, c. 7.--S.-M.]

[Note 293: _Romani voce undique Martia concinentes, a minore solita
ad majorem protolli, qua gentilitate appellant barritum._ Amm. Marc. l.
31, c. 7.--S.-M.]

[Note 294: _Barbari majorum laudes clamoribus stridebant
inconditis._ Amm. Marc. l. 31, c. 7. Jornandès parle plusieurs fois
des chants nationaux des Goths, et plus particulièrement de ceux qui
étaient consacrés à la gloire des héros Ethesmapar, Hanala, Fridigerne
et Widicula. _Cantu_, dit-il, c. 5, _majorum facta modulationibus,
citharisque canebant, Ethesmaparæ, Hanalæ, Fridigerni, Widiculæ, et
aliorum, quorum in hac gente magna opinio est, quales vix heroas fuisse
miranda jactat antiquitas_.--S.-M.]

[Note 295: _Humatis denique pro locorum et temporis ratione
honoratis quibusdam inter defunctos, reliqua peremptorum corpora diræ
volucres consumpserunt, assuetæ illo tempore cadaveribus pasci, ut
indicant nunc usque albentes ossibus campi._ Amm. Marc. l. 31, c.
7.--S.-M.]

[Note latérale: XIII.

Suites de la bataille.

Amm. l. 31, c. 8.]

Les Romains se retirèrent à Marcianopolis[296]; et les Goths renfermés
entre leurs chariots, n'osèrent en sortir pendant sept jours[297]. Ce
délai donna aux Romains le temps de fermer les gorges du mont Hœmus,
afin d'arrêter de nombreuses troupes de Barbares qui campaient encore
entre les montagnes et le Danube[298]. On espérait que tous les grains
et les fourrages ayant été transportés dans les places fortes, ces
Barbares mourraient de faim dans les plaines désertes de la Mésie.
Richomer retourna en Gaule pour y chercher de nouveaux secours[299].
Valens, ayant reçu la nouvelle d'une bataille si sanglante et si peu
décisive, envoya Saturninus avec un grand corps de cavalerie, pour
se joindre à Profuturus et à Trajan. Cependant les Barbares enfermés
dans la Mésie, après avoir consumé tout ce qui pouvait servir à leur
nourriture, pressés de la faim, tâchaient de forcer leurs barrières.
Toujours arrêtés par la vigoureuse résistance des Romains, ils
implorèrent le secours de ces féroces ennemis, qui les avaient chassés
de leurs terres, et attirèrent par l'espérance du pillage un grand
nombre de Huns et d'Alains[300]. Saturninus qui était déjà arrivé,
craignant avec raison que ce torrent n'emportât par sa violence ceux
qui défendaient les défilés[301], replia ses postes les uns sur les
autres, et retira toutes les troupes.

[Note 296: Cette retraite prouve assez que les Romains n'eurent pas
tout l'avantage dans cette première bataille. Aussi Théodoret dit-il,
l. 4, c. 33, que Trajan avait été vaincu par les Barbares, ἐπειδὴ δὲ
ἡττηθεὶς ἐπανῆλθεν ἐκεῖνος.--S.-M.]

[Note 297: _Gothi intra vehiculorum anfractus sponte sua contrusi,
numquam exinde per dies septem egredi vel videri sunt ausi._ Amm. Marc.
l. 31, c. 8.--S.-M.]

[Note 298: _Immensas alias barbarorum catervas inter Hæmimontanas
angustias clauserunt aggerum objectu celsorum._ Amm. Marc.
_Ibid._--S.-M.]

[Note 299: On était alors, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 8,
au commencement de l'automne, sous le 4e consulat de Gratien, avec
Merobaudès, _hæc Gratiano quater et Merobaude consulibus agebantur,
anno in autumnum vergente_.--S.-M.]

[Note 300: _Chunorum et Alanorum aliquos ad societatem spe prædarum
ingentium adsciverunt._ Amm. Marc. l. 31, c. 8.--S.-M.]

[Note 301: _Ne subita multitudo, uti amnis impulsu undarum
obicibus ruptis emissus, convelleret levi negoti cunctos._ Amm. Marc.
_ibid._--S.-M.]

[Note latérale: XIV.

Ravages de toute la Thrace.]

Les passages étant ouverts, les Barbares pénétrèrent par toutes les
gorges des montagnes. Toute la Thrace, depuis le Danube jusqu'au mont
Rhodope, et même à la Propontide[302], ne fut plus qu'un théâtre
d'horreurs, de massacres, de rapines et des violences les plus
brutales. Les habitants dépouillés, meurtris de coups, enchaînés à la
selle des chevaux, suivaient les cavaliers barbares, et tombant de
lassitude étaient traînés et déchirés en pièces. Les chemins étaient
remplis de filles et de femmes qu'on chassait à coups de fouet comme
des troupeaux; on n'épargnait pas les femmes enceintes, et leurs
malheureux enfants, captifs avant que de naître, ne recevaient la vie
que pour la perdre aussitôt, ou pour gémir long-temps de ne l'avoir pas
perdue. La jeunesse, la pudeur, la noblesse étaient la proie du soldat
ivre de sang et de débauche. Un grand corps de Barbares rencontra près
de la ville de _Deultum_[303] le tribun Barzimer[304], qui campait avec
plusieurs cohortes[305]. C'était un officier expérimenté; la multitude
des ennemis lui ôtait l'espérance, sans lui ôter le courage. Il rangea
en bataille sa petite troupe, et chargea lui-même à la tête des plus
braves. Après des prodiges de valeur, il succomba sous le nombre; mais
la défaite de cette poignée de Romains coûta cher aux vainqueurs.

[Note 302: Ou plutôt jusqu'au passage des Dardanelles ou
l'Hellespont, qu'Ammien Marcellin appelle emphatiquement _le
détroit qui sépare d'immenses mers, fretum quod immensa disterminat
maria_.--S.-M.]

[Note 303: _Oppidum nomine Dibaltum._ Am. Marc. l. 31, c. 8. La
ville de _Dibaltum_ est appelée _Debelcum_ dans l'Itinéraire d'Antonin,
p. 229, Δεούελτον dans Ptolémée, l. 3, c. 11, _Deultum_ dans Pline, l.
4, c. 11, et Δεβελτὸς, dans la Synecdème d'Hiéroclès. On voit que ce
sont diverses orthographes d'un même nom. Elle était auprès d'un lac,
non loin de la mer Noire, à 74 milles au sud de Marcianopolis.--S.-M.]

[Note 304: C'est celui qui avait laissé échapper le roi d'Arménie.
Voyez ci-dev. p. 21 et suiv., l. XIX, § 18.--S.-M.]

[Note 305: Avec la cohorte des scutaires qu'il commandait, avec
les _Cornuti_ et d'autres troupes de pied. _Obi tribunum Scutariorum
Barzimerem inventum cum suis, Cornutisque et aliis peditum numeris._
Amm. Marc. l. 31. c. 8.--S.-M.]

[Note latérale: XV.

Succès de Frigérid.

[Amm. l. 31, c. 9.]]

Frigérid, rétabli de sa maladie, campait près de Bérhée, attendant
l'occasion d'attaquer les Barbares avec avantage. Les Goths qui
connaissaient sa prudence et sa capacité, le redoutaient comme le plus
dangereux de leurs ennemis, et le cherchaient pour l'accabler avant
qu'il eût réuni de plus grandes forces. Il fut averti de leur approche;
et plus jaloux de la conservation de ses troupes que d'une fausse
gloire, il se retira par les montagnes et les forêts, à dessein de
regagner l'Illyrie. Sa valeur trouva dans cette retraite une occasion
de se signaler. Il rencontra Farnobius, capitaine Goth[306], partisan
redoutable, qui conduisait une troupe de Taïfales, et ravageait
tout sur son passage. Les Taïfales, Scythes de nation, établis dans
l'ancienne Dacie, au-delà du Danube[307], s'étaient depuis peu alliés
avec les Goths, et ayant passé le fleuve, pillaient le pays abandonné
par les Romains. Frigérid les enveloppa et les attaqua si brusquement,
qu'ayant tué Farnobius et fait un grand carnage, il n'en aurait pas
laissé échapper un seul, si ces misérables n'eussent mis les armes
bas, demandant la vie à mains jointes. Il les fit conduire en Italie
aux environs de Modène [_Mutina_], de Reggio [_Regium_] et de Parme,
pour y cultiver les terres qui manquaient d'habitants. Les Taïfales
étaient alors en horreur à toutes les nations, à cause de leurs usages
abominables. Un jeune homme ne pouvait s'affranchir de la plus infâme
servitude, qu'après avoir seul, et sans aucun secours, tué un ours ou
un sanglier[308].

[Note 306: _Gothorum optimatem Farnobium._ Amm. Marc. l. 31. c. 9.
C'était un Greuthunge ou Ostrogoth, venu avec Alathée et Saphrax. Voy.
ci-dev. § 5, p. 103, not. 3.--S.-M.]

[Note 307: Les Taïfales, qui habitaient à cette époque une partie
des pays qui forment actuellement la principauté de Valachie, étaient,
selon moi, le dernier reste de la grande et puissante nation des
Daces (_Daci_ ou _Dahæ_), qui avait donné son nom à ces régions,
sur lesquelles elle avait dominé pendant long-temps. Les Taïfales
passèrent alors avec les Goths sur le territoire de l'empire. Un grand
nombre d'entre eux se mirent par la suite au service des Romains, qui
en cantonnèrent plusieurs corps dans diverses provinces. Ils sont
mentionnés dans la Notice de l'empire. Il y en eut en particulier un
corps considérable dans le pays des _Pictavi_, c'est-à-dire le Poitou.
Ils y conservèrent pendant long-temps leurs mœurs et leur langue, et
ils firent donner le nom de _Theofalgicus pagus_ au canton qu'ils
habitèrent. Deux endroits du département de la Vendée, Tiffauges
et la Tiffardière, conservent encore des traces évidentes de cette
dénomination.--S.-M.]

[Note 308: _Hanc Taifalorum gentem turpem ac obscenæ vitæ
flagitiis ita accepimus mersam; ut apud eos nefandi concubitus fædere
copulentur maribus puberes; ætatis viriditatem in eorum pollutis usibus
consumpturi. Porro si qui jam adultus aprum exceperit solus, vel
interemerit ursum immanem, colluvione liberatur incesti._ Amm. Marc. l.
31, c. 9.--S.-M.]

[Note latérale: AN 378.

XVI.

Préparatifs de Valens.

Hier. chron. Oros. l. 7, c. 33.

Socr. l. 4, c. 34, 35 et 37.

Soz. l. 6, c. 37, et 39.

Jorn. de regn. succes.]

L'année suivante commença avec le sixième consulat de Valens, et le
second du jeune Valentinien. Les inquiétudes que tant de désastres
causaient à Valens, rendirent le calme à l'Église Catholique. La
persécution cessa dans tout l'Orient. On dit même que ce prince se
repentit des maux dont il avait affligé les orthodoxes, et qu'il
rappela les évêques et les prêtres exilés[309]. Pierre rentra dans
Alexandrie avec des lettres du pape Damase qui confirmait son élection;
et le peuple chassa Lucius, qui se retira à Constantinople. Plusieurs
autres prélats revinrent dans leurs églises; soit par un ordre exprès
de l'empereur, soit qu'occupé de soins plus pressants, il eût perdu
de vue les intérêts de l'arianisme. Ce prince reconnaissait alors
son imprudence. Il s'était flatté que les Goths seraient la garde
perpétuelle de l'empire, et qu'il n'aurait plus besoin de troupes
romaines. En conséquence il avait congédié la plupart des vétérans,
et taxé les villes et les villages à une somme d'argent, au lieu des
soldats qu'ils devaient fournir. Trompé dans ces vaines espérances, il
se vit obligé de lever à la hâte de nouvelles troupes, et se disposa à
partir d'Antioche.

[Note 309: _Valens egressus de Antiochia: cum ultima infelicis
belli sorte traheretur, sera peccati maximi pœnitentia stimulatus,
episcopos cæterosque sanctos revocari de exiliis imperavit._ Oros. l.
7. c. 33.--S.-M.]

[Note latérale: XVII.

Irruption des Allemans dans la Gaule.

Amm. l. 31, c. 10.]

Gratien se préparait aussi à marcher au secours de son oncle, et
il avait déjà fait prendre les devants à plusieurs cohortes[310],
lorsqu'il se vit obligé lui-même de défendre ses États. L'exemple des
Goths avait réveillé les Barbares voisins de la Gaule. Les Allemans
nommés Lentiens, dont le pays s'étendait vers la Rhétie[311], rompant
le traité fait avec eux sous le règne de Constance, commencèrent à
ravager la frontière. Ils étaient attirés par un de leurs compatriotes,
qui servait dans les gardes de Gratien; et croyant trouver la Gaule
dégarnie de troupes, ils se divisèrent en plusieurs corps, passèrent le
Rhin sur les glaces au mois de Février[312], et coururent au pillage.
Deux légions[313] qui campaient dans le voisinage, tombèrent sur eux,
et les forcèrent de repasser le fleuve avec une grande perte.

[Note 310: Elles étaient déja arrivées en Pannonie, dit Ammien
Marcellin, l. 31, c. 10--S.-M.]

[Note 311: _Lentiensis Alamannicus populus, tractibus Rhætiarum
confinis._ Amm. Marc. l. 51, c. 10. La Rhétie répondait au pays des
Grisons, et à une partie du Tyrol, de la Bavière, de la Souabe, du
Voralberg et de la Suisse.--S.-M.]

[Note 312: _Rhenum gelu pervium pruinis februario mense..._
Il se trouve après ces mots une lacune dans le texte d'Ammien
Marcellin.--S.-M.]

[Note 313: C'étaient les Pétulans et les Celtes.--S.-M.]

[Note latérale: XVIII.

Bataille d'Argentaria.

Amm. l. 31, c. 10. et ibi Vales.

Hier. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Vict. epit. p. 231.

Till. Gratien. not. 10.

Alsat. illust. p. 193.]

Tous les Lentiens prirent aussitôt les armes, et l'on vit rentrer
en Gaule quarante mille combattants[314], qui ne respiraient que
vengeance. Gratien alarmé de cette irruption imprévue, rappela les
cohortes qui étaient déja en Pannonie; et ayant rassemblé ce qui
restait de troupes dans la Gaule, il en donna le commandement au comte
Nanniénus[315], et à Mallobaud[316]. Celui-ci était un roi des Francs,
qui s'était attaché au service de l'empire, et qui tenait à honneur
de porter le titre de comte des domestiques. Nanniénus, naturellement
circonspect, voulait différer le combat[317]; mais Mallobaud, dont le
courage était ardent et impétueux, brûlait d'impatience d'en venir aux
mains. Son avis l'emporta; on marcha aux Allemans, qui attendirent
fièrement les Romains dans la plaine d'Argentaria[318]. Cette ville,
alors une des principales de la première Germanie, n'est plus
maintenant qu'un village nommé _Horburg_, sur la droite de la rivière
d'Ill, vis-à-vis de Colmar[319]. Le combat était à peine engagé, que
les Romains, frappés d'une terreur panique, se débandèrent, et se
jetèrent à l'écart dans des sentiers étroits et couverts de bois.
Ce désordre qui devait causer leur perte, leur procura le succès.
S'étant ralliés presque aussitôt, ils revinrent à la charge avec tant
d'audace, que les Barbares s'imaginèrent que Gratien venait d'arriver
avec des troupes fraîches[320]. La terreur passa de leur côté; ils
se retirèrent, mais en bon ordre, s'arrêtant de temps en temps pour
disputer la victoire qu'ils n'abandonnaient qu'à regret; et l'on peut
dire qu'au lieu d'une bataille, cette journée vit plusieurs sanglants
combats. Enfin les Allemans toujours vaincus et réduits au nombre de
cinq mille, se sauvèrent à la faveur des bois[321]. Ils laissèrent
trente mille morts, entre lesquels se trouva leur roi Priarius[322],
qui mourut les armes à la main. Le reste fut fait prisonnier.

[Note 314: Ou même au nombre de soixante-dix milles, ajoute Ammien
Marcellin, l. 31, c. 10, comme l'ont dit quelques-uns par flatterie,
pour augmenter la gloire de leur vainqueur. _Cum quadraginta armatorum
millibus, vel septuaginta, ut quidam laudes extollendo principis
jactitarunt._--S.-M.]

[Note 315: Ce général était sans doute le même que le comte
_Nannenus_ ou _Nanneius_, dont il a déja été question à propos de la
guerre contre les Saxons. Voyez t. 3, p. 409, l. XVIII, § 18. Ammien
Marcellin en parle comme d'un officier également brave et prudent.
_Nannieno negotium dedit (Gratianus)_, dit-il, l. 31, c. 10, _virtutis
sobriæ duci_.--S.-M.]

[Note 316: _Eique junxit Mallobaudem pari potestate collegam,
domesticorum comitem, regemque Francorum, virum bellicosum et fortem._
Amm. Marc. l. 31, c. 10.--S.-M.]

[Note 317: _Nannieno pensante fortunarum versabiles casus, ideoque
cunctandum esse censente._ Amm. Marc. l. 31, c. 10.--S.-M.]

[Note 318: La ville d'_Argentaria_, qui donnait son nom à cette
plaine, a été appelée _Argentovaria_ par plusieurs auteurs anciens, ce
qui me paraît plus exact.--S.-M.]

[Note 319: Ce point de géographie ancienne me semble avoir
été solidement établi par le savant Schoëpflin, dans son _Alsatia
illustrata_, t. 1, pag. 193 et seq.--S.-M.]

[Note 320: Il semblerait par les termes dont se sert Ammien
Marcellin, que les troupes de Gratien arrivèrent effectivement. _Et
splendore consimili_, dit-il, _proculque nitore fulgentes armorum,
imperatorii adventus injecere Barbaris metum_. Ce qui prouve qu'il faut
entendre ainsi cet historien, c'est qu'il rapporte qu'aussitôt après la
bataille, Gratien se mit en marche pour l'Orient. _Hac læti successus
fiduciâ Gratianus erectus, jamque ad partes tendens Eoas._ Amm. Marc.
l. 31, c. 10.--S.-M.]

[Note 321: _Ex prædicto numero non plus quam quinque millia ut
æstimabatur evaderent densitate nemorum tecta._ Amm. Marc. l. 31, c.
10.--S.-M.]

[Note 322: _Rege quoque Priario interfecto._ Quelques savants ont
cru qu'il fallait lire un peu autrement les manuscrits de l'historien
latin et que ce roi devait s'appeler Priamus; ils se fondent sur ce
qu'il est dit dans la Chronique de Prosper, qu'en la 4e année de
Gratien, c'est-à-dire en l'an 379, un certain Priamus régna sur les
Francs. IV _Gratiani anno, Priamus quidam regnat in Francia, quantum
altius colligere potuimus._--S.-M.]

[Note latérale: XIX.

Gratien réduit les Allemans Lentiens.]

Gratien vint joindre son armée victorieuse[323], et passa le Rhin à
dessein d'achever de détruire cette nation remuante et infidèle. A
la nouvelle de son approche, les Lentiens affaiblis par leur défaite
ne prirent cependant pas encore le parti de se soumettre. Ils
abandonnèrent leurs habitations, et se réfugièrent avec leurs femmes et
leurs enfants sur des montagnes escarpées, résolus d'en disputer tous
les rochers comme autant de forteresses, et de s'y défendre jusqu'à
la mort. Pour les forcer dans ces postes avantageux, le nombre était
inutile; il n'était besoin que de courage et d'agilité. Ainsi Gratien
tira de chaque légion cinq cents hommes d'élite. Ceux-ci animés par
l'exemple du jeune empereur, qui s'exposait lui-même, s'efforçaient
de gagner le haut des rochers, bien assurés de battre les ennemis,
s'ils pouvaient seulement les atteindre. Il en coûta beaucoup de sang
de part et d'autre. Les Allemans qui osaient descendre à la rencontre
des Romains, n'échappaient pas à leurs coups: les Romains accablés
de pierres énormes, roulaient avec elles jusqu'en bas; et comme il
était facile de reconnaître l'escorte de l'empereur, les pierres et
les javelots pleuvaient surtout de ce côté-là, et toutes les armes
de ses gardes furent brisées[324]. L'attaque continua sans relâche
depuis midi jusqu'à la nuit. Gratien assembla le conseil. On convint
que de s'obstiner à forcer les ennemis, c'était vouloir perdre toute
l'armée: on jugea qu'il était plus à propos de les réduire par famine.
Dans ce dessein on commençait déja à disposer les postes, lorsque les
Allemans s'en étant aperçus, s'évadèrent par des sentiers inconnus,
et gagnèrent d'autres montagnes encore plus élevées. On les suivit,
et on se préparait à leur couper tous les passages. Enfin effrayés
d'une poursuite si opiniâtre, ils demandèrent grâce, et l'obtinrent
à condition qu'ils donneraient leur plus vigoureuse jeunesse pour
être incorporée aux troupes romaines[325]. Un exploit si difficile,
exécuté avec tant de vivacité, retint dans le devoir tous les Barbares
d'Occident, et Gratien fit connaître de quoi il eût été capable dans
la guerre, s'il eût pu modérer sa passion pour la chasse et son goût
pour les amusements frivoles. Le traître qui avait donné des avis aux
ennemis, fut découvert et mis à mort.

[Note 323: Gratien était encore à Trèves, le 22 avril 378. Selon
Orose, l. 7, c. 33, il se trouva en personne à la bataille. Quoique
avec des forces bien inférieures, dit-il, il se jeta au milieu des
ennemis, _longe impari militum numero sese in hostem dedit_. Le texte
d'Ammien Marcellin n'est pas assez précis pour qu'on sache positivement
s'il est favorable ou contraire à cette assertion.--S.-M.]

[Note 324: _Simul arma imperatorii comitatus auro colorumque
micantia claritudine, jaculatione ponderum densa confringebantur._ Amm.
Marcel. l. 31, c. 10.--S.-M.]

[Note 325: _Oblatâ, ut præceptum est, juventute valida nostris
tirociniis permiscenda._ Amm. Marc. l. 31, c. 10.--S.-M.]

[Note latérale: XX.

Il se met en marche pour aller joindre Valens.

Amm. l. 31, c. 10, 11 et 12.

Cellar. geog. antiq. l. 2, c. 3. § 42, et c. 7, § 42.]

Après avoir fait les dispositions nécessaires pour la sûreté de la
Gaule, Gratien prit sa route par la Rhétie. Il passa par Arbon [_Arbor
felix_][326], au bord du lac de Constance, et arriva à _Lauriacum_,
ville du Norique, célèbre en ce temps-là: c'est aujourd'hui le village
de Lorch, sur le Danube, entre les rivières de Traun et d'Ens. Le jeune
empereur fit alors une faute trop ordinaire aux souverains. Frigérid
allait fermer le pas de Sucques, pour empêcher les Barbares de pénétrer
en Occident. Ce général était habile, sage, d'un esprit solide, actif,
mais plus occupé de projets utiles que d'entreprises brillantes, tel,
en un mot, que dans de si fâcheuses conjonctures il aurait fallu le
retenir au service, s'il eût voulu se retirer. Tandis qu'il travaillait
avec zèle à servir l'État, les courtisans oisifs le ruinèrent dans
l'esprit de Gratien; il l'éloigna, et envoya pour le remplacer le
comte Maurus, fanfaron, étourdi, intéressé[327]: c'était le même qui
avait mis son collier sur la tête de Julien, lorsqu'on avait proclamé
ce prince empereur, et qu'on lui cherchait un diadème[328]. Gratien
ayant mandé à son oncle la victoire qu'il venait de remporter sur les
Allemans, fit conduire ses bagages par terre, et s'étant embarqué sur
le Danube avec son armée, il arriva à _Bononia_[329], et s'arrêta
quatre jours à Sirmium[330]. Une fièvre intermittente ne l'empêcha pas
de continuer sa marche jusqu'à une ville de Dacie, nommée _le camp
de Mars_[331]. Il fut attaqué dans cette route par un grand corps
d'Alains, qui lui tuèrent plusieurs soldats. De là il dépêcha à Valens
le comte Richomer, pour l'avertir qu'il allait incessamment le joindre,
et pour le prier de l'attendre et de ne pas s'exposer seul au péril
d'une bataille qui devait décider du sort de l'empire.

[Note 326: Ce lieu, peu considérable, situé au midi du lac de
Constance, dans le canton de Thurgovie, est placé par les itinéraires
romains à 20 milles au nord-ouest de _Brigantia_, actuellement
Brégentz.--S.-M.]

[Note 327: _Successor Maurus nomine mittitur comes, venalis
ferociæ specie, et ad cuncta mobilis et incertus._ Am. Marc. l. 31, c.
10.--S.-M.]

[Note 328: Voyez t. 2, pag. 326, liv. XI, § 9.--S.-M.]

[Note 329: Voyez au sujet de cet endroit t. 2, p. 366, not. 2, l.
XI, § 38.--S.-M.]

[Note 330: _Gratianus docto litteris patruo, quâ industriâ
superaverit Alamannos, pedestri itinere præmissis impedimentis et
sarcinis, ipse cum expeditiore militum manu permeato Danubio, delatus
Bononiam, Sirmium introiit._ Amm. Marc. l. 31, c. 11.--S.-M.]

[Note 331: Ce lieu, qui était dans la partie de la Mœsie appelée
_Dacia ripensis_, à cause de sa position sur le bord du Danube, est
encore mentionné dans le Synecdème d'Hiéroclès; mais on ignore sa
véritable position. On apprend de Sozomène, l. 9, c. 5, que c'était un
siége épiscopal. Procope parle aussi de cette place dans son traité
des édifices de l'empereur Justinien, l. 4, c. 6; mais ce qu'il y a de
singulier dans ce qu'il dit, c'est qu'il en marque la position, non
pas sur le bord du Danube, mais loin du fleuve, οὐ παρὰ τοῦ ποταμοῦ
κειμένων τὴν ὄχθην, ἀλλὰ κατὰ πολὺ ἄποθεν ὄντων, tandis qu'il semble
résulter bien clairement des paroles d'Ammien Marcellin, _per idem
flumen ad Martis castra descendit_, que ce fort était situé sur les
bords du Danube.--S.-M.]

[Note latérale: XXI.

Valens à Constantinople.

Amm. l. 31, c. 11.

Eunap. excerpt. leg. p. 21.

Zos. l. 4, c. 21 et 22.

Idat. chron.

Socr. l. 4, c. 38.

Theod. l. 4, c. 33 et 34.

Hist. misc. l. 12, ap. Murat, t. 1, p. 84.

Theoph. p. 55 et 56.

Zon. l. 13, t. 2, p. 31 et 32.

Cedr. t. 1, p. 313.

Suid. in Μελαντιάς.]

Valens était arrivé à Constantinople le trentième de Mai[332]. Il
y trouva le peuple dans la consternation. Les Goths faisaient des
courses jusqu'aux portes de la ville[333]. L'empereur amenait avec
lui un corps nombreux de cavaliers sarrasins, que Mavia leur reine
lui avait envoyés, lorsqu'il était parti d'Antioche. Il les employa
avec succès à nettoyer la campagne de tous les partis[334]. Ces
cavaliers courant avec la rapidité de l'éclair, chargeaient à leur
avantage, et échappaient à toutes les poursuites, rapportant tous les
jours un grand nombre de têtes d'ennemis[335]. Valens, mécontent du
succès de la bataille de _Salices_, ôta à Trajan le commandement des
troupes; et comme il l'accablait de reproches: _Prince_, lui répondit
hardiment ce général, _ce n'est pas nous que vous devez accuser.
Quel succès pouviez-vous espérer dans un temps où vous faisiez la
guerre à Dieu même, dont vous persécutiez les vrais adorateurs?_ Tout
retentissait de murmures contre Valens; on lui reprochait d'avoir
introduit les Goths dans l'empire, et de n'oser se montrer devant
eux, ni leur livrer bataille. Le 11 de Juin, comme il assistait aux
jeux du Cirque, tout le peuple s'écria: _Qu'on nous donne des armes,
et nous irons combattre_[336]. L'empereur, outré de colère, partit
aussitôt avec son armée, menaçant de ruiner la ville de fond en
comble à son retour, et d'y faire passer la charrue, pour la punir
de son insolence actuelle, et des attentats qu'elle avait autrefois
commis dans la révolte de Procope. Lorsqu'il sortait des portes, un
solitaire nommé Isaac, saisissant la bride de son cheval: _Prince_,
lui dit-il, _où courez-vous? Le bras de Dieu est levé sur votre tête:
vous avez affligé son Église; vous en avez banni les vrais pasteurs:
rendez-les à leur troupeau, ou vous périrez avec votre armée._ _Je
reviendrai_, repartit Valens en colère, _et je te ferai repentir de ta
folle prédiction_. En même temps il donna ordre de mettre aux fers ce
fanatique, et de le garder jusqu'à son retour: _J'y consens_, s'écria
le solitaire, _ôtez-moi la vie, si vous conservez la vôtre_. On voit
par ce discours d'Isaac, que supposé que Valens eût permis aux évêques
catholiques de retourner à leurs églises, cette permission n'était pas
générale. Chargé de ces malédictions, il alla camper à six lieues de
Constantinople, près du château de Mélanthias[337], qui appartenait aux
empereurs.

[Note 332: C'est Socrate, l. 4, c. 38, qui fournit cette
date.--S.-M.]

[Note 333: Ils portaient d'un autre côté, selon Zosime, l. 4, c.
34, leurs ravages jusque dans la Macédoine et la Thessalie.--S.-M.]

[Note 334: Selon Zosime, ces Sarrasins inspiraient tant de terreur
aux Goths, qu'ils auraient mieux aimé se livrer aux Huns, que de
s'exposer aux atteintes de ces cavaliers. Καὶ σφᾶς ἐκδοῦναι τοῖς
Οὔννοις μᾶλλον, ἤ ὑπὸ Σαῤῥακηνῶν πανωλεθρίᾳ διαφθαρῆναι. Zos. l. 4, c.
22.--S.-M.]

[Note 335: Les courses de ces cavaliers débarrassèrent le terrain,
dit Zosime l. 4, c. 22, et donnèrent à l'empereur le moyen de faire
avancer ses troupes: γέγονεν εὐρυχωρία τῷ βασιλεῖ παραγαγεῖν εἰς τὸ
πρόσω τὸ στράτευμα.--S.-M.]

[Note 336: Ammien Marcellin dit même l. 31, c. 11. qu'il y eut une
légère sédition. _Moratus paucissimos dies seditioneque popularium levi
pulsatus._--S.-M.]

[Note 337: Il était à 140 stades de Constantinople. C'était une
maison de campagne impériale, _villa cæsariana_.--S.-M.]

[Note latérale: XXII.

Sébastien général.

Amm. l. 31, c. 11.

Zos. l. 4, c. 22 et 23.

Suid. in Σεβαστιανός.]

Il y séjourna quelque temps, s'appliquant à gagner le cœur de ses
soldats par de bons traitements et par des manières douces et
familières. Les Goths, qui s'étaient avancés jusqu'aux bords de la
Propontide, n'eurent pas plus tôt appris que l'empereur était sorti
de Constantinople avec une nombreuse armée, qu'ils repassèrent le
mont Rhodope et retournèrent vers Andrinople, dans le dessein d'y
réunir leurs troupes, dont une partie était campée près de Bérhée
et de Nicopolis. Valens instruit de ces mouvements, et craignant
pour Andrinople, y envoya Sébastien, dont nous avons eu tant de fois
occasion de parler. C'était le héros de ce temps-là; et comme il était
manichéen et grand ennemi des catholiques, les ariens et les païens
même affectaient d'en faire beaucoup d'estime. Ammien Marcellin le
représente comme un parfait capitaine: brave avec prudence, ménageant
le sang de ses troupes plus que le sien propre, méprisant l'argent
et toutes les commodités de la vie, aimant ses soldats, mais aussi
attentif à punir leurs désordres qu'à récompenser leurs services. Il
s'était attaché à Valentinien, et après la mort de ce prince on avait
appréhendé, comme nous l'avons dit, que l'affection des troupes ne
l'élevât sur le trône. Les calomnies des eunuques, trop puissants
dans les deux cours d'Occident, et toujours ennemis du mérite, le
déterminèrent à passer au service de Valens[338], qui le reçut à bras
ouverts, et voulut mettre en œuvre ses talents. L'ayant revêtu de la
charge de général de l'infanterie à la place de Trajan, il lui permit
de prendre à son choix trois cents hommes dans chaque légion, pour
les conduire au secours d'Andrinople. Sébastien voyant la mollesse
et la lâcheté qui s'étaient introduites dans les troupes de Valens,
choisit parmi les nouvelles levées les soldats les mieux faits et qui
donnaient plus de signes de courage; persuadé qu'il était plus facile
de discipliner des milices, que de ramener à la discipline des troupes
qui s'en étaient écartées. Il les sépara du reste de l'armée, les
formant par de fréquents exercices à toutes les évolutions, punissant
sévèrement la désobéissance, et leur inspirant cette sensibilité
pour la louange qui produit de grandes actions, et qui en facilite la
récompense.

[Note 338: Il venait alors d'Italie, selon Ammien Marcellin, l.
31, c. 11, _Sebastiano_, dit-il, _paulo ante ab Italia ut petierat
misso, vigilantiæ notæ ductori pedestris exercitûs curâ commissâ, quem
regebat antea Trajanus_. Zosime se contente de dire, l. 4, c. 22, qu'il
abandonnait l'Occident, καταλιπὼν Σεβαστιανὸς τὴν ἑσπέραν.--S.-M.]

[Note latérale: XXIII.

Il taille en pièces un grand parti de Goths.]

Il paraît que la modestie n'était pas une des vertus de Sébastien. Il
partit à la tête de son détachement[339], promettant à Valens qu'il
apprendrait bientôt de ses nouvelles. A son approche d'Andrinople les
habitants, craignant quelque surprise, fermèrent leurs portes, et se
mirent en devoir de le repousser. Mais après l'avoir reconnu, ils le
reçurent avec joie. Dès le lendemain il sortit sans bruit, et ayant
appris de ses coureurs qu'on apercevait sur les bords de l'Hèbre un
grand corps d'ennemis qui ravageaient la campagne, il attendit la
nuit. Alors faisant filer ses troupes derrière des éminences et par
des chemins fourrés, il surprit les Goths à la faveur des ténèbres,
tomba sur eux avec furie, et n'en laissa échapper qu'un petit nombre.
Il reprit en cette occasion une si prodigieuse quantité de butin, que
la ville et les plaines d'alentour ne pouvaient le contenir. Fritigerne
alarmé de cet échec rappela tous ses partis répandus dans la Thrace, et
se retira près de la ville de Cabyle[340], dans des plaines fertiles et
découvertes, où il n'avait à craindre ni la disette ni la surprise.

[Note 339: Il était de deux mille hommes, selon Zosime, l. 4, c.
23.--S.-M.]

[Note 340: Cette ville située dans le centre de la Thrace était,
selon l'Itinéraire d'Antonin, à 78 milles an nord d'Andrinople.--S.-M.]

[Note latérale: XXIV.

Valens marche aux ennemis.

Amm. l. 31. c. 12.

[Liban, vit. t. 2, p. 58.]

Zos. l. 4, c. 23 et 24.]

Ce succès, et quelques autres encore, que Sébastien n'oubliait pas
d'exagérer dans les lettres qu'il écrivait à Valens, relevaient le
courage de ce prince; mais ce qui le piquait vivement, c'était la
célèbre victoire de son neveu, dont il reçut alors la nouvelle. Il
n'aimait pas Gratien ennemi de l'arianisme, et qui, sans le consulter,
avait reconnu un nouvel empereur. Jaloux de la gloire que ce jeune
prince venait d'acquérir, Valens brûlait d'envie de l'effacer par un
exploit éclatant[341]. Il se voyait à la tête d'une belle armée; les
vétérans, qu'il avait imprudemment congédiés, étaient revenus joindre
leurs drapeaux; tout ce qu'il y avait de bons officiers dans l'empire,
marchaient à sa suite. Trajan même, quoique disgracié, n'avait pas
voulu manquer à son prince dans une occasion si importante. L'empereur
partit donc de Mélanthias; et étant averti que les ennemis, afin de lui
couper le passage des vivres, se disposaient à se rendre maîtres des
défilés du mont Rhodope, dès qu'il les aurait traversés, il y laissa un
corps de cavalerie et d'infanterie. Trois jours après son départ, il
apprit que les Barbares marchaient vers Nicée[342], et qu'ils étaient
déja à quinze milles d'Andrinople. Sur un faux rapport de ses coureurs,
qu'ils n'étaient qu'au nombre de dix mille hommes, il se hâta d'aller
à leur rencontre. Il fut bientôt détrompé par des avis plus certains.
Pendant qu'il se retranchait près d'Andrinople[343], arriva Richomer
avec les lettres de Gratien, qui le priait de l'attendre. Valens
assembla le conseil; Sébastien et la plupart des officiers opinaient
à donner bataille sans aucun délai: ils disaient que _l'empereur ne
devait partager avec personne l'honneur d'une victoire assurée; que les
Barbares, déjà vaincus les jours précédents, n'étaient pas en état
de la disputer_. Victor, général de la cavalerie[344], plus sage et
plus expérimenté que Sébastien, pensait au contraire, qu'_il fallait
profiter de la jonction des légions gauloises, pour faciliter la
victoire; qu'il serait même plus prudent de ne rien hasarder contre une
si grande multitude de barbares; de les affaiblir par des surprises et
des attaques réitérées; de leur couper les vivres, et de les réduire
par la famine à se rendre, ou à se retirer des terres de l'empire_.
Mais les conseils de Victor, autrefois si estimés de Julien, avaient
moins de crédit auprès de Valens que les flatteries de ses courtisans.
Son avis ne fut pas écouté, et la bataille fut décidée.

[Note 341: _E Melanthiade signa commovit, æquiparare facinore
quodam egregio adolescentem properans filium fratris, cujus virtutibus
urebatur._ Amm. Marc., l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note 342: Cette ville qui faisait partie de la division de la
Thrace, qu'on appelait Hémimont à cause de sa situation au pied du mont
Hémus, était à 145 milles de Constantinople, non loin d'Andrinople.
Cette ville est célèbre dans l'histoire ecclésiastique par le
formulaire, que les Ariens y firent signer aux députés du concile de
Rimini et à presque tous les évêques.--S.-M.]

[Note 343: Près du faubourg d'Andrinople, _prope suburbanum
Hadrianopoleos_. Amm. Marc., l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note 344: Ammien Marcellin nous apprend à cette occasion, que cet
habile général, dont il a été si souvent question sous le règne de
Julien, n'était pas Romain, mais Sarmate. _Victor_, dit-il, _nomine
magister equitum, Sarmata_. Ammien Marcellin, l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note latérale: XXV.

Ruse de Fritigerne.]

Fritigerne, pour de meilleures raisons que Valens, désirait autant que
lui de prévenir l'arrivée de Gratien; mais il attendait Alathée et
Saphrax, qu'il avait mandés avec leurs troupes, et qui ne pouvaient
arriver que le lendemain. Pour amuser l'empereur, il lui députa
quelques-uns de ses moindres officiers, à la tête desquels était un
prêtre chrétien[345]. Ils apportaient une lettre par laquelle les Goths
s'engageaient à entretenir avec les Romains une paix éternelle, si
l'on voulait leur abandonner la Thrace avec tout ce qui s'y trouvait
de grains et de troupeaux[346]. Le prêtre était chargé d'une autre
lettre secrète de Fritigerne[347], qui témoignant un grand désir de
mériter l'amitié de l'empereur, lui mandait qu'_il avait affaire à une
nation turbulente et inconsidérée; qu'elle demandait avec empressement
un combat qui ne pouvait que lui être funeste; que pour l'amener
à des conditions raisonnables, il fallait lui montrer les forces
romaines dont elle n'avait nulle idée; que la vue de l'empereur et de
son armée porterait dans le cœur des Goths une impression de respect
et de crainte_. Valens renvoya les députés sans réponse; mais cette
négociation consuma la journée, et augmenta la vanité de Valens et
l'ardeur qu'il avait de combattre. C'était tout ce que souhaitait
Fritigerne.

[Note 345: _Christiani ritus presbyter, ut ipsi appellant._ Amm.
Marc., l. 31, c. 12. Il n'était pas seul; d'autres députés d'un rang
moins élevé l'accompagnaient; _missus a Fritigerno legatus cum aliis
humilibus venit ad principis castra_.--S.-M.]

[Note 346: _Habitanda Thracia sola cum pecore omni concederetur et
frugibus._ Amm. Marc., _ibid._--S.-M.]

[Note 347: Ammien Marcellin lui donne, l. 31, c. 12, le titre de
Roi. _Secretas alias ejusdem regis obtulit litteras._--S.-M.]

[Note latérale: XXVI.

Valens range son armée en bataille.

Amm. l. 31, c. 12.

Zos. l. 4. c. 24.

Idat. chron.

[Socr. l. 4, c. 38.]

Soz. l. 6, c. 40.]

Le lendemain, 9 août, l'empereur, dès la pointe du jour, se mit en
marche, laissant sous les murs d'Andrinople les bagages avec une garde
suffisante. Le préfet du prétoire, la maison du prince, ses trésors
et ses équipages furent mis en sûreté dans la ville[348]. La chaleur
était excessive ce jour-là. Après une marche de huit milles, par des
chemins rudes et difficiles, on aperçut le camp des Barbares bordé
de leurs chariots, et l'on entendit leurs cris confus et menaçants.
Valens n'avait dressé aucun plan de bataille; il ne connaissait ni le
terrain ni les forces des ennemis; il rangea son armée au hasard. La
cavalerie formait les deux ailes; l'aile droite fut placée en avant, et
couvrit une grande partie de l'infanterie; l'aile gauche avait marché
dans un tel désordre, que les cavaliers dispersés çà et là par les
chemins, arrivaient confusément, et prenaient leurs rangs avec peine.
Fritigerne, déja rangé en bataille, sentait bien que c'était là le
moment de charger l'ennemi; mais ce prudent capitaine, afin de ne point
donner de jalousie aux Ostrogoths, ne voulait rien faire en l'absence
d'Alathée et de Saphrax, qu'il attendait à chaque instant.

[Note 348: _Thesauri et principalis fortunæ insignia cætera, cum
præfecto et consistorianis ambitu mænium tenebantur._ Amm. Marc., l.
31, c. 12.--S.-M.]

[Note latérale: XXVII.

Nouvelle ruse de Fritigerne.]

Pour leur laisser le temps de le joindre, il fit porter à Valens par
quelques soldats de nouvelles propositions de paix. L'empereur demanda
que pour traiter avec lui on envoyât des députés d'un caractère plus
relevé[349]. Fritigerne traînait les choses en longueur, et cependant
l'armée romaine, qui n'avait pris aucune nourriture, se consumait de
faim, de soif et de chaleur. Outre les ardeurs du soleil, l'air était
encore embrasé par la vapeur des flammes que les Goths allumaient à
dessein, mettant le feu aux arbres, aux moissons, aux cabanes, dans
toute l'étendue de la plaine; enfin, Fritigerne fit dire à Valens par
un héraut, que s'il voulait lui envoyer en ôtage quelques personnes
distinguées, il irait lui-même le trouver pour conclure la paix malgré
l'ardeur et l'impatience de ses soldats. Cette proposition étant
acceptée, on jeta les yeux sur le tribun Équitius, grand-maître du
palais et parent de l'empereur[350]; mais comme il avait été fait
prisonnier par les Barbares, et qu'il s'était échappé[351], il refusa
de se remettre entre leurs mains, craignant d'en recevoir quelque
mauvais traitement. Richomer s'offrit de lui-même, persuadé qu'une
telle commission était digne d'un homme de courage[352], et que tout
service était honorable dès qu'il était périlleux.

[Note 349: _Optimates poscens_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c.
12.--S.-M.]

[Note 350: _Tribunus Æquitius cui tunc erat cura palatii credita,
Valentis propinquus_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note 351: Il s'était échappé de Dibalte, _lapsus a Dibalto_, où on
le tenait prisonnier. C'est la ville dont il a été question ci-devant
sous le nom de _Deultum_. Voy. § 14, p. 117, note 2.--S.-M.]

[Note 352: _Richomeres se sponte obtulit propria: ireque promiserat
libens, pulchrum hoc quoque facinus et viro convenire existimans
forti._ Amm. Marc., l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note latérale: XXVIII.

Bataille d'Andrinople.

Amm. l. 31, c. 12 et 13.

Hier. chron.

[Socr. l. 4, c. 38.]

Soz. l. 6, c. 40.

Oros. l. 7, c. 33.]

Avant qu'il se fût rendu auprès de Fritigerne, deux escadrons de la
garde de l'empereur[353], emportés par une impatience téméraire,
allèrent sans en avoir reçu l'ordre donner pique baissée sur les
ennemis; et dans ce moment, Alathée et Saphrax arrivant avec leur
cavalerie[354], fondirent sur eux, taillèrent en pièces tous ceux
qu'ils purent atteindre, et repoussèrent le reste avec Richomer
jusqu'au gros de l'armée romaine. La bataille devint générale; les deux
armées s'ébranlèrent en lançant une grêle de flèches et de javelots;
elles se choquèrent avec fureur, et se balancèrent quelque temps. Les
cavaliers de l'aile gauche des Romains pénétrèrent jusqu'aux chariots
qui formaient l'enceinte du camp des Barbares; mais n'étant pas
secondés, ils furent rompus et renversés par la multitude des ennemis.
Alors, toute la cavalerie tourna le dos, et ce fut la principale cause
de la défaite. L'infanterie qui demeurait à découvert, fut bientôt
enveloppée, et tellement resserrée, que les soldats n'avaient le libre
usage ni de leurs bras ni de leurs armes. Aveuglés par une nuée de
poussière, ils ne pouvaient ni adresser leurs coups ni éviter ceux des
Barbares, qui s'abandonnant sur eux, les écrasaient sous les pieds
de leurs chevaux. Dans une épaisse obscurité, on n'entendait que le
bruit des armes, le cri des combattants, les gémissements des mourants
et des blessés. Le massacre ayant éclairci les rangs, les Romains,
quoiqu'épuisés de fatigue, retrouvaient des forces dans la rage et le
désespoir. La terre n'était plus couverte que de sang, de carnage, de
morts couchés sous des mourants; enfin, ce qui restait de Romains,
réunissant leurs efforts, ils s'ouvrirent un passage et prirent la
fuite.

[Note 353: C'étaient les archers de la garde et les scutaires, qui
étaient commandés par l'Ibérien Bacurius et par Cassion. _Sagittarii
et Scutarii, quos Bacurius Iberus quidam tunc regebat et Cassio._ Amm.
Marcell., l. 31, c. 12. Ce Bacurius si renommé par son courage et sa
franchise, et qui se distingua beaucoup sous le règne de Théodose,
avait été roi de l'Ibérie; il avait préféré le service des Romains au
joug des Perses, et depuis long-temps il était employé dans les troupes
impériales. Sous Théodose il fut duc de la frontière de Palestine, et
ensuite comte des Domestiques, ce qui était une très-haute dignité.
Il existe dans le recueil des lettres de Libanius, publié par Wolf,
quelques lettres qui lui sont adressées. Zosime rapporte, l. 4, c.
57, qu'il était Arménien de naissance. Βακούριος, dit-il, ἕλκων ἐξ
Ἀρμενίας τὸ γένος. Il est évident qu'il se trompe, car tous les
autres témoignages, et ils sont assez nombreux, le font Ibérien.
Rufin qui l'avait connu personnellement en parle dans son Histoire
ecclésiastique, l. 10, c. 10, comme d'un homme très-zélé pour la
religion catholique.--S.-M.]

[Note 354: Ils étaient mêlés avec des Alains. _Equitatus Gothorum
cum Alatheo reversus et Safrace, Alanorum manu permista._ Amm. Marc.,
l. 31, c. 12.--S.-M.]

[Note latérale: XXIX.

Fuite des Romains.]

L'empereur, environné d'un monceau de cadavres, et abandonné de ses
gardes, s'alla jeter au milieu de deux légions[355] qui se défendaient
encore. Trajan, résolu de périr avec lui, s'écria que l'unique
ressource était de rallier auprès du prince les débris de l'armée[356].
Aussitôt le comte Victor courut à l'endroit où l'on avait placé les
Bataves pour servir de réserve; et ne les trouvant plus, il jugea que
tout était perdu, et se retira avec Richomer et Saturninus. Cependant,
les Barbares, altérés de sang, poursuivaient à toute bride les fuyards,
les uns épars dans la plaine, les autres ramassés en pelotons, se
précipitant et se perçant mutuellement de leurs propres épées. Les
Goths ne faisaient point de prisonniers. Les chemins étaient bouchés de
cadavres d'hommes et de chevaux amoncelés. Le massacre ne cessa qu'à la
nuit qui fut fort obscure.

[Note 355: C'étaient les _lancearii_ et les _mattiarii_.--S.-M.]

[Note 356: _Eoque viso Trajanus exclamat, spem omnem absumptam, ni
desertus ab armigeris princeps saltem adventicio tegeretur auxilio._
Amm. Marc., l. 31, c. 13.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Mort de Valens.

Amm. l. 31, c. 13 et 14.

Liban. or. de ulcisc. morte Jul. c. 3.

Hier. chron.

Eunap. vit. Max. t. 1, p. 63 et 64 ed. Boiss.

Vict. epit. p. 230.

Idat. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Chrysost. vid. iun. t. 1, p. 343 et ad Philip. hom. 15, t. 11, p. 318.

Socr. l. 4, c. 38.

Theod. l. 4, c. 36.

Soz. l. 6, c. 40.

Philost. l. 9, c. 17.

Zos. l. 4, c. 24.

[Theoph. p. 56.]

Zon. l. 13, t. 2, p. 31 et 32.

Cedren. t. 1, p. 314.]

Valens ne parut plus depuis cette funeste journée. On ne retrouva pas
même son corps. Personne n'osa pendant plusieurs jours approcher du
champ de bataille, où les vainqueurs s'arrêtèrent pour dépouiller les
morts. Toutes les circonstances de la mort de Valens, rapportées par
les historiens, ne sont fondées que sur des bruits incertains[357].
Les uns disent qu'au commencement de la nuit, ce prince, ayant pris
l'habit d'un simple soldat, et s'étant mêlé dans la foule des fuyards,
fut tué d'un coup de flèche. Libanius le fait mourir en héros: il dit
que ses officiers le conjurant de mettre sa personne en sûreté, et ses
écuyers lui offrant d'excellents chevaux, il répondit: _qu'il serait
indigne de lui de survivre à tant de braves gens, et qu'il voulait
s'ensevelir avec eux_; qu'en même temps il se jeta dans le fort de la
mêlée, et qu'il périt en combattant. L'opinion la plus généralement
reçue, c'est que ce prince étant blessé, et ne pouvant plus se tenir
à cheval, fut porté dans une cabane par quelques-uns de ses eunuques;
là, tandis qu'on pansait ses blessures, survint une troupe d'ennemis,
qui, trouvant de la résistance, et ne voulant pas s'arrêter devant
cette chaumière, où ils ignoraient que fût l'empereur, y mirent le feu
et la brûlèrent avec ceux qui s'y étaient renfermés; il n'en échappa
qu'un seul, et ce fut de lui que les Goths apprirent la fin tragique
de Valens. Ils furent très-affligés d'avoir perdu l'honneur de tenir
entre leurs mains le chef de l'empire[358]. On ajoute qu'après la
retraite des Barbares, comme on cherchait entre les cendres de cette
cabane les os de Valens, dont on ne put retrouver un seul, on découvrit
un ancien tombeau avec cette inscription: _Ici est enterré Mimas,
capitaine macédonien_[359]. Ce fait, s'il était véritable, serait
l'accomplissement de l'oracle, que nous avons rapporté dans l'histoire
de Théodore. Valens, naturellement timide, avait été si frappé de cette
prédiction, que ne connaissant du nom de Mimas que la montagne voisine
de la ville d'Erythres en Ionie, il ne pouvait, depuis ce temps-là,
entendre sans trembler le nom de cette province[360]. Quelques auteurs
rapportent qu'avant la bataille il avait consulté les devins pour
savoir quel en serait le succès, et qu'il fut trompé, comme il était
ordinaire, par des réponses équivoques.

[Note 357: _Neque enim vidisse se quisquam vel præsto fuisse
adseveravit_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 13.--S.-M.]

[Note 358: C'est principalement dans le récit d'Ammien
Marcellin, qu'ont été puisées toutes ces circonstances de la mort de
Valens.--S.-M.]

[Note 359: Ἐνταῦθα κεῖται Μίμας Μακέδων στρατηγέτης.--S. M.]

[Note 360: Presque tous les auteurs originaux rapportent ces
prédictions controuvées.--S.-M.]

[Note latérale: XXXI.

Perte des Romains.]

Jamais une plaie si profonde n'avait affligé l'empire, et les
historiens du temps ne trouvent dans les annales de Rome que la
bataille de Cannes qui puisse être comparée à celle-ci. Les deux tiers
de l'armée romaine restèrent sur la place[361] avec trente-cinq tribuns
et commandants de cohortes[362]. Entre les capitaines distingués qui y
périrent, on nomme Trajan, Sébastien, Valérien grand-écuyer, Équitius
maître du palais, Potentius tribun de la première compagnie des
cavaliers[363]. Ce dernier était un jeune homme de grande espérance,
déja aussi recommandable par son mérite, que par celui de son père
Ursicin, dont l'injuste disgrâce, arrivée sous le règne de Constance,
donnait du prix et de l'éclat aux vertus du fils. La nouvelle de
cet événement funeste s'étant répandue, on se rappela quantité de
circonstances, la plupart frivoles, dont on fit après coup autant de
présages de la mort de Valens. Je n'en rapporterai qu'une seule. On
se ressouvint que pendant le long séjour de ce prince dans la ville
d'Antioche, il s'était rendu si odieux, que le peuple, voulant affirmer
quelque chose, disait communément par forme d'imprécation: _Qu'ainsi
Valens puisse être brûlé vif_.

[Note 361: _Constat vix tertiam evasisse exercitus partem_, dit
expressément Ammien Marc., l. 31, c. 13.--S.-M.]

[Note 362: Tant ceux qui étaient en activité de service, que
ceux qui étaient en retraite, mais qui servirent dans cette occasion
comme volontaires. De ce nombre était Trajan, qui avait été destitué
par Valens, peu de temps avant la bataille, XXXV _oppetivere_, dit
Ammien Marcellin, l. 31, c. 13, _tribuni vacantes, et numerorum
rectores_.--S.-M.]

[Note 363: C'est-à-dire qu'il commandait le corps de cavalerie des
_Promoti_. _Promotorum tribunus, Potentius, cæcidit in primævo ætatis
flore_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 13.--S.-M.]

[Note latérale: XXXII.

Divers traits du caractère de Valens.

Amm. l. 31, c. 14. Them. or. 8, p. 119 et 120.]

Il avait régné quatorze ans, quatre mois et treize jours[364]. Ses
actions, que nous avons racontées, suffisent pour donner une juste
idée de son caractère. Il ne sera pourtant pas inutile d'y ajouter
quelques traits, qui pourraient n'avoir pas été assez sentis dans le
détail de son histoire. Il se déterminait lentement, soit à donner les
charges, soit à les ôter. Il était ennemi des brigues formées pour les
obtenir, et s'étudiait surtout à réprimer l'ambition de ses parents.
Jamais l'empire d'Orient ne fut moins chargé d'impôts que sous son
règne; son avarice n'osait s'attaquer qu'aux biens des particuliers;
mais il ménageait les provinces, modérant les tributs déjà établis,
n'en imposant pas de nouveaux, exigeant sans rigueur les anciennes
redevances, ne pardonnant jamais les concussions aux hommes en place.
Il avait grand soin de s'instruire de l'état de ses finances. Ses
prédécesseurs étaient dans l'usage d'abandonner à ceux qu'ils voulaient
gratifier, les biens dévolus au fisc; ce qui redoublait l'avidité
des courtisans. Valens permettait à chacun de défendre ses droits
contre les entreprises du fisc; et quand les biens étaient déclarés
caducs, il en partageait la donation entre trois ou quatre personnes,
afin de diminuer l'empressement à poursuivre, en diminuant le profit
qu'on pouvait retirer des poursuites. Il répétait souvent cette belle
parole d'un ancien: _que c'est aux pestes, aux tremblements de terre,
et aux autres fléaux de la nature, à faire périr les hommes, mais
aux princes à les conserver_. Cette maxime ne fut jamais que dans sa
bouche. L'histoire de son règne nous montre un prince sans lumières
pour connaître ses devoirs, sans activité pour les remplir, injuste,
sanguinaire, qui ne fit paraître de vigueur qu'à persécuter l'Église.
Il ne laissa de sa femme Dominica que deux filles, Carosa et Anastasia.
L'une des deux épousa Procope qui n'est guère connu que par le titre de
gendre de Valens.

[Note 364: Il était âgé d'environ cinquante ans, _quinquagesimo
anno contiguus_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 14.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIII.

Les Goths assiègent Andrinople.

Amm. l. 31, c. 15.]

Pendant la nuit qui suivit la bataille, les Romains échappés de la
défaite se dispersèrent de toutes parts. Dès que le jour parut, la plus
grande partie des Barbares marcha vers Andrinople; ils savaient par le
rapport des transfuges, que les grands officiers de l'empire et les
trésors de Valens y étaient renfermés. Ils y arrivèrent sur les neuf
heures du matin, et environnèrent la ville, résolus de braver tous
les périls d'une attaque précipitée. Les habitants n'étaient pas moins
déterminés à se bien défendre: le pied des murs était au dehors bordé
d'une multitude de fantassins et de cavaliers, qu'on n'avait pas voulu
recevoir dans la ville, et qui, écartant l'ennemi à coups de flèches
et de pierres, défendirent pendant cinq heures l'approche du fossé,
toujours en butte eux-mêmes à tous les traits de l'ennemi. Enfin, la
plupart ayant perdu la vie, trois cents qui restaient encore, mirent
bas les armes, et passèrent du côté des Barbares qui les égorgèrent
sans miséricorde. Ce spectacle inspira tant d'horreur aux habitants,
qu'ils résolurent de périr plutôt que de se rendre. Les Goths,
s'avançant jusqu'au bord du fossé, faisaient pleuvoir sur la muraille
une grêle de traits, lorsqu'un furieux orage, mêlé de tonnerres
affreux, les obligea de se retirer à l'abri de leurs chariots. De
là ils firent sommer les assiégés de se rendre sur-le-champ, leur
promettant la vie sauve. Le porteur de cet ordre n'ayant pas été reçu
dans la ville, ils y envoyèrent un prêtre chrétien[365]. La lettre fut
lue et méprisée; on employa le reste du jour et une partie de la nuit
suivante, à préparer tout ce qui était nécessaire pour une vigoureuse
défense. On doubla les portes en dedans de gros quartiers de pierres;
on fortifia les endroits les plus faibles; on dressa les batteries; on
plaça de distance en distance des vases remplis d'eau, parce que la
veille plusieurs soldats qui bordaient le haut de la muraille, étaient
morts de soif.

[Note 365: Ammien Marcellin dit seulement, l. 31, c. 15,
que c'était un chrétien, _per christianum quemdam portatis
scriptis_.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIV.

Belle défense des assiégés.]

Les Goths dépourvus de machines, et ne sachant pas même faire les
approches, n'imaginaient d'autre moyen que de tuer à coups de traits
ceux qui paraissaient sur les murailles, et de monter ensuite à
l'escalade; mais comme ils perdaient beaucoup plus de monde qu'ils
n'en abattaient, ils eurent recours à un stratagème qui aurait réussi,
s'il eût été mieux concerté. Ils engagèrent quelques déserteurs à
retourner dans la ville, comme s'ils se fussent échappés des mains
des assiégeants; ces traîtres devaient mettre secrètement le feu en
divers endroits, pour faciliter l'escalade, tandis que les assiégés
s'occuperaient à éteindre l'incendie. Sur le soir les déserteurs
s'avancèrent au bord du fossé, tendant les bras et demandant avec
instance d'être reçus dans la place. On leur ouvrit les portes; on les
interrogea sur les desseins des ennemis: comme ils ne s'accordaient
pas dans leurs réponses, on en conçut du soupçon; on les appliqua à
la torture. Ils avouèrent leur trahison, et eurent la tête tranchée.
Au milieu de la nuit, les Barbares ne voyant pas paraître de flammes,
et se doutant que leur ruse était découverte, comblèrent le fossé, et
vinrent en foule attaquer les portes, s'efforçant de les enfoncer ou
de les rompre. Leurs principaux capitaines animaient leurs efforts, et
s'exposaient eux-mêmes avec encore plus de hardiesse. Les habitants
et les officiers du palais se joignant aux soldats de la garnison,
opposaient la plus vigoureuse résistance. Aucun trait jeté même au
hasard dans les ténèbres sur une si grande multitude, ne tombait en
vain. Comme on remarqua que les Barbares faisaient à leur tour usage
des flèches qu'on tirait sur eux, on ordonna aux archers de couper la
corde qui tenait le fer fermement emmanché dans le bois; mais rien
ne causa plus d'effroi aux ennemis, que la vue d'une pierre énorme
lancée d'une machine, et qui vint en bondissant rouler à leurs pieds.
Ils en furent tellement épouvantés qu'ils allaient prendre la fuite,
si leurs généraux, faisant sonner toutes les trompettes, ne se fussent
avancés à leur tête, leur montrant la ville et leur criant: _Voilà le
magasin où sont enfermées les richesses que l'avarice de Valens vous
a enlevées; voilà la prison de vos femmes et de vos filles arrachées
de vos bras, et qui gémissent dans une honteuse captivité_. Tous
aussitôt courent tête baissée vers les murailles; ils plantent les
échelles; chacun s'empresse de monter le premier: on décharge sur
eux des quartiers de roche, des meules de moulin, des fragments de
colonnes. Les échelles sont brisées, et avec elles tombent les uns sur
les autres les soldats écrasés de ces masses foudroyantes, ou percés de
javelots. D'autres succèdent, et sont encore renversés. Mais comme ils
voient aussi un grand nombre d'habitants tomber du haut des murailles,
ils s'encouragent, ils se pressent les uns les autres, ils plantent
de nouveau leurs échelles sur des monceaux de carnage; et n'observant
plus aucun ordre, ils montent et sont précipités par pelotons. Cette
horrible attaque, où la rage des assiégeants et des assiégés était
égale, dura depuis le milieu de la nuit jusqu'à la nuit suivante.
Alors les Goths désespérés se retirèrent sous leurs tentes, la plupart
sanglants et estropiés, s'accusant mutuellement de n'avoir pas écouté
Fritigerne qui les avait voulu détourner de cette funeste entreprise.

[Note latérale: XXXV.

Les Goths marchent à Périnthe.

Amm. l. 31, c. 16.]

Au matin ils tinrent conseil, et se déterminèrent à prendre la route
de Périnthe, qu'on nommait aussi Héraclée. Les transfuges leur
promettaient un riche butin. Ils marchèrent donc de ce côté-là sans
se hâter, ne rencontrant ni ne craignant aucun obstacle. Lorsque les
habitants d'Andrinople furent assurés de leur retraite, les soldats
qui avaient si bien défendu la ville, n'étant pas instruits de la
mort de Valens, et croyant qu'il s'était retiré du côté de l'Illyrie,
résolurent d'aller en diligence rejoindre l'empereur. Ils partirent
pendant la nuit avec tous les bagages, et prenant des chemins détournés
et couverts de bois, dans l'incertitude où ils étaient, ils se
partagèrent en deux divisions: les uns tournèrent vers Philippopolis
et Sardique, les autres vers la Macédoine. Cependant les Goths ayant
reçu un renfort considérable de Huns et d'Alains, que Fritigerne avait
attirés[366], campèrent à la vue de Périnthe. Le mauvais succès de
l'attaque d'Andrinople leur ôta l'envie d'approcher de la ville, mais
ils désolèrent les vastes plaines d'alentour.

[Note 366: _At Gothi Hunnis Alanisque permisti nimium bellicosis
et fortibus, rerumque asperarum difficultatibus induratis, quos miris
præmiorum illecebris sibi sociarat solertia Fritigerni._ Ammien
Marcellin, l. 31, c. 16.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Ils sont repoussés de devant Constantinople.

Amm. l. 31, c. 16.

Socr. l. 5, c. 1.

Soz. l. 7, c. 1.]

L'avidité du pillage les conduisit à Constantinople. Ils en insultaient
déja les faubourgs et couraient jusqu'aux portes. Dominica, veuve de
Valens, sauva par son courage la capitale de l'empire: elle ranima
les habitants consternés; elle leur distribua des armes; elle tira
de grandes sommes du trésor pour les exciter par ses largesses à
leur propre défense. La principale ressource de la ville consistait
dans une troupe de cavaliers Sarrasins[367], qui sortirent sur les
ennemis avec une audace déterminée, et donnèrent à grands coups de
cimeterre au travers de leurs escadrons. Pendant ce combat, qui fut
sanglant et opiniâtre, un Sarrasin, nu jusqu'à la ceinture, portant
une chevelure longue et flottante, poussant des sons lugubres et
menaçants, armé seulement d'un poignard, vint se lancer au milieu
des Goths; et au premier qu'il égorgea, il attacha sa bouche sur la
plaie pour en sucer le sang[368]. La vue d'une férocité si brutale
glaça d'effroi les ennemis; ils sonnèrent la retraite, et allèrent
camper à quelque distance, n'osant plus approcher de trop près d'une
ville, qui leur semblait être un repaire d'animaux farouches. Quelques
jours après, lorsqu'ils eurent considéré à loisir la vaste étendue
de Constantinople, la hauteur de ses tours et de ses palais qui
ressemblaient à autant de forteresses, la multitude infinie de ses
habitants, la commodité du Bosphore qui lui donnait une communication
toujours libre avec l'Asie et les deux mers, ils désespérèrent de la
réduire ni par la force, ni par la famine. Ayant donc détruit tous les
travaux qu'ils avaient commencés pour un siége, après avoir, par les
différentes sorties, perdu plus de soldats qu'ils n'en avaient tués,
ils se retirèrent pour se répandre vers l'Illyrie.

[Note 367: _Saracenorum cuneus._ Un escadron de Sarrasins. Amm.
Marc. l. 31, c. 16.--S.-M.]

[Note 368: _Ex ea enim crinitus quidam, nudus omnia præter pubem,
subraucum et lugubre strepens, educto pugione agmini se medio Gothorum
inseruit, et interfecti hostis jugulo labra admovit, effusumque cruorem
exsuxit._ Ammien Marcellin, l. 31, c. 16.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVII.

Massacre des Goths en Asie.

Amm. l. 31, c. 16.

Zos. l. 4, c. 26.]

L'Asie aurait peut-être éprouvé les mêmes désastres, si le comte
Jule[369] n'eût pris une de ces résolutions extrêmes, que l'humanité
déteste, que la politique prétend justifier par la nécessité, mais qui
ne paraissent jamais vraiment nécessaires aux yeux de la bonne foi et
de la justice. Ce comte ayant, par ordre de Valens, conduit en Asie les
plus jeunes d'entre les Goths, les avait dispersés en diverses villes
au-delà du mont Taurus, dans la crainte que s'ils étaient réunis ils
ne se portassent à quelque violence. Il fut averti que cette jeunesse
fougueuse, instruite du traitement fait au reste de la nation, et de sa
révolte, formait des complots secrets; et que par des messages mutuels,
envoyés d'une ville à l'autre, elle prenait des mesures pour se rendre
maîtresse des lieux où elle était établie, et pour venger ses parents
et ses compatriotes. Sur cet avis il prend son parti: il écrit à tous
les commandants des places. Conformément à ses ordres, on assemble
les Goths dans chaque ville pour leur faire savoir: _que l'empereur,
désirant les incorporer à ses sujets, veut leur donner de l'argent et
des terres; qu'ils aient donc à se rendre un tel jour à la métropole_.
Ces jeunes Barbares, ravis de joie, oublient leurs complots: ils
attendent avec impatience le jour marqué, et se rendent à l'ordre. Tout
était préparé pour les recevoir. Dès qu'ils sont assemblés dans la
place publique de chaque capitale, les soldats cachés dans les maisons
d'alentour se montrent aux fenêtres, et les accablent de pierres et de
traits. On passe au fil de l'épée ceux qui prennent la fuite; et dans
un seul jour, en diverses villes, comme par un même signal, un nombre
infini de ces malheureux fut sacrifié à une défiance sanguinaire[370].
Ce massacre justifia les cruautés que leurs pères exerçaient alors en
Occident.

[Note 369: Il était maître de la milice au-delà du mont Taurus.
_Julius magister militiæ trans Taurum._ Amm. Marc., _ibid._--S.-M.]

[Note 370: Selon Zosime, l. 4, c. 26, ce massacre fut exécuté par
les ordres du sénat de Constantinople.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVIII.

Ravages des Goths.

Amm. l. 31, c. 16, et l. 20, c. 4

Greg. Naz. or. 14, t. 1 p. 214.

Hier. ep. 60, t. 1, p. 342.

Chrysost. ad vid. Jun. t. 1, p. 343,

Ambr. ep. 10. t. 2. p. 809.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 2, c. 12, 14. et vie de S. Basil. l. 6, c.
10, 11. éclairciss.]

Les autres Barbares d'au-delà du Danube, Sarmates, Quades, Marcomans,
vinrent se joindre aux Goths, aux Huns, aux Alains. Réunis par leur
haine commune contre les Romains et par le désir du pillage, ils
ravageaient, ils brûlaient, ils détruisaient la petite Scythie, la
Thrace, la Macédoine, la Dardanie, la Dacie, la Mésie[371]. Leurs
partis étendaient leurs courses jusque dans la Pannonie, la Dalmatie,
l'Épire et l'Achaïe. Le comte Maurus, successeur de Frigérid, avait
laissé forcer le Pas de Sucques. Le sang romain coulait depuis
Constantinople jusqu'aux Alpes Juliennes[372]. Les femmes et les
filles étaient violées; les prêtres, traînés en esclavage, ou tués
avec les évêques; les églises, changées en écuries; les corps des
martyrs, déterrés. Ce n'était dans toutes ces contrées que deuil,
gémissements, triste et affreuse image de la mort. Mursa fut ruinée;
Pettau [_Petobio_], livrée aux Barbares[373]; on soupçonna de cette
trahison un certain Valens que les Ariens avaient inutilement voulu
faire évêque de cette ville. Fritigerne, voyant que tout fuyait
devant lui, disait: _qu'il s'étonnait de l'impudence des Romains qui
se prétendaient maîtres d'un pays qu'ils ne savaient pas défendre;
qu'ils le possédaient sans doute au même titre que des troupeaux
possèdent la prairie où ils paissent_. On ne voyait de toutes parts
que des prisonniers exposés en vente. Les églises en rachetaient un
grand nombre; et saint Ambroise signala en cette occasion sa charité
inépuisable: il vendit les ornements du sanctuaire, il aurait vendu
les vases sacrés, si les besoins l'eussent exigé. Quantité d'Illyriens
abandonnèrent leur partie, et se retirèrent en Italie aux environs
d'Imola, où il semble que Gratien leur donna des terres. Ils y
portèrent l'hérésie d'Arius, qu'ils auraient répandue jusqu'à Milan,
si le saint évêque n'en eût préservé le pays. Les Goths, dans le cours
de leurs ravages, trouvèrent plusieurs catholiques de leur nation,
qui pour se soustraire à la persécution d'Athanaric, s'étaient jetés
entre les bras des Romains. Ils les invitèrent à se joindre à eux
et à partager les dépouilles. Mais ces généreux fugitifs refusèrent
de contribuer à détruire leur asile: ils aimèrent mieux, les uns se
laisser égorger, les autres quitter leurs terres, et se retirer en des
lieux forts d'assiette, pour conserver la pureté de leur foi et la
fidélité qu'ils avaient promise à l'empire.

[Note 371: _Scythiam, Thraciam, Macedoniam, Dardaniam, Daciam,
Thessaliam, Achaïam, Epiros, Dalmatiam, cunctasque Pannonias; Gothus,
Sarmata, Quadus, Alanus, Hunni, Wandali, Marcomanni vastant, trahunt,
rapiunt._ S. Hieron., ep. 60, t. 1, p. 342, edit. Vallars.--S.-M.]

[Note 372: Les Romains, dit Eunapius, (_excerpt. leg._, _p._
21) redoutaient autant le nom des Scythes (ou Goths), que ceux-ci
le nom des Huns. Καὶ ΣκύΘας Οὔννων μὴ φέρειν ὄνομα, καὶ Ῥωμαίους
Σκυθῶν.--S.-M.]

[Note 373: S. Ambroise donne à cette ville le nom de _Patavio_.
Elle est appelée Παταβίων, par Priscus, _excerpt. de leg._, p. 57, v.
ci-après t. 6, liv. XXXII, § 73.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIX.

Théodose est rappelé.

Liban. de ulc. morte Jul. c. 1.

Them. or. 16, p. 205.

Pacat. paneg. c. 10.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Idat. chron.

Marcell. chron.

Zos. l. 4, c. 24.

Joann. Ant. in excerptis Vales, p. 846.

Theod. l. 5, c. 5 et 6.

Zon. l. 13, t. 2. p. 33.

Till. Theod. art. 1, 2 et note 1, 2, 4.

Cellar. geog. ant. l. 2, c. 1, § 66.]

Cependant le comte Victor, aussitôt après la défaite, était allé porter
à Gratien cette triste nouvelle. Peu de temps après on fut informé de
la mort de Valens; et ce fut pour l'empereur et pour tout l'empire un
surcroît d'affliction. Gratien se rendit en diligence à Constantinople
à travers mille périls: dans le désordre où il voyait les affaires, il
se souvint de Théodose, qui après la mort de son père s'était retiré de
la cour. Il sentit quel secours l'empire, sur le penchant de sa ruine,
pourrait tirer de la valeur et de l'expérience de ce guerrier, et il
résolut de le rappeler. Théodose vivoit depuis deux ans à Cauca[374]
sa patrie, que les uns placent en Galice, les autres dans le pays
des Vaccéens, aujourd'hui la province de Béïra en Portugal. Quelques
auteurs le font naître à Italica près de Séville, patrie de Trajan; ils
prétendent même, sans beaucoup de fondement, qu'il était de la famille
de cet empereur; mais ce fut un plus grand honneur à Théodose d'avoir
les vertus de Trajan, que de lui appartenir par la naissance[375].
La gloire de son père et la sienne l'avaient suivi dans son exil
volontaire. Soumis aux lois, sobre, laborieux, aussi libéral qu'il
était riche, il faisait, sans le savoir, dans l'état de particulier
le plus utile apprentissage de la souveraineté. Il secourait ses amis
et ses compatriotes de ses conseils et de sa fortune: la misère des
provinces, qu'il voyait de près, lui imprimait dès lors ces tendres
sentiments, que la Providence devait bientôt rendre efficaces. Souvent
il se retirait à la campagne, et trouvait un délassement innocent dans
les travaux de l'agriculture. Il avait épousé Flaccilla[376], vraiment
digne de lui par sa vertu et par sa noblesse: il en avait déja un fils
nommé Arcadius[377], lorsqu'il reçut l'ordre de retourner auprès de
l'empereur. Il quitta sa retraite en soupirant, sans désirer ni prévoir
la haute fortune qui l'attendait à la cour.

[Note 374: Ἐκ μὲν τῆς ἐν Ἰβηρίᾳ Καλλεγίας, πόλεως δὲ Καύκας
ὁρμώμενον. Zos. lib. 4, cap. 24.--S.-M.]

[Note 375: _Ulpia progenies_, dit Claudien, in 4º consul. Honor. v.
19.--S.-M.]

[Note 376: Ælia Flaccilla était espagnole, et fille d'un Antoine
qui fut fait consul en 382.--S.-M.]

[Note 377: Il était né en l'an 377.--S.-M.]

[Note latérale: XL.

Victoire de Théodose.]

Dès qu'il fut arrivé, Gratien le mit à la tête des troupes qu'il avait
rassemblées. Théodose marcha aussitôt contre une grande armée de Goths
et de Sarmates, et leur livra bataille près du Danube. Les ennemis
furent enfoncés du premier choc et mis en fuite. On les poursuivit
avec ardeur; on en fit un grand carnage; il ne s'en sauva qu'un petit
nombre qui repassèrent le fleuve. Le vainqueur ayant mis ses troupes
en sûreté dans les villes voisines, retourna à la cour, et alla
lui-même porter à l'empereur la nouvelle de sa victoire. Une expédition
si rapide[378] parut d'autant plus incroyable, que les défaites
précédentes avaient laissé dans les esprits une vive impression de
terreur. Les envieux de Théodose, plus désespérés que les ennemis
vaincus, osaient l'accuser de mensonge; c'était, à les entendre, un
imposteur qui avait pris la fuite après la défaite de son armée.
L'empereur lui-même ne fut convaincu de la vérité, qu'après le retour
des exprès qu'il envoya sur les lieux, pour s'instruire par leurs
propres yeux et lui faire un rapport fidèle[379].

[Note 378: _Vix tecta hispana successeras, jam Sarmaticis
tabernaculis tegebaris. Vix Iberum tuum videras, jam Istro
prætendebas._ Pac. pan., § 10.--S.-M.]

[Note 379: Il paraît que Gratien fit en personne quelques
entreprises contre les Barbares, mais le souvenir vague ne s'en
est conservé que dans quelques lignes d'Ausone, qui dit qu'en une
seule année, il pacifia le Rhin et le Danube. _Uno pacatus anno et
Danubii limes et Rheni._ Il semblerait aussi qu'il eut dans la même
année vaincu et pardonné les Sarmates, ce qui aurait dû lui mériter
les surnoms de Germanique, d'Alemannique et de Sarmatique. _Vocarem
Germanicum, deditione gentilitium; Alemannicum traductione captorum
vincendo et ignoscendo Sarmaticum. Auson., grat. act. proconsul._, p.
526 et 527.--S.-M.]

[Note latérale: XLI.

Gratien rétablit en Orient les affaires de l'Eglise.

Socr. l. 5, c. 2.

Theod. l. 5, c. 2.

Soz. l. 7. c. 1.

Joan. Ant. in excerpt. Val. p. 846.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 5, l. 11, tit. 39, leg. 7.]

Cette victoire rassura Constantinople, et réprima l'audace des
Barbares, en leur apprenant que la valeur romaine n'était pas
entièrement éteinte. Gratien après avoir mis ordre aux affaires de
l'Orient, retourna à Sirmium, où son premier soin fut de réparer
les maux que son oncle avait faits à la religion. Valens, avant son
départ d'Antioche, avait permis aux évêques exilés de revenir dans
leurs églises. Mais la supériorité que conservait toujours le parti
arien, avait rendu cette permission presque inutile. Gratien ordonna
par un édit que les prélats bannis rentreraient sans nul obstacle en
possession de leurs siéges. Cependant comme en poussant à bout les
Ariens qui dominaient dans la plupart des villes de l'Orient, il était
à craindre qu'ils n'appelassent à leur secours les Goths protecteurs
de la même hérésie, il accorda aux diverses communions, comme nous
l'avons déja dit, la liberté de s'assembler, et la révoqua dès l'année
suivante, lorsqu'il crut la tranquillité de l'empire mieux affermie.
Il arrêta les nouvelles entreprises des sectateurs de l'anti-pape
Ursinus; et sur la requête qui lui fut présentée de la part du pape
Damase et d'un grand nombre d'évêques assemblés à Rome, il prescrivit
les règles qu'on devait observer dans le jugement des évêques et des
causes ecclésiastiques. Les accusations de magie avaient depuis quelque
temps fait périr beaucoup d'innocents: dès le commencement de cette
année, Gratien avait déclaré que l'accusateur serait obligé de prouver
le crime en toute rigueur, sur peine d'être lui-même sévèrement puni.

[Note latérale: XLII.

Ausone consul.

Auson. grat. act. et ad Syagr. et in epiced. patris.

Idat. chron.

Scalig. vit. Auson.

Till. Grat. art. 8, 21, 22 et not. 8, 9.

Mém. Acad. des Inscript. t. 15, p. 125, et suiv.]

Le jeune prince ne se vit pas plutôt maître de nommer les deux consuls,
qu'il voulut donner à son précepteur Ausone une marque éclatante de
sa reconnaissance. Ausone[380], né à Bordeaux, avait d'abord suivi le
barreau. Il le quitta pour prendre une chaire de Grammaire et ensuite
de Rhétorique, qu'il enseigna long-temps dans sa patrie. Appelé à
la Cour par Valentinien, il fut chargé de l'instruction de Gratien,
déja Auguste; et il l'accompagna dans l'expédition d'Allemagne en
368. Il en ramena une jeune captive, nommée Bissula, dont il devint
bientôt l'esclave, et qui contribua à égayer sa Muse naturellement
lascive et licencieuse. Il fut honoré du titre de questeur; et après
la mort de Valentinien, Gratien le fit préfet du prétoire, d'abord
d'Italie, ensuite des Gaules. Il était revêtu de cette dernière
dignité, lorsqu'il fut élevé au consulat; et ce fut pour cette raison
que Gratien lui donna le rang au-dessus d'Olybrius, son collègue, qui
avait été préfet de Rome en 368, et les deux années suivantes. Ausone
nous a conservé la lettre par laquelle l'empereur lui annonça sa
promotion; elle était conçue en ces termes: _Lorsque je délibérais sur
le choix des consuls que je devais nommer pour l'année prochaine, je
me suis adressé à Dieu pour consulter sa volonté, comme vous savez que
je fais dans toutes mes entreprises, et comme vous souhaitez vous-même
que je fasse. J'ai cru lui obéir en vous désignant premier consul. Je
vous rends ce que je vous dois, et je ne suis pas encore quitte avec
vous après vous l'avoir rendu._ Quoique cette lettre semble former un
préjugé favorable à la piété d'Ausone, la religion de ce poète n'en est
pas moins problématique. Entre les critiques, les uns faisant attention
à quelques pièces chrétiennes répandues dans ses écrits, soutiennent
qu'il était chrétien; d'autres prétendent que ces pièces lui sont
faussement attribuées, et que le paganisme qui respire dans ses
véritables ouvrages, ne permet pas de douter qu'il fût païen. Ce qu'il
y a de plus certain, c'est que l'extrême licence de ses poésies prouve
que s'il était chrétien, il ne l'était que de nom. La faveur s'étendit
sur toute sa famille[381]: Jules Ausone, son père, qui était médecin,
porta le titre de préfet d'Illyrie: Hespérius, son fils, fut vicaire de
Macédoine[382], proconsul d'Afrique[383], enfin préfet du prétoire des
Gaules, conjointement avec lui[384]; Thalassius, son gendre, fut aussi
proconsul d'Afrique[385].

[Note 380: Il se nommait Decimus Magnus Ausonius. On ignore
l'époque précise de sa naissance; sa famille était honorable, _non
pœnitendam_, dit-il. Son père Julius Ausonius était médecin et mourut
en 377, âgé d'environ quatre-vingt-dix ans. Son fils avait obtenu pour
lui de l'empereur, le rang de préfet honoraire de l'Illyrie.--S.-M.]

[Note 381: Ausone avait épousé Attusia Lucana Sabina, fille
d'Attusius Lucanus Talisius, l'un des citoyens les plus distingués de
Bordeaux. Elle mourut à l'âge de vingt-huit ans.--S.-M.]

[Note 382: C'est en l'an 376 qu'il était en Macédoine.--S.-M.]

[Note 383: Il occupa cette charge en 376 et 377 pendant dix-huit
mois.--S.-M.]

[Note 384: C'est-à-dire dans les années 378, 379 et 380.--S.-M.]

[Note 385: En 378, sans doute après Hespérius. On cite plusieurs
autres parents ou alliés d'Ausone, revêtus de hautes dignités, ou qui
avaient rempli de grandes charges.--S.-M.]

[Note latérale: XLIII.

[Etat de l'Arménie sous le règne de Varazdat.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 35.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]]

--[Les désastres que la mort de Valens et l'irruption des Goths
causèrent à l'empire, contraignirent encore une fois les Romains
d'abandonner à leur sort les états de l'Orient, toujours menacés par
les entreprises des Perses, contenus depuis long-temps par la présence
de l'empereur. Heureusement que la vieillesse et les revers qu'il
avait éprouvés étaient venus mettre des bornes à l'ambition de Sapor.
Arrivé au terme d'un règne aussi long que sa vie, le Roi de Perse ne
songeait plus qu'à passer dans le repos les années qui lui restaient.
Ses généraux inquiétaient bien les frontières de l'empire, mais ce
n'était que des courses isolées, sans résultat intéressant. Ce fut un
bonheur pour l'empire, qui semblait menacé alors d'une destruction
totale. L'Arménie, grâce aux précautions prises par Valens pour s'en
assurer l'occupation militaire, avait persisté dans l'alliance des
Romains; elle était pour eux un boulevard et un poste avancé de la
plus grande importance, où régnait un prince que la présence des
lieutenants de l'empereur, réduisait à être plutôt un sujet qu'un
allié. Ce n'est pas que le roi placé par Valens sur le trône des
Arsacides, fût plus affectionné qu'aucun de ses prédécesseurs; mais
les Romains cantonnés sur toutes ses frontières et dans le centre de
ses états, ne lui permettaient pas d'hésiter. Sa nouvelle position
avait changé ses sentiments: son dévouement à la cause des Romains,
qui lui avait mérité la couronne, avait fait place au désir de régner
en monarque indépendant. Le joug lui pesait, et il ne songeait qu'à
s'en délivrer. Son courage à toute épreuve, son habileté à la guerre,
lui auraient fait tout oser; mais par malheur Varazdat était loin
d'avoir assez de prudence et de capacité pour concevoir un plan et le
mettre à exécution. Faible de caractère, il fut bientôt le jouet de
ses courtisans, qui furent sous son nom les maîtres du royaume, qu'ils
remplirent de troubles[386]. Tous les jeunes seigneurs qui avaient
été les compagnons de son enfance, obtinrent un grand crédit sur son
esprit; leur vanité présomptueuse flatta les idées d'indépendance qu'il
nourrissait déjà. Le prince des Saharhouniens[387] Bad, qui l'avait
élevé, et qui était ennemi de Mouschegh, dont il ambitionnait la
place, acquit bientôt la plus grande influence dans ses conseils; et
sans la crainte qu'inspiraient les troupes romaines et le connétable,
qu'on savait être attaché au parti de l'empire, Varazdat se serait
jeté dans les bras du roi de Perse, avec lequel il était secrètement
en relation. Celui-ci lui promettait, pour prix de sa défection, son
alliance, ses soldats et la main de sa fille[388].]

[Note 386: On a déja pu voir ci-devant, § 10, p. 111, note 2, que
Valens, avant de quitter Antioche pour marcher contre les Goths, avait
envoyé le général Victor, l'ancien compagnon de Julien, pour arranger
les affaires de l'Arménie, alors agitée de troubles, _ut super Armeniæ
statu_, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 7, _pro capturerum componeret
impendentium_.--S.-M.]

[Note 387: La position du canton des Saharhouniens n'est pas
connue. Il paraît cependant qu'il était dans la partie orientale de
l'Arménie, vers les frontières de l'Albanie.--S.-M.]

[Note 388: Moïse de Khoren dit, l. 3, c. 40, que Varazdat avait
envoyé à Sapor des députés chargés de lui offrir la soumission du
royaume d'Arménie, s'il voulait consentir à lui donner une de ses
filles pour épouse.--S.-M.]

[Note latérale: XLIV.

[Assassinat du connétable Mouschegh.]

[Amm. l. 31, c. 7.

Faust. Byz. l. 5, c. 35, 36 et 37.]]

--[Cependant Varazdat accueillait avec empressement toutes les
calomnies qu'on répandait contre le connétable. Les imputations
odieuses déjà alléguées sous le règne de Para, se renouvelèrent[389].
Mouschegh avait, disait-on, favorisé Sapor, qu'il pouvait faire périr.
On lui reprochait ses égards pour la femme du roi de Perse, qui
avait été sa captive, et l'humanité qu'il avait montrée envers ses
prisonniers persans. C'étaient là autant de trahisons. On lui faisait
un crime d'avoir épargné le roi d'Albanie, qu'il pouvait immoler[390];
enfin on allait jusqu'à l'accuser de la mort de Para, qui avait été
selon ses ennemis concertée entre lui et les généraux romains. Il
ne réservait pas, ajoutait-on, un sort moins cruel à Varazdat. Il
était évident, que si on ne se hâtait de le prévenir, après avoir
égorgé son souverain, il livrerait l'Arménie aux Romains, et avec
leur secours s'y ferait déclarer roi: ce qui était assez prouvé par
le soin qu'il avait eu de remettre aux troupes impériales les places
les plus fortes et les plus avantageusement situées. Ces accusations
absurdes furent accueillies avec empressement par le roi; convaincu que
Mouschegh était son plus implacable ennemi, il s'occupa secrètement des
moyens de le faire périr; mais les Romains le gênaient. Il fut ainsi
contraint d'ajourner ses desseins jusqu'à ce qu'il se présenta des
circonstances plus favorables. Elles ne tardèrent pas. Valens ayant
été obligé de rappeler Trajan et toutes ses troupes, pour les envoyer
sur le Danube repousser les Goths, Varazdat se trouva sans partage
souverain maître de l'Arménie. Il ne perdit pas de temps pour mettre
son projet à exécution, et s'assurer une pleine indépendance. Mouschegh
était le principal obstacle à son accomplissement; il résolut donc de
s'en défaire promptement. Appelé à un superbe festin, le connétable
s'y rendit sans défiance; et au milieu de la fête, douze assassins
apostés se précipitent sur lui et le traînent devant Varazdat, en
lui reprochant la mort de Para, dont il était innocent. Le prince
des Saharhouniens lui plonge alors son poignard dans le sein, et lui
coupe la tête. Ainsi périt misérablement le guerrier généreux qui
avait délivré l'Arménie du joug des Perses. La place de connétable fut
donnée à son lâche assassin, et Vatché, son parent, fut déclaré prince
des Mamigoniens. Mouschegh laissait un fils bien jeune encore, qui
s'appelait Hamazasp, et fut père de Vartan, que les Arméniens placent
au nombre des grands hommes qui ont illustré leur pays. Hamazasp fut
conduit dans les possessions que sa famille avait dans la province de
Daik[391], dans le nord du royaume.]

[Note 389: Voyez t. 3, p. 379 et 381, l. XVII, § 65 et 66.--S.-M.]

[Note 390: Voyez t. 3, p. 381, l. XVII, § 66.--S.-M.]

[Note 391: Il est remarquable que Moïse de Khoren ne parle qu'une
seule fois, l. 3, c. 37, de Mouschegh, et pour dire qu'il blessa le
roi d'Albanie à la bataille de Dsirav. Voyez tom. 3, p. 381, liv.
XVII, § 66. Du reste il passe entièrement sous silence les victoires
de ce général et les services qu'il rendit à sa patrie. En parlant
d'Hamazasp, qui épousa la fille du saint patriarche Sahag, et fut
père de Vartan, il néglige également de rappeler qu'il était fils de
Mouschegh. Il est difficile de rendre raison d'une pareille réticence.
Moïse de Khoren ne parle pas davantage de Manuel, frère de Mouschegh,
dont il va bientôt être question, et qui se rendit aussi célèbre en
Arménie. L'histoire d'Arménie, composée par cet auteur, est adressée à
un prince de la race des Pagratides. Est-ce à cause de cette famille
puissante et rivale de celle des Mamigoniens, qu'il a passé sous
silence les belles actions de ces derniers, ou Mouschegh et Manuel
auraient-ils eu avec les Pagratides des démêlés actuellement inconnus,
que l'auteur arménien n'osait rappeler au souvenir d'un Pagratide.
Je suis d'autant plus porté à le croire, que la défaite totale de
Méroujan, le fameux dévastateur de l'Arménie, est attribuée à Sempad le
Pagratide dans Moïse de Khoren, l. 3, c. 37, tandis qu'il est constant
par le récit de Faustus de Byzance, l. 5, c. 43, que cette défaite fut
un des exploits de Manuel le Mamigonien.--S.-M.]

[Note latérale: XLV.

[Manuel son frère se révolte contre Varazdat.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37.]]

--[Lorsque le roi Arsace était tombé entre les mains des Perses,
avec le connétable Vasag, père de Mouschegh, deux des enfants de ce
général avaient partagé leur sort. Ils se nommaient Manuel et Gouen. A
l'exemple de beaucoup d'autres Arméniens, ces deux princes s'étaient
mis au service de Sapor, qui les avait employés dans ses guerres
contre le grand roi des Arsacides qui dominait sur les peuples du
Kouschan[392]. Manuel et son frère s'y comportèrent vaillamment; mais
la campagne fut malheureuse, et ils perdirent les récompenses que leur
courage aurait mérité. Les troupes persanes victorieuses dans une
première affaire, éprouvèrent ensuite des revers, et l'armée de Sapor
fut entièrement détruite dans une seconde bataille. Manuel, son fils
Ardaschir et son frère furent presque les seuls qui échappèrent, après
avoir glorieusement combattu. Le désastre de son armée rendit le roi
de Perse injuste envers les guerriers Mamigoniens; il les accabla de
reproches et d'outrages, les chassa ignominieusement de sa présence, et
les renvoya dans leur pays, comme des lâches indignes de le servir. Ils
furent obligés de continuer leur route à pied. Manuel était blessé, il
ne pouvait marcher, et son frère fut contraint de le porter pendant
une partie du chemin, mais à la fin ils parvinrent à atteindre le
pays de Daron, héritage des Mamigoniens[393]. A peine y furent-ils
arrivés, que Vatché investi depuis peu de la souveraineté par Varazdat,
se hâta de s'en démettre en faveur de Manuel, à qui elle appartenait
légitimement, parce qu'il était l'aîné de la famille. Manuel n'attendit
pas les ordres de Varazdat pour en prendre possession, et il ne tarda
pas à lui écrire pour lui reprocher le meurtre de Mouschegh, et pour
revendiquer la place de connétable donnée au prince des Saharhouniens.
_Depuis long-temps_, lui disait-il, _nos ancêtres se sont dévoués
au service des Arsacides; nous nous sommes sacrifiés pour eux; mon
père Vasag est mort pour Arsace; nous n'avons épargné ni nos biens,
ni nos vies: les uns ont succombé sous le fer de vos ennemis, et
ceux qui leur ont échappé ont péri par tes ordres: telle a été leur
récompense. Le Vaillant Mouschegh, mon frère, qui dès son enfance a
combattu pour l'Arménie, qui a vaincu et anéanti les ennemis de notre
patrie, est tombé victime d'un lâche assassinat. Non, tu n'es pas du
sang des Arsacides, tu n'es que le fils de l'adultère. Nous ne sommes
pas vos serviteurs, mais vos alliés et même vos supérieurs; car nos
aïeux étaient souverains de la Chine[394]. Des discordes de famille
nous ont chassé de notre patrie; nous sommes venus parmi vous; nous y
avons trouvé le repos et nous nous y sommes fixés. Les premiers rois
Arsacides savaient qui nous étions, et tu nous méconnais, parce que tu
n'es pas de leur sang. Sors donc de l'Arménie, si tu ne veux mourir de
mes mains._ Varazdat qui croyait avoir puni dans Mouschegh l'assassin
de son frère, ne répondit pas à cette lettre en des termes moins fiers
et moins outrageants. La guerre civile menaça d'étendre alors ses
ravages sur toute l'Arménie, et les deux adversaires se préparèrent à
une lutte qui ne pouvait se terminer que par la ruine totale de l'un ou
de l'autre.]

[Note 392: Telles sont les expressions employées par Faustus de
Byzance, l. 5, c. 37. On peut, au sujet de ce peuple et de cette
branche de la race Arsacide, voir ce que j'ai dit, t. 3, p. 385-387, l.
XVII, § 67, et p. 386, not. 2 et 4.--S.-M.]

[Note 393: Voyez t. 2, p. 211, liv. X, § 4.--S.-M.]

