L'Illustration, No. 3733, 12-19 Septembre 1914

By Various

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Title: L'Illustration, No. 3733, 12 Sept 1914

Author: Various

Release Date: October 7, 2009 [EBook #30196]

Language: French


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                            L'ILLUSTRATION

_Prix du Numéro: Un Franc._ 12-19 SEPTEMBRE 1914 _72e Année.--No 3733._


[Illustration: ET MAINTENANT... EN AVANT!
_Dessin de GEORGES SCOTT._]




                             A NOS ABONNÉS


_La suppression presque complète des services postaux entre Paris et la
province nous a empêchés d'expédier notre numéro du 5 septembre dans les
départements et à l'étranger. Ce numéro n'a pu être distribué et mis en
vente qu'à Paris. Mais, ainsi que nous l'avons annoncé, nous venons de
nous assurer en province le concours d'une imprimerie auxiliaire où nous
publierons une édition exactement semblable à l'édition parisienne._

_C'est à Bordeaux, devenu le siège du gouvernement, où se centraliseront
pendant quelque temps toutes les administrations publiques, que nous
avons transféré une partie de nos services. Une très importante maison
d'édition, celle de M. G. Delmas, nous a offert l'hospitalité, mettant
ses ateliers et ses presses à notre disposition, tandis que nous
trouvions, dans la grande et accueillante maison de_ La Gironde _et de_
La Petite Gironde _un laboratoire de photogravure avec son matériel et
d'habiles spécialistes_.

_Pendant quelques semaines, nos numéros s'imprimeront donc à la fois à
Paris et à Bordeaux. Nous donnerons ainsi satisfaction à deux régions et
rayonnant autour de deux centres, nous atteindrons un plus grand nombre
de lecteurs._

_Le présent numéro porte deux dates: celle du 12 septembre à laquelle il
aurait dû être mis en vente et celle du 19 septembre à laquelle son
tirage sera seulement terminé._

_A partir du 26 septembre, nous reprendrons notre périodicité
hebdomadaire, chaque samedi._

_Par contre, il ne nous est pas encore possible de garantir le service
régulier de nos abonnés hors Paris. Comme nous l'avons expliqué déjà, le
transport à Bordeaux de nos 115 000 fiches d'abonnement gravées sur
métal, ainsi que du mécanisme d'impression des bandes, était
impraticable. Impraticable aussi l'expédition des exemplaires depuis
Paris, tantôt supprimée par mesure d'ordre général, comme pour le numéro
dernier, tantôt faite à tous risques, dans les conditions les plus
aléatoires. Enfin, les innombrables changements d'adresse de ces
derniers temps ont créé une confusion momentanément inextricable, malgré
toute la bonne volonté des quelques employés que nous ont laissés les
mobilisations successives._

_Pas un exemplaire sur cinq n'étant assuré de parvenir à son
destinataire, nous demandons à nos abonnés de s'incliner, comme nous le
faisons nous-mêmes, devant les nécessités de l'heure présente. Dès que
le rétablissement des communications et des transports le permettra, ce
qui ne saurait maintenant tarder plus d'une semaine ou deux, nous leur
expédierons tous les numéros qui leur manqueront, et la documentation
des numéros suivants sera assez abondante pour compenser la suppression
du numéro du 12 septembre que nous ont imposée les circonstances._

_Nos abonnés peuvent être assurés que notre collection de la_ Guerre de
1914, _augmentée de planches en couleurs, de cartes et de plans revisés
et d'études stratégiques sur les opérations militaires, formera un
ensemble de documents d'un intérêt inestimable._

[Illustration: La place de la Gare de Louvain, sur laquelle se dresse,
seule intacte au milieu des ruines, la statue de Sylvain van de Weyer,
un des chefs de la révolution belge de 1830.--_Phot. N. J. Boon,
Amsterdam._]




LA BELGIQUE ENSANGLANTÉE
(_De notre envoyé spécial._)


Au moment où _L'Illustration_ se prépare à publier les notes de guerre
que j'ai prises en Belgique, à son intention, j'ai connaissance du
long télégramme de protestation que Guillaume II adresse au président
Wilson.

L'empereur proteste contre l'emploi des balles _dum-dum_, dont, à son
dire, se servent les troupes anglaises et françaises!

Je laisse à d'autres le soin de retourner contre lui une telle
affirmation. Si j'avais eu connaissance d'un fait de ce genre je
n'hésiterais pas plus à le signaler aux chefs de nos troupes alliées
qu'à le reprocher aux troupes allemandes.

Or, je n'ai vu de blessure de balle _dum-dum_, ni sur un soldat belge ni
sur un soldat allemand.

Mais le kaiser termine son télégramme par un plaidoyer en faveur des
assassins et des incendiaires de Louvain: «Mon coeur saigne, écrit-il,
quand je vois que de telles mesures sont inévitables et quand je songe
aux _innombrables personnes innocentes_ qui ont perdu leur vie ou leurs
biens _à la suite des actions criminelles et barbares des Belges_.»

