Point de lendemain

By Vivant Denon

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Title: Point de lendemain

Author: Dominique Vivant Denon

Release Date: October 24, 2008 [EBook #27018]

Language: French


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POINT DE LENDEMAIN

CONTE

    «La lettre tue et l'esprit vivifie.»
    (H. D. S. P.)

STRASBOURG

M. D. CCC. LXI



Réimpression de l'édition de 1812, tirée à très-petit nombre.



Strasbourg, Imprimerie de Veuve Berger-Levrault.



    «Une femme d'esprit est un diable en intrigue;
    Et, dès que son caprice a prononcé tout bas
    L'arrêt de notre honneur, il faut passer le pas.»[1]

Cette pensée est justifiée par le petit conte _Point de Lendemain_, une
des intrigues les plus piquantes qur le spirituel _Causeur du Lundi_ ait
signalées à la curiosité de ses nombreux lecteurs dans un article sur
Charles Nodier.[2]

«_Le dernier chapitre de mon roman[3]_ écrivait M. Sainte-Beuve en 1840,
est une réminiscence très-égayée d'une génération légère, qui avait eu,
comme Nodier l'a très-bien dit, _Faublas_ pour _Télémaque_. J'aime peu à
tous égards ce _dernier chapitre_, si spirituel qu'il soit, il rappelle
trop son modèle par des côtés non-seulement scabreux, mais un peu
vulgaires. Je ne sais en ce genre de vraiment délicat que le petit conte
_Point de Lendemain_ de Denon, qu'on peut citer sans danger, puisqu'on
ne trouvera nulle part à le lire.»

Si M. Sainte-Beuve ne s'était occupé que du _dernier chapitre de mon
roman_, il n'aurait pas, d'abord excité la curiosité en citant un livre
dont la lecture paraît à son avis offrir des dangers, puis commis une
erreur, car, tout le monde peut trouver à lire ce conte, et enfin, ce
qui est plus sérieux, fait naître dans l'esprit de ses lecteurs l'idée,
que lui-même a lu d'une manière bien superficielle certains ouvrages
auxquels il a cependant consacré des articles de critique.

Il y a même lieu de s'étonner que M. Sainte-Beuve n'ait pas remarqué
dans la _Physiologie du mariage_, dont il avait cependant déjà parlé en
1834, ce petit conte «_vraiment délicat_» intercalé presqu'en entier par
Balzac dans «_cette macédoine de saveur mordante et graveleuse qui
annonce un compatriote bien appris de Rabelais, ou du moins de Béroalde
de Verville._»[4]

On pourrait encore ne pas être de l'avis de M. Sainte-Beuve au sujet de
_Point de Lendemain_, car un conte n'est «_vraiment délicat_» qu'autant
que le coeur y joue un rôle, et dans celui-ci le coeur est remplacé par
l'esprit. Mais n'ergotons pas à ce sujet, et remercions plutôt M.
Sainte-Beuve qui est une autorité en matière de critique, d'avoir appelé
l'attention de maint bibliomane sur la petite édition de Denon
aujourd'hui une rareté bibliographique.

Le bibliophile Jacob[5] va maintenant nous faire connaître comment
Balzac a été amené à commettre _une intercalation_.

«En 1830[6] un exemplaire de ce conte fut communiqué à Balzac, par le
baron Dubois, chirurgien de l'empereur, et Balzac enchanté de la
conquête de cet opuscule, qu'on lui donnait comme entièrement inconnu,
ne se fit pas scrupule de l'admettre dans le second volume de la
_Physiologie du mariage_ en y faisant quelques retouches et sans dire la
source de son heureux larcin.»

On trouve dans la _Physiologie du mariage_[7] les circonstances qui ont
amené la publication de cet opuscule par Denon.

«Un jour, à la fin d'un repas donné à quelques intimes par le prince
Lebrun, les convives, échauffés par le champagne, en étaient sur le
chapitre intarissable des ruses féminines. La récente aventure arrivée à
Mme la comtesse R. S. D. J. D. A.[8] à propos d'un collier, avait été le
principe de cette conversation. Un artiste aimable, un savant aimé de
l'empereur, soutenait vigoureusement l'opinion peu virile, suivant
laquelle il serait interdit à l'homme de résister avec succès aux trames
ourdies par la femme. J'ai heureusement éprouvé, disait-il, que rien
n'est sacré pour elles......

«Les dames se récrièrent.--Mais je puis citer un fait.--C'est une
exception!--

«Écoutons l'histoire!... dit une jeune dame.

«Oh, racontez-nous-la! s'écrièrent tous les convives.

«Le prudent vieillard jeta les yeux autour de lui, et après avoir
vérifié l'âge des dames, il sourit en disant: Puisque nous avons tous
expérimenté la vie, je consens à vous narrer l'aventure. Il se fit un
grand silence, et le conteur commença.

«Plus d'une fois les dames, privées de leurs éventails, rougirent des
aveux un peu trop sincères faits par l'aimable vieillard, dont
l'élocution prestigieuse obtint grâce pour certains détails de ses
amours éphémères, détails que nous avons supprimés comme trop érotiques
pour l'époque actuelle. Cependant, il est à croire que chaque dame le
complimenta particulièrement; car quelques temps après il leur offrit à
toutes, ainsi qu'aux convives masculins, un exemplaire de son récit
imprimé à vingt-cinq exemplaires par Pierre Didot. C'est sur le nº 24[9]
que nous avons pris les éléments de cette narration.»

Le bruit courut alors qu'une princesse impériale avait fourni les
principaux traits du tableau, et que Denon était un peintre indiscret.
On n'ignore pas que Denon connut beaucoup par sa liaison avec Dorat,
cette femme, aussi gracieuse qu'aimable,[10] dont le poëte Lebrun a dit:

    Chloé belle et poëte a deux petits travers
    Elle fait son visage et ne fait pas ses vers.

A la suite de ces bruits, plusieurs exemplaires de ce conte auraient été
détruits.

Dans les premières éditions de la _Physiologie du mariage_, Balzac
n'indique aucun nom d'auteur; ce n'est que dans une des dernières de cet
ouvrage qu'il fit connaître que _Point de lendemain_ ne lui appartenait
qu'en qualité d'éditeur, puis mieux renseigné à l'égard du conte et du
conteur, il remplaça le nom de Denon par celui de Dorat dans l'édition
de la _Comédie humaine_.

                   *       *       *       *       *

La plupart des bibliographes ne mentionnent que la petite édition que le
baron Vivant-Denon, alors directeur général des musées de l'empereur,
fit imprimer, en 1812, chez Pierre Didot sans nom d'auteur. Ils
ignoraient sans doute l'existence de _Point de lendemain_ dans les
oeuvres de Dorat. Cependant M. Brunet, dans sa dernière édition du
_Manuel de l'amateur de livres[11], tome II, 1re partie_, indique que le
conte parut pour la première fois dans les oeuvres de Dorat. M. Paul
Chéron, de la bibliothèque impériale, dans son _Catalogue général de la
librairie française au XIXe siècle_[12], signale également ce conte, et
l'attribue à Dorat. Il dit qu'il a été tiré à 300 exemplaires, c'est
évidemment une erreur, car cette petite plaquette n'a été tout au plus
tirée qu'à 30; elle est très-rare aujourd'hui et ne se trouve que dans
quelques bibliothèques d'amateurs.[13]

Il nous reste maintenant à examiner si Denon n'a pas été plagiaire.

