Lord Northcliffe

By Andrée Viollis

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Title: Lord Northcliffe

Author: Andrée Viollis

Release date: April 8, 2025 [eBook #75815]

Language: French

Original publication: Paris: Librairie Bernard Grasset, 1919

Credits: Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD NORTHCLIFFE ***





  Au lecteur

  Andrée Viollis (1870-1950) est une journaliste et écrivaine
  française, figure marquante du journalisme d'investigation et du
  grand reportage, correspondante de guerre. (Wikipedia)

  Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version
  originale.

  Une table des matières a été ajoutée.

  La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.
  Les mots en gras dans l'original sont entourés par des =.

  L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés.
  La liste des modifications se trouve à la fin du texte.




  Lord Northcliffe




  ANDRÉE VIOLLIS


  Lord Northcliffe

  [Illustration]

  PARIS
  LIBRAIRIE BERNARD GRASSET
  61, RUE DES SAINTS-PÈRES, 61

  MCMXIX




LORD NORTHCLIFFE

_Une force de la nature... ou de la science_


Dans un salon où se trouvaient réunis plusieurs représentants des
Alliés, un Français, rare survivant de cette faune aujourd'hui
disparue qui ne voulait rien connaître en dehors de l'enceinte des
fortifications parisiennes, demandait tout à coup:

--Mais qui est donc ce lord Northcliffe?

--Northcliffe? répondit laconiquement un Américain, c'est la puissance
de l'Angleterre...!

Homme d'affaires, homme d'action, homme de pensée, le tout à un degré
éminent, exerçant une profonde influence sur l'opinion du monde par les
nombreux et puissants journaux qu'il dirige, ayant refusé plusieurs
portefeuilles pour garder son indépendance, et résolu de mener la
guerre jusqu'à la victoire indiscutable et totale, veillant maintenant
sur la paix en vigie impérieuse et tenace, lord Northcliffe occupe, en
effet, une situation unique.

Il est non seulement une des personnalités les plus connues de notre
temps, mais une des plus discutées. Il emplit l'Empire britannique de
son nom. Qu'on ouvre un journal, une revue, il est question de lui;
qu'on assiste aux débats de la Chambre, à un meeting, à un congrès,
encore lui; qu'on entre même dans un théâtre, toujours lui. Dans une
pièce du populaire Barrie, jouée l'autre hiver, un certain lord Times
apparaît de temps à autre, comme un diable sort d'une boîte, et crie
d'un ton impérieux: «_It must be done!_ Il faut que cela se fasse!...»
Un beau jour, Horatio Bottomley, directeur d'une revue tapageuse, le
_John Bull_, faisait promener à travers Londres de grands placards sur
lesquels on lisait: «_Northcliffe sends for the king._ Northcliffe
envoie chercher le roi...» Si on cause paisiblement entre amis et
qu'on cite son nom, le débat se passionne, s'enflamme, on attaque et
on défend, on exalte et on injurie, on se lance à la tête épithètes
et arguments:--«C'est un ambitieux sans scrupules, un dictateur!--Les
forts doivent gouverner!--C'est un esprit changeant, une imagination
déréglée!--Un admirable prophète, un génie constructeur!--Un jaune!--Le
courage le plus indomptable!--Le plus impudent!--Un patriote, en tous
cas!...» A ces mots, la dispute s'apaise, l'accord s'établit. Amis et
ennemis s'entendent sur ce point: «C'est un patriote, c'est l'homme qui
a prédit la guerre, l'homme qui a voulu la victoire et l'a eue...»

Il faut le connaître pour comprendre le secret de l'empire qu'il
exerce, de l'agitation qu'il soulève.

Vous avez vu des tanks? Quand une de ces machines formidables en même
temps que prodigieusement intelligentes s'en va droit son chemin,
sûrement, inéluctablement, qu'elle broie les réseaux de fil de fer,
écrase les sacs de terre, déracine les arbres, enjambe les fossés
et les tranchées, renverse tous les obstacles avec un paisible, un
effroyable dédain, on sent que rien ne pourra l'arrêter. Telle est à
peu près l'impression que donne à première vue lord Northcliffe. C'est
une force de la nature--ou de la science.

Quand il est présent, on ne voit, on n'entend que lui. Il semble, sans
effort et comme naturellement, absorber tout l'air respirable. Je le
revois tel qu'il m'apparut pour la première fois dans son cabinet du
_Times_, debout devant la monumentale cheminée aux flammes vives, la
tête rejetée en arrière sur son cou de lutteur, les épaules carrées,
les poings derrière le dos, sa haute taille solide tendue dans une
attitude de défi. De profil, les traits sont nets, dessinés d'un seul
jet pur et hardi; de face, ils se ramassent en un ovale d'une structure
massive, à la mâchoire puissante et obstinée: le profil de Napoléon
dans la face de John Bull. Ses yeux gris bleu, au regard vif qui
parcourt, note et saisit, se fixent parfois violemment avec l'éclat dur
d'un trait d'acier.

Le voici qui se promène de long en large; il s'assied, il se lève,
se penche vers une table, consulte une carte, un livre, saisit son
téléphone, lance un ordre, prend une note, le tout en une minute. Et il
parle. Des phrases pressées, explosives, chargées de faits et d'idées,
se succèdent en brefs éclairs. Mais plus souvent il écoute, se bornant
à diriger l'entretien par des questions rapides, brusques qui précisent
la pensée, la pressent, en font jaillir le suc essentiel. Parfois quand
il s'anime ou s'irrite--cela lui arrive!--ses lèvres se tordent sur les
mots et les lancent brusquement avec cette crispation de la main qui
jette une bombe. Les yeux noircissent. La figure rougit. Mais tout à
coup il se laisse tomber dans un fauteuil avec une aisance abandonnée,
il rit, il plaisante,--humour britannique ou boutade celte--et ses
traits prennent une expression presque enfantine de gaîté, d'amicale
confiance. Il peut être dur, il sait être bon. Mais c'est par dessus
tout un combatif, une volonté inspiratrice, un semeur de pensées et
d'action,--un animateur, comme on dit en Italie. Et sa vie,--la vie
d'un homme qui s'est fait lui-même,--constitue une leçon unique de
travail, de persévérance, d'énergie.




_La famille Harmsworth_


Alfred, Charles, William Harmsworth, vicomte Northcliffe, naquit en
Irlande, en 1865, d'un père anglais, avocat du Middle Temple à Londres,
mais à cette époque inscrit au barreau de Dublin, lettré délicat dont
il tient ses dons d'orateur et ses aptitudes littéraires, et d'une
mère irlandaise qui avait dans les veines du sang écossais. Il doit à
l'élément celte sa fougue audacieuse, son caractère généreux et violent
par saccades, son bel optimisme rebondissant; à l'élément anglo-saxon,
sa lucidité réfléchie, sa redoutable et inflexible ténacité.

Une photographie le représentée l'âge d'un an sur les genoux de sa
mère. La tête posée droite et fière sur les épaules menues, le front
bombé, étonnamment large et haut, mais surtout le regard des prunelles
limpidement ouvertes sur le monde, avec une expression à la fois
pensive et ravie, sont étrangement suggestifs. De la mère, on ne voit
sous des cheveux en bandeaux que le front au beau modelé, le profil
tendrement incliné et le geste de deux mains qui enveloppent d'une
caresse protectrice le corps allongé et nu de son premier-né. On sent
qu'elle n'est là que pour lui. S'aperçoit-elle même qu'elle s'efface?
C'est qu'elle fut mère avant tout, une mère admirable.

Elle eut treize enfants, que, restée veuve de bonne heure elle sut
élever avec une énergie pleine de douceur et qui entourent maintenant
sa vieillesse d'un culte fait d'amour et de gratitude. Elle est la
seule femme au monde qui ait quatre fils au Parlement: deux à la
Chambre des Lords, Lord Northcliffe et Lord Rothermere qui, ministre
de l'Aviation, organisa si brillamment l'Etat-major de l'air et
effectua la délicate fusion de l'aviation militaire et navale; deux à
la Chambre des Communes, dont l'un, Sir Leicester Harmsworth, recevait
dernièrement le titre de baronet, tandis que l'autre, Cecil Harmsworth,
secrétaire parlementaire de M. Lloyd George, fut chargé de diriger
pendant la guerre l'industrie de la pêche, si importante en Angleterre.

Lord Northcliffe, parlant de sa mère, décrivait cette vie d'ordre
équilibré, de simple activité et tout l'intérêt, toute la part que,
malgré son âge, elle prend à la guerre et aux œuvres de guerre.

--Elle est aussi intellectuellement active qu'une femme de trente ans,
_my very wonderful mother!_ concluait-il avec émotion.

Où qu'il se trouve, et Dieu sait s'il a voyagé, lord Northcliffe écrit
ou télégraphie chaque jour à sa mère. Quand il est en Angleterre,
malgré la tâche écrasante à laquelle il doit suffire, il s'efforce de
lui consacrer au moins une journée par semaine. Elle est restée le
lien vivant et l'âme de cette famille où frères et sœurs s'aiment et
s'épaulent avec une solidarité dans l'affection plus rare en Angleterre
que chez nous, car le cercle du foyer y est moins étroit. Quand on
étudie la vie d'un homme célèbre: «Cherchez la mère», devrait-on dire.
Dans le cas de lord Northcliffe, on cherche et on trouve.




_Un journaliste de 15 ans_


Il quitta l'Irlande dès sa première enfance, son père étant venu
s'installer à Londres, dans un de ces grands faubourgs où des
kilomètres de cottages vêtus de lierre et de vigne vierge s'alignent
au milieu de jardins verts. Il y a encore des gens à Hampstead qui
se souviennent des jeunes Harmsworth, garçons robustes, joyeux,
bruyants, très sportifs, qui jouaient au foot-ball et à la raquette,
vagabondaient à travers la campagne et fréquentaient une école
secondaire du voisinage, analogue à nos lycées. Alfred Harmsworth n'a
rien du fort en thème et devait étouffer dans l'atmosphère confinée
d'une classe. C'est la vie qu'il fallait comme livre à ce jeune esprit
curieux, impatient, avide d'émotions et d'action. Mais comme il avait
également le goût de penser et d'écrire, le journalisme lui sembla
réaliser ce double idéal. Ce fut une vocation précoce, irrésistible,
à laquelle il sut rester fidèle. Il aima toujours passionnément son
métier. Peut-être est-ce le secret profond de sa force et de son succès.

Il ne trouva guère d'encouragement autour de lui. Son père, soucieux de
le voir s'engager dans les sentiers risqués de l'aventure, le suppliait
de revenir à la grande route du barreau. «Mais il ne m'apparaissait
pas, a dit lord Northcliffe, que l'étude du droit, l'existence d'un
homme de loi et tous les délais qu'infligent les pratiques chicanières
de la basoche soient des concomitants nécessaires d'initiative,
d'énergie, d'action et de décision.» Deux journalistes connus, dont
l'un, sir William Hardman, était un ami de son père, et l'autre, G.-A.
Sala, après quarante ans d'expérience, un vieux cheval de retour de la
presse, s'efforcèrent mais en vain de le détourner de sa vocation. Rien
n'y fit. Etant encore au collège, il avait fondé et dirigé le magazine
de l'école, si bien que la rédaction, l'impression, la correction
des épreuves n'avaient dès cette époque plus de mystère pour lui. Il
se faufilait dans les salles de rédaction et d'imprimerie afin d'en
renifler l'odeur d'encre fraîche et de papier, aussi enivrante à ses
narines que les senteurs du goudron pour les futurs marins. A peine
âgé de seize ans, il écrivait déjà de ci de là, en franc-tireur. Un
vieil Ecossais sagace, plein de perception, M. James Henderson, qui
possédait plusieurs publications hebdomadaires dont un magazine pour la
jeunesse, _The Young Folk's Budget_, montra son flair en se faisant le
parrain en journalisme de l'adolescent auquel il ouvrit à la fois ses
colonnes et sa maison. Tandis que la plupart des directeurs de journaux
se retranchaient dans l'auguste solitude de leur tour d'ivoire, dressée
très haut au-dessus de l'humble foule de leurs collaborateurs, celui-ci
les recevait familièrement à sa table et c'est par lui qu'Alfred
Harmsworth s'immisça dans les cercles littéraires et connut plusieurs
écrivains célèbres, dont le grand Robert-Louis Stevenson. A dix-sept
ans, il était nommé secrétaire de la rédaction d'un hebdomadaire,
_Youth_, où il put prendre une première idée des rouages intérieurs
d'une publication. Entre temps il continuait à faire avec une
hardiesse tenace ce qu'il appelait «des attaques brusquées contre les
fortifications hérissées de fil de fer barbelé des grands quotidiens du
matin et du soir». Ses raids étaient souvent couronnés de succès. Mais
il garde une gratitude toute particulière à un M. Greenwood, rédacteur
en chef de la _Saint-James's Gazette_ qui, dit-il, «lui fit beaucoup
de bien en refusant la plupart des articles qu'il lui apportait». Aux
natures de cette trempe, un échec est un coup d'éperon.