Alors, je proteste avec indignation. Je protesterais même, si j'avais
l'assurance que des coups de feu étaient partis des maisons de Louvain
sur les troupes allemandes, parce qu'ils n'excuseraient pas les
abominables meurtres qui ont été commis sur des innocents et l'incendie
qui a dévoré, non pas une partie d'une ville, mais une ville entière. Le
soleil s'est levé quatre fois pour illuminer les nuages de fumée qui
planaient sur Louvain.

Et voilà que, maintenant, saigne le tendre coeur du kaiser rouge! Voilà
qu'il choisit un arbitre!

Il y a six semaines, l'homme de Berlin se moquait de l'opinion de
l'Amérique: aujourd'hui, il ne la néglige plus. Serait-ce l'approche de
la Justice qui rembrunirait déjà son front et courberait ses épaules?

Puisqu'il se préoccupe du sort infligé aux innocents, nous nous faisons
un devoir ici de livrer sans retard au monde civilisé la véridique
histoire des derniers jours d'une cité sur les cendres de laquelle
saigne inutilement le coeur d'un roi de Prusse.




LA DERNIÈRE NUIT DE LOUVAIN


Dans ce qui fut Louvain, il n'y a plus un homme, plus une femme, plus un
enfant, et la Dyle et son canal ne reflètent plus que des murailles
écrêtées et des poutres noircies qui menacent le ciel. Il y a des rues
qu'on ne retrouve plus: des maisons sont tombées dedans; une grille, un
panneau de cloison les ferme;--on croirait qu'il s'agit d'une ancienne
cour ou d'un ancien jardin. Et partout, éclatés ou gonflés, pourrissant
sous les nuages mouvants des mouches, des cadavres de chevaux, ou bien
des corps à demi calcinés que de rares voyageurs viennent reconnaître,
enveloppent et emportent. Ce ne sont pas des corps de soldats allemands,
ni des corps de soldats belges ou d'alliés; il a pourtant été tué
beaucoup d'Allemands dans la nuit du mardi 25 août au mercredi, mais on
les a fait disparaître. Quant aux soldats alliés, nulle trace de leur
passage n'a pu être relevée au lendemain de la nuit tragique qui a été
la dernière nuit de Louvain. Aucun fusil belge, anglais ou français n'a
parlé, et les civils qui, _quelques jours plus tard_, ont été accusés
d'avoir fait le coup de feu sur les troupes s'étaient terrés dans leurs
maisons. Il n'y a eu que des soudards, ivres à crever, qui se sont
entre-tués. La dernière nuit de Louvain n'a été héroïque pour aucun
combattant, elle n'a été qu'une effroyable nuit de saoulerie, de
bagarres, d'incendies et de meurtres, une nuit dont l'officier général
commandant la place a voulu effacer le souvenir par le feu. Mais le feu
qu'un abominable brigand allume ne peut rien purifier, rien évaporer.
Des ruines s'érigent qui racontent, phrase à phrase, le drame d'où elles
ont surgi; et le souvenir de l'injuste anéantissement d'une ville
demeurera impérissablement et prendra sa place dans la longue série
d'attentats que des brutes auront commis contre l'humanité et qu'ils
auront--il faut s'en persuader pour conserver les germes de notre
idéal--qu'ils auront payé de l'existence de leur exécrable race.

[Illustration: Un groupe d'incendiaires, manifestement satisfaits de
leur ouvrage et posant complaisamment devant un photographe hollandais.]

De Louvain, il ne subsiste plus que l'Hôtel de Ville et l'église
Sainte-Gertrude, les deux témoins les plus magnifiques de l'ancienne
cité. Dominant ce champ de cendres et de décombres, ces deux témoins-là,
nés du génie de la paix, contemplent ce que le «génie» d'une bande de
vandales a pu accomplir entre un coucher et un lever de soleil. L'Ecole
des Arts et Manufactures, l'Ecole d'Agriculture, l'Université, tout a
été détruit. De toutes ces forteresses pacifiques, ce sont les 100.000
volumes et les manuscrits de la Bibliothèque qui ont résisté le plus
longtemps à la rage des incendiaires. La pensée humaine, qu'on avait
accumulée là depuis plus de cinq siècles, s'est défendue rayon par
rayon, livre par livre, jusqu'à ce que les bidons d'essence triomphent
de leur entêtement.

Quelques maisons isolées avaient été sauvées: on y a mis le feu. Quatre
jours plus tard, on s'apercevait que les usines de Dyle et Bacalan
n'étaient pas complètement détruites; on envoyait un peloton
d'incendiaires pour les achever. Maintenant, c'est fini. Samedi soir 29
août, quelques volutes de fumée s'élevaient encore au-dessus des ruines.
Depuis, tout est entré dans l'immobilité de la mort. Quand une voiture
se présente pour traverser la ville, les sentinelles qui gardent cette
région infernale se dressent et crient: «Arrière!» On ne peut passer
qu'à la condition de prouver qu'on avait là un parent ou une maison,--un
parent dont on souhaite relever la dépouille, une maison dont on veut
visiter les ruines.