[Note 394: Il n'y a pas de doute que le pays, appelé _Djénastan_,
et les peuples, nommés _Djen_, par les Arméniens, ne soient la Chine et
les Chinois. Je crois avoir établi ce fait dans une dissertation sur
l'origine de la famille chinoise des Orpéliens, établie en Géorgie;
dissertation que j'ai insérée dans le t. 2, p. 15-55, de mes _Mémoires
historiques et géographiques sur l'Arménie_. On peut voir aussi ce que
j'ai dit t. 2, p. 212, liv. X, § 4, sur les événements qui amenèrent
les Mamigoniens en Arménie--S.-M.]

[Note latérale: XLVI.

[Varazdat est détrôné.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]]

--[Varazdat et Manuel se trouvèrent bientôt en présence; leurs armées
se rencontrèrent dans le canton de Carin[395], et elles en vinrent aux
mains. Les deux chefs se cherchèrent au fort de la mêlée, et un combat
singulier s'engagea entre eux: le courage, l'adresse et l'habileté
de Varazdat ne purent prévaloir contre le courage non moins grand
de Manuel, tout couvert de fer[396] et doué d'ailleurs d'une taille
et d'une force extraordinaires. Varazdat eut du désavantage, et fut
contraint de prendre la fuite; les deux fils de Manuel, Hamazasp et
Ardaschir s'attachèrent à sa poursuite, et ils l'eussent tué, si
leur père, qui avait horreur de commettre un régicide, ne les en
eût empêchés. Il respecta la dignité royale dans le meurtrier de son
frère, et le laissa échapper. La fuite de Varazdat acheva la défaite
de son armée; les soldats de Manuel en firent un horrible massacre:
des monceaux de cadavres couvrirent le champ de bataille. Un grand
nombre de seigneurs y trouvèrent la mort; pour les autres ils évitèrent
par une prompte retraite un pareil sort. Le prince des Rheschdouniens
Garégin, le mari de l'infortunée Hamazaspouhi, qui avait éprouvé de la
part de Sapor et de Méroujan[397] un si cruel traitement, combattit
vaillamment pour Varazdat. Renversé au fort de la mêlée, il allait
périr étouffé sous un amas de morts, quand il fut dégagé par le
prince Mamigonien Hamazaspian, qui était uni avec lui par des liens
de parenté. L'artisan de tous les malheurs de Varazdat, qui par ses
perfides conseils avait causé la perte de Mouschegh, fut pris avec son
fils. On les amena devant Manuel, qui fit égorger le fils d'abord: on
trancha ensuite la tête au coupable Bad et à tous ceux qui avaient
partagé ses crimes. Après un tel désastre, il ne resta plus aucun
espoir à Varazdat de pouvoir se maintenir dans l'Arménie, dont il avait
porté la couronne pendant quatre années[398]. Il fut bien malgré lui
contraint de se retirer auprès des généraux romains postés sur les
frontières du royaume, et qui avaient déjà informé l'empereur[399] de
ses liaisons criminelles avec les Perses. Varazdat espérait pouvoir se
justifier auprès de ce prince; mais celui-ci, irrité au dernier point,
refusa de l'admettre en sa présence, le fit charger de fers et l'envoya
en exil à l'extrémité de l'empire, dans l'île de Thulé, à ce que disent
les écrits arméniens[400].]

[Note 395: Le canton de Carin, appelé _Caranitis_ par les auteurs
anciens, répond au territoire d'Arzroum, que les Arméniens appellent
encore actuellement du nom de _Carin_ ou _Garin_. Voyez mes _Mémoires
historiques et géographiques sur l'Arménie_, t. 1, p. 44 et 66.--S.-M.]

[Note 396: Il était, dit Faustus de Byzance, l. 5, c. 37, revêtu
d'une forte armure de fer qui le couvrait de la tête aux pieds, monté
sur un cheval robuste également armé. Comme les guerriers du moyen âge,
les cavaliers arméniens se couvraient eux et leurs chevaux d'armures
complètes, qui les mettaient à l'abri de toutes les atteintes de
l'ennemi. Ammien Marcellin donne, l. 24, c. 4 et 6, et l. 25, c. 1, la
description de leur costume de guerre. Voyez t. 3, p. 97, 114 et 131,
not. 1.--S.-M.]

[Note 397: Voyez t. 3, p. 365, l. XVII, § 59.--S.-M.]

[Note 398: Le roi Bab ou Para avait été mis à mort en l'an 374;
c'est donc en l'an 378 que tombe la fin du règne de Varazdat. Tous les
écrivains arméniens lui donnent un règne de quatre ans.--S.-M.]

[Note 399: Il paraît que cet empereur était Théodose. Les Arméniens
et Moïse de Khoren en particulier, l. 3, c. 40, le disent; il n'y a
aucune raison valable pour ne pas admettre leur témoignage: cependant
il serait possible aussi que ce fût Gratien, qui régnait alors. Mais,
comme ainsi qu'on va le voir, Théodose monta sur le trône, peu après
le 19 janvier 379, il se pourrait que l'exil de Varazdat, dont il sera
question dans la note ci-après, ne se fût effectué que sous le règne
de Théodose. On conçoit alors comment les Arméniens auront attribué à
Théodose la destitution de Varazdat.--S.-M.]

[Note 400: Il l'envoya, dit Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, _à
Thoulis, île de l'océan_. On voit par ce que rapporte Procope, _de bel.
Goth._ l. 2, c. 15, que les Romains et les Grecs de Constantinople
donnaient alors le nom de Thulé à la Scandinavie, et qu'ils
connaissaient fort bien cette presqu'île. Ces notions exactes leur
venaient sans doute des Goths et des autres barbares, qui s'étaient
établis sur le territoire de l'empire, et qui étaient eux-mêmes
en relation avec ce pays éloigné, d'où quelques-uns d'entre eux
tiraient leur origine. On est assez généralement d'accord de regarder
l'attribution faite par Procope du nom de Thulé à la Scandinavie, comme
l'emploi abusif d'une dénomination qui s'appliquait à une île située au
nord dans l'océan Britannique, et rendue célèbre par les découvertes
du fameux navigateur Pythéas de Marseille. Je connais toutes les
opinions émises sur ce point difficile de géographie ancienne. Elles
me semblent peu satisfaisantes, et je ne vois aucune solide raison qui
puisse empêcher de croire que cette dénomination n'ait pu effectivement
s'appliquer à toute la Scandinavie, connue seulement alors par les
relations des navigateurs venus des îles Britanniques. Je ne vois pas
pourquoi l'emploi de cette appellation ne serait qu'une hypothèse du
seul Procope, lui qui pouvait peut-être encore consulter les écrits
de Pythéas, ou au moins des ouvrages dans lesquels les découvertes du
navigateur marseillais devaient être décrites avec plus de détails
que dans les livres que nous possédons. Mais, quand on admettrait
avec moi que le nom de Thulé doit s'appliquer ordinairement dans
les auteurs anciens à la Scandinavie, ou quand il ne serait que la
désignation vague de toute terre située le plus au nord au-delà de la
Grande-Bretagne, il ne s'ensuivrait pas de là qu'on dût nécessairement
croire que l'empereur romain eût exilé un roi d'Arménie dans une
région si reculée, si éloignée des frontières de l'empire et hors des
limites de sa domination: il est bien probable que Varazdat fut relégué
dans une contrée lointaine, mais cependant soumise à sa puissance.
Indépendamment de son application géographique, destinée à désigner
la région la plus septentrionale du monde connu, ce nom s'employait
aussi, d'une manière vague et indéterminée, pour indiquer, un pays
très-reculé vers le nord et situé à la dernière extrémité du monde
connu. Il pourrait donc se faire que les Romains eussent donné le nom
de Thulé à la partie la plus reculée de l'empire vers le nord. Ce qui
me porte à croire qu'il en fut effectivement ainsi, c'est un passage
d'un écrivain latin de l'Angleterre, appelé Richard de Cirencester
(_Richardus Corinensis_), qui vivait vers le 14e siècle, mais qui a
pu puiser ses renseignements dans des auteurs plus anciens. Il est
évident, au reste, qu'il en est ainsi pour divers faits qui nous
sont bien connus, par des auteurs qui existent encore. Cet historien
fait mention d'une province romaine qui exista autrefois dans les
îles britanniques, et qu'il nomme _Vespasiana_. Cette province, dont
il n'est question nulle part ailleurs, était formée d'une partie de
l'Écosse septentrionale au nord du Forth et de la Clyde, au-delà du
rempart élevé par les ordres d'Antonin le Pieux. Elle s'étendit, à ce
qu'il paraît, jusqu'aux environs d'Inverness. Les détails que donne cet
auteur paraissent mériter toute confiance; il y joint un itinéraire
de cette partie de l'Écosse, semblable aux autres monuments de ce
genre que les Romains nous ont transmis. Celui-ci ne paraît pas moins
authentique. Cette province, selon cet écrivain, fut constituée du
temps d'Antonin le Pieux, par suite des victoires de Lollius Urbicus,
lieutenant de cet empereur, mentionné déja dans la vie d'Antonin par
Jules Capitolin. _Britannos_, dit Richard de Cirencester, _per Lollium
Urbicum proprætorem, et Saturninum præfectum classis vicit_. Cette
province fut appelée _Vespasiana_, en l'honneur de la famille de
Domitien, sous le règne duquel elle avait été conquise pour la première
fois. En effet, c'est sous cet empereur que les victoires d'Agricola
portèrent les armes romaines jusqu'à l'extrémité de l'île. Voici le
texte de Richard. _Hæc provincia dicta est in honorem familiæ Flaviæ,
cui suam Domitianus imperator originem debuit, et sub quo expugnata,
Vespasiana._ Les vestiges de voie romaine et les inscriptions latines
trouvées dans cette partie de l'Écosse, sont la preuve de l'existence
de cette province. Richard de Cirencester ajoute que, sous les derniers
empereurs, il croit quelle fut appelée Thulé; _et, ni fallor, sub
ultimis imperatoribus, nominata erat Thule_, et il pense que c'est
d'elle que Claudien a voulu parler, _de qua Claudianus vates his
versibus facit mentionem_, dans ces vers (de 4º cons. Hon. v. 32,) où
il dit que Thulé fut échauffée du sang des Pictes, et que la froide
Ierne pleura des monceaux de Scots.

    ....... incaluit Pictorum sanguine Thule;
    Scotorum cumulos flevit glacialis Ierne.

Comme Ierne est l'Irlande, habitée alors par les Scots, on ne peut
guère douter que le poète n'ait voulu désigner par le nom de Thulé la
terre occupée par les Pictes, c'est-à-dire l'Écosse septentrionale;
ceci est d'autant plus vraisemblable, qu'il dit un peu avant,
_maduerunt Saxone fuso Orcades_, ce qui fait voir que le nom de Thulé,
ne peut s'appliquer aux Orcades. Ces vers se rapportent aux conquêtes
de Théodose, père de l'empereur du même nom, qui poussa ses conquêtes
jusqu'à l'extrémité de l'Écosse. C'est à ses victoires qu'on fut
redevable de l'établissement de la province de _Valentia_, formée de la
partie méridionale de l'Écosse, possédée autrefois et ensuite perdue
par les Romains, ainsi que la Vespasiane. Il est à remarquer encore que
la dénomination de la province fondée par Théodose, est tout-à-fait
du même genre, se rapportant à Valentinien, sous le règne duquel elle
fut érigée. Le général de ce prince pénétra alors dans l'ancienne
Vespasiane, qui rentra en tout ou en partie, sous la domination de
l'empire et put recevoir le nom de Thulé, comme étant située dans la
partie la plus septentrionale et la plus reculée du monde romain. On
conçoit alors que Théodose ait pu reléguer dans cette région lointaine
et barbare un prince dont il avait à se plaindre. Les îles britanniques
étaient un lieu d'exil rigoureux. On en voit plusieurs exemples dans
l'histoire de l'empire, et on pourrait indiquer d'autres princes
arméniens qui y avaient été envoyés.--S.-M.]

[Note latérale: XLVII.

[Manuel est maître de l'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37 et 42.]]

--[La fuite de Varazdat laissa l'Arménie toute entière au pouvoir
de Manuel, qui rassembla aussitôt les seigneurs du royaume, pour
conférer avec eux sur les mesures qu'il fallait prendre pour le salut
du pays. Il fit venir la reine Zarmandokht, veuve de Para, et ses
deux fils, Arsace et Valarsace[401], trop jeunes encore pour qu'ils
pussent régner. Manuel les traita avec tous les égards dus à leur
illustre naissance. Il les fit élever royalement, en attendant qu'il
pût leur remettre un jour le rang suprême, puis du consentement de
leur mère et des grands de l'état, il prit les rênes du gouvernement
et administra le pays avec la plénitude du pouvoir souverain. Tout
fut remis sur l'ancien pied; les seigneurs qui avaient été dépossédés
de leurs principautés, y furent réintégrés, et bientôt la plus grande
tranquillité régna dans toute l'Arménie. La famille de Siounie, qui
avait tant souffert au milieu de ces révolutions, et qui avait été
presque toute exterminée par Sapor[402], fut rétablie dans son ancien
rang. Babik, Sam et Valinak en étaient les derniers rejetons. Babik
fut déclaré prince de Siounie, et ses frères furent pourvus de charges
honorables. Ces changements n'étaient cependant pas de nature à
satisfaire les Romains: Manuel le savait, et il songeait aux moyens
de se mettre à l'abri du ressentiment de l'empereur. La position
critique où étaient alors les affaires des Romains, dont toutes les
forces étaient occupées dans la Thrace et sur les rives du Danube,
les empêchèrent de se mêler des révolutions survenues en Arménie.
Toutefois il n'était guère douteux que s'ils parvenaient à triompher
des Barbares, ils ne cherchassent à rétablir leur autorité dans ce
pays; c'est pour cette raison que Manuel songea à s'assurer contre eux
de l'alliance des Persans.]

[Note 401: Voy. t. 4, p. 27, liv. XIX, § 19.--S.-M.]

[Note 402: Voy. t. 3, p. 360, liv. XVII, § 58.--S.-M.]

[Note latérale: XLVIII.

[Alliance des Arméniens avec les Perses.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 38.]]

--[De concert avec la reine, Manuel fit partir une nombreuse ambassade,
à la tête de laquelle il plaça le prince Gardchouil Malkhaz, dynaste
des Khorhkhorhouniens[403]. Il fut chargé de présenter à Sapor, de la
part de Zarmandokht et du connétable, des présents magnifiques et des
lettres, dans lesquelles ils offraient de soumettre l'Arménie à ses
lois, en échange des secours qu'ils lui demandaient. Après tant de
travaux, Sapor obtint sans aucune peine, et par le libre consentement
des Arméniens, ce qui avait toujours été l'objet constant de ses
désirs. Il fut ravi de joie, et il en donna d'éclatantes marques
aux envoyés de Manuel, qui furent comblés de ses dons. Le général
Suréna[404] et plusieurs autres seigneurs persans furent chargés de
reconduire les ambassadeurs arméniens, avec un corps de dix mille
cavaliers armés de toutes pièces[405], destinés à défendre la reine
Zarmandokht et ses enfants contre toutes les attaques de ses ennemis
et des Romains. Suréna fut en outre chargé par son souverain d'offrir
à la reine un diadème et des ornements royaux d'une magnificence
extrême. Des présents semblables furent destinés pour les deux fils de
Zarmandokht et pour Manuel. Les seigneurs ne furent pas traités avec
des attentions moins flatteuses. Une telle conduite lui gagna tous les
cœurs; les malheurs qu'il avait causés autrefois à l'Arménie furent
oubliés; et, sous la protection des troupes persanes, la plus profonde
paix régna dans ce pays. Suréna résida en Arménie avec le titre persan
de _Marzban_, c'est-à-dire de commandant de frontière[406], dignité
très-relevée, et qui conférait une grande puissance à celui qui en
était revêtu. Les Arméniens profitèrent de la position difficile où se
trouvait alors l'empire, pour seconder les opérations militaires des
Persans. Tel fut le changement politique qui s'opéra dans l'Arménie,
sous le gouvernement de Manuel.--S.-M.

[Note 403: Le pays des Khorhkhorhouniens compris dans la grande
province de Douroupéran, était situé au nord-ouest du lac de Van, et
possédé par une famille issue de Haïk, premier roi de l'Arménie, par
un nommé Khorh, qui avait fixé son séjour dans la région qui prit
ensuite son nom. Cette famille fut appelée à une époque plus moderne
Malkhazouni, à cause d'un certain Malkhaz, qui en était le chef au
temps de Valarsace premier roi arsacide d'Arménie, au deuxième siècle
avant notre ère. Voyez mes _Mémoires historiques et géographiques sur
l'Arménie_, t. 1, p. 100 et 247-249.--S.-M.]

[Note 404: Voy. t. 3, p. 79, note 2, l. XIV, § 15.--S.-M.]

[Note 405: C'est ce que les auteurs grecs et latins appellaient des
_cataphractaires_.--S.-M.]

[Note 406: Voyez t. 1, p. 408, note 2, l. VI, § 14.--S.-M.]

[Note latérale: AN 379.

XLIX.

Théodose empereur.

Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 214.

Pacat. paneg. c. 11 et 12.

Them. or. 14, p. 182, or. 16, p. 207.

Claud. de 4º cons. Hon. Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Sidon. Apol. carm. 5, v. 106-110.

Zos. l. 4, c. 24.

Vict. epit. p. 232.

Socr. l. 5, c. 2.

Theod. l. 5, c. 6.

Soz. l. 7, c. 2

Idat. chron. et fast.

Prosper, chr.

Marc. Chr.

Chron. Alex. p. 303.

Zon. l. 13. t. 2. p. 34.

Till. Grat. art. 9.]

L'empire ne s'était jamais vu si près de sa perte. Les Barbares
septentrionaux, arrêtés jusqu'alors par le Danube, avaient franchi
cette barrière. La Thrace, la Dacie, l'Illyrie n'étaient couvertes
que de sang et de cendres. Les Francs, les Allemands, les Suèves, et
les autres nations germaniques murmuraient au-delà du Rhin: ils se
préparaient à s'emparer de la Gaule, qui leur avait déjà coûté tant
d'efforts, et dont la conquête irritait toujours leurs désirs[407].
Les Ibériens, les Arméniens[408], les Perses menaçaient les bords du
Tigre et de l'Euphrate[409]. Il semblait que le moment était arrivé, où
l'univers vaincu par les Romains allait rompre ses fers et enchaîner
ses anciens maîtres. Gratien, âgé de vingt ans, ne pouvait trouver
assez de ressources ni en lui-même, ni dans un enfant tel que son frère
Valentinien, qui entrait dans sa huitième année. Il avait besoin d'un
bras puissant, qui l'aidât à soutenir un fardeau prêt à l'accabler.
Il eut assez de sagesse pour le sentir, et de force d'esprit pour le
déclarer. Nul autre motif que l'intérêt public ne le détermina dans son
choix. Il jeta les yeux sur Théodose, âgé pour lors de trente-trois
ans, et qui joignait à la plus brillante valeur la prudence d'un âge
avancé. C'était celui que tout l'empire aurait nommé, s'il eût été
à son choix de se donner un maître. Le jeune empereur, s'il n'eût
consulté qu'une politique jalouse et timide, aurait craint et les
vertus et le ressentiment de Théodose, dont il avait sacrifié le père
à une cruelle calomnie. Mais n'étant pas moins assuré de sa grandeur
d'âme que de sa capacité, il le fit venir à Sirmium; et comme il
agissait avec franchise, et qu'il avait pris fermement son parti, il
lui déclara, en présence de toute sa cour, qu'il voulait l'associer
à l'empire. Théodose, instruit par les malheurs de sa famille,
n'attendait qu'une disgrâce pour récompense de ses services. Lorsque
le diadème lui fut présenté de la main de l'empereur, il n'en fut pas
ébloui; il n'y vit que les pénibles devoirs et les dangers du pouvoir
suprême; et plus effrayé de la déclaration de Gratien, qu'il ne l'eût
été d'une sentence d'exil, il refusa avec une sincérité capable de
convaincre les courtisans mêmes[410]. Il ne se rendit qu'avec beaucoup
de peine aux ordres réitérés du prince, et n'accepta la souveraineté
que par un dernier acte de soumission et d'obéissance. Il reçut le
titre d'Auguste le 19 janvier de l'année 379.

[Note 407: _Nescis me tibi, tuisque decrescere? Quidquid atterit
Gotthus, quidquid rapit Hunnus, quidquid aufert Alanus, id olim
desiderabit Arcadius. Perdidi infortunata Pannonias; lugeo funus
Illyrici; specto excidium Galliarum._ Pacat. pan. c. 11.--S.-M.]

[Note 408: Les hostilités des Arméniens qui n'étaient connues
jusqu'à présent, que par un passage assez vague de l'orateur
Thémistius, qui sera rapporté dans la note ci-après, devront désormais
être regardées comme des faits hors de doute après les détails que j'ai
donnés, § 47 et 48, p. 161-164, et qui sont tous tirés des auteurs
arméniens.--S.-M.]

[Note 409: Ἀλλὰ καὶ συνελθούσης ἐπὶ τοὺς βαρβάρους τὰ τελευταῖα
σχεδὸν ἁπάσης γῆς καὶ θαλάττης, καὶ περιστάντων αὐτοὺς ἔνθεν καί ἔνθεν
Κελτῶν, Ἀσσυρίων, Ἀρμενίων, Λιβύων, Ἰβήρων, ὅσοι Ῥωμαίων προβέβληνται,
ἐξ ἐσχάτων εἰς ἔσχατα γῆς. Them., or. 16, p. 207.--S.-M.]

[Note 410:

    Non generis dono, non ambitione potitus;
      Digna legi virtus: ultro se purpura supplex
      Obtulit, et solus meruit regnare rogatus.

CLAUDIAN. de 4º cons. Honor. v. 46, et seq.--S.-M.]

[Note latérale: L. Partage de l'empire.]

Le choix du nouveau Trajan fut applaudi de tout l'empire. On comparait
Gratien à l'empereur Nerva. Les envieux n'osèrent murmurer qu'en
secret, et furent les plus empressés à témoigner leur joie. Gratien
partagea les provinces avec son collègue; il lui donna tout ce qu'avait
possédé Valens, c'est-à-dire, l'Orient et la Thrace; il lui céda même
une grande partie de l'Illyrie, qui fut alors divisée en deux. La
Pannonie, le Norique et la Dalmatie demeurèrent à l'empire d'Occident.
La Dacie, la Mésie, la Dardanie, la Prévalitaine, la Macédoine,
l'Épire, la Thessalie, l'Achaïe, c'est-à-dire toute l'ancienne Grèce,
en y comprenant le Péloponèse, la Crète, et toutes les îles, furent
attachées à l'empire d'Orient. La plupart de ces provinces étaient
occupées ou désolées par les Barbares; et ce n'était donner à Théodose
qu'un accroissement de travaux et de périls. Thessalonique devint la
capitale de l'Illyrie orientale, qui fut gouvernée par un préfet du
prétoire particulier. Le gouvernement de l'Illyrie occidentale entra
dans le département du préfet du prétoire d'Italie. Entre les généraux
qui avaient jusqu'alors servi en Occident, Richomer et Majorien
s'attachèrent à Théodose. Majorien avait succédé au comte Maurus dans
l'emploi de général des troupes d'Illyrie: il fut l'aïeul maternel
de l'empereur qui porta son nom dans la suite. Après ce partage,
qui donnait à l'empire d'Orient une plus vaste étendue, Gratien
s'arrêta encore quelque temps à Sirmium, et Théodose alla commencer à
Thessalonique le cours d'un règne à jamais mémorable.


FIN DU LIVRE VINGTIÈME.




LIVRE XXI.

 I. Théodose à Thessalonique. II. Belles qualités de Théodose. III.
 Calomnies de Zosime réfutées. IV. Fautes de Théodose. V. Caractère de
 Flaccilla. VI. Famille de Théodose. VII. Théodose délivre la Thrace.
 VIII. Exploit du général Modarius. IX. Gratien à Milan. X. Il retourne
 dans les Gaules. XI. Baptême de Théodose. XII. Lois de Théodose
 concernant la religion. XIII. Lois civiles. XIV. Théodose envoie en
 Égypte un grand nombre de Goths. XV. Division entre les Goths. XVI.
 Gratien se prépare à repousser les Goths. XVII. Avantages de Gratien
 et de Théodose sur les Goths. XVIII. Théodose à Constantinople. XIX.
 Loi contre les hérétiques. XX. Théodose se concilie l'amour des
 peuples. XXI. Athanaric vient à Constantinople. XXII. Intrigue de
 Maxime le Cynique. XXIII. Concile de Constantinople où saint Grégoire
 est confirmé dans l'épiscopat. XXIV. Troubles dans le concile au sujet
 du successeur de Mélétius. XXV. Saint Grégoire abdique l'épiscopat.
 XXVI. Il obtient le consentement de Théodose. XXVII. Élection de
 Nectarius. XXVIII. Décrets du concile. XXIX. Lois de Théodose contre
 les Hérétiques à l'occasion de ce concile. XXX. Lois en faveur des
 évêques. XXXI. Concile d'Aquilée. XXXII. Suite des intrigues de
 Maxime. XXXIII. Concile de Rome et de Constantinople. XXXIV. Troisième
 concile de Constantinople. XXXV. Loi sur les sacrifices. XXXVI.
 Exploits de cette année. XXXVII. Les Goths se soumettent à l'empire.
 XXXVIII. Divers effets de la clémence de Théodose. XXXIX. Famine à
 Antioche. XL. Lois de Théodose. XLI. Lois de Gratien. XLII. Saint
 Ambroise obtient la grace d'un criminel. XLIII. Gratien travaille à
 la destruction de l'idolâtrie. XLIV. Famine dans Rome. XLV. Discours
 d'Anicius Bassus. XLVI. Gratien se rend odieux. XLVII. Caractère de
 Maxime. XLVIII. Il est proclamé empereur. XLIX. Il marche contre
 Gratien. L. Mort de Gratien. LI. Circonstances de sa mort.


GRATIEN, VALENTINIEN II, THÉODOSE.

[Note latérale: AN 379.

I.

Théodose à Thessalonique.

Themist. or. 14, p. 180 et seq.

Liban. de ulcisc. mort. Jul.

Zos. l. 4, c. 25.

Jornand. de reb. Get. c. 27.]

La défaite de Valens semblait devoir entraîner la ruine de l'empire.
A la vue de Théodose élevé sur le trône, l'audace des vainqueurs
s'arrêta, et le courage revint aux vaincus: tous connaissaient sa
capacité et sa valeur. Le nouvel empereur reçut à Thessalonique
des députés de toutes les provinces orientales. Ils obtinrent pour
leurs villes et pour eux-mêmes tout ce que la justice permettait de
leur accorder. Thémistius, à la tête des principaux sénateurs de
Constantinople, pria le prince de venir au plus tôt se montrer à sa
capitale; il demanda pour la ville la confirmation de ses priviléges,
et pour le sénat de nouveaux honneurs, qui pussent l'élever à la
dignité du sénat romain, comme la nouvelle Rome égalait déja l'ancienne
par la magnificence des édifices, des statues et des aquéducs.
Libanius, toujours inconsolable de la perte de son crédit, tenta dans
ces premiers moments de prévenir Théodose en faveur de l'idolâtrie;
il lui adressa un discours pour l'exciter à venger la mort de Julien,
attribuant à l'oubli de cette vengeance tous les malheurs de l'État; il
prétendait que le silence des oracles était une marque sensible de la
colère des dieux, qui ne daignaient plus donner de conseils aux hommes.
Les vaines remontrances de ce fanatique ne produisirent d'autre effet
que de le rendre méprisable.

[Note latérale: II.

Belles qualités de Théodose.

Pacat. paneg. c. 14.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Themist. or. 15, p. 190 et seq.]

L'empereur ne s'occupait que des moyens de soulager les peuples et de
relever l'honneur de l'empire. Le diadème qu'il n'avait pas désiré,
n'altéra rien dans son caractère. Aussi chaste, aussi humain, aussi
désintéressé qu'il l'avait été dans sa vie privée, il ne se permettait
que ce que les lois lui avaient toujours permis. Sensible à l'amitié,
ami des hommes vertueux, fidèle dans ses promesses, libéral et donnant
avec grandeur, communicatif et d'un accès facile, il ne voyait, dans
la souveraineté, que le pouvoir d'étendre ses bienfaits. Un jour qu'il
commettait des juges à l'examen d'une conspiration qu'on prétendait
formée contre sa personne, comme il les exhortait à procéder avec
équité et avec douceur: _Notre premier soin_, dit un des commissaires,
_doit être de songer à la conservation du Prince_. _Songez plutôt à
sa réputation_, repartit Théodose: _l'essentiel pour un prince n'est
pas de vivre long-temps, mais de bien vivre_. Son extérieur noble
et majestueux attirait le respect; sa bonté inspirait la confiance.
Prudent et circonspect dans le choix des magistrats, il eut, en
arrivant à l'empire, le singulier bonheur d'en trouver en place un
grand nombre, tels qu'il les aurait choisis. Il n'était pas savant;
mais il avait un goût exquis pour tout ce qui regarde la littérature,
et il aimait les gens de lettres, pourvu que l'usage qu'ils faisaient
de leurs talents n'eût rien de dangereux. Il s'instruisait avec soin de
l'histoire de ses prédécesseurs, et ne cessait de témoigner l'horreur
que lui inspiraient l'orgueil, la cruauté, la tyrannie, et surtout la
perfidie et l'ingratitude. Les actions lâches et indignes excitaient
subitement sa colère; mais il s'apaisait aisément, et un court délai
adoucissait la sévérité de ses ordres. Il savait parler à chacun selon
son rang, sa qualité, sa profession. Ses discours avaient en même
temps de la grâce et de la dignité. Il pratiquait les exercices du
corps, sans se livrer trop au plaisir, et sans se fatiguer. Il aimait
surtout la promenade; mais le travail des affaires précédait toujours
le délassement. Il n'employait d'autre régime pour conserver sa santé,
qu'une vie sobre et frugale, ce qui ne l'empêchait pas de donner dans
l'occasion des repas, où l'élégance et la gaîté brillaient plus que
la dépense. Il diminua dès le commencement celle de sa table, et son
exemple tint lieu de loi somptuaire; mais il conserva toujours dans le
service de sa maison cet air de grandeur qui convient à un puissant
prince.

[Note latérale: III.

Calomnies de Zosime réfutées.

Zos. l. 4, c. 27, 28 et 29.

Vict. epit. p. 232 et 233.]

Ce juste tempérament d'une noble économie a prêté également aux
louanges de ses panégyristes et à la censure de ses ennemis. Zosime,
déclaré contre tous les princes qui ont travaillé aux progrès du
christianisme, reproche à Théodose le luxe de sa table, la multitude
de ses eunuques, qui disposaient, dit-il, de tous les emplois, et
gouvernaient l'empereur même. Il ne tient pas à lui qu'on ne croie
que ce prince, plongé dans la mollesse, endormi dans le sein des
plaisirs, livré à des bouffons et à des farceurs qui corrompaient
sa cour, ne fit par lui-même rien de mémorable; qu'il dut tous ses
succès à ses généraux; qu'il vendait au plus offrant les charges et
les gouvernements; et que, sous son règne, les provinces accablées
d'impôts, épuisées par l'avarice de leurs magistrats, faisaient des
vœux pour changer de maître. A ces reproches, Zosime ne manque pas
d'ajouter celui d'avoir aboli le culte des dieux. Ce dernier trait
décèle le ressentiment de l'auteur, et l'on sent que ses invectives
ne sont que le cri de l'idolâtrie terrassée. Un autre historien, païen
ainsi que Zosime, mais plus équitable, fait de Théodose un héros
accompli; il remarque même, comme un exemple presque unique, que ce
prince devint meilleur sur le trône, et que sa grandeur fit croître ses
vertus. Il le compare à Trajan, dont il lui attribue toutes les belles
qualités d'esprit et de corps, sans lui donner aucun de ses vices.

[Note latérale: IV.

Fautes de Théodose.

Zos. l. 4, c. 27.]

Il faut cependant convenir qu'entre les imputations de Zosime, il en
est deux qui semblent avoir quelque fondement. Théodose multiplia les
commandements; au lieu de deux généraux, l'un de la cavalerie, l'autre
de l'infanterie, il en établit jusqu'à cinq, et peut-être encore plus.
Il doubla le nombre des préfets, des tribuns, des capitaines. Les gages
de ces officiers épuisaient le trésor, et leur avarice ruinait les
soldats, sur lesquels ils s'établissaient des droits arbitraires. Il
commit une autre faute d'une conséquence encore plus dangereuse. Les
malheurs précédents ayant diminué le nombre des troupes, il reçut dans
ses armées les Barbares qui venaient d'au-delà du Danube lui demander
du service: c'était altérer la discipline des légions, et donner des
armes et des leçons aux ennemis de l'empire.

[Note latérale: V.

Caractère de Flaccilla.

Ducange, fam. Byz. p. 69.

Chron. Alex. p. 305.

Greg. Nyss. de Placilla, t. 3, p. 533.]

Sa femme, Ælia Flaccilla, que les Grecs nomment souvent Placilla et
quelquefois Placidie, contribua beaucoup à sa gloire et au bonheur de
ses sujets. Elle était Espagnole, selon le sentiment le plus suivi,
fille d'Antoine, consul en 382. Jamais union ne fut mieux assortie. Ils
semblaient se disputer l'un à l'autre le prix de toutes les vertus.
Flaccilla secondait Théodose lorsqu'il s'agissait de fermeté et de
justice; elle le devançait dans les actions de douceur et de bonté;
c'était un modèle de piété, de chasteté, de tendresse conjugale. Elle
savait allier la modestie avec une noble hardiesse, l'humilité avec
la grandeur d'âme. Pleine de foi, de zèle pour l'église, de charité
pour les pauvres, elle sanctifiait son mari par son exemple et par ses
conseils; elle lui répétait souvent ces paroles: _Ne perdez jamais de
vue ce que avez été et ce que vous êtes_. Lorsqu'elle quitta l'Espagne,
elle était déja mère d'un fils et d'une fille. Arcadius doit être né en
377, et Pulchérie l'année suivante.

[Note latérale: VI.

Famille de Théodose.

Vict. epit. p. 234.

Themist. or. 16, p. 203.

Zos. l. 5, c. 2.

Symm. l. 10, ep. 57.

Claud. de laud. Serenæ et in Fescenn. et de laud. Stilic. l. 3.

Till. Theod. art. 1, et Honor. art. 1.]

Théodose avait un oncle qu'on croit être Euchérius, qui fut consul en
381. Devenu empereur, il continua de l'honorer comme un second père.
On sait qu'il eut une sœur, dont le nom est ignoré; et plusieurs
frères plus âgés que lui, desquels on ne connaît qu'Honorius, qui
mourut avant 384. Il paraît qu'ils demeurèrent en Espagne, et qu'après
la mort d'Honorius, Théodose fit venir à Constantinople ses deux
filles, Thermantia et Séréna. Leur mère était une dame espagnole,
nommée Marie. Théodose maria l'aînée à un général que l'histoire ne
nomme pas; Séréna, la cadette, épousa Stilichon. Elle était adroite,
insinuante, instruite par la lecture des poètes. L'empereur l'aima par
prédilection[411]; elle charmait ses chagrins, elle savait apaiser
sa colère; il lui confiait ses secrets[412]. Il paraît même qu'il
l'adopta; du moins les enfants de Stilichon et de Séréna sont-ils
appelés par Claudien, petits-fils de l'empereur[413]. L'obscurité
répandue sur les parents de Théodose fait honneur à ce prince; c'est
une preuve qu'il ne leur permit pas d'abuser de sa puissance, et que
l'amour qu'il avait pour sa famille ne l'emporta pas sur celui qu'il
devait à ses sujets.

[Note 411:

    Defuncto genitore tuo sublimis adoptat
    Te patruus, magnique animo solatia luctus
    Restituens, propius, quam si genuisset, amavit
    Defuncti fratris sobolem.

CLAUD. laus Seren. v. 104 et seq.--S.-M.]

[Note 412:

    Et quoties, rerum moles ut publica cogit,
    Tristior, aut ira tumidus flagrante redibat,
    Cum patrem nati fugerent, atque ipsa timeret
    Commotum Flaccilla virum, tu sola frementem
    Frangere, tu blando poteras sermone mederi.

CLAUD. laus Seren. v. 134 et seq.--S.-M.]

[Note 413:

                      Dedit hæc exordia lucis
    Eucherio, puerumque ferens hic regia mater
    Augusto monstravit avo; lætatus at ille
    Sustulit in Tyria reptantem veste nepotem.

CLAUD. de laud. Stilich. l. 3, v. 176 et seq.--S.-M.]

[Note latérale: VII.

Théodose délivre la Thrace.

Zos. l. 4, c. 25.

Themist. or. 14, p. 181.

Claud. in 6º Consul. Honor. et de laud. Serenæ.

Soz. l. 7, c. 4.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 27.

Prosp. chron.

Idat. chron. et fast.

Marcel. chr.]

Le premier soin de ce guerrier actif et vigilant, fut d'assembler des
troupes pour chasser les Barbares hors de la Thrace[414]. Il en avait
battu l'année précédente un corps très-nombreux; mais il en restait
encore la plus grande partie, divisée en plusieurs détachements, qui
continuaient de ravager la province. Théodose rappela les soldats
dispersés après la défaite de Valens; et, par la sévérité de la
discipline, qu'il sut tempérer de douceur et de largesses faites à
propos, il fit renaître leur ancien courage. Il rassura les habitants
des campagnes; et de timides fugitifs, il en fit des soldats qui ne
respiraient que vengeance. Il enrôla surtout ceux qui travaillaient
aux mines, gens endurcis aux plus rudes travaux. Cette armée, séparée
en divers corps, donna la chasse aux Barbares, et les resserra vers
les bords du Danube. Il se livra plusieurs sanglants combats, dont
les écrivains du temps ne détaillent aucune circonstance[415].
Ils nous apprennent seulement que, le 17 de novembre, on reçut à
Constantinople la nouvelle d'une grande victoire remportée sur les
Goths, les Huns et les Alains. Une partie de ces nations repassa le
fleuve avec Fritigerne, Alathée et Saphrax; ceux qui restèrent en
Thrace se soumirent à l'empire, et donnèrent des ôtages. Stilichon
commença de se signaler dans cette guerre[416]. On croit que ce fut
dans une des rencontres qui furent fréquentes pendant cette campagne,
que le fameux Alaric, encore jeune alors, et chef d'un détachement de
l'armée de Fritigerne, surprit Théodose et l'enferma sur les bords de
l'Hèbre[417]; mais on ne dit point par quel moyen l'empereur se tira de
ce péril.

[Note 414: Les lois de cette année nous font voir que Théodose
était encore à Thessalonique le 17 juin. On le trouve le 7 juillet à
Scupi et le 10 août, dans un lieu dont la position est inconnue, mais
qui s'appelait le bourg d'Auguste, _Vicus Augusti_.--S.-M.]

[Note 415: C'est une remarque qu'on ne doit pas perdre de vue en
lisant ce qui concerne Théodose. Il ne reste aucun auteur original qui
le fasse connaître. La grande lumière jetée par Ammien Marcellin sur
l'histoire de l'empire romain, cesse au règne de Théodose. Il faut
se contenter alors du témoignage suspect de Zosime, et des faibles
indications de quelques obscurs annalistes.--S.-M.]

[Note 416:

    Haud aliter Stilicho, fremuit cum Thracia belli
    Tempestas, cunctis pariter cedentibus, unus
    Eligitur ductor.......

CLAUD. laus Seren. v. 208 et seq.--S.-M.]

[Note 417:

                            Maurusius Atlas
    Gildonis furias, Alaricum barbara Peuce
    Nutrierat: qui sæpe tuum Sprevere profana
    Mente patrem. Thracum venientem finibus alter
    Hebri clausit aquis.

CLAUD. de 6º cons. Honor. v. 104 et seq.--S.-M.]

[Note latérale: VIII.

Exploit du général Modarius.

Zos. l. 4, c. 25.

Greg. Naz. ep. 135 et 136, t. 1, p. 863 et 864.]

De tous ces exploits, celui du général Modarius[418] est le seul dont
l'histoire nous ait laissé quelque détail. Modarius était du sang royal
des Goths[419]. Un démêlé qu'il eut avec Fritigerne, dès le temps
de Valens, l'avait fait passer au service de l'empire; il s'y était
tellement distingué par sa fidélité et par sa valeur, que Théodose le
mit à la tête d'un corps de troupes. Ce général, sans être aperçu
des ennemis, vint se poster sur une hauteur, qui commandait une vaste
plaine où les Barbares s'étaient répandus pour le pillage. Ayant appris
par ses coureurs, que les Goths, ensevelis dans le vin, étaient épars
çà et là et couchés par terre, il ordonna à ses soldats de ne prendre
que leurs épées et leurs boucliers, et de fondre sur eux. Il n'en coûta
que la peine de les égorger, la plupart endormis, tous hors d'état de
se défendre. Après avoir recueilli leurs dépouilles, on marcha vers
leur camp fermé de quatre mille chariots. On y trouva leurs femmes,
leurs enfants et leurs esclaves. Les Goths en conduisaient un si grand
nombre que, dans leurs marches, les uns remplissaient les chariots,
les autres suivaient à pied et y montaient à leur tour. Toute cette
multitude fut emmenée prisonnière. Nous voyons par les lettres de saint
Grégoire de Nazianze, que Modarius fut lié avec lui d'une étroite
amitié. L'éloge que ce saint prélat fait de sa piété, et le secours
qu'il lui demande pour apaiser les troubles de l'église, ne permettent
pas de douter qu'en quittant les Goths, Modarius n'eût abandonné le
parti de l'arianisme. Cette première campagne de Théodose annonçait un
règne glorieux, et rendait le repos à la Thrace désolée depuis trois
ans par les plus horribles ravages.

[Note 418: Zosime lui donne, l. 4, c. 25, le nom de Modarès.--S.-M.]

[Note 419: Ἐκ τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν γένους. Zos. l. 4, c.
25.--S.-M.]

[Note latérale: IX.

Gratien à Milan.

Socr. l. 5, c. 6.

Auson. grat. act. p. 526 et 527.

Epist. Grat. ad Ambros.

Ambros. de fide, l. 1, c. 1, t. 2, p. 445, et de Spiritu sancto, l. 1.
c. 1, t. 2, p. 599.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 5.

Paul. vit. Ambros.

Till. Grat. art. 10, et vie de S. Ambr. art. 19.

Fleury, hist. ecclés. l. 17, art. 44.]

Gratien s'étant déchargé sur son nouveau collègue du soin de l'Orient,
fit à Sirmium un séjour de quelques mois. Il remporta de son côté
plusieurs avantages sur différents partis de Barbares qui s'étaient
avancés jusqu'en Pannonie[420]. Il reprit ensuite le chemin de la
Gaule, en passant par Aquilée et par Milan, où il arriva vers la fin
de Juillet. Les catholiques, dont il s'était déclaré le protecteur,
accouraient sur son passage et faisaient des vœux pour la prospérité
de son gouvernement. Pendant son séjour à Milan, il eut de fréquents
entretiens avec saint Ambroise. Il avait pour ce saint évêque un
respect mêlé de tendresse, et puisait dans cette source féconde la
connaissance et l'amour de la vérité. Lorsqu'il était parti pour
l'Illyrie, il avait prié saint Ambroise de lui composer quelque
ouvrage, pour le confirmer dans la loi de la consubstantialité; et
il en avait reçu deux livres intitulés: _De la Foi_. En partant de
Sirmium, il lui écrivit pour le prier de confondre les sectateurs
de Macédonius, qui niaient la divinité du Saint-Esprit. Il voulait
même que le saint prélat le vînt trouver en diligence. Saint Ambroise
s'en excusa; il attendit l'empereur à Milan, et se contenta pour lors
d'ajouter trois autres livres aux deux premiers, dans lesquels il
prouvait la divinité du Fils: il lui promit d'écrire dans la suite
sur la divinité du Saint-Esprit, et s'acquitta de cette promesse
deux ans après. Ce fut sans doute par le conseil de ce saint, que
Gratien révoqua la loi qui permettait aux hérétiques de tenir leurs
assemblées[421]. Le zèle d'Ambroise ne se renfermait pas dans les
bornes de son diocèse: le siége de Sirmium étant vacant par la mort
de l'arien Germinius, Justine, que Gratien avait laissée dans cette
ville avec son fils Valentinien, entreprit d'y placer un évêque du même
parti. Sur cette nouvelle, Ambroise vole à Sirmium; il s'oppose avec
fermeté aux efforts de l'impératrice, et vient à bout de faire nommer
un évêque catholique; c'était Anémius. Ce coup de vigueur fut l'origine
de la haine implacable, dont les éclats scandaleux déshonorèrent
Justine, et augmentèrent la gloire de l'intrépide prélat.

[Note 420: Voyez ci-devant, p. 149, note 2, liv. XX, § 40--S.-M.]

[Note 421: En vertu d'une loi rendue à Milan le 3 août 379.--S.-M.]

[Note latérale: X.

Il retourne dans les Gaules.

Zos. l. 4, c. 24.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz. l. 7, c. 4.

Auson. grat. act. p. 553 et 554.

Cod. Th. l. 4, tit. 20, leg. 1, l. 13, tit. 3, leg. 12, 13, 14 et 15.]

Les incursions des Allemands appelèrent Gratien dans la Gaule plus tôt
qu'il n'aurait désiré[422]. Ils ne l'attendirent pas, et ce prince
passa l'hiver à Trèves[423]. Il y publia plusieurs lois. Les débiteurs
du fisc se mettaient à couvert des poursuites, en faisant cession de
leurs biens, ce qui donnait occasion à des fraudes plus préjudiciables
aux peuples qu'au prince même, puisque le prince ne perd jamais ce qui
lui est dû, et qu'il sait se dédommager, aux dépens de ses sujets,
de ce qui lui est enlevé par des mains infidèles. Gratien ordonna
d'employer contre ces débiteurs la rigueur des supplices, à moins
qu'ils ne prouvassent qu'ils avaient été ruinés par quelque accident
involontaire. Il confirma les priviléges accordés aux médecins;
Théodose en fit autant dans la suite. Ausone, en sortant du consulat,
prononça en présence de l'empereur le discours de remercîment que
nous avons encore, et qui peut servir à fixer une des époques du
dépérissement de l'éloquence.

[Note 422: Ausone décrit en ces termes, _Grat. act. cons._ p.
553, le rapide voyage de Gratien. _Tu Gratiane, tot Romani imperii
limites, tot flumina et lacus, tot veterum intersepta regnorum, ab
usque Thraciam, per totum, quam longum est, latus Illyrici, Venetiam,
Liguriamque, et Galliam veterem, insuperabilia Rhætiæ, Rheni aquosa,
Sequanorum invia, porrecta Germaniæ, celeriore transcursu, quam est
properatio nostri sermonis, evolvis, nulla requie otii, ne somni
quidem, aut cibi munere liberali, ut Gallias tuas inopinatus illustres,
ut consulem tuum, quamvis desideratus, anticipes._--S.-M.]

[Note 423: Il était dans cette ville le 14 septembre et sans doute
long-temps avant. C'est au séjour que ce prince et son père avaient
fait dans cette ville, qu'elle dut les nombreux monuments dont il reste
encore des débris, et qu'elle acquit le haut rang qu'elle conserva
jusqu'à la chute de l'empire.--S.-M.]

[Note latérale: AN 380.

XI.

Baptême de Théodose.

Prosp. chron.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz l. 7, c. 4.

Zos. l. 4, c. 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Ambr. ep. 15, t. 2, p. 819.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 442.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 1.]

Au commencement de l'année suivante, Théodose, consul avec Gratien,
tomba malade à Thessalonique[424]. On désespérait de sa vie, et tout
l'Orient craignit de voir éteindre cet astre naissant, qui promettait à
tant de peuples des jours plus sereins et plus tranquilles. L'empereur,
plus occupé du soin de son âme que de la guérison de son corps,
désirait le baptême. Mais inviolablement attaché à la foi catholique,
qu'il avait héritée de ses pères, il ne voulait être baptisé que par
un orthodoxe. Il fit venir Ascolius, évêque de Thessalonique. Ce
prélat, célèbre par sa vertu, mais renfermé dans les fonctions de
son ministère, était encore inconnu à la cour. Lui seul avait servi
de défense à la Macédoine dans le désastre de l'empire; et lorsque
les Goths vainqueurs, pillant impunément la Thrace, et poussant au
loin leurs partis, étaient venus attaquer Thessalonique, dépourvue de
secours, Ascolius, sans autres armes que les prières qu'il adressait à
Dieu, avait repoussé leurs efforts. Frappés de la peste et poursuivis
par un bras invisible, les Goths avaient pris la fuite. Théodose
l'interrogea sur sa croyance; il répondit: _Qu'il n'en avait point
d'autre que celle de Nicée; et que c'était la doctrine constante de
toute la Macédoine, où les dogmes d'Arius n'avaient jamais eu le crédit
de s'établir; plus heureuse en ce point que les provinces orientales et
que la ville de Constantinople, où les sectes hérétiques déchiraient
le sein de l'église._ L'empereur, satisfait de cette profession de
foi, reçut le baptême de la main d'Ascolius, avec plus de joie qu'il
n'avait, un an auparavant, reçu de Gratien la couronne impériale.
Il conserva toujours un profond respect pour ce saint évêque; il se
gouvernait par ses conseils dans ce qui concernait les affaires de
l'église. La confiance d'un si grand prince, et l'éminente vertu du
prélat relevèrent beaucoup l'éclat du siége de Thessalonique. Le pape
Damase revêtit Ascolius et ses successeurs de la qualité de vicaires du
saint siége pour l'Illyrie orientale; ils avaient l'autorité de juger
en dernier ressort les causes ecclésiastiques dans ces provinces; ils y
tenaient le premier rang entre les primats, sans préjudice des droits
respectifs des églises. La guérison de Théodose suivit de près son
baptême.

[Note 424: On voit par ses lois qu'il fut dans cette ville durant
l'année 380, au moins depuis le 15 janvier jusqu'au 14 juillet.--S.-M.]

[Note latérale: XII.

Lois de Théodose concernant la religion.

Soz. l. 7, c. 4.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 21 et 22.

Cod. Th. l. 16, tit. 1, leg. 3, tit. 2, leg. 25. l. 9, tit. 35, leg. 4,
5, tit. 38, leg. 6, 7, 8; l. 15, tit. 5, leg. 2; l. 2, tit. 8, leg. 2.

Append. Sirm. leg. 7. Baronius in ann. 385.]

Sa convalescence fut longue: il ne put quitter Thessalonique avant le
mois de Juillet. Il profita de ce temps de repos, pour remédier aux
désordres de l'église et de l'état. Il traita d'abord les hérétiques
avec douceur; et St. Grégoire de Nazianze paraît douter si cette
tolérance venait d'un défaut de zèle, ou si c'était un effet de
prudence, que ce saint ne peut s'empêcher d'approuver. Mais Théodose ne
tarda pas à déclarer quelle était la doctrine à laquelle il souhaitait
que tous ses sujets voulussent se conformer; et comme la ville de
Constantinople était tout à la fois la capitale de son empire, d'où ses
édits pouvaient plus aisément se répandre dans toute l'étendue de ses
états, et le centre de l'hérésie qui s'y était affermie sous le règne
de Constance et de Valens, ce fut au peuple de Constantinople que, dès
le 28 de février, il adressa une loi célèbre, dont voici les termes:
_Nous voulons que tous les peuples de notre obéissance professent la
religion qui, suivant une tradition constante, a été enseignée aux
Romains par l'Apôtre saint Pierre, qui est évidemment professée par
le pontife Damase et par Pierre, évêque d'Alexandrie, prélat d'une
sainteté apostolique; en sorte que, selon les instructions des Apôtres
et la doctrine de l'Évangile, nous reconnaissions dans le Père, le Fils
et le Saint-Esprit, une seule Divinité, avec une égale majesté et dans
une adorable Trinité. Nous donnons le titre de Chrétiens Catholiques
à ceux qui suivront cette loi; et, regardant les autres comme des
insensés, nous voulons qu'ils portent le nom ignominieux d'hérétiques,
et que leurs assemblées ne soient point honorées du titre d'Églises, en
attendant qu'ils ressentent les effets de la vengeance de Dieu et de la
nôtre, selon ce que la divine Providence daignera nous inspirer._ Il
déclare, par une autre loi datée du même jour, _que ceux qui altèrent
par leur ignorance, ou qui violent par leur négligence, la sainteté
de la loi de Dieu, se rendent coupables de sacrilége_. Au milieu du
carême de cette année, il ordonna par une loi[425] de suspendre toute
procédure criminelle durant les quarante jours qui précèdent la fête
de Pâques; ce qu'il confirma neuf ans après par une seconde loi: _Les
juges_, dit-il, _ne doivent pas punir les criminels dans un temps,
où ils attendent de Dieu la rémission de leurs propres crimes_. Il
suspendit aussi dans la suite les procédures, même civiles, durant
la quinzaine de Pâques, et tous les Dimanches de l'année, pendant
lesquels les spectacles furent interdits. Nous avons une loi sans
date, par laquelle, à l'exemple de Valentinien, il fait grâce à tous
les criminels en faveur de la fête de Pâques; il en excepte aussi les
crimes énormes, qui sont celui de lèse-majesté, l'homicide, l'adultère,
le poison ou la magie, la fausse monnaie. Gratien, à l'occasion d'une
pareille rémission, excepte encore le rapt et l'inceste; et il exclut
de cette grâce ceux qui, après l'avoir déjà obtenue, sont retombés dans
les mêmes crimes. Valentinien le jeune en fit une loi perpétuelle pour
l'Occident; mais aux exceptions précédentes, il ajoute le sacrilége
en général, et en particulier celui qui consistait à violer les
sépultures. En l'année 387, comme Théodose dictait l'ordonnance de
l'indulgence Paschale, _plût à Dieu_, dit-il, _qu'il fût en mon pouvoir
de ressusciter les morts_. Dans une autre loi faite sur le même sujet,
on lit cette belle maxime: _Que c'est une perte pour l'Empereur de ne
trouver personne à qui il puisse pardonner_.

[Note 425: Rendue le 27 mars 380 à Thessalonique.--S.-M.]

[Note latérale: XIII.

Lois civiles.

Cod. Th. l. 10, tit. 10 leg. 12, 13, 17, 18, 19. tit. 18, leg. 2, 3,
l. 9, tit. 2, leg. 3, tit. 3, leg. 6, tit. 27, leg. 1, 2, 3, 4, 5, 6;
l. 15, tit. 1, leg. 20, 21, 23, 24, 27, 29 et ibi God. p. 302, tit. 5,
leg. 2. l. 8, tit. 15, l. 3, tit. 8; leg. 1, 2, tit. 11, leg. unic.
leg. 12, tit. 1, leg. 80 usque ad 140, et ibi God. p. 431. tit. 12,
leg. 7.

Cod. Just. l. 5, tit. 9, leg. 1. l. 6, tit. 55, leg. 4.

Liban. de Vetus descr. C. P.

Themist. or. 15, p. 194.]

La faiblesse de Valens avait laissé un libre cours à plusieurs abus:
Théodose se fit un devoir de les réformer. Il se déclara ennemi des
délateurs; et, pour rendre ce pernicieux métier aussi rare qu'il
est infâme, il prononça la peine capitale contre tout esclave qui
accuserait son maître, même avec fondement; et contre tout délateur
qui aurait réussi dans trois différentes dénonciations, la mort était
le prix de sa troisième victoire. Il y eut toujours de ces hommes
dangereux qui abusent de leur puissance et de leur crédit pour opprimer
les faibles, et toujours ils ont trouvé des magistrats intéressés ou
timides qui se sont prêtés à leurs injustices. Sur une plainte non
avérée, on arrêtait les accusés; on les laissait languir dans des
cachots étroits et incommodes, où ils ne pouvaient dormir que debout:
là, ces misérables, souvent innocents, étaient abandonnés à l'avarice
des geôliers, qui leur vendaient bien cher les nécessités de la vie,
et les traitaient cruellement lorsqu'ils n'avaient pas de quoi payer:
ils y mouraient souvent de faim. Les magistrats, occupés de spectacles,
de festins et d'amusements frivoles, ne trouvaient pas le temps de
visiter les prisons. Théodose défendit de mettre aux fers quiconque ne
serait pas convaincu: il voulut que l'accusateur fût détenu en prison,
pour subir la peine du talion, s'il était reconnu calomniateur; que
le procès fût promptement instruit et jugé, afin que le coupable ne
tardât pas à recevoir son châtiment, et l'innocent sa délivrance. Il
interdit aux geôliers leurs exactions inhumaines, et ordonna que tous
les mois le garde des registres mettrait sous les yeux du juge, le rôle
des prisonniers, avec la note de leur âge, de la qualité des crimes
dont ils étaient accusés, et du temps de leur détention; que le juge
négligent et paresseux, qui n'avait de sa charge que le titre, serait
condamné à une amende de dix livres d'or et à l'exil. Six ans après,
pour donner aux magistrats le loisir de s'acquitter de leurs devoirs,
il leur défendit d'assister aux spectacles, excepté le jour de la
naissance et du couronnement des empereurs. Il paraît, par un discours
de Libanius, que ces lois furent plus faibles que les désordres: l'an
386 il adressa à Théodose, en faveur des prisonniers, une remontrance
hardie, dans laquelle il ne craint pas de dire que le prince ne peut
s'excuser sur ce qu'il ignore ces iniquités; que son devoir est de les
connaître et de les punir. Jamais empereur ne prit tant de précautions
pour arrêter les concussions des magistrats: il ordonna que les juges
convaincus de ce crime, seraient dépouillés de leur charge, déclarés
incapables d'en posséder aucune; qu'en cas de mort, leurs héritiers
seraient responsables de leurs larcins; que, pour les malversations
dans les causes des particuliers, ils seraient assujettis aux peines
du péculat: il invita ceux qui se trouveraient lésés, à poursuivre la
vengeance, et leur promit justice et récompense. Natalis, commandant
des troupes en Sardaigne, sous le règne de Valens, avait pillé la
province: Théodose l'y fit reconduire sous bonne garde, pour y être
convaincu sur les lieux, et le condamna à rendre le quadruple de
ce qu'il avait pris injustement. Il défendit aux officiers qu'il
envoyait dans les provinces, d'y faire aucune acquisition d'immeubles,
d'y recevoir aucun présent ni pour eux ni pour leur famille, leurs
conseillers, leurs domestiques; il permit aux habitants de répéter en
justice ce qu'ils auraient ainsi donné. Si un gouverneur ou magistrat
de province employait son autorité pour tirer une promesse de mariage,
soit en sa faveur, soit en faveur de qui que ce fût, il déclarait
la promesse nulle; et pour une simple tentative du magistrat, pour
une simple proposition accompagnée de promesses ou de menaces, il le
condamnait à payer dix livres d'or, et à perdre, après sa gestion,
toutes les prérogatives que sa charge procurait; les personnes qu'il
avait sollicitées étaient affranchies de sa jurisdiction, elles et
leur famille, et avaient leurs causes commises par-devant d'autres
juges. Pour entretenir cet esprit de vie qui, dans un grand empire,
doit animer toutes les parties même les plus éloignées du centre, il
maintint en vigueur l'ordre municipal des villes. Il nous reste de lui
beaucoup de lois sur la nomination de ces officiers, sur les moyens
de conserver leur nombre, sur leurs exemptions et leurs priviléges.
Flavianus, proconsul d'Asie, et un préfet d'Égypte, furent mis en
prison pour avoir appliqué à la torture des officiers municipaux.
Afin d'épargner aux villes les frais des nombreuses députations, il
ordonna que, dans les occasions où elles auraient quelque demande à
porter au prince, toutes celles d'une même province concerteraient
ensemble, et se contenteraient d'envoyer trois députés pour la province
entière. Il eut encore plus de soin d'entretenir les anciens édifices,
que d'en construire de nouveaux, ce qui flattant davantage la vanité
des princes ou des magistrats, apporte aux villes plus de dépense et
souvent moins d'utilité. Il ne permit aux gouverneurs de faire de
nouveaux ouvrages publics, qu'après qu'ils auraient réparé les anciens
qui tombaient en ruine, et achevé ceux que leurs prédécesseurs avaient
commencés. Il voulut que les entrepreneurs fussent pendant quinze ans,
eux et leurs héritiers, responsables de la solidité des constructions.
Cette attention ne l'empêcha pas de travailler à l'embellissement de
Constantinople. Il y fit dans la suite construire un port, un aquéduc,
des bains, des portiques, des académies, un palais, une place et une
colonne qui portèrent son nom. Valentinien II suivit l'exemple de
Théodose, et recommanda d'entretenir dans Rome les anciens monuments,
plutôt que d'en entreprendre de nouveaux. Constantin avait décidé que,
si quelqu'un trouvait un trésor, il le partagerait par moitié avec
le fisc; Théodose le laissa tout entier à qui l'aurait découvert, à
condition cependant que, s'il le trouvait sur le terrain d'autrui, il
en céderait le quart au propriétaire du terrain. Les lois romaines
avaient borné le temps du deuil au terme de dix mois; Théodose
l'étendit à l'année entière; il déclara infame la veuve qui, avant
l'année révolue, convolerait à de secondes noces: telle était déjà la
disposition des anciennes lois; mais il y ajouta la perte de tous les
biens que la femme tiendrait du premier mari. Quant aux veuves qui se
remariaient après le terme prescrit, il les obligea de conserver aux
enfants du premier lit tous les biens venus de leur père, et il leur
ôta la liberté de les aliéner. La plupart de ces lois sont adressées
à Eutrope, alors préfet du prétoire d'Orient, et dont nous avons déjà
parlé dans l'histoire de la conjuration de Théodore.

[Note latérale: XIV.

Théodose envoie en Égypte un grand nombre de Goths.

Zos. l. 4, c. 30, 31 et 56.

Eunap. in excerpt. de leg. p. 21 et 22.]

Dans le même temps que Théodose s'occupait à corriger les désordres, il
songeait aussi à fortifier l'empire contre les attaques des Barbares.
Il employa pour cet effet un moyen dangereux, ainsi qu'il a déjà été
observé, et tout-à-fait contraire à la saine politique. Les malheurs
précédents avaient affaibli les armées; il invita les Goths d'au-delà
du Danube à prendre parti dans ses troupes, et il promit de les traiter
comme ses sujets naturels. Il en vint une si grande multitude, qu'ils
surpassèrent bientôt en nombre les soldats romains, et l'empereur
craignit avec raison de n'être plus le maître de les contenir, s'ils
venaient à former quelque entreprise. En effet, selon un auteur de ce
temps-là, avant que de passer le fleuve, ils s'étaient secrètement
engagés, par des serments exécrables, à faire aux Romains tous les maux
qu'ils pourraient, soit par la force, soit par la ruse et la trahison,
et à ne se donner de repos qu'après s'être rendus maîtres de tout
l'empire. Quoique Théodose ignorât ce perfide complot, cependant, par
une sage précaution, il résolut de les mettre hors d'état de nuire en
les divisant: il manda une partie des légions qu'il avait en Égypte,
et envoya pour les remplacer un corps considérable de ces Barbares,
sous la conduite d'Hormisdas, ce neveu de Sapor qui s'était signalé
dans la révolte de Procope. Les deux détachements se rencontrèrent
à Philadelphie. Celui des Goths était de beaucoup le plus nombreux:
ils avaient traversé l'Asie, comme des brigands, en pillant tout sur
leur passage. Réunis dans la même ville avec des troupes disciplinées,
ils voulurent continuer les mêmes violences. Un habitant qui venait
de vendre quelque denrée à un soldat goth, en reçut pour paiement un
coup d'épée au travers du corps; un autre qui était accouru pour le
défendre, ne fut pas mieux traité. On s'attroupa de part et d'autre.
Les officiers venus d'Égypte s'efforcèrent en vain de faire entendre
aux Barbares, que la discipline romaine qu'ils avaient embrassée, ne
permettait pas ces emportements; on ne leur répondit qu'à grands coups
d'épée. Alors les soldats romains, quoique fort inférieurs en nombre,
se jetant sur les Goths, en massacrèrent plus de deux cents: plusieurs
se sauvèrent dans les égouts de la ville, où ils périrent. On épargna
les autres, qui après cette sanglante leçon, continuèrent leur voyage
en observant une plus exacte discipline.

[Note latérale: XV.

Division entre les Goths.]

Ce mélange de Goths et de Romains introduisit le désordre dans les
armées. On dit même que l'empereur, pour attirer à son service un plus
grand nombre de ces Barbares, leur permettait de retourner dans leur
pays en substituant un soldat en leur place, et de revenir reprendre
leur rang lorsqu'ils le jugeraient à propos. Malgré la haine qu'ils
avaient jurée au nom romain, Théodose, à force de caresses et de
libéralités, parvint à gagner le cœur de quelques-uns, et à les
attacher sincèrement à l'intérêt de l'empire. C'était le plus faible
parti, s'il n'avait eu pour chef un jeune homme plein de courage; il se
nommait Fravita. Païen de religion, mais sincère, ennemi du déguisement
et de l'artifice, il détestait les noirs desseins de ses compatriotes,
et croyait faire pour eux plus encore qu'il ne devait, en ne les
démasquant pas[426]. Il épousa même une Romaine, pour ne pas entretenir
dans sa maison une secrète intelligence avec la trahison et la
perfidie. A la tête de l'autre parti était Ériulphe[427], homme violent
et emporté. Un jour qu'ils étaient tous deux à la table de l'empereur,
qui pour adoucir l'humeur féroce de ces Barbares, les traitait souvent
avec magnificence, le vin échauffant leurs esprits, ils se prirent de
paroles. Dans les transports de leur colère, ils dévoilèrent le secret
de la conspiration générale. Les convives prennent la fuite en tumulte:
Fravita tire l'épée et tue Ériulphe: les gens de celui-ci accoururent
pour venger leur maître; ils allaient mettre en pièces le meurtrier, si
les gardes du prince ne se fussent jetés à la traverse et ne l'eussent
tiré de leurs mains. Théodose, averti par cet événement du complot des
Barbares, ne crut pas devoir employer la violence pour en prévenir les
effets: il prit sans doute des mesures de prudence dont l'histoire ne
rend aucun compte.

[Note 426: Il fut consul en l'an 401. Il est appelé Φραόυστιος, par
Zosime, l. 4, c. 56. D'autres auteurs l'appellent Φράβιθος.--S.-M.]

[Note 427: Ce chef Goth est nommé Prioulphe Πρίουλφος, par Zosime,
l. 4, c. 56. C'est Eunapius qui le nomme Ἐρίουλφος.--S.-M.]

[Note latérale: XVI.

Gratien se prépare à repousser les Goths.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Vict. epit. p. 231.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.

Cod. Th. l. 11, tit. 16, leg. 12; l. 15, tit. 7, leg. 4, 5, 6, 9, 10,
11, 12 et ibi God.]

Les Goths établis en Thrace, n'étaient pas mieux intentionnés que
leurs compatriotes. Oubliant les ôtages qu'ils avaient donnés l'année
précédente, ils envoyèrent des partis en Pannonie, et favorisèrent le
passage d'Alathée et de Saphrax, qui, sans trouver aucun obstacle,
vinrent encore avec Fritigerne se montrer en-deçà du Danube[428].
Vitalianus commandait en Pannonie. Gratien, ne comptant pas beaucoup
sur la capacité de ce général, partit de Trèves[429] au mois de mars,
après avoir ordonné des levées d'hommes, de chevaux et de vivres, et
il alla attendre à Milan que ses troupes fussent assemblées. Justine
qui s'y trouvait alors, toujours ardente à protéger l'hérésie, profita
de ce séjour pour solliciter l'empereur d'accorder aux ariens une des
églises de la ville. Elle obtint seulement par ses importunités, que
cette église fût mise en séquestre. Mais bientôt Gratien, honteux
d'une si faible complaisance, la rendit aux catholiques, sans attendre
les remontrances de saint Ambroise. Ce fut sans doute par le conseil
du saint prélat, que ce prince exempta les femmes chrétiennes de la
nécessité de monter sur le théâtre, à moins qu'elles n'eussent démenti
la sainteté de leur religion par les désordres de leur vie. Il imposa
une amende de cinq livres d'or à quiconque retirerait dans sa maison
une comédienne ou une danseuse. Théodose animé des mêmes sentiments,
entreprit dans les années suivantes de réformer la licence et le luxe
des gens de théâtre: il défendit d'acheter, de vendre, d'instruire,
et de produire dans les festins ou dans les spectacles, d'entretenir
même dans son domestique, une chanteuse ou joueuse d'instruments;
d'exposer dans les lieux publics où se trouvait l'image des princes,
les portraits des pantomimes, des cochers du cirque, des histrions; il
interdit aux comédiennes l'usage des pierreries et la magnificence des
habits; aux femmes chrétiennes et à leurs enfants tout commerce avec
les acteurs et les actrices.

[Note 428: Jornandès qui rapporte, c. 27, cette nouvelle irruption
des Goths, en donne un motif assez plausible, c'est la maladie de
Théodose. _Sed Theodosio_, dit-il, _principe pene tunc usque ad
desperationem ægrotante, datur iterum Gothis audacia, divisoque
exercitu, Fridigernus ad Thessaliam prædandam, Epiros, et Achaïam
digressus est: Alatheus vero, et Safrach cum residuis copiis Pannoniam
petierunt_.--S.-M.]

[Note 429: L'empereur était à Trèves le 6 et le 15 février; à
Aquilée le 14 mars et à Milan le 24 et le 27 avril. On le retrouve à
Aquilée, le 27 juin. Ce voyage fut nécessité, à ce qu'il paraît, par la
maladie de Théodose et par la nouvelle irruption des Goths.--S.-M.]

[Note latérale: XVII.

Avantages de Gratien et de Théodose sur les Goths.

Zos. l. 4, c. 32, 33 et 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Cod. Th. l. 7, tit. 13, leg. 8, 9, tit. 22, leg. 9, 10.

Idat. fast.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 20.

Philost. l. 9, c. 19.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Prosp. chr.]

Gratien, étant parti de Milan au mois de juin, passa par Aquilée,
et prit la route de la Pannonie. Il défit les partis des Goths qui
ravageaient la province. Pour les détacher du reste de la nation,
il entra en négociation avec eux et conclut un traité de paix[430],
auquel Théodose crut devoir accéder[431]; mais ni Alathée, ni Saphrax,
ni Fritigerne ne furent compris dans ce traité[432]. Celui-ci s'étant
séparé des autres après le passage du Danube, prit sa route vers
la Thessalie, dans le dessein de ravager la Grèce[433]. Théodose
avait trop de sujet de se défier des Goths, pour n'être pas sur ses
gardes. Tout ce qu'il pouvait réunir de troupes romaines était depuis
long-temps assemblé auprès de lui; il avait rappelé au service les fils
des vétérans, qui prétendaient jouir des priviléges de leurs pères,
sans en avoir supporté les fatigues. Quoiqu'il eût besoin de soldats,
il avait cependant par une loi expresse, exclu du métier des armes,
les esclaves, les eunuques, et toutes les professions qui travaillent
pour la table, le luxe et la volupté. Au premier bruit de la marche
de Fritigerne, il se mit en campagne. Tous les auteurs, à l'exception
de Zosime, s'accordent à dire que ce prince remporta cette année
plusieurs victoires, qu'il dompta les Goths, et qu'il entra triomphant
dans Constantinople[434]; mais si l'on s'en rapporte à cet historien,
l'empereur fut défait et revint couvert de honte. Son récit, qui ne
se soutient pas lui-même, et qui est démenti par les autres écrivains
et par la suite des événements, ne mérite aucune croyance. Fritigerne
repassa le Danube avec les deux autres généraux, qui n'avaient pas eu
plus de succès que lui.

[Note 430: _Nec tamen fretus (Gratianus) in armis, sed gratia eos
muneribusque victurus, pacemque et victualia illis concedens, cum ipsis
inito fædere fecit._ Jornand. _de reb. Get._ c. 27.--S.-M.]

[Note 431: _Ubi vero post hæc Theodosius convaluit imperator,
reperitque Gratianum cum Gothis et Romanis pepegisse fœdus, quod ipse
optaverat, admodum grato animo ferens, et in hac ipse pace consistit._
Jornand. _de reb. Get._ c. 27.--S.-M.]

[Note 432: Zosime a commis, l. 4, c. 34, une assez singulière
erreur au sujet de ces trois chefs goths. Il dit que deux des nations
germaniques qui habitaient au-delà du Rhin, et qui étaient commandées,
l'une par Fritigerne et l'autre par Allothus et Safracès firent alors
une irruption chez les nations de la Gaule, τοῖς Κελτικοῖς ἔθνεσιν
ἐπικείμεναι. Il est facile de reconnaître ici une confusion assez
étrange. Il est évident que Zosime a pris les Germains pour les Goths,
et le Rhin pour le Danube.--S.-M.]

[Note 433: Ils voulaient, dit Zosime, l. 4, c. 34, passer de la
Pannonie en Épire, traverser le fleuve Achéloüs et attaquer les villes
de la Grèce. Διαπλεύσαντες οὖν ἐπὶ τούτοις τὸν Ἴστρον, διανούμενοί τε
διὰ Παιονίας ἐπὶ τὴν Ἤπειρον διαβῆναι, περαιωθῆναι δὲ τὸν Ἀχελῶον, καὶ
τᾶις Ἑλληνικαῖς πόλεσιν ἐπιθέσθαι.--S.-M.]

[Note 434: _Theodosius adflictam rempublicam ira dei reparandam
credidit misericordia illius, omnem fiduciam sui ad opem Christi
conferens, maximas illas Scythicas gentes, formidatasque cunctis
majoribus, Alexandro quoque illi magno, sicut Pompeius Corneliusque
testati sunt, evitatas, nunc autem, exstincto romano exercitu,
Romanis equis armisque instructissimas, hoc est, Alanos, Hunnos et
Gothos, incunctanter adgressus, magnis multisque præliis vicit. Urbem
Constantinopolim victor intravit._ Oros. l. 7, c. 34.--S.-M.]

[Note latérale: XVIII.

Théodose à Constantinople.

Zos. l. 4, c. 33.

Idat. chron. et fast.

Marcel. Chr.

Chron. Alex. p. 303.

Greg. Naz. or. 28, t. 1, p. 473-486, et or. 32, p. 516 et seq. et carm.
de vita sua, t. 2, p. 20 et 21.

Socr. l. 5, c. 6 et 7.

Soz. l. 7, c. 5 et 6.

Philost. l. 9, c. 19.

Chron. Cod. Theod.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 9.

Fleury, hist, eccles. l. 17, art. 59.]

Théodose ayant dissipé ce nouvel orage, alla conférer avec Gratien à
Sirmium[435], où il paraît qu'il était le 8 de septembre; mais il
n'y demeura que peu de jours, puisque le 20 du même mois, il était de
retour à Thessalonique. Il entra le 24 novembre à Constantinople, où
il fut reçu avec beaucoup de joie, surtout de la part des catholiques.
Il y avait quarante ans que l'arianisme dominait dans cette ville;
depuis l'exil d'Evagrius choisi pour évêque par les catholiques en 370,
et chassé par Valens, Démophile possédait seul toutes les églises.
Valens étant mort, les catholiques avaient appelé Grégoire de Nazianze
pour les soutenir contre les hérétiques. Grégoire, sans être attaché à
aucun siége, était revêtu du caractère épiscopal: il avait été ordonné
évêque de Sasima en Cappadoce, dont il n'avait jamais pris possession.
Après la mort de son père, qu'il avait aidé dans les fonctions d'évêque
de Nazianze sa patrie, il s'était retiré dans la solitude. Pressé
par les instances de l'église de Constantinople, qui le priait de
venir combattre les ennemis de la foi, il s'était rendu dans cette
ville. Ce saint prélat, chéri et respecté des fidèles, persécuté sans
cesse par les Ariens, avait par la sainteté de sa vie et la force
de son éloquence, ranimé la foi prête à s'éteindre dans la capitale
de l'empire. Un philosophe cynique, nommé Maxime, flétri de crimes
et de châtiments, mais hypocrite effronté, était venu d'Alexandrie
traverser les succès du saint évêque; et s'était fait secrètement
ordonner et installer par une cabale sur le siége de Constantinople.
Chassé aussitôt par les catholiques, il était allé trouver Théodose
à Thessalonique pour implorer sa protection. L'empereur l'avait
rebuté avec indignation; mais ce fourbe était soutenu par un puissant
parti. Tel était l'état de l'église de Constantinople à l'arrivée de
Théodose. Ce prince, deux jours après, c'est-à-dire le 26 de novembre,
fit demander à Démophile s'il voulait embrasser la foi de Nicée; et sur
son refus, il lui ordonna d'abandonner toutes les églises de la ville.
Le prélat hérétique préféra l'exil à l'abjuration de ses erreurs:
il alla mourir à Berrhée en Thrace, dont il avait été autrefois
évêque. Grégoire ne soupirait qu'après la retraite; accablé d'années
et de travaux, il voulait se décharger du fardeau de l'épiscopat.
L'empereur le retint malgré lui, le conduisit lui-même à la grande
église, et le mit en possession de la maison épiscopale et de tous
les revenus attachés au siége de Constantinople. Eunomius, le chef
des Anoméens, dogmatisait alors à Chalcédoine. Comme il était hardi
et subtil dans la dispute, il attirait à ses discours un grand nombre
de personnes. Théodose lui-même témoigna quelque désir de l'entendre;
mais l'impératrice Flaccilla l'en détourna, en lui représentant que ce
serait accréditer l'erreur et autoriser une curiosité dangereuse.

[Note 435: Il était à Andrinople, le 17 août de la même
année.--S.-M.]

[Note latérale: AN 381.

XIX.

Loi contre les hérétiques.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 6.

Theod. l. 5, c. 2.

Appendix Sirm. ad Cod. Th.

Till. Arian. art. 136 et vie de S. Melèce, art 14.]

Après avoir dépouillé les ariens des églises de Constantinople,
il déclara par une loi datée du 10 janvier[436], sous le consulat
d'Euchérius et de Syagrius, qu'il ne serait permis à nulle secte
hérétique, et nommément aux Photiniens, aux Ariens, aux Eunomiens, de
tenir leurs assemblées dans l'enceinte d'aucune ville; qu'on n'aurait
nul égard aux rescrits impériaux qu'ils pourraient surprendre en leur
faveur; que la foi de Nicée serait seule publiquement professée; que
les évêques orthodoxes seraient dans toute l'étendue de l'empire remis
en possession des églises, et que si les hérétiques formaient quelque
entreprise séditieuse pour s'y maintenir, ils seraient eux-mêmes
chassés des villes sans espérance de retour. Cette loi ne leur ôtait
que les églises des villes. On voit en effet que dans ce même temps
les Ariens obtinrent hors de Constantinople, l'église de Saint-Mocius,
qui tombait en ruine: ils la réparèrent; elle tomba sept ans après,
lorsqu'ils y étaient assemblés, et en écrasa un grand nombre. Elle ne
fut rebâtie que sous Justinien. Sapor, un des plus illustres généraux
de Théodose, fut chargé de faire exécuter cette loi dans toutes les
provinces. Il n'eut pas de peine à y rétablir la paix, excepté dans
Antioche. Il en chassa Vitalis, évêque des Apollinaristes, qui avaient
formé une secte séparée en 376; mais le peuple catholique était
lui-même divisé entre deux évêques orthodoxes, Paulin et Mélétius.
Celui-ci, pour rétablir la concorde, offrait de partager l'épiscopat
avec Paulin, à condition qu'on ne nommerait point de successeur à
celui des deux qui mourrait le premier. Sur le refus que fit Paulin
d'accepter une proposition si raisonnable, Sapor donna les églises à
Mélétius, et n'en laissa qu'une seule à Paulin pour y célébrer les
mystères avec ses partisans qu'on appelait Eustathiens. Ce triomphe de
la foi, si long-temps opprimée, combla de joie les fidèles; et dans
la suite plusieurs conciles en témoignèrent à Théodose une pieuse
reconnaissance.

[Note 436: Cette loi fut rendue à Constantinople.--S.-M.]

[Note latérale: XX.

Théodose se concilie l'amour des peuples.

Themist. or. 15, p. 192; 16, p. 212; 17, p. 216 et 221; 19, p. 227.

Cod. Th. l. 9, tit. 42, leg. 8, et 9; l. 10, tit. 24, leg. 2, et 3; l.
13, tit. 11. leg. 1, 2, 3 et 4.]

L'Arianisme abattu n'osait faire éclater son ressentiment. Les vertus
de Théodose rendaient impuissante la malignité naturelle à l'hérésie.
Il était irréprochable; ses sujets l'aimaient avec tendresse; et jamais
prince ne fut plus propre à régner sur les esprits, à la faveur de
ce doux empire qu'il sut s'établir dans le cœur de ses peuples. La
douceur de ses regards, celle de sa voix, la sérénité qui brillait sur
son visage, tempéraient en lui l'autorité souveraine. Grand observateur
des lois, il savait cependant en adoucir la rigueur. Dans les trois
premières années de son règne, il ne condamna personne à la mort. Il ne
fit usage de son pouvoir que pour rappeler les exilés, faire grace aux
coupables dont l'impunité ne tirait pas à conséquence, relever par ses
libéralités les familles ruinées, remettre ce qui restait à payer des
anciennes impositions. Il ne punissait pas les enfants des fautes de
leurs pères par la confiscation de leurs biens: mais il ne pardonnait
pas les fraudes qui tendaient à frustrer le prince des contributions
légitimes: également attentif à arrêter deux excès, d'enrichir son
trésor par des exactions odieuses, et de le laisser appauvrir par
négligence. Ses sujets le regardaient comme leur père; ils entraient
avec confiance dans son palais comme dans un asyle sacré. Ses ennemis
mêmes, qui auparavant ne se fiant pas aux traités, ne se croyaient
point en sûreté à la table des empereurs, venaient sans défiance se
jeter entre ses bras; et ceux qu'on n'avait pu vaincre par les armes,
se rendaient volontairement à sa bonne foi.

[Note latérale: XXI.

Athanaric vient à C. P.

Zos. l. 4, c. 34.

Themist. or. 15, p. 190-192.

Socr. l. 5, c. 10.

Idat. fast. et chron.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 28.

Isidor. Chr. Goth.

Amm. l. 27, c. 5.

Ambr. proœm. de Spir. Sancto, t. 2, p. 603.]

On en vit un exemple éclatant dans la personne d'Athanaric. Ce fier
monarque des Visigoths[437], qui avait traité d'égal à égal avec
Valens, chassé par Fritigerne[438] du territoire où il s'était
long-temps maintenu contre les Huns, n'eut d'autre ressource que la
générosité de Théodose. Il oublia le serment qu'il avait fait autrefois
de ne jamais mettre le pied sur les terres des Romains, et envoya
demander à l'empereur une retraite pour lui et pour les Goths qui lui
étaient demeurés fidèles. Théodose oublia de son côté les hostilités
d'Athanaric; il tint à grand honneur que son palais devînt l'asyle des
princes malheureux; il l'invita à venir à sa cour; il alla plusieurs
milles au-devant de lui, et l'ayant embrassé avec tendresse, il le
conduisit à Constantinople[439]. Athanaric y entra le 11 de janvier
avec cet air de grandeur, que l'infortune ajoute encore aux princes qui
savent s'élever au-dessus d'elle[440]. L'empereur lui fit les honneurs
de sa capitale, et le roi barbare, qui n'avait vu jusqu'alors que les
forêts et les cabanes des Goths, ne put considérer sans étonnement la
situation de cette ville, la hauteur de ses murs, la beauté de ses
édifices, ce nombre infini de vaisseaux qui remplissaient le port,
l'affluence de tant de nations qui venaient y aborder de toutes les
contrées de la terre, la belle ordonnance des troupes rangées en haie
sur son passage. Il était païen, et avait même persécuté les chrétiens
avec violence. Frappé de cette sorte d'admiration, qui agit plus
fortement dans les ames les plus grossières, il s'écria: _Certes,
l'empereur est le dieu de la terre; et quiconque ose lever le bras
contre lui, court infailliblement à sa perte_. La vue de la statue
de son père, érigée par Constantin, lui tira des larmes[441]: il se
crut établi dans le sein de sa famille; et le traitement honorable
que lui fit Théodose, lui promettait les jours les plus heureux de sa
vie, lorsqu'il fut frappé d'une maladie qui le conduisit au tombeau
le quinzième jour après son arrivée[442]. L'empereur lui fit faire de
magnifiques funérailles[443]; il y assista lui-même, marchant devant
le cercueil. Les Goths qui étaient venus avec leur roi, charmés de la
bonté de Théodose, lui vouèrent un attachement inviolable[444]. Les
uns s'en retournèrent dans leur pays, publiant hautement les louanges
de ce prince; les autres en plus grand nombre s'engagèrent dans ses
troupes. Ils furent employés à garder les passages du Danube contre
les entreprises de leurs compatriotes, et ils s'en acquittèrent
avec fidélité[445]. Pendant le court intervalle qui s'écoula entre
l'arrivée et la mort d'Athanaric, Thémistius prononça dans le palais
en présence de Théodose, un discours dans lequel, en faisant l'éloge
de l'empereur, il montra que la justice, la bonté, la vigilance à
maintenir l'ordre, sont les qualités essentielles de la souveraineté;
que ce sont ces vertus qui forment la vraie grandeur du prince et le
bonheur des sujets.

[Note 437: Ἀθανάριχόν τε, παντὸς τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν ἄρχοντα
γένους; κ. τ. λ. Zos. l. 4, c. 34.--S.-M.]

[Note 438: Ammien Marcellin rapporte, l. 27, c. 5, qu'Athanaric
fut chassé par ses parents; il ne nomme pas Fritigerne, qui était sans
doute de ce nombre. _Postea_, dit-il, _Athanaricus proximorum factione
genitalibus terris expulsus_. Quoique la chose ne soit pas rapportée
précisément de cette façon, par les auteurs anciens, qui sont fort
obscurs sur ce point, et en particulier Zosime, l. 4, c. 34, il est
certain qu'il faut l'entendre comme elle est présentée ici.--S.-M.]

[Note 439: Αὐτὸς ἀκονιτὶ ἐφειλκύσω τὸν Γέτην δυνάστην · καὶ ἥκει
σοι ἐθελοντὴς, ὁ πάλαι σεμνὸς, καὶ ὑψηλογνώμων, ἱκέτης εἰς τὴν πόλιν
τὴν βασιλίδα. Them. or. 15, p. 190.--S.-M.]

[Note 440: S. Ambroise s'exprime ainsi au sujet de l'arrivée
d'Athanaric à Constantinople. _Postea verò quam fidei exsules
abdicavit, hostem ipsum, judicem regum, quem semper timere consueverat,
deditum vidit, supplicem recepit, morientem obruit, sepultum possidet._
Ambros. _in proœm. de spir. sancto_, t. 2, p. 603.--S.-M.]

[Note 441: Οὕ τὸν πατέρα ὁ μαμμεγέθης Κωνσταντῖνος εἰκόνι
ἀπεμειλίσσετο, νῦν ἔτι ἀνακειμένῃ πρὸς τῷ ὀπισθοδόμῳ τοῦ βουλευτήριου.
Them. or. 15, p. 191.--S.-M.]

[Note 442: On apprend d'Isidore de Séville, dans sa chronique
des Goths, que le règne d'Athanaric avait été de treize ans. Voyez
ci-devant, p. 104, not. 1. liv. XX, § 5.--S.-M.]

[Note 443: _Fatali sorte decessit_, dit Ammien Marcellin, l. 27, c.
5, _et ambitiosis exsequiis ritu sepultus est nostro_.--S.-M.]

[Note 444: _Gothi autem proprio rege defuncto, aspicientes
benignitatem Theodosii imperatoris, inito fædere, Romano se imperio
tradiderunt._ Isid. Chron. Goth. Ces paroles ne sont pas autre chose
qu'une transcription de ce que dit Orose, l. 7, c. 34, sur le même
sujet.--S.-M.]

[Note 445: Jornandès rapporte que les Goths d'Athanaric, restés au
service de l'empire renouvelèrent le traité fait par leurs ancêtres
avec Constantin; traité par lequel ils s'étaient engagés à fournir
constamment un certain nombre d'hommes, destinés à se joindre aux
armées impériales, avec le titre de _fæderati_ ou alliés. _Defuncto
ergo Athanarico, cunctus exercitus in servitio Theodosii imperatoris
perdurans, Romano se imperio subdens, cum milite velut unum corpus
efficit, milliaque illa dudum sub Constantino principe fæderatorum
renovata et ipsi dicti sunt Fæderati._ Jorn. _de reb. Get._ c.
28.--S.-M.]

[Note latérale: XXII.

Intrigues de Maxime le cynique.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 16; et or. 32, t. 1, p. 516.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Damase, art. 12.]

La faveur que Théodose accordait à saint Grégoire et l'affection
des catholiques ne mettaient ce prélat à couvert ni des attentats
des hérétiques, ni des sourdes intrigues de Maxime. Cet hypocrite
n'ayant pu séduire l'empereur, était retourné à Alexandrie. Loin de
s'y tenir en repos, il força Pierre, évêque de cette ville, prélat
bien intentionné, mais faible et timide, de lui donner des lettres de
communion et de le reconnaître pour légitime évêque de Constantinople.
Il menaçait de le déposséder lui-même. Le préfet d'Égypte craignant les
suites d'une audace si déterminée, l'obligea de sortir de la province.
Mais Maxime, muni du témoignage de Pierre, passa en Italie et vint
à bout d'en imposer à tout l'Occident. Damase était lui-même alors
vivement attaqué par les calomnies de l'anti-pape Ursinus, qui, relégué
à Cologne, tâchait inutilement de s'accréditer auprès de Gratien.
Le pape ne fut pas instruit par son propre exemple; il ne fit pas
réflexion que la révolte de Maxime contre ce saint prélat ressemblait
à celle d'Ursinus contre lui-même. Il se laissa tromper, et mit les
évêques d'Occident dans les intérêts de l'imposteur. Grégoire avait
encore d'autres assauts à soutenir dans Constantinople. Les hérétiques
se vengeaient sur lui de leur disgrace; ils avaient porté la hardiesse
jusqu'à lui jeter des pierres pendant qu'il prêchait au peuple dans
l'église des Saints-Apôtres. Sa pauvreté évangélique, la simplicité de
ses habits, son visage mortifié et atténué par les jeûnes, son corps
courbé d'austérités et de vieillesse, son extérieur peu avantageux,
opposé au faste et à la magnificence des autres évêques, le rendaient
un objet de mépris. Comme s'il eût été lui-même d'intelligence avec
ses ennemis, il ne songeait qu'à quitter le siége épiscopal. Son
dessein fut découvert: les catholiques alarmés s'assemblent aussitôt;
on le supplie de ne pas abandonner son peuple; on le force d'en donner
sa parole. Il promet de demeurer jusqu'à l'arrivée des prélats qui
devaient incessamment tenir un concile à Constantinople, et qu'il
espérait engager à nommer un autre évêque.

[Note latérale: XXIII.

Concile de C. P. où S. Grégoire est confirmé dans l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 30 et seq.

Socr. l. 5, c. 8.

Theod. l. 5, c. 8.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Chron. Alex. p. 304.

Zon. l. 13 t. 2, p. 36.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Grég. l. 9, c. 18.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Mélèce, art. 16.]

Théodose résolu de faire tous ses efforts pour rétablir la paix dans
l'église universelle, et en particulier dans celles d'Antioche et de
Constantinople, avait convoqué pour le mois de mai de cette année,
un concile de tout l'Orient. Cent cinquante évêques orthodoxes s'y
rendirent des diverses provinces. Il y en vint aussi trente-six qui
étaient attachés à l'hérésie de Macédonius. L'empereur espérant les
ramener, les avait appelés au concile. Mais à peine y furent-ils
arrivés, qu'ils se séparèrent, protestant qu'ils ne consentiraient
jamais à reconnaître la consubstantialité. Les prélats catholiques
commencèrent par examiner l'ordination de Maxime; elle fut déclarée
nulle, et Grégoire, malgré ses larmes et sa résistance, fut confirmé
dans la possession du siége de Constantinople.

[Note latérale: XXIV.

Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 24. et seq.

Greg. Nyss. in fun. Meletii, t. 3, p. 591 et 592.

Joan. Chrys. laus Meletii, t. 2, p. 518-523.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10, et 11.

Till. vie de S. Mélèce, art. 9.

Vie de S. Ambr. art. 27.]

Il n'y fut pas long-temps tranquille. Mélétius qui avait d'abord
présidé au concile, mourut en peu de jours. L'empereur témoigna
sa vénération pour la vertu de ce saint évêque par la pompe des
funérailles qu'il lui fit faire. Le corps de Mélétius fut porté à
Antioche, et, contre la coutume des Romains, toutes les villes qui se
trouvaient sur le passage, eurent ordre de le recevoir. Cette mort
troubla la paix du concile. Les partisans de Mélétius et de Paulin
étaient enfin depuis quelque temps convenus entre eux, qu'on ne
donnerait point de successeur à celui des deux qui mourrait le premier,
et que les deux partis se réuniraient sous l'autorité du survivant.
Cet accord avait même été confirmé par un serment. Cependant, dès que
Mélétius eut fermé les yeux, le concile se trouva partagé en deux avis.
Saint Grégoire, à la tête des vieillards, demandait que la convention
fût exécutée, il représentait que _la bonne foi et la paix de l'église
d'Antioche y étaient également intéressées; que Paulin avancé en âge,
recommandable d'ailleurs par sa vertu et par la pureté de sa doctrine,
méritait bien d'occuper une place qu'il laisserait bientôt vacante; que
d'agir autrement, ce serait à la fois rendre la division éternelle, et
mettre le bon droit dans le parti de Paulin, dont le rival ne pouvait
devenir évêque, sans violer un pacte authentique_. Ces motifs, quelque
puissants qu'ils fussent, n'arrêtaient pas les nouveaux prélats,
qui faute de meilleures raisons, s'écriaient _que Paulin n'était en
communion qu'avec les églises d'Occident, et que Jésus-Christ ayant
honoré l'Orient de sa présence, la partie orientale ne devait pas
céder à l'autre_. La chaleur et l'activité de ces jeunes évêques
entraîna enfin les vieillards. Flavien, prêtre d'Antioche, fut élu pour
successeur de Mélétius. Le seul Grégoire refusa de consentir à cette
élection; il prit de nouveau le parti de renoncer à l'épiscopat, et ne
fut retenu que par les instances de son peuple.

[Note latérale: XXV.

S. Grégoire abdique l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 25-28.

Theod. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.]

Cependant, on avait mandé aux évêques d'Égypte et de Macédoine de venir
se joindre au concile, sous prétexte de contribuer au rétablissement
de la paix. C'étaient sans doute les ennemis de saint Grégoire qui
les y avaient appelés. Les évêques d'Occident étaient prévenus contre
son ordination: Timothée frère et successeur de Pierre d'Alexandrie,
mort depuis peu, et les autres évêques d'Égypte n'étaient pas mieux
disposés. Ils réclamaient l'autorité des canons contre un prélat, qui
déja évêque de deux siéges, disaient-ils, était venu s'emparer encore
de celui de Constantinople. Saint Grégoire n'eût pas été embarrassé de
se défendre, s'il eût souhaité de gagner sa cause; mais il embrassa
avec empressement cette occasion de se soustraire à tant de cabales
et de traverses; et après avoir déclaré que, pour calmer la tempête,
il subirait avec joie le sort de Jonas, il abdiqua l'épiscopat en
plein concile. Il y eut un petit nombre d'évêques qui sentirent la
perte que faisait l'église de Constantinople, et qui pour n'avoir rien
à se reprocher, sortirent de l'assemblée avec une profonde douleur.
Les autres acceptèrent sans délibérer, la démission d'un prélat dont
l'éloquence excitait leur jalousie et dont l'austérité condamnait leur
luxe.

[Note latérale: XXVI.

Il obtient le consentement de Théodose.

Greg. Naz. de vita sua, t. 2, p. 28, 29 et seq.]

