Essai d'éducation nationale ou plan d'études pour la jeunesse

By Chalotais

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Title: Essai d'éducation nationale ou plan d'études pour la jeunesse

Author: Louis-René de Caradeuc de la Chalotais

Release date: February 14, 2025 [eBook #75373]

Language: French

Original publication: Unknown: Unknown, 1763

Credits: J.-M. Mariot from files generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica).


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ESSAI

L’EDUCATION NATIONALE,

OU

PLAN D’ÉTUDES

POUR LA JEUNESSE,

Par Messire LOUIS - RENÉ DE CARADEUC DE LA CHALOTAIS, Procureur -
Général du Roi au Parlement de Bretagne.

M. DCC. LXIII




Du 24 Mars 1763, Chambres assemblées.

LE Procureur-Général du Roi entré à la Cour, les Chambres assemblées,
a dit : MESSIEURS, un des principaux objets de mes Réquisitoires du 7
Décembre 1761, & du 24 Mai 1762, étoit de vous porter à représenter à
Sa Majesté combien il est important de réformer les Colleges du
Royaume & l’éducation qu’y reçoit la jeunesse ; à la supplier
d’ordonner aux Universités & aux Académies de dresser un Plan
d’Etudes, & de composer les livres élémentaires propres à le remplir.
Il paroît que la Nation est pleinement convaincue aujourd’hui de la
nécessité d’une réformation générale dans la méthode ordinaire des
Colleges. J’avois eu l’honneur de vous dire que je me proposois de
vous présenter un Mémoire sur ces objets ; ils sont si importants, que
je ne cesserai jamais de les recommander à votre vigilance. Je remplis
ma promesse, & mon desir est que ce Mémoire réponde à votre attente &
à vos espérances. Je ne me suis pas borné à des vues générales qui
n’eussent servi qu’à nous éclairer sur nos abus ; je suis entré dans
quelques détails qui m’ont paru nécessaires pour y remédier. J’ai
mieux aimé vous offrir un ouvrage utile qu’agréable. Mon but est de
prouver qu’à la place d’une éducation qui n’étoit propre tout au plus
que pour l’Ecole, on peut en substituer une qui forme des Sujets pour
l’Etat. Ce sont ici les vues d’un Citoyen qui vous demande, & à la
Nation entiere, des éclaircissemens pour le bien général de la Nation.
Le Ministere public n’est étranger à rien de ce qui est utile à
l’ordre public, mais il n’a que des vœux à former ; c’est au Roi qu’il
appartient de prescrire ce qui doit être fait, & c’est à vous,
Messieurs, qui exercez la Police en son nom, de faire exécuter, par
l’autorité qu’il vous a confiée, ce qu’il aura disposé par sa sagesse.

Je demande acte du dépôt que je fais d’un Mémoire sur l’éducation,
intitulé : Essai d’Education nationale, ou Plan d’Etudes pour la
Jeunesse. Fait au Parquet, ce 24 Mars 1763.

Signé, DE CARADEUC DE LA CHALOTAIS : Retiré, & sur ce délibéré,

LA COUR a décerné acte au Procureur-Général du Roi du dépôt qu’il fait
présentement sur le Bureau, d’un Mémoire sur l’Education, intitulé :
Essai d’Education nationale, ou Plan d’Etudes pour la Jeunesse.




ESSAI

D’ÉDUCATION NATIONALE,

OU

PLAN D’ÉTUDES

POUR LA JEUNESSE,

Déposé au Greffe du Parlement de Bretagne, par Messire LOUIS-RENÉ DE
CARADEUC DE LA CHALOTAIS, Procureur-Général du Roi.


Réflexions préliminaires sur l’utilité des Lettres, sur la mauvaise
maniere de les enseigner, & sur la qualité des Maîtres.

LEs Cours Souveraines se sont occupées, depuis un an, des moyens
d’établir dans les Colleges, des Sujets capables d’instruire la
jeunesse. C’est peu de détruire, si on ne songe à édifier. Nous avions
une éducation qui n’étoit propre tout au plus qu’à former des Sujets
pour l’Ecole. Le bien public, l’honneur de la Nation, demandent qu’on
y substitue une éducation civile qui prépare chaque génération
naissante à remplir avec succès les différentes professions de l’Etat.

Je me suis proposé, dans ce Mémoire, d’en établir la nécessité, & d’en
indiquer les moyens. Pour en bien juger, il est peut-être nécessaire
de reprendre les choses de plus loin, de faire voir l’utilité des
sciences & des lettres, combien une bonne ou une mauvaise éducation
influent sur le bonheur ou sur le malheur d’une Nation, & d’examiner
en même tems ce qu’elle a droit d’exiger de ses Instituteurs.

Les sciences sont nécessaires à l’homme ; s’il a des devoirs à
remplir, il est important qu’il les connoisse : les connoître, c’est
posséder la plus utile de toutes les sciences ; c’est être fort avancé
dans la carriere où se forment les Citoyens utiles. L’ignorance n’est
bonne à rien, & elle nuit à tout. Il est impossible qu’il sorte
quelque lumiere des ténebres, & on ne peut marcher dans les ténebres
sans s’égarer.

Si les apologistes de l’ignorance ne prétendent préconiser que celle
qui conduiroit à un doute sensé & raisonnable, qui ne décide point,
parce qu’elle se connoît elle-même, ils auroient dû lui donner le nom
de science ; c’est en effet une science très-réelle & très-estimable,
que de savoir douter & apprécier son impuissance. Mais je parle ici
de l’ignorance proprement dite, qui est presque toujours
présomptueuse, qui décide, approuve & condamne avec une égale témérité ;
& je dis que si on en compare les funestes effets avec l’abus des
sciences, la question est décidée. Il n’y a personne qui ne dise comme
moi, que l’ignorance nuit à tout, & qui ne forme des vœux pour le
rétablissement des bonnes études, afin de diminuer, autant qu’il est
possible, l’abus du savoir.

Les siecles les plus grossiers & les plus ignorans ont toujours été
les plus vicieux & les plus corrompus. Laissez l’homme sans culture,
ignorant & par conséquent insensible sur ses devoirs, il deviendra
timide, superstitieux, peut-être cruel. Si on ne lui enseigne pas le
bien, il se préoccupera nécessairement du mal. L’esprit & le cœur ne
peuvent rester vuides.

Abandonnons tous les paradoxes sur l’inutilité ou sur le danger des
sciences ; séparons les choses de l’abus qui peut s’y trouver ;
dirigeons les études vers la plus grande utilité publique ; & en
attendant que l’on sache si la société humaine telle qu’elle est, si
l’homme tel qu’il n’est pas, pourroient s’en passer, travaillons à
imprimer dans l’esprit des jeunes gens les connoissances qui leur
seront nécessaires pour remplir les différentes professions, y
travailler à leur bonheur, à celui des autres, & contribuer par
conséquent au bien général de la société.

On ne craint pas d’établir en général, que dans l’état où est
l’Europe, n’ayant point à redouter les invasions des Barbares, le
peuple qui sera le plus éclairé (toutes choses étant égales
d’ailleurs, ou même ne l’étant pas entièérement) aura toujours de
l’avantage sur ceux qui le seront moins ; il les surpassera par son
industrie, il les subjuguera peut-être par ses armes : toutes les
professions étant mieux remplies, les emplois mieux exercés, les
esprits plus cultivés & plus solides, les opérations publiques &
particulieres mieux concertées & mieux exécutées ; la discipline en
tous genres sera meilleure & mieux observée, l’administration
intérieure & extérieure plus sage, les abus seront moindres & plutôt
réprimés.

Il faut s’appliquer dans l’enfance & dans la jeunesse, sans quoi on
devient ordinairement incapable de s’appliquer le reste de sa vie. La
nature met de la différence entre les hommes (on n’en peut douter),
l’éducation en met peut-être davantage. Le talent est un don de la
nature ; mais il entre dans le talent bien apprécié, beaucoup de ce
qu’on appelle art acquis, habitude. S’il étoit possible de décomposer
le talent d’un Bossuet, d’un Corneille, d’un Racine, d’un la Fontaine,
on trouveroit à la vérité le fonds le plus riche, mais perfectionné
par un long & continuel exercice ; la culture ajoute toujours à la
bonté & à la fécondité du terroir. L’application sans talent ne fera
que des hommes médiocres ; le talent sans application ne produira
jamais des hommes supérieurs.

Supposer que la nature fait tout, que l’exercice & l’application
n’ajoutent rien aux talens naturels, c’est une maxime pernicieuse qui
entretient la nonchalance des bons esprits, & augmente le
découragement des médiocres. On reconnoît, par l’expérience, que
presque tous les hommes ne vont pas si loin qu’ils pourroient aller,
s’ils apportoient à ce qu’ils sont, une grande application. Il ne faut
pas s’y méprendre, tous ceux qui sont nés pour avoir de l’esprit, ne
sont pas gens d’esprit. Il est d’une utilité universelle, que l’on
soit convaincu dans toutes les professions qu’il est impossible de
bien savoir ce que l’on n’a pas bien appris.

Nier la force de l’éducation, c’est nier contre l’expérience la force
des habitudes. Que ne pourroit point une institution formée par les
loix, & dirigée par des exemples ! Elle changerait en peu d’années les
mœurs d’une Nation entiere ; chez les Spartiates, elle avoit vaincu la
nature même ; il y a un Art de changer la race des animaux ; n’y en
auroit-il point pour perfectionner celle des hommes ?

Si l’humanité est susceptible d’un certain point de perfection, c’est
par l’institution qu’elle peut y arriver. L’objet du Législateur doit
être de procurer aux esprits le plus haut degré de justesse & de
capacité qu’il est possible, aux caracteres le plus haut degré de
bonté & d’élévation, aux corps le plus haut degré de force & de santé.

On ne doit pas espérer d’atteindre aisément à ce point de perfection ;
trop d’obstacles s’y opposent, sur-tout parmi nous ; mais on doit
toujours tendre au but, c’est le moyen d’en approcher de plus près.

Les mœurs publiques d’une grande Nation ne sont pas toujours bonnes ;
la débauche trop universelle de la jeunesse, le luxe trop répandu, le
peu d’amour de la Patrie & du bien public, l’inquiétude naturelle de
nos esprits, la dissipation, l’oubli des devoirs essentiels de sa
profession, une multitude de causes connues, s’opposent à la
considération due au mérite & à la vertu, & qui en est la plus
flatteuse récompense. Sans la considération personnelle, toute
institution sera imparfaite, quand même les loix la favoriseroient.
Quid leges sine moribus vanæ proficiunt ? disoit un des plus beaux &
des meilleurs esprits de l’Antiquité. [Horace 3, Od. 24.] Mais le
Gouvernement peut subjuguer les mœurs même ; les titres, les honneurs,
le blâme qu’il distribue, ont cours comme sa monnoie.

Les études publiques ne sont pas dirigées vers la plus grande utilité
publique ; c’est un fait dont la vérité est portée jusqu’à la
démonstration : heureusement la possibilité de les réformer, est
aussi-bien prouvée que sa nécessité. Il y a un nombre prodigieux de
vérités connues, éparses dans une infinité de livres, répandues dans
une infinité de têtes ; il ne s’agit que de les recueillir & de les
mettre en ordre, pour éclairer les Maîtres & les Instituteurs ; mais
puisque l’éducation péche dans le principe même, il faut reprendre
l’édifice dès le fondement.

Je ne répéterai point ici tout ce qu’on a remarqué de défectueux dans
la méthode ordinaire. La somme des lumières a beaucoup augmenté depuis
deux siecles ; ainsi il est facile de mieux faire que ceux qui nous
ont précédés ; mais nous ne devons pas oublier les services qu’ils ont
rendus à l’humanité. L’établissement des Universités & des Colleges a
banni l’ignorance grossiere ; & le plan d’études, qu’on adopta, étoit
peut-être le meilleur qu’il fût possible de suivre alors. Dès le
commencement du dernier siecle, l’Université desiroit une réformation
dans les études. Des circonstances plus heureuses doivent déterminer
aujourd’hui à corriger la mauvaise routine des Colleges, & à chercher
une maniere plus utile d’enseigner & d’appprendre.

Notre éducation se ressent par-tout de la barbarie des siecles passés,
où l’on ne faisoit étudier que ceux que l’on destinoit à la
Cléricature ; où l’on n’avoit de livres que ceux qui étoient copiés
par des Moines ; où l’on étoit obligé d’envoyer à Rome pour faire
transcrire les Ouvrages de Ciceron ; où les Nobles savoient à peine
lire & écrire ; où les guerres & les pillages rendoient les livres si
rares & les études si difficiles ; où il n’y avoit d’Ecoles que dans
les Cathédrales & dans les Monasteres. La Langue maternelle des
François n’était alors qu’un jargon informe & incertain : un Latin
barbare s’étoit emparé des Ordonnances, des Chartes des Rois, des
Arrêts des Cours Souveraines. La Philosophie se réduisoit à disputer
sur les livres d’Aristote ; la Morale n’instruisoit point l’homme de
ses devoirs ; la Physique ne rapportoit qu’à des causes chimériques,
des effets qu’on ne songeoit pas même à observer. A la place de
l’Astronomie & de l’Histoire naturelle, régnoient des Fables qui
amenerent les délires de l’Astrologie & des pratiques superstitieuses
de Médecine. La Théologie & la Jurisprudence n’aboutissoient qu’à des
disputes d’Ecoles ou à des opinions de Docteurs, parce qu’on
abandonnoit les textes, faute de critique, pour s’en rapporter à des
sommaires ou à des gloses.

Si l’on voit des vertus sublimes & des talens éminens briller au
milieu des ténebres de ces siecles d’ignorance, c’est par un effort de
la nature seule, & qu’elle ne fait que rarement. Quels hommes qu’un
Abbé Suger, un Bertrand du Guesclin, un Barbasan, un Bayard, & dans
les tems moins reculés, un Connétable de Montmorenci, un Colbert, qui
n’avoient pas étudié ! Qu’on ne s’en étonne pas ; les idées d’honneur &
de vertus prédominent dans les ames supérieures, & les sentimens sont
bien au-dessus des connoissances acquises : il doit paroître plus
étonnant encore, qu’on ait fait des découvertes du premier ordre dans
ces tems de barbarie. Elles ont été le fruit du génie dont le
caractere propre est de percer les ténebres les plus épaisses, & de
s’élever même au-dessus des siecles éclairés. La meilleure culture de
l’esprit ne peut donner le génie, mais on doit tâcher au moins
d’établir une éducation qui ne l’étouffe pas.

Au renouvellement des lettres & des sciences, les ténebres qui
couvroient l’Europe depuis si long-tems, disparurent ; l’Imprimerie
fut inventée, des Colleges furent fondés, l’émulation fut excitée, &
on eut honte d’être ignorant ; mais l’éducation fut trop concentrée
dans les Colleges, & elle est restée presque toute scholastique.

Les Lettres ne sont qu’une partie de l’institution d’une nation ;
l’institution a des vues plus étendues : elle est pour un Etat ce
qu’est l’éducation pour les Particuliers. Son objet est de rendre une
nation plus éclairée en tout genre, & par conséquent plus florissante.

Les lettres sont à la fois la nourriture des esprits, l’instruction &
l’ornement du monde. Platon & Ciceron, qui ont instruit leurs
contemporains, éclairent encore aujourd’hui l’univers ; & la postérité
la plus reculée profitera de leurs leçons. On doit regarder les
lettres dans un Etat, comme la source & l’appui des vertus humaines &
civiles. Malheur aux Nations, chez qui l’amour des lettres viendroit à
s’éteindre !.

Elles ont reçu en France les témoignages les plus éclatants de la
protection de nos Rois ; & les établissemens qu’ils ont faits pour
assurer toute espece d’instruction, eussent été le fondement le plus
solide de la prospérité publique, si la premiere institution de la
jeunesse eût été bien dirigée. Les Universités, les Académies, les
Chaires de Langue, les Ecoles d’Hydrographie, tout sembloit concourir
à former des Citoyens distingués dans tous les genres. Le Monarque qui
nous gouverne, a encouragé les sciences, & a excité l’émulation en
envoyant des Observateurs au Nord, à l’Equateur, au Cap de Bonne-
Espérance, en fondant une Ecole Militaire ; mais malheureusement des
secours si précieux ne sont offerts qu’en sous-ordre, si j’ose
m’exprimer ainsi. La premiere institution nationale est demeurée la
même, & on y a tout asservi : elle est restreinte par-tout à
l’éducation des Colleges, & cette éducation a été bornée à l’étude de
la langue Latine. On n’acquiert dans la plûpart des Colleges aucune
connoissance de notre langue ; on n’y apprend qu’une Philosophie
abstraite qui ne peut être d’aucun usage dans le cours de la vie ; qui
ne renferme ni les principes de Morale nécessaires pour se bien
conduire dans la société, ni rien de ce qu’il importe de savoir,
étant homme. La Religion n’y est pas enseignée avec plus de soin ;
ensorte que la jeunesse quitte le College sans avoir presque rien
appris qui puisse lui servir dans les différentes professions.

J’en appelle à l’expérience & au témoignage de la Nation, de ceux même
qui par préjugé soutiendroient la méthode ordinaire. Les connoissances
que l’on acquiert au College, peuvent-elles s’appeler des
connoissances ? Que fait-on après dix années qu’on emploie, soit à se
préparer à y entrer, soit à se fatiguer dans les cours des différentes
Classes ? Sait-on même la seule chose qu’on y a étudiée, les langues,
qui ne sont que des instrumens pour frayer la route des sciences ? A
l’exception d’un peu de Latin qu’il faut étudier de nouveau, si l’on
veut faire usage de cette langue, la jeunesse est intéressée à
oublier, en entrant dans le monde, presque tout ce que ses prétendus
Instituteurs lui ont appris. Est-ce-là le fruit que la Nation devroit
tirer de dix années du travail le plus assidu ?

Sur mille Etudians qui ont fait ce qu’on appelle leur cours
d’Humanités & de Philosophie, à peine en trouveroit-on dix qui fussent
en état d’exposer clairement & avec intelligence les premiers élémens
de la Religion, qui sçussent écrire une lettre, qui pussent discerner
habituellement une bonne raison d’une mauvaise, un fait prouvé de
celui qui ne l’est pas.

Les Grecs & les Romains plus sages que nous & plus vigilans sur un
objet aussi important que l’éducation, ne l’avoient pas abandonnée à
des hommes qui eussent des vues & des intérêts différens de ceux de la
patrie ; elle étoit dirigée par des Législateurs ou par des
Philosophes capables de l’être. Solon n’eût jamais confié à des
Spartiates, à plus forte raison à des Ilotes*, l’éducation des
Athéniens & Lycurgue n’eût pas confié aux Athéniens celles des
Spartiates, Lorsqu’Antipater demanda à ces derniers cent cinquante
enfans pour ôtage, ils répondirent qu’ils aimoient mieux donner le
double d’hommes faits, de peur qu’une éducation étrangere ne corrompît
leurs enfans.

* C’étoient des Esclaves de Sparte.


L’éducation devant préparer des Citoyen à l’Etat, il est évident
qu’elle doit être relative à sa constitution & à ses loix ; elle
seroit fonciérement mauvaise, si elle y étoit contraire : c’est un
principe de tout bon Gouvernement, que chaque famille particuliere
soit réglée sur le plan de la grande famille qui les comprend toutes.
Comment a-t-on pu penser que des hommes qui ne tiennent point à
l’Etat, qui sont accoutumés à mettre un Religieux au-dessus des Chefs
des Etats, leur Ordre au-dessus de la Patrie, leur Institut & des
Constitutions au-dessus des Loix, seroient capables d’élever &
d’instruire la jeunesse d’un Royaume. L’enthousiasme & les prestiges
de la dévotion avoient livré les François à de pareils Instituteurs,
livrés eux-mêmes à un Maître étranger. Ainsi l’enseignement de la
Nation entiere, cette portion de la législation qui est la base & le
fondement des Etats, étoit resté sous la direction immédiate d’un
Régime Ultramontain, nécessairement ennemi de nos Loix. Quelle
inconséquence, & quel scandale !

Sans approfondir toutes les conséquences qui résulte d’un abus si
énorme, doit-on s’étonner que le vice de la Monasticité ait infecté
toute notre éducation ? Un Etranger à qui on en expliqueroit les
détails, s’imagineroit que la France veut peupler les Séminaires, les
Cloîtres & des Colonies Latines. Comment pourroit-il supposer que
l’étude d’une langue étrangere, des pratiques de Cloître, fussent des
moyens destinés à former des Militaires, des Magistrats, des Chefs de
famille propres à remplir les différentes professions, dont l’ensemble
constitue la force de l’État ?

Nous sommes imbus des notions Monastiques qui nous gouvernent sans que
nous le sachions & sans qu’on s’en apperçoive. De petites pratiques de
dévotion (& pourquoi n’oseroit-on-pas le dire, puisque le sage & le
vertueux Abbé Fleury l’a dit) qui ne rappellent point les grandes
idées de la Religion, ont saisi les Chefs des Eglises.

De là ces Congrégations, ces Confrairies, ces Conventicules, qui
détournent les Chrétiens des lieux où ils doivent apprendre la
Religion, qui empêchent les Pasteurs de s’instruire assez solidement
pour être en état d’instruire les autres.

S’il est question d’Ecoles, de Colléges, dans l’instant les notions
mystiques s’emparent des personnes principales, & on ne parle que de
Communautés de Religieux ou au moins d’Ecclésiastiques, pour leur en
confier la direction. On doute si des Professeurs mariés peuvent
instruire les enfans. Quand on songe que dans le quinzieme siecle il
fallut une Ordonnance, & une Ordonnance d’un Légat du Pape* en France
pour permettre aux Médecins de se marier, que peut-on penser de
l’effet des préjugés Ecclésiastiques ? On veut exclure ceux qui ne sont
pas célibataires des places purement civiles. Quel paradoxe ! Il
semble qu’avoir des enfans soit une exclusion pour pouvoir en élever,
que l’on prenne des précautions pour empêcher l’Etat de se peupler, ou
pour qu’il ne se peuple pas trop. Le bien de la société exige
manifestement une éducation civile ; & si on ne sécularise pas la
nôtre, nous vivrons éternellement sous l’esclavage du pédantisme.

* En 1452, le Cardinal d’Estouteville, Légat en France, réforma
l’Université, accorda aux Médecins la liberté de se marier, & leur
défendit en même temps, comme marque de souillure, de faire à l’avenir
leurs assemblées dans l’Eglise de Paris, sous les tours, comme ils
faisoient quelquefois. Pasquier. Recherches, tom. 1, pag. 275.


Pourquoi faut-il en effet, que les Colleges soient administrés par des
Moines ou par des Prêtres ? Sous quel prétexte l’instruction dans les
lettres & dans les sciences leur seroit-elle exclusivement dévolue ?
Les Ecclésiastiques présenteront toujours le motif d’instruire les
enfans dans la Religion. Il est certain que de toutes les instructions
c’est la plus importante ; mais est-il vrai que les seuls
Ecclésiastiques puissent leur apprendre le Catéchisme, leur enseigner
le François & le Latin, expliquer Horace & Virgile ?

Il y a d’excellens Catéchismes imprimés ; il n’est pas nécessaire
d’être promu aux Ordres pour lire à des enfans ceux de Bossuet ou de
Fleury ; & l’on peut demander s’il est besoin d’en faire tous les
jours de nouveaux, ou de réformer si souvent ceux qui sont faits.
C’est dans le sein des familles chrétiennes, dans les instructions de
la Paroisse, que les enfans doivent prendre les élémens du
Christianisme. Les Eglises sont les véritables écoles de la Religion.
Les Jésuites, qu’on nommoit Ecoliers approuvés, & qui l’enseignoient,
n’étoient pas véritablement Ecclésiastiques, quoiqu’ils en portassent
l’habit. Au surplus, employer 40 ou 50 demi-heures par an à expliquer
bien ou mal le Catéchisme de Canisius, ce n’est pas ce que des
personnes instruites appelleroient enseigner la Religion.

Un Aumônier ou Chapelain dans chaque College pourroit suffir à cette
fonction, sous prétexte de laquelle les Ecclésiastiques prétendant
l’administration des Colleges comme un patrimoine exclusif.

Je ne dois pas oublier une remarque importante ; c’est que
présentement presque tous les hommes distingués dans les sciences &
dans les lettres, sont des laïques. On ne cesse de répéter qu’il n’y a
pas assez de Prêtres pour remplir les fonctions du Ministere
Ecclésiastique ; & pourquoi donc veut-on en faire des Professeurs de
Colleges & des Précepteurs ?

Une foule de Prêtres oisifs inondent les villes, tandis que les
campagnes sont dépourvues de Ministres. Ils ne veulent plus les
habiter ; & voilà qu’on leur cherche dans les Cités de nouvelles
places dont on puisse disposer, comme de titres de Bénéfices
amovibles. Une des maladies de l’Etat est que chacun veut avoir à ses
ordres des troupes qui ne soient pas à ses frais.

Pour professer les Lettres & les Sciences, il faut des personnes qui
fassent profession des Lettres. Le Clergé ne peut pas trouver mauvais
qu’on ne mette pas, généralement parlant, les Ecclésiastiques dans
cette classe. Je ne suis pas assez injuste pour les en exclure ; je
reconnois avec plaisir qu’il y en a plusieurs dans les Universités &
dans les Académies qui sont très-instruits & très-capables
d’instruire. Je n’omettrai pas les Prêtres de l’Oratoire, qui sont
dégagés des préjugés de l’Ecole & du Cloître, & qui sont Citoyens ;
mais je réclame contre l’exclusion des Séculiers. Je prétends
revendiquer pour la Nation une éducation qui ne dépende que de l’Etat,
parce qu’elle lui appartient essentiellement ; parce que toute Nation
a un droit inaliénable & imprescriptible d’instruire ses membres ;
parce qu’enfin les enfans de l’Etat doivent être élevés par des
membres de l’État.

Le droit exclusif qu’on voudroit accorder aux Prêtres séculiers &
réguliers, d’instituer la jeunesse, n’est pas le seul inconvénient qui
résulte des notions monastiques ; on peut en remarquer de nouveaux
jusques dans les détails de l’éducation des Colleges.