[Illustration: CE QUI FUT LOUVAIN.--Les Allemands, par un reste de
pudeur, ont respecté l'Hôtel de Ville, joyau du quinzième siècle; mais
de Saint-Pierre (au fond), comme de l'Université, il ne reste que les
murs.--_Phot. N. J. Boon, Amsterdam._]

J'ai vu un bourgeois de Bruxelles qui avait obtenu l'autorisation de se
rendre sur ce qui fut Louvain pour y chercher le corps de son beau-père.
Il l'a retrouvé, étendu sur le seuil de sa demeure: près de lui, était
couché le corps d'un enfant,--son petit-fils. Le drame était facile à
reconstituer: le grand-père et le petit-fils, surpris par l'incendie,
avaient tenté de quitter leur maison; des soldats qui parcouraient les
rues les avaient fusillés dès le premier pas, _parce qu'il était
interdit aux civils qu'on avait consignés chez eux de sortir de leur
demeure_. Pendant qu'ils s'y trouvaient, on lançait des bidons d'essence
dans les habitations; il fallait donc ou qu'ils se laissent brûler, ou
qu'ils se fassent tuer. Ceux-là s'étaient fait tuer: un vieillard de 75
ans et un enfant de 14 ans.

Et, pour tant d'horreurs, il n'y a pas une excuse, il n'y a pas une
explication, il n'y a rien qui puisse atténuer l'effroyable
responsabilité de cette destruction. Le mercredi 19 août, les Allemands
faisaient une entrée triomphale dans Louvain, sans coup férir. On les
logea chez l'habitant; ils se montrèrent polis. Tout se passa bien
jusqu'au mardi 25 août. Néanmoins, depuis deux jours, les hommes
buvaient sans mesure. Dans l'après-midi du 25 août, des bagarres
commencèrent à éclater entre eux, rue de la Station, sur la Grand'Place,
un peu partout. Et voilà que dans la soirée, vers cinq heures et demie,
on perçut une canonnade lointaine, qui se rapprocha, mais demeura--au
dire de témoins dignes de foi--distante de cinq à dix kilomètres de la
ville. A six heures et demie, il y eut une «proclamation» du commandant
des forces allemandes qui, laissant prévoir qu'une bataille de nuit
était imminente, ordonnait que toutes les fenêtres fussent fermées
(volets ouverts, rideaux enlevés) et qu'une lumière éclairât chacune
d'elle. La porte des maisons devait demeurer grande ouverte, le couloir
ou la pièce d'accès largement éclairée. Enfin il était interdit aux
habitants de se montrer dans la rue ou aux fenêtres et de traverser le
couloir de leur maison. (Les Allemands ont de ces précautions; j'ai vécu
pendant plus de quinze jours avec eux et je puis affirmer qu'ils
n'abandonnent rien au hasard, particulièrement quand il s'agit de
garantir leur vie.)

Un habitant de la rue de la Station--le père Catala, supérieur de
l'école espagnole--m'a rapporté que vers sept heures, le soir de ce 25
août, étant allé trouver les soldats qu'il logeait, il leur sourit
tristement en leur faisant comprendre, par geste, qu'on devait se battre
au loin. Mais les hommes, qui étaient sur leur lit, clignèrent de
l'oeil, montrèrent leur coussin, rirent de bon coeur et se recouchèrent.

Un peu après sept heures, les soldats qui étaient attablés dans les
estaminets et dans les maisons particulières se mirent à boire
effroyablement: un combat semblait prochain, il fallait se donner du
coeur au ventre.

Vers sept heures et demie, rue de la Station, le père Catala distingua
le bruit d'une dispute entre Allemands.

Soudain, un coup de fusil éclata, aussitôt suivi d'un autre et la
fusillade gagna la ville. A partir de ce moment, on ne cessa de tirer de
partout,--rue des Chevaliers, rue des Récollets, rue de Namur. On
entendait des cris, des protestations, des supplications.

Rue de la Station, le père Catala s'en fut retrouver ses militaires; il
les vit debout, anxieux, semblant ne rien comprendre à l'aventure et
semblant, surtout, ne pas être pressés de sortir de la maison. A cet
instant, le frère convers de l'institution accourut pour informer son
supérieur qu'une maison brûlait. Le père sortit par le jardin, vit la
lueur de l'incendie, retourna près de ses soldats, mais ne les trouva
plus.

A dix heures, tout le quartier de la gare était en feu.

Le père supérieur et ses frères s'étaient réfugiés au fond du jardin de
l'école; les coups de feu éclataient toujours et l'incendie gagnait le
centre de la ville.