Il ne devait pas être si facile d'obtenir le consentement de Théodose.
Grégoire alla au palais, et s'approchant de l'empereur, qu'il trouva
environné d'une cour nombreuse et brillante: «Prince, lui dit-il, je
viens vous demander une grâce; vous aimez à en accorder. Ce n'est pas
de l'or pour mon usage, ni de riches ornements pour mon église; ce ne
sont pas non plus des gouvernements ni des emplois pour quelqu'un de
mes proches. Je laisse ces faveurs à ceux qui recherchent ce qui n'est
de nul prix. Mon ambition s'est toujours élevée au-dessus des choses
de la terre. Je ne désire de votre bonté que la permission de céder à
l'envie. Je respecte le trône épiscopal; mais je ne veux le voir que
de loin. Je suis las de me rendre odieux à mes amis mêmes, parce que
je ne cherche à plaire qu'à Dieu. Rétablissez entre les évêques cette
concorde si précieuse; qu'ils terminent enfin leurs débats, si ce n'est
par la crainte de la justice divine, du moins par complaisance pour
l'empereur. Vainqueur des Barbares, remportez encore cette victoire sur
l'ennemi de l'église. Vous voyez mes cheveux blancs et mes infirmités.
J'ai épuisé au service de Dieu, ce qu'il m'avait donné de forces.
Vous le savez, prince, c'est contre mon gré que vous m'avez chargé
du fardeau sous lequel je succombe; permettez-moi de le mettre à vos
pieds, et d'achever en liberté ce qui me reste d'une longue et pénible
carrière.» Ces paroles affligèrent sensiblement l'empereur; mais la
demande était aussi juste que sincère; il consentit à regret, et le
saint prélat, après avoir dit adieu à son peuple par un discours plein
d'une tendresse noble et chrétienne, qu'il prononça dans la grande
église de Constantinople, en présence des évêques du concile, alla
terminer le cours d'une vie pénitente et laborieuse dans sa chère
solitude, après laquelle il n'avait cessé de soupirer.

[Note latérale: XXVII.

Élection de Nectarius.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7, 8 et 10.

Theod. l. 5. c. 8, 9.

Marcel. Chr.

Zon. l. 13, t. 2, p. 36.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 18 et 26.]

On ne pouvait se flatter de donner à Grégoire un successeur d'un
égal mérite. Théodose recommanda au concile de ne rien négliger pour
trouver un pasteur digne d'une place si importante: mais les vues de
la plupart des prélats n'étaient pas si pures que celles du prince.
Les intérêts d'amitié ou de parenté, déterminaient les suffrages.
Il y avait alors à Constantinople un nommé Nectarius, né à Tarse,
d'une famille sénatorienne, et actuellement préteur. Comme il était
sur le point de retourner dans sa patrie, il alla rendre visite à
Diodore évêque de Tarse, pour lui offrir de se charger de ses lettres.
Diodore cherchait alors dans son esprit sur qui il ferait tomber son
choix. La vue de Nectarius fixa son irrésolution. Les cheveux blancs
du magistrat, sa physionomie noble et majestueuse, la douceur et la
probité peintes sur son visage, le rendaient respectable. Le prélat,
frappé de cette idée, le conduisit au nouvel évêque d'Antioche,
qui avait beaucoup de crédit sur l'esprit de l'empereur; il lui
demanda sa voix en faveur de Nectarius. Flavien reçut d'abord en
riant la recommandation de Diodore; il trouvait quelque chose de
bizarre à proposer un laïque presque inconnu, en concurrence avec
les ecclésiastiques les plus distingués dans le clergé des églises
d'Orient. Cependant, par complaisance pour son ami, il conseilla à
Nectarius de différer son départ de quelques jours. Théodose, pour
accélérer l'élection, pria les évêques de lui donner par écrit les
noms de ceux que chacun d'eux avait en vue, se réservant la liberté
de choisir. Flavien ayant composé la liste de ceux qu'il proposait
sérieusement, voulut bien, pour ne pas désobliger Diodore, ajouter à
la fin le nom de Nectarius. Ce fut à ce nom que s'arrêta la pensée
de l'empereur; il connaissait ce magistrat; il estimait sa vertu.
La vie de Nectarius n'avait pas toujours été fort réglée; mais il
avait corrigé dans la maturité de l'âge les désordres de sa jeunesse.
Théodose, après avoir plusieurs fois relu la liste avec réflexion,
se décida pour Nectarius. Ce choix surprit tous les évêques; on se
demandait qui était ce Nectarius; on fut encore plus étonné d'apprendre
qu'il ne fût pas encore baptisé, quoique déja avancé en âge. Ni cette
circonstance, ni les représentations de plusieurs prélats ne firent
changer d'avis à l'empereur. Nectarius fut baptisé; et, avant même que
d'avoir quitté l'habit de néophyte, il reçut les ordres sacrés et fut,
en présence du prince, installé sur le siége épiscopal avec le suffrage
unanime des évêques, du clergé et du peuple de la ville. Ce fut un
prélat médiocre, plus pieux que savant, plus capable de ménagement
que de fermeté, plus versé dans les affaires politiques que dans les
matières de la foi; mais Théodose fut heureux qu'un choix si hasardé
n'eût pas des suites plus fâcheuses.

[Note latérale: XXVIII.

Décrets du concile.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 9.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 27.]

L'agitation qui avait régné dans le concile, tant que les intérêts
personnels avaient divisé les esprits, se calma par l'élection de
Nectarius. Dans le silence des passions humaines, la foi parla seule,
et son langage fut unanime. Toutes les hérésies contraires à la
décision de Nicée, et à la doctrine orthodoxe sur la Trinité, furent
frappées d'anathème. Pour confondre les Macédoniens, qui niaient la
divinité du Saint-Esprit, on arrêta le symbole, tel qu'on le chante
aujourd'hui à la messe, à l'exception de l'addition _filioque_, qui est
plus récente. On fit plusieurs canons de discipline. Le plus fameux est
celui qui donne à l'église de Constantinople le premier rang d'honneur
après celle de Rome; et la raison qu'allègue le concile, c'est que
Constantinople est la nouvelle Rome. Ce canon ne parlait que du
rang; on l'étendit depuis à la juridiction. Le concile de Chalcédoine
attribua à l'église de Constantinople l'ordination des métropolitains
de la Thrace, de l'Asie et du Pont. Ce nouveau patriarche eut la
supériorité d'honneur sur ceux d'Alexandrie et d'Antioche; mais il n'en
fut point un démembrement; parce que les trois diocèses dont il fut
composé, ne dépendaient auparavant d'aucun patriarchat. Les évêques
se séparèrent vers la fin de juillet, après que Théodose eut promis
d'appuyer de son autorité l'exécution de leurs décrets. Ce concile
n'était pas œcuménique dans son origine; mais il le devint ensuite
pour ce qui regarde la foi, par l'accession du pape Damase et de tout
l'Occident. Il tient le second rang entre les conciles généraux.

[Note latérale: XXIX.

Lois de Théodose contre les hérétiques à l'occasion de ce concile.

Cod. Th. l. 16, tit. 7, leg. 1, 2, 3; tit. 5, leg. 7, usque ad 25.

Soz. l. 7, c. 12.

Imper. Orien. Band. t. 1, p. 92, t. 2, p. 491, 789.]

Tandis que les évêques employaient les armes spirituelles pour abattre
l'erreur, l'empereur armait contre elle l'autorité des lois. Dès les
premiers jours du mois de mai, lorsque les prélats s'assemblaient,
il donna le signal par deux lois[446] contre les apostats et les
manichéens, qu'il déclara incapables de tester et de recevoir aucun
héritage, aucune donation testamentaire. Gratien, deux ans après,
suivit son exemple[447]. Pendant la tenue du concile, il défendit
aux ariens de bâtir aucune église, ni dans les villes ni dans les
campagnes, sous peine de confiscation du fonds sur lequel on aurait
osé en construire. Pour mettre sous un seul point de vue toutes les
lois de ce prince contre les hérétiques, je les rassemblerai ici en
peu de mots. Il leur interdit toute assemblée, même dans les maisons
particulières, et s'ils contrevenaient à cette défense, il permit aux
catholiques d'user de voies de fait pour les dissiper; cette permission
pouvait être d'une dangereuse conséquence. Il leur défendit d'ordonner
des prêtres ou des évêques; il commanda de rechercher leurs ministres
et de les forcer de retourner dans leur pays natal, avec défense d'en
sortir ni de demeurer à Constantinople sous quelque prétexte que
ce fût. Il avait surtout en horreur les manichéens; ces hérétiques
se divisaient en plusieurs sectes, dont quelques-unes avaient des
pratiques aussi contraires à la pudeur qu'à la religion; il proscrivit
ces sectes infames; il déclara punissables de mort ceux qui seraient
convaincus d'y être engagés; il ordonna au préfet du prétoire d'en
faire la recherche[448]. Il renouvela plusieurs fois ces lois; mais
il est à remarquer que la dernière année de son règne, il rendit
aux eunomiens la liberté de donner et de recevoir par testament. On
apporte diverses raisons de cette variation; la plus vraisemblable à
mon avis, c'est que l'empereur s'éloignant alors de Constantinople,
où il laissait ses deux fils, voulut, par cette indulgence, adoucir
l'aigreur de ces hérétiques, qui formaient un parti redoutable.
Sozomène observe que les peines portées contre les hétérodoxes dans
les lois de Théodose, n'étaient que comminatoires; qu'elles ne furent
jamais mises à exécution, et que ce prince ne témoignait d'estime qu'à
ceux qui revenaient à l'église par un mouvement libre de leur volonté.
D'ailleurs, il s'étudia à couvrir de mépris les hérésiarques. Ce fut
dans ce dessein qu'il fit poser dans la grande place les bustes en
marbre de Sabellius, d'Arius, de Macédonius et d'Eumonius. Ces bustes
ne s'élevaient que de deux ou trois pieds au-dessus du terrain, et
étaient exposés à toutes les insultes des passants.

[Note 446: Ces lois données à Constantinople, sont datées des 2 et
8 mai 381.--S.-M.]

[Note 447: Comme on le voit par une loi datée de Padoue le 22 mai
383.--S.-M.]

[Note 448: Ce surcroît de rigueur contre les Manichéens fut
prescrit par une loi donnée à Constantinople le 31 mars 382.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Lois en faveur des évêques.

Cod. Th. l. 11, t. 39, leg. 8, 10. l. 16, tit. 1, leg. 3; l. 9, tit.
17; leg. 6, 7.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10.

Aug. de opere Monach. c. 28. t. 6, p. 498.]

Quelques-uns des évêques assemblés à Constantinople ne s'occupaient
pas seulement des affaires de l'église, qui devaient être leur
unique objet; ils se mêlaient dans les querelles séculières, et se
laissaient traduire devant les tribunaux pour y servir de témoins.
Théodose défendit d'y contraindre aucun évêque; il déclara qu'un
évêque ne pouvait, sans déshonorer son caractère, se faire entendre
publiquement en qualité de témoin. Il permit de citer les prêtres
en témoignage; mais il les exempta de la question, qui était alors
en usage dans les causes criminelles, pour assurer la vérité des
dépositions, à condition qu'ils seraient sévèrement punis s'ils étaient
convaincus de faux; _car_, dit-il, _ceux qui abusent de nos respects
pour couvrir la fraude et le mensonge, méritent les châtiments les
plus rigoureux_. Après la conclusion du concile, il renouvela l'ordre
qu'il avait déja donné, de remettre toutes les églises entre les
mains des évêques qui professaient la vraie foi sur le mystère de la
Trinité; et pour les reconnaître à une marque sensible, il désigna
nommément, dans toutes les provinces de l'empire, les prélats les
plus orthodoxes, déclarant qu'il ne tiendrait pour catholiques, que
ceux qui communiqueraient avec eux. Pour honorer encore le caractère
épiscopal, il fit transférer d'Ancyre à Constantinople les reliques
de Paul, évêque de cette dernière ville, que les ariens avaient fait
mourir à Cucusus, sous le règne de Constance. Le corps fut déposé dans
une église, qui porta dans la suite le nom du saint; c'était celle
que Macédonius son persécuteur avait fait bâtir, et cette translation
fut regardée comme un triomphe que le martyr remportait après sa mort
sur ses ennemis. A l'occasion de cette cérémonie, Théodose renouvela à
l'égard de Constantinople, la loi ancienne qui défendait d'enterrer les
corps ou les cendres des morts dans l'enceinte de Rome et des villes
municipales; il n'excepta que les reliques des martyrs, et les corps
des empereurs, qui avaient leur sépulture dans le vestibule de l'église
des Saints-Apôtres, où l'on permit aussi d'inhumer les évêques de
Constantinople. J'ajouterai ici une autre loi de Théodose, quoiqu'elle
n'ait été faite que cinq ans après. Il s'introduisait dès-lors une
sorte d'imposture, qui devint dans les siècles suivants beaucoup plus
commune et plus scandaleuse. Des charlatans, qui, selon saint Augustin,
étaient pour la plupart des moines hypocrites et vagabonds, abusaient
de la simplicité des peuples; ils allaient de ville en ville, et
vendaient de fausses reliques de martyrs. Théodose tâcha d'abolir ce
honteux trafic, capable de décréditer les vrais objets de la vénération
des fidèles; il défendit de transférer un corps hors de sa sépulture,
de vendre, ni d'acheter des reliques.

[Note latérale: XXXI.

Concile d'Aquilée.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 2, c. 18, 22, 23.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, c. 10 et suiv.]

La doctrine du concile de Constantinople fut reçue de tout l'Occident;
c'était celle de l'église universelle; mais l'ordination de Nectarius
et celle de Flavien ne trouvèrent pas la même approbation. Dès l'an
379, Palladius et Sécundianus, évêques d'Illyrie, zélés défenseurs de
l'arianisme, avaient demandé à l'empereur Gratien un concile général;
ils prétendaient s'y justifier des erreurs qu'on leur imputait; car,
en défendant la doctrine d'Arius, ils niaient qu'ils fussent ariens.
Les prélats catholiques offraient de prendre l'empereur pour arbitre de
cette dispute. Gratien refusa de se charger de ce jugement. Il indiqua
d'abord un concile général à Aquilée; mais saint Ambroise lui ayant
représenté qu'il n'était pas raisonnable de mettre en mouvement tout le
monde chrétien, et d'obliger tous les évêques aux fatigues d'un long
voyage pour une cause si peu importante, il consentit que le concile
ne fût convoqué que des évêques du vicariat d'Italie et des députés
des autres provinces. Ce concile se tint au mois de septembre, la même
année que celui de Constantinople. Palladius et Sécundianus y furent
convaincus d'arianisme et déposés. Les évêques écrivirent deux lettres
à Gratien, l'une pour lui rendre compte de leur décision, l'autre pour
le prier de réprimer les nouvelles entreprises de l'anti-pape Ursinus,
et une troisième à Théodose, par laquelle ils paraissaient ne pas
reconnaître Flavien pour légitime évêque d'Antioche, et demandaient un
nouveau concile, afin d'apaiser les divisions qui troublaient l'église.

[Note latérale: XXXII.

Suites des intrigues de Maxime le Cynique.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Ambr. art. 30, et suiv.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 17.]

L'ordination de Nectarius était encore plus odieuse aux yeux des
évêques d'Occident. Ils reçurent à bras ouverts Maxime le cynique. Ce
prélat, sans titre légitime, comme sans vertu, s'étant présenté au
concile de Milan, fut admis à la communion. On écrivit en sa faveur à
Théodose, et on le pria de concourir avec Gratien pour assembler à Rome
un concile universel. Ce prince répondit aux évêques que leurs raisons
n'étaient pas suffisantes pour cette convocation; que comme l'affaire
de Nectarius et celle de Flavien s'étaient passées en Orient, et que
toutes les parties y étaient présentes, il n'était pas à propos de
transférer la décision de ces deux causes en Occident, et de changer,
par des innovations, les bornes que leurs pères avaient posées; que
les évêques d'Orient avaient sujet de s'offenser de leur demande. Il
les blâmait de témoigner un peu trop de chaleur contre les Orientaux,
et d'ajouter foi trop légèrement à Maxime, dont il leur dévoilait les
impostures.

[Note latérale: XXXIII.

Concile de Rome et de C. P.

Theod. l. 5, 8, 9, 10 et 11.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 18, 19.]

Cette réponse de Théodose trouva les évêques déja assemblés à Rome. Il
avait lui-même fait revenir à Constantinople la plupart des prélats qui
l'année précédente avaient assisté au concile général, afin de prendre
avec eux les moyens de rétablir la concorde entre l'église d'Orient et
celle d'Occident. Ces évêques reçurent une députation du concile de
Rome, qui les invitait à se rendre en Italie. Ils s'en excusèrent sur
la difficulté de s'éloigner de leurs églises, où l'hérésie nouvellement
proscrite excitait encore de grands troubles. Ils se contentèrent de
députer à Rome trois d'entre eux avec une lettre par laquelle ils
justifiaient l'élection de Nectarius et de Flavien, et envoyaient leur
profession de foi tout-à-fait conforme à la croyance des Occidentaux.
Le pape Damase, à la tête du concile de Rome, répondit par une
exposition de foi claire et détaillée sur le mystère de la Trinité: il
déclara que les évêques d'Occident abandonnaient Maxime, reconnaissant
qu'ils avaient été trompés par ses fourberies, et remerciant Théodose
de leur avoir ouvert les yeux. Ce concile écrivit à Gratien pour le
prier de réprimer l'insolence de la faction d'Ursinus qui, malgré
les ordonnances de l'empereur, se soutenait en Italie. Gratien
répondit par un rescrit adressé au vicaire Aquilinus, dans lequel il
le réprimandait de ce qu'il ne faisait pas exécuter ses ordres: il
attribuait ces troubles à la négligence ou même à la collusion des
magistrats, et les menaçait de punition, s'ils ne procuraient pas le
repos à Damase. Il établissait de nouveau les règles des jugements
ecclésiastiques.

[Note latérale: XXXIV.

Troisième concile de C. P.

Socr. l. 5, c. 10, 20, 21.

Soz. l. 7, c. 6, 12, 17.

Theod. l. 5, c. 16.

Philost. l. 10, c. 6.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 10, c. 13.

Till. Arian. c. 138, 139.]

La disgrâce des hérétiques, loin de les abattre, échauffait leur
opiniâtreté et les accréditait parmi le peuple; leurs évêques chassés
des autres villes, se réfugiaient dans la capitale de l'empire; ils y
répandaient leur venin, et Constantinople retentissait de controverses.
On s'assemblait dans les places publiques pour disputer sur l'essence
de Dieu; les femmes, les artisans, les valets s'érigeaient en
dogmatistes: c'était une frénésie épidémique. L'empereur voulut d'abord
imposer silence; il défendit ces dangereuses contestations. Ses efforts
furent inutiles. Il crut que, pour fermer la bouche à l'hérésie, le
meilleur moyen était de la confondre. Il assembla encore un concile
de tout l'Orient, et y manda les chefs de toutes les sectes. Ils s'y
rendirent ainsi que les évêques orthodoxes. Ceux-ci n'approuvaient pas
cette condescendance du prince; c'était à leur avis paraître chanceler
dans la foi, que de remettre en question ce qui avait été décidé par
tant de conciles. Un d'entre eux osa faire connaître à l'empereur le
mécontentement général des catholiques. Théodose venait de déclarer
Auguste son fils Arcadius; et ce jeune prince, âgé de six ans, assis
à côté de son père, partageait avec lui les hommages des prélats, qui
venaient saluer l'empereur à mesure qu'ils arrivaient à Constantinople.
Amphilochius, évêque d'Iconium, était un vieillard aussi simple dans
ses mœurs que célèbre pour la sainteté de sa vie. S'étant présenté à
Théodose, et l'ayant salué avec respect, il passa tout droit devant
Arcadius, et se contenta de lui dire, en lui portant la main au visage,
_Dieu vous garde mon fils_. L'empereur, offensé de cette familiarité
indécente, ordonna aussitôt de faire retirer ce vieillard. Alors
Amphilochius se tournant vers lui: _Prince_, s'écria-t-il, _vous ne
pouvez souffrir qu'on manque de respect à votre fils; pensez-vous que
le Père céleste, le souverain des empereurs et des empires, pardonne à
ceux qui blasphèment contre son fils unique, ou qui usent de ménagement
et de condescendance envers ces blasphémateurs?_ Ces paroles firent
une vive impression sur l'empereur; il embrassa le saint prélat, et
conçut plus d'horreur que jamais contre les dogmes impies des ariens.
Les conférences s'ouvrirent au mois de juin: ce qu'on en sait de
certain, c'est qu'elles se terminèrent à l'avantage des orthodoxes,
et que les hérétiques furent confondus. Eunomius, le plus redoutable
de tous par sa subtilité et sa hardiesse, et qui avait corrompu
plusieurs chambellans de l'empereur, fut envoyé en exil, où il mourut.
Théodose épargna seulement les novatiens, qui témoignaient la même
ardeur que les catholiques pour la défense de la doctrine orthodoxe
sur la Trinité. Le zèle de l'empereur pour étouffer les hérésies,
n'eut pas le succès qu'il désirait: privées d'honneurs et de crédit,
elles subsistèrent pendant tout son règne, comme on le voit par les
lois qu'il fut obligé de renouveller presque tous les ans. Ce dernier
concile de Constantinople ne se tint qu'en 383: mais ce fut une suite
du concile œcuménique assemblé en 381, et j'ai cru qu'il était à propos
de suivre sans interruption la conduite que Théodose a tenue à l'égard
des ennemis de l'église catholique.

[Note latérale: XXXV.

Lois sur les sacrifices.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 7 et 8.]

L'idolâtrie s'affaiblissait de jour en jour. Constantin lui avait porté
les premiers coups: Gratien et Théodose se proposaient d'en achever
la ruine. Une mort prématurée traversa le projet de Gratien; Théodose
eut le temps d'y réussir, mais il ménagea ce dessein avec prudence;
et, avant que d'abattre les temples, il voulut en miner les fondements
par diverses ordonnances. Il se contenta cette année de bannir
des temples les sacrifices et les cérémonies superstitieuses, par
lesquelles on consultait les Dieux sur l'avenir. L'année suivante, il
usa d'indulgence à l'égard des païens de l'Osrhoène[449]. Il y avait à
Édesse un temple fameux, orné de magnifiques statues, et qui servait de
lieu d'assemblée au peuple de la ville. On avait obtenu de l'empereur
un ordre de le fermer, ce qui excitait les murmures de tout le pays.
Théodose permit de le rouvrir, à condition qu'on n'abuserait pas de
cette liberté pour y célébrer les sacrifices dont il avait interdit
l'usage.

[Note 449: Par une loi du 30 novembre 382, adressée à Palladius duc
de l'Osrhoène.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Exploits de cette année.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Socr. l. 5, c. 24.

Oros. l. 7, c. 35.

Jornand. de reb. Get. c. 50.

Suid. in Ἀρβογάϛης.]

Pendant que ce prince animait par sa présence les évêques assemblés à
Constantinople[450], il se préparait à mettre ses troupes en campagne.
Les Squires[451], qui faisaient partie des Alains, joints aux Huns et
aux Carpodaces, avaient passé le Danube[452]. Les Carpodaces étaient
un reste de la nation des Carpes, qui, chassés de leur pays par les
Goths, s'étaient établis dans l'ancienne Dacie[453]. L'empereur marcha
en personne contre ces barbares, les défit, et les obligea de repasser
le fleuve. Dans le même temps, une armée de Goths traversait la
Macédoine et marchait vers la Thessalie. Théodose se reposa du soin de
les repousser, sur Bauton[454] et Arbogaste, que Gratien avait envoyés
à son secours avec un grand corps de troupes. C'étaient deux capitaines
Francs[455], qui s'étant attachés au service de l'empire, parvinrent
aux premières dignités. Tous deux vaillants, désintéressés, et pleins
de prudence: mais Bauton était plus fidèle, plus doux et plus modéré;
il fut consul dans la suite[456], et se contenta des distinctions que
lui procurait son mérite. Arbogaste, hardi, emporté, cruel, ambitieux
au point de vouloir dominer ses maîtres, était d'ailleurs réglé dans
ses mœurs, sobre et frugal, vivant comme un simple soldat. Ces deux
généraux arrêtèrent les Goths à l'entrée de la Thessalie; et, par leur
bravoure et leur sage conduite, ils leur firent perdre l'espérance de
pénétrer plus avant. Les Goths regagnèrent la Thrace, où ne se flattant
pas de pouvoir se soutenir contre les forces de Théodose, ils prirent
le parti de retourner au-delà du Danube.

[Note 450: Théodose resta la plus grande partie de cette année à
Constantinople. Il n'en sortit, à ce qu'il paraît, que vers le milieu
de l'été, sans doute pour aller combattre les Barbares. On a de lui
deux lois, du 21 juillet, datées d'Héraclée. Il était à Andrinople le
5 septembre, et on le retrouve à Constantinople le 28 du même mois. Il
n'en sortit plus de cette année.--S.-M.]

[Note 451: C'est Jornandès qui nous apprend, c. 50, que les Scires
faisaient partie des Alains. _Sciri_, dit-il, _et Satagarii, et cæteri
Alanorum_. Pline est le premier auteur qui en ait parlé, l. 4, c. 27,
il semble les placer du côté de la Vistule, vers la mer Baltique. Il
les range parmi les Sarmates, mais, il faut l'avouer, ce qu'il en dit
n'est pas assez clair, pour qu'on puisse se flatter de bien saisir sa
pensée. _Quidam hæc (insula Eningia), dit-il, habitari ad Vistulam
usque fluvium, à Sarmatis, Venedis, Sciris, Hirris tradunt._ Zosime
les fait voir, l. 4, c. 34, à la fin du 4e siècle, avec les Goths et
les autres Barbares, que la terreur des Huns forçaient à franchir le
Danube, pour trouver un refuge et des établissements sur le territoire
de l'empire. Une très-longue et très-belle inscription grecque trouvée
récemment dans l'antique ville d'Olbiopolis, vers l'embouchure du
Borysthène, fait mention des Scires, et elle en parle comme d'une
des nations scythiques établies dans le voisinage de cette ville. Ce
renseignement est tout-à-fait en harmonie avec ce que racontent Zosime
et Jornandès sur le même peuple; on conçoit alors comment il pouvait
être compris parmi les Alains. La date de cette inscription importante
est fort incertaine. Plusieurs savants la font remonter jusqu'au milieu
du 3e siècle avant notre ère, d'autres la rabaissent jusqu'au premier
siècle avant cette même ère. Pour moi, je la crois plus moderne, et
encore du deuxième siècle après J.-C. Voyez à ce sujet les _Nouvelles
annales des voyages_ de MM. Eyriès et Malte-Brun, t. XIX, p. 132, et
le _Journal asiatique_, t. 3, p. 126. Quoi qu'il en soit, il paraît
toujours constant, en rapprochant ce nouveau renseignement de ceux que
nous possédions déja, que les Scires, fixés dès long-temps sur les
rives du Borysthène, se dirigèrent vers le Danube, lorsque la puissance
des Huns devint redoutable à tous les Barbares du Nord. Il paraît
qu'ils avaient aussi obtenu de Théodose, des établissements au midi de
ce fleuve, car Sozomène rapporte, l. 9, c. 5, qu'Uldès, roi des Huns,
le passa au commencement du 5e siècle, comme allié des Romains, et
qu'il attaqua les Scires, alors leurs ennemis, et il en fit un grand
carnage. Avant cette calamité, dit l'historien grec, _c'était une
nation très-nombreuse_, Ἔθνος δὲ τοῦτο βάρβαρον, ἱκανῶς πολυάνθρωπον,
πρὶν τοιᾷδε περιπεσεῖν συμφορᾷ. On fit un grand nombre de prisonniers
qui furent conduits à Constantinople et vendus à l'encan; tous ceux qui
ne trouvèrent pas d'acquéreurs furent transportés en Asie, où on leur
donna des terres à cultiver dans la Bithynie, auprès du mont Olympe.
Après la mort d'Attila et le démembrement de son empire, les Scires
obtinrent la possession de la petite Scythie et de la Mésie inférieure.
_Scythiam minorem, inferioremque Mæsiam accepere._ Jorn. c. 50. Leur
chef s'appelait alors Candax. Péria, père d'un certain Alanowamuthis,
qui donna le jour à Jornandès, avait été secrétaire de ce prince.
C'est une circonstance propre à inspirer une grande confiance dans
l'exactitude des renseignements que l'historien des Goths nous a
transmis sur ce peuple. Les Scires eurent aussi de grands démêlés avec
les Ostrogoths qui les exterminèrent presque tous, _ita sunt præliati_,
dit Jornandès, c. 53, _ut penè de gente Scirorum, nisi qui nomen ipsum
ferrent, et hic cum dedecore non remansissent, sic omnes extinxerunt_.
Les restes de cette nation s'attachèrent ensuite au service des
Romains, ils passèrent en Italie où ils contribuèrent puissamment à la
destruction de l'empire d'occident. Tout ce qui concerne cette partie
de leurs annales, se retrouvera dans la suite de cette histoire.]

[Note 452: Σκύρους γὰρ καὶ Καρποδάκας Οὔννοις ἀναμεμιγμένους,
ἠμύνατο. Zos. l. 4, c. 34.--S.-M.]

[Note 453: Les Carpes étaient, durant les trois premiers siècles
de notre ère, un des plus puissants peuples qui habitaient les régions
au nord du Danube. Ils y furent long-temps les adversaires des
Romains. Ils tiraient leur nom des montagnes qui forment la limite
septentrionale de la Hongrie et qui s'appellent encore Carpathes. Les
Carpodaces dont parle Zosime, n'étaient que les débris des anciens
Daces, réunis aux restes des anciens Carpes, pour former une de ces
nombreuses tribus d'origine mélangée, souvent désignées par les anciens
sous les noms collectifs de Sarmates et de Gètes, et qui passèrent le
Danube en même temps que les Goths et les Alains.--S.-M.]

[Note 454: Il est appelé _Baudon_ par Zosime l. 4, c. 33.--S.-M.]

[Note 455: Ἄμφω δὲ ἦσαν Φράγκοι τὸ γένος. Zos. l. 4, c. 33.--S.-M.]

[Note 456: Il fut consul en l'an 385. Sa fille Eudoxie épousa
l'empereur Arcadius. On croit que Bauton était païen et qu'il mourut
vers l'an 387.--S.-M.]

[Note latérale: AN 382.

XXXVII.

Les Goths se soumettent à l'empire.

Themist. or. 16, p. 199-211; or. 18, p. 219; et or. 19, p. 229.

[Zos. l. 4, c. 33 et 34.]

Oros. l. 7, c. 34.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. chr.

Synes. de regno. p. 25 et 26.]

Ce n'était pas pour eux une retraite plus assurée. Le voisinage des
Huns, qui les avait obligés sous le règne de Valens de quitter leurs
demeures, les tenait dans de continuelles alarmes; et ce peuple
malheureux, ne pouvant ni rester tranquillement dans son pays, ni en
sortir impunément, courait risque d'être entièrement détruit. Théodose
crut pouvoir profiter de leur embarras pour le bien de l'empire. La
Thrace et la Mésie étaient tellement désolées que, sans une colonie
étrangère, il fallait plusieurs siècles pour les repeupler. Les Goths
étaient affaiblis; leurs défaites, leurs victoires mêmes leur avaient
coûté une partie de leur nation; sans compter ceux qui, s'étant
détachés de leurs compatriotes, s'étaient déjà donnés à l'empire.
Théodose pensa qu'ils n'avaient plus assez de forces pour être de
redoutables ennemis, mais qu'il leur en restait assez pour devenir
des sujets utiles. Dans ces circonstances, il leur envoya Saturninus,
au commencement de l'année dans laquelle Antoine était consul avec
Syagrius. Différent de celui que nous avons vu dans le consulat l'année
précédente, Saturninus était propre à cette négociation: parvenu par
son mérite aux premiers emplois militaires, il ne pouvait manquer
d'être agréable à une nation guerrière qui n'estimait que la valeur. Il
connaissait les Goths, contre lesquels il avait servi dans toutes les
guerres, et il en était connu. Il ne se pressa pas de terminer cette
importante affaire. Il leur fit entendre à loisir _que la clémence
de l'empereur leur tendait les bras; qu'il voulait bien oublier les
violences passées; qu'il ne tenait qu'à eux de trouver un asile assuré
dans le pays même qu'ils avaient d'abord ravagé, et ensuite inondé
de leur propre sang, pourvu qu'ils se consacrassent sincèrement au
service de l'empire: que s'ils étaient assez sages pour embrasser
ce parti, ils auraient à se féliciter de leurs défaites, puisque le
vainqueur leur accordait ce que n'avaient pu leur procurer des succès
passagers, dont ils avaient été assez punis_. Les Goths écoutèrent ces
propositions. Leurs chefs suivirent Saturninus à Constantinople, où
étant arrivés le 3 d'octobre, ils se prosternèrent devant l'empereur,
lui demandèrent grâce, et lui promirent une inviolable fidélité.
Théodose permit à toute la nation de s'établir dans la Thrace et dans
la Mésie. Elle y répara les maux qu'elle y avait causés; les campagnes
furent ensemencées et se couvrirent de moissons: les villages se
relevèrent de leurs ruines, et les bords du Danube recouvrèrent leur
ancienne fertilité. Un grand nombre de Goths prit des établissements
à Constantinople, et du service dans les armées. Si l'on en juge par
l'événement, cette politique de Théodose n'est pas exempte de censure.
Il est vrai que les conjonctures n'étaient pas les mêmes que du temps
de Valens: aussi, tant que Théodose vécut, les Goths se tinrent dans
les bornes de la soumission; mais la faiblesse de ses successeurs
réveilla leur haine qui n'était qu'assoupie. Théodose les laissa réunis
dans le même pays; ceux qui servaient dans ses troupes formaient un
corps à part sous des chefs de leur nation. Cette distinction les
empêcha de s'incorporer aux autres sujets; bientôt ils s'en séparèrent
et excitèrent de nouveaux troubles. Théodose était sans doute assuré
de les contenir tant qu'il vivrait; mais un prince bon et prudent porte
ses vues au-delà des bornes de sa vie; il écarte les dangers les plus
éloignés; il prépare des jours heureux à ses successeurs et à leurs
sujets. C'est par les effets de cette prévoyance paternelle qu'on peut
dire qu'il règne encore sur la postérité.

[Note latérale: XXXVIII.

Divers effets de la clémence de Théodose.

Liban. or. 14, t. 2, p. 394 et 403; or. 15, p. 410.

Themist. or. 16, p. 212.]

Les barbares établis depuis peu à Constantinople, avaient peine à
se plier aux lois d'une police réglée. Un d'entre eux ayant commis
quelque violence, le peuple se jeta sur lui, le massacra et traîna son
corps dans la mer. La cruauté d'une telle vengeance pouvait causer
le soulèvement de toute la nation. Pour le prévenir, Théodose se
hâta de punir la ville; il retrancha le pain qu'on avait coutume de
distribuer au peuple: mais il se laissa fléchir dès le même jour. Ce
prince mettait son bonheur à pardonner. Il donna la vie à quelques
Galates condamnés à mort, et fit grâce à une ville de Paphlagonie, que
l'histoire ne nomme pas, non plus que le crime dont elle s'était rendue
coupable.

[Note latérale: XXXIX.

Famine à Antioche.

Liban. vit. t. 2, p. 64 et 65.]

L'intempérie des saisons produisit en Orient la stérilité et la
famine. Le pain manqua dans Antioche. Malgré les soins empressés des
magistrats, le peuple s'en prenait à eux de sa misère: il menaçait
d'égorger le Sénat. Philagrius, comte d'Orient, se contenta d'abord
d'exhorter les boulangers à se relâcher sur le prix du pain; il
craignait qu'ils ne prissent la fuite, s'il usait de rigueur à
leur égard. Mais voyant que le peuple l'accusait de leur vendre sa
protection, il voulut se justifier à leurs dépens. Il les fit arrêter
et appliquer à la torture au milieu de la grande place, pour leur
faire dire s'il y avait quelque magistrat qui s'entendît avec eux. La
populace impitoyable repaissait ses yeux du supplice de ces malheureux;
elle était armée de bâtons et de pierres pour assommer le premier qui
prendrait leur défense. Un si grand danger n'effraya point l'orateur
Libanius. Il osa percer la foule, et ayant pénétré jusqu'au tribunal,
il parla avec tant de force en faveur de ces innocents, qu'il calma la
colère du peuple, et engagea Philagrius à faire cesser les tortures. Ce
miracle de persuasion perd beaucoup de son autorité, parce qu'il n'est
rapporté que par l'auteur même. Je soupçonnerais que quelque convoi de
vivres survenu à propos, aida aux efforts de son éloquence.

[Note latérale: XL.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 1, tit. 2, leg. 6; l. 9, tit. 37, leg. 3; l. 10, tit. 21,
leg. 2.]

Les abus et les vices qui cherchent sans cesse à s'introduire dans
un grand état, trouvaient un obstacle puissant dans la vigilance de
Théodose. Il réprima le luxe, en défendant aux particuliers l'usage de
l'or sur leurs habits; il ôta aux calomniateurs tout moyen d'excuse,
toute espérance d'impunité. Comme il savait que la bonté du prince
l'expose à la surprise, et que ceux qui, par leurs richesses et
leur crédit, sont plus en état de payer les taxes publiques, sont
d'ordinaire les seuls qui obtiennent des remises, il défendit aux
officiers d'avoir égard sur cet article à ses propres rescrits.

[Note latérale: XLI.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 11, tit. 6, leg. unic. l. 14, tit. 8, leg. unic.

Ambr. offic. l. 2, c. 16, t. 2, p. 88.]

Si Gratien n'avait pas les qualités brillantes de Théodose, il ne
lui cédait pas en humanité, en attention sur la police de l'état,
en zèle pour le progrès de la religion chrétienne. Des gouverneurs
durs et avares prenaient quelquefois la liberté d'imposer des taxes
extraordinaires, qu'ils faisaient autoriser par des lettres des préfets
du prétoire. Il arrêta ces concussions, et défendit absolument de
lever aucun impôt qui ne fût établi par un édit du prince. Persuadé
que les mendiants valides sont dans tout État un levain de sédition
et de désordres, et que les moins dangereux sont en quelque sorte des
frelons qui dévorent la subsistance des vrais pauvres, il proscrivit
ce métier honteux[457]: il ordonna que les mendiants qu'on trouverait
n'avoir d'autre titre à la compassion publique, que le libertinage
et la paresse, seraient livrés à ceux qui les auraient dénoncés, à
titre d'esclaves, s'ils étaient de condition servile, et de colons
perpétuels, s'ils étaient libres[458].

[Note 457: Par une loi rendue à Milan le 20 juin 382.--S.-M.]

[Note 458: Il paraît que la présence continuelle des Barbares,
sur les frontières de la Pannonie, et sur les bords du Danube, avait
forcé Gratien de séjourner pendant presque toute l'année 381, et même
durant l'année 382, sur les frontières de l'Illyrie et de la partie
septentrionale de l'Italie. Après son retour de Sirmium, où il était le
6 septembre 380, on le trouve à Milan le 29 mars 381, à Aquilée le 22
avril et le 8 mai. Il paraît qu'il fit alors un voyage dans la Gaule,
et il était à Trèves le 14 octobre, mais il revint bientôt après en
Italie, où on le retrouve à Aquilée le 26 décembre. Les lois de l'année
suivante sont presque toutes datées de Milan, il n'en est qu'une seule
datée de Viminacum et du mois de juillet. Il est bien probable qu'il
fut alors obligé de quitter son séjour habituel, pour se porter vers
le Danube et sans doute par la même cause, c'est-à-dire la crainte des
Barbares, mais son absence fut courte, car bientôt après on le retrouve
à Milan.--S.-M.]

[Note latérale: XLII.

S. Ambroise obtient la grace d'un criminel.

Soz. l. 7, c. 25. Till. vie de S. Ambr. art. 28.]

L'évêque de Milan, où Gratien faisait alors sa résidence la plus
ordinaire, profitait de la bonté naturelle de l'empereur, pour le
porter à des actions de clémence. Mais plusieurs officiers du palais,
qui ne cherchaient qu'à perdre leurs ennemis ou leurs rivaux, tâchaient
d'éloigner de l'oreille du prince un prélat si opposé à leurs projets
violents ou injustes. Un magistrat s'était échappé en discours
injurieux contre l'empereur; il en fut convaincu et condamné à mort.
Comme on le conduisait au supplice, Ambroise accourut au palais pour
intercéder en sa faveur. Les ennemis que cet infortuné avait à la
cour, ayant bien prévu cette sollicitation, avaient engagé le prince à
une partie de chasse dans son parc: et lorsque Ambroise vint demander
audience, on lui répondit que l'empereur était à la chasse, et qu'il
n'était permis à personne d'aller troubler ses plaisirs. L'évêque
feignit de se retirer; mais il trouva moyen de s'introduire secrètement
par une autre porte avec les valets qui menaient les chiens. Alors
s'étant présenté à Gratien, il se fit écouter malgré les contradictions
des courtisans, et ne quitta le prince qu'après avoir obtenu la grâce
du coupable.

[Note latérale: XLIII.

Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie.

Ambr. ep. 17, t. 2, p. 824 et 829.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 20.

Zos. l. 4, c. 36.

Till. Grat. art. 14.

Vie de S. Damase, art. 13.

Vie de S. Ambr. art. 33.

Mem. Acad. Insc. et B. L. t. 15, p. 140.]

Ce saint prélat soutint l'honneur de l'empereur et du christianisme
dans une affaire plus éclatante. L'autel de la Victoire subsistait
à Rome dans la salle du sénat, depuis que Julien l'avait rétabli.
C'était un monument célèbre où l'idolâtrie semblait encore triompher,
et que les sénateurs chrétiens ne pouvaient voir sans honte et sans
douleur. Gratien fit cesser ce scandale; l'autel fut détruit. Il fit
plus; il confisqua les revenus assignés à l'entretien des pontifes, et
les terres dont la superstition avait fait donation aux temples. Il
annula les priviléges et les immunités des prêtres et des vestales; il
ordonna que les fonds qui leur seraient légués par testament, seraient
dévolus au fisc, et il ne les laissa jouir que des legs mobiliaires.
Jamais l'idolâtrie n'avait reçu de coup plus sensible. Attaquée dans
son sanctuaire, elle anima à sa défense les sénateurs païens: ils
dressèrent une requête pour demander la révocation de cet édit, et
députèrent au nom du sénat entier Symmaque, à la tête du collége des
pontifes, qui tous étaient sénateurs. Ce Symmaque est celui dont nous
avons dix livres de lettres. Il était recommandable par son mérite
et par celui de son père, que nous avons vu préfet de Rome sous
Valentinien[459]. Il avait été gouverneur de la Lucanie et du pays des
Bruttiens[460], et proconsul d'Afrique[461]. La demande des païens ne
pouvait être appuyée d'une plus grande autorité. Mais les sénateurs
chrétiens, et c'était le parti le plus nombreux, désavouèrent hautement
les députés; ils mirent entre les mains du pape Damase une requête
toute contraire, par laquelle ils protestaient que, loin de demander
le rétablissement de l'autel de la Victoire, ils étaient résolus de ne
plus aller au sénat, s'il était rétabli. Damase fit tenir cette requête
à saint Ambroise, pour la remettre à l'empereur. Gratien, prévenu par
le prélat, renvoya les députés païens sans vouloir les entendre; il
refusa même la robe de grand pontife, qu'ils avaient apportée pour la
lui présenter à cette occasion, et rejeta ce titre, que Constantin
et ses successeurs avaient jugé à propos de conserver. Il crut que,
dans l'état de faiblesse où tant de coups redoublés avaient réduit le
paganisme, il n'était plus besoin de ce ménagement politique. Depuis
ce temps, le titre de grand pontife cessa d'être attaché à la dignité
impériale; et Gratien conféra au préfet de Rome la jurisdiction dont
avait été revêtu le chef de la religion païenne. Zosime raconte que le
premier des pontifes, en recevant la robe que Gratien lui renvoyait,
s'écria: _S'il ne veut pas être grand pontife, Maxime le sera bientôt._
La témérité de ces paroles est voilée dans l'expression latine, sous
une équivoque assez puérile[462]. Si le fait est véritable, il faut
supposer qu'on avait déjà en Italie quelque pressentiment de la révolte
de Maxime.

[Note 459: En 364 et 365.--S.-M.]

[Note 460: Correcteur de la Lucanie et du Brutium en 365. Il
s'appelait Q. Aurélius Symmachus.--S.-M.]

[Note 461: Ce proconsulat est de l'an 370 ou de l'an 373.--S.-M.]

[Note 462: Εἰ μὴ βούλεται Ποντίφιξ βασιλεὺς ὀναμάζεσθαι, τάχιστα
γενήσεται Ποντίφιξ μάξιμος. Zos. l. 4, c. 36.--S.-M.]

[Note latérale: AN 383.

XLIV.

Famine dans Rome.

Ambr. ep. 18, t. 2, p. 833; ep. 49, p. 991 et offic. l. 3, c. 7, p. 119.

Symm. l. 2, ep. 7, et l. 10, ep. 54.

Amm. l. 14, c. 6.

Themist. or. 18, p. 222.

Baronius.

Till. Grat. art. 16, et not. 23.

Suet. in Aug. c. 42.]

L'année suivante, Mérobaudès étant consul pour la seconde fois avec
Saturninus, les païens attribuèrent à la colère des Dieux, que Gratien
méprisait, la famine dont Rome fut affligée[463]. La moisson avait
manqué dans cette contrée de l'Italie, et les vents contraires avaient
arrêté les vaisseaux qui apportaient le blé d'Afrique. Ce fut alors que
Rome fit connaître la prodigieuse corruption où elle était parvenue
depuis un peu plus de trois siècles, et que nous avons tracée d'avance
dans l'histoire de Constantin. Auguste, dans une pareille extrémité,
avait fait sortir de Rome les étrangers, excepté les médecins et
ceux qui enseignaient les arts libéraux. Cette dureté, à laquelle
la nécessité servait d'excuse, avait été trop souvent imitée. Dans
l'occasion dont je parle, tous les étrangers eurent ordre de sortir
de la ville; mais on y retint par privilége, les baladins et les
danseuses, qui se trouvèrent au nombre de trois mille. Ces malheureux
bannis, errans sans secours dans les campagnes desséchées et stériles,
étaient réduits à se nourrir de glands, de racines et de fruits
sauvages. Leur sort déplorable attendrissait ceux qui, dans leurs
propres maux, conservaient encore quelque sensibilité du malheur des
autres. Personne n'en fut plus vivement touché que le préfet de la
ville: on croit qu'il se nommait Anicius Bassus. C'était un vieillard
ferme et généreux, rempli de cette charité que la religion chrétienne
étend sur tous les hommes, et de cette confiance qu'elle inspire dans
les plus rudes adversités.

[Note 463: Les diverses lois de cette année font voir que Gratien
résida encore en Italie, il en passa tout le commencement jusqu'au 2
mai à Milan. Il alla ensuite à Padoue, où il était les 22, 27 et 28 du
même mois. On le retrouve à Vérone, le 17 juin.--S.-M.]

[Note latérale: XLV.

Discours d'Anicius Bassus.]

Il assembla les plus riches citoyens. «Que faisons-nous? leur dit-il.
Pour prolonger notre vie, nous faisons périr ceux qui travaillent
à la soutenir. Ces étrangers que nous bannissons, ne font-ils pas
une partie de l'État, précieuse et nécessaire? Ne sont-ils pas nos
laboureurs, nos serviteurs, nos marchands, quelques-uns mêmes nos
parents? Nous ne retranchons pas la nourriture à nos chiens, et nous
la plaignons à des hommes! Que la crainte de la mort est aveugle, en
même temps qu'elle est cruelle! Qui voudra désormais nous procurer,
par un commerce utile, les nécessités de la vie? Qui voudra ensemencer
nos terres? Qui nous fournira du pain, si nous en refusons à ceux par
les mains desquels la Providence nous le donne? Quelle horreur les
provinces vont-elles concevoir de Rome? Enverront-elles leurs enfants
dans une ville homicide? Mais la faim qui va consumer ces innocentes
victimes, fera-t-elle cesser la nôtre? Nous épargnons quelques morceaux
de pain; nous achetons un répit de peu de jours au prix de la vie
de tant d'infortunés; semblables à ces malheureux navigateurs qui,
pour éloigner la mort de quelques moments, se dévorent les uns les
autres. Sacrifions bien plutôt toutes nos fortunes; ce sera subsister
à meilleur marché que par la perte d'un seul homme. Nous n'avons de
secours à attendre que du ciel: il sera d'airain pour nous, si nous
sommes impitoyables pour nos frères: notre miséricorde méritera la
sienne. Ouvrons les bras à ces misérables; contribuons tous à leur
subsistance. Il ne nous en coûtera pas plus pour les nourrir, que pour
en acquérir d'autres après les avoir perdus. Et où en trouverons-nous
qui veuillent s'exposer à la mort en servant des maîtres inhumains?» Ce
discours arracha des larmes aux plus insensibles. L'avarice même ouvrit
ses trésors. On fit venir des blés de toutes parts; on permit l'entrée
de la ville aux bannis, que la famine avait épargnés. Le superflu des
riches versé sur les pauvres, procura à ceux-ci le nécessaire; et la
charité d'un seul homme, assez féconde pour suppléer à la stérilité de
la terre, sauva la vie à un peuple nombreux.

[Note latérale: XLVI.

Gratien se rend odieux.

Cod. Th. l. 11, tit. 13, leg. unic. l. 13, tit. 10, leg. 8; l. 1, tit.
3, leg. 1.

Zos. l. 4, c. 35.

Vict. epit. p. 231.]

Gratien avait de la bonté et de la justice; mais il manquait de
prudence. Il venait de publier plusieurs lois qui tendaient à soulager
ses peuples et à les affranchir des vexations que les officiers
exerçaient dans les provinces, en supposant des ordres de l'empereur.
S'apercevant que sa facilité naturelle avait tellement multiplié les
exemptions, que ceux qui demeuraient assujettis aux charges publiques,
en étaient écrasés, il révoqua toute immunité, tout privilége; et pour
donner l'exemple, il se réduisit lui-même au droit commun, et voulut
que sa propre maison partageât le fardeau des contributions[464].
Il défendit de faire exécuter aucun ordre du prince qui ne serait
pas justifié par lettres patentes[465]. En un mot, il s'occupait à
rendre ses sujets heureux; mais il ne songeait pas assez à ménager
leurs esprits. Franc et sans défiance, trop livré au plaisir de la
chasse, et trop peu attentif aux murmures de sa cour, il prodiguait
les distinctions à des barbares, et surtout à des Alains qu'il avait
attirés à son service. Il leur donnait des emplois honorables dans les
armées, il les approchait de sa personne, il prenait même plaisir à
s'habiller à leur manière. Cette préférence excita d'abord la jalousie
contre les nouveaux favoris, et bientôt une haine secrète contre le
prince[466]. Les Romains comblés de ses bienfaits, les oublièrent dès
qu'ils les virent partagés avec des étrangers. Ces mécontentements
préparaient une révolution; il ne manquait plus qu'un chef pour la
faire éclater.

[Note 464: Par une loi rendue à Milan, le 19 janvier 383.--S.-M.]

[Note 465: Cette défense fut décrétée à Vérone le 17 juin
383.--S.-M.]

[Note 466: _Nam dum exercitum negligeret, et paucos ex Alanis, quos
ingenti auro ad se transtulerat, anteferret veteri ac romano militi,
adeoque barbarorum comitatu et prope amicitia capitur, ut nonnumquam
eodem habitu iterfaceret, odia contra se militum excitavit._ Aur. Vict.
epit. p. 231. Zosime donne, l. 4, c. 35, un pareil motif à la haine des
soldats contre Gratien.--S.-M.]

[Note latérale: XLVII.

Caractère de Maxime.

Sulp. de vita Mart. c. 23. dial. 2, c. 7. dial. 3, c. 15.

Auson. in Aquileia. p. 216.

Oros. l. 7, c. 34.

Pacat. paneg. § 28 et seq.

Baronius.

Pagi ad Baron.]

Il s'en trouva un à l'extrémité de l'empire, assez hardi pour lever
l'étendard de la révolte, et assez habile pour faire croire qu'il y
avait été forcé. Magnus Clemens Maximus tenait un rang considérable
dans les légions romaines qui défendaient alors la Grande Bretagne
contre les incursions des barbares du Nord. La naissance[467] et le
caractère de cet usurpateur sont un problème historique; et dans
la contrariété des opinions, il est difficile d'asseoir un jugement
assuré. Les poètes et les panégyristes, qui lui préparaient sans
doute des éloges, s'il eût été heureux jusqu'à la fin, l'ont chargé
d'opprobres après sa défaite. Selon eux, c'était un bâtard sorti de la
poussière[468]; il fut dans sa jeunesse valet de Théodose[469], dont
la protection lui tint lieu de mérite, et lui procura de l'emploi
dans les troupes[470]. D'un autre côté, Maxime se couvrit du masque de
la religion; il honora les évêques; il fit mourir des hérétiques. Ce
zèle sanguinaire, qui ne coûte rien à un prince sans humanité, et qui
n'en imposa ni à saint Martin, ni à saint Ambroise, lui a cependant
rendu favorables quelques auteurs ecclésiastiques, de ceux même qui
ont désapprouvé sa cruauté. Par une bizarrerie très-commune, ils ont
condamné l'action, et estimé la personne. A les entendre, Maxime
sortait d'une illustre origine; il avait autant de vertu que de valeur;
et, pour porter avec gloire le nom d'empereur, il ne lui manqua qu'un
titre légitime[471]. Dans cette opposition de sentiments, je crois que
le meilleur parti est de ne rien assurer touchant sa famille[472], et
de juger de son génie par ses actions mêmes. On y verra un politique
qui se joue de la religion; un ambitieux qui n'a point d'autre
caractère: doux et cruel selon ses intérêts; brave lorsqu'il peut le
paraître sans péril; timide contre des ennemis courageux; adroit à
colorer ses injustices; d'un génie assez vaste pour former de grands
desseins, mais trop faible pour surmonter de grands obstacles.

[Note 467: Il était Espagnol, selon Zosime l. 4, c. 35. Ἴβηρ τὸ
γένος. Ausone l'appelle _Rutupinus Latro_, sans doute parce qu'il était
parti de _Rutupiæ_, le port de l'Angleterre le plus voisin de la Gaule,
dont il se rendit bientôt le maître. Les premiers auteurs qui ont écrit
en latin l'histoire de l'Angleterre, regardent Maxime comme un Breton,
ce qui semble appuyé par ce passage de Socrate, l. 5, c. 11, Μάξιμος
ἐκ τῶν περὶ τὰς Βρεττανίας μερῶν. Ceci pourrait s'entendre cependant
du lieu d'où il partit pour envahir l'empire. Quoi qu'il en soit, les
auteurs et les généalogistes gallois, c'est-à-dire les descendants des
indigènes de l'Angleterre, n'ont pas balancé à adopter cet usurpateur,
dont ils font leur 79e monarque. Ils l'appellent _Maxen_ _Wledig_ ou
Maxime l'illustre. Il existe en langue galloise, une antique histoire
intitulée _Breuddwydd Maxen Wledig ou la mort de l'illustre Maxime_.
Après sa mort son fils Owayn lui succéda. Il est actuellement bien
difficile de démêler ce qu'il peut y avoir de vrai, au milieu de ces
traditions qui semblent être très-altérées. Il pourrait se faire,
malgré le témoignage isolé de Zosime, que Maxime eût été réellement
Breton de naissance. Plusieurs passages du panégyrique de Pacatus et de
quelques autres écrivains, font voir qu'il avait auprès de lui un grand
nombre de Bretons. Comme il s'était conservé, à ce qu'il paraît, dans
l'Angleterre plusieurs petites principautés dépendantes de l'empire, il
serait possible à la rigueur que Maxime ait appartenu à la race de ces
petits souverains; car, pour ce qui concerne la basse origine qu'on lui
attribue, il est probable qu'on en eût parlé tout autrement s'il n'eût
pas été vaincu par Théodose. Les paroles de Pacatus, c. 23, _regali
habitu exulem suum illi exules orbis induerent_; paroles qui font
allusion à ce vers si connu de Virgile: _Toto divisos orbe Britannos_,
ne peuvent guère s'appliquer qu'à un homme né Breton: il en est de même
de cet autre passage de Pacatus, où il appelle Maxime, _orbis extorris,
patriæque fugitivus_. Tout indique que Pacatus regardait bien Maxime
comme un Breton. Le vers dans lequel Claudien (4º cons. Hon. v. 73.),
dit que Théodose a vaincu la sauvage Bretagne, _sæva Britannia fudit_,
est aussi en rapport avec cette même idée. Elle ne peut s'entendre
qu'en faisant de Maxime, un Breton de naissance.--S.-M.]

[Note 468: Pacatus oppose ainsi, c. 31, la naissance de Théodose
avec celle de Maxime; _non ipse sibi objecisset_, dit-il, _te esse
triumphalis viri filium; se patris incertum?_ Il est à remarquer
que les historiens gallois qui ont conservé le souvenir de Maxime,
ne donnent pas le nom de son père. Pacatus dit ensuite, _te hæredem
nobilissimæ familiæ; se clientem_. On ne doit pas conclure de ces
paroles que Maxime fut un personnage aussi obscur. L'histoire romaine
offre en effet plus d'un exemple d'étrangers d'extraction noble, qui
s'attachaient comme clients à des hommes puissants. Des rapports de
cette espèce, avaient pu exister entre Théodose et Maxime; celui-ci
pouvait appartenir à une famille distinguée de l'Angleterre et s'être
mis à un titre quelconque, au service de Théodose gouverneur ou chef
suprême du pays.--S.-M.]

[Note 469: Pacatus, c. 31, le représente comme remplissant les
fonctions les plus basses dans la maison de Théodose. _Domus tuæ_,
dit-il, _negligentissimus vernula, mensularumque servilium statarius
lixa_. Il est difficile de discerner ce qu'il peut y avoir de vrai,
dans ces paroles outrageantes, que la haine et la flatterie dictent au
panégyriste d'un vainqueur.--S.-M.]

[Note 470: Selon Zosime, l. 4, c. 35, il avait été compagnon de
Théodose, dans les guerres qu'il avait faites en Angleterre avant
d'avoir été élevé à l'empire. Θεοδοσίῳ τῷ βασιλεῖ κατὰ τὴν Βρεττανιάν
συστρατευσάμενος.--S.-M.]

[Note 471: _Maximus, vir quidem strenuus et probus, atque Augusto
dignus, nisi contra sacramenti fidem per tyrannidem emersisset,
in Britannia invitus propemodum ab exercitu imperator creatus, in
Galliam transiit._ Oros. l. 7, c. 34. _Maximus imperator rempublicam
gubernabat, vir omni vitæ merito prædicandus, si ei vel diadema non
legitime, tumultuante milite, impositum repudiare, vel armis civilibus
abstinere licuisset._ Sulp. Sev. dial. 2, c. 7.--S.-M.]

[Note 472: Sulpice Sévère dans sa vie de S. Martin, fait
mention d'un oncle paternel de Maxime, et Pacatus § 35, parle de
son frère nommé Marcellin. Il fut tué dans un combat près de Pettau
(_Petavio_).--S.-M.]

[Note latérale: XLVIII.

Il est proclamé empereur.

Zos. l. 4, c. 35.

Vict. epit. p. 231.

Pacat. paneg. c. 31.

Claud. de 4º Cons. Hon.

Socr. l. 5, c. 11.

Prosp. chr.]

Il avait pris naissance en Espagne[473] dans la même contrée que
Théodose, dont il se vantait d'être allié[474]. Il servit avec lui dans
la Grande-Bretagne[475], lorsque Théodose y faisait ses premières armes
sous les ordres de son père. Étant resté dans ce pays, il parvint aux
premières dignités de la milice. Il ne put, sans jalousie, voir élevé
sur le trône celui qu'il traitait d'ancien camarade de service, tandis
que lui-même demeurait caché dans un coin obscur de l'empire[476]. La
haine qu'il conçut contre Gratien, auteur de l'élévation de Théodose,
le porta à corrompre les troupes, toujours plus séditieuses en ce
pays, parce qu'elles étaient plus éloignées du souverain. Il sema des
mécontentements et des murmures; mais il eut l'adresse de couvrir
ses intrigues, et se ménagea le prétexte dont il sut souvent se
prévaloir, d'avoir été malgré lui entraîné à la révolte. Les faveurs
que l'empereur répandait sur les Barbares, achevèrent de soulever
les esprits: les officiers et les soldats déclarèrent que puisque
Gratien méconnaissait les Romains, ils ne le reconnaissaient plus pour
empereur. On proclama Maxime Auguste, et, malgré sa feinte résistance,
il fut revêtu de la pourpre.

[Note 473: Zosime est le seul auteur qui lui attribue cette
origine, voyez ci-devant, p. 226, note 2.--S.-M.]

[Note 474: _Carnifici purpurato, tua se et affinitate et favore
jactanti._ Pacat. c. 24. On peut ce me semble rendre raison du terme
_affinitas_, déja expliqué par celui de _favor_ qui suit, par les
considérations exposées ci-devant, p. 227, n. 1.--S.-M.]

[Note 475: Voyez ci-devant, p. 228, n. 1.--S.-M.]

[Note 476: Οὗτος δυσανασχετῶν ὅτι θεοδόσιος ἠξίωτο βασιλείας, αὐτὸς
δὲ οὐδὲ εἰς ἀρχὴν ἔντιμον ἔτυχε προελθὼν. Zos. l. 4, c. 35.--S.-M.]

[Note latérale: XLIX.

Il marche contre Gratien.

Pacat. paneg. c. 28.

Vict. epit. p. 231.

Zos. l. 4, c. 35.

Ruf. l. 12, c. 14.

Oros. l. 7, c. 34.

Till. Gratien, art. 18.]

Il s'embarqua aussitôt à la tête des soldats romains, et d'un grand
nombre de Bretons qui accoururent au premier signal[477]. Pour
autoriser sa rébellion, il fit courir le bruit qu'il agissait de
concert avec Théodose. Étant abordé à l'embouchure du Rhin[478], il
traversa comme un torrent la Gaule septentrionale, entraînant sur
son passage les troupes du pays et une multitude de Gaulois qui le
reconnurent pour maître. Il était déja près de Paris, lorsqu'il vit
paraître l'armée de Gratien, qui marchait à sa rencontre[479]. Malgré
les désertions, elle était encore assez nombreuse, et commandée,
sous les ordres du prince, par deux généraux vaillants et fidèles,
Mérobaudès, actuellement consul, et le comte Vallion[480]. Gratien
présenta la bataille, que Maxime n'accepta pas. On resta campé en
présence durant cinq jours, qui se passèrent en escarmouches. Dans cet
intervalle, Maxime pratiqua les troupes de Gratien; il en corrompit la
plus grande partie. Le tyran répandait l'argent à pleines mains; et au
contraire, les profusions précédentes du jeune empereur ayant épuisé
ses finances, il ne lui restait plus de quoi retenir des ames vénales
et sans foi. D'abord, toute la cavalerie maure passa du coté de Maxime:
les autres corps suivirent successivement cet exemple; et Gratien se
voyant trahi, se sauva à course de cheval, et prit le chemin des Alpes
pour gagner l'Italie[481], avec trois cents cavaliers qu'il croyait
fidèles.

[Note 477: Les soldats bretons, d'après ce que dit Zosime, l.
4, c. 35, se distinguaient alors entre tous les autres par leur
audace et leur arrogance, τῶν ἄλλων ἁπάντων πλέον αὐθαδείᾳ καὶ θύμῷ
νίκωμένους.--S.-M.]

[Note 478: Ταῖς τοῦ Ῥήνου προσωρμίσθησαν ἐκβολαῖς. Zos. l. 4, c.
35. Les historiens de Bretagne ont cherché, assez mal à propos selon
moi, à transporter dans leur pays, le lieu du débarquement de Maxime,
sur le continent de la Gaule. Voyez _Hist. de Bretagne_ de D. Morice,
t. 1. _Mémoires_, ch. 1, § 15, et note 6.--S.-M.]

[Note 479: On apprend de Socrate, l. 5, c. 11, et de Sozomène, l.
7, c. 13, que Gratien soutenait alors la guerre contre les Allemans.
Il paraît d'après une lettre de S. Ambroise, ep. 24, t. 2, p. 890,
que c'était contre les Iuthonges qui vinrent piller la Rhétie vers
cette époque. _In medio Romani imperii sinu Iuthungi populabantur
Rhetias._--S.-M.]

[Note 480: Maxime les fit périr dans la suite, en haine de
l'attachement, qu'ils avaient montré jusqu'à la fin pour la cause de
Gratien, dont ils avaient toute la confiance. _Steterat enim uterque
in acie Gratiani, et Gratianus utrumque dilexerat._ Pacat. c. 28.
Le même panégyriste donne à Vallion le surnom de _triumphalis_, à
cause des nombreux triomphes dont il avait été honoré, et il appelle
Mérobaudès _trabeate_, allusion à la pourpre consulaire dont il était
alors revêtu, _Vallio triumphalis, et trabeate Merobaudes recordetur
interitum_.--S.-M.]

[Note 481: Zosime rapporte, l. 4, c. 35, que Gratien s'enfuit en
toute hâte vers les Alpes, ἔφυγε προτροπάδην ἐπὶ τὰς Ἄλπεις, mais que
les trouvant sans défense, εὑρων δὲ ταύτας ἀφυλάκτους, il se dirigea
vers la Rhétie, le Noricum, la Pannonie et la haute Mésie, ἐπὶ Ῥαιτίας
ἐχώρει καὶ Νώρικον, Παιονίας τε καὶ τὴν ἄνω Μυσίαν. C'était peut-être
le projet de Gratien, mais il est certain que ce prince ne passa pas
les Alpes et qu'il mourut à Lyon. C'est donc une erreur de Zosime, mais
elle est en rapport avec ce que cet auteur dit aussi du lieu où périt
Gratien. Voy. ci-après, p. 232, n. 1.--S.-M.]

[Note latérale: L.

Mort de Gratien.

Pacat. paneg. c. 30.

Vict. epit. p. 231.

Zos. l. 4, c. 35.

Ambros. in Psalm. 61, t. 1, p. 961, et de obitu Valent. t. 2, p. 1173.

Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Hieron. ep. 60, t. 1, p. 341.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Prosp. chr.

Ruf. l. 12, c. 14.

Oros. l. 7, c. 34.

Marc. chr.

Zon. l. 13, t. 2, p. 34.

Theoph. p. 57.

Baronius, p. 383.

Till. Grat. art. 18, not. 25.]

Il en fut bientôt abandonné. Toutes les villes lui fermèrent leurs
portes. Alors, errant çà et là, sans secours et sans espérance,
poursuivi par un détachement de cavaliers ennemis, il quitta la robe
impériale pour n'être pas reconnu. On rapporte diversement la manière
dont il perdit la vie. Selon l'opinion la plus commune, Maxime envoya,
pour le poursuivre, un de ses généraux nommé Andragathe, né sur les
bords du Pont-Euxin[482], et en qui le tyran avait une singulière
confiance. Ce barbare étant averti que le prince approchait de Lyon,
se mit dans une litière; et dès qu'il aperçut Gratien sur l'autre bord
du Rhône, il envoya lui dire que c'était sa femme Lœta qui venait le
joindre pour partager ses malheurs. Gratien aimait tendrement cette
princesse, qu'il avait depuis peu épousée. Il passa le fleuve, et
ne fut pas plutôt à terre, qu'Andragathe s'élança de sa litière,
et le poignarda[483]. Ce récit aurait besoin d'un meilleur garant
que Socrate, qui paraît en être le premier auteur. Il est beaucoup
plus sûr de s'en rapporter à saint Ambroise, qui n'a pu ignorer la
mort d'un prince qu'il chérissait, et dont il était chéri. Ce saint
prélat, après avoir gémi sur la malignité des ennemis de Gratien, qui
avaient osé répandre des calomnies sur sa chasteté, quoiqu'elle fût
irrépréhensible, raconte qu'il fut trahi par un homme qui mangeait à sa
table, et qu'il avait honoré de gouvernements et d'emplois distingués;
que le prince, invité à un festin, refusa d'abord de s'y trouver; mais
qu'il se laissa persuader par les serments que ce perfide lui fit
sur les saints Évangiles; qu'on fit reprendre à Gratien ses habits
impériaux; qu'on le traita avec honneur pendant le repas, et qu'il fut
assassiné au sortir de la table. On ne sait quel est ce traître dont
parle saint Ambroise. C'est sur une mauvaise leçon de la chronique de
saint Prosper, que quelques auteurs ont attribué ce noir forfait au
consul Mérobaudès[484]; sa mort, que nous raconterons dans la suite,
le justifie assez d'un soupçon si injurieux. D'autres, avec aussi peu
de fondement, imputent ce crime à Mellobaud, prince français. Il vaut
mieux dire que l'auteur en est inconnu. Saint Jérôme dit que, quelques
années après, on voyait encore avec horreur, dans la ville de Lyon,
les marques du sang de Gratien, sur les murailles de la chambre où il
avait été massacré[485].

[Note 482: Τὸν ἵππαρχον Ἀνδραγάθιον, ὁρμώμενον ἀπὸ τοῦ Εὐξείνου
Πόντου. Zos. l. 4, c. 35.--S.-M.]

[Note 483: Zosime rapporte, l. 4, c. 35, que Gratien fut tué à
_Singidunum_ en Pannonie, au moment où il allait passer le pont de
cette ville, καταλαβών τε διαβαίνειν ἐθέλοντα τὴν ἐν τῇ Σιγιδούνῷ
γέφυραν, κατασφάζει. Cette erreur paraît venir, comme au reste on l'a
déja remarqué, de la ressemblance que le nom de _Singidunum_ présente
avec celui de _Lugdunum_ ou Lyon.--S.-M.]

[Note 484: Au lieu de _Merobaudis magistri militum proditione
superatus_, il faut lire dans cette chronique _Merobaude magistro
militum proditione superatus_.--S.-M.]

[Note 485: _Gratianus ab exercitu suo proditus, et obviis ab
urbibus non receptus, ludibrio hosti fuit, cruentæque manus vestigia
parietes tui, Lugdune, testantur._ Hieron. ep. 60, t. 1, p. 341, ed.
Vallars.--S.-M.]

[Note latérale: LI.

Circonstances de sa mort.

Ambr. Serm. t. 2, de divers. t. 2, append. p. 439 et 441, et in Psal.
61, t. 1, p. 961.

Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Oros. l. 7, c. 34.

Vict. epit. p. 231.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Philost. l. 10. c. 5.

Zos. l. 5, c. 39.

Marc. Chr.

Hist. misc. l. 12, ap. Murat, t. 1, p. 85.

Till. Grat. art. 19, not. 26.]

Gratien témoigna en mourant la tendre confiance qu'il avait en
saint Ambroise; il le nomma plusieurs fois pendant qu'il recevait
les coups mortels; il avait encore son nom à la bouche lorsqu'il
rendit les derniers soupirs; et le saint prélat, qui raconte le fait
en versant des larmes, proteste qu'il n'oubliera jamais ce prince,
et qu'il l'offrira sans cesse à Dieu dans ses prières et dans le
saint sacrifice. Il fait en toute occasion l'éloge de sa piété et de
ses autres vertus. Il est sans doute plus digne de foi que l'arien
Philostorge, qui ose démentir l'histoire pour noircir la mémoire de ce
bon prince, et qui le compare à Néron. Il mourut le 25 d'août, dans la
vingt-cinquième année de sa vie[486], ayant régné depuis la mort de son
père, sept ans, neuf mois et huit jours[487]. Il avait eu des enfants
de sa femme Constantia[488]; mais ils moururent avant lui. On croit
qu'il avait un fils, lorsqu'il éleva Théodose à l'empire[489], ce qui
rendrait cette action plus noble et plus généreuse. Constantia était
morte quelque temps avant la révolte de Maxime, et son corps fut,
cette année même, porté à Constantinople[490]. Dans les derniers mois
de sa vie, il épousa Lœta, dont on ne connaît pas la famille; on sait
seulement que sa mère se nommait Pissamène. Après la mort de Gratien,
Théodose prit soin de les entretenir l'une et l'autre dans la splendeur
qui convenait à leur fortune passée. Elles vivaient encore vingt-cinq
ans après, et elles eurent assez de richesses et de charité pour
soulager par d'abondantes aumônes les pauvres de Rome, lorsque cette
ville fut assiégée par Alaric.

[Note 486: Cette date se trouve dans la chronique du comte
Marcellin.--S.-M.]

[Note 487: La ville de Grenoble, dont le nom gaulois était
_Cularo_, s'appelle en latin _Gratianopolis_, c'est-à-dire _ville de
Gratien_; il n'est pas douteux qu'elle ne doive cette dénomination
au fils de Valentinien, mais on ignore quand et comment se fit ce
changement. Quelques-uns le placent avec assez de vraisemblance en
l'an 379, lorsque Gratien revint dans les Gaules après avoir associé
Théodose à l'empire.--S.-M.]

[Note 488: Fille posthume de l'empereur Constance, qu'il avait
épousée en 374 ou 375.--S.-M.]

[Note 489: C'est ce qui résulte de ce passage de S. Augustin, _de
Civit. Dei_, l. 5, c. 25, _cum parvulum haberet et fratrem_.--S.-M.]

[Note 490: Il y arriva le 31 août, selon la chronique d'Alexandrie,
ou le 12 septembre, selon celle d'Idatius. Elle fut inhumée le premier
décembre, trois mois après la mort de son mari.--S.-M.]


FIN DU LIVRE VINGT-UNIÈME.




LIVRE XXII.

 I. Alarmes de Justine et de Valentinien. II. Saint Ambroise va trouver
 Maxime. III. Accommodement de Maxime et de Valentinien. IV. Maxime
 veut faire périr Bauton. V. Il ôte la vie à plusieurs officiers de
 Gratien. VI. Saint Martin à la cour de Maxime. VII. Honneurs que la
 femme de Maxime rend à saint Martin. VIII. Théodose reconnaît Maxime
 pour empereur. IX. Arcadius Auguste confié aux soins d'Arsène. X.
 Théodose donne à son fils des leçons de clémence. XI. Barbares vaincus
 en Orient. XII. Consuls. XIII. Thémistius préfet de Constantinople.
 XIV. Proculus et Icarius comtes d'Orient. XV. Nouveaux efforts de
 Théodose pour détruire l'idolâtrie. XVI. Il est trompé par les
 Lucifériens. XVII. Ambassade des Perses. XVIII. Stilicon envoyé en
 Perse. [XIX. Situation politique de l'Arménie. XX. Les Arméniens font
 la guerre aux Perses. XXI. Les Perses sont battus par les Arméniens.
 XXII. Mort de Méroujan. XXIII. Arsace fils de Para est déclaré roi
 d'Arménie. XXIV. Mort de Manuel, régent de l'Arménie.] XXV. Divers
 événements de cette année. XXVI. Loi qui défend les mariages entre
 cousins germains. XXVII. Sarmates vaincus. [XXVIII. Théodose prend
 l'Arménie sous sa protection.] XXIX. Mort de Prétextatus. XXX.
 Symmaque préfet de Rome. XXXI. Requête de Symmaque en faveur du
 paganisme. XXXII. Extrait de la requête. XXXIII. Elle est approuvée
 par le conseil. XXXIV. Combattue par saint Ambroise. XXXV. Rejetée
 par Valentinien. XXXVI. Vestale punie. XXXVII. Symmaque accusé de
 maltraiter les Chrétiens s'en justifie. XXXVIII. Sirice succède à
 Damase. XXXIX. Commencement des Priscillianistes. XL. Concile de
 Sarragosse. XLI. Rescrit de Gratien contre les Priscillianistes. XLII.
 Priscillianus obtient un décret contraire. XLIII. Concile de Bordeaux.
 XLIV. Saint Martin s'efforce de sauver la vie aux hérétiques. XLV.
 Punition de Priscillianus et de ses sectateurs. XLVI. Lettre de
 Maxime au pape Sirice. XLVII. Toute l'église blâme le supplice des
 Priscillianistes. XLVIII. Saint Martin se sépare de communion d'avec
 les Ithaciens. XLIX. Le supplice des Priscillianistes étend leur
 hérésie. L. Consuls. LI. Justine favorise les Ariens. LII. Elle tente
 de leur donner une église à Milan. LIII. Entreprises contre saint
 Ambroise. LIV. Nouveaux efforts de Justine. LV. Résistance de saint
 Ambroise. LVI. L'empereur se désiste. LVII. Mort de Pulchérie et de
 Flaccilla. LVIII. Lois de Théodose.


VALENTINIEN II, THÉODOSE.

[Note latérale: AN 383.

I.

Alarmes de Justine et de Valentinien.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 890.

Pacat. paneg. c. 35.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 17.

Till. vie de S. Amb. art. 34.]

Justine et son fils Valentinien attendaient à Milan la nouvelle de la
défaite de Maxime, lorsqu'ils apprirent la mort cruelle de Gratien.
Un si funeste événement les glaça d'effroi. L'Italie était dépourvue
de troupes; Théodose était éloigné. Sans secours et presque sans
conseil, au milieu d'une cour mal affectionnée, quel obstacle une
femme et un enfant de douze ans pouvaient-ils opposer aux succès
rapides de l'usurpateur? Ce qui redoublait leur crainte, c'est que
Maxime s'était déja pratiqué des intelligences en Italie. Les païens,
redoutables par leur nombre et l'esprit de vengeance qui les animait,
se félicitaient secrètement de sa victoire. Quoiqu'il fût chrétien et
qu'il eût une femme très-pieuse, il les avait gagnés par la flatteuse
espérance de rendre à leur culte son ancienne splendeur. Son frère
Marcellinus, qui s'était rendu à Milan avant même que la révolte fût
déclarée, travaillait à former de sourdes intrigues[491]. Dans cette
extrémité, Justine donna ordre de fermer le passage des Alpes avec de
grands abattis d'arbres. Se défiant de tous ses courtisans, elle eut
recours à saint Ambroise qu'elle haïssait, mais dont elle connaissait
la fidélité et le courage. Elle déposa son fils entre ses bras, lui
recommandant avec larmes ce jeune prince et le salut de l'empire. Le
généreux prélat embrassa tendrement Valentinien, et sans considérer
le péril, il entreprit d'aller au-devant de l'ennemi et de s'opposer
seul à ses progrès. Valentinien pouvait venger la mort de son frère
sur Marcellinus, qu'il avait entre les mains; par le conseil de saint
Ambroise, il le renvoya au tyran[492].

[Note 491: Pacatus l'appelle, c. 35, la mégère de la guerre civile,
_belli civilis megæra_.--S.-M.]

[Note 492: _Adspice_, dit S. Ambroise, _illum quoque, qui tibi ad
dexteram adsistit, quem Valentinianus, cum posset suum dolorem ulcisci,
honoratum ad te redire fecit. Tenebat eum in suis terris, atque in
ipso nuncio necis fraternæ frænavit impetus.... Ille tibi fratrem tuum
viventem remisit, tu illi vel mortuum redde._ Ambr. ep. 24, t. 2, p.
890.--S.-M.]

[Note latérale: II.

S. Ambroise va trouver Maxime.

Ambr. or. in fun. Valent. t. 2, p. 1173, et ep. 24, p. 888 et seq.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3. c. 17.

Till. vie de S. Ambr. art. 34.]

Un guerrier plus actif que Maxime aurait profité de l'effroi que sa
victoire avait répandu, pour se rendre maître de tout l'Occident;
mais soit qu'il craignît d'attirer sur lui les armes de Théodose en
s'approchant de ses États, soit qu'il voulût assurer ses conquêtes
avant que de les étendre, il s'arrêta dans la Gaule, et fixa son séjour
à Trèves. Ambroise, en passant par Mayence, y rencontra le comte
Victor. Le tyran l'envoyait de son côté à Valentinien, pour engager ce
prince à venir en Gaule, afin de concerter ensemble une paix solide et
honorable aux deux partis; il lui promettait une entière sûreté. Le
prélat étant arrivé à Trèves, ne put obtenir une audience particulière.
Il se présenta donc devant le tyran au milieu du conseil, quoiqu'il lui
parût que cette démarche dérogeait à la dignité épiscopale[493]. Il
exposa en peu de paroles l'objet de sa commission; c'était de demander
la paix à des conditions raisonnables. _Je ne la refuse point_, dit
Maxime; _mais c'est à Valentinien à venir lui-même la proposer: qu'il
me regarde comme son père; la défiance serait un outrage_. Ambroise
répartit, _qu'on ne pouvait exiger d'un enfant et d'une mère veuve,
qu'ils s'exposassent à passer les Alpes durant la rigueur de l'hiver;
qu'au reste, il n'avait aucun ordre de rien promettre sur cet article;
qu'il n'était chargé que de traiter de la paix_. Maxime, sans vouloir
s'expliquer davantage, ordonna au prélat d'attendre le retour de
Victor. Ambroise, au milieu d'une cour ennemie, n'ayant pour lui que
Dieu et son courage, osa se séparer de communion d'avec l'usurpateur;
et sur la plainte que lui faisait Maxime: _Vous ne pouvez_, lui
dit-il, _participer à la communion des fidèles, qu'après avoir fait
pénitence d'avoir versé le sang de l'empereur_. Enfin, Victor arriva;
il rapporta que Valentinien était prêt d'accepter la paix; mais qu'il
refusait d'abandonner l'Italie pour venir en Gaule. Sur cette réponse,
Maxime congédia saint Ambroise, qui, ayant pris sa route par la Gaule,
rencontra à Valence, en Dauphiné, de nouveaux députés que Valentinien
envoyait à Maxime. En traversant les Alpes, il en trouva tous les
passages gardés par des troupes de l'un et de l'autre parti[494].

[Note 493: _Non esse hunc morem sacerdotalem_, comme il le dit
lui-même dans la lettre, où il rend compte à Valentinien le jeune,
du succès de son ambassade auprès de Maxime. Ambr. ep. 24, t. 2, p.
888.--S.-M.]

[Note 494: _Legati iterum missi ad Gallias, qui ejus (Valentiniani)
adventum negarent, apud Valentiam Gallorum me repererunt: milites
utriusque partis, qui custodirent juga montium, offendi revertens._
Ambr. _ibid._ t. 2, p. 890.--S.-M.]

[Note latérale: III.

Accommodement de Maxime et de Valentinien.

Ambr. ep. 18, t. 2, p. 838.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Zos. l. 4, c. 47.

Vict. epit. p. 232.

Marc. Chr.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Reines. insc. cl. 3, nº 63.

Till. Grat. art. 20, not. 27, et vie de S. Ambr. art. 34.]

Après plusieurs députations réciproques, Valentinien consentit à
reconnaître Maxime pour légitime empereur de la Gaule, de l'Espagne, et
de la Grande-Bretagne; et Maxime lui assura la possession tranquille du
reste de l'Occident. La crainte de Théodose, qui armait déja, contribua
beaucoup à déterminer l'usurpateur à cet accommodement. Maxime associa
à l'empire son fils Victor, encore enfant, et lui donna le nom de
_Flavius_[495], que les empereurs portaient depuis Constantin; mais
qu'il ne paraît, ni par les médailles, ni par les auteurs, qu'il ait
pris pour lui-même[496]. La Grande-Bretagne, dépourvue de la jeunesse
du pays et des troupes romaines, que Maxime avait prises à sa suite,
demeura exposée aux ravages des Pictes et des Scots[497]. Les faibles
secours que l'empire y envoya de temps en temps, ne servirent qu'à lui
procurer quelques intervalles de repos, jusqu'à la conquête des Anglais
et des Saxons, qui s'en rendirent maîtres au milieu du cinquième
siècle. C'est à cette dernière invasion, et non pas au temps de Maxime,
qu'il faut rapporter l'établissement des Bretons dans la partie de la
Gaule nommée alors Armorique, et aujourd'hui Bretagne[498]. Tout ce
que les légendaires racontent ici de Conan, de sainte Ursule et de ses
onze mille vierges, est également fabuleux, et a été réfuté par les
plus savants critiques[499].

[Note 495: Les légendes des médailles du fils de Maxime sont ainsi
conçues: D. N. FL. VICTOR. P. F. AVG. Pour celles de son père, elles
sont ainsi: D. N. MAG. MAXIMVS. P. F. AVG.--S.-M.]

[Note 496: Une inscription antique fait connaître les noms et les
titres de Maxime et de son fils.

    DD. NN. MAG. CL. MAXIMO. ET.
    FL. VICTORI. PIIS. FELICIBUS.
    SEMPER. AVGVSTIS.
    BONO. R. P. NATIS.
]

[Note 497: C'est ce que rapporte l'historien Gildas, qui écrivait
au commencement du sixième siècle. _Ex in Britannia omni armato
milite, militaribusque copiis, rectoribus linquitur immanibus, ingenti
juventute spoliata, et omnis belli usus ignara penitus; duabus primum
gentibus transmarinis vehementer sævis, Scotorum a circione, Pictorum
ab aquilone calcabilis multos stupet gemetque per annos. De excid.
Britann._ c. 11. Ceci est répété dans l'_Histoire ecclésiastique_ de
Béde, l. 1, c. 12, et dans beaucoup d'auteurs plus modernes.--S.-M.]

[Note 498: L'origine du nom et des peuples de notre Bretagne
est enveloppée d'une obscurité, que les travaux des savants n'ont
pu encore dissiper, et qu'ils sont peut-être au contraire parvenus
à augmenter. Tout le monde sait que dans trois des départements
formés de l'ancienne Bretagne, la plus forte partie de la population
se sert d'un idiome propre, et sans analogie avec le français ou
les patois qui s'y rattachent. Cette partie est appelée Bretagne
bretonnante, par opposition avec le reste du pays, c'est-à-dire les
deux départements d'Ille-et-Vilaine et de la Loire inférieure, qui
forment la Bretagne française, parce que les individus qui se servent
de la langue bretonne, y sont en petit nombre. Il est permis de
croire que cette langue, restreinte par la domination et l'influence
française, fut autrefois en usage dans tout l'ancien duché de Bretagne.
Il est reconnu aussi qu'elle présente la plus grande conformité avec
l'idiome encore en usage dans la principauté de Galles en Angleterre,
parmi les descendants des indigènes qui possédèrent la totalité de
ce pays, avant les invasions successives des Saxons, des Danois et
des Normands. Le gallois, renfermé à présent et même très-restreint
dans la principauté de Galles, s'était conservé très-long-temps dans
l'Écosse méridionale, dans le Cumberland, le Northumberland, et dans
les comtés de l'Angleterre limitrophes de la Saverne. Il était aussi
en usage dans le comté de Cornouailles; il n'y a même que fort peu de
temps qu'il s'est complètement éteint dans cette dernière région. Tout
prouve que ce fut dans l'antiquité la langue propre de la partie des
Iles Britanniques, appelée _Britannia_ par les Romains, et habitée par
les _Britones_. Cette langue écrite et cultivée depuis long-temps,
et dans laquelle il existe un grand nombre d'ouvrages, soit en prose
soit en vers, ressemble tellement au langage usité parmi les Bretons
de France, qu'on ne peut hésiter à les regarder comme deux dialectes
d'un même idiome. Il ne reste plus qu'à expliquer l'origine de ces
rapports. L'opinion qui a prévalu parmi nous dans ces derniers temps
n'est pas celle qui semble réunir le plus d'autorités antiques en
sa faveur; je ne sais même s'il existe un seul témoignage formel
pour l'appuyer. Elle n'est fondée que sur des vraisemblances, qu'on
pourrait adopter sans être pour cela obligé de rejeter le système
admis autrefois, et qui était établi sur des autorités écrites. Un
sentiment d'amour-propre national, assez mal entendu, a porté les
descendants des Bretons établis dans les Gaules à soutenir qu'ils
étaient les autochthones du pays qu'ils habitent encore, et que les
Bretons de l'Angleterre, leurs descendants, partagent un nom, plus
ancien sur le continent que dans l'île, où l'antiquité l'offre seul
cependant. L'histoire en effet nous fait connaître comment les Bretons
furent confinés peu à peu dans les montagnes du pays de Galles, et
comment un grand nombre d'entre eux furent obligés d'abandonner leur
patrie, par diverses nations saxonnes. C'est alors qu'ils passèrent la
mer, pour s'établir dans la partie la plus occidentale de la Gaule, à
laquelle ils donnèrent le nom de petite Bretagne, pour la distinguer
de leur ancienne patrie. Ils y trouvèrent d'autres compatriotes qui
y étaient déja venus par diverses causes, soit comme fugitifs, soit
comme conquérants, ou bien encore comme stipendiés des Romains, qui
leur avaient à ce titre concédé quelques territoires. Il n'existe,
il est vrai, aucun témoignage contemporain, qui atteste clairement
ces premières transmigrations, mais elles sont relatées dans tous les
auteurs du moyen âge, et on voit, par les écrits de Gildas, de Nennius,
de Béde et de quelques autres écrivains, que c'était une opinion reçue
dès le sixième siècle, c'est-à-dire moins de deux cents ans après
l'époque dont il s'agit. C'est une grande présomption en sa faveur. On
ne trouve aucune autorité antérieure au quatrième siècle, qui puisse
faire présumer que jamais aucun peuple ou aucune région, située de ce
côté de la mer, ait pu porter le nom de _Britones_ ou de _Britannia_,
et on est certain, par l'autorité irrécusable de Sidonius Apollinaris,
que les Bretons étaient déja puissants à la fin du cinquième siècle sur
les bords de la Loire. Les auteurs ecclésiastiques et les légendaires
qui écrivirent avant le dixième siècle, fournissent sur la Bretagne
et les Bretons des détails très-circonstanciés et très-nombreux; il
est impossible de croire, qu'ils soient tous controuvés, et il en
résulte nécessairement qu'aux cinquième et sixième siècles, il existait
de fréquents rapports entre les deux Bretagnes. On sait que vers la
fin de leur empire les Romains étaient dans l'usage d'abandonner
des territoires aux Barbares cantonnés dans les provinces, pour les
garder et les défendre. Ces cessionnaires s'appelaient dans le langage
du temps _Læti_. Il est à remarquer que les écrivains du moyen âge,
donnent très-souvent à la Bretagne gauloise le nom de _Lætavia_, qui
s'est conservé dans le gallois sous la forme _Lydaw_; elle dut sans
doute ce nom au grand nombre de colons de cette espèce qui s'établirent
dans cette région. Rien n'empêche de croire que les Bretons, avant
d'y venir comme fugitifs, ne s'y fussent établis à ce titre. Il ne
reste plus qu'à savoir si c'est à l'usurpation du tyran Maxime, qu'il
faut faire remonter l'origine de cet établissement; Gildas et Béde
disent tous deux que les Bretons emmenés par Maxime ne revinrent
jamais dans leur patrie, _quæ comitata vestigiis supradicti Tyranni,
domum nusquam ultra rediit_. Gild. _de excid. Brit._ c. 11. _Totâ
floridæ juventutis alacritate spoliatâ (Britanniâ), quæ tyrannorum
temeritate abducta, nusquam ultrà domum rediit._ Beda, l. 1, c. 12.
Nennius dit positivement que Maxime leur donna des établissements,
depuis un étang voisin du mont de Jupiter, qu'on croit les marais
voisins du mont St.-Michel, sur la frontière de Bretagne, jusqu'à la
ville de _Contiguice_, qu'on regarde comme _Condivincum_ ou Nantes, et
de là jusqu'au _tertre occidental_, qui peut être le cap Finistère.
_Maximus qui occidit Gratianum,... noluit dimittere domum milites, qui
cum eo perrexerunt à Britannia;... sed dedit illis multas regiones,
à stagno quod est super verticem montis Jovis, usque ad civitatem
Contiguice. Ipsi sunt ad cumulum occidentalem, id est Crut occident.
Hi sunt_, ajoute-t-il, _Britones Armorici, et nunquam reversi sunt
ad proprium solum usque in hodiernum diem_. Nennius, _Hist. Brit._
c. 23. Nennius écrivait au sixième siècle. Il me semble difficile
de contester ou de révoquer en doute, les conséquences qu'on est en
droit de tirer de ces autorités, qui sont appuyées d'ailleurs, par un
passage très-remarquable du Code Théodosien, dans lequel on voit que
le tyran Maxime avait effectivement concédé des terres à perpétuité,
aux guerriers qui l'avaient accompagné. Voici ce passage, qui se
trouve dans une loi d'Arcadius et d'Honorius, datée du 26 avril 395.
_Qui, tyranni Maximi secuti jussionem, fundos perpetui juris, non ab
ordinariis judicibus, sed a rationalibus acceperunt, eorum amissione
plectantur_, etc. (_Cod. Th._ l. 15, tit. 14, leg. 11). Ce décret ne
faisait qu'en confirmer d'autres du même genre, déja rendus contre
les partisans de Maxime, le 22 septembre 388, le 10 octobre 388, le
19 janvier 389 et le 14 juin de la même année. Tout concourt donc à
établir que le nom des Bretons s'introduisit dans les Gaules vers
la fin du quatrième siècle et que ce fut une des conséquences de
l'usurpation de Maxime. Ces établissements se firent dans la partie de
la Gaule, qui était connue depuis long-temps sous le nom d'Armorique.
Il est très-probable que les habitants de cette région, dont le nom
se rapporte à la langue bretonne, avaient de grands rapports et une
grande affinité avec les Bretons insulaires, ce qui aura contribué
puissamment à répandre et leur nom et leur langue, et à détruire tous
les changements que la domination romaine avait dû opérer dans cette
partie de la Gaule. Quoique les peuples de la Gaule et ceux de la
Grande-Bretagne puissent avoir eu dans la haute antiquité et aient sans
doute une origine commune, il est certain que les langues des indigènes
restés dans les deux pays, ne présenteraient pas des ressemblances si
frappantes et qui semblent de si fraîche date, si pour les expliquer
il fallait remonter à des temps très-éloignés. Je regarde donc comme
constant ce que les auteurs rapportent sur les établissements faits
dans la Gaule au 4e siècle par les Bretons insulaires.--S.-M.]

[Note 499: On peut voir dans le premier volume de l'histoire de
Bretagne de D. Morice, toutes les raisons qu'il y a de regarder Conan
comme le premier roi des Bretons dans la Gaule. Sans admettre toutes
les raisons de cet auteur, je crois qu'il en dit assez cependant pour
établir la certitude de son existence. Il paraîtrait aussi que ce Conan
tirait son origine des chefs bretons, de la Bretagne septentrionale,
des bords de la Clyde en Écosse, _Britannia Alcluidensis_. Il
paraît qu'il mourut vers l'an 421. Les auteurs bretons l'appellent
ordinairement Conan Mériadec, et sa postérité régna long-temps sur la
Bretagne. Ces résultats, puisés dans les légendaires et les auteurs
latins du moyen âge, sont conformes aux renseignements recueillis dans
les annalistes gallois et réunis dans l'ouvrage intitulé: _The Cambrian
biography, or Historical notices of celebrated men among the ancient
Britons_, par Will. Owen, Londres, in-8º, un vol., 1803. Les écrivains
gallois appellent le premier roi de la petite Bretagne, _Cynan
Meiriadog_; ils disent aussi qu'il était fils d'un roi de la Bretagne
septentrionale, qui régnait à _Ystrad Clud_ c'est-à-dire, Stratclyde,
ou Alclutha dans l'Écosse méridionale et qui s'appelait _Eudav_,
altération galloise du nom d'Octavius. Ils rapportent que ce _Cynan_
et sa sœur Hélène, émigrèrent et s'attachèrent au parti du rebelle
Maxime, à cause des fréquentes invasions des Pictes dans les cantons de
la Bretagne romaine qu'ils occupaient, ce qui leur faisait désirer des
habitations plus tranquilles. Les poésies galloises appelées _Triad_
font mention de ces deux personnages.--S.-M.]

[Note latérale: IV.

Maxime veut faire périr Bauton.]

