Émaux et Camées

By Théophile Gautier

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Title: Émaux et Camées

Author: Théophile Gautier

Illustrator: Henri Caruchet

Release Date: October 12, 2011 [EBook #37733]

Language: French


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  COLLECTION POLYCHRÔME
  ÉMAUX et CAMÉES




  G. CHARPENTIER et E. FASQUELLE

  ÉDITEURS

  11, rue de Grenelle, Paris


  _Ouvrage paru dans la «COLLECTION POLYCHRÔME»:_

  UN SIÈCLE DE MODES FÉMININES
  (1794-1894)

  UN VOLUME IN-18. PRIX: =3= FR. =50=.




  COLLECTION POLYCHRÔME
  THÉOPHILE GAUTIER


  ÉMAUX
  ET
  CAMÉES


  ÉDITION ORNÉE DE CENT DIX AQUARELLES
  PAR


  HENRI CARUCHET

  _Reproduites en couleurs_


  PARIS
  G. CHARPENTIER et E. FASQUELLE
  ÉDITEURS
  11, Rue de Grenelle, 11

  1895




  [Illustration]

  PRÉFACE


  Pendant les guerres de l'empire,
  Goethe, au bruit du canon brutal,
  Fit _le Divan occidental_,
  Fraîche oasis où l'art respire.

  Pour Nisami quittant Shakspeare,
  Il se parfuma de çantal,
  Et sur un mètre oriental
  Nota le chant qu'Hudhud soupire.

  Comme Goethe sur son divan
  A Weimar s'isolait des choses
  Et d'Hafiz effeuillait les roses,

  Sans prendre garde à l'ouragan
  Qui fouettait mes vitres fermées,
  Moi, j'ai fait _Émaux et Camées_.

  [Illustration]




  [Illustration]

  AFFINITÉS SECRÈTES

  MADRIGAL PANTHÉISTE


  Dans le fronton d'un temple antique,
  Deux blocs de marbre ont, trois mille ans
  Sur le fond bleu du ciel attique,
  Juxtaposé leurs rêves blancs;

  Dans la même nacre figées,
  Larmes des flots pleurant Vénus,
  Deux perles au gouffre plongées
  Se sont dit des mots inconnus;

  Au frais Généralife écloses,
  Sous le jet d'eau toujours en pleurs,
  Du temps de Boabdil, deux roses
  Ensemble ont fait jaser leurs fleurs;

  Sur les coupoles de Venise
  Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
  Au nid où l'amour s'éternise,
  Un soir de mai se sont posés.

  Marbre, perle, rose, colombe,
  Tout se dissout, tout se détruit;
  La perle fond, le marbre tombe,
  La fleur se fane et l'oiseau fuit.

  En se quittant, chaque parcelle
  S'en va dans le creuset profond
  Grossir la pâte universelle
  Faite des formes que Dieu fond.

  Par de lentes métamorphoses,
  Les marbres blancs en blanches chairs,
  Les fleurs roses en lèvres roses
  Se refont dans des corps divers.

  Les ramiers de nouveau roucoulent
  Au coeur de deux jeunes amants,
  Et les perles en dents se moulent
  Pour l'écrin des rires charmants.

  De là naissent ces sympathies
  Aux impérieuses douceurs,
  Par qui les âmes averties
  Partout se reconnaissent soeurs.

  Docile à l'appel d'un arome,
  D'un rayon ou d'une couleur,
  L'atome vole vers l'atome
  Comme l'abeille vers la fleur.

  L'on se souvient des rêveries
  Sur le fronton ou dans la mer,
  Des conversations fleuries
  Près de la fontaine au flot clair,

  Des baisers et des frissons d'ailes
  Sur les dômes aux boules d'or,
  Et les molécules fidèles
  Se cherchent et s'aiment encor.

  L'amour oublié se réveille,
  Le passé vaguement renaît,
  La fleur sur la bouche vermeille
  Se respire et se reconnaît.

  Dans la nacre où le rire brille
  La perle revoit sa blancheur;
  Sur une peau de jeune fille,
  Le marbre ému sent sa fraîcheur.

  Le ramier trouve une voix douce,
  Écho de son gémissement,
  Toute résistance s'émousse,
  Et l'inconnu devient l'amant.

  Vous devant qui je brûle et tremble
  Quel flot, quel fronton, quel rosier,
  Quel dôme nous connut ensemble,
  Perle ou marbre, fleur ou ramier?

  [Illustration]




  [Illustration]

  LE POÈME
  DE LA FEMME

  MARBRE DE PAROS


  Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
  En train de montrer ses trésors,
  Elle voulut lire un poème,
  Le poème de son beau corps.

  D'abord, superbe et triomphante
  Elle vint en grand apparat,
  Traînant avec des airs d'infante
  Un flot de velours nacarat:

  Telle qu'au rebord de sa loge
  Elle brille aux Italiens,
  Écoutant passer son éloge
  Dans les chants des musiciens

  Ensuite, en sa verve d'artiste,
  Laissant tomber l'épais velours,
  Dans un nuage de batiste
  Elle ébaucha ses fiers contours.

  Glissant de l'épaule à la hanche,
  La chemise aux plis nonchalants,
  Comme une tourterelle blanche
  Vint s'abattre sur ses pieds blancs.

  Pour Apelle ou pour Cléomène,
  Elle semblait, marbre de chair,
  En Vénus Anadyomène
  Poser nue au bord de la mer.

  De grosses perles de Venise
  Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
  Grains laiteux qu'un rayon irise,
  Sur le frais satin de sa peau.

  Oh! quelles ravissantes choses
  Dans sa divine nudité,
  Avec les strophes de ses poses,
  Chantait cet hymne de beauté!

  Comme les flots baisant le sable
  Sous la lune aux tremblants rayons,
  Sa grâce était intarissable
  En molles ondulations.

  Mais bientôt, lasse d'art antique,
  De Phidias et de Vénus,
  Dans une autre stance plastique
  Elle groupe ses charmes nus.

  Sur un tapis de Cachemire,
  C'est la sultane du sérail,
  Riant au miroir qui l'admire
  Avec un rire de corail;

  La Géorgienne indolente,
  Avec son souple narguilhé,
  Étalant sa hanche opulente,
  Un pied sous l'autre replié,

  Et comme l'odalisque d'Ingres,
  De ses reins cambrant les rondeurs,
  En dépit des vertus malingres,
  En dépit des maigres pudeurs!

  Paresseuse odalisque, arrière!
  Voici le tableau dans son jour,
  Le diamant dans sa lumière;
  Voici la beauté dans l'amour!

  Sa tête penche et se renverse;
  Haletante, dressant les seins,
  Aux bras du rêve qui la berce,
  Elle tombe sur ses coussins.

  Ses paupières battent des ailes
  Sur leurs globes d'argent bruni,
  Et l'on voit monter ses prunelles
  Dans la nacre de l'infini.

  D'un linceul de point d'Angleterre
  Que l'on recouvre sa beauté:
  L'extase l'a prise à la terre;
  Elle est morte de volupté!

  Que les violettes de Parme,
  Au lieu des tristes fleurs des morts
  Où chaque perle est une larme,
  Pleurent en bouquets sur son corps!

  Et que mollement on la pose
  Sur son lit, tombeau blanc et doux,
  Où le poète, à la nuit close,
  Ira prier à deux genoux.

  [Illustration]




  [Illustration]

  ETUDE DE MAINS

  I

  IMPERIA


  Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
  J'ai vu l'autre jour une main
  D'Aspasie ou de Cléopâtre,
  Pur fragment d'un chef-d'oeuvre humain;

  Sous le baiser neigeux saisie
  Comme un lis par l'aube argenté,
  Comme une blanche poésie
  S'épanouissait sa beauté,

  Dans l'éclat de sa pâleur mate
  Elle étalait sur le velours
  Son élégance délicate
  Et ses doigts fins aux anneaux lourds.

  Une cambrure florentine,
  Avec un bel air de fierté,
  Faisait, en ligne serpentine,
  Onduler son pouce écarté.

  A-t-elle joué dans les boucles
  Des cheveux lustrés de don Juan,
  Ou sur son caftan d'escarboucles
  Peigné la barbe du sultan,

  Et tenu, courtisane ou reine,
  Entre ses doigts si bien sculptés,
  Le sceptre de la souveraine
  Ou le sceptre des voluptés?

  Elle a dû, nerveuse et mignonne,
  Souvent s'appuyer sur le col
  Et sur la croupe de lionne
  De sa chimère prise au vol.

  Impériales fantaisies,
  Amour des somptuosités;
  Voluptueuses frénésies,
  Rêves d'impossibilités,

  Romans extravagants, poèmes
  De haschisch et de vin du Rhin,
  Courses folles dans les bohèmes
  Sur le dos des coursiers sans frein;

  On voit tout cela dans les lignes
  De cette paume, livre blanc
  Où Vénus a tracé des signes
  Que l'amour ne lit qu'en tremblant.

  [Illustration]




  [Illustration]

  II

  LACENAIRE


  Pour contraste, la main coupée
  De Lacenaire l'assassin,
  Dans des baumes puissants trempée
  Posait auprès, sur un coussin.

  Curiosité dépravée!
  J'ai touché, malgré mes dégoûts,
  Du supplice encore mal lavée,
  Cette chair froide au duvet roux.

  Momifiée et toute jaune
  Comme la main d'un pharaon,
  Elle allonge ses doigts de faune
  Crispés par la tentation.

  Un prurit d'or et de chair vive
  Semble titiller de ses doigts
  L'immobilité convulsive,
  Et les tordre comme autrefois.

  Tous les vices avec leurs griffes
  Ont, dans les plis de cette peau,
  Tracé d'affreux hiéroglyphes,
  Lus couramment par le bourreau.

  On y voit les oeuvres mauvaises
  Écrites en fauves sillons,
  Et les brûlures des fournaises
  Où bouillent les corruptions;

  Les débauches dans les Caprées
  Des tripots et des lupanars,
  De vin et de sang diaprées,
  Comme l'ennui des vieux Césars!

  En même temps molle et féroce,
  Sa forme a pour l'observateur
  Je ne sais quelle grâce atroce,
  La grâce du gladiateur!

  Criminelle aristocratie,
  Par la varlope ou le marteau
  Sa pulpe n'est pas endurcie,
  Car son outil fut un couteau.

  Saints calus du travail honnête,
  On y cherche en vain votre sceau.
  Vrai meurtrier et faux poète,
  Il fut le Manfred du ruisseau!

  [Illustration]




  [Illustration]

  VARIATIONS
  SUR LE
  CARNAVAL DE VENISE

  I

  DANS LA RUE


  Il est un vieil air populaire
  Par tous les violons raclé,
  Aux abois des chiens en colère
  Par tous les orgues nasillé.

  Les tabatières à musique
  L'ont sur leur répertoire inscrit;
  Pour les serins il est classique,
  Et ma grand'mère, enfant, l'apprit.

  Sur cet air, pistons, clarinettes,
  Dans les bals aux poudreux berceaux,
  Font sauter commis et grisettes,
  Et de leurs nids fuir les oiseaux.

  La guinguette, sous sa tonnelle
  De houblon et de chèvrefeuil,
  Fête, en braillant la ritournelle,
  Le gai dimanche et l'argenteuil.

  L'aveugle au basson qui pleurniche
  L'écorche en se trompant de doigts,
  La sébile aux dents, son caniche
  Près de lui le grogne à mi-voix.

  Et les petites guitaristes,
  Maigres sous leurs minces tartans,
  Le glapissent de leurs voix tristes
  Aux tables des cafés chantants.

  Paganini, le fantastique,
  Un soir, comme avec un crochet,
  A ramassé le thème antique
  Du bout de son divin archet,

  Et, brodant la gaze fanée
  Que l'oripeau rougit encor,
  Fait sur la phrase dédaignée
  Courir ses arabesques d'or.

  [Illustration]




  [Illustration]

  II

  SUR LES LAGUNES


  Tra la, tra la, la, la, la laire!
  Qui ne connaît pas ce motif?
  A nos mamans il a su plaire,
  Tendre et gai, moqueur et plaintif:

  L'air du Carnaval de Venise,
  Sur les canaux jadis chanté
  Et qu'un soupir de folle brise
  Dans le ballet a transporté!

  Il me semble, quand on le joue,
  Voir glisser dans son bleu sillon
  Une gondole avec sa proue
  Faite en manche de violon.

  Sur une gamme chromatique,
  Le sein de perles ruisselant,
  La Vénus de l'Adriatique
  Sort de l'eau son corps rose et blanc.

  Les dômes, sur l'azur des ondes
  Suivant la phrase au pur contour,
  S'enflent comme des gorges rondes
  Que soulève un soupir d'amour.

  L'esquif aborde et me dépose,
  Jetant son amarre au pilier,
  Devant une façade rose,
  Sur le marbre d'un escalier.

  Avec ses palais, ses gondoles,
  Ses mascarades sur la mer,
  Ses doux chagrins, ses gaîtés folles,
  Tout Venise vit dans cet air.

  Une frêle corde qui vibre
  Refait sur un pizzicato,
  Comme autrefois joyeuse et libre,
  La ville de Canaletto!

  [Illustration]




  [Illustration]

  III

  CARNAVAL


  Venise pour le bal s'habille.
  De paillettes tout étoilé,
  Scintille, fourmille et babille
  Le carnaval bariolé.