Denon écrivait élégamment; il contait surtout fort bien, et sa
conversation spirituelle et toujours fertile en anecdotes amusait
beaucoup Louis XV et Madame de Pompadour.

Il n'est donc pas probable qu'il se soit attribué un conte qui avait été
imprimé[14] déjà en 1780; aussi avons-nous la certitude morale que Dorat
est l'auteur de _Point de lendemain_, car les changements apportés à
l'édition publiée par Denon trente ans plus tard sont presque
insignifiants et ne consistent guère qu'en quelques corrections de
style.

Si le champ des suppositions est ouvert, et il doit l'être quand il
s'agit de disculper un auteur accusé de plagiat, on pourrait être porté
à croire, en voyant tout l'intérêt de Denon pour ce petit conte, qu'il
en a été le héros et que Dorat n'a fait que mettre en _lumière_ les
confidences de l'artiste.

Mme la comtesse Isabella Albrizzi, dans ses _Ritrati_[15], parle avec
enthousiasme des succès galants de Denon et l'on sait qu'amoureux de
toutes les actrices et afin d'avoir le privilége de les voir plus
fréquemment, il donna _aux Français_ une comédie, _Le bon Père_, qui eut
un succès médiocre.

On peut donc lui attribuer l'aventure, et il serait assez piquant que le
_marquis minautorisé tout en minautorisant_, fut Dorat lui-même avec qui
Denon était très lié.

Il existe encore un petit volume intitulé: _La Nuit Merveilleuse ou le
nec plus ultra du plaisir_[16], c'est le conte _Point de lendemain_
amplifié par des détails trop licencieux. Ce livre de la fin du siècle
dernier, imprimé bien certainement dans un moment où la discorde avait
substitué la licence à la liberté de la presse, n'était pas inconnu à
Denon. Bien que pour nous il n'en soit pas l'auteur, ce volume lui a au
moins servi quand il a publié sa petite édition.

Nous trouvons, en effet, pour appuyer notre assertion, le passage
suivant dans le conte de Dorat page 235:

«_Il en est des baisers comme des confidences, ils s'attirent. En effet,
etc._» Dans _la Nuit Merveilleuse_ il y a: «_Il en est des baisers comme
des confidences, ils s'attirent, ils s'accélèrent et s'échauffent les
uns par les autres._»

Cette dernière phrase est identique dans l'édition de Denon.

Depuis, maint auteur dramatique[17] a pillé le sujet du conte _Point de
lendemain_ qui est sans contredit une des plus charmantes productions du
genre galant; on y admire un esprit vif, des détails aussi ingénieux que
gracieux et une peinture assez vraie des travers aimables qui
caractérisaient si bien la nation française au dix-huitième siècle.
C'est une fourberie des plus séduisantes ourdie par la femme pour
satisfaire un caprice. Quant à sa morale..., Balzac l'a définie; «cette
anecdote», dit-il, «a le mérite de présenter à la fois de hautes
instructions aux maris, et aux célibataires la peinture des moeurs du
siècle dernier.»

  * *



Notes


  [1] Molière. _L'école des femmes_, acte III, sc. III.

  [2] Portraits littéraire. _Paris, Didier, 1852, tome 1er, p. 451-452._

  [3] Nouvelle de Charles Nodier, publiée en 1803.

  [4] Sainte-Beuve. Portraits contemporains. _Didier, 1846, p. 452,
    article Balzac._

  [5] Bulletin du Bouquiniste. _A. Aubry à Paris; 1re année, 1857, Nº 7,
    p. 153._

  [6] En 1828 ou 1829, car c'est dans le courant de cette dernière
    année, que parut alors sans nom d'auteur _la Physiologie du mariage_
    (catalogue A. Dutacq. _Paris, Téchener, 1857_).

  [7] 2e édition. _Paris, Olivier, 1834, tome 2e, p. 170_ et suivantes.

  [8] Regnault de Saint-Jean-d'Angely.

  [9] Les exemplaires ne sont pas numérotés.

  [10] Mme Moulard, auteur de plusieurs ouvrages en prose et en vers,
    aujourd'hui oubliés, qui épousa M. le comte de Beauharnais, l'oncle
    d'Alexandre de Beauharnais, premier mari de l'impératrice Joséphine.

  [11] _Point de Lendemain_, 1812; in-18, 52 p., papier vélin. Opuscule
    tiré à petit nombre, n'a point été mis dans le commerce; il y a un
    exemplaire sur peau vélin: vendu 25 fr. 60 c. _Chateaugiron_, vendu
    20 fr. br., en mars 1824.

  [12] Répertoire très-utile, édité par M. Janet, mais qui
    malheureusement est loin d'être achevé; prime de l'ancien _Courrier
    de la librairie_.

  [13] L'édition de 1812 de ce conte ne se trouverait même plus à la
    bibliothèque impériale. Elle figurait cependant dans les catalogues
    des bibliothèques de MM. de Pixerécourt, baron de Montaran, A.
    Renouard, catalogue T.... (Tripier) 1854. Catalogue à prix marqués
    de M. Potier 1861, et dans celui de M. de Cigongne.

    Voir aussi la _Bibliographie des principaux ouvrages relatifs à
    l'amour, aux femmes, au mariage_, par M. le C. D'I***. Paris, Gay,
    1861; p. 81, et la _Trésor des livres rares et curieux_, par
    Groesse; 2e vol., ouvrage actuellement en cours de publication à
    Leipzig.

  [14] _Coup d'oeil sur la littérature ou collection d'ouvrages tant en
    prose qu'en vers par M. Dorat pour faire suivre à ses oeuvres_.
    _Amsterdam_, 1780, 2 vol. in-8º. On lit à la page 87 du 2e vol. du
    recueil: «Il ne se trouve que dans mes mélanges littéraires et je
    l'ai transporté dans cette édition pour ceux qui désirent se le
    procurer dans un ouvrage moins volumineux.» On le trouve également
    dans un volume de Dorat intitulé: _Lettres d'une Chanoinesse_.
    _Paris, Delalain, 1780_; p. 46, avec cette note: Cette pièce est
    tirée du _Coup d'oeil, etc._

  [15] Ritrati. _Brescia_, 1807, in-18.

  [16] In-18 (s. l. n. d.) _Nulle part et partout._ 132 p. avec figures
    licencieuses ne se rapportant même pas au texte.

    Une suite inédite du conte _Point de Lendemain_ aurait paru
    également à la Vente des Autographes de M. de Pixérécourt sous le nº
    198.

  [17] _Madame du Chatelet ou Point de Lendemain_, comédie en 1 acte,
    mêlée de chant, par MM. Ancelot et Gustave. _Paris_, 1832.

    _Le Plastron_, comédie en 2 actes, mêlée de chant, par MM. Xavier,
    Duvert et Lauzanne. _Paris_, 1839.

    _Le Chandelier_, comédie d'Alf. de Musset. Cette comédie diffère un
    peu du conte par la conclusion; le _Chandelier_ a un lendemain.