La paix conclue entre Maxime et Valentinien n'était sincère ni de part
ni d'autre. Ils attendaient tous deux une occasion favorable, l'un pour
arracher à l'usurpateur ce qu'il avait envahi, l'autre pour envahir le
reste. Dans cette vue, Maxime travailla d'abord à priver Valentinien
de ses meilleurs capitaines. Il entreprit de lui enlever le comte
Bauton[500], dont la capacité pouvait faire échouer ses desseins. Il
s'efforça de le rendre suspect, en l'accusant d'avoir voulu usurper
l'empire, sous prétexte de défendre les États de son maître[501].
Pendant le cours des négociations, ce qui restait de soldats romains
en Italie étant occupé à garder les passages des Alpes, les Juthonges
avaient profité de la conjoncture pour venir piller la Rhétie.
Bauton, au défaut de troupes romaines, appela au secours de l'empire,
les Huns et les Alains, qui chassèrent de la Rhétie les Juthonges,
et les poussèrent jusque sur la frontière de la Gaule[502]. Maxime
s'étant plaint alors qu'on attirait ces barbares, pour lui susciter
une guerre, Valentinien, afin de lui ôter tout prétexte de rompre la
négociation, les avait engagés, à force d'argent, à retourner dans
leur pays[503]. La conduite que Bauton avait tenue en cette rencontre,
étant parfaitement connue du jeune empereur, les calomnies de Maxime ne
purent lui inspirer aucune défiance; il n'eut garde de se défaire d'un
général qui lui devenait plus nécessaire que jamais.

[Note 500: Ce comte Bauton, que S. Ambroise appelle _transrhenanus
genere_, parce qu'il était Franc de naissance, est le même que le
général de ce nom envoyé par Gratien à Théodose. Voyez ci-devant p.
215, not. 3 et 5, l. XXI, § 36.--S.-M.]

[Note 501: _Me lusistis tu et ille Bauto, qui sibi regnum sub
specie pueri vindicare voluit, qui etiam barbaros mihi immisit._
Ambros., ep. 24, t. 2, p. 889.--S.-M.]

[Note 502: _Tu flagitabas quod barbarorum stipatus agminibus Italiæ
te infunderes: Valentinianus Hunnos atque Alanos appropinquantes Galliæ
per Alemanniæ terras reflexit. Quid habet invidiæ, si Bauto barbaros
cum barbaris fecit decernere? Quoniam dum tu militem Romanum occupas,
dum is adversum se utrinque prætendit, in medio Romani imperii sinu
Iuthungi populabantur Rhetias; et ideo adversus Iuthungum Hunnus
accitus est._ Ambr. ep. 24.--S.-M.]

[Note 503: _Confer utriusque factum. Tu fecisti incursari Rhetias
Valentinianus suo tibi auro pacem redemit._ Ambros. _ibid._--S.-M.]

[Note latérale: V.

Il ôte la vie à plusieurs officiers de Gratien.

Pacat. paneg. § 28.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 888.

Paul. vit. Ambr. § 19.

Till. Grat. art. 20.

Fleury, hist. ecclés. l. 18, art. 28.]

Il venait d'en perdre deux autres, qu'il était difficile de remplacer.
Dans le même temps que Gratien, abandonné de ses troupes, prit la
fuite, le consul Mérobaudès et le comte Vallion qui commandaient
l'armée, furent livrés par les traîtres entre les mains du tyran.
Maxime les fit périr. Il força Mérobaudès à se tuer[504], et ordonna
d'abord de conduire Vallion à Châlons-sur-Saône pour y être brûlé
vif[505]; mais ensuite, craignant de s'attirer le reproche de cruauté,
il le fit étrangler secrètement par des soldats bretons, et répandit le
bruit que le prisonnier s'était lui-même ôté la vie[506]. Macédonius,
maître des offices, méritait mieux le sort qu'il éprouva. C'était
une ame corrompue, qui n'avait jamais fait scrupule de vendre sa
conscience, son honneur et son maître. Il fut massacré, par ordre de
Maxime, à la porte d'une église, où il courait se réfugier; il vérifia,
par cet événement, une prédiction de saint Ambroise. Un jour que
Macédonius lui refusait l'entrée du palais, où il s'était rendu pour
intercéder en faveur d'un malheureux: _Tu viendras toi-même quelque
jour à l'église_, lui dit le prélat, _et tu n'y pourras entrer_[507].

[Note 504: _Alter (Merobaudes) post amplissimos magistratus, et
purpuras consulares, et contractum intra unam domum quendam honorum
senatum, vita sese abdicare compulsus est._ Pacat. c. 28.--S.-M.]

[Note 505: _Jusseram eum deduci Cabillonum et ibi vivum exuri...
Quis autem sibi parcendum putaret, cum occisus sic bellator strenuus,
miles fidelis, cornes utilis?_ Ambr. _ibid._--S.-M.]

[Note 506: _Alteri (Vallione) manibus satellitum Britannorum gula
domi fracta, et inusta fæmineæ mortis infamia, ut scilicet maluisse
vir ferri amantissimus videretur laqueo perire quam gladio._ Pacat. c.
28.--S.-M.]

[Note 507: Maxime voulut encore faire mourir le comte Narsès et
Leucadius gouverneur d'une province, tous zélés partisans de la cause
de Gratien. _Præter multas, quas evolvere longum est, has principales
petitiones habebat; pro Narsete comite, et Leucadio præside, quorum
ambo Gratiani partium fuerant, pertinacioribus studiis, quæ non est
temporis explicare, iram victoris emeriti._ Sulp. Sev. dial. 3, c.
15.--S.-M.]

[Note latérale: VI.

S. Martin à la cour de Maxime.

Sulp. Sev. vit. Mart, c. 23.

Till. vie de S. Martin, art. 7 et 8.]

La tyrannie est un édifice fondé sur la cruauté et cimenté de sang,
mais qui s'élève et parvient quelquefois jusqu'à s'embellir par
la réputation de clémence. Maxime se proposa de faire oublier ses
forfaits, dès qu'il n'eut plus intérêt d'en commettre. Connaissant le
génie des courtisans, qui consentent volontiers à parler d'après le
prince, pourvu qu'il veuille bien agir d'après eux, il répétait sans
cesse, qu'il n'avait point désiré le diadème; que le ciel s'était
servi des soldats pour le forcer à l'accepter; _qu'il n'avait pris les
armes que pour soutenir le choix de la Providence; que la facilité
de sa victoire était une marque évidente de la protection divine, et
qu'aucun de ses ennemis n'avait péri que dans la guerre_. Les flatteurs
outraient encore les éloges qu'il faisait de sa bonté. Les évêques
mêmes se rendaient de toutes parts à la cour, et selon un auteur
ecclésiastique de ces temps-là, ils prostituaient leur dignité à la
plus honteuse adulation. Saint Martin, alors évêque de Tours, fut le
seul qui soutint l'honneur du ministère apostolique[508]. Il vint
demander grace pour des proscrits, mais il la demanda sans s'avilir, et
d'un ton qui imposait au tyran même. Son extérieur n'était rien moins
qu'avantageux; il n'avait de grand que son ame et son caractère. Maxime
l'ayant plusieurs fois invité avec instance à manger à sa table, il
avait toujours répondu qu'il ne se croyait pas permis de s'asseoir à la
table d'un homme qui, de ses deux maîtres, avait ôté à l'un la vie, à
l'autre la moitié de ses états. Il se rendit cependant aux pressantes
sollicitations de Maxime, qui en parut ravi de joie, et qui invita,
comme pour une fête solennelle, les plus distingués de sa cour. Martin
s'assit à côté du prince; un prêtre de l'église de Tours, dont il se
faisait toujours accompagner, fut placé entre Marcellin et son oncle.
Lorsque le repas fut commencé, l'échanson ayant présenté à boire à
Maxime, celui-ci donna la coupe à saint Martin, voulant qu'il en bût le
premier, et la recevoir ensuite de sa main; mais l'évêque, après avoir
trempé ses lèvres, fit porter la coupe à son prêtre, comme à celui qui
méritait la préférence d'honneur sur tous les convives. Cette liberté,
qui trouverait aujourd'hui peu d'approbateurs, fut admirée de toute la
cour: on louait hautement Martin d'avoir fait à l'égard de l'empereur,
ce que tout autre évêque n'aurait osé faire à la table du dernier des
magistrats. Maxime lui fit présent d'un vase de porphyre, que le
prélat consacra à l'usage de son église; et comme il pénétrait les
plus secrètes pensées du tyran, et qu'il découvrait déja dans son cœur
le dessein de détrôner Valentinien, il lui prédit que, s'il passait
en Italie, il aurait d'abord quelque succès, mais qu'il y trouverait
bientôt sa ruine.

[Note 508: _Fæda circa principem omnium adulatio notaretur,
seque degeneri inconstantia regiæ clientelæ sacerdotalis dignitas
subdidisset, in solo Martino apostolica auctoritas permanebat._ Sulp.
Sev. _de Vita Mart._ c. 23.--S.-M.]

[Note latérale: VII.

Honneurs que la femme de Maxime rend à S. Martin.

Sulp. Sever. dial. 2, c. 7.

Till. vie de S. Martin, art. 8.]

Maxime le mandait souvent à la cour; il le traitait avec honneur;
et soit par hypocrisie, soit par les accès passagers d'une piété
superficielle et inconséquente, il aimait à s'entretenir avec lui de
matières de religion; mais la femme de Maxime, dont le nom n'est pas
venu jusqu'à nous, avait pour le saint prélat une vénération plus
profonde et plus sincère. Elle l'écoutait avec docilité, elle lui
rendait les devoirs les plus humbles et les plus assidus; et comme la
piété prend quelquefois une forme singulière dans les femmes de la
cour, elle voulut un jour, avec la permission de son mari, le servir à
table. Elle apprêta elle-même les viandes; elle lui donna à laver, lui
servit à boire, se tint debout derrière lui, et recueillit avec respect
les restes de son repas. Saint Martin y consentit avec peine, en faveur
de quelques prisonniers, dont il sollicitait l'élargissement.

[Note latérale: VIII.

Théodose reconnaît Maxime pour empereur.

Zos. l. 4, c. 37.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 891.

Themist. or. 18, p. 217, 220 et 221; et or. 19, p. 227.

[Socr. l. 5, c. 12.]]

L'accommodement du jeune empereur et du tyran ne pouvait subsister
sans l'agrément de Théodose. La protection de ce prince était devenue
nécessaire à Valentinien et à Justine, qui gouvernait sous le nom
de son fils. C'était la crainte de Théodose, plus que la difficulté
du passage des Alpes, qui retenait le tyran dans la Gaule. Maxime
redoutait un guerrier habile et heureux, qui faisait de grands
préparatifs pour venir jusque sur le Rhin lui arracher le fruit
de son crime. Pour conjurer cette tempête, il envoya son grand
chambellan[509]. C'était un homme grave et avancé en âge, qui dès
l'enfance de Maxime, avait été attaché à son service. Le député, sans
entreprendre de justifier son maître au sujet de la mort de Gratien,
exposa à Théodose l'état de l'Occident, le traité conclu et la foi
donnée; il lui représenta qu'au lieu de désoler l'empire par une guerre
civile, qui favoriserait les desseins des barbares toujours prêts à
forcer leurs barrières, il était plus à propos de réunir contre eux les
forces des deux États; qu'il trouverait dans Maxime un guerrier capable
de couvrir les bords du Rhin, tandis qu'il défendrait lui-même ceux du
Danube; il finissait par demander son amitié et son accession au traité
des deux princes[510]. L'empereur ne se trouvait pas encore en état
d'entreprendre une guerre si éloignée. Pour mieux assurer la vengeance
qu'il devait à son collègue et à son bienfaiteur, il crut qu'il lui
était permis de dissimuler et d'attendre une occasion que l'ambition de
Maxime ne pouvait manquer de lui procurer. Il accepta les propositions
du tyran, le reconnut pour empereur des pays qui lui avaient été cédés,
et consentit que les statues de Maxime fussent placées à côté des
siennes, de celles de Valentinien et de son fils Arcadius[511].

[Note 509: Ὁ τοὺς βασιλικοὺς φυλάττειν ἐπιτεταγμένος κοιτῶνας. Zos.
l. 4, c. 37.--S.-M.]

[Note 510: Il demandait, selon Zosime, l. 4, c. 37, un traité de
paix, et une alliance contre tous les ennemis des Romains, σπονδὰς καὶ
ὁμόνοιαν καὶ ὁμαιχμίαν κατὰ παντὸς πολεμίου Ῥωμαίοις.--S-M.]

[Note 511: Zosime rapporte, l. 4, c. 37, que Théodose ordonna
au préfet du prétoire Cynégius, qu'il envoyait en Égypte, d'y faire
proclamer Maxime et d'exposer ses images à Alexandrie, τὴν Μαξίμου
εἰκόνα δεῖξαι τοῖς Ἀλεξανδρευσιν ἐπέταξεν.--S.-M.]

[Note latérale: IX. Arcadius Auguste est confié aux soins d'Arsène.

Idat. chron. fast.

Marcel. Chr.

Prosp. Chr.

Chron. Alex. p. 304.

Themist. or. 16, p. 200, 204 et 213; et or. 18, p. 224.

Socr. l. 5, c. 10.

Soz. l. 7, c. 12.

Theod. lect. l. 2, c. 63.

Zos. l. 4, c. 57.

Oros. l. 7, c. 34.

Hist. Miscell. l. 12, apud Murat, t. 1, p. 90.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Arsène.]


Ce fils était le seul qu'avait alors Théodose; et son père l'avait
associé à l'empire et honoré du titre d'Auguste dès le mois de Janvier
de cette année[512]. Cette éclatante proclamation s'était faite dans la
place de l'Hebdome. Arcadius était âgé de six ans, et Théodose songeait
à lui donner un précepteur, auquel il pût confier un dépôt si précieux
à l'empire. Thémistius, alors célèbre par son éloquence, désirait
avec empressement cet emploi; il avait publiquement témoigné ce désir
dans une harangue qu'il avait prononcée dans les premiers jours de
cette année pour honorer le consulat de Saturninus. Il semble même que
l'empereur avait en lui une confiance particulière; et lorsqu'il se
disposait à partir pour l'Occident, il lui avait recommandé le jeune
prince avec tendresse en présence du sénat. Mais quoiqu'il estimât les
lumières et la probité de cet orateur païen, il cherchait un chrétien
sage et éclairé pour former le cœur de son fils, et y jeter les pures
semences de la véritable vertu. Il le trouva dans Arsène, distingué
par sa noblesse, plus encore par l'intégrité de ses mœurs et par une
parfaite connaissance des lettres et de toutes les sciences humaines.
Lorsqu'Honorius, qui naquit l'année suivante, fut en âge de recevoir
des leçons, il le joignit à son frère sous la direction d'Arsène. Cet
habile instituteur ne manquait d'aucun des talents propres à former de
grands princes, si dans ses élèves la nature ne se fût pas refusée à
ses soins. Il eut l'honneur de lever des fonts baptismaux Arcadius et
Honorius. Théodose lui donna sur eux l'autorité qu'il avait lui-même.
Mais Arsène, après onze ans de travaux continuels, se dégoûta de la
cour. Il vivait dans la pompe et la délicatesse; superbement vêtu
et meublé, servi par un grand nombre de domestiques, l'empereur
lui entretenait une table somptueuse. A l'âge de quarante ans, vers
l'an 394, il fit réflexion que tandis qu'il se livrait tout entier
à l'éducation des deux princes, il ne travaillait pas à se réformer
lui-même. Frappé de cette pensée, il se retira secrètement du palais,
et s'étant dérobé à toutes les recherches de Théodose, il s'alla
cacher dans le désert de Scéthé[513], où il vécut jusqu'à l'âge de
quatre-vingt-quinze ans dans la plus austère pénitence. Voilà ce que
l'on peut adopter comme certain au sujet de l'éducation qu'Arsène fut
chargé de donner aux enfants de Théodose. Les autres circonstances,
que leur singularité n'a pas manqué d'accréditer, uniquement fondées
sur le récit de Métaphraste, sont plus propres à embellir une légende
romanesque, qu'à trouver place dans l'histoire.

[Note 512: Les auteurs varient pour la date de cet événement, entre
le 16, le 17, le 19 et le 20 janvier.--S.-M.]

[Note 513: Voyez tome 3, p. 455, n. 2, liv. XVIII, § 43.--S.-M.]

[Note latérale: X.

Théodose donne à son fils des leçons de clémence.

Themist. or. 19. p. 228.

Cod. Just. l. 9, tit. 7, leg. unic.]

Théodose ne se reposait pas tellement sur le zèle et la vigilance
d'Arsène, qu'il ne prît lui-même toutes les occasions d'inspirer à son
fils les vertus nécessaires aux princes. Il l'accoutumait de bonne
heure aux actions de bonté et de clémence. On conduisait un jour à la
mort des criminels qui avaient outragé par leurs discours la majesté
impériale. Flaccilla, toujours prompte à secourir les malheureux, en
donna avis à son mari. Il se plaignit qu'on ne l'eût pas averti avant
la condamnation, pour leur épargner même la vue du supplice, et leur
envoya sur-le-champ leur grâce, après l'avoir fait signer par Arcadius.
Théodose dont le caractère avait beaucoup de rapport à celui de Titus,
lui ressemblait surtout par le mépris qu'il faisait des injures.
Rassuré par sa propre conscience, il n'en croyait pas mériter de
véritables, et il avait l'âme trop élevée pour s'abaisser à écouter
celles qui n'avaient aucun fondement. Il déclara quelques années après
à tout l'empire ce sentiment généreux, par une loi dans laquelle il
défend aux juges de punir les paroles qui n'attaquent que sa personne:
_Car_, dit-il, _si elles procèdent de légèreté, elles sont méprisables;
si elles viennent de folie, elles ne méritent que notre pitié; si elles
sont produites par le dessein de nous faire outrage, nous devons les
pardonner_. En conséquence, il lie les mains aux magistrats sur cet
article, et leur ordonne de lui renvoyer la connaissance de ce crime,
afin qu'il puisse juger par la qualité des personnes, si le délit
mérite d'être éclairci ou d'être oublié.

[Note latérale: XI.

Barbares vaincus en Orient.

Pacat. paneg. § 22.

Procop. bel. Pers. l. 1, c. 3.

Till. Théod. art. 14.

Deguignes, t. 1, part. 2, p. 325.]

Il y eut cette année quelques expéditions peu considérables en
Orient[514]. Théodose se contenta d'y employer ses généraux[515]. Les
Sarrasins, au mépris des anciens traités, attaquèrent les terres de
l'empire; ils furent punis de leur infidélité[516]. Une peuplade de
Huns établis en Orient[517], firent des courses en Mésopotamie, et
vinrent assiéger Édesse, d'où ils furent repoussés[518]. Ils revinrent
peu de temps après avec un renfort de Perses qui s'étaient joints à ces
barbares; mais ils ne furent pas plus heureux[519]. Ces Huns étaient
une portion de cette nation féroce, dont nous avons tracé l'histoire
sous le règne de Valens. Tandis que leurs compatriotes filaient au nord
de la mer Caspienne, ceux-ci s'arrêtèrent à l'orient de cette mer,
le long de l'Oxus[520]. Le nom d'Euthalites ou d'Abthélites qu'ils
portaient, signifiait dans leur langue, qu'ils habitaient près d'un
fleuve[521]. Les historiens grecs et latins les distinguent encore par
le surnom de _Blancs_, parce que leur teint n'était pas basané comme
celui des Huns du Nord[522]. Dans un climat doux et fertile, l'espace
d'environ trois siècles avait changé leurs mœurs et les traits de leur
visage. Leur figure n'avait plus rien d'affreux ni de difforme, et leur
manière de vivre ne retenait plus que quelques traces de la barbarie
de leur origine[523]. Ils habitaient dans des villes dont la capitale
était Korkandge[524], que les Grecs appellent _Gorgo_[525]. Ils avaient
un roi, des lois, une police réglée. Ils étaient fidèles dans le
commerce entre eux et avec leurs voisins. Les plus riches se formaient
une petite cour d'une vingtaine de clients, qu'ils nourrissaient à
leur table, et qu'ils entretenaient à leurs dépens. Ces subalternes
attachaient inséparablement leur sort à celui de leur patron; et
lorsqu'il venait à mourir, ils se faisaient enterrer avec lui. Telles
étaient les mœurs de ces Huns Euthalites, dont il sera plusieurs fois
parlé dans la suite de notre histoire[526].

[Note 514: _Non oceano Indus, non frigore Bosphoranus, non Arabis
medio sole securus est; et quo vix pervenerat nomen ante Romanum,
accedit imperium._ Pacat. c. 22.--S.-M.]

[Note 515: Il paraît par les lois de cette année que Théodose ne
quitta pas Constantinople. Tillemont prétend que ces guerres d'Orient
sont celles dont parle le comte Marcellin dans sa Chronique sous l'an
385, en disant, _Theodosius imperator aliquantas eoas nationes per
legatos suo ut pote imperio subdidit_. Ces faits sont indiqués avec
tant de concision qu'il est bien difficile de dissiper l'obscurité
qui les enveloppe. Tillemont prétend encore (Theod. art. 14) que le
comte Richomer qui, selon Libanius (Vit. t. 2, p. 67), vint cette
année à Antioche, était l'un de ces généraux. On sait effectivement
qu'il remporta, en cette année, une victoire qui remplit de joie les
habitants d'Antioche, mais on ignore contre quel ennemi.--S.-M.]

[Note 516: _Dicam à rebellibus Saracenis pœnas polluti fæderis
expetitas._ Pacat. c. 22.--S.-M.]

[Note 517: Il est dit dans la Vie de saint Samonas, rédigée en
latin par Surius, d'après le grec de Métaphraste, que ces Barbares
étaient des Huns Ephthalites, nation qui habite au nord-est de la
Perse. _Hunni quidem Ephtalitœ Persarum finitimi et qui ad solem
habitabant orientalem._ Surius, t. VI, p. 342. Malgré cette indication,
il est douteux qu'il s'agisse réellement ici des Huns connus sous le
nom d'Ephthalites. La présence de ce nom dans ce texte, peut appartenir
au rédacteur grec de la vie de ce Samonas. Il écrivait à une époque
où les Huns d'Orient étaient effectivement appelés Ephthalites. Voyez
ci-après p. 254, not. 3 et 4.--S.-M.]

[Note 518: L'auteur de la vie de S. Samonas, sans indiquer l'époque
précise de cette invasion des Huns, remarque, § 27, qu'elle arriva
sous Eulogius, évêque d'Édesse. La chronique syriaque de cette ville
insérée dans la Bibliothèque d'Assémani, t. 1, p. 387-439, nous apprend
qu'Eulogius fut investi de l'épiscopat, en l'année même de l'avènement
de Théodose, en 379, ou en l'an 690 des Séleucides (378 et 379 de
J.-C.), ce qui est d'accord avec ce que rapporte Théodoret, l. 4, c.
18. Cet évêque mourut le 23 avril de l'an 698 de l'ère des Séleucides
(387 de J.-C.).--S.-M.]

[Note 519: Cette indication donne lieu de croire que les Perses
étaient alors en guerre avec les Romains, et que ces Huns n'étaient
sans doute que des auxiliaires qu'ils avaient amenés. L'histoire
d'Arménie fait voir aussi que les Perses étaient alors en guerre avec
l'empire.--S.-M.]

[Note 520: Rien ne prouve, comme je l'ai dit, que ces Huns
appartinssent à la division de ces peuples connus sous le nom
d'Ephthalites, tout semble indiquer au contraire qu'ils faisaient
partie du corps principal de la nation, établie alors au nord du
mont Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. Ils n'avaient
encore envoyé que quelques détachements en Europe. Il n'est pas sûr
non plus que dès cette époque, en l'an 384, il existât déja des Huns
Ephthalites; il faut descendre jusqu'à des temps bien plus modernes,
pour en trouver la première mention. Les auteurs arméniens parlent de
plusieurs invasions des Huns, dans les pays et dans les régions situées
au sud du mont Caucase. Voyez t. 3, p. 277, not. 3, liv. XVII, § 5.
Mesrob, historien arménien qui a écrit au dixième siècle, la vie du
patriarche Nersès, raconte dans cet ouvrage, dont j'ai déja parlé, t.
3, p. 275, note 3, liv. XVII, § 4, une grande invasion des Huns faite
en Arménie de concert avec plusieurs autres peuplades Barbares, et en
particulier avec les Albaniens. Je dois remarquer à cette occasion
que dans le même passage, où le panégyriste Pacatus parle des succès
remportés dans l'Orient sur les Sarrasins révoltés, il fait aussi
mention des avantages que les généraux de Théodose avaient obtenus sur
les Albaniens. _Dicam interdictum Scythis Tanaim, et imbelles arcus
etiam fugientis Albani?_ Cette indication me fait penser qu'il faut
rapporter ce passage à la guerre contre les Huns. L'historien arménien
raconte d'une manière fort confuse l'expédition des Huns, mais ce
qu'il en dit, est en somme tout-à-fait conforme avec ce qu'on a tiré
sur le même sujet des auteurs grecs. Il a confondu les circonstances
de cette guerre avec ce que j'ai rapporté d'après Faustus de Byzance
(t. 3, p. 379, liv. XVII, § 66), sur la bataille de Dsirav, dans
laquelle les Romains, joints aux Arméniens conduits par le connétable
Mouschegh, défirent les Perses unis aux Albaniens commandés par leur
roi Ournaïr. Selon Mesrob, ce même Ournaïr prit part à l'irruption des
Huns, qui traversèrent toute l'Arménie, prirent Nepherkerd, nommée
depuis Martyropolis, dans la Sophène, ravagèrent tout le Vaspourakan,
le pays de Daron et les cantons limitrophes, jusque dans les environs
de Ninive. Le connétable d'Arménie qui était Mouschegh, selon
l'historien, tandis que ce devait être Manuel frère de Mouschegh, se
mit à la poursuite des Huns, à la tête des troupes arméniennes réunies
aux Ibériens, amenés par leur prince; il poussa les barbares dans les
gorges du mont Tmoris, où il les enferma et les défit complètement
auprès d'un fort appelé _Alki_. Le défilé dans lequel ils furent
vaincus, reçut à cause d'eux le nom de _Honitourhn_, c'est-à-dire
_porte des Huns_. Il est fâcheux que Mesrob ait rapporté avec tant de
confusion et d'erreurs ce qui concerne cette invasion, qu'il serait si
intéressant de bien connaître, pour se faire une juste idée de l'état
de l'empire en Orient à cette époque.--S.-M.]

[Note 521: Cette étymologie donnée par Deguignes (_Hist. des Huns_,
t. 1, part. 2, p. 326) et qui paraît empruntée à la langue persane,
dans laquelle le mot _ab_ signifie _eau_, n'est pas justifiée par
l'orthographe du nom des Ephthalites en Persan et en Arménien. Elle ne
repose sur aucune base solide, elle doit donc être abandonnée.--S.-M.]

[Note 522: C'étaient, dit Procope, _de bel. Pers._ l. 1, c. 3, les
seuls Huns qui fussent blancs de corps, μόνοι δὲ Οὔννων οὗτοι λευκοί τε
τὰ σώματά.--S.-M.]

[Note 523: Selon Procope, _de Bell. Pers._ l. 1, c. 3, ils ne
menaient pas une vie errante comme les autres Huns, mais depuis
très-long-temps, ils habitaient un beau pays, ἀλλ' ἐπὶ χώρας ἀγαθῆς
τινος ἐκ παλαιοῦ ἵδρυνται, et jamais ils n'avaient fait d'irruption
dans l'empire romain, si ce n'est une fois de concert avec les Perses
que cet auteur appelle Mèdes. Ταῦτά τοι οὐδέ τινα ἐσβολὴν πεποίηνται
πώποτε ἐς Ῥωμαίων τὴν γὴν, ὅτι μὴ ξὺν τῷ Μήδων στρατῷ.--S.-M.]

[Note 524: Les auteurs orientaux distinguent deux villes de
_Korkandj_, dans le Kharizm, situées à dix milles arabes l'une
de l'autre. Elles étaient toutes deux sur la rive occidentale du
Djyhoun, non loin de son embouchure dans le lac d'Aral; elles sont
ruinées maintenant. Ce nom était persan; les Arabes les appellèrent
_Djordjaniah_. On les distinguait par les surnoms de _grande_ et de
_petite_.--S.-M.]

[Note 525: Πόλις Γοργὼ ὄνομα πρὸς αὐτᾶις που ταῖς Περσῶν ἐσχατιαῖς
ἐστιν. Proc. _de Bell. Pers._ l. 1, c. 3. Il est douteux que cette
ville, placée par Procope sur les frontières de la Perse, ait été la
même que Korkandj dans le Kharizm, mentionnée par les auteurs orientaux
du moyen âge.--S.-M.]

[Note 526: Les auteurs orientaux donnent le nom d'_Haïathelah_
ou _Haïathélites_, au peuple qui pendant la durée du cinquième et
la moitié du sixième siècle fut du côté de l'Orient, le voisin et
l'adversaire des rois de Perse de la dynastie des Sassanides, et qui
furent soumis par les Turks vers l'an 550. Les Arméniens, qui font
très-souvent mention des guerres que les Perses eurent à soutenir
contre ces peuples, les appellent _Hephthal_. Ce nom est le même que
celui des Ephthalites Ἐφθαλίται, qu'on trouve dans Procope, _de Bell.
Pers._ l. 1, c. 3, et dans les autres écrivains byzantins. C'est par
une erreur de copiste que quelques auteurs les appellent Nephthalites,
Νεφθαλίται. Les Arméniens et les Grecs s'accordent à leur attribuer
aussi la dénomination de Huns; mais pour les distinguer des Huns plus
voisins de l'Europe et sujets d'Attila, les Grecs les désignaient par
le surnom de _blancs_, comme on le voit dans Procope, _de Bell. Pers._
l. 1, c. 3, τό Οὔννων τῶν Ἐφθαλιτῶν ἔθνος, οὕσπερ λευκοὺς ὁνομάζουσι,
et dans Théophanes, p. 105, τοὺς λεγομένους λευκοῦς Οὔννους, τοὺς
λεγομένους Νεφθαλίτας. Leur civilisation plus avancée, la douceur de
leurs mœurs et la blancheur de leur teint, leur avaient valu ce surnom.
Il est difficile de déterminer précisément à quelle race appartenait
cette nation; il est probable, comme son nom l'indique, qu'elle se
rattachait à la race finnoise ou hunnique, qui fut toujours très-mêlée
avec les branches de la race scythique, de sorte qu'elle a pu offrir
un certain nombre de peuplades dignes de mériter, sous le rapport
physique, les éloges des historiens de Byzance. La puissance des
Haïathélites s'étendit selon les écrivains orientaux sur le Kharizm et
toute la Transoxiane, l'Oxus les séparait de la Perse. On voit même
par les géographes arabes, que leur territoire se prolongeait au sud
jusqu'à l'Hindoustan; il comprenait même la ville de Badghiz dans le
Khorasan. Cosmas Indicopleustes, qui écrivait au milieu du sixième
siècle, donne le nom de Hunnie à tout le pays qui séparait de son temps
la Chine, qu'il appelle _Tzinitzas_ (le _Tchinistan_ des Persans), de
la Perse et de l'empire romain. On ignore comment s'éleva l'empire de
ces Huns Ephthalites; il est probable qu'ils détruisirent le royaume
des Arsacides établis à Balkh, qui subsistait encore à la fin du
quatrième siècle, et dont j'ai parlé t. 3, p. 383, liv. XVII, § 67.
Il serait fort intéressant de rechercher dans les auteurs chinois, si
instruits en général de ce qui concerne les régions habitées par cette
nation, sous quel nom les Ephthalites leur furent connus. Deguignes a
bien prétendu qu'ils étaient les Turks _Tie-le_, mais ce qu'il dit à ce
sujet n'est guère vraisemblable.--S.-M.]

[Note latérale: AN 384.

XII.

Consuls.

[Liban. vit. t. 2, p. 67 et 68.

Symm. l. 3, ep. 59 et 61.]

Idat. fast.

Greg. Tur. hist. Franc. l. 2, c. 9.

Vales. rer. Franc. p. 61.]

Richomer qui avait eu la plus grande part à leur défaite[527], fut,
l'année suivante, revêtu du consulat avec Cléarque. Tous deux, quoique
païens, étaient estimés de Théodose, et distingués, l'un par les
emplois militaires, l'autre par les charges civiles. Richomer[528],
Franc de naissance, et sorti du sang des rois, s'était attaché à
Valentinien premier. Il parvint à la dignité de comte des domestiques.
Il avait été envoyé au secours de Valens dans la guerre des Goths, où
il s'était signalé. Gratien l'avait donné à Théodose, qui fit usage
de sa bravoure, et l'éleva au grade de général de la cavalerie et
de l'infanterie[529]. On croit qu'il fut père de Théodémir, roi des
Français avant Pharamond[530]. Il était lié d'amitié avec Symmaque; et
Libanius composa en son honneur un panégyrique que nous n'avons plus.
Cléarque, vicaire d'Asie[531], avait fidèlement servi Valens dans le
temps de la révolte de Procope. Il en avait reçu, pour récompense,
le proconsulat de la même province[532], et ensuite la préfecture de
Constantinople[533]. D'abord, ardent idolâtre et protecteur déclaré du
fanatique Maxime, il avait sans doute permis à son zèle de se modérer
pour ne pas déplaire à Théodose, qui le nomma préfet de Constantinople
une seconde fois[534].

[Note 527: Voyez ci-devant p. 251, n. 2.--S.-M.]

[Note 528: Ce nom est écrit de diverses façons dans les auteurs
anciens. On le trouve dans les premiers historiens de France sous la
forme _Richimer_.--S.-M.]

[Note 529: Voyez ci-devant p. 112, n. 2, liv. XX, § 10.--S.-M.]

[Note 530: _In consularibus legimus_, dit Grégoire de Tours, l.
2, c. 9, _Theodomerem Regem Francorum, filium Richimeris quondam, et
Aschilam matrem ejus, gladio interfectos_.--S.-M.]

[Note 531: En 364.--S.-M.]

[Note 532: En l'an 366--S.-M.]

[Note 533: Il occupa cette charge en l'an 372, sous Valens.--S.-M.]

[Note 534: Il était en exercice à la fin du mois d'août de l'an
384.--S.-M.]

[Note latérale: XIII.

Thémistius préfet de C. P.

Themist. or. 17, p. 215; 18, p. 217 et 224.

[Till. Théod. art. 15.]]

Son successeur, dans cette dignité, fut Thémistius; l'empereur voulut
peut-être le consoler de ce qu'il ne lui avait pas confié l'éducation
d'Arcadius. Le nouveau préfet remercia le prince par un discours
qu'il prononça devant le sénat. Théodose entendait avec plaisir cet
orateur vertueux, et lui fournissait sans cesse une abondante matière
d'éloges. Il diminua les impôts dans le temps même qu'il était obligé
d'entretenir de nombreuses armées. Il veillait avec une attention
paternelle à la subsistance de Constantinople, y faisant venir des
vivres par mer, même pendant l'hiver, et visitant en personne les
magasins, qu'il regardait comme ses trésors les plus précieux. Il
augmenta les distributions qu'on avait coutume de faire au peuple, et
attira par cette libéralité un plus grand nombre d'habitants.

[Note latérale: XIV.

Proculus et Icarius comtes d'Orient.

Liban. vit. t. 2, p. 66, 68 et 69; et or. 19, p. 455; or. 20, p. 460,
471 et 472.

Till. Théod. art. 16.]

Antioche, plus éloignée des yeux du prince, ne jouissait pas d'un sort
aussi heureux que la capitale de l'empire. Eumolpius, gouverneur de
Syrie, était un magistrat sage et compatissant; mais il ne pouvait
arrêter les violences tyranniques des comtes d'Orient. Proculus, revêtu
de cette charge depuis deux ans, était en même temps libéral et cruel:
ses largesses ne lui coûtaient que des injustices; il prodiguait aux
uns ce qu'il ravissait aux autres. Il fit massacrer, sous je ne sais
quel prétexte, un grand nombre de personnes dans le bourg de Daphné.
Théodose, instruit enfin de ses forfaits, le déposa avec ignominie.
Mais il fut encore trompé dans le choix de son successeur. Icarius,
fils de ce Théodore qui avait été mis à mort sous le règne de Valens,
fut envoyé à la place de Proculus. L'étude et l'amour des lettres par
lesquels ce nouveau comte était parvenu aux honneurs, promettaient une
conduite plus sage et plus modérée. En effet, il n'aimait ni l'argent
ni les plaisirs; mais il était défiant, superbe, imprudent, aussi
inhumain que son prédécesseur. La peste désolait Antioche et les autres
villes de Syrie; elle cessa en peu de temps; mais elle fut suivie d'une
longue famine. Antioche fut bientôt remplie d'une foule d'indigents,
qui venaient y chercher du secours. On l'exhortait à les soulager:
_Laissons_, dit-il, _périr ces misérables; les Dieux les condamnent,
puisqu'ils les abandonnent_. Ces paroles cruelles excitèrent une juste
horreur. Il continua de se rendre odieux par les mauvais traitements
dont il accabla les boulangers et les marchands de blé, et par les
rapines qu'il tolérait dans les officiers de police. Le peuple se
souleva; et l'on peut conjecturer par une invective de Libanius, que le
comte fut dépouillé de sa charge. Mais l'histoire n'a pas laissé à la
postérité, la satisfaction d'apprendre avec certitude, quelle fut la
punition de ce barbare commandant.

[Note latérale: XV.

Nouveaux efforts de Théodose pour détruire l'idolâtrie.

Ambr. de div. serm. 3, t. 2, append. p. 442 et ep. 17, t. 2, p. 824.

Liban. de templis.

Zos. l. 4, c. 37.

Idat. fast. et Chron.

Cod. Th. l. 9, tit. 1, leg. 15.

God. ad Cod. Th. t. 6, p. 267.

Till. Théod. art. 17.]

Théodose ne perdait pas de vue le grand dessein qu'il avait conçu
d'abattre entièrement l'idolâtrie. Après avoir défendu dès le
commencement de son règne, les sacrifices par lesquels on cherchait
à pénétrer dans l'avenir, il avait enfin interdit toute immolation
de victimes. Il n'était plus permis aux païens que d'allumer du feu
sur les autels, d'y brûler de l'encens, d'y répandre des libations,
et d'y offrir les fruits de la terre. L'idolâtrie était revenue à son
berceau; c'était avoir beaucoup avancé pour la détruire tout-à-fait.
Il ne restait plus en Orient qu'Alexandrie, où l'on osât encore faire
couler le sang dans les temples[535]. Libanius, toujours avocat
des idoles, entreprit par un discours de fléchir Théodose en leur
faveur[536]. Il employait toutes les couleurs de sa rhétorique pour
exagérer les insultes que les chrétiens faisaient aux dieux et à leurs
adorateurs: il accusait surtout les moines[537]; il avançait que,
secondés des officiers et des soldats, ils brisaient les statues, ils
abattaient les édifices sacrés, ils égorgeaient les prêtres sur les
ruines de leurs autels, et que, sous prétexte de saisir en faveur
des églises, les fonds appartenant aux temples, ils s'emparaient des
biens des particuliers, et dépouillaient de leurs terres les légitimes
possesseurs. Il prétendait que les empereurs chrétiens justifiaient
eux-mêmes le culte ancien, puisqu'ils le toléraient dans Rome et dans
Alexandrie[538]; qu'ils laissaient subsister plusieurs temples; qu'ils
n'excluaient pas les païens des plus éminentes dignités, et qu'ils
recevaient le serment de fidélité fait au nom des dieux. Il finissait
par ce trait de hardiesse: _Les habitants des campagnes sauront bien
défendre par les armes leurs divinités, si on les vient attaquer
sans les ordres de l'empereur_[539]. S'il est vrai que ce discours
calomnieux soit parvenu jusqu'à Théodose, ce prince le reçut sans doute
comme un avis de ce qui lui restait à faire pour fermer à jamais la
bouche à l'idolâtrie, et lui ôter toute espérance. Il avait déjà envoyé
en Égypte Cynégius, préfet du prétoire[540], avec ordre d'abolir le
culte des idoles dans cette province, et dans tout l'Orient. Il le
chargea en même temps de porter à Alexandrie les images de Maxime,
et de l'y faire reconnaître empereur, selon le traité qui venait
d'être conclu entre les trois souverains[541]. Ce magistrat ferme et
incorruptible, s'acquitta de sa commission, mais avec prudence. Il fit
cesser en plusieurs endroits les sacrifices; il y ferma les temples.
En arrachant aux peuples les objets de leur adoration, il sut prévenir
leur révolte, et les consoler de la perte de leurs dieux, par un
gouvernement équitable, qui a mérité des éloges publics de la part de
Théodose dans une de ses lois. Ce témoignage est plus digne de foi que
celui de Libanius. Le sophiste, irrité contre Cynégius qui venait de
démolir un temple magnifique, qu'on croit être celui d'Édesse[542],
dépeint le préfet comme un homme cruel, avare, sans mérite, abusant de
sa fortune, esclave de sa femme[543] gouvernée par des moines[544].
Nous voyons par la suite de l'histoire, que Cynégius ne vint cependant
pas à bout de ruiner entièrement le culte idolâtre, ni dans l'Égypte,
ni dans la Syrie. Ce fut alors que les païens oubliant leurs anciennes
violences, commencèrent à se prévaloir de cette maxime, dont les
fidèles avaient fait usage dans le temps des persécutions, et dont les
vrais chrétiens ne s'écarteront jamais, _que la religion doit s'établir
par la persuasion et non par la contrainte_.

[Note 535: Et particulièrement le jour de la fête du Nil, dit
Libanius, _pro templ._ p. 21. C'était sans doute aussi la grande
fête du dieu Sérapis, qui n'était qu'une personnification du Nil.
L'historien arménien Moïse de Khoren, qui vint en Égypte peu de temps
après la destruction complète de l'idolâtrie, nous apprend, l. 3, c.
62, que cette fête se célébrait le 25 du mois égyptien de Tybi qui
répondait au 20 janvier. Voyez à ce sujet, le _Journal asiatique_, t.
2, p. 330.--S.-M.]

[Note 536: Ce discours n'a été imprimé qu'une seule fois, sous
ce titre _Libanii Antiocheni pro templis gentilium non exscindendis
ad Theodosium magnum imperatorem oratio, nunc primum edita a Iacobo
Gothofredo_. Paris, 1634, in-4º.--S.-M.]

[Note 537: Libanius, _pro templ._, p. 10, les appelle, _des gens
vêtus de noir_, οἱ μελανειμονοῦντες οὗτοι.--S.-M.]

[Note 538: Libanius l'appelle la ville de Sérapis, grande, peuplée
et remplie d'une multitude de temples. Οὐ τοίνυν τῇ Ῥώμῃ μόνον ἐφυλάχθη
τὸ θύειν, ἀλλὰ καὶ τῇ τοῦ Σαράπιδος, τῇ πολλῇ τε καὶ μεγάλῃ, καὶ πλῆθος
κεκτημένῃ νεῶν. Liban, _pro templ._ p. 21.--S.-M.]

[Note 539: Εἰ δ'οὐχὶ καὶ σοῦ δίδοντος, οἱ δὲ ἥξουσιν, ἣ ἐπὶ
τὸ διαπεφευγὸς αὐτοὺς, ἤ διὰ τείχους ἀναστᾶν, ἴσθι τοὺς τῶν ἀγρῶν
δεσπότας καὶ αὑτοῖς καὶ τῷ νόμῳ βοηθήσοντας. Liban. _or. pro Templ._ p.
32.--S.-M]

[Note 540: Ce magistrat, qui avait été intendant des largesses,
_Comes largitionum_, en 381 et en 383, succéda à Posthumianus en l'an
384, dans la dignité de préfet du Prétoire, qu'il occupa jusqu'en
l'an 388, dans laquelle il mourut étant consul. On croit qu'il était
Espagnol.--S.-M.]

[Note 541: Voyez ci-dessus, p. 248, n. 3, liv. XXII, § 8.--S.-M.]

[Note 542: Ce temple était situé, selon Libanius, _pro temp._, p.
26, sur les frontières de la Perse, κεῖται μὲν γὰρ πρὸς τοῖς ὁρίοις
Περσῶν νεὼς: il ne ressemblait à aucun autre, de l'aveu de tous ceux
qui l'avaient vu, ὧ παραπλήσιον ὀυδὲν, ὡς ἐστιν ἁπαντων τῶν τεθεαμένων:
il était d'une telle grandeur et d'une telle élévation qu'il semblait
être une ville, ὅυτω μέγιστος ἐγεγόνει τοῖς λίθοις, τοσοῦτον ἐπέχον τῆς
γῆς, ὁποσον καὶ ἡ πόλις. Tillemont pense (Théod. art. 15), que Libanius
veut parler du temple du dieu _Lunus_ à Carrhes dans la Mésopotamie; ce
qui serait possible.--S.-M.]

[Note 543: Δουλεύοντος τῇ γυναικὶ, dit Libanius, p. 28. Cette femme
est nommée Achantia par Idatius.--S.-M.]

[Note 544: De ces gens, dit Libanius, p. 28, qui affectent de vivre
couverts de robes de deuil, ὧν τῆς ἀρετῆς ἀπόδειξις τὸ ζῆν ἐν ἱματίοις
πενθούντων.--S.-M.]

[Note latérale: XVI.

Il est trompé par les Lucifériens.

Marcell. et Faust. libell.

Till. Theod. art. 19, et Arian. art. 140.]

Théodose ne poursuivait que les erreurs capables de troubler l'ordre
public. Il épargnait ces sectes pacifiques qui rampaient dans
l'obscurité et le silence. C'est pour cette raison qu'il faisait grâce
aux Novatiens. Les Lucifériens surprirent même sa bonté naturelle.
Se plaignant d'être persécutés, parce qu'ils n'avaient pas assez de
force pour être persécuteurs, deux de leurs prêtres, Marcellinus et
Faustinus, lui présentèrent une requête. Ils imputaient faussement
aux catholiques les violences les plus outrées. Le ton de piété, que
l'hypocrisie emprunte aisément, trompa Théodose. Il les reçut comme
des orthodoxes injustement outragés: il se déclara leur protecteur
par un rescrit dans lequel il traite d'hérétiques leurs adversaires,
reconnaissant néanmoins que c'est aux évêques qu'il appartient de
décider les questions qui concernent la foi.

[Note latérale: XVII.

Ambassade des Perses.

Pacat. paneg. § 22.

Liban. or. 14, t. 3, p. 403, or. 15, p. 419.

Themist. or. 16, p. 222.

Claud. de nupt. Honor. v. 240 et seq.

Vict. epit. p. 232.

Idat. Fast. et Chron.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Socr. l. 5, c. 12.

Agath. l. 4, p. 136.

Pet. Patric. in exc. leg.

Cod. Th. l. 12, tit. 13, leg. 6. et ibi God.

Chron. Alex. p. 304.

Hard. not. ad Themist. p. 484.

Cellar. geog. ant. l. 3. c. 15, art. 2.

Till. Theod. art. 21.]

Valens n'avait conclu la paix avec le roi de Perse, que par la
nécessité de tourner toutes ses forces contre les Goths. Il paraît que
les conditions du traité ne furent pas avantageuses à l'empire, et
qu'on fut obligé d'abandonner l'Arménie à Sapor[545]. Ce prince était
mort en 379[546], après avoir vécu et régné avec gloire soixante-dix
ans[547]. Son fils Artaxer[548] n'avait occupé le trône que quatre
ans[549]. Sapor III, fils et successeur d'Artaxer[550], craignait
Théodose[551], qui entretenait une armée sur les bords du Tigre. Moins
guerrier que son aïeul[552], il prit le parti de détourner l'orage
par un nouveau traité[553]. Pour se concilier l'empereur romain, il
fit rendre à ses images les mêmes honneurs qu'on rendait à celles
des rois du pays[554], et lui envoya à Constantinople une célèbre
ambassade[555], avec de riches présents; c'était des pierreries, de la
soie, et des éléphants pour traîner son char[556]. La négociation dura
long-temps, et ne fut terminée que cinq ans après, en 389[557]. Mais il
y a lieu de croire que Théodose fit acheter cette suspension d'armes
de la cession de quelques territoires. Du moins il est certain que, dès
l'an 387, il exerçait les droits de la souveraineté sur la Sophanène
et sur les satrapies voisines[558]. Cette province, située en-deçà du
Tigre, au midi de l'Arménie et au septentrion de Nisibe et d'Amid,
avait appartenu aux Perses, et quelques auteurs la nomment au nombre de
celles que Jovien leur avait cédées. Ils la distinguent de la Sophène,
province d'Arménie, plus occidentale et plus voisine de l'Euphrate[559].

[Note 545: Au sujet des négociations entamées entre Valens et les
Perses, concernant l'Arménie, on peut voir ce qui a été dit ci-devant,
p. 27 et 28, l. XIX, § 20, et les additions que j'ai placées p. 152,
liv. XX, § 43. La guerre des Goths contraignit les Romains, non pas
de céder l'Arménie aux Perses, mais de l'abandonner à leur influence.
Ils y placèrent un roi, tandis que jusqu'alors les empereurs avaient
disposé de la couronne de ce pays.--S.-M.]

[Note 546: C'est l'opinion de Tillemont, _Hist. des Emp._ t. V,
Théod. art. 21, _Hist. éccl._ t. VII, S. Siméon, art. 1, not. 1. C'est
au reste l'opinion commune admise avant et après lui, par presque tous
les chronologistes. Je ne la crois pas fondée cependant. On en verra
les raisons dans la note suivante. Ces savants ont placé trop tôt
l'avènement de Sapor II.--S.-M.]

[Note 547: Tous les auteurs orientaux s'accordent à donner à Sapor
ou Schahpour II, soixante et douze ans de règne et de vie; Abou'lfaradj
est le seul qui s'écarte de cette opinion générale; il ne lui accorde,
dans sa chronique syriaque (_Vers. lat._ p. 61), que soixante-neuf
ans de règne. Agathias, qui devait tout ce qu'il raconte des rois de
Perse de la race des Sassanides à un Syrien, interprète du grand roi
Chosroès, et qui était attaché aux archives royales de Perse, Agathias,
dis-je, assigne, l. 4, p. 136, un règne de soixante-dix ans à Sapor II.
Ces deux opinions sont faciles à concilier, il suffit d'admettre que
Sapor avait régné et vécu soixante-neuf ans accomplis, et qu'il est
mort dans sa soixante-dixième année. Comme, d'après une date que j'ai
rapportée, t. 1, p. 331, not. 1, liv. V, § 22, Sapor II a dû naître et
devenir roi de Perse en l'an 311, sa première année royale a dû être
comptée selon l'usage, du commencement de l'année civile des Perses,
qui correspondait alors avec le 7 juin 311; ainsi sa soixante-dixième
et dernière année, qui fut en même temps la première de son successeur,
a dû commencer le 20 mai 380; c'est donc entre ce jour-là et le 20 mai
381, qu'il faut placer, selon toutes les vraisemblances, l'époque de la
mort de Sapor.--S.-M.]

[Note 548: Il était son frère selon presque tous les auteurs. Le
nom d'_Artaxer_, Ἀρταξὴρ, qui est dans Agathias, l. 4, p. 136, n'est
qu'une altération du persan _Ardeschir_ ou _Ardaschir_. Il est appelé
de même dans la chronographie de Théophanes, p. 54. Ce nom se trouve
dans les auteurs plus anciens sous la forme Artaxarès, qui est la même
chose qu'Artaxerxès. Il existe dans les auteurs anciens et chez les
divers peuples de l'orient sous des formes très-diverses. Quoiqu'il
soit difficile de croire qu'un prince, parvenu à l'âge de soixante-dix
ans et qui n'avait pas de frère moins âgé que lui, puisqu'il naquit
posthume, ait pu avoir un frère pour successeur, il n'en est pas moins
constant que tous les auteurs orientaux s'accordent à faire monter sur
le trône de Perse, après la mort de Sapor II, un frère de ce prince.
Il n'est pas impossible à la rigueur de croire qu'un homme, mort à
soixante-dix ans, ait pu être remplacé par un frère plus âgé que lui;
mais ce qu'il y a d'incompréhensible, c'est que les renseignements
conservés par l'histoire ne nous laissent pas voir comment Sapor
pouvait avoir un frère plus âgé que lui. Son père Hormisdas avait bien
eu plusieurs enfants d'une première femme, mais on sait qu'ils avaient
tous été exclus de la couronne, et ensuite emprisonnés, chassés ou
mis à mort. On a déjà fait très-souvent mention dans cette histoire
de l'un d'eux, qui se nommait Hormisdas comme son père, et s'était
réfugié dans l'empire romain, où il avait obtenu du service et des
honneurs. On avait préféré l'enfant encore à naître d'une autre femme
d'Hormisdas; ce qui suppose naturellement que cette femme n'avait pas
eu d'autres enfants du roi, et que ce prince n'en avait aucun autre.
Cette femme comme le remarque Zonare, l. 13, t. 2, p. 12, était d'une
naissance obscure, ἤν (Σαπώρης) υἱὸς, οὐ μέντοι ἐξ ἐπισήμον γυναικός.
Les inclinations cruelles du fils aîné d'Hormisdas, firent choisir
le rejeton d'une femme inconnue. Comment alors peut-il se faire
qu'on retrouve ensuite un frère de Sapor nécessairement plus âgé que
lui? On pourrait supposer qu'il était son frère utérin seulement, né
d'un second mari, mais alors il n'aurait pas appartenu à la race des
Sassanides, et il n'aurait pu monter sur le trône. On ne peut rejeter
l'accord unanime des historiens orientaux, confirmé d'ailleurs par le
témoignage d'Agathias, qui puisait aux sources les plus authentiques,
et qui dit également que le successeur de Sapor II était son frère.
Μετὰ γὰρ Σαβόρην Ἀρταξὴρ, ἀδελφὸς ὤν ἀυτῶ, καὶ μετασχὼν τῆς βασιλείας,
_Hist._ l. 4, p. 136. Il n'est qu'un moyen de rendre raison d'une
manière plausible de cette difficulté, c'est de supposer que le
successeur de Sapor II, quoique né du même père et de la même mère, et
étant par conséquent son aîné, n'avait reçu le jour qu'à une époque ou
son père Hormisdas n'était pas encore roi. C'en était assez chez les
Perses pour être inhabile à succéder à la couronne. L'Histoire ancienne
nous apprend que le célèbre Xerxès, né de Darius fils d'Hystaspes,
était redevable de la couronne à un usage semblable. L'exclusion,
qui avait causé la mort ou la captivité des enfants d'Hormisdas nés
d'une première femme, n'avait pu être aussi fatale au frère utérin
de Sapor, parce qu'il avait pu être défendu par sa mère, qui devait
donner le jour au futur héritier du trône. Ainsi, malgré la différence
de sa naissance, comme il appartenait toujours à la race royale par
son père, il a pu profiter de quelques circonstances favorables, et,
quoique bien âgé, monter sur le trône après la mort de son frère. Le
père de Sapor ayant régné sept ans et cinq mois, s'il en fut comme je
le pense, Ardeschir devait avoir au moins soixante-dix-huit ans, quand
il remplaça son frère sur le trône. Je dois remarquer cependant que,
selon Abou'lfaradj, dans sa Chronique syriaque (_Vers. lat._ pag. 70),
Ardeschir II, c'est-à-dire le successeur de Sapor II, était fils de ce
prince; mais ce témoignage, contraire à tous les autres et si moderne,
ne peut infirmer en rien ce que rapportent les autres auteurs.--S.-M.]

[Note 549: Artaxer, frère de Sapor II, régna quatre ans selon
Agathias, l. 4, p. 136; ce qui s'accorde avec les renseignements
chronologiques que fournissent les auteurs orientaux, qui sont unanimes
sur ce point. On doit présumer que ce prince régna trois ans entiers et
qu'il mourut dans la quatrième année de son règne. Nous avons vu que
sa première année avait dû commencer le 20 mai 380; la quatrième et
dernière avait alors commencé le 20 mai 383. Les Persans lui donnent le
surnom de _Nikoukiar_, c'est-à-dire _bienfaisant_.--S.-M.]

[Note 550: Sapor III, successeur d'Artaxer ou Ardeschir, au
préjudice duquel Ardeschir était monté sur le trône, n'était pas fils
de ce prince, mais il était son neveu et fils de Sapor II. Il est
difficile de concevoir comment le vieux Sapor, laissant un fils sans
doute en âge de régner, avait été remplacé par un frère plus âgé que
lui-même. Si nous connaissions mieux les détails intimes de l'histoire
de Perse, il nous serait peut-être possible de rendre raison d'une
chose, qui doit paraître si invraisemblable. Ce sont les paroles
ambiguës d'Agathias, l. 4, p. 136, qui ont fait croire que Sapor III
était fils d'Artaxer. Les auteurs orientaux ne nous laissent aucun
doute sur ce point; ils le font tous fils de Sapor II. Eutychius est le
seul qui, en le faisant comme les autres fils de Sapor II, ajoute qu'il
était frère d'Ardeschir; ce qui ferait penser qu'Ardeschir était fils
et non frère de Sapor II. Agathias, l. 4, p. 136, et Théophanes, qui,
je ne sais par quelle raison, appelle ce prince _Arsabel_, lui donnent
cinq ans de règne. Presque tous les auteurs orientaux s'accordent avec
eux sur ce point; mais il en est quelques autres, plus exacts à ce
qu'il me semble, et parmi lesquels il faut placer Abou'lféda, qui lui
donnent un règne de cinq ans et quatre mois: ce qui fait voir qu'il
régna cinq ans entiers, et qu'il mourut dans le quatrième mois de sa
sixième année, qui fut aussi la première de son successeur. Comme son
règne commença à compter du 20 mai 383, sa sixième année dut commencer
le 18 mai 388.--S.-M.]

[Note 551: _Persis ipsa, reipublicæ nostræ retro æmula, et multis
Romanorum ducum famosa funeribus, quidquid unquam in principes nostros
inclementius fecit, excusat obsequio._ Pacat. c. 22.--S.-M.]

[Note 552: Gibbon, t. 5, p. 105, attribue le changement qu'on
remarque dans la conduite politique des successeurs de Sapor II, à
des divisions intestines et à une guerre qu'il appelle _la guerre
lointaine de Caramanie_. Ce sont deux suppositions purement gratuites.
Pour la première, on n'en trouve aucune indication dans l'histoire;
pour l'autre, c'est une erreur. La Caramanie est une portion de
l'Asie-Mineure, qui reçut ce nom au quatorzième siècle d'un prince
turk. Ce n'est donc pas de ce pays qu'il est question. Il est probable
que Gibbon a voulu parler du Kirman, pays voisin de la Perse, et qui
portait déja ce nom à l'époque dont il s'agit, puisque Bahram IV, le
successeur de Sapor III, fut surnommé _Kirmanschah_, c'est-à-dire _roi
du Kirman_, parce que ce pays avait été son apanage avant qu'il régnât.
Ce surnom se retrouve dans Agathias, l. 4, p. 136, sous la forme
_Cermasas_, Κέρμασας. Rien n'indique qu'il y ait eu aucune guerre dans
ce temps au sujet de ce pays; Gibbon s'est donc trompé dans ce qu'il en
dit.--S.-M.]

[Note 553: Ce roi, qui auparavant dédaignait de s'avouer homme, dit
Pacatus, c. 22, reconnaît sa terreur. _Ipse ille rex ejus, dedignatus
antea confiteri hominem, jam fatetur timorem._ Tillemont (tom. V,
Theod. art. 21) s'exprime ainsi, au sujet de ce passage de Pacatus:
«Ce fut donc Sapor III, qui députa cette année à Théodose: et ainsi
il faut dire que Pacatus confond ce prince avec Sapor II, son ayeul,
ou l'entendre, non d'un homme en particulier, mais des rois de Perse
en général, lorsqu'il dit que ce roi, qui auparavant dédaignait de se
reconnaître pour homme [ce qui marque proprement Sapor II], confessait
alors qu'il craignait Théodose.» Il n'y a là ni difficulté, ni
confusion; Pacatus ne veut pas parler de Sapor II, mais bien de Sapor
III, qui n'était pas petit-fils, mais fils de Sapor II; et ce qu'il dit
se rapporte à tous les rois de Perse, qui, comme on le voit par leurs
monuments, prenaient le titre de dieu, et qui se faisaient rendre les
honneurs divins, comme Pacatus le dit lui-même aussitôt après.--S.-M.]

[Note 554: _Et in his te colit templis, in quibus colitur._ Pacat.
c. 22.--S.-M.]

[Note 555: _Legati Persarum Constantinopolim advenerunt, pacem a
Theodosio principe postulantes._ Marcel. Chron.--S.-M.]

[Note 556: _Tum legatione mittenda, gemmis, sericoque præbendo, ad
hoc triumphalibus belluis in tua esseda suggerendis._ Orose s'exprime
ainsi, en parlant de cette ambassade, l. 7, c. 34: _Persæ, qui.......
recentissimæ victoriæ satietatem cruda insultatione ructabant, ultro
Constantinopolim ad Theodosium misere legatos, pacemque supplices
poposcerunt._ Tous les auteurs rapportent également que les Perses
demandèrent la paix, _cum Persis quoque petitus pacem pepigit_, dit
Aurélius Victor, p. 232. Claudien en a fait mention dans son poème
destiné à célébrer le mariage d'Honorius avec l'impératrice Marie; il y
parle v. 218 et seq. des superbes présents envoyés à cette époque par
les Perses, en parlant des objets précieux conquis ou réunis par le
père ou l'ayeul d'Honorius.

    Illic exuvias omnes cumulate parentum,
    .....................................
    ...............quodcunque Gelonus
    Armeniusve dedit.................
    .................................
    Misit Achœmenio quidquid de Tigride Medus,
    Quum supplex emeret Romanam Parthia pacem.

--S.-M.]

[Note 557: On voit par ces paroles de Pacatus, c. 22: _Etsi
adhuc non est fœderatus, jam tamen tuis cultibus tributarius est_,
que quoiqu'on fût en bonne intelligence avec les Perses, on n'avait
pas encore conclu la paix avec eux. Les négociations furent longues;
Stilicon encore fort jeune fut envoyé, comme on va le voir, pour cet
objet à la cour du roi de Perse, où il séjourna long-temps. Libanius
fait mention d'une autre ambassade qui fut envoyée à Antioche, en l'an
388 et en 389. Théodose reçut à Rome de nouveaux députés Persans. Il
en est question dans le panégyrique composé par Claudien, à l'occasion
du 6e consulat d'Honorius, v. 69 _et seq._ Il s'exprime ainsi en
s'adressant à Honorius:

    Te linguis variæ gentes, missique rogatum
    Fœdera Persarum proceres, cum patre sedentem
    Hac quondam videre domo, positoque tiaram
    Submisere genu

Ce n'est qu'après ces longues négociations, que fut enfin conclue la
paix durable, dont Orose parle en ces termes, l. 7, c. 34, _ictumque
tum fœdus est, quo universus oriens usque ad nunc tranquillissime
fruitur_. Le motif de toutes ces relations diplomatiques, qui
paraissent avoir été si compliquées, était l'Arménie, restée dans
une situation fort précaire depuis l'assassinat du roi Para; les
auteurs grecs ou latins ne fournissent aucun renseignement qui puisse
donner quelques notions sur ce royaume à l'époque dont il s'agit; il
faut nécessairement recourir aux récits des auteurs arméniens. Les
additions placées, ci-dev. p. 152-164, l. XX, § 43-48, et ci-après
p. 269-274, liv. XXII, § 20-24, expliqueront ces faits si difficiles
à discerner. On y verra que les négociations eurent pour résultat le
partage politique de l'Arménie, qui fut, peu de temps après, divisée
en deux royaumes, soumis l'un à la Perse, et l'autre à l'empire. Cet
arrangement amena bientôt un partage réel, qui consomma à peu près la
ruine de l'Arménie. Les deux royaumes furent supprimés, et envahis
l'un par les Romains, l'autre par les Perses. Ces détails trouveront
place dans la suite de cette histoire. Les savants modernes ont à
peine entrevu que ces relations eurent l'Arménie pour objet; ils ont
seulement remarqué qu'à dater de cette époque quelques cantons de la
grande Arménie, la Sophanène par exemple, devint une dépendance de
l'empire.--S.-M.]

[Note 558: Voyez ci-dev. pag. 29, not. 4, liv. XIX, § 20.--S.-M.]

[Note 559: Les Arméniens distinguèrent de même dans la Sophène
deux parties. L'une s'appelait la grande, et l'autre la petite.
Celle-ci s'appelait encore la Sophène royale, ou plutôt Sophène des
Schahouniens. Je crois que c'est la Sophanène. Voyez _mes Mémoires
histor. et géographiques sur l'Arménie_, t. 1, p. 92.--S.-M.]

[Note latérale: XVIII.

Stilichon envoyé en Perse.

Claud. de laud. Stilich. l. 1.]

Stilichon fut député vers le roi de Perse. Il était encore dans la
première jeunesse; mais il avait déjà fait connaître sa valeur et sa
dextérité dans la conduite des affaires. Il tirait son origine de la
nation des Vandales[560]. Son père avait commandé sous Valens les
troupes auxiliaires de Germanie[561]. Il avait l'esprit élevé, plein de
feu, capable de former de grands projets et d'en suivre l'exécution;
éloquent, bien fait de sa personne, d'un teint vif et animé, noble dans
son port et dans sa démarche, il s'attira l'estime des seigneurs de
la Perse et du monarque. Les rois de Perse étaient passionnés pour la
chasse: Stilichon se signala dans ce divertissement, et fit admirer son
adresse à tirer de l'arc et à lancer le javelot: c'en fut assez pour
faire écouter favorablement ses propositions. Retourné quelque temps
après à la cour de Théodose, il fit conclure le traité de paix entre
les deux souverains[562].

[Note 560: S. Jérôme l'appelle, epist. 123, t. 1, p. 908, un
demi-barbare. C'est Orose qui lui donne, l. 7, c. 38, une origine
vandale. _Comes Stilicho_, dit-il, _Vandalorum imbellis, avaræ, perfidæ
et dolosæ gentis genere editus_.--S.-M.]

[Note 561: C'est dans ces vers de Claudien, _de laud. Stilich._, l.
1, v. 35 et seq. qu'on trouve tout ce que nous savons sur le père de
Stilichon.

    .......................Quid facta revolvam
    Militiamque patris? Cujus producere famam,
    Si nihil egisset clarum, nec fida Valenti
    Dextera duxisset rutilantes crinibus alas
    Sufficeret natus Stilicho.

--S.-M.]

[Note 562: Cette ambassade n'est connue que par ce qu'en dit
Claudien, dans le poème qu'il a consacré à la gloire de Stilichon, _De
laudibus Stilichonis_, l. 1, v. 51 et seq. Je vais transcrire ici ces
vers, qui ne sont pas sans mérite et qui contiennent des détails assez
curieux sur les mœurs des Persans et sur leurs rites religieux.

    Vix primævus, pacis quum mitteris auctor
    Assyriæ: tanta fædus cum gente ferire
    Commissum juveni! Tigrin transgressus, et altum
    Euphraten, Babylona petis: stupuere severi
    Parthorum proceres, et plebs pharetrata videndi
    Flagravit studio, defixæque hospite pulchro
    Persides arcanum suspiravere calorem.
    Thuris odoratæ cumulis et messe Sabæa
    Pacem conciliant aræ: penetralibus ignem
    Sacratum rapuere adytis, rituque juvencos
    Chaldæo stravere Magi: rex ipse micantem
    Inclinat dextrâ pateram, secretaque Beli,
    Et vaga testatur volventem sidera Mithram.
    Si quando sociis tecum venatibus ibant,
    Quis Stilichone prior ferro penetrare leones,
    Cominus, aut longè virgatas figere tigres?
    Flectenti faciles Medus tibi cessit habenas.
    Torquebas refugum, Parthis mirantibus, arcum.

--S.-M.]

[Note latérale: XIX.

[Situation politique de l'Arménie.]]

--[L'Arménie, éternel objet de division[563] entre les deux empires,
était le sujet de ces négociations. Depuis qu'elle avait séparé sa
cause de celle des Romains, pour s'unir aux Perses, les premiers
cherchaient à recouvrer une influence qui leur avait été souvent
utile; mais Manuel, qui gouvernait le royaume des Arsacides, penchait
manifestement pour l'alliance des Perses. Il aimait mieux être en
bonne intelligence avec un voisin redoutable, que d'être soutenu
par un protecteur occupé trop loin et sur trop de points à la fois.
Quelques différends s'étaient bien élevés entre les Arméniens et les
Perses, et ils s'étaient comme à l'ordinaire terminés par la voie des
armes, mais la paix avait bientôt été rétablie entre les deux états.
Les événements survenus en Perse après la mort de Sapor, n'avaient pas
permis à ses successeurs de songer à l'Arménie et de pousser vivement
les hostilités. L'Arménie, gouvernée par Manuel, était réellement
indépendante. Une situation aussi avantageuse ne pouvait subsister
long-temps; tout l'espoir du royaume résidait dans le connétable; car,
que devait-on attendre d'une femme et des deux jeunes enfants que Para
avait laissés? Il était évident que le bonheur dont on était redevable
au connétable, ne pouvait guère durer plus que lui, et que le sort de
l'Arménie allait encore une fois être abandonné à la discrétion des
deux puissances qui s'en disputaient depuis si long-temps la possession.

[Note 563: _Perpetuam ærumnarum causam_, dit Ammien Marcellin, l.
30, c. 2.--S.-M.]

[Note latérale: XX.

[Les Arméniens font la guerre aux Perses.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 38.]]

--[Malgré toute l'habileté de Manuel, les intrigues de l'apostat
Méroujan, qui avait déja causé tant de maux à l'Arménie, la mirent
encore une fois aux prises avec la Perse. Le prince des Ardzrouniens
était revenu dans son pays, où il avait été réintégré dans la
tranquille possession de sa souveraineté; il était parvenu à gagner la
confiance de Manuel, qui ayant servi comme lui le roi de Perse, n'avait
pas, à ce qu'il paraît, pour la religion chrétienne, tout le zèle de
son père et de son frère. Méroujan parvint à lui inspirer des doutes
sur la sincérité du roi de Perse à son égard. Manuel refusait cependant
d'y croire; mais le traître y revint si souvent, et il lui en donna des
preuves en apparence si convaincantes, qu'il finit par lui persuader
que le général Suréna avait l'ordre de le faire périr ou de s'emparer
de sa personne, et de l'envoyer en Perse chargé de fers, pour réduire
plus facilement l'Arménie. Manuel, convaincu de ce prétendu complot,
prit ses mesures pour le faire avorter; des troupes furent mandées et
réunies; elles cernèrent les Perses, sur lesquels elles tombèrent à
l'improviste; ceux-ci, surpris sans défenses, périrent tous; Manuel
n'épargna que Suréna[564], avec lequel il avait des relations d'amitié.
Il ne le rendit pas responsable des perfides desseins qu'il supposait
à son souverain, et il le renvoya sain et sauf en Perse. Méroujan,
satisfait d'avoir réussi à armer encore une fois les deux nations,
quitta l'Arménie, pour aller animer la cour de Perse contre Manuel.

[Note 564: Voyez ci-devant p. 163 et 164, l. XX, § 48.--S.-M.]

[Note latérale: XXI.

[Les Perses sont battus par les Arméniens.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 39-41.]]

--[Une telle agression semblait devoir renouveller toutes les calamités
de l'Arménie, en attirant sur elle la vengeance des Perses; mais
heureusement les circonstances n'étaient plus les mêmes: Sapor avait
cessé d'exister, après un règne aussi long que sa vie, et son frère,
Ardeschir ou Artaxerxès[565], plus âgé que lui, n'était pas disposé à
entreprendre une guerre aussi sérieuse. Les corps chargés de la garde
des frontières firent bien quelques invasions dans l'Arménie; mais
elles n'eurent ni suite ni succès. Goumand Schahpour fut défait et tué
dans l'Atropatène. Varaz éprouva un sort pareil; il en fut de même de
Mérikan, qui avait pénétré plus avant dans le centre de l'Arménie[566].
Surpris de nuit par Manuel, tout son camp fut passé au fil de l'épée.
Les Perses ne firent plus, depuis, aucune tentative; ils abandonnèrent
à son sort le traître Méroujan qui, retiré dans sa principauté,
continua de faire la guerre pour son propre compte. On lui envoya bien
de temps en temps quelques faibles détachements; mais ils n'agirent que
comme ses auxiliaires. Leurs succès ou leurs revers étaient presque
indifférents au roi de Perse.

[Note 565: Voyez ci-devant, p. 262, not. 3, liv. XXII, § 17.--S.-M.]

[Note 566: Dans un lieu que Faustus de Byzance appelle, l. 5, c.
41, la plaine d'_Ardangan_ et dont la position m'est inconnue.--S.-M.]

[Note latérale: XXII.

[Mort de Méroujan.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 42.]]

--[Quoique presque réduit à ses seules forces, Méroujan n'en continua
pas la guerre avec moins de vigueur et d'acharnement; favorisé par
la position difficile du pays qu'il possédait, situé au milieu des
montagnes des Curdes, il portait impunément le ravage dans le centre
de l'Arménie, où il inquiétait continuellement Manuel par ses brusques
irruptions. Il se hasarda enfin à tenter une attaque plus sérieuse.
Secondé par un corps de Persans qu'il venait de recevoir, il réunit
toutes ses forces, tourne le lac de Van par l'Occident, et s'avance
jusque dans le canton de Gok, non loin des sources de l'Euphrate[567];
il y apprit que Manuel était campé assez près de là, dans la province
de Pagrévant, au milieu des ruines de Zaréhavan[568]. Ils n'étaient
qu'à une petite distance l'un de l'autre, mais des montagnes presque
impraticables les séparaient. Méroujan résolut de les franchir pour
aller surprendre Manuel, quoique ses forces fussent très-inférieures.
Sa femme Vartanouisch[569], s'opposa vainement à cette entreprise;
le prince des Ardzrouniens voulut tenter la fortune. Il prit son
chemin par des gorges inaccessibles, plutôt faites pour des chèvres
sauvages[570] que pour des hommes, et il parvint assez près du camp
de Manuel; mais des montagnards fidèles l'avaient prévenu à temps de
l'approche de l'ennemi; il était sur ses gardes, l'attendant de pied
ferme. La reine, son fils et toutes les princesses furent envoyés
au château de Varaz, qui était dans le voisinage; ils y furent en
sûreté. Artavazd, fils de Vatché, parent de Manuel, encore enfant, y
fut envoyé comme les autres par l'ordre du connétable; mais il parvint
à se soustraire à ses surveillants; on lui procura secrètement des
armes, et, malgré sa jeunesse, il se mêla aux combattants et il se
distingua dans cette journée, qui fut sanglante. On se battit avec
acharnement, et la perte des deux côtés fut considérable. Babik, prince
de Siounie[571], Vatché Mamigonien[572], et Gardchoul Malkhazouni[573]
y périrent; à la fin, les soldats de Méroujan et ses alliés prirent
la fuite; on en fit un horrible carnage; lui-même fut tué, et sa tête
coupée fut portée à la reine d'Arménie[574].

[Note 567: Voyez t. 2, pag. 225, not. 1, liv. X, § 11.--S.-M.]

[Note 568: Cette ville avait été ruinée par les commandants des
armées que Sapor II avait envoyés en Arménie en l'an 367. Voyez t. 3,
p. 299, not. 4, liv. XVII, § 13.--S.-M.]

[Note 569: On a vu, t. 3, p. 281, not. 4, liv. XVII, § 6, et p.
363, § 59, que Sapor avait donné sa sœur Hormizdokht, pour épouse à
Méroujan vers l'an 367. Il est probable qu'elle était morte alors, et
qu'après sa mort Méroujan s'était remarié avec Vartanouisch, dont on
ignore l'origine. A l'époque où Méroujan épousa la sœur de Sapor, cette
princesse devait être fort avancée en âge; car il y avait alors plus de
cinquante-sept ans que leur père était mort, et elle devait être plus
âgée que Sapor qui était posthume.--S.-M.]

[Note 570: Ce canton portait, à cause des pics nombreux dont
il était hérissé, le nom d'_Eghdcher_, c'est-à-dire _les Cornes_.
Il le devait sans doute à l'élévation brusque des montagnes qui le
couvrent.--S.-M.]

[Note 571: Voyez ci-devant p. 162, liv. XX, § 47.--S.-M.]

[Note 572: Ce personnage, fils d'Artavazd, avait été investi par
Varazdat, de la souveraineté des Mamigoniens, qu'il avait rendue
ensuite à Manuel à cause de son droit d'aînesse. Voyez ci-devant p. 155
et 157, liv. XX, § 44 et 45.--S.-M.]

[Note 573: Voyez ci-devant p. 163, note 1, liv. XX, § 48.--S.-M.]

[Note 574: Moïse de Khoren raconte d'une façon bien différente, l.
3, c. 37, la mort de Méroujan. Selon lui, il aurait péri dix ans avant,
à la bataille de Dsirav, dans laquelle les Persans furent vaincus par
Mouschegh, secondé par les Romains. Voyez tom. 3, p. 380, l. XVII,
§ 66. Selon lui, Méroujan aurait été pris en s'enfuyant après la
bataille, par le prince Pagratide Sempad, fils de Pagarad, et celui-ci,
pour insulter par une sanglante dérision à l'ambition de Méroujan, qui
voulait devenir roi d'Arménie, aurait fait rougir au feu un morceau
de fer, dont il aurait formé une couronne, qu'il lui aurait appliquée
sur la tête, remplissant ainsi la charge de _Thakatir_, c'est-à-dire
_coronateur_, qui appartenait à sa famille. Il est possible que quelque
chose de pareil soit arrivé à l'époque de la mort de Méroujan; mais il
n'est pas présumable qu'il ait péri à la bataille de Dsirav.--S.-M.]

[Note latérale: XXIII.

[Arsace fils de Para est déclaré roi d'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5. c. 42 et 44.]]

--[La défaite et la mort de celui qui était depuis si long-temps
l'artisan de tous les maux de l'Arménie, rendit enfin le repos à ce
pays, et Manuel le gouverna dans une paix profonde pendant plusieurs
années. Accablé de travaux et de fatigues, affaibli par les infirmités
qu'il devait aux blessures dont il était couvert, il prévit que sa fin
serait prochaine, et il s'occupa des précautions qu'il était nécessaire
de prendre pour la sûreté du royaume. Les seigneurs se réunirent par
ses ordres dans le canton de Carin[575]. La reine et ses deux fils s'y
trouvèrent, Manuel les déclara rois et les fit reconnaître, en cette
qualité, par les princes et par la nation assemblés. Le premier rang
fut assigné à Arsace, et Valarsace fut déclaré son second[576]. Manuel
donna sa fille Vartandokht pour épouse à Arsace[577], et Valarsace
fut marié avec la fille de Sahag, prince des Pagratides[578], dont
la famille, souvent et depuis long-temps alliée avec les rois, était
depuis plusieurs siècles en possession de couronner les souverains de
l'Arménie à leur avènement au trône[579].

[Note 575: Voyez ci-devant, p. 158, n. 1, liv. XX, § 46.--S.-M.]

[Note 576: Voyez ci-devant, t. 3, p. 79, n. 2, liv. XIV, §
15.--S.-M.]

[Note 577: Faustus de Byzance mentionne plusieurs fois la femme
d'Arsace, en rapportant qu'elle était fille de Manuel. Selon Moïse de
Khoren, l. 3, c. 41, elle était fille de Babik, prince de Siounie. Ce
qu'on doit conclure de ces deux autorités, c'est qu'Arsace eut deux
femmes, et qu'après la mort de la fille de Manuel, il épousa celle du
prince de Siounie.--S.-M.]

[Note 578: Voyez tom. 3, p. 380, not. 2, liv. XVII, § 66.--S.-M.]

[Note 579: C'est la charge de _Thakatir_ ou _Coronateur_, dont j'ai
déja parlé ci-dessus, p. 272, note 2, et tom. 3, p. 79, n. 2, l. XIV,
§ 15. Indépendamment de cette dignité, Sahag, et en général tous les
chefs de la race des Pagratides, portaient encore par droit d'hérédité
le titre d'_Asbied_, c'est-à-dire _Chevalier_, qui leur avait été
conféré par Valarsace, premier roi des Arsacides en Arménie, un siècle
et demi avant notre ère.--S.-M.]

[Note latérale: XXIV.

[Mort de Manuel régent d'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 44.]]

--[La joie causée par cet arrangement fut bientôt troublée par un
fâcheux événement; ce fut la mort de Manuel. Il y avait sept ans qu'il
gouvernait l'Arménie, lorsqu'il tomba dangereusement malade. Il fit
alors venir auprès de lui son fils Ardaschir[580], et lui remit la
charge de connétable, en lui recommandant de se dévouer pour les rois
Arsacides, à l'exemple de ses ancêtres. Ce n'en était pas assez pour
assurer l'avenir de l'Arménie; la grande jeunesse et l'inexpérience des
deux rois inquiétaient Manuel: il voyait assez qu'ils ne pourraient
conserver l'indépendance de leur couronne, et que l'Arménie était
encore une fois menacée de redevenir le sanglant théâtre des démêlés
de l'Occident et de l'Orient. Le roi de Perse, Ardeschir, venait de
mourir[581], et son neveu, Sapor III, fils de l'ancien Sapor, qui
l'avait remplacé, ne cachait pas l'intention où il était de renouveller
les prétentions de ses aïeux sur l'Arménie. Manuel prévoyait bien que
cette lutte trop inégale ne serait pas à l'avantage des Arméniens, il
écrivit donc à l'empereur Théodose pour lui recommander les deux rois,
et pour les mettre sous sa protection. Après toutes ces dispositions,
ce guerrier dont le corps couvert de cinquante blessures[582], était
sillonné de cicatrices, rendit l'ame en déplorant son malheur, de
ce qu'exercé dès son enfance au milieu des combats, il n'avait pas
perdu sur le champ de bataille une vie compromise dans tant de
guerres.]--S.-M.

[Note 580: Voyez ci-devant p. 156 et 158, l. XX, § 45 et 46.--S.-M.]

[Note 581: Ce prince cessa de vivre en l'an 384. Voyez ci-devant p.
263, n. 1, liv. XXII, § 17.--S.-M.]

[Note 582: Ces détails se trouvent dans l'histoire de Faustus de
Byzance, l. 5, c. 44.--S.-M.]

[Note latérale: XXV.

Divers événements de cette année.

Idat. fast. et Chron.

Marc. chr.

Claud. de laud. Serenæ, v. 208.

Chron. Alex. p. 304.

Symm. l. 10, ep. 20, 21, 22, 57; et l. 4, ep. 8; et l. 3, ep. 55 et 82.

[Theoph. p. 57.]

Cod. Th. l. 6, tit. 4, leg. 25; l. 15, tit. 9, leg. 1.

Cod. Just. l. 1, tit. 16, leg. unic.

Hier. ep. 123, t. 1, p. 901.]

Peu de temps après l'arrivée des ambassadeurs de Perse, le 9 septembre,
il naquit un second fils à Théodose. L'empereur le nomma Honorius[583],
en mémoire de son frère, qu'il avait tendrement aimé. Il lui donna,
dès sa naissance, le titre de Nobilissime, et le désigna consul
pour l'année 386. Il n'y avait eu jusqu'alors que quatre préteurs à
Constantinople: Théodose en doubla le nombre[584]; mais il ordonna
en même temps que deux préteurs ensemble ne feraient, pour les jeux
publics, que la même dépense, à laquelle un seul individu avait été
auparavant obligé. Les magistrats se ruinaient souvent, soit par les
largesses qu'il était d'usage de faire, et qu'ils portaient à l'excès;
soit par la magnificence dont ils se piquaient dans les spectacles
qu'il donnaient au peuple; l'empereur mit un frein à une vanité si
nuisible aux familles, en réglant ces dépenses[585]. Valentinien venait
d'en faire autant pour l'Occident; et les deux princes avaient, par ces
lois, répondu aux désirs des deux sénats de Rome et de Constantinople,
qui gémissant de ces abus auxquels leurs membres étaient forcés de
s'assujettir, en avaient proposé la réforme; mais comme les plus sages
réglements deviennent trop souvent inutiles par les dispenses que la
faveur obtient pour y contrevenir, Théodose déclara par une loi[586],
que quiconque demanderait au prince un rescrit pour avoir la liberté
de violer un décret du sénat, serait noté d'infamie et puni par la
confiscation du tiers de son patrimoine. Il étendit sa générosité
jusque sur l'empire d'Occident. Il honorait Symmaque et le comblait de
présents. Il fit conduire à Rome des chevaux et des éléphants pour les
jeux du cirque. Le blé d'Afrique, n'ayant pu arriver à cause des vents
contraires, Rome était menacée de la famine, lorsqu'elle reçut avec
une joie incroyable un grand convoi de blé que Théodose y envoyait de
Macédoine. Le sénat lui marqua sa reconnaissance de tant de bienfaits,
par une statue équestre qu'il fit dresser en l'honneur de Théodose le
père. Rome, qui depuis long-temps avait perdu l'habitude de voir des
triomphes, en vit un vers ce temps-là d'une espèce toute nouvelle, et
aussi frivole que Rome elle-même l'était devenue en comparaison de ce
qu'elle avait été autrefois. Un homme du peuple ayant déjà enterré
vingt femmes, en épousa une qui avait rendu le même office à vingt-deux
maris. On attendait avec impatience la fin de ce nouveau mariage, comme
on attend l'issue d'un combat entre deux athlètes célèbres; enfin, la
femme mourut, et le mari, la couronne sur la tête et une palme à la
main, ainsi qu'un vainqueur, conduisit la pompe funèbre, au milieu des
acclamations d'une populace innombrable. Saint Jérôme rapporte ce fait,
dont il fut témoin oculaire.

[Note 583:

    .................... Nec carior olim
    Mutua Ledœos devinxit cura Laconas.
    Addidit et proprio germana vocabula nato;
    Quaque datur, fratris speciem sibi reddit adempti.

CLAUD. de laud. Serenæ, v. 207 et seq.--S.-M.]

[Note 584: Par sa loi du 23 octobre 384. Les dépenses pour
l'installation des deux premiers de ces préteurs furent fixées à mille
livres d'argent.--S.-M.]

[Note 585: Par une loi du 25 juillet 384.--S.-M.]

[Note 586: Elle fut rendue le lendemain, 26 juillet.--S.-M.]

[Note latérale: XXVI.

Loi qui défend les mariages entre cousins germains.

Vict. epit. p. 233.

Ambr. ep. 60, t. 2, p. 1017.

Liban. or. de angariis, p. 36.

Symm. append. ep. 14.

Aug. de civ. l. 15, c. 16, t. 7, p. 397.

Cod. Th. l. 3, tit. 12, leg. 3, tit. 10, leg. 1 et ibi God. l. 7, tit.
1, leg. 12.

Cod. Just. l. 5, tit. 4, leg. 19; tit. 5, leg. 6.

Till. Theod. art. 20.]

Constance avait déclaré incestueux les mariages des oncles avec leurs
nièces; Théodose les défendit entre cousins germains, sous peine du feu
et de la confiscation des biens. Ces alliances avaient été permises
jusqu'alors; mais la pudeur naturelle, qui les rendait fort rares, lui
parut une raison suffisante pour les interdire tout-à-fait[587]. Il
laissa cependant la liberté de les contracter sous une dispense obtenue
du prince. Arcadius modéra dans la suite la rigueur excessive de cette
loi, en retranchant la peine du feu; mais il déclara ces mariages
illégitimes, les enfants qui en naîtraient inhabiles à succéder et
à recevoir aucune donation de leurs pères, les femmes privées de
leur dot, qui serait dévolue au fisc. Quelques années après, Arcadius
abolit entièrement la loi de son père[588], que son frère Honorius
continua de faire observer dans ses états. Justinien rétablit dans
son Code l'ancien droit romain sur cet article, et permit dans tout
l'empire les mariages des cousins germains; mais la discipline de
l'Église a conservé la loi de Théodose; elle a toujours proscrit ces
alliances comme illicites, à moins qu'il n'y eût dispense accordée pour
les contracter. Le mélange des barbares faisait croître la licence
parmi les troupes. Les officiers et les soldats s'écartaient de leurs
quartiers pour piller leurs campagnes, et traitaient en ennemis les
sujets de l'empire. Théodose enjoignit aux gouverneurs des provinces et
aux défenseurs des villes, dont nous avons déja parlé, de l'instruire
sur-le-champ du nom de ceux qui se rendraient coupables de ces
désordres.

[Note 587: _Tantum pudori tribuens et continentiæ, ut consobrinarum
nuptias vetuerit, tamquam sororum._ Aur. Vict. epit. p. 233.--S.-M.]

[Note 588: Par une loi du 26 novembre 396.--S.-M.]

[Note latérale: XXVII.

Sarmates vaincus.

Symm. l. 10, ep. 26 et 68.]

L'Orient était en paix[589]. Elle ne fut troublée en Occident que
par une incursion des Sarmates; mais ils furent repoussés par les
généraux de Valentinien[590]. Ce prince, qui passa cette année tantôt
à Milan, tantôt à Aquilée[591], fit conduire à Rome un grand nombre
de prisonniers. On les fit combattre dans l'arène les uns contre les
autres avec les armes de leur nation pour le divertissement du peuple.

[Note 589: Théodose passa presque toute l'année 384 à
Constantinople, ou bien il ne s'en éloigna pas beaucoup. On le trouve
à Héraclée en Thrace au mois de juin et dans celui de juillet; le 31
août, il était à Berrhée dans le même pays. Le 22 septembre à _Rege_,
endroit situé à trois ou quatre lieues de Constantinople. Toutes les
autres lois de cette année le montrent dans cette ville.--S.-M.]

[Note 590: Cette guerre se fit, il paraît, dans la Pannonie. On
apprend de Symmaque, l. 10, epist. 68, que le général qui la fit, reçut
de grands éloges de Valentinien, sans doute à cause des succès qu'il y
obtint.--S.-M.]

[Note 591: Il était à Milan, aux mois de mars et d'avril; à
Aquilée, en septembre; on le retrouve à Milan pendant la fin d'octobre
et le reste de l'année.--S.-M.]

[Note latérale: XXVIII.

[Théodose prend l'Arménie sous sa protection.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 44 et l. 6, c. 1.

Mos. Chor. l. 3, c. 41.]]

--[Théodose recouvrit dans la même année le pouvoir que ses
prédécesseurs avaient eu en Arménie. Il s'était empressé d'accueillir
la prière que Manuel lui avait adressée en mourant[592], et il avait
accordé sa protection aux deux fils du roi Para, dans le temps même où
les ambassadeurs persans qui étaient à Constantinople, le pressaient
de conclure une paix durable entre les deux empires. Les Perses
cherchaient alors à profiter de la mort de Manuel, et ils faisaient
quelques entreprises sur les frontières de l'Arménie, pour tâcher
de reconquérir ce royaume ou au moins pour le faire rentrer dans
leur alliance. La démarche de Théodose ne fut pas propre à amener
la conclusion des négociations. L'empereur crut qu'en laissant les
deux frères sur le trône, il aurait une garantie plus forte de leur
fidélité; il pensait qu'ils ne pourraient songer tous deux à la fois
à se soustraire de son obéissance. Il garda cependant près de lui
comme ôtage la reine leur mère, et il envoya en Arménie une armée
commandée par des officiers d'une fidélité éprouvée; leur présence
était nécessaire, car les seigneurs arméniens soutenaient contre les
Perses une guerre sérieuse, qui cessa ou qui se ralentit lorsqu'on
apprit l'arrivée des troupes impériales. Le trône d'Arménie ne fut pas
long-temps partagé; Valarsace mourut au bout d'un an, laissant à son
frère la totalité d'un empire, dont la moitié était déja pour lui
un fardeau trop pesant. Arsace perdit aussi son épouse Vartandokht,
fille de son tuteur; et il ne tarda pas d'épouser la fille de Babik,
prince de Siounie[593], qui était mort dans la bataille où l'apostat
Méroujan avait perdu la vie. Cet état de choses se maintint pendant
quelques années, mais la jeunesse, la faiblesse et l'inexpérience
d'Arsace amenèrent bientôt, comme on le verra en son lieu, la ruine de
l'Arménie.--S.-M.]

[Note 592: Voyez ci-dev., § 24, p. 274. La régence de Manuel, qui
fut de sept années selon le témoignage formel de Faustus de Byzance,
auteur contemporain, a été entièrement passée sous silence par Moïse
de Khoren, dans son Histoire d'Arménie. Cette omission jette une
grande obscurité dans la narration de cet écrivain, et trouble toute
sa chronologie, qui ne peut plus s'accorder avec les annales de
l'empire.--S.-M.]

[Note 593: Voyez ci-dev. p. 162, liv. XX, § 47. et p. 272, l. XXII,
§ 22.--S.-M.]

[Note latérale: XXIX.

Mort de Prétextatus.

Symm. l. 1. ep. 40, 47; l. 2, ep. 36; l. 10, ep. 23, 24, 25, 34 et 37.

Macrob. sat. l. 1, c. 1, 2, 6, 7, 17.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Hieron. ep. 23, t. 1, p. 124.

Grut. inscr. p. 309; nº 2, 3 et 4, p. 310, nº 1; p. 486, nº 3, et p.
1102, nº 2.

Till. Theod. art. 22, not. 19 et 20.]

Probus, alors préfet d'Illyrie, conservait sous Valentinien la
considération que sa naissance et ses richesses lui avaient depuis
long-temps procurée. Principal ministre du jeune prince, il était
chargé du gouvernement civil. Prétextatus, dont nous avons déja parlé,
partageait le crédit de Probus: c'était le héros du paganisme, auquel
il faisait honneur par l'élévation de son ame et par l'intégrité de ses
mœurs. Les chrétiens ne lui ont reproché que son zèle pour l'idolâtrie;
les païens relèvent par les plus grands éloges sa modération dans la
haute fortune, sa compassion envers les malheureux, sa sévérité pour
lui-même, sa douceur pour les autres, sa vaste érudition. Il consacrait
à l'étude de l'antiquité tout le loisir que lui laissaient ses emplois.
C'est dans sa maison que Macrobe place la scène de ces conversations
savantes qu'il a intitulées _Saturnales_. On admirait en lui ce juste
tempérament de qualités opposées, qui le rendait complaisant sans
bassesse, ferme sans hauteur. Riche, mais désintéressé, il n'accepta
jamais les legs qu'on lui faisait par testament, préférant à ces
avantages la satisfaction généreuse de les laisser aux parents du
défunt. Ses voisins le prenaient pour arbitre des prétentions qu'ils
avaient sur ses terres. Cet homme si juste et si éclairé d'ailleurs,
était aveugle et injuste sur le point le plus important de l'humanité.
Ennemi de la religion chrétienne, il s'efforçait d'en retarder les
progrès, et de conserver les restes de l'idolâtrie expirante. Il
fuyait les honneurs, mais les honneurs le recherchaient: il avait été
sept fois député par le sénat aux empereurs dans des conjonctures
difficiles, il avait passé par toutes les charges, il était revêtu
de tous les sacerdoces[594]. Préfet d'Italie, et désigné consul pour
l'année suivante, il vint à Rome, et étant monté au Capitole au milieu
des applaudissements de tous les citoyens, il exhorta, par deux
discours éloquents, le sénat et le peuple à l'obéissance et à l'amour
du gouvernement. Peu de jours après, la mort lui enleva toutes ses
dignités[595]. Dès que la nouvelle s'en répandit dans Rome, le peuple
qui était alors au théâtre, abandonna avec de grands gémissements
les spectacles, pour lesquels il était passionné. La douleur fut si
éclatante et si universelle que l'empereur aurait pu en être jaloux.
On lui avait dressé des statues pendant sa vie, et le peuple dans
un de ces caprices, qui lui sont si ordinaires, les ayant un jour
abattues avec des clameurs séditieuses, les avait presque aussitôt vu
relever par ordre du prince avec d'aussi vives acclamations. Après sa
mort, le sénat obtint de l'empereur la permission de lui en élever
une nouvelle, dont l'inscription subsiste encore[596]. Les vestales
lui en décernèrent une autre en leur propre nom, ce qui était sans
exemple. Jamais ces vierges respectées n'avaient rendu le même honneur
aux hommes les plus religieux. La chose fut cependant exécutée[597],
malgré l'opposition de Symmaque, ami de Prétextatus, mais encore plus
attaché aux bienséances et aux usages de sa religion[598]. La femme
de Prétextatus, Fabia Aconia Paulina, fille de Catulinus, consul en
349, décorée elle-même des titres les plus fastueux de la superstition
païenne, honora la mémoire de son mari avec toute la pompe et la
vanité de l'idolâtrie[599]. Elle fit son apothéose, et prétendit que
son ame s'était établie dans la voie lactée, comme dans un palais semé
d'étoiles[600].

