The Project Gutenberg EBook of Oeuvres de Champlain, by Samuel de Champlain
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Title: Oeuvres de Champlain
Author: Samuel de Champlain
Editor: Abbé C.-H. Laverdière, M.A. 1870
Release Date: December 8, 2005 [EBook #17258]
Language: French
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OEUVRES
DE
CHAMPLAIN
PUBLIÉES
SOUS LE PATRONAGE
DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
PAR
L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ
SECONDE ÉDITION
TOME I
QUÉBEC
Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS
1870
i PRÉFACE
Dès le moment que l'on commença à étudier plus intimement
l'histoire du Canada, on sentit de suite la nécessité de
recourir aux sources, et de s'appuyer sur des documents
irréprochables. Naturellement, l'historien devait tout
d'abord porter ses regards sur l'un des plus anciens, comme
des plus fidèles témoins de nos origines canadiennes, sur
celui que tout le pays peut à bon droit revendiquer comme
son père et son fondateur, sur Champlain. La part immense
qu'il prit aux premières fondations tant civiles que
religieuses de ce pays, sa droiture, son intégrité,
l'étendue et la variété de ses connaissances, la position
avantageuse qu'il occupait vis-à-vis des personnages les
plus influents de la cour de France, suffiraient sans doute
pour donner à sa parole la plus haute autorité. Mais ce qui
ajoute encore une valeur singulière aux écrits de Champlain,
c'est qu'il est pour ainsi dire le seul de nos plus anciens
auteurs que l'on puisse regarder comme source historique
proprement dite. Que nous apprend Lescarbot, par exemple, en
ii dehors de ce qui concerne l'Acadie? Presque tous les détails
qu'il nous donne sur le fleuve Saint-Laurent, sur Québec et
sur le reste du Canada, il les emprunte à Champlain, quand
il ne cite pas Cartier. Sagard lui-même, à part les
renseignements qu'il a pu recueillir de la bouche des
religieux de son ordre, ne parle souvent que d'après le
récit de Champlain, qu'il s'approprie sans lui en tenir
compte. Sagard, d'ailleurs, ne fit que passer en Canada, par
conséquent, dans bien des cas, il ne peut guères que parler
sur le témoignage d'autrui, ce dont nous sommes loin, du
reste, de lui faire un reproche.
Tandis que Champlain est témoin oculaire de presque tout ce
qu'il rapporte, et que son récit a l'immense avantage
d'être comme un journal fidèle et régulier, où se trouvent
consignées tour à tour les découvertes et les fondations, la
narration pure et simple des événements, et l'appréciation
des fautes ou des succès qui les accompagnèrent.
La seule importance des ouvrages de Champlain suffisait donc
pour en motiver une nouvelle édition. Mais à cette première
raison venait s'en joindre une seconde: l'excessive rareté
et par suite le prix exorbitant des éditions anciennes. On
ne connaît qu'un seul exemplaire du Voyage de 1603, celui de
la Bibliothèque Impériale de Paris. L'édition de 1613 est si
iii rare, qu'à peine pourrait-on en trouver dix exemplaires dans
tout le pays; encore n'y a-t-il que celui de la bibliothèque
de l'Université Laval qui soit parfaitement complet, et qui
renferme la grande carte de 1612, et les deux tirages de la
petite carte. Nous avons nous-même, dans l'intérêt de la
présente édition, payé cet exemplaire 500 fr. à Paris (somme
que M. Desbarats a eu la générosité de nous rembourser plus
tard). L'édition de 1619 est peut-être encore plus rare.
Celle de 1632, que l'on trouve aussi très-difficilement, ne
se vend pas moins de 200 fr., même sans la carte, et cette
carte est si rare, qu'il n'y a, à notre connaissance, que
l'exemplaire de la Bibliothèque Fédérale qui la renferme.
Il devenait donc absolument nécessaire de rendre plus
accessible une source aussi féconde. Mais comment trouver,
en Canada, les moyens de reproduire dignement un travail
si considérable, illustré de tant de dessins et de cartes?
Pareille entreprise était, ce semble, réservée à quelque
société littéraire ou scientifique. De fait, le président de
la Société Littéraire et Historique de Montréal, M. l'abbé
H. Verreau, Principal de l'école normale Jacques-Cartier,
ami dévoué de notre histoire, admirateur sincère de
Champlain, avait formé, à peu près en même temps que nous,
le projet d'une publication qui fît honneur au père de la
iv patrie. Mais il nous semblait que Québec devait se faire un
devoir de publier les oeuvres de son fondateur, et la
Société Historique de Montréal non-seulement n'y mit point
d'obstacle, mais voulut même contribuer en quelque sorte à
encourager cette entreprise, en nous permettant d'utiliser
les matériaux qu'elle avait déjà commencé à réunir.
C'était en 1858. Nous n'avions encore fait nous-même que
quelques recherches préliminaires. Mais il était facile de
prévoir dès lors deux difficultés, dont chacune pouvait à
elle seule nous arrêter. Il fallait d'abord compter comme
toujours avec les moyens pécuniaires; et, en second lieu,
nous n'étions pas libre de disposer de tout le temps
nécessaire à l'accomplissement d'une tâche aussi rude.
Une pensée généreuse, due à l'un de ces hommes qui savent
s'élever au-dessus des préjugés du vulgaire, pour ne
chercher dans l'histoire que la pure et franche vérité, vint
tout à coup aplanir les obstacles, et donner une nouvelle
vie à toutes nos espérances. En 1864, M. John Langton,
lauréat d'Oxford, président alors de la Société Littéraire
et Historique de Québec, voulut lui aussi élever un monument
à la mémoire de Champlain. La faiblesse des ressources que
pouvait mettre à sa disposition la Société Historique, et
plus encore peut-être un sentiment de délicatesse que nous
v nous serions fait un reproche de n'avoir point apprécié,
furent les seules causes, croyons-nous, qui empêchèrent M.
Langton de réaliser le plan qu'il avait fort à coeur.
Néanmoins, cette heureuse pensée ne fut pas perdue; elle
fit naître au sein de la faculté des Arts de l'Université
Laval la louable ambition de réaliser quelque chose de plus
grand et de plus parfait. Il fut décidé que l'Université,
secondée par le Séminaire de Québec, accorderait son
patronage à la publication des oeuvres de Champlain telle
que nous la méditions depuis plus de six ans.
M. Geo.-E. Desbarats, qui avait déjà bien accueilli M.
Langton, voulut dès lors ne rien épargner pour répondre à
l'encouragement de l'Université. Obligé plus tard de quitter
Québec, il poussa la libéralité jusqu'à laisser à notre
disposition tout un matériel bien assorti de caractères
antiques, avec le personnel nécessaire pour compléter
l'oeuvre sous nos yeux. Enfin, la première édition était
faite, les clichés transportés à Ottawa, l'impression
presque terminée; lorsque un épouvantable incendie vint
réduire en cendres l'atelier de M. Desbarats. Les seules
épreuves tirées à Québec furent tout ce qui nous resta.
Des pertes aussi sensibles étaient bien de nature à faire
échouer complètement une entreprise qui paraissait devoir
vi être si peu rémunérative. Mais voilà que tout à coup un
redoublement de sympathie bien méritée vint ranimer le
courage de M. Desbarats. Le 13 février 1869, il nous
écrivait: «Cher monsieur, vos raisons et la conduite du
Séminaire à mon égard, sont trop bonnes, pour que je ne
cède pas, Champlain se réimprimera à Québec... Eh bien,
Champlain m'aura coûté quelques trois mille louis» (60,000
fr).»
Pour nous, nous avions un tel sentiment des difficultés de
notre travail, que nous n'étions pas fâché d'avoir à le
refaire, ou du moins à le revoir en entier, heureux de
pouvoir encore profiter des judicieuses remarques de
plusieurs amis; heureux surtout d'avoir une occasion de
réparer des inexactitudes ou des omissions qui avaient
échappé à nos premiers efforts.
Nous avons maintenant à expliquer au lecteur la marche que
nous avons cru devoir suivre dans cette réimpression des
oeuvres de Champlain.
1° Après un examen attentif des diverses éditions des
voyages de l'auteur, il nous a paru nécessaire de les
publier toutes en entier, parce qu'elles se complètent et
s'expliquent les unes les autres. C'est pour n'avoir pas eu
sous les yeux les éditions complètes de Champlain, que bien
des auteurs ne l'ont pas compris.
2° Nous nous sommes fait une loi, nous pourrions dire un
vii scrupule, de reproduire le texte absolument tel qu'il est
dans les anciennes éditions, sans nous permettre même de
supprimer les notes marginales, qui pourtant ne paraissent
pas avoir toujours été faites par l'auteur, et notre
fidélité sur ce point nous a porté à respecter jusqu'aux
irrégularités d'orthographe et de typographie, parce que
ces irrégularités mêmes jettent souvent du jour sur
certaines questions qui peuvent avoir leur intérêt et leur
importance.
3° Chaque fois que nous avons constaté une faute, soit
erreur typographique, soit méprise de l'auteur, nous avons
jeté au bas de la page les notes nécessaires ou opportunes,
en laissant le texte conforme à celui de l'édition
originale. C'est ici la partie de notre travail qui nous
a le plus coûté de temps et de recherches. Telle faute
quelquefois sera facile à corriger; mais, que l'on tourne
la page, il faudra, pour reprendre l'auteur, savoir
non-seulement ce qu'il a voulu dire, mais encore où en était
la science à son époque, si l'on ne veut pas s'exposer à
être injuste. Il est vrai que nous n'avons point borné là
notre tâche; nous nous sommes efforcé d'éclaircir certains
passages obscurs, ou qui le sont devenus par le changement
des circonstances et des temps. Rien de plus facile que de
laisser passer inaperçues les difficultés de ce genre; mais
viii approfondissez la question: il faut étudier les lieux,
comparer les plans anciens et modernes, les concilier, les
raccorder, recourir aux titres et aux documents primitifs;
et, après un travail d'un grand mois, vous n'avez à mettre
au bas de la page qu'une toute petite demi-ligne. Voilà,
bien souvent, quels ont été la nature et le résultat de nos
recherches.
Qu'il nous soit maintenant permis d'offrir nos remerciements
les plus sincères à un grand nombre d'amis qui ont bien
voulu nous aider de leurs conseils, ou de leur puissant
concours, en particulier à M. l'abbé Verreau, à M. J.-C.
Taché, à M. l'abbé H.-R. Casgrain et à M. Ant. Gérin-Lajoie.
Nous devons encore un large tribut de reconnaissance à la
mémoire de deux personnes que nous avons bien des raisons
particulières de regretter: M. l'abbé Ferland, sur les
lumières et l'expérience duquel nous avions appris à
compter, et M. l'abbé E.-G. Plante, qui a tant contribué à
cette présente édition par la générosité avec laquelle il
a toujours mis complètement à notre disposition sa riche
collection d'ouvrages sur le Canada et l'Amérique.
ix
NOTICE BIOGRAPHIQUE
DE
CHAMPLAIN
On peut dire que la vie de Champlain est tout entière dans
ses oeuvres. Il semblera donc peut-être superflu de mettre
sa notice biographique en tête de ses ouvrages, surtout
quand déjà tant d'écrivains de mérite lui ont consacré des
pages remarquables.
Cependant, comme ces auteurs n'avaient à en parler que d'une
manière plus ou moins incidente, suivant le cadre qu'ils
s'étaient prescrit, nous avons cru devoir essayer de
compléter leurs observations, et même de les corriger au
besoin, tout en résumant ici ce qui se trouve trop épars
dans nos notes, et en y ajoutant des remarques que le temps
ou l'espace ne pouvaient alors nous permettre.
Champlain naquit en l'année 1567, si l'on en croit la
Biographie Saintongeoise. Il est regrettable que cet ouvrage
n'indique pas la source où cette date a été puisée; car,
jusque aujourd'hui, les chercheurs les plus infatigables
x n'ont encore pu réussir à trouver son acte de naissance.
Une chose digne de remarque, c'est que notre auteur, dans le
cours de toutes ses oeuvres, à travers le récit de tant
d'événements divers, n'ait pas une seule fois trouvé
l'occasion, ou jugé à propos de parler de son âge, même
lorsqu'il était opportun de faire valoir ou de rappeler ses
services passés. Cependant, si l'on n'a pas de preuve
directe de l'exactitude de cette date donnée par la
Biographie Saintongeoise, on peut établir d'une manière au
moins approximative, qu'elle n'est pas loin de la vérité.
Champlain nous apprend lui-même [1] qu'il était maréchal des
logis dans l'armée de Bretagne, sous le maréchal d'Aumont,
qui mourut au mois d'août 1595. De là on peut conclure, que,
peu de temps auparavant, vers 1592 peut-être, il devait
avoir vingt-cinq ans ou environ; puisqu'il occupait déjà
un poste de confiance qui d'ordinaire ne se donne qu'à
une personne de quelque expérience. Suivant ce calcul, sa
naissance aurait donc eu lieu vers 1567.
[Note 1: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.]
La différence d'âge entre Pont-Gravé et Champlain, vient
encore ajouter un certain degré de probabilité à la date
assignée par le même ouvrage. Cette différence, quoiqu'elle
ne soit nulle part donnée positivement, peut se déduire avec
assez d'exactitude de plusieurs passages et entre autres de
celui-ci: Pour le sieur du Pont, dit Champlain en 1619, son
âge me le ferait respecter comme mon père. Cette manière de
s'exprimer donne évidemment à entendre que Pont-Gravé avait
au moins dix ou douze ans de plus que lui. Or, d'après
xi Sagard, Pont-Gravé avait alors environ soixante-cinq ans.
Si l'on suppose que Champlain avait douze ans de moins, on
trouve qu'il était, en 1619, âgé de cinquante-deux ans
environ, ce qui reporte sa naissance à 1567.
Champlain naquit à Brouage en Saintonge. Suivant la même
_Biographie Saintongeoise_, il était issu d'une famille de
pêcheurs. Si cette assertion est fondée, il faut en conclure
que ses parents réussirent, par leur mérite personnel ou
par leur industrie, à s'élever au-dessus de leur humble
profession; car, dans le contrat de mariage de Champlain,
passé en 1610, son père, Antoine de Champlain, est qualifié
_capitaine, de la marine_[2]. Le même document nous apprend
que sa mère s'appelait Marguerite Le Roy. Il reçut au
baptême le nom de Samuel [3]; du moins, c'est le seul qu'il
prenne dans le titre de ses ouvrages, et les documents
contemporains s'accordent à ne lui en point donner d'autre.
[Note 2: C'est là, suivant nous, toute la noblesse du père de
Champlain. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
prétend que, si Henri IV anoblit le fils, il anoblit aussi le père; et,
pour le prouver, il invoque le passage suivant du même contrat de
mariage: _noble homme Samuel de Champlain... fils de feu Antoine de
Champlain vivant capitaine de la Marine_, qu'il cite comme suit: _homme
noble de Champlain, fils de Noble Antoine_. On remarquera que le texte
du contrat ne dit pas _homme noble_, mais _noble homme_. A peu près
toutes les familles du Canada, en recourant à leurs anciens titres,
pourront constater qu'elles descendent de même d'un _noble homme_ qui
ne reçut jamais de lettres de noblesse.]
[Note 3: De ce que le nom de Samuel, donné à Champlain, était,
parait-il, inusité alors chez les catholiques, et en honneur chez les
protestants, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
insinue que Champlain aurait bien pu naître calviniste. Il y avait, ce
semble, une insinuation plus naturelle à faire: c'est que, dans cette
hypothèse, le père et la mère de Champlain avaient dû apostasier, car
son père s'appelait Antoine, et sa mère Marguerite, deux noms tout à
fait catholiques.]
Dès ses premières années, Champlain se sentit une vocation
particulière pour la carrière aventureuse de la navigation.
«C'est cet art,» dit-il dans une épître adressée à la reine
xii régente, et imprimée au commencement de son édition de
1613, «qui m'a dès mon bas âge attiré à l'aimer, et qui m'a
provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes
impétueuses de l'océan.» Ce qui ne l'empêcha pas de
profiter des occasions de s'instruire, comme le prouvent
suffisamment ses écrits. On y trouve en effet, presque à
toutes les pages, des observations judicieuses, qui
attestent à la fois et de la variété de ses connaissances,
et de la rectitude de son jugement.
La faveur constante dont il jouissait à la cour dès 1603;
la pension et les grades dont le roi se plut à l'honorer,
l'amitié et la protection d'hommes aussi distingués que le
commandeur de Chaste, le comte de Boissons, le Prince de
Condé, le duc de Montmorency, le duc de Ventadour, le
cardinal de Richelieu et beaucoup d'autres, montrent assez
que son mérite et ses services ne tardèrent pas à être
hautement appréciés. Avant même que le maréchal d'Aumont fût
mort, c'est-à-dire, vers 1594, il était déjà maréchal des
logis, et il continua à occuper ce poste sous les maréchaux
de Saint-Luc et de Brissac, jusqu'à la pacification de la
Bretagne en 1598[4].
[Note 4: Voyage aux Indes-Occidentales, p. 1.]
Se trouvant sans emploi, et dans un désoeuvrement qui
n'allait guère à son âme active et aventurière, Champlain
forma le projet de se rendre en Espagne, dans l'espérance
d'y trouver l'occasion de faire un voyage aux
Indes-Occidentales.
Un de ses oncles, le capitaine Provençal, «tenu pour un des
xiii bons mariniers de France, et qui pour cette raison avait
été entretenu par le roi d'Espagne comme pilote général de
ses armées de mer», se trouvait alors à Blavet, et venait
de recevoir du maréchal de Brissac l'ordre de conduire en
Espagne les navires qui devaient repasser la garnison que
les Espagnols avaient alors dans cette place. Il résolut
de l'y accompagner.
La flotte étant arrivée en Espagne, le _Saint-Julien_,
«reconnu comme fort navire et bon voilier», fut retenu
au service du roi. Le capitaine Provençal en garda le
commandement, et son neveu demeura avec lui.
Les quelques mois que Champlain passa en Espagne ne furent
point un temps perdu. Il avait déjà, dans le trajet, levé
une carte soignée des lieux où la flotte avait fait escale,
le cap Finisterre et le cap Saint-Vincent avec les environs,
pendant son séjour à Cadix, il utilisa ses loisirs en
traçant un plan exact de cette ville; ce qu'il fit également
pour San-Lucar-de-Barameda, où il demeura trois mois.
Pendant cet intervalle, le roi d'Espagne, ayant reçu avis
que Porto-Rico était menacé par une flotte anglaise, ordonna
une expédition de vingt vaisseaux, du nombre desquels devait
être le _Saint-Julien_. Champlain, accompagnant son oncle,
se voyait ainsi sur le point de pouvoir réaliser son projet;
lorsque, au moment où la flotte allait faire voile, on reçut
la nouvelle que Porto-Rico avait été pris par les Anglais.
Il fallut donc attendre une autre occasion, pour faire le
voyage des Indes.
Dans le même temps, arriva à San-Lucar-de-Barameda le
xiv général Dom Francisque Colombe, pour prendre le commandement
des vaisseaux que le roi envoyait annuellement aux Indes.
Voyant le _Saint-Julien_ tout appareillé, et connaissant ses
excellentes qualités, il résolut de le prendre au fret
ordinaire. Le capitaine Provençal, dont on requérait les
services ailleurs, commit, de l'agrément du général, la
charge de son vaisseau à Champlain. Le général espagnol en
parut fort aise, il lui promit sa faveur, et n'y manqua
point dans les occasions.
Enfin au commencement de janvier 1599, Champlain partit pour
l'Amérique espagnole.
Le voyage dura deux ans et deux mois. Champlain dans cet
intervalle, eut le loisir de visiter en détail les lieux
les plus intéressants tant aux Antilles, qu'à la
Nouvelle-Espagne.
C'est ici que l'on commence à remarquer en notre auteur une
qualité infiniment précieuse, celle d'observateur scrupuleux
et intelligent, qui ne manque aucune occasion de servir la
louable ambition de la science, aussi bien que les intérêts
de la patrie. Non-seulement il tient journal comme s'il
était déjà chef de l'expédition; mais encore il note sur son
passage la position des lieux, les productions du pays, les
moeurs et les coutumes des habitants. Le Mexique surtout
paraît avoir captivé toutes ses affections. «Il ne se peut
voir, dit-il, ni désirer un plus beau pays que ce royaume de
la Nove-Espaigne: grandes campagnes unies à perte de vue,
chargées d'infinis troupeaux de bestial, qui ont les pâtures
toujours fraîches; décorées de fort beaux fleuves et
rivières, qui traversent presque tout le royaume;
xv diversifiées de belles forêts remplies des plus beaux arbres
que l'on saurait souhaiter.
Mais, ajoute-t-il, tous les contentements que j'avais eus à
la vue de choses si agréables n'étaient que peu au regard
de celui que je reçus, lorsque je vis cette belle ville de
Mexique» (Mexico). Puis il fait une description détaillée de
toutes les richesses naturelles de ce royaume. Le plan de
Mexico (pris en 1599) n'est pas le moins intéressant des
soixante et quelques dessins qui accompagnent le _Voyage aux
Indes_.
Champlain était de retour en Espagne vers le commencement
de mars 1601. Le vaisseau dont il s'était chargé, dut être
retenu encore quelque temps, avant de pouvoir faire voile
pour un autre port. De manière qu'il ne rentra probablement
en France que vers la fin de cette année, sinon au
commencement de 1602.
Le rapport consciencieux et fidèle de son voyage aux
Indes-Occidentales, fut sans doute ce qui engagea le roi
Henri IV à accorder une pension à Champlain [5], et ce fut
peut-être aussi pour la même raison que le commandeur de
Chaste jeta les yeux sur lui pour l'accomplissement des
grands desseins qu'il avait formés, et «dont je pourrais,
dit Champlain [6], rendre de bons témoignages, pour m'avoir
fait l'honneur de m'en communiquer quelque chose.»
[Note 5: Il semble, en effet, qu'au moment de son départ pour
l'Espagne, il s'était décidé de lui-même sans alléguer aucun motif
d'obligation particulière pour le roi, comme il le fait quand il s'agit
d'entreprendre le voyage de 1603, mais simplement «pour ne demeurer
oisif, se trouvant sans aucune charge ni emploi.» Il est vrai qu'il
s'était proposé d'en «faire rapport au vrai à Sa Majesté»; mais ce
Pouvait être là précisément le moyen qui lui parût alors le plus propre
à obtenir quelque faveur de la cour.]
[Note 6: Édit. 1632, p. 45.]
xvi Après la mort du sieur Chauvin, M. de Chaste, ayant obtenu
une nouvelle commission, chargea Pont-Gravé de la conduite
d'un premier voyage d'exploration, «pour en faire son
rapport, et donner ordre ensuite à un second embarquement»,
auquel il se joindrait lui-même en personne, décidé à
consacrer le reste de ses jours à l'établissement d'une
bonne colonie chrétienne dans cette partie du nouveau monde.
«Sur ces entrefaites, dit Champlain, je me trouvai en cour,
venu fraîchement des Indes-Occidentales [7]. Allant voir de
fois à autre le sieur de Chaste, jugeant que je lui pouvais
servir en son dessein, il me fit cette faveur, comme j'ai
dit, de m'en communiquer quelque chose, et me demanda si
j'aurais agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, et
ce que les entrepreneurs y feraient.»
[Note 7: M. de Chaste dut commencer à s'occuper de son entreprise
dès 1602, et Champlain ne fut probablement de retour en France que vers
le commencement de cette même année.]
Pareille démarche, de la part d'un homme de l'âge et de
l'expérience du commandeur de Chaste, était un témoignage
bien flatteur de l'estime qu'il faisait de son mérite.
A cette demande, Champlain, à qui le roi avait depuis
peu assuré une pension, répondit au commandeur que cette
commission lui serait très-agréable, pourvu que Sa Majesté
y donnât son consentement, ce que M. de Chaste se chargea
volontiers d'obtenir. M. de Gesvre, secrétaire des
commandements du roi, lui expédia en forme une lettre
d'autorisation, «avec lettre adressante à Pont-Gravé, pour
xvii que celui-ci le reçût en son vaisseau, lui fît voir et
reconnaître tout ce qu'il pourrait, et l'assistât de ce
qui lui serait possible en cette entreprise.»
«Me voilà expédié, dit-il, je pars de Paris, et m'embarque
dans le vaisseau de du Pont, l'an 1603.» Le vaisseau partit
de Honfleur le 15 de mars, et relâcha au Havre-de-Grâce,
d'où il put remettre à la voile dès le lendemain. Le voyage
fut heureux jusqu'à Tadoussac, comme s'exprime l'édition de
1632, c'est-à-dire, que la traversée se fit sans accident ou
sans malheur bien grave, car du reste elle fut passablement
orageuse, et dura plus de deux mois, le vaisseau n'entra
dans le havre de Tadoussac que le 24 de mai[8].
[Note 8: Édit. 1603, p. 1 et suivantes.]
Quelques bandes de Montagnais et d'Algonquins, cabanes à la
pointe aux Alouettes au bas d'un petit coteau, attendaient
l'arrivée des Français. Pont-Gravé, dans un voyage
précédent, avait emmené en France deux sauvages, et il
les ramenait cette année, afin qu'ils fissent à leurs
compatriotes le récit de tout ce qu'ils avaient vu au-delà
du _grand lac_. Le lendemain, il alla, avec Champlain, les
reconduire à la cabane du grand sagamo, Anadabijou.
C'est ici que commence cette alliance que la plupart de nos
historiens n'ont pas assez remarquée, alliance qui nous
donne la clef d'une des grandes difficultés de notre
histoire, et la raison véritable de l'intervention des armes
françaises dans les démêlés des nations indigènes.
«L'un des sauvages que nous avions amenés, dit Champlain,
commença à faire sa harangue, de la bonne réception que leur
xviii avait fait le Roi, et le bon traitement qu'ils avaient reçu
en France, et qu'ils s'assurassent que sa dite Majesté leur
voulait du bien, et désirait peupler leur terre, et faire
paix avec leurs ennemis, qui sont les Iroquois, ou leur
envoyer des forces pour les vaincre. Il fut entendu avec un
silence si grand qu'il ne se peut dire de plus.»
Jusqu'ici, on pourrait croire que l'orateur n'agit que comme
simple particulier, et que ce silence profond n'est que
l'effet d'une curiosité toute naturelle. Mais, que l'on pèse
bien toutes les circonstances du récit de Champlain, et l'on
y verra autre chose que des discours de bienvenue.
«La harangue achevée, le grand sagamo, l'ayant attentivement
ouï, commença à prendre du petun, et en donner à Pont-Gravé
et à Champlain, et à quelques autres sagamos qui étaient
auprès de lui. Ayant bien petuné, il fit sa harangue à
tous,» dans laquelle il insista sur les grands avantages que
leur apporteraient l'amitié et la protection du grand chef
des Français. Tout se termina par un grand festin, ou
_tabagie_ et des danses solennelles.
Ces harangues prononcées devant une assemblée de mille
personnes[9], cette cérémonie surtout de la présentation du
calumet, suivant la coutume des sauvages, sont des preuves
évidentes, que l'on entendait, de part et d'autre, s'engager
à une alliance offensive et défensive que l'on regardait
comme les préliminaires indispensables d'une tentative
d'établissement comme le voulait faire le commandeur de
Chaste.
[Note 9: Édit. 1603, p. 10.]
xix Pont-Gravé et Champlain, avec quelques matelots, se jetèrent
dans un petit bateau fort léger, et remontèrent le fleuve
jusqu'au grand saut (Saint-Louis), afin d'examiner
conjointement les lieux les plus favorables à une
habitation, décidés à pousser leurs investigations, s'il
était possible, jusqu'aux sources mêmes de la _grande,
rivière de Canada_; ce qu'aucun européen n'avait encore pu
exécuter.
Malgré la résolution de nos voyageurs, leur esquif, si
léger, qu'il fût, ne put franchir les bouillons impétueux du
grand saut, et, il leur fallut mettre pied à terre pour
en voir la fin. «Tout ce que nous pûmes faire, ajoute
Champlain, en résumant lui-même ce voyage, fut de remarquer
les difficultés, tout le pays, et le long de la dite
rivière, avec le rapport des sauvages de ce qui était
dans les terres, des peuples, des lieux, et origines
des principales rivières, notamment du grand fleuve
Saint-Laurent.»
De retour à Tadoussac, comme la saison n'était pas encore
bien avancée, Champlain voulut employer le temps qui lui
restait, à explorer ce qu'il pourrait du bas du fleuve. En
attendant que la traite fût terminée, il descendit à Gaspé,
pour y recueillir quelques renseignements sur les mines
de l'Acadie, et sur les différents postes de traite et de
pêche. Ce petit voyage lui donna occasion de relever une
bonne partie de la côte du nord depuis Moisie jusqu'au
Saguenay.
Enfin le 16 d'août, le vaisseau quitta le havre de
Tadoussac, et arrêta à Gaspé, pour avoir le rapport du sieur
Prévert, sur les mines qu'il s'était chargé d'aller examiner
par lui-même.
xx Arrivé à Honfleur, Champlain eut le chagrin d'apprendre la
mort du commandeur de Chaste, dont les généreux desseins lui
avaient donné de si belles espérances. «En cette entreprise,
disait-il en 1632, avec son expérience de trente ans, je
n'ai remarqué aucun défaut, pour avoir été bien commencée.»
Il ne tarda pas à se rendre auprès du roi, pour lui
présenter le rapport de son voyage, avec une carte, qui
malheureusement ne se retrouve plus aujourd'hui. Henri IV
l'accueillit fort bien, et lui promit non-seulement de ne
point abandonner le Canada, mais encore de prendre l'affaire
sous sa protection.
Malheureusement, les jalousies et les rivalités menaçaient
déjà, dès cette époque, de ruiner toute entreprise qui ne
pourrait compter, pour se soutenir, que sur les profits de
la traite. M. de Monts, successeur de M. de Chaste, fut le
premier à en faire la triste expérience.
Le voyage qu'il avait fait avec M. Chauvin dès 1599; les
souffrances et les privations auxquelles avaient été
condamnés les quelques malheureux qui avaient consenti à
hiverner à Tadoussac, l'avaient décidé à chercher un climat
moins rigoureux. Champlain, qui avait encore présentes à son
souvenir toutes les beautés du Mexique et des Antilles,
ne dut pas être loin d'approuver ses idées. «M. de Monts,
dit-il, me demanda si j'aurais agréable de faire ce voyage
avec lui. Le désir que j'avais eu au dernier, s'était accru
en moi, ce qui me fit lui accorder, avec la licence que m'en
xxi donnerait Sa Majesté, qui me le permit, pour toujours lui en
faire fidèle rapport.»
Au printemps de 1604, Champlain fut donc chargé de conduire
la petite colonie vers des régions plus méridionales, et
M. de Monts, pour mieux assurer son choix, voulut suivre
l'expédition en personne. Le temps fut si favorable, qu'au
bout d'un mois on était au cap de La Hève. Mais, M. de Monts
n'ayant pas eu, comme M. de Chaste, la précaution de faire
explorer les lieux à l'avance, la grande moitié de l'été se
passa à chercher un lieu qui fût du goût de tout le monde.
Enfin, après avoir parcouru avec l'auteur toutes les côtes
d'Acadie, pénétré jusqu'au fond de la baie Française
(Fundy), il s'arrêta à une petite île «qu'il jugea
d'assiette forte et à proximité d'un terroir qui paraissait
très-bon[10].» Mais le manque d'eau douce et les ravages
du scorbut le firent bientôt changer de résolution, et
transporter ses colons au port Royal, dont il avait déjà,
avec l'auteur, remarqué les avantages et les beautés
naturelles.
[Note 10: Cette île est située à quelques milles au-dessus de
l'embouchure de la rivière Scoudic. On donna le nom de Sainte-Croix tant
à l'île qu'à la rivière.]
Pendant les trois années qu'il passa à l'Acadie, Champlain
donna de nombreuses preuves de l'infatigable activité de son
esprit. Dès l'automne de 1604, il avait visité, avec M. de
Monts lui-même, la côte des Etchemins, c'est-à-dire, une
bonne partie du littoral de la Nouvelle-Angleterre.
Le printemps suivant, il continua cette exploration
jusqu'au-delà du cap Cod. Mais, dans toute cette étendue de
xxii pays, M. de Monts ne trouva rien de préférable au port
Royal, où dès lors il résolut de transporter son habitation
(1605). L'année suivante, Champlain recommença le même
voyage avec M. de Poutrincourt, qui trouvait peut-être M. de
Monts trop difficile, et qui voulait du reste pousser les
découvertes encore plus loin. Cette fois, nos voyageurs
doublèrent le cap de Malbarre, et s'en revinrent sans être
guère plus avancés.
L'hiver passé à Port-Royal fut beaucoup moins pénible, grâce
aux précautions que l'on prit, et au bon ordre qui régna
constamment dans l'habitation. «Nous passâmes, dit
Champlain, cet hiver fort joyeusement, et fîmes bonne chère,
par le moyen de l'ordre de Bon-Temps que j'y établis, que
chacun trouva utile pour la santé, et plus profitable
que toutes les médecines dont on eût pu user.» Cet ordre
consistait à faire passer à tour de rôle par la charge de
maître-d'hôtel tous ceux de la table de M. de Poutrincourt,
ce qui ne manqua pas de créer une espèce d'émulation, à qui
ferait à la compagnie le meilleur traitement.
Malheureusement pour M. de Monts, les affaires n'allaient
pas si bien de l'autre côté de l'Océan. Son privilège lui
avait suscité un orage auquel il était moralement impossible
de résister. Les Bretons et les Basques se répandirent en
plaintes amères, prétendant qu'on allait ruiner le commerce
et la navigation, amoindrir le revenu des douanes du
royaume, et réduire à la mendicité un grand nombre de
familles qui n'avaient point d'autre moyen de subsistance.
«Le sieur de Monts ne sut si bien faire, que la volonté du
xxiii roi ne fût détournée par quelques personnages qui étaient
en crédit, qui lui avaient promis d'entretenir trois cents
hommes au dit pays. Donc, en peu de temps, sa commission
Fut révoquée, pour le prix de certaine somme qu'un certain
personnage eut sans que Sa Majesté en sût rien.» Comme
compensation de plus de cent mille livres qu'il avait
dépensées depuis trois ans, et des peines infinies qu'il
s'était données pour fonder un établissement solide et
durable en Amérique, «il lui fut accordé six mille livres,
à prendre sur les vaisseaux qui iraient trafiquer des
pelleteries. C'était, remarque Champlain, lui donner la
mer à boire, la dépense devant surmonter la recette. Hé,
bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si
tout se révoque de la façon, sans juger mûrement des
affaires, premier que d'en venir là?»
De retour en France en 1607, Champlain alla trouver M. de
Monts, lui fit un rapport fidèle de ses voyages et de tout
ce qui s'était passé à Port-Royal depuis son départ. Il
avait pris un plan de l'habitation de Sainte-Croix, de celle
de Port-Royal, et fait en même temps la carte de tous les
lieux les plus remarquables qu'il avait visités, tant avec
lui qu'avec M. de Poutrincourt: l'île Sainte-Croix, le port
Royal, le port aux Mines (Havre-à-l'Avocat), l'entrée de
la rivière Saint-Jean et du Kénébec, la baie de Saco, de
Gloucester, de Plymouth, de Nauset et de Chatam, sans
compter plusieurs havres de la côte d'Acadie, comme La Hève,
le port au Mouton et le port Rossignol.
Malgré toutes ses pertes et ses désappointements, M. de
xxiv Monts ne se découragea point. Il fit part à Champlain des
nouveaux desseins qu'il avait formés. Celui-ci, qui avait
maintenant une juste idée de la position des lieux et des
avantages qu'on pouvait y trouver, lui conseilla cette fois
«de s'aller loger dans le grand fleuve Saint-Laurent, où le
commerce et trafic pouvaient faire beaucoup mieux qu'en
l'Acadie, mal aisée à conserver à cause du nombre infini de
ses ports, qui ne se pouvaient garder que par de grandes
forces; joint qu'il y a peu de sauvages, et que l'on ne
pourrait, de ce côté, pénétrer jusque parmi les nations
sédentaires qui sont dans l'intérieur du pays, comme on
pourrait faire par le Saint-Laurent.»
M. de Monts, reconnaissant la sagesse de cet avis, suivit le
parti que lui proposait Champlain. Le privilège exclusif de
la traite lui fut accordé de nouveau, quoique pour un
an seulement, et, au printemps de 1608, il équipa deux
vaisseaux.
Pont-Gravé, «député pour les négociations avec les sauvages
du pays, prit les devants pour aller à Tadoussac; Champlain,
que M. de Monts honora de sa lieutenance, partit après lui
avec toutes les choses nécessaires à une habitation.»
Champlain arriva à Québec le 3 juillet; «où étant, dit-il,
je cherchai lieu propre pour notre habitation; mais je n'en
pus trouver de plus commode, ni de mieux situé, que la
pointe de Québec [11], ainsi appelé des sauvages, laquelle
était remplie de noyers.»
[Note 11: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_,
tome I, p. 125 et suivantes, prétend que «Champlain se fût
Probablement établi à Montréal en 1608, s'il en eût connu alors les
avantages.»--Sans doute, Champlain ne pouvait connaître à fond dès cette
époque, tous les avantages et la richesse naturelle de Montréal, ou du
Grand-Saut, comme on disait alors. Cependant nous croyons qu'il en
savait assez pour se décider sagement sur le choix qu'il avait à faire.
«L'air. dit-il entre autres choses des 1603, y est plus doux et tempéré,
et de meilleure terre qu'en lieu que j'eusse vu.» Il est donc évident
que, s'il eût cherché avant tout un terroir uni et facile à cultiver,
il suffisait de remonter soixante lieues plus haut; mais, comme il
fallait tenir compte de bien D'autres difficultés, il jugea que Québec
était déjà assez loin de Tadoussac, et présentait d'ailleurs une
position unique pour s'y fortifier et s'y maintenir contre un coup de
main. Ces raisons seules étaient d'un grand poids, et Champlain en
avait peut-être encore bien d'autres que nous ne pouvons qu'entrevoir,
ou même que nous ne connaissons pas.]
xxv Aussitôt une partie des ouvriers est employée à abattre les
arbres pour y faire l'habitation, à scier le bois, à creuser
les caves et les fossés; les autres furent envoyés
à Tadoussac, pour en rapporter le reste des
approvisionnements.
Pendant qu'on jetait ainsi les fondations de la ville de
Québec, un malheureux complot faillit étouffer la colonie
dès son berceau. Un serrurier normand, nommé Jean Duval,
mécontent de la nourriture et dégoûté du travail, forma le
projet d'assassiner Champlain, et d'aller ensuite se
donner «aux Basques ou Espagnols qui étaient pour lors à
Tadoussac.» Il réussit à s'assurer le concours de quatre
autres, «qui promirent chacun de faire en sorte d'attirer le
reste à leur dévotion.» Ils en étaient à chercher l'occasion
favorable, lorsqu'un des conjurés, Antoine Natel, découvrit
toute la trame. On saisit les quatre coupables, Champlain
institua une espèce de jury, composé de Pont-Gravé, du
capitaine du vaisseau, du chirurgien, du maître, du
contre-maître et de quelques autres. Le chef de la
conspiration fut exécuté, pour servir d'exemple, et les
autres renvoyés en France, pour y subir leur procès. «Depuis
qu'ils furent hors, tout le reste se comporta sagement en
son devoir.»
xxvi Pont-Gravé reconduisit les vaisseaux en France, et Champlain
demeura avec vingt-sept ou vingt-huit personnes pour
continuer les travaux commencés.
«Le site que choisit Champlain, dit M. l'abbé Ferland,
convenait admirablement à son dessein de créer et
d'organiser une France Nouvelle dans l'Amérique. Placé à
cent trente lieues de l'embouchure du Saint-Laurent, Québec
possède un havre magnifique, qui peut contenir les flottes
les plus nombreuses, et où les plus gros vaisseaux peuvent
arriver facilement de la mer. A ses pieds coule le grand
fleuve, qui fournit une large voie pour pénétrer jusqu'au
centre de l'Amérique Septentrionale. Sur ce point, le
Saint-Laurent se rétrécit considérablement, n'ayant au plus
qu'un mille de largeur; de sorte que les canons de la ville
et de la citadelle peuvent foudroyer les vaisseaux qui
tenteraient de franchir le passage. Québec est donc la clef
de la vallée du grand fleuve, dont le cours est de près de
huit cents lieues; il est la sentinelle avancée de l'immense
empire français que rêva Louis XIV, et qui devait se
prolonger depuis le détroit de Belle-Isle jusques au golfe
du Mexique.»
Québec avait encore une autre épreuve à subir. Le scorbut et
la dissenterie lui enlevèrent, pendant l'hiver, les trois
quarts de ses premiers fondateurs. Quand les vaisseaux
revinrent au printemps, vingt personnes avaient succombé à
cette cruelle maladie.
Le 7 juin 1609, Champlain, laissant pour commander à sa
place le sieur Desmarais, alla rejoindre Pont-Gravé à
Tadoussac.
xxvii Ce n'était pas tout d'avoir fondé, à plus de cent lieues
dans le fleuve, une frêle habitation qu'un souffle pouvait
anéantir; il fallait étudier le pays, lier de nouvelles
connaissances avec les tribus environnantes, sans l'amitié
ou le concours desquelles tout essai d'établissement était
absurde et impossible. C'est pourquoi, dès l'arrivée des
vaisseaux, Champlain ne voulut rien entreprendre sans avoir
l'avis de Pont-Gravé, dont il connaissait mieux que
personne la longue expérience. Il fut résolu qu'il
suivrait, avec une chaloupe de vingt hommes, les Montagnais
et les nations alliées jusqu'au pays des Iroquois, tant
pour les assister contre ces ennemis irréconciliables, que
pour continuer les découvertes commencées.
Les Montagnais ne manquèrent pas de représenter à Champlain,
qu'on leur avait promis solennellement (dès 1603) du secours
contre les Iroquois. En 1608, il en avait été empêché par
les travaux qu'il fallait surveiller; mais, cette année, les
Algonquins et les Hurons se joignirent aux Montagnais pour
lui rappeler que Pont-Gravé et lui leur avaient témoigné,
il n'y avait pas encore dix lunes, le désir de les assister
dans une guerre regardée comme indispensable. C'était
en effet le moment ou de se concilier ces nombreuses et
puissantes tribus, ou de se les aliéner peut-être pour
toujours. Champlain les suivit donc avec ses quelques
xxviii français [12]. La petite armée remonta la rivière des
Iroquois (ou de Sorel), et s'avança avec précaution jusqu'à
une assez grande distance dans le lac qui depuis a toujours
porté le nom de Champlain.
[Note 12: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_
suppose à Champlain, dans cette expédition et les suivantes, des motifs
qu'on ne prêterait pas même à un marchand honnête. «On ne sera pas
étonné, dit-il, que l'intérêt des marchands l'ait détermine à s'armer
contre ces barbares, si l'on considère ce qu'il raconte lui-même à
l'occasion du vaisseau rochelois... qui se perdit, et _qui n'aurait pu
être pris_, dit Champlain, _qu'avec la perte de nombre d'hommes_. Si,
pour quelques pelleteries, on était résolu de verser le sang français,
il n'est pas étonnant que, dans l'espérance de s'assurer le commerce de
cette sorte de marchandise, Champlain n'ait pas craint de répandre le
sang des sauvages.» Puis, au lieu de résumer impartialement ces deux
expéditions, il n'en cite isolément que juste deux passages, qui,
séparés du contexte, sont de nature À laisser croire au lecteur, que
Champlain était allé à la guerre autant pour le plaisir cruel de
répandre le sang, que pour remplir un devoir envers les nations
alliées.--Nous avons relevé en son lieu (Édit. 1632, première partie, p.
239) l'injuste appréciation que cet auteur fait du passage dont il
s'appuie. Qu'il nous suffise ici de faire une comparaison qui, suivant
nous, ne manque pas de justesse. Le commandant de la _Canadienne_ est
chargé de croiser dans le golfe tout l'été pour y protéger nos
pêcheries; s'il attaque un vaisseau pris en flagrant délit, ou méprisant
son droit et son autorité, dira-t-on qu'il Est prêt à verser le sang
américain pour l'appât de quelques morues? Il est une chose, au reste,
qu'on ne devrait pas oublier, quand il s'agit des premières tentatives
d'établissement en Amérique: c'est que le commerce de la pêche et de la
traite des pelleteries était alors le seul moyen de soutenir de
pareilles entreprises. La France, à cette époque, ne s'occupait guère
plus du Canada, que le Canada lui-même ne se préoccupe aujourd'hui de
fonder une colonie à la baie d'Hudson; et, si l'on accorda des
commissions à M. Chauvin, à M. de Chaste, à M. de Monts, c'est
uniquement parce qu'ils le demandèrent.]
Le soir du 29 juillet, sur les dix heures, on rencontra
l'ennemi. Les Iroquois mirent à terre, et se barricadèrent
de leur mieux, les alliés rangèrent leurs canots attachés
les uns contre les autres, et gardèrent l'eau, à portée
d'une flèche, jusqu'au lendemain matin. «La nuit se passa en
danses et chansons, avec une infinité d'injures de part et
d'autre.» Le jour venu, on prit terre, en cachant toujours
soigneusement les français, pour ménager une surprise. Les
Iroquois, au nombre de deux cents hommes forts et robustes,
s'avancèrent avec assurance, au petit pas, trois des
principaux chefs à leur tête. Les alliés, de leur côté,
marchaient pareillement en bon ordre, ils comptaient avant
tout sur l'effet foudroyant des armes à feu, dont les
Iroquois n'avaient encore aucune idée. Champlain «leur
xxix promit de faire ce qui serait en sa puissance, et de leur
montrer, dans le combat, tout son courage et sa bonne
volonté; qu'indubitablement ils les déferaient tous.»
Quand les deux armées furent à la portée du trait, l'armée
alliée ouvrit ses rangs. Champlain s'avança jusqu'à trente
pas des ennemis, qui demeurèrent interdits à la vue d'un
guerrier si étrange pour eux. Mais leur surprise fut au
comble, quand, du premier coup d'arquebuse, ils virent
tomber deux de leurs chefs, avec un autre de leurs
compagnons grièvement blessé. Champlain n'avait pas encore
rechargé, qu'un des français caché dans le bord du bois,
tira un second coup, et les jeta dans une telle épouvante,
qu'ils prirent la fuite en désordre. Les alliés firent dix à
douze prisonniers, et n'eurent que quinze ou seize des leurs
de blessés.
M. de Monts avait écrit à Champlain toutes les difficultés
que lui suscitaient les marchands bretons, basques,
rochelois et normands; l'habitation, du reste, lui
demeurait, par convention faite avec ses associés. Champlain
crut donc à propos de repasser en France, et laissa à
Québec, de l'avis de Pont-Gravé, «un honnête homme appelé
le capitaine Pierre Chavin, de Dieppe, pour commander en sa
place.»
La commission de M. de Monts venait d'être une seconde fois
révoquée. Cependant, il ne se rebuta pas encore, le rapport
que lui fit Champlain de ses nouvelles découvertes, et des
heureuses dispositions des sauvages, l'engagea à ne point
renoncer à un si noble dessein. «Il se délibéra d'aller à
xxx Rouen trouver ses associés, les sieurs Collier et Legendre,
pour aviser à ce qu'ils avaient à faire l'année suivante.
Ils résolurent de continuer l'habitation, et parachever de
découvrir dans le grand fleuve Saint-Laurent, suivant les
promesses des Ochatéguins (ou Hurons), à la charge qu'on
les assisterait en leurs guerres, comme on leur avait
promis.»
M. de Monts s'en retourna à Paris avec Champlain, et essaya
d'obtenir privilège au moins pour les «nouvelles découvertes
que l'on venait de faire, où personne auparavant n'avait
encore traité; ce qu'il ne put gagner, quoique les demandes
et propositions fussent justes et raisonnables. Il ne laissa
pas pourtant de poursuivre son dessein, pour le désir qu'il
avait que toutes choses réussissent au bien et honneur de la
France.»
Avant de repartir pour le Canada, Champlain voulut savoir
de M. de Monts s'il n'était point d'avis qu'il hivernât à
Québec; celui-ci remit le tout à sa discrétion.
Il s'embarqua à Honfleur dès le 7 de mars 1610, «avec
quelque nombre d'artisans.» Les Montagnais l'attendaient à
Tadoussac, impatients de savoir s'il les accompagnerait dans
une nouvelle campagne contre les Iroquois. Il les assura
qu'on était toujours dans la disposition de leur prêter
main-forte, pourvu que de leur côté ils tinssent la parole
qu'ils lui avaient donnée, «de le mener découvrir les
Trois-Rivières, jusqu'à une grande mer dont ils lui avaient
parlé, pour revenir par le Saguenay à Tadoussac.» Ils
répondirent qu'ils avaient encore cette volonté, mais que ce
xxxi voyage ne pouvait se faire que l'année suivante. Ce retard
Contrariait Champlain. «Toutefois, dit-il, j'avais deux
cordes à mon arc, les Algonquins et les Ochatéguins m'ayant
aussi promis de me faire voir leur pays, le grand lac,
quelques mines de cuivre et autres choses, si je consentais
à les aider dans leurs guerres.»
Il monta donc aux Trois-Rivières, où étaient déjà rendus les
Montagnais. Un parti d'Algonquins devait venir les rejoindre
à la rivière des Iroquois.
Cette fois, on trouva les ennemis fortifiés, et entourés
d'une barricade «faite de puissants arbres arrangés les
uns sur les autres en rond.» La résistance fut longue et
vigoureuse. Champlain, dès le commencement du combat, fut
blessé d'un coup de flèche, qui lui fendit le bout de
l'oreille, et pénétra dans le cou, ce qui ne l'empêcha
pas cependant «de faire le devoir.» Enfin nos guerriers,
encouragés par un renfort que leur amena le brave Des
Prairies, parvinrent à rompre la barricade, tout fut tué,
ou noyé dans la rivière, à la réserve de quinze, qui furent
faits prisonniers[13].
[Note 13: Qui croirait qu'un auteur s'est bien donné la peine de
faire toute une dissertation pour prouver, ou du moins pour faire
semblant de prouver, «comment on peut justifier Champlain du meurtre
des Iroquois», dans ces deux premières expéditions?--Voir _Hist. de la
Colonie française en Canada_, tome I, p. 138 et suiv.]
Les Algonquins consentirent à emmener avec eux un jeune
français, à condition que Champlain accepterait en échange
un jeune sauvage, nommé Savignon, pour lui faire voir la
France.
Après avoir fait achever la palissade de l'habitation,
Champlain, qui avait appris la nouvelle des troubles arrivés
xxxii à Brouage, et de la mort du roi (Henri IV), se décida à
repasser la mer encore cette année. Du Parc, qui avait déjà
hiverné avec le capitaine Pierre Chavin, demeura commandant
de la place. Toute sa garnison se composait de seize hommes.
Dans les derniers jours de l'année 1610, Champlain, engagé
depuis plus de dix ans dans de longs voyages ou des
expéditions aventureuses, conclut une alliance qui semble
avoir été ménagée par le concours de M. de Monts. «Le 27
décembre, il signa à Paris son contrat de mariage avec
demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé,
secrétaire de la chambre du roi, et de dame Marguerite Alix.
A cet acte assistèrent, comme témoins, le sieur de Monts,
qui portait encore le titre de lieutenant-général du roi, et
plusieurs membres de sa compagnie qui avaient contribué à la
fondation de Québec. Le mariage se fit probablement vers le
commencement de l'année 1611. Hélène Boullé n'avait encore
que douze ans, et elle avait été élevée dans le calvinisme,
tandis que Champlain était parvenu à un âge mûr, et se
faisait gloire d'être catholique sincère; cette union
fut cependant heureuse. Il instruisit lui-même la jeune
personne, et eut le bonheur de la convertir à la foi
catholique, à laquelle elle demeura toujours fermement
attachée pendant le reste de sa vie. A cause de son extrême
jeunesse, elle demeura à Paris auprès de ses parents, et
ce ne fut que dix ans plus tard qu'elle suivit son mari au
Canada»[14].
[Note 14: Ferland, cours d'Hist. du Canada.--Voir Pièces
justificatives, n. xxxi, et Chroniques de l'Ordre des Ursulines, Vie de
madame de Champlain.]
xxxiii Dès le premier mars 1611, Champlain et Pont-Gravé
repartirent pour le Canada. La traversée fut longue et
périlleuse. En approchant du Grand-Banc, le vaisseau se
trouva enveloppé de brumes épaisses, au milieu d'énormes
banquises de glaces. Nos voyageurs furent ainsi entre la
mort et la vie pendant plus de deux mois, et n'arrivèrent à
Tadoussac que le 13 de mai.
A Québec, Du Parc et ses compagnons avaient passé un fort
bon hiver, sans maladie, ni accident.
Champlain se rendit immédiatement au Grand-Saut, où il
arriva le 28, ramenant avec lui Savignon. Les Algonquins
devaient y être rendus dès le 20, mais n'arrivèrent que le
13 de juin.
Les traiteurs, qui, l'année précédente, étaient montés
au-devant des sauvages, jusqu'au cap de la Victoire [15],
se rendirent cette année (1611) jusqu'au Grand-Saut. Une des
raisons qui les fit aller si loin, fut sans doute d'épargner
à ceux qui descendaient à la traite les dangers d'un long
voyage et les attaques des Iroquois; mais la rivalité des
marchands était surtout ce qui les faisait courir à la
rencontre de ces barbares, pour enlever plus tôt leurs
riches pelleteries.
[Note 15: Ainsi a-t-on désigné longtemps l'une des pointes voisines
de Sorel du coté de l'ouest, et, par extension, les environs de Sorel.
C'était apparemment en mémoire de la victoire de 1610, remportée à une
Petite distance de l'entrée de la rivière.]
En attendant l'arrivée des sauvages, Champlain s'occupa
à faire une exploration plus complète des environs du
Grand-Saut, «afin de trouver un lieu convenable pour la
situation d'une habitation, et d'y préparer une place pour y
xxxiv bâtir [16]. Je considérai, dit-il, fort particulièrement le
pays; mais en tout ce que je vis, je ne trouvai point de
lieu plus propre, qu'un petit endroit qui est jusques où les
barques et chaloupes peuvent monter aisément, néanmoins avec
un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant
d'eau; car, plus haut que le dit lieu (qu'avons nommé la
Place-Royale), y a quantité de petits rochers, et basses qui
sont fort dangereuses... Ayant donc reconnu fort
particulièrement et trouvé ce lieu un des plus beaux qui fût
en cette rivière, je fis aussitôt couper et défricher le
bois de la dite Place-Royale, pour la rendre unie et prête à
y bâtir.»
[Note 16: Édit. 1613, p. 242.]
Sans paraître regretter sa fondation première, Champlain
prévoyait le moment où il deviendrait nécessaire d'établir
de nouvelles habitations; et, en désignant d'avance
l'emplacement de la florissante ville de Montréal, il ne
montra pas moins de sagesse et de hauteur de vue que dans
son premier choix. Malheureusement, l'état de dénuement dans
lequel on le laissa pendant plus de vingt ans, ne lui permit
pas de réaliser toute la grandeur de ses projets.
L'affection et la confiance que lui témoignèrent, cette
année, tous les sauvages qui vinrent à la traite, est une
preuve frappante que la conduite qu'il avait tenue, était en
effet le vrai moyen de s'attacher ces nations, et par
suite de les amener insensiblement à la connaissance de
l'évangile, et à la lumière de la civilisation.
Aussitôt arrivé en France, Champlain se hâta d'aller trouver
xxxv M de Monts, pour lui faire connaître les belles espérances
qu'on pouvait se promettre des Algonquins et des Hurons,
pourvu qu'on leur prêtât du secours dans leurs guerres,
comme il leur avait été promis.
Mais les associés, fatigués des dépenses, ne voulurent plus
continuer l'association, parce que, sans privilège, le
commerce devenait ruineux. «M. de Monts convint alors avec
eux de ce qui restait en l'habitation de Québec, moyennant
une somme de deniers qu'il leur donna pour la part qu'ils y
avaient, et envoya quelques hommes pour la conservation de
la place, en attendant qu'il pût obtenir une commission.
Mais des affaires de conséquence lui firent abandonner
sa poursuite,» et il remit la chose entre les mains de
Champlain.
Sur ces entrefaites, arrivèrent les vaisseaux de la
Nouvelle-France (1612). Ils rapportèrent que les sauvages,
cette année, étaient descendus au saut Saint-Louis au nombre
de plus de deux cents, avec l'espérance d'y rencontrer
l'auteur; qu'ils avaient paru fort contrariés de ne pas l'y
voir, après les espérances qu'il leur avait données. On les
avait assurés qu'il tiendrait sa promesse, et reviendrait
l'année suivante, ce qu'il fit en effet. Mais certains
traiteurs, poussés par la jalousie et l'esprit de lucre, ne
manquèrent pas de profiter de cette circonstance, pour faire
courir de faux bruits, et allèrent jusqu'à assurer à ces
peuples que Champlain était mort, et qu'ils ne devaient plus
compter sur son retour.
Champlain, cependant, travaillait activement à remédier à
xxxvi tous ces désordres. Il jugea que le plus sûr moyen de faire
réussir une entreprise qui intéressait l'honneur de la
religion et de la France, était de mettre la nouvelle
colonie sous la protection de quelque personnage
d'influence, et s'adressa au comte de Soissons, «prince
pieux et affectionné en toutes saintes entreprises, lui
remontrant l'importance de l'affaire, les moyens de la
régler, et la ruine totale dont elle était menacée au grand
déshonneur du nom français, si Dieu ne suscitait quelqu'un
qui la voulût relever. Le comte promit, sous le bon plaisir
du roi, d'en prendre la protection.»
Champlain présenta, en conséquence, une requête au roi et à
son conseil; et obtint que le comte de Soissons serait nommé
gouverneur et lieutenant-général de la Nouvelle-France.
Celui-ci reçut ses lettres de commission en date du 8
octobre 1612[17], et, le 15 du même mois, l'auteur était
nommé son lieutenant. Malheureusement, le comte de Soissons
mourut quelques jours après, et le prince de Condé, qui lui
succéda, était trop impliqué dans les troubles politiques,
pour être bien utile à l'avancement de la colonie.
[Note 17: Moreau de Saint-Méry, Lettres du duc d'Anville. (Voir
Édit. 1613, p. 285, note I.)]
De nouvelles difficultés, suscitées «par quelques
brouillons, qui n'avaient cependant aucun intérêt en
l'affaire,» retardèrent tellement la publication du
privilège et des règlements de la nouvelle association,
qu'il fut impossible à Champlain de rien faire encore cette
année (1613) pour l'habitation de Québec, «dans laquelle il
xxxvii désirait mettre des ouvriers pour la réparer et
l'augmenter.» De sorte, qu'il fallut, pour le moment, se
contenter de passeports, que le prince donna pour quatre
vaisseaux prêts à faire voile, lesquels s'engageaient à
fournir chacun quatre hommes pour la continuation des
découvertes.
Le voyage de 1613 fut pour l'auteur une déception, quoiqu'il
n'ait pas été un des moins utiles. Champlain eut un moment
l'espoir de trouver enfin le fameux passage du Nord-Ouest
tant cherché par tous les navigateurs.
Un de ceux qui étaient retournés du Canada en 1612, nommé
Nicolas de Vignau, lui assura que le lac où l'Outaouais
prenait sa source, se déchargeait dans la mer du Nord, sur
le rivage de laquelle il disait avoir vu de ses propres yeux
les débris d'un vaisseau et les chevelures de quatre-vingts
anglais qui formaient l'équipage. Ce récit paraissait
d'autant plus vraisemblable, que les Anglais avaient tout
récemment poussé leurs courses aventureuses jusque dans les
profondeurs de la baie d'Hudson. Le chancelier de Sillery,
le maréchal de Brissac, le président Jeannin et autres
personnes graves, furent d'avis que Champlain ne devait pas
négliger de voir la chose en personne.
Il partit donc de l'île Sainte-Hélène le 27 de mai 1613
avec quatre français et un sauvage, et remonta l'Outaouais
jusqu'à la résidence de Tessouat, chef des Algonquins de
l'isle, c'est-à-dire jusqu'à l'île des Allumettes. Tessouat,
qui avait déjà fait la connaissance de l'auteur les années
xxxviii précédentes, reçut cette visite inattendue et inespérée
avec toutes les marques de la plus vive satisfaction. Il
prépara un grand festin, pour souhaiter la bienvenue à ces
hôtes extraordinaires. Tous les principaux chefs devaient
s'y trouver, et là Champlain leur ferait connaître ses
intentions et le but de son voyage.
Le repas fini, il fallut, suivant la coutume, fumer le
calumet pendant une demi-heure, après quoi, Champlain leur
exposa, qu'il était venu d'abord pour les visiter et lier
avec eux une amitié encore plus durable, mais aussi
pour leur demander ce qu'ils lui avaient déjà promis,
c'est-à-dire, de lui faciliter le voyage de la mer du Nord,
que de Vignau prétendait avoir vue l'année précédente.
De Vignau, qui n'avait jamais été plus loin que la cabane de
Tessouat, ne pouvait plus échapper à une conviction des plus
humiliantes et des plus terribles. Tessouat et les autres
capitaines, indignés d'une si impudente imposture,
s'écrièrent «qu'il le fallait faire mourir, ou qu'il dît
celui avec lequel il y avait été, et qu'il déclarât les
lacs, rivières et chemins par lesquels il avait passé.» De
Vignau n'avait garde d'accepter un pareil défi, il avait
toujours compté que les difficultés incroyables d'un pareil
voyage effraieraient Champlain, où qu'enfin quelque obstacle
insurmontable finirait par lasser son courage, et qu'ainsi,
après avoir fait sans dépense le voyage du Canada, il n'en
toucherait pas moins la récompense promise à sa prétendue
découverte.
xxxix «Après avoir songé à lui,» il se jeta à genoux aux pieds de
Champlain, et demanda son pardon. «Ainsi transporté de
colère, dit l'auteur, je le fis retirer, ne le pouvant plus
endurer devant moi.» Les Algonquins voulaient absolument en
faire bonne justice, et, si Champlain ne leur eût défendu de
lui faire aucun mal, ils l'eussent infailliblement mis en
pièces.
Cette expédition, quoique manquée dans son objet principal,
eut néanmoins un excellent résultat. Tous ces peuples,
l'année précédente, avaient été si mécontents des traiteurs,
qu'ils avaient pris la résolution de ne plus descendre; et
il fallut tout l'ascendant que Champlain avait sur eux pour
les ramener à de meilleures dispositions.
De retour en France, Champlain s'occupa de mener à bonne
fin les négociations qui n'avaient pu se terminer avant
le départ des vaisseaux, et réussit enfin à former une
puissante compagnie, qui devait se composer des marchands de
Saint-Malo, de Rouen et de la Rochelle; mais les Rochelois
furent si longtemps à accepter les conditions, qu'on les
laissa de côté; les Normands et les Bretons «prirent
l'affaire moitié par moitié.»
A peine cette société des marchands était-elle formée,
que quelques malouins incommodes, fâchés de ne s'être pas
présentés à temps, et ne pouvant contester les droits de
la compagnie, eurent l'adresse de faire insérer «au cahier
général des états» un article demandant que la traite fût
libre pour toute la province. Champlain, voyant encore sur
le point d'échouer un projet qui semblait promettre un
xl meilleur avenir à sa chère colonie, alla trouver le prince
de Condé, et lui représenta l'intérêt qu'il avait à ne
point laisser annuler un privilège aussi nécessaire. Il
plaida si bien la cause, que la société fut maintenue dans
ses droits.
Non content d'assurer le progrès matériel de la
Nouvelle-France, Champlain s'occupait en même temps à lui
procurer un bien encore plus précieux que tous les avantages
temporels. Le spectacle de tant de peuples sans foi, ni loi,
sans dieu et sans religion, comme il avait pu le constater
dans tous ses voyages, avaient excité dans son âme une
immense compassion pour ces pauvres et malheureux infidèles.
«Je jugeai à part moi, dit-il, que ce serait faire une
grande faute, si je ne m'employais à leur préparer quelque
moyen pour les faire venir à la connaissance de Dieu.» Ce
qui l'avait empêché jusque-là d'exécuter ce saint projet,
«c'est qu'il fallait faire une dépense qui eût excédé ses
moyens», et il comprenait mieux que personne la difficulté
de pourvoir aux frais et à l'entretien d'une mission,
surtout avec une compagnie dont plusieurs des membres
étaient calvinistes.
Ayant eu occasion de s'en ouvrir à plusieurs, et entre
autres au sieur Houel, celui-ci lui suggéra de s'adressa aux
Récollets, lui promettant son appui et toute l'influence
qu'il pouvait avoir auprès du provincial, le P. du Verger.
Afin de faciliter cette bonne oeuvre, Champlain alla
lui-même trouver les cardinaux et les évêques qui s'étaient
rendus à Paris pour la tenue des états généraux, et réussit
à recueillir une somme de près de quinze cents livres pour
l'achat des choses les plus nécessaires.
xli Toute l'année 1614 fut ainsi employée à consolider les
règlements de la compagnie des marchands, et à préparer
les voies aux missionnaires. Enfin, au printemps de
1615, Champlain repartit de France avec quatre religieux
récollets: le P. Denis Jamay, commissaire, le P. Jean
Dolbeau, le P. Joseph le Caron et un frère, nommé Pacifique
du Plessis. Ils arrivèrent à Tadoussac le 25 de mai.
Aussitôt que les barques furent prêtes, Champlain se rendit
à Québec, où, de concert avec le P. Dolbeau, il détermina
l'emplacement de la première église du pays, et du logement
des Pères qui devaient la desservir.
L'habitation occupait tout le milieu de la pointe de Québec,
c'est-à-dire, le terrain renfermé entre la Place et les rues
Notre-Dame, Sous-le-Fort et Saint-Pierre. Impossible de
loger une chapelle dans l'enceinte; elle contenait déjà
le magasin, trois corps de logis et quelques petites
dépendances, et la plus petite bâtisse eût complètement
absorbé tout l'espace qui servait de cour intérieure. Du
côté du fleuve, il ne restait guères que la largeur de la
rue Saint-Pierre, en arrière il fallait laisser un passage.
Enfin du côté du Saut-au-Matelot, il n'y avait qu'une petite
lisière de terre qui venait mourir au pied de la côte
actuelle de la basse ville, une chapelle, placée de ce côté
eût obstrué les défenses de la place, sans compter qu'elle
eût été sérieusement exposée à nos trop fréquentes
tempêtes de nord-est. Il n'y avait donc qu'un seul endroit
convenable; Panse du Cul-de-Sac, dans le voisinage du jardin
xlii de Champlain, offrait un assez joli fonds, retiré et
solitaire, comme il convient à la maison de Dieu.
Moins d'un mois après, le 25 de juin 1615, le P. Dolbeau y
disait la première messe, et les offices continuèrent à s'y
célébrer régulièrement tous les dimanches.
Cette année enfin, après tant de retards et de
désappointements, Champlain put réaliser et compléter
ce qu'il n'avait pour ainsi dire qu'ébauché en 1613,
l'exploration des pays de l'ouest, et un commencement de
colonie chez les Hurons.
Toutes ces entreprises, cependant, ne pouvaient être menées
à bonne fin, que par le moyen et le concours des nations
indigènes. Cette année, plus que jamais, les sauvages
descendus à la traite, représentèrent vivement à Champlain,
que, si on ne leur prêtait un secours efficace, il devenait
de plus en plus impossible de quitter leur pays, pour
venir de si loin s'exposer aux embûches que leur tendaient
continuellement les Iroquois.
«Sur quoi, dit l'auteur, le sieur du Pont et moi avisâmes
qu'il était très-nécessaire de les assister, tant pour
les obliger davantage à nous aimer, que pour moyenner la
facilité de mes entreprises et découvertures, qui ne se
pouvaient faire en apparence que par leur moyen, et aussi
que cela leur serait comme un acheminement et préparation
pour venir au christianisme [18].»
[Note 18: L'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_
a bien soin de tronquer ce texte, et d'en retrancher ce qui
non-seulement justifie Champlain, mais encore est tout à sa louange.
On conçoit qu'avec de pareils moyens, il est facile de tirer des
conclusions comme celle-ci: «Cette campagne avait été entreprise pour
un motif d'intérêt particulier, et elle tourna au grand désavantage
de la religion et à celui de la France» (t. I, p. 141); et cela,
suivant le même auteur, parce que «les Français étaient allés
attaquer les Iroquois avec des armes à feu, incendier leur village»
(jusqu'alors aucun village iroquois n'avait été incendié), «et
répandre le sang des Iroquois, sans que ceux-ci leur eussent jamais
fait aucun mal ni donné quelque juste sujet de plainte.» L'injustice
de cette remarque est trop palpable, pour qu'il soit nécessaire de
la réfuter.]
xliii Le chemin à suivre pour éviter les embûches des Iroquois,
était excessivement long et pénible. Il fallait remonter
l'Outaouais avec ses rapides, passer par le lac Nipissing,
pour prendre ensuite le cours de la rivière des Français. Le
pays des Hurons était, comme on sait, situé au fond de la
baie Géorgienne, à l'ouest du lac Simcoe.
Champlain rejoignit au pays des Hurons les quelques français
qui étaient partis un peu auparavant avec le P. le Caron.
Pendant les longs préparatifs de l'expédition projetée
contre les Iroquois, il parcourut toutes les bourgades
huronnes, observant attentivement les beautés du pays et les
moeurs et coutumes des habitants.
L'armée partit de Cahiagué le premier de septembre, et prit
la direction de la rivière Trent et de la baie de Quinte.
Quand on eut traversé le lac des Entouoronon (le lac
Ontario), on cacha soigneusement les canots. Après avoir
fait, à travers le pays des Iroquois, environ une trentaine
de lieues, les alliés arrivèrent enfin devant le fort des
ennemis.
Un corps de cinq cents guerriers carantouanais qui devait
venir faire diversion par un autre côté, n'arriva que
plusieurs jours après le temps convenu. L'attaque eut lieu
cependant; mais les sauvages se ruèrent sur le fort sans
aucun ordre, et Champlain ne put jamais réussir à se faire
entendre dans la chaleur du combat; ce premier assaut fut
inutile.
xliv Le soir, dans un conseil, Champlain proposa de construire,
pour le lendemain, un cavalier, du haut duquel les
arquebusiers français auraient plus d'avantage à tirer, et
une espèce de mantelet pour protéger les assaillants contre
les flèches et les pierres lancées de dessus les palissades.
Quelques-uns voulaient qu'on attendît le renfort des
Carantouanais; mais l'auteur, voyant que l'armée alliée
était assez forte pour emporter la place, craignant
d'ailleurs qu'un retard ne donnât aux ennemis le temps de
se fortifier davantage, fut d'avis qu'on livrât de suite un
second assaut.
L'indiscipline des sauvages fit tout manquer; il fallut
songer à la retraite. Champlain avait reçu deux blessures à
la jambe et au genou.
Quand les alliés furent de retour au lac Ontario, Champlain
demanda qu'on le reconduisît à Québec. Mais les Hurons, qui
avaient intérêt à le garder avec eux, firent en sorte qu'il
n'y eût point de canot disponible; et il dut se résigner à
passer l'hiver en leur pays.
L'armée fut de retour à Cahiagué dans les derniers jours de
décembre. Champlain, après s'être reposé quelques jours chez
son hôte Darontal (ou Atironta), se rendit à Carhagouha pour
y revoir le P. le Caron. Ils partirent tous deux ensemble
le 15 février, et allèrent visiter la nation du Petun (les
Tionnontatés), qui demeuraient plus au sud-ouest. De là, ils
poussèrent jusqu'au pays des Andatahouat ou Cheveux-Relevés,
et, si on ne les en eût détournés, ils voulaient se rendre
jusqu'à la nation Neutre (les Attiouandaronk).
xlv Enfin, le printemps venu, Champlain, se fit reconduire à
Québec, où l'on était fort inquiet sur son sort. Avant le
départ des vaisseaux, il fit agrandir l'habitation de plus
d'un tiers, et en augmenta les fortifications. «Nous fîmes,
dit-il, le tout bien bâtir de chaux et sable, y en
ayant trouvé de très-bonne en un lieu proche de la dite
habitation.»[19]
[Note 19: Il est probable que le fourneau dont on se servit pour
cuire la chaux à cette époque, est le même que celui dont fait mention
un acte de concession du 20 septembre 1649 (Acte de conc. à Dame
Gagner). Ce fourneau paraît avoir été situé entre l'ancien cimetière
et le terrain actuel de la Chambre d'Assemblée.]
Le prince de Condé venait d'être arrêté, le premier de
Septembre 1616. Champlain se douta bien que les ennemis de
la société profiteraient de sa détention, pour exciter de
nouveaux troubles et faire annuler la commission. Il ne
cessait de remontrer aux marchands, que, si l'on ne prenait
les moyens d'augmenter et de fortifier Québec, la traite
finirait par leur être enlevée de force. Les associés
objectaient, que les dépenses annuelles étaient énormes,
et que, dans un moment de trouble comme on était alors en
France, la compagnie, d'une année à l'autre, pouvait avoir
le même sort que celle de M. de Monts, et qu'ils en seraient
pour leurs frais. Champlain leur représenta que les
circonstances étaient bien changées: M. de Monts n'était
qu'un simple «gentilhomme, qui n'avait pas assez d'autorité
pour se maintenir en cour contre l'envie, dans le conseil de
Sa Majesté, mais que maintenant ils avaient pour protecteur
et vice-roi du pays un prince qui les pouvait protéger
envers et contre tous sous le bon plaisir du roi.»
xlvi Deux années se passèrent, sans qu'il se fît beaucoup de
progrès.
En 1617 et en 1618, Champlain revint au Canada. Mais le
manque de secours laissait toujours l'habitation dans le
même état de langueur.
A force de persévérance, il obtint enfin, pour l'année 1619,
quelques munitions de guerre, et des provisions de bouche;
la compagnie s'engageait à envoyer quatre-vingts personnes,
«y compris le chef, trois pères récollets, commis,
officiers, ouvriers et laboureurs.»
L'année 1619 s'écoula, et, de toutes ces promesses de
secours et d'hommes, aucune ne fut tenue. Cependant, on
se plaignait partout de la compagnie, qui, jouissant
d'un privilège fort avantageux, ne remplissait point ses
engagements envers la colonie. D'une autre part, la concorde
était loin de régner parmi les associés. Les huguenots
avaient à coeur de ne pas voir la religion catholique
s'enraciner dans le Canada; tandis que les catholiques se
réjouissaient des efforts qu'on faisait pour l'y établir. De
là naissaient des divisions et des procès; chaque parti se
défiait de l'autre, et entretenait son commis particulier,
chargé d'examiner tout ce qui se passait à Tadoussac et à
Québec [20].
[Note 20: Ferland, Cours d'Hist, du Canada.]
Franc, loyal et honnête, Champlain ne leur ménageait aucun
reproche, au sujet de leur conduite. Aussi voulurent-ils se
délivrer d'un censeur incommode, en l'obligeant à s'occuper
de découvertes, pendant que Pont-Gravé resterait à Québec,
revêtu du commandement, et chargé de la traite. Ils
xlvii espéraient que ce dernier serait plus souple et plus
traitable.
Champlain leur répondit que, comme lieutenant-général
du vice-roi, il avait l'autorité sur tous les hommes de
l'habitation; qu'il l'exerçait partout, excepté dans leur
magasin, où était placé leur premier commis; que le sieur
de Pont-Gravé était son ami, qu'il le respectait comme son
père, à cause de son âge, mais qu'il ne lui céderait jamais
aucun de ses droits[21]; «qu'il n'entendait faire le voyage
qu'avec la même autorité qu'il avait eue auparavant,
autrement, qu'il protestait tous dépens, dommages et
intérêts contre eux, à cause de son retardement.»
[Note 21: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]
La-dessus, il leur présenta une lettre dans laquelle le roi
insistait sur l'exécution de ce qu'ils avaient promis, et
leur marquait sa volonté expresse que la compagnie fournît
à Champlain ce qui lui serait nécessaire, tant pour
l'habitation, que pour les découvertes.
Les marchands s'obstinèrent, et Champlain, qui s'était
préparé à passer au Canada avec sa famille, se vit contraint
de retourner à Paris, après avoir fait sa protestation.
«Nous voilà à chicaner,» dit-il; et, avec son activité et
son énergie ordinaires, il se rend à Tours, pour y suivre
l'affaire devant le conseil. «Après avoir bien débattu,
ajoute-t-il, j'obtiens un arrêt de messieurs du conseil,
par lequel il était dit que je commanderais tant à Québec,
qu'autres lieux de la Nouvelle-France, et défenses aux
xlviii associés de me troubler ni empêcher en la fonction de ma
charge; lequel arrêt je leur fais signifier en pleine
bourse de Rouen.»
Le prince de Condé ne pouvait guère s'occuper de la
Nouvelle-France; il céda facilement tous ses titres au duc
de Montmorency. Champlain, qui avait contribué à cette
transaction [22], fut nommé son lieutenant, et se disposa
à partir avec sa famille (1620). La compagnie, voyant ce
changement d'un mauvais oeil, suscita encore de nouvelles
tracasseries au sujet des pouvoirs qu'il devait exercer.
Mais il n'eut qu'un mot à écrire au nouveau vice-roi; les
associés reçurent un ordre formel et absolu du roi, de se
désister de leurs poursuites.
[Note 22: Édit. 1632, première partie, p. 327.]
Champlain partit enfin vers le 8 de mai, et arriva au moulin
Baudé, après une traverse de deux mois. Son beau-frère,
Eustache Boullé, fut agréablement surpris et étonné de voir
que sa soeur avait eu le courage de braver les fureurs de
l'Océan, pour venir se fixer dans un pays encore sauvage et
dénué de tout.
Le 11 juillet, Champlain partit de Tadoussac pour monter à
Québec, où, en arrivant, il «se rendit à la chapelle, pour y
rendre grâces à Dieu de l'avoir préservé, lui et sa famille,
de tous les dangers d'un si long et si pénible voyage.» Le
lendemain, après la messe, un des Pères fit une exhortation
de circonstance, et, au sortir de la chapelle, on lut
publiquement les lettres de commission royale, et celles du
vice-roi. Chacun cria: _Vive le roi_; le canon fut tiré
en signe d'allégresse, «et ainsi, dit Champlain, je pris
xlix possession de l'habitation et du pays au nom de mon dit
seigneur le vice-roi.»
Champlain trouva de quoi exercer son zèle. «Je trouvai,
dit-il, cette pauvre habitation si désolée et ruinée,
qu'elle me faisait pitié. Il y pleuvait de toutes parts,
l'air entrait par toutes les jointures du plancher; le
magasin s'en allait tomber, la cour si sale et orde, que
tout cela semblait une pauvre maison abandonnée aux champs
où les soldats avaient passé.» En peu de temps, néanmoins,
tout fut réparé, grâce à la diligence qu'il y mit.
Un de ses premiers soins fut ensuite de faire commencer, sur
le coteau qui dominait l'habitation, un petit fort, qu'il
jugea plus que jamais nécessaire «pour éviter aux dangers
qui peuvent advenir en un pays éloigné presque de tout
secours. J'établis, dit-il, cette demeure en une situation
très-bonne, sur une montagne qui commandait sur le travers
du fleuve Saint-Laurent, qui est un des lieux des plus
étroits de la rivière. Cette maison ainsi bâtie ne plaisait
point à nos associés; mais pour cela il ne faut pas que je
laisse d'effectuer le commandement de Mgr le Vice-roi; et
ceci est le vrai moyen de ne point recevoir d'affront.»
Le duc de Montmorency, voyant avec peine la mauvaise volonté
de la compagnie des marchands, avait résolu de mettre un
terme à un état de choses si préjudiciable aux intérêts de
la colonie. Au printemps de 1621, on apprit, par le premier
vaisseau, qu'il avait formé une compagnie nouvelle. M. Dolu,
intendant des affaires du pays, fut chargé d'expédier à
l Champlain copie des nouvelles commissions, pour le prévenir
que le vice-roi avait remis entre les mains des sieurs de
Caen la gestion de tout ce qui regardait la traite, et que
c'était son désir qu'il ne se fît aucune innovation avant
son arrivée.
Malheureusement, le vaisseau de M. de Caen ne paraissait
point. Les commis de l'ancienne société n'étaient pas
d'humeur à lâcher prise si facilement, à moins que Champlain
n'exhibât des ordres du roi; ce qu'il ne pouvait faire pour
le moment. L'arrivée de Pont-Gravé et de plusieurs des
anciens commis vint encore rendre la position plus critique.
Il fallait agir avec une grande circonspection.
Le petit fort que Champlain venait de commencer et qu'il se
hâta de terminer de son mieux, fut en ce moment le salut
de la patrie. Il y mit Dumais et son beau-frère avec seize
hommes, et y jeta les armes et provisions nécessaires.
«En cette façon, dit-il, nous pouvions parler à cheval.»
Lui-même se chargea de la garde de l'habitation.
Les commis de l'ancienne société furent contraints
d'accepter un compromis, et d'attendre que M. de Caen fût
arrivé. Enfin, après des allées et venues et des pourparlers
qui durèrent jusqu'au mois d'août, Champlain, secondé par le
P. George le Baillif, vint à bout de faire la paix entre les
deux partis.
Les habitants de Québec, alarmés d'un état de choses si
déplorable, se réunirent dans une assemblée publique,
Champlain à leur tête, pour signer et adresser au roi une
humble pétition, afin que Sa Majesté voulût bien mettre un
terme aux funestes divisions qui menaçaient de ruiner tout
li le pays. Champlain ne pouvant s'absenter sans inconvénient
et pour sa famille et pour l'intérêt de tous, on choisit
pour cette mission le P. Georges le Baillif. Ce sage
religieux vint à bout d'obtenir les principaux articles de
son «cahier,» et un arrêt du conseil d'état réunit les
deux compagnies en une seule (1622).
Pendant les quatre ans que Champlain passa à Québec avec sa
famille, son occupation principale fut de faire travailler à
l'habitation, au fort et au château Saint-Louis; il saisit
en même temps toutes les occasions de faire avec les
Montagnais une alliance de plus en plus étroite.
Un des moyens qui lui parût le plus propre à atteindre
ce but, fut de conférer à quelqu'un de leurs capitaines
certaines faveurs ou certains grades qui devaient
naturellement les attacher aux Français.
Le capitaine Miristou fut le premier à qui l'on accorda cet
honneur. Il prit à cette occasion le nom de Mahigan-Atic
(loup-cerf), pour donner à entendre, que, doux comme le
cerf, il saurait, quand il serait nécessaire, avoir le
courage et même la fureur du loup.
Champlain, en 1624, se décida à reconduire sa femme en
France. Accoutumée aux douceurs de la vie de Paris, elle
avait dû souffrir beaucoup de la privation des choses
considérées comme indispensables à son état. Son mari et son
frère étant fort souvent absents, elle se trouvait ainsi
exposée à bien des ennuis.
lii L'année 1624 fut une époque d'améliorations pour Québec:
Champlain ouvrit un chemin commode, conduisant du magasin au
fort Saint-Louis sur la hauteur, afin de remplacer le
sentier étroit et difficile dont on s'était servi
jusqu'alors. Les ouvriers continuaient en même temps les
travaux du fort. Reconnaissant le mauvais état de
l'habitation, et désespérant de la pouvoir réparer
convenablement, il entreprit d'en bâtir une nouvelle. Vers
les premiers jours du mois de mai, il fit abattre tous les
vieux bâtiments, à l'exception du magasin, et les fondations
furent posées. Pour conserver la mémoire de cette
reconstruction, l'on enfouit une pierre sur laquelle,
étaient gravées les armes du roi, ainsi que celles du
vice-roi, avec la date et le nom de Champlain, lieutenant du
duc de Montmorency. Ces bâtiments devaient consister en un
corps de logis, long de cent huit pieds, avec deux ailes de
soixante pieds, et quatre petites tours aux quatre angles de
l'édifice. Devant l'habitation et au bord du fleuve, était
un ravelin, sur lequel on disposa des pièces de canon,
le tout était environné de fossés, que traversaient des
ponts-lévis[23].
[Note 23: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]
Le sieur Émeric de Caen demeura à Québec pour y commander.
Champlain en partit le 15 août, et arriva à Dieppe le
premier octobre. Il se rendit de là à Paris, afin de donner
au roi et à M. de Montmorency des détails sur ce qui s'était
passé dans la Nouvelle-France depuis quatre ans.
De nouvelles contestations entre les anciens et les nouveaux
associés achevèrent de dégoûter le duc de Montmorency de sa
liii charge de vice-roi, «qui lui rompait plus la tête, que ses
affaires plus importantes.» Il la céda à son neveu Henri de
Lévis, duc de Ventadour. Celui-ci continua Champlain dans sa
charge de lieutenant, et lui en expédia les lettres le 13
février 1625.
Le nouveau vice-roi, plein de zèle pour les intérêts de la
colonie et pour l'avancement des missions, voulut d'abord
que Champlain demeurât cette année auprès de lui pour
l'instruire plus particulièrement des besoins du pays
dorénavant soumis à sa juridiction, puis il encouragea
de toutes ses forces le projet qui venait de se former,
d'envoyer des missionnaires jésuites au Canada, pour venir
en aide aux premiers missionnaires, les Récollets.
M. de Caen fut chargé du voyage de 1625. A son retour, il y
eut contre lui des récriminations graves, qui entraînèrent
un procès. Il sut néanmoins se tirer d'affaire assez
bien, l'arrêt du conseil lui alloua «trente-six pour cent
d'intérêt sur un fonds de soixante mille livres, mais à
condition qu'il exécuterait tous les articles auxquels la
société s'était obligée envers le roi; qu'il donnerait
caution dans trois jours, et nommerait un catholique au
commandement de la flotte du Canada.»
Le printemps venu, M. de Caen ne s'étant pas conformé aux
décisions de la cour, les anciens associés le protestèrent.
Il les appelle une seconde fois devant le conseil, et un
nouvel arrêt lui accorde encore gain de cause, à condition
toutefois qu'il donnera caution dans Paris, et qu'il
nommera, en l'absence du vice-roi, un amiral catholique,
lui-même ne devant point faire le voyage.
liv Les vaisseaux appareillèrent à Dieppe. Champlain s'y
embarqua, avec le sieur Destouches et son beau-frère, nommé
son lieutenant, à bord de la _Catherine_, vaisseau de cent
cinquante tonneaux. Émeric de Caen était vice-amiral, et
commandait la _Flèque_.
Champlain n'arriva à Québec que le 5 de juillet. Tous les
_hivernants_ se portaient bien, même Pont-Gravé, qui avait
pensé mourir de la goutte pendant l'hiver.
Quoiqu'il eût, avant son départ, laissé «nombre de matériaux
prêts,» il ne trouva pas les logements si avancés qu'il se
l'était promis. Le fort était encore au point où il l'avait
quitté en 1624; le château, qui renfermait quelques ménages,
n'avait pas été terminé, quoiqu'il y eût du bois d'assemblé
depuis deux ans.
Une des raisons qui retardaient les travaux du fort et de
l'habitation, c'est que les ouvriers étaient employés, «aux
plus beaux et longs jours de l'année,» à l'entretien du
bétail. Il fallait aller faire les foins à près de dix
lieues de Québec, aux prairies naturelles du cap Tourmente,
ce qui prenait quelquefois jusqu'à deux mois et demi. Pour
obvier à cet inconvénient, Champlain établit une habitation
auprès du Petit-Cap, au lieu même où sont aujourd'hui les
bâtisses de la Petite-Ferme. Comme on était déjà au mois de
juillet, il employa tous les ouvriers à y construire deux
logis et une étable de soixante pieds de long. A partir
de ce moment, le soin des bestiaux ne demandait plus que
lv quelques personnes. Au mois de septembre, Champlain y
envoya le sieur Foucher avec cinq ou six hommes, une femme
et une petite fille.
Considérant, d'un autre côté, que le fort de Québec «était
bien petit, pour y retirer, dans un besoin, tous les
habitants de la place, il résolut de l'abattre et de
l'agrandir; ce que je fis, dit-il, jusqu'au pied, pour
suivre mieux le dessein que j'avais; auquel j'employai
quelques hommes qui y mirent toute sorte de soin.» Il
y ménagea, «selon l'assiette du lieu, deux petits
demi-bastions bien flanqués. La ruine du petit fort servit
en partie à refaire le plus grand.» Il se composait de
fascines, et de terrassements, en attendant un jour qu'on le
fît revêtir de murailles.
Après les travaux du fort, les logements de l'habitation et
le magasin réclamaient la plus large part de son attention.
Il fit couvrir la moitié du grand corps de logis, commencé
depuis si longtemps, et faire quelques menues réparations.
L'hiver de 1626 à 1627 fut un des plus longs que l'auteur
eût passés dans le pays, et il fut marqué par la perte du
premier habitant de Québec, Louis Hébert, qui mourut des
suites d'une chute.
Pendant ce même hiver, quelque nation voisine des
établissements Flamands, à laquelle les Iroquois avaient
tué vingt-quatre hommes (sans compter cinq flamands), parce
qu'elle n'avait pas voulu leur donner passage pour
aller faire la guerre aux Loups, offrirent des présents
considérables aux sauvages alliés pour les engager dans une
grande coalition contre ces ennemis implacables. Plusieurs
lvi chefs montagnais, algonquins et autres les avaient acceptés,
et l'on était sur le point de rassembler les forces
suffisantes.
Champlain en témoigna son mécontentement à Mahigan-Atic, qui
lui fit part de ce projet. Il lui dit qu'il lui savait bon
gré de son avis, mais qu'il trouvait fort mauvais que le
Réconcilié et autres chefs eussent accepté ces présents, et
se fussent engagés dans cette guerre sans l'en prévenir, vu
qu'il s'était lui-même entremêlé de faire la paix pour eux
avec les Iroquois, qu'ils allaient rompre un traité qu'on
avait eu tant de peine à conclure, juste au moment où l'on
commençait à en ressentir les heureux effets, et qu'il
regarderait comme ses ennemis tous ceux qui prendraient part
à cette malheureuse expédition.
Mahigan-Atic comprit qu'ils avaient fait une grande faute,
et il conseilla d'envoyer quelqu'un aux Trois-Rivières pour
arrêter le coup. Champlain chargea son beau-frère de cette
mission délicate. Boullé était digne de cette confiance; il
réussit à convaincre les sauvages de l'imprudence de leur
démarche, et il fut convenu qu'on ne ferait rien jusqu'à ce
que tous les vaisseaux fussent arrivés, et que les autres
nations qui devaient descendre fussent toutes assemblées.
Aussitôt qu'Émeric de Caen fut prêt à monter à la traite,
Champlain lui recommanda de faire tous ses efforts pour
achever l'oeuvre de pacification si bien commencée. «Mais,
ajoute l'auteur, il ne sut tant faire, ni tous les sauvages
qui étaient là, que neuf ou dix jeunes hommes écervelés
n'entreprissent d'aller à la guerre.» Ils revinrent avec
lvii deux iroquois, que l'on fit passer par tous les tourments
ordinaires. Voilà la paix rompue.
Émeric de Caen crut devoir en écrire aussitôt à Champlain,
lui mandant que sa présence était nécessaire pour arrêter
ces désordres, et en prévenir les fâcheuses conséquences.
Celui-ci partit sur le champ avec Mahigan-Atic. Dès qu'il
y fut arrivé, on assembla un grand conseil. Champlain leur
représenta qu'ils venaient de faire, en compromettant ainsi
la paix, une démarche qui pourrait leur coûter bien cher, si
l'on n'y trouvait quelque remède. Il se ferait un devoir de
les assister en frère, comme il l'avait déjà fait, lorsque
les Iroquois leur feraient la guerre mal à propos; mais
il ne pouvait approuver qu'on allât ainsi les attaquer en
pleine paix sans qu'ils eussent rien entrepris contre eux.
Après que chaque capitaine eut fait sa harangue, il fut
résolu, d'un consentement unanime, que l'on renverrait l'un
des prisonniers, avec le Réconcilié et deux autres sauvages,
et, «afin de mieux faire valoir leur ambassade, ils
demandèrent un français pour les accompagner.» Il s'en
présenta deux ou trois, entre autres Pierre Magnan, qui fut
agréé de part et d'autre.
Quelques semaines après, un sauvage apporta la nouvelle que
les ambassadeurs avaient été cruellement massacrés. On sut
plus tard qu'un algonquin de l'isle, pour satisfaire une
vengeance personnelle, avait malicieusement fait croire aux
Iroquois que cette députation n'était que pour les mieux
trahir.
Les vaisseaux, à leur départ en 1627, laissèrent
lviii l'habitation assez mal approvisionnée. Il demeura à Québec
cette année cinquante-cinq personnes, tant hommes que
femmes et enfants, «sans comprendre les habitants du pays.»
Sur ce nombre, il n'y avait que dix-huit ouvriers.
Il en fallait plus de la moitié pour les travaux du cap
Tourmente; l'habitation de Québec n'était point achevée. La
compagnie et M. de Caen avaient promis dix hommes pour faire
travailler au fort; mais, pour eux, l'habitation devait
passer avant tout, et Champlain se vit réduit à ne pouvoir
employer aux fortifications que les hommes qui étaient pour
ainsi dire de reste.
«Je jugeai dès lors, dit l'auteur, que la plus grande part
des associés ne s'en souciaient beaucoup, pourvu qu'on leur
donnât d'intérêt les quarante pour cent.» Il en dit son
sentiment à M. de la Ralde, qui se trouvait lié par ses
engagements; «c'est en un mot, ajoute-t-il, que ceux qui
gouvernent la bourse font et défont comme ils veulent.»
Il en écrivit au vice-roi, et, en attendant, il continua
d'employer au fort tous les hommes dont il put disposer,
sans toutefois négliger l'habitation.
Quelque temps après le départ des vaisseaux, deux français,
Henri, domestique de Madame Hébert, et un autre nommé
Dumoulin, auxquels Champlain avait donné commission d'amener
par terre quelques bestiaux du cap Tourmente, furent
lâchement assassinés par un montagnais à qui l'on avait
refusé un morceau de pain. Un semblable meurtre avait été
commis vers le cap Tourmente quelques années auparavant,
sans qu'on eût pu faire justice rigoureuse.
lix Cette fois, Champlain jugea que ce serait une faiblesse que
de ne point sévir contre de pareils attentats. Il mande à
l'habitation les principaux chefs, leur remontre l'atrocité
du crime commis par un de leur nation, et leur déclare
nettement qu'il exige qu'on lui livre les auteurs de
l'assassinat; en attendant, on garderait comme otage un
certain montagnais, sur lequel on avait des soupçons, et que
dorénavant on serait obligé de se tenir en garde contre leur
perfidie.
Les sauvages parurent, en cette occasion, réellement
chagrins et mortifiés d'un événement si fâcheux; mais il n'y
eut pas moyen de constater au juste quel était le coupable.
Avant de partir pour la chasse, les Montagnais voulurent
donner à Champlain un témoignage singulier de leur estime.
Ils envoyèrent Mécabau, appelé Martin par les Français,
demander au P. le Caron quel présent il leur conseillait
de faire. «Il me souvient, lui dit Mécabau, qu'autrefois
monsieur de Champlain a eu désir d'avoir de nos filles pour
mener en France, et les faire instruire en la loi de Dieu
et aux bonnes moeurs; s'il voulait à présent, nous lui en
donnerions quelqu'unes; n'en serais-tu pas bien content?» Le
Père répondit que oui, et qu'il fallait lui en parler. «Ce
que les sauvages firent de si bonne grâce, ajoute Sagard,
que le sieur de Champlain, voulant être utile à quelque
âme, en accepta trois. Plusieurs croyaient que les sauvages
n'avaient donné ces filles au sieur de Champlain que pour
s'en décharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se
lx trompaient, car Chomina même, à qui elles étaient parentes,
désirait fort de les voir passer en France, non pour s'en
décharger, mais pour obliger les Français et en particulier
le sieur de Champlain.» [24]
[Note 24: Sagard, Hist. du Canada, p. 912-14.]
On était rendu à la fin de juin 1628, et les vaisseaux ne
paraissaient point. Les vivres commençaient à faillir, et ce
qu'il y avait de plus embarrassant, c'est que le sieur de
la Ralde n'avait laissé aucune barque à Québec; en outre
l'habitation était sans matelot ni marinier. «De brai,
voiles et cordages, dit Champlain, nous n'en avions point;
ainsi étions dénués de toutes commodités, comme si l'on nous
eût abandonnés.»
Tel était, par le mauvais vouloir des marchands, l'état de
gêne où se trouvait la colonie, quand une flotte anglaise,
conduite par un renégat français, vint encore augmenter
l'embarras de Champlain.
Trois frères huguenots, David, Louis et Thomas Kertk, dont
la famille avait quitté la France pour passer au service
de l'Angleterre, s'étaient chargés de détruire les
établissements français du Canada.
Au moment où l'on préparait une petite embarcation pour
aller à Tadoussac chercher une barque, avec laquelle on pût
aller à Gaspé, deux hommes arrivèrent en toute hâte du cap
Tourmente, et apportèrent la triste nouvelle que les Anglais
y avaient détruit et ruiné de fond en comble l'habitation
qu'on venait d'y fonder.
Champlain, ainsi assuré de la présence de l'ennemi, fit
réparer à la hâte les retranchements de l'habitation, et
lxi dresser des barricades autour du fort, dont il n'avait pu
terminer les remparts. Il distribua ensuite sa petite
garnison aux quartiers les plus exposés, de façon que chacun
connût son poste, et y accourût au besoin.
Le lendemain, 10 juillet, sur les trois heures de
l'après-midi, l'on aperçut dans la rade une voile
qui faisait mine de vouloir entrer dans la rivière
Saint-Charles. Quoique une chaloupe seule ne pût faire un
grand exploit, Champlain ne négligea pas de surveiller ses
mouvements, il envoya de suite quelques arquebusiers au
rivage. On reconnut que c'étaient des basques, auxquels les
Kertk avaient confié la charge de ramener à Québec le sieur
Pivert avec sa femme et sa petite nièce, faits prisonniers
au cap Tourmente. Ils étaient en même temps porteurs d'une
lettre par laquelle David Kertk invitait le commandant du
fort à lui livrer la place.
Champlain lut cette lettre devant Pont-Gravé «et les
principaux habitants.» La conclusion fut, dit notre auteur,
que, si l'Anglais «avait envie de nous voir de plus près,
il devait s'acheminer, et non menacer de si loin.» Quoique
chacun fût réduit à une ration de sept onces de farine de
pois par jour, et qu'il n'y eût pas cinquante livres de
poudre au magasin, Champlain fit une réponse si fière, que
les Kertk, croyant l'habitation mieux approvisionnée qu'elle
ne l'était, jugèrent prudent de ne pas aller plus loin, et
se retirèrent après avoir brûlé ou emmené toutes les barques
qui avaient été laissées à Tadoussac.
lxii Le Canada était sauvé, si les vaisseaux de la nouvelle
compagnie [25] avaient su éviter la rencontre de la flotte
anglaise. Malheureusement, M. de Roquemont, qui les
conduisait, au lieu de se réfugier dans un des nombreux
havres du golfe, où il pouvait attendre en sûreté que les
Anglais fussent partis, remonta le fleuve, et se vit bientôt
dans la nécessité de livrer un combat inégal, où il perdit
du coup toute la ressource d'une colonie déjà prête à
succomber.
[Note 25: Cette nouvelle compagnie, formée (1627) par le cardinal de
Richelieu, avait pris le titre de Compagnie de la Nouvelle-France; on
l'a appelée aussi compagnie des Cent-Associés. Fondée sur des bases plus
larges que les précédentes, cette puissante société donna, dès que le
Pays fut remis à la France, un nouvel élan à la colonisation, au
défrichement des terres, et à la conversion des sauvages. Champlain en
fit partie plus Tard. (Du Creux, _Hist. Canadensis._)]
Cette défaite jeta Champlain dans une grande perplexité.
Québec se voyait menacé de la plus cruelle famine; l'on ne
pouvait maintenant espérer de secours que dans dix mois,
et les sauvages avaient peine à suffire à leur propre
subsistance. Cependant il ne se laissa point décourager.
Il exhortait ses compagnons à la patience, et leur donnait
lui-même l'exemple de l'abnégation, en se soumettant au même
régime que les autres. Le peu de grain récolté par les Pères
Récollets, par les Jésuites, par la famille Hébert, avec le
produit de la pêche et de la chasse, procurèrent assez de
vivres pour empêcher les habitants de mourir de faim pendant
l'hiver. Afin que les pois et autres légumes pussent donner
plus de nourriture, Champlain, ingénieux à profiter de tout,
imagina de les faire piler dans des mortiers de bois.
Le travail était long et pénible, pour des hommes exténués
lxiii par la disette, il eut la pensée de faire construire un
moulin à bras. Mais, comme il n'avait point de meule, celles
de la compagnie étant restées à Tadoussac, il chargea le
serrurier de l'habitation de chercher de la pierre propre à
en faire; celui-ci fut assez heureux pour en trouver. Un
menuisier entreprit de monter une moulange; «de sorte que,
dit Champlain, cette nécessité nous fit trouver ce qu'en
vingt ans l'on avait cru être impossible.»
Voyant le soulagement qu'apportait déjà cette première
invention, il résolut de faire bâtir un moulin plus
considérable, et de le faire mouvoir par l'eau. Ce plan,
tout en soulageant la main-d'oeuvre, devait avoir le bon
effet d'encourager les habitants à faire de plus grosses
semences, et de les accoutumer à compter davantage sur leur
industrie et sur les produits de la terre.
Au printemps (1629), un sauvage appelé Érouachit, qui
arrivait du pays des Abenaquis, soumit à Champlain, de la
part de ces peuples, un projet dont celui-ci n'eût pas
manqué de profiter, si les munitions n'avaient pas été aussi
rares que les vivres.
Cette nation demandait le secours des armes françaises
contre l'ennemi commun, les Iroquois. Il était inutile de
songer à prêter main-forte aux autres, quand on était réduit
à un pareil état de faiblesse. Champlain voulut cependant
tirer tout le parti possible de l'amitié de ces peuples, et
se décida à leur envoyer une ambassade. Son beau-frère était
bien l'homme de confiance à charger de cette commission,
mais le besoin qu'il avait de ses services, dans la
prévision du retour des Anglais, l'engagea à le retenir
lxiv auprès de lui. Celui qui fut délégué à sa place, devait
assurer les Abenaquis qu'on les assisterait contre leurs
ennemis dès que les vaisseaux auraient rapporté l'abondance,
pourvu qu'en attendant ils voulussent bien donner aux
Français quelques secours en vivres. Champlain lui avait en
même temps recommandé de bien observer les lieux, la
qualité des terres et la bonté du pays.
Voyant la saison déjà passablement avancée, Champlain prit
le parti d'envoyer son beau-frère à Gaspé avec une trentaine
d'autres, vingt d'entre eux consentirent d'avance à demeurer
là avec les sauvages, et les autres préférèrent courir leur
risque. La barque, avant d'arriver à Gaspé, rencontra le
vaisseau d'Émeric de Caen, qui venait chercher une partie
des hommes de la compagnie destituée, et apportait en même
temps des vivres pour l'habitation. Ainsi assuré d'un prompt
secours, Boullé prit quelques provisions, et se remit en
route pour Québec. Malheureusement, il tomba entre les mains
des Anglais avant d'avoir passé Tadoussac.
Les Kertk étaient revenus cette année avec six vaisseaux
et deux pinasses, décidés à faire un dernier effort
pour achever leur conquête. A force de questionner les
prisonniers, ils ne tardèrent pas à connaître au juste le
triste état où était réduit Québec.
Pendant ce temps-là, Champlain était dans une mortelle
inquiétude. Les vivres manquaient, la saison était déjà bien
avancée, et l'on commençait à désespérer de voir arriver
des vaisseaux. Les sauvages, depuis l'arrestation de
lxv Mahigan-Atic-Ouche, soupçonné d'avoir commis le meurtre
des deux français, se tenaient sur la réserve, et, à
l'exception du fidèle Chomina, on ne pouvait guère
compter sur eux en ce moment.
Pont-Gravé, à cause de son âge et de ses infirmités, causait
à Champlain beaucoup plus d'embarras, qu'il ne pouvait lui
être de service. Comprenant lui-même la délicatesse de sa
position, il avait pris la résolution de descendre comme il
pourrait à Gaspé, pour y chercher un vaisseau et se faire
repasser en France. Le voyage préparé, il demanda à l'auteur
s'il aurait agréable qu'il fît lire la commission que lui
avait donnée M. de Caen, afin que celui-ci ne pût lui
contester ses gages. Champlain ne voulut pas lui refuser
cette satisfaction; mais il crut devoir lui observer, que M.
de Caen «s'attribuait des honneurs et commandements qui
ne lui appartenaient pas, anticipant sur les charges de
vice-roi; que, pour le commerce des pelleteries, les
articles de Sa Majesté lui donnaient tout pouvoir;»
mais que, pour le reste, les commissions royales ne lui
permettaient pas de s'en mêler.
«Le lendemain, qui était un dimanche, au sortir de la
sainte messe, Champlain, devant tout le peuple assemblé, fit
lire les commissions,» celle que Pont-Gravé tenait du sieur
de Caen, et celle qu'il tenait lui-même du vice-roi, en
expliquant à tous la différence qu'il fallait mettre «entre
le pouvoir que pouvait donner le dit sieur de Caen, et celui
qui lui était conféré à lui-même par les lettres royales.
Je vous fais commandement, dit-il à ceux qui composaient
lxvi l'assemblée, de par le Roi et Mgr le Vice-Roi, que vous ayez
à faire tout ce que vous commandera le sieur du Pont, pour
ce qui touche le trafic et commerce des marchandises,
suivant les articles de Sa Majesté que je vous ai fait lire;
et, du reste, de m'obéir en tout et partout en ce que je
commanderai, et où il y aura de l'intérêt du Roi et de mon
dit Seigneur.»--«Je vois bien, dit Pont-Gravé, que vous
protestez ma commission de nullité.»--«Oui, en ce qui heurte
l'autorité du Roi et de Mgr le Vice-Roi, pour ce qui est de
votre traite et commerce, suivant les articles de Sa
Majesté, à quoi il se faut tenir.»
«Cela se passa ainsi,» dit Champlain.
Un jour que la plupart des habitants de Québec étaient
occupés les uns à la pêche et les autres à chercher des
racines, on vit paraître des vaisseaux derrière la pointe
Lévis. Sur le flot, une chaloupe s'avança avec un pavillon
blanc. Champlain fit mettre au fort un drapeau de même
couleur. La chaloupe aborde, et un gentilhomme anglais s'en
vient courtoisement lui présenter une lettre des deux frères
Louis et Thomas Kertk, qui le sommaient de rendre la place,
lui offrant une composition honorable.
Champlain répondit, que l'état d'abandon où il se trouvait
ne lui permettait pas de faire la même résistance que
l'année précédente; que cependant les vaisseaux fissent
attention de n'approcher à la portée du canon que lorsque la
capitulation serait entièrement réglée.
Sur le soir, le capitaine Louis Kertk renvoya la chaloupe
lxvii pour avoir les articles de la composition, qui portait, en
résumé: qu'on donnerait aux Français un vaisseau pour
repasser en France; que les officiers au service de la
compagnie pourraient emporter leurs armes, leurs habits et
leurs pelleteries; aux soldats l'on accordait leurs habits
avec une robe de castor, et aux religieux leurs robes et
leurs livres. Ces conditions, signées de Louis et de Thomas
Kertk, furent acceptées le dix-neuf juillet par Champlain et
Pont-Gravé, et approuvées ensuite à Tadoussac par l'amiral
David Kertk [26].
[Note 26: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]
Le capitaine Louis cependant avait mis une restriction, au
sujet des petites sauvagesses que Champlain désirait
emmener; le lendemain, les trois vaisseaux anglais étant
entrés dans la rade, Champlain se rendit auprès de lui,
anxieux de savoir pourquoi on ne voulait pas lui permettre
de garder ces deux petites filles, qu'il instruisait avec
soin depuis deux ans, et qui lui étaient fort attachées.
Louis Kertk finit par lui accorder sa demande; ce que le
général David cependant ne voulut jamais ratifier, quelque
supplication que lui en fît l'auteur.
Avant de livrer la place, Champlain demanda quelques soldats
pour empêcher qu'on ne ravageât rien en la chapelle, chez
les Pères Récollets, les Pères Jésuites, la veuve Hébert, et
en quelques autres lieux; ce qui fut libéralement accordé.
Le capitaine Louis descendit à terre avec cent cinquante
hommes, et prit possession de l'habitation et du fort.
«Voulant déloger de mon logis, dit Champlain, jamais il ne
lxviii le voulut permettre, que je ne m'en allasse tout à fait hors
de Québec, me rendant toutes les sortes de courtoisies qu'il
pouvait s'imaginer.» Il lui permit encore de continuer à
faire célébrer la sainte messe, et lui donna «un certificat
de tout ce qui était tant au fort qu'à l'habitation.»
Le dimanche, 22 juillet, le capitaine Louis «fit planter
l'enseigne anglaise sur un des bastions, battre la caisse,
et assembler ses soldats, qu'il mit en ordre sur les
remparts, faisant tirer le canon des vaisseaux; après, il
fit jouer toute l'escopetterie de ses soldats, le tout en
signe de réjouissance.»
«Depuis que les Anglais eurent pris possession de Québec,
dit Champlain, les jours me semblaient des mois.» Louis
Kertk lui permit de descendre à Tadoussac, en attendant le
départ des vaisseaux. Il laissa au capitaine anglais une
partie de son ameublement, et s'embarqua sur le vaisseau de
Thomas Kertk.
Au moment où Champlain allait partir, Guillaume Couillard,
gendre de la veuve Hébert, et quelques autres qui avaient
leur famille, voyant que les Anglais les traitaient bien et
voulaient les engager à rester à Québec, vinrent le trouver
pour lui demander son avis. Il leur représenta qu'ils
devaient avant tout considérer l'intérêt et le salut de
leurs âmes; que, pour cette année, cependant, s'il était à
leur place, il ferait la cueillette des grains, et, après en
avoir tiré le meilleur parti possible, il s'en reviendrait
en France, si toutefois le Canada n'était rendu à ses
premiers maîtres. «Ils me remercièrent, dit-il, du conseil
lxix que je leur donnai; qu'ils le suivraient, espérant néanmoins
nous revoir la prochaine année avec l'aide de Dieu.» [27]
[Note 27: Les familles qui restèrent à Québec étaient au nombre de cinq
(voir Édit. 1632, deuxième partie, p. 249, note 2). Ce sont ces familles
que l'auteur appelle quelquefois _habitants_, par opposition au
personnel de la traite, qui formait une population flottante et mobile.
Toutes les personnes qui n'étaient ici que pour le service de la
compagnie, retournèrent en France; les habitants demeurèrent.]
Champlain quitta Québec le 24 juillet, avec Thomas Kertk. Le
lendemain, comme on était par le travers de la Malbaie,
on aperçut, du côté du nord, un vaisseau qui mettait
sous voile, et tâchait de gagner le vent, pour éviter la
rencontre. Il se trouva que c'était Émeric de Caen. Le
capitaine anglais commanda d'approcher, pour le saluer de
quelques canonnades, «qui lui furent aussitôt répondues par
autres coups de meilleure amonition.» Comme il voulait en
venir à l'abordage, il fit descendre Champlain et les autres
français sous le tillac, et clouer les panneaux sur eux. Le
vaisseau anglais aborda de bout, et cramponna une patte
de son ancre à celui d'Émeric de Caen; de manière que les
assaillants ne pouvaient entrer que par le beaupré, un à un,
et ceux qui risquaient le passage étaient sûrs de se faire
massacrer les uns après les autres. En attendant, l'équipage
de Kertk se faisait foudroyer. Une partie de ses hommes se
jetèrent au fond du vaisseau, et il se vit obligé de les
faire remonter à coups de plat d'épée. Enfin Émeric de
Caen, craignant peut-être de ne pouvoir conserver longtemps
l'avantage de sa position, voyant d'ailleurs approcher les
deux pataches anglaises, cria: Quartier! quartier! Thomas
Kertk ne se fit pas prier; le combat cessa de part et
d'autre.
lxx Émeric de Caen, apprenant que Champlain était à bord du
vaisseau anglais, demanda à lui parler. On fait ouvrir les
panneaux, et Kertk, d'un ton un peu embarrassé, dit à
l'auteur: «Assurez-vous que si l'on tire du vaisseau, vous
mourrez. Dites-leur qu'ils se rendent; je leur ferai pareil
traitement qu'à votre personne; autrement, ils ne peuvent
éviter leur ruine, si les deux pataches arrivent plus tôt
que la composition ne soit faite.»--«Il vous est facile,
répondit Champlain, de me faire mourir en l'état que je
suis. Vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à votre
promesse et à celle de votre frère. Je ne puis commander à
ces personnes-là, et ne peux empêcher qu'ils ne fassent leur
devoir.» Il consentit néanmoins à les engager à accepter une
composition équitable; ce qui se fit fort à propos, car, un
moment après, les deux pataches arrivaient sur eux. Kertk
leur fit défense de rien faire au vaisseau français.
«L'exécution faite, dit l'auteur, nous nous en allâmes à
la rade de Tadoussac, trouver le général Kertk.» Celui-ci,
content de cette prise, fit à Champlain un fort bon accueil.
Pendant son séjour à Tadoussac, Champlain eut occasion de
faire de sévères remontrances aux perfides truchements
Étienne Brûlé, Nicolas Marsollet et quelques autres, en
particulier au traître Jacques Michel, qui s'était vendu aux
Anglais, et s'était chargé de les piloter dans le fleuve.
L'amiral David blâma fortement son frère Louis, d'avoir
donné si facilement le certificat que lui avait demandé
Champlain, et qui contenait l'inventaire de tout ce qui
lxxi avait été trouvé à l'habitation de Québec, prétendant qu'il
ne l'avait autorisé qu'à accepter les articles de la
capitulation.
La flotte anglaise quitta la rade de Tadoussac au mois de
septembre, et repassa en France avec Champlain et tous
ceux qui ne voulurent point rester à Québec, c'est-à-dire,
Pont-Gravé et les employés de la traite, les religieux
récollets et jésuites, et ceux qui, n'ayant point leur
famille, n'avaient aucune raison de sympathiser avec de
nouveaux maîtres.
Le 27 octobre, Kertk était à Douvre, d'où Champlain écrivit
à M. de Lauson pour le prévenir qu'il allait se rendre à
Londres auprès de l'ambassadeur français, et qu'il prît des
mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de la
société et du roi.
En arrivant à Plymouth, l'amiral Kertk fut bien fâché
d'apprendre que la paix avait été conclue entre la France et
l'Angleterre avant la prise de Québec.
Champlain demeura près de cinq semaines à Londres, auprès
de l'ambassadeur. «Je donnai, dit-il, des mémoires, et
le procès-verbal de ce qui s'était passé en ce voyage,
l'original de la capitulation et une carte du pays pour
faire voir aux Anglais les découvertures et possession
qu'avions prise du dit pays de la Nouvelle-France premier
que les Anglais.» Trouvant enfin que les négociations
traînaient en longueur, il obtint de l'ambassadeur de
pouvoir se rendre en France. M. de Châteauneuf le laissa
partir avec l'assurance que le roi d'Angleterre consentirait
à rendre le fort et l'habitation de Québec.
lxxii Ce ne fut qu'au printemps de 1632, le 29 mars, que les
difficultés furent définitivement réglées par le traité
de Saint-Germain-en-Laye. Le temps que Champlain passa en
France, fut employé à publier une nouvelle édition de tous
ses Voyages, ou plutôt une histoire complète de tout ce
qui s'était passé en Canada depuis la fondation de cette
colonie.
Comme la prise de Québec par les Anglais avait causé à M. de
Caen de graves dommages, il semblait juste de lui fournir
l'occasion de réparer ses pertes. En conséquence, le roi lui
accorda la jouissance des revenus du pays pendant une année,
après laquelle Champlain devait reprendre son ancienne
charge. Émeric de Caen fut donc envoyé à Québec, comme
commandant non-seulement de la flotte, mais encore de
toute la colonie. Sous ses ordres fut placé le sieur
du Plessis-Bochart, dont la présence était propre à
contre-balancer les tendances calvinistes du chef[28].
[Note 28: Ferland, Cours d'Hist. du Canada.]
Au moment où elle allait prendre la direction de la colonie,
la compagnie des Cent-Associés crut devoir user de beaucoup
de prudence dans le choix de celui qu'on enverrait pour la
gouverner. Personne ne parut plus propre que Champlain à
remplir cette charge importante. Il fut donc présenté
par les associés au cardinal de Richelieu, qui, par une
commission en date du premier mars 1633, le nomma son
lieutenant «en toute l'étendue du fleuve Saint-Laurent et
autres.»
Champlain partit de Dieppe le 23 mars 1633, avec trois
lxxiii vaisseaux bien équipés, le _Saint-Pierre_, le _Saint-Jean_
et le _Don-de-Dieu_. La petite flotte portait près de deux
cents personnes, tant mariniers que colons, les Pères
Ennemond Massé et Jean de Brebeuf, une femme et deux petites
filles. Au moment d'entrer dans le golfe, une violente
tempête de nord-ouest l'obligea de relâcher à Sainte-Anne du
Cap-Breton; peu après, une seconde bourrasque la contraignit
d'aller chercher un refuge à l'île de Saint-Bonaventure.
Enfin, au bout de deux mois jour pour jour, le vaisseau qui
portait Champlain mouilla devant Québec, le 23 mai[29].
[Note 29: Mercure français, t. xix. La Relation de 1633 fait arriver
Champlain le 22.]
La joie des habitants du pays fut grande quand ils virent
arriver le fondateur de la colonie. «Ce jour, dit le P. le
Jeune, nous a été l'un des bons jours de l'année.» Tous
connaissaient sa sagesse, son expérience et son admirable
dévouement. On voyait renaître toutes les espérances du
passé. Aussi l'on peut dire que dès lors la Nouvelle-France,
si cruellement éprouvée, prit comme une nouvelle naissance,
et se trouva bientôt assez forte pour vivre de sa propre
vie, au milieu de ces grandes forêts du Nouveau-Monde.
Aussitôt que le _Saint-Jean_ eut mouillé l'ancre dans la
rade, Champlain fit sommer le sieur Émeric de Caen de
remettre le fort et l'habitation entre les mains de M. du
Plessis-Bochard, en vertu du commandement qui lui était fait
de la part du cardinal de Richelieu.
L'après-midi, le sieur de Caen quitta le fort avec ses
hommes, et M. du Plessis-Bochard y entra avec les siens. Le
lxxiv jour suivant, 24 de mai, les clefs furent remises entre les
mains de Champlain. M. du Plessis prit alors la charge
d'amiral de la flotte.
Champlain, en possession de son nouveau gouvernement,
s'occupa d'abord des affaires de la traite, qui pressaient
davantage. Il venait d'arriver des Trois-Rivières dix-huit
canots algonquins, et l'on savait que les Anglais avaient
trois vaisseaux à Tadoussac, d'où ils étaient même monté
jusqu'au Pilier.
Champlain, se doutant que les sauvages pourraient aller
les trouver jusque là, tint conseil avec eux, et leur fit
entendre, par la bouche de l'interprète Olivier le Tardif,
qu'ils prissent bien garde à ce qu'ils avaient à faire:
ces Anglais étaient des usurpateurs, qui ne faisaient que
passer; tandis que les Français demeuraient au pays d'une
manière permanente, et qu'il était de l'intérêt de tous que
leur ancienne amitié continuât toujours.
Le chef algonquin répondit par une harangue aussi fine et
délicate, que pleine d'une mâle éloquence. «Tu ne veux pas,
dit-il en finissant, que nous allions à l'Anglais: je vais
dire à mes gens qu'on n'y aille point; si quelqu'un y va,
il n'a pas d'esprit. Tu peux tout: mets des chaloupes aux
avenues, et prends les castors de ceux qui iront.»
Afin d'ôter aux sauvages d'en haut la pensée de descendre
au-devant des Anglais, Champlain établit un nouveau poste,
sur l'îlet de Richelieu, qui commande l'un des passages où
le chenal du fleuve est le plus étroit; ce lieu avait en
outre l'avantage d'être assez rapproché de Québec pour que
l'on pût, au besoin, faire monter dans quelques heures les
marchandises et les objets nécessaires à la traite.
lxxv Non content de veiller aux intérêts de la compagnie,
Champlain, dès son arrivée, déploya toute l'ardeur de son
zèle pour l'honneur du culte et le progrès des missions. Il
se donna une peine infinie pour décider les Hurons à emmener
avec eux quelqu'un des Pères qui avaient déjà commencé à
instruire leur nation.
A peine la traite finie, il voulut accomplir un voeu qu'il
avait fait depuis la prise de Québec par les Anglais. Il
érigea, tout près de l'esplanade du fort, à l'endroit où est
aujourd'hui le maître autel de Notre-Dame de Québec,
une nouvelle chapelle, qui fut appelée _Notre-Dame de
Recouvrance_, tant en mémoire du _recouvrement_ du pays, que
parce qu'on y plaça un tableau _recouvré_ d'un naufrage.
Se voyant secondé de plus en plus efficacement par les
bonnes dispositions de la compagnie, il entreprit une autre
fondation, où l'on se promettait que les missionnaires
pourraient faire un grand fruit; il envoya le sieur La
Violette aux Trois-Rivières, pour y établir une habitation
et un fort; ce qui fut commencé le 4 juillet 1634. Le P. le
Jeune et le P. Buteux allèrent y résider aussitôt que le
logement fut prêt à les recevoir.
Enfin, après avoir donné à sa chère colonie, de nombreux
témoignages d'un dévouement sans bornes et d'une piété aussi
ardente qu'éclairée, «Champlain, comme dit si bien le P. le
Jeune, prit une nouvelle naissance au Ciel le jour même de
la naissance de notre Sauveur en terre;» il mourut le jour
de Noël, 25 décembre 1635, aimé et respecté de tous ceux qui
l'avaient connu.
lxxvi «Nous pouvons dire, continue le même Père, que sa mort a été
remplie de bénédictions. Je crois que Dieu lui a fait cette
faveur en considération des biens qu'il a procurés à la
Nouvelle-France. Il avait vécu dans une grande justice et
équité, dans une fidélité parfaite envers son roi et envers
Messieurs de la Compagnie; mais, à la mort, il perfectionna
ses vertus, avec des sentiments de piété si grands, qu'il
nous étonna tous. Quel amour n'avait-il point pour
les familles d'ici! disant qu'il les fallait secourir
puissamment, et les soulager en tout ce qu'on pourrait en
ces nouveaux commencements, et qu'il le ferait si Dieu lui
donnait la santé. Il ne fut pas surpris dans les comptes
qu'il devait rendre à Dieu: il avait préparé de longue-main
une confession générale, qu'il fit avec une grande douleur
au P. Lalemant, qu'il honorait de son amitié. Le Père le
secourut en toute sa maladie, qui fut de deux mois et demi,
ne l'abandonnant point jusques à la mort. On lui fit un
convoi fort honorable, tant de la part du peuple, que des
soldats, des capitaines et des gens d'église. Le P. Lalemant
y officia, et l'on me chargea de l'oraison funèbre, où je ne
manquai point de sujet. Ceux qu'il a laissés après lui ont
occasion de se louer; que s'il est mort hors de France, son
nom n'en sera pas moins glorieux à la postérité.»
PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION
du Voyage aux Indes
i/1 Il y a à peine quinze ans, on ignorait, en Canada,
l'existence du manuscrit dont nous donnons aujourd'hui la
première édition française. Dans une lettre, en date du
15 décembre, 1855, M. de Puibusque racontait à feu le
Commandeur Viger, comment il avait découvert, à Dieppe, cet
écrit de Champlain, dont il n'avait jamais entendu parler
auparavant.
«Ce manuscrit, ajoute-t-il, est la propriété de M. Féret,
le plus honnête républicain de France, ex-maire de 1848,
antiquaire et poète, qui occupait, il y a un an à peine,
la place de bibliothécaire de la ville, Quoique d'un abord
assez froid et très-réservé avec les étrangers, comme le
sont en général les Normands, M. Féret s'est montré d'une
obligeance, extrême; il m'a confié son manuscrit, en
m'autorisant à le copier, et à faire de ma copie tel usage
que je voudrais. Informé par lui-même qu'un français et
un américain avaient déjà joui d'un privilège semblable,
j'aurais pu, sans indiscrétion, en user aussi; il m'a paru
ii/2 de meilleur goût de m'imposer la restriction qu'on ne
m'imposait pas; je me suis borné à résumer la relation
inédite, ne citant çà et là le texte de divers passages, que
pour caractériser plus fidèlement la pensée et le style de
Champlain.»
C'est ce résumé qui fut envoyé alors au Commandeur Viger.
M. l'abbé Verreau, devenu propriétaire de ce travail, l'a
libéralement laissé à notre disposition tout le temps que
nous avons voulu.
Plein de sympathie pour tout ce qui était canadien, M.
de Puibusque avait eu un instant l'espérance de faire
l'acquisition du manuscrit de Dieppe, pour procurer à la
ville de Québec un souvenir et comme une relique de son
fondateur. «J'ai senti, dit-il en cette même lettre, qu'il y
avait là une conquête inappréciable à faire pour le Canada,
et j'ai osé l'entreprendre. D'abord, M. Féret semblait assez
disposé à céder son manuscrit, qui n'a réellement aucun
intérêt pour sa ville natale; je î'ai prié d'en fixer le
prix, en m'engageant à le payer immédiatement de mes propres
deniers, ou, s'il le préférait, à le mettre directement en
rapport avec M. Faribault. Je promis en outre que, si mon
offre était agréée, je ferais cession gratuite de mon
acquisition à la ville de Québec. A mon grand étonnement, M.
Féret, qui s'était avancé, recula; ses réponses évasives
me firent soupçonner un obstacle caché; je ne me trompais
pas...»
iii/3 L'analyse de M. de Puibusque était sans doute précieuse par
elle-même; mais nous avons trop bien connu M. Viger pour
croire qu'il approuvât complètement le motif de délicatesse
qui ne lui valut qu'un résumé. Sous ce rapport, nous nous
sentons l'âme un peu faite comme celle du Commandeur; nous
aimons singulièrement les oeuvres complètes et les
reproductions intégrales. Il nous en eût coûté beaucoup de
ne publier qu'un compte-rendu, si bien fait qu'il puisse
être, du premier voyage de Champlain, le seul peut-être qui
ait échappé à la main d'un retoucheur.
La providence se chargea d'arranger les choses.
Une indisposition assez grave vint mettre notre ami M.
l'abbé R. Casgrain dans une espèce de nécessité d'aller
demander à l'Europe une distraction et un soulagement à
sa santé délabrée. Il fut accueilli à Dieppe avec la même
bienveillance que M. de Puibusque. M. Faret lui permit
volontiers de copier non-seulement le texte, mais les
soixante et quelques dessins dont il est illustré. Ici,
nous ne savons auquel des deux nous devons plus de
reconnaissance, ou à M. l'abbé Casgrain, qui n'a pas craint
de s'exposer à aggraver ses souffrances, en s'astreignant à
copier de sa main et à collationner avec un soin infini le
précieux document, ou à M. Féret, qui a donné à notre ami et
compatriote une pareille marque de confiance et un si beau
témoignage de sa libéralité.
Voici la description que M. de Puibusque fait du manuscrit:
iv/4 «Son format est in-quarto; il a 115 pages et 62 dessins
faisant corps avec le texte, coloriés et encadrés de lignes
bleues et jaunes. La couverture est en parchemin
très-fatigué; le plat inférieur est déchiré, les derniers
feuillets sont racornis, et la main d'un enfant y a tracé de
gros caractères sans suite. L'écriture nette et bien rangée
ressemble à celle des lettres conservées aux archives des
Affaires Étrangères; cependant, ces dernières sont moins
soignées, et il est aisé de remarquer la différence
naturellement produite par l'âge après un intervalle de
trente-cinq ans. Le manuscrit en effet est de 1601 à 1603.
M. Féret en a fait l'acquisition, il y a longtemps et par
hasard, d'une personne qu'il suppose descendant collatéral
du Commandeur de Chaste.»
L'original de cette lettre dont nous venons de donner
quelques extraits, appartient aussi à M. l'abbé H. Verreau.
L'excellente traduction que M. Alice Wilmere a faite du
_Voyage aux Indes_, pour la Société Hakluyt, nous a été d'un
grand secours, et nous avons abondamment puisé dans les
curieuses et savantes notes de l'éditeur M. Norton Shaw.
Le Canada doit savoir gré à cette société, d'avoir si bien
apprécié le mérite de Champlain.
1/5
[Illustration]
BRIEF DISCOURS
DES CHOSES PLUS REMARQUABLES
QUE SAMMUEL CHAMPLAIN DE BROUAGE
A reconneues aux Indes Occidentalles
_Au voiage qu'il en a faict en icelles en l'année mil vc
iiij.xx xix. & en l'année mil vjc.j. [30] comme ensuit._
[Note 30: En l'année 1599 et en l'année 1601. Dans le manuscrit
original, ces deux dates, écrites d'une manière assez peu usitée, sont
presque illisibles. La traduction anglaise de la société Hakluyt porte:
_in the years one thousand five hundred and ninety-nine to one thousand
Six hundred and two_. Mais quiconque examinera le manuscrit avec
attention, se convaincra qu'il faut lire: 1599 et 1601, comme nous le
figurons ici dans le titre. Du reste, ce sont les seuls chiffres qui
s'accordent avec le texte.]
====================================================================
Ayant esté employé en l'armée du Roy qui estoit en Bretaigne
soubz messieurs le Mareschal d'Aumont[31], de St Luc [32], &
Mareschal de Brissac[33], en qualité de Mareschal des logis
de la dicte armée durant quelques années, & jusques à ce que
Sa Majesté eust en l'année 1598, reduict en son obeissance
ledict païs de Brestaigne, & licencié son armée, me voyant
par ce moyen sans aucune charge ny employ, je me resolus,
pour ne demeurer oysif, de trouver moyen de faire ung voiage
2/6 en Espaigne, y estant pratiquer & acquérir des cognoissances
pour par leur faveur & entremise faire en sorte de pouvoir
m'enbarquer dans quelqu'un des navires de la flotte que le
Roy d'Espaigne envoye tous les ans aux Indes Occidentalles,
affin d'y pouvoir m'y enbarquer[34] des particuliarités qui
n'ont peu estre recongneues par aucuns Françoys, à cause
qu'ils n'y ont nul accès libre, pour à mon retour en faire
rapport au vray à Sa Majesté. Pour donc parvenir à mon
desseing, je m'en allay à Blavet[35], où lors il y avoit
garnison d'Espaignolz, auquel lieu je trouvay ung mien oncle
nommé le Cappitainne Provençal, tenu pour ung des bons
mariniers de France, & qui en ceste qualité avoit esté
entretenu par le Roy d'Espaigne comme pillotte général en
leurs armées de mer. Mon dict oncle ayant receu commandement
de monsieur le Mareschal de Brissac de conduire les navires
dans lesquels l'on feist embarquer les Espaignols de la
garnison dudict Blavet, pour les repasser en Espaigne, ainsi
qu'il leur avoit esté promis, je m'enbarquay avec luy dans
ung grand navire du port de cinq cents thonneaux, nommé le
St Julian, qui avoit esté pris & arresté pour ledict voiage,
où estant partis dudict Blavet au commencement du moys
d'aoust, nous arrivasmes dix jours après proche du cap
Finneterre[36], que nous ne peusmes reconnoistre à cause
3/7 d'une grande brume qui s'éleva de la mer, au moyeu de
laquelle tous nos vaisseaux se separerent, & mesme nostre
admirande de La flotte se pensa perdre, ayant touché à une
roche, & pris force eau, dans lequel navire & à toute la
flotte commandoit le général Soubriago[37], qui avoit esté
envoié par le Roy d'Espaigne à Blavet pour cest effect: le
lendemain le temps s'estant esclarcy, tous nos mariniers se
rejoignirent ensemble, & feusmes aux isles de Bayonne en
Gallice, pour faire radouber ledict navire admiral qui
s'estoit fort offensé.
[Note 31: Jean d'Aumont, né en 1522, et crée maréchal en 1579 par Henri
III; il périt d'un coup de mousqueton, le 19 août 1595.]
[Note 32: François d'Espinay de Saint-Luc, beau-frère du maréchal
d'Aumont. Il fut nommé, en 1596, grand-maître de l'artillerie, et fut
tué d'un boulet de canon le 8 septembre 1597.]
[Note 33: Charles de Cossé-Brissac, second du nom, maréchal de France,
auquel Louis XIII donna le titre de duc en 1612.]
[Note 34: Enquérir.]
[Note 35: Blavet, dernier poste occupé par les Espagnols en Bretagne,
fut rendu à la France par le traité de Vervins, en juin 1598. Cette
forteresse (aujourd'hui Port-Louis) était située à l'embouchure de la
rivière de Blavet. Ruinée pendant les guerres de la Ligue, elle fut
rebâtie avec les anciens matériaux, et fortifiée de nouveau par Louis
XIII, Qui lui donna son nom.]
[Note 36: Voir Planche I.]
[Note 37: Nom évidemment défiguré. (Note de M. de Puibusque.)]
Ayant sejouré six jours auxdictes isles, feismes voille, &
allasmes reconnoistre le cap de Sainct Vincent troys jours
après: ledict cap est figuré en la page suivante[38].
Le dict cap estant doublé nous allasmes au port de
Callix[39], dans lequel estant entrés, les gens de guerre
furent mis à terre, après laquelle descente les navires
françoys qui avoient esté arrestés pour traict furent
congédiez & renvoyez chacun en son lieu, hors mis ledict
navire sainct Julian, qui ayant esté reconnu par ledict
Soubriago général ung fort navire & bon de voille, fust par
luy arresté pour faire service au Roy d'Espaigne, & par
ainsy ledict cappitaine Provençal mon oncle demeura
tousjours en iceluy, & sejournasmes audict lieu de Callis
un moys entier, durant lequel j'eu le moyen de reconnoistre
l'isle dudict Callis, dont la figure en suit [40].
[Note 38: Voir Planche II.]
[Note 39: Cadix.]
[Note 40: Voir Planche III.]
4/8 Partant dudict Callix nous fusmes à St Luc de Baramedo[41],
qui est à l'entrée de la riviere de Siville, où nous
demeurames troys moys, durant lesquels je feus à Siville,
en pris le dessin, & de l'autre, que j'ay jugé à propos de
representer au mieux qu'il m'a esté possible en ceste page &
en la suivante[42].
[Note 41: San-Lucar de Barameda.]
[Note 42: Voir Planches. IV et V.]
Pendant les troys moys que nous fusmes de sejour audict St
Luc de Baramedo il y arriva une patache d'advis, venant de
Portoricco, pour advertir le Roy d'Espaigne que l'armée
d'Angleterre estoit en mer avec desseing d'aller prendre
ledict Portoricco: sur lequel advis ledict Roy d'Espaigne,
pour le secourir, fist dresser une armée du nombre de
vingt vaisseaux & de deux mille hommes, tant soldats que
mariniers, entre lesquels navires celuy nommé le St Julian
fust reteneu, & fust commandé à mon oncle de faire le voiage
en iceluy, dont je receus une extresme joye, me promettant
par ce moien de satisfaire à mon desir, & pour ce je me
resolus fort aisement d'aller avec luy, mais quelque
diligence que l'on peut faire à radouber, avitaller &
esquipper lesdicts vaisseaux, avant que pouvoir estre mis à
la mer, & sur le point que nous debvions partir pour aller
audict Portoricco, il arriva des nouvelles par une patache
d'advis qu'il avoit esté pris des Anglois, au moien de quoy
ledict voiage fust rompu à mon grand regret pour me voir
frustré de mon esperance.
5/9 Or en mesme temps l'armée du Roy d'Espaigne, qui a
accoustumé d'aller tous les ans aux Indes, s'appareilloit
audict St Luc, il vint de la part dudict Roy ung seigneur
nommé Domp Francisque Colombe, Chevalier de Malte, pour
estre général de ladicte armée, lequel voiant nostre
vaisseau appareillé & prest à servir, & sachant par le
rapport qu'on luy avoit faict, qu'il estoit fort bon de
voille pour son port, il resolut de s'en servir, & le
prendre au fraict ordinaire, qui est ung escu pour Thonniau
par mois, de sorte que j'eus occasion de me resjouir voiant
naistre mon esperance, d'autant mesme que le Cappitaine
Provençal mon oncle ayant esté reteneu par le général
Soubriago pour servir ailleurs, & ne pouvant faire le
voiage, me commist la charge dudict vaisseau pour avoir
esgard à iceluy, que j'acceptay fort volontiers, & sur ce
nous fusmes trouver ledict sieur général Colombe pour savoir
s'il auroit agréable que je fisses le voiage, ce qu'il me
promist librement, avec des tesmoignages d'en estre fort
aise, m'ayant promis sa faveur & assistance, qu'il ne m'a
depuis desniés aux occasions.
La dicte armée fist à la voille au commencement du mois de
janvier de l'an 1599, & trouvant tousjours le vent fort
aigre, dans six jours nous reconusmes les illes Canaries.
Partant desdictes illes Canaries nous allasmes passer par
le goulphe de Las Damas, aiant vent en pouppe, qui nous
continua de façon que deux mois six jours après nostre
partement de St Luc nous eusmes la veue d'une ille nommée La
Defeade, qui est la première ille qui faut que les pillottes
6/10 recognoissent nesessairement pour aller en toutes les autres
illes & ports des Indes. Ceste ille est ronde, assez hault
en mer, & contient en rond sept lieues, plaine de bois &
inhabitée, mais il y a bonne radde à la bande de l'est.
De la dicte Ille nous feusmes à une autre ille nommée
La Gardalouppe, qui est fort montaigneuse, habitée de
sauvages[43], en laquelle il y a quantité de bons ports, à
l'un desquels nommé Nacou nous feusmes prendre de l'eau, &
comme nous mettions pied à terre veismes plus de trois cents
sauvaiges qui s'en fuirent dedans les montaignes sans qu'il
fust à nostre puissance d'en attrapper un seul, estant plus
disposts à la course que tous ceux des nostres qui les
voulurent suivre. Ce que voiant, nous en retournasmes
dans nos vaisseaux après avoir pris de l'eau & quelques
refreschissements, comme chair & fruicts de plaisans goust:
ceste ile contient environ vingt lieux de long & douze de
large, dont la forme est telle que la figure suivante[44].
[Note 43: Le premier établissement à la Guadeloupe fut fait par les
Français en 1635, par les sieurs DuPlessis et Olive. (Note de l'éd. Soc.
Hakl.)]
[Note 44: Voir Planche VIII.]
Apres avoir demeuré deux jours audict port de Nacou, le
troisiesme jour nous nous remismes à la mer, & passasmes
entre des iles que l'on nomme Las Virgines, qui sont en
telle quantité que l'on n'en a peu dire le nombre au
certain; mais bien qu'il y en a plus de huict cents
descouvertes, elles sont toutes desertes & inhabitées,
la terre fort haulte, plaine de bois, mesmes de palmes &
ramasques qui y sont communes comme les chesnes & ormeaux
7/11 par deçà: il y a grande quantité de bons ports & havres
entre lesdictes illes qui sont icy aucunement figurées[45].
[Note 45: Voir Planche IX.]
D'icelles illes nous feusmes à l'isle de La Marguerite[46],
où se peschent les perles: dans cette ile y a une bonne
ville que l'on appelle du mesme nom La Marguerite. Elle est
fort fertille en bleds & fruicts. Il sort tous les jours du
port de ladicte ville plus de trois cents canaulx qui vont à
une lieue à la mer pescher lesdictes perles à dix ou douze
brasses d'eau. Ladicte pesche se faict par les naigres
esclaves du Roy d'Espaigne, qui prennent ung petit panier
soubs le bras, & avec iceluy plongent au fond de la mer,
& l'enplissent d'ostrormes qui semblent d'huistres, puis
remontent dans ledict port se descharger au lieu à
ce destiné, où sont les officiers dudict Roy qui les
reçoivent[47].
[Note 46: Voir Planche XI,]
[Note 47: Voir Planche X.]
De ladicte ille nous allasmes à Portoricco [48], que nous
trouvasmes fort desolé, tant la ville que le chatiau ou
forteresse qui est fort bonne, & le port bien bon & à l'abry
de tous vents fors de nordest qui donne droict dans ledict
port. La ville est marchande: elle avoit esté puis peu de
tems pillée des Anglois, qui avoient laissé des marques de
leur veneue. La plus part des maisons estoient brûlées, & ne
s'y trouva pas quatre personnes outre quelques naigres qui
nous dirent que les marchands dudict [lieu] avoient esté la
plus part enmenés prisonniers par les Anglois, & les autres
8/12 qui avoient peu s'estoient sauvés dans les montaignes, d'où
ils n'avoient encor osé sortir pour la prehension qu'ils
avoient du retour des Anglois, lesquels avoient chargé tous
les douze navires dont leur armée estoit composée, de
sucres, cuirs, Gingembre, or & argent, car nous trouvasmes
encor en ladicte Ville quantité de sucres, gingembre,
canisiste[49], miel de cannes[50] & conserve de gingembre
que les Anglois n'avoient peu charger. Ils emportèrent aussy
cinquante pièces d'artillerie de fonde qu'ils prindrent dans
la forteresse en laquelle nous fusmes, & trouvasmes toute
ruinée & les ranparts abbatus. Il y avoit quelques Indiens
qui s'y estoient retirés, & qui commencoient à relever
lesdicts ranparts: le général s'informa d'eux comme ceste
place avoit esté prise en sy peu de temps. L'un d'iceux, qui
parloit assez bon espaignol, luy dict que le gouverneur
dudict chasteau de Portoricco ny les plus anciens du païs ne
pensoient pas que à deux lieux de là y eust aucune descente,
selon le rapport qui leur en avoit esté fait par les
pillottes du lieu, qui asseuroient mesmes que à plus de six
lieux du dict chasteau il n'y avoit aucun endrois où les
ennemis peussent faire descente, ce qui fust cause que
ledict gouverneur se tint moins sur ses gardes, en quoy il
fust fort deceu, car demye lieue dudict chasteau, à la bande
de l'est, il y a une descente où les Anglois mirent pied à
terre fort commodément, laissant leurs vaisseaux qui
9/13 estoient du port de deux cents, cent cinquante & cent
thonneaux en la radde en ce mesme lieu, & prindrent le temps
sy à propos qu'ils vindrent de nuict à ladicte rade sans
estre apperceus, à cause que l'on ne se doubtoit de cela.
Ils mirent six cents hommes à terre avec dessainct de piller
la ville seulement, n'ayant pas pensé de fere plus grand
effet, tenant le chasteau plus fort & mieux gardé. Ils
menèrent avec eux troys coulevreinnes pour batre les
deffences de la ville, & se trouverent au point du jour à
une portée de mousquet d'icelle, avec ung grand estonnement
des habitans. Lesdicts Anglois mirent deux cents hommes à
ung passage d'une petitte riviere qui est entre la ville &
le chasteau, pour empescher, comme ils firent, que les
soldats de la garde dudict château qui logeroient en la
ville ny les habitans s'en fuiant n'entrassent en iceluy, &
les autres quatre cents hommes donnèrent dans la ville, où
ils trouverent aucune resistance[51] de façon que en moins
de deux heures ils furent maistres de la ville: & ayant sceu
qu'il n'y avoit aucuns soldats audict chasteau ny aucunne
munition de vivre à l'occasion que le Gouverneur avoit
envoyé celles qui y estoient par commandement du Roy
d'Espaigne à Cartagenes, où l'on pensoit que l'ennemy feroit
dessente, esperant en avoir d'autres d'Espaigne, estant le
plus proche port où viennent les vaisseaux, les Anglois
firent sommer le Gouverneur, & firent offrir bonne
10/14 composition s'il se vouloit rendre, sinon qu'ils luy
feroient esprouver toutes les rigueurs de la guerre, dont
ayant crainte ledict Gouverneur, il se rendict la vie sauve,
& s'enbarqua avec lesdicts Anglois, n'osant retourner en
Espaigne. Il n'y avoit que quinze jours que lesdicts Anglois
estoient partis de Ladicte ville où ils avoient demeuré ung
mois: après le Partement desquels, lesdicts Indiens
s'estoient raliés, & S'eforçoient de reparer ladicte
forteresse, attendant l'arrivée Dudict général, lequel fit
faire une information du récit Desdicts Indiens, qu'il
envoya au Roy d'Espaigne, & commanda Aux dicts Indiens qui
portoient la parolle d'aller chercher Ceux qui s'estoient
fuis aux montagnes, lesquels sur la parolle retournèrent en
leurs maisons, recevant tel contentement de voir ledict
général & d'estre delivrés des Anglois, qu'ils oublièrent
leurs pertes passées. Ladicte ille de Portoricco est assez
agréable combien qu'elle soit un peu montaigneuse, comme la
figure suivante le montre[52].
[Note 48: Voir Planche XII.]
[Note 49: _Canijiste_, de _Caneficier_, nom donné, dans les Antilles, au
Cassia (_Cassia fistula_, LINN.) le _Keleti_ des Caraïbes, qui produit
le Cassia nigra du commerce. (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 50: La mélasse.]
[Note 51: La traduction de la Société Hakluyt rend ces mots «aucune
résistance» par _no résistance_, ce qui fait un contre-sens; car _aucune
résistance_, sans la négative ne, équivaut à quelque résistance, ou
certaine résistance. C'est ce qui explique pourquoi l'éditeur trouve
Champlain en contradiction avec d'autres auteurs. (_Narrative of
Champlain's Voyage to the Western Indies_, p. 10, note I.)]
[Note 52: Voir Planche XII.--«La ville de Porto-Rico fut fondée en 1510.
Elle fut attaquée par Drake et Hawkins en 1595, mais les Espagnols,
informés de leur approche, avaient fait de tels préparatifs, que Drake
fut forcé de se retirer, après avoir brûlé les vaisseaux espagnols qui
étaient Dans le havre. En 1598, George Clifford, comte de Cumberland,
fit une expédition, pour s'emparer de l'île. Il débarqua ses hommes
secrètement, et attaqua la ville; quand, suivant les rapports espagnols,
il rencontra de la part des habitants une vigoureuse résistance; le
rapport de Champlain D'après des Témoins oculaires qui en avaient été
les victimes, est bien différent. (Voir la note précédente.) «Mais en
peu de jours, la garnison de quatre cents hommes se rendit, et toute
l'île se soumit aux Anglais. La possession de l'île étant jugée de
grande importance, le comte adopta la Cruelle mesure d'exiler les
habitants à Carthagene, et, en dépit des protestations et remontrances
des malheureux Espagnols, le plan fut mis à exécution; il N'en échappa
que fort peu. Cependant les Anglais se trouvèrent bientôt dans
L'impossibilité de garder l'île; une griève maladie Emporta les trois
quarts des troupes. Cumberland, déçu dans ses espérances, retourna en
Angleterre, laissant le commandement à Sir John Berkeley. La mortalité,
faisant de jour en jour de plus grands ravages, força les Anglais à
évacuer l'île, et les Espagnols, bientôt après, reprirent possession de
leurs demeures.--Le rapport que fait Champlain de l'état De l'île après
le départ des Anglais, et de la couardise du gouverneur, est curieux; il
y a cependant quelque confusion dans ses dates, et relativement à la
durée de l'occupation de l'île par les Anglais.» (Ed. Soc. Hakl.)]
11/15 Ladicte ille est emplye de quantité de beaux arbres, comme
cèdres, palmes, sappins, palmistes, & une manière d'autres
arbre que l'on nomme sonbrade.[53], lequel comme il croit,
le sommet de ses branches tombant à terre prend aussy tost
racine, & faict d'autres branches qui tombent & prennent
racine en la mesme sorte, & ay veu tel [de] ces arbres de
telle estendue qu'il tenoit plus d'une lieue & quart: il
n'apporte aucun fruict, mais il est fort agréable, ayant la
feuille semblable à celle du laurier, un peu plus tendre.
[Note 53: De l'espagnol _sombra_, «ombre feuillue.» _Ficus americana
maxima_, le _Clusea rosea_ de Saint-Domingue, ou Figuier maudit marron,
(Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche XIII.]
Il y a aussy en ladicte Ile quantité de bons fruicts, à
sçavoir plantes[54], oranges, citrons d'estrange grosseur,
citroulles de la terre qui sont très bonnes, algarobbes[55],
pappittes[56], & un fruict nommé coraçon[57], à cause qu'il
est en forme de coeur, de la grosseur du poing, de couleur
jaulne & rouge, la peau fort delicatte, & quand on le presse
il rend une humeur odoriferente, & ce qu'il y a de bon dans
ledit fruict est comme de la bouillye, & a le goust comme de
la crème sucrée. Il y a beaucoup d'autres fruicts dont ils
ne font pas grand cas, encores qu'ils soient bons: il y a
aussy d'une racine qui s'appelle cassave[58], que les
12/16 Indiens mangent en lieu de pain. Il ne croit ne blee ny vin
dans toute ceste ile, en laquelle il y a grande quantité de
caméléons, que l'on dict qu'ils vivent de l'air, ce que je
ne puis asseurer, combien que j'en aye veu par plusieurs
fois: il a la taiste assez pointue, le corps assez long pour
sa grosseur assavoir ung pied & demy, & n'a que deux jambes
qui sont devant, la queue fort pointue, meslée de couleurs
grise jaunastre. Le dict cameleon est cy representé [59].
[Note 54: Fruit du Plantanier, appelé aux Canaries _Plantano_,--Voir
Planche XLII.]
[Note 55: _Algaroba_, ou _Algarova_, nom donné par les Espagnols à
certaine espèce d'Acacia du nouveau monde, à cause de sa ressemblance
avec l'algarobe, caroubier ou fève de Saint-Jean, dont la gousse fournit
une Excellente nourriture pour les bestiaux. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir
Planche XXXVI.]
[Note 56: Pappitte--_Curica papaya_ (LINN.), papayer. (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 57: Coraçon. _Anona muricata_, ou Corassol, de l'espagnol
_corazon_, coeur, ainsi nommé de la forme du fruit. Quelques écrivains
font dériver ce nom de Curaçoa, supposant que la graine fut apportée par
les Danois. Le nom donné dans le pays était _memin_. (Ed. Soc. Hakl.)
Voir Planche XIV.]
[Note 58: Cassava.--_Jatropha Manihot_. (Ed. Soc. Hakl.)--Voir Planche
XXXIII.]
[Note 59: Voir Planche XV.]
Les meilleures marchandises qui sont dans ladicte Ile sont
sucres, gingembre, canisiste, miel de cannes, tabaco,
quantité de cuirs, boeufs, vaches & moutons: l'air y est
fort chaud, & y a de petits oyseaux qui resemblent à
perroquets, que l'on nomme sus le lieu perriquites, de la
grosseur d'un moineau, la queue ronde, que l'on apprend à
parler, & y en a grande quantité en ceste ile[60]: laquelle
ile contient environ soixante dix lieus de long, & de large
quarante lieus, environnée de bons ports & havres, & gist
est & ouest. Nous demeurâmes audict Portoricco environ un
moys: le général y laissa environ troys cents soldats en
garnison dans la forteresse, où il fist mestre quarante six
pièces de fonte verte qui estoient à Blavet.
[Note 60: Voir Planche XVI.]
Au partir dudict Portoricco nostre général separa nos
galions en troys bandes: il en retint quatre avec luy, en
envoya troys à Petronella & trois à la Neufve Espaigne,
du nombre desquels estoit le navire où j'estois, & chacun
galion avoit sa patache. Ledict général s'en alla à
13/17 Terre-Ferme, & nous costoyames toute l'ille de St Domingue
de la bande du nord, & fusmes à ung port de ladicte ile
nommé Porto Platte, pour prendre langue s'il y avoit en la
coste aucuns vaesseaux estrangers, parce qu'il n'est permis
à aucuns estrangers d'y traffiquer, & ceux qui y vont
courent fortune d'estre pendus ou mis aux galleres & leurs
vaisseaux confisqués: & pour les tenir en plus grande
crainte d'aborder ladicte terre, le Roy d'Espaigne donne
liberté aux naigres qui peuvent descouvrir ung vaisseau
estranger, & en donner advis au général d'armée ou
gouverneur, & y a tel naigre qui fera cents cinquante lieus
à pied nuict & jour pour donner semblable advis & acquérir
sa liberté.
Nous mismes pied à terre audict Porto Platte, & fusmes
environ une lieue dans la terre sans trouver aucune personne
sinon un naigre qui se preparoit pour aller donner advis;
mais nous rencontrant, il ne passa pas plus outre, & donna
advis à nostre admirande qu'il y avoit deux vaisseaux
françois au port de Mancenille, où ledict admirande se
resolut d'aller, & pour ceste effect nous partismes du dict
lieu de Porto Platte, qui est un bon port, à l'abry de tous
vents, où il y a troys, quatre & cinq brasses d'eau, comme
il est icy figuré [61].
[Note 61: Voir Planche XVII.]
Du dict port de Platte, nous vinsmes au port de Mancenille,
qui est icy representé [62], auquel port de Mancenille
sceusmes que lesdicts deux vaisseaux estoient au port aux
Mousquittes [63], près la Tortue, qui est une petitte isle
14/18 ainsy nommée qui est devant l'enboucheure dudict port,
auquel estans arivés le lendemain sur les trois heures du
soir, nous apperçumes les dicts deux vaisseaux qui mettoient
à la mer pour fuir de nous, mais trop tard: ce qu'eux
recognoissans, & Qu'ils n'avoient aucun moien de fuir, tous
l'esquippage de L'un des vaisseaux qui estoit bien une lieue
dans la mer, abandonnèrent leur dict vaisseau, & s'estant
jetté dans leur bateau se sauverent à terre: l'autre navire
alla donner du bout à terre & se brisa en plusieurs pièces,
& en mesme temps l'esquippage se sauva à terre comme
l'autre, & demeura seulement ung marinier qui ne s'estoit
peu sauver à cause qu'il estoit boiteux & ung peu malade,
lequel nous dit que les dicts vaisseaux perdeus estoient de
Dieppe. Il y a fort belle entrée au dict port de Mousquitte
de plus de deux mille pas de large, & y a ung banc de sable
à ouvert, de façon qu'il faut ranger la grand terre du costé
de l'est pour entrer audict port, auquel il y a bon
ancreage: & y a une isle dedans où l'on se peut mettre à
l'abry du vent qui frappe droict dans le dict port. Ce lieu
est assez plaisant pour la quantité des arbres qui y sont:
la terre est assez haulte; mais il y a telle quantitté de
petites mouches, comme chesons ou coufins qui piquent de si
estrange façon, que sy l'on s'endormoit & que l'on en fust
picqué au visage, il esleveroit au lieu de la piqueure des
bussolles enflés de couleur rouge, qui rendroient la
personne difforme.
[Note 62: Voir Planche XVIII.]
[Note 63: Voir Planche XIX.]
Ayans apprins de ce marinier boiteux pris dans ledict
navire françois, qu'il y avoit traize grands vaisseaux tant
15/19 françois, anglois que flaments, armés moitye en guerre
moitye en marchandise, nostre admiral se resolut de les
aller prendre au port St Nicolas, où ils estoient, & pour ce
se prépara avec trois galions du port de cinq cents
thonneaux chacun & quatre pataches, & allasmes le soir
mouiller l'ancre à une radde que l'on nomme Monte Cristo,
qui est fort bonne & à l'abry du su, de l'est & de l'ouest,
& est remarquée d'une montaigne qui est Droit devant ladicte
radde, sy haulte que l'on la descouvre de quinze lieux à la
mer: la dicte montaigne fort blanche & reluisante au soleil,
& deux lieux autour dudict port est terre assez basse,
couverte de quantité de bois, & y a fort bonne pescherye &
ung bon port au dessoubs du dict Monte Cristo, qui est
figuré en la page suivante[64].
[Note 64: Voir Planche XX.]
Le lendemain matin nous feusmes au cap St Nicolas pour y
trouver les dicts vaisseaux, & sur les trois heures nous
arrivasmes dans la baye dudict cap, & mouillasmes l'ancre le
plus près qu'il nous feust possible, ayant le vent contraire
pour entrer dedans[65].
[Note 65: Voir Planche XXI.]
Ayant mouillé l'ancré nous apperceusmes les vaisseaux
desdicts marchands dont nostre admirante se pesiouit fort,
s'asseurant de les prendre. Toutte la nuict nous fismes tout
ce qu'il estoit possible pour essayer d'entrer dans ledict
port, & le matin veneu l'admirante print conseil des
cappitaines & pillottes de ce qui estoit à faire: ils luy
dirent qu'il falloit juger au pire de ce que l'ennemy
pouroit faire pour se sauver, qu'il estoit impossible de
16/20 fuir sinon à la faveur de la nuict, ayant le vent bon, ce
qu'ils ne se hazarderoient pas de fere le jour, voiant les
sept vaisseaux d'armes, & qu'aussy s'ils vouloient faire
resistance Qu'ils se tiendroient à l'entrée dudict port,
leurs navires Amarés devant & derrière, tous leurs canons
d'une bande & leurs hauts bien pavoisés de cables & de
cuirs, & que s'ils se voioient avoir du pire, ils
abandonneroient leurs navires & se jetteroient en terre,
pour à quoy remédier ledict admirante debvoit faire advancer
ses vaisseaux le plus près du port qu'il pourroit pour les
batre à coups de canon, & faire désendre cent des meilleurs
soldats à terre pour empescher les ennemis de s'y sauver.
Cela fust resolu, mais leurs ennemis ne firent pas ce que
l'on avoit pensé: ains ils se préparèrent toute la nuict, &
le matin veneu ils se mirent à la voille, vindrent pour nous
gaigner le vent droict à nos vaisseaux, contre lesquels il
leur falloit necessairement passer. Cette resolution fist
changer de courage aux Espaignols & adoucir leurs
rodomontades: ce fust donc à nous à lever l'ancre avec telle
promptitude que dans le navire de l'admirande l'on couppa le
câble sur les escubbiers, n'ayans loisir de lever leur
ancre: ainsy nous fismes aussy à la voille, chargeants &
estants chargés de canonnades. En fin ils nous gaignerent le
vent, nous ne laissant pas de les suivre tout le jour & la
nuict ensuivant jeusques au matin que nous les vismes à
quatre lieux de nous: ce que voiant notre admirante il
laissa ceste poursuitte pour continuer nostre route; mais il
est bien certain que s'il eust voulu il les eust pris, ayant
17/21 de meilleurs vaisseaux, plus d'hommes & de munitions de
guerre: & ne furent les vaisseaux estrangers preservez que
par la faute de courage des Espaignols.
Durant ceste chasse, il ariva vue chose digne de rizée qui
mérite d'estre recitée. C'est que l'on vist une patache de
quatre ou cinq thonneaux mellée parmy nos vaisseaux: l'on
demanda plusieurs foys d'où elle estoit, avec commandement
d'amener leurs voilles; mais l'on n'eust aucune responce,
combien que l'on luy eust tiré des coups de canon, ains
allans tousjours au gré du vent, ce qui meut nostre amirande
de la faire chasser par deux de nos pataches, qui en
moins de deux heures furent à elle & l'abordèrent, criant
tousjours que l'on amenast leurs voilles sans avoir aucune
response, ny sans que leurs soldats voulussent se jeter
dedans, encores que l'on ne vist personne sur le tillac. En
fin leur cappitainne de nos pataches, qui disoient que ce
petit vaisseau estoit gouverné par ung diable, y firent
entrer par menaces des soldats jusques à vingt, qui n'y
trouverent rien, & prindrent seulement leurs voilles &
laisserent le corps de ceste patache à la mercy de la mer.
Ce rapport faict à l'admirante, & la prehension que les
soldats avoient eu donna matière de rire à tous.
Laissant ladicte Ille St Domingue, nous continuasmes nostre
route à la Neufve Espaigne. Ladicte Isle sera figurée en la
page suivante[66].
[Note 66: Voir Planche XXII.]
La dicte isle de St Domingue est grande, ayant cent
cinquante lieues de long & soixante de large, fort fertille
18/22 en fruicts, bestail & bonnes marchandizes, comme sucre,
canisiste, gingenbre, miel de cannes, coton, cuir de boeuf &
quelques foureures. Il y a quantité de bons ports & bonnes
raddes, & seullement une seulle ville nommée
l'Espaignolle[67], habitée d'Espaignolz; le reste du peuple
sont Indiens, gens de bonne nature & qui ayment fort la
nation françoise, avec laquelle ils trafficquent le plus
souvent qu'ils peuvent en fere, toutesfois c'est à desçu des
Espaignolz. C'est le lieu aussy ou les François traffiquent
le plus en ces quartiers là, & là où ils ont le plus
d'accès, quoy que peu libre.
[Note 67: Aujourd'hui Saint-Domingue.]
Ceste terre est assez chaude, en partie montaigneuse; il n'y
a aucunne mines d'or ny d'argent, mais seullement de cuivre
[68].
[Note 68: Voir Planche XXIII.]
Partant donc de ceste isle, nous allasmes costoyer l'isle de
Cuba, à la bande du su, terre assez haulte. Nous allasmes
reconnoistre de petites isles qui s'appellent les
Caymanes[69], au nombre de six ou sept: en trois d'iscelles
il y a trois bons ports, mais c'est ung dangereux passage,
pour les basses & bancs qu'il y a, & ne faict bon s'y
advanturer qui ne sçait bien la routte.
[Note 69: Voir Planche XXV.]
Nous mouillasmes l'ancre entre les isles, & y fusmes ung
jour: je mis pied à terre en deux d'icelles, & vis ung très
beau havre fort agréable. Je cheminay une lieue dans la
terre au travers des bois qui sont fort espais, & y prins
des lappins[70] qui y sont en grande quantité, quelques
oiseaux, & un lézard gros comme la cuisse, de couleurs grise
& feuille morte.
[Note 70: Voir Planche XXIV.]
19/23 Ceste isle est fort unie, & toutes les autres de mesmes:
nous feusmes aussy en terre en l'autre qui n'est pas sy
agréable, mais nous en apportasmes de très bons fruicts, & y
avoit telle quantité d'oiseaux, qu'à nostre entrée il s'en
leva tel nombre qu'à plus de deux heures après l'air en
estoit remply, & d'autres qui ne peuvent voller, de façon
que nous en prenions assez aisement: ils sont gros comme une
oye, la teste fort grosse, le bec fort large, bas sur les
jambes, les pieds sont comme ceux d'une poulle d'eau. Quand
les oyseaux sont plusmés, il n'y a pas plus gros de chair
qu'une turtre, & est de fort mauvais goust[71]. Nous
levasmes l'ancre le mesme jour au soir avec fort bon vent, &
le lendemain sur les trois heures après midy nous arivasmes
à ung lieu qui s'appelle La Sonde [72], lieu très dangereux,
car à plus de cinq lieues de là ce ne sont que basses, fors
ung canal qui contient... [73] lieues de long & trois de
large. Quand nous fusmes au milieu du dict canal, nous
mismes vent devant, & les mariniers jetterent leurs lignes
hors pour pescher du poisson dont ils pescherent si grande
quantité que les mariniers ne pouvoient fournir à mettre
dans le bord des vaisseaux: ce poisson est de la grosseur
d'une dorée [74], de couleur rouge, fort bon sy on le mange
frais, car il ne se garde & saumure, & se pourit
incontinent. Il faut avoir tousjours la sonde en la main en
passant ce canal, à la sortye duquel l'une de nos pataches
20/24 se périt en la mer sans que nous en peussions sçavoir
l'occasion: les soldats & mariniers se sauverent à la nage,
les uns sur des planches, autres sur des advirons, autres
comme ils pouvoient, & revindrent de plus de deux lieues
[75] à nostre vaisseau, qu'il trouverent bien à propos, &
les fimes recepvoir par nos bateaux qui alloient au devant
d'eux.
[Note 71: Voir Planche XXIV.]
[Note 72: Voir Planche XXVI.]
[Note 73: Lacune dans le ms. D'après la carte de l'auteur, ce canal a
plus de trente lieues de long.]
[Note 74: _Sparus aurata_ (LINN.), Brame de mer. Celui de Bahama
s'appelle «porgy.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 75: M. de Puibusque et le traducteur de la Société Hakluyt ont
trouvé ici une lacune; la feuille du manuscrit original n'était que
repliée.]
Huict jours après nous arivasmes à St Jean de Luz [76], qui
est le premier port de la Neufve Espaigne, où les gallions
du Roy d'Espaigne vont tous les ans pour charger l'or,
l'argent, pierreries & la cochenille, pour porter en
Espaigne. Ce dict port de St Jean de Luz est bien à quatre
cents lieues de Portoricco. En ceste isle il y a une fort
bonne forteresse, tant pour la situation que pour les bons
ramparts, bien munie de tout ce qu'il luy est necessaire, &
y a deux cents soldats en garnison, qui est assez pour le
lieu. La forteresse comprend toute l'ille, qui est de six
cents pas de long & de deux cents cinquante pas de large:
21/25 outre laquelle forteresse y a des maisons basties sur
pilloties dans l'eau, & plus de six lieues à la mer, & ne
sont que basses qui est cause que les vaisseaux ne peuvent
entrer en ce port s'ils ne sçavent bien l'entrée du canal,
pour laquelle entrée faut mettre le cap au surouest, mais
est bien le plus dangereux port que l'on sçauroit trouver,
qui n'est à aucun abry que de la forteresse du costé du
nord, & y a aux muralles de la forteresse plusieurs boucles
de bronze où l'on amare des vaisseaux qui sont quelque fois
sy pressez les ungs contre les autres, que quand il vente
quelque vent de nord, qui est fort dangereux, que les dicts
vaisseaux se froissent, encor qu'ils soient amarés devant &
derrière. Le dict port ne contient que deux cents pas de
large & deux cents cinquante de long. Et ne tiennent ceste
place que pour la commodité des gallions qui viennent comme
dit est, d'Espaigne, pour charger les marchandises or &
argent qui se tirent de la Neufve Espaigne.
[Note 76: Voir Planche XXVIII.--Évidemment, il est question du fort et
château de Saint-Jean d'Ulloa; mais portait-il ce nom quand Champlain y
alla, ou bien Champlain a-t-il confondu Saint-Jean de Luz avec San Juan
d'Ulloa? c'est un point contesté. Dans les cartes de Mercator et de
Hondius, Amsterdam 1628, 10e édition, Saint-Jean d'_Ulloa_ est placé sur
le vingt-sixième degré de latitude nord, à l'embouchure de la rivière De
_Lama_ (Rio del Norte). Villa-Rica est mis à la place actuelle de
Vera-Cruz; mais il n'y est fait aucune mention soit de Saint-Jean
d'Ulloa, Soit de Saint-Jean de Luz; et, dans le Voyage de Gage 1625,
cette ville est appelée San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz. «Le vrai
nom de la ville est San Juan d'Ulhua, autrement Vera-Cruz, de celui du
Vieux havre de Vera-Cruz, qui en est à six lieues. Mais le havre de
l'ancien Vera-Cruz, ayant été trouvé trop dangereux pour les vaisseaux,
à cause de La violence du vent de nort, fut entièrement abandonné par
les Espagnols, qui se retirèrent à San Juan d'Ulhua, où leurs navires
trouvèrent bon ancrage, grâce à un rocher qui sert de forte défense
contre les vents; et, pour perpétuer la mémoire de cet heureux
événement, qui arriva le Vendredi-Saint, ils ajoutèrent au nom de San
Juan d'Ulhua, celui de la Vraie-Croix, emprunté au premier havre, qui
fut découvert le Vendredi-Saint de l'année 1519.» (Gage, _Voy. Mexico_,
1625.)--Ed. Soc. Hakl.]
Il y a de l'autre costé du chasteau, à deux mille pas
d'iceluy en terre ferme, une petite ville nommée
Bouteron[77], fort marchande. A quatre lieues du dict
Bouteron il y a encores une autre ville qui s'appelle
Verracrux[78], qui est en fort belle situation & à deux
lieues de la mer.
[Note 77: Voir Planche XXV III.]
[Note 78: «Lavelle Croux,» dans la carte. Planche XXVII.]
Quinze jours après nostre arrivée au dict St Jean de Luz,
je m'en allay avec congé de nostre dict admiral, à Mechique
[79], distant dudict lieu de cent lieux tousjours avant en
terre. Il ne se peult veoir ny desirer ung plus beau païs
22/26 que ce royaulme de la Nove Espaigne, qui contient trois
cents lieues de long & deux cents de large.
[Note 79: Mexico.]
Faisant ceste traverse à Meschique, j'admirois les belles
forests que l'on rencontre, remplie des plus beaux arbres
que l'on sçauroit souhaitter, comme palmes, cèdres,
lauriers, oranges, citronneles, palmistes, goujaviers,
accoyates, bois d'ebene[80], Bresil[81], bois de
campesche[82], qui sont tous arbres communs en ce pays là,
avec une infinitté d'autres différentes sortes que je ne
puis reciter pour la diversité, & qui donnent tel
contentement à la veue qu'il n'est pas possible de plus,
avec la quantité que l'on veoit dans les forests d'oiseaux
de divers plumages. Apres l'on rencontre de grandes
campaignes unies à perte veue, chargées de infinis
trouppeaux de bestial, comme chevaux, mulets, boeufs,
vaches, moutons & chevres, qui ont les pastures tousjours
fraîches en toutes saisons, n'y ayant hiver, ains un air
23/27 fort tempéré, ny chaud ny froid: il n'y pleut tous les ans
que deux fois, mais les rozées sont sy grandes la nuict que
les plantes en sont suffisamment arrozées & nourries. Outre
cela, tout ce pays là est décoré de fort beaux fleuves &
rivieres, qui traversent presque tout le royaulme, & dont la
pluspart portent batteaux. La terre y est fort fertille,
rapportant le bled deux fois en l'an & en telle quantité que
l'on sçauroit desirer, & en quelque saison que ce soit il se
trouve tousjours du fruicts nouveaux très bons dans les
arbres, car quand un fruict est à maturité, les autres
viennent & se succedent ainsy les ungs aux autres, & ne sont
jamais les arbres vuides de fruicts, & tousjours verds. Sy
le Roy d'Espaigne vouloit permettre que l'on plantast de la
vigne au dict royaulme, elle y fructiffiroit comme le bled,
car j'ay veu des raizins provenans d'un cep que quelqu'un
avoit planté pour plaisir, dont chacun grain estoit aussy
gros qu'un pruniau, & long comme la moitye du poulce, & de
beaucoup meilleurs que ceux d'Espaigne. Tous les
contentements que j'avois eus à la veue des choses sy
agréables n'estoient que peu de chose au regard de celuy que
je receus lors que je vie ceste belle ville de Mechique, que
je ne croiois sy superbement bastye de beaux temples,
pallais & belles maisons, & les rues fort bien compassées,
où l'on veroit de belles & grandes boutiques de marchands,
plaines de toutes sortes de marchandises très riches. Je
crois, à ce que j'ay peu juger, qu'il y a en ladicte ville
douze à quinze mil Espaignols habitans, & six fois autant
d'Indiens, qui sont crestiens aussy habitans, outre grand
nombre de naigres esclaves. Ceste ville est environnée d'un
24/28 estang presque de tous costés, hors mis en ung endroit qui
peut contenir viron trois cents pas de long, que l'on
pourroit bien coupper & fortiffier, n'ayant à craindre que
de ce costé, car de tous les autres il y a plus d'une lieue
jusques aux bords dudict estang, dans lequel il tombent
quatres grandes rivieres qui sont fort avant dans la terre,
& portent batteaux: l'une s'appelle riviere de Terre-Ferme,
une autre riviere de Chille, l'autre riviere de Caiou, & la
quatriesme riviere de Mechique, dans laquelle se pesche
grande quantité de poissons de mesmes especes que nous avons
par deçà, & fort bon. Il y a le long de ceste riviere grande
quantité de beaux jardins & beaucoup de terres labourables
fort fretille[83].
[Note 80: Voir, plus loin. Planche LVI. Le traducteur de la Société
Hakluyt a rendu par _good Bresil_ ces mots _bois d'ebene Bresil_. Il a
lu sans doute _bois de bon Bresil_.]
[Note 81: Coesalpinia. Il y a deux espèces de bois de Brésil employés
dans la teinture: _Coes. Echinata_ (LAMARCK), et _Coes. Sappan_ (LINN.)
Le premier est le Brésil, ou Brasillette de Pernambouc, grand arbre qui
Croît naturellement dans l'Amérique du Sud, employé dans le commerce
pour la teinture rouge. Le second se retrouve dans l'Inde, où l'on s'en
sert pour le même usage, et il est connu dans le commerce sous le nom de
Brasillette des Indes, ou bois de Sappan. Plusieurs auteurs ont avancé
que le nom de Brésil a été donné à ce bois de teinture parce qu'il vient
du Brésil; malheureusement pour cette théorie, ce mot était employé bien
avant la découverte du pays qui porte le même nom. «Le Brésil, dit
Barros, porta d'abord le nom de Sainte-Croix, à cause de la croix qui y
fut érigée; mais le démon, qui perd, par cet étendard de la croix,
L'empire qu'il a sur nous et qui lui avait été enlevé par les mérites de
Jésus-Christ, détruisit la croix, et fit appeler ce pays Brésil du nom
d'un bois de couleur rouge. Ce nom a passé dans toutes les bouches, et
celui de la sainte croix s'est perdu, comme s'il était plus important
qu'un nom vînt d'un bois de teinture, plutôt que de ce bois qui donne la
vertu à tous les sacrements, instruments de notre salut, parce qu'il fut
teint du sang de Jésus-Christ qui y fut répandu.» Il est donc évident
que le nom de Brésil fut donné au pays par les Portugais, après la
découverte de Cabrai, à cause de la quantité de bois rouge qui y abonde.
(Ed. Soc. Hakl. En substance.)]
[Note 82: Hoematoxyllum Campechianum. (LINN.) Ed. Soc. Hakl.]
[Note 83: Voir Planche XXIX.]
A deux lieues dudict Mexique il y a des mines d'argent que
le Roy d'Espaigne a affermés à cinq millions d'or par an, &
s'est reservé d'y emploier ung grand nombre d'esclaves pour
tirer à son proffis tous ce qu'ils pouront des mines, &
outre tire le dixiesme de tout ce que tirent les fermiers,
par ainsy ces mines font de très bon revenu audict Roy
d'Espaigne [84].
[Note 84: Voir Planche XXX.]
L'on receulle audict païs quantité de cochenille qui croist
dans les champs, comme font les pois de deçà, & vient d'un
fruict gros comme une nois, qui est plain de graine par
dedans. On le laisse venir à maturité jusques à ce que
ladicte graine soit seche, & lors on la couppe comme du
bled, & puis on la bat pour avoir la graine, dont ils
25/29 resement après pour en avoir d'autre. Il n'y a que le Roy
d'Espaigne qui puisse faire servir & receullir ladicte
cochenille, & faut que les marchands l'achaptent de ses
officiers à ce commis, car c'est marchandise de grand prix
& a l'estime de l'or & de l'argent.
J'ay faict: icy une figure de la plante qui apporte la dicte
cochenille [85].
[Note 85: Planche XXXI.--«_Cactus Opuntia_. La croyance que la
cochenille était la graine d'une plante subsistait encore longtemps
après la conquête du Mexique. Dans le dessin que Champlain nous donne de
cette plante, les graines sont figurées exactement comme les insectes
s'attachent aux feuilles pour s'en nourrir. La jalousie du gouvernement
espagnol, et le sévère monopole qu'il faisait de ce produit, empêchèrent
qu'on en connût la vraie nature et son mode de propagation, et donnèrent
naissance à diverses fables et conjectures.» (Ed. Soc. Hakl.)]
Il y a ung arbre au dict pays que l'on talle comme la vigne,
& par l'endroit où il est tallé il distille une huille qui
est une espece de baume, appellée huille de Canime, du
nom de l'arbre qui se nomme ainsy [86]. Ceste huille est
singulliere pour toutes playes & couppures, & pour oster les
douleurs, principallement des gouttes. Ce bois a l'odeur du
bois de sappin. L'once de la dicte huille vault en ce pays
là deux escus. Le dict arbre est icy figuré[87].
[Note 86: _Canimé_, ou _Animé_. Johnston en distingue deux espèces:
l'_animé Oriental_, et l'_animé Occidental_, appelé, dit-il, par les
Espagnols _Canimé_, Moquin-Tandon (Botanique Médicale) en distingue
aussi deux espèces: 1° le Courbaril diphylle, _Hymenoea Courbaril_
(LINN.), qui fournit une grande quantité de résine transparente, appelée
_résine animé occidentale_, ou _Copal d'Amérique_; 2° le Courbaril
verruqueux, _Hymenoea verrucosa_ (GAERTN.), _résine animé orientale_,
vulgairement appelée _Copal d'Orient_.]
[Note 87: Planche XXXII.]
Il y a ung autre arbre que l'on nomme cacou, dont le fruict
est fort bon & utille à beaucoup de choses, & mesmes sert
de monnoye entre les Indiens, qui donnent soixante pour une
realle. Chacun fruict est de grosseur d'un pinon & de la
26/30 mesme forme, mais il n'a pas la cocque sy dure: plus il est
vieux & milleur est. Quand l'on veut achapter des vivres,
comme pain, chairs, fruicts, poissons ou herbes, ceste
monnoye peult servir, voire pour cinq ou six pièces l'on
peult avoir de la marchandise pour vivre des Indiens
seulement, car il n'a point cours entre les Espaignols, ny
pour achapter marchandise autre que des fruicts. Quand l'on
veult user de ce fruict, l'on le reduict en pouldre, puis
l'on en faict une paste que l'on destrempe en eau chaude, où
l'on mesle du miel qui vient du mesme arbre, & quelque peu
d'espice, puis le tout estant cuit ensemble, l'on en boit au
matin, estant chauffé, comme les mariniers de deçà prennent
de l'eau de vye, & se trouvent sy bien après avoir beu de
ceste eau, qu'ils se pourroient passer tout ung jour de
manger sans avoir grand appétit. Cest arbre a quantité
d'espinnes qui sont fort pointues, que quand on les arrache
il vient ung fil, l'escorche du dict arbre, lequel l'on file
sy delyé que l'on veult, & de ceste espine & du fil qui y
est attaché, l'on peult coudre aussi proprement que d'une
esguille & d'autre fil; les Indiens en font du fil fort
beau & fort delyé, & neantmoins sy fort, qu'un homme n'en
pourroit pas rompre deux brins ensemble, encores qu'ils
soient delyés comme cheveux. La livre de ce fil, nommé fil
de pitte[88], vaut en Espaigne huict escus la livre, &
en font des dantelles & autres ouvrages: d'avantage de
l'escorche dudict arbre l'on faict du vinaigre fort comme
celuy de vin, & prenant du coeur de l'arbre qui est
27/31 mouelleux, & le pressant, il en fort du tresbon miel, puis
faisant seicher la mouelle ainsi esprainte au soleil, elle
sert pour allumer le feu. Outre plus pressant les feuilles
de cest arbre, qui sont comme celles de l'olivier, il en
sort du jut dont les Indiens font un breuvage. Ledict arbre
est de la Grandeur d'un olivier, dont vous en verrez icy la
figure [89].
[Note 88: Champlain décrit ici évidemment le Cacao et le _Metl_, ou
_Maguey_ (_Aloes Pitta, Aloes disticha, Agave Americana_), auquel se
rapporte presque toute la dernière partie de sa description, excepté
«les feuilles qui sont comme celles de l'olivier.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 89: Planche XXXIII.]
J'ay cy devant parlé d'un arbre qui s'appelle gouiave[90],
qui croist fort communement audict pays, qui rend ung fruict
que l'on nomme aussy gouiave, qui est de la grosseur d'une
pomme de capendu [91], de couleur jaulne, & le dedans
semblable aux figues verdes; le jut en est assez bon. Ce
fruict a telle propriété, que sy une personne avoit ung flux
de ventre, & qu'il mangeast dudict fruict sans la peau, il
seroit guery dans deux heures, & au contraire à ung homme
qui seroit constipé, mangeant l'escorche seulle sans le
dedans du fruict, il luy lâchera incontinent le ventre, sans
qu'il soit besoing d'autre médecine.
Figure du dict arbre [92].
[Note 90: «_Psidium_ (LINN.) Sa qualité est de resserrer le ventre,
estant mangé vert, dont aussi plusieurs s'en servent contre le flux de
sang; mais estant mangé meur il a un effet tout contraire.»--De
Rochefort, _Hist. des Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 91: «Espèce de pomme commune en Normandie, principalement au
pays de Caux.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 92: Planche XXXIV]
Il y a aussy ung fruict qui s'appelle accoiates[93], de la
grosseur de grosses poires d'hiver, fort verd par dessus,
& comme l'on a levé la peau, l'on trouve de la chair fort
espaisse que l'on mange avec du sel, & a le goust de
28/32 cherneaux, ou nois vertes: il y a ung noyau dedans de la
grosseur d'une nois, dont le dedans est amer. L'arbre où
croit ledict fruict est icy figuré, ensemble ledict
fruict[94].
[Note 93: «_Ahuacahuitl_, nom indigène, dont on a fait par
corruption _Agouacat_, l'Avogade ou _Avogada_ des Espagnols.» (Ed. Soc.
Hakl.)]
[Note 94: Planche XXXV.]
Aussy il y a d'un fruict que l'on nomme algarobe[95], de la
grosseur de prunes Dabtes, long comme cosses de febves, qui
a une coque plus dure que celle de la casse, de couleur de
chataigner. L'on trouve dedans ung petit fruict comme une
grosse febve verte, qui a ung noiau, & est fort bon. Il est
icy figuré [96]. J'ay veu ung autre fruict qui s'appelle
carreau [97], de la grosseur du poing, dont la peau est fort
tendre & orengée, & le dedans est rouge comme sang, & la
chair comme de prunes, & tache où il touche comme les
meures, il est de fort bon goust, & dit-on qu'il est tresbon
pour guérir les morceures de bestes venimeuses[98].
[Note 95: Voir plus haut, page 11, note 3.]
[Note 96: Planche XXXVI.]
[Note 97: Le fruit d'une des variétés du _Cactus Opuntia_, le Nuchtli
des Mexicains, appelé par les Français _raquette_, à cause de la forme
de ses feuilles. «Ce que nos François appellent _raquette_ à cause de la
figure de ses feuilles: sur quelques-unes de ces feuilles, longues &
herissées, croist un fruict de la grosseur d'une prune-datte; quand il
est meur, il est rouge dedans, & dehors comme de vermillon. Il a ceste
propriété, qu'il teint l'urine en couleur de fang aussi tost qu'on en a
mangé, de sorte que ceux qui ne savent pas ce secret, craignent de
s'estre rompu une veine, & il s'en est trouvé qui, aians apperceu ce
changement, se sont mis au lit, & ont creu estre dangereusement
malades.»--De Rochefort, _Voyage aux Antilles_, etc., 1658. (Ed. Soc.
Hakl.)]
[Note 98: Planche XXXVII.]
Il y a encore d'un autre fruict qui se nomme serolles [99],
de la grosseur d'une prune, & est fort jaulne, & le goust
comme de poires muscades [100].
[Note 99: De l'espagnol Ciruela, prune. (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 100: Planche XXXVIII.]
J'ay aussy parlé d'un arbre que l'on nomme palmiste, que je
29/33 representeray icy [101], qui a vingt pas de hault, de la
grosseur d'un homme, & neantmoins sy tendre que d'un bon
coup d'espée on le peut couper tout à travers, parce que le
dessus est tendre comme un pied de chou, & le dedans plain
de mouelle qui est très bonne, & tient plus que le reste de
l'arbre, & a le goust comme du succre, aussy doux &
meilleur: les Indiens en font du breuvage meslé avec de
l'eau, qui est fort bon.
[Note 101: Planche XXXIX.--«Au temps de Champlain, il n'y avait de
connues que deux espèces de Palmistes (excepté le cocotier, que l'on
appelait Palmiste par excellence): le Palmiste franc, _Areca oleracea_
(LINN.), et le Palmiste épineux, _Areca spinosa_ (LINN.)» (Ed. Soc.
Hakl.)]
J'ay veu d'un autre fruict que l'on nomme cocques[102], de
la grosseur d'une nois d'Inde, qui a la figure approchant de
la teste d'un homme, car il y a deux troux qui representent
les deux yeux, & ce qui s'avance entre ces deux troux
semblent de nez, au dessoubs duquel il y a ung trou ung peu
fendu que l'on peult prendre pour la bouche, & le hault
dudict fruict est tout crespé comme cheveux frisez: par
lesdicts troux il sort d'une eau dont ils se servent à
quelque médecine. Ce fruict n'est pas bon à manger; quand
ils l'ont cueilly, ils le laissent seicher & en font comme
de petittes bouteilles ou tasses comme de nois d'Inde qui
viennent du palmé[103].
[Note 102: «Le _Cocos lapidea_ de GAERTNER, dont le fruit est plus
petit que le coco ordinaire, et dont on fait de petits vases ou tasses,
etc.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 103: Planche XL.]
Puisque j'ay parlé de palmes [104], encor que ce soit ung
arbre assez commun, j'en representeray icy une figure [105].
C'est un des plus haults & droicts arbres qui se voient, son
fruict, que l'on appelle nois d'Inde, vient tous au plus
hault de l'arbre, & sont grosses comme la teste d'un homme,
& y a une grosse escorce verte sur la dicte nois, laquelle
30/34 escorce ostée, se trouve la nois, de la grosseur de deux
poings ou environ: ce qui est dedans est fort bon à manger,
& a le goust de cerneaux, il en sort une eau qui sert de
fart Aux dames [106].
[Note 104: «_Cocos nucifera_.» (Ed. Soc, Hakl.)]
[Note 105: Planche XLI.]
[Note 106: «C'est ceste eau qui, entre ses autres vertus, a la
propriété d'effacer toutes les rides du visage, & de luy donner une
couleur blanche & vermeille, pourveu qu'on l'en lave aussi-tost que le
fruict est tombé de l'arbre.»--(De Rochefort.)]
Il y a un autre fruict qui s'appelle plante [107], dont
l'arbre peult avoir de hault vingt ou vingt cinq pieds, qui
a la feuille sy large qu'un homme s'en pourroit couvrir. Il
vient une racine dudict arbre où sont en quantité desdictes
plantes, chacun desquelles est de la grosseur du bras,
longue d'un pied & demy, de couleur jaulne & verd, de très
bon goust, & sy sain que l'on en peult manger tant que l'on
veult sans qu'il face mal [108].
[Note 107: La Banane.]
[Note 108: Planche XLII.]
Les Indiens se servent d'une espece de bled qu'ils nomment
mammaix[109], qui est de la grosseur d'un poys, jaulne &
rouge, & quand ils le veulent manger, ils prennent une
pierre cavée comme ung mortier, & une autre ronde en forme
de pillon, & après que le dict bled a trempé une heure, ils
le meullent & reduisent en farine en ladicte pierre, puis
le petrissent & le font cuire en ceste manière: ils ont une
platine de fer ou de pierre qu'ils font chauffer sur le feu,
& comme elle est bien chaude, ils prennent leur paste &
l'estendent dessus assez tenue, comme tourteaux, & l'ayant
fait ainsy cuire, le mangent tout chaud, car il ne vault
rien froid ny gardé[110].
[Note 109: Ou Maïs.]
[Note 110: Planche XLIII.]
31/35 Ils ont aussy d'une autre racine qu'ils nomment cassave,
dont ils se servent pour faire du pain, mais sy quelqu'un en
mangeoit de cru, il mourroit[111].
[Note 111: Planche XLIV--Voir, ci-dessus, p. 11, note 6.--«Pour faire la
Cassave, qui est le pain ordinaire du pays, après avoir arraché le
Manyoc, on ratisse ses racines comme on fait les naveaux, lorsqu'on les
veut mettre au pot; puis on esgruge toutes ses racines sur des râpes de
cuivre percées... & attachées sur des planches dont on met le bas dans
un vaisseau; & appuyant le haut contre l'estomac, l'on frotte à deux
mains la racine dessus la râpe, & tout le marc tombe dans le vaisseau
Quand tout est égrugé ou rapé, on le met à la presse dans des sacs de
toile, & on en exprime tout le suc, en sorte qu'il ne demeure que la
farine toute seiche... Le suc qui en sort est estimé du poison par tous
les habitans, & mesme par tous les autheurs qui en ont écrit...» (Du
Tertre, _Hist. des Antilles_.)]
Il y a d'une gomme qui se nomme copal[112], qui sort d'un
arbre qui est comme le pin; ceste gomme est fort bonne pour
les goustes & douleurs [113].
[Note 112: «_Rhus Copallinum_ (LINN.) Les Mexicains donnaient le nom
de _copal_ à toutes les résines et gommes odoriférantes. Le Copal par
excellence est une résine blanche et transparente, qui coule d'un arbre
dont la feuille ressemble à celle du chêne, quoique plus longue; cet
arbre s'appelle _copal-quahuitl_, ou arbre qui porte le copal. Ils ont
aussi le _copal-quahuitl-petlahuae_, dont les feuilles sont les plus
grandes de l'espèce, et semblables à celles du sumac, le
_copal-quauhxiotl_, à feuilles longues et étroites; le
_tepecopulli-quahuitl_, ou copal des montagnes, dont la résine est comme
l'encens du vieux monde appelé par les Espagnols _incensio de las
Indias_, et quelques autres espèces inférieures.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 113: Planche XLIV.]
Il y a aussy d'une racine que l'on nomme patates [114], que
l'on fait cuire comme des poires au feu, & a semblable goust
aux chastaignes [115].
[Note 114: «Il y a huit ou dix sortes de patates, différentes en
goust, en couleur & en feuilles. Pour ce qui regarde les feuilles, la
différence est petite; car elles ont presque toutes la forme de coeur
Il suffit d'en nommer les plus communes, qui font les _Patates vertes,
les Patates à l'oignon, les Patates marbrées, les Patates blanches, les
Patates rouges, Les Patates orangées, les Patates à suif, les Patates
souffrées_...» (Du Tertre, _Hist. des Antilles_.)]
[Note 115: Planche XLIV.]
Il y a audict pays nombre de melons d'estrange grosseur, qui
sont très bons, la chair en est fort orangée, & y en a d'une
autre sorte qui ont la chair blanche, mais ils ne sont de sy
bon goust que les autres. Il y a aussy quantité de cocombres
32/36 très bons, des artichauts, de bonnes lettues, qui sont
comme celles que l'on nomme rommainnes, choux à pome, &
force autres herbes potagères, aussy des citrouilles qui ont
la chair orengée comme les melons.
Il y a des pomes qui ne sont pas beaucoup bonnes, & des
poires d'assez bon goust, qui sont creues naturellement à la
terre. Je croy que qui voudroit prendre la paine d'y planter
des bons fruittiers de par deçà, ils y viendroient fort
bien[116].
[Note 116: Planche XLV.]
Par toute la Nove Espaigne il y a d'une espece de couleuvres
[117], qui sont de la longeur d'une picque & grosse comme le
bras, la teste grosse comme ung oeuf de poulle, sur laquelle
elles ont deux plumes. Au bout de la queue elles ont une
sonnette qui faict du bruit quand elles se traînent: elles
sont fort dangereuses de la dent & de la queue, néantmoins
les Indiens les mangent, leur ayant osté les deux extrémités
[118].
[Note 117: «Champlain parle évidemment da Serpent à sonnettes
(_Crotulus_); mais il paraît l'avoir confondu avec le serpent à cornes
(_horned snake_), à cause des _plumes de la tête_.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 118: Planche XLVI.]
Il y a aussy des dragons d'estrange figure, ayants la teste
approchante de celle d'un aigle, les ailles comme une
chauvesouris, le corps comme ung lézard, & n'a que deux
pieds assez gros, la queue assez escailleuse, & est gros
comme ung mouton: ils ne sont pas dangereux, & ne font mal
à personne, combien qu'à les voir l'on diroit le contraire
[119].
[Note 119: Planche XLVII.]
J'ai veu ung lézard de sy estrange grosseur, que s'il m'eust
esté recité par ung autre, je ne l'eusse pas creu, car je
33/37 vous asseures qu'ils sont gros comme ung quart de pippe.
Ils sont comme ceux que nous voions icy quand à la forme, de
couleur de verd brun, & vert jaulne sous le ventre; ils
courent fort viste, sifflent en courant; ils ne sont poinct
mauvais aux hommes, encore qu'ils ne fuient pas d'eux sy on
ne les poursuit. Les Indiens les mangent & les trouvent fort
bons[120].
[Note 120: Planche XLVIII.--«Probablement _Lacerta Iguana_ (LINN.)»
(Ed. Soc. Hakl.)]
J'ay veu aussy par plusieurs fois, en ce païs là, des
animaux qu'ils appellent des caymans, qui sont, je croy, une
espece de cocodrille, sy grands, que tels des dicts caymans
a vingt cinq & trente pieds de long, & est fort dangereux,
car s'il trouvoit ung homme à son advantaige, sans doute
il le devoreroit: il a le dessoubs du ventre jaulne
blanchastre, le dessus armé de fortes escailles de couleur
de verd brun, ayant la teste fort longue, les dents
estrangement aiguës, la geulle fort fendue, les yeux rouges,
fort flamboiant: sur la teste il a une manière de coronne.
Il a quatre jambes fort courtes, le corps de la grosseur
d'une barique: il y en a aussy de moindres. L'on tire de
dessoubs les cuisses de derrière du musq excelent, ils
vivent dans les estangs & mares, & dans les rivieres d'eau
doulce. Les Indiens les mangent[121].
[Note 121: Planche XLIX.]
J'ay aussy veu des tortues d'esmerveillable grosseur, &
telle que deux chevaux auroient affaire à en traîner une. Il
y en a qui sont sy grosses, que dedans l'escaille qui les
couvre trois hommes se pourroient mettre & y nager comme
dedans ung batteau: elles se peschent à la mer, la chair en
34/38 est très bonne, & resemblent à chair de boeuf. Il y en a
fort grande quantité en toutes les Indes: l'on en voit
souvent qui vont paistre dans les bois[122].
[Note 122: Planche L.]
Il y a aussy quantité de tigres [123], des fourreures
desquels l'on faict grand estat: ils ne se jettent poinct
aux hommes sy on ne les poursuit.
[Note 123: Planche LII.--«_Tigris Americana_ (LINN.)--Jaguar.»
(Ed. Soc. Hakl.)]
Il se void aussy au dict pays quelques sivettes [124] qui
viennent du Pérou, où il y en a quantité. Elles sont
meschantes & furieuses, & combien que l'on en voye icy
ordinairement, je ne laisse pas d'en faire icy une figure
[125].
[Note 124: «_Viverra Civetta_ (LINN.) Le _Gato de Algalia_
des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 125: Planche LI.]
Il vient du Pérou à la Nove Espaigne une certainne espece de
moutons, qui portent fardeaux comme chevaux, plus de quatre
cents livres à journée. Ils sont de la grandeur d'un asne,
le col fort long, la teste menue, la laine fort longue, &
qui resemble plus à du poil comme à celuy des chevres qu'à
de la layne: ils n'ont point de cornes comme les moutons de
deçà. Ils sont fort bons à manger, mais ils n'ont pas la
chair sy delicatte comme les nostres [126].
[Note 126: Planche LIII.--Le _Llama_.]
Le pays est fort peuplé de cerfs, biches, chevreux,
sangliers, renars, lievres, lappains, & autres animaux que
nous avons par deçà, dont ils ne sont aucunement différends
[127].
[Note 127: Planche LIV.]
Il y a d'une sorte de petits animaux [128] gros comme des
35/39 barbots, qui voilent de nuict, & font telle clarté en l'air,
que l'on diroit que ce sont autant de petittes chandelles.
Sy l'on avoit trois ou quatres de ces petits animaux, qui ne
sont pas plus gros que des noisettes, l'on pourroit aussy
bien lire de nuict qu'avec une bougie.
[Note 128: «_Fulgora suternaria_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]
Il se voict dans les bois & dans les campaignes grand nombre
de chancres [129], semblables à ceux qui se trouvent en la
mer, & sont aussy communément dans le païs comme à la mer de
deçà.
[Note 129: «_Gecarcinus, Cancer ruricolor_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]
Il y a une autre petite espece d'animaulx faicts comme des
escrevisses, hors mis qu'ils ont le derrière devestu de
coquilles, mais ils ont ceste proprietté de chercher des
coquilles de limassons vuides, & logent dedans ce qu'ils ont
de descouvert, traisnant tousjours ceste coquille après soy,
& n'en délogent poinct que par force [130]. Les pescheurs
vont receullir ces petittes bestes par les bois, & s'en
servent pour pescher, & quand ils veulent prendre le
poisson, ayant tiré ce petit animal de dedans sa coque, ils
l'attachent par le travers du corps à leur lingne au lieu
d'ameçon, puis le jette à la mer, & comme les poissons les
pensent engloutir, ils pinsent les poissons des deux
maistresses pattes, & ne les quitte point: & par ce moien
les pescheurs prennent le poisson mesme de la pesanteur de
cinq ou six livres.
[Note 130: «_Pagurus streblany_ (LEACH); _Pagurus Bernardus_.
(FABRICIUS); _Cancellus marinus et terrestris_; Bernard l'hermite;
_Caracol soldada_ des Espagnols.» (Ed. Soc. Hakl.)]
J'ay veu ung oyseau qui se nomme pacho del ciello [131],
36/40 c'est à dire oyseau du ciel, lequel nom luy est donné parce
qu'il est ordinairement en l'air sans jamais venir à terre
que quand il tombe mort. Il est de la grosseur d'un moyneau:
il a la teste fort petite, le bec court, partye du corps de
couleur vert brun, le reste roux, & a la queue de plus de
deux piez de long, & sont presque comme celle d'une
aigrette, & grosse estrangement au respect du corps: il n'a
point de piedz. L'on dict que la femelle pont ung oeuf
seulement sur le dos du malle, par la chaleur duquel ledict
oeuf s'esclot, & comme l'oyseau est sorty de la coque, il
demeure en l'air, dont il vit comme les autres de ceste
espece: je n'en ay veu qu'un que nostre général achepta cent
cinquante escus. On dît que l'on les prend vers la coste de
Chille, qui est un contient de terre ferme, qui tient depuis
le Pérou jusques au destrois de Magelano, que les Espaignols
vont descouvrant & ont guerre avec les sauvages du pays,
auquel l'on dit que l'on descouvre Des mines d'or &
d'argent. J'ay mis icy la figure du dict oyseau[132].