POINT DE LENDEMAIN, CONTE.


J'aimais éperdument la Comtesse de ***; j'avais vingt ans, et j'étais
ingénu; elle me trompa; je me fâchai; elle me quitta. J'étais ingénu, je
la regrettai; j'avais vingt ans, elle me pardonna; et comme j'avais
vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me
croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. Elle
était amie de madame de T..., qui semblait avoir quelques projets sur ma
personne, mais sans que sa dignité fût compromise. Comme on le verra,
madame de T... avait des principes de décence auxquels elle était
scrupuleusement attachée.

Un jour que j'allais attendre la Comtesse dans sa loge, je m'entends
appeler de la loge voisine. N'était-ce pas encore la décente madame de
T...? «Quoi! déjà! me dit-on. Quel désoeuvrement! Venez donc près de
moi.--J'étais loin de m'attendre à tout ce que cette rencontre allait
avoir de romanesque et d'extraordinaire. On va vîte avec l'imagination
des femmes; et dans ce moment celle de madame de T... fut singulièrement
inspirée. Il faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule d'une
pareille solitude; puisque vous voilà, il faut... l'idée est excellente.
Il semble qu'une main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par
hasard des projets pour ce soir? Ils seraient vains, je vous en avertis;
point de questions, point de résistance... appelez mes gens. Vous êtes
charmant.--Je me prosterne... on me presse de descendre, j'obéis.--Allez
chez Monsieur, dit-on à un domestique; avertissez qu'il ne rentrera pas
ce soir... Puis on lui parle à l'oreille, et on le congédie. Je veux
hasarder quelques mots, l'opéra commence, on me fait taire: on écoute,
ou l'on fait semblant d'écouter. A peine le premier acte est-il fini,
que le même domestique rapporte un billet à madame de T..., en lui
disant que tout est prêt. Elle sourit, me demande la main, descend, me
fait entrer dans sa voiture, et je suis déjà hors de la ville avant
d'avoir pu m'informer de ce qu'on voulait faire de moi.

Chaque fois que je hasardais une question, on répondait par un éclat de
rire. Si je n'avais bien su qu'elle était femme à grandes passions, et
que dans l'instant même elle avait une inclination, inclination dont
elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit, j'aurais été tenté de me
croire en bonne fortune. Elle connaissait également la situation de mon
coeur, car la comtesse de *** était, comme je l'ai déjà dit, l'amie
intime de madame de T... Je me défendis donc toute idée présomptueuse,
et j'attendis les événements. Nous relayâmes, et repartîmes comme
l'éclair. Cela commençait à me paraître plus sérieux. Je demandai avec
plus d'instance jusqu'où me mènerait cette plaisanterie.--Elle vous
mènera dans un très beau séjour; mais devinez où: oh! je vous le donne
en mille... chez mon mari. Le connaissez-vous?--Pas du tout.--Je crois
que vous en serez content: on nous réconcilie. Il y a six mois que cela
se négocie, et il y en a un que nous nous écrivons. Il est, je pense,
assez galant à moi d'aller le trouver.--Oui: mais, s'il vous plaît, que
ferai-je là, moi? à quoi puis-je y être bon?--Ce sont mes affaires. J'ai
craint l'ennui d'un tête-à-tête; vous êtes aimable, et je suis bien aise
de vous avoir.--Prendre le jour d'un raccommodement pour me présenter,
cela me paraît bizarre. Vous me feriez croire que je suis sans
conséquence. Ajoutez à cela l'air d'embarras qu'on apporte à une
première entrevue. En vérité, je ne vois rien de plaisant pour tous les
trois dans la démarche que vous allez faire.--Ah! point de morale, je
vous en conjure; vous manquez l'objet de votre emploi. Il faut m'amuser,
me distraire, et non me prêcher.--

Je la vis si décidée, que je pris le parti de l'être autant qu'elle. Je
me mis à rire de mon personnage, et nous devînmes très-gais.

Nous avions changé une seconde fois de chevaux. Le flambeau mystérieux
de la nuit éclairait un ciel pur et répandait un demi-jour
très-voluptueux. Nous approchions du lieu où allait finir le
tête-à-tête. On me faisait, par intervalles, admirer la beauté du
paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de la nature. Pour
admirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions à la même
portière; le mouvement de la voiture faisait que le visage de madame de
T... et le mien s'entretouchaient. Dans un choc imprévu, elle me serra
la main; et moi, par le plus grand hasard du monde, je la retins entre
mes bras. Dans cette attitude, je ne sais ce que nous cherchions à voir.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que les objets se brouillaient à mes yeux,
lorsqu'on se débarrassa de moi brusquement, et qu'on se rejeta au fond
du carrosse. Votre projet, dit-on après une rêverie assez profonde,
est-il de me convaincre de l'imprudence de ma démarche?--Je fus
embarrassé de la question. Des projets... avec vous... quelle duperie!
vous les verriez venir de trop loin: mais un hasard, une surprise...
cela se pardonne.--Vous avez compté là-dessus, à ce qu'il me semble.--

Nous en étions là sans presque nous apercevoir que nous entrions dans
l'avant-cour du château. Tout était éclairé, tout annonçait la joie,
excepté la figure du maître, qui était rétive à l'exprimer. Un air
languissant ne montrait en lui le besoin d'une réconciliation, que pour
des raisons de famille. La bienséance amène cependant M. de T... jusqu'à
la portière. On me présente, il offre la main, et je suis, en rêvant à
mon personnage passé, présent, et à venir. Je parcours des salons
décorés avec autant de goût que de magnificence, car le maître de la
maison raffinait sur toutes les recherches de luxe. Il s'étudiait à
ranimer les ressources d'un physique éteint, par des images de volupté.
Ne sachant que dire, je me sauvai par l'admiration. La déesse s'empresse
de faire les honneurs du temple, et d'en recevoir les compliments.--Vous
ne voyez rien; il faut que je vous mène à l'appartement de
monsieur.--Madame, il y a cinq ans que je l'ai fait démolir.--Ah! ah!»
dit-elle.--A souper, ne voilà-t-il pas qu'elle s'avise d'offrir à
Monsieur du veau de rivière, et que Monsieur lui répond: Madame, il y a
trois ans que je suis au lait.--Ah! ah!» dit-elle encore.--Qu'on se
peigne une conversation entre trois êtres si étonnés de se trouver
ensemble!

Le souper finit. J'imaginais que nous nous coucherions de bonne heure;
mais je n'imaginais bien que pour le mari. En entrant dans le salon: Je
vous sais gré, Madame, dit-il, de la précaution que vous avez eue
d'amener Monsieur. Vous avez jugé que j'étais de méchante ressource pour
la veillée, et vous avez bien jugé, car je me retire. Puis, se tournant
de mon côté, il ajouta d'un air ironique: Monsieur voudra bien me
pardonner, et se charger de mes excuses auprès de Madame. Il nous
quitta.