[Note 594: Une inscription antique qui se trouve à Rome fait
connaître toutes les dignités et les fonctions qui avaient été exercées
par Prétextatus ou réunies sur sa tête; cette inscription avait, à
ce qu'il paraît, décoré jadis la base d'une de ses statues. _Vettio
Agorio Prætextato v. c. et inl. correctori Tusciæ et Umbriæ consulari
Lusitaniæ proconsuli Achaiæ præf urb. præf. prætorii illyrici Italiæ
et Africæ cons. designato legato amplissimi ordinis septies et ad
impetrandum reb. arduis semper opposito parenti public. privatimque
reverendo ut etiam statuæ ipsius domus honoraret insignia constitui
locarique curavit._ Gruter, p. 486, nº 3.--S.-M.]

[Note 595: _O quanta rerum mutatio! Ille, quem ante paucos dies
dignitatum omnium culmina præcedebant, qui, quasi de subjectis hostibus
triumpharet, Capitolinas ascendit arces, quem plausu quodam et tripudio
populus Romanus excepit, ad cujus interitum urbs universa commota est,
nunc desolatus et nudus._ Hieron. epist. 23, tom. 1, p. 125.--S.-M.]

[Note 596: Cette inscription, qui se trouve dans Gruter, pag. 1102,
nº 2, fut faite le premier février sous le consulat de Valentinien III
et d'Eutrope, ou en l'an 387, elle contient l'indication de toutes
les charges religieuses et civiles de Prétextatus, disposées sur deux
colonnes. Elle est conçue ainsi: _Vettio Agorio Prætextato v. c.
pontifici Vestæ, pontifici Soli, quindecim viro, auguri tauroboliato,
curiali, neocoro, hierofantæ, patri sacrorum._

_Quæstori candidato, prætori urbano, correctori Tusciæ et Umbriæ,
consulari Lusitaniæ, proconsuli Achaiæ, præfecto urbi, præf. præt._
II., _Italiæ et Illyrici, consuli designato_.

_Dedicata kal. feb. D. n. Fl. Valentiniano Aug. III et Eutropio
conss._--S.-M.]

[Note 597: On en a pour preuve une inscription trouvée à Rome, et
faite par _Fabia Paulina_, femme de Prétextatus, en l'honneur de la
vestale _Cælia Concordia Maxima_, qui avait contribué à faire décerner
cet honneur à la mémoire de Prétextatus. Cette inscription curieuse est
ainsi conçue: _Cæliæ Concordiæ virgini vestali Maximæ Fabia Paulina c.
f. statuam faciendam conlocandamque curavit cum propter egregiam ejus
pudicitiam insignemque circa cultum divinum sanctitatem, tum quod hæc
prior ejus viro Vettio Agorio Prætextato v. c. omnia singulari dignoque
ejus ab hujusmodi virginibus et sacerdotibus coli statuam collocarat._
Gruter, p. 310, nº 1.--S.-M.]

[Note 598: _Prætextato nostro monumentum statuæ dicare destinant
virgines sacri vestalis antistites. Consulti pontifices, priusquam
reverentiam sublimis sacerdotii, aut longæ ætatis usum, vel conditionem
temporis præsentis expenderent; absque paucis, qui me secuti sunt,
ut ejus officium statuerent, adnuerunt. Ego, qui adverterem, neque
honestati virginum talia in viros obsequia convenire, neque more fieri,
quod Numa auctor, Metellus conservator religionum, omnesque pontifices
Maximi numquam ante meruerunt._ Symmach. lib. 2, ep. 36.--S.-M.]

[Note 599: Une inscription de Bénévent, presque entièrement
conforme à une autre, qui existe à Rome dans l'église des
Saints-Apôtres, fait connaître tous les titres de Prétextatus (Gruter.
pag. 309, nos 2 et 3). Elles étaient destinées l'une et l'autre à
orner la base des statues érigées en l'honneur de cette femme. Voici
la dernière de ces inscriptions qui contient l'énumération la plus
complète. _Fabiæ Aconiæ Paulinæ. c. f. filiæ Aconii Catulini v. c.
ex præf. et consulis ordin. uxori Vetti. Prætextati v. c. præf. et
consulis designati sacratæ apud Eleusinam deo Baccho, Cereri et Coræ
sacratæ apud Laernam, deo Libero et Cereri et Coræ sacratæ apud Æginam
deabus taurobolitæ, isiacæ hierophantriæ deæ Hecatæ græco sacratæ deæ
Cereris._--S.-M.]

[Note 600: _Non in lacteo cœli palatio, ut uxor mentitur infelix,
sed in sordentibus tenebris continetur (Prætextatus)._ Hieron. epist.
23, tom. 1. pag. 125 et 126.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Symmaque préfet de Rome.

Symm. l. 4, ep. 8; l. 10, ep. 15, 16, 17, 21, 23, 27, et 47.

Olympiod. apud Phot. cod. 80.

Sidon. l. 2, ep. 10.

Cod. Just. l. 9, tit. 29, leg. 3.]

Prétextatus laissait au paganisme, dans la personne de Q. Aurélius
Symmachus, un défenseur encore plus ardent et aussi considérable par
sa noblesse, par ses emplois et par ses éminentes qualités. Celui-ci
était préfet de Rome depuis la fin de l'année précédente. Il posséda
pendant trois ans cette dignité qu'il n'avait pas recherchée, et
dont il demanda plusieurs fois d'être déchargé; il la devait à la
recommandation de Théodose, dont il était estimé. Il passait pour
l'homme le plus éloquent de son siècle. Sa femme, Rusticiana, fille
d'Orfitus préfet de Rome sous Constance, secondait son amour pour
l'étude, et l'on dit qu'elle lui tenait souvent le flambeau pendant
qu'il lisait ou qu'il composait. Le père de Symmaque lui avait laissé
une éclatante réputation à soutenir, mais une médiocre fortune.
Quoiqu'il affectât de retracer l'ancienne simplicité romaine, on
aperçoit dans sa conduite un combat de modestie et de vanité, où l'une
et l'autre ont tour-à-tour l'avantage. Il refusa de se servir d'un
char superbe que Gratien avait destiné à l'usage des préfets de Rome,
et il débita sur ce sujet à Valentinien les plus sages maximes: _Que
le faste ne relève pas les magistratures; que les mœurs du magistrat
en font le plus bel ornement; que Rome toujours libre, quoique soumise
à ses princes, n'a jamais su et ne sait pas encore respecter une
pompe frivole, qui n'est à ses yeux de nulle ressource pour suppléer
à la vertu._ Mais dans la suite, ce Romain si modeste, voulant par sa
magnificence faire briller son fils alors préteur, trouva fort mauvais
qu'on prétendît lui faire observer la loi qu'il avait sollicitée
lui-même pour borner la dépense des magistrats: il se donna beaucoup de
mouvements pour en obtenir la dispense, et n'eut point de repos qu'il
n'eût dépensé en cette occasion deux mille livres pesant d'or. Il donna
plusieurs fois de bons conseils à Valentinien. Ce prince voulut imposer
une taxe à certaines compagnies chargées des fournitures de la ville de
Rome; Symmaque lui représenta, qu'_un prince compromettait son autorité
en commandant l'impossible; que d'une imposition trop onéreuse, il ne
recueillait que des mécontentements et des murmures; qu'en épuisant
ses sujets, il gagnait moins qu'il ne perdait, puisqu'il les mettait
hors d'état de rendre les services attachés à leur condition; que la
richesse du prince et celle des peuples étaient inséparables, et que
toutes les deux prenaient leur source dans l'humanité du souverain_.
En entrant en charge, il trouva en place d'assez mauvais officiers
subalternes, qui avaient été nommés par l'empereur: il prit la liberté
de lui mander, _que la nature produisait toujours assez d'honnêtes
gens pour remplir les postes de l'état; que pour les démêler dans la
foule, il fallait d'abord écarter ceux qui demandaient; que ceux qui
méritaient se trouveraient dans le reste_. On peut aisément conjecturer
que cette leçon ne plut pas au jeune prince: du moins je soupçonne
qu'un rescrit adressé à Symmaque et qui se trouve entre les lois de
Valentinien, servit de réponse à cette remontrance. En voici les
termes: _Il n'est pas permis de raisonner sur la décision du souverain;
c'est offenser la majesté impériale que de douter du mérite d'un homme
qu'elle a honoré de son choix._ La date de ce rescrit tombe sur la fin
de cette année, temps auquel le prince nommait les nouveaux officiers;
et le ton que prend ici Valentinien, s'accorde assez bien avec la
fierté présomptueuse d'un jeune empereur.

[Note latérale: XXXI.

Requête de Symmaque à l'empereur en faveur du paganisme.

Symm. l. 10, ep. 54.

Ambr. t. 2, ep. 11, p. 810, ep. 12, p. 812, ep. 17, p. 824, ep. 18, p.
833, et ep. 57, p. 1010, et or. de obit. Valent. t. 2, p. 1179.

Paulin. vit. Ambr. § 26.

Ennodius, carm. 142.

Till. vie de S. Ambr. art. 37.]

Mais l'intérêt de la religion païenne était l'affaire la plus
importante de Symmaque. Ce fut pour la soutenir sur le penchant de
sa ruine, qu'il réunit tout ce qu'il avait d'activité, d'adresse
et d'éloquence. Il s'était déja inutilement adressé à Gratien, qui
n'avait pas même daigné répondre à sa requête. Il comptait trouver
moins de fermeté dans un prince de treize ans qui, malgré le traité de
paix, devait craindre Maxime et ses intrigues. Dans cette espérance,
il assembla le sénat; les sénateurs chrétiens furent exclus de la
délibération. On fit un décret en forme de plainte, sur lequel Symmaque
dressa son rapport[601]; il l'envoya à l'empereur en qualité de préfet
de Rome, obligé par le devoir de sa charge de rendre compte au prince
de ce qui se passait dans la ville.

[Note 601: Cette pièce longue et curieuse, intitulée: _Relatio
Symmachi urbis præfecti_, se trouve dans les œuvres de S. Ambroise,
avec les lettres qu'il adressa à l'empereur Valentinien sur le même
sujet.--S.-M.]

[Note latérale: XXXII.

Extrait de la requête.]

Jamais la cause de l'idolâtrie ne fut plaidée avec plus de chaleur et
d'éloquence. La requête contenait deux chefs; on demandait que l'autel
de la Victoire fût rétabli dans le sénat, et qu'on rendît aux prêtres
et aux vestales les fonds, les revenus, les priviléges dont Gratien
les avait dépouillés. L'orateur faisait valoir l'ancienneté du culte
qu'on prétendait proscrire; il tirait avantage de la tolérance de
Constantin, de Jovien, de Valentinien le père, qui n'avaient troublé
dans les temples ni les dieux ni leurs sacrificateurs; il étalait avec
pompe les obligations que les Romains avaient à la Victoire, tant
d'ennemis abattus, tant de royaumes conquis, tant de triomphes; il
opposait, à l'exemple de Constant et de Constance, celui de Valentinien
le père qui, du séjour des dieux où sa vertu l'avait élevé, considérait
avec attendrissement les larmes des vestales, et s'offensait de
voir détruire ce qu'il avait voulu conserver; il faisait parler
Rome à Valentinien et à Théodose tout ensemble: «Princes généreux,
disait-elle, pères de la patrie, respectez mes années. C'est au culte
des dieux que je dois la durée de mon empire; je serais ingrate de les
oublier. Permettez-moi de suivre mes maximes, c'est le privilége de
ma liberté. Cette religion que vous m'arrachez m'a soumis l'univers,
elle a repoussé Annibal de devant mes murailles, elle a précipité les
Gaulois du haut de mon capitole. N'ai-je donc si long-temps vécu que
pour tomber dans le mépris? Laissez-moi du moins le temps d'examiner
ce nouveau culte qu'on veut introduire; quoiqu'après tout, vouloir
me corriger dans ma vieillesse, c'est s'y prendre bien tard; c'est me
faire un affront sensible.» Il ajoutait que tous les cultes, toutes
les religions tendent au même but, quoique par des voies différentes;
qu'il fallait laisser aux hommes la liberté de choisir le chemin pour
arriver à ce sanctuaire auguste, où la divinité s'enveloppe de sa
propre lumière, et se dérobe à leurs yeux; il relevait le ministère
des pontifes et des vestales, et montrait combien il était injuste
de les priver de leur subsistance, de leur ravir les droits qui leur
revenaient de la libéralité des testateurs; il insistait beaucoup sur
la famine dont Rome avait été désolée aussitôt après l'édit de Gratien:
c'était, à l'entendre, un effet manifeste de la vengeance des dieux,
qui, voyant que les hommes refusaient la subsistance à leurs prêtres,
la refusaient eux-mêmes aux hommes: c'était le sacrilége de Gratien
qui avait séché les fruits de la terre jusque dans leurs racines; il
excusait cependant ce prince, séduit par de mauvais conseils; et il
finissait en exhortant Valentinien à réparer le mal que son frère
n'avait fait que par la malice des impies, qui avaient fermé l'accès du
trône aux députés du sénat, dépositaires de la vérité.

[Note latérale: XXXIII.

Elle est approuvée par le conseil.]

Ces conseillers pervers, ces impies dont parlait Symmaque, étaient les
hommes les plus saints et les plus respectables de l'empire; le pape
Damase et saint Ambroise. La délibération du sénat avait été tenue
fort secrète: la requête arriva à Milan, et fut présentée à l'empereur
dans son conseil, avant que personne fût informé de l'entreprise. Ceux
qui composaient le conseil, surpris de ce coup imprévu, et craignant
que la partie ne fût déja liée avec Maxime pour appuyer la cabale,
opinèrent tous, chrétiens ainsi que païens, à consentir à la demande.
L'empereur seul ne jugea pas à propos de conclure, et remit la décision
au lendemain.

[Note latérale: XXXIV.

Combattue par S. Ambroise.]

Saint Ambroise fut averti sur-le-champ du danger dont le christianisme
était menacé. Il dresse aussitôt une requête contraire pour fortifier
la religion du prince: il lui représente ce qu'il doit à Dieu; qu'il
ne peut, sans une sorte d'apostasie, rendre aux païens ce que Gratien
leur a ôté; qu'ils ont mauvaise grace de se plaindre de la soustraction
de leurs priviléges, eux qui n'ont pas épargné le sang des chrétiens;
que l'empereur ne les force pas à rendre hommage au vrai Dieu: qu'ils
doivent au moins lui laisser la même liberté, et ne le pas contraindre
à honorer leurs folles divinités; que c'était sacrifier aux idoles,
que d'opiner en leur faveur; que les chrétiens faisant la plus grande
partie du sénat, c'était une sorte de persécution, que de les forcer
de s'assembler dans un lieu où il leur faudrait respirer la fumée
des sacrifices impies; qu'un petit nombre de païens abusaient du nom
du sénat; que si cette entreprise incroyable n'eût pas été tramée en
secret, tous les évêques de l'empire seraient accourus pour s'opposer
au succès. Il priait Valentinien de consulter Théodose, dont il avait
coutume de prendre les avis sur les affaires importantes: et quelle
plus importante affaire que celle de la religion et de la foi! Il
demandait communication de la requête pour y répondre en détail. «Si
vous prenez le parti des infidèles, continuait-il, les évêques ne
pourront fermer les yeux sur une prévarication si criminelle: vous
pourrez venir à l'église, mais vous n'y trouverez point d'évêque,
ou l'évêque n'y sera que pour vous en interdire l'entrée. Que lui
répondrez-vous, quand il vous dira: L'Église refuse vos dons; nos
autels ne peuvent les souffrir; Jésus-Christ les rejette avec horreur;
vous les avez prostitués aux idoles; pourquoi cherchez-vous les prêtres
du Dieu véritable, après avoir reçu entre vos bras les pontifes des
démons? Que répondrez-vous encore à votre frère, qui vous dira au
fond de votre cœur: Je ne me suis pas cru vaincu, parce que je vous
laissais empereur; j'ai vu la mort sans regret, parce que je me
flattais que vous maintiendriez ce que j'avais établi pour l'honneur du
christianisme. Hélas! que pouvait faire de plus contre moi celui qui
m'a ôté la vie? Vous avez détruit les trophées que j'avais élevés à
notre religion sainte; vous avez cassé mes ordonnances, ce que n'a osé
faire mon rebelle meurtrier. C'est maintenant que je reçois dans mes
entrailles la blessure la plus cruelle. La meilleure partie de moi-même
est dans le cœur de mon frère; et c'est-là qu'on me poursuit encore;
c'est-là qu'on me porte encore des coups mortels.» Il lui représente
ensuite son père qui s'excuse d'avoir souffert l'idolâtrie dans le
sénat de Rome, sur ce qu'il ignorait ce désordre. En effet, Valentinien
n'était jamais entré dans Rome, depuis qu'il était parvenu à l'empire.
Saint Ambroise conclut enfin que l'empereur ne peut souscrire à la
requête de Symmaque, sans offenser à la fois tout ce qu'il doit
respecter, son frère, son père et Dieu même.

[Note latérale: XXXV.

Rejetée par Valentinien.]

Le jeune Valentinien avait le cœur droit, et ne manquait pas de prendre
le bon parti, lorsqu'il n'en était pas détourné par les artifices
de Justine. La lettre de saint Ambroise trouva dans son ame des
dispositions favorables; elle acheva de le déterminer. Il la fit lire
dans le conseil; il reprocha aux chrétiens leur perfide faiblesse, et
s'adressant ensuite aux païens: _Comment osez-vous penser, leur dit-il,
que je sois assez impie pour vous rendre ce que vous a enlevé la piété
de mon frère? Que Rome demande de moi telle autre faveur qu'elle
voudra: je la chéris comme ma mère; mais je dois plutôt obéir à Dieu._
Il prononça ces paroles d'un ton aussi ferme que les aurait prononcées
Théodose. Personne n'osa répliquer; et les comtes Bauton et Rumoridus,
généraux des armées d'Occident, quoique nourris dans le paganisme,
furent eux-mêmes d'avis de rejeter la requête[602]. On disait à cette
occasion, _que la Victoire était une ingrate qui, par un de ses
caprices ordinaires avait abandonné son défenseur, pour favoriser son
ennemi_. L'affaire était terminée; cependant saint Ambroise crut que
pour honorer la vérité, il devait réfuter les raisons que le préfet
avait si pompeusement étalées en faveur de l'idolâtrie. Il s'en
acquitta par un ouvrage que nous admirons encore; il y foudroie les
sophismes de Symmaque avec cette supériorité que donne la vérité, quand
elle est soutenue par la beauté du génie et la force de l'éloquence.

[Note 602: S. Ambroise l'assure dans sa lettre au tyran Eugène,
tom. 2, ep. 57, pag. 1010.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Vestale punie.

Symm. l. 9, ep. 128 et 129.

[Ambr. t. 2, ep. 18, p. 836.]]

La religion païenne fut bientôt après déshonorée par un scandale qui
couvrit Symmaque de confusion. Saint Ambroise avait opposé au petit
nombre de vestales, ce peuple nombreux de vierges chrétiennes, qui
renonçaient pour toujours à tous les honneurs et à tous les plaisirs
du siècle; il avait observé que les païens avaient bien de la peine à
trouver parmi eux sept filles, en qui les plus flatteuses distinctions,
la vie la plus commode et la plus fastueuse, l'espérance d'être
libres après un certain nombre d'années, la terreur du plus affreux
supplice, pussent conserver pendant quelque temps une virginité forcée.
L'événement justifia deux ou trois ans après cette réflexion de saint
Ambroise. Une vestale fut convaincue d'inceste[603]. Symmaque, revêtu
du souverain pontificat, depuis que Gratien l'avait refusé, poursuivit
devant le préfet de Rome, son successeur, la punition de la vestale
coupable. Elle fut enterrée vive, selon les lois anciennes, et son
corrupteur fut puni de mort.

[Note 603: Cette vestale se nommait Primigenia.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVII.

Symmaque accusé de maltraiter les chrétiens, s'en justifie.

Symm. l. 10, ep. 34 et 41.

Aug. conf. l. 5, c. 13, t. 1, p. 117, et contra Petil. l. 3, c. 25, t.
9, p. 311.

Cassiod. Var. l. 3, ep. 31.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 22.

Till. vie de S. Damase, art. 14.]

La guerre que Symmaque avait déclarée à la religion chrétienne, rendit
quelques chrétiens injustes à son égard. Les murs de Rome étaient
d'une construction solide et très-magnifique; les pierres remarquables
par leur étendue, étaient liées ensemble avec l'airain et le plomb:
les citoyens avides venaient pendant la nuit enlever ces métaux, et
dégradaient leurs propres murailles. Valentinien chargea le préfet
d'en informer. On accusa Symmaque d'avoir saisi cette occasion pour
se venger du peu de succès de sa requête; d'avoir fait enlever des
chrétiens du sanctuaire des églises, pour leur faire éprouver les
tourments de la question; d'avoir mis en prison des évêques mêmes
qu'il envoyait prendre dans les provinces. L'empereur, dans un premier
mouvement d'indignation, rendit contre le préfet un édit sévère, lui
ordonnant d'élargir tous les prisonniers, et de cesser ses poursuites
injustes. Symmaque se justifia en défiant les accusateurs de prouver
leur calomnie, en prenant à témoin toute la ville de Rome; et, ce qui
n'admettait point de réplique, en s'appuyant du témoignage même du
pape Damase, qui reconnut par écrit qu'aucun chrétien n'était fondé à
se plaindre du préfet. Je ne dois pas oublier ici une circonstance qui
fait honneur au christianisme, à l'occasion de l'ordre que Valentinien
avait donné à Symmaque de mettre les prisonniers en liberté:
_J'ignore_, répondit-il, _quels sont ceux que votre majesté veut que je
délivre; nous avons ici dans les prisons plusieurs criminels; j'en ai
pris connaissance; il n'y a pas un chrétien_. Peu de temps après, les
habitants de Milan ayant prié Symmaque de leur envoyer un professeur
d'éloquence, que la ville devait entretenir, saint Augustin, qui
n'était pas encore revenu des erreurs de sa jeunesse, poursuivit cet
emploi. La vanité l'avait conduit d'Afrique à Rome pour y enseigner la
rhétorique; mais il n'était pas content des désordres qui régnaient
dans les écoles. Symmaque, à la recommandation de quelques Manichéens,
se détermina en sa faveur, après avoir éprouvé sa capacité par un
discours public, dont il fut très-satisfait.

[Note latérale: XXXVIII.

Sirice succède à Damase.

Prosp. Chr.

Idat. chron.

Marcel. chr.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4. c. 1.

Till. vie de S. Damase., not. 12. et vie de Sirice, art. 1 et 2.]

Le pape Damase mourut le 10 ou le 11 décembre de cette année, ayant
gouverné avec sagesse pendant dix-huit ans et environ deux mois. Onze
jours après, Sirice fut élu en sa place. Ursinus renouvela en vain
ses prétentions sur le siége de Rome; il fut rejeté par le peuple, et
Valentinien soutint l'élection de Sirice par un rescrit du 23 février
de l'année suivante. Le premier soin du nouveau pape fut de sonder
les dispositions de Maxime. Les intelligences qu'on le soupçonnait
d'entretenir avec les païens d'Italie, donnaient à l'église de justes
alarmes. Sirice lui écrivit donc pour l'exhorter à demeurer fidèle à la
religion qu'il avait jusqu'alors professée. Maxime, dans sa réponse,
lui proteste d'un attachement inviolable à la doctrine catholique; il
la maintint en effet; mais en tyran et avec une cruauté qui arracha des
larmes à l'église même dont il prenait la défense.

[Note latérale: XXXIX.

Commencement du priscillianisme.

Sulp. Sev. hist. l. 2. c. 61 et 62.

Prosp. Chr.

Hier. in Isai. c. 64, t. 4. p. 761.

Isid. de viris illustr.

Baron. an. 381.

Pagi ad Baron.

Till. hist. des Priscill. art. 1.]

Les Priscillianistes furent l'objet de son zèle sanguinaire. Quoique
cette hérésie n'ait pas été une de ces sectes dominantes qui ont
agité l'empire et causé de grandes révolutions dans l'ordre civil,
elle mérite cependant une place distinguée dans cette histoire: c'est
la première contre laquelle le bras séculier se soit armé du glaive;
et l'église témoigna pour lors, par un cri général, combien elle est
éloignée de cet esprit de persécution, qui va le fer à la main chercher
l'hérésie jusque dans le sein de l'hérétique. La source du mal vint
de l'Egypte[604]. Marc de Memphis ayant formé un composé monstrueux
de diverses erreurs[605], jointes aux pratiques les plus obscènes
des païens, des Gnostiques, et des Manichéens, fut chassé par les
évêques[606]. Il passa d'abord dans la Gaule, aux environs du Rhône, et
de là en Espagne, où il séduisit une femme noble nommée Agape[607], et
le rhéteur Helpidius. Priscillien, né en Galice, embrassa ses dogmes
impies, et devint aussitôt le chef de la secte. Il était noble, riche,
spirituel, éloquent, d'une grande lecture, et subtil dialecticien. A
ces qualités[608] si propres à séduire, il joignait des apparences
de vertu encore plus dangereuses, l'austérité des mœurs, l'humilité
extérieure, le détachement des richesses, l'habitude des veilles, des
jeûnes, des travaux. Mais il était vain, inquiet, enflé de son savoir;
et, sous un visage mortifié, il cachait les plus honteux désordres.
Il s'était dès sa jeunesse entêté des chimères de la magie. Flatteur
et persuasif, il eut bientôt gagné un grand nombre d'Espagnols de
toute condition, et surtout des femmes, légères, curieuses, avides de
nouveautés. Cette contagion s'étendit en peu de temps presque dans
toute l'Espagne; elle infecta même plusieurs évêques, entre autres
Instantius et Salvianus, qui se lièrent par serment avec Priscillien.

[Note 604: _Origo istius mali oriens ab Ægyptiis._ Sulp. Sev. l. 2,
c. 61.--S.-M.]

[Note 605: Sulpice Sévère l'appelle, l. 3, c. 61, l'infame hérésie
des Gnostiques, _infamis illa Gnosticorum hæresis_, une détestable
superstition, _superstitio exitiabilis_.--S.-M.]

[Note 606: _Idatius Hispaniarum episcopus, cognomento et
eloquio clarus, scripsit quemdam librum sub apologetici specie: in
quo detestanda Priscilliani dogmata, et maleficiorum ejus artes,
libidinumque ejus probra demonstrat; ostendens Marcum quendam
Memphiticum, magicæ artis scientissimum, discipulum fuisse Manis et
Priscilliani magistrum._ Isid. _de Vir. illustr._--S.-M.]

[Note 607: _Agape quædam non ignobilis mulier._ Sulpic. Sev. lib.
2, cap. 61.--S.-M.]

[Note 608: _Felix profecto, si non pravo studio corrupisset optimum
ingenium; prorsus multa in eo animi et corporis bona cerneres._ Sulp.
Sev. l. 2, c. 61.--S.-M.]

[Note latérale: XL.

Concile de Sarragosse.

Sulp. Sev. l. 2, c. 62.

Baron. an. 381.

Till. Priscill. art. 5, not. 4.]

Hygin, évêque de Cordoue et successeur du célèbre Osius, s'étant aperçu
du progrès de l'erreur, en donna avis à Idatius, évêque de Mérida
[_Emerita_]. Celui-ci, trop vif et trop ardent, ne fit qu'aigrir le
mal, en poursuivant à outrance la nouvelle hérésie. Après de longs
débats, on assembla un concile à Sarragosse [_Cæsar-Augusta_], où
furent invités les évêques d'Aquitaine[609]. Les hérétiques n'osèrent
s'y présenter. Ils furent condamnés par contumace, et on défendit
sous peine d'anathème de communiquer avec eux. Ithacius, évêque
d'Ossonoba[610], aujourd'hui Faro[611] dans les Algarves, fut chargé
de notifier à toute l'église d'Occident le décret du concile, et
d'excommunier Hygin, qui ayant été le premier à dénoncer les sectaires,
s'était lui-même laissé surprendre par leurs artifices.

[Note 609: Il nous reste les Actes d'une des séances de ce concile;
ils sont datés du 4 octobre de l'an 380, par conséquent sous le règne
de Gratien et de Théodose.--S.-M.]

[Note 610: Il est appelé dans Sulpice Sévère, l. 2, c. 62,
_Episcopus Sossubiensis_, évêque de Sossuba; cette ville est inconnue,
c'est par conjecture que l'on a substitué le nom d'_Ossonoba_ dans ce
passage.--S.-M.]

[Note 611: Selon d'autres, l'antique _Ossonoba_ répond à Silvas
dans les Algarves; c'est un point de géographie qui n'est pas encore
éclairci.--S.-M.]

[Note latérale: XLI.

Rescrit de Gratien contre les Priscillianistes.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 13.

Till. Priscill. art. 6.]

Instantius et Salvianus, condamnés par le concile, n'en devinrent que
plus opiniâtres. Pour fortifier leur parti, ils honorèrent du titre
d'évêque Priscillien, auteur de tous ces maux, qui n'était encore que
laïc, et le placèrent sur le siége d'Avila [_Abila_]. De l'autre côté,
Idatius et Ithacius, encore plus emportés, implorèrent le secours de la
puissance séculière, et après beaucoup de poursuites, dans lesquelles
la passion déshonorait le caractère épiscopal, ils obtinrent de Gratien
un rescrit qui bannissait les sectateurs de Priscillien, non-seulement
de l'Espagne, mais même de tout l'empire. Les hérétiques, frappés de ce
coup de foudre, prirent le parti de se cacher, et se dispersèrent en
diverses provinces.

[Note latérale: XLII.

Priscillien obtient un décret contraire.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

Auson. in profess. 5.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Amb. l. 3, c. 14.

Till. Priscill. art. 6 et 7.]

Mais Instantius, Salvianus et Priscillien prirent le chemin de Rome,
se flattant de tromper le pape Damase. En traversant l'Aquitaine,
ils y semèrent leurs erreurs, surtout dans la ville d'Eause [Elusa],
alors métropole de la troisième Aquitaine. Saint Delphin évêque de
Bordeaux, leur ferma l'entrée de sa ville; mais ils séjournèrent
quelque temps dans le voisinage, sur les terres d'Euchrocia, veuve
d'Atticus Tyro Delphidius, qui avait professé l'éloquence à Bordeaux
avec réputation. Cette femme, fortement entêtée de la nouvelle
doctrine, se mit à la suite de ces fanatiques avec sa fille Procula,
qui s'abandonna si aveuglément à Priscillien, qu'elle devint enceinte,
et se procura l'avortement pour sauver l'honneur de l'un et de l'autre.
Ce nouveau crime fut inutile, et n'étouffa pas le bruit de leur infame
commerce. Arrivés à Rome, ils ne purent obtenir audience de Damase.
Ils allèrent à Milan, où saint Ambroise ne les rejeta pas avec moins
d'horreur. Ils s'adressèrent à la cour, où ils espéraient que l'argent
et l'intrigue leur procureraient plus de faveur. Ils ne se trompaient
pas. Macédonius, maître des offices, gagné par leurs présents, obtint
de Gratien un nouveau rescrit qui révoquait le précédent, et les
rétablissait dans leurs églises. En vertu de cet ordre, Instantius et
Priscillien retournèrent en Espagne; car Salvianus était mort à Rome.
Ils rentrèrent sans obstacle en possession de leurs siéges. Ithacius
ne manquait pas de courage pour s'y opposer; mais les hérétiques
avaient mis dans leurs intérêts le proconsul Volventius: il leur était
d'autant plus facile d'en imposer, qu'ils avaient pour maxime de ne pas
épargner le parjure pour ne pas trahir le secret de leur secte; ils
accusèrent même Ithacius comme perturbateur de la paix des églises,
et obtinrent une sentence pour le faire arrêter. Ce prélat effrayé
d'une si violente procédure, s'enfuit en Gaule et s'adressa au préfet
Grégoire. Celui-ci, bien instruit des faits, se fit amener les auteurs
du trouble; et pour fermer aux hérétiques toute voie de séduction, il
informa l'empereur de la vérité. Mais tout était vénal à la cour. Les
Priscillianistes achetèrent de nouveau la protection du maître des
offices, qui persuada à Gratien de retirer cette affaire des mains
du préfet, et d'en charger le vicaire d'Espagne; car on venait de
supprimer la dignité de proconsul de cette province. Macédonius dépêcha
en même temps des officiers, pour conduire en Espagne Ithacius qui
s'était réfugié à Trèves. Le prélat se déroba à leur recherche, et se
tint caché jusqu'à l'arrivée de Maxime, qui ayant déja pris le titre
d'empereur dans la Grande-Bretagne, se disposait à passer en Gaule.

[Note latérale: XLIII.

Concile de Bordeaux.

Sulp. Sev. l. 2, c. 64.

Prosp. chr.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

Till. vie de S. Mart. art. 9.]

Ithacius attendit l'événement de la guerre civile. Après la mort
de Gratien, lorsque Maxime eut choisi la ville de Trèves pour sa
résidence, l'évêque vint faire sa cour au tyran, et lui présenta une
requête dans laquelle il faisait une affreuse peinture des crimes de
Priscillien et de sa secte. Maxime, qui affectait un grand zèle pour la
foi et la discipline de l'église, manda aussitôt au préfet des Gaules
et au vicaire d'Espagne, de faire transférer tous ces hérétiques à
Bordeaux [_Burdigala_], où se devait assembler un concile. L'ordre fut
exécuté. Instantius tenta en vain de se justifier devant le concile:
il fut déclaré déchu de l'épiscopat. Priscillien, pour éviter la même
condamnation, refusa de répondre, et en appela à l'empereur. Le concile
eut égard à son appel; il s'abstint de prononcer contre lui, et toute
l'église blâma ces évêques d'avoir renvoyé à la puissance séculière
une cause ecclésiastique. On conduisit donc à la cour de Maxime,
et le chef et les sectateurs. Idatius et Ithacius les y suivirent
pour les accuser, et montrèrent, par un acharnement qui n'avait rien
d'apostolique, que la passion les animait plutôt que le zèle de la
vérité. Ithacius, le plus violent des deux, était un homme de peu de
jugement, hardi, hautain, grand parleur, aimant la dépense et la bonne
chère. Il voyait partout le Priscillianisme; la science, la régularité
des mœurs, l'extérieur mortifié n'osaient paraître à ses yeux sans être
soupçonnés d'hérésie.

[Note latérale: XLIV.

S. Martin s'efforce de sauver la vie aux hérétiques.

Sulp. Sev. l. 2, c. 65.

Till. Priscill. art. 9, et vie de S. Martin, art. 9.]

Une sainteté reconnue ne suffisait pas pour lui imposer silence.
Saint Martin qui était pour lors à Trèves, ne cessait de l'exhorter
à renoncer au personnage d'accusateur, si contraire à la douceur
épiscopale. Ithacius lui reprocha d'être lui-même un Priscillianiste
déguisé. Le saint prélat ne pouvant rien sur cet esprit opiniâtre,
prit le parti de s'adresser à Maxime; il le supplia de ne pas verser
le sang de ces malheureux: _Qu'ils étaient assez punis par la sentence
épiscopale qui les jugeait hérétiques, et les chassait de leurs
églises; qu'il était inouï qu'un juge séculier prononçât dans une cause
de foi._ L'autorité d'un évêque si respectable arrêta Maxime tant que
saint Martin fut à Trèves; et lorsque le prélat sortit de la ville, il
se fit promettre par le tyran qu'on épargnerait le sang des accusés.

[Note latérale: AN 385.

XLV.

Punition de Priscillien et de ses sectateurs.

Sulp. Sev. l. 2, c. 65.

Pacat. paneg. § 29.

Prosp. chr.

Idat. chron.

Till. Priscill. art. 9.]

A peine saint Martin fut-il éloigné, que les sollicitations cruelles
d'Ithacius et de ses partisans firent oublier à Maxime la parole
qu'il avait donnée. Il chargea de l'information le préfet Evodius,
magistrat intègre, mais sévère. La cause fut examinée en deux
audiences. Priscillien convaincu, n'osa désavouer ses infamies; il
fut déclaré coupable et mis en prison, jusqu'à ce que le prince eût
été consulté. Maxime ordonna de trancher la tête à Priscillien et
à ses complices. Ithacius était l'ame de toute cette procédure; il
avait assisté à la question. Mais après avoir conduit ces misérables
jusqu'aux portes de la mort, il s'arrêta par une vaine politique; et
comme s'il eût encore été temps d'éviter la haine publique, il refusa
de se trouver au jugement définitif. L'avocat du fisc prit à sa place
le rôle d'accusateur. Priscillien eut la tête coupée avec la veuve
Euchrocia[612], et cinq de ses sectateurs[613]. Instantius et un autre
complice qui n'est pas nommé[614], furent dépouillés de leurs biens,
et relégués pour toujours dans les îles Sylines, nommées maintenant
Sorlingues, à la pointe occidentale de l'Angleterre[615]. Quelques
autres[616] en furent quittes pour un exil de quelque temps, parce
qu'ils n'avaient pas attendu la question pour avouer leurs crimes et
révéler leurs complices. Une femme nommée Urbica, connue pour être
attachée à la doctrine de Priscillien, fut assommée à coups de pierres
par la populace dans la ville de Bordeaux.

[Note 612: En parlant du supplice d'Euchrocia, qu'il regarde, ainsi
que les autres Priscillianistes, comme des victimes de Maxime, Pacatus
dit, c. 29: _De virorum mortibus loquor, cum descensum recorder ad
sanguinem fœminarum, et in sexum cui bella parcunt, non parce sævitum?
Sed nimirum graves suberant, invidiosæque causæ ut unco ad pœnam clari
vatis matrona raperetur. Objiciebatur enim, atque etiam exprobrabatur
mulieri viduæ nimia religio, et diligentius culta divinitas._--S.-M.]

[Note 613: Ils se nommaient Félicissimus, Arménius, Latronianus,
Asarinus et le diacre Aurélius. Ces deux derniers furent exécutés
quelque temps après Priscillien.--S.-M.]

[Note 614: Sulpice Sévère l'appelle Tibérianus. Il était né, selon
S. Jérôme (_de Vir. illust._ c. 122) dans l'Espagne Bétique.--S.-M.]

[Note 615: _Instantius, in Sylinam insulam, quæ ultra Britanniam
sita est, deportatus._ Sulp. Sev. lib. 2, cap. 65. L'île _Sylina_,
faisait partie du groupe appelé plus anciennement les îles des Silures,
_Silurum insulæ_. On les nomme actuellement _Scilly_; elles se trouvent
à l'extrémité du pays de Cornouailles, dont elles sont séparées par
un détroit orageux, _turbidum fretum_, dit Solin, c. 22. Elles sont
célèbres par des mines d'étain, qui leur firent donner dans l'antiquité
le nom de Cassitérides.--S.-M.]

[Note 616: Tertullus, Potamius et Johannes.--S.-M.]

[Note latérale: XLVI.

Lettre de Maxime au pape Sirice.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

[Till. Priscill. art. 10.]]

Maxime n'oublia pas de tirer avantage de cette exécution cruelle et
irrégulière, comme d'une action héroïque en faveur de la religion.
Il envoya au pape Sirice un copie des pièces avec cette lettre: _Nous
vous protestons que nous ne désirons rien avec plus d'ardeur, que de
conserver la foi catholique dans sa pureté, de bannir de l'église
toutes les divisions, et de voir tous les évêques servir Dieu dans une
parfaite union de cœur et d'esprit._ Après un discours assez obscur,
qui paraît avoir rapport au schisme d'Ursinus, qu'il se vante d'avoir
étouffé, il ajoute: _Pour ce qui concerne les horreurs des Manichéens,
qui sont depuis peu parvenues à notre connaissance, et qui ont été
vérifiées en jugement, non par des conjectures, mais par l'aveu des
coupables, j'aime mieux que votre sainteté en soit instruite par les
actes que je lui envoie, que par notre bouche, ne pouvant énoncer sans
rougir, des crimes honteux tout à la fois à commettre et à rapporter._

[Note latérale: XLVII.

Toute l'église blâme le supplice des Priscillianistes.

Sulp. Sev. dial. 3, art. 15.

Pacat. paneg. § 29.

Prosp. chr.

Isid. de viris illustr. c. 2.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

Till. Priscill. art. 10, 11, 12 et 13.]

Cette lettre ne fit pas sur le pape l'impression que Maxime avait
espérée. Sirice blâma la rigueur employée contre les Priscillianistes,
et les plus saints prélats de l'Occident furent du même avis. Jamais
hérétiques n'avaient été plus dignes de punition; ils renouvelaient
toutes les abominations de ces sectes hypocrites et voluptueuses qui
avaient enveloppé sous de ténébreux mystères la débauche la plus
effrénée; mais l'église, en poursuivant l'hérésie, avait toujours
épargné la personne des hérétiques; elle ne connaissait d'autres
armes que ses anathèmes, et cette mère tendre, priant sans cesse pour
ses enfants égarés, demandait à Dieu, non pas leur mort, mais leur
conversion. L'acharnement de ces évêques les déshonora aux yeux de
toute l'église. Quoiqu'ils eussent été déclarés innocents dans un
synode tenu à Trèves par leurs partisans, le concile de Milan en 390,
et celui de Turin en 401, les condamnèrent. Idatius, qui était le moins
coupable, se démit volontairement de l'épiscopat, et perdit ensuite
le mérite de cette action par les efforts qu'il fit pour y rentrer.
Ithacius fut excommunié, et mourut en exil.

[Note latérale: XLVIII.

S. Martin se sépare de communion d'avec les Ithaciens.

Sulp. Sev. dial. 3, art. 15.

S. Ambr. ep. 24, t. 2, p. 891.

Till. vie de S. Martin. art. 9, 10.]

Mais personne ne témoigna contre ce prélat sanguinaire, plus
d'indignation que saint Martin. Dans le temps même que le synode de
Trèves était assemblé, ce saint évêque vint à la cour pour intercéder
en faveur de Narsès et de Leucadius[617]. Ces deux comtes allaient
périr, parce qu'ils avaient été fidèles à Gratien. Les amis d'Ithacius
venaient d'engager Maxime à envoyer des tribuns en Espagne, pour juger
souverainement les Priscillianistes, et leur ôter les biens et la vie.
C'était mettre en péril les plus innocents; car on confondait alors
avec ces hérétiques tous ceux dont l'extérieur portait des marques
de mortification. Dès que ces prélats apprirent que saint Martin
approchait de Trèves, persuadés qu'il s'opposerait à l'exécution de ces
ordres violens, ils lui firent interdire l'entrée de la ville au nom
de l'empereur, s'il ne consentait à s'accorder avec eux. Saint Martin
ayant répondu d'une manière qui ne l'engageait pas, entra dans Trèves,
alla au palais, demanda la grace des deux comtes et la révocation des
commissaires nommés pour l'Espagne. Maxime différa de lui répondre
sur ces deux points, et saint Martin rompit toute communication avec
Ithacius et ses partisans, qu'il traitait de meurtriers. Ceux-ci s'en
plaignirent amèrement à Maxime: _Nous sommes_, lui dirent-ils, _perdus
sans ressource, si vous ne forcez l'évêque de Tours à communiquer
avec nous; son exemple va former contre nous un préjugé universel.
Martin n'est plus seulement le fauteur des hérétiques; il s'en déclare
le vengeur: lui laisser ce pouvoir, c'est ressusciter Priscillien_.
Ils le suppliaient avec larmes de faire encore usage de sa puissance
pour abattre un séditieux. Il ne tint pas à ces hommes injustes et
inhumains, que Martin ne fût confondu avec les sectaires; mais le
tyran respectait sa vertu. Il le manda: il lui parla avec douceur;
il tâcha de lui faire approuver le traitement fait aux hérétiques;
et le voyant inflexible, il entra dans une furieuse colère, quitta
brusquement l'évêque, et donna ordre de mettre à mort Narsès et
Leucadius. A cette nouvelle, Martin retourna promptement au palais; il
promit de communiquer avec les autres évêques, si l'empereur pardonnait
aux deux comtes, et s'il révoquait l'ordre donné aux deux tribuns.
Maxime accorda tout. Martin rentra le lendemain en communion avec les
Ithaciens; mais il partit le jour d'après, pénétré d'un vif repentir de
s'être laissé entraîner à cette condescendance, qu'il se reprocha toute
sa vie. Saint Ambroise témoigna deux ans après plus de fermeté. Il aima
mieux sortir de la cour de Maxime, où il était retenu par un intérêt
important, que de communiquer avec les évêques qui avaient fait périr
Priscillien.

[Note 617: Voyez ci-devant, p. 245, n. 1, liv. XXII, § 5.--S.-M.]

[Note latérale: XLIX.

Le supplice des Priscillianistes étend leur hérésie.

Sulp. Sev. l. 2, c. 66.

Idat. chron.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 40, 43, 48, 59, 65.

Till. Priscill. art. 18.]

La mort de cet hérétique montra dès lors quel effet devaient produire
dans toute la suite des temps ces procédés inhumains. Loin d'éteindre
l'hérésie, elle la répandit et l'accrédita. La Galice surtout en fut
pour long-temps infectée. Ceux qui avaient écouté Priscillien comme
un prophète, le révérèrent comme un martyr[618]. Son corps et ceux
de ses adhérents mis à mort avec lui furent transportés en Espagne;
on les honora de magnifiques funérailles. On jurait par le nom de
Priscillien[619]. Le fanatisme devint plus vif et la discorde plus
opiniâtre. Ses sectateurs furent condamnés l'an 400 par le concile
de Tolède. Malgré tous ces anathèmes, malgré les lois accablantes
d'Honorius et de Théodose le jeune, cette pernicieuse doctrine se
soutint jusqu'au milieu du sixième siècle.

[Note 618: _Qui eum prius ut sanctum honoraverant, postea ut
martyrem colere cœperunt._ Sulp. Sev. l. 2, c. 66.--S.-M.]

[Note 619: _Quin et jurare per Priscillianum, summa religio
putabatur._ Sulp. Sev. l. 2, c. 66.--S.-M.]

[Note latérale: L.

Consuls.

Idat. fast.

Pacat. paneg. § 29.

Aug. conf. l. 6, c. 6, t. 1, p. 123, et adv. Petil. l. 3, c. 15, t. 9,
p. 311.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 2.]

Théodose, dont les sentiments s'accordèrent toujours avec la plus saine
partie de l'Église, n'approuva pas l'emportement des Ithaciens. C'est
ce qu'on peut conclure des titres odieux dont les charge Pacatus,
orateur païen, dans un discours qu'il prononça quatre ans après en
présence de Théodose. Ce prince avait donné le consulat à son fils
Arcadius; et Valentinien lui avait nommé Bauton pour collègue. Saint
Augustin, qui professait alors la rhétorique à Milan, composa, selon
l'usage, le panégyrique de Bauton et de Valentinien. Il avoue dans
ses Confessions, qu'il devait y débiter un bon nombre de mensonges,
auxquels, dit-il, n'auraient pas laissé d'applaudir ceux mêmes qui en
connaissaient la fausseté. De la manière dont il s'exprime, il semble
qu'il ne l'ait pas prononcé.

[Note latérale: LI.

Justine favorise les Ariens.

Ambr. ep. 20, t. 2, p. 852-859.

Serm. contr. Auxent. p. 863-874.

Aug. contra Julian. l. 6, c. 14, t. 10, p. 683.

Ruf. l. 12, c. 15.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Theod. l. 5, c. 13.

Mabill. Itin. Italic. p. 17.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 34 et suiv.

Till. vie de S. Ambr. art. 38-42.]


Tandis que Maxime défendait en apparence la foi catholique, Justine
l'attaquait véritablement, et abusait de l'autorité de son fils pour
relever le parti des Ariens. La fermeté de Valentinien son mari
l'avait obligé de se contraindre tant qu'il avait vécu: elle n'avait
pas trouvé Gratien plus disposé à seconder ses intentions. Mais
après la mort de ce prince, lorsqu'elle crut la puissance de son
fils affermie par le traité conclu avec Maxime, elle leva le masque,
et se déclara hautement protectrice de l'Arianisme. Sa vivacité
naturelle était encore animée par les dames de la cour qui, depuis
la séduction d'Arius, s'étaient transmis comme de main en main le
poison de cet hérésiarque. Elle n'eut pas de peine à se faire obéir
du jeune Valentinien, esprit doux, facile, soumis sans réserve aux
volontés de sa mère. Il était bien d'une autre difficulté de subjuguer
Ambroise. Elle n'avait à lui opposer qu'un adversaire fort inégal dans
la personne d'Auxentius, que les Ariens avaient choisi pour être leur
évêque. Il était Scythe de nation, et se nommait Mercurinus. Mais ayant
été contraint de quitter son pays à cause de ses crimes, il avait
changé de nom, et pris celui de l'évêque Arien, auquel Ambroise avait
succédé. Ce faux prélat, sans talents, comme sans mœurs, faisait peu
de prosélytes: il ne comptait entre les siens aucun des habitants de
la ville. Tout son troupeau se réduisait à un petit nombre d'officiers
de la cour, et à quelques Goths. Il n'avait d'autre église que
l'appartement ou le chariot de Justine[620], qu'il accompagnait dans
ses voyages[621].

[Note 620: L'impératrice en usait sans doute ainsi à l'imitation
des Goths, dont les habitudes nomades ne permettaient pas qu'ils
eussent d'autre église qu'une tente qui les suivait dans tous leurs
déplacemens. Les Goths attachés au service impérial, avaient à ce qu'il
paraît conservé cet usage.--S.-M.]

[Note 621: _Prodire de Arianis nullus audebat; quia nec quisquam de
civibus erat, pauci de familia regia, nonnulli etiam Gothi. Quibus ut
olim plaustra sedes erat, ita nunc plaustrum Ecclesia est. Quocumque
femina ista processerit, secum suos omnes cœtus vehit._ Ambr., ep. 14,
t. 2, pag. 855.--S.-M.]

[Note latérale: LII.

Elle tente de leur donner une église à Milan.]

Cette princesse voulut l'établir dans une des églises de Milan. Elle
choisit la basilique Porcienne, qui était dans ce temps-là hors des
murs: c'est aujourd'hui l'église St.-Victor. Elle prévoyait une vive
résistance de la part d'Ambroise; mais elle était résolue de mettre en
œuvre en cette occasion toute la force du pouvoir impérial. Ne pouvant
pardonner à l'évêque d'avoir malgré elle placé un catholique sur le
siége de Sirmium, elle avait oublié l'important service qu'il avait
rendu à son fils, en s'exposant lui-même pour arrêter les progrès du
tyran, et ne cherchait qu'une occasion de le perdre. Valentinien fait
venir Ambroise au palais; et suivant la leçon dictée par sa mère,
il emploie d'abord la douceur pour l'engager à céder la basilique.
Sur le refus du prélat, à quoi on s'était bien attendu, il prend le
ton de maître; il commande, il menace. Ambroise est inébranlable: il
rappelle au jeune prince la piété de son père; il l'exhorte à conserver
cette précieuse portion de son héritage; il lui expose la croyance
catholique; il lui en montre la conformité avec celle des Apôtres, et
l'opposition de celle des Ariens. Cependant le peuple accourt en foule
au palais; il demande à grands cris qu'on lui rende son évêque. On
envoye un comte avec des soldats pour dissiper cette multitude: sans
s'effrayer ni se mettre en défense, elle se présente aux soldats et
s'offre à mourir pour sa foi. La cour intimidée de cette fermeté, prend
le parti de céder pour le moment; elle prie saint Ambroise d'apaiser
le peuple, et le renvoie avec parole de ne rien entreprendre sur la
basilique.

[Note latérale: LIII.

Entreprises contre S. Ambroise.]

Cette promesse n'était qu'une feinte de Justine: elle accusait saint
Ambroise d'être l'auteur de l'émeute; elle tâchait même de soulever le
peuple contre lui, et prodiguait dans cette vue les caresses et les
présents. Elle offrait des dignités à quiconque serait assez hardi
pour le tirer de l'église où il se tenait renfermé, et le conduire
en exil. Un officier nommé Euthymius se chargea de l'enlever; il alla
se loger près de l'église, et tint un chariot préparé. Son projet
fut découvert; le peuple prit l'alarme; et le courtisan craignant
pour lui-même, se retira au palais. L'année suivante à pareil jour,
Euthymius, ayant encouru la disgrace du prince, fut arrêté et conduit
en exil sur le même chariot. Ambroise le fit alors repentir de son
mauvais dessein, par la vengeance la plus digne d'une ame généreuse, et
la seule que permette le christianisme: il le consola, il s'empressa
de lui fournir de l'argent et tout ce qui lui était nécessaire pour
adoucir sa disgrace. Auxentius de son côté servait le parti arien
de tout ce qu'il avait de talents; il prêchait tous les jours et ne
persuadait personne.

[Note latérale: LIV.

Nouveaux efforts de Justine.]

Justine n'était pas de caractère à se contenter d'une première
tentative. Comme si elle eût voulu punir Ambroise de sa résistance,
elle lui envoya demander de la part de l'empereur une autre basilique,
nommée _la Neuve_, plus grande que la première et renfermée dans
l'enceinte de la ville. Ambroise répondit, qu'il n'était permis ni à
l'évêque de donner une église, ni à l'empereur de la recevoir: _Vous
n'avez pas droit_, ajouta-t-il, _d'ôter à un particulier sa maison;
et de quel droit l'ôteriez-vous à Dieu?_ Les courtisans dans leur
langage servile répondirent que tout était permis à l'empereur, que
tout lui appartenait: _Mais_, dit Ambroise, _Dieu est le souverain du
prince; il a ses droits dont le prince n'est pas le maître_. Néotérius,
préfet du prétoire, vient le lendemain à l'église, où le peuple
était assemblé avec son évêque; il conseille de livrer au moins la
basilique Porcienne; qu'il fera en sorte que l'empereur veuille bien
s'en contenter. La proposition est rejetée avec de grands cris, et le
préfet obligé de se retirer. Le jour suivant, sixième d'avril (c'était
le dimanche des Rameaux), les Ariens s'emparent de la basilique
Porcienne: le peuple se soulève; il les chasse, il se saisit d'un de
leurs prêtres nommé Castulus, et l'allait mettre en pièces, si saint
Ambroise, qui célébrait alors le saint sacrifice, en étant promptement
averti, n'eût envoyé aussitôt des prêtres et des diacres pour le tirer
de leurs mains. La cour fit arrêter et charger de chaînes un grand
nombre d'habitants. Ces violences allaient allumer une sédition: le
saint évêque vint cependant à bout de la prévenir; mais il persista à
ne point céder la basilique; et la nuit étant survenue, mit fin aux
contestations.

[Note latérale: LV.

Résistance de S. Ambroise.]

L'orage paraissait apaisé. Deux jours se passèrent sans nouvelle
entreprise. Mais saint Ambroise connaissait Justine; il attendait
constamment dans sa maison les effets de la vengeance de cette
princesse; lorsque le mercredi saint, les soldats prirent possession
de la basilique neuve. Ils obéissaient aux ordres du prince, mais à
regret; ils étaient catholiques, et tandis que leurs armes menaçaient
leur évêque, leurs vœux le favorisaient. Ils firent dire à l'empereur,
que s'il voulait venir à l'assemblée des catholiques, ils étaient
prêts de l'accompagner; qu'autrement, ils allaient se joindre au
peuple pour assister au service divin que l'évêque célébrait dans
l'ancienne basilique. Les courtisans commençant à trembler pour
eux-mêmes, changeaient de langage; ils tâchaient d'adoucir Justine.
Les Ariens n'osaient se montrer. Ambroise fait signifier aux soldats
qui entourent la basilique neuve, qu'il les sépare de sa communion.
Aussitôt la plupart abandonnent leur poste et se rendent à l'église où
était saint Ambroise. Leur arrivée apporte l'alarme; mais ils rassurent
les fidèles en déclarant qu'ils ne viennent que pour prier avec eux.
La cour avait tout à craindre, si le peuple eût eu un chef moins
respecté, ou capable d'interpréter au gré de la passion, les maximes de
l'évangile. Ambroise, maître de lui-même et des autres, les arrêtait
sur les justes bornes qui séparent la résistance chrétienne d'avec la
rébellion, bornes si étroites et si difficiles à ne pas franchir. Comme
si l'empereur eût été présent, on criait de toutes parts: _Prince,
nous n'employons envers vous que les prières; nous n'avons pas la
témérité de combattre contre vous; mais aussi nous ne craignons pas la
mort. Écoutez nos supplications; c'est la religion attaquée qui vous
présente sa requête._ On souhaitait que saint Ambroise se transportât
à la basilique neuve, près de laquelle une autre troupe de peuple
l'attendait; il refusa d'y aller, de crainte que sa présence n'allumât
la sédition; et pour occuper les esprits, et amortir tant de mouvements
divers dont les cœurs étaient agités, il monta dans la tribune, et se
mit à instruire son peuple aussi tranquillement que s'il eût été en
pleine paix.

[Note latérale: LVI.

L'empereur se désiste.]

Il parlait encore, lorsque l'empereur envoya des officiers pour lui
faire des reproches, qu'il réfuta avec une fermeté mêlée de respect.
L'eunuque Calligonus, grand chambellan, s'étant approché du prélat,
osa lui dire: _Quoi! de mon vivant vous êtes assez hardi pour désobéir
à l'empereur; je vais vous abattre la tête._ _Frappe_, lui répondit
Ambroise; _je suis prêt à mourir; tu feras l'office d'un eunuque,
et moi celui d'un évêque_. Ce Calligonus eut, deux ans après, la
tête tranchée pour un crime dont il semblait qu'un eunuque ne pût
être soupçonné. Dans cette crise violente, le peuple ne voulut pas
abandonner son évêque; il passa la nuit en prières dans l'église.
Enfin, le jeudi saint, l'empereur fit donner ordre aux soldats de
quitter la basilique neuve; et la tranquillité se rétablit dans la
ville. Justine renferma son ressentiment pour le faire éclater dans
une autre occasion. Valentinien, peu capable de distinguer entre ce
qui lui était dû et ce qui était dû à Dieu, regarda l'évêque comme
son ennemi déclaré; et sur les instances que lui faisaient les
seigneurs de sa cour de se rendre à l'église, où le peuple l'attendait
pour assurer la paix: _Vraiment_, leur dit-il, _je crois que si
Ambroise vous l'ordonnait, vous me livreriez pieds et mains liés à sa
discrétion_[622].

[Note 622: Le jeune Valentinien passa les six premiers mois de
l'année à Milan, où il était encore le 10 juillet. On le trouve ensuite
à Aquilée depuis le 31 août jusqu'au 12 décembre.--S.-M.]

[Note latérale: LVII.

Mort de Pulchérie et de Flaccilla.

Greg. Nyss. de Pulch. t. 3, p. 514, de Placid. p. 524.

Hieron. ep. 79, t. 1, p. 493.

Claud. de nupt. Honor.

Themist. or. 18, p. 225, 19, p. 231.

Theod. l. 5, c. 18.

Chron. Alex. p. 304.

Zon. l. 13, t. 2, p. 35.

Ducange, fam. Byz.

Harduin. not. ad Them. p. 477.

Marc. chron.]

Tel était alors l'aveuglement de ce prince, que la faiblesse de son
âge assujettissait aux caprices d'une mère impérieuse. Théodose était
bien capable de lui ouvrir les yeux, et d'arrêter les emportements de
Justine, mais il respectait la veuve de Valentinien, et connaissait
assez son caractère hautain et jaloux, pour craindre de l'offenser,
s'il jetait ses regards sur l'Occident, qu'elle gouvernait. Il ne
sortit pas cette année de Constantinople, et remporta en Orient, par
ses généraux, quelques victoires, dont les annales de ce temps-là ne
marquent aucune circonstance. Mais cette joie fut troublée dans sa
maison par deux afflictions très-sensibles: il perdit d'abord sa fille
Pulchérie. Cette jeune princesse donnait dès l'âge de six ans, les
plus heureuses espérances; elle avait toutes les graces de la beauté;
on voyait éclore en elle de jour en jour toutes les vertus de sa
mère. Saint Grégoire de Nysse prononça son oraison funèbre, et rendit
bientôt le même devoir à Flaccilla. Cette grande et sainte impératrice
ne survécut pas long-temps à sa fille: elle mourut à Scotume[623] en
Thrace, où elle était allée prendre les eaux minérales. Son corps
fut rapporté à Constantinople. Elle fut honorée des larmes de tout
l'empire, qui perdait en elle un ferme soutien des vertus de Théodose.
Les pauvres surtout la pleurèrent; elle les aimait avec tendresse; ils
n'avaient besoin auprès d'elle d'aucune autre recommandation que de
leur misère, de leurs infirmités, de leurs blessures; sans gardes et
sans suite, elle passait des jours entiers dans les hôpitaux, servant
elle-même les malades, et leur rendant les plus humbles offices, que
ses mains ennoblissaient. Comme on lui représentait un jour que ces
fonctions ne s'accordaient pas avec la majesté impériale, et qu'il
lui suffisait d'assister les pauvres de ses aumônes: _Ce que je leur
donne_, dit-elle, _n'est que pour le compte de l'empereur, à qui l'or
et l'argent appartiennent. Il ne me reste que le service de mes mains,
pour m'acquitter envers celui qui nous a donné l'empire et qui leur a
transporté ses droits_. Elle visitait fréquemment les prisonniers, et
travaillait à leur délivrance. Sa mémoire est encore en vénération
dans l'église grecque, qui célèbre sa fête le 14 septembre, qu'on croit
être le jour de sa mort. Elle laissait deux fils; quelques auteurs y en
ajoutent un troisième, nommé Gratien; mais ce dernier, qui mourut avant
son père, naquit de la seconde femme de Théodose. Arcadius commençait
sa huitième année; Honorius n'avait encore qu'un an; l'empereur le mit
entre les mains de sa nièce Séréna. Flaccilla laissait encore dans le
palais un neveu qu'elle avait pris soin d'élever avec Arcadius; c'était
Nébridius. Théodose lui procura quelques années après une alliance
illustre, en lui faisant épouser Salvina, fille de Gildon, prince
maure et comte d'Afrique. Nébridius fut revêtu en 396 de la dignité de
proconsul d'Asie. Saint Jérôme parle avec éloge de sa vertu. Un palais
que Flaccilla avait fait bâtir à Constantinople, conserva dans la suite
le nom de cette princesse. On lui avait de son vivant érigé une statue:
elle était placée dans le sénat avec celle de son mari et de son fils
Arcadius.

[Note 623: Ce lieu, dit S. Grégoire de Nysse, _de Flaccilla_, t.
3, p. 527, était appelé _Scotoumin_, dans la langue des habitants de
la Thrace, ἀκούω γὰρ, dit-il, κατὰ τὴν πάτριον ἀυτῶν γλῶσσαν Σκότουμιν
τόν τόπον ἐπονομάζεσθαι. La position de cet endroit est tout à fait
inconnue.--S.-M.]

[Note latérale: LVIII.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 9. tit. 7, leg. 4, 5, 6, 7, 8, 9.

Cod. Just. l. 1, tit. 26, leg. 3, tit. 9, leg. 7.

God. ad Cod. Th. t. 4, p. 449.

Liban. or. 18, t. 2, p. 447.

Socr. l. 5, c. 18.]

La douleur de Théodose ne lui faisait pas perdre de vue le bon ordre
de l'empire et les devoirs du souverain. Tisamène gouvernait la Syrie
avec une dureté insupportable; il n'avait aucun égard aux lois que
l'empereur avait publiées pour le soulagement de ses peuples, et sous
le règne d'un prince rempli d'humanité, la Syrie ressentait tout le
poids de la tyrannie. Libanius en adressa des plaintes à l'empereur,
par un discours, où il demandait au nom de la province, la déposition
de ce magistrat inhumain. On ne sait pas de quelle manière fut traité
Tisamène; mais nous avons une loi du 9 décembre de cette année, par
laquelle Théodose donne ordre au préfet du prétoire de destituer tous
les juges qui seront devenus odieux par leurs concussions, ou même
inutiles par leur négligence ou par une longue maladie; il lui permet
d'en nommer d'autres en leur place, et de punir ceux qui se trouveront
coupables; il lui ordonne de ne faire à l'empereur le rapport de leur
crime, qu'en lui annonçant leur châtiment. Deux jours après, il fit
contre l'adultère une autre loi, qui ordonne de mettre à la torture
pour tirer la preuve de ce crime, non-seulement les esclaves du mari
accusateur, mais aussi ceux de la femme accusée. Ce prince témoigna
toute sa vie une extrême horreur de ce désordre, et de tous ceux
qui souillent la pureté des mœurs. Il écarta par ses lois tous les
subterfuges, tous les délais qui pouvaient ou en éluder ou en retarder
la punition. Il défendit aux Juifs la polygamie[624], et ordonna que
les abominations contraires à la nature seraient expiées en place
publique par le supplice du feu[625].

[Note 624: Par une loi rendue à Constantinople le 30 décembre
393.--S.-M.]

[Note 625: Cette loi fut publiée à Rome, le 14 mai 390.--S.-M.]


FIN DU VINGT-DEUXIÈME LIVRE.




LIVRE XXIII.

 I. Opiniatreté de Justine en faveur des Ariens. II. Valentinien
 les autorise par une loi. III. Nouvelles entreprises contre saint
 Ambroise. IV. Saint Ambroise rassure son peuple. V. Fin de la
 persécution. VI. Maxime s'intéresse pour les catholiques. VII. Actions
 de piété de Valentinien. VIII. Théodose interdit aux Chrétiens toute
 participation à l'idolâtrie. IX. Guerre des Gruthonges. X. Leur
 défaite. XI. Théodose épargne les vaincus. XII. Histoire de Gérontius.
 XIII. Théodose épouse Galla. XIV. Sénateur accusé pour des songes.
 XV. Lois de Théodose. XVI. Sédition d'Alexandrie. XVII. Nouvel impôt.
 XVIII. La sédition commence à Antioche. XIX. Elle s'allume dans toute
 la ville. XX. On abat les statues de la famille impériale. XXI. Fin de
 la sédition. XXII. Prodiges fabuleux. XXIII. Crainte des habitants.
 XXIV. Ils prennent la fuite. XXV. Interrogatoires. XXVI. Punitions.
 XXVII. Changement des habitants d'Antioche. XXVIII. Discours de saint
 Jean Chrysostôme. XXIX. Flavien part pour aller fléchir l'empereur.
 XXX. Colère de l'empereur. XXXI. Arrivée des commissaires à Antioche.
 XXXII. Conduite qu'ils y tiennent. XXXIII. Informations nouvelles.
 XXXIV. Courage des moines. XXXV. Hardiesse de Macédonius. XXXVI. Les
 commissaires remettent l'affaire au jugement de l'empereur. XXXVII. La
 joie renaît dans Antioche. XXXVIII. Césarius va trouver l'empereur.
 XXXIX. Flavien se présente à Théodose. XL. Discours de Flavien. XLI.
 Clémence de l'empereur. XLII. Le pardon est annoncé aux habitants
 d'Antioche. XLIII. Joie de toute la ville. XLIV. Maxime se prépare à
 la guerre. XLV. On lui députe saint Ambroise. XLVI. Saint Ambroise
 devant Maxime. XLVII. Maxime passe les Alpes. XLVIII. Valentinien
 se réfugie à Thessalonique. XLIX. Théodose ramène Valentinien à la
 croyance orthodoxe. L. Succès de Maxime. LI. Généraux et officiers
 de Maxime. LII. Tatianus succède à Cynégius dans la dignité de
 préfet du prétoire d'Orient. LIII. Dispositions de Théodose. LIV.
 Lois de Théodose. LV. Trahison punie. LVI. Soulèvement des Ariens à
 Constantinople. LVII. Flotte de Maxime. LVIII. Bataille de Siscia.
 LIX. Bataille de Pétau. LX. Théodose poursuit Maxime. LXI. Mort de
 Maxime. LXII. Mort d'Andragathe. LXIII. Guerre des Francs. LXIV.
 Clémence de Théodose. LXV. Actions de justice. LXVI. Théodose refuse
 de rétablir l'autel de la Victoire. LXVII. Synagogue de Callinicus.
 LXVIII. Théodose exclus du sanctuaire.


VALENTINIEN II, THÉODOSE, ARCADIUS.

[Note latérale: AN 386.

I.

Opiniâtreté de Justine en faveur des Ariens.

Idat. fast.

Sulp. Sev. hist. l. 2, c. 65.

Ruf. l. 12, c. 15.

Soz. l. 7, c. 13.

Ambros. de divers. serm. 1, t. 2, app. p. 439.

Till. vie de S. Ambr. art. 43.]

Au commencement de l'an 386, Honorius, âgé seulement de quinze à seize
mois, reçut le titre de consul, qui lui avait été dès sa naissance
destiné pour cette année. Il eut pour collègue Évodius, préfet du
prétoire de Maxime; et cette union prouve que Théodose vivait en paix
avec le tyran, et qu'il le reconnaissait pour empereur. L'impérieuse
Justine n'avait pas renoncé au dessein de rendre à l'Arianisme la
supériorité dont il avait joui sous le règne de Constance et sous
celui de Valens. Elle employait toute l'autorité de son fils pour
troubler la paix des églises; elle menaçait d'exil les évêques, s'ils
n'adhéraient aux décrets de Rimini; elle attaquait Ambroise par des
outrages publics et par de sourdes intrigues; elle tâchait de semer
parmi le peuple l'esprit de discorde; et regardant comme un affront le
peu de succès de ses cabales, elle excitait son fils à la venger du mal
qu'elle ne pouvait faire. Les Ariens et les courtisans, esclaves de la
faveur, secondaient sa passion. Tout était odieux dans Ambroise: on
noircissait ses vertus mêmes; c'était un factieux, un rebelle, qui ne
cherchait par ses aumônes qu'à se faire des créatures. Pour lui, loin
de s'en alarmer: _C'est un reproche_, disait-il, _dont je n'ai garde de
rougir; et plaise à Dieu que je puisse toujours le mériter. Si c'est un
crime de vouloir acheter par mes aumônes l'assistance et l'appui des
indigents auprès du maître des empires, je m'avoue coupable; c'est en
effet ce que je cherche. Ces aveugles, ces boîteux, ces malades, ces
vieillards sont de plus puissants défenseurs que les plus vaillants
guerriers._

[Note latérale: II.

Valentinien les autorise par une loi.

Cod. Th. l. 16, tit. 1, leg. 4, tit. 4, leg. 1.

Ambr. ep. 21, t. 2, p. 860.

Ruf. l. 12, c. 16.

Gaud. præf. serm. ad Benev. Bibl. Pat. t. 2.

Soz. l. 7, c. 13.

Baronius.

[Till. vie de S. Ambr. art. 43.]]

Le jeune prince entra dans la passion de sa mère. Résolu de la
seconder de toute sa puissance, il approuva le projet d'une ordonnance
dressée par Auxentius, évêque de Milan, pour les Ariens. L'empereur
se déclarait pour la foi du concile de Rimini; il permettait aux
Ariens de s'assembler; il défendait aux catholiques, sous peine de
mort, de les troubler dans l'exercice du culte public, et même de
présenter contre eux aucune requête. Pour rédiger cette disposition et
y donner la forme de loi, Justine s'adressa à Bénévolus, secrétaire
des brevets[626]. Celui-ci, né à Brescia [_Brixia_], en Italie, et
instruit de la foi de Nicée par le saint évêque Philastrius, refusa de
prêter son ministère à l'hérésie: et comme l'impératrice le pressait
d'obéir, en lui promettant un emploi plus élevé: _C'est en vain_, lui
dit-il, _qu'on tente de m'éblouir; il n'est point de fortune qui mérite
d'être achetée par une action impie; ôtez-moi plutôt la charge dont je
suis revêtu, pourvu que vous me laissiez ma foi et ma conscience_. En
parlant ainsi, il jeta aux pieds de Justine la ceinture qui était la
marque de son office. Il ne fut pas difficile de trouver à la cour un
ministre plus flexible et plus complaisant. La loi fut publiée le 23 de
janvier[627]; elle répandit la joie et la confiance parmi les Ariens,
et la consternation dans l'église catholique.

[Note 626: _Tunc memoriæ scriniis præsidenti_, dit Rufin, l.
12, c. 16. S. Gaudence de Brixia l'appelle simplement _magister
memoriæ_.--S.-M.]

[Note 627: Cette loi fut donnée à Milan. Les autres lois de cette
époque font voir que Valentinien se trouvait à Pavie, le 15 février
suivant, à Aquilée le 20 avril, à Milan dans les mois de juin et de
juillet, à Aquilée le 3 novembre, à Milan le 18 du même mois, et le 3
décembre.--S.-M.]

[Note latérale: III.

Nouvelles entreprises contre saint Ambroise.

Ambr. ep. 21, t. 2, p. 860, et contra Aux. p. 863-874.

Aug. conf. l. 9, c. 7, t. 1, p. 162, et de Civ. l. 22, c. 8, t. 7, p.
663.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 12, 13, 15, 16, 19.

Till. vie de S. Ambr. art. 44-47.]

La fête de Pâques approchait. C'était le temps où les Ariens avaient
coutume de redoubler leurs efforts pour se rendre maîtres des églises.
L'empereur presse de nouveau Ambroise de leur céder la basilique
Porcienne. Le prélat résiste; il offre au prince de lui abandonner les
terres de l'église; mais il refuse de livrer la maison de Dieu. Justine
lui fait donner ordre de sortir de Milan; on le menace de la mort s'il
n'obéit; il se détermine à ne point partir, et à se laisser enlever de
force plutôt que de se rendre coupable de l'usurpation de la basilique.
Il répond aux officiers de Justine: _Qu'il respecte l'empereur; mais
qu'il craint Dieu plus que le prince; qu'il ne peut abandonner son
église; que la violence pourra bien en séparer son corps, mais non pas
son esprit; que si le prince fait usage du pouvoir impérial, il ne lui
opposera que la patience épiscopale_. Le peuple, résolu de mourir avec
son évêque, accourt à l'église; il y passe plusieurs jours et plusieurs
nuits. Les églises étaient alors accompagnées d'un vaste enclos, qui
renfermait plusieurs bâtiments pour le logement de l'évêque et du
clergé. Tant que durèrent les attaques de Justine, le peuple ne sortit
pas de cette enceinte; et il en restait toujours un grand nombre dans
l'église même, où prosternés au pied des autels, qu'ils baignaient de
leurs larmes, ils imploraient pour eux et pour leur évêque le secours
du ciel. Ce fut en cette rencontre que, pour occuper le peuple et
dissiper l'ennui d'une si longue résidence, saint Ambroise fit pour la
première fois chanter des hymnes: il en composa lui-même qui firent
dans la suite partie de l'office de l'église. Il introduisit aussi le
chant des psaumes à deux chœurs; et cette coutume déja établie dans les
églises orientales, se répandit de Milan dans tout l'Occident.

[Note latérale: IV.

S. Ambroise rassure son peuple.]

Ces chants étaient interrompus par les gémissements du peuple. Pour le
consoler et le contenir en même temps dans les bornes de la soumission
due aux souverains, saint Ambroise montait de temps en temps dans
la tribune, et tâchait de faire passer dans le cœur des fidèles la
sainte assurance dont le sien était rempli: _Je ne consentirai jamais
à vous abandonner_, leur disait-il; _mais je n'ai contre les soldats
et les Goths d'autres armes que des prières au Dieu que nous servons.
Telle est la défense d'un prêtre. Je ne puis ni ne dois combattre
autrement. Je ne sais ni fuir par crainte, ni opposer la force à la
force. Vous savez que j'ai coutume d'obéir aux empereurs, mais je ne
veux leur sacrifier ni ma religion ni ma conscience. La mort qu'on
endure pour Jésus-Christ n'est pas une mort, c'est le commencement
d'une vie immortelle._ Pendant qu'il parlait, l'église fut investie
de soldats que la cour envoyait pour garder les portes, et empêcher
les catholiques d'en sortir. _J'entends_, disait Ambroise, _le bruit
des armes qui nous environnent; ma foi n'en est pas effrayée. Je ne
crains que pour vous; laissez-moi combattre seul. L'empereur demande
l'église et les vases sacrés; ô prince, demandez-moi mes biens, mes
terres, ma maison, ce que j'ai d'or et d'argent: je vous l'abandonne.
Pour les richesses du Seigneur, je n'en suis que dépositaire; il vous
est aussi pernicieux de les recevoir qu'à moi de vous les donner. Si
vous me demandez le tribut, nous ne vous le refusons pas; les terres
de l'église payent le tribut. Si vous voulez nos terres, vous avez le
pouvoir de les prendre; nous ne nous y opposons pas; les collectes du
peuple suffiront pour nourrir les pauvres._ Ces paroles généreuses
étaient reçues avec de grands applaudissements. Les soldats qui étaient
au dehors, pleins de respect pour celui même qu'ils tenaient assiégé,
joignaient leurs acclamations à celles du peuple; et ce concert
alarmait Justine.

[Note latérale: V.

Fin de la persécution.]

Valentinien désespérant de réussir par la terreur, et n'osant en venir
aux dernières violences, envoya sommer Ambroise de se rendre devant lui
pour disputer contre Auxentius, se réservant le pouvoir de décider par
son autorité souveraine. Ambroise s'excusa d'aller au palais y plaider
la cause de Dieu devant l'empereur ni devant aucuns juges séculiers. Il
représenta que les contestations qui concernent la foi ne doivent se
traiter qu'en présence des évêques, et il offrait à Auxentius d'entrer
en dispute avec lui devant un concile. Justine ne trouvant plus de
ressource ni dans ses menaces ni dans ses artifices, conçut le dessein
de faire assassiner Ambroise. Elle s'occupait de cette affreuse pensée,
lorsque les miracles qui s'opérèrent à la découverte des corps de
saint Gervais et de saint Protais, l'effrayèrent sans la changer. En
vain les Ariens s'efforçaient de tourner en ridicule des prodiges que
tout le peuple attribuait à la sainteté de l'évêque aussi-bien qu'aux
mérites des deux martyrs. L'impératrice n'osa combattre plus long-temps
le prélat; elle le laissa en possession de toutes les églises de Milan.

[Note latérale: VI.

Maxime s'intéresse pour les catholiques.

Epist. Rom. Pontif. t. 1.

Ruf. l. 12, c. 16.

Theod. l. 5, c. 14.

Baronius.

[Till. vie de S. Ambr. art. 48.]]

Les remontrances de Maxime firent peut-être sur l'esprit de Justine
encore plus d'impression que les miracles; elle le craignait, et ne
voulait lui donner aucun prétexte de prendre les armes. Ce tyran fut
bien aise de saisir cette occasion de faire une action digne d'un
prince légitime, pour diminuer, s'il était possible, l'odieux de son
usurpation: il conjura Valentinien de cesser la guerre qu'il faisait
à la vérité. On a conservé sa lettre dans laquelle il proteste de sa
sincérité, et déclare que le seul motif qui le fasse agir est le vif
intérêt qu'il prend à la prospérité de Valentinien; que s'il eût formé
quelque dessein sur l'Italie, il ne devrait songer qu'à entretenir
le feu de la division que le jeune prince allumait lui-même dans ses
états: _C'est une chose infiniment périlleuse_, ajoutait-il, _de
toucher à ce qui regarde Dieu_.

[Note latérale: VII.

Actions de piété de Valentinien.

Prudent. περὶ στεφ. hymn. 6.

Grut. inscr. p. 1170, n. 6.

Baronius.

Till. Théod. art. 29.

Cod. Th. l. 8, tit. 8, leg. 3.]

En même temps que Valentinien se déclarait ennemi de la foi catholique,
par une bizarrerie dont les exemples ne sont pas rares, il s'occupait
d'actions de piété, il donnait ordre de rebâtir et d'agrandir à Rome
la basilique de saint Paul, sur le chemin d'Ostie. Ce projet fut
ensuite exécuté par Théodose et achevé par Honorius. Placidie, fille de
Théodose, y ajouta de riches ornements. Le jeune prince ne se contenta
pas des lois déja établies par Constantin et par son père Valentinien
pour obliger les peuples à sanctifier le dimanche: il défendit de faire
ce jour-là aucune procédure, aucun acte, aucune transaction; d'exiger
le paiement d'aucune dette; de débattre aucun droit, même devant des
arbitres; et il déclara infame et sacrilége quiconque ne s'acquitterait
pas en ce saint jour des devoirs que prescrit la religion.

[Note latérale: VIII.

Théodose interdit aux chrétiens toute participation à l'idolâtrie.

Cod. Th. l. 12, tit. 1, leg. 112.]

Les ordonnances de Théodose s'accordaient mieux avec la pureté de sa
foi. Il n'avait pas porté les derniers coups à l'idolâtrie; et dans
chaque province subsistait encore un pontife supérieur, qui était
chargé de la police de toute la religion païenne. Ce titre, regardé
comme très-honorable, était conféré aux personnes les plus distinguées
de l'ordre municipal: on le donnait quelquefois à des chrétiens
malgré eux; d'autres, moins scrupuleux que Gratien, allaient jusqu'à
le rechercher. L'ambition, qui sait plier la conscience au gré de
ses désirs, leur persuadait que cette dignité n'exigeant aucun acte
particulier d'idolâtrie, n'était pas incompatible avec leur religion.
Théodose, mieux instruit des obligations du christianisme, ne voulut
pas à la vérité abolir cette fonction; l'ordre public la rendait
nécessaire tant que le paganisme subsisterait, mais il défendit aux
païens d'y contraindre les chrétiens, et à ceux-ci de l'accepter[628].

[Note 628: Ce fut en vertu d'une loi rendue à Constantinople, le 16
juin de l'an 386.--S.-M.]

[Note latérale: IX.

Guerre des Gruthonges.

Claud. in 4º Cons. Honor. v. 254 et seq.

Symm. l. 3, ep. 74 et seq.

Zos. l. 4, c. 38, 39 et 40.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. Chr.]

Depuis cinq ans la paix n'avait été troublée en Orient que par
quelques incursions qu'on avait facilement réprimées. La réputation de
Théodose rendait la frontière respectable à tant de nations guerrières
dont l'empire était environné, lorsqu'un nouvel essaim de barbares
vint menacer la Thrace des mêmes désastres qu'elle avait éprouvés
sous le règne de Valens. C'étaient des Ostrogoths, appelés aussi
Gruthonges[629] qui, dix ans auparavant, chassés de leur pays par les
Huns, erraient dans cette vaste contrée qui s'étend du Danube à la mer
Baltique. Réunis sous un chef[630] nommé Odothée, ils entraînèrent
avec eux une partie de ces nations féroces dont ils traversaient le
pays. L'amour de la guerre et l'espérance du pillage leur associèrent
un grand nombre de Huns; et c'est à cause du mélange de ces deux
puissantes nations que quelques auteurs donnent à ces barbares le nom
de Gothuns[631]. Tout à coup la rive septentrionale du Danube parut
couverte d'une multitude immense de guerriers suivis de leurs chariots,
de leurs femmes et de leurs enfants[632]. Ils envoyèrent demander le
passage à Promotus, général des troupes de la Thrace. Ce capitaine,
aussi rusé que vaillant, s'avança aussitôt avec son armée, qu'il
étendit le long du fleuve pour en défendre les bords. En même temps
il choisit entre ses soldats des hommes de confiance, qui savaient
la langue de ces barbares; il leur ordonna de passer le fleuve et de
tromper les ennemis en leur promettant de leur livrer l'armée romaine
avec le général. Ceux-ci s'acquittèrent adroitement de leur commission.
Ils demandèrent d'abord une somme exhorbitante pour récompense de
leur trahison. On disputa long-temps; enfin on se relâcha de part et
d'autre, et l'on s'accorda sur le prix dont la moitié serait payée
sur l'heure, et le reste après la victoire. On convint et des signaux
et du moment de l'attaque; elle devait se faire de nuit. Les soldats
revinrent et informèrent de tout leur général.

[Note 629: Zosime a tort de dire, l. 4, c. 38, que cette nation
scythique était inconnue aux habitants des bords du Danube, quand elle
parut sur les bords de ce fleuve, ἔθνος τὶ Σκυθικὸν ὑπὲρ τὸν Ἴστρον
ἐφάνη, πᾶσιν ἄγνωστον τοῖς ἐκεῖσε νομάσιν. Les Romains avaient assez
souvent combattu les mêmes ennemis, quand ils étaient commandés par
Alathée et Saphrax, pour qu'ils eussent dès long-temps appris à les
connaître. Voyez ci-devant pag. 102, l. XX, § 5. C'est sans doute par
une faute de copiste que le même auteur semble dire que ces peuples
étaient appelés _Prothinges_ par les Barbares, ἐκάλουν δὲ Προθίγγους
αὐτοὺς, οἱ ταύτῃ Βαρβαροι. Il faut lire Γροθίγγους, au lieu de
Προθίγγους.--S.-M.]

[Note 630: Claudien lui donne le titre de roi, _in 4º cons. Honor._
v. 632. Voyez ci-après, p. 322, note 1.--S.-M.]

[Note 631: Le nom de _Gothunnus_ ne se trouve que dans quelques
manuscrits de Claudien. Il y est souvent même remplacé par celui de
_Gruthungus_. Cette leçon a été adoptée par presque tous les éditeurs.
Il est question de ce peuple, mais seulement sous le nom de Gruthunges,
dans le 2e livre contre Eutrope, v. 153.

    ......... Ostrogothis colitur mixtisque Gruthungis
    Phryx ager,

et un peu plus loin, v. 196

    ........ Bene rura Gruthungus
    Excolet.

--S.-M.]

[Note 632: Claudien porte à trois mille le nombre des barques avec
lesquelles les Gruthunges tentèrent le passage du Danube.

    Ausi Danubium quondam tranare Gruthungi,
    In lintres fregere nemus: ter mille ruebant
    Per fluvium plenæ cuneis immanibus alni.
    Dux Odothœus erat.

CLAUD. de 4º cons. Honor. v. 623 et seq.--S.-M.]

[Note latérale: X.

Leur défaite.]

On avait choisi une nuit où la lune ne donnait pas de lumière.
L'obscurité semblait favorable aux barbares pour dérober le passage;
elle l'était encore plus à Promotus, pour leur cacher ses mouvements.
Lorsque cette nuit fut arrivée, les ennemis jettent dans des canots
faits d'un seul arbre ce qu'ils avaient de plus braves soldats;
ceux-ci devaient descendre les premiers, et égorger les Romains,
qu'ils s'attendaient à trouver endormis. Ils font ensuite embarquer
les autres, afin de soutenir leurs camarades. Ils laissent sur le
bord les gens inutiles au combat, femmes, vieillards, enfants, qui ne
devaient passer qu'après le succès. Cependant Promotus, instruit de
ces dispositions, se préparait à les recevoir. Ayant rassemblé les
jours précédents un très-grand nombre de grosses barques, il les rangea
sur trois lignes; et quoiqu'il ne laissât entre elles qu'un médiocre
intervalle, il en eut assez pour border le fleuve dans l'espace de
vingt stades, c'est-à-dire de deux mille cinq cents pas. On observait
un grand silence, et la largeur du fleuve empêchait les ennemis
d'entendre le bruit des barques et des rames. Lorsque tout fut prêt du
côté des Romains, Promotus fit donner le signal dont ses émissaires
étaient convenus avec les barbares, pour leur indiquer le moment du
passage. Les Gruthonges font aussitôt force de rames, et s'avancent
avec impatience comme à une victoire assurée. Au même instant, les deux
premières lignes des barques Romaines se détachent afin d'envelopper
les ennemis. Celles qui sont au-dessous s'étendent dans toute la
largeur du fleuve pour former une barrière; les autres, aidées par
le courant, descendent avec impétuosité. Fort supérieures aux canots
des barbares par leur élévation, par leur masse et par le nombre des
rameurs, elles les heurtent, les renversent, les brisent, les coulent
à fond. La plupart des Gruthonges sont entraînés au fond des eaux par
le poids de leurs armes. Ceux qui traversent le fleuve sont arrêtés par
la troisième ligne des barques qui bordent la terre; ils y trouvent la
mort. En peu de temps, le Danube n'est plus couvert que de cadavres et
de débris[633]. Jamais combat naval ne coûta tant de sang. Odothée y
perdit la vie[634].

[Note 633: Il semble par la manière dont s'exprime Claudien, en
rapportant v. 632, la mort du chef des Ostrogoths, que ce chef avait
été tué par Théodose lui-même; les dépouilles opimes dont il parle,
désignent toujours la victoire remportée dans un combat singulier
contre un chef ennemi.

    Confessusque parens Odothœi regis opima
    Rettulit, exuviasque tibi.

--S.-M.]

[Note 634:

    Submersæ sedere rates; fluitantia nunquam
    Largius Arctoos pavere cadavera pisces;
    Corporibus premitur Peuce; per quinque recurrens
    Ostia barbaricos vix egerit unda cruores.

CLAUD. in 4º cons. Honor. v. 628 et seq.--S.-M.]

[Note latérale: XI.

Théodose épargne les vaincus.]

Les vainqueurs, après avoir détruit et enseveli dans les eaux l'armée
ennemie, passent à l'autre rive, ils s'emparent des bagages, et mettent
aux fers les femmes, les enfants, et tous ceux qui n'avaient pas trouvé
place dans les canots. Théodose qui, sur le premier avis de Promotus,
était parti de Constantinople, arrive en ce moment. Il vient trop
tard pour vaincre, mais assez tôt pour sauver les vaincus. Il juge de
l'importance de la victoire par la quantité de butin et par le nombre
des prisonniers. Il leur fait rendre la liberté et leurs dépouilles;
il y ajoute même des libéralités; et par cette généreuse clémence, il
les change en sujets affectionnés. Il reçoit dans ses troupes ceux
qui sont en état de porter les armes, et donne aux autres des terres
à cultiver[635]. Il laisse Promotus dans la Thrace pour garder la
frontière.

[Note 635: Il paraît, d'après des vers de Claudien (_in Eutrop._
l. 2, v. 153 et seq.) cités ci-devant pag. 320, not. 3, que les
établissements qu'on leur donna étaient situés dans la Phrygie.--S.-M.]

[Note latérale: XII.

Histoire de Gérontius.]

Ces barbares, dispersés en divers cantons de la Thrace, conservaient
leur férocité naturelle; ils avaient peine à s'accoutumer à la
discipline romaine. Un de leurs détachements, composé des plus braves
et des mieux faits, campait aux portes de Tomes, métropole de la petite
Scythie, en-deçà du Danube. L'empereur leur avait assigné une paye
plus forte qu'à ses propres troupes; il leur avait, par honneur, donné
des colliers d'or. Fiers de ces distinctions, ils méprisaient les
soldats de la garnison; ils les insultaient et les maltraitaient en
toute occasion. Ils formaient même des desseins sur la ville, et l'on
avait sujet de tout appréhender de leur caractère brutal et impétueux.
Gérontius commandait la garnison; c'était l'homme du monde le moins
propre à souffrir ces insultes. Aussi fougueux que les barbares, il
ne leur cédait ni en courage ni en force de corps. Il résolut de
les prévenir; et ayant fait part de son dessein aux officiers de la
garnison, comme il les voyait intimidés et peu disposés à le suivre,
il ne prend avec lui que sa garde, qui formait un fort petit nombre,
sort à cheval, l'épée à la main, et va d'un air intrépide charger les
barbares. Les autres soldats saisis de frayeur se tiennent sur la
muraille, simples spectateurs d'un combat si inégal. Les barbares se
moquent d'abord de la folle témérité de Gérontius; c'était à leurs
yeux un insensé qui venait chercher la mort; ils détachent sur lui
quelques-uns de leurs guerriers les plus braves et les plus robustes.
Gérontius s'attache au premier qui vient à lui, il le saisit au corps;
et tandis qu'il s'efforce de le renverser de cheval, un de ses gardes
abat d'un coup de sabre l'épaule du barbare, qui tombe par terre. Ce
coup saisit les autres d'effroi. Gérontius se jette tête baissée au
travers de l'escadron; les soldats romains, ranimés par son exemple,
sortent de la ville; ils fondent sur la troupe ennemie, ils en font
un horrible carnage. Ceux qui échappèrent se réfugièrent dans une
église voisine qui leur servit d'asile. Gérontius ayant par cette
action de valeur réprimé l'insolence des Gruthonges, s'attendait à des
récompenses. Mais Théodose, irrité qu'il eût de son chef et sans l'avis
de ses supérieurs entrepris un coup de cette importance, songeait bien
plutôt à le punir. On l'accusa même de n'avoir attaqué les barbares que
pour leur enlever les colliers d'or qu'ils tenaient de la libéralité
de l'empereur. Gérontius s'en justifia par le soin qu'il avait eu,
aussitôt après sa victoire, de remettre ces colliers entre les mains
des officiers du trésor. Si l'on s'en rapporte à Zosime, qui ne rend
presque jamais justice à Théodose, Gérontius n'évita un traitement
rigoureux qu'aux dépens de sa fortune, qu'il fallut sacrifier pour
acheter la protection des eunuques du palais.

[Note latérale: XIII.

Théodose épouse Galla.

Idat. fast.

Marcel. Chr.

Zos. l. 4. c. 43 et 44.

Socr. l. 4, c. 26.

Philost. l. 10, c. 7.

Pagi ad Baron.]

Théodose avait conduit à la guerre contre les Gruthonges, son fils
Arcadius, âgé de neuf ans. Il revint avec lui à Constantinople[636], où
il entra comme en triomphe le 12 d'octobre. Il épousa quelques jours
après Galla, fille de Valentinien I et de Justine. Selon Philostorge,
elle était arienne ainsi que sa mère. On ne voit pas cependant qu'elle
ait causé aucun trouble dans l'église; mais ce ne serait pas une preuve
de la pureté de sa foi. Elle mourut avant son mari; et sous un empereur
tel que Théodose, on pouvait ne pas s'apercevoir que l'impératrice
fût hérétique. Zosime recule ce mariage d'une année, et il en fait
une aventure romanesque qui ne s'accorde guère avec le caractère de
Théodose, et qui aurait besoin d'un meilleur garant[637].

[Note 636: Les dates des diverses lois rendues vers ce temps
par Théodose font voir que ce prince passa la plus grande partie
de l'année à Constantinople, ou dans les résidences impériales
des environs, à l'exception du temps où il fut occupé à la guerre
contre les Gruthonges. Il était le 20 mai à Périnthe ou Héraclée
sur la Propontide, et le 3 septembre, dans sa maison de campagne
de Mélanthias, d'où il existe deux lois: toutes les autres ont été
décrétées à Constantinople.--S.-M.]

[Note 637: Cet auteur suppose, contre toute vraisemblance, que
Théodose n'épousa cette princesse qu'à l'époque de la fuite de Justine
et de Valentinien le jeune, poursuivis par le tyran Maxime. Théodose,
épris de la beauté de Galla et incertain s'il ferait la guerre contre
Maxime, n'aurait, selon cet auteur, obtenu la main de cette princesse
qu'à la condition de marcher contre l'usurpateur.--S.-M.]

[Note latérale: XIV.

Sénateur accusé pour des songes.

Liban. vita. t. 2, p. 72 et 73.]

Ce prince n'avait d'autre passion que de rendre ses peuples heureux:
il l'était lui-même, lorsqu'il trouvait occasion d'user de clémence.
Un sénateur d'Antioche, qui aimait à donner de magnifiques repas,
raconta un jour devant un grand nombre de convives, des songes qui ne
lui promettaient rien moins que l'empire. Quoiqu'il affectât d'en rire
le premier, on sentit qu'il était la dupe de ces visions frivoles.
Les parasites firent leur devoir; ce fut de le flatter d'abord et
de l'accuser ensuite. Il était perdu s'il eût vécu sous le règne de
Constance ou de Valens. Les juges se piquaient d'un zèle impitoyable;
ils faisaient de cette extravagance une affaire d'état. Tous les
convives, excepté les délateurs, étaient traités de complices. Il y
en avait déja deux condamnés à l'exil; plusieurs avaient souffert la
question. Le secrétaire de Libanius fut accusé entre les autres; on
prouva qu'il était mort avant le festin dont on faisait tant de bruit:
il n'en fallut pas moins pour arrêter les informations déja commencées.
Théodose fit cesser et cassa toute cette procédure. Ne punissant
qu'à regret les crimes réels, il était bien éloigné de s'engager à
poursuivre ceux qui n'étaient qu'imaginaires.