Jugeant que les hommes dont il avait la responsabilité n'étaient pas en
sécurité au fond de ce jardin, il leur fit franchir le mur d'un enclos
voisin, les cacha dans de grandes caisses d'emballage et ils attendirent
là, en priant, jusqu'à ce qu'une longue lueur, toute proche, les
éclairât... Leur maison flambait. Ce fut alors que le père Catala sortit
de sa cachette: il avait oublié les saintes hosties dans la petite
chapelle de l'école. Il embrassa ses compagnons et, malgré leurs
supplications, il s'éloigna. Quand il revint, il annonça que toute la
rue était livrée aux flammes et qu'on voyait des corps sur la chaussée.

Le lendemain, au jour, la plupart de ces corps avaient disparu; on ne
devait retrouver que ceux des civils.

Enfin, lorsque le jour se leva, les fusils se turent.

A neuf heures, ordre fut donné à tout le monde de s'assembler dans les
rues; on sépara les hommes des femmes et des enfants, on choisit deux ou
trois cents citoyens les mieux vêtus, on leur lia fortement les mains et
l'on se mit en route par les rues de la ville. A certains endroits, on
était obligé de courir pour ne pas être grillés par l'incendie. Un
vieillard, qui ne pouvait avancer assez vite, était tiré par un soldat,
tandis qu'un sous-officier lui lançait des coups de pied et des coups de
crosse. Enfin, après des pauses, des contremarches, des conseils tenus
dans les carrefours, on décida d'emprunter la chaussée de Malines. On
marcha durant tout l'après-midi.

Dans la soirée, la bande fit halte à Campenhout; on enferma les otages
de Louvain dans l'église où ils demeurèrent jusqu'au matin. Alors, on
les fit sortir de là et, sans explication, sans un mot pour les rassurer
sur leur propre sort, tandis que des troupes passaient, se dirigeant
vers Malines, on relâcha les Louvanistes en leur enjoignant de retourner
_chez eux_.

Ceux qui y retournèrent furent arrêtés trois ou quatre fois et, quand
les plus solides atteignirent leur ville, ils ne purent que la
considérer de loin. Lorsque, enfin, le lendemain, il leur fut permis
d'en franchir les remparts, ils ne virent plus que des cendres, des
décombres et des cadavres. Quant aux femmes et aux enfants qu'ils
avaient quittés l'avant-veille, plus de traces!

La semaine dernière, après m'être échappé de Bruxelles, j'ai trouvé à
Gand, à Ostende et jusqu'à Folkestone, de petites affiches, écrites à la
main, collées sur les murs et aux devantures des magasins:

_La mère du petit Jean X..., perdu à Louvain le jeudi 20 août, est à...
Envoyer des nouvelles de Jean d'urgence._

Ou bien:

_François Vandermal informe sa femme qu'il est chez M. Y..., à Bruges;
il y est seul, sans Elie et sans Marie._

Et d'autres, beaucoup d'autres, dans ce genre.

Certaines familles ne réclameront pas: la mère a été tuée dans une
petite rue voisine de la place, l'enfant a été fusillé à cent pas plus
loin, le père a été jeté dans le canal...

Voilà la guerre de Guillaume II, élève de Bismarck!

Des villages ont été anéantis parce que des paysans, des ouvriers, des
bourgeois, qui avaient vu brutaliser leurs femmes et battre leurs
enfants, n'avaient pu s'empêcher de saisir un fusil et de tirer; mais si
Louvain a été brûlée et rasée, si la population a été disséminée ou
fusillée, c'est que des soldats, ivres de bière et d'alcool, hallucinés
par la terreur qui fait trembler tous leurs chefs sans exception,
jusqu'aux plus grands, ont commencé à s'entretuer dans la nuit du 25 au
26 août.

Une ville sur les pavés de laquelle le sang allemand avait été versé par
des mains teutonnes devait disparaître. Elle a disparu. C'est un fait
d'armes dont pourra se repaître l'orgueil germanique.
                                                         GASTON CHÉRAU.




LA GUERRE

VICTOIRE FRANCO-ANGLAISE ET VICTOIRE RUSSE


Depuis le 6 septembre, notre situation militaire s'est complètement
transformée. Nos armées, qui s'étaient retirées progressivement devant
l'action violente des Allemands, ont, au moment choisi par leur chef, le
général Joffre, repris l'offensive sur toute la ligne. La retraite des
23 corps ennemis (plus d'un million d'hommes), poursuivis par les
troupes françaises et britanniques, en nombre presque aussi énorme, est
aujourd'hui générale. C'est par l'aile droite allemande (armée du
général von Kluck), entre Meaux et Château-Thierry, que ce mouvement de
recul a commencé devant les attaques énergiques des troupes
franco-anglaises. Le 10, il était de 60 à 75 kilomètres; le 11, il
prenait toute l'apparence d'une déroute qui emportait cette aile
allemande jusqu'à 100 kilomètres en arrière, jusqu'à l'Aisne, que nous
avons franchie à sa suite. Vers l'Est, ce recul s'est communiqué à la
Garde prussienne qui a été rejetée au Nord de la Marne. Puis il a gagné
le centre qui, désespérément, essayait de nous rompre près de
Vitry-le-François. Cette ville, où l'ennemi avait installé le quartier
général de son VIIIe corps, et s'était fortifié, a dû être évacuée par
lui dans le plus grand désordre. Son extrême-gauche elle-même a cédé
dans le Sud de l'Argonne où, d'après les derniers renseignements reçus à
l'heure où _L'Illustration_ va s'imprimer, l'armée du kronprinz
resterait seule accrochée, sans ligne de retraite assurée.