Chez les Réguliers, l’objet des exercices est plutôt de former les
Maîtres que d’instruire les Disciples. Dans les premières années, un
jeune Régent, qui n’est qu’un vieil Ecolier, acheve le cours de ses
études aux dépens d’autrui. Il surcharge ses éleves de thêmes qui lui
coutent peu à dicter, de longues & d’ennuyeuses leçons. Toute la peine
& tout le travail est du côté des enfans ; pendant ce temps il
s’occupe à ce qui peut lui être utile : il fait des collections, des
extraits ; il se prépare par des discours à la prédication, ou à la
direction par des lectures. Dès qu’il est formé & qu’il s’est mis en
état, par les connoissances qu’il a acquises, d’être utile aux autres,
il abandonne cet enseignement, & va remplir la vocation à laquelle il
est destiné pour la gloire & le profit de son Ordre.

L’administration des Classes se ressent de l’uniformité des Cloîtres ;
les corrections tiennent de la discipline claustrale, & semblent
faites pour abaisser les cœurs qu’il faudroit chercher à élever.
Toute cette manutention est triste & rebutante ; son effet le plus
ordinaire est de faire haïr l’étude pour toute la vie. Des hommes
faits résisteroient à peine à la vie sédentaire & contrainte, à
laquelle on assujettit les enfans. Il est contre la nature, que dans
un demi-jour ils demeurent assis pendant cinq ou six heures. Il regne
d’ailleurs dans les études qu’on leur fait faire, une monotonie, qui
les jette presque nécessairement dans l’indolence & le dégoût.
Toujours du latin & des thêmes ! Loin d’inspirer du goût pour aucune
Science, pour aucun Art, l’ennui & la sécheresse qui accompagnent
par-tout l’étude, donnent de la répugnance pour les élémens de toutes
les Sciences, de tous les Arts : aussi rien n’est plus ordinaire que de
voir les jeunes gens abandonner toute lecture au sortir des Colleges.
Le premier fruit de ce qu’on nomme institution de la jeunesse, est de
la laisser sans objet d’application, dans l’âge où il seroit plus
nécessaire de l’appliquer, pour prévenir les dangers multipliés d’un
loisir, que remplissent les assauts des passions les plus fougueuses.

Comparons la sombre obscurité de nos classes à la gaieté du Portique &
du Licée. Parmi nous, un Régent presque enfant, qui revient l’esprit
frappé d’une extase de deux années, opprimé par le despotisme, opprime
d’autres enfans. Chez les Grecs, les jeunes gens se promenoient ; ils
prenoient dans ces lieux, s’il est permis de me servir de ce terme,
leurs leçons & leurs ébats ; ils conversoient avec les Aristides, les
Miltiades, les Platons, les Aristotes, les Xénophons, les Démosthenes,
&c.

Dans nos Colleges, nul amusement pour des esprits légers qu’il
faudroit plutôt réjouir par quelque diversité & par des études
agréables ; les seuls divertissemens sont des Enigmes, des Ballets,
des pieces dramatiques aussi ridiculement composées que déclamées ;
exercices d’autant plus méprisables, que la perte du temps se réunit
aux exemples du plus mauvais goût.

Des Maîtres habitués aux subtilités scholastiques, y exercent les
jeunes gens qui contractent l’habitude de disputer & de chicaner. Il
y en a qui dans le reste de leur vie semblent être toujours sur les
bancs de l’école.

Mais le plus grand vice de l’éducation & le plus inévitable peut-être,
tant qu’elle sera confiée à des personnes qui ont renoncé au monde, &
qui, loin de chercher à le connoître, ne doivent songer qu’à le fuir,
c’est le défaut absolu d’instruction sur les vertus morales &
politiques. Notre éducation ne tient point à nos mœurs comme celle des
Anciens. Après avoir essuyé toutes les fatigues & l’ennui des
Colleges, la jeunesse se trouve dans la nécessité d’apprendre en quoi
consistent les devoirs communs à tous les hommes ; elle n’a reçu aucun
principe pour juger des actions, des mœurs, des opinions, des
coutumes ; elle a tout à apprendre sur des articles si importans. On
lui inspire une dévotion qui n’est qu’une imitation de la Religion ;
des pratiques pour tenir lieu de vertu, & qui n’en sont que l’ombre.

On a trop mis à l’écart le soin de la santé, les moyens de la
conserver, & les exercices du corps. On a négligé ce qui regarde les
affaires les plus communes & les plus ordinaires, ce qui fait
l’entretien de la vie, le fondement de la Société civile. La plupart
des jeunes gens ne connoissent ni ce monde qu’ils habitent, ni la
terre qui les nourrit, ni les hommes qui fournissent à leurs besoins,
ni les animaux qui les servent, ni les ouvriers & les artisans qu’ils
emploient ; ils n’ont même là-dessus aucun principe de connoissance.
On ne profite point de leur curiosité naturelle, pour l’augmenter. Ils
ne savent admirer ni les merveilles de la nature, ni les prodiges des
Arts. Ainsi ce qu’on leur enseigne, ce qu’on ne leur enseigne pas, la
maniere de leur donner des instructions & de les en priver, tout est
marqué du sceau de l’esprit Monastique.

Cet esprit qui n’a pour but que d’asservir toutes les facultés de
l’ame à l’observance d’une Regle Religieuse, ne pouvoit que donner des
bornes aux Sciences, & mettre, pour ainsi dire, entre elles un mur de
séparation. Ce n’est pas dans ces lieux, où l’étude des Sciences
utiles au monde est purement accessoire, qu’on pouvoit songer que les
vérités ont toutes un rapport entre elles ; qu’elles sont plus aisées
à saisir lorsqu’on a des points de jonction ; qu’il étoit essentiel de
les rapprocher les unes des autres, afin de les mieux reconnoître,
puisque c’est ordinairement le caractere des erreurs, d’être isolées &
inconséquentes.

Ce n’est pas d’une administration des Colleges, semblable à la
pratique de la Regle d’un Ordre Religieux, qui oblige également tous
les Membres, qu’on pouvoit espérer de diversifier l’instruction, & de
la rendre quelquefois différente, selon les personnes. Celui qui doit
commander un jour des Armées, ou qui est destiné aux premieres places
de la Magistrature, est élevé comme le fils d’un Major de Milice
Bourgeoise ou comme le fils d’un Praticien de village. Je ne me
plaindrois pas de ce que l’on donnât une bonne éducation aux petits
comme aux grands. Je regrette de ce qu’on en donne une également
mauvaise à tous.

Ce n’est donc qu’en nous délivrant de cet esprit Monacal, qui depuis
plus de deux siecles embarrasse les Etats policés, par des entraves de
toute espece, qu’on peut parvenir à établir une base d’éducation
générale, sur laquelle portent toutes les instructions particulieres.
Cette base ne peut être fondée que sur un systême lié des
connoissances humaines, comme l’a dit judicieusement, il y a plus de
quinze ans, l’Auteur des Considérations sur les mœurs, puisqu’il est
indispensable que toutes les parties de l’instruction tendent au même
but.


Du nombre des Colleges & des Etudians.

Tout se tient dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique ;
l’éducation des Particuliers & celle des Colleges, sont relatives à
l’institution d’une Nation, & à la constitution même de l’Etat.

Est-il Militaire ou Commerçant ? Est-ce une Monarchie, une République,
une Aristocratie, un Etat peuplé ou dégarni d’habitans ? Il est
évident que toute police générale, toute opération politique, dépend
d’un calcul exact des différentes professions du Clergé, de la
Noblesse, du Militaire, des Officiers de Justice, des Commerçans, des
Laboureurs, des Artisans, &c.

Par exemple, on demande s’il y a trop, ou trop peu de Colleges en
France. La résolution de cette question dépend de savoir s’il y a
assez de Laboureurs, assez de Soldats ; s’il n’y a pas trop de
Praticiens, s’il y a trop ou trop peu d’Ecclésiastiques, de Gens de
lettres ; en un mot, elle dérive de la proportion qui regne ou qui
doit regner entre les différentes professions combinées avec leur
utilité & leur nécessité. Sans entrer dans un détail qui seroit
inutile ici, & en supposant la proportion qui paroît fixée à un
centième pour le Militaire, par l’expérience des siecles & des
Nations, je réponds qu’il n’y a pas assez de Laboureurs dans un Pays
où il y a des terres en friche, & où l’État, assez riche par lui-même
pour exporter ses productions naturelles, importe souvent celles de
l’Etranger qu’il pourroit fournir.

L’excès n’est point à craindre dans une profession qui nourrit les
autres, & qui apporte continuellement des valeurs réelles dans l’Etat,
mais il est dangereux dans toutes celles qui ne créant aucune nouvelle
valeur, vivent par celle qui les crée.

Est-il besoin pour l’instruction des Peuples & pour le bien de la
Religion, qu’il y ait au moins deux cens cinquante mille Prêtres, ou
Religieux ou Religieuses dans le Royaume ?

Du temps du Pape Saint Corneille, il n’y avoit dans la Ville de Rome*
que quarante-six Prêtres, & en tout cent cinquante-quatre Clercs,
quoiqu’il y eut un peuple innombrable ; il y en a maintenant plusieurs
milliers. Il n’y en avoit pas assez alors, ou il y en a trop
présentement. Le nombre des Ecclésiastiques s’est prodigieusement
accru dans tous les Pays Catholiques. Quelles fonctions ont-ils donc
aujourd’hui qu’ils n’eussent pas dans ces temps florissans de la
Religion ?

* Eusebe, Hist. Eccles. l. 6. chap. 43. Fleury, Mœurs des Chrétiens,
p. 192.


L’instruction des Procès exige-t-elle ce nombre incroyable d’Officiers
& de Suppôts de judicature, qui désolent les Habitans des Villes & des
Campagnes. Seyssel, sous Louis XII, comptoit en France plus
d’Officiers de Justice, que dans tous les Royaumes de l’Europe
ensemble. Ce calcul étoit sans doute exagéré ; mais à quel point ce
nombre ne s’est-il pas augmenté depuis ?

N’y a-t-il pas trop d’Ecrivains, trop d’Académies, trop de Colleges ?
Autrefois il étoit difficile d’être sçavant, faute de Livres :
maintenant la multitude de Livres empêche de l’être. On peut dire,
comme Tacite : Ut multarum rerum, sic litterarum intemperantia
laboramus. Il n’y a jamais eu tant d’Etudians dans un Royaume où tout
le monde se plaint de la dépopulation le Peuple même veut étudier ;
des Laboureurs, des Artisans envoient leurs enfans dans les Colleges
des petites Villes, où il en coûte peu pour vivre ; & quand ils ont
fait de mauvaises études qui ne leur ont appris qu’à dédaigner la
profession de leurs peres, ils se jettent dans les Cloîtres, dans
l’Etat Ecclésiastique ; ils prennent des Offices de Justice, &
deviennent souvent des Sujets nuisibles à la Société. Multorum manibus
egent res humanæ, paucorum capita sufficiunt.

Les Frères de la Doctrine Chrétienne, qu’on appelle Ignorantins, sont
survenus pour achever de tout perdre ; ils apprennent à lire & à
écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner & à manier
le rabot & la lime, mais qui ne le veulent plus faire. Ce sont les
rivaux ou les successeurs des Jésuites*. Le bien de la Société demande
que les connoissances du Peuple ne s’étendent pas plus loin que ses
occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier, ne s’en
acquittera jamais avec courage & avec patience. Parmi les gens du
Peuple il n’est presque nécessaire de sçavoir lire & écrire qu’à ceux
qui vivent par ces arts, ou à ceux que ces arts aident à vivre.

* Depuis qu’ils sont établis à Brest & à S. Malo, on a peine à trouver
des Mousses ou de ces jeunes garçons qui servent dans un vaisseau, &
qui sont destinés à être Matelots. Dans trente ans d’ici, on demandera
pourquoi il manque des Matelots dans les Ports.


On sçait que dans une bonne institution on ne doit pas multiplier
l’espece des hommes qui vivent aux dépens des autres, & qu’il faut
contenir ces professions dans les bornes du nécessaire. Il semble que
dans la pratique on ait adopté la maxime contraire. Bientôt nous
n’aurons plus dans le Peuple que de misérables Artisans, des Miliciens
& des Etudians.

Ainsi il est plus avantageux à l’Etat qu’il y ait peu de Colleges,
pourvu qu’ils soient bons, & que le cours des études y soit complet,
que d’en avoir beaucoup de médiocres. Il vaut mieux qu’il y ait moins
d’Etudians, pourvu qu’ils soient mieux instruits ; & on les instruira
plus facilement, s’ils ne sont pas en si grand nombre.

Nous vivons de systêmes, d’inconséquences & de lieux communs. Il faut,
dit-on, faire le bien ; on n’en peut trop faire, ni trop le
multiplier. Les Colleges sont utiles & nécessaires, il ne peut donc y
avoir trop d’Etudians. Il est essentiel d’apprendre la Religion, il ne
peut donc y avoir trop de Couvens, de Congregations, trop de
Retraites, même pour des gens de la Campagne, pour des peres & des
meres de famille, qu’il est contre le bon ordre de faire quitter leur
maison & leur travail. D’un autre côté, le monde va-t-il mieux ? la
société es-elle mieux réglée ? la corruption n’est-elle pas aussi
grande & aussi universelle ? Comment accorder ces maux qu’on ne peut
se dissimuler, avec les lieux communs qu’on entend tous les jours sur
les mœurs plus pures de nos peres qui ne connoissoient presqu’aucune
de ces institutions ?

D’autre part, on soutient que les Colleges ne sont ni bien dirigés, ni
bien conduits, que les sciences y sont mal enseignées, & l’on ne peut
gueres s’empêcher d’en convenir : donc on doit supprimer les Colleges &
ne point enseigner les sciences. Les Livres, dit-on, sont le fléau des
enfans : on en conclut qu’ils n’en doivent lire aucun. Ainsi
s’établissent les opinions extrêmes. La vérité n’est jamais outrée, la
raison n’exagere point ; mais il y a une infinité de personnes qui ne
distinguent point la nuance des couleurs : tout est blanc ou noir pour
eux.

Il est bien étonnant que la politesse & les lumieres du dernier
siecle aient pu supporter une éducation aussi informe que la nôtre, en
la critiquant sans cesse. L’habitude qui conduit les hommes, la
routine des corps, une institution du seizieme siecle, qui n’avoit
jamais été réformée & qui étoit irréformable par principe, je le
repete, des idées Monastiques en eussent éternisé l’abus & le vice. Ce
que l’on fit dans les commencemens pour perfectionner l’éducation, la
rendit un peu meilleure alors. C’est précisément ce qui en a perpétué
les imperfections & les défauts.

Les Jésuites étoient convaincus que le plan d’études (Ratio studiorum)
dressé sous Aquaviva, dans le seizieme siecle, & le foible opuscule de
Jouvenci, étoient des chef-d’œuvres de littérature. Attachés à de
vieux préjugés, ils étoient les derniers à les quitter, & ils
s’opposoient à toute réformation ; ils n’admettoient de Livres que les
leurs ; ils n’ont commencé à adopter le Cartésianisme, que quand les
autres ont commencé à l’abandonner.

On sort plus aisément des ténebres de l’ignorance, que de la
présomption d’une fausse science. La Russie en dix ans a plus avancé
dans la Physique & dans les sciences naturelles, que d’autres Nations
n’auraient fait en cent ans. Il suffit de voir les Mémoires de
l’Académie de Petersbourg. Peut-être que le Portugal qui réforme
entiérement ses études, avancera beaucoup plus que nous à proportion,
si nous ne songeons pas sérieusement à réformer les nôtres.

Dans les siecles derniers toute l’instruction étoit tournée vers
l’étude des Langues ; dans celui-ci la manie du bel-esprit s’est
emparé de la Nation, & a dérangé toutes les professions. La société
est peut-être devenue plus aimable pour quelques Particuliers ; mais
la société générale, l’Etat y a perdu. Son intérêt exige que toutes
les professions soient exercées par des hommes capables. Des malades
ne s’embarrassent pas que les ordonnances de leurs Médecins soient en
épigrammes. On cherche un Avocat qui sache les Loix, & non un
bel-esprit. En un mot, le bien de l’Etat demande que chacun s’attache
à sa profession ; & si les mœurs ne changent pas, bientôt on ne
professera plus véritablement que les arts méchaniques.

Le goût du bel esprit devenu une mode, a banni la science & la
véritable érudition, à laquelle on avoit tant d’obligation ; sur le
fonds de laquelle nos grands Hommes s’étoient formés, & qui est de
beaucoup trop négligée, pour ne pas dire méprisée absolument.

Il se peut faire qu’il y ait dans une Nation des Particuliers
très-habiles, & que le gros de la Nation soit peu instruit.

Ce sont les Colleges comparés, qui marquent la somme des lumieres
répandues dans les différentes têtes des Citoyens ; mais ce sont les
Mémoires des Académies, les bons Livres qui désignent les lumieres de
la Nation.

Que l’on compare nos Colleges, dont les méthodes sont vicieuses, avec
ceux d’Oxfort, de Cambrige, de Leyde, de Gottingue, qui ont des Livres
élémentaires mieux faits que les nôtres ; on verra qu’il est nécessaire
qu’un Allemand & un Anglois soient mieux instruits qu’un François.
Par la même raison il étoit impossible qu’un Romain bien élevé, qui se
façonnoit dans la conversation & dans la société d’un homme
respectable, qui plaidoit des causes, qui devenoit Edile, Préteur,
Augure, Consul ; qui présidoit au Sénat & commandoit des Armées, ne fût
pas un homme supérieur à nos Anglois & à nos François, parce que c’est
l’expérience seule qui peut former les hommes.

Mais quand on mettra nos Mémoires de l’Académie des Sciences, en
parallele avec ceux de Londres, de Leipsick, &c. nos bons Livres avec
ceux des Etrangers, on verra qu’un François qui sera mis de bonne
heure sur les bonnes voies, est aussi habile & peut-être mieux
instruit qu’un autre ; qu’il a plus d’ordre, de méthode & de goût ;
car il faut rendre justice à la Nation Françoise ; elle sera tout ce
qu’elle voudra être, ou tout ce qu’on voudra qu’elle soit. Elle a dans
tous les genres des exemples & des modeles à opposer à ceux de
l’Antiquité. Elle a eu ses Thémistocles, ses Miltiades & ses Periclès,
ses Demosthenes, ses Sophocles & ses Aristophanes ; elle les aura
encore quand on le voudra sérieusement. C’est l’Etat, c’est la majeure
partie de la Nation qu’il faut principalement avoir en vue dans
l’éducation : car vingt millions d’hommes doivent être plus considérés
qu’un million, & les Paysans qui ne sont pas encore un Ordre en
France, comme en Suede, ne doivent pas être négligés dans une
Institution : elle a également pour but que les Lettres soient
cultivées, & que les terres soient labourées ; que toutes les Sciences
& les Arts utiles soient perfectionnées, que la justice soit rendue,
& que la Religion soit enseignée ; qu’il y ait des Généraux, des
Magistrats, des Ecclésiastiques instruits & capables, des Artistes,
des Artisans habiles, le tout dans une proportion convenable. C’est
au Gouvernement à rendre chaque Citoyen assez heureux dans son état,
pour qu’il ne soit pas forcé d’en sortir.

Pour remplir ces différens objets, il n’est pas nécessaire que l’Etat
gêne les Particuliers ni la liberté des Citoyens ; il doit seulement
présider à tout, animer tout, lever les obstacles, donner des
facilités, des encouragemens à une Nation industrieuse ; &, pour dire
ce que je pense, une Nation comme la nôtre (je parle du commun de la
Nation) n’a besoin que d’être instruite. Nous avons une infinité de
Livres excellens, peu de Livres classiques & élémentaires. Qu’il en
soit fait pour les enfans & pour les ignorans, qu’on laisse ensuite
agir le génie, qu’on ne gêne pas la liberté des esprits, qu’on inspire
l’amour de la patrie & du bien public, & que les talens ne nuisent pas
à ceux qui les possedent, quand ils n’en abusent pas.

II y aura des Savans en France, quand la Science sera honorée, &
qu’elle ne sera pas toute tournée vers un objet de parti, de cabale &
d’intrigue, comme nous avons vu pendant un siecle l’Erudition
Ecclésiastique réduite à ce qu’on nommoit l’affaire du temps ; ou,
pour mieux dire, à celle du jour. Il y aura des professions quand il y
aura des apprentissages réels, & que l’application & les talens
meneront à la considération.

Il est aisé de voir que tous ces grands objets tiennent à la
Législation, mais il est bon de les remettre sous les yeux d’un
Gouvernement sage & prudent, pour marquer toute l’étendue qu’on doit
donner à une bonne Institution.

Ce seroit ici le lieu d’examiner à quel âge on doit faire entrer les
enfans dans les Colleges ; mais cela dépend de l’âge où l’on doit
les en faire sortir pour commencer l’essai des différentes
professions : & c’est encore une portion de la Législation qui
mériteroit d’être approfondie.

Est-il convenable que l’on s’inscrive à dix ou douze ans dans des
Rolles de Milices de terre ou de mer, uniquement pour gagner du tems &
obtenir la récompense d’un service que l’on ne peut faire ? C’est une
injustice évidente contre ceux qui servent en effet.

Les temps pour la Cléricature & pour la Magistrature, sont fixés par
les Loix ; & il semble que l’on n’ait considéré les apprentissages que
par rapport à ces professions, comme-si les autres n’en avoient pas
également besoin.

Je pense que l’on pourroit déterminer à peu près l’âge de dix ans pour
entrer dans les Colleges, & celui de dix-sept ans pour en sortir.
Dix-sept ans accomplis est l’âge où les Romains prenoient la robe
virile.

On ne parle jamais de l’institution, sans traiter la question de
l’éducation publique & de l’éducation particuliere ; mais si l’on
avoit de bons Plans d’étude & des Livres élémentaires, peut-être
verroit-on que celle-ci deviendroit aussi facile que l’autre, & en ce
cas il n’y auroit pas de comparaison à faire. Le lait de la mere vaut
toujours mieux pour les enfans que celui des mercénaires.

Un homme de beaucoup d’esprit* a dit que le plus grand service que les
Sociétés Littéraires pussent rendre aux Lettres, aux Sciences & aux
Arts, étoit de faire des méthodes & de tracer des routes qui
épargnassent du travail & des erreurs, & qui conduisissent à la vérité
par les voies les plus courtes & les plus sûres.

* Considérations sur les Mœurs.


Un jeune homme qui est sur les bonnes voies, en saura plus à
vingt-cinq ans qu’un autre à trente-cinq, si celui-ci n’a pas été bien
conduit.

Les études sont trop longues & trop difficiles, parce qu’elles sont
trop embarrassées d’inutilités ; cela est évident pour les Colleges :
voilà pourquoi en étudiant beaucoup on sait si peu de chose. Quand on
n’est pas dans le vrai chemin, plus on avance, moins on arrive au
terme : un bon guide épargnerait bien des longueurs. Ce sont les
inutilités & les faussetés qui sont longues & prolixes. Le vrai a
encore le mérite d’être plus aisément entendu ; c’est le faux qui est
inintelligible.

Il paroît que par rapport aux vues d’éducation, il y a dans le Public
de l’Europe même, une espece de fermentation qui doit naturellement
faire de bons effets ; elle en produira certainement chez nous, si
elle est soutenue & ménagée, si on ne se contente pas d’une
spéculation inutile, & si on n’oublie pas avant six mois ce qu’il
faudroit mettre en pratique dès-à-present.

Il s’agit de savoir s’il est possible de tirer de nos Colleges plus
d’utilité que l’on n’en tiroit. Je crois qu’il est facile de prouver
l’affirmative par des raisons & par des exemples, & c’est l’objet que
je me suis proposé dans cet Essai.

Je n’entrerai pas dans les détails qui seraient infinis, & j’exhorte
les Maîtres à lire tous les bons Livres sur l’Education* & sur le
choix des études. J’établis les principes & la formule générale de
l’éducation littéraire, les opérations principales de chaque âge : je
marque les bons Livres élémentaires qui manquent à la société ; les
conséquences & les détails viendront s’y joindre d’eux-mêmes.

* Locke, l’Abbé Fleury, la Dissertation de l’Abbé Gédouin sur
l’éducation ; Education des filles, par M. de Fénelon ; le Chapitre de
Montagne sur l’institution des enfans, qui est admirable, & il est
bien étonnant qu’étant connu de tout le monde, on n’en ait pas plus
profité : c’est la malheureuse routine qui en a été cause ; l’Abbé de
Saint-Pierre, où il y a des choses excellentes sur les vertus morales &
politiques ; le Discours de M. Nicole sur l’éducation du Prince ;
Crouzas, Bacon, Milton, œuvres mêlées ; Dumarsais, Erasme, le P.
Lamy, tous généralement sans exception.


Quel est le meilleur plan d’études pour l’éducation de la jeunesse &
quelle méthode doit-on suivre pour remplir ce plan ?

On voit qu’il ne s’agit point ici d’un traité entier d’éducation, qui
demanderoit des vues plus approfondies, mais simplement du plan des
études que l’on pourroit substituer à celles des Colleges.

Je suppose dans tout ce Mémoire la distinction que l’Abbé Fleury a
établi des connoissances nécessaires, utiles & agréables, de celles
qui sont le plus généralement utiles, suivant la différence des
personnes.

Ces distinctions suffisent, pourvu que l’on ait soin de proportionner
les études à la différence des âges, d’en bien désigner le but, de ne
pas confondre les moyens avec la fin, les mots avec les choses, &
l’instrument avec l’art même ; pourvu que l’on marque avec précision,
en chaque genre, les bornes des connoissances au-delà desquelles
l’esprit humain ne peut atteindre ; & c’est ce qui me paroît le plus
essentiel dans un plan d’éducation.


Principes d’un Plan d’études.

Un plan est le dessein d’un édifice dans lequel il entre plusieurs
parties, qui doivent si correspondre & former un ensemble. Un Plan
d’études pour la jeunesse, c’est l’ordre, l’arrangement des
instructions, suivant lequel les connoissances qui précedent, doivent
servir à acquérir celles qui suivent, & concourir toutes au but & aux
vues qu’on s’est proposées.

Il semble que cette méthode ne devroit pas être un grand mystere. Les
principes pour instruire les enfans doivent être ceux par lesquels la
nature les instruit elle-même. La mature est le meilleur des maîtres.