[Note latérale: XV.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 2, tit. 33, leg. 2, l. 9, tit. 34, leg. 9, tit. 44, leg. 1,
et l. 14, tit. 12, leg. unic. et ibi God.]

Toujours prêt à pardonner les attentats contre sa personne,
il punissait sévèrement les atteintes portées à l'honneur des
particuliers. Il ordonna que ceux entre les mains de qui tomberait
un libelle diffamatoire, eussent à le déchirer sur-le-champ, leur
défendant d'en réciter à personne le contenu, et soumettant à la même
peine et celui qui l'aurait composé et celui qui l'aurait communiqué,
à moins qu'il n'en déclarât l'auteur. Pour donner plus d'éclat à la
ville de Constantinople, il voulut que tous ceux qui étaient revêtus
de dignités civiles ou militaires, ne parussent en public que sur des
chars attelés de deux chevaux: les magistrats du premier ordre, tels
que les préfets du prétoire et ceux de la ville, avaient des chars
à quatre chevaux; car, selon une louable discipline établie dès le
temps de la république, il n'était pas libre aux particuliers de se
distinguer par la pompe des équipages: c'était le rang et non pas la
fortune qui permettait l'usage des voitures d'appareil. Les statues
des princes étaient un asyle: ceux qui redoutaient la violence et
l'injustice, trouvaient leur sûreté dans l'enceinte où ces statues
étaient placées; mais il arrivait que certaines gens s'y réfugiaient
par malice et par affectation de terreur, afin de rendre odieuses les
personnes par qui ils se prétendaient menacés. Théodose ordonna que
ceux qui auraient recours à ces asyles y demeureraient pendant dix
jours; que durant cet intervalle on ne pourrait les en arracher, et
qu'ils n'auraient pas eux-mêmes la liberté de s'en écarter; qu'après
l'examen des motifs de leur crainte, si elle se trouvait bien fondée,
les lois prendraient leur défense; au lieu qu'ils seraient punis si
leur alarme prétendue n'était qu'un artifice et un effet de malignité.
Constantin avait mis un frein à l'avarice; mais cette passion, qui
veille sans cesse pour se dérober à la contrainte des lois, avait
franchi ses barrières. Les usures étaient devenues arbitraires.
Théodose se contenta de les renfermer dans leurs anciennes bornes, qui
n'étaient que trop étendues. Il permit l'intérêt à douze pour cent par
année, et condamna les usuriers à rendre le quadruple de ce qu'ils
exigeraient au-delà. La loi de l'Évangile n'avait pas encore en ce
point pris le dessus sur les anciennes lois romaines.

[Note latérale: AN 387.

XVI.

Sédition à Alexandrie.

Idat. fast.

Liban. or. 12, t. 2, p. 391 et 392.]

L'année suivante est mémorable par un de ces événements, dont
l'histoire a pris soin de conserver tous les détails pour l'instruction
des princes et des peuples. C'est la sédition d'Antioche. On connaît
les causes qui la firent naître, la manière dont elle s'alluma, les
excès auxquels elle se porta, les effets qu'elle produisit, la conduite
des magistrats dans la punition, et celle de Théodose dans le pardon
des coupables. Valentinien était consul pour la quatrième fois avec
l'historien Eutrope, lorsqu'une première étincelle de sédition éclata
dans Alexandrie. Le peuple assemblé au théâtre se souleva contre les
magistrats: on les accabla d'injures, sans épargner la personne même
des empereurs; on porta l'audace jusqu'à demander Maxime pour maître:
on l'appelait à grand cris; on souhaitait qu'il voulût accepter la
souveraineté de l'Égypte. Cette émeute excitée en un moment, passa
aussi rapidement qu'un orage. Rien n'était plus ordinaire au peuple
d'Alexandrie: rarement cette multitude légère et turbulente se voyait
réunie dans le théâtre sans insulter les magistrats. La chose était
tellement passée en coutume, que le gouvernement n'y faisait nulle
attention.

[Note latérale: XVII.

Nouvel impôt.

Liban. or. 21, t. 2, p. 526.

Idat. fast.

Marcel. Chr.

Pagi ad Baron.

Till. Théod. not. 27.]

On ne dit pas même quel fut le prétexte de cet emportement populaire,
comme s'il n'en eût fallu aucun pour soulever les Alexandrins. Il est
cependant vraisemblable que ce fut la même cause qui excita vers le
même temps dans Antioche une sédition, dont les suites furent beaucoup
plus fâcheuses. En voici l'occasion. Au mois de janvier de cette
année, il y avait quatre ans révolus depuis qu'Arcadius avait reçu le
titre d'Auguste; Théodose voulut commencer par une fête magnifique la
cinquième année de l'empire de son fils. Cette solennité se nommait les
_quinquennales_; pour y ajouter plus d'éclat, il avança d'une année ses
propres _décennales_, c'est-à-dire la fête de la dixième année de son
empire. C'était la coutume de distribuer en cette occasion de l'argent
aux soldats; ces largesses épuisèrent le trésor. Théodose ne voulant
pas laisser tarir cette source de la prospérité des états, songea aux
moyens de le remplir. Il imposa une contribution extraordinaire.

[Note latérale: XVIII.

La sédition commence à Antioche.

Chrysost. Hom. in S. Ignatium. c. 4, t. 2, p. 597.

Liban. or. 12, t. 2, p. 394, 13, p. 406, 21, p. 526.]

Les ordres du prince ne trouvèrent aucune résistance dans le reste de
la Syrie; mais ils soulevèrent Antioche. Cette ville était, par sa
grandeur, par son opulence, par la beauté de sa situation et de ses
édifices, considérée comme la capitale de l'Orient; divisée en quatre
quartiers entourés de murailles, et qui formaient presque autant de
villes, elle renfermait deux cent mille habitants[638], partagés en
dix-huit tribus. A ce peuple nombreux, se joignaient une infinité
d'étrangers, qui s'y rendaient sans cesse de toutes les contrées
de l'univers. Tant d'humeurs diverses étaient une matière toujours
préparée aux plus violentes agitations. On parlait depuis quelques
jours de la nouvelle imposition: ce n'était qu'un bruit sourd qui
trouvait peu de croyance, mais qui mettait déja les esprits dans cet
état d'incertitude où ils deviennent plus faciles à émouvoir. Les
ordres de l'empereur étant arrivés pendant la nuit du 26 de février,
le gouverneur assembla de grand matin le conseil. La lecture des
lettres n'était pas achevée, _que les assistants s'abandonnèrent à la
douleur: ils s'écrient que la somme est exhorbitante, qu'on peut leur
briser les os par les tortures, leur tirer tout le sang des veines;
mais qu'en vendant et leurs biens et leurs personnes, on ne pourra
trouver de quoi satisfaire à cette exaction cruelle_. Les murmures,
les gémissements, les cris, les marques du dernier désespoir troublent
toute l'assemblée. Plusieurs élèvent la voix pour adresser à Dieu des
prières plus séditieuses encore que les murmures.

[Note 638: C'est S. Jean Chrysostôme qui donne cette évaluation de
la population d'Antioche de son temps. Δῆμον εἰς εἴκοσι ἐκτεινόμενον
μυριάδας, κ. τ. λ. S. Chrys. _in Ignat._ c. 4, t. 2. p. 597.--S.-M.]

[Note latérale: XIX.

Elle s'allume dans toute la ville.

Chrysost. Hom. de stat. 5, c. 3, t. 2, p. 62.

Liban. or. 12, t. 2, p. 393 et 394; 13, p. 406; 20, p. 516; 21, p. 526.]

Le gouverneur fait de vains efforts pour les apaiser. Ils sortent
de la salle et courent comme des forcenés sous le portique; là,
redoublant leurs cris en se dépouillant de leurs robes, ils appellent
les citoyens; ils leur exagèrent le sujet de leur alarme. On accourt de
toutes parts; bientôt un peuple innombrable les environne: la fureur
se communique plus promptement que leurs paroles; la plupart ignorent
encore la cause du tumulte et frémissent déja de colère. Tout-à-coup
sans aucun commandement il se fait un grand silence; cette immense
populace demeure calme et immobile, ainsi que la mer aux approches
d'un violent orage; et un moment après, poussant des cris furieux,
et se divisant en plusieurs troupes comme en autant de vagues, les
uns se jettent dans les thermes voisins; ils renversent, ils brisent,
ils détruisent et les vases et les ornements; d'autres courent à la
maison de l'évêque Flavien, et ne l'ayant pas trouvé, ils reviennent
à la salle du conseil, d'où le gouverneur n'avait encore osé sortir:
ils tâchent d'en enfoncer les portes, et menacent de le massacrer,
ce qui n'était pas sans exemple à Antioche. N'ayant pu réussir, ils
se dispersent en criant: _Tout est perdu: la ville est abymée; une
imposition cruelle a détruit Antioche_.

[Note latérale: XX.

On abat les statues de la famille impériale.

Chrysost. hom. 2, c. 3; hom. 3, c. 1; hom. 5, c. 3; hom. 6, c. 1; hom.
17, c. 2.

Liban. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 395; 13, p. 407; 20, p. 516;
21, p. 527.

Zos. l. 4, c. 41.

Theod. l. 5, c. 19.

Soz. l. 7, c. 23.]

Tout ce qu'il y avait d'étrangers, de misérables, d'esclaves, grossit
la foule des séditieux. Ce mélange confus ne connaît plus ni prince, ni
magistrats, ni patrie. A la vue des portraits de l'empereur, qui était
peint en plusieurs endroits de la ville, la rage s'allume; on l'insulte
de paroles et à coups de pierres; et comme s'il respirait encore plus
sensiblement dans les ouvrages de bronze, on va attaquer ses statues:
on n'épargne pas celles de Flaccilla, d'Arcadius, d'Honorius, ni la
statue équestre de Théodose le père. On attache des cordes à leur col;
chacun s'empresse de prêter son bras à ce ministère de fureur: on
les arrache de leur base; on les brise en morceaux en les chargeant
d'opprobres et d'imprécations; on en abandonne les débris aux enfants
qui les traînent par les rues de la ville.

[Note latérale: XXI.

Fin de la sédition.

Liban. or. 12, t. 2, p. 396; 13, p. 408; 21, p. 527.]

Ce dernier excès d'insolence effraya les coupables eux-mêmes. La vue
des images d'un empereur si respectable, brisées et mises en pièces
les frappa d'horreur, comme s'ils eussent vu les membres du prince
même épars et déchirés. Pâles et tremblants, la plupart s'enfuient
et se renferment. La sédition se ralentissait; mais elle n'était pas
encore apaisée. Une troupe des plus opiniâtres s'assemble autour de
la maison d'un des principaux sénateurs qui, se tenant renfermé chez
lui, paraissait condamner la révolte. Ils y mettent le feu. Pendant
l'emportement du peuple, les plus sages citoyens n'avaient osé
s'exposer: les magistrats, cachés dans leurs maisons, ne songeaient
qu'à conserver leur vie. Ne pouvant se concerter ensemble, ni prendre
aucune mesure, ils en étaient réduits à faire des vœux au ciel.
Quantité de voix appelaient en vain le gouverneur. Quoique ce fût un
officier vaillant et qui s'était signalé dans la guerre, cependant il
n'osa se montrer jusqu'au moment où il apprit que la plus grande fougue
du peuple était passée, et que la maison du sénateur n'était attaquée
que par une poignée de misérables. Il s'y transporta à la tête de sa
garde. Il n'en coûta que deux coups de flèches pour dissiper ce reste
de séditieux. Le comte d'Orient qui commandait les troupes, et qui
n'avait pas montré plus de hardiesse, vint alors se joindre à lui. On
les blâma tous deux dans la suite, de n'avoir pas affronté le péril
pour défendre les statues de l'empereur, et pour épargner à la ville
un si criminel attentat. Leurs soldats poursuivirent les mutins qui
fuyaient devant eux. On en prit un grand nombre qui furent aussitôt
enfermés dans les prisons.

[Note latérale: XXII.

Prodiges fabuleux.

Liban. or. 12. t. 2, p. 396.

Soz. l. 7, c. 23.]

On remarqua que les femmes de la plus vile populace, qui ont coutume
de signaler leur rage dans ces émeutes soudaines, ne prirent aucune
part à celle-ci. L'agitation qui subsistait encore dans les esprits
après tant de secousses violentes, fit, comme il arrive souvent,
imaginer des fantômes et des prodiges bizarres. On ne pouvait croire
que ce désordre n'eût pas été produit par une puissance surnaturelle.
Le bruit courut que dans le fort du tumulte, on avait vu un vieillard
d'une taille gigantesque, monté sur un puissant cheval; et que s'étant
changé d'abord en jeune homme, ensuite en enfant, il avait disparu. On
disait encore que la nuit d'auparavant, on avait aperçu au-dessus de la
ville une femme horrible à voir et d'une grandeur effrayante; que ce
spectre avait passé sur toutes les rues en frappant l'air d'un fouet
avec un bruit affreux. Ce n'était rien moins dans l'idée du peuple
qu'un monstre infernal qui excitait les esprits à la fureur, de la même
manière que les valets de l'amphithéâtre animaient à grands coups de
fouet la rage des bêtes féroces dans les spectacles. Selon saint Jean
Chrysostôme, il n'était pas besoin que le démon courût dans l'air;
c'était assez qu'il entrât dans leur cœurs et qu'il y soufflât le feu
de la révolte. Elle avait commencé au point du jour; à midi le calme
était rétabli dans la ville.

[Note latérale: XXIII.

Crainte des habitants.

Chrysost. Hom. 3, c. 6, t. 2, p. 44; h. 6, c. 2, p. 75.

Liban. or. 12, t. 2, p.398, 13, p. 407; 20, p. 516; 21, p. 527.

Théod. l. 5, c. 19.]

Mais ce calme n'avait rien que de sombre et de lugubre. Après cet accès
de frénésie, les habitants abattus, consternés, ne se reconnaissaient
qu'avec horreur. La honte, les remords, la crainte tenaient tous
les cœurs accablés. La vue des courriers qui partent pour informer
l'empereur, leur annonce déja leur condamnation. Les innocents et les
coupables attendent également la mort; mais personne ne veut être
coupable; ils s'accusent les uns les autres. Les païens, qui n'étaient
pas plus criminels que les chrétiens, tremblent qu'on ne leur impute
tout le désordre. Tous renfermés avec leurs familles qui fondent en
larmes, déplorent le sort de leurs femmes et de leurs enfants; ils
se pleurent eux-mêmes. Partout règne une affreuse solitude. On voit
seulement errer çà et là dans les places et dans les rues des troupes
d'archers, traînant aux prisons des malheureux qu'ils ont arrachés de
leurs maisons.

[Note latérale: XXIV.

Ils prennent la fuite.

Chrysost. Hom. 2, c. 1, 2, et 5. H. 3, c. 1, 5, 6. H. 5, c. 5, 6. H.
13, c. 1.

Lib. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 401; 21, p. 528.]

La nuit se passe dans de mortelles inquiétudes: elle ne présente à
leur esprit que des gibets, des feux, des échafauds. La plupart se
déterminent à quitter leur patrie, qui ne leur paraît plus qu'un vaste
sépulcre. Les riches cachent et enfouissent leurs richesses. Chacun
se tient heureux de sauver sa vie. Dès le point du jour, les rues sont
remplies d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui fuient
la colère du prince comme un incendie. Les magistrats, incertains
du sort de la ville, n'osent les retenir; à peine peuvent-ils à
force de menaces, arrêter les sénateurs qui se préparaient eux-mêmes
à déserter Antioche. Les autres sortent en foule et se dispersent
sur les montagnes et dans les forêts. Plusieurs sont massacrés
par les brigands, qui profitent de cette alarme pour infester les
campagnes voisines; et l'Oronte rapporte tous les jours dans la ville
quelques-uns des cadavres de ces malheureux fugitifs.

[Note latérale: XXV.

Interrogatoires.

Chrysost. H. 3, c. 6, 7; hom. 5, c. 3; hom. 6, c. 5; hom. 8, c. 4; h.
13, c. 1, 2.

Liban. or. 12, t. 2, p. 403; 21. p. 530.]

Cependant les magistrats étaient assis sur le tribunal, et faisaient
comparaître ceux qu'on avait arrêtés à la fin de la sédition et la
nuit suivante. Ils déployaient toute l'horreur des supplices. On
pouvait leur reprocher de n'avoir rien fait pour empêcher le crime:
cette crainte les rendait plus implacables; ils croyaient faire leur
apologie en punissant avec rigueur. Les fouets armés de plomb, les
chevalets, les torches ardentes, toutes les tortures redoutables à
l'innocence même étaient mises en œuvre pour arracher l'aveu du crime
et des complices. Tout ce qui restait de citoyens dans la ville était
assemblé aux portes du prétoire, dont les soldats gardaient l'entrée.
Là, plongés dans un morne silence, se regardant les uns les autres avec
une défiance mutuelle, les yeux et les bras levés vers le ciel, ils
le conjuraient avec larmes d'avoir pitié des accusés, et d'inspirer
aux juges des sentiments de clémence. La voix des bourreaux, le bruit
des coups, les menaces des magistrats les glacent d'effroi; ils
prêtent l'oreille à toutes les interrogations; à chaque coup, à chaque
gémissement qu'ils entendent, ils tremblent pour leurs parents, pour
eux-mêmes; ils craignent d'être nommés entre les complices; mais rien
n'égale la douleur des femmes: enveloppées de leurs voiles, se roulant
à terre, et se traînant aux pieds des soldats, elles les supplient en
vain de leur permettre l'entrée; elles conjurent les moindres officiers
qui passent devant elles, de compatir au malheur de leurs proches,
et de leur prêter quelque secours: entendant les cris douloureux de
leurs pères, de leurs fils, de leurs maris, elles y répondent par des
cris lamentables; elles ressentent au fond de leurs cœurs tous les
coups dont ils sont frappés; et les dehors du prétoire présentent un
spectacle aussi déplorable que les rigueurs qu'on exerce au-dedans.

[Note latérale: XXVI.

Punitions.]

Ce jour affreux et funeste se passa à interroger et à convaincre les
coupables. La nuit était déjà venue; on attendait au dehors, dans des
transes mortelles, la décision des magistrats: on demandait à Dieu,
par les vœux les plus ardens, qu'il touchât le cœur des juges; qu'ils
voulussent bien accorder quelque délai, et renvoyer le jugement à
l'empereur, lorsque tout-à-coup les portes du prétoire s'ouvrirent.
On vit sortir à la lueur des flambeaux, entre deux haies de soldats,
les premiers de la ville chargés de chaînes, languissants et se
traînant à peine, les tortures ne leur ayant laissé de vie qu'autant
qu'il en fallait pour mourir de la main des bourreaux à la vue de
leurs concitoyens. On avait voulu commencer ce terrible exemple par
la punition des plus nobles. On les conduisit au lieu des exécutions.
Leurs mères, leurs femmes, leurs filles, plus mortes qu'eux-mêmes,
veulent les suivre et manquent de forces. Le désespoir les ranime;
elles courent, elles voyent leurs proches tomber sous le glaive et
tombent avec eux par la violence de leur douleur. On les emporte à
leurs maisons. Elles en trouvent les portes scellées du sceau public;
on avait déja ordonné la confiscation de leurs biens; et ces femmes
distinguées par leur rang et par leur naissance, sont réduites à
mendier un asyle, qu'elles ne trouvent qu'avec peine, la plupart de
leurs parents et de leurs amis refusant de leur donner retraite, de
peur de partager leur crime en soulageant leur infortune. On continua
pendant cinq jours de faire le procès aux coupables; plusieurs
innocents furent enveloppés dans la condamnation, s'étant déclarés
criminels dans la force des tortures. Les uns périrent par l'épée;
d'autres par le feu; on en livra plusieurs aux bêtes: on ne fit pas
même grace aux enfants. Tant de supplices ne rassuraient pas ceux qui
restaient; après tant de coups redoublés, la foudre semblait toujours
gronder sur leurs têtes: ils craignaient les effets de la colère du
prince; et quoiqu'il ne pût encore être instruit de la sédition,
on entendait sans cesse répéter dans la ville: _L'empereur sait-il
la nouvelle? Est-il irrité? L'a-t-on fléchi? Qu'a-t-il ordonné?
Voudra-t-il perdre Antioche?_ Pour effacer, s'il était possible, la
mémoire du soulèvement, chacun s'empressait de payer l'impôt qui
en avait été l'occasion. Loin de le trouver alors insupportable,
les habitants offraient de se dépouiller de tous leurs biens, et
d'abandonner à l'empereur leurs maisons et leurs terres, pourvu qu'on
leur laissât la vie.

[Note latérale: XXVII.

Changement des habitants d'Antioche.

Chrysost. Hom. 4, c. 2, hom. 6, c. 1, hom. 15, c. 1, hom. 17, c. 2,
hom. 18, c. 4.

Liban. or. 12, t. 2, p. 403.]

Antioche était une ville de plaisir et de dissolution: l'adversité,
cette excellente maîtresse de la philosophie chrétienne, la changea
tout-à-coup: plus de jeux, plus de festins de débauche, de chansons et
de danses lascives, de divertissements tumultueux. On n'y entendait
plus que des prières et le chant des psaumes. Les chrétiens, qui
faisaient la moitié des habitants, pratiquaient toutes les vertus; les
païens avaient renoncé à tous les vices. Le théâtre était abandonné;
on passait les journées entières dans l'église, où les cœurs les plus
agités se reposent dans le sein de Dieu même. Toute la ville semblait
être devenue un monastère. Libanius en gémit; saint Jean Chrysostôme
en félicite les habitants; il préfère aux emportements insensés de
leur gaieté ordinaire, les fruits heureux de leur infortune et de leur
tristesse.

[Note latérale: XXVIII.

Discours de S. Jean Chrysostôme.

Pallad. dial.

Socr. l. 5, c. 3.

Chrysost. Hom. 2, c. 1, et 2 hom. 4, c. 1, hom. 5, passim. hom. 6, c.
3, 4 et 5. hom. 14, c. 1;

Soz. l. 8, c. 2.

Zon. l. 13, t. 2, p. 36.

Vita S. Joan. Chrysost. Benedict.

Fleury, hist. éccles. l. 19, c. 7 et 9.

[Till. Théod. not. 29.]]

Ce grand homme animé de l'esprit de Dieu, fut seul, dans ces jours
d'alarme et de douleur, la consolation d'un peuple nombreux. Il était
né à Antioche l'an 347, de parents nobles. Il avait pris les leçons de
Libanius. Mais la beauté de son génie, le goût du vrai et du grand, la
lecture assidue de ces admirables modèles que l'ancienne Grèce avait
enfantés, et surtout l'étude de l'Écriture sainte, dont la sublime
simplicité passa dans son esprit comme dans son cœur, lui donnèrent
un ton d'éloquence fort supérieure à celle de son maître. Ce fut une
de ces ames choisies que la sagesse de Dieu se plaît à former de
temps en temps, et à montrer aux hommes pour leur apprendre jusqu'à
quel degré peuvent s'élever les forces humaines soutenues de la grace
divine. Il embrassa d'abord la profession d'avocat. L'injustice des
hommes qu'il voyait de trop près, l'en dégoûta presque aussitôt.
Saint Mélétius le fit lecteur. Il se retira dans la solitude; et le
Démosthène du christianisme, vécut pendant deux ans renfermé dans une
caverne, où il ne s'occupait que de la prière et de l'étude. Le mauvais
état de sa santé l'en fit sortir à l'âge de trente-trois ans. Il fut
bientôt après ordonné diacre par saint Mélétius. Flavien lui conféra
la prêtrise en 385 ou 386, et lui confia le ministère de la parole.
Il était alors dans un âge où l'on peut être assez instruit et assez
exercé dans la pratique de la morale évangélique, pour accepter sans
présomption le redoutable emploi de la prêcher aux autres hommes. Il
parut comme un ange chargé d'annoncer les ordres du ciel; et s'attira,
sans y prétendre et sans en vouloir tirer aucun avantage temporel,
l'admiration de toute la ville d'Antioche. L'éclat, la solidité, la
force, la pureté de son éloquence, lui fit donner avec raison le surnom
de Chrysostôme. Depuis le vendredi 26 février, jour de la sédition,
jusqu'au jeudi de la semaine suivante, il demeura dans le silence.
Enfin, lorsque les plus coupables furent punis, que plusieurs de ceux
que la terreur avait bannis de la ville, commençaient à y revenir, et
qu'il ne restait plus que l'inquiétude de la vengeance du prince, il
monta dans la tribune. Pendant tout le temps du carême, qui commença
cette année à Antioche le huitième de mars, il continua de prêcher au
peuple, dont il sut calmer les craintes et essuyer les larmes; et l'on
doit principalement attribuer à ce grand orateur la tranquillité où
la ville se maintint au milieu des diverses alarmes qui survinrent.
Il prononça dans cet intervalle vingt discours comparables à tout
ce qu'Athènes et Rome ont produit de plus éloquent. L'art en est
merveilleux. Incertain du parti que voudra prendre Théodose, il mêle
ensemble l'espérance du pardon et le mépris de la mort, et dispose ses
auditeurs à recevoir avec soumission et sans trouble, les ordres de la
providence. Il entre toujours avec tendresse dans les sentiments de ses
citoyens; mais il les relève et les fortifie. Jamais il ne les arrête
trop long-temps sur la vue de leurs malheurs; bientôt il les transporte
de la terre au ciel. Pour les distraire de la crainte présente, il
leur en inspire une autre plus vive: il les occupe du souvenir de
leurs vices, et leur montre le bras de Dieu levé sur leurs têtes et
infiniment plus terrible que celui du prince.

[Note latérale: XXIX.

Flavien part pour fléchir l'empereur.

Chrysost. Hom. 3, c. 1, et 2. hom. 6, c. 2, hom. 17, c. 2, hom. 21, c.
1.

Liban. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 389.

Zos. l. 4, c. 41.]

Il y avait déja huit jours que les courriers qui portaient à l'empereur
la nouvelle de la sédition, étaient partis d'Antioche, lorsqu'on apprit
qu'ils avaient été arrêtés dans leur route par divers accidents, et
obligés de quitter les chevaux de poste pour prendre les voitures
publiques. On crut qu'il était encore temps de les prévenir; et
toute la ville s'adressa à l'évêque Flavien, prélat vénérable par sa
sainteté, et chéri de l'empereur. Il accepta cette pénible commission;
et ni les infirmités d'une extrême vieillesse, ni la fatigue d'un long
voyage dans une saison incommode et pluvieuse, ni l'état où se trouvait
une sœur unique qu'il aimait tendrement et qu'il laissait au lit de
la mort, ne purent arrêter son zèle. Résolu de mourir ou de fléchir
la colère du prince, il part au milieu des larmes de son peuple. Tous
les cœurs le suivent par leurs vœux; on espère que la bonté naturelle
de l'empereur ne pourra se défendre d'écouter un prélat si respecté.
Zosime fait honneur de cette députation à Libanius et à un certain
Hilaire distingué, dit-il[639], par sa naissance et par son savoir.
Nous avons en effet deux discours de Libanius, qui semblent avoir été
prononcés devant l'empereur, l'un pour apaiser sa colère, l'autre pour
louer sa clémence. Mais ce n'est qu'une fiction de déclamateur. Si l'on
s'en rapporte à Libanius lui-même, il paraît qu'il ne sortit point de
la ville. Ce sophiste qui veut toujours jouer un grand rôle, prétend
avoir beaucoup servi à rassurer les habitants et à disposer ensuite à
la douceur les commissaires de Théodose. Il y a tout lieu de croire
que ce récit de Zosime n'est qu'une fable inventée pour dérober aux
chrétiens la gloire d'avoir sauvé Antioche.

[Note 639: Selon Zosime, Théodose le fit ensuite gouverneur de
toute la Palestine. Ἱλάριος δὲ δια τὸ μέγεθος τῆς ἀρετῆς, ἐπαίνων
ἀξιωθεὶς, ἄρχειν παρὰ βασιλέως ἐτάττετο Παλαίστινης ἀπάσης. Zos. l. 4,
c. 41.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Colère de l'empereur.

Chrysost. Hom. 14, c. 6, t. 2, p. 149; hom. 17, c. 2, p. 172.

Idem, in ep. ad Coloss. Hom. 7, c. 3, t. 11, p. 374.

Liban. or. 13, t. 2, p. 408 et 418. et or. 20, p. 517.

Theod. l. 5, c. 19.

Zos. l. 4, c. 41.

Soz. l. 7, c. 23.

Theoph. p. 60.

Till. Théod. not. 30.]

Quoique Flavien fît une extrême diligence, il ne put atteindre les
courriers. Ils arrivèrent avant lui, et leur rapport excita dans
Théodose cette violente colère dont les premiers accès étaient toujours
prompts et terribles. Il était moins irrité du renversement de ses
propres statues, que des outrages faits à celles de Flaccilla et de
son père. L'ingratitude d'Antioche redoublait encore son courroux: il
avait distingué cette ville entre toutes celles de l'empire par des
marques de sa bienveillance; il y avait ajouté de superbes édifices.
On venait d'achever par ses ordres un nouveau palais dans le faubourg
de Daphné, et il avait promis de venir incessamment honorer Antioche
de sa présence. Son premier mouvement fut de détruire la ville et
d'ensevelir les habitants sous ses ruines. Étant revenu de cet accès
d'emportement, il choisit le général Hellébichus, et Césarius maître
des offices pour l'exécution d'une vengeance plus conforme aux règles
de la justice. Comme il ignorait encore la punition des principaux
auteurs du désordre, il chargea ces commissaires d'informer contre
les coupables, avec pouvoir de vie et de mort. Il leur donna ordre
de fermer le théâtre, le cirque et les bains publics; d'ôter à la
ville son territoire, ses priviléges et la qualité de métropole;
de la réduire, comme avait autrefois fait l'empereur Sévère, à la
condition d'un simple bourg soumis à Laodicée, son ancienne rivale, qui
deviendrait par ce changement métropole de la Syrie; de retrancher aux
pauvres la distribution de pain, qui était établie dans Antioche comme
dans Rome et dans Constantinople.

[Note latérale: XXXI.

Arrivée des commissaires.

Chrysost. Hom. 12, c. 1, hom. 16, c. 1, hom. 17, c. 1, hom. 18, c. 4,
hom. 21, c. 2.

Liban. or. 13, t. 2, p. 407, 20. p. 517, 21, p. 529.]

Hellébichus et Césarius étant partis avec ces ordres rigoureux,
rencontrèrent Flavien et redoublèrent sa douleur. Il continua sa
route avec plus d'empressement pour obtenir quelque grace. Les deux
commissaires se hâtèrent d'arriver en Syrie. La renommée qui les
devança, renouvela la terreur dans Antioche. On publiait qu'ils
venaient à la tête d'une troupe de soldats qui ne respiraient que le
sang et le pillage. Les habitants prononçaient eux-mêmes leur propre
sentence: _On égorgera le sénat; on détruira la ville de fond en
comble; on la réduira en cendres avec son peuple; on y fera passer
la charrue; et, pour éteindre notre race, on poursuivra le fer et le
feu à la main, jusque dans les montagnes et les déserts, ceux qui
y chercheront une retraite._ On attendait en tremblant le moment
de leur arrivée. On se disposait de nouveau à prendre la fuite.
Le gouverneur, qui était païen, vint à l'église, où une multitude
innombrable s'était assemblée, comme dans un asile; il y parla au
peuple, et s'efforça de le rassurer. Lorsqu'il se fut retiré, saint
Jean Chrysostôme fit reproche aux chrétiens d'avoir eu besoin d'une
voix étrangère pour affermir des cœurs que la confiance en Dieu devait
rendre inébranlables. Enfin, ceux qui connaissaient le caractère des
deux officiers, vinrent à bout de calmer ces alarmes. On commença de
se persuader que le prince ne voulait pas ruiner Antioche, puisqu'il
confiait sa vengeance à deux ministres si équitables et si modérés.
A leur approche, une foule de peuple sortit au-devant d'eux, et les
conduisit à leur demeure avec des acclamations mêlées de prières et de
larmes. C'était le soir du 29 de mars.

[Note latérale: XXXII.

Conduite qu'ils y tiennent.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, hom 18, c. 1 et 4.

Liban. or. 12, t. 2, p. 398, 20, p. 517, 21, 529 et seq.

Greg. Naz. ep. 123, t. 1, p. 857.]

En effet, les deux commissaires n'étaient pas de ces courtisans vils
et mercenaires qui, livrés sans réserve à la passion de leur maître,
vont aussi vite que son caprice, et lui préparent d'inutiles repentirs.
C'étaient des hommes prudents et vertueux. Hellébichus était même uni
d'amitié avec saint Grégoire de Nazianze; et c'est une louange pour
Théodose d'avoir choisi dans sa colère, deux ministres propres, non
pas à la servir aveuglément, mais à la diriger et à la retenir dans
les bornes d'une exacte justice. Ils apprirent en arrivant que les
magistrats les avaient prévenus, et que la sédition était déja punie
par des exemples assez rigoureux. Cependant, par les ordres du prince,
ils se voyaient réduits à la triste nécessité de rouvrir les plaies
récentes de cette malheureuse ville, et d'en faire encore couler du
sang. Ils signifièrent d'abord la révocation de tous les priviléges
d'Antioche.

[Note latérale: XXXIII.

Informations nouvelles.

Chrysost. Hom. 17, c. 1 et 2; hom. 18, c. 1 et 4.

Liban. or. 20, t. 2, p. 517; 21, p. 530.]

Le lendemain ils firent comparaître tous ceux qui composaient le
conseil de la ville. Ils écoutèrent et les accusations formées contre
eux, et leurs réponses. L'humanité des juges adoucissait autant qu'il
leur était permis, la sévérité de leur ministère: ils n'employaient
ni soldats ni licteurs pour imposer silence; ils permettaient aux
accusés de plaindre leur sort, de verser des pleurs; ils en versaient
eux-mêmes; mais ils ne leur laissaient espérer aucune grace; ils
paraissaient à la fois compatissants et inflexibles. Sur la fin du
jour ils firent renfermer tous ceux qui étaient convaincus, dans une
grande enceinte de murailles, sans toit et sans aucune retraite qui pût
les garantir des injures de l'air. C'étaient les personnes les plus
considérables d'Antioche par leur naissance, par leurs emplois et par
leurs richesses. Toutes les familles nobles prirent le deuil; la ville
perdait avec eux tout ce qu'elle avait d'éclat et de splendeur.

[Note latérale: XXXIV.

Courage des moines.

Chrysost. Hom. 17, c. 1 et 2, hom. 18, c. 4.

Liban. or. 21, t. 2. p. 531.

Theod. l. 5, c. 20.]

Le troisième jour devait être le plus funeste: tous les habitants
étaient glacés d'effroi. C'était le jour destiné au jugement et à
l'exécution des coupables. Avant le lever du soleil les commissaires
sortent de leur demeure à la lueur des flambeaux. Ils montraient
une contenance plus sévère que la veille, et l'on croyait déja lire
sur leur front la sentence qu'ils allaient prononcer. Comme ils
traversaient la grande place, suivis d'une foule de peuple, une femme
avancée en âge, la tête nue, les cheveux épars, saisit la bride du
cheval d'Hellébichus, et s'y tenant attachée, elle l'accompagne avec
des cris lamentables. Elle demandait grace pour son fils, distingué par
ses emplois et par le mérite de son père. En même temps Hellébichus
et Césarius se voient environnés d'une multitude inconnue, que des
vêtements lugubres, des visages pâles et exténués faisaient ressembler
à des fantômes plutôt qu'à des hommes. C'étaient les solitaires des
environs d'Antioche, qui dans cette conjoncture étaient accourus de
toutes parts; et tandis que les philosophes païens, plus orgueilleux,
mais aussi timides que le vulgaire, étaient allés chercher leur sûreté
sur les montagnes et dans les cavernes, les moines, qui étaient alors
les vrais philosophes du christianisme et qui portaient ce nom à juste
titre, avaient abandonné leurs cavernes et leurs montagnes, pour venir
consoler et secourir leurs concitoyens. Ils s'attroupent en grand
nombre autour des commissaires; ils leur parlent avec hardiesse; ils
offrent leurs têtes à la place des accusés; ils protestent qu'ils ne
quitteront les juges qu'après avoir obtenu grace. Ils demandent d'être
envoyés à l'empereur: _Nous avons_, disent-ils, _un prince chrétien
et religieux; il écoutera nos prières; nous ne vous permettrons pas
de tremper vos mains dans le sang de vos frères, ou nous mourrons
avec eux_. Hellébichus et Césarius tâchaient de les écarter, en leur
répondant qu'ils n'étaient pas maîtres de pardonner, et qu'ils ne
pouvaient désobéir au prince sans se rendre eux-mêmes aussi coupables
que le peuple d'Antioche.

[Note latérale: XXXV.

Hardiesse de Macédonius.]

Ils continuaient leur marche, lorsqu'un vieillard dont l'extérieur
n'avait rien que de méprisable, s'avança à leur rencontre. Il était
de petite taille, vêtu d'habits sales et déchirés. Saisissant par
le manteau l'un des deux commissaires, il leur commanda à tous deux
de descendre de cheval. Indignés de cette audace, ils allaient le
repousser avec insulte, lorsqu'on leur dit que c'était Macédonius. Ce
nom les frappa d'une vénération profonde. Macédonius vivait depuis
long-temps sur le sommet des plus hautes montagnes de Syrie, occupé
jour et nuit de la prière. L'austérité de sa vie lui avait fait donner
le surnom de Crithophage[640], parce qu'il ne se nourrissait que de
farine d'orge. Quoiqu'il fût très-simple, sans aucune connaissance
des choses du monde, et qu'il se fût rendu comme invisible aux autres
hommes, il était célèbre dans tout l'Orient. Les commissaires s'étant
jetés à ses pieds, le priaient de leur pardonner, et de souffrir qu'ils
exécutassent les ordres de l'empereur. Alors ce solitaire, instruit
par la sagesse divine, leur parla en ces termes: «Mes amis, portez ces
paroles au prince: Vous n'êtes pas seulement empereur, vous êtes homme,
et vous commandez à des hommes de même nature que vous. L'homme a été
formé à la ressemblance de Dieu. N'est-ce donc pas un attentat contre
Dieu même, de détruire cruellement son image? On ne peut outrager
l'ouvrage, sans irriter l'ouvrier. Considérez à quelle colère vous
emporte l'insulte faite à une figure de bronze. Et une figure vivante,
animée, raisonnable, n'est-elle pas d'un plus grand prix? Il nous est
aisé de rendre à l'empereur vingt statues pour une seule; mais après
nous avoir ôté la vie, il lui sera impossible de rétablir un seul
cheveu de notre tête.» Le discours de cet homme sans lettres[641] fit
une vive impression sur les commissaires. Ils promirent à Macédonius de
faire part à l'empereur de ses sages remontrances.

[Note 640: Κριθοφάγος, c'est-à-dire _mangeur d'orge_. Théodoret
a donné la vie de ce personnage dans son _Histoire monastique_, c.
13.--S.-M.]

[Note 641: Théodoret nous apprend que ce solitaire, qui ne savait
pas le grec, s'exprima en langue syriaque, τῇ Σύρῳ ἔλεγε γλώττῃ. c.
13. Des interprètes furent chargés de rendre en grec le sens de son
discours.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Les commissaires remettent l'affaire au jugement de l'empereur.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, t. 2, p. 572.

Liban. or. 21, t. 2, p. 531 et 532.]

Ils se trouvaient dans un extrême embarras, et n'étaient guère moins
agités au-dedans d'eux-mêmes, que les coupables dont ils devaient
prononcer la sentence. D'un côté, les ordres de l'empereur leur
faisaient craindre d'attirer sur eux toute sa colère; de l'autre,
les cris et les vives instances des habitants et surtout des moines,
dont les plus hardis menaçaient d'arracher les criminels des mains
des bourreaux, et de subir eux-mêmes le supplice, désarmaient leur
sévérité. Dans cet état d'incertitude, ils arrivèrent aux portes du
prétoire, où l'on avait déja conduit ceux qui devaient être condamnés.
Ils y rencontrèrent un nouvel obstacle. Les évêques qui étaient alors
dans Antioche, et il s'en trouvait toujours quelques-uns dans cette
capitale de l'Orient, se présentent devant eux; ils les arrêtent et
leur déclarent que s'ils ne veulent leur passer sur le corps, il faut
qu'ils leur promettent de laisser la vie aux prisonniers. Sur le refus
des commissaires, ils s'obstinent à leur fermer le passage. Enfin
Césarius et Hellébichus ayant témoigné par un signe de tête qu'ils
leur accordaient leur demande, ces prélats poussent un cri de joie,
ils leur baisent les mains, ils embrassent leurs genoux. Le peuple et
les moines se jettent en même temps dans le prétoire, et la garde ne
peut arrêter cette foule impétueuse. Alors cette mère éplorée, qui
n'avait pas quitté la bride du cheval d'Hellébichus, apercevant son
fils chargé de chaînes, court à lui, l'entoure de ses bras, le couvre
de ses cheveux, le traîne aux pieds d'Hellébichus, et les arrosant de
ses larmes, elle conjure ce général avec des cris et des sanglots, de
lui rendre l'unique soutien de sa vieillesse, ou de lui arracher à
elle-même la vie. Les moines redoublent leurs instances: ils supplient
les juges de renvoyer le jugement à l'empereur; ils offrent de partir
sur-le-champ et promettent d'obtenir la grace de tant de malheureux.
Les commissaires ne pouvant retenir leurs larmes, se rendent enfin;
ils consentent à surseoir l'exécution jusqu'à la décision de Théodose.
Mais ils ne veulent pas exposer tant de vieillards, atténués par
les austérités, aux fatigues d'un long et pénible voyage: ils leur
demandent seulement une lettre; ils se chargent de la porter au prince
et d'y joindre les plus pressantes sollicitations. Les solitaires
composèrent une requête dans laquelle, en implorant la clémence de
Théodose, ils lui mettaient devant les yeux le jugement de Dieu, et
protestaient que s'il fallait encore du sang pour apaiser son courroux,
ils étaient prêts à donner leur vie pour le peuple d'Antioche.

[Note latérale: XXXVII.

La joie renaît dans Antioche.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, hom. 18, c. 4, hom. 20, c. 7.

Liban. or. 21, t. 2, p. 533.]

Les deux commissaires convinrent qu'Hellébichus demeurerait dans la
ville, et que Césarius irait à Constantinople. Ils firent transférer
les criminels dans une prison plus commode. C'était un vaste édifice,
orné de portiques et de jardins, où, sans les délivrer de leurs
chaînes, on leur permit de recevoir toutes les consolations de la
vie. Cette nouvelle fit renaître l'espérance, dont les effets se
diversifiaient selon la différence des caractères. Les citoyens
sensés bénissaient Dieu et lui rendaient des actions de grâces; ils
se flattaient que l'empereur, en considération de la fête de Pâques
qui approchait, pardonnerait les offenses qu'il avait reçues. Mais
une jeunesse dissolue, dont cette ville voluptueuse était remplie,
s'abandonnait déja aux excès d'une joie extravagante; elle avait en
un moment oublié tous ses malheurs. Dès le lendemain du départ de
Césarius, pendant que les principaux d'Antioche étaient dans les fers,
et le pardon encore incertain, les bains publics étant fermés, une
troupe de jeunes libertins coururent au fleuve, sautant, dansant,
chantant des chansons lascives, et entraînant avec eux les femmes
qu'ils rencontraient. Ces désordres n'échappèrent pas aux sévères
réprimandes de saint Jean Chrysostôme: pour les tirer de cette folle
sécurité, il fit de nouveau gronder sur leurs têtes le tonnerre de la
vengeance divine et les menaces de celle du prince.

[Note latérale: XXXVIII.

Césarius va trouver l'empereur.

Liban. or. 20, t. 2, p. 519-521.

Theod. l. 5, c. 20.

Soz. l. 7, c. 23.]

Césarius était parti dès le soir même. Une foule de peuple et surtout
les femmes, remplissaient le chemin sur son passage jusqu'à la distance
de près de deux lieues. Mais ce sage officier voulant éviter l'éclat
des acclamations populaires, attendit que la nuit eût obligé cette
multitude de se retirer. Afin de faire plus de diligence, il n'avait
pris avec lui que deux domestiques; et le soir du lendemain, il était
déja sur les frontières de la Cappadoce. Il ne s'arrêta dans sa route
que pour changer de relais, et ne sortit de son chariot ni pour dormir
ni pour prendre sa nourriture; il volait avec plus d'empressement que
s'il se fût agi de sa propre vie. Quoiqu'il y eût plus de trois cents
lieues d'Antioche à Constantinople, il arriva dans cette dernière ville
le sixième jour après midi. Comme il était sans suite, il y entra
sans être connu, et se fit sur-le-champ annoncer à l'empereur. Il lui
présenta le procès-verbal qui contenait le détail de la sédition et
de ses suites. Il n'y avait pas oublié la requête des moines et la
remontrance de Macédonius. Il en fit la lecture par ordre du prince.
Aussitôt, se jetant à ses pieds, il lui représenta le désespoir des
habitants, les châtiments rigoureux qu'ils avaient déja éprouvés, la
gloire qui lui reviendrait de la clémence. Théodose versa des larmes;
son cœur commençait à s'attendrir; mais la colère combattait encore ces
premiers mouvements de compassion.

[Note latérale: XXXIX.

Flavien se présente à Théodose.

Chrysost. hom. 21, c. 2, t. 2, p. 215.]

Il y avait déja sept ou huit jours que Flavien était arrivé à
Constantinople. Mais soit qu'il crût l'empereur encore trop irrité,
soit que ce prince l'évitât à dessein, il ne s'était point jusqu'alors
présenté à Théodose. Plongé dans la douleur la plus amère, il ne
s'occupait que des maux de son peuple; son absence les lui rendait plus
sensibles, parce qu'il ne pouvait les soulager; ses entrailles étaient
déchirées; il passait les jours et les nuits à verser des larmes devant
Dieu, le priant d'amollir le cœur du prince. L'arrivée de Césarius lui
rendit le courage; il alla au palais; et ce fut peut-être Césarius même
qui lui procura une audience, afin d'appuyer ses prières de celles de
ce saint évêque. Dès que Flavien parut devant l'empereur, il se tint
éloigné, dans un morne silence, le visage baissé vers la terre, comme
s'il eût été chargé de tous les crimes de ses compatriotes. Théodose
le voyant confus et interdit, s'approcha lui-même, et levant à peine
les yeux, le cœur serré de douleur, au lieu de s'abandonner aux éclats
d'un juste courroux, il semblait faire une apologie. Rappelant en
peu de mots tout ce qu'il avait fait pour Antioche, il ajoutait à
chaque trait: _C'est donc ainsi que j'ai mérité tant d'outrages_.
Enfin, après le récit des bienfaits dont il avait comblé cette ville
ingrate: «Quelle est donc l'injustice dont ils ont prétendu se venger?
continua-t-il: pourquoi, non contents de m'insulter, ont-ils porté leur
fureur jusque sur les morts? Si j'étais coupable à leur égard, pourquoi
outrager ceux qui ne sont plus et qui ne les ont jamais offensés?
N'ai-je pas donné à leur ville des marques de préférence sur toutes les
autres de l'empire? Je désirais ardemment de la voir; j'en parlais sans
cesse; j'attendais avec impatience le moment où je pourrais en personne
recevoir les témoignages de leur affection, et leur en donner de ma
tendresse».

[Note latérale: XL.

Discours de Flavien.

Chrysost. Hom. 21, c. 3, t. 2, p. 217.]

Flavien pénétré de ces justes reproches et poussant un profond soupir,
rompit enfin le silence, et d'une voix entrecoupée de sanglots:
«Prince, dit-il, notre ville infortunée n'a que trop de preuves de
votre amour, et ce qui faisait sa gloire fait aujourd'hui sa honte
et notre douleur. Détruisez-la jusqu'aux fondements, réduisez-la en
cendres, faites périr jusqu'à nos enfants par le tranchant de l'épée,
nous méritons encore de plus sévères châtiments; et toute la terre,
épouvantée de notre supplice, avouera cependant qu'il est au-dessous
de notre ingratitude. Nous en sommes même déja réduits à ne pouvoir
être plus malheureux. Accablés de votre disgrace, nous ne sommes plus
qu'un objet d'horreur. Nous avons dans votre personne offensé l'univers
entier; il s'élève contre nous plus fortement que vous-même. Il ne
reste à nos maux qu'un seul remède. Imitez la bonté de Dieu: outragé
par ses créatures, il leur a ouvert les cieux. J'ose le dire, grand
prince; si vous nous pardonnez, nous devrons notre salut à votre
indulgence, mais vous devrez à notre offense l'éclat d'une gloire
nouvelle. Nous vous aurons, par notre attentat, préparé une couronne
plus brillante que celle dont Gratien a orné votre tête; vous ne la
tiendrez que de votre vertu. On a détruit vos statues: ah! qu'il
vous est facile d'en rétablir qui soient infiniment plus précieuses!
Ce ne seront pas des statues muettes et fragiles, exposées dans les
places aux caprices et aux injures: ouvrages de la clémence, et aussi
immortelles que la vertu même, celles-ci seront placées dans tous
les cœurs, et vous aurez autant de monuments qu'il y a d'hommes sur
la terre et qu'il y en aura jamais. Non, les exploits guerriers, les
trésors, la vaste étendue d'un empire ne procurent pas aux princes
un honneur aussi pur et aussi durable que la bonté et la douceur.
Rappelez-vous les outrages que des mains séditieuses firent aux statues
de Constantin, et les conseils de ces courtisans qui l'excitaient à
la vengeance: vous savez que ce prince portant alors la main à son
front, leur répondit en souriant, _Rassurez-vous, je ne suis point
blessé_. On a oublié une grande partie des victoires de cet illustre
empereur; mais cette parole a survécu à ses trophées; elle sera
entendue des siècles à venir; elle lui méritera à jamais les éloges et
les bénédictions de tous les hommes. Qu'est-il besoin de vous mettre
sous les yeux des exemples étrangers? Il ne faut vous montrer que
vous-même. Souvenez-vous de ce soupir généreux, que la clémence fit
sortir de votre bouche, lorsqu'aux approches de la fête de Pâques,
annonçant par un édit aux criminels leur pardon, et aux prisonniers
leur délivrance, vous ajoutâtes: _Que n'ai-je aussi le pouvoir de
ressusciter les morts!_ Vous pouvez faire aujourd'hui ce miracle:
Antioche n'est plus qu'un sépulcre; ses habitants ne sont plus que des
cadavres; ils sont morts avant le supplice qu'ils ont mérité: vous
pouvez d'un seul mot leur rendre la vie. Les infidèles s'écrieront:
_Qu'il est grand le Dieu des chrétiens! des hommes, il en sait faire
des anges; il les affranchit de la tyrannie de la nature_. Ne craignez
pas que notre impunité corrompe les autres villes: hélas! notre sort ne
peut qu'effrayer. Tremblants sans cesse, regardant chaque nuit comme la
dernière, chaque jour comme celui de notre supplice, fuyant dans les
déserts, en proie aux bêtes féroces, cachés dans les cavernes, dans les
creux des rochers, nous donnons au reste du monde l'exemple le plus
funeste. Détruisez Antioche; mais détruisez-la comme le Tout-Puissant
détruisit autrefois Ninive: effacez notre crime par le pardon;
anéantissez la mémoire de notre attentat, en faisant naître l'amour
et la reconnaissance. Il est aisé de brûler des maisons, d'abattre
des murailles: mais de changer tout-à-coup des rebelles en sujets
fidèles et affectionnés, c'est l'effet d'une vertu divine. Quelle
conquête une seule parole peut vous procurer! Elle vous gagnera les
cœurs de tous les hommes. Quelle récompense vous recevrez de l'Éternel!
Il vous tiendra compte non-seulement de votre bonté, mais aussi de
toutes les actions de miséricorde que votre exemple produira dans la
suite des siècles. Prince invincible, ne rougissez pas de céder à un
faible vieillard, après avoir résisté aux prières de vos plus braves
officiers: ce sera céder au souverain des empereurs, qui m'envoie
pour vous présenter l'Évangile, et vous dire de sa part: _Si vous ne
remettez pas les offenses commises contre vous, votre père céleste
ne vous remettra pas les vôtres_. Représentez-vous ce jour terrible,
dans lequel les princes et les sujets comparaîtront au tribunal de la
suprême justice; et faites réflexion que toutes vos fautes seront alors
effacées, par le pardon que vous nous aurez accordé. Pour moi, je vous
le proteste, grand prince, si votre juste indignation s'apaise, si vous
rendez à notre patrie votre bienveillance, j'y retournerai avec joie;
j'irai bénir avec mon peuple la bonté divine, et célébrer la vôtre.
Mais si vous ne jetez plus sur Antioche que des regards de colère,
mon peuple ne sera plus mon peuple; je ne le reverrai plus; j'irai
dans une retraite éloignée cacher ma honte et mon affliction; j'irai
pleurer jusqu'à mon dernier soupir, le malheur d'une ville qui aura
rendu implacable à son égard le plus humain et le plus doux de tous les
princes.»

[Note latérale: XLI.

Clémence de l'empereur.

Chrysost. Hom. 21, c. 4, t. 2, p. 222.

Theod. l. 5, c. 20.

Soz. l. 7, c. 23.]

Pendant le discours de Flavien, l'empereur avait fait effort sur
lui-même pour resserrer sa douleur. Enfin, ne pouvant plus retenir
ses larmes: _Pourrions-nous_, dit-il, _refuser le pardon à des hommes
semblables à nous, après que le maître du monde s'étant réduit pour
nous à la condition d'esclave, a bien voulu demander grace à son père
pour les auteurs de son supplice qu'il avait comblés de ses bienfaits!_
Flavien, touché de la plus vive reconnaissance, demandait à l'empereur
la permission de demeurer à Constantinople, pour célébrer avec lui la
fête de Pâques: _Allez, mon père_, lui dit Théodose; _hâtez-vous de
vous montrer à votre peuple, rendez le calme à la ville d'Antioche;
elle ne sera parfaitement rassurée après une si violente tempête, que
lorsqu'elle reverra son pilote_. L'évêque le suppliait d'envoyer son
fils Arcadius: le prince, pour lui témoigner que s'il lui refusait
cette grace, ce n'était par aucune impression de ressentiment, lui
répondit: _Priez Dieu qu'il me délivre des guerres dont je suis menacé,
et vous me verrez bientôt moi-même_. Lorsque le prélat eut passé le
détroit, Théodose lui envoya encore des officiers de sa cour pour le
presser de se rendre à son troupeau avant la fête de Pâques. Quoique
Flavien usât de toute la diligence dont il était capable, cependant
pour ne pas dérober à son peuple quelques moments de joie, il se fit
devancer par des courriers, qui portèrent la lettre de l'empereur avec
une promptitude incroyable.

[Note latérale: XLII.

Le pardon est annoncé aux habitants d'Antioche.

Chrysost. Hom. 21, c. 1, et 4, t. 2, p. 213 et 222.

Liban. or. 13. t. 2, p. 418. 20, p. 522, 21, p. 535.]

Depuis que Césarius était parti d'Antioche, les esprits flottaient
entre l'espérance et la crainte. Les prisonniers surtout recevaient
sans cesse des alarmes par les bruits publics qui se répandaient, _que
l'empereur était inflexible; qu'il persistait dans la résolution de
ruiner la ville_. Leurs parents et leurs amis gémissant avec eux, leur
disaient tous les jours le dernier adieu, et l'éloquente charité de
saint Jean Chrysostôme pouvait à peine les rassurer. Enfin, la lettre
de Théodose arriva pendant la nuit et fut rendue à Hellébichus. Cet
officier généreux sentit le premier toute la joie qu'il allait répandre
dans Antioche. Il attendit le jour avec impatience; et dès le matin il
se transporta au prétoire. L'allégresse peinte sur son visage annonçait
le salut; il fut bientôt environné d'une foule de peuple qui poussait
des cris de joie; et ce lieu arrosé de tant de larmes quelques jours
auparavant, retentissait d'acclamations et d'éloges. Tous ceux que la
crainte avait jusqu'alors tenus cachés, accouraient avec transport:
tous s'efforçaient d'approcher d'Hellébichus. Ayant imposé silence,
il fit lui-même la lecture de la lettre; elle contenait des reproches
tendres et paternels: Théodose y paraissait plus touché des insultes
faites à Flaccilla et à son père, que de celles qui tombaient sur
lui-même. Il y censurait cet esprit de révolte et de mutinerie qui
semblait faire le caractère du peuple d'Antioche; mais il ajoutait
qu'il était encore plus naturel à Théodose de pardonner. Il témoignait
être affligé que les magistrats eussent ôté la vie à quelques
coupables, et finissait par révoquer tous les ordres qu'il avait donnés
pour la punition de la ville et des habitants.

[Note latérale: XLIII.

Joie de toute la ville.

Chrysost. Hom. 21, c. 4, t. 2, p. 222.

Idem in ep. ad Coloss. Hom. 7, c. 3, t. 11, p. 374.

Liban. or. 13, t. 2, p. 408; 21, p. 535.]

A ces mots, il s'élève un cri général. Tous se dispersent pour aller
porter cette heureuse nouvelle à leurs femmes et à leurs enfants. La
veille on accusait de lenteur et Flavien et Césarius; aujourd'hui
on s'étonne qu'une affaire si importante, si difficile, ait été si
promptement terminée. On ouvre les bains publics; on orne les rues
et les places de festons et de guirlandes; on y dresse des tables;
Antioche entière n'est plus qu'une salle de festin. La nuit suivante
égale la lumière des plus beaux jours; la ville est éclairée de
flambeaux; on bénit l'Être souverain qui tient en sa main le cœur
des princes; on célèbre la clémence de l'empereur; on comble de
louanges Flavien, Hellébichus et Césarius. Hellébichus prend part à
la réjouissance publique; il se mêle dans les jeux, dans les festins.
Les jours suivants on lui dressa des statues ainsi qu'à Césarius, et
lorsqu'il fut ensuite rappelé par l'empereur, il fut conduit hors de
la ville avec les vœux et les acclamations de tout le peuple. Flavien
reçut à son arrivée des témoignages de reconnaissance encore plus
précieux et plus dignes d'un évêque; il fut honoré comme un ange de
paix, et toutes les églises retentirent d'actions de graces. Il eut
même la consolation de retrouver encore sa sœur, à qui Dieu avait
prolongé la vie jusqu'à son retour, et de recevoir ses derniers
soupirs. Plusieurs villes s'étaient intéressées en faveur d'Antioche:
le sénat et le peuple de Constantinople avaient joint leurs instances
à celles de Césarius et de Flavien. Séleucie, située sur la mer, à
quarante stades de l'embouchure de l'Oronte, avait aussi envoyé une
députation à l'empereur. Cette ville célèbre, autrefois appelée _la
sœur d'Antioche_, avait beaucoup perdu de son ancien lustre. Antioche
après en avoir été long-temps jalouse, affectait alors de la mépriser;
et ses habitants enivrés d'un insolent orgueil au milieu même de leurs
désastres, disaient hautement qu'ils aimaient mieux voir périr leur
patrie, que de devoir son salut à de pareils intercesseurs. Il paraît
que les habitants d'Antioche ayant obtenu leur pardon, osèrent demander
à Théodose la permission de donner à leur ville le nom d'Arcadius; mais
on ne voit pas que ce prince ait eu égard à leur demande. Ainsi se
terminèrent les suites d'une sédition que la politique se serait cru
obligée de châtier à la rigueur, pour donner un exemple terrible. Celui
qui veille en même temps à la sûreté et à la gloire des monarques qui
le servent, ne voulut armer contre les coupables que le bras de leurs
propres magistrats; il ne laissa au prince que l'honneur de pardonner.

[Note latérale: XLIV.

Maxime se prépare à la guerre.

Ruf. l. 12. c. 16.

Pacat. paneg. c. 25, 26, 27, 28.

Theod. l. 5, c. 14.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 5, c. 3.]

L'état de l'Occident donnait alors à Théodose de grandes inquiétudes.
Maxime se préparait à la guerre, et faisait des levées d'hommes et
d'argent. Ses exactions désolaient la Gaule; il épuisait les provinces;
et renonçant à cette feinte douceur qu'il avait jusqu'alors affectée,
il s'enrichissait par les exils et les proscriptions. Lorsqu'il eut
rempli ses trésors, déguisant son ambition sous le masque d'un zèle
hypocrite, il signifia à Valentinien que, s'il n'abandonnait la
protection des Ariens, pour favoriser la foi catholique que son père
avait professée, il allait l'y contraindre par la force des armes.
Cette déclaration alarma Justine et toute la cour. On sentait aisément
que la religion n'entrait pour rien dans les vues de Maxime, et que son
unique dessein était d'usurper ce qui restait à Valentinien. Plusieurs
des principaux officiers craignant que Maxime ne les demandât pour les
faire mourir, et que le jeune prince n'eût la faiblesse de les livrer
au tyran, se retirèrent auprès de Théodose.

[Note latérale: XLV.

On lui députe saint Ambroise.

Amb. ep. 24, t. 2, p. 888-892.

Idem, de obitu Valent. p. 1173.

Paulin, vit. Ambros. § 19.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 5, c. 3, 4.

Till. vie de S. Ambr. art. 51.]

Pour écarter l'orage dont l'Italie était menacée, Justine s'adressa
encore une fois à saint Ambroise. Elle l'avait employé quatre ans
auparavant à négocier un accommodement avec Maxime; et quoiqu'elle
n'eût payé ce service que de traitements injurieux, elle comptait assez
sur sa générosité pour lui confier de nouveau ses plus grands intérêts;
d'ailleurs c'était fermer la bouche au tyran, qui se couvrait du
prétexte de la religion, que de lui opposer le prélat qui en était le
plus ardent défenseur. Ambroise accepta cette commission difficile; il
s'empressa de montrer à Justine et à toute la terre, que la persécution
ne relâche pas les nœuds sacrés qui attachent les vrais chrétiens à
leur prince: et ne croyant pas qu'il lui fût permis de vendre à son
souverain les services qu'il lui devait, il regarda comme une bassesse
de profiter du besoin qu'on avait de sa personne, pour exiger aucune
condition, même en faveur de l'église catholique. Il partit après
Pâques pour se rendre à Trèves auprès de Maxime. Il avait ordre de
sonder les dispositions du tyran, de renouveller avec lui le traité de
paix, et de lui demander les cendres de Gratien, pour leur donner une
sépulture honorable.

[Note latérale: XLVI.

S. Ambroise devant Maxime.]

Le lendemain de son arrivée, il alla au palais et demanda une audience
particulière. L'eunuque grand chambellan[642] lui répondit qu'il ne
pouvait être admis qu'en présence du conseil. Ambroise ayant répliqué
que ce n'était pas ainsi qu'on avait coutume de recevoir les évêques,
et que d'ailleurs il était chargé d'une commission secrète, l'eunuque
alla en informer Maxime et revint avec la même réponse. Le prélat
consentit à tout pour ne pas rompre la négociation. Lorsqu'il fut entré
dans le conseil, il refusa le baiser de Maxime: _Vous êtes en colère,
évêque_, lui dit le tyran: _n'est-ce pas ainsi que je vous ai reçu dans
votre précédente ambassade?_ _Il est vrai_, répondit Ambroise, _que
vous avez dès ce temps-là manqué à la dignité épiscopale: mais alors
je demandais la paix pour un inférieur; aujourd'hui je la demande pour
un égal_. _Et qui lui donne cette égalité?_ répartit fièrement Maxime.
_Le Tout-puissant_, répliqua Ambroise, _qui a conservé à Valentinien
l'empire qu'il lui avait donné_. Cette fermeté irrita le tyran; il
s'emporta en invectives contre Valentinien et contre le comte Bauton,
qui avaient, disait-il, amené jusque sur les frontières de la Gaule les
Huns et les Alains: il reprocha au prélat de l'avoir trompé la première
fois et d'avoir arrêté le cours rapide de ses conquêtes. Ambroise
justifia le comte et l'empereur; il fit voir que loin d'attirer
les barbares dans la Gaule, ils les en avaient écartés à force
d'argent[643]. Il se disculpa lui-même en rappelant à Maxime la bonne
foi et la franchise dont il avait usé dans la première négociation:
il le fit souvenir que Valentinien étant le maître de venger la mort
de Gratien sur Marcellinus, frère de Maxime, qu'il tenait alors en
son pouvoir, il le lui avait renvoyé: il demandait en récompense les
cendres du défunt empereur[644]. Maxime alléguait pour raison de son
refus, que la vue des cendres de ce prince animerait les soldats contre
lui: «Et quoi? répondit Ambroise, défendront-ils après sa mort celui
qu'ils ont abandonné pendant qu'il vivait? Vous craignez ce prince
lorsqu'il n'est plus! Qu'avez-vous donc gagné à lui ôter la vie? Je me
suis défait d'un ennemi, dites-vous: Non, Maxime, Gratien n'était pas
votre ennemi; c'était vous qui étiez le sien. Il n'entend pas ce que je
dis en sa faveur; mais vous, soyez-en le juge. Si quelqu'un s'élevait
aujourd'hui contre votre puissance, diriez-vous que vous êtes son
ennemi, ou qu'il est le vôtre? Si je ne me trompe, c'est l'usurpateur
qui est l'auteur de la guerre; l'empereur ne fait que défendre ses
droits. Vous refusez donc les cendres de celui dont vous ne pourriez
retenir la personne, s'il était votre prisonnier! Donnez à Valentinien
ce triste gage de votre réconciliation. Comment ferez-vous croire que
vous n'avez pas attenté à la vie de Gratien, si vous le privez de la
sépulture?» Il convainquit ensuite Maxime d'être l'auteur de la mort
du comte Vallion, qui n'était coupable que de fidélité envers son
maître. Ambroise entre les mains et sous le pouvoir du tyran semblait
être son juge; et Maxime confus ne se tira d'embarras qu'en renvoyant
le prélat et en lui disant qu'il délibérerait sur les demandes de
Valentinien. Ambroise avait eu trop d'avantage sur Maxime pour espérer
aucun succès. Il aigrit encore le tyran en refusant de communiquer avec
les évêques de sa cour, qui avaient fait mourir Priscillien. Maxime
saisit ce prétexte pour lui donner ordre de s'en retourner sans délai.
Le saint évêque, plus propre à soutenir avec force et avec franchise
la vérité et la justice, qu'à se démêler avec souplesse des détours
obliques d'une négociation épineuse, partit malgré les avis qu'on lui
donnait secrètement qu'il serait assassiné en chemin. S'il est vrai que
Maxime eût formé ce dessein, Dieu préserva l'évêque. Il revint à Milan,
et rendit compte à Valentinien de son ambassade, qui n'avait servi qu'à
démasquer le tyran[645].

[Note 642: C'était un Gaulois, selon ce que dit saint Ambroise,
epist. ad Valent. 24, t. 2, pag. 888. _Egressus est ad me vir
Gallicanus, præpositus cubiculi, eunuchus regius._--S.-M.]

[Note 643: _Valentinianus Hunnos atque Alanos appropinquantes
Galliæ per Alemanniæ terras reflexit.......... Tu fecisti incursari
Rhetias, Valentinianus suo tibi auro pacem redemit._ Ambr., ep. 24, _ad
Valent._ t. 2, pag. 890.--S.-M.]

[Note 644: _Ille tibi fratrem tuum viventem remisit, tu illi vel
mortuum redde._ Ambr. ep. 24, t. 2, p. 890.--S.-M.]

[Note 645: _Esto tutior adversus hominem, pacis involucro bellum
tegentem_, dit Saint Ambroise, ep. 34, t. 2, p. 891, en s'adressant à
Valentinien, à la fin de la relation de sa seconde ambassade auprès de
Maxime.--S.-M.]

[Note latérale: XLVII.

Maxime passe les Alpes.

Zos. l. 4, c. 42.

Theod. l. 5, c. 14.

[Till. vie de S. Ambr. art. 52.]]

Le jeune empereur ne perdit pas encore l'espérance de prévenir une
rupture ouverte. Ses courtisans lui persuadaient que la roideur
inflexible du prélat avait rebuté Maxime; et celui-ci donnait à
entendre qu'il n'était pas éloigné de renouer la négociation. Domninus
s'offrit à conduire cette affaire; c'était un Syrien qui, s'étant
introduit à la cour du jeune prince, était devenu son confident et
son principal ministre. On le regardait comme un profond politique,
et il avait lui-même la plus haute idée de sa propre capacité.
Maxime le reçut à bras ouverts; il accepta sans résistance toutes
ses propositions, et flatta sa vanité en le comblant d'honneurs et de
présents. Le ministre s'applaudissait d'un succès si brillant; il ne
doutait pas qu'il n'eût fait de Maxime le meilleur ami de Valentinien.
Le tyran, profitant de son imprudence, le fit au retour accompagner
d'une partie de son armée; c'était, disait-il, des troupes qu'il
prêtait à son collègue pour dompter les Barbares qui menaçaient la
Pannonie. Domninus partit de Trèves vers la fin du moins d'août, fort
glorieux des présents qu'il avait reçus et du nombreux renfort qu'il
conduisait à son maître. Maxime le suivit de près avec le reste de
ses troupes; il se faisait précéder d'un grand nombre de batteurs
d'estrade, pour arrêter tous ceux qui pouvaient donner des nouvelles
de sa marche. Il trouva le pas de Suze[646] ouvert par le passage
de Domninus; et s'étant joint à ses troupes avancées, qui avaient
abandonné l'ambassadeur pour garder l'entrée de l'Italie, il prit le
chemin de Milan[647].

[Note 646: Zosime, le seul auteur qui ait parlé du passage des
Alpes par Maxime, ne désigne pas d'une manière particulière l'endroit
où il l'effectua. Il se contente de dire, l. 4, c. 42, qu'il franchit
les passages les plus difficiles des Alpes et les plus inaccessibles,
τὰ στενώτατα τῶν Ἄλπεων καὶ τὰ τῶν ὀρῶν ἄβατα διελθοντας, il ajoute
qu'il traversa ensuite les régions marécageuses qui s'étendent au pied
de ces montagnes, ἤδη δὲ καὶ τὰ μετὰ τας Ἄλπεις, ὅσα ἦν ἑλώδη; ce qui
désigne évidemment les plaines basses du Piemont.--S.-M.]

[Note 647: Il n'y arriva pas avant le 8 septembre 387 car il
existe encore une loi de Valentinien donnée à Milan et datée de ce
jour.--S.-M.]

[Note latérale: XLVIII.

Valentinien se réfugie à Thessalonique.

Zos. l. 4, c. 43 et 44.

Sulp. Sev. vit. Mart. c. 23.

Aug. de civit. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Oros. l. 7, c. 34.

Socr. l. 5, c. 11.

Theod. l. 5, c. 14, 15.

Soz. l. 7, c. 13.

Philost. l. 10, c. 8.]

Valentinien surpris de cette irruption imprévue, se sauva en diligence
à Aquilée. Bientôt ne s'y croyant pas en sûreté, et n'attendant pas
un meilleur sort que celui de Gratien, s'il tombait entre les mains
de l'usurpateur, il s'embarqua avec sa mère, et gagna Thessalonique,
pour y trouver un asyle sous la protection de Théodose. Probus, que
ses grandes richesses exposaient à un grand danger, accompagna le
jeune empereur dans sa fuite. Dès qu'ils furent arrivés dans cette
capitale de l'Illyrie, ils firent savoir à Théodose, qui était alors à
Constantinople, l'extrémité à laquelle ils étaient réduits. Ce prince
écrivit aussitôt à Valentinien, _qu'il ne devait s'étonner ni de ses
malheurs, ni des succès de Maxime: que le souverain légitime combattait
la vérité, et que le tyran faisait gloire de la soutenir; que Dieu
se déclarait contre l'ennemi de son église_. En même temps il partit
de Constantinople, accompagné de plusieurs sénateurs. Lorsqu'il fut
à Thessalonique, il tint conseil sur le parti qu'il devait prendre.
Tous les avis allaient à tirer de Maxime une prompte vengeance:
_Qu'il ne fallait pas laisser vivre plus long-temps un meurtrier, un
usurpateur qui, accumulant crime sur crime, venait d'enfreindre des
traités solennels_. Théodose était plus touché que personne du sort
déplorable des deux empereurs, l'un cruellement massacré, l'autre
chassé de ses états; il était bien résolu de venger son bienfaiteur
et son beau-frère. Mais comme l'hiver approchait, et que la saison
ne permettait pas de commencer la guerre, il crut qu'au lieu de la
déclarer avec une précipitation inutile, il était plus à propos
d'amuser Maxime par des espérances d'accommodement. Il fut donc d'avis
de lui proposer de rendre à Valentinien ce qu'il avait de nouveau
usurpé, et de s'en tenir au traité de partage, le menaçant de la guerre
la plus sanglante, s'il refusait des conditions si raisonnables.

[Note latérale: XLIX.

Théodose ramène Valentinien à la croyance orthodoxe.

Suidas in Ὀυαλεντινιανός.

Theod. l. 5, c. 15.]

Au sortir du conseil, Théodose tira Valentinien à l'écart, et l'ayant
tendrement embrassé: «Mon fils, lui dit-il, ce n'est pas la multitude
des soldats, c'est la protection divine qui donne les succès dans la
guerre. Lisez nos histoires depuis Constantin: vous y verrez souvent
le nombre et la force du côté des infidèles, et la victoire du côté
des princes religieux. C'est ainsi que ce pieux empereur a terrassé
Licinius, et que votre père s'est rendu invincible. Valens votre oncle
attaquait Dieu; il avait proscrit les évêques orthodoxes; il avait
versé le sang des saints. Dieu a rassemblé contre lui une nuée de
barbares; il a choisi les Goths pour exécuteurs de ses vengeances;
Valens a péri dans les flammes. Votre ennemi a sur vous l'avantage de
suivre la vraie doctrine: c'est votre infidélité qui le rend heureux.
Si nous abandonnons le fils de Dieu, quel chef, malheureux déserteurs,
quel défenseur aurons-nous dans les batailles?» Dieu parlait au cœur
de Valentinien en même temps que la voix de Théodose frappait ses
oreilles. Fondant en larmes, le jeune prince abjura son erreur, et
protesta qu'il serait toute sa vie inviolablement attaché à la foi de
son père et de son bienfaiteur. Théodose le consola; il lui promit le
secours du ciel et celui de ses armes. Valentinien fut fidèle à sa
parole; il rompit, dès ce moment, tous les engagements qu'il avait
contractés avec les Ariens; il embrassa sincèrement la foi de l'Église;
et sa mère Justine, qui mourut l'année suivante, toujours obstinée dans
son erreur, n'osa même entreprendre d'effacer les heureuses impressions
des paroles de Théodose.

[Note latérale: L.

Succès de Maxime.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 946.

Pacat. c. 37. 38.

Symm. l. 2, ep. 31.

Socr. l. 5, c. 12.

Sigon. de Occident. imp. l. 9, p. 221.]

L'hiver se passa en négociations infructueuses. Maxime envoya des
députés à Théodose, qui les retint long-temps à Thessalonique sans
leur donner ni audience ni congé. Ce prince profitait de cet
intervalle pour faire ses préparatifs. Cependant Maxime, qui avait
fixé sa résidence dans Aquilée, achevait de soumettre à sa puissance
les états de Valentinien. Rome ne fut pas la dernière à lui rendre
hommage. Les payens se déclarèrent pour lui avec empressement; ils
espéraient obtenir de lui le rétablissement du culte de leurs dieux.
Ce fut sans doute une si flatteuse espérance qui aveugla Symmaque. Cet
illustre sénateur, qui avait paru jusqu'alors un modèle de sagesse et
d'attachement à ses maîtres légitimes, se déshonora en cette occasion
par un discours qu'il prononça à la louange du tyran. La ville d'Émona,
aujourd'hui Laybach, dans la Carniole, soutint un long siége: on ne
sait si elle fut prise. Bologne se signala en faveur du nouveau prince;
elle lui érigea des monuments sur lesquels elle lui donnait, à lui et
à son fils Victor tous les titres que la flatterie avait inventés pour
les souverains. L'Afrique se soumit à ses lieutenants, et fut bientôt
épuisée par ses exactions. Avant la fin de l'hiver, tout l'Occident le
reconnaissait pour maître.

[Note latérale: LI.

Généraux et officiers de Maxime.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 953.

Oros. l. 7, c. 35.

Amm. Marc. l. 27, c. 6.]

La terreur de son nom s'était répandue jusqu'au-delà du Rhin et du
Danube; plusieurs nations de la Germanie lui payaient tribut. En effet
ses forces étaient redoutables: le nombre et le courage de ses troupes
semblaient lui promettre la conquête de l'Orient. A la tête de son
armée étaient son frère Marcellinus et Andragathe, tous deux aussi
méchants que lui, mais plus braves et plus intrépides. Andragathe,
pour fermer à Théodose l'entrée de l'Italie, s'occupa pendant l'hiver
à fortifier les Alpes Juliennes et les passages des rivières. Maxime
ayant choisi Aquilée pour sa résidence, gouvernait de là tout
l'Occident. Résolu de ne pas hasarder sa personne, il s'attendait
à voir bientôt à ses pieds Théodose chargé de fers. Il avait établi
pour préfet de Rome, Rusticus Julianus, que ses partisans avaient
onze ans auparavant songé à élever à l'empire pendant une maladie de
Valentinien. C'était un homme cruel et sanguinaire; mais incertain du
succès de la guerre, il se ménagea une ressource auprès de Théodose,
en se conduisant avec une douceur et une humanité qui ne lui étaient
pas naturelles. Le peuple de Rome ayant brûlé la synagogue des Juifs,
Rusticus attendit à ce sujet les ordres de Maxime. Celui-ci envoya des
soldats pour contenir le peuple et rétablir la synagogue. La protection
qu'il accordait à cette nation odieuse, acheva de lui faire perdre
l'affection des chrétiens, dont tous les vœux se réunissaient en faveur
de son ennemi[648].

[Note 648: Le peuple disait qu'il ne pouvait rien lui arriver de
bon, puisqu'il s'était fait juif. _Maximus destitutus est_, dit S.
Ambroise, en écrivant à Théodose, ep. 41, t. 2, p. 953, _qui ante ipsos
expeditionis dies, cum audisset Romæ synagogam incensam, edictum Romam
miserat, quasi vindex disciplinæ publicæ? Unde populus christianus ait:
Nihil boni huic imminet. Rex iste Judæus factus est._--S.-M.]

[Note latérale: AN 388.

LII.

Tatianus succède à Cynégius dans la préfecture du prétoire d'Orient.

Idat. fast.

Zos. l. 4, c. 45.

Socr. l. 5, c. 12.

Soz. l. 7, c. 14.

Till. Theod. art. 17, 42, note 15.]

Théodose avait pris le consulat pour la seconde fois, et s'était
donné pour collègue Cynégius, qui était depuis quatre ans revêtu de
la dignité de préfet du prétoire d'Orient. Ce sage magistrat avait
secondé avec zèle, mais sans éclat et sans violence, le dessein formé
par Théodose d'abolir l'idolâtrie. Il mourut à Constantinople dans le
mois de mars de cette année. Le peuple, dont il était chéri, assista
en foule à ses funérailles, et les honora de ses larmes. Son corps
fut déposé dans l'église des Saints-Apôtres, et, l'année suivante,
sa femme, Achantia, le fit transporter en Espagne, où il était né.
Théodose délibéra long-temps sur le choix d'un préfet du prétoire.
Cette place devenait plus importante par la nécessité où se trouvait
l'empereur de s'éloigner de l'Orient, pour aller combattre Maxime.
Son fils Arcadius, qu'il avait laissé à Constantinople, n'était pas
en âge de soutenir le poids des affaires. Enfin, il jetta les yeux
sur Tatianus[649], connu par sa capacité et par les charges qu'il
avait exercées sous Valens. C'était lui qui, en 367, étant préfet
d'Égypte, avait traité durement saint Athanase et les catholiques
d'Alexandrie. Le changement de prince avait sans doute changé la
religion du magistrat. Son fils Proculus fut fait en même temps préfet
de Constantinople.

[Note 649: Théodose le fit venir d'Aquilée, selon Zosime, l. 4. c.
45; ce qui pourrait faire croire qu'il avait été jusque-là au service
de Valentinien.--S.-M.]

[Note latérale: LIII.

Dispositions de Théodose.

Pacat. c. 32, et 33.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 946.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Ruf. l. 12, c. 19, et 32.

Theod. l. 5, c. 24.

Philost. l. 10, c. 8.

Zos. l. 4, c. 45 et l. 5, c. 8.]

L'empereur prenait toutes les mesures que la prudence lui inspirait
pour le succès d'une expédition si périlleuse. Afin de ne laisser
aucun sujet d'inquiétude, il renouvella les alliances avec les princes
voisins de ses états. Les provinces n'étant pas encore remises des
maux qu'elles avaient soufferts sous le règne malheureux de Valens,
il ne pouvait, sans les dépeupler entièrement, en tirer toutes les
troupes qu'il fallait opposer aux nombreuses armées de Maxime. Il
attira donc les barbares qui, en son absence, auraient pu insulter
la frontière. Les habitants du Caucase, du mont Taurus, des bords du
Danube et du Tanaïs, Goths, Huns, Alains, nations endurcies à toutes
les fatigues, vinrent en foule lui offrir leurs services. Il ne leur
manquait que la discipline: Théodose les y dressa en peu de temps sous
des capitaines expérimentés. Bientôt ces barbares apprirent à obéir
à l'ordre sans confusion et sans tumulte, à résister à l'attrait du
pillage, à épargner les vivres, et à souffrir patiemment la disette,
à préférer l'honneur au butin[650]. L'amour et l'admiration que les
vertus de Théodose leur inspirèrent, en firent des Romains. Il y
en eut cependant qui conservèrent leur ancienne férocité, et qui
abandonnèrent son armée, comme nous le verrons bientôt. Théodose se fit
accompagner dans cette expédition par quatre généraux, que leur valeur
et leur expérience militaire avaient déja rendus célèbres: Promotus,
renommé par la défaite des Gruthonges, avait le titre de général de
la cavalerie; Timasius, qui s'était distingué dès le temps de Valens,
commandait l'infanterie; Richomer et Arbogaste, Francs de naissance,
et pleins de cette bravoure impétueuse qui plaît surtout aux barbares,
eurent la plus grande part aux opérations de cette campagne. Ces
officiers formaient son conseil. Mais avant que de partir, il voulut
consulter Dieu même par l'organe d'un de ses plus saints serviteurs.
Jean, l'anachorète, vivait dans les déserts de la Thébaïde, près de
Lycopolis; il était fameux par ses miracles: Théodose lui écrivit pour
lui demander quel serait le succès de ses armes. Jean lui promit la
victoire; et ce prince ne forma depuis ce temps-là aucune entreprise
importante sans avoir consulté ce saint solitaire.

[Note 650: _O res digna memoratu! Ibat sub ducibus vexillisque
Romanis hostis aliquando Romanus, et signa contra quæ steterat
sequebatur, urbesque Pannoniæ, quas inimica dudum populatione
vacuaverat, miles impleverat, Gotthus ille, et Hunnus, et Alanus
respondebat ad nomen, et alternabat excubias, et notari infrequens
verebatur. Nullus tumultus, nulla confusio, nulla direptio, ut a
barbaro, erat._ Pacat. c. 32.--S.-M.]

[Note latérale: LIV.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 3, tit. 7, leg. 2, l. 9, tit. 11, leg. unic. l. 16, tit 5,
leg. 14.

Till, vie de Ste Olymp. c. 1, et not. 1.]

Il n'oublia pas de faire les réglements nécessaires pour maintenir
pendant son absence le bon ordre dans l'église et dans l'état. Il
défendit de nouveau aux hérétiques de tenir des assemblées. Il
déclara nuls et adultères les mariages entre les chrétiens et les
juifs[651]. Les hommes puissants, surtout en Égypte et dans Alexandrie,
ville turbulente et pleine de désordres, s'attribuaient l'autorité
d'arrêter leurs ennemis et de les tenir en chartre privée, quoique
cette violence fût dès les temps anciens prohibée par les lois
romaines; Théodose adressa au préfet d'Égypte une loi plus rigoureuse
que les précédentes[652]; il soumit cet abus aux peines du crime de
lèse-majesté. Ce prince, si juste et si religieux se laissa cependant
alors entraîner à une violence également contraire à la religion et
à la justice. Olympiade, sortie d'une famille très-illustre[653], et
connue dans l'histoire de l'Église par la sainteté de sa vie, et par
son attachement à saint Jean Chrysostôme persécuté, était alors dans
sa première jeunesse. Ayant perdu son mari, Nébridius, qui avait été
préfet de Constantinople, elle renonça à un second mariage, et se
consacra au service de Dieu. Elpidius, seigneur espagnol, cousin de
Théodose, après de vaines sollicitations, s'adressa à l'empereur pour
la contraindre de l'épouser. Le prince fut piqué du refus d'Olympiade,
comme d'un mépris qu'elle faisait de son alliance; il commanda, il
menaça: tout fut inutile. Voulant vaincre la constance de cette femme,
il ordonna au préfet de Constantinople de tenir tous ses biens en
saisie, jusqu'à ce qu'elle eût atteint l'âge de trente ans, dont elle
était encore éloignée. Olympiade écrivit à l'empereur qu'elle le
remerciait de l'avoir déchargée d'un fardeau si onéreux; et que s'il
voulait l'obliger tout-à-fait, elle le priait de distribuer ses biens
aux pauvres et aux églises. Le préfet gênait beaucoup Olympiade, et la
tenait dans une sorte de servitude: un si dur traitement n'ébranla pas
sa résolution. Enfin, Théodose au retour de la guerre contre Maxime,
admirant lui-même la fermeté de cette veuve chrétienne, lui fit rendre
ses biens et sa liberté.

[Note 651: Ces mesures furent ordonnées, la première, par une loi
datée de Stobi, le 14 juin 388, et la seconde, par une autre loi rendue
à Thessalonique, le 29 février 388.--S.-M.]

[Note 652: Cette loi est du 30 mai 388.--S.-M.]

[Note 653: Elle était parente d'Olympias fille d'Ablabius, préfet
du prétoire sous Constantin, et épouse d'Astace roi d'Arménie, après
avoir été fiancée à l'empereur Constant. Voyez son histoire t. 2, p.
240 et 241, l. X, § 21 et 23, et t. 3, p. 270-275, l. XVII, § 4.--S.-M.]

[Note latérale: LV.

Trahison punie.

Zos. l. 4, c. 45.

Till. Théod. not. 36.]

L'empereur était prêt à partir de Thessalonique, lorsqu'il fut averti
qu'un grand nombre de Barbares, incorporés à ses légions, s'étaient
laissé corrompre par les émissaires secrets de Maxime. Ces traîtres
s'étant aperçus que leur perfidie était découverte, prirent la fuite
vers les lacs et les marais de la Macédoine, et s'allèrent cacher dans
les forêts. On envoya après eux des détachements, qui les poursuivirent
dans leurs retraites. On en massacra plusieurs; mais il en échappa
assez pour faire dans la suite de grands désordres. L'empereur se mit
en marche avec toutes ses troupes, et prit la route de la Pannonie
supérieure, conduisant avec lui Valentinien[654].

[Note 654: Théodose était encore à Thessalonique le 30 avril. Il
était à Stobi qui est à vingt-cinq lieues environ de cette ville, le
10 et le 16 juin. On le trouve le 21 du même mois à Scupi, trente-cinq
lieues plus loin.--S.-M.]

[Note latérale: LVI.

Soulèvement des Ariens à Constantinople.

Ambr. ep. 40 t. 2, p. 950.

Socr. l. 5, c. 13.

Soz. l. 7, c. 14.

Théoph. p. 59.

Codin. orig. Constant. p. 64.

Cod. Th. l. 16, tit. 4, leg. 2, tit. 5, leg. 15 et 16.]

Les opérations de la guerre n'étaient pas encore commencées, et déja
on publiait à Constantinople qu'elle était finie, et que Maxime avait
défait Théodose dans une grande bataille. Ce faux bruit se chargeant
toujours de nouvelles circonstances en passant de bouche en bouche, on
citait le nombre des morts et des blessés; on ajoutait que l'empereur
était poursuivi de près, et qu'il ne pouvait échapper. Ceux qui avaient
le matin inventé cette fable, l'entendaient débiter le soir revêtue
de tant de particularités et avec tant d'assurance, qu'ils devenaient
eux-mêmes les dupes de leur propre mensonge. Les Ariens, irrités
de voir les églises de la ville en la possession de ceux qu'ils en
avaient si long-temps exclus, crurent aisément ce qu'ils désiraient.
Ils s'assemblèrent et coururent mettre le feu à la maison de l'évêque
Nectarius. Elle fut réduite en cendres avec le toit de l'église de
Sainte-Sophie, que Rufin fit réparer dans la suite par ordre de
l'empereur. La fureur aurait été plus loin, s'il ne fût arrivé des
nouvelles certaines, qui détrompèrent les séditieux[655]. Il fallut
demander pardon de cette insulte. Arcadius en écrivit à son père, et
obtint grace pour les coupables. Mais afin de réprimer à l'avenir
l'insolence des hérétiques, Théodose étant arrivé à Stobes, sur les
frontières de la Macédoine, renouvela, par une loi du 14 de juin,
les défenses qu'il leur avait faites tant de fois de s'assembler, de
prêcher, de célébrer les mystères. Il chargea le préfet du prétoire
de veiller à l'observation de cette ordonnance, et de punir les
contrevenants. Deux jours après, étant encore dans la même ville, il
ordonna au préfet d'employer les plus sévères châtiments pour imposer
silence à tous ceux qui disputeraient publiquement sur la doctrine, et
qui, soit par des prédications, soit par des conseils, échaufferaient
sur ce point l'esprit des peuples.

[Note 655: _Constantinopoli dudum domus episcopi incensa est,
et filius clementiæ tuæ intercessit apud patrem; ut et suam, hoc
est, filii imperatoris injuriam, et domus sacerdotalis incendium non
vindicares._ Ambr. ep. 40, ad Theod., t. 2, p. 950.--S.-M.]

[Note latérale: LVII.

Flotte de Maxime.

Amb. ep. 40. t. 2, p. 946.

Pacat. c. 32.

Oros. l. 7, c. 35.

Zos. l. 4, c. 46.]

Théodose faisait diligence; le 21 de juin il était à Scupes en
Dardanie, ville éloignée de trente-cinq lieues de Stobes. Son armée
marchait sur trois colonnes. Il n'avait pu établir de magasins dans
un pays dont Maxime venait de se rendre maître; mais la providence
divine lui aplanissant toutes les difficultés, les magasins du tyran
lui furent ouverts par les troupes mêmes qui avaient ordre de les
garder. Il ne lui restait qu'une inquiétude. Il semblait impossible
de forcer les Alpes Juliennes, défendues par Andragathe, capitaine
habile, vaillant, déterminé. Maxime eût été invincible, s'il se fût
tenu derrière cette chaîne de montagnes, dont il pouvait aisément
fermer tous les passages. Son aveuglement lui fit perdre cet avantage,
et leva cet obstacle aux succès de son ennemi. Le tyran se persuada que
Théodose faisait prendre à Valentinien et à Justine la route de la mer
pour débarquer en Italie. Sur une si faible conjecture, il rassembla
tout ce qu'il put de vaisseaux légers et en donna le commandement à
Andragathe, avec ordre de se saisir du jeune empereur et de sa mère. Ce
général ayant abandonné le poste important qu'il occupait, perdit son
temps à courir vainement les mers d'Italie et de la Sicile.

[Note latérale: LVIII.

Bataille de Siscia.

Pacat. c. 34.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.]

Après le départ d'Andragathe, l'armée de Maxime se partagea en deux
corps, dont chacun surpassait en nombre les troupes de Théodose;
et ayant traversé les montagnes, elle entra dans les plaines de la
Pannonie. Pour enfermer l'ennemi, qui, ayant passé la Save, marchait
entre cette rivière et celle de la Drave, l'un des deux corps s'arrêta
près de Siscia, ville alors considérable, qui n'est plus qu'un bourg
nommé Siszek, sur le bord méridional de la Save. L'autre corps,
composé des troupes d'élite et commandé par Marcellinus, frère du
tyran, alla camper à Pétau [_Petavio_] sur la Drave. Théodose avançait
avec tant de diligence, qu'il arriva à la vue du camp de Siscia,
beaucoup plus tôt qu'on ne l'y attendait. Aussitôt profitant de la
surprise, sans donner à ses soldats le temps de se reposer, ni aux
ennemis celui de se reconnaître, il passe à la nage à la tête de sa
cavalerie, gagne les bords, tombe avec furie sur les troupes de Maxime,
qui accouraient en désordre pour disputer le passage. Elles sont
renversées, foulées aux pieds des chevaux, taillées en pièces. Ceux qui
échappent au premier massacre, veulent se sauver dans la ville; les uns
sont précipités dans les fossés; les autres, aveuglés par la terreur,
donnent dans les pieux armés de fer qui en défendent l'entrée; la
plupart s'écrasent mutuellement dans la foule ou périssent par le fer
ennemi; le reste fuit vers la Save. Là, tombant les uns sur les autres,
ils s'embarrassent et se noient. Bientôt le fleuve est comblé de
cadavres. Le général, qui n'est pas nommé dans l'histoire, fut englouti
dans les eaux.

[Note latérale: LIX.

Bataille de Pétau.

Pacat. c. 35, et 36.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.]

Marcellinus était arrivé le même jour à Pétau. Théodose s'étant remis
en marche le lendemain, vint le troisième jour sur le soir camper en sa
présence. Les deux généraux et les deux armées ne respiraient que le
combat: le succès animait les uns; la rage et le désir de la vengeance
enflammait les autres. Ils passèrent la nuit dans une égale impatience.
Dès que le jour parut, on se rangea en bataille: c'était des deux
côtés la même disposition; les cavaliers sur les ailes, l'infanterie
au centre; à la tête, des pelotons de troupes légères. On s'ébranla,
et, après quelques décharges de traits et de javelots, on s'avança
de part et d'autre avec une égale fierté pour se charger l'épée à la
main. La victoire fut quelque temps disputée. Marcellinus savait la
guerre, il avait un courage digne d'une meilleure cause; ses soldats
se battaient en désespérés; enfin, enfoncés de toutes parts, ils se
débandèrent et prirent la fuite. Ce ne fut plus alors qu'un affreux
carnage: la plupart, mortellement blessés, allèrent mourir dans les
forêts voisines, ou se précipitèrent dans le fleuve. La nuit mit fin
au massacre et à la poursuite. Au commencement de la déroute, un grand
corps de troupes baissa ses enseignes, et demanda quartier: les soldats
jetant leurs armes se tinrent prosternés à terre, comme pour attendre
leur sentence. L'empereur, doux et tranquille dans l'ardeur même de la
bataille, leur ordonna avec bonté de se relever et de se joindre à son
armée; et ses ennemis, devenus tout-à-coup ses soldats, partagèrent
avec leurs vainqueurs la joie de leur propre défaite. L'histoire ne
parle plus de Marcellinus, qui périt apparemment au milieu du carnage.

[Note latérale: LX.

Théodose poursuit Maxime.

Pacat. c. 37, 38, 40 et 41.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.

Oros. l. 7, c. 35.]

Maxime n'avait pas eu le courage de se trouver en personne à l'une ni
à l'autre bataille: il s'était tenu à quelque distance de ses armées.
A la nouvelle de la double victoire de Théodose, il prit la fuite
sans tenir de route certaine: détesté des vaincus, poursuivi par les
vainqueurs, déchiré au dedans par les remords de son crime, il ne
voyait nulle retraite assurée. Conduit par la crainte, le guide le plus
infidèle, il alla se jeter dans Aquilée; c'était se renfermer lui-même
dans une prison, pour y attendre le supplice. La ville n'était pas en
état de tenir contre une armée victorieuse. Théodose marchait avec
ses troupes légères; lorsqu'il approchait d'Émona[656], qui venait
de ressentir tous les maux d'un long siége, les habitants sortirent
au-devant de lui avec les démonstrations de la joie la plus vive.
Les sénateurs vêtus d'habits blancs, les prêtres païens, couverts de
leurs plus riches ornements, étaient suivis de tout le peuple, qui
faisait retentir l'air de chants de victoire. L'entrée du prince fut
un triomphe. Les portes étaient ornées de fleurs, les rues de riches
tapis: partout brillaient des flambeaux allumés; une multitude de
tout sexe et de tout âge s'empressait autour du vainqueur; tous le
félicitaient et priaient le ciel de couronner ses succès par la mort du
tyran.