Cette bataille d'une semaine, ou plutôt cet ensemble de batailles, qui
conservera probablement dans l'histoire le nom de _bataille de la
Marne_, a entraîné des résultats heureux pour nous, non seulement sur
tout le front, de l'Oise à l'Argonne, mais encore à l'Ouest et à l'Est.
D'un côté, les Allemands ont dû évacuer Amiens: de l'autre, Lunéville,
que nous avons réoccupée, ainsi que Raon-l'Etape, Baccarat, Saint-Dié,
Pont-à-Mousson, revenant ainsi jusqu'à la frontière.

C'est une grande victoire, une «victoire incontestable», selon les
termes mêmes employés par le général Joffre dans son ordre du jour de
félicitations à ses armées.

Dans un autre ordre du jour, celui qui précéda la formidable lutte, le
commandant en chef avait dit:

«Au moment où s'engage une bataille d'où dépend le salut du pays, il
importe de rappeler à tous que le moment n'est plus de regarder en
arrière; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler
l'ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte,
garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de
reculer...»

Or, presque en même temps, le 7 septembre, le général commandant le
VIIIe corps allemand, adressait de son côté à ses troupes des
exhortations non moins solennelles:

«... Demain, la totalité des forces de l'armée allemande, ainsi que
toutes celles de notre corps d'armée, devront être engagées sur toute la
ligne allant de Paris à Verdun pour sauver le bien-être et l'honneur de
l'Allemagne. J'attends de chaque officier et soldat, malgré les combats
durs et héroïques de ces derniers jours, qu'il accomplisse son devoir
entièrement et jusqu'à son dernier souffle. Tout dépend du résultat de
la journée de demain.»

Les deux commandants attachaient donc le même prix à l'issue de la
bataille de la Marne. Et l'importance de notre victoire ne peut pas
aujourd'hui être contestée, même par l'ennemi.

Est-elle définitive? Pas encore. Un nouvel et grand effort va être
demandé à nos soldats déjà si fatigués; ils le donneront et puiseront de
nouvelles forces dans leur succès.

Un point définitivement acquis, c'est que les armées allemandes, après
s'être approchées si près de Paris, n'auront rien pu tenter contre notre
capitale dont les défenses, depuis le début de la guerre, ont été
considérablement renforcées et dont le nouveau gouverneur, le général
Galliéni, s'est montré décidé à aller jusqu'au bout. Une attaque
brusquée sur le front nord n'était plus possible. Quant à une attaque
régulière, elle n'aurait pu être entreprise qu'en prélevant plusieurs
corps d'armée sur ceux qui avaient d'abord à lutter contre le général
Joffre. Or ces corps d'armée sont aujourd'hui en pleine retraite.




[Illustration: LE GÉNÉRAL GALLIÉNI

Gouverneur militaire et commandant des armées de Paris.

_On eût cherché vainement à qualifier d'un mot le caractère de ce chef.
Lui, sans le vouloir, s'est exactement dépeint: «Jusqu'au bout», a-t-il
dit, et ce pourrait être sa devise, et c'est sa psychologie. Quand
d'autres, qui n'avaient rien à dire, s'efforçaient de discourir, le
général Galliéni, qui devait parler, n'a proféré que quelques phrases.
On l'avait chargé de défendre Paris; il annonça simplement aux Parisiens
qu'il tiendrait jusqu'au bout. Il n'y a pas de littérature plus belle.
C'est celle d'un homme d'action, la seule que la France ait à entendre
en ce moment. Le soldat du Sénégal, du_ _Soudan, de l'Indo-Chine et de
Madagascar, qui partout montra qu'il était non seulement un conducteur
d'hommes, mais un organisateur, à la fois audacieux et ordonné, se
souvient, en ces instants tragiques, de sa jeunesse attristée. Jeune
sous-lieutenant, il connut les affres de Sedan et la captivité en
Allemagne. Entendant enfin sonner l'heure bénie de la revanche, il est
demeuré calme et s'est seulement proposé d'accomplir son devoir jusqu'au
bout. Le général Galliéni nous a donné une leçon de stoïcisme élégant et
discret._

Dans un prochain numéro, nous publierons un portrait en couleurs du
général Joffre.]