En outre et surtout, Alfred Harmsworth promenait sur les choses
et les gens son jeune regard aigu d'Indien sur le sentier de la
guerre, notant, comparant, critiquant avec une impitoyable lucidité,
emmagasinant faits et documents dans la mémoire la plus vaste et
la plus fidèle qui soit; et déjà au creuset de cet esprit créateur
s'élaborait le plan de ses futures entreprises.

Le hasard d'un secrétariat qui lui valut ses premiers voyages sur le
Continent vint encore l'enrichir d'expériences nouvelles: il y acquit
le germe de ses connaissances si profondes sur l'âme, la politique, les
mouvements économiques et sociaux des peuples de l'Europe.

«Quand des parents viennent me demander comment leurs fils devraient
se préparer au journalisme, a écrit lord Northcliffe, je réponds
invariablement: «La meilleure instruction possible, la connaissance du
français et une période d'initiation dans un journal de province.»




_Directeur de journal à 20 ans_


Cette initiation, une chance malheureuse allait la fournir au jeune
Harmsworth: les docteurs durent lui interdire le séjour de Londres.
Car il faut le noter ici: cet homme à l'allure robuste, ce travailleur
acharné, ce lutteur a toujours eu une santé fort délicate qui vint à
tout instant l'entraver et dont il ne put s'accommoder que par des
miracles de volonté et la plus prudente sagesse dans la conduite et
l'équilibre de son existence quotidienne. «Ah! si du moins j'avais eu
une belle santé!...» ai-je entendu soupirer plus d'un raté ou d'un
aigri. Lord Northcliffe eut encore cet obstacle à surmonter. Il le
vainquit.

Vers cette même époque, il avait eu la douleur de perdre son
père; étant l'aîné, il devenait chef de famille avec toutes les
responsabilités que ce titre entraîne. Il les chargea vaillamment sur
ses épaules et à l'âge de vingt ans environ quitta Londres pour diriger
un journal dans la ville de Coventry.

«Dans les vastes organisations que sont les journaux des grandes
cités comme Londres, New-York ou Paris, continue lord Northcliffe,
le néophyte doit en vérité ouvrir des yeux bien grands pour arriver
à comprendre l'ensemble de ces organisations; mais dans un journal
de province où le secrétaire de la rédaction et les rédacteurs sont
en contact étroit et quotidien, où le même homme peut avoir à jouer
simultanément plusieurs rôles, où propriétaire, directeur, typographes,
reporters et articliers doivent être constamment associés, il est aisé
d'embrasser dans son entier le mécanisme d'un journal.»

Il pénétrait donc bientôt tous les secrets de cette officine
mystérieuse et compliquée.

C'est à Coventry également que parut le numéro initial d'_Answers_,
la première publication qu'organisa Alfred Harmsworth. Il n'avait pas
vingt-trois ans. C'était une revue hebdomadaire dont les demandes
formulées par les lecteurs et les réponses qu'on leur donnait formaient
l'intérêt principal.

Elle végétait quand le jeune directeur l'acheta pour lui insuffler la
vie ardente qui galvanisait tout ce qu'il touchait. Il la rédigeait
presqu'entière à lui seul, articles de tête, variétés, nouvelles, mots
d'esprit et jusqu'aux annonces avec une verve jaillissante et drue et
la plus ingénieuse entente de ce que désirait le public. Un habile
système de concours et de primes, lancé avec une audace qui aurait pu
paraître téméraire si elle ne s'était appuyée sur une intuition géniale
du pouvoir de la réclame et le sens psychologique le plus avisé, vint
assurer le succès. Les murs se couvrirent d'affiches éclatantes, les
abonnements affluèrent avec une abondance qui touchait au scandale,
des légendes prestigieuses se formèrent. Et tout ce tintamarre, tout
ce bouleversement prenaient leur source dans un tout petit bureau où
travaillaient nuit et jour une poignée de jeunes et hardis lurons.




_Lady Northcliffe_


Pourtant la partie était loin d'être gagnée. Tout pouvait encore
s'effondrer. Et c'est ce moment-là qu'Alfred Harmsworth choisit
pour se marier. Mariage d'amour, naturellement. Les esprits timorés
de chez nous qui n'admettent le mariage que comme un troc entre le
«sac» obligatoire de la jeune fille et la «situation assise» du jeune
homme--qui d'ordinaire a laissé en route sa jeunesse, ses illusions
et ses cheveux--ces faux prophètes auraient levé les bras au ciel, en
criant à la folie. En réalité, Alfred Harmsworth, en cette occasion
comme en tant d'autres, montra la sagesse prudente et prévoyante
qui, sous un bouillonnement apparent et les dehors d'une généreuse
imprudence, forme le véritable fond de sa nature, détermine toutes
ses actions, explique son succès. En même temps que le bonheur intime,
il donnait à sa vie un but, lui ajoutait le plus puissant levier
d'énergie. Et il apportait toute la jeunesse de son cœur à celle qu'il
avait choisie.

De l'avis de tous ceux qui la connaissent en France comme en
Angleterre, lady Northcliffe, avec la beauté que connaissent seules les
Anglaises quand elles veulent bien s'y mettre, possède un rayonnement
de bonté, de charme et d'harmonieuse intelligence auquel personne
n'échappe. Elle tient avec un tact parfait un rôle social très lourd,
elle resta toujours la compagne idéale que rêve tout homme d'action, à
la fois épouse et associée.

Lady Northcliffe est l'une des organisatrices de ce _British fund_ de
la Croix-Rouge qui a su réunir un nombre prodigieux de millions dont
ont bénéficié tant de nos ambulances et de nos hôpitaux; elle a fondé
et entretient à Londres depuis août 1914 un hôpital militaire et s'en
occupe elle-même avec un dévouement actif. On trouve son nom et son
appui dans nombre d'œuvres de guerre.

Pour son mariage, comme dans la plupart des occasions de sa vie,
lord Northcliffe eut beaucoup de chance. Ou plutôt, ce qui est bien
différent, par sa clairvoyance et son courage, il sut faire sa chance
et créer son bonheur.




_Alfred le Grand_


Les années qui suivirent furent parmi les plus dures comme effort et
comme travail, des plus décisives aussi; Harmsworth commençait à être
célèbre au delà même de _Fleet Street_, la rue des journalistes, où
on le connaissait sous le nom d'Alfred le Grand. Un reporter américain
qui fit sa connaissance à cette époque conte comment il trouva dans une
pièce étroite et encombrée un beau garçon robuste, si jeune d'aspect
qu'il semblait à peine sorti de l'adolescence; celui-ci le reçut avec
une familiarité cordiale et de suite l'assaillit de questions sur
l'état de la presse en Amérique, l'organisation des journaux, leurs
bénéfices, les chances d'avenir qu'y avait un écrivain professionnel,
les salaires qu'il recevait, donnant en retour les mêmes renseignements
sur l'Angleterre. Puis il parla de lui-même, de ses projets, de ses
rêves avec une franchise pleine de simplicité. Bientôt il attirait
dans son sillon le jeune Américain, exerçait sur lui la même
fascination dominatrice que sur tous ceux qui l'approchent, réclamait
sa collaboration pour des travaux pressés, et lui faisait corriger des
épreuves; puis il l'entraînait le soir à travers les rues de Londres,
le long de la Tamise voilée d'une brume vivante que piquent des points
rouges. Le reporter yankee a conté--est-ce une légende?--qu'une nuit
passant devant la noble masse de Westminster: «J'y entrerai un jour,
dit Alfred Harmsworth; mais ajouta-t-il pensivement, je ne sais pas
encore si ce sera à la Chambre des Lords ou à la Chambre des Communes.»

Une autre fois, en face des bureaux du _Times_: «Drôle de vieille
maison et si typique de l'Angleterre traditionaliste! Si j'en prends la
direction, je me garderai bien de changer son caractère!»

Paroles prophétiques, d'apparence présomptueuse dans la bouche d'un
jeune inconnu mais qui, réalisées avec une foudroyante rapidité,
prouvent qu'Alfred Harmsworth sut toujours sans dévier marcher
jusqu'à son but. Ambition? Certes, mais nulle vanité. Une force qui
a conscience d'elle-même et s'exprime, sans embarras comme sans
réticences...

Il multipliait alors et lançait sans cesse de nouveaux hebdomadaires. A
vingt-cinq ans il en tirait un revenu annuel de 1.250.000 francs. Ses
ennemis prétendent qu'à cette époque il se faisait l'esclave du public,
le flattant, s'abaissant au niveau de l'âme populaire. Qu'y a-t-il de
vrai dans cette allégation? Outre que lord Northcliffe a toujours cru
au bon sens et à l'intuition de la foule, il forgeait l'instrument qui
allait lui permettre de dominer et d'entraîner l'opinion publique, de
la pétrir dans ses poings de lutteur, de la marquer à son empreinte.

Il avait associé à sa fortune son frère, lord Rothermere, qui se montra
le plus remarquable des administrateurs. On assure que lorsqu'Alfred
émettait une de ses idées hardies et brillantes, Harold, de la pointe
de son crayon, la traduisait aussitôt en chiffres. C'était la pierre de
touche.

En 1894, M. Kennedy Jones, écrivain et membre du Parlement notoire qui
fut longtemps leur collaborateur, venait proposer aux deux frères de
risquer 625.000 francs pour l'achat de l'_Evening News_. C'était un
journal conservateur fort malchanceux, la Cendrillon de _Fleet-Street_,
et qui avait gâché tant de millions avec si peu de gloire que les
loustics de la presse radicale s'amusaient à en vendre pour quelques
sous les actions au boisseau.

Les Harmsworth acceptèrent le défi: «Je me souviens, écrit lord
Northcliffe, qu'après une rude journée de travail passée à diriger,
administrer et rédiger nos périodiques, nous allions tous les soirs,
mon frère et moi, retrouver M. Jones dans le bâtiment croulant de
_Whitefriars Street_ pour chercher de quelles maladies souffrait
l'_Evening News_. Nos efforts combinés parvinrent à les trouver. Il y
en avait deux principales: manque de suite dans la conduite du journal,
manque de contrôle administratif. En quelques mois, nous eûmes rétabli
le journal dans la confiance et l'estime du public et nous commencions
à étudier mon projet si longuement chéri d'un journal du matin.»




Le _Daily Mail_


Depuis longtemps, en effet, Alfred Harmsworth portait ce journal dans
son cœur, dans son cerveau; sa naissance fut une joie laborieuse,
il est demeuré son enfant préféré, «celui en qui il met toutes ses
complaisances».

Lord Northcliffe a relaté lui-même les péripéties qui marquèrent les
débuts du _Daily Mail_.

«Officiellement, dit-il, le _Daily Mail_ fut lancé le 4 mai 1896, mais
en réalité, sa conception datait de plusieurs années. Tandis que,
franc-tireur du journalisme à Londres, je collaborais à plusieurs des
quotidiens du matin et du soir, entre les âges de dix-sept et vingt
ans, la vie me convainquit que la mollesse de leur direction, les
compartiments d'air comprimé qui en séparaient les divers services et
la tranquillité complaisante qui y régnait nécessitaient un sérieux
réveil... Je m'aperçus, en fréquentant les bureaux de ces journaux,
que leur organisation était construite de telle sorte qu'il était
matériellement impossible de faire parvenir une idée jusqu'au grand
chef...

«Le _Times_ continuait son existence mystérieuse dans la solitude
de son île de _Printing House Square_; le _Daily Telegraph_, sa
paisible rivalité avec le _Standard_; le _Morning Post_ se tenait
dédaigneusement à l'écart; le _Daily News_, politique et littéraire,
n'était que l'organe du parti radical, et le _Daily Chronicle_, sous
Massingham, le plus brillant et le plus entreprenant de la bande...
J'espère ne pas offenser mes amis de ces grands quotidiens en leur
disant que leur manque d'initiative et leur aveugle soumission à
l'esprit de parti étaient une invitation directe à l'assaut que leur
livra le _Daily Mail_...»

La bataille avait été longuement préparée. Des numéros d'essai parurent
à blanc pendant plusieurs mois avant le 4 mai et, comme la plupart
des succès, la réussite foudroyante du _Daily Mail_ provint de la
combinaison d'une chance heureuse qui était l'inertie des journaux de
Londres et d'une préparation qui ne laissait rien au hasard. «Alors
que le projet d'un journal du matin à 0,05 centimes, continue lord
Northcliffe, ne semblait éveiller que peu d'intérêt parmi ceux qu'elle
concernait pourtant directement--les propriétaires de journaux à 0,10
cent, et ceux du _Times_ qui, depuis 1861, avaient conservé le prix de
0,30 cent.--l'événement prouva que le public prenait un immense intérêt
à cette entreprise neuve, et cela à un degré que nous n'avions pas
prévu. Nous nous étions préparés pour un tirage de 100.000 exemplaires;
le papier était exactement celui qu'employaient les journaux à 0,10
cent.; les machines, selon le dernier cri; des jeunes gens intelligents
et hardis venus de toutes parts offraient leurs services. Nous
estimions avoir tout prévu, sauf, si je puis le dire avec modestie,
la demande colossale qui en résulta. Le nombre exact des exemplaires
vendus le premier jour fut de 397.215 et il devint urgent d'annexer
diverses imprimeries voisines, tandis qu'on nous construisait des
machines nouvelles...»