[Note 656: Pacatus donne, c. 37, à cette ville le surnom de
_Pia_, à cause de la fidélité qu'elle avait montrée envers le jeune
Valentinien.--S.-M.]

[Note latérale: LXI.

Mort de Maxime.

Pacat. c. 43, 44 et 45.

Claud. in 4º. Consul. Honor.

Oros. l. 7, c. 35.

Auson. in Aquileia.

Vict. epit. p. 232.

Zos. l. 4, c. 46 et 47.

Socr. l. 5, c. 14.

Philost. l. 10. c. 8.

Prosp. chr.

Idat. chr. et fast.

[Greg. Tur. l. 2, c. 9.]

Till. Théod. not. 37.]

Théodose ayant traversé la ville, franchit les Alpes Juliennes, dont
Maxime avait laissé les passages ouverts, et s'arrêta à trois milles
d'Aquilée. Arbogaste, à la tête d'un gros détachement, s'étant avancé
jusqu'à la ville, força les portes, qui n'étaient défendues que par une
poignée de soldats[657]. Maxime, encore plus dépourvu de conseils que
de forces, était si peu instruit des mouvements de son ennemi, qu'on le
trouva occupé à distribuer de l'argent aux troupes qui lui restaient.
On le jette en bas du tribunal, on lui arrache le diadème, on le
dépouille, et, les mains liées derrière le dos, on le conduit au camp
du vainqueur, comme un criminel au lieu du supplice. L'empereur, après
lui avoir reproché son usurpation et l'assassinat de Gratien, lui
demanda sur quel fondement il avait osé publier, que dans sa révolte il
agissait d'intelligence avec Théodose. Maxime répondit en tremblant,
qu'il n'avait inventé ce mensonge que pour attirer des partisans, et
s'autoriser d'un nom respectable. Cet aveu et l'état déplorable du
tyran désarmèrent la colère de Théodose: la compassion sollicitait
déja sa clémence, lorsque ses officiers enlevèrent Maxime de devant
ses yeux, et lui firent trancher la tête hors du camp. Ainsi périt cet
usurpateur, le 28 de juillet, ou, selon d'autres, le 27 d'août[658],
cinq ans après qu'il eut fait périr son prince légitime. On fit mourir
ensuite deux ou trois de ses partisans les plus opiniâtres, et quelques
soldats maures, ministres de ses cruautés. Théodose fit grace à tous
les autres[659].

[Note 657: Ausone, dans le septième des petits poèmes qu'il a
consacrés à la gloire des principales villes de l'empire romain,
s'écrie, en s'adressant à cette ville, qu'elle a été heureuse d'avoir
été spectatrice des triomphes obtenus sur le brigand breton par le
héros italien, Théodose.

    Felix quæ tanti spectatrix læta triumphi,
    Punisti Ausonio Rutupinum marte latronem.

--S.-M.]

[Note 658: La première date est dans la Chronique d'Idatius; pour
l'autre, elle se trouve dans Socrate, l. 5, c. 14.--S.-M.]

[Note 659: _Paucis Maurorum hostium, quos secum velut agmen
infernum moriturus incluserat, et duobus, aut tribus furiosi
gladiatoris lanistis in belli piaculum cæsis, reliquos omnes, venia
complexa, velut quodam materno sinu clausit._ Pacat. c. 45.--S.-M.]

[Note latérale: LXII.

Mort d'Andragathe.]

Andragathe, après avoir inutilement cherché Valentinien sur les mers
d'Italie et de Grèce, avait reçu sur les côtes de Sicile, un échec
dont on ignore les circonstances. Il faisait voile vers Aquilée pour
rejoindre Maxime, lorsqu'il apprit sa défaite et sa mort. Ce furieux,
qui ayant trempé ses mains dans le sang de Gratien, ne pouvait espérer
de pardon, prévint son supplice en se précipitant lui-même dans la
mer[660].

[Note 660: _Andragathius comes, cognita Maximi nece, præcipitem
sese e navi in undas dedit, ac suffocatus est._ Oros. l. 7, c. 35.
Claudien dit aussi (_in 4º cons. Honor._ v. 91.) qu'Andragathe se
précipita dans les flots en se donnant la mort.

    .............. Hic sponte carina
    Decidit in fluctus.

Socrate rapporte, l. 5, c. 14, qu'il se précipita dans un fleuve voisin
d'Aquilée, où il trouva la mort, εἰς τὸν παρακείμενον ποταμὸν ῥίψας
ἑαυτὸν ἀπεπνίγη.--S.-M.]

[Note latérale: LXIII.

Guerre des Francs.]

Victor, fils de Maxime, qui dans un âge encore tendre[661], portait
déja le titre d'Auguste, était demeuré dans la Gaule. Son père avait
confié le soin de sa personne, et la défense du pays à Nanniénus[662]
et à Quintinus, qu'il avait établis maîtres de la milice[663]. Tandis
que Maxime était occupé de la guerre contre Théodose, ces généraux en
avaient deux à soutenir contre les Saxons et contre les Francs[664].
Les premiers avaient fait une descente sur les côtes de la Gaule[665]:
ils furent aisément repoussés. Il n'en fut pas de même des Francs[666];
conduits par trois princes, Génobaudès, Marcomir et Sunnon, ils
passèrent le Rhin[667], ravagèrent le pays, massacrèrent les habitants,
et donnèrent l'alarme à Cologne [_Colonia Agrippina_]. La nouvelle en
étant venue à Trèves, Nanniénus et Quintinus assemblèrent des troupes
et marchèrent à l'ennemi. A leur approche, la plupart des Francs
repassèrent le Rhin avec leur butin. Ceux qui demeurèrent en deça,
furent taillés en pièces près de la forêt Carbonnière[668]; c'était
une partie de la forêt des Ardennes qui s'étendait entre le Rhin et
l'Escaut. Après ce succès, les deux généraux se séparèrent. Nanniénus
refusa de poursuivre les Francs dans leur pays, persuadé qu'on les
trouverait en état de se bien défendre; il se retira à Mayence
[_Mogontiacum_]. Quintinus, plus téméraire, prit seul le commandement
de l'armée, et passa le Rhin près de Nuitz [_Nivisium_[669]]. Au second
campement, il trouva de grands villages abandonnés[670]. Les Francs
feignant d'être effrayés, s'étaient retirés dans des forêts dont ils
avaient embarrassé les chemins par de grands abatis d'arbres. Les
soldats romains mirent le feu aux habitations et passèrent la nuit sous
les armes. Au point du jour, Quintinus entra dans les forêts, où il
s'égara; enfin, trouvant toutes les routes fermées, il prit le parti
d'en sortir, et s'engagea dans des marais dont ces bois étaient bordés.
On aperçut d'abord un petit nombre d'ennemis qui, élevés sur les
monceaux d'arbres abattus comme sur des tours, lançaient des flèches
empoisonnées, dont la moindre blessure portait la mort. Leur nombre
croissant à chaque moment, les Romains tentèrent d'abord de traverser
les marais pour gagner la plaine; mais ils reconnurent bientôt
que c'était chercher une perte assurée. Les hommes et les chevaux
s'enfonçant de plus en plus à chaque pas dans une vase molle et
profonde, y demeuraient engagés et immobiles, exposés à tous les coups
des ennemis. Il fallut donc retourner sur leurs pas à travers une grêle
de traits. Dans ce désordre, toute l'armée fut détruite; plusieurs
périrent dans les marais. Ceux qui gagnèrent les bois, cherchant en
vain une retraite, trouvèrent partout l'ennemi et la mort. Héraclius,
tribun des Joviens, et presque tous les officiers y laissèrent la vie.
Il n'y eut que très-peu de soldats qui se sauvèrent à la faveur de la
nuit[671]. Quintinus revint en Gaule couvert de honte. Il y apprit la
mort de Maxime, et se vit lui-même en grand danger de subir le même
sort. Arbogaste, envoyé par Théodose en cette province, fit mourir le
jeune Victor. Nanniénus et Quintinus, dépouillés du commandement, ne
conservèrent leur vie que par la clémence du vainqueur.

[Note 661: Zosime l'appelle, lib. 4, c. 47, un jeune enfant, τὸ
μειράκιον.--S.-M.]

[Note 662: Il est probable que ce général est le même que celui qui
est appelé _Nannéïus_, par Ammien Marcellin, l. 28, c. 8, et qui fut en
l'an 370, chargé de combattre les Saxons. Voy. tom. 3, pag. 409, liv.
XVIII, § 18.--S.-M.]

[Note 663: _Nannenus et Quintinus militiæ magistri, quibus
infantiam filii et defensionem Galliarum Maximus commiserat._ Sulp.
Alex. _apud_ Greg. Tur. l. 2, c. 9.--S.-M.]

[Note 664: Saint Ambroise indique en ces termes tous les lieux où
Maxime eut à soutenir la guerre et ceux où il fut vaincu. _Ille igitur
statim à Francis, à Saxonum gente, in Sicilia, Sisciæ, Petavione:
ubique denique terrarum victus est._ Ambros. ep. 40, _ad Theod._ t. 2,
p. 953.--S.-M.]

[Note 665: Cette invasion des Saxons n'est connue que par le
passage de S. Ambroise, que je viens de citer.--S.-M.]

[Note 666: Nous n'en saurions pas davantage sur la guerre des
Francs, sans un fragment d'un historien perdu, nommé Sulpitius
Alexandre, et qui nous a été conservé par Grégoire de Tours, l. 2, c.
9.--S.-M.]

[Note 667: _Genobaude, Marcomere et Sunnone ducibus, Franci in
Germaniam prorupere._ Sulp. Alex. _ap._ Greg. Tur. l. 2, c. 9. Par la
Germanie, cet auteur entend la partie de la Gaule, limitrophe du Rhin
et divisée en _inferior_ et _superior_.--S.-M.]

[Note 668: _Apud Carbonariam_, dit Sulpitius Alexandre, _apud_
Gregor. Tur. l. 2, c. 9.--S.-M.]

[Note 669: Cet endroit, appelé _Novesium_ dans d'autres manuscrits,
est qualifié par Sulpitius Alexandre du titre de _Castellum_.--S.-M.]

[Note 670: _Secundis à fluvio castris, casas habitatoribus vacuas
atque ingentes vicos destitutos offendit_ (_Nannenus_). Sulp. Alex.
_apud_ Greg. Tur. lib. 2, c. 9.--S.-M.]

[Note 671: Le morceau de Sulpitius Alexandre, d'où est tiré ce
récit de la guerre contre les Francs, et quelques autres fragments
conservés dans Grégoire de Tours, sont tout-à-fait propres à faire
regretter l'ouvrage historique qui avait été composé par cet
auteur.--S.-M.]

[Note latérale: LXIV.

Clémence de Théodose.

Claud. in 4º Consul. Honor.

Ambr. ep. 40 et 41, t. 2, p. 946 et 956.

Aug. civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Pacat. c. 45, et 46.

Oros. l. 7, c. 35.

Ruf. l. 12, c. 17.

Vict. epit. p. 232.

Zos. l. 4, c. 47.

Cod. Th. l. 15, tit. 14, leg. 6.]

Jamais victoire, après une guerre civile, ne fut moins sanglante
ni plus désintéressée. Théodose pouvait regarder comme sa conquête
tout l'Occident, et surtout les provinces que Maxime avait enlevées
à Gratien, et que le jeune Valentinien n'avait jamais possédées.
La perfidie de ceux qui s'étaient livrés au tyran, et qui avaient
secondé son usurpation, le mettait en droit de les punir. Il rendit
à Valentinien tout ce qu'il avait perdu; il y ajouta le reste de
l'Occident, et n'écouta point les conseils d'une politique avide et
ambitieuse, qui aurait bien su lui établir des droits spécieux sur
la Gaule, l'Espagne et la Grande-Bretagne. Il accorda une amnistie
générale à ceux qui avaient suivi le parti de Maxime; il leur conserva
leurs biens et leur liberté. En les dépouillant des dignités qu'ils
tenaient de la main du tyran, il les laissa jouir de celles qu'ils
possédaient avant la révolte. Toutes les inimitiés cessèrent avec
la guerre. Théodose oublia qu'il avait vaincu; et, ce qui est plus
difficile encore et plus avantageux pour assurer la paix, les vaincus
oublièrent qu'ils avaient été ses ennemis. On vit alors, ce qui,
selon la remarque d'un auteur payen, ne peut être que l'effet d'une
vertu rare et sublime, un prince devenir meilleur lorsqu'il n'eut
plus rien à craindre, et sa bonté croître avec sa grandeur. Théodose
veilla plus que jamais à entretenir ses sujets dans la prospérité
et dans l'abondance; et tandis que les autres princes croyent faire
beaucoup après une guerre civile, en rendant aux légitimes possesseurs
leurs terres dépouillées et ravagées, il tira de son propre trésor de
quoi restituer aux particuliers les sommes d'or et d'argent qui leur
avaient été enlevées par le tyran. Il prit soin de la mère et des
filles de Maxime, et leur assigna des pensions pour subsister avec
honneur[672]. La femme de ce tyran avait apparemment fini ses jours;
autrement, l'histoire n'aurait pas oublié le traitement que lui aurait
fait Théodose. Ce caractère de clémence était soutenu par les conseils
de saint Ambroise, qui n'employait son crédit auprès du prince que
pour combattre la flatterie toujours cruelle, et les passions des
courtisans, toujours basses et intéressées.

[Note 672: _Inimici tui filias revocasti, nutriendas apud affinem
dedisti, matri hostis tui misisti de ærario tuo sumptus._ Ambr. ep. 40,
t. 2, p. 955.--S.-M.]

[Note latérale: LXV.

Actions de justice.

Ruf. l. 12, c. 17.

Cod. Th. l. 4, tit. 22, leg. 3 et ibi God. l. 10, tit. 21, leg. 2, et
ibi God. l. 15, tit. 14, leg. 7 et 8.

Till. vie de S. Ambr. art. 53.

Idem, Theod. art. 45.]

Cependant, il était de la justice de ne pas étendre l'indulgence
jusqu'à laisser subsister les actes injustes du tyran. C'est pourquoi
Théodose cassa les lois que Maxime avait publiées, et déclara ses
jugements nuls et sans effet[673]. Il obligea ceux qu'il avait revêtus
de jurisdiction de rendre leurs brevets; il ordonna que les sentences
qu'ils avaient prononcées fussent rayées de tous les registres
publics, comme étant sans autorité; il excepta les actes et les
conventions civiles, passées sans fraude et sans contrainte entre les
particuliers[674]. On voit même par une loi de l'année suivante, qu'il
confisqua les biens de ceux qui avaient abusé de la faveur de Maxime
pour exercer dans la Gaule des concussions et des violences. C'est
ainsi que Théodose rendit la paix à l'empire. La mort de Justine assura
celle de l'Église. Cette princesse arienne n'eut pas la satisfaction
de voir son fils rétabli dans ses états; avant que la guerre fût
terminée, elle alla rendre compte à Dieu des persécutions qu'elle avait
suscitées aux catholiques. Théodose, après s'être arrêté deux mois à
Aquilée, vint à Milan, où il passa le reste de l'année et les cinq
premiers mois de la suivante[675]. Il demeura trois ans en Italie,
pour rétablir l'ordre dans l'Occident, et pour instruire dans l'art de
régner le jeune Valentinien, dont il gouverna les états avec le zèle
et l'autorité d'un père. Ce grand prince ne croyait au-dessous de lui
aucun des détails qui pouvaient contribuer au succès des affaires.
Les provinces qui abondaient en mines de fer, étaient obligées d'en
fournir une certaine quantité pour forger les épées et les autres
armes: elles acquittaient ainsi leur tribut. On en tirait beaucoup
des mines du mont Taurus et de la Cappadoce. Mais on voit que les
fraudes, si préjudiciables à l'état dans ce qui regarde la fourniture
des armées, étaient dès-lors connues et pratiquées. Des entrepreneurs
infidèles et avares se faisaient donner de l'argent au lieu de fer,
et employaient pour les armes des soldats, des matières de mauvaise
qualité, qui leur coûtaient beaucoup moins qu'ils n'avaient reçu. Ces
misérables, pour le plus léger profit, auraient fait perdre vingt
batailles. Théodose, dans son expédition contre Maxime, s'étant aperçu
de cette fraude, la défendit par une loi du 18 octobre de cette année,
et ordonna que les provinces fourniraient en nature le meilleur fer. Il
n'est pas dit qu'il ait puni, et par conséquent l'abus dut continuer.

[Note 673: Par deux lois, rendues la première à Aquilée le 22
septembre, et l'autre à Milan le 10 octobre 388.--S.-M.]

[Note 674: Par une loi donnée à Milan, le 14 janvier 389.--S.-M.]

[Note 675: On voit par une loi, qu'il était encore à Milan le 27
mai de l'an 389.--S.-M.]

[Note latérale: LXVI.

Théodose refuse de rétablir l'autel de la Victoire.

Ambr. ep. 57, t. 2, p. 1010.

Symm. l. 2, ep. 13 et 31.

Socr. l. 5, c. 14.

Till. Théod. art. 46.]

L'inclination bienfaisante de Théodose fut pour les sénateurs payens un
motif de faire une nouvelle tentative en faveur de l'idolâtrie. Maxime
leur avait donné lieu d'espérer le rétablissement de l'autel de la
Victoire. Ils députèrent à Théodose pour demander cette grace[676]. Ils
trouvèrent encore auprès du prince un obstacle invincible dans le zèle
de saint Ambroise: le prélat s'opposa à leur requête avec son courage
ordinaire; et comme Théodose semblait flatté du désir de satisfaire le
sénat de Rome, Ambroise cessa de le voir et se tint pendant quelques
jours éloigné de la cour. Son absence donna un nouveau poids à ses
remontrances, et Théodose rejeta la demande des sénateurs. Symmaque,
qui avait peut-être encore cette fois plaidé la cause du paganisme,
voulut profiter de l'occasion pour se laver du reproche qu'on lui
faisait avec justice, d'avoir déshonoré son éloquence en faveur de
Maxime. Il prononça un éloge de Théodose, dans lequel il faisait sa
propre apologie, et montrait qu'il s'était personnellement ressenti
des injustices de l'usurpateur[677]; mais comme il eut la hardiesse
de revenir encore sur la demande du sénat, Théodose, irrité de cette
opiniâtreté importune, le fit sur-le-champ arrêter, avec ordre de le
conduire à cent milles de Rome. Symmaque s'échappa et se réfugia dans
une église; et le prince se laissa bientôt adoucir par les prières de
plusieurs personnes distinguées[678]. Il pardonna à Symmaque, et lui
rendit même toute la faveur dont il l'honorait depuis long-temps.

[Note 676: Voici l'indication chronologique de toutes les
tentatives faites par le sénat, pour obtenir le rétablissement de
l'autel de la Victoire. La première fois en 382, on s'adressa à
Gratien qui refusa d'entendre les députés. La seconde en 384, auprès
de Valentinien, durant la dispute de Symmaque avec Saint Ambroise; la
troisième en 388, auprès de Théodose; c'est celle dont il s'agit ici:
et enfin en 392, auprès du jeune Valentinien.--S.-M.]

[Note 677: _Non puto_, dit-il, _bonis temporibus eam causæ meæ
conditionem futuram; quæ sub tyranno fuit, cujus litteris ad Marcellini
suggestionem datis homines meos scis esse mulctatos. Quod in panegyrici
defensione non tacui._ Symmach. lib. 2, ep. 31.--S.-M.]

[Note 678: Parmi lesquelles Socrate compte, l. 5, c. 14, Léontius,
évêque des Novatiens de Rome.--S.-M.]

[Note latérale: LXVII.

Synagogue de Callinicus.

Ambr. ep. 40 et 41. t. 2. p. 946-963.

Paulin, vit. Ambr. § 22.

Till, vie de S. Amb. art. 53-55.

Fleury, hist. ecclés. 1. l. 19. art. 14, 15.]

Quoique Théodose fût ennemi de l'erreur, il exigeait des chrétiens
la modération et la douceur qui fait le plus beau caractère de la
religion qu'ils professent. Callinicus[679] était une ville épiscopale
de l'Osrhoène, sous la métropole d'Édesse; elle fut depuis nommée
Leontopolis. Les Juifs y avaient une synagogue, et les hérétiques
Valentiniens[680], un temple enrichi d'un grand nombre d'offrandes.
Les habitants chrétiens brûlèrent la synagogue; et les moines,
troublés dans l'exercice de leurs cérémonies religieuses[681] par
les hérétiques, mirent le feu au temple, dont les richesses furent
consumées[682]. Le comte d'Orient, en écrivit à Théodose, qui était
à Milan, et accusa l'évêque d'avoir conseillé ces violences. Le
prince ordonna que l'évêque rebâtirait la synagogue à ses dépens,
que les moines seraient sévèrement punis, et qu'on dédommagerait les
Valentiniens de la perte qu'ils avaient faite. Ambroise était alors à
Aquilée. Ayant appris l'ordre de l'empereur, il lui écrivit pour en
obtenir la révocation. Il se plaignait qu'on eût condamné l'évêque
sans l'avoir entendu: il représentait que _les ordres du prince
allaient faire ou des prévaricateurs, si les chrétiens y obéissaient,
ou des martyrs, s'ils aimaient mieux obéir à la loi de Dieu et de
leur conscience: que l'on avait laissé impunies les violences tant
de fois exercées contre l'église, soit par les Juifs, soit par les
hérétiques[683]: quelle honte serait-ce pour un empereur chrétien,
qu'on eût sujet de dire que son bras ne s'armait que pour venger les
hérétiques et les Juifs!_ Cette lettre n'ayant pas produit l'effet
qu'il désirait, il retourna promptement à Milan; et l'empereur étant
venu à l'église, l'évêque prit le ton du prophète Nathan, en faisant
parler Dieu à Théodose en ces termes: _C'est moi qui vous ai choisi
pour vous élever à l'empire; je vous ai livré l'armée de votre ennemi;
je l'ai réduit sous votre puissance; j'ai placé vos enfants sur le
trône; je vous ai fait triompher sans peine; et vous faites triompher
de moi mes ennemis!_ Comme il descendait de la tribune, Théodose lui
dit: _Mon père, vous avez bien parlé aujourd'hui contre nous_: _Non pas
contre vous, prince_, repartit Ambroise, _mais pour vous_. L'empereur
avoua qu'il était trop dur d'obliger l'évêque à la réparation de la
synagogue; _mais_, ajouta-t-il, _les moines sont coupables de beaucoup
de désordres_[684]. Comme Timasius, maître de la milice, naturellement
hautain et insolent, qui était présent à cet entretien, s'emportait
en invectives contre les moines: _Je parle à l'empereur_, lui dit
Ambroise; _avec vous je traiterais autrement_[685]. Il obtint que
l'ordre fût révoqué, et ne consentit à célébrer les saints mystères,
qu'après avoir tiré de Théodose une parole réitérée. Ce n'est pas
que ce saint prélat autorisât les procédés violents en matière de
religion: il avait montré le contraire dans l'affaire de Priscillien.
Mais il regardait comme un crime, de forcer des chrétiens à rétablir
des édifices dans lesquels Dieu était outragé. Cependant, comme les
chrétiens, trop souvent animés contre les Juifs d'une haine que le
christianisme n'autorise pas, continuaient en Orient de détruire ou
de piller leurs synagogues: cinq ans après, Théodose ordonna de punir
sévèrement ces excès[686], déclarant que la secte judaïque n'était
proscrite par aucune loi, et qu'elle devait avoir par tout son empire
le libre exercice de sa religion.

[Note 679: Voyez au sujet de cette ville, qui s'appelle
actuellement _Rakkah_, tom. 3, pag. 65, not. 3, liv. XIV, § 7.--S.-M.]

[Note 680: Ces hérétiques, dit saint Ambroise, ep. 40, t. 2, p.
951, adorent trente-deux éons qu'ils appellent dieux, _isti triginta
et duos æonas colunt, quos appellant deos_. Ces hérétiques appelés
aussi Gnostiques, faisaient partie de ces sectes, qui unissaient
la philosophie et la théologie des Orientaux, aux dogmes du
christianisme.--S.-M.]

[Note 681: Ils avaient été insultés pendant la célébration de la
fête des Macchabées.--S.-M.]

[Note 682: _In partibus orientis in quodam castello à christianis
viris synagoga Judæorum et lucus Valentinianorum incendio concremata
sunt, propterea quod Judæi vel Valentiniani insultarent monachis
christianis._ Paulin. _Vit. Ambros._ § 22.--S.-M.]

[Note 683: Saint Ambroise parle des églises brûlées par les Juifs
du temps de Julien, et en particulier de deux basiliques à Damas.
Elles étaient encore en ruines de son temps; elles avaient été à
peine réparées, non pas aux frais de la synagogue, mais à ceux de
l'église. _Quarum una vix reparata est, sed ecclesiæ non synagogæ
impendiis: altera basilica informibus horret ruinis._ L'évêque de
Milan fait mention de beaucoup d'autres églises brûlées à Gaza, à
Béryte, à Ascalon et à Alexandrie; et il termine en employant ces
paroles peu charitables: _Ecclesia non vindicata est, vindicabitur
synagoga._--S.-M.]

[Note 684: _Re vera de synagoga reparanda ab episcopo durius
statueram, sed emendatum est. Monachi multa scelera faciunt._ Ambr. ep.
41, tom. 2, p. 963.--S.-M.]

[Note 685: _Ego cum imperatore ago, ut oportet: quia novi quod
habeat domini timorem; tecum autem aliter agendum, qui tam dura
loqueris._ Ambr. ep. 41, t. 2, p. 963.--S.-M.]

[Note 686: Par une loi rendue le 29 septembre 393, et adressée à
Addæus, commandant des troupes d'Orient, dans l'Osrhoène.--S.-M.]

[Note latérale: LXVIII.

Théodose exclus du sanctuaire.

Theod. l. 5. c. 17.

Soz. l. 7. c. 25.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 6. c. 15.]

Ce fut un bonheur, pour l'état et pour l'Église, d'avoir en même temps
un évêque dont la liberté héroïque retenait dans de justes bornes
la puissance souveraine, et un souverain dont la généreuse docilité
se prêtait aux conseils salutaires de l'évêque. C'était une coutume
introduite par la flatterie et tolérée par la timide complaisance
des prélats, que les empereurs, pendant la célébration de l'office,
fussent assis dans le sanctuaire, où les prêtres seuls avaient leur
place, selon l'ancienne discipline. Un jour que Théodose y était
resté après avoir fait son offrande, Ambroise s'en étant aperçu, lui
envoya demander ce qu'il attendait: _J'attends_, répondit l'empereur,
_le moment de participer aux saints mystères_. Alors l'évêque lui
fit dire par un de ses diacres, _que le sanctuaire était réservé
aux seuls prêtres; que la pourpre donnait droit à l'empire, mais
non pas au sacerdoce, et qu'il devait prendre place avec les autres
laïques_. Théodose reçut cet avis avec respect, et se retira hors de la
balustrade, en disant, _qu'il n'avait eu dessein de rien entreprendre
contre les canons de l'Église; qu'il avait trouvé cette coutume établie
à Constantinople, et qu'il remerciait l'évêque de l'avoir instruit de
son devoir_. Il retint si fidèlement cette leçon, qu'étant retourné
à Constantinople, la première fois qu'il vint à l'église, il sortit
du sanctuaire, après avoir porté son offrande à l'autel. L'évêque
Nectarius lui ayant envoyé demander pourquoi il ne restait pas dans
l'enceinte sacrée: _Hélas!_ dit-il en soupirant, _j'ai appris bien
tard la différence d'un évêque et d'un empereur! Que de temps il m'a
fallu pour trouver un homme qui osât me dire la vérité! Je ne connais
qu'Ambroise qui soit digne du nom d'évêque._ Depuis ce temps les
empereurs prirent leur place dans l'église à la tête du peuple, hors
de l'enceinte destinée aux prêtres; et cette coutume subsista sous les
successeurs de Théodose; jusqu'à ce que les princes usurpèrent une
partie des fonctions ecclésiastiques; et que, par un mélange bizarre,
voulant être tout à la fois empereurs et évêques, ils ne furent ni
évêques ni empereurs.


FIN DU LIVRE VINGT-TROISIÈME.




LIVRE XXIV.

 I. Désintéressement de Théodose. II. Il vient à Rome. III. Désordres
 abolis. IV. Lois contre les Manichéens et les magiciens. V. Réglements
 qui concernent le sénat et les jugements. VI. État de l'idolâtrie dans
 Rome. VII. Plusieurs sénateurs s'obstinent en faveur de l'idolâtrie.
 VIII. Elle est détruite à Rome. IX. Imposture d'un prêtre payen.
 X. Occasion d'une sédition des payens dans Alexandrie. XI. Fureur
 des payens. XII. Olympe se met à leur tête. XIII. Ils résistent aux
 magistrats. XIV. Les séditieux prennent l'épouvante. XV. L'empereur
 ordonne de détruire tous les temples d'Alexandrie. XVI. Description
 du temple et de l'idole de Sérapis. XVII. Fourberies des prêtres
 de Sérapis. XVIII. On met en pièces sa statue. XIX. Destruction
 du temple. XX. Débordement du Nil. XXI. Idolâtrie abolie dans
 Alexandrie. XXII. La ville de Canope purifiée. XXIII. Le paganisme
 détruit dans toute l'Égypte. XXIV. Temples abattus en Syrie. XXV.
 Lois contre l'idolâtrie. XXVI. État où Théodose laissa l'idolâtrie.
 XXVII. Libanius demande une loi contre les sollicitations faites
 aux juges. XXVIII. Il se plaint des protections que les officiers
 de guerre accordent aux paysans. XXIX. Valentinien en Gaule. XXX.
 Météores. XXXI. Lois. [XXXII. Partage de l'Arménie entre les Romains
 et les Perses.] XXXIII. Sédition de Thessalonique. XXXIV. Rufin
 excite Théodose à la vengeance. XXXV. Massacre de Thessalonique.
 XXXVI. Remontrance de saint Ambroise. XXXVII. Saint Ambroise refuse
 à Théodose l'entrée de l'église. XXXVIII. Théodose demande à être
 réconcilié. XXXIX. Entrevue de Théodose et de saint Ambroise. XL.
 Saint Ambroise lui impose la pénitence. XLI. Loi sur les diaconesses.
 XLII. Loi sur les moines. XLIII. Obélisques et statue de Théodose à
 Constantinople. XLIV. Lois de Théodose. XLV. Ravages des Barbares
 en Macédoine. XLVI. Théodose découvre leur retraite. XLVII. Ils
 sont taillés en pièces. XLVIII. Mort de Promotus. XLIX. Théodose à
 Constantinople. L. Église de saint Jean Baptiste.


VALENTINIEN II, THÉODOSE, ARCADIUS.

[Note latérale: AN 389.

I.

Désintéressement de Théodose.

Idat. fast.

Symm. l. 2. ep. 13.

Cod. Th. l. 4. tit. 4. leg. 2.]

Timasius et Promotus qui venaient de servir l'état avec zèle dans
la guerre contre Maxime, en furent récompensés par le consulat de
l'année suivante. Les dépenses qu'avait entraînées une expédition
si importante, ne rendirent pas Théodose moins scrupuleux sur les
moyens d'acquérir. Il savait que la fraude déshonore les particuliers,
et que le simple soupçon d'intérêt suffit pour avilir la majesté
souveraine; en conséquence de ce principe, il abandonna un droit
légitime qui pouvait quelquefois devenir suspect. Il publia le 23 de
janvier une loi[687] par laquelle, permettant à ses sujets de profiter
des codicilles et des fidéicommis, il y renonçait pour lui et pour
sa famille, et déclarait que tout ce qui lui serait légué de cette
sorte, demeurerait aux enfants du défunt ou à ses autres héritiers.
Il acceptait cependant les donations qui lui seraient faites par des
testaments revêtus de leur forme; mais il rejetait toute distinction,
tout privilége qui s'écarterait du droit commun. Par cette générosité,
il donnait aux particuliers un exemple que les princes, même ses
successeurs, n'ont pas suivi. Justinien n'a pas inséré cette loi dans
son Code.

[Note 687: Théodose était encore à Milan lors de la promulgation de
cette loi.--S.-M.]

[Note latérale: II.

Il vient à Rome.

Pacat. pan. c. 1, 2, 47.

Claud. in 6º Cons. Honor.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. chr.

Chron. Alex. p. 305.

Socr. l. 5. c. 14.

Soz. l. 7. c. 14.

Philost. l. 10. c. 9.

Sidon. Apoll. l. 8, ep. 11.]

Après avoir fait rentrer l'Occident sous l'obéissance de son prince
légitime, Théodose partit de Milan pour aller à Rome. La longue absence
des empereurs, et les troubles des dernières années avaient introduit
dans cette dernière ville un grand nombre de désordres. L'idolâtrie,
malgré les atteintes qu'elle avait reçues, s'y maintenait avec plus de
fierté que dans le reste de l'empire. Théodose, touché de ces maux,
voulut y remédier en personne. Accompagné de Valentinien et de son
fils Honorius, qui n'avait pas encore cinq ans accomplis, et qu'il
avait fait venir de Constantinople après la mort de Maxime, il entra
dans Rome le treizième de juin, et cette entrée fut un magnifique
triomphe[688]. On portait devant son char les représentations des
batailles gagnées et des villes reprises sur les rebelles; mais rien
n'attirait les regards autant que Théodose lui-même, qui, renonçant
à sa propre grandeur, voulut faire à pied une partie du chemin, se
laissant librement aborder, s'entretenant avec les citoyens, partageant
leur joie, écoutant avec gaîté ces chansons folâtres et satiriques
dont la liberté romaine avait conservé l'usage dans les triomphes. Il
alla d'abord au sénat, et présenta aux sénateurs assemblés, son fils
Honorius; de là il se rendit à la grande place, où il se montra sur
la tribune aux harangues, et fit des largesses au peuple. Les jours
suivants il prit plaisir à se promener dans la ville, sans gardes et
sans autre escorte que la foule dont il était environné, visitant les
ouvrages publics, entrant dans les maisons des particuliers, avec
lesquels il conversait familièrement. Il lui fallut entendre dans le
sénat son propre panégyrique prononcé par Latinus Pacatus Drépanius, le
plus fameux orateur de ce temps-là. C'était un Gaulois[689] de la ville
d'Agen (_Nitiobriges_)[690]: car depuis long-temps l'éloquence semblait
s'être retirée dans la Gaule, et surtout dans l'Aquitaine, où perdant
l'ancienne majesté romaine, elle avait pris le ton de saillie et cette
délicatesse affectée qui dégénère en sécheresse et ramène enfin la
barbarie. On vit quelques jours après arriver à Rome des ambassadeurs
perses, qui venaient de la part de Sapor III[691] offrir des présents à
l'empereur et renouveller le traité d'alliance.

[Note 688: Cette date est donnée par les fastes d'Idatius et par la
chronique du comte Marcellin.--S.-M.]

[Note 689: Cet orateur était venu, à ce qu'il dit, de l'extrémité
des Gaules, des bords de l'Océan où le soleil termine son cours, des
lieux où la terre habitée se mêle à l'élément humide, pour admirer par
lui-même les vertus de Théodose. _Sed cum admiratione virtutum tuarum
ab ultimo Galliarum recessu, qua littus Oceani cadentem excipit solem,
et deficientibus terris sociale miscetur elementum, ad contuendum
te, adorandumque properassem, ut bona quæ auribus ceperam etiam visu
usurparem._ Pacat., c. 2.--S.-M.]

[Note 690: Sidonius Apollinaris parle, l. 8, ep. 11, d'un poète
appelé Drépanius, qui était de cette ville. Ce qui fait présumer
qu'il est le même que le panégyriste de Théodose, c'est qu'Ausone
(_Lud. sept. Sap._) parle d'un poète son contemporain, qui se nommait
aussi Drépanius, et dont il égale le génie à celui de Virgile. Il
fut proconsul d'Afrique en l'an 389, et intendant du domaine en l'an
393.--S.-M.]

[Note 691: Il est fort douteux que cette ambassade ait été envoyée
par Schahpour III, ou Sapor: ce prince dont le règne fut de cinq ans et
quatre mois, avait commencé sa sixième année le 18 mai 388. Il est donc
certain qu'à l'époque où les ambassadeurs Persans arrivèrent à Rome en
389, un autre prince était sur le trône. Ce nouveau roi était un fils
de Sapor; il se nommait en persan _Bahram_, ou en grec _Ouararanès_.
Les orientaux le surnomment _Kerman-schah_, c'est-à-dire _roi du
Kirman_, à cause d'une province de la Perse méridionale, dont il avait
eu le gouvernement avant son avénement. Le même surnom se retrouve
dans Agathias, l. 4, pag. 136, sous la forme _Cermasaa_. Οὐαραράνης
ὁ παῖς (Σαβόρου), ὅς δὴ καὶ Κερμασαὰ ὠνομάζετο. Il lui venait, selon
l'historien grec, de ce que du temps de son père, il avait soumis le
pays de _Cerma_ (le Kirman). Καὶ Κέρμα ἔθνους τυχὸν ἥ χώρας ὑπῆρχεν
ἐπωνυμία· ταύτης δὲ τῷ πατρὶ τοῦ Οὐαραράνου δεδουλωμένης, εἰκότως ὁ
παῖς τὴν ἐπωνυμίαν ἐκτήσατο. Ce surnom, comme il le remarque, était
donc tout-à-fait analogue à ceux d'_Africanus_, de _Germanicus_, ou de
tout autre dérivé du nom d'une nation vaincue, que les Romains étaient
dans l'usage de donner à leurs généraux victorieux. Καθάπου πρότερον
καὶ παρὰ Ῥωμαίοις ὁ μὲν Ἀφρικανὸς τυχὸν, ὁ δὲ Γερμανικὸς, ὁ δὲ ἐξ ἄλλου
τοῦ γένους νενικημένου ἐπεκλήθη. Le règne de Bahram IV, fils de Sapor
III, fut de onze ans accomplis, et on dut le compter à partir du 18
mai 388. J'aurai bientôt l'occasion de donner d'autres détails sur ce
prince.--S.-M.]

[Note latérale: III.

Désordres abolis.

Socr. l. 5. c. 18.

Theoph. p. 63.

Cod. Th. l. 12. tit. 16. leg. unic.]

Il s'appliqua ensuite à corriger les désordres. L'histoire en cite
deux, dont on ne trouverait point d'exemple dans les nations les
moins policées. On avait bâti depuis long-temps de vastes édifices,
où l'on faisait le pain qu'on distribuait au peuple: ce travail était
attaché à certaines familles à titre de servitude; c'était aussi la
punition des moindres crimes, que d'être condamné à tourner la meule:
car alors on écrasait encore le grain à force de bras. Comme le nombre
des travailleurs diminuait tous les jours, les entrepreneurs, pour
y suppléer, eurent recours à un expédient criminel et barbare. Ils
établirent à côté de leurs boulangeries des cabarets où des femmes
perdues attiraient les passants; on y avait ménagé des trappes, qui
communiquaient à de profonds souterrains, où les moulins étaient
placés. Les malheureux qui s'engageaient dans ces lieux de débauche,
tombant dans ces cachots ténébreux, y étaient détenus et condamnés à
tourner la meule toute leur vie, sans espérance de revoir le jour.
Cette cruelle supercherie, ignorée de tout autre que de ceux qui la
pratiquaient, s'exerçoit depuis plusieurs années, et quantité de
personnes, surtout d'étrangers, avaient ainsi disparu. Enfin, un
soldat de Théodose ayant donné dans ce piége, et se voyant environné
de ces spectres hideux, se jeta sur eux le poignard à la main, en
tua plusieurs, et força les autres à le laisser sortir. L'empereur
en étant informé, punit sévèrement les entrepreneurs, détruisit ces
repaires de brigands; et afin de ne pas laisser manquer le service du
peuple, il fit un réglement pour y attacher un nombre suffisant de
travailleurs. L'autre désordre était un scandale public. Lorsqu'une
femme était convaincue d'adultère, on lui imposait pour châtiment la
nécessité de multiplier ses crimes. Renfermée dans une cabane destinée
à la débauche, elle était obligée de se prostituer à tous venants, et
de sonner une cloche toutes les fois qu'elle recevait un nouvel hôte,
afin que le voisinage fût averti de ses horreurs. L'empereur abolit
cette détestable coutume, fit abattre ces cabanes, et condamna les
femmes adultères à de rigoureuses punitions.

[Note latérale: IV.

Lois contre les Manichéens et les magiciens.

Cod. Th. l. 9. tit. 16. leg. 11. l. 16. tit 5. leg. 18.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 6. c. 2.]

Il ne montra pas moins de zèle à réprimer les abominations des
Manichéens. Il les chassa de Rome, et les déclara incapables de tester
ni de recevoir par testament, comme étant exclus du commerce des
hommes[692]. Il ordonna qu'après leur mort leurs biens seraient saisis,
et distribués au peuple. Le pape Sirice joignit à cette sévérité du
prince les rigueurs de la discipline ecclésiastique. Comme plusieurs
d'entre eux, pour se déguiser, se mêlaient parmi les catholiques,
il défendit de recevoir à la communion aucun de ceux qui auraient
jamais été infectés de cette hérésie: mais s'ils étaient véritablement
convertis, il commanda de les renfermer dans des monastères pour y
faire une rude pénitence, et de ne leur accorder l'eucharistie qu'à
la mort. Théodose fut plus indulgent à l'égard des Novatiens et des
Donatistes, qui continuèrent d'avoir leurs évêques. Il ne fit aucune
grace aux magiciens: il voulut qu'on les déférât aux tribunaux, dès
qu'on en aurait connaissance[693]; mais comme ces malheureux fanatiques
étaient censés proscrits, et que chacun se croyait en droit de les tuer
d'autorité privée, l'empereur le défendit sous peine de mort. Il semble
qu'il ait ignoré la véritable raison qui rend ces homicides criminels;
celle qu'il apporte, c'est qu'il craint que leurs complices ne prennent
ce moyen de se soustraire eux-mêmes à la justice, ou qu'on n'abuse de
ce prétexte pour satisfaire des inimitiés particulières.

[Note 692: Par sa loi rendue à Rome, le 17 juin 389.--S.-M.]

[Note 693: La loi donnée contre eux fut promulguée le 16 du mois
d'août de cette même année.--S.-M.]

[Note latérale: V.

Réglements qui concernent le sénat et les jugements.

Symm. l. 4. ep. 29, 45. l. 5. ep. 9. l. 10. ep. 21.

Cod. Th. l. 2. tit. 8. leg. 12. et ibi God.]

Le sénat n'avait pas moins besoin de réforme, que le peuple. Les
richesses y avaient usurpé le rang au-dessus des dignités. Sans égard
au grade supérieur que donnaient les magistratures, c'étaient les
plus opulents qui opinaient les premiers. Cet avantage les rendant
redoutables, ils captivaient les avis; en sorte qu'on n'osait les
contredire, et que la fortune faisant taire la prudence, décidait dans
tous les conseils. Théodose rappela l'ancien usage qui réglait l'ordre
des avis sur celui des dignités; il voulut même rétablir la censure,
depuis long-temps abolie. Cette magistrature semblait nécessaire pour
resserrer la discipline, qui se relâchait de jour en jour dans toutes
les parties de l'état; cependant Symmaque s'y opposa. Entre les raisons
qu'il pouvait apporter, nous savons seulement qu'il allégua que, dans
des temps où la cabale emportait presque toutes les charges, c'était
ouvrir aux hommes puissants une porte à la tyrannie. Le sénat fut de
son avis, et Théodose se désista de son dessein. Il fut plus heureux
dans la réforme d'un abus qu'avait introduit la mollesse. Dès avant
l'établissement des empereurs, le barreau était fermé pendant une
grande partie de l'année. Auguste et ses successeurs avaient été de
temps en temps obligés de retrancher des fêtes et des jeux publics,
pour laisser un cours plus libre aux affaires. Marc-Aurèle avait fixé
dans l'année deux cent trente jours pour l'exercice de la justice.
C'était plus qu'il n'y en avait jamais eu depuis le temps de l'ancienne
république. Ce nombre se trouvait fort diminué sous Théodose, et il
était à craindre que la paresse, qui trouve aisément des prétextes,
souvent même religieux, pour se dispenser du travail, ne le diminuât
de plus en plus. Pour y remédier, l'empereur fit une loi[694] selon
laquelle le barreau devait être ouvert tous les jours, excepté dans les
temps qu'elle marquait expressément: c'étaient trente jours dans la
saison de la moisson, autant dans celle des vendanges, le premier et
le dernier jour de chaque année, le troisième de janvier, qui, selon
une ancienne coutume, était consacré à des vœux pour le salut des
empereurs, le 21 d'avril et le 11 de mai, jours de la fondation de Rome
et de Constantinople, la quinzaine de Pâques, tous les dimanches de
l'année, et l'anniversaire de la naissance et de l'avénement au trône
des empereurs actuellement régnants. C'étaient là les seules vacations
du barreau. Ainsi il restait deux cent quarante jours employés sans
exception aux actes judiciaires. On voit que ni la fête de Noël, ni
celle de l'Épiphanie, ni la Pentecôte, n'étaient même exceptées,
quoiqu'elles fussent dès lors au nombre des fêtes les plus solennelles
des chrétiens.

[Note 694: Celle loi est datée de Rome, le 7 août 389.--S.-M.]

[Note latérale: VI.

Etat de l'Idolâtrie dans Rome.

Ambr. ep. 17. t. 2. p. 876.

Aug. serm. 62. t. 5. p. 364 et serm. 105. p. 547.

Prud. in Sym. l. 1.

Zos. l. 4. c. 59.

Suid. Θεοδόσιος.

Grut. inscr. p. 285. nº 8 et 286. nº 5.]

Mais Théodose méditait depuis long-temps une entreprise bien plus
importante et plus difficile. C'était la destruction de l'idolâtrie.
Il était réservé à ce prince et à ses enfants de consommer ce grand
ouvrage, et d'accomplir dans toute l'étendue de l'empire ces oracles
fameux qui, tant de siècles auparavant, avaient annoncé la chute des
idoles. Rome était déja remplie de chrétiens; ils composaient la plus
grande partie du peuple et même du sénat; mais les sacrifices abolis
dans plusieurs provinces, s'étaient jusqu'alors maintenus dans Rome.
Symmaque les soutenait encore par son éloquence, par son crédit, par
une réputation éclatante de probité et de vertu. Albinus, préfet de
Rome, qui avait succédé dans cette charge à l'historien Aurélius
Victor, avait aussi une grande autorité; et quoiqu'il eût deux filles
Læta[695] et Albina[696], qui sont devenues célèbres dans l'Église
par leur piété, il était considéré comme un des principaux chefs de
la religion payenne. La superbe architecture des temples, la richesse
de leurs ornements, la beauté des statues des divinités sorties de la
main des plus célèbres ouvriers de l'ancienne Grèce, en un mot, tout le
brillant appareil de la superstition attachait le peuple, dont l'esprit
se laisse aisément séduire par les yeux. On préférait à une religion
sérieuse et toute spirituelle un culte qui respirait la joie et les
plaisirs. Les fêtes introduisaient les divertissements, souvent même
les dissolutions; les cérémonies les plus augustes étaient égayées de
danses, de festins et de spectacles.

[Note 695: Elle fut mariée au sénateur Toxotius, père de sainte
Paule. Voyez tom. 3, pag. 399, not. 1, liv. XVIII, § 8. S. Jérôme
lui dit dans une lettre (ep. 107, tom. 1, pag. 671), _Tu es nata de
impari matrimonio: de te et Toxotio meo Paula generata est. Quis
hoc crederet, ut Albini pontificis neptis de repromissione matris
nasceretur: ut præsente et gaudente avo, parvulæ adhuc lingua
balbutiens Christi alleluia resonaret, et virginem dei in suo gremio
senex nutriret?_--S.-M.]

[Note 696: Mère de sainte Mélanie la jeune.--S.-M.]

[Note latérale: VII.

Plusieurs sénateurs s'obstinent en faveur de l'idolâtrie.]

Théodose assembla le sénat: il exposa en peu de mots la folie du
paganisme; il exhorta les sénateurs à embrasser _une religion sainte,
émanée de Dieu même, dont les dogmes étaient autorisés par tant de
miracles, et dont la morale pure, simple et sublime élevait sans
recherche et sans étude, les derniers des hommes au-dessus des plus
grands philosophes, supérieurs eux-mêmes aux dieux qu'ils adoraient_.
Il permit ensuite de parler, et il écouta les raisons de ceux qui
défendaient la cause du paganisme. Ce qu'ils disaient de plus fort se
réduisait à ceci: _Que le culte qu'on voulait proscrire était aussi
ancien que Rome; que leur ville subsistait avec gloire depuis près
de douze cents ans sous la protection de leurs dieux; qu'il y aurait
de l'imprudence à les abandonner pour adopter une religion nouvelle,
dont les effets seraient peut-être moins heureux_. Théodose les voyant
obstinés, leur déclara, _que Valentinien, aussi bien que lui, ne
regardant qu'avec horreur le culte impie dont ils étaient entêtés,
on ne devait plus s'attendre à tirer du trésor public les frais
nécessaires pour les sacrifices; que d'ailleurs ce fardeau devenait
insupportable à l'état, qui étant environné de barbares avait plus
besoin de soldats que de victimes_. Après ces paroles il les congédia.

[Note latérale: VIII.

Elle est détruite à Rome.]

Comme selon les maximes romaines, c'était le trésor public qui devait
fournir aux dépenses de la religion, les sacrifices cessèrent dès que
le trésor fut fermé: les temples furent abandonnés; une grande partie
de leurs ornements furent transportés dans les églises chrétiennes;
les fêtes des dieux tombèrent dans l'oubli, et les sacerdoces dans
le mépris; on permit au peuple d'abattre les objets de la vénération
païenne, car, selon saint Augustin, les chrétiens ne les détruisaient
qu'avec la permission du prince: _Nous songeons_, dit-il, _à briser
les idoles dans le cœur des payens, avant que de les renverser de
leurs autels_. Mais l'empereur réserva pour l'ornement de la ville,
et fit placer en différents lieux, les statues faites par d'excellens
artistes. Dans cette proscription de l'idolâtrie, il y eut peu
d'opiniâtres. Les grands et les petits couraient en foule à l'église
de Latran, pour y recevoir le baptême. Plusieurs sénateurs reconnurent
leur aveuglement[697]. L'empereur n'employa jamais les supplices, il
n'exclut pas même les païens des dignités, et la différence de religion
n'effaçait pas dans son esprit le mérite des talents ni des services.
L'idolâtrie terrassée dans Rome par Théodose, affaiblie encore dans
la suite par son fils Honorius, ne fut cependant tout-à-fait étouffée
qu'en 451, par l'édit de Valentinien III et de Marcien.

[Note 697: Prudence raconte longuement et en termes magnifiques,
(_in Symmach._ l. 1, t. 545 et seq.) la conversion rapide des sénateurs
romains.

    Exultare patres videas, pulcherrima mundi
    Lumina conciliumque senum gestire Catonum,
    Candidiore togâ niveum pietatis amictum
    Sumere, et exuvias depone re pontificales.
    ......................................
    Et dubitamus adhuc Romam tibi, Christe dicatam
    In leges transisse tuas?

--S.-M.]

[Note latérale: IX.

Imposture d'un prêtre payen.

Ruf. l. 12. c. 24, et 25.]

Alexandrie était dans l'empire le second rempart où l'idolâtrie
continuait à se défendre. La superstition égyptienne, la plus ancienne
de toutes et la plus chargée des chimères que l'esprit humain sait
produire, y dominait encore, malgré les efforts de tant de saints
évêques. Cynégius, qui avait été envoyé en Égypte cinq ans auparavant,
n'avait osé entreprendre de détruire le paganisme dans une ville
fanatique et séditieuse; mais la découverte d'une horrible imposture,
toute semblable à celle qui, du temps de Tibère, avait excité une
indignation générale, aida beaucoup à décréditer les idoles. Un prêtre
de Saturne, nommé Tyrannus, abusait des femmes les plus qualifiées de
la ville, en persuadant à leurs maris que le Dieu exigeait qu'elles
passassent la nuit dans son temple. Les maris s'estimaient honorés de
la préférence; ils paraient eux-mêmes leurs épouses et les conduisaient
au rendez-vous. La nuit venue, le prêtre, caché dans la statue du Dieu,
faisait parler l'idole; il éteignait les lampes au moyen de certaines
cordes disposées à ce dessein, et contentait ses désirs impurs. Une
femme moins crédule que les autres le reconnut à sa voix; elle en
avertit son mari. Le fourbe appliqué à la question avoua ses crimes: il
fut puni; mais la honte de son impiété rejaillit sur tous les payens
d'Alexandrie.

[Note latérale: X.

Occasion d'une sédition des payens dans Alexandrie.

Ruf. l. 12. c. 22, et seq.

Socr. l. 5. c. 16 et 17.

Soz. l. 7. c. 15 et 20.

Eunap. in Ædesio. t. 1. p. 44 et 45. ed. Boiss.

Macrob. l. 1. c. 20.

Theod. l. 5. c. 22.

Suidas, Ὄλυμπος et Σάραπις.

Amm. l. 22. c. 16.

Liban. de templis. p. 20 et 21.

Prosp. prom. l. 3, c. 38.

Marc. chr. Theoph. p. 61 et 62.

Till. Theod. art. 51, et suiv. et not. 40, 41 et vie de Theoph. art. 7.]

L'évêque Théophile acheva de les couvrir de confusion. Ce prélat était
depuis quatre ans assis sur le siége de cette capitale de l'Égypte.
C'était un homme de beaucoup d'esprit et de savoir, hardi dans ses
entreprises, constant et intrépide dans l'exécution. Il y avait dans
la ville un ancien temple de Bacchus[698], dont il ne restait rien
de solide que les murailles. Constance l'avait autrefois donné à
ces faux évêques, qu'il envoyait pour prendre la place d'Athanase.
Théophile le demanda à l'empereur pour ouvrir une nouvelle église au
peuple catholique, dont le nombre croissait tous les jours. Pendant
qu'on travaillait à la réparation de cet édifice, on découvrit des
souterrains plus propres à receler des crimes, qu'à servir à des
cérémonies de religion; c'était le dépôt des mystères secrets. On y
trouva un grand nombre de figures bizarres, ridicules, infames, que
la superstition dissolue avait autrefois exposées à la vénération
des peuples[699], mais qu'elle cachait avec soin, depuis que le
christianisme avait ouvert les yeux aux hommes. Théophile, plus ardent
que circonspect, affecta de les produire au grand jour, et de les faire
promener dans la ville, pour décrier l'idolâtrie[700].

[Note 698: Διονύσου ἱερόν, dit Sozomène, l. 7, cap. 15. C'était
sans doute un temple d'Osiris; car, comme on le sait par un grand
nombre de témoignages antiques, tel était le nom de Bacchus chez les
Égyptiens. Rufin dit, lib. 12, c. 22, que c'était une basilique,
_basilica quædam_, un temple quelconque.--S.-M.]

[Note 699: C'étaient des _phallus_, au dire de Socrate, l. 5, c.
16, et de Sozomène; comme on le voit par le passage suivant du livre
7, ch. 15, de cet auteur. Φαλλοὺς, καὶ εἴ τι ἕτερον ἐν τοῖς ἀδύτοις
κεκρυμμένον κατεγέλαστον ἦν ἢ ἐφαίνετο, δημοσίᾳ ἦγεν εἰς ἐπίδειξιν.
Rufin rapporte la même chose, l. 12, c. 22. _Reperta in loco sunt antra
quædam latentia, et terræ defossa latrociniis et sceleribus magis quam
cærimoniis apta._--S.-M.]

[Note 700: Il ordonna, dit Socrate, lib. 5, c. 16, d'exposer ces
_phallus_ au milieu du marché, τοὺς φαλλοὺς φέρεσθαι κελεύσας διὰ μέσης
τῆς ἀγορᾶς.--S.-M.]

[Note latérale: XI.

Fureur des payens.]

Les payens, irrités[701] qu'on dévoilât leurs honteux mystères,
entrèrent en fureur, ils s'animèrent à la vengeance; et s'attroupant
dans tous les quartiers de la ville, ils se jetèrent à main armée sur
les chrétiens. C'était à chaque instant des combats; le sang ruisselait
dans toutes les rues. Les chrétiens étaient supérieurs pour le nombre
et la qualité des personnes; mais leur religion, ennemie de la violence
et du carnage, leur inspirait la modération. Les payens avaient fait du
temple de Sérapis leur fort et leur citadelle[702]. De là sortant avec
rage ils blessaient ou tuaient les uns, ils entraînaient les autres
avec eux et les forçaient à sacrifier. Ceux qui refusaient étaient mis
à mort par les plus cruels tourments: on les attachait en croix, on
leur brisait les jambes, on les précipitait dans les fosses construites
autrefois pour recevoir le sang des victimes et les autres immondices
du temple. L'église honore entre ses martyrs ceux qui, dans cette
occasion, préférèrent la mort à l'apostasie[703].

[Note 701: C'étaient plus particulièrement les philosophes,
à ce qu'assure Socrate, l. 5, c. 16, καὶ μάλιστα οἱ φιλοσοφεῖν
ἐπαγγελλόμενοι.--S.-M.]

[Note 702: Καταλαμβάνουσι τὸ Σεράπιον, ils s'emparèrent du
_Serapeum_, dit Sozomène, lib. 7, cap. 15; ils en sortirent inopinément
comme d'une forteresse, ajoute-t-il, ἐντεῦθεν ὡς ἀπ' ἄκρας τινὸς
ἐξαπιναίως ἐλθόντες, et ils prirent beaucoup de chrétiens, συνέλαβόν τε
πολλοὺς Χριστιανῶν, κ. τ. λ.--S.-M.]

[Note 703: C'est le 17 mars que l'on célèbre la mémoire de ces
martyrs.--S.-M.]

[Note latérale: XII.

Olympe se met à leur tête.]

Les séditieux devenus plus hardis à force d'attentats et de meurtres,
songèrent à se donner un chef. Entre les prêtres de Sérapis était
un imposteur nommé Olympe[704]. Il était venu de Cilicie pour se
consacrer au culte de ce Dieu. Un extérieur de philosophe[705], une
grande taille, un air imposant, joint à un esprit pénétrant, avisé,
insinuant et à un caractère affable et officieux à l'égard de ceux de
sa religion, le faisaient regarder dans Alexandrie comme le héros du
parti. Il avait cette éloquence ardente et emphatique qui sait enivrer
le peuple et allumer dans les cœurs le feu du fanatisme. Il prenait
le ton de prophète; et se disant inspiré de Sérapis, il avait prédit
à ses plus intimes confidents, que ce Dieu allait bientôt quitter son
temple. Dans le temps que Cynégius renversait les idoles en diverses
provinces de l'Orient, et que les païens consternés semblaient
douter de la puissance de leurs dieux, il les affermissait dans leur
religion, en leur représentant _que ces statues n'étaient qu'une
matière corruptible; mais que les intelligences éternelles qui les
avaient habitées s'étaient retirées dans les cieux_[706]. Ce fut cet
enthousiaste que les rebelles mirent à leur tête, pour les commander
dans les attaques, et pour régler la défense, si on entreprenait de les
forcer.

[Note 704: Sozomène l'appelle Olympius. Voyez la note
suivante.--S.-M.]

[Note 705: _Olympum quemdam nomine et habitu solo philosophum._
Rufin. l. 12, c. 22. Un certain Olympius qui était avec eux sous
l'habit de philosophe, dit Sozomène, l. 7, c. 15, les persuadait de
ne pas abandonner leurs rites nationaux, mais, s'il le fallait, de
mourir plutôt pour eux. Ὀλύμπιός τις ἐν φιλοσόφου σχήματι συνὼν αὐτοῖς,
καὶ πείθων χρῆναι μὴ ἀμελεῖν τῶν πατρίων, ἀλλ' εἰ δέοι ὑπὲρ ἀυτῶν
θνήσκειν.--S.-M.]

[Note 706: Ὓλην φθαρτὴν καὶ ἰνδάλματα λέγων εἶναι τὰ ἀγάλματα, καὶ
διὰ τοῦτο ἀφανισμὸν ὑπομένειν· δυνάμεις δὲ τινας ἐνοικῆσαι ἀυτοῖς, καὶ
εἰς οὐρανὸν ἀποπτῆναι. Sozom. l. 7, c. 15.--S.-M.]

[Note latérale: XIII.

Ils résistent aux magistrats.]

En effet, Évagrius, préfet d'Égypte[707], et Romanus qui commandait
les troupes de la province avec la qualité de comte[708], voyant que
cette sédition n'était pas une de ces émeutes passagères, si fréquentes
dans Alexandrie, mais que l'acharnement et la fureur croissaient de
jour en jour, crurent qu'il était temps d'employer leur autorité. Ils
se présentèrent aux portes du temple de Sérapis; et s'adressant aux
séditieux qui se montraient aux fenêtres et sur le haut des toits, ils
leur demandèrent comment ils étaient assez hardis pour prendre les
armes, et assez barbares pour égorger leurs concitoyens sur les autels
de leurs dieux. On ne leur répondit que par des cris confus. En vain,
ils leur remontrèrent que leur attentat était un crime d'état; qu'un
brigandage si atroce allait armer contre eux toute la puissance de
l'empire et toute la rigueur des lois: ils ne furent pas écoutés, et
ils se retirèrent persuadés qu'on ne pouvait réduire que par la force
des esprits si opiniâtres. Mais comme ils craignaient qu'il n'en coûtât
beaucoup de sang, ils en écrivirent à l'empereur et attendirent ses
ordres. Cependant la fureur des séditieux s'embrasait de plus en plus,
par la vue de leurs crimes passés et par les discours d'Olympe. _Après
avoir immolé les impies_, leur disait-il, _vous devez, s'il en est
besoin, vous sacrifier vous-mêmes. En mourant pour la défense de vos
dieux, vous vous rendrez immortels comme eux._

[Note 707: Il est appelé Évétius par Eunapius dans la vie d'Édésius
(tom. 1, pag. 44, _ed._ Boiss.), c'est, je crois, par une faute de
copiste.--S.-M.]

[Note 708: Eunapius désigne ainsi ces deux officiers. Εὐετίου δὲ
τὴν πολιτικὴν ἀρχὴν ἄρχοντος, Ῥωμανοῦ δὲ τοὺς κατ' Αἴγυπτον στρατιώτας
πεπιστευμένου. Eunap. _in Ædes._ tom. 1, p. 44, ed. Boiss. Sozomène
en parle en ces termes, l. 7, c. 15, ἦρχε δὲ τοτε τῶν ἐν Αἰγύπτῳ
στρατιωτικῶν ταγμάτων Ῥωμανός. Ἐυάγριος δὲ ὕπαρχος τῆς Ἀλεξανδρείας
ἡγεῖτο.--S.-M.]

[Note latérale: XIV.

Les séditieux prennent l'épouvante.]

Cet imposteur inspirait aux autres plus de courage et de résolution
qu'il n'en avait lui-même. Lorsqu'il sut que les ordres de l'empereur
allaient arriver, il sortit secrètement du temple pendant la nuit, et
s'étant jeté dans un vaisseau il passa en Italie, où il demeura caché.
Pour justifier sa fuite, il racontait qu'étant cette nuit-là dans le
temple de Sérapis, dont les portes étaient fermées, pendant que tous
ses compagnons étaient endormis, il avait entendu une voix qui chantait
_Alleluia_, et qu'il avait jugé que les ordres de l'empereur alloient
donner l'avantage aux chrétiens. Le jour étant venu, les courriers
arrivèrent; et les païens ayant quitté leurs armes, comme s'ils eussent
espéré que le rescrit de Théodose leur serait favorable, vinrent se
rendre dans la place devant le temple, pour en entendre la lecture. A
peine eut-on lu les premiers mots, où l'empereur marquait l'horreur
qu'il avait du paganisme, que les chrétiens poussèrent un cri de joie,
et que les païens glacés de frayeur oublièrent leur fureur passée et
leur Sérapis, et ne songèrent plus qu'à cacher leur honte. Quelques-uns
se confondirent dans la foule des chrétiens; d'autres se dispersèrent
dans la ville et dans les campagnes, où ils cherchèrent les retraites
les plus secrètes. Chacun d'eux ne voyait plus que la punition qu'il
avait méritée. Plusieurs abandonnèrent l'Égypte. Deux pontifes,
Helladius et Ammonius, se réfugièrent à Constantinople, où n'étant
pas connus, ils ouvrirent une école de grammaire[709]. Ammonius avait
été prêtre d'un singe adoré comme divinité par les Égyptiens[710].
Helladius avait fait la fonction de prêtre de Jupiter: il continua
toute sa vie à gémir sur le désastre de l'idolâtrie, et il se vantait
à ses amis d'avoir tué de sa main neuf chrétiens dans la sédition
d'Alexandrie[711].

[Note 709: Socrate dit, lib. 5, c. 16, que dès son enfance, il
avait été leur disciple à Constantinople, οἱ δύο γραμματικοὶ, Ἑλλάδιος
καὶ Ἀμμώνιος, παρ' οἶς ἐγὼ κομιδῆ νέος ὢν ἐν τῇ Κωνσταντίνου πόλει
ἐφοίτησα.--S.-Μ.]

[Note 710: Ἑλλάδιος μὲν οὖν ἱερεὺς τοῦ Διὸς εἶναι ἐλέγετο· Ἀμμώνιος
δὲ πιθήκου. Socr. l. 5, c. 16.--S.-M.]

[Note 711: Ἑλλάδιος δὲ παρά τισιν ἤυχει, ὡς ἐννέα εἴη ἄνδρας ἐν τῇ
συμπληγάδι φονεύσας. Soc. l. 5, c. 16.-S.-M.]

[Note latérale: XV.

L'empereur ordonne de détruire tous les temples d'Alexandrie.]

L'empereur dans sa lettre relevait le bonheur des chrétiens qui, par
ce massacre impie, avaient reçu la couronne du martyre. Il déclarait
que ce serait déshonorer ces glorieuses victimes que de venger leur
mort, qu'il ne prétendait pas mêler avec leur sang celui de leurs
meurtriers, qu'il pardonnait aux païens, pour leur apprendre quelle
était la douceur de ceux qu'ils égorgeaient, et pour les porter à
embrasser une religion à laquelle ils seraient redevables de la vie;
mais il ordonnait de détruire tous les temples d'Alexandrie, source
malheureuse de forfaits et de séditions. Il commettait Théophile
à l'exécution de cet ordre, et chargeait le préfet et le comte de
soutenir l'évêque. Il faisait présent à l'Église de tous les ornements
et de toutes les statues des temples, dont le prix devait être employé
au soulagement des pauvres.

[Note latérale: XVI.

Description du temple et de l'idole de Sérapis.]

Théophile armé de ce rescrit, commença par le temple de Sérapis. Ce
Dieu était le plus révéré de tous ceux qu'adorait Alexandrie[712]. Dès
la fondation de cette ville ce culte y avait passé de Memphis, où il
était établi de toute antiquité. Sérapis était le souverain des enfers,
que les Grecs, disciples de l'idolâtrie égyptienne, reconnaissaient
sous le nom de Pluton[713]. Dans la suite des temps, il avait été
décoré des attributs de presque toutes les divinités. Jupiter, Neptune,
le Soleil, le dieu du Nil, Esculape étaient confondus avec lui; tout
le ciel semblait réuni dans sa personne, selon la superstition des
Égyptiens[714]. Quelques chrétiens se sont imaginé que c'était dans
l'origine le patriarche Joseph[715] qui, ayant comblé l'Égypte de biens
pendant sa vie, serait devenu après sa mort l'objet d'une vénération
sacrilége; mais cette opinion est mal fondée. Jamais les anciens
Égyptiens n'ont mis les hommes au nombre des Dieux. La statue était
d'une grandeur démesurée; elle atteignait de ses deux bras les deux
murs opposés du temple[716]. Sur sa tête s'élevait un casque antique,
que sa forme a fait prendre tantôt pour un boisseau, tantôt pour une
corbeille[717]. A côté du Dieu paraissait le chien Cerbère, dont les
trois têtes étaient entortillées des replis d'un énorme serpent, qui
posait sa tête sur la main droite du Dieu[718]. Ce n'était pas cette
statue qui, sous le règne du premier des Ptolémées, avait été apportée
de Sinope[719], elle était plus ancienne; et peut-être avait-elle été
transportée de Memphis à Alexandrie, lorsque cette dernière ville fut
bâtie[720]. Saint Clément dit[721] que Sésostris l'avait fait faire
de toute sorte de métaux; qu'il entrait aussi dans sa composition
des pierres et du bois, et que de ce mélange résultait une couleur
bleue[722]. Il en nomme l'ouvrier Bryaxis, qu'il ne faut pas confondre
avec le sculpteur athénien beaucoup plus moderne, qui travailla au
fameux tombeau de Mausole. Le temple était d'une structure encore
plus admirable que la statue[723]. C'était un ouvrage d'Alexandre,
ou, selon d'autres, de Ptolémée, fils de Lagus. Il était bâti sur
un tertre fait de main d'homme[724], dans le quartier d'Alexandrie
nommé Rhacotis[725]. On y montait par plus de cent degrés. Ce tertre
était soutenu sur des voûtes partagées en plusieurs berceaux qui
communiquaient ensemble, et servaient à des mystères d'horreur dont
l'idolâtrie cachait l'infamie ou la cruauté[726]. La plate-forme était
bordée de divers édifices destinés au logement et aux différents usages
des gardiens du temple et d'un grand nombre de fanatiques qui faisaient
une profession extérieure de chasteté. On y voyait aussi cette célèbre
bibliothèque, rétablie depuis que l'ancienne avait été brûlée du temps
de Jules César, et qui subsista jusqu'à l'invasion des Sarrasins[727].
Après avoir traversé cette enceinte, on trouvait un vaste portique qui
régnait autour d'une place carrée, au milieu de laquelle s'élevait
le bâtiment du temple, soutenu sur des colonnes du marbre le plus
précieux. Il était spacieux et magnifique. Les murailles étaient
revêtues en dedans, de lames d'or, d'argent, et de cuivre, placées
les unes sur les autres, en sorte que le métal le plus riche était
au-dessous[728]. On découvrait apparemment tantôt celles d'argent,
tantôt celles d'or, selon les diverses solennités. Ammien Marcellin
ne trouve dans l'univers que le temple de Jupiter Capitolin, qui pût
égaler en splendeur et en majesté ce superbe édifice[729].

[Note 712: C'était, selon les Égyptiens, dit Macrobe, l. 1, c.
20, le plus grand des dieux. _Sarapis, quem Ægyptii deum maximum
prodiderunt._--S.-M.]

[Note 713: C'est l'opinion rapportée par Plutarque (_de Isid. et
Osir._), d'après l'interprète Timothée et l'historien Manéthon. On
la trouve aussi dans Tacite (_Hist._ lib. 4, c. 84) qui dit: _Deum
ipsum multi Æsculapium, quod medeatur ægris corporibus; quidam Osirin,
antiquissimum illis gentibus numen; plerique Jovem, ut rerum omnium
potentem; plurimi Ditem patrem, insignibus, quæ in ipso manifesta, aut
per ambages conjectant._ Cette opinion est encore dans Macrobe, l. 1,
c. 19, _cum Plutone Serapim conjungunt_. La relation de l'historien
arménien, Moïse de Khoren, qui alla à Alexandrie au cinquième siècle,
fait voir que c'était le système admis à cette époque. Voyez le
_Journal Asiatique_, t. 2, p. 329. On peut consulter aussi ce qu'en dit
Julien, or. 4, p. 136.--S.-M.]

[Note 714: Jablonski a réuni dans son Panthéon Égyptien, l. 2, c.
5, toutes les autorités que fournissent les écrivains de l'antiquité
sur Sérapis. C'est de toutes les divinités égyptiennes celle dont il
est le plus souvent question dans leurs ouvrages. Il n'est pas facile,
au milieu des passages contradictoires qu'il a réunis, de se faire une
idée juste de ce qu'était ce dieu. Les découvertes et les dissertations
plus modernes ont plutôt encore contribué à obscurcir la question qu'à
l'éclaircir. Jablonski pense que dans un certain sens Sérapis était le
Nil, et dans un autre le soleil d'hiver ou le soleil dans les signes
inférieurs.--S.-M.]

[Note 715: _Quidam in honorem nostri Joseph formatum perhibent
simulacrum_, dit Rufin, l. 12, c. 23. La même opinion se retrouve dans
Julius Firmicus Maternus, c. 14.--S.-M.]

[Note 716: _Simulacrum Serapis ita erat vastum, ut dextera unum
parietem, alterum læva perstringeret._ Rufin. Hist. Eccles. l. 12, c.
23.--S.-M.]

[Note 717: On l'appelait _calathus_; il est assez difficile de
savoir ce que c'était; mais pour sûr ce n'était pas un casque.--S.-M.]

[Note 718: Macrobe donne la description de la statue de Sérapis,
l. 1, c. 20: _Omnem_, dit-il, _illam venerationem soli se sub illius
nomine testatus impendere, vel dum calathum capiti ejus infigunt, vel
dum simulacro signum tricipitis animantis adjungunt: quod exprimit
medio eodemque maximo capite leonis effigiem. Dextera parte canis caput
exoritur mansueta, specie blandientis. Pars vero læva cervicis rapacis
lupi capite finitur; easque formas animalium draco connectit volumine
suo capite redemit: ad dei dexteram quam compescitur monstrum._--S.-M.]

[Note 719: On sait comment, sous le règne de Ptolémée Philadelphe,
d'autres disent sous celui de Ptolémée Soter, ce qui est plus
vraisemblable, on amena de Sinope une ancienne statue très-révérée et
que ses attributs firent prendre par les Égyptiens pour une image de
leur dieu Sérapis. Elle en reçut le nom, fut placée dans le temple
de ce dieu, où elle devint l'objet de la vénération universelle. Le
culte que l'on voua à cette divinité dans la capitale de l'empire des
Macédoniens, en Égypte, contribua puissamment à augmenter la dévotion
que l'on y avait déja pour ce dieu, qui devint alors, pour ainsi dire,
la principale divinité des Égyptiens. Voyez Plutarch., _de Isid. et
Os._ Tacit. l. 4, c. 84.--S.-M.]

[Note 720: _Sedem, ex qua transierit_ (_Serapis_), dit Tacite,
_Histor._ lib. 4, c. 84, _Memphim perhibent, inclytam olim et veteris
Ægypti columen_. Pausanias, l. 1, c. 18, est d'accord avec Tacite,
quand il dit que les Égyptiens ont beaucoup de temples dédiés à
Sérapis, que le plus célèbre est à Alexandrie et le plus ancien
à Memphis. Αἰγυπτίοις δὲ ἱερὰ Σαράπιδος, ἐπιφανέστατον μὲν ἐστιν
Ἀλεξανδρεῦσιν, ἀρχαιότατον δὲ ἐν Μέμφει.--S.-Μ.]

[Note 721: S. Clément d'Alexandrie rapporte effectivement dans son
exhortation aux payens, t. 1, p. 42 et 43, que cette statue avait été
faite par les ordres de Sésostris, et exécutée par les artistes qu'il
avait amenés en grand nombre, après avoir soumis plusieurs nations de
la Grèce. Σέσωστρίν φησι τὸν Αἰγύπτιον βασιλέα, τὰ πλεῖστα τῶν παρ'
Ἑλλησὶ παραστησάμενον ἐθνῶν, ἐπανελθόντα εἰς Αἴγυπτον, ἐπαγαγέσθαι
τεχνίτας ἱκανούς. Il raconte ensuite que cette statue était faite
d'or, d'argent, de cuivre, de fer, de plomb et d'étain; on y avoit mis
toutes les pierres précieuses connues des Égyptiens, comme le saphir,
l'hématite, l'éméraude et la topaze. Le tout avait été mêlé, poli
et recouvert d'une couleur, ce qui donnait à la statue entière une
apparence noire. On trouve dans Rufin, _Hist. Ecclés._, l. 12, c. 13,
des détails à peu près semblables sur cette statue.--S.-M.]

[Note 722: L'auteur de l'histoire fabuleuse d'Alexandre publiée par
l'abbé Mai, rapporte, l. 1, c. 30, que cette statue était faite d'une
matière qu'il n'était pas donné à l'homme de connaître. _Simulacrum
ex ea materia figuratum, quam dinoscere homini virium non est._ On
assurait, dit S. Clément d'Alexandrie (_Cohort. ad gent._, tom. 1,
pag. 42.), qu'elle n'avait pas été faite par une main humaine, τοῦτον
ἀχειροποίητον εἰπεῖν τετολμήχασιν, τὸν Αἰγύπτιον Σάραπιν.--S.-M.]

[Note 723: Sa grandeur, dit Tacite, _Histor._ l. 4, c. 84, égalait
celle d'une ville, _templum pro magnitudine urbis exstructum_. Il
était, dit Sozomène, l. 7, c. 15, situé sur une colline, et également
remarquable par sa grandeur et par sa beauté; ναὸς δὲ οὗτος ἦν κάλλει
καὶ μεγέθει ἐμφανέστατος, ἐπὶ γεωλόφου κείμενος.--S.-M.]

[Note 724: _Non natura, sed manu et constructione per centum aut eo
amplius gradus in sublime suspensus._ Rufin. lib. 12, c. 23.--S.-M.]

[Note 725: _Loco, cui nomen Rhacotis_, dit Tacite, _Hist._, l. 4,
c. 84. _Rhacotis_ est le nom d'une bourgade dont l'existence était
antérieure à celle d'Alexandrie, et qui fut ensuite englobée dans
l'enceinte de cette ville, dont elle forma un quartier. Les Coptes
donnent souvent à la ville entière le nom de _Rakoti_, à cause de cette
ancienne bourgade.--S.-M.]

[Note 726: _Occultis aditibus invicem ipsemet distinctis, usum
diversis ministeriis et clandestinis officiis exhibebant._ Rufin.
_Hist. Eccles._ l. 12, c. 23.--S.-M.]

[Note 727: On oublie de remarquer que cette bibliothèque fut pillée
alors par les chrétiens. Orose le dit assez clairement, lib. 6, c. 15,
quand il rapporte qu'il en vit les armoires vides plusieurs années
après. _Nos vidimus armaria librorum: quibus direptis, exinanita ea à
nostris hominibus, nostris temporibus memorent._--S.-M.]

[Note 728: Tous ces détails sont dans l'_Histoire Ecclésiastique_
de Rufin, l. 12, c. 23.--S.-M.]

[Note 729: _His accedunt altis sublata fastigiis templa; inter quæ
eminet Serapeum, quod licet minuatur exilitate verborum, atriis tamen
columnariis amplissimis, et spirantibus signorum figmentis, et reliqua
operum multitudine ita est exornatum, ut post Capitolium, quo se
venerabilis Roma in æternum attollit, nihil orbis terrarum ambitiosius
cernat._ Amm. Marc., l. 22, c. 16.--S.-M.]

[Note latérale: XVII.

Fourberie des prêtres de Sérapis.]

La fourberie des prêtres contribuait à le rendre célèbre par de faux
miracles, propres à surprendre la crédulité du vulgaire. La statue
de Sérapis étant placée à l'occident, on avait pratiqué dans le mur
oriental une ouverture étroite et imperceptible, par laquelle le
soleil, dans un certain jour de l'année, dardait à une certaine heure
ses rayons sur la bouche de l'idole. Ce jour-là on apportait dans le
temple une image du soleil pour saluer Sérapis. Le peuple, à la vue
du rayon qui éclatait sur les lèvres de la statue, ne doutait pas que
ce ne fût un baiser du dieu du jour: il applaudissait à grands cris à
l'embrassement des deux divinités, et les prêtres ne manquaient pas,
après quelques moments, de refermer l'ouverture et d'enlever l'image
du soleil, dont la visite ne pouvait être plus longue sans trahir
l'artifice. On raconte encore des prodiges d'une pierre d'aimant placée
à la voûte du temple, et dont les prêtres seuls avaient connaissance.
Si l'on en pouvait croire les auteurs sur cet article, elle aurait
admirablement servi l'imposture. Selon quelques-uns, on plaçait sous
cette pierre, une ou deux fois l'année, une figure du soleil d'un fer
très-mince et très-léger, qui s'élevait d'elle-même jusqu'à la voûte.
Selon d'autres, un char de fer avec les chevaux, représentant le char
du soleil, y demeurait perpétuellement suspendu. Ils ajoutent que, dans
le temps de la démolition, un chrétien ayant enlevé la pierre d'aimant,
toute la machine tomba et se brisa avec fracas; mais ces merveilles
sont de la même nature que celles qu'on a si long-temps débitées sur le
tombeau de Mahomet.

[Note latérale: XVIII.

On met en pièces la statue.]

L'évêque, accompagné du gouverneur et du comte, étant entré dans le
temple, commanda d'abattre la statue. Cet ordre fit pâlir d'effroi les
chrétiens mêmes. C'était une opinion répandue parmi le peuple, que
si quelqu'un osait porter la main sur Sérapis, la terre s'ouvrirait
aussitôt, et que toute la machine du monde s'écroulerait dans l'abîme.
Théophile, qui méprisait ces rêveries, donna ordre à un soldat armé
d'une hache de frapper Sérapis. Au coup qu'il porta en tremblant,
tous les assistants poussèrent un grand cri: le soldat redoubla et
mit en pièces le genou de l'idole, qui n'était que de bois pourri. On
le jetta au feu; et les païens s'étonnèrent de le voir brûler sans
que ni le ciel ni la terre donnassent aucun signe de vengeance. On
abattit la tête, dont il sortit une multitude de rats auxquels le dieu
servait de retraite. On brisa ensuite les membres, on les arrachait
avec des cordes, on les traînait par la ville, enfin on les réduisait
en cendres. Le tronc fut brûlé dans l'amphithéâtre, et les païens
eux-mêmes n'épargnèrent pas les railleries à cette divinité auparavant
si redoutée.

[Note latérale: XIX.

Destruction du temple.]

On travailla ensuite à démolir le temple. Bientôt ce ne fut plus qu'un
monceau de ruines: mais il fut impossible d'en détruire les fondements,
construits d'énormes quartiers de pierres[730]. On y trouva gravées
des figures tout-à-fait semblables à celles dont les astronomes se
servent encore pour désigner la planète de Vénus[731]. Les chrétiens
prétendirent que c'étaient des croix[732], et l'on a débité à ce sujet
des conjectures fort édifiantes. La croix, selon Socrate et Sozomène,
était en caractères hiéroglyphiques, le symbole de la vie future[733];
et Rufin rapporte que, suivant une ancienne tradition reçue en Égypte,
la religion du pays et le culte de Sérapis devaient prendre fin quand
le signe de la vie paraîtrait aux yeux des hommes[734]. Mais comme
cette figure se rencontre sur un très-grand nombre de monuments de
l'Égypte, où la croix ne peut avoir lieu, plusieurs savants croient
aujourd'hui, avec beaucoup de vraisemblance, que cette figure n'est
au contraire qu'un témoignage de l'aveuglement déplorable avec lequel
l'idolâtrie prostituait ses adorations aux objets les plus infames.
Socrates avoue que, dans ce temps-là même, les païens ne s'accordaient
pas avec les chrétiens sur la signification de ce symbole: c'était,
selon toute apparence, le _Phallus_ des Égyptiens, et ce qu'on appelle
aujourd'hui le _Lingam_ dans les Indes, dont la religion a de grands
rapports avec celle de l'ancienne Égypte[735].

[Note 730: Eunapius (_in Ædes._ t. 1, p. 44 et 45.), parle
plusieurs fois, et avec les plus amers regrets, de la destruction du
magnifique temple de Sérapis, qui n'était plus de son temps, à ce qu'il
assure, qu'un vaste et hideux amas de décombres.--S.-M.]

[Note 731: Ἣυρητο γράμματα ἐγκεχαραγμένα τοῖς λίθοις, τῷ καλουμένῳ
ἱερογλυφικῷ. Ἦσαν δὲ οἱ χαρακτῆρες, σταυρῶν ἔχοντες τύπους. Socr.
l. 5, c. 17. Sozomène paraphrase en ces termes le récit de Socrate.
Τινὰ τῶν καλουμένων Ἱερογλυφικῶν χαρακτήρων, σταυροῦ σημείῳ ἐμφερεῖς
ἐγκεχαραγμένοις τοῖς λίθοις ἀναφανῆναι. Soz. l. 7, c. 15.--S.-M.]

[Note 732: Il s'agit ici d'une croix surmontée d'une sorte d'anneau
et fort commune sur les monuments égyptiens; les antiquaires lui ont
donné le nom de _croix ansée_.--S.-M.]

[Note 733: Ἔλεγον σημαίνειν ζωὴν ἐπερχομένην, dit Socrate, l. 5, c.
17. Sozomène dit également que les savants prétendaient que ce signe
désignait la vie future. παρ' ἐπιστημόνων δὲ τά τοίαδε, ἑρμηνευθεῖσαν
σημᾶναι ταύτην τὴν γραφὴν, ζὼην ἐπερχομένην. Les payens assuraient, dit
Socrate, l. 5, c. 17, que l'emblème de la croix était commun à Sérapis
et au Christ, Ἕλληνες δὲτὶ κοινὸν Χριστῷ καὶ Σαράπιδι ἔλεγον.--S.-M.]

[Note 734: Socrate remarque, l. 5, c. 17, qu'à cette occasion
beaucoup de gens embrassèrent le christianisme et se firent baptiser.
Πολλῷ πλείους προσήρχοντο τῷ χριστιανισμῷ· καὶ τὰς ἁμαρτίας
ἐξομολογόυμενοι, ἐβαπτίζοντο. Rufin ajoute, l. 12, c. 29, que les
nouveaux convertis étaient plus particulièrement des prêtres, que
des gens du commun. _Accidit ut magis_, dit-il, _hi qui erant ex
sacerdotibus vel ministris templorum ad fidem converterentur, quam illi
quos errorum præstigia et deceptionum machinæ delectabant_.--S.-M.]

[Note 735: C'était là l'opinion de Schmidt, de Jablonski et de
plusieurs autres savants, dont il serait trop long de rapporter les
noms; mais il est reconnu maintenant d'une manière incontestable
que la croix ansée, si commune sur les monuments égyptiens et dans
les inscriptions hiéroglyphiques, y a partout le sens de _vie_,
conformément à ce que les anciens nous ont appris; ainsi, par exemple,
le surnom d'αἰωνοβίος, que prenoient les rois de l'Egypte et qui
signifie _toujours vivant_, est rendu par un serpent, emblème de
l'éternité, et par la croix ansée, symbole de la vie.--S.-M.]

[Note latérale: XX.

Débordement du Nil.]

Après la destruction de l'idole et du temple, une nouvelle inquiétude
se répandit dans Alexandrie. Sérapis était regardé comme le maître
des eaux du Nil; c'était dans son temple qu'on mettait en dépôt le
nilomètre, c'est-à-dire la mesure dont on se servait pour déterminer
la hauteur du débordement. Constantin l'en avait ôtée autrefois; mais
Julien l'y avait placée de nouveau. Il arriva que cette année, la
crue des eaux tarda plus que de coutume. Les païens en triomphaient:
ils publiaient que Sérapis irrité avait maudit l'Égypte, et qu'il la
condamnait à une éternelle stérilité. Le peuple murmurait déja: il
demandait hautement qu'on lui permît de faire au fleuve les sacrifices
prescrits par le rit ancien. Le préfet craignant une sédition ouverte,
en écrivit à l'empereur. Ce prince sensé et religieux répondit qu'_il
valait mieux demeurer fidèle à Dieu, que d'acheter par un sacrilége,
la fertilité de l'Égypte: que ce fleuve tarisse plutôt_, ajoutait-il,
_si pour le faire couler il faut des enchantements et des sacrifices
impies, et si ses eaux veulent être souillées du sang des victimes_.
Cette réponse n'était pas encore arrivée, qu'on vit croître le Nil
plus rapidement qu'à l'ordinaire. Ses eaux parvinrent en peu de jours
à la juste hauteur que l'Égypte désirait; et comme elles continuaient
de monter, on en vint à craindre qu'Alexandrie ne fût inondée, et que
l'abondance des eaux n'amenât la stérilité, qu'on avait appréhendée
de la sécheresse. Les païens se moquèrent publiquement de ce caprice
de leur dieu; ils en firent des plaisanteries sur le théâtre; mais
plusieurs d'entre eux reconnaissant enfin que le Nil n'était qu'un
fleuve, se convertirent au christianisme.

[Note latérale: XXI.

Idolâtrie abolie dans Alexandrie.]

On bâtit sur l'emplacement du temple de Sérapis, une église qui porta
le nom d'Arcadius, et qui fut dédiée à Dieu sous l'invocation de saint
Jean-Baptiste. La dédicace en fut célébrée le 26 de mai 395, avec
beaucoup de solennité. Alexandrie était à la fois une ville de débauche
et de superstition. Presque toutes les colonnes servaient d'appui à des
chapelles consacrées à différentes divinités; partout se présentait
l'image de Sérapis. Son buste était placé sur toutes les portes, sur
toutes les fenêtres, il était peint sur toutes les murailles. On
détruisit, on effaça ces objets d'idolâtrie, on y substitua l'image de
la croix. Théophile n'épargna aucun des temples de la ville[736]. Il
prit plaisir à faire connaître au peuple la fourberie des oracles. Les
statues de bois ou de bronze étaient creuses et adossées contre les
murailles: les prêtres s'y introduisaient par des conduits souterrains,
et abusaient le peuple crédule. On trouva dans les caveaux de ces
temples, des monceaux de crânes et d'ossements, des têtes d'enfants
égorgés depuis peu, et dont les lèvres étaient dorées. C'étaient de
malheureuses victimes immolées à ces farouches divinités[737]; car la
superstition égyptienne, qui dans les premiers temps s'était bornée à
offrir aux dieux de l'encens et des prières, s'étant communiquée aux
nations étrangères, y était devenue barbare, et avait rapporté dans
son pays natal des pratiques cruelles, afin qu'il n'y eût aucun peuple
du monde qui ne pût reprocher à l'idolâtrie de lui avoir enseigné à
sacrifier des victimes humaines. Théophile exposa publiquement toutes
ces horreurs: les païens les plus obstinés se cachaient de honte, les
autres se convertissaient. On fondait les statues, suivant l'ordre
de l'empereur, pour en fabriquer de la monnaie qu'on distribuait aux
pauvres. Mais comme l'évêque fit employer quelque partie de la matière
à faire des vases et divers ornements, peut-être pour les églises, les
païens l'accusèrent lui et les deux officiers de s'être enrichis des
dépouilles des dieux: et il faut avouer que la suite des actions de
Théophile ne le justifie pas entièrement de ce soupçon[738]. Il réserva
seulement une figure très-ridicule de je ne sais quelle divinité[739];
il la fit placer dans un lieu public, afin que dans la suite les païens
ne pussent désavouer l'extravagance de leur culte. Cette dérision
les piqua vivement: ils furent aussi affligés de la conservation de
cette statue, qu'ils l'avaient été de la destruction de toutes les
autres. La nouvelle de ce qui s'était passé dans Alexandrie étant
venue à Théodose, on dit que levant les mains au ciel, il s'écria
avec transport: _Je vous rends graces, Seigneur, de ce que vous avez
aboli une erreur si funeste et si invétérée, sans qu'il en ait coûté à
l'empire la perte d'une si grande ville_.

[Note 736: Socrate désigne particulièrement, l. 5, c. 16, un lieu
consacré au culte de Mithra, τὸ Μιθρεῖον (_Mithræum_). Il ajoute que
Théophile exposa aux regards du public les mystères sanglants du
_Mithræum_, τὰ τοῦ Μιθρείον φονικά μυστήρια. L'opinion générale à
cette époque était que la célébration des mystères de cette divinité
persane était quelquefois souillée par des sacrifices humains. J'ai
discuté ailleurs, t. 2, p. 177, not. 1, liv. X, § 52, les raisons
qui me portent à croire que cette accusation avait quelque chose de
fondé.--S.-M.]

[Note 737: _Horret animus dicere qui miseris mortalibus laquei à
demonibus præparati sunt. Qua funeraque scelera in illisque dicebantur
abdita tegebantur? Quot ibi infantum capita desecta in auratis labris
inventa sunt? Quot miserorum cruciabilis mortes depictæ?_ Rufin. l. 12,
c. 24. Il est probable que, par les mots _cruciabilis mortes depictæ_,
il faut entendre les tableaux qui représentaient les supplices cruels
ou les épreuves, qu'on était obligé de souffrir, pour être admis à
participer aux mystères de Mithra.--S.-M.]

[Note 738: Les reproches de S. Isidore de Péluse, l. 1, ep. 152,
sont d'accord avec les accusations d'Eunapius, _in Ædes._, tom. 1, p.
45, _ed._ Boiss. Les témoignages réunis par Tillemont, _Hist. Ecclés._
t. XI, _vie de Théophile_, art. 6, pour faire connaître l'esprit, le
caractère et les mœurs de ce patriarche d'Alexandrie, ne sont pas
propres à en donner une idée très-avantageuse.--S.-M.]

[Note 739: C'était la statue d'un singe, sans doute d'un
cynocéphale, animal très-révéré des Égyptiens; tel est ce qui résulte
au moins du récit de Socrate, lib. 5, c. 17.--S.-M.]

[Note latérale: XXII.

La ville de Canope purifiée.]

L'activité de Théophile ne se borna pas à purifier sa ville épiscopale.
Canope, bâtie dès le temps de la guerre de Troie près d'une embouchure
du Nil[740], n'était éloignée d'Alexandrie que de quatre lieues vers
l'orient[741]. Les charmes de sa situation, sur un rivage délicieux, le
grand nombre et la beauté de ses temples, et plus encore les amorces de
la volupté y attiraient les habitants de toute l'Égypte, et même les
étrangers. La débauche y régnait avec tant d'effronterie, à l'abri de
la religion, qu'auprès de ceux qui faisaient profession d'une vie sage
et réglée, c'était un reproche d'avoir été à Canope; mais cette raison
même contribuait à la rendre plus fréquentée. Le Nil était sans cesse
couvert de barques, où les âges et les sexes confondus ensemble, et
respirant une joie dissolue, allaient célébrer dans cette ville leurs
infames mystères[742]. On y enseignait les lettres sacrées des anciens
Égyptiens, et sous ce prétexte, on y tenait école de magie[743]. Il
y avait aussi un temple de Sérapis[744]. Mais la divinité propre du
lieu portait le même nom que la ville. La figure en était bizarre et
monstrueuse: c'était un vase surmonté d'une tête, et dont le ventre
était fort large. On l'adorait comme vainqueur de tous les autres
dieux, et cette folle opinion était fondée sur une fable qui ne
mérite pas d'être rapportée[745]. Soit que cette ville fût du diocèse
d'Alexandrie, soit qu'elle fût dépendante de l'évêque de Schédia[746],
qui en était plus voisine, Théophile s'y étant transporté, fit raser
le temple du dieu Canope, réduisit ce lieu à recevoir les immondices
de la ville, détruisit les autres temples et les retraites de
prostitution, purgea de ce culte impur les bourgades d'alentour, et fit
bâtir des églises, où les reliques des martyrs attirèrent une chaste
et sainte dévotion[747]. Pour substituer des exemples de vertus aux
dissolutions qu'il bannissait, il construisit plusieurs monastères.
Celui de Canope devint célèbre par la vie pénitente et retirée de
ceux qui l'habitaient. Les auteurs ecclésiastiques en font de grands
éloges; tandis que les païens regardant ces moines comme établis sur
les ruines de leurs divinités, s'efforçaient de les noircir par leurs
calomnies[748].