Il suffit donc d’observer comment les premières connoissances entrent
dans l’esprit des enfans, & comment les hommes faits en acquièrent
eux-mêmes.

L’expérience, contre laquelle on philosopheroit en vain, apprend que
nous n’apportons en naissant qu’une capacité vuide, qui se remplit
successivement ; que pour introduire des notions dans les esprits, il
n’y a d’autres passages ouverts, que la sensation & la réflexion.

Il paroît certain que l’homme ne commence à avoir des connoissances,
que lorsqu’il commence à faire usage de ses sens ; sa premiere
sensation est sa premiere connoissance.

Les enfans, non plus que les personnes avancées en âge, ne sont
capables de réflexions, qu’au moyen des idées acquises : les idées
abstraites supposent dans l’esprit, des connoissances avec lesquelles
elles puissent se lier ; on ne les appelle abstraites, que parce
qu’elles sont tirées des idées particulieres ; elles doivent par
conséquent en être précédées dans l’ordre de l’enseignement, comme
dans l’ordre de la nature. Vous ne feriez jamais comprendre que le
tout est plus grand que la partie à une personne qui n’auroit pas
auparavant une idée de la partie & du tout.

Ainsi le principe fondamental de toute bonne méthode, est de commencer
par ce qui est sensible, pour s’élever par degrés à ce qui est
intellectuel ; par ce qui est simple, pour parvenir à ce qui est
composé ; de s’assurer des faits avant de rechercher les causes.

Le plus sûr moyen d’instruire les autres, c’est de les conduire par la
route qu’on a dû suivre pour s’instruire soi-même : or chacun peut
connoître, par sa propre expérience, que les idées sont plus faciles à
proportion qu’elles sont moins abstraites & qu’elles se rapprochent
davantage des sens ; elles ont encore l’avantage d’être déterminées
par elles-mêmes : les notions abstraites au contraire sont vagues,
n’offrent rien de fixe à l’essprit, & l’objet du Philosophe doit être
de déterminer ses idées, & de les fixer.

C’est donc une regle invariable d’inculquer par des exemples sensibles
& réitérés, les connoissances particulieres dont les maximes générales
& les termes abstraits supposent les impressions.

« Si l’on saisissoit les progrès des connoissances, dit un homme qui
en a bien démêlé l’origine (l’Abbé de Condillac), elles se suivroient
dans un tel ordre, que ce que l’une ajouteroit à celle qui l’auroit
immédiatement précédée, seroit trop simple pour avoir besoin de
preuves. De la sorte on arriveroit aux plus compliquées, & de
celles-là on descendroit sans peine aux plus simples : à peine
pourroit-on les oublier, ou du moins si cela arrivoit, la liaison qui
seroit entre elles, donneroit la facilité de les retrouver.

Par ce moyen, continue cet Auteur, on paroîtroit plutôt trouver des
vérités nouvelles, que démontrer celles qui sont déjà trouvées. On ne
convaincroit pas seulement les jeunes gens, on les éclaireroit ; on
les mettroit en état de se rendre raison de tous leurs progrès, & d’en
faire par eux-mêmes ; ils sauroient toujours où ils sont, d’où ils
viennent, où ils vont ; ils pourroient juger par eux-mêmes de la route
que le guide leur traceroit, & en prendre une plus sûre, s’ils
trouvoient du danger à la suivre. »

On doit autant étudier pour se former que pour s’instruire. Comment
est-ce que les hommes se forment & qu’ils acquierent des
connoissances ? C’est en voyant différens objets ; c’est en écoutant
les gens instruits, en expérimentant, en réfléchissant : celui qui a
 plus vu, plus observé, plus réflechi, est le plus habile ; celui à
 qui on a montré de meilleurs modeles, a le goût le plus sûr ; c’est
 l’avantage que certains enfans ont sur d’autres : il a passé sous
 leurs yeux un plus grand nombre d’objets ; il y a plus de choix dans
 ceux qu’on leur a montrés ; ils ont de meilleurs modeles, plus
 d’idées exemplaires. Un homme qui n’auroit vu que des tableaux de
 Raphaël & du Titien, ne se contenteroit pas de peintres médiocres.

Il s’ensuit de ces observations, que toute méthode qui commence par
des idées abstraites, n’est pas faite pour les enfans, & qu’elle est
contraire à la nature de l’esprit humain : cette seule réflexion
bannit les abstractions de tous les Livres élémentaires de Grammaire,
de Rhétorique, de Philosophie & de Religion.

Il s’agit de bâtir une maison, on doit d’abord amasser des matériaux :
il s’agit d’élever l’édifice des connoissances humaines, il faut avoir
les idées particulieres qui composent cet édifice ; les faits, les
observations, les expériences en sont le fondement : c’est donc à les
assembler, à se rendre ces objets familiers, qu’on doit s’appliquer
dans les commencemens.

Que les enfans voient beaucoup d’objets, qu’on les varie, qu’on les
montre sous plusieurs faces & à diverses reprises ; on ne peut trop
remplir leur mémoire & leur imagination de faits & d’idées utiles,
dont ils puissent faire usage dans le cours de la vie.* « La variété
plaît sur-tout à cet âge, dit l’Abbé Fleury ; les enfans étudient puis
volontiers deux heures durant, quatre matieres différentes, qu’une
seule pendant une heure. Une étude sert de divertissement à l’autre ;
& plus elles sont diverses, moins il est à craindre qu’elles se
confondent. » Un autre grand Maître dans l’art d’enseigner
(s’Gravesande) dit dans le chapitre 30 de sa Logique, « que ceux qui
ont pris l’habitude de ne considérer qu’une sorte d’idées, quelque
habileté qu’ils puissent y avoir acquise, raisonnent presque toujours
mal sur d’autres objets ». Il ajoute, que pour « acquérir de la
flexibilité dans l’esprit & de l’étendue, il faut s’être appliqué à
plusieurs choses différentes entre elles. »

* Segnius irritant animos demissa per aures Quam quæ sunt oculis
subjecta fidelibus...


Tout ce qu’on doit savoir, n’est pas contenu dans les Livres : il y a
mille choses dont on peut s’instruire par la conversation, par l’usage
et la pratique ; mais il n’y a que des esprits déjà un peu formés, qui
puissent profiter de cette instruction. L’homme est fait pour agir, &
il n’étudie que pour s’en rendre capable. L’esprit d’étude dans le
monde, seroit opposé à celui d’affaires ; mais on entendra mal les
affaires, si on n’a pas étudié. L’important est d’acquérir les grands
principes des connoissances les plus ordinaires : l’expérience, qui
est la meilleure leçon, achèvera le reste. Si l’on n’a pas ces
principes, le seul conseil que l’on puisse prendre, c’est de suspendre
son jugement : de tous les préceptes de la Philosophie, c’est le plus
universel.

L’étude doit être l’occupation de la jeunesse, & le délassement du
reste de la vie pour remplir utilement les intervalles de l’action.

Le premier âge n’est pas la saison des récoltes, c’est le tems de
semer & de faire des provisions : l’objet des études n’est pas que les
jeunes gens, au sortir de la premiere éducation, possedent les idées
formées de toutes les Sciences : ce seroit un projet chimérique, un
beau rêve ; mais il se peut faire aisément qu’ils aient une teinture
des principales, qu’ils aient acquis un grand nombre de matériaux de
connoissances, & qu’ils aient l’art d’en acquérir ; art inestimable, &
peut-être supérieur aux connoissances mêmes.

Presque toute notre Philosophie & notre éducation ne roulent que sur
des mots ; ce sont les choses même qu’il importe de connoître.
Revenons au vrai & au réel ; car en soi la vérité n’est autre chose
que ce qui est, ce qui existe, & dans notre esprit ce n’est que la
connoissance des choses existantes.

Ce but est certainement plus juste, & le chemin pour y arriver, est
plus droit que le chemin tortueux par lequel les jeunes gens
n’arrivent qu’à la connoissance de mots ou d’abstractions.

Le moyen pour réussir, est d’exciter leur curiosité, d’aider l’esprit
& le génie, de donner du ressort à leur ame : c’est ce que l’on ne
fera jamais par des études abstraites, seches & ennuyeuses. Que ce que
vous leur présentez soit agréable ; piquez leur curiosité ; flattez
leur amour propre ; entretenez-les dans la gaieté qui est naturelle à
cet âge, & ne joignez pas aux études, l’idée de labeur & de peine ;
parmi les connaissances choisissez celles dont on peut tirer plus de
conséquences utiles, qui ont plus de rapport à l’usage de la vie
civile, aux mœurs & à la vertu ; celles qui élèvent l’ame & l’esprit :
préférez les opérations qui ont plusieurs utilités à la fois ; répétez
& approfondissez les mêmes dans toute la suite de l’éducation, de
sorte que depuis le commencement jusqu’à la fin ce ne soient que les
mêmes vérités, les mêmes choses plus développées.

L’expérience fait voir qu’on oublie, au sortir du College, presque
tout ce qu’on y a appris. Pourquoi ? C’est que les connoissances qu’on
y a acquises ne sont point liées avec les notions communes ; c’est que
l’on ne retient bien que ce qui a été souvent répété, & qu’il n’y a
que la répétition des mêmes idées qui puisse former des traces assez
fortes pour les conserver long-tems. L’expérience fait voir également
qu’on n’oublie jamais ce qui est gravé pendant l’enfance dans les
fibres délicates du cerveau, par des actes fréquens & réitérés. Il n’y
a point d’enfant qui ait oublié à jouer aux cartes.

C’est sur ces principes simples qu’est fondé le Plan que je propose.
Toute bonne méthode doit porter sur la nature de l’esprit humain & sur
des faits incontestables. Un Plan court peut contenir plus de choses
qu’un Plan allongé : ce qu’il y a de plus long, c’est l’Histoire ;
encore pourroit-on y faire beaucoup de retranchemens. Toutes les
sciences nécessaires à chaque homme peuvent être resserrées en peu de
volumes.

Une précaution nécessaire, c’est que l’on ne rejette pas, comme on
fait, toute la peine & tout le travail sur les enfans ; c’est en quoi
l’usage des Colleges est le plus vicieux, parce qu’il y a un trop
grand nombre d’Eleves dans une seule classe. C’est aux Maîtres à faire
travailler les enfans, mais ils doivent se charger de ce qu’il y a de
plus pénible ; & l’Etat doit soulager les Maîtres, autant qu’il est
possible, en faisant composer par des gens habiles des Livres
élémentaires & classiques.


De l’Education du premier âge, jusqu’à environ dix ans.

Les enfans n’ont point d’expérience, parce qu’ils n’ont rien vu ; ils
n’ont point d’attention, parce que la foiblesse de leurs organes ne
résisteroit pas à une tension soutenue sur le même objet ; ils n’ont
pas de jugement, parce qu’ils n’ont ni assez de matériaux dans
l’esprit pour les comparer, ni assez d’exercice & de force pour saisir
les détails sans lesquels toute comparaison manque de justesse. Ils
ont des sens qui sont les portes des connoissances ; de la mémoire qui
leur rappelle les choses absentes qu’ils ont vues ; ils ont de plus la
faculté de réfléchir sur leurs sensations, sur le sentiment intérieur
qui ne les abandonne jamais, non plus que les autres hommes, & sur les
représentations des uns & des autres, c’est-à-dire, sur leurs idées.

Il ne s’agit que d’employer ces facultés pour fixer leur attention,
pour perfectionner leur jugement, & leur procurer l’expérience qui
manque à cet âge.

J’avoue qu’après l’effort inconcevable qu’ont fait les enfans pour
apprendre à parler, ce qui me paroît le plus difficile dans toute
l’éducation, c’est de leur apprendre à lire. J’ai peine à comprendre
comment on y parvient, sur-tout par la méthode qu’on emploie pour les
instruire. Si l’on fait attention aux différentes combinaisons, à la
multiplicité des opérations que cette étude exige, à la quantité de
sons inutiles ou impropres qu’on leur fait articuler : on conviendra
que ce n’est pas une chose aisée, quoiqu’elle soit commune, & qu’il
faut nécessairement ou que ce soit presque l’effet d’une routine
méchanique, ou que leur esprit soit déjà capable d’une infinité de
combinaisons, lorsqu’il s’applique à des objets sensibles.

Ce qui porteroit à supposer cette capacité dans les enfans, c’est le
peu d’effort avec lequel ils apprennent des jeux qui exigent des
combinaisons assez fines. Mais d’un autre côté on peut demander si
cette facilité ne viendroit pas plutôt de ce qu’ils ont les idées
particulieres de la chose qu’ils font, & qu’ils font avec plaisir.

Je remarque que tout ce que fait la nature, quelque compliqué qu’il
soit, elle le fait aisément ; dès que l’art survient, la difficulté
naît ; l’art est long & pénible. Apprendre à parler, apprendre une
langue par l’usage, cela se fait naturellement & facilement :
apprendre à lire, apprendre une langue par regles & par art, c’est
l’occupation de plusieurs années.

Ainsi ce seroit une matiere digne de la recherche des bons Citoyens &
de l’attention des Gouvernemens que de fixer une fois la méthode la
plus simple d’enseigner à lire & d’enseigner les langues. Ce seroit
épargner beaucoup de peine aux enfans, d’embarras aux peres & aux
maîtres ; ce serait ménager bien du temps pour l’acquisition des
connoissances réelles. Je crois, d’après plusieurs expériences
réitérées, que le Bureau Typographique est sans comparaison ce qu’il y
a de mieux pour la lecture.

Mais je suppose qu’un enfant sache déjà lire & écrire ; qu’il sache
même dessiner, ce que je regarde comme nécessaire, je dis que les
premiers objets dont on doit l’occuper depuis cinq ou six ans jusqu’à
dix, sont l’Histoire, la Géographie, l’Histoire naturelle, des
Récréations physiques & mathématiques ; connoissances qui sont à sa
portée parce qu’elles tombent sous les sens, parce qu’elles sont les
plus agréables, & par conséquent les plus propices à occuper
l’enfance. S’il est vrai que ces objets soient la base & les matériaux
de nos idées, le fondement de la vie civile, de toutes les sciences &
de tous les arts sans exception, il est évident que c’est par-là qu’on
doit commencer l’instruction.


De l’Histoire.*

* M. Rousseau exclut les histoires de l’instruction des enfans.


Est-il nécessaire de dire ici que les Histoires sont à la portée des
enfans, & de prouver dans le dix-huitième siecle une vérité connue il
y a deux mille ans. Mais l’esprit de paradoxe sait tout réduire en
problême : sous prétexte de procurer aux enfans une expérience qui
leur soit propre, on prétend les priver du secours de l’expérience
d’autrui, comme s’il étoit impossible d’allier l’une avec l’autre.

On veut qu’ils n’aient pas d’autre école que le monde ; & on leur
défend de voir le monde : on veut qu’ils n’apprennent leur chemin,
qu’en s’égarant.

Le mal qu’il y a dans ces instructions, n’est pas qu’elles soient
toutes fausses ; c’est au contraire dans le mêlange du vrai, que
réside l’inconvénient.

Personne ne peut nier ce principe incontestable, & qui n’est pas
nouveau, c’est que la premiere instruction doit commencer par les
choses sensibles, par des faits, par ce que l’on voit, ce que l’on
touche, ce que l’on pese, ce que l’on mesure, ce que l’on dépeint, ce
que l’on décrit.

Ce sont les faits de la nature, ceux de l’art & ceux des hommes : je
parlerai dans un moment des premiers ; je n’envisage maintenant que
les faits des hommes, ou ceux de l’Histoire. Le spectacle de ce qui
s’est passé dans le monde, n’est autre, à la rigueur, que la
représentation de ce qui se passe tous les jours dans la place
publique ; les enfans peuvent voir l’un aussi bien que l’autre, si
l’on sait diriger leur vue : & il n’est pas besoin d’une plus grande
contention d’esprit. On sait qu’ils aiment avec passion les Contes &
les Histoires ; pourquoi les sévrer entierement d’un plaisir auquel
ils sont si sensibles ?

On ne sait que mettre entre les mains des peres, des meres, des
gouvernantes, pour les instruire à un certain âge, ou pour ne les pas
gâter : on leur lit des Contes de Fées ; on leur en fait d’effrayans
qui ont quelquefois des suites pour toute la vie : pourquoi ne pas
chercher à les instruire en les amusant ? Si la plupart des Histoires
sont au-dessus de leur capacité, est-ce une raison pour ne les pas
mettre à leur portée ? Ce seroit la faute des Ecrivains. L’enfant qui
entendra le Petit Poucet, la Barbe bleue, peut entendre l’Histoire de
Romulus & de Clovis. Ils savent, aussi bien que les hommes avancés en
âge, qu’on ne doit faire de mal à personne ; qu’on n’en doit pas faire
au public qui est composé de plusieurs personnes ; que les méchans,
c’est-à-dire, ceux qui font du mal, sont dignes de l’exécration
publique. Ces maximes toutes simples suffisent pour entendre presque
toutes les Histoires & pour en juger.

Une autre raison décisive pour en occuper les enfans, est que si on
les laisse jusqu’à un certain âge sans en entendre parler, ils ne
pourront plus dans la suite en apprendre, ni en retenir aucune : la
chose deviendroit physiquement impossible. Ils se trouveroient à
l’égard de toute Histoire, dans le cas où nous sommes par rapport à
celles de la Chine & du Japon, qu’on a tant de peine à imprimer dans
la mémoire, parce que les noms des hommes, des villes, des fleuves
n’ont jamais frappé nos oreilles. Ils se trouveroient dans le cas où
sont la plupart des femmes qui se plaignent de leur mémoire, parce
qu’ayant peu lu dans l’enfance, les traces que font des objets tous
nouveaux, s’effacent presque dans l’instant. Qu’on essaie de faire
retenir à un jeune homme de la campagne, la suite des Rois depuis
François I, & l’on verra ce que l’on doit penser de la proposition que
je combats.

Il faut donc se résoudre à lire de l’Histoire aux enfans, ou à la
leur laisser ignorer pendant toute la vie. Il y a même des contes &
des récits d’aventures fabuleuses, je ne les exclurois pas, s’ils ne
donnoient pas des idées d’êtres ou de vertus imaginaires. Les Romans
nuisent en ce qu’ils ne décrivent que les foiblesses de l’humanité, ou
en ce qu’ils peignent les hommes tels qu’ils ne sont pas. On verroit
mal, si les yeux étoient faits comme des Microscopes. Ces narrations
fausses augmentent, diminuent, ou affoiblissent la nature. Presque
tous les tableaux de Roman ne sont point de grandeur naturelle.

Mais laissons les paradoxes métaphysiques, & ne craignons point de
leur préférer des maximes enseignées par tous les Philosophes de
l’univers, adoptées par tous les hommes d’Etat, & consacrées par la
pratique de toutes les Nations policées ; tâchons seulement de rendre
les Histoires utiles aux enfans, & d’indiquer ce qu’elles doivent
contenir.

Je voudrois que l’on composât, pour leur usage, des Histoires de
toutes Nations, de tout siecle, & sur-tout des siecles derniers ; que
celles-ci fussent plus détaillées ; que même on les leur fît lire
avant celles des siecles plus reculés ; qu’on écrivît des vies
d’Hommes illustres dans tous les genres, dans toutes les conditions &
dans toutes les professions ; de Héros, de Savans, de femmes &
d’enfans célebres, &c. qu’on leur fît des peintures vives des grands
événemens, des exemples mémorables de vice ou de vertu, de malheur ou
de prospérité, &c.

Il faudroit que l’instruction fût toute faite dans ces livres ; qu’on
n’y laissât presque rien à ajouter au Maître, & qu’il n’eût, pour
ainsi dire, qu’à lire & à interroger. Je desirerois qu’à la suite de
chaque Histoire, on plaçât des questions pour voir ce que l’enfant
auroit retenu, pour le redresser, s’il avoit mal entendu, ou s’il ne
s’était pas attaché au plus essentiel.

C’est la méthode du judicieux Abbé Fleury, dans son Catéchisme
historique : il en prouve l’utilité dans une Préface très-philosophique,
qu’on lit peu, parce qu’on ne lit gueres les Préfaces, & sur-tout celle
d’un Catéchisme.

Ces Livres & ces Histoires serviroient en même-tems à former le coeur
& l’esprit des enfans, & on pourroit y faire entrer une morale*
entiere à leur portée, non en établissant, par des principes
abstraits, les regles du juste & de l’injuste ; mais en excitant ce
sentiment qui est assez vif chez eux, & qui le seroit également chez
tous les hommes, s’il n’étoit pas étouffé par le préjugé & par
l’intérêt.

* On peut faire ensorte, comme dit Nicole, qu’ils sachent toute la
morale, sans savoir presque qu’il y a une morale, ni qu’on ait eu
dessein de les en instruire ; ensorte que lorsqu’ils l’apprendront
dans le cours de leurs études, ils s’étonnent de savoir par avance
beaucoup plus qu’on n’y enseigne.


On pourroit ainsi les accoutumer de bonne heure à juger les hommes &
les actions : on leur inspireroit l’humanité, la générosité, la
bienfaisance, soit par l’éloge des hommes généreux & bienséance, soit
par la comparaison des grands exemples, de vertus ou de vices, de
Ciceron & de Catilina, de Neron & de Titus, de Sully & du Maréchal
d’Ancre. Des questions simples & des réponses courtes indiqueroient le
chemin ; leur esprit s’ouvriroit insensiblement, & se formeroit sans
effort à goûter ce qui est bien, & à détester ce qui est mal : ils
apprendroient par leurs exemples même, & par les jugemens qu’on leur
feroit porter sur leurs querelles particulieres, sur leurs actions,
qu’il ne faut pas faire à autrui ce qu’on ne voudroit pas qui nous fût
fait ; que l’on n’est véritablement grand que pour le bien que l’on
fait aux hommes ; & qu’il faut faire à autrui tout le bien que l’on
peut faire.

La morale des enfans, & même celle des hommes faits, se réduit presque
à ces deux points.*

* On trouvera sur les vertus morales & politiques, des choses
excellentes dans l’Abbé Fleury, choix des études ; dans la Cyropédie
de Xénophon, dans Plutarque, dans les ouvrages de l’Abbé de
Saint-Pierre, dans Nicole, dans Locke, éducation des enfans, dans
le Sethos de l’Abbé Terrasson, qui n’a pas trop réussi, quoiqu’il y
ait des choses admirables pour la morale, parce qu’il n’y a que du
jugement, de la physique & de l’érudition, & qu’il faut de
l’imagination pour faire un Roman.


Combien l’émulation des enfans ne seroit-elle pas excitée par la
lecture des vies d’enfans célebres ? Il est étonnant que depuis
Baillet, qui en a fait un Livre exprès, on n’ait pas suivi cette idée
pour leur inspirer l’amour si précieux de la distinction.

On a dit qu’il falloit préférer dans les études celles qui sont plus
utiles, celles dont on peut tirer plus de conséquences pour les
mœurs, pour la conduite de la vie, pour les affaires publiques &
particulieres : or il n’est pas douteux que les Histoires modernes
renferment à cet égard plus d’utilités que les Histoires anciennes ;
celles de l’Europe, plus que les Histoires de l’Egypte & de la Chine ;
les Histoires du pays, plus que les étrangeres : c’est l’avis du savant
Grotius qui avoit employé un temps considérable à l’étude de
l’antiquité*, & c’est celui de tous les gens sensés.

* In universum non incipere ab antiquissimis, sed ab his quæ nostris
temporibus nostræque notitiæ propiùs cohærent, ac paulatim deinde in
remotiora eniti, magis è re arbitror. Ep. Hug. Grotii ad Maurerium.


Un homme, de goût pourroit extraire des Livres des Antiquités
Egyptiennes, Grecques, Etrusques & Romaines, des Monumens de la
Monarchie Françoise, du Livre des Cérémonies religieuses, des Livres
de Médailles, de ceux qui traitent des mœurs des Nations en général &
en particulier, du Dictionnaire de la Bible, tout ce qui mériteroit
d’être retenu : on montreroit le plan des Villes célebres, des Ports,
des plus beaux édifices ; quelques ouvrages des meilleurs Peintres, si
cela étoit possible ; des estampes : enfin on recueilleroit parmi les
monumens anciens & modernes, ce qu’il y a de plus curieux ; on pourroit
y joindre une description très-simple.

Ces Histoires & ces Recueils, pour être utiles, devroient être
composés par des Philosophes. Ce n’est pas rabaisser la Philosophie,
que de lui faire parler le langage des enfans ; c’est en faire l’usage
le plus digne d’elle : & à quoi est-elle bonne, si ce n’est à former le
jugement de tous les âges ?

Plus il y auroit de volumes d’Histoires bien faites, plus la société &
les familles seroient instruites, plus les études seroient préparées ;
elles serviroient aux meres, aux enfans & à toutes les générations.
Duché en fit pour Saint-Cyr, dans le siecle dernier ; l’Abbé de
Choisy, pour Madame la Duchesse de Bourgogne : elles sont agréables ;
mais ces Ecrivains, comme plusieurs du siecle passé, avoient peu de
philosophie dans la tête.

Je suppose donc quelques volumes de pareilles Histoires composées par
des Philosophes.

On les feroit lire aux enfans, pour apprendre à bien lire.

Ils répondroient aux questions qui y seroient contenues, & par-là ils
s’accoutumeroient à juger.

On leur feroit raconter ces mêmes Histoires, pour leur apprendre à
parler.

Ce ne sont-là que les matériaux de l’Histoire : on réserveroit pour le
second âge l’arrangement des faits par la Chronologie, la suite des
Empires, les principes qui servent de fondement à la certitude
historique, & les usages innombrables de l’Histoire.


De la Géographie.

La Géographie ne doit jamais être séparée de l’Histoire : c’est
l’affaire des yeux & de la mémoire, & par conséquent une étude faite
pour les enfans. Mais il faudroit une Géographie à leur portée, qui
sans entrer dans un détail sec & ennuyeux (comme la Géographie de
Lenglet), les fît voyager agréablement dans les différentes contrées,
remarquant ce qu’il y a de principal & de curieux, les faits les plus
frappans, la patrie des grands hommes, les batailles célebres, tout ce
qu’il y a de plus remarquable, soit pour les mœurs & les coutumes,
soit pour les productions naturelles, pour les arts ou pour le
commerce.