Nous nous regardâmes, et, pour nous distraire de toutes réflexions,
madame de T... me proposa de faire un tour sur la terrasse, en attendant
que les gens eussent soupé. La nuit était superbe; elle laissait
entrevoir les objets, et semblait ne les voiler que pour donner plus
d'essor à l'imagination. Le château ainsi que les jardins, appuyés
contre une montagne, descendaient en terrasse jusque sur les rives de la
Seine; et ses sinuosités multipliées formaient de petites îles agrestes
et pittoresques, qui variaient les tableaux et augmentaient le charme de
ce beau lieu.

Ce fut sur la plus longue de ces terrasses que nous nous promenâmes
d'abord: elle était couverte d'arbres épais. On s'était remis de
l'espèce de persiflage qu'on venait d'essuyer; et tout en se promenant,
on me fit quelques confidences. Les confidences s'attirent, j'en faisais
à mon tour, elles devenaient toujours plus intimes et plus
intéressantes. Il y avait long-temps que nous marchions. Elle m'avait
d'abord donné son bras, ensuite ce bras s'était entrelacé, je ne sais
comment, tandis que le mien la soulevait et l'empêchait presque de poser
à terre. L'attitude était agréable, mais fatigante à la longue, et nous
avions encore bien des choses à nous dire. Un banc de gazon se présente;
on s'y assied sans changer d'attitude. Ce fut dans cette position que
nous commençâmes à faire l'éloge de la confiance, de son charme, de ses
douceurs. Eh! me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, avec moins
d'effroi? Je sais trop combien vous tenez au lien que je vous connais,
pour avoir rien à redouter auprès de vous.--Peut-être voulait-elle être
contrariée, je n'en fis rien. Nous nous persuadâmes donc mutuellement
qu'il était impossible que nous puissions jamais nous être autre chose
que ce que nous nous étions alors. J'appréhendais cependant, lui dis-je,
que la surprise de tantôt n'eût effrayé votre esprit.--Je ne m'alarme
pas si aisément.--Je crains cependant qu'elle ne vous ait laissé
quelques nuages.--Que faut-il pour vous rassurer?--Vous ne devinez
pas?--Je souhaite d'être éclaircie.--J'ai besoin d'être sûr que vous me
pardonnez.--Et pour cela il faudrait...?--Que vous m'accordassiez ici ce
baiser que le hasard...--Je le veux bien: vous seriez trop fier si je le
refusais. Votre amour-propre vous ferait croire que je vous crains.--On
voulut prévenir les illusions, et j'eus le baiser.

Il en est des baisers comme des confidences: ils s'attirent, ils
s'accélèrent, ils s'échauffent les uns par les autres. En effet, le
premier ne fut pas plus tôt donné qu'un second le suivit; puis, un
autre: ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils la
remplaçaient; à peine enfin laissaient-ils aux soupirs la liberté de
s'échapper. Le silence survint; on l'entendit (car on entend quelquefois
le silence): il effraya. Nous nous levâmes sans mot dire, et
recommençâmes à marcher. Il faut rentrer, dit-elle, l'air du soir ne
nous vaut rien. Je le crois moins dangereux pour vous, lui
répondis-je.--Oui, je suis moins susceptible qu'une autre; mais
n'importe, rentrons.--C'est par égard pour moi, sans doute... vous
voulez me défendre contre le danger des impressions d'une telle
promenade... et des suites qu'elle pourrait avoir pour moi seul.--C'est
donner de la délicatesse à mes motifs. Je le veux bien comme cela...
mais rentrons, je l'exige: (propos gauches qu'il faut passer à deux
êtres qui s'efforcent de prononcer, tant bien que mal, tout autre chose
que ce qu'ils ont à dire). Elle me força de reprendre le chemin du
château.

Je ne sais, je ne savais du moins si ce parti était une violence qu'elle
se faisait, si c'était une résolution bien décidée, ou si elle
partageait le chagrin que j'avais de voir terminer ainsi une scène si
bien commencée; mais, par un mutuel instinct, nos pas se ralentissaient,
et nous cheminions tristement, mécontents l'un de l'autre et de
nous-mêmes. Nous ne savions ni à qui, ni à quoi nous en prendre. Nous
n'étions ni l'un ni l'autre en droit de rien exiger, de rien demander:
nous n'avions pas seulement la ressource d'un reproche. Qu'une querelle
nous aurait soulagés! mais où la prendre? Cependant nous approchions,
occupés en silence de nous soustraire au devoir que nous nous étions
imposé si maladroitement.

Nous touchions à la porte lorsqu'enfin madame de T... parla.--Je suis
peu contente de vous... après la confiance que je vous ai montrée, il
est mal... si mal de ne m'en accorder aucune! Voyez si depuis que nous
sommes ensemble, vous m'avez dit un mot de la Comtesse. Il est pourtant
si doux de parler de ce qu'on aime! et vous ne pouvez douter que je ne
vous eusse écouté avec intérêt. C'était bien le moins que j'eusse pour
vous cette complaisance après avoir risqué de vous priver
d'elle.--N'ai-je pas le même reproche à vous faire, et n'auriez-vous
point paré à bien des choses, si au lieu de me rendre confident d'une
réconciliation avec un mari, vous m'aviez parlé d'un choix plus
convenable, d'un choix...--Je vous arrête... songez qu'un soupçon seul
nous blesse. Pour peu que vous connaissiez les femmes, vous savez qu'il
faut les attendre sur les confidences... Revenons à vous: où en
êtes-vous avec mon amie? vous rend-on bien heureux? Ah! je crains le
contraire: cela m'afflige, car je m'intéresse si tendrement à vous! Oui,
monsieur, je m'y intéresse... plus que vous ne pensez peut-être.--Eh!
pourquoi donc, madame, vouloir croire avec le public ce qu'il s'amuse à
grossir, à circonstancier?--Épargnez-vous la feinte; je sais sur votre
compte tout ce que l'on peut savoir. La Comtesse est moins mystérieuse
que vous. Les femmes de son espèce sont prodigues des secrets de leurs
adorateurs, surtout lorsqu'une tournure discrète comme la vôtre pourrait
leur dérober leurs triomphes. Je suis loin de l'accuser de coquetterie;
mais une prude n'a pas moins de vanité qu'une coquette. Parlez-moi
franchement: n'êtes-vous pas souvent la victime de cet étrange
caractère? Parlez, parlez.--Mais, Madame, vous vouliez rentrer... et
l'air...--Il a changé.

Elle avait repris mon bras, et nous recommencions à marcher sans que je
m'aperçusse de la route que nous prenions. Ce qu'elle venait de me dire
de l'amant que je lui connaissais, ce qu'elle me disait de la maîtresse
qu'elle me savait, ce voyage, la scène du carrosse, celle du banc de
gazon, l'heure, tout cela me troublait; j'étais tour-à-tour emporté par
l'amour-propre ou les désirs, et ramené par la réflexion. J'étais
d'ailleurs trop ému pour me rendre compte de ce que j'éprouvais. Tandis
que j'étais en proie à des mouvements si confus, elle avait continué de
parler, et toujours de la Comtesse. Mon silence paraissait confirmer
tout ce qu'il lui plaisait d'en dire. Quelques traits qui lui
échappèrent me firent pourtant revenir à moi.