  Arlequin, nègre par son masque,
  Serpent par ses mille couleurs,
  Rosse d'une note fantasque
  Cassandre son souffre-douleurs.

  Battant de l'aile avec sa manche
  Comme un pingouin sur un écueil,
  Le blanc Pierrot, par une blanche,
  Passe la tête et cligne l'oeil.

  Le Docteur bolonais rabâche
  Avec la basse aux sons traînés;
  Polichinelle, qui se fâche,
  Se trouve une croche pour nez.

  Heurtant Trivelin qui se mouche
  Avec un trille extravagant,
  A Colombine Scaramouche
  Rend son éventail ou son gant.

  Sur une cadence se glisse
  Un domino ne laissant voir
  Qu'un malin regard en coulisse
  Aux paupières de satin noir.

  Ah! fine barbe de dentelle,
  Que fait voler un souffle pur,
  Cet arpége m'a dit: C'est elle!
  Malgré tes réseaux, j'en suis sûr.

  Et j'ai reconnu, rose et fraîche,
  Sous l'affreux profil de carton,
  Sa lèvre au fin duvet de pèche,
  Et la mouche de son menton.

  [Illustration]




  [Illustration]

  IV

  CLAIR DE LUNE SENTIMENTAL


  A travers la folle risée
  Que Saint-Marc renvoie au Lido,
  Une gamme monte en fusée,
  Comme au clair de lune un jet d'eau...

  A l'air qui jase d'un ton bouffe
  Et secoue au vent ses grelots,
  Un regret, ramier qu'on étouffe,
  Par instant mêle ses sanglots.

  Au loin, dans la brume sonore,
  Comme un rêve presque effacé,
  J'ai revu, pâle et triste encore,
  Mon vieil amour de l'an passé.

  Mon âme en pleurs s'est souvenue
  De l'avril, où, guettant au bois
  La violette à sa venue,
  Sous l'herbe nous mêlions nos doigts...

  Cette note de chanterelle,
  Vibrant comme l'harmonica,
  C'est la voix enfantine et grêle,
  Flèche d'argent qui me piqua.

  Le son en est si faux, si tendre,
  Si moqueur, si doux, si cruel,
  Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
  On ressent un plaisir mortel,

  Et que mon coeur, comme la voûte
  Dont l'eau pleure dans un bassin,
  Laisse tomber goutte par goutte
  Ses larmes rouges dans mon sein.

  Jovial et mélancolique,
  Ah! vieux thème du carnaval,
  Où le rire aux larmes réplique,
  Que ton charme m'a fait de mal!

  [Illustration]




  [Illustration]

  SYMPHONIE
  EN
  BLANC MAJEUR


  De leur col blanc courbant les lignes
  On voit dans les contes du Nord,
  Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
  Nager en chantant près du bord,

  Ou, suspendant à quelque branche
  Le plumage qui les revêt,
  Faire luire leur peau plus blanche
  Que la neige de leur duvet.

  De ces femmes il en est une,
  Qui chez nous descend quelquefois,
  Blanche comme le clair de lune
  Sur les glaciers dans les cieux froids;

  Conviant la vue enivrée
  De sa boréale fraîcheur
  A des régals de chair nacrée,
  A des débauches de blancheur

  Son sein, neige moulée en globe,
  Contre les camélias blancs
  Et le blanc satin de sa robe
  Soutient des combats insolents.

  Dans ces grandes batailles blanches,
  Satins et fleurs ont le dessous,
  Et, sans demander leurs revanches,
  Jaunissent comme des jaloux.

  Sur les blancheurs de son épaule,
  Paros au grain éblouissant,
  Comme dans une nuit du pôle,
  Un givre invisible descend.

  De quel mica de neige vierge,
  De quelle moelle de roseau,
  De quelle hostie et de quel cierge
  A-t-on fait le blanc de sa peau?

  A-t-on pris la goutte lactée
  Tachant l'azur du ciel d'hiver,
  Le lis à la pulpe argentée,
  La blanche écume de la mer;

  Le marbre blanc, chair froide et pâle,
  Où vivent les divinités;
  L'argent mat, la laiteuse opale
  Qu'irisent de vagues clartés;

  L'ivoire, où ses mains ont des ailes,
  Et, comme des papillons blancs,
  Sur la pointe des notes frêles
  Suspendent leurs baisers tremblants;

  L'hermine vierge de souillure,
  Qui, pour abriter leurs frissons,
  Ouate de sa blanche fourrure
  Les épaules et les blasons;

  Le vif-argent aux fleurs fantasques
  Dont les vitraux sont ramagés;
  Les blanches dentelles des vasques,
  Pleurs de l'ondine en l'air figés;

  L'aubépine de mai qui plie
  Sous les blancs frimas de ses fleurs;
  L'albâtre où la mélancolie
  Aime à retrouver ses pâleurs;

  Le duvet blanc de la colombe,
  Neigeant sur les toits du manoir,
  Et la stalactite qui tombe,
  Larme blanche de l'antre noir?

  Des Groenlands et des Norvèges
  Vient-elle avec Séraphita?
  Est-ce la Madone des neiges,
  Un sphinx blanc que l'hiver sculpta,

  Sphinx enterré par l'avalanche,
  Gardien des glaciers étoilés,
  Et qui, sous sa poitrine blanche,
  Cache de blancs secrets gelés?

  Sous la glace où calme il repose,
  Oh! qui pourra fondre ce coeur!
  Oh! qui pourra mettre un ton rose
  Dans cette implacable blancheur!

  [Illustration]




  [Illustration]

  COQUETTERIE
  POSTHUME


  Quand je mourrai, que l'on me mette,
  Avant de clouer mon cercueil,
  Un peu de rouge à la pommette,
  Un peu de noir au bord de l'oeil.

  Car je veux, dans ma bière close,
  Comme le soir de son aveu,
  Rester éternellement rose
  Avec du kh'ol sous mon oeil bleu.

  Pas de suaire en toile fine,
  Mais drapez-moi dans les plis blancs
  De ma robe de mousseline,
  De ma robe à treize volants.

  C'est ma parure préférée;
  Je la portais quand je lui plus.
  Son premier regard l'a sacrée,
  Et depuis je ne la mis plus.

  Posez-moi, sans jaune immortelle,
  Sans coussin de larmes brodé,
  Sur mon oreiller de dentelle
  De ma chevelure inondé.

  Cet oreiller, dans les nuits folles,
  A vu dormir nos fronts unis,
  Et sous le drap noir des gondoles
  Compté nos baisers infinis.

  Entre mes mains de cire pâle,
  Que la prière réunit,
  Tournez ce chapelet d'opale,
  Par le pape à Rome bénit:

  Je l'égrènerai dans la couche
  D'où nul encor ne s'est levé;
  Sa bouche en a dit sur ma bouche
  Chaque _Pater_ et chaque _Ave_.

  [Illustration]




  [Illustration]

  DIAMANT
  DU COEUR


  Tout amoureux, de sa maîtresse,
  Sur son coeur ou dans son tiroir,
  Possède un gage qu'il caresse
  Aux jours de regret ou d'espoir.

  L'un d'une chevelure noire,
  Par un sourire encouragé,
  A pris une boucle que moire
  Un reflet bleu d'aile de geai.

  L'autre a, sur un cou blanc qui ploie,
  Coupé par derrière un flocon
  Retors et fin comme la soie
  Que l'on dévide du cocon.

  Un troisième, au fond d'une boîte,
  Reliquaire du souvenir,
  Cache un gant blanc, de forme étroite,
  Où nulle main ne peut tenir.

  Cet autre, pour s'en faire un charme,
  Dans un sachet, d'un chiffre orné,
  Coud des violettes de Parme,
  Frais cadeau qu'on reprend fané.

  Celui-ci baise la pantoufle
  Que Cendrillon perdit un soir;
  Et celui-ci conserve un souffle
  Dans la barbe d'un masque noir.

  Moi, je n'ai ni boucle lustrée,
  Ni gant, ni bouquet, ni soulier,
  Mais je garde, empreinte adorée,
  Une larme sur un papier:

  Pure rosée, unique goutte,
  D'un ciel d'azur tombée un jour,
  Joyau sans prix, perle dissoute
  Dans la coupe de mon amour!

  Et, pour moi, cette obscure tache
  Reluit comme un écrin d'Ophyr,
  Et du vélin bleu se détache,
  Diamant éclos d'un saphir.

  Cette larme, qui fait ma joie,
  Roula, trésor inespéré,
  Sur un de mes vers qu'elle noie,
  D'un oeil qui n'a jamais pleuré!

  [Illustration]




  [Illustration]

  PREMIER SOURIRE
  DU
  PRINTEMPS


  Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
  Les hommes courent haletants,
  Mars qui rit, malgré les averses,
  Prépare en secret le printemps.

  Pour les petites pâquerettes,
  Sournoisement lorsque tout dort,
  Il repasse des collerettes
  Et cisèle des boutons d'or.

  Dans le verger et dans la vigne,
  Il s'en va, furtif perruquier,
  Avec une houppe de cygne,
  Poudrer à frimas l'amandier.

  La nature au lit se repose;
  Lui, descend au jardin désert
  Et lace les boutons de rose
  Dans leur corset de velours vert.

  Tout en composant des solfèges,
  Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
  Il sème aux prés les perce-neiges
  Et les violettes aux bois.

  Sur le cresson, de la fontaine
  Où le cerf boit, l'oreille au guet,
  De sa main cachée il égrène
  Les grelots d'argent du muguet.

  Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
  Il met la fraise au teint vermeil,
  Et te tresse un chapeau de feuilles
  Pour te garantir du soleil.

  Puis, lorsque sa besogne est faite,
  Et que son règne va finir,
  Au seuil d'avril tournant la tête,
  Il dit: «Printemps, tu peux venir!»

  [Illustration]




  [Illustration]

  CONTRALTO


  On voit dans le musée antique,
  Sur un lit de marbre sculpté,
  Une statue énigmatique
  D'une inquiétante beauté.

  Est-ce un jeune homme? est-ce une femme,
  Une déesse, ou bien un dieu?
  L'amour, ayant peur d'être infâme,
  Hésite et suspend son aveu.

  Dans sa pose malicieuse,
  Elle s'étend, le dos tourné
  Devant la foule curieuse,
  Sur son coussin capitonné.

  Pour faire sa beauté maudite,
  Chaque sexe apporta son don.
  Tout homme dit: C'est Aphrodite!
  Toute femme: C'est Cupidon!

  Sexe douteux, grâce certaine,
  On dirait ce corps indécis
  Fondu, dans l'eau de la fontaine,
  Sous les baisers de Salmacis.

  Chimère ardente, effort suprême
  De l'art et de la volupté,
  Monstre charmant, comme je t'aime
  Avec ta multiple beauté!

  Bien qu'on défende ton approche,
  Sous la draperie aux plis droits
  Dont le bout à ton pied s'accroche,
  Mes yeux ont plongé bien des fois.

  Rêve de poète et d'artiste,
  Tu m'as bien des nuits occupé,
  Et mon caprice qui persiste
  Ne convient pas qu'il s'est trompé.

  Mais seulement il se transpose,
  Et, passant de la forme au son,
  Trouve dans sa métamorphose
  La jeune fille et le garçon.

  Que tu me plais, ô timbre étrange!
  Son double, homme et femme à la fois,
  Contralto, bizarre mélange,
  Hermaphrodite de la voix!

  C'est Roméo, c'est Juliette,
  Chantant avec un seul gosier;
  Le pigeon rauque et la fauvette
  Perchés sur le même rosier;

  C'est la châtelaine qui raille
  Son beau page parlant d'amour,
  L'amant au pied de la muraille,
  La dame au balcon de sa tour,

  Le papillon, blanche étincelle,
  Qu'en ses détours et ses ébats
  Poursuit un papillon fidèle,
  L'un volant haut et l'autre bas,

  L'ange qui descend et qui monte
  Sur l'escalier d'or voltigeant
  La cloche mêlant dans sa fonte
  La voix d'airain, la voix d'argent,

  La mélodie et l'harmonie,
  Le chant et l'accompagnement,
  A la grâce la force unie,
  La maîtresse embrassant l'amant!

  Sur le pli de sa jupe assise,
  Ce soir, ce sera Cendrillon
  Causant près du feu qu'elle attise
  Avec son ami le grillon;

  Demain le valeureux Arsace
  A son courroux donnant l'essor,
  Ou Tancrède avec sa cuirasse,
  Son épée et son casque d'or;

  Desdemona chantant le Saule,
  Zerline bernant Mazetto,
  Ou Malcolm le plaid sur l'épaule;
  C'est toi que j'aime, ô contralto!

  Nature charmante et bizarre
  Que Dieu d'un double attrait para,
  Toi qui pourrais, comme Gulnare,
  Être le Kaled d'un Lara,

  Et dont la voix, dans sa caresse,
  Réveillant le coeur endormi,
  Mêle aux soupirs de la maîtresse
  L'accent plus mâle de l'ami!

  [Illustration]




  [Illustration]

  CÆRULEI OCULI


  Une femme mystérieuse,
  Dont la beauté trouble mes sens
  Se tient debout, silencieuse,
  Au bord des flots retentissants.