[Note 131: «_Pacho del ciello.--Paradisia_, Oiseau du Paradis. On a
cru longtemps que cet oiseau vivait constamment en l'air, et n'avait
point de pieds. Les spécimens envoyés en Europe sont ordinairement
dépouillés des pattes, le corps et la queue étant les seules parties
employées à former les plumets et les aigrettes; de là la croyance que
ces oiseaux n'ont point de pieds.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 132: Planche LV.]
J'ay pensé qu'il n'est pas hors de propos de dire que le
bois d'ebene vient d'un arbre fort hault comme le chesne; il
a le dessus de l'escorche comme blanchastre, & le coeur fort
noir, comme vous le verrez de l'autre part representé[133].
[Note 133: Planche LVI.]
Le bresil est arbre fort gros au respect du bois d'ebene,
& de mesme hauteur, mais il n'est sy dur. Le dict arbre de
bresil porte comme une manière de nois qui croissent à la
37/41 grosseur des nois de galle, qui viennent dedans des ormeaux.
Apres avoir parlé des arbres, plantes & animaux, il faut que
je face ung petit récit des Indiens & de leur nature, moeurs
& créance. La plus part desdicts Indiens, qui ne sont point
soubs la domination des Espaignols, adorent la lune comme
leur dieu, & quand ils veulent faire leurs cérémonies,
ils s'assemblent tant grands que petits au milieu de leur
village & se mettent, en rond, & ceux qui ont quelque chose
à manger l'apportent, & mettent toutes les vivres ensemble
au milieu d'eux, & font la milleure chère qui leur est
possible. Apres qu'ils sont bien rasassiés, ils se prennent
tous par la main, & se mettent à danser, avec des cris
grands & estranges, leur chant n'ayant aucun ordre ny
suitte. Apres qu'ils ont bien chanté & dansé, ils se
mettent le visage en terre, & tout à ung coup tous ensemble
commencent à crier & pleurer en disant: O puissante & claire
lune, fay que nous puissions vaincre nos ennemis, & que les
puissions manger, à cette fin que ne tombions entre leurs
mains, & que mourans nous puissions aller avec nos parents
nous resjouir. Apres avoir faict ceste prière, il se
relevent & se mettent à danser tous en rond & dure leur
feste ainsy dansans, pryans & chantans environ six heures.
Voila ce que j'ay appris de cérémonies & créances de ces
pauvres peuples, privés de la raison, que j'ay icy figurés
[134].
[Note 134: Planche LIX.]
Quant aux autres Indiens qui sont soubs la domination du Roy
d'Espaigne, s'il n'y donnoit ordre, ils seroient en aussy
barbare créance comme les autres. Au commencement de ses
38/42 conquestes, il avoit establi l'inquisition entre eux, & les
rendoit esclaves ou faisoit cruellement mourir en sy grand
nombre, que le récit seulement en faict pityé. Ce mauvais
traittement estoit cause que les pauvres Indiens, pour la
prehension d'iceluy, s'enfuioient aux montaignes comme
desesperés, & d'autant d'Espaignols qu'ils attrapoient, ils
les mangeoient; & pour ceste occasion lesdicts Espaignols
furent contraints leur oster ladicte inquisition, & leur
donner liberté de leur personne, leur donnant une reigle de
vivre plus doulce & tolerable, pour les faire venir à la
cognoissance de Dieu & la créance de la saincte Eglise: car
s'ils les vouloient encor chatier selon la rigeur de ladicte
inquisition, ils les feroient tous mourir par le feu.
L'ordre dont ils usent maintenant est que en chacun
estance[135] qui sont comme vilages, il y a ung prestre qui
les instruict ordinerement, ayant le prestre ung rolle de
noms & surnoms de tous les Indiens qui habitent au village
soubs sa charge. Il y a aussy ung Indien qui est comme
procureur du village, qui a ung autre pareil rolle, & le
dimanche, quand le prestre veult dire la messe, tous
lesdicts Indiens sont teneus se presenter pour l'ouir, &
avant que le prestre la Commence, il prend son rolle, & les
appelle tous par leur nom & surnom, & sy quelqu'un deffault,
il est marqué sur Ledict rolle, puis la messe dite, le
prestre donne charge à l'Indien qui sert de procureur de
s'informer particullierement où sont les defaillans, & qui
les face revenir à l'église, où estant devant ledict
39/43 prestre, il leur demande l'occasion pour lequel ils ne sont
pas veneus au service divin, dont ils allèguent quelques
excuses s'ils peuvent en trouver, & sy elles ne sont trouvés
véritables ou raisonnables, ledict prestre commande audict
procureur Indien qui aye à donner hors l'eglise, devant tout
le peuple, trente ou quarante coups de baston aux
défaillants. Voilla l'ordre que l'on tien à les maintenir en
la religion, en laquelle ils vivent partye pour crainte
d'estre battus: il est bien vray que s'ils ont quelque juste
occasion qui les empesche de venir à la messe, ils sont
excusés.
[Note 135: De l'espagnol estancia, demeure.]
Tous ces Indiens sont d'une humeur fort melancholique, & ont
neantmoins l'esprit fort vif, & comprennent en peu de temps
ce qu'on leur montre, & ne s'ennuient poinct pour quelque
chose ou injure qu'on leur face ou dye. J'ay figuré, en
ceste page & la suivante, ce qui se peult bien representer
de ce que j'en ay discouru cy dessus[136].
[Note 136: Planche LX et LXI.]
La pluspart des dicts Indiens ont leur logement estrange,
& sans aucun arrest, car ils ont une manière de coches qui
sont couvertes d'escorche d'arbres, attelés de chevaux,
mulets ou boeufs, & ont leurs femmes & enfants dedans
lesdicts coches, & sont ung mois ou deux en ung endroict
[du] païs, puis s'en vont en ung autre lieu, & sont
continuellement ainsy errans parmy le pays.
Il y a une manière d'Indiens qui vivent & font leurs
demeures en certains villages qui appartiennent aux
seigneurs ou marchands, & cultivent les terres [137].
[Note 137: Planche LXII.]
40/44 Or pour revenir au discours de mon voiage, après avoir
demeuré ung mois entier à Mechique, je retournay à St Jean
de Luz, auquel lieu je m'enbarquay dans une patache qui
alloit à Portovella[138], où il y a quatre cents ou cinq
cents lieues. Nous feusmes trois sepmaines sur la mer avant
que d'ariver au dict lieu de Portovella, où je trouvay bien
changement de contrée, car au lieu d'une très bonne &
fertille terre que j'avois trouvé en la Nove Espaigne, comme
j'ay recité cy dessus, je rencontray bien une mauvaise
terre, estant ce lieu de Portovella, la plus meschante &
malsaine demeure qui soit au monde: il y pleut presque
tousjours, & sy la pluye cesse une heure, il y faict sy
grande chaleur que l'eau en demeure toute infectée, & rend
l'air contagieux, de telle sorte que la pluspart des soldats
ou mariniers nouveaux venneus y meurent. Le pays est fort
montaigneux, remply de bois de sappins, & où il y a sy
grande quantité de singes, que c'est chose estrange à voir.
Neantmoins ledict port de Portovella est très bon; il y a
deux chasteaux à l'entrée qui sont assez forts, dans
lesquels il y a trois cents soldats en garnison. Joignant
ledict port, où sont les forteresses, il y en a ung autre
qui n'en est aucunement commandé, & où une armée pourroit
descendre seurement. Le Roy d'Espaigne tient ce port pour
une place de consequence, estant proche du Pérou, car il n'y
a que dix sept lieues jusque à Bahama, qui est à la bande du
sur.
[Note 138: Porto-Bello.]
41/45 Ce port de Panama, qui est sur la mer du [139], est très
bon, & y a bonne radde, & la ville fort marchande, dont la
figure ensuit [140].
[Note 139: Lacune dans l'original.]
[Note 140: A partir d'ici, l'auteur annonce des figures qui
manquent dans l'original.]
En ce lieu de Panama s'assemble tout l'or & l'argent qui
vient du Pérou, où l'on les charges, & toutes les autres
richesses sur une petite riviere qui vient des montaignes,
& qui descend à Portovella, laquelle est à quatre lieues de
Panama, dont il faut porter l'or, l'argent & marchandises
sur mulets: & estans enbarqué sur ladicte riviere, il y a
encor dix huict lieues jusques à Portovella.
L'on peult juger que sy ces quatre lieues de terre qu'il y a
de Panama à ceste riviere estoient couppés, l'on pourroit
venir de la mer du su en celle de deçà, & par ainsy l'on
accourciroit le chemin de plus de quinze cents lieues[141];
& depuis Panama jusques au destroit de Magellan ce seroit
une isle, & de Panama jusques aux Terres noeusves une autre
isle, de sorte que toute l'Americque seroit en deux isles.
[Note 141: «La jonction de l'océan Atlantique et de l'océan Pacifique à
travers l'isthme de Panama, n'est pas, comme on voit, une idée moderne.
Champlain a peut-être le mérite de l'avoir émise le premier.» (Ed. Soc.
Hakl.)]
Sy ung ennemy du Roy d'Espaigne tenoit ledict Portovella,
il empescheroit qu'il ne sortist rien du Pérou, qu'à grande
difficulté & risque, & plus de despens qu'il ne reviendroit
de proffit. Drac [142] fust au dict Portovella pour le
surprendre, mais il faillit son entreprise, ayant esté
42/46 descouvert, dont il mourut de desplaisir, & commanda en
mourant qu'on le mist en ung tombeau, & qu'on le jettast
entre une isle & le dict Portovella. Ensuit la figure de
ladicte riviere & plan du pays[143].
[Note 142: «Sir Francis Drake, après son infructueuse tentative sur
Porto-Rico, poursuivit son voyage à Nombre-de-Dios, où, ayant débarqué
ses hommes, il essaya de s'avancer jusqu'à Panama, dans le dessein de
ravager la place, ou, s'il trouvait la chose praticable, la garder et
la fortifier; mais il n'y rencontra pas les mêmes facilités que dans ses
premières entreprises. Les Espagnols avaient fortifié les passages, et
posté, dans les bois, des troupes qui incommodaient tellement les
Anglais par des escarmouches et des alarmes continuelles, que ceux-ci
furent contraints de s'en retourner sans rien faire. Drake lui-même, par
suite des intempéries du climat, des fatigues du voyage, et des chagrins
du désappointement, fut saisi d'une indisposition dont il mourut peu
après. (Voir Hume's _Hist. of England_, ann. 1597. Drake mourut le 30
décembre 1596, vieux style, ou le 9 janvier 1597, style neuf.) L'on
disposa de son corps de la manière mentionnée par Champlain.» (Ed. Soc.
Hakl.)]
[Note 143: Cette figure manque dans l'original.]
Ayant demeuré ung moys audict Portovella, je m'en revins
à St Jean de Luz, où nous sejournasmes quinze jours, en
attendant que l'on fist donner carenne à nos vaisseaux pour
aller à la Havanne, au rendez vous des armées & flottes. Et
estants partis pour cest effect dudict St Jean de Luz, comme
nous feusmes vingt lieues en mer, ung houracan nous prist de
telle furye d'un vent de nord, que nous nous pensasmes tous
perdre, & feusmes tellement escartés les ungs des autres,
que nous ne nous peusmes rallier que à la Havanne; d'autre
part nostre vaineau faisoit telle quantité d'eau, que nous
ne pensions pas eviter ce péril, car sy nous avions une
demye heure de repos sans tirer l'eau, il falloit travaller
deux heures sans relache, & sans la rencontre que nous
fismes d'une patache, qui nous remist à nostre route, nous
allions nous perdre à la coste de Campesche, en laquelle
coste de Campesche il y a quantité de sel qui se faict &
engendre sans art, par retenue d'eau qui demeure après les
grandes marés, & se congele au soleil. Nostre pillotte avoit
perdu toute la cognoissance de la navigation, mais par la
grâce de Dieu, [qui] nous envoya rencontre de ceste patache,
43/47 nous nous rendismes à la Havanne, dont avant que de parler
je reprefenteray icy ladicte coste de Campesche [144].
[Note 144: Cette carte manque également dans l'original.]
Arivames à la Havanne, nous y trouvasmes nostre général,
mais nostre admirante n'y estoit pas encores arrivé, qui
nous faisoit croire qu'il estoit perdu; toutesfoys il se
rendict bien tost après avec le reste de ses vaisseaux. Dix
huict jours après nostre arrivée audict lieu de la Havanne,
je m'enbarquay en ung vaisseau qui alloit à Cartage[145], &
feusmes quinze jours à faire ledict voiage. Ce lieu est ung
très bon port, où il y a belle entrée, à l'abry de tous
vents, fors du nord norouest, qui frape dans ledict port,
dans lequel il y a troys isles: le Roy d'Espaigne y
entretient deux galleres. Ledict lieu est en païs que l'on
appelle terre ferme, qui est très bon, bien fretille, tant
en bledz, fruict, que autres choses necessaires à la vye,
mais non pas en telle abondance qu'en la Neufve Espaigne, &
en recompense, il se tire aussy plus grand nombre d'argent
audict lieu de terre ferme. Je demeuray ung mois & demy
audict lieu de Cartagenes, & pris ung portraict de la ville
& du port que j'ay icy raporté [146].
[Note 145: Carthagènes.]
[Note 146: Le plan manque dans l'original.]
Partant dudict lieu de Cartagene, je m'en retournay à la
Havanne trouver nostre général, qui me fist fort bonne
reception, pour avoir veu par son commandement les lieux où
j'avois esté. Ledict port de la Havanne est l'un des plus
beaux que j'aye veu en toutes les Indes, il a l'entrée
fort estroitte, très bonnes, & bien munies de ce qui est
44/48 necessaire pour le conserver, & d'un fort à l'autre il
y a une chaine de fer qui traverse l'entrée du port. La
garnison desdictes forteresses est de six cents soldats: à
sçavoir, en l'une nommée le More, du costé de l'est, quatre
cents, & en l'autre forteresse, qui s'appelle le fort neuf,
& en la ville deux cents. Au dedans dudict port il y a une
baye qui contient en rondeur plus de six lieues, ayant
une lieue de large, où l'on peult mouller l'ancre en tous
endroicts, à troys, quatre, six, huict, dix, quinze &
saize brasses d'eau, & y peuvent demeurer grand nombre de
vaisseaux: il y a une très bonne ville & fort marchande,
laquelle est figurée en la page suivante [147].
[Note 147: Le plan manque dans l'original.]
L'isle en laquelle sont ledict port & la ville de la Havanne
s'appelle Cuba, & est fort montaigneuse, il n'y a aucune
mine d'or ou d'argent, mais plusieurs mines de mestail,
dont ils font des pièces d'artillerye en [148] la ville de
la Havanne. Il ne croist ny bled ny vin dans ladicte isle:
celuy qu'ils mangent vient de la Neufve Espaigne, de façon
que quelque fois il y est fort cher.
[Note 148: Le manuscrit porte _et_, ou quelque chose de semblable;
pour former un sens raisonnable, nous avons cru pouvoir mettre _en_. Le
traducteur de la Société Hakluyt a rendu ce petit mot par _for_, pour.]
Il y a en ladicte isle quantité de fruicts fort bons,
entre autres ung qui s'appelle pines [149], qui ressemble
parfaidement aux pins de par deçà. Ils ostent l'escorche,
puis le couppent par la moityé, comme pommes, & a ung très
bon goust, fort doux, come sucre.
[Note 149: Pina de Indias (espagnol), l'ananas. «Nos habitans, dit
le P. du Tertre (Hist. des Antilles), en distinguent de trois sortes,
ausquelles se peuvent rapporter toutes les autres: à sçavoir, le gros
Ananas blanc, le pain de sucre, & la pomme de rainette. Le premier a
Quelquefois huit ou dix pouces de diamettre, & quinze ou seize pouces
de haut... Quoy qu'il toit plus gros & plus beau que les autres, son
goust n'est pas si excellent; aussi n'est-il pas tant estimé... Le
second porte le nom de sa forme, parce qu'il est tout semblable à un
pain de sucre... Le troisième est le plus petit; mais c'est le plus
excellent... Tous conviennent en ce qu'ils croissent d'une mesme façon,
portent tous le bouquet de feuilles ou la couronne sur la teste, & ont
l'escorce en forme de pomme de pin, laquelle se leve pourtant & se
coupe comme celle d'un melon.»]
45/49 Il y a quantité de bestial, comme boeufs, vaches &
pourceaux, qui est la milleure viande de toutes les autres
en ce pays-là. En toutes ces Indes, ils tiennent grande
quantité de boeufs, plus pour en avoir les cuirs que pour
les chairs. Pour les prendre ils ont des naigres qui courent
à cheval après ces boeufs, & avec des astes[150], où il y a
un croissant au bout fort tranchant, couppent les jarets des
boeufs, qui sont aussy tost escorchés, & la chair sy tost
consommé, que vingt quatre heures après l'on n'y en
recognoist, estant devoré de grand nombre de chiens sauvages
qui sont audict pays, & autres animaux de proye.
[Note 150: _Hastes_, lances ou piques.]
Nous feusmes quatre mois à la Havanne, & partant de là, avec
toute la flotte des Indes qui s'y estoit assemblée de toutes
parts, nous allâmes pour passer le canal de Bahan[151],
qui est un passage de consequence, par lequel il faut
necessairement passer en retournant des Indes. A l'un des
costés d'iceluy passage, au nord, gist la terre de la
Floride, & au su la Havanne: la mer court dans ledict canal
de grande impetuosité. Ledict canal a quatre vingt lieues de
long, & de large huict lieues, comme il est cy après figuré,
ensemble ladicte terre de la Flouride, au moins ce que l'on
recognoist de la coste[152].
[Note 151: Bahama.]
[Note 152: Cette carte manque dans l'original.]
46/50 En sortant dudict canal l'on va recognoistre la Bermude,
qui est une isle montaigneuse, de laquelle il faict
mauvais approcher, à cause des dangers qui sont autour
d'icelle: il y pleut presque tousjours, & y tonne sy
souvent, qu'il semble que le ciel & la terre se doibvent
assembler; la mer est fort tempestueuse au tour de la dicte
isle, & les vagues haultes comme les montaignes. Ladicte
isle est icy figurée [153].
[Note 153: Cette figure manque également dans l'original.]
Ayant passé le travers de ladicte isle, nous vismes telles
quantité de poissons vollants [154], que c'est chose
estrange: nous en primes quelques uns qui vindrent sur nos
vaisseaux, ils ont la forme comme ung harents, les ailles
plus grandes, & sont très bons à manger.
[Note 154: «_Exocetus volitans_ (LINN.)» (Ed. Soc. Hakl.)]
Il y a certains poissons qui sont gros comme bariques, que
l'on appelle tribons[155], qui courent après lesdicts
poissons vollants pour les manger; & quand lesdicts poissons
vollants voient qu'ils ne peuvent fuir autrement, ils se
lancent sur l'eau, & vollent environ cinq cents pas, & par
ce moien ils se guarantissent dudict tribon, qui est cy
dessoubs figuré[156].
[Note 155: «_Tiburon_ (esp.) requin, confondu probablement avec le
_bonito_, lequel, avec la dorade (_Sparus aurata_), est l'ennemi mortel
du poisson volant.» (Ed. Soc. Hakl.)]
[Note 156: La figure manque dans l'original.]
Il faut que je dye encore qu'à costé dudict canal de Bahan,
au sudsuest, l'on voict l'isle St Domingue, dont j'ay
parlé cy dessus, qui est fort bonne & marchande en cuirs,
gingembre & caffé, tabac, que l'on nomme autrement petung,
ou herbe à la Royne, que l'on faict seicher, puis l'on en
47/51 faict des petits tourteaux. Les mariniers, mesme les
Anglois, & autres personnes en usent & prennent la fumée
d'iceluy à l'imitation des sauvaiges, encores que j'aye cy
dessus representé ladicte isle de St Domingue, je figureray
neantmoins icy la coste d'icelle vers le canal de
Bahan[157].
[Note 157: Cette carte manque dans l'original.]
J'ay parlé cy dessus de la terre de Flouride: je diray
encores icy que c'est l'une des bonnes terres que l'on
sçauroit desirer, estant très fretille sy elle estoit
cultivée; mais le Roy d'Espaigne n'en fait pas d'estat,
pour ce qu'il n'y a point de mines d'or ou d'argent. Il y a
grande quantité de sauvaiges, lesquels font la guerre aux
Espaignols, lesquels ont ung fort sur la pointe de ladicte
terre, où il y a ung bon port. Ceste terre basse, la plus
part, est fort agréable.
Quatre jours après que nous eusmes passé la Bermude, nous
eusmes une sy grande tourmente, que toute nostre armée fust
plus de six jours sans se pouvoir rallier. Apres lesdicts
six jours passés, le temps estant devenu plus beau, & la mer
plus tranquille, nous nous rassemblasmes tous, & eusmes le
vent fort à propos, jusques à la recognoissance des Essores
mesme l'isle Terciere [158] cy figuré [159].
[Note 158: Terceire, ou Tercère, l'une des Açores.]
[Note 159: La figure manque dans l'original.]
Il faut necessairement que tous les vaisseaux qui s'en
reviennent des Indes recognoissent lesdictes isles des
Essores, pour prendre là leur hauteur, autrement ils ne
pourroient seurement parachever leur routte.
48/52 Ayants passé lesdictes isles des Essores, nous feusmes
recognoistre le cap St Vincent, où nous prismes deux
vaisseaux Anglois qui estoient en guerre, que nous menames
en la riviere de Seville, d'où nous estions partis, & où
fust l'achevement de nostre voiage, Auquel je demeuray
depuis nostre partement de Seville, tant sur mer que sur
terre, deux ans[160] deux mois.
[Note 160: A compter du départ de la flotte, qui fit voile de San
Lucar de Barameda dans les premiers jours de janvier 1599, l'auteur
aurait été de retour vers le commencement de mars 1601. Cependant, les
détails de l'expédition ne permettent guère de supposer que le voyage
ait duré plus de deux ans; et alors il faut admettre que Champlain fait
entrer en ligne de compte le temps qui s'écoula entre son départ de
Séville et le départ de la flotte. Dans tous les cas, nous ne voyons
pas comment le traducteur de la Société Hakluyt peut justifier la
correction qu'il fait au texte dans ce passage, en mettant _trois ans
et deux mois_, au lieu de _deux ans deux mois_ que porte l'original;
si ce n'est qu'il fallait mettre le texte en harmonie avec le titre
tel qu'il l'avait lu.]
FIN du Tome I.
49/53
[Illustrations: Planches N° I à LXII.]
(La prochaine page est 54, qui est la page titre du Tome II).
ii/54 OEUVRES
DE
CHAMPLAIN
PUBLIÉES
SOUS LE PATRONAGE
DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ
SECONDE ÉDITION
TOME II
QUÉBEC
Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS
1870
iii/55 _La première édition du_ Voyage de 1603 _est d'une excessive
rareté. Il n'y en a, jusqu'à ce jour, qu'un seul exemplaire
de connu; c'est celui de la Bibliothèque Impériale de Paris.
Nous devons à l'extrême obligeance de M. l'abbé Verreau, la
copie qui a servi à cette présente édition._
Des Sauvages: _tel est le titre que l'auteur donna à sa
première publication; tandis que ses autres relations sont
intitulées_ Voyages. _L'auteur a-t-il choisi ces mots
uniquement pour piquer la curiosité du lecteur, à une époque
ou l'on n'avait encore sur les sauvages que quelques récits
plus ou moins fabuleux? ou bien a-t-il voulu donner à
entendre par là, qu'il ne publiait cet opuscule que comme un
épisode d'un voyage dont il n'avait pas le commandement
en chef? Cette dernière supposition expliquerait un peu
pourquoi le nom de Pont-Gravé ne figure ni dans le titre, ni
dans les préliminaires, bien qu'il fût officiellement chargé
iv/56 de la conduite de l'expédition. Quoiqu'il en soit, il semble
Que la chose ait été remarquée dans le temps; car la
Chronologie Septénaire, qui reproduit ce voyage, a presque
l'air de vouloir tirer une petite vengeance en ne
mentionnant que le nom de Pont-Gravé, sans dire même que la
relation fût de Champlain.
L'auteur, dans son édition de 1632, a peut-être voulu
réparer cette omission, qui était de nature à blesser un peu
la susceptibilité de celui_ qu'il respectait comme son père.
_«Après la mort du sieur Chauvin, dit-il, le Commandeur
de Chaste obtint nouvelle commission de Sa Majesté, et,
d'autant que la dépense était fort grande, il fit une
société avec plusieurs gentilshommes et principaux marchands
de Rouen et d'autres lieux... Le dit Pont-Gravé, avec
commission de Sa Majesté (comme personne qui avait déjà fait
le voyage, et reconnu les défauts du passé), fut élu pour
aller à Tadoussac, et promet d'aller jusques au saut
Saint-Louis, le découvrir et passer outre, pour en faire
son rapport à son retour, et donner ordre à un second
embarquement.»
C'était donc Pont-Gravé qui était commissionné pour ce
voyage, et ce n'était que justice de le mentionner._
(Il n'y a pas de page 57)
ii/58 DES
SAUVAGES
OU
VOYAGE DE SAMUEL
CHAMPLAIN DE BROUAGE,
FAIT EN LA FRANCE NOUVELLE,
L'an mil six cens trois:
Contenant:
Les moeurs, façon de vivre, mariages, guerres & habitation
des Sauvages de Canadas.
De la descouverte de plus de quatre cens cinquante lieues
dans le païs des Sauvages. Quels peuples y habitent; des
animaux qui s'y trouvent; des rivieres, lacs, isles &
terres, & quels arbres & fruicts elles produisent.
De la coste d'Arcadie, des terres que l'on y a descouvertes,
& de plusieurs mines qui y sont, selon le rapport des
Sauvages.
A PARIS,
Chez CLAUDE DE MONSTR'OEIL, tenant sa boutique en la cour du
Palais au nom de Jésus.
=================================================
_Avec privilége du Roy._
iii/59 EPISTRE
TRES NOBLE HAUT & PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE CHARLES
DE MONTMORENCY, Chevalier des Ordres du Roy, Seigneur
d'Ampville & de Meru, Comte de Secondigny, Vicomte de
Meleun, Baron de Chateauneuf & de Gonnort, admiral de France
& de Bretagne.
_Monseigneur,
Bien que plusieurs ayent escript quelque chose du pays de
Canadas, je n'ay voulu pourtant m'arrester à leur dire, & ay
expressement esté sur les lieux pour pouvoir rendre fidèle
tesmoignage de la vérité, laquelle vous verrez (s'il vous
plaît) au petit discours que je vous adresse, lequel je
iv/60 vous supplie d'avoir pour agreable, & ce faisant, je
prieray Dieu, Monseigneur, pour votre grandeur & prosperité,
& demeureray toute ma vie_
Votre très humble &
obeïssant serviteur
S. CHAMPLAIN.
v/61 LE SIEUR DE LA FRANCHISE
AU DISCOURS
DU SIEUR CHAMPLAIN.
Muses, si vous chantez, vraiment ije vous conseille
Que vous louiez Champlain, pour estre courageux:
Sans crainte des hasards, il a veu tant de lieux,
Que ses relations nous contentent l'oreille.
Il a veu le Pérou [1], Mexique & la Merveille
Du Vulcan infernal qui vomit tant de feux,
Et les saults Mocosans [2], qui offensent les yeux
De ceux qui osent voir leur cheute nonpareille.
Il nous promet encor de passer plus avant,
Réduire les Gentils, & trouver le Levant,
Par le Nort, ou le Su, pour aller à la Chine.
C'est charitablement tout pour l'amour de Dieu.
Sy des lasches poltrons qui ne bougent d'un lieu!
Leur vie, sans mentir, me paroist trop mesquine._
DE LA FRANCHISE.
[Note 1: Champlain a bien été jusqu'à Mexico, comme on peut le voir
dans son Voyage aux Indes Occidentales; mais il ne s'est pas rendu au
Pérou, que nous sachions.]
[Note 2: Mocosa est le nom ancien de la Virginie. Cette expression,
_saults Mocosans_, semble donner à entendre que, dès 1603 au moins,
l'on avait quelque connaissance de la grande chute de Niagara.]
vi/62 EXTRAICT DU PRIVILEGE.
Par privilege du Roy donné à Paris le 15 de novembre 1603,
signé Brigard.
Il est permis au Sieur de Champlain de faire imprimer par
tel imprimeur que bon luy semblera un livre par luy composé,
intitulé. _Des Sauvages, ou Voyage du Sieur de Champlain,
fait en l'an 1603_, & sont faictes deffenses à tous
libraires & imprimeurs de ce Royaume, de n'imprimer, vendre
& distribuer ledict livre, si ce n'est du consentement de
celuy qu'il aura nommé & esleu, à peine de cinquante escus
d'amende, de confiscation & de tous despens, ainsi qu'il est
plus amplement contenu audit privilege.
Ledict Sieur de Champlain, suivant son dit privilege,
a esleu & permis à Claude de Monstr'oeil, libraire en
l'université de Paris, d'imprimer le susdict livre, & luy a
cédé & transporté son dit privilege, sans que nul autre le
puisse imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer,
durant le temps de cinq années, sinon du consentement dudict
Monstr'oeil, sur les peines contenues audit privilege.
vii/63 TABLE DE CHAPITRES.
Bref du discours, où est contenu le Voyage depuis Honfleur
en Normandie jusques au port de Tadousac en Canadas. Chap.
I.
Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo des
Sauvages de Canada, leurs festins & dances, la guerre qu'ils
ont avec les Irocois, la façon & de quoy sont faicts leurs
canots & cabanes: avec la description de la poincte de
Sainct Mathieu. Chap. II.
La rejouissance que font les Sauvages après qu'ils ont eu
victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs; endurent la faim,
sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions; parlent
aux diables; leurs habits, & comme ils vont sur les neiges,
avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement de leurs
morts. Chap. III.
Riviere du Saguenay, & son origine. Chap. IV.
Partement de Tadousac pour aller au Sault; la description
des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans & de plusieurs
autres isles, & de nostre arrivée à Québec. Chap. V.
De la poincte Saincte Croix, de la riviere de Batiscan, des
rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes
& beaux pays qui sont depuis Québec jusques aux
Trois-Rivieres. Chap. VI.
Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui
entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on
voit dans le pays de la riviere des Irocois, & de la
forteresse des Sauvages qui leur font la guerre. Chap. VII.
Arrivée au Sault, sa description, & ce qui s'y void de
remarquable, avec le rapport des Sauvages de la fin de la
grande riviere. Chap. VIII.
Retour du Sault à Tadousac, avec la confrontation du rapport
de plusieurs sauvages touchant la longueur & commencement de
la riviere de Canadas; du nombre des saults & lacs qu'elle
traverse. Chap. IX.
Voyage de Tadousac en l'isle Percée; description de la baye
des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la baye de
Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouvent
plusieurs sortes de mines. Chap. X.
Retour de l'isle Percée à Tadousac, avec la description des
anses, ports, rivieres, isles, rochers, saults, bayes &
basses, qui sont le long de la coste du Nort. Chap. XI.
viii/64 Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à la
guerre: Des Sauvages Almouchicois & de leurs monstrueuses
formes. Discours du sieur Prevert de Sainct Malo, sur la
descouverture de la coste d'Arcadie, quelles mines il y a, &
de la bonté & fertilité du pays. Chap. XII.
D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent
Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France. Chap.
XIII.
1/65 DES SAUVAGES
ou
VOYAGE DU SIEUR DE CHAMPLAIN
faict en l'an 1603.
_Bref discours où est contenu le voyage depuis Honfleur en
Normandie, jusques au port de Tadousac en Canadas._
CHAPITRE PREMIER.
Nous partismes de Honfleur le 15e jour de mars 1603. Ce dit
jour, nous relaschasmes à la rade du Havre de Grace, pour
n'avoir le vent favorable. Le dimanche ensuyvant, 16e jour
dudit mois, nous mismes à la voille pour faire nostre route.
Le 17 ensuyvant, nous eusmes en veue D'orgny & Grenesey [3],
qui sont des isles entre la coste de Normandie & Angleterre.
Le 18 dudit mois, eusmes la congnoissance de la coste de
Bretagne. Le 19 nous faisions estat, à 7 heures du soir
estre le travers de Ouessans. Le 21, à 17 heures[4] du
matin, nous rencontrasmes 7 vaisseaux flamans, qui, à nostre
2/66 jugement, venoient des Indes. Le jour de Pasques, 30
dudit mois, fusmes contrariez d'une grande tourmente, qui
paroissoit estre plustost foudre que vent, qui dura l'espace
de dix-sept jours, mais non si grande qu'elle avoit faict
les deux premiers jours, & durant cedict temps, nous eusmes
plus de déchet que d'advancement. Le 16e jour d'apvril, le
temps commença à s'adoucir, & la mer plus belle qu'elle
n'avoit esté, avec contentement d'un chacun; de façon que
continuans nostre dicte route jusques au 28e jour dudit
mois, que rencontrasmes une glace fort haulte. Le lendemain,
nous eusmes congnoissance d'un banc de glace qui duroit plus
de 8 lieues de long, avec une infinité d'autres moindres,
qui fut l'occasion que nous ne pusmes passer; & à l'estime
du pilote les dittes glaces estoient à quelque 100 ou 120
lieues de la terre de Canadas, & estions par les 45 degrez
2/3, & vinsmes trouver passage par les 44.
[Note 3: Avrigny et Guernesey.]
[Note 4: Il est évident qu'il faut lire «7 heures,» vu qu'il n'est
point question d'une observation astronomique; d'ailleurs, même dans son
Traité de la Marine, Champlain sépare le jour en deux fois douze
heures.]
Le 2 de may, nous entrasmes sur le Banc à unze heures du
jour par les 44. degrez 2/3. Le 6 dudict mois, nous vinsmes
si proche de terre, que nous oyons la mer battre à la coste;
mais nous ne la peusmes recongnoistre pour l'espaisseur de
la brume dont ces dittes costes sont subjectes, qui fut
cause que nous mismes à la mer encores quelques lieues,
jusques au lendemain matin, que nous eusmes congnoissance de
terre, d'un temps assez beau, qui estoit le cap de Saincte
Marie [5].
[Note 5: Jean Alphonse mentionne ce nom, de même que celui des îles
Saint-Pierre, dès l'année 1545, dans sa Cosmographie. (Biblioth.
impériale, _ms. fr. 676._)]
3/67 Le 12e jour ensuyvant, nous fusmes surprins d'un grand coup
de vent, qui dura deux jours. Le 15 dudict mois, nous eusmes
congnoissance des isles de Sainct Pierre. Le 17 ensuyvant,
nous rencontrasmes un banc de glace, prés du cap de Raie,
qui contenoit six lieues, qui fut occasion que nous
amenasmes toute la nuict, pour éviter le danger où nous
pouvions courir. Le lendemain, nous mismes à la voille, &
eusmes congnoissance du cap de Raye, & isles de Sainct Paul,
& cap de Sainct Laurens[6], qui est terre ferme à la bande
du Su; & dudict cap de Sainct Laurens jusques audict cap de
Raie il y a dix-huict lieues, qui est la largeur de l'entrée
de la grande baie de Canadas [7]. Ce dict jour, sur les dix
heures du matin, nous rencontrasmes une autre glace qui
contenoit plus de huict lieues de long. Le 20 dudict
mois, nous eusmes congnoissance d'une isle qui a quelque
vingt-cinq ou trente lieues de long, qui s'appelle
Anticosty[8], qui est l'entrée de la riviere de Canadas [9].
4/68 Le lendemain, eusmes congnoissance de Gachepé[10], terre
fort haulte, & commençasmes à entrer dans la dicte riviere
de Canadas, en rangeant la bande du Su jusques à
Mantanne[11], où il y a, dudict Gachepé, soixante-cinq
lieues. Dudict Mantanne, nous vinsmes prendre congnoissance
du Pic [12], où il y a vingt lieues, qui est à laditte bande
du Su; dudict Pic, nous traversasmes la riviere jusques à
Tadousac, où il y a quinze lieues. Toutes ces dittes terres
sont fort haultes élevées, qui sont sterilles, n'apportant
aucune commodité.
[Note 6: Rigoureusement, le point du Cap-Breton le plus rapproché
du cap de Raie, est le cap de Nord, dont le cap Saint-Laurent est
éloigné de deux lieues.]
[Note 7: Cette expression «baie de Canada», pour désigner le golfe
Saint-Laurent, montre que pendant longtemps les deux noms ont été
employés simultanément; car on voit, par la carte de Thévet, que le
golfe Saint-Laurent portait, dès 1575, le même nom qu'aujourd'hui.
Cependant, ce que les auteurs de ce temps se sont accordés à appeler
communément _la Grande-Baie_, est cette partie du golfe comprise entre
la côte du Labrador et la côte occidentale de Terre-Neuve.]
[Note 8: L'île d'Anticosti a cinquante lieues de long. Ce nom
d'Anticosti, de même que ceux de Gaspé, de Matane, de Tadoussac et
autres, était déjà suffisamment connu à cette époque, pour que Champlain
se dispense de faire ici aucune remarque. En effet, dès l'année 1586,
Thévet, dans son Grand Insulaire, dit «que les sauvages du pays
L'appellent _Naticousti_»; ce que confirme Lescarbot du temps même de
Champlain: «Cette ile est appellée, dit-il, par les Sauvages du païs
_Anticosti_.» D'un autre côté, Hakluyt (vers 1600), sur la foi sans
doute des voyageurs qu'il cite, l'appelle _Natiscotec_, et Jean de Lact
adopte, sans dire pourquoi, l'orthographe de Hakluyt. «Elle est nommée,
dit-il, en langage des sauvages _Natiscotec_.» Ce dernier nom se
rapproche davantage de celui de _Natascoueh_ (où l'on prend l'ours), que
lui donnent aujourd'hui les Montagnais. Jacques Cartier, en 1535, lui
donna le nom d'_Ile de l'Assomption_. Soit erreur, soit antipathie pour
le navigateur malouin, M. de Roberval et son pilote Jean Alphonse
l'appellent _Ile de l'Ascension_. Thévet la mentionne, dans sa
Cosmographie universelle, sous le nom de _Laisple_, et, dans son Grand
Insulaire, il l'appelle, comme Cartier, «Isle de l'Assomption, laquelle,
ajoute-t-il, d'autres nomment _de Laisple_.»]
[Note 9: Le fleuve Saint-Laurent.]
[Note 10: Ou Gaspé. Suivant M. l'abbé J.-A. Maurault, ce nom serait
une contraction du mot abenaquis «_Katsepisi_, qui est séparément, qui
est séparé de l'autre terre.» On sait, en effet, que le Forillon,
aujourd'hui miné par la violence des vagues, était un rocher remarquable
séparé du cap de Gaspé.]
[Note 11: Ou Matane. Jean Alphonse l'appelle rivière de Caën.]
[Note 12: Le Bic. Au temps de Jean Alphonse, on l'appelait Cap de
Marbre. Jacques Cartier, en 1535, avait donné au havre du Bic le nom
d'Isleaux Saint-Jean, parce qu'il y était entré le jour de la
Décollation de saint Jean.]
Le 24 dudict mois, nous vinsmes mouiller l'ancre devant
Tadousac [13], & le 26 nous entrasmes dans le dict port
qui est faict comme une anse, à l'entrée de la riviere du
Sagenay, où il y a un courant d'eau & marée fort estrange
pour sa vitesse & profondité, où quelques fois il vient des
vents impétueux [14] à cause de la froidure qu'ils amènent
avec eux. L'on tient que laditte riviere a quelque
5/69 quarante-cinq ou cinquante lieues jusques au premier sault,
& vient du costé du Nort-Norouest. Ledict port de Tadousac
est petit, où il ne pourroit[15] que dix ou douze vaisseaux;
mais il y a de l'eau assés à l'Est, à l'abry de la ditte
riviere de Sagenay, le long d'une petite montaigne qui est
Presque coupée de la mer. Le reste, ce sont montagnes
Haultes élevées, où il y a peu de terre, sinon rochers &
Sable remplis de bois de pins, cyprez[16], sapins, &
quelques manières d'arbres de peu. Il y a un petit estang
proche dudit port, renfermé de montaignes couvertes de bois.
A l'entrée dudict port, il y a deux poinctes: l'une, du
costé de Ouest, contenant une lieue en mer, qui s'appelle la
poincte de Sainct Matthieu[17]; & l'autre, du costé de
Su-Est, contenant un quart de lieue, qui s'appelle la
poincte de tous les Diables [18]. Les vents du Su & Su-Suest
& Su-Sorouest frappent dedans ledict port. Mais, de la
pointe de Sainct Matthieu jusques à la pointe de tous les
Diables, il y a prés d'une lieue, l'une & l'autre pointe
asseche de basse mer.
[Note 13: Le P. Jérôme Lalemant (Relation 1646) dit que les sauvages
appelaient Tadoussac _Sadilege_; d'un autre côté, Thévet, dans son Grand
Insulaire, affirme que les sauvages de son temps appelaient le Saguenay
_Thadoyseau_. Il est probable qu'à ces diverses époques, comme encore
aujourd'hui, on prenait souvent l'un pour l'autre. Ce qui est sûr, c'est
que ces deux noms sont sauvages: _Tadoussac_ ou _Tadouchac_, veut dire
_mamelons_, (du mot _totouchac_, qui en montagnais veut dire
_mamelles_), et Saguenay signifie _eau qui sort_ (du montagnais
_saki-nip_).]
[Note 14: La copie originale portait probablement «importuns».
Lescarbot, qui reproduit ce voyage à peu près textuellement, a mis: «des
vents impétueux lesquels amènent avec eux de grandes froidures.»]
[Note 15: Le verbe _pouvoir_ s'employait alors activement, en parlant
de la capacité des objets.]
[Note 16: Comme il n'y a pas de vrai cyprès en Canada, on pourrait
croire d'abord que Champlain veut parler ici du pin gris, que nos
Canadiens appellent vulgairement cyprès, et que l'on trouve surtout dans
les environs du Saguenay, mais, outre que Champlain mentionne ici le pin
d'une manière générale, si l'on compare les différents endroits où il
parle du cyprès, on en viendra à la conclusion qu'il a voulu par ce
terme désigner notre cèdre (_thuja_), qui est un arbre très-commun dans
toutes les parties du pays; tandis que le pin gris ne s'y rencontre pas
partout. La chose devient évidente, si l'on fait attention que les
feuilles du thuja ont beaucoup de ressemblance avec celles du cyprès.
«Ses feuilles, dit Du Hamel, en parlant du _thuja_ (Traité des Arbres et
Arbustes), sont petites, comme articulées les unes aux autres, et elles
ressemblent à celles du cyprès.»]
[Note 17: Dans l'édition de 1613, Champlain l'appelle encore pointe
Saint-Matthieu, «ou autrement aux Alouettes.» Aujourd'hui elle n'est
plus connue que sous ce dernier nom.]
[Note 18: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Cette pointe a changé de
nom du vivant même de l'auteur. Dans l'édition de 1632, elle est appelée
_pointe aux roches_; mais il nous semble évident que ce dernier nom doit
être attribué à l'inadvertance de l'imprimeur: car Sagard, qui publiait,
cette année-là même, son Grand Voyage au pays des Hurons, mentionne
cette pointe à plusieurs reprises, et l'appelle absolument comme nous
l'appelons aujourd'hui, la pointe aux Vaches. D'ailleurs la ressemblance
que peuvent avoir, dans un manuscrit, les deux mots _roches_ et
_vaches_, rend l'erreur tout à fait vraisemblable.]
6/70 _Bonne réception faicte aux François par le grand Sagamo
des Sauvages de Canadas, leurs festins & danses, la guerre
qu'ils ont avec les Iroquois, la façon & de quoy sont faits
leurs canots & cabannes: avec la description de la poincte
de Sainct Matthieu._
CHAPITRE II.
LE 27e jour, nous fusmes trouver les Sauvages à la poincte
de Sainct Matthieu, qui est à une lieue de Tadousac, avec
les deux sauvages que mena le Sieur du Pont, pour faire le
rapport de ce qu'ils avoient veu en France, & de la bonne
réception que leur avoit fait le Roy. Ayans mis pied à
terre, nous fusmes à la cabanne de leur grand Sagamo [19],
qui s'appelle Anadabijou, où nous le trouvasmes avec quelque
quatre-vingts ou cent de ses compagnons qui faisoient
tabagie (qui veut dire festin), lequel nous receut fort bien
selon la coustume du pays, & nous feit asseoir auprés de
luy, & tous les sauvages arrangez les uns auprés des autres
des deux costez de la ditte cabanne. L'un des sauvages que
nous avions amené commença à faire sa harangue de la bonne
réception que leur avoit fait le Roy, & le bon traictement
qu'ils avoient receu en France, & qu'ils s'asseurassent que
7/71 saditte Majesté leur voulloit du bien, & desiroit peupler
leur terre, & faire paix avec leurs ennemis (qui sont les
Irocois), ou leur envoyer des forces pour les vaincre: en
leur comptant aussy les beaux chasteaux, palais, maisons &
peuples qu'ils avoient veus, & nostre façon de vivre. Il fut
entendu avec un silence si grand qu'il ne se peut dire de
plus. Or, après qu'il eut achevé sa harangue, ledict grand
Sagamo Anadabijou l'ayant attentivement ouy, il commença à
prendre du Petun, & en donner audict Sieur du Pont-Gravé de
Sainct Malo & à moy, & à quelques autres Sagamos qui
estoient auprés de luy. Avant bien petunné, il commença à
faire sa harangue à tous, parlant pozément, s'arrestant
quelquefois un peu, & puis reprenoit sa parolle en leur
disant, que véritablement ils devoient estre fort contents
d'avoir saditte Majesté pour grand amy. Ils respondirent
tous d'une voix: _Ho, ho, ho,_ qui est à dire _ouy, ouy_.
Luy, continuant tousjours saditte harangue, dict qu'il
estoit fort aise que saditte Majesté peuplast leur terre, &
fist la guerre à leurs ennemis; qu'il n'y avoit nation au
monde à qui ils voullussent plus de bien qu'aux François.
Enfin il leur fit entendre à tous le bien & l'utilité qu'ils
pourroient recevoir de saditte Majesté.
Après qu'il eut achevé sa harangue, nous sortismes de sa
cabanne, & eux commencèrent à faire leur tabagie ou festin,
qu'ils font avec des chairs d'orignac, qui est comme boeuf,
d'ours, de loups marins & castors, qui sont les viandes les
plus ordinaires qu'ils ont, & du gibier en quantité. Ils
avoient huict ou dix chaudieres pleines de viandes, au
8/72 milieu de laditte cabanne, & estoient esloignées les unes
des autres quelques six pas, & chacune a son feu. Ils sont
assis des deux costez (comme j'ay dict cy-dessus), avec
chascun son escuelle d'escorce d'arbre: & lorsque la viande
est cuitte, il y en a un qui fait les partages à chascun
dans lesdittes escuelles, où ils mangent fort salement; car,
quand ils ont les mains grasses, ils les frottent à leurs
cheveux ou bien au poil de leurs chiens, dont ils ont
quantité pour la chasse. Premier que leur viande fust
cuitte, il y en eut un qui se leva, & print un chien, & s'en
alla saulter autour desdittes chaudières d'un bout de la
cabanne à l'autre. Estant devant le grand Sagamo, il jetta
son chien à terre de force, & puis tous d'une voix ils
s'escrierent: _Ho, ho, ho_: ce qu'ayant faict, s'en alla
asseoir à sa place. En mesme instant, un autre se leva, &
feit le semblable, continuant tousjours jusques à ce que la
viande fut cuitte. Or, après avoir achevé leur tabagie, ils
commencèrent à danser, en prenant les testes de leurs
ennemis, qui leur pendoient par derrière, en signe de
resjouïssance. Il y en a un ou deux qui chantent en
accordant leurs voix par la mesure de leurs mains, qu'ils
frappent sur leurs genoux; puis ils s'arrestent quelquefois
en s'escriant: _Ho, Ho, ho_, & recommencent à danser, en
tournant comme un homme qui est hors d'haleine. Ils
faisoient cette resjouïssance pour la victoire par eux
obtenue sur les Irocois, dont ils avoient tué quelque cent,
aux quels ils coupèrent les testes qu'ils avoient avec eux
pour leur cérémonie. Ils estoient trois nations quand ils
furent à la guerre, les Estechemins, Algoumequins &
9/73 Montagnez [20], au nombre de mille, qui allèrent faire la
guerre auxdicts Irocois, qu'ils rencontrèrent à l'entrée de
la riviere desdicts Irocois [21], & en assommerent une
centaine. La guerre qu'ils font n'est que par surprise; car
autrement ils auroient peur, & craignent trop lesdicts
Irocois, qui sont en plus grand nombre que lesdicts
Montagnés, Estechemins & Algoumequins.
[Note 19: Sagamo veut dire en montagnais grand chef. D'après Mgr
Laflèche, ce mot est composé de _tchi_, grand (pour _kitchi_), et de
_okimau_, chef; _tchi okinau_, grand chef.]
[Note 20: Les Etchemins, appelés plus tard Malécites, habitaient
principalement le pays situé entre la rivière Saint-Jean et celle de
Pentagouet ou Pénobscot. Les Algonquins qui se trouvaient en ce moment à
Tadoussac, y étaient descendus probablement pour la traite; car leur
Pays était situé sur l'Outaouais et au-delà. Les Montagnais, à
proprement parler, étaient chez eux; car ils habitaient surtout le
Saguenay et les pays environnants.]
[Note 21: La rivière de Sorel.]
Le 28e jour dudict mois, ils se vindrent cabanner audict
port de Tadousac, où estoit nostre vaisseau. A la poincte du
jour, leur dict grand Sagamo sortit de sa cabanne, allant
autour de toutes les autres cabannes, en criant à haulte
voix, qu'ils eussent à desloger pour aller à Tadousac, où
estoient leurs bons amis. Tout aussy tost un chascun d'eux
deffit sa cabanne en moins d'un rien, & ledict grand
capitaine le premier commença à prendre son canot, & le
porter à la mer, où il embarqua sa femme & ses enfants, &
quantité de fourreures, & se meirent ainsy prés de deux
cents canots, qui vont estrangement; car encore que nostre
chalouppe fust bien armée, si alloient-ils plus vite que
nous. Il n'y a que deux personnes qui travaillent à la nage,
l'homme & la femme. Leurs canots ont quelques huict ou neuf
pas de long, & large comme d'un pas ou pas & demy par le
milieu, & vont tousjours en amoindrissant par les deux
10/74 bouts. Ils sont fort subjects à tourner si on ne les sçait
bien gouverner, car ils sont faicts d'escorce d'arbres
appellée bouille[22], renforcez par le dedans de petits
cercles de bois bien & proprement faicts, & sont si légers
qu'un homme en porte un aisément, & chaqu'un canot peut
porter la pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser
la terre, pour aller à quelque riviere où ils ont affaire,
ils les portent avec eux.
[Note 22: Écorce de bouleau.]
Leurs cabannes sont basses, faictes comme des tentes,
couvertes de laditte escorce d'arbre, & laissent tout le
haut descouvert comme d'un pied, d'où le jour leur vient, &
font plusieurs feux droit au millieu de leur cabanne, où ils
sont quelques fois dix mesnages ensemble. Ils couchent sur
des peaux, les uns parmy les autres, les chiens avec eux.
Ils estoient au nombre de mille personnes, tant hommes que
femmes & enfans. Le lieu de la poincte de Sainct Matthieu,
où ils estoient premièrement cabannez, est assez plaisant.
Ils estoient au bas d'un petit costeau plein d'arbres, de
sapins & cyprès. A laditte poincte, il y a une petite
place unie, qui descouvre de fort loin; & au dessus dudict
costeau, est une terre unie, contenant une lieue de long,
demye de large, couverte d'arbres; la terre est fort
sablonneuse, où il y a de bons pasturages. Tout le reste, ce
ne sont que montaignes de rochers fort mauvais. La mer bat
autour dudict costeau, qui asseiche prés d'une grande demy
lieue de basse eau.
11/75 _La resjouïssance que font les Sauvages après qu'ils ont
eu victoire sur leurs ennemis; leurs humeurs, endurent la
faim, sont malicieux; leurs croyances & fausses opinions,
parlent aux Diables; leurs habits, & comme ils vont sur les
neiges; avec la manière de leur mariage, & de l'enterrement
de leurs morts._
CHAPITRE III.
LE 9e jour de Juin, les Sauvages commencèrent à se resjouïr
tous ensemble & faire leur tabagie, comme j'ay dict
cy-dessus, & danser, pour laditte victoire qu'ils avoient
obtenue contre leurs ennemis. Or, aprés avoir faict bonne
chère, les Algoumequins, une des trois nations, sortirent
de leurs cabannes, & se retirèrent à part dans une place
publique, feirent arranger toutes leurs femmes & filles les
unes prés des autres, & eux se meirent derrière, chantant
tous d'une voix comme j'ay dict cy devant. Aussi tost toutes
les femmes & filles commencèrent à quitter leurs robbes de
peaux, & se meirent toutes nues, monstrans leur nature,
neantmoins parées de matachias, qui sont patenoftres &
cordons entrelacez, faicts de poil de porc-espic, qu'ils
teignent de diverses couleurs. Après avoir achevé leurs
chants, ils dirent tous d'une voix, _ho, ho, ho_; à mesme
instant, toutes les femmes & filles se couvroient de leurs
robbes, car elles sont à leurs pieds, & s'arrestent quelque
peu, & puis aussi tost recommençans à chanter, ils laissent
12/76 aller leurs robbes comme auparavant. Ils ne bougent d'un
lieu en dansant, & font quelques gestes & mouvemens du
corps, levans un pied, & puis l'autre, en frappant contre
terre. Or, en faisant ceste danse, le Sagamo des
Algoumequins, qui s'appelle Besouat[23], estoit assis devant
lesdittes femmes & filles, au millieu de deux bastons où
estoient les testes de leurs ennemis pendues; quelques fois
il se levoit, & s'en alloit haranguant & disant aux
Montagnés & Estechemins: «Voyez comme nous nous resjouïssons
de la victoire que nous avons obtenue sur nos ennemis: il
faut que vous en fassiez autant, affin que nous soyons
contens.» Puis tous ensemble disoient, _ho, ho, ho_.
Retourné qu'il fut en sa place, le grand Sagamo avecque tous
ses compaignons despouillerent leurs robbes, estans tous
nuds hormis leur nature, qui est couverte d'une petite peau,
& prindrent chascun ce que bon leur sembla, comme matachias,
haches, espées, chauldrons, graisses, chair d'orignac,
loup-marin, bref chascun avoit un present, qu'ils allèrent
donner aux Algoumequins. Aprés toutes ces cérémonies, la
danse cessa, & lesdicts Algoumequins, hommes & femmes,
emportèrent leurs presens dans leurs cabannes. Ils feirent
encore mettre deux hommes de chacune nation des plus dispos,
qu'ils feirent courir, & celuy qui fut le plus viste à la
course eut un present.
[Note 23: Probablement le même que Tessouat, grand sagamo des
Algonquins de l'Isle ou Kichesipirini. Quelques années plus tard, en
1613, ce chef accueille l'auteur comme une vieille connaissance; et
cependant ils n'avaient pas dû se rencontrer depuis 1603; car on ne voit
pas que Tessouat ait pris part aux expéditions contre les Iroquois, ni
qu'il soit descendu à la traite en 1611. D'ailleurs, dans un manuscrit,
_tesouat_ peut très-bien se prendre pour _besouat_.]
13/77 Tous ces peuples sont tous d'une humeur assez joyeuse; ils
rient le plus souvent; toutes fois ils sont quelque peu
saturniens. Ils parlent fort pozément, comme se voullant
bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost, en songeant
une grande espace de temps, puis reprennent leur parolle.
Ils usent bien souvent de ceste façon de faire parmy leurs
harangues au conseil, où il n'y a que les plus principaux,
qui sont les anciens, les femmes & enfants n'y assistent
poinct.
Tous ces peuples patissent tant quelques fois, qu'ils sont
presque constraints de se manger les uns les autres, pour
les grandes froidures & neiges, car les animaux & gibier
dequoy ils vivent se retirent aux pays plus chauts. Je
tiens que qui leur monstreroit à vivre, & enseigneroit le
labourage des terres & autres choses, ils l'apprendroient
fort bien; car je vous asseure qu'il s'en trouve assez qui
ont bon jugement, & respondent assez bien à propos sur ce
que l'on leur pourroit demander. Ils ont une meschanceté en
eux, qui est user de vengeance, & estre grands menteurs,
gens en qui il ne fait pas trop bon s'asseurer, sinon
qu'avec raison & la force à la main; promettent assez, &
tiennent peu.
Ce font la plus part gens qui n'ont point de loy, selon que
j'ay pu veoir & m'informer audict grand Sagamo, lequel me
dict qu'ils croyoient véritablement qu'il y a un Dieu, qui a
créé toutes choses. Et lors je luy dy: Puisqu'ils croyoient
à un seul Dieu, comment est-ce qu'il les avoit mis au monde,
& d'où ils estoient venus? Il me respondit: «Aprés que Dieu
eut fait toutes choses, il print quantité de flesches, & les
64/78 meit en terre; d'où il sortit hommes & femmes, qui ont
multiplié au monde jusques à prêtent, & sont venus de ceste
façon.» le luy respondy, que ce qu'il disoit estoit faux;
mais que véritablement il y avoit un seul Dieu, qui avoit
créé toutes choses en la terre & aux cieux. Voyant toutes
ces choses si parfaictes, sans qu'il y eust personne qui
gouvernast en ce bas monde, il print du limon de la terre, &
en créa Adam nostre premier père. Comme Adam sommeilloit,
Dieu print une coste dudict Adam, & en forma Eve, qu'il luy
donna pour compagnie, & que c'estoit la vérité qu'eux & nous
estions venus de ceste façon, & non de flesches comme ils
croyent. Il ne me dict rien sinon, qu'il advoüoit plustost
ce que je luy disois, que ce qu'il me disoit. Je luy
demandis aussi, s'ils ne croyoient point qu'il y eust autre
qu'un seul Dieu. Il me dict que leur croyance estoit, qu'il
y avoit un Dieu, un Fils, une Mère & le Soleil, qu'estoient
quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous, mais que
le fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils
recevoient; mais la mère ne valloit rien, & les mangeoit, &
que le père n'estoit pas trop bon. Je luy remonstray son
erreur selon nostre foy, enquoy il adjousta quelque peu de
créance. Je luy demandis, s'ils n'avoient point veu ou ouy
dire à leurs ancestres que Dieu fust venu au monde. Il me
dict qu'il ne l'avoit point veu; mais qu'anciennement il y
eut cinq hommes qui s'en allèrent vers le soleil couchant,
qui rencontrèrent Dieu, qui leur demanda: «Ou allez-vous?»
Ils dirent: «Nous allons chercher nostre vie.» Dieu leur
15/79 respondit: «Vous la trouverez icy.» Ils passèrent plus
outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dict,
lequel print une pierre, & en toucha deux, qui furent
transmuez en pierre, & dict de rechef aux trois autres: «Où
allez-vous?» Et ils respondirent comme à la première fois, &
Dieu leur dit de rechef: «Ne passez plus outre: vous la
trouverez icy.» Et voyant qu'il ne leur venoit rien, ils
passerent outre, & Dieu print deux bastons, & il en toucha
les deux premiers, qui furent transmuez en bastons, & le
cinquiesme s'arresta, ne voullant passer plus outre. Et Dieu
lui demanda de rechef: «Où vas-tu?»--«Je vais chercher ma
vie.»--«Demeure, & tu la trouveras.» Il demeura sans passer
plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea.
Après avoir faict bonne chère, il retourna avecque les
autres sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.
Il me dict aussy qu'une autre fois il y avoit un homme
qui avoit quantité de tabac (qui est une herbe dequoy ils
prennent la fumée), & que Dieu vint à cet homme, & luy
demanda où estoit son petunoir; l'homme print son petunoir,
& le donna à Dieu, qui petuna beaucoup. Après avoir bien
petuné, Dieu rompit ledict petunoir en plusieurs pièces, &
l'homme luy demanda: «Pourquoy as-tu rompu mon petunoir? eh
tu vois bien que je n'en ay point d'autre.» Et Dieu en print
un qu'il avoit, & le luy donna, luy disant: «En voilà un que
je te donne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde,
& s'il le garde bien, il ne manquera point de chose
16/80 quelconque, ny tous ses compagnons.» Le dict homme print le
petunoir, qu'il donna à son grand Sagamo; lequel tandis
qu'il l'eut, les sauvages ne manquèrent de rien du monde;
mais que du depuis le dict Sagamo avoit perdu ce petunoir,
qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques
fois parmy eux. Je luy demandis s'il croyoit tout cela; il
me dict qu'ouy, & que c'estoit vérité. Or je croy que voilà
pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon. Mais je luy
repliquay, & luy dis, Que Dieu estoit tout bon, & que sans
doubte c'estoit le Diable qui s'estoit montré à ces
hommes-là, & que s'ils croyoient comme nous en Dieu, ils ne
manqueroient de ce qu'ils auraient besoing; que le soleil
qu'ils voyaient, la lune & les estoilles, avoient esté créez
de ce grand Dieu, qui a faict le ciel & la terre, & n'ont
nulle puissance que celle que Dieu leur a donnée; que nous
croyons en ce grand Dieu, qui par sa bonté nous avoit envoyé
son cher fils, lequel, conceu du Sainct Esprit, print chair
humaine dans le ventre virginal de la Vierge Marie, ayant
esté trente-trois ans en terre, faisant une infinité de
miracles, ressuscitant les morts, guerissant les malades,
chassant les Diables, illuminant les aveugles, enseignant
aux hommes la volonté de Dieu son père, pour le servir,
honorer & adorer, a espandu son sang, & souffert mort &
passion pour nous & pour nos péchez, & rachepté le genre
humain, estant ensevely est ressuscité, descendu aux enfers,
& monté au ciel, où il est assis à la dextre de Dieu son
17/81 pere[24]. Que c'estoit là la croyance de tous les
chrestiens, qui croyent au Père, au Fils & au Saint Esprit,
qui ne sont pourtant trois dieux, ains un mesme & un seul
dieu, & une trinité en laquelle il n'y a point de plus tost
ou d'après, rien de plus grand ne de plus petit; que la
Vierge Marie, mère du fils de Dieu, & tous les hommes &
femmes qui ont vescu en ce monde faisans les commandemens de
Dieu, & enduré martyre pour son nom, & qui par la permission
de Dieu ont faict des miracles & sont saincts au ciel en son
paradis, prient tous pour nous ceste grande majesté divine
de nous pardonner nos fautes & nos péchez que nous faisons
contre sa loy & ses commandemens. Et ainsi, par les prières
des saincts au ciel & par nos prières que nous faisons à sa
divine majesté, ils nous donne ce que nous avons besoing, &
le Diable n'a nulle puissance sur nous, & ne peut faire de
mal; que s'ils avoient ceste croyance, qu'ils feroient comme
nous, que le Diable ne leur pourroit plus faire de mal & ne
manqueroient de ce qu'ils auroient besoing.
[Note 24: Lescarbot fait sur ce passage la remarque suivante: «Je ne
croy point que cette théologie se puisse expliquer à ces peuples, quand
même on sçauroit parfaitement leur langue.» Il nous semble cependant que
cette théologie n'a rien qui soit beaucoup plus difficile à entendre que
la fable rapportée par le sagamo, puisque Champlain ne fait guère que
lui raconter des faits historiques qui ont au moins en leur faveur le
mérite de la vraisemblance. Supposé, au reste, que ce discours ne fût
pas tout à fait à la portée de son interlocuteur, il n'en serait pas
moins une preuve du zèle et des bonnes intentions de Champlain.]
Alors ledict Sagamo me dict qu'il advouoit ce que je disois.
Je luy demandis de quelle cérémonie ils usoient à prier
leur Dieu. Il me dict, qu'ils n'usoient point autrement de
cérémonies, sinon qu'un chascun prioit en son coeur comme il
18/82 voulloit. Voilà pourquoy je croy qu'il n'y a aucune loy
parmy eux, ne sçavent que c'est d'adorer & prier Dieu, &
vivent la plus part comme bestes brutes, & croy que
promptement ils seroient reduicts bons chrestiens, si l'on
habitoit leur terre; ce qu'ils desireroient la plus part.
Ils ont parmy eux quelques sauvages, qu'ils appellent
Pilotoua [25], qui parlent au Diable visiblement; & leur
dict ce qu'il faut qu'ils fassent tant pour la guerre que
pour autres choses, & que s'il leur commandoit qu'ils
allassent mettre en exécution quelque entreprise, ou tuer un
François, ou un autre de leur nation, ils obeïroient aussi
tost à son commandement.
[Note 25: Quoique Champlain ait pu tenir des sauvages le mot
_pilotoua_ ou _piletois_, il paraît cependant qu'il leur est venu de la
langue des Basques; c'est du moins ce que dit le P. Biard (Relat. de la
Nouv. Fr., édit. 1858, p. 17), en parlant de l'_aoutmoin_, «que les
Basques, dit-il, appellent Pilotois, c'est-à-dire, sorcier.»]
Aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font sont
véritables; & de faict il y en a beaucoup qui disent aveoir
veu & songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais, pour
en parler avec vérité, ce sont visions du Diable, qui
les trompe & seduict. Voilà toute la créance que j'ay pu
apprendre d'eux, qui est bestiale.
Tous ces peuples, ce sont gens bien proportionnez de leurs
corps, sans aucune difformité; ils sont dispos, & les femmes
bien formées, remplies & potelées, de couleur basanée, pour
la quantité de certaine peinture dont ils se frottent, qui
les faict devenir olivastres. Ils sont habillez de peaux;
une partie de leur corps est couverte, & l'autre partie
descouverte. Mais l'hyver ils remédient à tout, car ils sont
19/83 habillez de bonnes fourrures, comme d'orignac, loutre,
castors, ours-marins, cerfs biches qu'ils ont en quantité.
L'hyver, quand les neiges sont grandes, ils font une manière
de raquette qui est grande deux ou trois fois comme celles
de France, qu'ils attachent à leurs pieds, & vont ainsi dans
les neiges sans enfoncer, car autrement ils ne pourroient
chasser, ny aller en beaucoup de lieux.
Ils ont aussi une forme de mariage, qui est que quand une
fille est en l'aage de quatorze ou quinze ans, elle aura
plusieurs serviteurs & amis, & aura compagnie avec tous ceux
que bon luy semblera; puis au bout de quelques cinq ou six
ans, elle prendra lequel il luy plaira pour son mary, &
vivront ainsi ensemble jusques à la fin de leur vie, si ce
n'est qu'après avoir esté quelque temps ensemble ils n'ont
enfans, l'homme se pourra desmarier & prendre autre femme
disant que la sienne ne vaut rien. Pour ainsi les filles
sont plus libres que les femmes; or, despuis qu'elles sont
mariées, elles sont chastes, & leurs maris sont la pluspart
jaloux, lesquels donnent des presens au père ou parens de
la fille qu'ils auront espousée. Voilà la cérémonie & façon
qu'ils usent en leurs mariages.
Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou
femme meurt, ils font une fosse, ou ils mettent tout le bien
qu'ils auront, comme chaudrons, fourrures, haches, arcs &
flesches, robbes & autres choses; & puis ils mettent le
corps dedans la fosse, & le couvrent de terre, où ils
mettent quantité de grosses pièces de bois dessus, & un bois
20/84 debout qu'ils peignent de rouge par le haut. Ils croyent
l'immortalité des âmes & disent qu'ils vont se resjouïr en
d'autres pays avec leurs parents & amis, quand ils sont
morts.
_Riviere du Saguenay & son origine._
CHAPITRE IV.
Le 11e jour de juin, je fus à quelques douze ou quinze
lieues dans le Saguenay, qui est une belle riviere, & a une
profondeur incroyable: car je croy, selon que j'ay entendu
deviser d'où elle procède, que c'est d'un lieu fort
hault, d'où il descend un torrent d'eau [26] d'une grande
impetuosité; mais l'eau qui en procède n'est point capable
de faire un tel fleuve comme celuy-là, qui néantmoins ne
tient que depuis cedict torrent d'eau, où est le premier
sault, jusques au port de Tadousac, qui est l'entrée de la
ditte riviere du Saguenay, où il y a quelques quarante-cinq
ou cinquante lieues, & une bonne lieue & demye de large au
plus, & un quart au plus estroict; qui faict qu'il y a grand
courant d'eau. Toute la terre que j'ay veu, ce ne sont que
montaignes de rochers la pluspart couvertes de bois de
sapins, cyprez & boulle, terre fort malplaisante, où je n'ay
point trouvé une lieue de terre plaine tant d'un costé que
d'autre. Il y a quelques montagnes de sable & isles en
21/85 laditte riviere, qui sont haultes eslevées. Enfin ce sont de
vrais deserts inhabitables d'animaux & d'oiseaux; car je
vous asseure qu'allant chasser par les lieux qui me
sembloient les plus plaisans, je ne trouvay rien qui soit
sinon de petits oiseaux, qui sont comme rossignols &
airondelles, lesquelles viennent en esté, car autrement je
croy qu'il n'y en a point, à cause de l'excessif froid
qu'il y faict, ceste riviere venant de devers le Norouest.
[Note 26: On serait porté à croire d'abord qu'il est ici question de
la décharge du lac Saint-Jean; mais le contexte indique assez que les
sauvages lui ont décrit la route ordinaire des voyageurs, c'est-à-dire,
la rivière Chicoutimi, les lacs Kinogomi, Kinogomichiche et la
Belle-Rivière; et alors il est tout naturel que Champlain n'ait pas
trouvé de proportion entre la Décharge et le Saguenay.]
Ils me firent rapport qu'ayant passé le premier sault, d'où
vient ce torrent d'eau, ils passent huict autres saults, &
puis vont une journée sans en trouver aucun, puis passent
autres dix saults, & viennent dedans un lac[27], où ils sont
deux jours à rapasser; en chasque jour ils peuvent faire à
leur aise quelques douze à quinze lieues. Audict bout du
lac, il y a des peuples qui sont cabannez[28], puis on
entre dans trois autres rivieres, quelques trois ou quatre
journées dans chascune; ou, au bout desdittes rivieres, il
y a deux ou trois manières de lacs, d'où prend la source du
Saguenay, de laquelle source jusques audict port de Tadousac
il y a dix journées de leurs canots [29]. Au bord desdittes
22/86 rivieres, il y a quantité de cabannes, où il vient d'autres
nations du costé du Nort, trocquer avec lesdicts Montagnés
des peaux de castor & martre, avec autres marchandises que
donnent les vaisseaux françois aux dicts Montagnés. Lesdicts
sauvages du Nort disent qu'ils voyent une mer qui est salée.
Je tiens que si cela est, que c'est quelque goulfe de ceste
mer qui desgorge par la partie du Nort dans les terres [30];
& de vérité il ne peut estre autre chose. Voylà ce que j'ay
apprins de la riviere du Saguenay.
[Note 27: Le lac Saint-Jean, que les sauvages appelaient
_Piécouagami_.]
[Note 28: La nation du Porc-Épic (ou des Kakouchaki) demeurait au lac
Saint-Jean probablement dès ce temps-là.]
[Note 29: «Voilà,» dit Lescarbot (liv. III, ch. IX) «ce qu'a écrit
Champlain dés l'an six cens cinq» (lisez mil six cent trois) «de la
rivière de Saguenay. Mais depuis il dit en sa dernière relation que du
port de Tadoussac jusques à la mer que les Sauvages de Saguenay
descouvrent au nort, il y a quarante à cinquante journées; ce qui est
bien éloigné des dix que maintenant il a dit.»
Si Lescarbot avait examiné les choses plus attentivement, il aurait
remarqué que Champlain ne dit pas qu'il y ait dix journées de Tadoussac
à cette mer du nord qui est salée, c'est-à-dire, à la baie d'Hudson,
mais bien seulement de Tadoussac à la source du Saguenay; ce qui est
tout différent.]
[Note 30: La bonne foi avec laquelle Champlain consulte les sauvages
pour en apprendre ce qu'il ne pouvait reconnaître de ses yeux, contraste
singulièrement avec l'incrédulité de Lescarbot. Champlain, sur le simple
récit des sauvages, avait assez bien compris la position de la baie
d'Hudson, et Lescarbot, plusieurs années après la découverte faite,
disait encore: «Toutesfois je ne voudrois aisément croire lesdits
Anglois disans qu'il se trouve une mer dans les terres au cinquantième
degré: car il y a longtemps qu'elle seroit découverte, étant si voisine
de Tadoussac, & en même élévation» (liv. III, ch. IX).]
_Partement de Tadousac pour aller au Sault, la description
des isles du Lievre, du Coudre, d'Orléans, & de plusieurs
autres isles & de nostre arrivée à Quebec._
CHAPITRE V.
Le mercredy, dix-huictiesme jour de juin, nous partismes de
Tadousac, pour aller au Sault[31]. Nous passasmes prés d'une
isle qui s'appelle l'Isle au Lievre[32] qui peut estre à
deux lieues de la terre de la bande du Nort, & à quelques
sept lieues dudict Tadousac, & à cinq lieues [33] de la
terre du Su.
[Note 31: Le saut Saint-Louis.]
[Note 32: Cette île fut ainsi appelée par Jacques Cartier, parce que,
à son retour en 1536, il y trouva quantité de lièvres. Elle porte encore
le même nom aujourd'hui.]
[Note 33: Environ deux lieues et demie. La côte du sud, beaucoup moins
élevée que celle du nord, paraît être à une bien plus grande distance
qu'elle n'est réellement.]
23/87 De l'Isle au Lievre, nous rangeasmes la coste du Nort
environ demye lieue [34], jusques à une poincte qui advance
à la mer, où il faut prendre plus au large. Laditte poincte
est à une lieue d'une isle qui s'appelle L'Isle au Coudre,
qui peut tenir environ deux lieues de large, & de laditte
isle à la terre du Nort, il y a une lieue. Laditte isle
est quelque peu unie, venant en amoindrissant par les
deux bouts, au bout de l'Ouest, il y a des prairies [35]
& poinctes de rochers qui advancent quelque peu dans la
riviere. Laditte isle est quelque peu agréable pour les bois
qui l'environnent. Il y a force ardoise, & la terre quelque
peu graveleuse; au bout de laquelle il y a un rocher qui
advance à la mer environ demye lieue. Nous passasmes au
Nort de laditte isle, distante de l'Isle au Lievre de douze
lieues.
[Note 34: Par ce qui suit, on voit qu'il faut lire ici dix ou douze
lieues: car cette pointe, qui avance à la mer et qui est à une lieue, ou
un peu plus, de l'île aux Coudres, ne peut être que le cap aux Oies.]
[Note 35: Cette partie de l'île s'appelle encore aujourd'hui les
Prairies.]
Le jeudy suyvant, nous en partismes, & vinsmes mouiller
l'ancre à une anse dangereuse du costé du Nort, où il y a
quelques prairies & une petite riviere[36] où les sauvages
cabannent quelques-fois. Cedict jour, rangeant tousjours
laditte coste du Nort jusques à un lieu où nous relaschasmes
pour les vents qui nous estoient contraires, où il y avoit
force rochers & lieux fort dangereux, nous fusmes trois
jours en attendant le beau temps. Toute ceste coste n'est
que montaignes tant du costé du Su, que du costé du Nort, la
pluspart ressemblant à celle du Saguenay.
[Note 36: La Petite-Rivière a toujours gardé son nom depuis.]
24/88 Le dimanche, vingt-deuxiesme jour dudict mois, nous en
partismes pour aller à l'isle d'Orléans [37], où il y a
quantité d'isles à la bande du Su, lesquelles sont basses &
couvertes d'arbres, semblans estre fort agréables, contenans
(selon ce que j'ay pu juger) les unes deux lieues & une
lieue, & autres demye; autour de ces isles ce ne sont que
rochers & basses fort dangereux à passer, & sont esloignées
quelques deux lieues de la grand'terre du Su. Et de là,
vinsmes ranger à l'isle d'Orléans, du costé du Su. Elle est
à une lieue de la terre du Nord, fort plaisante & unie,
contenant de long huict lieues [38]. Le costé de la terre du
Su est terre basse, quelques deux lieues avant en terre;
lesdittes terres commencent à estre basses à l'endroict de
laditte isle, qui peut estre à deux lieues de la terre du
Su. A passer du costé du Nort, il y faict fort dangereux
pour les bancs de sables, rochers qui sont entre laditte
isle & la grand'terre, & asseiche presque toute de basse
mer.
[Note 37: Cette île, suivant Thévet (Grand Insulaire), était appelée par
les sauvages _Minigo_ (peut-être _Ouinigo_, de l'Algonquin _Ouindigo_,
ensorcelé). «J'avois oublié à vous dire, que une isle nommée des
françoys Orléans & des sauvages _Minigo_, est l'endroit où la rivière
est la plus estroicte...... L'isle de Minigo sert de retraite au peuple
de ce pays, pour se retirer lorsqu'ils sont poursuivis de leurs
ennemis...... Les François,» ajoute-t-il plus loin, «la nommèrent Isle
d'Orléans, en l'honneur d'un fils de France, qui lors vivoit, & se
nommoit lors de Valois, Duc D'Orléans, fils de ce grand Roy Françoys de
Valois, premier du nom.» Si ce nom d'Orléans remonte, comme l'affirme
Thévet, à un fils de François I, ce ne peut être que Henri II, qui porta
le titre de Duc d'Orléans jusqu'à la mort de son frère aîné François,
c'est-à-dire, jusqu'à l'année 1536; car, cette année-là même, Jacques
Cartier, en retournant de son second voyage, dit «vinsmes poser au bas
de l'isle d'Orléans, environ douze lieues de Saincte Croix.» Il faut
donc supposer ou bien que le nom de _Bacchus_, donné à cette île par
Cartier lui-même l'automne précédent, aura été changé pendant l'hiver
que les Français passèrent ici, ou bien que cette île avait déjà reçu
son nom de quelque voyageur inconnu; ce qui n'est guère probable,
puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le
fleuve qu'en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un
nom assez indifférent en lui-même, à celui d'un fils de France, du fils
de son bienfaiteur.]
[Note 38: Sept lieues.]
25/89 Au bout de laditte isle, je vy un torrent d'eau [39], qui
desbordoit de dessus une grande montaigne[40] de laditte
riviere de Canadas, & dessus laditte montaigne est terre
unie & plaisante à veoir, bien que dedans lesdittes terres
l'on voit de haultes montaignes, qui peuvent estre à
quelques vingt ou vingt-cinq lieues dans les terres [41],
qui sont proches du premier sault du Saguenay.
[Note 39: L'auteur donna plus tard à ce torrent d'eau le nom de
Montmorency, qu'il porte encore aujourd'hui. Dans la carte des environs
de Québec qu'il publia en 1613, il l'appelle «le grand sault de
Montmorency.» Dans l'édition de 1632, il ajoute: «Que j'ay nommé le
sault de Montmorency.»]
[Note 40: C'est-à-dire, un côteau très-escarpé, haut d'environ 300
pieds.]
[Note 41: Ces montagnes, qui forment la chaîne des Laurentides, ne sont
pas aussi éloignées; mais elles s'étendent en effet jusqu'au bassin du
Saguenay.]
Nous vinsmes mouiller l'ancre à Québec [42], qui est un
destroict de laditte riviere de Canadas, qui a quelque trois
cens pas de large [43]. Il y a à ce destroict, du costé du
Nort, une montaigne assez haulte, qui va en abaissant des
26/90 deux costez; tout le reste est pays uny & beau, où il y a de
bonnes terres pleines d'arbres, comme chesnes, cyprès,
boulles, sapins & trembles, & autres arbres fruictiers
sauvages, & vignes, qui faict u'à mon opinion, si elles
estoient cultivées, elles seroient bonnes comme les nostres.
Il y a, le long de la coste dudict Québec, des diamants dans
des rochers d'ardoyse, qui sont meilleurs que ceux
d'Alençon. Dudict Québec jusques à l'isle au Coudre, il y a
29 lieues [44].
[Note 42: C'est ici la première fois que l'on rencontre le nom de
Québec, pour désigner ce que Jacques Cartier appelle tantôt Stadaconé,
tantôt Canada. Tous ces noms, sans se contredire ou s'exclure,
expriment, suivant la langue et le génie des sauvages, comme une
nuance particulière du tableau pittoresque que présente le site de
Québec. Stadaconé était bâti sur l'_aile_ que forme la pointe du cap
aux Diamants; or, suivant Mgr Laflèche, _stadaconé_, dans le dialecte
cris ou algonquin, veut dire _aile_, quoique d'autres linguistes
prétendent reconnaître dans ce mot une origine huronne (voir _Hist. de
la Colonie française en Canada_, I, 532, note **). Le mot Canada, dont
Cartier nous donne lui-même la signification («ils appellent une ville
canada»), semble avoir désigné l'importance relative que devait avoir
Stadaconé par l'avantage même de sa position. Enfin, il est naturel de
supposer que les sauvages, après la disparition ou le déplacement de
Stadaconé, n'aient pas trouvé, pour désigner le même lieu, d'expression
plus juste que celle de Kébec ou Québec, qui veut dire, comme le
remarque ici Champlain, _détroit, rétrécissement_, et même quelque chose
de plus expressif, _c'est bouché_. Ce passage resserré entre deux côtes
escarpées, est peut-être ce qui frappe davantage le voyageur qui remonte
le Saint-Laurent, jusque là si large et si majestueux. Or les sauvages
du bas du fleuve, et les Micmacs en particulier, se servent encore
actuellement du même mot _Kebec_, pour signifier un lieu _ou l'eau se
rétrécit ou se referme_. Inutile de réfuter ici les opinions plus ou
moins ingénieuses, qui Veulent trouver l'origine du nom de Québec dans
l'exclamation d'un matelot normand, _quel bec!_ c'est-à-dire, quel cap!
ou dans les armes de certain comte ou seigneur de Normandie. En face de
toutes ces suppositions, il y a toujours les témoignages imposants de
Champlain et de Lescarbot, qui affirment que ce mot est sauvage. (Voir
le Cours d'Histoire de M. Ferland, I, 90, note 3.)]
[Note 43: Le fleuve, devant Québec, a un quart de lieue de large.]
[Note 44: Ce chiffre est de beaucoup trop fort; la copie originale
portait probablement 19. Il y a environ 18 lieues.]
_De la poincte Sainte Croix, de la riviere de Batiscan; des
rivieres, rochers, isles, terres, arbres, fruicts, vignes
& beaux pays qui sont depuis Quebec, jusques aux Trois
Rivieres._
CHAPITRE VI.
Le lundy, 23. dudict mois, nous partismes de Québec, ou la
riviere commence à s'élargir quelques-fois d'une lieue, puis
de lieue & demye ou deux lieues au plus. Le pays va de plus
en plus en embellissant; ce sont toutes terres basses,
sans rochers, que fort peu. Le costé du Nort est remply de
rochers & bancs de sable, il faut prendre celuy du Su comme
d'une demy lieue de terre. Il y a quelques petites rivieres
qui ne sont point navigables, si ce n'est pour les canots
des sauvages, auxquelles il y a quantité de saults. Nous
vinsmes mouiller l'ancre jusques à Saincte Croix [45],
27/91 distante de Québec de quinze lieues; c'est une poincte
basse, qui va en haulsant des deux costez. Le pays est beau
& uny, & les terres meilleures qu'en lieu que j'eusse veu,
avec quantité de bois, mais fort peu de sapins & cyprès.
Il s'y trouve en quantité des vignes, poires, noysettes,
cerises, groiselles rouges & vertes, & de certaines petites
racines de la grosseur d'une petite noix ressemblant
au goust comme truffes, qui sont très-bonnes rôties &
bouillies. Toute ceste terre est noire, sans aucuns rochers,
sinon qu'il y a grande quantité d'ardoise; elle est fort
tendre, & si elle estoit bien cultivée, elle seroit de bon
rapport.
[Note 45: Champlain nous fait connaître lui-même (édit. 1613, liv, II,
ch. IV) l'origine de ce nom de Sainte-Croix. «Dés la première fois,»
dit-il, «qu'on me dit qu'il (Cartier) avoit habité en ce lieu, cela
m'estonna fort.... Ce que l'on appelle aujourd'huy Saincte Croix
s'appeloit lors Achelacy, destroit de la riviere fort courant &
dangereux... Or en toute ceste riviere, n'y a destroit depuis Quebecq
jusques au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle Saincte
Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre...» D'où l'on voit
1° que les navigateurs qui ont précédé Champlain croyaient que c'était
en ce lieu qu'avait hiverné Cartier de 1535 à 1536; 2° que c'est ce qui
leur a fait donner à ce même lieu le nom de Sainte-Croix. La cause
probable de cette erreur est la ressemblance qu'on a cru voir entre le
rapide du Richelieu, et ce «destroict dudict fleuve fort courant &
parfond» dont parle Cartier, et qu'il faut entendre de Québec.]
Du costé du Nort, il y a une riviere qui s'appelle Batiscan,
qui va fort avant en terre, par où quelques-fois les
Algoumequins viennent; & une autre [46] du mesme costé, à
trois lieues dudict Saincte Croix sur le chemin de Québec,
qui est celle où fut Jacques Cartier au commencement de la
descouverture qu'il en feit, & ne passa point plus outre
[47]. Laditte riviere est plaisante, & va assez avant dans
les terres. Tout ce costé du Nort est fort uny & aggreable.
[Note 46: La rivière Jacques-Cartier, qui en effet se jette dans le
fleuve à trois lieues environ de ce qu'on appelait alors la _pointe de
Sainte-Croix_, aujourd'hui le Platon.]
[Note 47: L'auteur, qui probablement n'avait point encore vu les
relations de Cartier, parle ici d'après les traditions ou les idées de
ceux qui le pilotaient, et vraisemblablement de Pont-Gravé en
particulier; car la Chronologie Septénaire, qui semble prendre les
intérêts de celui-ci, enchérit encore sur ce passage, et ajoute: «ny
autre après luy qu'en ce voyage.» Mais Champlain était trop bon
observateur pour ne pas concevoir quelques doutes sur la vérité de ces
faits, «ne voyant, comme il dit, apparence de riviere pour mettre
vaisseaux» (édit. 1613, liv. II, ch. IV). Aussi prouve-t-il, au même
endroit, que Cartier n'a pu hiverner ailleurs que dans la rivière
Saint-Charles. Au reste il n'a pas pu s'imaginer qu'il était le premier
à remonter le fleuve au-dessus de Sainte-Croix, comme l'insinue
Lescarbot, puisqu'il était avec Pont-Gravé, qui connaissait les
Trois-Rivières depuis au moins cinq ou six ans.]
28/92 Le mercredy, 24e jour[48] dudict mois, nous partismes dudict
Saincte Croix, où nous retardasmes une marée & demye, pour
le lendemain pouvoir passer de jour, à cause de la grande
quantité de rochers qui sont au travers de laditte riviere,
(chose estrange à veoir) qui asseiche presque toute de
basse mer. Mais à demy flot, l'on peut commencer à passer
librement; toutesfois il faut y prendre bien garde, avec la
sonde à la main. La mer y croist prés de trois brasses &
demye.
[Note 48: Le 24 était un mardi, et le contexte fait voir suffisamment
qu'on était au mardi.]
Plus nous allions en avant, & plus le pays est beau. Nous
fusmes à quelques cinq lieues & demye mouiller l'ancre à
la bande du Nort. Le mercredy ensuyvant, nous partismes de
cedict lieu, qui est pays plus plat que celuy de devant,
plein de grande quantité d'arbres, comme à Saincte Croix.
Nous passasmes prés d'une petite isle, qui estoit remplye de
vignes, & vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Su, prés
d'un petit costeau; mais, estant dessus, ce sont terres
unies. Il y a une autre petite isle [49], à trois lieues de
Saincte Croix, proche de la terre du Su. Nous partismes
le jeudi ensuyvant dudict costeau, & passasmes prés d'une
29/93 petite isle, qui est proche de la bande du Nort, où je fus,
à quelques six petites rivieres, dont il y en a deux qui
peuvent porter bateau assez avant, & une autre[50] qui a
quelques trois cens pas de large, à son entrée il y a
quelques isles; elle va fort avant dans la terre, est la
plus creuse de toutes les autres; lesquelles sont fort
plaisantes à veoir, les terres estans pleines d'arbres qui
ressemblent à des noyers, & en ont la mesme odeur, mais je
n'y ay point veu de fruict, ce qui me met en doubte. Les
sauvages m'ont dict qu'il porte son fruict comme les
nostres.
[Note 49: Cette île ne peut être que celle à laquelle il donna plus tard
le nom de Richelieu, et que l'on a appelée simplement île de
Sainte-Croix jusqu'en 1633. «Ce mesme jour» (3 juin 1633), dit le
Mercure français, t. XIX, p. 822, «le sieur de Champlain partit pour
aller à Saincte Croix faire porter des commoditez, pour édifier une
cabanne à faire la traitte, y arriva le jour ensuyvant, & le dimanche 5
de juin alla recognoistre l'isle dés le soir... Le lundy 6, ledit sieur
envoya des hommes à terre pour commencer à faire la cabanne pour la
traitte.» Et un peu plus loin: «Les ouvriers qui sont icy sont employez
aux habitations & fortifications qu'il faut faire à l'isle de Richelieu
& Trois Rivieres.» Suivant le P. Le Jeune (Rel. 1635, p. 13, édit.
1858), les sauvages appelaient cette île, _Ka ouapassiniskakhi_.]
[Note 50: La rivière de Sainte-Anne, dont il dit, dans son édit. de
1613, liv. II, ch. VII, «& l'avons nommée la riviere Saincte-Marie.»]
Passant plus outre, nous rencontrasmes une isle qui
s'appelle Sainct Eloy[51], & une autre petite isle, laquelle
est tout proche de la terre du Nort. Nous passasmes entre
laditte isle & laditte terre du Nort, où il y a de l'un à
l'autre quelques cent cinquante pas. De laditte isle jusques
à la bande du Su une lieue & demye, passasmes proche d'une
riviere où peuvent aller les canots. Toute ceste coste
du Nort est assez bonne; l'on y peut aller librement,
néantmoins la sonde à la main, pour esviter certaines
poinctes. Toute ceste coste que nous rangeasmes est sable
mouvant; mais, entrant quelque peu dans les bois, la terre
est bonne.
[Note 51: La Chronologie Septénaire, dit: «qu'ils appellerent
Sainct-Eloy.» Cette île, située en face de l'église actuelle de
Batiscan, n'est plus guère connue sous ce nom; mais le petit chenal qui
la sépare de la terre ferme porte encore aujourd'hui le nom de
Saint-Éloi.]
Le vendredy ensuyvant, nous partismes de ceste isle,
30/94 costoyant tousjours la bande du Nort tout proche terre, qui
est basse & pleine de tous bons arbres, & en quantité,
jusques aux Trois Rivieres, où il commence d'y avoir
température de temps quelque peu dissemblable à celuy de
Saincte Croix, d'autant que les arbres y sont plus advancez
qu'en aucun lieu que j'eusse encores veu. Des Trois
Rivieres jusques à Saincte Croix il y a quinze lieues. En
cette riviere[52], il y a six isles, trois desquelles sont
fort petites, & les autres de quelques cinq à six cens pas
de long, fort plaisantes, & fertilles pour le peu qu'elles
contiennent. Il y en a une au milieu de laditte riviere
qui regarde le passage de celle de Canadas, & commande aux
autres esloignées de la terre, tant d'un costé que d'autre
de quatre à cinq cens pas. Elle est eslevée du costé du Su,
& va quelque peu en baissant du costé du Nort. Ce seroit
à mon jugement un lieu propre à habiter, & pourroit-on le
fortifier promptement, car sa scituation est forte de soy, &
proche d'un grand lac [53] qui n'en est qu'à quelques quatre
lieues; lequel joinct presque la riviere de Saguenay[54],
selon le rapport des sauvages, qui vont prés de cent lieues
31/95 au Nort, & passent nombre de saults, puis vont par terre
quelques cinq ou six lieues, & entrent dedans un lac[55],
d'où ledict Saguenay prend la meilleure part de sa source, &
lesdicts sauvages viennent dudict lac à Tadousac. Aussi que
l'habitation des Trois Rivieres seroit un bien pour la
liberté de quelques nations, qui n'osent venir par là, à
cause desdicts Irocois leurs ennemis, qui tiennent, toute
laditte riviere de Canadas bordée, mais, estant habitée, on
pourroit rendre lesdicts Irocois & autres sauvages amis, ou
à tout le moins, sous la faveur de laditte habitation,
lesdicts sauvages viendroient librement sans crainte &
danger, d'autant que ledict lieu des Trois Rivieres est un
passage. Toute la terre que je vis à la terre du Nort est
sablonneuse. Nous entrasmes environ une lieue dans laditte
riviere, & ne pusmes passer plus outre à cause du grand
courant d'eau. Avec un esquif, nous fusmes pour veoir plus
avant, mais nous ne feismes pas plus d'une lieue, que nous
rencontrasmes un sault d'eau fort estroict, comme de douze
pas, ce qui fut occasion que nous ne peusmes passer plus
outre. Toute la terre que je veis aux bords de laditte
riviere, va en haussant de plus en plus, qui est remplie de
quantité de sapins & cyprez, & fort peu d'autres arbres.
[Note 52: Le Saint-Maurice, auquel les auteurs ont le plus souvent
donné le nom de Trois-Rivières, parce que les deux îles principales qui
se trouvent à son embouchure le séparent en trois branches, appelées les
_Chenaux_. «Nous nommasmes icelle riviere,» dit Jacques Cartier,
«_riviere de Fouez_,» et Lescarbot ajoute entre parenthèses: «Je croy
qu'il veut dire Foix» (Lesc., liv. III, ch. XVIII). Comme poste de
traite, les Trois-Rivières étaient déjà connues, sous ce nom, depuis au
moins 1598: car, en 1599, lorsque M. Chauvin voulut s'établir à
Tadoussac, Pont-Gravé «remonstra audit sieur Chauvin plusieurs fois
qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus commode à
habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux Trois Rivieres pour
trouver les Sauvages, afin de traiter avec eux» (édit. 1632, liv. I,
ch. VI). Le nom sauvage des Trois-Rivières était _Metaberoutin_.]
[Note 53: Le lac Saint-Pierre.]
[Note 54: Le Saint-Maurice a sa source sur les mêmes hauteurs que
plusieurs des rivières qui se déchargent dans le lac Saint-Jean,
considéré comme la source du Saguenay.]
[Note 55: Le lac Saint-Jean.]
32/96 _Longueur, largeur & profondeur d'un lac, & des rivieres qui
entrent dedans, des isles qui y sont, quelles terres l'on
void dans le pays, de la riviere des Irocois, & de la
forteresse des sauvages qui leur font la guerre._
CHAPITRE VII.
Le samedy ensuyvant, nous partismes des Trois Rivieres, &
vinsmes mouiller l'ancre à un lac, où il y a quatre lieues.
Tout ce pays depuis les Trois Rivieres jusques à l'entrée
dudict lac, est terre à fleur d'eau, & du costé du Su
quelque peu plus haulte. Laditte terre est très bonne, & la
plus plaisante que nous eussions encores veuë. Les bois y
sont assez clairs, qui faict que l'on pourroit y traverser
aisément.
Le lendemain, 29 de juin[56], nous entrasmes dans le lac, qui
a quelques quinze lieues de long [57], & quelques sept ou
huict lieues de large. A son entrée du costé du Su environ
une lieue, il y a une riviere [58] qui est assez grande, & va
dans les terres quelques soixante ou quatre-vingts lieues, &
continuant du mesme costé, il y a une autre petite riviere
qui entre environ deux lieues en terre, & fort de dedans
un autre petit lac [59] qui peut contenir quelques trois ou
33/97 quatre lieues. Du costé du Nort, où la terre y paroist fort
haulte, on void jusques à quelques vingt lieues; mais peu à
peu les montaignes viennent en diminuant vers l'Ouest comme
païs plat.
Les sauvages disent que la pluspart de ces montaignes sont
mauvaises terres. Ledict lac a quelques trois brasses d'eau
par où nous passasmes, qui fut presque au millieu. La
longueur gist d'Est & Ouest, & de la largeur du Nort au Su.
Je croy qu'il ne laisseroit d'y avoir de bons poissons,
comme les especes que nous avons par deçà. Nous le
traversasmes ce mesme jour, & vinsmes mouiller l'ancre
environ deux lieues dans la riviere qui va au hault, à
l'entrée de laquelle il y a trente petites isles[60]. Selon
ce que j'ay pu veoir, les unes sont de deux lieues, d'autres
de lieue & demye, & quelques unes moindres, lesquelles sont
remplies de quantité de noyers, qui ne sont gueres differens
des nostres, & croy que les noix en sont bonnes à leur
saison; j'en veis en quantité sous les arbres, qui estoient
de deux façons, les unes petites, & les autres longues comme
d'un pouce; mais elles estoient pourries. Il y a aussi
quantité de vignes sur le bord desdittes isles; mais quand
les eaux sont grandes, la pluspart d'icelles sont couvertes
d'eau. Et ce païs est encores meilleur qu'aucun autre que
j'eusse veu.
[Note 56: Le jour de la Saint-Pierre. C'est pour cette raison sans
doute que ce lac a été appelé lac Saint-Pierre. Il avait porté
précédemment le nom d'Angoulême (Thévet, Cosmographie Universelle, t.
II).]
[Note 57: Dans sa plus grande longueur il n'a que neuf ou dix
lieues.]
[Note 58: Probablement la rivière de Nicolet; mais elle ne va pas si
loin dans les terres.]
[Note 59: Il semble ici que l'auteur parle de ce que nous appelons
aujourd'hui baie de La Valière.]
[Note 60: Les îles de Sorel, que l'on a appelées aussi îles de
Richelieu.]
Le dernier de juin, nous en partismes, & vinsmes passer à
l'entrée de la riviere des Iroquois, où estoient cabannez &
fortifiez les sauvages qui leur alloient faire la guerre.
Leur forteresse est faicte de quantité de bastons fort
34/98 pressez les uns contre les autres, laquelle vient joindre
d'un costé sur le bord de la grande riviere, & l'autre sur
le bord de la riviere des Iroquois, & leurs canots arrangez
les uns contre les autres sur le bord pour pouvoir
promptement fuyr, si d'adventure ils sont surprins des
Iroquois: car leur forteresse est couverte d'escorces de
chesnes, & ne leur sert que pour avoir le temps de
s'embarquer.
Nous fusmes dans la riviere des Iroquois quelques cinq ou
six lieues [61], & ne peusmes passer plus outre avec nostre
barque, à cause du grand cours d'eau qui descend, & aussi
que l'on ne peut aller par terre, & tirer la barque, pour la
quantité d'arbres qui sont sur le bord. Voyans ne pouvoir
advancer davantage, nous prinsmes nostre esquif, pour veoir
si le courant estoit plus adoucy; mais, allant à quelques
deux lieues, il estoit encores plus fort, & ne peusmes
advancer plus avant. Ne pouvant faire autre chose, nous nous
en retournasmes en notre barque. Toute cette riviere est
large de quelques trois à quatre cens pas, fort saine. Nous
y veismes cinq isles, distantes les unes des autres d'un
quart ou demye lieue ou d'une lieue au plus, une desquelles
contient une lieue, qui est la plus proche, & les autres
sont fort petites.
[Note 61: Champlain aurait donc, dès cette année 1603, remonté la
rivière de Chambly jusqu'au-delà de l'endroit où l'on a construit la
dame de Saint-Ours, laquelle a fait disparaître les rapides que
Champlain trouva plus haut.]
Toutes ces terres sont couvertes d'arbres, & terres basses
comme celles que j'avois veuës auparavant; mais il y a plus
de sapins & de cyprez qu'aux autres lieux. La terre ne
laisse d'y estre bonne, bien qu'elle soit quelque peu
sablonneuse. Ceste riviere va comme au Sorouest[62].
[Note 62: Il faudrait: comme au Sud.]
35/99 Les sauvages disent qu'à quelques quinze lieues d'où nous
avions esté, il y a un sault [63] qui vient de fort hault,
où ils portent leurs canots pour le passer environ un quart
de lieue, & entrent dedans un lac [64], où à l'entrée il y a
trois isles, & estans dedans, ils en rencontrent encores
quelques unes. Il peut contenir quelques quarante ou
cinquante lieues de long, & de large quelques vingt-cinq
lieues, dans lequel descendent quantité de rivieres, jusques
au nombre de dix, lesquelles portent canots assez avant.
Puis, venant à la fin dudict lac, il y a un autre sault, &
rentrent dedans un autre lac [65], qui est de la grandeur
dudict premier [66], au bout duquel sont cabannez les
Iroquois. Ils disent aussi qu'il y a une riviere[67] qui va
rendre à la coste de la Floride, d'où il y peut aveoir
dudict dernier lac quelques cent ou cent quarante lieues.
Tout le pays des Iroquois est quelque peu montagneux,
neantmoins païs très bon, tempéré, sans beaucoup d'hyver,
que fort peu.
[Note 63: Le rapide de Chambly.]
[Note 64: Champlain découvrit lui-même ce lac six ans plus tard, et
lui donna son nom.]
[Note 65: Les Iroquois l'appelaient _Andiatarocté (là où le lac se
ferme)_. Le P. Jogues le nomma _Saint-Sacrement_ en 1646; il est connu
aujourd'hui sous le nom de lac George.]
[Note 66: Les Sauvages qui donnaient à Champlain ces renseignements
s'étaient exagéré la grandeur de ce lac; car le lac Champlain a quarante
lieues de long, et le lac George n'en a que onze.]
[Note 67: L'Hudson, qui a à peu près cent vingt lieues de long.
C'était en effet la meilleure route à suivre pour aller à la côte de la
Floride, qui alors était regardée comme voisine du Canada.]
36/100 _Arrivée au Sault, sa description, & ce qu'on y void de
remarquable, avec le rapport des sauvages de la fin de la
grande riviere._
CHAPITRE VIII.
Partant de la riviere des Iroquois, nous fusmes mouiller
l'ancre à trois lieues de là, à la bande du Nort. Tout ce
pays est une terre basse, remplie de toutes les sortes
d'arbres que j'ay dict cy-dessus.
Le premier jour de juillet, nous costoyasmes la bande du
Nort, où le bois y est fort clair, plus qu'en aucun lieu que
nous eussions encore veu auparavant, & toute bonne terre
pour cultiver. Je me meis dans un canot à la bande du Su, où
je veis quantité d'isles, lesquelles sont fort fertilles en
fruicts, comme vignes, noix, noysettes, & une manière de
fruict qui semble à des chastaignes, cerises, chesnes,
trembles, pible [68], houblon, fresne, érable, hestre,
cyprez, fort peu de pins & sapins. Il y a aussi d'autres
arbres que je ne cognois point, lesquels sont fort
aggreables. Il s'y trouve quantité de fraises, framboises,
groizelles rouges, vertes & bleues, avec force petits
fruicts qui y croissent parmy grande quantité d'herbages. Il
y a aussi plusieurs bestes sauvages comme orignas, cerfs,
biches, dains, ours, porcs-espics, lapins, regnards,
castors, loutres, rats musquets, & quelques autres sortes
d'animaux que je ne cognois point, lesquels sont bons à
manger, & dequoy vivent les sauvages.
[Note 68: Ce mot n'est, sans doute, qu'une contraction de _piboule_,
qui désigne une variété du peuplier.]
37/101 Nous passasmes contre une isle qui est fort aggreable, &
contient quelques quatre lieues de long, & environ demye de
large [69]. Je veis à la bande du Su deux hautes montaignes,
qui paroissoient comme à quelques vingt lieues dans les
terres, les sauvages me dirent que c'estoit le premier sault
de laditte riviere des Iroquois.
[Note 69: L'auteur semble avoir pris ici pour une seule île les îles
de Verchères.]
Le mercredy ensuyvant, nous partismes de ce lieu, & feismes
quelques cinq ou six lieues. Nous veismes quantité d'isles,
la terre y est fort basse, & sont couvertes de bois ainsi
que celles de la riviere des Iroquois. Le jour ensuyvant,
nous feismes quelques lieues, & passasmes aussi par quantité
d'autres isles qui sont très bonnes & plaisantes, pour la
quantité des prairies qu'il y a, tant du costé de terre
ferme que des autres isles; & tous les bois y sont fort
petits, au regard de ceux que nous avions passé.
Enfin nous arrivasmes cedict jour à l'entrée du sault, avec
vent en poupe, & rencontrasmes une isle [70] qui est presque
au milieu de laditte entrée, laquelle contient un quart de
lieue de long, & passasmes à la bande du Su de laditte isle,
où il n'y avoit que de trois à quatre ou cinq pieds d'eau, &
aucunes fois une brasse ou deux; & puis tout à un coup n'en
trouvions que trois ou quatre pieds. Il y a force rochers
& petites isles où il n'y a point de bois, & sont à fleur
d'eau. Du commencement de la susditte isle, qui est au
milieu de laditte entrée, l'eau commence à venir de grande
force; bien que nous eussions le vent fort bon, si ne
38/102 peusmes-nous, en toute nostre puissance, beaucoup advancer;
toutesfois nous passasmes laditte isle qui est à l'entrée
dudict sault. Voyant que nous ne pouvions avancer, nou
vinsmes mouiller l'ancre à la bande du Nort, contre une
petite isle[71] qui est fertille en la pluspart des fruicts
que j'ay dict cy-dessus. Nous appareillasmes aussi tost
nostre esquif, que l'on avoit fait faire exprés pour passer
ledict sault, dans lequel nous entrasmes ledict Sieur du
Pont & moy, avec quelques autres sauvages que nous avions
menez pour nous montrer le chemin. Partant de nostre barque,
nous ne fusmes pas à trois cens pas, qu'il nous fallut
descendre, & quelques matelots se mettre à l'eau pour passer
nostre esquif. Le canot des sauvages passoit aysément. Nous
rencontrasmes une infinité de petits rochers, qui estoient à
fleur d'eau, où nous touschions souventes fois.
[Note 70: L'île qu'il appela lui-même plus tard Sainte-Hélène, du nom
d'Hélène Boullé, sa femme.]
[Note 71: Cette petite île, située dans le port de Montréal, est
maintenant réunie à la terre ferme par des quais.]
Il y a deux grandes isles: une du costé du Nort [72],
laquelle contient quelques quinze lieues de long, & presque
autant de large, commence à quelque douze lieues dans la
riviere de Canada, allant vers la riviere des Iroquois, &
vient tomber par delà le Sault, l'isle qui est à la bande du
Su a quelques quatre lieues de long, & demye de large [73].
Il y a encore une autre isle[74] qui est proche de celle du
Nort, laquelle peut tenir quelque demye lieue de long, & un
39/103 quart de large, & une autre petite isle, qui est entre celle
du Nort, & l'autre plus proche du Su, par où nous passasmes
l'entrée du Sault[75]. Estant passé, il y a une manière de
lac, où sont toutes ces isles, lequel peut contenir quelques
cinq lieues de long, & presque autant de large, où il y a
quantité de petites isles, qui sont rochers. Il y a, proche
dudict Sault, une montagne [76] qui descouvre assez loing
dans lesdittes terres, & une petite riviere [77] qui vient
de laditte montaigne tomber dans le lac. L'on void du costé
du Su, quelques trois ou quatre montaignes, qui paroissent
comme à quinze ou seize lieues dans les terres. Il y a aussi
deux rivieres: l'une [78] qui va au premier lac de la
riviere des Iroquois, par où quelquefois les Algoumequins
leur vont faire la guerre; & l'autre [79] qui est proche du
Sault, qui va quelques pas dans les terres.
[Note 72: Il paraît bien évident que Champlain veut ici parler de
l'île de Montréal, qui cependant n'a que dix lieues de long, et environ
trois lieues de large.]
[Note 73: L'île Perrot, qui n'a pas tout à fait les dimensions que lui
donne l'auteur, est située rigoureusement au sud de l'île de Montréal.]
[Note 74: L'île Saint-Paul.]
[Note 75: C'est-à-dire, «qui est entre l'île de Montréal et l'île
Sainte-Hélène par où nous passâmes l'entrée du saut.» Cette petite île
est l'île Ronde.]
[Note 76: La Montagne que Jacques Cartier appela Mont-Royal
(Montréal).]
[Note 77: La petite rivière de Saint-Pierre.]
[Note 78: La rivière de Saint-Lambert. De cette rivière, on tombe
dans celle de Montréal, qui se jette dans le bassin de Chambly; c'est ce
bassin que l'auteur appelle «premier lac de la rivière des Iroquois.»]
[Note 79: La rivière de la Tortue.]
Venans à approcher dudict Sault avecq nostre petit esquif &
le canot, je vous asseure que jamais je ne veis un torrent
d'eau desborder avec une telle impetuosité comme il faict,
bien qu'il ne soit pas beaucoup haut, n'estant en d'aucuns
lieux que d'une brasse ou de deux, & au plus de trois. Il
descend comme de degré en degré, & en chasque lieu où il y
a quelque peu de hauteur, il s'y fait un esbouillonnement
estrange de la force & roideur que va l'eau en traversant
40/104 ledict Sault, qui peut contenir une lieue. Il y a force
rochers de large, & environ le millieu, il y a des isles qui
sont fort estroittes & fort longues, où il y a sault tant du
costé desdittes isles qui sont au Su, comme du costé du
Nort, où il fait si dangereux, qu'il est hors de la
puissance d'homme d'y passer un bateau, pour petit qu'il
soit. Nous fusmes par terre dans les bois, pour en veoir la
fin, où il y a une lieue, & où l'on ne voit plus de rochers,
ny de saults; mais l'eau y va si viste, qu'il est impossible
de plus; & ce courant contient quelques trois ou quatre
lieues; de façon que c'est en vain de s'imaginer que l'on
peust faire passer aucuns bateaux par lesdicts saults. Mais
qui les voudroit passer, il se faudroit accommoder des
canots des sauvages, qu'un homme peut porter aisément: car
de porter bateau, c'est chose laquelle ne se peut faire en
si bref temps comme il le faudroit pour pouvoir s'en
retourner en France, si l'on y hyvernoit. Et en outre ce
sault premier, il y en a dix autres, la plus part difficiles
à passer; de façon que ce seroit de grandes peines & travaux
pour pouvoir voir & faire ce que l'on pourroit se promettre
par bateau, si ce n'estoit à grand frais & despens, & encore
en danger de travailler en vain. Mais avec les canots des
sauvages l'on peut aller librement & promptement en toutes
les terres, tant aux petites rivieres comme aux grandes. Si
bien qu'en se gouvernant par le moyen desdicts sauvages & de
leurs canots, l'on pourra veoir tout ce qui se peut, bon &
mauvais, dans un an ou deux.
Tout ce peu de païs du costé dudict sault que nous
traversasmes par terre, est bois fort clair, où l'on peut
41/105 aller aysément avecque armes, sans beaucoup de peines, l'air
y est plus doux & tempéré; & de meilleure terre qu'en lieu
que j'eusse veu, où il y a quantité de bois & fruicts, comme
en tous les autres lieux cy dessus, & est par les 45. degrez
& quelques minutes.
Voyans que nous ne pouvions faire davantage, nous en
retournasmes en nostre barque, où nous interrogeasmes les
sauvages que nous avions, de la fin de la riviere, que
je leur feis figurer de leurs mains, & de quelle partie
procedoit sa source. Ils nous dirent que passé le premier
sault que nous avions veu, ils faisoient quelques dix ou
quinze lieues [80] avec leurs canots dedans la riviere, où
il y a une riviere qui va en la demeure des Algoumequins
[81], qui sont à quelques soixante lieues esloignez de la
grand'riviere, & puis ils venoient à passer cinq saults[82],
lesquels peuvent contenir du premier au dernier huict lieues
[83], desquels il y en a deux où ils portent leurs canots
pour les passer. Chasque sault peut tenir quelque demy quart
de lieue, ou un quart au plus, & puis ils viennent dedans un
lac [84], qui peut tenir quelques quinze ou seize lieues de
long. Delà ils rentrent dedans une riviere [85] qui peut
contenir une lieue de large, & font quelques lieues dedans;
& puis rentrent dans un autre lac [86] de quelques quatre ou
42/106 cinq lieues de long, venant au bout duquel, ils passent cinq
autres saults, distans du premier au dernier quelque
vingt-cinq ou trente lieues [87], dont il y en a trois où
ils portent leurs canots pour les passer, & les autres deux,
il ne les font que traisner dedans l'eau, d'autant que le
cours n'y est si fort ne mauvais comme aux autres. De tous
ces saults, aucun n'est si difficile à passer, comme celuy
que nous avons veu. Et puis ils viennent dedans un lac [88]
qui peut tenir quelques 80 lieues de long, où il y a
quantité d'isles; & que au bout d'iceluy l'eau y est salubre
& l'hyver doux. A la fin dudit lac, ils passent un sault[89]
qui est quelque peu élevé, où il y a peu d'eau, laquelle
descend. Là, ils portent leurs canots par terre environ un
quart de lieue pour passer ce sault; de là entrent dans un
autre lac [90] qui peut tenir quelques soixante lieues de
long, & que l'eau en est fort salubre. Estant à la fin ils
viennent à un destroict[91] qui contient deux lieues de
large, & va assez avant dans les terres. Qu'ils n'avoient
point passé plus outre, & n'avoient veu la fin d'un lac [92]
qui est à quelques quinze ou seize lieues d'où ils sont
esté, ny que ceux qui leur avoient dict eussent veu homme
qui le l'eust veu; d'autant qu'il est si grand, qu'ils ne se
bazarderont pas de se mettre au large, de peur que quelque
tourmente ou coup de vent ne les surprinst. Disent qu'en
43/107 esté le soleil se couche au nord dudict lac, & en l'hyver il
se couche comme au milieu, que l'eau y est très mauvaise,
comme celle de ceste mer.
[Note 80: Cinq ou six lieues, c'est-à-dire, la longueur du lac
Saint-Louis.]
[Note 81: C'est pour cette raison même qu'elle a été longtemps appelée
la rivière des Algonquins; plus tard, pour une raison analogue, on lui a
donné le nom d'Outaouais.]
[Note 82: Ce sont les Cascades, les Cèdres, et les rapides du
Côteau-du-Lac, qui se subdivisent en deux ou trois, suivant le chemin
que l'on prend.]
[Note 83: Du pied des Cascades au Côteau-du-Lac, il y a cinq ou six
lieues.]
[Note 84: Le lac Saint-François, qui a environ douze lieues de long.]
[Note 85: Le Long-Saut.]
[Note 86: C'est-à-dire, un espace où le fleuve est tranquille et sans
rapide.]
[Note 87: Depuis le rapide aux Citrons, ou les rapides Plats, jusqu'aux
Gallots, il y a en effet cinq rapides; mais cette distance de vingt-cinq
à trente lieues doit s'entendre de tout le trajet jusqu'au lac Ontario.]
[Note 88: Le lac des Entouhoronons, ou Ontario.]
[Note 89: La chute de Niagara.]
[Note 90: Le lac Erié, ou des Eriehoronons (nation du Chat).]
[Note 91: La rivière du Détroit, qui est une partie du Saint-Laurent.]
[Note 92: Le lac Huron, ou mer Douce.]
Je leur demandis si depuis cedict lac dernier qu'ils avoient
veu, si l'eau descendoit tousjours dans la riviere venant à
Gaschepay: ils me dirent que non; que depuis le troisiesme
lac elle descendoit seulement, venant audict Gaschepay; mais
que depuis le dernier sault, qui est quelque peu hault,
comme j'ay dict, que l'eau estoit presque pacifique, & que
ledict lac pouvoit prendre cours par autres rivieres,
lesquelles vont dedans les terres, soit au Su, ou au Nort,
dont il y en a quantité qui y refluent, & dont ils ne voyent
point la fin. Or, à mon jugement, il faudroit que si tant de
rivieres desbordent dedans ce lac, n'ayant que si peu de
cours audict sault, qu'il faut par necessité qu'il refflue
dedans quelque grandissime riviere. Mais ce qui me faict
croire qu'il n'y a point de riviere par où cedict lac
refflue, veu le nombre de toutes les autres rivieres qui
reffluent dedans, c'est que les sauvages n'ont vu aucune
riviere qui prinst son cours par dedans les terres, qu'au
lieu où ils ont esté: ce qui me faict croire que c'est la
mer du Su, estant sallée[93], comme ils disent. Toutesfois
il n'y faut pas tant adjouster de foy, que ce soit avec
raisons apparentes, bien qu'il y en aye quelque peu.
[Note 93: Eau mauvaise ou salée était la même chose pour les
sauvages.]
Voylà au certain tout ce que j'ay veu cy-dessus, & ouy dire
aux sauvages sur ce que nous les avons interrogez.
44/108 _Retour du Sault à Tadoussac, avec la confrontation du
rapport de plusieurs sauvages touchant la longueur & le
commencement de la grande riviere de Canadas, du nombre des
saults & lacs qu'elle traverse._
CHAPITRE IX.
Nous partismes dudict sault, le Vendredy, quatriesme jour de
Juin [94], & revinsmes cedict jour à la riviere des Irocois.
Le Dimanche, sixiesme jour de juin, nous en partismes &
vinsmes mouiller l'ancre au lac. Le Lundy ensuyvant, nous
fusmes mouiller l'ancre au Trois Rivieres. Cedict jour nous
feismes quelques quatre lieues par delà lesdictes Trois
Rivieres. Le Mardy ensuyvant, nous vinsmes à Québec, & le
lendemain, nous fusmes au bout de l'isle d'Orléans, où les
sauvages vindrent à nous, qui estoient cabannez à la
grande terre du Nort. Nous interrogeasmes deux ou trois
Algoumequins, pour sçavoir s'ils se conformeroient avec ceux
que nous avions interrogez touchant la fin & le commencement
de ladicte riviere de Canadas.
[Note 94: Dans cette phrase et la suivante, l'édition originale met,
par inadvertance, le mois de juin au lieu dejuillet.]
Ils dirent comme ils l'ont figuré, que, passé le sault que
nous avions veu, environ deux ou trois lieues, il y a une
riviere en leur demeure, qui est en la bande du Nort,
continuant le chemin dans ladicte grande riviere, ils
passent un sault, où ils portent leurs canots, & viennent
à passer cinq autres saults, lesquels peuvent contenir
du premier au dernier quelques neuf ou dix lieues, & que
45/109 lesdicts saults ne sont point difficiles à passer, & ne font
que traîner leurs canots en la pluspart desdicts saults,
hormis à deux, où ils les portent. De là, viennent à entrer
dedans une riviere qui est comme une manière de lac,
laquelle peut contenir comme six ou sept lieues; & puis
passent cinq autres saults, où ils traînent leurs canots
comme auxdicts premiers, hormis à deux, où ils les portent
comme aux premiers, & que du premier au dernier il y a
quelques vingt ou vingt-cinq lieues. Puis viennent dedans un
lac qui contient quelque cent cinquante lieues de long [95];
& quelques quatre ou cinq lieues à l'entrée dudict lac, il y
a une riviere [96] qui va aux Algoumequins vers le Nort, &
une autre [97] qui va aux Irocois; par où lesdicts
Algoumequins & Irocois se font la guerre. Et un peu plus
haut à la bande du Su dudict lac, il y a une autre
riviere[98] qui va aux Irocois; puis venant à la fin dudict
lac, ils rencontrent un autre sault, où ils portent leurs
canots, delà ils entrent dedans un autre très grand lac, qui
peut contenir autant comme le premier. Ils n'y ont esté que
fort peu dans ce dernier, & ont ouy dire qu'à la fin dudict
lac, il y a une mer dont ils n'ont veu la fin, ne ouy dire
qu'aucun l'aye veu; mais que là où ils ont esté, l'eau n'est
point mauvaise, d'autant qu'ils n'ont point advancé plus
haut; & que le cours de l'eau vient du costé du soleil
46/110 couchant venant à l'Orient, & ne sçavent si passé le dits
lacs qu'ils ont veu il y a autre cours d'eau qui aille du
costé de l'Occident; que le soleil se couche à main droite
dudict lac, qui est, selon mon jugement, au Norouest peu
plus ou moins; & qu'au premier lac l'eau ne gelle point, ce
qui me fait juger que le temps y est tempéré. Et que toutes
les terres des Algoumequins est terre basse, remplie de fort
peu de bois; & du costé des Irocois est terre montaigneuse;
neantmoins elles sont très bonnes & fertiles, & meilleures
qu'en aucun endroict qu'ils ayent veu. Les Irocois se
tiennent à quelque cinquante ou soixante lieues dudict grand
lac. Voilà au certain ce qu'ils m'ont dist avoir veu, qui ne
diffère de bien peu au rapport des premiers.
[Note 95: Jusqu'ici, ce second rapport s'accorde passablement avec le
premier, sauf les distances, qui diffèrent un peu.]
[Note 96: La rivière Trent et la baie de Quinte.]
[Note 97: La rivière Noire.]
[Note 98: La rivière de Cliouaguen, ou Oswego,]
Cedict jour, nous fusmes proche de l'isle aux Coudres, comme
environ trois lieues. Le Jeudy dudict mois, nous vinsmes à
quelque lieue & demye de l'isle au Lievre, du costé du Nort,
où il vint d'autres sauvages en notre barque, entre lesquels
il y avoit un jeune homme Algoumequin, qui avoit fort
voyagé dedans ledict grand lac: nous l'interrogeasmes fort
particulièrement comme nous avions fait les autres sauvages.
Il nous dict que, passé ledict sault que nous avions veu,
qu'à quelques deux ou trois lieues il y a une riviere qui va
ausdicts Algoumequins, où ils sont cabannez; & qu'allant
en ladicte grande riviere, il y a cinq saults, qui peuvent
contenir du premier au dernier quelque huict ou neuf lieues,
dont il y en a trois où ils portent leurs canots, & deux
autres où ils les traînent, que chascun desdicts saults peut
tenir un quart de lieue de long. Puis viennent dedans un lac
qui peut contenir quelque quinze lieues. Puis ils passent
47/111 cinq autres saults, qui peuvent contenir du premier au
dernier quelques vingt à vingt-cinq lieues, où il n'y a que
deux desdicts saults qu'ils passent avec leurs canots; aux
autres trois ils ne les font que traîner. Delà ils entrent
dedans un grandissime lac qui peut contenir quelques trois
cents lieues de long[99]. Advançant quelque cent lieues
dedans ledict lac, ils rencontrent une isle qui est fort
grande, où, audelà de ladicte isle, l'eau est salubre; mais
que passant quelques cent lieues plus avant, l'eau est
encore plus mauvaise; arrivant à la fin dudict lac, l'eau
est du tout salée. Qu'il y a un sault qui peut contenir une
lieue de large, d'où il descend un grandissime courant d'eau
dans le dict lac[100]; que passé ce sault, on ne voit plus
de terre ny d'un costé, ne d'autre, sinon une mer si grande
qu'ils n'en n'ont point veu la fin, ny ouy dire qu'aucun
l'aye veu. Que le soleil se couche à main droite dudict lac,
& qu'à son entrée il y a une riviere qui va aux
Algoumequins, & l'autre aux Irocois, par où ils se font la
guerre. Que la terre des Irocois est quelque peu
montaigneuse, neantmoins fort fertile, où il y a quantité de
bled d'Inde, & autres fruicts qu'ils n'ont point en leur
terre. Que la terre des Algoumequins est basse & fertile.
[Note 99: Quelque trois cents lieues de tour, et encore ce serait
beaucoup.]
[Note 100: Malgré les inexactitudes qui précèdent, on ne peut
s'empêcher de reconnaître ici la chute de Niagara.]
Je leur demandis s'ils n'avoient point cognoissance de
quelques mines. Ils nous dirent qu'il y a une nation qu'on
appelle les bons Irocois [101], qui viennent pour troquer
48/112 des marchandises que les vaisseaux françois donnent aux
Algoumequins; lesquels disent qu'il y a à la partie du Nort
une mine de franc cuivre, dont ils nous en ont montré
quelques bracelets qu'ils avoient eu desdicts bons Irocois.
Que si l'on y voulloit aller, ils y meneroient ceux qui
seroient depputez pour cest effect.
[Note 101: Les bons Iroquois étaient sans doute les Hurons, qui
parlaient un dialecte de la même langue.]
Voilà tout ce que j'ay pu apprendre des uns & des autres, ne
se differant que bien peu, sinon que les seconds qui furent
interrogez, dirent n'avoir point beu de l'eau salée, aussi
ils n'ont pas esté si loing dans ledict lac comme les
autres, & different quelque peu du chemin, les uns le
faisant plus court, & les autres plus long: de façon que
selon leur rapport, du sault où nous avons esté, il y a
jusques à la mer salée, qui peut estre celle du Su, quelques
quatre cents lieues. Sans doubte, suyvant leur rapport, ce
ne doibt estre autre chose que la mer du Su, le soleil se
couchant où ils disent.
Le Vendredy, dixiesme [102] dudict mois, nous fusmes de
retour à Tadousac, où estoit nostre vaisseau.
[Note 102: Le vendredi était le 11 du mois de juillet.]
_Voyage de Tadousac en l'isle Percée, description de la baye
des Molues, de l'isle de Bonne-adventure, de la Baye de
Chaleurs, de plusieurs rivieres, lacs & pays où se trouve
plusieurs sortes de mines._
CHAPITRE X.
Aussitost que nous fusmes arrivez à Tadousac, nous nous
embarquasmes pour aller à Gachepay, qui est distant dudict
Tadousac environ cent lieues. Le treiziesme jour dudict
49/113 mois, nous rencontrasmes une troupe de sauvages qui estoient
cabannez du costé du Su, presque au milieu du chemin de
Tadousac à Gachepay. Leur Sagamo qui les menoit s'appelle
Armouchides, qui est tenu pour l'un des plus advisez &
hardis qui soit entre les sauvages. Il s'en alloit à
Tadousac pour troquer des flesches, & chairs d'orignac,
qu'ils ont pour des castors & martres des autres sauvages
Montaignes, Estechemains & Algoumequins.
Le 15e jour dudict mois, nous arrivasmes à Gachepay, qui est
dans une baye, comme à une lieue & demye du costé du
Nort[103]; laquelle baye contient quelque sept ou huict
lieues de long, & à son entrée quatre lieues de large. Il y
a une riviere qui va quelques trente lieues dans les terres;
puis nous vismes une autre baye, que l'on appelle la Baye
des Moluës[104], laquelle peut tenir quelques trois lieues
de long, autant de large à son entrée. De là l'on vient à
l'Isle Percée, qui est comme un rocher fort haut, eslevée
des deux costez, où il y a un trou par où les chaloupes &
basteaux peuvent passer de haute mer; & de base mer, l'on
peut aller de la grand'terre à laditte isle, qui n'en est
qu'à quelques quatre ou cinq cens pas. Plus il y a une autre
isle, comme au suest de l'isle Percée environ une lieue, qui
s'appelle l'isle de Bonne-adventure, & peut tenir de long
50/114 une demye lieuë. Tous cesdits lieux de Gachepay, Baye des
Moluës & Isle Percée, sont les lieux où il se fait la pesche
du poisson sec & verd.
[Note 103: C'est-à-dire, comme à une lieue et demie du côté du nord de
la baie.]
[Note 104: Cette baie est au sud de celle de Gaspé; on l'appelle
aujourd'hui la Malbaie. Ce mot paraît être une corruption de
l'expression anglaise _Molue Bay_. Dès 1545, Jean Alphonse parle de la
baie des Molues et de toute cette côte, comme d'un lieu fréquenté depuis
longues années pour l'abondance et l'excellente qualité de la pêche. «Et
se est le poisson, dit-il, bien meilleur que celui de la dicte terre
neufve.» (Cosmogr. univ.)]
Passant l'Isle Percée, il y a une baye qui s'appelle la Baye
de Chaleurs [105], qui va comme à l'ouest-sorouest quelques
quatre vingts lieues [106] dedans les terres, contenant de
large en son entrée quelques quinze lieues. Les sauvages
Canadiens disent qu'à la grande riviere de Canadas, environ
quelques soixante lieues rangeant la coste du Su, il y a une
petite riviere qui s'appelle Mantanne, laquelle va quelques
dix huict lieues dans les terres, & estans au bout d'icelle,
ils portent leurs canots environ une lieue par terre, & se
viennent rendre à laditte baye de Chaleurs, par où ils vont
quelquefois à l'isle Percée. Aussi ils vont de laditte baye
à Tregate [107] & à Misamichy [108].
[Note 105: Ainsi nommée par Jacques Cartier en 1534. «Nous nommâmes
laditte baye, la Baye de Chaleurs.» (Prem. Voy. de Cartier, Relat.
originale, Paris, 1867.)]
[Note 106: Environ trente lieues.]
[Note 107: Tregaté, ou Tracadie. Ce lieu, qu'il ne faut pas confondre
avec celui qui porte le même nom dans la Nouvelle-Écosse, est situé à
mi-chemin environ entre la baie des Chaleurs et celle de Miramichi.]
[Note 108: Aujourd'hui, on dit _Miramichi_.]
Continuant ladicte coste, on range quantité de rivieres,
& vient-on à un lieu où il y a une riviere qui s'appelle
Souricoua[109], où le sieur Prevert a esté pour descouvrir
une mine de cuivre. Ils vont avec leurs canots dans cette
riviere deux ou trois jours, puis ils traversent quelque
deux ou trois lieues de terre, jusques à laditte mine, qui
est sur le bord de la mer du costé du Su. A l'entrée de
laditte riviere, on trouve une isle [110] environ une lieue
51/115 dans la mer; de laditte isle jusqu'à l'Isle Percée, il y a
quelque soixante ou septante lieues. Puis continuant laditte
coste, qui va devers l'Est, on rencontre un destroict qui
peut tenir deux lieues de large & vingt-cinq de long[111].
Du costé de l'Est est une isle qui s'appelle Sainct Laurens
[112], où est le Cap-Breton, & où une nation de sauvages
appelez les Souricois hyvernent. Passant le destroit de
l'isle de Sainct Laurens, costoyant la coste d'Arcadie[113],
on vient dedans une baye [114] qui vient joindre laditte
mine de cuivre. Allant plus outre, on trouve une riviere
[115] qui va quelques soixante ou quatre vingts lieues
dedans les terres, laquelle va proche du lac des Irocois,
par où lesdicts sauvages de la coste d'Arcadie leur vont
faire la guerre. Ce serait un grand bien, qui pourroit
trouver à la coste de la Floride quelque passage qui allast
donner proche du susdict grand lac, où l'eau est salée, tant
pour la navigation des vaisseaux, lesquels ne seroient
subjects à tant de périls, comme ils sont en Canada, que
52/116 pour l'accourcissement du chemin de plus de trois cens
lieues. Et est très certain qu'il y a des rivieres en la
coste de la Floride que l'on n'a point encore descouvertes;
lesquelles vont dans les terres, où le pays y est très bon &
fertille, & de fort bons ports. Le pays & coste de la
Floride peut avoir une autre température de temps, plus
fertille en quantité de fruicts & autres choses, que celuy
que j'ay veu; mais il ne peut y avoir des terres plus unies
ny meilleures que celles que nous avons veuës.
[Note 109: Vraisemblablement, la rivière de Gédaïc, ou _Chédiac_. On
l'appelait alors Souricoua, sans doute parce que c'était le chemin des
Souriquois.]
[Note 110: L'île de Chédiac.]
[Note 111: Par le contexte, on voit que l'auteur parle du détroit de
Canseau, qui n'a cependant ni autant de longueur, ni autant de largeur.]
[Note 112: Le nom de Cap-Breton a prévalu.]
[Note 113: Acadie. Il est possible que Champlain ait cru retrouver, dans
ce mot, un nom de la vieille Europe; mais il ne tarda pas à revenir de
cette idée, si toutefois ce n'est point ici une simple faute de
typographie. La commission de M. de Monts, qui est du 8 novembre de
cette année 1603, renferme, entre autres, le passage suivant: «Nous
étans dés long temps a, informez de la situation & condition des païs &
territoire de la Cadie...» On lit, dans Jean de Laet, en tête d'un
chapitre de sa Description des Indes Occidentales: «_Contrées de la
Nouvelle-France qui regardent le Sud, lesquelles les François appellent
Cadie ou Acadie._» Si nous tenons ce nom des premiers voyageurs
français, il est très-probable qu'ils le tenaient eux-mêmes des sauvages
du pays: car ce mot se retrouve dans plusieurs noms de l'endroit ou des
environs, comme Tracadie, Choubenacadie, qui sont certainement d'origine
sauvage.]
[Note 114: La baie Française, aujourd'hui la baie de Fundy.]
[Note 115: La rivière Saint-Jean, que les sauvages appelaient
_Ouigoudi_. (Voir édit. 1613, ch. III).]
Les sauvages disent qu'en laditte grande baye de Chaleurs il
y a une riviere qui a quelques vingt lieues dans les terres,
où au bout est un lac[116] qui peut contenir quelques vingt
lieues, auquel y a fort peu d'eau; qu'en esté il asseiche,
auquel ils trouvent dans la terre environ un pied ou un pied
& demy, une manière de metail qui ressemble à de l'argent
que je leur avois monstré; & qu'en un autre lieu proche
dudict lac, il y a une mine de cuivre.
Voilà ce que j'ay appris desdicts sauvages.
[Note 116: Probablement le lac Métapédiac. (Voir la carte de 1612.)]
_Retour de l'Isle Percée à Tadousac, avec la description
des ances, ports, rivieres, isles, rochers, ponts, bayes &
basses qui sont le long de la coste du Nort._
CHAPITRE XI.
Nous partismes de l'Isle Percée le dix neuf jour du dict
mois pour retourner à Tadousac. Comme nous fusmes à quelques
trois lieues du Cap l'Evesque [117], nous fusmes contrariez
53/117 d'une tourmente, laquelle dura deux jours, qui nous feist
relascher dedans une grande anse, en attendant le beau
temps. Le lendemain, nous en partismes, & fusmes encores
contrariez d'une autre tourmente. Ne voullant relascher, &
pensant gaigner chemin, nous fusmes à la coste du Nort, le
28e jour de juillet, mouiller l'ancre à une anse qui est
fort mauvaise à cause des bancs de rochers qu'il y a. Cette
anse[118] est par les 51e degré & quelques minutes [119].
[Note 117: La tradition, relativement à ce cap, ne paraît pas s'être
bien conservée; on ne le trouve même pas mentionné dans la plupart de
nos cartes modernes. Parmi les anciens géographes, les uns le placent à
peu près à mi-chemin entre le cap des Rosiers et Matane, et les autres à
quinze ou vingt lieues environ à l'est du cap Chate.]
[Note 118: Vraisemblablement la baie Moisie, à l'ouest de laquelle il y
a un banc de rochers très-dangereux.]
[Note 119: Cette hauteur, qui est celle du détroit de Belle-Isle, est
évidemment trop forte. Suivant Bayfield, le fond de la baie Moisie est à
50° 17'.]
Le lendemain nous vinsmes mouiller l'ancre proche d'une
riviere qui s'appelle Saincte Marguerite, où il y a de
pleine mer quelques trois brasses d'eau, & brasse & demye de
basse mer; elle va assez avant. A ce que j'ai vu dans terre
du costé de l'Est, il y a un sault d'eau qui entre dans
ladicte riviere, & vient de quelque cinquante ou soixante
brasses de haut; d'où procède la plus grand part de l'eau
qui descend dedans. A son entrée, il y a un banc de sable,
où il peut avoir de basse eau demy brasse. Toute la coste du
costé de l'Est est sable mouvant; où il y a une poincte à
quelque demy lieue [120] de ladicte riviere qui advance une
demie lieue en la mer, & du costé de l'Ouest, il y a une
petite isle. Cedict lieu est par les 50 degrez. Toutes ces
terres sont très mauvaises, remplies de sapins. La terre y
est quelque peu haute, mais non tant que celle du Su.
[Note 120: «A quelques deux lieues,» se trouve la pointe à la Croix.
Il y a tout lieu de croire que le manuscrit portait _deux lieues_, et
que le typographe aura lu _demy lieue_.]
54/118 A quelques trois lieues, nous passasmes proche d'une autre
riviere [121], laquelle sembloit estre fort grande, barrée
neantmoins la pluspart de rochers. A quelques 8 lieues [122]
de là, il y a une pointe [123] qui advance une lieue & demye
à la mer, où il n'y a que brasse & demye d'eau. Passé cette
poincte, il s'en trouve une autre [124] à quelque 4 lieues,
où il y a assez d'eau. Toute cette coste est terre basse &
sablonneuse.
[Note 121: La rivière des Rochers, qui se jette dans la baie du même
nom.]
[Note 122: «Dix-huit lieues.» (Voir la note suivante).]
[Note 123: Cette pointe doit être la pointe des Monts, qui est à
environ dix-huit lieues de la baie des Rochers; car, dans tous ces
parages, il n'y a pas d'autre pointe aussi considérable, et où il y ait
si peu d'eau. Peut-être ne faut-il voir ici qu'une faute de typographie;
cependant, il est possible aussi que l'auteur ait été trompé par les
courants. Au bas de la pointe des Monts, il se fait, du côté du nord,
comme un immense remous; de sorte que le vaisseau était porté sur la
pointe, lorsque l'on croyait avoir à lutter contre la marée.]
[Note 124: Le cap Saint-Nicolas.]
A quelque 4 lieues de là, il y a une anse où entre une
riviere [125]. Il y peut aller beaucoup de vaisseaux du
costé de l'Ouest. C'est une poincte basse qui advance
environ d'une lieue en la mer. Il faut ranger la terre de
l'Est[126] comme de trois cents pas pour pouvoir entrer
dedans. Voilà le meilleur port qui est en toute la coste du
Nort; mais il y faict fort dangereux y aller, pour les
basses & bancs de sable qu'il y en a en la plupart de la
coste prés de deux lieues en mer.
[Note 125: La rivière de Manicouagan.]
[Note 126: Par rapport à la baie, ou à l'entrée de larivière, il
faudrait dire: «la terre du Nord.» Mais, par rapport au cours de la
rivière même, l'expression est juste.]
On trouve, à quelques six lieues de là une baye [127] où il
y a une isle de sable. Toute laditte baye est fort
batturiere, si ce n'est du costé de l'Est, où il peut avoir
quelque 4 brasses d'eau. Dans le canal qui entre dans
laditte baye, à quelque 4 lieues de là, il y a une belle
55/119 anse, où entre une riviere. Toute cette coste est basse &
sablonneuse. Il y descend un sault d'eau qui est grand. A
quelques cinq lieues de là[128], il y a une poincte qui
advance environ demy lieue en la mer, où il y a une
ance[129]; & d'une poincte à l'autre, il y a trois lieues,
mais ce n'est que battures où il y a peu d'eau.
[Note 127: La baie des Outardes.]
[Note 128: Une partie de ces cinq lieues doit se prendre dans l'entrée
de la rivière aux Outardes; car, comme l'auteur le remarque un peu plus
loin, la pointe aux Outardes et celle des Betsiamis ne sont guère qu'à
trois lieues l'une de l'autre.]
[Note 129: La pointe, l'anse et la rivière portent le nomde Betsiamis.]
A quelque deux lieues, il y a une plage où il y a un bon
port & une petite riviere, où il y a trois isles[130], & où
des vaisseaux se pourroient mettre à l'abry.
[Note 130: Les îlets de Jérémie.]
A quelque trois lieues de là, il y a une poincte de sable
qui advance environ une lieue, où au bout il y a un petit
islet [131]. Puis, allant à l'Esquemin[132], vous rencontrez
deux petites isles basses & un petit rocher à terre. Ces
dictes isles sont environ à demy lieue de Lesquemin, qui est
un fort mauvais port entouré de rochers & asseche de basse
mer. Et faut variser pour entrer dedans au derrière d'une
petite poincte de rocher, où il n'y peut qu'un vaisseau. Un
peu plus haut, il y a une riviere qui va quelque peu dans
les terres, c'est le lieu où les Basques font la pesche des
ballaines [133]. Pour dire vérité, le port ne vaut du tout
rien.
[Note 131: Cette description ne peut guère convenir qu'à la pointe à
Mille-Vaches, quoiqu'elle soit à environ neuf lieues des îlets de
Jérémie. Comme il est difficile d'admettre que Champlain ait pu ne voir
que trois lieues là où il y en avait neuf, il faut supposer ou bien
qu'il y a eu quelque chose de passé dans le texte, ou bien que le
manuscrit Portait un 9, que le typographe aura pu prendre pour un 3.]
[Note 132: Aujourd'hui, on dit: les Escoumins.]
[Note 133: Environ une lieue plus haut que les Escoumins, se trouve
l'anse aux Basques.]
Nous vinsmes de là audict port de Tadousac, le troisiesme
56/120 d'aoust. Toutes ces dictes terres cy-dessus sont basses à la
coste, & dans les terres fort hautes. Ils ne sont si
plaisantes ny fertilles que celles du Su, bien qu'elles
soient plus basses.
Voylà au certain tout ce que j'ay veu de cette ditte coste
du Nort.
_Les cérémonies que font les Sauvages devant que d'aller à
la guerre. Des sauvages Almouchicois & de leur monstrueuse
forme. Discours du sieur de Prevert de Sainct-Malo sur la
descouverture de la coste d'Arcadie; quelles mines il y a, &
de la bonté & fertilité du pays._
CHAPITRE XII.
Arrivant à Tadousac, nous trouvasmes les sauvages que nous
avions rencontrez en la riviere des Irocois, qui avoient
faict rencontre au premier lac, de trois canots irocois,
lesquels se battirent contre dix autres de Montaignez, &
apportèrent les testes des Irocois à Tadousac, & n'y eut
qu'un Montaignez blessé au bras d'un coup de flèche, lequel
songeant quelque chose, il falloit que tous les 10 autres le
meissent à exécution pour le rendre content, croyant aussi
que sa playe s'en doit mieux porter. Si ce dict sauvage
meurt, ses parents vengeront sa mort soit sur leur nation,
ou sur d'autres, ou bien il faut que les capitaines facent
des presents aux parents du deffunct, affin qu'ils soyent
contens, ou autrement, comme j'ay dict, ils useroient de
vengeance, qui est une grande meschanceté entre eux.
57/121 Premier que lesdicts Montaignez partissent pour aller à la
guerre, ils s'assemblerent tous, avec leurs plus riches
habits de fourrures, castors & autres peaux, parez de
patenostres & cordons de diverses couleurs, & s'assemblerent
dedans une grand place publique, où il y avoit au devant
d'eux un Sagamo qui s'appeloit Begourat, qui les menoit à la
guerre; & estoient les uns derrière les autres, avec leurs
arcs & flesches, massues & rondelles, de quoi ils se parent
pour se battre, & alloient sautant les uns après les autres,
en faisant plusieurs gestes de leurs corps, ils faisoient
maints tours de limaçon. Après, ils commencèrent à danser à
la façon accoustumée, comme j'ay dict cy-dessus, puis ils
firent leur tabagie, & après l'avoir faict, les femmes se
despouillerent toutes nues, parées de leurs plus beaux
matachias, & se meirent dedans leurs canots ainsi nues en
dansant, & puis elles se vindrent mettre à l'eau en se
battant à coups de leurs avirons, se jettant quantité d'eau
les unes sur les autres. Toutesfois elles ne se faisoient
point de mal, car elles se paroient des coups qu'elles
s'entre-ruoient. Après avoir faict toutes ces cérémonies,
elles se retirèrent en leurs cabanes, & les sauvages s'en
allèrent à la guerre contre les Irocois.
Le seiziesme jour d'aoust, nous partismes de Tadousac, &
le 18 dudict mois arrivasmes à l'isle Percée, où nous
trouvasmes le sieur Prevert, de Sainct Malo, qui venoit de
58/122 la mine où il avoit esté[134] avec beaucoup de peine, pour
la crainte que les sauvages avoient de faire rencontre de
leurs ennemis, qui sont les Armouchicois, lesquels sont
hommes sauvages du tout monstrueux pour la forme qu'ils
ont[135]; car leur teste est petite, & le corps court, les
bras menus comme d'un schelet, & les cuisses semblablement,
les jambes grosses & longues, qui sont toutes d'une venue; &
quand ils sont assis sur leurs talons, les genoux leur
passent plus d'un demy pied par dessus la teste, qui est
chose estrange, & semblent estre hors de nature. Ils sont
neantmoins fort dispos & déterminez, & sont aux meilleures
terres de toute la coste d'Arcadie[136]: aussi les Souricois
les craignent fort. Mais, avec l'asseurance que ledict sieur
de Prevert leur donna, il les mena jusqu'à laditte mine, où
les sauvages le guidèrent [137]. C'est une fort haute
montaigne advançant quelque peu sur la mer, qui est fort
reluisante au soleil, où il y a quantité de verd de gris,
qui procède de laditte mine de cuivre;_____.
[Note 134: Le sieur Prévert n'avait point vu par lui-même ce qu'il
rapporte ici à Champlain; il s'était contenté d'envoyer deux ou trois de
ses hommes, avec quelques sauvages, à la recherche des mines. Il ne faut
donc pas s'attendre à trouver beaucoup d'exactitude dans tout ce récit.
«Il nous faut,» dit Lescarbot, liv. III, ch. XXVIII, «retourner quérir
Samuel Champlein... afin qu'il nous dise quelques nouvelles de ce qu'il
aura veu & ouï parmi les sauvages... Et afin qu'il ait un plus beau
champ pour réjouir ses auditeurs, je voy le sieur Prevert de Sainct Malo
qui l'attend à l'isle Percée, en intention de lui en bailler d'une; &
s'il ne se contente de cela, lui bailler encore avec la fable des
Armouchiquois la plaisante histoire du _Gougou_, qui fait peur aux
petits Enfans, afin que par après l'Historiographe Cayet soit aussi de
la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy.» Il n'y a là-dessus
qu'une remarque à faire: il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq
ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain,
qu'à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu'il pouvait y avoir
de vrai ou de faux dans les récits d'un homme dont il n'avait peut-être
pas de raison alors de soupçonner la véracité.]
[Note 135: Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au
sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis; et,
d'ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au
besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. «Les
Armouchicois,» dit Lescarbot, «sont aussi beaux hommes (souz ce mot je
comprens aussi les femmes) que nous, bien composés & dispos...» (Liv.
III, ch. XXIX.)]
[Note 136: Ce passage donnerait à entendre que, dans l'origine, on
comprenait sous ce nom d'Acadie une bien plus grande étendue de côtes,
puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu'au-delà du Kénébec;
c'est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous
deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)]
[Note 137: Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.]
59/123 Au pied de laditte montaigne, il dit que de basse eau il y
avoit en quantité de morceaux de cuivre, comme il nous en a
monstré, lequel tombe du hault de la montaigne. Passant
trois ou quatre lieues plus outre, tirant à la coste
d'Arcadie, il y a une autre mine, & une petite riviere qui
va quelque peu dans les terres, tirant au Su, où il y a une
montaigne qui est d'une peinture noire, de quoy se peignent
les sauvages. Puis, à quelques six lieues de la seconde
mine, en tirant à la mer environ une lieue proche de la
coste d'Arcadie, il y a une isle où se trouve une manière de
metail qui est comme brun obscur, le coupant il est blanc,
dont anciennement ils usoient pour leurs flesches &
cousteaux, qu'ils battoient avec des pierres; ce qui me fait
croire que ce n'est estain ny plomb, estant si dur comme il
est; & leur ayant monstré de l'argent, ils dirent que celuy
de ladicte isle est semblable; lequel ils trouvent dedans la
terre comme à un pied ou deux. Ledict sieur Prevert a
donné aux sauvages des coins & ciseaux, & d'autres choses
necessaires pour tirer de ladicte mine, ce qu'ils ont promis
de faire, & l'année qu'il vient d'en apporter, & le donner
audict sieur Prevert.
Ils disent aussi qu'à quelques cent ou 120 lieues il y a
d'autres mines, mais ils n'osent y aller, s'il n'y a des
françois parmy eux pour faire la guerre à leurs ennemis, qui
les tiennent en leur possession.
Cedict lieu où est la mine, qui est par les 44 degrez &
quelques minutes [138] proche de ladicte coste de l'Arcadie
60/124 comme de cinq ou six lieues, c'est une manière de baye qui
en son entrée peut tenir quelques lieues de large, & quelque
peu davantage de long, où il y a trois rivieres qui viennent
tomber en la grand'Baye proche de l'isle de Sainct
Jean[139], qui a quelque trente ou trente-cinq lieues de
long, & à quelque six lieues de la terre du Su. Il y a aussi
une autre petite riviere qui va tomber comme à moitié chemin
de celle par où revint ledict sieur Prevert, où sont comme
deux manières de lacs en cette dicte riviere. Plus y a aussi
une autre petite riviere qui va à la painture. Toutes ces
rivieres tombent en laditte Baye au Su-Est environ de
laditte isle que lesdicts sauvages disent y avoir ceste mine
blanche. Au costé du Nort de laditte Baye [140] sont les
mines de cuivre, où il y a bon port pour des vaisseaux, &
une petite isle à l'entrée du port. Le fonds est vase &
sable, où l'on peut eschouer les vaisseaux.
[Note 138: Si la description faite par le sieur Prévert, ou plutôt par
ses hommes, se rapporte au bassin des Mines, comme le comprit Champlain
lui-même (voir édit. 1613, ch. III), cette latitude est beaucoup trop
faible; le bassin des Mines est tout entier au-delà du
quarante-cinquième degré.]
[Note 139: Aujourd'hui l'île du Prince-Edouard.]
[Note 140: On croit reconnaître ici, avec Champlain (édit. 1613, ch.
III), l'entrée ou le canal du bassin des Mines, l'île Haute, et le port
ou havre à L'Avocat, où «le fonds est vaseux & sablonneux, & les
vaisseaux y peuvent eschouer.»]
De ladicte mine jusques au commencement de l'entrée
desdittes rivieres, il y a quelques 60 ou 80 lieues par
terre. Mais du costé de la mer, selon mon jugement, depuis
la sortie de l'isle de Sainct Laurent & terre ferme [141],
il peut y avoir plus de 50 ou 60 lieues jusques à la ditte
mine.
[Note 141: De cette sortie, qui est évidemment le détroit de Canseau,
jusqu'au bassin des Mines, il y a, par mer, environ cent soixante
lieues.]
Tout ce païs est très beau & plat, où il y a de toutes les
sortes d'arbres que nous avons veus allant au premier sault
de la grande riviere de Canadas, fort peu de sapins &
cyprez.
61/125 Voylà au certain ce que j'ay apprins & ouy dire audict sieur
Prevert.
_D'un monstre espouvantable que les Sauvages appellent
Gougou, & de nostre bref & heureux retour en France.
CHAPITRE XIII.
Il y a encore une chose estrange, digne de reciter, que
plusieurs sauvages m'ont asseuré estre vray[142]: c'est que,
proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, est une isle où
faict residence un monstre espouvantable que les sauvages
appellent Gougou, & m'ont dict qu'il avoit la forme d'une
femme, mais fort effroyable, & d'une telle grandeur, qu'ils
me disoient que le bout des mats de nostre vaisseau ne luy
62/126 fust pas venu jusques à la ceinture, tant ils le peignent
grand; & que souvent il a devoré & devore beaucoup de
sauvages; lesquels ils met dedans une grande poche, quand il
les peut attraper, & puis les mange; & disoient ceux qui
avoient esvité le péril de ceste malheureuse beste, que sa
poche estoit si grande, qu'il y eust pu mettre nostre
vaisseau. Ce monstre faict des bruits horribles dedans ceste
isle, que les sauvages appellent le Gougou; & quand ils en
parlent, ce n'est que avec une peur si estrange qu'il ne se
peut dire plus, & m'ont asseuré plusieurs l'avoir veu. Mesme
ledict sieur Prevert de Sainct Malo, en allant à la
descouverture des mines, ainsi que nous avons dict au
chapitre précèdent, m'a dict avoir passé si proche de la
demeure de ceste effroyable beste, que luy & tous ceux de
son vaisseau entendoient des sifflements estranges du bruit
qu'elle faisoit, & que les sauvages qu'il avoit avec luy,
luy dirent que c'estoit la mesme beste, & avoient une telle
peur qu'ils se cachoient de toute part, craignant qu'elle
fust venue à eux pour les emporter & qu'il me faict croire
ce qu'ils disent, c'est que tous les sauvages en général la
craignent & en parlent si estrangement, que si je mettois
tout ce qu'ils en disent, l'on le tiendroit pour fables;
mais je tiens que ce soit la residence de quelque diable qui
les tourmente de la façon.
Voylà ce que j'ay appris de ce Gougou.
[Note 142: Les premiers voyageurs qui abordèrent aux côtes du nouveau
monde étaient bien disposés à y trouver un ordre de choses tout
différent de celui du monde ancien; et Champlain tout le premier, en
parcourant des régions encore à peu près inexplorées, pouvait croire
trop facilement à l'existence de monstres fabuleux. Cependant, si l'on
considère ce récit dans son ensemble, on verra qu'il ne fait guère que
rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Prévert étaient
unanimes à raconter. Mais, de ce qu'il admettait volontiers l'existence
du fait, il ne s'ensuit pas qu'il ait cru tout ce qu'on disait de ce
prétendu monstre. C'est ce que prouve assez la réflexion par laquelle il
termine: «Mais je tiens que ce soit (qu'il faut que ce soit) la
residence de quelque diable qui les tourmente de la façon.» Et Lescarbot
lui-même, après avoir employé plus de deux pages à expliquer _les causes
des fausses visions & imaginations_, et à prouver que le Gougou, _c'est
proprement le remord de la conscience_, finit aussi par dire: «Et n'est
pas incroyable que le diable possédant ces peuples ne leur donne
beaucoup d'illusions. Mais proprement, & à dire la vérité, ce qui a
fortifié l'opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel
contoit un jour au sieur de Poutrincourt une fable de même aloy, disant
qu'il avoit veu un Sauvage jouer à la croce contre un diable, & qu'il
voyoit bien la croce du diable jouer, mais quant à Monsieur le diable il
ne le voyoit point. Le sieur de Poutrincourt qui prenoit plaisir à
l'entendre, faisoit semblant de le croire, pour lui en faire dire
d'autres... Or si ledit Champlein a été credule, un sçavant personnage
que j'honore beaucoup pour sa grande literature, est encore en plus
grand'faute, ayant mis en sa Chronologie septenaire de l'histoire de la
paix imprimée l'an mille six cens cinq, tout le discours dudit Champlein
sans nommer son autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois &
du Gougou pour bonne monnoye. Je croy que si le conte du diable jouant à
la croce eût aussi été imprimé, il l'eût creu, & mis par escrit, comme
le reste.»]
Premier que partir de Tadousac pour nous en retourner en
France, un des Sagamo des Montagnez, nommé Bechourat[143],
63/127 donna son fils au sieur du Pont, pour l'emmener en France, &
lui fut fort recommandé par le grand Sagamo Anadabijou, le
priant de le bien traiter & de lui faire veoir ce que les
autres deux sauvages que nous avions remenez, avoient veu.
Nous leur demandasmes une femme des Irocois qu'ils vouloient
manger, laquelle ils nous donnèrent, & l'avons aussi amenée
avec ledict sauvage. Le sieur de Prevert a aussi amené
quatre sauvages: un homme qui est de la coste d'Arcadie, une
femme & deux enfans des Canadiens.
[Note 143: Très-probablement le même que Begourat mentionné plus haut.
On sait que dans certaines écritures de l'époque de Champlain les deux
lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.]
Le 24e jour d'aoust, nous partismes de Gachepay, le vaisseau
dudict sieur Prevert & le nostre. Le 2e jour de septembre,
nous faisons estat d'estre aussi avant que le cap de Rase.
Le cinquième jours dudict nous entrâmes sur le banc où se
fait la pesche du poisson. Le 16 dudict mois nous estions à
la sonde qui peut estre à quelques 50 lieues d'Ouessant Le
20 dudict mois, nous arrivasmes, par la grâce de Dieu, avec
contentement d'un chascun, & tousjours le vent favorable, au
port du Havre-de-Grace.
FIN.
Fin du Tome II.
(La page suivante est la page 130 qui est la page couverture du
Tome III.)
130
OEUVRES
DE
CHAMPLAIN
PUBLIÉES
SOUS LE PATRONAGE
DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
PAR L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ
SECONDE ÉDITION
TOME III
QUÉBEC
Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS
1870
131 _L'édition de 1613, qui fait suite à celle de 1603, est
peut-être la plus intéressante et la plus utile de toutes
celles que publia Champlain. Les faits y sont racontés dans
l'ordre, quoique simplement; les descriptions de lieux y sont à
leur place; le texte est partout accompagné de cartes ou de
dessins, qui jettent toujours beaucoup de lumière sur des
événements si éloignés de nous_.
_Bien des personnes, sans en avoir fait un examen assez
attentif, ont cru que l'édition de 1632 pouvait y suppléer,
parce quelle la reproduit en grande partie. Mais, quand elles
voudront approfondir les choses, et s'en rendre exactement
compte, elles s'apercevront bien vite que cette réimpression de
1632 est tellement tronquée parfois, qu'il est impossible de
s'y reconnaître, et elles se verront forcées de revenir à
l'édition première, surtout pour ce qui concerne l'Acadie, et
les cotes de la Nouvelle-Angleterre_.
132
LES VOYAGES
DU SIEUR DE CHAMPLAIN
XAINTONGEOIS, CAPITAINE
ordinaire pour le Roy,
en la marine.
DIVISEZ EN DEUX LIVRES.
ou,
_JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és descouvertures
de la nouvelle France: tant en la description des terres,
costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, & plusieurs
déclinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des peuples,
leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer: enrichi de
quantité de figures_.
Ensemble deux cartes geografiques: la première servant à la
navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur
lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien,
avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le
voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de
Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en
l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la
Chine.
A PARIS,
Chez JEAN BERJON, rue S. Jean de Beauvais, au Cheval
volant, & en sa boutique au Palais, à la gallerie
des prisonniers.
MDCXIII.
AVEC PRIVILEGE DU ROY.
iii/135
[Illustration]
AU ROY.
_SIRE, Vostre Majesté peut avoir assez de
cognoissance des descouvertures, faites pour son service de la
nouvelle France (dicte Canada) par les escripts que certains
Capitaines & Pilotes en ont fait, des voyages & descouvertures,
qui y ont esté faites, depuis quatre vingts ans, mais ils n'ont
rien rendu de si recommandable en vostre Royaume, ny si
profitable pour le service de vostre Majesté & de ses subjects;
comme peuvent estre les cartes des costes, havres, rivieres, &
de la situation des lieux lesquelles seront representées par ce
petit traicté, que je prens la hardiesse d'adresser à vostre
Majesté, intitulé Journalier des voyages & descouvertures que
j'ay faites avec le sieur de Mons, vostre Lieutenant, en la
nouvelle France: & me voyant poussé d'une juste recognoissance
de l'honneur que j'ay reçeu depuis dix ans, des commandements,
tant de vostre Majesté, Sire, que du feu Roy, Henry le Grand,
d'heureuse mémoire, qui me commanda de faire les recherches &
descouvertures les plus exactes qu'il me seroit possible: Ce
que j'ay fait avec les augmentations, representées par les
cartes, contenues en ce petit livre, auquel il se trouvera une
iv/136 remarque particulière des perils, qu'on pourrait encourir s'ils
n'estoyent evitez: ce que les subjects de vostre Majesté, qu'il
luy plaira employer cy aprés, pour la conservation desdictes
descouvertures pourront eviter selon la cognoissance que leur
en donneront les cartes contenues en ce traicté, qui servira
d'exemplaire en vostre Royaume, pour servir à vostre Majesté, à
l'augmentation de sa gloire, au bien de ses subjects, & à
l'honneur du service tres-humble que doit à l'heureux
accroissement de vos jours._
SIRE.
Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject.
CHAMPLAIN.
v/137
[Illustration:]
A
LA ROYNE REGENTE
MERE DU ROY.
MADAME, Entre tous les arts les plus utiles & excellens, celuy
de naviguer m'a tousjours semblé tenir le premier lieu: Car
d'autant plus qu'il est hazardeux & accompagné de mille périls
& naufrages, d'autant plus aussi est-il estimé & relevé par
dessus tous, n'estant aucunement convenable à ceux qui manquent
de courage & asseurance. Par cet art nous avons la cognoissance
de diverses terres, régions, & Royaumes. Par iceluy nous
attirons & apportons en nos terres toutes sortes de richesses,
par iceluy l'idolâtrie du Paganisme est renversé, & le
Christianisme annoncé par tous les endroits de la terre. C'est
cet art qui m'a dés mon bas aage attiré à l'aimer, & qui m'a
provoqué à m'exposer presque toute ma vie aux ondes impetueuses
de l'Océan, & qui m'a fait naviger & costoyer une partie des
terres de l'Amérique & principalement de la Nouvelle France, où
j'ay tousjours en desir d'y faire fleurir le Lys avec l'unique
Religion Catholique, Apostolique & Romaine. Ce que je croy à
present faire avec l'aide de Dieu, estant assisté de la faveur
de vostre Majesté, laquelle je supplie tres-humblement de
continuer à nous maintenir, afin que tout reussisse à l'honneur
vi/138 de Dieu, au bien de la France & splendeur de vostre Regne, pour
la grandeur & prosperité duquel, je prierai Dieu, de vous
assister tousjours de mille benedictions & demeureray.
MADAME,
_Vostre tres-humble, tres-obeissant
& tres-fidele serviteur & subject._
CHAMPLAIN.
vii/139
AUX FRANÇOIS, SUR LES
voyages du sieur de Champlain.
STANCES.
_La France estant un jour à bon droit irritée_
_De voir des estrangers l'audace tant vantée,_
_Voulans comme ranger la mer à leur merci,_
_Et rendre injustement Neptune tributaire_
_Estant commun à tous; ardente de cholere_
_Appella ses enfans, & les tançoit ainsi._
2
_Enfans, mon cher soucy, le doux soin de mon ame,_
_Quoy? l'honneur qui espoint d'une si douce flamme,_
_Ne touche point vos coeurs? Si l'honneur de mon nom_
_Rend le vostre pareil d'éternelle memoire,_
_Si le bruit de mon los redonde à vostre gloire,_
_Chers enfans, pouvés vous trahir vostre renom?_
3
_Je voy de l'estranger l'insolente arrogance,_
_Entreprenant par trop, prendre la jouissance_
_De ce grand Océan, qui languit aprés vous,_
_Et pourquoy le desir d'une belle entreprise_
_Vos coeurs comme autresfois n'espoinçonne & n'attise?_
_Tousjours un brave coeur de l'honneur est jaloux._
4
_Apprenés qu'on a veu les Françoises armées_
_De leur nombre couvrir les pleines Idumées,_
_L'Afrique quelquefois a veu vos devanciers,_
_L'Europe en a tremblé, & la fertile Asie_
_En a esté souvent d'effroy toute saisie,_
_Ces peuples sont tesmoins de leurs actes guerriers._
5
_Ainsi moy vostre mere en armes si féconde_
_J'ay fait trembler soubs moy les trois parts de ce monde._
viii/140 _La quarte seulement mes armes n'a gousté._
_C'est ce monde nouveau dont l'Espagne rostie._
_Jalouse de mon los, seule se glorifie,_
_Mon nom plus que le sien y doit estre planté._
6
_Peut estre direz vous que mon ventre vous donne_
_Ce que pour estre bien, Nature vous ordonne,_
_Que vous avez le Ciel clément & gracieux,_
_Que de chercher ailleurs se rendre à la fortune,_
_Et plus se confier à une traistre Neptune,_
_Ce seroit s'hazarder sans espoir d'avoir mieux._
7
_Si les autres avoyent leurs terres cultivées,_
_De fleuves & ruisseaux plaisamment abbreuvées_
_Et que l'air y fut doux: sans doute ils n'auroyent pas_
_Dans ce pays lointain porté leur renommée_
_Que foible on la verroit dans leurs murs enfermée_
_Mais pour vaincre la faim, on ne craint le trespas._
8
_Il est vray chers enfans, mais ne faites vous compte_
_De l'honneur, qui le temps & sa force surmonte?_
_Qui seul peut faire vivre en immortalité?_
_Ha! je sçay que luy seul vous plaist pour recompense,_
_Allés donc courageux, ne souffrez, ceste offense,_
_De souffrir tels affrons, ce serait lascheté._
9
_Je n'en sentirois pas la passion si forte,_
_Si nature n'ouvroit à ce dessein la porte,_
_Car puis qu'elle a voulu me bagner les costés_
_De deux si larges mers: c'est pour vous faire entendre_
_Que guerriers il vous faut mes limites estendre_
_Et rendre des deux parts les peuples surmontés._
10
_C'est trop, c'est trop long temps se priver de l'usage,_
_D'un bien que par le Ciel vous eustes en partage,_
ix/141 _Allés donc courageux, faites bruire mon los,_
_Que mes armes par vous en ce lieu soyent portées_
_Rendés par la vertu les peines surmontées_
_L'honneur est tant plus grand que moindre est le repos._
11
_Ainsi parla la France: & les uns approuverent_
_Son discours, par les cris qu'au Ciel ils eslevèrent,_
_D'autres faisoient semblant de louer son dessein,_
_Mais nul ne s'efforçait de la rendre contente,_
_Quand Champlain luy donna le fruit de son attente._
_Un coeur fort généreux ne peut rien faire en vain._
12
_Ce dessein qui portait tant de peines diverses,_
_De dangers, de travaux, d'espines de traversés,_
_Luy servit pour monstrer qu'une entière vertu_
_Peut rompre tous efforts par sa perseverance_
_Emporter, vaincre tout: un coeur plein de vaillance_
_Se monstre tant plus grande plus il est combattu._
13
_François, chers compagnons, qu'un beau desir de gloire_
_Espoinçonnant vos coeurs, rende vostre mémoire_
_Illustrée à jamais; venez braves guerriers,_
_Non non ce ne sont point des esperances vaines._
_Champlain a surmonté les dangers & les peines:_
_Venés pour recueillir mille & mille lauriers._
14
_HENRY mon grand Henry à qui la destinée_
_Impiteuse a trop tost la carrière bornée,_
_Si le Ciel t'eust laissé plus long temps icy bas,_
_Tu nous eusses assemblé la France avec la Chine :_
_Tu ne méritais moins que la ronde machine,_
_Et l'eussions veu courber sous l'effort de ton bras._
15
_Et toy sacré fleuron, digne fils d'un tel Prince,_
_Qui luit comme un soleil aux yeux de ta Province,_
x/142 _Le Ciel qui te reserve à un si haut dessein,_
_Face un jour qu'arrivant l'effect de mon envie,_
_Je verse en t'y servant & le sang, & la vie,_
_Je ne quiers autre honneur si tel est mon destin._
16
_Tes armes ô mon Roy, ô mon grand Alexandre!_
_Iront de tes vertus un bon odeur espandre_
_Au couchant & levant. Champlain tout glorieux_
_D'un desir si hautain ayant l'ame eschauffée_
_Aux fins de l'Océan plantera ton trophée,_
_La grandeur d'un tel Roy doit voler jusqu'aux Cieux._
L'ANGE Paris.
xi/143
A MONSIEUR DE CHAMPLAIN Sur son livre & ses cartes marines.
ODE.
_Que desire tu voir encore_
_Curieuse témérité:_
_Tu cognois l'un & l'autre More,_
_En ton cours est-il limité?_
_En quelle coste reculée_
_N'es-tu pas sans frayeur allée?_
_Et ne sers tu pas de raison?_
_Que l'ame est un feu qui nous pousse,_
_Qui nous agite et se courouce_
_D'estre en ce corps comme en prison?_
_Tu ne trouves rien d'impossible,_
_Et mesme le chemin des Cieux_
_À peine reste inaccessible_
_A ton courage ambitieux._
_Encore un fugitif Dédale,_
_Esbranlant son aisle inégale_
_Eut l'audace d'en approcher,_
_Et ce guerrier qui de la nue_
_Vid la jeune Andromede nue_
_Preste à mourir sur le rocher._
_Que n'ay je leur aisle asseurée,_
_Ou celle du vent plus léger,_
_Ou celles des fils de Borée_
_Ou l'Hippogriphe de Roger._
_Que ne puis-je par characteres_
_Parfums & magiques mysteres_
_Courir l'un & l'autre Element._
_Et quand je voudrais l'entreprendre_
_Aussi-tost qu'un daimon me rendre_
_Au bout du monde en un moment._
_Non point qu'alors je me promette_
_D'aller au sejour eslevé_
_Qu'avec une longue lunette_
_On a dans la lune trouvé;_
_Ny d'apprendre si les lumières_
_D'esclairer au ciel coustumieres,_
xii/144 _Et qui sont nos biens & nos maux,_
_D'humides vapeurs sont nourries,_
_Comme icy bas dans les prairies_
_D'herbe on nourit les animaux._
_Mais pour aller en asseurance_
_Visiter ces peuples tous nuds_
_Que la bien heureuse ignorance_
_En long repos a maintenus._
_Telle estoit la gent fortunée_
_Au monde la première née,_
_Quand le miel en ruisseaux fondoit_
_Au sein de la terre fleurie_
_Et telle se voit l'Hetrurie_
_Lors que Saturne y commandoit._
_Quels honneurs & quelles louanges_
_Champlain ne doit point esperer,_
_Qui de ces grands pays estranges_
_Nous a sçeu le plan figurer_
_Ayant neuf fois tenu la sonde_
_Et porté dans ce nouveau monde_
_Son courage aveugle aux dangers,_
_Sans craindre des vents les haleines_
_Ny les monstrueuses Baleines_
_Le butin des Basques légers._
_Esprit plus grand que la fortune_
_Patient & laborieux._
_Tousjours soit propice Neptune_
_A tes voyages glorieux._
_Puisses tu d'aage en aage vivre,_
_Par l'heureux effort de ton livre:_
_Et que la mesme éternité_
_Donne tes chartes renommées_
_D'huile de cèdre perfumées_
_En garde à l'immortalité._
Motin.
xiii/145
SOMMAIRES DES CHAPITRES
LIVRE PREMIER
_Auquel sont descrites les descouvertures de la coste d'Acadie
& de la Floride._
L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à recercher un
chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs
voyages qui n'ont point réussi. Resolution des François à cet
effect. Entreprise du sieur de Mons. Sa commission, &
revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de
Mons. Chap. I.
Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton, de la Heve: Du
port au Mouton: Du port du cap Negre: Du cap & Baye de Sable:
De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle longue: De
la baye saincte Marie: Du port saincte Marguerite, & de toutes
les choses remarquables qui sont le long de ceste coste. Chap.
II.
Description du port Royal & des particularitez d'iceluy. De
l'isle haute. Du port aux Misnes. De la grande baye Françoise.
De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
le port aux Misnes jusques à icelle. De l'isle appellée par les
Sauvages Methane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs
belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres
choses remarquables d'icelle coste. Chap. III.
Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour
faire une demeure arrestée, que l'isle de saincte Croix, la
fortifie & y fait des logemens. Retour des vaisseaux en France,
& de Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre
ordre à quelques affaires. Chap. IV.
De la coste, peuples & rivieres de Norembeque, & de tout ce qui
s'est passé durant les descouvertures d'icelle. Chap. V.
Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes &
femmes Sauvages passent le temps durant l'hyver: & tout ce qui
se passe en l'habitation durant l'hyvernement. Chap. VI.
Descouvertures de la coste des Almouchiquois, jusques au 42e
degré de latitude: & des particularités de ce voyage. Chap.
VII.
Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
& de ce que nous y avons remarqué de particulier. Chap. VIII.
Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois. Chap.
IX.
L'habitation qui estoit en l'isle de saincte Croix transportée
au port Royal, & pourquoy. Chap. X.
Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusques à
ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit
promis, on partit du port Royal pour retourner en France. Chap.
XI.
Partement du Port Royal, pour retourner en France. Rencontre de
Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrousser chemin. Chap. XII.
Le sieur de Poitrincourt part du port Royal, pour faire des
descouvertures. Tout ce que l'on y vit, & ce qui y arriva
jusques à Malebarre. Chap. XIII.
Continuation des susdites descouvertures, & ce qui y fut
remarqué de singulier. Chap. XIV.
L'incommodité du temps, ne permettant pour lors, de faire
d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en
l'habitation: & ce qui nous arriva jusques à icelle. Chap. XV.
xiv/146 Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant
l'hyvernement. Chap. XVI.
Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de
Poitrincourt & de tous ses gens. Chap. XVII.
LIVRE SECOND
_Auquel sont descrits les voyages faits au grand fleuve sainct
Laurens, far le sieur de Champlain._
Resolution du sieur de Mons, pour faire les descouvertures
par dedans les terres: sa commission & enfrainte d'icelle, par
des Basques, qui desarmerent le vaisseau de Pont-gravé; &
l'accord qu'ils firent après entre eux. Chap. I.
De la riviere de Saguenay, & des Sauvages, qui nous y vindrent
abborder. De l'isle d'Orléans, & de tout ce que nous y avons
remarqué de singulier. Chap. II.
Arrivée à Québec, où nous fismes nos logemens. Sa situation.
Conspiration contre le service du Roy, & ma vie, par aucuns de
nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa
en cet affaire. Chap. III.
Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement,
& du lieu où sejourna Jaques Quartier en l'an 1535. Chap. IV.
Semences & vignes plantées à Québec. Commencement de l'yver &
des glaces. Extresme necessité de certains sauvages. Chap. V.
Maladie de la terre à Québec. Le suject de l'hyvernement.
Description dudit lieu. Arrivée du sieur de Marais, gendre de
Pont-gravé, audit Québec Chap. VI.
Partement de Québec jusques à l'isle saincte Esloy, & de la
rencontre que j'y fis des sauvages Algoumequins, & Ochatequins.
Chap. VII.
Retour à Québec: & depuis continuation avec les sauvages
jusques au saut de la riviere des Yroquois. Chap. VIII.
Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un
grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audit
lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attaquer
les Yroquois. Chap. IX.
Retour de la Bataille & ce qui se passa par le chemin. Chap. X.
Retour en France & ce qui se passa jusques au rembarquement.
Chap. XI.
SECOND VOYAGE DU SIEUR
de Champlain.
Partement de France pour retourner en la nouvelle France: & ce
qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation. Chap. I.
Partement de Québec pour aller assister nos sauvages alliez à
la guerre contre les Yroquois leurs ennemis & tout ce qui se
passa jusques à nostre retour en l'habitation. Chap. II.
Retour en France. Rencontre d'une Baleine & de la façon qu'on
les prent Chap. III.
xv/147 LE TROISIESME VOYAGE DU
sieur de Champlain en l'année 1611.
Partement de France pour retourner en la Nouvelle France. Les
dangers & autres choses qui arriverent jusques en l'habitation.
Chap. I.
Descente à Quebec pour faire raccommoder la barque. Partement
dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages &
recognoistre un lieu propre pour une habitation. Chap. II.
Deux cens sauvages rameinent le François qu'on leur avoit
baillé, & remmenèrent leur sauvage qui estoit retourné de
France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. III.
Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de
Mons & ses associés les sieurs Colier & le gendre de Rouen.
Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la
nouvelle France. Chap. IV.
Intelligence des deux cartes Geografiques de la nouvelle
France.
xvi/148 Plus est adjouté le voyage à la petite carte du destroit
qu'ont trouvé les Anglois au dessus de Labrador depuis le 53e
degré de latitude, jusques au 63e qu'ils ont descouvert en
ceste presente année 1612. pour trouver un passage d'aller à la
Chine par le Nort, s'il leur est possible: & ont hyverné au
lieu où est ceste marque, Q. Ce ne fut pas sans avoir beaucoup
enduré de froidures, & furent contraincts de retourner en
Angleterre: ayans laissé leur chef dans les terres du Nort, &
depuis six mois, trois autres vaisseaux sont partis pour
pénétrer plus avant, s'ils peuvent, & par mesmes moyens voir
s'ils trouveront les hommes qui ont esté delaissez audict pays.
EXTRAIT DU PRIVILEGE.
Par lettres patentes du Roy données à Paris, le 9 de janvier,
1613. & de nostre règne le 3, par le Roy en son conseil
PERREAU: & scellées en cire jaune sur simple queue, il est
permis à JEAN BERJON, Imprimeur & Libraire en ceste ville de
Paris, imprimer ou faire imprimer par qui bon luy semblera un
livre intitulé. _Les Voyages de Samuel de Champlain
Xainctongeois, Capitaine ordinaire pour le Roy en la Marine,
etc._ pour le temps & terme de six ans entiers & consecutifs à
commencer du jour que ledit livre aura esté achevé d'imprimer,
jusques audit temps de six ans. Estant semblablement fait
deffenses par les mesmes lettres, à tous Imprimeurs, marchans
Libraires, & autres quelconques, d'imprimer, ou faire imprimer,
vendre ou distribuer ledit livre durant ledit temps, sans
l'exprès contentement dudit BERJON, ou de celuy à qui il en
aura donné permission, sur peine de confiscation desdicts
livres la part qu'ils seront trouvez, & d'amende arbitraire,
comme plus à plein est déclaré esdictes lettres.
1/149
[Illustration:]
LES VOYAGES
DU SIEUR DE CHAMPLAIN
XAINTONGEOIS, CAPITAINE
ordinaire pour le Roy,
en la marine.
_OU JOURNAL TRES-FIDELE DES OBSERVATIONS faites és
descouvertures de la nouvelle France: tant en la description
des terres, costes, rivieres, ports, havres, leurs hauteurs, &
plusieurs declinaisons de la guide-aymant; qu'en la créance des
peuples, leurs superstitions, façon de vivre & de guerroyer:
enrichi de quantité de figures._
Ensemble deux cartes géographiques: la première servant à la
navigation, dressée selon les compas qui nordestent, sur
lesquels les mariniers navigent: l'autre en son vray Méridien,
avec ses longitudes & latitudes: à laquelle est adjousté le
voyage du destroict qu'ont trouvé les Anglois, au dessus de
Labrador, depuis le 53e. degré de latitude, jusques au 63e en
l'an 1612. cerchans un chemin par le Nord, pour aller à la
Chine.
LIVRE PREMIER
_L'utilité du commerce a induit plusieurs Princes à rechercher
un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux.
Plusieurs voyages qui n'ont pas reussy. Resolution des François
à cet effect. Entreprise du sieur de Mons: sa commission,
revocation d'icelle. Nouvelle commission au mesme sieur de Mons
pour continuer son entreprise._
CHAPITRE I.
Selon la diversité des humeurs les inclinations sont
différentes: & chacun en sa vacation a une fin particuliere.
Les uns tirent au proffit, les autres à la gloire, & aucuns au
2/150 bien public. Le plus grand est au commerce, & principalement
celuy qui se faict sur la mer. De là vient le grand soulagement
du peuple, l'opulence & l'ornement des republiques. C'est ce
qui a eslevé l'ancienne Rome à la Seigneurie & domination de
tout le monde. Les Vénitiens à une grandeur esgale à celle des
puissans Roys. De tout temps il a fait foisonner en richesses
les villes maritimes, dont Alexandrie & Tyr sont si célèbres: &
une infinité d'autres, lesquelles remplissent le profond des
terres aprés que les nations estrangeres leur ont envoyé ce
qu'elles ont de beau & de singulier. C'est pourquoy plusieurs
Princes se sont efforcez de trouver par le Nort, le chemin de
la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux,
esperans que ceste route seroit plus brieve & moins perilleuse.
En l'an 1496, le Roy d'Angleterre commit à ceste recherche Jean
Chabot[1] & Sebastien son fils. Environ le mesme temps Dom
Emanuel Roy de Portugal y envoya Gaspar Cortereal, qui retourna
sans avoir trouvé ce qu'il pretendoit: & l'année d'après
reprenant les mesmes erres, ils mourut en l'entreprise, comme
fit Michel son frère qui la continuoit obstinément. Es années
1534. & 1535, Jacques Quartier [2] eut pareille commission du
3/151 Roy François I, mais il fut arresté en sa course. Six ans après
le sieur de Roberval l'ayant renouvelée, envoya Jean Alfonce
Xaintongeois plus au Nort le long de la coste de Labrador, qui
en revint aussi sçavant que les autres. Es années 1576, 1577 &
1578 Messire Martin Forbicher[3] Anglois fit trois voyages
suivant les costes du Nort. Sept ans après Hunfrey Gilbert [4]
aussi Anglois partit avec cinq navires, & s'en alla perdre sur
l'isle de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux. En la
mesme année [5], & és deux suivantes Jean Davis Anglois fit
trois voyages pour mesme subject, & pénétra soubs les 72
degrez, & ne passa pas un destroit qui est appelé aujourdhui de
son nom. Et depuis luy le Capitaine Georges en fit aussi un en
l'an 1590, qui fut contraint à cause des glaces, de retourner
sans avoir rien descouvert. Quant aux Holandois ils n'en ont
pas eu plus certaine cognoissance à la nouvelle Zemble.
[Note 1: La commission fut donnée nommément à Jean Cabot et à ses fils
Louis, Sébastien et Sanche, et à leurs héritiers et ayans cause:
«_Dilectis nobis Ioanni Caboto, civi Venetiarum, Ludovico, Sebastiano &
Sancio filiis dicti Ioannis, & eorum ac cujuslibet eorum haeredibus ac
deputatis..._» (Mémoires des Commissaires, t. II, p. 409). Cette
commission est datée du 5 mars de la onzième année du règne de Henri
VII. Or Henri fut couronné le 30 octobre 1485. La commission est donc du
5 mars 1496, suivant le style nouveau, et 1495 suivant l'ancien style,
Pâques tombant cette année le 1er avril.]
[Note 2: L'auteur, dans la relation de son voyage de 1603, écrit Jacques
Cartier. Il semble que, dans celle-ci, il ait adopté l'orthographe de
Lescarbot; cependant le capitaine malouin signait Cartier, comme en font
foi les registres de Saint-Malo.]
[Note 3: Sir Martin Frobisher, natif de Doncaster, dans le comté d'York.
On peut voir la relation de ses voyages dans Hakluyt, tome III, et la
traduction française dans les _Voyages au Nord._]
[Note 4: Sir Humphrey Gilbert obtint une commission de la reine
d'Angleterre, dès l'année 1578. Mais le premier voyage qu'il entreprit
cette année manqua complètement, tant par la désertion d'un grand nombre
de ses associés, que par suite d'une violente tempête, qui le força de
retourner en Angleterre. En vertu de la même commission, il réalisa
enfin, cinq ans plus tard (1583), un voyage aux côtes de l'Amérique, où
il périt lui et tous ses compagnons.]
[Note 5: Le premier voyage de Davis eut lieu en 1585.]
Tant de navigations & descouvertures vainement entreprises avec
beaucoup de travaux & despences, ont fait resoudre noz François
en ces dernières années, à essayer de faire une demeure
arrestée és terres que nous disons la Nouvelle France, esperans
parvenir plus facilement à la perfection de ceste entreprise,
4/152 la Navigation commençeant en la terre d'outre l'Océan, le long
de laquelle se fait la recherche du passage desiré: Ce qui
avoit meu le Marquis de la Roche en l'an 1598,[6] de prendre
commission du Roy pour habiter ladite terre. A cet effect il
deschargea des hommes & munitions en l'Isle de Sable: mais les
conditions qui luy avoient esté accordées par sa Majesté lui
ayant esté déniées, il fut contraint de quitter son entreprise,
& laisser là ses gens. Un an aprez le Capitaine Chauvin en prit
une autre pour y conduire d'autres hommes: & peu aprez estant
aussi revocquée[7], il ne poursuit pas davantage.
Aprez ceux cy[8], nonobstant toutes ces variations &
incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose
desesperée: & en demanda commission à sa Majesté: recognoissant
que ce qui avoit ruiné les entreprinses précédentes, estait
faute d'avoir assisté les entrepreneurs, qui, en un an, ny
5/153 deux, n'ont peu recognoistre les terres & les peuples qui y
sont: ny trouver des ports propres à une habitation. Il proposa
à sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer
des deniers Royaux, asçavoir, de lui octroyer privativement à
tous autres la traitte de peleterie d'icelle terre. Ce que luy
ayant esté accordé, il se mit en grande & excessive despence: &
mena avec luy bon nombre d'hommes de diverses conditions: & y
fit bastir des logemens necessaires pour ses gens: laquelle
despence il continua trois années consecutives, aprez
lesquelles, par l'envie & importunité de certains marchans
Basques & Bretons, ce qui luy avoit esté octroyé, fut revocqué
par le Conseil, au grand prejudice d'iceluy sieur de Mons:
lequel par telle revocation fut contraint d'abbandonner tout,
avec perte de ses travaux & de tous les utensilles dont il
avoit garny son habitation.
[Note 6: «Lescarbot et Champlain,» dit M. Ferland, en parlant de
l'entreprise du marquis de la Roche (Cours d'Histoire du Canada, I, p.
60), «tenaient leurs renseignements du sieur de Poutrincourt. Nous
préférons suivre Bergeron, qui écrivait vers le même temps, parce que la
vérité de son récit est confirmée par une notice sur le marquis de La
Roche, insérée dans la Biographie Générale des Hommes Illustres de la
Bretagne.» Voici ce que dit Bergeron à ce sujet: «Le Marquis de la Roche
donc étant allé, suivant sa première commission» (1578), «dés le temps
de Henri III, en l'ile de Sable, & voulant découvrir davantage, il fut
rejeté par la violence du vent en moins de douze jours jusqu'en
Bretagne, où il fut retenu prisonnier cinq ans» (ou plus de sept,
suivant M. Pol de Courcy) «par le duc de Mercoeur. Cependant les gens
qu'il avoit laissé en l'île de Sable, ne vécurent tout ce temps-là que
de pèche, & de quelques vaches & autres bêtes provenant de celles que
dés l'an 1518 le baron de Lery y avoit laissées. Enfin le marquis étant
délivré de prison, comme il eut conté au Roy son adventure, le pilote
_Chef-d'hotel_ eut commandement allant aux terres neuves, de recueillir
ces pauvres gens; ce qu'il fit, & n'en trouva que douze de reste, qu'il
ramena en France. Mais le Marquis aiant obtenu sa seconde commission»
(1598) «ne peut continuer ces voyages, prévenu de mort bientôt après.»
(Traité de la Navigation, ch. XX.)]
[Note 7: Suivant l'édition de 1632, le sieur Chauvin fit de suite un
second voyage, «qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire
un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure longtemps sans estre
saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.» (Première partie, ch,
VI.)]
[Note 8: En 1603, après la mort du commandeur de Chastes.]
Mais comme il eut fait raport au Roy de la fertilité de la
terre; & moy du moyen de trouver le passage de la Chine[9],
sans les incommoditez des glaces du Nort, ny les ardeurs de la
Zone torride, soubs laquelle nos mariniers passent deux fois en
allant & deux fois en retournant, avec des travaux & périls
incroyables, sa Majesté commanda [10] au sieur de Mons de faire
nouvel équipage & renvoyer des hommes pour continuer ce qu'il
avoit commencé. Il le fit. Et pour l'incertitude de sa
commission il changea de lieu, afin d'oster aux envieux
6/154 l'ombrage qu'il leur avoit apporté; meu aussi de l'esperance
d'avoir plus d'utilité au dedans des terres où les peuples sont
civilisez, & est plus facile de planter la foy Chrestienne &
establir un ordre comme il est necessaire pour la conservation
d'un païs, que le long des rives de la mer, où habitent
ordinairement les sauvages: & ainsi faire que le Roy en puisse
tirer un proffit inestimable: Car il est aisé à croire que les
peuples de l'Europe rechercheront plustost cette facilité que
non pas les humeurs envieuses & farouches qui suivent les
costes & les barbares.
[Note 9: L'auteur, à cette époque, n'avait encore «sur la fin de la
grande riviere de Canada» que les renseignements qu'il avait pu obtenir
de quelques sauvages.]
[Note 10: Il s'agit ici de la commission de 1608.]
_Description de l'isle de Sable: Du Cap Breton; De la Héve; Du
port au Mouton; Du port du Cap Negre: Du cap & baye de Sable:
De l'isle aux Cormorans: Du cap Fourchu: De l'isle Longue: De
la baye saincte Marie: Du port de saincte Marguerite: & de
toutes les choses remarcables qui sont le long de cette coste._
CHAPITRE II.
Le sieur de Mons, en vertu de sa commission [11], ayant par
tous les ports & havres de ce Royaume fait publier les defences
de la traitte de pelleterie à luy accordée par sa Majesté,
7/155 amassa environ 120 artisans, qu'il fit embarquer [12] en deux
vaisseaux: l'un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandoit
le sieur de Pont-gravé: & l'autre de 150, où il se mit avec
plusieurs gentilshommes.
[Note 11: Cette première commission de M. de Mons est du 8 novembre
1603. Elle est citée par Lescarbot, liv. IV, ch. I.]
[Note 12: Lescarbot donne, sur cet embarquement, quelques détails de
plus: «Le sieur de Monts,» dit-il, liv. IV, ch. II, «fit équipper deux
navires, l'un souz la conduite du Capitaine Timothée du Havre de Grâce,
l'autre du Capitaine Morel de Honfleur. Dans le premier il se mit avec
bon nombre de gens de qualité tant gentils-hommes qu'autres... Et le
sieur de Poutrincourt s'embarqua avec ledit sieur de Monts, & quant &
lui fit porter quantité d'armes & munitions de guerre.»]
Le septiesme d'Avril mil six cens quatre, nous partismes du
Havre de grace, & Pont-gravé le 10, qui avoit le rendes-vous à
Canceau[13] 20 lieues du cap Breton [14]. Mais comme nous
fusmes en pleine mer le sieur de Mons changea d'advis & prit sa
route vers le port au Mouton, à cause qu'il est plus au midy, &
aussi plus commode pour aborder, que non pas Canceau.
[Note 13: Ce mot, que les Anglois écrivent _Canso_, est d'origine
sauvage, suivant Lescarbot.]
[Note 14: Il s'agit ici du cap qui a donné son nom à l'île du
Cap-Breton. «En cette terre,» dit Thévet (Grand Insulaire), «il y a une
province nommée Campestre de Berge, qui tire au Sud-Est: en ceste
province gist à l'est le cap ou promontoire de Lorraine, ainsi par nous
nommé; & autres lui ont donné le nom de _Cap des Bretons_, à cause que
c'est là que les Bretons, Biscains & Normands vont & costoyent allans en
terre-neuve pour pescher des moluës.»]
Le premier de May nous eusmes cognoissance de l'isle de Sable,
où nous courusmes risque d'estre perduz par la faute de nos
pilotes qui s'estoient trompez en l'estime qu'ils firent plus
de l'avant que nous n'estions de 40 lieues.
Ceste isle est esloignée de la terre du cap Breton de 30
lieues, nort & su, & contient environ 15 lieues. Il y a un
petit lac. L'isle est fort sablonneuse & ny a point de bois de
haute futaie, se ne sont que taillis & herbages que pasturent
des boeufz & des vaches que les Portugais y portèrent il y a
plus de 60 ans, qui servirent beaucoup aux gens du Marquis de
la Roche: qui en plusieurs années qu'ils y sejournerent prirent
grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils
conserverent bien soigneusesment les peaux. Il y a force loups
8/156 marins de la peau desquels ils s'abillerent ayans tout discipé
leurs vestemens. Par ordonnance de la Cour de Parlement de
Rouan il y fut envoié un vaisseau pour les requérir: les
conducteurs firent la pèche de mollues en lieu proche de ceste
isle qui est toute batturiere és environs.
Le 8 du mesme mois nous eusmes cognoissance du Cap de la Héve,
à l'est duquel il y a une Baye[15] où sont plusieurs Isles
couvertes de sapins; & à la grande terre de chesnes, ormeaux &
bouleaux. Il est joignant la coste d'Accadie par les 44 degrez
& cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15 minutes de
declinaison de la guide-aimant, distant à l'est nordest du Cap
Breton 85 lieues, dont nous parlerons cy aprez.
[Note 15: Cette baie est formée par l'embouchure de la rivière de La
Hève.]
Le 12 de May nous entrasmes dans un autre port, à 5 lieues du
cap de la Héve, où nous primes un vaisseau qui faisoit traitte
de peleterie contre les defences du Roy. Le chef s'appeloit
Rossignol,[16] dont le nom en demeura au port, qui est par les
44 degrez & un quart de latitude.
[Note 16: Le port Rossignol porte aujourd'hui le nom de Liverpool.]
Le 13 de May nous arrivasmes à un très-beau port, où il y a
deux petites rivieres, appelé le port au Mouton [17], qui est à
sept lieues de celuy du Rossignol. Le terroir est fort
pierreux, rempli de taillis & bruyères. Il y a grand nombre de
lappins, & quantité de gibier à cause des estangs qui y sont.
Aussi tost que nous fusmes desembarquez, chacun commença à
9/157 faire des cabannes selon sa fantaisie, sur une pointe à
l'entrée du port auprès de deux estangs d'eau douce. Le sieur
de Mons en mesme temps depescha une chalouppe, dans laquelle il
envoya avec des lettres un des nostres, guidé d'aucuns
sauvages, le long de la coste d'Accadie, chercher Pont-gravé,
qui avoit une partie des commoditez necessaires pour nostre
hyvernement. Il le trouva à la Baye de Toutes-isles fort en
peine de nous (car il ne sçavoit point qu'on eut changé
d'advis) & luy presenta ses lettres. Incontinent qu'il les eut
leuës, il s'en retourna vers son navire à Canceau, où il saisit
quelques vaisseaux Basques qui faisoyent traitte de pelleterie,
nonobstant les defences de sa Majesté; & en envoya les chefs au
sieur de Mons: Lequel ce pendant me donna la charge d'aller
recognoistre la coste, & les ports propres pour la seureté de
nostre vaisseau.
[Note 17: Lequel ils appelèrent ainsi, dit Lescarbot, «à l'occasion d'un
mouton qui s'étant noyé revint à bord, & fut mangé de bonne guerre.» Il
n'est qu'à trois petites lieues du port du Rossignol.]
156b
[Illustration: Port de la Haie]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu où les vaisseaux mouillent l'ancre.
B Une petite riviere (1) qui asseche de basse mer.
C Les lieux où les sauvages cabannent(2).
D Une basse à l'entrée du port(3).
E Une petite isle couverte de bois.
F Le Cap de la Héve (4).
G Une baye où il y a quantité d'isles couvertes de bois.
H Une riviere qui va dans les terres 6 ou 7, lieues, avec peu d'eau.
I Un estang proche de la mer.
(1) La petite rivière de _Chachippé_, ou simplement La Petite-Rivière.
Quelques auteurs ont étendu ce nom au port lui-même, et, d'après une
lettre du P. Biard, La Hève aurait encore été appelé port
Saint-Jean.--(2) Cette lettre C manque dans la carte; mais le dessin des
cabanes y supplée.--(3) La lettre D manque; mais la basse est
suffisamment reconnaissable.--(4) Cette lettre, dont le graveur a fait
un E, doit être à la pointe de l'île la plus avancée du côté du large,
au moins suivant la tradition; mais, comme l'auteur place le port de la
Hève à l'entrée de la Petite-Rivière, il semble que ce qu'il appelle cap
La Hève est la pointe la plus rapprochée de l'entrée de ce port.
156c
[Illustration: Port du Rossignol]
_Les chifres montrent les brasses d'eau_.
A Riviere qui va 25 lieues dans les terres.
B Le lieu où ancrent les vaisseaux.
C Place à la grande terre où les sauvages font leur logement.
D La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre en attendant la marée.
E L'endroit où les sauvages cabannent dans l'isle.
F Achenal qui asseche de basse mer.
G La coste de la grande terre.
Ce qui est piquoté démontre les basses.
Desirant accomplir sa volonté je partis du port au Mouton le 19
de May, dans une barque de huict tonneaux, accompaigné du sieur
Raleau son Secrétaire, & de dix hommes. Allant le long de la
coste nous abordâmes à un port très-bon pour les vaisseaux, où
il y a au fonds une petite riviere qui entre assez avant dans
les terres, que j'ay appelé le port du cap Negre, à cause d'un
rocher qui de loing en a la semblance, lequel est eslevé sur
l'eau proche d'un cap où nous passames le mesme jour, qui en
est à quatre lieues, & à dix du port au Mouton. Ce cap est fort
dangereux à raison des rochers qui jettent à la mer. Les costes
que je vis jusques là sont fort basses couvertes de pareil bois
qu'au cap de la Héve, & les isles toutes remplies de gibier.
10/158 Tirant plus outre nous fusmes passer la nuict à la Baye de
Sable [18], où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre sans
aucune crainte de danger.
Le lendemain nous allâmes au cap de Sable, qui est aussi fort
dangereux, pour certains rochers & batteures qui jettent
presque une lieue à la mer. Il est à deux lieues de la baye de
Sable, où nous passames la nuict précédente. De là nous fusmes
en l'isle aux Cormorans [19], qui en est à une lieue, ainsi
appelée à cause du nombre infini qu'il y a de ces oyseaux, où
nous primes plein une barrique de leurs oeufs. Et de ceste isle
nous fismes l'ouest environ six lieues travarsant une baye [20]
qui fuit au Nort deux ou trois lieues: puis rencontrasmes
plusieurs isles[21] qui jettent 2 ou trois lieues à la mer,
lesquelles peuvent contenir les unes deux, les autres trois
lieues, & d'autres moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont
la pluspart fort dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à
cause des grandes marées, & des rochers qui sont à fleur d'eau.
Ces isles sont remplies de pins, sapins, boulleaux & de
trembles, un peu plus outre, il y en a encore quatre. En l'une
nous vismes si grande quantité d'oiseaux appelez tangueux[22],
que nous les tuyons aisement à coups de baston. En une autre
nous trouvâmes le rivage tout couvert de loups marins, desquels
nous primes autant que bon nous sembla. Aux deux autres il y a
11/159 une telle abondance d'oiseaux de différentes especes, qu'on ne
pourroit se l'imaginer si l'on ne l'avoit veu, comme Cormorans,
Canards de trois sortes, Oyees, Marmettes Outardes, Perroquets
de mer, Beccacines, Vaultours, & autres Oyseaux de proye:
Mauves, Allouettes de mer de deux ou trois especes; Hérons,
Goillans, Courlieux, Pyes de mer, Plongeons, Huats[23],
Appoils[24], Corbeaux, Grues, & autres sortes que je ne cognois
point, lesquels y font leurs nyds. Nous les avons nommées,
isles aux loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez
& demy de latitude, distantes de la terre ferme ou Cap de Sable
de quatre à cinq lieues. Après y avoir passé quelque temps au
plaisir de la chasse (& non pas sans prendre force gibier) nous
abordâmes à un cap qu'avons nommé le port Fourchu [25];
d'autant que sa figure est ainsi, distant des isles aux loups
marins cinq à six lieues. Ce port est fort bon pour les
vaisseaux en son entrée: mais au fonds il asseche presque tout
de basse mer, fors le cours d'une petite riviere, toute
environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez aggreable. La
pesche de morues y est bonne auprès du port. Partant de là nous
fismes le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port pour
les vaisseaux, sinon quantité d'ances ou playes tresbelles,
dont les terres semblent estre propres pour cultiver. Les bois
y sont tres-beaux, mais il y a bien peu de pins & de sappins.