Ces premiers jours s'écoulèrent dans un travail intense, une fièvre
ardente: «Pour ma part, dit lord Northcliffe, je ne quittai pas les
bureaux pendant deux jours et deux nuits, puis, rentré chez moi, je
dormis vingt-deux heures... Mais quelles heures d'allégresse!...»

Bientôt le tirage s'élevait à 600.000. Le _Daily Mail_ faisait un
emploi généreux des fils spéciaux, des câbles, envoyait sur tous
les points du monde des reporters actifs et audacieux, payés avec
une libéralité jusqu'alors inconnue; les articles courts, ramassés,
nerveux, tranchaient sur le ton filandreux des autres journaux, leur
poncif soporifique; de plus, le journal n'étant l'esclave d'aucun
parti, rien ni personne n'étant sacré pour lui, il était toujours
prêt, dans l'intérêt général, aux campagnes les plus violentes, aux
sacrifices les plus élevés. Un souffle irrésistible de jeunesse et
de force y courait. Et son organisation pratique constituait une
révolution: le journal, imprimé plus rapidement qu'aucun autre,
engageait des trains spéciaux et jetait ses éditions de droite et
de gauche par toute l'Angleterre. Plus tard, en 1900, s'organisa
la succursale de Manchester donnant la réplique exacte du numéro
de Londres qui, de là, s'élança sur le Nord et l'Ecosse, et enfin
l'édition continentale de Paris qui, en temps de paix, rayonnait
sur tous les pays de l'Europe et fit de sérieux bénéfices, placés
maintenant en emprunt de guerre français.

Ce fut donc le triomphe. Pourtant ces procédés nouveaux de journalisme,
directs et violents, trouvèrent quelque résistance dans une partie du
public, celle qui a gardé les traditions de réserve et de froideur
britanniques. On reprocha au jeune directeur du _Daily Mail_ sa
maîtrise à lancer ou abattre les hommes et les entreprises, à saisir
les grands de ce monde dans ses dents de bull-dog et à les secouer par
la peau du cou; on l'accusa de connaître dans tous ses détours l'art de
la réclame, de l'_advertising_ et du _booming_. De plus, à mesure que
les quotidiens de Londres et de la province devenaient enfin conscients
du danger, ce fut un déchaînement d'injures et de calomnies contre
la _Northcliffe Press_. «Attaques sur lesquelles, selon l'expression
paisible de son chef, elle n'a cessé de vivre, de croître et de
prospérer.»




_Le Napoléon de la Presse_


Il ne s'en tint pas là. Toujours en collaboration avec son frère, il
avait, après l'_Evening News_, organisé le _Weekly Dispatch_; il lança
ensuite le _Daily Mirror_, quotidien illustré.

Il y a une douzaine d'années, alors qu'on croyait le _Times_ près de
passer aux mains d'un de ses concurrents, on apprend tout à coup que
lord Northcliffe s'en est assuré le contrôle. Tout en lui laissant sa
physionomie traditionnelle de gazette officielle de l'Empire, il le
modernise, y introduit le mouvement et la vie succédant à l'antique
torpeur, perfectionne encore ses merveilleux services de l'étranger,
soigne particulièrement le papier et la présentation, ne néglige rien
pour conserver et augmenter sa réputation de premier journal du monde,
tout en le ramenant au prix dérisoire de 0,10 cent. S'il voit dans le
_Daily Mail_ son enfant de prédilection, le _Times_ est son luxe--luxe
qui fut coûteux en temps de guerre--et son orgueil.

A quoi bon continuer? A quarante ans, le «Napoléon de la Presse»,
comme on a surnommé lord Northcliffe, possède la haute main sur une
soixantaine de journaux et de revues réunis en trois puissantes
sociétés: _The Times Publishing Company_, _The Associated Newspapers_
et _The Amalgamated Press_, auxquelles sont venues s'adjoindre
plusieurs entreprises annexes et complémentaires d'édition et
de librairie. Il commande une véritable armée d'écrivains,
d'administrateurs, d'imprimeurs, de typographes, d'employés et de
comptables, l'armée de la _Northcliffe Press_, qui eut plus de cinq
mille combattants au front. Elle compte des hommes de grand talent, les
plus actifs, les plus autorisés dans tous les domaines, qui partagent
les idées de leur chef, croient en sa force d'entraîneur. Sa seule
présence inspire et stimule. Il a foi dans la mission de la presse. Il
en a fait une puissance, il lui a donné un prestige dont il a l'orgueil.




_Lord Northcliffe grand "reporter"_


Bien que, depuis sa jeunesse, il écrive quotidiennement, lord
Northcliffe se défend d'être «un écrivain», au sens étroit du mot.
Certes, il n'a rien du plumitif qui tourne et mâche son porte-plume,
gratte le fond de son encrier, peine sur une épithète, succombe sous
une période. D'un coup-d'œil preste et précis, il cueille les détails
suggestifs, les note en des phrases nettes, brèves, imagées, qui ont
le vol rapide et brillant du martin-pêcheur, les pose en touches
successives, sans effort, sans lien apparent, et, soudain, l'idée
jaillit, déjà muée en acte. Parfois, une formule vive et puissante, une
anecdote, un tableau éclairent le sujet et le fixent dans la mémoire.
Par exemple, il s'agit des pacifistes et de leur nombre en Angleterre.
«Ils me rappellent, écrit lord Northcliffe, une histoire que l'on m'a
contée pendant mon séjour en Amérique, l'histoire d'un paysan, qui
s'en alla trouver le directeur du restaurant Delmonico: «J'ai des
grenouilles en quantité autour de ma ferme, fit-il. Voulez-vous m'en
acheter?» On fit marché pour un millier de grenouilles par semaine. La
semaine suivante, on vit arriver le bonhomme dans la Cinquième Avenue
avec un tout petit sac à la main. On lui demanda combien de grenouilles
il apportait: «Ma foi, répondit-il, quand je suis descendu au marais,
on ne s'entendait plus tant il y avait de coassements, mais je n'ai
pu trouver que dix-neuf grenouilles!» Voilà ce qu'il en est pour les
pacifistes en Angleterre», conclut lord Northcliffe.

Il comparait un jour la méthode de l'Amérique en guerre à celle
qu'elle emploie pour construire ses «gratte-ciel» (_sky-scrapers_):
«Pendant quelque temps, on voit éclater des rocs, une foule d'hommes
apparaissent avec d'étranges machines; on dirait qu'il ne se passe
rien; puis, graduellement mais sûrement, s'élève un grand squelette
d'acier; les progrès, pourtant, restent insensibles, quand, tout à
coup, le passant s'aperçoit, à sa grande surprise, que le dix-septième
ou le trentième étage est achevé, alors que les étages inférieurs en
sont encore à la période du squelette. Encore quelque temps d'attente,
et voilà que, soudain, le gratte-ciel se trouve terminé et abrite dans
ses flancs 10.000 ou 15.000 travailleurs affairés. Eh bien! c'est ainsi
que se construit la gigantesque machine de guerre de l'Amérique. Elle
s'achève et sera bientôt en plein fonctionnement...» Tableau dont nous
avons réalisé toute la prophétique exactitude.

Certains des articles de combat de lord Northcliffe, publiés
d'ordinaire dans le _Daily Mail_, avec leurs phrases ramassées et
violentes, courant droit au but, ont soulevé toute l'Angleterre.
D'autres articles de grand reportage--ceux par exemple sur l'Espagne
en danger de germanisation,--sont des esquisses d'une ampleur et d'une
justesse qui en font de véritables documents historiques. Enfin,
d'autres encore ont provoqué d'admirables mouvements de générosité; ils
ont la valeur d'œuvres sociales et philanthropiques. La Croix-Rouge
anglaise lui doit d'avoir soulagé partout les souffrances. Telle de ses
phrases a fait couler des millions et séché bien des larmes. Ce n'est
plus de l'art, c'est encore et toujours de l'action.




_L'homme d'affaires_


Mais lord Northcliffe est également et surtout un grand homme
d'affaires. Une de ses récentes photographies illustre cette partie
de son caractère que l'on serait tenté d'oublier, voilée qu'elle
se trouve par d'autres qualités plus brillantes, celles de l'homme
public. Le voici, les épaules un peu remontées, la tête penchée en
avant, les lèvres serrées, l'œil aux aguets, aigu, lucide: cet homme-là
voit à travers tous les calculs, devine tous les écueils, déjoue
toutes les ruses,--un terrible jouteur! Et dire qu'on a pu le traiter
d'esprit changeant, d'imagination déréglée! Toutes les affaires qu'il
a organisées et lancées ont prospéré; mais, avec ses manufactures de
papier, il a réalisé une de ses plus surprenantes opérations. Les
compagnies qu'il dirige ou contrôle, sont d'effroyables dévoratrices.
Elles ont une consommation annuelle en papier qui dépasse celle de
toutes les entreprises analogues du monde entier. Or, la production
imposée aux forêts du Canada, des Etats-Unis et de la Scandinavie est
telle qu'une famine de papier était une éventualité à prévoir. Lord
Northcliffe ne voulut pas en courir la chance. Il possédait déjà en
Angleterre des manufactures. Mais, il y a une quinzaine d'années, il
embaucha plusieurs experts qui, pendant trois ans, explorèrent et
prospectèrent toutes les zones du monde produisant du bois susceptible
de se transformer en pulpe de papier. On se décida enfin pour l'île de
Terre-Neuve. L'une des raisons principales de ce choix est que lord
Northcliffe, persuadé de la menace allemande et de la guerre imminente,
estimait que, pour être sûr de son ravitaillement en papier, il fallait
en établir la source en terre britannique; d'autre part, la distance de
Terre-Neuve aux Iles Britanniques n'est pas considérable. Enfin, on y
trouve, pour la fabrication du papier, un bois supérieur en qualité et
en rendement à tout ce que produit le continent européen.

L'_Anglo Newfoundland Development Company_, aussitôt constituée, fit
donc à Terre-Neuve l'acquisition de 3.400 milles carrés (plus de
5.000 kil.) y compris un lac de 37 milles (le _Red Indian Lake_), des
rivières, des étangs et un domaine de forêts si considérable que,
quelle que soit la demande, elles sauront toujours y suffire. Le fleuve
_Exploits_, qui possède une merveilleuse chute d'eau, _Grand Falls_,
réservoir inépuisable de houille blanche, est la sève nourricière
alimentant les immenses moulins et leurs dépendances qui, quatre ans
plus tard, étaient construits et en plein fonctionnement. Elle fournit
également l'éclairage à la jeune cité modèle de plusieurs milliers
d'habitants, qui, sur un coup de baguette magique, a surgi de terre
près de _Grand Falls_, avec ses magasins, ses écoles, ses églises,
sa banque, son club, son hôpital, son chemin de fer qui la relie au
grand port de Botwood; c'est là que se trouvent les quais, les docks,
les entrepôts de pulpe et de papier. Une flotte de vapeurs, remontant
jusqu'au _Red Indian Lake_, vient compléter l'organisation. Toutes
les trois semaines environ, un des steamers de la Compagnie quitte
Terre-Neuve pour l'Angleterre avec une cargaison de 4.000 tonnes de
papier. «Les journaux, comme les éléphants, vivent longtemps», a écrit
lord Northcliffe. A ses journaux, animaux voraces entre tous, il assure
ainsi, quelle que soit la durée de leur existence, une pâture abondante
et certaine.

Sentant approcher le cataclysme mondial, il avait en outre accumulé
dans ses entrepôts d'amples réserves de papier qui se sont montrées
précieuses à tous les points de vue: c'est en grande partie à sa
prévoyance et à ses efforts que l'Angleterre a dû d'éviter la crise
qui paralyse si fâcheusement nos journaux. Par ses qualités uniques
d'homme d'affaires, parti sans aucun capital, lord Northcliffe a
su conquérir une immense fortune. Pourtant les ennemis qui se sont
acharnés à chercher des tares dans sa vie n'ont pu y découvrir une
seule opération douteuse. Je ne veux citer ici que le témoignage du
_Spectator_, la très respectable revue britannique, qui, adversaire
tenace de lord Northcliffe et de sa politique, ne peut être suspectée
de partialité. Le passage est extrait d'un article paru le 16 janvier
1918; l'auteur y prévoit le cas où, le ministère Lloyd George chutant
de par les traquenards des libéraux, lord Northcliffe serait appelé à
en former un nouveau et d'avance il combat ce ministère, avec âpreté.
«Lord Northcliffe, écrit-il, est un homme d'affaires étonnamment
prospère: il est doué à ce point de vue des plus hautes capacités. Sans
elles, il n'aurait pu réussir comme il l'a fait, car notez bien que
ses succès financiers et autres sont entièrement dus à son heureuse
administration personnelle. _Notez bien aussi que, malgré les souffles
de la calomnie auxquels sont particulièrement exposés les hommes qui
s'élèvent rapidement, personne n'a jamais pu jeter sur ses méthodes
financières le moindre discrédit. Sa grande fortune a été acquise avec
une honnêteté scrupuleuse et parfaite, ce qui est plus qu'on en peut
dire de la plupart des rapides faiseurs de millions._ Mais le fait
que lord Northcliffe sait si bien administrer ses propres affaires
n'est point une preuve qu'il administrerait aussi bien celles de la
nation...» Et ainsi de suite...