  Ses yeux, où le ciel se reflète,
  Mêlent à leur azur amer,
  Qu'étoile une humide paillette,
  Les teintes glauques de la mer.

  Dans les langueurs de leurs prunelles,
  Une grâce triste sourit;
  Les pleurs mouillent les étincelles
  Et la lumière s'attendrit;

  Et leurs cils comme des mouettes
  Qui rasent le flot aplani,
  Palpitent, ailes inquiètes,
  Sur leur azur indéfini.

  Comme dans l'eau bleue et profonde,
  Où dort plus d'un trésor coulé,
  On y découvre à travers l'onde
  La coupe du roi de Thulé.

  Sous leur transparence verdâtre,
  Brille, parmi le goémon,
  L'autre perle de Cléopâtre
  Près de l'anneau de Salomon.

  La couronne au gouffre lancée
  Dans la ballade de Schiller,
  Sans qu'un plongeur l'ait ramassée,
  Y jette encor son reflet clair.

  Un pouvoir magique m'entraîne
  Vers l'abîme de ce regard,
  Comme au sein des eaux la sirène
  Attirait Harald Harfagar.

  Mon âme, avec la violence
  D'un irrésistible désir,
  Au milieu du gouffre s'élance
  Vers l'ombre impossible à saisir.

  Montrant son sein, cachant sa queue,
  La sirène amoureusement
  Fait ondoyer sa blancheur bleue
  Sous l'émail vert du flot dormant.

  L'eau s'enfle comme une poitrine
  Aux soupirs de la passion;
  Le vent, dans sa conque marine,
  Murmure une incantation.

  «Oh! viens dans ma couche de nacre,
  Mes bras d'onde t'enlaceront;
  Les flots, perdant leur saveur âcre,
  Sur ta bouche, en miel couleront.

  «Laissant bruire sur nos têtes,
  La mer qui ne peut s'apaiser,
  Nous boirons l'oubli des tempêtes
  Dans la coupe de mon baiser.»

  Ainsi parle la voix humide
  De ce regard céruléen,
  Et mon coeur, sous l'onde perfide,
  Se noie et consomme l'hymen.

  [Illustration]




  [Illustration]

  RONDALLA


  Enfant aux airs d'impératrice,
  Colombe aux regards de faucon,
  Tu me hais, mais c'est mon caprice,
  De me planter sous ton balcon.

  Là, je veux, le pied sur la borne,
  Pinçant les nerfs, tapant le bois,
  Faire luire à ton carreau morne
  Ta lampe et ton front à la fois.

  Je défends à toute guitare
  De bourdonner aux alentours.
  Ta rue est à moi:--je la barre
  Pour y chanter seul mes amours,

  Et je coupe les deux oreilles
  Au premier racleur de jambon
  Qui devant la chambre où tu veilles
  Braille un couplet mauvais ou bon.

  Dans sa gaîne mon couteau bouge;
  Allons, qui veut de l'incarnat?
  A son jabot qui veut du rouge
  Pour faire un bouton de grenat?

  Le sang dans les veines s'ennuie,
  Car il est fait pour se montrer;
  Le temps est noir, gare la pluie!
  Poltrons, hâtez-vous de rentrer.

  Sortez, vaillants! sortez, bravaches!
  L'avant-bras couvert du manteau,
  Que sur vos faces de gavaches
  J'écrive des croix au couteau!

  Qu'ils s'avancent! seuls ou par bande,
  De pied ferme je les attends.
  A ta gloire il faut que je fende
  Les naseaux de ces capitans.

  Au ruisseau qui gêne ta marche
  Et pourrait salir tes pieds blancs,
  Corps du Christ! je veux faire une arche
  Avec les côtes des galants.

  Pour te prouver combien je t'aime,
  Dis, je tuerai qui tu voudras:
  J'attaquerai Satan lui-même,
  Si pour linceul j'ai tes deux draps.

  Porte sourde!--Fenêtre aveugle!
  Tu dois pourtant ouïr ma voix;
  Comme un taureau blessé je beugle,
  Des chiens excitant les abois!

  Au moins plante un clou dans ta porte:
  Un clou pour accrocher mon coeur.
  A quoi sert que je le remporte
  Fou de rage, mort de langueur?

  [Illustration]




  [Illustration]

  NOSTALGIES
  D'OBÉLISQUES

  I

  L'OBÉLISQUE DE PARIS


  Sur cette place je m'ennuie,
  Obélisque dépareillé;
  Neige, givre, bruine et pluie
  Glacent mon flanc déjà rouillé;

  Et ma vieille aiguille, rougie
  Aux fournaises d'un ciel de feu
  Prend des pâleurs de nostalgie
  Dans cet air qui n'est jamais bleu.

  Devant les colosses moroses
  Et les pylônes de Luxor,
  Près de mon frère aux teintes roses
  Que ne suis-je debout encor,

  Plongeant dans l'azur immuable
  Mon pyramydion vermeil,
  Et de mon ombre, sur le sable,
  Écrivant les pas du soleil!

  Rhamsès, un jour mon bloc superbe,
  Où l'éternité s'ébréchait,
  Roula fauché comme un brin d'herbe,
  Et Paris s'en fit un hochet.

  La sentinelle granitique,
  Gardienne des énormités,
  Se dresse entre un faux temple antique
  Et la chambre des députés.

  Sur l'échafaud de Louis Seize,
  Monolithe au sens aboli,
  On a mis mon secret, qui pèse
  Le poids de cinq mille ans d'oubli.

  Les moineaux francs souillent ma tête,
  Où s'abattaient dans leur essor
  L'ibis rose et le gypaète
  Au blanc plumage, aux serres d'or.

  La Seine, noir égout des rues,
  Fleuve immonde fait de ruisseaux,
  Salit mon pied, que dans ses crues
  Baisait le Nil, père des eaux,

  Le Nil, géant à barbe blanche
  Coiffé de lotus et de joncs,
  Versant de son urne qui penche
  Des crocodiles pour goujons!

  Les chars d'or étoilés de nacre
  Des grands pharaons d'autrefois
  Rasaient mon bloc heurté du fiacre
  Emportant le dernier des rois.

  Jadis, devant ma pierre antique,
  Le pschent au front, les prêtres saints
  Promenaient la bari mystique
  Aux emblèmes dorés et peints;

  Mais aujourd'hui, pilier profane
  Entre deux fontaines campé,
  Je vois passer la courtisane
  Se renversant dans son coupé.

  Je vois, de janvier à décembre,
  La procession des bourgeois,
  Les Solons qui vont à la chambre,
  Et les Arthurs qui vont au bois.

  Oh! dans cent ans quels laids squelettes
  Fera ce peuple impie et fou,
  Qui se couche sans bandelettes
  Dans des cercueils que ferme un clou,

  Et n'a pas même d'hypogées
  A l'abri des corruptions,
  Dortoirs où, par siècles rangées,
  Plongent les générations!

  Sol sacré des hiéroglyphes
  Et des secrets sacerdotaux,
  Où les sphynx s'aiguisent les griffes
  Sur les angles des piédestaux,

  Où sous le pied sonne la crypte,
  Où l'épervier couve son nid,
  Je te pleure, ô ma vieille Égypte,
  Avec des larmes de granit!

  [Illustration]




  [Illustration]

  II

  L'OBÉLISQUE DE LUXOR


  Je veille, unique sentinelle
  De ce grand palais dévasté,
  Dans la solitude éternelle,
  En face de l'immensité.

  A l'horizon que rien ne borne,
  Stérile, muet, infini,
  Le désert sous le soleil morne,
  Déroule son linceul jauni.

  Au-dessus de la terre nue,
  Le ciel, autre désert d'azur,
  Où jamais ne flotte une nue,
  S'étale implacablement pur.

  Le Nil, dont l'eau morte s'étame
  D'une pellicule de plomb,
  Luit, ridé par l'hippopotame,
  Sous un jour mat tombant d'aplomb;

  Et les crocodiles rapaces,
  Sur le sable en feu des îlots,
  Demi-cuits dans leurs carapaces,
  Se pâment avec des sanglots.

  Immobile sur son pied grêle,
  L'ibis, le bec dans son jabot,
  Déchiffre au bout de quelque stèle
  Le cartouche sacré de Thot.

  L'hyène rit, le chacal miaule,
  Et, traçant des cercles dans l'air,
  L'épervier affamé piaule,
  Noire virgule du ciel clair.

  Mais ces bruits de la solitude
  Sont couverts par le bâillement
  Des sphinx, lassés de l'attitude
  Qu'ils gardent immuablement.

  Produit des blancs reflets du sable
  Et du soleil toujours brillant,
  Nul ennui ne t'est comparable,
  Spleen lumineux de l'Orient!

  C'est toi qui faisais crier: Grâce!
  A la satiété des rois
  Tombant vaincus sur leur terrasse,
  Et tu m'écrases de ton poids.

  Ici jamais le vent n'essuie
  Une larme à l'oeil sec des cieux,
  Et le temps fatigué s'appuie
  Sur les palais silencieux.

  Pas un accident ne dérange
  La face de l'éternité;
  L'Égypte, en ce monde où tout change,
  Trône sur l'immobilité.

  Pour compagnons et pour amies,
  Quand l'ennui me prend par accès,
  J'ai les fellahs et les momies
  Contemporaines de Rhamsès;

  Je regarde un pilier qui penche,
  Un vieux colosse sans profil
  Et les canges à voile blanche
  Montant ou descendant le Nil.

  Que je voudrais comme mon frère,
  Dans ce grand Paris transporté,
  Auprès de lui, pour me distraire,
  Sur une place être planté!

  Là-bas, il voit à ses sculptures
  S'arrêter un peuple vivant,
  Hiératiques écritures,
  Que l'idée épelle en rêvant.

  Les fontaines juxtaposées
  Sur la poudre de son granit
  Jettent leurs brumes irisées.
  Il est vermeil, il rajeunit!

  Des veines roses de Syène
  Comme moi cependant il sort,
  Mais je reste à ma place ancienne,
  Il est vivant et je suis mort!

  [Illustration]




  [Illustration]

  VIEUX DE LA VIEILLE

  15 DÉCEMBRE


  Par l'ennui chassé de ma chambre,
  J'errais le long du boulevard:
  Il faisait un temps de décembre,
  Vent froid, fine pluie et brouillard;

  Et là je vis, spectacle étrange,
  Échappés du sombre séjour,
  Sous la bruine et dans la fange,
  Passer des spectres en plein jour.

  Pourtant c'est la nuit que les ombres,
  Par un clair de lune allemand,
  Dans les vieilles tours en décombres,
  Reviennent ordinairement;

  C'est la nuit que les Elfes sortent
  Avec leur robe humide au bord,
  Et sous les nénuphars emportent
  Leur valseur de fatigue mort;

  C'est la nuit qu'a lieu la revue
  Dans la ballade de Zedlitz,
  Où l'Empereur, ombre entrevue,
  Compte les ombres d'Austerlitz.

  Mais des spectres près du Gymnase,
  A deux pas des Variétés,
  Sans brume ou linceul qui les gaze,
  Des spectres mouillés et crottés!

  Avec ses dents jaunes de tartre,
  Son crâne de mousse verdi,
  A Paris, boulevard Montmartre,
  Mob se montrant en plein midi!

  La chose vaut qu'on la regarde:
  Trois fantômes de vieux grognards!
  En uniformes de l'ex-garde,
  Avec deux ombres de hussards!

  On eût dit la lithographie
  Où, dessinés par un rayon,
  Les morts, que Raffet déifie,
  Passent, criant: Napoléon!

  Ce n'était pas les morts qu'éveille
  Le son du nocturne tambour,
  Mais bien quelques _vieux de la vieille_
  Qui célébraient le grand retour.

  Depuis la suprême bataille,
  L'un a maigri, l'autre a grossi;
  L'habit jadis fait à leur taille
  Est trop grand ou trop rétréci.

  Nobles lambeaux, défroque épique,
  Saints haillons, qu'étoile une croix,
  Dans leur ridicule héroïque
  Plus beaux que des manteaux de rois;

  Un plumet énervé palpite
  Sur leur kolbach fauve et pelé;
  Près des trous de balle, la mite
  A rongé leur dolman criblé;

  Leur culotte de peau trop large
  Fait mille plis sur leur fémur;
  Leur sabre rouillé, lourde charge,
  Creuse le sol et bat le mur;

  Ou bien un embonpoint grotesque,
  Avec grand'peine boutonné,
  Fait un poussah, dont on rit presque,
  Du vieux héros tout chevronné.

  Ne les raillez pas, camarade;
  Saluez plutôt chapeau bas
  Ces Achilles d'une Iliade
  Qu'Homère n'inventerait pas.

  Respectez leur tête chenue!
  Sur leur front par vingt cieux bronzé,
  La cicatrice continue
  Le sillon que l'âge a creusé.

  Leur peau, bizarrement noircie,
  Dit l'Égypte aux soleils brûlants;
  Et les neiges de la Russie
  Poudrent encor leurs cheveux blancs.

  Si leurs mains tremblent, c'est sans doute
  Du froid de la Bérésina;
  Et s'ils boitent, c'est que la route
  Est longue du Caire à Wilna;

  S'ils sont perclus, c'est qu'à la guerre
  Les drapeaux étaient leurs seuls draps;
  Et si leur manche ne va guère,
  C'est qu'un boulet a pris leur bras.