Comme elle est fine, disait-elle! qu'elle a de grâces! une perfidie dans
sa bouche prend l'air d'une saillie; une infidélité paraît un effort de
raison, un sacrifice à la décence. Point d'abandon; toujours aimable;
rarement tendre, et jamais vraie; galante par caractère, prude par
système, vive, prudente, adroite, étourdie, sensible, savante, coquette
et philosophe: c'est un Protée pour les formes, c'est une grâce pour les
manières: elle attire, elle échappe. Combien je lui ai vu jouer de
rôles! Entre nous, que de dupes l'environnent! Comme elle s'est moquée
du Baron...! Que de tours elle a faits au Marquis! Lorsqu'elle vous
prit, c'était pour distraire deux rivaux trop imprudens, et qui étaient
sur le point de faire un éclat. Elle les avait trop ménagés, ils avaient
eu le temps de l'observer; ils auraient fini par la convaincre. Mais
elle vous mit en scène, les occupa de vos soins, les amena à des
recherches nouvelles, vous désespéra, vous plaignit, vous consola; et
vous fûtes contents tous quatre. Ah! qu'une femme adroite a d'empire sur
vous! et qu'elle est heureuse lorsqu'à ce jeu-là elle affecte tout et
n'y met rien du sien!--Madame de T... accompagna cette dernière phrase
d'un soupir très significatif. C'était le coup de maître.

Je sentis qu'on venait de m'ôter un bandeau de dessus les yeux, et ne
vis point celui qu'on y mettait. Mon amante me parut la plus fausse de
toutes les femmes, et je crus tenir l'être sensible. Je soupirai aussi,
sans savoir à qui s'adressait ce soupir, sans démêler si le regret ou
l'espoir l'avait fait naître. On parut fâchée de m'avoir affligé, et de
s'être laissée emporter trop loin dans une peinture qui pouvait paraître
suspecte, étant faite par une femme.

Je ne concevais rien à tout ce que j'entendais. Nous enfilions la grande
route du sentiment, et la reprenions de si haut, qu'il était impossible
d'entrevoir le terme du voyage. Au milieu de nos raisonnements
métaphysiques, on me fit apercevoir, au bout d'une terrasse, un pavillon
qui avait été le témoin des plus doux moments. On me détailla sa
situation, son ameublement. Quel dommage de n'en pas avoir la clef! Tout
en causant, nous approchions. Il se trouva ouvert; il ne lui manquait
plus que la clarté du jour. Mais l'obscurité pouvait aussi lui prêter
quelques charmes. D'ailleurs, je savais combien était charmant l'objet
qui allait l'embellir.

Nous frémîmes en entrant. C'était un sanctuaire, et c'était celui de
l'Amour. Il s'empara de nous; nos genoux fléchirent; nos bras
défaillants s'enlacèrent, et ne pouvant nous soutenir, nous allâmes
tomber sur un canapé qui occupait une partie du temple. La lune se
couchait, et le dernier de ses rayons emporta bientôt le voile d'une
pudeur qui, je crois, devenait importune. Tout se confondit dans les
ténèbres. La main qui voulait me repousser sentait battre mon coeur. On
voulait me fuir, on retombait plus attendrie. Nos âmes se rencontraient,
se multipliaient; il en naissait une de chacun de nos baisers.

Devenue moins tumultueuse, l'ivresse de nos sens ne nous laissait
cependant point encore l'usage de la voix. Nous nous entretenions dans
le silence par le langage de la pensée. Madame de T... se réfugiait dans
mes bras, cachait sa tête dans mon sein, soupirait, et se calmait à mes
caresses: elle s'affligeait, se consolait, et demandait de l'amour pour
tout ce que l'amour venait de lui ravir.

Cet amour, qui l'effrayait un instant avant, la rassurait dans celui-ci.
Si, d'un côté, on veut donner ce qu'on a laissé prendre, on veut, de
l'autre, recevoir ce qui fut dérobé; et de part et d'autre, on se hâte
d'obtenir une seconde victoire pour s'assurer de sa conquête.

Tout ceci avait été un peu brusqué. Nous sentîmes notre faute. Nous
reprîmes avec plus de détail ce qui nous était échappé. Trop ardent, on
est moins délicat. On court à la jouissance en confondant toutes les
délices qui la précèdent: on arrache un noeud, on déchire une gaze:
partout la volupté marque sa trace, et bientôt l'idole ressemble à la
victime.

Plus calmes, nous trouvâmes l'air plus pur, plus frais. Nous n'avions
pas entendu que la rivière, dont les flots baignent les murs du
pavillon, rompait le silence de la nuit par un murmure doux qui semblait
d'accord avec la palpitation de nos coeurs. L'obscurité était trop
grande pour laisser distinguer aucun objet; mais à travers le crêpe
transparent d'une belle nuit d'été, notre imagination faisait d'une île
qui était devant notre pavillon un lieu enchanté. La rivière nous
paraissait couverte d'amours qui se jouaient dans les flots. Jamais les
forêts de Gnide n'ont été si peuplées d'amans, que nous en peuplions
l'autre rive. Il n'y avait pour nous dans la nature que des couples
heureux, et il n'y en avait point de plus heureux que nous. Nous aurions
défié Psyché et l'Amour. J'étais aussi jeune que lui; je trouvais madame
de T... aussi charmante qu'elle. Plus abandonnée, elle me sembla plus
ravissante encore. Chaque moment me livrait une beauté. Le flambeau de
l'amour me l'éclairait pour les yeux de l'âme, et le plus sûr des sens
confirmait mon bonheur. Quand la crainte est bannie, les caresses
cherchent les caresses: elles s'appellent plus tendrement. On ne veut
plus qu'une faveur soit ravie. Si l'on diffère, c'est raffinement. Le
refus est timide, et n'est qu'un tendre soin. On désire, on ne voudrait
pas: c'est l'hommage qui plaît... Le désir flatte... L'âme en est
exaltée... On adore... On ne cédera point... On a cédé.

Ah! me dit-elle avec voix céleste, sortons de ce dangereux séjour; sans
cesse les désirs s'y reproduisent, et l'on est sans force pour leur
résister.--Elle m'entraîne.

Nous nous éloignons à regret; elle tournait souvent la tête; une flamme
divine semblait briller sur le parvis. Tu l'as consacré pour moi, me
disait-elle. Qui saurait jamais y plaire comme toi? Comme tu sais aimer!
Qu'elle est heureuse!--Qui donc, m'écriai-je avec étonnement? Ah! si je
dispense le bonheur, à quel être dans la nature pouvez-vous porter
envie? Nous passâmes devant le banc de gazon, nous nous y arrêtâmes
involontairement et avec une émotion muette. Quel espace immense, me
dit-elle, entre ce lieu-ci et le pavillon que nous venons de quitter!
Mon âme est si pleine de mon bonheur, qu'à peine puis-je me rappeler
d'avoir pu vous résister. Eh bien! lui dis-je, verrai-je se dissiper ici
le charme dont mon imagination s'était remplie là-bas? Ce lieu me
sera-t-il toujours fatal?--En est-il qui puisse te l'être encore quand
je suis avec toi?--Oui, sans doute, puisque je suis aussi malheureux
dans celui-ci que je viens d'être heureux dans l'autre. L'amour veut des
gages multipliés: il croit n'avoir rien obtenu tant qu'il lui reste à
obtenir.--Encore... Non, je ne puis permettre... Non, jamais...--Et
après un long silence: Mais tu m'aimes donc bien!