Ceste coste est fort seine, sans isles, rochers ne basses: de
12/160 sorte que selon nostre jugement les vaisseaux y peuvent aller
en asseurance. Estans esloignez un quart de lieue de la coste,
nous fusmes à une isle, qui s'appelle l'isle Longue, qui git
nort nordest, & sur surouest, laquelle faict passage pour aller
dedans la grande baye Françoise [26], ainsi nommée par le sieur
de Mons.
[Note 18: Aujourd'hui baie de Barrington.]
[Note 19: Probablement celle qui porte aujourd'hui le nom de Shag
Island.]
[Note 20: Cette baie est appelée un peu plus loin la baie Courante, et
ce que l'auteur dit ici, en parlant des îles de Tousquet, nous donne la
raison qui a fait donner ce nom à la baie: c'est qu'elle est «dangereuse
aux grands vaisseaux à cause des grandes marées,» et de la violence des
courants. Elle porte aujourd'hui le nom de baie de Townsend.]
[Note 21: Les îles de Tousquet.]
[Note 22: De là le nom d'_île aux Tangueux_ que lui donne l'auteur dans
la carte de 1632.]
[Note 23: Pour Huars, Huards.]
[Note 24: Suivant Vieillot, Apoa est une espèce de canard.]
[Note 25: Le cap Fourchu.]
[Note 26: Aujourd'hui la baie de Fundy. Cette baie paraît avoir porté le
nom de Norembègue, comme nous verrons plus loin, p. 31 note 4. «On ne
peut deviner,» dit M. Ferland (Cours d'Histoire, I, p. 65, note 2)
«pourquoi les Anglais l'ont nommée baie de Fundy. Auraient-ils traduit
par _Bay of Fundy_ les mots que portent d''anciennes cartes: _Fond de la
Baie?_»]
Ceste isle est de six lieues de long: & a en quelques endroicts
prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement.
Elle est remplie de quantité de bois, comme pins & boulleaux.
Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux: & n'y a
point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle
quelques petites retraites pour des chalouppes, & trois ou
quatre islets de rochers, où les sauvages prennent force loups
marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit
passage de l'isle, qui est tort dangereux pour les vaisseaux
s'ils vouloyent se mettre au hasard de le passer.
Du passage de l'isle Longue fismes le nordest deux lieues, puis
trouvâmes une ance où les vaisseaux peuvent ancrer en seureté,
laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds
n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de
rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent
tresbonne, selon le raport du mineur maistre Simon, qui estoit
avec moy. A quelques lieues plus outre est aussi une petite
riviere, nommée du Boulay, où la mer monte demy lieue dans les
13/161 terres à l'entrée de laquelle il y peut librement surgir des
navires du port de cent tonneaux. A un quart de lieue d'icelle,
il y a un port bon pour les vaisseaux où nous trouvâmes une
mine de fer que nostre mineur jugea rendre cinquante pour
cent[27]. Tirant trois lieux plus outre au nordest, nous vismes
une autre mine de fer assez bonne, proche de laquelle il y a
une riviere environnée de belles & aggreables prairies. Le
terroir d'allentour est rouge comme sang. Quelques lieues plus
avant il y a encore une autre riviere qui asseche de basse mer,
horsmis son cours qui est fort petit, qui va proche du port
Royal. Au fonds de ceste baye y a un achenal qui asseche aussi
de basse mer, autour duquel y a nombre de prez & de bonnes
terres pour cultiver, toutesfois remplies de quantité de beaux
arbres de toutes les sortes que j'ay dit cy dessus. Cette baye
peut avoir depuis l'isle Longue jusques au fonds quelque six
lieues. Toute la coste des mines est terre assez haute,
decouppée par caps, qui paroissent ronds, advançans un peu à la
mer. De l'autre costé de la baye au suest, les terres sont
basses & bonnes, où il y a un fort bon port, & en son entrée un
banc par où il faut passer, qui a de basse mer brasse & demye
d'eau, & l'ayant passé on en trouve trois & bon fonds. Entre
les deux pointes du port il y a un islet de caillons qui couvre
de plaine mer. Ce lieu va demye lieue dans les terres. La mer y
baisse de trois brasses, & y a force coquillages, comme moulles
coques & bregaux. Le terroir est des meilleurs que j'aye veu.
14/162 J'ay nommé ce port, le port saincte Marguerite [28]. Toute
ceste coste du suest est terre beaucoups plus basse que celle
des mines qui ne sont qu'à une lieue & demye de la coste du
port de saincte Marguerite, de la largeur de la baye, laquelle
a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce lieu, &
la trouvé par les 45 degrez & demy, & un peu plus de
latitude[29], & 17 degrez 16 minuttes de declinaison de la
guide-aymant.
[Note 27: «Il y a de la mine de fer & d'argent,» dit Lescarbot; «mais
elle n'est point abondante, selon l'épreuve qu'on en a fait par delà &
en France.» (Liv. IV, ch. III.)]
[Note 28: Dans sa carte de 1632, l'auteur indique le port de
Sainte-Marguerite à peu près en face du Petit-Passage de l'île Longue.
Il lui donna ce nom parce qu'il y entra probablement le 10 de juin, jour
de la fête de sainte Marguerite.]
[Note 29: Le fond de la baie Sainte-Marie n'est guère au-delà de 44° et
demi, même suivant la grande carte de l'auteur.]
Après avoir recogneu le plus particulierement qu'il me fut
possible les costes ports & havres, je m'en retourné au passage
de l'isle Longue sans passer plus outre, d'où je revins par le
dehors de toutes les isles, pour remarquer s'il y avoit point
quelques dangers vers l'eau: mais nous n'en trouvâmes point,
sinon aucuns rochers qui sont à prés de demye lieue des isles
aux loups marins, que l'on peut esviter facilement: d'autant
que la mer brise par dessus. Continuant nostre voyage, nous
fusmes surpris d'un grand coup de vent qui nous contraignit
d'eschouer nostre barque à la coste, où nous courusmes risque
de la perdre: ce qui nous eut mis en une extresme peine. La
tourmente estant cessée nous nous remismes en la mer: & le
lendemain [30] nous arrivasmes au port du Mouton, où le sieur
15/163 de Mons nous attendoit de jour en jour ne sachant que penser de
nostre sejour, sinon qu'il nous fust arrivé quelque fortune. Je
lui fis relation de tout nostre voyage & où nos vaisseaux
pouvoyent aller en seureté. Cependant je consideré fort
particulièrement ce lieu, lequel est par les 44 degrez de
latitude.
[Note 30: C'était vers la mi-juin. «En ce port,» dit Lescarbot, «ilz
attendirent un mois.» Or on était arrivé au port au Mouton le 13 de mai.
«Tandis,» ajoute-t-il, «on envoya Champlein avec une chaloupe plus avant
chercher un lieu propre pour la retraite, & tant demeura en cette
expédition, que sur la délibération du retour, on le pensa abandonner.»
(Liv. IV, ch. II.)]
162b
[Illustration: Port au mouton.]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Les lieux où posent les vaisseaux.
B Le lieu où nous fismes nos logemens.
C Un estang.
D Une isle à l'entrée du port, couverte de bois.
E Une rivière qui est assez basse d'eau.
F Un estang(l).
G Ruisseau assez grand qui vient de l'estang f.
H 6 Petites isles qui sont dans le port.
L Campagne où il n'y a que des taillis & bruyères fort petites(2).
M La coste du costé de la mer.
(1) Dans la carte la lettre F est remplacée par f.--(2) La lettre L
manque dans la carte; mais le dessin y supplée, l'auteur y ayant
représenté des roseaux.
Le lendemain le sieur de Mons fit lever les ancres pour aller à
la baye saincte Marie, lieu qu'avions recogneu propre pour
nostre vaisseau, attendant que nous en eussions trouvé un autre
plus commode pour nostre demeure. Rengeant la coste nous
passames proche du cap de Sable & des isles aux loups marins,
où le sieur de Mons se délibéra d'aller dans une chalouppe voir
quelques isles dont nous luy avions faict récit, & du nombre
infini d'oiseaux qu'il y avoit. Il s'y mit donc accompagné du
sieur de Poitrincourt & de plusieurs autres gentilshommes en
intention d'aller en l'isle aux Tangueux, où nous avions
auparavant tué quantité de ces oyseaux à coups de baston.
Estant un peu loing de nostre navire il fut hors de nostre
puissance de la gaigner, & encore moins nostre vaisseau: car la
marée estoit si forte que nous fusmes contrains de relascher en
un petit islet, pour y passer celle nuict, auquel y avoit grand
nombre de Gibier. J'y tué quelques oyseaux de riviere, qui nous
servirent bien: d'autant que nous n'avions pris qu'un peu de
biscuit, croyans retourner ce mesme jour. Le lendemain nous
fusmes au cap Fourchu, distant de là, demye lieue. Rengeant la
coste nous fusmes trouver nostre vaisseau qui estoit en la baye
saincte Marie. Nos gens furent fort en peine de nous l'espace
de deux jours, craignant qu'il nous fust arrivé quelque
16/164 malheur: mais quand ils nous virent en lieu de seureté, cela
leur donna beaucoup de resjouissance.
Deux ou trois jours [31] après nostre arrivée, un de nos
prestres, appelle mesire Aubry [32], de la ville de Paris,
s'esgara si bien dans un bois en allant chercher son espée
laquelle il y avoit oublyée, qu'il ne peut retrouver le
vaisseau: & fut 17 jours [33] ainsi sans aucune chose pour se
substanter que quelques herbes seures & aigrettes comme de
l'oseille, & des petits fruits de peu de substance, gros comme
groiselles, qui viennent rempant sur la terre. Estant au bout
de son rollet, sans esperance de nous revoir jamais, foible &
débile, il se trouva du costé de la baye Françoise, ainsi
nommée par le sieur de Mons, proche de l'isle Longue, où il
n'en pouvoit plus, quand l'une de nos chalouppes allant à la
pesche du poisson [34], l'advisa, qui ne pouvant appeller leur
faisoit signe avec une gaule au bout de laquelle il avoit mis
son chappeau, qu'on l'allast requérir: ce qu'ils firent aussi
tost & l'ammenerent. Le sieur de Mons l'avoit faict chercher,
tant par les siens que des sauvages du païs, qui coururent tout
17/165 le bois & n'en apportèrent aucunes nouvelles. Le tenant pour
mort, on le voit revenir dans la chalouppe au grand
contentement d'un chacun: Et fut un long temps à se remettre en
son premier estat.
[Note 31: Lescarbot dit:«Après avoir sejourné douze ou treze jours.»
Mais, si Messire Nicolas Aubry se perdit pendant qu'on était à la baie
Sainte-Marie, et que M. de Monts le fit chercher lui-même, comme le dit
l'auteur quelques lignes plus loin, ce ne pouvait être que deux ou trois
jours après l'arrivée en cette baie; puisque M. de Monts en partit le l6
de juin, avec la barque (voir ci-après, p. 17), et qu'on ne dut pas y
arriver avant le 12 ou le 13, suivant Lescarbot lui-même.]
[Note 32: Nicolas Aubry, «jeune homme d'Église, parisien de bonne
famille,» à qui il avait pris envie de faire le voyage avec le sieur de
Mons, «& ce, dit-on, contre le gré de ses parents, lesquels envoyèrent
exprés à Honfleur pour le divertir & r'amener à Paris.» (Lescarbot, liv.
IV, ch. II, et IV.)]
[Note 33: Seize jours, suivant Lescarbot, liv. IV, ch. III.]
[Note 34: Suivant Lescarbot, «comme on étoit après déserter l'ile» (de
Sainte-Croix), «Champdoré fut renvoyé à la baie Sainte-Marie avec un
maître de mines qu'on y avoit mené pour tirer de la mine d'argent & de
fer: ce qu'ilz firent... là où après quelque sejour, allans pécher,
ledit Aubri les apperceut...» (Liv. IV, ch. IV.)]
_Description du Port Royal & des particularités, d'iceluy. De
l'isle Haute. Du port aux mines. De la grande baye Françoise.
De la riviere S. Jean, & ce que nous avons remarqué depuis le
port aux mines jusques à icelle. De l'isle appelée par les
sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins & de plusieurs
belles isles qui y sont. De l'isle de S. Croix: & autres choses
remarquables d'icelle coste._
CHAPITRE III.
A Quelques jours de là le sieur de Mons se délibéra d'aller
descouvrir les costes de la baye Françoise: & pour cet effect
partit du vaisseau le 16 de May [35] & passâmes par le destroit
de l'isle Longue. N'ayant trouvé en la baye S. Marie aucun lieu
pour nous fortiffier qu'avec beaucoup de temps, cela nous fit
resoudre de voir si à l'autre il n'y en auroit point de plus
propre. Mettant le cap au nordest 6 lieux, il y a une ance où
les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à 4, 5, 6, & 7 brasses
d'eau. Le fonds est Sable. Ce lieu n'est que comme une rade.
Continuant au mesme vent deux lieux, nous entrasmes en l'un des
beaux ports que j'eusse veu en toutes ces costes, où il
18/166 pourroit deux mille vaisseaux en seureté. L'entrée est large de
huict cens pas: puis on entre dedans un port qui a deux lieux
de long & une lieue de large, que j'ay nommé [36] port Royal,
où dessendent trois rivieres, dont il y en a une assez grande,
tirant à l'est, appellée la riviere de l'Equille, qui est un
petit poisson de la grandeur d'un Esplan, qui s'y pesche en
quantité, comme aussi on fait du Harang, & plusieurs autres
sortes de poisson qui y sont en abondance en leurs saisons.
Ceste riviere a prés d'un quart de lieue de large en son
entrée, où il y a une isle[37], laquelle peut contenir demye
lieue de circuit, remplie de bois ainsi que tout le reste du
terroir, comme pins, sapins, pruches, boulleaux, trambles, &
quelques chesnes qui sont parmy les autres bois en petit
nombre. Il y a deux entrées en ladite riviere l'une du costé du
nort[38]: l'autre au su de l'isle [39]. Celle du nort est la
meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry
de l'isle à 5, 6, 7, 8 & 9 brasses d'eau; mais il faut se
donner garde de quelques basses qui sont tenant à l'isle, & à
la grand terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.
[Note 35: On devait être au mois de juin, comme le prouve du reste le
nom de Saint-Jean donné à la rivière Ouigoudi. (Voir plus loin, p. 23.)]
[Note 36: «Ledit port pour sa beauté,» dit Lescarbot, «fut appelé LE
PORT ROYAL, non par le choix de Champlein, comme il se vante en la
relation de ses voyages, mais par le sieur de Monts, Lieutenant du Roy.»
(Liv. IV, ch. III.)--N'en déplaise à Lescarbot, le témoignage de
Champlain, qui était du voyage, vaut, pour le moins, autant que le sien.
Il y a plus: Champlain, dans son édition de 1632, a conservé ce passage
tel qu'il était, malgré la remarque de Lescarbot. Du reste, notre auteur
ne manque jamais de rendre justice aux autres en pareille matière: c'est
ainsi, par exemple, qu'il fait remarquer à plusieurs reprises que la
baie Française a reçu son nom de M. de Monts. (Voir ci-dessus, pp. 12 et
16.)]
[Note 37: Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de
Biencourville. Elle a été appelée plus tard l'île aux Chèvres.]
[Note 38: La Bonne-Passe.]
[Note 39: La Passe-aux-Fous.]
167b
[Illustration: Port-Royal]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu de l'habitation.
B Jardin du sieur de Champlain.
C Allée au travers les bois que fit faire le sieur de Poitrincourt.
D Isle à l'entrée de la riviere de l'Equille (1).
E Entrée du port Royal.
F Basses qui assechent de basse mer.
G Riviere sainct Antoine (2).
H Lieu du labourage où on seme le blé.
I Moulin que fit faire le sieur de Poitrincourt.
L Prairies qui sont innondées des eaux aux grandes marées.
M Riviere de l'Equille.
N La coste de la mer du port Royal.
O Costes de montaignes.
P Isle proche de la riviere sainct Antoine.
Q (3) Ruisseau de la Roche (4).
R Autre Ruisseau.
S Riviere du moulin.
T Petit lac.
V Le lieu où les sauvages peschent le harang en la saison.
X Ruisseau de la truitiere.
Y Allée que fit faire le sieur de Champlain.
(1) Dans la carte de Lescarbot, cette île porte le nom de
Biencourville.--(2) Lescarbot l'appelle rivière Hébert.--(3) _q_, dans
la carte.--(4) Ou rivière de l'Orignac, d'après la carte de Lescarbot.
19/167
Nous fusmes quelques 14 ou 15 lieux où la mer monte, & ne va
pas beaucoup plus avant dedans les terres pour porter basteaux:
En ce lieu elle contient 60 pas de large, & environ brasse &
demye d'eau. Le terroir de ceste riviere est remply de force
chesnes, fresnes & autres bois. De l'entrée de la riviere
jusques au lieu où nous fusmes y a nombre de preries, mais
elles sont innondées aux grandes marées, y ayant quantité de
petits ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où
des chalouppes & batteaux peuvent aller de pleine mer. Ce lieu
estoit le plus propre & plaisant pour habiter que nous eussions
veu. Dedans le port y a une autre isle[40], distante de la
première prés de deux lieues, où il y a une autre petite
riviere [41] qui va assez avant dans les terres, que nous avons
nommée la riviere sainct Antoine. Son entrée est distante du
fonds de la baye saincte Marie de quelque quatre lieux, par le
travers des bois. Pour ce qui est de l'autre riviere ce n'est
qu'un ruisseau remply de rochers, où on ne peut monter en
aucune façon que ce soit pour le peu d'eau: & a esté nommée, le
ruisseau de la roche. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez
de latitude [42] & 17 degrez 8 minuttes de declinaison de la
guide-ayment.
[Note 40: Ile d'Hébert. Le sieur Bellin l'appelle île d'Imbert, et les
Anglais en ont fait _Bear_ Island.]
[Note 41: Cette rivière, appelée ici Saint-Antoine, a pris le nom
d'Hébert dès le temps même de l'auteur, comme l'attestent les cartes de
Lescarbot. Mais ce dernier nom a eu le même sort que celui de l'île qui
est à son embouchure, et les Anglais l'appellent aujourd'hui _Bear_
River.]
[Note 42: Cette première habitation, qui était au nord du port Royal, à
peu près en face du Port-Royal établi plus tard par M. d'Aulnay de
Charnisé, était à 44° et trois quarts de latitude. Comme on le voit,
c'est ce dernier Port-Royal qui a pris le nom d'Annapolis, et non pas le
premier.]
Après avoir recogneu ce port, nous en partismes pour aller plus
20/168 avant dans la baye Françoise, & voir si nous ne trouverions
point la mine de cuivre qui avoit esté descouverte l'année
précédente [43]. Mettant le cap au nordest huict ou dix lieux
rengeant la coste du port Royal, nous traversames une partie de
la baye comme de quelque cinq ou six lieues; jusques à un lieu
qu'avons nommé le cap des deux bayes [44]: & passames par une
isle[45] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de
circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut: toute entourée de
gros rochers, hors-mis en un endroit qui est en talus, au pied
duquel y a un estang d'eau sallée, qui vient par dessoubs une
poincte de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de
l'isle est plat, couvert d'arbres avec une fort belle source
d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là nous fusmes à
un port [46] qui en est à une lieue & demye, où jugeâmes
qu'estoit la mine de cuivre qu'un nommé Prevert de sainct Maslo
avoit descouverte par le moyen des sauvages du païs. Ce port
est soubs les 45 degrez deux tiers de latitude, lequel asseche
de basse mer. Pour entrer dedans il faut ballizer &
recognoistre une batture de Sable qui est à l'entrée, laquelle
va rengeant un canal suivant l'autre costé de terre ferme: puis
on entre dans une baye qui contient prés d'une lieue de long, &
demye de large. En quelques endroits le fonds est vaseux &
sablonneux, & les vaisseaux y peuvent eschouer.
[Note 43: Voir la relation de 1603, chapitres X et XII.]
[Note 44: Ce cap s'appelait encore ainsi à l'époque où le sieur Denis
publia sa Description des Côtes de l'Amérique, en 1672. Aujourd'hui il
est connu sous le nom de cap Chignectou.]
[Note 45: L'île Haute.]
[Note 46: Ce havre, que l'auteur appelle plus loin le port aux Mines,
porte aujourd'hui le nom de Havre à l'Avocat. Il est à 45° 25' de
latitude.]
168b
[Illustration: Port des Mines]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu où les vaisseaux peuvent eschouer.
B Une petite rivière.
C Une langue de terre qui est de Sable.
D Une pointe de gros cailloux qui est comme une moule.
E Le lieu où est la mine de cuivre qui couvre de mer deux fois le jour.
F Une isle qui est derrière le cap des mines.
G La rade où les vaisseaux posent l'ancre attendant la marée.
I Lachenal.
H L'isle haute qui est à une lieue & demye du Port aux mines.
L Le Petit Ruisseau.
M Costeau de montaignes le long de la coste du cap aux mines.
21/169 La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Nous y mismes pied à
terre pour voir si nous verrions les mines que Preverd nous
avoit dit. Et ayant faict environ un quart de lieue le long de
certaines montagnes, nous ne trouvasmes aucune d'icelles, ny ne
recognusmes nulle apparence de la description du port selon
qu'il nous l'avoit figuré: Aussi n'y avoit il pas esté: mais
bien deux ou trois des siens guidés de quelques sauvages,
partie par terre & partie par de petites rivieres, qu'il
attendit dans sa chalouppe en la baie sainct Laurens[47], à
l'entrée d'une petite riviere: lesquels à leur retour luy
apportèrent plusieurs petits morceaux de cuivre, qu'il nous
monstra au retour de son voyage. Toutesfois nous trouvasmes en
ce port deux mines de cuivre non en nature, mais par apparence,
selon le rapport du mineur qui les jugea estre tresbonnes.
[Note 47: La plupart des géographes anciens faisaient une distinction
entre _baie Saint-Laurent_ et _golfe Saint-Laurent_. La _baie
Saint-Laurent_ comprenait toute la partie méridionale du golfe, depuis
le cap des Rosiers jusqu'au port de Canseau, avec les îles du
Prince-Edouard, du Cap-Breton, de La Madeleine et autres. (Voir Denis,
vol. I, chapitres VII et VIII.)]
Le fonds de la baye Françoise que nous traversames entre quinze
lieux dans les terres. Tout le païs que nous avons veu depuis
le petit partage de l'isle Longue rangeant la coste, ne sont
que rochers, où il n'y a aucun endroit où les vaisseaux se
puissent mettre en seureté, sinon le port Royal. Le païs est
remply de quantité de pins & boulleaux, & à mon advis n'est pas
trop bon.
Le 20 de May[48] nous partismes du port aux mines pour chercher
un lieu propre à faire une demeure arrestée afin de ne perdre
22/170 point de temps: pour puis après y revenir veoir si nous
pourrions descouvrir la mine de cuivre franc que les gens de
Preverd avoient trouvée par le moyen des sauvages. Nous fismes
l'ouest deux lieux jusques au cap des deux bayes: puis le nort
cinq ou six lieux: & traversames l'autre baye[49], où nous
jugions estre ceste mine de cuivre, dont nous avons desja
parlé: d'autant qu'il y a deux rivieres: l'une venant de devers
le cap Breton: & l'autre du costé de Gaspé ou de Tregatté,
proche de la grande riviere de sainct Laurens. Faisant l'ouest
quelques six lieues nous fusmes à une petite riviere, à
l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui advance à la
mer: & un peu dans les terres une montaigne qui a la forme d'un
chappeau de Cardinal. En ce lieu nous trouvasmes une mine de
fer. Il n'y a ancrage que pour des chalouppes. A quatre lieux à
l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui avance un peu
vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort
dangereuses. Proche de la pointe nous vismes une ance qui a
environ demye lieue de circuit, en laquelle trouvasmes une
autre mine de fer, qui est aussi tresbonne. A quatre lieux
encore plus de l'advant y a une belle baye qui entre dans les
terres, où au fonds y a trois isles & un rocher: dont deux sont
à une lieue du cap tirant à l'ouest: & l'autre est à
l'emboucheure d'une riviere des plus grandes & profondes
qu'eussions encore veues, que nommasmes la riviere S. Jean:
pource que ce fut ce jour là que nous y arrivasmes: & des
23/171 sauvages elle est appelée Ouygoudy. Ceste riviere est
dangereuse si on ne recognoist bien certaines pointes & rochers
qui sont des deux costez. Elle est estroicte en son entrée,
puis vient à s'eslargir: & ayant doublé une pointe elle
estrecit de rechef, & fait comme un saut entre deux grands
rochers, où l'eau y court d'une si grande vitesse, que y
jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit on plus. Mais
attendant le pleine mer, l'on peut passer fort aisement ce
destroict: & lors elle s'eslargit comme d'une lieue par aucuns
endroicts, où il y a trois isles. Nous ne la recogneusmes pas
plus avant: Toutesfois Ralleau Secrétaire du sieur de Mons y
fut quelque temps après trouver un sauvage appellé Secondon[50]
chef de ladicte riviere, lequel nous raporta qu'elle estoit
belle, grande & spacieuse: y ayant quantité de preries & beaux
bois, comme chesnes, hestres, noyers & lambruches de vignes
sauvages. Les habitans du pays vont par icelle riviere jusques
à Tadoussac, qui est dans la grande riviere de sainct Laurens:
& ne passent que peu de terre pour y parvenir. De la riviere
sainct Jean jusques à Tadoussac y a 65 lieues [51]. A l'entrée
d'icelle, qui est par la hauteur de 45 degrez deux tiers [52],
y a une mine de fer.
[Note 48: Juin.]
[Note 49: Beau-Bassin, aujourd'hui la baie de Chignectou ou Chiganectou.
D'après Laët, elle s'est appelée aussi baie de Germes.]
[Note 50: Lescarbot l'appelle Chkoudun.]
[Note 51: Si l'auteur veut indiquer la distance qu'il peut y avoir
depuis l'endroit où l'on quitte la rivière Saint-Jean, jusqu'à
Tadoussac, ce chiffre est beaucoup trop fort. Si, au contraire, il parle
de la distance qu'il y a de l'embouchure de cette rivière jusqu'au même
lieu, le chiffre est trop faible; car, de l'embouchure de la rivière
Saint-Jean à Tadoussac, il y a, en ligne droite, à peu près cent
lieues.]
[Note 52: L'embouchure de la rivière Saint-Jean est par les 45° et un
tiers.]
171b
[Illustration: R. St. Jean]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Trois isles qui sont par delà le saut.
B Montaignes qui paraissent par dessus les terres deux lieues au su de
la riviere.
C Le saut de la riviere.
D Basses quand la mer est perdue, où vaisseaux peuvent eschouer.
E Cabanne où se fortifient les sauvages.
F (1) Une pointe de cailloux, où y a une croix.
G Une isle qui est à l'entrée de la riviere.
H Petit ruisseau qui vient d'un petit estang.
I Bras de mer qui asseche de basse mer.
L Deux petits islets de rocher.
M Un petit estang.
N Deux Ruisseaux.
O Basses fort dangereuses le long de la coste qui assechent de basse
mer.
P Chemin par où les sauvages portent leurs canaux quand ils veulent
passer le sault.
Q Le lieu où peuvent mouiller l'ancre où la riviere a grand cours.
(1) De cette lettre le graveur a fait un P.
De la riviere sainct Jean nous fusmes à quatre isles, en l'une
desquelles nous mismes pied à terre, & y trouvasmes grande
24/172 quantité d'oiseaux appellez Margos, dont nous prismes force
petits, qui sont aussi bons que pigeonneaux. Le sieur de
Poitrincourt s'y pensa esgarer: Mais en fin il revint à nostre
barque comme nous l'allions cerchant autour de isle, qui est
esloignée de la terre ferme trois lieues. Plus à l'ouest y a
d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui
s'appelle des sauvages Manthane[53], au su de laquelle il y a
entre les isles plusieurs ports bons pour les vaisseaux. Des
isles aux Margos nous fusmes à une riviere en la grande terre,
qui s'appelle la riviere des Estechemins[54], nation de
sauvages ainsi nommée en leur païs: & passames par si grande
quantité d'isles, que n'en avons peu sçavoir le nombre, assez
belles; contenant les unes deux lieues les autres trois, les
autres plus ou moins. Toutes ces isles sont en un cu de sac
[55], qui contient à mon jugement plus de quinze lieux de
circuit: y ayant plusieurs endrois bons pour y mettre tel
nombre de vaisseaux que l'on voudra, lesquels en leur saison
sont abondans en poisson, comme mollues, saulmons, bars,
harangs, flaitans, & autres poissons en grand nombre. Faisant
l'ouest norouest trois lieux par les isles, nous entrasmes dans
une riviere qui a presque demye lieue de large en son entrée,
où ayans faict une lieue ou deux, nous y trouvasmes deux isles:
l'une fort petite proche de la terre de l'ouest: & l'autre au
milieu, qui peut avoir huict ou neuf cens pas de circuit,
eslevée de tous costez de trois à quatre toises de rochers,
25/173 fors un petit endroict d'une poincte de Sable & terre grasse,
laquelle peut servir à faire briques, & autres choses
necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour mettre des
vaisseaux de quatre vingt à cent tonneaux: mais il asseche de
basse mer. L'isle est remplie de sapins, boulleaux, esrables &
chesnes. De soy elle est en fort bonne situation, & n'y a qu'un
costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé à
fortifier, les costes de la terre ferme en estans des deux
costez esloignées de quelques neuf cens à mille pas. Il y a des
vaisseaux qui ne pourroyent passer sur la riviere qu'à la mercy
du canon d'icelle Qui est le lieu que nous jugeâmes le
meilleur: tant pour la situation, bon pays, que pour la
communication que nous prétendions avec les sauvages de ces
costes & du dedans des terres, estans au millieu d'eux:
Lesquels avec le temps on esperoit pacifier, & amortir les
guerres qu'ils ont les uns contre les autres, pour en tirer à
l'advenir du service: & les réduire à la foy Chrestienne. Ce
lieu est nommé par le sieur de Mons l'isle saincte Croix[56].
Passant plus outre on voit une grande baye en laquelle y a deux
isles: l'une haute & l'autre platte: & trois rivieres, deux
médiocres, dont l'une tire vers l'Orient & l'autre au nord: &
la troisiesme grande, qui va vers l'Occident.
[Note 53: _Menane_. L'auteur corrige la faute lui-même un peu plus loin,
p. 46, de même que dans l'édition de 1632.]
[Note 54: La rivière _Scoudic_, ou de Sainte-Croix.]
[Note 55: La baie de Passamaquoddi.]
[Note 56: «Et d'autant qu'à deux lieues au dessus il y a des ruisseaux
qui viennent comme en croix se décharger dans ce large bras de mer,
cette ile de la retraite des François fut appellée SAINTE CROIX.»
(Lescarbot, liv. IV, ch. IV.) «L'île de Sainte-Croix, ou l'île Neutre
(Neutral Island), dit Williamson, est située dans la rivière (Scoudic,
ou Sainte-Croix) en face de la ligne de division entre Calais et
Robbinstown, où elle fait angle avec le bord de l'eau. Elle contient
douze ou quinze acres, et est droit au milieu de la rivière Scoudic,
quoique le passage des vaisseaux soit d'ordinaire du côté de l'est...
C'est ici que De Monts, en 1604, érigea un fort, et passa l'hiver; c'est
ici que les Commissaires nommés en vertu du traité de 1783, trouvèrent,
en 1798, les restes d'une fortification très-ancienne, et décidèrent
ensuite que cette rivière était vraiment celle de Sainte-Croix.»
(_History of Maine, Introduction._)]
26/174 C'est celle des Etechemins, dequoy nous avons parlé cy dessus.
Allans dedans icelle deux lieux il y a un sault d'eau, où les
sauvages portent leurs cannaux par terre quelque 500 pas, puis
rentrent dedans icelle, d'où en après en traversant un peu de
terre on va dans la riviere de Norembegue[57] & de sainct Jean,
en ce lieu du sault que les vaisseaux ne peuvent passer à cause
que ce ne sont que rochers, & qu'il n'y a que quatre à cinq
pieds d'eau. En May & Juin il s'y prend si grande abondance de
harangs & bars que l'on y en pourroit charger des vaisseaux. Le
terroir est des plus beaux, & y a quinze ou vingt arpens de
terre deffrichée, où le sieur de Mons fit semer du froment, qui
y vint fort beau. Les sauvages s'y retirent quelquesfois cinq
ou six sepmaines durant la pesche. Tout le reste du païs sont
forests fort espoisses. Si les terres estoient deffrichées les
grains y viendroient fort bien. Ce lieu est par la hauteur de
45 degrez un tiers de latitude, & 17 degrez 32 minuttes de
declinaison de la guide-ayment.
[Note 57: La rivière de Pénobscot.]
_Le sieur de Mons ne trouvant point de lieu plus propre pour
faire une demeure arrestée que l'isle de S. Croix, la fortifie
& y faict des logements. Retour des vaisseaux en France & de
Ralleau Secrétaire d'iceluy sieur de Mons, pour mettre ordre à
quelques affaires._
174b
[Illustration: Isle de saincte Croix.]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le plan de l'habitation.
B Jardinages.
C Petit islet servant de platte forme à mettre le canon.
D Platte forme où on mettoit du canon.
E Le cimetière.
F La chappelle.
G Basses de rochers autour de l'isle saincte Croix.
H Un petit islet.
I Le lieu où le sieur de Mons avoit fait commencer un moulin à eau.
L Place où l'on faisoit le charbon.
M Jardinages à la grande terre de l'Ouest.
N Autres jardinages à la grande terre de l'Est.
O Grande montaigne fort haute dans la terre.
P Riviere des Etechemins passant au tour de l'isle saincte Croix.
CHAPITRE IV.
N'ayant trouvé lieu plus propre que ceste Isle, nous
commençâmes à faire une barricade sur un petit islet un peu
27/175 separé de l'isle, qui servoit de platte-forme pour mettre
nostre canon. Chacun s'y employa si vertueusement qu'en peu de
temps elle fut rendue en defence, bien que les mousquittes (qui
sont petites mouches) nous apportassent beaucoup d'incommodité
au travail: car il y eust plusieurs de nos gens qui eurent le
visage si enflé par leur piqueure qu'ils ne pouvoient presque
voir. La barricade estant achevée, le sieur de Mons envoya sa
barque pour advertir le reste de nos gens qui estoient avec
nostre vaisseau en la baye saincte Marie, qu'ils vinssent à
saincte Croix. Ce qui fut promptement fait: Et en les attendant
nous passames le temps assez joyeusement.
Quelques jours après nos vaisseaux estans arrivez, & ayant
mouillé l'ancre, un chacun descendit à terre: puis sans perdre
temps le sieur de Mons commança à employer les ouvriers à
bastir des maisons pour nostre demeure, & me permit de faire
l'ordonnance de nostre logement. Aprez que le sieur de Mons eut
prins la place du Magazin qui contient neuf thoises de long,
trois de large & douze pieds de haut, il print le plan de son
logis, qu'il fit promptement bastir par de bons ouvriers, puis
après donna à chacun sa place: & aussi tost on commença à
s'assembler cinq à cinq & six à six, selon que l'on desiroit.
Alors tous se mirent à deffricher l'isle, aller au bois,
charpenter, porter de la terre & autres choses necessaires pour
les bastimens.
Cependant que nous bastissions nos logis, le sieur de Mons
depescha le Capitaine Fouques dans le vaisseau de Rossignol,
28/176 pour aller trouver Pontgravé à Canceau, afin d'avoir ce qui
restoit des commoditez pour nostre habitation.
Quelque temps après qu'il fut parti, il arriva une petite
barque du port de huict tonneaux, où estoit du Glas de Honfleur
pilotte du vaisseau de Pontgravé, qui amena avec luy les
Maistres des navires Basques qui avoient esté prins par ledit
Pont en faisant la traicte de peleterie, comme nous avons dit.
Le sieur de Mons les receut humainement & les renvoya par ledit
du Glas au Pont avec commission de luy dire qu'il emmenast à la
Rochelle les vaisseaux qu'il avoit prins, afin que justice en
fut faicte. Cependant on travailloit fort & ferme aux logemens:
les charpentiers au magazin & logis du sieur de Mons, & tous
les autres chacun au sien; comme moy au mien, que je fis avec
l'aide de quelques serviteurs que le sieur d'Orville & moy
avions; qui fut incontinent achevé: où depuis le sieur de Mons
se logea attendant que le sien le fut. L'on fit aussi un four,
& un moulin à bras pour moudre nos bleds, qui donna beaucoup de
peine & travail à la pluspart, pour estre chose pénible. L'on
fit après quelques jardinages, tant à la grand terre que dedans
l'isle, où on sema plusieurs sortes de graines, qui y vindrent
fort bien, horsmis en l'isle; d'autant que ce n'estoit que
Sable qui brusloit tout, lors que le soleil donnoit, encore
qu'on prist beaucoup de peine à les arrouser.
176b
[Illustration: Habitation de l'isle S. Croix]
A Logis du sieur de Mons.
B Maison publique où l'on passait le temps durant la pluie.
C Le magasin.
D Logement des suisses.
E La forge.
F Logement des charpentiers.
G Le puis.
H Le four où l'on faisoit le pain.
I La cuisine.
L Jardinages.
M Autres jardins.
N La place où au milieu y a un arbre.
O Palissade.
P Logis des sieurs d'Orville, Champlain & Chandoré.
Q Logis du sieur Boulay, & autres artisans.
R Logis où logeoient les sieurs de Geneston, Sourin & autres artisans.
T Logis des sieurs de Beaumont, la Motte Bourioli & Fougeray.
V Logement de nostre curé.
X Autres jardinages.
Y La riviere qui entoure l'isle.
Quelques jours après le sieur de Mons se délibéra de sçavoir où
estoit la mine de cuivre franc qu'avions tant cherchée: Et pour
cest effect: m'envoya avec un sauvage appellé Messamouet, qui
29/177 disoit en sçavoir bien le lieu. Je party dans une petite barque
du port de cinq à six tonneaux, & neuf matelots avec moy. A
quelque huict lieues de l'isle, tirant à la riviere S. Jean, en
trouvasmes une de cuivre, qui n'estoit pas pur, neantmoins
bonne selon le rapport du mineur, lequel disoit que l'on en
pourroit tirer 18 pour cent. Plus outre nous en trouvasmes
d'autres moindres que ceste cy. Quand nous fusmes au lieu où
nous prétendions que fut celle que nous cherchions le sauvage
ne la peut trouver: de sorte qu'il fallut nous en revenir,
laissant ceste recerche pour une autre fois.
Comme je fus de retour de ce voyage, le sieur de Mons resolut
de renvoyer ses vaisseaux en France, & aussi le sieur de
Poitrincourt qui n'y estoit venu que pour son plaisir, & pour
recognoistre de païs & les lieux propres pour y habiter, selon
le desir qu'il en avoit: c'est pourquoy il demanda au sieur de
Mons le port Royal, qu'il luy donna suivant le pouvoir &
commission qu'il avoit du Roy. Il renvoya aussi Ralleau son
Secrétaire pour mettre ordre à quelques affaires touchant le
voyage; lesquels partirent de l'isle S. Croix le dernier jour
d'Aoust audict an 1604.
_De la coste, peuples & riviere de Norembeque, & de tout ce qui
s'est passé durant les descouvertures d'icelle._
CHAPITRE V.
Aprés le partement des vaisseaux, le sieur de Mons se
délibéra d'envoyer descouvrir le long de la coste de
Norembegue, pour ne perdre temps: & me commit ceste charge, que
j'eus fort aggreable.
30/178 Et pour ce faire je partis de S. Croix le 2 de Septembre avec
une pattache de 17 à 18 tonneaux, douze matelots, & deux
sauvages pour nous servir de guides aux lieux de leur
cognoissance. Ce jour nous trouvasmes les vaisseaux où estoit
le sieur de Poitrincourt, qui estoient ancrés à l'amboucheure
de la riviere sainte Croix, à cause du mauvais temps duquel
lieu ne pusmes partir que le 5 dudict mois: & estans deux ou
trois lieux vers l'eau la brume s'esleva si forte que nous
perdimes aussi tost leurs vaisseaux de veue. Continuant nostre
route le long des costes nous fismes ce jour là quelque 25
lieux: & passames par grande quantité d'isles, bancs, battures
& rochers qui jettent plus de quatre lieux à la mer par
endroicts. Nous avons nommé les isles, les isles rangées, la
plus part desquelles sont couvertes de pins & sapins, & autres
meschants bois. Parmy ces isles y a force beaux & bons ports,
mais malaggreables pour y demeurer. Ce mesme jour nous passames
aussi proche d'une isle qui contient environ 4 ou cinq lieux de
long, auprès laquelle nous nous cuidames perdre sur un petit
rocher à fleur d'eau, qui fit une ouverture à nostre barque
proche de la quille. De ceste isle jusques au nord de la terre
ferme [58] il n'y a pas cent pas de large. Elle est fort haute
couppée par endroicts, qui paroissent, estant en la mer, comme
sept ou huit montagnes rangées les unes proches des autres. Le
sommet de la plus part d'icelles est desgarny d'arbres; parce
que ce ne sont que rochers. Les bois ne sont que pins, sapins &
boulleaux.
[Note 58: Lisez: «De ceste isle jusques au nord _à la terre ferme_.» Cet
étroit passage porte encore aujourd'hui, comme l'île, le nom de
Monts-Déserts (_Mount Desert narrows_).]
31/179 Je l'ay nommée l'isle des Monts-deserts[59]. La hauteur est par
les 44 degrez & demy de latitude.
[Note 59: Suivant le P. Biard (Relation de la Nouvelle France, ch.
XXIII), les sauvages appelaient cette île _Pemetiq_, c'est-à-dire,
d'après M. l'abbé Maurault, _celle qui est à la tête_.]
Le lendemain 6 du mois fismes deux lieux: & aperçeumes une
fumée dedans une ance qui estoit au pied des montaignes cy
dessus: & vismes deux canaux conduits par des sauvages, qui
nous vindrent recognoistre à la portée du mousquet. J'envoyé
les deux nostres dans un canau pour les asseurer de nostre
amitié. La crainte qu'ils eurent de nous les fit retourner. Le
lendemain matin ils revindrent au bort de nostre barque, &
parlementerent avec nos sauvages. Je leur fis donner du
biscuit, petum, & quelques autres petites bagatelles. Ces
sauvages estoient venus à la chasse des Castors & à la pesches
du poisson, duquel ils nous donnèrent. Ayant fait alliance avec
eux, ils nous guidèrent en leur riviere de Peimtegoüet[60]
ainsi d'eux appelée, où il nous dirent qu'estoit leur Capitaine
nommé Bessabez [61] chef d'icelle. Je croy que ceste riviere
est celle que plusieurs pilottes & Historiens appellent
32/190 Norembegue[62]: & que la plus part ont escript estre grande &
spacieuse, avec quantité d'isles: & son entrée par la hauteur
de 43° & 43° & demy: & d'autres par les 44 degrez, plus ou
moins de latitude. Pour la declinaison, je n'en ay leu ny ouy
parler à personne. On descrit aussi qu'il y a une grande ville
fort peuplée de sauvages adroits & habilles, ayans du fil de
cotton. Je m'asseure que la pluspart de ceux qui en font
mention ne l'ont veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à
gens qui n'en sçavoyent pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y
en a qui ont peu en avoir veu l'embouchure, à cause qu'en effet
il y a quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44
degrez de latitude en son entrée, comme ils disent: Mais
qu'aucun y ait jamais entré il n'y a point d'apparence: car ils
l'eussent descripte d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de
gens de ceste doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay
reconeu & veu depuis le commencement jusques où j'ay esté.
[Note 60: Ce mot, tel que l'écrit ici Champlain, semble venir de
_Pemetigouek (ceux de Pemetiq). Cependant, suivant M. l'abbé Maurault,
Pentagouet n'est autre chose que Pontegouit_, qui signifie _endroit
d'une, rivière où il y a des rapides_. Les Anglais ont toujours de
préférence désigné cette rivière sous le nom de _Pénobscot
(Penabobsket_, là où la terre est couverte de pierre. Hist. des
Abenaquis, p. 5).]
[Note 61: Le P. Biard dit qu'il était sagamo de Kadesquit. (Relation de
la Nouvelle France, ch. XXXIV.)]
[Note 62: Malgré le respect que nous avons pour Champlain et pour un
grand nombre d'auteurs qui semblent avoir adopté son opinion, nous osons
croire que la grande rivière de Norembegue n'est autre chose que la baie
Française, aujourd'hui la baie de Fundy. Pour ne point parler de Thévet
ni de Belleforest, qui sont fort peu explicites sur ce point, qu'il nous
suffise de citer le témoignage de Jean Alphonse, dont l'exactitude est
étonnante pour l'époque où il vivait: «Je dictz que le cap de sainct
Jehan, dict Cap à Breton, & le cap de la Franciscane, sont nordest &
surouest, & prennent un quart de l'est & ouest, & y a en la route cent
quarente lieues, & icy faict ung cap appellé le cap de Norembegue...
Ladicte coste est toute sableuse, terre basse, sans nulle montaigne. Au
delà du cap de Norembegue, descend la riviere dudict Norembegue, environ
vingt & cinq lieues du cap» (c'est précisément la largeur de l'Acadie).
«La dicte riviere est large de plus de quarente lieues de latitude en
son entrée, & va ceste largeur au dedans bien trente ou quarente
lieues...» Il est évident que Jean Alphonse décrit ici la côte sud-est
de l'Acadie (qu'il appelle Franciscane), le cap de Sable et la baie de
Fundy, qui a réellement une embouchure de près de quarante lieues si
l'on compte depuis le cap de Sable ou Norembègue jusques vers la sortie
du Pénobscot.]
Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de
la terre ferme 10 ou 12 lieues qui sont par la hauteur de 44
degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de
la guide-ayment. L'isle des Monts-deserts fait une des pointes
de l'emboucheure, tirant à l'est: & l'autre est une terre basse
appelée des sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle,
33/181 distantes l'un de l'autre neuf ou dix lieues. Et presque au
milieu à la mer y a une autre isle fort haute & remarquable,
laquelle pour ceste raison j'ay nommée l'isle haute. Tout
autour il y en a un nombre infini de plusieurs grandeurs &
largeurs: mais la plus grande est celle des Monts-deserts. La
pesche du poisson de diverses sortes y est fort bonne: comme
aussi la chasse du gibier. A quelques deux ou trois lieues de
la poincte de Bedabedec, rengeant la grande terre au nort, qui
va dedans icelle riviere, ce sont terres fort hautes qui
paroissent à la mer en beau temps 12 à 15 lieues. Venant au su
de l'isle haute, en la rengeant comme d'un quart de lieue où il
y a quelques battures qui sont hors de l'eau, mettant le cap à
l'ouest jusques à ce que l'on ouvre toutes les montaignes qui
sont au nort d'icelle isle, vous vous pouvez asseurer qu'en
voyant les huict ou neuf decouppées de l'isle des Monts-deserts
& celle de Bedabedec, l'on sera le travers de la riviere de
Norembegue: & pour entrer dedans il faut mettre le cap au nort,
qui est sur les plus hautes montaignes dudict Bedabedec: & ne
verrez aucunes isles devant vous: & pouvez entrer seurement y
ayant assez d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles &
rochers à l'est & ouest de vous. Il faut les esviter la sonde
en la main pour plus grande seureté: Et croy à ce que j'en ay
peu juger, que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par
autre endroict, sinon avec des petits vaisseaux ou chalouppes:
Car comme j'ay dit cy-dessus la quantité des isles, rochers,
basses, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte que
c'est chose estrange à voir.
34/182 Or pour revenir à la continuation de nostre routte: Entrant
dans la riviere il y a de belles isles, qui sont fort
aggreables, avec de belles prairies. Nous fusmes jusques à un
lieu où les sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy
quart de lieue de large: Et à quelques deux cens pas de la
terre de l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est
dangereux. De là à l'isle haute y a quinze lieues. Et depuis ce
lieu estroict, (qui est la moindre largeur que nous eussions
trouvée,) après avoir faict quelque 7 ou 8 lieues, nous
rencontrasmes une petite riviere, où auprès il fallut mouiller
l'ancre: d'autant que devant nous y vismes quantité de rochers
qui descouvrent de basse mer: & aussi que quand eussions voulu
passer, plus avant nous n'eussions pas peu faire demye lieue: à
cause d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque
7 à 8 pieds, que je vis allant dedans un canau avec les
sauvages que nous avions: & n'y trouvasmes de l'eau que pour un
canau: Mais passé le sault, qui a quelques deux cens pas de
large, la riviere est belle, & continue jusques au lieu où nous
avions mouillé l'ancre. Je mis pied à terre pour veoir le païs:
& allant à la chasse je le trouvé fort plaisant & aggreable en
ce que j'y fis de chemin. Il semble que les chesnes qui y sont
ayent esté plantez par plaisir. J'y vis peu de sapins, mais
bien quelques pins à un costé de la riviere: Tous chesnes à
l'autre: & quelques bois taillis qui s'estendent fort avant
dans les terres. Et diray que depuis l'entrée où nous fusmes,
qui sont environ 25 lieux, nous ne vismes aucune ville ny
village, ny apparence d'y en avoir eu: mais bien une ou deux
35/183 cabannes de sauvages où il n'y avoit personne, lesquelles
estoient faites de mesme façon que celles des Souriquois
couvertes d'escorce d'arbres: Et à ce qu'avons peu juger il y a
peu de sauvages en icelle riviere qu'on appele aussi
Etechemins. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que
quelques mois en esté durant la pesche du poisson & chasse du
gibier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de
retraicte arrestée à ce que j'ay recogneu & apris d'eux: car
ils yvernent tantost en un lieu & tantost à un autre, où ils
voient que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent
quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour
subvenir aux disettes qui sont grandes quelquesfois.
Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de
Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que nous
avons costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy
dessus dictes, que celle de Quinibequy, qui est presque en
mesme hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part il ne
peut y en avoir qui entrent avant dans les terres: d'autant que
la grande riviere saint Laurens costoye la coste d'Accadie & de
Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre
de 45 lieues, ou 60 au plus large, comme il se pourra veoir par
ma carte Géographique.
Or je laisseray ce discours pour retourner aux sauvages qui
m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue,
lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres
sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir
aussi le leur, nommé Cabahis, & lui donner advis de nostre
arrivée.
36/184 Le 16 du mois il vint à nous quelque trente sauvages sur
l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de
guide. Vint aussi ledict Bessabez nous trouver ce mesme jour
avec six canaux. Aussi tost que les sauvages qui estoient à
terre le virent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer &
sauter, jusques à ce qu'il eut mis pied à terre: puis après
s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume
lors qu'ils veulent faire quelque harangue ou festin. Cabahis
l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses
compagnons, qui se retirent apart, & se rejouirent fort de nous
veoir: d'autant que c'estoit la première fois qu'ils avoient
veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre avec
deux de mes compagnons & deux de nos sauvages, qui nous
servoient de truchement: & donné charge à ceux de nostre barque
d'approcher prés des sauvages, & tenir leurs armes prestes pour
faire leur devoir s'ils aperçevoient quelque esmotion de ces
peuples contre nous. Bessabez nous voyant à terre nous fit
asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons, comme ils
font ordinairement auparavant que faire leurs discours. Ils
nous firent present de venaison & de gibier.
Je dy à nostre truchement, qu'il dist à nos sauvages qu'ils
fissent entendre à Bessabez, Cabahis & à leurs compagnons, que
le sieur de Mons m'avoit envoyé par devers eux pour les voir &
leur pays aussi: & qu'il vouloit les tenir en amitié, & les
mettre d'accord avec les Souriquois & Canadiens leurs ennemis:
Et d'avantage qu'il desiroit habiter leur terre, & leur montrer
à la cultiver, afin qu'ils ne trainassent plus une vie si
37/185 miserable qu'ils faisoient, & quelques autres propos à ce
subjet. Ce que nos sauvages leur firent entendre, dont ils
demonstrerent estre fort contens, disant qu'il ne leur pouvoit
arriver plus grand bien que d'avoir nostre amitié: & desiroyent
que l'on habitast leur terre, & vivre en paix avec leur
ennemis: afin qu'à l'advenir ils allassent à la chasse aux
Castors plus qu'ils n'avoient jamais faict, pour nous en faire
part, en les accommodant de choses necessaires pour leur usage.
Apres qu'il eut achevé sa harangue, je leur fis present de
haches, patinostres, bonnets, cousteaux & autres petites
jolivetés: aprez nous nous separasmes les uns des autres. Tout
le reste de ce jour, & la nuict suivante, ils ne firent que
dancer, chanter & faire bonne chère, attendans le jour auquel
nous trectasmes quelque nombre de Castors: & aprez chacun s'en
retourna, Bessabez avec ses compagnons de son costé, & nous du
nostre, fort satisfaits d'avoir eu cognoissance de ces peuples.
Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez & 25.
minuttes de latitude: Ce faict nous partismes pour aller à une
autre riviere appelée Quinibequy, distante de ce lieu de trente
cinq lieux, & prés de 20 de Bedabedec[63]. Ceste nation de
38/186 sauvages de Quinibequy s'appelle Etechemins[64], aussi bien que
ceux de Norembegue.
[Note 63: Quoique cette phrase donne à entendre que Champlain quitte la
rivière de Pénobscot, ce jour-là même, 17 de septembre, il est certain
que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Rendu au point où il prend
hauteur, c'est-à-dire, à vingt-cinq ou trente lieues de l'embouchure de
cette rivière, suivant son calcul; ayant bien constaté qu'il n'y avait
pas même de trace d'aucune ville ou habitation considérable, l'auteur
considère l'exploration de cette rivière comme finie, et part pour venir
rejoindre la barque, qui était à l'ancré à une quinzaine de lieues de
l'embouchure, et continuer ensuite le voyage de découverte. La preuve
qu'il ne part pas directement pour le Kénébec, c'est que, trois jours
après, le 20 du mois, on en est encore à ranger la côte de l'ouest, et à
passer les montagnes de Bedabedec, ou hauteurs de Pénobscot, où l'on
mouille l'ancre, pour reconnaître, le même jour, l'entrée de la
rivière.]
[Note 64: C'est sans doute cette phrase qui a fait dire au P. F. Martin
(Appendice de sa trad. du P. Bressani) que Champlain donne au Kénébec le
nom de _rivière des Etchemins_. Cependant notre auteur, comme on le
voit, dit seulement que les sauvages du Kénébec étaient des Etchemins,
comme ceux de Pentagouet ou Pénobscot. Et ici Champlain est d'accord
avec le P. Biard, qui, dans le dénombrement approximatif qu'il fait des
nations sauvages dont il avait connaissance, assigne aux _Eteminquois_
ou Etchemins toute la côte comprise entre le pays des Souriquois et
Chouacouet, «J'ay trouvé, dit-il, par la relation des Sauvages mesmes,
que dans l'enclos de la grande riviere, dés les terres neuves jusques à
Chouacoët, on ne sauroit trouver plus de neuf à dix milles ames... Tous
les Souriquois 3000 ou 3500. Les Eteminquois jusques à Pentegoët, 2500;
dés Pentegoët jusques à Kinibequi, & de Kinibequi jusques à Chouacoët,
3000.» (Relat. de la Nouv. Fr., ch. VI.) Lescarbot prétend, il est vrai,
que «depuis Kinibeki, jusques à Malebarre, & plus outre, ilz s'appellent
Armouchiquois» (liv. IV, ch. VII); mais les témoignages de Champlain et
du P. Biard semblent avoir plus de poids, puisque ces auteurs ont visité
eux-mêmes les lieux et les nations dont ils parlent.]
Le 18 du mois nous passames prés d'une petite riviere où estoit
Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque quelque douze
lieues: Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de
Norembegue, il me dit qu'elle passé le sault dont j'ay faict cy
dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle on
entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de S. Croix,
d'où ils vont quelque peu par terre, puis entrent dans la
riviere des Etechemins. Plus au lac descent une autre riviere
par où ils vont quelques jours, en après entrent en un autre
lac, & passent par le millieu, puis estans parvenus au bout,
ils font encore quelque chemin par terre, après entrent dans
une autre petite riviere [65] qui vient se descharger à une
lieue de Québec, qui est sur le grand fleuve S. Laurens. Tous
ces peuples de Norembegue sont fort basannez, habillez de peaux
de castors & autres fourrures, comme les sauvages Cannadiens &
Souriquois: & ont mesme façon de vivre.
[Note 65: Comme on le voit, c'est précisément parce que les Etchemins
suivaient cette rivière pour venir à Québec, qu'on l'a appelée rivière
des Etchemins.]
39/187 Le 20 du mois rangeasmes la coste de l'ouest, & passâmes les
montaignes de Bedabedec, où nous mouillasmes l'ancre: Et le
mesme jour recogneusmes l'entrée de la riviere, où il peut
aborder de grands vaisseaux: mais dedans il y a quelques
battures qu'il faut esviter la sonde en la main. Nos sauvages
nous quittèrent, d'autant qu'ils ne vollurent venir à
Quinibequy: parceque les sauvages du lieu leur sont grands
ennemis [66]. Nous fismes quelque 8 lieux rangeant la coste de
l'ouest jusques à une isle distante de Quinibequy 10 lieux, où
fusmes contraincts de relascher pour le mauvais temps & vent
contraire. En une partye du chemin que nous fimes nous passames
par une quantité d'isles & brisans qui jettent à la mer
quelques lieues fort dangereux. Et voyant que le mauvais temps
nous contrarioit si fort, nous ne passâmes pas plus outre que
trois ou 4 lieues. Toutes ces isles & terres sont remplies de
quantité de pareil bois que j'ay dit cy dessus aux autres
costes. Et considerant le peu de vivres que nous avions, nous
resolusmes de retourner à nostre habitation, attendans l'année
suivante où nous esperions y revenir pour recognoistre plus
amplement. Nous y rabroussames donc chemin le 23 Septembre &
arrivasmes en nostre habitation le 2 Octobre ensuivant.
[Note 66: C'est peut-être cette circonstance qui a fait croire à
Lescarbot que le territoire des Almouchiquois s'étendait jusqu'au
Kénébec.]
Voila au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes,
peuples que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles
qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal
aggreable en yver que celuy de nostre habitation, dont nous
fusmes bien desceus.
40/188
_Du mal de terre, fort cruelle maladie. A quoy les hommes &
femmes sauvages passent le temps durant l'yver. Et tout ce qui
se passa en l'habitation pendant l'hyvernement._
CHAPITRE VI.
Comme nous arrivasmes à l'isle S. Croix chacun achevoit de se
loger. L'yver nous surprit plustost que n'esperions, & nous
empescha de faire beaucoup de choses que nous nous estions
proposées. Neantmoins le sieur de Mons ne laissa de faire faire
des jardinages dans l'isle. Beaucoup commancerent à deffricher
chacun le sien; & moy aussi le mien, qui estoit assez grand, où
je semay quantité de graines, comme firent, aussi ceux qui en
avoient, qui vindrent assez bien. Mais comme l'isle n'estoit
que Sable tout y brusloit presque lors que le soleil y donnoit:
& n'avions point d'eau pour les arrouser, sinon de celle de
pluye, qui n'estoit pas souvent.
Le sieur de Mons fit aussi deffricher à la grande terre pour y
faire des jardinages, & aux saults il fit labourer à trois
lieues de nostre habitation, & y fit semer du bled qui y vint
tresbeau & à maturité. Autour de nostre habitation il y a de
basse mer quantité de coquillages, comme coques, moulles,
ourcins & bregaux, qui faisoyent grand bien à chacun.
Les neges commencèrent le 6 du mois d'Octobre. Le 3 de Décembre
nous vismes passer des glasses qui venoyent de quelque riviere
qui estoit gellée. Les froidures furent aspres & plus
41/189 excessives qu'en France, & beaucoup plus de durée: & n'y pleust
presque point cest yver. Je croy que cela provient des vents du
nord & norouest, qui passent par dessus de hautes montaignes
qui sont tousjours couvertes de neges, que nous eusmes de trois
à quatre pieds de haut, jusques à la fin du mois d'Avril; &
aussi qu'elle se concerve beaucoup plus qu'elle ne feroit si le
païs estoit labouré.
Durant l'yver il se mit une certaine maladie entre plusieurs de
nos gens, appelée mal de la terre, autrement Scurbut, à ce que
j'ay ouy dire depuis à des hommes doctes. Il s'engendroit en la
bouche de ceux qui l'avoient de gros morceaux de chair
superflue & baveuse (qui causoit une grande putréfaction)
laquelle surmontoit tellement, qu'ils ne pouvoient presque
prendre aucune chose, sinon que bien liquide. Les dents ne leur
tenoient presque point, & les pouvoit on arracher avec les
doits sans leur faire douleur. L'on leur coupoit souvent la
superfluité de cette chair, qui leur faisoit jetter force sang
par la bouche. Apres il leur prenoit une grande douleur de bras
& de jambes, lesquelles leur demeurèrent grosses & fort dures,
toutes tachetés comme de morsures de puces, & ne peuvoient
marcher à cause de la contraction des nerfs: de sorte qu'ils
demeuroient presque sans force, & sentoient des douleurs
intolérables. Ils avoient aussi douleur de reins, d'estomach &
de ventre; une thoux fort mauvaise, & courte haleine: bref ils
estoient en tel estat, que la pluspart des malades ne pouvoient
se lever ny remuer, & mesme ne les pouvoit on tenir debout,
42/190 qu'ils ne tombassent en syncope: de façon que de 79 que nous
estions, il en moururent 35 & plus de 20. qui en furent bien
prés: La plus part de ceux qui resterent sains, se plaignoient
de quelques petites douleurs & courte haleine. Nous ne pusmes
trouver aucun remède pour la curation de ces maladies. L'on en
fit ouverture de plusieurs pour recognoistre la cause de leur
maladie.
L'on trouva à beaucoup les parties intérieures gastées, comme
le poulmon, qui estoit tellement altéré, qu'il ne s'y pouvoit
recognoistre aucune humeur radicalle: la ratte cereuse &
enflée: le foye fort legueux & tachetté, n'ayant sa couleur
naturelle: la vaine cave, ascendante & descendante remplye de
gros sang agulé & noir: le fiel gasté: Toutesfois il se trouva
quantité d'artères, tant dans le ventre moyen qu'inférieur,
d'assez bonne disposition. L'on donna à quelques uns des coups
de rasoüer dessus les cuisses à l'endroit des taches pourprées
qu'ils avoient, d'où il sortoit un sang caille fort noir. C'est
ce que l'on a peu recognoistre aux corps infectés de ceste
maladie.
Nos chirurgiens ne peurent si bien faire pour eux mesmes qu'ils
n'y soient demeurez comme les autres. Ceux qui y resterent
malades furent guéris au printemps, lequel commence en ces pays
là est en May[67]. Cela nous fit croire que le changement de
saison leur rendit plustost la santé que les remèdes qu'on leur
avoit ordonnés.
[Note 67: Pour ne pas nous exposer à faire dire à Champlain ce qu'il ne
voulait pas dire, nous laissons subsister ici une faute évidente, mais
dont on peut, ce semble, deviner la cause. L'auteur, encore sous
l'impression fâcheuse de ce malheureux hiver passé à l'île de
Sainte-Croix, aura mis d'abord dans son manuscrit que le printemps n'y
_commençait_ qu'en mai; réflexion faite, il se sera aperçu que ce
n'était pas rendre justice à la Nouvelle-France, que de la juger sur un
fait qui pouvait être exceptionnel, et il aura mis, que le printemps
_est_ en mai; enfin le typographe, pour contenter l'auteur, aura jugé à
propos de mettre les deux.]
43/191 Durant cet yver nos boissons gelèrent toutes, horsmis le vin
d'Espagne. On donnoit le cidre à la livre. La cause de ceste
parte fut qu'il n'y avoit point de caves au magazin: & que
l'air qui entroit par des fentes y estoit plus aspre que celuy
de dehors. Nous estions contraints d'user de tresmauvaises
eaux, & boire de la nege fondue, pour n'avoir ny fontaines ny
ruisseaux: car il n'estoit pas possible d'aller en la grand
terre, à cause des grandes glaces que le flus & reflus
charioit, qui est de trois brasses de basse & haute mer. Le
travail du moulin à bras estoit fort pénible: d'autant que la
plus part estans mal couchez, avec l'incommodité du chauffage
que nous ne pouvions avoir à cause des glaces, n'avoient quasi
point de force, & aussi qu'on ne mangeoit que chair salée &
légumes durant l'yver, qui engendrent de mauvais sang: ce qui à
mon opinion causoit en partie ces facheuses maladies. Tout cela
donna du mescontentement au sieur de Mons & autres de
l'habitation.
Il estoit mal-aisé de recognoistre ce pays sans y avoir yverné,
car y arrivant en été tout y est fort aggreable, à cause des
bois, beaux pays & bonnes pescheries de poisson de plusieurs
sortes que nous y trouvasmes. Il y a six mois d'yver en ce
pays.
Les sauvages qui y habitent sont en petite quantité. Durant
l'yver au fort de neges ils vont chasser aux eslans & autres
bestes: de quoy ils vivent la pluspart du temps. Et si les
neges ne sont grandes ils ne font guerres bien leur proffit:
d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un grandissime
travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent fort.
44/192 Lors qu'ils ne vont à la chasse ils vivent d'un coquillage qui
s'appelle coque. Ils se vestent l'yver de bonnes fourrures de
castors & d'eslans. Les femmes font tous les habits, mais non
pas si proprement qu'on ne leur voye la chair au dessous des
aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de les mieux
accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent de
certaines raquettes, deux fois aussi grandes que celles de
pardeçà, qu'ils s'attachent soubs les pieds, & vont ainsi sur
la neige sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les
hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant
trouvée ils la suivent jusques à ce qu'ils apercoivent la
beste: & lors ils tirent dessus avec leur arcs, ou la tuent à
coups d'espées emmanchées au bout d'une demye pique, ce qui se
fait fort aisement; d'autant que ces animaux ne peuvent aller
sur les neges sans enfoncer dedans: Et lors les femmes & enfans
y viennent, & là cabannent & se donnent curée: Apres ils
retournent voir s'ils en trouveront d'autres, & passent ainsi
l'yver. Au mois de Mars ensuivant il vint quelques sauvages qui
nous firent part de leur chasse en leur donnant du pain &
autres choses en eschange. Voila la façon de vivre en yver de
ces gens là, qui me semble estre bien miserable.
Nous attendions nos vaisseaux à la fin d'Avril lequel estant
passé chacun commença à avoir mauvaise opinion, craignant qu'il
ne leur fust arrivé quelque fortune, qui fut occasion que le 15
de May le sieur de Mons délibéra de faire accommoder une barque
du port de 15 tonneaux, & un autre de 7 afin de nous en aller à
45/193 la fin du mois de Juin à Gaspé, chercher des vaisseaux pour
retourner en France, si cependant les nostres ne venoient: mais
Dieu nous assista mieux que nous n'esperions: car le 15 de Juin
ensuivant estans en garde environ sur les onze heures du soir,
le Pont Capitaine de l'un des vaisseaux du sieur de Mons arriva
dans une chalouppe, lequel nous dit que son navire estoit ancré
à six lieues de nostre habitation, & fut le bien venu au
contentement d'un chacun.
Le lendemain le vaisseau arriva [68], & vint mouiller l'ancre
proche de nostre habitation. Le pont nous fit entendre qu'il
venoit après luy un vaisseau de S. Maslo, appelé le S.
Estienne, pour nous apporter des vivres & commoditez.
[Note 68: «Avec une compagnie de quelques quarante hommes,» dit
Lescarbot, liv. IV, ch. VIII, «& canonnades ne manquèrent à l'abord,
selon la coutume, ni l'éclat des trompetes.»]
Le 17 du mois le sieur de Mons se délibéra d'aller chercher un
lieu plus propre pour habiter & de meilleure température que la
nostre: Pour cest effect il fit équiper la barque dedans
laquelle il avoit pensé aller à Gaspé.
_Descouvertures de la coste des Almouchiquois jusques au 42e
degré de latitude: & des particularités de ce voyage._
CHAPITRE VII.
Le 18 du mois de Juin 1605, le sieur de Mons partit de l'isle
saincte Croix avec quelques gentilshommes, vingt matelots & un
46/194 sauvage nommé Panounias [69] & sa femme, qu'il ne voulut
laisser, que menasmes avec nous pour nous guider au pays des
Almouchiquois, en esperance de recognoistre & entendre plus
particulierement par leur moyen ce qui en estoit de ce pays:
d'autant qu'elle en estoit native.
[Note 69: Lescarbot l'appelle Panmiac.]
Et rangeant la coste entre Menane, qui est une isle à trois
lieues de la grande terre, nous vinsmes aux isles rangées par
le dehors, où mouillasmes l'ancre en l'une d'icelles, où il y
avoit une grande multitude de corneilles, dont nos gens
prindrent en quantité; & l'avons nommée l'isle aux corneilles.
De là fusmes à l'isle des Monts deserts qui est à l'entrée de
la riviere de Norembegue, comme j'ay dit cy dessus, & fismes
cinq ou six lieues parmy plusieurs isles, où il vint à nous
trois sauvages dans un canau de la poincte de Bedabedec où
estoit leur Capitaine; & après leur avoir tenu quelques
discours ils s'en retournèrent le mesme jour.
Le vendredy premier de Juillet nous partismes d'une des isles
qui est à l'amboucheure de la riviere, où il y a un port assez
bon pour des vaisseaux de cent & cent cinquante tonneaux. Ce
jour fismes quelques 25 lieues entre la pointe de Bedabedec &
quantité d'isles & rochers, que nous recogneusmes jusques à la
riviere de Quinibequy, où à l'ouvert d'icelle il y a une isle
assez haute, qu'avons nommée la tortue, & entre icelle & la
grand terre quelques rochers esparts, qui couvrent de pleine
mer: neantmoins on ne laisse de voir briser la mer par dessus.
L'isle de la tortue & la riviere sont su suest & nort norouest.
Comme l'on y entre, il y a deux moyenes isles, qui sont
47/195 l'entrée, l'une d'un costé & l'autre de l'autre, & à quelques
300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de
bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'ancre à 300
pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Estans en ce lieu
nous fusmes surprins de brumes qui nous firent resoudre
d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere & les sauvages
qui y habitent; & partismes pour cet effect le 5 du mois. Ayans
fait quelques lieues nostre barque pença se perdre sur un
rocher que nous frayames en passant. Plus outre rencontrasmes
deux canaux qui estoient venus à la chasse aux oiseaux, qui la
pluspart muent en ce temps, & ne peuvent voler. Nous accostames
ces sauvages par le moyen du nostre, qui les fut trouver avec
sa femme, qui leur fit entendre le subject de nostre venue.
Nous fismes amitié avec eux & les sauvages d'icelle
riviere[70], qui nous servirent de guide: Et allant plus avant
pour veoir leur Capitaine appelé Manthoumermer, comme nous
eusmes fait 7 à 8 lieux, nous passames par quelques isles,
destroits & ruisseaux, qui s'espandent le long de la riviere,
où vismes de belles prairies: & costoyant une isle qui a
quelque quatre lieux de long [71] ils nous menèrent où estoit
leur chef, avec 25 ou 30 sauvages, lequel aussitost que nous
eusmes mouillé l'ancre vint à nous dedans un canau un peu
separé de dix autres, où estoient ceux qui l'accompaignoient:
48/196 Aprochant prés de nostre barque, il fit une harangue, où il
faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous veoir, & qu'il
desiroit avoir nostre alliance & faire paix avec leurs ennemis
par nostre moyen, disant que le lendemain il envoyeroit à deux
autres Capitaines sauvages qui estoient dedans les terres, l'un
appelé Marchim, & l'autre Sazinou, chef de la riviere de
Quinibequy. Le sieur de Mons leur fit donner des gallettes &
des poix, dont ils furent fort contens. Le lendemain ils nous
guidèrent en dessendant la riviere par un autre chemin que
n'estions venus [72], pour aller à un lac: & partant par des
isles, ils laisserent chacun une flèche proche d'un cap par où
tous les sauvages passent, & croyent que s'ils ne le faisoyent
il leur arriveroit du malheur, à ce que leur persuade le
Diable, & vivent en ces superstitions, comme ils font en
beaucoup d'autres. Par de là ce cap nous passames un sault
d'eau fort estroit, mais ce ne fut pas sans grande difficulté,
car bien qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions
porter dans nos voilles le plus qu'il nous fut possible, si ne
le peusme nous passer de la façon, & fusmes contraints
d'attacher à terre une haussiere à des arbres, & y tirer tous:
ainsi nous fismes tant à force de bras avec l'aide du vent qui
nous favorisoit que le passames. Les sauvages qui estoient avec
nous portèrent leurs canaux par terre ne les pouvant passer à
la rame. Apres avoir franchi ce sault nous vismes de belles
prairies. Je m'estonnay si fort de ce sault, que descendant
49/197 avec la marée nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous
la trouvasmes contraire, & après l'avoir passé elle descendoit
comme auparavant, qui nous donna grand contentement.
Poursuivant nostre routte nous vinsmes au lac[73], qui a trois à
quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descent
deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, &
l'autre du norouest, par où devoient venir Marchim & Sasinou,
qu'ayant attendu tout ce jour & voyant qu'ils ne venoient
point, nous resolusmes d'employer le temps: Nous levasmes donc
l'ancre, & vint avec nous deux sauvages de ce lac pour nous
guider, & ce jour vinsmes mouiller l'ancre à l'amboucheure de
la riviere, où nous peschasmes quantité de plusieurs sortes de
bons poissons: cependant nos sauvages allèrent à la chasse,
mais ils n'en revindrent point. Le chemin par où nous
descendismes ladicte riviere est beaucoup plus seur & meilleur
que celuy par où nous avions esté. L'isle de la tortue qui est
devant l'entrée de lad. riviere, est par la hauteur de 44
degrez de latitude & 19 degrez 12 minutes de declinaison de la
guide-aymant. L'on va par ceste riviere au travers des terres
jusques à Québec quelque 50 lieues sans passer qu'un trajet de
terre de deux lieues: puis on entre dedans une autre petite
riviere [74] qui vient descendre dedans le grand fleuve S.
Laurens. Ceste riviere de Quinibequy est fort dangereuse pour
les vaisseaux à demye lieue au dedans, pour le peu d'eau,
50/198 grandes marées, rochers & basses qu'il y a, tant dehors que
dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit
bien recogneu. Si peu de pays que j'ay veu le long des rivages
est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts.
Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres
labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les
autres rivieres cy dessus dictes. Les peuples vivent comme ceux
de nostre habitation, & nous dirent, que les sauvages qui
semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres, &
qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes pour la
guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre.
Voila ce que j'ay peu aprendre de ce lieu, lequel je croy
n'estre meilleur que les autres.
[Note 70: Ici, Champlain n'est pas précisément, dans la rivière de
Kénébec, dont le capitaine était Sasinou, mais dans celle de Chipscot
_(Sheepscott)_, où était le capitaine de ces sauvages, Manthoumermer.]
[Note 71: L'île de Jérémysquam, qui sépare la baie de Monsouic, ou
_Monseag_, du chenal de la rivière de Chipscot.]
[Note 72: Ce passage est une nouvelle preuve que Champlain, en montant,
était passé par le côté oriental de l'île de Jérémysquam, et, par
conséquent, dans la rivière de Chipscot: car les sauvages, qui
connaissaient bien les lieux, durent conduire les français par le plus
court chemin pour aller au lac ou à la baie de Merry-Meeting.]
[Note 73: Ce lac, appelé la baie de Merry-Meeting, est formé par la
jonction des eaux du Kénébec, au nord, et de la rivière de Sagadahok ou
Amouchcoghin, dont on a fait Androscoggin.]
[Note 74: La rivière Chaudière.]
198a
[Illustration: Qui ni be guy]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le cours de la riviere.
B 2 Isles qui sont à l'antré de la riviere.
C Deux rochers qui sont dans la riviere fort dangereux.
D Islets & rochers qui sont le long de la coste.
E Basses où de plaine mer vaisseaux du port de 60 tonneaux peuvent
eschouer.
F Le lieu où les sauvages cabannent quand ils viennent à la pesche du
poisson.
G Basses de sable qui sont le long de la coste.
H Un estang d'eau douce.
I Un ruisseau où des chaloupes peuvent entrer à demy flot.
L Isles au nombre de 4 qui sont dans la riviere comme l'on est entré
dedans.
Le 8 du mois partismes de l'emboucheure d'icelle riviere ce que
ne peusmes faire plustost à cause des brumes que nous eusmes.
Nous fismes ce jour quelque quatre lieux, & passames par une
baye[75] où il y a quantité d'isles, & voit on d'icelle de
grandes montaignes à l'ouest, où est la demeure d'un Capitaine
sauvage appelé Aneda, qui se tient proche de la riviere de
Quinibequy. Je me parsuaday par ce nom que c'estoit un de sa
race qui avoit trouvé l'herbe appelée Aneda[76] que Jacques
51/199 Quartier a dict avoir tant de puissance contre la maladie
appelée Scurbut, dont nous avons desja parlé, qui tourmenta
ses gens aussi bien que les nostres, lors qu'ils yvernerent en
Canada. Les sauvages ne cognoissent point ceste herbe, ny ne
sçavent que c'est, bien que ledit sauvage en porte le nom. Le
lendemain fismes huit lieues. Costoyant la coste nous
apperçeusmes deux fumées que nous faisoient des sauvages, vers
lesquelles nous fusmes mouiller l'ancre derrière un petit islet
proche de la grande terre, où nous vismes plus de quatre vingts
sauvages qui accouroyent le long de la coste pour nous voir,
dansant & faisant signe de la resjouissance qu'ils en avoient.
Le sieur de Mons envoya deux hommes avec nostre sauvage[77]
pour les aller trouver: & après qu'ils eurent parlé quelque
temps à eux, & les eurent asseurez de nostre amitié nous leur
laissames un de nos gens, & eux nous baillèrent un de leurs
compagnons en ostage: Cependant le sieur de Mons fut visiter
une isle, qui est fort belle de ce qu'elle contient, y ayant de
beaux chesnes & noyers, la terre deffrichée & force vignes, qui
aportent de beaux raisins en leur saison: c'estoit les premiers
qu'eussions veu en toutes ces costes depuis le cap de la Héve:
52/200 Nous la nommasmes l'isle de Bacchus[78]. Estans de pleine mer
nous levasmes l'ancre, & entrasmes dedans une petite riviere,
où nous ne peusmes plustost: d'autant que c'est un havre de
barre, n'y ayant de basse mer que demie brasse d'eau, de plaine
mer brasse & demie, & du grand de l'eau deux brasses; quand on
est dedans il y en a trois, quatre, cinq & six. Comme nous
eusmes mouillé l'ancre il vint à nous quantité de sauvages sur
le bort de la riviere, qui commencèrent à dancer: Leur
Capitaine pour lors n'estoit avec eux, qu'ils appeloient
Honemechin[79]: il arriva environ deux ou trois heures après
avec deux canaux, puis s'en vint tournoyant tout autour de
nostre barque. Nostre sauvage ne pouvoit entendre que quelques
mots, d'autant que la langue Almouchiquoise, comme s'appelle
ceste nation, diffère du tout de celle des Souriquois &
Etechemins. Ces peuples demonstroient estre fort contens: leur
chef estoit de bonne façon, jeune & bien dispost: l'on envoya
quelque marchandise à terre pour traicter avec eux, mais ils
n'avoient rien que leurs robbes, qu'ils changèrent, car ils ne
font aucune provision de pelleterie que pour se vestir. Le
sieur de Mons fit donner à leur chef quelques commoditez, dont
il fut fort satisfait, & vint plusieurs fois à nostre bort pour
nous veoir. Ces sauvages se rasent le poil de dessus le crasne
assez haut, & portent le reste fort longs, qu'ils peignent &
53/201 tortillent par derrière en plusieurs façons fort proprement,
avec des plumes qu'ils attachent sur leur teste. Ils se
peindent le visage de noir & rouge comme les autres sauvages
qu'avons veus. Ce sont gens disposts bien formez de leur corps:
leurs armes sont piques, massues, arcs & flèches, au bout
desquelles aucuns mettent la queue d'un poisson appelé
Signoc[80], d'autres y accommodent des os, & d'autres en ont
toutes de bois. Ils labourent & cultivent la terre, ce que
n'avions encores veu. Au lieu de charuës ils ont un instrument
de bois fort dur, faict en façon d'une besche. Ceste riviere
s'appelle des habitans du pays Chouacoet[81].
[Note 75: La baie de Casco. Ce mot, parait-il, n'est qu'une contraction
de l'ancien nom Acocisco. (Williamson, _Hist. of Maine, Introd._, sect.
II.)]
[Note 76: Cette phrase nous fait connaître quelques-unes des causes qui
ont empêché les Français de retrouver, en Acadie, le remède que les
sauvages du Canada avaient enseigné à Cartier pour guérir ses gens du
scorbut. D'abord, on avait défiguré un peu le nom de la plante: les
trois manuscrits qui existent du second voyage de Cartier sont unanimes
à l'appeler _amedda_, d'après M. d'Avezac (réimpression figurée de
l'édit. de 1545, publiée en 1863); tandis que Lescarbot écrit _annedda_,
et Champlain _aneda_. En second lieu, cette plante n'était pas une
herbe, mais bien un arbre de bonne taille; c'était probablement ce que
l'on a toujours appelé, en Canada, _l'épinette_. Voici ce qu'en dit le
capitaine malouin: «Lors ledict Dom Agaya envoya deux femmes avecq le
capitaine pour en quérir: lesquelz en apportèrent neuf ou dix rameaulx,
& nous monstrerent comme il failloit piler l'escorce & les fueilles
dudict boys, & mettre tout bouillir en eaue, puis en boire de deux jours
l'un, & mettre le marcq sur les jambes enflées & malades, & que de toute
maladie ledict arbre guerissoit, ilz appellent ledict arbre en leur
langaige Ameda... Tout incontinent qu'ils en eurent beu, ils eurent
l'advantage... Apres ce avoir veu & cogneu, y a eu telle presse ladicte
médecine, que on si vouloit tuer, à qui premier en auroit. De sorte que
ung arbre aussi gros & aussi grand que je viz jamais arbre a esté
employé en moins de huit jours: lequel a faict telle opération, que si
tous les médecins de Louvain & de Montpellyer y eussent esté avec toutes
les drogues de Alexandrie, ilz n'en eussent pas tant faict en ung an,
que ledict arbre a faict en six jours.»]
[Note 77: Panounias, allié par sa femme à la nation almouchiquoise.
(Voir ci-dessus, p. 4.) Ce sauvage fut, quelque temps après, assassiné
par les Almouchiquois, et sa mort fut la cause d'une guerre sanglante
entre cette nation et celles des Souriquois et des Etchemins.]
[Note 78: Cette île, suivant la carte de 1632, est située vers le nord
de la baie de Saco ou Chouacouet. C'est probablement celle que l'on
trouve indiquée, dans les cartes anglaises, sous les noms de _Richmond_
et de _Richman's island_.]
[Note 79: Lescarbot l'appelle _Olmechin_. Il fut tué l'année suivante
par un parti d'Etchemins. (Voir ci-après, ch. XVI, et Lescarbot, _Muses
de la Nouvelle-France_.)]
[Note 80: L'auteur donne, un peu plus loin (chapitre VIII), la
description du _signoc_ ou _siguenoc_.]
[Note 81: Le nom de _Saco_, que porte aujourd'hui cette rivière, de même
que la baie où elle se jette, vient évidemment de ce nom sauvage
_Chouacouet_, ou, si l'on veut, de _Sawahquatok_, comme on le trouve
dans les auteurs anglais. De _Souacouet_, on a fait _Sacouet,_ et enfin
Saco.]
Le lendemain le sieur de Mons fut à terre pour veoir leur
labourage sur le bord de la riviere, & moy avec luy, & vismes
leur bleds qui sont bleds d'Inde, qu'ils font en jardinages,
semant trois ou quatre grains en un lieu, après ils assemblent
tout autour avec des escailles du susdit signoc quantité de
terre: Puis à trois pieds delà en sement encore autant; & ainsi
consecutivement. Parmy ce bled à chasque tourteau ils plantent
3 ou 4 febves du Bresil, qui viennent de diverses couleurs.
Estans grandes elles s'entrelassent au tour dudict bled qui
leve de la hauteur de cinq à six pieds: & tiennent le champ
fort net de mauvaises herbes. Nous y vismes force citrouilles,
courges & petum, qu'ils cultivent aussi[82].
[Note 82: Toutes ces plantes, le _petun_, ou tabac, les courges et
citrouilles, les fèves, le maïs, sont-elles indigènes dans les contrée
que parcourt ici Champlain? M. Asa Gray et le Dr. Harris, qui ont étudié
cette question, prétendent qu'elles ne le sont pas à une latitude plus
au nord que le Mexique, et, par conséquent, que la culture de ces
plantes a dû être transmise aux sauvages de la Nouvelle-Angleterre,
comme à ceux de la Nouvelle-France, par les nations plus méridionales.]
54/202 Le bled d'Inde que nous y vismes pour lors estoit de deux pieds
de haut, il y en avoit aussi de trois. Pour les febves elles
commençoient à entrer en fleur, comme faisoyent les courges &
citrouilles. Ils sement leur bled en May, & le recueillent en
Septembre. Nous y vismes grande quantité de noix, qui sont
petites, & ont plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point
encores aux arbres, mais nous en trouvasmes assez dessoubs, qui
estoient de l'année précédente. Nous vismes aussi force vignes,
ausquelles y avoit de fort beau grain, dont nous fismes de
tresbon verjust, ce que n'avions point encores veu qu'en l'isle
de Bacchus, distante d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur
demeure arrestée, le labourage, & les beaux arbres, nous firent
juger que l'air y est plus tempéré & meilleur que celuy où nous
yvernasmes ny que les autres lieux de la coste: Mais que je
croye qu'il n'y face un peu de froit, bien que ce soit par la
hauteur de 43 degrez 3 quarts de latitude, non. Les forests
dans les terres sont fort claires, mais pourtant remplies de
chesnes, hestres fresnes & ormeaux: Dans les lieux aquatiques
il y a quantité de saules. Les sauvages se tiennent tousjours
en ce lieu, & ont une grande Cabanne entourée de pallissades,
faictes d'assez gros arbres rengés les uns contre les autres,
où ils se retirent lors que leurs ennemis leur viennent faire
la guerre. Ils couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce
lieu est fort plaisant & aussi aggreable que lieu que l'on
55/203 puisse voir. La riviere est fort abondante en poisson,
environnée de prairies. A l'entrée y a un islet capable d'y
faire une bonne forteresse, où l'on seroit en seureté.
202b
[Illustration: Chouacoit-R]
_Les chifres montrent les brases d'eau._
A La riviere.
B Le lieu où ils ont leur forteresse.
C Les cabannes qui sont parmy les champs où auprès ils cultivent
la terre & sement du bled d'Inde.
D Grande compaigne sablonneuse, neantmoins remplie d'herbages.
E Autre lieu où ils font leurs logemens tous en gros sans estre
separez après la semence de leurs bleds estre faite.
F (1) Marais où il y a de bons pasturages.
G Source d'eau vive.
H Grande pointe de terre toute deffrichée horsmis quelques arbres
fruitiers & vignes sauvages.
I Petit islet à l'entrée de la riviere.
L Autre islet (2).
M Deux isles où vesseaux peuvent mouiller l'ancre à l'abry d'icelles
avec bon fons.
N Pointe de terre deffrichée ou nous vint trouver Marchim.
O (3) Quatre isles.
P Petit ruisseau qui asseche de basse mer.
Q (4) Basses le long de la coste.
R La rade où les vaisseaux peuvent mouiller l'ancre attendant le flot.
(1) f, dans la carte.--(2) Cet îlet est marqué I. Des deux qui sont
marqués de la même lettre, celui-ci est le plus éloigné de l'entrée de
la rivière.--(3) Des quatre O qui désignaient les quatre îles, le
graveur a fait quatre îles plus petites. Les quatre îles sont au
nord-ouest de la pointe H.--(4.) Dans la carte, c'est une lettre
minuscule.
Le dimanche 12 [83] du mois nous partismes de la riviere
appelée Chouacoët, & rengeant la coste aprés avoir fait quelque
6 ou 7 lieues le vent se leva contraire, qui nous fit mouiller
l'ancre & mettre pied à terre, où nous vismes deux prairies,
chacune desquelles contenoit environ une lieue de long, & demie
de large. Nous y aperceusmes deux sauvages que pensions à
l'abbord estre de gros oiseaux qui sont en ce pays là, appelés
outardes, qui nous ayans advisés, prindrent la fuite dans les
bois, & ne parurent plus. Depuis Chouacoet jusques en ce lieu
où vismes de petits oiseaux[84], qui ont le chant comme merles,
noirs horsmis le bout des ailles, qui sont orangés, il y a
quantité de vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la
pluspart des endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous
retournasmes deux ou trois lieux devers Chouacoet jusques à un
cap qu'avons nommé le port aux isles[85], bon pour des
vaisseaux de cent tonneaux, qui est parmy trois isles. Mettant
56/204 le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on entre
en un autre port[86] où il n'y a aucun passage (bien que ce
soient isles) que celluy par où on entre, où à l'entrée y a
quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y
a tant de groiselles rouges que l'on ne voit autre chose en la
pluspart, & un nombre infini de tourtes [87], dont nous en
prismes bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de
43 degrez 25 minutes de latitude.
[Note 83: Le 12 de juillet était un mardi. Comme M. de Monts et l'auteur
semblent avoir visité ce lieu assez en détail, et qu'ils mirent à terre
le 10, il est probable qu'on ne repartit de Chouacouet que le 12.]
[Note 84: On donne à cet oiseau le nom de Commandeur (_Agelaius
Phoeniceus_, VIEILLOT). En Canada, on l'appelle Étourneau, parce qu'il a
avec ce dernier une certaine conformité de couleur et d'habitudes.]
[Note 85: Il ne faut pas confondre ce cap du Port-aux-Iles avec celui
que l'auteur appelle, un peu plus loin, le Cap-aux-Iles. Ce dernier
porte aujourd'hui le nom de cap Anne, et le premier celui de cap
Porpoise (cap au Marsouin). Williamson parle du cap Porpoise à peu près
dans les mêmes termes que Champlain. «Le cap Porpoise, dit-il, est un
havre étroit et de difficile accès.» Le nom de _Mousom_, que l'on a
donné à la rivière du cap Porpoise, est vraisemblablement une corruption
du mot _marsouin_; car il est impossible qu'il soit dérivé du nom
sauvage _Meguncouk_.]
[Note 86: Ce doit être l'entrée de la rivière Kenebunk, «qui est un bon
havre pour les petits vaisseaux,» dit Williamson. _(Hist. of Maine.)_]
[Note 87: Tourtres, ou Pigeons de passage (_Ectopistes migratoria_,
AUDUBON).]
Le 15 dudit mois fismes 12 lieues. Costoyans la coste nous
apperçeusmes une fumée sur le rivage de la mer, dont nous
approchasmes le plus qu'il nous fut possible, & ne vismes aucun
sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en estoient fuys. Le
soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver lieu pour nous
loger icelle nuict, à cause que la coste estoit platte, &
sablonneuse. Mettant le cap au su pour nous esloigner, afin de
mouiller l'ancre, ayant fait environ deux lieues nous
apperçeusmes un cap [88] à la grande terre au su quart du suest
de nous, où il pouvoit avoir quelque six lieues: à l'est deux
lieues apperçeusmes trois ou quatre isles assez hautes[89], & à
l'ouest un grand cu de sac[90]. La coste de ce cul de sac toute
rengée jusques au cap peut entrer dans les terres du lieu où
57/205 nous estions environ quatre lieues: il en a deux de large nort
& su[91] & trois en son entrée: Et ne recognoissant aucun lieu
propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap cy
dessus à petites voilles une partie de la nuict, & en
aprochasmes à 16 brasses d'eaue où nous mouillasmes l'ancre
attendant le poinct du jour.
[Note 88: Le cap Anne.]
[Note 89: Les îles appelées _Isles of Shoals_ (îles de Battures.) «Ces
îles constituent le groupe auquel le célèbre capitaine John Smith donna
son propre nom; mais l'ingratitude de l'homme a refusé à sa mémoire ce
faible honneur.» _(Dict. of Am.)_]
[Note 90: On voit, par ce qui suit, que ce grand cul-de-sac désigne
évidemment la grande baie que forme la côte au nord du cap Anne. C'est
ce même cul-de-sac que l'auteur appelle ailleurs baie Longue. Les cartes
modernes ne lui assignent aucun nom particulier.]
[Note 91: A rigoureusement parler, la largeur de cette baie n'est pas
dans le sens nord et sud; mais il est évident que l'auteur ne prétend
point en donner ici une description mathématique, puisqu'il ne la décrit
que de loin et selon l'apparence qu'elle présente à la distance de
plusieurs lieues.]
Le lendemain nous fusmes au susdict cap, où il y a trois isles
proches de la grand terre, pleines de bois de diferentes
sortes, comme à Chouacoet & par toute la coste: & une autre
platte, où la mer brise, qui jette un peu plus à la mer que les
autres, où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap aux
isles [92], proche duquel apperçeusmes un canau, où il y avoit
5 ou 6 sauvages, qui vindrent à nous, lesquels estans prés de
nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Le sieur de
Mons m'envoya à terre pour les veoir, & leur donner à chacun un
cousteau & du biscuit, ce qui fut cause qu'ils redanserent
mieux qu'auparavant. Cela fait je leur fis entendre le mieux
qu'il me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la
coste. Apres leur avoir dépeint avec un charbon la baye [93] &
le cap aux isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le
58/206 mesme creon, une autre baye [94] qu'ils representoient fort
grande, où ils mirent six cailloux d'esgalle distance, me
donnant par là à entendre que chacune des marques estoit autant
de chefs & peuplades [95]: puis figurèrent dedans ladicte baye
une riviere que nous avions passée [96], qui s'estent fort
loing, & est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des
vignes en quantité, dont le verjust estoit un peu plus gros que
des poix, & force noyers, où les noix n'estoient pas plus
grosses que des balles d'arquebuse. Ces sauvages nous dirent,
que tous ceux qui habitoient en ce pays cultivoient &
ensemensoient la terre, comme les autres qu'avions veu
auparavant. Ce lieu est par la hauteur de 43 degrez, & quelque
minutes [97] de latitude. Ayant fait demie lieue nous
apperçeusmes plusieurs sauvages sur la pointe d'un rocher, qui
couroient le long de la coste, en dansant, vers leurs
compagnons, pour les advertir de nostre venue. Nous ayant
monstré le quartier de leur demeure, ils firent signal de
fumées pour nous monstrer l'endroit de leur habitation. Nous
59/207 fusmes mouiller l'ancre proche d'un petit islet, où l'on envoya
nostre canau pour porter quelques cousteaux & gallettes aux
sauvages; & apperçeusmes à la quantité qu'ils estoient que ces
lieux sont plus habitez que les autres que nous avions veus.
Après avoir arresté quelques deux heures pour considerer ces
peuples, qui ont leurs canaux faicts d'escorce de boulleau,
comme les Canadiens, Souriquois & Etechemins, nous levasmes
l'ancre, & avec apparence de beau temps nous nous mismes à la
voille. Poursuivant nostre routte à l'ouest surouest, nous y
vismes plusieurs isles à l'un & l'autre bort. Ayant fait 7 à 8
lieues nous mouillasmes l'ancre proche d'une isle où
apperçeusmes force fumées tout le long de la coste, & beaucoup
de sauvages qui accouroient pour nous voir. Le sieur de Mons
envoya deux ou trois hommes vers eux dedans un canau, ausquels
il bailla des cousteaux & patenostres pour leur presenter, dont
ils furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement.
Nous ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous
n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a
quantité de terre deffrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays
est fort plaisant & aggreable: neantmoins il ne laisse d'y
avoir force beaux bois. Ceux qui l'habitent ont leurs canaux
faicts tout d'une pièce, fort subjets à tourner, si on n'est
bien adroit à les gouverner: & n'en avions point encore veu de
ceste façon. Voicy comme ils les font. Apres avoir eu beaucoup
de peine, & esté long temps à abbatre un arbre le plus gros &
le plus haut qu'ils ont peu trouver, avec des haches de pierre
60/208 (car ils n'en ont point d'autres, si ce n'est que quelques uns
d'eux en recouvrent par le moyen des sauvages de la coste
d'Accadie, ausquels on en porte pour traicter de peleterie) ils
ostent l'escorce & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils
mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce: & prennent
quelques fois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent
aussi dessus: & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent
avec un peu d'eau, non pas du tout, mais de peur que le bord du
canau ne brusle. Estant assez creux à leur fantasie, ils le
raclent de toutes parts avec des pierres, dont ils se servent
au lieu de cousteaux. Les cailloux dequoy ils font leurs
trenchans sont semblables à nos pierres à fusil.
[Note 92: Les Anglais lui ont donné le nom de la reine Anne.]
[Note 93: La baie dont l'auteur vient de parler, c'est-à-dire, la baie
Longue.]
[Note 94: La baie de Massachusets, au fond de laquelle est la baie de
Boston. En comparant le récit des auteurs anglais sur les sauvages
appelés Massachusets, avec ce que Champlain et les français de son temps
disent des Almouchiquois, on demeure convaincu que les uns et les autres
ont désigné par ces deux mots, en apparence si différents, une seule et
même nation, ou qu'ils ont étendu ce nom à toutes les tribus qui
faisaient cause commune avec ces sauvages contre les nations des côtes
d'Acadie. «Les Massachusets, dit Gookin, demeuraient principalement vers
cet endroit de la baie de Massachusets, où les Anglais sont maintenant
établis. Ils formaient un peuple grand et nombreux. Leur principal chef
avait autorité sur plusieurs capitaines subalternes... Cette nation
pouvait autrefois mettre sur pied environ trois mille hommes de guerre,
au rapport des vieux sauvages.» _(Collect. of the Mass. Hist. Soc._,
première série, vol. I.) Suivant le même auteur, les Massachusets
avaient pour alliés les Patoukets, qui demeuraient plus au nord. D'où
l'on voit que les peuples qui habitaient la plus grande partie des côtes
de la Nouvelle-Angleterre, étaient les Massachusets et leurs alliés. Or
ce sont précisément ces mêmes nations que les voyageurs français
comprenaient sous le nom d'Almouchiquois. Ce qu'il y a de certain, c'est
que les Français appelaient Almouchiquois plusieurs peuples ou tribus
que les Anglais comprenaient sous le nom de Massachusets, et, quelle que
soit la vraie signification de ces deux mots, on ne peut nier qu'ils
n'aient entre eux un certain air de parenté (_al-moussicoua-set_).]
[Note 95: C'étaient, d'après Gookin, les chefs de Weechagaskas, de
Neponsitt, de Punkapaog, de Nonantum, de Nashaway, et d'une partie des
Nipmucks, suivant le rapport des anciens.]
[Note 96: Le Merrimack.]
[Note 97: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.]
Le lendemain 17 dudict mois levasmes l'ancre pour aller à un
cap, que nous avions veu le jour précèdent, qui nous demeuroit
comme au su surouest[98]. Ce jour ne peusmes faire que 5
lieues, & passames par quelques isles remplies de bois. Je
recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les sauvages
au cap des isles. Poursuivant nostre route il en vint à nous
grand nombre dans des canaux, qui sortoient des isles, & de la
terre ferme. Nous fusmes ancrer à une lieue du cap, qu'avons
nommé S. Loys[99], où nous apperçeusmes plusieurs fumées: y
voulant aller nostre barque eschoua sur une roche, où nous
fusmes en grand danger: car si nous n'y eussions promptement
remédié, elle eut bouleversé dans la mer, qui perdoit tout à
l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau: mais Dieu nous
61/209 preserva, & fusmes mouiller l'ancre proche du susdict cap, où
il vint quinze ou seize canaux de sauvages, & en tel y en avoit
15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de
resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que
nous n'entendions nullement. Le sieur de Mons envoya trois ou
quatre hommes à terre dans nostre canau, tant pour avoir de
l'eau, que pour voir leur chef nommé Honabetha, qui eut
quelques cousteaux, & autres jolivetés, que le sieur de Mons
luy donna, lequel nous vint voir jusques en nostre bort, avec
nombre de ses compagnons, qui estoient tant le long de la rive,
que dans leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, &
luy fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de
temps, il s'en retourna. Ceux que nous avions envoyés devers
eux, nous apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du
poing, que nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui
sont tresbonnes; & du pourpié[100], qui vient en quantité parmy
le bled d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de
mauvaises herbes. Nous vismes en ce lieu grande quantité de
petites maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement
leur bled d'Inde.
[Note 98: Ce cap, appelé plus loin cap Saint-Louis, leur «demeurait
comme au sud-sud-ouest» dans la journée du 16.]
[Note 99: La pointe Brandt. On ne la désigne ordinairement que comme
pointe, parce que, suivant l'expression même de Champlain, c'est «une
terre médiocrement basse.»]
[Note 100: _Portulaca oleracea_. «Ce pourpier,» dit Miller (Dict. des
Jardiniers), «croît naturellement en Amérique et dans les parties les
plus chaudes du globe.» Il est assez probable que cette plante se sera
propagée jusqu'à cette latitude avec la culture du tabac.]
Plus y a en icelle baye [101] une riviere qui est fort
spatieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas [102], qui,
à mon jugement, va rendre vers les Yroquois, nation qui a
guerre ouverte avec les montaignars qui sont en la grande
riviere S. Lorans.
[Note 101: Dans la baie de Boston.]
[Note 102: Du nom de M. de Monts, Pierre Du Gas. C'est probablement la
rivière Charles; mais elle vient du sud-ouest, plutôt que du côté des
Iroquois.]
62/210
_Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
& de ce qu'y avons remarqué de particulier._
CHAPITRE VIII.
Le lendemain doublasmes le cap S. Louys, ainsi nommé par le
sieur de Mons, terre médiocrement basse, soubs la hauteur de 42
degrez 3 quarts de latitude[103]; & fismes ce jour deux lieues
de coste sablonneuse, & passant le long d'icelle, nous y vismes
quantité de cabannes & jardinages. Le vent nous estans
contraire, nous entrasmes dedans un petit cu de sac, pour
attendre le temps propre à faire nostre routte. Il vint à nous
2 ou 3 canaux, qui venoient de la pesche de morue, & autres
poissons, qui sont là en quantité, qu'ils peschent avec des
aims faits d'un morceau de bois, auquel ils fichent un os
qu'ils forment en façon de harpon, & lient fort proprement, de
peur qu'il ne sorte: le tout estant en forme d'un petit
crochet: la corde qui y est attachée est d'escorce d'arbre. Ils
m'en donnèrent un, que je prins par curiosité, où l'os estoit
attaché de chanvre, à mon opinion, comme celuy de France, & me
dirent qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la
cultiver, en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds.
Ledict canau s'en retourna à terre avertir ceux de son
habitation, qui nous firent des fumées, & apperçeusmes 18 ou 20
sauvages, qui vindrent sur le bort de la coste, & se mirent à
danser. Nostre canau fut à terre pour leur donner quelques
63/211 bagatelles, dont ils furent fort contens. Il en vint aucuns
devers nous qui nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous
levasmes l'ancre pour ce faire, mais nous n'y peusmes entrer à
cause du peu d'eau que nous y trouvasmes estans de basse mer, &
fusmes contraincts de mouiller l'ancre à l'entrée d'icelle. Je
descendis à terre, où j'en vis quantité d'autres qui nous
reçeurent fort gratieusement: & fus recognoistre la riviere, où
n'y vey autre chose qu'un bras d'eau qui s'estant quelque peu
dans les terres, qui sont en partie desertées; dedans lequel il
n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter basteaux, sinon de
pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de circuit. En l'une
des entrées duquel y a une manière d'icelle couverte de bois, &
principalement de pins, qui tient d'un costé à des dunes de
sable, qui sont assez longues: l'autre costé est une terre
assez haute. Il y a deux islets dans ladicte baye, qu'on ne
voit point si l'on n'est dedans, où autour la mer asseche
presque toute de basse mer. Ce lieu est fort remarquable de la
mer, d'autant que la coste est fort basse, horsmis le cap de
l'entrée de la baye, qu'avons nommé, le port du cap sainct
Louys[104], distant dudict cap deux lieues, & dix du cap aux
isles. Il est environ par la hauteur du cap S. Louys.
[Note 103: La latitude de la pointe Brandt est d'environ 42° 6'.]
[Note 104: Ce port Saint-Louis est précisément le lieu où abordaient,
quinze ans plus tard, les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre, appelés
les Pèlerins (Pilgrim Fathers). Ils lui donnèrent le nom de Plymouth, en
mémoire de la ville d'où ils étaient partis pour l'Amérique. (_Holme's
Annals, an. 1620._)]
211a
[Illustration: Port St-Louis]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Monstre le lieu où posent les vaisseaux.
B L'achenal.
C Deux Isles.
D Dunes de sable
E Basses.
F Cabannes où les sauvages labourent la terre.
G Le lieu où nous fusmes eschouer nostre barque.
H Une manière d'isle remplie de bois tenant aux dunes de sable.
I Promontoire assez haut qui paroist de 4 à 5 lieux à la mer.
Le 19 du mois nous partismes de ce lieu. Rengeant la coste
comme au su, nous fismes 4 à 5 lieues, & passames proche d'un
rocher qui est à fleur d'eau. Continuant nostre route nous
64/212 apperçeusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans
plus prés nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous
demeuroit au nord nordouest, qui estoit le cap d'une grande
baye contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous
engouffrasmes tellement, qu'il nous falut mettre à l'autre bort
pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes le cap
blanc[105], pour ce que c'estoient sables & dunes, qui
paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu:
car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettés à la
coste. Cette baye est fort seine, pourveu qu'on n'approche la
terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers
que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui
entre assez avant dans les terres, que nommasmes saincte
suzanne du cap blanc [106], d'où jusques au cap S. Louis y a
dix lieues de traverse. Le cap blanc est une pointe de sable
qui va en tournoyant vers le su quelque six lieues. Ceste coste
est assez haute eslevée de sables, qui sont fort remarquables
venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de 15 ou 18
lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau jusques à ce
qu'on vienne à 10 brasses en approchant de la terre, qui est
très seine. Il y a une grande estendue de pays descouvert sur
le bort de la coste devant que d'entrer dans les bois, qui sont
fort aggreables & plaisans à voir. Nous mouillasmes l'ancre à
65/213 la coste, & vismes quelques sauvages, vers lesquels furent
quatre de nos gens, qui cheminant sur une dune de sable,
advisèrent comme une baye & des cabannes qui la bordoient tout
à l'entour. Estans environ une lieue & demye de nous, il vint à
eux tout dansant (à ce qu'ils nous ont raporté) un sauvage qui
estoit descendu de la haute coste, lequel s'en retourna peu
après donner advis de nostre venue à ceux de son habitation.
[Note 105: Sans aucun doute, l'auteur n'avait pas eu connaissance du
voyage du capitaine Gosnold, qui, un peu plus de deux ans auparavant,
s'était comme lui engouffré dans la même baie, et qui avait, dès 1602,
donné à ce cap le nom de cap Cod, parce qu'on y avait pris grande
quantité de morue (cod).]
[Note 106: Ce que l'auteur appelle la rivière de Sainte-Suzanne du cap
Blanc, est probablement la baie de Wellfleet, à l'entrée de laquelle se
trouve la batture de Billingsgate.]
Le lendemain 20 du mois fusmes en ce lieu que nos gens avoient
aperçeu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause
des basses & bancs, où nous voiyons briser de toutes parts. Il
estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y
avoit que quatre pieds d'eau par la passée du nort; de haute
mer il y a deux brasses. Comme nous fusmes dedans nous vismes
ce lieu assez spatieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de
circuit, tout entouré de maisonnettes, à l'entour desquelles
chacun a autant de terre qu'il luy est necessaire pour sa
nourriture. Il y descend une petite riviere, qui est assez
belle, où de basse mer y a quelque trois pieds & demy d'eau. Il
y a deux ou trois ruisseaux bordez de prairies. Ce lieu est
tresbeau, si le havre estoit bon. J'en prins la hauteur, &
trouvé 42 degrez de latitude & 18 degrez 40 minuttes de
declinaison[107] de la guide-aymant. Il vint à nous quantité de
sauvages, tant hommes que femmes, qui accouroient de toutes
parts en dansant. Nous avons nommé ce lieu le port de
Mallebarre[108].
[Note 107: La déclinaison aujourd'hui n'y est que de 7° environ.]
[Note 108: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41°
50'.]
66/214 Le lendemain 21 du mois le sieur de Mons prit resolution
d'aller voir leur habitation, & l'accompaignasmes neuf ou dix
avec nos armes: le reste demeura pour garder la barque. Nous
fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que
d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé
de bled d'Inde à la façon que nous avons dit cy dessus. Le bled
estoit en fleur de la hauteur de 5 pieds & demy. Il y en avoit
d'autre moins avancé qu'ils sement plus tart. Nous vismes force
febves du Bresil, & force citrouilles de plusieurs grosseurs,
bonnes à manger, du petun & des racines, qu'ils cultivent,
lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont remplis de
chesnes noyers & de tresbeaux cyprès, qui sont rougeastres &
ont fort bonne odeur [109]. Il y avoit aussi plusieurs champs
qui n'estoient point cultivez: d'autant qu'ils laissent reposer
les terres. Quand ils y veulent semer, ils mettent le feu dans
les herbes, & puis labourent avec leurs bêches de bois. Leurs
cabannes sont rondes, couvertes de grosses nattes, faictes de
roseaux, & par enhaut il y a au milieu environ un pied & demy
de descouvert, par où sort la fumée du feu qu'ils y font. Nous
leur demandasmes s'ils avoient leur demeure arrestée en ce
lieu, & s'il y negeoit beaucoup; ce que ne peusmes bien
sçavoir, pour ne pas entendre leur langage, bien qu'ils s'y
efforçassent par signe, en prenant du sable en leur main, puis
l'espandant sur la terre, & monstrant estre de la couleur de
nos rabats, & qu'elle venoit sur la terre de la hauteur d'un
67/215 pied: & d'autres nous monstroient moins, nous donnant aussi à
entendre que le port ne geloit jamais: mais nous ne peusmes
sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je tiens neantmoins
que le pays est tempéré, & que l'yver ny est pas rude. Pendant
le temps que nous y fusmes, il fit une tourmente de vent de
nordest, qui dura 4 jours, avec le temps si couvert que le
soleil n'aparoissoit presque point. Il y faisoit fort froid: ce
qui nous fit prendre nos cappots, que nous avions delaissez du
tout: neantmoins je croy que c'estoit par accident, comme l'on
void souvent arriver en d'autres lieux hors de saison.
[Note 109: La couleur rougeâtre et l'odeur de l'arbre mentionné en cet
endroit, font voir que l'auteur parle du cèdre rouge (_juniperus
virginiana_). C'est une nouvelle preuve que ce qu'il appelle cyprès dans
son voyage de 1603, n'est rien autre chose que notre cèdre ordinaire
_(thuja)_.]
Le 23 dudict mois de Juillet, quatre ou cinq mariniers estans
allés à terre avec quelques chaudières, pour quérir de l'eau
douce, qui estoit dedans des dunes de sable, un peu esloignée
de nostre barque, quelques sauvages desirans en avoir aucunes,
espierent l'heure que nos gens y alloyent, & en prirent une de
force entre les mains d'un matelot, qui avoit puisé le premier,
lequel n'avoit nulles armes: Un de ses compagnons voulant
courir après, s'en revint tout court, pour ne l'avoir peu
atteindre, d'autant qu'il estoit plus viste à la cource que
luy. Les autres sauvages voyans que nos matelos accouroient à
nostre barque en nous criant que nous tirassions quelques coups
de mousquets sur eux, qui estoient en grand nombre, ils se
mirent à fuir. Pour lors y en avoit quelques uns dans nostre
barque qui se jetterent à la mer, & n'en peusmes saisir qu'un.
Ceux en terre qui s'en estoient fuis les appercevant nager,
68/216 retournèrent droit au matelot [110] à qui ils avoient osté la
chaudière, & luy tirèrent plusieurs coups de flèches par
derrière & l'abbatirent, ce que voyant ils coururent aussitost
sur luy & l'acheverent à coups de cousteau. Cependant on fit
diligence d'aller à terre, & tira on des coups d'arquebuse de
nostre barque, dont la mienne creva entre mes mains & me pença
perdre. Les sauvages oyans cette escopeterie se remirent à la
fuite, qu'ils doublèrent quand ils virent que nous estions à
terre: d'autant qu'ils avoient peur nous voyans courir après
eux. Il n'y avoit point d'apparence de les attraper: car ils
sont vistes comme des chevaux. L'on apporta le mort qui fut
enterré quelques heures après: Cependant nous tenions tousjours
le prisonnier attaché par les pieds & par les mains au bort de
nostre barque, creignant qu'il ne s'enfuist. Le Sieur de Mons
se resolut de le laisser aller, se persuadant qu'il n'y avoit
point de sa faute, & qu'il ne sçavoit rien de ce qui s'estoit
passé, ny mesme ceux qui estoient pour lors dedans & autour de
nostre barque. Quelques heures après il vint des sauvages vers
nous, faisant des excuses par signes & demonstrations, que ce
n'estoit pas eux qui avoient fait ceste meschanceté, mais
d'autres plus esloignez dans les terres. On ne leur voulut
point faire de mal, bien qu'il fut en nostre puissance de nous
venger.
[Note 110: C'était, suivant Lescarbot, un charpentier malouin. (Liv. IV,
ch. VII.)]
Tous ces sauvages depuis le cap des isles ne portent point de
robbes, ny de fourrures, que fort rarement, encore les robbes
sont faites d'herbes & de chanvre, qui à peine leur couvrent le
corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la
69/217 nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur
descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière; tout le
reste du corps est nud. Lors que les femmes nous venoient voir,
elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes
se coupent le poil dessus la teste comme ceux de la riviere de
Chouacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez
proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par
dessus de petites patenôtres de porceline: une partie de ses
cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entrelassé de
diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge,
noir, & jaune. Ils n'ont presque point de barbe, & se
l'arrachent à mesure qu'elle croist. Ils sont bien
proportionnez de leurs corps. Je ne sçay quelle loy ils
tiennent, & croy qu'en cela ils ressemblent à leurs voisins,
qui n'en ont point du tout. Ils ne sçavent qu'adorer ny prier.
Ils ont bien quelques superstitions comme les autres, que je
descriray en leur lieu. Pour armes, ils n'ont que des picques,
massues, arcs & flèches. Il semble à les voir qu'ils soient de
bon naturel, & meilleurs que ceux du nort: mais tous à bien
parler ne vallent pas grande chose. Si peu de fréquentation que
l'on ait avec eux, les fait incontinent cognoistre. Ils sont
grands larrons; & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils
y taschent avec les pieds, comme nous l'avons esprouvé
souventefois. J'estime que s'ils avoient dequoy eschanger avec
nous, qu'ils ne s'adonneroient au larrecin. Ils nous troquèrent
leurs arcs, flèches & carquois, pour des espingles & des
boutons, & s'ils eussent eu autre chose de meilleur ils en
70/218 eussent fait autant. Il se faut donner garde de ces peuples, &
vivre en mesfiance avec eux toutefois sans leur faire
apperçevoir. Ils nous donnèrent quantité de petum, qu'ils font
secher, & puis le reduisent en poudre[111]. Quand ils mangent
le bled d'Inde ils le font bouillir dedans des pots de terre
qu'ils font d'autre manière que nous [112]. Ils le pilent aussi
dans des mortiers de bois & le reduisent en farine, puis en
font des gasteaux & galettes, comme les Indiens du Pérou.
[Note 111: Il n'y a aucun doute que les Almouchiquois préparaient leur
tabac, ou petun, comme les sauvages du Canada, c'est-à-dire, qu'après
l'avoir fait sécher, comme, dit Champlain, ils le broyaient assez menu
pour pouvoir en charger commodément leurs pipes ou petunoirs, mais non
pas si fin que le tabac râpé. C'est ce que prouvent du reste les
intéressantes découvertes que vient de faire monsieur J. C. Taché. Le
riche musée d'antiquités huronnes que l'université Laval doit à la
générosité de cet infatigable antiquaire, renferme des échantillons
parfaitement conservés de pipes qui ont été trouvées encore toutes
chargées de leur tabac, et par lesquelles on peut constater que cette
espèce de poudre que les sauvages mettaient dans leurs calumets n'était
guère plus fine que notre tabac haché.]
[Note 112: Ces vases de terre n'étaient point faits au tour, comme les
poteries européennes, ni cuits au four, mais à feu libre. Voici, d'après
Sagard, comment les femmes huronnes, et sans doute aussi les femmes
almouchiquoises, s'y prenaient pour fabriquer leur poterie: «Elles ont
l'industrie de faire de bons pots de terre, qu'elles cuisent dans leur
foyer fort proprement, & sont si forts qu'ils ne se cassent point au feu
sans eau comme les nostres, mais ils ne peuvent aussi souffrir longtemps
l'humidité ny l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & ne se cassent au
moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent beaucoup. Les
Sauvagesses les font prenans de la terre propre, laquelle elles
nettoyent & petrissent très bien entre leurs mains, & y mestent, je ne
sçay par quelle science, un peu de grais pillé parmy; puis la masse
estant réduite comme une boulle, elles y font un trou au milieu avec le
poing, qu'elles agrandisent tousjours en frappant par dehors avec une
petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour
les parfaire: ces pots sont de diverses grandeurs, sans pieds & sans
ances, & tous ronds comme une boulle, excepté la gueulle qui sort un peu
dehors.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. XIII.) L'université Laval doit
encore au même monsieur J. C. Taché le plus bel échantillon que l'on
connaisse de cette ancienne poterie huronne.]
218a
[Illustration: Malle Baiye]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Les deux entrées du port.
B Dunes de sable où les sauvages tuèrent un Matelot de la barque du
sieur de Mons.
C Les lieux où fut la barque du sieur de Mons audit port.
D Fontaine sur le bort du port.
E Une riviere descendant audit port.
F Ruisseau.
G Petite riviere où on prend cantité de poisson.
H Dunes de sable où il y a un petit bois & force vignes.
I Isle à la pointe des dunes.
L Les maisons & habitations des sauvages qui cultivent la terre.
M Basses & bancs de sable tant à l'entrée que dedans ledit port.
O Dunes de sable.
P La coste de la mer.
q La barque du sieur de Poitrincourt quand il y fut deux aprés le sieur
de Mons.
R Dessente des gens du sieur de Poitrincourt.
En ce lieu, & en toute la coste, depuis Quinibequi, il y a
quantité de figuenocs[113], qui est un poisson portant une
71/219 escaille sur le dos, comme la tortue: mais diferente pourtant;
laquelle a au milieu une rangée de petits piquants de couleur
de fueille morte, ainsi que le reste du poisson: Au bout de
laquelle escaille il y en a une autre plus petite, qui est
bordée d'esguillons fort piquans. La queue est longue selon
qu'ils sont grands ou petits du bout de laquelle ces peuples
ferrent leurs flèches, ayant aussi une rangée d'esguillons
comme la grande escaille sur laquelle sont les yeux. Il a huict
petits pieds comme ceux d'un cancre, & derrière deux plus longs
& plats, desquels il se sert à nager. Il en a aussi deux autres
fort petits devant, avec quoy il mange: quand il chemine ils
sont tous cachez, excepté les deux de derrière qui paroissent
un peu. Soubs la petite escaille il y a des membranes qui
s'enflent, & ont un battement comme la gorge des grenouilles, &
sont les unes sur les autres en façon des facettes d'un
pourpoint. Le plus grand que j'aye veu, a un pied de large, &
pied & demy de long.
[Note 113. C'est le Limule Polyphène (_limulus poltphemus_, LAMARCK). La
femelle, qui est plus grande que le mâle, a ordinairement une vingtaine
de pouces de longueur, et un peu moins de dix pouces de large. «Cette
espèce, commune dans nos parages», dit M. James-E. De Kay (_New-York
Fauna_), «est connue ici sous le nom vulgaire de pied-de-cheval
(horse-foot), à cause de sa forme, et retient encore dans quelques
districts le nom de king-crab que lui donnaient les premiers colons
anglais.» Jean de Laët fait aussi de ce singulier crustacé, une
description détaillée et accompagnée d'une figure.]
Nous vismes aussi un oiseau marin [114] qui a le bec noir, le
haut un peu aquilin, & long de quatre poulces, fait en forme de
lancette, sçavoir la partie inférieure representant le manche &
la superieure la lame qui est tenue, trenchante des deux costez
& plus courte d'un tiers que l'autre, qui donne de
l'estonnement à beaucoup de personnes, qui ne peuvent
72/220 comprendre comme il est possible que cet oiseau puisse manger
avec un tel bec[115]. Il est de la grosseur d'un pigeon, les
ailles fort longues à proportion du corps, la queue courte &
les jambes aussi, qui sont rouges, les pieds petits & plats: Le
plumage par dessus est gris brun, & par dessous fort blanc. Il
va tousjours en troupe sur le rivage de la mer, comme font les
pigeons pardeçà.
[Note 114: Le Bec-en-ciseaux ou Coupeur-d'eau _(rhynchops nigra_,
LATHAM). La singularité de ses habitudes et l'étrange conformation de
son bec, lui ont valu différents noms populaires surtout chez les
navigateurs anglais, comme ceux de _cutwater, shearwater, razorbill,
black skimmer, flood gull, skippang_ et autres. Il a le bec noir à
l'extrémité, et tirant sur le rouge près de la tête. Cependant l'on
rencontre des individus qui ont le bec entièrement noir, comme celui
dont parle ici l'auteur; mais ce n'est probablement qu'une variété
d'âge. Il se trouve principalement sur les rivages de la Caroline du
Sud, et du Texas, et quelquefois par volées immenses.]
[Note 115: Avec un bec en apparence si incommode, cet oiseau sait fort
bien trouver sa vie. Quand il veut pêcher, il rase lentement la surface
de la mer, et, coupant l'eau avec la partie inférieure de son bec, il
saisit en dessous le poisson, qui fait sa nourriture habituelle.]
Les sauvages en toutes ces costes où nous avons esté, disent
qu'il vient d'autres oiseaux quand leur bled est à maturité,
qui sont fort gros; & nous contrefaisoient leur chant semblable
à celuy du cocq d'Inde. Ils nous en montrèrent des plumes en
plusieurs lieux, dequoy ils empannent leurs flèches & en
mettent sur leurs testes pour parade, & aussi une manière de
poil qu'ils ont soubs la gorge, comme ceux qu'avons en France:
& disent qu'ils leur tumbe une creste rouge sur le bec. Ils
nous les figurèrent aussi gros qu'une outarde, qui est une
espece d'oye; ayant le col plus long & deux fois plus gros que
celles de pardeça. Toutes ces demonstrations nous firent juger
que c'estoient cocqs d'Inde. Nous eussions bien desiré voir de
ces oiseaux, aussi bien que de la plume, pour plus grande
certitude. Auparavant que j'eusse veu les plumes & le petit
boquet de poil qu'ils ont soubs la gorge; & que j'eusse oy
contrefaire leur chant, je croiyois que ce fussent de certains
oiseaux [116], qui se trouvent en quelques endroits du Perou en
73/221 forme de cocqs d'Inde, le long du rivage de la mer, mangeans
les charongnes autres choses mortes, comme font les corbeaux:
mais ils ne sont pas si gros, & n'ont pas la barbe si longue,
ny le chant semblable aux vrais coqs d'Inde, & ne sont pas bons
à manger comme sont ceux que les sauvages disent qui viennent
en troupe en esté; & au commencement de l'yver s'en vont aux
pays plus chauts, où est leur demeure naturelle.
[Note 116: L'oiseau dont parle ici Champlain, est vraisemblablement
l'Aura (_vultur aura_, LINNÉE), appelé Ouroua par les Brésiliens, et
Suyuntu par les Péruviens, «se nourrissant plutôt de chair morte et de
vidanges, que de chair vivante», suivant Buffon.]
_Retour des descouvertures de la coste des Almouchiquois._
CHAPITRE IX.
Ayant demeuré plus de cinq sepmaines à eslever trois degrez
de latitude, nous ne peusmes estre plus de six sepmaines en
nostre voyage; car nous n'avions porté des vivres que pour ce
temps là. Et aussi ne pouvans passer à cause des brumes &
tempestes que jusques à Mallebarre, où fusmes quelques jours
attendans le temps propre pour sortir, & nous voyans pressez
par la necessité des vivres, le sieur de Mons délibéra de s'en
retourner à l'isle de saincte Croix, afin de trouver autre lieu
plus propre pour nostre habitation: ce que ne peusmes faire en
toutes les costes que nous descouvrismes en ce voyage.
Et partismes de ce port, pour voir ailleurs, le 25 du mois de
Juillet, où au sortir courusmes risque de nous pardre sur la
barre qui y est à l'entrée, par la faute de nos pilottes
appelez Cramolet & Champdoré [117] Maistres de la barque, qui
74/222 avoient mal ballizé l'entrée de l'achenal du costé du su, par
où nous devions passer. Ayans evité ce péril nous mismes le cap
au nordest six lieues jusques au cap blanc: & de là jusques au
cap des isles continuant 15 lieues au mesme vent: puis misme le
cap à l'est nordest 16 lieues jusques à Chouacoet, où nous
vismes le Capitaine sauvage Marchim, que nous avions esperé
voir au lac de Quinibequy[118], lequel avoit la réputation
d'estre l'un des vaillans hommes de son pays: aussi avoit il la
façon belle, où tous ses gestes paroissoient graves, quelque
sauvage qu'il fut. Le sieur de Mons luy fit present de beaucoup
de choses, dont il fut fort satisfait, & en recompense donna un
jeune garçon Etechemin, qu'il avoit prins en guerre, que nous
emmenasmes avec nous, & partismes de ce lieu ensemblement bons
amis, & mismes le cap au nordest quart de l'est 15 lieues,
jusques à Quinibequy, où nous arrivasmes le 29 du mois, & où
pensions trouver un sauvage appelé Sasinou, dont j'ay parlé cy
dessus, que nous attendismes quelque temps, pensant qu'il deust
venir, afin de retirer de luy un jeune homme & une jeune fille
Etechemins, qu'il tenoit prisoniers. En l'attendant il vint à
nous un capitaine appelé Anassou pour nous voir, lequel traicta
quelque peu de pelleterie, & fismes allience avec luy. Il nous
75/223 dit qu'il y avoit un vaisseau [119] à dix lieues du port, qui
faisoit pesche de poisson, & que ceux de dedans avoient tué
cinq sauvages d'icelle riviere, soubs ombre d'amitié: & selon
la façon qu'il nous despeignoit les gens du vaisseau, nous les
jugeasmes estre Anglois, & nommasmes l'isle où ils estoient la
nef: pour ce que de loing elle en avoit le semblance. Voyant
que ledict Sasinou ne venoit point nous mismes le cap à l'est
suest 20 lieues jusques à l'isle haute où mouillasmes l'ancre
attendant le jour.
[Note 117: Pierre Angibaut dit Champdoré. (Lescarbot, Muses de la Nouv.
France, p. 48.)]
[Note 118: Voir ci-dessus p. 49, note 1.]
[Note 119: Les différentes circonstances de ce récit prouvent que le
vaisseau dont parle Anassou, était celui du capitaine Waymouth. 1°
_C'était un vaisseau anglais_, d'après la description qu'en fait le
capitaine sauvage. Or il ne paraît pas qu'il soit venu aux côtes du
Maine, en 1605, d'autre vaisseau anglais que l'_Arkangel, commandé par
George Waymouth. Il est vrai que ce vaisseau était reparti dès le 26 de
juin (nouveau style), c'est-à-dire, depuis plus d'un mois; mais Anassou
pouvait croire qu'il était encore dans ces parages, vu que le capitaine
anglais, avant de reprendre directement la route de l'Angleterre, était
retourné à son havre de la _Pentecôte_, situé en face de l'île de
Monahigan. Il est possible, en outre, qu'Anassou n'ait pas dit autre
chose sinon que les Anglais s'étaient retirés à cette île, et que les
Français aient compris qu'ils y étaient encore. 2° _A dix lieues du
port_. Précisément à dix lieues du port ou était mouillée la barque de
M. de Monts, se trouve cette île remarquable, appelée Monahigan, qui est
celle où, suivant les critiques anglais, a dû mouiller l'_Arkangel_ à
son arrivée, et non loin de laquelle Waymouth jeta l'ancre encore avant
que de repartir; c'est cette île que Champlain appelle la Nef. 3° _Qui
faisait pêche de poisson_. Quoique ce ne fut pas là le but principal du
voyage de Waymouth, l'équipage employa effectivement une bonne partie du
temps à faire la pêche soit à la ligne, soit à la seine. 4° _Que ceux de
dedans avaient tué cinq sauvages_. Le capitaine Waymouth, ayant de
bonnes raisons de croire que les sauvages voulaient le surprendre
traîtreusement, résolut de les devancer, et en fit saisir cinq d'entre
eux: Sassacomouet, Maneddo, Skitouarros, Amohouet, et un sagamo du nom
de Tahanedo. Anassou pouvait croire qu'on les avait tués; cependant le
capitaine anglais au contraire les traita si bien, qu'ils parurent
ensuite contents de leur sort. «Quoique, au moment de la surprise, dit
Rosier, ils aient résisté de leur mieux, ne sachant point nos vues, ni
ce que nous étions, ou ce que nous en prétendions faire; cependant, dès
qu'ils virent, par nos bons traitements que nous ne leur voulions point
de mal, ils ne parurent pas depuis mécontents de nous.» (Rap. du voy. de
Waymouth par Rosier, Coll. de la Soc. Hist. de Mass. 3e série, vol.
VIII.) 5° _Sauvages d'icelle rivière_. Ces sauvages étaient donc du
Kénébec. Cette circonstance vient à l'appui de l'ingénieuse dissertation
que M. John McKeen a publiée en 1867, dans le cinquième volume des
Collections de la Société Historique du Maine, et dans laquelle l'auteur
prouve aussi bien qu'il est possible de le faire, suivant nous, que
Waymouth a visité, non pas le Pénobscot, comme le prétend Belknap et
quelques autres auteurs, mais bien le Kénébec. 6° _Sous ombre d'amitié_.
L'intention de Waymouth n'était pas d'abord d'user de ruse ou de
trahison avec ces sauvages. «Ayant trouvé, dit Rosier, que ce lieu
répondait parfaitement au motif de notre voyage de découverte, savoir,
qu'on y pouvait faire un bon établissement, nous traitâmes ces gens avec
toute la bonté qu'il nous fut possible d'imaginer, ou dont nous les
croyions capables.» Cependant, il n'est pas surprenant qu'Anassou et les
autres sauvages aient attribue la conduite des Anglais à un motif qui
leur paraissait assez naturel. Ainsi, le vaisseau dont parle Anassou,
est évidemment celui de George Waymouth.]
Le lendemain premier d'Aoust nous le mismes à l'est quelque 20
lieues jusques au cap Corneille [120] où nous passâmes la nuit.
76/224 Le 2 du mois le mettant au nordest 7 lieues vinsmes à l'entrée
de la riviere S. Croix du costé de l'ouest. Ayant mouillé
l'ancre entre les deux premières isles, le sieur de Mons
s'embarqua dans un canau à six lieues de l'habitation S. Croix,
où le lendemain nous arrivasmes avec nostre barque. Nous y
trouvasmes le sieur des Antons de sainct Maslo, qui estoit venu
en l'un des vaisseaux du sieur de Mons, pour apporter des
vivres, & autres commoditez pour ceux qui devoient yverner en
ce pays.
[Note 120: La carte de 1612 et les distances données ici par l'auteur,
permettent de croire que ce cap est dans _Cross Island_ (ou _Crow's
Island?_)]
_L'habitation qui estoit en l'isle de. S. Croix transportée au
port Royal, & pourquoy._
CHAPITRE X.
Le sieur de Mons se délibéra de changer de lieu & faire une
autre habitation pour esviter aux froidures & mauvais yver
qu'avions eu en l'isle saincte Croix. N'ayant trouvé aucun port
qui nous fut propre pour lors, & le peu de temps que nous
avions à nous loger & bastir des maisons à cest effect, nous
fit équipper deux barques, que l'on chargea de la charpenterie
des maisons de saincte Croix, pour la porter au port Royal, à
25 lieues de là, où l'on jugeoit y estre la demeure beaucoup
plus douce & tempérée. Le Pont & moy partismes pour y aller, où
estans arrivez cerchasmes un lieu propre pour la situation de
nostre logement & à l'abry du norouest, que nous redoutions
pour en avoir esté fort tourmentez.
77/225 Apres avoir bien cerché d'un costé & d'autre, nous n'en
trouvasmes point de plus propre & mieux scitué qu'en un lieu
qui est un peu eslevé, autour duquel y a quelques marescages &
bonnes sources d'eau.
Ce lieu est devant l'isle qui est à l'entrée de la riviere de
la Guille[121]: Et au nord de nous comme à une lieue, il y a un
costau de montagnes, qui dure prés de dix lieues nordest &
surouest. Tout le pays est rempli de forests tres-espoisses
ainsi que j'ay dit cy dessus, horsmis une pointe qui est à une
lieue & demie dans la riviere, où il y a quelques chesnes qui y
sont fort clairs, & quantité de lambruches, que l'on pourroit
deserter aisement, & mettre en labourage, neantmoins maigres &
sablonneuses. Nous fusmes presque en resolution d'y bastir:
mais nous considerasmes qu'eussions esté trop engouffrez dans
le port & riviere: ce qui nous fit changer d'advis.
[Note 121: Rivière de l'Equille. «On choisit la demeure,» dit Lescarbot,
«vis-à-vis de l'île qui est à l'entrée de la rivière de l'Equille, dite
aujourd'hui la rivière du Dauphin, laquelle fut appelée _l'Équille_,
parce que le premier poisson qu'on y print fut une Équille.» (Liv. IV,
ch. VIII et ch. III.)]
Ayant donc recogneu l'assiette de nostre habitation estre
bonne, on commença à défricher le lieu, qui estoit plein
d'arbres; & dresser les maisons au plustost qu'il fut possible:
un chacun s'y employa. Apres que tout fut mis en ordre, & la
pluspart des logemens faits, le sieur de Mons se délibéra de
retourner en France pour faire vers sa Majesté qu'il peust
avoir ce qui seroit de besoin pour son entreprise. Et pour
commander audit lieu en son absence, il avoit volonté d'y
laisser le sieur d'Orville: mais la maladie de terre, dont il
estoit atteint, ne luy peut permettre de pouvoir satisfaire au
desir dudit sieur de Mons: qui fut occasion d'en parler au
78/226 Pont-gravé, & luy donner ceste charge; ce qu'il eut pour
aggreable: & fit parachever de bastir ce peu qui restoit en
l'habitation [122]. Et moy en pareil temps je pris resolution
d'y demeurer aussi, sur l'esperance que j'avois de faire de
nouvelles descouvertures vers la Floride: ce que le sieur de
Mons trouva fort bon.
[Note 122: «A tant, dit Lescarbot, on met la voile au vent, & demeure
ledit sieur du Pont pour lieutenant par delà, lequel ne manque de
promptitude (selon son naturel) à faire & parfaire ce qui estoit requis
pour loger soy & les tiens: qui est tout ce qui se peut faire pour cette
année en ce pais la. Car de s'éloigner du parc durant l'hiver, mêmes
après un si long harassement: il n'y avoit point d'apparence. Et quant
au labourage de la terrer je croy qu'ils n'eurent le temps commode pour
y vacquer: car ledit sieur du Pont n'etoit pas homme pour demeurer en
repos, ni pour laisser ses gens oisifs s'il y eût eu moyen de ce faire.»
(Liv. IV, ch. VIII.)]
_Ce qui se passa depuis le partement du sieur de Mons, jusqu'à
ce que voyant qu'on n'avoit point nouvelles de ce qu'il avoit
promis, on partist du port Royal pour retourner en France._
CHAPITRE XI.
Aussi tost que ledit sieur de Mons fut party, de 40 ou 45 qui
resterent, une partie commença à faire des jardins. J'en fis
aussi un pour éviter oisiveté, entouré de fossez plains d'eau,
esquels y avoit de fort belles truites que j'y avois mises, &
où descendoient trois ruisseaux de fort belle eaue courante,
dont la pluspart de nostre habitation se fournissoit. J'y fis
une petite escluse contre le bort de la mer, pour escouler
l'eau quand je voulois. Ce lieu estoit tout environné des
prairies, où j'accomoday un cabinet avec de beaux arbres, pour
y aller prendre de la fraischeur. J'y fis aussi un petit
79/227 reservoir pour y mettre du poisson d'eau sallée, que nous
prenions quand nous en avions besoin. J'y semay quelques
graines, qui proffiterent bien: & y prenois un singulier
plaisir: mais auparavant il y avoit bien fallu travailler. Nous
y allons souvent passer le temps: & sembloit que les petits
oiseaux d'alentour en eussent du contentement: car ils s'y
amassoient en quantité, & y faisoient un ramage & gasouillis si
aggreable, que je ne pense pas jamais en avoir ouy de
semblable.
Le plan de l'habitation estoit de 10 toises de long, & 8 de
large, qui font trentesix de circuit. Du costé de l'orient est
un magazin de la largeur d'icelle, & une fort belle cave de 5 à
6 pieds de haut. Du costé du Nord est le logis du sieur de Mons
eslevé d'assez belle charpenterie [123]. Au tour de la basse
court sont les logemens des ouvriers. A un coing du costé de
l'occident y a une platte forme, où on mit quatre pièces de
canon, & à l'autre coing vers l'orient est une palissade en
façon de platte forme: comme on peut veoir par la figure
suivante[124].
[Note 123: C'est le logis qui correspond aux lettres N, N, dans
l'_abitation du port royal_, dont l'auteur nous a conservé une vue.
Autant qu'on peut en juger par le dessin, ce logis devait avoir environ
quarante pieds de long.]
[Note 124: Dans la première édition, la figure de l'habitation était
intercalée dans le texte.]
227a
[Illustration: Habitation du Port Royal]
A Logemens des artisans.
B Plate forme où estoit le canon.
C Le magasin.
D Logement du sieur de Pontgravé & Champlain.
E La forge.
F Palissade de pieux.
G Le four,
H La cuisine.
0 Petite maisonnette où l'on retiroit les utansiles de nos barques;
que depuis le sieur de Poitrincourt fit rebastir, & y logea le sieur
Boulay quand le sieur du Pont s'en revint en France.
P (1) La porte de l'abitation.
Q (2) Le cemetiere.
R (3) La riviere.
(1) Cette lettre manque dans le dessin; mais la porte est bien
reconnaissable tant par sa figure que par l'avenue qui y aboutit--(2) K,
dans le dessin--(3) L, dans le dessin.
Quelques jours après que les bastiments furent achevez, je fus
à la riviere S. Jean, pour chercher le sauvage appellé
Secondon, lequel avoit mené les gens de Preverd à la mine de
cuivre, que j'avois desja esté chercher avec le sieur de Mons,
quand nous fusmes au port aux mines, & y perdismes nostre
temps. L'ayant trouvé, je le priay d'y venir avec nous: ce
80/228 qu'il m'accorda fort librement: & nous la vint monstrer. Nous y
trouvasmes quelques petits morceaux de cuivre de l'espoisseur
d'un sold; & d'autres plus, enchassez dans des rochers
grisastres & rouges. Le mineur qui estoit avec nous, appellé
Maistre Jaques, natif d'Esclavonie, homme bien entendu à la
recherche des minéraux, fut tout au tour des costaux voir s'il
trouveroit de la gangue; mais il n'en vid point: Bien trouva
il à quelques pas d'où nous avions prins les morceaux de cuivre
susdit, une manière de mine qui en approchoit aucunement. Il
dit que par l'apparence du terrouer, elle pourroit estre bonne
si on y travailloit, & qu'il n'estoit croyable que dessus la
terre il y eut du cuivre pur, sans qu'au fonds il n'y en eut en
quantité. La vérité est, que si la mer ne couvroit deux fois le
jour les mines, & qu'elles ne fussent en rochers si durs, on en
espereroit quelque chose.
Apres l'avoir recogneue, nous nous en retournasmes à nostre
habitation, où nous trouvasmes de nos gens malades du mal de la
terre, mais non si griefvement qu'en l'isle S. Croix, bien que
de 45 que nous estions il en mourut 12 dont le mineur fut du
nombre, & cinq malades, qui guérirent le printemps venant.
Nostre chirurgien appelle des Champs, de Honfleur, homme expert
en son art, fit ouverture de quelques corps, pour veoir s'il
recognoistroit mieux la cause des maladies, que n'avoient fait
ceux de l'année précédente. Il trouva les parties du corps
offencées comme ceux qui furent ouverts en l'isle S. Croix, &
ne peut on trouver remède pour les guérir non plus que les
autres.
81/229 Le 20 Decembre il commença à neger: & passa quelques glaces par
devant nostre habitation. L'yver ne fut si aspre qu'il avoit
esté l'année d'auparavant, ny les neges si grandes, ny de si
longue durée. Il fit entre autres choses un si grand coup de
vent le 20 de Fevrier 1605 [125] qu'il abbattit une grande
quantité d'arbres avec leurs racines, & beaucoup qu'il brisa.
C'estoit chose estrange à veoir. Les pluyes furent assez
ordinaires, qui fut occasion du peu d'yver, au regard du passé,
bien que du port Royal à S. Croix, n'y ait que 25 lieues.
[Note 125: Février 1606. C'est peut-être par inadvertance, plutôt que
par un reste de l'ancienne coutume de commencer l'année à Pâques, que
Champlain met ici 1605: car on peut voir plus loin, au chapitre XVI,
que, dès l'année suivante, il compte exactement comme nous.]
Le premier jour de Mars, Pont-gravé fit accommoder une barque
du port de 17 à 18 tonneaux, qui fut preste au 15 pour aller
descouvrir le long de la coste de la Floride.
Pour cet effect nous partismes le 16 ensuivant, & fusmes
contraints de relascher à une isle au su de Menasne, & ce jour
fismes 18 lieues, & mouillasmes l'ancre dans une ance de sable,
à l'ouvert de la mer, où le vent de su donnoit, qui se renforça
la nuit d'une telle impetuosité que ne peusmes tenir à l'ancre,
& fallut par force aller à la coste, à la mercy de Dieu & des
ondes, qui estoient si furieuses & mauvaises, que comme nous
appareillions le bourcet sur l'ancre, pour après coupper le
câble sur l'escubier, il ne nous en donna le loisir car
aussitost il se rompit sans coup frapper. A la ressaque le vent
& la mer nous jetterent sur un petit rocher, & n'attendions que
l'heure de voir briser nostre barque, pour nous sauver sur
82/230 quelques esclats d'icelle, si eussions peu. En ce desespoir il
vint un coup de mer si grand & favorable, après en avoir receu
plusieurs autres, qu'il nous fit franchir le rocher, & nous
jetta en une petite playe de sable, qui nous guarentit pour
ceste fois de naufrage.
La barque estant eschouée, l'on commença promptement à
descharger ce qu'il y avoit dedans, pour voir où elle estoit
offencée, qui ne fut pas tant que nous croyons. Elle fut
racoustrée promptement par la diligence de Champdoré Maistre
d'icelle. Estant bien en estat on la rechargea en attendant le
beau temps, & que la fureur de la mer s'apaisast, qui ne fut
qu'au bout de quatre jours, sçavoir le 21 Mars, auquel
sortismes de ce malheureux lieu, & fusmes au port aux
Coquilles, à 7 ou 8 lieues de là, qui est à l'entrée de la
riviere saincte Croix, où y avoit grande quantité de neges.
Nous y arrestasmes jusques au 29 dudit mois, pour les brumes &
vents contraires, qui sont ordinaires en ces saisons, que le
Pont-gravé print resolution de relascher au port Royal, pour
voir en quel estat estoient nos compagnons, que nous y avions
laissez malades. Y estans arrivés le Pont fut atteint d'un mal
de coeur, qui nous fit retarder jusques au 8 d'Avril.
Et le 9 du mesme mois il s'embarqua, bien qu'il se trouvast
encores maldisposé, pour le desir qu'il avoit de voir la coste
de la Floride, & croyant que le changement d'air luy rendroit
la santé. Ce jour fusmes mouiller l'ancre & passer la nuit à
l'entrée du port, distant de nostre habitation deux lieues. Le
lendemain devant le jour Champdoré vint demander au Pont-gravé
83/231 s'il desiroit faire lever l'ancre, lequel luy respondit que
s'il jugeoit le temps propre, qu'il partist. Sur ce propos
Champdoré fit à l'instant lever l'ancre & mettre le bourcet au
vent, qui estoit nort nordest, selon son rapport. Le temps
estoit fort obscur, pluvieux & plain de brumes, avec plus
d'aparence de mauvais que de beau temps. Comme l'on vouloit
sortir de l'emboucheure du port, nous fusmes tout à un coup
transportez par les marées hors du passage, & fusmes plustost
sur les rochers du costé de l'est norouest, que nous ne les
eusmes apperceus. Le Pont & moy qui estions couchez,
entendismes les matelots s'escrians & disans, Nous sommes
perdus: ce qui me fit bien tost jetter sur pieds, pour voir ce
que c'estoit. Du Pont estoit encores malade, qui l'empescha de
se lever si promptement qu'il desiroit. Je ne fus pas sitost
sur le tillac, que la barque fut jettée à la coste & le vent se
trouva nort, qui nous poussoit sur une pointe. Nous
deffrelasmes la grande voille, que l'on mit au vent, & la
haussa l'on le plus qu'il fut possible pour nous pousser
tousjours sur les rochers, de peur que le ressac de la marée,
qui perdoit de bonne fortune, ne nous attirast dedans, d'où il
eust esté impossible de nous sauver. Du premier coup que nostre
barque donna sur les rochers le gouvernail fut rompu, une
partie de la quille, & trois ou quatre planches enfoncées, avec
quelques membres brisez, qui nous donna estonnement: car nostre
barque s'emplit incontinent; & ce que nous peusmes faire, fut
d'attendre que la mer se retirast de dessoubs, pour mettre pied
à terre: car autrement nous courions risque de la vie, à cause
84/232 de la houlle qui estoit fort grande & furieuse au tour de nous.
La mer estant donc retirée nous descendismes à terre par le
temps qu'il faisoit, où promptement on deschargea la barque de
ce qu'il y avoit, & sauvasmes une bonne partie des commoditez
qui y estoient, à l'aide du Capitaine sauvage Secondon, & de
ses compagnons, qui vindrent à nous avec leurs canots, pour
reporter en nostre habitation ce que nous avions sauvé de
nostre barque, laquelle toute fracassée s'en alla au retour de
la mer en plusieurs pièces: & nous bien heureux d'avoir la vie
sauve retournasmes en nostre habitation avec nos pauvres
sauvages, qui y demeurèrent presque une bonne partie de l'yver,
où nous louasmes Dieu de nous avoir preservez de ce naufrage,
dont n'esperions sortir à si bon marché.
La perte de nostre barque nous fit un grand desplaisir, pour
nous voir, à faute de vaisseau, hors d'esperance de parfaire le
voyage que nous avions entreprins, & de n'en pouvoir fabriquer
un autre, car le temps nous pressoit, bien qu'il y eust encore
une barque sur les chantiers: mais elle eut esté trop long
temps à mettre en estat, & ne nous en eussions peu servir qu'au
retour des vaisseaux de France, qu'attendions de jour en autre.
Ce fut une grande disgrace, & faute de prevoyance au Maistre,
qui estoit opiniastre & peu entendu au fait de la marine, qui
ne croioit que sa teste. Il estoit bon Charpentier, adroit à
fabriquer des vaisseaux, & soigneux de les accommoder de choses
necessaires: mais il n'estoit nullement propre à les conduire.
Le Pont estant à l'habitation, fit informer à l'encontre de
85/233 Champdoré, qui estoit accusé d'avoir malicieusement mis nostre
barque à la coste; & sur ses informations fut emprisonné &
emmenotté, d'autant qu'on le vouloit mener en France pour le
mettre entre les mains du sieur de Mons, & en requérir justice.
Le 15 de Juin le Pont voyant que les vaisseaux de France ne
revenoient point, fit desemmenotter Champdoré pour parachever
la barque qui estoit sur les chantiers, lequel s'aquitta fort
bien de son devoir.
Et le 16 juillet, qui estoit le temps que nous nous devions
retirer, au cas que les vaisseaux ne fussent revenus, ainsi
qu'il estoit porté par la commission qu'avoit donnée le sieur
de Monts au Pont, nous partismes de nostre habitation pour
aller au cap Breton ou à Gaspé, chercher le moyen de retourner
en France, puis que nous n'en n'avions aucunes nouvelles.
Il y eust deux de nos hommes[126] qui demeurèrent de leur propre
volonté pour prendre garde à ce qui restoit des commoditez en
l'habitation, à chacun desquels le Pont promit cinquante escus
en argent, & cinquante autres qu'il devoit faire valoir leur
practique, en les venant requérir l'année suivante.
[Note 126: Lescarbot nous a conservé les noms de ces deux braves: l'un
s'appelait La Taille, et l'autre Miquelet. «Je ne puis que je ne loue,
dit-il, le gentil courage de ces deux hommes... & méritent bien d'être
ici enchassées, pour avoir exposé si librement leurs vies à la
conservation du bien de la Nouvelle-France. Car le sieur du Pont n'ayant
qu'une barque & une patache, pour venir chercher vers la Terre-neuve des
navires de France, ne pouvoit se charger de tant de meubles, blez,
farines & marchandises, qui etoient par-delà, léquels il eût fallu
jetter dans la mer (ce qui eût été à notre grand prejudice, & en avions
bien peur) si ces deux hommes n'eussent pris le hazard de demeurer là
pour la conservation de ces choses. Ce qu'ilz firent volontairement, &
de gayeté de coeur.» (Liv. IV, ch. XII.)]
86/234 Il y eut un Capitaine des sauvages appellé Mabretou[127] qui
promit de les maintenir, & qu'ils n'auroient non plus de
deplaisir que s'ils estoient ses propres enfans. Nous l'avions
recogneu pour bon sauvage en tout le temps que nous y fusmes,
bien qu'il eust le renom d'estre le plus meschant & traistre
qui fut entre ceux de sa nation.
[Note 127: Lescarbot et le P. Biard écrivent _Membertou_.]
_Partement du port Royal pour retourner en France. Rencontre de
Ralleau au cap de Sable, qui fit rebrouser chemin._
CHAPITRE XII.
LE 17 du mois, suivant la resolution que nous avions prise,
nous partismes de l'emboucheure du port Royal avec deux
barques, l'une du port de 18 tonneaux, & l'autre de 7 à 8 pour
parfaire la routte du cap Breton ou de Campseau & vinsmes
mouiller l'ancre au destroit de l'isle Longue, où la nuit
nostre câble rompit & courusmes risque de nous perdre par les
grandes marées qui jettent sur plusieurs pointes de rochers,
qui sont dans & à la sortie de ce lieu: Mais par la diligence
d'un chacun on y remédia & fit on en sorte qu'on en sortit pour
ceste fois.
Le 21 du mois il vint un grand coup de vent qui rompit les
ferremens de nostre gouvernail entre l'isle Longue & le cap
fourchu, & nous mit en telle peine, que nous ne sçavions de
quel bois faire flesches: car d'aborder la terre, la furie de
la mer ne le permettoit pas, par ce qu'elle brisoit haute comme
87/235 des montaignes le long de la coste: de façon que nous
resolusmes plustost mourir à la mer, que d'aborder la terre,
sur l'esperance que le vent & la tourmente s'appaiseroit, pour
puis après ayant le vent en pouppe aller eschouer en quelque
playe de sable. Comme chacun pensoit à part soy à ce qui seroit
de faire pour nostre seureté, un matelot dit, qu'une quantité
de cordages attachez au derrière de la barque, & traînant en
l'eau, nous pourroit aucunement servir pour gouverner nostre
vaisseau, mais ce fut si peu que rien, & vismes bien que si
Dieu ne nous aidoit d'autres moyens, celuy là ne nous eust
guarentis du naufrage. Comme nous estions pensifs à ce qu'on
pourroit faire pour nostre seureté, Champdoré, qu'on avoit de
rechef emmenotté, dit à quelques uns de nous, que si le Pont
vouloit qu'il trouveroit moyen de faire gouverner nostre
barque: ce que nous rapportasmes au Pont, quine refusa pas
cette offre, & les autres encore moins. Il fut donc
desemmenotté pour la seconde fois, & quant & quant prist un
câble qu'il coupa, & en accommoda fort dextrement le
gouvernail & le fit aussi bien gouverner que jamais il avoit
fait: & par ce moyen repare les fautes qu'il avoit commises à
la première barque qui fut perdue: & fut libéré de ce dont il
avoit esté accusé, par les prières que nous en fismes au
Pont-gravé qui eut un peu de peine à s'y resoudre.
Ce jour mesme fusmes mouiller l'ancre prez la baye courante, à
deux lieues du cap fourchu, & là fut racommodée la barque.
Le 23 du mois de Juillet fusmes proche du cap de Sable.
88/236 Le 24 du dit mois sur les deux heures du soir nous apperçeusmes
une chalouppe, proche de l'isle aux cormorans, qui venoit du
cap de Sable, qu'aucuns jugeoient estre des sauvages qui se
retiroient du cap Breton, ou de l'isle de Campseau: D'autres
disoient que ce pouvoit estre des chalouppes qu'on envoyoit de
Campseau pour sçavoir de nos nouvelles. Enfin approchant plus
prez on vid que c'estoient François, ce qui nous resjouit fort:
Et comme elle nous eust presque joints, nous recogneusmes
Ralleau Secrétaire du sieur de Mons, ce qui nous redoubla le
contentement. Il nous fit entendre que le sieur de Mons
envoyoit un vaisseau de six vingts tonneaux [128], & que le
sieur de Poitrincourt y commandoit, & estoit venu pour
Lieutenant général, & demeurer au pays avec cinquante hommes: &
qu'il avoit mis pied à terre à Campseau, d'où ledit vaisseau
avoit pris la plaine mer, pour voir s'il ne nous descouvriroit
point, cependant que luy s'en venoit le long de la coste dans
une chalouppe pour nous rencontrer au cas qu'y fussions en
chemin, croyans que serions partis du port Royal, comme il
estoit bien vray: Et en cela firent fort sagement. Toutes ces
nouvelles nous firent rebrousser chemin; & arrivasmes au port
Royal le 25 [129] du mois, où nous trouvasmes ledict vaisseau,
& le sieur de Poitrincourt, ce qui nous apporta beaucoup de
89/237 resjouissance, pour voir renaistre ce qui estoit hors
d'esperance. Il nous dit que ce qui avoit causé son retardement
estoit un accident qui estoit survenu au vaisseau, au sortir de
la chaine de la Rochelle, d'où il estoit party, & avoit esté
contrarié du mauvais temps sur son voyage [130].
[Note 128: C'était le _Jonas_, où se trouvait Lescarbot.]
[Note 129: Le 31 juillet, qui était un lundi. Pour que Pont-Gravé et
Champlain eussent pu retourner au port Royal dans l'espace d'environ
vingt-quatre heures, il eût fallu un concours de circonstances si
exceptionnelles, que l'auteur n'aurait pas manqué de le faire observer.
En outre, quand ils arrivèrent à Port-Royal, le vaisseau et M. de
Poutrincourt y étaient déjà rendus: or, suivant Lescarbot, qui, en cet
endroit, donne toutes les dates de ces diverses circonstances, le
vaisseau entra dans le port le jeudi 27 de juillet, et Pont-Gravé arriva
«le lundi dernier jour de juillet.» (Liv. IV, ch. XIII.)]
[Note 130: Toutes ces circonstances sont rapportées en détail dans
Lescarbot, liv. IV, chapitres IX-XIII.]
Le lendemain le sieur de Poitrincourt commença à discourir de
ce qu'il devoit faire, & avec l'advis d'un chacun se resolut de
demeurer au port Royal pour ceste année, d'autant que l'on
n'avoit descouvert aucune chose depuis le sieur de Mons, & que
quatre mois qu'il y avoit jusques à l'yver n'estoit assez pour
chercher & faire une autre habitation: encore avec un grand
vaisseau, qui n'est pas comme une barque, qui tire peu d'eau,
furette par tout, & trouve des lieux à souhait pour faire des
demeures: mais que durant ce temps on iroit seulement
recognoistre quelque endroit plus commode pour nous loger[131].
[Note 131: Tout en décidant qu'on hivernerait encore à Port-Royal, parce
qu'on n'avait pu, jusqu'ici, trouver de lieu plus commode, M. de
Poutrincourt devait suivre les instructions que lui avait données M. de
Monts, à son départ de France. «Le sieur de Monts, dit Lescarbot, ayant
desiré de s'élever au su tant qu'il pourroit & chercher un lieu bien
habitable par delà Malebarre, avoit prié le sieur de Poutrincourt de
passer plus loin qu'il n'avoit été, & chercher un port convenable en
bonne température d'air, ne faisant plus de cas de Port-Royal que de
sainte Croix, pour ce qui regarde la santé. A quoy voulant obtempérer le
dit sieur de Poutrincourt, il ne voulut attendre le printemps, sachant
qu'il auroit d'autres exercices à s'occuper.»]
Sur ceste resolution le sieur de Poitrincourt envoya aussitost
quelques gens de travail au labourage de la terre, en un lieu
qu'il jugea propre, qui est dedans la riviere, à une lieue &
demie de l'habitation du port Royal, où nous pensames faire
90/238 nostre demeure [132], & y fit semer du bled, seigle, chanvre, &
plusieurs autres graines, pour voir ce qu'il en reussiroit. Le
22 d'Aoust, on advisa une petite barque qui tiroit vers nostre
habitation. C'estoit des Antons de S. Maslo, qui venoit de
Campseau, où estoit son vaisseau[133], à la pesche du poisson,
pour nous donner advis qu'il y avoit quelques vaisseaux au tour
du cap Breton qui traittoient de pelleterie[144], & que si on
vouloit envoyer nostre navire, il les prendroit en s'en
retournant en France: ce qui fut resolu après qu'il seroit
deschargé des commodités qui estoient dedans.
[Note 132: Voir ci-dessus p. 77. C'est précisément le lieu où est
maintenant Annapolis, au sud de la rivière de l'Équille (aujourd'hui
rivière d'Annapolis), et près de l'endroit où la rivière du Moulin se
jette dans celle de l'Équille.]
[Note 133: _Le Saint-Étienne_.]
[Note 134: «Quant au sieur du Pont, dit Lescarbot, il deliberoit en
passant d'attaquer un marchand de Rouen nommé Boyer (lequel contre les
deffenses du Roy étoit allé par delà troquer avec les Sauvages, après
avoir été délivré des prisons de la Rochelle par le consentement du
sieur de Poutrincourt, & souz promesse qu'il n'iroit point) mais il
étoit ja parti.» (Liv. IV, ch. XIII.)]
Ce qu'estant fait, du Pont-gravé s'enbarqua dedans avec le
reste de ses compagnons qui avoient demeuré l'yver avec luy au
port Royal, horsmis quelques uns, qui fut Champdoré & Foulgere
de Vitré. J'y demeuray aussi avec le sieur de Poitrincourt,
pour moyennant l'aide de Dieu, parfaire la carte des costes &
pays que j'avois commencé. Toutes choses mises en ordre en
l'habitation, le sieur de Poitrincourt fit charger des vivres
pour nostre voyage de la coste de la Floride.
Et le 29 d'Aoust partismes du port Royal quant & Pont-gravé, &
des Antons qui alloient au cap Breton & à Campseau pour se
saisir des vaisseaux qui fesoient traitte de pelleterie, comme
j'ay dit cy dessus. Estans à la mer nous fusmes contraints de
relascher au port pour le mauvais vent qu'allions. Le grand
vaisseau tint tousjours sa route & bientost le perdismes de
veue.
91/239
_Le sieur de Poitrincourt part du port Royal pour faire des
descouvertures. Tout ce que l'on y vid: & ce qui y arriva
jusques à Male-barre._
CHAPITRE XIII.
Le 5 Septembre nous partismes de rechef du port Royal [135].
[Note 135: D'après Lescarbot, M. de Poutrincourt relâcha par deux fois.
«Quant au sieur de Poutrincourt, dit-il, il print la volte de l'ile
sainte Croix première demeure des François, ayant Champdoré pour maître
& conducteur de sa barque, mais contrarié du vent, & pour ce que sa
barque faisoit eau, il fut contraint de relâcher par deux fois.»]
Le 7 nous fusmes à rentrée de la riviere S. Croix, où
trouvasmes quantité de sauvages, entre autres Secondon &
Messamouet. Nous nous y pensames perdre contre un islet de
rochers, par l'opiniastreté de Champdoré, à quoy il estoit fort
subject.
Le lendemain fusmes dedans une chalouppe à l'isle de S. Croix,
où le sieur de Mons avoit yverné, voir si nous trouverions
quelques espics du bled, & autres graines qu'il y avoit fait
semer. Nous trouvasmes du bled qui estoit tombé en terre, &
estoit venu aussi beau qu'on eut sceu desirer[136], & quantité
d'herbes potagères qui estoient venues belles & grandes: cela
nous resjouit infiniment, pour voir que la terre y estoit bonne
& fertile.
[Note 136: Monsieur de Poutrincourt «nous en envoya au Port Royal, dit
Lescarbot, où j'étois demeuré, ayant été de ce prié pour avoir l'oeil à
la maison, & maintenir ce qui y restoit de gens en concorde. A quoy
j'avoy condescendu (encores que cela eust été laissé à ma volonté) pour
l'asseurance que nous nous donnions que l'an suivant l'habitation se
seroit en païs plus chaut par delà Malebarre, & que nous irions tous de
compagnie avec ceux qu'on nous envoyeroit de France. Pendant ce temps je
me mis à préparer de la terre, & faire des clôtures & compartimens de
jardins pour y semer des légumes, & herbes de ménage. Nous fimes aussi
faire un fossé tout à l'entour du Fort, lequel étoit bien necessaire
pour recevoir les eaux & humidités qui paravant decouloient par dessouz
les logemens parmi les racines des arbres qu'on y avoit défrichez: ce
qui paraventure rendoit le lieu mal sain.» (Liv. IV, ch. XIII.)]
92/240 Apres avoir visité l'isle, nous retournasmes à nostre barque,
qui estoit du port de 18 tonneaux, & en chemin prismes quantité
de maquereaux, qui y sont en abondance en ce temps là; & se
resolut on de continuer le voyage le long de la coste, ce qui
ne fut pas trop bien consideré: d'autant que nous perdismes
beaucoup de temps à repasser sur les descouvertures que le
sieur de Mons avoit faites jusques au port de Malebarre, & eut
esté plus à propos, selon mon opinion, de traverser du lieu où
nous estions jusques audict Malebarre, dont on sçavoit le
chemin, & puis employer le temps jusques au 40° degré, ou plus
su, & au retour revoir toute la coste à son plaisir.
Après ceste resolution nous prismes avec nous Secondon &
Messamouet, qui vindrent jusques à Chouacoet dedans une
chalouppe, où ils vouloient aller faire amitié avec ceux du
pays en leur faisant quelques presens.
Le 12 de Septembre nous partismes de la riviere saincte Croix.
93/241 Le 21[137] arrivasmes à Chouacoet, où nous vismes Onemechin
chef de la riviere, & Marchin, lesquels avoient fait la
cueillette de leur bleds. Nous vismes des raisins à l'isle de
Bacchus qui estoient meurs, & assez bons: & d'autres qui ne
l'estoient pas, qui avoient le grain aussi beau que ceux de
France, & m'asseure que s'ils estoient cultivez, on en feroit
de bon vin.
[Note 137: Lescarbot nous donne sur cette navigation de Sainte-Croix à
Chouacouet, quelques détails que Champlain omet sans doute parce qu'il
était ennuyé de suivre le même chemin, et qu'il avait déjà décrit tous
ces lieux, «Revenons au sieur de Poutrincourt, dit-il, lequel nous avons
laissé en l'ile Sainte-Croix. Apres avoir là fait une reveue, & caressé
les Sauvages qui y étoient, il s'en alla en quatre jours à _Pemptegoet_,
qui est ce lieu tant renommé souz le nom de _Norombega_. Et ne falloit
un si long temps pour y parvenir, mais il s'arrêta sur la route à faire
racoutrer sa barque: car à cette fin il avoit mené un serrurier & un
charpentier, & quantité d'ais. Il traversa les iles qui sont à
l'embouchure de la rivière, & vint à _Kinibeki_, là où sa barque fut en
péril à-cause des grans courans d'eaux que la nature du lieu y fait.
C'est pourquoy il ne s'y arrêta point, ains passa outre à la Baye de
_Marchin_, qui est le nom d'un Capitaine Sauvage, lequel à l'arrivée
dudit sieur commença à crier hautement _Hé, hé_: A quoy on lui répondit
de même. Il répliqua demandant en son langage: Qui êtes-vous? On lui dit
que c'étoient amis. Et là dessus à l'approcher le sieur de Poutrincourt
traita amitié avec lui, & lui fit des presens de couteaux, haches, &
_Matachiaz_, c'est à dire écharpes, carquans, & brasselets faits de
patenôtres, ou de tuyaux de verre blanc & bleu, dont il fut fort aise,
même de la confédération que ledit sieur de Poutrincourt faisoit avec
lui, reconnoissant bien que cela lui feroit beaucoup de support. Il
distribua à quelques uns d'un grand nombre de peuple qu'il avoit autour
de soy, les presens dudit sieur de Poutrincourt, auquel il apporta force
chairs d'Orignac, ou Ellan (car les Basques appellent un Cerf, ou Ellan,
Orignac) pour refraichir de vivres la compagnie. Cela fait, on tendit
les voiles vers _Chouakoet_.» (Liv. IV, ch. XIV.)]
En ce lieu le sieur de Poitrincourt retira un prisonnier
qu'avoit Onemechin, auquel Messamouet fit des presens de
chaudières, haches, cousteaux, & autres choses[138]. Onemechin
luy en fit au réciproque, de bled d'Inde, cytrouilles, febves
du Bresil: ce qui ne contenta pas beaucoup ledit Messamouet,
qui partit d'avec eux fort mal content, pour ne l'avoir pas
bien recogneu, de ce qu'il leur avoit donné, en dessein de leur
94/242 faire la guerre en peu de temps: car ces nations ne donnent
qu'en donnant, si ce n'est à personnes qui les ayent bien
obligez, comme de les avoir assistez en leurs guerres.
[Note 138: «Messamouet, capitaine en la rivière du port de la Heve, sur
lequel on avoit pris ce prisonier,» & Secondon «avoient force
marchandises troquées avec les François, léquelles ilz venoient là
débiter, sçavoir chaudières grandes, moyennes, & petites, haches,
couteaux, robbes, capots, camisoles rouges, pois, fèves, biscuit, &
autres choses. Sur ce voici arriver douze ou quinze bateaux pleins de
Sauvages de la sujetion d'_Olmechin, iceux en bon ordre, tous peinturés
à la face, selon leur coutume, quand ilz veulent être beaux, ayans
l'arc, & la flèche en main, & le carquois auprès d'eux, léquels ilz
mirent bas à bord. A l'heure _Messamoet_ commence à haranguer devant les
Sauvages, leur remontrant comme par le passé ils avoient eu souvent de
l'amitié ensemble; & qu'ilz pourroient facilement domter leurs ennemis
s'ils se vouloient entendre, & se servir de l'amitié des François,
léquels ils voyoient là presens pour reconoitre leur pais, à fin de leur
porter des commodités à l'avenir, & les secourir de leurs forces,
léquelles il sçavoit, & les leur representoit d'autant mieux, que lui
qui parloit étoit autrefois venu en France, & y avoit demeuré en la
maison du sieur de Grandmont Gouverneur de Bayonne. Somme, il fut prés
d'une heure à parler avec beaucoup de véhémence & d'affection, & avec un
contournement de corps & de bras tel qu'il est requis en un bon Orateur.
Et à la fin jetta toutes ses marchandises (qui valoient plus de trois
cens escus rendues en ce païs-là) dans le bateau d'_Olmechin_, comme lui
faisant present de cela en asseurance de l'amitié qu'il lui vouloit
témoigner. Cela fait la nuit s'approchoit, & chacun se retira.»
(Lescarbot, liv, IV, ch. XIV.)]
Continuant nostre routte, nous allasmes au cap aux isles, où
fusmes un peu contrariez du mauvais temps & des brumes; & ne
trouvasmes pas beaucoup d'apparence de passer la nuit: d'autant
que le lieu n'y estoit pas propre. Comme nous estions en ceste
peine, il me resouvint, que rengeant la coste avec le sieur de
Mons, j'avois, à une lieue de là, remarqué en ma carte un lieu,
qui avoit apparence d'estre bon pour vaisseaux, ou n'entrasmes
point à cause que nous avions le vent propre à faire nostre
routte, lors que nous y passames. Ce lieu estoit derrière nous,
qui fut occasion que je dis au sieur de Poitrincourt qu'il
faloit relascher à une pointe que nous y voiyons, où estoit le
lieu dont il estoit question, lequel me sembloit estre propre
pour y passer la nuit. Nous fusmes mouiller l'ancre à l'entrée,
& le lendemain entrasmes dedans.
Le sieur de Poitrincourt y mit pied à terre avec huit ou dix de
nos compagnons. Nous vismes de fort beaux raisins qui estoient
à maturité, pois du Bresil, courges, cytrouilles, & des racines
qui sont bonnes, tirant sur le goust de cardes, que les
sauvages cultivent. Il nous en firent quelques presens en
contr'eschange d'autres petites bagatelles qu'on leur donna.
Ils avoient desja fait leur moisson. Nous vismes 200 sauvages
en ce lieu, qui est assez aggreable, & y a quantité de noyers,
cyprès, sasafras, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont
tresbeaux. Le chef de ce lieu s'appelle Quiouhamenec, qui nous
95/243 vint voir avec un autre sien voisin nommé Cohouepech, à qui
nous fismes bonne chère. Onemechin chef de Chouacoet nous y
vint aussi voir, à qui on donna un habit qu'il ne garda pas
long temps, & en fit present à un autre, à cause qu'estant
gesné dedans il ne s'en pouvoit accommoder. Nous vismes aussi
en ce lieu un sauvage qui se blessa tellement au pied, & perdit
tant de sang, qu'il en tomba en syncope, autour duquel en vint
nombre d'autres chantans un espace de temps devant que de luy
toucher: après firent quelques gestes des pieds & des mains, &
luy secouerent la teste, puis le soufflant il revint à luy.
Nostre chirurgien le pensa, & ne laissa après de s'en aller
gayement.
Le lendemain comme on calfeustroit nostre chalouppe, le sieur
de Poitrincourt apperceut dans le bois quantité de sauvages,
qui venoyent en intention de nous faire quelque desplaisir, se
rende à un petit ruisseau qui est sur le destroit d'une
chaussée, qui va à la grande terre, où de nos gens
blanchissoient du linge. Comme je me pourmenois le long
d'icelle chaussée ces sauvages m'apperçeurent, & pour faire
bonne mine, à cause qu'ils virent bien que je les avois
descouvers en pareil temps, ils commancerent à s'escrier & se
mettre à danser: puis s'en vindrent à moy avec leurs arcs,
flesches, carquois & autres armes. Et d'autant qu'il y avoit
une prairie entre eux & moy, je leur fis signe qu'ils
redansassent; ce qu'ils firent en rond, mettant toutes leurs
armes au milieu d'eux. Ils ne faisoient presque que commencer,
qu'ils adviserent le sieur de Poitrincourt dedans le bois avec
96/244 huit arquebusiers, ce qui les estonna: toutesfois ne laisserent
d'achever leur danse, laquelle estant finie, ils se retirèrent
d'un costé & d'autre, avec apprehention qu'on ne leur fit
quelque mauvais party: Nous ne leur dismes pourtant rien, & ne
leur fismes que toutes demonstrations de resjouinance; puis
nous revinsmes à nostre chalouppe pour la mettre à l'eaue, &
nous en aller. Ils nous prièrent de retarder un jour, disans
qu'il viendroit plus de deux mil hommes pour nous voir: mais ne
pouvans perdre temps, nous ne voulusmes diferer d'avantage. Je
croy que ce qu'ils en fesoient estoit pour nous surprendre. Il
y a quelques terres desfrichées, & en desfrichoient tous les
jours: en voicy la façon. Ils couppent les arbres à la hauteur
de trois pieds de terre, puis font brusler les branchages sur
le tronc, & sement leur bled entre ces bois couppez: & par
succession de temps ostent les racines. Il y a aussi de belles
prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce port est tresbeau
& bon, où il y a de l'eau assez pour les vaisseaux, & où on se
peut mettre à l'abry derrière des isles. Il est par la hauteur
de 43 degrez de latitude; & l'avons nommé le Beau-port [139].
[Note 139: Aujourd'hui _Gloucester_.]
244a
[Illustration: Le beau port.]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu où estoit nostre barque.
B Prairies.
C Petite isle.
D Cap de rocher.
E Le lieu où l'on faisoit calfeutrer nostre chalouppe.
F [f] Petit islet de rochers assez haut à la coste.
G Cabanes des sauvages, & où ils labourent la terre.
H Petite riviere où il y a des prairies.
I Ruisseau.
L Langue de terre plaine de bois où il y a quantité de safrans, noyers &
vignes.
M La mer d'un cul de sac en tournant le cap aux isles.
N Petite riviere.
0 Petit ruisseau venant des preries.
P Autre petit ruisseau où l'on blanchissoit le linge.
Q Troupe de sauvages venant pour nous surprendre.
R Playe de sable.
S La coste de la mer.
T Le sieur de Poitrincourt en embuscade avec quelque 7 ou 8
arquebusiers.
V Le sieur de Champlain apersevant les sauvages.
Le dernier de Septembre nous partismes du beau port, & passâmes
par le cap S. Louys, & fismes porter toute la nuit pour gaigner
le cap blanc. Au matin une heure devant le jour nous nous
trouvasmes à vau le vent du cap blanc en la baye blanche à
huict pieds d'eau, esloignez de la terre une lieue, où nous
mouillasmes l'ancre, pour n'en approcher de plus prés, en
97/245 attendant le jour; & voir comme nous estions de la marée.
Cependant envoyasmes sonder avec nostre chalouppe, & ne trouva
on plus de huit pieds d'eau: de façon qu'il fallut délibérer
attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau diminua
jusques à cinq pieds, & nostre barque talonnoit quelquefois sur
le sable: toutesfois sans s'offencer ny faire aucun dommage:
Car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de trois pieds
d'eau soubs nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous
donna beaucoup d'esperance.
Le jour estant venu nous apperceusmes une coste de sable fort
basse, où nous estions le travers plus à vau le vent, & d'où on
envoya la chalouppe pour sonder vers un terrouer, qui est assez
haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau; & de fait on y en
trouva sept brasses. Nous y fusmes mouiller l'ancre, &
aussitost appareillasmes la chalouppe avec neuf ou dix hommes,
pour aller à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau &
bon port pour nous pouvoir sauver si le vent se fut eslevé plus
grand qu'il n'estoit. Estant recogneu nous y entrasmes à 2, 3 &
4 brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5
& 6. Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que
n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux Huistres
[140]: & est par la hauteur de 42 degrez [141] de latitude. Il
y vint à nous trois canots de sauvages. Ce jour le vent nous
vint favorable, qui fut cause que nous levasmes l'ancre pour
98/246 aller au Cap blanc, distant de ce lieu de 5 lieues, au Nord un
quart du Nordest, & le doublasmes.
[Note 140: La baie de Barnstable. Il semble qu'elle ait légué son ancien
nom à une baie plus petite qu'elle renferme et que l'on appelle baie aux
Huîtres (Oysters Bay).]
[Note 141: L'entrée du port aux Huîtres est par les 41° 45'.]
Le lendemain 2 d'Octobre arrivasmes devant Malebarre, où
sejournasmes quelque temps pour le mauvais vent qu'il faisoit,
durant lequel, le sieur de Poitrincourt avec la chalouppe
accompagné de 12 à 15 hommes, fut visiter le port, où il vint
au-devant de luy quelque 150 sauvages, en chantant & dansant,
selon leur coustume. Apres avoir veu ce lieu nous nous en
retournasmes en nostre vaisseau, où le vent venant bon, fismes
voille le long de la coste courant au Su.
_Continuation des susdites descouvertures: & ce qui y fut
remarqué de singulier._
CHAPITRE XIV.
Comme nous fusmes à quelque six lieues de Malebarre, nous
mouillasmes l'ancre proche de la coste, d'autant que n'avions
bon vent. Le long d'icelle nous advisames des fumées que
faisoient les sauvages: ce qui nous fit délibérer de les aller
voir: pour cet effect on esquipa la chalouppe: Mais quand nous
fusmes proches de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes
l'aborder: car la houlle estoit trop grande: ce que voyant les
sauvages, ils mirent un canot à la mer, & vindrent à nous 8 ou
9 en chantans, & faisans signes de la joye qu'ils avoient de
nous voir, & nous monstrerent que plus bas il y avoit un port,
où nous pourrions mettre nostre barque en seureté.
99/247 Ne pouvant mettre pied à terre, la chalouppe s'en revint à la
barque, & les sauvages retournèrent à terre, qu'on avoit
traicté humainement.
Le lendemain le vent estant favorable nous continuasmes notre
routte au Nord[142] 5 lieues, & n'eusmes pas plustost fait ce
chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau estans
esloignez une lieue & demie de la coste: Et allans un peu de
l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demye &
deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehention, voyant la
mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel
nous pussions retourner sur nostre chemin: car le vent y estoit
entièrement contraire.
[Note 142: Il faut lire au sud, comme le prouve assez cette expression
_continuasmes notre routte;_ c'est, du reste, ce que donne à entendre
tout le contexte.]
De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable,
il fallut passer au hasart, selon que l'on pouvoit juger y
avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que quatre
pieds au plus: & vinsmes parmy ces brisans jusques à 4 pieds &
demy: Enfin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous
passames par dessus une pointe de sable, qui jette prés de
trois lieues à la mer, au Su Suest, lieu fort dangereux.
Doublant ce cap que nous nommasmes le cap batturier, qui est à
12 ou 13 lieues de Malebarre[143], nous mouillasmes l'ancre à
deux brasses & demye d'eau, d'autant que nous nous voiyons
entournez de toutes parts de brisans & battures, reservé en
quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On
envoya la chalouppe pour trouver en achenal, à fin d'aller à un
100/248 lieu que jugions estre celuy que les sauvages nous avoient
donné à entendre: & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere,
où pourrions estre en seureté.
[Note 143: La tête de Sankaty _(Sankaty Head)_, qui fait la pointe
sud-est la plus avancée de l'île Nantucket.]
Nostre chalouppe y estant, nos gens mirent pied à terre, &
considererent le lieu, puis réunirent avec un sauvage qu'ils
amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions
entrer, ce qui fut resolu, & aussitost levasmes l'ancre, &
fusmes par la conduite du sauvage, qui nous pilotta, mouiller
l'ancre à une rade qui est devant le port, à six brasses d'eau
& bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la
nuit nous surprint.
Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc
de sable qui est à l'embouchure du port: puis la plaine mer
venant y entrasmes à deux brasses d'eau. Comme nous y fusmes,
nous louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre
gouvernail s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des
cordages, & craignions que parmy ces basses & fortes marées il
ne rompist de rechef, qui eut esté cause de nostre perte.
Dedans ce port il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine mer
deux brasses, à l'Est y a une baye qui refuit au Nort quelque
trois lieues, dans laquelle y a une isle & deux autres petits
culs de sac, qui décorent le pays, où il y a beaucoup de terres
défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage
de bled & autres grains, dont ils vivent. Il y a aussi de
tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprès, & peu
de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du
labourage & font provision de bled d'Inde pour l'yver, lequel
ils conservent en la façon qui ensuit.
101/249 Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le sable
quelque cinq à six pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds
& autres grains qu'ils mettent dans de grands tacs d'herbe,
qu'ils jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de sable
trois ou quatre pieds par dessus le superfice de la terre, pour
en prendre à leur besoin, & ce conserve aussi bien qu'il
sçauroit faire en nos greniers.
Nous vismes en ce lieu quelque cinq à six cens sauvages, qui
estoient tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une
petite peau de faon, ou de loup marin. Les femmes le sont
aussi, qui couvrent la leur comme les hommes de peaux ou de
fueillages. Ils ont les cheveux bien peignez & entrelassez en
plusieurs façons, tant hommes que femmes, à la manière de ceux
de Chouacoet; & sont bien proportionnez de leurs corps, ayans
le teinct olivastre. Ils se parent de plumes, de patenostres de
porceline, & autres jolivetés qu'ils accommodent fort
proprement en façon de broderie. Ils ont pour armes des arcs,
flesches & massues. Ils ne sont pas si grands chasseurs comme
bons pescheurs & laboureurs.
Pour ce qui est de leur police, gouvernement & créance, nous
n'en avons peu juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre que
nos sauvages Souriquois, & Canadiens, lesquels n'adorent ny la
lune ny le soleil, ny aucune chose, & ne prient non plus que
les bestes: Bien ont ils parmy eux quelques gens qu'ils disent
avoir intelligence avec le Diable, à qui ils ont grande
croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir,
où ils mentent le plus souvent: Quelques fois ils peuvent bien
102/250 rencontrer, & leur dire des choses semblables à celles qui leur
arrivent; c'est pourquoy ils ont croyance en eux, comme s'ils
estoient Prophètes, & ce ne sont que canailles qui les
enjaulent comme les Aegyptiens & Bohémiens font les bonnes gens
de vilage. Ils ont des chefs à qui ils obeissent en ce qui est
de la guerre, mais non autrement, lesquels travaillent, & ne
tiennent non plus de rang que leurs compagnons. Chacun n'a de
terre que ce qui luy en faut pour sa nourriture.
Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres
que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond,
couverts de natte faite de senne ou fueille de bled d'Inde,
garnis seulement d'un lict ou deux, eslevés un pied de terre,
faicts avec quantité de petits bois qui sont pressez les uns
contre les autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la
façon d'Espaigne (qui est une manière de natte espoisse de deux
ou trois doits) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre
de pulces en esté, mesme parmy les champs: Un jour en nous
allant pourmener nous en prismes telle quantité, que nous
fusmes contraints de changer d'habits.
Tous les ports, bayes & costes depuis Chouacoet sont remplis de
toutes sortes de poisson, semblable à celuy que nous avons
devers nos habitations; & en telle abondance, que je puis
asseurer qu'il n'estoit jour ne nuict que nous ne vissions &
entendissions passer aux costez de nostre barque, plus de mille
marsouins, qui chassoient le menu poisson. Il y a aussi
quantité de plusieurs especes de coquillages, & principalement
d'huistres. La chasse des oyseaux y est fort abondante.
103/251 Ce seroit un lieu fort propre pour y bastir & jetter les
fondemens d'une republique si le port estoit un peu plus
profond & l'entrée plus seure qu'elle n'est.
Devant que sortir du port l'on accommoda nostre gouvernail, &
fit on faire du pain de farines qu'avions apportées pour vivre,
quand nostre biscuit nous manqueroit. Cependant on envoya la
chalouppe avec cinq ou six hommes & un sauvage, pour voir si on
pourroit trouver un passage plus propre pour sortir, que celuy
par où nous estions venus.
Ayant fait cinq ou six lieues & abbordant la terre, le sauvage
s'en fuit, qui avoit eu crainte que l'on ne l'emmenast à
d'autres sauvages plus au midy, qui sont leurs ennemis, à ce
qu'il donna à entendre à ceux qui estoient dans la chalouppe,
lesquels estans de retour, nous firent rapport que jusques où
ils avoient esté il y avoit au moins trois brasses d'eau, & que
plus outre il n'y avoit ny basses ny battures.
On fit donc diligence d'accommoder nostre barque & faire du
pain pour quinze jours. Cependant le sieur de Poitrincourt
accompagné de dix ou douze arquebusiers visita tout le pays
circonvoisin, d'où nous estions, lequel est fort beau, comme
j'ay dit cy dessus, où nous vimes quantité de maisonnettes ça &
la.
Quelque 8 ou 9 jours après le sieur de Poitrincourt s'allant
pourmener, comme il avoit fait auparavant, nous apperceusmes
que les sauvages abbatoient leurs cabannes & envoyoient dans
les bois leurs femmes, enfans & provisions, & autres choses qui
leur estoient necessaires pour leur vie, qui nous donna soubçon
104/252 de quelque mauvaise intention, & qu'ils vouloyent entreprendre
sur nos gens qui travailloient à terre, & où ils demeuroient
toutes les nuits, pour conserver ce qui ne se pouvoit embarquer
le soir qu'avec beaucoup de peine, ce qui estoit bien vray: car
ils resolurent entre eux, qu'après que toutes leurs commoditez
seroient en seureté, il les viendroient surprendre à terre à
leur advantage le mieux qu'il leur seroit possible, & enlever
tout ce qu'ils avoient. Que si d'aventure ils les trouvoient
sur leurs gardes, ils viendroient en signe d'amitié comme ils
vouloient faire, en quittant leurs arcs & flesches.
Or sur ce que le sieur de Poitrincourt avoit veu, & l'ordre
qu'on luy dit qu'ils tenoient quand ils avoient envie de jouer
quelque mauvais tour, nous passames par des cabannes, où il y
avoit quantité de femmes, à qui on avoit donné des bracelets, &
bagues pour les tenir en paix, & sans crainte, & à la plus part
des hommes apparens & antiens des haches, cousteaux, & autres
choses, dont ils avoient besoing: ce qui les contentoit fort,
payant le tout en danses & gambades, avec des harangues que
nous n'entendions point. Nous passames partout sans qu'ils
eussent asseurance de nous rien dire: ce qui nous resjouist
fort, les voyans si simples en apparence comme ils montroient.
Nous revinmes tout doucement à nostre barque, accompagnez de
quelques sauvages. Sur le chemin nous en rencontrasmes
plusieurs petites trouppes qui s'amassoient peu à peu avec
leurs armes, & estoient fort estonnez de nous voir si avant
105/253 dans le pays; & ne pensoient pas que vinssions de faire une
ronde de prés de 4 à 5 lieues de circuit au tour de leur terre,
& passans prés de nous ils tremblotent de crainte que on ne
leur fist desplaisir, comme il estoit en nostre pouvoir; mais
nous ne le fismes pas, bien que cognussions leur mauvaise
volonté. Estans arrivez où nos ouvriers travailloient, le sieur
de Poitrincourt demanda si toutes choses estoient en estat pour
s'opposer aux desseins de ces canailles.
Il commanda de faire embarquer tout ce qui estoit à terre: ce
qui fut fait, horsmis celuy qui faisoit le pain qui demeura
pour achever une fournée, qui restoit, & deux autres hommes
avec luy. On leur dit que les sauvages avoient quelque mauvaise
intention & qu'ils fissent diligence, afin de s'embarquer le
soir ensuivant, scachans qu'ils ne mettoient en exécution leur
volonté que la nuit, ou au point du jour, qui est l'heure de
leur surprinse en la pluspart de leurs desseins.
Le soir estant venu, le sieur de Poitrincourt commanda qu'on
envoyast la chalouppe à terre pour quérir les hommes qui
restoient: ce qui fut fait aussitost, que la marée le peut
permettre, & dit on à ceux qui estoient à terre, qu'ils eussent
à s'embarquer pour le subject dont l'on les avoit advertis, ce
qu'ils refuserent, quelques remonstrances qu'on leur peust
faire, & des risques où ils se mettoient, & de la desobeissance
qu'ils portoient à leur chef. Ils n'en feirent aucun estat,
horsmis un serviteur du sieur de Poitrincourt, qui s'embarqua,
mais deux autres se desembarquerent de la chalouppe qui furent
trouver les trois autres, qui estoient à terre, lesquels
106/254 estoient demeurez pour manger des galettes qu'ils prindrent sur
le pain, que l'on avoit fait. Ne voulans donc faire ce qu'on
leur disoit, la chalouppe s'en revint à bort sans le dire au
sieur de Poitrincourt qui reposoit & pensoit qu'ils fussent
tous dedans le vaisseau.
Le lendemain au matin 15 d'Octobre les sauvages ne faillirent
de venir voir en quel estat estoient nos gens, qu'ils
trouverent endormis, horsmis un qui estoit auprès du feu. Les
voyans en cet estat ils vindrent doucement par dessus un petit
costau au nombre de 400 & leur firent une telle salve de
flesches, qu'ils ne leur donnèrent pas le loisir de se relever,
sans estre frappez à mort: & se sauvant le mieux qu'ils
pouvoient vers nostre barque, crians, à l'ayde on nous tue, une
partie tomba morte en l'eau: les autres estoient tout lardez de
coups de flesches, dont l'un mourut quelque temps après. Ces
sauvages menoient un bruit desesperé, avec des hurlemens tels
que c'estoit chose espouvantable à ouir.
Sur ce bruit, & celuy de nos gens, la sentinelle qui estoit en
nostre vaisseau s'escria, aux armes l'on tue nos gens: Ce qui
fit que chacun se saisit promptement des tiennes, & quant &
quant nous nous embarquasmes en la chalouppe quelque 15 ou 16
pour aller à terre: Mais ne pouvans l'abborder à cause d'un
banc de sable qu'il y avoit entre la terre & nous, nous nous
jettasmes en l'eau & passames à gay de ce banc à la grand terre
la portée d'un mousquet. Aussitost que nous y fusmes, ces
sauvages nous voyans à un trait d'arc, prirent la fuitte dans
les terres: De les poursuivre c'estoit en vain, car ils sont
107/255 merveilleusement vistes. Tout ce que nous peusmes faire, fut de
retirer les corps morts & les enterrer auprès d'une croix qu'on
avoit plantée le jour d'auparavant, puis d'aller d'un costé &
d'autre voir si nous n'en verrions point quelques uns, mais
nous perdismes nostre temps: Quoy voyans, nous nous en
retournasmes. Trois heures après ils revindrent à nous sur le
bord de la mer. Nous leur tirasmes plusieurs coups de petits
espoirs de fonte verte: & comme ils entendoient le bruit ils se
tapissoient en terre pour éviter le coup. En derision de nous
ils abbatirent la croix, & desenterrerent les corps: ce qui
nous donna un grand desplaisir, & fit que nous fusmes à eux
pour la seconde fois: mais ils s'en fuirent comme ils avoient
fait auparavant. Nous redressasmes la croix & renterrasmes les
morts qu'ils avoient jettés ça & la parmy des bruieres, où ils
mirent le feu pour les brusler, & nous en revinsmes sans faire
aucun effect comme nous avions esté l'autre fois[144], voyans
bien qu'il n'y avoit gueres d'apparence de s'en venger pour ce
coup, & qu'il failloit remettre la partie quand il plairoit à
Dieu.
[Note 144: D'autres exemplaires portent: «sans avoir rien fait contre
eux non plus que l'autre fois.»]
Le 16 du mois nous partismes du port Fortuné [145] qu'avions
nommé de ce nom pour le malheur qui nous y arriva. Ce lieu est
par la haulteur de 41 degré & un tiers de latitude, & à quelque
12 ou 13 lieues de Malebarre.
[Note 145: Le port Fortuné est bien évidemment le port de Chatham, à en
juger soit par la description que l'auteur en fait ici, soit par la
place qu'il lui assigne dans sa grande carte de 1632. Cependant, il
n'est pas à plus de sept ou huit lieues de Mallebarre, même par eau, et
sa latitude est de 41 degrés et deux tiers.]
255a
[Illustration: Port fortune.]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Estang d'eau sallée.
B Les cabannes des sauvages & leurs terres où ils labourent.
C Prairies où il y a deux petis ruisseaux.
C Prairies à l'isle qui couvrent à toutes les marées.
D Petis costaux de montaignes en l'isle remplis de bois, vignes &
pruniers.
E Estang d'eau douce, où il y a quantité de gibier.
F Manières de prairies en l'isle.
G Isle remplie de bois dedans un grand cul de sac.
H Manière d'estang d'eau salée & où il y a force coquillages,
entre autres quantité d'huîtres.
I Dunes de sable sur une lenguette de terre.
L Cul de sac.
M Rade où mouillasmes l'ancre devant le port.
N Entrée du port.
O Le port & lieu où estoit nostre barque.
P La croix que l'on planta.
Q Petis ruisseau.
R Montaigne qui descouvre de fort loin.
S La coste de la mer.
T Petite riviere.
V Chemin que nous fismes en leur pais autour de leurs logement, il est
pointé de petits points.
X Bans & baze.
Y Petite montagne qui paroit dans les terres.
Z Petits ruisseaux.
9 L'endroit où nos gens furent tués par les sauvages prés la Croix.
108/256 _L'incommodité du temps ne nous permettant, pour lors, de faire
d'avantage de descouvertures, nous fit resoudre de retourner en
l'habitation. Et ce qui nous arriva jusques en icelle._
CHAPITRE XV.
Comme nous eusmes fait quelques six ou sept lieues nous
eusmes cognoissance d'une isle que nous nommasmes la
soupçonneuse [146], pour avoir eu plusieurs fois croyance de
loing que ce fut autre chose qu'une isle, puis le vent nous
vint contraire, qui nous fit relascher au lieu d'où nous
estions partis, auquel nous fusmes deux ou trois jours sans que
durant ce temps il vint aucun sauvage se presenter à nous.
[Note 146: Dans l'édition de 1632, l'auteur dit qu'elle est «à une lieue
vers l'eau.» C'est donc vraisemblablement l'île qui porte aujourd'hui le
nom de Martha's Vineyard.]
Le 20 partismes de rechef, & rengeant la coste au Surouest prés
de 12 lieues, où passames proche d'une riviere qui est petite &
de difficile abord, à cause des basses & rochers qui sont à
l'entrée, que j'ay nommée de mon nom [147]. Ce que nous vismes
de ces costes sont terres basses & sablonneuses. Le vent nous
vint de rechef contraire, & fort impétueux, qui nous fit mettre
vers l'eau, ne pouvans gaigner ny d'un costé ny d'autre, lequel
enfin s'apaisa un peu, & nous fut favorable: mais ce ne fut que
109/257 pour relascher encore au port Fortuné, dont la coste, bien
qu'elle soit basse, ne laisse d'estre belle & bonne, toutesfois
de difficile abbord, n'ayant aucunes retraites, les lieux fort
batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus
que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses 7 à 8
brasses, encore cela ne duroit que la longueur du cable,
aussitost l'on revenoit à 2 ou 3 brasses, & ne s'y fie qui
voudra qu'il ne l'aye bien recogneue la sonde à la main.
[Note 147: L'auteur, dans sa grande carte de 1632, la marque comme
venant du nord-ouest. Or, dans l'espace d'environ douze lieues à l'ouest
du port Fortuné, il n'y a, croyons-nous, qu'une seule rivière qui suive
cette direction: c'est celle qui traverse le district de _Machpee_ et se
jette dans la baie de _Popponesset_, La plupart des cartes ne lui
assignent aucun nom.]
Estant relaschez au port, quelques heures après le fils de
Pontgravé appelé Robert, perdit une main en tirant un mousquet
qui se creva en plusieurs pièces sans offencer aucun de ceux
qui estoient auprès de luy.
Or voyant tousjours le vent contraire & ne nous pouvans mettre
en la mer, nous resolumes cependant d'avoir quelques sauvages
de ce lieu pour les emmener en nostre habitation & leur faire
moudre du bled à un moulin à bras, pour punition de l'assacinat
qu'ils avoient commis en la personne de cinq ou six de nos
gens: mais que cela se peust faire les armes en la main, il
estoit fort malaysé, d'autant que quand on alloit à eux en
délibération de se battre, ils prenoient la fuite, & s'en
alloient dans les bois, où on ne les pouvoit attraper. Il
fallut donc avoir recours aux finesses: & voicy comme nous
advisames. Qu'il failloit lors qu'ils viendroient pour
rechercher amitié avec nous les amadouer en leur montrant des
patinostres & autres bagatelles, & les asseurer plusieurs fois:
puis prendre la chalouppe bien armée, & des plus robustes &
110/258 forts hommes qu'eussions, avec chacun une chaîne de patinostres
& une brasse de mèche au bras, & les mener à terre, où estans,
& en faisant semblant de petuner avec eux (chacun ayant un bout
de sa mèche allumé, pour ne leur donner soupçon, estant
l'ordinaire de porter du feu au bout d'une corde pour allumer
le petum) les amadoueroient par douces paroles pour les attirer
dans la chalouppe; & que s'ils n'y vouloient entrer, que s'en
approchant chacun choisiroit son homme, & en luy mettant les
patinostres au col, luy mettroit aussi en mesme temps la corde
pour les y tirer par force: Que s'ils tempestoient trop, &
qu'on n'en peust venir à bout; tenant bien la corde on les
poignarderoit: Et que si d'aventure il en eschapoit quelques
uns, il y auroit des hommes à terre pour charger à coups
d'espée sur eux: Cependant en nostre barque on tiendroit
prestes les petites pièces pour tirer sur leurs compagnons, au
cas qu'il en vint les secourir; à la faveur desquelles la
chalouppe se pourroit retirer en asseurance. Ce qui fut fort
bien exécuté ainsi qu'on l'avoit proposé.
258a
[Illustration]
A Le lieu où estoient les François faisans le pain.
B Les sauvages surprenans les François en tirant sur eux à coups de
flesches.
C François bruslez par les sauvages.
D François s'enfuians à la barque tout lardés de flesches.
E Trouppes de sauvages faisans brusler les François qu'ils avoient tués.
F Montaigne sur le port.
G Cabannes des sauvages.
H François à terre chargeans les sauvages.
I Sauvages desfaicts par les François.
L Chalouppe où estoient les François.
M Sauvages autour de la chalouppe qui furent surpris par nos gens.
N Barque du sieur de Poitrincourt.
O Le port.
P Petit ruisseau.
Q François tombez morts dans l'eau pensans se sauver à la barque.
R Ruisseau venant de certins marescages.
S Bois par où les sauvages venoient à couvert.