On se serviroit du Recueil des voyages & de tous les Livres qui ont
été faits jusqu’ici : ce travail ne seroit ni long, ni pénible.

Lorsque les enfans seroient plus avancés, on leur feroit faire un
second & un troisieme voyage de Géographie historique, politique,
physique & mathématique, comme on le dira dans la suite.


De l’Histoire naturelle & des Récréations physiques & mathématiques.

Une autre étude spécialement propre aux enfans, est l’Histoire
naturelle & les Récréations physiques & mathématiques.

L’Histoire naturelle ne demande à cet âge que des yeux, de l’exercice
& de la mémoire : c’est une des plus utiles connoissances qu’ils
puissent acquérir, étant un des fondemens de l’Economie, de la
Médecine, du Commerce & de la politique même ; elle est aussi une des
plus agréables, & des plus faciles.

Il ne s’agit point encore de raisonner ni de découvrir des rapports &
des causes : il ne faut à cet âge que voir beaucoup & revoir souvent,
comme l’a dit un grand Maître. Qu’ils voient sans dessein, même sans
explication les productions diverses, les échantillons de tout ce qui
compose la terre : on doit les familiariser avec tous ces objets, dont
le commun des hommes jouit sans les connoître, & qui se trouvent si
souvent dans l’usage de la vie.

Le principal est de montrer d’abord les différens objets, de
l’Histoire naturelle, tels qu’ils paroissent aux yeux ; la figure,
avec une description précise & exacte, suffit. On pourroit rendre les
descriptions moins seches & plus agréables, en y mêlant quelques faits,
de la vie & des mœurs des animaux, de la culture & de l’usage des
plantes, de la propriété & de l’emploi des minéraux : mais dans cette
partie, on doit être sobre, éviter le trop grand détail, & sur-tout
écarter le fabuleux, que les Naturalises y ont mêlé trop souvent.

Pour les conduire d’abord dans cette immensité d’objets, il ne doit
point être question de méthodes savantes, qui ne serviroient qu’à
apporter de la confusion : il suffit de s’en tenir à cette premiere &
grande division des trois regnes, l’animal, le végétal & le minéral.

Pour les détailler, on suivra la maxime déjà posée plusieurs fois, de
s’attacher aux objets qui ont plus de rapport avec nous, qui sont les
plus nécessaires & les plus utiles.

On donnera la préférence aux animaux domestiques sur les sauvages, aux
animaux du pays sur les étrangers.

Dans les plantes, on préférera celles qui servent pour les alimens &
pour les remedes. Les enfans parviendroient insensiblement à
distinguer les parties d’un animal, des oiseaux, des poissons, des
insectes ; à savoir comment tous ces corps vivans croissent, se
nourrissent & se conservent : mais il seroit essentiel que
l’instruction n’allât point alors au-delà de ce dont ils pourroient
juger par la vue & par le tact.

Il en seroit de même pour les fossiles, les minéraux, les métaux, les
pierres & les différentes substances que la terre renferme.

On les montrera de suite, la figure d’un côté, & la description de
l’autre : quand on pourra y joindre les objets mêmes, l’image sera plus
nette & plus vive, l’impression plus durable. S’ils sont présentés
avec ordre aux enfans, ils se placeront naturellement dans leur tête,
suivant l’ordre même dans lequel ils en auront acquis la connoissance.
On leur nommera en même tems les Hommes fameux, tant anciens que
modernes, qui ont fait des découvertes dans les Sciences relatives à
ces objets, & qui, par des travaux souvent immenses, les ont
perfectionnées. Rendre un juste hommage aux talens, c’est faire
honneur à l’humanité ; ce seroit inspirer aux enfans de la vénération
pour les bienfaiteurs des Nations ; une louable curiosité s’empareroit
de leurs esprits ; peut-être feroit-elle naître un jour l’émulation
d’égaler & de surpasser ceux qui leur auroient d’abord servi de
guides.

Ce spectacle, quoiqu’ébauché, leur élevera l’ame, & fera croître leurs
idées. Il viendra un tems où, après avoir vu & revu plusieurs fois les
objets, ils commenceront à se les représenter en gros, & à s’en faire
eux-mêmes des divisions : le goût de la Science naîtra, & il pourra
être aidé alors par des méthodes & par des réflexions ; mais il faut
toujours commencer par des faits & par des descriptions qui sont
elles-mêmes des faits. Le Dessein serviroit à tous ces usages, parce
que les enfans se font un plaisir de copier ce qu’ils voient.


Des Observations physiques, astronomiques ; des Expériences & des
Méchaniques.

Sous le titre de Récréations physiques, je comprends les observations,
les expériences, les faits de la nature les plus simples, les plus
frappans, & les plus faciles à retenir.

Je dois prévenir ici une objection facile à faire, & plus facile
encore à tourner en plaisanterie. On dira peut-être que pour faciliter
l’étude à des enfans, je veux qu’ils apprennent l’Histoire naturelle,
la Physique, les Arts & l’Astronomie.

Je réponds que l’objection ne pourroit être faite que par des
personnes qui n’auroient aucune teinture de ces sciences ; elle seroit
fondée, si je prétendois qu’on formât à cet âge des Physiciens, des
Astronomes & des Méchaniciens ; mais ce n’est pas ce que je propose ;
je prends pour exemple l’Histoire naturelle, & je dis pour apprendre
cette science, il faut d’abord distinguer les objets, les appeller par
leur nom, les reconnoître par la forme, la grandeur, le poids, les
couleurs, &c.

C’est-là une premiere opération nécessaire, mais qui ne suffit pas
pour former un Naturaliste.

Pour posséder cette science, il faut non-seulement connoître les
qualités sensibles, mais tout ce qui a rapport à la naissance, à la
production, à l’accroissement, au développement, aux usages de chaque
objet en particulier, son histoire raisonnée, en un mot tout ce que
des doctes Académiciens rassemblent dans leur savante Histoire
naturelle.

Il en est à peu près de même dans les Arts, dans la Physique, dans
l’Astronomie, &c.

Je conviens que des enfans ne sont point en état de comprendre les
secondes opérations, ni les raisonnemens qu’elles exigent ; mais je
soutiens que toute personne qui a des sens, est capable des premieres,
puisqu’elles ne consistent qu’à distinguer les objets & leurs
différentes parties, à les peser, à les mesurer, à remarquer leurs
couleurs, à dessiner leurs contours : tout ce qui ne demande que des
yeux, des mains & un très-simple calcul, n’est point au-dessus de la
portée de l’âge le plus tendre.

On ne prétend point démontrer à des enfans la divisibilité de la
matiere à l’infini ; mais un enfant de sept ans peut appercevoir qu’un
grain de carmin teint sensiblement dix pintes d’eau, & que par
conséquent il peut être divisé en autant de particules, qu’il y a de
petites gouttes de liqueur.

Qu’un grain d’or mis en feuilles, peut couvrir une surface de 50
pouces quarrés ; que chaque feuille d’un pouce quarré, peut se couper
en deux cens petites bandes, & chaque petite bande en deux cens plus
petites ; de sorte que chaque feuille ainsi divisée, contient des
parties presque innombrables.

Qu’une feuille d’or couvrant un cylindre d’argent, peut être applatie,
alongée & mise en un fil de 444 lieues. On découvre dans les liqueurs,
des animaux qu’on démontre géométriquement être 27 millions plus
petits qu’un ciron ; ces animaux ont des veines, des muscles, &c. &,
ce qui est plus petit encore, des liqueurs qui y circulent & qui en
entretiennent le jeu. (Hist. de l’Acad. des Sciences, 1718, p. 9.)

On ne demande pas que la Méchanique soit enseignée aux enfans ; mais
on ne sauroit les accoutumer de trop bonne heure à voir les machines
simples qui produisent & facilitent le mouvement, à remarquer les
effets sensibles du levier, des roues, des poulies, de la vis, du coin
& des balances.

Les femmes considerent des ciseaux par leur matiere & comme un bijou ;
les ouvrieres, comme un outil pour couper : y auroit-il de
l’inconvénient que l’on fît considérer cet instrument aux enfans,
comme étant composé de deux leviers réunis par un clou qui leur sert
de point d’appui, & les deux branches tranchantes en dedans, comme
deux coins propres à diviser, lorsqu’ils éprouvent l’action des
leviers ?

Qu’on leur fît remarquer que plus le point d’appui est éloigné de la
puissance qui donne le mouvement, plus la force est grande, &c.

Il y a un livre assez imparfait, intitulé, Description abrégée des
principaux Arts & Métiers, & des instrumens qui leur sont propres, le
tout détaillé par figures. L’académie fait imprimer la description des
Arts : c’est un des plus beaux monumens que la génération présente
puisse laisser à la postérité.

Est-il au-dessus de la portée des enfans, de feuilleter ces Livres,
d’en dessiner quelques figures ? Seroit-il impossible d’avoir dans un
College une salle où l’on mît des modeles de machines en bois ou en
fer ? S’il y avoit dans cette salle des armoires garnies, de quelques
morceaux d’Histoire naturelle, ne demanderoient-ils pas avec
empressement à les voir ! Ils se promeneroient, ils agiroient &
acquerroient en même temps des connoissances.

On ne prétend point apprendre l’Astronomie à des enfans ; mais
seroit-il inutile de leur dire, par exemple, que le soleil est à
environ 34 ou 35 millions de lieues de la terre ; qu’il faudrait
vingt-cinq ans à un boulet de canon pour y parvenir ?

Que le diametre du cercle que nous parcourons en un an autour du
soleil est double, ou de 70 millions de lieues.

Que l’éloignement des étoiles est incomparablement plus grand.

Qu’en supposant égale au Soleil l’étoile Sirius, l’une des plus
grandes, des plus éclatantes, & vraisemblablement la plus proche, il
faudroit à un boulet de canon, pour y parvenir, 27 à 28 millions de
fois 25 ans.

Que l’on compte avec les yeux un peu plus de 1022 étoiles ; mais
qu’avec le télescope on en découvre dix & vingt fois davantage, dont
chacune est vraisemblablement aussi éloignée de l’autre, que le Sirius
l’est de nous.

Que la terre dans son mouvement journalier autour du Soleil, fait plus
de six cens mille lieues en une heure, quatre cens seize en une minute ;
qu’un boulet de canon ne pourroit faire que deux mille six cens
lieues en vingt-quatre heures ; qu’ainsi la terre va cent cinquante
fois plus vite qu’un boulet de canon.

Encore une fois je demande s’il y auroit de l’inconvénient à frapper
d’admiration & d’étonnement l’esprit des enfans par ces infiniment
grands & ces infiniment petits.

Quelle idée n’en résulteroit-il pas de l’Etre qui a produit toutes
choses ? & faudroit-il leur demander, à quelque âge qu’ils fussent
parvenus, Quis est qui creavit hæc ?

Seroit-il nécessaire après ces connoissances inculquées de loin, de
les préparer à comprendre la pesanteur de l’air, son ressort, tous les
phénomènes que la Physique décrit, & tous ceux que la Chymie découvre ?
Y auroit-il du danger à leur montrer que la viande où les mouches
déposent leurs œufs, se charge de vers ; & que celles où elles n’en
déposent pas, ne s’en charge point ?

Ce fait, dont les yeux sont témoins, ne les conduiroit-il pas à penser
que tout est organisé & a son germe ? N’en concluroient-ils pas
naturellement qu’un champignon est l’ouvrage de la Sagesse de Dieu,
ainsi que le monde ?

Y a-t-ii dans les Livres d’Exercices spirituels des réflexions plus
pieuses que celles qui résultent de ces observations & de ces
expériences ?

Il seroit à desirer que les enfans fussent de bonne heure
familiarisés avec des globes, des Cartes, des Sphères, des
Termometres, des Barometres ; qu’ils eussent des étuis de Mathématique ;
qu’ils sussent faire usage de la regle, du compas, quand ce ne
seroit que pour se procurer un divertissement ; qu’ils apprissent
qu’il y a un art de rapprocher les objets les plus éloignés,
d’appercevoir ceux qui leur semblent imperceptibles.

Ils verroient avec le microscope ce qu’ils ne soupçonnoient pas sur la
tête d’une mouche, & dans la barbe d’une plume. Ces instrumens
seroient de nouveaux organes qu’on ajouteroit à leurs yeux, & qui leur
feroient découvrir de nouveaux mondes : ils manieroient la machine
pneumatique, & tous ces instrumens inventés par le génie, & employés
par l’art pour dévoiler la nature : ils se réjouiroient avec des jeux
d’Optique qui leur mettraient sous les yeux les monumens des quatre
parties de l’Univers.

Ils verroient les phénomènes de l’Electricité qui embarrassent les
Philosophes, & qui étonnent tous les hommes.

On leur feroit connoître le plus grand nombre d’objets qu’il seroit
possible : enfin tout sera bon, pourvu que tout soit exact. Je ne
propose de leur apprendre que des faits, des faits dont les yeux
déposent à sept ans comme à trente : je demande si ce sont là des
études pénibles, ou si ce sont des récréations, utiles & agréables.

Je passe aux Mathématiques.


Des Mathématiques.

Le préjugé commun a attaché à ces Sciences l’idée d’une grande
difficulté pour les enfans : & par qui cette difficulté est-elle
exagérée ? Par des gens qui dès l’âge de six ans leur mettent en main
la Grammaire, c’est-à-dire, la Métaphysique du langage ; un tissu
d’idées abstraites, difficiles à saisir par elles-mêmes, & rendues
inintelligibles par la façon dont elles sont présentées.

La coutume qui régit la multitude, avoit renvoyé les Mathématiques à
la fin des études, pour en prendre une légère teinture bientôt
effacée. Les lumieres de ce siecle, l’exemple & l’autorité des gens
capables ont ramené à l’avis des Anciens, de Pythagore, de Platon, qui
vouloient que personne n’entrât aux Ecoles, sans être initié à la
Géométrie : Socrate conseilloit d’apprendre les Mathématiques dès l’âge
le plus tendre. Platon Rép. Dial 7. L’expérience & le raisonnement
prouvent que les enfans sont capables de s’appliquer à ces Sciences.

La Géométrie ne présente rien que de sensible & de palpable, rien dont
les sens ne rendent témoignage. Les Géometres mesurent ce qu’ils
voient, ce qu’ils touchent, ce qu’ils parcourent : les sens sont dans
un perpétuel exercice ; & lorsque les sens ne suffisent pas, la
mémoire vient au secours pour conserver le souvenir d’une premiere
vérité, d’une seconde, d’une troisieme, &c. Nulle science n’est plus
assortie à la curiosité des enfans, à leur caractere, à leur
tempérament, qui les porte à être presque toujours en mouvement : rien
ne flatte davantage l’amour-propre, que de croire inventer soi-même
les figures que l’on construit, ou les problêmes que l’on résout.

Je ne parle point de leur utilité par rapport aux besoins des hommes,
à la perfection de tous les Arts, aux secours qu’en tirent les
Sciences, & sur-tout la Physique ; le principal motif pour y appliquer
les enfans, c’est le grand avantage qu’elles ont de perfectionner
l’esprit.

La premiere qualité de l’homme, la plus nécessaire, celle qui s’étend
à toutes ses actions, à tous ses emplois, & qui étant jointe à la
droiture du cœur, qu’elle doit mettre en œuvre & conduire par sa
lumiere, fait toute sa perfection ; c’est la justesse de l’esprit.

Pour acquérir cette qualité, il ne suffit pas de savoir les regles qui
conduisent à la vérité ; il faut y joindre l’habitude de suivre ces
regles, & elle ne s’acquiert que par la pratique continuelle des actes
qui la produisent : or il est évident que par la méthode que l’on est
forcé de suivre dans l’étude des Mathématiques, on pratique
continuellement les actes qui forment cette habitude. Pour apprendre &
raisonner, il suffit de bien raisonner sans discontinuation, c’est ce
que l’on fait toujours & nécessairement dans les Mathématiques. Il est
très-possible & très-ordinaire de raisonner mal en Théologie, en
Politique ; cela est impossible en Arithmétique & en Géométrie si
l’on n’a pas l’esprit juste, la regle a de la justesse & de
l’intelligence pour celui qui la pratique.

Les Mathématiques accoutument à l’esprit de combinaison & de calcul ;
esprit si nécessaire dans l’usage de la vie ; elles donnent de
l’aptitude à lier les idées, & c’est peut-être la plus essentielle de
toutes les dispositions ; car on ne voit ordinairement dans tout le
reste de la vie, que comme on a vu dans les commencemens.

D’ailleurs qu’elle comparaison entre les idées claires des corps, de
la ligne, des angles qui frappent les sens, & les idées abstraites du
verbe, des déclinaisons & des conjugaisons, d’un accusatif, d’un
ablatif, d’un subjonctif, d’un infinitif, du que retranché, &c. La
Géométrie ne demande pas plus d’application que les jeux de Piquet &
de Quadrille.

C’est aux Mathématiciens à trouver une route qui n’est pas encore
assez frayée. On pourrait peut-être commencer par des récréations
mathématiques : mais celles d’Ozanam ne sont pas si claires que les
Elémens même, & ne sont pas si instructives.

M. Clairaut a donné des Elémens de Géométrie & d’Algebre dans l’ordre
que les inventeurs eussent pu suivre. Il a réuni les deux avantages
d’intéresser & d’éclairer les Commençans.

Telles sont les opérations que je propose pour le premier âge :
apprendre à lire, à écrire & à dessiner ; de la Danse, de la Musique
qui doivent entrer dans l’éducation de toutes les personnes au-dessus
du commun ; des Histoires & des vies d’Hommes illustres de tout Pays,
de tous siecles & de toute profession ; la Géographie ; des
Récréations Physiques & Mathématiques ; les Fables de la Fontaine,
qui, quoi qu’on en dise, ne doivent pas être retirées des mains des
enfans, mais qu’on doit leur faire toutes apprendre par cœur. Du
reste, des promenades, des courses, de la gaieté, des exercices; & je
ne propose même les études que comme des amusemens.


Education des Enfans depuis dix ans.

Vers l’âge de dix ans, il seroit tems de commencer le cours de
Littérature Françoise & Latine, ou d’Humanités, & on continueroit en
même tems les opérations du premier âge.

Je joins ensemble l’étude des Langues Françoise & Latine : Ciceron*
conseilloit à son fils de réunir l’étude du Grec & du Latin.

* Tamen ut ipse ad meam utilitatem semper cum Græcis Latina conjunxi ;
neque id in Philosophia solum, sed etiam in dicendi exercitatione feci :
idem tibi censeo faciendum ut par sis in utriusque generis oratione.
1. lib. Offici.


J’ajouterois pour ceux qui en auront le goût, l’étude du Grec qu’il
seroit très-utile de ne pas abandonner comme on a fait. Sans ces deux
Langues, il n’y a point de vraie ni de solide érudition. Je
conseillerois aussi l’Anglois devenu nécessaire pour les sciences, &
l’Allemand pour la guerre ; mais je ne parlerai point ici de ces deux
Langues.

On traite les Langues vivantes à peu près comme ses contemporains,
avec une forme d’indifférence & presque toujours désavantageusement :
ce sont les circonstances & le goût qui doivent décider du tems ; on
renvoye ordinairement cette étude aux années qui suivent l’éducation.

Dans toute institution il faut donner le pas à la Langue maternelle :
elle est la plus nécessaire dans tout le cours de la vie. Il est donc
déraisonnable de la négliger, sous prétexte qu’on l’apprendra toujours
assez bien par l’usage.

L’expérience apprend qu’on ne la sait jamais parfaitement si on ne
l’a pas étudiée ; & il est honteux que dans une éducation de France on
néglige la Littérature Françoise, comme si nous n’avions pas des
modeles dans notre Langue. Les Grecs & les Romains cultivoient la leur
préférablement aux Langues étrangeres. De cent étudians il n’y en a
pas cinquante à qui le Latin soit nécessaire, & à peine en
compteroit-on quatre ou cinq, à qui il puisse être utile, dans la
suite, de le parler & de l’écrire. Il n’y en a aucun qui puisse avoir
besoin de parler ou d’écrire en Grec, de faire des Vers Latins ou des
Vers Grecs : il est donc contre la raison de dresser un Plan
d’éducation générale pour ce petit nombre de personnes.

Les Langues demandent de l’application & du travail ; & quoiqu’elles
ne soient qu’une disposition à une étude plus solide, il faut s’y
attacher avec ardeur pendant les premieres années, & éviter le peu le
peu de conduite de la plupart de ceux qui s’appliquent aux
Belle-Lettres, & qui sont contraints d’apprendre toute leur vie à
parler & à écrire purement, parce qu’il n’y ont pas donné le tems
nécessaire dans les commencemens, ou qu’ils l’ont fait sans ordre &
sans principe. Mais il n’est pas inutile de fixer ce que j’entends par
Littérature : c’est ce que les Romains appelloient la Grammaire,
Grammatica. L’Abbé Gédouin dit que « l’on comprenoit à Rome sous ce
terme généralement tout ce qui concerne la Langue, c’est-à-dire,
non-seulement l’habitude de bien lire, une prononciation correcte, une
ortographe exacte, une diction pure & régulière, l’étymologie des
mots, les divers changemens arrivés à la Langue, l’usage ancien &
l’usage moderne, le bon & le mauvais usage, les différentes acceptions
des termes, mais encore la lecture & l’intelligence de tout ce qu’il y
avoit de bons écrits dans la Langue maternelle, soit en prose, soit en
vers. »

Telle étoit l’idée qu’on avoit à Rome & à Athenes des Maîtres de
Grammaire ou des Grammairiens, terme presque ignoble anjourd’hui, mais
qui étoit alors en honneur autant que la chose qu’il signifioit. Voilà
ce que les enfans venoient apprendre à leurs Ecoles, & ce qu’ils y
apprenoient en effet.

La Littérature Françoise & la Littérature Latine doivent marcher d’un
pas égal ; ainsi il seroit bon que les écoles du matin, par exemple,
fussent pour le François, & celles du soir pour le Latin, jusqu’à la
Philosophie qui doit, malgré le mauvais usage, être traitée en
François. Il se trouverait des enfans qui n’ayant besoin ni de Latin
ni de Grec, suivroient seulement celles de François : & je ne
regarderois pas comme un mal, que cet usage pût s’introduire.

Faut-il six ans pour apprendre deux Langues ? Deux ou trois années
d’Humanités suffisent ; une année de Rhétorique & deux de Philosophie.
On pourrait ajouter une Chaire de Physique expérimentale & de
Mathématiques. Peut-être seroit-il mieux de finir par la Rhétorique,
ou du moins de ne pas abandonner les Belles-Lettres pendant la
Philosophie.

Pour remplir les objets de la Littérature, il faut commencer par une
Grammaire générale & raisonnée, qui contienne les fondemens de l’art
de parler, qui donne une idée nette de toutes les parties du discours,
où l’on voie ce qui est commun à toutes les Langues, & les principales
différences qui s’y rencontrent.

On a une très-bonne Grammaire générale de Lancelot, avec les notes
d’un Académicien qui a autant de netteté & de justesse que de goût ;
il lui seroit plus aisé qu’à personne de la mettre à la portée des
enfans.

On doit compter pour un avantage considérable, d’apprendre tout par
principes : cette pratique rend l’esprit juste & accoutumeroit les
enfans à faire usage de leur raison dans les différentes fonctions de
la vie; ce qui doit être le but de toutes les études.

Après ce premier degré, auquel il ne faut pas s’arrêter trop
long-tems, parce que l’usage est le meilleur maître en matiere de
Langues, on doit passer à la lecture des Auteurs, & la premiere
opération seroit de faire faire aux enfans sur un Livre François
qu’ils entendent, la construction des phrases, suivant les notions de
la Grammaire générale qu’ils auroient apprise, & de la Grammaire
Françoise qu’ils apprendroient en même-temps.

Ce seroit-là leurs premières leçons ; les secondes seroient un abrégé
de Grammaire Latine qui en marqueroit les différences avec la
Grammaire Françoise; après quoi on les mettroit dans l’explication du
Latin* car je suppose avec les personnes instruites**, que c’est par
l’explication qu’il faut commencer & continuer l’étude des Langues.

* Par exemple, de Phedre, avec des chiffres qui marquent la
construction ; ou des Livres où il y ait une version interlinéaire. Ce
sont des méthodes très-utiles.

Faire d’abord la construction & des traductions littérales, au lieu de
thêmes, pour passer ensuite à des traductions plus correctes. Je
conseillerois le Selectæ è profanis Auctoribus Historiæ. C’est un
Livre agréable, instructif, utile aux enfans, & qu’il ne seroit pas
inutile aux hommes faits de lire.

Il ne paroit pas nécessaire d’avertir qu’on doit faire choix d’abord
des Auteurs les plus faciles, & ne lire que ceux qui ont écrit,
lorsque le Latin étoit dans sa plus grande pureté, c’est-à-dire un peu
avant, ou un peu après le siecle d’Auguste, Phedre, Térence, Saluste,
César, Ciceron, Virgile, Horace, Valere-Maxime. En tout genre, il ne
faut présenter que les meilleurs modeles.

Après une préparation de cinq ou six semaines, pour apprendre la
Grammaire & à chercher dans les Dictionnaires, on peut se mettre dans
la lecture de ces Auteurs & de ceux dont Chompré & Vaniere ont donné
des extraits, avec le Novitius qui est sans comparaison le meilleur des
Dictionnaires. On a le petit Danet Latin par racines, qui est un
ouvrage très-bien fait.

** Scaliger, Tanguy, le Fevre, M. Rollin, M. du Marsais, &c.


Il est naturel de penser que pour apprendre une Langue morte, on doit
imiter, autant qu’il est possible, la maniere dont les enfans
apprennent leur Langue maternelle, & celle que nous employons pour
apprendre les Langues étrangeres ; c’est l’usage, l’exercice &
l’habitude ; avec cette différence, qu’en apprenant une Langue
vivante, les idées des objets que l’on voit, se lient immédiatement
avec les noms qu’on entend prononcer ; au lieu qu’en étudiant une
Langue morte, la liaison des mots ne se fait qu’avec ceux de la langue
maternelle, & non avec les objets même : dans l’un, c’est le signe de
la chose; dans l’autre, c’est le signe du signe, ce qui cause une
double contention d’esprit.