Je prie le lecteur de se souvenir que j'ai vingt ans. Cependant la
conversation changea d'objet: elle devint moins sérieuse. On osa même
plaisanter sur les plaisirs de l'amour, l'analyser, en séparer le moral,
le réduire au simple, et prouver que les faveurs n'étaient que du
plaisir; qu'il n'y avait d'engagement (philosophiquement parlant) que
ceux que l'on contractait avec le public, en lui laissant pénétrer nos
secrets, et en commettant avec lui quelques indiscrétions. Quelle nuit
délicieuse, dit-elle, nous venons de passer par l'attrait seul de ce
plaisir, notre guide et notre excuse! Si des raisons, je le suppose,
nous forçaient à nous séparer demain, notre bonheur, ignoré de toute la
nature, ne nous laisserait, par exemple, aucun lien à dénouer...
quelques regrets, dont un souvenir agréable serait le dédommagement...
et puis, au fait, du plaisir, sans toutes les lenteurs, le tracas et la
tyrannie des procédés.

Nous sommes tellement _machines_ (et j'en rougis), qu'au lieu de toute
la délicatesse qui me tourmentait avant la scène qui venait de se
passer, j'étais au moins pour moitié dans la hardiesse de ces principes;
je les trouvais sublimes, et je me sentais déjà une disposition
très-prochaine à l'amour de la liberté.

La belle nuit, me disait-elle! les beaux lieux! Il y a huit ans que je
les avais quittés; mais ils n'ont rien perdu de leur charme; ils
viennent de reprendre pour moi tous ceux de la nouveauté; nous
n'oublierons jamais ce cabinet, n'est-il pas vrai? Le château en recèle
un plus charmant encore; mais on ne peut rien vous montrer: vous êtes
comme un enfant qui veut toucher à tout, et qui brise tout ce qu'il
touche.--Un mouvement de curiosité, qui me surprit moi-même, me fit
promettre de n'être que ce que l'on voudrait. Je protestai que j'étais
devenu bien raisonnable. On changea de propos. Cette nuit, dit-elle, me
paraîtrait complètement agréable, si je ne me faisais un reproche. Je
suis fâchée, vraiment fâchée, de ce que je vous ai dit de la Comtesse.
Ce n'est pas que je veuille me plaindre de vous. La nouveauté pique.
Vous m'avez trouvée aimable, et j'aime à croire que vous étiez de bonne
foi; mais l'empire de l'habitude est si long à détruire, que je sens
moi-même que je n'ai pas ce qu'il faut pour en venir à bout. J'ai
d'ailleurs épuisé tout ce que le coeur a de ressources pour enchaîner.
Que pourriez-vous espérer maintenant près de moi? Que pourriez-vous
désirer? Et que devient-on avec une femme, sans le désir et l'espérance!
Je vous ai tout prodigué: à peine peut-être me pardonnerez-vous un jour
des plaisirs qui, après le moment de l'ivresse, vous abandonnent à la
sévérité des réflexions. A propos, dites-moi donc, comment avez-vous
trouvé mon mari? Assez maussade, n'est-il pas vrai? Le régime n'est
point aimable. Je ne crois pas qu'il vous ait vu de sang-froid. Notre
amitié lui deviendrait suspecte. Il faudra ne pas prolonger ce premier
voyage: il prendrait de l'humeur. Dès qu'il viendra du monde (et sans
doute il en viendra)... D'ailleurs vous avez aussi vos ménagements à
garder... Vous vous souvenez de l'air de Monsieur, hier en nous
quittant?... Elle vit l'impression que me faisaient ces dernières
paroles, et ajouta tout de suite: «Il était plus gai lorsqu'il fit
arranger avec tant de recherche le cabinet dont je vous parlais tout à
l'heure. C'était avant mon mariage. Il tient à mon appartement. Il n'a
jamais été pour moi qu'un témoignage... des ressources artificielles
dont M. de T... avait besoin pour fortifier son sentiment, et du peu de
ressort que je donnais à son âme.»

C'est ainsi que, par intervalle, elle excitait ma curiosité sur ce
cabinet. Il tient à votre appartement, lui dis-je; quel plaisir d'y
venger vos attraits offensés! de leur y restituer les vols qu'on leur a
faits! On trouva ceci d'un meilleur ton. Ah! lui dis-je, si j'étais
choisi pour être le héros de cette vengeance, si le goût du moment
pouvait faire oublier et réparer les langueurs de l'habitude...«--Si
vous me promettiez d'être sage, dit-elle en m'interrompant.» Il faut
l'avouer, je ne me sentais pas toute la ferveur, toute la dévotion qu'il
fallait pour visiter ce nouveau temple; mais j'avais beaucoup de
curiosité: ce n'était plus madame de T... que je désirais, c'était le
cabinet.

Nous étions rentrés. Les lampes des escaliers et des corridors étaient
éteintes; nous errions dans un dédale. La maîtresse même du château en
avait oublié les issues; enfin nous arrivâmes à la porte de son
appartement, de cet appartement qui renfermait ce réduit si vanté.
Qu'allez-vous faire de moi, lui dis-je? que voulez-vous que je devienne?
me renverrez-vous seul ainsi dans l'obscurité? m'exposerez-vous à faire
du bruit, à nous déceler, à nous trahir, à vous perdre? Cette raison lui
parut sans réplique.--Vous me promettez donc...--Tout... tout au monde.
On reçut mon serment. Nous ouvrîmes doucement la porte: nous trouvâmes
deux femmes endormies, l'une jeune, l'autre plus âgée. Cette dernière
était celle de confiance, ce fut elle qu'on éveilla. On lui parla à
l'oreille. Bientôt je la vis sortir par une porte secrète, artistement
fabriquée dans un lambris de la boiserie. J'offris de remplir l'office
de la femme qui dormait. On accepta mes services, on se débarrassa de
tout ornement superflu. Un simple ruban retenait tous les cheveux, qui
s'échappaient en boucles flottantes; on y ajouta seulement une rose que
j'avais cueillie dans le jardin, et que je tenais encore par
distraction: une robe ouverte remplaça tous les autres ajustements. Il
n'y avait pas un noeud à toute cette parure; je trouvai madame de T...
plus belle que jamais. Un peu de fatigue avait appesanti ses paupières,
et donnait à ses regards une langueur plus intéressante, une expression
plus douce. Le coloris de ses lèvres, plus vif que de coutume, relevait
l'émail de ses dents, et rendait son sourire plus voluptueux; des
rougeurs éparses çà et là relevaient la blancheur de son teint et en
attestaient la finesse. Ces traces du plaisir m'en rappelaient la
jouissance. Enfin, elle me parut plus séduisante encore que mon
imagination ne se l'était peinte dans nos plus doux moments. Le lambris
s'ouvrit de nouveau, et la discrète confidente disparut.

Près d'entrer, on m'arrêta: Souvenez-vous, me dit-on gravement, que vous
serez censé n'avoir jamais vu, ni même soupçonné l'asile où vous allez
être introduit. Point d'étourderie; je suis tranquille sur le reste.--La
discrétion est la première des vertus; on lui doit bien des instans de
bonheur.