Le directeur du _Daily Mail_ et du _Times_ fut le plus jeune _baronet_
puis le plus jeune pair créé par le roi Edouard VII. Il semble s'être
appliqué à battre tous les records. Cet hiver, au retour de sa mission
d'Amérique, il était élevé au titre de _Viscount_. Il est parvenu au
faîte de la fortune et des honneurs.




_Une journée de lord Northcliffe_


--Comment ne se retire-t-il pas? me demandait un Français avec
surprise. «Se retirer après fortune faite», c'est hélas l'ambition
suprême de la plupart de nos bourgeois. A peine lord Northcliffe
pourrait-il comprendre une telle idée: cet homme ne cessera d'agir
qu'en cessant de vivre.

--Aimez-vous le travail? demandait-il à quelqu'un la première fois
qu'il le vit. Moi, je l'adore, _I love it_...

Le travail fut toujours sa grande, son unique passion. Ou plutôt il
travaille de même qu'il respire.

S'il accueillit la fortune, les honneurs comme le résultat tangible de
son effort, la preuve de sa puissance, il a trop de noble orgueil pour
s'en contenter; en eux, il ne cherche nullement un but mais simplement
le moyen de développer son action, de créer, de réaliser sans cesse
davantage.

Il suffit de passer quelques heures dans son atmosphère, de connaître
sa manière de vivre, ses méthodes de travail pour en déduire cette
conviction.

Bien que lord Northcliffe possède, comme il est d'usage à un certain
degré de fortune, hôtel à Londres, villa sur la Côte d'Azur, plusieurs
propriétés en Angleterre dont un château historique (qu'il a, je crois,
cédé depuis la guerre), c'est dans sa maison du sud de l'Angleterre,
au bord de la mer, près de Douvres, qu'il séjourne le plus volontiers,
en dehors de ses nombreux voyages. Car, par raison de santé, mais bien
plus encore par goût, il passe la majeure partie de son existence à
la campagne; il traite la plupart de ses affaires par téléphone, ne
venant à Londres que deux ou trois jours par semaine, juste le temps
indispensable.

Cette maison, Elmwood, la première, la plus chère, qu'il acheta au
début de ses succès, celle qui abrita ses jeunes années de bonheur et
de travail, qui contient tous ses souvenirs, est une de ces fermes
du temps d'Elisabeth dont on a su garder le caractère d'antique et
charmante austérité: poutres apparentes, boiseries et portes de chêne
noirci, escaliers inégaux, pièces vastes, un peu basses, aux coins
inattendus, meubles faits pour le confort de la vie quotidienne, avec
la surprise fréquente d'un meuble ancien, d'un bibelot d'art, d'un
tableau; des livres partout,--cadre harmonieux d'une intimité à la fois
simple et raffinée.

Elle allonge sa façade vêtue de rosiers et de jasmins au milieu d'une
prairie en fleurs, parmi des bosquets de ces beaux arbres aux longs
bras négligents comme il n'y en a qu'en Angleterre, tandis qu'au delà
de cet îlot de fraîcheur s'étendent à l'infini les dunes rases et le
bleu éblouissant de la mer...

Essayons d'y suivre une journée de lord Northcliffe: elle commence
à 6 h. 1/2 en hiver, à 5 h. 1/2 en été; il lui arrive même parfois,
quand le travail presse, d'être debout à 4 heures. N'a-t-on pas dit
que le monde appartient à ceux qui se lèvent une heure plus tôt que le
commun des hommes? A-t-il entrepris une tâche importante, c'est à ce
moment-là, dans le calme silencieux du premier matin qu'il s'y attelle.
Quand on lui apporte les journaux, il les parcourt, isolant aussitôt
les faits saillants, en calculant toute la portée, jugeant de son
coup d'œil infaillible les articles du jour, leur action sur l'esprit
public, approuvant, critiquant. Quelques notes lui permettront tout
à l'heure de communiquer par téléphone à ceux de ses _editors_ ou des
lieutenants de ses diverses missions qu'il appellera, ses observations
ou ses conseils. De lui déborde une source jaillissante d'idées qui
fait l'admiration et parfois la terreur de ses subordonnés: plus
lents, ils s'époumonent à suivre la course endiablée de cet esprit
en perpétuelle création. Il tient de même ses secrétaires haletants.
Mais de cette activité se dégage une telle fascination joyeuse et
inspiratrice que ceux qui ont respiré son atmosphère ne peuvent
plus s'en passer; ils étouffent ailleurs: c'est quelque chose comme
l'ivresse des hautes cimes.

Voici son courrier, courrier formidable venu de tous les points
du monde pour les questions multiples dont il s'occupe et qui lui
arrive déjà épuré, trié, classé. Il tient pourtant à prendre lui-même
connaissance de la plupart des lettres. Surtout celles des pionniers
que sa pensée dirige, que sa volonté lance à travers les continents et
qu'il appelle affectueusement ses _workers_.

Puis il dicte sa correspondance à un, parfois à plusieurs de ses
secrétaires. Ses lettres sont typiques: aucune formule vaine, aucune
explication oiseuse; du premier bond, il est en plein cœur du sujet:
phrases brèves, robustes, dont chaque mot porte. Point de transitions,
c'est un luxe inutile. Une fois transcrites à la machine à écrire, il
relit toutes ses lettres lui-même, avec la précision, la _thoroughness_
qu'il met à tout ce qu'il fait; pas une qui ne porte une correction
de sa main, ponctuation ou mots en surcharge; certains termes sont
soulignés ou encadrés d'un trait appuyé; enfin il signe d'une écriture
puissante qui monte hardiment.

Viennent--à Londres surtout--les conférences d'affaires, les
interviews. Là encore, aucune perte de temps. Lord Northcliffe possède
l'art du déblayage, si l'on peut dire, ce qui explique comment il peut,
en un délai si court, comprimer tant d'activités diverses. Son esprit
court droit au but, sans se laisser distraire ni arrêter. Il ignore
ou dédaigne la complexité. Les affaires les plus importantes, les
problèmes les plus abstrus sont abordés et résolus avec une maîtrise
rapide et définitive. Son choix fait, lord Northcliffe s'y tient
d'ordinaire; aucun argument ne saurait le modifier. Ajoutons, il est
vrai, que ce choix n'est pas laissé au hasard, qu'il est le fruit de
longues observations, de réflexions profondes: tout est là.

Mais s'il sait travailler à outrance, il sait aussi se reposer. Il
ménage et dirige ses forces avec une judicieuse économie qui lui permet
de suffire à la plus lourde des tâches. Le voir aux minutes de répit
s'enfoncer dans un fauteuil, la tête abandonnée sur le dossier, les
yeux clos, les jambes et les bras allongés dans une détente volontaire
de tous les muscles est un véritable enseignement. Et au cours des
matinées les plus dures, il tient à s'accorder une heure d'exercice en
plein air...




_Idéaliste et réalisateur_


Par un beau jour de juin dernier, avant l'heure du lunch, imaginez
lord Northcliffe au milieu de sa pelouse, vêtu d'un de ces costumes
un peu flottants, de coupe nette mais aisée qu'il affectionne--veston
bleu foncé pour la ville, gris ou marron pour la campagne, chemise
molle, cravate souple, chapeau de feutre; nulle contrainte pour ses
mouvements puissants et vifs, pourtant nul laisser-aller--un ensemble
sobre et simple. Si d'aventure, pour une cérémonie officielle, il doit
revêtir redingote et linge empesé, sa main, d'un geste d'impatience
inconsciente, essaie d'écarter le carcan qui garrotte son cou robuste...

Un hôte vient d'arriver. Il l'accueille avec une cordialité familière
qui met tout de suite à l'aise. Son visage tout à l'heure tendu, œil
durci, mâchoire carrée, rayonne de bonne humeur amicale; rien chez lui
de cette réserve britannique toujours un peu guindée qui glace les
élans, de ce formalisme que chez nous l'on prend si souvent pour de la
morgue,--cause éternelle de malentendus entre Anglais et Français.

--Avec les Américains, on est tout de suite camarades, me disait un
soldat gascon; les Anglais, eux, sont plus «égoïstes».

Egoïstes? Non. Mais enfermés en eux-mêmes, souffrant parfois de leur
isolement, incapables d'en sortir. L'élément celte a sauvé lord
Northcliffe de ce mal insulaire. Il inspire aussitôt la confiance
en offrant la sienne, avec une franchise généreuse et spontanée.
Impitoyable dans la vie publique, il est dans la vie privée le meilleur
des amis. Et ses amis l'adorent. Il est curieux de noter que la plupart
de ceux qui le haïssent ne le connaissent pas. Ce terrible lutteur a
parfois les délicatesses d'un cœur féminin...

Mais un frisson traverse le ciel limpide, des sirènes au loin
commencent à mugir, on entend des halètements de moteur; c'est un de
ces raids si fréquents sur ce point de la côte. Absurdité que l'idée de
la mort qui plane en cette matinée radieuse. Pourtant une brèche dans
un cottage à quelques mètres de la maison évoque un souvenir tragique:
par une nuit de printemps, un destroyer allemand envoyait de monstrueux
obus sur Elmwood puis s'enfuyait; un morceau d'obus traversait un
mur de la bibliothèque sans y pénétrer, un autre dans le cottage
allait tuer la femme d'un jardinier et ses deux enfants. Ce n'était
pas la première tentative, ce ne fut pas la dernière, car les brutes
prussiennes ont voué à lord Northcliffe, qu'ils savent un de leurs plus
formidables ennemis, une haine sauvage. Celui-ci avait fait creuser
pour son entourage un abri qui constitue le dernier cri du genre. Il
fut seul à n'y pas descendre. En cas de raid ou de bombardement il ne
daignait pas quitter sa chambre. On s'en désespérait autour de lui. On
lui démontrait les conséquences pour le pays de son inutile imprudence.
Rien n'y faisait. Lui, se déranger pour des Boches? Allons donc!

Pour le moment, il inspecte le ciel. On entend le grondement du tir
de défense, l'éclatement des bombes, le souffle bruyant des moteurs
qui peu à peu s'éloignent. Tout à l'heure le téléphone, puis des
pilotes d'hydravion venus à bicyclette apporteront des renseignements.
Partout où se trouve le directeur du _Daily Mail_, attirées comme par
un aimant, convergent aussitôt les nouvelles. Cette fois-ci, les deux
avions ennemis ont causé plus de bruit que de mal.

Il entraîne alors son hôte à travers la propriété. Les beaux ombrages,
les taches dansantes du soleil d'or sur les allées, le vol brillant
d'un oiseau, cet insecte dans une fleur, la mer qui miroite au loin,
pâle de lumière, rien n'échappe à son regard vif qui parcourt, cligne,
saisit, savoure. Il a le goût passionné de la nature.

Mais ce n'est pas seulement en artiste. Il s'occupe de sa ferme, il
est fier de pouvoir dire qu'elle rapporte: _it pays_... Au poulailler,
il s'informe en passant des œufs: les poules pondent-elles davantage
depuis qu'on leur donne cette nouvelle nourriture? Dans l'immense
potager à la française, avec ses plates-bandes ourlées de lavande
et de thym, ses espaliers tordus et ses poiriers taillés en pointe,
il interroge le jardinier, un des seuls que la mobilisation lui ait
laissés; il s'intéresse aux fraises géantes, sait quand sortiront les
petits pois, quelle terre convient à cet arbuste, quel engrais à ces
légumes; il a rapporté des plantes de tous les pays; il sait le nom
des roses, il en a créé des espèces pour lesquelles il a remporté des
prix dans les concours. Il parle de tout en phrases imagées, vivantes,
il possède sur chaque question des connaissances techniques d'une
stupéfiante variété.

Il connaît encore la place de tous les nids: ici sur ce pommier nain,
en face du cyprès de bronze vert qui évoque notre éblouissant Midi,
ce sont des pinsons; là-bas, dans l'écurie, une nichée d'hirondeaux.
Appuyé contre le mur, son profil hardiment dessiné par la lumière en
jet d'une lucarne, il observe les petits, imite le cri de l'hirondelle:
aussitôt toutes les grosses têtes aveugles se dressent sur les cous
nus tandis que s'ouvrent démesurément les becs jaunes. Et il rit, d'un
rire heureux de gamin, avec un regard où filtre une lueur attendrie. Le
monde a gardé pour lui toute sa fraîcheur, rien ne s'est émoussé des
plaisirs aigus du premier âge: cet homme ne saurait vieillir, il a la
jeunesse éternelle de Pan.