Quelques jours après que ces choses furent passées, il vint des
sauvages trois à trois, quatre à quatre sur le bort de la mer,
faisans signe que nous allassions à eux: mais nous voiyons bien
leur gros qui estoit en embuscade au dessoubs d'un costau
derrière des buissons, & croy qu'ils ne desiroient que de nous
attraper en la chalouppe pour descocher un nombre de flesches
sur nous, & puis s'en fuir: toutesfois le sieur de Poitrincourt
ne laissa pas d'y aller avec dix de nous autres, bien équipez &
en resolution de les combattre si l'occasion se presentoit.
111/259 Nous fusmes dessendre par un endroit que jugions estre hors de
leur embuscade, où ils ne nous pouvoient surprendre. Nous y
mismes trois ou quatre pied à terre avec le sieur de
Poitrincourt: le reste ne bougea de la chalouppe pour la
conserver & tenir preste à un besoin. Nous fusmes sur une butte
& autour des bois pour voir si nous descouvririons plus à plain
ladite embuscade. Comme ils nous virent aller si librement à
eux ils leverent le siege & furent en autres lieux, que ne
peusmes descouvrir, & des quatre sauvages n'en vismes plus que
deux, qui s'en alloient tout doucement. En se retirant ils nous
faisoient signe qu'eussions à mener nostre chalouppe en autre
lieu, jugeant qu'elle n'estoit pas à propos pour leur dessein.
Et nous voyans aussi qu'ils n'avoient pas envie de venir à
nous, nous nous rembarquasmes & allasmes où ils nous
monstroient, qui estoit la seconde embuscade qu'ils avoient
faite, taschant de nous attirer en signe d'amitié à eux, sans
armes: ce qui pour lors ne nous estoit permis: neantmoins nous
fusmes assez proches d'eux sans voir ceste embuscade, qui n'en
estoit pas esloignée, à nostre jugement. Comme nostre chalouppe
approcha de terre, ils se mirent en fuite, & ceux de
l'embuscade aussi, après qui nous tirasmes quelques coups de
mousquets, voyant que leur intention ne tendoit qu'à nous
decevoir par caresses, en quoy ils se trompoient: car nous
recognoissions bien quelle estoit leur volonté, qui ne tendoit
qu'à mauvaise fin. Nous nous retirasmes à nostre barque après
avoir fait ce qu'il nous fut possible.
Ce jour le sieur de Poitrincourt resolut de s'en retourner à
112/260 nostre habitation pour le subject de 4 ou 5 mallades & blessez,
à qui les playes empiroient à faute d'onguens, car nostre
Chirurgien n'en avoit aporté que bien peu, qui fut grande faute
à luy, & desplaisir aux malades & à nous aussi: d'autant que
l'infection de leurs blesseures estoit si grande en un petit
vaisseau comme le nostre, qu'on ne pouvoit presque durer: &
craignions qu'ils engendrassent des maladies: & aussi que
n'avions plus de vivres que pour faire 8 ou 10 journées de
l'advant, quelque retranchement que l'on fist, & ne sçachans
pas si le retour pourroit estre aussi long que l'aller, qui fut
prés de deux mois.
Pour le moins nostre délibération estant prinse, nous ne nous
retirasmes qu'avec le contentement que Dieu n'avoit laissé
impuny le mesfait de ces barbares. Nous ne fusmes que jusques
au 41 degré & demy, qui ne fut que demy degré plus que n'avoit
fait le sieur de Mons à sa descouverture. Nous partismes donc
de ce port.
Et le lendemain vinsmes mouiller l'ancre proche de Mallebarre,
où nous fusmes jusques au 28 du mois que nous mismes à la
voile. Ce jour l'air estoit assez froid, & fit un peu de neige.
Nous prismes la traverse pour aller à Norambegue, ou à l'isle
Haute. Mettant le cap à l'Est Nordest fusmes deux jours sur la
mer sans voir terre, contrariez du mauvais temps. La nuict
ensuivant eusmes cognoissance des isles qui sont entre
Quinibequi & Norembegue. Le vent estoit si grand que fusmes
contraincts de nous mettre à la mer, pour attendre le jour, où
nous nous esloignasmes si bien de la terre, quelque peu de
113/261 voiles qu'eussions, que ne la peusmes revoir que jusques au
lendemain, que nous vismes le travers de l'isle Haute.
Ce jour dernier d'Octobre, entre l'isle des Monts-deserts, & le
cap de Corneille, nostre gouvernail se rompit en plusieurs
pièces, sans sçavoir le subject. Chacun en disoit son opinion.
La nuit venant avec beau frais, nous estions parmy quantité
d'isles & rochers, où le vent nous jettoit, & resolumes de nous
sauver, s'il estoit possible, à la première terre que
rencontrerions.
Nous fusmes quelque temps au gré du vent & de la mer, avec
seulement le bourcet de devant: mais le pis fut que la nuit
estoit obscure & ne sçavions où nous allions: car nostre barque
ne gouvernoit nullement, bien que l'on fit ce qu'on pouvoit,
tenant les escouttes du bourcet à la main, qui quelquefois la
faisoient un peu gouverner. Tousjours on sondoit si l'on
pourroit trouver fonds pour mouiller l'ancre & se préparer à ce
qui pourroit subvenir. Nous n'en trouvasmes point; enfin allant
plus viste que ne desirions, l'on advisa de mettre un aviron
par derrière avec des hommes pour faire gouverner à une isle
que nous apperceusmes, afin de nous mettre à l'abry du vent. On
mit aussi deux autres avirons sur les costés au derrière de la
barque, pour ayder à ceux qui gouvernoient, à fin de faire
arriver le vaisseau d'un costé & d'autre. Ceste invention nous
servit si bien que mettions le cap où desirions, & fusmes
derrière la pointe de l'isle qu'avions apperceue, mouiller
l'ancre à 21 brasses d'eau attendant le jour, pour nous
recognoistre & aller chercher un endroit pour faire un autre
gouvernail.
114/262 Le vent s'appaisa. Le jour estant venu nous nous trouvasmes
proches des isles Rangées, tout environnés de brisans; &
louasmes Dieu de nous avoir conservés si miraculeusement parmy
tant de périls.
Le premier de Novembre nous allasmes en un lieu que nous
jugeasmes propre pour eschouer nostre vaisseau & refaire nostre
timon. Ce jour je fus à terre, & y vey de la glace espoisse de
deux poulces, & pouvoit y avoir huit ou dix jours qu'il y avoit
gelé, & vy bien que la température du lieu differoit de
beaucoup à celle de Malebarre & port Fortuné: car les fueilles
des arbres n'estoient pas encores mortes ny du tout tombées
quand nous en partismes, & en ce lieu elles estoient toutes
tombées, & y faisoit beaucoup plus de froid qu'au port Fortuné.
Le lendemain comme on alloit eschouer la barque, il vint un
canot où y avoit des sauvages Etechemins qui dirent à celuy que
nous avions en nostre barque, qui estoit Secondon, que
Jouaniscou avec ses compagnons avoit tué quelques autres
sauvages & emmené des femmes prisonnieres, & que proche des
isles des Montsdeserts ils avoient fait leur exécution.
Le neufiesme du mois nous partismes d'auprès du cap de
Corneille & le mesme jour vinsmes mouiller l'ancre au petit
passage[148] de la riviere saincte Croix.
[Note 148: C'est le passage de l'ouest.]
Le lendemain au matin mismes nostre sauvage à terre avec
quelques commoditez qu'on luy donna, qui fut tres-aise &
satisfait d'avoir fait ce voyage avec nous, & emporta quelques
testes des sauvages qui avoient esté tuez au port Fortuné.
115/263 Ledict jour allasmes mouiller l'ancre en une fort belle ance au
Su de l'isle de Menasne.
Le 12 du mois fismes voile, & en chemin la chalouppe que nous
traisnions derrière nostre barque y donna un si grand & si rude
coup qu'elle fit ouverture & brisa tout le haut de la barque: &
de rechef au resac rompit les ferremens de nostre gouvernail, &
croiyons du commencement qu'au premier coup qu'elle avoit
donné, qu'elle eut enfoncé quelques planches d'embas, qui nous
eut fait submerger: car le vent estoit si eslevé, que ce que
pouvions faire estoit de porter nostre misanne: Mais après
avoir veu le dommage qui estoit petit, & qu'il n'y avoit aucun
péril, on fit en sorte qu'avec des cordages on accommoda le
gouvernail le mieux qu'on peut, pour parachever de nous
conduire, qui ne fut que jusques au 14 de Novembre, où à
l'entrée du port Royal pensames nous perdre sur une pointe:
mais Dieu nous delivra tant de ce péril que de beaucoup
d'autres qu'avions courus.
_Retour des susdites descouvertures & ce qui se passa durant
l'hyvernement._
CHAPITRE XVI.
A Nostre arrivée l'Escarbot qui estoit demeuré en l'habitation
nous fit quelques gaillardises avec les gens qui y estoient
restez pour nous resjouir[149].
[Note 149: «Le sieur de Poutrincourt arriva au Port-Royal le quatorzième
de Novembre, où nous le receumes joyeusement & avec une solennité toute
nouvelle par delà. Car sur le point que nous attendions son retour avec
grand desir, (& ce d'autant plus, que si mal lui fût arrivé nous
eussions été en danger d'avoir de la confusion) je m'avisay de
representer quelque gaillardise en allant audevant de lui, comme nous
fîmes. Et d'autant que cela fut en rhimes Françoises faites à la hâte,
je l'ay mis avec _Les Muses de la Nouvelle-France_ souz le tiltre de
THEATRE DE NEPTUNE, où je renvoyé mon Lecteur. Au surplus pour honorer
davantage le retour de nôtre action, nous avions mis au dessus de la
porte de notre Fort les armes de France, environnées de couronnes de
lauriers (dont il y a là grande quantité au long des rives des bois)
avec la devise du Roy, DUO PROTEGIT UNUS. Et au dessous celles du sieur
de Monts avec cette inscription, DABIT DEUS HIS QUOQUE FINEM: & celle-du
sieur de Poutrincourt avec cette autre inscription, INVIA VIRTUTI NULLA
EST VIA, toutes deux aussi ceintes de chapeaux de lauriers.» (Lescarbot,
liv. IV, ch. XV.)]
116/264 Estans à terre, & ayans repris halaine chacun commença à faire
de petits jardins, & moy d'entretenir le mien, attendant le
printemps, pour y semer plusieurs sortes de graines, qu'on
avoit apportées de France, qui vindrent fort bien en tous les
jardins.
Le sieur de Poitrincourt, d'autre part fit faire un moulin à
eau à prés d'une lieue & demie de nostre habitation, proche de
la pointe où on avoit semé du bled. Le moulin estoit basty
auprès d'un saut d'eau, qui vient d'une petite riviere qui
n'est point navigable pour la quantité de rochers qui y sont,
laquelle se va rendre dans un petit lac. En ce lieu il y a une
telle abbondance de harens en sa saison, qu'on pourroit en
charger des chalouppes, si on vouloit en prendre la peine, & y
apporter l'invention qui y seroit requise. Aussi les sauvages
de ces pays y viennent quelquesfois faire la pesche. On fit
aussi quantité de charbon pour la forge. Et l'yver pour ne
demeurer oisifs j'entreprins de faire un chemin sur le bort du
bois pour aller à une petite riviere qui est comme un ruisseau,
que nommasmes la truittiere[150], à cause qu'il y en avoit
beaucoup. Je demanday deux ou trois hommes au sieur de
Poitrincourt, qu'il me donna pour m'ayder à y faire une allée.
117/265 Je fis si bien qu'en peu de temps je la rendy nette. Elle va
jusques à la truittiere, & contient prés de deux mille pas,
laquelle servoit pour nous pourmener à l'ombre des arbres, que
j'avois laisse d'un costé & d'autre. Cela fit prendre
resolution au sieur de Poitrincourt d'en faire une autre au
travers des bois, pour traverser droit à l'emboucheure du port
Royal, où il y a prés de trois lieues & demie par terre de
nostre habitation, & la fit commencer de la truittiere environ
demie lieue, mais il ne l'ascheva pas pour estre trop pénible,
& s'occupa à d'autres choses plus necessaires pour lors.
Quelque temps après nostre arrivée, nous apperceusmes une
chalouppe, où il y avoit des sauvages, qui nous dirent que du
lieu d'où ils venoient, qui estoit Norembegue, on avoit tué un
sauvage qui estoit de nos amis, en vengeance de ce que
Jouaniscou aussi sauvage, & les siens avoient tué de ceux de
Norembegue, & de Quinibequi, comme j'ay dit cy dessus, & que
des Etechemins l'avoient dit au sauvage Secondon qui estoit
pour lors avec nous.
[Note 150: Ce ruisseau était du côté de l'ouest de l'habitation, comme
le marque l'auteur dans sa carte du port Royal, tandis que son jardin
était du côté de l'est.]
Celuy qui commandoit en la chalouppe estoit le sauvage appelle
Ouagimou[151], qui avoit familiarité avec Bessabes chef de la
riviere de Norembegue, à qui il demanda le corps de Panounia
qui avoit esté tué: ce qu'il luy octroya, le priant de dire à
ses amis qu'il estoit bien fasché de sa mort, luy asseurant que
c'estoit sans son sçeu qu'il avoit esté tué, & que n'y ayant de
sa faute, il le prioit de leur dire qu'il desiroit qu'ils
demeurassent amis comme auparavant: ce que Ouagimou luy promit
faire quand il seroit de retour. Il nous dit qu'il luy ennuya
118/266 fort qu'il n'estoit hors de leur compagnie, quelque amitié
qu'on luy monstrast, comme estans subjects au changement,
craignant qu'ils ne luy en fissent autant comme au deffunct:
aussi n'y arresta il pas beaucoup après sa despeche. Il emmena
le corps en sa chalouppe depuis Norembegue jusques à nostre
habitation, d'où il y a 50 lieues.
[Note 151: Lescarbot écrit _Oagimont._]
Aussi tost que le corps fut à terre ses parens & amis
commencèrent à crier au prés de luy, s'estans peints tout le
visage de noir, qui est la façon de leur dueil. Après avoir
bien pleuré, ils prindrent quantité de petum, & deux ou trois
chiens, & autres choses qui estoient au deffunct, qu'ils firent
brusler à quelque mille pas de nostre habitation sur le bort de
la mer. Leurs cris continuèrent jusques à ce qu'ils fussent de
retour en leur cabanne.
Le lendemain ils prindrent le corps du deffunct, &
l'envelopperent dedans une catalongue rouge, que Mabretou chef
de ces lieux m'inportuna fort de luy donner, d'autant qu'elle
estoit belle & grande, laquelle il donna aux parens dudict
deffunct, qui m'en remercièrent bien fort. Après donc avoir
emmaillotté le corps, ils le parèrent de plusieurs sortes de
_matachiats_, qui sont patinostres & bracelets de diverses
couleurs, luy peinrent le visage, & sur la teste luy mirent
plusieurs plumes & autres choses qu'ils avoient de plus beau,
puis mirent le corps à genoux au milieu de deux bastons, & un
autre qui le soustenoit soubs les bras: & au tour du corps y
avoit sa mère, sa femme & autres de ses parens & amis, tant
femmes que filles, qui hurloient comme chiens.
119/267 Cependant que les femmes & filles crioient le sauvage appelé
Mabretou, faisoit une harangue à ses compagnons sur la mort du
deffunct, en incitant un chacun d'avoir vengeance de la
meschanceté & trahison commise par les subjects de Bessabes, &
leur faire la guerre le plus promptement que faire se pourroit.
Tous luy accordèrent de la faire au printemps.
La harange faitte & les cris cessez, ils emportèrent le corps
du deffunct en une autre cabanne. Après avoir petuné, le
renveloperent dans une peau d'Eslan, & le lièrent fort bien, &
le conserverent jusques à ce qu'il y eust plus grande compagnie
de sauvages, de chacun desquels le frère du defunct esperoit
avoir des presens, comme c'est leur coustume d'en donner à ceux
qui ont perdu leurs pères, mères, femmes, frères, ou soeurs.
La nuit du 26. Décembre il fist un vent de Surest, qui abbatit
plusieurs arbres.
Le dernier Décembre il commença à neger, & cela dura jusqu'au
lendemain matin.
Le 16. janvier ensuivant 1607, le sieur de Poitrincourt voulant
aller au haut de la riviere de l'Equille la trouva scelée de
glaces à quelque deux lieues de nostre habitation, qui le fit
retourner pour ne pouvoir passer.
Le 8 Fevrier il commença à descendre quelques glaces du haut de
la riviere dans le port qui ne gele que le long de la coste.
Le 10 de May ensuivant, il negea toute la nuict, & sur la fin
du mois faisoit de fortes gelées blanches, qui durèrent jusques
au 10 & 12 de Juin, que tous les arbres estoient couverts de
fueilles, horsmis les chesnes qui ne jettent les leurs que vers
le 15.
120/268 L'yver ne fut si grand que les années précédentes, ny les neges
aussi ne furent si long temps sur la terre. Il pleust assez
souvent, qui fut occasion que les sauvages eurent une grande
famine, pour y avoir peu de neges. Le sieur de Poitrincourt
nourrist une partie de ceux qui estoient avec nous, sçavoir
Mabretou, sa femme & ses enfans, & quelques autres.
Nous passames cest yver fort joyeusement, & fismes bonne chère,
par le moyen de l'ordre de bontemps que j'y establis, qu'un
chacun trouva utile pour la santé, & plus profitable que toutes
sortes de medicines, dont on eust peu user. Ceste ordre estoit
une chaine que nous mettions avec quelques petites cérémonies
au col d'un de nos gens, luy donnant la charge pour ce jour
d'aller chasser: le lendemain on la bailloit à un autre, &
ainsi consecutivement: tous lesquels s'efforçoient à l'envy à
qui feroit le mieux & aporteroit la plus belle chasse: Nous ne
nous en trouvasmes pas mal, ny les sauvages qui estoient avec
nous[152].
[Note 152: Lescarbot donne quelques détails de plus sur ce sujet: «Je
diray que pour nous tenir joyeusement & nettement, quant aux vivres, fut
établi un Ordre en la Table dudit sieur de Poutrincourt, qui fut nommé
L'ORDRE DE BON-TEMPS, mis premièrement en avant par Champlein, suivant
lequel ceux d'icelle table étoient Maitres-d'hotel chacun à son tour,
qui étoit en quinze jours une fois. Or avoit-il le soin de faire que
nous fussions bien & honorablement traités. Ce qui fut si bien observé,
que (quoy que les gourmans de deçà nous disent souvent que là nous
n'avions point la rue aux Ours de Paris) nous y avons fait ordinairement
aussi bonne chère que nous sçaurions faire en cette rue aux Ours, & à
moins de frais. Car il n'y avoit celui qui deux jours devant que son
tour vint ne fût soigneux d'aller à la chasse, ou à la pêcherie, &
n'apportât quelque chose de rare, outre ce qui étoit de notre ordinaire.
Si bien que jamais au déjeuner nous n'avons manqué de saupiquets de
chair ou de poisson: & au repas de midi & du soir encor moins: car
c'étoit le grand festin, là où l'Architriclin, ou Maitre-d'hotel (que
les Sauvages appellent _Atoctegic_) ayant fait préparer toutes choses au
cuisinier, marchoit la serviete sur l'épaule, le bâton d'office en main,
le collier de l'Ordre au col, & tous ceux d'icelui Ordre après lui
portant chacun son plat. Le même étoit au dessert, non toutefois avec
tant de suite. Et au soir avant rendre grâce à Dieu, il resignoit le
collier de l'Ordre, avec un verre de vin à son successeur en la charge,
& buvoient l'un à l'autre.» (Liv. IV, ch. XVI.)]
121/269 Il y eut de la maladie de la terre parmy nos gens, mais non si
aspre qu'elle avoit esté aux années précédentes: Neantmoins il
ne laissa d'en mourir sept; & un autre d'un coup de flesche
qu'il avoit receu des sauvages au port Fortuné.
Nostre chirurgien appelé maistre Estienne, fit ouverture de
quelques corps, & trouva presque toutes les parties de dedans
offencées, comme on avoit fait aux autres les années
précédentes. Il y en eut 8 ou 10 de malades qui guérirent au
printemps.
Au commencement de Mars & d'Avril, chacun se mit à préparer les
jardins pour y semer des graines en May, qui est le vray temps,
lesquelles vindrent aussi bien qu'elles eussent peu faire en
France, mais quelque peu plus tardives: & trouve que la France
est au plus un mois & demy plus advancée: & comme j'ay dit, le
temps est de semer en May, bien qu'on peut semer quelquefois en
Avril, mais ces semences n'advancent pas plus que celles qui
sont semées en May, & lors qu'il n'y a plus de froidures qui
puisse offencer les herbes, sinon celles qui sont fort tendres,
comme il y en a beaucoup qui ne peuvent resister aux gelées
blanches, si ce n'est avec un grand soin & travail.
Le 24 de May apperceusmes une petite barque du port de 6 à 7
tonneaux qu'on envoya recognoistre, & trouva on que c'estoit un
jeune homme de sainct Maslo appelé Chevalier qui apporta
lettres du sieur de Mons au sieur de Poitrincourt, par
lesquelles il luy mandoit de ramener ses compagnons en
122/270 France[153], & nous dit la naissance de Monseigneur le Duc
d'Orléans [154], qui nous apporta de la resjouissance, & en
fismes les feu de joye, & chantasmes le _Te deum_.
[Note 153: Lescarbot ajoute encore ici plusieurs autres détails, qui ne
manquent pas d'intérêt «Le soleil commençoit à échauffer la terre, &
oeillader sa maitresse d'un regard amoureux, quand le _Sagamos
Membertou_ (apres noz prières solennellement faites à Dieu, & le
desjeuner distribué au peuple, selon la coutume) nous vint avertir qu'il
avoit veu une voile sur le lac, c'est à dire dans le port, qui venoit
vers notre Fort. A cette joyeuse nouvelle chacun va voir, mais encore ne
se trouvoit-il persone qui eût si bonne veue que lui, quoy qu'il soit
âgé de plus de cent ans. Neantmoins on découvrit bientôt ce qui en
étoit. Le sieur de Poutrincourt fit en diligence apprêter la petite
barque pour aller reconoitre. Champ-doré & Daniel Hay y allèrent & par
le signal qu'ils nous donnèrent étans certains que c'étoient amis,
incontinent fimes charger quatre canons, & une douzaine de fauconneaux,
pour saluer ceux qui nous venoient voir de si loin. Eux de leur part ne
manquèrent à commencer la fête, & décharger leurs pièces, auxquels fut
rendu le réciproque avec usure. C'étoit tant seulement une petite barque
marchant souz la charge d'un jeune homme de saint-Malo nommé Chevalier,
lequel arrivé au Fort bailla ses lettres au sieur de Poutrincourt,
léquelles furent leuës publiquement. On lui mandoit que pour ayder à
sauver les frais du voyage, le navire (qui étoit encor le JONAS)
s'arreteroit au port de Campseau pour y faire pêcherie de Morues, les
marchans associez du sieur de Monts ne sachans pas qu'il y eût pêcherie
plus loin que ce lieu: toutefois que s'il étoit necessaire il fit venir
ledit navire au Port Royal. Au reste, que la societé étoit rompue,
d'autant que contre l'honnêteté & devoir les Holandois (qui ont tant
d'obligations à la France) conduits par un traitre François nommé La
Jeunesse, avoient l'an précèdent enlevé les Castors & autres pelleteries
de la Grande Rivière de Canada: chose qui tournoit au Grand detriement
de la societé, laquelle partant ne pouvoit plus fournir aux frais de
l'habitation de delà, comme elle avoit fait par le passé. Joint qu'au
Conseil du Roy (pour ruiner cet affaire) on avoit nouvellement révoqué
le privilège octroyé pour dix ans au sieur de Monts pour la traicte des
Castors, chose que l'on n'eût jamais esperé. Et pour cette cause
n'envoyoient persone pour demeurer là après nous. Si nous eûmes de la
joye de voir nôtre secours asseuré, nous eûmes aussi une grande
tristesse de voir une si belle & si sainte entreprise rompue; que tant
de travaux & de périls passez ne servissent de rien: & que l'esperance
de planter là le nom de Dieu, & la Foy Catholique, s'en allât evanouie.»
(Liv. IV, ch. XVII.)]
[Note 154: Il ne faut pas confondre ce duc d'Orléans, second fils de
Henri IV, avec son frère Gaston, qui ne prit le titre de duc d'Orléans
qu'après la mort de celui dont il est ici question. Ce second fils de
Henri IV mourut, sans être nommé, à Saint-Germain-en-Laye, le 17
novembre 1611. Il était né le 16 avril de cette année 1607. (Hist.
généalogique de la France, t. I, p. 146.)]
Depuis le commencement de Juin jusqu'au 20 du mois,
s'assemblerent en ce lieu quelque 30 ou 40 [155] sauvages, pour
s'en aller faire la guerre aux Almouchiquois, & venger la mort
de Panounia, qui fut enterré par les sauvages selon leur
123/271 coustume, lesquels donnèrent en aprés quantité de pelleterie à
un sien frere. Les presens faicts, ils partirent tous de ce
lieu le 29 de Juin pour aller à la guerre à Chouacoet, qui est
le pays des Almouchiquois.
[Note 155: Environ quatre cents, d'après Lescarbot. «Au commencement de
Juin,» dit-il, liv. IV, ch. XVII, «les Sauvages, au nombre d'environ
quatre cens, partirent de la cabanne que le _Sagamos Membertou_ avoit
façonné de nouveau en forme de ville environnée de hautes palissades,
pour aller à la guerre contre les Almouchiquois... Les Sauvages furent
prés de deux mois à s'assembler là. Membertou le grand Sagamos les avoit
fait avertir durant & avant l'hiver, leur ayant envoyé hommes exprés,
qui étoient ses deux fils _Actaudin & Actauddinech_, pour leur donner là
le rendez-vous.» (Liv. IV, ch. XVII.)]
Quelques jours après l'arrivée dudict Chevalier, le sieur de
Poitrincourt l'envoya à la riviere S. Jean & saincte Croix pour
traicter quelque pelleterie: mais il ne le laissa pas aller
sans gens pour ramener la barque, d'autant que quelques uns
avoient raporté qu'il desiroit s'en retourner en France avec le
vaisseau où il estoit venu, & nous laisser en nostre
habitation. L'Escarbot estoit de ceux qui l'accompagnèrent,
lequel n'avoit encores sorty du port Royal: c'est le plus loin
qu'il ayt esté, qui sont seulement 14 à 15 lieues plus avant
que ledit port Royal [156].
[Note 156: «Je ne sçay, dit Lescarbot, à quel propos Champlein en la
relation de ses voyages imprimés l'an mil six cens treize, s'amuse à
écrire que je n'ay point été plus loin que Sainte-Croix, veu que je ne
di pas le contraire. Mais il est peu memoratif de ce qu'il fait, disant
là même, p. 151» (anc. édit.) «que dudit Sainte-Croix au port Royal n'y
a que quatorze lieues, & en la page 95» (p. 76 de cette édit.) «il avoit
dit qu'il y en a 25. Et si on regarde sa charte géographique, il s'en
trouvera pour le moins quarante.» (Liv. IV, ch. XVII.)--Il ne faut pas
faire un crime à Lescarbot d'avoir été piqué de la remarque de
Champlain; mais il est évident que la mauvaise humeur lui fait voir des
contradictions là où il n'y en a point. Champlain ne dit pas précisément
qu'il y ait quatorze lieues de Port-Royal à Sainte-Croix, mais seulement
que Lescarbot ne fut pas plus loin que quatorze ou quinze lieues au-delà
de Port-Royal; ce qui n'est point exact, il est vrai, si l'auteur veut
parler de la distance à Sainte-Croix; mais il est visible que Champlain,
dans cette phrase, reporte sa pensée sur la rivière Saint-Jean, où
Chevalier se rendait directement, et qui est en effet à quatorze ou
quinze lieues de Port-Royal. Quant aux distances marquées dans les
cartes de Champlain, il est impossible, avec toute la bonne volonté du
monde, de trouver même trente lieues de Sainte-Croix à Port-Royal. Ce
qui a trompé Lescarbot, sans doute, c'est que, dans les cartes de
Champlain, les chiffres de ses échelles, au lieu d'être marqués au bout
de chacune des divisions, sont placés au milieu de l'espace qui les
sépare.]
Attendant le retour dudit Chevalier, le sieur de Poitrincourt
fut au fonds de la baye Françoise dans une chalouppe avec 7 à 8
hommes. Sortant du port & mettant le cap au Nordest quart de
124/272 l'Est le de la coste quelque 25 lieues, fusmes à un cap, où le
sieur de Poitrincourt voulut monter sur un rocher de plus de 30
thoises de haut, où il courut fortune de sa vie: d'autant
qu'estant sur le rocher, qui est fort estroit, où il avoit
monté avec assez de difficulté, le sommet trembloit soubs luy:
le subject estoit que par succession de temps il s'y estoit
amassé de la mousse de 4 à 5 pieds d'espois laquelle n'estant
solide, trembloit quand on estoit dessus, & bien souvent quand
on mettoit le pied sur une pierre il en tomboit 3 ou 4 autres:
de sorte que s'il y monta avec peine, il descendit avec plus
grande difficulté, encore que quelques matelots, qui sont gens
assez adroits à grimper, luy eussent porté une haussiere (qui
est une corde de moyenne grosseur) par le moyen de laquelle il
descendit. Ce lieu fut nommé le cap de Poitrincourt [157], qui
est par la hauteur de 45 degrez deux tiers de latitude.
[Note 157: Ce cap a été appelé depuis cap Fendu _(Cape Split)_. Sa
latitude est de 45° 22'.]
Nous fusmes au fonds d'icelle baye [158], & ne vismes autre
chose que certaines pierres blanches à faire de la chaux: Mais
en petite quantité, & force mauves, qui sont oiseaux, qui
estoient dans des isles: Nous en prismes à nostre volonté, &
fismes le tour de la baye pour aller au port aux mines, où
j'avois esté auparavant, & y menay le sieur de Poitrincourt,
qui y print quelques petits morceaux de cuivre, qu'il eut avec
bien grand peine. Toute ceste baye peut contenir quelque 20
lieues de circuit, où il y a au fonds une petite riviere, qui
125/273 est fort platte & peu d'eau. Il y a quantité d'autres petits
ruisseaux & quelques endroits, où il y a de bons ports, mais
c'est de plaine mer, où l'eau monte de cinq brasses. En l'un de
ces ports [159] 3 à 4 lieues au Nort du cap de Poitrincourt
trouvasmes une Croix qui estoit fort vieille, toute couverte de
mousse & presque toute pourrie, qui monstroit un signe evident
qu'autrefois il y avoit esté des Chrestiens. Toutes ces terres
sont forests tres-espoisses, où le pays n'est pas trop
aggreable, sinon en quelques endroits.
[Note 158: Le bassin des Mines.]
[Note 159: Probablement la baie de Greville.]
Estant au port aux mines nous retournasmes à nostre habitation.
Dedans icelle baye y a de grands transports de marée qui
portent au Surouest.
Le 12 de Juillet arriva Ralleau secretaire du sieur de Mons,
luy quatriesme dedans une chalouppe, qui venoit d'un lieu
appelé Niganis[160], distant du port Royal de quelque 160 ou
170 lieues, qui confirma au sieur de Poitrincourt ce que
Chevalier lui avoit raporté.
[Note 160: Ou Niganiche, dans l'île du Cap-Breton, à six ou sept lieues
au sud du cap de Nord.]
Le 3 Juillet [161] on fit équiper trois barques pour envoyer
les hommes & commoditez qui estoient à nostre habitation pour
aller à Campseau, distant de 115 lieues de nostre habitation, &
à 45 degrez & un tiers de latitude, où estoit le vaisseau[162]
qui faisoit pesche de poisson, qui nous devoit repasser en
France.
[Note 161: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait le 30
juillet, ce qui s'accorderait assez bien avec le récit de Lescarbot.
Voici comment celui-ci rapporte les circonstances du départ. «Sur le
point qu'il falut dire adieu au Port Royal, le sieur de Poutrincourt
envoya son peuple les uns après les autres trouver le navire, à
Campseau... Nous avions une grande barque, deux petites & une chaloupe.
Dans l'une des petites barques on mit quelques gens que l'on envoya
devant. Et le trentième de Juillet partirent les deux autres. J'étois
dans la grande, conduite par Champ-doré». (Liv. IV, ch. XVIII.)]
[Note 162: C'était le _Jonas_, par lequel était retourné Pont-Gravé.
(Lescarbot, liv. IV, ch. XVII.)]
126/274 Le sieur de Poitrincourt renvoya tous ses compagnons, & demeura
luy neufieme en l'habitation pour emporter en France quelques
bleds qui n'estoient pas bien à maturité.
Le 10 d'Aoust arriva de la guerre Mabretou, lequel nous dit
avoir esté à Chouacoet, & avoir tué 20 sauvages & 10 ou 12 de
blessez, & que Onemechin chef de ce lieu, Marchin, & un autre
avoient esté tués par Sasinou chef de la riviere de Quinibequi,
lequel depuis fut tué par les compagnons d'Onemechin & Marchin.
Toute ceste guerre ne fut que pour le subject de Panounia
sauvage de nos amis, lequel, comme j'ay dict cy dessus avoit
esté tué à Norembegue par les gens dudit Onemechin & Marchin.
Les chefs qui sont pour le jourd'huy en la place d'Onemechin,
Marchin, & Sasinou, sont leurs fils, sçavoir pour Sasinou,
Pememen: Abriou pour Marchin son père: & pour Onemechin
Queconsicq. Les deux derniers furent blessez par les gens de
Mabretou, qui les attrapèrent soubs apparence d'amitié, comme
est leur coustume, de quoy on se doit donner garde, tant des
uns que des autres.
_Habitation abandonnée. Retour en France du sieur de
Poitrincourt & de tous ses gens._
CHAPITRE XVII.
L'Onsieme du mois d'Aoust partismes de nostre habitation dans
une chalouppe, & rengeasmes la coste jusques au cap Fourchu, où
127/275 j'avois esté auparavant.
Continuant nostre routte le long de la coste jusques au cap de
la Héve (où fut le premier abort avec le sieur de Mons, le 8 de
May 1604.) nous recogneusmes la coste depuis ce lieu jusques à
Campseau, d'où il y a prés de 60 lieues: ce que n'avois encor
fait, & la vis lors fort particulièrement, & en fis la carte
comme du reste.
Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre, qui est une isle
ainsi appelée par quelques Mallouins[163], distante de la Héve
de 15 lieues. En ce chemin y a quantité d'isles qu'avions
nommées les Martyres pour y avoir eu des françois autrefois
tués par les sauvages. Ces isles sont en plusieurs culs de sac
& bayes: En une desquelles y a une riviere appelée saincte
Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues, qui est par la
hauteur de 44 degrez & 23 minuttes de latitude. Les isles &
costes sont remplies de quantité de pins, sapins, boulleaux, &
autres meschants bois. La pesche du poisson y est abbondante,
comme aussi la chasse des oiseaux.
[Note 163: En souvenir d'une petite île du même nom qui est en face de
Saint-Malo. De Sésambre, on a fait S. Sambre, et les navigateurs
anglais, qui ne sont pas fort dévots aux saints, l'ont appelée
simplement Sambro.]
De Sesambre passames une baye fort saine[164] contenant sept à
huit lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au
fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau
[165], & fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues
mettant le cap au Nordest quart d'Est, qui est assez bon pour
des vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son
128/276 entrée y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la
grande terre. Nous avons nommé ce lieu, le port saincte Helaine
[166], qui est par la hauteur de 44 degrez 40 minuttes peu plus
ou moins de latitude.
[Note 164: Cette baie Saine était appelée par les sauvages _Chibouctou_.
C'est la baie d'Halifax.]
[Note 165: C'est, sans doute, pour cette raison que l'auteur l'appelle
rivière Flatte, dans son édition de 1632.]
[Note 166: Le port de Sainte-Hélène est probablement celui qu'on a
appelé plus tard baie de Théodore, et dont on a fait _Jeddore_.]
De ce lieu fusmes à une baye appelée la baye de toutes isles
[167], qui peut contenir quelques 14 à 15 lieues: lieux qui
sont dangereux à cause des bancs, basses & battures qu'il y a.
Le pays est tresmauvais à voir, rempli de mesmes bois que j'ay
dict cy dessus. En ce lieu fusmes contrariez de mauvais temps.
[Note 167: Ce qu'on a appelé, et ce qu'on appelle encore baie de
_Toutes-Iles_, n'est pas à proprement parler une baie. Dès les premiers
temps, on désignait sous ce nom tout l'archipel qui s'étend depuis la
chaîne de la rivière Théodore, jusqu'à quelques lieues en deçà de la
rivière Sainte-Marie; ce qui pouvait faire quatorze à quinze lieues,
comme dit Champlain. Aujourd'hui, ce que l'on appelle _baie des Iles_,
ne s'étend que du havre au Castor jusqu'à celui de Liscomb; c'est-à-dire
que la _baie des Iles_ d'aujourd'hui n'est pas même la moitié de la
_baie de Toutes-Iles_ d'autrefois.]
De là passames proche d'une riviere qui en est distante de six
lieues qui s'appelle la riviere de l'isle verte [168], pour y
en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes
est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue
à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez
un quart de latitude.
[Note 168: Denys, dans sa Description de l'Amérique, t. I, p. 116, dit
que la rivière de l'île Verte «a elle nommée Sainte-Marie par La
Giraudière, qui s'y est venu habiter.» Près de l'entrée de cette
rivière, il y a une île appelée Pierre-à-Fusil _(Wedge Island)_, qui
doit avoir porté le nom d'île Verte, que l'on donne aujourd'hui à une
autre île, située à l'entrée du port Sandwich ou _Country harbour_; et
une des raisons qui viennent à l'appui de cet avancé, c'est l'expression
dont se sert ici Champlain, _pour y en avoir une en son entrée_. En
effet cette île est seule à l'entrée de la rivière de Sainte-Marie;
tandis que celle qu'on appelle aujourd'hui île Verte ou _Green island_,
est la plus petite des trois qui sont situées à l'entrée du «cul-de-sac»
dont parle l'auteur un peu plus loin.]
129/277 De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac [169], & deux ou
trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte
trois lieux. Nous passames aussi par plusieurs isles qui sont
rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles
rangées[170], distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En
après passames par une autre baye [171], où il y a plusieurs
isles, & fusmes jusque à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui
faisoit pesche de poisson entre des isles qui sont un peu
esloignées de la terre, distantes des isles rangées quatre
130/278 lieues, & nommasmes [172] ce lieu le port de Savalette, qui
estoit le maistre du vaisseau qui faisoit pesche qui estoit
Basque, lequel nous fit bonne chère, & fut tres-aise de nous
voir: d'autant qu'il y avoit des sauvages qui luy vouloient
faire quelque desplaisir: ce que nous empeschasmes.
[Note 169: Ce cul-de-sac, à l'entrée duquel il y a trois îles, était
appelé autrefois Mocodome. Aujourd'hui il est connu sous le nom de
Country harbour. Le cap qui ferme le port du côté de l'ouest a seul
retenu le nom ancien.]
[Note 170: Ces îles sont près de la terre ferme, à l'est de l'entrée de
la rivière Sainte-Catherine.]
[Note 171: Cette baie est évidemment celle qui porte maintenant le nom
de _Tor bay_.]
[Note 172: Quand l'auteur emploie cette expression _nommâmes_, il veut
dire simplement que le nom a été donné ou suggéré par quelqu'un de la
troupe. Cette fois ce fut à Lescarbot. «Nous arrivâmes, dit-il, à quatre
lieues de Campseau, à un Port où faisoit sa pêcherie un bon vieillart de
Saint-Jean de Lus nommé le Capitaine Savalet, lequel nous receut avec
toutes les courtoisies du monde. Et pour autant que ce Port (qui est
petit, mais tres-beau) n'a point de nom, je l'ay qualifié sur ma Charte
géographique du nom de Savalet. Ce bon personnage nous dit que ce voyage
étoit le quarante-deuxième qu'il faisoit pardela, & toutefois les
Terreneuviers n'en font tous les ans qu'un. Il étoit merveilleusement
content de sa pêcherie, & nous disoit qu'il faisoit tous les jours pour
cinquante écus de Morues: & que son voyage vaudroit dix mille francs. Il
avoit seze hommes à ses gages: & son vaisseau étoit de quatre vints
tonneaux, qui pouvoit porter cent milliers de morues seches. Il étoit
quelquefois inquiété des Sauvages là cabannez, léquelz trop privément &
impudemment alloient dans son navire, & lui cmportoient ce qu'ilz
vouloient. Et pour éviter cela il les menaçoit que nous viendrions & les
mettrions tous au fil de l'épée s'ilz lui faisoient tort. Cela les
intimidoit, & ne lui faisoient pas tout le mal qu'autrement ilz eussent
fait. Neantmoins toutes les fois que les pécheurs arrivoient avec leurs
chaloupes pleines de poissons, ces Sauvages choisissoient ce que bon
leur sembloit, & ne s'amusoient point au Morues, ains prenoient des
Merlus, Bars, & Flétans qui vaudroient ici à Paris quatre écus, ou plus.
Car c'est un merveilleusement bon manger, quand principalement ilz sont
grands & épais de six doits, comme ceux qui se péchoient là. Et eût été
difficile de les empêcher en cette insolence, d'autant qu'il eût
toujours fallu avoir les armes en main, & la besogne fût demeurée. Or
l'honnêteté de cet homme ne s'étendit pas seulement envers nous, mais
aussi envers tous les nôtres qui passerent à son Port, car c'étoit le
passage pour aller & venir au Port-Royal. Mais il y en eut quelques uns
de ceux qui nous vindrent querir, qui faisoient pis que les Sauvages, &
se gouvernoient envers lui comme fait ici le gend'arme chez le bon
homme: chose que j'ouy fort à regret.» Plusieurs raisons nous font
croire que le port de Savalette est celui qu'on appelle aujourd'hui
_White haven_. Il est à environ quatre lieues des îles Rangées, et à six
de Canseau, comme l'auteur le remarque plus loin. Il est vrai que
Lescarbot le met à quatre lieues seulement de Canseau; mais rien, dans
son récit, ne vient confirmer son avancé: tandis que notre auteur marque
séparément la distance du port de Savalette aux îles Rangées et à
Canseau, et que ces deux distances réunies donnent exactement le nombre
de lieues qu'il y a des îles Rangées à Canseau. De plus, à l'entrée de
ce port, il y a plusieurs îles _qui sont un peu éloignées de la terre_;
et, dans le port même, certains noms que l'on y retrouve, semblent
rappeler la mémoire du vieux voyageur basque, comme l'île du Pêcheur, la
pointe au Pilote.]
Partant de ce lieu arrivasmes à Campseau le 27 du mois, distant
du port de Savalette six lieues, ou passames par quantité
d'isles jusques audit Campseau, où trouvasmes les trois barques
arrivées à port de salut. Champdoré & l'Escarbot vindrent
audevant de nous pour nous recevoir. Aussi trouvasmes le
vaisseau prest à faire voile qui avoit fait sa pesche, &
n'attendoit plus que le temps pour s'en retourner: cependant
nous nous donnasmes du plaisir parmy ces isles, où il y avoit
telle quantité de framboises qu'il ne se peut dire plus.
Toutes les costes que nous rengeasmes depuis le cap de Sable
jusques en ce lieu sont terres médiocrement hautes, & costes de
rochers, en la pluspart des endroits bordées de nombres d'isles
& brisans qui jettent à la mer par endroits prés de deux
lieues, qui sont fort mauvais pour l'abort des vaisseaux:
Neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & raddes le
long des costes Seines, s'ils estoient descouverts. Pour ce qui
est de la terre elle est plus mauvaise & mal aggreable, qu'en
autres lieux qu'eussions veus; si ce ne sont en quelques
rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez plaisant: & ne faut
doubter qu'en ces lieux l'yver n'y soit froid, y durant prés de
six à sept mois.
131/279 Ce port de Campseau [173] est un lieu entre des isles qui est
de fort mauvais abord, si ce n'est de beau-temps, pour les
rochers & brisans qui sont au tour. Il s'y fait pesche de
poisson vert & sec.
[Note 173: Ce nom de Campseau ou Canseau, que les Anglais écrivent
_Canso_, est sauvage, suivant Lescarbot (page 221 de la 3e édition). Le
P. F. Martin (App. de sa trad. du P. Bressani, p. 320), après avoir
mentionné Lescarbot, au sujet de ce mot, ajoute: «Thévet, dans un
manuscrit de 1586, dit qu'il vient de celui d'un navigateur français
nommé «Canse.» Le passage du manuscrit de 1586 est extrait mot pour mot
de la Cosmographie Universelle de Thévet. Or, en cet endroit l'auteur
parle des Antilles, et non du Canada; et, en second lieu, il n'écrit pas
Canse, mais Cause. Voici le passage en entier: «Quant à l'isle de
Virgengorde & celle de Ricque» (Porto-Rico), «basse & sablonneuse, il
vous faut tirer à celle de Sainct Domingue, & conduire les vaisseaux
droit à la poincte de la Gouade» (del Aguada) «qui est au bout de
l'isle» (de Porto-Rico), «puis à celle de Mona, premièrement que venir
aborder & mouiller l'ancre à l'isle Espagnole. Passé qu'avez, & doublé
la haulteur de laditte isle, vous apparoist la terre de Cause, qui prend
son nom de l'un des vaillans Capitaines pilotes, natif d'une certaine
villette, nommée Cause» (Cozes), «en Xainctonge, une lieue de maison de
Madion.» (Cosm. Universelle, verso du fol. 993.) Thévet ne parle donc
point de Canseau, dans ce passage, et son témoignage n'infirme en rien
celui de Lescarbot.]
De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton qui est par la
hauteur de 45 degrez trois quars[174] de latitude & 14 degrez
50 minuttes[175] de declinaison de l'aimant y a huit lieues, &
jusques au cap Breton 25, où entre les deux y a une grande baye
[176] qui entre quelque 9 ou 10 lieues dans les terres & fait
passage entre l'isle du cap Breton & la grand terre qui va
rendre en la grand baye sainct Laurens, par où on va à Gaspé &
isle parcée, où se fait pesche de poisson. Ce passage de l'isle
du cap Breton est fort estroit: Les grands vaisseaux n'y
passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des
grands courans & transports de marée qui y sont: & avons nommé
ce lieu le passage courant [177], qui est par la hauteur de 45
degrez trois quarts de latitude.
[Note 174: L'extrémité la plus méridionale de l'île du Cap-Breton est à
45° 34', et la latitude du cap Breton lui-même est de 45° 57' environ.]
[Note 175: Il est assez probable qu'il faut lire 24° 50'. Aujourd'hui la
variation de l'aiguille au cap Breton est de prés de 24° de déclinaison
occidentale.]
[Note 176: La baie de Chédabouctou, que l'on a appelée quelque temps
baie de Milford.]
[Note 177: Le passage Courant a pris plus tard le nom de Fronsac, et
aujourd'hui on l'appelle passage ou détroit de Canseau.]
132/280 Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a
quelque 80 lieues de circuit, & est la pluspart terre
montagneuse: Neantmoins en quelques endroits fort aggreable. Au
milieu d'icelle y a une manière de lac[178], où la mer entre
par le costé du Nord quart du Nordouest, & du Su quart du Suest
[179]: & y a quantité d'isles remplies de grand nombre de
gibier, & coquillages de plusieurs sortes: entre autres des
huistres qui ne sont de grande saveur. En ce lieu y a deux
ports, où l'on fait pesche de poisson: sçavoir le port aux
Anglois[180], distant du cap Breton quelque 2 à 3 lieues: &
l'autre, Niganis, 18 ou 20 lieues au Nord quart du Nordouest.
Les Portuguais autrefois voulurent habiter ceste isle, & y
passèrent un yver: mais la rigueur du temps & les froidures
leur firent abandonner leur habitation.
[Note 178: Le Bras-d'or, ou Labrador, dont le nom sauvage était
Bideauboch, d'après Bellin.]
[Note 179: L'auteur, dans sa carte de 1613, indique en effet une
communication entre le Bras-d'Or et les eaux du golfe vers le
nord-quart-de-nord-ouest; mais il n'en marque aucune du côté du sud-est.
On sait que le Bras-d'Or ne communique avec la mer que du côté de l'est
par la Grande et la Petite Entrées.]
[Note 180: Le port de Louisbourg.]
Le 3 Septembre partismes de Campseau [181].
[Note 181: «Nous levâmes les ancres, dit Lescarbot, & avec beaucoup de
difficultez sortimes hors les brisans qui sont aux environs dudit
_Campseau_. Ce que nos mariniers firent avec deux chaloupes qui
portoient les ancres bien avant en mer pour soutenir notre vaisseau, à
fin qu'il n'allât donner contre les rochers. En fin étans en mer on
laissa à l'abandon l'une dédites chaloupes, & l'autre fut tirée dans le
Jonas, lequel outre notre charge portoit cent milliers de Morues, que
seches que vertes. Nous eûmes assez bon vent jusques à ce que nous
approchâmes les terres de l'Europe.» (Liv. IV, ch. XVIII.)]
Le 4 estions le travers de l'isle de Sable.
Le 6 Arrivasmes sur le grand banc, où se fait la pesche du
poisson vert, par la hauteur de 45 degrez & demy de latitude.
Le 26 entrasmes sur la Sonde proche des costes de Bretagne &
Angleterre, à 65 brasses d'eau, & par la hauteur de 49 degrez &
demy de latitude.
133/281 Et le 28, relachasmes à Roscou[182] en basse Bretagne, ou
fusmes contrariés du mauvais temps jusqu'au dernier de
Septembre, que le vent venant favorable nous nous mismes à la
mer pour parachever nostre routte jusques à sainct Maslo[183],
qui fut la fin de ces voyages [184], où Dieu nous conduit sans
naufrage ny péril.
[Note 182: «Nous demeurâmes» à Roscou, dit Lescarbot, «deux jours & demi
à nous rafraîchir. Nous avions un sauvage qui se trouvoit assez étonné
de voir les batimens, clochers & moulins à vent de France: même les
femmes qu'il n'avoit onques veu vêtues à notre mode.»]
[Note 183: «En quoy je ne puis que je ne loue,» ajoute Lescarbot, «la
prévoyante vigilance de notre maître de navire Nicolas Martin, de nous
avoir si dextrement conduit en une telle navigation, & parmi tant
d'écueils & capharées rochers dont est remplie la cote d'entre le cap
d'Ouessans & ledit Saint Malo. Que si cetui ci est louable en ce qu'il a
fait, le capitaine Foulques ne l'est moins de nous avoir mené parmi tant
de vents contraires en des terres inconues où nous nous sommes efforcés
de jetter les premiers fondemens de la Nouvelle France.»]
[Note 184: Le vaisseau de Chevalier, qui était de Saint-Malo, était
rendu à sa destination. Champlain dut prendre de là le chemin de la
Saintonge. Messieurs de Poutrincourt, de Biencourt et Lescarbot, y
demeurèrent encore quelques jours, pendant lesquels ils visitèrent le
Mont-Saint-Michel et les pêcheries de Cancale; puis ils se mirent dans
une barque qui les conduisit à Honfleur. «En cette navigation,» dit
Lescarbot, «nous servit beaucoup l'expérience du sieur de Poutrincourt,
lequel voyant que nos conducteurs étoient au bout de leur latin, quand
il se virent entre les iles de Jersey & Sart» (Serck) «... il print sa
Charte marine en main, & fit le maitre de navire, de manière que nous
passames le Raz-Blanchart (passage dangereux à des petites barques) &
vinmes à l'aise suivant la côte de Normandie audit Honfleur.» (Liv. IV,
ch. XVIII.)]
_Fin des voyages depuis l'an 1604, jusques en 1608._
135/283
[Illustration: Frise.]
LES VOYAGES
FAITS AV GRAND FLEUVE
SAINCT LAURENS PAR LE
sieur de Champlain Capitaine ordinaire
pour le Roy en la marine, depuis
l'année 1608. jusques en 1612.
LIVRE SECOND.
_Resolution du sieur de Mons pour faire les descouvertures par
dedans les terres; sa commission, & enfrainte d'icelle par des
Basques qui désarmèrent le vaisseau de Pont-gravé; & l'accort
qu'ils firent après entre eux._
CHAPITRE I.
Estant de retour en France après avoir sejourné trois ans au
pays de la nouvelle France, je fus trouver le sieur de Mons,
auquel je recitay les choses les plus singulieres que j'y
eusse veues depuis son partement, & luy donnay la carte & plan
des costes & ports les plus remarquables qui y soient.
Quelque temps après ledit sieur de Mons se delibera de
continuer ses dessins, & parachever de descouvrir dans les
terres par le grand fleuve S. Laurens, où j'avois esté par le
commandement du feu Roy HENRY LE GRAND en l'an 1603. quelque
136/284 180 lieues, commençant par la hauteur 48 degrez deux tiers de
latitude, qui est Gaspé entrée dudit fleuve jusques au grand
saut, qui est sur la hauteur de 45 degrez & quelques minuttes
de latitude, où finist nostre descouverture, & où les batteaux
ne pouvoient passer à nostre jugement pour lors: d'autant que
nous ne l'avions pas bien recogneue comme depuis nous avons
fait.
Or après que par plusieurs fois le sieur de Mons m'eust
discouru de son intention touchant les descouvertures, print
resolution de continuer une si genereuse, & vertueuse
entreprinse, quelques peines & travaux qu'il y eust eu par le
passé. Il m'honora de sa lieutenance pour le voyage: & pour
cest effect fit equipper deux vaisseaux, où en l'un commandoit
du Pont-gravé, qui estoit député pour les negotiations, avec
les sauvages du pays, & ramener avec luy les vaisseaux: & moy
pour hyverner audict pays.
Le sieur de Mons pour en supporter la despence obtint lettres
de sa Majesté pour un an, où il estoit interdict à toutes
personnes de ne trafficquer de pelleterie avec les sauvages,
sur les peines portées par la commission qui ensuit.
«HENRY PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, _A
nos amez & féaux Conseillers, les officiers de nostre Admirauté
de Normandie, Bretaigne & Guienne, Baillifs, Seneschaux,
Prevosts, Juges ou leurs Lieutenans, & à chacun d'eux endroict
soy, en l'estendue de leurs ressorts, Jurisdictions &
destroits, Salut: Sur l'advis qui nous a esté donné par ceux
qui sont venus de la nouvelle France, de la bonté, fertilité
des terres dudit pays, & que les peuples d'iceluy sont disposez
à recevoir la cognoissance de Dieu, Nous avons resolu de faire
continuer l'habitation qui avoit esté cy devant commencée audit
pays, à fin que nos subjects y puissent aller librement
trafficquer. Et sur l'offre que le sieur de Monts Gentil-homme
ordinaire de nostre chambre, & nostre Lieutenant General audit
pays, nous aurait proposée de faire ladite habitation, en luy
137/285 donnant quelque moyen & commodité d'en supporter la despence:
Nous avons eu aggreable de luy promettre & asseurer qu'il ne
serait permis à aucuns de nos subjects qu'à luy de trafficquer
de pelleteries & autres marchandises, durant le temps d'un an
seulement, és terres, pays, ports, rivieres & advenues de
l'estendue de sa charge: Ce que voulons avoir lieu. Nous pour
ces causes & autres considerations, à ce nous mouvans, vous
mandons & ordonnons que vous ayez chacun de vous en l'estendue
de vos pouvoirs, jurisdictions & destroicts, à faire de nostre
part, comme nous faisons tres-expressement inhibitions &
deffences à tous marchands, maistres & Capitaines de navires,
matelots, & autres nos subjects, de quelque qualité & condition
qu'ils soient, d'equipper aucuns vaisseaux, & en iceux aller ou
envoyer faire traffic, ou trocque de Pelleteries, & autres
choses avec les Sauvages de la nouvelle France, fréquenter,
negotier, & communiquer durant ledit temps d'un an en
l'estendue du pouvoir dudit sieur de Monts, à peine de
desobeyssance, de confiscation entière de leurs vaisseaux,
vivres, armes, & marchandises, au proffit dudit sieur de Monts
& pour asseurance de la punition de leur desobeissance: Vous
permettrez, comme nous avons permis & permettons audict sieur
de Monts ou ses lieutenans, de saisir, appréhender, & arrester
tous les contrevenans à nostre présente deffence & ordonnance,
& leurs vaisseaux, marchandises, armes, vivres, & vituailles,
pour les amener y remettre és mains de la Justice, & estre
procedé, tant contre les personnes que contre les biens des
desobeyssans, ainsi qu'il appartiendra. Ce que nous voulons, &
vous mandons faire incontinent lire & publier par tous les
lieux & endroicts publics de vosdits pouvoirs & jurisdictions,
où vous jugerez, besoin estre, par le premier nostre Huissier
ou Sergent sur ce requis, en vertu de ces presentes, ou coppie
d'icelles, deuement collationnées pour une fois seulement, par
l'un de nos amez & féaux Conseillers, Notaires & Secrétaires,
ausquelles voulons foy estre adjoustée comme au present
original, afin qu'aucuns de nosdits subjects n'en prétendent
cause d'ignorance, ains que chacun obeysse & se conforme sur ce
à nostre volonté. Mandons en outre à tous Capitaines de
navires, maistres d'iceux, contre-maistres, matelots, & autres
estans dans vaisseaux ou navires au port & havres dudit pays,
de permettre, comme nous avons permis audit sieur de Monts, &
autres ayant pouvoir & charge de luy, de visiter dans leursdits
vaisseaux qui auront traicté de laditte Pelleterie, aprés que
les presentes deffences leur auront esté signifiées. Nous
voulons qu'à la requeste dudit sieur de Monts, ses lieutenans,
& autres ayans charge, vous procédiez contre les desobeyssans &
contrevenans, ainsi qu'il appartiendra: De ce faire vous
donnons pouvoir, authorité, commission, & mandement special,
nonobstant l'Arrest de nostre Conseil du 17e jour de Juillet
dernier, clameur de haro, chartre normande, prise à-partie,
oppositions, ou appellations quelsconques: Pour lesquelles, &
sans prejudice d'icelles, ne voulons estre differé, & dont si
aucune interviennent, nous en avons retenu & reservé à nous & à
nostre Conseil la cognoissance, privativement à tous autres
juges, & icelle interdite & défendue à toutes nos Cours &
Juges: Car tel est nostre plaisir. Donné a Paris le septiesme
jour de Janvier l'an de grâce, mil six cents huict. Et de
nostre règne le dix-neufiesme. Signé, HENRY. Et plus bas. Par
le Roy, Delomenie.
Et seellé sur simple queue du grand seel de cire jaulne,_
Collationné à l'original par moy Conseiller, Notaire &
Secrétaire du Roy.»
138/286 Je fus à Honnefleur pour m'embarquer, où je trouvay le vaisseau
de Pontgravé prest, qui partit du port, le 5 d'Avril; & moy le
13 & arrivay sur le grand banc le 15 de May, par la hauteur de
45 degrez & un quart de latitude, & le 26 eusmes cognoissance
du cap saincte Marie, qui est par la hauteur de 46 degrez trois
quarts [185] de latitude, tenant à l'isle de terreneufve. Le 27
du mois eusmes la veue du cap sainct Laurens tenant à la terre
du cap Breton & isle de sainct Paul, distante du cap de saincte
Marie 83 lieues. Le 30 du mois eusmes cognoissance de l'isle
percée, & de Gaspé qui est soubs la hauteur de 48 degrez deux
tiers de latitude, distant du cap de sainct Laurens, 70 à 75
lieues.
[Note 185: 46° 51'.]
Le 3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac[186], distant de Gaspé
80 ou 90 lieues, & mouillasmes l'ancre à la radde du port [187]
de Tadoussac, qui est à une lieue du port, lequel est comme une
ance à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée
fort estrange pour sa vistesse, où quelquesfois il vient des
vents impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient
que ceste riviere a quelque 45 ou 50 lieues du port de
Tadoussac jusques au premier saut, qui vient du Nort Norouest.
Ce port est petit, & n'y pourroit que quelque 20 vaisseaux: Il
y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de Saguenay &
d'une petite isle de rochers qui est presque coupée de la mer.
[Note 186: Ce que l'auteur dit ici de Tadoussac, est emprunté presque
mot pour mot au Voyage de 1603, p. 4-22.]
[Note 187: La rade du port de Tadoussac est le mouillage du
Moulin-Baude.]
139/287 Le reste sont montaignes hautes eslevées, où il y a peu de
terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme sappins &
bouleaux[188]. Il y a un petit estanc proche du port renfermé
de montagnes couvertes de bois. A l'entrée y a deux pointes
l'une du costé du Surouest, contenant prés d'une lieue en la
mer, qui s'appelle la pointe sainct Matthieu, ou autrement aux
Allouettes, & l'autre du costé du Nordouest contenant demy
quart de lieue, qui s'appele la pointe de tous les
Diables[189], pour le grand danger qu'il y a. Les vents du Su
Suest frappent dans le port, qui ne sont point à craindre: mais
bien celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées
assechent de basse mer: nostre vaisseau ne peust entrer dans le
port pour n'avoir le vent & marée propre. Je fis aussitost
mettre nostre basteau hors du vaisseau pour aller au port voir
si Pont-gravé estoit arrivé. Comme j'estois en chemin, je
rencontray une chalouppe & le pilotte de Pont-gravé & un
Basque, qui me venoit advertir de ce qui leur estoit survenu
pour avoir voulu faire quelques deffences aux vaisseaux Basques
de ne traicter suivant la commission que le sieur de Mons avoit
obtenue de sa majesté, Qu'aucuns vaisseaux ne pourroient
traicter sans la permission du sieur de Monts, comme il estoit
porté par icelle.
[Note 188: L'auteur avait dit, en 1603, «pins, cyprez, sapins & quelques
manières d'arbres de peu.» Il semble avoir reconnu que ce qu'il appelait
cyprès n'en était pas réellement.]
[Note 189: Aujourd'hui la pointe aux Vaches. Voir 1603, note 2 de la
page 6.]
Et que nonobstant les significations que peust faire Pont-gravé
de la part de sa Majesté, ils ne laissoient de traicter la
140/288 force en la main, & qu'ils s'estoient mis en armes & se
maintenoient si bien dans leur vaisseau, que faisant jouer
touts leurs canons sur celuy de Pont-gravé, & tirant force
coups de mousquets, il fut fort blessé, & trois des siens, dont
il y en eust un qui en mourut, sans que le Pont fit aucune
resistance: Car dés la première salve de mousquets qu'ils
tirèrent il fut abbatu par terre. Les Basques vindrent à bort
du vaisseau & enleverent tout le canon & les armes qui estoient
dedans, disans qu'ils traicteroient nonobstant les deffences du
Roy, & que quand ils seroient prés de partir pour aller en
France il luy rendroient son canon & son amonition, & que ce
qu'ils en faisoient estoit pour estre en seureté. Entendant
toutes ces nouvelles, cela me fascha fort, pour le commencement
d'une affaire, dont nous nous fussions bien passez.
Or après avoir ouy du pilotte toutes ces choses je luy demanday
qu'estoit venu faire le Basque au bort de nostre vaisseau, il
me dit qu'il venoit à moy de la part de leur maistre appelé
Darache, & de ses compagnons, pour tirer asseurance de moy, Que
je ne leur ferois aucun desplaisir, lors que nostre vaisseau
seroit dans le port.
Je fis responce que je ne le pouvois faire, que premier je
n'eusse veu le Pont. Le Basque dit que si j'avois affaire de
tout ce qui despendoit de leur puissance qu'ils m'en
assisteroient. Ce qui leur faisoit tenir ce langage, n'estoit
que la cognoissance qu'ils avoient d'avoir failly comme ils
confessoient, & la crainte qu'on ne leur laissast faire la
pesche de balene.
141/289 Après avoir assez parlé je fus à terre voir le Pont pour
prendre délibération de ce qu'aurions affaire, & le trouvay
fort mal. Il me conta particulièrement tout ce qui s'estoit
passé. Nous considerasmes que ne pouvions entrer audit port que
par force, & que l'habitation ne fut pardue pour cette année,
de sorte que nous advisasmes pour le mieux, (afin d'une juste
cause n'en faire une mauvaise & ainsi se ruiner) qu'il failloit
leur donner asseurance de ma part tant que je serois là & que
le Pont n'entreprendroit aucune chose contre eux, mais qu'en
France la justice se feroit & vuideroit le différent qu'ils
avoient entr'eux.
Darache maistre du vaisseau me pria d'aller à son bort, où il
me fit bonne réception. Après plusieurs discours je fis
l'accord entre le Pont & luy, & luy fis promettre qu'il
n'entreprendroit aucune chose sur Pont-gravé ny au prejudice du
Roy & du sieur de Mons. Que s'ils faisoient le contraire je
tiendrois ma parole pour nulle: Ce qui fut accordé & signé d'un
chacun.
En ce lieu y avoit nombre de sauvages qui y estoient venus pour
la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre
vaisseau avec leurs canots[190], qui sont de 8 ou 9 pas de
long, & environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, &
vont en diminuant par les deux bouts. Il sont fort subjects à
tourner si on ne les sçay bien gouverner, & sont faicts
d'escorce de boulleau, renforcez par le dedans de petits
cercles de cèdre blanc, bien proprement arrangez: & sont si
142/290 légers qu'un homme en porte aysement un. Chacun peut porter la
pesanteur d'une pipe. Quand ils veulent traverser la terre pour
aller en quelque riviere où ils ont affaire, ils les portent
avec eux. Depuis Chouacoet le long de la coste jusques au port
de Tadoussac ils sont tous semblables.
[Note 190: Ce qui est dit ici du canot sauvage, est emprunté au Voyage
de 1603, p. 9 et 10.]
_De la riviere du Saguenay, & des sauvages qui nous y vindrent
abborder. De l'isle d'Orléans; & de tout ce que nous y avons
remarqué de singulier._
CHAPITRE II.
Aprés cest accord fait, je fis mettre des charpentiers à
accommoder une petite barque du port de 12 à 14 tonneaux, pour
porter tout ce qui nous seroit necessaire pour nostre
habitation, & ne peut estre plustost preste qu'au dernier de
Juin.
Cependant j'eu moyen de visiter quelques endroits de la riviere
du Saguenay, qui est une belle riviere, & d'une profondeur
incroyable, comme 150 & 200 brasses[191]. A quelque cinquante
lieues de l'entrée du port, comme dit est, y a un grand saut
d'eau, qui descend d'un fort haut lieu & de grande impetuosité.
Il y a quelques isles dedans icelle riviere qui sont fort
desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins &
bruieres. Elle contient de large demie lieue en des endroits, &
143/291 un quart en son entrée, où il y a un courant si grand qu'il est
trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle porte
encore hors. Toute la terre que j'y ay veue ne sont que
montaignes & promontoires de rochers, la pluspart couverts de
sapins & boulleaux, terre fort mal plaisante, tant d'un costé
que d'autre: enfin ce sont de vrays deserts inhabités d'animaux
& oyseaux: car allant chasser par les lieux qui me sembloient
les plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets,
comme arondelles, & quelques oyseaux de riviere, qui y viennent
en esté, autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure
qu'il y fait. Ceste riviere vient du Norouest[192].
[Note 191: L'auteur donne ici au Saguenay une trop grande profondeur;
les plus forts sondages y sont de 150 brasses environ. Aussi
corrige-t-il cette erreur dans sa dernière édition.]
[Note 192: Ce que l'auteur dit ici du Saguenay, et de ce que lui ont
rapporté les sauvages, est du Voyage de 1603, avec quelques
corrections.]
Les sauvages m'ont fait rapport qu'ayant passé le premier saut
ils en passent huit autres, puis vont une journée sans en
trouver, & de rechef en passent dix autres, & vont dans un lac,
où ils font trois journées [193], & en chacune ils peuvent
faire à leur aise dix lieues en montant: Au bout du lac y a des
peuples qui vivent errans, & trois rivieres qui se deschargent
dans ce lac, l'une venant du Nord [194], fort proche de la mer,
qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les
144/292 autres deux[195] d'autres costes par dedans les terres, où il y
a des peuples sauvages errans qui ne vivent aussi que de la
chasse, & est le lieu où nos sauvages vont porter les
marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures
qu'ils ont, comme castors, martres, loups serviers, & loutres,
qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos
vaisseaux. Ces peuples septentrionaux disent aux nostres qu'ils
voient la mer salée[196]; & si cela est, comme je le tiens pour
certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les
terres par les parties du Nort. Les sauvages disent qu'il peut
y avoir de la mer du Nort au port de Tadoussac 40 à 50[197]
journées à cause de la difficulté des chemins, rivieres & pays
qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année y a
des neges. Voyla au certain ce que j'ay appris de ce fleuve.
J'ay desiré souvent faire ceste descouverture, mais je n'ay peu
sans les sauvages, qui n'ont voulu que j'allasses avec eux ny
aucuns de nos gens: Toutesfois ils me l'ont promis. Ceste
descouverture ne seroit point mauvaise, pour oster beaucoup de
personnes qui sont en doubte de ceste mer du Nort, par où l'on
tient que les Anglois ont esté en ces dernières années pour
trouver le chemin de la Chine.
[Note 193: Dans le Voyage de 1603, l'auteur avait dit «où ils sont deux
jours à rapasser; en chasque jour, ils peuvent faire à leur aise
quelques douze à quinze lieues»; ce qui était moins près de la réalité.
Le lac Saint-Jean a dix ou onze lieues de long; mais il est à remarquer
que, si les sauvages mettent deux ou trois jours à le passer, c'est
parce qu'ils ne se hasardent guère à le traverser, et qu'ils en font à
moitié le tour pour venir prendre l'une de ces grandes rivières dont
l'auteur parle un peu plus loin.]
[Note 194: La rivière Mistassini (grosse pierre), ou des Mistassins, qui
est le chemin de la baie d'Hudson. On l'a appelée aussi rivière des
Sables.]
[Note 195: Ces deux autres rivières sont: le Chomouchouan
(_Achouabmoussouan_, guet à l'orignal), qui vient du nord-ouest, et le
Péribauca (rivière Percée), qui vient du nord-est.]
[Note 196: La baie d'Hudson. Elle fut découverte en 1610 par Henry
Hudson, anglais de naissance, qui y passa l'hiver, et y périt
misérablement l'année suivante 1611. Voir le 4e vol. de Purchas et
_Belknap's Biog._ I, 394-407.]
[Note 197: Voir 1603, note 3 de la page 21.]
292a
[Illustration: R du Saguenay]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Une montaigne ronde sur le bort de la riviere du Saguenay.
B Le port de Tadoussac.
C Petit ruisseau d'eau douce.
D Le lieu où cabannent les sauvages quand ils viennent pour la traicte.
E Manière d'isle qui clost une partie du port de la riviere du Saguenay.
F (1) La pointe de tous les Diables.
G La riviere du Saguenay.
H La pointe aux allouettes (2).
I Montaignes fort mauvaises, remplies de sapins & boulleaux.
L Le moulin Bode.
M La rade où les vaisseaux mouillent l'ancre attendant le vent & la
marée.
N Petit estang proche du port.
O Petit ruisseau sortant de l'estang, qui descharge dans le Saguenay.
P Place sur la pointe sans arbres, où il y a quantité d'herbages.
(1) _f_, dans la carte. Cette pointe s'appelle aujourd'hui la pointe aux
Vaches.--(2) La lettre H est placée plutôt sur la batture que sur la
pointe aux Alouettes.
Je party de Tadoussac le dernier du mois [198] pour aller à
Quebecq, & passames prés d'une isle qui s'apelle l'isle aux
145/293 lievres, distante de six lieues dudict port, & est à deux
lieues de la terre du Nort, & à prés de 4 lieues [199] de la
terre du Su. De l'isle au lievres, nous fusmes à une petite
riviere, qui asseche de basse mer, où à quelque 700 à 800 pas
dedans y a deux sauts d'eau: Nous la nommasmes la riviere aux
Saulmons[200], à cause que nous y en prismes. Costoyant la
coste du Nort nous fusmes à une pointe qui advance à la mer,
qu'avons nommé le cap Dauphin [201], distant de la riviere aux
Saulmons 3 lieues. De là fusmes à un autre cap que nommasmes le
cap à l'Aigle[202], distant du cap Daulphin 8 lieues: entre les
deux y a une grande ance, où au fonds y a une petite riviere
qui asseche de basse mer[203]. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle
aux couldres qui en est distante une bonne lieue, & peut tenir
environ lieue & demie de long. Elle est quelque peu unie venant
en diminuant par les deux bouts: A celuy de l'Ouest y a des
prairies [204] & pointes de rochers, qui advancent quelque peu
dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort
batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui
146/294 l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie
lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant
dedans les terres, & l'avons nommée la riviere du gouffre[205],
d'autant que le travers d'icelle la marée y court
merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est tousjours
fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la
riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour
d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste fusmes à un
cap, que nous avons nommé le cap de tourmente[206], qui en est
à cinq lieues, & l'avons ainsi nommé, d'autant que pour pe
qu'il face de vent la mer y esleve comme si elle estoit plaine.
En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes à l'isle
d'Orléans, où il y a deux lieues, en laquelle du costé du Su y
a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes d'arbres, & fort
aggreables, remplies de grandes prayries, & force gibier,
contenant à ce que j'ay peu juger les unes deux lieux, & les
autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a force rochers &
basses fort dangereuses à passer qui sont esloignés de quelques
deux lieues de la grand terre du Su. Toute ceste coste, tant du
Nord que du Su, depuis Tadoussac jusques à l'isle d'Orléans,
est terre montueuse & fort mauvaise, où il n'y a que des pins,
147/295 sappins, & boulleaux, & des rochers tresmauvais, où on ne
sçauroit aller en la plus part des endroits.
[Note 198: Le 30 de juin.]
[Note 199: La côte du sud n'est qu'à environ 3 lieues; mais le peu
d'élévation qu'elle a, comparativement à celle du nord, la fait paraître
plus éloignée qu'elle n'est.]
[Note 200: Suivant toutes les apparences, cette rivière aux Saumons est
celle qui se jette dans le port à l'Équille, que l'on a appelé aussi
port aux Quilles (Skittles port). Son embouchure est à trois lieues du
cap au Saumon, et il n'y a point dans les environs d'autre rivière dont
la position réponde aussi bien à ce qu'en dit l'auteur. Il ne faut pas
la confondre avec le cap au Saumon.]
[Note 201: Ce nom a complètement disparu. Le cap Dauphin doit être le
même que le cap au Saumon. La pointe à l'Homme, sur laquelle il est
situé, avance à la mer d'une manière très-remarquable.]
[Note 202: Le cap aux Oies, qui est à près de deux lieues de l'île aux
Coudres. Ici la tradition est évidemment en défaut: car le cap à l'Aigle
d'aujourd'hui est bien à six lieues plus bas que celui auquel Champlain
a donné ce nom.]
[Note 203: Dans sa grande carte de 1632, l'auteur la désigne, par le
chiffre 4, sous le nom de rivière Platte. C'est celle de la Malbaie.
(Voir la note 2 de la page suivante.)]
[Note 204: Cette partie de l'île aux Coudres s'appelle encore Les
Prairies, ou Côte-des-Prairies.]
[Note 205: La rivière du Gouffre a gardé fidèlement son nom, malgré une
erreur qui s'est glissée dans l'édition de 1632. On y a reproduit tout
ce passage, en appliquant à la rivière du Gouffre une addition que
l'auteur destinait évidemment à celle de la Malbaie, comme le prouve
surabondamment la légende de la grande carte, où se trouvent ïndiquées
séparément la baie du Gouffre (la baie Saint-Paul, qui forme l'entrée de
la rivière du Gouffre) et la rivière Flatte ou Malbaie.]
[Note 206: Le cap Tourmente est à environ huit lieues de l'île aux
Coudres. La grande hauteur des Caps fait paraître les distances beaucoup
moindres.]
Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du Su, distante de
la grand terre une lieue & demie: & du costé du Nort demie
lieue, contenant de long 6 lieues, & de large une lieue, ou
lieue & demie, par endroits. Du costé du Nort elle est fort
plaisante pour la quantité des bois & prayries qu'il y a: mais
il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de pointes &
rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où il y a
quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques endroits; &
à l'embucheure[207] des vignes & autres bois comme nous avons
en France. Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la
grande riviere, où il y a de son entrée 120.[208] Au bout de
l'isle y a un torent d'eau[209] du costé du Nort, qui vient
d'un lac[210] qui est quelque dix lieues dedans les terres, &
descend de dessus une coste qui a prés de 25 thoises[211] de
haut, au dessus de laquelle la terre est unie & plaisante à
voir bien que dans le pays on voye de hautes montaignes, qui
paroissent de 15 à 20 lieues.
[Note 207: Ou _embuchure_. Ce mot, qui ne paraît pas avoir été fort en
usage, doit signifier ici entrée du bois, et la phrase revient à
celle-ci: «et, _à l'entrée du bois_, (il y a) des vignes, et autres
bois comme en France.» Notre vigne sauvage, en effet, se rencontre
ordinairement le long des rivières ou à l'entrée des bois.]
[Note 208: Cent vingt lieues.]
[Note 209: Au chapitre suivant, dans la carte des environs de Québec,
l'auteur l'indique, à la lettre H, sous le nom de Montmorency, et dans
l'édition de 1632, il ajoute ces mots, «que j'ay nommé le sault de
Montmorency.» Il est assez probable que ce fut à ce voyage de 1608 que
Champlain lui donna ce nom, en l'honneur du duc de Montmorency, à qui il
avait dédié son Voyage de 1603.]
[Note 210: Le lac des Neiges.]
[Note 211: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.]
148/296 _Arrivée à Quebecq, où nous fismes nos logemens, sa situation.
Conspiration contre, le service du Roy, & ma vie, par aucuns de
nos gens. La punition qui en fut faite, & tout ce qui se passa
en cet affaire._
CHAPITRE III.
De l'isle d'Orléans jusques à Quebecq, y a une lieue, & y
arrivay le 3 Juillet: où estant, je cherchay lieu propre pour
nostre habitation, mais je n'en peu trouver de plus commode, ny
mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appellé des
sauvages[212], laquelle estoit remplie de noyers. Aussitost
j'emploiay une partie de nos ouvriers à les abbatre pour y
faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre
fouiller la cave & faire des fossez: & l'autre à aller quérir
nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose
que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à
couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun,
& le soin que j'en eu.
[Note 212: Par ces mots «ainsi appelé des Sauvages» l'auteur veut dire,
suivant nous, que le mot _Québec_ est sauvage, et c'est ainsi que
Lescarbot l'a compris. Dans les différents dialectes de la langue
algonquine, le mot _kebec_ ou _kepac_ signifie rétrécissement. «_Kébec_,
en micmac,» dit un de nos missionnaires qui ont le mieux connu cette
langue (M. Bellanger), «veut dire _rétrécissement des eaux_ formé par
deux langues ou pointes de terre qui se croisent. Dans les premiers
temps que j'étais dans les missions, je descendais de Riscigouche à
Carleton; les deux sauvages qui me menoient en canot répétant souvent le
mot kebec, je leur demandai s'ils se préparaient à aller bientôt à
Québec Ils me repondirent: Non; regarde les deux pointes, et l'eau, qui
est resserrée en dedans: on appelle cela _kébec_ en notre langue.»
(Cours d'Hist. de M. Ferland, I, p. 90.) Cette pointe de Québec, où est
maintenant l'église de la basse ville, n'est presque plus reconnaissable
par suite de la disparution du Cul-de-Sac, à la place duquel on a fait
le marché Champlain.]
296a
[Illustration: Quebec]
_Les chifres montrent les brasses d'eau._
A Le lieu où l'habitation est bastie (1).
B Terre deffrichée où l'on seme du bled & autres grains (2).
C Les jardinages (3).
D Petit ruisseau qui vient de dedans des marescages (4).
E Riviere (5) où hyverna Jaques Quartier, qui de son temps la nomma
saincte Croix, que l'on a transféré à 15 lieues audessus de Québec.
F Ruisseau des marais (6).
G Le lieu où l'on amassoit les herbages pour le bestail que l'on y avoit
mené (7).
H Le grand saut de Montmorency qui descent de plus de 25 brasses de haut
dans la riviere (8).
I Bout de l'isle d'Orléans.
L Pointe fort estroite (9) du costé de l'orient de Quebecq.
M Riviere bruyante, qui va aux Etechemains.
N La grande riviere S. Laurens.
O Lac de la riviere bruyante.
P Montaignes qui sont dans les terres; baye que j'ay nommé la nouvelle
Bisquaye.
Q Lac du grand saut de Montmorency (10).
R Ruisseau de lours (11).
S Ruisseau du Gendre (12).
T Prairies qui sont inondées des eaux à toutes les marées.
V Mont du Gas (13) fort haut, sur le bort de la riviere.
X Ruiseau courant, propre à faire toutes sortes de moulins.
Y Coste de gravier, où il se trouve quantité de diamants un peu
meilleurs que ceux d'Alanson.
Z La pointe aux diamants.
9 (14) Lieux où souvent cabannent les sauvages.
(1)C'est là proprement la pointe de Québec, qui comprenait l'espace
renfermé aujourd'hui entre la Place, la rue Notre-Dame et le
fleuve.--(2)Ce premier défrichement a dû être ce qu'on a appelé plus
tard _l'Esplanade du fort_, ou la _Grand-Place_, ou peut-être l'un et
l'autre. La Grand-Place devint en 1658 le fort des Hurons; c'était
l'espace compris entre la Côte de la basse ville et la rue du
Fort.--(3)Un peu au-dessus des jardinages, sur le penchant de la côte du
Saut-au-Matelot, on distingue une croix, qui semble indiquer que dès
lors le cimetière était où on le trouve quelques années après mentionné
pour la première fois.--(4)D'après les anciens plans de Québec, ces
marécages auraient été à l'ouest du Mont-Carmel et au pied des glacis de
la Citadelle. Le ruisseau venait passer à l'est du terrain des Ursulines
et des Jésuites, suivait quelque temps la rue de la Fabrique, jusqu'à la
clôture de l'Hôtel-Dieu, à l'est de laquelle il se jetait en bas du
côteau vers le pied de la côte de la Canoterie.--(5)La rivière
Saint-Charles. La lettre E n'indique pas précisément le lieu où hiverna
Jacques Cartier, mais seulement l'embouchure de la rivière (voir p.
156).--(6)A en juger par les contours du rivage, ce ruisseau, qui venait
du sud-ouest, se jetait dans le havre du Palais, vers l'extrémité ouest
du Parc.--(7)C'est probablement ce qu'on appela plus tard la grange de
Messieurs de la Compagnie, ou simplement la Grange, qui paraît avoir été
quelque part sur l'allée du Mont-Carmel.--(8)Le saut Montmorency a 40
brasses de haut, ou 240 pieds français, et même davantage.--(9)On voit
qu'en 1613, cette pointe n'avait pas encore de nom; en 1629, Champlain
l'appelle cap de Lévis: on peut donc conclure que cette pointe tire son
nom de celui du duc de Ventadour, Henri de Lévis, et qu'elle dut être
ainsi appelée entre les années 1625 et 1627, époque où il fut
vice-roi.--(10)Le lac des Neiges est la source de la branche ouest de la
rivière du Saut.--(11)La rivière de Beauport, qu'on appelle aussi la
Distillerie.--(12)Appelé plus tard ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers,
rivière Chalifour, et enfin rivière des Fous, à cause du nouvel asile
des Aliénés, sur l'emplacement duquel il passe
aujourd'hui.--(13)Élévation où est maintenant le bastion du Roi à la
Citadelle. Ce nom lui fut donné sans doute en souvenir de M. de Monts,
Pierre du Gas.--(14)Ce chiffre se retrouve non-seulement à la pointe du
cap Diamant, mais encore le long de la côte de Beauport et au bout de
l'île d'Orléans.
Quelques jours après que je fus audit Quebecq, il y eut un
149/297 serrurier qui conspira contre le service du Roy; qui estoit
m'ayant fait mourir, & s'estant rendu maistre de nostre fort,
le mettre entre les mains des Basques ou Espagnols[213], qui
estoient pour lors à Tadoussac, où vaisseaux ne peuvent passer
plus outre pour n'avoir la cognoissance du partage ny des bancs
& rochers qu'il y a en chemin [214].
[Note 213: Lescarbot prétend encore ici trouver Champlain en défaut,
parce que «les conspirateurs (qui dévoient exécuter leur entreprise dans
quatre jours) avoient proposé de livrer la place aux Hespagnols,
laquelle toutefois n'étoit à peine commencée à bâtir.» (Liv. V, ch. II.)
Il suffit de considérer les différentes circonstances du récit de
Champlain, pour voir qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction. Quand le
complot fut formé, il n'était point question de livrer aux Espagnols un
fort déjà construit, puisque Duval «les avoit induits à telle trahison,
dés qu'ils partirent de France,» comme le déposent les témoins (voir
ci-après, p. 154). Le complot consistait donc à choisir le moment
opportun pour s'emparer de tout, que le fort fût achevé ou non. Or,
comme l'auteur le remarque plus loin (p. 150), les conjurés n'eussent pu
venir à bout de leur dessein une fois les barques arrivées de
Tadoussac.]
[Note 214: Dans un temps où l'on n'avait encore pu faire que des
observations incomplètes, c'eût été une vraie imprudence que de risquer
à monter plus haut un vaisseau de gros tonnage, puisque, de nos jours
même, avec des études spéciales, avec le secours des cartes marines si
exactes de l'Amirauté, nos pilotes canadiens, qui certes n'ont pourtant
pas dégénéré de leurs ancêtres, regardent encore la Traverse comme la
partie la plus difficile de la navigation du fleuve. (Voir Bayfield, I,
partie II, ch. XI.)]
Pour exécuter son malheureux dessin, sur l'esperance d'ainsi
faire sa fortune, il suborna quatre[215] de ceux qu'il croyoit
estre des plus mauvais garçons, leur faisant entendre mille
faulcetez & esperances d'acquérir du bien.
[Note 215: «Champlain racontant ce fait,» dit Lescarbot, «se met au
nombre des juges & dit que du Val en débaucha quatre, comme ainsi soit
que par son discours il ne s'en trouve que trois.» (Liv. V, ch. II.) Si
Champlain, après avoir affirmé que Duval en avait débauché quatre,
disait ensuite qu'il n'en débaucha que trois la contradiction sauterait
aux yeux; mais il n'en est rien. L'auteur dit bien que Duval en débaucha
quatre, ce qui faisait cinq conjurés; mais, de ces cinq, il n'en restait
plus que quatre, dès que Champlain eut accordé le pardon à Natel;
c'est-à-dire, qu'il n'y en eut que quatre qui subirent leur procès, et
qui furent condamnés.]
Après que ces quatre hommes furent gaignez, ils promirent
chacun de faire en sorte que d'attirer le reste à leur
devotion, & que pour lors je n'avois personne avec moy en qui
j'eusse fiance: ce qui leur donnoit encore plus d'esperance de
faire reussir leur dessin: d'autant que quatre ou cinq de mes
150/298 compagnons, en qui ils sçavoient que je me fiois, estoient
dedans les barques pour avoir esgard à conserver les vivres &
commoditez qui nous estoient necessaires pour nostre
habitation.
Enfin ils sceurent si bien faire leurs menées avec ceux qui
restoient, qu'ils devoient les attirer tous à leur devotion, &
mesme mon laquay, leur promettant beaucoup de choses qu'ils
n'eussent sceu accomplir.
Estant donc tous d'accord, ils estoient de jour en autre en
diverses resolutions comment ils me feroient mourir, pour n'en
pouvoir estre accusez, ce qu'ils tenoient difficile: mais le
Diable leur bandant à tous les yeux: & leur ostant la raison &
toute la difficulté qu'ils pouvoient avoir, ils arresterent de
me prendre à despourveu d'armes & m'estouffer, ou donner la
nuit une fauce alarme, & comme je sortirois tirer sur moy, &
que par ce moyen ils auroient plustost fait qu'autrement: tous
promirent les uns aux autres de ne se descouvrir, sur peine que
le premier qui en ouvriroit la bouche, seroit poignardé: & dans
quatre jours ils devoient exécuter leur entreprise, devant que
nos barques fussent arrivées: car autrement ils n'eussent peu
venir à bout de leur dessin.
Ce mesme jour arriva l'une de nos barques, où estoit nostre
pilotte appelé le Capitaine Testu, homme fort discret. Après
que la barque fut deschargée & preste à s'en retourner à
Tadoussac, il vint à luy un serrurier appelé Natel, compagnon
de Jean du Val chef de la traison, qui luy dit, qu'il avoit
151/299 promis aux autres de faire tout ainsi qu'eux: mais qu'en effect
il n'en desiroit l'exécution, & qu'il n'osoit s'en déclarer, &
ce qui l'en avoit empesché, estoit la crainte qu'il avoit qu'il
ne le poignardassent.
Après qu'Antoine Natel eust fait promettre audit pilotte de ne
rien déclarer de ce qu'il diroit, d'autant que si ses
compagnons le descouvroient, ils le feroient mourir. Le pilotte
l'asseura de toutes choses, & qu'il luy declarast le fait de
l'entreprinse qu'ils desiroient faire: ce que Natel fit tout au
long: lequel pilotte luy dist, Mon amy vous avez bien fait de
descouvrir un dessin si pernicieux, & montrez que vous estes
homme de bien, & conduit du S. Esprit. Mais ces choses ne
peuvent passer sans que le sieur de Champlain le scache pour y
remedier, & vous promets de faire tant envers luy, qu'il vous
pardonnera & à d'autres: & de ce pas, dit le pilotte, je le
vays trouver sans faire semblant de rien, & vous, allez faire
vostre besoigne, & entendez tousjours ce qu'ils diront, & ne
vous souciez du reste. Aussitost le pilotte me vint trouver en
un jardin que je faisois accommoder, & me dit qu'il desiroit
parler à moy en lieu secret, où il n'y eust que nous deux. Je
luy dis que je le voulois bien. Nous allasmes dans le bois, où
il me conta toute l'affaire. Je luy demanday qui luy avoit dit.
Il me pria de pardonner à celuy qui luy avoit déclaré: ce que
je luy accorday bien qu'il devoit s'adresser à moy. Il
croignoit dit-il qu'eussiez entré en cholere, & que l'eussiez
offencé. Je luy dis que je sçavois mieux me gouverner que cela
en telles affaires, & qu'il le fit venir, pour l'oyr parler. Il
152/300 y fut, & l'amena tout tremblant de crainte qu'il avoit que luy
fisse quelque desplaisir. Je l'asseuray, & luy dy qu'il n'eust
point de peur & qu'il estoit en lieu de seureté, & que je luy
pardonnois tout ce qu'il avoit fait avec les autres, pourveu
qu'il dist entièrement la vérité de toutes chose, & le subjet
qui les y avoit meuz, Rien, dit-il, sinon que ils s'estoient
imaginez que rendant la place entre les mains des Basques ou
Espaignols, ils seroient tout riches, & qu'ils ne desiroient
plus aller en France, & me conta le surplus de leur
entreprinse.
Après l'avoir entendu & interrogé, je luy dis qu'il s'en allast
à ses affaires: Cependant je commanday au pilotte qu'il fist:
approcher sa chalouppe: ce qu'il fit; & après donnay deux
bouteilles de vin à un jeune homme, & qu'il dit à ces quatre
galants principaux de l'entreprinse, que c'estoit du vin de
present que ses amis de Tadoussac luy avoient donné & qu'il
leur en vouloit faire part: ce qu'ils ne réfuserent, & furent
sur le soir en la Barque, où il leur devoit donner la
collation: je ne tarday pas beaucoup après à y aller, & les fis
prendre & arrester attendant le lendemain.
Voyla donc mes galants bien estonnez. Aussitost je fis lever un
chacun (car c'estoit sur les dix heures du soir) & leur
pardonnay à tous, pourveu qu'ils me disent la vérité de tout ce
qui s'estoit passé, ce qu'ils firent, & après les fis retirer.
Le lendemain je prins toutes leurs depositions les unes après
les autres devant le pilotte & les mariniers du vaisseau,
lesquelles je fis coucher par escript, & furent fort aises à ce
qu'ils dirent, d'autant qu'ils ne vivoient qu'en crainte, pour
153/301 la peur qu'ils avoient les uns des autres, & principalement de
ces quatre coquins qui les avoient ceduits; & depuis vesquirent
en paix, se contentans du traictement qu'ils avoient receu,
comme ils déposerent.
Ce jour fis faire six paires de menottes pour les autheurs de
la cedition, une pour nostre Chirurgien appelé Bonnerme, une
pour un autre appelé la Taille que les quatre ceditieux avoient
chargez, ce qui se trouva neantmoins faux, qui fut occasion de
leur donner liberté.
Ces choses estans faites, j'emmenay mes galants à Tadoussac, &
priay le Pont de me faire ce bien de les garder, d'autant que
je n'avois encores lieu de seureté pour les mettre, &
qu'estions empeschez à édifier nos logemens, & aussi pour
prendre resolution de luy & d'autres du vaisseau, de ce
qu'aurions à faire là dessus. Nous advisames qu'après qu'il
auroit fait ses affaires à Tadoussac, il s'en viendroit à
Ouebecq avec les prisonniers, où les ferions confronter devant
leurs tesmoins: & après les avoir ouis, ordonner que la justice
en fut faite selon le délict qu'ils auroient commis.
Je m'en retournay le lendemain à Quebecq pour faire diligence
de parachever nostre magazin, pour retirer nos vivres qui
avoient esté abandonnez de tous ces belistres, qui
n'espargnoient rien, sans considerer où ils en pourroient
trouver d'autres quand ceux là manqueroient: car je n'y pouvois
donner remède que le magazin ne fut fait & fermé.
Le Pont-gravé arriva quelque temps après moy, avec les
prisonniers, ce qui apporta du mescontentement aux ouvriers qui
154/302 restoient, craignant que je leur eusse pardonné, & qu'ils
n'usassent de vengeance envers eux, pour avoir déclaré leur
mauvais dessin.
Nous les fismes confronter les uns aux autres, où ils leur
maintindrent tout ce qu'ils avoient déclaré dans leur
dépositions, sans que les prisonniers leur deniassent le
contraire, s'accusans d'avoir meschament fait, & mérité
punition, si on n'usoit de misericorde envers eux, en
maudissant Jean du Val, comme le premier qui les avoit induits
à telle trahison, dés qu'ils partirent de France. Ledit du Val
ne sceut que dire, sinon qu'il meritoit la mort, & que tout le
contenu és informations estoit véritable, & qu'on eust pitié de
luy, & des autres qui avoient adhéré à ses pernicieuses
vollontez.
Après que le Pont & moy, avec le Capitaine du vaisseau, le
Chirurgien, maistre, contre maistre, & autres mariniers eusmes
ouy leurs dépositions & confrontations, Nous advisames que ce
seroit assez de faire mourir le dit du Val, comme le motif de
l'entreprinse, & aussi pour servir d'exemple à ceux qui
restoient, de se comporter sagement à l'advenir en leur devoir,
& afin que les Espagnols & Basques qui estoient en quantité au
pays n'en fissent trophée: & les trois autres condamnez d'estre
pendus, & cependant les remmener en France entre les mains du
sieur de Mons, pour leur estre fait plus ample justice, selon
qu'il adviseroit, avec toutes les informations, & la sentence,
tant dudict Jean du Val qui fut pendu & estranglé audit
Quebecq, & sa teste mise au bout d'une pique pour estre plantée
au lieu le plus eminent de nostre fort & les autres trois
renvoyez en France.
155/303 _Retour du Pont-gravé en France. Description de nostre logement
& du lieu ou sejourna Jaques Quartier en l'an 1535._
CHAPITRE IV.
Aprés que toutes ces choses furent passées le Pont partit de
Quebecq le 18 Septembre pour s'en retourner en France avec les
trois prisonniers. Depuis qu'ils furent hors tout le reste se
comporta sagement en son devoir.
Je fis continuer nostre logement, qui estoit de trois corps de
logis à deux estages. Chacun contenoit trois thoises de long &
deux & demie de large. Le magazin[216] six & trois de large,
avec une belle cave de six pieds de haut. Tout autour de nos
logemens je fis faire une galerie par dehors au second estage,
qui estoit fort commode, avec des fossés de 15 pieds de large &
six de profond: & au dehors des fossés, je fis plusieurs
pointes d'esperons[217] qui enfermoient une partie du logement,
156/304 là où nous mismes nos pièces de canon: & devant le bastiment y
a une place [218] de quatre thoises de large, & six ou sept de
long, qui donne sur le bort de la riviere. Autour du logement y
a des jardins qui sont très-bons, & une place de costé de
Septemptrion qui a quelque cent ou six vingts pas de long, 50
ou 60 de large [219]. Plus proche dudit Quebecq, y a une petite
riviere [220] qui vient dedans les terres d'un lac distant de
nostre habitation de six à sept lieues. Je tiens que dans cette
riviere qui est au Nort & un quart du Norouest de nostre
habitation, ce fut le lieu où Jaques Quartier yverna, d'autant
qu'il y a encores à une lieue [221] dans la riviere des
vestiges comme d'une cheminée, dont on a trouvé le fondement, &
apparence d'y avoir eu des fossez autour de leur logement, qui
estoit petit. Nous trouvasmes aussi de grandes pièces de bois
escarrées, vermoulues, & quelques 3 ou 4 balles de canon.
Toutes ces choses monstrent evidemment que c'a esté une
157/305 habitation, laquelle a esté fondée par des Chrestiens: & ce qui
me fait dire & croire que c'est Jaques Quartier, c'est qu'il ne
se trouve point qu'aucun aye yverné ny basty en ces lieux que
ledit Jaques Quartier au temps de ses descouvertures, &
failloit, à mon jugement, que ce lieu s'appelast sainte Croix,
comme il l'avoit nommé, que l'on a transféré depuis à un autre
lieu qui est 15 lieues de nostre habitation à l'Ouest, & n'y a
pas d'apparence qu'il eust yverné en ce lieu que maintenant on
appelle saincte Croix, ny en d'autres: d'autant qu'en ce chemin
il n'y a riviere ny autres lieux capables de tenir vaisseaux,
si ce n'est la grande riviere ou celle dont j'ay parlé cy
dessus, où de basse mer y a demie brasse d'eau, force rochers &
un banc à son entrée: Car de tenir des vaisseaux dans la grande
riviere, où il y a de grands courans, marées & glaces qui
charient en hyver, ils courroient risque de se perdre, aussi
qu'il y a une pointe de sable qui advance sur la riviere, qui
est remplie de rochers, parmy lesquels nous avons trouvé depuis
trois ans un partage [222] qui n'avoit point encore esté
descouvert: mais pour le passer il faut bien prendre son temps,
à cause des pointes & dangers qui y sont. Ce lieu est à
descouvert des vents de Norouest, & la riviere y court comme si
c'estoit un saut d'eau, & y pert de deux brasses & demie. Il ne
s'y voit aucune apparence de bastimens ny qu'un homme de
jugement voulust s'establir en cest endroit, y en ayant
beaucoup d'autres meilleurs quand on seroit forcé de demeurer,
158/306 J'ay bien voulu traicter de cecy, d'autant qu'il y en a
beaucoup qui croyent que ce lieu fust la residence dudit Jaques
Quartier[223]: ce que je ne croy pas pour les raisons cy
dessus: car ledit Quartier en eust aussi bien fait le discours
pour le laisser à la posterité comme il l'a fait de tout ce
qu'il a veu & descouvert: & soustiens que mon dire est
véritable: ce qui se peut prouver par l'histoire qu'il en a
escrite.
[Note 216: Suivant toutes les apparences, ce premier magasin de Québec
était situé à angle droit avec les longs pans de l'église de la basse
ville, à peu près à l'endroit où est la chapelle latérale, et, comme ce
terrain continua d'appartenir au gouvernement jusqu'à ce qu'on y bâtit,
l'église, il y a tout lieu de croire que la limite de cette enceinte, du
côté du sud-ouest, était l'alignement du mur auquel est adossé le
maître-autel, avec l'encoignure des rues Saint-Pierre et Sous-le-Fort.]
[Note 217: Les deux corps de logis les plus rapprochés du fleuve
devaient faire entre eux un angle correspondant à celui que fait, un peu
plus en arrière, la rue Notre-Dame; par conséquent les deux pointes
d'éperons que figurent l'auteur dans la vue de ce premier logement,
enfermaient quelque peu l'habitation de ce côté. Cependant il semble
que, s'il n'y en avait eu que deux, Champlain n'aurait pas dit
plusieurs; en outre on remarque, dans ce dessin, la prolongation d'une
des faces de l'enceinte au-delà de l'angle oriental de l'habitation; ce
qui autorise à croire qu'il y avait une troisième pointe d'éperon du
côté du nord-est. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que ce côté
était plus exposé à une attaque.]
[Note 218: Cette place forme aujourd'hui une partie de la rue
Saint-Pierre, dont la direction s'est trouvée déterminée sans doute par
la position du corps de logis qui était le plus à l'est, comme semble
l'indiquer le dessin que nous en a conservé l'auteur.]
[Note 219: La largeur de la rue Notre-Dame, avec les emplacements qui la
bordent du côté du Nord, forment en effet une profondeur d'une
cinquantaine de pas.]
[Note 220: Cette _Petite Rivière_ (car les habitants de Québec
l'appellent encore ainsi) vient du lac Saint-Charles, qui n'est qu'à
environ quatre lieues de Québec. Les Montagnais, au rapport du Frère
Sagard, l'appelaient _Cabirecoubat_, «à raison, dit-il, qu'elle tourne
et fait plusieurs pointes.» (Hist. du Canada, liv. II, ch. V.) Jacques
Cartier lui donna le nom de Sainte-Croix, parce qu'il y arriva le jour
de l'Exaltation de la sainte Croix, 14 septembre 1535; et enfin les
Récollets lui imposèrent le nom qu'elle porte généralement aujourd'hui,
et l'appelèrent rivière Saint-Charles, en mémoire du grand vicaire de
Pontoise, Charles Des Boues. (P. Chrestien LeClercq, Prem. établiss. de
la foi, vol I, p. 157.)]
[Note 221: Suivant l'auteur lui-même (édit. 1632, liv. I, ch. II),
Jacques Cartier hiverna à l'endroit où les PP. Jésuites fixèrent leur
demeure, «Or, dit M. Ferland (I, p. 26), les Jésuites bâtirent leur
première maison, ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, à la
pointe formée par les rivières Saint-Charles et Lairet. C'est donc à
l'embouchure de la rivière Lairet, et vis-à-vis la pointe aux Lièvres,
que furent placés pour l'hiver la Grande et la Petite Hermine.» Il est
vrai que l'embouchure de la rivière Lairet n'est qu'à environ une
demi-lieue dans la Petite-Rivière; mais il est probable que Champlain
compte la distance depuis _l'habitation_.]
[Note 222: Le chenal du Richelieu. On sait combien il est difficile de
faire, dans un courant aussi rapide, des observations régulières et des
sondages suivis.]
[Note 223: Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, un siècle plus tard,
Charlevoix, qui avait connaissance des relations et de Champlain et de
Cartier, soutienne encore une opinion si dénuée de vraisemblance. (Voir
Hist. gén. de la Nouv. France, liv I.)]
303a
[Illustration: Abitation de Quebecq]
A Le magazin.
B Colombier.
C Corps de logis où sont nos armes, & pour loger les ouvriers.
D Autre corps de logis pour les ouvriers.
E Cadran.
F Autre corps de logis où est la forge, & artisans logés.
G Galleries tout au tour des logemens.
H Logis du sieur de Champlain.
I La porte de l'habitation, où il y a pont-levis.
L Promenoir autour de l'habitation contenant 10 pieds de large jusques
sur le bort du fossé.
M Fossés tout autour de l'habitation.
N Plattes formes, en façon de tenailles pour mettre le canon.
O Jardin du sieur de Champlain.
P La cuisine.
Q Place devant l'habitation sur le bort de la riviere.
R La grande riviere de sainct Lorens.
Et pour monstrer encore que ce lieu que maintenant on appelle
saincte Croix n'est le lieu où yverna Jaques Quartier, comme la
pluspart estiment, voicy ce qu'il en dit en des descouvertures,
extrait de son histoire, asçavoir, Qu'il arriva à l'isle aux
Coudres le 5 Decembre[224] en l'an 1535. qu'il appella de ce
nom pour y en avoir, auquel lieu y a grand courant de marée, &
dit qu'elle contient 3 lieues de long, mais quand on contera
lieue & demie c'est beaucoup [225].
[Note 224: Le 6 septembre. (Voir le second Voyage de Cartier.)]
[Note 225: L'île aux Coudres a deux lieues de long, et une lieue de
large.]
Et le 7 du mois jour de nostre dame [226], il partit d'icelle
pour aller à mont le fleuve, où il vit 14 isles distantes de
l'isle aux Coudres de 7 à 8 lieues du Su. En ce compte il
s'esgare un peu, car il n'y en a pas plus de trois [227]: & dit
que le lieu où sont les isles susd. est le commencement de la
159/307 terre ou province de Canada, & qu'il arriva à une isle de 10
lieues de long & cinq de large, où il se fait grande pescherie
de poisson, comme de fait elle est fort abondante,
principalement en Esturgeon: mais de ce qui est de sa longueur
elle n'a pas plus de six lieues & deux de large, chose
maintenant assez cogneue. Il dit aussi qu'il mouilla l'ancre
entre icelle isle & la terre du Nort, qui est le plus petit
passage & dangereux, & là mit deux sauvages à terre qu'il avoit
amenez en France, & qu'après avoir arresté en ce lieu quelque
temps avec les peuples du pays il fit admener ses barques, &
passa outre à mont ledict fleuve avec le flot pour cercher
havre & lieu de seureté pour mettre les navires, & qu'ils
furent outre le fleuve costoyant ladite isle contenant 10
lieues comme il met, où au bout ils trouverent un affour d'eau
fort beau & plaisant, auquel y a une petite riviere & havre de
barre, qu'ils trouverent fort propre pour mettre leurs
vaisseaux à couvert, & le nommèrent saincte Croix [228], pour y
estre arrivez ce jour là lequel lieu s'appeloit au temps, &
voyage dudit Quartier Stadaca[229], que maintenant nous
appelons Quebecq, & qu'après qu'il eust recogneu ce lieu, il
retourna quérir ses vaisseaux pour y yverner.
[Note 226: Champlain cite ici fidèlement; mais le 7 de septembre était,
comme aujourd'hui, la veille, et non le jour, de la Nativité de
Notre-Dame. Aussi Ramusio met-il: _la vigilia della Madona_; et Hakluyt:
_being our Ladies even_.]
[Note 227: L'auteur eût mieux fait, ce semble, de ne pas reprendre ici
le capitaine malouin, qui, au fond, est plus exact que lui. Il est bien
vrai que ces quatorze îles sont environ trois lieues plus haut, dans le
fleuve, que ne l'est l'île aux Coudres; mais celle-ci est
très-rapprochée de la côte du nord; tandis que les autres sont du côté
du sud. En sorte que, de l'île aux Coudres au point le plus rapproché de
l'île aux Oies, il n'y a guère moins de cinq lieues; et même, pour
entrer dans cet archipel, qui ne commence sensiblement qu'au haut de
l'île aux Grues, il faut faire pour le moins sept ou huit lieues en
ligne droite.]
[Note 228: Voir la note 3 de la page 156.]
[Note 229: Stadaconé (Second Voyage de Cartier).]
Or est il donc à juger que de l'isle aux Coudres jusques à
l'isle d'Orléans, il n'y a que 5 lieues, au bout de laquelle
vers l'Occidant la riviere est fort spacieuse, & n'y a audit
160/308 affour, comme l'appelle Quartier, aucune riviere que celle
qu'il nomma saincte Croix, distante de l'isle d'Orléans d'une
bonne lieue, où de basse mer n'y a que demie brasse d'eau, &
est fort dangereuse en son entrée pour vaisseaux, y ayant
quantité d'esprons, qui sont rochers espars par cy par là, &
faut balisser pour entrer dedans, où de plaine mer, comme j'ay
dict, il y a 3 brasses d'eau, & aux grandes marées 4 brasses, &
4 & demie ordinairement à plain flot, & n'est qu'à 1500 pas de
nostre habitation, qui est plus à mont dans ladite riviere, &
n'y a autre riviere, comme j'ay dit, depuis le lieu que
maintenant on appelle saincte Croix, où on puisse mettre aucuns
vaisseaux: Ce ne sont que de petits ruisseaux. Les costes son
plattes & dangereuses, dont Quartier ne fait aucune mention que
jusques à ce qu'il partit du lieu de saincte Croix appelé
maintenant Quebecq, où il laissa ses vaisseaux, & y fit édifier
son habitation comme on peut voir ainsi qu'il s'ensuit.
Le 19 Septembre il partit de saincte Croix où estoient ses
vaisseaux, & fit voile pour aller avec la marée à mont ledit
fleuve qu'ils trouverent fort aggreable, tant pour les bois,
vignes & habitations qu'il y avoit de son temps, qu'autres
choses: & furent poser l'ancre à vingt cinq lieues de l'entrée
161/309 de la terre de Canada [230], qui est au bout de l'isle
d'Orléans du costé de l'oriant ainsi appelée par ledit
Quartier. Ce qu'on appelle aujourd'huy S. Croix s'appeloit lors
Achelacy[231], destroit de la riviere, fort courant &
dangereux, tant pour les rochers qu'autres choses, & où on ne
peut passer que de flot, distant de Quebecq & de la riviere où
yverna ledit Quartier 15 lieues.
[Note 230: «Charlevoix,» dit M. Ferland (I, p. 24), «croit que Cartier
s'est trompé en restreignant le nom de Canada à une très-petite partie
du pays... Cependant, nonobstant la haute autorité de Charlevoix, il est
permis de croire que Cartier, dans ses rapports avec les sauvages
pendant les deux hivers qu'il a passés près de Stadaconé, a dû apprendre
les noms des différentes parties du pays. Il s'explique fort clairement
sur les divisions territoriales reconnues par les nations qui habitaient
les bords du grand fleuve; et, d'après leur témoignage, il établit
l'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun
desquels était soumis à un chef principal. Donnacona, dont la résidence
ordinaire était à Stadaconé et dont l'autorité ne s'étendait pas au-delà
de quelques lieues autour de sa bourgade, est toujours désigné comme roi
de Canada. Cartier lui-même, le routier de Jean-Alphonse et l'auteur du
voyage de Roberval, donnent le nom de Canada à Stadaconé et à la pointe
de terre sur laquelle était ce village. Ce fut plus tard que le nom de
rivière de Canada fut assigné par les Français au fleuve qui traverse le
pays.»]
[Note 231: L'auteur suit, pour ce mot, l'orthographe de Lescarbot; mais
les trois relations manuscrites du Second Voyage de Cartier, portent
_Achelaiy_ ou _Achelayy_, et l'édition de 1545 _Ochelay_.]
Or en toute ceste riviere n'y a destroit depuis Quebecq jusques
au grand saut, qu'en ce lieu que maintenant on appelle saincte
Croix, où on a transféré ce nom d'un lieu à un autre qui est
fort dangereux, comme j'ay descript: & appert fort clairement
par son discours, que ce n'est point le lieu de son
habitation, comme dit est, & que ce fut proche de Quebecq &
qu'aucun n'avoit encore recerché ceste particularité, sinon ce
que j'ay fait en mes voyages: Car dés la première fois qu'on
me dit qu'il avoit habité en ce lieu, cela m'estonna fort, ne
voyant apparence de riviere pour mettre vaisseaux, comme il
descrit. Ce fut ce qui m'en fit faire exacte recerche pour en
lever le soubçon & doubte à beaucoup.
Pendant que les Charpentiers, scieurs d'aix & autres ouvriers
travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à
desfricher au tour de l'habitation, afin de faire des
jardinages pour y semer des grains & grennes pour voir comme
le tout succederoit, d'autant que la terre parroissoit fort
bonne.
162/310 Cependant quantité des sauvages estoient cabannés proche de
nous, qui faisoient pesche d'anguilles qui commencent à venir
comme au 15 de Septembre, & finit au 13 Octobre. En ce temps
tous les sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font
secher pour l'yver jusques au mois de Fevrier, que les neiges
sont grandes comme de 2 pieds & demy, & 3 pieds pour le plus,
qui est le temps que quand leurs anguilles & autres choses
qu'ils font checher, sont accommodées, ils vont chasser aux
Castors, où ils sont jusques au commencement de Janvier. Comme
ils y furent, ils nous laisserent en garde toutes leurs
anguilles & autres choses jusques à leur retour, qui fut au 15
Décembre, & ne firent pas grand chasse de Castors pour les
eaux estre trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi
qu'ils nous dirent. Je leur rendis toutes leurs vituailles qui
ne leur durèrent que jusques au 20 de Janvier. Quand leurs
anguilles leur faillent ils ont recours à chasser aux Eslans &
autres bestes sauvages, qu'ils peuvent trouver en attendant le
printemps, où j'eu moyen de les entretenir de plusieurs
choses. Je consideray fort particulièrement leurs
coustumes[232].
[Note 232: L'auteur répète ici, avec quelques corrections, ce qu'il dit
dans son Voyage de 1603, ch. III.]
Tous ces peuples patissent tant, que quelquesfois ils sont
contraincts de vivre de certains coquillages, & manger leurs
chiens & peaux dequoy ils se couvrent contre le froid. Je tiens
que qui leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le
labourage des terres, & autres choses, ils apprendroient fort
bien: car ils s'en trouve assez qui ont bon jugement &
163/311 respondent à propos sur ce qu'on leur demande. Ils ont une
meschanceté en eux, qui est d'user de vengeance, & d'estre
grands menteurs, gens ausquels il ne se faut pas trop
asseurer, sinon avec raison, & la force en la main. Ils
promettent assez, mais ils tiennent peu. Ce sont gens dont la
pluspart n'ont point de loy, selon que j'ay peu voir, avec
tout plain d'autres fauces croyances. Je leur demanday de
quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu, ils
me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un
chacun le prioit en son coeur, comme il vouloit. Voila
pourquoy il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est
d'adorer & prier Dieu, vivans comme bestes bruttes, & croy que
bien tost ils seroient réduits bons Chrestiens si on habitoit
leur terre, ce qu'ils désirent la pluspart. Ils ont parmy eux
quelques sauvages qu'ils appellent Pillotois, qu'ils croient
parler au Diable visiblement, leur disant ce qu'il faut qu'ils
facent, tant pour la guerre que pour autres choses, & s'ils
leur commandoit qu'ils allassent mettre en exécution quelque
entreprinse, ils obeiroient aussitost à son commandement:
Comme aussi ils croyent que tous les songes qu'ils font, sont
véritables: & de fait, il y en a beaucoup qui disent avoir veu
& songé choses qui adviennent ou adviendront. Mais pour en
parler avec vérité, ce sont visions Diabolique qui les trompe
& seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre de leur
croyance bestialle. Tous ces peuples sont gens bien
proportionnez de leurs corps, sans difformité, & sont dispos.
164/312 Les femmes sont aussi bien formées, potelées & de couleur
bazannée, à cause de certaines peintures dont elles se
frotent, qui les fait demeurer olivastres. Ils sont habillez
de peaux: une partie de leur corps est couverte & l'autre
partie descouverte: mais l'yver ils remédient à tout: car ils
sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux d'Eslan,
Loustres, Castors, Ours, Loups marins, Cerfs & Biches qu'ils
ont en quantité. L'yver quand les neges sont grandes ils font
une manière de raquettes qui sont grandes deux ou trois fois
plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs pieds, &
vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car autrement ils ne
pourroient chasser ny aller en beaucoup de lieux. Ils ont
aussi une façon de mariage, qui est, Que quand une fille est
en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs serviteurs
elle a compagnie avec tous ceux que bon luy semble: puis au
bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy plaist pour son
mary, & vivent ensemble jusques à la fin de leur vie: sinon
qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble, & elles n'ont
point enfans, l'homme se peut desmarier & prendre une autre
femme, disant que la sienne ne vaut rien: Par ainsi les filles
sont plus libres que les femmes.
Depuis qu'elles sont mariés, elles sont chastes, & leurs maris
sont la pluspart jaloux, lesquels donnent des presens aux
pères ou parens des filles qu'ils ont espousez. Voila les
cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages. Pour ce
qui est de leurs enterremens: Quand un homme, ou une femme
meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien qu'ils
ont, comme chaudières, fourrures, haches, arcs, flèches,
165/313 robbes & autres choses: puis ils mettent le corps dans la
fosse & le couvrent de terre, & mettent quantité de grosses
pièces de bois dessus, & une autre debout qu'ils peindent de
rouge par enhaut. Ils croyent l'immortalité des âmes, & disent
qu'ils vont se rejouir en d'autres pays, avec leurs parens &
amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou autres ayans
quelque créance, ils vont après leur mort, trois fois l'année
faire un festin, chantans & dançans sur leur fosse.
Tout le temps qu'ils furent avec nous, qui estoit le lieu le
plus de seureté pour eux, ils ne laissoient d'aprehender
tellement leurs ennemis, qu'ils prenoient souvent des alarmes
la nuit en songeant, & envoyoient leurs femmes & enfans à
nostre fort, où je leur faisois ouvrir les portes, & les
hommes demeurer autour dudict: fort, sans permettre qu'ils
entrassent dedans, car ils estoient autant en seureté de leurs
personnes comme s'ils y eussent esté, & faisois sortir cinq ou
six de nos compagnons pour leur donner courage, & aller
descouvrir parmy les bois s'ils verroient rien pour les
contenter. Ils sont fort craintifs & aprehendent infiniment
leurs ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque
lieu qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours
de ce qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire
comme nous, sçavoir veiller une partie, tandis que les autres
dormiront, & chacun avoir ses armes prestes comme celuy qui
fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils
se reposent: d'autant que la pluspart ne sont que menteries,
avec autres propos sur ce subject: mais peu leur servoient ces
166/314 remonstrances, & disoient que nous sçavions mieux nous garder
de toutes choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions
leur pays, ils le pourroient apprendre.
_Semences & vignes plantées a Quebecq. Commencement de l'hiver
& des glaces. Extresme necessité de certains sauvages._
CHAPITRE V.
Le premier Octobre, je fis semer du bled, & au 15 du seigle.
Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les feuilles
des arbres commencèrent à tomber au 15.
Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent
fort belles: Mais après que je fus party de l'habitation pour
venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soing,
qui m'affligea beaucoup à mon retour.
Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne
durèrent que deux jours sur la terre, & fit en ce temps un
grand coup de vent. Il mourut en ce mois un matelot & nostre
serrurier[233], de la dissenterie, comme firent plusieurs
sauvages à force de manger des anguilles mal cuites, selon mon
advis.
[Note 233: Antoine Natel (voir ci-dessus, p. 150).]
Le 5 Fevrier il negea fort, & fit un grand vent qui dura deux
jours.
Le 20 du mois il apparut à nous quelques sauvages qui estoient
de dela la riviere, qui crioyent que nous les allassions
167/315 secourir, mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de
la riviere qui charioit un grand nombre de glaces, car la faim
pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que
faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans,
ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que
je les assisterois en leur extresme necessité. Ayant donc
prins ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs
enfans, & se mirent en leurs canaux, pensant gaigner nostre
coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faitte:
mais ils ne furent sitost au milieu de la riviere, que leurs
canaux furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces.
Ils firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans que
les femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon.
Comme ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que
c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir: Mais
l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables, qu'une grande
glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si
rudement qu'elle les jetta à terre. Eux voyant ce coup si
favorable furent à terre avec autant de joye que jamais ils en
receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en
vindrent à nostre habitation si maigres & deffaits, qu'ils
sembloyent des anathomies, la pluspart ne pouvans se
soubstenir. Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils
avoient passé, veu qu'ils estoient si foibles & debilles. Je
leur fis donner du pain & des feves. Ils n'eurent pas la
patience qu'elles fussent cuites pour les manger. Je leur
pretay aussi quelques escorces d'arbres, que d'autres sauvages
168/316 m'avoient donné pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se
cabannoient, ils adviserent une charongne qu'il y avoit prés de
deux mois que j'avois fait jetter pour attirer des regnards,
dont nous en prenions de noirs & roux, comme ceux de France,
mais beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une
truye & un chien qui avoient enduré toutes les rigueurs du
temps chaut & froit. Quand le temps s'adoulcissoit, elles puoit
si fort que l'on ne pouvoit durer auprès: neantmoins ils ne
laisserent de la prendre & emporter en leur cabanne, où
aussitost ils la devorerent à demy cuite, & jamais viande ne
leur sembla de meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes
les advertir qu'ils n'en mengeassent point s'ils ne vouloient
mourir: comme ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent
une telle puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont
ils avoient chacun une pièce en la main, qu'ils pencerent
rendre gorge, qui fit qu'ils n'y arresterent gueres. Ces
pauvres miserables acheverent leur festin. Je ne laissay
pourtant de les accommoder selon ma puissance, mais c'estoit
peu pour la quantité qu'ils estoient: & dans un mois ils
eussent bien mangé tous nos vivres, s'ils les eussent eu en
leur pouvoir, tant ils sont gloutons: Car quand ils en ont, ils
ne mettent rien en reserve, & en font chère entière jour &
nuit, puis après ils meurent de faim. Ils firent encore une
autre chose aussi miserable que la première. J'avois fait
mettre une chienne au haut d'un arbre, qui servoit d'appas aux
martres & oiseaux de proye, où je prenois plaisir, d'autant
qu'ordinairement ceste charongne en estoit assaillie: Ces
169/317 sauvages furent à l'arbre & ne pouvans monter dessus à cause de
leur foiblesse, ils l'abbatirent, & aussitost enleverent le
chien, où il n'y avoit que la peau & les os, & la teste puante
& infaicte, qui fut incontinent devoré.
Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en yver: Car en
esté ils ont assez de quoy se maintenir & faire des provisions,
pour n'estre assaillis de ces extresmes necessitez, les
rivieres abbondantes en poisson & chasse d'oiseaux & austres
bestes sauvages. La terre est fort propre & bonne au labourage,
s'ils vouloient prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde,
comme font tous leurs voisins Algommequins, Ochastaiguins[234]
& Yroquois, qui ne sont attaquez d'un si cruel assaut de famine
pour y sçavoir remédier par le soin & prevoyance qu'ils ont,
qui fait qu'ils vivent heureusement au pris de ces Montaignets,
Canadiens [235] & Souriquois qui sont le long des costes de la
mer. Voila la pluspart de leur vie miserable. Les neiges & les
glaces y sont trois mois sur la terre, qui est depuis le mois
de Janvier jusques vers le huictiesme d'Avril, qu'elles sont
presque toutes fondues: Et au plus à la fin dudict mois il ne
s'en voit que rarement au lieu de nostre habitation. C'est
chose estrange, que tant de neiges & glaces qu'il y a espoisses
de deux à trois brasses sur la riviere soient en moins de 12
jours toutes fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap
170/318 Breton, isle de terre neufve & grand baye, les glaces & neges y
sont encores en la pluspart des endroits jusques à la fin de
May: auquel temps toute l'entrée de la grande riviere est
scelée de glaces: mais à Quebecq il n'y en a point: qui montre
une estrange différence pour 120 lieues de chemin en
longitude[236]: car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 &
51 degré de latitude, & nostre habitation par les 46. & deux
tiers [237].
[Note 234: C'est ainsi que Champlain a d'abord appelé les Hurons, du nom
d'Ochateguin, l'un de leurs chefs.]
[Note 235: A cette époque on comprenait sous le nom de _Canadiens_ les
sauvages qui demeuraient plus bas que le Saguenay, sur les bords de la
_grande rivière de Canada_. «Au costé gauche de ce fleuve» (du
Saguenay), dit Laët, «commence la province des Sauvages appelles
vulgairement _Canadiens_.» (Description des Indes Occidentales, liv. II,
ch. VIII.)]
[Note 236: Champlain n'ignorait pas que c'est surtout la différence de
latitude qui fait la différence des climats; mais ce qui paraît le
surprendre, c'est que, à une si petite distance dans le fleuve, il y ait
une si grande différence de température, lorsque la latitude ne diffère
que de trois ou quatre degrés.]
[Note 237: D'après le capitaine Bayfield, la latitude de Québec est de
46° 49' 8", au bastion de l'Observatoire.]
_Maladies de la terre, à Quebecq. Le suject de l'yvernement.
Description dudit lieu. Arrivée du sieur des Marais gendre de
Pont-gravé, audit Quebecq._
CHAPITRE VI.
Les maladies de la terre commencèrent à prendre fort tart, qui
fut en Fevrier jusqu'à la my Avril. Il en fut frappé 18 & en
mourut dix, & cinq autres de la disenterie. Je fis faire
ouverture de quelques uns, pour voir s'ils estoient offencez
comme ceux que j'avois veus és autres habitations: on trouva le
mesme. Quelque temps après nostre Chirurgien [238] mourut. Tout
cela nous donna beaucoup de desplaisir, pour la peine que nous
avions à penser les malades. Cy dessus J'ay descript la forme
de ces maladies.
[Note 238: Il s'appelait Bonnerme (voir, ci-dessus, p. 153).]
171/319 Or je tiens qu'elles ne proviennent que de manger trop de
salures & légumes, qui eschaufent le sang, & gastent les
parties intérieures. L'yver aussi en est en partie cause, qui
reserre la chaleur naturelle qui cause plus grande corruption
de sang: Et aussi la terre quand elle est ouverte il en sort de
certaines vapeurs qui y sont encloses lesquelles infectent
l'air: ce que l'on a veu par expérience en ceux qui ont esté
aux autres habitations après la première année que le soleil
eut donné sur ce qui estoit deserté, tant de nostre logement
qu'autres lieux, où l'air y estoit beaucoup meilleur & les
maladies non si aspres comme devant. Pour ce qui est du pays,
il est beau & plaisant, & apporte toutes sortes de grains &
grennes à maturité, y ayant de toutes les especes d'arbres que
nous avons en nos forests par deçà, & quantité de fruits, bien
qu'ils soient sauvages pour n'estre cultivez: comme Noyers,
Serisiers, Pruniers, Vignes, Framboises, Fraizes, Groiselles
verdes & rouges, & plusieurs autres petits fruits qui y sont
assez bons. Aussi y a il plusieurs sortes de bonnes herbes &
racines. La pesche de poisson y est en abondance dans les
rivieres, où il y a quantité de prairies & gibier, qui est en
nombre infiny. Depuis le mois d'Avril jusques au 13 de Décembre
l'air y est si sain & bon, qu'on ne sent en soy aucune mauvaise
disposition: Mais Janvier Fevrier & Mars sont dangereux pour
les maladies qui prennent plustost en ce temps qu'en esté, pour
les raisons cy dessus dittes: Car pour le traitement, tous ceux
qui estoient avec moy estoient bien vestus, & couchez dans de
172/320 bons licts, & bien chauffez & nourris, s'entend des viandes
salées que nous avions, qui à mon opinion les offensoient
beaucoup, comme j'ay dict cy dessus: & à ce que j'ay veu, la
maladie s'attacque aussi bien à un qui se tient délicatement, &
qui aura bien soin de soy, comme à celuy qui fera le plus
miserable. Nous croiyons au commencement qu'il n'y eust que les
gens de travail qui fussent prins de ces maladies: mais nous
avons veu le contraire. Ceux qui navigent aux Indes Orientalles
& plusieurs autres régions, comme vers l'Allemaigne &
l'Angleterre, en sont aussi bien frappez qu'en la nouvelle
France. Depuis quelque temps en ça les Flamans en estans
attacquez en leurs voyages des Indes, ont trouvé un remède fort
singulier contre ceste maladie, qui nous pourroit bien servir:
mais nous n'en avons point la cognoissance pour ne l'avoir
recherché. Toutesfois je tiens pour asseuré qu'ayant de bon
pain & viandes fraîches, qu'on n'y feroit point subject.
Le 8 d'Avril les neges estoient toutes fondues, & neantmoins
l'air estoit encores assez froit jusques en Avril[239], que les
arbres commencent à jetter leurs fueilles.
[Note 239: En mai. L'auteur corrige lui-même dans l'édition de 1632.]
Quelques uns de ceux qui estoient malades du mal de la terre,
furent guéris venant le printemps, qui en est le temps de
guerison. J'avois un sauvage du pays qui yverna avec moy, qui
fut atteint de ce mal, pour avoir changé sa nourriture en
salée, lequel en mourut: Ce qui montre evidemment que les
saleures ne valent rien, & y sont du tout contraires.
173/321 Le 5 Juin arriva une chalouppe à nostre habitation, où estoit
le sieur des Marais, gendre du Pont-gravé, qui nous aportoit
nouvelles que son beau père estoit arrivé à Tadoussac le 28 de
May. Ceste nouvelle m'apporta beaucoup de contentement pour le
soulagement que nous en esperions avoir. Il ne restoit plus que
huit de 28 que nous estions, encores la moitié de ce qui
restoit esttoit mal disposée.
Le 7 de Juin je party de Quebecq, pour aller à Tadoussac
communiquer quelques affaires, & priay le sieur des Marais de
demeurer en ma place jusques à mon retour: ce qu'il fit.
Aussitost que j'y fus arrivé le Pont-gravé & moy discourusmes
ensemble sur le subject de quelques descouvertures que je
devois faire dans les terres, où les sauvages m'avoient promis
de nous guider. Nous resolusmes que j'y irois dans une
chalouppe avec vingt hommes, & que Pont-gravé demeureroit à
Tadoussac pour donner ordre aux affaires de nostre habitation,
ainsi qu'il avoit esté resolu, il fut fait & y yverna: d'autant
que je devois m'en retourner en France selon le commandement du
sieur de Mons, qui me l'avoit escrit, pour le rendre certain
des choses que je pouvois avoir faites, & des descouvertures
dudit pays. Après avoir prins ceste resolution je party
aussitost de Tadoussac, & m'en retournay à Quebecq, où je fis
accommoder une chalouppe de tout ce qui estoit necessaire pour
faire les descouvertures du pays des Yroquois, où je devois
aller avec les Montagnets nos alliez.
174/322
_Partement de Quebecq jusques à l'isle saincte Esloy, & de la
rencontre que j'y fis des sauvages Algomequins & Ochataiguins._
CHAPITRE VII.
Et pour cest effect je partis le 18 dudit mois, où la riviere
commence à s'eslargir, quelque fois d'une lieue & lieue & demie
en tels endroits. Le pays va de plus en plus en embellisant. Ce
sont costaux en partie le long de la riviere & terres unies
sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle est dangereuse
en beaucoup d'endroits, à cause des bancs & rochers qui sont
dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce n'est la sonde à la
main. La riviere est fort abondante en plusieurs sortes de
poisson, tant de ceux qu'avons pardeça, comme d'autres que
n'avons pas. Le pays est tout couvert de grandes & hautes
forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre habitation. Il y
a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur le bort de la
riviere, & quantité de petits ruisseaux & rivieres, qui ne sont
navigables qu'avec des canaux. Nous passames proche de la
pointe Ste. Croix, où beaucoup tiennent (comme j'ay dit
ailleurs) estre la demeure où yverna Jacques Quartier. Ceste
pointe est de sable, qui advance quelque peu dans la riviere, à
l'ouvert du Norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prayries,
mais elles sont innondées des eaues à toutes les fois que vient
la plaine mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce
passage est fort dangereux à passer pour quantité de rochers
175/323 qui sont au travers de la riviere, bien qu'il y aye bon
achenal, lequel est fort tortu, où la riviere court comme un
ras, & faut bien prendre le temps à propos pour le passer. Ce
lieu a tenu beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le
pouvoir passer que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal:
maintenant nous avons trouvé le contraire: car pour descendre
du haut en bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il
seroit mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du
grand courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de
flot pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12,
15 brasses d'eau en l'achenal.
Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est
fort aggreable, distante du lieu de saincte Croix, de neuf
lieues, & de Quebecq, 24 & l'avons nommée la riviere saincte
Marie [240]. Toute ceste riviere [241] depuis saincte Croix est
fort plaisante & aggreable.
[Note 240: Aujourd'hui rivière Sainte-Anne de La Pérade. Elle est à
environ neuf lieues de l'église actuelle de Sainte-Croix, et à une
vingtaine de lieues de Québec.]
[Note 241: Le fleuve Saint-Laurent,]
Continuant nostre routte, je fis rencontre de quelques deux ou
trois cens sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite
isle, appelée S. Esloy[242], distant de S. Marie d'une lieue &
demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit
des nations de sauvages appelez Ochateguins & Algoumequins qui
venoient à Quebecq, pour nous assister aux descouvertures du
pays des Yroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle,
n'espargnant aucune chose qui toit à eux.
[Note 242: Voir le Voyage de 1603, p. 29.]
176/324 Après les avoir recogneus, je fus à terre pour les voir, &
m'enquis qui estoit leur chef: Ils me dirent qu'il y en avoit
deux, l'un appelé Yroquet & l'autre Ochasteguin qu'ils me
montrèrent: & fus en leur cabanne, où ils me firent bonne
réception, selon leur coustume.
Je commençay à leur faire entendre le subjet de mon voyage,
dont ils furent fort resjouis: & après plusieurs discours je me
retiray: & quelque temps après ils vindrent à ma chalouppe, où
ils me firent present de quelque pelleterie, en me monstrant
plusieurs signes de resjouissance: & de là s'en retournèrent à
terre.
Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils
furent une espace de temps sans dire mot, en songeant &
petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à
haranguer hautement à tous leurs compagnons, qui estoient sur
le bort du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort
ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir.
Qu'il y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le
fils d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne
réception, & déclaré que le Pont & moy desirions les assister
contre leurs ennemis, avec lesquels ils avoient, dés longtemps,
la guerre, pour beaucoup de cruautés qu'ils avoient exercées
contre leur nation, soubs prétexte d'amitié: Et qu'ayant
tousjours depuis desiré la vengeance, ils avoient solicité tous
les sauvages que je voyois sur le bort de la riviere, de venir
à nous, pour faire alliance avec nous, & qu'ils n'avoient
177/325 jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit aussi meus de nous
venir voir: & que d'eux & de leurs compagnons j'en ferois tout
ainsi que je voudrois; & qu'ils n'avoient point d'enfans avec
eux, mais gens qui sçavoient faire la guerre, & plains de
courage, sçachans le pays & les rivieres qui sont au pays des
Yroquois; & que maintenant ils me prioyent de retourner en
nostre habitation, pour voir nos maisons, & que trois jours
après nous retournerions à la guerre tous ensemble, & que pour
signe de grande amitié & resjouissance je feisse tirer des
mousquets & arquebuses, & qu'ils seroient fort satisfaits: ce
que je fis. Ils jetterent de grands cris avec estonnement, &
principalement ceux qui jamais n'en avoient ouy ny veus.
Après les avoir ouis, je leur fis responce, Que pour leur
plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation
pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger
que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne
portant avec nous que des armes, & non des marchandises pour
traicter, comme on leur avoit donné à entendre, & que mon desir
n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si
j'eusse sceu qu'on leur eut raporté quelque chose de mal, que
je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me
dirent qu'ils n'en croioyent rien, & que jamais ils n'en
avoient ouy parler; neantmoins c'estoit le contraire: car il y
avoit eu quelques sauvages qui le dirent au nostres: Je me
contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir montrer par
effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.
178/326 _Retour à Quebecq, et depuis continuation avec les sauvages
jusques au saut de la riviere des Yroquois.
CHAPITRE VIII.
Le lendemain [243] nous partismes tous ensemble, pour aller à
nostre habitation, où ils se resjouirent quelques 5 ou 6 jours,
qui se passerent en dances & festins, pour le desir qu'ils
avoient que nous fussions à la guerre.
[Note 243: Probablement le 22 de juin.]
Le Pont vint aussitost de Tadoussac avec deux petites barques
plaines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir
le plus promptement qu'il luy seroit possible.
Les sauvages le voyant arriver se resjouirent encores plus que
devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens
pour les assister, & que peut estre nous yrions ensemble.
Le 28 du mois [244] nous esquipasmes des barques pour assister
ces sauvages: le Pont se mit dans l'une & moy dans l'autre, &
partismes tous ensemble. Le premier Juin[245] arrivasmes à
saincte Croix, distant de Quebecq de 15 lieues, où estant, nous
advisames ensemble, le Pont & moy, que pour certaines
considerations je m'en yrois avec les sauvages, & luy à nostre
habitation & à Tadoussac. La resolution estant prise,
j'embarqué dans ma chalouppe tout ce qui estoit necessaire avec
neuf hommes, des Marais, & la Routte nostre pilotte, & moy.
[Note 244: Le 28 de juin.]
[Note 245: Le premier juillet.]
179/327 Je party de saincte Croix, le de Juin[246] avec tous les
sauvages, & passames par les trois rivieres, qui est un fort
beau pays, remply de quantité de beaux arbres. De ce lieu à
saincte Croix y a 15 lieues. A l'entrée d'icelle riviere y a
six isles, trois desquelles sont fort petites, & les autres de
quelque 15 à 1600. pas de long, qui sont fort plaisantes à
voir. Et proches du lac sainct Pierre[247], faisant quelque
deux lieues dans la riviere[248] y a un petit saut d'eau, qui
n'est pas beaucoup dificile à passer. Ce lieu est par la
hauteur de 46 degrez quelques minuttes moins de latitude. Les
sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à quelques
journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a dix
journées, & puis on passe quelques sauts, & après encore trois
ou quatre autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au
bout, ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent de rechef
dans un autre lac [249], ou le Sacqué [250] prend la meilleure
part de sa source. Les sauvages viennent dudit lac à Tadoussac.
Les trois rivieres vont 40 journées des sauvages: & disent
qu'au bout d'icelle riviere il y a des peuples [251] qui sont
grands chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent
la mer du Nort en moins de six journées. Ce peu de terre que
180/238 j'ay veu est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de
quantité de pins & sapins, sur le bort de la riviere, mais
entrant dans la terre quelque quart de lieue, les bois y sont
tresbeaux & clairs, & le pays uny.
[Note 246: Le 3 juillet.]
[Note 247: C'est la première fois qu'on trouve le nom de Saint-Pierre
donné à ce lac. En 1603, Champlain y entra le jour de la Saint-Pierre,
29 juin, et c'est là probablement l'origine de ce nom. Thévet et
Wytfliet l'appellent lac d'Angoulême.]
[Note 248: Dans le Saint-Maurice. (Voir le Voyage de 1603, p. 31.)]
[Note 249: Le lac Saint-Jean.]
[Note 250: Sagné, pour Saguenay.]
[Note 251: Probablement les _Atticamègues_ ou Poissons-Blancs, qui
étaient en effet plus chasseurs que guerriers, et qui avaient des
rapports avec cinq ou six nations situées encore plus au nord qu'eux.
(Voir Relat. 1641, p. 32, éd. 1858.)]
Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac sainct
Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le
lac à 2, 3, & 4 brasses d'eau, lequel peut contenir de long
quelque 8 lieues, & de large 4. Du costé du Nort nous vismes
une riviere qui est fort aggreable, qui va dans les terres
quelques 20 lieues, & l'ay nommée saincte Suzanne[252]: & du
costé du Su, il y en a deux, l'une appelée la riviere du
Pont[253],& l'autre de Gennes[254], qui sont tresbelles & en
beau & bon pays. L'eau est presque dormante dans le lac, qui
est fort poissonneux. Du costé du Nort, il parroist des terres
à quelque douze ou quinze lieues du lac, qui sont un peu
montueuses. L'ayant traversé, nous passames par un grand nombre
d'isles, qui sont de plusieurs grandeurs, où il y a quantité de
noyers & vignes, & de belles prayries avec force gibier &
animaux sauvages, qui vont de la grand terre ausdites isles. La
pescherie du poisson y est plus abondante qu'en aucun autre
lieu de la riviere qu'eussions veu. De ces isles fusmes à
l'entrée de la riviere des Yroquois, où nous sejournasmes deux
jours & nous rafraichismes de bonnes venaisons, oiseaux, &
181/329 poissons, que nous donnoient les sauvages, & où il s'esmeut
entre eux quelque différent sur le subject de la guerre, qui
fut occasion qu'il n'y en eut qu'une partie qui se resolurent
de venir avec moy, & les autres s'en retournèrent en leur pays
avec leurs femmes & marchandises qu'ils avoient traictées.
[Note 252: Elle porte maintenant le nom de rivière du Loup.]
[Note 253: La rivière de Nicolet (voir la grande carte de 1612). Il est
probable que c'est par inadvertance que l'auteur l'indique sous le nom
de rivière du Gast, dans la grande carte de l'édition de 1632; puisque,
dans le texte, il reproduit le même passage en y laissant le nom de Du
Pont. Il est possible aussi que le graveur ait mis sur cette rivière le
chiffre que l'auteur destinait à la rivière dont il parle ci-dessus, p.
61, et à laquelle il avait donné le nom de Du Gast ou Du Gua.]
[Note 254: Probablement, la rivière d'Yamaska.]
Partant de ceste entrée de riviere (qui a quelque 4. à 500. pas
de large, & qui est fort belle, courant au Su) nous arrivasmes
à un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez[255] de latitude
à 22 ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere
depuis son entrée jusques au premier saut, où il y a 15 lieues,
est fort platte & environnée de bois, comme sont tous les
autres lieux cy dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a 9
ou 10 belles isles jusques au premier saut des Yroquois,
lesquelles tiennent quelque lieue, ou lieue & demie, remplies
de quantité de chesnes & noyers. La riviere tient en des
endroits prés de demie lieue de large, qui est fort
poissonneuse. Nous ne trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau.
L'entrée du saut est une manière de lac[256], où l'eau descend,
qui contient quelque trois lieues de circuit, & y a quelques
prairies où il n'y habite aucuns sauvages, pour le subject des
guerres. Il y a fort peu d'eau au saut qui court d'une grande
vistesse, & quantité de rochers & cailloux, qui font que les
sauvages ne les peuvent surmonter par eau: mais au retour ils
les descendent fort bien. Tout cedict pays est fort uny, remply
de forests, vignes & noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient
182/330 encores parvenus jusques en cedit lieu, que nous, qui eusmes
assez de peine à monter la riviere à la rame.
[Note 255: Les rapides de Chambly sont à environ 45° 30' de latitude.]
[Note 256: Le bassin de Chambly.]
Aussitost que nous fusmes arrivez au saut, des Marais, la
Routte & moy, & cinq hommes fusmes à terre, voir si nous
pourrions passer ce lieu, & fismes quelque lieue & demie sans
en voir aucune apparence, sinon une eau courante d'une
grandissime roideur, où d'un costé & d'autre y avoit quantité
de pierres, qui sont fort dangereuses & avec peu d'eau. Le saut
peut contenir quelque 600 pas de large. Et voyant qu'il estoit
impossible coupper les bois & faire un chemin avec si peu
d'hommes que j'avois, je me resolus avec le conseil d'un
chacun, de faire autre chose que ce que nous nous estions
promis, d'autant que les sauvages m'avoient asseuré que les
chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le contraire,
comme j'ay dit cy dessus, qui fut l'occasion que nous en
retournasmes en nostre chalouppe, où j'avois laissé quelques
hommes pour la garder & donner à entendre aux sauvages quand
ils seroient arrivez, que nous estions allez descouvrir le long
du dit saut.
Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en
retournant nous fismes rencontre de quelques sauvages, qui
venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous
dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre
chalouppe où nous les trouvasmes fort contans & satisfaits de
ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le
raport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.
183/331 Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de
passer le saut avec nostre chalouppe, cela m'affligea, & me
donna beaucoup de desplaisir, de m'en retourner sans avoir veu
un grandicime lac, remply de belles isles, & quantité de beau
pays, qui borne le lac, où habitent leurs ennemis, comme ils me
l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me
resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que
j'avois: & m'embarquay avec les sauvages dans leurs canots, &
prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Après avoir
proposé mon dessein à des Marais, & autres de la chalouppe, je
priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre habitation
avec le reste de nos gens soubs l'esperance qu'en brief, avec
la grâce de Dieu, je les reverrois.
Aussitost je fus parler aux Capitaines des sauvages & leur
donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce
que j'avois veu au saut, sçavoir, qu'il estoit hors nostre
puissance d'y pouvoir passer avec la chalouppe: toutesfois que
cela ne m'empecheroit de les assister comme je leur avois
promis. Ceste nouvelle les attrista fort & voulurent prendre
une autre resolution: mais je leur dis & les y sollicitay,
qu'ils eussent à continuer leurs premier dessin, & que moy
troisieme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs canots
pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois manquer de
parole en leur, endroit, bien que fusse seul, & que pour lors
je ne voulois forcer personne de mes compagnons de s'embarquer,
sinon ceux qui en auroient la volonté, dont j'en avois trouvé
deux, que je menerois avec moy.
184/332 Ils furent fort contens de ce que je leur dis, & d'entendre la
resolution que j'avois, me promettant tousjours de me faire
voir choses belles.
_Partement du saut de la riviere des Yroquois. Description d'un
grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes audict
lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant attacquer
les Yroquois._
CHAPITRE IX.
Je party donc dudit saut de la riviere des Yroquois, le 2.
Juillet[257]. Tous les sauvages commencèrent à apporter leurs
canots, armes & bagages par terre quelque demie lieue, pour
passer l'impetuosité & la force du saut, ce qui fut promptement
fait.
[Note 257: Probablement le 12 juillet. Si les dates de l'arrivée de
Pont-Gravé à Tadoussac, et de Desmarais à Québec, sont exactes, la
petite flottille dut partir de Québec dans les derniers jours de juin,
et, par conséquent, arriver à Sainte-Croix, non le premier de juin, mais
le premier de juillet, comme nous l'avons remarqué ci-dessus. Elle en
repart le 3 du même mois: elle ne pouvait donc pas avoir passé le saut
de la rivière des Iroquois le 2 de juillet. Mais, si l'on suit
attentivement la marche de cette petite armée depuis Sainte-Croix
jusqu'au saut, c'est-à-dire, jusqu'aux rapides de Chambly, et depuis ce
lieu jusqu'à celui où elle rencontra l'ennemi, le 29, on en viendra à la
conclusion qu'elle devait avoir passé le saut vers le 12. Or il est
assez vraisemblable que le typographe, au lieu du 12, ait mis le 2.]
Aussitost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en chacun
avec leur bagage, & firent aller un des hommes de chasque
canot, par terre quelque trois lieues, que peut contenir ledit
saut, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en quelques
endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est pas plus
large de 3. à 400 pas. Après que nous eusmes passé le saut, qui
ne fut sans peine, tous les sauvages qui estoient allez par
185/333 terre, par un chemin assez beau & pays uny, bien qu'il y aye
quantité de bois, se rembarquèrent dans leurs canots. Les
hommes que j'avois furent aussi par terre, & moy par eau,
dedans un canot. Ils firent reveue de tous leurs gens, & se
trouva vingt quatre canots, où il y avoit soixante hommes.
Après avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin
jusques à une isle[258] qui tient trois lieues de long, remplye
des plus beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la
chasse & y prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus
outre environ trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre
le repos la nuit ensuivant.
[Note 258: L'île Sainte-Thérèse.]
Incontinent un chacun d'eux commença, l'un à coupper du bois,
les autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs
cabannes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de
gros arbres pour se barricader sur le bort de la riviere au
tour de leurs cabannes, ce qu'ils sçavent si promptement faire,
qu'en moins de deux heures, cinq cens de leurs ennemis auroient
bien de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup
mourir. Ils ne barricadent point le costé de la riviere où sont
leurs canots arrengez, pour s'embarquer si l'occasion le
requeroit. Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois
canots avec neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous
leurs logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils
n'appercevront rien, qui après se retirent. Toute la nuit ils
se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est
une tresmauvaise coustume en eux: car quelque fois ils sont
surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans
186/334 qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour leur
defendre. Recognoissant cela je leur remonstrois la faute
qu'ils faisoient,& qu'ils devoient veiller, comme ils nous
avoient veu faire toutes les nuits, & avoir des hommes aux
agguets, pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien, & ne
point vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne
pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la
chasse: d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent
leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse
separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros,
qui sont tousjours sur leurs armes; & l'autre partie en
avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne
verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs
ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines
marques que les chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne
sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps
quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si sont
amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent jamais
de l'advant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne donner
d'allarmes ny de désordre, mais sur la retraicte & du costé
qu'ils n'aprehendent leurs ennemis: & continuent ainsi jusques
à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs ennemis,
qu'ils vont de nuit à la desrobée, tous en corps, horsmis les
coureurs, & le jour se retirent dans le fort des bois, où ils
reposent, sans s'esgarer ny mener bruit, ny faire aucun feu,
afin de n'estre apperceuz, si par fortune leurs ennemis
passoient; ny pour ce qui est de leur manger durant ce temps.
187/335 Ils ne font du feu que pour petuner, qui est si peu que rien.
Ils mangent de la farine de bled d'Inde cuite, qu'ils
destrempent avec de l'eau, comme bouillie. Ils conservent ces
farines pour leur necessité, & quand ils sont proches de leurs
ennemis, ou quand ils font retraite aprés leurs charges, qu'ils
ne s'amusent à chasser, se retirant promptement.
A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois ou Ostemoy[259],
qui sont manières de gens, qui sont les devins, en qui ces
peuples ont créance, lequel fait une cabanne, entourée de petis
bois, & la couvre de sa robbe: Aprés qu'elle est faitte, il se
met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon, puis
prend un des piliers de sa cabanne & la fait bransler,
marmotant certaines paroles entre ses dens par lesquelles il
dit qu'il invoque le Diable, & qu'il s'apparoist à luy en forme
de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs ennemis, & s'ils en
tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné en terre, sans
remuer, ne faisant que parler au diable, & puis aussitost se
leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant d'une telle
façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il toit nud. Tout le
peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul comme des
singes. Ils me disoient souvent que le branlement que je voyois
de la cabanne, estoit le Diable qui la faisoit mouvoir, & non
celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le contraire: car
188/336 c'estoit, comme j'ay dit cy dessus, le Pilotois qui prenoit un
des bastons de sa cabanne, & la faisoit ainsi mouvoir. Ils me
dirent aussi que je verrois sortir du feu par le haut: ce que
je ne vey point. Ces drosles contrefont aussi leur voix grosse
& claire, parlant en langage inconneu aux autres sauvages. Et
quand ils la representent cassée, ils croyent que c'est le
Diable qui parle, & qui dit ce qui doit arriver en leur guerre,
& ce qu'il faut qu'ils facent.
[Note 259: Ces deux mots étaient employés en Acadie, pour désigner le
jongleur ou sorcier. Le mot _pilotais_, suivant le P. Biard (Rel. 1611,
p. 17), venait des Basques, et les Souriquois se servaient du mot
_autmoin_, que Lescarbot écrit _aoutmoin_, et Champlain _ostemoy_. Le P.
Lejeune, dans la Relation, de 1636 (p. 13), nous apprend que les
Montagnais appelaient leurs sorciers _manitousiouekhi_, et, d'après le
P. Brebeuf (Rel. 1635, p. 35), les Hurons désignaient les leurs par le
nom de _arendiouane_.]
Neantmoins tous ces garniments qui sont les devins, de cent
paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces
pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer
quelque denrée du peuple, ainsi que sont ces galants. Je leur
remonstrois souvent que tout ce qu'ils faisoient n'estoit que
folie, & qu'ils ne devoient y adjouster foy.
Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qu'il leur doit
succeder, les chefs prennent des bastons de la longueur d'un
pied autant en nombre qu'ils sont, & signallent par d'autres un
peu plus grands, leurs chefs: Puis vont dans le bois &
esplanadent une place de 5 ou 6 pieds en quarré, où le chef,
comme sergent major, met par ordre tous ces bastons comme bon
luy semble: puis appelle tous ses compagnons, qui viennent tous
armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir lors
qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces sauvages
regardent attentivement, remarquant la figure que leur chef a
faite avec ces bastons: & aprés se retirent de là, & commencent
de se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdicts bastons:
189/337 puis se mettent les uns parmy les autres, & retournent de
rechef en leur ordre, continuant deux ou trois fois, & à tous
leurs logemens sans qu'il soit besoin de sergent pour leur
faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien garder, sans
se mettre en confusion. Voila la reigle qu'ils tiennent à leur
guerre.
Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la
riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de
belles isles, qui sont basses remplies de tres-beaux bois &
prairies, où il y a quantité de gibier & chasse d'animaux,
comme Cerfs, Daims, Faons, Chevreuls, Ours, & autres sortes
d'animaux qui viennent de la grand terre ausdictes isles. Nous
y en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de Castors,
tant en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent
tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns
sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le subject de leurs
guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au
profont des terres, afin de n'estre si tost surprins.
Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estandue
comme de 80 ou 100 lieues[260], où j'y vis quatre belles isles,
contenant 10, 12 & 15 lieues de long[261], qui autres fois ont
esté habitées par les sauvages, comme aussi la riviere des
Yroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu
guerre les uns contre les autres: aussi y a il plusieurs
rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de
190/338 nombre de beaux arbres, de mesmes especes nous avons en France,
avec force vignes plus belles qu'en aucun lieu que j'eusse veu:
force chastaigners, & n'en avois encores point veu que dessus
le bort de ce lac, où il y a grande abondance de poisson de
plusieurs especes: Entre autres y en a un, appelé des sauvages
du pays _Chaousarou_[262], qui est de plusieurs longueurs: mais
les plus grands contiennent, à ce que m'ont dict ces peuples, 8
à 10 pieds. J'en ay veu qui en contenoyent 5 qui estoient de la
grosseur de la cuisse, & avoient la teste grosse comme les deux
points, avec un bec de deux pieds & demy de long, & à double
rang de dents fort agues & dangereuses. Il a toute la forme du
corps tirant au brochet, mais il est armé d'escailles si fortes
qu'un coup de poignard ne les sçauroit percer, & de couleur de
gris argenté. Il a aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce
poisson fait la guerre à tous les autres qui sont dans ces
lacs, & rivieres: & a une industrie merveilleuse, à ce que
m'ont asseuré ces peuples, qui est, quand il veut prendre
quelques oyseaux, il va dedans des joncs ou roseaux, qui sont
sur les rives du lac en plusieurs endroits, & met le bec hors
l'eau sans se bouger: de façon que lors que les oiseaux
191/339 viennent se reposer sur le bec, pensans que ce soit un tronc de
bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient
entr'ouvert, ils les tire par les pieds soubs l'eau. Les
sauvages m'en donnèrent une teste, dont ils font grand estat,
disans que lors qu'ils ont mal à la teste, ils se seignent avec
les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur qui se passe
soudain.
[Note 260: Il était bien difficile de se faire ainsi, à première vue,
une idée exacte des dimensions d'un lac aussi étendu que celui de
Champlain. Aussi l'auteur lui donne-t-il presque trois fois la longueur
qu'il a réellement.]
[Note 261: Ces quatre îles sont sans doute celles de Contrecoeur (l'île
Longue et la Grande-Ile), l'île La Motte, et celle de Valcour. Elles ne
sont pas tout à fait aussi grandes que l'a cru notre auteur.]
[Note 262: Nous rapprocherons de cette description du Chaousarou celle
qu'en fait Sagard dans son Histoire du Canada (liv. ni, p. 765): «Au
lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de Victoire,...
je vis en la cabane d'un montagnais un certain poisson, que quelques-uns
appellent _Chaousarou_, gros comme un grand brochet. Il n'estoit qu'un
des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands, & qui ont
jusqu'à 8, 9 & 10 pieds, à ce qu'on dit. Il avoit un bec d'environ un
pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon
qu'il a l'extrémité mousse & non si pointu, gros à proportion du corps.
Il a double rang de dens fort aiguës & dangereuses,... & la forme du
corps tirant au brochet, mais armé de très-fortes & dures escailles, de
couleur gris argenté, & difficile à percer.» D'après cette description,
ce poisson doit appartenir au genre des _Lépisostées_ de Lacépède. Mais
les individus décrits par les Ichtyologistes n'ont pas d'aussi grandes
proportions.]
Continuant nostre route dans ce lac du costé de l'Occident,
considérant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort
hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la neige. Je
m'enquis aux sauvages si ces lieux estoient habitez, ils me
dirent que ouy, & que c'estoient Yroquois[263], & qu'en ces
lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en bleds,
comme j'en ay mangé audit pays, avec infinité d'autres fruits:
& que le lac alloit proche des montagnes, qui pouvoient estre
esloignées de nous, à mon jugement, de vingt cinq[264] lieues.
J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes que les
premières, horsmis qu'il n'y avoit point de neige. Les sauvages
me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver leurs
ennemis, & qu'elles estoient fort peuplées & qu'il falloit
passer par un saut d'eau[265] que je vis depuis: & de là entrer
dans un autre lac[266] qui contient quelque 9 ou 10 lieues de
192/340 long, & qu'estant parvenus au bout d'iceluy, il falloit faire
quelque deux lieues de chemin par terre, & passer une
riviere[267], qui va tomber en la coste de Norembegue, tenant à
celle de la Floride[268], & qu'ils n'estoient que deux jours à
y aller avec leurs canots, comme je l'ay sçeu depuis par
quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent fort
particulièrement de tout ce qu'ils en avoyent cognoissance, par
le moien de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient la
langue des Yroquois.
[Note 263: Si ce rapport des sauvages est exact, il faut croire que la
guerre entre les Mahingans et les Agniers, eut pour effet de rapprocher
ceux-ci des autres tribus iroquoises, et de les faire émigrer au côté
occidental du lac. Peut-être aussi les Montagnais qui accompagnaient
Champlain traitaient-ils d'iroquois les Mahingans eux-mêmes, qui alors
pouvaient être les alliés de la nation iroquoise: car le P. Jérôme
Lalemant, en parlant de ce qu'avaient été autrefois les Loups ou
Mahingans, dit (Rel. 1646, 3) i «Les Iroquois Annierronnons les ayans
domtez, ils se sont jettez de leur party.»]
[Note 264: L'édition de 1632 porte 15.]
[Note 265: Ticonderoga.]
[Note 266: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George.]
[Note 267: La rivière Hudson.]
[Note 268: Il est probable que le manuscrit de l'auteur portait: «tirant
à celle de la Floride»; car Champlain ne devait pas ignorer qu'entre la
côte de Norembegue et la Floride, se trouvait la côte de la Virginie ou
les Virgines, comme il dit lui-même (Table de sa grande carte, édit.
1632).]
Or comme nous commençasmes à approcher à quelques deux ou trois
journées de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus
que la nuit, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne
laissoient de faire tousjours leurs superstitions accoustumées
pour sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs
entreprises; & souvent me venoient demander si j'avois songé, &
avois veu leurs ennemis: le leur disois que non: Neantmoins ne
laissois de leur donner du courage, & bonne esperance. La nuit
venue nous nous mismes en chemin jusques au lendemain, que nous
nous retirasmes dans le fort du bois, pour y passer le reste du
jour. Sur les dix ou onze heures, après m'estre quelque peu
proumené au tour de nostre logement, je fus me reposer, & en
dormant, je songay que je voyois les Yroquois nos ennemis,
dedans le lac, proche d'une montaigne, qui se noyoient à nostre
193/341 veue, & les voulans secourir, nos sauvages alliez me disoient
qu'il les falloit tous laisser mourir & qu'ils ne valoient
rien. Estant esveillé, ils ne faillirent comme à l'acoustumée
de me demander si j'avois songé quelque chose: je leur dis en
effect ce que j'avois veu en songe: Cela leur apporta une telle
créance qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir
pour leur bien.
Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canots pour
continuer nostre chemin, & comme nous allions fort doucement, &
sans mener bruit, le 29 du mois, nous fismes rencontre des
Yroquois sur les dix heures du soir au bout d'un cap [269] qui
advance dans le lac du costé de l'occident, lesquels venoient à
la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter de grands cris,
chacun se parant de ses armes. Nous nous retirasmes vers l'eau,
& les Yroquois mirent pied à terre, & arrangèrent tous leurs
canots les uns contre les autres, & commencèrent à abbatre du
bois avec des meschantes haches qu'ils gaignent quelquesfois à
la guerre, & d'autres de pierre, & se barricadèrent fort bien.
[Note 269: Ce cap, ou cette pointe, qui s'avance dans le lac, non loin
de la décharge du lac George, comme l'indique la carte de 1632, nous
paraît correspondre à la pointe Saint-Frédéric (Crown point).]
Aussi les nostres tindrent toute la nuit leurs canots arrangez
les uns contre les autres attachez à des perches pour ne
s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin;
& estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de
leurs barricades. Et comme ils furent armez, & mis en ordre,
ils envoyerent deux canots separez de la trouppe, pour sçavoir
de leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels
194/342 respondirent qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour
l'heure, il n'y avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit
attendre le jour pour se cognoistre: & qu'aussitost que le
soleil se leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut
accordé par les nostres: & en attendant toute la nuit se passa
en danses & chantons, tant d'un costé, que d'autre, avec une
infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage
qu'ils avoient, avec le peu d'effet & resistance contre leurs
armes, & que le jour venant, ils le sentiroyent à leur ruine.
Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils
verroient des effets d'armes que jamais ils n'avoient veu, &
tout plain d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege
de ville. Après avoir bien chanté, dansé & parlementé les uns
aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions
tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent,
preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans
toutesfois separez, chacun en un des canots des sauvages
montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous
prismes chacun une arquebuse & descendismes à terre. Je vey
sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200
hommes forts & robustes à les voir, qui venoient au petit pas
audevant de nous, avec une gravité & asseurance qui me contenta
fort à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres aussi
alloient en mesme ordre & me dirent que ceux qui avoient trois
grands pannaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit que
ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes, qui estoient
beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons, & que je
195/343 feisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis de
faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien fasché
qu'ils ne me pouvoient bien entendre pour leur donner l'ordre &
façon d'attaquer leurs ennemis, & que indubitablement nous les
desferions tous; mais qu'il n'y avoit remède, que j'estois
tres-aise de leur monstrer le courage & bonne volonté qui
estoit en moy quand ferions au combat.
Aussitost que fusmes à terre, ils commencèrent à courir quelque
deux cens pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, &
n'avoient encores aperçeu mes compagnons, qui s'en allèrent
dans le bois avec quelques sauvages. Les nostres commencèrent à
m'appeller à grands cris: & pour me donner passage ils
s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant quelque 20
pas devant, jusqu'à ce que je fusse à quelque 30 pas des
ennemis, où aussitost ils m'aperceurent, & firent alte en me
contemplant, & moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer
sur nous, je couchay mon arquebuse en joue, visay droit à un
des trois chefs, & de ce coup il en tomba deux par terre, & un
de leurs compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en
mourut. J'avois mis quatre balles dedans mon arquebuse. Comme
les nostres virent ce coup si favorable pour eux, ils
commencèrent à jetter de si grands cris qu'on n'eust pas ouy
tonner; & cependant les flesches ne manquoyent de costé &
d'autre. Les Yroquois furent fort estonnez, que si promptement
deux hommes avoyent esté tuez, bien qu'ils fussent armez
d'armes tissues de fil de cotton, & de bois à l'espreuve de
196/344 leurs flesches; Cela leur donna une grande apprehension. Comme
je rechargeois, l'un de mes compagnons tira un coup de dedans
le bois, qui les estonna derechef de telle façon, voyant leurs
chefs morts, qu'ils perdirent courage, & se mirent en fuite, &
abandonnèrent le champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le
profond des bois, où les poursuivans, j'en fis demeurer encores
d'autres. Nos sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en
prindrent 10 ou 12 prisonniers: Le reste se sauva avec les
blessez. Il y en eut des nostres 15 ou 16 de blessez de coups
de flesches, qui furent promptement guéris.
Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre
force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & de leurs armes,
qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Après avoir fait
bonne chère, dansé & chanté, trois heures après nous en
retournasmes avec les prisonniers. Ce lieu où se fit ceste
charge est par les 43 degrez & quelques minutes [270] de
latitude, & fut nommé le lac de Champlain.
[Note 270: La décharge du lac George est environ à 44°.]
344a
[Illustration]
_Desfaite des Yroquois au Lac Champlain._
A (1) Le fort des Yroquois.
B Les ennemis.
C Les Canots des ennemis faits d'escorce de chesne, qui peuvent tenir
chacun 10, 15, & 18 hommes.
D. E. Deux chefs tués, & un blessé d'un coup d'arquebuse par le sieur
de Champlain.
F (2) Le sieur de Champlain.
G (3) Deux Arquebusiers du sieur de Champlain.
H (4) Montaignets, Ochastaiguins, Algoumequins.
I Canots de nos sauvages aliés faits d'escorce de bouleau.
K (5) Les bois.
(1) Cette lettre manque dans le dessin.--(2) La lettre manque; mais il
est facile de reconnaître Champlain posté seul entre les
combattants.--(3) Cette lettre manque dans le dessin, mais on reconnaît
aisément les deux arquebusiers sur la lisière du bois.--(4) La lettre H
a été mise par inadvertance sur les canots des alliés, où il y a déjà la
lettre I.--(5) Cette lettre, qui manque aussi, est facile à suppléer.
_Retour de la bataille, & ce qui se passa par le chemin._
CHAPITRE X.
Aprés avoir fait quelque 8 lieues, sur le soir, ils prindrent
un des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez
que luy & les siens avoyent exercées en leur endroit, sans
197/345 avoir eu aucun esgard, & qu'au semblable il devoit se resoudre
d'en recevoir autant, & luy commandèrent de chanter s'il avoit
du courage, ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à
ouyr.
Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien
embrasé ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce
pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de
tourmens. Ils le laissoient quelques fois, luy jettant de l'eau
sur le dos: puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du
feu sur les extremitez des doigts & de son membre. Après ils
luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter
dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras
prés des poignets, & avec des bastons tiroyent les nerfs & les
arrachoyent à force: & comme ils voioyent qu'ils ne les
pouvoyent avoir, ils les couppoyent. Ce pauvre miserable
jettoit des cris estranges, & me faisois pitié de le voir
traitter de la façon, toutesfois avec une telle constance,
qu'on eust dit quelquesfois qu'il ne sentoit presque point de
mal. Ils me sollicitoyent fort de prendre du feu pour faire de
mesme eux. Je leur remonstrois que nous n'usions point de ces
cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que
s'ils vouloyent que je luy donnasse un coup d'arquebuze, j'en
serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point
de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de
cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils virent que
je n'en estois contant, ils m'appelèrent & me dirent que je luy
donnasse un coup d'arquebuse: ce que je fis, sans qu'il en vist
rien; & luy fis passer tous les tourmens qu'il devoit souffrir,
198/346 d'un coup, plustost que de le voir tyranniser. Après qu'il fut
mort ils ne se contentèrent pas, il luy ouvrirent le ventre, &
jetterent ses entrailles dedans le lac: après ils luy
coupperent la teste, les bras & les jambes, qu'ils separerent
d'un costé & d'autre, & reserverent la peau de la teste, qu'ils
avoient escorchée, comme ils avoient fait de tous les autres
qu'ils avoient tuez à la charge. Ils firent encores une
meschanceté, qui fut, de prendre le coeur qu'ils coupperent en
plusieurs pièces & le donnèrent à manger à un sien frère, &
autres de ses compagnons qui estoient prisonniers, lesquels le
prindrent & le mirent en leur bouche, mais ils ne le voulurent
avaller: quelques sauvages Algoumequins, qui les avoient en
garde le firent recracher à aucuns, & le jetterent dans l'eau.
Voila comme ces peuples se gouvernent à l'endroit de ceux
qu'ils prennent en guerre: & mieux vaudroit pour eux mourir en
combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a
beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de
leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en
chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers,
qui alloient tousjours chantans, sans autre esperance que celuy
qui avoit esté ainsi mal traicté. Estans aux sauts de la
riviere des Yroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur
pays, & aussi les Ochatequins[271] avec une partie des
prisonniers, fort contens de ce qui s'estoit passé en la
guerre, & de ce que librement j'estois allé avec eux. Nous nous
departismes donc comme cela, avec de grandes protestations
199/347 d'amitié, les uns & les autres, & me dirent si je ne desirois
pas aller en leur pays pour les asister tousjours comme freres:
je leur promis.
[Note 271: Ochateguins, ou Hurons.]
Je m'en revins avec les Montagnets. Après m'estre informé des
prisonniers de leurs pays, & de ce qu'il pouvoit y en avoir,
nous ployames bagage pour nous en revenir, ce qui fut avec
telle diligence, que chacun jour nous faisions 25 & 30 lieues
dans leurs dicts canots, qui est l'ordinaire. Comme nous fusmes
à l'entrée de la riviere des Yroquois, il y eut quelques
sauvages qui songerent que leurs ennemis les poursuivoient: ce
songe les fit aussitost lever le siege, encores que celle nuit
fut fort mauvaise à cause des vents & de la pluye qu'il
faisoit; & furent passer la nuit dedans de grands roseaux, qui
sont dans le lac sainct Pierre, jusqu'au lendemain, pour la
crainte qu'ils avoient de leurs ennemis. Deux jours après
arrivasmes à nostre habitation, où je leur fis donner du pain &
quelques poix, & des patinostres, qu'ils me demandèrent pour
parer la teste de leurs ennemis, qui les portent pour faire des
resjouissances à leur arrivée. Le lendemain je feu avec eux
dans leurs canots à Tadoussac, pour voir leurs cérémonies.
Aprochans de la terre, ils prindrent chacun un baston, où au
bout ils pendirent les testes de leurs ennemis tués avec
quelques patinostres, chantants les uns & les autres: & comme
ils en furent prests, les femmes se despouillerent toutes nues,
& se jetterent en l'eau, allant au devant des canots pour
prendre les testes de leurs ennemis qui estoient au bout de
longs bastons devant leurs batteaux, pour après les pendre à
200/348 leur col comme si c'eust esté quelque chaîne precieuse, & ainsi
chanter & danser. Quelques jours après ils me rirent present
d'une de ces testes, comme chose bien precieuse, & d'une paire
d'armes de leurs ennemis, pour les conserver, affin de les
montrer au Roy: ce que je leur promis pour leur faire plaisir.
Quelques jours après je fus à Quebecq, où il vint quelques
sauvages Algoumequins, qui me firent entendre le desplaisir
qu'ils avoient de ne s'estre trouvez à la deffaite de leurs
ennemis, & me firent present de quelques fourrures, en
consideration de ce que j'y avois esté & assisté leurs amis.
Quelques jours après qu'ils furent partis pour s'en aller en
leur pays, distant de nostre habitation de 120 lieues, je fus à
Tadoussac voir si le Pont seroit de retour de Gaspé, où il
avoit esté. Il n'y arriva que le lendemain, & me dit qu'il
avoit délibéré de retourner en France. Nous resolusmes de
laisser un honneste homme appelé le Capitaine Pierre Chavin, de
Dieppe, pour commander à Quebecq, où il demeura jusques à ce
que le sieur de Mons en eust ordonné.
Retour en France, & ce qui s'y passa jusques au rembarquement.
CHAPITRE XI.
Ceste resolution prinse nous fusmes à Quebecq pour l'establir,
& luy laisser toutes les choses requises & necessaires à une
habitation, avec quinze hommes. Toutes choses estant en estat
201/349 nous en partismes le premier jour de Septembre pour aller à
Tadoussac, faire appareiller nostre vaisseau, à fin de nous en
revenir en France.
Nous partismes donc de ce lieu le 5 du mois, & le 8 nous fusmes
mouiller l'ancre à l'isle Percée.
Le jeudy dixiesme partismes de ce lieu, & le mardy ensuivant
18[272] du mois arrivasmes sur le grand banc.
[Note 272: Le mardi était le 15.]
Le 2 d'Octobre, nous eusmes la sonde. Le 8 mouillasmes l'ancre
au Conquet en basse Bretagne. Le Samedy 10 du mois partismes de
ce lieu, & arrivasmes à Honfleur le 13.
Estans desembarqués, je n'y fis pas long sejour que je ne
prinse la poste pour aller trouver le sieur de Mons, qui estoit
pour lors à Fontaine-belau où estoit sa Majesté, & luy
representay fort particulièrement tout ce qui s'estoit passé,
tant en mon yvernement, que des nouvelles descouvertures, &
l'esperance de ce qu'il y avoit à faire à l'advenir touchant
les promesses des sauvages appelez Ochateguins, qui sont bons
Yroquois. Les autres Yroquois leurs ennemis sont plus au midy.
Les premiers entendent, & ne diferent pas beaucoup de langage
aux peuples descouverts de nouveau, &qui nous avoient esté
incogneus cy devant.
Aussitost je fus trouver sa Majesté, à qui je fis le discours
de mon voyage, à quoy il print plaisir & contentement.
J'avois une ceinture faite de poils de porc-espic, qui estoit
fort bien tissue, selon le pays, laquelle sa Majesté eut pour
202/350 aggreable, avec deux petits oiseaux gros comme des merles, qui
estoient incarnats [273], & aussi la teste d'un certain poisson
qui fut prins dans le grand lac des Yroquois, qui avoit un becq
fort long avec deux ou trois rangées de dents fort aiguës. La
figure de ce poisson est dans le grand lac de ma carte
Géographique [274].
[Note 273: Cette description convient au _Pyranga rubra_, AUD.]
[Note 274: La grande carte de 1612. Voir plus haut, p. 190, la
description de ce poisson.]
Ayant fait avec sa Majesté, le sieur de Mons se délibéra
d'aller à Rouen trouver ses associez les sieurs Collier & le
Gendre marchands de Rouen, pour adviser à ce qu'ils avoient à
faire l'année ensuivant. Ils resolurent de continuer
l'habitation, & parachever de descouvrir dedans le grand fleuve
S. Laurens, suivant les promesses des Ochateguins, à la charge
qu'on les assisteroit en leurs guerres comme nous leur avions
promis.
Le Pont fut destiné pour aller à Tadoussac tant pour la traicte
que pour faire quelque autre chose qui pourroit apporter de la
commodité pour subvenir aux frais de la despence.
Et le sieur Lucas le Gendre de Rouen, l'un des associez,
ordonné pour avoir soin de faire tant l'achat des marchandises
que vivres, & de la frette des vaisseaux, esquipages & autres
choses necessaires pour le voyage.
Après ces choses resolues le sieur de Mons s'en retourna à
Paris, & moy avec luy, où je fus jusques à la fin de Fevrier:
durant lequel temps le sieur de Mons chercha moyen d'avoir
nouvelle commission pour les traictes des nouvelles
descouvertures, que nous avions faites, où auparavant personne
203/351 n'avoit traicté: Ce qu'il ne peut obtenir, bien que les
demandes & propositions fussent justes & raisonnables.
Et se voyant hors d'esperance d'obtenir icelle commission, il
ne laissa de poursuivre son dessin, pour le desir qu'il avoit
que toutes choses reussissent au bien & honneur de la France.
Pendant ce temps, le sieur de Mons ne m'avoit dit encores sa
volonté pour mon particulier, jusques à ce que je luy eus dit
qu'on m'avoit raporté qu'il ne devroit que j'yvernasse en
Canadas, ce qui n'estoit pas, car il remit le tout à ma
volonté.
Je m'esquipay des choses propres & necessaires pour hyverner à
nostre habitation de Quebecq, & pour cest effet party de Paris
le dernier jour de Fevrier ensuivant, & fus à Honfleur, où se
devoit faire l'embarquement. Je passay par Rouen, où je
sejournay deux jours: & de là fus à Honfleur, où je trouvay le
Pont, & le Gendre, qui me dirent avoir fait embarquer les
choses necessaires pour l'habitation. Je fus fort aise de nous
voir prests à faire voile: toutesfois incertain si les vivres
estoient bons & suffisans pour la demeure & yvernement.
205/353
[Illustration]
SECOND VOYAGE[275]
DU SIEUR DE CHAMPLAIN
fait en la Nouvelle France en
l'année 1610.
[Note 275: Ce voyage est le second que l'auteur ait fait dans la
Nouvelle-France avec une commission expresse et personnelle de fonder un
établissement permanent. Dans les deux voyages précédents, il n'avait
fait qu'accompagner M. de Monts ou ses lieutenants pour faire un rapport
fidèle des avantages que pouvaient offrir les pays nouvellement
découverts.]
Partement de France pour retourner en la Nouvelle France, & ce
qui se passa jusques à nostre arrivée en l'habitation.
CHAPITRE I
Le temps venant favorable je m'enbarquay à Honfleur avec
quelque nombre d'artisans le 7 du mois de Mars, & fusmes
contrariez de mauvais temps en la Manche, & contraincts de
relascher en Angleterre, à un lieu appelé Porlan[276], où
fusmes quelques jours à la radde: & levasmes l'ancre pour aller
à l'isle d'Huy[277], qui est proche de la coste d'Angleterre,
d'autant que nous trouvions la radde de Porlan fort mauvaise.
Estans proches d'icelle isle, la brume s'esleva si fort que
nous fusmes contraincts de relascher à la Houque.
[Note 276: Portland.]
[Note 277: L'île de Wight.]
206/354 Depuis le partement de Honfleur, je fus persecuté d'une fort
grande maladie, qui m'ostoit l'esperance de faire le voyage, &
m'estois embarqué dans un batteau pour me faire reporter en
France au Havre, & là me faire traicter, estant fort mal au
vaisseau: Et faisois estat recouvrant ma santé, que je me
rembarquerois dans un autre, qui n'estoit party de Honfleur, où
devoit s'embarquer des Marests, gendre de Pont-gravé: mais je
me fis porter à Honfleur, tousjours fort mal, où le 15 de Mars
le vaisseau d'où j'estois sorty relascha, pour y prendre du
l'aist, qui luy manquoit, pour estre bien en assiete. Il fut en
ce lieu jusques au 8 d'Avril. Durant ce temps je me remis en
assez bon estat: toutesfois encore que foible & débile, je ne
laissay pas de me rembarquer.
Nous partismes derechef le 18[278] d'Avril, & arrivasmes sur le
grand banc le 19 du mois, & eusmes cognoissance des isles S.
Pierre le 22. Estans le travers de Menthane nous rencontrasmes
207/355 un vaisseau de S. Maslo, où il y avoit un jeune homme, qui
beuvant à la santé de Pont-gravé, ne se peut si bien tenir, que
par l'esbranlement du vaisseau il ne tombast en la mer, & se
noya sans y pouvoir donner remède, à cause que le vent estoit
trop impétueux.
[Note 278: Le 8, ou, comme portait peut-être le manuscrit, le _dit
huit_, que l'on aura pris pour _dix-huit_, et traduit en chiffres.
Lescarbot n'a pas vu d'autre moyen de corriger ce passage que de faire
arriver Champlain le _26 de mai_, au lieu du _26 du mois_. Ce qui nous
surprend, c'est que M. Ferland, qui d'ordinaire est si exact, ait adopté
la supposition de Lescarbot, sans essayer lui-même de concilier ces
dates. Mais il est à remarquer premièrement, que la correction que nous
faisons, est motivée par les circonstances mêmes du récit de l'auteur,
puisque le vaisseau «fut en ce lieu jusqu'au 8», et que, dans
l'intervalle, Champlain se rétablit assez bien pour pouvoir se
rembarquer. En second lieu, cette seule correction obvie à toutes les
difficultés, tandis que celle de Lescarbot en laisse subsister d'assez
graves: comment Champlain serait-il parti le dix-huit, quand il vient de
dire que le vaisseau ne resta que jusqu'au huit? qu'aurait fait le
vaisseau dans l'intervalle? Champlain n'aurait-il pas mentionné la
raison de ce nouveau retard comme celle du premier? Enfin comment croire
que «depuis plus de soixante ans» on n'eût pas vu les vaisseaux arriver
à Tadoussac avant le 18 de mai, puisque la flotte du Canada partait
ordinairement aux grandes mers de mars? (Fournier, Hydrogr., liv. III,
ch. XLIX.) D'ailleurs, comme le vaisseau de Champlain avait d'abord fait
voile au commencement de mars, il est extrêmement probable que les
vaisseaux de traite, qui tenaient à n'être pas devancés, partirent aussi
dans la première moitié du même mois; alors, rien d'étonnant qu'ils
aient été rendus à Tadoussac dès le 18 d'avril. Champlain aurait donc
fait la traversée en dix-huit jours; ce qui n'est point incroyable,
puisqu'on a vu des traversées encore plus courtes. Il y a d'ailleurs
raison de croire que le même vent qui amena si tôt les vaisseaux de
traite à Tadoussac, dut favoriser également le vaisseau de Champlain.]
Le 26 du mois arrivasmes à Tadoussac, où il y avoit des
vaisseaux qui y estoient arrivez dés le 18, ce qui ne s'estoit
veu il y avoit plus de 60. ans[279], à ce que disoient les
vieux mariniers qui voguent ordinairement audit pays. C'estoit
le peu d'yver qu'il y avoit fait, & le peu de glaces [280], qui
n'empescherent point l'entrée desdicts vaisseaux. Nous sçeusmes
par un jeune Gentilhomme appelé le sieur du Parc qui avoit
yverné à nostre habitation, que tous ses compagnons se
portoient bien, & qu'il n'y en avoit eu que quelques uns de
malades, encore fort peu, & nous asseura qu'il n'y avoit fait
presque point d'yver, & avoient eu ordinairement de la viande
fraische tout l'yver, & que le plus grand de leur travail
estoit de se donner du bon temps.
[Note 79: «Cette remarque,» dit M. Ferland, «prouve que depuis le
dernier voyage de M. de Roberval en 1649, les Basques, les Normands et
les Bretons avaient continué de faire le trafic des pelleteries à
Tadoussac.» (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 157, note i.)]
[Note 280: Champlain, en indiquant cette raison, se contente de
mentionner un fait, sans prétendre le généraliser, et il reste dans le
vrai. Lescarbot, moins scrupuleux, tire de suite la conclusion que, si
l'entrée du golfe est obstruée de glaces à la fin de mai, elle doit
l'être à plus forte raison au commencement du même mois ou dans le mois
d'avril; ce qui cependant est contraire aux faits. «Là, dit-il, ilz
trouvèrent des vaisseaux arrivez dés huit jours auparavant, chose qui ne
s'étoit veue il y avoit plus de soixante ans, à ce que disoient les
vieux mariniers. Car d'ordinaire les entrées du golfe de Canada sont
seelées de glaces jusques à la fin de May.» (Liv. v, ch. v.)]
Cest yver monstre comme se doivent comporter à l'advenir ceux
qui auront telles entreprises, estant bien malaisé de faire une
nouvelle habitation sans travail, & courir la première année
mauvaise fortune, comme il s'est trouvé en toutes nos premières
208/356 habitations. Et à la vérité en ostant les salures, & ayant de
la viande fraische, la santé y est aussi bonne qu'en France.
Les sauvages[281] nous attendoient de jour en autre pour aller
à la guerre avec eux. Comme ils sceurent que le Pont & moy
estions arrivez ensemble, il se resjouirent fort, & vindrent
parler à nous. Je fus à terre, pour leur asseurer que nous
irions avec eux, suivant les promesses qu'ils m'avoient faites,
Qu'après le retour de leur guerre, il me meneroient descouvrir
les trois rivieres, jusques en un lieu où il y a une si grande
mer[282] qu'ils n'en voyent point le bout, & nous en revenir
par le Saguenay audit Tadoussac: & leur demanday s'ils avoient
encore ceste mesme volonté: Ils me dirent qu'ouy: mais que ce
ne pouvoit estre que l'année suivante: ce qui m'aporta du
plaisir[283]: Toutesfois j'avois promis aux Algoumequins &
Ochateguins de les assister aussi en leurs guerres, lesquels
m'avoient promis de me faire voir leur pays, & le grand lac
[284], & quelques mines de cuivre & autres choses qu'ils
m'avoient donné à entendre: si bien que j'avois deux cordes à
mon arc: de façon que si l'une failloit, l'autre pouvoit
reussir.
[Note 281: Les Montagnais, comme la suite le fait voir.]
[Note 282: La Baie d'Hudson.]
[Note 283: Le contexte prouve assez qu'il faut «du desplaisir.»]
[Note 284: C'est-à-dire, leur grand lac, le lac Huron.]
Le 28 dudit mois je party de Tadoussac, pour aller à Quebecq,
où je trouvay le Capitaine Pierre[285] qui y commandoit, & tous
ses compagnons en bon estat; & avec eux un Capitaine sauvage
209/357 appelé Batiscan, & aucuns de ses compagnons, qui nous y
attendoient, lesquels furent fort resjouys de ma venue, & se
mirent à chanter & danser tout le soir. Je leur fis festin ce
qu'ils eurent fort aggreable, & firent bonne chère, dont ils ne
furent point ingrats, & me convierent moy huictiesme qui n'est
pas petite faveur parmy eux, où nous portasmes chacun nostre
escuelle, comme est la coustume, & de la remporter chacun
plaine de viande, que nous donnions à qui bon nous sembloit.
[Note 285: Pierre Chavin. (Voir plus haut, p. 200.)]
Quelques jours après que je fus party de Tadoussac, les
Montagnets arriverent à Quebecq au nombre de 60 bons hommes,
pour s'acheminer à la guerre. Ils y sejournerent quelques
jours, s'y donnant du bon temps, & n'estoit pas sans souvent
m'importuner, sçavoir si je ne manquerois point à ce que je
leur avois promis. Je les asseuray, & promis de rechef, leur
demandant s'ils m'avoient trouvé menteur par le passé. Ils se
resjouirent fort lors que je leur reiteray mes promesses.
Et me disoient voila beaucoup de Basques & Mistigoches (ainsi
appelent ils les Normans & Maslouins) qui disent qu'ils
viendront à la guerre avec nous, que t'en semble? disent ils
vérité? Je leur respondis que non, & que je sçavois bien ce
qu'ils avoient au coeur, & que ce qu'ils en disoient n'estoient
que pour avoir & attirer leurs commoditez. Ils me disoient tu
as dit vray, ce sont femmes, & ne veulent faire la guerre qu'à
nos Castors: avec plusieurs autres discours facetieux, & de
l'estat & ordre d'aller à la guerre.
Ils se resolurent de partir, & m'aller attendre aux trois
210/358 rivieres 30 lieues plus haut que Quebecq, où je leur avois
promis de les aller trouver, & quatre barques chargées de
marchandises, pour traicter de pelleterie, entre autres avec
les Ochateguins, qui me devoient venir attendre à l'entrée de
la riviere des Yroquois, comme ils m'avoient promis l'année
précédente, & y amener jusques à 400 hommes, pour aller à la
guerre.
_Partement de Quebecq pour aller assister nos sauvages aliez à
la guerre contre les Yroquois leurs ennemis, & tout ce qui se
passa jusques à nostre retour en l'habitation._
CHAPITRE II.
JE party de Quebecq le 14 Juin pour aller trouver les
Montagnets, Algoumequins & Ochateguins qui se devoient trouver
à l'entrée de la riviere des Yroquois. Comme je fus à 8 lieues
de Quebecq, je rencontray un canot, où il y avoit deux
sauvages, l'un Algoumequin, & l'autre Montagnet, qui me
venoient prier de m'advancer le plus viste qu'il me feroit
possible, & que les Algoumequins & Ochateguins seroient dans
deux jours au rendes-vous au nombre de 200 & 200 autres qui
devoient venir un peu après, avec Yroquet un de leurs chefs; &
me demandèrent si j'estois content de la venue de ces sauvages:
je leur dy que je n'en pouvois estre fasché, puis qu'ils
avoient tenu leur promesse. Ils se mirent dedans ma barque, où
je leur fis fort bonne chère. Peu de temps aprés avoir devisé
avec eux de plusieurs choses touchant leurs guerres, le sauvage
211/359 Algoumequin, qui estoit un de leurs chefs, tira d'un sac une
pièce de cuivre de la longueur d'un pied, qu'il me donna,
lequel estoit fort beau & bien franc, me donnant à entendre
qu'il y en avoit en quantité là où il l'avoit pris, qui estoit
sur le bort d'une riviere proche d'un grand lac, & qu'ils le
prenoient par morceaux, & le faisant fondre le mettoient en
lames, & avec des pierres le rendoient uny. Je fus fort ayse de
ce present, encores qu'il fut de peu de valleur.
Arrivant aux trois rivieres, je trouvay tous les Montagnets qui
m'attendoient, & quatre barques, comme j'ay dit cy dessus, qui
y estoient allées pour traicter avec eux.
Les sauvages furent resjouis de me voir. Je fus à terre parler
à eux. Ils me prièrent, qu'allant à la guerre je ne
m'embarquasse point, ny mes compagnons aussi, en d'autres
canots que les leurs; & qu'ils estoient nos antiens amis: ce
que je leur promis, leur disant que je voulois partir tout à
l'heure, d'autant que le vent estoit bon, & que ma barque
n'estoit point si aisée que leurs canots, & que pour cela je
voulois prendre l'advant. Ils me prièrent instamment d'attendre
au lendemain matin, que nous irions tous ensemble, & qu'ils ne
feroient pas plus de chemin que moy; Enfin pour les contenter,
je leurs promis, dont ils furent fort joyeux.
Le jour ensuivant nous partismes tous ensemble vogans jusques
au lendemain matin 19e jour dudit mois, qu'arrivasmes à une
isle devant ladite riviere des Yroquois, en attendant les
Algoumequins qui devoient y venir ce mesme jour. Comme les
212/360 Montagnets couppoient des arbres pour faire place pour danser &
se mettre en ordre à l'arrivée desdits Algoumequins, voicy un
canot Algoumequin qu'on aperceut venir en diligence advertir
que les Algoumequins avoient fait rencontre des Yroquois, qui
estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien
barricadez, & qu'il seroit malaisé de les emporter, s'ils ne
venoient promptement, & les Matigoches avec eux (ainsi nous
appelent ils.)
Aussitost l'alarme commença parmy eux, & chacun se mit en son
canot avec ses armes. Ils furent promptement en estat, mais
avec confusion: car ils se precipitoient si fort que au lieu
d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre barque, &
aux autres, me priant d'aller avec eux dans leurs canots, & mes
compagnons aussi, & me presserent si fort que je m'y embarquay
moy cinquiesme. Je priay la Routte qui estoit nostre pilotte,
de demeurer en la barque, & m'envoyer encores quelque 4 ou 5 de
mes compagnons, si les autres barques envoyoient quelques
chalouppes avec hommes pour nous donner secours: Car aucunes
des barques n'y voulut aller avec les sauvages, horsmis le
Capitaine Thibaut qui vint avec moy, qui avoit là une barque.
Les sauvages crioyent à ceux qui restoient qu'ils avoient coeur
de femmes, & ne sçavoient faire autre chose que la guerre à
leurs pelleteries.
Cependant après avoir fait quelque demie lieue, en traversant
la riviere tous les sauvages mirent pied à terre, & abandonnant
leurs canots prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues
& espées, qu'ils amanchent au bout de grands bastons, &
213/361 commencèrent à prendre leur course dans les bois, de telle
façon que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous
laisserent cinq que nous estions sans guides. Cela nous apporta
du desplaisir: neantmoins voyant tousjours leurs brisées nous
les suivions; mais souvent nous nous abusions. Comme nous
eusmes fait environ demie lieue par l'espois des bois, dans des
pallus & marescages, tousjours l'eau jusques aux genoux, armez
chacun d'un corcelet de piquier qui nous importunoit beaucoup,
& aussi la quantité des mousquites, qui estoient si espoisses
qu'elles ne nous permettoient point presque de reprendre nostre
halaine, tant elles nous persecutoient, & si cruellement que
c'estoit chose estrange, nous ne sçavions plus où nous estions
sans deux sauvages que nous apperceusmes traversans le bois,
lesquels nous appelasmes, & leur dy qu'il estoit necessaire
qu'ils fussent avec nous pour nous guider & conduire où
estoient les Yroquois, & qu'autrement nous n'y pourrions aller,
& que nous nous esgarerions dans les bois. Ils demeurèrent pour
nous conduire. Ayant fait un peu de chemin, nous apperceusmes
un sauvage qui venoit en diligence nous chercher pour nous
faire advancer le plus promptement qu'il seroit possible,
lequel me fit entendre que les Algoumequins & Montagnets
avoient voulu forcer la barricade des Yroquois & qu'ils avoient
esté repoussés, & qu'il y avoit eu de meilleurs hommes
Montagnets tuez, & plusieurs autres blessez, & qu'ils
s'estoient retirez en nous attendant, & que leur esperance
estoit du tout en nous. Nous n'eusmes pas fait demy quart de
lieue avec ce sauvage qui estoit Capitaine Algoumequin, que
214/362 nous entendions les hurlemens & cris des uns & des autres, qui
s'entre disoient des injures, escarmouchans tousjours
légèrement en nous attendant. Aussitost que les sauvages nous
apperçeurent ils commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on
n'eust pas entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de
me suivre tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de
la barricade des ennemis pour, la recognoistre. Elle estoit
faite de puissants arbres, arrangez les uns sur les autres en
rond, qui est la forme ordinaire de leurs forteresses. Tous les
Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de ladite
barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups
d'arquebuse à travers les fueillards, d'autant que nous ne les
pouvions voir comme eux nous. Je fus blessé en tirant le
premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de
flesche qui me fendit le bout de l'oreille & entra dans le col.
Je prins la flesche qui me tenoit encores au col & l'arachay:
elle estoit ferrée par le bout d'une pierre bien aiguë. Un
autre de mes compagnons en mesme temps fut aussi blessé au bras
d'une autre flesche que je luy arrachay. Neantmoins ma
blesseure ne m'empescha de faire le devoir, & nos sauvages
aussi de leur part, & pareillement les ennemis, tellement qu'on
voyoit voler les flesches d'une part & d'autre, menu comme
gresle: Les Yroquois s'estonnoient du bruit de nos arquebuses,
& principalement de ce que les balles persoient mieux que leurs
flesches; & eurent tellement l'espouvante de l'effet qu'elles
faisoient, voyant plusieurs de leurs compaignons tombez morts,
& blessez, que de crainte qu'ils avoient, croyans ces coups
215/363 estre sans remède ils se jettoient par terre, quand ils
entendoient le bruit: aussi ne tirions gueres à faute, & deux
ou trois balles à chacun coup, & avions la pluspart du temps
nos arquebuses appuyées sur le bord de leur barricade. Comme je
vy que nos munitions commençoient à manquer, je dy à tous les
sauvages, qu'il les falloit emporter de force & rompre leurs
barricades, & pour ce faire prendre leurs rondaches & s'en
couvrir, & ainsi s'en aprocher de si prés que l'on peust lier
de bonnes cordes aux pilliers qui les soustenoient, & à force
de bras tirer tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y
faire ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort: & que
cependant nous à coups d'arquebuses repousserions les ennemis
qui viendroient se presenter pour les en empescher: & aussi
qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands
arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les
renverser dessus pour les accabler, que d'autres couvriroient
de leurs rondaches pour empescher que les ennemis ne les
endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme on
estoit en train de parachever, les barques qui estoient à une
lieue & demie de nous nous entendoient battre par l'equo de nos
arquebusades qui resonnoit jusques à eux, qui fit qu'un jeune
homme de sainct Maslo plein de courage, appelé des Prairies,
qui avoit sa barque comme les autres pour la traite de
pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une
grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des
sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il
avoit trop l'honneur en recommandation, & qu'il ne vouloit
216/364 point qu'on luy peut faire ce reproche: & sur cela se délibéra
de me venir trouver dans une chalouppe avec quelques siens
compagnons, & des miens qu'il amena avec luy. Aussitost qu'il
fut arrivé il alla vers le fort des Yroquois, qui estoit sur le
bort de la riviere, où il mit pied à terre, & me vint chercher.
Comme je le vis, je fis cesser nos sauvages qui rompoient la
forteresse, afin que les nouveaux venus eussent leur part du
plaisir. Je priay le sieur des Prayries & ses compagnons de
faire quelque salve d'arquebusades, auparavant que nos sauvages
les emportassent de force, comme ils avoient délibéré: ce
qu'ils firent, & tirèrent plusieurs coups, où chacun d'eux se
comporta bien en son devoir. Et après avoir assez tiré, je
m'adresse à nos sauvages & les incitay de parachever: Aussitost
s'aprochans de ladite barricade comme ils avoient fait
auparavant, & nous à leurs aisles pour tirer sur ceux qui les
voudroient empescher de la rompre. Ils firent si bien &
vertueusement qu'à la faveur de nos arquebusades ils y firent
ouverture, neantmoins difficile à passer, car il y avoit
encores la hauteur d'un homme pour entrer dedans, & des
branchages d'arbres abbatus, qui nuisoient fort: Toutesfois
quand je vey l'entrée assez raisonnable, je dy qu'on ne tirast
plus: ce qui fut fait: Au mesme instant quelque vingt ou
trente, tant des sauvages que de nous autres, entrasmes dedans
l'espée en la main, sans trouver beaucoup de resistance.
Aussitost ce qui restoit sain commença à prendre la fuitte:
mais ils n'alloient pas loing, car ils estoient défaits par
ceux qui estoient à l'entour de ladite baricade: & ceux qui
217/365 eschaperent se noyèrent dans la riviere. Nous prismes quelques
quinze prisonniers, le reste tué à coups d'arquebuse, de
flesches & d'espée. Quand ce fut fait, il vint une autre
chalouppe & quelques uns de nos compagnons dedans, qui fut trop
tart: toutesfois assez à temps pour la despouille du butin, qui
n'estoit pas grand chose: il n'y avoit que des robes de castor,
des morts, plains de sang, que les sauvages ne vouloient
prendre la peine de despouiller, & se moquoient de ceux qui le
faisoient, qui furent ceux de la dernière chalouppe: Car les
autres ne se mirent en ce villain devoir. Voila donc avec la
grâce de Dieu la victoire obtenue, dont ils nous donnèrent
beaucoup de louange.
364a
[Illustration] _Fort des Yroquois._
A Le fort des Yroquois.
B Yroquois se jettans en la riviere pour se sauver poursuivis par les
Montaignets & Algoumequins se jettant après eux pour les tuer.
D Le sieur de Champlain & 5 des siens.
E Tous nos sauvages amis.
F Le sieur des Prairies de S. Maslo avec ses compagnons.
G Chalouppe dudit sieur des Prairies.
H Grands arbres couppés pour ruiner le fort des Yroquois.
Ces sauvages escorcherent les testes de ceux qui estoient
morts, ainsi qu'ils ont accoustumé de faire pour trophée de
leur victoire, & les emportent. Ils s'en retournèrent avec
cinquante blessez des leurs, & trois hommes morts desdicts
Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs prisonniers
avec eux. Ayant les testes pendues à des bastons devant leurs
canots & un corps mort couppé par quartiers, pour le manger par
vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en ceste façon
jusques où estoient nos barques audevant de ladite riviere des
Yroquois.