  Ne nous moquons pas de ces hommes
  Qu'en riant le gamin poursuit;
  Ils furent le jour dont nous sommes
  Le soir et peut-être la nuit.

  Quand on oublie, ils se souviennent!
  Lancier rouge et grenadier bleu,
  Au pied de la colonne, ils viennent
  Comme à l'autel de leur seul dieu.

  Là, fiers de leur longue souffrance,
  Reconnaissants des maux subis,
  Ils sentent le coeur de la France
  Battre sous leurs pauvres habits.

  Aussi les pleurs trempent le rire
  En voyant ce saint carnaval,
  Cette mascarade d'empire,
  Passer comme un matin de bal;

  Et l'aigle de la grande armée
  Dans le ciel qu'emplit son essor,
  Du fond d'une gloire enflammée,
  Étend sur eux ses ailes d'or!

  [Illustration]




  [Illustration]

  TRISTESSE
  EN MER


  Les mouettes volent et jouent;
  Et les blancs coursiers de la mer,
  Cabrés sur les vagues secouent
  Leurs crins échevelés dans l'air.

  Le jour tombe; une fine pluie
  Éteint les fournaises du soir,
  Et le steam-boat crachant la suie
  Rabat son long panache noir.

  Plus pâle que le ciel livide
  Je vais au pays du charbon,
  Du brouillard et du suicide;
  --Pour se tuer le temps est bon.

  Mon désir avide se noie
  Dans le gouffre amer qui blanchit;
  Le vaisseau danse, l'eau tournoie,
  Le vent de plus en plus fraîchit.

  Oh! je me sens l'âme navrée;
  L'Océan gonfle, en soupirant,
  Sa poitrine désespérée,
  Comme un ami qui me comprend.

  Allons, peines d'amour perdues,
  Espoirs lassés, illusions
  Du socle idéal descendues,
  Un saut dans les moites sillons!

  A la mer, souffrances passées,
  Qui revenez toujours, pressant
  Vos blessures cicatrisées
  Pour leur faire pleurer du sang!

  A la mer, spectre de mes rêves,
  Regrets aux mortelles pâleurs
  Dans un coeur rouge ayant sept glaives,
  Comme la Mère des douleurs.

  Chaque fantôme plonge et lutte
  Quelques instants avec le flot
  Qui sur lui ferme sa volute
  Et l'engloutit dans un sanglot.

  Lest de l'âme, pesant bagage,
  Trésors misérables et chers,
  Sombrez, et dans votre naufrage
  Je vais vous suivre au fond des mers!

  Bleuâtre, enflé, méconnaissable,
  Bercé par le flot qui bruit,
  Sur l'humide oreiller du sable
  Je dormirai bien cette nuit!

  ... Mais une femme dans sa mante
  Sur le pont assise à l'écart,
  Une femme jeune et charmante
  Lève vers moi son long regard.

  Dans ce regard, à ma détresse
  La Sympathie aux bras ouverts
  Parle et sourit, soeur ou maîtresse.
  Salut, yeux bleus! bonsoir, flots verts!

  Les mouettes volent et jouent;
  Et les blancs coursiers de la mer,
  Cabrés sur les vagues, secouent
  Leurs crins échevelés dans l'air.

  [Illustration]




  [Illustration]

  A
  UNE ROBE ROSE


  Que tu me plais dans cette robe
  Qui te déshabille si bien,
  Faisant jaillir ta gorge en globe,
  Montrant tout nu ton bras païen!

  Frêle comme une aile d'abeille,
  Frais comme un coeur de rose-thé,
  Son tissu, caresse vermeille,
  Voltige autour de ta beauté.

  De l'épiderme sur la soie
  Glissent des frissons argentés,
  Et l'étoffe à la chair renvoie
  Ses éclairs roses reflétés.

  D'où te vient cette robe étrange
  Qui semble faite de ta chair,
  Trame vivante qui mélange
  Avec ta peau son rose clair?

  Est-ce à la rougeur de l'aurore,
  A la coquille de Vénus,
  Au bouton de sein près d'éclore,
  Que sont pris ces tons inconnus?

  Ou bien l'étoffe est-elle teinte
  Dans les roses de ta pudeur?
  Non; vingt fois modelée et peinte,
  Ta forme connaît sa splendeur.

  Jetant le voile qui te pèse,
  Réalité que l'art rêva,
  Comme la princesse Borghèse
  Tu poserais pour Canova.

  Et ces plis roses sont les lèvres
  De mes désirs inapaisés,
  Mettant au corps dont tu les sèvres
  Une tunique de baisers.

  [Illustration]




  [Illustration]

  LE MONDE
  EST MÉCHANT


  Le monde est méchant, ma petite:
  Avec son sourire moqueur
  Il dit qu'à ton côté palpite
  Une montre en place du coeur.

  --Pourtant ton sein ému s'élève
  Et s'abaisse comme la mer,
  Aux bouillonnements de la sève,
  Circulant sous ta jeune chair.

  Le monde est méchant, ma petite:
  Il dit que tes yeux vifs sont morts
  Et se meuvent dans leur orbite
  A temps égaux et par ressorts.

  --Pourtant une larme irisée
  Tremble à tes cils, mouvant rideau,
  Comme une perle de rosée
  Qui n'est pas prise au verre d'eau.

  Le monde est méchant, ma petite:
  Il dit que tu n'as pas d'esprit,
  Et que les vers qu'on te récite
  Sont pour toi comme du sanscrit.

  --Pourtant, sur ta bouche vermeille,
  Fleur s'ouvrant et se refermant,
  Le rire, intelligente abeille,
  Se pose à chaque trait charmant.

  C'est que tu m'aimes, ma petite,
  Et que tu hais tous ces gens-là.
  Quitte-moi;--comme ils diront vite:
  Quel coeur et quel esprit elle a!

  [Illustration]




  [Illustration]

  INÈS
  DE
  LAS SIERRAS

  A LA PETRA CAMARA


  Nodier raconte qu'en Espagne
  Trois officiers cherchant un soir,
  Une venta dans la campagne,
  Ne trouvèrent qu'un vieux manoir;

  Un vrai château d'Anne Radcliffe,
  Aux plafonds que le temps ploya,
  Aux vitraux rayés par la griffe
  Des chauves-souris de Goya,

  Aux vastes salles délabrées,
  Aux couloirs livrant leur secret,
  Architectures effondrées
  Où Piranèse se perdrait.

  Pendant le souper, que regarde
  Une collection d'aïeux
  Dans leurs cadres montant la garde,
  Un cri répond aux chants joyeux;

  D'un long corridor en décombres,
  Par la lune bizarrement
  Entrecoupé de clairs et d'ombres,
  Débusque un fantôme charmant;

  Peigne au chignon, basquine aux hanches,
  Une femme accourt en dansant,
  Dans les bandes noires et blanches
  Apparaissant, disparaissant.

  Avec une volupté morte,
  Cambrant les reins, penchant le cou,
  Elle s'arrête sur la porte,
  Sinistre et belle à rendre fou.

  Sa robe, passée et fripée
  Au froid humide des tombeaux,
  Fait luire, d'un rayon frappée,
  Quelques paillons sur ses lambeaux;

  D'un pétale découronnée
  A chaque soubresaut nerveux,
  Sa rose, jaunie et fanée,
  S'effeuille dans ses noirs cheveux.

  Une cicatrice, pareille
  A celle d'un coup de poignard,
  Forme une couture vermeille
  Sur sa gorge d'un ton blafard;

  Et ses mains pâles et fluettes,
  Au nez des soupeurs pleins d'effroi
  Entre-choquent les castagnettes,
  Comme des dents claquant de froid.

  Elle danse, morne bacchante,
  La cachucha sur un vieil air,
  D'une grâce si provocante,
  Qu'on la suivrait même en enfer.

  Ses cils palpitent sur ses joues
  Comme des ailes d'oiseau noir,
  Et sa bouche arquée a des moues
  A mettre un saint au désespoir.

  Quand de sa jupe qui tournoie
  Elle soulève le volant,
  Sa jambe, sous le bas de soie,
  Prend des lueurs de marbre blanc.

  Elle se penche jusqu'à terre,
  Et sa main, d'un geste coquet,
  Comme on fait des fleurs d'un parterre
  Groupe les désirs en bouquet.

  Est-ce un fantôme? est-ce une femme?
  Un rêve, une réalité,
  Qui scintille comme une flamme
  Dans un tourbillon de beauté?

  Cette apparition fantasque,
  C'est l'Espagne du temps passé,
  Aux frissons du tambour de basque
  S'élançant de son lit glacé,

  Et, brusquement ressuscitée
  Dans un suprême boléro,
  Montrant sous sa jupe argentée
  La _divisa_ prise au taureau.

  La cicatrice qu'elle porte,
  C'est le coup de grâce donné
  A la génération morte,
  Par chaque siècle nouveau-né.

  J'ai vu ce fantôme au Gymnase,
  Où Paris entier l'admira,
  Lorsque dans son linceul de gaze
  Parut la Petra Camara,

  Impassible et passionnée,
  Fermant ses yeux morts de langueur,
  Et comme Inès l'assassinée
  Dansant, un poignard dans le coeur!

  [Illustration]




  [Illustration]

  ODELETTE
  ANACRÉONTIQUE


  Pour que je t'aime, ô mon poète,
  Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
  Mon amour, colombe inquiète,
  Au ciel rose de la pudeur.

  L'oiseau qui marche dans l'allée
  S'effraye et part au moindre bruit;
  Ma passion est chose ailée
  Et s'envole quand on la suit.

  Muet comme l'Hermès de marbre,
  Sous la charmille pose-toi;
  Tu verras bientôt de son arbre
  L'oiseau descendre sans effroi.

  Tes tempes sentiront près d'elles,
  Avec des souffles de fraîcheur,
  Une palpitation d'ailes
  Dans un tourbillon de blancheur,

  Et la colombe apprivoisée
  Sur ton épaule s'abattra,
  Et son bec à pointe rosée
  De ton baiser s'enivrera.

  [Illustration]




  [Illustration]

  FUMÉE


  Là-bas, sous les arbres s'abrite
  Une chaumière au dos bossu;
  Le toit penche, le mur s'effrite,
  Le seuil de la porte est moussu.

  La fenêtre, un volet la bouche;
  Mais du taudis, comme au temps froid
  La tiède haleine d'une bouche,
  La respiration se voit.

  Un tire-bouchon de fumée,
  Tournant son mince filet bleu,
  De l'âme en ce bouge enfermée
  Porte des nouvelles à Dieu.

  [Illustration]




  [Illustration]

  APOLLONIE


  J'aime ton nom d'Apollonie,
  Écho grec du sacré vallon,
  Qui, dans sa robuste harmonie,
  Te baptise soeur d'Apollon.

  Sur la lyre au plectre d'ivoire,
  Ce nom splendide et souverain,
  Beau comme l'amour et la gloire
  Prend des résonnances d'airain.

  Classique, il fait plonger les Elfes
  Au fond de leur lac allemand,
  Et seule la Pythie à Delphes
  Pourrait le porter dignement,

  Quand relevant sa robe antique
  Elle s'assoit au trépied d'or,
  Et dans sa pose fatidique
  Attend le dieu qui tarde encor.

  [Illustration]




  [Illustration]

  L'AVEUGLE


  Un aveugle au coin d'une borne,
  Hagard comme au jour un hibou,
  Sur son flageolet, d'un air morne,
  Tâtonne en se trompant de trou,

  Et joue un ancien vaudeville
  Qu'il fausse imperturbablement;
  Son chien le conduit par la ville,
  Spectre diurne à l'oeil dormant.

  Les jours sur lui passent sans luire;
  Sombre, il entend le monde obscur
  Et la vie invisible bruire
  Comme un torrent derrière un mur!

  Dieu sait quelles chimères noires
  Hantent cet opaque cerveau!
  Et quels illisibles grimoires
  L'idée écrit en ce caveau!

  Ainsi dans les puits de Venise,
  Un prisonnier à demi fou,
  Pendant sa nuit qui s'éternise,
  Grave des mots avec un clou.

  Mais peut-être aux heures funèbres,
  Quand la mort souffle le flambeau,
  L'âme habituée aux ténèbres
  Y verra clair dans le tombeau!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LIED


  Au mois d'avril, la terre est rose
  Comme la jeunesse et l'amour;
  Pucelle encore, à peine elle ose
  Payer le Printemps de retour.

  Au mois de juin, déjà plus pâle
  Et le coeur de désir troublé,
  Avec l'Été tout brun de hâle
  Elle se cache dans le blé.

  Au mois d'août, bacchante enivrée,
  Elle offre à l'Automne son sein,
  Et, roulant sur la peau tigrée,
  Fait jaillir le sang du raisin.

  En décembre, petite vieille,
  Par les frimas poudrée à blanc,
  Dans ses rêves elle réveille
  L'Hiver auprès d'elle ronflant.

  [Illustration]




  [Illustration]

  FANTAISIES D'HIVER

  I


  Le nez rouge, la face blême,
  Sur un pupitre de glaçons,
  L'hiver exécute son thème
  Dans le quatuor des saisons.