[Note 740: Ce n'était pas Canope, mais une ville appelée Thonis,
qui se trouvait sur cette plage au temps de la guerre de Troie; elle
n'occupait pas précisément l'emplacement de Canope, mais elle était à
l'embouchure de la branche canopique du Nil dans la Méditerranée, à une
petite distance de l'emplacement de Canope, qui était au nord-ouest sur
le bord de la mer. Il ne paraît pas que l'origine de Canope remonte à
plus de cinq siècles avant notre ère; on peut voir à ce sujet une note
de la traduction française de Strabon, t. V, p. 358.--S.-M.]

[Note 741: On apprend de Strabon, l. 17, p. 801, que Canope était
située à 120 stades au nord-est d'Alexandrie ou à douze milles, selon
Ammien Marcellin, l. 22, c. 15. Elle se trouvait sur le bord de la
mer, au débouchement d'un canal creusé de main d'homme, qui conduisait
d'Alexandrie à cette ville. Un espace très-étroit la séparait de la
mer, il servait à éviter une côte difficile et rocailleuse, qui était
entre les deux villes. Il est reconnu depuis long-temps que le nom de
Canope, avait en Égypte le sens de _terre d'or_, comme nous l'apprend
le rhéteur Aristide. Voyez La Croze, _lex. Ægypt._ p. 31; Zoega, _de
usu obel._ p. 437; Jablonski, _Panth. Ægypt._ l. 5, c. 4, § 4.--S.-M.]

[Note 742: Strabon, l. 17, p. 801 et beaucoup d'autres auteurs
parlent avec détails des plaisirs de Canope et de la licence effrénée
qui régnait dans cette ville.--S.-M.]

[Note 743: C'est ce que dit Rufin, l. 12, c. 26. _Jam vero Canopi
quis enumeret superstitiosa flagitia ubi prætexto sacerdotalium
litterarum, ita etenim appellant antiqua Ægyptiorum litteras magicæ
artis erat pene publica schola._ Ce lieu même selon cet auteur était
pour ainsi dire la source du culte des démons, et il était même plus
célèbre et plus révéré qu'Alexandrie. _Quem locum velut fontem quemdam
atque originem demonum in tantum venerabantur pagani, ut multo ibi
major celebritas quam apud Alexandriam haberetur._ Un certain Antonin,
fils d'une magicienne célèbre, nommée Sosipatra, était alors chargé d'y
enseigner les doctrines et les sciences égyptiennes. Eunap. _in Ædes._,
t. 1, p. 42, éd. Boiss.--S.-M.]

[Note 744: C'est Strabon qui parle, l. 17, p. 801, de ce temple, et
qui dit qu'il était très-révéré, ἔχουσα τὸ τοῦ Σαράπιδος ἱερὸν πολλῇ
ἁγιστείᾳ τιμώμενον.--S.-M.]

[Note 745: Rufin raconte, lib. 12, c. 26, cette historiette si
connue, dans laquelle le dieu des Chaldéens, le feu, fut éteint par
l'eau contenue dans l'intérieur du dieu Canope, figurée sous la forme
d'une cruche.--S.-M.]

[Note 746: Cette ville était à 20 milles au sud-est d'Alexandrie,
et au sud de Canope, sur un bras du Nil, dérivé de la branche canopique
et qui venait se jeter dans la mer auprès de Nicopolis, qui était pour
ainsi dire un faubourg d'Alexandrie.--S.-M.]

[Note 747: _In Serapis sepulcro prophanis ædibus complanatis ex
uno latere martyrium, ex altero consurgit ecclesia._ Ruf. l. 12, c.
27.--S.-M.]

[Note 748: Par la forme, dit Eunapius, _in Ædes._ t. 1, pag. 45,
_ed._ Boiss. c'étaient des hommes, mais par leur vie ils étaient des
pourceaux. Ἀνθρώπους μὲν κατὰ τὸ εἶδος, ὁ δὲ βίος ἀυτοῖς συώδης.
Après un aussi gracieux début, l'auteur payen s'abandonne à toute la
véhémence de sa haine, et se répand en invectives plus odieuses et plus
dégoûtantes les unes que les autres.--S.-M.]

[Note latérale: XXIII.

Le paganisme détruit dans toute l'Égypte.]

Au signal que donnait l'évêque d'Alexandrie, les autres prélats de
l'Égypte s'armèrent de tout leur zèle. Dans les villes, dans les
campagnes et jusque dans les déserts, tous les temples, toutes les
statues tombaient par terre; et de ces monceaux de ruines, sortaient
des églises et des monastères. Le paganisme, qui ne peut se soutenir
sans des objets matériels et sensibles, périssait avec ses idoles. Les
idolâtres couraient en foule aux églises pour y recevoir le caractère
du christianisme: et l'on peut dire que les eaux du baptême, plus
fécondes que celles du Nil, inondaient ce grand pays, et préparaient
pour le ciel une abondante récolte. Cette heureuse révolution avait
été d'avance annoncée à de saints solitaires. Les païens se vantaient
qu'Antonin, célèbre philosophe et magicien de Canope, mort peu de temps
auparavant, avait prédit, que bientôt tous les temples seraient ruinés,
et qu'ils seraient changés en sépulcres. C'est ainsi qu'il appelait les
églises où l'on déposait les reliques des martyrs[749].

[Note 749: Tous ces détails sont rapportés dans la vie d'Édésius
par Eunapius, t. 1, p. 41-46, _ed._ Boiss.; mais ils n'y sont pas
présentés sous un jour favorable aux chrétiens.--S.-M.]

[Note latérale: XXIV.

Temples abattus en Syrie.

Theod. l. 5, c. 21.

Soz. l. 7, c. 15.

Chron. Alex. p. 303 et ibi notæ.

Baronius.

Till. Théod. art. 58 et 59.]

Il fut plus difficile de purger la Syrie et les provinces voisines.
Plusieurs villes résistèrent aux ordres de l'empereur. Le temple de
Damas fut changé en une église; on en fit de même du fameux temple
d'Héliopolis, consacré au soleil, et dont les murailles étaient
incrustées de trois sortes de marbres en compartiments[750]. Les
païens, après l'avoir défendu quelque temps les armes à la main, furent
enfin obligés de céder. Mais les habitants de Pétra et d'Aréopolis
en Arabie, et ceux de Raphia en Palestine, montrèrent une résolution
si opiniâtre de conserver leurs dieux, que l'empereur ne jugea pas à
propos d'en venir aux extrémités. Il était dangereux de soulever ces
provinces voisines des Sarrasins et des Perses. Afin d'épargner le sang
des habitants de Gaza, déterminés à sacrifier leur vie pour leur dieu
Marnas[751], Théodose se contenta d'en faire fermer les temples[752].
Le zèle de Marcel, évêque d'Apamée, une des principales villes de
la Syrie[753], fut couronné par le martyre. Le peuple, obstiné dans
l'idolâtrie, étant instruit des ordres de Théodose, fit venir des
Galiléens idolâtres et des paysans du mont Liban[754] pour défendre ses
temples. Mais le comte d'Orient[755] étant arrivé dans la ville avec
deux tribuns suivis de leurs soldats, on n'osa faire de résistance
et les temples furent abattus. Il restait encore celui de Jupiter.
C'était un solide et superbe édifice, construit de grandes pierres,
liées ensemble avec le fer et le plomb. Comme le comte fatiguait ses
soldats sans beaucoup avancer la démolition, Marcel lui conseilla de
s'en aller ailleurs exécuter les ordres du prince, et de le laisser
chargé de ce travail, dont il espérait venir à bout avec le secours de
Dieu. Il y réussit en effet par un miracle que Théodoret rapporte fort
au long. Il détruisit ensuite les temples des campagnes voisines. Mais
ayant entrepris de ruiner celui d'Aulone[756], canton du territoire
d'Apamée, il fut surpris par les païens et brûlé vif[757]. Quelque
temps après, comme ses enfants (car il avait été marié avant son
épiscopat) voulaient accuser en justice les meurtriers, le synode de la
province leur défendit toute poursuite: _N'étant pas juste_, disaient
ces saints prélats, _de tirer vengeance d'une mort heureuse pour Marcel
et glorieuse pour sa famille_.

[Note 750: Ce qu'on appelait à Héliopolis, τὸ Τρίλιθον, était
le temple du Soleil lui-même. Cette dénomination venait, à ce qu'il
paraît, de ce que son soubassement était formé de _trois_ énormes
_pierres_. Il est souvent question de ce monument dans les auteurs
arabes, qui parlent de la Syrie et de ses anciens édifices. On a donné
des explications bien diverses de ce nom assez facile à interpréter,
et celle de Lebeau n'est pas encore la plus mauvaise de toutes. Voyez
à ce sujet la traduction d'Abd-allathif par M. Silvestre de Sacy, p.
507.--S.-M.]

[Note 751: Ce nom, qui signifie en syriaque _le seigneur des
hommes_, désignait la principale divinité de Gaza. On le trouve sur
plusieurs des médailles de cette ville.--S.-M.]

[Note 752: «L'Égyptien Sérapis est devenu chrétien, dit S. Jérôme,
et Marnas de Gaza pleure enfermé, redoutant la destruction de son
temple.» _Jam Ægyptius Serapis factus est christianus. Marnas Gazæ
luget inclusus, et eversionem templi jugiter pertimescit._ Hieron. ep.
107, t. 1, p. 673.--S.-M.]

[Note 753: Ἀπάμεια ἡ πρὸς τῷ Ἀξίῷ ποταμᾧ, Apamée sur l'Axius; tel
était le nom que les Macédoniens avaient donné au fleuve Orontes, qui
traverse la plus grande partie de la Syrie, en mémoire du fleuve Axius
de Macédoine.--S.-M.]

[Note 754: Πολλάκις Γαλιλαίων ἀνδρῶν, καὶ τῶν περὶ τὸν Λίβανον
κωμῶν. Soz. l. 7, c. 15.--S.-M.]

[Note 755: C'était, selon Théodoret, l. 5, cap. 21, le préfet
du prétoire d'Orient, τῆς ἑῴας ὁ ὕπαρχος; Valois a ajouté, dans sa
traduction latine le nom de Cynégius, qu'il est impossible d'admettre,
puisque ce ministre était mort au commencement de l'an 388.--S.-M.]

[Note 756: Πυθόμενος δὲ μέγιστον εἶναι νάον ἐν τῷ Αὐλῶνι, κλῖμα
δὲ τοῦτο τῆς Ἀπαμέων χώρας. Sozom. lib. 7, c. 15. Par l'_Aulone_, cet
auteur entend sans doute toute la partie du territoire des Apaméens,
situé dans la plaine de l'Orontes.--S.-M.]

[Note 757: Les églises grecques et latines célèbrent sa mémoire le
14 août.--S.-M.]

[Note latérale: XXV.

Lois contre l'idolâtrie.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 10, 11, 12, et ibi, God.]

Ce ne fut pas seulement dans l'Orient que la guerre fut déclarée aux
idoles. Valentinien, conduit par les conseils de Théodose, donna les
mêmes ordres pour l'Occident. Saint Martin, évêque de Tours, fut dans
son diocèse et dans une partie de la Gaule le fléau de l'idolâtrie.
Plusieurs évêques imitèrent son exemple, et profitèrent du zéle d'un
empereur dont le nom était devenu aussi redoutable aux idoles qu'aux
Barbares. Cette destruction ne fut pas l'ouvrage d'une seule année;
il paraît qu'elle fit la principale occupation de Théodose pendant
qu'il séjourna en Italie. Et pour réunir sous un seul point de vue tout
ce qu'il fit à ce sujet, je vais rapporter ici trois lois qui furent
publiées dans les années suivantes. La première, datée du 27 février
391, à Milan, défend d'immoler des victimes, d'entrer dans les temples
ou chapelles consacrées aux divinités païennes, d'adorer les ouvrages
de la main des hommes. Si un magistrat ose entrer dans un temple,
soit à la ville, soit à la campagne pour y adorer, il est condamné à
une amende proportionnée à son rang, ainsi que ses officiers, pour
ne pas s'être opposés à cette profanation, ou pour n'en avoir pas
aussitôt porté leur plainte à l'empereur. Cette loi est adressée au
préfet de Rome. Elle fut, le 17 de juin de la même année, renouvelée
pour l'Égypte[758], par une autre loi datée d'Aquilée. Cette dernière
ajoute qu'il n'y aura point de grace pour ceux qui auront formé quelque
entreprise en faveur des dieux et des sacrifices. Ces termes désignent
la peine de mort; mais elle ne tombe que sur les complots séditieux.
Enfin, Théodose étant retourné à Constantinople, adressa au préfet du
prétoire d'Orient, une loi du 8 de novembre 392. Celle-ci entre dans
un plus grand détail et proscrit toutes les branches d'idolâtrie: elle
défend à tout homme, de quelque condition qu'il soit, d'immoler en
aucun lieu des victimes, de faire même aucun sacrifice, aucune offrande
à ses dieux domestiques dans l'intérieur de sa maison, d'allumer des
cierges en leur honneur, de brûler de l'encens, de suspendre des
guirlandes: «Si quelqu'un ose sacrifier ou consulter les entrailles
des victimes pour découvrir l'avenir, toute personne sera reçue à
l'accuser comme s'il était criminel de lèse-majesté, et il sera puni
comme tel, quand même sa curiosité n'aurait pas eu pour objet la
personne du prince: il est assez coupable de vouloir franchir les
bornes que la Providence a posées à nos connaissances, et s'instruire
du moment auquel les vœux criminels qu'il fait contre la vie des autres
hommes, seront accomplis. Ceux qui offriront de l'encens aux idoles,
qui orneront les arbres de rubans et de bandelettes, qui dresseront
des autels de gazon, faisant à la religion une grande injure, quoique
les hommages qu'ils rendent aux fausses divinités soient de peu de
valeur, seront punis par la confiscation de la maison ou de la terre
que leur superstition aura profanée. Si quelqu'un fait un sacrifice
dans une maison ou sur une terre qui ne lui appartienne pas, supposé
que le propriétaire n'en ait pas eu connaissance, le coupable payera
une amende de vingt-cinq livres d'or; le propriétaire en paiera autant
s'il est complice». Les juges, les défenseurs des villes, les officiers
municipaux sont chargés de veiller sur ces profanations et de les
déférer aux magistrats, sur peine de se rendre eux-mêmes coupables,
s'ils y manquent, soit par faveur, soit par négligence. Les magistrats
qui, étant avertis, n'auront pas fait leur devoir, seront condamnés,
eux et leurs officiers subalternes, à payer trente livres d'or.

[Note 758: Le rescrit à ce sujet fut adressé à Évagrius, préfet
augustal d'Égypte, et à Romanus, comte ou commandant des troupes dans
le même pays. Voy. ci-devant, § 13, p. 401.--S.-M.]

[Note latérale: XXVI.

État où Théodose laissa l'idolâtrie.

Hieron. ep. 107, t. 1, p. 673.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Maundrell, Voyage d'Alep à Jérusalem, p. 240.]

Dieu couronna par d'heureux succès le zèle de ce religieux prince.
La lumière de l'Évangile pénétra dans des pays où elle était encore
inconnue: elle devint plus brillante chez les peuples qu'elle avait
déja éclairés. Saint Jérôme dit qu'on voyait tous les jours arriver
à Jérusalem des troupes de moines qui venaient de l'Éthiopie, de
l'Arménie, de la Perse et des Indes. Les Goths, dont une partie
était encore idolâtre, les Huns, qui semblaient n'avoir aucune idée
de religion, et les autres barbares du septentrion, embrassaient le
christianisme[759]. Théodose établissait des monastères dans les
lieux les plus infectés de superstition. Le mont Liban avait été de
tout temps habité par des peuples presque sauvages, séduits par les
plus grossières illusions du paganisme; l'empereur y fonda un célèbre
monastère, dont on voit encore aujourd'hui les ruines dans la vallée
de Canobine. Cette vallée est formée par une grande ouverture, qui se
prolonge plus de sept lieues dans le flanc du mont Liban. Elle est
escarpée des deux côtés, et arrosée de quantité de fontaines qui,
tombant de rochers en rochers, forment d'agréables cascades. Toutes ces
sources se réunissent au fond du vallon et forment un torrent rapide.
Ce lieu si propre à la retraite et à la dévotion, se peupla d'ermitages
et de cellules. Le monastère était bâti dans l'endroit le plus escarpé
de la montagne, vers le milieu de la pente. On y voit aujourd'hui un
couvent de Maronites; c'est le siége de leur patriarche. Tels furent
les efforts de Théodose pour éteindre l'idolâtrie; cependant il ne
l'étouffa pas entièrement. Les temples furent presque tous abattus;
mais les particuliers, malgré la défense des lois, continuèrent encore
long-temps à faire des sacrifices dans leurs maisons et à consacrer
des monuments à leurs dieux. On toléra même encore quelques solennités
païennes, des festins, des fêtes, des jeux; et il resta aux successeurs
de Théodose plusieurs superstitions à déraciner.

[Note 759: _De India, Perside, Æthiopia monachorum quotidie turbas
suscipimus. Deposuit pharetras Armenius, Hunni discunt psalterium,
Scythiæ frigora fervent calore fidei: Getarum rutilus et flavus
exercitus, ecclesiarum circumfert tentoria._ Hieron. ep. 107, _ad
Lætam_, t. 1, p. 673.--S.-M.]

[Note latérale: XXVII.

Libanius demande une loi contre les sollicitations faites aux juges.

Liban. or. cont. ingred. ad judic. 75-103.

Idem, or. cont. assidentes magistr. p. 108-126.

Idem, or. 23, ad Eustath. t. 2, p. 526.

Cod. Th. l. 1, tit. 7, leg. 6.]

Libanius n'osait plus employer son éloquence en faveur de l'idolâtrie.
Il en fit un meilleur usage: il demanda au prince la réforme de
plusieurs abus préjudiciables au bonheur des peuples. L'exercice
de la justice se corrompait de plus en plus: les juges employant
la matinée aux affaires, passaient le reste du jour à recevoir des
visites, qui n'étaient pour l'ordinaire qu'un manége de corruption. Les
sollicitations étaient devenues un trafic. Les coupables achetaient le
crédit des hommes puissants, qui vendaient leur conscience et celle des
juges. Les philosophes, les gens de lettres, les médecins se prêtaient
à ce commerce. Les professeurs publics négligeaient leurs écoles, et
passaient le temps chez les magistrats; il arrivait de là que les
moins habiles, toujours plus propres à ces intrigues, avaient le plus
grand nombre de disciples; les pères cherchant la protection du maître
plutôt que l'avancement de leurs enfants; ce qui, selon la remarque
de Libanius, préjudiciait à l'éducation publique, première source de
la prospérité ou du malheur des États. Ces solliciteurs mercenaires,
après avoir prévenu les juges en particulier, les accompagnoient aux
audiences; ils assiégeaient le tribunal; souvent ils interrompaient
les causes par leurs cris, ils allaient quelquefois jusqu'à menacer
les juges. Ce désordre subsistait depuis long-temps. Pour y remédier,
Gratien avait défendu aux magistrats de recevoir après midi aucune
visite. Cynégius, préfet d'Orient, avait rendu sur ce point une
nouvelle ordonnance. Toutes ces précautions étaient sans effet. C'était
un commerce établi, et il se trouvait trop avantageux aux plaideurs de
mauvaise foi et aux solliciteurs, pour ne pas se maintenir, à moins
qu'on ne l'arrêtât par la punition. Libanius demanda une loi sévère
à ce sujet: il conseillait à Théodose de défendre même aux juges de
donner des repas, ni d'en aller prendre chez les autres, la bonne chère
étant un appât de séduction. Il avance dans ce discours, qu'autrefois
les juges n'avaient pas la liberté de manger ailleurs que chez eux, si
ce n'était à la table de l'empereur. Il paraît par un autre ouvrage du
même orateur, que Théodose profita de cet avis, quoique la loi qu'il
fit alors ne soit pas venue jusqu'à nous.

[Note latérale: XXVIII.

Il se plaint des protections que les officiers de guerre accordent aux
paysans.

Liban. de patrocin. p. 4-25.

Cod. Th. l. 1, tit. 11, leg. 4.

Cod. Just. l. 11, tit. 53.

Justiniani novel. 17, c. 13.

Tiberii de divinis domibus. c. 4.]

Il s'était introduit dans les campagnes un autre désordre: les paysans,
pour s'affranchir de la dureté des exactions, avaient imaginé d'acheter
la protection des officiers de guerre, qui leur prêtaient le secours
de leurs soldats. Ils s'exemptaient par ce moyen de payer les taxes;
et quoiqu'ils n'en fussent pas plus heureux, étant en proie à leurs
avides défenseurs, ils souffraient le pillage avec moins de peine,
parce que les mains qui les pillaient étaient de leur choix. Tous les
empereurs, depuis Constance jusqu'à Tibère II, voulurent réformer cet
abus, qui régnait surtout en Égypte à cause du blé qu'on exigeait des
Égyptiens pour l'approvisionnement de Constantinople: il s'était aussi
établi en Syrie et en Gaule. Les habitants du même village demeuraient
chargés de la contribution, dont le protégé se faisait dispenser, en
sorte que l'exemption de l'un tournait à la ruine des autres. Constance
avait ordonné par une loi, que les patrons payeraient pour leurs
clients qu'ils auraient fait exempter: il avait condamné à la peine
capitale tout paysan qui aurait recours à un patron, et le patron, à
vingt-cinq livres d'or; la moitié des terres ainsi protégées, devait
être adjugée au fisc. Mais la violence armée l'emportait sur les lois,
et l'abus continuait toujours. Ce fut le sujet d'une remontrance de
Libanius à Théodose. Il mit sous les yeux de l'empereur les funestes
conséquences de ces patronages: les fermiers protégés vexaient leurs
voisins, et faisaient la loi aux propriétaires, qui ne pouvaient
obtenir justice, les juges étant ou corrompus ou intimidés. De plus,
les commandants des troupes gagnaient beaucoup à ce trafic qu'ils
faisaient de leur protection, ce qui produisait encore un autre mal:
la passion de s'enrichir s'était introduite dans la profession des
armes, qui doit vivre d'honneur, et qui ne soutient que par là la
supériorité qu'elle s'attribue sur les autres professions. Libanius
fait la peinture de tous ces désordres; et comme Théodose avait déja
publié une loi contre ces patronages, mais sans imposer aucune peine
aux contrevenants, ce qui la rendait inutile, l'orateur lui représente
qu'il vaudrait encore mieux ne pas toucher aux maux publics, que de n'y
point appliquer le remède, qui n'est autre que la punition. On trouve
dans le Code Théodosien une loi de l'an 392, qui interdit l'usage de
ces protections; mais cette loi n'inflige encore aucune peine, aussi
voyons-nous qu'elle fut sans effet[760].

[Note 760: Libanius parle de Juifs qui, depuis quatre générations,
cultivaient ses terres et qui refusaient de lui en payer le loyer
ou le fermage. Ils avaient, ajoute-t-il, secoué l'ancien joug, τὸν
παλαὶον ἀποσεισάμενοι ζυγὸν, et il ne pouvait en obtenir justice, parce
qu'ils se faisaient soutenir par des soldats. Liban. _de patroc._ p.
11.--S.-M.]

[Note latérale: XXIX.

Valentinien en Gaule.

Marc. chr.

Oros. l. 7, c. 35.

Greg. Tur. hist. Franc. l. 2, c. 9.]

Théodose partit de Rome le premier de septembre[761], et après avoir
fait quelque séjour en diverses villes d'Italie, il se rendit à Milan,
où il était le 26 de novembre. Valentinien avait pris le chemin de
la Gaule. Arbogaste était demeuré dans cette province, après y avoir
étouffé, par la mort de Victor, les dernières étincelles de la guerre
civile. Carietton et Syrus avaient été substitués à Nanniénus et à
Quintinus pour commander les troupes du Rhin et s'opposer aux Francs,
qui menaçaient d'une nouvelle irruption[762]. Arbogaste engagea le
jeune empereur à se mettre à la tête de son armée pour aller châtier
ces barbares, ou les forcer à restituer ce qu'ils avaient enlevé
l'année précédente après la défaite des troupes de Quintinus, et
à livrer les auteurs de la guerre. Pendant qu'il était en marche,
Marcomir et Sunnon envoyèrent demander une conférence: elle leur fut
accordée[763]. Ils se rendirent au camp de l'empereur. On ignore les
conditions du traité; on sait seulement qu'ils donnèrent des ôtages.
Valentinien alla passer l'hiver à Trèves[764].

[Note 761: C'est la Chronique du comte Marcellin, qui nous apprend
que Théodose quitta Rome, le premier septembre. Il était le 3 du même
mois à _Valentia_, lieu dont la position est fort incertaine. Le 6,
il était à _Forum Flaminii_, non loin de Foligno, dans le duché de
Spolette.--S.-M.]

[Note 762: _Eo tempore Carietto et Syrus in locum Nanneni
subrogati, in Germania cum exercitu opposito Francis diversabantur._
Sulp. Alex. l. 4, _apud_ Greg. Turon. l. 2, c. 9.--S.-M.]

[Note 763: Tous ces faits ont été tirés par Grégoire de Tours (l.
2, c. 9) de l'historien Sulpitius Alexandre, dont j'ai déja parlé
ci-devant, liv. XXIII, p. 378, not. 1. Cet auteur donne aux deux
princes Francs le titre de _Regalis_; mais ailleurs il les appelle
_Subreguli_. _Post dies pauculos, Marcomere et Sunnone, Francorum
regalibus_, dit-il, _transacto cursim conloquio, impetratisque ex more
obsidibus, ad hiemandum Treveris concessit_. Nous n'avons pas d'autres
renseignements sur ces premières époques de l'histoire des Francs,
antérieures à la fondation de notre monarchie, que les passages que
Grégoire de Tours a copiés dans Sulpitius Alexandre et dans Rénatus
Profuturus Frigeridus.--S.-M.]

[Note 764: On voit, par une loi que Valentinien rendit vers cette
époque, que ce prince se trouvait à Trèves le 8 novembre 389.--S.-M.]

[Note latérale: XXX.

Météores.

Marc. chr.

Philost. l. 10, c. 9 et 11.

Till. Honor. art. 1.]

Avant que Théodose eut quitté Rome, Séréna sa nièce, mariée à
Stilichon, était accouchée d'un fils, qui fut nommé Euchérius. Vers
la fin du mois d'août, il tomba une grêle d'une prodigieuse grosseur,
qui ne cessa point durant deux jours. Elle abattit beaucoup d'arbres
et tua un grand nombre de bestiaux. Peu de jours après, et peut-être
dès le lendemain, car les auteurs n'ont pas fixé la date avec plus de
précision, il parut un météore extraordinaire. Voici la description
qu'en donne Philostorge qui vivait dans ce temps-là: «On vit, dit-il,
vers le milieu de la nuit, dans le zodiaque à côté de la planète
de Vénus, un astre nouveau aussi grand et aussi éclatant que cette
planète. On aperçut aussitôt une multitude d'étoiles qui venaient de
toutes les parties du ciel s'assembler autour de cet astre, comme
un essaim d'abeilles autour de leur roi. Ensuite tous ces feux se
confondant en un seul, prirent la forme d'une longue et large épée
étincelante, dont le premier astre faisait comme le pommeau, surpassant
tous les autres par son éclat. Ce phénomène pouvait encore se comparer
à la flamme qui s'élève d'une lampe. Son mouvement était différent
des autres corps célestes. Il se leva d'abord et se coucha avec la
planète de Vénus. Les jours suivants, s'en écartant avec lenteur par
son mouvement propre, il avançait peu à peu vers le septentrion, étant
emporté par le mouvement commun, d'orient en occident avec les autres
étoiles. Au bout de quarante jours il se trouva au milieu de la grande
ourse et s'y éteignit.» Cet auteur ajoute que dans le même temps
parurent plusieurs autres phénomènes dont il ne donne aucun détail;
mais il ne manque pas d'en tirer les plus sinistres présages. Il
rapporte encore qu'on voyait alors un géant en Syrie, et un pygmée en
Égypte, dont il raconte des choses merveilleuses.

[Note latérale: AN 390.

XXXI.

Lois.

Idat. chron.

Cod. Th. l. 3, tit. 1, leg. 5; l. 9, tit. 2, leg. 4, tit. 10, leg. 4;
l. 13, tit. 5, leg. 18; l. 16, tit. 8, leg. 8.

Hieron. ep. 57, t. 1, p. 304.]

Théodose demeura en Italie l'année suivante[765], dans laquelle
Valentinien fut consul pour la quatrième fois avec Néoterius, qui
depuis dix ans occupait les premières dignités de l'empire, et qui
était cette année préfet du prétoire de l'Illyrie orientale. Un des
principaux soins de Théodose fut de mettre les faibles à couvert de
l'oppression. Il défendit d'arrêter qui que ce fût sans décret; il
réprima les violences, et déclara infames les juges qui favoriseraient
les oppresseurs, soit en leur procurant l'impunité, soit en différant
de les juger, soit en adoucissant les peines imposées par les lois.
Quelque horreur qu'il eût de l'impiété judaïque, il regardait les Juifs
comme ses sujets et se croyait obligé de les défendre de l'injustice.
Il arrêta les avanies qu'on leur faisait, surtout en Égypte. Il
avait renouvelé la loi de Constance, qui leur défendait d'acquérir
aucun esclave chrétien; mais il défendit aussi, deux ans après, de
les troubler dans la police de leurs synagogues, et de les forcer à
recevoir ceux que leurs primats et leurs patriarches avaient exclus de
leurs assemblées[766]. Il condamna à mort un personnage considérable,
nommé Hésychius[767], pour avoir corrompu le secrétaire et dérobé les
papiers de Gamaliel, patriarche des Juifs, dont cet Hésychius était
ennemi.

[Note 765: L'empereur resta à Milan ou dans ses environs jusqu'au
5 juillet 390; le 23 août il était à Vérone, où on le trouve encore
le 8 septembre. Il était de retour à Milan le 26 novembre, et on l'y
retrouve le 23 décembre suivant.--S.-M.]

[Note 766: Par une loi rendue à Constantinople, le 29 septembre
393, et adressée à Addéus, comte d'orient.-S.-M.]

[Note 767: C'était un personnage consulaire, à ce que dit S.
Jérôme, ep. 57. _Dudum_, dit-il, _Hesychium virum consularem (contra
quem patriarcha Gamaliel gravissimas exercuit inimicitias), Theodosius
princeps capite damnavit, quod sollicitato notario, chartas illius
invasisset_.--S.-M.]

[Note latérale: XXXII.

[Partage de l'Arménie entre les Romains et les Perses.]

[Faust. Byz. l. 6, c. 1.

Mos. Chor. l. 3, c. 42.]]

--[L'ambassade que le roi de Perse avait envoyée à Rome l'année
précédente, était encore relative à l'Arménie. Ce malheureux pays
était rempli de troubles, et tous les seigneurs, en guerre les uns
contre les autres, ou armés contre leur roi, agissaient en princes
indépendants. Le jeune Arsace, privé du secours et de l'expérience du
connétable Manuel, ne savait comment se faire obéir dans le royaume
que la naissance lui avait donné, et que la fortune voulait lui ravir:
ses ordres étaient méconnus, et la guerre civile désolait tout le
pays. La présence des troupes romaines ne put empêcher la plupart des
dynastes de se soumettre au roi de Perse. Il est évident que, dans
les négociations qui s'ouvrirent à cette occasion, tout l'avantage
paraissait être pour les Perses. Théodose, mal assuré de l'Occident,
menacé au Nord par les Barbares, n'était pas disposé à entreprendre
une guerre sérieuse dans l'Orient, pour défendre un prince incapable
de régner et pour protéger une nation qui se jetait elle-même entre
les bras de son adversaire. Sentant sans doute toutes les difficultés
de cette guerre, il chercha à tirer le meilleur parti possible des
circonstances, en sacrifiant son malheureux allié. Les deux monarques
convinrent donc de détruire le royaume d'Arménie et de le partager
entre les deux empires, pour faire cesser à jamais les prétentions
qu'ils élevaient l'un et l'autre sur la totalité[768]. Cet arrangement
n'était pas de nature à satisfaire les seigneurs du pays qui, aussi
ardents ennemis de leurs rois qu'ils l'étaient les uns des autres, ne
détestaient guère moins au fond les Perses et les Romains, quoique la
religion les rapprochât davantage de ceux-ci. Malgré leurs dissensions,
leurs révoltes et leurs trahisons, l'indépendance nationale leur
était chère, et leur mécontentement pouvait mettre des obstacles à
l'exécution du traité de partage. Les deux souverains craignirent
sans doute de blesser trop vivement l'amour propre national des
seigneurs arméniens, et ils comprirent qu'au milieu de tant de causes
de division, il y aurait beaucoup d'inconvénient à trop multiplier
les points de contact entre les deux empires. Ils sentirent combien
il était avantageux pour eux d'être séparés par un vaste territoire
neutre à certains égards[769]. Ils résolurent donc, en maintenant le
traité de partage, de placer chacun un roi particulier dans la portion
de l'Arménie qui fut ajoutée à leur empire. Ce partage fut fait d'une
manière fort inégale, et entièrement à l'avantage des Perses[770]. Ils
obtinrent les quatre cinquièmes de l'Arménie. Les Romains n'eurent
qu'un territoire long et étroit, s'étendant du nord au sud, depuis
la Lazique ou la Colchide, jusqu'à la Mésopotamie, et de l'ouest à
l'est, depuis l'Euphrate jusqu'aux montagnes qui séparent les sources
de ce fleuve de celles de l'Araxe, se prolongeant vers le Tigre
jusqu'à Martyropolis. Cette partie comprenait la Sophène, l'Ingilène,
l'Astyanène, l'Acilisène, la Derxène, la Caranitide et plusieurs petits
cantons sauvages perdus dans les montagnes, qui séparent l'Arménie du
territoire de Trébizonde. Arsace fut contraint de se contenter de cette
faible portion de son héritage. Il quitta donc la province d'Ararat,
séjour des rois, et il vint s'établir dans l'Arménie romaine. Plusieurs
des seigneurs et des satrapes, s'attachèrent à sa fortune; ils
abandonnèrent leurs possessions et le suivirent dans l'occident avec
leurs femmes et leurs enfants. Cette émigration mécontenta beaucoup
le roi de Perse, elle lui fit connaître l'aversion que sa domination
inspirait. Il en écrivit à Arsace, lui reprochant _de chercher à
renouveller la guerre à peine éteinte entre les deux états_. Arsace lui
répondit qu'_il ne pouvait empêcher de le suivre les Arméniens, qui
refusaient de se soumettre à un gouverneur persan; que s'il voulait lui
confier la portion de l'Arménie qui lui appartenait, comme l'empereur
lui avait confié la sienne, il aurait pour lui la même obéissance;
mais que si cette proposition ne lui convenait pas, il n'empêcherait
pas les seigneurs de s'en retourner, si telle était leur volonté_. Le
prince persan se hâta, pour prévenir une plus grande défection, de
placer un Arsacide sur le trône d'Arménie. Il se nommait Chosroès; on
ignore son degré de parenté avec Arsace[771]; celui-ci, depuis la mort
de son tuteur Manuel, avait régné cinq ans sur toute l'Arménie[772].
C'est ainsi que se terminèrent tant de guerres longues et sanglantes,
dont l'Arménie avait été la cause ou le prétexte. Cette monarchie ne
fut pas cependant effacée encore du nombre des royaumes de l'Asie, elle
continua de subsister comme état particulier pendant une quarantaine
d'années[773]; mais ce traité honteux pour l'empire fut le principe de
sa ruine, et il fut la base de toutes les transactions qui eurent lieu
dans la suite entre les deux empires[774]. Les Romains ne s'occupèrent
plus des destins de l'Arménie orientale, ils ne revendiquèrent que ce
qui leur était échu dans le premier traité de partage[775].]--S.-M.

[Note 768: On voit, par ce que rapporte Ammien Marcellin, l. 30,
c. 2, que déja un projet semblable avait été proposé du temps de
Valens, pendant les négociations qui s'ouvrirent en l'an 374, après
la mort de Para. L'ambassadeur Arrhacès proposait alors de détruire
l'Arménie, perpétuel sujet de guerre entre les deux nations. _Arrace
legato ad principem misso, perpetuam ærumnarum causam deleri penitus
suadebat Armeniam._ Il est probable que le partage proposé à cette
époque, ne différait guère de celui qui fut exécuté sous le règne de
Théodose.--S.-M.]

[Note 769: Ces considérations se retrouvent dans l'historien
arménien Faustus de Byzance, l. 6, c. 1, qui était contemporain.--S.-M.]

[Note 770: C'est ce que dit Faustus de Byzance. On trouve la même
chose dans Procope, _de Ædif. Just._, l. 3, c. 1; il dit que cette
partie de l'Arménie était quadruple de l'autre, τετραπλασίαν τὴν
μοῖραν.--S.-M.]

[Note 771: Moïse de Khoren se contente de dire, l. 3, c. 42, qu'il
était Arsacide: Faustus de Byzance n'en dit pas davantage, l. 6, c. 1,
sur son origine, mais il ajoute que c'était un jeune homme.--S.-M.]

[Note 772: Depuis l'an 385 jusqu'en 390.--S.-M.]

[Note 773: On remarquera bientôt que le traité ne reçut alors
qu'une exécution imparfaite, et qu'on y dérogea plusieurs fois dans la
suite.--S.-M.]

[Note 774: On verra en l'an 416, comment le traité fut mis
définitivement à exécution, au moins de la part des Romains.--S.-M.]

[Note 775: Tillemont (Théodose le jeune, art. 27, not. 22), et
Lebeau après lui, l. XXXII, § 30 et 31, ont placé le partage de
l'Arménie à une époque bien plus moderne, en l'an 441. Les détails
circonstanciés que les Arméniens fournissent sur la chute de la
dynastie Arsacide en Arménie, montrent que tout ce que les modernes en
ont dit est un tissu d'erreurs et de faits controuvés ou mal placés.
Il n'y a parmi les auteurs grecs que le seul Procope, qui ait donné
quelques détails sur cet événement; mais ce qu'il en dit est si obscur
et se rattache si mal aux autres renseignements que les anciens nous
ont transmis, qu'il n'est pas étonnant qu'on ait commis plusieurs
erreurs en voulant faire usage de son récit. Ces détails contenus dans
le chapitre premier du livre 3e du Traité des édifices de Justinien,
se rapportent à une autre époque, non pas aussi récente qu'on l'a cru,
sans raison suffisante, mais de beaucoup postérieure cependant à la
date du premier partage. On doit les placer en l'an 416, après la mort
de Chosroès III, comme je le ferai voir en racontant cette partie de
l'histoire d'Arménie. J'employerai alors les renseignements curieux que
fournit Procope, mais dont il serait impossible de faire usage sans la
connaissance des auteurs arméniens qui, en ajoutant à sa narration,
l'éclaircissent et fournissent les moyens de la placer à sa véritable
époque. Je supprimerai en conséquence les deux courts paragraphes du
livre XXXII, § 30 et 31, dans lesquels Lebeau a raconté la destruction
du royaume d'Arménie, parce qu'ils sont erronnés sous tous les
rapports. En les ôtant de l'an 441, je reporterai sous l'an 416 tout ce
qui s'y trouve d'exact, et je le ferai entrer dans mon récit.--S.-M.]

[Note latérale: XXXIII.

Sédition de Thessalonique.

Theod. l. 5, c. 17.

Soz. l. 7, c. 25.

Ruf. l. 12, c. 18.]

Théodose donna cette année deux exemples également illustres: l'un des
terribles excès auxquels la colère peut emporter les meilleurs princes,
lorsqu'ils ne prennent conseil que de leurs adulateurs; l'autre du
généreux repentir que peut exciter dans leur ame un zèle salutaire.
Thessalonique, capitale de l'Illyrie, était devenue une ville des plus
grandes et des plus peuplées de l'empire. La licence s'y était accrue
dans la même proportion que l'opulence et le nombre des habitants.
Le peuple était passionné pour les spectacles; il chérissait, il
estimait même ces vils ministres des divertissements publics, qui sont
la peste des mœurs, parce qu'ils ne peuvent se faire des partisans,
sans diminuer l'horreur des vices dont ils sont infectés. Bothéric
commandait les troupes en Illyrie. Son échanson se plaignit à lui des
poursuites criminelles d'un cocher du cirque, embrasé d'une passion
brutale. Bothéric fit mettre en prison cet infame séducteur. Comme le
jour des courses du cirque approchait, le peuple, qui croyait ce cocher
nécessaire à ses plaisirs, vint demander son élargissement. Sur le
refus du commandant, il se mutina. La sédition fut violente; plusieurs
magistrats y perdirent la vie, et Bothéric fut assommé à coups de
pierre.

[Note latérale: XXXIV.

Rufin excite Théodose à la vengeance.

Theod. l. 5, c. 17.

Soz. l. 7, c. 25.

Paulin. vit. Ambros. § 24.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Ambr. ep. 51, 52, t. 2, p. 997 et 1001.

Claud. in Ruf. l. 1.

Philost. l. 11, c. 3.

Symm. l. 3, ep. 81 et seq.

Zos. l. 4, c. 51.

Suid. Ρουφῖνος.

Hier. ep. 60, t. 1, p. 342.

Till. vie de S. Ambr. art. 57.

Idem. Theod. art. 23 et not. 43.

Idem. Arcad. note 1.]

La nouvelle de cet attentat excita l'indignation de Théodose. Il
voulait d'abord mettre à feu et à sang toute la ville. Ambroise et
les évêques des Gaules qui tenaient alors un synode à Milan, vinrent
à bout de l'apaiser. Il leur promit de procéder selon les règles
de la justice. Mais ses courtisans et surtout Rufin, effacèrent
bientôt ces heureuses impressions. Rufin, l'un des plus fameux
exemples d'une élévation rapide et d'une chute éclatante, était né à
Élusa, capitale de cette partie de l'Aquitaine qu'on nommait alors
Novempopulanie[776]; c'est aujourd'hui Eause en Gascogne[777]. Sorti
d'une famille obscure, il avait toutes les qualités d'esprit et de
corps qui pouvaient faire disparaître la bassesse de sa naissance.
Une taille avantageuse, une physionomie mâle et spirituelle, des yeux
vifs et pleins de feu prévenaient en sa faveur. Il s'exprimait avec
facilité et avec grace. C'était un esprit insinuant, pénétrant, étendu,
mais profond et caché, toujours occupé de projets ambitieux qu'il
formait sourdement et qu'il ménageait avec adresse. Rempli de vices,
mais habile à prendre toutes les apparences des vertus contraires, il
s'attacha à Théodose, et surprit bientôt sa confiance[778]. Il n'est
pas étonnant que ce fourbe en ait imposé aux personnages les plus
vertueux, qui souvent se font un scrupule d'être trop clairvoyants, et
une loi de régler leur estime sur celle du maître, lorsque le maître
est lui-même digne d'estime. Saint-Ambroise l'aimait et partageait la
joie de ses prospérités. Symmaque le combla d'éloges pendant sa vie;
mais Symmaque ne peut éviter ici de passer pour un flatteur intéressé
ou timide, puisqu'aussitôt après la fin tragique de Rufin, il changea
de langage et le noircit des plus affreuses couleurs. Dans le temps de
la sédition de Thessalonique, Rufin, maître des offices, tenait déja
le premier rang dans les conseils. Appuyé de ses partisans, il fit
entendre à Théodose qu'il était nécessaire de donner un exemple capable
d'arrêter pour toujours les séditions, et de maintenir l'autorité du
prince dans la personne de ses officiers. Il ne lui fut pas difficile
de rallumer un feu mal éteint. On résolut de punir les Thessaloniciens
par un massacre général. Théodose recommanda expressément de cacher à
Ambroise la décision du conseil; et, après avoir expédié ses ordres, il
sortit de Milan, pour éviter de nouvelles remontrances, si le secret de
la délibération venait à transpirer.

[Note 776: Malgré les incertitudes de quelques savants, on ne
peut douter que Rufin ne fût effectivement né à _Élusa_, ou Eause,
en Novempopulanie, dans l'Aquitaine, comme il résulte du témoignage
formel de Claudien (_in Rufin._, l. 1, v. 123-140). Il est d'accord
avec Zosime, lib. 4, c. 51, qui le fait Gaulois de naissance, Κελτὸς τὸ
γένος.--S.-M.]

[Note 777: L'antique cité d'_Elusa_ fut détruite dans le courant
du neuvième siècle par les Normands. Son nom a donné naissance à celui
de la ville moderne d'Eause, dans le département du Gers. Celle-ci
n'occupe cependant pas tout-à-fait le même emplacement. Il reste
encore quelques vestiges de l'ancienne ville; ils conservent le nom de
_Ciutat_.--S.-M.]

[Note 778: On voit, par une lettre de Symmaque (l. 3, ep. 82),
que Rufin avait déja beaucoup de crédit auprès de Théodose en l'an
384.--S.-M.]

[Note latérale: XXXV.

Massacre de Thessalonique.

Ruf. l. 12. c. 18. Theod. l. 5, c. 17.

Soz. l. 7, c. 25.

Paulin, vit. Amb. § 24.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 6. c. 12.

Till. vie de S. Ambr. art. 57.]

Les officiers chargés de cette barbare exécution ayant reçu la lettre
du prince, annoncèrent une course de chars pour le lendemain, et
passèrent la nuit à faire toutes les dispositions nécessaires à leur
dessein. Le jour venu, le peuple ne sachant pas qu'il courait à la
mort, se rendit en foule dans le cirque, sans s'apercevoir du mouvement
des soldats, dont il fut tout à coup enveloppé. Ceux-ci avaient ordre
de passer tout au fil de l'épée, sans distinction d'âge ni de sexe. Au
signal donné, ils poussent un grand cri et se jettent avec fureur sur
la multitude. On frappe, on égorge, on précipite, on tue les enfants
sur le sein de leurs mères; les habitants, renfermés dans cette vaste
enceinte, morts, blessés, vivants, accumulés les uns sur les autres,
ne font bientôt plus qu'un monceau. Ceux qui fuient trouvent la mort
dans les rues de la ville: Thessalonique est jonchée de cadavres. Des
étrangers, des citoyens pacifiques, qui n'avaient eu aucune part à la
sédition, furent sacrifiés à cette aveugle vengeance. Jamais l'humanité
ne montre plus de vigueur que dans ces scènes cruelles ou l'inhumanité
triomphe. L'histoire a conservé seulement la mémoire d'une action
généreuse; les autres se perdirent dans la confusion de cet horrible
massacre. Un esclave voyant son maître saisi par les soldats, l'arrache
de leurs mains, et, pour lui donner le temps de s'échapper, il se
livre lui-même et reçoit la mort avec joie. Un marchand nouvellement
entré dans le port, courut à ses deux fils qu'il voyait prêts à
périr; il demanda en grâce de mourir à leur place, et offrit, à cette
condition, tout ce qu'il possédait d'or et d'argent. Les soldats, par
une indulgence brutale, lui permirent d'en choisir un; et le malheureux
père les regardant tour-à-tour, pleurant, gémissant, et ne pouvant se
déterminer dans ce choix funeste, qui déchirait ses entrailles, les
vit enfin égorger tous deux. Le massacre dura trois heures. Sept mille
hommes y périrent; quelques auteurs en font monter le nombre jusqu'à
quinze mille. On dit que Théodose, touché de repentir, peu de temps
après le départ des courriers, en avait dépêché d'autres pour révoquer
l'ordre; mais que ceux-ci arrivèrent trop tard, ainsi qu'on a vu
presque toujours que plus les ordres méritent d'être révoqués, plus ils
volent rapidement et s'exécutent avec promptitude[779].

[Note 779: Il est extraordinaire que Zosime qui, dans son histoire,
ne ménage pas la mémoire de Théodose, n'ait pas dit un seul mot du
massacre de Thessalonique.--S.-M.]

[Note latérale: XXXVI.

Remontrances de S. Ambroise.

Ambr. ep. 51, t. 2, p. 997-1001.

Ruf. l. 12, c. 18.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 6, c. 13.]


Cette cruelle tragédie répandit par tout l'empire, l'étonnement et
la consternation. Ambroise et les évêques assemblés à Milan furent
pénétrés de la plus vive douleur. Le saint prélat, aussi affligé
de la faute de Théodose qu'il aimait tendrement, que du malheur des
Thessaloniciens, ne différa pas d'écrire au prince pour le rappeler
à lui-même. _Non_, lui disait-il, _je n'aurai pas la hardiesse
d'offrir le saint sacrifice, si vous avez celle d'y assister: il ne
me serait pas permis de célébrer ces augustes mystères en la présence
du meurtrier d'un seul innocent; et comment le pourrais-je devant
les yeux d'un prince qui vient d'immoler tant d'innocentes victimes.
Pour participer au corps de Jésus-Christ, attendez que vous vous
soyez mis en état de rendre votre hostie agréable à Dieu; jusque-là
contentez-vous du sacrifice de vos larmes et de vos prières._
Nous avons encore cette lettre; on y sent respirer une tendresse
respectueuse jointe à la fermeté épiscopale.

[Note latérale: XXXVII.

S. Ambroise refuse à Théodose l'entrée de l'église.

Theod. l. 5, c. 17.

Soz. l. 7, c. 25.

Ruf. l. 12, c. 18.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Ambr. orat. in fun. Theod. t. 2. p. 1207.

Till. vie de S. Ambr. art. 59, 60, 61.]

Mais la conscience de Théodose lui parlait encore avec plus de force et
de liberté. Sa bonté naturelle ayant enfin dissipé les noires vapeurs
de sa colère, lui montrait Thessalonique en pleurs et ses sujets
égorgés. Il ne se voyait lui-même qu'avec horreur; et pour se laver
d'un forfait si énorme, tremblant de crainte et déchiré de remords, il
revint à Milan, et marcha droit à l'église. Ambroise sort au-devant de
lui, et s'opposant à son passage, semblable à cet ange redoutable qui
défendait l'entrée du jardin d'Éden après la chute de notre premier
père: «Arrêtez, prince, lui dit-il: vous ne sentez pas encore tout
le poids de votre péché. La colère ne vous aveugle plus, mais votre
puissance et la qualité d'empereur offusquent votre raison, et vous
dérobent la vue de ce que vous êtes. Rentrez en vous-même; considérez
la poussière d'où vous êtes sorti; et où chaque instant s'empresse à
vous replonger. Que l'éclat de la pourpre ne vous éblouisse pas jusqu'à
vous cacher ce qu'elle couvre de faiblesse. Souverain de l'empire,
mais mortel et fragile, vous commandez à des hommes de même nature que
vous, et qui servent le même maître: c'est le créateur de cet univers,
le roi des empereurs comme de leurs sujets. De quels yeux verrez-vous
son temple? Comment entrerez-vous dans son sanctuaire? Vos mains fument
encore du sang innocent; oserez-vous y recevoir le corps du Seigneur?
Porterez-vous sur la coupe sacrée ces lèvres qui ont prononcé un arrêt
injuste et inhumain? Retirez-vous, prince; n'ajoutez pas le sacrilége
à tant d'homicides. Acceptez la chaîne salutaire de la pénitence,
que vous impose par mon ministère la sentence du souverain juge. En
la portant avec soumission, vous y trouverez un remède pour guérir
vos plaies, encore plus profondes que celles dont vous avez affligé
Thessalonique.» L'empereur voulant excuser sa faute par l'exemple de
David: _Vous l'avez imité dans son péché_, lui repartit Ambroise;
_imitez-le dans sa pénitence_. Théodose reçut cet arrêt comme de
la bouche de Dieu même. Il avait l'ame trop élevée pour rougir de
l'humiliation qu'il essuyait à la vue d'un grand peuple; il ne sentait
que la confusion de son crime et retourna à son palais en pleurant
et en soupirant. Il y demeura renfermé pendant huit mois, excepté un
voyage qu'il fit à Vérone, où il séjourna une partie des mois d'août et
de septembre.

[Note latérale: XXXVIII.

Théodose demande à être réconcilié.]

Selon la discipline ordinaire de l'Église, les pénitents n'étaient
alors publiquement réconciliés que vers la fête de Pâques, et les
meurtres volontaires n'étaient remis qu'après plusieurs années de
pénitence. Aux approches de la fête de Noël, Théodose sentit redoubler
sa douleur. Rufin, moins affligé que lui, quoiqu'il fût la principale
cause de ses regrets, entreprit de le consoler; et comme ce courtisan
lui demandait pourquoi il s'abandonnait à une si profonde tristesse,
l'empereur poussant un grand soupir qui fut suivi de larmes: _Hélas!
Rufin_, lui dit-il, _se peut-il que vous ne sentiez pas mon malheur?
Je gémis et je pleure de voir que le temple du Seigneur est ouvert
aux derniers de mes sujets, qu'ils y entrent sans crainte, qu'ils y
adressent leurs prières à notre commun maître, tandis que l'entrée
m'en est interdite, et que le ciel même est fermé pour moi. Car je me
souviens de cette divine parole: Celui que vous aurez lié sur la terre,
sera lié dans le ciel._ _Prince_, répondit Rufin, _j'irai, si vous le
permettez, trouver l'évêque, et je l'engagerai par mes prières à vous
affranchir de vos liens_. _Il n'y consentira pas_, répliqua l'empereur;
_je connais Ambroise, je sens la justice de son arrêt; jamais il ne
violera la loi divine par déférence pour la majesté impériale_. Sur les
instances de Rufin, qui promettait avec confiance de fléchir Ambroise,
l'empereur lui permit de le tenter; et se flattant lui-même de quelque
succès, il le suivit de loin. Dès qu'Ambroise aperçut le ministre:
_Rufin_, lui dit-il, _quelle est votre impudence? C'est vous dont le
pernicieux conseil a rempli Thessalonique de carnage et d'horreur,
et vous ne rougissez pas? vous ne tremblez pas? vous osez approcher
de la maison de Dieu, après avoir si cruellement déchiré ses images
vivantes!_ Rufin se jetant à ses pieds, le suppliait de recevoir avec
indulgence l'empereur qui allait arriver; alors Ambroise enflammé
de zèle: _Je vous avertis, Rufin_, lui dit-il, _que je l'empêcherai
d'entrer dans le lieu saint: et s'il veut continuer d'agir en tyran,
il pourra m'égorger encore. J'accepterai la mort avec joie._ A ces
paroles, Rufin manda promptement à Théodose qu'il ne pouvait rien
gagner sur l'inflexible prélat; que pour éviter un éclat scandaleux,
il lui conseillait de ne pas aller plus loin. L'empereur, qui était
déja dans la grande place de la ville, continua sa marche, en disant:
_J'irai, et j'essuierai l'affront que je n'ai que trop mérité_.

[Note latérale: XXXIX.

Entrevue de S. Ambroise et de Théodose.

Theod. l. 5, c. 17.

Soz. l. 7, c. 25.

Ruf. l. 12, c. 18.

Cod. Th. l. 9, tit. 40, leg. 13 et ibi God.

Till. vie de S. Ambr. art. 62.

Pagi ad Baron.]

Ambroise était dans une salle voisine de l'église, dans laquelle il
avait coutume de donner ses audiences. Voyant approcher Théodose, il
s'avança en lui reprochant de vouloir user de tyrannie contre Dieu
même, et de faire violence à la discipline de l'église en prétendant
s'affranchir de la pénitence: _Non_, répondit Théodose; _je ne viens
point ici pour violer les lois, mais pour vous conjurer d'imiter la
clémence du Dieu que nous servons, qui ouvre la porte de sa miséricorde
aux pécheurs pénitents_. _Et quelle pénitence avez-vous faite d'un si
grand crime_, répliqua l'évêque? _C'est à vous_, lui dit Théodose,
_d'appliquer le remède sur mes plaies, et c'est à moi de le recevoir
et de le souffrir_. Alors Ambroise touché de son humble résignation,
lui dit, que puisqu'il n'avait écouté que sa colère dans l'affaire de
Thessalonique, il devait pour toujours imposer silence à cette passion
téméraire et furieuse, et ordonner par une loi que les sentences de
mort et de confiscation n'auraient leur exécution que trente jours
après qu'elles auraient été prononcées, pour laisser à la raison le
temps de revenir à l'examen et de réformer les jugements dans lesquels
elle n'aurait pas été consultée. Théodose approuva ce conseil, et fit
sur-le-champ dresser la loi que le prélat proposait. Il nous en reste
une tout-à-fait pareille datée de l'an 382 et attribuée à Gratien.
Entre les critiques, les uns prétendent que la suscription et la date
de cette loi sont également fausses, et que ce n'est autre chose
que la loi même de Théodose. D'autres pensent que celle de Théodose
ne subsiste plus, et que la loi qui nous reste est véritablement de
Gratien; mais qu'elle ne fut faite que pour l'Occident et qu'elle fut
abolie dès l'année suivante par la mort de ce prince. Quoi qu'il en
soit, la loi de Théodose ne faisait qu'étendre aux jugements rendus par
le prince, ce qui se pratiquait à l'égard des sentences prononcées dans
les tribunaux. Le sénat, sous l'empire de Tibère, avait déja ordonné
que les sentences de condamnation ne seraient exécutées, qu'au bout de
dix jours.

[Note latérale: XL.

S. Ambroise lui impose la pénitence.]

Le saint évêque permit aussitôt à l'empereur l'entrée de l'église.
Alors Théodose prosterné, baignant la terre de ses pleurs et se
frappant la poitrine, prononça à haute voix ces paroles de David: _Mon
ame est demeurée attachée contre la terre; rendez-moi la vie, Seigneur,
selon votre promesse_. Tout le peuple l'accompagnait de ses prières et
de ses larmes; et cette majesté souveraine, dont l'impétueuse colère
avait fait trembler tout l'empire, n'inspirait plus alors que des
sentiments de compassion et de douleur. Saint Ambroise régla le temps
de sa pénitence; l'empereur l'accomplit avec soumission et fidélité:
il s'abstint pendant cet intervalle de porter les ornements impériaux.
C'est ainsi qu'Ambroise sut réparer le crime de Théodose: exemple à
jamais mémorable, mais unique dans tous les siècles. Il ne pouvait
naître que d'un heureux concours de circonstances. Pour le donner au
monde, il était besoin de la rencontre d'un prélat et d'un prince
également extraordinaires: il fallait un évêque digne de représenter
la majesté divine par l'éminente sainteté de sa vie, par la sublimité
de son génie, par une fermeté prudente et éclairée, par la force d'une
éloquence invincible, autant que par l'autorité de son caractère: il
fallait aussi un empereur vraiment pieux, humble dans la grandeur,
mais assez relevé par ses qualités personnelles, pour s'abaisser sans
s'avilir. De plus, les bornes des deux puissances, spirituelle et
temporelle, posées par Jésus-Christ même et affermies sous le long
règne du paganisme, étaient encore si solidement établies, qu'un prince
publiquement suspendu de la communion, ne courait alors aucun risque de
rien perdre du respect et de l'obéissance de ses sujets.

[Note latérale: XLI.

Loi sur les diaconesses.

Paulus ad. Timoth. c. 5.

Cod. Th. l. 16, tit. 2, leg. 27, 28 et ibi God.

Marcian. nov. 1 et 5, de testam. Cleric.

Soz. l. 7, c. 16.

Fleschier, vie de Théod. l. 4, art. 17.

Giann. hist. Nap. l. 2, c. 8, § 4.]

Théodose soumis aux lois de l'Église, n'en était pas moins attentif à
mettre un frein à la cupidité des ecclésiastiques. Dès l'origine du
christianisme, les diaconesses étaient des veuves qui se consacraient
à des œuvres de charité et de dévotion. Elles instruisaient les femmes
et les filles, elles distribuaient les aumônes des fidèles; elles
s'acquittaient encore de quelques autres fonctions qui convenaient
à leur sexe. L'avarice s'introduisant peu à peu dans la maison du
Seigneur, et les rapports de ministère formant une liaison entre
le clergé et ces femmes pieuses, il arrivait souvent qu'elles se
laissaient engager à frustrer leurs héritiers naturels, pour laisser
leurs biens aux églises ou même aux ecclésiastiques, sous le spécieux
prétexte du soulagement des pauvres. Saint Paul avait recommandé de
n'admettre ces diaconesses qu'à l'âge de soixante ans: Théodose en
fit une loi; il ordonna de plus, qu'elles feraient nommer un curateur
à leurs enfants, s'ils n'étaient pas en âge de majorité, qu'elles se
déchargeraient elles-mêmes entre des mains fidèles de l'administration
de leurs biens, qu'elles n'auraient la disposition que des revenus, que
les fonds et les meubles passeraient après leur mort à leurs héritiers,
et qu'elles n'en pourraient rien aliéner ni par donation entre-vifs,
ni par testament, ni par quelque autre acte que ce fût, en faveur des
églises, des ecclésiastiques et des pauvres. Cette loi, sans doute,
excita des murmures, puisque deux mois après, Théodose fut obligé d'en
restreindre l'étendue; il laissa aux diaconesses la liberté de disposer
seulement de leurs meubles par donation entre-vifs, mais le reste de la
loi subsista dans son entier. L'empereur Marcien dans la suite voulut
bien supposer que Théodose avait entièrement révoqué sa première loi,
quoiqu'il n'en eût abrogé que la moindre partie.

[Note latérale: XLII.

Loi sur les moines.

Cod. Th. l. 16, tit. 3, leg. 1, 2, et ibi God.

Giann. hist. Nap. l. 2, c. 8, § 1.]

Ceux qui avaient renoncé au commerce des hommes, pour servir Dieu
dans la retraite, commençaient à s'écarter de leur institut. Ils
fréquentaient les villes, ils y portaient cette âpreté de caractère
qui s'acquiert aisément dans la solitude, ils se mêlaient des affaires
civiles et ecclésiastiques, ils troublaient même quelquefois l'ordre
de la justice, en employant la violence pour sauver les accusés.
Quelques-uns échauffaient les esprits par des disputes publiques
sur les points de foi; leur zèle contre l'idolâtrie n'était pas
toujours réglé par la charité et par la prudence. L'empereur, sur les
représentations des magistrats, leur défendit l'entrée des villes, et
leur enjoignit de se tenir dans leurs retraites[780]. Mais deux ans
après, il céda sans doute à d'autres sollicitations, et leur rendit
leur première liberté[781].

[Note 780: Ce fut par une loi donnée à Milan, le 3 septembre
390.--S.-M.]

[Note 781: Cette nouvelle loi est du 17 avril 392.--S.-M.]

[Note latérale: XLIII.

Obélisque et statue de Théodose à Constantinople.

Marcel. chr.

Prosp. chron.

Grut. inscr. 185, nº 6, 7.

Anthol. l. 4, c. 16.

Busbeq ep. 1.

Spon, voyage t. 1, p. 137.

Ducange, Constantinople, l. 1, p. 71, l. 2, p. 105.

Banduri, Imp. Orient. t. 1, p. 11, t. 2, p. 612.

Gyll. topog. Constant. l. 2, c. 11.]

Pendant le séjour de Théodose en Italie, Arcadius, qu'il avait laissé
à Constantinople, ne pouvant apparemment s'accorder avec l'impératrice
Galla, sa belle-mère, l'obligea de sortir du palais. On ne sait ni
la cause ni les suites de ce traitement injurieux. En mémoire de la
victoire remportée sur Maxime, Proculus[782], préfet de Constantinople,
fit dresser dans le cirque un obélisque, qu'on voit encore dans
l'ancien Hippodrome[783]. C'est une seule pièce de granit d'Égypte,
de vingt-quatre coudées de haut et dont chaque face a six pieds de
large vers la base. Il est chargé d'hiéroglyphes[784], et soutenu sur
quatre dés de bronze. La base est ornée de bas-reliefs, et porte deux
inscriptions[785]. On y apprend que cette pierre, après avoir été
long-temps négligée et couchée par terre, fut dressée en trente-deux
jours. Les Grecs racontent que cet obélisque fut ensuite abattu par un
tremblement de terre, et que plusieurs siècles après, sous les derniers
empereurs grecs, un architecte l'éleva au moyen d'une infinité de
cables et de poulies, mais qu'il s'en fallait un travers de doigt qu'il
ne fût à la hauteur des dés sur lesquels il devait poser. Que tout le
peuple, témoin de cette mécanique étonnante, crut alors toutes les
peines et les dépenses perdues; mais que l'entrepreneur, sans perdre
courage, ayant fait apporter une grande quantité d'eau, passa plusieurs
heures à imbiber les cables qui soutenaient cette masse énorme, et qui
se raccourcirent assez pour l'élever au-dessus des dés et la poser en
sa place. Arcadius fit aussi ériger une statue à son père, sur une
colonne dans l'Augustéon, près de l'église de Sainte-Sophie. Cette
statue était d'argent et pesait sept mille quatre cents livres, qui
font onze mille cent de nos marcs. On rapporte que cette année on vit
en l'air pendant trente jours une colonne de feu.

[Note 782: Ce Proculus est nommé Proclus dans les inscriptions
grecques et latines qui ont été placées sur la base de l'obélisque
qu'il fit ériger. Il était fils de Tatianus, qui fut consul l'année
suivante.--S.-M.]

[Note 783: Voyez tom. 2, pag. 407, l. XII, § 13.--S.-M.]

[Note 784: On trouve une représentation grossière de cet obélisque
dans l'_Œdipus Ægyptiacus_ de Kircher, t. 3, p. 305. Quoique les
hiéroglyphes y soient fort mal figurés, on y reconnaît cependant
fort bien le cartouche destiné à contenir le nom du roi d'Égypte qui
érigea ce monument. C'était Thethmosis II, roi de la 18e dynastie des
souverains de l'Égypte, dont le règne commença en l'an 1676 avant J.
C.--S.-M.]

[Note 785: La première de ces inscriptions est composée de quatre
vers grecs, qui correspondent à peu près, pour le sens, à cinq vers
latins placés sur un autre côté. Voici ces deux inscriptions.

    Κίονα τετράπλευρον, ἀεὶ χθονὶ κείμενον ἄχθος,
      Μοῦνος ἀναστῆσαι Θευδόσιος βασιλεὺς,
    Τολμήσας, Πρόκλῳ ἐπεκέκλετο· καὶ τόσος ἔστη
      Κίων, ἠελίοις ἐν τριακόντα δύο.

L'inscription latine était du côté de l'orient.

    Difficilis quondam dominis parere serenis
    Jussus, et extinctis palmam portare tyrannis,
    Omnia Theodosio cedant: subolique perenni:
    Terdenis sic victus, ego duobusque diebus
    Judice sub Proclo sublime elatus ad auras.

--S.-M.]

[Note latérale: AN 391.

XLIV.

Lois de Théodose.

Idat. fast.

Cod. Th. l. 3, tit. 3, leg. 1, l. 9, tit. 14, leg. 2 et ibi God.]

L'année suivante, Tatianus et Symmaque étant consuls, Théodose crut
qu'il était temps de retourner en Orient[786]. Mais pour ne laisser
en Occident aucun des désordres qu'il s'était proposé d'y réformer,
il publia encore plusieurs lois. La misère inséparable des guerres
civiles avait réduit plusieurs pères à la triste nécessité de vendre
leurs enfants. Il remit en liberté ces malheureuses victimes de
l'indigence, sans les obliger de rien payer à leurs maîtres[787]. Les
soldats de Maxime et ceux que Théodose avoit licenciés après la défaite
du tyran, infestaient les campagnes, pillaient de nuit les métairies,
faisaient des vols et des massacres sur les grands chemins. Le port
des armes était défendu aux particuliers: Théodose leur permit de les
prendre et de pourvoir à leur propre sûreté[788].

[Note 786: Les lois du Code Théodosien font voir que l'empereur
resta à Milan au moins jusqu'au 22 mars 391. Il était à Concordia le 9
mai, à Vicence le 27 du même mois. On le trouve à Aquilée depuis le 16
juin jusqu'au 14 juillet.--S.-M.]

[Note 787: Cette loi fut donnée à Milan, le 11 mars 391.--S.-M.]

[Note 788: Par une loi donnée à Aquilée, le premier juillet
391.--S.-M.]

[Note latérale: XLV.

Ravages des Barbares en Macédoine.

Socr. l. 5, c. 18.

Marc. chr.

Zos. l. 4, c. 48 et 49.]

Après qu'il eut ainsi rétabli la paix et le bon ordre en Italie et
dans les contrées voisines, il prit le chemin de Constantinople avec
son fils Honorius. Étant arrivé à Thessalonique, il trouva la province
désolée. Les Barbares qui s'étaient détachés de son armée pour se
retirer dans des marais et dans des bois inaccessibles, lorsqu'il se
disposait à les conduire contre Maxime, ne l'avaient pas plutôt vu
éloigné que, pressés par la disette et entraînés par leur férocité
naturelle, ils traitèrent le pays comme ennemi, et remplirent de
meurtres et de ravages la Macédoine et la Thessalie, qui étaient
dépourvues de troupes. A ces déserteurs s'étaient joints un grand
nombre d'autres Barbares, les uns échappés des défaites précédentes et
dispersés dans la Thrace, les autres attirés des pays situés au-delà du
Danube par le désir du pillage; en sorte que cette troupe formait une
armée nombreuse. Dès qu'ils apprirent que Théodose revenait victorieux,
ils abandonnèrent le plat pays. Cachés dans les forêts et dans les
montagnes, ils n'osaient plus en sortir que pendant la nuit; et, dès
que le jour paraissait, ils regagnaient leurs retraites, emportant avec
eux leur butin. Il était plus difficile de découvrir les repaires de
ces brigands, que de les vaincre. Théodose qui, dès sa jeunesse s'était
familiarisé avec les plus grands dangers, ne voulut s'en rapporter
qu'à lui-même. Sans communiquer son dessein à personne qu'à Promotus,
de crainte que les Barbares de son armée n'en donnassent avis à leurs
compatriotes, il prit avec lui cinq cavaliers, qui menaient chacun
en main trois ou quatre chevaux, pour s'en servir à mesure que leur
monture serait fatiguée. S'étant déguisé en simple cavalier, il alla
lui-même à la découverte, côtoyant les bois et les marais, traversant
les campagnes, logeant et mangeant chez les paysans, dont il n'était
pas reconnu.

[Note latérale: XLVI.

Théodose découvre leur retraite.]

Après deux ou trois jours de courses continuelles, il arriva sur le
soir à une méchante cabane, habitée par une vieille femme, à laquelle
il demanda le couvert et quelque chose à manger. Elle lui servit ce
qu'elle avait. Dès qu'il fut couché, il aperçut, à la lueur d'une
lampe, un homme qui se glissait avec précaution dans un coin de la
chaumière, et qui semblait craindre d'être vu. Ayant aussitôt appelé
l'hôtesse, il lui demande en secret ce que c'est que cet homme. Elle
lui répond qu'elle n'a aucune connaissance ni de ce qu'il est, ni de
ce qu'il fait; que tout ce qu'elle en peut dire, c'est que, depuis
l'arrivée de l'empereur, cet inconnu vient toutes les nuits fort
fatigué prendre son repas et coucher chez elle, et que le matin, après
avoir payé sa dépense, il sort et va passer la journée où bon lui
semble. L'empereur espérant en tirer quelque lumière, se lève, le fait
saisir par ses gens, l'interroge. Comme on ne pouvait lui arracher une
parole, il le fit fouetter avec violence: ce traitement ne surmontant
pas encore son obstination à garder le silence, il ordonne à ses
cavaliers de lui déchiqueter le corps avec la pointe de leurs épées,
et lui déclare en même temps qu'il est l'empereur. Alors ce misérable,
saisi d'effroi, avoue qu'il est l'espion des Barbares, qu'il a soin de
les avertir de la marche du prince, et de la route qu'ils doivent tenir
pour faire leurs pillages avec sûreté. Théodose, après s'être instruit
de la position des ennemis, lui fait couper la tête et retourne à son
camp, dont il n'était pas éloigné.

[Note latérale: XLVII.

Ils sont taillés en pièces.]

Dès le point du jour, s'étant mis à la tête d'un détachement, et ayant
laissé dans le camp le général Promotus avec le gros de l'armée, il va
chercher les Barbares. On les surprend dans leurs forts; on les égorge
la plupart dans les marais où ils s'étaient enfoncés pour éviter la
mort. Théodose fit dans cette journée admirer sa bravoure personnelle;
mais il manqua de prudence. Le carnage avait déja duré long-temps,
lorsque, par le conseil de Timasius, il fit sonner la retraite pour
laisser rafraîchir et reposer ses soldats, qui étaient encore à jeun
et épuisés de chaleur et de fatigue. La joie de la victoire les ayant
invités à boire sans modération, ceux des Barbares qui avaient échappé
par la fuite, informés de ce désordre, se rallièrent, revinrent charger
les vainqueurs dispersés et plongés presque tous dans le vin et dans le
sommeil; ils en massacrèrent un grand nombre. Théodose, qui se reposait
sous une tente, aurait lui-même péri dans cette surprise, s'il n'eût
été averti assez à temps pour prendre la fuite avec quelques-uns de ses
officiers. Le général Promotus, qu'il avait mandé sur-le-champ avec
le reste de l'armée, étant accouru au-devant de lui, le pria de mettre
sa personne en sûreté, et lui promit de lui rendre bon compte de ces
déserteurs rebelles. Promotus double le pas, trouve les ennemis encore
acharnés au carnage, fond sur eux avec tant de furie, qu'il n'en laisse
échapper qu'un très-petit nombre.

[Note latérale: XLVIII.

Mort de Promotus.

Zos. l. 4, c. 50 et 51.

Claud. de laud. Stilic. l. 1; et in Ruf. l. 1.]

Ce fut le dernier exploit de Promotus, auquel l'empereur pouvait seul
disputer la gloire d'être le plus grand capitaine de son temps. Il
avait contribué plus que personne aux grands succès de Théodose contre
Maxime. Il servait l'État et son prince avec des intentions pures et
détachées de tout intérêt. Mais ce qui augmente encore aux yeux de la
postérité le prix de ses éminentes qualités, c'est qu'il ne retira
d'autre fruit de ses services, que de périr par les cruelles intrigues
d'un ministre jaloux et pervers, du moins on le crut ainsi. Rufin, dont
la faveur est une tache sur la vie de Théodose, affectait de s'élever
au-dessus des généraux, et de les traiter avec hauteur. Promotus et
Timasius, après s'être exposés à tant de dangers pour le salut de
l'État, ne pouvaient voir sans indignation l'ascendant que prenait
sur eux un vil courtisan, qui ne se faisait valoir que par son esprit
fourbe et artificieux. Dans un conseil auquel Théodose n'assistait pas,
Rufin, qui ne croyait devoir ménager que l'empereur, laissa échapper
une parole insolente contre Promotus; celui-ci ne lui répondit que
par un soufflet. Cette promptitude ne coûta pas moins à Promotus,
que n'avait autrefois coûté au jeune Drusus, la même insulte faite à
Séjan. Rufin alla sur-le-champ s'en plaindre à l'empereur, qui en fut
très-irrité: _Si toutes ces jalousies ne cessent_, dit-il en colère,
_ceux qui ne peuvent souffrir Rufin pour égal, le verront bientôt leur
maître_. C'était menacer de lui donner le titre d'Auguste. Le ministre,
habile à profiter de l'affront qu'il avait reçu, détermina l'empereur
à éloigner Promotus de la cour, sous prétexte de l'employer à exercer
les troupes; et ce général, pendant qu'il traversait la Thrace, fut
massacré dans une embuscade par un parti de Bastarnes. L'empereur fut
le seul qui n'attribua pas ce meurtre à la méchanceté de Rufin[789];
et, toujours aveuglé sur le compte de son favori, il le désigna consul
pour l'année suivante avec Arcadius. Mais Stilichon, en attendant qu'il
pût venger la mort de son ami sur celui qu'il en croyait l'auteur,
ne perdit pas l'occasion d'en punir ceux qui en avaient été les
ministres[790]. Il était alors en Thrace pour défendre le pays contre
des troupes de Barbares, qui tantôt séparés, tantôt réunis, faisaient
des courses dans la province[791]. C'étaient des Bastarnes, des Goths,
des Alains, des Huns, des Sarmates[792]. Il tomba séparément sur un
corps de Bastarnes, et les tailla tous en pièces[793]. Il en enferma
dans un vallon un autre corps joint avec les autres barbares; et
il était prêt à les passer au fil de l'épée, lorsqu'il reçut ordre
de l'empereur de les éloigner, pourvu qu'ils convinssent de sortir
de la Thrace[794]. Cet ordre était un effet des mauvais conseils
de Rufin[795], qui, selon l'opinion publique, payait de ce service
important l'assassinat de Promotus.

[Note 789: Cette imputation est rapportée par Zosime, lib. 4, c.
51; mais on doit remarquer que Claudien, qui a fait un poëme entier
contre Rufin, et qui ne le ménage pas, ne l'accuse pas d'un crime aussi
lâche.--S.-M.]

[Note 790:

    Tu neque vesano raptas venalia curru
    Funera, nec vanam corpus meditatus in unum
    Sævitiam, turmas equitum peditumque catervas
    Hostilesque globos tumulo prosternis amici.
    Inferiis gens tota datur.

CLAUD. de laud. Stilich. l. 1, v. 100 et seq.--S.-M.]

[Note 791:

    ...................Tot barbara solus
    Millia, jam pridem miseram vastantia Thracen,
    Finibus exiguæ vallis conclusa tenebas.

CLAUD. _ibid._ v. 106 et seq.--S.-M.]

[Note 792:

    Non te terrisonus stridor venientis Alani,
    Nec vaga Chunorum feritas, non falce Gelonus,
    Non arcu pepulere Getæ, non Sarmata conto.

CLAUD. _ibid._ v. 109 et seq.--S.-M.]

[Note 793:

    .........Quis enim Visos in plaustra feroces
    Reppulit, aut sæva Promoti cæde tumentes
    Bastarnas una potuit delere ruina?

CLAUD. _ibid._ v. 94 et seq.--S.-M.]

[Note 794:

    Exstinctique forent penitus, ni more maligno,
    Falleret Augustas occultus proditor aures,
    Obstrueretque moras, strictumque reconderet ensem
    Solveret obsessos, præberet fædera captis.

CLAUD. l. 1, _ibid._ v. 112 et seq.--S.-M.]

[Note 795: Voici comment Claudien rapporte (_in Rufin._ lib. 1,
v. 316 et seq.) cette trahison de Rufin. Il s'adresse en ces termes à
Stilichon, déja vainqueur des Barbares:

    Nam tua cum Geticas stravisset dextra catervas,
    Ulta ducis socii letum, parsque una maneret
    Debilior, facilisque capi; tunc impius ille
    Proditor imperii, conjuratusque, Getarum,
    Distulit instantes, eluso principe, pugnas,
    Hunnorum laturus opem quos affore bello,
    Norat, et invisis mox se conjungere castris.

CLAUD. in Ruf. l. 1, v. 316 et seq.--S.-M.]

[Note latérale: XLIX.

Théodose à Constantinople.

Socr. l. 12, c. 18.

Ruf. l. 12, c. 19.

Gyll. topog. Constant. l. 4, c. 9.

Ducange, Constant. l. 1, p. 52.

Banduri, Imp. Orient. t. 2. p. 595.]

Théodose étant arrivé à Constantinople le 10 de novembre, s'appliqua
plus que jamais à rendre ses sujets heureux. Accessible aux plus
petits, affable, libéral, il prévenait même les demandes. Il
travaillait à éteindre les hérésies, mais avec un esprit de modération,
ménageant la personne des hérétiques, en même temps qu'il proscrivait
leurs erreurs. Aussi religieux que ferme et prudent, il honorait sans
faiblesse les ministres sacrés; il distinguait leurs passions de leur
caractère, il les écoutait sans se laisser conduire aveuglément. Il
fit bâtir des églises, il en embellit d'autres; et partout brillait
sa magnificence. Ce fut alors qu'il décora la principale porte de
Constantinople, qui fut pour cette raison appelée depuis ce temps la
porte dorée. Il en fit un arc de triomphe et un monument de sa victoire
sur Maxime. Cette porte, située au midi, donnait entrée dans la grande
rue qui traversait toute la ville jusqu'au Bosphore. Ce fut par là que
les empereurs firent dans la suite leur entrée solennelle. On plaça
au-dessus la statue de Théodose, une victoire et une croix. La porte
fut ornée de colonnes et revêtue de marbre: c'était des bas-reliefs
antiques, où les travaux d'Hercule et d'autres sujets de la fable
étaient traités avec beaucoup d'art. Pierre Gilles, savant voyageur du
seizième siècle, en admirait encore les précieux restes, qui s'étaient
conservés malgré la barbarie des Turcs, destructeurs des anciens
monuments.

[Note latérale: L.

Église de S. Jean-Baptiste.

Soz. l. 7, c. 21 et 24.

Prosp. chr.

Chron. Alex. p. 305.

Ducange, Constant. l. 4, p. 100.

Till. Théod. art. 65 et note 46.]

Il y avait, à quelques lieues de Chalcédoine, dans un bourg nommé
Cosilas, une relique célèbre qu'on croyait être le chef de saint
Jean-Baptiste. Elle y avait été transférée du temps de Valens, qui
voulait la faire apporter à Constantinople. Mais on raconte que les
mules qui traînaient le chariot, avaient refusé d'aller plus loin,
quelque effort qu'on employât pour les faire avancer jusqu'au rivage
du Bosphore. Théodose s'étant transporté en personne sur le lieu,
ne voulut pas user d'autorité pour enlever ce pieux trésor; il eut
beaucoup de peine à l'obtenir par prières de ceux qui le gardaient; et
sans éprouver d'autres difficultés, l'ayant enveloppé de sa pourpre,
il le porta lui-même à Chalcédoine, où il le laissa en dépôt jusqu'à ce
qu'il eût fait bâtir en l'honneur du saint Précurseur, une magnifique
église à Constantinople dans le faubourg de l'Hebdome. Rufin fut chargé
de la construction de cet édifice, et dès qu'il fut achevé, Théodose y
exposa cette sainte relique à la vénération des fidèles. Selon Ducange,
c'est le même chef de saint Jean qu'on révère aujourd'hui dans l'église
cathédrale d'Amiens, où il fut transféré de Constantinople en 1206. M.
de Tillemont apporte plusieurs raisons pour prouver que c'est le chef
d'un autre saint, et non celui de saint Jean-Baptiste.


FIN DU LIVRE VINGT-QUATRIÈME ET DU TOME QUATRIÈME.




TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES

DANS LE TOME QUATRIÈME

DE L'HISTOIRE DU BAS-EMPIRE.


LIVRE DIX-NEUVIÈME.

1. Complots formés contre Valens. 2. Devins consultés pour savoir quel
sera son successeur. 3. Caractère de Théodore. 4. Découverte de cette
intrigue. 5. Théodore est arrêté. 6. Punition de quelques conjurés.
7. Interrogatoire de Théodore et des principaux complices. 8. Leur
supplice. 9. Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore. 10. Histoire
d'Héliodore. 11. Innocents condamnés. 12. Funérailles d'Héliodore. 13.
Persécution excitée contre les philosophes. 14. Cruautés de Festus. 15.
Mort du philosophe Maxime. 16. Para, roi d'Arménie, attiré à Tarse.
17. Para s'échappe. 18. Il regagne l'Arménie. 19. Il est assassiné.
20. Négociations avec Sapor. [21. Varazdat est nommé roi d'Arménie par
Valens.] 22. Assassinat de Gabinus, roi des Quades. 23. Les Quades
vengent la mort de leur roi. 24. Le jeune Théodose repousse les
Sarmates. 25. Paix avec Macrianus. 26. Débordement du Tibre. 27. Lois
de Valentinien. 28. Saint Ambroise évêque de Milan. 29. Valentinien
marche en Pannonie. 30. Il apprend les vexations de Probus. 31. Il
ravage le pays des Quades. 32. Mort de Valentinien. 33. Valentinien II
empereur. 34. Conduite de Gratien à l'égard de son frère. 35. Caractère
de Gratien encore César. 36. Qualités de Gratien empereur. 37. Mort de
Théodose. 38. Punition de Maximin. 39. Lois de Gratien. 40. Irruptions
des Huns. 41. Origine des Huns. 42. Caractère et coutumes des Huns.
43. Idée générale de leur histoire. 44. Origine des Alains. 45. Mœurs
des Alains. 46. Les Huns passent en Europe. 47. Ils chassent les
Ostrogoths. 48. Défaite des Visigoths. 49. Les Goths s'assemblent sur
les bords du Danube. Page 1.


LIVRE VINGTIÈME.

1. Les Visigoths obtiennent la permission de passer en Thrace. 2. Ils
passent le Danube. 3. Mauvaise conduite des Romains. 4. L'Arianisme
s'établit chez les Goths. 5. Les Ostrogoths demandent le passage, qui
leur est refusé. 6. Avarice des Romains. 7. Révolte des Visigoths.
8. Horribles ravages de la Thrace. 9. Siége d'Andrinople. 10. Valens
et Gratien y envoient des secours. 11. Les deux armées se préparent
au combat. 12. Bataille de _Salices_. 13. Suites de la bataille. 14.
Ravages de toute la Thrace. 15. Succès de Frigérid. 16. Préparatifs
de Valens. 17. Irruption des Allemans dans la Gaule. 18. Bataille
d'Argentaria. 19. Gratien réduit les Allemans Lentiens. 20. Il se met
en marche pour aller joindre Valens. 21. Valens à Constantinople. 22.
Sébastien général. 23. Il taille en pièces un grand parti de Goths. 24.
Valens marche aux ennemis. 25. Ruse de Fritigerne. 26. Valens range
son armée en bataille. 27. Nouvelle ruse de Fritigerne. 28. Bataille
d'Andrinople. 29. Fuite des Romains. 30. Mort de Valens. 31. Perte
des Romains. 32. Divers traits du caractère de Valens. 33. Les Goths
assiégent Andrinople. 34. Belle défense des assiégés. 35. Les Goths
assiégent Périnthe. 36. Ils sont repoussés de devant Constantinople.
37. Massacre des Goths en Asie. 38. Ravages des Goths. 39. Théodose
est rappelé. 40. Victoire de Théodose. 41. Gratien rétablit en Orient
les affaires de l'Église. 42. Ausone consul. [43. État de l'Arménie
sous le règne de Varazdat. 44. Assassinat du connétable Mouschegh. 45.
Manuel son frère se révolte contre Varazdat. 46. Varazdat est détrôné.
47. Manuel est maître de l'Arménie. 48. Alliance des Arméniens avec les
Perses.] 49. Théodose empereur. 50. Partage de l'empire. Page 91.


LIVRE VINGT-UNIÈME.

1. Théodose à Thessalonique. 2. Belles qualités de Théodose. 3.
Calomnies de Zosime réfutées. 4. Fautes de Théodose. 5. Caractère de
Flaccilla. 6. Famille de Théodose. 7. Théodose délivre la Thrace. 8.
Exploit du général Modarius. 9. Gratien à Milan. 10. Il retourne dans
les Gaules. 11. Baptême de Théodose. 12. Lois de Théodose concernant
la religion. 13. Lois civiles. 14. Théodose envoie en Égypte un grand
nombre de Goths. 15. Division entre les Goths. 16. Gratien se prépare
à repousser les Goths. 17. Avantages de Gratien et de Théodose sur les
Goths. 18. Théodose à Constantinople. 19. Loi contre les hérétiques.
20. Théodose se concilie l'amour des peuples. 21. Athanaric vient à
Constantinople. 22. Intrigues de Maxime le Cynique. 23. Concile de
Constantinople où saint Grégoire est confirmé dans l'épiscopat. 24.
Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius. 25.
Saint Grégoire abdique l'épiscopat. 26. Il obtient le consentement de
Théodose. 27. Élection de Nectarius. 28. Décrets du concile. 29. Lois
de Théodose contre les hérétiques à l'occasion de ce concile. 30. Lois
en faveur des évêques. 31. Concile d'Aquilée. 32. Suite des intrigues
de Maxime. 33. Concile de Rome et de Constantinople. 34. Troisième
concile de Constantinople. 35. Loi sur les sacrifices. 36. Exploits
de cette année. 37. Les Goths se soumettent à l'empire. 38. Divers
effets de la clémence de Théodose. 39. Famine à Antioche. 40. Lois de
Théodose. 41. Lois de Gratien. 42. Saint Ambroise obtient la grace d'un
criminel. 43. Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie. 44.
Famine dans Rome. 45. Discours d'Anicius Bassus. 46. Gratien se rend
odieux. 47. Caractère de Maxime. 48. Il est proclamé empereur. 49. Il
marche contre Gratien. 50. Mort de Gratien. 51. Circonstances de sa
mort. Page 168.


LIVRE VINGT-DEUXIÈME.

1. Alarmes de Justine et de Valentinien. 2. Saint Ambroise va trouver
Maxime. 3. Accommodement de Maxime et de Valentinien. 4. Maxime
veut faire périr Bauton. 5. Il ôte la vie à plusieurs officiers de
Gratien. 6. Saint Martin à la cour de Maxime. 7. Honneurs que la
femme de Maxime rend à saint Martin. 8. Théodose reconnaît Maxime
pour empereur. 9. Arcadius Auguste confié aux soins d'Arsène. 10.
Théodose donne à son fils des leçons de clémence. 11. Barbares vaincus
en Orient. 12. Consuls. 13. Thémistius préfet de Constantinople. 14.
Proculus et Icarius comtes d'Orient. 15. Nouveaux efforts de Théodose
pour détruire l'idolâtrie. 16. Il est trompé par les Lucifériens. 17.
Ambassade des Perses. 18. Stilichon envoyé en Perse. [19. Situation
politique de l'Arménie. 20. Les Arméniens font la guerre aux Perses.
21. Les Perses sont battus par les Arméniens. 22. Mort de Méroujan.
23. Arsace fils de Para est déclaré roi d'Arménie. 24. Mort de Manuel,
régent de l'Arménie.] 25. Divers événements de cette année. 26. Loi qui
défend les mariages entre cousins germains. 27. Sarmates vaincus. 28.
[Théodose prend l'Arménie sous sa protection.] 29. Mort de Prétextatus.
30. Symmaque préfet de Rome. 31. Requête de Symmaque en faveur du
paganisme. 32. Extrait de la requête. 33. Elle est approuvée par le
conseil. 34. Combattue par saint Ambroise. 35. Rejetée par Valentinien.
36. Vestale punie. 37. Symmaque, accusé de maltraiter les chrétiens,
s'en justifie. 38. Sirice succède à Damase. 39. Commencement des
Priscillianistes. 40. Concile de Sarragosse. 41. Rescrit de Gratien
contre les Priscillianistes. 42. Priscillien obtient un décret
contraire. 43. Concile de Bordeaux. 44. Saint Martin s'efforce de
sauver la vie aux hérétiques. 45. Punition de Priscillien et de ses
sectateurs. 46. Lettre de Maxime au pape Sirice. 47. Toute l'Église
blâme le supplice des Priscillianistes. 48. Saint Martin se sépare de
communion d'avec les Ithaciens. 49. Le supplice des Priscillianistes
étend leur hérésie. 50. Consuls. 51. Justine favorise les Ariens. 52.
Elle tente de leur donner une église à Milan. 53. Entreprises contre
saint Ambroise. 54. Nouveaux efforts de Justine. 55. Résistance de
saint Ambroise. 56. L'empereur se désiste. 57. Mort de Pulchérie et de
Flacilla. 58. Lois de Théodose. Page 235.


LIVRE VINGT-TROISIÈME.

1. Opiniatreté de Justine en faveur des Ariens. 2. Valentinien les
autorise par une loi. 3. Nouvelles entreprises contre saint Ambroise.
4. Saint Ambroise rassure son peuple. 5. Fin de la persécution. 6.
Maxime s'intéresse pour les catholiques. 7. Actions de piété de
Valentinien. 8. Théodose interdit aux chrétiens toute participation à
l'idolâtrie. 9. Guerre des Gruthonges. 10. Leur défaite. 11. Théodose
épargne les vaincus. 12. Histoire de Gérontius. 13. Théodose épouse
Galla. 14. Sénateur accusé pour des songes. 15. Lois de Théodose. 16.
Sédition d'Alexandrie. 17. Nouvel impôt. 18. La sédition commence
à Antioche. 19. Elle s'allume dans toute la ville. 20. On abat les
statues de la famille impériale. 21. Fin de la sédition. 22. Prodiges
fabuleux. 23. Crainte des habitants. 24. Ils prennent la fuite.
25. Interrogatoires. 26. Punitions. 27. Changement des habitants
d'Antioche. 28. Discours de saint Jean Chrysostôme. 29. Flavien
part pour aller fléchir l'empereur. 30. Colère de l'empereur. 31.
Arrivée des commissaires à Antioche. 32. Conduite qu'ils y tiennent.
33. Informations nouvelles. 34. Courage des moines. 35. Hardiesse
de Macédonius. 36. Les commissaires remettent l'affaire au jugement
de l'empereur. 37. La joie renaît dans Antioche. 38. Césarius va
trouver l'empereur. 39. Flavien se présente à Théodose. 40. Discours
de Flavien. 41. Clémence de l'empereur. 42. Le pardon est annoncé aux
habitants d'Antioche. 43. Joie de toute la ville. 44. Maxime se prépare
à la guerre. 45. On lui députe saint Ambroise. 46. Saint Ambroise
devant Maxime. 47. Maxime passe les Alpes. 48. Valentinien se réfugie à
Thessalonique. 49. Théodose ramène Valentinien à la croyance orthodoxe.
50. Succès de Maxime. 51. Généraux et officiers de Maxime. 52. Tatianus
succède à Cynégius dans la dignité de préfet du prétoire d'Orient. 53.
Dispositions de Théodose. 54. Lois de Théodose. 55. Trahison punie.
56. Soulèvements des Ariens à Constantinople. 57. Flotte de Maxime.
58. Bataille de Siscia. 59. Bataille de Pétau. 60. Théodose poursuit
Maxime. 61. Mort de Maxime. 62. Mort d'Andragathe. 63. Guerre des
Francs. 64. Clémence de Théodose. 65. Actions de justice. 66. Théodose
refuse de rétablir l'autel de la Victoire. 67. Synagogue de Callinicus.
68. Théodose exclus du sanctuaire. Page 312.


LIVRE VINGT-QUATRIÈME.

1. Désintéressement de Théodose. 2. Il vient à Rome. 3. Désordres
abolis. 4. Lois contre les Manichéens et les magiciens. 5. Réglements
qui concernent le sénat et les jugements. 6. État de l'idolâtrie dans
Rome. 7. Plusieurs sénateurs s'obstinent en faveur de l'idolâtrie. 8.
Elle est détruite à Rome. 9. Imposture d'un prêtre payen. 10. Occasion
d'une sédition des payens dans Alexandrie. 11. Fureur des payens. 12.
Olympe se met à leur tête. 13. Ils résistent aux magistrats. 14. Les
séditieux prennent l'épouvante. 15. L'empereur ordonne de détruire tous
les temples d'Alexandrie. 16. Description du temple et de l'idole de
Sérapis. 17. Fourberies des prêtres de Sérapis. 18. On met en pièces
sa statue. 19. Destruction du temple. 20. Débordement du Nil. 21.
Idolâtrie abolie dans Alexandrie. 22. La ville de Canope purifiée.
23. Le paganisme détruit dans toute l'Égypte. 24. Temples abattus
en Syrie. 25. Lois contre l'idolâtrie. 26. État où Théodose laissa
l'idolâtrie. 27. Libanius demande une loi contre les sollicitations
faites aux juges. 28. Il se plaint des protections que les officiers
de guerre accordent aux paysans. 29. Valentinien en Gaule. 30.
Météores. 31. Lois. 32. [Partage de l'Arménie entre les Romains et les
Perses.] 33. Sédition de Thessalonique. 34. Rufin excite Théodose à
la vengeance. 35. Massacre de Thessalonique. 36. Remontrance de saint
Ambroise. 37. Saint Ambroise refuse à Théodose l'entrée de l'église.
38. Théodose demande à être réconcilié. 39. Entrevue de Théodose et
de saint Ambroise. 40. Saint Ambroise lui impose la pénitence. 41.
Loi sur les diaconesses. 42. Loi sur les moines. 43. Obélisque et
statue de Théodose à Constantinople. 44. Lois de Théodose. 45. Ravages
des Barbares en Macédoine. 46. Théodose découvre leur retraite. 47.
Ils sont taillés en pièces. 48. Mort de Promotus. 49. Théodose à
Constantinople. 50. Église de Saint-Jean Baptiste. Page 387.


FIN DE LA TABLE DU TOME QUATRIÈME.





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. TOME 04 ***


    

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