[Illustration: Embarquement de tirailleurs à Alger.--_Phot. Geiser_]

[Illustration: PRISES DE GUERRE A BELFORT.--Biplan blindé allemand
«Albatros» capturé à Cernay, le 11 août, et canons pris à Dornach, près
de Mulhouse.--_Phot. Drouin._]

[Illustration: UNE POIGNÉE DE BRAVES _Dessin de GEORGES SCOTT._]

_Ces braves sont des chasseurs alpins. Tous les Français connaissent ces
soldats alertes et vigoureux qu'on voit passer parfois dans nos villes,
sanglés dans leur vareuse bleu sombre, la molletière enroulée
symétriquement de la cheville au jarret, le béret crânement enfoncé sur
la tête. Mais c'est surtout dans leurs montagnes que ces bataillons
d'élite composent, en action, de martiales cohortes. L'alpenstock au
poing, gravissant des roches, franchissant des glaciers, ils affrontent
tous les pics, se glissent par tous les cols, poussant ou tirant leurs
mulets chargés des canons et des vivres. On peut dire que pour eux toute
manoeuvre est une action héroïque, et la guerre n'a pu que les trouver
tout prêts. Aussi ont-ils accompli tout de suite des prouesses, dans les
Vosges et dans les Ardennes. Cent faits d'armes qui n'ont pu être encore
relatés, mais qui le seront sans doute bientôt, révéleront la hardiesse
et la force de nos chasseurs qui, aux heures les plus difficiles et
tragiques, montraient non seulement du sang-froid et de l'entrain, mais
même de l'allégresse sous le feu. On s'est aperçu quelquefois que les
chasseurs alpins étaient animés d'un viril esprit de corps: la guerre
vient de montrer qu'ils avaient de justes raisons de mutuellement
s'estimer._

[Illustration: LA BATAILLE DE L'ILLE DE LA MARNE _Dessin de L.
TRINQUIER._

Les positions approximatives des armées ont été tracées d'après les
données fournies par les communiqués officiels, jusqu'au 11 septembre
inclus.--Depuis cette date, la retraite des armées allemandes a continué
au Nord de Soissons et de Reims, pour s'arrêter sur l'Aisne.]

[Illustration: POUR ARRÊTER DEVANT LA MARNE LES FORCES ALLEMANDES.--Le
pont de pierre de Lagny détruit par les sapeurs du génie.]

[Illustration: Ce qui reste du pont de fer sur la Marne à Lagny.]

[Illustration: Maison bombardée à la Ferté-sous-Jouarre.]

[Illustration: Le village de Chauconin, près de Meaux, incendié par les
Allemands et repris par les Français.]

[Illustration: Les Marocains au butin, fouillant dans les équipements et
les bagages abandonnés par l'ennemi.]

[Illustration: Une ambulance installée par les Allemands dans l'église
de Neufmoutiers et abandonnée par eux dans leur fuite.]

SUR LA ROUTE DE LA RETRAITE ALLEMANDE

[Illustration: Le passage à Amiens de l'artillerie allemande, le 31
août]

[Illustration: Deux affiches résumant les circonstances de l'occupation
d'Amiens.]

[Illustration: Entrée à Amiens, le 31 août, de l'infanterie allemande,
qui vient d'être obligée d'évacuer cette ville après dix jours
d'occupation.]

LES MAUVAISES HEURES DANS LE NORD DE LA FRANCE

[Illustration: Le pont de Chalifert, que le génie anglais a fait
sauter.]

[Illustration: Un coin de champ de bataille près de la Marne.]




DERRIÈRE LES ARMÉES


En Belgique, les troupes allemandes ont tenté des attaques contre
Anvers: vers Malines d'abord, puis vers Termonde où elles avaient
surpris les Belges, très inférieurs en nombre, mais qui ont reçu des
renforts et les en ont chassées. Un essai de bombardement des forts
d'Anvers n'a pas été plus heureux; les bouches à feu sont même restées
noyées dans les inondations tendues devant la ville.

On comprend le désir des Allemands de réduire rapidement Anvers, ainsi
que l'armée belge qui se trouve sur le flanc de leur ligne de
communication et qui a déjà repris avec quelque succès l'offensive
jusqu'au delà de Louvain, vers Bruxelles.

La situation n'est pas moins bonne du côté de la Russie. Si elle est
stationnaire en Prusse orientale, où les Allemands ont amené
d'importants renforts prélevés sur les troupes que nous combattions, les
corps allemands et autrichiens qui avaient pénétré en Pologne russe
jusqu'aux environs de Lublin ont été énergiquement refoulés et battent
en retraite. Les Autrichiens qui, au Sud, défendaient la Galicie, après
avoir été écrasés aux environs de Lemberg, s'étaient retirés jusqu'à une
ligne allant de Rawa-Ruska au Dniester. Ils ont lutté désespérément,
mais vainement, contre les attaques acharnées des Russes.