  Il chante d'une voix peu sûre
  Des airs vieillots et chevrotants;
  Son pied glacé bat la mesure
  Et la semelle en même temps;

  Et comme Hændel, dont la perruque
  Perdait sa farine en tremblant,
  Il fait envoler de sa nuque
  La neige qui la poudre à blanc.


  II

  Dans le bassin des Tuileries,
  Le cygne s'est pris en nageant,
  Et les arbres, comme aux féeries,
  Sont en filigrane d'argent.

  Les vases ont des fleurs de givre,
  Sous la charmille aux blancs réseaux;
  Et sur la neige on voit se suivre
  Les pas étoilés des oiseaux.

  Au piédestal où, court-vêtue,
  Vénus coudoyait Phocion,
  L'Hiver a posé pour statue
  La frileuse de Clodion.


  III

  Les femmes passent sous les arbres
  En martre, hermine et menu-vair,
  Et les déesses, frileux marbres,
  Ont pris aussi l'habit d'hiver.

  La Vénus Anadyomène
  Est en pelisse à capuchon,
  Flore, que la brise malmène,
  Plonge ses mains dans son manchon.

  Et pour la saison, les bergères
  De Coysevox et de Coustou,
  Trouvant leurs écharpes légères,
  Ont des boas autour du cou.


  IV

  Sur la mode parisienne
  Le Nord pose ses manteaux lourds,
  Comme sur une Athénienne
  Un Scythe étendrait sa peau d'ours.

  Partout se mélange aux parures
  Dont Palmyre habille l'Hiver,
  Le faste russe des fourrures
  Que parfume le vétyver.

  Et le Plaisir rit dans l'alcôve
  Quand, au milieu des Amours nus,
  Des poils roux d'une bête fauve
  Sort le torse blanc de Vénus.


  V

  Sous le voile qui vous protège,
  Défiant les regards jaloux,
  Si vous sortez par cette neige,
  Redoutez vos pieds andalous;

  La neige saisit comme un moule
  L'empreinte de ce pied mignon
  Qui, sur le tapis blanc qu'il foule,
  Signe, à chaque pas, votre nom.

  Ainsi guidé, l'époux morose
  Peut parvenir au nid caché
  Où, de froid la joue encor rose,
  A l'Amour s'enlace Psyché.

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA SOURCE


  Tout près du lac filtre une source,
  Entre deux pierres, dans un coin;
  Allégrement l'eau prend sa course
  Comme pour s'en aller bien loin.

  Elle murmure: Oh! quelle joie!
  Sous la terre il faisait si noir!
  Maintenant ma rive verdoie,
  Le ciel se mire à mon miroir.

  Les myosotis aux fleurs bleues
  Me disent: Ne m'oubliez pas!
  Les libellules de leurs queues
  M'égratignent dans leurs ébats;

  A ma coupe l'oiseau s'abreuve,
  Qui sait?--Après quelques détours
  Peut-être deviendrai-je un fleuve
  Baignant vallons, rochers et tours.

  Je broderai de mon écume
  Ponts de pierre, quais de granit,
  Emportant le steamer qui fume
  A l'Océan où tout finit.

  Ainsi la jeune source jase,
  Formant cent projets d'avenir;
  Comme l'eau qui bout dans un vase,
  Son flot ne peut se contenir;

  Mais le berceau touche à la tombe;
  Le géant futur meurt petit;
  Née à peine, la source tombe
  Dans le grand lac qui l'engloutit!

  [Illustration]




  [Illustration]

  BUCHERS
  ET
  TOMBEAUX


  Le squelette était invisible
  Au temps heureux de l'Art païen;
  L'homme, sous la forme sensible,
  Content du beau, ne cherchait rien.

  Pas de cadavre sous la tombe,
  Spectre hideux de l'être cher,
  Comme d'un vêtement qui tombe
  Se déshabillant de sa chair,

  Et, quand la pierre se lézarde,
  Parmi les épouvantements,
  Montrant à l'oeil qui s'y hasarde
  Une armature d'ossements;

  Mais au feu du bûcher ravie
  Une pincée entre les doigts,
  Résidu léger de la vie,
  Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits;

  Ce que le papillon de l'âme
  Laisse de poussière après lui,
  Et ce qui reste de la flamme
  Sur le trépied, quand elle a lui!

  Entre les fleurs et les acanthes,
  Dans le marbre joyeusement,
  Amours, oegipans et bacchantes
  Dansaient autour du monument;

  Tout au plus un petit génie
  Du pied éteignait un flambeau;
  Et l'art versait son harmonie
  Sur la tristesse du tombeau.

  Les tombes étaient attrayantes:
  Comme on fait d'un enfant qui dort,
  D'images douces et riantes
  La vie enveloppait la mort;

  La mort dissimulait sa face
  Aux trous profonds, au nez camard,
  Dont la hideur railleuse efface
  Les chimères du cauchemar.

  Le monstre, sous la chair splendide
  Cachait son fantôme inconnu,
  Et l'oeil de la vierge candide
  Allait au bel éphèbe nu.

  Seulement pour pousser à boire,
  Au banquet de Trimalcion,
  Une larve, joujou d'ivoire,
  Faisait son apparition;

  Des dieux que l'art toujours révère
  Trônaient au ciel marmoréen;
  Mais l'Olympe cède au Calvaire,
  Jupiter au Nazaréen;

  Une voix dit: Pan est mort!--L'ombre
  S'étend.--Comme sur un drap noir,
  Sur la tristesse immense et sombre
  Le blanc squelette se fait voir;

  Il signe les pierres funèbres
  De son paraphe de fémurs,
  Pend son chapelet de vertèbres
  Dans les charniers, le long des murs,

  Des cercueils lève le couvercle
  Avec ses bras aux os pointus:
  Dessine ses côtes en cercle
  Et rit de son large rictus;

  Il pousse à la danse macabre
  L'empereur, le pape et le roi,
  Et de son cheval qui se cabre
  Jette bas le preux plein d'effroi;

  Il entre chez la courtisane
  Et fait des mines au miroir,
  Du malade il boit la tisane,
  De l'avare ouvre le tiroir;

  Piquant l'attelage qui rue
  Avec un os pour aiguillon,
  Du laboureur à la charrue
  Termine en fosse le sillon;

  Et, parmi la foule priée,
  Hôte inattendu, sous le banc,
  Vole à la pâle mariée
  Sa jarretière de ruban.

  A chaque pas grossit la bande;
  Le jeune au vieux donne la main;
  L'irrésistible sarabande
  Met en branle le genre humain.

  Le spectre en tête se déhanche,
  Dansant et jouant du rebec,
  Et sur fond noir, en couleur blanche,
  Holbein l'esquisse d'un trait sec.

  Quand le siècle devient frivole
  Il suit la mode; en tonnelet
  Retrousse son linceul et vole
  Comme un Cupidon de ballet

  Au tombeau-sofa des marquises
  Qui reposent, lasses d'amour,
  En des attitudes exquises,
  Dans les chapelles Pompadour.

  Mais voile-toi, masque sans joues,
  Comédien que le ver mord,
  Depuis assez longtemps tu joues
  Le mélodrame de la Mort.

  Reviens, reviens, bel art antique,
  De ton paros étincelant
  Couvrir ce squelette gothique;
  Dévore-le, bûcher brûlant!

  Si nous sommes une statue
  Sculptée à l'image de Dieu,
  Quand cette image est abattue,
  Jetons-en les débris au feu.

  Toi, forme immortelle, remonte
  Dans la flamme aux sources du beau,
  Sans que ton argile ait la honte
  Et les misères du tombeau!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LE SOUPER
  DES
  ARMURES


  Biorn, étrange cénobite,
  Sur le plateau d'un roc pelé,
  Hors du temps et du monde, habite
  La tour d'un burg démantelé.

  De sa porte l'esprit moderne
  En vain soulève le marteau.
  Biorn verrouille sa poterne
  Et barricade son château.

  Quand tous ont les yeux vers l'aurore,
  Biorn, sur son donjon perché,
  A l'horizon contemple encore
  La place du soleil couché.

  Ame rétrospective, il loge
  Dans son burg et dans le passé;
  Le pendule de son horloge
  Depuis des siècles est cassé.

  Sous ses ogives féodales
  Il erre, éveillant les échos,
  Et ses pas, sonnant sur les dalles,
  Semblent suivis de pas égaux.

  Il ne voit ni laïcs, ni prêtres,
  Ni gentilshommes, ni bourgeois,
  Mais les portraits de ses ancêtres
  Causent avec lui quelquefois.

  Et certains soirs, pour se distraire,
  Trouvant manger seul ennuyeux,
  Biorn, caprice funéraire,
  Invite à souper ses aïeux.

  Les fantômes, quand minuit sonne,
  Viennent armés de pied en cap;
  Biorn, qui malgré lui frissonne,
  Salue en haussant son hanap.

  Pour s'asseoir, chaque panoplie
  Fait un angle avec son genou,
  Dont l'articulation plie
  En grinçant comme un vieux verrou;

  Et tout d'une pièce, l'armure,
  D'un corps absent gauche cercueil,
  Rendant un creux et sourd murmure,
  Tombe entre les bras du fauteuil.

  Landgraves, rhingraves, burgraves,
  Venus du ciel ou de l'enfer,
  Ils sont tous là, muets et graves,
  Les roides convives de fer!

  Dans l'ombre, un rayon fauve indique
  Un monstre, guivre, aigle à deux cous,
  Pris au bestiaire héraldique
  Sur les cimiers faussés de coups.

  Du mufle des bêtes difformes
  Dressant leurs ongles arrogants,
  Partent des panaches énormes,
  Des lambrequins extravagants;

  Mais les casques ouverts sont vides
  Comme les timbres du blason;
  Seulement deux flammes livides
  Y luisent d'étrange façon.

  Toute la ferraille est assise
  Dans la salle du vieux manoir,
  Et, sur le mur, l'ombre indécise
  Donne à chaque hôte un page noir.

  Les liqueurs aux feux des bougies
  Ont des pourpres d'un ton suspect;
  Les mets dans leurs sauces rougies
  Prennent un singulier aspect.

  Parfois un corselet miroite,
  Un morion brille un moment
  Une pièce qui se déboîte
  Choit sur la nappe lourdement.

  L'on entend les battements d'ailes
  D'invisibles chauves-souris,
  Et les drapeaux des infidèles
  Palpitent le long du lambris.

  Avec des mouvements fantasques
  Courbant leurs phalanges d'airain,
  Les gantelets versent aux casques
  Des rasades de vin du Rhin,

  Ou découpent au fil des dagues
  Des sangliers sur des plats d'or...
  Cependant passent des bruits vagues
  Par les orgues du corridor.

  La débauche devient farouche,
  On n'entendrait pas tonner Dieu;
  Car, lorsqu'un fantôme découche,
  C'est le moins qu'il s'amuse un peu.

  Et la fantastique assemblée
  Se tracassant dans son harnois,
  L'orgie a sa rumeur doublée
  Du tintamarre des tournois.

  Gobelets, hanaps, vidrecomes,
  Vidés toujours, remplis en vain,
  Entre les mâchoires des heaumes
  Forment des cascades de vin.

  Les hauberts en bombent leurs ventres,
  Et le flot monte aux gorgerins;
  --Ils sont tous gris comme des chantres,
  Les vaillants comtes suzerains!

  L'un allonge dans la salade
  Nonchalamment ses pédieux.
  L'autre à son compagnon malade
  Fait un sermon fastidieux.

  Et des armures peu bégueules
  Rappellent, dardant leur boisson,
  Les lions lampassés de gueules
  Blasonnés sur leur écusson.

  D'une voix encore enrouée
  Par l'humidité du caveau,
  Max fredonne, ivresse enjouée,
  Un lied, en treize cents, nouveau,

  Albrecht, ayant le vin féroce,
  Se querelle avec ses voisins,
  Qu'il martèle, bossue et rosse,
  Comme il faisait des Sarrasins.

  Échauffé, Fritz ôte son casque,
  Jadis par un crâne habité,
  Ne pensant pas que sans son masque
  Il semble un tronc décapité.

  Bientôt ils roulent pêle-mêle
  Sous la table, parmi les brocs,
  Tête en bas, montrant la semelle
  De leurs souliers courbés en crocs.

  C'est un hideux champ de bataille
  Où les pots heurtent les armets,
  Où chaque mort par quelque entaille
  Au lieu de sang vomit des mets.

  Et Biorn, le poing sur la cuisse,
  Les contemple, morne et hagard,
  Tandis que, par le vitrail suisse,
  L'aube jette son bleu regard.

  La troupe, qu'un rayon traverse,
  Pâlit comme au jour un flambeau,
  Et le plus ivrogne se verse
  Le coup d'étrier du tombeau.

  Le coq chante, les spectres fuient
  Et, reprenant un air hautain,
  Sur l'oreiller de marbre appuient
  Leurs têtes lourdes du festin!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA MONTRE


  Deux fois je regarde ma montre,
  Et deux fois à mes yeux distraits
  L'aiguille au même endroit se montre;
  Il est une heure..., une heure après.

  La figure de la pendule
  En rit dans le salon voisin,
  Et le timbre d'argent module
  Deux coups vibrant comme un tocsin.

  Le cadran solaire me raille
  En m'indiquant, de son long doigt,
  Le chemin que sur la muraille
  A fait son ombre qui s'accroît.