Et mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chalouppe,
où je me fis penser de ma blesseure par le chirurgien de Boyer
de Rouen qui y estoit venu aussi pour la traicte. Tout ce jour
se passa avec les sauvages en danses & chançons.
Le lendemain ledit sieur du Pont arriva avec une autre
chalouppe chargée de quelques marchandises & une autre qu'il
218/366 avoit laissée derrière où estoit le Capitaine Pierre qui ne
pouvoit venir qu'avec peine, estant ladite barque un peu lourde
& malaisée à nager.
Cedit jour on traicta quelque pelleterie, mais les autres
barques emportèrent la meilleure part du butin. C'estoit leur
avoir fait un grand plaisir de leur estre allé chercher des
nations étrangères, pour après emporter le profit sans aucune
risque ny hazard.
Ce jour je demanday aux sauvages un prisonnier Yroquois qu'ils
avoient, lequel ils me donnèrent. Je ne fis pas peu pour luy,
car je le sauvay de plusieurs tourmens qu'il luy eust fallu
souffrir avec ses compagnons prisonniers, ausquels ils
arrachoient les ongles, puis leur couppoient les doits, & les
brusloient en plusieurs endroits. Ils en firent mourir ledit
jour deux ou trois, & pour leur faire souffrir plus de tourmens
ils en usent ainsi.
Ils prindrent leurs prisonniers & les emmenèrent sur le bort de
l'eau & les attachèrent tous droits à un baston, puis chacun
venoit avec un flambeau d'escorce de bouleau, les brullans
tantost sur une partie tantost sur l'autre: & les pauvres
miserables sentans ce feu faisoient des cris si haut que
c'estoit chose estrange à ouyr, & des cruautez dont ces
barbares usent les uns envers les autres. Après les avoir bien
fait languir de la façon, & les brullans avec ladite escorce,
ils prenoient de l'eau & leur jettoient sur le corps pour les
faire languir d'avantage: puis leur remettoient de rechef le
feu de telle façon, que la peau tomboit de leurs corps, &
continuoyent avec grands cris & exclamations, dansant jusques à
219/367 ce que ces pauvres miserables tombassent morts sur la place.
Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frappoient
dessus à grands coups de baston, puis luy coupoient les bras &
les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour
homme de bien entr'eux celuy qui ne couppoit un morceau de sa
chair & ne la donnoit aux chiens. Voila la courtoisie que
reçoivent les prisonniers. Mais neantmoins ils endurent si
constamment tous les tourmens qu'on leur fait, que ceux qui les
voyent en demeurent estonnez.
Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux
Algoumequins que Montagnets, furent conservez pour les faire
mourir par les mains de leurs femmes & filles, qui en cela ne
se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, encores elles
les surpassent de beaucoup en cruauté: car par leur subtilité
elles inventent des supplices plus cruels, & y prennent
plaisir, les faisant ainsi finir leur vie en douleurs
extresmes.
Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet & un autre Ochatagin,
qui avoient quelques 80 hommes, qui estoient bien faschez de ne
s'estre trouvez à la deffaite. En toutes ces nations il y avoit
bien prés de 200 hommes qui n'avoient jamais veu de Chrestiens
qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.
Nous fusmes quelques trois jours ensemble à une isle[286] le
220/368 travers de la riviere des Yroquois, & puis chacune des nations
s'en retourna en son pays. J'avois un jeune garçon, qui avoit
desja yverné deux ans à Quebecq, lequel avoit desir d'aller
avec les Algoumequins, pour apprendre la langue. Pont-gravé &
moy advisasmes que s'il en avoit envie que ce seroit mieux fait
de l'envoyer là qu'ailleurs, pour sçavoir quel estoit leur
pays, voir le grand lac, remarquer les rivieres, quels peuples
y habitent; ensemble descouvrir les mines & choses les plus
rares de ces lieux & peuples, afin qu'à son retour nous
peussions estre informez de la vérité. Nous luy demandasmes
s'il l'avoit aggreable: car de l'y forcer ce n'estoit ma
volonté: mais aussi tost la demande faite, il accepta le voyage
très-volontiers.
[Note 286: L'île de Saint-Ignace. Les sauvages, pour éviter les
surprises, ayant pour habitude de camper dans les îles, on peut
raisonnablement supposer que cette île était proprement le lieu de la
traite, quoiqu'on désignât ce lieu sous le nom de cap au Massacre, ou
cap de la Victoire, à cause de la proximité de ce dernier. Sans aucun
doute, le cap de la Victoire a dû son nom à la victoire remportée sur
les Iroquois dans cette expédition de 1610. «Ce lieu du Cap de la
Victoire ou de Massacre,» écrit Sagard en 1632 (Grand Voyage, p. 60),
est à douze ou quinze lieues au deçà de la Riviere des Prairies... La
riviere en cet endroit n'a environ que demye lieue de large, & dés
l'entrée se voyent tout d'un rang 6 ou 7 isles fort agréables &
couvertes de beaux bois.--A l'issue du lac,» ajoute le même auteur dans
son Histoire du Canada, «nous entrasmes peu après au port du Cap de la
Victoire... On voit du port six ou sept isles toutes de front,... qui
couvrent le lac S. Pierre & la riviere des Ignerhonons (nation
hyroquoyse) qui se descharge icy dans le grand fleuve, vis à vis du
port, beau, large & fort spacieux.» Plus loin, p. 765, il parle encore
du même lieu, «nommé, dit-il, par les Hurons Onthrandéen, & par nous cap
de la Victoire.» Un passage de Nicolas Perrot nous apprend d'une manière
un peu plus précise la position du cap de la Victoire: «Les Outaoüas,
dit-il, & toutes les autres nations qui commerçoient avec les
François... s'imaginoient que l'Irroquois estoit embusqué partout. Ils
n'en trouverent cependant qu'au cap Massacre, qui est l'endroit des
dernières concessions au bas de Saint-Ours.» (Mémoire de Nicolas Perrot,
édit. du P. Tailhan, p. 93.) Or on sait que la concession de Saint-Ours
finissait, sur le fleuve, à une lieue et demie au-dessus de Sorel. Enfin
la Relation de 1646 (p. 10) dit que «le cap nommé de Massacre était à
une lieue plus haut que Richelieu,» ou Sorel.]
Je fus trouver le Capitaine Yroquet qui m'estoit fort
affectionné, auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune
garçon avec luy en son pays pour y yverner, & le ramener au
printemps: Il me promit le faire, & le tenir comme son fils, &
qu'il en estoit tres-content. Il le va dire à tous les
Algoumequins, qui n'en furent pas trop contens, pour la crainte
que quelque accident ne luy arriva: & que pour cela nous leur
221/369 fissions la guerre. Ce doubte refroidit Yroquet, & me vint dire
que tous ses compagnons ne le trouvoient pas bon: Cependant
toutes les barques s'en estoient allées, horsmis celle du Pont,
qui ayant quelque affaire pressée, à ce qu'il me dit, s'en alla
aussi: & moy je demeuray avec la mienne, pour voir ce qui
reussiroit du voyage de ce garçon que j'avois envie qu'il fit.
Je fus donc à terre & demanday à parler aux Capitaines,
lesquels vindrent à moy, & nous assismes avec beaucoup d'autres
sauvages anciens de leurs trouppes; puis je leur demanday
pourquoy le Capitaine Yroquet que je tenois pour mon amy, avoit
refusé d'emmener mon garçon avec luy. Que ce n'estoit pas comme
frère ou amy, de me dernier une chose qu'il m'avoit promis,
laquelle ne leur pouvoit apporter que du bien; & que en
emmenant ce garçon, c'estoit pour contracter plus d'amitié avec
eux & leurs voisins, que n'avions encores fait, & que leur
difficulté me faisoit avoir mauvaise opinion d'eux; & que s'ils
ne vouloient emmener ce garçon, ce que le Capitaine Yroquet
m'avoit promis, je n'aurois jamais d'amitié avec eux, car ils
n'estoient pas enfans pour rejetter ceste promesse. Alors ils
me dirent qu'ils en estoient bien contens, mais que changeant
de nourriture, ils craignoient que n'estant si bien noury comme
il avoit accoustumé, il ne luy arriva quelque mal dont je
pourrois estre fasché, & que c'estoit la seule cause de leur
refus.
Je leur fis responce que pour la vie qu'ils faisoient & des
vivres dont ils usoient, ledit garçon s'y sçauroit bien
accommoder, & que si par maladie ou fortune de guerre il luy
222/370 survenoit quelque mal, cela ne m'empescheroit de leur vouloir
du bien, & que nous estions tous subjects aux accidens, qu'il
failloit prendre en patience: Mais que s'ils le traitoyent mal,
& qu'il luy arriva quelque fortune par leur faute, qu'à la
vérité j'en serois mal content; ce que je n'esperois de leur
part, ains tout bien.
Ils me dirent, puis donc que tu as ce desir, nous l'emmenerons
& le tiendrons comme nous autres: Mais tu prendras aussi un
jeune homme en sa place, qui ira en France: Nous serons bien
aise qu'il nous rapporte ce qu'il aura veu de beau. Je
l'acceptay volontiers, & le prins[287]. Il estoit de la nation
des Ochateguins, & fut aussi fort aise de venir avec moy. Cela
donna plus de subject de mieux traicter mon garçon, lequel
j'esquippay de ce qui luy estoit necessaire, & promismes les
uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin.
[Note 287: «J'ay vu souvent, dit Lescarbot, ce sauvage de Champlein
nommé Savignon, à Paris, gros garson & robuste, lequel se mocquoit
voyant quelquefois deux hommes se quereller sans se battre, ou tuer,
disant que ce n'étoient que des femmes, & n'avoient point de courage.»
(Liv. v, ch. v.)]
Nous nous separasmes avec force promesses d'amitié. Ils s'en
allèrent donc du costé du grand saut de la riviere de Canadas,
& moy, je m'en retournay à Quebecq. En allant je rencontray le
Pont-gravé, dedans le lac sainct Pierre, qui m'attendoit avec
une grande pattache qu'il avoit rencontrée audit lac, qui
n'avoit peu faire diligence de venir jusques où estoient les
sauvages, pour estre trop lourde de nage. Nous nous en
retournasmes tous ensemble à Quebecq: puis ledit Pont-gravé
s'en alla à Tadoussac, pour mettre ordre à quelques affaires
223/371 que nous avions en ces quartiers là; & moy je demeuray à
Quebecq pour faire redifier quelques palissades au tour de
nostre habitation, attendant le retour dudit Pont-gravé, pour
adviser ensemblement à ce qui seroit necessaire de faire.
Le 4 de Juin[288] des Marests arriva à Quebecq, qui nous
resjouit fort: car nous doubtions qu'il luy fut arrivé quelque
accident sur la mer.
[Note 288: Il est probable qu'il faut lire: le 4 de juillet.]
Quelques jours après un prisonnier Yroquois que j'y faisois
garder, par la trop grande liberté que je luy donnois s'en fuit
& se sauva, pour la crainte & apprehension qu'il avoit:
nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa
nation que nous avions en nostre habitation.
Peu de jours après, le Pont-gravé m'escrivit qu'il estoit en
délibération d'yverner en l'habitation, pour beaucoup de
considerations qui le mouvoient à ce faire. Je luy rescrivy,
que s'il croyoit mieux faire que ce que j'avois fait par le
passé qu'il seroit bien.
Il fit donc diligence de faire apporter les commoditez
necessaires pour ladite habitation.
Après que j'eu fait parachever la palissade autour de nostre
habitation, & remis toutes choses en estat, le Capitaine Pierre
revint dans une barque qui estoit allé à Tadoussac voir de ses
amis: & moy j'y fus aussi pour voir ce qui reussiroit de la
seconde traite & quelques autres affaires particulières, que
j'y avois. Où estant je trouvay ledit Pont-gravé qui me
communiqua fort particulièrement son dessin, & ce qui
l'occasionnoit d'yverner. Je luy dis sainement ce qu'il m'en
224/372 sembloit, qui estoit, que je croyois qu'il n'y proffiteroit pas
beaucoup, selon les apparences certaines qui se pouvoient voir.
Il délibéra donc changer de resolution, & despescha une barque,
& manda au Capitaine Pierre qu'il revint de Quebecq pour
quelques affaires qu'il avoit avec luy: & aussi que quelques
vaisseaux, qui estoient venus de Brouage apportèrent nouvelles,
que monsieur de sainct Luc estoit venu en poste de Paris, &
avoit chassé ceux de la Religion, hors de Brouage, & renforcé
la garnison de soldats, & s'en estoit retourné en Court; & que
le Roy avoit esté tué, & deux ou trois jours aprés luy, le duc
de Suilly, & deux autres seigneurs dont on ne sçavoit le
nom[289].
[Note 289: Henri IV avait en effet été assassiné le 14 de mai; mais ni
le duc de Sully ni aucun autre Seigneur ne l'avaient été.]
Toutes ces nouvelles apportèrent un grand desplaisir aux vrais
François, qui estoient lors en ces quartiers là: Pour moy, il
m'estoit fortmalaisé de le croire, pour les divers discours
qu'on en faisoit, qui n'avoient pas beaucoup d'apparence de
vérité: & toutesfois bien affligé d'entendre de si mauvaises
nouvelles.
Or après avoir sejourné trois ou quatre jours à Tadoussac, &
veu la perte que firent beaucoup de marchans qui avoient chargé
grande quantité de marchandises & équipé bon nombre de
vaisseaux, esperant faire leurs affaires en la traite de
Pelleterie, qui fut si miserable pour la quantité de vaiseaux,
que plusieurs se souviendront long temps de la perte qu'ils
firent en ceste année[290].
[Note 290: Lescarbot nous fait connaître la cause de cette affluence de
vaisseaux de traite. «Cette année, dit-il, le refus fait au sieur de
Monts de lui continuer son privilège, ayant été divulgué par les ports
de mer, l'avidité des Merchens pour les Castors fut si grande, que les
trois parts cuidans aller conquérir la toison d'or sans coup férir, ne
conquirent pas seulement des toisons de laine, tant étoit grand le
nombre des conquerans.» (Liv. v, ch. v.)]
225/373 Ledit sieur de Pont-gravé & moy, nous nous embarquasmes chacun
dans une barque, & laissasmes ledit Capitaine Pierre au
vaisseau & emmenasmes le Parc à Quebecq, où nous parachevasmes
de mettre ordre à ce qui restoit de l'habitation. Après que
toutes choses furent en bon estat, nous resolusmes que ledit du
Parc qui avoit yverné avec le Capitaine Pierre y demeuroit
derechef, & que le Capitaine Pierre reviendroit aussi en
France, pour quelques affaires qu'il y avoit, & l'y
appelloient.
Nous laissasmes donc ledit du Parc, pour y commander, avec
seize hommes, ausquels nous fismes une remonstrance, de vivre
tous sagement en la crainte de Dieu, & avec toute l'obeissance
qu'ils devoient porter audit du Parc, qu'on leur laissoit pour
chef & conducteur, comme si l'un de nous y demeuroit; ce qu'ils
promirent tous de faire, & de vivre en paix les uns avec les
autres.
Quand aux jardins nous les laissasmes bien garnis d'herbes
potagères de toutes sortes, avec de fort beau bled d'Inde, & du
froument, seigle & orge, qu'on avoit semé, & des vignes que j'y
avois fait planter durant mon yvernement (qu'ils ne firent
aucun estat de conserver: car à mon retour, je les trouvay
toutes rompues, ce qui m'aporta beaucoup de desplaisir, pour le
peu de soin qu'ils avoient eu à la conservation d'un si bon &
beau plan, dont je m'estois promis qu'il en reussiroit quelque
chose de bon.)
Après avoir veu toutes choses en bon estat, nous partismes de
Quebecq, le 8 du mois d'Aoust, pour aller à Tadoussac, afin de
faire apareiller nostre vaisseau, ce qui fut promptement fait.
226/374 _Retour en France. Rencontre d'une balaine, & de la façon qu'on
les prent._
CHAPITRE III.
LE 13. dudit mois nous partismes de Tadoussac, & arrivasmes à
l'isle Percée le lendemain, où nous trouvasmes quantité de
vaisseaux faisant pesche de poisson sec & vert,
Le 18 dudit mois, nous partismes de l'isle Percée & passames
par la hauteur de 42 degrez de latitude, sans avoir aucune
cognoissance du grand banc, où se fait la pesche du poisson
vert, pour ledit lieu estre trop estroit en ceste hauteur.
Estant comme à demy traversé, nous rencontrasmes une balaine
qui estoit endormie, & le vaisseau passant par dessus, luy fit
une fort grande ouverture proche de la queue, qui la fit bien
tost resveiller sans que nostre vaisseau en fut endomagé, &
jetta grande abbondance de sang.
Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite
description de la pesche des balaines, que plusieurs n'ont
veue, & croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant
qu'il y a de si impudens menteurs qui l'afferment à ceux qui
n'en sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinement sur
ces faux raports.
Ceux donc qui sont plus adroits à cette pesche sont les
Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un
port de seureté, ou proche de là où ils jugent y avoir quantité
de ballaines, & équipent plusieurs chalouppes garnies de bons
227/375 hommes & haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur
chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longeur pour le moins
cent cinquante brasses, & ont force pertusanes longues de demie
pique qui ont le fer large de six pouces, d'autres d'un pied &
demy & deux de long, bien tranchantes. Ils ont en chacune
chalouppe un harponneur, qui est un homme des plus dispos &
adroits d'entre eux; aussi tire il les plus grands salaires
après les maistres, d'autant que c'est l'office le plus
hazardeux. Ladite chalouppe estant hors du port, ils regardent
de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir quelque
balaine, allant à la borde d'un costé & d'autre: & ne voyant
rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire, le plus
haut qu'ils trouvent pour descouvrir de plus loing, où ils
mettent un homme en sentinelle, qui apercevant la balaine,
qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par l'eau qu'elle
jette par les esvans, qui est plus d'un poinçon à la fois, & de
la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle jette, ils
jugent ce qu'elle peut rendre d'huille. Il y en a telle d'où
l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons, d'autres
moins. Or voyant cet espouvantable poisson, ils s'embarquent
promptement dans leurs chalouppes, & à force de rames ou de
vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre
deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la
chalouppe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds &
demy de large par le bas, emmanché en un baston de la longueur
d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où s'attache la
228/376 haussiere, & aussi tost que ledit harponneur voit son temps, il
jette son harpon sur la balaine, lequel entre fort avant, &
incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au fonds de l'eau.
Et si d'adventure en se retournant quelque fois, avec sa queue
elle rencontre la chalouppe, ou les hommes, elle les brise
aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard qu'ils
courent d'estre tuez en la harponnant: Mais aussitost qu'ils
ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur haussiere,
jusques à ce que la balaine soit au fonds: & quelque fois comme
elle n'y va pas droit, elle entraine la chalouppe plus de huit
ou neuf lieues, & va aussi viste comme un cheval, & sont le
plus souvent contraints de coupper leur haussiere, craignant
que la balaine ne les attire soubs l'eau: Mais aussi quand elle
va au fonds tout droit, elle y repose quelque peu, & puis
revient tout doucement sur l'eau: & à mesure qu'elle monte, ils
rembarquent leur haussiere peu à peu & puis comme elle est
dessus, ils se mettent deux ou trois chalouppes autour avec
leurs pertusanes, desquelles ils luy donnent plusieurs coups, &
se sentant frappée, elle descend de rechef soubs l'eau en
perdant son sang, & s'affoiblit de telle façon, qu'elle n'a
plus de force ne vigueur, & revenant sur l'eau ils achevent de
la tuer: & quand elle est morte, elle ne va plus au fonds de
l'eau, lors ils l'attachent avec de bonnes cordes, & la
traînent à terre, au lieu où ils font leur degrat, qui est
l'endroit où ils font fondre le lard de ladite balaine, pour en
avoir l'huille. Voila la façon que elles se peschent, & non à
coups de canon, ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy
dessus. Pour reprendre le fil de mon discours, Après la
229/377 blessure de la balaine cy devant, nous prismes quantité de
marsouins, que nostre contre maistre harponna, dont nous
receusmes du plaisir & contentement.
Aussi prismes nous quantité de poisson à la grand oreille avec
une ligne & un aim, où nous attachions un petit poisson
ressemblant au hareng, & la laissions traîner derrière le
vaisseau, & la grand oreille pensant en effect que ce fut un
poisson vif, venoit pour l'engloutir, & se trouvoit aussitost
prins à l'aim qui estoit passé dans le corps du petit poisson.
Il est tresbon, & a de certaines aigrettes qui sont fort
belles, & aggreables comme celles qu'on porte aux pennaches.
Le 22 de Septembre, nous arrivasmes sur la sonde, & advisasmes
vingt vaisseaux qui estoient à quelque quatre lieux à l'Ouest
de nous, que nous jugions estre Flamans à les voir de nostre
vaisseau.
Et le 25 dudit mois nous eusmes la veue de l'isle de Grenezé,
après avoir eu un grand coup de vent, qui dura jusques sur le
midy.
Le 27 dudit mois arrivasmes à Honfleur.
231/379
[Illustration:]
LE TROISIESME
VOYAGE DU SIEUR DE
Champlain en l'année 1611.
_Partement de France pour retourner en la nouvelle France. Les
dangers & autres choses qui arriverent jusques en
l'habitation._
CHAPITRE I.
Nous partismes de Honfleur, le premier jour de Mars avec vent
favorable jusques au huictiesme dudit mois, & depuis fusmes
contrariés du vent de Su Surouest & Ouest Norouest qui nous fit
aller jusques à la hauteur de 42 degrez de latitude, sans
pouvoir eslever Su, pour nous mettre au droit chemin de
nostre routte. Après donc avoir eu plusieurs coups de vent, &
esté contrariés de mauvais temps: Et neantmoins, avec tant de
peines & travaux, à force de tenir à un bort & à l'autre, nous
fismes en sorte que nous arrivasmes à quelque 80 lieux du grand
banc où se fait la pesche du poisson vert, où nous
rencontrasmes des glaces de plus de trente à quarante brasses
de haut, qui nous fit bien penser à ce que nous devions faire,
craignant d'en rencontrer d'autres la nuit, & que le vent
232/380 venant à changer, nous poussast contre, jugeant bien que ce
ne feroit les dernières, d'autant que nous estions partis de
trop bonne heure de France. Navigeant donc le long de cedit
jour à basse voile au plus prés du vent que nous pouvions, la
nuit estant venue, il se leva une brume si espoisse, & Ci
obscure, qu'à peine voyons nous la longueur du vaisseau.
Environ sur les onze heures de nuit les matelots adviserent
d'autres glaces qui nous donnèrent de l'apprehension, mais
enfin nous fismes tant avec la diligence des mariniers, que
nous les esvitasmes. Pensant avoir passé les dangers nous
vinsmes à en rencontrer une devant nostre vaisseau que les
matelots apperceurent, & non si tost que nous fusmes presques
portez dessus. Et comme un chacun se recommendoit à Dieu, ne
pensant jamais esviter le danger de ceste glace qui estoit
soubs nostre beau pré, l'on crioit au gouverneur qu'il fit
porter: Car ladite glace, qui estoit fort grande drivoit au
vent d'une telle façon qu'elle passa contre le bord de nostre
vaisseau, qui demeura court comme s'il n'eust bougé pour la
laisser passer, sans toutesfois l'offencer: Et bien que nous
fussions hors du danger: si est ce que le sang d'un chacun ne
fut si promptement rassis, pour l'apprehention qu'on en avoit
eue, & louasmes Dieu de nous avoir delivrez de ce péril. Après
cestuy là passé, ceste mesme nuit nous en passames deux ou
trois autres, non moins dangereux que les premiers, avec une
brume pluvieuse & froide au possible, & de telle façon que l'on
ne se pouvoit presque réchauffer. Le lendemain continuant
nostre routte nous rencontrasmes plusieurs autres grandes &
fort hautes glaces, qui sembloient des isles à les voir de
233/391 loin, toutes lesquelles evitasmes, jusques à ce que nous
arrivasmes sur ledit grand banc, où nous fusmes fort contrariez
de mauvais temps l'espace de six jours: Et le vent venant à
estre un peu plus doux & assez favorable, nous desbanquasmes
par la hauteur de 44 degrez & demy de latitude, qui fut le plus
Su que peusmes aller. Après avoir fait quelque 60 lieues à
l'Ouest-norouest nous apperceusmes un vaisseau qui venoit nous
recognoistre, & puis fit porter à l'Est-nordest, pour esviter
un grand banc de glace contenant toute l'estandue de nostre
veue. Et jugeans qu'il pouvoit avoir panage par le milieu de ce
grand banc, qui estoit separé en deux, pour parfaire nostre
dite routte nous entrasmes dedans & y fismes quelque 10 lieues
sans voir autre apparence que de beau partage jusques au soir,
que nous trouvasmes ledit banc seelé, qui nous donna bien à
penser ce que nous avions à faire, la nuit venant, & au défaut
de la lune, qui nous ostoit tout moien de pouvoir retourner
d'où nous estions venus: & neantmoins après avoir bien pensé,
il fut resolu de rechercher nostre entrée à quoy nous nous
mismes en devoir: Mais la nuict venant avec brumes, pluye &
nege & un vent si impetueux que nous ne pouvions presque porter
nostre grand papefi[291], nous osta toute cognoissance de
nostre chemin. Car comme nous croyons esviter lesdites glaces
pour passer, le vent avoit desja fermé le passage, de façon que
nous fusmes contraincts de retourner à l'autre bord, & n'avions
loisir d'estre un quart d'heure sur un bord amurés, pour
r'amurer sur l'autre, afin d'esviter milles glaces qui estoient
234/382 de tous costez: & plus de 20 fois ne pensions sortir nos vies
sauves.
[Note 291: _Pacfi_, ou simplement _pafi_; c'est la plus basse voile du
grand mât.]
Toute la nuict se passa en peines & travaux: & jamais ne fut
mieux fait le quart, car parsonne n'avoit envie de reposer,
mais bien de s'esvertuer de sortir des glaces & périls. Le
froid estoit si grand que tous les maneuvres dudit vaisseau
estoient si gelez & pleins de gros glaçons, que l'on ne pouvoit
manouvrer, ny se tenir sur le Tillac dudit vaisseau. Après donc
avoir bien couru d'un costé & d'autre, attendant le jour, qui
nous donnoit quelque esperance: lequel venu avec une brume,
voyant que le travail & fatigue ne pouvoit nous servir, nous
resolusmes d'aller à un banc de glace, où nous pourrions estre
à l'abri du grand vent qu'il faisoit, & amener tout bas, & nous
laisser driver comme lesdites glaces, afin que quand nous les
aurions quelque peu esloignées nous remissions à la voile, pour
aller retrouver ledit banc, & faire comme auparavant, attendant
que la brume fut passée, pour pouvoir sortir le plus
promptement que nous pourrions. Nous fusmes ainsi tout le jour
jusques au lendemain matin, où nous mismes à la voille, allant
tantost d'un costé & d'autre, & n'allions en aucun endroit que
ne nous trouvassions enfermez en de grands bancs de glaces,
comme en des estangs qui sont en terre. Le soir apperceusmes un
vaisseau, qui estoit de l'autre costé d'un desdicts bancs de
glace, qui, je m'asseure, n'estoit point moins en soing que
nous, & fusmes quatre ou cinq jours en ce péril en extrêmes
peines, jusques à ce qu'à un matin jettans la veue de tous
costez nous n'apperceusmes aucun passage, sinon à un endroit où
235/383 l'on jugea que la glace n'estoit espoisse, & que facillement
nous la pourrions passer. Nous nous mismes en devoir & passames
par quantité de bourguignons, qui sont morceaux de glace
separez des grands bancs par la violance des vents. Estans
parvenus audit banc de glasse, les matelots commencèrent à
s'armer de grands avirons, & autres bois pour repousser les
bourguignons que pourrions rencontrer, & ainsi passasmes ledit
banc, qui ne fut pas sans bien aborder des morceaux de glace
qui ne firent nul bien à nostre vaisseau, toutesfois sans nous
faire dommage qui peust nous offencer. Estant hors nous
louasmes Dieu de nous avoir delivrez. Continuans nostre routte
le lendemain, nous en rencontrasmes d'autres, & nous
engageasmes de telle façon dedans, que nous nous trouvasmes
environés de tous costés, sinon par où nous estions venus, qui
fut occasion qu'il nous fallut retourner sur nos brisées pour
essayer de doubler la pointe du costé du Su: ce que ne peusmes
faire que le deuxiesme jour, passant par plusieurs petits
glaçons separez dudit grand banc, qui estoit par la hauteur de
44 degrez & demy, & singlasmes jusques au lendemain matin,
faisant le Norouest & Nor-nor-ouest, que nous rencontrasmes un
autre grand banc de glace, tant que nostre veue se pouvoit
estendre devers l'Est & l'Ouest, lequel quand l'on l'apperceut
l'on croioit que ce fut terre: car ledit banc estoit si uny que
l'on eust dit proprement que cela avoit esté ainsi fait exprés,
& avoit plus de dixhuit pieds de haut, & deux fois autant soubs
l'eau, & faisions estat de n'estre qu'à quelque quinze lieues
236/384 du cap Breton, qui estoit le vingtsixiesme jour dudit mois. Ces
rencontres de glaces si souvent nous apportoient beaucoup de
desplaisir: croyant aussi que le passage dudit cap Breton & cap
de Raye seroit fermé, & qu'il nous faudroit tenir la mer
longtemps devant que de trouver passage. Ne pouvans donc rien
faire nous fumes contraincts de nous remettre à la mer quelque
quatre ou cinq lieues pour doubler une autre pointe dudit grand
banc, qui nous demeuroit à l'Ouest-surouest, & après
retournâmes à l'autre bord au Norouest, pour doubler ladite
pointe, & singlasmes quelques sept lieues, & puis fismes le
Nor-norouest quelque trois lieues, où nous apperçusmes derechef
un autre banc de glace. La nuit s'approchoit, & la brume se
levoit, qui nous fit mettre à la mer pour passer le reste de la
nuit attendant le jour, pour retourner recognoistre lesdites
glaces. Le vintseptiesme jour dudit mois, nous advisasmes terre
à l'Ouest-norouest de nous, & ne vismes aucunes glaces qui nous
peuvent demeurer au Nor-nordest: Nous approchasmes de plus prés
pour la mieux recognoistre, & vismes que c'estoit Campseau, qui
nous fit porter au Nort pour aller à l'isle du cap Breton, nous
n'eusmes pas plustost fait deux lieues que rencontrasmes un
banc de glace qui fuioit au Nordest. La nuit venant nous fusmes
contraincts de nous mettre à la mer jusques au lendemain, que
fismes le Nordest, & rencontrasmes une autre glace qui nous
demeuroit à l'Est & Est-suest, & la costoyasmes, mettant le cap
au Nordest & au Nor plus de quinze lieux: En fin fusmes
contraincts de refaire l'Ouest, qui nous donna beaucoup de
desplaisir, voyant que ne pouvions trouver passage, & fusmes
237/385 contraincts de nous en retirer & retourner sur nos brisées: &
le mal pour nous que le calme nous prit de telle façon que la
houle nous pensa jetter sur la coste dudit banc de glace, &
fusmes prests de mettre nostre batteau hors, pour nous servir
au besoin. Quand nous nous fussions sauvez sur lesdites glaces
il ne nous eut servy que de nous faire languir, & mourir tous
miserables. Comme nous estions donc en deliberation de mettre
nostre dit batteau hors, une petite fraischeur se leva, qui
nous fit grand plaisir, & par ainsi évitasmes lesdites glaces.
Comme nous eusmes fait deux lieues, la nuit venoit avec une
brume fort espoisse, qui fut occasion que nous amenasmes pour
ne pouvoir voir: & aussi qu'il y avoit plusieurs grandes glaces
en nostre routte, que craignions abborder: & demeurasmes ainsi
toute la nuit jusques au lendemain vingtneufiesme jour dudit
mois, que la brume renforça de telle façon, qu'à peine pouvoit
on voir la longueur du vaisseau, & faisoit fort peu de vent:
neantmoins nous ne laissasmes de nous appareiller pour esviter
lesdites glaces: mais pensans nous desgager, nous nous y
trouvasmes si embarrassez, que nous ne sçavions de quel bort
amurer: & derechef fusmes contraints d'amener, & nous laisser
driver jusques à ce que lesdites glaces nous fissent
appareiller, & fismes cent bordées d'un costé & d'autre, &
pensasmes nous perdre par plusieurs fois: & le plus asseuré y
perdroit tout jugement, ce qu'eust aussi bien fait le plus
grand astrologue du monde. Ce qui nous donnoit du desplaisir
d'avantage, c'estoit le peu de veue, & la nuit qui venoit, &
238/386 n'avions refuite d'un quart de lieue sans trouver banc ou
glaces, & quantité de bourguignons, que le moindre eust esté
suffisant de faire perdre quelque vaisseau que ce fust. Or
comme nous estions tousjours costoyans au tour des glaces, il
s'esleva un vent si impétueux qu'en peu de temps il separa la
brume, & fit faire veue, & en moins d'un rien rendit l'air
clair, & beau soleil. Regardant au tour de nous, nous nous
vismes enfermez dedans un petit estang, qui ne contenoit pas
lieue & demie en rondeur, & apperçeusmes l'isle dudit cap
Breton, qui nous demeuroit au Nort, presque à quatre lieues, &
jugeasmes que le partage estoit encore fermé jusques audit cap
Breton. Nous apperçeusmes aussi un petit banc de glace au
derrière de nostre dit vaisseau, & la grand mer qui paroissoit
au delà, qui nous fit prendre resolution de passer
par dessus ledit banc, qui estoit rompu: ce que nous fismes
dextrement sans offencer nostredit vaisseau, & nous nous mismes
à la mer toute la nuit, & fismes le Suest desdites glaces. Et
comme nous jugeasmes que nous pouvions doubler ledit banc de
glace, nous fismes l'est-nordest quelques quinze lieues, &
apperçeusmes seulement une petite glace, & la nuit amenasmes
jusques au lendemain, que nous apperçeusmes un autre banc de
glace au Nord de nous, qui continuoit tant que nostre veue se
pouvoit estendre, & avions drivé à demy lieue prés, & mismes
les voiles haut, cottoyant tousjours ladite glace pour en
trouver l'extrémité. Ainsi que nous singlions nous avisasmes un
vaisseau le premier jour de May qui estoit parmy les glaces,
qui avoit bien eu de la peine d'en sortir aussi bien que nous,
239/387 & mismes vent devant pour attendre ledit vaisseau qui faisoit
large sur nous, d'autant que desirons sçavoir s'il n'avoit
point veu d'autres glaces. Quand il fut proche, nous
apperçeusmes que c'estoit le fils du sieur de Poitrincourt qui
alloit trouver son père qui estoit à l'habitation du port
Royal; & y avoit trois mois qu'il estoit party de France (je
crois que ce ne fut pas sans beaucoup de peine) & s'ils [292]
estoient encore à prés de cent quarante lieues dudit port
Royal, bien à l'escart de leur routte. Nous leur dismes que
nous avions eu cognoissance des isles de Campseau, qui à mon
opinion les asseura beaucoup, d'autant qu'ils n'avoient point
encore eu cognoissance d'aucune terre, & s'en alloient donner
droit entre le cap S. Laurens, & cap de Raye, par où ils
n'eussent pas trouvé ledit port Royal, si ce n'eust esté en
traversant les terres. Après avoir quelque peu parlé ensemble,
nous nous departismes chacun suivant sa routte. Le lendemain
nous eusmes cognoissance des isles sainct Pierre, sans trouver
glace aucune: & continuant nostre routte, le lendemain
troisiesme jour du mois eusmes cognoissance du cap de Raye,
sans aussi trouver glaces. Le quatriesme dudit mois eusmes
cognoissance de l'isle sainct Paul, & cap sainct Laurens; &
estions à quelques huit lieues au Nord dudit cap S. Laurens. Le
lendemain eusmes cognoissance de Gaspé. Le septiesme jour dudit
mois fusmes contrariez du vent de Norouest, qui nous fit driver
prés de trente cinq lieues de chemin, puis le vent se vint à
calmer, & en beauture, qui nous fut favorable jusques à
Tadoussac, qui fut le tresiesme jour dudit mois de May, où nous
240/388 fismes tirer un coup de canon pour advertir les sauvages, afin
de sçavoir des nouvelles des gens de nostre habitation de
Quebecq. Tout le pays estoit encore presque couvert de neige.
Il vint à nous quelques canots, qui nous dirent qu'il y avoit
une de nos pattaches qui estoit au port il y avoit un mois, &
trois vaisseaux qui y estoient arrivez depuis huit jours. Nous
mismes nostre batteau hors, & fusmes trouver lesdicts sauvages,
qui estoient assez miserables, & n'avoient à traicter que pour
avoir seulement des rafraichissemens, qui estoit fort peu de
chose: encore voulurent ils attendre qu'il vint plusieurs
vaisseaux ensemble, afin d'avoir meilleur marché des
marchandises: & par ainsi ceux s'abusent qui pensent faire
leurs affaires pour arriver des premiers: car ces peuples sont
maintenant trop fins & subtils.
[Note 292: _Et si_, pour _et cependant_.]
Le dixseptiesme jour dudit mois je partis de Tadoussac pour
aller au grand saut trouver les sauvages Algoumequins & autres
nations qui m'avoient promis l'année précédente de s'y trouver
avec mon garçon que je leur avois baillé, pour apprendre de luy
ce qu'il auroit veu en son yvernement dans les terres. Ceux qui
estoient dans ledit port, qui se doutoient bien, où je devois
aller, suivant les promesses que j'avois faites aux sauvages,
comme j'ay dit cy dessus, commencèrent à faire bastir plusieurs
petites barques pour me suivre le plus promptement qu'ils
pouroient: Et plusieurs, à ce que j'appris devant que partir de
France, firent equipper des navires & pattaches sur
l'entreprise de nostre voyage, pensant en revenir riches comme
d'un voyage des Indes.
241/389 Le Pont demeura audit Tadoussac sur l'esperance que s'il n'y
faisoit rien, de prendre une pattache, & me venir trouver au
dit saut. Entre Tadoussac & Quebecq nostre barque faisoit grand
eau, qui me contraignit de retarder à Quebecq pour l'estancher,
qui fut le 21e jour de May.
_Descente à Quebecq pour faire racommoder la barque, Partement
dudit Quebecq pour aller au saut trouver les sauvages &
recognoistre un lieu propre pour une habitation._
CHAPITRE II.
Estans à terre je trouvay le sieur du Parc qui avoit yverné en
ladite habitation, & tous ses compagnons, qui se portoient fort
bien, sans avoir eu aucune maladie. La chasse & gibier ne leur
manqua aucunement en tout leur yvernement, à ce qu'ils me
dirent. Je trouvay le Capitaine sauvage appelé Batiscan &
quelques Algoumequins, qui disoient m'attendre, ne voulant
retourner à Tadoussac qu'ils ne m'eussent veu. Je leur fis
quelque proposition de mener un de nos gens aux trois rivieres
pour les recognoistre, & ne peu obtenir aucune chose d'eux pour
ceste année, me remettant à l'autre: neantmoins je ne laissay
de m'informer particulièrement de l'origine & des peuples qui y
habitent: ce qu'ils me dirent exactement. Je leur demanday un
de leurs canots, mais ils ne s'en voulurent desfaire en aucune
façon que ce fut pour la necessité qu'ils en avoient: car
j'estois délibéré d'envoyer deux ou trois hommes descouvrir
dedans lesdites trois rivieres voir ce qu'il y auroit: ce que
242/390 je ne peu faire, à mon grand regret, remettant la partie à la
première occasion qui se presenteroit.
Je fis cependant diligeance de faire accommoder nostredicte
barque. Et comme elle fut preste, un jeune homme de la Rochelle
appelé Trefart, me pria que je luy permisse de me faire
compagnie audit saut, ce que je luy refusay, disant que j'avois
des dessins particuliers, & que je ne desirois estre conducteur
de personne à mon prejudice, & qu'il y avoit d'autres
compaignies que la mienne pour lors, & que je ne desirois
ouvrir le chemin & servir de guide, & qu'il le trouveroit assés
aisement sans moy. Ce mesme jour je partis de Quebecq, &
arrivay audit grand saut le vingthuictiesme de May, où je ne
trouvay aucun des sauvages qui m'avoient promis d'y estre au
vingtiessme dudit mois. Aussitost je fus dans un meschant canot
avec le sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens.
Après avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois que
le long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la
scituation d'une habitation, & y préparer une place pour y
bastir, je fis quelques huit lieues par terre cottoyant le
grand saut par des bois qui sont assez clairs, & fus jusques à
un lac[293], où nostre sauvage me mena; où je consideray fort
particulièrement le pays; Mais en tout ce que je vy, je n'en
trouvay point de lieu plus propre qu'un petit endroit, qui est
jusques où les barques & chalouppes peuvent monter aisement:
neantmoins avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand
courant d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la
243/391 place Royalle) à une lieue du mont Royal, y a quantité de
petits rochers & basses, qui sont fort dangereuses. Et proches
de ladite place Royalle y a une petite riviere[294] qui va
assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a
plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où
l'on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages.
Autresfois des sauvages[295] y ont labouré, mais ils les ont
quitées pour les guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a
aussi grande quantité d'autres belles prairies pour nourrir tel
nombre de bestail que l'on voudra: & de toutes les sortes de
bois qu'avons en nos forests de pardeça: avec quantité de
244/392 vignes, noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui
sont très-bonnes à manger, entre autres une qui est fort
excellente, qui a le goût sucrain, tirans à celuy des
plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que
neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des
arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y
est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en
France, & de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont
très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux aussi de
diferentes especes: & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls,
Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres
petites bestes qui y sont en telle quantité, que durant que
nous fusmes audit saut, nous n'en manquasmes aucunement.
[Note 293: Le lac des Deux-Montagnes.]
[Note 294: La petite rivière Saint-Pierre.]
[Note 295: Les sauvages qui avaient cultivé ces terres étaient
évidemment ceux que Cartier y avait trouvés en 1535, dans sa visite à
Hochelaga et au Mont-Royal. «Commençasmes, dit-il, à trouver les terres
labourées, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre,
qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent
ainsi comme nous faisons de fourment; & au parmy d'icelles champaignes
est située la ville de Hochelaga, prés & joignant une montaigne qui est
à l'entour d'icelle, labourée & fort fertile.» (Second Voyage, fol. 23
_b_.) Or, selon toutes les apparences, les habitants d'Hochelaga étaient
les mêmes que ceux auxquels plus tard on a donné le nom d'Iroquois.
D'abord ils étaient sédentaires; ce qui était propre à la grande famille
huronne-iroquoise; leurs villages, leurs cabanes avaient absolument la
disposition et la forme qu'ont toujours eu les villages et les cabanes
des Hurons et des Iroquois; tous les mots qui nous ont été conservés de
leur langue par les relations de Cartier, se retrouvent encore dans la
langue iroquoise; enfin les traditions qu'ont pu recueillir les
missionnaires et les premiers voyageurs, attestent que les environs de
Montréal et même de Québec étaient le pays des Iroquois. Nicolas Perrot,
si bien instruit des traditions et de l'histoire des sauvages, dit que
«le pays des Iroquois estoit autrefois le Montréal & les Trois
Rivieres,» et qu'ils s'en éloignèrent par suite d'un démêlé survenu
entre eux et les Algonquins (Mémoire de Nicolas Perrot, édit. du P.
Tailhan, p. 9); ce qui, explique pourquoi ceux-ci revendiquaient aussi
l'île de Montréal comme le pays de leurs ancêtres (Relations 1642, p.
38, et 1646, p. 34, édit. 1858). Le témoignage du P. Lafitau confirme
encore celui de Perrot: «Les Iroquois Agniers, dit-il, assurent qu'ils
errèrent longtemps sous la conduite d'une femme nommée Gaihonariosk;
cette femme les promena dans tout le nord de l'Amérique, & les fit
passer au lieu où est située maintenant la ville de Québec... C'est ce
que les Agniés racontent de leur origine.» (Moeurs des sauvages, t. I,
p. 101, 102.) Ce qu'il paraît y avoir de plus vraisemblable, c'est que
les iroquois ou hurons de Hochelaga furent d'abord contraints de laisser
leur pays aux Algonquins, qui alors avaient l'avantage sur eux; mais
qu'ensuite les Iroquois, s'étant aguerris, finirent par en chasser les
Algonquins, sans toutefois y revenir eux-mêmes, parce que leur nouveau
pays leur offrait autant d'avantages et plus de sécurité. (Voir Histoire
de la colonie française en Canada, t. I, p. 524 et s.)]
Ayant donc recogneu fort particulièrement & trouvé ce lieu un
des plus beaux qui fut en ceste riviere, je fis aussitost
coupper & deffricher le bois de ladite place Royalle[296] pour
la rendre unie, & preste à y bastir, & peut on faire passer
l'eau au tour aisement, & en faire une petite isle, & s'y
establir comme l'on voudra.
[Note 296: Cette place Royale que Champlain fit défricher, était sur la
pointe à laquelle on donna depuis le nom de Callières. (Voir la lettre A
de la carte du saut Saint-Louis.)]
Il y a un petit islet à quelque 20 thoises de ladite place
Royalle, qui a quelques cent pas de long, où l'on peut faire
une bonne & forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies
de très-bonne terre grasse à potier, tant pour bricque que pour
bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une
partie & y fis une mouraille de quatre pieds d'espoisseur & 3 à
245/393 4 de haut, & 10 toises de long pour voir comme elle se
conserveroit durant l'yver quand les eaux descenderoient, qui à
mon opinion ne sçauroit parvenir jusques à lad. muraille,
d'autant que le terroir est de douze pieds eslevé dessus ladite
riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une isle
d'environ trois quarts de lieues de circuit, capable d'y bastir
une bonne & forte ville, & l'avons nommée l'isle de saincte
Elaine[297]. Ce saut descend en manière de lac, où il y a deux
ou trois isles & de belles prairies.
[Note 297: L'auteur paraît avoir nommé ainsi cette île à l'occasion du
mariage qu'il venait de contracter, un peu avant son départ de France,
avec Demoiselle Hélène Boullé, fille de Nicolas Boullé, secrétaire de la
chambre du roi.]
Le premier jour de Juin le Pont arriva audit saut, qui n'avoit
rien sceu faire à Tadoussac; & bonne compagnie le suivirent &
vindrent après luy pour y aller au butin, car sans ceste
esperance ils estoient bien de l'arriére.
Or attendant les sauvages, je fis faire deux jardins, l'un dans
les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le
deuxiesme jour de juin j'y semay quelques graines, qui
sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui
demonstre la bonté de la terre.
Nous resolusmes d'envoyer Savignon nostre sauvage avec un
autre, pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les
faire haster de venir, & se délibèrent d'aller dans nostre
canot, qu'ils doubtoient, d'autant qu'il ne valoit pas
beaucoup.
Ils partirent le cinquiesme jour dudit mois. Le lendemain
arriva quatre ou cinq barques (c'estoit pour nous faire
escorte) d'autant qu'ils ne pouvoient rien faire audit
Tadoussac.
Le septiesme jour je fus recognoistre une petite riviere par où
246/394 vont quelques fois les sauvages à la guerre, qui se va rendre
au saut de la riviere des Yroquois[298]: elle est fort
plaisante, y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies,
& force terres, qui se peuvent labourer: elle est à une lieue
du grand saut, & lieu & demie de la place Royalle.
[Note 298: En remontant la rivière Saint-Lambert, et en suivant celle de
Montréal, on arrive effectivement au bassin de Chambly, c'est-à-dire, au
pied du saut de la rivière des Iroquois.]
Le neufiesme jour nostre sauvage arriva, qui fut quelque peu
pardela le lac qui a quelque dix lieues de long, lequel j'avois
veu auparavant[299], où il ne fit rencontre d'aucune chose, &
ne purent passer plus loin à cause de leur dit canot qui leur
manqua; & furent contraints de s'en revenir. Ils nous
rapportèrent que passant le saut ils virent une isle où il y
avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout
couvert. Il y eust un jeune homme qui estoit au sieur de Mons
appelé Louys, qui estoit fort amateur de la chasse, lequel
entendant cela, voulut y aller contenter sa curiosité, & pria
fort instamment nostredit sauvage de l'y mener: ce que le
sauvage luy accorda avec un Capitaine sauvage Montagnet fort
gentil personnage, appelé Outetoucos. Dés le matin led. Louys
fut appeler les deux sauvages pour s'en aller à ladite isle des
hérons. Ils s'embarquèrent dans un canot & y furent. Ceste isle
est au milieu du saut[300], où ils prirent telle quantité de
heronneaux & autres oyseaux qu'ils voulurent, & se
247/395 rembarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de
l'autre sauvage & de l'instance qu'il peut faire voulut passer
par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de trois
pieds de haut, disant que d'autresfois il y avoit passé, ce qui
estoit faux, il fut long temps à debatre contre nostre sauvage
qui le voulut mener du costé du Su le long de la grand
Tibie[301], par où le plus souvent ils ont accoustumé de
passer, ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit
point de danger. Comme nostre sauvage le vit opiniastre, il
condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins
on deschargeast le canot d'une partie des oyseaux qui estoient
dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou
qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce
qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils
voyoient qu'il y eut du péril pour eux. Ils se laisserent donc
driver dans le courant. Et comme ils furent dans la cheute du
saut, ils en voulurent sortir & jetter leurs charges, mais il
n'estoit plus temps, car la vitesse de l'eau les maistrisoit
ainsi qu'elle vouloit, & emplirent aussitost dans les boullons
du saut, qui leur faisoient faire mille tours haut & bas. Ils
ne l'abandonnèrent de long temps: Enfin la roideur de l'eau les
lassa de telle façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit nager
en aucune façon perdit tout jugement & le canot estant au fonds
de l'eau il fut contraint de l'abandonner: & revenant au haut
les deux autres qui le tenoient tousjours ne virent plus nostre
248/396 Louys, & ainsi mourut miserablement[302]. Les deux autres
tenoient tousjours ledit canot: mais comme ils furent hors du
saut, ledit Outetoucos estant nud, & se fiant en son nager,
l'abandonna, pensant gaigner la terre, bien que l'eau y courust
encore de grande vitesse, & se noya: car il estoit si fatigué &
rompu de la peine qu'il avoit eue, qu'il estoit impossible
qu'il se peust sauver ayant abandonné le canot, que nostre
sauvage Savignon mieux advisé tint tousjours fermement, jusques
à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant l'avoit porté, &
sceut si bien faire, quelque peine & fatigue qu'il eut eue,
qu'il vint tout doucement à terre, où estant arrivé il jetta
l'eau du canot, & s'en revint avec grande apprehention qu'on ne
se vangeast sur luy, comme ils font entre eux, & nous conta ces
tristes nouvelles, qui nous apportèrent du desplaisir.
[Note 299: Le lac des Deux-Montagnes. (_Conf_. p. 242, ci-dessus.)]
[Note 300: Cette expression _au milieu du saut_ tranche une difficulté
qui se rencontre dans la carte du Saut St. Louis, où manque la lettre Q,
tandis que la lettre P s'y trouve deux fois: l'île aux Hérons est celle
qui y est marquée R, et l'île au Diable, située au sud-ouest de la
première, devrait porter la lettre R. Nous regrettons d'être, sur ce
point, en désaccord avec l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française
en Canada_; mais nous avons du moins la consolation d'être d'accord avec
la tradition.]
[Note 301: La _grand Tibie_ n'est rien autre chose que la grand Terre.
C'est une faute typographique, que l'auteur a corrigée lui-même dans
l'édition de 1632.]
[Note 302: C'est sans doute en mémoire de la mort de ce jeune Louis, que
l'on donna au Grand-Saut le nom de Saint-Louis, qu'il a toujours porté
depuis.]
396a
[Illustration: Le grand saut St Louis]
A Petite place que je fis deffricher.
B Petit estang.
G Petit islet où je fis faire une muraille de pierre.
D Petit ruisseau où se tiennent les barques.
E Prairies où se mettent les sauvages quand ils viennent en ce pays.
F Montaignes qui paroissent dans les terres.
G Petit estang.
H (1) Mont Royal.
I Petit ruisseau.
L Le saut.
M Le lieu où les sauvages passent leurs canots, par terre du costé du
Nort.
N Endroit où un de nos gens & un sauvage se noyèrent.
O Petit islet de rochers.
P (2) Autre islet où les oyseaux font leurs nids.
Q (3) L'isle aux hérons.
R (4) Autre isle dans le saut.
S Petit islet.
T Petit islet rond.
V Autre islet demy couvert d'eau.
X (5) Autre islet ou il y a force oyseaux de riviere.
Y Prairies.
Z Petite riviere.
2 (6) Isles assez grandes & belles.
3 Lieux qui descouvrent quand le eaux baissent, où il se fait grands
bouillonnements, comme aussi fait audit saut.
4 Prairies plaines d'eaux.
5 Lieux fort bas & peu de fonds
6 Autre petit islet.
7 Petis rochers.
8 Isle sainct Helaine.
9 Petit islet desgarny d'arbres.
oo Marescages qui s'escoulent dan le grand saut.
(1) La lettre H se trouve en double; l'une sur la montagne, et c'est là
sa place; l'autre au bas de 1 îlot Normandie. Cette dernière n'est
probablement que le chiffre 11, dont le graveur aura fait une lettre.
(2) La lettre P est en double. Evidemment, cet autre islet est entre N
et 0. (3) La lettre Q ne se trouve pas dans la carte. C'est la lettre H
qui est à sa place (voir note 3 de la page 246). (4) Cette lettre
devrait être à la place de celui des deux F qui désigne l'île au Diable,
c'est-à dire, cette _autre île dans le saut_ qui est au sud-ouest de
l'île aux Hérons. (5) _x_ dans la carte. (6) Ce chiffre 2 se trouve
tellement placé auprès de l'île Saint-Paul, qu'on le prendrait pour la
lettre N.
Le lendemain [303] je fus dans un autre canot audit saut avec
le sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils
s'estoient perdus: & aussi si nous trouverions les corps, &
vous asseure que quand il me monstra le lieu les cheveux me
herisserent en la teste, de voir ce lieu si espouvantable, &
m'estonnois comme les deffuncts avoient esté si hors de
jugement de passer un lieu si effroiable, pouvant aller par
ailleurs: car il est impossible d'y passer pour avoir sept à
huit cheutes d'eau qui descendent de degré en degré, le moindre
de trois pieds de haut, où il se faisoit un train &
bouillonnement estrange, & une partie dudit saut estoit toute
blanche d'escume, qui montroit le lieu le plus effroyable, avec
249/397 un bruit si grand que l'on eut dit que c'estoit un tonnerre,
comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Après
avoir veu & consideré particulièrement ce lieu & cherché le
long du rivage lesdicts corps, cependant qu'une chalouppe assez
légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes
sans rien trouver.
[Note 303: Le 11 de juin. Nos trois chasseurs étaient partis le 10 au
matin, et vraisemblablement l'accident arriva le même jour.]
_Deux cens sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
baillé, & remmenerent leur sauvage qui estoit retourné, de
France. Plusieurs discours de part & d'autre._
CHAPITRE III.
LE treisiesme jour dudit mois[304] deux cens sauvages
Charioquois[305], avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet &
Tregouaroti frère de nostre sauvage amenèrent mon garçon. Nous
fusmes fort contens de les voir, je fus au devant d'eux avec un
canot & nostre sauvage, & cependant qu'ils approchoient
doucement en ordre, les nostres s'apareillerent de leur faire
une escopeterie d'arquebuses & mousquets, & quelques petites
pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous
ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où
ils nous louoient fort, & nous tenant pour véritables, de ce
que je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les
venir trouver audit saut. Après avoir fait trois autres cris,
250/398 l'escopeterie tira par deux fois de 13 barques ou pattaches qui
y estoient, qui les estonna de telle façon qu'ils me prièrent
de dire que l'on ne tirast plus, & qu'il y en avoit la plus
grand part, qui n'avoient jamais veu de Chrestiens, ny ouy des
tonnerres de la façon, & craignoient qu'il ne leur fit mal, &
furent fort contans de voir nostredit sauvage sain, qu'ils
pensoient mort, sur des rapports que leur avoient fait quelques
Algoumequins qui l'avoient ouy dire à des sauvages Montagnets.
Le sauvage me loua du traictement que je luy avois fait en
France, & des singularitez qu'il avoit veues, dont ils
entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le
bois assez légèrement attendant le lendemain, que je leur
monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logassent. Aussi je
vis mon garçon qui vint habillé à la sauvage, qui se loua du
traistement des sauvages, selon leur pays, & me fit entendre
tout ce qu'il avoit veu en son yvernement, & ce qu'il avoit
apris desdicts sauvages.
[Note 304: Le 13 de juin.]
[Note 305: Ce nom, que l'auteur remplace par celui de Hurons, dans son
édition de 1632, était probablement celui d'un chef de cette nation, de
même que celui d'Ochateguins.]
Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner,
où les antiens & principaux deviserent fort ensemble: Et après
avoir esté un long temps en cest estat, ils me firent appeler
seul avec mon garçon, qui avoit fort bien apris leur langue, &
luy dirent qu'ils desiroient faire une estroite amitié avec
moy, & estoient faschez de voir toutes ces chalouppes ensemble,
& que nostre sauvage leur avoit dit qu'il ne les cognoissoit
point, ny ce qu'ils avoient dans l'âme, & qu'ils voyoient bien
qu'il n'y avoit que le gain & l'avarice qui les y amenoit, &
que quand ils auroient besoin de leur assistance qu'ils ne leur
251/399 donneroient aucun secours, & ne seroient comme moy qui
m'offrois avec mes compagnons d'aller env leur pays, & les
assister, & que je leur en avois monstré des tesmoignages par
le passé, en se louant tousjours du traictement que j'avois
fait à nostre sauvage comme à mon frère, & que cela les
oubligeoit tellement à me vouloir du bien, que tout ce que je
desirerois d'eux, ils assayeroient à me satisfaire, &
craignoient que les autres pattaches ne leur fissent du
desplaisir. Je leur asseuray que non feroient, & que nous
estions tous soubs un Roy, que nostredit sauvage avoit veu, &
d'une mesme nation, (mais pour ce qui estoit des affaires,
qu'elles estoient particulières) & ne devoient point avoir
peur, estant aussi asseurez comme s'ils eussent esté dans leur
pays. Après plusieurs discours, ils me firent un present de 100
castors. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de
marchandise, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 sauvages qui
devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardés, fut
un prisonnier Yroquois qui estoit à moy, qui s'estoit eschappé
& s'en estoit allé en son pays, & qu'il avoit donné à entendre
que je luy avois donné liberté & des marchandises, & que je
devois aller audit saut avec 600 Yroquois attendre les
Algoumequins, & les tuer tous: Que la crainte de ces nouvelles
les avoit arrestés, & que sans cela qu'ils fussent venus. Je
leur fis response que le prisonnier s'estoit desrobé sans que
je luy eusse donné congé, & que nostredit sauvage sçavoit bien
de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y avoit aucune
apparence de laisser leur amitié comme ils avoient ouy dire,
ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon garçon en leur
252/400 pays pour entretenir leur amitié; & que la promesse que je leur
avois si fidèlement tenue le confirmoit encore. Ils me
respondirent que pour eux ils ne l'avoient aussi jamais pensé,
& qu'ils recognoissoient bien que tous ces discours estoient
esloignez de la vérité; & que s'ils eussent creu autrement,
qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les autres qui
avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de François que mon
garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit trois cens
Algoumequins dans cinq ou six jours, si on les vouloit
attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les Yroquois,
& que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans la faire.
Je les entretins fort sur le subjet de la source de la grande
riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort
particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, & terres, que
des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre
d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort
esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des
guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils
me dirent aussi que l'yver précédant il estoit venu quelques
sauvages du costé de la Floride par derrière le pays des
Yroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec
lesdicts sauvages: Enfin ils m'en discoururent fort exactement,
me demonstrant par figures tous les lieux où ils avoient esté,
prenant plaisir à m'en discourir: & moy je ne m'ennuiois pas à
les entendre, pour estre fait certain des choses dont j'avois
esté en doute jusques à ce qu'ils m'en eurent esclarcis. Après
tous ces discours finis, je leur dis qu'ils traictassent ce peu
253/401 de commodités qu'ils avoient, ce qu'ils firent le lendemain,
dont chacune des barques emporta sa pièce: nous toute la peine
& advanture, les autres qui ne se soucioient d'aucunes
descouvertures, la proye, qui est la seule cause qui les meut,
sans rien employer ny hazarder.
Le lendemain après avoir traité tout ce qu'ils avoient, qui
estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de leur
logement du costé du bois, & en partie du costé de nos
pattaches, & disoient que c'estoit pour leur seureté, afin
d'esviter la surprinse de leurs ennemis: ce que nous prismes
pour argent content. La nuit venue ils appellerent nostre
sauvage qui couchoit à ma pattache, & mon garçon, qui les
furent trouver: Après avoir tenu plusieurs discours, ils me
firent aussi appeler environ sur la minuit. Estant en leurs
cabannes, je les trouvay tous assis en conseil, où ils me
firent assoir prés d'eux, disans que leur coustume estoit que
quand ils vouloient s'assembler pour proposer quelque chose,
qu'ils le faisoient la nuit, afin de n'estre divertis par
l'aspect d'aucune chose, & que l'on ne pensoit qu'à escouter, &
que le jour divertissoit l'esprit par les objects: mais à mon
opinion ils me vouloient dire leur volonté en cachette, se
fians en moy. Et d'ailleurs ils craignoient les autres
pattaches, comme ils me donnèrent à entendre depuis. Car ils me
dirent qu'ils estoient faschez de voir tant de François, qui
n'estoient pas bien unis ensemble, & qu'ils eussent bien desiré
me voir seul: Que quelques uns d'entre eux avoient esté battuz:
Qu'ils me vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayant
telle fiance en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient,
254/402 mais qu'ils se mesfioient fort des autres: Que si je
retournois, que j'amenasse telle quantité de gens que je
voudrois, pourveu qu'ils fussent soubs la conduite d'un chef: &
qu'ils m'envoyoient quérir pour m'asseurer d'avantage de leur
amitié, qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point
faché contre eux: & que sçachans que j'avois pris deliberation
de voir leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs
vies, m'assistant d'un bon nombre d'hommes qui pourroient
passer par tout. Et qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux
comme ils faisoient de nous. Aussitost ils firent venir 50
castors & 4 carquans de leurs porcelaines (qu'ils estiment
entre eux comme nous faisons les chaisnes d'or) & que j'en
fisse participant mon frère (ils entendoient Pont-gravé
d'autant que nous estions ensemble) & que ces presens estoient
d'autres Capitaines qui ne m'avoient jamais veu, qui me les
envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis:
mais que s'il y avoit quelques François qui voulussent aller
avec eux, qu'ils en eussent esté fort contens, & plus que
jamais, pour entretenir une ferme amitié. Après plusieurs
discours faits, je leur proposay, Qu'ayant la volonté de me
faire voir leur pays, que je supplirois sa Majesté de nous
assister jusques à 40 ou 30 hommes armez de choses necessaires
pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la
charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin
pour nostre vivre durant ledit voyage, & que je leur
apporterois dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans
les pays par où nous passerions, puis nous nous en reviendrions
255/403 yverner en nostre habitation: & que si je recognoissois le pays
bon & fertile, l'on y feroit plusieurs habitations; & que par
ce moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans
heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur
feroit cognoistre. Ils furent fort contens de ceste
proposition, & me prièrent d'y tenir la main, disans qu'ils
feroient de leur part tout ce qu'il leur seroit possible pour
en venir au bout: & que pour ce qui estoit des vivres, nous
n'en manquerions non plus que eux mesmes, m'asseurans de
rechef, de me faire voir ce que je desirois: & la dessus je
pris congé d'eux au point du jour, en les remerciant de la
volonté qu'ils avoient de favoriser mon desir, les priant de
tousjours continuer.
Le lendemain 17e jour dud. mois ils dirent qu'ils s'en alloient
à la chasse des castors, & qu'ils retourneroient tous. Le matin
venu ils acheverent de traicter ce peu qu'il leur restoit, &
puis s'embarquèrent en leurs canots, nous prians de ne toucher
à leurs logements pour les deffaire, ce que nous leur
promismes: & se separerent les uns des autres, faignant aller
chasser en plusieurs endroits, & laisserent nostre sauvage avec
moy pour nous donner moins de mesfience d'eux: & neantmoins ils
s'estoient donnez le randez-vous par de là le saut, où ils
jugeoient bien que nous ne pourrions aller avec nos barques:
cependant nous les attandions comme ils nous avoient dit.
Le lendemain il vint deux sauvages, l'un estoit Yroquet, &
l'autre le frère de nostre Savignon, qui le venoient requérir,
& me prier de la part de tous leurs compagnons que j'allasse
256/404 seul avec mon garçon, où ils estoient cabannez, pour me dire
quelque chose de consequence, qu'ils ne desiroient communiquer
devant aucuns François: le leur promis d'y aller.
Le jour venu je donnay quelques bagatelles à Sauvignon qui
partit fort content, me faisant entendre qu'il s'en alloit
prendre une vie bien pénible aux prix de celle qu'il avoit eue
en France; & ainsi se separa avec grand regret, & moy bien aise
d'en estre deschargé. Les deux Capitaines me dirent que le
lendemain au matin ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent.
Je m'enbarquay & mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au
saut, nous fusmes dans le bois quelques huit lieues, où ils
estoient cabannez sur le bort d'un lac, où j'avois esté
auparavant. Comme ils me virent ils furent fort contens, &
commencèrent à s'escrier selon leur coustume, & nostre sauvage
s'en vint audevant de moy me prier d'aller en la cabanne de son
frère, où aussi tost il fit mettre de la cher & du poisson sur
le feu, pour me festoyer. Durant que je fus là il se fit un
festin, où tous les principaux furent invitez: je n'y fus
oubligé[306], bien que j'eusse desja pris ma refection
honnestement, mais pour ne rompre la coustume du pays j'y fus.
Après avoir repeu, ils s'en allèrent dans les bois, tenir leur
Conseil, & cependant je m'amusay à contempler le paisage de ce
lieu, qui est fort aggreable. Quelque temps après ils
m'envoyerent appeler pour me communiquer ce qu'ils avoient
resolu entre eux. J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès
d'eux ils me dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, &
257/405 n'avoir point manqué à ma parolle de ce que je leur avois
promis, & qu'ils recognoissoient de plus en plus mon affection,
qui estoit à leur continuer mon amitié, & que devant que
partir, ils desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent
eu trop de desplaisir s'ils s'en fussent allez sans me voir,
croyant qu'autrement je leur eusse voulu du mal: & que ce qui
leur avoit faict dire qu'ils alloient à la chasse, & la
barricade qu'ils avoient faite, ce n'estoit la crainte de
leurs ennemis, ny le desir de la chasse, mais la crainte qu'ils
avoient de toutes les autres pattaches qui estoient avec moy à
cause qu'ils avoient ouy dire que la nuit qu'ils m'envoyerent
appeler qu'on les devoit tous tuer, & que je ne les pourrois
deffendre contre les autres, estans beaucoup plus que moy, &
que pour se desrober, ils userent de ceste finesse: mais que
s'il n'y eust eu que nos deux pattaches qu'ils eussent tardé
quelques jours d'avantage qu'ils n'avoient fait; & me prièrent
que revenant avec mes compagnons je n'en amenasse point
d'autres. Je leur dis que je ne les amenois pas, ains qu'ils me
suivoient sans leur dire, & qu'à l'advenir j'yrois d'autre
façon que je n'avois fait, laquelle je leur declaray, dont ils
furent fort contens.
[Note 306: Oublié.]
Et derechef ils me commencèrent à reciter ce qu'ils m'avoient
promis touchant les descouvertures des terres, & moy je leur
fis promesse d'accomplir, moyennant la grâce de Dieu, ce que je
leur avois dit. Ils me prièrent encore de rechef de leur donner
un homme: je leur dis que s'il y en avoit parmy nous qui y
voulussent aller que j'en serois fort content.
258/406 Ils me dirent qu'il y avoit un marchand appelé Bouvier qui
commandoit en une pattache, qui les avoit priés d'emmener un
jeune garçon, ce qu'ils ne luy avoient voulu accorder
qu'auparavant ils n'eussent sçeu de moy si j'en estois content,
ne sçachant si nous estions amis, d'autant qu'il estoit venu en
ma compagnie traicter avec eux; & qu'ils ne luy avoient point
d'obligation en aucune façon: mais qu'il s'offroit de leur
faire de grands presens.
Je leur fis response que nous n'estions point ennemis, & qu'ils
nous avoient veu converser souvent ensemble: mais pour ce qui
estoit du trafic, chacun faisoit ce qu'il pouvoit, & que ledit
Bouyer peut estre desiroit envoyer ce garçon, comme l'avois
fait le mien pensant esperer à l'advenir, ce que je pouvois
aussi prétendre d'eux: Toutesfois qu'ils avoient à juger auquel
ils avoient le plus d'obligation, & de qui ils devoient plus
esperer.
Ils me dirent qu'il n'y avoit point de comparaison des
obligations de l'un à l'autre, tant des assistances que je leur
avois faites en leurs guerres contre leurs ennemis, que de
l'offre que je leur faisois de ma personne pour l'advenir, où
tousjours ils m'avoient trouvé véritable, & que le tout
despendoit de ma volonté: & que ce qui leur en faisoit parler
estoit lesdicts presens qu'il leur avoit offert: & que quand
bien ledit garçon iroit avec eux, que cela ne les pouvoit
obliger envers ledit Bouvier comme ils estoient envers moy, &
que cela n'importeroit de rien à l'advenir, veu que ce n'estoit
que pour avoir lesdicts presens dudit Bouvier.
Je leur fis response qu'il m'estoit indifferent qu'ils le
259/407 prinssent ou non, & qu'à la vérité s'ils le prenoient avec peu
de chose, que j'en serois fasché, mais en leur faisant de bons
presens que j'en serois content, pourveu qu'il demourast avec
Yroquet: ce qu'ils me promirent. Et après m'avoir fait entendre
leur volonté pour la dernière fois, & moy à eux la mienne, il y
eut un sauvage qui avoit esté prisonnier par trois fois des
Yroquois, & s'estoit sauvé fort heureusement, qui resolut
d'aller à la guerre luy dixiesme, pour se venger des cruautez
que ses ennemis luy avoient fait souffrir. Tous les Capitaines
me prièrent de l'en destourner si je pouvois d'autant qu'il
estoit fort vaillant, & craignoient qu'il ne s'engageast si
avant parmy les ennemis avec si petite trouppe, qu'il n'en
revint jamais. Je le fis pour les contenter, par toutes les
raisons que je luy peus alléguer, lesquelles luy servirent peu,
me monstrant une partie de ses doigts couppez, & de grandes
taillades & bruslures qu'il avoit sur le corps, comme ils
l'avoient tourmanté, & qu'il luy estoit impossible de vivre,
s'il ne faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit vengeance,
& que son coeur luy disoit qu'il failloit qu'il partist au
plustost qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit fort délibéré
de bien faire.
Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre
pattache: pour ce faire ils equipperent 8 canots pour passer
ledit saut & se despouillerent tous nuds, & me firent mettre en
chemise: car souvant il arrive que d'aucuns se perdent en le
passant, partant se tiennent les uns prés des autres pour se
secourir promptement si quelque canot arrivoit à renverser. Ils
me disoient si par malheur le tien venoit à tourner, ne sachant
260/408 point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te tiens bien à
de petits bastons qui y sont par le milieu, car nous te
sauverons aysement: le vous asseure que ceux qui n'ont pas veu
ny passé ledit endroit en des petits batteaux comme ils ont, ne
le pouroient pas sans grande apprehension mesmes le plus
asseuré du monde. Mais ces nations sont si addextres à paner
les sauts, que cela leur est facile: Je le passay avec eux, ce
que je n'avois jamais fait, ny autre Chrétien, horsmis mondit
garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logay une bonne
partie, & j'eus quelques paroles avec ledit Bouvier pour la
crainte qu'il avoit que je n'empeschasse que son garçon
n'allast avec lesdits sauvages, qui le lendemain s'en
retournèrent avec ledit garçon, lequel cousta bon à son
maistre, qui avoit l'esperance à mon opinion, de recouvrir la
perte de son voyage qu'il fit assés notable, comme firent
plusieurs autres.
Il y eut un jeune homme des nostres qui se délibéra d'aller
avec lesdicts sauvages, qui sont Charioquois esloignez du saut
de quelques cent cinquante lieues; & fut avec le frère de
Savignon, qui estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy
faire voir tout ce qu'il pourroit: Et celuy de Bouvier fut avec
ledit Yroquet Algoumequin, qui est à quelque quatre-vingts
lieues dudit saut. Ils s'en allèrent fort contens &
satisfaicts.
Après que les susdicts sauvages furent partis, nous attendîmes
encore les 300 autres que l'on nous avoit dit qui devoient
venir sur la promesse que je leur avois faite. Voyant qu'ils ne
venoient point, toutes les pattaches resolurent d'inciter
261/409 quelques sauvages Algoumequins, qui estoient venus de
Tadoussac, d'aller audevant d'eux moyennant quelque chose qu'on
leur donneroit quand ils seroyent de retour, qui devoit estre
au plus tard dans neuf jours, afin d'estre asseurés de leur
venue ou non, pour nous en retourner à Tadoussac: ce qu'ils
accordèrent, & pour cest effect partit un canot.
Le cinquiesme jour de Juillet arriva un canot des Algoumequins
de ceux qui devoient venir au nombre de trois cens, qui nous
dit que le canot qui estoit party d'avec nous estoit arrivé en
leur pays, & que leurs compagnons estans lassez du chemin
qu'ils avoient fait de rafraischissoient, & qu'ils viendroient
bien tost effectuer la promesse qu'ils avoient faite, & que
pour le plus ils ne tarderoient pas plus de huit jours, mais
qu'il n'y auroit que 24 canots: d'autant qu'il estoit mort un
de leurs Capitaines & beaucoup de leurs compagnons, d'une
fievre qui s'estoit mise parmy eux: & aussi qu'ils en avoyent
envoyé plusieurs à la guerre, & que c'estoit ce qui les avoit
empeschez de venir. Nous resolusmes de les attendre.
Voyant que ce temps estoit passé, & qu'ils ne venoyent point:
Pontgravé partit du saut le 11e jour dudit mois, pour mettre
ordre à quelques affaires qu'il avoit à Thadoussac, & moy je
demeuray pour attendre lesdits sauvages.
Cedit jour arriva une pattache, qui apporta du rafraichissement
à beaucoup de barques que nous estions: Car il y avoit quelques
jours que le pain, vin, viande & le citre nous estoient
faillis, & n'avions recours qu'à la pesche du poisson, & à la
262/410 belle eau de la riviere, & à quelques racines qui sont au pays,
qui ne nous manquerent en aucune façon que ce fust: & sans cela
il nous en eust falu retourner. Ce mesme jour arriva un canot
Algoumequin qui nous assura que le lendemain lesdits
vingtquatre canots devoyent venir, dont il y en avoit douze
pour la guerre.
Le 12 dudit mois arriverent lesdits Algoumequins avec quelque
peu de marchandise. Premier que traicter ils firent un present
à un sauvage Montagnet, qui estoit fils d'Annadabigeau[307]
dernier mort, pour l'appaiser & defascher de la mort de sondit
père. Peu de temps après ils se resolurent de faire quelques
presents à tous les Capitaines des pattaches. Ils donnèrent à
chacun dix Castors: & en les donnant, ils dirent qu'ils
estoyent bien marris de n'en avoir beaucoup, mais que la guerre
(où la plus part alloyent) en estoit cause: toutesfois que l'on
prist ce qu'ils offroyent de bon coeur, & qu'ils estoyent tous
nos amis, & à moy qui estois assis auprès d'eux, par dessus
tous les autres, qui ne leur vouloyent du bien que pour leurs
Castors: ne faisant pas comme moy qui les avois tousjours
assistez, & ne m'avoient jamais trouvé en deux parolles comme
les autres. Je leur fis response que tous ceux qu'ils voioyent
assemblez estoyent de leurs amis, & que peust-estre que quand
il se presenteroit quelque occasion, ils ne laisseroyent de
faire leur devoir, & que nous estions tous amis, & qu'ils
continuassent à nous vouloir du bien, & que nous leur ferions
des presens au reciprocque de ce qu'ils nous donnoyent, &
qu'ils traitassent paisiblement: ce qu'ils firent, & chacun en
emporta ce qu'il peut.
[Note 307: Ou _Anadabijou_. (Voir le Voyage de 1603, p. 7.)]
263/411 Le lendemain ils m'apportèrent, comme en cachette quarante
Castors, en m'asseurant de leur amitié, & qu'ils estoient
tres-aises de la deliberation que j'avois prinse avec les
sauvages qui s'en estoyent allez, & que l'on faisoit une
habitation au saut, ce que je leur asseuray, & leur fis quelque
present en eschange.
Après toutes choses passées, ils se delibererent d'aller querir
le corps d'Outetoucos qui s'estoit noyé au saut, comme nous
avons dit cy dessus. Ils furent où il estoit, le desenterrerent
& le portèrent en l'isle sainte Helaine, où ils firent leurs
cérémonies accoustumées, qui est de chanter & danser sur la
fosse, suivies de festins & banquets. Je leur demanday pourquoy
ils desenterroyent ce corps: Ils me respondirent que si leurs
ennemis avoyent trouvé la fosse, qu'ils le feroyent, & le
mettroient en plusieurs pièces, qu'ils pendroyent à des arbres
pour leur faire du desplaisir, & pour ce subject ils le
transportoyent en lieu escarté du chemin & le plus secrettement
qu'ils pouvoyent.
Le 15e jour du mois arriverent quatorze canots, dont le chef
s'appelloit Tecouehata. A leur arrivée tous les autres sauvages
se mirent en armes, & firent quelques tours de limasson. Après
avoir assez tourné & dansé, les autres qui estoyent en leurs
canots commencèrent aussi à danser en faisant plusieurs
mouvemens de leurs corps. Le chant fini, ils descendirent à
terre avec quelque peu de fourrures, & firent de pareils
presens que les autres avoyent faict. On leur en fit d'autres
au réciproque selon la valeur. Le lendemain ils traitterent ce
264/412 peu qu'ils avoyent, & me firent present encore particulièrement
de trente Castors, dont je les recompensay. Ils me prièrent que
je continuasse à leur vouloir du bien, ce que je leur promis.
Ils me discoururent fort particulièrement sur quelques
descouvertures du costé du Nord, qui pouvoyent apporter de
l'utilité: Et sur ce subject ils me dirent que s'il y avoit
quelqu'un de mes compagnons qui voulut aller avec eux, qu'ils
luy feroyent voir chose qui m'apporteroit du contentement, &
qu'ils le traiteroyent comme un de leurs enfans. Je leur promis
de leur donner un jeune garçon, dont ils furent fort contens.
Quand il prit congé de moy pour aller avec eux, je luy baillay
un mémoire fort particulier des choses qu'il devoit observer
estant parmi eux. Après qu'ils eurent traicté tout le peu
qu'ils avoyent, ils se separerent en trois: les uns pour la
guerre, les autres par ledit grand saut, & les autres par une
petitte riviere qui va rendre en celle dudit grand saut: &
partirent le dixhuictiesme jour dudit mois, & nous aussi le
mesme jour.
Cedit jour fismes trente lieues qu'il y a dudit saut aux trois
rivieres, & le dixneufiesme arrivasmes à Québec, où il y a
aussi trente lieues desdites trois rivieres. Je disposay la
plus part d'un chacun à demeurer en laditte habitation, puis y
fis faire quelques réparations & planter des rosiers, & fis
charger du chesne de fente pour faire l'espreuve en France,
tant pour le marrin lambris que fenestrages: Et le lendemain 20
dudit mois de juillet en partis. Le 23, j'arrivay à Tadoussac,
où estant je me resoulus de revenir en France, avec l'advis de
Pont-gravé.
265/413 Après avoir mis ordre à ce qui despandoit de nostre habitation,
suivant la charge que ledit sieur de Monts m'avoit donnée, je
m'enbarquay dedans le vaisseau du capitaine Tibaut de la
Rochelle, l'onziesme d'Aoust. Sur nostre traverse nous ne
manquasme de poisson, comme d'Orades, Grande-oreille, & de
Pilotes qui sont comme harangs, qui se mettent autour de
certains aix chargez de poulse-pied, qui est une sorte de
coquillage qui s'y attache, & y croist par succession de temps.
Il y a quelquesfois une si grande quantité de ces petits
poissons, que c'est chose estrange à voir. Nous prismes aussi
des marsouins & autres especes. Nous eusmes assés beau temps
jusques à Belle-isle[308], où les brumes nous prirent, qui
durèrent 3 ou 4 jours: puis le temps venant beau, nous eusmes
cognoissance d'Alvert[309], & arrivasmes à la Rochelle le
dixsiesme Septembre 1611.
[Note 308: Belle-Ile, en Bretagne, ou Belle-Ile-en-Mer.]
[Note 309: Ou _Arvert_.]
_Arrivée à la Rochelle. Association rompue entre le sieur de
Mons & ses associez, les sieurs Colier & le Gendre de Rouen,
Envie des François touchant les nouvelles descouvertures de la
nouvelle France._
CHAPITRE IV.
Estans arrivés à la Rochelle je fus trouver le sieur de Mons à
Pont en Xintonge, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit
passe au voyage, & de la promesse que les sauvages Ochateguins
& Algoumequins m'avoient faitte, pourveu qu'on les assistast en
266/414 leurs guerres, comme je leur avois promis. Le sieur de Mons
ayant le tout entendu, se délibéra d'aller en Cour pour mettre
ordre à ceste affaire. Je prins le devant pour y aller aussi:
mais en chemain je fus arresté par un mal'heureux cheval qui
tomba sur moy & me pensa tuer. Ceste cheute me retarda
beaucoup: mais aussi tost que je me trouvay en assés bonne
disposition, je me mis en chemin, pour parfaire mon voyage &
aller trouver ledit sieur de Mons à Fontaine-Bleau, lequel
estant retourné à Paris parla à ses associez, qui ne voulurent
plus continuer en l'association pour n'avoir point de
commission qui peut empescher un chacun d'aller en nos
nouvelles descouvertures negotier avec les habitans du pays. Ce
que voyant ledit sieur de Mons, il convint avec eux de ce qui
restoit en l'habitation de Québec, moyennant une somme de
deniers qui leur donna pour la part qu'ils y avoyent: & envoya
quelques hommes pour conserver ladite habitation, sur
l'esperance d'obtenir une commission de sa Majesté. Mais comme
il estoit en ceste poursuitte, quelques affaires de consequence
luy survindrent, qui la luy firent quitter, & me laissa la
charge d'en rechercher les moyens: Et ainsi que j'estois après
à y mettre ordre, les vaisseaux arriverent de la nouvelle
France, & par mesme moyen des gens de nostre habitation, de
ceux que j'avois envoyé dans les terres avec les sauvages, qui
m'aporterent d'assez bonnes nouvelles, disans que plus de deux
cents sauvages estoient venus, pensans me trouver au grand saut
S. Louys, où je leur avois donné le rendez-vous, en intention
de les assister en ce qu'ils m'avoient supplié: mais voyans que
267/415 je n'avois pas tenu ma promesse, cela les fascha fort:
toutesfois nos gens leur firent quelques excuses qu'ils prirent
pour argent comptant, les assurant pour l'année suivante ou
bien jamais, & qu'ils ne menquassent point de venir: ce qu'ils
promirent de leur part. Mais plusieurs autres qui avoient
quitté Tadoussac, traffic encien, vindrent audit saut avec
quantité de petites barques, pour voir s'ils y pourroient faire
leurs affaires avec ces peuples, qu'ils asseuroient de ma mort,
quoy que peussent dire nos gens, qui affermoyent le contraire.
Voila comme l'envie se glisse dans les mauvais naturels contre
les choses vertueuses; & ne leur faudroit que des gens qui se
hasardassent en mille dangers pour descouvrir des peuples &
terres, afin qu'ils en eussent la dépouille, & les autres la
peine. Il n'est pas raisonnable qu'ayant pris la brebis, les
autres ayent la toison. S'ils vouloient participer en nos
descouvertures, employer de leurs moyens, & hasarder leurs
personnes, ils monstreroyent avoir de l'honneur & de la gloire:
mais au contraire ils monstrent evidemment qu'ils sont poussez
d'une pure malice de vouloir esgalement jouir du fruict de nos
labeurs. Ce fruict me fera encore dire quelque chose pour
monstrer comme plusieurs taschent à destourner de louables
dessins, comme ceux de sainct Maslo & d'autres, qui disent, que
la jouyssance de ces descouvertures leur appartient, pour ce
que Jaques Quartier estoit de leur ville, qui fut le premier
audit pays de Canada & aux isles de Terre-neufve: comme si la
ville avoit contribué aux frais des dittes descouvertures de
Jaques Quartier, qui y fut par commendement, & aux despens du
268/416 Roy François premier és année 1534 & 1535 descouvrir ces terres
aujourd'huy appelées nouvelle France? Si donc ledit Quartier a
descouvert quelque chose aux despens de sa Majesté, tous ses
sujets peuvent y avoir autant de droit & de liberté que ceux de
S. Maslo, qui ne peuvent empescher que si aucuns descouvrent
autre chose à leurs despens, comme l'on fait paroistre par les
descouvertures cy dessus descriptes, qu'ils n'en jouissent
paisiblement: Donc ils ne doivent pas s'attribuer aucun droict,
si eux mesmes ne contribuent. Leurs raisons sont foibles &
débiles, de ce costé. Et pour monstrer encore à ceux qui
voudroient soustenir ceste cause, qu'ils sont mal fondez,
posons le cas qu'un Espagnol ou autre estranger ait descouvert
quelques terres & richesses aux despens du Roy de France,
sçavoir si les Espagnols ou autres estrangers s'attribueroient
les descouvertures & richesses pour estre l'entrepreneur
Espagnol ou estranger: non, il n'y a pas de raison, elles
seroient tousjours de France: de sorte que ceux de S. Maslo ne
peuvent se l'attribuer, ainsi que dit est, pour estre ledit
Quartier de leur ville: mais seulement à cause qu'il en est
sorty, ils en doivent faire estat, & luy donner la louange qui
lui est deue. Davantage ledit Quartier au voyage qu'il a fait
ne passa jamais ledit grand saut S. Louys, & ne descouvrit rien
Nort ny Su, dans les terres du fleuve S. Laurens: ses relations
n'en donnent aucun tesmoignage, & n'y est parlé que de la
riviere du Saguenay, des trois rivieres & sainte Croix, où il
hyverna en un fort proche de nostre habitation: car il ne
l'eust obmis non plus que ce qu'il a descrit, qui monstre qu'il
269/417 a laissé tout le haut du fleuve S. Laurens, depuis Tadoussac
jusques au 1611. grand saut, difficile à descouvrir les terres,
& qu'il ne s'est voulu hasarder ny laisser ses barques pour s'y
adventurer: de sorte que cela est tousjours demeuré inutile,
sinon depuis quatre ans que nous y avons fait nostre habitation
de Québec, où après l'avoir faite édifier, je me mis au hazard
de passer ledit saut pour assister les sauvages en leurs
guerres, y envoyer des hommes pour cognoistre les peuples,
leurs façon de vivres & que c'est que de leurs terres. Nous y
estans si bien employez, n'est-il pas raison que nous
jouissions du fruit de nos labeurs, sa Majesté n'ayant donné
aucun moyen pour assister les entrepreneurs de ces dessins
jusques à present? J'espere, que Dieu luy fera la grâce un jour
de faire tant pour le service de Dieu, de sa grandeur & bien de
ses subjets, que d'amener plusieurs pauvres peuples à la
cognoissance de nostre foy, pour jouir un jour du Royaume
celeste.
270/418 _INTELLIGENCE DES DEUX cartes Geograffiques de la nouvelle
France._
IL m'a semblé bon de traicter aussi quelque chose touchant les
deux cartes geografiques, pour en donner l'intelligence: car
bien que l'une represente l'autre, en ce qui est des ports,
bayes, caps, promontoires, & rivieres qui entrent dans les
terres, elles sont toutesfois différentes en ce qui est des
situations. La plus petite est en son vray méridien, suivant ce
que le sieur de Castelfranc [310] le demonstre en son livre de
la mecometrie de la guide-aymant, où j'en ay observé plusieurs
declinaisons, qui m'ont beaucoup servi, comme il se verra en
ladite carte, avec toutes les hauteurs, latitudes & longitudes,
depuis le quarante uniesme degré de latitude, jusques au
cinquante uniesme, tirant au pole artique, qui sont les confins
de Canada ou grande Baye [311], où se faict le plus souvent la
pesche de balaine, par les Basques & Espagnols. Je l'ay aussi
observé en certains endroits dans le grand fleuve de S. Laurens
sous la hauteur de quarante cinq degrez de latitude jusques à
vingt ung degré de declinaison de la guide-aymant, qui est la
plus grande que j'aye veue: & de ceste petite carte, l'on se
pourra fort bien servir à la navigation, pourveu qu'on scache
271/419 appliquer l'aiguille à la rose des vents du compas: Comme par
exemple, je desire m'en servir, il est donc de besoin, pour
plus de facilité, de prendre une rose, où les trentedeux vents
soyent marquez egalement, & faire mettre la pointe de la
guide-aymant à 12, 15 ou 16 degrez de la fleur de lis, du costé
du nortouest, qui est prés d'un quart & demy de vent, comme au
Nort un quart du norouest, ou un peu plus de la fleur de lis de
laditte rose des vents, & appliquer la rose dans le compas,
quand l'on sera sur le grand banc, où se fait la pesche du
poisson vert, par ce moyen l'on pourra aller cercher fort
asseurement toutes les hauteurs des caps, ports & rivieres. Je
sçay qu'il y en aura beaucoup qui ne s'en voudront servir, &
courront plustost à la grande, d'autant qu'elle est fabriquée
sur le compas de France, où la guide-aymant nordeste, d'autant
qu'ils ont si bien prins ceste routine, qu'il est mal aisé de
leur faire changer. C'est pourquoy j'ay dressé la grande carte
en ceste façon, pour le soulagement de la plus-part des pilotes
& navigateurs des parties de la nouvelle France, craignant que
si je ne l'eusse ainsi fait, ils m'eussent attribué une faute,
qu'ils n'eussent sceu dire d'où elle procedoit. Car les petits
cartrons ou cartes des terres neufves, pour la pluspart sont
presque toutes diverses en tous les gisemens & hauteurs des
terres. Et s'il y en a quelques uns qui ayent quelques petits
eschantillons assez bons, ils les tiennent si précieux qu'ils
n'en donnent l'intelligence à leur patrie, qui en pourroit
tirer de l'utilité. Or la fabrique des cartaux est d'une telle
façon, qu'ils font du Nor-nordest leur ligne méridienne, & de
l'Ouest-norouest, l'Ouest, chose contraire au vray méridien de
272/420 ce lieu, de l'appeler Nort-nordest pour le Nort: Car au lieu
que l'aiguille doit norouester elle nordeste, comme si c'estoit
en France. Qui a fait que l'erreur s'en est ensuivy &
s'ensuivra, d'autant qu'ils ont cette vieille coustume
d'ancienneté, qu'ils retiennent, encores qu'ils tombent en de
grands erreurs. Ils se servent aussi d'un compas touché Nort &
Su, qui est mettre la poincte de la guide-aymant droit sous la
fleur de lis. Sur ce compas beaucoup forment leurs petites
cartes, ce qui me semble le meilleur, & approcher plus prés du
vray méridien de la Nouvelle France, que non pas les compas de
la France Orientale qui nordestent. Il s'est doncques ensuivy
en ceste façon, que les premiers navigateurs qui ont navigué
aux parties de la nouvelle France Occidentale croioyent
n'engendrer non plus d'erreur d'aller en ces parties que
d'aller aux Essores[312], ou autres lieux proches de France, où
l'erreur est presque insensible en la navigation, dont les
pilotes n'ont autres compas que ceux de France, qui nordestent,
& representent le vray méridien. Et naviguant tousjours à
l'Ouest, voulant aller trouver une hauteur certaine, faisoient
la routte droit à l'Ouest de leur compas, pensant marcher sur
une paralelle où ils vouloient aller. Et allant tousjours
droictement en plat, & non circulairement, comme sont toutes
les paralelles sur le globe de la terre, après avoir faict une
quantité de chemin, prés de venir à la veüe de la terre, ils se
trouvoient quelquesfois trois, quatre ou cinq degrés plus Su
qu'il n'estoit de besoing: & par ainsi se trouvoient desceus de
273/421 leur hauteur & estime. Toutesfois il est bien vray que quand le
beau temps paroissoit, & que le soleil estoit beau, ils se
redressoient de leur hauteur: mais ce n'estoit sans s'estonner
d'où procedoit que la routte estoit fausse; qui estoit qu'au
lieu d'aller circulairement selon ladicte paralelle, ils
alloient droictement en plat; & que changeant de méridien, ils
changeoient aussi d'airs de vent du compas: & par ainsi de
routte. C'est donc une chose fort necessaire de scavoir le
méridien & declinaison de la guide-aymant: car cela peut servir
pour tous pilotes qui voyagent par le monde, d'autant que ne la
sachant point, & principalement au Nort & au Su où il se fait
de plus grandes variations de la guide-aymant: aussi que les
cercles de longitude sont plus petits, & par ainsi l'erreur
seroit plus grand à faute de ne scavoir ladicte declinaison de
la guideaymant. C'est donques pourquoy laditte erreur s'est
ensuivie, que les voyageurs ne l'ayant voulu ou ne le sçachant
corriger, ils l'ont laissé en la façon que maintenant elle est:
de sorte qu'il est mal aisé d'oster ceste dicte façon
accoustumée de naviguer en cesdits lieux de la nouvelle France.
C'est ce qui m'a fait faire ceste grande carte, tant pour estre
plus particulière que la petite, que pour le contentement des
naviguans qui pourront naviguer, comme si c'estoit sur leurs
petits cartrons ou cartes: & m'excuseront si je ne les ay mieux
faites & particularisées, d'autant que l'aage d'un homme ne
pourroit suffire à recognoistre si exactement les choses, qu'à
la fin du temps il ne se trouvast quelque chose d'obmis, qui
sera que toutes personnes curieuses & laborieuses pourront
274/422 remarquer en voyageant des choses qui ne seront en ladicte
carte & les y adapter: tellement qu'avec le temps on ne
doutera d'aucunes choses de cesdicts lieux. Pour le moins il me
semble que j'ay fait mon devoir en ce que j'ay peu, où je n'ay
oublié rien de ce que j'ay veu à mettre en madicte carte, &
donner une cognoissance particulière au public, qui n'avoit
jamais esté descripte, ny descouverte si particulièrement comme
j'ay fait, bien que quelque autre par le passé en ayt escript,
mais c'estoit bien peu de chose au respect de ce que nous avons
descouvert depuis dix ans en ça.
[Note 310: Guillaume de Nautonier, sieur de Castelfranc. Son ouvrage est
ainsi intitulé: «Mécométrie de l'eymant, c'est à dire la maniere de
mesurer les longitudes par le moyen de l'eymant, etc.» Champlain semble
avoir adopté le système du sieur de Castelfranc sur le moyen de
déterminer la longitude des lieux.]
[Note 311: Ce qu'on appelait autrefois la Grande-Baie est cette partie
du golfe Saint-Laurent qui aboutit au détroit de Belle-Isle, et qui
forme en effet comme une grande baie entre la côte occidentale de
Terreneuve et le Labrador.]
[Note 312: Açores.]
[Illustration:]
Moyen de prendre la ligne Méridienne.
Prenez une planchette fort unie, & au milieu posez une esguille
C, de trois pousses de haut, qui soit droictement à plomb, & le
posez au Soleil devant Midy, à 8 ou 9 heures, où l'ombre de
l'esguille C, arrivera, soit marqué avec un compas, lequel fera
ouvert, sçavoir une poincte sur C, & l'autre sur l'ombre B, &
puis trasserez un demy cercle A, B, laissant le tout
jusqu'aprés midy, qu'y verrez l'ombre parvenir sur le bort du
demy cercle A. Puis partirez le demy cercle A. B. par la
moitié, & aussi tost prendrez une reigle que poserez sur le
poinct C. & l'autre sur le poinct D. & trasserez une ligne tant
qu'elle pourra courir le long de ladicte planchette, qu'il ne
faut bouger que l'observation ne soit faicte, & la ligne sera
la Méridienne du lieu où vous serez.
Et pour sçavoir la declinaison du lieu où vous ferez sur la
ligne Méridienne, posez un quadran qui soit quarré, comme
demonstre la figure cy dessus le long de la ligne Méridienne, &
au fonds dudit quadran y aura un cercle divisé en 360. degrez,
& partissez ledit cercle par entredeux lignes diamétrales, dont
l'une est representée pour le septentrion, & l'autre pour le
midy, comme monstrera E. F. & 1 autre ligne represente l'Orient
& l'Occident, comme monstre G. H. & alors regardez l'aiguille
de la guide-aymant, qui est au fonds du quadran, sur le pivot,
laquelle verrez où elle décline de la ligne Méridienne fixe,
qui est au fonds du quadran, & combien de degrez elle Nordeste
ou Noroueste.
422a--Illustration--carte a
422b--Illustration--carte b
275/423
TABLE DES MATIERES.
A
Algoumequins. 261.
Almouchiquois n'adorent aucune chose. 69. Ont des
superstitions. 69. Leur naturel 69. ont un langage différent à
celuy des Souriquois & Etechemins 52. vont tous nuds, hommes &
femmes hormis leur nature 101. portent quelquesfois des robbes
faictes d'herbes 68. ne font provision de pelleterie que pour
se vestir 52. sont bien proportionnez de leurs corps 101. ont
le tein olivastre 101. comment portent leurs cheveux 52, 69. se
parent de plumes, de patenostres de porcelines & autres
jolivetez 101. se peindent de noir rouge & jaune 69.
s'arrachent le poil de la barbe 69. leurs logemens 66. 102. ont
grande quantité de puces, mesmes parmy les champs 102. comment
se comportent quand ils ont quelque mauvais dessein 103. 104.
leurs armes 101. n'ont point de police, gouvernement, ny
créance. 101. font entreprise sur les François. 104. voyez
François. Amateurs du labourage 100. comment labourent les
terres. 66. ont autant de terre qu'il est necessaire pour leur
nourriture. 65. comment font leurs bleds d'Inde. 53. comment
ils en conservent leur provision pour l'hyver. 101. comment
l'accommodent pour le manger. 70. cultivent de certaines
racines 66. sont fort vistes 107. voyez Sauvages.
Aneda herbe recommandée par Jaques Quartier. 50.
Aubry Prestre esgaré dixsept jours dans des bois. 16. 17.
B
Balaines comment se peschent 226. 227. 228.
Basques pris faisant traitte de pelleterie. 28.
Basques traitent la force en la main & leur violence contre le
vaisseau de Pont-gravé.139. 140.141. Barque eschouée sur une
roche miraculeusement sauvée. 60.
Baye Françoise. 19, 21.
Baye sainct Laurens. 21.
Baye saincte Marie. 15. 17.
Baye de toutes isles. 128.
Bedabedec, pointe ainsi appelée des sauvages. 32. 33.
C
Cap de la Héve. 8.
Cap Negre. 9.
Cap de Sable. 10.
Cap Fourchu. 11.
Cap des deux Bayes. 20.
Cap aux isles. 57.
Cap sainct Louys. 60.
Cap Blanc. 64.
Cap Breton. 169.
Cap Batturier. 99.
Cap Dauphin. 145.
Cap de l'Aigle. 145.
Cap de tourmente. 146.
Campseau. 130.
Canada. 160.
Canadiens ne font point de provision pour l'hyver. 169.
Canots des sauvages. 59. 60. 141. 142.
Champdoré pilote. 84. emmenoté, libéré. 87.
Champ semé de bled d'Inde. 66.
Chanvre. 62.
Charioquois. 260.
Chasse des sauvages. 43. 44,
Chouacoet. 123.
Chouassarou poisson. 190. 191.
Citrouilles, 66.
Commission du sieur de Mons. 136.
Conspiration contre ma personne. 148. descouverte 150.
conspirateurs pris 152 Procédures en leur procès. 152. 153.
154.
Corde faite d'escorce d'arbre. 62.
Coste de Norembegue. 29. 30. 31. 32. 33. 34-35. 36. 37-38. 39.
Coste des Almouchiquois. 45.
Croix fort ancienne marque de Chrestiens. 125.
Cul de sac où il y a plusieurs isles & beaucoup d'endrois pour
mettre nombre de vaisseaux. 24
D
Danger proche de naufrage. 30. autre 81. autre 83. autre. 86.
Première Defaite des Yroquois. 195. 196.
Seconde Defaite des Yroquois. 216.
E
Espouvante des Montagnets à la riviere des Yroquois. 109.
Equille poisson. 18.
Etechemins n'ont point de demeure arrestée. 35.
Habitent quelquefois la riviere de Quinibequi. 37.
276/424
F
Les Femmes sont un peu plus long habillées que les hommes 68.
69. sont tous les vestemens 44. surpassent en cruauté les
hommes. 219.
François assistent les sauvages leurs alliés à la guerre contre
leurs ennemis. 194. 195. 210. jusques à 217. Surpris par les
Almouchiquois. 67. 68. 106, s'en vengent. 110.
G Gaspé. 169.
Gelées fort grandes. 43.
Grande-oreille, poisson qui porte des égrettes. 229.
H
Habitation de l'isle saincte Croix. 26.
Habitation du port Royal. 79.
Habitation de Québec. 155.
Harangue de Mantoumermer sauvage. 47-8.
Hyver fort court. 207.
J
Jaques Quartier, & de son Hyvernement. 156. jusques à 161.
I
Isle de Sable. 7.
Isle aux Cormorans. 10.
Isles aux oyseaux. 10. 11. 15.
Isles fort dangereuses. 10.
Isles aux Loups-marins, 1l.
Isle Longue. 12. 13.
Isle Haute. 20. [autre du même nom] 33.
Isle aux Margots. 24.
Isle appelée des sauvages Menane. 24. 46.
Isle saincte Croix. 25. 91. appelée autrefois des sauvages
Achelacy.[313] 157. 159. 160. 161.
[Note 313: _L'Île de Sainte-Croix n'a jamais porté le nom d'Achelacy,
mais bien la pointe de Sainte-Croix, aujourd'hui le Platon, a environ
douze lieues au-dessus de Québec._]
Isles rangées. 30. [autres à la côte d'Acadie]. 129.
Isles des monts-deserts. 31.
Isles aux Corneilles. 46.
Isle de la tortue. 46.
Isle de Bacchus. 51. 52.
Isles Martyres. 127,
Isle Percée. 131.
Isle du cap Breton. 131. 132.
Isle aux coudres. 145. 158. 159. plusieurs Isles fort agréables
environnées de rochers & basses fort dangereuses. 146. 147.
Isle d'Orléans. 146. 147. ainsi appelée par Jacques Cartier.
161.
Isle sainct Esloy. 17 5.
Isle aux Hérons. 246.
L
Lac de trois à quatre lieues de long. 49.
Lac sainct Pierre. 180.
Lac des Yroquois. 189.
Lac de Champlain. 196.
Lac. 143.
M
Mal de la terre, voyés Scurbut.
Mauves oyseaux. 124.
Maslouins appelez Mistigoches par les Sauvages. 209.
Mine d'argent. 12,
Mines de cuivre. 20. 2l. 28. 29. 79. 80.
Mines de fer. 13-22. 23.
Montagnets vont demy nuds. 162. l'hyver se couvrent de bonnes
fourrures. 162.164, sont bien proportionnez & les femmes aussi,
qui se frottent de peinture, qui les rend basannées. 163. quand
peschent les anguilles qu'ils font secher pour l'hyver. 162.
quand vont à la chasse aux castors. 162. vont à la chasse aux
eslans & autres bestes sauvages, lors que leurs anguilles leur
manquent. 162. ont quelquefois de grandes famines, mangent
leurs chiens & les peaux de quoy ils se couvrent. 162. pressez
d'une extresme necessité. 166. jusques à 170. ne font point de
provisions. 168. 169.
Montagnets croyent l'immortalité de l'âme. 165. Disent qu'après
leur mort ils se vont resjouir en d'autres païs. 165. croyent
que tous les songes qu'ils font sont véritables. 163. n'ont
point ny foy, ny loy. 163. sont fort meschans, grands menteurs,
& vindicatifs. 163. n'entreprennent rien sans consulter leur
Pilotois. 163. leurs cérémonies quand ils arrivent à leur pays
au retour de la guerre. 199. 217. leurs mariages. 164. leurs
enterremens. 164. 165. dansent trois fois l'année sur la fosse
de leurs amis. 165. ont fort craintifs & redoutent fort leurs
ennemis. 165.
Miraculeusement sauvez d'un naufrage. 167. ont bon jugement.
162.
Mouches fort fascheuses. 27.
N
Normands appelés Mistigoches par les sauvages. 209.
277/425 O
Ordre de bon temps, 120.
Outarde oyseau. 72.
Oyseau qui a le bec en façon de lancette. 71,72.
Oyseaux comme coqs d'Indes. 72. 73.
Oyseaux incarnats. 202.
P
Pierres à faire de la chaux. 124.
Pilotois devineurs de bonne & mauvaise fortune. 163. leurs
diableries & simagrées. 93.
Place Royale. 242. 243. 244. 245.
Pointe sainct Mathieu, autrement aux Allouettes. 139.
Pointe de tous les Diables. 139.
Poisson avec trois rangs de dens. 202.
Port au Mouton. 8.
Port saincte Marguerite. 13.
Port Royal. 17. 18.
Port aux mines. 20. 2l.
Port aux isles. 55. 56.
Port du cap sainct Louys. 63.
Port de Malebarre. 65. 66.
Beau Port. 94. 95. 96.
Port aux huistres. 97.
Port fortuné. 100.
Port sainct Helaine. 127. 128.
Port de Savalette. 129. 130.
Port aux Anglois. 132.
Port Niganis. 132.
Q
Quebecq. 145. 148. 155 170. 173. 264.
R
Racines que les sauvages cultivent. 66.
Rencontre des Yroquois à qui nous allions faire la guerre. 193.
Riviere du Boulay. 12.
Riviere de l'Equille. 18. 19.
Riviere sainct Antoine. 19.
Riviere sainct Jean appelée des sauvages Ouygoudy. 22. 23.
Riviere des Etechemins. 25. 26.
Riviere de Pimptegouet appelée de plusieurs pilotes &
historiens Norembegue. 31. 32. 33. 34. 35. 37. 38.
Riviere de Quinibequi. 46. 49. 50.
Riviere [lisez isle] de la tortue[314]. 46. 49.
[Note 314: _La Tortue était une île. Ce qui a donné occasion à la
méprise que nous corrigeons ici, est ce passage de la page_ 46: «L'isle
de la tortue & la riviere sont su suresst & nort norouest.» _Il va sans
dire que la_ rivière, _c'est le_ Quinibéqui. _A nos yeux, cela seul
suffit pour prouver que cette table n'a pas été faite par Champlain._]
Riviere de Chouacoet. 53. 55.
Riviere saincte Marguerite. 127.
Riviere de l'isle verte. 128.
Riviere de Saguenay. 142. 143. 144.
Riviere aux saumons. 145.
Grande Riviere de sainct Laurens. 170. 174. 175. 176. 177.
Riviere saincte Marie. 175.
Les trois Rivieres. 179.
Riviere des Yroquois. 181. 184. 189.
Saincte croix, nom transféré de lieu à autre. 156. 157. 158.
159. 160. 161.
Saincte Susanne du cap blanc. 64.
Sault d'eau. 34.
Grand Sault. 248. 249.
Sauvages quand sont mal disposez, se tirent du sang avec les
dents d'un poisson appelé Couaffarou. 191. Leur dueil. 118.
Leurs cérémonies aux enterremens. 118. en leurs harangues. 36.
Quand ils veulent délibérer de quelque affaire, font leurs
assemblées la nuit. 253. Comment ils content les temps. 176.
Leur façon de vivre en hyver. 44. en hyver ne peuvent chasser,
si les neiges ne sont grandes. 43. attachent des raquettes
soubs leurs pieds, quand ils vont chasser en temps de neige.
44. 164. comment peschent le poisson. 62. vivent de coquillage;
quand ils ne peuvent chasser, 44. comment desfrichent les
terres. 96. Danssent & monstrent signes de resjouissance, quand
ils voyent arriver des vaisseaux de France. 51. Font de grandes
admirations quand ils voyent premièrement des Chrestiens. 219.
Ont des gens parmi eux qui disent la bonne avanture ausquels
ils adjoustent foy. 101. voyez Pilotois. Croyent les songes
véritables. 192. 193. Quand ils entendent des coups de canon se
couchent contre terre. 107.
Sauvages quand vont à la guerre separent leurs troupes en
trois, pour la chasse en avantcoureurs & le gros. 186. Font des
marques, par où ils passent, par lesquelles ceux qui viennent
après reconoissent si ce sont amis ou ennemis qui ont passé.
186. Leurs chasseurs ne chassent jamais de l'avant du gros.
278/426 186. Envoyent descouvrir si on n'apercevra point d'ennemis.
185. Toute la nuict se reposent sur la reveue des
avantcoureurs. 185. Aprochans des terres de leurs ennemis ne
cheminent plus que la nuict. 192. Leurs retranchemens. 185. Ont
des chefs à qui ils obeissent, en ce qui est du faict de la
guerre seulement. 188. Comment les chefs monstrent à leurs gens
le rang & l'ordre qu'ils doivent tenir au combat. 188.
Exécutent leurs desseins la nuict & non le jour. 105. Quand
sont poursuivis se sauvent dans les bois. 109. Escorchent la
teste de leurs ennemis tuez pour trophée de leur victoire. 217.
comment traittent leurs prisonniers. 196. 197. 198. 2l8. 219.
Sauvages alliez vont à la guerre contre les Yroquois leurs
ennemis. 210. jusques à 217. voyez Algoumequins & Montagnets.
Scurbut, ou maladie de la terre. 41. 80. 121. 175. Sa cause.
170. 207. plusieurs régions en sont frappées. 172.
Siguenoc. 70, 71.
Superstition des Sauvages. 4.8.
T
Tadoussac. 138. 169.
Température fort différente, pour 120 lieues. 170.
Terres desertées où le sieur de Mons fit semer du froment. 26.
autres terres défrichées. 63.
Terre ensemencée par le sieur de Poitrincourt. 89. 90.
Terres bonnes & fertiles. 91.
Terres couvertes la plus part de l'année. 144.
Terres couvertes de neiges jusques à la fin de May. 170.
Terre neufve. 170.
Traitte de pelleterie défendue. 139.
V
Vignes qui portent de tresbons raisins. 54.
Y
Yroquois. 191. desfaicts en guerre. 195. 196.
FIN.
279/427
QUATRIESME
VOYAGE DE
S. DE CHAMPLAIN
CAPITAINE ORDINAIRE POUR
LE ROY EN LA MARINE, ET
Lieutenant de Monseigneur le
Prince de Condé en la Nouvelle France, fait en
l'année 1613.
281/429
[Illustration]
A TRES-HAUT,
TRES-PUISSANT ET TRES-EXCELLENT
HENRY DE BOURBON PRINCE
de Condé, premier Prince du Sang, premier
Pair de France, Gouverneur & Lieutenant de
Sa Majesté en Guyenne.
MONSEIGNEUR
_L'honneur que j'ay reçeu de vostre grandeur en la charge des
descouvertures de la nouvelle France, m'a augmenté l'affection
de poursuivre avec plus de soing & diligence que jamais, la
recherche de la mer du Nord. Pour cet effect en ceste année
1613, j'y ay fait un voyage sur le rapport d'un homme que j'y
avois envoyé, lequel m'asseuroit l'avoir veue, ainsi que vous
pourrez voir en ce petit discours, que j'ose offrir à vostre
excellence, où toutes les peines & travaux que j'y ay eus sont
particulièrement d'escrits; desquels il ne me reste que le
regret d'avoir perdu ceste année, mais non pas l'esperance au
premier voiage d'en avoir des nouvelles plus asseurées par le
moyen des Sauvages qui m'ont fait relation de plusieurs lacs &
rivieres tirant vers le Nord, par lesquelles, outre
l'asseurance qu'ils me donnent d'avoir la cognoissance de ceste
282/430 mer, il me semble qu'on peut aisément tirer conjecture des
cartes, qu'elle ne doit pas estre loing des dernières
descouvertures que j'ay cy devant faites. En attendant le temps
propre & la commodité de continuer ces desseins, je prieray le
Créateur qu'il vous conserve. Prince bien-heureux, en toutes
sortes de félicités, oú se terminent les voeux que je fais à
vostre grandeur, en qualité de son
Tres-humble & tres-affectionné serviteur
SAMUEL. DE CHAMPLAIN.
283/431
QUATRIESME VOYAGE DU SIEUR
DE CHAMPLAIN, CAPITAINE ORDINAIRE POUR
le Roy en la marine, & Lieutenant de Monseigneur le Prince de
Condé en la Nouvelle
France, fait en l'an 1613.
_Ce qui m'a occasionné de recercher un reglement. Commission
obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par
tous les ports de France._
CHAPITRE I.
LE desir que j'ay tousjours eu de faire nouvelles
descouvertures en la Nouvelle France, au bien, utilité & gloire
du nom François: ensemble d'amener ces pauvres peuples à la
cognoissance de Dieu, m'a fait chercher de plus en plus la
facilité de ceste entreprise, qui ne peut estre que par le
moyen d'un bon règlement: d'autant que chacun voulant cueillir
les fruits de mon labeur, sans contribuer aux frais & grandes
despences qu'il convient faire à l'entretien des habitations
necessaires pour amener ces desseins à une bonne fin, ruine ce
commerce par l'avidité de gaigner, qui est si grande, qu'elle
fait partir les marchans devant la saison, & se précipiter non
seulement dans les glaces, en esperance d'arriver des premiers
284/432 en ce païs; mais aussi dans leur propre ruine: car traictans
avec les sauvages à la desrobée, & donnant à l'envie l'un de
l'autre de la marchandise plus qu'il n'est requis, sur-achetent
les danrées; & par ainsi pensant tromper leurs compagnons se
trompent le plus souvent eux mesmes.
C'est pourquoy estant de retour en France le 10. Septembre 1611
j'en parlay à monsieur de Monts, qui trouva bon ce que je luy
en dis: mais ses affaires ne luy permettant d'en faire la
poursuitte en Cour, m'en laissa toute la charge [315].
[Note 315: Voir, ci-dessus, chapitre IV du Troisième Voyage, p. 265.]
Deslors j'en dressay des mémoires, que je monstray à Monsieur
le President Jeannin, lequel (comme il est desireux de voir
fructifier les bonnes entreprises) loua mon dessein, &
m'encouragea à la poursuitte d'iceluy.
Et m'asseurant que ceux qui ayment à pescher en eau trouble
trouveroient ce règlement fascheux, & rechercheroyent les
moyens de l'empescher, il me sembla à propos de me jetter entre
les bras de quelque grand, l'authorité duquel peust servir
contre leur envie.
Or cognoissant Monseigneur le Comte de Soissons [316] Prince
pieux & affectionné en toutes sainctes entreprises, par
l'entremise du sieur de Beaulieu, Conseiller & aumosnier
ordinaire du Roy, je m'adressay à luy, & luy remonstray
l'importance de l'affaire, les moyens de la régler, le mal que
le desordre avoit par cy devant apporté, & la ruine totale dont
285/433 elle estoit menacée, au grand des-honneur du nom François, si
Dieu ne suscitoit quelqu'sn qui la voulust relever, & qui
donnast esperance de faire un jour réunir ce que l'on a peu
esperer d'elle. Comme il fut instruict de toutes les
particularités de la chose, & qu'il eust veu la Carte du
pays que j'avois faicte, il me promit, sous le bon plaisir du
Roy, d'en prendre la protection.
[Note 316: Charles de Bourbon, comte de Soissons, alors gouverneur de
Dauphiné et de Normandie. (Hist. généalogique, etc., par le P. Anselme,
t. I, p. 350.)]
Aussi tost après je presentay à sa Majesté, & à Nosseigneurs de
son Conseil une requeste avec des articles, tendans à ce qu'il
luy pleust vouloir apporter un règlement en cet affaire, sans
lequel, ainsi que j'ay dict, elle s'en alloit perdue, & pource
sa Majesté en donna la direction & gouvernement à mondit
Seigneur le Comte [317], lequel deslors m'honora de sa
Lieutenance[318].
[Note 317: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612,
comme le prouve l'extrait suivant des lettres du duc d'Anville,
rapportées par Moreau de Saint-Méry, et reproduites dans les Mémoires et
Documents de la Société Historique de Montréal, page 110: «Voulant de
toute notre affection continuer le même dessein que les défunts Rois
Henri le Grand notre aïeul, et Louis XIII notre très-honoré Seigneur et
Père, avaient de favoriser la bonne intention de ceux qui avaient
entrepris de rechercher et découvrir ès pays de l'Amérique, des terres,
contrées, et lieux propres et commodes pour faire des habitations
capables d'établir des Colonies, afin d'essayer, avec l'assistance de
Dieu, d'amener les peuples qui en habitent les terres à sa connaissance,
et les faire policer et instruire à la Foi et Religion Catholique,
Apostolique et Romaine, et par ce moyen y établir notre autorité, et
introduire quelque commerce qui puisse apporter de l'utilité à nos
sujets: ayant été informé que par les voyages faits le long des Côtes et
Isles, desquelles nos prédécesseurs en auraient fait habiter
quelques-unes, il a été reconnu plusieurs Ports, Havres, et lieux
propres et bien commodes pour y aborder, habiter et donner un bon et
grand commencement pour l'entier accomplissement de ce dessein, et aussi
pour y découvrir et chercher chemin facile pour aller au pays de la
Chine, de Monoa et royaume des Incas, par dedans les Rivières et Terres
fermes du dit pays, avec assistance des habitants d'icelles; pour
faciliter laquelle entreprise ils auraient, par Lettres-Patentes du 8
Octobre 1612, donné la charge d'icelle à feu notre très-cher et bien amé
Cousin le Comte de Soissons, et icelui fait Gouverneur et notre
Lieutenant-Général du dit pays pour y représenter notre personne et
amener les peuples d'icelui pays à la connaissance de Dieu, et les faire
instruire à la Foi et Religion Catholique, Apostolique et Romaine, ainsi
qu'il est plus au long porté par les dites Lettres...»]
[Note 318: Dans l'édition de 1632, l'auteur rapporte lui-même cette
commission, qui est datée du 15 Octobre 1612.]
Or comme je me preparois à faire publier la Commission du Roy
286/434 par tous les ports & havres de France, la maladie de
Monseigneur le Comte arriva, & sa mort[319] tant regrettée, qui
recula un peu ceste affaire: Mais sa Majesté aussi tost en
remit la direction à Monseigneur le Prince [320], qui la remit
dessus: & mondit Seigneur m'ayant honoré pareillement de sa
Lieutenance[321], feit que je poursuivis la publication de
ladite commission, qui ne fut si tost faicte, que quelques
brouillons, qui n'avoyent aucun interest: en l'affaire,
l'importunerent de la faire casser, luy faisant entendre le
pretendu interest de tous les marchans de France, qui n'avoient
aucun subject de se plaindre, attendu qu'un chacun estoit reçeu
en l'association, & par ainsi aucun ne pouvoit justement
s'offencer: c'est pourquoy leur malice estant recogneuë furent
rejettées, avec permission seulement d'entrer en l'association.
[Note 319: Le comte de Soissons mourut le premier novembre 1612. (Hist.
généalogique, etc., par le P. Anselme, t. I, p. 350.)]
[Note 320: Henri de Bourbon, second du nom, auquel l'auteur dédie ce
Quatrième Voyage.]
[Note 321: Cette nouvelle commission est du 22 novembre 1612, comme on
peut le voir par celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15
février 1625, et qui est rapportée ci-après, liv. II de l'édit. 1632,
ch. I.]
Pendant ces altercations, il me fut impossible de rien faire
pour l'habitation de Quebeq, dans laquelle je desirois mettre
des ouvriers pour la reparer & augmenter, d'autant que le temps
de partir nous pressoit fort. Ainsi se fallut contenter pour
cette année d'y aller sans autre association, avec les
passeports de Monseigneur le Prince, qui furent donnés pour
quatre vaisseaux, lesquels estoient ja préparés pour faire le
voyage; sçavoir trois de Rouen & un de la Rochelle, à condition
que chacun fourniroit quatre hommes pour m'assister, tant en
287/435 mes descouvertures qu'à la guerre, à cause que je voulois tenir
la promesse que j'avois faicte aux sauvages Ochataiguins en
l'année 1611. de les assister en leurs guerres au premier
voiage.
Et ainsi que je me preparois pour partir, je fus adverti que la
Cour de Parlement de Rouen n'avoit voulu permettre qu'on
publiast la Commission du Roy, à cause que sa Majesté se
reservoit, & à son Conseil la seule cognoissance des différents
qui pourroient survenir en cet affaire: joint aussi que les
marchans de S. Maslo s'y opposerent; ce qui me traversa fort, &
me contraignit de faire trois voyages à Rouen, avec Jussions de
sa Majesté, en faveur desquelles la Cour se déporta de ses
empeschemens, & débouta les opposans de leurs prétentions: &
fut la Commission publiée par tous les ports de Normandie.
_Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre
arrivée au Saut.
CHAPITRE II.
JE partis de Rouen le 5 Mars pour aller à Honfleur, & le sieur
l'Ange avec moy, pour m'assister aux descouvertures, & à la
guerre si l'occasion s'en presentoit.
Le lendemain 6. du moys nous nous embarquasmes dans le vaisseau
du sieur de Pont-gravé, où aussi tost nous mismes les voiles au
vent, qui estoit lors assés favorable.
288/436 Le 10 Avril nous eusmes cognoissance du grand Banc, où l'on mit
plusieurs fois les lignes hors sans rien prendre.
Le 15, nous eusmes un grand coup de vent, accompagné de pluye &
gresle, suivi d'un autre, qui dura 48 heures, si impétueux,
qu'il fit périr plusieurs vaisseaux à l'isle du cap Breton.
Le 21, nous eusmes cognoissance de l'isle & Cap de Raye.
Le 29, les Sauvages Montagnais de la pointe de tous les Diables
[322] nous apercevans, se jetterent dans leurs canots, &
vindrent au devant de nous, si maigres & hideux, que je les
mescognoissois. A l'abord ils commencèrent à crier du pain,
disans, qu'ils mouroient de faim. Cela nous fit juger que
l'hyver n'avoit pas esté grand, & par consequent, la chasse
mauvaise: de cecy nous en avons parlé aux voyages precedens.
[Note 322: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)]
Quand ils furent dans nostre vaisseau ils regardoient chacun au
visage, & comme je ne paroissois point, ils demandèrent où
estoit monsieur de Champlain, on leur fit response que j'estois
demeuré en France: ce que ne croyans du tout, il y eut un
vieillard qui vint à moy en un coin, où je me promenois, ne
desirant encor estre cognu, & me prenant l'oreille (car il se
doutoyent qui j'estois) vid la cicatrice du coup de flèche que
je reçeus à la deffaicte des Yroquois: alors il s'escria, &
tous les autres après luy, avec grandes demonstrations de joye,
disans, Tes gens sont au port de Tadoussac qui t'attendent.
289/437 Ce mesme jour bien que nous fussions partis des derniers nous
arrivasmes pourtant les premiers audit Tadoussac, & de la mesme
marée le sieur Boyer de Rouen. Par là l'on cognoist que partir
avant la saison, ne sert qu'à se précipiter dans les glaces.
Ayans mouillé l'ancre nos gens nous vindrent trouver, & après
nous avoir déclaré comme tout se portoit en l'habitation, se
mirent à habiller trois outardes & deux lapins, qu'ils avoient
apportés, & en jetterent les tripailles à bort, sur lesquelles
se ruèrent ces pauvres sauvages, & ainsi que bestes affamées
les devorerent sans les vuider, & racloient avec les ongles la
graisse dont on avoit suivé nostre vaisseau, & la mangeoient
gloutonnement comme s'ils y eussent trouvé quelque grand goust.
Le lendemain [323] arriverent deux vaisseaux de S. Malo qui
estoient partis avant que les oppositions fussent vuidées, &
que la Commission fut publiée en Normandie. Je fus à bort
d'eux, accompagné de l'Ange: Les sieurs de la Moinerie & la
Tremblaye y commandoient, ausquels je fis lecture de la
Commission du Roy, & des deffences d'y contrevenir sur les
peines portées par icelles. Ils firent response qu'ils estoient
subjects & fidelles serviteurs de sa Majesté, & qu'ils
obeiroient à ses commandemens; & deslors je fis attacher sur le
port à un poteau les armes & Commissions de sa Majesté, afin
qu'on n'en pretendist cause d'ignorance.
[Note 323: Le 30 avril.]
Le 2 May voyant deux chalouppes equippées pour aller au Saut,
je m'embarquay avec ledict l'Ange dans l'une. Nous fusmes
contrariés de fort mauvais temps, en sorte que le mats de
290/438 nostre chalouppe se rompit, & si Dieu ne nous eust preservés,
nous nous fussions perdus, comme fit devant nos yeux une
chalouppe de S. Maslo qui alloit à l'isle d'Orléans, de
laquelle les hommes se sauverent.
Le 7 nous arrivasmes à Québec, où trouvasmes ceux qui y avoient
hyverné en bonne disposition, sans avoir esté malades, lesquels
nous dirent que l'hyver n'avoit point esté grand, & que la
riviere n'avoit point gelé. Les arbres commençoient aussi à se
revestir de feuilles, & les champs à s'esmailler de fleurs.
Le 13, nous partismes de Québec pour aller au Saut S. Louys, où
nous arrivasmes le 21. & y trouvasmes l'une de nos barques qui
estoit partie depuis nous de Tadoussac, laquelle avoit traicté
quelque peu de marchandises, avec une petite troupe
d'Algoumequins, qui venoyent de la guerre des Yroquois, &
avoient avec eux deux prisonniers. Ceux de la barque leur
firent entendre que j'estois venu avec nombre d'hommes pour les
assister en leurs guerres, suivant la promesse que je leur
avois faite les années précédentes; & de plus, que je desirois
aller en leur pays, & faire amitié avec tous leurs amis; dequoy
ils furent fort joyeux: Et d'autant qu'ils vouloient retourner
en leur pays pour asseurer leurs amis de leur victoire, voir
leurs femmes, & faire mourir leurs prisonniers en une
solemnelle Tabagie. Pour gages de leur retour, qu'ils
promettoient estre avant le milieu de la première lune (ainsi
qu'ils content) ils laisserent leurs rondaches, faictes de bois
& de cuir d'Elland, & partie de leurs arcs & flesches. Ce me
fut un grand desplaisir de ne m'estre trouvé à propos pour m'en
aller avec eux en leur pays.
291/439 Trois jours après arriverent trois canots d'Algoumequins qui
venoient du dedans des terres, chargés de quelque peu de
marchandises, qu'ils traictèrent, lesquels me dirent que le
mauvais traitement qu'avoient reçeus les Sauvages l'année
précédente, les avoit dégoûtés de venir plus, & qu'ils ne
croyoient pas que je deusse retourner jamais en leurs pays,
pour les mauvaises impressions que mes envieux leur avoient
données de moy; & pource 1200. hommes estoyent allez à la
guerre, n'ayans plus d'esperance aux François, lesquels ils ne
croyoient pas vouloir plus retourner en leur pays.
Ces nouvelles attristerent fort les marchans, car ils avoient
fait grande emplette de marchandises, sous esperance que les
sauvages viendroient comme ils avoient accoustumé: ce qui me
fit resoudre en faisant mes descouvertures, de passer en leur
pays, pour encourager ceux qui estoyent restés, du bon
traictement qu'ils recevroyent, & de la quantité de bonnes
marchandises qui estoyent au Saut, & pareillement de
l'affection que j'avois de les assister à la guerre: Et pour ce
faire, je leur fis demander trois canots & trois Sauvages pour
nous guider, & avec beaucoup de peine j'en obtins deux, & un
sauvage seulement, & ce moyennant quelques presens qui leur
furent faits.
292/440 _Partement pour descouvrir la mer du Nort, sur le rapport qui
m'en avoit este faict. Description de plusieurs rivieres, lacs,
isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts._
CHAPITRE III.
OR n'ayant que deux Canots, je ne pouvois mener avec moy que
quatre hommes, entre lesquels estoit un nommé Nicolas de Vignau
le plus impudent menteur qui se soit veu de long temps, comme
la suitte de ce discours le fera voir, lequel autresfois avoit
hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé aux
descouvertures les années précédentes. Il me r'apporta à son
retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la Mer du Nort,
que la riviere des Algoumequins[324] sortoit d'un lac qui s'y
deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du
Saut S. Louys à ladite mer: qu'il avoit veu le bris & fracas
d'un vaisseau Anglois qui s'estoit perdu à la coste, où il y
avoit 80 hommes qui s'estoient sauvés à terre, que les Sauvages
tuèrent à cause que lesdits Anglois leur vouloyent prendre
leurs bleds d'Inde & autres vivres par force, & qu'il en avoit
veu les testes qu'iceux Sauvages avoient escorchés (selon leur
coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir, ensemble me
donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient gardé. Ceste
nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir trouvé bien prés
ce que je cherchois bien loing: ainsi je le conjuray de me dire
293/441 la vérité, afin d'en advertir le Roy, & luy remonstray que s'il
donnoit quelque mensonge à entendre, il se mettoit la corde au
col, aussi que si sa relation estoit vraye, il se pouvoit
asseurer d'estre bien recompensé: Il me l'asseura encor avec
sermens plus grands que jamais. Et pour mieux jouer son roole,
il me bailla une relation du païs qu'il disoit avoir faicte, au
mieux qu'il luy avoit esté possible. L'asseurance donc que je
voyois en luy, la simplicité de laquelle je le jugeois plain,
la relation qu'il avoit dressée, le bris & fracas du vaisseau,
& les choses cy devant dictes, avoyent grande apparence, avec
le voyage des Anglois vers Labrador, en l'année 1612.[325] où
ils ont trouvé un destroit[326] qu'ils ont couru jusques par le
63e degré de latitude, & 290 de longitude[327], & ont hyverné
par le 53e degré, & perdu quelques vaisseaux[328], comme leur
relation en faict foy. Ces choses me faisant croire son dire
véritable, j'en fis deslors rapport à Monsieur le Chancelier
[329] je fis voir à Messieurs le Mareschal de Brissac, &
President Jeannin, & autres Seigneurs de la Cour, lesquels me
dirent qu'il me falloit voir la chose en personne. Cela fut
cause que je priay le sieur Georges, marchant de la Rochelle,
294/242 de luy donner passage dans son vaisseau, ce qu'il feit
volontiers; ou estant l'interrogea pourquoy il faisoit ce
voyage: & d'autant qu'il luy estoit inutile, luy demanda s'il
esperoit quelque salaire, lequel feit response que non, & qu'il
n'en pretendoit d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le
voyage que pour me monstrer la mer du Nord, qu'il avoit veue, &
luy en fit à la Rochelle une déclaration par devant deux
Notaires.
[Note 324: Aujourd'hui, l'Outaouais.]
[Note 325: La relation du dernier voyage de Henry Hudson fut publiée en
1612; mais le voyage avait eu lieu en 1610 et 1611. Les détails de cette
expédition du navigateur anglais se trouvent dans le tome IV du recueil
de Purchas, et ont été extraits des journaux d'Hudson. (Voir Biog.
univ., art. HUDSON.)]
[Note 326: Le détroit d'Hudson.]
[Note 327: Au temps de Champlain les géographes, surtout en France,
faisaient encore passer le premier méridien pour l'île de Fer, et
comptaient toujours les longitudes de l'ouest à l'est jusqu'à 360
degrés. De manière que 290° d'alors, répondent à 90° ouest de Paris; ce
qui donne à peu près la longitude des côtes occidentales de la baie
d'Hudson.]
[Note 328: Hudson, dans ce voyage, n'avait qu'un seul vaisseau.]
[Note 329: Nicolas Brûlart de Sillery.]
Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le jour de la
Pentecoste[330], aux prières desquels je me recommandois, & de
tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il
avoit cy devant dict: n'estoit vray, qu'il ne me donnast la
peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire il falloit
courir plusieurs dangers. Il asseura encore derechef tout ce
qu'il avoit dict au péril de sa vie.
[Note 330: Le jour de la Pentecôte tombait, cette année, le 26 de mai.]
Ainsi nos Canots chargés de quelques vivres, de nos armes &
marchandises pour faire presens aux Sauvages, je partis le
lundy 27 May de l'isle saincte Helaine avec 4 François & un
Sauvage, & me fut donné un adieu avec quelques coups de petites
pièces, & ne fusmes ce jour qu'au Saut S. Louys, qui n'est
qu'une lieue au dessus, à cause du mauvais temps qui ne nous
permit de passer plus outre.
Le 29, nous le passasmes, partie par terre, partie par eau, où
il nous fallut porter nos Canots, hardes, vivres & armes sur
nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont
accoustumés: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous
entrasmes dans un lac[331] qui a de circuit environ 12 lieues,
295/443 où se deschargent trois rivieres, l'une venant de l'ouest[332],
du costé des Ochataiguins esloignés du grand Saut de 150 ou 200
lieues; l'autre[333] du Sud pays des Yroquois, de pareille
distance[334]; & l'autre [335] vers le Nord, qui vient des
Algoumequins, & Nebicerini[336], aussi à peu prés de semblable
distance. Cette riviere du Nord, suivant le rapport des
Sauvages, vient de plus loing[337], & passe par des peuples qui
leur sont incogneus, distans environ de 300 lieues d'eux.
[Note 331: Le lac Saint-Louis. Ici, Lescarbot fait encore à Champlain un
reproche de contradiction qui est assez mal fondé. «En trois endroicts
il (Champlain) dit que le lac au dessus du saut de la grande rivière de
Canada est à huit lieues de là, & par après il dit qu'il n'y a que deux
lieues, & ne le fait que de douze lieues de circuit, comme ainsi soit
que sur sa charte il le face de quinze journées de long.» (Hist. de la
Nouv. France, p. 647.) D'abord, Champlain ne dit nulle part que le lac
Saint-Louis soit à huit lieues du Saut. Au chapitre III de son Troisième
Voyage (voir ci-dessus, p. 256), il dit avoir été «dans le bois,
quelques huit lieues sur le bord d'un lac (probablement le lac des
Deux-Montagnes, et non le lac Saint-Louis) où il avait été auparavant»:
et ici, il dit où donne à entendre que le lac (Saint-Louis) n'est qu'à
deux lieues du saut; ce qui n'est pas très-inexacte. En second lieu, à
quiconque sait un peu la géographie du pays, il suffit de jeter un coup
d'oeil sur la grande carte de 1613 pour voir que le lac auquel Champlain
marque 15 journées n'est rien autre chose que le lac Ontario, décrit
évidemment sur le récit des sauvages, mais très-reconnaissable du reste,
et que par conséquent il n'y a pas l'ombre de contradiction.]
[Note 332: C'est le Saint-Laurent même, qui vient plutôt du sud-ouest;
mais, en entrant dans le lac Saint-Louis, il paraît effectivement avoir
cette direction.]
[Note 333: L'auteur semble désigner ici la rivière de Châteauguay.]
[Note 334: Le pays des Iroquois n'était qu'à environ la moitié de cette
distance.]
[Note 335: Cette rivière s'appelait dès lors rivière des Algoumequins,
et l'on en voit ici la raison. Plus tard, et pour une raison analogue,
on lui donna le nom de Rivière des Outaouais. Cette rivière ne vient pas
du Nord; mais elle se décharge dans le lac Saint-Louis, du côté du
nord.]
[Note 336: Ou Nipissirini. C'est le nom algonquin de la nation des
Sorciers, qui demeurait au lac Nipissing. Les Hurons leur donnaient un
nom équivalent dans leur langue, _Askiquanéronon_, c'est-à-dire, les
Sorciers. «Les François appellent ordinairement les Ebicerinys le peuple
sorcier, non qu'ils le soient tous, mais pourceque c'est une nation qui
faict particulière profession de consulter le diable en leur necessité.»
(Sagard, Hist. du Canada, p. 193.)]
[Note 337: L'Outaouais, comme on sait, prend sa source une cinquantaine
de lieues plus au nord que le lac Nipissing.]
Ce lac est rempli de belles & grandes isles, qui ne sont que
prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le gibier
y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le païs qui
l'environne est rempli de grandes forests. Nous fusmes coucher
296/444 à l'entrée dudict lac, & fismes des barricades, à cause des
Yroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs
ennemis, & m'asseure que s'il nous tenoient, ils nous feroient
aussi bonne chère qu'à eux, & pource toute la nuict fismes bon
quart. Le lendemain je prins la hauteur de ce lieu, qui est par
les 45 degrez 18 minutes de latitude[338]. Sur les trois heures
du soir nous entrasmes dans la riviere qui vient du Nord, &
passasmes un petit Saut[339] par terre pour soulager nos
canots, & fusmes à une isle le reste de la nuict en attendant
le jour.
[Note 338: Cette hauteur est un peu faible; l'entrée du lac est vers les
45° 25'.]
[Note 339: Ce saut paraît être celui qui sépare l'île Perrot et l'île de
Montréal. Il est appelé, dans quelques cartes, rapide de Brussi.]
Le dernier May nous passasmes par un autre lac [340] qui a 7 ou
8 lieues de long, & trois de large, où il y a quelques isles:
Le païs d'alentour est fort uni, horsmis en quelques endroits,
où il y a des costaux couverts de pins. Nous passasmes un Saut
qui est appelé de ceux du païs Quenechouan[341] qui est rempli
de pierres & rochers, où l'eau y court de grand vistesse: il
nous falut mettre en l'eau & traisner nos Canots bort à bort de
terre avec une corde: à demi lieue de là nous en passasmes un
autre petit à force d'avirons, ce qui ne se faict sans suer, &
297/445 y a une grande dextérité à passer ces Sauts pour eviter les
bouillons & brisants qui les traversent, ce que les Sauvages
sont d'une telle adresse, qu'il est impossible de plus,
cherchans les destours & lieux plus aysés qu'ils cognoissent à
l'oeil.
[Note 340: Le lac des Deux-Montagnes, que l'auteur appelle lac de
Soissons, dans sa carte de 1632.]
[Note 341: «Plusieurs des noms employés par les sauvages» dit M.
Ferland, «se conservent encore. Ainsi, Quenechouan, nom d'un rapide à
l'entrée de l'Outaouais, se retrouve dans celui de Quinchien, donné à un
gros ruisseau et à une pointe de terre qui sont dans le voisinage... Le
nom de Quinchien fournit l'occasion de remarquer qu'en général il faut
se défier des étymologies que l'imagination va chercher bien loin, quand
elles se trouvent dans les langues des aborigènes. On a dit, pour
expliquer l'origine du nom de Quinchien, que les quinze premiers
habitants de ce lieu, normands renforcés, étaient sans cesse en procès,
et que de là on avait nommé leur village Quinzechiens. Comme on le voit,
tout cet échafaudage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan.» (Cours
d'Hist. du Canada, I, p. 163, note 2.) Ce saut et les trois ou quatre
suivants dont parle ici l'auteur, forment ce que l'on a appelé, depuis,
le Long-Saut.]
Le samedy 1er de Juin nous passasmes encor deux autres Sauts:
le premier contenant demie lieue de long, & le second une
lieue, où nous eusmes bien de la peine; car la rapidité du
courant est si grande, qu'elle faict un bruict effroyable, &
descendant de degré en degré, faict une escume si blanche par
tout, que l'eau ne paroist aucunement: ce Saut est parsemé de
rochers & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins &
cèdres blancs: Ce fut là, où nous eusmes de la peine: car ne
pouvans porter nos Canots par terre à cause de l'espaisseur du
bois, il nous les failloit tirer dans l'eau avec des cordes, &
en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa
dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement
entre deux rochers, le Canot m'entraisnoit; d'autant que je ne
peus deffaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à
l'entour de ma main, qui me l'offença fort, & me la pensa
coupper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer
mon Canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se
faict en ces Sauts, & lors estant eschappé je louay Dieu, le
priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me
secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner
si j'estois curieux de conserver nostre Canot: car s'il eut
esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que
298/446 quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente
à ceux qui n'ont de quoy disner, & qui ne sont accoustumés à
telle fatigue. Pour nos François ils n'en eurent pas meilleur
marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la
Divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous
nous reposasmes, ayans assés travaillé.
Nous rencontrasmes le lendemain 15 Canots de Sauvages appellés
Quenongebin [342], dans une riviere, ayant passé un petit lac
[343] long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté
advertis de ma venue par ceux qui avoient passé au Saut S.
Louys venans de la guerre des Yroquois: je fus fort aise de
leur rencontre, & eux aussi, qui s'estonnoient de me voir avec
si peu de gens en ce païs, & avec un seul Sauvage. Ainsi après
nous estre salués à la mode du païs, je les priay de ne passer
outre pour leur déclarer ma volonté, ce qu'ils firent, & fusmes
cabaner dans une isle.
[Note 342: Ou Kinounchepirini, nation algonquine, dont le pays était
situé «au sud de l'Isle» (Relat. 1640, ch. x), c'est-à-dire, au sud de
l'île des Allumettes.]
[Note 343: Au-dessus du Long-Saut, le cours de l'Outaouais est
tranquille, et parfois la rivière s'élargit et forme comme une suite de
lacs qui ont jusqu'à une lieue, une lieue et demie de largeur. Celui
dont parle ici Champlain paraît répondre à ce bassin qui est au-dessus
de la pointe à l'Orignal, et qui a près de deux lieues de large
vis-à-vis la baie des Atocas.]
Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leurs
pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je
leur avois par cy devant faicte; & que s'ils estoient resolus
d'aller à la guerre, cela m'agreroit fort, d'autant que j'avois
amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort
satisfaits: & leur ayant dict que je voulois passer outre pour
advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner,
299/447 disans, qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions
rien veu jusques alors; & pource je les priay de me donner un
de leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme Canot, & aussi
pour nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus
rien: ils le firent volontiers, & en recompense je leur fis un
present, & leur baillay un de nos François, le moins
necessaire, lequel je renvoyois au Saut avec une feuille de
tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir
de mes nouvelles.
Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre route à mont
ladicte riviere, en trouvasmes une autre fort belle &
spatieuse, qui vient d'une nation appelée Ouescharini[344],
lesquels se tiennent au Nord d'icelle, & à 4 journées de
l'entrée. Ceste riviere est fort plaisante, à cause des belles
isles qu'elle contient, & des terres garnies de beaux bois
clairs qui la bordent, la terre est bonne pour le labourage.
Le quatriesme nous passasmes proche d'une autre riviere[345]
qui vient du Nord, où se tiennent des peuples appelles
Algoumequins, laquelle va tomber dans le grand fleuve sainct
Laurens 3 lieues aval le Saut S. Louys[346], qui faict une
300/448 grande isle contenant prés de 40 lieues, laquelle[347] n'est
pas large, mais remplie d'un nombre infini de Sauts, qui sont
fort difficiles à passer: Et quelquesfois ces peuples passent
par ceste riviere pour éviter les rencontres de leurs ennemis,
sçachans qu'ils ne les recherchent en lieux de si difficile
accès.
[Note 344: Ou Ouaouiechkaïrini. C'est le nom algonquin de ceux qu'on a
appelés, quelques années plus tard, la Petite Nation des Algonquins
(Relations des Jésuites); ce qui explique pourquoi la rivière s'appelle,
encore aujourd'hui, rivière de la Petite-Nation.]
[Note 345: Ce que l'auteur dit un peu plus loin, prouve évidemment qu'il
parle ici de la Gatineau.]
[Note 346: La petite et la grande cartes que l'auteur publia à cette
époque-là même, prouvent qu'il avait assez bien compris le rapport que
les sauvages lui faisaient de cette rivière. Mais alors comment faut-il
entendre ce passage? Suivant nous, voici ce qu'a voulu dire Champlain:
«laquelle (la Gatineau) _va joindre dans les terres une autre riviere_
(le Saint-Maurice), _qui_ va tomber 30 lieues (et non pas 3) aval le
faut S. Louys.» Et il est tout à fait probable que le typographe aura
passé les mots que nous mettons en italiques, ou quelque chose
d'équivalent. La phrase ainsi rétablie, tout devient clair ou du moins
explicable. D'abord, la Gatineau et le Saint-Maurice entourent, avec le
Saint-Laurent une étendue de terre qui forme comme une grande île de
quarante lieues ou un peu plus. En second lieu, les sauvages, en suivant
cette route, evitaient réellement «les rencontres de leurs ennemis»:
tandis que, en reprenant le fleuve trois lieues au-dessous du saut, ils
avaient encore à passer les endroits les plus dangereux, l'entrée de la
rivière des Iroquois et le lac Saint-Pierre.]
[Note 347: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.]
A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre [348] qui vient du
Sud, où à son entrée il y a une cheute d'eau admirable: car
elle tombe d'une telle impetuosité de 20. ou 25 brasses[349]
de haut, qu'elle faict une arcade, ayant de largeur prés de 400
pas. Les sauvages passent dessoubs par plaisir sans se mouiller
que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle au milieu
de la dicte riviere, qui est comme tout le terroir d'alentour,
remplie de pins & cèdres blancs: Quand les Sauvages veulent
entrer dans la riviere, ils montent la montagne en portant
leurs Canots, & font demye lieue par terre. Les terres des
environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui faict que
les Sauvages s'y arrestent plus tost, les Yroquois y viennent
aussi quelquesfois les surprendre au passage.
[Note 348: La rivière Rideau.]
[Note 349: Il s'en faut de beaucoup que cette chute soit aussi haute.
Peut-être l'auteur a-t-il voulu dire 20 ou 25 pieds; ce qui serait plus
proche de la réalité, puisqu'elle a 34 pieds anglais, ou un peu plus de
30 pieds français. (Smith's Canadian Gazetteer.)]
Nous passasmes un Saut à une lieue de là, qui est large de
demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a
301/449 quantité de petites isles qui ne sont que rochers aspres &
difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un
endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé
par succession de temps un large & profond bassin: si bien que
l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant
de gros bouillons, a faict que les Sauvages l'appellent
Asticou, qui veut dire chaudière. Ceste cheute d'eau meine un
tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux
lieues. Les Sauvages passants par là, font une cérémonie que
nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter
contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au
pied dudict Saut, où les Sauvages prirent les Canots, & nos
François & moy, nos armes, vivres & autres commodités pour
passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que
contient le Saut, & aussi tost nous fallut embarquer, puis
derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis
environ 300 pas, après se mettre en l'eau pour faire passer nos
Canots par dessus les rochers aigus, avec autant de peine que
l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu & trouvay
45 degrés 38 minutes, de latitude [350].
[Note 350: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.]
Après midy nous entrasmes dans un lac ayant 5 lieues de long, &
2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de vignes,
noyers & autres arbres aggreables, 10 ou 12 lieues de là amont
la riviere nous passasmes par quelques isles remplies de Pins;
La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui teint en
couleur cramoysie, de laquelle les Sauvages se peindent le
302/450 visage, & de petits affiquets à leur usage. Il y a aussi une
coste de montagnes du long de cette riviere, & le païs des
environs semble ânes fascheux. Le reste du jour nous le
passasmes dans une isle fort aggreable.
Le lendemain [351] nous continuasmes nostre chemin jusques à un
grand Saut[352], qui contient prés de 3 lieues de large, où
l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, &
faict un merveilleux bruit. Il est rempli d'une infinité
d'isles, couvertes de Pins & de Cèdres: & pour le passer il
nous fallut resoudre de quitter nostre Maïs ou bled d'Inde, &
peu d'autres vivres que nous avions, avec les hardes moins
necessaires, reservans seulement nos armes & filets, pour nous
donner à vivre selon les lieux & l'heur de la chasse. Ainsi
allégés nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en
portant nos Canots & armes par ledict Saut, qui a une lieue &
demie de long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce
travail, & accoustumés à endurer telles necessités, nous
soulagerent beaucoup.
[Note 351: Le 5 de juin.]
[Note 352: Ce saut et les deux autres qui sont mentionnés plus loin,
forment ce qu'on appelle le rapide des Chats.]
Poursuivans nostre route nous passasmes deux autres Sauts, l'un
par terre, l'autre à la rame & avec des perches en déboutant,
puis entrasmes dans un lac [353] ayant 6 ou 7 lieues de long,
où se descharge une riviere[354] venant du Sud, où à cinq
journées de l'autre riviere [355] il y a des peuples qui y
habitent appelés Matou-ouescarini. Les terres d'environ ledit
303/451 lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté
presque tous bruslés par les sauvages. Il y a quelques isles,
dans l'une desquelles nous reposames, & vismes plusieurs beaux
cyprès rouges, les premiers que j'eusse veus en ce païs,
desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle,
en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme
j'ay faict aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay
ceste isle, l'isle saincte Croix.
[Note 353: Le lac des Chats.]
[Note 354: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskairini.]
[Note 355: C'est-à-dire, le Saint-Laurent.]
Le 6, nous partismes de ceste isle saincte croix, où la riviere
est large d'une lieue & demie, & ayant faict 8 ou 10 lieues,
nous passasmes un petit Saut à la rame, & quantité d'isles de
différentes grandeurs. Icy nos sauvages laisserent leurs sacs
avec leurs vivres, & les choses moins necessaires afin d'estre
plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs Sauts
qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre
nos sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit
aucun danger par les Sauts, & qu'il y falloit passer: Nos
sauvages luy disoient tu es lassé de vivre; & à moy, que je ne
le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant
remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance
desdits lieux, je suivis l'advis des sauvages, dont bien il
m'en prit, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou
pour me dégoûter de l'entreprise, comme il a confessé depuis
(dequoy fera parlé cy après.) Nous traversames donc à l'ouest
la riviere qui couroit au Nord, & pris la hauteur de ce lieu
qui estoit par 46 2/3[356] de latitude. Nous eusmes beaucoup de
304/452 peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour
ma part de trois arquebuses, autant d'avirons, de mon capot, &
quelques petites bagatelles; j'encourageois nos gens qui
estoient quelque peu plus chargés, & plus grevés des mousquites
que de leur charges. Ainsi après avoir passé 4 petits estangs,
& cheminé deux lieues & demie, nous estions tant fatigués qu'il
nous estoit impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit
prés de 24 heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson
rosti, sans autre sauce, car nous avions laissé nos vivres,
comme j'ay dit cy dessus. Ainsi nous posasmes sur le bort d'un
estang, qui estoit assez aggreable, & fismes du feu pour
chasser les Mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité
desquelles est si estrange qu'il est impossible d'en pouvoir
faire la description. Nous tendismes nos filets pour prendre
quelques poissons.
[Note 356: L'on ne pouvait pas être à une si grande hauteur, puisque
l'on venait de passer les Chenaux, et que l'on n'était tout au plus
qu'au portage du Fort, dont la latitude est d'environ 45° 36'.]
Le lendemain nous passasmes cet estang qui pouvoit contenir une
lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3 lieues par des
païs difficiles plus que n'avions encor veu, à cause que les
vents avoient abatu des pins, les uns sur les autres, qui n'est
pas petite incommodité, car il faut passer tantost dessus &
tantost dessous ces arbres, ainsi nous parvinsmes à un
lac[357], ayant 6 lieues de long, & 2 de large, fort abondant
en poisson, aussi les peuples des environs y font leur
pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages qui
cultivent la terre, & recueillent du Maïs: le chef se nomme
305/453 Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé
comment nous avions peu passer les Sauts & mauvais chemins
qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté
du petun selon leur mode, il commença à haranguer ses
compagnons, leur disant, Qu'il falloit que fussions tombés des
nues, ne sachant comment nous avions peu passer, & qu'eux
demeurans au païs avoient beaucoup de peine à traverser ces
mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de
tout ce que mon esprit vouloit: bref qu'il croyoit de moy ce
que les autres sauvages luy en avoient dict. Et scachans que
nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous
mangeasmes, & après disné je leur fis entendre par Thomas mon
truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrés, que
j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que
je desirois aller plus avant voir quelques autres capitaines
pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent
assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il
y avoit du Maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource
s'adonnent plus à la chasse qu'au labour, au contraire des
Ochataiguins. Quand ils veulent rendre un terroir labourable,
ils bruslent les arbres, & ce fort aysément, car ce ne sont que
pins chargés de resine. Le bois bruslé ils remuent un peu la
terre, & plantent leur Maïs grain à grain, comme ceux de la
Floride: il n'avoit pour lors que 4 doigts de haut.
[Note 357: Le lac du Rat-Musqué; mais les dimensions que l'auteur donne
à ce lac sont un peu trop fortes.]
306/454
_Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4
Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les refusent.
Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me
remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés.
Tessouat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où
il disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse
de me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur
convaincu de mensonge, & sa confession._
CHAPITRE IV.
Nibachis feit equipper deux Canots pour me mener voir un autre
Capitaine nommé Tessouat, qui demeuroit à 8 lieues de luy, sur
le bort d'un grand lac, par où passe la riviere que nous avions
laissée qui refuit au Nord; ainsi nous traversasmes le lac à
l'Ouest Nord-ouest, prés de 7 lieuës[358], où ayans mis pied à
terre fismes une lieue au Nort-est parmy d'assés beaux païs, où
il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer
aysément, & arrivasmes sur le bort de ce lac [359], où estoit
l'habitation de Tessouat[360], qui estoit avec un autre chef
sien voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit
que je fusse un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit.
307/455 De là nous passasmes en une isle[361], où leurs Cabanes sont
assez mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de
chesnes, pins & ormeaux, & n'est subjette aux innondations des
eaux, comme sont les autres isles du lac.
[Note 358: Pour faire sept lieues au nord-ouest, il fallait
non-seulement traverser le lac du Rat-Musqué, mais descendre une partie
de la décharge, ou rivière du Rat-Musqué.]
[Note 359: Le lac des Allumettes.]
[Note 360: Probablement le même qu'il avait vu à Tadoussac en 1603.
(Voir 1603, p. 12.)]
[Note 361: L'île des Allumettes. Cette île occupe une place importante
dans l'histoire des nations sauvages du Canada; si bien que, dans les
Relations, on l'appelle simplement l'Ile, et l'on disait les Sauvages de
l'Ile, pour désigner la nation qui y demeurait, et dont le nom algonquin
était _Kichesipirini_, hommes de la Grande-Rivière. «Les sauvages qui
l'habitent,» dit le P. Le Jeune (Relat. 1636), «sont extrêmement
superbes... Ces insulaires voudroient bien que les Hurons ne vinssent
point aux François, & que les François n'allassent point aux Hurons,
afin d'emporter eux seuls tout le trafic... C'est chose estrange que
quoy que les Hurons soient dix contre un seul insulaire, si est-ce
qu'ils ne passeront pas si un seul insulaire s'y oppose.» «Ce peuple,»
dit Sagard (Hist. du Canada, p. 810), «est malicieux jusques là, que de
ne laisser passer par leurs terres au temps de la traite, un ou deux
canots seulement, mais veulent qu'ils s'attendent l'un l'autre, &
passent tous à la fois, pour avoir leurs bleds & farines à meilleur
prix, qui leur contraignent de traiter pour des pelleteries.»]
Ceste isle est forte de situation: car aux deux bouts d'icelle,
& à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il y a des
Sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte; & s'y
sont logés pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle est
par les 47. [362] degrés de latitude, comme est le lac, qui a
20 lieues de long[363], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson,
mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.
[Note 362: Si l'on part de la supposition que cette latitude est exacte,
sans se donner la peine de concilier ce chiffre avec tous les autres
détails du récit de Champlain, on pourra, comme ont fait quelques-uns de
nos historiens, conclure que l'auteur est rendu au lac Témiscaming.
Mais, si l'on a suivi nos voyageurs pas à pas et la carte à la main, il
est impossible de ne pas reconnaître ici le lac et l'île des Allumettes,
qui cependant n'atteignent pas même le quarante-sixième parallèle. La
carte même de l'auteur en fournit une double preuve. D'abord l'île des
Allumettes y est figurée de la manière la plus claire, et la table des
renvois lui assigne le nom d'Ile de Tessouat. En second lieu, Champlain,
dans cette carte, met l'île des Allumettes au quarante-septième degré,
suivant la hauteur qu'il trouve ici. «Pareille erreur,» remarque à cette
occasion M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, p. 164), «n'a rien qui
doive surprendre, dans une expédition où il lui devait être difficile de
faire des observations exactes.»]
[Note 363: Telle est la longueur que l'auteur donne au lac des
Allumettes, dans la carte de 1632; cependant le lac des Allumettes
proprement dit n'a qu'une dizaine de lieues de long, et c'est aussi la
longueur qu'il lui donne dans le texte de l'édition de 1632.]
Ainsi comme je visitois l'isle j'apperceus leurs cimetières, où
je fus ravi en admiration, voyant des sepulchres de forme
308/456 semblable aux chasses, fais de pièces de bois, croisées par en
haut & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ:
sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de
bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est
gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de
celuy ou celle qui y est enterré. Si c'est un homme ils y
mettent une rondache, une espée amanchée à leur mode, une
masse, un arc & des flesches; S'il est Capitaine, il aura un
panache sur la teste, & quelque autre matachia ou enjoliveure;
si un enfant, ils luy baillent un arc & une flesche, si une
femme, ou fille, une chaudière, un pot de terre, une cueillier
de bois & un aviron; Tout le tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds
pour le plus grand, & de largeur 4 les autres moings. Ils sont
peints de jaune & rouge, avec plusieurs ouvrages aussi délicats
que la sculpture. Le mort est enseveli dans sa robe de castor
ou d'autres peaux, desquelles il se servoit en sa vie, & luy
mettent toutes ses richesses auprès de luy, comme haches,
couteaux, chaudières & aleines, affin que ces choses luy
servent au pays où il va: car ils croyent l'immortalité de
l'âme, comme j'ay dict autre part[364]. Ces sepulchres gravé ne
se font qu'aux guerriers, car aux autres ils n'y mettent non
plus qu'ils font aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en
retrouve il peu entr'eux.
[Note 364: Ci-dessus, page 165, et aussi Voyage de 1603, pages 19, 20.]
Aprés avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur
demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais païs,
veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoyent
309/457 desert & abandonné, comme le Saut S. Louys. Ils me respondirent
qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en seureté, & que
l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart contre leurs
ennemis: Mais que si je voulois faire une habitation de
François au Saut S. Louys, comme j'avois promis, qu'ils
quitteroyent leur demeure pour se venir loger prés de nous,
estans asseuré que leurs ennemis ne leur feroyent point de mal
pendant que nous serions avec eux. Je leur dis que ceste année
nous ferions les préparatifs de bois & pierres pour l'année
suivante faire un fort, & labourer ceste terre: Ce qu'ayant
entendu ils firent un grand cry en signe d'applaudissement. Ces
propos finis, je priay tous les Chefs & principaux d'entr'eux,
de se trouver le lendemain en la grand terre, en la cabane de
Tessouat, lequel me vouloit faire Tabagie, & que là je leur
dirois mes intentions, ce qu'ils me promirent; & deslors
envoyerent convier leurs voisins pour s'y trouver.
Le lendemain tous les conviés vindrent avec chacun son escuelle
de bois, & sa cueillier[365], lesquels sans ordre, ny cérémonie
s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat, qui leur
distribuast une manière de bouillie, faite de Maïs, escrasé
entre deux pierres, avec de la chair & du poisson, coupés par
petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils avoyent
aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson bouilli
à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard, d'autant que
je ne voulois point de leur bouillie, à cause qu'ils cuisinent
310/458 fort salement, je leur demanday du poisson & de la chair, pour
l'accommoder à ma mode; ils m'en donnèrent. Pour le boire nous
avions de belle eau claire. Tessouat qui faisoit la Tabagie
nous entretenoit sans manger suivant leur coustume.
[Note 365: La cuiller de bois s'appelle, en algonquin, _micouanne_, mot
qui a été adopté par les Canadiens.]
La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux
harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte
des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient
demeurés commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent
les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à
cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.
Après avoir parmi un si long silence amplement petuné, je leur
fis entendre par mon Truchement que le subject de mon voyage
n'estoit autre que pour les asseurer de mon affection, & du
desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme
j'avois auparavant faict Que ce qui m'avoit empesché l'année
dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que
le Roy m'avoit occuppé en d'autres guerres, mais que maintenant
il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces
choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au Saut
S. Louys, & que je m'estois venu promener en leur païs pour
recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres, &
mer qu'ils m'avoyent dict estre en leur pays: & que je desirois
voir une nation distant de 6 journées d'eux, nommée Nebicerini,
pour les convier aussi à la guerre; & pource je les priay de me
donner 4 Canots, avec huict sauvages pour me conduire esdictes
311/459 terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas grands
amis des Nebicerini[366], ils sembloyent m'escouter avec plus
grande attention.
[Note 366: Ces Nipissirini étaient eux-mêmes algonquins; mais, en leur
qualité de sorciers, ils étaient ou redoutés ou mal vus des autres
nations même algonquines, suivant la remarque de Tessouat, qui les
accuse, un peu plus loin, «d'avoir fait mourir beaucoup de leurs gens
par sort et empoisonnements.»]
Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à
deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis
Tessouat pour tous prit la parole & dict, Qu'ils m'avoient
tousjours recognu plus affectionné en leur endroit, qu'aucun
autre François qu'ils eussent veu, que les preuves qu'ils en
avoient eues le passé, leur facilitoyent la créance pour
l'advenir; de plus, que je monstrois estre bien leur amy, en ce
que j'avois passé tant de hazards pour les venir voir, & pour
les convier à la guerre, & que toutes ces choses les
obligeoyent à me vouloir du bien, comme à leurs enfans propres;
Que toutesfois l'année dernière je leur avois manqué de
promesse, & que 2000 sauvages estoient venus au Saut en
intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire des
presens, & ne m'ayant trouvé, furent fort attristez, croyant
que je fusse mort, comme quelques uns leur avoyent dict: aussi
que les François qui estoient au Saut ne les voulurent assister
à leurs guerres, & qu'ils furent mal traictés par aucuns, de
sorte qu'ils avoyent resolu entr'eux de ne plus venir au Saut,
& que cela les avoit occasionnés (n'esperans plus me voir)
d'aller à la guerre seuls, & de fait que 1200 des leurs y
estoyent allés. Et d'autant que la pluspart des guerriers
estoyent absens, ils me prioient de remettre la partie à
312/460 l'année suivante, & qu'ils feroient sçavoir cela à tous ceux de
la contrée. Pour ce qui estoit des 4 Canots que je demandois,
ils me les accordèrent, mais avec grandes difficultés, me
disans qu'il leur desplaisoit fort de telle entreprise, pour
les peines que j'y endurerois; que ces peuples estoient
sorciers, & qu'ils avoient faict mourir beaucoup de leurs gens
par sort & empoisonnemens, & que pour cela ils n'estoient amis:
au surplus que pour la guerre je n'avois affaire d'eux,
d'autant qu'ils estoyent de petit coeur, me voulans destourner
avec plusieurs autres propos sur ce subject.
Moy d'autrepart qui n'avois autre desir que de voir ces
peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du Nord,
facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas
loing jusques en leurs païs; que pour les mauvais passages, ils
ne pouvoyent estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par
cy devant; & pour le regard de leurs sortileges qu'ils
n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu
m'en preserveroit; que je cognoissois aussi leurs herbes, & par
ainsi je me garderois d'en manger; que je les voulois rendre
ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect,
m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces
raisons ils m'accordèrent, comme j'ay dict, ces 4 Canots,
dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées,
sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée.
Pour passer le reste du jour, je me fus promener par leurs
jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles,
phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où
313/461 Thomas mon truchement, qui entend fort bien la langue, me vint
trouver, pour m'advertir que ces sauvages, après que je les eus
quittés, avoient songé que si t'entreprends ce voyage, que je
mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces
Canots promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entreux qui me
voulut conduire; mais que je remisse ce voyage à l'année
prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon equippage, pour se
deffendre d'iceux, s'il leur vouloient mal faire, pource qu'ils
sont mauvais.
Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les
trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimés
hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroyent
enfans, & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs
promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié; toutesfois
que s'ils se sentoient incommodés de 4 Canots, qu'ils ne m'en
baillassent que 2 & 4 sauvages seulement.
Ils me representerent derechef la difficulté des partages, le
nombre des Sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit
pour crainte qu'ils avoyent de me perdre qu'ils me faisoient ce
refus.
Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils se
monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais creu;
que j'avois un garçon, (leur monstrant mon imposteur) qui avoit
esté dans leur pays, & n'avoit recognu toutes les difficultés
qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais qu'ils
disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, & specialement
Tessoüat vieux Capitaine, avec lequel il avoit hyverné, &
l'appelant par son nom, luy dict en son langage, Nicolas est il
314/462 vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini? Il fut long temps
sans parler, puis il leur dict en leur langue, qu'il parle
aucunement, Ouy j'y ay esté. Aussi tost ils le regardèrent de
travers, & se jettans sur luy, comme s'ils l'eussent voulu
manger ou deschirer, firent de grands cris, & Tessoüat luy
dict, tu es un asseuré menteur, tu sçais bien que tous les
soirs tu couchois à mes costés avec mes enfans, & tous les
matins tu t'y levois, si tu as esté vers ces peuples, ça esté
en dormant, comment as tu esté si impudent d'avoir donné à
entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir
hazarder sa vie parmi tant de dangers? tu es un homme perdu, il
te devroit faire mourir plus cruellement que nous ne faisons
nos ennemis: je ne m'estonnois pas[367] s'il nous importunoit
tant sur l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis
qu'il eust à respondre à ces peuples, & puis qu'il avoit esté
en ces terres qu'il en donnast des enseignemens pour me le
faire croire, & me tirer de la peine où il m'avoit mis, mais il
demeura muet & tout esperdu.
[Note 367: Il faudrait: _je ne m'estonne pas_.]
A l'heure je le tiray à l'escart des sauvages, & le conjuray de
me déclarer la vérité du faict: que s'il avoit veu ceste mer,
que je luy ferois donner la recompense que je luy avois
promise, & s'il ne l'avoit veue, qu'il eut à me le dire sans me
donner d'avantage de peine: Derechef avec juremens il afferma
tout ce qu'il avoit par cy devant dict, & qu'il me le feroit
voir, si ces sauvages vouloient bailler des Canots.
Sur ces discours Thomas me vint advertir que les sauvages de
l'isle envoyoient secrettement un Canot aux Nebicerini, pour
les advertir de mon arrivée.
315/463 Et lors pour me servir de l'occasion, je fus trouver lesdits
sauvages, pour leur dire que j'avois songé ceste nuict qu'ils
vouloyent envoyer un Canot aux Nebicerini sans m'en advertir,
dequoy j'estois estonné, veu qu'ils sçavoyent que j'avois
volonté d'y aller: à quoy ils me firent response, disans, que
je les offençois fort, en ce que je me fiois plus à un menteur,
qui me vouloit faire mourir, qu'à tant de braves Capitaines qui
estoient mes amys, & qui avoyent ma vie chère: je leur
repliquay, que mon homme (parlant de nostre imposteur) avoit
esté en ceste contrée avec un des parens de Tessoüat, & avoit
veu la Mer, le bris & fracas d'un vaisseau Anglois, ensemble 80
testes que les sauvages avoient, & un jeune garçon Anglois
qu'ils tenoient prisonnier, dequoy ils me vouloient faire
present.
Ils s'escrierent plus que devant, entendant parler de la Mer,
des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il
estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la
plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous
ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy
avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs,
rivieres & chemins par lesquels il avoit passé; à quoy il fit
response asseurement qu'il avoit oublié le nom du sauvage,
combien qu'il me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le
jour de devant. Pour les particularitez du païs, il les avoit
descriptes dans un papier qu'il m'avoit baillé. Alors je
presentay la carte, & la fis interpréter aux sauvages, qui
l'interrogèrent sur icelle, à quoy il ne fit response, ains par
son morne silence manifesta sa meschanceté.
316/464 Mon esprit vogant en incertitude, je me retiray à part, & me
representay les particularités du voyage des Anglois cy devant
dictes, & les discours de nostre menteur estre assés conformes,
aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé
tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage, mais
qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que
son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations
des sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est
véritable, il faut que la mer du Nord ne soit pas esloignée de
ces terres de plus de 100 lieues de latitude, car j'estois sous
la hauteur de 47 degrés [368] de latitude, & 296. de longitude
[369]: mais il se peut faire que la difficulté de passer les
Sauts, l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause
que ces peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer; bien
m'ont-ils toujours dict, que du païs des Ochataiguins il n'y a
que 35 ou 40 journées jusques à la mer qu'ils voyent en 3
endroits: ce qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais
aucun ne m'a parlé de ceste mer du Nord, que ce menteur, qui
m'avoit fort resjouy à cause de la briefveté du chemin.
[Note 368: 46°. (Voir la note 2 de la page 307)]
[Note 369: L'auteur n'était pas rendu tout à fait à 296°. Suivant sa
carte de 1632, il était à environ 297° 30', et encore, dans cette carte,
l'île des Allumettes est-elle trop à l'ouest d'environ deux degrés et
demi: car la pointe occidentale de cette île est à peu près 300° à l'est
du méridien de l'île de Fer. (Voir la note 3 de la page 293.)]
Or comme ce Canot s'apprestoit, je le fis appeler devant ses
compagnons; & en luy representant tout ce qui s'estoit passé,
je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il
falloit dire s'il avoit veu les choses dictes, ou non; que je
317/465 voulois prendre la commodité qui se presentoit; que j'avois
oublié tout ce qui s'estoit passé: Mais que si je passois plus
outre, je le ferois pendre & estrangler sans luy faire autre
merci. Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux & me
demanda pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dict, tant en
France qu'en ce païs, touchant ceste mer, estoit faux; qu'il ne
l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le
village de Tessoüat; qu'il avoit dict ces choses pour retourner
en Canada. Ainsi transporté de cholere je le fis retirer, ne le
pouvant plus endurer devant moy, donnant charge à Thomas de
s'enquérir de tout particulièrement; auquel il poursuivit de
dire qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage,
à cause des dangers, croyant que quelque difficulté je pourroit
presenter qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces
sauvages, qui ne me vouloient bailler des Canots: ainsi que
l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en
France, il auroit recompense pour sa descouverture: & que si se
le voulois laisser en ce pays, qu'il yroit tant qu'il la
trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui
me furent rapportées par Thomas, & ne me contentèrent pas
beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de
ce menteur: & ne me puis imaginer comment il avoit forgé ceste
imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy
mentionné; & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense,
comme il a dict, il ait eu la témérité de mettre cela en avant.
Peu de temps après je fus advertir les sauvages, à mon grand
318/466 regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la
vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochant le peu de
confiance que j'avois en eux, qui estoyent Capitaines, mes
amis, & qui parloient tousjours vérité, & qu'il falloit faire
mourir ce menteur qui estoit grandement malitieux, me disant,
Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir, donne le nous, &
nous te promettons qu'il ne mentira plus. Et à cause qu'ils
estoient tous après luy crians, & leurs enfans encores plus, je
leur deffendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher
leurs enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au
Saut pour le faire voir à ces Messieurs, ausquels il devoit
porter de l'eaue salée; & qu'estant là j'adviserois à ce qu'on
en feroit.
Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune
esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture,
le regret de n'avoir mieux employé le temps m'est demeuré, avec
les peines & travaux qu'il m'a fallu neantmoins tolérer
patiemment. Si je me fusse transporté d'un autre costé, suivant
la relation des sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il
faut remettre à une autre fois. N'ayant pour l'heure autre
desir que de m'en revenir, je conviay les sauvages de venir au
Saut S. Louys, où il y avoit quatre vaisseaux fournis de toutes
sortes de marchandises, & où ils recevroient bon traitement; ce
qu'ils firent sçavoir à tous leurs voisins. Et avant que
partir, je fis une croix de cèdre blanc, laquelle je plantay
sur le bort du lac en un lieu eminent, avec les armes de
France, & priay les sauvages la vouloir conserver, comme aussi
319/467 celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous avions
passé; & que s'ils les rompoient, que mal leur arriveroit; &
les conservant, ils ne seroient assaillis de leurs ennemis. Ils
me promirent ainsi le faire, & que je les retrouverois quand je
retournerois vers eux.
_Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la
chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs.
Et nostre retour en France._
CHAPITRE V.
LE 10 Juin je prins congé de Tessoüat, bon vieux Capitaine, &
luy fis quelques presens, & luy promis, si Dieu me preservoit
en santé, de venir l'année prochaine, en equippage pour aller à
la guerre; & luy me promit d'assembler grand peuple pour ce
temps là, disant, que je ne verrois que, sauvages, & armes qui
me donneroyent contentement, & me bailla son fils pour me faire
compagnie. Ainsi nous partismes avec 40 Canots, & passasmes par
la riviere que nous avions laissée, qui court au Nord[370], où
nous mismes pied à terre pour traverser des lacs [371]. En
chemin nous rencontrasmes 9 grands Canots de Ouescharini, avec
40 hommes forts & puissants qui venoient aux nouvelles qu'ils
avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient
320/468 ensemble 60 Canots, & 20 autres qui estoient partis devant
nous, ayans chacun assés de marchandises.
[Note 370: _Qui court au Nord_, à l'endroit où Champlain l'avait
laissée.]
[Note 371: Par cette expression _traverser des lacs_, l'auteur veut dire
sans doute _traverser d'un lac à un autre_. Entre les six ou sept
rapides qu'il y a depuis les Allumettes jusqu'au bas du Grand-Calumet,
la rivière forme comme autant de lacs, séparés les uns des autres par
des rapides, où il faut «mettre pied à terre» et faire _portage_, «pour
_ensuite_ traverser ces lacs.»]
Nous passasmes 6 ou 7 Sauts depuis l'isle des Algoumequins[372]
jusques au petit Saut[373], païs fort desagreable. Je recogneus
bien que si nous fussions venus par là que nous eussions eu
beaucoup plus de peine, & malaisément eussions nous passé: & ce
n'estoit sans raison que les sauvages contestoient contre
nostre menteur, qui ne cerchoit qu'à me perdre.
[Note 372: Ou île de Tessouat, c'est-à-dire, celle des Allumettes. On
voit ici pourquoi, plus tard, Champlain appelle le lac des Allumettes,
lac des Algonquins.]
[Note 373: Au-dessous du lac Coulonge, le premier et le plus
considérable des sauts que l'on ait à passer, est le Grand-Calumet, où
le Grand-Saut des pierres à calumet. Il semble que c'est le dernier de
cette suite de rapides, celui du Portage-du-Fort, que Champlain appelle
le, Petit-Saut.]
Continuant nostre chemin 10 ou 12 lieues au dessous l'isle des
Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable,
remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau
poisson. Sur la minuict arriva deux Canots qui venoient de la
pesche plus loing, lesquels rapportèrent avoir veu 4 Canots de
leurs ennemis. Aussi tost on despescha 3 Canots pour les
recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En
ceste asseurance chacun prit le repos, excepté les femmes qui
se resolurent de passer la nuict dans leurs Canots, ne se
trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un sauvage
songeant que les ennemis le chargeoyent se leva en sursaut, &
se prit à courir vers l'eau pour se sauver, criant, On me tue.
Ceux de sa bande s'esveillerent tous estourdis, & croyans estre
poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme feit
321/469 un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A ce grand
bruit nous autres qui estions éloignés, fusmes aussi tost
esveillés, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux: mais
les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnés, ne
les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se
deffendre, quand cela eust esté, mais seulement de se perdre.
Après que j'eus enquis nostre François de la cause de ceste
esmotion, il me dict qu'un sauvage avoit songé, & luy avec les
autres pour se sauver, s'estoit jetté en l'eau, croyant avoir
esté frappé. Ainsi ayant recognu ce que c'estoit, tout se passa
en risée.
En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au Saut de la
chaudière, où les sauvages firent la cérémonie accoustumée, qui
est telle. Après avoir porté leurs Canots au bas du Saut, ils
s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois
va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau
de petun; la queste faicte, le plat est mis au milieu de la
troupe, & tous dansent à l'entour, en chantant à leur mode,
puis un des Capitaines faict une harangue, remonstrant que dés
long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que
par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qu'autrement
il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le
diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs
autres, comme nous avons dict en d'autres lieux. Cela faict, le
harangueur prent le plat, & va jetter le petun au milieu de la
chaudière, & font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens
sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon
voyage, s'ils n'avoient faict ceste cérémonie en ce lieu,
322/470 d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans
pas aller plus avant, à cause des mauvais chemins, & les
surprennent là: ce qu'ils ont quelquesfois faict.
Le lendemain nous arrivasmes à une isle, qui est à l'entrée du
lac, distante du grand Saut S. Louys de 7 à 8 lieues, où
reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages
croyans avoir veu des Canots de leurs ennemis: ce qui leur fit
faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre, leur
remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir,
qu'au lieu de se cacher il se manifestoient.
Le 17. Juin nous arrivasmes au Saut S. Louys, où je trouvay
l'Ange qui estoit venu au devant de moy dans un Canot, pour
m'advertir que le sieur de Maison-neufve de S. Maslo avoit
apporté un passeport de Monseigneur le Prince pour trois
vaisseaux. En attendant que je l'eusse veu, je fis assembler
tous les sauvages pour leur faire entendre que je ne desirois
pas qu'ils traictassent aucunes marchandises, que je ne leur
eusse permis: & que pour des vivres je leur en ferois bailler
si tost que serions arrivés; ce qu'ils me promirent, disans,
qu'ils estoient mes amis. Ainsi poursuivant nostre chemin, nous
arrivasmes aux barques, & fusmes salués de quelques canonades,
dequoy quelques uns de nos sauvages estoient joyeux, & d'autres
fort estonnés, n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied
à terre, Maison-neufve me vint trouver avec le passeport de
Monseigneur le Prince: & aussi tost que l'eus veu, je le
laissay jouir, & les siens, du bénéfice d'iceluy, comme nous
autres, & fis dire aux sauvages qu'ils pouvoyent traicter le
lendemain.
323/471 Ayans veu tous les Chefs, & déduit les particularités de mon
voyage, & la malice de nostre menteur, dequoy ils furent fort
estonnés, je les priay de s'assembler, afin qu'en leur
presence, des sauvages & de ses compagnons, il declarast sa
meschanceté; ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans
assemblés, ils le firent venir, & l'interrogèrent, pourquoy il
ne m'avoit monstré la mer du Nord, comme il m'avoit promis à
son départ: Il leur fit response qu'il avoit promis une chose
impossible à luy, d'autant qu'il n'avoit jamais veu ceste mer,
& que le desir de faire le voyage luy avoit fait dire cela,
aussi qu'il ne croyoit que je le deusse entreprendre, & les
prioit luy vouloir pardonner, comme il fit à moy derechef,
confessant avoir grandement failly: mais que si je le voulois
laisser au pays, qu'il feroit tant par son labeur, qu'il
repareroit la faute, & verroit ceste mer, & en rapporteroit
certaines nouvelles l'année suivante: & pour quelques
considerations je luy pardonnay à ceste condition.
Après leur avoir déduit par le menu le bon traictement que
j'avois reçeu dans les demeures de ces sauvages, & mon
occupation journaliere, je m'enquis aussi de ce qu'ils avoyent
faict pendant mon absence, & de leurs exercices, lesquels
estoient la chasse, où ils avoient faict tel progrès, que le
plus souvent ils apportoient six cerfs. Une fois entre autres
le jour de la S. Barnabé, le sieur du Parc y estant avec deux
autres, en tua 9. Ils ne sont pas du tout semblables aux
324/472 nostres, & y en a de différentes especes[374], les uns plus
grands, les autres plus petits, approchant fort de nos dains.
Ils avoient aussi si grande quantité de Palombes [375]
qu'impossible estoit de plus, ils n'avoient pas moins de
poisson, comme Brochets, Carpes, Esturgeons, Aloses, Barbeaux,
Tortues, Bars, & autres qui nous sont incognus, desquels ils
disnoient & souppoient tous les jours, aussi estoyent-ils tous
en meilleur point que moy, qui estois atténué par le travail &
la fascherie que j'avois eue, & n'avois mangé le plus souvent
qu'une fois le jour de poisson mal cuit, & à demy rosti.
[Note 374: Les espèces de cerfs du Canada sont 1° l'Orignal ou Élan
_(Cervus alces)_, que nos sauvages appellent _Moussou_, d'où les Anglais
ont fait _Moose-Deer_. Suivant Lescarbot, le nom d'_orignal_, ou
orignac, nous vient des Basques, et les Souriquois l'appelaient
_Aptaptou_. Voici la description qu'il en fait. «C'est un animal le plus
haut qui toit après le Dromadaire & le Chameau, car il est plus haut que
le cheval. Il a le poil ordinairement grison, & quelquefois fauve, long
quasi comme les doigts de la main. Sa tête est fort longue, & a un fort
long ordre de dents, qui paroissent doubles pour recompenser le défaut
de la mâchoire superieure, qui n'en a point. Il porte son bois double
comme le cerf, mais large comme une planche, & long de trois piedz,
garni de cornichons d'un costé & au-dessus. Le pied en est fourchu comme
du cerf, mais beaucoup plus plantureux. La chair en est courte & fort
délicate. Il paît aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des
arbres. C'est la plus abondante chasse qu'ayent nos sauvages après le
poisson.» (Hist. de la Nouv. France, p. 893.) 2° Le Caribou. Les
naturalistes distinguent aujourd'hui le _caribou_ des régions arctiques
_(Tarandus arcticus)_, et le caribou ordinaire _(Tarandus bastalis)_,
qui habite principalement le Bas-Canada. 3° Le cerf de Virginie _(Cervus
Virginianus)_, qui ne se retrouve que dans le Haut-Canada. 4° Une
quatrième espèce, le Wapiti _(Elaphus Canadensis)_, qu'on trouvait en
Canada au temps de Champlain, paraît avoir émigré vers les pays de
l'ouest. (Voir The Canadian Naturalist, vol. I.)]
[Note 375: Ou _tourtes_, comme nous disons aujourd'hui en Canada
_(Ectopistes migratoria)_.]
Le 22 Juin Sur les 8 heures du Soir les sauvages nous donnèrent
une alarme, à cause qu'un des leurs avoit songé qu'il avoit veu
les Yroquois: pour les contenter chacun prit ses armes, &
quelques-uns furent envoyés vers leurs cabanes pour les
asseurer, & aux advenues pour descouvrir: si bien qu'ayant
recognu que c'estoit une fausse alarme, l'on se contenta de
tirer quelques 200 mousquetades & harquebusades, puis on posa
les armes en laissant la garde ordinaire. Cela les asseura
325/473 fort, & furent bien contens de voir les François qui se
préparèrent pour les secourir.
Après que les sauvages eurent traicté leurs marchandises, &
qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener
avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur
faire voir le païs & les obliger à les ramener, dont ils firent
grande difficulté, me representant la peine que m'avoit donné
nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux rapports,
comme il avoit faict. Je leur fis response qu'ils estoient gens
de bien & véritables, & que s'ils ne les vouloient emmener, ils
n'estoyent pas mes amys, & pource ils s'y resolurent. Pour
nostre menteur aucun de ces sauvages n'en voulust, pour prière
que je leur feit, & le laissasmes à la garde de Dieu.
Voyant n'avoir plus rien affaire en ce pays, je me resolus de
passer dans le premier vaisseau qui retourneroit en France. Le
sieur de Maison-neufve ayant le sien prest m'offrit le passage,
lequel j'acceptay, & le 27 Juin avec le sieur l'Ange nous
partismes du Saut, où nous laissasmes les autres vaisseaux, qui
attendoyent que les sauvages qui estoient à la guerre fussent
de retour, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet.
Le 8 Aoust[376] le temps se trouva propre qui nous en feit
partir.
[Note 376: Le 8 juillet; car 1° comment Champlain, «qui n'avait plus
rien à faire en ce pays», et qui voulait prendre «le premier vaisseau
qui retournerait en France», aurait-il pu se résigner à passer un mois
et deux jours à Tadoussac? 2° Est-il croyable que, dans la belle saison
de l'année, il eût fallu attendre plus d'un mois, avant que «le temps se
trouvât propre» pour partir? Et l'expression qu'emploie ici l'auteur
marque bien que le vaisseau de Maison-Neuve n'attendait en effet qu'un
temps favorable pour mettre à la voile.]
326/474 Le 18, sortismes de Gaspé à l'isle percée.
Le 28, nous estions sur le grand banc, où se faict la pesche de
poisson vert, où l'on prit du poisson tant que l'on voulut.
Le 26 Aoust arrivasmes à S. Maslo, où je vis les Marchans,
ausquels je remonstray combien il estoit facile de faire une
bonne association pour l'advenir, à quoy ils se sont resolus,
comme ont faict ceux de Rouen, & de la Rochelle après qu'ils
ont recognu ce règlement estre necessaire, & sans lequel il est
impossible d'esperer quelque fruict de ces terres. Dieu par sa
grâce face prosperer ceste entreprise à son honneur, à sa
gloire, à la conversion de ces pauvres aveugles, & au bien &
honneur de la France.
FIN.
327/475
TABLE DES CHAPITRES DU
QUATRIESME VOYAGE.
Ce qui m'a occasionné de recercher un règlement. Commission
obtenue. Oppositions à l'encontre. En fin la publication par
tous les ports de France. Chap. I. p. 283
Partement de France: Et ce qui se passa jusques à nostre
arrivée au Saut. Chap. II. p. 287
Partement pour descouvrir la mer du Nord, sur le rapport qui
m'en avoit esté faict. Description de plusieurs rivieres, lacs,
isles, du Saut de la chaudière, & autres Sauts. Chap. III. p.
292
Continuation. Arrivée vers Tessoüat, & le bon accueil qu'il me
feit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promettent 4
Canots pour continuer mon chemin. Tost après me les réfutent.
Harangue des sauvages pour me dissuader mon entreprise, me
remonstrant les difficultés. Response à ces difficultés.
Tessoüat argue mon conducteur de mensonge, & n'avoir esté où il
disoit. Il leur maintient son dire véritable. Je les presse de
me donner des Canots. Plusieurs refus. Mon conducteur convaincu
de mensonge, & sa confession. Chap. IV. p. 306
Nostre retour au Saut. Fausse alarme. Cérémonie du Saut de la
chaudière. Confession de nostre menteur devant tous les chefs.
Et nostre retour en France. Chap. V. p. 319
478
OEUVRES
DE
CHAMPLAIN
PUBLIÉES
SOUS LE PATRONAGE
DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
PAR
L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ
SECONDE ÉDITION
TOME IV
QUÉBEC
Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS
1870
i/479 _Le recueil des Voyages de Champlain publié en 1619, est la
continuation des volumes imprimés en 1603 et 1613. Ce qui le
recommande surtout, c'est qu'il est beaucoup plus complet que
la reproduction qui en a été faite 1632. On y trouve en effet,
sur l'arrivée des Récollets et sur leurs travaux, des détails
ou des faits intéressants, dont la suppression en 1632 ne peut
guère s'expliquer sans l'intervention d'une main étrangère,
comme nous le remarquerons en son lieu.
Il y a eu plusieurs éditions, ou pour mieux dire, plusieurs
tirages de ce volume de 1619, entre autres ceux de 1620 et de
1627, que nous avons pu consulter. Ce dernier porte, dans le
titre._ Seconde édition; _cependant, à part quelques passages,
que nous avons signalés dans l'occasion, le texte n'a pas été
recomposé, comme le prouve, évidemment l'identité des détails
et des fautes typographiques._
480
[Carte géographique]
ii/481
VOYAGES
ET DESCOUVERTURES
FAITES EN LA NOUVELLE
France, depuis l'année 1615. jusques
à la fin de l'année 1618.
_Par le Sieur de Champlain Cappitaine ordinaire
pour le Roy en la Mer du Ponant._
Où sont descrits les moeurs, coustumes, habits, façons de
guerroyer, chasses, dances, festins, & enterrements de divers
peuples Sauvages, & de plusieurs choses remarquables qui luy
sont arrivées audit païs, avec une description de la beauté,
fertilité & temperature d'iceluy.
A PARIS,
Chez CLAUDE COLLET, au Palais, en la gallerie des Prisonniers.
M. D. C. XIX.
Avec privilège du Roy.
iii/483
AU ROY.
Sire,
Voicy un troisiesme livre contenant le discours de ce qui s'est
passé de plus remarquable aux voyages par moy faits en la
nouvelle France, à la lecture duquel j'estime que V. M. prendra
un plus grand plaisir qu'aux précédents, d'autant qu'iceux ne
designent rien que les ports, havres, scituations,
déclinaisons, & autres matières plus propres aux Nautonniers, &
Mariniers, que non pas aux autres. En celuy-cy vous y pourrez
remarquer plus particulièrement les moeurs & façons de vivre de
ces peuples, tant en particulier que générale leurs guerres,
munitions, façons d'assaillir, & se desfendre, leurs
expéditions, retraicte en plusieurs particularités, servant à
contenter un esprit curieux; Et comme ils ne sont point tant
sauvages, qu'avec le temps, & la fréquentation d'un peuple
civilizé, ils ne puissent estre rendus polis: Vous y verrés
pareillement quelle & combien grande est l'esperance que nous
avons de tant de longs & pénibles travaux que depuis quinze ans
nous soustenons, pour planter en ce pais l'estendart de la
Croix, & leur enseigner la cognoissance de Dieu, & gloire de
son Sainct Nom, estant nostre desir d'augmenter la Charité
envers ses miserables Créatures, qui nous convient supporter
iv/484 patiemment plus qu'aucune autre chose, & encore que plusieurs
n'ayent pas pareil dessein, ains que l'on puisse dire que le
desir du gain est ce qui les y pousse: Neantmoins on peut
probablement croire que ce sont des moyens dont Dieu se sert
pour plus faciliter le sainct desir des autres: Que si les
fruicts que les arbres portent sont de Dieu, à celuy qui est
Seigneur du Sol, ou ils sont plantez, & qui les a arrousez, &
entretenus, avec un soing particulier, V. M. se peut dire
légitime Seigneur de nos travaux, & du bien qui en reussira,
non seulement pour ce que la terre vous en appartient, mais
aussi pour nous avoir protegé contre tant de sortes de
personnes qui n'avoyent autre desseing qu'en nous troublant
empescher qu'une si saincte délibération ne peust reussir, &
nous ostant la permission de pouvoir librement negotier, en
partie de ses païs, & mettre le tout en confusion, qui seroit
en un mot tracer le chemin pour tout perdre, au prejudice de
vostre estat, vos sujects ayant employé à cet effect tous les
artifices dont il se sont peu adviser, & tous les moyens qu'ils
ont creu nous y pouvoir nuire, qui tous ont esté loués par V.
M. assistée de son prudent Conseil, nous authorisant de son
nom, & soustenants par ses arrests qu'elle a rendus à nostre
faveur. Cest un occasion pour accroistre en nous le desir
qu'avons dés long-temps d'envoyer des peuplades & colonnies par
delà, pour leur enseigner avec la cognoissance de Dieu, la
gloire & les triomphes de V. M. de faire en sorte qu'avec la
langue Françoise ils consoivent aussi un coeur, & courage
françois, lequel ne respirera rien tant aprés la crainte de
Dieu, que le desir qu'ils auront de vous servir: Que si nostre
desseing reussit, la gloire en sera premièrement à Dieu, puis à
V. M. qui outre mille benedictions quelle en recevra du Ciel,
v/485 en recompense de tant d'âmes ausquelles elle en donnera par ce
moyen l'entrée, son nom en sera immortalisé pour avoir porté la
gloire, & le sceptre des François, autant en Occident que vos
devanciers l'ont estendu en Orrient, & par toute la terre
habitable: ce fera augmenter la qualité de Tres-Chrestien qui
vous appartient par dessus tous les Rois de la terre, & montrer
qu'elle vous est autant deue par mérite, comme elle vous est
propre de droit, ayant esté transmise par vos predecesseurs
depuis qu'ils se l'acquirent par leurs vertus, d'avoir voulu
embrasser avec tant d'autres importans affaires le soing de
celle-cy grandement négligée par cy-devant, estant une grâce
specialle de Dieu d'avoir voulu reserver sous vostre regne
l'ouverture de la prédication de son Evangille, & la
cognoissance de son Saint Nom à tant de nations qui n'en
avoient jamais ouy parler, qu'un jour Dieu leur fera la grace,
comme nous, de le prier incessamment qu'il accroisse son
empire, & donne mille benedictions à vostre Majesté._
SIRE
Vostre tres-humble, tres-fidelle & obéissant serviteur &
subject,_
CHAMPLAIN.
vii/487
[Illustration]
PREFACE.
Tout ainsi qu'en la diversité des affaires du Monde chacune
chose tend à sa perfection, & à la conservation de son estre,
aussi d'autrepart l'homme se plaist aux choses différentes des
autres pour quelque subject, ou pour le bien public, ou pour
acquérir (en cet eslongnement du commun) une louange &
réputation avec quelque proffict. C'est pourquoy plusieurs ont
frayé ceste voye, mais quant à moy j'ay faict eslection du plus
fascheux & pénible chemin, qui est la perilleuse navigation des
Mers, à dessein toutesfois, non d'y acquérir tant de biens, que
d'honneur, & gloire de Dieu, pour le service de mon Roy, & de
ma patrie, & apporter par mes labeurs quelque utilité au
public, protestant de n'estre tenté d'aucune autre ambition,
comme il se peut assez recognoistre, tant par mes deportements
du passé, que par le discours de mes voyages, faits par le
commandement de sa Majesté en la nouvelle France, contenus en
mon premier & second livre, ainsi qu'il se verra par celuy-cy:
Que si Dieu benist nostre desseing, qui ne tend qu'à sa gloire,
& de nos découvertures & laborieux travaux il me reussit
quelque fruict je luy en renderay l'action de grâces, & à sa
Majesté, pour sa protection & assistance une continuation de
prières pour l'augmentation & accroissement de son regne.
viii/488
EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY.
Par grâce & Privilege du Roy, il est permis à CLAUDE COLLET,
Marchand Libraire en nostre ville de Paris, d'Imprimer ou faire
Imprimer par tel Imprimeur que bon luy semblera, un livre
intitulé. _Les voyages & descouvertures faites en la nouvelle
France, depuis l'année 1615 jusques à la fin de l'année 1618.
par le Sieur de Champlain, Cappitaine ordinaire pour le Roy, en
la Mer du Ponant._ Et sont faites deffences à tous Libraires &
Imprimeurs de nostre Royaume, d'Imprimer ny faire Imprimer,
vendre ny débiter ledit livre, si ce n'est du contentement
dudit Collet, & ce pour le temps & terme de six ans, à
commencer du jour que ledit livre sera achevé d'Imprimer, sur
peine de confiscation des exemplaires, & de quatre cens livres
d'amende, moitié à nous applicable, & l'autre audit exposant.
Voulans en oultre quoy fesant, mettre ledit Privilege au
commencement ou à la fin dudit livre. Car tel est nostre
plaisir.
Donné à Paris, le 18e jour de May, 1619.
Et de nostre règne le dixiesme.
Par le Conseil.
DE CESCAUD.
1/489
[Illustration]
VOYAGE DU SIEUR
DE CHAMPLAIN, EN LA NOUVELLE FRANCE,
L'extrême affection que j'ay tousjours eue aux descouvertures
de la nouvelle France, m'a rendu desireux de plus en plus à
traverser les terres, pour en fin avoir une parfaicte
cognoissance du pays, par le moyen des fleuves, lacs, &
rivieres, qui y sont en grand nombre, & aussi recognoistre les
peuples qui y habitent, à dessein de les amener à la
cognoissance de Dieu. A quoy j'ay travaillé continuellement
depuis quatorze à quinze ans[1] sans pouvoir avancer que fort
peu de mes desseins, pour n'avoir esté assisté comme il eust
esté necessaire à une telle entreprise. Neantmoins ne perdant
courage, je n'ay laissé de poursuivre, & fréquenter plusieurs
nations de ces peuples sauvages, & familiarisant avec eux, j'ay
recogneu, & jugé, tant par leurs discours, que par la
cognoissance des-jà acquise; qu'il n'y avoit autre ny meilleur
moyen, que de patienter, laissant passer tous les orages &
difficultez, qui se presenteroient jusques à ce que sa Majesté
2/490 y apportast l'ordre requise, & en attendant continuer, tant
les descouvertures audit pays, qu'à apprendre leur langue, &
contracter des habitudes, & amitiez, avec les principaux des
Villages, & des Nations, pour jetter les fondements d'un
édifice perpétuel, tant pour la gloire de Dieu, que pour la
renommée des François.
[Note 1: Champlain livrait ceci à l'impression au commencement de
l'année 1619, comme on peut le voir par l'extrait du privilège qui se
trouve en tête de cette relation.]
Et depuis sa Majesté ayant remis, & disposé la surintendance de
ceste affaire entre les mains de Monseigneur le Prince de
Condé, pour y apporter l'ordre, & que ledit Sieur soubs
l'auctorité de sa Majesté, nous maintenoit contre toutes sortes
d'envies, & altérations, qui provenoient d'aucuns mal
vueillants. Cela, dis-je, m'a comme animé & redoublé le courage
en la continuation de mes labeurs aux descouvertures de ladite
nouvelle France, & en augmentant icelles je poussay ce dessein
jusques dans les terres fermes & plus avant que je n'avois
point encores fait par le passé, comme il sera dit cy-aprés, en
l'ordre & suite de ce discours.
Mais auparavant il est à propos de dire, qu'ayant recogneu aux
voyages précédents, qu'il y avoit en quelques endroicts des
peuples arrestez, & amateurs du labourage de la terre, n'ayans
ny foy ny loy, vivans sans Dieu, & sans religion, comme bestes
brutes. Lors je jugay à part moy que ce seroit faire une grande
faute si je ne m'employois à leur préparer quelque moyen pour
les faire venir à la cognoissance de Dieu. Et pour y parvenir
je me suis efforcé de rechercher quelques bons Religieux, qui
3/491 eussent le zèle, & affection, à la gloire de Dieu: Pour les
persuader d'envoyer, où se transporter avec moy en ces pays, &
essayer d'y planter la foy, ou du moins y faire ce qui y seroit
possible selon leur vacation, & en ce faisant remarquer &
cognoistre s'il s'y pourroit faire quelque bon fruict, d'autant
que pour y parvenir il faloit faire une despence qui eust exedé
mon pouvoir, & pour quelque raison j'ay négligé ceste affaire
pour un temps, me representant les difficultez qu'il y auroit
au recouvrement des choses necessaires, & requises en telle
affaire, comme il est ordinaire en semblables voyages.