Dans la seconde, ou même la troisieme année, il seroit tems, si l’on
veut, de joindre à l’explication & à la traduction des Auteurs Latins,
la méthode des thêmes. Il faut entendre avant de parler. On choisiroit
un Auteur bien traduit en François par un homme habile dans les deux
Langues, tels que Phedre, Terence, Saluste, quelques Livres de Ciceron :
on feroit traduire quelques morceaux choisis, on compareroit le
François avec celui du Traducteur. Quelque temps après l’enfant
mettrait la traduction en Latin que l’on corrigeroit sur le texte
original. Par-là le Disciple auroit Ciceron pour Maître de Latin, &
l’Abbé Mougaut, par exemple, pour Maître de François : ce serait le
moyen d’apprendre parfaitement les deux Langues.

Un Livre classique nécessaire seroit un recueil relatif à l’état
actuel de notre Langue, extrait des Remarques de Vaugelas, de
Bouhours, de Corneille, de Patru, Saint-Evremond, & tous ceux qui ont
écrit sur la Langue, avec les raisons de leurs décisions. Ce Recueil
seroit au moins aussi utile que les Particules de Turcelin, & seroit
d’un plus grand usage.

On commencerait par des Fables, par des Lettres, dont le discours est
moins figuré ; on auroit soin de parcourir tous les genres de
Littérature en vers et en prose, depuis l’Epigramme jusqu’à l’Epopée,
depuis les Lettres jusqu’au Discours public ; observant, autant qu’il
seroit possible, de joindre les Auteurs François & Latins, comme
Phedre & la Fontaine, Horace & Boileau, Homere & Virgile, avec le
Tasse & la Henriade, &c.

L’objet de cette étude, seroit d’inspirer aux jeunes gens le goût du
beau & du bon en chaque genre de Littérature, & celui des beautés
particulieres des Langues, sur-tout de la Langue Françoise.

Des Gens de Lettres ont prouvé qu’il est impossible de connoître
parfaitement les beautés d’une Langue morte ; mais s’il est difficile
d’appercevoir toutes les finesses de l’élocution de Demosthene, de
Ciceron, de Virgile, il est aisé de sentir les charmes de leur
éloquence, de reconnoître la maniere noble & grande dont ils
s’expliquent. On peut imiter les Auteurs sans parler leur Langue, & on
doit tâcher de traiter les matieres dans la sienne, de la même façon
qu’ils les traitoient dans la leur.

Ici il manque aux enfans un Livre de Préceptes qui les conduisent, &
dont ils fassent une continuelle application ; ou, pour mieux dire, ce
livre est fait, si les Maîtres sçavoient l’appliquer & le mettre à la
portée des enfans ; c’est le Cours des Belles-Lettres, de M. le
Batteux, où les regles sont si bien éclaircies par des exemples.


Ce que c’est que le goût, & quels sont les moyens de le former.

L’art de parler a été formé en observant ce qui persuadoit & ce qui
nuisoit à la persuasion : de ces observations on a formé un corps de
préceptes & de regles; mais les préceptes seuls ne donnent jamais le
goût : tous ensemble ne valent pas, pour instruire, un ouvrage de
génie ; & comme l’a remarqué un génie supérieur (M. de Voltaire) il y
a plus à apprendre dans Demosthene, dans Ciceron, dans Bossuet, que
dans toutes les Réthoriques : ce sont-là les Maîtres de l’art. Je
citerai parmi ces grands modeles l’Auteur même de cette réflexion,
quoiqu’il soit vivant. Quand il est question de Science & de
Littérature, il faut que la jalousie contemporaine se taise, & l’on
doit parler le langage de la postérité.

Les préceptes de tous les arts sont aisés & simples, ils sont pris
dans la nature & dans la raison ; l’important n’est pas de les
connoître, quoique ce soit quelque chose, mais d’en faire
l’application.

Le goût est un discernement prompt, vif, & délicat des beautés qui
doivent entrer dans un ouvrage ; il naît de la sagacité & de la
justesse de l’esprit, & par conséquent c’est un don de la nature ;
mais il se perfectionne par l’étude & par l’exercice : il apperçoit les
beautés & les défaut ; il les compare, les balance & les apprécie par
un examen si fin & si prompt qu’il paroît être plutôt l’effet du
sentiment & d’une espece d’instinct, que de la discussion.

Le goût peut être regardé comme un sens ; puisqu’il agit comme les
autres sens. Nous avons par la vue le sentiment des objets, sans
sçavoir comment ce sentiment est produit en nous.

Il en est de même de ce que l’on appelle le goût : nous jugeons
naturellement de ce qui est beau, & ce jugement naturel se forme dans
notre esprit, de même que si nous sçavions la cause & l’origine du
plaisir que nous sentons ; si nous avions présentes les regles
invariables du beau, & que sur toutes ces connoissances, nous fissions
en un instant une infinité de raisonnemens qui en seroient le
résultat.

On ne peut pas donner le sentiment de la vue à un aveugle, mais Locke
prouve que les enfans apprennent à voir, ou, pour mieux dire, à juger
par la vue, de la distance des corps & de leur figure.

Le goût ne differe pas des autres sens, l’organe ne se peut acquérir ;
il doit être fort grossier dans ceux qui n’en ont pas souvent fait
usage ; mais il peut être perfectionné par l’exercice.

Le goût sans regle & sans raisonnement, seroit un mauvais guide, le
raisonnement sans goût, seroit un guide encore plus trompeur.

On demande si c’est par le sentiment, ou par la discussion, qu’on doit
juger des ouvrages d’esprit ; question qui a causé de grandes
disputes, & qui pourroit bien n’être qu’une dispute de mots. Le
sentiment est nécessaire ; sans lui, on se fait des regles fausses. La
discussion est nécessaire aussi, & il faut du sentiment pour la bien
faire ; ainsi il paroît qu’une de ces voies rentre dans l’autre. Tout
ce que peut faire le raisonnement, c’est de justifier le sentiment du
goût, comme la Méchanique démontre les mouvemens d’un Danseur de corde :
mais la Méchanique n’apprend point à danser ; il faut de l’usage, de
l’exercice & de l’habitude.

Le moyen de former le goût, est donc d’examiner les principes & les
regles, de s’exercer à juger, à comparer ; de lire les bons Critiques,
& sur-tout d’étudier les grands Maîtres.

Veut-on donner à un jeune homme le goût de l’Epopée, qu’il lise
Homere, Virgile, le Tasse, la Henriade ; qu’il fasse d’abord l’analyse
de chaque chant, & ensuite l’analyse du tout ensemble ; il examinera
le sujet du Poëme, l’invention, la distribution ; il verra comment
chaque partie est traitée ; il fera une attention particuliere à la
Poésie de style ; il se rendra le sujet, le plan, l’ordre & les
détails familiers ; qu’il lise ensuite quelques réflexions sur le
Poëme épique. Qu’il s’exerce de la même maniere dans tous les genres,
& il acquerra infailliblement du goût, ou il doit être déclaré
incapable d’en avoir.

L’Auteur de la Henriade dit que l’on reconnoît l’esprit des jeunes
gens au détail qu’ils font d’une Piece nouvelle qu’ils viennent
d’entendre ; & il ajoute avoir remarqué que ceux qui s’en acquittoient
le mieux, ont été ceux qui depuis ont acquis le plus de réputation
dans leurs emplois ; tant il est vrai, dit-il, qu’au fond l’esprit
d’affaires & le véritable esprit des lettres, est le même.

On doit appliquer cette pratique utile, à tous les ouvrages d’esprit ;
après un Sermon, un Plaidoyer, une Tragédie, une Comédie, faire
exposer en termes clairs le sujet, le plan, l’ordre, les preuves du
Discours, l’intrigue de la Piece ; remarquer ce qui a paru le mieux ou
le moins bien prouvé ; saisir le mérite ou le vice général du style :
c’est, ajoute le même Auteur, ce qui est fort rare chez les gens de
lettres même.

Un moyen pour connoître les beautés & les défauts des Auteurs, est de
les comparer ensemble ; on a imprimé Despreaux avec les passages qu’il
avoit imités des anciens. Dans le Théatre des Grecs, un du petit
nombre des ouvrages de goût qui soient sortis des Colleges, on a
rapproché quelques Tragédies modernes, des anciennes. On devroit
imprimer les Auteurs avec ces sortes d’imitations ; ce seroient les
meilleurs commentaires ; les autres ne sont souvent que des scholies
de Grammairiens ou de Savans sans goût.

Quand les bons Auteurs modernes ont traité les mêmes sujets en prose
ou en vers, il seroit très-utile d’en faire la comparaison ; ces
parallèles formeroient le goût des jeunes-gens ; sur-tout si on les
accompagnoit de réflexions sur chaque genre de littérature.

On leur feroit lire avec attention toutes les bonnes critiques qui ont
été faites des bons ouvrages ; celle du Cid, par l’Académie ; celle du
Livre de Bouhours, par Barbier Daucour ; l’Examen de l’Epître
dédicatoire du premier Dictionnaire de l’Académie, qui est à la page
122 des Remarques de l’Abbé Dolivet sur Racine ; ces Remarques && les
Réponses qui y ont été faites ; celle du fils de Racine sur les
Tragédies de son illustre pere ; de pareilles Remarques sur Corneille ;
les Examens que le grand Corneille a faits de ses Pièces même ;
celui que promet M. de Voltaire ; le Livre imprimé en 1750, intitulé,
Connoissances des beautés & des défauts de la Poésie & de l’éloquence
dans la Langue Françoise ; l’Examen des trois Epîtres de Rousseau ;
quelques Observations de l’Abbé Desfontaines ; toutes les Préfaces &
les Dissertations de M. de Voltaire ; les Conseils à un Journaliste,
qui valent seuls un Traité complet.

De jeunes-gens qui auroient lu ces ouvrages avec réflexion,
remarqueroient d’un coup d’œil toutes les fautes de langage dans les
Auteurs qu’ils liroient, & ils n’en feroient pas. Savoir sa Langue, ce
n’est pas un petit mérite ; & on ne peut négliger la diction, sans
avoir en même tems de l’indifférence pour les pensées même.

On les sera ressouvenir que pour apprendre la Langue, trois choses
sont nécessaires ; le commerce des gens instruits, la lecture des bons
Auteurs, & celle des Livres qui ont traité de la Grammaire.

Ils liront les Tropes de M. du Marsais, ouvrage très-philosophique de
Grammaire & de Rhétorique ; la Préface de la Traduction de l’Orateur de
Ciceron, par l’Abbé Collin, qui suffit pour les préceptes ; le Traité
des Etudes de Rollin, & ils en suivroient les pratiques ; les Livres
de M. de Fénelon sur l’Eloquence ; le Cours de Belles-Lettres de
l’Abbé le Batteux ; les Réflexions de l’Abbé Dubos ; les Réflexions &
Remarques de Gillet ; la Prosodie de M. l’Abbé Dolivet, &c.

J’ajoute une réflexion sur le goût des Lettres, indépendamment des
Langues. Cette fleur de littérature est utile à toute personne qui
veut cultiver son esprit ; elle ne s’acquiert que dans la jeunesse, &
elle manque à tous ceux qui n’ont pas été bien élevés, qui ont mal lu,
ou qui n’ont pas lu avec attention les bons modeles.

C’est peut-être l’Atticisme des Grecs, l’Urbanité Romaine & le goût
François ; Quintilien l’appelle une teinture d’érudition puisée dans
le commerce des personnes instruites : Sumptam ex conversatione
Doctorum tacitam eruditionem.

On reconnoît aisément si un homme a l’esprit cultivé, à sa façon de
s’exprimer, de juger, de parler, d’écrire : souvent une allusion, la
citation d’un vers connu, annonce la culture de l’esprit, & on
distingue facilement l’homme qui a vécu dans la compagnie des bons
Auteurs, comme dans le monde, celui qui a vécu dans la bonne
compagnie.

Après ces observations, est-il tolérable d’entendre demander par des
ignorans, ou par des imbéciles, ce que feroient des enfans, si on ne
les occupoit pas, soir & matin, de thêmes, de particules, de
prosodies, des vers grecs & latins, d’amplifications, de figures de
rhétorique.


Opérations & exercices du second âge.

Les opérations de cet âge, relatives à la littérature françoise &
latine, seroient, outre celles que j’ai marquées, quelques
compositions que je vais indiquer.

Mais j’observerai auparavant une chose essentielle & des plus
importantes dans toute l’éducation ; c’est de ne jamais faire faire à
de jeunes-gens aucune composition, que sur des sujets dont ils aient
auparavant une connoissance suffisante ; ce seroit les faire
travailler dans le vuide, les accoutumer à parler sans idées, à
s’exprimer par des lieux communs, à employer beaucoup de paroles pour
dire peu de chose ; ce qui leur gâte l’esprit & leur corrompt le goût
pour toute la vie.

Ainsi je voudrois proscrire entiérement ces amplifications puériles,
ces amas de figures de commande, ces paraphrases où l’on dit en dix
vers, ce qu’Horace ou Boileau ont dit en quatre.

Quelles peuvent être les idées d’un jeune-homme à qui on donne pour
sujet d’amplification, la harangue de César à ses Soldats dans les
champs de Pharsale : il ne connoît ni César, ni Pompée, ni les Romains,
ni les intérêts, ni la force, ni la foiblesse des deux partis. Le
Régent qui ose se mettre à la place de César, ou lui prêter des
sentimens, ne le connoît pas mieux. Il ne peut sortir d’un fonds si
mal préparé, que des fruits mauvais & sans goût.

Il est important que les jeunes-gens soient pleinement convaincus
qu’avant d’écrire on doit apprendre à penser ; qu’on peche plus
souvent en disant trop, que trop peu ; que le seul moyen de bien parler
d’un sujet, c’est de le bien concevoir, que quand on a dit ce qu’on
doit dire sur une matiere, tout ce qu’on ajoute est ennuyeux, rebutant
& nuisible. Il est bon qu’ils sachent par expérience, que les phrases
& les lieux communs sont insupportables à lire & à entendre ;
scribendi recte sapere est principium & fons.

Ils feront des extraits, des analyses ; ils écriront l’éloge d’un
grand homme, des lettres, non des épîtres en l’air sur des faits soit
sur des matieres qu’ils ignorent, mais sur ce qui leur est arrivé
effectivement, sur leurs occupations, leurs divertissemens, leurs
peines ; ils feront le récit d’une cérémonie, d’une fête à laquelle
ils auront assisté ; ouvrage plus difficile peut être qu’on ne pense :
pour en sentir la difficulté, il suffit de l’avoir tenté.

On les exerceroit à faire des définitions ; exercice infiniment utile,
& capable seul de former l’esprit, d’apprendre à parler & à écrire
avec exactitude & avec précision.

Demandez à la plupart des hommes ce qu’ils entendent par un mot, ils
vous répondront difficilement, ou ils le feront d’une maniere si
vague, que vous appercevrez qu’ils n’en ont point de notion déterminée :
leur langage est comme leurs idées ; ils n’emploient des termes
vuides de sens, des lieux communs, des circonlocutions, que parce
qu’ils ne connoissent pas la propriété des termes.

Des Philosophes (l’Abbé de Condillac) ont approfondi l’analogie qui se
trouve entre l’esprit des hommes & leur langage, & par des discussions
très-fines, ils ont prétendus prouver que les progrès des talens
suivoient les progrès du langage.

Les définitions du Dictionnaire de l’Académie sont exactes, & c’est un
des principaux mérites de cet Ouvrage, si estimable d’ailleurs.

Sous le nom de définition je comprends la description des choses ; on
ne peut les définir qu’en les décrivant ; & dans les commencemens il
suffit de décrire de façon à distinguer l’objet dont il est question,
de tout autre objet.

J’aimerois mieux qu’un jeune homme sût faire une description nette
d’une fleur, d’une plante, de la façon d’un vase de terre qu’il auroit
vu tourner ; qu’il sût décrire une machine, une charrue, un moulin,
une horloge, &c. que de savoir faire toutes les amplifications de
college & autres pareilles inepties ; cela seroit plus utile dans tout
le reste de la vie.

Un autre exercice à joindre à celui des définitions, ce seroit de
comparer les mots qui paroissent synonymes, de marquer leurs
différences, comme a fait l’Abbé Girard dans son Livre des Synonymes
François, & comme Laurent Valla avoit fait avant lui sur les Synonymes
latins dans son Livre intitulé Elegantium latini sermonis. Il seroit
bon aussi de marquer les véritables opposés, quand cela se peut.
Toutes ces opérations faites avec soin seroient d’une utilité
inexprimable pour rendre l’esprit juste.

La justesse est préférable à tout, mais il s’agit quelquefois
d’échauffer des imaginations froides, & de faire enfanter des esprits
stériles. Un moyen presque infaillible seroit, par exemple, de
décomposer un acte de Racine, & de le réduire, pour ainsi dire, en
thême, comme l’Auteur l’avoit pu concevoir avant de se livrer à sa
verve ; d’en tracer une esquisse, comme celle que l’on a conservée
d’après Racine même, d’une tragédie d’Iphigénie en Tauride qu’il n’a
jamais achevée ; faire remarquer comment ce beau génie a su animer ce
squelette décharné, lui donner des chairs vives & des couleurs
naturelles.


Continuation des Etudes du premier & du second âge. De l’Histoire
naturelle, des Récréations physiques & mathématiques, des
Méchaniques, &c.

Je passe peut-être trop rapidement sur ce qui regarde la Littérature
françoise & latine. Mais les personnes instruites suppléeront ce que
je ne dis pas. Je reviens aux opérations du premier âge, que j’ai
indiquées & qu’on doit continuer jusqu’à la fin de l’éducation.
Apprendre à lire, à écrire, à manier le crayon, est l’exercice du
premier âge : apprendre à bien lire, à bien prononcer, à bien écrire &
à bien dessiner est celui du second. Je joins toujours la Musique,
l’Histoire, la Géographie, les Mathématiques, l’Histoire naturelle &
la Littérature.

C’est alors qu’on doit commencer à étudier la nature sur la nature
même, les arts & les manufactures dans les atteliers ; qu’il faut
joindre aux faits historiques appris dans l’enfance, l’Histoire
générale des Nations ; & ce qui n’est pas moins utile, celle des
sciences, & sur-tout des arts qui ont le plus de rapport à nos
besoins.

Pour initier les jeunes gens dans la connoissance de ces arts
précieux, il suffiroit de leur montrer les machines les plus simples,
qu’ils se feraient un plaisir de démonter & remonter. Je suis persuadé
qu’en allant par degrés, on parviendrait à faire assembler à un enfant
de douze ans tous les mouvemens d’une horloge ou les ressorts de toute
autre machine, & par conséquent de lui en faire comprendre le
méchanisme. La plupart ne demandent que des yeux & du dessein, avec
quelque connoissance de Géométrie. Plusieurs articles des arts
imprimés dans l’Encyclopédie sont des chef-d’œuvres : ce qui concerne
la Physique & les arts dans le Spectacle de la Nature, est excellent,
mais le dialogue est de mauvais goût. Il seroit à souhaiter que
d’habiles Académiciens voulussent bien se charger de faire les livres
élémentaires qui seroient nécessaires, & je réponds que des enfans de
douze à quatorze ans, préparés par des récréations mathématiques &
physiques, les entendront plus aisément que les rudimens qu’on leur
enseigne ; car ce sont des vérités sensibles.

Croit-on qu’il fût fort difficile de leur apprendre les principes &
les pratiques de l’arpentage, de la mesure des terreins, & que ce ne
fût pas pour eux un grand plaisir de mesurer un jardin, un champ, une
plaine, de voir & dessiner des fortifications, d’en construire
eux-mêmes avec du carton ?

Enfin puisque, de l’aveu de tous les hommes, ces connoissances sont
le fondement de la vie humaine, pourquoi ne les pas enseigner
préférablement à celles que tout le monde s’accorde à regarder comme
inutiles, difficiles & ennuyeuses ?


De la Géographie et de l’Histoire.

Je passe à ce qui regarde la Géographie & l’Histoire. Il faudroit un
second tome de Géographie qui réunit l’ancienne & la moderne, l’ancien
& le nouveau monde, les divisions exactes des Empires, suivant les
derniers Traités, la description des Pays, non par un détail ennuyeux
de Villes, de Bourgades, de Bailliages ou d’intendances, mais par la
situation, la qualité, la fertilité, les productions du terrein, la
population, les mœurs des peuples, le Gouvernement, la Religion, les
loix, la force, la puissance par mer & par terre, les richesses, le
commerce, &c. On pourroit y faire entrer, des réflexions sur la
politique, sur l’intérêt des Princes ; en un mot, des choses faciles à
apprendre, & utiles à retenir, & non des détails dont on n’a presque
jamais besoin, & qu’on trouve alors dans les Cartes & dans les
Dictionnaires.

A la place de ces détails, qu’un jeune homme soit élevé à savoir
comment vit cette multitude d’hommes qui composent la société ;
comment & de quoi ils subsistent ; quel pain mange & sur quel lit est
couché un laboureur, un journalier, un artisan ; le détail des
professions & de quoi elles s’occupent. Il verra dans la suite comment
on leur ôte ce pain qu’ils gagnent avec tant de peine ; & comment une
portion des hommes vit aux dépens de l’autre.


De l’Histoire.

A l’égard de l’Histoire, la matiere ayant été préparée dès le premier
âge par le récit de la vie des grands Hommes qui ont fait quelque
figure dans le monde, des Savans illustres, & des Artistes célebres ;
par les tableaux des grands événemens & des grandes révolutions,
on donneroit aux jeunes gens des histoires où la morale fût plus
éclaircie, les réflexions plus approfondies, les maximes du droit des
gens, les principes du juste & de l’injuste, ceux d’une bonne
administration, plus fortement établis ; en s’arrêtant davantage,
comme on l’a dit, sur l’Histoire moderne. Croiroit-on qu’un recueil
des vies des Hommes illustres de France, ne fût pas un monument
très-cher à la Nation, & très-utile pour y conserver l’honneur & les
sentimens, ou pour les y faire croître. Qu’il naisse un Plutarque
François, & des cendres des Héros donc il célébrera la gloire, il
naîtra des hommes qui feront honneur à leur maison, à leur siecle, à
l’humanité.

Vers dix ou douze ans, dit l’Abbé Fleury, il seroit tems d’arranger
ces Histoires, sans embarrasser les enfans d’une chronologie exacte
qu’il est impossible de fixer, ni les forcer & retenir des dates qui
fatiguent trop la mémoire : je me contenterois de leur expliquer la
belle Mappe-monde historique*, qui divise les temps avant & après
Jesus-Christ, en remontant & en descendant, sans entrer dans de plus
grands détails de chronologie, qui sont inutiles.

* Elle est imprimée en 1740, & approuvée par l’Académie des
Inscriptions.


Je leur répéterois quelques observations générales qui rendent l’étude
de l’Histoire plus courte & plus utile. Je leur dirais, comme l’Abbé
Fleury, que « nous n’avons pas les Histoiriens de tous les temps, non
plus que de tous les pays. Il y a toujours eu une infinité de Nations
ignorantes ; & de celles qui ont écrit, il y en a peu dont nous
connoissions les Livres.

Toutes les Histoires des anciens Orientaux, des Egyptiens, des
Syriens, des Chaldéens & des Perses ont péri, & la plus ancienne qui
nous reste, hors celle du Peuple de Dieu, est l’Histoire d’Hérodote,
qui a écrit environ 400 ans avant Jesus-Christ. Nous n’avons jusqu’à
ce temps que les Livres des Grecs & des Romains, qui ne contiennent
guere d’Histoires dignes de foi, plus anciennes que la fondation de
Rome. Après Jesus-Christ, pendant près de 500 ans, on n’a qu’une seule
Histoire à suivre, qui est la Romaine ; mais depuis la ruine de
l’Empire d’Occident, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Angleterre font
chacune leur Histoire particuliere, à quoi il faut ajouter celle
d’Allemagne, de Hongrie, de Suede, de Dannemarck, à mesure qu’elles
commencent.

Voilà toute la suite de l’Histoire qui nous soit connue, si ce n’est
qu’on y veuille ajouter l’Histoire Bizantine, que nous connoissons
depuis deux siecles. Pour celle des Musulmans, qui comprend tout ce
qui s’est passé depuis mille ans dans l’Egypte, dans la Syrie, la
Perse, l’Afrique & les autres Pays où la Religion de Mahomet s’est
étendue, nous l’avons ignorée jusqu’à présent. Nous savons encore que
les Chinois ont une très-longue suite d’Histoires, dont on a donné un
échantillon en Latin. Les Indiens ont une tradition très-ancienne,
écrite en une Langue particuliere. On sait quelque chose du Mexique &
des Incas, mais qui ne remonte pas loin, & on a depuis deux cens ans
une infinité de relations & de voyages.

C’est tout ce qu’on connoît d’Histoires. On voit combien c’est peu en
comparaison de toute l’étendue de la terre & de toute la suite des
siecles ; & c’est particuliérement en cette étude qu’on doit choisir &
se borner. »

L’étude de l’Histoire est celle qui a le plus besoin de guide. Ce qui
manque d’ordinaire à ceux qui l’écrivent & à ceux qui la lisent, c’est
l’esprit philosophique.

On lit pour se désennuyer, sans but & sans principes ; on entasse dans
sa mémoire des faits sans discernement & sans examen ; & après avoir
lu beaucoup d’Histoires, on ne connoît ni les hommes, ni les mœurs, ni
les loix, ni les Arts & les Sciences, ni le monde présent, ni le monde
passé, ni les rapports de l’un avec l’autre.

L’important seroit de donner aux jeunes gens des principes & des
regles pour lire l’Histoire avec fruit, premiérement pour savoir
l’usage qu’ils en doivent faire, le but qu’ils doivent se proposer.
Secondement, pour distinguer les faits prouvés de ceux qui ne le sont
pas, & afin qu’ils ne deviennent pas les dupes de l’ignorance, de la
prévention & de la superstition. Troisiémement, pour qu’ils pussent
discerner les Historiens auxquels ils doivent donner quelque
confiance, & les temps qu’il est possible d’éclaircir.


De l’usage de l’Histoire.