Pourtant, à travers cet amour robuste du réel, glisse parfois
étrangement une note de mysticisme qui révèle, avec je ne sais quel
dédain pour les joies et les victoires passagères de ce monde, un souci
brûlant d'idéalisme. Ce n'est qu'un mot, un regard perdu dans le vague,
un silence. Mais on entrevoit en éclair les profondeurs de la vie
intérieure.

Après une grave bronchite, il y a quelques mois, la toux qui le
secouait sans cesse lui causait de douloureuses insomnies:

--Tant de gens souffrent en ce moment, dit-il, je suis content de
souffrir aussi, je suis content...

Une ardente sincérité faisait trembler sa voix.

Contradictions apparentes d'une nature en laquelle se heurtent ou se
mêlent avec richesse des éléments et des sangs opposés.




_Travail et voyages_


Dans le parc s'élève un pavillon de bois léger, son atelier,
«_workshop_» comme lord Northcliffe l'appelle, simple, clair, ourlé de
livres.

--C'est ici que j'ai le plus travaillé dans ma vie, fit-il en pénétrant
dans l'un d'eux.

Mais on y retrouve aussi l'homme de plein air.

En face, sur une cheminée, s'étale dans une cage de verre un poisson
gigantesque:

--Mon premier saumon! constate lord Northcliffe avec fierté.

Par terre, des peaux de bête, ours et tigres, au mur des ramures de
cerf, des cornes de buffle. Car, grand chasseur et grand pêcheur, lord
Northcliffe a tiré le tigre dans l'Inde, l'éléphant en Afrique, l'ours
blanc en Laponie, il a tenu la ligne ou le harpon sur tous les lacs et
tous les océans.

De même qu'il est amateur de sports, il suit avec passion les matches de
_foot-ball_ en Angleterre, de _base-ball_ en Amérique, de pelote ou de
paume en Espagne; il se plaît à tout ce qui développe la vigueur et la
hardiesse; en cela il est bien Anglais. Il a pratiqué tous ces sports;
maintenant il joue surtout au golf auquel il consacre, quand il le
peut, par hygiène autant que par goût, une après-midi par semaine.


C'est l'heure du lunch. Sans être un sybarite, lord Northcliffe n'a
rien d'un ascète. A l'encontre de la plupart de ses compatriotes assez
inexperts en l'art du bien manger et plus sensibles à la quantité qu'à
la qualité, il sait apprécier la finesse d'un coulis, la saveur d'une
fricassée, le velouté d'un entremets. Ayant goûté toutes les cuisines
du monde, il en discute savamment.

Mais il garde une préférence pour la cuisine française. Et il aime nos
vins, non pas en profane, mais avec choix et discernement, comparant et
distinguant nos meilleurs crus de Bordeaux ou de Bourgogne en des mots
heureux qui l'élèvent au rang de connaisseur.

--Quand je suis malade, dit-il, le vin de France me remet mieux que
toutes les drogues.

En voilà assez pour le rendre populaire chez nous.

Par contre, il n'y a pas d'intérieur où les restrictions soient plus
rigoureusement appliquées. Non seulement on s'en tient strictement
aux rations que le Contrôleur des vivres prie les chefs de famille,
«sur leur honneur» de ne pas dépasser,--car l'obligation n'existe que
pour la viande, le beurre et le sucre--mais on s'impose des privations
volontaires: par exemple, on ne sert plus de pain aux repas principaux
afin d'en laisser davantage aux classes pauvres pour lesquelles il
constitue l'aliment principal.

De même lord et lady Northcliffe n'ont pas remplacé leurs nombreux
domestiques mobilisés. Aussi ont-ils dû quitter leur grande maison de
Londres pour une autre plus modeste.

Après le café et le cigare, lord Northcliffe, après avoir passé un
instant auprès de ses secrétaires, s'accorde une sieste d'une heure.
Il a, comme notre Jaurès, cette faculté de détente et de sommeil à
volonté, si précieuse pour la continuité d'un effort.

De trois à sept heures, c'est de nouveau le travail. Il rentre dans
son cabinet où, autour de la vaste table carrée, couverte de livres,
de brochures, de papiers, entre le téléphone et la machine à écrire,
l'attendent ses secrétaires.

Veut-il donner un article à un de ses journaux, aux publications
américaines qui se les disputent, à la presse française? Il ne semble
pas y avoir pensé. Parfois au cours d'une causerie, d'une promenade,
on le voit soudain prendre deux ou trois notes rapides, quelques mots
sans plus. Pourtant le voici qui dicte avec une lenteur égale, se
reprenant à peine, et les phrases se déroulent, amples et hardies, les
paragraphes se suivent, enchaînés avec une logique implacable, gonflés
jusqu'à l'éclatement de chiffres, de faits, de documents, illustrés
d'images colorées et l'article est là, campé, bien vivant, original,
respirant la sincérité et la force, prêt à s'élancer par le monde où il
soulèvera l'espoir, la colère, la pitié, déchaînera les passions, ne
restera jamais indifférent. Comme pour ses lettres, lord Northcliffe
relit lui-même avec soin et corrige.

Ses amis se plaisent à souligner sa ressemblance physique et
intellectuelle avec Napoléon: génie créateur, activité méthodique,
décisions rapides et audacieuses, don pour ainsi dire magnétique du
commandement, caractère tout à la fois impulsif et réfléchi, souvent de
la plus généreuse bienveillance, parfois d'une violence impitoyable,
et jusqu'aux façons brusques et brèves de questionner, ces traits se
retrouvent, en effet, chez les deux hommes. Et le portrait du jeune
directeur du _Daily Mail_ que l'on voit à Elmwood, avec son front
dominateur barré d'une mèche plate, son visage ardent et net rappelle
étrangement certaines effigies de Bonaparte premier consul.

Mais lorsque dans son cabinet lord Northcliffe réfléchit ou dicte,
se promenant lentement, les mains derrière le dos, les épaules un
peu voûtées, sa tête au front lourd courbée par la méditation, la
ressemblance apparaît frappante. Il s'arrête, se redresse, le regard
à la fois aigu et pesant et sur le large cou, c'est le masque un peu
épaissi mais d'une majesté si puissante de Napoléon Empereur--un
Napoléon aux cheveux clairs, au teint coloré d'Anglo-Saxon.

A sept heures, la journée est finie. Et sauf dans les cas pressants,
lord Northcliffe ne veut plus entendre parler d'affaires ni de
politique. Il passe la soirée, soit avec des amis intimes, soit parmi
ses livres favoris--c'est un lecteur prodigieusement informé--ou bien
il fait de la musique pour laquelle il a les dons et l'amour du Celte,
et se retire de très bonne heure--entre neuf et demie et dix heures.

                                   *
                                  * *

Car il faut également le noter, lord Northcliffe n'aime pas le monde.
Il n'a rien du dîneur en ville, du causeur de salon. Les bavards et
les importuns sont mal servis avec lui. On ne voit son nom dans aucune
réunion ou cérémonie mondaine. S'il assiste à un banquet, c'est qu'il
doit y parler, y faire œuvre efficace. Et quoiqu'il appartienne à un
des principaux clubs, il ne le fréquente guère, non plus que la Chambre
des Lords. On lui reproche, parfois amèrement, cette abstention.
Mépris? Pas même. S'il vit en isolé, c'est pour se consacrer plus
entièrement à sa tâche. D'une part, il gagne du temps, ménage ses
forces. D'autre part, n'étant affilié à aucune coterie, inféodé à aucun
parti, il garde son indépendance. Sagesse suprême qui explique son
rôle occulte, unique: il reste, comme on l'a dit, «la grande puissance
dominatrice qui s'élève à l'ombre du Trône».

A part le travail, ce qu'il aime par-dessus tout, ce sont les voyages.
Il connaît le monde entier. En temps de paix, à peine passait-il à
Londres plus de cinq ou six mois par an. Ses hivers s'écoulaient en
Egypte, dans l'Inde, en Floride. Il a fait en Amérique plus de vingt
séjours. Il a sondé l'Allemagne jusque dans ses profondeurs les plus
intimes, en a manié tous les ressorts matériels et moraux et c'est ce
que cette dernière ne peut lui pardonner. Lui parle-t-on d'une ville de
France, si petite soit-elle, il a toujours quelque souvenir à évoquer.
Il possède sur nos provinces, leurs productions, les qualités et les
défauts de nos diverses races, leurs possibilités d'avenir, des idées
étonnamment précises et variées que lui envieraient maints Français
éminents. De même pour tous les pays. Il a rencontré dans chacun tous
les hommes qui comptent, il a formé son opinion sur eux. Et il n'oublie
rien. A peine pourrait-on lui reprocher un peu d'absolu dans ses
jugements. Mais plus nuancés, ne perdraient-ils pas en vigueur?




_Lord Northcliffe administrateur_


On m'objectera: que deviennent pendant ces voyages les journaux, les
sociétés, les entreprises de lord Northcliffe? Le maître absent, tout
ne va-t-il point péricliter? C'est justement là que réside le secret
profond et audacieux de sa méthode, sa conception de l'organisation.

Nul ne possède comme lui le don de la psychologie. Du premier coup
d'œil, il sait discerner dans la foule l'homme dont il a besoin,
il le jauge, il prévoit les services qu'il rendra: celui-ci mènera
des campagnes, celui-là écrira des _leaders_, ce troisième fera du
reportage, cet autre organisera, cet autre encore administrera.

--Autrefois, confesse-t-il, il m'est arrivé de me tromper, maintenant
c'est bien rare!

Lorsqu'il s'est assuré que l'homme ou les hommes choisis possèdent les
qualités nécessaires, il leur accorde sa confiance, leur donne toute
autorité et les abandonne à eux-mêmes.

Chaque journal, chaque entreprise possède donc son autonomie que le
grand chef est le premier à respecter jalousement. Il a cependant
établi quelques principes directeurs: toute rédaction, par exemple,
doit se réunir chaque jour. On discute les événements, leur action
sur la ligne de conduite du journal, on critique librement,
fraternellement les mesures passées, on envisage campagnes et réformes.
C'est ce qui assure l'élan, entretient l'émulation, crée à l'œuvre
commune une âme unique, homogène,--une personnalité.

Que de jeunes gens--il aime la jeunesse et croit en elle--tirés par
lui de l'obscurité, stimulés, mis en valeur, lui doivent la fortune et
la réputation! Il y a du conte des Mille et une Nuits dans certaines
de ces carrières. Il a parfois suffi du hasard de quelques lignes lues
çà ou là par cet Haroun-al-Raschid, infatigable pêcheur d'hommes,
pour décider d'un avenir, ouvrir les ailes au génie. Grâce à lui
l'Angleterre a vu s'accroître son trésor intellectuel.

Est-il surprenant qu'il ait suscité des dévouements passionnés? Qui
sous un tel chef ne donnerait le meilleur de soi-même? Il exige
beaucoup, dit-on; mais il paie d'exemple: il n'y a dans aucune équipe
de travailleur plus acharné que le «patron». Et il sait reconnaître
les services. Ses journaux sont ceux qui accordent les salaires les
plus généreux. Il connaît également la valeur du repos, et qu'un
journaliste, un homme d'affaires surmené ne fait plus rien qui vaille.
Voit-il apparaître des signes de fatigue, il est le premier à proposer
des vacances sérieuses, un voyage. L'esprit et le corps en sortent
rafraîchis, renouvelés. Il y a là, en même temps que de la bonté, une
sage et prévoyante économie.

Il aime se mêler à ses _workers_. Il va souvent, en camarade, fumer une
cigarette dans les diverses salles de rédaction; il cause familièrement
avec les uns et les autres, les interroge sur leurs travaux, leurs
projets, s'inquiète de savoir s'ils ont ce qu'ils désirent.

Nombre d'anecdotes, légendes pour la plupart, courent à ce sujet. En
voici deux:

--Y a-t-il longtemps que vous êtes ici? demande-t-il en une de ces
occasions à un tout jeune sous-_editor_.

--Trois mois, sir.

--Combien gagnez-vous?

--Cent soixante-quinze francs par semaine...

--Et vous êtes satisfait?

--Tout à fait, sir.

--Eh bien, apprenez, mon ami, que dans mes journaux on ne doit pas être
content avec =175 fr.= par semaine!

Pour lui, l'ambition est l'indispensable aiguillon.

Une autre fois, un jeune reporter s'était laissé embarquer dans une
histoire qui fit rire toute l'Angleterre aux dépens de son journal. Son
directeur venait de lui laver la tête et il sortait l'oreille basse,
quand, une auto s'arrêtant, il aperçut lord Northcliffe qui le tenait
sous son regard perçant.

--Cette fois, je suis bien perdu, pense-t-il.

Et tel un condamné à mort, sans attendre l'appel, il marche vers son
destin, avec la vaillance du désespoir.