  Le clocher avec ironie
  Dit le vrai chiffre et le beffroi,
  Reprenant la note finie,
  A l'air de se moquer de moi.

  Tiens! la petite bête est morte.
  Je n'ai pas mis hier encor,
  Tant ma rêverie était forte,
  Au trou de rubis la clef d'or!

  Et je ne vois plus, dans sa boîte,
  Le fin ressort du balancier
  Aller, venir, à gauche, à droite,
  Ainsi qu'un papillon d'acier.

  C'est bien de moi! Quand je chevauche
  L'Hippogriffe, au pays du Bleu,
  Mon corps sans âme se débauche,
  Et s'en va comme il plaît à Dieu!

  L'éternité poursuit son cercle
  Autour de ce cadran muet,
  Et le temps, l'oreille au couvercle,
  Cherche ce coeur qui remuait;

  Ce coeur que l'enfant croit en vie,
  Et dont chaque pulsation
  Dans notre poitrine est suivie
  D'une égale vibration,

  Il ne bat plus, mais son grand frère
  Toujours palpite à mon côté.
  --Celui que rien ne peut distraire,
  Quand je dormais, l'a remonté!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LES NÉRÉIDES


  J'ai dans ma chambre une aquarelle
  Bizarre, et d'un peintre avec qui
  Mètre et rime sont en querelle,
  --Théophile Kniatowski.

  Sur l'écume blanche qui frange
  Le manteau glauque de la mer
  Se groupent en bouquet étrange
  Trois nymphes, fleurs du gouffre amer.

  Comme des lys noyés, la houle
  Fait dans sa volute d'argent
  Danser leurs beaux corps qu'elle roule,
  Les élevant, les submergeant.

  Sur leurs têtes blondes, coiffées
  De pétoncles et de roseaux,
  Elles mêlent, coquettes fées,
  L'écrin et la flore des eaux.

  Vidant sa nacre, l'huître à perle
  Constelle de son blanc trésor
  Leur gorge, où le flot qui déferle
  Suspend d'autres perles encor.

  Et, jusqu'aux hanches soulevées
  Par le bras des Tritons nerveux,
  Elles luisent, d'azur lavées,
  Sous l'or vert de leurs longs cheveux.

  Plus bas, leur blancheur sous l'eau bleue
  Se glace d'un visqueux frisson,
  Et le torse finit en queue,
  Moitié femme, moitié poisson.

  Mais qui regarde la nageoire
  Et les reins aux squameux replis,
  En voyant les bustes d'ivoire
  Par le baiser des mers polis?

  A l'horizon,--piquant mélange
  De fable et de réalité,--
  Paraît un vaisseau qui dérange
  Le choeur marin épouvanté.

  Son pavillon est tricolore;
  Son tuyau vomit la vapeur;
  Ses haubes fouettent l'eau sonore,
  Et les nymphes plongent de peur.

  Sans crainte elles suivaient par troupes
  Les trirèmes de l'Archipel,
  Et les dauphins, arquant leurs croupes,
  D'Arion attendaient l'appel.

  Mais le steam-boat avec ses roues,
  Comme Vulcain battant Vénus,
  Souffletterait leurs belles joues
  Et meurtrirait leurs membres nus.

  Adieu, fraîche mythologie!
  Le paquebot passe et, de loin,
  Croit voir sur la vague élargie
  Une culbute de marsouin.

  [Illustration]




  [Illustration]

  LES
  ACCROCHE-COEURS


  Ravivant les langueurs nacrées
  De tes yeux battus et vainqueurs,
  En mèches de parfum lustrées
  Se courbent deux accroche-coeurs.

  A voir s'arrondir sur tes joues
  Leurs orbes tournés par tes doigts,
  On dirait les petites roues
  Du char de Mab fait d'une noix;

  Ou l'arc de l'Amour dont les pointes
  Pour une flèche à décocher,
  En cercle d'or se sont rejointes
  A la tempe du jeune archer.

  Pourtant un scrupule me trouble,
  Je n'ai qu'un coeur, alors pourquoi,
  Coquette, un accroche-coeur double?
  Qui donc y pends-tu près de moi?

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA ROSE-THE


  La plus délicate des roses
  Est, à coup sûr, la rose-thé.
  Son bouton, aux feuilles mi-closes
  De carmin à peine est teinté.

  On dirait une rose blanche
  Qu'aurait fait rougir de pudeur,
  En la lutinant sur la branche,
  Un papillon trop plein d'ardeur.

  Son tissu rose et diaphane
  De la chair a le velouté;
  Auprès, tout incarnat se fane
  Ou prend de la vulgarité.

  Comme un teint aristocratique
  Noircit les fronts bruns de soleil,
  De ses soeurs elle rend rustique
  Le coloris chaud et vermeil.

  Mais, si votre main qui s'en joue,
  A quelque bal, pour son parfum,
  La rapproche de votre joue,
  Son frais éclat devient commun.

  Il n'est pas de rose assez tendre
  Sur la palette du printemps,
  Madame, pour oser prétendre
  Lutter contre vos dix-sept ans.

  La peau vaut mieux que le pétale,
  Et le sang pur d'un noble coeur
  Qui sur la jeunesse s'étale,
  De tous les roses est vainqueur!

  [Illustration]




  [Illustration]

  CARMEN


  Carmen est maigre,--un trait de bistre
  Cerne son oeil de gitana.
  Ses cheveux sont d'un noir sinistre,
  Sa peau, le diable la tanna.

  Les femmes disent qu'elle est laide,
  Mais tous les hommes en sont fous:
  Et l'archevêque de Tolède
  Chante la messe à ses genoux;

  Car sur sa nuque d'ambre fauve
  Se tord un énorme chignon
  Qui, dénoué, fait dans l'alcôve
  Une mante à son corps mignon.

  Et, parmi sa pâleur, éclate
  Une bouche aux rires vainqueurs;
  Piment rouge, fleur écarlate,
  Qui prend sa pourpre au sang des coeurs.

  Ainsi faite, la moricaude
  Bat les plus altières beautés,
  Et de ses yeux la lueur chaude
  Rend la flamme aux satiétés.

  Elle a, dans sa laideur piquante,
  Un grain de sel de cette mer
  D'où jaillit, nue et provocante,
  L'âcre Vénus du gouffre amer.

  [Illustration]




  [Illustration]

  CE QUE DISENT
  LES
  HIRONDELLES

  CHANSON D'AUTOMNE


  Déjà plus d'une feuille sèche
  Parsème les gazons jaunis;
  Soir et matin, la brise est fraîche,
  Hélas! les beaux jours sont finis!

  On voit s'ouvrir les fleurs que garde
  Le jardin, pour dernier trésor:
  Le dahlia met sa cocarde
  Et le souci sa toque d'or.

  La pluie au bassin fait des bulles,
  Les hirondelles sur le toit
  Tiennent des conciliabules:
  Voici l'hiver, voici le froid!

  Elles s'assemblent par centaines,
  Se concertant pour le départ.
  L'une dit: «Oh! que dans Athènes
  Il fait bon sur le vieux rempart!

  «Tous les ans j'y vais et je niche
  Aux métopes du Parthénon.
  Mon nid bouche dans la corniche
  Le trou d'un boulet de canon.»

  L'autre: «J'ai ma petite chambre
  A Smyrne, au plafond d'un café.
  Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre
  Sur le seuil, d'un rayon chauffé.

  «J'entre et je sors, accoutumée
  Aux blondes vapeurs des chibouchs,
  Et parmi des flots de fumée,
  Je rase turbans et tarbouchs.»

  Celle-ci: «J'habite un triglyphe
  Au fronton d'un temple, à Balbeck.
  Je m'y suspends avec ma griffe
  Sur mes petits au large bec.»

  Celle-là: «Voici mon adresse:
  Rhodes, palais des chevaliers;
  Chaque hiver, ma tente s'y dresse
  Au chapiteau des noirs piliers.»

  La cinquième: «Je ferai halte,
  Car l'âge m'alourdit un peu,
  Aux blanches terrasses de Malte,
  Entre l'eau bleue et le ciel bleu.»

  La sixième: «Qu'on est à l'aise
  Au Caire, en haut des minarets!
  J'empâte un ornement de glaise,
  Et mes quartiers d'hiver sont prêts.»

  «A la seconde cataracte,
  Fait la dernière, j'ai mon nid;
  J'en ai noté la place exacte,
  Dans le pschent d'un roi de granit.»

  Toutes: «Demain combien de lieues
  Auront filé sous notre essaim,
  Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
  Brodant d'écume leur bassin!»

  Avec cris et battements d'ailes,
  Sur la moulure aux bords étroits,
  Ainsi jasent les hirondelles,
  Voyant venir la rouille aux bois.

  Je comprends tout ce qu'elles disent,
  Car le poëte est un oiseau;
  Mais, captif, ses élans se brisent
  Contre un invisible réseau!

  Des ailes! des ailes! des ailes!
  Comme dans le chant de Ruckert,
  Pour voler, là-bas avec elles
  Au soleil d'or, au printemps vert!

  [Illustration]




  [Illustration]

  NOËL


  Le ciel est noir, la terre est blanche;
  --Cloches, carillonnez gaîment!--
  Jésus est né.--La Vierge penche
  Sur lui son visage charmant.

  Pas de courtines festonnées
  Pour préserver l'enfant du froid,
  Rien que les toiles d'araignées
  Qui pendent des poutres du toit.

  Il tremble sur la paille fraîche,
  Ce cher petit enfant Jésus,
  Et pour l'échauffer dans sa crèche
  L'âne et le boeuf soufflent dessus.

  La neige au chaume coud ses franges,
  Mais sur le toit s'ouvre le ciel
  Et, tout en blanc, le choeur des anges
  Chante aux bergers: «_Noël! Noël!_»

  [Illustration]




  [Illustration]

  LES JOUJOUX
  DE LA MORTE


  La petite Marie est morte,
  Et son cercueil est si peu long
  Qu'il tient sous le bras qui l'emporte
  Comme un étui de violon.

  Sur le tapis et sur la table
  Traîne l'héritage enfantin.
  Les bras ballants, l'air lamentable,
  Tout affaissé, gît le pantin.

  Et si la poupée est plus ferme,
  C'est la faute de son bâton;
  Dans son oeil une larme germe,
  Un soupir gonfle son carton.

  Une dînette abandonnée
  Mêle ses plats de bois verni
  A la troupe désarçonnée
  Des écuyers de Franconi.

  La boîte à musique est muette;
  Mais, quand on pousse le ressort
  Où se posait sa main fluette,
  Un murmure plaintif en sort.

  L'émotion chevrote et tremble
  Dans: _Ah! vous dirai-je, maman?_
  Le _Quadrille des Lanciers_ semble
  Triste comme un enterrement.

  Et des pleurs vous mouillent la joue
  Quand _la Donna è mobile_,
  Sur le rouleau qui tourne et joue,
  Expire avec un son filé.

  Le coeur se navre à ce mélange
  Puérilement douloureux,
  Joujoux d'enfant laissés par l'ange,
  Berceau que la tombe a fait creux!

  [Illustration]




  [Illustration]

  APRÈS
  LE FEUILLETON


  Mes colonnes sont alignées,
  Au portique du feuilleton;
  Elles supportent, résignées,
  Du journal le pesant fronton.

  Jusqu'à lundi je suis mon maître.
  Au diable chefs-d'oeuvre mort-nés!
  Pour huit jours je puis me permettre
  De vous fermer ma porte au nez.

  Les ficelles des mélodrames
  N'ont plus le droit de se glisser
  Parmi les fils soyeux des trames
  Que mon caprice aime à tisser.

  Voix de l'âme et de la nature,
  J'écouterai vos purs sanglots,
  Sans que les couplets de facture
  M'étourdissent de leurs grelots,

  Et portant, dans mon verre à côtes
  La santé du temps disparu,
  Avec mes vieux rêves pour hôtes
  Je boirai le vin de mon cru:

  Le vin de ma propre pensée,
  Vierge de toute autre liqueur,
  Et que, par la vie écrasée,
  Répand la grappe de mon coeur!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LE CHATEAU
  DU SOUVENIR


  La main au front, le pied dans l'âtre,
  Je songe et cherche à revenir,
  Par delà le passé grisâtre,
  Au vieux château du Souvenir.

  Une gaze de brume estompe
  Arbres, maisons, plaines, coteaux,
  Et l'oeil au carrefour qui trompe
  En vain consulte les poteaux.

  J'avance parmi les décombres
  De tout un monde enseveli,
  Dans le mystère des pénombres,
  A travers des limbes d'oubli.

  Mais voici, blanche et diaphane,
  La Mémoire, au bord du chemin,
  Qui me remet, comme Ariane,
  Son peloton de fil en main.

  Désormais la route est certaine;
  Le soleil voilé reparaît,
  Et du château la tour lointaine
  Pointe au-dessus de la forêt.

  Sous l'arcade où le jour s'émousse,
  De feuilles en feuilles tombant,
  Le sentier ancien dans la mousse
  Trace encor son étroit ruban.

  Mais la ronce en travers s'enlace:
  La liane tend son filet,
  Et la branche que je déplace
  Revient et me donne un soufflet.

  Enfin au bout de la clairière,
  Je découvre du vieux manoir
  Les tourelles en poivrière
  Et les hauts toits en éteignoir.