D'ailleurs qu'aucunes personnes ne se presentoient pour y
contribuer. Neantmoins estant sur ceste recherche, & la
communiquant à plusieurs, il se seroit presenté un homme
d'honneur, duquel j'avois la fréquentation ordinaire, appellé
le Sieur Houel[2], Secrétaire du Roy, & Contrerolleur Général
des Sallines de Brouage, homme adonné à la pieté, & doué d'un
grand zèle, & affection, à l'honneur de Dieu, & à
l'augmentation de sa Religion, lequel me donna un advis qui me
fut fort agréable. A sçavoir qu'il cognoissoit de bons Pères
Religieux, de l'ordre des Recollez, desquels il s'asseuroit, &
avoit tant de familiarité, & de créance envers eux, qu'il les
feroit condescendre facillement, & entreprendre le voyage, &
que pour les commoditez necessaires pour trois ou quatre
Religieux qu'on y pourroit envoyer, on ne manqueroit point de
gens de bien qui leur donneroient ce qui leur seroit de
besoing, offrant de sa part les assister de son pouvoir, & de
4/492 faict il en rescrivit au Père du Verger[3], lequel gousta &
prit fort bien ceste affaire & suivant l'advis du Sieur Houel,
il en communiqua & parla à aucuns de ses frères, qui tous
bruslants de charité s'offrirent librement à l'entreprise de ce
Sainct voyage[4].
[Note 2: Louis Houel, suivant Ducreux (liste des Cent-Associés).]
[Note 3: Bernard du Verger, provincial de l'Immaculée-Conception,
religieux d'une grande vertu et d'un rare talent. (T. le Clercq, Premier
établiss. de la Foy, t. I, p. 31.)]
[Note 4: De cet exposé simple et naïf, il ressort, à la vérité, que le
sieur Houel a eu le mérite de fixer le choix de Champlain sur celui des
ordres religieux auquel celui-ci pourrait le plus sûrement s'adresser;
mais, d'un autre côté, il ressort aussi de toutes les circonstances des
démarches que Champlain avait déjà faites quand on lui donne cet avis,
que la gloire de l'initiative doit en revenir à celui-ci. C'est ce que
le Frère Sagard, dans son zèle pour un bienfaiteur de son ordre, semble
n'avoir pas assez distingué. Aussi, le P. le Clercq, quoique récollet
lui-même, a-t-il cru ne pas devoir suivre ici les traces de son
devancier, et a franchement adopté la version de Champlain. Après cela,
il y a lieu de s'étonner que l'auteur de l'_Histoire de la Colonie
française en Canada_ (t. I, pages 143 et 144) ait commencé par citer
Sagard sur un point où naturellement l'intérêt pouvait influencer les
idées de cet auteur, pour ne mentionner ensuite que juste la partie du
texte de Champlain qui ne détruit pas la fausse impression qui peut
avoir été produite, grâce à la précaution qu'on a prise d'en retrancher,
sans rien dire, les expressions qui pouvaient nuire à la thèse.]
Or estoit-il pour lors en Xaintonge, duquel lieu il en envoya
deux à Paris, avec une commission, non toutesfois avec un
pouvoir absolu, remettant le surplus à Monsieur le Nonce [5] de
nostre Sainct Pere le Pape, qui pour lors estoit en France, en
l'année 1614. & estans iceux Religieux en leur maison à Paris,
il les fut visiter, estant fort aise & content de leur
resolution, & lors tous ensemble fusmes trouver ledict Sieur
Nonce, avec laditte commission pour la luy communiquer, & le
supplier d'y interposer son auctorité. Mais au contraire il
nous dist qu'il n'avoit point de pouvoir pour telles affaires,
& que c'estoit à leur Général à qui ils se devoient adresser.
5/493 Neantmoins laquelle responce lesdits Religieux remarquans la
difficulté de ceste mission, ne voulurent entreprendre le
voyage, sur le pouvoir du Père du Verger, craignant qu'il ne
fust assez autentique, & saditte commission valable, à cause
dequoy l'affaire fut remise à l'autre année suivante. En
attendant laquelle ils prirent advis & resolution, suivant
laquelle on disposa toutes choses pour ceste entreprise, qui se
devoit effectuer au printemps lors prochain: en attendant
lequel, les deux Religieux seroient retournez en leur Couvent
en Brouage.
[Note 5: Robert Ubaldini, et non pas Gui Bentivole, comme le dit, par
inadvertence sans doute, l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française
en Canada_ (t. I, p. 146). Ubaldini était nonce à Paris depuis environ
huit ans, lorsqu'il reçut de Paul V le chapeau de cardinal, le 2
décembre de cette année 1615. Il fut rappelé à Rome un an plus tard,
comme on le voit par une lettre de Louis XIII au Souverain Pontife, en
date du 24 décembre 1616, qui commence par ces mots: «Mon cousin le
Cardinal Ubaldini s'en retournant vers vous,» etc. (Lettres du card. de
Richelieu, par Avenel, l. I, p. 198, note 4.--Voir _Ciaconii Vitae
Pontificum_, IV, 432, 434; et Schoel, Hist. des états europ., t. XXXV,
p. 334.)]
Et moy de mon costé, je ne laissay de mettre ordre à mes
affaires, pour la préparation de ce voyage.
Et quelque mois après le despartement des deux Religieux que le
Reverend Père Chapouin[6] Provincial des Peres Recollez, (homme
fort pieux) fut de retour à Paris. Ledit Sieur Houel le fut
voir, & luy fit le discours de ce qui s'estoit passé, touchant
le pouvoir du Père du Verger, & la mission qu'il avoit donnée
aux Pères Recollez. Sur lequel discours, ledit Pere Provincial
commença à louer ce dessein, & le prendre en affection,
promettant d'y faire ce qui seroit de son pouvoir, n'ayant
auparavant bien pris le subject de ceste mission, & est à
croire que Dieu l'inspira de plus en plus à poursuivre ceste
affaire, & en parla dés lors à Monseigneur le Prince de Condé,
& à tous Messieurs les Cardinaux, & Evesques, estans lors à
Paris assemblez pour la tenue des estats[7], qui tous ensemble
6/494 louerent & approuverent ce dessein, & pour montrer qu'ils y
estoient portez, asseurerent ledit sieur Provincial qu'ils
trouveroient entr'eux, & ceux de la Court, un moyen de leur
faire un petit fonds, & leur amasser quelque argent pour
assister quatre Religieux, qu'on choisiroit, & furent dés lors
choisis pour l'exécution d'une si sainte oeuvre. Et affin
d'advancer la facilité de ceste affaire, je fus trouver aux
estats Nosseigneurs les Cardinaux & Evesques, & leur
remonstray, & representay le bien & utilité qui en pouvoit un
jour revenir, pour les supplier & esmouvoir à donner, & faire
donner à autres, qui pourroient y estre émulez par leur
exemple, quelques aumosnes & gratifications, remettant le tout
à leur volonté & discretion.
[Note 6: Jacques Garnier de Chapouin, premier provincial des Récollets
de la province de Saint-Denis. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
34.)]
[Note 7: L'assemblée des États Généraux devait avoir lieu, cette année
(1614), à Sens, le 10 de septembre; mais l'absence du roi et de la reine
la fit remettre au 10 octobre suivant. Dans l'intervalle, le roi ayant
atteint l'âge de majorité, et un grand nombre de députés des trois
ordres de la France s'étant rendu à Paris, la tenue des États se fit à
Paris, et les assemblées des trois ordres se tinrent aux Augustins.
L'ouverture des États eut lieu dans la salle de Bourbon, le lundi 27
octobre, après une procession solennelle faite, le jour précédent, des
Augustins à Notre-Dame. La Chambre Ecclésiastique comptait cent quarante
députés, entre lesquels étaient cinq cardinaux, sept archevêques,
quarante-sept évêques, et deux chefs d'ordres; celle de la Noblesse,
cent-trente gentils-hommes, et celle du Tiers-État, cent
quatre-vingt-douze députés, qui étaient presque tous officiers de
justice ou de finance. (Mercure français, t. III, p. 415 et s.)]
Les aumosnes qu'on amassa pour fournir aux frais de ce voyage,
se montèrent à prés de quinze cent livres, qui furent mis entre
mes mains, & furent dés lors employez, de l'advis & en la
presence des Pères, en la despence & achapt des choses
necessaires, tant pour la nourriture des Pères qui feroient le
voyage en ladite nouvelle France, qu'habits, linges, & ornemens
qui leur estoit de besoing, pour faire, & dire, le service
Divin, lesquels Religieux furent envoyez devant à Honfleur, où
se devoit faire leur embarquement.
7/495 Or les Peres Religieux qui furent nommez & designez pour ceste
saincte entreprise, estoient le Père Denis [8], pour
Commissaire, Jean Delbeau[9], Joseph le Caron, & Pacifique du
Plessis [10], chacun desquels estoit porté d'une saincte
8/496 affection, & brusloient de faire le voyage, moyennant la grâce
de Dieu, affin de voir s'ils pourroient faire quelque bon
fruit, & planter en ces lieux l'estendart de Jesus-Christ, avec
une délibération de vivre & mourir pour son sainct Nom, s'il
estoit necessaire, & que l'occasion s'en presentast. Toutes
choses preparées, ils s'accommoderent des ornements d'Eglise, &
nous des choses necessaires pour nostre voyage.
[Note 8: Denis Jamay. Quoique le Frère Sagard écrive _Jamet_, nous
préférons l'orthographe du P. le Clercq, qui, en général, paraît avoir
puisé aux sources, et c'est pour cette raison, sans doute, que M.
Ferland et l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_
s'accordent à écrire _Jamay_.]
[Note 9: Le P. Jean d'Olbeau, désigné successeur du P. Denis, en cas de
mort. (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53.) Il est évident que
Champlain écrit ce nom comme on le prononçait, sans se mettre en peine
d'être toujours d'accord avec lui-même sur ce point. Le Frère Sagard
écrit constamment Dolbeau. Enfin le P. le Clercq, sans s'arrêter à
aucune de ces orthographes, adopte celle qui vraisemblablement était
celle du P. d'Olbeau lui-même. Nous ne savons pourquoi M. Ferland écrit
ce nom comme le Frère Sagard.]
[Note 10: Le Frère Pacifique du Plessis. Quoique Champlain, dans cette
relation, donne indistinctement le titre de Père à chacun des quatre
récollets, il est constant que ce religieux n'était que Frère lai: aussi
l'auteur se corrige-t-il dans son édition de 1632: «Nous sçeusmes,
dit-il, la mort de frère Pacifique» (page 3 de la seconde partie); ce
qu'il n'eût jamais dit d'un Père. Sagard lui donne également le même
titre: «On ne peut bien mourir, remarque cet auteur, qu'en bien vivant,
comme a fait nostre bon frère Pacifique décédé à Kebec le 23 d'Aoust
l'an 1619.» Et, en marge, on lit: « Mort de F. Pacifique.» (Hist. du
Canada, pages 54 et 55.) Le P. le Clercq, qui avait toutes sortes de
raisons, en même temps que les moyens, de ne pas se tromper en pareille
matière, est encore plus explicite: «La joye de leur arrivée, » dit-il
en parlant des PP. Paul et Guillaume, «fut traversée par la mort de
Frère Pacifique... Quoi qu'il ne fut qu'un Frère laïc, on peut dire
qu'il a extrêmement travaillé en peu de temps à l'avancement spirituel &
temporel de la Mission.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 155.)
Après ces témoignages non équivoques d'auteurs si compétents, on se
demande comment l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en
Canada_ a pu avoir le courage de s'écarter de l'opinion suivie jusqu'à
ce jour, en donnant nommément au Frère Pacifique le titre de Père, sans
citer d'autre autorité que celle du même P. le Clercq; et, ce qu'il y a
de plus singulier, c'est que le passage même auquel il renvoie, prouve
exactement le contraire de ce qu'il donne à entendre, puisque, à la page
citée (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 53), le P. le Clercq, qui
qualifie de Pères les trois premiers religieux, ne donne cependant à
celui dont nous parlons que le titre de Frère. Plus d'un lecteur, en
vérifiant les citations, sera étonné sans doute qu'on s'appuie de
l'autorité d'un auteur en lui faisant dire autre chose que ce qu'il dit.
Nous eussions volontiers laissé passer cette expression comme
inadvertence, si l'illustre auteur n'avait été jusqu'à ajouter au texte
de Champlain, comme nous verrons ci-après, pour donner à entendre que
Frère Pacifique ait dit la messe, et par conséquent qu'il fut prêtre. On
peut inférer de là que le même auteur, en donnant à Sagard le titre de
Père, veut également faire croire qu'il était prêtre; et cependant, sans
parler de Champlain, qui, dans l'édition de 1632, ne l'appelle jamais
autrement que Frère Gabriel, le P. le Clercq dit en toutes lettres qu'il
n'était que Frère lai. «On sçavoit par expérience,» dit-il (Prem.
établiss. de la Foy, t. I, p. 245), «que ne s'agissant presque que
d'humaniser les Sauvages & les disposer à la lumière de l'Evangile, les
Frères Lays non-seulement n'y estoient pas inutiles, mais y servoient
beaucoup, & pouvoient estre associez aux Ministères Apostoliques. C'est
pourquoy on y destina le Frère Gabriel Sagard.»]
Je partis de Paris le dernier jour de Febvrier, pour aller à
Rouen trouver nos associez, & leur representer la volonté de
Monseigneur le Prince, entr'autres choses le desir qu'il avoit
que ces bons Pères Religieux fissent le voyage, recognoissant
que mal-aisément les affaires du païs pourroient venir à
quelque perfection ou advancement, si premierement Dieu n'y
estoit servy[11], dequoy nos associez furent fort contens,
promettans d'assister lesdits Pères de leur pouvoir, & les
entretenir à l'advenir de leur nourritures.
[Note 11: Après avoir cité Champlain en cet endroit, l'auteur de
l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ ajoute, sans indiquer
d'autre source: «La compagnie, après les engagements qu'elle avait pris,
ne pouvait décliner cette proposition, et, sur le motif de la volonté du
roi, allégué par Champlain, elle promit de nourrir les religieux qui
seraient désignés» (t. I, p. 145). Sur quoi nous nous permettrons
d'abord de remarquer, que le «motif allégué par Champlain» n'est pas
précisément la volonté du roi, mais le désir du prince de Condé, qui,
comme on sait, n'était pas, à cette époque, en fort bons termes avec la
cour. Ensuite, le lecteur peut se demander si cette phrase que nous
venons de citer, rend bien celle de Champlain: Dequoy nos associez
furent fort contents, etc.]
Lesdits Pères arriverent à Rouen le vingtiesme de Mars
ensuivant, où nous sejournasmes quelque temps, & de là fusmes à
Honfleur, pour nous embarquer, où nous sejournasmes aussi
quelques jours, en attendant que nostre vaisseau fut
appareillé, & chargé des choses necessaires pour un si long
9/497 voyage, & cependant on se prépara pour la conscience, à ce que
chacun de nous s'examinast, & se purgeast de ses péchez, par
une pénitence, & confession d'iceux, affin de faire son bon
jour, & se mettre en estat de grâce, pour puis après estants
plus libres, chacun en sa conscience, s'exposer en la garde de
Dieu, & à la mercy des vagues de ceste grande & perilleuse Mer.
Ce faict, nous nous embarquasmes dedans le vaisseau de ladite
Association, qui estoit de trois cens cinquante tonneaux,
appelé le S. Estienne, dans lequel commandoit le Sieur de Pont
Gravé, & partismes dudit Honfleur le vingt-quatriesme jour
d'Aoust[12] audit an, & fismes voile avec vent fort favorable,
& voguâmes sans rencontre de glaces, ny autres hazards, grâces
à Dieu, & en peu de temps arrivasmes devant le lieu appellé
Tadoussac, le vingt-cinquiesme jour de May, où nous rendismes
grâces à Dieu, de nous avoir conduit si à propos au port de
salut.
[Note 12: Le 24 d'avril. A défaut d'autres témoignages, le contexte
suffirait pour prouver qu'il y a ici erreur purement typographique. «
Nous partîmes d'Honfleur,» écrit le P. d'Olbeau à son ami le P. Didace
David, «le 24 d'Avril au soir, & arrivâmes le 25 May à un Port où
s'arresterent les navires qui navigent icy. Ce port s'appelle
Tadoussac.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la
Foy, t. I, p. 62.) «Ces bons Pères, dit Sagard, s'estant tous disposez
par fréquentes oraisons & bonnes oeuvres à une entreprise si pieuse &
méritoire, se mirent en chemin pour commencer leur glorieux voyage, à
pied & sans argent à l'Apostolique selon la coustume des vrais frères
Mineurs, & s'embarquèrent à Honfleur l'an 1615, le 24 d'Avril environ
les cinq heures du soir que le vent & la marée leur estoient
favorables.» (Hist, du Canada, p. 22.)]
Aprés on commença à mettre des hommes en besongne pour
accommoder nos barques, affin d'aller à Québec, lieu de nostre
habitation, & au grand sault Sainct Louys, où estoit le
rendez-vous des Sauvages qui y viennent traicter.
10/498 Les barques accommodées nous nous mismes dedans, avec lesdits
Peres Religieux [13], l'un desquels appellé le Pere Joseph sans
s'arrester ny faire aucun sejour à Québec, voulut aller droict
au grand sault, où estant, il veit tous les Sauvages, & leur
façon de faire. Ce qui l'esmeut d'aller hyverner dans le pays,
entr'autres celuy des peuples qui ont leur demeure arrestée,
tant pour apprendre leur langue, que voir ce qu'on en pourroit
esperer, en ce qui regarde leur réduction au Christianisme.
Ceste resolution ainsi prise, il s'en retourna à Québec le
vingtiesme jour de Juin[14], pour avoir quelques ornements
d'Eglise, & autres choses pour sa commodité. Cependant
11/499 j'estois demeuré [15] audit Québec pour donner ordre à ce qui
deppendoit de l'habitation, tant pour le logement des Pères
Religieux, qu'ornements d'Eglise, & construction d'une
Chappelle, pour y dire & chanter la Messe, comme aussi
d'employer autres personnes pour deffricher les terres. Je
m'embarquay pour aller audit sault, avec le Père Denis [16] qui
estoit arrivé ce mesme jour de Tadoussac, avec ledit sieur du
Pont-Gravé.
[Note 13: Plusieurs détails que nous ont conservés le Frère Sagard et le
P. le Clercq, nous font voir comment il faut entendre ce passage. «Après
avoir sejourné deux jours à Tadoussac,» dit celui-ci (Prem. établiss. de
la Foy, t. I, p. 57), «le R. P. Commissaire destina le P. Jean Dolbeau
pour aller devant à Québec, pour y préparer toutes choses.» D'après
Sagard (Hist. du Canada, p. 24), le même P. d'Olbeau, «après avoir
sejourné un jour ou deux à Tadoussac, partit pour Kebec dans la première
barque qui se mit à veille, & les autres pères cinq ou six jours après
dans d'autres vaisseaux pour le mesme lieu.» Le P. d'Olbeau serait donc
parti de Tadoussac le 27 de mai. D'un autre côté, il nous apprend
lui-même, dans sa lettre au P. Didace David (Prem. établiss. de la Foy,
t. I, p. 63), qu'il arriva à Québec «seul de religieux le second de
Juin.» Les autres, c'est-à-dire, le P. Denis, le P. Joseph et le F.
Pacifique, ayant quitté Tadoussac cinq ou six jours après, durent
arriver à l'habitation vers le 8. Cependant, le P. Joseph dut passer à
Québec un peu avant le P. Denis, puisque celui-ci, qui en repartit le
jour même qu'il y était arrivé, le rencontra à la rivière des Prairies,
qui s'en revenait à Québec. Quant à Champlain il y a tout lieu de croire
qu'il prit la première barque prête, et que par conséquent il arriva à
Québec le 2 de juin avec le P. d'Olbeau: car, d'abord, sa présence y
était grandement nécessaire tant pour la direction des travaux, que pour
le logement des pères, et le choix de l'emplacement de la chapelle; en
second lieu, on voit qu'il était déjà à Québec depuis quelques jours
quand le P. Denis y arriva vers le 8, puisque, le jour même de l'arrivée
de ce père, il part avec lui pour le saut Saint-Louis, et que d'un autre
côté il dit lui-même être demeuré quelque temps à Québec. Il est donc à
peu près certain que Champlain arriva à Québec le 2 de juin, et en
repartit vers le 8 ou le 10.]
[Note 14: Cette date, suivant nous, doit s'entendre du retour du P.
Joseph à Québec, et non pas de son départ du saut Saint-Louis. En effet,
Champlain, qui devait être parti de l'habitation vers le 8, comme nous
avons vu ci-dessus, pouvait avoir mis huit ou dix jours à monter à la
rivière des Prairies, et y aurait rencontré le P. Joseph le 17 ou le 18.
Deux jours après, le père pouvait être à Québec. De plus, Champlain, en
descendant, le rencontre de nouveau à la rivière des Prairies, et arrive
lui-même à Québec le 26. Donc le père était de retour à la rivière des
Prairies au moins deux jours avant le 26, puisque Champlain ne pouvait
guères mettre moins de deux jours à descendre. Or il est presque
incroyable qu'il eût pu, du 20 au 24 descendre du saut Saint-Louis à
Québec, y régler ses petites affaires, et remonter à la rivière des
Prairies. Enfin, ce qui vient donner encore plus de vraisemblance à
cette supposition, c'est que, si le P. Joseph est reparti de Québec le
20 ou au moins le 21 au matin, il a pu célébrer la sainte messe à la
rivière des Prairies le 24, par conséquent avant que le P. d'Olbeau
l'eût dite à Québec le 25, comme l'affirme le Mémoire des Récollets de
1637 (Archives de Versailles), lequel a dû être fait sous la dictée des
Pères qui étaient venus au Canada. On y lit entre autres ces mots: «La
première messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle-France, fut célébrée
par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.»]
[Note 15: Champlain dut demeurer à l'habitation cinq ou six jours,
c'est-à-dire, depuis le 2 de juin jusque vers le 8. (Voir la note l de
la page précédente.)]
[Note 16: Comme on le voit, le P. Denis part avec Champlain, et non pas
avec le P. Joseph. L'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en
Canada_ (t. I, p. 148), après avoir invoqué le témoignage de Champlain
sur un fait que personne assurément ne songera à contester, avance, sans
citer aucune autorité que le P. le Caron, après s'être fourni
d'ornements d'église et d'autres objets, «remonta le fleuve
Saint-Laurent avec le P. Denis Jamay, qui, à son tour,» ajoute-t-il,
«désirait aussi beaucoup de voir les sauvages.» On doit supposer qu'il
s'appuie ici sur le P. le Clercq, vu que Sagard ne fait aucune mention
de cette circonstance. Mais il restera toujours à expliquer pourquoi
l'on met ainsi de côté un témoin oculaire aussi digne de foi que
Champlain, pour suivre un auteur qui, écrivant plus de soixante ans
après, pouvait se tromper sur des détails de cette nature, et qui, après
tout, ne donne aucune preuve de ce qu'il affirme. Il est bien vrai que
le P. d'Olbeau, qui était à Québec dans le moment, dit que «le P.
Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent pas [à l'habitation], ains
voguèrent le long de la rivière»... (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
63); mais cela ne veut pas dire que les deux pères soient partis
ensemble ou dans la même barque. Le P. Denis quitta donc Québec vers le
8 de juin (voir note l, page 10), et non pas après que le P. Joseph fut
redescendu du saut Saint-Louis, ce qui n'aurait pu être qu'après le 20
du même mois.]
Quant est des autres Religieux, à sçavoir les Père Jean, &
12/500 Pacifique, ils demeurèrent audit Quebec[17] pour accommoder
leur Chappelle, & donner ordre à leur logement, lesquels furent
grandement édifiez d'avoir veu le lieu tout autrement qu'ils ne
s'estoient imaginez, & qui leur augmenta leur zèle.
[Note 17: À la date du 20 juillet de cette année 1615, le P. Jean
d'Olbeau écrivait de Québec au P. Didace David: «... J'arrivay seul de
Religieux [à l'habitation] le second de Juin. Les autres y vinrent après
selon la commodité. Le P. Commissaire & le P. Joseph n'y arresterent
pas, ains ils voguerent le long de la rivière quarante ou cinquante
lieues... J'ay presque demeuré toujours seul avec Frère Pacifique depuis
que nous sommes à terre...» Il continua vraisemblablement à y demeurer
jusqu'au mois de décembre. «Le P. d'Olbeau,» dit Sagard (Hist. du
Canada, p. 26), «tousjours plein de zèle, prit le premier l'essor pour
les Montagnais... Il partit le second jour de Décembre, pour y cabaner,
apprendre leur langue, les catechiser, «courir les bois avec eux;...
mais la fumée luy pensa perdre la veue, qu'il n'avoit des-ja guere
bonne, & fut plusieurs jours sans pouvoir ouvrir les yeux, qui luy
faisoient une douleur extrême, tellement que dans l'apprehension que ce
mal augmentait il fut contraint de les quitter après deux mois de temps,
& revenir à l'habitation vivre avec ses frères.» Le P. d'Olbeau était
donc de retour à Québec vers le commencement de février 1616.]
Nous arrivasmes à la riviere des Prairies, cinq lieues au
dessous du saut Sainct Louys, où estoient descendus les
Sauvages. Je ne diray point le contentement que reçeurent nos
Pères Religieux, non seulement en voyant l'estendue d'un si
grand fleuve, remply de plusieurs belles isles, entouré d'un
païs de costes assez fertiles, comme on peut juger en
apparence. Mais aussi pour y voir grande quantité d'hommes
forts & robustes, qui montrent n'avoir l'esprit tant sauvage,
comme les moeurs, & qu'ils se l'estoient representé, comme
eux-mesmes le confessoient & ce seulement faute d'estre
cultivez, & le tout autrement qu'on ne leur avoit fait
entendre. Je n'en feray point la description, renvoyant le
Lecteur à ce que j'en ay dit en nos livres précédents, imprimez
en l'an mil six cens quatorze [18].
[Note 18: C'est dans son édition de 1613, que Champlain décrit le plus
en détail les différentes parties du pays. Il lui semblait probablement
qu'il n'y avait qu'un an de tout cela.]
Et continuant mon discours nous trouvasmes le Père Joseph qui
s'en retournoit à Québec, comme j'ay dit cy-dessus, pour se
préparer & prendre ce qui luy estoit necessaire, affin d'aller
hyverner dans le pays. Ce que je ne trouvois à propos pour le
temps, ains je luy conseillois pour sa commodité qu'il passast
13/501 l'hyver en l'habitation seulement, & que le Printemps venu, il
pourroit faire le voyage, au moins durant l'Esté, m'offrant de
luy faire compagnie & en ce faisant il ne laisseroit de voir ce
qu'il eust peu voir en hyvernant, & retourner parler l'hyver
audit Québec, où il eust eu la fréquentation ordinaire de ses
frères, & d'autres personnes qui restoient à l'habitation, à
quoy il eust mieux proffité que de demeurer seul parmy ces
peuples, où à mon advis il ne pouvoit pas avoir beaucoup de
contentement: neantmoins pour quelque chose qu'on luy peust
faire entendre, dire, & representer, il ne voulut changer de
dessein, estant poussé du zèle de Dieu, & d'affection envers
ces peuples, se promettant de leur faire congnoistre leur
salut. Et ce qui luy faisoit entreprendre ce dessein estoit, à
ce qu'il nous representa, qu'il estoit necessaire qu'il y
allast, tant pour mieux recognoistre le naturel des peuples,
que pour apprendre plus aisément leur langage, & quant aux
difficultez qu'on luy representoit debvoir se rencontrer en
leur conversation, il s'asseuroit d'y resister, & de les
supporter, & de s'accommoder à leurs vivres & incommoditez fort
bien, & alaigrement, moyennant la grâce de Dieu: de la bonté &
assistance duquel il se tenoit certain & asseuré, & que puis
qu'il y alloit de son service, & que c'estoit pour la gloire de
son nom, & prédication de son sainct Evangile, qu'il
entreprenoit librement ce voyage, s'asseurant qu'il ne
l'abandonneroit jamais en telle délibération. Et pour ce qui
regarde les commoditez temporelles, il falloit bien peu de
chose pour contenter un homme qui ne fait profession que d'une
14/502 perpétuelle pauvreté, & qui ne recherche autre chose que le
Ciel, non tant pour luy que pour les autres ses Confrères:
n'estant chose convenable à sa reigle d'avoir autre ambition
que la gloire de Dieu, s'estant proposé de souffrir & supporter
toutes les necessités, peines & travaux qui s'offriront pour la
gloire de Dieu. Et le voyant poussé d'un si sainct zèle, &
ardante charité, je ne l'en voulus plus destourner, & partit
avec ceste délibération d'y annoncer le premier le nom de Dieu,
moyennant sa saincte grâce, ayant un grand contentement que
l'occasion se presentast pour souffrir quelque chose pour le
nom, & gloire, de nostre Sauveur Jesus-Christ.
Or incontinent que je fus arrivé au sault[19], je visitay ces
peuples qui estoient fort desireux de nous voir, & joyeux de
nostre retour, sur l'esperance qu'ils avoient que nous leur
donnerions quelques uns d'entre nous pour les assister en leurs
guerres contre leurs ennemis, nous remontrant que mal-aisément
ils pourroient venir à nous si nous ne les assistions: parce
que les Iroquois leurs anciens ennemis, estoient tousjours sur
le chemin qui leur fermoient le passage, outre que je leur
avois tousjours promis de les assister en leurs guerres, comme
ils nous firent entendre par leur truchement. Surquoy ledit
sieur du Pont, & moy, advisames(20) qu'il estoit
15/503 tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger
d'avantage à nous aymer, que pour moyenner la facilité de mes
entreprises & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en
apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit
comme un acheminement, & préparation, pour venir au
Christianisme, en faveur de quoy je me resolu d'y aller
recognoistre leurs païs, & les assister en leur guerres, afin
de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de
fois promis.
[Note 19: Champlain dut arriver au saut Saint-Louis à peu près en même
temps que le P. Joseph arrivait à Québec, c'est-à-dire, vers le 19 ou le
20 de juin. (Voir ci-dessus, p. 10.)]
[Note 20: Pour cette expédition, comme pour celles de 1609 et de 1610,
Champlain ne part donc point inconsidérément ou sans réflexion, comme le
donne à entendre Charlevoix (Hist. de la Nouv. France, liv. IV), puisque
ce n'était qu'après en avoir conféré avec Pont-Gravé, qui pouvait, mieux
que personne, juger de l'opportunité de la chose. Les divers motifs qui
le déterminent, et qui se trouvent ici énoncés si clairement, ne sont
pas non plus l'appas de quelques pelleteries ou une avarice qui le
pousse jusqu'à la cruauté, comme prétend le prouver l'auteur de
l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p. 136-142). Le
lecteur impartial trouvera le contraire en parcourant cette seule
relation de 1615, et pourra se convaincre en même temps qu'on eût
beaucoup mieux rendu justice à Champlain en donnant un bon résumé de ses
expéditions, et de celle-ci en particulier, qu'en rapprochant des textes
pris ça et là, et cités plus ou moins fidèlement, pour faire peser sur
un homme aussi estimable les graves soupçons d'intérêt personnel et de
cruauté. Quant aux résultats que pouvait avoir la conduite de Champlain,
il est beaucoup plus facile de les constater après coup, qu'il ne
l'était alors de prévoir toutes les chances et les alternatives d'une
lutte internationale à laquelle il n'était peut-être pas possible de ne
prendre aucune part. «Il semble aujourd'hui,» dit M. Ferland (Cours
d'Hist. du Canada, I, p. 149), «que la dignité et les intérêts de la
France y auraient beaucoup gagné, si le fondateur de Québec eût agi
comme le firent les Hollandais, et fût resté neutre au milieu des
dissensions des tribus aborigènes. Il serait cependant injuste de taxer
Champlain de précipitation ou d'imprudence: car nous sommes trop
éloignés de son temps, et trop peu au fait des circonstances dans
lesquelles il se trouvait, pour juger sûrement de l'opportunité de sa
démarche. Plusieurs considérations importantes ont dû l'engager dans
cette expédition. (M. Ferland parle ici de l'expédition de 1609 en
particulier.) Il voulait se concilier ses voisins immédiats, qui
auraient été des ennemis très-redoutables. Ne connaissant ni la
puissance ni l'énergie de la nation iroquoise, il espérait l'assujettir,
et la forcer à vivre en paix avec les autres peuples du pays. Il ne
pouvait prévoir qu'avant peu ses projets de pacification par la guerre
seraient rompus, et que, si la supériorité des armes européennes donnait
alors l'avantage aux Français, qui seuls en étaient pourvus, d'autres
Européens, à une époque assez rapprochée, en fourniraient aux cinq
nations, et qu'alors la lutte deviendrait inégale.»]
Nous les fismes donc tous assembler pour leur dire nos
volontez, lesquelles entendues, ils nous promirent de nous
fournir deux mil cinq cents hommes de guerre, qui feroient
merveilles, & qu'à ceste fin je menasse de ma part le plus
d'hommes qu'il me feroit possible. Ce que je leur promis faire,
estant fort aise de les voir si bien délibérez. Lors je
commençay à leur descouvrir les moyens qu'il falloit tenir pour
combattre, à quoy ils prenoient un singulier plaisir, avec
16/504 demonstration d'une bonne esperance de victoire. Et toutes
resolutions prises nous nous separasmes, avec intention de
retourner pour l'exécution de nostre entreprise. Mais
auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre moindre
que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je fisse un
voyage à nostre habitation pour donner l'ordre requise, pendant
mon absence, aux choses necessaires.
Et le ... jour de ... ensuivant [21], je party de là pour
retourner à la riviere des Prairies, où estant avec deux canaux
de Sauvages, je fis rencontre du Père Joseph, qui retournoit à
[22] nostre habitation, avec quelques ornements d'Eglise pour
célébrer le sainct Sacrifice de la messe, qui fut chantée[23]
sur le bord de ladite riviere avec toute devotion, par le
Reverend Père Denis, & Père, Joseph, devant tous ces peuples
qui estoient en admiration, de voir les cérémonies dont on
usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux, comme
chose qu'ils n'avoient jamais veue: car c'estoient les premiers
qui y ont célébré la Saincte Messe[24].
[Note 21: Il est probable que Champlain partit du saut le 23 de juin et
vînt coucher à la rivière des Prairies, où la messe dut se chanter le
lendemain matin 24, jour de la Saint-Jean-Baptiste. C'est du moins ce
qui paraît le plus vraisemblable, quand on a bien examiné toutes les
circonstances rapportées par Champlain lui-même, qui était sur les
lieux, et par le Frère Sagard, dont le témoignage, comme auteur
contemporain, doit avoir ici une grande valeur, puisqu'il a vécu avec
plusieurs de ces premiers missionnaires.]
[Note 22: Le contexte montre assez qu'il faut lire: de nostre
habitation.]
[Note 23: Cette messe put être chantée en effet, puisqu'il se trouvait
là plusieurs français, sans compter les deux Pères. Il est tout à fait
probable, comme nous l'avons dit dans les notes précédentes, que ce fut
le jour de la Saint-Jean-Baptiste. Alors cette messe aurait été en effet
la première qui se soit dite en Canada, depuis l'époque de Jacques
Cartier. Champlain ne dit pas qu'il y ait assisté; mais il semble que
les détails qu'il en donne, le laissent entendre suffisamment; et,
quoiqu'il fut extrêmement pressé, puisqu'il avait promis d'être de
retour au saut dans quatre jours, comme il est dit plus loin, il est à
croire que sa piété l'aura fait passer par dessus toute considération
humaine.]
[Note 24: C'est-à-dire: _C'étaient les premiers qui ont célébré la
sainte messe chez eux_ ou _dans le pays_. Il semble, en effet, que la
pensée de l'auteur, dans ce passage, se reporte moins sur le lieu, que
sur «tous ces peuples, qui estoient en admiration, de voir les
cérémonies dont on usoit, & des ornements qui leur sembloient si beaux,
comme chose qu'ils n'avoient jamais veue,» et la raison de leur
étonnement, c'est que «c'estoient les premiers qui y ont célébré,» ou
qui célébraient parmi ces peuples. Du reste, il eût été superflu de
faire remarquer que la messe n'avait pas encore été dite dans un lieu où
il n'y avait jamais eu d'habitation, et qui n'était pas même le lieu
ordinaire de la traite. Mais une preuve positive que tel doit être le
sens qu'il faut attacher à cette phrase, c'est que le Mémoire des
Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit formellement que «la
première Messe qui fust jamais dicte en la Nouvelle France, fut célébrée
par eux à la riviere des Prairies, & la seconde à Québec.» Il est vrai
que le P. d'Olbeau (lettre déjà citée, note 2 de la page 10) affirme de
son côté avoir dit à Québec «la première Messe qui ait esté dite en ce
pays,» et il avait bien quelque raison de le croire, puisqu'il y avait
si peu d'apparence que le P. le Caron fût rendu au saut, ou qu'il se fût
arrêté en chemin pour la dire. Cependant, tout bien considéré, il semble
que le Mémoire a raison, et que la première messe dite en ce pays,
depuis l'époque de Jacques Cartier, fut célébrée à la rivière des
Prairies par le P. Commissaire, selon toutes les apparences, et la
seconde à Québec, par le P. d'Olbeau.]
17/505 Pour retourner à la continuation de mon voyage, j'arrivay audit
lieu de Québec le 26 où je trouvay le Père Jean, & le Père
Pacifique en bonne disposition, qui de leur part firent leur
debvoir audit lieu, d'apprester toutes choses. Ils y
celebrerent[25] la saincte Messe, qui ne s'y estoit encores
ditte[26], aussi n'y avoit-il jamais esté de Prebstre en ce
costé-là.
[Note 25: Dans la bouche d'un théologien, cette expression Ils y
célébrèrent signifierait sans doute que les deux religieux qui étaient à
l'habitation y dirent chacun la messe; mais, dans la bouche de
Champlain, elle veut dire simplement, qu'ils contribuèrent, chacun selon
leur pouvoir, à ce qui était nécessaire pour la célébration du saint
sacrifice: de même que un peu plus haut, quand il rapporte que «la Méfie
fut chantée... par le Reverend P. Denis, & P. Joseph,» il n'entend pas
dire non plus que la messe ait été chantée à deux. Supposé même qu'il
ait cru alors que Frère Pacifique fût prêtre aussi bien que le P.
d'Olbeau, ce qui est assez probable, puisque, dans cette relation de
1615, il lui donne le titre de Père, il ne devait pas vraisemblablement
parler avec autant de précision que s'il eût été réellement témoin
oculaire; car il ne faut point oublier que Champlain n'était pas à
Québec le jour qu'on y célébrait cette première messe. Or, s'il est
possible d'interpréter comme nous le faisons cette expression _ils y
célébrèrent_, il faut absolument l'entendre ainsi, puisqu'il est prouvé,
par des témoignages clairs et positifs, que Pacifique du Plessis n'était
que Frère lai. (Voir p. 7, note 3.) Comment donc s'expliquer que
l'auteur de l'_Histoire de la Colonie francise en Canada_ ait non
seulement pris ces mots au pied de la lettre, mais ait cru devoir en
fixer le sens d'une manière plus précise, en écrivant: _ils y
celebrerent l'un et l'autre?_ Car si Champlain, comme laïc, plus versé
dans la science de la navigation que dans la connaissance des ordres
religieux ou de la langue théologique, est excusable de n'avoir aperçu
d'abord aucune différence entre des religieux qui portaient le même
habit, il n'en est pas de même d'un écrivain ecclésiastique, qui a sous
les yeux les documents historiques les plus clairs et la rectification
de Champlain lui-même (édit. 1632, p. 3, deuxième partie). On dira
peut-être qu'on n'a pas cité Champlain textuellement en cet endroit.
Mais, donner la substance du texte sans indiquer d'autre source, et
renvoyer, un instant après, à la page précise où se trouvent les
expressions dont nous parlons, n'est-ce pas dire au lecteur: Pour parler
ainsi, je m'appuie sur le témoignage de Champlain?]
[Note 26: Cette messe, la première dite à Québec depuis sa fondation,
fut célébrée le 25 de juin. «Le 25 de Juin,» écrit le P. d'Olbeau
lui-même à son ami le P. Didace David, «en l'absence du Révérend P.
Commissaire j'ay célébré la sainte Messe, la première qui ait esté dite
en ce pays, dont les habitans sont véritablement Sauvages de nom &
d'effet.» (Lettre citée par le P. le Clercq, Prem. établiss. de la Foy,
t. I, p. 62-65.) «Rien ne manqua pour rendre cette action solemnelle,
autant que la simplicité de cette petite troupe d'une Colonie naissante
le pouvoit permettre. Le célébrant & les assistans tous baignez de
larmes par un effet de la consolation intérieure, que Dieu repandoit
dans leurs âmes de voir descendre pour la première fois, le Dieu, &
Verbe Incarné sous les especes du Sacrement dans ces terres auparavant
inconnues; s'estant préparé par la Confession, ils y receurent le
Sauveur par la Communion Eucharistique: le _Te Deum_ y fut chanté au
bruit de leur petite artillerie, & parmy les acclamations de joye dont
cette solitude retentissoit de toute part, l'on eut dit qu'elle estoit
changée en un Paradis, tous y invoquans le Roy du Ciel, benissans son
saint nom, & appellans à leur secours les Anges tutelaires de ces vastes
Provinces, pour attirer ces peuples plus efficacement à la connoissance
& adoration du vray Dieu.» (_Ibid._ p. 60-62.)]
18/506 Ayant mis ordre à toutes choses, audit Québec, je pris deux
hommes avec moy, & m'en retournay à la riviere des Prairies,
pour m'en aller avec les Sauvages, & partis de Québec le
quatriesme jour de Juillet, & le huictiesme dudit mois estant
sur le chemin, je rencontray[27] le sieur du Pont, & le Père
Denis, qui s'en revenoient audit Québec, & me dirent que les
Sauvages estoient partis bien faschez, de ce que je n'estois
allé avec eux, du nombre desquels plusieurs nous faisoient
morts, ou prins des Iroquois, d'autant que je ne devois tarder
que quatre, ou cinq jours, & neantmoins j'en retarday dix [28].
Ce qui faisoit desesperer ces peuples, & mesmes nos François,
tant ils estoient desireux de nous revoir. Ils me dirent que le
19/507 Père Joseph estoit party[29] avec douze François qu'on avoit
baillé aux Sauvages les assister. Ces nouvelles m'affligèrent
un peu, d'autant que si j'y eusse esté, j'eusse mis ordre à
beaucoup de choses pour le voyage, ce que je ne peu pas, tant
pour le petit nombre d'hommes, comme aussi pource qu'il n'y en
avoit pas plus de quatre ou cinq seulement qui sceussent le
maniement des armes, veu qu'en telle entreprise les meilleurs
n'y sont pas trop bons. Tout cela ne me fist point pourtant
perdre courage à poursuivre l'entreprise, pour l'affection que
j'avois de continuer mes descouvertures. Je me separay donc
d'avec lesdits sieurs du Pont, & Père Denis, avec resolution de
m'en aller dans les deux canaux qui estoient avec moy, & suivre
après nos sauvages, ayans pris les choses qui m'estoient
necessaires.
[Note 27: Ce devait être à quelques lieues au-dessus de Sorel, puisque,
après avoir quitté Pont-Gravé et le P. Denis, il fait encore environ six
lieues avant de prendre la rivière des Prairies.]
[Note 28: C'est-à-dire, qu'il fut à son voyage dix jours de plus qu'il
n'avait compté. Il était parti du saut Saint-Louis le 23 ou le 24 de
juin, comme nous avons vu (p. 16, note l); par conséquent, il devait y
être de retour le 28 ou le 29, et l'on était déjà au 8 de juillet. Il
est à remarquer que, sur la nouvelle du départ des sauvages, il ne
remonte pas jusqu'au saut, mais qu'il coupe au plus court, par la
rivière des Prairies.]
[Note 29: Si le P. le Caron était parti dès le 8 de juillet, il est
impossible qu'il ait dit la messe aux Trois-Rivières le 26 du même mois,
comme l'affirme le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
66), et après lui M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, 170) et
l'auteur de l'_Histoire de la Colonie française en Canada_ (t. I, p.
149). Si réellement la messe fut dite aux Trois-Rivières le 26 de
juillet, ce fut vraisemblablement par le P. Denis, qui dut en effet y
arrêter en descendant avec Pont-Gravé.]
Le 9 dudit mois, je m'embarquay moy troisiesme, à sçavoir l'un
de nos truchemens[30], & mon homme, avec dix Sauvages, dans
lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter,
d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarassez de hardes,
ce qui m'empeschoit de mener des hommes d'avantage.
[Note 30: Probablement Étienne Brûlé, dont il est parlé plus loin dans
cette relation.]
Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve S. Laurens,
quelques six lieues, & fumes par la riviere des Prairies, qui
descharge dans ledit fleuve, laissant le sault Sainct Louys
cinq ou six lieues plus amont, à la main senestre, où nous
passasmes plusieurs petits sauts par ceste riviere, puis
entrasmes dans un lac [31], lequel passé, rentrasmes dans la
20/508 riviere, où j'avois esté auparavant[32], laquelle va, & conduit
aux Algommequins, distante du sault Sainct Louys de
quatre-vingt neuf [33] lieues, de laquelle riviere j'ay fait
ample description en mon precedent livre, & traicté de mes
descouvertures, imprimé en l'année mil six cents quatorze [34].
C'est pourquoy je n'en parleray point en ce traicté, &
continueray mon voyage jusques au lac des Algommequins [35], où
estant, rentrasmes dedans une riviere [36] qui descend dedans
ledit lac, & allasmes amont icelle quelque trente-cinq lieues,
& passasmes grande quantité de saults, tant par terre, que par
eau, & en un pays mal aggreable, remply de sapins, boulleaux, &
quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroicts un
peu montagneux. Au surplus fort desert, & sterille, & peu
habité, si ce n'est de quelques Sauvages Algommequins, appellez
Otaguottouemin[37], qui se tiennent dans les terres, & vivent
de leurs chasses, & pescheries qu'ils font aux rivieres,
21/509 estangs, & lacs, dont le païs est assez muny. Il est vray qu'il
semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses &
désertes quelque choses en sa saison, pour servir de
rafraichissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car je
vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande
quantité de blues [38], qui est un petit fruict fort bon à
manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle
quantité, que c'est merveilles: desquels fruicts ces peuples
qui y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous
faisons des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissames
icelle riviere qui vient du Nort[39], & est celle par laquelle
les Sauvages vont au Sacquenay pour traicter des Pelleteries,
pour du Petun. Ce lieu est par les quarante & six degrez de
latitude [40] assez aggreable à la veue, encores que de peu de
rapport.
[Note 31: Le lac des Deux-Montagnes.]
[Note 32: La rivière des Algonquins, aujourd'hui l'Outaouais, qu'il
avait remonté jusqu'aux Allumettes, en 1613.]
[Note 33: Il est probable qu'il y avait, dans le manuscrit, 8 à 9
lieues, et que le typographe aura lu 89, qu'il aura mis en toutes
lettres. Du saut Saint-Louis à l'embouchure de l'Outaouais, il y a en
effet huit ou neuf lieues.]
[Note 34: Le cours de l'Outaouais est décrit par l'auteur dans son
édition de 1613, Quatrième Voyage.]
[Note 35: Le lac des Algonquins n'est autre chose que le lac des
Allumettes. On appelait les Kichesipirini Algonquins de l'Ile, ou
Sauvages de l'Ile, et, pour désigner leur île et leur lac, on disait
l'île des Algonquins, et le lac des Algonquins. (Voir 1613, p. 320.)]
[Note 36: Depuis cet endroit jusqu'aux Joachims, c'est-à-dire, l'espace
d'environ dix lieues, l'Outaouais prend le nom de rivière Creuse,
au-dessus de laquelle il reste encore vingt ou vingt-cinq lieues à faire
avant de prendre la rivière Mataouan; ce qui fait à peu près les
trente-cinq lieues que compte l'auteur.]
[Note 37: La Relation de 1650 leur donne à peu près le même nom avec une
terminaison sauvage, Outaoukotouemiouek: «Ce sont peuples qui ne
descendent quasi jamais vers les François; leur langue est meslée de
l'Algonquine & de la Montagnèse.» La Relation de 1640, qui les appelle
Kotakoutouemi, nous apprend qu'ils demeuraient du côté du nord de la
rivière. «Montant plus haut,» y est-il dit (ch. X), «on trouve les
Kichesipirini, les Sauvages de l'Isle, qui ont à costé dans les terres
au Nord les Kotakoutouemi.»]
[Note 38: Bluets. Quoique ce mot n'ait pas trouvé grâce auprès de
l'Académie, au moins dans l'acception qu'il a ici, on le trouve employé
dans la plupart des auteurs qui ont écrit sur le Canada, et en
particulier dans le P. de Charlevoix, qui lui consacre un article
spécial dans sa Description des Plantes de l'Am. Sept. XCIII, sous le
titre de BLUET DU CANADA, _Vitis idoea Canadensis, Myrti folio_. Les
botanistes d'aujourd'hui rapportent les diverses espèces de Bluets au
genre Vaccinìum.]
[Note 39: À cet endroit où l'on prend la rivière Mataouan pour gagner le
lac Nipissing, l'Outaouais vient en effet du Nord; mais, depuis sa
source jusqu'à quelques lieues de la, il vient du nord-ouest, ou à peu
près. Du lac Témiscaming, ou des différentes sources de l'Outaouais, on
peut, comme le remarque Champlain, aller rejoindre la tête du
Saint-Maurice, et de là passer à la rivière Chomouchouan, qui va tomber
dans le lac Saint-Jean.]
[Note 40: La latitude du lieu où la rivière Mataouan se jette dans
l'Outaouais, est d'environ 46° 18'. On ne peut guères s'expliquer, que
par l'imperfection de ses instruments, comment Champlain peut trouver
ici une hauteur si faible, quand deux ans auparavant, il avait placé
l'île des Allumettes au quarante-septième degré.]
Continuant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere
des Algommequins, nous passames par plusieurs lacs, où les
sauvages portent leurs canaux jusques à ce que nous entrasmes
dans le lac des Nipisierinij, par la hauteur de quarante-six
22/510 degrez & un quart de latitude. Et le vingt-sixiesme jour dudit
mois[41], après avoir fait, tant par terre que par les lacs
vingt-cinq lieues, ou environ. Ce faict nous arrivasmes aux
cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes deux jours avec
eux. Ils nous firent fort bonne réception, & estoient en bon
nombre: Ce sont gens qui ne cultivent la terre que fort peu. A.
vous montre l'habit de ces peuples allant à la guerre. B. celuy
des femmes, qui ne diffaire en rien de celuy des montaignairs,
& Algommequins grands peuples & qui s'estendent fort dans les
terres [42].
[Note 41: Le 26 de juillet. Toute cette phrase, évidemment, doit se
rattacher à la précédente.]
[Note 42: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.]
Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, &
autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins,
selon leur coustume, & m'estoient peine [43] d'aller pescher &
chasser, pour nous traicter le plus délicatement qu'ils
pouvoient. Ces dicts peuples estoient bien en nombre de sept à
huict cent ames, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où
il y a grand nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une
qui a plus de six lieues de long, où il y a 3 ou 4 beaux
estans, & nombre de belles prairies, avec de tresbeaux bois qui
l'environnent, où il y a abondance de gibier, qui se retirent
dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du
poisson. Le costé du Septentrion dudict lac est fort agréable,
il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, &
plusieurs petites rivieres qui se deschargent dans iceluy lac.
[Note 43: Mettaient peine, prenaient la peine de.]
Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de
23/511 plusieurs sortes de poisson, entr'autres d'un tresbon, qui est
de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres especes,
que les sauvages peschent pour faire seicher, & en font
provision. Ce lac[44] a en son estendue quelque huict lieues de
large, & vingt-cinq de long, dans lequel descend une riviere
[45] qui vient du Norouest, par où ils vont traicter les
marchandises que nous leur donnons en troque, & retour de leur
Pelletries, & ce avec ceux qui y habitent [46], lesquels vivent
de chasse, & de pescheries, pays peuplé de grande quantité,
tant d'animaux, qu'oyseaux, & poissons.
[Note 44: Ici l'auteur parle encore du lac Nipissing, qu'il fait
cependant un peu trop long.]
[Note 45: La rivière aux Esturgeons. Elle vient plutôt du nord, que du
nord-ouest; mais elle se jette dans le lac Nipissing du côté du
nord-ouest, et sert de décharge au lac Tamagaming, qui semble avoir été
la demeure des Outimagami. (Voir la note suiv.)]
[Note 46: «Les Nipissiriniens,» dit la Relation de 1640 (ch. X), «ont au
Nord les Timiscimi, les Outimagami, les Ouachegami, les Mitchitamou, les
Outurbi, les Kiristinon, qui habitent sur les rives de la mer du Nord,
où les Nipissiriniens vont en marchandise.»]
Après nous avoir reposé deux jours avec le chef desdits
Nipisierinij: nous nous rembarquasmes en nos canaux, & entrames
dans une riviere[47], par où ce lac se descharge, & fismes par
icelle quelques trente-cinq lieues & descendismes par plusieurs
petits saults, tant par terre, que par eau, jusques au lac
Attigouautan[48]. Tout ce païs est encores plus mal-aggreable
que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix
arpens de terre labourable, sinon rochers, & païs aucunement
montagneux. Il est bien vray que proche du lac des Attigouautan
nous trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où
nos Sauvages furent prendre des sitrouilles qui nous semblerent
24/512 bonnes, car nos vivres commençoient à nous faillir, par le
mauvais mesnage desdits Sauvages, qui mangèrent si bien au
commencement, que sur la fin il en restoit fort peu, encores
que ne fissions qu'un repas le jour. Il elt vray, comme j'ay
dit cy-dessus, que les blues, & framboises ne nous manquèrent
en aucune façon, car autrement nous eussions esté en danger
d'avoir de la necessité.
[Note 47: La rivière des Français.]
[Note 48: Le lac Huron. Attigouautan, ou Attignaouantan, était le nom
d'une des plus considérables tribus huronnes, la tribu de l'Ours, qui
était la plus voisine du lac. (Relations des Jésuites; Sagard.)]
Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous avons
nommez les cheveux relevez [49], pour les avoir fort relevez, &
agencez, & mieux peignez que nos courtisans, & n'y a nulle
comparaison, quelque fers, & façon qu'ils y puissent apporter.
Ce qui semble leur donner une belle apparence. Ils n'ont point
de brayer, & sont fort decouppez par le corps, en plusieurs
25/513 façons de compartiment: Ils se paindent le visage de diverses
couleurs, ayants les narines percées, & les oreilles bordées de
patinostres. Quand ils sortent de leurs maisons ils portent la
massue, je les visitay & familiarisay quelque peu, & fis amitié
avec eux. Je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi
content, & resjouy, que si le luy eusse fait quelque riche
prêtent, & communiquant avec luy, je l'entretins sur ce qui
estoit de son païs, qu'il me figura avec du charbon sur une
escorce d'arbre. Il me fist entendre qu'ils estoient venus en
ce lieu pour faire secherie de ce fruict appelle blues, pour
leur servir de manne en hyver, & lors qu'ils ne trouvent plus
rien. A. C. montre de la façon qu'ils s'arment allant à la
guerre. Ils n'ont pour armes que l'arc, & la flesche, mais elle
est faite en la façon que voyez dépainte, qu'ils portent
ordinairement, & une rondache de cuir boullu[50], qui est d'un
animal comme le bufle.
[Note 49: Le nom huron de ces sauvages était Andatahouat (Sagard, Hist.
du Canada, p. 199), ou Ondataouaouat (Relat. des Jésuites). Sagard, dans
son Dictionnaire de la langue huronne, nous donne de plus les noms des
trois nations qui en dépendaient, les Chisérhonon, les Squierhonon et
les Hoindarhonon; c'étaient probablement autant de tribus d'une même
nation. Mais il est à remarquer que le nom de Cheveux-Relevés n'est
point la traduction du mot _Ondatahouat. Ondata_ ou _Onnhata_, en huron,
signifie _bois_; et il est tout à fait probable que la nation de Bois,
ou les _gens de bois_, dont parle Sagard (Hist. du Canada, p. 197), sont
les Andatahouat mêmes. «Ils sont,» dit-il, en parlant de ces gens de
bois, «dépendants des cheveux relevez & comme une mesme nation.» Du mot
_Ondatahouat_, s'est formé _Outaouat_, ou Outaouais, nom sous lequel on
a désigné plus tard tous les Algonquins Supérieurs. Ces Cheveux-Relevés
ne demeuraient point à l'embouchure de la rivière des Français, où
Champlain les rencontre ici; puisque, comme il est dit un peu plus loin,
«ils estoient venus en ce lieu pour faire pescherie de blues»; et,
quelques années plus tard, lorsque Sagard suit la même route, il trouve
au même endroit ces mêmes Cheveux-Relevés, «qui s'estoient venus camper,
dit-il, proche la mer douce, à dessein de traicter avec les Hurons &
autres qui retournoient de la traicte de Kebec.» Où était donc la
demeure de ces peuples? Champlain, dans sa grande carte de 1632, les
place à l'ouest de la nation du Petun; ce qui porterait à croire qu'ils
occupaient cette longue pointe qui s'avance dans l lac Huron vers les
iles de Manitoualin. D'un autre côté, la Relation de 1640 place dans ces
îles mêmes les Outaouan, «peuples venus de la nation des
Cheveux-Relevés.» Ce qui est d'accord avec la Relat. de 1671, où il est
dit (ch. II, art. III), que l'île d'Ekaentouton (Manitoualin) était
l'ancien pays des Outaouais; et avec Nicolas Perrot, qui appelle cette
île, l'ile des Outaouaks (Mémoire publ. par le P. Tailhan, p. 126). Si
l'on fait attention que l'île de Manitoualin n'est pas figurée dans la
carte de Champlain, et que la mer Douce y est posée en longueur de l'est
à l'ouest, tandis qu'elle est nord-ouest sud-est, on trouvera que la
place assignée, dans cette carte, aux Cheveux-relevés, n'est pas en
contradiction avec les textes que nous avons rapportés, ou du moins ne
prouve pas que les Outaouais n'aient point habité cette île, même à
cette époque.]
[Note 50: Cuir bouilli.]
Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin
le long du rivage de ce lac des Attigouautan, où il y a un
grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant
tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de quatre cent
[51] lieues de longueur, de l'Orient à l'Occident, & de large
cinquante lieues, & pour la grande estendue d'iceluy, je l'ay
nommé la Mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes
26/514 de très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux
que n'avons pas, & principalement des Truittes qui sont
monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à
quatre pieds & demy, & les moindres qui se voyent sont de deux
pieds & demy. Comme ausi des Brochets au semblable, & certaine
manière d'Esturgeon, poisson fort grand, & d'une merveilleuse
bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est aspre du costé du
Nort, & en partie plat, & inhabité de Sauvages, quelque peu
couvert de bois, & de chesnes: Puis après nous traversames une
baye[52] qui faict une des extremitez du lac, & fismes quelques
sept lieues [53], jusques à ce que nous arrivasmes en la
contrée des Attigouautan[54], à un village appellé Otouacha
27/515 [55], qui fut le premier jour d'Aoust, où trouvasmes un grand
changement de païs, cestuy-cy estant fort beau, & la plus
grande partie deserté, accompagné de force collines, & de
plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir aggreable. Je fus
visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient pour lors fort avancez
pour la saison.
[Note 51: C'est à peu près trois fois la longueur que Champlain lui-même
donne à ce lac dans sa grande carte de 1632, où cependant il le fait
déjà double de ce qu'il est réellement. Il est possible qu'il ait
apprécié la longueur de la mer Douce sur le nombre de journées de canots
que comptaient les sauvages depuis le pays des Hurons jusqu'au fond du
lac Michigan, ou du lac Supérieur, ou même dans les deux réunis.]
[Note 52: La baie de Matchidache, qui, avec celle de Nataouassaga, fait
l'extrémité méridionale dela baie Géorgienne.]
[Note 53: Ces sept lieues doivent s'entendre de la traverse même de la
baie de Matchidache; autrement il est impossible de rien comprendre à
tout ce qui suit. Nous devons dire ici, une fois pour toutes, que, pour
l'intelligence de la carte du pays huron, où Champlain aborde en ce
moment, nous sommes redevables à M. le chevalier Taché d'une foule de
découvertes et d'observations extrêmement importantes, sans lesquelles
une grande partie de ce voyage de 1615 serait restée incomprise.]
[Note 54: La contrée des Attignaouantans, ou des Ours, s'étendait à
l'est et au nord-est de la baie de Nataouassaga, et se composait
principalement de la presqu'île qui sépare cette baie de celle de
Matchidache. Après cette traverse de sept lieues, dont nous parlons dans
la note précédente, nos voyageurs devaient naturellement aborder à la
baie du Tonnerre, comme font et ont toujours fait ceux qui, de la côte
nord du lac, viennent aborder au pays des Hurons; parce que, comme nous
le faisait observer M. Taché, cette baie est un petit port naturel et de
facile débarquement, et que c'était alors le point de cette côte le plus
voisin d'un emplacement de bourgade, d'après les recherches faites
jusqu'à ce jour.]
[Note 55: Otouacha est probablement le même que Toenchain, ou Toanché.
C'est vers cette bourgade que le P. le Caron dit la première messe au
pays des Hurons (Sagard, Hist. du Canada, p. 224). Ce fut là aussi que
vint aborder, en 1634, le P. de Brebeuf. «Je pris terre, dit-il, au port
du village de Toanché, ou de Teandeouïata, où autresfois nous estions
habituez; mais ce fut avec une petite disgrace... Mes sauvages, après
m'avoir débarqué,... m'abandonnèrent là tout seul... Le mal estoit que
le village de Toanché avoit changé depuis mon départ... Je m'en allay
chercher le village, que je rencontray heureusement environ à trois
quarts de lieue, ayant en passant veu avec attendrissement &
ressentiment le lieu où nous avions habité, & célébré le S. sacrifice de
la Messe trois ans durant, converty en un beau champ, comme aussi la
place du vieux village...» (Relat. de ce qui s'est passé aux Hurons en
l'année 1635). On voit par ce passage du P. de Brebeuf, que le village
de Toanché était à un peu moins de trois quarts de lieue du port, et
l'on trouve en effet, d'après M. Taché, à environ un mille de la baie du
Tonnerre, les restes de ce qui devait être le premier Toanché ou
Otouacha.]
513a
[Illustration]
Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si
mauvaise contrée, d'où nous venions de sortir. Le lendemain
[56], je feus à un autre village appellé Carmaron [57], distant
d'iceluy d'une lieue, où ils nous reçeurent fort aimablement,
nous faisant festin de leur pain, sitrouilles, & poisson: pour
la viande, elle y est fort rare. Le Chef du dit Village me pria
fort d'y sejourner, ce que je ne peu luy accorder, ains m'en
retournay à nostre Village, où la deuxiesme nuit comme j'estois
allé hors la cabanne pour fuir les puces qui y estoient en
grande quantité, & dont nous estions tourmentez: une fille peu
honteuse, & effrontément vint à moy, s'offrant à me faire
28/516 compagnie, dequoy je la remerciay, la renvoyant avec douces
remonstrances, & passay la nuict avec quelques Sauvages.
[Note 56: Le 2 d'août.]
[Note 57: Le nom de ce village était évidemment huron, comme le donne à
entendre cette expression «appelé Carmaron.» Cependant, la langue
huronne n'ayant pas de labiales, on est en droit de supposer, ou que
Champlain aura exprimé par cette orthographe ce qui paraissait approcher
davantage du mot huron, ou bien que le typographe aura mal lu le
manuscrit de l'auteur. Dans le premier cas, il faudrait
vraisemblablement lire Carouaron; puisque les Hurons ne trouvaient rien
de mieux, pour rendre la lettre _m_, que la diphthongue _ou_, et l'on
sait que, dans leur bouche, les mots _Marie, Lemoine_, devenaient
_Ouarie, Ouane_. Dans le second cas, le mot tel que Champlain l'aurait
écrit, pourrait bien être _Cannaron_; ce qui vient donner plus de
vraisemblance à cette supposition, c'est que, à une petite distance
d'Otouacha, et à peu près dans la direction que devait naturellement
prendre Champlain pour pénétrer plus avant dans le pays, se trouvait une
bourgade remarquable, appelée, d'après les Relations, _Kontarea_, mot
qui pourrait s'écrire _Conndarea_ ou simplement _Connarea_. Il va sans
dire, ici, que nous n'avons point d'autre prétention que celle de
suggérer une idée à ceux qui s'occupent de l'histoire de cette contrée
si pleine de souvenirs.]
Le lendemain [58], je party de ce Village, pour aller à un
autre, appellé Touaguainchain[59], & à un autre appellé
Tequenonquiaye[60], esquels nous fusmes reçeus des habitans
desdits lieux fort amiablement, nous faisant la meilleure chère
qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons,
tant ce pays est tresbeau, & bon, par lequel il faict beau
cheminer.
[Note 58: Probablement le 3 d'août.]
[Note 59: D'après les persévérantes recherches de M. Taché, ce village
devait être quelques milles à l'ouest de Carmaron, et Carmaron lui-même
à environ une demi-lieue vers le sud-ouest de Ouenrio, ou du fond de la
baie de Pénétangouchine. Il serait donc possible que Touaguainchain fût
le nom sauvage du bourg de Sainte-Madeleine, dont il est parlé dans les
Relations de 1640 et de 1648, et qui, autant qu'on en peut juger par la
carte de Ducreux, devait être dans ces environs.]
[Note 60: Ce village, qui était comme la capitale des Attignaouantans, a
porté cinq ou six noms différents. «Mon sauvage & moy avec un autre,»
dit Sagard (Hist. du Canada, p. 208), «tinsmes le chemin de
_Tequeunonkiaye_, autrement nommé _Quieuindohian_, par quelques François
la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel, pour estre la
première ville du pays dans laquelle je fois entré, elle est aussi la
principale, & comme la gardienne & le rempart de toutes celles de la
Nation des Ours, & où se décident ordinairement les affaires de plus
grande importance. Ce lieu est assez bien fortifié à leur mode, & peut
contenir environ deux ou trois cens mesnages, en trente ou quarante
cabanes qu'il y a.» Quelques années après, La Rochelle portait le nom
d'Ossossané, et les Pères Jésuites y établissaient une mission et une
résidence sous le titre de l'Immaculée-Conception. Cette bourgade a donc
porté les différents noms sauvages de Tequeunonkiaye, de Quieuindohian
et d'Ossossané, sans compter les noms français de La Rochelle, de
Saint-Gabriel et de La Conception. Elle était, de toutes celles de la
nation des Ours, «la plus proche voisine des Hyroquois» (Sag. _ibid_. p.
214), et à environ quatre lieues d'Otouacha, ou, si l'on veut, de la
baie du Tonnerre, par conséquent à deux bonnes lieues plus au sud que
Carmaron.]
De là, je me fis conduire à Carhagouha[61], fermé de triple
pallissade de bois, de la hauteur de trente cinq pieds pour
leur deffence & conservation: auquel Village estoit le Père
29/517 Joseph demeurant, & que nous y trouvasmes, estant fort aise
de le voir en santé, ne l'estant pas moins de sa part, qui
n'esperoit rien moins que de me veoir en ce païs. Et le 12e
jour d'Aoust, le R. P. célébra la saincte Messe[62], & y fut
planté une Croix proche d'une petite maisonnette [63], separée
du village que les Sauvages y bastirent pendant que j'y
sejournay[64], en attendant que nos gens s'apprestoient, & se
preparoient pour aller à la guerre, à quoy ils furent fort
longtemps.
[Note 61: Carhagouha ne devait pas être à une grande distance du point
où l'auteur avait abordé; car, pour qu'il y eût quatorze lieues de
Carhagouha jusqu'au point le plus éloigné du pays huron, il fallait que
ce village fût situé vers le nord de la contrée des Attignaouantans.
C'est ce que prouve du reste ce passage de Sagard; «Auparavant nous, ny
Prestres, ny Religieux n'y avoit mis le pied que le seul P. Joseph le
Caron, qui y dit la première messe vers la bourgade de Toenchain» [ou
Otouacha]. (Hist. du Canada, p. 224.)]
[Note 62: Le Mémoire des Récollets de 1637 (Archives de Versailles) dit
que la messe fut célébrée dans ce village le 10 d'août, et qu'au dit
lieu la messe ne s'était point encore dite. Il est difficile de savoir
qui a raison; cependant, cette relation détaillée et suivie que
Champlain publie peu de temps après les événements, semble mériter plus
d'attention, qu'un mémoire fait plus de vingt ans après et dans lequel
une date n'était pas absolument d'une grande importance. Cette messe
n'était pas la première dite au pays des Hurons, si l'on en croit le
Frère Sagard, qui assure que le P. le Caron «dit la première Messe vers
la bourgade de Toenchain.» (Hist. du Canada, p. 224.)]
[Note 63: Ce fut là la première chapelle construite au pays des Hurons;
celle de 1623 était la seconde (Hist. du Canada, p. 224), et celle des
Jésuites, en 1635, fut la troisième.]
[Note 64: Champlain était arrivé à Carhagouha vers le 4 ou le 5, et il
n'en repartit que le 14; il y demeura donc une dizaine de jours.]
Et voyant une telle longueur qu'ils apportoient à faire leur
gros, & que j'aurois du temps pour visiter leur pays: je me
deliberay de m'en aller à petites journées de village en
village à Cahiagué[65], ou debvoit estre le rendez-vous de
toute l'armée, distant de Carhagouha de quatorze lieues, &
partismes de ce Village le 14 d'Aoust, avec dix de mes
compagnons.
[Note 65: Cahiagué est évidemment le nom huron de Saint-Jean-Baptiste,
qui, suivant les Relations, était le bourg principal des Arendaronons,
ou tribu de la Roche. «Les Arendaronons sont une des quatre nations qui
composent ceux qu'à proprement parler on nomme Hurons: elle est la plus
Orientale de toutes, & est celle qui la première a découvert les
François, & à qui en suite appartenoit la traitte selon les loix du
pays. Ils en pouvoient jouir seuls, neantmoins ils trouverent bon d'en
faire part aux autres nations, se retenant toutefois plus
particulièrement la qualité de nos aliez, & se portans en cette
consideration à la protection des François, lors que quelque malheur est
arrivé. C'est où feu monsieur de Champlain s'arresta plus long temps au
voyage qu'il fit icy haut, il y a environ 22 ans, & où sa réputation vit
encore dans l'esprit de ces peuples barbares, qui honorent mesme après
tant d'années plusieurs belles vertus qu'ils admiroient en luy, &
particulièrement sa chasteté & continence envers les femmes... Cette
alliance si particuliere que ces peuples Arendaronons ont avec les
François nous avoit souvent donné la pensée de leur aller communiquer
les richesses de l'Evangile, mais le deffaut de langue nous avoit
tousjours empesché de pousser jusques là, nous estant trouvez engagez de
premier abord à nostre première demeure, qui estoit située à l'autre
extrémité du pays toute opposée. Cette année nous estant trouvez assez
forts pour cette entreprise, nous y avons commencé une mission, qui a eu
dans son ressort trois bourgs: de S. Jean Baptiste, de S. Joachim, & de
Saincte Elizabeth. Les Pères Antoine Daniel & Simon le Moine en ont eu
le soin. Ils firent leur première demeure & la plus ordinaire dans le
bourg plus peuplé de S. Jean Baptiste, y ayant plus à travailler.»
(Relat. du pays des Hurons, 1639-40, ch. IX.)]
30/518 Je visitay cinq des principaux Villages [66], fermez de
pallissades de bois, jusques à ce qu'à [67] Cahiagué, le
principal Village du païs, où il y a deux cents cabannes assés
grandes, où tous les gens de guerre se debvoient assembler. Or
en tous ces Villages ils nous reçeurent fort courtoisement avec
quelque humble accueil. Tout ce pays où je fus par terre
contient quelque 20 à 30 lieues, & est très-beau, soubs la
hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, pays fort
deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y
vient très-beau, comme aussi des sitrouilles, herbe au Soleil,
dont ils font de l'huille de la graine: de laquelle huille ils
se frottent la teste. Le pays est fort traversé de ruisseaux
qui se deschargent dedans le lac. Il y a force vignes & prunes,
qui sont tresbonnes, framboises, fraises, petites pommes
sauvages, noix & une manière de fruict, qui est de la forme, &
couleur de petits citrons, & en ont aucunement le goust, mais
le dedans est tresbon, est presque semblable à celuy des
31/519 figues. C'est une plante qui les porte, laquelle à la hauteur
de deux pieds & demy, chacune plante n'a que trois à quatre
feuilles pour le plus, & de la forme de celle du figuier, &
n'aporte que deux pommes chacun pied. Il y en a quantité en
plusieurs endroits, & en est le fruict tresbon, & de bon
goust[68]: les chesnes, ormeaux, & hestres, y sont en quantité,
y ayans dedans ce pays force sapinieres, qui est la retraicte
ordinaire des perdrix, & lapins. Il y a aussi quantité de
cerises petites & merises, & les mesmes especes de bois que
nous avons en nos forests de France, sont en ce pays-là. A la
vérité ce terroir me semble un peu sablonneux, mais il ne
laisse pas d'estre bon pour cet espece de froment. Et en ce peu
de pays j'ay recogneu qu'il est fort peuplé d'un nombre infiny
d'ames, sans en ce comprendre les autres contrées, où je n'ay
pas esté, qui sont, au rapport commun, autant ou plus peuplées,
que ceux cy-dessus: Me representant que c'est grand dommage que
tant de pauvres créatures vivent, & meurent sans avoir la
cognoissance de Dieu, & mesmes sans aucune Religion ny Loy,
soit divine, Politique, ou Civille, establie parmy eux. Car ils
n'adorent, & ne prient, aucune chose, du moins en ce que j'ay
peu recognoistre en leur conversation: Ils ont bien encore
quelque espece de cérémonie entr'eux, que je descriray en son
lieu, comme pour ce qui est des mallades, ou pour sçavoir ce
32/520 qui leur doibt arriver, mesme touchant les morts: mais ce sont
de certains personnages estans parmy eux qui s'en veulent faire
à croire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du temps des
anciens Payens qui se laissoient emporter aux persuasions des
enchanteurs, & devins, neantmoins la pluspart de ces peuples ne
croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils sont assez
charitables entr'eux, pource qui est des vivres: mais au reste,
fort avaricieux. Ils ne donnent rien pour rien. Ils sont
couverts de peaux de Cerfs, & Castor, qu'ils traictent avec les
Algommequins, & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, & farines
d'iceluy.
[Note 66: Ces cinq principaux villages palissadés étaient presque tous
situés sur la frontière du côté des Iroquois. A part Tequenonkiaye et
Carhagouha, qu'il venait de visiter, il dut passer par Scanonahenrat,
qui formait à lui seul la nation des Tohontahenrat, et par Teanaustayaé,
chef-lieu des Attignenonghac. L'auteur compte sans doute Cahiagué pour
le cinquième; car, en passant par Teanaustayé, il devait naturellement
laisser de côté Taenhatentaron, appelé plus tard Saint-Ignace, qui était
à deux bonnes lieues plus au nord, et qui complète le nombre de villages
palissadés que compte Champlain lui-même un peu plus loin.]
[Note 67: Dans l'édition de 1632, on a corrigé en mettant simplement:
_jusques à Cahiagué_.]
[Note 68: Le fruit de cette plante (Podophyllum peltatum, LINN.), que
l'on appelle citronnier, dans le pays, est bon à manger; mais la racine
est un poison violent, dont les sauvages se servaient quelquefois quand
ils ne pouvaient survivre à leur chagrin. (Catal. des Plantes Canad.
contenues dans l'herbier de l'Univ. Laval, par l'abbé O. Brunet, prem.
livraison, p. 15.)]
Le dixseptiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, où je fus
reçeu avec grande alegresse, & recognoissance de tous les
Sauvages du pays, qui avoient rompu leur desseing, pensant ne
me revoir plus, & que les Iroquois m'avoient pris, comme j'ay
dict cy-dessus, qui fut cause du grand retardement qui se
trouva en ceste expédition, jusques là mesmes qu'ils avoient
remis la partie à l'autre année suivante: Sur lesquelles
entrefaictes ils reçeurent nouvelles comme certaine nation de
leurs alliez [69], qui habitent à trois bonnes journées plus
33/521 haut que les Entouhonorons[70], ausquels[71] les Iroquois font
aussi la guerre, lesquels aliez les vouloient assister en ceste
expedition de cinq cens bons hommes, & faire alliance, & jurer
amitié avec nous, ayants grand desir de nous voir, & que nous
fissions la guerre tous ensemble, & dont ils tesmoignoient
avoir du contentement de nostre cognoissance, & moy d'avoir
trouvé cette opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir
des nouvelles de ce pays-là: qui n'est qu'à sept journées, d'où
les Flamens vont traicter sur le quarentiesme degré, lesquels
Sauvages[72], assistez des Flamens, leur font la guerre, & les
prennent prisonniers, & les font mourir cruellement, comme de
faict ils nous dirent que l'année passée faisant la guerre, ils
prirent trois desdicts Flamens qui les assistoient, comme nous
faisons les Attigouautan: & qu'au combat, il en fut tué un des
leurs. Neantmoins ils ne laisserent pas de renvoyer les trois
Flamens prisonniers, sans leur faire aucun mal, croyans que ce
fussent des nostres, encores qu'ils n'eussent aucune
cognoissance de nous, que par oüy dire, n'ayans jamais veu de
Chrestien: car autrement ces trois prisonniers n'eussent pas
passé à si bon marché, ny ne passeront, s'ils en peuvent
prendre, & atraper. Ceste nation est fort belliqueuse, à ce que
34/522 tiennent ceux de la nation des Attigouotans, il n'y a que trois
Villages qui sont au millieu de plus de 20 autres, ausquels
ils font la guerre, ne pouvant avoir de secours de leurs amis,
d'autant qu'il faut passer par le pays [de] ces
Chouontouarouon[73], qui est fort peuplé, ou bien faudroit
prendre un bien grand tour de chemin.
[Note 69: Champlain, dans sa grande carte de 1632, les appelle
Carantouanais. «C'est une nation,» dit-il (_Table_ de la carte, p. 8),
qui s'est retirée au Midy des Antouhonorons, en très beau & bon païs, où
ils sont fortement logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors
desdits Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées.» Ce nom
de Carantouanais n'était probablement que le nom particulier ou d'une
tribu, ou d'un village de la nation des Andastes, ou Andastoéronons.
«Andastoé,» dit le P. Ragueneau (Rel. des Hurons, 1647-8, ch. VIII),
«est un pays au delà de la Nation Neutre, éloigné des Hurons en ligne
droite prés de cent cinquante lieues, au Sud-est quart de Sud des
Hurons... Ce sont peuples de langue Huronne, & de tout temps alliez de
nos Hurons. Ils sont très-belliqueux, & comptent en un seul bourg treize
cens hommes portans armes...» Plusieurs européens «s'estans mis sous la
protection du Roy de Suéde, ont appellé ce pays-là Nouvelle Suède. Nous
avions jugé autrefois que ce fust une partie de la Virginie.» De ce qui
précède, et de l'examen attentif des cartes anciennes, on peut conclure
que les Carantouanais, ou Andastes, s'étaient établis assez près de la
rivière Susquehanna, vers le sud-est de la Pensylvanie. C'est aussi
l'opinion de M. Ferland (Cours d'Hist. du Canada, I, p. 174).]
[Note 70: Ces Entouhonorons, que l'auteur appelle un peu plus loin
Chouontouaronons sont les mêmes que les Sountouaronons ou
Tsountouaronons, appelés plus souvent Tsonnontouans.]
[Note 71: Auxquels aliés; car, d'après Champlain lui-même (Table de la
carte de 1632, p. 8), les Entouhonorons, conjointement avec les Iroquois
proprement dits, «faisoient la guerre par ensemble à toutes les autres
nations, excepté à la nation Neutre. »]
[Note 72: Les Iroquois, et très-probablement les Agniers, avec lesquels
les Andastes eurent souvent des démêlés.]
[Note 73: Faut-il ici suppléer _de_, et lire de ces Chouontouaronon? ou
bien mettre tout bonnement _des_ à la place de _ces_, comme on a fait
dans l'édition de 1632? Nous osons croire que le premier mode de
correction vaut mieux; parce que le mot _Chouontouaronon_ est
l'équivalent de Entouhoronon. Il est bien évident, en effet que
_Chouontouaronon, Souontouaronon, Sountouaronon, Tsountouaronon_, ne
sont que des orthographes différentes du nom des Tsonnontouans, que
Champlain appelle Entouhonorons, ou plutôt Entouhoronons. D'ailleurs, si
Champlain avait voulu parler ici d'une autre nation, il devait
naturellement dire qu'elle était l'ennemie des Carantouanais, et ne pas
se contenter de remarquer qu'elle était fort peuplée.]
Arrivé que je fus en ce Village, où il me convint sejourner,
attendant que les hommes de guerre vinsent des Villages
circonvoisins pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit
possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins,
& dances, pour la resjouyssance en laquelle ils estoient de
nous voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme
s'asseurant desja de leur victoire.
La plus grande partie de nos gens assemblez nous partismes du
village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord
d'un petit lac [74], distant dudit village de trois lieues, où
il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent
pour l'hyver. Il y a un autre lac [75] tout joignant, qui a
35/523 vingt-six lieues de circuit, descendant dans le petit par un
endroict, où se faict la grande pesche dudit poisson, par le
moyen de quantité de pallissades, qui ferme presque le
destroit, y laissant seulement de petites ouvertures, où ils
mettent leurs fillets, où le poisson se prend, & ces deux lacs
se deschargent dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu
en ce lieu pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans
tous assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires:
on se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui se
trouveroient en la trouppe, pour aller donner advis de nostre
partement à ceux qui nous debvoient assister des cinq cents
hommes pour nous joindre, affin qu'en un mesme temps nous nous
trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération
prinse, ils despescherent deux canaux, avec douze Sauvages des
plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchements [76]
qui me pria luy permettre faire le voyage: ce que facillement
je luy accorday, puisque de sa volonté il y estoit porté, & par
ce moyen verroit leur pays, & pourroit recognoistre les peuples
qui y habitent. Le danger n'estoit pas petit, d'autant qu'il
faloit passer par le milieu des ennemis. Ils partirent le 8
dudit mois, & le dixiesme ensuivant il fit une forte gelée
blanche. Nous continuasmes nostre chemin vers les ennemis, &
fismes quelque cinq à six lieues dans ces lacs [77], & de là
les sauvages portèrent leurs canaux environ dix lieues par
36/524 terre, & rencontrasmes un autre lac[78] de l'estendue de six à
sept lieues de long, & trois de large. C'est d'où sort une
riviere[79] qui se va décharger dans le grand lac des
Entouhonorons, & ayans traversé ce lac, nous passasmes un saut
d'eau, continuant le cours de ladite riviere, tousjours aval,
environ soixante quatre lieues, qui est rentrée [80] dudit lac
des Entouhonorons & allans, nous passasmes cinq saults par
terre. Les uns de quatre à cinq lieues de long, & passasmes par
plusieurs lacs, qui sont d'assez belles estendues, comme aussi
ladicte riviere qui passe parmy, est fort abondante en bons
poissons, estant certain que tout ce païs est fort beau, &
plaisant. Le long du rivage il semble que les arbres ayent esté
plantez par plaisir, en la pluspart des endroicts: aussi que
tous ces pays ont esté habitez au temps passé de Sauvages, qui
depuis ont esté contraincts l'abandonner pour la crainte de
leurs ennemis. Les vignes, & noyers, y sont en grande quantité,
les raisins viennent de maturité: mais il y reste tousjours une
aigreur fort acre, que l'on sent à la gorge en le mangeant en
quantité. Ce qui provient à faute d'estre cultivez: ce qui est
deserté en ces lieux est assez agréable. La chasse des Cerfs, &
Ours, y est fréquente, & pour l'expérience nous y chassasmes, &
en prismes un assez bon nombre en dessendans, & pour ce faire
ils se mettoient quatre ou cinq cents sauvages en haye dans le
37/525 bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines pointes qui
donnent dans la riviere, & puis marchant par ordre ayant l'arc
& la flesche en la main, en criant & menant un grand bruit pour
estonner les bestes, ils vont tousjours jusques à ce qu'ils
viennent au bout de la pointe. Or tous les animaux qui se
trouvent entre la pointe & les chasseurs sont contraints de se
jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la mercy des flesches
qui leur sont tirées par les chasseurs, & cependant les
Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis exprez sur le
bord du rivage, s'approchant facillement des Cerfs, & autres
animaux chassez & harassez & fort estonnez: lors les chasseurs
les tuent facillement avec des lames d'espées, emmanchées au
bout d'un bois, en façon de demie picque, & font ainsi leur
chasse: comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a
quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi
chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de
coups d'arquebuse, dont ils s'estonnoient fort: mais il arriva
de malheur qu'en tirant un Cerf, par mesgarde un sauvage se
rencontra devant le coup, & fut blessé d'une arquebusade, n'y
pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il s'ensuit
une grande rumeur entr'eux, qui neantmoins s'appaisa, en
donnant quelques presens au blesse, qui est la façon ordinaire
pour appaiser, & amortir les querelles & où le blessé
decederoit, on fait les presens, & dons, aux parens de celuy
qui aura esté tué. Pour le gibier, il est en grande quantité,
38/526 lors de sa saison. Il y a aussi force grues [81], blanches
comme signes, & d'autres especes d'oiseaux, semblables à ceux
de France.
[Note 74: Le lac Couchichine, dans lequel se décharge le lac Simcoe, et
qui se décharge lui-même dans le lac Huron par la rivière de
Matchidache, ou Severn. Il ne devait pas y avoir trois lieues de
Cahiagué à ce lac; mais il est clair qu'on ne mit les canots à l'eau que
vers le Détroit, où se faisait «la grande pesche de poisson,» puisqu'on
ne fit que «passer sur le bord» de ce petit lac. Or de ce lieu à
Cahiagué il pouvait y avoir trois lieues, ou environ.]
[Note 75: Le lac Simcoe, dont le nom sauvage paraît avoir été
Ouentaronk, et que l'on a appelé aussi lac aux Claies, probablement à
cause de ce mode particulier d'y faire la pêche.]
[Note 76: Étienne Brûlé. (Voir, plus loin, le voyage de 1618.)]
[Note 77: La traverse du lac Simcoe, de l'ouest à l'est, est d'environ
cinq lieues.]
[Note 78: Le lac à l'Esturgeon _(Sturgeon lake)_ a environ cinq ou six
lieues de long, et, en certains endroits, trois lieues de large, quoique
ce ne soit point sa largeur moyenne. De ce lac qui n'est qu'à sept ou
huit lieues du lac Simcoe, jusqu'aux Mille-Isles, en suivant les
nombreux détours de la rivière Otonabi, de celle de Trent et de la baie
de Quinté, il y a à peu près soixante-quatre lieues, comme trouve
l'auteur.]
[Note 79: La partie supérieure de cette rivière, jusqu'au point où elle
se décharge dans le lac au Riz _(Rice lake)_, s'appelle aujourd'hui
Otonabi, le reste, jusqu'à la baie de Quinte, porte le nom de rivière
Trent.]
[Note 80: Cette entrée du lac Ontario, est parsemée d'un si grand nombre
d'îles, qu'on lui a donné le nom de Mille-Isles.]
[Note 81: «Nous avons, dit Charlevoix, des grues de deux couleurs: les
unes sont toutes blanches, les autres d'un gris de lin.» (Journal
historique, lettre IX.--Voir Ornithologie du Canada, par J. M. Lemoine,
p. 320.)]
Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des
Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où
estans, nous fismes la traverse en l'un des bouts, tirant à
l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct Laurens,
par la hauteur de quarante-trois degrez[82] de latitude, où il
y a de belles isles fort grandes en ce passage. Nous fismes
environ quatorze lieues[83] pour passer jusques à l'autre costé
du lac, tirant au Su, vers les terres des ennemis. Les Sauvages
cachèrent tous leurs canaux dans les bois, proches du rivage:
nous fismes par terre quelque quatre lieues sur une playe de
sable, où je remarquay un pays fort agréable, & beau, traversé
de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites rivieres[84] qui
se deschargent au susdit lac, & force estangs & prairies, où il
y avoit un nombre infiny de gibier, & force vignes, & beaux
bois, grand nombre de Chastaigners, dont le fruict estoit
39/527 encore en leur escorce. Les Chastaignes sont petites, mais d'un
bon goust. Le pays est remply de forests, sans estre deserté,
pour la pluspart de ce terroir. Tous les canaux estans ainsi
cachez, nous laissasmes le rivage du lac, qui a quelque
quatre-vingt lieues de long, & vingt-cinq de large [85]. La
plus grande partie duquel est habité de Sauvages sur les costes
des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre Chemin par terre,
environ vingt-cinq à 30 lieues: Durant quatre journées nous
traversames quantité de ruisseaux, & une riviere[86],
procédante d'un lac qui se descharge dans celuy des
Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de
circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les
Iroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui est en
abondance.
[Note 82: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.]
[Note 83: De la baie de Quinte à l'embouchure de la rivière Chouaguen ou
_Oswego_, la petite flotte n'aurait eu également que quatorze lieues de
traverse, et ce serait bien le chemin que prendraient aujourd'hui les
vaisseaux à vapeur. Mais nos sauvages avaient toutes sortes de raisons
pour ne point traverser dans cette direction. D'abord avec leurs petits
canots, si commodes d'ailleurs pour ces sortes d'expéditions, ils ne se
hasardaient pas facilement sur ces mers intérieures, qu'un coup de vent
peut rendre, en un instant, redoutables même aux plus gros vaisseaux.
Ensuite une traverse aussi directe les mettait au coeur du pays ennemi,
sans qu'ils eussent pu cacher ou déguiser leur marche, et leur ôtait
toute chance de retraite, parce qu'il n'eût pas été possible de bien
cacher leurs canots. On dut donc passer d'île en île jusqu'à cette
pointe que l'on a appelée, pour les raisons que nous venons de
mentionner, pointe à la Traverse (aujourd'hui _Stoney point_); et il est
à regretter que nos géographes modernes n'aient pas respecté un nom
aussi significatif. Cette pointe est à peu près au sud-est de l'entrée
de la baie de Quinté; mais il faut remarquer que Champlain, dans sa
carte de 1632, la place vers le sud; ce qui peut rendre compte de cette
expression _tirant au Su_.]
[Note 74: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine
(aujourd'hui _Salmon river_), qui sont à quatre ou cinq lieues l'une de
l'autre.]
[Note 85: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, sur
dix-sept ou dix-huit de large, dans ses plus grandes dimensions.]
[Note 86: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen; les Anglais disent
Oswego. Le lac dont parle ici Champlain, et qui se décharge dans le lac
Ontario par cette rivière, est celui d'Oneida, ou lac des Onneyouts; son
nom propre était, en iroquois, _Téchiroguen._]
Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allant pour descouvrir
rencontrèrent 11 Sauvages qui[87] prirent prisonniers, à
sçavoir 4 femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes, qui
alloient à la pesche de poisson, eslongnez du fort des ennemis
de quelque quatre lieues. Or est à noter que l'un des chefs
voyant ces prisonniers couppa le doigt à une de ces pauvres
femmes pour commencer leur supplice ordinaire: surquoy je
survins sur ces entrefaittes, & blasmé le Capitaine Yroquet,
luy representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre,
comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les femmes,
qui n'ont deffence aucune que les pleurs, lesquelles à cause de
40/528 leur imbecilité, & foiblesse, on doibt traicter humainement.
Mais au contraire que cet acte fera jugé provenir d'un courage
vil & brutal, & que s'il faisoit plus de ces cruautez, qu'il ne
me donneroit courage de les assister, ny favoriser, en leur
guerre: A quoy il me répliqua pour toute responce, que leurs
ennemis les traictoient de mesme façon. Mais puis que ceste
façon m'apportoit du déplaisir, il ne feroit plus rien aux
femmes, mais bien aux hommes, puis que cela ne nous estoit
aggreable.
[Note 87: Qu'ils.]
Le lendemain, sur les trois heures après Midy, nous arrivasmes
devant le fort[88] de leurs ennemis, où les Sauvages firent
quelques escarmouches les uns contre les autres: encore que
nostre desseing ne fust de nous descouvrir jusques au
lendemain: mais l'impatience de nos Sauvages ne le peust
permettre, tant pour le desir qu'ils avoient de veoir tirer sur
leurs ennemis, comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui
s'estoient par trop engagez, & qui estoient poursuivis de fort
prés. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu d'hommes
que j'avois: neantmoins nous leur montrasmes ce qu'ils
n'avoient jamais veu, ny oüy. Car aussi-tost qu'ils nous
veirent, & entendirent les coups d'harquebuse, & les balles
siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur
fort, emportant leurs morts, & blessez, en ceste charge, & nous
aussi semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec
cinq ou six des nostres blessez, dont l'un y mourut.
[Note 88: A en juger par l'espace que nos guerriers ont jusqu'ici
parcouru, c'est-à-dire, vingt-cinq ou trente lieues, d'après
l'estimation de Champlain, et par les indications de la carte de 1632,
ce fort devait être à une petite distance du fond du lac de Canondaguen,
ou _Canandaiga_, et vers le sud du lac Honeoye, dans le comté
d'Ontario.]
41/529 Cela estant faict, nous nous retirasmes à la portée d'un canon,
hors de la veue des ennemis, neantmoins contre mon advis, & ce
qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur dire & user de
parolles assez rudes, & fascheuses, affin de les inciter à se
mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient
à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en
pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruyne. Neantmoins je
ne laissay pas de leur envoyer, & proposer, des moyens dont il
falloit user, pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un
Cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par
dessus leurs pallissades: sur lequel on poseroit quatre ou cinq
de nos harquebusiers, qui tireroient force harquebusades par
dessus leurs pallissades & galeries, qui estoient bien munies
de pierres, & par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous
offençoient de dessus leurs galleries, & cependant nous
donnerions ordre d'avoir des ais pour faire une manière de
mantelets, pour couvrir & garder nos gens des coups de flesche,
& de pierre, dont ils usoient ordinairement. Lesquelles choses,
à sçavoir ledit Cavalier & les mantelets se pourroient porter à
la main, & force d'hommes, & y en avoir un fait en telle sorte,
que l'eau ne pouvoit pas estaindre le feu que l'on y
appliqueroit devant le fort, & cependant ceux qui seroient sur
le Cavalier feroient leur devoir avec quelques arquebusiers qui
y seroient logés, & en ce faisant nous nous deffendrions en
sorte, qu'ils ne pourroient aprocher pour esteindre le feu que
nous y appliquerions à leurs clostures. Ce qu'ils trouverent
42/530 bon, & fort à propos, & y firent travailler à l'instant suivans
mon advis. Et de faict, le lendemain [89] ils se mirent en
besongne, les uns à coupper du bois, les autres à l'amasser,
pour bastir, & dresser, lesdits Cavalliers, & mantelets: ce qui
fut promptement exécuté, & en moins de quatre heures, horsmis
du bois dont ils amasserent bien peu pour brusler contre leurs
pallissades, affin d'y mettre le feu. Ils esperoient que ledit
jour les cinq cents hommes promis viendroient, desquels
neantmoins on se doutoit, parce qu'ils ne s'estoient point
trouvez au rendez vous, comme on leur avoit donné charge, &
qu'ils l'avoient promis. Ce qui affligeoit fort nos Sauvages:
Mais voyants qu'ils estoient en assez bon nombre pour prendre
leur fort, sans autre assistance, & jugeant de ma part que la
longueur en toutes affaires est tousjours prejudiciable, du
moins à beaucoup de choses. Je le[90] pressay d'attaquer ledit
fort, leur remonstrant que les ennemis ayant recogneu leurs
forces, & de nos armes, qui perçoient ce qui estoit à
l'espreuve des flèches, ils commencèrent à se barricader, & à
eux couvrir de bonnes pièces de bois, dont ils estoient bien
munis, & leur Village remply, & que le moins temporiser estoit
le meilleur, comme de fait ils y remédièrent fort bien: car
leur Village estoit enclos de quatre bonnes pallissades de
grosses pièces de bois, entrelassées les unes parmy les autres,
où il n'y avoit pas plus de demy pied d'ouverture entre-deux,
de la hauteur de trente pieds, & les galleries, comme en
manière de parapel qu'ils avoient garnis de doubles pièces de
43/531 bois, à l'espreuve de nos harquebusades, & proche d'un estang
qu'ils estoient, où l'eau ne leur manquoit aucunement, avec
quantité de gouttières qu'ils avoient mises entre-deux,
lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la mettoient par dedans
à couvert pour estaindre le feu. Voila en effect la façon dont
ils usent, tant en leurs fortifications qu'en leurs deffences,
& bien plus forts que les villages des Attigouautan, & autres.
[Note 89: Le 11 octobre.]
[Note 90: Les.]
Nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant porter
nostre Cavallier par 200 hommes les plus forts, qui le poserent
devant ce village, à la longueur d'une picque, où je fis monter
trois [91] harquebusiers, bien à couvert des flesches &
pierres, qui leur pouvoient estre tirées, & jettées. Cependant
l'ennemy ne laissa pour cela de tirer un grand nombre de
flesches, qui ne manquèrent point, & quantité de pierres qu'ils
jettoient par dessus leurs pallissades. Neantmoins la multitude
infinie des coups d'harquebuse les contraignirent de desloger,
& d'abandonner leurs galleries, par le moyen, & faveur, d'un
Cavallier qui les descouvroit, & ne s'osoient descouvrir, ny
montrer, combattans à couvert. Et comme on portoit le Cavalier,
au lieu d'apporter les mantelets par ordre, & celuy où nous
debvions mettre le feu, ils les abandonnèrent, & se mirent à
crier contre leurs ennemis, en tirant des coups de flesches
dedans le fort, qui, à mon oppinion, ne faisoient pas beaucoup
de mal aux ennemis. Mais il faut les excuser, car ce ne sont
44/532 pas gens de guerre, & d'ailleurs qu'ils ne veulent point de
discipline, ny de correction, & ne font que ce qui leur
semblent bon. C'est pourquoy inconsidérément un d'entr'eux mist
le feu au bois, contre le fort de leurs ennemis, & tout au
rebours de bien, & contre le vent, tellement qu'il ne fin:
aucun effect.
[Note 91: L'édition de 1632 porte _quatre_, au lieu de _trois_. Dans le
dessin qui représente le cavalier devant le fort, on en distingue sept.]
532a [Illustration]
Le feu donc passé, la pluspart des Sauvages commencèrent à
apporter le bois contre les pallissades, mais en petite
quantité qui feut cause que le feu, si peu fourny de bois ne
peut faire grand effect: aussi que le désordre survint entre ce
peuple, tellement qu'on ne se pouvoit entendre: ce qui
m'affligeoit fort, j'avois beau crier à leurs oreilles & leur
remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible le danger où ils se
mettoient par leur mauvaise intelligence, mais ils
n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils faisoient, &
voyant que c'estoit me rompre la teste de crier, & que mes
remonstrances estoient vaines, & ne pouvant remédier à ce
désordre, ny faire davantage: je me resolu avec mes gens de
faire ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous
pourrions découvrir, & apercevoir. Cependant les ennemis
faisoient proffit de nostre désordre, ils alloient à l'eau, &
en jettoient en telle abondance, que vous eussiez dit que
c'estoient ruisseaux qui tomboient par leurs gouttières, de
telle façon, qu'en moins de rien ils rendirent le feu du tout
estaint, sans que pource ils laissassent de tirer des coups de
flèches, qui tomboient sur nous comme gresle. Ceux qui estoient
sur le Cavallier en tuèrent, & estropierent, beaucoup. Nous
fusmes en ce combat environ trois heures, il y eut deux de nos
45/533 Chefs, & des principaux blessez, à sçavoir un appellé
Ochateguain, l'autre Orani, & quelque quinze d'autres
particuliers aussi blessez. Les autres de leur costé voyants
leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, ils
commencèrent à parler de retraicte, sans plus combattre,
attendant les cinq cents hommes [92] qui ne debvoient plus
gueres tarder à venir, & ainsi se retirèrent, n'ayants que
ceste bouttade de désordre. Au reste les Chefs n'ont point de
commandement absolu sur leurs compagnons, qui suivent leur
volonté, & font à leur fantaisie, qui est la cause de leur
désordre, & qui ruyne toutes leurs affaires: Car ayant resolu
quelque chose avec les principaux, il ne faudra qu'un belistre,
ou de néant, pour rompre une resolution, & faire un nouveau
desseing, si la fantaisie luy en prend. Ainsi les uns pour les
autres ne font rien, comme il se peut veoir par ceste
expédition.
[Note 92: C'étaient les cinq cents hommes que leur avaient offerts les
Carantouanais ou Andastes; ils arrivèrent deux jours trop tard. (Voir à
la fin de cette relation, p. 135.)]
Mais nous nous retirasmes en nostre fort, moy estant blessé de
deux coups de flesches, l'un dans la jambe, & l'autre au
genouil, qui m'apporta grande incommodité, outre les grandes &
extresmes douleurs. Et estans tous assemblez, je leur fis
plusieurs remonstrances sur le désordre qui s'estoit passé,
mais tous mes discours servoient aussi peu que le taire, & ne
les émeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens avoient
esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit beaucoup de
fatigue, & d'incommodité, aux autres, faisant la retraite pour
les porter, & que de retourner plus contre leurs ennemis, comme
46/534 je leur proposois le debvoir faire, il n'y avoit aucun moyen,
mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq
cents hommes qui debvoient venir, & estans venus ils feroient
un second effort contre leurs ennemis, & executeroient mieux ce
que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le passé. Il en
fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy-devant est
representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste
figure l'on peut entendre, & voir, que celles des amis, &
ennemis, sont semblablement fortifiez.
Le lendemain[93] il fit un vent impétueux qui dura deux jours,
fort favorable à mettre le feu de rechef au fort des ennemis:
sur quoy je les pressay fort, mais ils n'en voulurent rien
faire, comme doutant d'avoir pis, & d'ailleurs se representans
leurs blessez.
[Note 93: Le 12 octobre.]
Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps
il se fist quelques escarmouches entre les ennemis, & les
nostres, qui demeurèrent le plus souvent engagez parmy les
ennemis, plustost par leur imprudence, que faute de courage,
vous asseurant qu'il nous falloit, à toutes les fois qu'ils
alloient à la charge, les aller requérir, & les desengager de
la prise, ne se pouvant retirer qu'en la faveur de nos
harquebusiers, ce que les ennemis redoubtent & appréhendent
fort. Car si tost qu'ils apperçoivoient quelqu'un de nos
harquebusiers, ils se retiroient promptement, nous disans par
forme de persuasion que nous ne nous meslassions pas en leurs
combats, & que leurs ennemis avoient bien peu de courage de
nous requérir de les assister avec tout plain d'autres discours
sur ce subject pour nous en émouvoir.
47/535 J'ay representé de la façon qu'ils s'arment allant à la guerre,
figure E[94].
[Note 94: L'édition originale de 1619, et la seconde édition de 1627,
renvoient ici, par inadvertance, à la page 23; dans ces deux éditions,
la figure E se trouve au verso de la page 87.]
Et quelques jours passez voyans que les cinq cens hommes ne
venoient point, ils délibérèrent de partir, & faire retraite au
plustost, & commencèrent à faire certains paniers pour porter
les blessez, qui sont mis là dedans, entassez en un monceau
pliez & garrottez de telle façon, qu'il est impossible de se
mouvoir, moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas
sans faire recevoir aux blessez de grandes & extresmes
douleurs. Je le puis bien dire avec vérité, quand à moy, ayant
esté porté quelques jours, d'autant que je ne pouvois me
soustenir, principallement à cause du coup de flesche que
j'avois reçeu au genouil, car jamais je ne m'estois veu en une
telle gehenne, durant ce temps, car la douleur que j'endurois à
cause de la blesseure de mon genouil, n'estoit rien au pris de
celle que je supportois lié & garrotté sur le dos de l'un de
nos Sauvages: ce qui me faisoit perdre patience, & qui fist
qu'aussitost que je peu avoir la force de me soustenir, je
sortis de céte prison, ou à mieux dire de la gehenne.
Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue, mais
c'estoit de loing, pour essayer d'attrapper quelques-uns de
ceux qui faisoient l'arriere-garde, mais leurs peines leur
demeura vaines, & se retirèrent.
Or tout ce que j'ay veu de bon en leur guerre est, qu'ils font
leur retraicte fort seurement, mettans tous les blessez, & les
48/536 vieux, au milieu d'eux, estant sur le devant aux aiselles & sur
le derrière bien armez [95], & arrangez par ordre de la façon,
jusques à ce qu'ils soient en lieu de seureté, sans rompre leur
ordre.
[Note 95: Estant, sur le devant, aux ailles & sur le derrière, bien
armez.]
Leur retraite estoit fort longue, comme de vingt-cinq à 30
lieues, qui donna beaucoup de fatigue aux blessez, & à ceux qui
les portoient, encores qu'ils se changeassent de temps en
temps.
Le dix-huictiesme jour dudict mois, il tomba forces neiges, &
gresle, avec un grand vent qui nous incommoda fort. Neantmoins
nous fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudict lac des
Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachés, que
l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les
ennemis les eussent rompus, & estans tous assemblez, les
voyants prests de se retirer à leur Village, je les priay de me
remener à nostre habitation, ce qu'ils ne vouloient accorder du
commencement: mais en fin ils se resolurent, & cherchèrent 4
hommes pour me conduire, ce qui fut fait, lesquels quatre
hommes s'y offrirent volontairement: Car, comme j'ay dit
cy-dessus, les chefs n'ont point de commandement sur leurs
compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce
qu'ils voudroient bien, & ces hommes estant trouvés, il falut
trouver un canau, qui ne se peut recouvrer, chacun ayant
affaire du sien, & n'en ayant plus qui [96] ne leur en faloit.
Ce n'estoit pas me donner sujet de contentement, ains au
contraire cela m'affligeoit fort, mettant en doute quelque
49/537 mauvaise volonté, d'autant qu'ils m'avoient promis de me
remener & conduire, jusques à nostre habitation, après leur
guerre, & outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner
avec eux, car autrement je ne m'en fusse pas soucié: & ne
pouvans rien faire, il fallut se resoudre à la patience. Mais
depuis après quelques jours je recogneu que leur desseing
estoit de me retenir avec mes compagnons en leur pays, tant
pour leur seureté, craignant leurs ennemis, que pour entendre
ce qui se passoit en leurs Conseils, & assemblées, que pour
resoudre ce qu'il convenoit faire à l'advenir contre leursdits
ennemis, pour leur seureté & conservation.
[Note 96: Qu'il.]
Le lendemain vingt-huictiesme dudit mois, chacun commença à se
préparer les uns pour aller à la chasse des Cerfs, les autres
aux Ours Castors, autres à la pesche du poisson, autres à se
retirer en leurs Villages, & pour ma retraite & logement il y
eut un appellé Durantal[97], l'un des principaux chefs, avec
lequel j'avois desja quelque familiarité, me fist offre de sa
cabanne, vivres, & commoditez, lequel prit aussi le chemin de
la chasse du Cerf, qui est tenue pour la plus noble entr'eux, &
en la plus grande quantité. Et après avoir traversé le bout du
50/538 lac de laditte isle(98), nous entrasmes dans une riviere[99]
qui a quel que douze lieues, puis ils portèrent leurs canaux
par terre quelque demie lieue, au bout de laquelle nous
entrasmes en un lac qui a d'estendue environ dix à douze lieues
de circuit, ou il y avoit grande quantité de gibier, comme
Cygnes, grues blanches, houstardes, canarts, sarcelles, mauvis,
allouettes, beccassines, oyes, & plusieurs autres sortes de
vollatilles que l'on ne peut nombrer, dont j'en tuay bon
nombre, qui nous servit bien, attendant la prinse de quelque
Cerf, auquel lieu nous fusmes en un certain endroict eslongné
de quelque dix lieues, où nos Sauvages jugeoient qu'il y avoit
des Cerfs en quantité. Ils s'assemblerent quelques vingt-cinq
Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de pièces
de bois, accommodées l'une sur l'autre, & les calfestrerent
avec de la mousse pour empescher que l'air n'y entrast, les
couvrant d'escorces d'arbres: ce qu'estant faict ils furent
dans le bois, proche d'une petite sapiniere, où ils firent un
clos en forme de triangle, fermé des deux costez, ouvert par
l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes pallissades de bois fort
presse, de la hauteur de huict à 9 pieds, & de long de chacun
costé prés de mil cinq cent pas, au bout duquel triangle y a un
petit clos, qui va tousjours en diminuant, couvert en partie de
branchage, y laissant seulement une ouverture de cinq pieds,
51/539 comme la largeur d'un moyen portail, par où les Cerfs debvoient
entrer: Ils firent si bien, qu'en moins de dix jours ils mirent
leur clos en estat, cependant d'autres sauvages alloient à la
pesche du poisson, comme truittes & brochets de grandeur
monstrueuse, qui ne nous manquèrent en aucune façon. Toutes
choses estant faites, ils partirent demie heure devant le jour,
pour aller dans le bois, à quelque demie lieue de leurdit clos,
s'esloignant les uns des autres de quelque quatre-vingt pas,
ayant chacun deux bastons, desquels ils frappent l'un sur
l'autre, marchant au petit pas en cet ordre, jusques à ce
qu'ils arrivent à leur clos. Les Cerfs oyant ce bruit
s'enfuyent devant eux, jusques à ce qu'ils arrivent au clos où
les sauvages les pressent d'aller, & se joignant peu à peu vers
la baye & ouverture de leur triangle, où lesdits Cerfs coulent
le long desdites pallissades jusques à ce qu'ils arrivent au
bout, où les Sauvages les poursuivent vivement, ayant l'arc &
la flesche en main, prests à descocher, & estant au bout de
leurdit triangle ils commencent à crier, & contrefaire les
loups, dont y a quantité, qui mangent les Cerfs, lesquels Cerfs
oyant ce bruict effroyable, sont contraincts d'entrer en la
retraicte par la petite ouverture, où ils sont poursuivis fort
vivement a coups de flèche, où estans entrez ils sont pris
aysément en cette retraicte, qui est si bien close & fermée,
qu'ils n'en peuvent sortir aucunement. Je vous asseure qu'il y
a un singulier plaisir en ceste chasse, qui se faisoit de deux
jours en deux jours, & firent si bien qu'en trente-huit jours
52/540 [100] que nous y fusmes ils prirent six-vingts Cerfs, desquels
ils se donnent bonne curée, reservant la graisse pour l'hyver,
en usant d'icelle comme nous faisons du beurre, & quelque peu
de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des
festins entr'eux. Ils ont d'autres inventions à prendre le
Cerf, comme au piège, dont ils en font mourir beaucoup. Vous
voyez cy-devant dépaint la forme de leur chasse, clost & piége,
& des peaux ils en font des habits. Voila comme nous passasmes
le temps attendant la gelée, pour retourner plus aysément,
d'autant que le païs est marescageux. Au commencement que l'on
estoit sorty pour aller chasser, je m'engagis tellement dans
les bois pour poursuivre un certain oyseau qui me sembloit
estrange ayant le bec approchant d'un perroquet, & de la
grosseur d'une poulle, le tout jaune, fors la teste rouge, &
les aisles blues, & alloit de vol en vol comme une perdrix. Le
desir que j'avois de le tuer me fist le poursuivre d'arbre en
arbre fort longtemps, jusques à ce qu'il s'envolla à bon
escient, & en perdant toute esperance je voulus retourner sur
mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui
avoient tousjours gaigné païs, jusques à leur clos, & taschant
les attrapper, allant ce me sembloit droict où estoit ledict
clos, je me treuvay égaré parmy les forests, allant tantost
d'un costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, &
la nuit venant me contraignit de la passer au pied d'un grand
arbre, jusques au lendemain, où je commençay à faire chemin
jusques sur les trois heures du soir, où je rencontray un petit
estang dormant, où j'aperçeus du gibier que je fus gyboyer, &
53/541 tuay trois ou quatre oyseaux qui me firent grand bien, d'autant
que je n'avois mangé aucune chose. Et le mal pour moy qui[101]
durant trois jours il n'avoit fait aucun soleil, que pluye, &
temps couvert, qui m'augmentoit mon desplaisir. Las & recreu,
je commençay à me reposer, & faire cuire de ces oyseaux pour
assouvir la faim qui commançoit à m'affaiblir cruellement, si
Dieu n'y eust remédié: mon repas pris, je commençay à songer en
moy ce que je debvois faire, & prier Dieu qu'il me donnait
l'esprit, & le courage, de pouvoir supporter patiemment mon
infortune, s'il falloit que je demeurasse abandonné dans ces
deserts, sans conseil, ny consolation, que de la bonté &
misericorde Divine, & neantmoins m'évertuer de retourner à nos
chasseurs. Et ainsi remettant le tout en sa misericorde, je
repris courage plus que devant allant ça & là tout le jour,
sans m'apperçevoir d'aucune trace, ou sentier, que celuy des
bestes sauvages, dont j'en voyois ordinairement en bon nombre.
Je fus contrainct de passer icelle nuict, & le mal pour moy
estoit que j'avois oublié apporter sur moy un petit cadran qui
m'eust remis en mon chemin, à peu prés. L'aube du jour venu,
après avoir repeu un peu, je commençay à m'acheminer jusques à
ce que je peusse rencontrer quelque ruisseau, & costoyer
iceluy, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il allast
décharger en la riviere, ou sur le bord, où estoient cabanez
nos chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay, si bien,
que sur le midy se me treuvay sur le bord d'un petit lac, comme
de lieue & demie, où j'y tuay quelque gibier, qui m'accommodoit
54/542 fort à ma necessité, & avois encore quelque huict à dix charges
de poudre, qui me consoloit fort. Je suivay le long de la rive
de ce lac, pour voir où il déchargoit, & trouvay un ruisseau
assez spacieux que je commançay à suivre, jusques sur les cinq
heures du soir, que j'entendis un grand bruict, & prestant
l'oreille, je ne pouvois bonnement comprendre ce que c'estoit,
jusques à ce que j'entendis le bruict plus clairement & jugay
que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois: je
m'acheminay de plus prest, & apperceus un eclasie, où estant
parvenu je me rancontray en un grand pré, & spacieux, où il y
avoit grand nombre de bestes Sauvages & regardant à la main
droite, j'apperceus la riviere, large & spacieuse: te commençay
à regarder si je ne pourrois recognoistre cet endroit, &
marchant en ce pré j'apperceut un petit sentier, qui estoit par
où les Sauvages portoient leurs canaux, & en fin après avoir
bien consideré, je recognus que c'estoit la mesme riviere, &
que j'avois passé par là, & passay encore la nuict avec plus de
contentement que je n'avois fait, & ne laissay de soupper de si
peu que j'avois. Le matin venu, je reconsideray le lieu où
j'estois, & recognus de certaines montagnes qui estoient sur le
bord de ladite riviere, que je ne m'estois point trompé, & que
nos chasseurs devoient estre au dessoubs de moy, de quatre ou
cinq bonne lieues que je fis à mon aise, costoyant le bord de
ladite riviere, jusques à ce que j'apperceus la fumée de
nosdits chasseurs, auquel lieu j'arrivay avec beaucoup de
contentement tant de moy que d'eux qui estoient encore en
55/543 queste à me chercher, & avois perdu comme esperance de me
revoir, me priant de ne m'écarter plus d'eux ou tousjours
porter avec moy mon cadran, & ne l'oublier: & me disoient si tu
ne fusse venu, & que nous n'eussions peu te trouver, nous ne
serions plus allez aux François, de peur que ils ne nous
eussent accusez de t'avoir fait mourir. Depuis il[102] étoit
sort soigneux de moy quand j'allois à la chasse, me donnant
tousjours un Sauvage pour ma compagnie, qui sçavoit si bien
retrouver le lieu d'où il partoit, que c'est chose estrange à
voir. Pour retourner à mon propos, ils ont une certaine
resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils
faisoient rostir d'icelle viande, prise en ceste façon, ou
qu'il tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y
fussent jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de Cerfs, me
priant fort de n'en point faire rostir, mais je me riois de
cela, & de leur façon de faire: mais pour ne les scandaliser,
je m'en déportois volontiers, du moins estant devant eux, mais
en arrière j'en prenois du meilleur, que je faisois rostir,
n'adjoustant foy en leurs superstitions, & puis leur ayans
dict, ils ne me vouloient croire, disant que si cela eust esté
ils n'auroient pris aucuns Cerfs, depuis que telle chose auroit
esté commise.
[Note 97: Plus loin, l'auteur l'appelle _d'Arontal_ et _Darontal_,
orthographe qui se rapproche davantage de celle de Sagard et des
Relations des Jésuites. «La contrée, dit Sagard (Grand Voyage, ch. VI),
où commandoit le Grand Capitaine _Atironta_, s'appelle Henarhonon»
(Arendaronon). On voit, dans la Relation du pays des Hurons de 1640 (ch.
IX), que le capitaine des Arendaronons, Atironta, portait le nom du
premier capitaine huron qui ait rencontré les Français. Celle de 1642
s'exprime à peu près dans les mêmes termes: «Il estoit question de
faire revivre le nom d'Atironta, celuy qui autrefois le premier des
Hurons avoit descendu à Kebec, & lié amitié avec les François.»]
[Note 98: Il semble qu'il y a ici quelque chose de passé. Cette _dite
île_, dont on n'a point encore parlé, et de laquelle on traverse le bout
du lac, devait être dans le voisinage de la pointe à la Traverse, et
faisait vraisemblablement partie du groupe des îles aux Galops, où l'on
dut se réunir, avant que chaque bande prît sa route vers le pays huron,
ou vers les endroits de chasse. C'est du moins ce que permet de supposer
le texte, qui semble ici s'être ressenti de l'état de souffrance de
l'auteur.]
[Note 99: Cette rivière était probablement celle de Cataracoui: car,
d'abord l'auteur donne à entendre qu'on ne prit pas, immédiatement du
moins, la même route qu'en descendant; en second lieu, la rivière de
Cataracoui est la seule un peu considérable que l'on trouve au bout de
cette traverse; enfin elle mène précisément au coeur du pays où, suivant
la carte de Champlain, _il y a force Cerfs_, vers le nord de l'entrée de
la baie de Quinté.]
[Note 100: Du 28 octobre au 4 décembre.]
[Note 101: Que.]
[Note 102: Darontal (Édition de 1632).]
[Illustration p.540]
Le quatriesme jour de Décembre nous partismes de ce lieu,
marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs &
estangs glassez, & quelquesfois cheminans par les bois l'espace
de dix-neuf jours, ce n'estoit pas sans beaucoup de peine, &
travail tant pour les Sauvages qui estoient chargez de cent
56/544 livres pesant, comme de moy-mesme qui avoit la pesanteur de
vingt livres, qui à la longue m'importunoit beaucoup. Il est
bien vray que j'estois quelques-fois soulagé par nos Sauvages,
mais nonobstant je ne laissois pas d'en recevoir de
l'incommodité. Quand à eux pour plus aisément traverser les
glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines traînées [103]
de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges & les traînent
après eux sans aucune difficulté, & vont fort promptement, mais
il se fist quelques jours après un desgel qui nous apporta
beaucoup de peine & d'incommodité: Car il nous falloit passer
par dedans des sapinieres plaines de ruisseaux estangs, marais,
& pallus, avec quantité des boisées, renversées les unes sur
les autres, qui nous donnoit mille maux, avec des ambarassemens
qui nous apportoit de grandes incommoditez pour estre tousjours
mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes quatre jours
en cet estat à cause qu'en la plus grande partie des lieux les
glaces ne portoient point, nous fismes donc tant que nous
arrivasmes à nostre village le vingtiesme[104] jour dudit mois,
où le Capitaine Yroquet vint hiverner avec ses compagnons, qui
vont Algommequins[105] & son fils, qu'il amena pour faire
traiter, lequel allant à la chasse, avoit esté fort offensé
d'un Ours, le voulant tuer.
[Note 103: _Traînes_. La _traîne sauvage_ se compose de deux planches
minces d'un bois dur et coulant bien assujetties l'une à coté de l'autre
a de petites traverses auxquelles elles sont attachées avec ce que l'on
appelle de la _babiche_, c'est-à-dire, une petite lanière de cuir de la
grosseur d'une moyenne ficelle. De chaque côté court une longue baguette
attachée de la même manière, et qui sert comme de ridelle. Les planches
sont relevées par devant repliées sur elles-mêmes et retenues dans cet
état par de plus fortes attaches; cette partie de la traîne s'appelle
_chaperon_.]
[Note 104: On dut arriver à Cahiagué le 23 de décembre, comme porte
l'édition de 1632; car on était parti le 4, et l'on fut dix-neuf jours à
faire le trajet.]
[Note 105: Le nom huron de la nation d'Yroquet, était Onontchataronon
(Relations).]
57/545 M'estant reposé quelques jours je me deliberay d'aller voir le
Père Joseph, & de là voir les peuples en l'hiver, que l'esté, &
la guerre ne m'avoient peu permettre de les visiter. Je party
de ce Village le quatorziesme[106] de Janvier en suivant, après
avoir remercié mon hoste du bon traictement qu'il m'avoit fait,
esperans ne le revoir de trois mois, & prins congé de luy.
[Note 106: Quatrième.]
Le lendemain je vis le Père Joseph en sa petite maisonnette
[107] où il s'estoit retiré, comme j'ay dit cy-dessus: je
demeuray avec luy quelques jours, se trouvant en délibération
de faire un voyage aux gens du Petun[108], comme j'avois
délibéré, encores qu'il face tres-fascheux de voyager en temps
d'hyver, & partismes ensemble le quinziesme Fevrier[109], pour
aller vers icelle nation, où nous arrivasmes le dix-septiesme
dudit mois. Ces peuples du Petun sement le Maïs appelle par
deçà bled de Turquie, & ont leur demeure arrestée comme les
autres. Nous fusmes en sept autres Villages leurs voisins &
alliez, avec lesquels nous contractasmes amitié: ils nous
promirent de venir un bon nombre à nostre habitation. Ils nous
firent fort bonne chère, & prêtent de chair & poisson pour
faire festin comme est leur coustume, où tous les peuples
accouroient de toutes parts pour nous voir, en nous faisant
mille demonstrations d'amitié, & nous conduisoient en la
pluspart du chemin. Le païs est remply de costaux, & petites
58/546 campagnes, qui rendent ce terroir aggreable: ils commençoient à
bastir deux Villages, par où nous passasmes, au milieu des bois
pour la commodité qui[110] treuvent d'y bastir & enclore leurs
Villes. Ces peuples vivent comme les Attignouaatitans, & mesmes
coustumes, & sont proches de la nation neutre[111], qui est
puissante, qui tient une grande estendue de pays. Après avoir
visité ces peuples nous partismes de ce lieu, & fusmes à une
nation de Sauvages que nous avons nommez les cheveux relevez
[112], lesquels furent fort joyeux de nous revoir, avec
lesquels nous jurasmes aussi amitié, & qui pareillement nous
promirent de nous venir trouver, & voir à ladite habitation, à
cet endroit[113]: il m'a semblé à propos de les dépaindre, &
décrire leurs pays, moeurs, & façons de faire. En premier lieu
ils font la guerre à une autre nation de Sauvages, qui
s'appellent Asistagueroüon[114], qui veut dire des gens de feu,
eslongnez d'eux de dix journées: ce fait, je m'informay fort
59/547 particulièrement de leur pays, & des nations qui y habitent,
quels ils sont, & en quelle quantité. Icelle nation sont en
grand nombre, & la pluspart grands guerriers, chasseurs, &
pescheurs: Ils ont plusieurs chefs qui commandent chacun en sa
contrée, la plus grand part sement des bleds d'inde, & autres.
Ce sont chasseurs qui vont par trouppes en plusieurs régions &
contrées, où ils trafficquent avec d'autres nations, eslongnées
de plus de quatre à cinq cent lieues: ce sont les plus propres
Sauvages que j'aye veu en leurs mesnages, & qui travaillent le
plus industrieusement aux façons des nates, qui sont leurs
tapis de Turquie: Les femmes ont le corps couvert, & les hommes
découvert, sans aucune chose, sinon qu'une robbe de fourrure,
qu'ils mettent sur leur corps, qui est en façon de manteau,
laquelle ils laissent ordinairement, & principallement en Esté:
Les femmes & les filles ne sont non plus émues de les voir de
la façon, que si elles ne voyoient rien qui sembleroit
estrange: Elles vivent fort bien avec leurs maris, & ont ceste
coustume que lors qu'elles ont leurs mois, elles se retirent
d'avec leur mary, ou la fille d'avec son père, & sa mère, &
autres parens, s'en allant en de certaines maisonnettes, où
elles se retirent, pendant que le mal leur tient, sans avoir
aucune compagnie d'hommes, lesquels leur font porter des vivres
& commoditez jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles
qui ont leurs mois & celles qui ne les ont pas. Ce sont gens
qui font de grands festins, & plus que les autres nations: ils
nous firent fort bonne chère, & nous reçeurent fort
amiablement, & me prièrent fort de les assister contre leurs
60/548 ennemis, qui sont sur le bord de la Mer douce, eslongnée de
deux cent lieues, à quoy je leur dist que ce seroit pour une
autre fois, n'estant accommodé des choses necessaires. Ils ne
sçavoient quelle chère nous faire: j'ay dépainct en la figure
C. comme ils sont en guerre. Il y a aussi à deux journées
d'iceux une autre nation de Sauvages, qui sont grand nombre de
Petun, d'un costé tirant au Su, lesquels s'appellent la nation
neutre[115], qui sont au nombre de quatre mil hommes de guerre,
qui habitent vers l'Occident du lac des Entouhonorons de
quatre-vingt à cent lieues d'estendue, lesquels neantmoins
assistent les cheveux relevez contre les gens de feu: Mais
entre les Yroquois, & les nostres ils ont paix, & demeurent
comme neutres: de chacune nation est la bien venue, & où ils
n'osent s'entredire, ny faire, aucune fascherie, encores que
souvent ils mangent & boivent ensemble, comme s'ils estoient
bons amis. J'avois bien desir d'aller voir icelle nation, sinon
que les peuples où nous estions m'en dissuaderent, disant que
l'année précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la
guerre des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez, nous
representant qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne
regardant point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier
qu'ils rencontrent de la nation, ou bien leurs amis, ils leur
font porter la peine, quand ils peuvent en attrapper, si
auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & leur avoir donné
quelques dons & presens aux parens du deffunct, qui m'empescha
61/549 pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous
asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun suject & occasionna
de retourner par le mesme chemin que nous estions venus, &
continuant mon voyage, je fus trouver la nation des Pisierinij
[116], qui avoient promis de me mener plus outre en la
continuation de mes desseins & descouvertures: mais je fus
diverty pour les nouvelles qui survindrent de nostre grand
village, & des Algommequins, d'où estoit le Cappitaine Yroquet,
à sçavoir que ceux de la nation des Atignouaatitans auroient
mis & déposé entre ses mains un prisonnier de nation ennemie,
esperant que ledit Cappitaine Yroquet deubst exercer sur ce
prisonnier la vengeance ordinaire entr'eux. Mais au lieu de ce,
l'auroit non seulement mis en liberté, mais l'ayant trouvé
habille, & excellent chasseur, & tenu comme son fils, les
Atignouaatitans seroient entrez en jalousie, & designé de s'en
venger, & de faict auroient disposé un homme pour entreprendre
d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il estoit. Comme il
fut exécuté en la presence des principaux de la nation
Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de cholere
tuerent sur le champ ce téméraire entrepreneur meurtrier,
duquel meurtre les Atignouaatitans se trouvans offensez, &
comme injuriez en cet action, voyant un de leurs compagnons
morts prindrent les armes, & se transporterent aux tentes des
Algommequins qui viennent hiverner proches de leurdict Village,
62/550 lesquels offencerent fort & où ledit Cappitaine Yroquet fut
blessé de deux coups de fléche, & une autre fois pillèrent
quelques cabannes desdits Algommequins, sans qu'ils se peussent
mettre en deffence: car aussi le party n'eust pas esté égal, &
neantmoins cela lesdits Algommequins ne furent pas quittes, car
il leur fallut accorder, & contraints pour avoir la paix, de
donner ausdits Atignouaatitans cinquante colliers de
pourceline, avec cent becasses[117] d'icelle: ce qu'ils
estiment de grand valeur parmy eux, & outre ce nombre de
chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place
du mort: bref ils furent en grande dissention, c'estoit ausdits
Algommequins de souffrir patiemment ceste grande furie, &
penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en seureté,
nonobstans leurs presens, jusques à ce qu'ils se veirent en un
autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort, me representant
l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant pour eux que pour
nous, qui estions en leur pays.
[Note 107: A Carhagouha.]
[Note 108: Les _Tionnontatéronons_, qui demeuraient au sud de la baie de
Nataouassaga.]
[Note 109: Par le contexte, on voit qu'il faut lire _janvier_; c'est
aussi ce que met l'édition de 1632.]
[Note 110: Qu'ils.]
[Note 111: Les _Attiouandaronk_. Ils demeuraient à l'ouest du lac
Ontario. Champlain, dans sa grande carte de 1632, les place au sud du
lac Érié; mais il y a tout lieu de croire qu'il n'aura pas bien saisi le
rapport des sauvages. Car cette nation garda pendant de longues années
sa position et son pays; or toutes les relations de cette époque la
place au nord du lac Érié et à l'ouest du lac Ontario. Cette expression
même de l'auteur, _sont proches de la nation neutre_, prouve
suffisamment que ces Attiouandaronk devaient être situés comme nous
avons dit, et il suffit de jeter les yeux sur la carte de 1632, pour
comprendre que la cause de cette erreur de Champlain est qu'il n'avait
pas une idée bien exacte de l'immense contour du fleuve depuis le lac
Huron jusqu'au lac Ontario. D'ailleurs s'ils eussent été au sud du lac
Érié, ils n'auraient pu commander aussi aisément le passage entre les
Iroquois et les Hurons.]
[Note 112: Les _Andatahouats_ (Sagard). En comparant ce que dit ici
Champlain avec la position qu'il donne aux Cheveux-Relevés dans sa carte
de 1632, on ne peut guères s'empêcher de conclure que cette nation
demeurait au sud ou au sud-ouest du fond de la baie Géorgienne. (Voir p.
24, note 1.)]
[Note 113: Ces mots _à cet endroit_ appartiennent, ce semble, à la
phrase suivante; cependant il est possible que par _ladite habitation_
Champlain entende celle que les Français avaient a cet endroit,
c'est-à-dire, au pays huron, et dont il parle un peu plus loin.]
[Note 114: _Atsistahéroron_. C'est ainsi que les appelaient les Hurons.
Leur nom algonquin était Mascoutens. Ils demeuraient au-delà de la
rivière du Détroit.]
[Note 115: Voir ci-dessus, p. 58, note 2.]
[Note 116: _Nipissirini_. Ces Nipissings pouvaient être de ceux qui
avaient fait partie de l'expédition contre les Iroquois, ou de ceux qui
venaient tous les ans hiverner près des Hurons. Car il paraît évident
que Champlain ne fit pas le voyage du lac Nipissing, puisqu'il dit, un
peu plus loin: « En passant, je visitay les Pisirinins.» D'ailleurs,
s'il eût fait ce voyage, qui était de près de soixante lieues, il
n'aurait pas manqué d'en donner quelque détail.]
[Note 117: Lisez _brasses_. Le collier était une espèce de bande
composée d'un certain nombre de brasses de porcelaine, avec cette
différence, néanmoins, que la porcelaine en _brasses_, ou en _branches_,
était la porcelaine blanche et commune; tandis que celle dont se
composaient les colliers, était d'un violet plus ou moins foncé, et
disposée d'une manière symétrique. Cette _porcelaine_, comme on sait,
était bien différente de celle de la Chine et du Japon; elle consistait
en fragments de coquillages de Virginie ou de Floride, qui se taillaient
en petits cylindres ou rondelles, et que l'on enfilait pour en faire des
brasses, ou des branches, et des colliers. Les auteurs anciens, comme de
Lery (Hist. du Brésil, ch. VIII, p. 106) et Champlain, ne mentionnent
que la porcelaine en brasses et en colliers; tandis que les écrivains
plus modernes ne parlent point de _brasses_, mais de _branches_ et de
colliers. La figure que nous en a conservée La Potherie (t. I, p. 333,
334), donne à entendre, que les _branches_ étaient plus courtes que la
brasse, et s'attachaient trois ou quatre ensemble par un bout, de
manière à former comme des _branches_. (Voir, sur ce sujet, le P.
LAFITEAU, t. I, p. 502 et suiv.--LA POTHERIE, t. I, p. 333,
334.--CHARLEVOIX, Journal Historique, lettre XIII.)]
Ce faict, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand
Village, qui me soliciterent fort d'y aller, pour les mettre
d'accord, me disant que si je n'y allois, aucun d'eux ne
63/551 reviendroient plus vers les François, ayant guerre avec
lesdicts Algommequins, nous tenans pour leurs amis. Ce que
voyant je m'acheminay au plustost, & en passant je visitay les
Pisirinins pour sçavoir quand ils seroient prests pour le
voyage du Nort que je trouvay rompu pour le sujet de ces
querelles & batteries, ainsi que nostre truchement me fist
entendre, & que ledict Cappitaine Iroquet estoit venu à toutes
ces nations pour me trouver, & m'attendre. Il les pria de se
trouver à l'habitation des François, en mesme temps que luy,
pour voir l'accord qui se feroit entr'eux, & les
Atignouaatitans[118], & qu'ils remissent ledit voyage du Nort à
une autre fois: & pour cet effect ledit Yroquet avoit donné de
la pourceline pour rompre ledict voyage, & à nous ils promirent
de se trouver à nostre-dite habitation, au mesme temps qu'eux.
Qui fut bien affligé ce fut moy, m'attendant bien de voir en
ceste année, ce qu'en plusieurs autres précédentes j'avois
recherché avec beaucoup de soing, & de labeur, par tant de
fatigues, & de hazards de ma vie: Et voyans n'y pouvoir
remédier, & que le tout déppendoit de la volonté de Dieu, je me
consolay en moy-mesme, me resolvant de le voir en bref, en
ayant de si certaines nouvelles qu'on n'en peut douter de ces
peuples qui vont negotier avec d'autres qui se tiennent en ces
parties Septentrionnalles, estans une bonne partie de ces
64/552 nations en lieu fort abondant en chasses, & où il y a quantité
de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux, & eux m'ayant
figuré la forme d'iceux, j'ay jugé estre des buffles[119]:
aussi que la pesche du poisson y est fort abondante, ils sont
quarante jours à faire ce voyage, tant à aller que retourner.
[Note 118: Dans l'édition originale, la page finit au milieu de ce mot
_Atigno_, et la réclame indique pour finale _uaatitans_, tandis que la
page suivante commence par _uaenteps_. Cette dernière orthographe, qui
était probablement celle du manuscrit de Champlain, figure à peu près la
même prononciation que celle des divers auteurs qui ont parlé des
Atignaouentans.]
[Note 119: C'est le _boeuf musqué_. Voy. Charlev. Jour. p. 131.]
Je m'acheminay vers nostredict Village le quinziesme jour de
Febvrier, menant avec moy six de nos gens, & estans arrivez
audict lieu, les habitans furent fort aises, comme aussi les
Algommequins que j'envoyay visiter par nostre truchement [120],
pour sçavoir comme le tout s'estoit passé, tant d'une part que
d'autre, n'y ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns
ny aux autres aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour
entendre des uns & des autres comme le tout s'estoit passé: ce
faict, les principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec
nous, & tous ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant
en l'une de leurs cabannes où plusieurs & des plus principaux
se trouverent, lesquels tous ensemble après quelques discours
demeurent d'accord de venir, & avoir agréable tout ce qu'on
diroit, comme arbitre sur ce suject, & ce que je leur
proposerois, ils le mettroient en exécution. Alors je recueilly
les voix d'un chacun, colligeant & recerchant la volonté &
inclination de l'une & de l'autre partie: jugeant neantmoins
qu'ils ne demandoient que la paix. Je leur representay que le
65/553 meilleur estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour
estans unis & liez ensemble, resister plus facillement à leurs
ennemis, & partant je les priay qu'ils ne m'appellassent point
pour ce faire, s'ils n'avoient intention de suivre de poinct en
poinct l'advis que je leur donnerois sur ce different, puis
qu'ils m'avoient faict ce bien d'en dire mon oppinion. Sur quoy
ils me dirent derechef qu'ils n'avoient desiré mon retour à
autre fin, & moy d'autre-part jugeant bien que si je ne les
mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contens les
uns des autres, chacun d'eux pensans avoir le meilleur droict,
aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je n'eusse
esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne
m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs
affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois
autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit
tousjours bien traicté, & mal-aysément en pourrois-je trouver
un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient
la faute, disant qu'il n'y avoit que luy de Cappitaine qui fist
prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une
part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirois ce qu'il
m'en sembleroit, & mon advis, & voyans à leurs discours qu'ils
remettoient le tout à ma volonté, comme à leur père, me
promettant en se faisant qu'à l'advenir je pourrois disposer
d'eux ainsi que bon me sembleroit, me remettant le tout à ma
discretion, pour en disposer: alors je leur fis responce que
j'estois tres-aise de les voir en une si bonne volonté de
suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit que pour le
bien & utilité des peuples.
[Note 120: Il était donc monté deux interprètes: Étienne Brûlé, qui
n'était pas encore revenu de son ambassade chez les Carantouanais, et
celui dont l'auteur parle dans ce passage. Ce dernier était truchement
pour la langue algonquine, puisque Champlain l'envoie visiter les
Algonquins, et il est tout à fait probable que c'était Thomas, qui
l'avait suivi dans son malheureux voyage de 1613.]
66/554 D'autre costé j'avois esté fort affligé d'avoir entendu
d'autres tristes nouvelles, à sçavoir de la mort de l'un de
leurs parents, & amis, que nous tenions comme le nostre, & que
ceste mort avoit peu causer une grande desolation, dont il ne
s'en feust ensuivy que guerres perpétuelles entre les uns & les
autres, avec plusieurs grands dommages & altération de leur
amitié, & par consequent les François privez de leur veue &
fréquentation, & contraincts d'aller rechercher d'autres
nations, & ce d'autant que nous nous aymions comme frères,
laissant à nostre Dieu le chastiment de ceux qui l'auroient
mérité.
Je commençay à leur dire, & faire entendre, que ces façons de
faire entre deux nations, amis, & frères, comme ils se
disoient, estoit indigne entre des hommes raisonnables, ains
plustost que c'estoit à faire aux bestes bruttes: D'autre part
qu'ils estoient assez empeschez d'ailleurs à repousser leurs
ennemis qui les poursuivoient, battans le plus souvent, & les
prenans prisonniers jusques dans leurs villages, lesquels
ennemis voyant une division, & des guerres civilles entr'eux,
leur apporteront beaucoup d'advantage, les resjouyront & les
pousseront à faire nouveaux & pernicieux desseins, sur
l'esperance qu'ils auroient de voir bien-tost leur ruyne, du
moins s'affaiblir par eux-mesmes, qui seroit le vray moyen, &
plus facille, pour vaincre, & se rendre les maistres de leurs
contrées, n'estans point secourus les uns des autres, & qu'ils
ne jugeoient pas le mal qui leur en pouvoit arriver, que pour
la mort d'un homme ils en mettoient dix mille en danger de
mourir, & le reste de demeurer en perpétuelle servitude, bien
67/555 qu'à la vérité un homme estoit de grande consequence, mais
qu'il falloit regarder comme il avoit esté tué, & considerer
que ce n'estoit pas de propos délibéré, ny pour commancer une
guerre civille parmy eux, cela estant trop évident que le mort
avoit premièrement offencé en ce que de propos délibéré il
avoit tué le prisonnier dans leurs cabannes, chose trop
audacieusement entreprinse, encores qu'il fust ennemy. Ce qui
esmeut les Algommequins, car voyant un homme si téméraire de
tuer un autre en leur cabanne, auquel ils avoient donné la
liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux, ils furent emportez
de la promptitude, & le sang esmeu à quelques-ungs, plus qu'aux
autres, se seroient avancez, ne se pouvant tenir ny commander à
leur cholere, ils auroient tué cet homme dont est question,
mais pour cela ils n'en voulloient nullement à toute la nation,
& n'avoient dessein plus avant à l'encontre de cet audacieux, &
qu'il avoit bien mérité ce qu'il avoit luy-mesme recerché.
Et d'ailleurs qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se
sentant frappé de deux coups dedans le ventre, arracha le
cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en
donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certiffié: De façon que
bonnement on ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient
Algommequins qui ussent tué: & pour montrer aux Attigouautan
que les Algommequins n'aymoient pas le prisonnier: que Yroquet
ne luy portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien,
ils l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de
68/556 cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais
plustost de bestes bruttes. D'ailleurs que les Algommequins
estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passée, & que
s'ils eussent pensé que telle chose feust arrivée, ils leur
eussent donné cet Yroquois en sacrifice: d'autrepart qu'ils
avoient recompensé icelle mort, & faute, si ainsi il la falloit
appeller, avec de grands presents, & deux prisonnieres, n'ayant
subject à present de se plaindre, & qu'ils debvoient se
gouverner plus modestement en leurs déportemens envers les
Algommequins, qui sont de leurs amis, & que puis qu'ils
m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les
priay les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit passé
entr'eux, sans jamais plus y penser, ny en porter aucune haine
& mauvaise volonté les uns envers les autres & demeurer bons
amis comme auparavant, & ce faisant qu'ils nous obligeroient à
les aymer, & les assister comme j'avois faict par le passé, &
neantmoins, où ils ne seroient contans de mon advis, je les
priay de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils
pourroient à nostre habitation, où devant tous les Cappitaines
des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, &
adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs
ennemis, à quoy il falloit penser.
Alors ils commançerent à dire que j'avois bien parlé, & qu'ils
tiendroient tout ce que je leur avois dict, & tous contents en
apparance s'en retournèrent en leurs cabannes, sinon les
Algommequins, qui deslogerent pour faire retraicte en leur
Village, mais selon mon oppinion ils faisoient demonstration de
69/557 n'estre pas trop contens, d'autant qu'ils disoient entr'eux que
ils ne viendroient plus hyverner en ces lieux. Ceste mort de
ces deux hommes leur ayant par trop cousté, pour mon regard je
m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay le plus de
courage qu'il me fut possible, affin de l'esmouvoir à venir à
nostre habitation, & d'y amener avec luy tous ceux du pays.
Durant le temps de l'hyver qui dura quatre mois, j'eu assez de
loisir pour considerer leur pays, moeurs, coustumes, & façon de
vivre & la forme de leurs assemblées, & autres choses que je
desirerois volontiers décrire. Mais auparavant il est
necessaire de parler de la situation du pays [121], & contrées,
tant pour ce qui regarde les nations, que pour les distances
d'iceux. Quand à l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident,
elle contient prés de quatre cent cinquante lieues de long, &
quelque quatre-vingt ou cent lieues par endroicts de largeur du
Midy au Septentrion, soubs la hauteur de quarante & un degré de
latitude, jusques à quarante huit & quarante-neuf degrez. Ceste
terre [122] est presque une isle, que la grande riviere de
Saint Laurens entoure, passant par plusieurs lacs de grande
estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs nations,
parlans divers langages, qui ont leurs demeures arrestées, tous
amateurs du labourage de la terre, lesquels neantmoins ont
diverses façons de vivres, & de moeurs, & les uns meilleurs que
les autres. Au costé vers le Nort, icelle grande riviere tirant
70/558 à l'Occident quelque cent lieues par de là vers les
Attigouautans[123]. Il y a de très-hautes montagnes, l'air y
est tempéré plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, &
soubs la hauteur de quarante & un degré de latitude: toutes ces
parties & contrées sont abondantes en chasses, comme de Cerfs,
Caribous, Eslans, Dains, Buffles, Ours, Loups, Castors,
Regnards, Fouines, Martes, & plusieurs autres especes
d'animaux, que nous n'avons pas par deçà. La pesche y est
abondante en plusieurs sortes & especes de poisson, tant de
ceux que nous avons, que d'autres que nous n'avons pas aux
costes de France. Pour la chasse des oyseaux, elle y est aussi
en quantité, & qui y viennent en leur temps, & saison: Le pays
est traversé de grand nombre de rivieres, ruisseaux, & estangs,
qui se deschargent les unes dans les autres, & en leur fin
aboutissent dedans ledict fleuve Sainct Laurens, & dans les
lacs par où il passe: Le païs est fort plaisant en son
Printemps, il est chargé de grandes & hautes forests, &
remplies des bois de pareilles especes que ceux que nous avons
en France, bien est-il vray qu'en plusieurs endroicts il y a
quantité de païs deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi
que ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui
sert pour la nourriture desdicts animaux. Le pays du Nort de
ladite grande riviere est fort aspre & montueux, soubs la
hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude,
71/559 remply de rochers forts en quelques endroicts, à ce que j'ay
peu voir, lesquels sont habitez de Sauvages qui vivent errants
parmy le pays, ne labourans, & ne faisans aucune culture, du
moins si peu que rien, & sont chasseurs[124], estans ores[125]
en un lieu, & tantost en un autre, le païs y estant assez froid
& incommode. L'estendue d'icelle terre du Nord soubs la hauteur
de quarante-neuf degrez de latitude, de l'Orient à l'Occident a
six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous
avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles &
grandes rivieres qui viennent de ce costé-là, & se deschargent
dedans ledit fleuve, accompagnez d'un nombre infiny de belles
prairies, lacs, & estangs, par où elles passent, dans lesquels
y a abondance de poissons, & force isles, la pluspart desertes,
qui sont délectables à voir, où en la pluspart il y a grande
quantité de vignes, & autres fruicts Sauvages [126]. Quand aux
parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en pouvons,
sçavoir bonnement le traget, d'autant que les peuples n'en ont
aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents lieues, ou
plus, vers l'Occident, d'où vient ladicte grande riviere qui
passe entr'autres lieux, par un lac qui contient prés de trante
journées de leurs canaux, à sçavoir celuy qu'avons nommé la Mer
douce, eu esgard à sa grande estendue, ayant prés de quatre
72/560 cent lieues de long (127): aussi que les Sauvages avec lesquels
nous avons accez, ont guerre avec autres nations, tirant à
l'Occident dudit grand lac, qui est la cause que nous n'en
pouvons avoir plus ample cognoissance, sinon qu'ils nous ont
dict plusieurs fois que quelques prisonniers de cent lieues
leur ont rapporté y avoir des peuples semblables à nous en
blancheur, & autres choses, ayans par eux veu de la chevelure
de ces peuples, qui est fort blonde, & qu'ils estiment
beaucoup, pource qu'ils les disent estre comme nous. Je ne puis
que penser là dessus, sinon que ce fussent gens plus civilisez
qu'eux, & qu'ils disent nous ressembler: il seroit bien besoing
d'en sçavoir la vérité par la veue, mais il faut de
l'assistance, il n'y a que le temps, & le courage de quelques
personnes de moyens, qui puissent, ou vueillent, entreprendre
d'assister ce desseing, affin qu'un jour on puisse faire une
ample & parfaite découverture de ces lieux, affin d'en avoir
une cognoissance certaine.
[Note 121 Par _pays_ il faut entendre ici _le pays en général_, ou la
Nouvelle-France, et non pas le pays des Hurons, encore moins le pays des
Algonquins, comme a fait Sagard (Hist. du Canada, p. 201, 202).]
[Note 122: Cette terre où était Champlain, c'est-à-dire, le
Haut-Canada.]
[Note 123: Voici comme l'édition de 1632 corrige ce passage: «Au costé
vers le nort d'icelle grande riviere tirant au surouest environ cent
lieues par delà vers les Attigouamans, le pays est partie montagneux...
» On voit donc que Champlain veut parler ici de cette chaîne de
montagnes que nous appelons aujourd'hui les Laurentides.]
[Note 124: L'édition de 1627, remplace ce mot chasseurs par
ambullatoires.]
[Note 125: Maintenant.]
[Note 126: Dans l'édition de 1627, presque toute cette phrase a été
modifié notablement. Après le mot _fleuve_, on y lit ce qui suit: «&
d'autres qui à mon oppinion se deschargent en la Mer, par la partie &
costé du Nort, soubs la hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de
latitude, suivant le rapport & resolution que m'en ont faict ceux qui y
vont négocier, & traicter, avec les peuples qui y habitent.»]
[Note 127: Voir la note 2 de la p. 25, ci-dessus.]
Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort
peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, & de diverses
nations ayans guerres les uns contre les autres. Le pays y est
fort aggreable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, &
l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres &
fruicts qu'il n'y a pas au Nort dudit fleuve, aussi y a-il
beaucoup de choses au Nort qui le recompense, qui n'est pas du
costé du Midy[128]: Pour ce qui est du costé de l'Orient, ils
73/561 sont assez cogneus, d'autant que la grand'Mer Oceanne borne ces
endroicts-là, à sçavoir les costes de la Brador, terre-Neufve,
Cap Breton, la Cadie, Almonchiguois[129], lieux assez communs, en
ayant traité à suffire au discours de mes voyages précédents,
comme aussi des peuples qui y habitent, c'est pourquoy je n'en
feray mention en ce traicté, mon subject n'estant que faire un
rapport par discours succint & véritable de ce que j'ay veu &
recogneu de plus particulier.
[Note 128: Dans l'édition de 1627, la dernière partie de cette phrase a
été ainsi corrigée: «aussi n'est-il pas de tant de proffist & d'utilité,
quand aux lieux où se font les traictez des Pelletries.»]
[Note 129: Lisez Almouchiquois. La côte des Almouchiquois répond à ce
que les Anglais ont appelé Nouvelle-Angleterre (New England).]
La contrée de la nation des Attigouautan est soubs la hauteur
de 44 degrez & demy de latitude, & deux cents trante lieues [130]
de longitude à l'Occident & dix de latitude, & en ceste
estendue de pays il y a dix-huict Villages [131], dont six dont
clos & fermez de pallissades de bois à triple rang,
entre-lassez les uns dans les autres, où au dessus ils ont des
galleries, qu'ils garnissent de pierres, & d'eau, pour ruer &
estaindre le feu que leurs ennemis pourroient appliquer contre
leurs pallissades. Ce pays est beau & plaisant, la pluspart
deserté, ayant la forme & mesme situation que la Bretagne,
estans presque environnez & circuits de la Mer douce [132], &
74/562 prennent ces 18 villages estre peuplés de deux mil hommes de
guerre, sans en ce comprendre le commun, qui peuvent faire en
nombre 30000. âmes: leurs cabannes[133] sont en façon de
tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres de la
longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de large,
laissant par le milieu une allée de 10 à 12 pieds de large, qui
va d'un bout à l'autre, aux deux costez y a une manière
d'establie [134], de la hauteur de 4 pieds, où ils couchent en
Esté, pour éviter l'importunité des puces dont ils ont grande
quantité, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes,
proches du feu pour estre plus chaudement que sur le haut de
l'establie, ils font provision de bois sec, & en emplissent
leurs cabannes, pour brûler en hyver, & au bout d'icelles
cabannes y a une espace, où ils conservent leurs bleds d'Indes,
qu'ils mettent en de grandes tonnes, faites d'escorce d'arbres,
au milieu de leur logement: il y a des bois qui sont suspendus,
où ils mettent leurs habits, vivres, & autres choses, de peur
des souris qui y sont en grande quantité. En telle cabanne y
aura douze feux, qui sont vingt-quatre mesnages, & où il fume à
bon escient, qui fait que plusieurs en reçoivent de grandes
commoditez aux yeux, à quoy ils sont subjects, jusques à en
perdre la veue sur la fin de leur aage, n'y ayant fenestre
aucune, ni ouverture que celle qui est au dessus de leurs
cabannes, par où la fumée fort, qui est tout ce qui se peut
75/563 dire & sçavoir de leurs comportements, vous ayant descript
entièrement ceste forme d'habitation de ces peuples, comme elle
se peut sçavoir, mesme de toutes les nations qui habitent en
ces contrées de pays. Ils changent quelquesfois leur Village de
dix, de vingt, ou trente ans, & le transportent d'une, deux, ou
trois lieues du précèdent lieu, s'ils ne sont contraints par
leurs ennemis, de desloger, & s'eslongnez plus loing, comme ont
fait les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la
forme de leur logements qui sont separez les uns des autres,
comme de trois à quatre pas, pour la crainte du feu qu'ils
appréhendent fort.
[Note 130: Le seul moyen, suivant nous, de rendre ce passage
intelligible, est de remplacer deux cent trente par douze ou treize. Car
il est évident que l'auteur, après avoir déterminé la hauteur moyenne du
pays huron, veut en donner les dimensions en longitude, ou de l'orient à
l'occident, et en latitude, ou du nord au sud. Or, en longitude, le pays
huron n'a que douze ou treize lieues; c'est tout ce que l'on peut
compter depuis le Couteau-Croche, jusqu'à l'extrémité la plus
occidentale du canton de Tiny. Du nord au sud, il pouvait avoir une
dizaine de lieues, comme dit l'auteur. Il est possible que le manuscrit
de Champlain portât 23, ou 20 à 30; avec quoi l'imprimeur aurait bien pu
faire 230.]
[Note 131: Sagard, quelques années après, en comptait «vingt ou
vingt-cinq» (Hist. du Canada, p. 247); mais il est clair qu'il ne
prétend donner qu'un nombre approximatif. «Nos Hurons,» dit le P.
Brebeuf à la fin de la Relation de 1636, «sont en vingt villages environ
trente mille âmes.»]
[Note 132: Cette expression montre bien que Champlain ne parle ici que
du pays huron proprement dit, qui était en effet presque environné des
eaux de la mer Douce. Il était borné à l'ouest et au nord par le lac
Huron, au nord-est, par la rivière Matchidache, et du côté de l'est et
du sud-est par les lacs Couchichine et Simcoe, qui se déchargent
eux-mêmes dans le lac Huron.]
[Note 133: «Qu'ils appellent _ganonchiac_», ajoute Sagard (Hist. du
Canada, p. 248).]
[Note 134: «Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, ibid.)]
Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse
entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyant qu'il ne
s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger, &
ordinaire vivre, est le bled d'Inde, & febves du bresil qu'ils
accommodent en plusieurs façons, ils en pillent en des mortiers
de bois, le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la
fleur par le moyen de certains vants, faits d'escorce d'arbres,
& d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font
premièrement bouillir, comme le bled d'Inde un bouillon, pour
estre plus aysé à battre, mettent le tout ensemble,
quelquesfois y mettent des blues, ou des framboises seiches,
autrefois y mettent des morceaux de graisse de Cerf, mais ce
n'est pas souvent, leur estant fort rare, puis après ayant le
tout destrampé avec eau tiède ils en font des pains en forme de
gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire soubs les cendres, &
76/564 estant cuittes, ils les lavent, & en font assez souvent
d'autres, ils les enveloppent de feuilles de bled d'inde,
qu'ils attachent, & mettent, en l'eaue bouillante, mais ce
n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre sorte
qu'ils appellent Migan[135], à sçavoir, ils prennent le bled
d'inde pillé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou
trois poignées dans un pot de terre plein d'eau, le font
bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne
brusle, ou qu'il ne se prenne au pot, puis mettent en ce pot un
peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner
goust audit Migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font
fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante,
principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour
n'en vouloir prendre la peine: Ils en font de deux especes, &
l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de
ce poisson ledit Migan ne sent pas mauvais, ains seulement à la
venaison. Le tout estant cuit ils tirent le poisson, &
l'escrasent bien menu, ne regardant de si prés à oster les
arrestes, les escailles, ny les trippes, comme nous faisons,
mettant le tout ensemble dedans ledit pot, qui cause le plus
souvent le mauvais goust, puis estant ainsi fait, le despartent
à chacun quelque portion: Ce Migan est fort clair, & non de
grande substance, comme on peut bien juger: Pour le regard du
boire, il n'est point de besoing estant ledit Migan assez clair
de soymesme. Ils ont une autre sorte de Migan, à sçavoir, ils
77/565 font greller du bled nouveau, premier qu'il soit à maturité,
lequel ils conservent, & le font cuire entier avec du poisson,
ou de la chair, quand ils en ont: une autre façon, ils prennent
le bled d'Inde bien sec le font greller dans les cendres, puis
le pilent, & le reduisent en farine, comme l'autre cy-devant,
lequel ils conservent pour les voyages qu'ils entreprennent,
tant d'une part que d'autre, lequel Migan faict de ceste façon
est le meilleur, à mon goust. En la figure H. se voit comme les
femmes pilent leurs bleds d'Inde. Et pour le faire, ils font
cuire force poisson, & viande, qu'ils découppent par morceaux,
puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils emplissent
d'eau, la faisant fort bouillir: ce faict, ils recueillent avec
une cuillier la graisse de dessus, qui provient de la chair, &
poisson, puis mettent d'icelle farine grullée dedans, en la
mouvant tousjours, jusques à ce que ledit Migan toit cuit, &
rendu espois comme bouillie. Ils en donnent & despartent à
chacun un plat, avec une cuillerée de la dite graisse, ce
qu'ils ont de coustume de faire aux festins & non pas
ordinairement, mais peu souvent: or est-il que ledict bled
nouveau grullé, comme est cy-dessus, est grandement estimé
entr'eux. Ils mangent aussi des febves qu'ils font bouillir
avec le gros de la farine grullée, y meslant un peu de graisse,
& poisson. Les Chiens sont de requeste en leurs festins qu'ils
font souvent les uns & les autres, principallement durant
l'hyver qu'ils font à loisir: Que s'ils vont à la chasse aux
Cerfs, ou au poisson, ils le reservent pour faire ces festins,
ne leur demeurant rien en leurs cabannes que le Migan clair
78/566 pour ordinaire, lequel ressemble à de la brannée, que l'on
donne à manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de
manger le bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par
espics, & le mettent dans l'eau, sous la bourbe, le laissant
deux ou trois mois en cet estat, & jusques à ce qu'ils jugent
qu'il soit pourry, puis ils l'ostent de là & le font bouillir
avec la viande ou poisson, puis le mangent, aussi le font-ils
gruller, & est meilleur en cette façon que bouilly, mais je
vous asseure qu'il n'y a rien qui sente si mauvais, comme fait
cedit bled sortant de l'eau tout boueux: néantmoins les femmes,
& enfans, le prennent & le sucent comme on faict les cannes de
succre, n'y ayant autre chose qui leur semble de meilleur
goust, ainsi qu'ils en font la demonstration, leur ordinaire
n'est que de faire deux repas par jour: Quant à nous autres,
nous y avons jeusné le Karesme entier, & plus pour les
esmouvoir à quelque exemple, mais c'estoit perdre temps: Ils
engraissent aussi des Ours, qu'ils gardent deux ou trois ans,
pour faire des festins entr'eux: j'ay recognu que si ces
peuples avoient du bestail, ils en seroient curieux, & le
conserveroient fort bien, leur ayant montré la façon de le
nourrir, chose qui leur seroit aisée, attendu qu'ils ont de
bons pasturages, & en grande quantité en leur païs, pour toute
sorte de bestail, soit chevaux, boeufs, vaches, mouttons,
porcs, & autres especes, à faute desquels bestiaux on les juge
miserables comme il y a de l'apparance: Neantmoins avec toutes
leurs miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils
n'ont autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont
79/567 plus asseurez que ceux qui sont errants par les forests, comme
bestes bruttes: aussi mangent-ils force sitrouilles, qu'il font
bouillir, & rostir soubs les cendres. Quand à leur habit, ils
sont de plusieurs sortes, & façons, & diversitez de peaux de
bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres
qu'ils eschangent pour leur bled d'inde, farines, pourcelines,
& fillets à pescher, avec les Algommequins, Piserenis, & autres
nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées:
tous leurs habits sont d'une même façon, sans diversité
d'invention nouvelle: ils passent & accommodent assez
raisonnablement les peaux, faisant leur brayer d'une peau de
Cerf, moyennement grande, & d'un autre le bas de chausses, ce
qui leur va jusques à la ceinture, estant fort plissé, leurs
souliers sont de peaux de Cerfs, Ours, & Castors, dont ils
usent en bon nombre: Plus, ils ont une robbe de mesme fourrure,
en forme de couverte, qu'ils portent à la façon Irlandoise, ou
Ægyptienne, & des manches qui s'attachent avec un cordon par le
derrière: voila comme ils sont habillez durant l'hyver, comme
il se voit en la figure D. Quand ils vont par la campagne, ils
seignent leur robbe autour du corps, mais estans à leur
Village, ils quittent leurs manches, & ne se seignent point:
les passements de Milan pour enrichir leurs habits sont de
colle & de la raclure desdites peaux, dont ils font des bandes
en plusieurs façons, ainsi qu'ils s'avisent, y mettant par
endroits des bandes de painture rouge, brun, parmy celles de
colle, qui parroissent tous-jours blanchastres, n'y perdant
point leurs façons, quelques salles qu'elles puissent estre. Il
80/568 y en a entre ces nations qui sont bien plus propre à passer les
peaux les uns que les autres, & ingénieux pour inventer des
compartiments à mettre dessus leurs habits: Sur tous autres nos
Montagnais, & Algommequins, ce sont ceux qui y prennent plus de
peine, lesquels mettent à leurs robbes des bandes de poil de
porc-espy, qu'ils taindent en fort belle couleur d'escarlatte:
ils tiennent ces bandes bien chères entr'eux, & les destachent
pour les faire servir à d'autres robbes, quand ils en veulent
changer, plus pour embellir la face, & avoir meilleure grâce,
quand ils se veulent bien parer: La pluspart se paindent le
visage noir, & rouge, qu'ils desmeslent avec de l'huyle, faite
de la graine d'herbe au Soleil, ou bien avec de la graisse
d'ours, ou autres animaux, comme aussi ils se taindent les
cheveux qu'ils portent, les uns longs, les autres courts, les
autres d'un costé seulement: Pour les femmes, & les filles,
elles les portent tousjours d'une mesme façon, elles sont
vestus comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours leurs
robbes saintes, qui leur viennent en bas, jusques au genouil:
c'est en quoy elles différent des hommes, elles ne sont point
honteuses de montrer le corps, à sçavoir depuis la cainture en
haut, & depuis la moitié des cuisses en bas, ayant tousjours le
reste couvert & sont chargées de quantité de pourceline, tant
en colliers, que chaisnes, qu'elles mettent devant leurs
robbes, pendans à leurs ceintures, bracelets, & pendants
d'oreilles, ayant les cheveux bien paignez, paints, & graissez,
& ainsi s'en vont aux dances, ayans un touffeau de leurs
cheveux par derrière, qui leur sont liez de peaux d'anguilles,
81/569 qu'ils accommodent & font servir de cordon, ou quelquesfois ils
attachent des platines d'un pied en carré, couvertes de ladite
pourceline, qui pend par derrière, & en ceste façon poupinement
vestues & habillées, elles se montrent volontiers aux dances,
où leurs pères, & mères les envoyent, n'oubliant rien de ce
qu'ils peuvent apporter d'invention pour embellir & parer leurs
filles, & puis asseurer avoir veu en des dances ou j'ay esté,
telle fille qui avoit plus de douze livres de pourceline sur
elles, sans les autres bagatelles, dont elles sont chargées &
attourées. En la figure desja citée se voit comme les femmes
sont habillées, comme montre F. & les filles allant à la dance,
G.
[Note 135: Dans le tirage de 1620, on a corrigé, en marge seulement, et
l'on a mis le mot _michan_ au lieu de _migan_. Ce changement se retrouve
encore dans l'édition de 1627. L'on sait que, dans l'écriture de cette
époque, les lettres _ch_ avaient beaucoup de ressemblance avec le _g_.]
[Illustration.]
Tous ces peuples sont d'une humeur assez joviale, bien qu'il y
en aye beaucoup de complexion triste, & saturnienne entr'eux:
Ils sont bien proportionnés de leurs corps, y ayant des hommes
bien formez, forts, & robustes, comme aussi des femmes, &
filles, dont il s'en trouve un bon nombre d'agréable, & belles,
tant en la taille, couleur, qu'aux traicts du visage, le tout à
proportion, elles n'ont point le saing ravallé que fort peu, si
elles ne sont vieilles, & se trouvent parmy ces nations de
puissantes femmes, & de hauteur extraordinaire: car ce sont
elles qui ont presque tout le soing de la maison, & du travail,
car elles labourent la terre, sement le bled d'Inde, font la
provision de bois pour l'hyver, tillent la chanvre, & la
fillent, dont du fillet ils font les rets à pescher, & prendre
le poisson, & autres choses necessaires, dont ils ont affaire,
comme aussi ils ont le soing de faire la cueillette de leurs
82/570 bleds, les serrer, accommoder à manger, & dresser leur mesnage,
& de plus sont tenues de suivre & aller avec leurs maris, de
lieu en lieu, aux champs, où elles servent de mulle à porter le
bagage, avec mille autres sortes d'exercices, & services, que
les femmes font & sont tenues faire. Quant aux hommes, ils ne
font rien qu'aller à la chasse du Cerf, & autres animaux,
pécher du poisson, de faire des cabannes, & aller à la guerre.
Ces choses faites, ils vont aux autres nations, où ils ont de
l'accès, & cognoissance, pour traicter & faire des eschanges de
ce qu'ils ont, avec ce qu'ils n'ont point, & estans de retour,
ils ne bougent des festins, & dances, qu'ils se font les uns
aux autres, & à l'issue se mettent à dormir, qui est le plus
beau de leur exercice.
Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand
une fille eat en l'âge d'onze, douze, treize, quatorze, ou
quinze ans, elle aura des serviteurs, & plusieurs, qu'elle
fera, & selon ses bonnes grâces, la rechercheront quelque
temps: cela faict, elles seront demandées aux pères, & mères,
bien que souvent elles ne prennent pas leur consentement, fors
celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se
soubsmettent à la volonté de leur père & mère. Cet amoureux, ou
serviteur, presentera à la fille quelques colliers, chaisnes, &
bracelets de pourceline: si la fille a ce serviteur aggreable,
elle reçoit ce present, ce faict, cet amoureux viendra coucher
avec elle trois ou quatre nuicts sans lui dire mot, durant ce
temps, & là ils recueillent le fruict de leurs affections, d'où
il arrivera le plus souvent qu'après avoir passé huict, ou
83/571 quinze jours, s'ils ne se peuvent accorder, elle quittera son
serviteur, lequel y demeurera engagé pour ses colliers, &
autres dons par luy faicts, n'en retirant qu'un maigre
passe-temps: & cela passé, frustré de son esperance, il
recerchera un autre femme, & elle un autre serviteur, s'ils
voyent qu'il soit à propos, & ainsi continuent ceste façon de
faire, jusques à une bonne rencontre: Il s'en trouve telle qui
passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de vingt maris,
lesqueîs vingt maris ne sont pas seuls en la jouyssance de la
beste, quelques mariez qu'ils soient: car la nuict venue, les
jeunes femmes courent d'une cabanne en une autre, comme font
les jeunes hommes de leur costé, qui en prennent par où bon
leur semble, toutesfois sans violance aucune, remettant le tout
à la volonté de la femme: Le Mary fera le semblable à sa
voisine, nulle jalousie ne se trouve entr'eux pour cela, & n'en
reçoivent aucune infamie, ny injure, la coustume du pays estant
telle. Or le temps qu'elles ne delaissent point leurs maris est
quand elles ont des enfans: les Maris précédants reviennent
vers elles, leur remonstrer l'affecrion, & amitié, qu'ils leur
ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant
qu'elles auront est à luy, & est de son faict: un autre luy en
dira autant, en fin c'est à qui mieux, & qui le pourra
emporter, & l'avoir pour femme: & par ainsi il est au choix &
option de la femme, de prendre, & d'accepter celuy qui luy
plaira le plus, ayant en ses recerches, & amours, gaigné
beaucoup de pourceline, & de plus, ceste élection de Mary:
Elles demeurent avec luy sans plus le delaisser, ou si elles le
84/572 laissent, il faut que ce soit avec un grand subject, autre que
l'impuissance, car il est à l'espreuve: neantmoins estant avec
ce mary elle ne laisse pas de se donner carrière, mais elle se
tient, & reside, tousjours au mesnage, faisant bonne mine, de
façon que les enfans qu'ils ont ensemble, ainsi nez d'une telle
femme, ne se peuvent asseurer légitimes, aussi ont-ils une
coustume, prevoyant ce danger, qui est telle, à sçavoir, que
les enfans ne succedent jamais aux biens, & dignitez, de leurs
pères, doubtant comme j'ay dit de leur géniteur, mais bien
font-ils leurs successeurs, & héritiers, les enfans de leurs
soeurs, & desquels ils sont asseurez d'estre yssus, & sortis:
Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans [136], ils le
mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & le
85/573 vestent, & enveloppent de fourrures, ou peaux, & le bandent sur
ladite planchette, la dressent debout, & laissant une petite
ouverture par où l'enfant faict ses petites affaires, & si
c'est une fille, ils mettent une feuille de blé d'Inde entre
les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout
de ladite feuille dehors qui est renversée, & par ce moyen
l'eau de l'enfant coulle par ceste feuille, & sort dehors, sans
gaster l'enfant de ses eaues, ils mettent aussi soubs les
enfants du duvet de certains roseaux, que nous appelions pied
de lièvre, surquoy ils sont couchés fort mollement, & le
nettoyent du mesme duvet, & pour parer l'enfant, ils garnissent
ladite planchette de patinostres, & en mettent à son col,
quelque petit qu'il soit: & la nuict, ils le couchent tout nud,
entre le père, & la mère, considerant en cela une grande
merveille de Dieu, qui les conserve de telle façon, qu'il n'en
arrive pas beaucoup d'inconvenient, comme il feroit à croire
par quelque estouffemens, estant le père, & la mère, en un
profond sommeil, ce qui n'arrive pas que bien rarement. Les
enfans sont fort libertins entre ces nations: les pères, &
mères, les flattent trop, & ne les chastient point du tout,
aussi sont-ils si meschants, & de si perverse nature, que le
plus souvent ils battent leurs mères, & autres, des plus
fascheux, battent leur père, en ayant acquis la force, & le
pouvoir: à sçavoir, si le père, ou la mère, leur font chose qui
ne leur agrée pas, qui est une espece de malédiction que Dieu
leur envoye.
[Note 136: Sagard ajoute là-dessus quelques détails qui complètent ce
que dit ici Champlain. «Nos Huronnes, dit-il, emmaillottent leurs petits
enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois
de cèdre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon
pied de largeur, où il y a à quelqu'uns un petit arrest, ou aiz plié en
demy rond attaché au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent
contre le plancher de la cabane, ou bien elles les portent promener avec
icelles derrière leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend
sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot
dans leur robbe ceinte, pendus à la mammelle, ou derrière leur dos,
presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un costé &
d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte. Lors que l'enfant
est emmaillotté sur la petite planchette, ordinairement enjolivée de
matachias & chapelets de pourceleine, ils luy laissent une ouverture
devant la nature, par où il faict son eau, & si c'est une fille, il y
adjoustent une fueille de bled d'Inde renversée, qui sert à porter l'eau
dehors, sans que l'enfant soit gasté de ses eaues, ny salle de ce costé
là... Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny
la méthode d'en faire, encore qu'elles ayent du chanvre assez, ont
trouvé l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur
lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyent du
mesme duvet, ou avec de la poudre de bois fec & pourry, & la nuict
venue, elles les couchent souvent tout nuds entre le père, & la mère, ou
dans le sain de la mère mesme, enveloppé de sa robe pour le tenir plus
chaudement, & n'en arrive que très-rarement d'accident. Les Canadiens, &
presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille
planchette pour coucher leurs enfans, qu'ils appuyent contre quelque
arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans
planchette, à la manière qu'on accommode ceux de deçà dans des langes, &
en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue
en l'air, attachée par les quatre coins aux bois de la cabane, comme
sont les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des navires, &
s'ils veulent bercer l'enfant, il n'ont qu'à donner un bransle à cette
peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.» (Hist, du Canada, p.
338, 339, 340.)]
Pour ce qui est de leurs loix, je n'ay point veu qu'ils en
ayent, ny chose qui en approche, comme de faict ils n'en ont
86/574 point, d'autant qu'il n'y a en eux aucune correction,
chastiment, ny de reprehension à l'encontre des malfaicteurs,
sinon par une vangeance, randant le mal pour le mal, non par
forme de reigle, mais par une passion qui leur engendre les
guerres & différents, qu'ils ont entr'eux le plus souvent.
Au reste, ils ne recognoissent aucune Divinité, ils n'adorent &
ne croyent en aucun Dieu, ny chose quelconque[137]: ils vivent
comme bestes bruttes, ils ont bien quelque respect au Diable,
ou d'un nom semblable, ce qui est doubteux, parce que soubs ce
mot qu'ils prononcent, sont entendus diverses significations &
comprend en soy plusieurs choses: de façon que mal-aisément
peut-on sçavoir, & discerner s'ils entendent le Diable, ou une
autre chose, mais ce qui fait plustost croire estre le Diable,
qu'ils entendent, est que lors qu'ils voyent un homme faisant
quelque chose extraordinaire, ou est plus habille que le
commun, ou bien est vaillant guerrier, ou d'ailleurs en furie,
comme hors de la raison, & de soy-mesme, ils l'appellent Oqui,
comme si nous disions un grand esprit sçavant, ou un grand
Diable [138].
[Note 137: «Ils ne recognoissent, dit Sagard, & n'adorent aucune vraye
Divinité, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre
quelque raison, & que nous puissions sçavoir, car encore bien qu'ils
tiennent tous en général Youskeha pour le premier principe & Créateur de
tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes
prières, offrandes, ny sacrifices comme à Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux
le tiennent fort impuissant au regard de nostre Dieu, duquel ils
admiroient les oeuvres.» (Hist. du Canada, p. 494.)]
[Note 138: « Ils ont bien, dit Sagard, quelque respect particulier à ces
démons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme manière
que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant
est abominable l'un, comme l'autre est vénérable. Aussi ont-ils le bon &
le mauvais Oki, tellement qu'en prononçant ce mot Oki ou Ondaki, sans
adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut
signifier un grand Ange, un Prophète ou une Divinité, aussi bien qu'un
grand diable, un Médecin, ou un esprit furieux & possedé. Ils nous y
appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des
choses qui surpassoient leur capacité & les faisoient entrer en
admiration, qui estoit chose aysée veu leur ignorance.» (Hist. du
Canada, p. 494, 495.)]
87/575 Quoy que ce soit, ils ont de certaines personnes, qui sont les
Oqui, ou Manitous, ainsi appellez par les Algommequins &
Montagnais, & ceste sorte de gens font les Médecins pour guarir
les mallades, & pencer les blessez: prédire les choses
futures, au reste toutes abusions illusions du Diable, pour les
tromper, & decevoir. Ces Oquis, ou devins, leur persuadent, & à
leurs patients, & mallades, de faire, ou faire faire des
festins, & quelques cérémonies, pour étire plustost guaris, &
leur intention est affin d'y participer, & en tirer la
meilleure part, & soubs esperance d'une plus prompte guarison
leur faire faire plusieurs autres cérémonies, que je diray
cy-aprés en son lieu. Ce sont ceux-là en qui ils croyent le
plus, mais d'estre possedez du Diable, & tourmentez comme
d'autres Sauvages plus eslongnez qu'eux, c'est ce qui se voit
fort rarement, qui donne plus d'occasion, & subject de croire
leur réduction en la cognoissance de Dieu plus facille, si leur
pays estoit habitué de personnes qui prissent la peine, & le
soing, de leur enseigner, & ce n'est pas assez d'y envoyer des
Religieux, s'il n'y a des gens pour les maintenir, & assister:
car encores que ces peuples ayent le desir aujourd'huy de
cognoistre que c'est que de Dieu, le lendemain ceste volonté
leur changera, quand il conviendra oster, & suprimer, leurs
salles coustumes, la dissolution de leurs moeurs, & leurs
libertez incivilles: De façon qu'il faut des peuples, & des
familles, pour les tenir en debvoir, & avec douceur les
contraindre à faire mieux, & par bons exemples les esmouvoir à
correction de vie. Le Père Joseph, & moy, les avons maintesfois
88/576 entretenu sur ce qui estoit de nostre créance, loix, &
coustumes: ils escoutoient avec attention en leurs conseils,
nous disans quelquefois, tu dis choses qui passe nostre esprit,
& que ne pouvons comprandre par discours, comme chose qui
surpasse nostre entendement: Mais si tu veus bien faire est
d'habiter ce pays, & amener femmes, & enfans, lesquels venant
en ces régions, nous verrons comme tu sers ce Dieu que tu
adore, & de la façon que tu vis avec tes femmes, & enfans, de
la manière que tu cultive les terres, & en semant[139], & comme
tu obeys à tes loix, & de la façon que l'on nourrit les
animaux, & comme tu fabrique tout ce que nous voyons sortir de
tes inventions: Ce que voyant, nous apprendrons plus en un an,
qu'en vingt à ouyr discourir, & si nous ne pouvons comprandre,
tu prendras nos enfans, qui seront comme les tiens: & ainsi
jugeant nostre vie miserable, au pris de la tienne, il est aisé
à croire que nous la prenderont, pour laisser la nostre: leurs
discours me sembloit d'un bon sens naturel, qui montre le desir
qu'ils ont de cognoistre Dieu. C'est un grand dommage de
laisser perdre tant d'hommes & les voir périr à nos portes,
sans leur donner secours, qui ne peut estre sans l'assistance
des Roys, Princes, & Ecclesiastiques, qui seuls ont le pouvoir
de ce faire: Car aussi en doibvent-ils seuls emporter l'honneur
d'un si grand oeuvre, à sçavoir de planter la foy Chrestienne
en un pays incognu, & barbare, aux autres nations, estant bien
informé de ces peuples, comme nous sommes, qu'ils ne respirent,
& ne désirent autre chose que d'estre plainement instruits de
89/577 ce qu'il leur faut suivre & éviter, c'est donc à ceux qui ont
le pouvoir d'y travailler, & y contribuer de leur abondance,
car un jour ils respondront devant Dieu de la perte de tant
d'âmes qu'ils laissent périr par leur négligence & avarice, car
ils ne sont pas peu, mais en très-grand nombre: or ce sera
quand il plaira à Dieu de leur en faire la grâce, pour moy j'en
desire plustost l'effect aujourd'huy que demain, pour le zelle
que j'ay à l'advancement de la gloire de Dieu, à l'honneur de
mon Roy, au bien, & réputation de ma patrie.
[Note 139: Le manuscrit de l'auteur portait vraisemblablement: _&
ensemance_.]
Pour ce qui est des mallades, celuy, ou celle, qui sera frappé,
ou attaint de quelque malladie, mandera quérir l'Oqui, lequel
venu qu'il sera, visitera le mallade, & apprendra, &
s'instruira de son mal, & de sa douleur: cela fait ledit Oqui
envoyera quérir un grand nombre d'hommes, femmes, & filles,
avec trois ou quatre vieilles femmes, ainsi qu'il sera ordonné
par ledict Oqui, & entrant en leurs cabannes en dançant, avec
chacune une peau d'ours sur la teste, ou d'autres bestes, mais
celles d'ours est la plus ordinaire, n'en ayant point de plus
monstrueuse, & y aura deux ou trois autres vieilles qui seront
proches de la mallade, ou patiente, qui est le plus souvent
mallade par hypocrisie ou fausse imagination: mais de cette
malladie elles sont bientost guaries, & lesquelles le plus
souvent font les festins aux despens de leurs amis, ou parens,
qui leur donnent dequoy mettre en leur chaudière, outre celles
qu'ils reçoivent des presents des danceurs, & danceuses comme
de la pourceline, & autre bagatelles, ce qui faict qu'elles
90/578 sont bien-tost guaries: car comme ils voyent ne plus rien
esperer, ils se levent, avec ce qu'elles ont peu amasser, car
d'autres bien mallades mal-aisément se guarissent-elles de tels
jeux, & dances, & façons de faire. Et pour retourner à mon
propos, les vieilles qui sont proches de la mallade reçoivent
les presens, chantans chacune à son tour, & puis ils cessent de
chanter, & alors que tous les presens sont faicts, ils
commancent à lever leurs voix d'un mesme accord, chantans
toutes ensembles, & frappant à la mesure avec des bastons sur
des escorces d'arbres seiches, alors toutes les femmes, &
filles, commancent à se mettre au bout de la cabanne, comme
s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet, ou d'une mascarade:
les vieilles marchans devant avec leurs peaux d'ours sur leurs
testes, & toutes les autres les suivent l'une après l'autre.
Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont quelque mesure,
l'une de quatre pas, & l'autre de douze, comme si on dançoit le
Trioly de Bretagne. Ils ont assez bonne grâce en dançant, il
se met souvent avec elles de jeunes hommes, & après avoir dancé
une heure, ou deux, les vieilles prendront la mallade pour
dancer qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra en
dance, ou estant, après quelque espace de temps elle dancera, &
s'esjouyra aussi bien que les autres: Je vous laisse à penser
comme elle se doibt porter en sa malladie. Cy-dessoubs est la
forme de leurs dances.
[Illustration p. 578]
Le Médecin y acquiert de l'honneur, & de la réputation, de voir
si tost sa patiente guarie, & debout: ce qui ne se faict pas à
celles qui sont mallades à l'extrémité, & accablez de langueur,
91/579 ains plustost ceste espece de médecine leur donne la mort
plustost que la guarison: car je vous assure qu'il font
quelquesfois un tel bruict, & tintamarre, depuis le matin
jusques à deux heures de nuict, qu'il est impossible au patient
de le supporter, sinon avec beaucoup de peine. Quelquesfois il
prendra bien envie au patient de faire dancer les femmes, &
filles, toutes ensemble, mais ce sera par l'ordonnance de
l'Oqui, & ce n'est pas encores le tout, car luy & le Manitou,
accompagnez de quelques autres, feront des singeries, & des
conjurations, & se tourneront tant, qu'ils demeureront le plus
souvent comme hors d'eux-mesme, comme fols & insensez, jettent
le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeant des
charbons ardans, les tenant en leurs mains un espace de temps,
jettant aussi des cendres toutes rouges sur les yeux des autres
spectateurs, & les voyans en cet estat, on diroit que le Diable
Oqui, ou Manitou, si ainsi les faut appeller, les possedent, &
les font tourmenter de la sorte. Et ce bruit, & tintamarre,
ainsi faict ils se retirent chacun chez soy, & ceux qui ont
bien de la peine durant ce temps, ce sont les femmes des
possedez, & tous ceux de leurs cabannes, pour la crainte qu'ils
ont que ces enragez ne bruslent tout ce qui est dedans leurs
maisons, ce qui les induit à oster tout ce qui est en voye, car
lors qu'il arrive, il vient tout furieux, les yeux
estincellans, & effroyables, quelquesfois debout, &
quelquesfois assis, ainsi que la fantaisie les prend:
aussi-tost une quinte le prendra, empoignant tout ce qu'il
trouvera, & rencontrera, en son chemin, le jette d'un costé, &
92/580 d'autre, & puis se couche, où il s'endort quelque espace de
temps, & se réveillant en sursault, prend du feu, & des
pierres, qu'il jette de toutes parts, sans aucun esgard, ceste
furie se passe par le sommeil qui luy reprend, & lors il fait
furie, ou il appelle plusieurs de ses amis, pour suer avec luy,
qui est le remède qu'ils ont le plus propre pour se continuer
en leur santé, & cependant qu'ils suent, la chaudière trotte
pour accommoder leur manger, après avoir esté quelquefois deux
ou trois heures enfermez avec de grandes escorces d'arbres,
couverts de leurs robbes, ayans au milieu d'eux grande quantité
de cailloux, qu'ils auront fait rougir dans le feu, & tousjours
chantent, durant qu'ils sont en furie, & quelquesfois ils
reprennent leur vent: on leur donne force pottées d'eau pour
boire, d'autant qu'ils sont fort altérez, & tout cela faict, le
demoniacle fol, ou endiablé, devient sage: Cependant il
arrivera que trois, ou quatre, de ces mallades s'en trouveront
bien, & plustost par heureuse rencontre, & d'advanture, que par
science, ce qui leur confirme leur fauce créance, pour estre
persuadez qu'ils sont guaris par le moyen de ces cérémonies,
sans considerer que pour deux qu'ils en guerissent, il en meurt
dix autres par leur bruict & grand tintamarre, & soufflements
qu'ils font, qui est plus capable de tuer, que de guarir un
mallade: mais quoy ils esperent recouvrir leur santé par ce
bruict, & nous au contraire par le silence & repos, c'est comme
le diable fait tout au rebours de bien. Il y a aussi des femmes
qui entrent en ces furies, mais ils ne font tant de mal, ils
marchent à quatre pattes, comme bestes: ce que voyant, ce
93/581 Magicien appelle l'Oqui, commance à chanter, puis avec quelques
mines la soufflera, luy ordonnant à boire de certaines eaues, &
qu'aussitost elle face un festin, soit de poisson, ou de chair,
qu'il faut trouver, encores qu'il toit rare pour lors,
neantmoins est aussitost fait. La crierie faite, & le banquet
finy, ils s'en retournent chacun en sa cabanne, jusques à une
autre fois qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant
avec plusieurs autres, appellez pour cet effect, tenans en la
main une tortue seiche, remplie de petits cailloux qu'ils font
servir[140] aux oreilles de la mallade, luy ordonnant qu'elle
doit faire 3 ou 4 festins tout de suitte, une partie de
chanterie, & dancerie, où toutes les filles se trouvent parées,
& paintes, comme j'ay representé en la figure G. Ledit Oqui
ordonnera qu'il se face des mascarades, & soient desguisez,
comme ceux qui courent le Mardy gras par les rues, en France:
ainsi ils vont chanter prés du lict de la mallade, & se
promènent tout le long du Village cependant que le festin se
prépare pour recevoir les masques qui reviennent bien las,
ayans pris assez d'exercice pour vuider le Migan de la
chaudière.
[Note 140: Lisez _sonner_.]
Leurs coustumes sont, que chacun mesnage vit de ce qu'il peut
pescher & semer, ayant autant de terre comme il leur est
necessaire: ils la desertent avec grand'peine, pour n'avoir des
instruments propres pour ce faire: une partie d'eux esmondera
les arbres de toutes ses branches qu'ils font brusler au pied
dudit arbre pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre
entre les arbres, & puis sement leur bled de pas en pas, où ils
94/582 mettent en chacun endroict quelques dix grains, ainsi
continuant jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou
quatre ans de provision, craignant qu'il ne leur succede
quelque mauvaise année. Ces femmes ont le soing de semer, &
cueillir, comme j'ay dict cy-devant, & de faire la provision de
bois pour l'hyver, toutes les femmes s'aydent à faire leur
provision de bois, qui[141] font dés le mois de Mars, & Avril,
& est avec cet ordre en deux jours. Chaque mesnage est fourny
de ce qui luy est necessaire, & si il se marie une fille,
chacune femme, & fille, est tenue de porter à la nouvelle
mariée un fardeau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle
ne le pourroit faire seulle, & hors de saison qu'il faut
vacquer à autre chose. Le gouvernement qui est entr'eux est
tel, que les anciens & principaux s'assemblent en un conseil,
où ils décident, & proposent, tout ce qui est de besoing, pour
les affaires du Village: ce qui se fait par la pluralité des
voix[142], ou du conseil de quelques-uns d'entr'eux, qu'ils
estiment estre de bon jugement, & meilleur que le commun: Il
est prié de la compagnie de donner son advis sur les
propositions faites, lequel advis est exactement suivy: Ils
n'ont point de Chefs particuliers qui commandent absolument,
mais bien portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillants
qu'il nommera[143] Cappitaines par honneur, & un respect, &
desquels il se trouve plusieurs en un Village: bien est-il vray
95/583 qu'ils portent à quelqu'un plus de respect qu'aux autres, mais
pour cela il ne faut qu'il s'en prevalle, ny qu'il se doibve
estimer plus que ses compagnons, si ce n'est par vanité. Quant
pour les chastiments, ils n'en usent point, ny aussi de
commandement absolu, ains ils font le tout par prières des
anciens, & à force de harangues, & remonstrances, ils font
quelque chose, & non autrement, ils parlent tous en général, &
là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de
faire quelque chose pour le bien du Village, ou aller en
quelque part pour le service du commun, on fera venir celuy là
qui s'est ainsi offert, & si on le juge capable d'exécuter ce
desseing proposé, on luy remonstre par belles, & bonnes
parolles, son debvoir: on luy persuade qu'il est homme hardy,
propres aux entreprises, qu'il aquerra de l'honneur à
l'exécution d'icelles: bref les flattent par blandissements,
affin de luy continuer, voire augmenter ceste bonne volonté
qu'il a au bien de ses Concitoyens: or s'il luy plaist il
accepte la charge, ou s'en excusera, mais peu y manquent,
d'autant que de là ils sont tenus en bonne réputation: Quant
aux guerres qu'ils entreprennent, ou aller au pays des ennemis,
ce seront deux, ou trois, des anciens, ou vaillans Cappitaines,
qui entreprendront cette conduitte pour ceste fois, & vont aux
Villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en donnant
des presents à ceux desdits Villages, pour les obliger d'aller,
& les accompagner à leursdictes guerres, & par ainsi sont comme
généraux d'armées: ils designent le lieu où ils veullent aller
& disposent des prisonniers qui sont pris, & autres choses de
plus grande consequence, dont ils ont l'honneur s'ils font
96/584 bien, s'ils font mal le deshonneur, à sçavoir de la guerre leur
en demeure [144], n'ayant veu, ny recognu, autres que ces
Cappitaines pour chefs de ces nations (145). Plus ils font des
assemblées generalles, sçavoir des régions loingtaines, d'où il
vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, & se
trouvent en une ville qu'ils nomment, qui est le randés-vous de
toute l'assamblée, où il se faict de grands festins, & dances,
97/585 durant trois [146] sepmaines, ou un mois, selon qu'ils advisent
entre eux, & là contractent amitié de nouveau, décidant &
ordonnant ce qu'ils advisent, pour la conservation de leur
pays, contre leurs ennemis, & là se donnent aussi de grands
presents les uns aux autres, & après avoir fait ils se retirent
chacun en son quartier.
[Note 141: Qu'ils.]
[Note 142: «Qu'ils colligent, ajoute Sagard, avec de petits fétus de
joncs.» (Hist., p. 421.)]
[Note 143: Qu'ils nomment.]
[Note 144: Dans l'édition de 1627, on a retouché ce passage de la
manière suivante: _dont ils ont l'honneur s'ils font bien, s'ils font
mal le deshonneur, à sçavoir de la victoire ou du courage, n'en ayant
veu,_ etc. Cette correction ne nous paraît pas heureuse; aussi est-il
probable qu'elle n'a pas été faite, ni même suggérée par l'auteur, de
même que la plupart des autres changements qui ont été faits dans cette
édition de 1627. On sait que Champlain passa toute cette année 1627 au
Canada, occupé de bien autre chose que de corrections d'épreuves.]
[Note 145: Cette dernière phrase devrait être détachée de ce qui
précède. Voici comment le P. Brebeuf complète et en même temps apprécie
la relation de Champlain sur cette matière: «Je ne parle point de la
conduite qu'ils tiennent en leurs guerres, & de leur discipline
militaire, cela vient mieux à Monsieur de Champlain qui s'y est trouvé
en personne, & y a commandé; aussi en a-t'il parlé amplement, & fort
pertinemment, comme de tout ce qui regarde les moeurs de ces nations
barbares... Pour ce qui regarde l'autorité sde commander, voicy ce que
j'en ay remarqué. Toutes les affaires des Hurons se rapportent à deux
chefs: les unes sont comme les affaires d'Estat, soit qu'elles
concernent ou les citoyens, ou les Estrangers, le public ou les
particuliers du Village, pour ce qui est des festins, danses, jeux,
crosses, & ordre des funérailles. Les autres sont des affaires de
guerre. Or il se trouve autant de sortes de Capitaines que d'affaires.
Dans les grands Villages il y aura quelquefois plusieurs Capitaines tant
de la police, que de la guerre, lesquels divisent entre eux les familles
du Village, comme en autant de Capitaineries; on y void mesme par fois
des Capitaines, à qui tous ces gouvernemens se rapportent à cause de
leur esprit, faveur, richesses, & autres qualitez, qui les rendent
considerables dans le Pays. Il n'y en a point, qui en vertu de leur
élection soient plus grands les uns que les autres. Ceux là tiennent le
premier rang, qui se le sont acquis par leur esprit, éloquence,
magnificence, courage, & sage conduite, de sorte que les affaires du
Village s'addressent principalement à celuy des Capitaines, qui a en luy
ces qualitez; & de mesme en est-il des affaires de tout le Pays, où les
plus grands esprits sont les plus grands Capitaines, & d'ordinaire il
n'y en a qu'un qui porte le faix de tous. C'est en son nom que se
passent les Traictez de Paix avec les Peuples estrangers; le Pays mesme
porte son nom... Il faut qu'un Capitaine fasse estat d'estre quasi
toujours en campagne: si on tient Conseil à cinq ou six lieues pour les
affaires de tout le Pays, Hyver ou Esté en quelque saison que ce soit il
faut marcher: s'il se fait une Assemblée dans le Village, c'est en la
Cabane du Capitaine: s'il y a quelque chose à publier, c'est à luy à le
faire; & puis le peu d'authorité qu'il a d'ordinaire sur ses sujets,
n'est pas un puissant attrait pour accepter cette charge. Ces Capitaines
icy ne gouvernent pas leurs sujets par voye d'empire, & de puissance
absolue; ils n'ont point de force en main, pour les ranger à leur
devoir. Leur gouvernement n'est que civil, ils representent seulement ce
qu'il est question de faire pour le bien du Village, ou de tout le Pays.
Après cela se remue qui veut. Il y en a neantmoins, qui sçavent bien se
faire obeyr, principalement quand ils ont l'affection de leurs sujets.»
(Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. VI.)]
[Note 146: L'édition de 1627 porte _cinq_.]
Pour ce qui est de l'enterrement des deffuncts, ils prennent le
corps du décédé, l'enveloppent de fourreures, le couvrent
d'escorces d'arbres fort proprement, puis ils l'eslevent sur
quatre pilliers, sur lesquels ils font une cabanne, couverte
d'escorces d'arbres, de la longueur du corps: autres qu'ils
mettent en terre, où de tous costez la soustiennent, de peur
qu'elle ne tombe sur le corps & la couvrent d'escorces
d'arbres, mettans de la terre par dessus, & aussi sur icelle
fosse font une petite cabanne. Or il faut entendre que ces
corps ne sont en ces lieux ainsi inhumez que pour un temps,
comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du Village adviseront
le lieu où se doibvent faire leurs cérémonies, ou pour mieux
dire, ils tiennent un conseil général, où tous ceux du païs
assistent pour dessigner le lieu où se doibt faire la feste. Ce
fait, chacun s'en retourne à son Village, & prennent tous les
ossements des deffuncts, qu'ils nettoyent, & rendent fort nets,
& les gardent soigneusement, encores qu'ils sentent comme des
corps fraischement enterrez: ce fait, tous les parents, & amis
des deffuncts, prennent lesdicts os avec leurs colliers,
fourreures, haches, chaudières, & autres choses qu'ils estiment
de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au lieu
destiné, & estans tous assemblez, ils mettent les vivres en un
98/586 lieu, où ceux de ce village en ordonnent, faisant des festins,
& dances continuelles l'espace de dix jours que dure la feste,
& pendant icelle les autres nations de toutes parts y abordent,
pour voir ceste feste, & les cérémonies qui s'y font, & qui
sont de grands frais entr'eux. Or par le moyen de ces
cérémonies, comme dances, festins, & assemblées ainsi faictes,
ils contractent une nouvelle amitié entr'eux, disans que les os
de leurs parents, & amis, sont pour estre mis tous ensemble,
posant une figure, que tout ainsi que leurs os sont assemblez &
unis en un mesme lieu, ainsi aussi que durant leur vie ils
doivent estre unis en une amitié, & concorde, comme parents, &
amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os des uns & des autres
parents & amis, estans ainsi meslez ensemble, font plusieurs
discours sur ce subject, puis après quelques mines, ou façons
de faire, ils font une grande fosse de dix thoises en quarré,
dans laquelle ils mettent cesdits os avec les colliers,
chaisnes de pourcelines, haches, chaudières, lames d'espées,
cousteaux, & autres bagatelles, lesquelles neantmoins ne sont
pas de petite valleur parmy eux, & couvrent le tout de terre, y
mettant plusieurs grosses pièces de bois, avec quantité de
pilliers qu'ils mettent à l'entour, faisant une couverture sur
iceux. Voila la façon dont ils usent, pour les morts, c'est la
99/587 plus grande cérémonie qu'ils ayent entr'eux[147]: Aucuns d'eux
croyent l'immortalité des âmes, autre partie en doubtent, &
neantmoins ils ne s'en esloignent pas trop loing, disans
qu'après leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme
les corbeaux, mais ce chant est bien différent de celuy des
Anges. En la page suivante est representé leurs tombeaux, & de
la façon qu'ils les enterrent.
[Note 147: «La feste des Morts,» dit le P. Brebeuf, «est la cérémonie la
plus célèbre qui soit parmy les Hurons; ils luy donnent le nom de
festin, d'autant que, comme je diray tout maintenant, les corps estans
tirez des Cimetières, chaque Capitaine fait un festin des âmes dans son
Village: le plus considerable & le plus magnifique est celuy du Maistre
de la Feste, qui est pour ceste raison appellé par excellence le Maistre
du festin. Cette Feste est toute pleine de cérémonies, mais vous diriez
que la principale est celle de la chaudière, cette-cy étouffe toutes les
autres, & on ne parle quasi de la feste des Morts, mesmes dans les
Conseils les plus serieux, que sous le nom de chaudière: ils y
approprient tous les termes de cuisine; de sorte que pour dire avancer
ou retarder la feste des Morts, ils diront déliter, ou attiser le feu
dessous la chaudière: & quand on est sur ces termes, qui diroit la
chaudière est renversée, ce feroit à dire, il n'y aura point de feste
des Morts.» (Relation du pays des Hurons, 1636, seconde partie, ch. IX.)