Tout cela avait l'air d'une initiation. On me fit traverser un petit
corridor obscur, en me conduisant par la main. Mon coeur palpitait comme
celui d'un prosélyte que l'on éprouve avant la célébration des grands
mystères... Mais votre Comtesse, me dit-elle en s'arrêtant... J'allais
répliquer; les portes s'ouvrirent: l'admiration intercepta ma réponse.
Je fus étonné, ravi; je ne sais plus ce que je devins, et je commençai
de bonne foi à croire à l'enchantement. La porte se referma, et je ne
distinguai plus par où j'étais entré. Je ne vis plus qu'un bosquet
aérien qui, sans issue, semblait ne tenir et ne porter sur rien; enfin
je me trouvai dans une vaste cage de glaces, sur lesquelles les objets
étaient si artistement peints que, répétés, ils produisaient l'illusion
de tout ce qu'ils représentaient. On ne voyait intérieurement aucune
lumière; une lueur douce et céleste pénétrait, selon le besoin que
chaque objet avait d'être plus ou moins aperçu; des cassolettes
exhalaient de délicieux parfums; des chiffres et des trophées dérobaient
aux yeux la flamme des lampes qui éclairaient d'une manière magique ce
lieu de délices. Le côté par où nous entrâmes représentait des portiques
en treillage ornés de fleurs, et des berceaux dans chaque enfoncement;
d'un autre côté, on voyait la statue de l'Amour distribuant des
couronnes; devant cette statue était un autel, sur lequel brillait une
flamme; au bas de cet autel étaient une coupe, des couronnes et des
guirlandes; un temple d'une architecture légère achevait d'orner ce
côté: vis-à-vis était une grotte sombre; le dieu du mystère veillait à
l'entrée; le parquet, couvert d'un tapis _pluché_, imitait le gazon. Au
plafond, des génies suspendaient des guirlandes; et du côté qui
répondait aux portiques était un dais sous lequel s'accumulait une
quantité de carreaux avec un baldaquin soutenu par des amours.

Ce fut là que la reine de ce lieu alla se jeter nonchalamment. Je tombai
à ses pieds; elle se pencha vers moi, elle me tendit les bras, et dans
l'instant, grâce à ce groupe répété dans tous ses aspects, je vis cette
île toute peuplée d'amans heureux.

Les désirs se reproduisent par leurs images. Laisserez-vous, lui dis-je,
ma tête sans couronne? si près du trône, pourrai-je éprouver des
rigueurs? pourriez-vous y prononcer un refus? Et vos serments, me
répondit-elle en se levant.--J'étais un mortel quand je les fis, vous
m'avez fait un dieu: vous adorer, voilà mon seul serment. Venez, me
dit-elle, l'ombre du mystère doit cacher ma faiblesse, venez... En même
temps elle s'approcha de la grotte. A peine en avions-nous franchi
l'entrée, que je ne sais quel ressort, adroitement ménagé, nous
entraîna. Portés par le même mouvement, nous tombâmes, mollement
renversés sur un monceau de coussins. L'obscurité régnait avec le
silence dans ce nouveau sanctuaire. Nos soupirs nous tinrent lieu de
langage. Plus tendres, plus multipliés, plus ardens, ils étaient les
interprètes de nos sensations, ils en marquaient les degrés, et le
dernier de tous, quelque temps suspendu, nous avertit que nous devions
rendre grâce à l'amour. Elle prit une couronne qu'elle posa sur ma tête,
et soulevant à peine ses beaux yeux humides de volupté, elle me dit: Eh
bien! aimeriez-vous jamais la Comtesse autant que moi? J'allais répondre
lorsque la confidente, en entrant précipitamment, me dit: Sortez bien
vîte, il fait grand jour, on entend déjà du bruit dans le château.

Tout s'évanouit avec la même rapidité que le réveil détruit un songe, et
je me trouvai dans le corridor avant d'avoir pu reprendre mes sens. Je
voulais regagner mon appartement; mais où l'aller chercher? Toute
information me dénonçait, toute méprise était une indiscrétion. Le parti
le plus prudent me parut de descendre dans le jardin, où je résolus de
rester jusqu'à ce que je pusse rentrer avec vraisemblance d'une
promenade du matin.

La fraîcheur et l'air pur de ce moment calmèrent par degrés mon
imagination et en chassèrent le merveilleux. Au lieu d'une nature
enchantée, je ne vis qu'une nature naïve. Je sentais la vérité rentrer
dans mon âme, mes pensées naître sans trouble et se suivre avec ordre;
je respirais enfin. Je n'eus rien de plus pressé alors que de me
demander si j'étais l'amant de celle que je venais de quitter, et je fus
bien surpris de ne savoir que me répondre. Qui m'eût dit hier à l'Opéra
que je pourrais me faire une telle question? moi qui croyais savoir
qu'elle aimait éperdument, et depuis deux ans, le marquis de..., moi qui
me croyais tellement épris de la Comtesse, qu'il devait m'être
impossible de lui devenir infidèle! Quoi! hier! madame de T... Est-il
bien vrai? aurait-elle rompu avec le Marquis? m'a-t-elle pris pour lui
succéder, ou seulement pour le punir? Quelle aventure! quelle nuit! Je
ne savais si je ne rêvais pas encore; je doutais, puis j'étais persuadé,
convaincu, et puis je ne croyais plus rien. Tandis que je flottais dans
ces incertitudes, j'entendis du bruit près de moi: je levai les yeux, me
les frottai, je ne pouvais croire... c'était... qui... le Marquis.--Tu
ne m'attendais pas si matin, n'est-il pas vrai? Eh bien! comment cela
s'est-il passé?--Tu savais donc que j'étais ici, lui demandai-je?--Oui,
vraiment: on me le fit dire hier au moment de votre départ. As-tu bien
joué ton personnage? le mari a-t-il trouvé ton arrivée bien ridicule?
quand te renvoie-t-on? J'ai pourvu à tout; je t'amène une bonne chaise
qui sera à tes ordres: c'est à charge d'autant. Il fallait un écuyer à
madame de T..., tu lui en as servi, tu l'as amusée sur la route; c'est
tout ce qu'elle voulait, et ma reconnaissance...--Oh! non, non, je sers
avec générosité; et dans cette occasion, madame de T... pourrait te dire
que j'y ai mis un zèle au-dessus des pouvoirs de la reconnaissance.