Mais le grand chef se mit à rire:

--Eh bien, mon garçon, on vous a donc monté un bateau? Allons, allons,
ne vous en faites pas. Cela m'est arrivé à moi, cela peut arriver à
tout le monde... Il ne faut rien prendre au tragique...

Quelque temps plus tard, le jeune homme recevait de l'avancement.

_Si non è vero..._

On conte également, d'ailleurs, qu'il fut parfois très dur. C'est
possible. Sans doute y avait-il des raisons profondes à sa sévérité.
Car d'ordinaire il traite ses «travailleurs» comme une grande famille.
Industriel puissant, il se flatte d'être un des seuls à n'avoir jamais
eu de grève dans ses usines. Ceux de ses subordonnés qui s'engagèrent
ou furent mobilisés partirent sans inquiétude sur le sort de leur
femme, de leurs enfants. Ils gardaient leurs ressources et savaient
en outre que s'ils devaient faire le sacrifice suprême, ils ne
laisseraient pas de misère derrière eux. Malgré les dépenses accrues,
imposées par la guerre à la plupart de ses entreprises, malgré la
lourdeur des impôts et en particulier de l'_income tax_ qui frappe si
impitoyablement les grosses fortunes, leur enlevant plus de la moitié
de leur revenu, lord Northcliffe ne cesse de faire face à ce qu'il
considère comme une dette sacrée. On murmure bien des histoires sur les
souffrances qu'il soulage, les veuves, les orphelins dont il s'occupe.
Ce n'est jamais en vain qu'on fait appel à son cœur, à sa justice. Pour
les œuvres publiques, et plus encore pour les infortunes privées, il
donne généreusement, sans compter. Mais il ne faut point insister: sa
main gauche ignore ce que fait la droite...




  _Avant la guerre. Les campagnes contre le "danger allemand"_


Qui se souvient de l'Angleterre d'il y a une quinzaine d'années?
Sereinement assoupie dans son rêve pacifiste--que ne put troubler le
rapide cauchemar de la guerre sud-africaine--jouissant avec béatitude
de son opulence assise, dédaigneuse de l'effort, même pour conserver
sa suprématie commerciale, se passionnant exclusivement pour ses
matches de _foot-ball_ ou ses luttes parlementaires, prospère,
orgueilleuse, égoïste peut-être, engourdie à coup sûr, cette Angleterre
a vécu. Traversant le Détroit pendant la tourmente, vous avez eu
l'étonnant spectacle d'un grand peuple dressé tout entier dans une
seule pensée, les muscles et l'âme tendus vers un but unique, gagner la
guerre, _win the war_... Effort gigantesque qu'on admira en France sans
en comprendre les difficultés ni l'étonnante ampleur, on le dut pour
une bonne part au génie de prévision et à l'énergie entraînante de lord
Northcliffe.

Toutes les campagnes menées dans ses journaux en font foi. Car s'il
n'entre pas dans les détails de leur organisation, il en demeure le
génie occulte qui dirige et oriente.

Ses ennemis prétendent qu'il a l'esprit versatile. Pour réfuter cette
allégation, il suffit de feuilleter, depuis vingt ans, la collection du
_Daily Mail_, d'y lire ses articles, ceux des autres.

Son attitude n'est jamais provocante pour l'Allemagne. Il cherche la
paix, non la guerre. Dans un leader du 23 décembre 1909, qui est le
type de centaines d'autres articles, on trouve ces paroles suggestives:
«Notre désir est d'éviter la guerre. Si, dans ce pays, on veut bien
saisir la véritable situation avant qu'il soit trop tard, un grand
conflit peut être évité. Si la nation est prête à prendre à temps les
mesures nécessaires, à faire à temps les sacrifices indispensables, la
paix peut encore être maintenue. Elle ne peut l'être qu'à ce prix.»

Mais dès 1896, le _Daily Mail_ souligne le fait que «la note dominante
de l'Allemagne moderne est le militarisme», il avertit l'Angleterre
de se défier de la «brutalité inhérente» du caractère allemand. Depuis
lors, obstinément, inlassablement, avec une verve mordante et violente,
s'appuyant sur les faits et les événements, appelant à la rescousse
pour des campagnes retentissantes les plus réputés des écrivains, il
signale sans trêve le danger allemand. En 1897, le plus célèbre de ses
envoyés spéciaux, G. W. Stevens, annonce aux Anglais: «L'Allemagne
veut garder les mains libres pour s'occuper de nous. Pas d'erreur sur
ce point. Il est naturel de déplorer l'inimitié des deux nations, mais
l'ignorer est de l'insouciance. Pendant les dix années qui vont suivre,
ayez l'œil fixé sur l'Allemagne.»

C'est ce que fait le _Daily Mail_. A l'heure où le Kaiser parade et
caracole à travers l'Europe sous ses oripeaux de Lohengrin pacifique,
il lui arrache son masque, expose au plein jour la face de proie, l'œil
arrogant et fourbe, le surin de l'apache caché dans le gantelet de fer
du chevalier. Il appelle l'attention publique sur les armements et les
crédits gigantesques demandés au Reichstag (en 1898 et 99, par exemple)
pour l'armée et la marine prussiennes, leur accroissement formidable.
Il dénonce les théories agressives de Bernhardi et de Treistchke,
le monstrueux «la force c'est le droit»; il dévoile l'enseignement
des Schaffle et des Dalbrücke qui, prodigieusement influents sur la
jeunesse, affirment la haine de l'Allemagne pour l'Angleterre, sa
volonté de l'annihiler dans une lutte prochaine: il publie des extraits
des hommes d'Etat et publicistes allemands révélant leur soif ardente
de guerre et de conquête. Et prévoyant même le viol de la neutralité
belge, avertissant le pays qu'il court au désastre, il le supplie
de se préparer, de s'armer, condamne comme surannée la politique
d'isolement. Dès 1904, il réclame le service obligatoire.

Quand, dans une heure de généreuse aberration, en 1907, sir H.
Campbell-Bannermann propose à l'Allemagne de limiter en même temps que
l'Angleterre leurs constructions navales, offre repoussée d'ailleurs
avec un dédain brutal; quand, en 1908, au moment où le nouveau
projet de vastes crédits pour la marine allemande était voté, Sir
John Brunner, au nom du parti de la _Little Navy_ que l'on appela
le _Suicide Club_, s'oppose aux mêmes crédits en Angleterre, lord
Northcliffe pousse le cri d'alarme, il fonce tête baissée contre les
utopistes aveugles et sourds à la réalité. Il démontre l'imminence
du péril, et qu'une flotte affaiblie vaut moins encore qu'une flotte
absente puisqu'elle coûte de l'argent sans donner la sécurité.

Il se met, en 1909, à la tête du mouvement qui réclame la construction
de huit dreadnoughts au lieu de quatre et l'emporte sur une résistance
obstinée du gouvernement; ces quatre navires furent d'une importance
_invaluable_ au début de la guerre. Il seconde avec un enthousiasme
virulent la campagne vaine que mena Lord Roberts en faveur du service
universel. Lorsqu'en 1911, on affirmait volontiers, de toutes parts,
que le parti socialiste allemand empêcherait la guerre: «En Allemagne,
écrit-il, le patriotisme l'emporte sur le socialisme. Ne comptez
pas sur le socialisme pour empêcher la guerre.» Il supplie les
sentimentalistes de ne point ignorer la nature humaine et les lois de
l'Univers: «Ce n'est pas vers une ère de paix que s'avance l'Europe.»
Il voit ou plutôt il prévoit tout. Il est la vigie impérieuse qui,
penchée vers l'avenir, indique opiniâtrement de son bras tendu le
péril mortel qui grandit à l'horizon.

En même temps, il ne néglige aucun problème moderne, il stimule
l'activité créatrice de l'Angleterre trop riche et un peu amollie. Il
reconnaît l'importance de la femme dans le monde des affaires et des
lettres, il l'encourage; il fut un des premiers à réclamer pour elle
une part d'efforts dans la guerre et à rendre hommage au rôle qu'elle
y a joué, en se déclarant en faveur du droit de vote féminin. Devinant
que l'Angleterre serait appelée en cas de guerre à se suffire pour la
production agricole, il porte toute son attention sur la vie de plein
air, favorise la petite culture, le jardinage, accorde des prix de
25.000 francs aux légumes, aux fleurs, pousse au progrès de l'économie
domestique et à l'embellissement du foyer par des expositions
fréquentes.

Il encourage aussi l'industrie de l'automobile, combattant l'absurde
législation qui empêchait les machines de marcher à plus de quatre
milles à l'heure. Mais surtout, comprenant l'importance de la quatrième
arme dans le conflit mondial, il s'attache à développer l'aviation, à
lui donner--et avec quelle énergie!--le coup d'épaule initial. Alors
que le gouvernement britannique n'y voyait qu'un jeu, une marotte
inutile et un peu ridicule, le _Daily Mail_ crée des concours avec
des prix somptueux: 250.000 francs pour le vol de Paris à Manchester,
250.000 francs pour faire le tour de la Grande-Bretagne, tous deux
gagnés par des Français, MM. Paulhan et Beaumont.

Puis, c'est la traversée du Détroit, effectuée par Blériot, dont le
succès frappa si vivement l'imagination populaire, et encore 125.000
francs offerts aux hydroplanes, toute une série de concours qui
passionnèrent le monde. Le Gouvernement eût-il obéi aux injonctions
répétées de la _Northcliffe Press_, la Grande-Bretagne serait entrée
dans la guerre avec un service aérien non seulement capable de la
défendre des raids, mais encore de porter l'offensive contre les
centres de munitions ennemis. Et si l'aviation britannique occupe le
premier rang par la perfection de ses machines, lord Northcliffe a le
droit d'en concevoir quelque orgueil. «C'est à lui que sont dus pour la
plus grande part la supériorité et la magnificence de notre aviation!»
disait récemment un orateur. Aussi, nommé président du _Air Board_, dès
la création du Ministère, M. Lloyd George lui demande-t-il d'en prendre
la direction. Le choix était ratifié par le sentiment unanime de la
nation. Mais lord Northcliffe crut devoir refuser ce portefeuille.

Le _Daily Mail_ désire maintenant appliquer au service de la paix les
progrès chèrement achetés pendant la guerre et il vient d'organiser des
concours pour la traversée de l'Atlantique.




  _Pendant la guerre: Pour la victoire et pour la France_


Une légende absurde et malfaisante, partie de Berlin, entretenue par
nos pacifistes plus ou moins avoués, nos germanophiles honteux, prétend
que lord Northcliffe n'a pas toujours été notre ami. Certes, pendant
l'incident de Fachoda il prit, avec la vigueur ardente de sa jeunesse,
le parti de son pays. Qui peut lui jeter la première pierre? Nous
n'oserions guère exhumer nous-mêmes certaines diatribes injurieuses
publiées dans nos feuilles, soit à cette époque, soit au cours de
la guerre sud-africaine. Ces temps sont loin. Les nuages à peine
dissipés, dès le 6 novembre 1902, on prononce dans le _Daily Mail_
le mot d'«entente cordiale». Lord Northcliffe ne cesse d'y revenir,
d'apporter à l'œuvre d'Edouard VII son aide puissante. «Un accord
entre la France et l'Angleterre, prétend-il en 1904, peut préserver
la paix de l'Europe.» En 1905, quand l'Allemagne se dresse menaçante
contre la France: «Une France puissante est une nécessité vitale pour
l'Angleterre et pour l'Europe, écrit-il, une agression contre la France
serait un coup frappé contre l'Empire britannique et ressenti comme tel
par tout le pays»; «la France peut demeurer certaine qu'à une attaque
brutale et sans provocation répondraient l'alliance et l'appui du
peuple britannique», dit-il encore. Il ne manque pas une occasion de
louer les procédés loyaux et amicaux du gouvernement français envers
l'Angleterre, d'assurer la France qu'elle peut compter sur l'aide
militaire et navale de la Grande-Bretagne. Il résiste à toutes les
intrigues destinées à semer la méfiance et la désunion entre les deux
pays, il les dévoile et les stigmatise.

A l'heure d'Agadir, alors que la fourbe Allemagne, prétendant que
l'Entente prépare une attaque en traîtrise, commence à mobiliser
secrètement, lord Northcliffe la démasque et montre l'Angleterre et la
France fraternellement debout, épaule contre épaule, prêtes à répondre
ensemble à l'insulte commune.

Et tout à coup la guerre est là, en coup de foudre. Quand l'Allemagne
envoie son ultimatum à la France, le gouvernement britannique hésite
encore. Heures de suprême angoisse qu'aucun Français ne peut évoquer
sans frémir...

Alors, tandis que certains grands journaux libéraux qui, par leurs
principes tout au moins, auraient dû se rapprocher de nous, réclamaient
le maintien de la neutralité; tandis que le 4 août, à l'heure où les
masses barbares écrasaient déjà la Belgique, le _Daily News_ osait
alléguer qu'en restant spectatrice du drame l'Angleterre pourrait
«continuer ses relations commerciales avec les belligérants, s'emparer
de leur commerce en marché neutre, rester libre de toute dette,
posséder des finances vigoureuses», et que le _Daily Chronicle_
affirmait que «le conflit ne valait pas les os d'un seul soldat», la
_Northcliffe Press_, de ses voix puissantes et indignées, faisait
de l'intervention britannique un devoir strict, de la neutralité un
crime,--le déshonneur éternel de l'Empire.