Le même Père, qui fut témoin de la grande fête des Morts de 1636,
rapporte toutes les circonstances de cette cérémonie, lesquelles sont
parfaitement d'accord avec ce que dit ici Champlain :«Retournant de
ceste feste,» ajoute-t-il, «avec un Capitaine qui a l'esprit fort bon, &
est pour estre quelque jour bien avant dans les affaires du Païs, je luy
demanday pourquoy ils appelloient les os des morts _Atisken_. Il me
repondit du meilleur sens qu'il eust, & je recueilly de son discours,
que plusieurs s'imaginent que nous avons deux âmes, toutes deux
divisibles & matérielles, & cependant toutes deux raisonnables; l'une se
separe du corps à la mort, & demeure neantmoins dans le Cimetière
jusques à la feste des Morts, après laquelle, ou elle se change en
Tourterelle, ou selon la plus commune opinion, elle s'en va droit au
village des âmes. L'autre est comme attachée au corps & informe, pour
ainsi dire, le cadavre, & demeure en la fosse des morts, après la feste,
& n'en fort jamais, si ce n'est que quelqu'un l'enfante de rechef. Il
m'apporta pour preuve de cette metempsychose, la parfaite ressemblance
qu'ont quelques-uns avec quelques personnes défuntes; Voila une belle
Philosophie. Tant y a, que voila pourquoy ils appellent les os des
morts, _Atisken_, les âmes.» (_Ibid._)]
[Illustration p. 587a]
Reste de sçavoir comme ils passent le temps en hyver, à sçavoir
depuis le mois de Décembre, jusques à la fin de Mars, qui est
le commencement de nostre Printemps, & que les neiges sont
fondues, tout ce qu'ils pourroient faire durant l'Automne,
comme j'ay dict cy-dessus, ils le reservent à faire durant
l'hyver, à sçavoir leurs festins & dances ordinaires en la
façon qu'ils les font, pour, & en faveur des malades, comme
j'ay representé cy-dessus, & ce, convient les habitans d'un
village à l'autre, & appelle-on ces festins de chanteries, &
dances, _Tabagis_[148], où se trouveront quelquesfois cinq
100/588 cents personnes, tant hommes que femmes, & filles, lesquels y
vont bien attifées, & parées, de ce qu'elles ont de beau & plus
précieux, & à certains jours ils font des mascarades, & vont
par les cabannes les uns des autres, demandans les choses
qu'ils auront en affection, & s'ils se rencontre qu'ils
l'ayent, à sçavoir la chose demandée, ils la leur donnent
librement, & ainsi demanderont plusieurs choses, jusques à
l'infiny, de façon que tel de ces demandeurs auront des robbes
de Castors, d'Ours, de Cerfs, de Loups cerviers, & autres
fourreures, Poisson, bled d'Inde, Pethun, ou bien des
chauderons, chaudières, pots, haches, serpes, cousteaux &
autres choses semblables, allans aux maisons, & cabannes du
Village chantants (ces mots) un tel m'a donné cecy, un autre
m'a donné cela, & telles semblables parolles par forme de
louange: & s'ils voyent qu'on ne leur donne rien, ils se
faschent, & prendra tel humeur à l'un d'eux, qu'il tordra hors
la porte, & prendra une pierre & la mettera auprès de celuy, ou
celle, qui ne luy aura rien donné, & sans dire mot s'en
retournera chantant, qui est une marque d'injure, reproche, &
mauvaise volonté. Les femmes y vont aussi bien que les hommes &
ceste façon de faire se faict la nuict, & dure ceste mascarade
sept ou huict jours. Il se trouve aucuns de leurs villages qui
tiennent, & reçoivent les momons, ou fallots[149], comme nous
101/589 faisons le soir du Mardy gras, & dément les autres villages à
venir les voir & gaigner leurs ustancilles, s'ils peuvent, &
cependant les festins ne manquent point, voila comme ils
passent le temps en hyver: aussi que les femmes filent[150], &
pilent des farines pour voyager en esté pour leurs maris qui
vont en traffic à d'autres nations, comme ils ont délibéré
ausdits conseils, sçavoir la quantité des hommes qui doibvent
partir de chaque village pour ne les laisser desgarny d'hommes
de guerres, pour se conserver, & nul ne sort du païs sans le
commun consentement des chefs, bien qu'ils le pourroient faire,
mais ils seroient tenus comme mal appris. Les hommes font les
rets pour pescher, & prendre le poisson en esté comme en hyver,
qu'ils peschent ordinairement, & prennent le poisson jusques
soubs la glace à la ligne, ou à la seine.
[Note 148: Ce mot tabagie n'est pas d'origine huronne. Il était employé
parmi les nations algonquines, montagnaises et en général parmi les
sauvages du bas du fleuve. Suivant le P. Brebeuf, les Hurons avaient
quatre espèces principales de festins: _l'athatayon_, festin d'adieu;
_l'enditeuhoua_, festin de réjouissance; _l'atourontoachien, festin de
chanterie, et l'aoutaerohi, qui se faisait pour la délivrance de
certaine maladie. (Relat. 1636.)]
[Note 149: «Ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages,» dit
Sagard, «ce que nous appelons en France porter les momons: car ils
deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir,
jouer avec eux, & gaigner leurs ustencilles, s'il eschet, & cependant
les festins ne manquent point.» (Grand Voyage du pays des Hurons, p.
124.)]
[Note 150: «Elles ont, dit Sagard, l'invention de filer le chanvre sur
leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce
filet les hommes en lassent leurs rets & filets.» (Grand Voy., p. 131.)]
Et la façon de ceste pesche est telle, qu'ils font plusieurs
trous en rond sur la glace & celuy par où ils doibvent tirer la
seine à quelque cinq pieds de long, & trois pieds de large,
puis commancent par ceste ouverture à mettre leur filet,
lesquels ils attachent à une perche de bois, de six à sept
pieds de long, & la mettent dessoubs la glace, & font courir
ceste perche de trou en trou, où un homme, ou deux, mettent les
mains par les trous, prenant la perche où est attaché un bout
du filet, jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de
cinq à six pieds. Ce faict, ils laissent cou lier le rets au
fonds de l'eau, qui va bas, par le moyen de certaines petites
102/590 pierres qu'ils attachent au bout, & estans au fonds de l'eau,
ils le retirent à force de bras par les deux bouts, & ainsi
amènent le poisson qui se trouve prins dedans. Voila la façon
en bref comme ils en usent pour leur pesche en hyver.
L'hyver commance au mois de Novembre, & dure jusques au mois
d'Avril, que les arbres commancent à pousser leur ceve dehors,
& à montrer le bouton.
Le 22e jour du mois d'Avril, nous eusmes nouvelles de nostre
truchement, qui estoit allé à Carentoüan par ceux qui en
estoient venus, lesquels nous dirent l'avoir laissé en chemin,
& s'en estoit retourné au Village pour certaines considerations
qui l'avoient meu à ce faire [151].
[Note 151: Les aventures d'Étienne Brûlé sont rapportées un peu plus
loin.]
Et reprenant le fil de mes discours, nos Sauvages
s'assemblerent pour venir avec nous, & reconduire à nostre
habitation, & pour ce faire nous partismes[152] de leur pays le
vingtiesme jour dudit mois[153], & fusmes quarante jours sur
103/591 les chemins, & pechasmes grande quantité de poisson & de
plusieurs especes, comme aussi nous prismes plusieurs sortes
d'animaux, avec du gibier, qui nous donna un singulier plaisir,
outre la commodité que nous en receusmes par le chemin, jusques
à ce que nous arrivasmes à nos François, qui fut sur la fin du
mois de juing, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu
de France, avec deux vaisseaux, qui desesperoient presque de me
revoir, pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des
Sauvages, sçavoir que j'estois mort.
[Note 152: Tout ce qu'il y avait de Français avec Champlain, y compris
le P. le Caron. Il ne manquait apparemment qu'Étienne Brûlé; du moins,
on ne trouve nulle part qu'il en soit mort aucun pendant cette
expédition, ni pendant l'hiver passé au pays des Hurons.]
[Note 153: Le 20 de mai, puisque l'on fut «quarante jours jur les
chemins,» et qu'on arriva aux Français sur la fin du mois de juin; c'est
ce que confirme, du reste, le passage suivant du Frère Sagard: «Ce bon
Père» (le P. le Caron) «partit donc de son village, pour Kebec le 20 de
May 1616. dans l'un des Canots Hurons, desstinez pour descendre à la
Traicte; & firent tant par leurs diligences qu'ils arriverent aux trois
Rivieres le premier jour de juillet ensuivant, où ils trouverent le P.
Dolbeau qui si estoit rendu dans les barques des Navires nouvellement
arrivées de France pour la mesme Traicte. Après qu'ils se furent
entresaluez & rendu les actions de grâces à Dieu nostre Seigneur, le bon
Père Dolbeau leur aprit comme dés le 24e jour du mois de Mars passé, il
avoit ensepulturé un François nommé Michel Colin, avec les cérémonies
usitées en la saincte Eglise Romaine, qui fut le premier qui receut
cette grâce là dans le païs... Le 15 du mesme mois,» (de juillet) «le P.
Dolbeau donna pour la première fois l'Extreme-onction à une femme nommée
Marguerite Vienne, qui estoit arrivée la mesme année dans le Canada avec
son mary pensans s'y habituer, mais qui tomba bientost malade après son
débarquement, & mourut dans la nuict du 19, puis enterrée sur le soir
avec les cérémonies de la saincte Eglise.» (Hist. du Canada, p. 30,
31.)]
Nous vismes aussi tous les Pères Religieux [154], qui estoient
demeurez à nostre habitation, lesquels aussi furent fort
contents de nous revoir, & nous d'autrepart qui ne l'estions
pas moins. Toutes réceptions, & caresses, ainsi faictes, je me
disposé de partir du sault Sainct Louys, pour aller à nostre
habitation, & mené mon hoste appelle d'Arontal avec moy, ayants
prins congé de tous les autres Sauvages, & après que je les eu
asseurez de mon affection, & que si je pouvois je les verrois à
l'advenir pour les assister comme j'avois des-jà faict par le
passé, & leur porteroient des presents honnestes, pour les
entretenir en amitié, les uns avec les autres, les priant
d'oublier toutes les disputes qu'ils avoient eues ensemble,
lors que je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent.
[Note 154: Cette phrase semble mise ici par anticipation; car, outre
qu'il est peu probable qu'aucun des Pères ne fût resté à l'habitation,
le texte de Sagard cité à la page précédente, note 3, donne assez à
entendre que le P. d'Olbeau monta seul, et ne fut pas plus loin que les
Trois-Rivières.]
Ce fait, nous partismes le huictiesme jour de Juillet, &
arrivasmes à nostre habitation le 11 dudict mois, où estant, je
104/592 trouvay tout le monde en bon estat, & tous ensemble rendismes
grâces à Dieu, avec nos Pères Religieux, qui chantèrent le
service divin, en le remerciant du soing qu'il avoit eu de nous
conserver, & preserver, de tant de périls & dangers, où nous
estions trouvez.
Après ces choses, & le tout estant en repos, je me mis en
debvoir de faire bonne chère à mon hoste d'Arontal, lequel
admiroit nostre bastiment, comportement, & façons de vivre, &
nous ayant bien consideré, il me dit en particulier qu'il ne
mourroit jamais content, qu'il ne vist tous ses amis, ou du
moins bonne partie, venir faire leur demeurance avec nous pour
apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie qu'il
estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur, & que ce
qu'il ne pouvoit comprendre par le discours il l'apprendroit, &
beaucoup mieux, & plus facillement par la veue, & fréquentation
familière qu'ils auroient avec nous, & que si leur esprit ne
pouvoit comprandre l'usage de nos arts, sciences, & mestiers,
que leurs enfans qui sont jeunes le pourront faire comme ils
nous avoient souvent dict, & representé, en leur pays, en
parlant au Père Joseph, & que pour l'advancement de cet oeuvre
nous faisions une autre habitation au sault Sainct Louys, pour
leur donner la seureté du passage de la riviere pour la crainte
de leurs ennemis, & qu'aussi-tost que nous aurions basty une
maison ils viendront en nombre à nous pour y vivre comme
frères: ce que je leur promis & asseuré, faire à sçavoir une
habitation pour eux, au plustost qu'il nous seroit possible.
105/593 Et après avoir demeuré quatre ou cinq jours ensemble, je luy
donnay quelques honnestes dons, il se contenta fort, le priant
tous-jours de nous aymer, & de retourner voir nostredite
habitation, avec ses compagnons, & ainsi s'en retourna contant
au sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient.
Comme ce Cappit. appellé d'Arontal, fut party d'avec nous nous
fismes bastir, fortifier & accroistre nostre-ditte habitation
du tiers, pour le moins, par ce qu'elle n'estoit suffisamment
logeable, & propre pour recevoir, tant ceux de nostre
compagnie, qu'autres estrangers qui nous venoient voir, &
fismes le tout bien bastir de chaux, & sable, y en ayant trouvé
de tresbonne, en un lieu proche de ladite habitation, qui est
une grande commodité pour bastir, à ceux qui s'y voudront
porter, & habituer.
Les Père Denis, & Père Joseph se délibérèrent de s'en revenir
106/594 en France[155], pour témoigner par deçà tout ce qu'ils avoient
veu, & l'esperance qu'ils se pouvoient promettre de la
conversion de ces premiers peuples, qui n'attendoient autre
secours que l'assistance des bons Pères Religieux, pour estre
convertis, & amenez, à nostre foy, & Religion Catholique.
[Note l55: «Selon le projet formé dés l'année précédente,» dit le P. le
Clercq, «nos Religieux dévoient se trouver à Québec au mois de Juillet
de l'année presente, pour faire ensemble un rapport fidel de leurs
connoissances, & convenir de ce qu'il y auroit à entreprendre pour la
gloire de Dieu. Ils prièrent Monsieur de Champlain d'y assister, le
connoissant autant zélé pour l'établissement de la Foi, comme pour le
temporel de la Colonie, & six autres personnes des mieux intentionnées.
Pour le bien du païs, ils convinrent tous d'un commun accord, des
articles suivans, exprimez plus au long dans nos mémoires qui subsistent
encore aujourd'huy... Il paroist donc qu'il fut conclu; Qu'à l'égard des
nations du bas du Fleuve, & de celles du Nord, qui comprennent les
Montagnais, Etéchemins, Betsiamites, & Papinachois, les grands & petits
Eskimaux,... il faudroit beaucoup de temps pour les humaniser: Que par
le rapport de ceux qui avoient visité les côtes du Sud, les rivières du
Loup, du Bic, des Monts Nôtre-Dame, & pénétré même par les terres
jusqu'à la Cadie, Cap Breton, & Baye des chaleurs, l'Isle percée, &
Gaspé, le païs estoit plus tempéré, & plus propre à la culture, qu'il y
auroit des dispositions moins éloignées pour le Christianisme, les
peuples y ayant plus de pudeur, de docilité, & d'humanité que les
autres. Qu'à l'égard du haut du fleuve, & de toutes les nations
nombreuses, des Sauvages, que Monsieur de Champlain, & le Père Joseph
avoient visité par eux-mêmes, ou par d'autres,... on ne reussiroit
jamais à leur conversion, si avant que de les rendre Chrestiens, on ne
les rendoit hommes. Que pour les humaniser il falloit necessairement,
que les François se mélassent avec eux, & les habituer parmy nous, ce
qui ne se pourroit faire que par l'augmentation de la Colonie, à
laquelle le plus grand obstacle estoit de la part des Messieurs de la
compagnie, qui pour s'attirer tout le commerce, ne vouloient point
habituer le païs, ny souffrir même que nous rendissions les Sauvages
sedentaires, sans quoy on ne pouvoit rien avancer pour le salut de ces
Infidèles. Que les Protestans, ou Huguenots, ayant la meilleure part au
commerce, il estoit à craindre, que le mépris qu'ils faisoient de nos
mysteres, ne retardât beaucoup l'établissement de la Foi. Que même le
mauvais exemple des François pourroit y estre préjudiciable, si ceux qui
avoient authorité dans le païs n'y donnoient ordre. Que la million
estoit pénible & laborieuse parmy des nations si nombreuses, & qu'ainsi
on avanceroit peu, si on n'obtenoit de Meilleurs de la compagnie un plus
grand nombre de Missionnaires defrayez. Nous voyons encore par l'état de
leur projet, que tous convinrent qu'il faudrait plusieurs années, & de
grands travaux pour humaniser ces nations entièrement grossieres, &
barbares, & qu'à l'exception d'un très-petit nombre de sujecs, encore
fort douteux, on ne pourroit risquer les Sacremens à des adultes, c'est
ce qui se voit encore aujourd'huy; car depuis tant d'années, on a fort
peu avancé, quoy qu'on ait beaucoup travaillé. Il paroist enfin qu'il
fut conclu qu'on n'avanceroit rien, si l'on ne fortifioit la Colonie
d'un plus grand nombre d'Habitans. Laboureurs, & artisans: que la
liberté de la traitte avec les Sauvages, fut indifféremment permise à
tous les François. Qu'à l'avenir les Huguenots en fussent exclus, qu'il
estoit necessaire de rendre les Sauvages sedentaires, & les élever à nos
manières, & à nos loix. Qu'on pourroit avec le secours des personnes
zélées de France établir un Séminaire, afin d'y élever des jeunes
Sauvages au Christianisme, lesquels après pourroient avec les
Missionnaires contribuer à l'instruction de leurs compatriotes. Qu'il
falloit necessairement soutenir les Millions que nos Pères avoient
établies tant en haut qu'au bas du Fleuve, ce qui ne se pouvoit faire,
si Messieurs les associez ne temoignoient toute l'ardeur qu'on pouvoit
esperer de leur zèle, quand ils feroient informez de tout d'une autre
manière, qu'ils ne l'estoient en France par le rapport des commis qu'ils
avoient envoyé sur les lieux l'année précédente; Monsieur le Gouverneur,
& nos Pères n'ayant pas sujet d'en estre contens. C'est à peu prés
l'abbregé des conclusions qui furent prises dans cette petite assemblée
de nos Missionnaires, & des personnes les mieux intentionnées pour
l'établissement spirituel & temporel de la Colonie; mais comme rien ne
se pouvoit faire sans l'aide de la France, Monsieur de Champlain qui
avoit dessein d'y passer, pria le P. Commissaire & le P. Joseph de l'y
accompagner, pour faire rapport de tout, & obtenir plus efficacement
tous les secours necessaires. Ils eurent assez de peine à s'y rendre,
mais enfin considerant de quelle importance il estoit de jetter les
solides fondemens de leur entreprise, ils se rendirent aux persuasions &
aux instances de la compagnie, & disposerent tout pour leur départ.»
(Prem, établiss. de la Foy, t. I, p. 91. et s.)]
Ce fait, & pendant mon sejour en l'habitation, je fis coupper
du bled commun, à sçavoir, du bled François qui y avoit esté
semé, & lequel y estoit eslevé tresbeau, affin d'en apporter du
grain en France, & tesmoigner que ceste terre est bonne, &
fertile: aussi d'autre-part y avoit-il du bled d'Inde fort
107/595 beau, & des antes, & arbres, que nous avoit donné le Sieur du
Mons en Normandie: bref tous les jardinages du lieu estants en
admirable beauté, semez en poix, febves, & autres légumes,
sitrouilles, racines de plusieurs sortes & très-bonnes par
excellences, plantez en choux, poirées, & autres herbes
necessaires. Nous estans sur le point de nostre partement, nous
laissasmes deux de nos Religieux à nostre habitation, à sçavoir
le Pères Jean d'Elbeau, & Père Paciffique[156], fort contant de
tout le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y
attendre le retour du Père Joseph qui les debvoit retourner
voir comme il fist l'année suivante[157].
[Note 156: Le P. Jean d'Olbeau et le Frère Pacifique. (Voir ci-dessus,
notes de la page 7.)]
[Note 157: Le P. le Caron revint l'année suivante avec le P. Paul Huet;
mais le P. Denis Jamay demeura en France. «La Province des Recollets,»
dit le P. le Clercq, «offrit assez de sujets; mais Messieurs de la
compagnie, allant un peu trop à l'épargne, n'accordèrent place que pour
deux. Les Supérieurs jugèrent que le Père Denis cy-devant Commissaire
devoit rester en France, parce qu'estant instruit à fonds de l'état du
Canada, il pourroit mieux que personne en gérer les affaires, & en
procurer les avantages en Cour, & ailleurs. On designa donc le Père
Joseph le Caron pour Commissaire des Missions, & parmy le grand nombre
de Religieux qui se presentoient, on luy donna le Père Paul Huet pour
second.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 104, 105.)]
Nous embarquasmes en nos barques le vingtiesme jour de Juillet,
& arrivasmes à Tadoussac le vingt-troisiesme jour dudit mois, &
où le sieur du Pont nous attendoit avec son vaisseau prest &
appareillé, dans lequel nous ambarquasmes, & partismes le
troisiesme jour du mois d'Aoust, & eusmes le vent si à propos,
que nous arrivasmes à Honfleur en santé, grâces à Dieu, qui fut
le 10e jour de Septembre, mil six cents seize, ou estants
arrivez, nous rendismes louange & actions de grâces à Dieu, de
tant de soing qu'il avoit eu de nous en la conservation de nos
vies, & de nous avoir comme arrachez, & tirez, de tant de
108/596 hazards où nous avions esté exposez, comme aussi de nous avoir
ramenez & conduits en santé, jusques dans nostre patrie, le
priant aussi d'esmouvoir le coeur de nostre Roy & Nosseigneurs
de son Conseil, pour y contribuer de ce qui est necessaire de
leur assistance, affin d'amender ces pauvres peuples Sauvages à
la cognoissance de Dieu, dont l'honneur reviendra à sa Majesté,
la grandeur & l'accroissement de son estat, & l'utilité à ses
sujects, & la gloire de tous ces desseings, & labeur, à Dieu
seul autheur de toute perfection, à luy donc soit honneur, &
gloire. Amen[158].
[Note 158: On voit que Champlain avait les sentiments d'un vrai
missionnaire; malheureusement les marchands associes n'étaient pas
poussés du même zèle. «Messieurs de la societé,» dit Sagard, «furent
fort ayse de voir le bon Père Joseph comme une personne de créance, &
d'apprendre de luy mesme du succez de son voyage, du bien qu'il leur
faisoit esperer pour le spirituel & temporel du païs, & du zèle qu'il
avoit pour la conversion des Sauvages, neantmoins avec tout cela, il ne
peut obtenir d'eux autre chose qu'un remerciement de ses travaux & une
réitération de leur bonne volonté à l'endroit de nos Pères, sans autre
effect. C'est ce qui obligea ce bon Père de chercher ailleurs le secours
qu'il n'avoit pu trouver en ceux qui y estoient obligez, & de penser de
son retour en Canada en la compagnie du P. Paul Huet, puis que de parler
de peuplades & de Colonies, estoit perdre temps, & glacer des coeurs
des-ja assez peu eschauffez, jusques à ce qu'il pleust à nostre Seigneur
inspirer luy mesme les puissances superieures d'y donner ordre, puis que
les subalternes n'y vouloient entendre, & ne s'interessoient qu'à leur
interest propre.» (Histoire du Canada, p. 32.)]
1617
En 1617, Champlain fit au Canada un voyage, «où il ne se passa rien de
remarquable,» dit-il dans l'édition de 1632 (Prem. partie, p. 214.)
Cependant nous devons savoir gré au Frère Sagard et au P. le Clercq, de
nous en avoir conservé quelques détails. «Monsieur de Champlain de sa
part,» dit celui-ci, n'oublioit rien pour soutenir son entreprise,
malgré tous les obstacles qu'il y rencontroit à chaque pas, il ne laissa
pas de disposer un embarquement plus fort que le précèdent, mais on peut
dire que ce qu'il obtint de plus avantageux, fut de persuader le Sieur
Hébert de passer en Canada avec toute sa famille qui a produit &
produira dans la suite de bons sujets, des plus considerables, & des
plus zelez pour la Colonie... Toutes choses estant prestes pour faire
voile, on leva l'anchre à Honfleur le 11 Avril 1617. Le vaisseau fut
commandé par le Capitaine Morel.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
104, 105.) La traversée fut longue et orageuse. Arrivés à environ
soixante lieues du grand Banc, nos voyageurs se virent entourés de
glaces immenses, que le vent et les courants poussaient avec violence
contre le vaisseau. Dans la consternation générale, «le Père Joseph,
voyant que tout le secours humain n'estoit point capable de les délivrer
du naufrage, demanda tres-instament celuy du Ciel par les voeux & les
prières qu'il fit publiquement dans le vaisseau. Il conseilla tout le
monde & se mit luy-même en état de paroistre devant Dieu. On fut touché
de compassion & sensiblement attendri, quand la Dame Hébert éleva par
les écoutils le plus petit de ses enfans, afin qu'il receut aussi bien
que tous les autres la bénédiction de ce bon Père. Ils n'echaperent que
109/597
par miracle, comme ils le reconnurent par les lettres écrites en
France.» (_Ibid._ p. 107.) «On avoit des-ja prié Dieu pour eux à Kebec,»
dit Sagard, «les croyans morts & submergez, lors que Dieu leur fist la
grâce de les delivrer & leur donner passage pour Tadoussac, où ils
arriverent à bon port le 14 jour de juin, après avoir esté treize
semaines & un jour en mer dans des continuelles apprehensions de la
mort, & si fatiguez qu'ils n'en pouvoient plus... Le P. Joseph monta à
Kebec dans les premières barques appareillées, pour aller promptement
asseurer les hyvernants de leur delivrance, & comme Dieu avoit eu soin
d'eux au milieu de leurs plus grandes afflictions & les avoit protégé.»
Sans doute, Champlain partit immédiatement avec le P. le Caron, pour
monter à Québec, comme il avait fait au voyage précédent. «Le P. Paul
resta à Tadoussac, où il célébra la S. Messe pour la première fois dans
une Chappelle qu'il bastit à l'ayde des Mattelots & du Capitaine Morel,
avec des rameaux & fueillages d'arbres le plus commodément que l'on
peut. Pendant le S. Sacrifice deux hommes décemment vestus estoient à
ses costés avec chacun un rameau en main pour en chasser les mousquites
& cousins, qui donnoient une merveilleuse importunité au Prestre, &
l'eussent aveuglé ou faict quitter le S. Sacrifice sans ce remède qui
est assez ordinaire & autant utile que facile. Le Capitaine Morel fist
en mesme temps tirer tous les canons de son bord, en action de grâce &
resjouissance de voir dire la saincte Messe où jamais elle n'avoit esté
célébrée, & après les prières faictes, pour rendre le corps participant
de la feste aussi bien que l'esprit, il donna à disner à tous les
Catholiques, & l'aprés midy on retourna derechef dans la Chappelle,
chanter les Vespres solemnellement, de manière que cet aspre desert en
ce jour là fut changé en un petit Paradis, où les louanges divines
retentissaient jusques au Ciel, au lieu qu'auparavant on n'y entendoit
que la voix des animaux qui courent ces aspres solitudes... Cette
Chappelle a subsisté plus de six années sus pied, bien qu'elle ne fust
bastie que de perches & de rameaux comme j'ay dit, mais la modestie &
retenue de nos Sauvages n'est pas seulement considerable en cela, mais
ce que j'admire encore davantage, est: qu'ils ne touchent point aux
barques ny aux chalouppes, que les François laissent sur la greve
pendant les hyvers, modestie que les François mesme n'auroient peut
estre pas en pareille liberté, s'ils n'avoient l'exemple des Sauvages...
Les affaires du Capitaine Morel estant expédiées à Tadoussac, on se mist
sous voile pour Kebec, où la necessité de toutes choses commençoit à
estre grande & importune aux hivernants, qui ne furent neantmoins gueres
soulagez par la venue des barques, qui ne leur donnèrent pour tout
rafraichissement, à 50 ou 60 personnes qu'ils estoient, qu'une petite
barrique de lard, laquelle un homme seul porta sur son espaule depuis le
port jusques à l'habitation, de manière qu'avant la fin de l'année, ils
tombèrent presque tous malades de la faim, & d'une certaine espece de
maladie qu'ils appellent le mal de la terre, qui les rendoit miserables
& languissants, & ce par la faute des chefs qui n'avoient pas fait
cultiver les terres, ou eu moyen de le faire... Le retour du P. Joseph
minuta un autre pareil voyage au P. Dolbeau qui croyoit y pouvoir opérer
davantage, & representer mieux les necessitez du païs, mais il eut
affaire avec les mesmes esprits, & tousjours aussi mal disposez au bien,
& partant n'y fist rien davantage que de perdre ses peines & s'en
retourner derechef en Canada en qualité de Commissaire avec le frère
Modeste Guines, aussi mal satisfaict de ces Messieurs qu'avoit esté le
P. Joseph. Ce peu d'ordre les fist à la fin resoudre de recommander le
tout à Dieu, sans se plus attendre aux marchands, & faire de leur costé
ce qu'ils pourroient, puis qu'il n'y avoit plus d'esperance de secours.
En suitte dequoy un chacun des Religieux se proposa un pieux &
particulier exercice avec l'ordre du R. P. Commissaire, les uns d'aller
hyverner avec les Montagnais, les autres d'administrer les Sacremens aux
François, & ceux qui ne pouvoient davantage chantoient les louanges de
nostre Dieu en la petite Chappelle, instruisoient les Sauvages qui les
venoient voir, & vacquoient à la saincte Oraison, & à ce qui estoit des
fonctions de Religieux. Pendant le voyage du P. Dolbeau, le P. Joseph
fist le premier Mariage qui se soit faict en Canada avec les cérémonies
de la S. Eglise, entre Estienne Jonquest Normand, & Anne Hébert, fille
aisnée du sieur Hébert, qui depuis un an estoit arrivé à Kebec, luy, sa
femme, deux filles & un petit garçon, en intention de s'y habituer... »
(Hist. du Canada, p. 34-41.) Le P. le Clercq donne à entendre que ce
premier, mariage, fait en Canada, eut lieu dans l'automne de 1617.
«Après le départ des navires,» dit-il, «le Père Supérieur célébra avec
les solemnitez ordinaires, le premier mariage qui se soit fait en Canada.
110/598
Ce fut entre le sieur Estienne Jonquest natif de Normandie, & la fille
aisnée du sieur Hébert.» Cependant le texte de Sagard laisse supposer
qu'Etienne Jonquest ne se serait marié que dans le printemps de 1618,
puisqu'en parlant de Louis Hebert cet auteur remarque qu'il était arrivé
à Québec depuis un an. Un autre point ou le P. le Clercq se trouve en
désaccord avec le Frère Sagard, c'est le motif du voyage du P. d'Olbeau.
D'après celui-ci, comme nous venons de le voir, le P. d'Olbeau aurait
entrepris le voyage uniquement par l'espoir de faire mieux que ses
devanciers: tandis que suivant le P. le Clercq, «les périls du voyage
engagèrent Champlain à demander le P. Jean Dolbeau au Père Commissaire,
afin de l'accompagner en France.» (Prem. établiss. de la Foy, l. I, p.
111, 112.) Ce qu'il y a d'assez probable, c'est que Champlain avait à la
fois ces deux motifs de demander le P. d'Olbeau.
[Illustration]
111/599
[Illustration]
_CONTINUATION DES VOYAGES & découvertures faictes en la
nouvelle France par ledit Sieur de Champlain, Cappitaine pour
le Roy en la Marine du Ponant l'an 1618._
Au commencement de l'année mil six cens dix-huict, le
vingt-deuxiesme de Mars je party de Paris, & mon beau frère
[159] que je menay avec moy, pour me rendre à Honfleur, havre
ordinaire de nostre embarquement, où estant après un long
sejour pour passer la contrariété des vents, & retournez en
leur bonace & favorables au voyage, nous embarquasmes dans
ledit grand vaisseau de ladite association, où commandoit le
sieur du Pont-Gravé, & avec un Gentil-homme, appellé le sieur
de la Mothe[160], lequel auroit dés auparavant fait voyage avec
les Jesuistes aux lieux de la Cadye, où il fut pris par les
Anglois, & par eux mené aux Virginies, lieu de leur habitation:
& quelque temps après[161] le repasserent en Angleterre, & de
là en France, où le desir & l'affection luy augmenta de voyager
derechef en ladite nouvelle France, qui luy fist rechercher les
112/600 occasions en mon endroit. Surquoy je l'aurois asseuré d'y
apporter mon pouvoir & l'assister envers Messieurs nos
associez, comme me promettant qu'ils auroient aggreable la
rencontre d'un tel personnage, attendu qu'il leur feroit fort
necessaire esdicts lieux.
[Note 159: Eustache Boullé, fils de Nicolas Boullé, secrétaire de la
chambre du roi, et de dame Marguerite Alix. Il était âgé alors d'environ
dix-huit ans. (State Paper Office, Colonial Séries, vol. V, 34.)]
[Note 160: Nicolas de Lamothe-le-Vilin. Il était lieutenant de la
Saussaye, à Saint-Sauveur, en 1613. (Edit. 1632, première partie, p.
106, 112.--Relation du P. Biard, ch. XXXV.)]
[Note 161: En 1614.]
Nostre embarquement ainsi faict, nous partismes dudict lieu de
Honfleur le 24e jour de May ensuivant audit an 1618, ayant le
vent propre pour nostre route, qui neantmoins ne nous dura que
bien peu de jours, qui changea aussi-tost, & fusmes tousjours
contrarié de mauvais temps, jusques à arriver sur le grand banc
où se font les pescheries du poisson vert, qui fut le
troisiesme jour de Juin ensuivant, où estant, nous apperçeusmes
au vent de nous quelques bancs de glaces, qui se deschargeoient
du costé du Nort, & en attendant le vent commode, nous fismes
pescheries de poisson, où il y avoit un grand plaisir, non pour
la pesche du poisson seulement, mais aussi d'une sorte
d'oiseaux, appellez Fauquets[162], & d'autres sortes qui se
prennent à la ligne, comme le poisson, car jettant la ligne, &
l'ameçon, garny de foye des morues, qui leur servoit d'appast:
ces oiseaux se jettoient à la foulle, & en telle quantité les
uns sur les autres, qu'on n'avoit pas le loisir de tirer la
ligne hors pour la rejetter, qu'ils se prenoient par le bec,
par les pieds, & par les ailles en vollant, & se précipitant
sur l'appast, à cause de leur grande avidité, & gourmandise,
dont ceste nature d'oiseaux est composée, & en ceste pescherie
nous eusmes un extresme contentemens, tant en ceste exercice,
113/601 qu'au grand nombre infiny d'oiseaux, & grande quantité de
poisson que nous prismes, fort excellents à manger, & commodes
pour un rafraischissement, chose fort necessaire audit
vaisseau.
[Note 162: Ou plutôt _fouquets_, hirondelles de mer.]
Et continuant nostre route le 15e jour dudict mois, nous nous
trouvasmes au travers de l'isle percée, & le jour S. Jean[163]
ensuivant nous entrasmes au port de Tadoussac, où nous
trouvasmes nostre petit vaisseau, arrivé trois sepmaines devant
nous, les gents duquel nous dirent que le Sieur des Chesnes qui
commandoit en icelle estoit allé à Québec, lieu de nostre
habitation, & de là devoit aller aux trois rivieres pour
attendre les sauvages qui y debvoient venir de plusieurs
contrées pour traicter, comme aussi pour sçavoir ce qu'on
debvoit faire, & délibérer, sur la mort advenue de deux de nos
hommes de l'habitation, qui perfidement, & par trahison,
hommes, furent tuez par deux meschants garçons sauvages,
Montaigners, ainsi que ceux dudict vaisseau nous firent
entendre, & que ces deux pauvres gents furent tuez allans à la
chasse, il y avoit prés de deux ans [164], ayans ceux de
ladicte habitation tousjours creu qu'ils s'estoient noyés par
le moyen de leur canau, renversé sur eux, jusques à ce que
depuis peu de temps l'un desdicts hommes ayant conceu une haine
contre les meurtriers, en auroient adverty, & donné l'advis à
114/602 nos gens de ladite habitation, & comment ce meurtre arriva, &
le subject d'icelluy, duquel pour aucunes considerations il m'a
semblé à propos d'en faire le récit, & de ce qui se passa lors
sur ce subject.
[Note 163: Le 24 juin.]
[Note 164: Suivant Sagard (Hist. du Canada, p. 42), ce meurtre aurait
été commis «environ la my-Avril de l'an 1617»: tandis que d'après
Champlain, qui fit lui-même comme une espèce d'enquête sur les lieux, la
chose se serait passée vers la fin de l'été 1616. Notre auteur a, du
moins, la vraisemblance de son côté: car la chasse du gibier, encore
aujourd'hui, est extrêmement abondante sur toutes les battures et
prairies naturelles de la côte de Beaupré et du cap Tourmente, depuis la
fin d'août jusque vers la Toussaint; tandis qu'à la mi-avril, il n'y a
jamais beaucoup de gibier, pour la bonne raison que le Chenal du Nord
est encore, à cette époque, complètement obstrué de glaces.]
Quand au discours de ceste affaire, il est presque impossible
d'en tirer la vérité, tant à cause du peu de tesmoignage qu'on
en peut avoir eu, que par la diversité des rapports qui s'en
sont faits, & la plus grande partie d'iceux par presupposition,
mais du moins en rapporteray-je en ce lieu, suivant le récit du
plus grand nombre, plus conforme à la vérité, & que j'ay trouvé
estre le plus vray-semblable. Le sujet de l'assassin de ces
deux pauvres deffuncts est, que l'un de ces deux meurtriers
frequentoient ordinairement en nostre habitation, & y recevoit
mille courtoisies, & gratiffications, entr'autres du sieur du
Parc, Gentilhomme de Normandie, commandant lors audict Québec,
pour le service du Roy, & le bien des Marchands de ladite
affectation, qui fut en l'année 1616, lequel Sauvage en ceste
fréquentation ordinaire, par quelque jalousie receut un jour
quelque mauvais traictement de l'un des 2 morts, qui estoit
serrurier de son art, lequel sur aucunes parolles bâtit
tellement ledict Sauvage, qu'il luy donna occasion de s'en
resouvenir, & ne se contentant pas de l'avoir battu, & outragé,
il incitoit ses compagnons de faire le semblable: ce qui
augmenta d'avantage au coeur ledit Sauvage la haine, &
animosité à l'encontre dudit Serrurier, & ses compagnons, & qui
le poussa à rechercher l'occasion de s'en venger, espiant le
temps, & l'opportunité pour ce faire, se comportant neantmoins
115/603 discrettement & à l'accoustumée, sans faire demonstration
d'aucun ressentiment: Et quelque temps après, ledit Serrurier,
& un Mathelot, appellé Charles Pillet, de l'isle de Ré, se
délibérèrent d'aller à la chasse, & coucher trois ou quatre
nuicts dehors, & à cet effect équipperent un canau, & se mirent
dedans, partirent de Québec pour aller au Cap de Tourmente, en
de petites isles, où grande quantité de gibier, & oiseaux,
faisoient leur retraicte, ce lieu estant proche de l'isle
d'Orléans, distant de sept lieues dudit Québec, lequel
partement des nostres fut incontinent descouvert par lesdits
deux sauvages, qui ne tardèrent gueres à se mettre en chemin
pour les suivre, & exécuter leur mauvais desseing: En fin ils
espierent où ledict serrurier, & son compagnon, iroient
coucher, affin de les surprendre: ce qu'ayant recognu le soir
devant, & le matin venu, à l'aube du jour, lesdits deux
sauvages s'escoulent doucement le long de certaines
prairies[165], assez aggreables, & arrivez qu'ils furent à une
116/604 pointe proche du giste de Recerché[166] & de leur canau, mirent
pied à terre, & se jetterent en la cabanne, où avoient couché
nos gents, & où ils ne trouverent plus que le Serrurier, qui se
preparoit pour aller chasser, après son compagnon, & qui ne
pensoit rien moins que ce qui luy debvoit advenir: l'un
desquels Sauvages s'approcha de luy, & avec quelques douces
parolles il luy leva le doubte de tout mauvais soupçon, afin de
mieux le tromper: & comme il le vit baissé, accommodant son
harquebuse, il ne perdit point de temps, & tira une massue
qu'il avoit sur luy cachée, & en donna au Serrurier sur la
teste si grand coup, qu'il le rendit chancelant & tout
estourdy: Et voyant le Sauvage que le Serrurier vouloit se
mettre en deffence, il redouble derechef son coup, & le
renverse par terre, & se jette sur luy, & avec un cousteau luy
en donna trois, ou quatre, coups dedans le ventre, & le tua
ainsi miserablement, & affin d'avoir aussi le Mathelot,
compagnon du Serrurier, qui estoit party du grand matin pour
aller à la chasse, non pour aucune haine particulière qu'ils
luy portassent, mais afin de n'estre découverts, ny accusez par
luy. Ils vont le cerchant deçà & delà, en fin le descouvrent
par l'ouye d'une harquebusade, laquelle entendue par eux, ils
s'advancerent promptement vers le coup, affin de ne donner
temps audict Mathelot de recharger son harquebuse, & se mettre
en deffence, & s'aprochant de luy, il le tira[167] à coups de
flesche, & l'ayant abattu par terre de ces coups, ils courent
sur luy, & l'achevent à coups de cousteau. Ce faict, ces
117/605 meurtriers emportent le corps avec l'autre, & les lièrent
ensemble, l'un contre l'autre, si bien qu'ils ne se pouvoient
separer, après il leur attachèrent quantité de pierres, &
cailloux, avec leurs armes, & habits, affin de n'estre
descouverts par aucune remarque, & les portèrent au milieu de
la riviere, les jettent, & coulent au fonds de l'eau, où ils
furent un long-temps, jusques à ce que par la permission de
Dieu les cordes se rompirent, & les corps jettez sur le rivage,
& si loing de l'eau, que c'estoit une merveille, le tout pour
servir de parties complaignantes, & de tesmoins irréprochables
à l'encontre de ces deux cruels, & perfides, assassinateurs:
car on trouva ces deux corps loing de l'eau, plus de vingt pas
dans le bois, encore liez, & garottez, n'ayans plus que les os
tous décharnez, comme une carcasse, qui neantmoins ne
s'estoient point separez pour un si long-temps, & furent les
deux pauvres corps trouvez long-temps après par ceux de nostre
habitation, les cherchant & déplorant leur absence le long des
rivages de ladite riviere, & ce contre l'opinion de ces deux
meurtriers qui pensoient avoir faict leurs affaires si
secrettes qu'elles ne se devoient jamais sçavoir, mais comme
Dieu ne voulant par sa Justice souffrir une telle meschanceté,
l'auroit faict découvrir par un autre sauvage, leur compagnon,
en faveur de quelque disgrace par luy receue d'eux, & ainsi les
meschants desseings se descouvrent.
[Note 165: Cette expression seule montre assez que les deux français
passèrent par le Chenal du Nord; car il n'y a point de prairies
naturelles du côté du sud de l'île d'Orléans. Et il y a bien de
l'apparence que cette «pointe proche du giste recerché,» près de
laquelle il y avait «de certaines prairies assez aggreables,» vers le
cap Tourmente et proche de l'île d'Orléans, était la pointe du
Petit-Cap: c'est dans le voisinage de cette pointe qu'étaient les
prairies où Champlain, quelques années plus tard, faisait faire la
provision de foin nécessaire à l'habitation.
[Note 166: Le manuscrit de l'auteur portait-il du _giste de recerche_,
ou _du giste du recerché_, ou enfin _du giste recerché_? Dans ces trois
suppositions, le sens serait le même. Mais _Recerché_ ne serait-il pas
le nom, peut-être défiguré, du serrurier à qui en voulaient les deux
sauvages? C'est ce qui paraît bien difficile à déterminer. Il n'est fait
mention, jusqu'à cette époque, que d'un seul serrurier, Antoine Natel,
qui découvrit la conspiration tramée contre Champlain en 1608, et qui,
pour cette raison, reçut sa grâce; il est possible que la Providence ait
réservé une pareille mort à celui qui avait été capable de consentir à
un complot si criminel. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que Sagard,
qui rapporte les choses un peu différemment, et qui a presque l'air de
vouloir corriger ou compléter Champlain, ne donne pas non plus le nom de
ce serrurier, quoiqu'il ait vu et connu plusieurs témoins oculaires de
ces événements.--Dès le second tirage de cette édition, en 1620, on a
supprimé les mots de _Recerché_, &, et la phrase se lit ainsi:
_...proche du giste, sortants de leur canau..._ Cette même correction
subsiste encore dans l'édition de 1627.]
[Note 167: Au lieu de ces mots _il le tira_, dans l'édition de 1627, on
lit _le tirèrent_.]
Ce qui rendit au Père Religieux [168], & ceux de l'habitation,
fort estonnez en voyant les corps de ces 2 miserables, ayant
118/606 les os tous découvers, & ceux de la teste brisez des coups de
la massue qu'il avoit reçeus des sauvages, & furent lesdicts
Religieux, & autres, à l'habitation, d'advis de referrer en
quelque part d'icelle, jusques au retour de nos vaisseaux[169],
affin d'adviser entre tous les François à ce qui seroit trouvé
bon pour ce regard: Cependant nos gens de l'habitation se
resolurent de se tenir sur leurs gardes, & de ne donner plus
tant de liberté ausdits sauvages, comme ils avoient accoustumé,
mais au contraire qu'il falloit avoir raison d'un si cruel
assassin par une forme de justice, ou par quelque autre voye,
ou pour le mieux attendre nos vaisseaux, & nostre retour, affin
d'adviser tous ensemble le moyen qu'il falloit tenir pour ce
faire, & en attendant conserver les choses en estat.
[Note 168: Pendant l'hivernement 1617-18, le P. le Caron demeura à
l'habitation, le P. Paul Huet fut chargé de la mission de Tadoussac, et
le Frère Pacifique, de celle des Trois-Rivières. (Prem. établiss. de la
Foy, t. I, p. III.)]
[Note 169: De ce passage, on peut conclure avec assez de vraisemblance,
que les corps ne furent retrouvés qu'au printemps de 1618.]
Mais les sauvages voyant que leur malice estoit découverte, &
eux, & leur assassin, en mauvais odeur aux François, ils
entrèrent en deffiance, & crainte, que nos gents n'exerçassent
sur eux la vangeance de ce meurtre, se retirèrent de nostre
habitation pour un temps, tant les coulpables du faict que les
autres convaincus d'une crainte dont ils estoient saisis[170],
& ne venoient plus à laditte habitation comme ils avoient
accoustumé, attendant quelque plus grande seureté pour eux.
[Note 170: Suivant Sagard, il y avait quelque chose de plus grave. «On
estoit menacé de huict cens Sauvages de diverses nations, qui s'estoient
assemblez és trois rivieres à dessein de venir surprendre les François &
leur coupper à tous la gorge, pour prevenir la vengeance qu'ils eussent
pu prendre de deux de leurs hommes tuez par les Montagnais... Mais comme
entre une multitude il est bien difficile qu'il n'y aye divers advis,
cette armée de Sauvages pour avoir esté trop long-temps à se resoudre de
la manière d'assaillir les François, en perdirent l'occasion, plus par
divine permission, que pour difficulté qu'il y eust d'avoir le dessus de
ceux qui estoient des-ja plus que demi morts de faim, & abbatus de
foiblesse.» (Hist. du Canada, p. 42.)]
119/607 Et se voyant privez de nostre conversation, & bon accueil
accoustumé, lesdicts Sauvages envoyerent un de leurs
compagnons, nommé par les François la Ferriere[171], pour faire
leurs excuses de ce meurtre, à sçavoir qu'ils protestoient n'y
avoir jamais adhéré, ny consenty aucunement, se soubsmettant
que si on vouloit avoir les deux meurtriers pour en faire la
justice, les autres sauvages le consentiroient volontiers, si
mieux les François n'avoient aggreable pour réparation &
recompense des morts, quelques honnestes presents des
pelletries, comme est leur coustume, & pour une chose qui est
irrécupérable: ce qu'ils prièrent fort les François d'accepter
plustost, que la mort des accusez qu'ils prevoyoient mesme leur
estre de difficille exécution, & ce faisant oublier toutes
choses comme non advenues[172].
[Note 1: La Foriere, d'après Sagard, «(que j'ay fort cognu), dit-il, fin
& hault entre tous les Sauvages & capable de conduire quelque bonne
entreprise.» (Hist. du Canada, p. 42.)]
[Note 172: Sagard nous a conservé, sur cette première démarche des
sauvages, quelques détails qui complètent ce que dit ici l'auteur. «Ils
envoyerent le mesme la Foriere demander pardon & reconciliation avec les
François, avec promesse de mieux faire à l'advenir, ce qu'ils obtindrent
d'autant plus facilement que la paix estoit necessaire à l'une & à
l'autre des parties. En suitte ils envoyerent quarante Canots de femmes
& d'enfans pour avoir dequoy manger, disans qu'ils mouroient tous de
faim, ce que consideré par ceux de l'habitation, ils leur distribuerent
ce qu'ils purent, un peu de pruneaux & rien plus, car la necessité
estoit grande par tout entre nous aussi bien qu'entre les Sauvages:
laquelle fut cause de nous faire tous filer doux & tendre à la paix. La
chose estant réduite a ce point, il ne restoit plus qu'à conclure les
articles, mais pource que les Sauvages demeuroient tousjours à leur
ancien poste, on envoya sauf conduit à leurs Capitaines pour descendre à
Kebec, ou ils arrivèrent chargez de presens & de complimens avec des
demonstrations de vraie amitié, pendant que leur armée faisoit alte à
demi lieue de là. Les harangues ayans esté faictes & les questions
necessaires agitées avec une ample protestation des Montagnais qu'ils ne
cognoissoient les meurtriers des François; ils offrirent leurs presens &
promirent qu'en tout cas ils satisferoient à ceste mort. Beauchesne &
tous les autres François estoient bien d'avis de les recevoir à ceste
condition, mais le P. Joseph le Caron & le V. Paul Huet s'y opposerent
absolument, disans qu'on ne devoit pas ainsi vendre la vie & le sang des
Chrestiens pour des pelleteries, & que ce seroit tacitement autoriser le
meurtre, & permettre aux Sauvages de se vanger sur nous & nous mal
traicter à la moindre fantasie musquée qui leur prendroit, & que si on
recevit quelque chose d'eux, que ce devoit estre seulement en depost, &
non en satisfaction, jusques à l'arrivée des Navires, qui en
ordonneroient ce que de raison. Ainsi Beauchesne ne receut rien qu'a
ceste condition. De plus nos Pères influèrent que les meurtriers
devoient estre representez...» (Hist. du Canada, P. 44, 45.)]
120/608 A quoy de l'advis des Pères Religieux fut respondu & conclu,
que lesdicts Sauvages ameneroient, & representeroient, les deux
mal-faicteurs, affin de sçavoir d'eux leurs complices, & qui
les avoit incités à ce faire: ce qu'ils firent entendre audit
la Ferriere pour en faire rapport à ses compagnons.
Ceste resolution ainsi prise, ledict la Ferriere se retira vers
ses compagnons, & leur ayant fait entendre la resolution des
François, ils trouverent ceste procédure, & forme de justice à
eux fort estrange, & assez difficille, d'autant qu'ils n'ont
point de justice establie entr'eux, sinon la vengeance ou la
recompense par presens. Et ayant consideré le tout, & consulté
ceste affaire entr'eux, ils appellerent les deux meurtriers &
leur representerent le malheur où ils s'estoient précipitez, &
l'évenement de ce meurtre, qui pourroit causer une guerre
perpétuelle avec les François; leurs femmes, & enfans, en
pourroient pâtir, quant bien ils nous pourroient donner des
affaires, & nous tiendroient serrez en nostre habitation, nous
empescheroient de chasser, cultiver, & labourer les terres, que
nous sommes en trop petit nombre pour tenir la riviere serrée,
comme par leurs discours ils se persuadoient, mais qu'en fin de
toutes leurs conclusions il valloit mieux vivre en paix avec
lesdict François, qu'en une guerre, & une deffiance
perpétuelle, & à ceste cause la compagnie desdicts sauvages
finissant le discours, & ayant representé l'intelligence de ces
choses ausdits accusez, leur demandent s'ils n'auroient pas
bien le courage de se transporter avec nous en ladite
habitation des François, & de comparoir devant eux, leur
121/609 promettant qu'ils n'auroient point de mal, que les François
estoient doux, & pardonnoient volontiers, bref qu'ils feroient
tant envers eux, qu'ils leur remettroient ceste faute, à la
charge de ne retourner plus à telle meschanceté, lesquels deux
criminels se voyant convaincus en leur conscience, subirent à
ceste proposition, & s'accordent de suivre cet advis, suivant
lequel, à sçavoir l'un deux qui se prépara, & accommoda,
d'habits, & d'ornements à luy possible, comme s'il eust esté
invité d'aller aux nopces, ou à quelque feste solemnelle,
lequel en ceste equippage vint en laditte habitation,
accompagné de son père, & autres des principaux chefs, &
Cappitaine de leur compagnie: Quant à l'autre meurtrier, il
s'excusa de ce voyage[173], craignant quelque punition estant
convaincu en soy-mesme de ce meschant acte.
[Note 173: Des Trois-Rivières à Québec. C'est aux Trois-Rivières,
suivant Sagard, que s'étaient assemblés les sauvages.]
Estans donc entrez en ladicte habitation, qui aussi tost fut
circuite d'une multitude de Sauvages de leur compagnie, on leva
le pont[174], & chacun des François se mit sur ses gardes, &
leurs armes en main faisant bon guet, & sentinelles posées aux
lieux necessaires, craignant l'effort des Sauvages de dehors,
par ce qu'ils se doubtoient qu'on voulust faire justice
actuelle du coulpable, qui si librement s'estoit exposé à
nostre mercy, & non luy seulement, mais aussi ceux qui
l'avoient accompagné au dedans, lesquels pareillement
n'estoient pas trop asseurez de leurs personnes, voyant les
122/610 choses disposées en ceste façon, n'esperoient pas sortir leur
vies sauves. Le tout fut assez bien fait, conduit, & exécuté,
pour leur faire sentir la grandeur de ce mal, & appréhender
pour le futur, autrement il n'y eust eu plus de seureté en eux,
que les armes en la main, avec une perpétuelle deffiance.
[Note 174: Tout autour de la petite habitation de Québec, régnait un
fossé de quinze pieds de large, sur lequel il y avait, du côté du
fleuve, un pont-levis, que Champlain avait fait faire dès l'automne de
1608. (Voir le dessin de _l'Abitation de Quebecq_, éd. 1613, ch. IV.)]
Ce faict, estans lesdicts sauvages sur l'incertitude de
l'évenement de quelque effet contraire à ce qu'ils esperoient
de nous, les Pères Religieux commançent à leur faire une forme
de harangue sur ce subject criminel, leur representant l'amitié
que les François leur avoient portée depuis dix ou douze ans en
ça, que nous avions commencé à les cognoistre, & depuis
tous-jours vescu paisiblement, & familièrement avec eux, mesme
avec telle liberté, qu'elle ne se pouvoit exprimer: & de plus,
que je les avois assistez de ma personne par plusieurs fois à
la guerre, contre leurs ennemis, & à icelle exposé ma vie pour
leur bien, sans qu'au préalable ils nous y eussent obligés
aucunement, sinon que nous estions poussez d'une amitié & bonne
vollonté envers eux, ayans compassion de leurs miseres &
persecutions que leur faisoient souffrir & endurer leurs
ennemis. C'est pourquoy nous ne pouvions croire que ce meurtre
se fut faict sans leur consentement, veu d'autre part qu'ils
entreprenoient de favoriser ceux qui l'ont commis.
Et parlant au Père du criminel, il[175] luy represente
l'enormité du faict exécuté par son fils, & que pour réparation
d'icelle, il meritoit la mort, attendu que par nostre loy un
123/611 tel faict si pernicieux ne demeuroit impuny, & quiconque s'en
trouve attaint & convaincu, mérite condemnation de mort, pour
réparation d'un si meschant faict, mais pour ce qui regardoit
les autres habitants du païs, non coulpables de ce crime, on ne
leur vouloit aucun mal, ny en tirer contr'eux aucune
consequence.
[Note 175: Le P. le Caron, sans doute. (Voir, ci-devant, p. 117, note
l.)]
Ce qu'ayant tous lesdicts sauvages bien entendu, ils dirent
pour toutes excuses, neantmoins avec tout respect, qu'il
n'estoient point consentants de ce faict, qu'ils sçavoient
très-bien que ces deux criminels meritoient la mort, si mieux
on n'aymoient leur pardonner, qu'ils sçavoient bien de fait
leur meschanceté, non devant, mais après le coup faict, & la
mort de ces deux pauvres miserables, ils en avoient eu l'advis,
mais trop tard, pour y remédier, & que ce qu'ils avoient tenu
secret, estoit pour tousjours maintenir leur familière
conversation, & crédit envers nous, protestant qu'ils en
avoient faict aux malfaicteurs de grandes reprimendes, & réputé
le malheur qu'ils avoient attiré, non sur eux seulement, mais
sur toute leur nation, parents, & amis: surquoy ils leur
auroient promis qu'un tel malheur ne leur adviendroit jamais,
les priant d'oublier ceste faute, & de ne la tirer en
consequence, que ce fait pourroit bien mériter, mais plustost
de rechercher la cause première qui a meu ces deux Sauvages
d'en venir là, & d'y avoir esgard: d'ailleurs, que librement le
present criminel s'estoit venu rendre entre nos bras, non pour
estre puny, ains pour y recevoir grâce des François: Neantmoins
le père parlant aux Religieux dist en plorant, tien voila mon
124/612 fils qui a commis le delict supposé, il ne vaut rien, mais ayes
esgard que c'est un jeune fol & inconsidéré, qui a plustost
fait cet acte par folie, poussé de quelque vangeance, que par
prudence, il est en toy de luy donner la vie ou la mort, tu en
peus faire ce que tu voudras, d'autant que luy, & moy, sommes
en ta puissance, & en suitte de ce discours le fils criminel
prist la parolle, & se presentant, asseuré qu'il estoit, dit
ces mots: L'apprehension de la mort ne m'a point tant saisi le
coeur, qu'il m'aye empesché de la venir recevoir pour l'avoir
mérité, selon vostre loy, me recognoissant bien coulpable
d'icelle: & lors fist entendre à la compagnie la cause de ce
meurtre, ensemble le desseing, & l'exécution d'iceluy, selon, &
tout ainsi, que je l'ay recité, & representé cy-dessus.
Après le récit par luy faict, il s'adresse à l'un des facteurs,
& commis des Marchands de nostre association, appelé
Beauchaine, le priant qu'il le fist mourir sans autre
formalité.
Alors les Pères Religieux prirent la parole, & leur dirent que
les François n'avoient ceste coustume de faire mourir entr'eux
ainsi subittement les hommes, & qu'il en falloit délibérer avec
tous ceux de l'habitation, & ceste affaire mise en délibération
sur le tapis, fut advisé qu'elle estoit de grande consequence,
qu'il la falloit conduire dextrement, & la mesnager à propos,
attendant une autre occasion meilleure, & plus seure, pour en
tirer la raison, & que pour lors il n'estoit ny à propos, ny
raisonnable pour beaucoup de raisons. La première que nous
estions foibles, au regard du nombre des Sauvages qui estoit
125/613 dehors & dedans nostre habitation, qui vindicatifs & pleins de
vangeance, comme ils sont, eussent peu mettre le feu par tout,
& nous mettre en desordre. La deuxiesme raison est, qu'il n'y
eust plus eu de seureté en leur conversation, & vivre en
perpétuelle deffiance. La troisiesme, que le commerce pourroit
estre altéré, & le service du Roy retardé, & autres raisons
assez preignantes, lesquelles bien considerées fut advisé qu'il
se falloit contenter de ce qu'ils s'estoient mis en leur
debvoir, & submis d'y vouloir satisfaire, tant par le père du
criminel, l'ayant representé, & offert, à la compagnie, que par
luy mesme, à sçavoir le coulpable offrant & exposant sa vie
pour réparation de sa faute, mesme que le père offroit le
representer toutesfois & quantes qu'il en seroit requis: Ce
qu'il failloit tenir pour une espece d'amande honorable, & une
satisfaction à justice: que luy remettant ceste faute, non le
criminel seullement tiendroit sa vie de nous, mais aussi son
père & ses compagnons se tiendroient fort obligez, & que
cependant il leur falloit dire par forme d'excuse, & de suject,
que puisque le criminel avoit asseuré par affirmation publique,
que tous les autres Sauvages n'estoient en rien adherans ny
coulpables de ce fait, & qu'avant l'exécution d'iceluy ils n'en
avoient eu aucun advis: consideré aussi que librement il
s'estoit presenté à la mort, il avoit esté advisé de le rendre
à son Père, qui en demeureroit chargé, pour le representer
toutesfois & quantes, à la charge aussi que d'ores-en-avant il
feroit service aux François, on luy donnoit la vie, pour
demeurer luy & tous les Sauvages amis, & serviteurs des
François.
126/614 Ceste resolution faite, neantmoins en attendant les vaisseaux
de retour de France, pour, suivant l'advis des Cappitaines, &
autres, en resoudre deffinitivement, & avec plus d'authorité,
leur promettant tous-jours toute faveur, & de leur faire sauver
la vie, & cependant pour seureté leur fut dit, qu'ils
laisseroient quelques-uns de leurs enfans par forme d'hostage,
à quoy ils s'accordèrent fort volontiers, & en laisserent
deux[176] à l'habitation, entre les mains desdicts Pères
Religieux, qui leur commançerent à montrer les lettres, & en
moins de trois mois leur apprirent l'alphabet des lettres, & à
les former, qui de là fait juger qu'ils se peuvent rendre
propres & docilles à l'érudition, comme le Père Joseph en peut
rendre tesmoignage.
[Note 176: «L'un nommé Nigamon, & l'autre Tebachi, assez mauvais garçon
bien qu'il fust fils d'un bon père, pour le premier il estoit assez bon
enfant & se porta tousjours au bien. Nos Pères l'instruisirent à la foy
& aux lettres pendant tout un hyver qu'il demeura avec nous, & à
l'arrivée des navires il eust esté bien aise d'aller en France pour y
vivre parmi les Chrestiens, mais ny luy ny eux ne le peurent obtenir des
marchands, non plus que pour plusieurs autres; pour le second il
s'enfuit après avoir esté quelque temps à l'habitation, dequoy on ne se
mit guère en peine, aussi n'y avoit-il guère d'esperance de pouvoir
faire d'un si mauvais garçon un bon Chrestien.» (Sagard, Hist. du
Canada, p. 45, 46.)]
Et iceux vaisseaux arrivez à bon port, nous eusmes l'advis du
sieur du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme cette
affaire s'estoit passée [177], selon le discours cy-dessus, &
alors tous ensemble advisasmes qu'il estoit à propos de faire
ressentir aux Sauvages l'énormité de ce meurtre, & neantmoins
n'en venir à exécution pour aucunes bonnes raisons, voire pour
plusieurs considerations qui se pourront dire cy-aprés.
[Note 177: Pont-Gravé ne faisant que d'arriver comme Champlain, il nous
semble que la phrase doit se lire ainsi: _nous eusmes l'advis, le sieur
du Pont Gravé, & quelques autres, & moy, comme ceste affaire s'estoit
passée._]
Et aussi-tost que nos vaisseaux furent entrez au port de
127/615 Tadoussac, mesme dés le lendemain au matin[178], le sieur du
Pont, & moy, nous remontasmes en une petite barque du port, de
dix à douze tonneaux, comme d'autre-part le sieur de la Mothe,
avec le Père Jean d'Albeau[179] Religieux, & l'un des Commis, &
Facteur des Marchands, appelle Loquin, s'embarquèrent en une
petite Challouppe, & ainsi partismes ensemble dudit Tadoussac,
demeurans[180] au vaisseau un autre Religieux, appelle Père
Modeste[181], avec le Pillotte, & le Maistre du vaisseau, pour
la conservation de l'équippage, restans en icelluy, &
arrivasmes à Québec, lieu de nostre habitation, le
vingt-septiesme Jour de juin ensuivant, où nous trouvasmes les
Pères Joseph, Paul, & Passifique Religieux, avec le sieur
Hébert, & sa famille, & autres hommes de l'habitation, se
portans tous bien, & joyeux de nostre retour, en bonne santé,
eux & nous, grâces à Dieu.
[Note 178: Le 25 juin.]
[Note 179: D'Olbeau. (Voir p. 7, note 2.) «Nos Pères mesmes ne purent se
deffendre des prières que le P. Jean d'Olbeau leur fit pour retourner en
Canada avec M. de Champlain.» (Prem. établiss. de la Foy, t. I, p.
124.)]
[Note 180: A la place du mot _demeurans_, l'édition de 1627 porte
_restants_.]
[Note 181: Frère Modeste Guines. (Sagard, Hist. du Canada, p. 40.--Le
Clercq, Prem. établiss. de la Foy, t. I, p. 124.)]
Le mesme jour le sieur du Pont délibéra d'aller au lieu des
trois rivieres, ou se faisoit la traite des Marchands, & porter
avec luy quelques marchandises pour aller trouver le sieur des
Chesnes qui y estoit des-ja, & mena avec luy ledict Loquin,
comme susdict, & pour mon regard je demeuray en nostre
habitation quelques jours [182], où je m'occuppé aux affaires
d'icelles, entr'autres choses à faire un fourneau pour faire
une espreuve de certaines cendres dont on m'avoit donné le
128/616 mémoire, lesquelles, à la vérité, sont de grande valleur, mais
il y a de la peine, de l'industrie, vigillance, & de la
conduite, & parce qu'il est requis en l'exercice, & façon de
ces cendres des hommes entendus en cet art, & en quantité
convenable. Ceste première espreuve n'a peu sortir à effect, la
reservant à une autre plus grande commodité.
[Note 182: Depuis le 27 de juin jusqu'au 5 de juillet.]
Je visitay les lieux, les labourages[183] des terres que je
trouvay ensemencées, & chargées, de beaux bleds: les jardins
[184] chargez de toutes sortes d'herbes, comme choux, raves,
laictues, pourpié, oseille, persil, & autres herbes,
sitrouilles, concombres, melons, poix, féves, & autres légumes,
aussi beaux, & advancez, qu'en France, ensemble les vignes
transportées, & plantez sur le lieu des-jà bien advancées, bref
le tout s'augmentant, & accroissant, à la veue de l'oeil: non
qu'il en faille donner la louange après Dieu ny aux laboureurs,
ny au fient qu'on y ait mis, car comme il est à croire, il n'y
en a pas beaucoup, mais à la bonté, & valleur de la terre, qui
de soy est naturellement bonne, & fertille en toute sorte de
biens, ainsi que l'expérience le démontre, & pourroit-on y
faire de l'augmentation & du profit, tant par le labourage
d'icelle, culpture, & plants d'arbres fruittiers, & vignes,
qu'en nourriture & eslevation de bestiaux, & vollatilles
129/617 ordinaires en France: Mais ce qui manque à ce beau desseing est
le peu de zelle,& affection, que l'on a au bien & service du
Roy.
[Note 183: C'étaient les labourages de Louis Hébert, ou, comme on disait
alors, son désert, et, un peu plus tard, son enclos. Cette terre (le
fief du Saut-au-Matelot) lui fut d'abord concédée par le duc de
Montmorency, en date du 4 février 1623; puis,--le dernier de février
1626, son premier titre lui fût confirmé par le duc de Ventadour.
(Archives du Séminaire de Québec, Registre A, seconde partie, fol. I, et
Carton AA.)]
[Note 184: Les jardins étaient «autour du logement» (Voy. 1613, p. 156);
mais comme il y avait une place devant l'habitation, et une autre « du
côté du septentrion,» il faut conclure que la meilleure partie du jardin
était le terrain où passe maintenant la rue Sous-le-Fort, et celui qui
avoisinait le Cul-de-Sac.]
Je sejournay quelque espace de temps audict Québec, en
attendant autres nouvelles, & lors survint une barque venant de
Tadoussac[185], envoyée par le sieur du Pont pour venir quérir
les hommes, & marchandises, restants audit grand vaisseau audit
lieu, & passants par Québec je m'embarquay avec eux pour aller
audit lieu des trois rivieres, où se faisoit la traicte, affin
de voir les Sauvages, & communiquer avec eux, & voir[186] ce
qui se passait touchant l'assassin cy-dessus déclaré, & ce
qu'on y pourroit faire pour pacifier & adoucir le tout.
[Note 185: C'est-à-dire, une barque venant de Tadoussac, qui y avait été
envoyée des Trois-Rivières par le sieur du Pont, etc. Ou bien il
faudrait lire: _venant à Tadoussac..._]
[Note 186: L'édition de 1627 remplace ce mot par _descouvrir_.]
Et le cinquiesme jour de Juillet ensuivant, je party de Québec
le Sr. de la Motte avec moy[187], pour aller audit lieu des
trois rivieres, tant pour faire ladicte traicte, que voir les
Sauvages, & arrivasmes sur le soir devant Saincte Croix [188],
lieu sur le chemin ainsi appellé, où nous apperçeusmes une
Challouppe, venant droict à nous, où il y avoit quelques
hommes, de la part des sieurs du Pont, des Chesnes, & quelques
autres Commis & facteurs des Marchands me prièrent de depescher
promptement laditte Chalouppe, & l'envoyer audict Québec quérir
quelques marchandises restantes, & qu'il estoit venu un grand
nombre de Sauvages, à desseing d'aller faire la guerre [189].
[Note 187: Dans l'édition de 1627, on lit: _je party de Quebec avec le
sieur de la Motthe_, etc.]
[Note 188: Le Platon.]
[Note 189: Cette dernière partie de la phrase se lit ainsi, dans
l'édition de 1627: _quérir des marchandises, d'autant que les sauvages
estoient venus au lieu de la traite en si grand nombre, que les
marchandises qu'on leur avoit apportées ne pouvoient suffire.]
130/618 Lesquelles nouvelles nous furent fort aggreables, & pour leur
satisfaire dés le lendemain au matin[190], je laissay ma
barque, & m'embarquis dans une challouppe, pour aller plus
promptement veoir les sauvages, & l'autre qui venoit des trois
rivieres continua son chemin à Québec, & fismes tant à force de
rames,[191] que nous arrivasmes audit lieu le septiesme jour de
Juillet, sur les trois heures du soir, où estans, je mis pied à
terre, lors tous les sauvages de ma cognoissance, & au païs
desquels j'avois esté famillier avec eux, m'attendoient avec
impatience & vindrent au devant de moy & comme fort contans &
joyeux de me revoir, m'embrassant l'un après l'autre, avec
demonstration d'une grande resjouissance, comme aussi de ma
part je leur faisois le semblable & ainsi se passa la soirée, &
reste dudict jour en ceste allegresse jusques au lendemain que
lesdits Sauvages tindrent entr'eux Conseil, pour sçavoir de moy
si je les assisterois encores en leurs guerres contre leurs
ennemis, ainsi que j'avois fait par le passé, & comme je leur
avois asseuré[192], desquels ennemis ils sont cruellement
molestez & travaillez.
[Note 190: Le 6 de juillet.]
[Note 191: Apparemment, il y avait ici, dans le manuscrit de l'auteur,
quelque chose qui avait été omis dans le travail de la composition
typographique; car l'édition de 1627, en reproduisant ce passage, y
ajoute toute une phrase, qui ne pouvait être suppléée que par l'auteur
ou par un témoin oculaire. Après ces mots _je laissay ma barque,_ on y
lit: & montay en laditte challouppe pour retourner audict Quebec, où
estants, je la fis charger de plusieurs especes de marchandises en
quantité, y des plus exquises y necessaires ausdits sauvages gui
restoient aux magasins de ladite habitation. Ce fait, le lendemain matin
je m'embarquis en une chalouppe moi sixiesme pour aller à laditte
traite, & fismes tant qu'à force de rames..._ Les quelques autres
changements qu'on y a faits, n'affectent point le sens, et n'ont guères
d'autre but que de faciliter le remaniement typographique.]
[Note 192: L'édition de 1627 porte _promis_.]
Et cependant de nostre part consultasmes ensemble pour resoudre
131/619 ce que nous avions affaire sur le subject du meurtre de ces
deux pauvres deffuncts, affin d'en faire justice, & par ce
moyen les ranger au devoir de rien faire à l'advenir[193].
[Note 193: Dans l'édition de 1627, la phrase se lit ainsi: _affin d'en
tirer vangeance en justice, à l'encontre des deux assassinateurs leurs
complices & adherans_.]
Quand à l'instance requise par les Sauvages, pour faire la
guerre à leurs ennemis, je leur fis responce que la volonté ne
m'avoit point changée, ny le courage diminué: Mais ce qui
m'empeschoit de les assister estoit, que l'année dernière, lors
que l'occasion, & l'opportunité s'en presentoit, ils me
manquèrent au besoing, d'autant qu'ils m'avoient promis de
revenir avec bon nombre d'hommes de guerre, ce qu'ils ne
firent, qui me donna subject de me retirer sans faire beaucoup
d'effect, & que neantmoins il falloit en adviser, mais que pour
le present il estoit raisonnable de resoudre ce qu'il falloit
faire sur la mort assassinat de ces deux pauvres hommes, &
qu'il en falloit tirer raison, alors sortans de leur conseil
comme en cholere & faschez sur ce subject[194], ils s'offrirent
de tuer les criminels, & y aller dés lors en faire l'exécution
si on voulloit le consentir, recognoissant bien entr'eux
l'enormité de ceste affaire, à quoy neantmoins nous ne
voullusmes entendre, remettant seullement leur assistance à une
autre fois, en les obligeant de revenir vers nous avec bon
nombre d'hommes l'année prochaine, & que cepandant je
supplierois le Roy de nous favoriser d'hommes, de moyens, &
commoditez, pour les assister, & les faire jouyr du repos par
eux esperé, & de la victoire sur leurs ennemis, dont ils furent
132/620 fort contents, & ainsi nous nous separasmes, encores qu'ils
firent deux ou trois assemblées sur ce subject, qui nous fist
passer quelques heures de temps. Deux ou trois jours après mon
arrivée audit lieu[195], ils commançerent à se resjouyr,
dancer, & faire plusieurs grands festins sur l'esperance de la
guerre à l'advenir, où je les devois assister[196].
[Note 194: Dans l'édition de 1627, au lieu de ces mots _en cholere &
faschez sur ce subject_, on lit: _en colère de les rabattre sur ce
subject._]
[Note 195: Le 9 ou le 10 de juillet.]
[Note 196: Dans l'édition de 1627, cette dernière phrase a été remplacée
par la suivante: _2 ou 3 jours après mon arrivée audit lieu, on commança
à traiter avec les sauvages tout ce qu'on avoit apporté de marchandise,
bonne & mauvaise, mesme celle qui de long-temps avoit esté mise à
mespris, & gardaient le magasin.]
Ce fait, je representé audict sieur du Pont ce qu'il me
sembloit de ce meurtre, qu'il estoit à propos d'en faire une
plus grande instance, & quoy voyant les Sauvages se pourroient
licentier, non seulement d'en faire de mesme, mais de plus
prejudiciable, que je les recognoissois estre gents qui se
gouvernent par exemple, qu'ils pourroient accuser les François
de manquer de courage, que de n'en parler plus, ils jugeront
que nous aurons peur, & crainte d'eux, & les laissans passer à
si bon marché, ils se rendront plus insolents, audacieux, &
insupportables, mesmes leur donneroit subject d'entreprendre de
plus grands & pernicieux desseings: d'ailleurs que les autres
nations sauvages qui ont, ou auront cognoissance de ce faict, &
demeurez sans estre vengez, ou vengez par quelque dons &
presens, comme c'est leur coustume, ils se pourroient vanter
que de tuer un homme, ce n'est pas grande chose, puisque que
les François en font si peu d'estat, de voir tuer leurs
compagnons par leurs voisins, qui bornent & mangent avec eux,
133/621 se pourmenent, & conversent familièrement avec les nostres,
ainsi qu'il se peut voir[197].
[Note 197: Cette raison était fort bien motivée, car quelques sauvages,
entre autre les Hurons, au rapport de Sagard, ne purent s'empêcher de
faire la remarque, que les Français avaient coulé assez doucement sur
cette affaire. «Les Chefs François, dit cet auteur, firent assembler en
un conseil général, tous les Sauvages qui se trouverent pour lors à la
traite, où les meurtriers ayans esté grandement blasmez, furent en fin
pardonnez à la prière de ceux de leur nation, qui promirent, un
amendement pour l'advenir, moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen
général de la flotte, assisté du sieur de Champlain, & des Capitaines de
Navires, prit une espée nue qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve
sainct Laurens en la presence de nous tous, pour asseurance aux
meurtriers Canadiens, que leur faute leur estoit entièrement pardonnée,
& ensevelie dans l'oubly, en la mesme sorte que cette espée estoit
perdue & ensevelie au fond des eaues, & par ainsi qu'ils n'en
parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien dissimuler & qui
tenoient bonne mine en cette action, estans de retour dans leur pays,
tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en mocquerent disans que
toute la cholere des François avoit esté noyée en ceste espée, & que
pour tuer un François on en seroit doresnavant quite pour une douzaine
de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car ailleurs on ne
pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelques jours trompez
s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.» (Hist. du
Canada, p. 236, 237.)]
Mais aussi d'autre-part recognoissants les Sauvages gents sans
raison, de peu d'accès, & faciles à s'estranger, & fort prompts
à la vangeance: Que si on les presse d'en faire la justice, il
n'y auroit nulle seureté pour ceux qui se disposeront de faire
les descouvertures parmy eux. C'est pourquoy, le tout
consideré, nous nous resolusmes de couller ceste affaire à
l'amiable, & passer les choses doucement, laissant faire leur
traicté[198] en paix avec les commis & facteurs des Marchands,
& autres qui en avoient la charge.
Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne Brûlé, l'un de nos
truchemens, qui s'estoit addonné avec eux depuis 8 ans, tant
pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur
langue & façon de vivre, & est celuy que j'avois envoyé, &
donné charge d'aller vers les Entouhonorons[199] à Carantoüan,
134/622 affin d'amener avec luy les 500 hommes de guerre qu'ils avoient
promis nous envoyer pour nous assister en la guerre où nous
estions engagés contre leurs ennemis, & dont mention est faite
au discours de mon précèdent livre[200]. J'appelle cet homme,
sçavoir Estienne Brûlé, & communiquant avec luy, je luy
demanday pourquoy il n'avoit pas amené le secours des 500.
hommes, & la raison de son retardement, & qu'il ne m'en avoit
donné advis, alors il m'en dist le subject, duquel il ne sera
trouvé hors de propos d'en faire le récit, estans plus à
plaindre qu'à blasmer, pour les infortunes qu'il receut en
ceste commission.
[Note 198: Traicte.]
[Note 199: Du côté des Entouhoronons, ou Tsonnontouans, mais au-delà.]
[Note 200: Voir p. 35.]
Il commança à me dire que depuis qu'il eut prins congé de moy
pour aller faire son voyage, & executer sa commission, il se
mit en chemin, avec les 12 Sauvages que je luy avois baillé
lors pour le conduire, & luy faire escorte à cause des dangers
qu'il avoit à passer, & tant cheminèrent qu'ils parvindrent
jusques audit lieu de Carantoüan, qui ne fut pas sans courir
fortune, d'autant qu'il leur falloit passer par les païs &
terres des ennemis, & pour éviter quelque mauvais desseing, ils
furent en cerchant leur chemin plus asseuré de passer par des
bois, forests, & halliers espois & difficiles, & par des pallus
marescageux, lieux & deserts fort affreux, & non fréquentés, le
tout pour éviter le danger, & la rencontre des ennemis.
Et neantmoins ce grand soin ledit Brûlé, & ses compagnons
sauvages en traversans une campagne ne laisserent de faire
rencontre de quelques sauvages ennemis, retournans à leur
village, lesquels furent surprins, & deffaicts par nosdicts
135/623 sauvages, dont quatre des ennemis furent tués sur le champ, &
deux prins prisonniers, que ledit Brûlé, & ses compagnons
emmenèrent jusques audit lieu de Carantoüan, où ils furent
reçeus des habitans dudit lieu, de bonne affection, & avec
toute allegresse, & bonne chère, accompagnée de dances, &
festins, dont ils ont accoustumé festoyer, & honorer, les
estrangers.
Quelques jours se passèrent en ceste bonne réception, & après
que ledit Brûlé leur eust dit sa légation, & fait entendre le
subject de son voyage, les sauvages dudit lieu s'assemblerent
en conseil, pour délibérer & resoudre sur l'envoi des 500
hommes de guerre, demandés par ledit Brûlé.
Le conseil tenu, & la resolution prise de les envoyer, ils
donnèrent charge de les assembler, préparer, & armer, pour
partir & venir nous joindre, & trouver où nous estions campez
devant le fort & village de nos ennemis, qui n'estoit qu'à 3
petites journées de Carantoüan, ledit village muny de plus de
800 hommes de guerre, bien fortifié à la façon de ceux cydessus
specifiez, qui ont de hautes & puissantes pallissades, bien
liées & joinctes ensemble, & leur logement de pareille façon.
Ceste resolution ainsi prinse par les habitants dudict
Carantoüan, d'envoyer les 500 hommes, lesquels furent fort
long-temps à s'aprester, encores qu'ils fussent pressés par
ledit Brûlé de s'advancer, leur representant que s'ils
tardoient d'avantage, ils ne nous trouveroient plus audict
lieu, comme de faict ils ny peurent arriver que deux jours
après nostre partement dudict lieu, que nous fusmes contraincts
136/624 d'abandonner, pour estre trop foibles & fatiquez par l'injure
du temps. Ce qui donna subject audict Brûlé, & le secours
desdicts cinq cents hommes qu'il nous amenoit, de se retirer, &
retourner sur leurs pas vers leur village de Carantoüan, où
estans de retour, ledit Brûlé fut contrainct de demeurer &
passer le reste de l'Automne, & tout l'Hyver, en attendant
compagnie, & escorte, pour s'en retourner, & en attendant ceste
opportunité, il s'employe à découvrir le païs, visiter les
nations voisines, & terres dudict lieu, & se pourmenant le long
d'une riviere qui se descharge du costé de la Floride, où il y
a forces nations qui sont puissantes & belliqueuses, qui ont
des guerres les unes contre les autres. Le pays y est fort
tempéré, où il y a grand nombre d'animaux, & chasse de gibier,
mais pour parvenir & courir ces contrées, il faut bien avoir de
la patience pour les difficultez qu'il y a à passer par la
pluspart de ses deserts.
Et continuant son chemin le long de ladicte riviere jusques à
la Mer, par des isles, & les terres proches d'icelles, qui sont
habitées de plusieurs nations, & en grand nombre de peuples
Sauvages, qui sont neantmoins de bon naturel, aymant fort la
nation Françoise sur toutes les autres: Mais quant à ceux qui
cognoissent les Flamans, ils se plaignent fort d'eux, parce
qu'ils les traictent trop rudement, entr'autres choses qu'il a
remarqué est, que l'hyver y est assez tempéré, & y nege fort
rarement, mesme lors qu'il y nege elle n'y est pas de la
hauteur d'un pied, & incontinent fondue sur la terre.
Et après qu'il eut couru le païs & découvert ce qui estoit à
137/625 remarquer, il retourna au village de Carantoüan, afin de
trouver quelque compagnie pour s'en retourner vers nous en
nostre habitation: Et après quelque sejour audit Carantoüan, 5
ou 6 des Sauvages prirent revolution de faire le voyage avec
ledict Brûlé, & sur leur chemin firent rencontre d'un grand
nombre de leurs ennemis, qui chargèrent ledict Brûlé, & ses
compagnons, si vivement, qu'ils les firent escarter, & separer
les uns des autres, de telle façon qu'ils ne se peurent
r'allier, mesme ledict Brûlé qui avoit fait bande à part, sur
l'esperance de se sauver, & s'écarta tellement des autres,
qu'il ne peut plus se remettre, ny trouver chemin & adresse,
pour faire sa retraite en quelque part que ce fust, & ainsi
demeura errant par les bois, & forests, durant quelques jours
sans manger, & presque desesperé de sa vie, estant pressé de la
faim: En fin rencontra fortuitement un petit sentier, qu'il se
resolut suivre, quelque part qu'il allast, fut vers les
ennemis, ou non, s'exposant plustost entre leurs mains sur
l'esperance qu'il avoit en Dieu, que de mourir seul & ainsi
miserable: d'ailleurs qu'il sçavoit parler leur langage, qui
luy pourroit apporter quelque commodité.
Or n'eust-il pas cheminé longue espace, qu'il découvrit trois
sauvages, chargés de poisson, qui se retiroient à leur village.
Il se haste de courir après eux pour les joindre, & les
approchant il commança les crier, comme est leur coustume,
auquel cry ils se retournèrent, & sur quelque aprehension, &
crainte, firent mine de s'enfuir, & laisser leur charge, mais
ledit Brûlé parlant à eux les asseura, qui leur fist mettre bas
138/626 leurs arcs & flèches, en signe de paix, comme aussi ledit Brûlé
de sa part ses armes, encores qu'il fust assez foible & débile
de soy-mesme, pour n'asoir mangé depuis trois ou quatre jours:
Et à leur abort après leur avoir faict entendre sa fortune, &
l'estat de sa misere en laquelle il estoit réduit, ils
petunerent ensemble, comme ils ont accoustumé entr'eux, & ceux
de leur fréquentation lors qu'ils se visitent.
Ils eurent comme une pitié & compassion de luy, luy offrant
toute assistance, mesme le menèrent jusques à leur village, où
ils le traicterent, & donnèrent à manger: mais aussi-tost les
peuples dudit lieu en eurent advis, à sçavoir qu'un Adoresetoüy
estoit arrivé, car ainsi appellent-ils les François, lequel nom
vaut autant à dire, comme gents de fer, & vindrent à la foule
en grand nombre voir ledit Brûlé, lequel ils prirent & menèrent
en la cabanne de l'un des principaux chefs, où il fut
interrogé, & luy fut demandé qu'il estoit, d'où il venoit,
qu'elle occasion l'avoit poussé & amené en cedit lieu, & comme
il s'estoit égaré, & outre s'il n'estoit pas de la nation des
François qui leur faisoient la guerre: sur ce il leur fist
responce qu'il estoit d'une autre nation meilleure, qui ne
desiroient que d'avoir leur cognoissance, & amitié, ce qu'ils
ne voulurent croire, ains se jetterent sur luy, & luy
arrachèrent les ongles avec les dents, le bruslerent avec des
tisons ardens, & luy arrachèrent la barbe poil à poil,
néant-moins contre la volonté du chef. Et en cet accessoire
l'un des sauvages advisa un Agnus Dei, qu'il avoit pendu au
col, quoy voyant, demanda qu'il avoit ainsi pendu à son col, &
139/627 le voullut prendre & arracher, mais ledict Brûlé luy dit (d'une
parolle assurée) si tu le prends & me fais mourir, tu verras
que tout incontinent après tu mouras subitement, & tous ceux de
ta maison, dont il ne fit pas estat, ains continuant sa
mauvaise volonté, s'efforçoit de prendre l'Agnus Dei, & le luy
arracher, & tous ensemble disposés à le faire mourir, &
auparavant luy faire souffrir plusieurs douleurs & tourments
par eux ordinairement exercés sur leurs ennemis. Mais Dieu qui
luy faisant grâce ne le voullust permetre, ains par sa
providence fist que le Ciel, qui de serain & beau qu'il estoit,
se changea subitement en obscurité, & chargé de grosses &
espoisses nuées, se terminèrent en tonnerres & esclairs si
viollents, & continus, que c'estoit chose estrange, &
épouvantable, & donnèrent ces orages un tel épouvantement aux
Sauvages, pour ne leur estre commun, mesme n'en avoir jamais
entendu de pareil, ce qui leur fist divertir, & oublier, leur
mauvaise volonté qu'ils avoient à l'encontre dudit Brûlé, leur
prisonnier, & le laissans l'abandonnèrent, sans toutesfois le
deslier, n'osans l'approcher: Qui donna subject au patient de
leur user de douces parolles, les appellant & leur remonstrant
le mal qu'ils luy faisoient sans cause, leur faisans entendre
combien nostre Dieu estoit courroucé contr'eux pour l'avoir
ainsi maltraicté.
Lors le Cappitaine s'approcha dudit Brûlé, le deslia, & le mena
en sa maison, où il luy cura & medicamenta ses playes, cela
faict, il ne se faisoit plus de danses, & festins, ou
resjouyssances, que ledict Brûlé ne fust appellé, & après avoir
140/628 esté quelque temps avec ces Sauvages, il print resolution de se
retirer en nos quartiers vers nostre habitation.
Et prenans congé d'eux, il leur promist de les mettre d'accord
avec les François, & leurs ennemis, & leur faire jurer amitié
les uns envers les autres, & qu'à ceste fin il retourneroit
vers eux le plustost qu'il pourroit, & luy partant d'avec eux
ils le conduirent jusques à quatre journées de leur village, &
de là s'en vint en la contrée & village des Atinouaentans[201],
où j'avois des-ja esté, & là demeura ledit Brûlé quelque temps,
puis reprenant chemin vers nous, il passa par la Mer douce, &
navigea sur les costes d'icelle quelques dix journées du costé
du Nort, où aussi j'avois passe allant à la guerre, & eust
ledict Brûlé passe plus outre pour découvrir les terres de ces
lieux comme je luy avois donné charge, n'eust esté qu'un bruict
de leur guerre qui se preparoit entr'eux, reservant ce desseing
à une autre fois, ce qu'il me promist de continuer, & effectuer
dans peu de temps, avec la grâce de Dieu, & de m'y conduire
pour en avoir plus ample & particulière cognoissance: Et après
qu'il m'en eust faict le récit, je luy donnay esperance que
l'on recognoistroit ses services, & l'encouragay de continuer
ceste bonne volonté jusques à nostre retour, où nous aurions
moyen de plus en plus à faire chose dont il recevroit du
contentement. Voila en fin tout le discours & récit de son
voyage, depuis qu'il partit d'avec moy[202] pour aller ausdites
141/629 descouvertures, ce qui me donna du contentement, sur
l'esperance de mieux parvenir par ce moyen à la continuation &
advancement d'icelle.
[Note 201: Cette orthographe montre que l'auteur, dans la première
partie de cette relation, n'avait pas écrit _Atigouautans_, mais
_Atignoantans_.]
[Note 202: Il était parti, pour son ambassade, le 8 septembre 1615.]
Et à cet effect print congé de moy pour s'en retourner avec les
peuples Sauvages, dont il avoit cognoissance & affinité par luy
acquise en ses voyages & descouvertures, le priant de les
continuer jusques à l'année prochaine que je retournerois avec
bon nombre d'hommes, tant pour le recognoistre de ses labeurs,
que pour assister les sauvages, ses amis, en leurs guerres,
comme par le passé.
Et reprenant le fil de mon discours premier, faut noter qu'en
mes derniers & précédents voyages & descouvertures, j'avois
passé par plusieurs & diverses nations[203] de Sauvages non
cogneus aux François, ny à ceux de nostre habitation, avec
lesquels j'avois fait alliance, & juré amitié avec eux, à la
charge qu'ils viendroient faire traicte avec nous, & que je les
assisterois en leurs guerres: car il faut croire qu'il n'y a
une seulle nation qui vive en paix, que la nation neutre, &
suivant leur promesse vindrent de plusieurs nations de peuples
Sauvages nouvellement descouvertes les uns pour traicte de leur
pelletrie, les autres pour voir les François, & expérimenter
quel traictement & réception on leur feroit, ce que voyant
encouragea tout le monde, tant les François à leur faire bonne
chère, & réception, les honorant de quelques gratifications &
presents, que les facteurs des marchands leur donnèrent pour
les contenter, qui fut à leur contentement, comme aussi
142/630 d'autre-part tous lesdits Sauvages promirent à tous les
François de venir, & vivre à l'advenir en amitié les uns & les
autres, avec protestation chacun de se comporter avec une telle
affection envers nous autres, qu'aurions sujet de nous louer
d'eux, & au semblable que nous les assistassions de nostre
pouvoir en leurs guerres.
[Note 203: Voir ci-dessus, pages 57-60.]
La traicte ainsi faicte & parachevée, & les sauvages partis &
congédiez, nous nous retirasmes & partismes des trois rivieres
le 14 Juillet audict an, & le lendemain arrivasmes à Québec,
lieu de nostre habitation, où les barques furent deschargées
des marchandises qui avoient resté de ladicte traite, & mises
dedans le magasin des Marchands qu'ils ont audit lieu.
Ce faict, le sieur du Pont s'en retourna à Tadoussac, avec les
barques, afin de les faire charger & porter en laditte
habitation les vivres, & choses necessaires pour la nourriture
& entrenement de ceux qui y devoient hiverner & demeurer, &
cepandant que les barques alloient & venoient pour apporter les
vivres & autres commoditez necessaires pour l'entretien de ceux
qui demeuroient à l'habitation, auquel lieu je me deliberay d'y
demeurer pour quelques jours, affin de faire fortifier &
reparer les choses necessaires pandant mon sejour.
Et lors de mon partement de laditte habitation, je pris congé
des Pères Religieux, du sieur de la Mothe, & de tous autres qui
demeuroient en icelle, sur l'esperance que je leur donnay de
retourner, Dieu aydant, avec bon nombre de familles pour
peupler ce pays. Je m'embarquay le 26 Juillet, & les Pères Pol
143/631 & Pacifique qui y avoit hiverné trois ans, & l'autre Père un an
& demy[204] afin de faire rapport, tant de ce qu'ils avoient
veu audit païs, que de ce qui s'y pouvoit faire: Nous partismes
cedict jour de laditte habitation pour venir à Tadoussac faire
nostre embarquement pour retourner en France, auquel lieu nous
arrivasmes le lendemain, où nous trouvasmes nos vaisseaux
prests à faire voile & nostre embarquement faict, nous
partismes dudict lieu de Tadoussac pour venir en France le 30
du mois de Juillet 1618 & arrivasmes à Hondefleur le 28e jour
d'Aoust, avec vent favorable, & contentement d'un chacun.
[Note 204: Le P. Paul Huet était venu l'année précédente, 1617, et le
Frère Pacifique du Plessis en 1615. (Voir ci-dessus, pages 7, 108,
109.)]
FIN.
634
OEUVRES
DE
CHAMPLAIN
PUBLIÉES
SOUS LE PATRONAGE
DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
PAR
L'ABBÉ C.-H. LAVERDIÈRE, M. A.
PROFESSEUR D'HISTOIRE A LA FACULTÉ DES ARTS
ET BIBLIOTHÉCAIRE DE L'UNIVERSITÉ
SECONDE ÉDITION
TOME V
QUÉBEC
Imprimé au Séminaire par GEO.-E. DESBARATS
1870
iii/635
_Nous avons cru quelque temps, avec plusieurs auteurs, que l'on
avait fait, en 1640, une nouvelle, édition du volume de 1632.
Mais, après un examen attentif, nous avons constaté que les
éditeurs n'ont fait que rafraîchir le titre, et changer le
millésime; partout, le texte est absolument conforme à certains
exemplaires de 1632, et nous avons toujours eu soin de faire
remarquer, dans nos notes, les principales divergences.
Cette édition est, sans contredit, la plus complète de toutes
celles que publia l'auteur. On y trouve en effet, dans la_
Première Partie, _une reproduction à peu près textuelle des
voyages de Champlain publiés jusqu'alors, avec quelques
nouvelles réflexions sur les difficultés qui avaient eu lieu
entre les diverses compagnies; la_ Seconde Partie _renferme
tout ce qui était encore inédit des voyages de découverte et
des événements qui se passèrent en Canada depuis 1620, et l'on
peut dire que cette seconde moitié du volume de 1632 est unique
et indispensable._
iv/636 _Le but des diverses publications de Champlain, fut toujours de
faire connaître les avantages que la Nouvelle-France pouvait
offrir à la mère patrie; mais, dans celle-ci, la pensée de
l'auteur semble se dessiner de plus en plus. D'un coté, il
était naturel qu'on se demandât, quel si grand intérêt la
France pouvait avoir à conserver cette petite colonie lointaine
et ces froides régions du Canada. Champlain commence cette
édition par énumérer les ressources et les richesses de ces
pays encore trop peu connus. Le premier chapitre, joint à
quelques observations extraites, en grande partie, de ses
divers ouvrages, forma même un petit mémoire, qu'il présenta au
roi vers 1630.
D'un autre coté, il était important de bien faire comprendre à
la France qu'il y allait de son honneur de ne point laisser si
facilement entre les mains des Anglais d'immenses contrées dont
elle était à juste titre en possession depuis très-longtemps et
par droit de découverte. Champlain jugea qu'une édition plus
complète de ses Voyages atteindrait ce but; en remettant sous
les yeux du lecteur toute la série des événements accomplis
jusque-là: Il commence, par établir que les Français
fréquentaient les Terres-Neuves et le Canada longtemps avant
que les Anglais y prétendissent quelque chose; puis, à la fin
de son volume, craignant que le lecteur ne perde de vue ce
point important, il donne encore un_ «Abrégé des découvertes
v/637 _attribuées tant aux Anglais qu'aux Français, suivant le
rapport des historiens, afin que chacun, dit-il, puisse juger
du tout sans passion.»
M. de Puibusque, dans une lettre dont nous avons cité quelques
extraits en tête du_ Voyage de 1603, _disait, en parlant de
notre auteur: «Ses relations imprimées ont été retouchées par
un arrangeur si habile, qu'elles parlent une autre langue que
la sienne.» Nous ne savons jusqu'à quel point cette remarque
est fondée relativement aux premiers voyages de Champlain; mais
elle semble avoir surtout son application dans ce volume de
1632.
On y trouve en effet certains passages, et surtout des notes
marginales, qui ne peuvent pas être de la main de l'auteur, Que
l'on nous permette de citer quelques exemples.
Page 131 (de cette présente édition), première partie: pour se
conformer à l'usage qui commençait à prévaloir, Champlain donne
à la pointe de Tous-les-Diables le nom de pointe aux Vaches;
que fait le réviseur? Le typographe avait mis dans le texte_
pointe aux roches; _la note marginale vient aggraver la faute
en substituant_ pointe aux Rochers. _Or, Champlain connaissait
trop bien cette pointe pour laisser passer ainsi une double
faute.
Page 174, en marge: «Des Prairies remontre aux nôtres le peu
vi/638 d'honneur de combattre avec les sauvages.» Évidemment, celui
qui a fait cette note n'a pas compris le sens du texte en
regard: Des Prairies représente à ses compagnons qu'il serait
honteux de laisser Champlain se battre seul avec les sauvages.
Page 182: le sommaire du chapitre, qui ne se trouve pas dans
l'édition 1613, ne peut vraisemblablement avoir été fait par
l'auteur; car il ne s'accorde pas avec le texte.
Page 187, On lit en marge:_ «Les deux sauvages,» _etc. Or
l'auteur, qui était sur les lieux lors de l'accident, dit dans
son texte que c'étaient un français nommé Louis et un sauvage.
Page 253, seconde partie: «Prise de l'auteur par l'Anglais,» au
lieu de _Prise du sieur de Caen._ L'auteur pouvait-il se
tromper sur ce fait?
Nous pourrions citer bien d'autres passages de cette nature,
que nous avons notés dans l'occasion.
Non-seulement quelqu'un a revu, ou même retouché le récit de
Champlain; mais on peut affirmer que ce travail a été fait soit
par un jésuite, soit par un ami des religieux de cet ordre.
Il faut remarquer d'abord que cette édition s'imprimait au
moment ou les Récollets faisaient d'inutiles efforts pour
rentrer dans une mission dont ils étaient les fondateurs;
tandis que les Pères Jésuites revenaient seuls, évidemment
protégés par la toute-puissance du cardinal de Richelieu.
vii/639 D'un autre, coté, Champlain ne devait pas être ennemi des
Récollets, lui qui les avait amenés dans le pays. Du reste, le
P. le Clercq nous apprend «qu'il prenait leurs intérêts à
coeur, quoiqu'il n'osât paraître, et qu'il fut même le premier
à les avertir des véritables intentions de ceux qui, faisant
mine de les servir, les traversaient effectivement.»
Maintenant, que le lecteur examine attentivement l'édition de
1632, et il remarquera que l'on retranche à dessein, des
éditions précédentes, tout ce qui était en faveur des
Récollets, et que l'on y introduit au contraire tout ce qui
pouvait servir la cause des Jésuites. Ainsi, toute l'édition de
1619 est reproduite mot pour mot, à la réserve de quelques
passages ou il était fait mention des travaux des Récollets. En
revanche, on intercale un résumé de la relation du P. Biard sur
les missions des Jésuites à l'Acadie, et l'on ajoute à la fin
du volume des échantillons des deux principales langues parlées
dans le pays, opuscules faits tous deux par des pères jésuites.
Il est donc évident qu'une main étrangère s'est chargée de la
révision de l'ouvrage de Champlain. Il paraît également certain
que ces changements significatifs introduits dans son oeuvre
originale, doivent être attribués au motif de laisser dans
l'ombre les Pères Récollets au profit de ceux qu'ils avaient
d'abord appelés à leur secours. Or, le caractère franc et loyal
viii/640 de Champlain ne permet pas de supposer qu'il ait eu recours à
de pareils procédés, outre que le témoignage du P. le Clercq,
cité plus haut, semble le laver de tout soupçon à cet égard.
On ne peut donc guère s'empêcher de conclure, qu'un correcteur
officieux aura fait agréer à l'auteur certaines additions
très-bonnes en elles-mêmes, et aura pris sur lui de biffer,
sous prétexte de longueur, les passages qui pouvaient nuire à
la cause.
641
LES
VOYAGES
DE LA
NOUVELLE FRANCE
OCCIDENTALE, DICTE
CANADA
FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN
Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine du Ponant, &
toutes les Descouvertes qu'il a faites en ce païs depuis l'an
1603 jusques en l'an 1629.
_Où Je voit comme ce pays a esté premièrement descouvert par
les François, sous l'authorité de nos Roys tres-Chrestiens,
jusques au règne de sa Majesté à present régnante LOUIS XIII.
Roy de France & de Navarre._
Avec un traitté des qualitez & conditions requises à un bon &
parfaict Navigateur pour cognoistre la diversité des Estimes
qui se font en la Navigation. Les Marques & enseignements que
la providence de Dieu a mises dans les Mers pour redresser les
Mariniers en leur routte, sans lesquelles ils tomberoient en de
grands dangers. Et la manière de bien dresser Cartes marines
avec leurs Ports, Rades, Isles. Sondes, & autre chose
necessaire à la Navigation.
_Ensemble une Carte generalle de la description dudit pays
faicte en son Méridien selon la déclinaison de la guide Aymant,
& un Catéchisme ou Instruction traduicte du François au langage
des peuples Sauvages de quelque contrée, avec ce qui s'est
passé en ladite Nouvelle France en l'année 1631._
A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DUC DE RICHELIEU.
[Illustration]
A PARIS.
Chez Louis SEVESTRE Imprimeur-Libraire, rue du Meurier, prés la
porte S. Vidior, & en sa Boutique dans la Cour du Palais.
MDCXXXII.
Avec Privilege du Roy.
3/643
[Illustration]
MONSEIGNEUR
L'ILLUSTRISSIME CARDINAL
Duc DE RICHELIEU, Chef,
Grand Maistre & Sur-Intendant
Général du Commerce &
Navigation de France.
MONSEIGNEUR, _Ces Relations se presentent à vous;
comme, à celuy auquel elles sont principalement deues, tant à
cause de l'eminente Puissance que vous avez en l'Eglise, & en
l'Estat comme en l'authorité de toute la Navigation, que pour
estre informé ponctuellement de la grandeur, la bonté, & la
beauté des lieux qu'elles vous rapportent. Partant que ce n'est
4/644 pas sans grandes & preignantes causes que les Roys
Predecesseurs de sa Majesté, & elle, non seulement y ont arboré
l'estendart de la Croix, pour y planter la foy comme ils ont
fait, ains encores y ont voulu adjouster le nom de la Nouvelle
France. Vous y verrez les grands & périlleux Voyages qui y ont
esté entreprins, les Descouvertes qui s'en sont ensuivies,
l'estendue de ces terres, non moins grandes quatre fois que la
France, leur disposition, la facilité de l'asseuré et important
Commerce qui s'y peut faire, la grande utilité qui s'en peut
retirer, la possession que nos Roys ont prinse d'une bonne
partie de ces Pays, la mission qu'ils y ont faite de divers
Ordres de Religieux, leur progrès en la conversion de plusieurs
Sauvages, celle du défrichement de quelques unes de ces Terres,
par lequel vous cognoistrez qu'elles ne cèdent en aucune façon
en bonté à celle de la France, et en fin les habitations et
forts qui y ont esté construicts sous le nom François. A la
conservation desquels, comme en une bonne partie de ces
Descouvertes ayant ainsi que j'ay esté assiduement employé
depuis trente ans, tant sous l'auctorité de nos Vice-rois, que
de celle de vostre Grandeur, c'est Monseigneur, ce qui excusera
s'il vous plaist la liberté que je prends de vous offrir ce
petit Traitté: en ceste asseurance qu'il ne vous sera poin
desagréable. Non pour ma consideration propre: Mais bien
seulement pour celle du public: qui faict desja retentir vostre
5/645 nom en toute l'estendue des rivages maritimes de la Terre
habitable, par les acclamations des effects qu'il se promet de
la continuation de la gloire de vos actions: & que comme vostre
Grandeur les a eslevées en terre jusques au dernier degré, par
la Paix qu'elle a procurée en ce Royaume, après tant & de si
heureuses victoires, aussi ne sera elle moins portée à se faire
admirer durant la Paix aux choses qui la concernent. Sur tout
au restablissement du Commerce de France: dans les pays plus
esloygnez; comme le moyen plus asseuré qu'elle ait pour
reflorir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces
nations estranges celles de la Nouvelle France vous tendent
principalement les mains: se figurans avec toute la France que
puisque Dieu vous a constitué d'un costé Prince de l'Eglise, et
de l'autre eslevé aux sureminantes dignitez que vous tenez, non
seulement vous leur redonnerez la lumière de la foy, laquelle
ils respirent continuellement, mais encores releverez et
soustiendrez la possession de ceste Nouvelle Terre, par les
Peuplades et Colonies qui s'y trouverront necessaires, et qu'en
fin Dieu vous ayant choisy expressement entre tous les hommes
pour la perfection de ce grand Oeuvre, il sera entièrement
accomply par vos mains. C'est le souhait que je faits sans
cesse, auquel je joincts encores les offres que je vous
presente du reste de mes ans, que je tiendray tres-heureusement
6/646 et necessairement employez en un si glorieux dessein, si avec
tous mes labeurs passez je puis estre encores honoré des
commandemens qu'attend de vostre Grandeur,
MONSEIGNEUR,
Vostre très-humble & tres-affectionné serviteur
CHAMPLAIN.
7/647
[Illustration]
SUR LE LIVRE DES
VOYAGES
du Sieur de Champlain Capitaine
pour le Roy en la Marine.
Veux tu Voyageur hazardeux
Vers Canada tenter fortune?
Veux tu sur les flots escumeux
Recevoir l'ordre de Neptune?
Bien équipé fay chois soudain
D'un temps propice à ton dessain,
Et tu verras qu'en son empire
Le vent plus violent & fort
Pressant les flancs de ton navire
Te fera tost surgir au port.
Que si le Pilote est mal duict
Aux routes qu'il luy convient suivre
Il pourra estre mieux conduict
S'il se gouverne par le Livre
Qu'en sa faveur a fait Champlain,
A qui les Grâces ont à plain
Prodigué tout leur heritage:
De qui Pithon a prins le soing
D'orner son élégant langage,
Afin qu'il t'aide à ton besoing.
Va donc Pilote sans frayeur
Ancrer en la Nouvelle France;
Ne crain de Thetis la fureur
Ny des Autans la violence:
Champlain comme s'il estoit fils,
Ou de Neptune, ou de Typhys
8/648 Rendra ta nef si asseurée,
Que ny les monstres de la mer,
Ny tous les efforts de Borée
Ne la pourront faire abysmer.
Que si quelqu'un par vanité
Estime avoir cet advantage
De porter quelque Déité
Et ne pouvoir faire naufrage,
Reproche luy qu'en ce qu'il croit
Tu es fondé en meilleur droict,
Si la raison trouve en toy place;
Car deferant aux bons advis
DIEU favorise de sa grâce
Ceux qui tousjours les ont suivis.
PIERRE TRICHET
Advocat Bourdelois.
9/649
TABLE DES CHAPITRES
contenus en la première Partie.
LIVRE PREMIER.
Estendue de la Nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur
quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la Nouvelle
France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, &
Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples. Chap.
I. P. 1
Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux
d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa
gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs
Estats. Voyages des François faits es Terres neufves, depuis
l'an 1504. Chap. II. P. 8
Voyage en la Floride sous le règne du Roy Charles IX. par Jean
Ribaus. Fit bastir un fort, appellé le Fort de Charles, sur la
riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans
vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par
un Anglois. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque
d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de
famine. Recompense de l'Empereur Charles V à ceux qui firent la
descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May
par les Espagnols. Attaquent Laudonniere. François tuez, &
pendus avec des escriteaux. Chap. III. P. 16
Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut
des Espagnols en la cruauté qu'ils exercèrent envers les
François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de
Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est
assailly des Espagnols, qu'il défait, & les traitte comme ils
avoient fait les François. Chap. IIII. P. 23
Voyage que fit faire le sieur de Roberval. Envoye Alphonse
Xainctongeois vers Labrador. Son parlement: son arrivée.
Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort,
pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la
Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son
entreprise. Chap. V.P. 36
Voyage du sieur Chauvin. Son dessein. Remonstrances que luy
fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy. Retour
dudit Sieur Chauvin & du Pont en France. Second voyage de
Chauvin: son entreprise blasmable. Chap. VI. P. 40
Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur
de Charte. Le sieur de Pont Gravé eslu pour le voyage de
10/650 Tadoussac. L'Autheur se met en voyage avec ledit sieur
Commandeur. Leur arrivée au Grand sault Sainct Louis. Sa
difficulté à le passer. Leur retraite. Mort dudit Commandeur,
qui rompt le 6e voyage. Chap. VII. P. 44
Voyage du sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu
Commandeur de Chaste. Obtient commission du Roy pour aller
descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands
de Rouen & de la Rochelle. L'Autheur voyage avec luy. Arrivent
au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le
sieur de Poitrincourt va avec le sieur de Mons. Plaintes dudit
sieur de Mons. Sa commission revoquée. Chap. VIII. P. 48
Livre Second.
Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap
Nègre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap
Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie. Du port de
Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui
sont le long de la coste d'Acadie. Chap. I. P. 55
Description du Port Royal, & des particularitez d'iceluy. De
l'isle Haute. Du port aux Mines. De la grande baye Françoise.
De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
le port aux Mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les
Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs
belles isles qui y sont. De l'isle de saincte Croix, & autres
choses remarquables d'icelle coste. Chap. II. P. 60
De la coste, peuples, & riviere de Norembeque. Chap. III. P. 68
Descouverture de la riviere de Quinibequy, qui est de la coste
des Almouchiquois, jusques au 42. degré de latitude, & des
particularitez de ce voyage. A quoy les hommes & les femmes
passent le temps durant l'hyver. Chap. IIII. P. 75
Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap aux
Isles. Canaux de ces peuples faits d'escorce de bouleau. Comme
les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui tombent
en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux. Leur
chef honorablement receu de nous. Chap. V. P. 83
Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
& de ce qu'y avons remarqué de particulier. Chap. VI. P. 90
Continuation des susdites descouvertures jusques au port
Fortuné, & quelque vingt lieues par de là. Chap. VII. P. 98
Descouverture depuis le Cap de la Héve, jusques à Canseau, fort
particulièrement. Chap. VIII. P. 104
11/651
Livre Troisiesme.
Voyages du sieur de Poitrincourt en la Nouvelle France, ou il
laisse son fils le sieur de Biencourt. Pères Jesuistes qui y
sont envoyez, & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir
la Foy Chrestienne. Chap. I. P. 109
Seconde entreprise du sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy
donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que
l'Autheur fait au lieu de Québec. Crieries contre le sieur de
Mons. Chap. II, p. 127
Embarquement de l'Autheur pour aller habiter la grande riviere
Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la riviere
de Saguenay. De l'Isle d'Orléans. Chap. III. P. 130
Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: & du
sault de Montmorency. Chap. IIII. P. 133
Arrivée de l'Autheur à Québec, où il fit ses logemens. Forme de
vivre des Sauvages de ce pays là. Chap. V. P. 136
Semences de vignes plantées à Québec par l'Autheur. Sa charité
envers les pauvres Sauvages. Chap. VI. P. 141
Partement de Québec jusques à l'Isle Sainct Eloy, & de la
rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Ochataiguins.
Chap. VII. P. 145
Retour à Québec, & depuis continuation avec les Sauvages
jusques au Sault de la riviere des Hiroquois. Chap. VIII. P.
149
Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description
d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes
audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant
attaquer les Hiroquois. Chap. IX. P. 155
Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin. Chap,
X. P. 167
Deffaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere
des Hiroquois. Chap. XI. P. 170
Description de la pesche des Baleines en la Nouvelle France,
Ch. XII. P. 179
Partement de l'Autheur de Québec: du Mont Royal, & ses Rochers.
Isles où se trouve la terre à potier. Isle de faincte Hélène.
Chap. XIII. P. 182
Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
baillé, & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de
France. Plusieurs discours de part & d'autre. Chap. XIIII. P.
188
12/652
Livre Quatriesme.
Partement de France: & ce qui se passa jusques à nostre arrivée
au Sault sainct Louys. Chap. I. P. 198
Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent
quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les
refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon
entreprise, me remonstrans les difficultez. Response à ces
difficultez. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, &
n'avoir esté où il disoit. Il leur maintient son dire
véritable. Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs
refus. Mon conducteur convaincu de mensonge, & sa confession.
Chap. II. P. 211
Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de la
Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun.
Nostre retour en France. Chap. III. P. 224
L'Autheur va trouver le sieur de Mons, qui luy commet la charge
d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le Comte
de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur s'addresse à
Monsieur le Prince, qui le prend en sa protection. Chap. IIII.
P. 229
Embarquement de l'Autheur pour aller en la Nouvelle France.
Nouvelles descouvertures en l'an 1615. Chap. V. P. 241
Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays:
naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommoditez que
nous receusmes. Chap. VI. P. 253
Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du petum.
Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre. Chap.
VII. P. 272
Changement de Viceroy de feu Monsieur le Mareschal de Thémines,
qui obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la
Nouvelle France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons
à la Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.
Chap. VIII. P. 310
13/653
TABLE DES CHAPITRES
contenus en la Seconde Partie.
LIVRE PREMIER.
Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son
arrivée à Québec. Prend possession du Pays, au nom de Monsieur
de Montmorency. Chap. I. P. 1
Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France.
Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de
France apportées au sieur de Champlain. Chap. II. P. 8
Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France. Le sieur de May
mis au Fort. Arrivée des Commis du sieur du Pont à Québec, & ce
qui se passa sur ce qu'ils pretendoient. Chap, III. P. 16
Arrivée du sieur du Pont à Québec & du Canau d'Halard, & du
sieur de Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père
George à Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de
l'Autheur pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Sur
l'arrest de sa Majesté. Magazin de Québec achevé par l'Autheur.
Armes pour le fort de Québec. Chap. IIII. P. 21
L'Autheur faist travailler au fort de Québec. Voye asseurée
qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est
expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin
commis du sieur Dolu. Réunion des deux societés. Chap. V. P. 36
L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux
decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du
Conseil. Des commoditez qui reviendroient de ces decouvertures.
Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de
faire la paix entr'eux. Chap. VI. P. 44
Arrivée du sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur
leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à
l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se
passa le reste de l'année 1622. & aux premiers mois de 1623.
Chap. VII. P. 49
Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yroquois. Advis du
Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en
l'Isle S. Jean. Plaintes des Sauvages accordées. Le meurtrier
est pardonné. Cérémonies observées en recevant le pardon du Roy
de France. Accord entre ces nations sauvages & les François.
Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de
Nouveaux édifices. Chap. VIII. P. 61
14/654
Livre Second.
Monsieur le duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France,
continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il
luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle
France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez. Chap. I.
P. 87
Description de l'Isle de terre Neufve. Isles aux Oyseaux,
Ramées, S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonaventure, Miscou,
Baye de Chaleu, avec celle qui environne le Golfe S. Laurent,
avec les Costes, depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là à
Québec, sur le grand fleuve S. Laurent. Chap. II. P. 98
Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois.
L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres. Chap. III.
P. 133
Mort, & assassinat de Pierre Magnan, François, du chef des
Sauvages appellé Reconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour
d'Emery de Caen & du P. l'Allemand à Québec. Necessitez en la
Nouvelle France. Chap. IV. P. 142
Guerre déclarée par les Yroquois. Assemblée des sauvages.
Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche
de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les
Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur
veut venger ce meurtre. Chap. V. P. 149
Défauts observez par l'Autheur au voyage du sieur de Roquemont.
Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement. Le Sauvage
Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de la
punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de faire
la guerre aux Yrocois. Chap. VI. P. 184
Livre Troisiesme.
Rapport du combat faict entre les François & les Anglois. Des
François emmenez prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de
guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle
amy des François promet les advertir de toutes les menées des
Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient. Chap. I. P. 207
Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre
toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut
l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglois. Chap. II. P.
222
Le sieur de Champlain, ayant eu advis de l'arrivée des Anglois,
donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux.
Lettre qu'un Gentil-homme Anglois luy apporte, & sa response.
15/655 Articles de leur composition. Infidelles François prennent des
commoditez de l'habitation. Anglois s'emparent de Québec. Chap.
III. P. 237
Combat des François avec les Anglois. On fait parler l'Autheur
au sieur Emery. Voyage des François pour secourir Québec. Le
beau frère de l'Autheur luy compte son voyage. Emery taschoit
de se retirer. Chap. IV. P. 251
Voyages de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur
de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de
l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur
d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites
en la Foy. Chap. V. P. 268
Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes &
munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort mal
heureuse de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer.
Chap. VI. P. 282
Partement des Anglois au port de Tadoussac, Général Quer craint
l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre. L'Autheur
y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy & le
conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de
l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du
Reverend père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de
l'Autheur à Paris. Chap. VII. P. 292
Relation du Voyage fait par le Capitaine Daniel de Dieppe, en
la Nouvelle France, la presente année 1629. P. 299
Abrege des descouvertures de la Nouvelle France, tant de ce que
nous avons descouvert comme aussi les Anglois, depuis les
Virgines jusqu'àu Freton Davis & de ce qu'eux & nous pouvons
prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont
descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un
chacun du tout sans passion. P. 322.
16/656
TABLE DU TRAITÉ
de la Marine, & du devoir
d'un bon Marinier.
DE la Navigation. P. 5
Que les cartes pour la navigation sont necessaires. P. 19.
Comme l'on doit user de la carte marine. P. 20.
Comme les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous
Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour
s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus
dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole
des Mariniers. P. 2l
Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce
qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde. P. 26
Premier que rapporter les diverses estimes l'on verra une chose
remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a donné
aux hommes pour eviter les périls de la plus part des
navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a
point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du
marinier, p. 28
Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour au
papier journal. P. 37
S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son
estime, & pointer la carte. P. 40
De pointer la carte. P. 42
Autre manière d'estimer & arrester le poind sur la carte. P. 45
Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs. P. 48
Autre manière de pointer après l'estime faicte. P. 49
Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns
Anglois bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect
des estimes que l'on fait ordinairement. P. 50
Autre manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau
cinglant par quelque vent que ce soit. P. 54
Autre façon d'estimer par fantaisie. P. 54
FIN.
1/657
[Illustration]
LES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
LIVRE PREMIER.
_Estendue de la nouvelle France, & la bonté de ses terres. Sur
quoy fondé le dessein d'establir des Colonies à la nouvelle
France Occidentale. Fleuves, lacs, estangs, bois, prairies, &
Isles de la nouvelle France, sa fertilité, ses peuples._
CHAPITRE PREMIER.
Les travaux que le Sieur de Champlain a soufferts aux
descouvertes de plusieurs terres, lacs, rivieres, & isles de la
nouvelle France depuis vingt-sept ans[1], ne luy ont point fait
perdre courage pour les difficultez qui s'y sont rencontrées:
mais au contraire les périls & hazards qu'il y a courus, le luy
ont redoublé, au lieu de l'en destourner: & sur tout, deux
2/658 puissantes considerations l'ont fait resoudre d'y faire de
nouveaux voyages. La première, que souz le règne du Roy Louis
le Juste, la France se verra enrichie & accreue d'un païs dont
l'estendue excede plus de seize cents lieues en longueur, & de
largeur prés de cinq cents. La seconde, que la bonté des
terres, & l'utilité qui s'en peut tirer, tant pour le commerce
du dehors, que pour la douceur de la vie au dedans, est telle,
que l'on ne peut estimer l'avantage que les François en auront
quelque jour, si les Colonies Françoises y estans establies, y
sont protégées de la bien-veillance & authorité de sa Majesté.
[Note 1: Champlain fit son premier voyage en la Nouvelle-France dès
1603: par conséquent en 1632, il y avait vingt-neuf ans qu'il avait
commencé ses découvertes de ce côté. Ce nombre de vingt-sept ans, qui se
trouve au commencement de cette édition de 1632, est une preuve assez
forte que l'auteur commença son travail de publication peu de temps
après la prise de Québec par les frères Kerck, peut-être même des
l'automne de 1629. Une édition complète de ses voyages devait avoir le
bon effet d'éclairer la cour de France sur les ressources que pouvait
offrir pour l'avenir un pays si avantageusement doué de la nature, et
surtout de faire bien comprendre les droits de priorité de possession
que pouvaient revendiquer les Français sur toutes ces nouvelles et
importantes régions qui portaient depuis longtemps déjà le nom de
Nouvelle-France. Aussi, quelques lignes plus loin, l'auteur laisse assez
entrevoir le motif de cette édition, qui résume ses premiers voyages, et
renferme tous les principaux événements des années subséquentes.]
Ces nouvelles descouvertes ont causé le dessein d'y faire ces
Colonies, lesquelles quoy que d'abord elles ayent esté de
petite consideration, néantmoins par succession de temps, au
moyen du commerce, elles égalent les Estats des plus grands
Rois. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les
Espagnols ont édifiées au Pérou, & autres parties du monde,
depuis six vingt ans en ça, qui n'estoient rien en leur
principe. L'Europe peut rendre tesmoignage de celle de Venise,
qui estoit à son commencement une retraitte de pauvres
pescheurs. Gennes, l'une des plus superbes villes du monde,
édifiée dedans un païs environné de montagnes, fort desert, &
3/659 si infertile, que les habitans sont contraints de faire
apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardinages
d'alentour, & leur mer est sans poisson. La ville de Marseille,
qui autre-fois n'estoit qu'un marescage, environné de collines
& montagnes assez fascheuses, neantmoins par succession de
temps a rendu son territoire fertile, & est devenue fameuse, &
grandement marchande. Ainsi plusieurs petites Colonies ayans
la commodité des ports & des havres, se sont accreue en
richesses & réputation.
Il se peut dire aussi, que le pays de la nouvelle France est un
nouveau monde, & non un royaume, beau en toute perfection, &
qui a des scituations très-commodes, tant sur les rivages du
grand fleuve Sainct Laurent (l'ornement du pays) qu'és autres
rivieres, lacs, estangs, & ruisseaux, ayant une infinité de
belles isles accompagnées de prairies & boccages fort plaisans
& agréables, où durant le Printemps & l'Esté se voit un grand
nombre d'oiseaux, qui y viennent en leur temps & saison: les
terres très-fertiles pour toutes sortes de grains, les
pasturages en abondance, la communication des grandes rivieres
& lacs, qui sont comme des mers traversant les contrées, & qui
rendent une grande facilité à toutes les descouvertes, dans le
profond des terres, d'où on pourroit aller aux mers de
l'Occident, de l'Orient, du Septentrion, & s'estendre jusques
au Midy.
Le pays est remply de grandes & hautes forests, peuplé de
toutes les mesmes sortes de bois que nous avons en France;
l'air salubre, & les eaux excellentes sur les mesmes
4/660 parallelles d'icelle: &l'utilité qui se trouvera dans le païs,
selon que le Sieur de Champlain espere le representer, est
assez suffisant pour mettre l'affaire en consideration, puis
que ce pays peut produire au service du Roy les mesmes
advantages que nous avons en France, ainsi qu'il paroistra par
le discours suivant.
Dans la nouvelle France y a nombre infiny de peuples sauvages,
les uns sont sedentaires amateurs du labourage, qui ont villes
& villages fermez de pallissades, les autres errans qui vivent
de la chasse & pesche de poisson, & n'ont aucune cognoissance
de Dieu. Mais il y a esperance que les Religieux qu'on y a
menez, & qui commencent à s'y establir, y faisant des
Séminaires, pourront en peu d'années y faire de beaux progrez
pour la conversion de ces peuples. C'est le principal soin de
sa Majesté, laquelle levant les yeux au ciel, plustost que les
porter à la terre, maintiendra, s'il luy plaist, ces
entrepreneurs, qui s'obligent d'y faire passer des
Ecclesiastiques, pour travailler à ceste saincte moisson, & qui
se proposent d'y establir une Colonie, comme estant le seul &
unique moyen d'y faire recognoistre le nom du vray Dieu, & d'y
establir la Religion Chrestienne, obligeant les François qui y
passeront, de travailler au labourage de la terre, avant toutes
choses, afin qu'ils ayent sur les lieux le fondement de la
nourriture, sans estre obligez de le faire apporter de France:
& cela estant, le pays fournira avec abondance, tout ce que la
vie peut souhaitter, soit pour la necessité, ou pour le
plaisir, ainsi qu'il sera dit cy-aprés.
5/661 Si on desire la vollerie, il se trouvera dans ces lieux de
toutes sortes d'oiseaux de proye, & autant qu'on en peut
désirer: les faucons, gerfauts, sacres, tiercelets, esperviers,
autours, esmerillons, mouschets[2], de deux sortes d'aigles,
hiboux petits & grands, ducs grands outre l'ordinaire[3], pies
griesches, piverts, & autres sortes d'oyseaux de proye, bien
que rares au respect des autres, d'un plumage gris sur le dos,
& blanc souz le ventre, estans de la grosseur & grandeur d'une
poulle, ayans un pied comme la serre d'un oyseau de proye,
duquel il prend le poisson: l'autre est comme celuy d'un
canard, qui luy sert à nager dans l'eau lors qu'il s'y plonge
pour prendre le poisson: oiseau qu'on croit ne s'estre veu
ailleurs qu'en la nouvelle France [4].
[Note 2: Dans quelques parties de la France, et surtout en Picardie, on
donnait le nom de _mouchets_ aux petits oiseaux de proie.]
[Note 3: C'est une variété du Grand Duc _(Bubo Virginianus)_.]
[Note 4: L'oiseau dont parle ici Champlain, est le Balbuzard de la
Caroline _(Pandion Carolinensis)_. Ce passage montre qu'on a fait sur
notre aigle pêcheur les mêmes contes que sur celui d'Europe. «C'est une
erreur populaire,» dit Buffon, «que cet oiseau nage avec un pied, tandis
qu'il prend le poisson avec l'autre, et c'est cette erreur populaire qui
a produit la méprise de M. Linnaeus. Auparavant, M, Klein a dit la même
chose de l'orfraie ou grand aigle de mer; il s'est également trompé, car
ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre aucuns doigts
du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans
Albert-le-Grand, qui a écrit que cet oiseau avait l'un des pieds pareil
à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie: ce qui
est non-seulement faux, mais absurde et contre toute analogie.»]
Pour la chasse du chien couchant, les perdrix s'y trouvent de
6/662 trois sortes[5]; les unes sont vrayes gelinotes, autres noires,
autres blanches, qui viennent en hyver, & qui ont la chair
comme les ramiers, & d'un très-excellent goust.
[Note 5: Les trois espèces de perdrix que mentionne ici Champlain, sont
celles que l'on rencontre communément dans nos forêts: la Perdrix de
savane, ou Gelinotte du Canada _(Tetrao Canadensîs, LINN.)_; la Perdrix
de bois, ou Coq de bruyère _(Bonasa umbellus, STEPH.)_, et la Perdrix
blanche (Lagopus albus, AUD.). Boucher et Charlevoix n'en mentionnent
aussi que trois espèces. «Il y a, dit le premier, trois sortes de
Perdrix; les unes sont blanches, & elles ne se trouvent qu'en Hyver,
elles ont de la plume jusque sur les argots, elles sont belles & plus
grosses que celles de France, la chair en est délicate. Il y a d'autres
perdrix qui sont toutes noires, qui ont des yeux rouges: elles sont plus
petites que celles de France, la chair n'en est pas si bonne à manger;
mais c'est un bel oyseau, & elles ne sont pas bien communes. Il y a
aussi des Perdrix grises, qui sont grosses comme des Poules: celles-là
sont fort communes & bien aisées à tuer, car elles ne s'enfuyent quasi
pas du monde: la chair est extrêmement blanche & seiche.» (Hist.
véritable & naturelle, ch. VI.) Nous avons cependant une quatrième
espèce de Perdrix, le _Lagopus rupestris_; mais on ne la trouve que vers
la côte du Labrador.]
Quant à l'autre chasse du gibbier, il y abonde grande quantité
d'oiseaux de riviere, de toutes sortes de canards, sarcelles,
oyes blanches & grises, outardes, petites oyes, beccasses,
beccassines, allouettes grosses & petites, pluviers, hérons,
grues, cygnes, plongeons de deux ou trois façons, poulles
d'eau, huarts, courlieux, grives, mauves blanches & grises, &
sur les costes & rivages de la mer, les cormorans, marmettes,
perroquets de mer, pies de mer, apois, & autres en nombre
infiny, qui y viennent selon leur saison.
Dans les bois, & en la contrée où habitent les Hiroquois,
peuples de la nouvelle France, il se trouve nombre de cocs
d'Inde sauvages, & à Quebec quantité de tourtres tout le long
de l'esté, merles, fauves, allouettes de terre, autres sortes
d'oiseaux de divers plumages, qui sont en leur saison de
très-doux ramages.
Après cette sorte de chasse, y en a une autre non moins
plaisante & agréable, mais plus pénible, y ayant audit pays des
renards, loups communs, & loups cerviers, chats sauvages,
porcs-espics, castors, rats musquez, loutres, martres, fouines,
especes de blereaux, lapins, ours, eslans[6], cerfs, dains,
7/663 caribous de la grandeur des asnes sauvages, chevreux, escurieux
vollans, & autres, des hermines, & autres especes d'animaux que
nous n'avons pas en France. On les peut chasser, soit à
l'affus, ou au piège, par huées dans les isles, où ils vont le
plus souvent, & comme ils se jettent en l'eau entendant le
bruit, on les peut tuer aisément, ou ainsi que l'industrie de
ceux qui voudront y prendre le plaisir, le fera voir.
[Note 6: Par _élan_, les auteurs qui ont écrit sur le Canada ont désigné
généralement l'Orignal, ou _Orignac_. «Premièrement, dit Lescarbot,
parlons de l'Ellan... lequel noz Basques appellent _Orignac_.» (Hist. de
la Nouv. France, p. 893.) «Commençons, dit Boucher, par le plus commun &
le plus universel de tous les animaux de ce pays, qui est l'Elan, qu'on
appelle en ces quartiers icy Orignal.» (Hist. véritable & naturelle, ch.
v.) «Les eslans, dit Sagard, ou orignats, en Huron Sondareinta, sont
fréquents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy
des Hurons, sinon à la contrée du Nort.» (Hist. du Canada, p. 749.) «Ce
qu'on appelle ici _Orignal_, dit Charlevoix, c'est ce qu'en Allemagne,
en Pologne & en Moscovie on nomme _Elan_, ou la _Grand-Bête._» (Journal
historique, lettre VII.) A part l'Orignal _(Alce Americanus, BAIRD)_, la
même famille compte encore, en Canada, quatre espèces différentes de
Cerfs, qui peuvent correspondre à celles que mentionne ici Champlain:
1° Le Cerf du Canada _(Cervus Canadensis, GRAY)_. 2° Le Caribou, dont il
y a deux espèces: le _Rangifer caribou_, AUD., et le _Rangifer
Groenlandicus_, BAIRD. 3° Le Chevreuil, ou Cerf de Virginie (_Cervus
Virginianus_, AUD.).]
Si on aime la pesche du poisson, soit avec les lignes, filets,
parcs, nasses, & autres inventions, les rivieres, ruisseaux,
lacs, & estangs sont en tel nombre que l'on peut desirer, y
ayant abondance de saumons, truittes très-belles, bonnes &
grandes de toutes sortes, esturgeons de trois grandeurs,
aloses, bars fort bons, & tel se trouve qui pese vingt livres:
carpes de toutes sortes, dont y en a de très-grandes, & des
brochets, aucuns de cinq pieds de long, barbus qui sont sans
escaille, de deux à trois sortes grands & petits: poisson blanc
d'un pied de long[7]: poisson doré, esplan, tanche, perche,
tortue, loups marins, dont l'huile est fort bonne, mesme à
frire, marsouins blancs, & beaucoup d'autres que nous n'avons
point, & ne se trouvent dedans nos rivieres & estangs. Toutes
ces especes de poissons se trouvent dans le grand fleuve Sainct
Laurent: & d'avantage, mollues & baleines se peschent tout le
long des costes de la nouvelle France presque en toute saison.
[Note 7: Le Poisson Blanc, en certaines parties du Canada et
spécialement aux environs de Québec, atteint jusqu'à près de deux
pieds.]
8/664 Ainsi de là on peut juger le plaisir que les François auront en
ces lieux y estans habituez, vivans dans une vie douce &
tranquille, avec toute liberté de chasser, pescher, se loger &
s'accommoder selon sa volonté, y ayans dequoy occuper l'esprit
à faire bastir, desfricher les terres, labourer des jardinages,
y planter, enter, & faire pépinières, semer de toutes sortes de
grains, racines, légumes, sallades, & autres herbes potagères,
en telle estendue de terre, & en telle quantité que l'on
voudra. La vigne y porte des raisins assez bons, bien qu'elle
soit sauvage, laquelle estant transplantée, & labourée, portera
des fruicts en abondance. Et celuy qui aura trente arpents de
terre défrichée en ce pays là, avec un peu de bestail, la
chasse, la pesche, & la traitte avec les Sauvages, conformément
à l'establissement de la Compagnie de la nouvelle France, il y
pourra vivre luy dixiesme, aussi bien que ceux qui auroient en
France quinze à vingt mil livres de rente.
Que les Roys & grands Princes doivent estre plus soigneux
d'augmenter la cognoissance du vray Dieu, & accroistre sa
gloire parmy les peuples barbares, que de multiplier leurs
Estats. Voyages des François faits és Terres neufves depuis
l'an 1504.
CHAPITRE II.
Les palmes & les lauriers les plus illustres que les Rois & les
Princes peuvent acquérir en ce monde, est que mesprisans les
biens temporels, porter leur desir à acquérir les spirituels:
ce qu'ils ne peuvent faire plus utilement, qu'en attirant
9/665 par leur travail & pieté un nombre infiny d'âmes sauvages (qui
vivent sans foy, sans loy, ny cognoissance du vray Dieu) à la
profession de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine.
Car la prise des forteresses, ny le gain des batailles, ny la
conqueste des pays, ne sont rien en comparaison ny au prix de
celles qui se préparent des coronnes au ciel, si ce n'est
contre les Infidèles, où la guerre est non seulement
necessaire, mais juste & saincte, en ce qu'il y va du salut de
la Chrestienté, de la gloire de Dieu, & de la défende de la
foy, & ces travaux sont de soy louables & tres-recommandables,
outre le commandement de Dieu, qui dit, _Que la conversion d'un
infidèle vaut mieux que la conqueste d'un Royaume_. Et si tout
cela ne nous peut esmouvoir à rechercher les biens du ciel
aussi passionnément du moins que ceux de la terre, d'autant que
la convoitise des hommes pour les biens du monde est telle, que
la plus-part ne se soucient de la conversion des infidèles,
pourveu que la fortune corresponde à leurs desirs, & que tout
leur vienne à souhait. Aussi est-ce ceste convoitise qui a
ruiné, & ruine entièrement le progrez & l'advancement de ceste
saincte entreprise, qui ne s'est encores bien avancée, & est en
danger de succomber, si sa Majesté n'y apporte un ordre
tres-sainct, charitable, & juste, comme elle est, & qu'elle
mesme ne prenne plaisir d'entendre ce qui se peut faire pour
l'accroissement de la gloire de Dieu, & le bien de son Estat,
repoussant l'envie qui se met par ceux qui devroient maintenir
ceste affaire, lesquels en cherchent plustost la ruine que
l'effect.
10/666 Ce n'est pas chose nouvelle aux François d'aller par mer faire
de nouvelles conquestes: car nous sçavons assez que la
descouverte des Terres neufves, & les entreprises genereuses de
mer ont esté commencées par nos devanciers.
Ce furent les Bretons & les Normands, qui en l'an
1504-descouvrirent[8] les premiers des Chrestiens, le grand
11/667 Banc des Moluques, & les Isles de Terre neufve, ainsi qu'il se
remarque és histoires de Niflet[9], & d'Antoine Maginus.
[Note 8: Les Bretons, les Normands et les Basques fréquentaient déjà le
grand banc de Terreneuve dès l'an 1504, et cela depuis longtemps,
d'après le témoignage de plusieurs auteurs tant français qu'étrangers.
«Quant au premier,» dit Lescarbot, en parlant de Terreneuve, «il est
certain que tout ce pais que nous avons dit se peut appeller
Terre-neuve, & le mot n'en est pas nouveau: car de toute mémoire, & dés
plusieurs siècles noz Dieppois, Maloins, Rochelois, & autres mariniers
du Havre de Grâce, de Honfleur & autres lieux, ont les voyages
ordinaires en ces païs-là pour la pêcherie des Morues dont ilz
nourrissent presque toute l'Europe, & pourvoyent tous vaisseaux de mer.
Et quoy que tout pais de nouveau découvert se puisse appeller
Terre-neuve, comme nous avons rapporté au quatrième chapitre du premier
livre que Jean Verazzan appella la Floride Terre-neuve, pource qu'avant
lui aucun n'y avoit encore mis le pied: toutefois ce mot est
particulier aux terres plus voisines de la France és Indes Occidentales,
léquelles sont depuis les quarante jusques au cinquantième degré. Et
par un mot plus général on peut appeller Terre-neuve tout ce qui
environne le Golfe de Canada, où les Terre-neuviers indifféremment vont
tous les ans faire leur pêcherie: ce que j'ay dit être dès plusieurs
siecles; & partant ne faut qu'aucune autre nation se glorifie d'en avoir
fait la découverte. Outre que cela est très-certain entre noz mariniers
Normans, Bretons, & Basques, léquels avoient imposé nom à plusieurs
ports de ces terres avant que le Capitaine Jacques Quartier y allât; je
mettray encore ici le témoignage de Postel que j'ay extrait de sa Charte
géographique en ces mots: _Terra haec ob lucrosissimam piscationis
utilitatem summa literarum memoria a Gallis adiri solita, & ante mille
sexcentos annos frequentari solita est: sed eo quod sit urbibus inculta
& vasta, spreta est_. De manière que nôtre Terre-neuve étant du
continent de l'Amérique, c'est aux François qu'appartient l'honneur de
la première découverte des Indes Occidentales, & non aux Hespagnols.
Quant au nom de _Bacalos_ il est de l'imposition de noz Basques, léquels
appellent une Morue Bacaillos, & à leur imitation noz peuples de la
Nouvelle-France ont appris à nommer aussi la Morue Bacaillos, quoy qu'en
leur langage le nom propre de la morue soit _Apegé_. Et ont dés si long
temps la fréquentation dédits Basques, que le langage des premières
terres est à moitié de Basque.» (Hist. de la Nouv. France, p. 228, 229.)
«Les grands profits,» dit le commentateur des Jugements d'Oleron, «& la
facilité que les habitans de Capberton» (Cap breton) «prez Bayonne, &
les Basques de Guienne ont trouvé à la pescherie des Balenes, ont servi
de Leurre & d'amorce à les rendre hazardeux à ce point, que d'en faire
la queste sur l'Océan, par les longitudes & les latitudes du monde. A
cest effet ils ont cy-devant équippé des Navires, pour chercher le
repaire ordinaire de ces monstres. De sorte que suivant ceste route, ils
ont descouvert cent ans avant les navigations de Christophe Colomb, le
grand & petit banc des Morues, les terres de Terre-neufve, de Capberton
& Baccaleos _(Qui est à dire Morue en leur langage)_ le Canada ou
nouvelle France, où c'est que les mers sont abondantes & foisonnent en
Balenes. Et si les Castillans n'avoient pris à tasche de dérober la
gloire aux François de la première atteinte de l'Isle Athlantique,
qu'on nomme Indes Occidentales, ils advoueroient, comme ont fait
_Corneille Wytfliet & Anthoine Magin_, Cosmographes Flamans, ensemble
_F. Antonio S. Roman, Monge de S. Benico, del Historia général de la
India, lib. I, cap. 2, pag. 8. que le Pilote lequel porta la première
nouvelle à Christophe Colomb, & luy donna la connoissance & l'adresse de
ce monde nouveau, fut un de nos Basques Terre-neufiers.» (Jugements
d'Oleron, p. 151, 152). «Si, dans la langue primitive des Basques,» dit
M. Francis Parkman (_Pioneers of France in the New World,_ p. 171,
note), «le mot baccaleos veut dire morue, et que Cabot l'ait trouvé en
usage parmi les habitants de Terreneuve, il est difficile d'éluder la
conclusion, que les Basques y avaient été avant lui.»]
[Note 9: Wytfliet. L'auteur parle ici, sans doute, de l'édition
française publiée à Douay en 1611, et qui a pour titre: «Histoire
universelle des Indes Occidentales et Orientales, et de la Conversion
des Indiens, divisée en trois parties, par Cornille Wytfliet, et
Anthoine Magin, et autres historiens.» La première partie, qui est de
Wytfliet, avait d'abord paru en latin, à Louvain, en 1597, sous le
titre: _Descriptionis Ptolemaicae Augmentum sive Occidentis notitia
brevi commentario illustrata studio et opéra Cornely Wytjliet
Louaniensis._ L'année suivante, il en parut une seconde édition, dans
le titre de laquelle on a ajouté _et bac secundo editione magna sui
parte aucta C. Wytfliet auctore_. Dans les éditions subséquentes, ce
sont les mêmes cartes que celles de 1597; et, dans quelques-unes de ces
cartes, on retrouve encore les restes du chiffre mal effacé 1597, en
particulier dans celles intitulées Chica, etc., _Peruani regni
descriptio. Limes Occidentis Quivira et Anian Norumbega et Virginia,
Nova Francia et Canada._ La seconde partie est intitulée «Histoire
Universelle des Indes Occidentales, divisée en deux livres, faicte en
latin par Antoine Magin, nouvellement traduite...»]
Il est aussi très-certain que du temps du Roy François premier
en l'an 1323.[10] il envoya Verazzano Florentin descouvrir les
terres, costes,& havres de la Floride, comme les relations de
ses voyages font foy: où après avoir recognu depuis le 33e
12/668 degré [11], jusques au 47. de pays[12], ainsi comme il pensoit
s'y habituer, la mort luy fit perdre la vie avec ses
desseins[13].
[Note 10: Vérazzani était parti en 1523; mais ce ne fut qu'au
commencement de l'année suivante qu'il se rendit en Amérique, comme on
peut le voir par la lettre qu'il adressa, de Dieppe, à François I, en
date du 8 juillet 1524, pour lui rendre compte de ce qu'il avait pu
faire jusque-là. Ramusio (vol. III, fol. 35°) et Hakluyt (vol. III, p.
295) nous ont conservé cette lettre, qui n'est cependant, à ce qu'il
paraît, qu'un abrégé de celle conservée à Florence, dans la
bibliothèque Magliabecchi. (Voir _Pioneers of France in the New World_,
par FRANCIS PARKMAN, p. 175, note I.)]
[Note 11: Vérazzani a dû même se rendre jusque vers le trente-deuxième
degré, c'est-à-dire, non loin de l'embouchure de la rivière Savannah;
car, suivant sa propre relation, après avoir fait cinquante lieues vers
le sud, pour chercher un havre, il revint sur ses pas, fit voile vers
le nord, et, se trouvant dans le même embarras, il mouilla par la
hauteur de 34°. Il avait donc fait plus de cinquante lieues au-delà du
trente-quatrième degré, dans une direction à peu près sud-est; ce qui
équivaut à environ deux degrés de latitude.]
[Note 12: C'est la latitude de la côte méridionale de Terreneuve, et
c'est en effet la dernière terre de l'Amérique que Vérazzani paraît
avoir vue: «Faisant le nord-est, dit-il, l'espace de cent cinquante
lieues, nous approchâmes la terre qui dans les temps passés fut
découverte par les Bretons, laquelle est par les cinquante degrés.»
(Hakluyt, vol. III.)]
[Note 13: Vérazzani ne périt point à ce voyage, puisqu'il fit au roi de
France rapport de ses découvertes. Il n'avait fait, cette fois, qu'un
simple voyage d'exploration; mais, d'après Ramusio (vol. III, fol. 438),
son intention était d'engager François I à fonder une colonie en
Amérique. On ignore absolument quelle fut la fin de cet intrépide
voyageur; seulement, on voit, par une lettre d'Annibal Caro, I, 6,
qu'il était encore vivant en 1537. Cette lettre est citée dans
Tiraboschi.]
Du depuis, le mesme Roy François, à la persuasion de Messire
Philippes Chabot Admiral de France, dépescha Jacques Cartier,
pour aller descouvrir nouvelles terres: & pour ce sujet il fit
deux voyages és années 1534 & 35. Au premier il descouvrit
l'isle de Terre neufve, & le golphe de Sainct Laurent, avec
plusieurs autres Isles de ce golphe; & eust fait davantage de
progrés, n'eust esté la saison rigoureuse qui le pressa de s'en
revenir. Ce Jacques Cartier estoit de la ville de Sainct Malo,
fort entendu & expérimenté au faict de la marine, autant
qu'autre de son temps: aussi Sainct Malo est obligée de
conserver sa mémoire, tout son plus grand desir estant de
descouvrir nouvelles terres: & à la sollicitation de Charles de
Mouy sieur de la Mailleres[14], lors Vice-Admiral, il
entreprint le mesme voyage pour la deuxiesme fois: & pour venir
à chef de son dessein, & y faire jetter par sa Majesté le
fondement d'une Colonie, afin d'y accroistre l'honneur de Dieu,
& son authorité Royale, pour cet effect il donna ses
commissions, avec celle du dit sieur Admiral, qui avoit la
direction de cet embarquement, auquel il contribua de son
pouvoir.
[Note 14: Meilleraye.]
Les commissions expédiées, sa Majesté donna la charge audit
13/669 Cartier, qui se met en mer avec deux vaisseaux le 16 May[15]
1535. & navige si heureusement, qu'il aborde dans le golfe
Sainct Laurent, entre dans la riviere avec les vaisseaux du
port de 800. tonneaux [16], & fait si bien qu'il arrive jusques
à une isle, qu'il nomma l'isle d'Orléans [17], à cent vingt
lieues à mont le fleuve. De là va à quelque dix lieues du bout
d'amont dudit fleuve hyverner à une petite riviere qui asseche
presque de basse mer, qu'il nomma Saincte Croix, pour y estre
arrivé le jour de l'Exaltation de saincte Croix: lieu qui
s'appelle maintenant la riviere sainct Charles, sur laquelle à
prêtent sont logez les Pères Recollets, & les Peres
Jesuites[18], pour y faire un Séminaire à instruire la
jeunesse.
[Note 15: La relation du second voyage de Cartier commence en effet par
cette date; mais le départ n'eut lieu que le 19 suivant. «Le dimenche,
dit-il, jour & feste de la Penthecoste seziesme jour de May, en l'an mil
cinq cens trente cinq du commandement du cappitaine & bon vouloir de
tous, chascun se confessa, & receusmes tous ensemblement nostre créateur
en l'esglise cathédrale de sainct Malo. Après lequel avoir reçu, feusmes
nous presenter au coeur de ladicte eglise, devant reverend père en Dieu
monsieur de sainct Malo, lequel en son estat episcopal nous donna sa
benediction. Et le mercredy ensuivant dix neufiesme jour de May, le vent
vint bon & convenable, & appareillasmes avec trois navires, Scavoir la
grand Hermine du port environ cent à six vingtz tonneaulz... Le second
navire nommé la petite Hermine, du port environ soixante tonneaulz...
Le tiers navire nommé l'Emerillon du port de environ quarante
tonneaulz...» (Second Voy.)]
[Note 16: Deux cents à deux cent vingt tonneaux. (Voir la note
précédente.)]
[Note 17: En remontant le fleuve, dans l'automne de 1535, Cartier
l'appela _île de Bacchus_, et, le printemps suivant, au retour du même
voyage, il dit: «Vinsmes poser au bas de l'isle d'Orléans.» (Voir Brief
Récit, Notes de M. d'Avezac, verso 63.--Voir aussi le Voyage 1603,
p. 24, note 1 de cette édition.)]
[Note 18: On sait que les Pères Jésuites, en arrivant à Québec, logèrent
chez les Pères Récollets, à leur couvent de Notre-Dame-des-Anges,
pendant deux ans et demi (Sagard, Hist. du Canada, p. 868); mais, à
l'époque de l'édition de 1632, les Jésuites demeuraient de l'autre côté
de la rivière Saint-Charles, près de l'embouchure de la petite rivière
Lairet. «Nos Frères, dit Sagard, leur offrirent charitablement, & les
mirent en possession cordialement, de la juste moitié de nostre maison
(à leur choix) du jardin & tout nostre enclos, qui est de fort longue
estendue fermé de bonnes palissades & pièces de bois, qu'ils ont occupez
par l'espace de deux ans & demy. De plus ils leur presterent une
charpente toute disposée & preste à mettre en oeuvre, pour un nouveau
corps de logis, d'environ 40 pieds de longueur, & 28 de large, & en l'an
1627, ils leur en presterent encore une autre que nos Religieux avoient
de rechef fait dresser pour aggrandir nostre Convent, lesquelles ils ont
employées à leur bastiment commencé au delà de la petite riviere sept ou
800 pas de nous, en un lieu que l'on appelle communément le fort de
Jacques Cartier.» (_Ibid._)]
14/680 De là ledit Cartier alla à mont ledit fleuve quelques soixante
lieues, jusques à un lieu qui s'appelloit de son temps
_Ochelaga_, & qui maintenant s'appelle Grand Sault sainct
Louis, lesquels lieux estoient habitez de Sauvages, qui estans
sedentaires, cultivoient les terres. Ce qu'ils ne font à
present, à cause des guerres qui les ont fait retirer dans le
profond des terres.
Cartier ayant recognu, selon son rapport, la difficulté de
pouvoir passer les Sauts, & comme estant impossible, s'en
retourna où estoient ses vaisseaux, où le temps & la saison le
presserent de telle façon, qu'il fut contraint d'hyverner en la
riviere Saincte Croix, en un endroit où maintenant les Pères
Jesuites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite
riviere qui se descharge dans celle de Saincte Croix, appellée
la riviere de Jacques Cartier[19], comme ses relations font
foy.
[Note 19: Aujourd'hui la rivière Lairet. (Voir la note 4 de la page
précédente.)]
Cartier receut tant de mescontentement en ce voyage, qu'en
l'extrême maladie du mal de scurbut, dont ses gens la plus-part
moururent, que le printemps revenu il s'en retourna en France
assez triste & fasché de ceste perte, & du peu de progrès qu'il
s'imaginoit ne pouvoir faire, pensant que l'air estoit si
contraire à nostre naturel, que nous n'y pourrions vivre
qu'avec beaucoup de peine, pour avoir esprouvé en son
hyvernement le mal de scurbut, qu'il appelloit mal de la terre.
Ainsi ayant fait sa relation au Roy, & audit Sieur Admiral, &
de Mallières[20], lesquels n'approfondirent pas ceste affaire,
15/671 l'entreprise fut infructueuse. Mais si Cartier eust peu juger
les causes de sa maladie, & le remède salutaire & certain pour
les eviter, bien que luy & ses gens receurent quelque
soulagement par le moyen d'une herbe appellée _aneda_ comme
nous avons fait à nos despens aussi bien que luy, il n'y a
point de doute que le Roy dés lors n'auroit pas négligé
d'assister ce dessein comme il avoit desja fait: car en ce
temps là le pays estoit plus peuplé de gens sedentaires qu'il
n'est à prêtent: qui occasionna sa Majesté à faire ce second
voyage, & poursuivre ceste entreprise, ayant un sainct desir
d'y envoyer des peuplades. Voila ce qui en est arrivé.
[Note 20: De Meilleraye, vice-amiral.]
D'autres que Cartier eussent bien peu entreprendre ceste
affaire, qui ne se fussent si promptement estonnez, & n'eussent
pour cela laissé de poursuivre l'entreprise, estant si bien
commencée. Car, à dire vray, ceux-là qui ont la conduitte des
descouvertures, sont souventefois ceux qui peuvent faire cesser
un louable dessein, quand on s'arreste à leurs relations: car y
adjoustant foy, on le juge comme impossible, ou tellement
traversé de difficultez, qu'on n'en peut venir à bout qu'avec
des despenses & difficultez presque insupportables. Voila le
sujet qui a empesché dés ce temps là que ceste entreprise
sortist effects: outre que dans un Estat se presentent
quelquefois des affaires importantes, qui font que celle-cy se
négligent pour un temps: ou bien que ceux qui ont bonne volonté
de les poursuivre, viennent à mourir, & ainsi les années se
passent sans rien faire.
16/672 _Voyage en la Floride souz le règne du Roy Charles IX. par Jean
Ribaus. Fit bastir un Fort, appellé le Fort de Charles, sur la
riviere de May. Albert Capitaine qu'il y laisse, demeure sans
vivres, & est tué des soldats. Sont r'amenez en Angleterre par
un Anglais. Voyage du Capitaine Laudonniere. Court risque
d'estre tué des siens: en fait pendre quatre. Est pressé de
famine. Recompense de l'Empereur Charles V. à ceux qui firent
la descouverte des Indes. François chassez de la riviere de May
par les Espaynols, Attaquent Laudonniere. François tuez, &
pendus avec des escriteaux._
CHAPITRE III.
Souz le règne du Roy Charles IX. & à la poursuitte de l'Admirai
de Chastillon[21], Jean Ribaus se met en mer le 18 Fevrier
1562. avec deux vaisseaux équipez de ce qui luy estoit
necessaire pour aller jetter les fondemens d'une Colonie.
Passant par les isles du golphe de Mexique, vint ranger la
coste de la Floride, où il reconnut une riviere, qu'il appella
la riviere de May[22], & y fit édifier un fort, qu'il nomma du
nom de Charles, y laissant pour y commander le Capitaine
Albert, fourny & muny de tout ce qu'il jugeoit estre
necessaire. Cela fait, il met la voile au vent, & s'en revint
en France le 20 de Juillet, & fut prés de six mois à son
voyage.
[Note 21: Gaspard de Châtillon, sire de Coligny.]
[Note 22: Aujourd'hui la rivière Saint-Jean.]
17/673 Cependant le Capitaine Albert ne se soucie de faire défricher
les terres, pour ensemencer & eviter les necessitez, mangent
leurs vivres sans y apporter l'ordre necessaire en telles
affaires: ce que faisant, ils se trouverent courts de telle
façon, que la disette fut extrême. Sur ce, les soldats &
autres qui estoient souz son obeissance, ne voulans luy obéir,
en fit pendre un pour un bien petit sujet, ce qui fut cause
que quelques jours après la mutinerie s'y esmeut si violente,
& la desobeissance fut telle, qu'ils tuèrent leur chef, & en
esleverent un autre, appelle Nicolas Barré, homme de conduitte.
Et voyans que nul secours ne leur venoit de France, ils firent
édifier une petite barque pour s'y en retourner, & se mettent
en mer avec fort peu de vivres. L'histoire dit que la famine
fut si cruelle, qu'ils mangèrent un leurs compagnons. Mais
Dieu ayant pitié de ceste troupe miserable, leur fit tant de
grâce, qu'ils furent rencontrez d'un Anglois, qui les secourut
& emmena en Angleterre, où ils se rafraischirent. Voila le peu
de soin que l'on eut à les secourir, pour les guerres qui
estoient entre la France & l'Espagne.
Cependant c'estoit une grande cruauté de laisser mourir des
hommes de faim, & réduits à tel poinct que de s'entre-manger,
faute d'envoyer une petite barque au risque de la mer, qui les
pouvoit secourir. Ce fut un retardement pour la Colonie, & un
presage d'une plus mauvaise fin, puis que le commencement avoit
esté mal conduit en toutes choses.
La paix se fait entre la France & l'Espagne, qui donne loisir
de faire nouveaux desseins & embarquemens. Ledit Sieur Admiral
18/674 de Chastillon fit equipper d'autres vaisseaux [23] souz la
charge du Capitaine Laudonniere[24], qui fut accommodé de
toutes choses pour sa peuplade. Il partit[25] le 22 d'Avril
1564. & arriva à la coste de la Floride par le 32e degré, au
lieu de la riviere de May, où estant, & ayant mis tous ses
compagnons à terre, & autres commoditez, il fit édifier un
fort, qu'il nomma la Caroline[26].
[Note 23: «Trois vaisseaux, l'un de six vingts tonneaux, l'autre de
cent, l'autre de soixante.» (Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, p.
60.)]
[Note 24: René de Laudonniere, gentilhomme poitevin, qui avait
accompagné Ribaut en 1562.]
[Note 25: «Du Havre de Grâce.» (Lescarbot.)]
[Note 26: «En l'honneur de Charles IX, ce fort reçut le nom de Caroline,
qui s'est conservé et a été plus tard donné à deux des états de la
république américaine.» (M. Ferland, Cours d'Hist., I, 51.)]
Pendant le temps que les vaisseaux estoient en ce lieu, se
firent des conspirations contre Laudonniere, qui furent
descouvertes: & toutes choses remises, Laudonniere se délibère
de renvoyer ses vaisseaux en France, & laissa pour y commander
le Capitaine Bourdet, lequel singlant en haute mer pour achever
son voyage, laissant là Laudonniere, avec ses compagnons,
partie desquels se mutinèrent de telle façon, qu'ils menacèrent
de faire mourir leur Capitaine, s'il ne leur permettoit d'aller
ravager vers les isles des Vierges, & Sainct Dominique, force
luy fut leur permettre, & donner congé. Ils se mettent en une
petite barque, font quelque proye sur les vaisseaux Espagnols,
& après qu'ils eurent bien couru toutes ces isles, ils furent
contraints s'en retourner au fort de la Caroline, où estans
arrivez, Laudonniere fit prendre quatre des principaux
seditieux, qui furent exécutez à mort. En suitte de ces
19/675 malheurs, les vivres venans à leur manquer, ils souffrirent
beaucoup jusques en May, sans avoir aucun secours de France; &
estans contraints d'aller chercher des racines dans les bois
l'espace de six sepmaines, en fin ils se resolurent de bastir
une barque pour estre preste au mois d'Aoust, & avec icelle
retourner en France.
Cependant la famine croissait de plus en plus, & ces hommes
devenoient si foibles & débiles, qu'ils ne pouvoient presque
parachever leur travail; qui les occasionna d'aller chercher à
vivre parmy les Sauvages, qui les traittoient fort mal, leur
survendant les vivres beaucoup plus qu'ils ne valloient, se
rians & moquans des François, qui ne souffroient ces moqueries
qu'à regret. Laudonniere les appaisoit le plus doucement qu'il
pouvoit: mais quoy qu'il en fust, il fallut avoir la guerre
avec les Sauvages, pour avoir dequoy te substanter, & firent si
bien qu'ils recouvrerent du bled d'Inde, qui leur donna courage
de parachever leur vaisseau: cela fait, ils se mirent à ruiner
& démolir le fort, pour s'en retourner en France. Comme ils
estoient sur ces entre-faites, ils apperceurent quatre voiles,
& craignans au commencement que ce ne fussent Espagnols, en fin
ils furent recognus estre Anglois, lesquels voyans la necessité
des François, les assisterent de commoditez, & mesmes les
accommodèrent de leurs vaisseaux. Ceste courtoisie remarquable
fut faite par le chef de cet embarquement, qui s'appelloit Jean
20/676 Hanubins[27]. Les ayant accommodez au mieux qu'il peut, leve
les anchres, met à la voile, pour parachever le dessein de son
voyage.
[Note 27: Hawkins. «Somme, dit Lescarbot, il ne se peut exprimer au
monde de plus grande courtoisie que celle de cet Anglois, appellé Jean
Hawkins, duquel si j'oubliois le nom, je penserois avoir contre lui
commis ingratitude.» (Hist. de la Nouv. France, p. 106, 107.)]
Comme Laudonniere estoit prest de s'embarquer avec tes
compagnons, il apperceut des voiles en mer; & estant en
impatience de sçavoir qui ils estoient, on recognut que
c'estoit le Capitaine Ribaus, qui venoit donner secours à
Laudonniere. Les resjouissances de part & d'autre furent
grandes, voyans renaistre leur esperance, qui sembloit
auparavant estre du tout perdue, mais fort faschez d'avoir fait
démolir leur fort. Ledit Ribaus fit entendre à Laudonniere que
plusieurs mauvais rapports avoient esté faits de luy, ce qu'il
recognoissoit estre faux, & eust eu sujet de faire ce qui luy
estoit commandé, s'il en eust esté autrement.
C'est tousjours l'ordinaire que la vertu est opprimée par la
medisance des meschans, qui en fin les fait recognoistre pour
tels, & mesprisez d'un chacun: l'on sçait assez combien cela a
apporté de troubles aux conquestes des Indes, tant envers
Christoffe Colomb, que depuis contre Ferdinand Cortais, &
autres, qui blasmez à tort, se justifierent en fin devant
l'Empereur. C'est pourquoy l'on ne doit adjouster foy
légèrement, premier que les choses n'ayent esté bien examinées,
recognoissant tousjours le mérite & la valeur des généreux
courages, qui se sacrifient pour Dieu, leur Roy & leur patrie,
comme firent ceux-cy qui estans recognus de l'Empereur, mal-gré
l'envie, les honora de bien, & de belles & honorables charges,
pour leur donner courage de bien faire, à d'autres l'envie de
les imiter, & au meschant de s'amender.
21/677 Cependant que Laudonniere & Ribaus estoient à consulter pour
faire descharger leurs vivres, voicy que le 4 Septembre 1565.
l'on apperceut six voiles, qui sembloient estre grand
vaisseaux, & furent recognus pour estre Espagnols [28], qui
vinrent mouiller l'anchre à la rade où les quatre vaisseaux de
Ribaus&8s recognoissans que partie des soldats estoient à
terre, ils tirèrent des coups de canon sur les nostres: qui fit
qu'estans avec peu de force, coupèrent le câble sur les
ecubiers, & mettent à la voile: ce que font aussi les
Espagnols, qui les chassent tous le lendemain. Et comme nos
vaisseaux estoient meilleurs voliers qu'eux, ils retournèrent à
la coste, prennent port à une riviere distante de huict lieues
du fort de la Caroline, & nos vaisseaux retournèrent à la
riviere de May. Cependant trois des vaisseaux Espagnols
estoient venus à la rade, où ils firent descendre leur
infanterie, vivres, & munitions.
[Note 28: Ces six vaisseaux espagnols étaient commandés par Don Pedro
Menendez de Avilez, l'un des meilleurs officiers de la marine
espagnole.]
Le Capitaine Ribaus, contre l'advis de Laudonniere, qui luy
representoit les inconveniens qui pouvoient arriver, tant pour
les grands vents qui regnoient ordinairement en ce temps là,
que pour autre sujet, quoy que ce soit un traict d'opiniastre,
ne voulant faire qu'à sa volonté, sans conseil, chose
tres-mauvaise en telles affaires, il se délibère de voir
l'Espagnol, & le combatre à quelque prix que ce fust. A cet
effect il fit équiper ses vaisseaux d'hommes, & de tout ce qui
luy estoit necessaire, s'embarqua le 8. Septembre, laissant les
22/678 siens fort incommodez de toutes choses, & Laudonniere assez
malade, qui ne laissoit pas de donner courage tant qu'il peut à
ses soldats, & les exhorter à se fortifier au mieux qu'ils
pourroient, pour resister aux forces de leur ennemy, lequel se
mit en estat de venir attaquer Laudonniere le 20 Septembre,
auquel temps il fit une pluye fort violente, & si continuelle,
que les nostres fatiguez d'estre en sentinelle, se retirèrent
de leur faction, croyans aussi que les ennemis ne viendroient
durant un temps si mauvais & impétueux. Quelques-uns allans sur
le rampart appercevans les Espagnols venir à eux, crient
_allarme, allarme, l'ennemy vient_. A ce cry Laudonniere se met
en estat de les attendre, & encourage les siens au combat, qui
voulurent soustenir deux bresches qui n'estoient encores
remparées: mais en fin ils furent forcez, & tuez. Laudonniere
voyant ne pouvoir plus soustenir, en esquivant pensa estre tué,
& se sauve dans les bois avec les Sauvages, où il trouva nombre
de ses soldats, qu'il r'allia avec beaucoup de peine.
S'acheminant par des palus & marescages difficiles, fait tant
qu'il arrive à l'entrée de la riviere de May, où estoit un
vaisseau, y commandant un Nepveu du Capitaine Ribaus[29], qui
n'avoit peu gaigner que ce lieu, pour la grande tourmente. Les
autres vaisseaux furent perdus à la coste; comme aussi
plusieurs soldats & mariniers, Ribaus pris, avec beaucoup
d'autres, qu'ils firent mourir cruellement & inhumainement & en
pendirent aucuns, avec un escriteau sur le dos, portant ces
23/679 mots: _Nous n'avons pas fait pendre ceux-cy comme François,
mais comme Luthériens, ennemis de la foy._
[Note 29: Jacques Ribaut.]
Laudonniere voyant tant de desastres, délibere s'en retourner
en France, le 23 Septembre 1565. Il fait lever les anchres, met
souz voile le 11 de Novembre[30], & arrive proche de la coste
d'Angleterre, où se trouvant malade, se fit mettre à terre pour
recouvrer sa santé, & de là venir en France faire son rapport
au Roy. Cependant les Espagnols se fortifient en trois
endroits, pour s'asseurer contre tout evenement. Nous verrons
au chapitre suivant le chastiment que Dieu rendit aux
Espagnols, pour l'injustice & cruauté dont ils userent envers
les François.
[Note 30: «L'onzième de Novembre ilz se trouverent à soixante-quinze
brasses d'eau... sur la côte d'Angleterre.» (Lescarbot, Hist. de la
Nouv. France, p. 116.)]
_Le Roy de France dissimule pour un temps l'injure qu'il receut
des Espagnols en la cruauté qu'ils exercerent envers les
François. La vengeance en fut reservée au sieur Chevalier de
Gourgues. Son voyage: son arrivée aux costes de la Floride. Est
assailly des Espagnols, qu'il défait & les traitte comme ils
avoient fait les François._
CHAPITRE IIII.
Le Roy sçachant l'injustice & les ignominies faites aux
François ses subjects par les Espagnols, comme j'ay dit cy
dessus, eut raison d'en demander justice & satisfaction à
Charles V. [31] Empereur & Roy d'Espagne, comme estant un
24/680 outrage fait au prejudice de ce que les Espagnols leur
avoient promis, de ne les inquiéter ny molester en la
conservation de ce qu'avec tant de travail ils s'estoient
acquis en la Nouvelle France, suivant les commissions du Roy
de France leur maistre, que les Espagnols n'ignoroient point;
& neantmoins les firent mourir ainsi ignominieusement, souz le
pretexte specieux qu'ils estoient Luthériens, à leur dire,
quoy qu'ils fussent meilleurs Catholiques qu'eux[32], sans
hypocrisie, ny superstition, & initiez en la foy Chrestienne
plusieurs siecles devant que les Espagnols.
[Note 31: C'était alors Philippe II, fils de Charles V, qui régnait en
Espagne. Il avait, comme son père, les titres d'empereur d'Allemagne et
de roi d'Espagne.]
[Note 32: Voici comme Menendez rend compte lui-même, au roi d'Espagne,
des motifs de sa conduite. «J'ai sauvé la vie à deux jeunes gens
d'environ dix-huit ans, et à trois autres, le fifre, le tambour et le
trompette, et j'ai passé au fil de l'épée Jean Ribaut, avec tous les
autres, jugeant la chose utile au service de Notre Seigneur et de Votre
Majesté, et j'estime que sa mort est d'un grand avantage, car le roi de
France pouvait plus avec lui et cinq cents ducats, qu'avec d'autres et
cinq mille, et il pouvait plus en un an, qu'un autre en dix; c'était en
effet le plus habile marin et commandant que l'on connût, et d'une
grande adresse dans cette navigation des Indes et des côtes de la
Floride; il était si aimé en Angleterre, qu'il y fut nommé capitaine
général de toute l'armée anglaise contre les catholiques de France,
dans la guerre qui a eu lieu, il y a quelques années, entre
l'Angleterre et la France.» (_Carta de Pedro Menendez, apud_ F. Parkman,
_Pioneers_, p. 132.)]
Sa Majesté dissimula cette offence pour un temps, pour avoir
les deux Coronnes quelques differents à vuider auparavant, &
principalement avec l'Empereur, qui empescha que l'on ne tiraft
raison de telles inhumanitez.
Mais comme Dieu ne delaisse jamais les tiens, & ne laisse
impunis les traittemens barbares qu'on leur fait souffrir,
ceux-cy furent payez de la mesme monnoye qu'ils avoient payé
les François.
Car en l'an 1567, se presenta le brave Chevalier de
Gourgues[33], qui plein de valeur & de courage, pour venger cet
25/681 affront fait à la nation Françoise; & recognoissant qu'aucun
d'entre la Noblesse, dont la France foisonne, ne s'offroit pour
tirer raison d'une telle injure, entreprint de le faire. Et
pour ne faire cognoistre du commencement son dessein, fit
courir le bruit qu'un embarquement se faisoit pour quelque
exploict qu'il vouloit faire en la coste d'Afrique. Pour ce
sujet nombre de matelots & soldats s'assemblent à Bourdeaus, où
se faisoit tout l'appareil de mer: il se pourveut & fournit de
toutes les choses qu'il jugea estre necessaires en ce voyage.
[Note 33: «Dominique de Gourgues, gentilhomme gascon, né au
Mont-de-Marsan, dans le comté de Comminges d'une famille distinguée de
tout temps par un attachement inviolable à l'ancienne religion: lui-même
ne s'en éloigna jamais, quoique le dernier historien espagnol de la
Floride l'ait accusé d'avoir été hérétique furieux.» (Charlevoix, Hist.
de la Nouv. France, liv. II.)]
Son embarquement se fit le 23 Aoust de la mesme année en trois
vaisseaux, ayant avec luy 250 hommes[34]. Estant en mer, il
relascha à la coste d'Afrique, soit pour se rafraischir, ou
autrement, mais ce ne fut pas pour long temps: car incontinent
il fit voile, & fait publier par quelques siens amis affidez,
qu'il avoit changé son premier dessein en un autre plus
honorable que celuy de la coste d'Afrique, moins périlleux, &
plus facile à exécuter: & au lieu où il avoit relasché, il eut
advis que ce qu'il disoit deplaisoit à plusieurs des siens, qui
26/682 croyoient que le voyage estoit rompu, & qu'il faudroit s'en
retourner sans rien faire: toutesfois ils avoient tous grand
desir de tenter quelque autre dessein.
[Note 34: «Il s'embarqua à Bourdeaux le second jour d'aoust... & descend
le long de la riviere à Royan à vingt lieues de Bourdeaux, où il fait sa
monstre, tant de soldats que de mariniers. Il y avoit cent
harquebouziers aians tous harquebouze de calibre & morrion en teste,
dont plusieurs estoient gentilshommes, & quatre vingtz mariniers...
Après la monstre faicte, le Cappitaine Gourgue donne le rendez-vous
accoustumé en telles expéditions. Mais ainsi qu'il estoit prest à
partir, se leve ung vent contraire qui le contrainct de sejourner huict
jours à Roian, ce vent estant un peu remis il se meit sur mer pour faire
voille; mais bientost après il fut repoussé vers la Rochelle, & ne
pouvant mesme estre à la radde de la Rochelle pour la violance du temps,
il fut contrainct de se retirer à la bouche de la Charente, & sejourner
là huict jours... Le vingt-deuxiesme jour d'aoust, le vent estant cessé,
& le ciel donnant apparence d'un plus doulx temps pour l'advenir, il se
remect sur mer.» (_La reprinse de la Floride_, Ternaux-Compans, p.
309, 310.)]
Le Sieur de Gourgues sçachant la volonté de ses compagnons, qui
ne perdoient point courage, & estant asseuré de son équipage,
trouva à propos d'assembler son conseil, auquel il fit entendre
la raison pourquoy il ne pouvoit exécuter ce qu'il avoit
entrepris, qu'il ne falloit plus songer à ce dessein: mais
aussi que de retourner en France sans avoir rien fait, il n'y
avoit point d'apparence. Qu'il sçavoit une autre entreprise non
moins glorieuse que profitable, à des courages tels qu'ils en
avoit en ses vaisseaux, & de laquelle la mémoire seroit
immortelle, qui estoit un exploict des plus signalez qui se
puisse faire: chacun brusloit d'ardeur & de desir de voir
l'effect de ce qu'il disoit; & leur fit entendre que s'il
estoit bien assisté en ceste louable entreprise, il se
sentiroit fort glorieux de mourir en l'exécutant. Et voulant
ledit Sieur de Gourgues leur déclarer son dessein, les ayant
tous fait assembler, parla ainsi. «Mes compagnons & fidèles
amis de ma fortune, vous n'estes pas ignorans combien je chéris
les braves courages comme vous, & l'avez assez tesmoigné par la
belle resolution que vous avez prise de me suivre & assister en
tous les périls & hazards honorables que nous aurons à souffrir
& essuyer, lors qu'ils se presenteront devant nos yeux, &
l'estat que je fais de la conservation de vos vies; ne desirant
point vous embarquer au risque d'une entreprise que je sçaurois
27/683 réussir à une ruine sans honneur: ce seroit à moy une trop
grande & blasmable témérité, de hazarder vos personnes à un
dessein d'un accez si difficile, ce que je ne croy pas estre,
bien que j'aye employé une bonne partie de mon bien & de mes
amis, pour équiper ces vaisseaux, & les mettre en mer, estant
le seul entrepreneur de tout le voyage. Mais tout cela ne me
donne pas tant de sujet de m'affliger, comme j'en ay de me
resjouir, de vous voir tous resolus à une autre entreprise, qui
retournera à vostre gloire, sçavoir d'aller venger l'injure que
nostre nation a receue des Espagnols, qui ont fait une telle
playe à la France, qu'elle saignera à jamais, par les supplices
& traictemens infames qu'ils ont fait souffrir à nos François,
& exercé des cruautez barbares & inouïes en leur endroit. Les
ressentimens que j'en ay quelquefois, m'en font jetter des
larmes de compassion, & me relevent le courage de telle sorte,
que je suis resolu, avec l'assistance de Dieu, & la vostre, de
prendre une juste vengeance d'une telle felonnie & cruauté
Espagnolle, de ces coeurs lasches & poltrons, qui ont surpris
mal-heureusement nos compatriotes, qu'ils n'eussent osé
regarder sur la defense de leurs armes. Ils sont assez mal
logez, & les surprendrons aisément. J'ay des hommes en mes
vaisseaux qui cognoissent très-bien le païs, & pouvons y aller
en seureté. Voicy, chers compagnons, un subject de relever nos
courages, faites paroistre que vous avez autant de bonne
volonté à exécuter ce bon dessein, que vous avez d'affection à
me suivre: ne serez vous pas contents de remporter les lauriers
triomphans de la despouille de nos ennemis?»
28/684 Il n'eut pas plustost achevé de parler, que chacun de joye
s'escrierent: «Allons où il vous plaira, il ne nous pouvoit
arriver un plus grand plaisir & honneur que celuy que vous nous
proposez, & mille fois plus honorable qu'on ne se peut
imaginer, aimans beaucoup mieux mourir en la poursuitte de
cette juste vengeance de l'affront qui a esté fait à la France,
que d'estre blessez en une autre entreprise; tout nostre plus
grand souhait est de vaincre ou mourir, en vous tesmoignant
toute sorte de fidélité: commandez ce que vous jugerez estre
plus expédient, vous avez des soldats qui ont du courage de
reste pour effectuer ce que vous direz: nous n'aurons point de
repos jusques à ce que nous nous voyons aux mains avec
l'ennemy.»
La joye creut plus que jamais dans les vaisseaux. Le sieur de
Gourgues fait changer la routte, & tirer quelques coups de
canon, pour commencer la resjouissance, & donner courage à tous
les soldats: & alors ce généreux Chevalier fait singler vers
les costes de la Floride, & fut tellement favorisé du beau
temps, qu'en peu de jours il arriva proche du fort de la
Caroline, & le jour apperceu, les Sauvages du pays firent voir
force fumées, jusques à ce que le Le sieur de Sieur de Gourgues
eust fait abbaisser les voiles, & mouiller l'anchre. Il envoya
à terre s'informer des Sauvages de l'Estat des Espagnols, qui
estoient fort ailes de voir le sieur de Gourgues resolu de les
attaquer. Ils asseurerent qu'ils estoient en nombre de 400,
très bien armez, & pourveus de tout ce qui leur estoit
29/685 necessaire. Puis s'estant fait instruire de la façon en
laquelle les Espagnols estoient campez, il commença d'ordonner
ses gens de guerre pour les assaillir. Voyons s'ils auront le
courage de soustenir le Sieur de Gourgues, comme ils firent
Laudonniere, mal pourveu de munitions, & de ce qui luy estoit
necessaire.
Doncques le Sieur de Gourgues se faisant conduire par ses
hommes, & de quelques Sauvages par l'espaisseur des bois, sans
estre apperceu des Espagnols, fait recognoistre les places, &
l'estat auquel elles estoient: & le Samedy d'auparavant
_Quasimodo_[35], au mois d'Avril 1568. attaque furieusement les
deux forts[36],& se dispose de les avoir par escalade, en quoy
il trouva grande resistance: & le combat s'eschauffant, ce fut
alors que parut le courage de nos François, qui se jettoient à
corps perdu parmy les coups, tantost repoussez, puis reprenans
coeur retournent au combat avec plus de valeur qu'auparavant.
Bien attaqué, mieux défendu. La mort ny les blesseures ne les
fait point paslir, ny ne leur fait perdre le sens, ny la
vaillance.
[Note 35: Le samedi d'avant la _Quasimodo_ était le 24 d'avril.]
[Note 36: Outre le grand fort de la Caroline, les Espagnols en avaient
élevé deux petits, pour protéger l'entrée de la rivière de May, comme on
l'apprit de la bouche d'un jeune français, Pierre Debré, natif du
Havre-de-Grâce, qui était demeuré parmi les sauvages. (Reprinse de la
Floride, Tern.-Compans, p. 332.) Ces deux petits forts furent emportés
du premier coup le même jour 24 avril. De Gourgues laissa reposer ses
soldats le dimanche et le lundi, et commença par assurer cette première
victoire avant d'entreprendre l'attaque du grand fort.]
Nostre généreux Chevalier de Gourgues le coutelas à la main,
leur enflamme le courage, & comme un lion hardy à la teste des
tiens gaigne le dessus du rampart, repousse les Espagnols, se
fait voye parmy eux. Ses soldats se suivent, & combattent
vaillamment, entrent de force dans les deux forts, tuent
30/686 tout ce qu'ils rencontrent: de sorte que le reste de ceux qui y
moururent & s'enfuirent, demeurèrent prisonniers des François;
& ceux qui pensoient se sauver dans les bois, furent taillez en
pièces par les Sauvages, qui les traitterent comme ils avoient
fait les nostres. Deux jours après le sieur de Gourgues se rend
maistre du grand fort, que les ennemis avoient abandonné, après
quelque resistance, desquels partie furent tuez, les autres
prisonniers.
Ainsi demeurant victorieux, & estant venu à bout d'une si
glorieuse entreprise, se ressouvenant de l'injure que les
Espagnols avoient faite aux François, en fit pendre
quelques-uns, avec des escriteaux sur le dos, portans ces mots:
_Je n'ay pas fait pendre ceux-cy comme Espagnols, mais comme
pirates bandoliers & escumeurs de mer_[37] Après ceste
exécution, il fit démolir & ruiner les forts(38), puis
s'embarque pour revenir en France, laissant au coeur des
Sauvages un regret immortel de se voir privez d'un si magnanime
31/687 Capitaine. Son partement fut le 30 de May[39] 1568 & arriva à
la Rochelle le 6 de Juin, & de là à Bourdeaus, où il fut receu
aussi honorablement, & avec autant de joye, que jamais
Capitaine auroit esté.
[Note 37: «Ils sont branchez aux mesmes arbres où ils avoient penduz les
François, & au lieu d'un escriteau que Pierre Malendez y avoit faict
mettre contenant ces mots en langage Espaignol: _Je ne faicts cecy comme
à François mais comme à Luthériens_, le cappitaine Gourgue faict graver
en une table de sapin avec ung fer chault: Je ne faicts cecy comme à
Espaignols, n'y comme à Marannes; mais comme à traistres, volleurs &
meurtriers.» (Manuscrit de Gourgues.) On sait que Maran ou Marane était
un terme de mépris que les Espagnols donnaient aux Maures, et, par
suite, à tous les malfaiteurs.]
[Note 38: De Gourgues eut l'adresse d'intéresser les sauvages à la ruine
de ces forts. «Affin, dit le manuscrit déjà cité, que les sauvaiges ne
trouvassent mauvais que les fortz fussent ruynez, ains qu'en estant bien
aises ils les ruynassent eulx-mesmes, il assemble les Rois, & leur aiant
remonstré du commencement comment il leur avoit tenu promesse, & les
avoit vengez de ceulx qui les avoient tirannisez si cruellement, il vint
tomber puis après sur le propos de ruyner les forts, employant tout ce
qui pouvoit servir à leur persuader que tout ce qu'il en vouloit faire
estoit pour leur proffit & en haine de tant de meschancetez & cruaultez
que les Espaignols y avoient commises. A quoy ils presterent si
volontiers l'oreille, que le Cappitaine Gourgue n'eut pas plustost
achevé de parler, qu'ils s'en coururent droict au fort, crians &
appellans leurs subjects après eulx, où ils feirent telle diligence
qu'en moing d'ung jour ils ne laisserent pierre sur pierre.»]
[Note 39: «Le troisiéme jour de May (ung lundi), le rendez-vous fut
donné comme l'on a accoustumé de faire sur mer, & les anchres levées
firent voilles, & eurent le vent si propre qu'en dix-sept jours ils
firent unze cens lieues de mer, & depuis continuantz leur navigation
arrivèrent à la Rochelle le lundy sixiéme jour de juing...» (Reprinse de
la Floride.)]
Mais il n'est si tost arrivé en France, que l'Empereur envoya
au Roy demander justice de ses subjects, que le Sieur de
Gourgues avoit fait pendre en l'Inde Occidentale: dequoy sa
Majesté fut tellement irritée, qu'elle menaçoit ledit Sieur de
Gourgues de luy faire trencher la teste, & fut contraint de
s'absenter pour quelque temps, pendant lequel la colère du Roy
se passa: & ainsi ce généreux Chevalier repara l'honneur de la
nation Françoise, que les Espagnols avoient offensée: ce
qu'autrement eust esté un regret à jamais pour la France, s'il
n'eust vengé l'affront receu de la nation Espagnolle.
Entreprise genereuse d'un Gentil-homme, qui l'exécuta à ses
propres cousts & despens, seulement pour l'honneur, sans autre
esperance: ce qui luy a réussi glorieusement, & ceste gloire
est plus à priser que tous les tresors du monde [40].
[Note 40: «Il est fâcheux cependant pour sa gloire,» remarque
M. Ferland, «que de Gourgues ait imité la conduite des Espagnols, en
livrant ses prisonniers à la mort; ces tristes représailles ne sauraient
être approuvées par la justice, puisque souvent elles tombent sur des
innocents, plutôt que sur les coupables.» (Cours d'Hist. du Canada, I,
57.)]
On a remarqué aux voyages de Ribaus & de Laudonniere de grands
défauts & manquemens. Ribaus fut blasmé au sien, pour n'avoir
porté des vivres que pour dix mois, sans donner ordre de faire
défricher les terres, & les rendre aptes au labourage, pour
remédier aux disettes qui peuvent survenir, & aux périls que
courent les vaisseaux sur mer, ou bien pour le retardement de
32/688 leur arrivée en saison convenable, pour soulager les
necessitez, qui en fin reduisent les entrepreneurs à de grandes
extremitez, jusques à estre homicides les uns des autres, pour
se nourrir de chair humaine, comme ils firent en ce voyage, qui
causerent de grandes mutineries des soldats contre leur chef, &
ainsi le désordre & la desobeissance régnant parmy eux, en fin
ils furent contraints (quoy qu'avec un regret incroyable, &
après une perte notable d'hommes & de biens) d'abandonner les
terres & possessions qu'ils avoient acquises en ce pays; & tout
cela, faute d'avoir pris leurs mesures avec jugement & raison.
L'experience fait voir qu'en tels voyages & embarquemens les
Roys & les Princes, & les gens de leur conseil qui les ont
entrepris, avoient trop peu de cognoissance és exécutions de
leurs desseins. Que s'il y en a eu d'experimentez en ces
choses, ils ont esté en petit nombre, pource que la plus-part
ont tenté telles entreprises sur les vains rapports de quelques
cajoleurs, qui faisoient les entendus en telles affaires, dont
ils estoient tres-ignorans, seulement pour se rendre
considerables: car pour les commencer, & terminer avec honneur
& utilité, faut consommer de longues années aux voyages de mer,
& avoir l'expérience de telles descouvertes[41].
[Note 41: Dans la plupart des exemplaires de l'édition originale, ce
passage se termine là. Mais quelques-uns renferment la phrase censurée
qui obligea l'auteur de réimprimer les feuilles DII et DIII, et qui
finissait ainsi; «... de telles descouvertes; ce que n'ont pas les
grands hommes d'estat, qui sçavent mieux manier & conduire le
gouvernement & l'administration d'un Royaume, que celle de la
navigation, des expéditions d'outre-mer, & des pays loingtains, pour ne
l'avoir jamais practiqué.» (H. Stevens, _Historical Nuggets_, I, 131.)]
La plus grande faute que fit Laudonniere, qui y alloit à
33/689 dessein d'y hyverner, fut de n'estre fourny que de peu de
vivres, au lieu qu'il se devoit gouverner sur l'exemple de
l'hyvernement du Capitaine Albert à Charles-fort, que Ribaus
laissa si mal pourveu de toutes choses; & ces manquemens
arrivent ordinairement en telles entreprises, pour s'imaginer
que les terres de ces pays là rapportent sans y semer; joint à
cela, qu'on entreprend mal à propos tels voyages sans practique
ny expérience. Il y a bien de la différence à bastir de tels
desseins en des discours de table, parler par imagination de la
scituation des lieux, de la forme de vivre des peuples qui les
habitent, des profits & utilitez qui s'en retirent; envoyer des
hommes au delà des mers en des pays loingtains, traverser des
costes & des isles incognues, & se former ainsi telles chimères
en l'esprit, faisans des voyages & des navigations idéales &
imaginaires; ce n'est pas là le chemin de sortir à l'honneur de
l'exécution des descouvertes: il faut auparavant meurement
considerer les choses qui se presentent en telles affaires,
communiquer avec ceux qui s'en sont acquis de grandes
cognoissance, qui sçavent les difficultez & les périls qui s'y
rencontrent, sans s'embarquer ainsi inconsiderément sur de
simples rapports & discours. Car il sert de peu de discourir
des terres lointaines, & les aller habiter, sans les avoir
premièrement descouvertes, & y avoir demeuré du moins un an
entier, afin d'apprendre la qualité des pays, & la diversité
des saisons, pour par après y jetter les fondemens d'une
Colonie. Ce que ne font pas la plus-part des entrepreneurs &
voyageurs, qui se contentent seulement de voir les costes & les
élevations des terres en passant, sans s'y arrester.
34/690 D'autres entreprennent telles navigations sur de simples
relations, faites à des personnes, qui, quoy que bien entendues
dans les affaires du monde, & ayent de grandes & longues
expériences, neantmoins estans ignorans en celles-cy, croyent
que toutes choses se doivent gouverner selon les élevations des
lieux où ils sont, & c'est en quoy ils se trouvent grandement
trompez: car il y a des changemens si estranges en la nature,
que ce que nous en voyons nous fait croire ce qui en est. Les
raisons de cela sont fort diverses & en grand nombre, qui est
cause que j les passeray souz silence. J'ay dit cecy en
passant, afin que ceux qui viendront après nous, & qui
bastiront de nouveaux desseins, s'en servent, & les
considerent: de sorte que lors qu'ils s'y embarqueront, la
ruine & la perte d'autruy leur serve d'exemple, &
d'apprentissage.
Le troisiesme défaut, & le plus prejudiciable, est en ce que
fit Ribaus, de n'avoir fait descharger les vivres & munitions
qu'il avoit apportez pour Laudonniere & ses compagnons, avant
que s'exposer au risque de perdre tout, comme il fit (quoy
qu'il n'y allast pas pour combatre l'ennemy) mais demeurer
tousjours sur la defensive, aider avec ses hommes à
Laudonniere, se fortifier, & attendre de pied ferme ceux qui le
viendroient assaillir: pouvant bien juger que puis que son
dessein estoit de prendre le Fort, qu'il devoit estre plus fort
que ceux qui le gardoient, sans s'exposer inconsiderément au
péril & à la fortune & eust mieux fait de recognoistre les
forces de l'ennemy avant qu'il l'allast attaquer, & qu'il ne
35/691 fust asseuré de la victoire. Mais au contraire ayant mesprisé
les conseils de Laudonniere, qui estoit plus expérimenté que
luy en la cognoissance des lieux, il luy en prit très-mal.
Davantage, en telles entreprises les vaisseaux qui portent les
vivres & les munitions de guerre pour une Colonie, doivent
tousjours faire leur routte le plus droit qu'il est possible,
sans se détourner pour donner la chasse à quelque autre
vaisseau, d'autant que s'il se faut battre, & qu'ils viennent à
se perdre, ce mal-heur ne leur sera pas seulement particulier,
mais ils mettent la Colonie en danger d'estre perdue, & les
hommes contraints d'abandonner toutes choses, se voyans réduits
à souffrir une mort miserable, causée par la faim, qui les
assailliroit faute de vivres, pour ne s'estre pourveus & munis
du moins pour deux ans, en attendant que la terre soit
défrichée, pour nourrir ceux qui sont dans le pays. Fautes
très-grandes, qui sont semblables à celles qu'ont faites ces
nouveaux entrepreneurs, qui n'ont fait défricher aucunes
terres, ny trouvé moyen de le faire depuis vingt-deux ans[42]
que le pays est-habité, n'ayans eu autre pensée qu'à tirer
profit des pelleteries: & un jour arrivera qu'ils perdront tout
ce que nous y possedons. Ce qui est aisé à juger si le Roy n'y
fait ordonner un bon règlement.
[Note 42: Ce passage est une nouvelle preuve que l'édition de 1632 a été
commencée peu de temps après la prise de Québec; car, au printemps de
1630, il y avait juste vingt-deux ans que notre auteur était parti de la
vieille France, pour venir fonder, dans la nouvelle, cette petite
habitation de Québec, que l'avarice des sociétés marchandes tint jusqu'à
cette époque dans un état de faiblesse qui lui fait dire ici: «Un jour
arrivera qu'ils perdront tout ce que nous y possedons... si le Roy n'y
fait ordonner un bon règlement.»]
Ce sont les plus grands défauts qui se peuvent remarquer és
premiers voyages, & les suivans n'ont esté gueres plus heureux.
36/692
_Voyage, que fit faire le Sieur de Roberval. Envoye Alphonse
Sainctongeois vers Labrador. Son partement: son arrivée.
Retourne à cause des glaces. Voyages des estrangers au Nort,
pour aller aux Indes Occidentales. Voyage du Marquis de la
Roche sans fruict. Sa mort. Défaut remarquable en son
entreprise._
CHAPITRE V.
L'An 1541[43] le Sieur de Roberval ayant renouvellé cette
saincte entreprise, envoya Alphonse Sainctongeois (homme des
plus entendus au faict de la navigation qui fust en France de
son temps) qui voulut par ses descouvertes voir & rencontrer
plus au Nort un passage vers Labrador. Il fit équiper deux[44]
bons vaisseaux de ce qui luy estoit necessaire pour ceste
descouverte, & partit audit an 1541.[45] Et après avoir navigé
le long des costes du Nort, & terres de Labrador, pour trouver
un passage qui peust faciliter le commerce avec les Orientaux,
par un chemin plus court que celuy que l'on fait par le Cap de
bonne esperance, & destroit de Magellan, les obstacles
fortunez, & le risque qu'il courut à cause des glaces, le fit
retourner sur ses brisées, & n'eut pas plus dequoy se glorifier
que Cartier.
[Note 43: Cinq des vaisseaux qui faisaient partie de l'expédition de M.
de Roberval, partirent en effet de Saint-Malo le 23 mai 1541, sous les
ordres de Jacques Cartier; mais il ne put partir lui-même qu'au
printemps suivant, le 16 avril 1542, avec trois autres vaisseaux; et
Jean Alphonse, son premier pilote, était avec lui. (Hakluyt, III, 232,
237, 240.)]
[Note 44: Trois. (Relation de Roberval.)]
[Note 45: 1542.]
37/693 Ceste seconde entreprise n'estoit que pour decouvrir un
passage[46], mais l'austre estoit pour le profond des terres, &
y habiter, s'il se pouvoit; & ainsi ces deux voyages n'ont pas
réussi. Pour le passage, je n'allegueray point le discours au
long des nations estrangeres qui ont tenté fortune de trouver
passage par le Nort, pour aller aux Indes Orientales, comme és
années 1576, 77 & 78. Messire Martin Forbichet[47] fit trois
voyages: sept ans aprés Hunfoy Gilbert y fut avec 5 vaisseaux,
qui se perdit sur l'isle de Sable, où il demeura deux ans[48].
Après Jean Davis Anglois fit trois voyages, pénétra souz le 72e
degré, passa par un destroit appellé aujourd'huy de son nom. Un
autre appellé le Capitaine Georges [49], en l'an 1590. fit ce
voyage, & fut contraint à cause des glaces de s'en retourner
sans effect: & quelques autres qui l'ont entrepris, ont eu
pareille fortune.
[Note 46: Tel était, sans aucun doute, le but auquel aspirait le pilote
saintongeois; mais M. de Roberval avait bien certainement dessein de
fonder une colonie, comme le prouve abondamment la relation de son
voyage.]
[Note 47: Frobisher. La relation de ses trois voyages se trouve dans
Hakluyt, vol. III.]
[Note 48: Sir Humphrey Gilbert périt en ce voyage, l'année même de son
départ. (Hakl. III.)]
[Note 49: D'après Bergeron, le capitaine George Weymouth fit un voyage
pour chercher le passage du nord-ouest, mais en l'année 1602. (Traité
de la Navigation, ch, X.)]
Quant aux Espagnols & Portugais, ils y ont perdu leur temps.
Les Hollandois n'en ont pas eu plus certaine cognoissance par
la nouvelle Zambie du costé de l'Est, pour trouver ce passage,
que les autres ont perdu tant de temps pour le chercher par
l'Occident, au dessus des terres dites Labrador.
Tout cecy n'est que pour faire cognoistre que si ce passage
tant desiré se fust trouvé, combien cela eust apporté d'honneur
38/694 à celuy qui l'eust rencontré, & de biens à l'Estat ou Royaume
qui l'eust possedé. Puis donc que nous seuls avons jugé ceste
entreprise d'un tel prix, elle n'est pas moins à mépriser en ce
temps cy, & ce qui ne s'est peu faire par un lieu, se peut
recouvrer par un autre avec le temps, pourveu que sa Majesté
vueille assister les entrepreneurs d'un si louable dessein. Je
laisseray ce discours, pour retourner à nos nouveaux conquerans
au pays de la nouvelle France.
Le Sieur Marquis de la Roche de Bretagne, poussé d'une saincte
envie d'arborer l'estendart de Jesus Christ, & y planter les
armes de son Roy, en l'an 1598[50] prit commission du Roy Henry
le Grand (d'heureuse mémoire) qui avoit de l'amour pour ce
dessein, fit équiper quelques vaisseaux, avec nombre d'hommes,
& un grand attirail de choses necessaires à un tel voyage: mais
comme ledit Sieur Marquis de la Roche n'avoit aucune
cognoissance des lieux, que par un pilote de navire appelle
Chédotel, du pays de Normandie, il mit les gens dudit Sieur
Marquis sur l'isle de Sable, distante de la terre du Cap Breton
de 25 lieues au Sud, où cependant les hommes qui resterent en
ce lieu avec fort peu de commoditez, furent sept ans abandonnez
sans secours que de Dieu, & furent contraints de se tenir comme
les renards dans la terre, pour n'y avoir ny bois, ny pierre en
ceste isle propre à bastir, que le débris & fracas des
vaisseaux qui viennent à la coste de ladite isle; & vescurent
seulement de la chair des boeufs & vaches, qu'ils y trouverent
39/695 en quantité, s'y estans sauvez par la perte d'un vaisseau
Espagnol qui s'estoit perdu voulant aller habiter l'isle du Cap
Breton; & se vestirent de peaux de loups marins, ayans usé
leurs habits, & conserverent les huiles pour leur usage, avec
la pescherie de poisson, qui est abondante autour de ladite
isle; jusques à ce que la Cour de Parlement de Rouen par arrest
condamna ledit Chédotel d'aller repasser ces pauvres
miserables, à la charge qu'il auroit la moitié des commoditez
de ce qu'ils auroient peu pratiquer pendant leur sejour en
cette isle, comme cuirs de boeufs, peaux de loups marins,
huile, renards noirs, ce qui fut exécuté: & revenans en France
au bout de sept ans, partie vint trouver sa Majesté à Paris,
qui commanda au Duc de Suilly de leur donner quelques
commoditez, comme il fit, jusques à la somme de 50 escus, pour
les encourager de s'en retourner[51].