  Sur le comble aucune fumée
  Rayant le ciel d'un bleu sillon;
  Pas une fenêtre allumée
  D'une figure ou d'un rayon.

  Les chaînes du pont sont brisées;
  Aux fossés la lentille d'eau
  De ses taches vert-de-grisées
  Étale le glauque rideau.

  Des tortuosités de lierre
  Pénètrent dans chaque refend,
  Payant la tour hospitalière
  Qui les soutient... en l'étouffant.

  Le porche à la lune se ronge,
  Le temps le sculpte à sa façon,
  Et la pluie a passé l'éponge
  Sur les couleurs de mon blason.

  Tout ému, je pousse la porte
  Qui cède et geint sur ses pivots;
  Un air froid en sort et m'apporte
  Le fade parfum des caveaux.

  L'ortie aux morsures aiguës,
  La bardane aux larges contours,
  Sous les ombelles des ciguës,
  Prospèrent dans l'angle des cours.

  Sur les deux chimères de marbre,
  Gardiennes du perron verdi,
  Se découpe l'ombre d'un arbre
  Pendant mon absence grandi.

  Levant leurs pattes de lionne
  Elles se mettent en arrêt.
  Leur regard blanc me questionne
  Mais je leur dis le mot secret.

  Et je passe.--Dressant sa tête,
  Le vieux chien retombe assoupi,
  Et mon pas sonore inquiète
  L'écho dans son coin accroupi.

  Un jour louche et douteux se glisse
  Aux vitres jaunes du salon
  Où figurent, en haute lisse,
  Les aventures d'Apollon.

  Daphné, les hanches dans l'écorce,
  Étend toujours ses doigts touffus;
  Mais aux bras du dieu qui la force,
  Elle s'éteint, spectre confus.

  Apollon, chez Admète, garde
  Un troupeau, des mites atteint;
  Les neuf Muses, troupe hagarde,
  Pleurent sur un Pinde déteint;

  Et la Solitude en chemise
  Trace au doigt le mot: «Abandon»
  Dans la poudre qu'elle tamise
  Sur le marbre du guéridon.

  Je retrouve au long des tentures,
  Comme des hôtes endormis,
  Pastels blafards, sombres peintures,
  Jeunes beautés et vieux amis.

  Ma main tremblante enlève un crêpe,
  Et je vois mon défunt amour,
  Jupons bouffants, taille de guêpe,
  La Cidalise en Pompadour!

  Un bouton de rose s'entr'ouvre
  A son corset enrubanné,
  Dont la dentelle à demi couvre
  Un sein neigeux d'azur veiné;

  Ses yeux ont de moites paillettes,
  Comme aux feuilles que le froid mord,
  Sa pourpre monte à ses pommettes,
  Éclat trompeur, fard de la mort!

  Elle tressaille à mon approche,
  Et son regard, triste et charmant,
  Sur le mien, d'un air de reproche,
  Se fixe douloureusement.

  Bien que la vie au loin m'emporte,
  Ton nom dans mon coeur est marqué,
  Fleur de pastel, gentille morte,
  Ombre en habit de bal masqué!

  La nature de l'art jalouse,
  Voulant dépasser Murillo,
  A Paris créa l'Andalouse
  Qui rit dans le second tableau.

  Par un caprice poétique,
  Notre climat brumeux para
  D'une grâce au charme exotique
  Cette autre Petra Camara.

  De chaudes teintes orangées
  Dorent sa joue au fard vermeil;
  Ses paupières de jais frangées
  Filtrent des rayons de soleil.

  Entre ses lèvres d'écarlate
  Scintille un éclair argenté,
  Et sa beauté splendide éclate
  Comme une grenade en été.

  Au son des guitares d'Espagne
  Ma voix longtemps la célébra.
  Elle vint un jour, sans compagne,
  Et ma chambre fut l'Alhambra.

  Plus loin une beauté robuste,
  Aux bras forts cerclés d'anneaux lourds,
  Sertit le marbre de son buste
  Dans les perles et le velours.

  D'un air de reine qui s'ennuie
  Au sein de sa cour à genoux,
  Superbe et distraite, elle appuie
  La main sur un coffre à bijoux.

  Sa bouche humide et sensuelle
  Semble rouge du sang des coeurs,
  Et, pleins de volupté cruelle,
  Ses yeux ont des défis vainqueurs.

  Ici, plus de grâce touchante,
  Mais un attrait vertigineux.
  On dirait la Vénus méchante
  Qui préside aux amours haineux.

  Cette Vénus, mauvaise mère,
  Souvent a battu Cupidon.
  O toi, qui fus ma joie amère,
  Adieu pour toujours... et pardon!

  Dans son cadre, que l'ombre moire,
  Au lieu de réfléchir mes traits,
  La glace ébauche de mémoire
  Le plus ancien de mes portraits.

  Spectre rétrospectif qui double
  Un type à jamais effacé,
  Il sort du fond du miroir trouble
  Et des ténèbres du passé.

  Dans son pourpoint de satin rose,
  Qu'un goût hardi coloria,
  Il semble chercher une pose
  Pour Boulanger ou Devéria.

  Terreur du bourgeois glabre et chauve,
  Une chevelure à tous crins
  De roi franc ou de lion fauve
  Roule en torrent jusqu'à ses reins.

  Tel, romantique opiniâtre,
  Soldat de l'art qui lutte encor,
  Il se ruait vers le théâtre
  Quand d'Hernani sonnait le cor.

  ... La nuit tombe et met avec l'ombre
  Ses terreurs aux recoins dormants.
  L'inconnu, machiniste sombre,
  Monte ses épouvantements.

  Des explosions de bougies
  Crèvent soudain sur les flambeaux!
  Leurs auréoles élargies
  Semblent des lampes de tombeaux.

  Une main d'ombre ouvre la porte
  Sans en faire grincer la clé.
  D'hôtes pâles qu'un souffle apporte
  Le salon se trouve peuplé.

  Les portraits quittent la muraille,
  Frottant de leurs mouchoirs jaunis,
  Sur leur visage qui s'éraille,
  La crasse fauve du vernis.

  D'un reflet rouge illuminée,
  La bande se chauffe les doigts
  Et fait cercle à la cheminée
  Où tout à coup flambe le bois.

  L'image au sépulcre ravie
  Perd son aspect roide et glacé;
  La chaude pourpre de la vie
  Remonte aux veines du passé.

  Les masques blafards se colorent
  Comme au temps où je les connus.
  O vous que mes regrets déplorent,
  Amis, merci d'être venus!

  Les vaillants de dix-huit cent trente,
  Je les revois tels que jadis.
  Comme les pirates d'Otrante
  Nous étions cent, nous sommes dix.

  L'un étale sa barbe rousse
  Comme Frédéric dans son roc,
  L'autre superbement retrousse
  Le bout de sa moustache en croc.

  Drapant sa souffrance secrète
  Sous les fiertés de son manteau,
  Pétrus fume une cigarette
  Qu'il baptise papelito.

  Celui-ci me conte ses rêves,
  Hélas! jamais réalisés,
  Icare tombé sur les grèves
  Où gisent les essors brisés.

  Celui-là me confie un drame
  Taillé sur le nouveau patron
  Qui fait, mêlant tout dans sa trame,
  Causer Molière et Calderon.

  Tom, qu'un abandon scandalise,
  Récite «Love's labours lost»,
  Et Fritz explique à Cidalise
  Le «Walpurgisnachtstraum» de Faust.

  Mais le jour luit à la fenêtre;
  Et les spectres, moins arrêtés,
  Laissent les objets transparaître
  Dans leurs diaphanéités.

  Les cires fondent consumées;
  Sous les cendres s'éteint le feu,
  Du parquet montent des fumées;
  Château du Souvenir, adieu!

  Encore une autre fois décembre
  Va retourner le sablier.
  Le présent entre dans ma chambre
  Et me dit en vain d'oublier.

  [Illustration]




  [Illustration]

  CAMÉLIA
  ET
  PAQUERETTE


  On admire les fleurs de serre
  Qui loin de leur soleil natal,
  Comme des joyaux mis sous verre,
  Brillent sous un ciel de cristal.

  Sans que les brises les effleurent
  De leurs baisers mystérieux,
  Elles naissent, vivent et meurent
  Devant le regard curieux.

  A l'abri de murs diaphanes,
  De leur sein ouvrant le trésor,
  Comme de belles courtisanes,
  Elles se vendent à prix d'or.

  La porcelaine de la Chine
  Les reçoit par groupes coquets,
  Ou quelque main gantée et fine
  Au bal les balance en bouquets.

  Mais souvent parmi l'herbe verte,
  Fuyant les yeux, fuyant les doigts,
  De silence et d'ombre couverte,
  Une fleur vit au fond des bois.

  Un papillon blanc qui voltige,
  Un coup d'oeil au hasard jeté,
  Vous fait surprendre sur sa tige
  La fleur dans sa simplicité,

  Belle de sa parure agreste
  S'épanouissant au ciel bleu,
  Et versant son parfum modeste
  Pour la solitude et pour Dieu.

  Sans toucher à son pur calice
  Qu'agite un frisson de pudeur,
  Vous respirez avec délice
  Son âme dans sa fraîche odeur.

  Et tulipes au port superbe,
  Camélias si cher payés,
  Pour la petite fleur sous l'herbe,
  En un instant, sont oubliés!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA FELLAH

  SUR UNE AQUARELLE DE LA PRINCESSE M...


  Caprice d'un pinceau fantasque
  Et d'un impérial loisir,
  Votre fellah, sphinx qui se masque,
  Propose une énigme au désir.

  C'est une mode bien austère
  Que ce masque et cet habit long,
  Elle intrigue par son mystère
  Tous les OEdipes du salon.

  L'antique Isis légua ses voiles
  Aux modernes filles du Nil;
  Mais, sous le bandeau, deux étoiles
  Brillent d'un feu pur et subtil.

  Ces yeux qui sont tout un poème
  De langueur et de volupté
  Disent, résolvant le problème,
  «Sois l'amour, je suis la beauté.»

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA MANSARDE


  Sur les tuiles où se hasarde
  Le chat guettant l'oiseau qui boit,
  De mon balcon une mansarde
  Entre deux tuyaux s'aperçoit.

  Pour la parer d'un faux bien-être,
  Si je mentais comme un auteur,
  Je pourrais faire à sa fenêtre
  Un cadre de pois de senteur,

  Et vous y montrer Rigolette
  Riant à son petit miroir,
  Dont le tain rayé ne reflète
  Que la moitié de son oeil noir;

  Ou, la robe encor sans agrafe,
  Gorge et cheveux au vent, Margot
  Arrosant avec sa carafe
  Son jardin planté dans un pot;

  Ou bien quelque jeune poète
  Qui scande ses vers sibyllins,
  En contemplant la silhouette
  De Montmartre et de ses moulins.

  Par malheur, ma mansarde est vraie,
  Il n'y grimpe aucun liseron,
  Et la vitre y fait voir sa taie,
  Sous l'ais verdi d'un vieux chevron.

  Pour la grisette et pour l'artiste,
  Pour le veuf et pour le garçon,
  Une mansarde est toujours triste:
  Le grenier n'est beau qu'en chanson.

  Jadis, sous le comble dont l'angle
  Penchait les fronts pour le baiser,
  L'amour, content d'un lit de sangle,
  Avec Suzon venait causer.

  Mais pour ouater notre joie,
  Il faut des murs capitonnés,
  Des flots de dentelle et de soie,
  Des lits par Monbro festonnés.

  Un soir, n'étant pas revenue,
  Margot s'attarde au mont Breda,
  Et Rigolette entretenue
  N'arrose plus son réséda.

  Voilà longtemps que le poète
  Las de prendre la rime au vol,
  S'est fait _reporter_ de gazette,
  Quittant le ciel pour l'entresol.

  Et l'on ne voit contre la vitre
  Qu'une vieille au maigre profil,
  Devant Minet, qu'elle chapitre,
  Tirant sans cesse un bout de fil.

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA NUE


  A l'horizon monte une nue,
  Sculptant sa forme dans l'azur:
  On dirait une vierge nue
  Émergeant d'un lac au flot pur.

  Debout dans sa conque nacrée,
  Elle vogue sur le bleu clair.
  Comme une Aphrodite éthérée,
  Faite de l'écume de l'air;

  On voit onder en molles poses
  Son torse au contour incertain,
  Et l'aurore répand des roses
  Sur son épaule de satin.

  Ses blancheurs de marbre et de neige
  Se fondent amoureusement
  Comme, au clair-obscur du Corrége,
  Le corps d'Antiope dormant.

  Elle plane dans la lumière
  Plus haut que l'Alpe ou l'Apennin;
  Reflet de la beauté première,
  Soeur de «l'éternel féminin».

  A son corps, en vain retenue,
  Sur l'aile de la passion,
  Mon âme vole à cette nue
  Et l'embrasse comme Ixion.

  La raison dit: «Vague fumée,
  Où l'on croit voir ce qu'on rêva,
  Ombre au gré du vent déformée,
  Bulle qui crève et qui s'en va!»

  Le sentiment répond: «Qu'importe!
  Qu'est-ce après tout que la beauté?
  Spectre charmant qu'un souffle emporte
  Et qui n'est rien, ayant été!