--Pour ma part, si nous n'étions pas intervenus--me disait en 1916 lord
Northcliffe d'une voix encore frémissante--j'avais décidé d'abandonner
ce pays, de porter ma fortune en France et de m'y faire naturaliser
aussi rapidement que le gouvernement français me le permettrait!

Boutade? Qui sait? Le pur patriotisme comme le vrai amour ne veut pas
de tache à son idéal.

La Grande-Bretagne, terre du lyrisme, fidèle à ses amitiés, soulevée
par le monstrueux attentat commis contre la Belgique, s'élance d'un
bond dans la lutte. Mais seule l'élite a compris que l'honneur comme
l'intérêt vital du pays lui commandent d'intervenir. La foule reste
encore indifférente. Son imagination est lente à s'échauffer. Elle
n'est pas comme nous prise à la gorge par l'invasion brutale. Des pas
du soudard tudesque foulant et souillant notre sol, elle n'entend que
le lointain écho. Cette guerre lui apparaît, comme tant d'autres, une
guerre continentale.

Les journaux de la _Northcliffe Press_ lui en révèlent l'importance et
le péril. Ils mènent le combat quotidien contre l'inertie populaire,
l'imprévoyance des gouvernants, les erreurs et les lenteurs de
l'organisation. Ils parlent au pays avec une franchise brutale et
bienfaisante, ne lui celant aucune faute, aucune erreur, aucun danger.
Ils ne cessent de lutter contre la censure qui ne fait pas confiance au
pays et lui cache la vérité. Sage politique, autrement génératrice de
courage et de foi qu'un optimisme auquel la réalité apporte son démenti
constant. Ce pessimisme patriotique du _Times_ et du _Daily Mail_ a
contribué au salut de l'Angleterre.

Ce ne fut pas sans peine. Lord Northcliffe risquait sa fortune et
sa popularité. Il n'hésita pas. Pendant les six premiers mois de la
guerre il s'abstenait de toute critique. Mais l'heure était grave.
Tout à coup il se décide à révéler à l'Angleterre incrédule que si
ses troupes décimées par des pertes excessives ne remportent pas les
succès dus à leur valeur, c'est qu'il leur manque des canons, des obus,
des explosifs et tout le personnel et le matériel nécessaires à leur
fabrication. Il ose s'en prendre à la grande idole nationale, lord
Kitchener. Explosion formidable d'indignation. On vient manifester
contre le _Daily Mail_, on se désabonne en masse, on en brûle
publiquement des numéros. La vérité pourtant finit par éclater. A la
colère succède la stupeur, puis la gratitude.

Les campagnes continuent. Le _Times_ et le _Daily Mail_ réclament et
obtiennent tour à tour la création d'un ministère des Munitions,
la fabrication des casques, des mitrailleuses, de l'artillerie
lourde. Malgré les attaques les plus violentes, ils exigent la loi
de conscription, la mobilisation civile de tous les citoyens, hommes
et femmes, les restrictions sévères au point de vue des vivres,
l'accaparement par l'Etat de tous les services publics, l'obligation
sous toutes ses formes.

Jugeant le ministère de coalition inférieur à sa tâche, lord
Northcliffe le poursuit et le traque jusqu'à sa chute. En M. Lloyd
George qu'il combattit naguère avec toute sa fougue, il voit «l'homme
qui se révèle comme une véritable force dynamique dont chaque once
d'énergie est employée à sa tâche immédiate», _the man for the job_.
Et l'opinion publique, docile à sa voix, porte d'un seul élan M.
Lloyd George au poste suprême. Mais si la _Northcliffe Press_ apporte
désormais son appui au gouvernement, c'est sans aveuglement. Elle
conserve son droit de critique et en use. Elle est impitoyable pour
la mollesse et l'incompétence. Elle a obtenu, parmi des tempêtes de
protestations et d'injures, la démission ou le changement de poste
des ministres, des amiraux, des généraux qu'elle n'estimait pas à la
hauteur de leur tâche. Elle a plaidé en faveur de l'élévation de l'âge
des soldats en Angleterre, de la rigueur effective de la loi militaire,
du _comb-out_, de l'extension du front britannique, de l'unité du
commandement interallié qui devait amener une si rapide victoire. Elle
menait et continue à mener une campagne violente pour l'_Alien's bill_,
qui démasque et désarme les Allemands plus ou moins déguisés pullulant
en Angleterre. Et si elle accorde son support au nouveau ministère de
coalition, c'est à la condition unique qu'il exécutera son programme
de reconstruction.

Si bien que lord Northcliffe a pu écrire du _Daily Mail_: «Ceux qui,
chaque matin, se rallient à notre étendard, savent que ce journal
est indépendant, même vis-à-vis de ses lecteurs, qu'il n'hésite pas
à exprimer des opinions qui, pour un temps, peuvent être extrêmement
impopulaires, que peu lui importe d'être boycotté, mis au ban, brûlé,
qu'il n'a pas d'autre meule à tourner que celle du bien public, qu'il
n'a d'intérêt en aucun politicien, en aucun parti politique, mais que
son but unique, en cette tragique période de notre histoire, est:
_gagner la guerre_!» Et maintenant il peut ajouter: «gagner une paix
digne des sacrifices de la guerre.»




_Les missions de lord Northcliffe_


Au mois de juin 1917, le gouvernement britannique envoyait lord
Northcliffe en Amérique avec le titre de chef de la Mission britannique
de guerre (British War Mission) aux Etats-Unis. Et M. Bonar Law l'en
remerciait publiquement à la Chambre des Communes comme d'un vrai
service rendu à la patrie.

Le directeur du _Times_ et du _Daily Mail_ est étonnamment populaire
aux Etats-Unis, plus encore qu'en Grande-Bretagne, car il n'y compte
pas d'ennemis. On se plaît à lui reconnaître toutes les qualités qui
font les grands Américains. Et on lui sait gré d'aimer, de comprendre
l'Amérique, d'y être venu vingt fois, de ne pas ignorer une parcelle de
son territoire.

Pendant six mois, il assuma la tâche gigantesque de diriger et de
coordonner, en collaboration avec notre haut-commissaire, M. Tardieu,
l'œuvre des missions britanniques: il parcourut les Etats-Unis, leur
révélant l'effort passé des Alliés, l'importance de l'effort à venir,
fouettant leur zèle, les suppliant de consacrer à la guerre toute leur
immense puissance industrielle et jusqu'à la dernière once de leur
énergie, insistant avec force sur la construction rapide et intense
d'aéroplanes et surtout de navires. C'est dans la marine marchande,
répétait-il, qu'est la clef de l'intervention américaine, le facteur
suprême de la guerre.

Puis, ayant joué son rôle d'excitateur, il revint en Europe. La
lettre ouverte à M. Lloyd George, où, tout en refusant le Ministère
de l'Aviation, il réclamait l'unité de direction des opérations
militaires, la répression de tout élément séditieux, une politique plus
rigoureuse vis-à-vis des ennemis naturalisés, la mobilisation de toutes
les forces masculines et féminines de l'Angleterre, et le rationnement
obligatoire, fut le coup de clairon, bref et sonore, qui annonçait son
retour, stimulant de tous les sacrifices, appel à toutes les énergies.

Il emportait des Etats-Unis, avec une profonde admiration pour l'élan
d'énergie enthousiaste et féconde, d'origine presque mystique, qui
entraînait dans cette croisade lointaine cent millions d'Américains,
une confiance totale dans le Président Wilson. «Le Président possède ce
qu'il appelle lui-même «un esprit au sentier unique», _a singletrack
mind_, a-t-il dit. Sa méthode consiste à ne faire qu'une chose à la
fois. Mais il la fait.»

Il revenait aussi avec la conviction qu'il était urgent, pour les
Alliés, de discuter d'un commun accord et de coordonner les demandes
en matières premières, en vivres, en munitions qu'ils faisaient
à l'Amérique. Et cela afin d'utiliser dans toute leur étendue la
généreuse abondance des ressources que met à leur disposition la vaste
République d'outre-mer. «Hommes, tonnage, aéroplanes, autos, acier,
cuivre, blé, bestiaux, que sais-je? a-t-il déclaré, l'Amérique est
prête à tout donner. Encore faut-il qu'elle sache pourquoi, comment et
en quelles quantités...»

--Je vais me battre pour l'unité de contrôle, avait-il dit en quittant
l'Amérique.

Il tint parole. Et cette unité de contrôle naquit, en effet, de la
première grande conférence interalliée qui se tint à Paris en décembre
1917 et à laquelle il prit part. Nous en avons récolté les prodigieux
résultats.

Depuis lors, M. Lloyd George, qui ne désespérait pas d'associer à son
ministère cette force précieuse, offrit de nouveau un siège à lord
Northcliffe, au Cabinet de guerre, cette fois. Et, de nouveau, celui-ci
refusa. Il tient, par-dessus tout, à conserver son indépendance et
celle de ses journaux.

--Je suis plus utile ainsi, dit-il simplement.

Ses amis n'ont cessé de regretter cette décision. Peut-être lord
Northcliffe voyait-il plus juste et plus loin: son rôle, un rôle unique
au monde, n'est-il pas d'autant plus important qu'il ne veut aucune
consécration officielle?

Mais, en même temps qu'il restait à Londres le chef des missions
britanniques aux Etats-Unis, il acceptait, sans portefeuille, les
fonctions de _Directeur de la Propagande en pays ennemis_, pour
lesquelles il ne relevait que de M. Lloyd George et du Cabinet de
guerre.

Son œuvre considérable et celle de ses collaborateurs y resta secrète.
C'est uniquement par les explosions de rage éclatant dans les feuilles
austro-germaniques qu'on en put mesurer les effets. Celles-ci
accusaient «Northcliffe, prince du mensonge, homme dénué de conscience
morale, dont les outils quotidiens sont la fourberie, la brutalité,
le cynisme où il est passé maître», elles l'accusaient «d'assassiner
l'Allemagne avec des armes empoisonnées». Elles soulignaient son
sourire sardonique lorsque «fomentant la révolution à l'intérieur
de l'Autriche, qui est devenue le centre même de son activité», il
exaltait et excitait Tchèques, Polonais, Slaves.

«Sont-ce des individus comme Lloyd George, Northcliffe ou Herr Wilson
qui peuvent entraîner les peuples?» s'écriaient comiquement leurs
scribes. Puis, après avoir juré qu'ils ne concluraient jamais la
paix avec cette troupe de bandits (il ne faut jurer de rien), ils se
lamentent de ne point posséder en Allemagne de pareil propagandiste,
ils éclatent en reproches amers et naïfs contre l'inertie de leur
gouvernement.

Le Kaiser lui-même reconnaissait la puissance de lord Northcliffe et la
redoutait.

Dans le livre de curieux souvenirs qu'a publiés son dentiste américain,
M. Arthur Davis, on le voit s'écrier:

--Lloyd George mène l'Angleterre à la ruine. C'est un socialiste et
c'est l'agent, le porte-paroles de lord Northcliffe, le véritable
maître de l'Angleterre à l'heure actuelle...»

Dans un ordre du jour dénonçant la propagande anglaise en Allemagne, le
général Von Hutier stigmatisait pesamment lord Northcliffe, «le plus
fieffé coquin de l'Entente», sous le titre pompeux de «Ministre de la
Destruction de la Confiance Germanique».

Et Hindenburg surenchérissait encore.

Aussi la haine des Allemands croît-elle avec leurs craintes. En
Amérique, des policiers ne cessaient d'escorter, malgré lui, le chef
de la mission britannique contre lequel se préparaient complots et
attentats. En Angleterre, les Tudesques envoyaient des avions, des
croiseurs ou des sous-marins bombarder sa maison. Ils frappaient une
médaille contre lui; ils publiaient, sous le nom d'_Anti-Northcliffe
Mail_ un hebdomadaire en plusieurs langues débordant d'injures et
de calomnies, dont les aviateurs ennemis répandaient sans cesse des
exemplaires dans les lignes britanniques. Signes indiscutables que la
propagande atteignait son but: la bête écumait, elle était touchée. On
en eut la preuve plus tôt qu'on ne s'y attendait.




_Les idées politiques de lord Northcliffe_


Gagner la guerre, telle fut donc la préoccupation constante de lord
Northcliffe. Son vigoureux et clairvoyant optimisme, même aux heures
les plus sombres, ne douta pas plus de la victoire qu'il n'avait douté
de la guerre, ou «des guerres», suivant son expression.

Son regard toutefois ne se bornait pas aux inquiétudes et aux espoirs
immédiats de la guerre. Il lui arrivait de s'en détacher pour parcourir
les horizons encore brumeux de l'après-guerre, aborder les difficiles
problèmes de la reconstruction.