1°. A l’égard de l’usage de l’Histoire, on a un petit Livre de l’Abbé
de S. Réal qui est bon ; mais ce qui vaut mieux, sans comparaison,
c’est ce qu’a dit M. de Voltaire dans son septieme tome, édition de
1757, des mélanges de Philosophie, de Littérature & d’Histoire,
chapitre 60 61, ce qu’il a inséré dans quelques Préfaces. Quand il
établit des vérités, personne ne les établit mieux & ne les présente
si bien ; il n’est pas possible de redire ce qu’il a dit, sans
l’affoiblir. Ainsi je me contente, sur cette partie, d’y renvoyer les
Maîtres. Qu’ils lisent aussi la judicieuse Préface de Polybe dans son
Histoire, le commencement des Réflexions & Anecdotes de la Reine
Christine, de l’Eloge historique de l’Abbé Terrasson, par M.
d’Alembert, ils seront plus instruits que par des volumes de Méthodes
de Thomassin, de Possevin, de Rapin, de Menestrier, qui tous
ensemble, ne valent pas un livre d’Histoire bien fait, celle de
l’Empereur Julien, par exemple.


Des principes sur la certitude historique, ou de la critique.

2°. Il est nécessaire d’avoir des principes sur la certitude
historique, & de savoir sur quoi elle est fondée.

On est certain des faits que l’on voit & que l’on entend. On sait par
relation ceux que les autres voient & qu’ils entendent. Le témoignage
est une des voies les plus étendues de la connoissance humaine, mais
pour produire la conviction, il doit nous mettre à la place de ceux
qui ont vu & qui ont entendu eux-mêmes.

C’est le point de vue où les Historiens doivent se placer pour y
placer leurs lecteurs ; & les faits qui sont appuyés sur ce fondement,
sont d’une certitude à exclure le plus léger doute.

C’est-là le principe le plus général de la certitude historique, &
d’où dérivent tous les autres principes.

Ainsi quand on veut examiner un fait, il faut savoir d’abord de quelle
nature il est : est-il conforme à la commune expérience & au cours
ordinaire des choses, ou y est-il contraire ? Cet examen demande des
réflexions particulieres : par qui est-il attesté ? par un ou par
plusieurs Historiens ? Ces Historiens sont-ils témoins, sont-ils
contemporains ou voisins du temps où le fait s’est passé ? Peut-on
dire qu’ils le tiennent immédiatement de la premiere main ? Citent-ils
leurs garants ? Ont-ils les uns & les autres les qualités nécessaires
pour témoigner ? On doit discuter leur témoignage & leurs rapports,
comme on discute les témoins en Justice ; s’il y a d’autres
Historiens, voir s’ils sont contraires, lire à charge & à décharge,
examiner le but des Ecrivains, pourquoi, à quelle occasion ils ont
écrit, mettre leur témoignage à la balance, savoir s’il a passé
jusqu’à nous dans son intégrité, ou s’il n’a point été corrompu ; on
peut prononcer ensuite, soit en affirmant, s’il y a des preuves, soit
en niant ou en doutant, si les preuves ne sont pas suffisantes ; car
entre douter & croire, il y a des nuances différentes qui n’ont pas
même de nom particulier.


Des temps où l’on peut remonter dans l’Histoire.

3°. Quant aux temps auxquels on peut remonter, & aux Histoires
auxquelles on doit ajouter foi, la regle la plus sûre est de tenir
pour suspect tout ce qui précede les tems où chaque Nation a reçu
l’usage des Lettres. Un autre principe également certain, est que
quand il y a des interruptions & de grands vuides dans une Histoire,
tout ce qui les précede est faux ou suspect.

Aussi rien n’est-il plus incertain que toute l’Histoire ancienne, dont
les Auteurs rapportent les faits arrivés long-tems avant eux. Dans les
siecles postérieurs, & même dans ceux qui sont les plus proches du
nôtre, on trouve la même incertitude, lorsque les Mémoires des
contemporains manquent, ou qu’ils sont défectueux ; ce qui exclut de
la certitude presque toute l’Histoire ancienne d’Egypte ou d’Orient,
dont à peine il s’est conservé quelques vestiges ; tout ce qui précede
les Olympiades chez les Grecs, & à peu près la seconde guerre Punique
chez les Romains ; en un mot, les origines de toutes les Nations,
excepté celle du Peuple Juif dont on ne perd point la trace.

On peut mettre dans le même rang la plus grande partie de l’Histoire
du moyen âge, non qu’elle soit dépourvue d’Auteurs contemporains, mais
leurs Mémoires sont si défectueux, & les lacunes si grandes, qu’il
n’est pas possible de les remplir. Rien n’est plus juste ni plus
ingénieux que ce que dit sur l’Histoire ancienne M. de Fontenelle,
dans l’éloge de M. Bianchini.

« Si d’un grand Palais ruiné on trouvoit les débris confusément
dispersés dans l’étendue d’un vaste terrein, & qu’on fût sûr qu’il
n’en manquât aucun, ce seroit un prodigieux travail de les rassembler
tous, ou du moins sans les rassembler, de se faire, en les
considérant, une idée juste de toute la structure de ce Palais ; mais
s’il manquoit des débris, le travail d’imaginer cette structure, seroit
plus grand & d’autant plus grand, qu’il manqueroit plus de débris & il
seroit fort possible que l’on fît de cet édifice différents plans qui
n’auroient presque rien de commun entr’eux. Tel est l’état où se
trouve parmi nous l’Histoire des tems les plus anciens. Une infinité
d’Auteurs ont péri ; ceux qui nous restent ne sont que rarement
entiers. De petits fragmens & en grand nombre, qui peuvent être
utiles, sont épars çà & là dans des lieux fort écartés de routes
ordinaires, où l’on ne s’avise pas de les aller déterrer ; mais ce
qu’il y a de pis, & ce qui n’arriveroit pas à des débris matériels,
ceux de l’Histoire ancienne se contredisent souvent, & il faut ou
trouver le secret de les concilier, ou se résoudre à faire un choix
qu’on peut toujours soupçonner d’être un peu arbitraire. Tout ce que
des Savants du premier ordre & les plus originaux ont donné sur cette
matiere, ce sont différentes combinaisons de ces matériaux d’antiquité ;
& il y a encore lieu à des combinaisons nouvelles, soit que tous les
matériaux n’aient pas été employés, soit qu’on en puisse faire un
assemblage plus heureux, ou seulement un autre assemblage. »


De la Critique.

Les principes & les regles qui doivent servir de guides dans la
lecture de l’Histoire, forment ce qu’on appelle la Critique, &
j’entends par-là, non cet art qui s’arrête à restituer des passages, à
vérifier les variantes d’un texte ; mais celui qui apprend à juger des
faits, à en examiner les preuves, à distinguer les faits véritables de
ceux qui sont supposés ou incertains, les faits certains de ceux qui
ne sont que probables ; enfin, cet art qui sait peser les différens
degrés de certitude, & fixer, s’il est permis de parler ainsi, les
différentes nuances du vrai & du vraisemblable ; art de la plus grande
utilité & d’une vaste étendue ; c’est proprement une Logique de faits
aussi nécessaire pour diriger le jugement dans la croyance des
événemens, que la Logique pour conduire la raison dans la découverte
de la vérité. Leur réunion forme l’homme judicieux & raisonnable.
Toutes deux sont le fondement des connoissances en tout genre, &
l’instrument des autres études.


De la Critique & de la Logique.

L’esprit juste, cet esprit qui sert à gouverner les Etats, comme à
conduire les affaires des Particuliers ; qui guida Sully, Turenne &
Catinat ; qui dicta les Consultations de Charles Dumoulin, les Pareres
de Savary, les Essais de Locke, de Nicole, & les Discours de Fleury ;
qui inspira dans leurs conjectures sur les événements futurs,
Thémistocle, Polybe, Dossat, Richelieu & Charles de Lorraine ; cet
esprit, dis-je, n’est qu’un jugement solide qui saisit l’état des
questions, le véritable point de vue des affaires, & fait choisir en
tout les raisons décisives : c’est ce bon sens si utile dans le monde ;
tandis que ce qu’on appelle esprit ne sert souvent qu’à le ravager ;
aussi estimable quand il enseigne une bonne administration de Justice
& de Finance, que quand il trace les plans d’une campagne.

Les hommes sensés dans tous les temps ont connu les principes et les
regles. Quand Scipion conversoit avec Polybe, & qu’en épuisant la
science de gouverner, ils prophétisoient le changement de la
République Romaine ; quand du fond de la Macédoine, Philippe remuoit
toute le Grece ; quand César prenoit de si justes mesures pour
subjuguer les Gaulois ou pour détruire le parti de Pompée ; quand
Richelieu s’occupoit des moyens d’abaisser le Maison d’Autriche ; tous
ces grands Hommes s’appuyoient-ils sur d’autres fondements que sur une
connoissance exacte des personnes, sur des notions justes des choses,
sur des faits circonstanciés, ou sur de fideles rapports ;
croyoient-ils légérement tous les discours, tous les bruits
populaires ?

Le bon sens est la regle de toutes les vertus & de toutes les bonnes
qualités : il distingue l’homme raisonnable de celui qui ne l’est pas ;
le vrai savant de celui qui n’a qu’un savoir confus, la vertu de la
superstition, le grand homme de celui qui n’est que héros. Avec cette
faculté de plus, l’Empereur Julien & Charles XII, eussent été
peut-être les plus grands hommes de l’univers.

Le bon sens est toujours utile sans la science, parce qu’il sait
s’arrêter aux choses qui sont à sa portée. La science sans le bon
sens, est souvent pernicieuse & toujours ridicule.

II y a des notions primitives qui servent de base à toute certitude,
auxquelles il est impossible de se refuser sans renoncer au sens
commun. Telle est en fait de témoignage, la notoriété ou l’évidence
d’une chose de fait généralement reconnue, qui est le résultat d’une
multitude de perceptions sensibles ; telle est en fait de
raisonnements, la perception immédiate résultant de la simple vue de
l’esprit ou du sentiment intérieur.

Mais les bornes de la raison ne sont pas fixées, & personne n’a droit
de proposer la sienne pour regle de celle des autres. La raison
n’ayant donc point de mesure commune bien déterminée, il faut des
principes & des regles pour la guider, pour l’aider à discerner le
vrai du faux, en matiere de raisonnements comme en matiere de faits ;
c’est ce qu’on appelle la Logique & la Critique.

Est-il vrai qu’il y a un art de penser & de raisonner, qu’on enseigne
en cinq ou six mois à de jeunes gens dans les Ecoles de l’Europe ? on
ne l’apprend point aux femmes ni aux enfants qu’on ne fait pas
étudier ; cependant il se trouve à la longue que les uns raisonnent à
peu près aussi-bien que les autres, & souvent ceux qui ont enseigné
cet art, raisonnent le plus mal. Il n’est pas étonnant que cela
répande des doutes sur l’utilité des regles, ou du moins sur celle de
la méthode qu’on emploie pour les enseigner.

On ne commence à apprendre la Logique aux enfants qu’à la fin des
études ; on ne leur apprend rien sur la Critique; on attend presque
qu’ils aient l’esprit faux pour le redresser. On regarde les sciences
comme des pays différents, où l’on fait successivement voyager les
jeunes gens.

Toutes les regles générales, tous les préceptes de quelque art que ce
soit, ne servent à rien, si on n’en fait pas l’application : on ne
retient, à proprement parler, que les choses dont on a fait usage, &
dont on a l’expérience. Les regles de la Poésie & de la Peinture, sont
plus connues & plus parfaites que du temps d’Homere & de Virgile, de
Raphaël & du Titien. Avons-nous de meilleurs Poëtes & de meilleurs
Peintres ? Avons-nous des meilleures têtes qu’Hypocrate, Aristote &
Platon ?

Je connois toute l’utilité des regles & même leur nécessité ; elles
servent à écarter les causes des mauvais raisonnements, & à dévoiler
les sophismes, mais seules, elles n’ont jamais poussé loin les
connoissances des hommes. Après le caractere naturel de l’esprit,
c’est l’application, c’est l’expérience, c’est la connoissance des
faits, qui font qu’un homme raisonne mieux qu’un autre homme.

Voilà l’avantage que nous avons sur les Anciens ; nos connoissances
sont plus exactes & plus étendues, nous avons une plus grande
expérience des faits & des choses ; nous sommes détrompés de quelques
préjugés & de quelques erreurs qu’ils avoient adoptés.

Quand ils n’ont raisonné que de ce qui étoit à leur portée, ils ont
jugé aussi bien que nous. En fait de Politique, de Morale civile, de
Loix, je ne crois pas qu’on puisse le leur contester.

Pourquoi & par où notre siecle surpasserait-il les précédens ? C’est
que depuis environ 250 ans on a fait une infinité de découvertes dans
tous les genres ; on a étudié toutes les Langues ; on a vérifié les
textes des Auteurs anciens ; les Livres véritables ont été distingués
des Livres supposés ; l’Histoire sacrée & profane, la Géographie, la
Chronologie, la Critique, la Fable, le Droit, les Médailles, les
Inscriptions, &c. tout a été débrouillé & éclairci : on a presque
trouvé les bornes des Mathématiques.

Depuis les temps de Galilée & de Bacon, on a observé avec soin tous
les corps, on les a examinés dans toutes les circonstances, on leur a
fait subir tous les changemens imaginables, par les grands agens
naturels, l’air, l’eau & le feu ; ceux qu’on n’appercevoit pas, sont
devenus sensibles : avec le secours du télescope & du microscope, les
extrêmes se sont rapprochés, les corps situés à une distance immense,
& ceux qui sont près de nous sont devenus des objets de curiosité, de
recherches & de connoissances.

Des voyages entrepris dans toutes les parties du monde, ont grossi le
nombre des Observateurs, & multiplié les observations. L’invention de
l’Imprimerie, l’établissement des Académies, ont servi à publier, à
conserver les découvertes, & à garantir leur certitude. Malgré les
traverses & les embarras de toute espece, l’industrie & le travail
opiniâtre ont franchi les plus grands obstacles. Voilà ce qui a
perfectionné notre art de penser ; & si l’ouvrage n’est pas aussi
parfait qu’il devroit être, c’est aux systêmes de Philosophie, à
l’abus des idées arbitraires, & aux querelles Théologiques, qu’on doit
l’imputer.

Un homme acquiert la supériorité sur les autres hommes, par les mêmes
raisons & par les mêmes moyens qu’un siecle devient supérieur à un
autre. Il paroît donc raisonnable d’employer pour apprendre & pour
instruire, les mêmes principes & les mêmes regles. On doit éviter en
particulier les défauts qui en général avoient arrêté le progrès des
connoissances.


Regles de la Logique & de la Critique.

Une des principales regles qui remédieroit en même tems à un de ces
défauts, c’est d’écarter les suppositions des systêmes qu’on emploie
pour expliquer des choses dont on ne sçauroit d’ailleurs rendre
raison, c’est de ne prononcer que sur ce qui est à sa portée, sur quoi
l’on a des connoissances acquises, des élémens assurés : quand on n’a
pas ces élémens, ou quand on n’en a pas assez pour juger, la raison
veut que l’on suspende son jugement.

La seconde regle également importante pour prévenir l’abus des
abstractions, est de fixer les idées & de les déterminer : le moyen d’y
parvenir, est de réduire les idées abstraites, & composées, à des idées
particulieres & simples, ou aux élémens qui les composent ; c’est ce
qu’on appelle définir, car la définition n’est que l’énumération des
idées simples renfermées dans une idée complexe & abstraite.

A la rigueur, les idées simples sont indéfinissables ; on ne peut les
fixer qu’en réfléchissant sur la maniere dont on les a acquises, aussi
ne les définit-on ordinairement qu’en les rendant par des équivalens
ou par des synonymes. La plupart des hommes n’ont point de notions
fixes & déterminées, parce qu’ils ne remontent presque jamais à leur
origine ; cependant ils décident hardiment les questions les plus
obscures & les plus compliquées. Je n’en veux pour exemple que les
équivoques qu’on fait tous les jours sur les mots de religion, de
vérité, de gloire, d’honneur, de justice, de devoir, de piété & de
dévotion, &c.

Pour définir exactement un terme qui désigne une idée complexe, il
suffit de trouver dans la Langue les mots qui signifient les idées
simples & caractéristiques dont elle est formée ; & c’est dans la
Langue commune qu’il faut chercher ces mots, parce qu’on ne doit
s’écarter du langage ordinaire, que le moins qu’il est possible.

Sous le nom de définition, je comprends la description des choses
naturelles qu’on ne peut définir qu’en les décrivant ; car il est
impossible d’expliquer par des définitions la nature même & l’essence
des choses. Ce n’est qu’en faisant des descriptions exactes des
sujets, en recherchant avec soin toutes leurs propriétés, en
distinguant ce qui leur est propre & ce qui n’est qu’accidentel, qu’on
peut parvenir à en acquérir la connoissance.

La troisieme regle est de s’assurer des faits avant que d’en chercher
les causes, si on ne veut pas s’exposer, comme on a souvent dit, au
ridicule de trouver la raison de ce qui n’est point.

Si les faits étoient assurés ; si les termes étoient exactement
définis ; si les sujets étoient décrits avec précision, la plupart des
questions seroient terminées. On voit par-là l’utilité des
définitions, &, ce qui est encore plus utile, la maniere de les
faire ; mais ce Dictionnaire philosophique doit être composé par
des Philosophes.

La quatrieme regle est d’appliquer à chaque sujet la preuve qui lui
est propre. C’est avoir fait bien du progrès, que de sçavoir en chaque
matiere, de quel genre de preuves on doit se servir, en matiere de
raisonnement, de faits, d’observations & d’expérience. Tout ce qu’on
peut dire & écrire, se réduit là ; de bonnes raisons, des témoignages
irréprochables, des expériences certaines : c’est le moyen le plus
assuré de ne pas confondre les choses & les preuves ; de ne pas
employer des raisonnemens, lorsqu’il est question de faits ; & des
faits ou des autorités, lorsqu’il s’agit de raisonnemens ; de ne pas
exiger de la démonstration, où l’on ne peut obtenir que de la
vraisemblance ; & de ne pas se contenter de vraisemblance, où l’on
peut avoir de la démonstration.

Je ne parle point des querelles théologiques ; elles sont l’opprobre
de la Religion & de la raison, le fléau des Etats, des lettres & des
bonnes études. Que n’eussent point fait pour les sciences & pour les
arts les Arnauds, les Nicoles & les Lancelots, si des brouillons
malheureusement trop puissans, un Annat, un Ferrier, un la Chaise, ne
les eussent persécutés cruellement & forcés à s’occuper de ces
disputes & de ces bagatelles sacrées !

Les principes & les regles qu’on vient d’établir, outre leur
importance dans ce qu’on appelle Logique & Critique, servent à prouver
la maxime qu’on a suivie dans ce Plan d’Education, que la base de
toute méthode d’enseigner & d’apprendre, est de lier les connoissances
à des notions sensibles, à des perceptions immédiates, à des idées
simples ; c’est la preuve d’une regle d’arithmétique par une autre.
Quand on est parvenu jusques-là, on ne peut remonter plus haut, &
l’examen est fini.

On doit en conclure que c’est à acquérir ces notions, qu’il faut
appliquer les enfans, à meubler leur tête de faits utiles ; à leur
procurer par l’usage l’expérience qui leur manque ; à former le
caractere de leur esprit ; à appliquer les regles simples & sûres de
la Logique & de la Critique, non à les discuter minutieusement.

Une bonne méthode est une application continuelle des regles d’une
saine dialectique sur toutes sortes de sujets.

Tout livre bien fait est une bonne Logique, tout exercice qui
accoutume les jeunes-gens à mettre de l’ordre & de la netteté dans
leurs pensées : une bonne Grammaire, par exemple, qui leur apprendroit
à arranger de suite les objets du discours, à concevoir nettement les
raisons simples & naturelles des regles, seroit une dialectique
plus utile que tout l’artifice du syllogisme.

Voilà pourquoi les Elémens de Géométrie, lus avec attention, sont la
meilleure des Logiques.

C’est en lisant les bons Critiques, les Grotius, les Petaus, les
Sirmonds, les Valois, les Saumaises, qu’on peut apprendre l’art
critique.

L’art physique le plus parfait, ou l’art de faire des expériences, se
trouve dans les Mémoires des Académies.

Jusqu’ici on a fait des Logiques pour des Philosophes ou pour des
Théologiens ; on a fait des Critiques pour les Sçavans ; on a fait des
systêmes métaphysiques. Il a été utile que des gens habiles aient
éclairci ces sciences ; mais à présent qu’on a tant écrit sur toutes
sortes de matieres, il faut des méthodes qu’on puisse appliquer à
l’usage de la vie ; car tout le monde est obligé de raisonner juste,
non seulement dans les sciences, mais dans la vie civile, dans tous
les âges, dans toutes les professions.

C’est là le fondement de ce qu’on appelle sçavoir, connoissance,
érudition, raisonnement : posséder de pareilles méthodes, être
accoutumé à les bien appliquer, c’est être Philosophe & Sçavant.


De la Métaphysique.

La Logique & la Critique sont des instrumens qui apprennent à penser ;
la Métaphysique est la science des principes ; c’est elle qui instruit
du but où tendent les facultés de l’homme, de leur étendue, de leurs
bornes & de leur usage. Il n’appartient qu’à cette science, de fixer
ce que c’est que la vérité, en quoi consiste l’erreur, & quels sont
les moyens de l’éviter :s elle démontre par l’expérience, que tout
aboutit aux connoissances sensibles & à la perception immédiate ; avec
la Logique, elle apprend à découvrir les vérités, à les déduire de
leurs véritables principes, à les ranger par ordre ; enfin elle est la
base des autres sciences, dont elle contient le germe & l’ébauche.

Elle démontre l’existence de Dieu, ses attributs ; elle justifie sa
providence ; elle établit la liberté humaine, les loix naturelles,
l’immortalité de l’ame.

Elle découvre la foiblesse de l’esprit humain, mais elle en apprécie
les forces : elle prouve que la raison est l’unique moyen naturel
qu’ait donné aux hommes l’Auteur de leur être, pour les conduire ; que
tout ce qui est intelligible, est de son ressort ; que rien ne lui est
étranger que ce qui est incompréhensible : que c’est à elle à
marquer les caracteres & les bornes de l’autorité, & par conséquent à
distinguer les cas & les objets de soumission, à peser les motifs de
crédibilité ; que croire, c’est juger que la raison oblige de
reconnoître sur la force des preuves externes, l’existence, ou la
propriété d’un être ou d’un objet ; qu’ainsi il lui appartient de
régler les limites qui sont entre elle & la Foi, parce qu’elle
précede, accompagne & suit toujours une soumission raisonnable.

Une partie de cette science, qui n’est pas la moins utile, est celle
qui apprend jusqu’où l’on peut parvenir en fait de raisonnement, & où
l’on doit arrêter ses recherches. Cette science négative, s’il est
permis de parler ainsi, seroit d’un aussi grand prix que les
connoissances positives.

C’est rendre un grand service au genre humain, que de fixer les
limites qu’il ne peut passer sans s’égarer.

Plutarque, dans la Vie de Thésée, dit que comme les Géographes, quand
ils ont situé sur les Cartes les pays habités & découverts, mettent
au-delà terres & côtes inconnues, mers inabordables, les Historiens
devroient en user de même pour les temps reculés, inconnus &
fabuleux ; c’est ce que j’ai essayé dans les réflexions précédentes
sur l’Histoire.

Il seroit encore plus utile de poser les limites des connoissances
dans le raisonnement, & de marquer jusqu’où il peut ou ne peut pas
pénétrer, & ce seroit le fruit le plus précieux d’une bonne méthode.
C’est étendre l’esprit humain, que d’en faire connoître les bornes ;
c’est ménager ses forces, que de ne les pas employer inutilement : un
fleuve qu’on reserre dans ses bords, n’en devient que plus rapide.

Ce principe d’une saine Métaphysique, que l’évidence irrésistible &
la certitude ne sont attachées qu’à des perceptions immédiates, prouve
manifestement l’incertitude de tout systême dans les sciences de
raisonnement.

Où la perception immédiate manque, il est nécessaire de suspendre son
jugement : voilà la véritable regle de l’époque que les Pirrhoniens
ont si mal appliquée. Par cette seule regle la plupart des systêmes
sont réfutés ou renvoyés dans le pays des chimeres.

Ces opinions qui causent tant de bruit pendant un siecle, & qui dans
le siecle suivant, tombent en oubli, sont démontrées fausses ou
incertaines par cette seule raison qu’elles ne sont pas appuyées sur
les principes de la connoissance.

La perception immédiate manque dans toutes les questions où entre
l’idée de l’infini, par exemple, l’espace, le vuide, le plein infini,
l’immensité, l’éternité, la création, la prescience, la promotion
physique, le concours, les décrets divins, à l’exception des faits
clairement révélés ; dans celles qui regardent la nature ou l’essence
des choses existantes, des êtres ou qualités, toutes les fois que
l’objet de la question va au-delà de l’expérience, comme l’union de
l’ame & du corps, les causes occasionnelles, l’harmonie préétablie,
les monades, &c. Elle manque dans celles dont on n’a point d’élémens
assurés, comme l’astrologie judiciaire, les systêmes sur la divination
ancienne & moderne, les imaginations de la cabale, &c. dans toute la
Physique de pur raisonnement, & qui ne peut être que conjecturale ;
dans tout ce qui concerne la région des possibles, comme de sçavoir
s’il y a plusieurs mondes, & quels peuvent être leurs habitans ;
presque tout ce qui regarde la vie future, à l’exception de ce que
Dieu a révélé formellement, ou ce qui en est une conséquence
nécessaire ; enfin dans les espaces vagues des abstractions dont on
n’a que des connoissances idéales & confuses, telles que sont les
idées de la substance unique de Spinosa, de l’être en général, du
monde intelligible, de la vision en Dieu de Mallebranche, &c.

Dans toutes ces questions au-delà des connoissances sensibles & de la
perception immédiate, on peut dire, comme Plutarque, terres & côtes
inconnues, mers inabordables.


De la Logique des vraisemblances.

Presque tout ce que l’on a dit jusqu’ici ne doit s’entendre que des
vérités nécessaires ou des conséquences nécessaires de faits certains,
au-delà desquelles ne sont pas encore parvenues la Logique & la
Critique ordinaire.