Des télégrammes officiels du quartier général des armées du tsar,
transmis de Pétrograd, annoncent que, du 10 au 12 septembre, elles ont
pris 94 canons et fait 30.000 prisonniers. La grande bataille de la
Galicie, à laquelle deux millions d'hommes (comme à la bataille de la
Marne), prirent part, et qui a duré 17 jours, finit donc par la victoire
complète de nos alliés.

[Illustration: Blessé allemand et turco sur le terrain d'un combat près
de Meaux.]

Au Sud de l'Autriche, nous ne devons pas oublier les Serbes et les
Monténégrins qui, dans la croisade générale entre les deux empires
germaniques, jouent un rôle qui est loin d'être négligeable. Les troupes
serbes, franchissant la Save, ont pénétré en Hongrie par quatre points:
Semlin, en face de Belgrade; Obrenovatz, Chabatz et Mitrovitza. Ils ont
envahi le territoire bosniaque à Lonitza et Vichegrad. Tous ces
mouvements sont dirigés vers Sarajevo, capitale de la Bosnie, pays de
langue et d'aspirations serbes; ils se combinent d'ailleurs avec une
offensive des troupes monténégrines, qui occupent déjà Fotcha sur la
Drina.

D'autre part, les Monténégrins envahissent seuls l'Herzégovine, pays
fortement attaché au Monténégro par ses traditions nationales.

Comment ne serait-on pas plein d'espoir dans le résultat final? Les deux
empires allemands, encerclés, ne pouvaient se sauver que par une défaite
prompte et écrasante de notre armée, défaite qui leur eût permis de se
retourner contre leurs autres adversaires. Mais voilà qu'au contraire
notre armée victorieuse repousse l'envahisseur qui, aujourd'hui, a mis
en ligne toutes ses forces, tandis que de nouvelles troupes anglaises,
indiennes, canadiennes et égyptiennes vont se joindre aux nôtres.

Nous avons la mer et par conséquent les ressources du monde entier: nos
affaires sont en bonne voie: nous trouverons de l'argent, des vivres,
des munitions, tout ce qu'exige la guerre. Nous avons l'appui de toutes
les nations, excédées du germanisme: comment n'aurions-nous pas le
succès définitif?

[Illustration: Parisiens guettant la venue d'un nouveau Taube au-dessus
de la place de la Concorde.]

[Illustration: Une station de charrettes à bras pour remplacer les
autos-taxis, gare Saint-Lazare.]

PARIS PENDANT LA BATAILLE

[Illustration: «HABEMUS PAPAM».--Proclamation, par le
cardinal-camerlingue, de l'élection de Benoît XV, du haut de la loge
centrale de la basilique de Saint Pierre, le 3 septembre.--_Dessin de
notre envoyé spécial L. Bompard_]




LE CONCLAVE ET LE NOUVEAU PAPE BENOIT XV


Le Conclave qui a élu Benoît XV aura été remarquable à plus d'un titre,
par les graves conjonctures au milieu desquelles il s'est tenu, par les
considérations spéciales à l'Eglise et à son gouvernement, par la
personnalité de l'élu. On avait supposé tout d'abord que dans cet
universel bouleversement la barque de Pierre, pour ainsi parler,
replierait sa voile et, comme on se réfugie dans un port, confierait le
gouvernail à l'un des plus âgés parmi les cardinaux, avec mission
d'administrer prudemment et simplement l'Eglise. Ces prévisions ont été
démenties, comme tant d'autres, par l'événement. Le règne de Benoît XV
s'annonce comme un pontificat marquant.

[Illustration: LE NOUVEAU PAPE.--Giacomo, marquis Della Chiesa, qui a
pris le nom de Benoît XV.

_Photographie Felici, prise au mois de mai dernier, quand l'archevêque
de Bologne fut créé cardinal._]

En entrant au Conclave les cardinaux prêtent serment de secret
inviolable et le cardinal-camerlingue, intérimaire pontifical, procède à
une solennelle clôture des portes avec les sceaux du Saint-Siège. On
croyait que le peuple de Rome ne saurait rien des votes du Sacré Collège
que par les «sfumate», les fumées qui s'échappent d'une certaine
cheminée du Vatican où l'on brûle les bulletins des scrutins sans
résultat. Et pourtant chaque soir des détails sur la journée du Conclave
ont franchi la clôture et couru la ville. On a su que le premier vote
avait été un hommage aux épreuves de la Belgique et une manifestation de
la grande majorité des cardinaux contre les horreurs de la guerre
déchaînée par l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Les cardinaux de ces
deux États, accueillis par leurs collègues avec la courtoisie la plus
parfaite mais la plus froide, étaient moralement tenus à l'écart, tandis
que tout le monde s'empressait autour de S. E. Mercier, archevêque de
Malines et primat de Belgique, dont la douleur visible rehaussait encore
la dignité naturelle. Ce premier scrutin réunit sur le nom du cardinal
Mercier quelque vingt-cinq voix, puis commencèrent les débats de
politique sacrée.