--Northcliffe? Mais c'est un conservateur! m'a-t-on dit en France.

Et ceux, en effet, qui n'ont pas fait de son caractère et de sa
politique une étude spéciale ont pu s'y méprendre et regretter parfois
de voir cette grande force défendre la citadelle désuète du torysme.

Erreur pourtant. Lord Northcliffe, nous l'avons vu, n'appartient à
aucun parti. Son esprit est trop vaste pour s'emprisonner dans les
étroites limites d'un programme politique. S'il sembla naguère s'allier
aux conservateurs, c'est qu'il trouvait en eux l'appui nécessaire aux
mesures destinées à éviter ou à combattre le péril grandissant de la
guerre. Pas davantage.

Depuis, tout en restant attaché aux traditions qui ont fait la
grandeur de l'Angleterre, il a favorisé les réformes démocratiques
qu'au milieu de la plus tragique des crises le Parlement britannique
a trouvé le temps de discuter et de voter. Il s'est déclaré pour
l'_Education Bill_, qui ne fait pas de l'instruction un privilège
de la naissance ou de la fortune mais y associe tous les enfants
pour le plus grand bien intellectuel du pays; pour la réforme du
suffrage qui étend le droit de vote à tous les citoyens, hommes et
femmes, puisque tous ont donné leur effort à la guerre. Il envisage
comme une question de justice une représentation plus nombreuse du
_Labour Party_ à la Chambre des Communes. Il lui réserva une colonne
quotidienne du _Daily Mail_ pendant la période électorale, pour lui
permettre de développer son programme. Il prévoit, pour l'heure de
la démobilisation, une coopération sur des bases plus équitables du
capital et du travail, le retour à la culture, une répartition nouvelle
de la terre. Il demande qu'on accorde peu à peu aux peuples unis sous
le drapeau de l'Union Jack--l'Inde comme l'Irlande--les droits et les
devoirs du _self-government_. Et si les questions de l'Empire l'ont
toujours préoccupé, entre l'Impérialisme de Chamberlain, citadelle
orgueilleusement dressée à l'écart et au-dessus de l'univers, et
celui qui se prépare, généreux, fécond, largement ouvert aux amitiés
éprouvées et aux idées neuves, il sait placer toute l'immensité de
la guerre. Ce qu'il hait le plus profondément dans le militarisme
prussien, c'est son autocratie brutale et stérile. Il veut enfin que,
de la victoire si durement achetée, sorte un monde meilleur, une
humanité rénovée.

Un des amis de lord Northcliffe, homme éminent lui-même, qui a dirigé
avec éclat l'un des plus admirables services de l'armée anglaise, me
disait dernièrement:

--Il a été notre salut pendant la guerre, il le sera pour
l'après-guerre: c'est notre plus grand homme, le génie constructeur de
l'Empire!

Mais par delà les frontières de cet Empire, lord Northcliffe pense
encore aux peuples alliés, membres de cette Société des Nations à
laquelle nous devrons peut-être l'impossible retour de ce fléau
stupide, la guerre. Il pense surtout à la France qu'il a toujours aimée
et admirée et dont il s'applique sans cesse depuis quatre ans à exalter
les sacrifices et l'héroïsme.

Comme on lui demandait son opinion sur le retour de l'Alsace-Lorraine,
il répondit brusquement:

--Cela doit se faire, il le faut, _it must be done!_ avec tant
d'inflexible violence qu'il fut inutile d'insister.

Par contre, il s'étend volontiers sur l'avenir qui attend nos deux pays
après la terrible épreuve.

--Il est essentiel, l'ai-je entendu dire, que la France et l'Angleterre
arrivent à une alliance plus intime que jamais. Il le faut parce que
la brute prussienne est dure à tuer et peut toujours se relever, il le
faut aussi parce que nos qualités se complètent et s'équilibrent. C'est
de France que jaillissent toutes les idées neuves et hardies, toutes
les grandes inventions. Il en a toujours été, il en sera toujours
ainsi. Mais la brillante rapidité de l'esprit français fait qu'à peine
cette idée ou cette invention lancées, il néglige trop souvent d'en
tirer le fruit et se passionne pour de nouveaux projets. De sorte que
ce sont les nations plus commerciales qui en retirent les profits de
tous genres. Il y a vingt-deux ans, j'avais à Paris une petite auto de
marque française et je félicitais à propos de cette dernière conquête
du génie français l'un de mes vieux amis, parisien sceptique: «Oui,
me répondit-il, c'est nous qui avons découvert l'auto; ce sont les
Anglais et les Yankees qui en feront de l'argent.» Cette prophétie
ne s'est qu'en partie réalisée. Mais il est certain qu'avec moins de
flamme créatrice et plus de lenteur dans la conception, l'Anglo-Saxon
l'emporte sur le Français par l'esprit d'organisation, la continuité
dans l'effort, la ténacité. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des
autres...»

Lord Northcliffe est donc partisan d'une cohésion toujours plus étroite
entre la France et l'Angleterre,--militaire, navale, commerciale et
linguistique. Il croit que de nombreux mariages franco-anglais auraient
d'excellents résultats et, en particulier, celui d'écarter ce qui est
à son avis le plus grave danger de la France: la dépopulation. Il
estime que de chaque côté du Détroit nos enfants devraient parler
deux langues: le français et l'anglais. Enfin s'il était autrefois
l'adversaire du tunnel sous la Manche, dont la capture aurait pu mettre
dans la main prussienne la clef de l'Angleterre, il le préconise à
présent aussi bien que le service postal aérien entre Londres et Paris,
en attendant celui des voyageurs...

Mais surtout il n'oublie jamais de rappeler la dette contractée envers
la France. Ses articles et ses discours en font foi. Plusieurs semaines
avant l'intervention des Etats-Unis, il les invitait publiquement à
nous prouver leur gratitude historique en nous aidant à ranimer nos
industries et à porter l'écrasant fardeau de nos charges financières.
Depuis, il ne manque jamais une occasion de défendre nos intérêts
économiques. Au cours des discussions et des allocutions si importantes
de l'_Imperial War Conference_, à propos du tarif préférentiel accordé
aux marchandises des Dominions et des bases nouvelles de la politique
économique mondiale, le _Times_ et le _Daily Mail_ ont su à l'occasion
revendiquer des droits que d'aucuns seraient parfois tentés d'oublier.
«La prospérité économique de nos alliés, assurait un article du _Daily
Mail_ est presque aussi importante pour nous que la nôtre propre.»

Et nous pouvons compter sur lord Northcliffe quand se dresseront
les problèmes de la reconstruction interalliée; par exemple, celui
de notre marine marchande dont, empêchés par la défense urgente de
notre territoire et la mobilisation immédiate de tous nos hommes,
nous n'avons même pu réparer les unités alors que, dans les chantiers
de constructions navales de la Grande Bretagne et des Etats-Unis se
préparent avec fièvre des flottes commerciales formidables.

Des deux frères qui ont lutté et souffert côte à côte, couru les mêmes
risques, frôlé la même mort, serait-il équitable que l'un, le _boy_
en kaki, revînt dans un palais, l'autre, le poilu bleu pâle, dans une
maison en ruines? Lord Northcliffe ne veut pas de cette injustice. Il
écrivait dans le _Petit Parisien_ quelques semaines avant l'armistice:

«Quand un de mes amis anglais me dit: «Nous aidons la France», je
réponds: C'est vrai, mais c'est dans les champs, les fermes, les
châteaux et les villes de France que nous luttons contre la brute: la
France est le champ de bataille de la civilisation...

«Je ne crois pas à l'ingratitude des nations. Elles sont beaucoup
plus reconnaissantes que les individus... Les actions individuelles
s'oublient; celles des peuples sont inscrites dans l'histoire et
l'histoire qu'enseignent les écoles vit dans le cœur des hommes.
Quand on fera le tableau de cet immense cataclysme, on constatera que
la dette contractée envers la France a été acquittée, et acquittée
au-delà. Mais l'humanité ne pourra jamais s'en libérer entièrement.
Jamais on ne paiera à leur prix ces jeunes vies héroïques offertes
par tant de Français, ni les souffrances infligées aux habitants des
provinces envahies.

«Je me permets de prophétiser que tout ce qui se pourra compenser le
sera largement et qu'on s'efforcera de rendre à la France ce qui lui
est dû des deux mains et de tout cœur...»

A une alliance fondée sur le sentiment le plus désintéressé, trempée
par la souffrance, fortifiée par l'estime, nécessitée par la menace de
l'avenir il faut encore et surtout le lien des intérêts communs.

Ces paroles émues de lord Northcliffe, l'un des grands constructeurs du
monde futur, nous sont un gage précieux que l'on y pensera de l'autre
côté du Détroit. Et selon la parole d'un de nos hommes politiques,
«ceux que la guerre a unis ne se sépareront pas après la paix, car il y
aura entre eux de l'ineffaçable...»


_Le Gérant_: EDMOND SCHNEIDER.

[Illustration: logo imprimeur.]




TABLE DES MATIÈRES.


                                                               Pages.
  Une force de la nature... ou de la science.                       5
  La famille Harmsworth.                                            8
  Un journaliste de 15 ans.                                        10
  Directeur de journal à 20 ans.                                   12
  Lady Northcliffe.                                                14
  Alfred le Grand.                                                 15
  Le _Daily Mail_.                                                 18
  Le Napoléon de la Presse.                                        21
  Lord Northcliffe grand "reporter".                               22
  L'homme d'affaires.                                              24
  Une journée de lord Northcliffe.                                 28
  Idéaliste et réalisateur.                                        34
  Travail et voyages.                                              35
  Lord Northcliffe administrateur.                                 40
  Avant la guerre. Les campagnes contre le "danger allemand".      43
  Pendant la guerre: Pour la victoire et pour la France.           48
  Les missions de lord Northcliffe.                                53
  Les idées politiques de lord Northcliffe.                        57




  Le Fait de la Semaine

  LIBRAIRIE GRASSET, 61, Rue des Saints-Pères

  ABONNEMENTS
                                France      Étranger
  La Série de =25= numéros      =15= fr.    =20= fr.
  La Série de =50= numéros      =30= fr.    =40= fr.

  NUMÉROS PARUS:

  I. Jean JAURÈS.

  II. Petite histoire politique de l'ANGLETERRE depuis 1914.

  III. Ce qu'un Français doit savoir des ETATS-UNIS.

  IV. L'Œuvre de guerre du Parlement.

  V. Ce qu'un Français doit savoir de la MARINE MARCHANDE.

  VI. Petite histoire de l'ALLEMAGNE depuis 1914.

  VII. Le devoir de l'argent, par Novus.

  VIII. La houille blanche.

  IX. Perdons-nous la RUSSIE?

  X. Ce qu'un Français doit savoir de l'ITALIE.

  XI. LA POLICE, ce qu'elle est, ce qu'elle devrait être.

  XII. Les persécutions anti-helléniques en Turquie.

  XIII. Le droit des MUTILES.

  XIV. L'arme économique des alliés.

  XV. La Défense de L'ORIENT et le rôle de l'Angleterre.

  XVI. L'Esprit de Conquête.

  XVII. Le Statut de la Terre.

  XVIII. Mémoire du Prince Lichnowski.

  XIX. Histoire du CREDIT EN FRANCE.

  XX. Les Grandes Fourragères.

  XXI. Mémoire du Docteur Muehlen.

  XXII. Petite Histoire de l'Alsace-Lorraine.

  XXIII. Comment fonder une Coopérative.

  XXIV. Guide du Réfugié et du Rapatrié.

  XXV. Les Sophismes de Paix.

  XXVI. Pourquoi les Américains sont venus.

  XXVII. Les Régions économiques.

  XXVIII. Les Chemins de fer interalliés.

  XXIX. Qu'est-ce qu'une banque.

  XXX. Le Contrat de Travail des Mobilisés.

  XXXI. Réquisitoire contre l'Allemagne.

  XXXII. La Démocratie sociale.

  Impr. F. Durand, 18, Rue Seguier, Paris.


                   *       *       *       *       *


  Liste des modifications:

  Page  8: «Harsmworth» remplacé par «Harmsworth» (La famille Harmsworth)
  Page  9: «Hamsworth» remplacé par «Harmsworth» (Cecil Harmsworth)
  Page 16: «est» par «est-ce» (est-ce une légende?)
         : «traditionnaliste» par «traditionaliste» (de l'Angleterre
             traditionaliste)
  Page 20: «quels» par «quelles» (ais quelles heures d'allégresse!)
  Page 23: «Dolmenico» par «Delmenico» (le directeur du restaurant
             Delmonico)
  Page 30: «s'époumonnent» par «s'époumonent» (ils s'époumonent à suivre)
  Page 36: ajout de «il» (il suit avec passion)
  Page 37: «ils» par «il» (il constitue l'aliment principal.)
  Page 56: «conclueraient» par «concluraient» (qu'ils ne concluraient)





*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD NORTHCLIFFE ***


    

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