M. de Leibnitz, qui connoissoit si bien le fort et le foible de la
Philosophie, qui avoit vu les bornes des sciences, & qui étoit fait
pour les prescrire ou pour les étendre, avoit déjà dit qu’il
manquoit une partie de l’art, qui servit à régler le poids des
vraisemblances, qui pesât les apparences du vrai & du faux.

Cette Logique est sur-tout nécessaire dans la morale & dans la
pratique, où les hommes ne pouvant pas toujours s’assurer de trouver
la vérité, sont souvent obligés de se régler sur des indices ou sur
des vraisemblances, & ce qu’on appelle en Droit des présomptions ; il
y en a de différents degrés & d’une force différente.

Comme elle est la base de la plupart des actions & des jugements, il
seroit très-important qu’on y apportât plus d’attention qu’on n’a fait
jusqu’à présent, & qu’on tâchât de la perfectionner. Il est vrai que
l’esprit en s’accoutumant aux démonstrations rigoureuses & aux
principes certains, devient plus capable de distinguer la force ou la
foiblesse des preuves, & cette partie dépend beaucoup de la
connoissance des hommes, qui ne peut s’acquérir que par l’expérience.


De l’Esprit philosophique.

De la pratique continuelle d’une Logique exacte & d’une bonne
Critique, qui seroient fondées sur les principes solides d’une
Métaphysique éclairée, naîtroit l’esprit philosophique.

Cet esprit de lumiere utile à tout, applicable à tout, qui rapporte
chaque chose à ses véritables principes, indépendamment des opinions &
de la coutume.

L’esprit philosophique est différent de la Philosophie, & lui est
autant supérieur que l’esprit géométrique l’est à la Géométrie ; que
la connoissance de l’esprit des loix est au-dessus de la connoissance
même des loix. C’est le fruit et le but de la Philosophie ; elle
connoît & discute les vérités particulieres, l’esprit philosophique
les apprécie toutes.

La Philosophie est une science, l’esprit philosophique comprend toutes
les sciences.

S’il est question d’Histoires, il en montre les usages & le but ; il
rapproche les temps & les âges pour les comparer : placé dans une
perspective élevée, il voit d’un coup d’œil des termes de rapports
éloignés, dont il tire ou des ressemblances singulieres, ou des
contrastes frappants.

S’agit-il de Philosophie, il sçait quelles sont les vérités connues,
leur usage & leurs rapports, ce qui manque aux connoissances actuelles
& ce qui peut y être ajouté. Il voit non seulement quelques principes,
mais l’étendue des principes, la force ou la foiblesse des preuves sur
lesquelles on les appuie.

Il observe les progrès et les retardemens de l’esprit & de la raison
dans les sciences spéculatives & pratiques, dans les mœurs des hommes,
dans les différens siecles.

L’esprit philosophique est une science réelle, & il est le résultat
des sciences comparées : c’est pourquoi il ne vient ordinairement qu’à
leur suite. Le seizieme siecle fut celui de la science & de
l’érudition, le dix-septieme celui-ci des talens, & le caractere du
dix-huiteme siecle est la Philosophie. Cujas & Dumoulin n’eussent pas
vraisemblablement fait le livre de l’Esprit des Loix ; mais peut-être
que M. De Montesquieu ne l’eût pas fait non plus, si Cujas & Dumoulin
n’eussent frayé le chemin de la Jurisprudence.

Usserius & Petau ont fait des Annales remplies des plus grandes
recherches ; M. de Bossuet a fait une Histoire universelle
très-éloquente ; M. de Voltaire a élevé sur ces fondemens une Histoire
philosophique ; ce sont des chefs-d’œuvres d’érudition, d’éloquence &
de philosophie.

Cet esprit philosophique porté à un dégré éminent, vient de produire
des éléments de Philosophie, auxquels il ne manque que d’être plus
étendus.

On ne peut que recommander l’esprit philosophique, qui doit présider à
toutes les sciences, même aux Belles-Lettres ; mais l’homme doit
toujours se garder des extrêmes. Il est à craindre que dans
l’Histoire, découvrant de plus loin, il ne distingue pas si exactement
les objets intermédiaires ; que dans la Philosophie il ne veuille
remonter trop haut, & pénétrer jusqu’aux premiers principes, qui
seront toujours enveloppés de nuages épais : que dans les
Belles-Lettres il ne donne trop à une analyse qui refroidiroit le
sentiment. Enfin on auroit de trop grands reproches à lui faire, s’il
attaquoit la Religion, & s’il abandonnoit la science & l’Erudition
sur lesquelles il doit être fondé, & qui lui ont servi d’échelon, s’il
est permis de s’exprimer ainsi.


De l’Art de l’Invention.

Au-delà de la Philosophie & au-dessus de l’esprit philosophique
s’éleve, non un art proprement dit, car ce n’est point une méthode de
faire quelque chose suivant certaines régles ; non une science, car ce
n’est point la connoissance des choses dans lesquelles on est instruit ;
mais un art supérieur aux regles & aux instructions, l’art
d’inventer, ce génie créateur qui est le sublime de la raison, &, si
on peut s’exprimer ainsi, l’ultimatum de la Philosophie, qui n’est
donné qu’à des ames privilégiées ; car on compte dans les Annales des
Nations les inventeurs célébres. Je ne parle pas seulement de ceux qui
ont fait des découvertes dans les sciences, dont les Mathématiques
fournissent le plus d’exemples & les plus illustres ; mais dans tous
les arts & dans tout ce qui peut être utile au genre humain.

On a dit que celui qui inventa la charrue dans les tems grossiers eût
été un Archimede dans des temps postérieurs.

Il y a tel problême de politique qui demande plus de finesse, plus de
combinaisons que les plus forts problêmes d’Algebre.

La maladie donnée, trouver le remede, c’est le problême de la
Médecine.

Des faits donnés, conclure ceux qui doivent arriver, c’est la problême
de la politique.

Cet art de juger par avance de l’avenir, que possédoit supérieurement
Thémistocle, (futura callidissimè prospiciebat) est parallele à
l’invention. Il y a des génies à qui Dieu semble avoir départi une
portion de sa prescience. C’est un don de la nature seule, & tout
l’art humain ne peut y atteindre ; mais comme il n’y a aucune faculté
de l’esprit qui ne doive sa perfection à l’art & à l’exercice, toute
opération qui porte sur des élémens connus, suppose que la chose n’est
pas impossible à découvrir, & que le problême peut être résolu.

S’il y a un moyen de développer ce germe précieux dans les génies
éminens où la nature l’a placé, c’est celui d’une bonne éducation
dirigée suivant les principes d’une exacte Philosophie.

S’il peut y avoir quelque art à inventer, il consiste dans l’habitude
& dans l’exercice de l’invention. Au lieu de résoudre des problêmes,
que l’on s’accoutume à les deviner : voilà pourquoi je préférerois les
Elémens de Géométrie & d’Algébre, de M. Clairaut, qui sont trop
négligés par les Maîtres, & qui meneroient les enfans par la route que
la nature a indiqué elle-même.

A l’égard de la conduite de la vie & des affaires, l’expérience est le
premier & le plus grand maître, peut-être le seul ; mais il ne faut
pas négliger les aides & les secours. On ne les peut trouver que dans
des exemples une bonne morale & l’histoire prépareront les voies. Que
celui qui voudra s’instruire dans l’art de conduire de grandes
affaires, lise, par exemple, les Lettres du C. d’Ossat, du P. Jeanin ;
qu’il remarque le sujet leur négociation, leur objet, les moyens de
réussir, & les obstacles prévus, il verra que les obstacles sont
toujours venus du côté où ils les avoient annoncés, & les moyens de
réussir de même : il ne pourra s’empêcher d’admirer le génie
prophétique de ces hommes qui semblent inspirés. Qu’on lise le
résultat des conversations de Scipion avec Polybe, sur la constitution
de Rome, les Epitres de Ciceron à Atticus, la Lettre de M. le Maréchal
de Saxe à Folard, sur le blocus de Prague & sur les affaires de
Bohême, on reconnoîtra que l’art de ces grands Hommes a été de bien
voir, de ne rien ajoûter aux faits, d’avoir présens, sans en omettre
aucun, tous les Elémens nécessaires pour prévoir. Une seule
circonstance oubliée eût pu causer un paralogisme dangereux.

Ces lectures formeroient à la prudence & elles seroient toujours
utiles, quand ce ne sauroit que pour connoître la maniere des grands
hommes ? & si l’on veut comparer maniere à maniere, que l’on examine
Dossat & Duperron dans les Lettres où ils rendent compte dans le même
tems de la même négociation, du même événement, on verra, comme
quelqu’un a dit ingénieusement de Racine & de Pradon, que ces deux
Négociateurs ne sont jamais si différens que quand ils disent les
mêmes choses.

L’esprit inventeur & celui qui discute, est le même ; mais le premier
franchit, par lumiere & comme par instinct, de plus grands intervalles ;
il voit d’un coup d’œil plus d’objets à la fois ; il voit la liaison
de plusieurs théorêmes éloignés les uns des autres : ce sont toujours
les mêmes vérités vues de la même maniere.

C’en est sans doute trop sur une matiere, qui n’est pas susceptible de
regles, & qui ne peut être que le fruit du génie. Mais il n’est pas
inutile de proposer la perfection aux hommes ; ils n’iroient jamais
si loin, sans le desir ardent de se surpasser eux-mêmes & de vaincre
leurs semblables.


De la Morale.

La Logique & la Critique ont pour but de former l’esprit & de
prévenir ou de corriger les erreurs ; la Morale a pour objet de former
le cœur & de combattre les vices ; mais comme tous les vices sont
fondés sur de fausses options & sur des erreurs, le Logique & la
Critique servent beaucoup à la Morale même.

Il est vrai que l’homme ne suit pas invariablement ses principes :
mais celui qui n’en a point ou qui en a de mauvais, agira sûrement &
presque toujours mal. Celui qui a des connoissances solides ne fera
pas toujours le bien qu’il voit ; mais il le fera plus souvent, il y
reviendra plus aisément : c’est un état violent, que d’être en
contradiction avec soi-même. La lumiere conduit ordinairement à la
vertu, les ténebres & l’ignorance conduisent au vice.

Dans beaucoup de sciences on peut raisonner juste sans avoir le cœur
droit : mais dans tous les cas où les intérêts & la passion peuvent
entrer, c’est-à-dire, dans presque toutes les affaires de la vie, la
justesse d’esprit & la droiture du cœur sont inséparables ; & comme
l’esprit est souvent la dupe du cœur, le cœur est aussi quelquefois la
dupe de l’esprit : ainsi travailler à se rendre l’esprit juste, c’est
travailler en même-tems à se rendre le cœur droit. Ensorte qu’il
pourroit se faire que la vertu eût été bien définie,* la justesse de
l’esprit appliquée à la conduite de la vie & aux mœurs.

* Par M. Formey.


Les actions des hommes sont ordinairement une conséquence de leurs
principes, & les principes semés de bonne heure, dans l’esprit,
produisent tôt ou tard leur effet. Tant que l’ame gouvernera le corps,
les notions des hommes influeront sur leur conduite. Leur influence
agit toujours, quoiqu’elle n’entraîne pas toujours, & elle agira plus
ou moins à mesure que les notions seront plus ou moins fortement
enracinées ; elles porteront au bien ou au mal, selon qu’elles seront
bonnes ou mauvaises.

Les notions des hommes moderent jusqu’à un certain point le cours des
passions. Il faut en convenir : ce monde n’est habitable, & la société
du genre humain ne se maintient que par les idées dominantes, quoique
souvent confuses, d’ordre, de vertus, de devoirs.

Dans les Ecoles on rejette la Morale à la fin des autres parties de la
Philosophie ; & on l’a réduite à quelques questions scholastiques &
inutiles*. On a oublié, que de toutes les sciences, c’est la plus
importante, & qu’elle est autant qu’aucune autre, susceptible de
démonstration.

* En quoi consiste la béatitude formelle, la béatitude objective, la
possibilité de l’état de pure nature, &c.


Les regles des actions tirent leur origine, ou de la droite raison, ou
des loix divines & humaines ; la premiere partie compose les loix
naturelles, ou la Morale proprement dite, qui est également divine &
immuable ; car l’existence d’un Dieu Législateur, n’est pas moins
nécessaire à la Morale, qu’est à la Physique celle d’un Dieu Créateur ;
mais la Morale précede toutes les loix positives, divines & humaines,
& par conséquent elle subsisteroit, quand même ces loix n’eussent
jamais été portées.

Il étoit vrai avant Moyse, & chez tous les Peuples même destitués de
la lumiere de la révélation, qu’il faut faire aux hommes le plus de
bien & le moins de mal qu’il est possible. Il étoit vrai que Caïn ne
pouvoit pas faire violence à son frere ; que Sichem ne pouvoit pas
prendre de force la fille de Jacob ; que les frères de Joseph
commettoient une injustice à son égard, lorsqu’ils attentoient à sa
liberté; que Pharaon faisoit l’action d’un tyran, en opprimant les
Hébreux, & en massacrant leurs enfans.

Ce n’est point la Loi écrite qui a révélé aux hommes la turpitude &
l’injustice énorme de ces actions. Il est une loi naturelle également
divine, écrite dans tous les cœurs, dont la conscience rend
témoignage, comme dit l’Apôtre, elle est de tous les siecles, de tous
les Pays, de toutes les nations &, pour ainsi dire, de tous les
mondes. C’est de cette loi que Ciceron dit qu’elle est née avec nous,
que nous ne l’avons point reçue de nos peres, ni apprise de nos
maîtres, ni lue dans nos livres ; nous l’avons prise, tirée & puisée
du fond même de la nature ; une loi dont nous ne sommes pas simplement
instruits, mais dont nous sommes, pour ainsi dire, imbus & pénétrés.
Est hæc non scripta, sed nata lex, quam non didicimus, accepimus,
legimus verùm ex natura ipsa arripuimus, hausimus, expressimus ; ad
quam non docti, sed facti ; non instituti, sed imbuti sumus. Et
ailleurs, Lex est insita in natura quæ jubet ea que facienda sunt,
prohibetque contraria.

Seroit-il donc inutile de recommander aux hommes les vertus morales
que les Payens même ont tant recommandées.

Ne peut-il pas y avoir, n’y a-t-il pas en effet un commerce de mœurs
entre les Peuples les plus différens de Religion ? Qu’est-ce qu’un
Catholique, un Protestant, un Juif, un Mahométan qui traitent & qui
trafiquent ensemble, exigent réciproquement l’un de l’autre ? Et dans
la Religion même n’est-ce pas par ces principes que l’on peut
entretenir la probité & l’humanité si nécessaires parmi ceux qui ont
le malheur de n’être pas assez sensibles à des motifs d’un ordre
supérieur ?

La seconde partie compose le droit positif divin, le droit des gens,
le droit civil ; droits qui emportent chacun leur obligation
particuliere.

La difficulté de traiter ces droits différens, vient de ce que l’on a
perpétuellement confondu les loix différentes dont ils dérivent. Les
uns apportent des raisons pour preuve de faits, les autres des faits en
preuve de raisons ; ce qui est également contre le bon sens & contre
les loix d’une saine dialectique. Par exemple, à l’égard du mariage,
les Théologiens & les Philosophes, les Jurisconsultes brouillent à
tous momens les loix naturelles & les loix divines, avec les loix
civiles & les loix ecclésiastiques.

Un grand Philosophe, en distinguant la morale par rapport aux devoirs,
l’a divisée en ce que les hommes se doivent, comme membres de la
société générale, en ce que les sociétés particulieres doivent à leurs
membres ; ce qui renferme, 1°. la loi naturelle, ou la morale de
l’homme ; 2°. la morale des Législateurs, ou le droit politique ; 3°.
la morale des Etats, ou le droit des gens ; 4°. la morale du Citoyen,
ou le droit positif.

Il ajoute une cinquieme branche de morale, celle du Philosophe, qui
n’a pour objet que nous-mêmes.

Il ne s’agit pas dans la jeunesse d’approfondir toutes ces Sciences, &
je ne prétends pas donner des leçons aux précepteurs du genre humain.
Mais il est important que les jeunes gens connoissent les principes du
droit naturel, de la morale & de la politique ; ils les trouveront
dans l’Abrégé de la Morale de Wolf par Thumisius, qu’on enseigne dans
les Ecoles d’Allemagne, Livre élémentaire très-bien fait ; dans
l’Abrégé de Puffendorff ; & ces livres suffiront dans les
commencements : ils liront & reliront les Offices du Consul Romain à
son fils, & les Instructions du Chancelier de France à ses enfans* ;
s’ils ont du goût, ils perfectionneront un jour ces connoissances par
la lecture de Nicole, de Mallebranche, de l’Esprit des Loix, de l’Abbé
de Saint-Pierre, de Burlamaqui, de Puffendorff, de Grotius & de
Barbeyrac, de l’Origine des Loix & des Sciences, par M. Goguet ; des
Elémens de Philosophie & de Morale.

* Tom. I. des Œuvres de M. Daguessau.

Ce dernier livre annonce & promet un Catéchisme de Morale à l’usage
commun & à la portée des enfans ; ce seront des leçons pour le genre
humain, qu’on attendroit en vain de gens sans raison & sans
Philosophie.

Je ne m’étendrai pas davantage sur cette partie, quoique la plus
importante de l’éducation. Il suffit d’indiquer les sources : l’Histoire
aura servi d’école de Morale ; l’expérience & les lectures
développeront les principes, & aideront à tirer les conséquences ;
elles apprendront à connoître les hommes ; connoissance qui est le
fondement de la Morale & de la Politique.

On n’ira peut-être jamais en morale au-delà des principes innés de
justice & de vertu, ni du sentiment naturel que la conscience en a
gravé dans le cœur de tous les hommes ; comme il y a apparence qu’on
n’ira point en Métaphysique au-delà des perceptions immédiates, & en
Physique au-delà des qualité sensibles.


Suite des Etudes du dernier âge.

Je joindrai à la morale de Thumisius la Logique & la Métaphysique de
s’Gravesande, imprimées en François, & dont les propositions sont dans
l’ordre géométrique ; la Physique du même, ou celle de Keil, traduite &
développée : je crois que c’est ce que l’on peut trouver de mieux pour
les commençans & même pour des personnes plus avancées.

C’est ici le lieu & le tems de perfectionner les connoissances sur la
Géographie physique, qui commence à devenir une Science, dont Varénius
donna, il y a plus de cent ans, un modèle qui n’a pas été assez suivi ;
sur les Mathématiques, dont il y a un assez bon abrégé tiré de
Wolff. Les cours de Physique expérimentale, de Chymie & de Botanique
commencent à s’introduire dans les Provinces ; c’est un des fruits
les plus marqués d’une éducation meilleure que celle des Colleges,

Les jeunes gens liront un jour l’Histoire naturelle dans M. Buffon, &
ils verront les Arts dans les manufactures & dans les boutiques ; &
sur la terre même, le premier des arts, l’Agriculture. Ils apprendront
l’Anatomie ; les Elémens de la Physiologie, ou le Traité de la
structure & de l’usage des différentes parties du corps humain, par
Haller, sont un modèle de Livre élémentaire exact & profond.

Je suppose qu’ils entretiendront toujours la connoissance qu’ils
auront faite avec les bons Auteurs Latins & François, dont plusieurs
doivent être appris par cœur, & qu’ils continueront à s’exercer aux
opérations du premier & du second âge. Je n’entre point dans les
détails, ils sont connus ou faciles à suppléer.


Du soin de la santé; des affaires & de la Religion.

Il y a trois articles essentiels qu’il ne faut pas oublier dans une
institution ; le soin de la santé, les affaires & la Religion.

A l’égard de la santé, je renvoie, pour abréger, aux observations
judicieuses de l’Abbé Fleury, sur cet art. chap. 20 du Choix des
Etudes. L’éducation morale ne doit pas contredire l’éducation
physique ; car c’est l’homme entier qu’il s’agit de former.

J’ajoute que pour déraciner les préjugés des gouvernantes & des meres
qui inspirent sans raison à des enfans, de l’aversion pour certains
remedes, la saignée, par exemple, le quinquina, &c. il seroit à propos
de traduire la partie des Institutions du célèbre Boerhaave, qui
traite de la conservation de la santé Lugiene, avec les Commentaires
du savant Haller. On se trompera toujours moins quand on aura de bonne
Physique, & des expériences pour guides. M. Tissot vient de publier
un Traité de Médecine à l’usage du peuple, qui peut être regardé comme
un Livre élémentaire.

L’institution sensée d’une Nation telle que la nôtre, mériteroit bien
un traité pratique de Gymnastique, ou d’exercices comme ceux des Grecs ;
les Carousels & les Tournois, quoique plus agréables que nos jeux de
hasard, n’avoient ni le même but, ni la même utilité.

Je renvoie également pour la connoissance des affaires, aux Chapitres
de l’Economie & de la Jurisprudence de l’Abbé Fleury. Je dirai
seulement que pour faciliter l’étude du Droit public en France, s’il y
en a un, on doit montrer en détail l’état de la France, la différence
des Ordres du Royaume, la division des Offices, la compétence des
Juridictions, Civile, Militaire, Ecclésiastique, dont les limites sont
si connues dans la spéculation, & si peu respectées dans la pratique ;
toutes matieres assez aisées à déterminer, & qui ne le sont le plus
souvent que par la loi du plus fort, ou par le manege du plus
intrigant.

Tout François doit connoître les Libertés de l’Eglise Gallicane. C’est
une des parties importantes du Droit public de France. On a sur cette
matiere un Livre à la portée des jeunes gens, qui devroit être
enseigné dans toutes les Ecoles. Il est intitulé, Exposition des
Libertés de l’Eglise Gallicane, par M. Dumarsais.

Après avoir examiné, ce qui forme le goût & l’esprit dans tous les
genres, on doit rechercher encore avec plus de soin ce qui regarde les
mœurs, ce qui constitue la vertu, la Religion.

J’ai parlé de la Morale qui précede toutes les loix positives, divines
& humaines ; l’enseignement des loix divines regarde l’Eglise ; mais
l’enseignement de cette Morale appartient à l’Etat, & lui a toujours
appartenu : elle existoit avant qu’elle fût révélée, & par conséquent
elle n’est pas dépendante de la Révélation, quoiqu’elle tire sa plus
grande force & les motifs les plus puissans, de la confirmation
qu’elle en a reçue.

La Révélation est un fait. La Morale gît toute en droit.

La Révélation est un droit divin positif ; la Morale un droit divin,
éternel & immuable.

La distinction de la vertu & du vice, du juste & de l’injuste, vient,
comme on a dit, de la raison & de la nature même des choses. L’amour
de l’ordre ne peut pas être absolument éteint dans le cœur de l’homme ;
car on ne peut pas renoncer entiérement à la raison.

La Révélation ajoute des motifs surnaturels, elle promet des
récompenses, & elle annonce des peines ; mais quand elle n’annonceroit
ni peines ni récompenses, l’obligation morale n’en subsisteroit pas
moins, même dans la fausse hypothese de l’incrédule. Saint Paul &
Saint Augustin ont dit la foi et les prophéties passeront,
l’intelligence demeurera éternellement.*

* Corin 8 1. 13th. S. Aug. de lib. arbit.


Il s’en suit de là (comme dit l’Abbé Gédouin) que l’on fait trop
dépendre les mœurs de la Révélation. « Quelque soin, dit-il, que l’on
prenne d’inspirer des sentimens de Religion aux enfans, il vient un
âge où la fougue des passions, le goût du plaisir, les transports
d’une jeunesse bouillante, étouffent ces sentimens. Si on leur avoit
dit que les mœurs sont de tout pays & de toute religion ; que l’on
entend par ces mots les vertus morales que la nature a gravées dans le
fond de nos cœurs, la justice, la vérité, la bonne foi, l’humanité, la
bonté, la décence ; que ces qualités sont aussi essentielles à
l’homme, que la raison même, dont elles sont une émanation ; un
jeune-homme en secouant peut-être le joug de la Religion, ou s’en
faisant une à sa mode, conserveroit au moins les vertus morales, qui
dans la suite pourroient le rapprocher des vertus chrétiennes : mais
parce qu’on ne lui a prêché qu’une Religion austere, tout tombe avec
cette Religion. »

L’expérience prouve la vérité de cette réflexion. Dans ce tems d’une
fermentation visible qui agite les esprits, pendant ces crépuscules
d’une lumiere qui naît, dirai-je, ou qui s’éteint, la Religion est
attaquée, & elle manque de défenseurs (car des condamnations vagues ne
prouvent rien, & n’ont jamais convaincu personne) ; elle est
compromise par des questions interminables & par des controverses
futiles, qu’on a voulu faire regarder comme l’essentiel de la
Religion.

A cet âge dont parle l’Abbé Gédouin, toute l’érudition acquise par un
jeune-homme dans les Congrégations & dans les Retraites, succombe sous
la moindre objection spécieuse d’un incrédule ; & malheureusement tout
l’édifice d’une morale mal étayée, s’écroule. Les jeunes-gens se
livrent avec une espece de sécurité, à des passions qui font le
malheur de leur vie. Ils se croient dégagés de tous liens ; tout est
confondu dans leur tête avec de petites idées de dévotion, dont ils
ont honte, & qu’ils viennent à mépriser.

Je ne parle que d’après les faits ; j’énonce ici la voix de presque
tous les peres de famille, ce sont des témoins irréprochables, & de
meilleurs juges que des hommes étrangers à la société.

J’ose dire que les Anciens, les Payens même paroissent avoir été plus
religieux que nous. Leur Législation portoit toute sur la crainte des
Dieux ; on peut avoir les Loix de Zéleucus, de Minos, celles des douze
Tables, &c. Platon dans ses spéculations sur les Loix, établit la
Religion pour premier fondement ; il rappelle à la Divinité dans
toutes les pages de ses ouvrages.

Ciceron, en définissant les principes des Loix, dans son premier Livre
de Legibus, pose pour base l’existence des Dieux & leur providence.

Chez les Payens c’étoient les Législateurs & les Philosophes qui
prêchoient la vertu ; les Prêtres n’enseignoient point la regle des
mœurs ; les Scribes & les Pharisiens chez les Juifs la corrompoient
par leurs traditions & par leur attachement à de vaines pratiques.