  «A l'Idéal ouvre ton âme,
  Mets dans ton coeur beaucoup de ciel,
  Aime une nue, aime une femme,
  Mais aime!--C'est l'essentiel!»

  [Illustration]




  [Illustration]

  LE MERLE


  Un oiseau siffle dans les branches
  Et sautille gai, plein d'espoir,
  Sur les herbes, de givre blanches,
  En bottes jaunes, en frac noir.

  C'est un merle, chanteur crédule,
  Ignorant du calendrier,
  Qui rêve soleil, et module
  L'hymne d'avril en février.

  Pourtant il vente, il pleut à verse;
  L'Arve jaunit le Rhône bleu,
  Et le salon tendu de perse,
  Tient tous ses hôtes près du feu.

  Les monts sur l'épaule ont l'hermine,
  Comme des magistrats siégeant;
  Leur blanc tribunal examine
  Un cas d'hiver se prolongeant.

  Lustrant son aile qu'il essuie,
  L'oiseau persiste en sa chanson,
  Malgré neige, brouillard et pluie,
  Il croit à la jeune saison.

  Il gronde l'aube paresseuse
  De rester au lit si longtemps
  Et, gourmandant la fleur frileuse,
  Met en demeure le printemps.

  Il voit le jour derrière l'ombre;
  Tel un croyant, dans le saint lieu,
  L'autel désert, sous la nef sombre,
  Avec sa foi voit toujours Dieu.

  A la nature il se confie,
  Car son instinct pressent la loi.
  Qui rit de ta philosophie,
  Beau merle, est moins sage que toi!

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA FLEUR
  QUI FAIT
  LE PRINTEMPS


  Les marronniers de la terrasse
  Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean,
  La villa d'où la vue embrasse
  Tant de monts bleus coiffés d'argent.

  La feuille, hier encor pliée
  Dans son étroit corset d'hiver,
  Met sur la branche déliée
  Les premières touches de vert.

  Mais en vain le soleil excite
  La sève des rameaux trop lents;
  La fleur retardataire hésite
  A faire voir ses thyrses blancs.

  Pourtant le pêcher est tout rose,
  Comme un désir de la pudeur.
  Et le pommier, que l'aube arrose,
  S'épanouit dans sa candeur.

  La véronique s'aventure
  Près des boutons d'or dans les prés,
  Les caresses de la nature
  Hâtent les germes rassurés.

  Il me faut retourner encor
  Au cercle d'enfer où je vis;
  Marronniers, pressez-vous d'éclore
  Et d'éblouir mes yeux ravis.

  Vous pouvez sortir pour la fête
  Vos girandoles sans péril,
  Un ciel bleu luit sur votre faîte
  Et déjà mai talonne avril.

  Par pitié donnez cette joie
  Au poète dans ses douleurs,
  Qu'avant de s'en aller, il voie
  Vos feux d'artifice de fleurs.

  Grands marronniers de la terrasse,
  Si fiers de vos splendeurs d'été,
  Montrez-vous à moi dans la grâce
  Qui précède votre beauté.

  Je connais vos riches livrées,
  Quand octobre, ouvrant son essor,
  Vous met des tuniques pourprées,
  Vous pose des couronnes d'or.

  Je vous ai vus, blanches ramées,
  Pareils aux dessins que le froid
  Aux vitres d'argent étamées
  Trace, la nuit, avec son doigt.

  Je sais tous vos aspects superbes,
  Arbres géants, vieux marronniers,
  Mais j'ignore vos fraîches gerbes
  Et vos aromes printaniers.

  Adieu, je pars lassé d'attendre;
  Gardez vos bouquets éclatants!
  Une autre fleur suave et tendre,
  Seule à mes yeux fait le printemps.

  Que mai remporte sa corbeille!
  Il me suffit de cette fleur;
  Toujours pour l'âme et pour l'abeille
  Elle a du miel pur dans le coeur.

  Par le ciel d'azur ou de brume
  Par la chaude ou froide saison,
  Elle sourit, charme et parfume,
  Violette de la maison!

  [Illustration]




  [Illustration]

  DERNIER VOEU


  Voilà longtemps que je vous aime:
  --L'aveu remonte à dix-huit ans!--
  Vous êtes rose, je suis blême,
  J'ai les hivers, vous les printemps.

  Des lilas blancs de cimetière
  Près de mes tempes ont fleuri;
  J'aurai bientôt la touffe entière
  Pour ombrager mon front flétri.

  Mon soleil pâli qui décline
  Va disparaître à l'horizon,
  Et sur la funèbre colline
  Je vois ma dernière maison.

  Oh! que de votre lèvre il tombe
  Sur ma lèvre un tardif baiser,
  Pour que je puisse dans ma tombe,
  Le coeur tranquille, reposer!

  [Illustration]




  [Illustration]

  PLAINTIVE
  TOURTERELLE


  Plaintive tourterelle,
  Qui roucoules toujours,
  Veux-tu prêter ton aile
  Pour servir mes amours!

  Comme toi, pauvre amante,
  Bien loin de mon ramier,
  Je pleure et me lamente
  Sans pouvoir l'oublier.

  Vole et que ton pied rose
  Sur l'arbre ou sur la tour
  Jamais ne se repose,
  Car je languis d'amour.

  Évite, ô ma colombe,
  La halte des palmiers
  Et tous les toits où tombe
  La neige des ramiers.

  Va droit sur sa fenêtre,
  Près du palais du roi,
  Donne-lui cette lettre
  Et deux baisers pour moi.

  Puis sur mon sein en flamme
  Qui ne peut s'apaiser,
  Reviens, avec son âme,
  Reviens te reposer.

  [Illustration]




  [Illustration]

  LA
  BONNE SOIRÉE


  Quel temps de chien!--il pleut, il neige
  Les cochers, transis sur leur siège,
        Ont le nez bleu.
  Par ce vilain soir de décembre,
  Qu'il ferait bon garder la chambre,
        Devant son feu!

  A l'angle de la cheminée
  La chauffeuse capitonnée
        Vous tend les bras
  Et semble avec une caresse
  Vous dire comme une maîtresse:
        «Tu resteras!»

  Un papier rose à découpures,
  Comme un sein blanc sous des guipures,
        Voile à demi
  Le globe laiteux de la lampe
  Dont le reflet au plafond rampe,
        Tout endormi.

  On n'entend rien dans le silence
  Que le pendule qui balance
        Son disque d'or,
  Et que le vent qui pleure et rôde,
  Parcourant, pour entrer en fraude,
        Le corridor.

  C'est bal à l'ambassade anglaise;
  Mon habit noir est sur la chaise,
        Les bras ballants;
  Mon gilet bâille et ma chemise
  Semble dresser, pour être mise,
        Ses poignets blancs.

  Les brodequins à pointe étroite
  Montrent leur vernis qui miroite,
        Au feu placés;
  A côté des minces cravates
  S'allongent comme des mains plates
        Les gants glacés.

  Il faut sortir!--quelle corvée!
  Prendre la file à l'arrivée
        Et suivre au pas
  Les coupés des beautés altières
  Portant blasons sur leurs portières
        Et leurs appas.

  Rester debout contre une porte
  A voir se ruer la cohorte
        Des invités;
  Les vieux museaux, les frais visages,
  Les fracs en coeur et les corsages
        Décolletés;

  Les dos où fleurit la pustule,
  Couvrant leur peau rouge d'un tulle
        Aérien;
  Les dandys et les diplomates,
  Sur leurs faces à teintes mates,
        Ne montrant rien.

  Et ne pouvoir franchir la haie
  Des douairières aux yeux d'orfraie
        Ou de vautour,
  Pour aller dire à son oreille
  Petite, nacrée et vermeille,
        Un mot d'amour!

  Je n'irai pas!--et ferai mettre
  Dans son bouquet un bout de lettre,
        A l'Opéra.
  Par les violettes de Parme,
  La mauvaise humeur se désarme:
        Elle viendra!

  J'ai là l'_Intermezzo_ de Heine,
  Le _Thomas Grain-d'orge_ de Taine,
        Les deux Goncourt,
  Le temps, jusqu'à l'heure où s'achève
  Sur l'oreiller l'idée en rêve,
        Me sera court.

  [Illustration]




  [Illustration]

  L'ART


  Oui, l'oeuvre sort plus belle
  D'une forme au travail
        Rebelle,
  Vers, marbre, onyx, émail.

  Point de contraintes fausses!
  Mais que pour marcher droit
        Tu chausses,
  Muse, un cothurne étroit.

  Fi du rhythme commode,
  Comme un soulier trop grand,
        Du mode
  Que tout pied quitte et prend!

  Statuaire, repousse
  L'argile que pétrit
        Le pouce
  Quand flotte ailleurs l'esprit,

  Lutte avec le carrare,
  Avec le paros dur
        Et rare,
  Gardiens du contour pur;

  Emprunte à Syracuse
  Son bronze où fermement
        S'accuse
  Le trait fier et charmant;

  D'une main délicate
  Poursuis dans un filon
        D'agate
  Le profil d'Apollon.

  Peintre, fuis l'aquarelle,
  Et fixe la couleur
        Trop frêle
  Au four de l'émailleur.

  Fais les sirènes bleues,
  Tordant de cent façons
        Leurs queues,
  Les monstres des blasons,

  Dans son nimbe trilobe
  La Vierge et son Jésus,
        Le globe
  Avec la croix dessus.

  Tout passe.--L'art robuste
  Seul a l'éternité,
        Le buste
  Survit à la cité.

  Et la médaille austère
  Que trouve un laboureur
        Sous terre
  Révèle un empereur.

  Les dieux eux-mêmes meurent,
  Mais les vers souverains
        Demeurent
  Plus forts que les airains.

  Sculpte, lime, cisèle;
  Que ton rêve flottant
        Se scelle
  Dans le bloc résistant!

  [Illustration]




  TABLE


  PRÉFACE                                        1

  AFFINITÉS SECRÈTES, madrigal panthéiste        3

  LE POÈME DE LA FEMME, marbre de Paros          7

  ÉTUDE DE MAINS.

     I. Impéria                                 11

    II. Lacenaire                               15

  VARIATIONS SUR LE CARNAVAL DE VENISE.

      I. Dans la rue                            19

     II. Sur les lagunes                        23

    III. Carnaval                               27

     IV. Clair de lune sentimental              31

  SYMPHONIE EN BLANC MAJEUR                     35

  COQUETTERIE POSTHUME                          39

  DIAMANT DU COEUR                              43

  PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS                  47

  CONTRALTO                                     51

  CÆRULEI OCULI                                 55

  RONDALLA                                      59

  NOSTALGIES D'OBÉLISQUES.

     I. L'obélisque de Paris                    63

    II. L'obélisque de Luxor                    67

  VIEUX DE LA VIEILLE, 15 décembre              71

  TRISTESSE EN MER                              77

  A UNE ROBE ROSE                               81

  LE MONDE EST MÉCHANT                          83

  INÈS DE LAS SIERRAS                           85

  ODELETTE ANACRÉONTIQUE                        91

  FUMÉE                                         93

  APOLLONIE                                     95

  L'AVEUGLE                                     97

  LIED                                          99

  FANTAISIES D'HIVER                           101

  LA SOURCE                                    105

  BUCHERS ET TOMBEAUX                          107

  LE SOUPER DES ARMURES                        113

  LA MONTRE                                    121

  LES NÉRÉIDES                                 125

  LES ACCROCHE-COEURS                          129

  LA ROSE-THÉ                                  131

  CARMEN                                       133

  CE QUE DISENT LES HIRONDELLES                135

  NOEL                                         139

  LES JOUJOUX DE LA MORTE                      141

  APRÈS LE FEUILLETON                          145

  LE CHATEAU DU SOUVENIR                       147

  CAMÉLIA ET PAQUERETTE                        159

  LA FELLAH                                    163

  LA MANSARDE                                  165

  LA NUE                                       169

  LE MERLE                                     173

  LA FLEUR QUI FAIT LE PRINTEMPS               175

  DERNIER VOEU                                 179

  PLAINTIVE TOURTERELLE                        181

  LA BONNE SOIRÉE                              183

  L'ART                                        187

  [Illustration]


  Imp. de Malherbe, 12, passage des Favorites, Paris


       *       *       *       *       *


    Liste des modifications:

  Page  52: «Touve» remplacé par «Trouve» (Trouve dans sa métamorphose)
  Page  68: «caparaces» par «carapaces» (Demi-cuits dans leurs carapaces)
  Page 105: «quelque» par «quelques» (Qui sait?--Après quelques détours)
  Page 115: «livide» par «livides» (Seulement deux flammes livides)
  Page 136: «suspens» par «suspends» (Je m'y suspends avec ma griffe)
  Page 137: «mer» par «mers» (Plaines brunes, pics blancs, mers bleues)
  Page 142: «chevrotte» par «chevrote» (L'émotion chevrote et tremble)
  Page 150: «Elle» par «Elles» (Elles se mettent en arrêt.)
  Page 167: «vielle» par «vieille» (Qu'une vieille au maigre profil)
  Page 189: «fort» par «forts» (Plus forts que les airains.)





End of the Project Gutenberg EBook of Émaux et Camées, by Théophile Gautier

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ÉMAUX ET CAMÉES ***

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Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
[email protected].  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     [email protected]


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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where we have not received written confirmation of compliance.  To
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particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
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