[Illustration: La messe papale pour le couronnement de Benoît XV: le
nouveau pape est assis sur le trône pontifical; la tiare est sur
l'autel. _Phot. G. Felici._]

Il est de tradition de voter deux fois par jour. Les circonstances
présentes commandant d'aller vite, les votes se succédèrent sans
interruption surtout pendant la journée où la lutte se circonscrit entre
deux éminences: Pietro Maffi, archevêque de Pise, et Domenico Ferrata,
ancien nonce à Paris. Le premier, réputé libéral, avait naturellement
contre lui les cardinaux de la création du pape défunt. Le second,
passant à tort ou à raison pour francophile, à cause de son activité
diplomatique à Paris, avait d'autres adversaires. S. E. Maffi, après
avoir atteint 30 voix, sentait son progrès arrêté par une opposition
irréductible, mais qui, elle-même, n'avait pas le pouvoir de faire élire
un candidat de son choix. Le candidat inconnu, le pape de conciliation,
s'annonçait. Mais ici commencèrent les surprises.

On pensait à un homme circonspect, chargé d'ans et d'expérience. Les
deux frères Vannutelli, autrefois «papables», plus qu'octogénaires
maintenant, avaient renoncé. Le cardinal Agliardi, ancien nonce à Munich
et à Vienne, fut pressenti. Il jugea que la tiare était trop lourde pour
sa tête chenue. Il refusa d'être pape, mais c'est lui qui fit le pape.

«Il faut à l'Eglise une tête jeune, un caractère énergique, un politique
consommé, en même temps qu'un pasteur du diocèse universel. Un homme
dans le Sacré Collège réunit toutes ces qualités à un degré éminent:
c'est S. E. Della Chiesa, archevêque de Bologne.» Ainsi parla, sage
comme Nestor, le cardinal Agliardi. Le nom de Della Chiesa passa de
bouche en bouche. Le matin du troisième jour, il sortait du calice qui
est l'urne électorale de conclaves avec plus de cinquante voix sur
soixante votants.

Election imprévue, sans doute, puisque l'archevêque de Bologne n'était
créé cardinal que depuis le mois de mai dernier. Mais au Vatican on
savait à quel politique le grand conseil de l'Eglise en remettait
l'avenir.

Giacomo, marquis Della Chiesa, né à Gênes en 1854, est de la race et de
la lignée des Pecci et des Rampolla: un aristocrate de naissance, un
diplomate d'éducation et de carrière. En cela déjà il diffère
entièrement de son prédécesseur Pie X, d'extraction populaire, resté
étranger par principe à la politique et soucieux avant tout de
théologie, de dogmatique et de discipline ecclésiastique. Après avoir
fait ses études au Collège Capranica, le jeune abbé Della Chiesa passa
par l'Académie des nobles ecclésiastiques, pépinière des diplomates du
Saint-Siège. C'est là que s'étaient formés avant lui le futur Léon XIII
et celui qui devait être son secrétaire d'Etat. Puis Monsignor Della
Chiesa, prélat de curie, fut attaché au secrétariat des affaires
ecclésiastiques extraordinaires, alors dirigées par Rampolla, qui
discerna bientôt les rares qualités de son collaborateur. Quand Rampolla
fut envoyé comme nonce à Madrid, il emmena avec lui le jeune prélat en
qualité d'auditeur (secrétaire) et quand Léon XIII le rappela à Rome
pour lui confier la secrétairerie d'Etat, il fit nommer vice-secrétaire
son inséparable collaborateur, celui qui connaissait le mieux toutes ses
idées. Della Chiesa ne quitta la curie que sous le pontificat de Pie X,
quand mourut l'archevêque de Bologne, Mgr Svampa. Il était à la tête de
cet important diocèse depuis sept ans sans avoir perdu pour cela le
contact avec les affaires de l'Europe et de toute la catholicité qu'il
avait pénétrées profondément par une pratique de près d'un quart de
siècle.

Ce sont les idées de Léon XIII et de Rampolla qui reprennent le dessus
dans la politique de l'Eglise avec l'intronisation de celui qui fut
l'_alter ego_ de ce grand pape et de ce grand cardinal. La France ne
peut donc que se réjouir de l'avènement de Benoît XV. Et la nomination
du cardinal Ferrata comme secrétaire d'Etat accentue encore cette
orientation.

Le premier acte pontifical de Benoît XV a été de publier une encyclique
contre les horreurs de la guerre, née d'ambitions coupables, qui met
actuellement l'Europe à feu et à sang. Il y adressé aux souverains une
paternelle mais grave adjuration «pour le salut de la société humaine».

Cet appel, non aux peuples mais aux souverains, est de la plus haute
portée. Il répond au rôle du Saint-Siège, en qui Guizot saluait «la plus
grande autorité morale dans le monde».
                                                        TH. LINDENLAUB.









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