Le Philosophe Panoetius enseignoit la vertu & les devoirs, tandis que
l’Augure Scevola ordonnoit les Sacrifices & les cerémonies de la
Religion (a). Nous avons un Sacerdoce & des Pontifes qui doivent
enseigner toute sorte de bonté, de justice & de vérité, ce qui est
agréable à Dieu ; (b) la douceur, la tolérance à se supporter les uns
les autres ; (c) tout ce qui est véritable & sincere, tout ce qui est
honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui
peut rendre aimable, tout ce qui contribue à une bonne réputation,
tout ce qui est vertueux, tout ce qui est louable.

(a) Eph. c. 5. v. 9 & 10.

(b) Eph. c. 4. v. 2. & Rom. v. 14 & 15.

(c) Philip. c. 4. v. 8.


Au surplus il y a tout à perdre pour les Etats & pour les Particuliers
chez qui se détruit la Religion. Eh ! qu’on dise quel avantage il peut
résulter pour le genre humain d’affoiblir dans les Citoyens les motifs
de la vertu, & les principes des bonnes actions ! n’est-ce pas
autoriser le vice & le crime qui n’ont jamais de digues assez fortes,
& que déjà des motifs plus puissans ne peuvent arrêter.

Je demande si l’Histoire fournit un seul exemple de peuples dont la
Religion nationale ait été le corps entier de la Religion naturelle,
(je dis le corps entier) & si ce n’est pas le Christianisme seul qui
l’a notifié à l’univers ? Si les Philosophes modernes ne sont pas
redevables de leurs lumieres sur les points les plus importans de
cette Religion, à l’avantage qu’ils ont d’être nés dans la Religion
Chrétienne ? Si par les seules lumieres de la raison ils eussent
été sur les points qu’ils établissent maintenant avec tant de vérité &
tant de force, moins vacillans & plus affermis que Socrate, que
Ciceron & les plus grands génies de l’antiquité ?

Je demande d’ailleurs, s’il est possible de rendre nationale une
Religion purement philosophique ? si une Religion sans culte public ne
s’aboliroit pas bientôt, & si elle ne rameneroit pas infailliblement
la multitude à l’idolâtrie ?

Quand les incrédules auront résolu ces questions d’une façon
satisfaisante, on pourra répondre à des objections qui sont proposées
15 siecles trop tard ; des objections que les Porphires, les Celses,
les Juliens ont ignorées, & qu’ils eussent pu faire valoir sans
replique, s’ils avoient détruit auparavant trois ou quatre faits de
l’établissement de la Religion Chrétienne, qui n’étoit pas éloigné de
leur tems.

La méthode d’étudier la Religion, comme science, dérive de la méthode
générale des études. Il n’est pas nécessaire d’être Médecin pour
savoir le meilleur moyen d’apprendre la Médecine ; & sans usurper le
droit d’enseigner la Religion, qui est réservé aux Ecclésiastiques, on
peut assurer qu’on l’enseigne mal dans la plûpart des Colleges.

Pendant les premières années, une simple explication du Décalogue, de
l’Oraison Dominicale & du Symbole, suffit avec les Catéchismes de
Fleury ou de Bossuet. L’Abrégé de l’Ancien Testament où M. de Mésangui
a conservé, autant qu’il est possible, les paroles de l’Ecriture,
imprimé à Paris en 1732, l’Evangile & les Actes de Apôtres.

Le spectacle de la nature, tel qu’il est représenté dans Fénelon &
dans Derham ; la nature même que les jeunes gens connoîtroient en
partie, leur auroit déjà prouvé l’Existence d’un Dieu que ses œuvres
annoncent à la terre.

Je suppose que dans la Métaphysique ils eussent pris des notions
justes des Attributs divins & de la Providence ; il seroit temps vers
la fin des études, de leur faire appliquer aux faits de la Religion
Chrétienne, les principes de l’art critique, & sans les embarrasser
dans des discussions au-dessus de leur portée, on pourroit leur faire
lire le Traité de la vérité de la Religion Chrétienne, par Grotius ;
ou celui qui est tiré en partie de Turretin, traduit par Vernet, revu
& corrigé par un Théologien Catholique, imprimé à Paris en 1753, en 2
volumes par Garnier.

Un jeune homme qui auroit lu ces Livres avec attention, seroit plus
affermi dans sa Religion & mieux préparé contre les attaques des
incrédules, que par dix ans d’exercices spirituels. Le spectacle de la
nature, la connoissance de l’Existence de Dieu & de ses Attributs,
est le premier Traité de toute bonne Théologie. Il se prépareroit par
ses lectures à lire un jour les excellens Livres qui ont été faits sur
la Religion.


Réflexions sur deux abus dans les Colleges.

L’objet d’une bonne méthode doit être également de déraciner les abus,
comme d’indiquer & de frayer le chemin.

Je dirai deux mots sur l’abus des Cahiers de Réthorique & de
Philosophie, que l’on dicte dans les Colleges ; outre que ce sont de
misérables leçons que l’on fait plutôt pour exercer les Maîtres, que
pour instruire les enfans ; c’est la perte d’un tems considérable
qu’ils emploient à écrire ; il n’y en a point qui les écrive en
entier, & sur mille il n’y en a pas un seul qui les ait conservés
pendant deux ans, ou qui en ait fait quelque usage dans le reste de la
vie. J’en appelle à l’expérience.

Autre abus sur les leçons de Mémoire : on fait apprendre par cœur à des
enfans des Rudimens, des Particules, &c. des regles qu’il suffit
d’entendre & de concevoir ; on les ennuie, on les fatigue par la
longueur des leçons désagréables ; ils perdent le tems qu’ils
pourroient employer utilement & agréablement à apprendre les plus
beaux morceaux de Littérature Françoise & Latine. Tous ces morceaux
joints ensemble ne seroient pas la moitié des leçons qu’on oblige les
enfans d’apprendre par jour, depuis la premiere classe jusqu’à la
Réthorique.

On ne doit faire apprendre par cœur aux enfans, que ce qu’ils doivent
retenir, ce qui peut leur servir de modele. N’y a-t-il pas assez de
beaux endroits dans les Auteurs, sans les fatiguer à apprendre ce
qu’ils doivent oublier ?


Avantages de ce Plan d’Etudes.

Tel est l’essai du Plan des Etudes d’une premiere éducation ; ce ne
sont que les élémens de l’institution d’une Nation qui exigeroit des
vues plus profondes, & qui demanderoit des hommes plus habiles & plus
éclairés que moi : elle est réservée, cette institution, à un Monarque
sage & prudent, dont les intentions sont droites & pures : image de
Dieu sur la terre, qui peut créer des esprits & façonner les cœurs.

II ne laissera pas imparfait un ouvrage qui peut tant contribuer à sa
gloire & au bien de ses peuples. Il consultera ses Universités, ses
Académies, sa Faculté de Médecine même, afin que de ces lumieres
réunies il résulte une nouvelle institution ou une régénération si
nécessaire dans les Lettres & peut-être ailleurs.

Je me persuade que ce plan est juste, parce qu’il est fondé sur la
nature de l’esprit, sur des faits constans & sur des principes de la
connoissance humaine. Je crois qu’un jeune homme ainsi élevé, seroit
plus disposé à recevoir la seconde éducation nécessaire pour la
profession qu’il embrasseroit ; & s’il y avoit des plans d’instruction
& des Catalogues de Livres raisonnés pour chaque profession
particuliere, comme en Allemagne, on lui épargnerait bien de la peine
& du temps qui est en pure perte*. Il auroit l’esprit net & précis
autant qu’on peut l’avoir à dix-sept ou dix-huit ans ; il se seroit
rendu un grand nombre d’objets familiers, il auroit du goût & quelques
connoissances ; & ce qui vaut peut-être les connoissances même, il
auroit l’art d’en acquérir ; il pourroit se frayer lui-même un chemin,
& juger de celui qu’on lui feroit tenir ; il sauroit s’occuper,
science si utile & si rare à cet âge & dans tous les âges : il seroit
en état de voir le monde avec fruit, de lire les Livres originaux, de
voyager utilement.

* Ætatem quidem video (dit Ciceron, 33. de finibus, num 7.) sed infici
tamen debet iis artibus quas si dum tenera est combiberit ad majora
veniet paratior.


Les Vies des hommes illustres qu’il auroit lues, serviroient à
indiquer ses inclinations & ses talens. Il est impossible que dans le
cours des Etudes, plusieurs objets étant présentés aux yeux des
jeunes-gens, il ne parût pas dans ceux qui auroient du génie quelques
étincelles de ce feu qui se décele lui-même, qui fit Paschal Géometre
sans le savoir, Descartes Philosophe, Tournefort Botaniste, &c.

La sympathie se déclarera quand il y aura du rapport & de la
convenance dans le goût. Ulisse à la Cour de Lycomede, présente à
Achille, déguisé en fille, des armes avec des ornemens de femmes ; la
passion d’Achille le trahit, & découvrit le plus courageux des Grecs,
celui qui devoit être le vainqueur des Troyens.

On sait que les triomphes de Miltiade déroboient le sommeil à
Themistocle. Combien le Carache, encore enfant, étoit frappé de ce
qu’il entendoit dire de Raphaël ! La vie d’Homere & ses ouvrages
saisirent Virgile dans son enfance ; Charles XII étoit transporté
d’enthousiasme en lisant la vie d’Alexandre.

On distinguera les enfans qui ont du goût & du génie, d’avec ceux qui
n’en ont point ; ceux-ci resteront froids & immobiles à des récits qui
toucheront sensiblement les autres. Au sortir des études les jeunes
gens s’occuperont suivant leur inclination ; ils seront en état de
choisir une profession avec connoissance, & ils réussiront mieux dans
celle qui sera de leur goût & de leur choix.

Eh quel avantage n’en résulteroit-il pas pour la société entière &
pour toutes les professions ?

Des esprits fermes & cultivés ne seroient pas occupés de jeux & de
bagatelles ; les Nobles n’iroient pas dans la Capitale dissiper le
patrimoine de leurs peres ; ils s’occuperoient avec goût & avec
connoissance, à le rendre plus utile, & ils le feroient fructifier au
quadruple. Ils diroient avec Horace :

Beatus ille qui procul negotiis

Paterna rura bobus exercet suis.

Ils ajouteraient avec Virgile :

Me verò primum dulces ante omnia musæ

Accipiant..........


Ils cultiveroient dans le sein de la paix & de l’abondance les arts &
les sciences qui auroient nourri leur enfance.

Il est inconcevable qu’on ait tant négligé en France l’éducation des
femmes ; l’instruction en langue vulgaire pourroit être presque toute
entiere à leur usage. Mieux élevées & plus instruites, elles
éleveroient & instruiroient mieux leurs enfans. Peut-être
aspireroient-elles un jour à la gloire d’imiter une Cornelia, fille de
Scipion & mere des Gracches ; une Attia, mere d’Auguste, qui
contribuerent tant à former l’esprit de ces hommes fameux.

Avec un esprit plus cultivé, elles n’en seroient que plus aimables ;
elles sauroient s’occuper ; connoissant quelques remedes usuels &
approuvés, elles en distribueroient gratuitement, & sauveroient la vie
à une infinité de malheureux.

Le Seigneur de Fief accommoderait les procès ; il deviendroit le
bienfaiteur de ses Vassaux, & entretiendroit le lien de la
bienveillance que la Loi a mis entre eux & lui ; lien usé & devenu
sans force.

L’homme qui vit de ses rentes, imiteroit le Noble ; il dédaigneroit la
vile chicane, & ne se porteroit pas à l’oppression des misérables.

Celui qui se destine à la guerre, regarderoit le service, comme une
occupation sérieuse ; au lieu que la plupart des jeunes-gens qui s’y
engagent, ne cherchent le plus souvent que l’oisiveté & le
libertinage.

Il auroit acquis dans la connoissance des Mathématiques des
dispositions à la pratique des fortifications ; la lecture des Vies ou
des Mémoires des grands Capitaines, l’auroit mis en état de profiter
de leurs campagnes & de leurs expéditions. Il sçauroit qu’Alexandre &
César étoient sçavans ; que César a fait des Commentaires ; que Henry
de Rohan, Turenne, Montecuculli ont écrit des Mémoires ; que
Feuquieres a donné des préceptes sur l’art militaire.

Il apprendroit le droit de la guerre, dont il aura plus de besoin, à
mesure qu’il sera élevé à de plus grandes places.

Le Magistrat auroit acquis dans une éducation solide, l’habitude
d’être appliqué & laborieux ; dans l’étude de la Philosophie, celle
d’être judicieux & raisonnable ; dans l’étude des Belles-Lettres,
celle de traiter les sujets avec ordre, avec netteté & avec force.

Dans la Vie des grands Magistrats, d’un Chancelier de l’Hôpital, d’un
de Thou, d’un Molé, d’un Servin, d’un Talon, d’un Bignon, &c. il
auroit vu qu’il y a un courage d’ame aussi noble & aussi élevé que le
courage guerrier : Sunt domestic fortitudines non inferiores
militaribus. Cic. off. 2.

Il rechercheroit l’esprit des loix dans les principes du droit de la
nature, & dans ceux d’une véritable morale & d’une sage politique :
quoiqu’il ne soit chargé que de l’exécution des loix, il se rendroit
capable d’être Législateur. Pythagore donna des loix à la grande
Grèce, Platon à quelques Républiques ; Locke en a donné à la Caroline.
C’est la Philosophie qui a produit le Code-Fréderic.

Le Négociant ou le Commerçant porteroit dans les pays éloignés, & en
rapporterait des connoissances utiles. La Société Royale de Londres
donne aux Navigateurs, des instructions sur l’Histoire naturelle des
lieux où ils vont. Des hommes instruits & avertis, verront avec profit
ce que d’autres ne voient point, quoiqu’il soit sous leurs yeux ; le
Dessein si utile par-tout, leur serviroit encore davantage dans ces
circonstances.


Par où les Ministres de la Religion peuvent-ils être le plus utiles au
monde ? Par quel moyen nos Missionnaires ont-ils pénétré dans les
contrées les plus éloignées ? Ce n’est ni par le secours des Langues
mortes, ni par leurs controverses (celles qu’ils ont eues dans les
pays étrangers, n’ont fait que retarder le fruit de leurs travaux) ;
c’est par l’enseignement des connoissances utiles à la société. Ils
n’ont franchi tous les obstacles, qu’en apprenant aux hommes ce qui
étoit profitable à l’humanité.

On croit pouvoir dire qu’un Curé qui enseigneroit à ses Paroissiens la
pratique de la Religion, qui est fort simple & fort courte pour eux,
les devoirs les plus communs & dès-là les plus essentiels ; qui leur
montreroit les moyens les plus simples d’éviter & de guérir les
maladies ordinaires à la campagne, de mieux cultiver leur champ ; qui
sachant quelques principes des loix & de la coutume du Pays,
termineroit les procès, & les préviendroit dans leur naissance ; qui
sauroit un peu de Physique, de Médecine usuelle, d’Arpentage,
contribueroit d’avantage au bonheur des hommes, que tous les Curés ne
le peuvent faire avec leur mauvais latin, une inutile scholastique &
leurs querelles théologiques.

Il est bon que tous les ordres de l’Etat & que tous les membres de
chaque Ordre sachent que la considération est attachée à l’avantage de
faire du bien aux hommes, & de leur être utiles ; que la pratique de
la Religion consiste dans la bienfaisance ; que d’être bon, est le
principal moyen de ressembler à l’Etre souverainement bon, & à celui
qui faisoit du bien en voyageant, pertransibat benefaciendo.

Celui qui chercheroit à remplir les devoirs d’une profession qu’il
auroit choisie avec goût, ou qui seroit occupé des sciences naturelles
& des sciences exactes, qui connoîtroit les bornes de la raison &
celles de l’autorité, ne seroit point un homme de parti, un factieux,
ni un intriguant ; il ne se laisseroit point troubler, & il ne
troubleroit point les autres par les délires de la superstition, cette
maladie épidémique, ni par les divers fanatismes qui attaquent la
tranquillité des ames innocentes ; il ne persécuteroit jamais ses
frères. Ne craignez point de semblables malheurs, dit l’Abbé de
Saint-Pierre, des Descartes, des Leibnitz, des Newtons & des Derhams.


Manière d’exécuter ce Plan.

On objectera peut-être que l’éducation que je propose, n’est pas
possible ; qu’on n’a ni les Maîtres ni les Livres nécessaires pour
l’exécuter ; que les jeunes gens ne pourroient pas dans leurs
premières années apprendre tout ce qui est compris dans ce Plan.

Je répondrai que l’éducation des Grecs & des Romains étoit beaucoup
plus difficile ; que des gens très-sensés ont cru possible ce que je
propose ici, & il faut se garder de condamner sur des préjugés le
sentiment de grands Hommes, Fleury, Locke, Nicole : quels noms ! & quel
est l’homme qui oseroit élever la voix contre leur autorité réunie ?
Je déclare que je n’ai fait dans ce Mémoire que les commenter.

Enfin tout projet sensé doit être appuyé sur des faits, & je conviens
qu’il n’y a rien de plus mauvais en morale, que ce qui est
physiquement impossible.

Pour former une éducation, il faut des Maîtres ou des Livres, & il
faut apparemment l’un & l’autre. On propose de former des Maîtres,
c’est un ouvrage de longue haleine, qui ne dispenseroit pas d’avoir
des Livres tout faits. Je demande des Livres aisés à faire, qui
dispenseroient peut-être d’avoir des Maîtres. Je dis que tous ces
Livres sont faciles à faire, ou plutôt qu’ils sont presque tous faits.
Il ne s’agiroit, pour la plûpart que de compilations sensées &
raisonnables, qui seroient faites non par des hommes qui ne pensent
point, & qui n’ont jamais rien imaginé, mais par des personnes
capables de composer elles-mêmes les Livres qu’elles compileroient,
d’ouvrir des routes, de perfectionner celles qui sont découvertes,
d’imaginer des méthodes, & de juger les sciences avec un esprit
philosophique.

A l’égard de l’impossibilité prétendue d’apprendre les sciences à de
jeunes gens, je remarque premierement qu’on leur apprend (mal à la
vérité) des choses plus difficiles. De plus, je suppose au moins dix
ans d’éducation depuis six ou sept ans, jusqu’à dix-sept ou dix-huit.
Et que ne pourroit-on pas apprendre en dix ans, si l’on étoit bien
conduit, & que l’on eût de bons Livres élémentaires ?

Il n’y a point d’enfant, qui au College, ou pour se préparer à y
entrer, n’ait huit heures & demie & neuf heures de travail par jour.

Je ne demande que quatre à cinq heures de classe où la peine soit
principalement pour les Maîtres, où ils fassent travailler les enfans
devant eux, ou les disciples plus avancés feroient les démonstrations
aux plus jeunes ; des Livres où l’instruction fût toute faite, une
éducation qui n’exige dans les commencemens que des yeux & de la
mémoire.

Dans les trois ou dans les quatre premieres années, hors ces Classes,
nulle étude que des leçons agréables & utiles à retenir, qu’ils
pourroient apprendre en se promenant ; la plus grande peine seroit
d’écrire, de dessiner & d’apprendre un peu de Géométrie.

Des personnes instruites feront aisément l’arrangement de ce Plan & sa
tablature, s’il a le bonheur d’être approuvé du Maître & de la Nation.

Je le répète, il n’est besoin, pour exécuter un bon Plan d’éducation
littéraire, que de Livres qui serviroient d’instruction ou de méthode
d’instruction : & ces Livres sont aisés à composer. Le Roi n’a qu’à
ordonner ; qu’il dise & tout sera fait ; alors l’éducation sera facile
& on ne demandera dans les Maîtres, les Gouverneurs & les
Gouvernantes, que de la religion, des mœurs & de savoir bien lire ;
cela ramènera à l’éducation domestique, qui est la plus naturelle & la
plus favorable aux mœurs & à la société.

J’ai conduit les jeunes gens à la porte des Sciences, il est réservé à
des plumes plus savantes de les introduire dans leur sanctuaire.

FIN.


POST-SCRIPTUM.

APrès avoir achevé ce Mémoire, il m’est tombé entre les mains une
Brochure intitulée De l’Education publique. Je me suis rencontré dans
le point important qui est la fixation des objets d’études, avec un
homme qui paroît avoir des connoissances étendues dans l’Encyclopédie
des Sciences, & qui sait tirer des lignes de communication de l’une à
l’autre.

Ma premiere idée a été de supprimer mon Mémoire, comme devenant
peut-être inutile. Ce n’est pas la peine de faire relire deux fois les
mêmes choses ; mais comme je me trouve d’un avis différent de cet
Auteur sur la qualité des Maîtres & sur des détails essentiels, on m’a
conseillé de donner cet Ouvrage au Public. Des matieres éclaircies à
son Tribunal, seront toujours bien jugées.

Je crois au surplus que notre Plan est bon, & qu’il peut être utile ;
je dis notre Plan, car il est à peu près : le même nous ne différons
que dans l’exécution, & en ce que cet Auteur exclut les Séculiers que
je voudrois, & où il admet beaucoup d’Ecoles que je ne voudrois pas.

L’article le plus essentiel d’un Plan pour les Colleges, est de fixer
les objets des études ; car s’ils sont mal fixés, comme je crois
l’avoir démontré, il est nécessaire d’y en substituer d’autres. Nous
sommes d’accord en ce point, l’Auteur de l’Education publique & moi.
Nous sommes même d’accord sur ceux qu’il faut substituer ; c’est sur
cet objet qu’il est absolument nécessaire, si l’on veut rétablir les
études, que le Gouvernement prononce. Premiérement, parce que c’est au
Roi qu’il appartient de régler l’instruction de la Nation ; en second
lieu, parce qu’il est convenable que cette instruction soit uniforme
dans tout le Royaume, & qu’il est essentiel qu’elle ne soit pas
arbitraire.

Que Sa Majesté ait la bonté de nommer une Commission composée de cinq
ou six personnes pour examiner ces deux projets, ou tels autres que
l’on pourroit présenter. Son premier travail seroit de déterminer les
objets d’études pour tous les Colleges.

On croit devoir dire que cette Commission doit être composée
principalement de quelques hommes d’Etat & de gens de Lettres ; qu’on
n’y doit faire entrer aucun homme de parti.

Le second point, & celui qui importe peut-être le plus aujourd’hui,
est une Méthode d’instruction pour exécuter le Plan qui auroit été
agréé par Sa Majesté.

Pour y parvenir, il s’agit d’avoir des Maîtres. Les uns parlent des
Communautés séculieres & régulieres ; les autres veulent des
Célibataires ; quelques-uns préferent des gens mariés : il y en a qui
les admettent indifféremment. Il est question d’ailleurs de trouver
une grande quantité de Maîtres tout formés, ou les moyens de les
former en peu de temps. Quand on voudra y réfléchir, on verra qu’il
est impossible de faire tout-à-coup une pareille recrue dans le
Royaume ; & si l’on veut décider la question de la qualité des
Maîtres, on va ouvrir la porte à des discussions sans nombre, où
l’esprit de corps, les droits & les privileges entreront
nécessairement, & qui par conséquent deviendront interminables. Chaque
corps réclamera ; on fera agir l’esprit de parti ; les plus forts
l’emporteront, & l’Etat ne sera pas mieux servi ni plus éclairé.

Je pense que l’objet des Etudes étant une fois fixé, Sa Majesté
pourroit faire composer des Livres Classiques élémentaires, où
l’instruction fût toute faite relativement à l’âge & à la portée des
enfans depuis 6 ou 7 ans jusqu’à 17 ou 18.

Ces Livres seraient la meilleure instruction que les Maîtres pussent
donner, & tiendraient lieu de tout autre méthode. On ne peut se passer
de Livres nouveaux, quelque parti que l’on prenne. Ces Livres étant
bien faits, dispenseroient de Maîtres formés ; il ne seroit plus
question alors de disputer sur leur qualité, s’ils seroient Prêtres ou
mariés, ou célibataires. Tous seroient bons, pourvu qu’ils eussent de
la Religion, des mœurs, & qu’ils sussent bien lire ; ils se
formeroient bientôt eux-mêmes en formant les enfans.

Il ne s’agiroit donc que d’avoir des Livres, & je dis que c’est la
chose la plus aisée présentement. Un mot de la part de Sa Majesté
suffiroit. Il y a dans la République des Lettres beaucoup plus de
Livres qu’il n’en faut pour composer, avant deux ans, tous ceux qui
seraient nécessaires ; & il y a dans les Universités & dans les
Académies plus de Gens de Lettres qu’il n’en faut pour bien faire ces
ouvrages ; il n’y en a point qui ne se fît un devoir & un honneur de
concourir aux vues de Sa Majesté, & au bien général du Royaume.

Un autre moyen très-simple seroit de proposer de pareils Livres à
faire pour sujets de prix de toutes les Académies : cela produirait en
peu de tems des Mémoires excellens, que l’on chargerait des Gens de
Lettres de rédiger. Le Gouvernement pourra tout, quand il voudra
employer le génie & l’industrie de la Nation.

On feroit imprimer ces ouvrages à une Imprimerie Royale, sans qu’il en
coûtât aucuns frais au Roi ; & ces Livres coûteroient peu aux
familles, pourvu que l’impression ne se fît pas par entreprise, & que
la chose ne devînt pas une affaire de finance.







*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ESSAI D'ÉDUCATION NATIONALE OU PLAN D'ÉTUDES POUR LA JEUNESSE ***


    

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(or any other work associated in any way with the phrase “Project
Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg™ License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the
Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg™ License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work
on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the
phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

    This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
    other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
    whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
    of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
    at www.gutenberg.org. If you
    are not located in the United States, you will have to check the laws
    of the country where you are located before using this eBook.
  
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase “Project
Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg™.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg™ License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format
other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg™ website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain
Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the
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1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works
provided that:

    • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
        the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method
        you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
        to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has
        agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
        within 60 days following each date on which you prepare (or are
        legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
        payments should be clearly marked as such and sent to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
        Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg
        Literary Archive Foundation.”
    
    • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
        you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
        does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™
        License. You must require such a user to return or destroy all
        copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
        all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™
        works.
    
    • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
        any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
        electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
        receipt of the work.
    
    • You comply with all other terms of this agreement for free
        distribution of Project Gutenberg™ works.
    

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right
of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

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facility: www.gutenberg.org.

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