Il venait de débrouiller le mystère de la veille, et de me donner la
clef du reste. Je sentis dans l'instant mon nouveau rôle. Chaque mot
était en situation. Pourquoi venir sitôt, dis-je? Il me semble qu'il eût
été plus prudent...--Tout est prévu; c'est le hasard qui semble me
conduire ici: je suis censé revenir d'une campagne voisine. Madame de
T... ne t'a donc pas mis au fait? Je lui veux du mal de ce défaut de
confiance, après ce que tu faisais pour nous.--Elle avait sans doute ses
raisons; et peut-être si elle eût parlé n'aurais-je pas si bien joué mon
personnage.--Cela, mon cher, a donc été bien plaisant? Conte-moi les
détails... conte donc.--Ah!... Un moment. Je ne savais pas que tout ceci
était une comédie; et, bien que je sois pour quelque chose dans la
pièce...--Tu n'avais pas le beau rôle.--Va, va, rassure-toi, il n'y a
point de mauvais rôle pour de bons acteurs.--J'entends; tu t'en es bien
tiré.--Merveilleusement.--Et madame de T...--Sublime. Elle a tous les
genres.--Conçois-tu qu'on ait pu fixer cette femme-là? Cela m'a donné de
la peine; mais j'ai amené son caractère au point que c'est peut-être la
femme de Paris sur la fidélité de laquelle il y a le plus à
compter.--Fort bien!--C'est mon talent, à moi: toute son inconstance
n'était que frivolité, dérèglement d'imagination: il fallait s'emparer
de cette âme-là.--C'est le bon parti.--N'est-il pas vrai? Tu n'as pas
d'idée de son attachement pour moi. Au fait, elle est charmante; tu en
conviendras. Entre nous, je ne lui connais qu'un défaut; c'est que la
nature, en lui donnant tout, lui a refusé cette flamme divine qui met le
comble à tous ses bienfaits. Elle fait tout naître, tout sentir, et elle
n'éprouve rien: c'est un marbre.--Il faut t'en croire, car moi, je ne
puis... Mais sais-tu que tu connais cette femme-là comme si tu étais son
mari: vraiment, c'est à s'y tromper; et si je n'eusse pas soupé hier
avec le véritable...--A propos; a-t-il été bien bon?--Jamais on n'a été
plus mari que cela.--Oh! la bonne aventure! Mais tu n'en ris pas assez,
à mon gré. Tu ne sens donc pas tout le comique de ton rôle? Conviens que
le théâtre du monde offre des choses bien étranges; qu'il s'y passe des
scènes bien divertissantes. Rentrons; j'ai de l'impatience d'en rire
avec madame de T... Il doit faire jour chez elle. J'ai dit que
j'arriverais de bonne heure. Décemment il faudrait commencer par le
mari. Viens chez toi, je veux remettre un peu de poudre. On t'a donc
bien pris pour un amant?--Tu jugeras de mes succès par la réception
qu'on va me faire. Il est neuf heures: allons de ce pas chez Monsieur.
Je voulais éviter mon appartement, et pour cause. Chemin faisant, le
hasard m'y amena: la porte, restée ouverte, nous laissa voir mon
valet-de-chambre qui dormait dans un fauteuil; une bougie expirait près
de lui. En s'éveillant au bruit, il présenta étourdiment ma
robe-de-chambre au Marquis, en lui faisant quelques reproches sur
l'heure à laquelle il rentrait. J'étais sur les épines; mais le Marquis
était si disposé à s'abuser, qu'il ne vit rien en lui qu'un rêveur qui
lui apprêtait à rire. Je donnais mes ordres pour mon départ à mon homme,
qui ne savait ce que tout cela voulait dire, et nous passâmes chez
Monsieur. On s'imagine bien qui fut accueilli: ce ne fut pas moi;
c'était dans l'ordre. On fit à mon ami les plus grandes instances pour
s'arrêter. On voulut le conduire chez Madame, dans l'espérance qu'elle
le déterminerait. Quant à moi, on n'osait, disait-on, me faire la même
proposition, car on me trouvait trop abattu pour douter que l'air du
pays ne me fût pas vraiment funeste. En conséquence, on me conseilla de
regagner la ville. Le Marquis m'offrit sa chaise; je l'acceptai. Tout
allait à merveille, et nous étions tous contens. Je voulais cependant
voir encore madame de T...: c'était une jouissance que je ne pouvais me
refuser. Mon impatience était partagée par mon ami, qui ne concevait
rien à ce sommeil, et qui était bien loin d'en pénétrer la cause. Il me
dit en sortant de chez M. de T...: Cela n'est-il pas admirable! Quand on
lui aurait communiqué ses répliques, aurait-il pu mieux dire? Au vrai,
c'est un fort galant homme; et, tout bien considéré, je suis très aise
de ce raccommodement. Cela fera une bonne maison: et tu conviendras que,
pour en faire les honneurs, il ne pouvait mieux choisir que sa femme.
Personne n'était plus que moi pénétré de cette vérité.--Quelque plaisant
que soit cela, mon cher, _motus_; le mystère devient plus essentiel que
jamais. Je saurai faire entendre à madame de T... que son secret ne
saurait être en de meilleures mains.--Crois, mon ami, qu'elle compte sur
moi; et tu le vois, son sommeil n'en est point troublé.--Oh! il faut
convenir que tu n'as pas ton second pour endormir une femme.--Et un
mari, mon cher, un amant même au besoin. On avertit enfin qu'on pouvait
entrer chez madame de T...: nous nous y rendîmes.

Je vous annonce, madame, dit en entrant notre causeur, vos deux
meilleurs amis.--Je tremblais, me dit madame de T..., que vous ne
fussiez parti avant mon réveil, et je vous sais gré d'avoir senti le
chagrin que cela m'aurait donné. Elle nous examinait l'un et l'autre;
mais elle fut bientôt rassurée par la sécurité du Marquis, qui continua
de me plaisanter. Elle en rit avec moi autant qu'il le fallait pour me
consoler, et sans se dégrader à mes yeux. Elle adressa à l'autre des
propos tendres, à moi d'honnêtes et _décens_; badina, et ne plaisanta
point. Madame, dit le Marquis, il a fini son rôle aussi bien qu'il
l'avait commencé. Elle répondit gravement: J'étais sûre du succès de
tous ceux que l'on confierait à Monsieur. Il lui raconta ce qui venait
de se passer chez son mari. Elle me regarda, m'approuva, et ne rit
point. Pour moi, dit le Marquis, qui avait juré de ne plus finir, je
suis enchanté de tout ceci: c'est un ami que nous nous sommes fait,
Madame. Je te le répète encore, notre reconnaissance...--Eh! monsieur,
dit madame de T..., brisons là-dessus, et croyez que je sens tout ce que
je dois à Monsieur.

On annonça M. de T..., et nous nous trouvâmes tous en situation. M. de
T... m'avait persiflé et me renvoyait, mon ami le dupait et se moquait
de moi; je le lui rendais, tout en admirant madame de T..., qui nous
jouait tous, sans rien perdre de la dignité de son caractère.

Après avoir joui quelques instans de cette scène, je sentis que celui de
mon départ était arrivé. Je me retirais, madame de T... me suivit,
feignant de vouloir me donner une commission.--Adieu, monsieur; je vous
dois bien des plaisirs, mais je vous ai payé d'un beau rêve. Dans ce
moment, votre amour vous rappelle; celle qui en est l'objet en est
digne. Si je lui ai dérobé quelques transports, je vous rends à elle,
plus tendre, plus délicat et plus sensible.

Adieu, encore une fois. Vous êtes charmant... Ne me brouillez pas avec
la Comtesse. Elle me serra la main, et me quitta.

Je montai dans la voiture qui m'attendait. Je cherchai bien la morale de
toute cette aventure, et... je n'en trouvai point.


FIN.





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(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
https://gutenberg.org/license).


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     https://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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