[Note 50: Le marquis de la Roche avait déjà obtenu une première
commission en 1578. (Voir Voyage 1613, p. 4, note 1.)]
[Note 51: Lescarbot rapporte la chose un peu différemment. «Cependant
ses gens demeurent cinq ans dégradés en ladite isle, se mutinent, &
coupent la gorge l'un à l'autre, tant que le nombre se racourcit de jour
en jour. Pendant lesdits cinq ans ils ont là vécu de pêcherie, & des
chairs des animaux... dont ils en avoient apprivoisez quelques uns qui
leur fournissaient de laictage, & autres petites commoditez. Ledit
Marquis étant délivré fit récit au Roy à Rouen de ce qui lui étoit
survenu. Le Roy commanda à Chef-d'hotel Pilote d'aller recueillir ces
pauvres hommes quand il iroit aux Terres-neuves. Ce qu'il fit, & en
trouva douze de reste, auxquels il ne dit point le commandement qu'il
avoit du Roy, afin d'attraper bon nombre de cuirs, & peaux de Loups
marins dont ils avoient fait réserve durant lesdites cinq années.
Somme, revenus en France ilz se presentent à sa Majesté vêtus dédites
peaux de Loups-marins. Le Roy leur fit bailler quelque argent, & se
retirèrent. Mais il y eut procès entre eux, & ledit Pilote, pour les
cuirs & pelleteries qu'il avoit extorquées d'eux, dont par après ilz
composerent amiablement.» (Hist. de la Nouv. France, liv. III, ch.
XXXII.--Voir Biographie Générale des hommes illustres de la Bretagne,
par Pol de Courcy, Cours d'Hist. du Canada, par M. Ferland, I, 60,
6l.)]
Cependant le Marquis de la Roche estant à poursuivre en Cour
les choses que sa Majesté luy avoit promises pour son dessein,
elles luy furent déniées par la sollicitation de certaines
personnes qui n'avoient desir que le vray culte de Dieu
40/696 s'accreust, ny d'y voir florir la Religion Catholique,
Apostolique & Romaine. Ce qui luy causa un tel desplaisir, que
pour cela, & autre chose, il se trouva assailly d'une forte
maladie, qui l'emporta, après avoir consommé son bien & son
travail, sans en ressentir aucun fruict.
En ce sien dessein se remarquent deux défauts; l'un, en ce que
ledit Marquis n'avoit fait descouvrir & recognoistre le lieu
par quelque homme entendu en telle affaire, & où il devoit
aller habiter, premier que s'obliger à une despense excessive.
L'autre, que les envieux qui estoient en ce temps prés du Roy
en son Conseil, empescherent l'effect & la bonne volonté
qu'avoit sa Majesté de luy faire du bien. Voila comme les Roys
sont souvent deceus par ceux en qui ils ont quelque confiance.
Les histoires du temps passé le font assez cognoistre, &
ceste-cy nous en peut fournir d'eschantillon. Voicy un
quatriesme voyage rompu, venons au cinquiesme.
_Voyage du Sieur de Sainct Chauvin. Son dessein. Remonstrances
que luy fait du Pont Gravé. Le Sieur de Mons voyage avec luy.
Retour de S. Chauvin & du Pont en France, Second voyage de
Chauvin: son entreprise._
CHAPITRE VI.
UN an après, l'an 1599, le Sieur Chauvin de Normandie,
Capitaine pour le Roy en la marine, homme très-expert & entendu
au faict de la navigation (qui avoit servy sa Majesté aux
41/697 guerres passées, quoy qu'il fust de la religion pretendue
reformée) entreprit ce voyage souz la commission de sadite
Majesté, à la sollicitation du Sieur du Pont Gravé, de Sainct
Malo (fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait
plusieurs) accompagnez d'autres vaisseaux jusques à Tadoussac,
quatre vingts dix lieues à mont la riviere, lieu où ils
faisoient trafic de pelleterie & de castors, avec les Sauvages
du pays, qui s'y rendoient tous les printemps: ledit du Pont
desireux de trouver moyen de rendre ce trafic particulier, va
en Cour rechercher quelqu'un d'authorité & pouvoir eminent
auprés du Roy, pour obtenir une commission, portant que le
trafic de ceste riviere seroit interdit à toutes personnes,
sans la permission & consentement de celuy qui seroit pourveu
de ladite commission, à la charge qu'ils habiteroient le pays,
& y feroient une demeure. Voila un commencement de bien faire,
sans qu'il en couste rien au Roy, si ce qui est en ladite
commission s'effectue, ayant dessein d'y mener cinq cents
hommes, pour s'y fortifier & défendre le pays. Le Roy qui avoit
grande confiance en cet entrepreneur, qui neantmoins pretendoit
n'y faire que la moindre despense qu'il pourroit, pour souz le
prétexte d'habiter, & exécuter tout ce qu'il promettoit,
vouloit priver tous les sujects du Royaume de ce trafic, &
retirer luy seul les castors. Et pour donner un esclat à ceste
affaire, se met en devoir de l'exécuter. Les vaisseaux
s'équipent de choses les plus necessaires qu'il croit estre
propres à son entreprise. Plusieurs personnes d'arts & de
mestiers s'acheminent & se rendent au lieu de Hondefleur lieu
42/698 de l'embarquement. Ses vaisseaux hors, il met ledit Pont Gravé
pour son Lieutenant en l'un d'iceux: mais le chef estant de
contraire religion, ce n'estoit pas le moyen de bien planter la
foy parmy des peuples qu'on veut réduire, & c'estoit à quoy
l'on songeoit le moins. Ils navigent jusques au port de
Tadoussac, lieu de la traitte, & fut ceste affaire assez mal
conduite pour y faire grand progrés. Ils se délibèrent d'y
faire une habitation; lieu le plus desagreable & infructueux
qui soit en ce pays, qui n'estant remply que de pins, sapins,
bouleaux, montagnes, & rochers presque inaccessibles, & la
terre très-mal disposée pour y faire aucun bon labourage, & où
les froidures sont si excessives, que s'il y a une once de
froid à 40 lieues à mont la riviere, il y en a là une livre:
aussi combien de fois me suis-je estonné, ayant veu ces lieux
si effroyables sur le printemps.
Or comme ledit Sieur Chauvin y vouloit bastir, & y Laisser des
hommes, & les couvrir contre la rigueur des froidures extrêmes,
ayant sceu du Pont Gravé que son opinion n'estoit que l'on y
deust bastir, remonstra audit Sieur Chauvin plusieurs fois
qu'il falloit aller à mont ledit fleuve, où le lieu est plus
commode à habiter, ayant esté en un autre voyage jusques aux
trois rivieres, pour trouver les Sauvages, afin de traiter avec
eux.
Le Sieur de Mons fit le mesme voyage pour son plaisir, avec
ledit Sieur Chauvin, qui estoit de la mesme opinion que Gravé,
qui recognoissant ce lieu estre fort desagreable, eust bien
voulu voir plus à mont ledit fleuve[52]. Mais quoy que c'en
43/699 soit, ou le temps ne le permettant pour lors, ou autres
considerations qui estoient en l'esprit de l'entrepreneur, fut
cause qu'il employa quelques ouvriers à édifier une maison de
plaisance, de quatre toises de long, sur trois de large, de
huict pieds de haut, couverte d'ais, & une cheminée au milieu,
en forme d'un corps de garde, entouré de clayes, (laquelle
j'ay veue en ce lieu là) & d'un petit fossé fait dans le
sable[53]. Car en ce pays là où il n'y a point de rochers, ce
sont tous sables fort mauvais. Il y avoit un petit ruisseau au
dessous, où ils laisserent 16 hommes fournis de peu de
commoditez, qu'ils pouvoient retirer dans le mesme logis, où
ce peu qu'il y avoit estoit à l'abandon des uns & des autres,
ce qui dura peu. Les voila bien chaudement pour leur hyver. Ce
qui fut cause que le sieur Chauvin s'en retourna, ne voulant
voir, ny descouvrir plus avant, comme aussi fit le dit du Pont.
[Note 52: La mauvaise impression que fit ce voyage sur l'esprit de M. de
Monts, explique pourquoi il ne se décida à faire une habitation sur le
fleuve qu'après plusieurs tentatives infructueuses pour s'établir dans
des climats moins rigoureux.]
[Note 53: Voir la carte des environs de Tadoussac, 1613.]
Pendant qu'ils sont en France, nos hyvernans consomment en bref
ce peu qu'ils avoient, & l'hyver survenant, leur fit bien
cognoistre le changement qu'il y avoit entre la France &
Tadoussac: c'estoit la cour du Roy Petault, chacun vouloit
commander; la paresse & faineantise, avec les maladies qui les
surprirent, ils se trouverent réduits en de grandes necessitez,
& contraints de s'abandonner aux sauvages, qui charitablement
les retirèrent avec eux, & quittèrent leur demeure; les unze
moururent miserablement, les autres patissans fort attendans le
retour des vaisseaux.
44/700 Le sieur Chauvin voyant ses gens humer le vent du Saguenay,
fort dangereux, poursuit ses affaires pour refaire un second
voyage, qui fut aussi fructueux que le premier. Il en veut faire
un troisiesme mieux ordonné; mais il n'y demeure long temps sans
estre saisi de maladie, qui l'envoya en l'autre monde.
Ce qui fut à blasmer en ceste entreprise, est d'avoir donné une
commission à un homme de contraire religion, pour pulluler la
foy Catholique, Apostolique, & Romaine, que les hérétiques ont
tant en horreur, & abhomination. Voila les défauts que j'avois
à dire sur ceste entreprise.
_Quatriesme entreprise en la Nouvelle France par le Commandeur
de Chaste. Le Sieur de Pont Gravé esleu pour le voyage de
Tadoussac. L'Autheur se met en voyage. Leur arrivée au Grand
sault Sainct Louys. Sa difficulté à le passer. Leur retraite.
Mort dudit Commandeur, qui rompt le 6e voyage._
CHAPITRE VII.
LA quatrième entreprise fut celle du Sieur Commandeur de
Chaste, gouverneur de Dieppe, qui estoit homme très-honorable,
bon Catholique, grand serviteur du Roy, qui avoit dignement &
fidèlement servy sa Majesté en plusieurs occasions signalées.
Et bien qu'il eust la teste chargée d'autant de cheveux gris
que d'années, vouloit encore laisser à la posterité par ceste
louable entreprise une remarque très charitable en ce dessein,
45/701 & mesmes s'y porter en personne, pour consommer le reste de ses
ans au service de Dieu & de son Roy, en y faisant une demeure
arrestée, pour y vivre & mourir glorieusement, comme il
esperoit, si Dieu ne l'eust retiré de ce monde plustost qu'il
ne pensoit, & se pouvoit-on bien asseurer que souz sa conduite
l'heresie ne se fust jamais plantée aux Indes: car il avoit de
tres-chrestiens desseins, dont je pourrois rendre de bons
tesmoignages, pour m'avoir fait l'honneur de m'en communiquer
quelque chose.
Donc après la mort dudit sieur Chauvin, il obtint nouvelle
commission de sa Majesté. Et d'autant que la despense estoit
fort grande, il fit une societé avec plusieurs Gentils hommes,
& principaux marchands de Rouen, & d'autres lieux, sur
certaines conditions. Ce qu'estant fait, ils font équiper
vaisseaux tant pour l'exécution de ceste entreprise, que pour
descouvrir & peupler le pays. Ledit Pont-Gravé avec commission
de sa Majesté (comme personne qui avoit desja fait le voyage, &
recognu les defauts du passé) fut éleu pour aller à Tadoussac,
& promet d'aller jusques au Sault Sainct Louys, le descouvrir,
& passer outre, pour en faire son rapport à son retour, &
donner ordre à un second embarquement; & ledit Sieur Commandeur
quitter son gouvernement, avec la permission de sa Majesté, qui
l'aimoit uniquement, s'en aller au pays de la nouvelle France.
Sur ces entre-faites, je me trouvay en Cour, venu fraischement
des Indes Occidentales, où j'avois esté prés de deux ans &
46/402 demy[54], après que les Espagnols furent partis de Blavet[55],
& la paix faite en France, où pendant les guerres j'avois servy
sadite Majesté souz Messeigneurs le Mareschal d'Aumont, de
Sainct Luc, & Mareschal de Brissac. Allant voir de fois à autre
ledit Sieur Commandeur de Chaste, jugeant que je luy pouvois
servir en son dessein, il me fit ceste faveur, comme j'ay dit,
de m'en communiquer quelque chose, & me demanda si j'aurois
agréable de faire le voyage, pour voir ce pays, & ce que les
entrepreneurs y feroient. Je luy dis que j'estois son
serviteur: que pour me licencier de moy-mesme à entreprendre ce
voyage, je ne le pouvois faire sans le Commandement de sadite
Majesté, à laquelle j'estois obligé tant de naissance, que
d'une pension de laquelle elle m'honoroit, pour avoir moyen de
m'entretenir prés d'elle, & que s'il luy en plaisoit parler, &
me le commander, que je l'aurois tres-agreable. Ce qu'il me
promit, & fit, & receut commandement de sa Majesté pour faire
ce voyage, & luy en faire fidel rapport: & pour cet effect
Monsieur de Gesvre Secrétaire de ses commandemens, m'expédia,
avec lettre addressante audit Pont-Gravé, pour me recevoir en
son vaisseau, & me faire voir & recognoistre tout ce qui se
pourroit en ces lieux, en m'assistant de ce qui luy seroit
possible en ceste entreprise.
[Note 54: Champlain avait été deux ans et deux mois à ce voyage des
Indes Occidentales. Parti du Blavet au commencement d'août 1598, avec
son oncle le capitaine Provençal, il se rendit en Espagne, où on lui
confia le commandement d'un des vaisseaux de la flotte des Indes, qui
partit au «commencement de janvier 1599». Il fut de retour au
commencement de 1601.]
[Note 55: Aujourd'hui Port-Louis, département du Morbihan.]
Me voila expédié, je pars de Paris, & m'embarque dans le
vaisseau dudit du Pont l'an 1603. nous faisons heureux voyage
47/703 jusques à Tadoussac, avec de moyennes barques de 12 à 15
tonneaux, & fusmes jusques à une lieue à mont le Grand-sault
Sainct Louis. Le Pont Gravé & moy nous nous mettons dans un
petit bateau fort léger, avec cinq matelots, pour n'en pouvoir
faire naviger de plus grand, à cause des difficultez. Ayant
fait une lieue avec beaucoup de peine dans une forme de lac,
pour le peu d'eau que nous y trouvasmes, & estans parvenus au
pied dudit Sault, qui se descharge en ce lac, nous jugeasmes
impossible de le passer avec nostre esquif, pour estre si
furieux, & entre-meslé de rochers, que nous nous trouvasmes
contraints de faire presque une lieue par terre, pour voir le
dessus de ce Sault, n'en pouvans voir d'avantage, & tout ce que
nous peusmes faire fut de remarquer les difficultez, tout le
pais, & le long de ladite riviere, avec le rapport des Sauvages
de ce qui estoit dedans les terres, des peuples, des lieux, &
origines des principales rivieres, & notamment du grand fleuve
S. Laurent.
Je fis dés lors un petit discours, avec la carte[56] exacte de
tout ce que j'avois veu & recognu, & ainsi nous nous en
retournasmes à Tadoussac, sans faire que fort peu de progrés:
auquel lieu estoient nos vaisseaux qui faisoient la traitte
avec les Sauvages, ce qu'estant fait, nous nous embarquasmes,
mettant les voiles au vent, jusques à ce que nous fussions
arrivez à Honnefleur, où sceusmes les nouvelles de la mort du
Sieur Commandeur de Chaste[57], qui m'affligea fort,
48/704 recognoissant que mal-aisément un autre pourroit entreprendre
ceste entreprise, qu'il ne fust traversé, si ce n'estoit un
Seigneur de qui l'authorité fust capable de repousser l'envie.
[Note 56: Cette carte ne se trouve pas même dans l'exemplaire du Voyage
de 1603 que possède la Bibliothèque Impériale.]
[Note 57: Il était mort le 13 mai de cette année 1603 (Asseline, _ms_ de
Dieppe). Son tombeau est dans l'église de Saint-Rémi à Dieppe.]
Je n'arresté gueres en ce lieu de Honnefleur, que j'allay
trouver sa Majesté, à laquelle je fis voir la carte dudit pays,
avec le discours fort particulier que je luy en fis, qu'elle
eut fort agréable, promettant de ne laisser ce dessein, mais de
le faire poursuivre & favoriser. Voila le cinquiesme voyage
rompu par la mort dudit Sieur commandeur.
En ceste entreprise je n'ay remarqué aucun defaut pour avoir
esté bien commencé: mais je sçay qu'aussi tost plusieurs
marchands de France qui avoient interest en ce négoce,
commençoient à faire des plaintes de ce qu'on leur interdisoit
le trafic des pelleteries, pour le donner à un seul.
_Voyage du Sieur de Mons. Veut poursuivre le dessein du feu
Commandeur de Chastes. Obtient commission du Roy pour aller
descouvrir plus avant vers Midy. S'associe avec les marchands
de Rouen & de la Rochelle, L'Autheur voyage avec luy. Arrivent
au Cap de Héve. Descouvrent plusieurs ports & rivieres. Le
Sieur de Poitrincourt va avec le Sieur de Mons. Plaintes dudit
Sieur de Mons. Sa commission revoquée._
CHAPITRE VIII.
Aprés la mort du Sieur Commandeur de Chaste, le Sieur de
Mons[58], de Sainctonge, de la religion prétendue reformée,
49/705 Gentil-homme ordinaire de la chambre du Roy, & Gouverneur de
Pons, qui avoit rendu de bons services à sa Majesté durant
toutes les guerres passées, en qui elle avoit une grande
confiance, pour sa fidélité comme il a tousjours fait paroistre
jusques à sa mort, porté d'un zèle & affection d'aller peupler
& habiter le pays de la nouvelle France, & y exposer sa vie &
son bien, voulut marcher sur les brisées du feu sieur
Commandeur audit pays, où il avoit esté, comme dit est, avec le
sieur Chauvin, pour le recognoistre, bien que ce peu qu'il
avoit veu, luy avoit fait perdre la volonté d'aller dans le
grand fleuve Sainct Laurent, n'ayant veu en ce voyage qu'un
fascheux pays, luy qui desiroit aller plus au Midy, pour jouir
d'un air plus doux & agréable. Et ne s'arrestant aux relations
que l'on luy en avoit faites, vouloit chercher un lieu duquel
il ne sçavoit l'assiette ny la température que par
l'imagination & la raison, qui trouve que plus vers le Midy il
y fait plus chaud. Estant en volonté d'exécuter ceste genereuse
entreprise, il obtient commission du Roy l'an 1623,[59] pour
peupler & habiter le pays, à condition d'y planter la foy
Catholique, Apostolique & Romaine, permettant de laisser vivre
chacun selon sa religion. Cela estant, il continue sa societé
avec les marchands de Rouen, de la Rochelle, & autres lieux, à
qui la traitte de pelleterie estoit accordée par ladite
commission privativement à tous les subjects de sa Majesté.
Toutes choses ordonnées, ledit Sieur de Mons fait son
embarquement au Havre de Grâce, s'embarque faisant équiper
50/706 plusieurs vaisseaux tant pour ledit trafic de pelleterie de
Tadoussac, que des costes de la nouvelle France. Il assembla
nombre de Gentils-hommes, & de toutes sortes d'artisans,
soldats & autres, tant d'une que d'autre religion, Prestres &
Ministres.
[Note 58: Pierre du Gast, ou du Gua, sieur de Monts.]
[Note 59: Cette commission est du 8 novembre 1603. (Lescarbot, Hist. de
la Nouv. France, liv, IV, c. I.)]
Ledit Sieur de Mons me demanda si j'aurois agréable de faire ce
voyage avec luy. Le desir que j'avois eu au dernier s'estoit
accreu en moy, qui me fit luy accorder, avec la licence que
m'en donneroit sa Majesté, qui me le permit, pour tousjours en
voyant & descouvrant, luy en faire fidel rapport. Estans tous à
Dieppe, on s'embarque, un vaisseau va à Tadoussac, ledit du
Pont avec la commission dudit sieur de Mons à Canseau, & le
long de la coste vers l'isle du Cap Breton, voir ceux qui
contreviendroient aux défenses de sa Majesté. Le Sieur de Mons
prend sa routte plus à val vers les costes de l'Acadie[60], &
le temps nous fut si favorable, que nous ne fusmes qu'un mois à
parvenir jusques au Cap de la Héve, où estans, nous passasmes
plus outre cherchans lieu pour y habiter, ne trouvans celuy-cy
agréable. Le Sieur de Mons me commit à la recherche de quelque
lieu qui fut propre: ce que je fis avec quelque pilote que je
menay avec moy, où descouvrismes plusieurs ports & rivieres,
jusques à ce que ledit Sieur de Mons s'arresta en une isle,
qu'il jugea d'assiette forte, & le terroir d'alentour très-bon,
la température douce, sur la hauteur de 45.5°[61] de latitude,
comme[62] Saincte Croix.
[Note 60: D'après l'édition de 1613 et Lescarbot, M. de Monts ne serait
parti qu'avec deux vaisseaux: celui du capitaine Morel, et celui du
capitaine Timothée; ici cependant l'auteur en mentionne évidemment
trois, qui ont une mission tout à fait distincte. (Voir 1613, p. 6, 7;
Lescarbot, Hist. de la Nouv. France, liv. IV, c. II.)]
[Note 61: L'île de Sainte-Croix n'est que quelques minutes au-delà du
quarante-cinquième degré.]
[Note 62: Lisez _nommée_.]
51/707 Il y fait venir ses vaisseaux, employé chacun selon sa
condition, & mestier, tant pour les descharger, que pour se
loger promptement. Ses vaisseaux deschargez, il les renvoye au
plustost, & le sieur de Poitrincourt (qui estoit venu avec
ledit sieur de Mons pour voir le pays, afin de l'habiter, &
avoir quelque lieu de luy, en vertu de sa commission) s'en
retourna.
Mais laissons-le aller, en attendant si nous aurons meilleur
marché des froidures, que ceux qui hyvernerent à Tadoussac. Nos
vaisseaux estans retournez en France, ouirent un nombre infiny
de plaintes tant des Bretons, Basques, que autres, de l'excez &
mauvais traittement qu'ils recevoient aux costes, par les
Capitaines dudit Sieur de Mons, qui les prenoit, & empeschoit
de faire leur pesche, les privans de l'usage des choses qui
leur avoient tousjours esté libres: de sorte que si le Roy n'y
apportoit un règlement, toute ceste navigation s'en alloit
perdre, & ses douanes par ce moyen diminuées, leurs femmes &
enfans pauvres & miserables, & contraints à mendier leurs vies.
Requestes sont presentées à ce sujet, mais l'envie & les
crieries ne cessent point; il ne manque en Cour de personnes
qui promettent que pour une somme de deniers l'on feroit casser
la commission du Sieur de Mons. Ceste affaire se practique en
telle façon, que ledit Sieur de Mons ne sceut si bien faire,
que la volonté du Roy ne fust destournée par quelques
personnages qui estoient en crédit, qui luy avoient promis
d'entretenir trois cents hommes audit pays. Doncques en peu de
52/708 temps la commission de sa Majesté fut revoquée, pour le prix de
certaine somme qu'un certain personnage eut, sans que sadite
Majesté en sceust rien. Cependant, pour recompense de trois ans
que le Sieur de Mons avoit consommez, avec une despense de plus
de 100000 livres, en la première desquelles trois années il
souffrit beaucoup, & endura de grandes incommoditez à cause des
rigueurs du froid, & la longue durée, des neges de trois pieds
de haut, durant cinq mois, bien que l'on puisse aborder en tout
temps aux costes où la mer ne gele point, si ce n'est à
l'entrée des rivieres qui charrient des glaces qui vont se
descharger en la mer. Outre cela, presque la moitié de ses
hommes moururent de la maladie de la terre, & fut contraint de
faire revenir le reste de ses gens, avec le Sieur de
Poitrincourt, qui en ceste année estoit son Lieutenant: car le
Pont Gravé l'avoit esté l'an precedent.
Voila tous les desseins du Sieur de Mons rompus, lequel
s'estoit promis d'aller plus au Midy pour faire une habitation
plus saine & tempérée que l'Isle de Saincte Croix, où il avoit
hyverné, & depuis l'on fut au port Royal, où l'on se trouva un
peu mieux, pour n'avoir trouvé l'hyver si aspre, souz la
hauteur de 45 degrez de latitude. Pour recompense de ses
pertes, luy fut ordonné par le Conseil de sa Majesté 6000
livres, à prendre sur les vaisseaux qui iroient trafiquer des
pelleteries.
Mais quelle despense luy eust-il fallu faire en tous les ports
& havres, pour recouvrer ceste somme, s'informer de ceux qui
auroient traitté, & le département qu'il faudroit, sur plus de
quatre vingts vaisseaux qui fréquentent ces costes? c'estoit
53/709 luy donner la mer à boire, en faisant une despense qui eust
surmonté la recepte, comme il en a bien apparu. Car ledit Sieur
de Mons n'en a presque rien retiré & a esté contraint de
laisser aller cet arrest comme il a peu. Voila comme ces
affaires furent mesnagées au Conseil de sa Majesté: Dieu face
pardon à ceux qu'il a appellez, & amender ceux qui sont vivans.
Hé bon Dieu! qu'est-ce que l'on peut plus entreprendre, si tout
se revoque de la façon, sans juger meurement des affaires,
premier que d'en venir là? ceux qui ont le moins de
cognoissance crient le plus fort, & en veulent plus sçavoir que
ceux qui en auront une parfaite expérience; & ne parlent que
par envie, ou pour leur interest particulier, sur de faux
rapports & apparences, sans s'en informer davantage.
Il se trouve quelque chose à redire en ceste entreprise, qui
est, en ce que deux religions contraires ne font jamais un
grand fruict pour la gloire de Dieu parmy les Infideles, que
l'on veut convertir. J'ay veu le Ministre & nostre Curé
s'entre-battre à coups de poing, sur le différend de la
religion. Je ne sçay pas qui estoit le plus vaillant, & qui
donnoit le meilleur coup, mais je sçay très-bien que le
Ministre se plaignoit quelquefois au Sieur de Mons d'avoir esté
battu, & vuidoient en ceste façon les poincts de controverse.
Je vous laisse à penser si cela estoit beau à voir; les
Sauvages estoient tantost d'un costé tantost de l'autre, & les
François menez selon leur diverse croyance, disoient pis que
pendre de l'une & de l'autre religion, quoy que le Sieur de
Mons y apportast la paix le plus qu'il pouvoit. Ces insolences
54/710 estoient véritablement un moyen à l'infidèle de le rendre
encore plus endurcy en son infidélité.
Or puis que ledit Sieur de Mons n'avoit voulu aller habiter au
fleuve Sainct Laurent, il devoit envoyer recognoistre un lieu
propre pour y jetter les fondemens d'une Colonie, qui ne fut
subjecte à estre delaissée comme celle de Saincte Croix, & Port
Royal, où personne n'y cognoissoit rien, & devoit faire une
despense de quatre à cinq mille livres, pour estre asseuré du
lieu, & mesme donner charge d'y passer un hyver, pour
cognoistre ce climat. Cela estant, il n'y a point de doute que
le terroir, & la chaleur, correspondans à quelque bonne
température, l'on s'y fust arresté. Et bien que la commission
dudit sieur de Mons eust esté revoquée, l'on n'eust pas laissé
d'habiter le pays en trois ans & demy, comme l'on avoit fait en
l'Acadie, & eust-on assez défriché de terre, pour se pouvoir
passer des commoditez de France. Que si ces choses eussent esté
bien ordonnées, peu à peu l'on s'y fust habitué, & les Anglois
& Flamens n'auroient jouy des lieux qu'ils ont surpris sur
nous, qui s'y sont establis à nos despens.
Il ne sera hors de propos pour contenter le lecteur curieux, &
principalement les voyageurs de mer, de descrire les
descouvertes de ces costes, pendant trois ans & demy que je fus
à l'Acadie, tant à l'habitation de Saincte Croix, qu'au Port
Royal, où j'eus moyen de voir & descouvrir le tout, comme il se
verra au Livre suivant.
Fin du premier Livre.
55/711
[Illustration]
LES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
LIVRE SECOND.
_Description de la Héve. Du port au Mouton. Du port du Cap
Negre. Du Cap & Baye de Sable. De l'isle aux Cormorans. Du Cap
Fourchu. De l'isle Longue. De la Baye Saincte Marie, Du port de
Saincte Marguerite, & de toutes les choses remarquables qui
sont le long de la coste d'Acadie._
CHAPITRE PREMIER.
Le Cap de la Héve est un lieu où il y a une Baye, où sont
plusieurs isles couvertes de sapins, & la grande terre de
chesnes, ormeaux, & bouleaux. Il est à la coste d'Acadie par
les 44 degrez, & cinq minutes de latitude, & 16 degrez 15
minutes de declinaison de la Guide-aymant, distant à l'Est
nordest du Cap Breton 75 [63] lieues.
[Note 63: L'édition de 1613 porte 85. De la Hève au cap Breton, il y a
un peu plus de quatre-vingts lieues.]
711a [Illustration-carte]
A sept lieues de cestuy-cy s'en trouve un autre appelle le Port
56/712 au Mouton, où sont deux petites rivieres par la hauteur de 44
degrez, & quelques minutes de latitude, dont le terroir est
fort pierreux, remply de taillis & de bruyères, il y a quantité
de lapins, & bon nombre de gibbier, à cause des estangs qui y
sont.
Allant le long de la coste, se voit aussi un port très-bon pour
les vaisseaux, & au fonds une petite riviere, qui entre assez
avant dans les terres, que je nommay le port du Cap Negré, à
cause d'un rocher qui de loin en a la semblance, lequel est
eslevé sur l'eau proche d'un cap où nous passasmes le mesme
jour[64], qui en est à quatre lieues, & à dix du port au
Mouton. Ce cap est fort dangereux, à raison des rochers qui
jettent à la mer. Les costes que je veis jusques là sont fort
basses, couvertes de pareil bois qu'au cap de la Héve, & les
isles toutes remplies de gibbier. Tirant plus outre, nous
fusmes passer la nuict à la Baye de Sable, où les vaisseaux
peuvent mouiller l'anchre, sans aucune crainte de danger.
[Note 64: En abrégeant le texte de 1613, on a oublié de retrancher les
dates, qui, ici, ne veulent rien dire. Ce jour était le 19 mai 1604.
(Voy. 1613, p, 9.)]
Le cap de Sable, distant de deux bonnes lieues de la Baye de
Sable, est aussi fort dangereux, pour certains rochers &
batteures qui jettent presque une lieue à la mer. De là on va
en l'isle aux Cormorans qui en est à une lieue, ainsi appellée
à cause du nombre infini qu'il y a de ces oiseaux, & remplismes
une barrique de leurs oeufs: & de ceste isle faisant l'ouest
environ six lieues traversant une baye [65] qui fuit au nort
57/713 deux ou trois lieues, l'on rencontre plusieurs isles [66] qui
jettent deux ou trois lieues à la mer, lesquelles peuvent
contenir les unes deux, les autres trois lieues, & d'autres
moins, selon que j'ay peu juger. Elles sont la plus-part fort
dangereuses à aborder aux grands vaisseaux, à cause des grandes
marées, & des rochers qui sont, à fleur d'eau. Ces isles sont
remplies de pins, sapins, bouleaux, & de trembles. Un peu plus
outre [67], il y en a encores quatre. En l'une y a si grande
quantité d'oiseaux appellez tangueux, qu'on les peut tuer
aisément à coups de bâton. En une autre y a des loups marins.
Aux deux autres il y a une telle abondance d'oiseaux de
différentes especes, qu'on ne pourroit se l'imaginer, si l'on
ne l'avoit veu, comme cormorans, canards de trois sortes,
oyes, marmettes, outardes, perroquets de mer, beccacines,
vaultours, & autres oiseaux de proye: mauves, allouetes de mer
de deux ou trois especes: hérons, goillans, courlieux, pies de
mer, plongeons, huats, appoils, corbeaux, grues, & autres
sortes, lesquels y font leurs nids. Je les nommay isles aux
loups marins. Elles sont par la hauteur de 43 degrez & demy de
latitude, distantes de la terre ferme, ou cap de Sable, de
quatre à cinq lieues. De là l'on va à un cap que j'appellay le
port Fourchu [68], d'autant que sa figure est ainsi, distant
des isles aux loups marins cinq à six lieues. Ce port est fort
bon pour les vaisseaux en son entrée, mais au fonds il asseche
presque tout de basse mer, fors le cours d'une petite riviere,
58/714 toute environnée de prairies, qui rendent ce lieu assez
agréable. La pesche de morues y est bonne auprès du port;
faisant le nort dix ou douze lieues sans trouver aucun port
pour les vaisseaux, sinon quantité d'ances, ou playes
très-belles, dont les terres semblent estre propres pour
cultiver. Les bois y sont très-beaux, mais il y a bien peu de
pins & de sapins. Ceste coste est fort saine, sans isles,
rochers, ne bases: de sorte que selon mon jugement les
vaisseaux y peuvent aller en asseurance. Estans esloignez un
quart de lieue de la coste, je fus à une isle, qui s'appelle
l'isle Longue, qui gist nort nordest, & sur surouest,
laquelle fait passage pour aller dedans la grande baye
Françoise, ainsi nommée par le sieur de Mons.
[Note 65: La baie Courante, aujourd'hui la baie de Townsend.]
[Note 66: Les îles Tousquet.]
[Note 67: C'est-à-dire, plus loin au large.]
[Note 68: Le cap Fourchu. Dans la Table de sa grande carte, l'auteur
appelle ce port, port du cap Fourchu.]
Cette isle est de six lieues de long, & a en quelques endroits
prés d'une lieue de large, & en d'autres un quart seulement.
Elle est remplie de quantité de bois, comme pins, & bouleaux.
Toute la coste est bordée de rochers fort dangereux, & n'y a
point de lieu propre pour les vaisseaux, qu'au bout de l'isle
quelques petites retraites pour des chaloupes, & trois ou
quatre islets de rochers, où les Sauvages prennent force loups
marins. Il y court de grandes marées, & principalement au petit
passage de l'isle, qui est fort dangereux pour les vaisseaux,
s'ils vouloient se mettre au hazard de le passer.
Du passage de l'isle Longue faisant le nordest deux lieues[69],
y a une ance où les vaisseaux peuvent anchrer en seureté,
laquelle a un quart de lieue ou environ de circuit. Le fonds
n'est que vase, & la terre qui l'environne est toute bordée de
59/715 rochers assez hauts. En ce lieu il y a une mine d'argent
tres-bonne, selon le rapport d'un Mineur appellé maistre
Simon, qui estoit avec moy[70]. A quelques lieues plus outre
est aussi une petite riviere, nommée du Boulay, où la mer
monte demie lieue dans les terres, à l'entrée de laquelle il y
peut librement surgir des navires du port de cent tonneaux. A
un quart de lieue d'icelle il y a un port bon pour les
vaisseaux, où nous trouvasmes une mine de fer, que le Mineur
jugea rendre cinquante pour cent. Tirant trois lieues plus
outre au nordest, y a une autre mine de fer assez bonne,
proche de laquelle il y a une riviere environnée de belles &
agréables prairies. Le terroir d'alentour est rouge comme
sang. Quelques lieues plus avant il y a encores une autre
riviere qui asseche de basse mer, horsmis son cours qui est
fort petit, qui va proche du port Royal. Au fonds de ceste
baye y a un achenal qui asseche aussi de basse mer, autour
duquel y a nombre de prez, & de bonnes terres pour cultiver,
toutesfois remplies de quantité de beaux arbres de toutes les
sortes que j'ay dit cy dessus. Ceste baye peut avoir depuis
l'isle Longue jusques au fonds environ six lieues. Toute la
coste des mines[71] est terre assez haute, découpée par caps,
qui paroissent ronds, advançans un peu à la mer. De l'autre
costé de la baye au suest, les terres sont basses & bonnes,
où il y a un fort bon port, & à son entrée un banc par où il
faut passer, qui a de basse mer brasse & demie d'eau, & l'ayant
passé, on en trouve trois, & bon fonds.
[Note 69: Dans la baie Sainte-Marie.]
[Note 70: En 1604. (Voyages 1613, p. 12.)]
[Note 71: La côte nord-ouest de la baie Sainte-Marie.]
60/716 Entre les deux pointes du port il y a un islet de cailloux qui
couvre de plaine mer. Ce lieu va demie lieue dans les terres.
La mer y baisse de trois brasses, & y a force coquillages,
comme moules, coques, & bregaux. Le terroir est des meilleurs
que j'aye veu: & nommay ce port, le port Saincte Marguerite
[72]. Toute cette coste du suest est terre beaucoup plus basse
que celle des mines, qui ne sont qu'à une lieue & demie de la
coste du port de Saincte Marguerite, de la largeur de la baye,
laquelle a trois lieues en son entrée. Je pris la hauteur en ce
lieu, & la trouvay par les 45 degrez & demy, & Un peu plus de
latitude[73], & 17 degrez 16 minutes de declinaison de la
Guide-aymant. Ceste baye fut nommée la baye Saincte Marie.
[Note 72: Parce qu'il y entra probablement le 10 juin, en 1604.]
[Note 73: Le fond de la baie Sainte-Marie est à environ 44° 35'.]
_Description du Port-Royal, & des particularités d'iceluy. De
l'isle Haute. Du Port aux mines. De la grande baye Françoise.
De la riviere sainct Jean, & ce que nous avons remarqué depuis
le port aux mines jusques à icelle. De l'isle appellée par les
Sauvages Manthane. De la riviere des Etechemins, & de plusieurs
belles isles qui y sont. De l'isle de Saincte Croix, & autres
choses remarquables d'icelle coste._
CHAPITRE II
Du passage de l'isle Longue, mettant le cap au nordest 6
lieues, il y a une ance[74] où les vaisseaux peuvent mouiller
l'anchre à 4, 5, 6, & 7 brasses d'eau. Le fonds est sable. Ce
61/717 lieu n'est que comme une rade. Continuant au mesme vent deux
lieues, l'on entre en l'un des beaux ports qui soit en toutes
ces costes, où il pourroit grand nombre de vaisseaux en
seureté. L'entrée est large de 800 pas, & sa profondeur de 25
brasses d'eau; a deux lieues de long, & une de large, que je
nommay[75] port Royal, où descendent trois rivieres, dont il y
en a une assez grande, tirant à l'est, appellée la riviere de
l'Esquille, qui est un petit poisson de la grandeur d'un
esplan, qui s'y pesche en quantité; comme aussi on fait du
haranc, & plusieurs autres sortes de poissons qui y sont en
abondance en leurs saisons. Ceste riviere a prés d'un quart de
lieue de large en son entrée, où il y a une isle[76], laquelle
peut contenir demie lieue de circuit, remplie de bois ainsi que
tout le reste du terroir, comme pins, sapins, pruches,
bouleaux, trembles, & quelques chesnes qui sont parmy les
autres bois en petit nombre.
[Note 74: La fosse de Gulliver.]
[Note 75: Voir Voyages 1613, p. 18, note I.]
[Note 76: L'île aux Chèvres, que l'on trouve indiquée, dans la carte de
Lescarbot, sous le nom de Biencourville.]
Il y a deux entrées en ladite riviere, l'une du costé du
nort[77], l'autre au sud de l'isle[78]. Celle du nord est la
meilleure, où les vaisseaux peuvent mouiller l'anchre à l'abry
de l'isle à 5, 6, 7, 8, & 9 brasses d'eau: mais il faut se
donner garde de quelques bases qui sont tenant à l'isle, & à la
grande terre, fort dangereuses, si on n'a recogneu l'achenal.
je fus 14 ou 15 lieues où la mer monte, & ne va pas beaucoup
plus avant dedans les terres pour porter bateaux. En ce lieu
62/718 elle contient 60 pas de large, & environ brasse & demie d'eau.
Le terroir de ceste riviere est remply de force chesnes,
fresnes, & autres bois. De l'entrée de la riviere jusques au
lieu où nous fusmes, y a nombre de prairies, mais elles sont
inondées aux grandes marées, y ayant quantité de petits
ruisseaux qui traversent d'une part & d'autre, par où des
chaloupes & bateaux peuvent aller de plaine mer. Dedans le
port y a une autre isle[79], distante de la première prés de
deux lieues, où il y a une autre petite riviere[80] qui va
assez avant dans les terres, que j'ay nommée la riviere Sainct
Antoine [81]. Son entrée est distante du fonds de la baye
Saincte Marie d'environ quatre lieues par le travers des bois.
Pour ce qui est de l'autre riviere, ce n'est qu'un ruisseau
remply de rochers, où on ne peut monter en aucune façon que ce
soit, pour le peu d'eau. Ce lieu est par la hauteur de 45
degrez de latitude[82], & 17 degrez 8 minutes de declinaison
de la Guide-aimant.
[Note 77: La Bonne-Passe.]
[Note 78: La Passe-aux-Fous.]
[Note 79: L'île d'Hébert, appelée aussi Imbert, et enfin _Bear Island_.]
[Note 80: Voir Voyages 1613, note 2 de la page 19.]
[Note 81: Lescarbot l'appelle rivière Hébert. Elle a pris plus tard le
nom d'Imbert, et les Anglais l'ont appelée _Bear River_.]
[Note 82: La latitude de ce premier Port-Royal, qui était situé au nord
du port, était d'environ 44° et trois quarts. Il ne faut pas le
confondre avec le second Port-Royal, qui a pris le nom d'Annapolis; ce
dernier était au sud du port Royal, et situé un peu plus haut que le
premier.]
Partant du port Royal, mettant le cap au nordest 8 ou 10
lieues, rangeant la coste du port Royal, je traversay une
partie de la baye, comme de quelque 5 ou 6 lieues, jusques à un
lieu qu'ay nommé le Cap des deux Bayes[83], & passay par une
isle[84] qui en est à une lieue, laquelle contient autant de
63/719 circuit, eslevée de 40 ou 45 toises de haut, toute entourée de
gros rochers, horsmis en un endroit qui est en talus, au pied
duquel y a un estang d'eau salée, qui vient par dessous une
pointe de cailloux, ayant la forme d'un esperon. Le dessus de
l'isle est plat, couvert d'arbres, avec une fort belle source
d'eau. En ce lieu y a une mine de cuivre. De là j'allay à un
port[85] qui en est à une lieue & demie, où il y a aussi une
mine de cuivre. Ce port est souz les 45 degrez deux tiers de
latitude[86], lequel asseche de basse mer. Pour entrer dedans
il faut ballizer & recognoistre une batture de sable qui est à
l'entrée, laquelle va rangeant un canal, suivant l'autre costé
de terre ferme, puis on entre dans une Baye qui contient prés
d'une lieue de long, & demie de large. En quelques endroits le
fonds est vaseux & sablonneux, & les vaisseaux y peuvent
eschouer. La mer y pert & croist de 4 à 5 brasses. Ce Cap des
deux Bayes où est le port aux mines est ainsi appellé, parce
qu'au nort & sud dudit cap y a deux Bayes[87] qui courent vers
l'est nordest, & nordest quelques 12 à 15 lieues, & y a un
destroit à chaque Baye qui ne contient pas plus de demie lieue
de large. Cela passé, il s'eslargit tout d'un coup d'environ 3,
4, à 5 lieues. Il y a aussi quelques isles en ceste Baye[88] où
il y a des estangs, & deux ou trois petites rivieres qui y
descendent avec les canaux des Sauvages, qui y vont à Tregaté,
& Misamichy dans le golphe Sainct Laurent, partie par eau,
partie par terre.
[Note 83: Le cap de Chignectou.]
[Note 84: L'île Haute.]
[Note 85: Le port aux Mines, appelé plus tard Havre à l'Avocat.]
[Note 86: 45° 25'.]
[Note 87: La baie de Chignectou, et le bassin des Mines.]
[Note 88: Celle de Chignectou.]
64/720 Tout le pays que j'ay veu depuis le petit passage de l'isle
Longue rangeant la coste, ne sont que rochers, où il n'y a
aucun endroit où les vaisseaux se puissent mettre en seureté,
sinon le port Royal. Le pays est remply de quantité de pins &
bouleaux, & à mon advis n'est pas trop bon.
Nous fismes l'ouest deux lieues jusques au Cap des deux Bayes,
puis le nort[89] cinq ou six lieues, & traversasmes l'autre
Baye. Faisant l'ouest quelques six lieues, y a une petite
riviere[90], à l'entrée de laquelle y a un cap assez bas, qui
advance à la mer, & un peu dans les terres une montagne qui a
la forme d'un chapeau de Cardinal. En ce lieu y a une mine de
fer, & n'y a anchrage que pour des chaloupes. A quatre lieues à
l'ouest surouest y a une pointe de rocher qui advance un peu
vers l'eau, où il y a de grandes marées, qui sont fort
dangereuses. Proche de la pointe y a une ance[91] qui a environ
demie lieue de circuit, en laquelle est une autre mine de fer,
qui est tresbonne. A quatre lieues encores plus avant y a une
belle Baye[92] qui entre dans les terres, où au fonds y a trois
isles & un rocher, deux sont à une lieue du cap tirant à
l'ouest, & l'autre est à l'emboucheure d'une riviere des plus
grandes & profondes que j'eusse encores veu, que je nommay la
riviere Sainct Jean, pource que ce fut ce jour là que j'y
arrivay, & des Sauvages elle est appellée Ouygoudy. Ceste
riviere est dangereuse, si on ne recognoist bien certaines
65/721 pointes & rochers qui sont des deux costez. Elle est estroite
en son entrée, puis vient à s'eslargir, & ayant doublé une
pointe elle estressit derechef, & fait comme un sault entre
deux grands rochers, où l'eau y court d'une si grande vistesse,
qu'en y jettant du bois il enfonce en bas, & ne le voit-on
plus: mais attendant la plaine mer, l'on peut passer fort
aisément ce destroit, & lors elle s'eslargit environ une lieue
par aucuns endroits, où il y a trois isles, auxquelles y a
grande quantité de prairies & beaux bois, comme chesnes,
hestres, noyers, & lambruches de vignes sauvages. Les habitans
du pays vont par icelle riviere jusques à Tadoussac, qui est
dans la grande riviere de Sainct Laurent, & ne passent que peu
de terre pour y parvenir. De la riviere Sainct Jean jusques à
Tadoussac y a 65 lieues [93]. A l'entrée d'icelle, qui est par
la hauteur de 45 degrez deux tiers[94], y a une mine de fer.
Les chaloupes ne peuvent aller plus de quinze lieues dans
ceste riviere, à cause des saults qui ne se peuvent naviger
que par les canaux des Sauvages.
[Note 89: Par les détails que l'auteur donne un peu plus loin, il paraît
évident qu'il traversa la baie de Chignectou plutôt dans la direction du
nord-nord-ouest, vers la hauteur de la tête Saint-Martin.]
[Note 90: La rivière et la tête de Quaco.]
[Note 91: Cette ance porte aujourd'hui le nom de Gardner.]
[Note 92: Le havre de Saint-Jean, qui forme l'embouchure de la rivière
Saint-Jean.]
[Note 93: De l'embouchure de la rivière Saint-Jean à Tadoussac, il y a
en ligne droite, environ cent lieues.]
[Note 94: 45° et un tiers.]
De la riviere Sainct Jean je fus à quatre isles, en l'une
desquelles y a grande quantité d'oiseaux appellez margos, dont
les petits sont aussi bons que pigeonneaux. Ceste isle est
esloignée de la terre ferme de trois lieues. Plus à l'ouest y a
d'autres isles: entre autres une contenant six lieues, qui
s'appelle des Sauvages Menane[95], au sud de laquelle il y a
entre les isles plusieurs ports, bons pour les vaisseaux.
[Note 95: Menane est le vrai nom de cette île. L'auteur, par
inadvertance sans doute, avait mis dans l'édition de 1613, Manthane.
Quelques exemplaires, sous le millésime 1632 et 1640, portent encore
Manthane, dans la marge, et Menane dans le texte.]
66/722 Des isles aux Margos[96] je fus à une riviere en la grande
terre, qui s'appelle la riviere des Etechemins[97], nation de
Sauvages ainsi nommée en leur pays, & passe-t'on par si grande
quantité d'isles, assez belles, que je n'en ay peu sçavoir le
nombre; les unes contenans deux lieues, les autres trois, les
Cul de sac autres plus ou moins. Elles sont toutes en un cul de
sac[98], qui contient à mon jugement plus de quinze lieues de
circuit, y ayant plusieurs endroits bons pour y mettre tel
nombre de vaisseaux que l'on voudra; autour desquelles y a
bonne pescherie de mollues, saulmons, bars, harancs, flaitans,
& autres poissons en grand nombre. Faisant l'ouest norouest
trois lieues par les isles, l'on entre dans une riviere[99] qui
a presque demie lieue de large en son entrée, où ayant fait une
lieue ou deux, il y a deux isles, l'une fort petite proche de
la terre de l'ouest, & l'autre au milieu, qui peut avoir huict
ou neuf cents pas de circuit, elevée de tous costez de trois à
quatre toises de rochers, fors un petit endroit d'une pointe de
sable & terre grasse, laquelle peut servir à faire briques, &
autres choses necessaires. Il y a un autre lieu à couvert pour
mettre des vaisseaux de quatre vingts à cent tonneaux, mais il
asseche de basse mer. L'isle est remplie de sapins, bouleaux,
érables, & chesnes. De soy elle est en fort bonne scituation, &
n'y a qu'un costé où elle baisse d'environ 40 pas, qui est aisé
67/423 à fortifier: les costes de la terre ferme en estans des deux
costez éloignées d'environ neuf cents à mille pas, les
vaisseaux ne pourroient passer sur la riviere qu'à la mercy du
canon d'icelle, qui est le lieu que l'on jugea le meilleur,
tant pour la scituation, bon pays, que pour la communication
que l'on pretendoit avec les Sauvages de ces costes, & du
dedans des terres, estans au milieu d'eux, lesquels avec le
temps on esperoit pacifier, & amortir les guerres qu'ils ont
les uns contre les autres, pour en tirer à l'advenir du
service, & les réduire à la foy Chrestienne. Ce lieu fut nommé
par le sieur de Mons l'isle Saincte Croix[100]. Passant plus
outre, on voit une grande baye en laquelle y a deux isles,
l'une haute, & l'autre platte, & trois rivieres, deux
médiocres, dont l'une tire vers l'Orient, & l'autre au nort, &
la troisiesme grande, qui va vers l'Occident: c'est celle des
Etechemins. Allant dedans icelle deux lieues, il y a un sault
d'eau, où les Sauvages portent leurs canaux par terre environ
500 pas, puis r'entrent dedans icelle, d'où en après en
traversant un peu de terre, on va dans la riviere de
Norembegue[101] & de Sainct Jean. En ce lieu du sault les
vaisseaux ne peuvent passer, à cause que ce ne sont que
rochers, & qu'il n'y a que 4 à 5 pieds d'eau. En May & Juin il
s'y prend si grande abondance de harancs & bars, que l'on y en
pourroit charger des bateaux. Le terroir est des plus beaux, &
y a 15 ou 20 arpents de terre défrichée. Les Sauvages s'y
retirent quelquefois cinq ou six sepmaines durant la pesche.
68/724 Tout le reste du pays sont forests fort espoisses. Si les
terres estoient défrichées, les grains y viendroient fort bien.
Ce lieu est par la hauteur de 45 degrez un tiers de latitude, &
17 degrez 32 minutes de declinaison de la Guide-aymant. En cet
endroit y fut faite l'habitation en l'an 1604.
[Note 96: Ces îles ont été aussi appelées îles aux Oiseaux. Aujourd'hui
elles portent le nom de _Wolves Islands_.]
[Note 97: La rivière Sainte-Croix, ou _Scoudic_.]
[Note 98: La baie Passamaquoddi, y compris sans doute celle de
Capscouk.]
[Note 99: C'est ici proprement l'embouchure de la rivière Sainte-Croix.]
[Note 100: Voir 1613, p. 25, et la carte de l'île Sainte-Croix, _ibid_.]
[Note 101: Le Pénobscot.]
_De la coste, peuples, & riviere de Norembeque._
CHAPITRE III.
DE ladite riviere de Saincte Croix continuant le long de la
coste faisant environ 25 lieues, passasmes[102] par une grande
quantité d'isles, bancs, battures, & rochers, qui jettent plus
de 4 lieues à la mer par endroits, que je nommay les isles
rangées, la plus-part desquelles sont couvertes de pins &
sapins, & autres meschans bois. Parmi ces isles y a force beaux
& bons ports, mais mal agréables & passay proche d'une isle
qui contient environ 4 ou 5 lieues de long. De ceste isle
jusques au nort de la terre ferme[103] il n'y a pas cent pas de
large. Elle est fort haute, & coupée par endroits, qui
paroissent, estant en la mer, comme 7 ou 8 montagnes rangées
les unes proches des autres. Le sommet de la plus-part
d'icelles est desgarni d'arbres, parce que ce ne sont que
rochers. Les bois ne sont que pins, sapins, & bouleaux. Je l'ay
nommée l'isle des Monts-deserts. La hauteur est par les 44
degrez & demy de latitude.
[Note 102: Le 5 septembre 1604. (Voir 1613, page 26-30.)]
[Note 103: Il faudrait ou _jusques au nort à la terre ferme_, ou bien
_jusqu'à la terre ferme au nort._]
69/725 Les Sauvages de ce lieu ayans fait alliance avec nous, ils nous
guidèrent en leur riviere de Pemetegoit[104], ainsi d'eux
appellée, où ils nous dirent que leur Capitaine nommé Bessabez,
estoit chef d'icelle. Je croy que ceste riviere est celle que
plusieurs Pilotes & Historiens appellent Norembegue[105], & que
la plus-part ont escrit estre grande & spacieuse, avec quantité
d'isles, & son entrée par la hauteur de 43 & 3/4 & demy[106], &
d'autres par les 44 degrez, plus ou moins de latitude. Pour la
declinaison, je n'en ay leu ny ouy parler à personne. On
descrit aussi qu'il y a une grande ville fort peuplée de
Sauvages adroits &, habiles, ayans du fil de cotton. Je
m'asseure que la plus-part de ceux qui en font mention ne l'ont
veue, & en parlent pour l'avoir ouy dire à gens qui n'en
sçavoient pas plus qu'eux. Je croy bien qu'il y en a qui ont
peu en avoir veu l'emboucheure, à cause qu'en effect il y a
quantité d'isles, & qu'elle est par la hauteur de 44 degrez de
latitude en son entrée, comme ils disent: mais qu'aucun y ait
jamais entré, il n'y a point d'apparence, car ils l'eussent
descrit d'une autre façon, afin d'oster beaucoup de gens de ce
doute. Je diray donc au vray ce que j'en ay recognu & veu
depuis le commencement jusques où j'ay esté.
[Note 104: Voir 1613, p. 31, note 2.]
[Note 105: Voir 1613, p. 31, note 4.]
[Note 106: L'entrée de la baie de Pénobscot, qui forme l'embouchure de
cette rivière, est un peu au-delà de 44°. Il paraît bien évident qu'il
faut lire plutôt comme dans l'édition de 1613, d'où ceci est tiré: «43 &
43 & demy, & d'autres par les 44 degrez...»]
Premièrement en son entrée il y a plusieurs isles esloignées de
la terre ferme 10 ou 12 lieues, qui sont par la hauteur de 44.
degrez de latitude, & 18 degrez & 40 minutes de declinaison de
la Guide-aymant.
70/426 L'isle des Monts-deserts fait une des pointes de l'emboucheure,
tirant à l'est, & l'autre est une terre basse appellée des
Sauvages Bedabedec, qui est à l'ouest d'icelle, distantes l'une
de l'autre neuf ou dix lieues: & presque au milieu à la mer y a
une autre isle fort haute & remarquable, laquelle pour ceste
raison j'ay nommée l'isle haute. Tout autour il y en a un
nombre infiny de plusieurs grandeurs & largeurs, mais la plus
grande est celle des Monts-deserts. La pesche du poisson de
diverses sortes y est fort bonne, comme aussi la chasse du
gibbier. A deux ou trois lieues de la pointe de Bedabedec,
rangeant la grande terre au nort, qui va dedans icelle riviere,
ce sont terres fort hautes qui paroissent à la mer en beau
temps 12 à 15 lieues. Venant au sud de l'isle haute, en la
rangeant comme d'un quart de lieue, où il y a quelques battures
qui sont hors de l'eau, mettant le cap à l'ouest jusques à ce
que l'on ouvre toutes les montagnes qui sont au nort d'icelle
isle, vous vous pouvez asseurer qu'en voyant les huict ou neuf
découpées de l'isle des Monts-deserts, & celle de Bedabedec,
l'on fera[107] le travers de la riviere de Norembegue, & pour
entrer dedans il faut mettre le cap au nort, qui est sur les
plus hautes montagnes dudit Bedabedec, & ne verrez aucunes
isles devant vous, & pouvez entrer seurement, y ayant assez
d'eau, bien que voyez quantité de brisans, isles & rochers à
l'est & ouest de vous. Il faut les eviter la sonde en la main,
pour plus grande seureté, & croy, à ce que j'en ay peu juger,
71/727 que l'on ne peut entrer dedans icelle riviere par autre
endroit, sinon avec des petits vaisseaux ou chaloupes: car
(comme j'ay dit cy-dessus) la quantité des isles, rochers,
bases, bancs & brisans y sont de toutes parts en sorte, que
c'est chose estrange à voir.
[Note 107: Dans l'édition de 1640, on a mis _l'on fera_; ce qui n'était
pas fort à propos.]
Or pour revenir à la continuation de nostre routte[108],
entrant dans la riviere il y a de belles isles qui sont fort
agréables, comme des prairies, Je fus jusques à un lieu où les
Sauvages nous guidèrent, qui n'a pas plus de demy quart de
lieue de large, & à quelque deux cents pas de la terre de
l'ouest y a un rocher à fleur d'eau, qui est dangereux. De là à
l'isle haute y a quinze lieues: & depuis ce lieu estroit (qui
est la moindre largeur que nous eussions trouvée) après avoir
fait environ 7 ou 8 lieues, nous rencontrasmes une petite
riviere, où auprès il fallut mouiller l'anchre; d'autant que
devant nous y vismes quantité de rochers qui descouvrent de
basse mer; & aussi que quand nous eussions voulu passer plus
avant, il eust esté impossible de faire demie lieue, à cause
d'un sault d'eau qu'il y a, qui vient en talus de quelque 7 à 8
pieds, que je veis allant dedans un canau, avec les Sauvages
que nous avions, & n'y trouvasmes de l'eau que pour un canau:
mais passé le sault, qui a environ deux cents pas de large, la
riviere est belle & plaisante, jusques au lieu où nous avions
mouillé l'anchre. Je mis pied à terre pour voir le pays, &
allant à la chasse je le trouvay fort plaisant & agréable en ce
72/728 que j'y fis de chemin, & semble que les chesnes qui y sont
ayent esté plantez par plaisir. J'y veis peu de sapins, mais
bien quelques pins à un costé de la riviere; tous chesnes à
l'autre, & un peu de bois taillis qui s'estendent fort avant
dans les terres: & diray que depuis l'entrée où je fus, qui
sont environ 25 lieues, je ne veis aucune ville, ny village, ny
apparence d'y en avoir eu, mais bien une ou deux cabannes de
Sauvages, où il n'y avoit personne, lesquelles estoient faites
de la mesme façon que celles des Souriquois, couvertes
d'escorces d'arbres; & à ce que j'ay peu juger, il y a peu de
Sauvages en icelle riviere, qu'on appelle aussi Pemetegoit
[109]. Ils n'y viennent non plus qu'aux isles, que quelques
mois en esté durant la pesche du poisson, & la chasse du
gibbier, qui y est en quantité. Ce sont gens qui n'ont point de
retraite arrestée, à ce que j'ay recognu, & appris d'eux: car
ils hyvernent tantost en un lieu, & tantost à un autre, où ils
voyent que la chasse des bestes est meilleure, dont ils vivent
quand la necessité les presse, sans mettre rien en reserve pour
subvenir aux disettes qui sont grandes quelquefois.
[Note 108: C'était au voyage de découverte que fit M. de Monts, dans
l'automne de 1604, avec Champlain.]
[Note 109: Les sauvages de Pentagouet étaient des Etchemins. En 1613,
l'auteur avait dit: _qu'on appelle aussi Etechemins_. En remplaçant ici
leur nom par celui de leur rivière, on a oublié de retrancher le mot
_aussi_.]
Or il faut de necessité que ceste riviere soit celle de
Norembegue: car passé icelle jusques au 41e degré que j'ay
costoyé, il n'y en a point d'autre sur les hauteurs cy dessus
dites, que celle de Quinibequy, qui est presque en mesme
hauteur, mais non de grande estendue. D'autre part, il ne peut
y en avoir qui entrent avant dans les terres, d'autant que la
grande riviere Sainct Laurent costoye la coste d'Acadie & de
73/729 Norembegue, où il n'y a pas plus de l'une à l'autre par terre
de 45 lieues, ou 60 au plus large en droite ligne.
Or je laisseray ce discours, pour retourner aux Sauvages qui
m'avoient conduit aux saults de la riviere de Norembegue,
lesquels furent advertir Bessabez leur chef, & d'autres
Sauvages, qui allèrent en une autre petite riviere advertir
aussi le leur, nommé Cabahis, & luy donner advis de nostre
arrivée.
Le 16 du mois[110] il vint à nous environ trente Sauvages, sur
l'asseurance que leur donnèrent ceux qui nous avoient servy de
guide. Vint aussi ledit Bessabez nous trouver ce mesme jour
avec six canaux. Aussi tost que les Sauvages qui estoient à
terre le veirent arriver, ils se mirent tous à chanter, dancer,
sauter, jusques à ce qu'il eust mis pied à terre: puis après
s'assirent tous en rond contre terre, suivant leur coustume,
lors qu'ils veulent faire quelque harangue, ou festin. Cabahis
l'autre chef peu après arriva aussi avec vingt ou trente de ses
compagnons, qui se retirèrent à part, & se resjouirent fort de
nous voir, d'autant que c'estoit la première fois qu'ils
avoient veu des Chrestiens. Quelque temps après je fus à terre
avec deux de mes compagnons, & deux de nos Sauvages, qui nous
servoient de truchement, & donnay charge à ceux de nostre
barque d'approcher prés des Sauvages, & tenir leurs armes
prestes pour faire leur devoir s'ils appercevoient quelque
émotion de ces peuples contre nous. Benabez nous voyant à terre
74/730 nous fit asseoir, & commença à petuner avec ses compagnons,
comme ils font ordinairement auparavant que faire leur
discours, & nous firent present de venaison & de gibbier. Tout
le reste de ce jour & la nuict suivante, ils ne firent que
chanter, dancer, & faire bonne chère, attendant le jour. Par
après chacun s'en retourna, Bessabez avec ses compagnons de son
costé, & nous du nostre, fort satisfaits d'avoir eu
cognoissance de ces peuples.
[Note 110: Le 16 de septembre 1604. (Voir, 1613, liv. I, c. v.)]
Le 17 du mois je prins la hauteur, & trouvay 45 degrez, & 25
minutes de latitude. Ce fait, je partis pour aller à une autre
riviere appellée Quinibequy, distante de ce lieu de 35 lieues,
& prés de 15 de Bedabedec. Ceste nation de Sauvages de
Quinibequy s'appelle Etechemins[111], aussi bien que ceux de
Norembegue.
[Note 111: Voir 1613, p. 38, note 1.]
Le 18 du mois je paissay prés d'une petite riviere où estoit
Cabahis, qui vint avec nous dedans nostre barque environ 12
lieues. Et luy ayant demandé d'où venoit la riviere de
Norembegue, il me dit qu'elle passe le sault dont j'ay fait
cy-dessus mention, & que faisant quelque chemin en icelle, on
entroit dans un lac par où ils vont à la riviere de Saincte
Croix quelque peu par terre, puis entrent dans la riviere des
Etechemins. Plus au lac descend une autre riviere par où ils
vont quelques jours, en après entrent en un autre lac, &
passent par le milieu puis estans parvenus au bout, ils font
encore .....................................................
............................................................
autre petite riviere [112] qui va se descharger dans le grand
75/731 fleuve Sainct Laurent. Tous ces peuples de Norembegue sont
fort basannez, habillez de peaux de castors, & autres
fourrures, comme les Sauvages Canadiens & Souriquois, & ont
mesme façon de vivre.
[Note 112: La rivière Etchemin.]
Voilà au vray tout ce que j'ay remarqué tant des costes,
peuples, que riviere de Norembegue, & ne sont les merveilles
qu'aucuns en ont escrites. Je croy que ce lieu est aussi mal
agréable en hyver, que celuy de Saincte Croix.
_Descouvertures de la riviere de Quinibequy, qui est de la
coste des Almouchiquois_[113] _jusques au 42e degré de
latitude, & des particularités de ce voyage. A quoy les hommes
& les femmes passent le temps durant l'hyver._
[Note 113: Les sauvages de Kénébec, quoique etchemins aussi bien que
ceux de Pentagouet et de la rivière Sainte-Croix, étaient ennemis de
ceux-ci. (Voy. 1613, p. 38, 39). C'est ce qui explique pourquoi les
auteurs font commencer le pays des Almouchiquois tantôt au-delà et
tantôt en-deçà du Kénébec.]
CHAPITRE IIII.
Rangeant la coste de l'ouest, l'on passe les montagnes de
Bedabedec, & cogneusmes[114] l'entrée de la riviere, où il peut
aborder de grands vaisseaux, mais dedans il y a quelques
battures qu'il faut eviter la sonde en la main. Faisant environ
8 lieues, rangeant la coste de l'ouest, passasmes par quantité
d'isles & rochers qui jettent une lieue à la mer, jusques à une
isle[115] distante de Quinibequy dix lieues, où à l'ouvert
76/732 d'icelle il y a une isle assez haute, qu'avions nommée la
Tortue[116], & entre icelle & la grande terre y a quelques
rochers espars, qui couvrent de pleine mer: neantmoins on
ne laisse de voir briser la mer par dessus. L'isle de la
Tortue, & la riviere [117] sont sud suest, & nort norouest.
Comme l'on y entre, il y a deux moyennes isles, qui sont
l'entrée, l'une d'un costé, & l'autre de l'autre, & à quelques
300 pas au dedans il y a deux rochers où il n'y a point de
bois, mais quelque peu d'herbes. Nous mouillasmes l'anchre à
300 pas de l'entrée, à cinq & six brasses d'eau. Je me resolus
d'entrer dedans pour voir le haut de la riviere, & les
Sauvages qui y habitent. Ayans fait quelques lieues, nostre
barque pensa se perdre sur un rocher que nous frayasmes en
passant. Plus outre rencontrasmes deux canaux qui estoient
venus à la chasse aux oiseaux, qui la plus-part muent en ce
temps, & ne peuvent voler. Nous accostasmes ces Sauvages, qui
nous guidèrent. Et allans plus avant pour voir leur Capitaine,
appellé Manthoumermer, comme nous eusmes fait 7 à 8 lieues,
nous passasmes par certaines isles, destroits, & ruisseaux, qui
se deschargent dans la riviere, où je veis de belles prairies:
& costoyant une isle[118] qui a environ 4 lieues de long, ils
nous menèrent où estoit leur chef, avec 25 ou 30 Sauvages,
lequel aussi tost que nous eusmes mouillé l'anchre, vint à nous
dedans un canau un peu separé de dix autres, où estoient ceux
qui l'accompagnoient. Approchant prés de nostre barque il fit
77/733 une harangue, où il faisoit entendre l'aise qu'il avoit de nous
voir, & qu'il desiroit avoir nostre alliance, & faire paix avec
leurs ennemis par nostre moyen, disant que le lendemain il
envoyeroit à deux autres Capitaines Sauvages qui estoient
dedans les terres, l'un appellé Marchim, & l'autre Sazinou,
chef de la riviere de Quinibequy.
[Note 114: En septembre 1604 et en juin 1605. (Voir 1613, p. 31-39, et
46.)]
[Note 115: Cette île, située à huit lieues de la pointe de Bedabedec, et
à environ dix lieues de l'embouchure du Kénébec, est celle que Champlain
appela la Nef, et dont le nom est aujourd'hui Monahigan. (Voy. 1613, p.
74, note 2.)]
[Note 116: L'île Séguin.]
[Note 117: La rivière de Kénébec,]
[Note 118: L'île de Jérémysquam.]
Le lendemain ils nous guidèrent en descendant la riviere[119]
par un autre chemin que n'estions venus, pour aller à un lac
[120], & passans par des isles, ils laisserent chacun une
flesche proche d'un cap, par où tous les Sauvages passent, &
croyent que s'ils ne le faisoient, il leur arriveroit du
mal-heur, ainsi que leur persuade le diable, & vivent en ces
superstitions, comme ils font en beaucoup d'autres.
[Note 119: Ce que l'auteur appelle _la rivière_, était un des nombreux
chenaux par où la rivière de Chipscot vient confondre son embouchure
avec celle du Kénébec. (Voir 1613, p. 47, 48.)]
[Note 120: La baie de Merry-Meeting, qui est une espèce de lac où
viennent se joindre les eaux du Kénébec et de la rivière Androscoggin.]
Par delà ce cap nous passasmes un sault d'eau fort estroit,
mais ce ne fut pas sans grande difficulté: car encores
qu'eussions le vent bon & frais, & que le fissions porter dans
nos voiles le plus qu'il nous fut possible, si ne le peusmes
nous passer de la façon, & fusmes contraints d'attacher à terre
une haussiere à des arbres, & y tirer tous. Ainsi nous fismes
tant à force de bras, avec l'aide du vent qui nous favorisoit,
que le passasmes. Les Sauvages qui estoient avec nous portèrent
leurs canaux par terre, ne les pouvans passer à la rame. Après
avoir franchi ce sault, nous veismes de belles prairies. Je
m'estonnay si fort de ce sault, que descendant avec la marée
78/734 nous l'avions fort bonne, & estans au sault nous la trouvasmes
contraire, & après l'avoir passé elle descendoit comme
auparavant, qui nous donna grand contentement.
Poursuivans nostre routte, nous vinsmes au lac, qui a trois à
quatre lieues de long, où il y a quelques isles, & y descend
deux rivieres, celle de Quinibequy qui vient du nort nordest, &
l'autre[121] du norouest, par où devoient venir Marchim &
Sasinou, qu'ayant attendu tout ce jour, & voyant qu'ils ne
venoient point, resolusmes d'employer le temps. Nous levasmes
donc l'anchre, & vint avec nous deux Sauvages de ce lac pour
nous guider, & ce jour vinsmes mouiller l'anchre à
l'emboucheure de la riviere, où nous peschasmes quantité de
plusieurs sortes de bons poissons: cependant nos Sauvages
allèrent à la chasse, mais ils n'en revindrent point. Le chemin
par où nous descendismes ladite riviere est beaucoup plus seur
& meilleur que celuy par où nous avions esté. L'isle de la
Tortue, qui est devant l'entrée de ladite riviere, est par la
hauteur de 44 degrez de latitude, & 19 degrez 12 minutes de
declinaison de la Guide-aymant. Il y a environ 4 lieues de là
en mer, vers le suest trois petites isles, où les Anglois font
pesche de moluës. L'on va par ceste riviere au travers des
terres jusques à Québec quelque 50 lieues, sans passer qu'un
trajet de terre de 2 lieues, puis on entre dedans une autre
petite riviere[122] qui vient descendre dedans le grand fleuve
Sainct Laurent. Ceste riviere de Quinibequy est dangereuse pour
79/735 les vaisseaux à demie lieue au dedans, pour le peu d'eau,
grandes marées, rochers, & bases qu'il y a, tant dehors que
dedans. Il n'y laisse pas d'y avoir bon achenal s'il estoit
bien recognu. Si peu de païs que j'ay veu le long des rivages
est fort mauvais: car ce ne sont que rochers de toutes parts.
Il y a quantité de petits chesnes, & fort peu de terres
labourables. Ce lieu est abondant en poisson, comme sont les
autres rivieres cy dessus dites. Les peuples vivent comme ceux
de nostre habitation, & nous dirent, que les Sauvages qui
semoient le bled d'Inde, estoient fort avant dans les terres,
& qu'ils avoient delaissé d'en faire sur les costes, pour la
guerre qu'ils avoient avec d'autres, qui leur venoient prendre.
Voila ce que j'ay peu apprendre de ce lieu, lequel je crois
n'estre meilleur que les autres.
[Note 121: La rivière Sagadahoc, ou Androscoggin.]
[Note 122: La rivière Chaudière.]
Les Sauvages qui habitent en toutes ces costes sont en petite
quantité. Durant l'hyver au fort des neges ils vont chasser aux
eslans, & autres bestes dequoy ils vivent la plus-part du
temps: & si les neges ne sont grandes, ils ne font gueres bien
leur profit, d'autant qu'ils ne peuvent rien prendre qu'avec un
grandissime travail, qui est cause qu'ils endurent & patissent
fort. Lors qu'ils ne vont à la chasse, ils vivent d'un
coquillage qui s'appelle coque. Ils se vestent l'hyver de
bonnes fourrures de castors & d'eslans. Les femmes font tous
les habits, mais non pas si proprement qu'on ne leur voye la
chair au dessouz des aisselles, pour n'avoir pas l'industrie de
les mieux accommoder. Quand ils vont à la chasse ils prennent
de certaines raquetes, deux fois aussi grandes que celles de
80/736 pardeça, qu'ils s'attachent souz les pieds, & vont ainsi sur la
nege sans enfoncer, aussi bien les femmes & enfans, que les
hommes, lesquels cherchent la piste des animaux; puis l'ayant
trouvée ils la suivent, jusques à ce qu'ils appercoivent la
beste, & lors ils tirent dessus avec leurs arcs, ou la tuent
avec coups d'espées emmanchées au bout d'une demie pique, ce
qui se fait fort aisément, d'autant que ces animaux ne peuvent
aller sur les neges sans enfoncer dedans; & lors les femmes &
enfans y viennent, & là cabannent, & se donnent la curée: après
ils retournent voir s'ils en trouveront d'autres.
Costoyant la coste[123], fusmes mouiller l'anchre derrière un
petit islet proche de la grande terre, où nous veismes plus de
quatre vingts Sauvages qui accouroient le long de la coste pour
nous voir, dançans, & faisans signe de la resjouissance qu'ils
en avoient. Je fus visiter[124] une isle, qui est fort belle de
ce qu'elle contient, y ayant de beaux chesnes & noyers, la
terre défrichée, & force vignes, qui apportent de beaux raisins
en leur saison: c'estoit les premiers que j'esse veu en toutes
ces costes depuis le cap de la Héve: nous la nommasmes l'isle
de Bacchus[125]. Estans de pleine mer nous levasmes l'anchre, &
entrasmes dedans une petite riviere, où nous ne peusmes
plustost, d'autant que c'est un havre de barre, n'y ayant de
basse mer que demie brasse d'eau, de plaine mer brasse & demie,
81/737 & du grand de l'eau deux brasses: quand on est dedans il y en
a trois, quatre, cinq, & six. Comme nous eusmes mouillé
l'anchre, il vint à nous quantité de Sauvages sur le bord de la
riviere, qui commencerent à dancer. Leur Capitaine pour lors
n'estoit avec eux, qu'ils appelloient Honemechin. Il arriva
environ deux ou trois heures après avec deux canaux, puis s'en
vint tournoyant tout autour de nostre barque. Ces peuples se
razent le poil de dessus Comme les le crâne assez haut, &
portent le reste fort long, qu'ils peignent & tortillent par
derrière en plusieurs façons fort proprement, avec des plumes
qu'ils attachent sur leur teste. Ils se peindent le visage de
noir & rouge, comme les autres Sauvages que j'ay veus. Ce sont
gens disposts, bien formez de leur corps. Leurs armes sont
piques, massues, arcs, & flesches, au bout desquelles aucuns
mettent la queue d'un poisson appelle signoc[126]: d'autres y
accommodent des os, & d'autres en ont toutes de bois. Ils
labourent & cultivent la terre, ce que n'avions encores veu.
Au lieu de charrues ils ont un instrument de bois fort dur,
fait en façon d'une besche. Cette riviere s'appelle des
habitans du pays Chouacoet[127].
[Note 123: M. de Monts et Champlain partirent de Kénébec le 8 juillet
(1605), et ce fut après avoir côtoyé _la côte_ une partie de ce jour et
du suivant, qu'ils mouillèrent l'ancre près de ce petit îlet, non loin
de la rivière de Chouacoet ou Saco. (Voy. 1613, p. 50, 53.)]
[Note 124: L'édition de 1613 porte «le sieur de Mons fut visiter.»]
[Note 125: Probablement _Richmond_ ou _Richman's Island_.]
[Note 126: Ou _siguenoc_, comme l'auteur l'écrit ailleurs. (_Limulus
Polyphenius;_ LAM.) Voir 1613, p. 70, 71.]
[Note 127: Aujourd'hui Saco.]
Je fus à terre pour voir leur labourage sur le bord de la
riviere, & veis leurs bleds, qui sont bleds d'Inde, qu'ils font
en jardinages, semans trois ou quatre grains en un lieu, après
ils assemblent tout autour avec des escailles du susdit signoc
quantité de terre, puis à trois pieds de là en sement encore
82/738 autant, & ainsi consecutivement. Parmy ce bled à chasque
touffeau ils plantent 3 ou 4 febves de Bresil, qui viennent de
diverses couleurs. Estans grandes elles s'entrelacent autour
dudit bled, qui leve de la hauteur de 3 à 6 pieds, & tiennent
le champ fort net de mauvaises herbes. Nous y veismes force
citrouilles, courges, & petum, qu'ils cultivent aussi. Le bled
d'Inde que j'y veis pour lors estoit de deux pieds de haut: il
y en avoit aussi de trois. Ils le sement en May, & le
recueillent en Septembre. Pour les febves, elles commençoient
à entrer en fleur, comme aussi les courges & citrouilles. J'y
veis grande quantité de noix, qui sont petites, & ont
plusieurs quartiers. Il n'y en avoit point encores aux arbres,
mais nous en trouvasmes assez dessouz, qui estoient de l'année
précédente. Il y a aussi force vignes, ausquelles y avoit de
fort beau grain, dont nous fismes de très-bon verjus, ce que
n'avions point encores veu qu'en l'isle de Bacchus, distante
d'icelle riviere prés de deux lieues. Leur demeure arrestée,
le labourage, & les beaux arbres, me fit juger que l'air y est
plus tempéré & meilleur que celuy où nous hyvernasmes, ny que
les autres lieux de la coste. Les forests dans les terres sont
fort claires, mais pourtant remplies de chesnes, hestres,
fresnes, & ormeaux. Dans les lieux aquatiques il y a quantité
de saules. Les Sauvages se tiennent tousjours en ce lieu, & ont
une grande cabanne entourée de pallissades faites d'assez gros
arbres rangez les uns contre les autres, où ils se retirent
lors que leurs ennemis leur viennent faire la guerre; &
couvrent leurs cabannes d'escorce de chesnes. Ce lieu est fort
83/739 plaisant, & aussi agréable que l'on en puisse voir: la riviere
abondante en poisson, environnée de prairies. A l'entrée y a
un islet capable d'y faire une bonne forteresse, où l'on seroit
en seureté.
_Riviere de Choüacoet. Lieux que l'Autheur y recognoist. Cap
aux Isles. Canots de ces peuples faits d'escorce de bouleau.
Comme les Sauvages de ce pays là font revenir à eux ceux qui
tombent en syncope. Se servent de pierres au lieu de couteaux.
Leur Chef honorablement receu de nous.
CHAPITRE V.
Le Dimanche 12[128] du mois nous partismes de la riviere
appellée Choüacoet, & rangeant la coste, après avoir fait
environ 6 ou 7 lieues, le vent se leva contraire, qui nous fit
mouiller l'anchre & mettre pied à terre, où nous veismes deux
prairies, chacune desquelles contient une lieue de long, &
demie de large. Depuis Choüacoet jusques en ce lieu (où veismes
de petits oiseaux, qui ont le chant comme merles, noirs horsmis
le bout des ailles, qui sont orengées) il y a quantité de
vignes & noyers. Ceste coste est sablonneuse en la pluspart des
endroits depuis Quinibequy. Ce jour nous retournasmes 2 ou 3
lieues devers Choüacoet, jusques à un cap qu'avons nommé le
port aux isles[129], bon pour des vaisseaux de cent tonneaux,
qui est parmy trois isles.
[Note 128: Le 12 de juillet 1605 était un mardi. D'après l'édition de
1613, M. de Monts et Champlain arrivèrent à Chouacouet le 10, et durent
n'en repartir que le 12.]
[Note 129: Le cap du Port-aux-Isles est le cap Purpoise. (Voir 1613, p.
55, note 3.)]
84/740 Mettant le cap au nordest quart du nort proche de ce lieu, l'on
entre en un autre port[130] où il n'y a aucun passage (bien que
ce soient isles) que celuy par où on entre, où à l'entrée y a
quelques brisans de rochers qui sont dangereux. En ces isles y
a tant de groiselles rouges, que l'on ne voit autre chose en la
plus-part, & un nombre infiny de tourtes, dont nous en prismes
bonne quantité. Ce port aux isles est par la hauteur de 43
degrez 25 minutes de latitude.
[Note 130: Probablement l'entrée de la rivière _Kenebunk_.]
Costoyans la coste nous apperceusmes une fumée sur le rivage de
la mer, dont nous approchasmes le plus qu'il nous fut possible,
& ne veismes aucun Sauvage, ce qui nous fit croire qu'ils s'en
estoient fuis. Le Soleil s'en alloit bas, & ne peusmes trouver
lieu pour nous loger icelle nuict, à cause que la coste estoit
platte, & sablonneuse. Mettant le cap au sud pour nous
esloigner, afin de mouiller l'anchre, ayans fait environ deux
lieues, nous apperceusmes un cap [131] à la grande terre au sud
quart du suest de nous, où il pouvoit avoir six lieues: à l'est
deux lieues apperceusmes trois ou quatre isles[132] assez
hautes, & à l'ouest un grand cul de sac[133]. La coste de ce
cul de sac toute rangée jusques au cap peut entrer dans les
terres du lieu où nous estions environ 4 lieues: il en a 2 de
large nord & sud, & 3 en son entrée. Et ne recognoissant aucun
lieu propre pour nous loger, nous resolusmes d'aller au cap
85/741 cy-dessus à petites voiles une partie de la nuict, & en
approchasmes à 16 brasses d'eau, où nous mouillasmes l'anchre
attendant le poinct du jour.
[Note 131: Le cap Anne, que l'auteur appelle plus loin cap aux Iles.]
[Note 132: Les îles de Battures _(Isles of Shoals)_.]
[Note 133: La baie Longue, comme l'auteur l'appelle lui-même dans sa
Table de la grande carte de 1632. C'est cet enfoncement que forme la
côte au nord-ouest du cap Anne.]
Le lendemain nous fusmes au susdit cap, où il y a trois isles
proches de la grande terre, pleines de bois de différentes
sortes, comme à Choüacoet, & par toute la coste; & une autre
platte, ou la mer brise, qui jette un peu plus bas à la mer que
les autres où il n'y en a point. Nous nommasmes ce lieu le cap
aux isles, proche duquel apperceusmes un canau où il y avoit 5
ou 6 Sauvages qui vindrent à nous, lesquels estans prés de
nostre barque s'en allèrent danser sur le rivage. Je fus à
terre pour les voir, & leur donner à chacun un couteau, & du
biscuit; ce qui fut cause qu'ils redancerent mieux
qu'auparavant. Cela fait, je leur fis entendre le mieux qu'il
me fut possible, qu'ils me monstrassent comme alloit la coste.
Après leur avoir dépeint avec un charbon la baye & le cap aux
isles, où nous estions, ils me figurèrent avec le mesme crayon
une autre baye [134], qu'ils representoient fort grande, où ils
mirent six cailloux d'égale distance; me donnans par là à
entendre que chacune de ces marques estoient autant de chefs &
peuplades [135]: puis figurèrent dedans ladite baye[136] une
riviere [137] que nous avions passée, qui s'estend fort loin, &
est batturiere. Nous trouvasmes en cet endroit des vignes en
quantité, dont le verjus estoit un peu plus gros que des pois,
& force noyers, dont les noix n'estoient pas plus grosses que
86/742 des balles d'harquebuze. Ces Sauvages nous dirent, que tous
ceux qui habitoient en ce pays cultivoient & ensemençoient la
terre comme les autres qu'avions veus auparavant. Ce lieu est
par la hauteur de 43 degrez & quelques minutes de latitude
[138].
[Note 134: La baie de Massachusetts.]
[Note 135: Voir 1613, p. 58, note 1.]
[Note 136: La dite baie Longue.]
[Note 137: Le Merrimack.]
[Note 138: La latitude du cap Anne est d'environ 42° 38'.]
Doublant le cap[139], nous entrasmes en une ance[140] où il y
avoit force, vignes, pois de Bresil, courges, citrouilles & des
racines qui sont bonnes, tirans sur le goust de cardes que les
Sauvages cultivent.
[Note 139: En septembre 1606. Dans l'édition de 1632, on a intercalé ici
la description du Beau-Port, que M. de Monts n'avait pas visité en 1605,
mais que Champlain avait remarqué en passant. Les trois alinéas qui
suivent font partie de la narration du voyage de M. de Poutrincourt, qui
eut lieu dans l'automne de 1606.]
[Note 140: Le Beau-Port, aujourd'hui la baie de Gloucester, ou havre du
cap Anne. (Voir 1613, p. 94, 95, 96.)]
Ce lieu, qui est assez agréable, est fertile en quantité de
noyers, cyprès, chesnes, fresnes, & hestres, qui sont
très-beaux.
Nous veismes là un Sauvage qui se blessa tellement au pied, &
perdit tant de sang, qu'il en tomba en syncope; autour duquel
vindrent nombre d'autres chantans quelque temps avant qu'ils le
touchassent: puis faisans certaines gestes des pieds & des
mains, luy remuoient la teste, & le soufflant il revint à soy.
Nostre Chirurgien le pensa, & ne laissa pour cela de s'en aller
gayement.
Ayans fait demie lieue[141] nous apperceusmes plusieurs
Sauvages sur la pointe d'un rocher, qui couroient le long de la
coste, en dançant, vers leurs compagnons, pour les advertir de
nostre venue. Nous ayans monstré le quartier de leur demeure,
ils firent signal de fumées, pour nous monstrer l'endroit de
87/743 leur habitation & fusmes mouiller l'anchre proche d'un petit
islet, où l'on envoya nostre canau pour leur porter des
couteaux & des gallettes, & apperceusmes à la quantité qu'ils
estoient, que ces lieux sont plus habitez que les autres que
nous avions veus. Après avoir arresté deux heures pour
considerer ces peuples, qui ont leurs canaux faits d'escorce de
bouleau, comme les Canadiens[142], Souriquois, & Etechemins,
nous levasmes l'anchre, & avec apparence de beau temps nous
nous mismes à la voile. Poursuivant nostre routte à l'ouest
surouest, nous y veismes plusieurs isles à l'un & l'autre bord.
Ayant fait 7 à 8 lieues, nous mouillasmes l'anchre proche d'une
isle, où apperceusmes force fumées tout le long de la coste, &
beaucoup de Sauvages qui accouroient pour nous voir. L'on
envoya 2 ou 3 hommes vers eux dedans un canau, ausquels on
bailla des couteaux & patenostres pour leur presenter, dont ils
furent fort aises, & danserent plusieurs fois en payement. Nous
ne peusmes sçavoir le nom de leur chef, à cause que nous
n'entendions pas leur langue. Tout le long du rivage y a
quantité de terre défrichée, & semée de bled d'Inde. Le pays
est fort plaisant & agréable, y ayant force beaux bois. Ceux
qui l'habitent ont leurs canaux faits tout d'une pièce, fort
subjets à tourner, si on n'est bien adroit à les gouverner, &
n'en avions point encores veu de ceste façon. Voicy comme ils
les font. Aprés avoir eu beaucoup de peine, & esté long temps
à abatre un arbre le plus gros & le plus haut qu'ils ont peu
trouver, avec des haches de pierre (car ils n'en ont point en
88/744 ce temps d'autres, si ce n'est que quelques uns d'eux en
recouvrent par le moyen des Sauvages de la coste d'Acadie,
ausquels on en porte pour traicter de pelleterie) ils ostent
l'escorce, & l'arrondissent, horsmis d'un costé, où ils
mettent du feu peu à peu tout le long de la pièce; & prennent
quelquefois des cailloux rouges & enflammez, qu'ils posent
aussi dessus, & quand le feu est trop aspre, ils l'esteignent
avec un peu d'eau, non pas du tout, mais seulement de peur
que le bord du canau ne brusle. Estant assez creux à leur
fantaisie, il le raclent de toutes parts avec ces pierres. Les
cailloux dequoy ils font leurs trenchans sont semblables à nos
pierres à fuzil.
[Note 141: Ici reprend le récit du voyage de M. de Monts, en 1605. (Voir
1613, p. 58.) Par conséquent cette demi-lieue doit se compter du cap
Anne, et non du Beau-Port.]
[Note 142: A cette époque, on appelait Canadiens les tribus montagnaises
du bas du fleuve.]
Le lendemain 17 dudit mois[143] nous levasmes l'anchre pour
aller à un cap, que nous avions veu le jour précédant, qui nous
demeuroit comme au sud surouest. Ce jour nous ne peusmes faire
que 5 lieues, & passasmes par quelques isles remplies de bois.
Je recognus en la baye tout ce que m'avoient dépeint les
Sauvages au cap des isles. Poursuivant nostre routte, il en
vint à nous grand nombre dans des canaux, qui sortoient des
isles, & de la terre ferme. Nous fusmes anchrer à une lieue du
cap qu'ay nommé Sainct Louys[144], où nous apperceusmes
plusieurs fumées: & y voulant aller, nostre barque eschoua sur
une roche, où nous fusmes en grand danger: car si nous n'y
eussions promptement remedié, elle eust bouleversé dans la mer,
qui perdoit tout à l'entour, où il y avoit 5 à 6 brasses d'eau:
89/745 mais Dieu nous preserva, & fusmes mouiller l'anchre proche du
susdit cap, où vindrent 15 ou 16 canaux de Sauvages, & en tel y
en avoit 15 ou 16 qui commencèrent à monstrer grands signes de
resjouissance, & faisoient plusieurs sortes de harangues, que
nous n'entendions nullement. L'on envoya 3 ou 4 hommes à terre
dans nostre canau, tant pour avoir de l'eau, que pour voir leur
chef nommé Honabetha, qui eut quelques couteaux, & autres
jolivetez, que trouvay à propos leur donner[145], lequel nous
vint voir jusques en nostre bord, avec nombre de ses
compagnons, qui estoient tant le long de la rive, que dans
leurs canaux. L'on receut le chef fort humainement, & luy
fit-on bonne chère: & y ayant esté quelque espace de temps, il
s'en retourna. Ceux que nous avions envoyez devers eux, nous
apportèrent de petites citrouilles de la grosseur du poing, que
nous mangeasmes en sallade comme concombres, qui sont
très-bonnes; & du pourpié, qui vient en quantité parmy le bled
d'Inde, dont ils ne font non plus d'estat que de mauvaises
herbes. Nous veismes en ce lieu grande quantité de petites
maisonnettes, qui sont parmy les champs où ils sement leur bled
d'Inde.
[Note 143: Le 17 juillet 1605.]
[Note 144: Aujourd'hui la pointe Brandt.]
[Note 145: Dans l'édition de 1613, il y avait «que le sieur de Mons luy
donna.» Dans l'édition de 1640, on remarque une autre correction: le mot
_luy_ a été mis à la place de _leur_.]
Plus y a en icelle baye une riviere[146] qui est fort
spacieuse, laquelle avons nommée la riviere du Gas, qui, à mon
jugement, va rendre vers les Hiroquois, nation qui a guerre
ouverte avec les montagnars qui sont en la grande riviere
Sainct Laurent.
[Note 146: Probablement la rivière Charles. (Voir 1613, p. 61, note 3.)]
90/746
_Continuation des descouvertures de la coste des Almouchiquois,
& de ce, qu'y avons remarqué de particulier._
CHAPITRE VI.
LE lendemain[147] doublasmes le cap S. Louys, que nous avons
ainsi nommé, terre médiocrement basse, souz la hauteur de 42
degrez 3 quarts de latitude[148], & fismes ce jour 2 lieues de
coste sablonneuse; & passant le long d'icelle, nous y veismes
quantité de cabannes & jardinages, & entrasmes dedans un petit
cul de sac. Il vint à nous 2 ou 3 canaux, qui venoient de la
pesche des morues, & autres poissons, qui sont là en quantité,
qu'ils peschent avec des haims faits d'un morceau de bois,
auquel ils fichent un os, qu'ils forment en façon de harpon, &
lient fort proprement, de peur qu'il ne sorte, le tout estant
en forme d'un petit crochet. La corde qui y est attachée est de
chanvre, à mon opinion, comme celuy de France; & me dirent
qu'ils en cueilloient l'herbe dans leur terre sans la cultiver,
en nous monstrant la hauteur comme de 4 à 5 pieds. Ledit canau
s'en retourna à terre advertir ceux de son habitation, qui nous
firent des fumées, & apperceusmes 18 ou 20 Sauvages qui
vindrent sur le bord de la coste, & se mirent à dancer. Nostre
canau fut à terre pour leur donner quelques bagatelles, dont
ils furent fort contents. Il en vint aucuns devers nous qui
nous prièrent d'aller en leur riviere. Nous levasmes l'anchre
91/747 pour ce faire: mais nous n'y peusmes entrer à cause du peu
d'eau que nous y trouvasmes estans de base mer, & fusmes
contraints de mouiller l'anchre à l'entrée d'icelle. Je
descendis à terre, où j'en veis quantité d'autres qui nous
receurent fort gracieusement, & fus recognoistre la riviere,
où je n'y veis autre chose qu'un bras d'eau qui s'estend
quelque peu dans les terres, qui sont en partie desertées,
dedans lequel il n'y a qu'un ruisseau qui ne peut porter
bateaux, sinon de pleine mer. Ce lieu peut avoir une lieue de
circuit, en l'une des entrées duquel y a une manière d'isle
couverte de bois, & principalement de pins, qui tient d'un
costé à des dunes de sable, qui sont assez longues: l'autre
costé est une terre assez haute. Il y a deux islets dans
ladite baye, qu'on ne voit point si l'on n'est dedans, &
autour d'icelle, la mer asseche presque toute de basse marée.
Ce lieu est fort remarquable de la mer, d'autant que la coste
est fort basse, horsmis le cap de l'entrée de la baye, qu'avons
nommé le port du cap Sainct Louys[149], distant dudit cap deux
lieues, & dix du cap aux isles. Il est environ par la hauteur
du cap Sainct Louys.
[Note 147: Le 18 juillet 1605.]
[Note 148: 46° 6'.]
[Note 149: Les Pèlerins _(Pilgrim Fathers)_ lui donnèrent, quinze ans
plus tard, le nom de Plymouth.]
Nous partismes[1509] de ce lieu, & rangeant la coste comme au
sud, nous fismes 4 à 5 lieues, & passasmes proche d'un rocher
qui est à fleur d'eau. Continuant nostre routte, nous
apperceusmes des terres que jugions estre isles, mais en estans
plus prés, nous recogneusmes que c'estoit terre ferme, qui nous
demeuroit au nort norouest, qui estoit le cap d'une grande baye
92/748 contenant plus de 18 à 19 lieues de circuit, où nous nous
engouffrasmes tellement, qu'il nous fallut mettre à l'autre
bord pour doubler le cap qu'avions veu, lequel nous nommasmes
le cap Blanc[151], pource que c'estoient sables & dunes, qui
paroissent ainsi. Le bon vent nous servit beaucoup en ce lieu,
car autrement nous eussions esté en danger d'estre jettez à la
coste. Ceste baye est fort saine, pourveu qu'on n'approche la
terre que d'une bonne lieue, n'y ayant aucunes isles ny rochers
que celuy dont j'ay parlé, qui est proche d'une riviere, qui
entre assez avant dans les terres, que nommasmes Saincte
Suzanne du cap Blanc [152], d'où jusques au cap Sainct Louys y
a dix lieues de traverse. Le cap Blanc est une pointe de sable
qui va en tournoyant vers le sud environ six lieues. Ceste
coste est assez haute eslevée de sables, qui sont fort
remarquables venant de la mer, où on trouve la sonde à prés de
15 ou 18 lieues de la terre à 30, 40, 50 brasses d'eau,
jusques à ce qu'on vienne à dix brasses en approchant de la
terre, qui est tres-saine. Il y a une grande estendue de pays
descouvert sur le bord de la coste devant que d'entrer dans les
bois, qui sont fort agréables, & plaisans à voir. Nous
mouillasmes l'anchre à la coste, & veismes quelques Sauvages,
vers lesquels furent 4 de nos gens, qui cheminans sur une dune
de sable, advisèrent comme une baye & des cabannes qui la
bordoient tout à l'entour. Estans environ une lieue & demie de
nous, vint à eux dançant (comme ils nous rapportèrent) un
83/749 Sauvage, qui estoit descendu de la haute coste, lequel s'en
retourna peu après donner advis de nostre venue à ceux de son
habitation.
[Note 150: Le 19 juillet 1605. (Édit. 1613, liv. I, c. VIII.)]
[Note 151: Le capitaine Gosnold lui avait déjà donné, dès 1602, le nom
de cap Cod, qu'il conserve encore aujourd'hui.]
[Note 152: Probablement la baie de Wellfleet.]
Le lendemain[153] nous fusmes en ce lieu que nos gens avoient
apperceu, que trouvasmes estre un port fort dangereux, à cause
des bases & bancs, où nous voyons briser de toutes parts. Il
estoit presque de basse mer lors que nous y entrasmes, & n'y
avoit que 4 pieds d'eau par la passée du nort; de haute mer il
y a 2 brasses. Comme nous fusmes dedans, nous veismes ce lieu
assez spacieux, pouvant contenir 3 à 4 lieues de circuit, tout
entourée de maisonnettes, à l'entour desquelles chacun a autant
de terre qu'il luy est necessaire pour sa nourriture. Il y
descend une petite riviere qui est assez belle, où de basse mer
y a environ 3 pieds & demy d'eau, & y a 2 ou 3 ruisseaux bordez
de prairies. Ce lieu est très-beau, si le havre estoit bon.
J'en prins la hauteur, & trouvay 42 degrez de latitude, & 18
[154] degrez 40 minutes de declinaison de la Guide-aymant. Il
vint à nous quantité de Sauvages, tant hommes que femmes, qui
accouroient de toutes parts en dançant. Nous nommasmes ce lieu
le port de Mallebarre[155].
[Note 153: Le 20 juillet 1605.]
[Note 154: Voir 1613, p. 65; note 1.]
[Note 155: Aujourd'hui le havre de Nauset, dont la latitude est de 41°
50'.]
Le lendemain nous fusmes voir leur habitation avec nos armes, &
fismes environ une lieue le long de la coste. Devant que
d'arriver à leurs cabannes, nous entrasmes dans un champ semé
de bled d'Inde, à la façon que nous avons dit cy-dessus. Il
estoit en fleur, & avoit de haut 5 pieds & demy, & d'autre
94/750 moins advancé, qu'ils sement plus tard. Nous veismes aussi
force feves de Bresil, & des citrouilles de plusieurs
grosseurs, bonnes à manger; du petum & des racines qu'ils
cultivent, lesquelles ont le goust d'artichaut. Les bois sont
remplis de chesnes, noyers, & de très beaux cyprés[156], qui
sont rougeastres, & ont fort bonne odeur. Il y avoit aussi
plusieurs champs qui n'estoient point cultivez, d'autant qu'ils
laissent reposer les terres; & quand ils y veulent semer, ils
mettent le feu dans les herbes, & puis labourent avec leurs
besches de bois. Leurs cabannes sont rondes, couvertes de
grosses nattes faites de roseaux, & par en haut il y a au
milieu environ un pied & demy de descouvert, par où fort la
fumée du feu qu'ils y font. Nous leur demandasmes s'ils avoient
leur demeure arrestée en ce lieu, & s'il y negeoit beaucoup: ce
que ne peusmes bien sçavoir, pour ne pas entendre leur langage,
bien qu'ils s'y efforçassent par signes, en prenant du sable en
leur main, puis l'espandant sur la terre, & monstrant estre de
la couleur de nos rabats &, qu'elle venoit sur la terre de la
hauteur d'un pied, & d'autres nous monstroient moins; nous
donnans aussi à entendre que le port ne geloit jamais: mais
nous ne peusmes sçavoir si la nege estoit de longue durée. Je
tiens neantmoins que le pays est tempéré, & que l'hyver n'y est
pas rude.
[Note 156: Le _Juniperus Virginiana_. (Voir 1613, p. 66, note 1.)]
Tous ces Sauvages depuis le cap aux isles ne portent point de
robbes, ny de fourrures, que fort rarement, & sont icelles
robbes faites d'herbes, & de chanvre, qui à peine leur couvrent
le corps, & leur vont jusques aux jarrets. Ils ont seulement la
95/751 nature cachée d'une petite peau, & les femmes aussi, qui leur
descendent un peu plus bas qu'aux hommes par derrière, tout le
reste du corps estant nud & lors qu'elles nous venoient voir,
elles prenoient des robbes ouvertes par le devant. Les hommes
se coupent le poil dessus la teste, comme ceux de la riviere de
Choüacoet. Je vey entre autres choses une fille coiffée assez
proprement, d'une peau teinte de couleur rouge, brodée par
dessus de petites patenostres de porceline; une partie de ses
cheveux estoient pendans par derrière, & le reste entre-lacé de
diverses façons. Ces peuples se peindent le visage de rouge,
noir, & jaulne. Ils n'ont presque point de barbe, & se
l'arrachent à mesure qu'elle croist, & sont bien proportionnez
de leur corps. Je ne sçay quelle loy ils tiennent, & croy qu'en
cela ils ressemblent à leurs voisins, qui n'en ont point du
tout, & ne sçavent adorer, ny prier. Pour armes, ils n'ont que
des picques, massues, arcs, & flesches. Il semble à les voir
qu'ils soient de bon naturel, & meilleurs que ceux du nort,
mais à dire vray ils sont meschans, & si peu de fréquentation
que l'on a avec eux, les fait aisément cognoistre. Ils sont
grands larrons, & s'ils ne peuvent attraper avec les mains, ils
taschent de le faire avec les pieds, comme nous l'avons
esprouvé souventefois: & se faut donner garde de ces peuples, &
vivre en méfiance avec eux, sans toutefois leur faire
appercevoir. Ils nous troquèrent leurs arcs, flesches, &
carquois, pour des espingles & des boutons, & s'ils eussent eu
autre chose de meilleur, ils en eussent fait autant. Ils nous
96/752 donnèrent quantité de petum, qu'ils font secher, puis le
reduisent en poudre[157]. Quand ils mangent le bled d'Inde ils
le font bouillir dedans des pots de terre, qu'ils font d'autre
manière que nous[158]. Il le pilent aussi dans des mortiers de
bois, & le reduisent en farine, puis en font des gasteaux &
galettes, comme les Indiens du Pérou.
[Note 157: Voir 1613, p. 70, note 1.]
[Note 158: Voir 1613, p. 70, note 2.]
Il y a quelques terres défrichées[159], & en défrichoient tous
les jours. En voicy la façon. Ils coupent les arbres à la
hauteur de trois pieds de terre, puis font brusler les
branchages sur le tronc, & sement leur bled entre ces bois
coupez, & par succession de temps ostent les racines. Il y a
aussi de belles prairies pour y nourrir nombre de bestail. Ce
port[160] est très-beau & bon, où il y a de l'eau assez pour
les vaisseaux, & où on se peut mettre à l'abry derrière des
isles. Il est par la hauteur de 43 degrez de latitude, &
l'avons nommé le Beau-port[161].
[Note 159: Il s'agit du Beau-Port. L'on passe, ici, du voyage de M. de
Monts à celui de M. de Poutrinconrt, en 1606.]
[Note 160: Le Beau-Port. (Voir 1613, p. 96.)]
[Note 161: La baie de Gloucester, ou havre du cap Anne.]
Le dernier de Septembre[162] nous partismes du Beau-port, &
passasmes par le cap Sainct Louys, & fismes porter toute la
nuict pour gaigner le cap Blanc. Au matin une heure devant le
jour nous nous trouvasmes à vau le vent du cap Blanc en la baye
blanche[163] à huict pieds d'eau, esloignez de la terre une
lieue, où nous mouillasmes l'anchre, pour n'en approcher de
plus prés, en attendant le jour, & voir comme nous estions de
la marée. Cependant envoyasmes sonder avec nostre chaloupe, &
97/753 ne trouva-on plus de 8 pieds d'eau, de façon qu'il fallut
délibérer attendant le jour ce que nous pourrions faire. L'eau
diminua jusques à 5 pieds & nostre barque talonnoit quelquefois
sur le sable sans toutesfois s'offenser, ny faire aucun dommage
car la mer estoit belle, & n'eusmes point moins de 3 pieds
d'eau souz nous, lors que la mer commença à croistre, qui nous
donna grande esperance.
[Note 162: De l'année 1606.]
[Note 163: La baie du cap Cod.]
Le jour estant venu, nous apperceusmes une coste de sable fort
basse, où nous estions le travers plus à val le vent, & d'où on
envoya la chaloupe pour sonder vers un terroir qui est assez
haut, où on jugeoit y avoir beaucoup d'eau, & de faict on y en
trouva 7 brasses. Nous y fusmes mouiller l'anchre, & aussi tost
appareillasmes la chaloupe avec neuf ou dix hommes, pour aller
à terre voir un lieu où jugions y avoir un beau & bon port pour
nous pouvoir sauver si le vent se fust eslevé plus grand qu'il
n'estoit. Estant recogneu, nous y entrasmes à 2. 3. & 4.
brasses d'eau. Quand nous fusmes dedans, nous en trouvasmes 5 &
6 Il y avoit force huistres qui estoient tresbonnes, ce que
n'avions encores apperceu, & le nommasmes le port aux
Huistres[164], & est par la hauteur de 42 degrez de latitude
[165]. 11 y vint à nous trois canaux de Sauvages. Ce jour le
vent nous fut favorable, qui fut cause que nous levasmes
l'anchre pour aller au cap Blanc, distant de ce lieu de 5
lieues, au nort un quart du nordest, & le doublasmes.
[Note 164: La baie de Barnstable.]
[Note 165: 41° 45'.]
98/754 Le lendemain 2 d'Octobre [166] arrivasmes devant Mallebarre, où
sejournasmes quelque temps, pour le mauvais vent qu'il faisoit,
durant lequel nous fusmes avec la chaloupe, avec douze à quinze
hommes, visiter le port, où il vint au devant de nous cent
cinquante Sauvages, en chantant & dançant, selon leur coustume.
Après avoir veu ce lieu, nous nous en retournasmes en nostre
vaisseau, où le vent venant bon, fismes voile le long de la
coste courant au sud.
[Note 166: De l'année 1606.]
_Continuation des susdites descouvertures jusques au port
Fortuné, & quelque vingt lieues par delà._
CHAPITRE VII.
Comme nous fusmes à six lieues de Malebarre, nous mouillasmes
l'anchre proche de la coste, dautant que n'avions bon vent. Le
long d'icelle nous advisasmes des fumées que faisoient les
Sauvages, ce qui nous fit délibérer de les aller voir, & pour
cet effect on équipa la chaloupe. Mais quand nous fusmes proche
de la coste qui est areneuse, nous ne peusmes l'aborder, car la
houlle estoit trop grande. Ce que voyans les Sauvages, ils
mirent un canau à la mer, & vindrent à noua 8 ou 9 en chantant,
& faisans signe de la joye qu'ils avoient de nous voir, puis
nous monstrerent que plus bas il y avoit un port, où nous
pourrions mettre nostre barque en seureté. Ne pouvant mettre
pied à terre, la chaloupe s'en revint à la barque, & les
Sauvages retournèrent à terre, après les avoir traicté
humainement.
99/755 Le lendemain[167] le vent estant favorable, nous continuasmes
nostre routte au nort 5 lieues[168], & n'eusmes pas plustost
fait ce chemin, que nous trouvasmes 3 & 4 brasses d'eau, estans
esloignez une lieue & demie de la coste. Et allans un peu de
l'avant, le fonds nous haussa tout à coup à brasse & demie, &
deux brasses, ce qui nous donna de l'apprehension, voyans la
mer briser de toutes parts, sans voir aucun passage par lequel
nous peussions retourner sur nostre chemin, car le vent y
estoit entièrement contraire.
[Note 167: Le 3 octobre 1606.]
[Note 168: Voir 1613, p. 99, note 1.]
De façon qu'estans engagez parmy des brisans & bancs de sable,
il fallut passer au hazard, selon que l'on pouvoit juger y
avoir plus d'eau pour nostre barque, qui n'estoit que 4 pieds
au plus, & vinsmes parmy ces brisans jusques à quatre pieds &
demy. En fin nous fismes tant, avec la grâce de Dieu, que nous
passasmes par dessus une pointe de sable, qui jette prés de
trois lieues à la mer, au sud suest, lieu fort dangereux.
Doublant ce cap, que nous nommasmes le cap Batturier[169], qui
est à douze ou treize lieues de Mallebarre, nous mouillasmes
l'anchre à deux brasses & demie d'eau, d'autant que nous nous
voiyons entourez de toutes parts de brisans & battures, reservé
eu quelques endroits où la mer ne fleurissoit pas beaucoup. On
envoya la chaloupe pour trouver un achenal, afin d'aller à un
100/756 lieu que jugions estre celuy que les Sauvages nous avoient
donné à entendre; & creusmes aussi qu'il y avoit une riviere,
où nous pourrions estre en seureté.
[Note 169: Ce cap Batturier paraît correspondre à la tête de Sankaty,
qui forme la pointe sud-est de l'île de Nantucket, et qui est en effet à
environ douze lieues du port de Mallebarre, ou Nauset.]
Nostre chaloupe y estant, nos gens mirent pied à terre, &
considererent le lieu, puis revindrent avec un Sauvage qu'ils
amenèrent, & nous dirent que de plaine mer nous y pourrions
entrer, ce qui fut resolu; & aussi tost levasmes l'anchre, &
fusmes par la conduite du Sauvage, qui nous pilota, mouiller
l'anchre à une rade qui est devant le port à six brasses d'eau,
& bon fonds: car nous ne peusmes entrer dedans à cause que la
nuict nous surprint.
Le lendemain on envoya mettre des balises sur le bout d'un banc
de sable qui est à l'emboucheure du port; puis la plaine mer
venant y entrasmes à 2 brasses d'eau. Comme nous y fusmes, nous
louasmes Dieu d'estre en lieu de seureté. Nostre gouvernail
s'estoit rompu, que l'on avoit accommodé avec des cordages, &
craignions que parmy ces bases & fortes marées il ne rompist
derechef, qui eust esté cause de nostre perte.
Dedans ce port[170] il n'y a qu'une brasse d'eau, & de plaine
mer deux; à l'est y a une baye qui refuit au nort environ trois
lieues, dans laquelle se voyent une isle & deux autres petits
culs de sac, qui décorent le pays: là sont beaucoup de terres
défrichées, & force petits costaux, où ils font leur labourage
de bled & autres grains dont ils vivent. Il y a aussi de
tresbelles vignes, quantité de noyers, chesnes, cyprés, & peu
de pins. Tous les peuples de ce lieu sont fort amateurs du
101/757 labourage, & font provision de bled d'Inde pour l'hyver, lequel
ils conservent en la façon qui ensuit.
[Note 170: Le port de Chatham, que l'auteur appelle plus loin port
Fortuné.]
Ils font des fosses sur le penchant des costaux dans le fable 5
à 6 pieds plus ou moins, & prennent leurs bleds & autres
grains, qu'ils mettent dans de grands sacs d'herbe, qu'ils
jettent dedans lesdites fosses, & les couvrent de fable 3 ou 4
pieds par dessus le superfice de la terre, pour en prendre à
leur besoin, & se conserve aussi bien qu'il sçauroit faire en
nos greniers.
Nous veismes en ce lieu cinq à six cents Sauvages, qui estoient
tous nuds, horsmis leur nature, qu'ils couvrent d'une petite
peau de faon, ou de loup marin. Les femmes aussi couvrent la
leur avec des peaux, ou des fueillages, & ont les cheveux tant
l'un que l'autre bien peignez, & entrelacez en plusieurs
façons, à la manière de ceux de Choüacoet, & sont bien
proportionnez de leurs corps, ayans le teint olivastre. Ils se
parent de plumes, de patenostres de porceline, & autres
jolivetez, qu'ils accommodent fort proprement en façon de
broderie. Ils ont pour armes des arcs, flesches, & massues: &
ne sont pas si grands chasseurs comme bons pescheurs &
laboureurs.
Pour ce qui est de leur police, gouvernement, & Leur croyance,
je n'en ay peu que juger, & croy qu'ils n'en ont point d'autre
que nos Sauvages Souriquois & Canadiens, lesquels n'adorent ny
le Soleil, ny la Lune, ny aucune chose, & ne prient non plus
que les bestes. Bien ont-ils parmy eux quelques gens qu'ils
disent avoir intelligence avec le diable, à qui ils ont grande
102/758 croyance, lesquels leur disent tout ce qui leur doit advenir,
encores qu'ils mentent le plus souvent: c'est pourquoy ils les
tiennent comme Prophètes, bien qu'ils les enjaulent comme les
Egyptiens & Bohémiens font les bonnes gens de village. Ils ont
des chefs à qui ils obeissent en ce qui est de la guerre, mais
non autrement, lesquels travaillent, & ne tiennent non plus de
rang que leurs compagnons.
Leurs logemens sont separez les uns des autres selon les terres
que chacun d'eux peut occuper, & sont grands, faits en rond,
couverts de natte, ou fueille de bled d'Inde, garnis seulement
d'un lict ou deux, eslevez un pied de terre, faits avec
quantité de petits bois qui sont pressez les uns contre les
autres, dessus lesquels ils dressent un estaire à la façon
d'Espagne (qui est une manière de natte espoisse de deux ou
trois doigts) sur quoy ils se couchent. Ils ont grand nombre de
pulces en esté, mesme parmy les champs. En nous allans
pourmener nous en fusmes remplis en telle quantité, que nous
fusmes contraints de changer d'habits.
Tous les ports, bayes & costes depuis Choüacoet sont remplis de
toutes sortes de poisson, semblable à celuy qui est aux costes
d'Acadie, & en telle abondance, que je puis asseurer qu'il
n'estoit jour ne nuict que nous ne veissions & entendissions
passer aux costez de nostre barque plus de mille marsouins, qui
chassoient le menu poisson. Il y a aussi quantité de plusieurs
especes de coquillages, & principalement d'huistres. La chasse
des oiseaux y est fort abondante.
103/759 C'est un lieu fort propre pour y bastir, & jetter les fondemens
d'une République, si le port estoit un peu plus profond, &
l'entrée plus seure qu'elle n'est. Il fut nommé le port
Fortuné, pour quelque accident qui y arriva[171]. Il est par la
hauteur de 41 & un tiers de latitude, à 13 lieues de
Mallebarre. Nous visitasmes tout le pays circonvoisin, lequel
est fort beau, comme j'ay dit cy-dessus, où nous veismes
quantité de maisonnettes ça & là.
[Note 171: Voir 1613, p. 105, 106, 107.]
Partans du port Fortuné, ayans fait six ou sept lieues, nous
eusmes cognoissance d'une isle, que nous nommasmes la
Soupçonneuse [172], pour avoir eu plusieurs fois croyance de
loing que ce fust autre chose qu'une isle. Rangeant la coste au
surouest prés de douze lieues, passasmes proche d'une riviere
qui est fort petite, & de difficile abord, à cause des bases &
rochers qui sont à l'entrée, que j'ay nommée de mon nom. Ce que
nous veismes de ces costes sont terres basses & sablonneuses,
qui ne laissent d'estre belles & bonnes, toutesfois de
difficile abord, n'ayans aucunes retraites, les lieux fort
batturiers, & peu d'eau à prés de deux lieues de terre. Le plus
que nous en trouvasmes, ce fut en quelques fosses sept à huict
brasses, encores cela ne duroit que la longueur du câble, aussi
tost l'on revenoit à deux ou trois brasses, & ne s'y fie qui
voudra qu'il ne l'aye bien recognue la sonde à la main.
[Note 172: Probablement _Martha's Vineyard_.]
Voila toutes les costes que nous descouvrismes tant à l'Acadie,
que és Etechemins & Almouchiquois[173], desquelles je fis la
104/760 carte fort exactement de ce que je veis, que je fis graver en
l'an 1604[174] qui depuis a esté mite en lumière aux discours
de mes premiers voyages.
[Note 173: Depuis 1604, jusqu'à l'automne de 1606.]
[Note 174: Champlain ne put faire graver, en 1604, que la carte du
voyage d'exploration qu'il fit dans le Saint-Laurent, en 1603, avec
Pont-Gravé. Cette première carte est encore à retrouver.]
_Descouverture depuis le Cap de la Héve jusques à Canseau, fort
particulièrement._
CHAPITRE VIII
Partant du cap de la Héve jusques à Sesambre[175], qui est une
isle ainsi appellée par quelques Mallouins, distante de la Héve
de 15 lieues, se trouvent en ce chemin quantité d'isles,
qu'avons nommées les Martyres, pour y avoir eu des François
autrefois tuez par les Sauvages. Ces isles sont en plusieurs
culs de sac & bayes, en l'une desquelles y a une riviere
appellée Saincte Marguerite distante de Sesambre de 7 lieues,
qui est par la hauteur de 44 degrez, & 25 minutes de latitude.
Les isles & costes sont remplies de quantité de pins, sapins,
bouleaux, & autres meschans bois. La pesche du poisson y est
abondante, comme aussi la chasse des oiseaux.
[Note 175: Aujourd'hui Sambro.]
De Sesambre passasmes une baye fort saine[176] contenant 7 à 8
lieues, où il n'y a aucunes isles sur le chemin horsmis au
fonds, qui est à l'entrée d'une petite riviere de peu d'eau, &
fusmes à un port distant de Sesambre de 8 lieues, mettant le
105/761 cap au nordest quart d'est, qui est assez bon pour des
vaisseaux du port de cent à six vingts tonneaux. En son entrée
y a une isle de laquelle on peut de basse mer aller à la grande
terre. Nous avons nommé ce lieu le port Saincte Heleine[177],
qui est parla hauteur de 44 degrez 40 minutes peu plus ou moins
de latitude.
[Note 176: La baie de Chibouctou, aujourd'hui le havre d'Halifax.]
[Note 177: Probablement ce qu'on appelle aujourd'hui le havre de
Jeddore.]
De ce lieu fusmes à une baye appellée la baye de toutes isles
[178], qui peut contenir 14 à 15 lieues: lieux qui sont
dangereux à cause des bancs, bases, & battures qu'il y a. Le
pays est tres-mauvais à voir, remply de mesmes bois que j'ay
dit cy-dessus.
[Note 178: Voir 1613, p. 128, note 2.]
De là passasmes proche d'une riviere qui en est distante de six
lieues, qui s'appelle la riviere de l'isle verte[179], pour y
en avoir une en son entrée. Ce peu de chemin que nous fismes
est remply de quantité de rochers qui jettent prés d'une lieue
à la mer, où elle brise fort, & est par la hauteur de 45 degrez
un quart de latitude.
[Note 179: La rivière Sainte-Marie. (Voir 1613, p. 128, note 3.)]
De là fusmes à un lieu où il y a un cul de sac[180] & deux ou
trois isles, & un assez beau port, distant de l'isle verte
trois lieues. Nous passasmes aussi par plusieurs isles qui sont
rangées les unes proches des autres, & les nommasmes les isles
rangées, distantes de l'isle verte de 6 à 7 lieues. En après
passasmes par une autre baye[181] où il y a plusieurs isles, &
fusmes jusques à un lieu où trouvasmes un vaisseau qui faisoit
pesche de poisson entre des isles qui sont un peu esloignées de
106/762 la terre, distantes des isles rangées 4 lieues, & appellasmes
ce lieu le port de Savalette[182], qui estoit le maistre du
vaisseau qui faisoit pesche, qui estoit Basque.
[Note 180: Aujourd'hui _Country Harbour_.]
[Note 181: Aujourd'hui _Torbay_.]
[Note 182: Probablement White Haven. (Voir 1613, p. 129, note 3.)]
Partant de ce lieu arrivasmes à Canseau[183] le 27 du mois,
distant du port de Savalette six lieues, où passasmes par
quantité d'isles jusques audit Canseau, ausquelles y a telle
abondance de framboises, qu'il ne se peut dire plus.
[Note 183: Voir 1613, p. 130, note I.]
Toutes les costes que nous rangeasmes depuis le cap de Sable
jusques en ce lieu, sont terres médiocrement hautes, & costes
de rochers, en la plus-part des endroits bordées de nombre
d'isles & brisans qui jettent à la mer par endroits prés de
deux lieues, qui sont fort mauvais pour l'abord des vaisseaux:
neantmoins il ne laisse d'y avoir de bons ports & rades le long
des costes & isles. Pour ce qui est de la terre, elle est plus
mauvaise, & mal agréable qu'en autres lieux qu'eussions veus,
excepté en quelques rivieres ou ruisseaux, où le pays est assez
plaisant: & ne faut douter qu'en ces lieux l'hyver n'y soit
froid, durant prés de six mois[184].
[Note 184: L'édition de 1640 porte «prés de six à sept mois,» comme
l'édition de 1613.]
Ce port de Canseau est un lieu entre des isles, qui est de fort
mauvais abord, si ce n'est de beau temps, pour les rochers &
brisans qui sont autour. Il s'y fait pesche de poisson verd &
sec.
De ce lieu jusques à l'isle du cap Breton, qui est par la
hauteur de 45 degrez trois quarts de latitude[185], & 14.
107/763 degrez 50 minutes de declinaison de l'Aymant y a huict lieues,
& jusques au cap Breton 25 où entre les deux y a une grande
baye[186] qui entre environ 9 ou 10 lieues dans les terres, &
fait partage entre l'isle du cap Breton, & la grand'terre qui
va rendre en la grande baye Sainct Laurent, par où on va à
Gaspé & isle Percée, où se fait pesche de poisson. Ce passage
de l'isle du cap Breton est fort estroit. Les grands vaisseaux
n'y passent point, bien qu'il y aye de l'eau assez, à cause des
grands courans & transports de marées qui y sont, & avons nommé
ce lieu le passage courant[187], qui est par la hauteur de 45
degrez trois quarts de latitude.
[Note 185: La latitude du cap Breton est d'environ 45° 57', et la
variation de l'aiguille y est aujourd'hui de près de 24° de déclinaison
occidentale.]
[Note 186: La baie de Chédabouctou.]
[Note 187: Aujourd'hui le détroit de Canseau.]
Ceste isle du cap Breton est en forme triangulaire, qui a 80
lieues de circuit, & est la plus-part terre montagneuse,
toutesfois en quelques endroits agréable. Au milieu d'icelle y
a une manière de lac[188], où la mer entre par le costé du nort
quart du nordest, & du sud quart du suest[189], & y a quantité
d'isles remplies de grand nombre de gibbier, & coquillages de
plusieurs sortes, entre autres des huistres qui ne sont de
grande saveur. En ce lieu y a plusieurs ports & endroits où
l'on fait pesche de poisson, sçavoir le port aux Anglois[190],
distant du cap Breton environ deux à trois lieues: & l'autre,
Niganis, 18 ou 20 lieues plus au nort. Les Portugais autrefois
voulurent habiter ceste isle, & y passerent un hyver: mais la
rigueur du temps & les froidures leur firent abandonner leur
108/764 habitation. Toutes ces choses veues, je repassay en France,
après avoir demeuré quatre ans tant à l'habitation de Saincte
Croix, qu'au port Royal[191].
[Note 188: Le Bras-d'or, ou Labrador.]
[Note 189: Voir 1613, p. 132, note 2.]
[Note 190: Appelé depuis Louisbourg.]
[Note 191: Champlain partit de Canseau le 3 septembre 1607; il avait
quitté le Havre au commencement d'avril 1604: il y avait donc trois ans
et cinq mois qu'il, était à l'Acadie.]
_Fin du second Livre._
109/765
LES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
LIVRE TROISIESME.
_Voyages du sieur de Poitrincourt en la nouvelle France, où il
laisse son fils le Sieur de Biencourt. Pères Jesuites qui y
sont envoyez & les progrés qu'ils y firent, y faisans fleurir
la Foy Chrestienne._
CHAPITRE PREMIER.
Le sieur de Poitrincourt père ayant obtenu un don du Sieur de
Mons, en vertu de sa commission, de quelques terres adjacentes
au port Royal, qu'il avoit abandonnées, l'habitation demeurant
en son entier, ledit Sieur de Poitrincourt fait tout devoir de
l'habiter, & y laisse son fils Sieur de Biencourt, lequel
pendant qu'il excogite les moyens de s'y pouvoir establir, les
Rochelois & les Basques l'assistent en la plus grande partie
des embarquemens, souz esperance d'avoir les pelleteries par
leur moyen: mais son dessein ne luy réussit pas comme il
desiroit. Car Madame de Guercheville très-charitable,
110/766 s'entremet en ceste affaire en faveur & consideration des Pères
Jesuites. En voicy le discours.
Ledit sieur Jean de Poitrincourt, avant que le sieur de Mons
partist de la nouvelle France, luy demanda en don le Port
Royal, qu'il luy accorda, à condition que dans deux ans en
suitte ledit sieur de Poitrincourt s'y transporteroit avec
plusieurs autres familles, pour cultiver & habiter le pays; ce
qu'il promit faire, & en l'an 1607, le feu Roy Henry le Grand
luy ratifia & confirma ce don, & dit au feu Reverend Père Coton
qu'il vouloit se servir de leur Compagnie en la conversion des
Sauvages, promettant deux mille livres pour leur entretien. Le
Père Coton obéît au commandement de sa Majesté; & entre autres
de leurs Peres se presenta le Pere Biard, pour estre employé en
un si sainct voyage: & l'an 1608, il fut envoyé à Bordeaux, où
il demeura long temps sans entendre aucunes nouvelles de
l'embarquement pour Canada.
L'an 1609, le sieur de Poitrincourt arriva à Paris: le Roy en
estant adverty, & ayant sceu que contre l'opinion de sa Majesté
il n'avoit bougé de France, se fascha fort contre luy. Mais
pour contenter sadite Majesté, il s'équipe pour faire le
voyage. Sur cette resolution le Père Coton offre luy donner des
Religieux: sur quoy ledit sieur de Poitrincourt luy dit qu'il
seroit meilleur d'attendre jusques en l'an suivant, promettant
qu'aussi tost qu'il seroit arrivé au port Royal, il renvoyeroit
111/767 son fils, avec lequel les PP. Jesuites viendroient. De faict
l'an 1610, ledit sieur de Poitrincourt s'embarqua sur la fin de
Fevrier, & arriva au port Royal au mois de Juin suivant, où
ayant assemblé le plus de Sauvages qu'il peut, il en fit
baptiser environ 25 le jour de sainct Jean Baptiste, par un
Prestre appelle Messire Josué Fleche, surnommé le Patriarche.
Peu de temps après il renvoya en France le sieur de Biencourt
son fils, aagé d'environ 19 ans, pour apporter les bonnes
nouvelles du baptesme des Sauvages[192], & faire en sorte qu'il
fust en brief secouru de vivres, dont il estoit mal pourveu,
pour y passer l'hyver.
[Note 192: Lescarbot nous a conservé les noms de vingt-et-un sauvages
baptisés à Port Royal par un prêtre du diocèse de Langres, nommé Jessé
Fléché. (Hist. de la Nouv. France, liv. V, ch. VIII.)]
Le Reverend Père Christoffe Balthazar, Provincial, commit pour
aller avec le sieur de Biencourt, les Peres Pierre Biart, &
Remond Masse[193]; le Roy Louys le Juste leur ayant fait
delivrer cinq cents escus promis par le feu Roy son père, &
plusieurs riches ornemens donnez par les Dames de Guercheville
& de Sourdis. Estans arrivez à Dieppe, il y eut quelque
contestation entre les Pères Jesuites, & des marchands[194], ce
qui fut cause que lesdits Pères se retirèrent en leur Collège
d'Eu.
[Note 193: Enemond Massé. (Voir Hist. de la Colonie française en Canada,
t. I, note de la p. 101.)]
[Note 194: Ces marchands étaient Duchesne et Dujardin, tous deux de la
religion prétendue reformée. (Relat. du P. Biart, ch. XII.--Lescarbot,
liv. V, ch. X.--Asseline, _ms_. de Dieppe.)]
Ce qu'ayant sceu Madame de Guercheville, fut fort indignée de
ce que de petits marchands avoient esté se outrecuidez d'avoir
offensé, & traversé ces Peres, dit qu'ils devoient estre punis,
112/768 mais tout leur chastiement fut qu'ils ne furent receus à
l'embarquement. Et ayant sceu que l'équipage ne se monsteroit
qu'à quatre mil livres, elle fit une queste en la Cour, & par
cet office charitable elle recueillit ladite somme dont elle
paya les marchands qui avoient troublé lesdits Pères, & les fit
casser de toute association: & du reste de ceste somme, &
d'autres grands biens, fit un fonds pour l'entretien desdits
Peres, ne voulant qu'ils fussent à charge au sieur de
Poitrincourt, & faire en sorte que le profit qui reviendroit
des pelleteries & des pesches que le navire remporteroit, ne
reviendroit point au profit des associez, & autres marchands,
mais retourneroit en Canada, en la possession des Sieurs Robin
& de Biencourt, qui l'employeroient à l'entretien du port Royal
& des François qui y resident.
A ce subject fut conclu & arresté que cet argent de Madame de
Guercheville, ayant esté destiné pour le profit de Canada, les
Jesuites auroient part aux émoluments de l'association desdits
sieurs Robin & de Biencourt, & y participeroient avec eux.
C'est ce contract d'association qui a fait tant semer de
bruits, de plaintes, & de crieries contre les Pères Jesuites,
qui en cela, & en toute autre chose se sont equitablement
gouvernez selon Dieu & raison, à la honte & confusion de leurs
envieux & mesdisans.
Le 26. Janvier 1611, les mesmes Peres s'embarquerent avec ledit
sieur de Biencourt, lequel ils assisterent d'argent pour mettre
le vaisseau hors, & soulager les grandes necessitez qu'ils
113/769 avoient eues en ceste navigation; d'autant que costoyans les
costes ils s'arreterent & sejournerent en plusieurs endroits
avant qu'arriver au port Royal, qui fut le 12 juin[195] 1611,
le jour de la Pentecoste; & pendant ce voyage lesdits Peres
eurent grande disette de vivres, & d'autres choses, ainse que
rapportèrent les pilotes David de Bruges, & le Capitaine Jean
Daune, tous deux de la religion prétendue reformée, confessans
qu'ils avoient trouvé ces bons Peres tout autres que l'on les
leur avoit dépeint.
[Note 195: Le 22 mai, comme le prouvent abondamment les détails
renfermés dans les lettres du P. Biard. C'est ce jour-là, au reste, que
tombait la Pentecôte en 1611.]
Le sieur de Poitrincourt desirant retourner en France, pour
mieux donner ordre à ses affaires, laissa son fils le sieur de
Biencourt, & les Pères Jesuites auprés luy, qui faisoient tous
ensemble environ 20[196] personnes. Il partit la my-Juillet de
la mesme année 1611 & arriva en France sur la fin du mois
d'Aoust.
[Note 196: «Vingt & deux personnes, en comptant les deux Jesuites,» dit
la Relat. du P. Biard ch. XXV.]
Pendant l'hyvernement ledict sieur de Biencourt fit encores
quelques fascheries aux gens du fils dudit Pontgravé, appelle
Robert Gravé(197), qu'il traitta assez mal: mais en fin par le
travail des Pères Jesuites, le tout fut appaisé, & demeurèrent
bons amis.
[Note 197: «Le jeune du Pont avoit l'année prochainement passée, esté
faist prisonnier par le sieur de Poitrincourt, d'où s'estant évadé
subtilement, il avoit esté contrainct courir les bois en grande
misere... Le P. Biard supplia le sieur de Poitrincourt d'avoir esgard
aux grands merites du sieur du Pont le père, & aux belles esperances
qu'il y avoit du fils... Il amena ledit du Pont au sieur de
Poitrincourt, & paix & reconciliation faicte on tira le canon.» (Relat.
du P. Biard, ch. XIV.) «Reconciliatus quoque magni quidam juvenis &
animi & spei. Is, quod sibi a D. Potrincurtio timeret, annum jam unum
cum silvicolis eorum more atq vestitu pererrabat, & suspicio erat
pejoris quoq rei. Obtulit eum mihi Deus: colloquor deniq post multa
juvenis sese credit. Deduco eum ad Potrincurtium. Non poenituit fidei
datae: pax facta est maximo omnium gaudio, & juvenis postridie, antequam
ad sacram Eucharistiam accederet, suapte ipse sponte a circumstantibus
mali exempli veniam petiit.» (Lettre du P. Biard, 1612, Archives du
Gesu.)]
Le sieur de Poitrincourt cherchant en France tous moyens
114/770 d'aller secourir son fils. Madame de Guercheville, pieuse,
vertueuse, & fort affectionnée à la conversion des Sauvages,
ayant desja recueilly quelques charitez, en communiqua avec
luy, & dit que très-volontiers elle entreroit en la compagnie,
& qu'elle envoyeroit avec luy des Peres Jesuites, pour le
secours de Canada.
Le contract d'association fut passé, lad. Dame authorisée de
Monsieur de Liencour[198], premier Escuyer du Roy, & Gouverneur
de Paris, son mary. Par ce contract fut arresté, Que
presentement elle donneroit mil escus pour la cargaison d'un
vaisseau, moyennant quoy elle entreroit au partage des profits
que ce navire rapporteroit, & des terres que le Roy avoit
données au sieur de Poitrincourt, ainsi qu'il est porté en la
minute de ce contract. Lequel sieur de Poitrincourt se
reservoit le port Royal, & ses terres; n'entendant point
qu'elles entrassent en la communauté des autres Seigneuries,
Caps, Havres, & Provinces qu'il dit avoir audit pays contre le
port Royal. Ladite Dame luy demanda qu'il eust à faire
paroistre tiltres par lesquels ces Seigneuries & terres luy
appartenoient, & comme il possedoit tant de domaine. Mais il
s'en excusa, disant que ses filtres & papiers estoient demeurez
en la nouvelle France.
[Note 198: Dans d'autres exemplaires cette phrase se lit ainsi: «Le
contract d'association fut passé avec lad. Dame, authorisée de Mr. de
Liencourt...»]
Ce qu'entendant ladite Dame, se mesfiant de ce que disoit le
sieur de Poitrincourt, & voulant se garder d'estre surprise,
elle traicta avec le sieur de Mons, à ce qu'il luy retrocedast
tous les droicts, actions, & prétentions qu'il avoit, ou jamais
115/771 eu en la nouvelle France, à cause de la donation à luy faite
par feu Henry le Grand. La Dame de Guercheville obtient lettres
de sa Majesté à present régnant, par lesquelles donation luy
est faite de nouveau[199] de toutes les terres de la nouvelle
France, depuis la grande riviere, jusques à la Floride, horsmis
seulement le port Royal, qui estoit ce que ledit sieur de
Poitrincourt avoit presentement[200], & non autre chose.
[Note 199: L'édition de 1640 porte: «donation nouvelle luy est faite de
toutes...»]
[Note 200: L'édition de 1640 porte: «premièrement.»]
Ladite Dame donna l'argent aux Pères Jesuites pour le mettre
entre les mains de quelque marchand à Dieppe: mais ledit sieur
de Poitrincourt fit tant avec les mesmes Peres, que de ces
mille escus il en tira quatre cents.
Il commit à cet embarquement un sien serviteur appellé Simon
Imbert Sandrier, qui s'acquitta assez mal de l'administration
de ce navire équipé & frété. Il partit de Dieppe le 31 de
Décembre au fort de l'hyver, & arriva au port Royal le 23 de
Janvier l'an suivant 1612.
Le sieur de Biencourt fort aise d'une part de voir ce nouveau
secours arrivé, & d'autre fasché de voir Madame de Guercheville
hors de ceste compagnie, suivant ce que ledit Imbert luy avoit
dit, & des plaintes que luy firent les Pères Jesuites du
mauvais mesnage fait en tel embarquement par cet Imbert, qui à
tort & sans cause accusoit les Peres, lesquels neantmoins le
contraignirent de confesser qu'il estoit gaillard quand il
parla audit sieur de Biencourt.
En fin toutes ces choses estans appaisées & pardonnées, le Pere
116/772 Masse estant avec les Sauvages pour apprendre leur langue, il
devint malade en un lieu, où il eut grande disette, car tout
estoit en désordre en ceste demeure. Le Père Biart demeura au
port Royal, où il souffrit plusieurs fatigues, & de grandes
necessitez quelques jours durant, à amasser du gland, &
chercher des racines pour son vivre. Pendant ce temps on
dressoit en France un equipage pour retirer les jesuites du
port Royal, & fonder une nouvelle demeure en un autre endroit.
Le chef de cet équipage estoit la Saussaye, ayant avec luy
trente personnes qui y devoient hyverner, y compris deux
jesuites & leur serviteur, qui se prendroient au port Royal. Il
avoit desja avec luy deux autres Peres Jesuites, sçavoir le
Père Quentin[201], & le Père Gilbert du Thet [202], mais ils
devoient revenir en France avec l'équipage des matelots, qui
estoient 38.[203] La Royne avoit contribué à la despense des
armes, des poudres, & de quelques munitions. Le vaisseau estoit
de cent tonneaux, qui partit de Honnefleur le 12 Mars l'an
1613, & arriva à la Héve à l'Acadie le 16 de May, où ils mirent
pour marque de leur possession les armes de Madame de
Guercheville. Ils vindrent au port Royal, où ils ne trouverent
que 5 personnes, deux Peres Jesuites, Hébert[204] Apoticaire
(qui tenoit la place du Sieur de Biencourt, pendant qu'il
117/773 estoit allé bien loin chercher dequoy vivre) & deux autres
personnes. Ce fut à luy qu'on presenta les lettres de la Royne,
pour relascher les Pères, & leur permettre aller où bon leur
sembleroit; ce qu'il fit: & ces Peres retirèrent leurs
commoditez du pays, & laisserent quelques vivres audit Hébert,
afin qu'il n'en eust necessité.
[Note 201: Jacques Quentin. «On a quelquefois confondu ce P. Jacques
Quentin avec Claude Quentin, que nous trouvons porté sur le Catalogue de
1625 comme étudiant en théologie à la Flèche.».(Première mission des
Jésuites en Canada, par le P. Carayon, note de la p. 109.)]
[Note 202: Gilbert du Thet n'était que Frère.]
[Note 203: Le P. Biard dit 48. (Relat, ch. XXIII.)]
[Note 204: Louis Hébert, qui plus tard vint s'établir à Québec.]
Ils sortirent de ce lieu, & furent habiter les monts deserts à
l'entrée de la riviere de Pemetegoet. Le pilote arriva au costé
de l'est de l'isle des monts deserts, où les Peres logèrent, &
rendirent grâces à Dieu, eslevans une croix, & firent le sainct
sacrifice de la Messe: & fut ce lieu nommé Sainct Sauveur, à 44
degrez & un tiers de latitude.
Là à peine commençoient-ils à s'accommoder, & deserter le lieu,
que l'Anglois survint, qui leur donna bien d'autre besongne.
Depuis que ces Anglois se sont establis aux Virgines, afin de
se pourveoir de moluës, ont accoustumé de venir faire leur
pesche à seize lieues de l'isle des monts deserts: & ainsi y
arrivans l'an 1613, estans surpris des bruines & jettez à la
coste des Sauvages de Pemetegoet, estimans qu'ils estoient
François, leur dirent qu'il y en avoit à Sainct Sauveur. Les
Anglois estans en necessité de vivres, & tous leurs hommes en
pauvre estat, deschirez, & à demy nuds, s'informent diligemment
des forces des François: & ayans eu response conforme à leur
desir, ils vont droit à eux, & se mettent en estat de les
combattre. Les François voyans venir un seul navire à pleines
voiles, sans sçavoir que dix autres approchoient, recogneurent
que c'estoient Anglois. Aussi tost le sieur de la Motte le
Vilin, Lieutenant de la Saussaye, & quelques autres, accourent
118/774 au bord pour le défendre. La Saussaye demeure à terre avec la
plus-part de ses hommes: mais en fin l'Anglois estant plus
fort que les François, après quelque combat prirent les
nostres. Les Anglois estoient en nombre de 60 soldats, &
avoient 14 pièces de canon. En ce combat Gilbert du Thet fut
tué[205] d'un coup de mousquet, quelques autres blessez, & le
reste furent pris, excepté Lamets, & quatre autres qui se
sauverent[206]. Par après il entrent au vaisseau des François
s'en saisissent, pillent ce qu'ils y trouvent, desrobent la
Commission du Roy que la Saussaye avoit en son coffre. Le
Capitaine qui commandoit en ce vaisseau s'appelloit Samuel
Argal.
[Note 205: Il reçut un coup de mousquet au travers du corps, et mourut
de sa blessure le lendemain. Outre ce Frère, deux autres français furent
tués, et quatre blessés, du nombre desquels était le capitaine Flory.
«Or le P. Biard ayant sceu la blessure du P. Gilbert du Thet, fit
demander au Capitaine que les blessez fussent portez à terre, ce qui fut
accordé, & par ainsi le dit Gilbert eut le moyen de se confesser, & de
louer & bénir Dieu juste & misericordieux en la compagnie de ses frères,
mourant entre leurs mains; ce qu'il fit avec grande constance,
resignation & devotion vingt-quatre heures après sa blessure. Il eut son
souhait, car au départ de Honfleur, en presence de tout l'équipage, il
avoit haussé les mains & les yeux vers le ciel, priant Dieu qu'il ne
revinst plus en France, mais qu'il mourust travaillant à la conqueste
des âmes & au salut des Sauvages. Il fut enterré le mesme jour au pied
d'une grande croix que nous avions dressée du commencement.» (Relat. du
P. Biard.)]
[Note 206: «Le Capitaine anglois avoit une espine au pied qui le
tourmentoit: c'estoit le pilote & les matelots qui estoient evadez, &
desquels il ne pouvoit sçavoir nouvelles. Ce pilote appellé le Bailleur,
de la ville de Rouen, s'en estant allé pour recognoistre, ainsi qu'il
vous a esté dit, ne put point retourner à temps au navire pour le
deffendre, & partant il retira sa chaloupe à l'escart, & la nuict venue,
prit encore avec luy les autres matelots, & se mit en sureté hors la
veue & le pouvoir des Anglois,» _(Ibid.)_]
Les ennemis mettent pied à terre, cherchent la Saussaye, qui
s'estoit retiré dans les bois. Le lendemain vint trouver
l'Anglois, qui luy fit bonne réception: & luy demandant sa
Commission, il va à son coffre pour la prendre, croyant qu'on
ne l'auroit point ouvert. Il y trouve toutes ses bardes &
commoditez, horsmis la Commission, dont il demeura fort
119/775 estonné. Et alors l'Anglois faisant le fasché, luy dit: _Quoy?
vous nous donnez à entendre que vous avez Commission du Roy
vostre Maistre, & ne la pouvez produire? vous estes donc des
forbans & pirates, qui meritez la mort._ Dés lors les Anglois
partirent le butin entr'eux.
Les Pères Jesuites voyans le péril auquel les François estoient
réduits, font en sorte avec Argal, qu'ils appaiserent les
Anglois, & par des raisons puissantes que luy donna le Père
Biart, il prouve que tous leurs hommes estoient gens de bien, &
recommandez par sa Majesté Tres-chrestienne. L'Anglois fit mine
de s'accorder, & croire aux raisons des Peres, & dirent au
sieur de la Saussaye: _Il y a bien de vostre faute de laisser
ainsi perdre vos lettres._ Et par après firent disner lesdits
Peres à leur table.
Il fut parlé de renvoyer les François en France, mais on ne
leur vouloit donner qu'une chaloupe à 30 qu'ils estoient, pour
aller trouver passage le long des costes. Les Pères leur
remonstrerent qu'il estoit impossible qu'une chaloupe peust
suffire à les conduire sans péril. Et alors Argal dit: _J'ay
trouvé un autre expédient pour les conduire aux Virgines_. Les
artisans, souz promesse qu'on ne les forceroit point au faict
de leur religion, & qu'après un an de service on les feroit
repasser en France, trois acceptèrent cet offre: aussi le sieur
de la Motte avoit dés le commencement consenty de s'en aller à
la Virgine, avec ce Capitaine Anglois, lequel l'honoroit pour
l'avoir trouvé faisant son devoir; & luy permit d'amener
quelques uns des siens avec luy, & le Père Biart: que quatre
qu'ils estoient, sçavoir deux Peres, & deux autres, fussent
120/776 conduits aux isles où les Anglois faisoient la pesche des
moluës, & qu'il leur mandast que par leur moyen il peust passer
en France: ce que le Capitaine Anglois luy accorda
très-volontiers.
De cette façon la chaloupe se trouva capable de porter les
hommes divisez en trois bandes. Quinze estoient avec le pilote
qui s'estoit eschapé: quinze avec l'Anglois, & quinze en la
chaloupe accordée, où estoit le Pere Masse, & fut delivrée
entre les mains de la Saussaye, & du mesme Pere Masse, avec
quelques vivres, mais il n'y avoit aucuns mariniers, & de bonne
fortune le pilote la rencontra, qui fut un grand bien pour eux,
& furent jusques à Sesembre, par delà la Héve, où estoit le
vaisseau de Robert Gravé, & un autre. Ils diviserent les
François en deux bandes, pour les repasser en France, &
arriverent à Sainct Malo, sans avoir couru aucun peril par les
tempestes.
Le Capitaine Argal mena les quinze François & les Pères
Jesuites aux Virgines, où estans, le chef d'icelle appellé le
Mareschal, commandant au pays, menaçoit de faire mourir les
Peres, & tous les François: mais Argal se banda contre luy,
disant qu'il leur avoit donné sa parole.. Et se voyant trop
foible pour les soustenir & défendre, se resolut de monstrer
les Commissions qu'il avoit dérobés; & le Mareschal les voyant
s'apaisa, & promit que la parole qu'on leur avoit donnée leur
seroit tenue.
Ce Mareschal fait assembler son conseil, & se resoult d'aller à
la coste d'Acadie, & y razer toutes les demeures & forteresses
jusques au 46e degrée, pretendant que tout ce pays luy
appartenoit.
121/777 Sur ceste resolution du Mareschal, Argal reprend la routte avec
trois vaisseaux, divise les François en iceux, & retournent à
Sainct Sauveur; ou croyans y trouver la Saussaye, & un navire
nouvellement arrivé, ils sceurent qu'il estoit retourné en
France. Ils y plantèrent une croix, au lieu de celle que les
Peres y avoient plantée, qu'ils rompirent, & sur la leur ils
escrivirent le nom du Roy de la grand'Bretagne, pour lequel ils
prenoient possession de ce lieu.
De là il fut à la Saincte Croix, qu'il brusla, osta toutes les
marques qui y estoient, & print un morceau du sel qu'il y
trouva.
Par après il fut au port Royal, conduit d'un Sauvage qu'il
print par force, les François ne le voulant enseigner, met pied
à terre, entre dedans, visite la demeure, & n'y trouvant
personne, prend ce qui y estoit de butin, la fit brusler, & en
deux heures le tout fut réduit en cendres, & osta toutes les
marques que les François y avoient mises: de sorte que ceux qui
y estoient furent contraints d'abandonner ceste demeure, & s'en
aller avec les Sauvages.
Un François meschant & desnaturé, qui estoit avec ceux qui
s'estoient sauvez dans les bois, approchant du bord de l'eau,
cria tout haut, & demanda à parlementer, ce qui luy fut
accordé, & lors il dit: _Je m'estonne qu'y ayant avec vous un
Jesuite Espagnol, appellé, le Pere Biart, vous ne le faites
mourir comme un meschant homme, qui vous fera du mal s'il peut,
si le laissez faire._ Est-il possible que la nation Françoise
122/778 produise de tels monstres d'hommes detestables, semeurs de
faussetez calomnieuses, pour faire perdre la vie à ces bons
Peres?
Les Anglois partent du port Royal le 9 Novembre 1613 pour
retourner aux Virgines. En ce voyage la contrariété des vents &
des tempestes fut telle, que les trois vaisseaux se separerent.
La barque où estoient six Anglois ne s'est peu recouvrer du
depuis, & le vaisseau du Capitaine Argal abordant les Virgines,
qui fit entendre au Mareschal ce qu'estoit le Père Biart, qu'il
tenoit pour Espagnol, & qui l'attendoit pour le faire mourir.
Il estoit alors au troisiesme vaisseau, où commandoit un
Capitaine nomme Turnel, ennemy mortel des Jesuites; & ce
vaisseau fut tellement battu du vent de surouest, que mettant à
contre-bord, il fut contraint de relascher aux Sores[204], à
500 lieues des Virgines, où l'on tua tous les chevaux qui
avoient esté pris au port Royal, qu'ils mangèrent au defaut
d'autres vivres. En fin ils arriverent à une isle des Sores, &
alors il dit au Pere: _Dieu est courroucé, contre nous, & nous
contre vous[208], pour le mal que nous vous avons fait souffrir
injustement. Mais je m'estonne comme des François estans dans
les bois, au milieu de tant de miseres & apprehensions, ayant
fait courir le bruit que vous estes Espagnol: & l'ont non
seulement dit & asseuré, mais l'ont signe? Monsieur_ (dit le
Père) _vous sçavez que pour toutes les calomnies & mesdisances,
je n'ay jamais mal parlé de ceux qui m'accusoient, vous estes
tesmoin de la patience que j'ay eue contre tant d'adversitez,
123/779 mais Dieu cognoist la vérité. Non seulement je n'ay jamais esté
en Espagne, ny aucun de mes parents, mais je suis bon fidèle
François pour le service de Dieu, & de mon Roy, & feray
tousjours paroistre au péril de ma vie que c'est à tort que
l'on m'a calomnié, & que l'on m'appelle Espagnol. Dieu leur
pardonne, & qu'il luy plaise nous delivrer d'entre leurs mains,
& vous particulièrement, pour nostre bien, & oublions le
passé._
[Note 207: L'édition de 1640 porte: «Esores.»]
[Note 208: _Et non contre vous_. (Voir Relat. du P. Biard.)]
De là ils vont mouiller l'anchre à la rade de l'isle du Fal
[209], qui est une des Sores, & furent contraints d'anchrer en
ce port, & cacher les Peres en quelque endroit au fonds du
vaisseau, & tirèrent parole d'eux qu'ils ne se descouvriroient
point, ce qu'ils firent.
[Note 209: L'édition de 1640 porte: «Fayal, qui est une des Esores.»]
La visite du vaisseau fut faite par les Portugais, qui
descendirent au bas où les Peres estoient, & qui les voyoient
sans faire aucun signe, & neantmoins s'ils se fussent donnez à
cognoistre aux Portugais, ils eussent esté aussi tost delivrez,
& tous les Anglois pendus: mais ces visiteurs pour ne chercher
exactement, ne veirent point les Peres Jesuites, & s'en
retournèrent à terre, & ainsi les Anglois furent delivrez du
hazard qu'ils couroient d'estre pendus, allèrent quérir tout ce
qui leur estoit necessaire, puis levans l'anchre, mettent en
mer, & font mille remerciemens aux Peres, qu'ils caressent; &
n'ayans plus opinion qu'ils fussent Espagnols, les traittent le
plus humainement qu'ils peuvent, admirent leur grande constance
& vertu à souffrir les paroles qu'ils avoient dites d'eux, & ne
furent que bienveillances & tesmoignages de bonne amitié,
jusques à ce qu'ils fussent arrivez en Angleterre: leur
124/780 monstrans par là que c'estoit contre l'opinion de plusieurs
ennemis de l'Eglise Catholique & au prejudice de la vérité,
qu'ils leur imposent que leur doctrine enseigne qu'il ne faut
garder la foy aux Hérétiques.
En fin Argal arrive au port de Milfier l'an 1614. en la
Province de Galles, où le Capitaine fut emprisonné[210], pour
n'avoir passe-port, ny commission, son Général l'ayant, &
s'estant esgaré, comme avoit fait son Vice-Admiral.
[Note 210: Suivant le P. Biard, Argal fut emprisonné à Pembroke, «ville
principale de cest endroit & vice-admirauté.» (Relat. du P. Biard, ch.
XXXII.)]
Les Peres Jesuites racontèrent comme le tout s'estoit passé, &
par après le Capitaine Argal fut delivré, & retourna en son
vaisseau, & les Peres furent retenus à terre, aimez & caressez
de plusieurs personnes. Et sur le discours que le Capitaine de
leur vaisseau faisoit de ce qui se passa aux Esores, la
nouvelle vint à Londres à la Cour du Roy de la grand'Bretagne,
l'Ambassadeur de sa Majesté Tres-chrestienne poursuivit la
delivrance des peres, qui furent conduits à Douvre, & de là
passèrent en France, & se retirèrent en leur Collège d'Amiens,
après avoir esté neuf mois & demy entre les mains des Anglois.
Le sieur de la Motte arriva aussi au mesme temps en Angleterre,
dans un vaisseau qui estoit de la Bermude, ayant passé aux
Virgines. Il fut pris en son vaisseau, & arresté, mais delivré
par l'entremise de Monsieur du Biseau, pour lors Ambassadeur du
Roy en Angleterre.
Madame de Guercheville ayant advis de tout cecy, envoya la
125/781 Saussaye à Londres, pour solliciter la restitution du navire, &
fut tout ce que l'on peut retirer pour lors trois François
moururent à la Virginie, & 4 y resterent, pendant qu'on
travailloit à leur delivrance.
Les Pères y baptiserent 30 petits enfans, excepté trois, qui
furent baptisez en necessité[211].
[Note 211: Cette phrase, qui, évidemment, est extraite de la relation du
P. Biard, comme tout le reste de ce chapitre, se rapporte aux travaux
des PP. Jésuites à l'Acadie: «Le Patriarche Flesche, dit ce Père, en
avoit baptisé» [des sauvages] «peut-estre quatre-vingts, les Jesuites
seulement une vingtaine, & iceux petits enfans, horfmis trois qui ont
esté baptisez en extrême necessité de maladie, & sont allez jouir de
la vie bienheureuse, après avoir esté régénérez à icelle, comme aussi
aucun des petits enfans.» (Relat. de la Nouv. France, ch. XXXIV.)]
Il faut advouer que ceste entreprise fut traversée de beaucoup
de malheurs, qu'on eust bien peu eviter au commencement, si
Madame de Guercheville eust donné trois mil six cents livres au
sieur de Mons, qui desiroit avoir l'habitation de Québec, & de
toute autre chose. J'en portay parole deux ou trois fois au R.
P. Coton, qui mesnageoit cet affaire, lequel eust bien desiré
que le traicté se fust fait avec de moindres conditions, ou par
d'autres moyens, qui ne pouvoit estre à l'avantage dudit sieur
de Mons, qui fut le sujet pourquoy rien ne se fit, quoy que je
peusse representer audit Pere avec les avantages qu'il pourroit
avoir en la conversion des infidèles, que pour le commerce &
trafic qui s'y pouvoit faire par le moyen du grand fleuve
Sainct Laurent, beaucoup mieux qu'en l'Acadie, mal aisée à
conserver, à cause du nombre infiny de ses ports, qui ne se
pouvoient garder que par de grandes forces, joint que le
terroir y est peu peuplé de Sauvages, outre que l'on ne
pourroit pénétrer par ces lieux dans les terres, où sont nombre
126/782 d'habitans sedentaires, comme on pourroit faire par ladite
riviere Sainct Laurent, plustost qu'aux costes d'Acadie.
D'avantage, que l'Anglois qui faisoit alors ses peches en
quelques isles esloignées de 13 à 14 lieues de l'isle des monts
deserts, qui est l'entrée de la riviere de Pemetegoet, feroit
ce qu'il pourroit pour endommager les nostres, pour estre
proche du port Royal & autres lieux. Ce que pour lors ne se
pouvoit esperer à Québec, où les Anglois n'avoient aucune
cognoissance. Que si ladite dame de Guercheville eust en ce
temps là entré en possession de Quebec, on se fust peu
asseurer[212] que par la vigilance des Pères Jesuites, & les
instrucions que je leur pouvois donner, le pays se fust
beaucoup mieux accommodé, & l'Anglois ne l'eust trouvé dénué de
vivres & d'armes, & ne s'en fust emparé, comme il a fait en ces
dernières guerres. Ce qu'il a fait par l'industrie de quelques
mauvais François, joint qu'alors lesdits Pères n'avoient avec
eux aucun homme pour conduire leur affaire, excepté la
Saussaye, peu expérimenté en la cognoissance des lieux. Mais on
a beau dire & faire, on ne peut eviter ce qu'il plaist à Dieu
de disposer.
[Note 212: On eût pu s'assurer.]
Voila comme les entreprises qui se font à la haste, & sans
fondement, & faites sans regarder au fonds de l'affaire,
reussissent tousjours mal.
127/783
_Seconde entreprise du Sieur de Mons. Conseil que l'Autheur luy
donne. Obtient Commission du Roy. Son partement. Bastimens que
l'Autheur fait au lieu de Quebec. Crieries contre le Sieur de
Mons._
CHAPITRE II.
Retournons & poursuivons la seconde entreprise du Sieur de
Mons, qui ne perd point courage, & ne veut demeurer en si beau
chemin. Le R. P. Coton ayant refusé de convenir avec luy des
3600 livres, il me discourut particulièrement de ses desseins.
Je le conseillay, & luy donnay advis de s'aller loger dans le
grand fleuve Sainct Laurent, duquel j'avois une bonne
cognoissance par le voyage que j'y avois fait, luy faisant
goutter les raisons pourquoy il estoit plus à propos &
convenable d'habiter ce lieu qu'aucun autre. Il s'y resolut, &
pour cet effect il en parle à sa Majesté, qui luy accorde, &
luy donne Commission de s'aller loger dans le pays. Et pour en
supporter plus facilement la despense, interdit le trafic de
pelleterie à tous ses subjects, pour un an seulement.
Pour cet effect il fait équiper 2 vaisseaux à Honnefleur, & me
donna sa lieutenance au pays de la nouvelle France l'an 1608.
Le Pont Gravé prit le devant pour aller à Tadoussac, & moy
après luy dans un vaisseau chargé des choses necessaires &
propres à une habitation. Dieu nous favorisa si heureusement,
que nous arrivasmes dans ledit fleuve au port de Tadoussac;
auquel lieu je fais descharger toutes nos commoditez, avec les
128/784 hommes, manouvriers, & artisans, pour aller à mont ledit fleuve
trouver lieu commode & propre pour habiter. Trouvant un lieu le
plus estroit de la riviere, que les habitans du pays appellent
Québec, j'y fis bastir & édifier une habitation, & défricher
des terres, & faire quelques jardinages. Mais pendant que nous
travaillons avec tant de peine, voyons ce qui se pane en France
pour l'exécution de ceste entreprise.
Le Sieur de Mons qui estoit demeuré à Paris pour quelques
siennes affaires, & esperant que sa Majesté luy continueroit
sadite Commission, il ne demeura pas beaucoup en repos que l'on
ne crie plus que jamais qu'il faut aller au Conseil. Les
Bretons, Basques, Rochelois & Normands renouvellent les
plaintes; & estans ouis de ceux qui les veulent favoriser,
disent que c'est un peuple, c'est un bien public. Mais l'on ne
recognoist pas que ce sont peuples envieux, qui ne demandent
pas leur bien, ains plustost leur ruine, comme il se verra en
la suitte de ce discours.
Quoy que c'en soit, voila pour sa seconde fois la Commission
revoquée, sans y pouvoir remédier. Il s'en faudra retourner de
Québec au printemps prochain; de sorte que qui plus y aura mis,
plus y aura perdu, comme sera sans doute ledit Sieur de Mons,
lequel me r'escrivit ce qui s'estoit passée, qui me donna sujet
de retourner en France voir ces remuemens, & comme l'habitation
demeuroit au sieur de Mons, qui en convint quelque temps de là
avec ses associez; lequel cependant la met entre les mains de
quelque marchand de la Rochelle, à certaines conditions, pour
129/785 leur servir de retraitte à retirer leurs marchandises, &
traicter avec les Sauvages. C'estoit en ce temps là que je fis
l'ouverture aud. Reverend Pere Coton, pour Madame de
Guercheville, si elle le vouloit avoir, ce qui ne se pût, comme
j'ay dit cy-dessus, puis que la traicte estoit permise, jusques
à ce qu'il renouvellast une autre commission, qui apportait un
meilleur règlement que par le passé. J'allay trouver le sieur
de Mons, auquel je representay tout ce qui s'estoit passé en
nostre hyvernement, et ce que j'avois peu cognoistre &
apprendre des commoditez que l'on pouvoit esperer dans le grand
fleuve Sainct Laurent, qui m'occasionna de voir sa Majesté pour
luy en faire particulièrement récit, auquel elle y prit grand
plaisir. Cependant le sieur de Mons porté d'affection
d'embrasser cet affaire à quelque prix que ce fust, fait
derechef ce qu'il peut pour avoir nouvelle commission. Mais ses
envieux, au moyen de la faveur, avoient mis si bon ordre, que
son travail fut en vain. Ce que voyant, pour le desir qu'il
avoit de voir les terres peuplées, il ne laissa, sans
commission, de vouloir continuer l'habitation, & faire
recognoistre plus particulièrement le dedans des terres à mont
ledit fleuve. Et pour l'exécution de ceste entreprise, il fait
équiper avec la Société des vaisseaux, comme font plusieurs
autres, à qui le trafic n'estoit pas interdit, qui couroient
sur nos brisées, qui emportèrent le lucre des peines de nostre
travail, sans qu'ils voulussent contribuer à ses entreprises.
Les vaisseaux estans prests, le Pont Gravé & moy nous
embarquasmes pour faire ce voyage l'an 1610. avec artisans &
130/786 autres manouvriers, & fusmes traversez de mauvais temps.
Arrivans au port de Tadoussac, & de là à Québec, nous y
trouvasmes chacun en bonne disposition.
Premier que passer plus outre, j'ay pensé qu'il ne seroit hors
de sujet de descrire la description de la grande riviere, & de
quelques descouvertes que j'ay faites à mont ledit fleuve
Sainct Laurent, de sa beauté & fertilité du pays, & de ce qui
s'est passé és guerres contre les Hiroquois.
_Embarquement de, l'Autheur pour aller habiter la grande
riviere Sainct Laurent. Description du port de Tadoussac. De la
riviere de Saguenay. De l'isle d'Orléans._
CHAPITRE III.
Aprés avoir raconté au feu Roy tout ce que j'avois veu &
descouvert, je m'embarquay pour aller habiter la grande riviere
Sainct Laurent au lieu de Québec, comme Lieutenant pour lors du
sieur de Mons. Je partis de Honnefleur le 13 d'Avril 1608. & le
3 de Juin arrivasmes devant Tadoussac, distant de Gaspé 80 ou
90 lieues, & mouillasmes l'anchre à la rade du port de
Tadoussac, qui est à une lieue du port, qui est comme une ance
à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort
estrange pour sa vistesse, où quelquefois se levent des vents
impétueux qui ameinent de grandes froidures. L'on tient que
cette riviere a 45 ou 50 lieues du port de Tadoussac jusques au
premier sault, qui vient du nort norouest. Ce port est petit, &
n'y pourroit qu'environ 20 vaisseaux.
131/787 Il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere de
Saguenay, & d'une petite isle de rochers qui est presque coupée
de la mer. Le reste sont montagnes hautes eslevées, où il y a
peu de terre, sinon rochers & sables remplis de bois, comme
sapins & bouleaux. Il y a un petit estang proche du port
renfermé de montagnes couvertes de bois. A l'entrée sont deux
pointes, l'une du costé du surouest, contenant prés d'une lieue
en la mer, qui s'appelle la pointe aux Allouettes, & l'autre du
costé du nordouest, contenant demy quart de lieue, qui
s'appelle la pointe aux roches[213]. Les vents du sud suest
frappent dans le port, qui ne sont point à craindre, mais bien
celuy du Saguenay. Les deux pointes cy dessus nommées,
assechent de basse mer.
[Note 213: La pointe aux Vaches. (Voir 1603, p. 5, note 4.)]
En ce lieu y avoit nombre de Sauvages qui y estoient venus pour
la traicte de pelleterie, plusieurs desquels vindrent à nostre
vaisseau avec leurs canaux, qui sont de 8 ou 9 pas de long, &
environ un pas, ou pas & demy de large par le milieu, & vont en
diminuant par les deux bouts. Ils sont fort subjects à tourner
si on ne les sçait bien gouverner, & sont faits d'escorce de
bouleau, renforcez par dedans de petits cercles de cèdre blanc,
bien proprement arrangez, & sont si légers, qu'un homme en
porte aisément un. Chacun peut porter la pesanteur d'une pipe.
Quand ils veulent traverser la terre pour aller en quelque
riviere où ils ont affaire, ils les portent avec eux. Depuis
Choüacoet le long de la coste jusques au port de Tadoussac, ils
sont tous semblables.
132/788 Je fus visiter quelques endroits de la riviere du Saguenay, qui
est une belle riviere, & d'une grande profondeur, comme de 80 &
100 brasses. A 50 lieues de l'entrée du port, comme dit est, y
a un grand sault d'eau, qui descend d'un fort haut lieu, & de
grande impetuosité. Il y a quelques isles dedans ceste riviere
fort desertes, n'estans que rochers, couvertes de petits sapins
& bruyères. Elle contient de large demie lieue en des endroits,
& un quart en son entrée, où il y a un courant si grand, qu'il
est trois quarts de marée couru dedans la riviere, qu'elle
porte encores hors: & en toute la terre que j'y aye veue, ce ne
sont que montagnes & promontoires de rochers, la plus-part
couverts de sapins & bouleaux; terre fort mal plaisante, tant
d'un costé que d'autre: en fin ce sont de vrais deserts
inhabitez. Allant chasser par les lieux qui me sembloient les
plus plaisans, je n'y trouvois que de petits oiselets, comme
arondelles, & quelques oiseaux de riviere, qui y viennent en
esté; autrement il n'y en a point, pour l'excessive froidure
qu'il y fait. Ceste riviere vient du norouest.
Les Sauvages m'ont fait rapport qu'ayans passé le premier sault
ils en passent huict autres, puis vont une journée sans en
trouver, & derechef en passent dix autres, & vont dans un lac,
où ils font trois journées[214], & en chacune ils peuvent faire
à leur aise dix lieues en montant. Au bout du lac y a des
peuples qui vivent errans. Il y a 3 rivieres qui se deschargent
dans ce lac, l'une venant du nort, fort proche de la mer,
133/789 qu'ils tiennent estre beaucoup plus froide que leur pays; & les
autres deux d'autres costes par dedans les terres, où il y a
des peuples Sauvages errans, qui ne vivent aussi que de la
chasse, & est le lieu ou nos Sauvages vont porter les
marchandises que nous leur donnons pour traicter les fourrures
qu'ils ont, comme castors, martres, loups cerviers, & loutres,
qui y sont en quantité, & puis nous les apportent à nos
vaisseaux. Ces peuples Septentrionaux disent aux nostres qu'ils
voyent la mer salée; & si cela est, comme je le tiens pour
certain, ce ne doit estre qu'un gouffre qui entre dans les
terres par les parties du nort. Les Sauvages disent qu'il peut
y avoir de la mer du nort au port de Tadoussac 40 à 50
journées, à cause de la difficulté des chemins, rivieres, &
pays qui est fort montueux, où la plus grande partie de l'année
y a des neges. Voila au vray ce que j'ay appris de ce fleuve.
J'ay souvent desiré faire ceste descouverte, mais je ne l'ay
peu faire sans les Sauvages, qui n'ont voulu que j'allasse avec
eux, ny aucuns de nos gens; toutesfois ils me l'avoient promis
[215].
[Note 214: Voir 1613, p. 143, note 3.]
[Note 215: Voir 1613, p. 143, 144, notes, et 1603, p. 21.]
_Descouverte de l'isle aux Lievres. De l'isle aux Couldres: &
du sault de Montmorency.
CHAPITRE IIII.
Je partis de Tadoussac[216] pour aller à Québec, & passasmes
prés d'une isle qui s'appelle l'isle aux Lievres, distante de 6
lieues dudit port, & est à deux lieues de la terre du nort, & à
134/790 prés de 4 lieues [217] de la terre du sud. De l'isle aux
Lievres, nous fusmes à une petite riviere qui asseche de basse
mer, où à quelque 700 à 800 pas dedans y a deux sauts d'eau.
Nous la nommasmes la riviere aux Saulmons[218], à cause que
nous y en prismes. Costoyant la coste du nort, nous fusmes à
une pointe qui advance à la mer, qu'avons nommé le cap Dauphin
[219], distant de la riviere aux Saulmons trois lieues. De là
fusmes à un autre cap que nommasmes le cap à l'Aigle[220],
distant du cap Dauphin 8 lieues. Entre les deux y a une grande
ance, où au fonds y a une petite riviere qui asseche de basse
mer[221], & peut tenir environ lieue & demie. Elle est quelque
peu unie, venant en diminuant par les deux bouts. A celuy de
l'ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui advancent
quelque peu dans la riviere: & du costé du surouest elle est
fort batturiere, toutesfois assez agréable, à cause des bois
qui l'environnent, distante de la terre du nort d'environ demie
lieue, où il y a une petite riviere qui entre assez avant
dedans les terres, & l'avons nommée la riviere platte, ou malle
135/791 baye [222], d'autant que le travers d'icelle la marée y court
merveilleusement: & bien qu'il face calme, elle est tousjours
fort emeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de la
riviere est plat, & y a force rochers en son entrée, & autour
d'icelle. De l'isle aux Couldres costoyans la coste, fusmes à
un cap, que nous avons nommé le cap de Tourmente, qui en est à
sept lieues[223], & l'avons ainsi appellé, d'autant que pour
peu qu'il face de vent, la mer y esleve comme si elle estoit
pleine. En ce lieu l'eau commence à estre douce. De là fusmes
à l'isle d'Orléans, où, il y a deux lieues, en laquelle du
costé du sud y a nombre d'isles, qui sont basses, couvertes
d'arbres, & fort agréables remplies de grandes prairies, &
force gibbier, contenans à ce que j'ay peu juger, les unes deux
lieues, & les autres peu plus ou moins. Autour d'icelles y a
force rochers, & bases fort dangereuses à passer, qui sont
esloignez d'environ deux lieues de la grande terre du sud.
Toute ceste coste, tant du nort, que du sud, depuis Tadoussac,
jusques à l'isle d'Orléans, est terre montueuse, & fort
mauvaise, où il n'y a que des pins, sapins & bouleaux, & des
rochers tres-mauvais, & ne sçauroit-on aller en la plus-part de
ces endroits.
[Note 216: Le 30 juin 1608.]
[Note 217: Près de trois lieues.]
[Note 218: Probablement la rivière du port à l'Équille, ou port aux
Quilles. (Voir 1613. P. 145, note 3.)]
[Note 219: Le cap au Saumon.]
[Note 220: Aujourd'hui le cap aux Oies.]
[Note 221: En reproduisant ici le texte de 1613, on a passé, dans
l'édition de 1632, ce qui suit: «Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux
Couldres, qui en est distante une bonne lieue...»]
[Note 222: Ces mots «& l'avons nommée la riviere platte ou malle baye»
devaient être, dans la pensée de l'auteur, placés quelques lignes plus
haut, et le contre-sens que l'on remarque ici, est évidemment le fait
de l'imprimeur. Pour que l'on puisse mieux en juger, nous remettrons en
entier le passage de l'édition de 1613, tel que Champlain a du vouloir
le corriger: «Entre les deux y a une grande ance, où au fonds y a une
petite riviere qui asseche de basse mer, & l'avons nommée la riviere
platte ou malle baye. Du cap à l'Aigle fusmes à l'isle aux Couldres qui
en est distante une bonne lieue, & peut tenir environ lieue & demie de
long. Elle est quelque peu unie venant en diminuant par les deux bouts:
A celuy de l'Ouest y a des prairies & pointes de rochers, qui aduancent
quelque peu dans la riviere: & du costé du Surouest elle est fort
batturiere; toutesfois assez aggreable, à cause des bois qui
l'environnent, distante de la terre du Nort d'environ demie lieue, où
il y a une petite riviere qui entre assez avant dedans les terres, &
l'avons nommée la riviere du gouffre, d'autant que le travers d'icelle
la marée y court merveilleusement, & bien qu'il face calme, elle est
tousjours fort esmeue, y ayant grande profondeur: mais ce qui est de
la riviere est plat & y a force rochers en son entrée & autour
'icelle...» (Voir 1613, p. 146, note 2.)]
[Note 223: Environ huit lieues.]
Or nous rangeasmes l'isle d'Orléans du costé du sud, distante
de la grande terre une lieue & demie, & du costé du nort demie
136/792 lieue, contenant de long six lieues, & de large une lieue, ou
lieue & demie par endroits. Du costé du nort elle est fort
plaisante, pour la quantité des bois & prairies qu'il y a,
mais il y fait fort dangereux passer, pour la quantité de
pointes & rochers qui sont entre la grand terre & l'isle, où
il y a quantité de beaux chesnes, & des noyers en quelques
endroits, & à l'emboucheure[224] des vignes & autres bois comme
nous avons en France.
[Note 224: A l'entrée du bois.]
Ce lieu est le commencement du beau & bon pays de la grande
riviere, où il y a de son entrée 120 lieues. Au bout de l'isle
y a un torrent d'eau du costé du nort, que j'ay nommé le sault
de Montmorency, qui vient d'un lac[225] qui est environ dix
lieues dedans les terres, & descend de dessus une coste qui a
prés de 25 toises de haut[226], au dessus de laquelle la terre
est unie & plaisante à voir, bien que dans le pays on voye de
hautes montagnes, qui paroissent de 15 à 20 lieues.
[Note 225: Le lac des Neiges.]
[Note 226: Le saut Montmorency a environ 40 toises de haut.]
_Arrivée de l'Autheur à Quebec, ou il fit ses logemens. Forme
de vivre des Sauvages de ce pays là._
CHAPITRE V.
DE l'isle d'Orléans jusques à Québec y a une lieue, & y arrivay
le 3 Juillet, où estant, je cherchay lieu propre pour nostre
habitation: mais je n'en peus trouver de plus commode, ny mieux
137/793 scitué que la pointe de Québec, ainsi appellé des Sauvages,
laquelle estoit remplie de noyers & de vignes. Aussi tost
j'employay une partie de nos ouvriers à les abbatre, pour y
faire nostre habitation, l'autre à scier des aix, l'autre à
fouiller la cave, & faire des fossez, & l'autre à aller quérir
nos commoditez à Tadoussac avec la barque. La première chose
que nous fismes fut le magazin pour mettre nos vivres à
couvert, qui fut promptement fait par la diligence d'un chacun
& le soin que j'en eu[227]. Proche de ce lieu est une riviere
agréable[228], où anciennement hyverna Jacques Cartier.
[Note 227: Ici se trouvent, dans l'édition de 1613, les détails de la
conspiration tramée contre Champlain, et de la construction des premiers
logements élevés sur la pointe de Québec. (1613, p. 148-156.)]
[Note 228: La Petite-Rivière, ou rivière Saint-Charles, à laquelle
Cartier donna le nom de Sainte-Croix. (Voir 1613, p. 156-161.)]
Pendant que les Charpentiers, Scieurs d'aix, & autres ouvriers
travailloient à nostre logement, je fis mettre tout le reste à
défricher autour de l'habitation, afin de faire des jardinages
pour y semer des grains & graines, pour voir comme le tout
succederoit, d'autant que la terre paroissoit fort bonne.
Cependant quantité de Sauvages estoient cabannez proche de
nous, qui faisoient pesche d'anguilles, qui commencent à venir
comme au 15 de Septembre & finit au 15 Octobre. En ce temps
tous les Sauvages se nourrissent de ceste manne, & en font
secher pour l'hyver jusques au mois de Fevrier, que les neges
sont grandes comme de deux pieds & demy, & trois pieds pour le
plus, qui est le temps que quand leurs anguilles, & autres
choses qu'ils font secher, sont accommodées, ils vont chasser
138/794 aux castors, où ils sont jusques au commencement de janvier.
Ils ne firent pas grand chasse de castors, pour estre les
eaues trop grandes, & les rivieres desbordées, ainsi qu'ils
nous dirent. Quand leurs anguilles leur faillent, ils ont
recours à chasser aux eslans & autres bestes sauvages, qu'ils
peuvent trouver en attendant le printemps, où j'eus moyen de
les entretenir de plusieurs choses. Je consideray fort
particulièrement leurs coustumes.
Tous ces peuples patissent tant, que quelquefois ils sont
contraints de vivre de certains coquillages, & manger leurs
chiens, & peaux, dequoy ils se couvrent contre le froid. Qui
leur monstreroit à vivre, & leur enseigneroit le labourage des
terres, & autres choses, ils apprendroient fort bien: car il
s'en trouve assez qui ont bon jugement, & respondent à propos
sur ce qu'on leur demande. Ils ont une meschanceté en eux, qui
est d'user de vengeance, d'estre grands menteurs, & ausquels il
ne le faut pas trop asseurer, sinon avec raison, & la force en
la main. Ils promettent assez, mais ils tiennent peu, la
plus-part n'ayans point de loy, selon que j'ay peu voir, avec
tout plein d'autres faulses croyances. Je leur demanday de
quelle sorte de cérémonies ils usoient à prier leur Dieu; ils
me dirent qu'ils n'en usoient point d'autres, sinon qu'un
chacun le prioit en son coeur comme il vouloit. Voila pourquoy
il n'y a aucune loy parmy eux, & ne sçavent que c'est d'adorer
& prier Dieu, vivans comme bestes brutes, mais je croy qu'ils
seroient bien tost réduits au Christianisme, si on habitoit &
cultivoit leur terre, ce que la plus-part désirent. Ils ont
139/795 parmy eux quelques Sauvages qu'ils appellent Pilotois[229],
qu'ils croyent parler au diable visiblement, leur disant ce
qu'il faut qu'ils facent tant pour la guerre, que pour autres
choses, & s'ils leur commandoient qu'ils allassent mettre en
exécution quelque entreprise, ils obéiroient aussi tost à son
commandement. Comme aussi ils croyent que tous les songes
qu'ils ont, sont véritables: & de faict, il y en a beaucoup qui
disent avoir veu & songé choses qui adviennent ou adviendront.
Mais pour en parler avec vérité, ce sont visions diaboliques,
qui les trompe & seduit. Voila tout ce que j'ay peu apprendre
de leur croyance bestiale.
[Note 229: Ce mot, cependant, serait basque, suivant le P. Biard. (Rel.
de la Nouv. France, ch. VII.)]
Tous ces peuples sont bien proportionnez de leurs corps, sans
difformité, & sont dispos. Les femmes sont aussi bien formées,
potelées, & de couleur bazannée, à cause de certaines peintures
dont elles se frotent, qui les fait paroistre olivastres. Ils
sont habillez de peaux: une partie de leur corps est couverte,
& l'autre partie descouverte: mais l'hyver ils remédient à
tout, car ils sont habillez de bonnes fourrures, comme de peaux
d'eslan, loutres, castors, ours, loups marins, cerfs, & biches,
qu'ils ont en quantité. L'hyver quand les neges sont grandes,
ils font une manière de raquettes, qui sont grandes deux ou
trois fois plus que celles de France, qu'ils attachent à leurs
pieds, & vont ainsi dans les neges, sans enfoncer: car
autrement ils ne pourroient chasser, ny aller en beaucoup de
lieux. Ils ont aussi une façon de mariage, qui est, Que quand
140/796 une fille est en l'aage de 14 ou 15 ans, & qu'elle a plusieurs
serviteurs, elle a compagnie avec tous ceux que bon luy
semble: puis au bout de 5 ou 6 ans elle prend lequel il luy
plaist pour son mary, & vivent ensemble jusques à la fin de
leur vie: sinon qu'après avoir demeuré quelque temps ensemble,
& elles n'ont point d'enfans, l'homme se peut démarier, &
prendre une autre femme, disant que la sienne ne vaut rien.
Par ainsi les filles sont plus libres que les femmes.
Depuis qu'elles sont mariées elles sont chastes, & leurs maris
sont la plus-part jaloux, lesquels donnent des presens aux
pères ou parents des filles qu'ils ont espousées. Voila les
cérémonies & façons dont ils usent en leurs mariages.
Pour ce qui est de leurs enterremens, quand un homme ou une
femme meurt, ils font une fosse, où ils mettent tout le bien
qu'ils ont, comme chaudieres, fourrures, haches, arcs,
flesches, robbes, & autres choses: puis ils mettent le corps
dans la fosse, & le couvrent de terre, & mettent quantité de
grosses pièces de bois dessus, & une autre debout, qu'ils
peindent de rouge par en haut. Ils croyent l'immortalité des
âmes, & disent qu'ils sont se resjouir en d'autres pays, avec
leurs parents & amis qui sont morts. Si ce sont Capitaines ou
autres d'auctorité, ils vont après leur mort 3 fois l'an faire
un festin, chantans & dançans sur leur fosse.
Ils sont fort craintifs, & appréhendent infiniment leurs
ennemis, & ne dorment presque point en repos en quelque lieu
qu'ils soient, bien que je les asseurasse tous les jours de ce
qu'il m'estoit possible, en leur remonstrant de faire comme
141/797 nous, sçavoir, veiller une partie, tandis que les autres
dormiront, & chacun avoir ses armes prestes, comme celuy qui
fait le guet, & ne tenir les songes pour vérité, sur quoy ils
se reposent. Mais peu leur servoient ces remonstrances, &
disoient que nous sçavions mieux nous garder de toutes ces
choses qu'eux, & qu'avec le temps si nous habitions leur pays,
ils le pourroient apprendre.
_Semences de vignes plantées à Quebec par l'Autheur. Sa charité
envers les pauvres Sauvages._
CHAPITRE VI
LE premier Octobre[230] je fis semer du bled, & au 15 du
seigle.
[Note 230: De l'année 1608.]
Le 3 du mois il fit quelques gelées blanches, & les fueilles
des arbres commencèrent à tomber au 15.
Le 24 du mois, je fis planter des vignes du pays, qui vindrent
fort belles. Mais après que je fus party de l'habitation pour
venir en France, on les gasta toutes, sans en avoir eu soin, ce
qui m'affligea beaucoup à mon retour.
Le 18 de Novembre tomba quantité de neges, mais elles ne
durèrent que deux tours sur la terre.
Le 5 Fevrier il negea fort.
Le 20 du mois il apparut à nous quelques Sauvages qui estoient
au delà de la riviere, qui crioient que nous les allassions
secourir: mais il estoit hors de nostre puissance, à cause de
142/798 la riviere qui charrioit un grand nombre de glaces. Car la faim
pressoit si fort ces pauvres miserables, que ne sçachans que
faire, ils se resolurent de mourir, hommes, femmes, & enfans
ou de passer la riviere, pour l'esperance qu'ils avoient que je
les assisterois en leur extrême necessité. Ayant donc prins
ceste resolution, les hommes & les femmes prindrent leurs
enfans, & se mirent en leurs canaux, pensans gaigner nostre
coste par une ouverture de glaces que le vent avoit faite: mais
il ne furent si tost au milieu de la riviere, que leurs canaux
furent prins & brisez entre les glaces en mille pièces. Ils
firent si bien qu'ils se jetterent avec leurs enfans, que les
femmes portoient sur leur dos, dessus un grand glaçon. Comme
ils estoient là dessus, on les entendoit crier, tant que
c'estoit grand pitié, n'esperans pas moins que de mourir. Mais
l'heur en voulut tant à ces pauvres miserables qu'une grande
glace vint choquer par le costé de celle où ils estoient, si
rudement, qu'elle les jetta à terre. Eux voyans ce coup si
favorable, furent à terre avec autant de joye que jamais ils en
receurent, quelque grande famine qu'ils eussent eu. Ils s'en
vindrent à nostre habitation si maigres & défaits, qu'ils
sembloient des anatomies, la plus-part ne se pouvans soustenir.
Je m'estonnay de les voir, & de la façon qu'ils avoient passé,
veu qu'ils estoient si foibles & débiles. Je leur fis donner du
pain & des febves, mais ils n'eurent pas la patience qu'elles
fussent cuites pour les manger: & leur prestay des escorces
d'arbres pour couvrir leurs cabanes. Comme ils se cabanoient,
ils advisèrent une charongne qu'il y avoit prés de deux mois
143/799 que j'avois fait jetter pour attirer des regnards, dont nous en
prenions de noirs & de roux, comme ceux de France, mais
beaucoup plus chargez de poil. Ceste charongne estoit une truye
& un chien, qui avoient esté exposés durant la chaleur & le
froid. Quand le temps s'adoucissoit; elle puoit si fort que
l'on ne pouvoit durer auprès, neantmoins il ne laisserent de la
prendre & emporter en leur cabanne, où aussi tost ils la
devorerent à demy cuite, & jamais viande ne leur sembla de
meilleur goust. J'envoyay deux ou trois hommes les advertir
qu'ils n'en mangeassent point, s'ils ne vouloient mourir. Comme
ils approchèrent de leur cabanne, ils sentirent une telle
puanteur de ceste charongne à demy eschauffée, dont ils avoient
chacun une pièce en la main, qu'ils penserent rendre gorge, qui
fit qu'ils n'y arrêtèrent gueres. Je ne laissay pourtant de les
accommoder selon ma puissance, mais c'estoit pour la quantité
qu'ils estoient, & dans un mois ils eussent bien mangé tous nos
vivres, s'ils les eussent eus en leur pouvoir, tant ils sont
gloutons. Car quand ils en ont, ils ne mettent rien en reserve,
& en font chère continuelle jour & nuict, puis après ils
meurent de faim.
Ils firent encores une autre chose aussi miserable que la
première. J'avois fait mettre une chienne au haut d'un arbre,
qui servoit d'appast aux martres & oiseaux de proye, où je
prenois plaisir, d'autant qu'ordinairement ceste charongne en
estoit assaillie. Ces Sauvages furent à l'arbre, & ne pouvans
monter dessus à cause de leur foiblesse, ils l'abbatirent, &
144/800 aussi tost enleverent le chien, où il n'y avoit que la peau &
les os, & la teste puante & infecte, qui fut incontinent
devoré.
Voila le plaisir qu'ils ont le plus souvent en hyver: car en
esté ils ont assez dequoy se maintenir, & faire des provisions,
pour n'estre assaillis de ces extrêmes necessitez, les rivieres
abondantes en poisson, & chasse d'oiseaux, & autres bestes
sauvages.
La terre est fort propre & bonne au labourage, s'ils vouloient
prendre la peine d'y semer des bleds d'Inde, comme font tous
leurs voisins Algomequins, Hurons[231], & Hiroquois, qui ne
sont attaquez d'un si cruel assaut de famine, pour y sçavoir
remédier par le foin & prevoyance qu'ils ont, qui fait qu'ils
vivent heureusement au prix de ces Montaignets, Canadiens[232],
& Souriquois, qui sont le long des costes de la mer. Les neges
y sont 5 mois sur la terre, qui est depuis le mois de Décembre,
jusques vers la fin d'Avril, qu'elles sont presque toutes
fondues. Depuis Tadoussac jusques à Gaspé, cap Breton, nie de
terre neufve, & grand baye[233], les glaces & neges y sont
encores en la plus-part des endroits jusques à la fin de May:
auquel temps quelquefois l'entrée de la grande riviere est
seellée de glaces, mais à Québec il n'y en a point, qui monstre
une estrange différence pour 120 lieues de chemin en longitude:
car l'entrée de la riviere est par les 49, 50 & 51 degré de
latitude, & nostre habitation par les 46 & demy[234].
[Note 231: Dans l'édition de 1613, Champlain avait mis _Ochastaiguins_.
C'était le nom d'un de leurs chefs.]
[Note 232: Voir 1613, p. 169, note 2.]
[Note 233: Ce qu'on appelait la _Grand Baye_ était cette partie du Golfe
qui s'étend vers le nord-est, entre la côte de Terreneuve et celle du
Labrador.]
[Note 234: L'édition de 1613 porte, en cet endroit: «46 & deux tiers.»
Ce qui était plus proche de ce qu'on a trouvé de notre temps: d'après
Bayfield, la latitude de Québec, au bastion de l'observatoire, est de
46° 49' 8".]
145/801 Pour ce qui est du pays, il est beau & plaisant, & apporte
toutes sortes de grains & graines à maturité, y ayant de toutes
les especes d'arbres que nous avons en nos forests par deçà, &
quantité de fruicts, bien qu'ils soient sauvages, pour n'estre
cultivez: comme noyers, cerisiers, pruniers, vignes,
framboises, fraises, groiselles vertes & rouges, & plusieurs
autres petits fruicts qui y sont assez bons. Aussi y a-il
plusieurs sortes de bonnes herbes & racines. La pesche de
poisson y est en abondance dans les rivieres, où il y a
quantité de prairies & gibbier, qui est en nombre infiny.
Le 8 d'Avril en ce temps les neges estoient toutes fondues, &
neantmoins l'air estoit encores assez froid jusques en May, que
les arbres commencent à jetter leurs fueilles.
_Partement de Québec jusques à l'isle Sainct Eloy, & de la
rencontre que j'y fis des Sauvages Algomequins & Uchataiguins._
CHAPITRE VII.
Pour cet effect[235] je partis le 18 dudit mois[236], où la
riviere commence à s'eslargir quelquefois d'une lieue, & lieue
& demy en tels endroits. Le pays va de plus en plus en
embellissant. Ce sont costaux en partie le long de la riviere,
& terres unies sans rochers que fort peu. Pour la riviere elle
146/802 est dangereuse en beaucoup d'endroits, à cause des bancs &
rochers qui sont dedans, & n'y fait pas bon naviger, si ce
n'est la sonde à la main. La riviere est fort abondante en
plusieurs sortes de poisson, tant de ceux qu'avons par deçà,
comme d'autres que n'avons pas. Le pays est tout couvert de
grandes & hautes forests des mesmes sortes qu'avons vers nostre
habitation. Il y a aussi plusieurs vignes & noyers qui sont sur
le bord de la riviere, & quantité de petits ruisseaux &
rivieres, qui ne sont navigeables qu'avec des canaux. Nous
passasmes proche de la pointe Saincte Croix. Cette pointe est
de sable qui advance quelque peu dans la riviere, à l'ouvert du
norouest, qui bat dessus. Il y a quelques prairies, mais elles
sont innondées des eaues à toutes les fois que vient la plaine
mer, qui pert de prés de deux brasses & demie. Ce partage est
fort dangereux à passer pour la quantité de rochers qui sont au
travers de la riviere, bien qu'il y aye bon achenal, lequel est
fort tortu, où la riviere court comme un ras, & faut bien
prendre le temps à propos pour le passer. Ce lieu a tenu
beaucoup de gens en erreur, qui croyoient ne le pouvoir passer
que de plaine mer, pour n'y avoir aucun achenal: maintenant
nous avons trouvé le contraire: car pour descendre du haut en
bas, on le peut de basse mer: mais de monter, il seroit
mal-aisé, si ce n'estoit avec un grand vent, à cause du grand
courant d'eau, & faut par necessité attendre un tiers de flot
pour le passer, où il y a dedans le courant 6, 8, 10, 12, 15
brasses d'eau en l'achenal.
[Note 235: C'est-à-dire: «Pour faire les descouvertures du pays des
Yroquois.» (Voir 1613, fin du ch. VI, et commencement du ch. VII.)]
[Note 236: Le 18 juin. _(Ibid.)_]
Continuant nostre chemin, nous fusmes à une riviere qui est
147/803 fort agréable, distante du lieu de Saincte Croix de neuf
lieues, & de Québec 24 & l'avons nommée la riviere Saincte
Marie[237]. Toute ceste riviere depuis Saincte Croix est fort
plaisante & agréable.
[Note 237: Aujourd'hui la rivière Sainte-Anne, qui est à une vingtaine
de lieues de Québec.]
Continuant nostre routte, je fis rencontre de deux ou trois
cents Sauvages, qui estoient cabannez proche d'une petite isle
appellée S. Eloy[238], distante de Saincte Marie d'une lieue &
demie, & là les fusmes recognoistre, & trouvasmes que c'estoit
des nations de Sauvages appeliez Ochateguins & Algoumequins,
qui venoient à Québec, pour nous assister aux descouvertures du
pays des Hiroquois, contre lesquels ils ont guerre mortelle,
n'espargnant aucune chose qui soit à eux.
[Note 238: Cette île est située devant l'église de Batiscan. Mais il y a
apparence que le petit chenal qui la sépare de la côte nord, et qui
porte encore le nom de Saint-Éloi, s'est exhaussé depuis le temps de
Champlain.]
Après les avoir recognus, je fus à terre pour les voir, &
m'enquis qui estoit leur chef. Ils me dirent qu'il y en avoit
deux, l'un appellé Yroquet, & l'autre Ochasteguin, qu'ils me
monstrerent: & fus en leur cabane, où ils me firent bonne
réception, selon leur coustume. Je commençay à leur faire
entendre le sujet de mon voyage, dont ils furent fort resjouis,
& après plusieurs discours je me retiray. Quelque temps après
ils vindrent à ma chaloupe, où ils me firent present de quelque
pelleterie, en me monstrant plusieurs signes de resjouinance, &
de là s'en retournèrent à terre.
Le lendemain les deux chefs s'en vindrent me trouver, où ils
furent une espace de temps sans dire mot, en songeant &
148/804 petunant tousjours. Après avoir bien pensé, ils commencèrent à
haranguer hautement à tous leurs compagnons qui estoient sur
le bord du rivage avec leurs armes en la main, escoutans fort
ententivement ce que leurs chefs leur disoient, sçavoir, Qu'il
y avoit prés de dix lunes, ainsi qu'ils comptent, que le fils
d'Yroquet m'avoit veu, & que je luy avois fait bonne
réception, & desirions les assister contre leurs ennemis, avec
lesquels ils avoient dés long temps la guerre, pour beaucoup
de cruautez qu'ils avoient exercées contre leur nation, souz
prétexte d'amitié; & qu'ayans tousjours depuis desiré la
vengeance, ils avoient sollicité tous les Sauvages sur le bord
de la riviere de venir à nous, pour faire alliance avec nous,
& qu'ils n'avoient jamais veu de Chrestiens, ce qui les avoit
aussi meus de nous venir voir, & que d'eux & de leurs
compagnons j'en ferois tout ainsi que je voudrois. Qu'ils
n'avoient point d'enfans avec eux, mais gens qui sçavoient
faire la guerre, & pleins de courage, sçachans le pays & les
rivieres qui sont au pays des Hiroquois, & que maintenant ils
me prioient de retourner en nostre habitation, pour voir nos
maisons: que trois tours après nous retournerions à la guerre
tous ensemble: & que pour signe de grande amitié &
resjouissance je fisse tirer des mousquets & harquebuses, &
qu'ils seroient fort satisfaits: ce que je fia. Ils jetèrent de
grands cris avec estonnement, & principalement ceux qui jamais
n'en avoient ouy ny veus.
Après les avoir ouis, je leur fis response, que pour leur
plaire, je desirois bien m'en retourner à nostre habitation,
149/805 pour leur donner plus de contentement, & qu'ils pouvoient juger
que je n'avois autre intention que d'aller faire la guerre, ne
portant avec moy que dés armes, & non des marchandises pour
traicter, comme on leur avoit donné à entendre. Que mon desir
n'estoit que d'accomplir ce que je leur avois promis: & si
j'eusse sceu qu'on leur eust rapporté quelque chose de mal, que
je tenois ceux là pour ennemis plus que les leur mesme. Ils me
dirent qu'ils n'en croyoient rien, & que jamais ils n'en
avoient ouy parler, neantmoins c'estoit le contraire: car il y
avoit quelques Sauvages qui le dirent aux nostres. Je me
contentay, attendant l'occasion de leur pouvoir monstrer par
effect autre chose qu'ils n'eussent peu esperer de moy.
_Retour à Quebec, & depuis continuation avec les Sauvages
jusques au saut de la riviere des Hiroquois._
CHAPITRE VIII.
Le lendemain[239] nous partismes tous ensemble pour aller à
nostre habitation, où ils se resjouirent cinq ou six jours, qui
se passèrent en dances & festins, pour le desir qu'ils avoient
que nous fussions à la guerre.
[Note 239: Le 21 ou le 22 de juin 1609. (Voir 1613, ch. VIII et IV.)]
Le Pont vint aussi tost de Tadoussac avec deux petites barques
pleines d'hommes, suivant une lettre où je le priois de venir
le plus promptement qu'il luy seroit possible.
Les Sauvages le voyans arriver se resjouirent encores plus que
150/806 devant, d'autant que je leur dis qu'il me donnoit de ses gens
pour les assister, & que peut estre nous irions ensemble.
Le 28 du mois[240] je partis de Québec pour assister ces
Sauvages. Le premier Juin[241] arrivasmes à saincte Croix,
distant de Québec de 15 lieues, avec une chaloupe équipée de
tout ce qui m'estoit necessaire. Je partis de Saincte Croix le
3 de Juin[242] avec tous les Sauvages, & passasmes par les
trois rivieres, qui est un fort beau pays, remply de quantité
de beaux arbres. De ce lieu à Saincte Croix y a 15 lieues. A
l'entrée d'icelle riviere y a six isles, trois desquelles sont
fort petites, & les autres de 15 à 1600 pas de long, qui sont
fort plaisantes à voir: & proche du lac Sainct Pierre[243],
faisant environ deux lieues dans la riviere [244] y a un petit
sault d'eau, qui n'est pas beaucoup difficile à passer. Ce lieu
est par la hauteur de 46 degrez quelques minutes moins de
latitude. Les Sauvages du pays nous donnèrent à entendre, qu'à
quelques journées il y a un lac par où passe la riviere, qui a
dix journées, & puis on passe quelques saults, & après encore 3
ou 4 autres lacs de 5 ou 6 journées: & estans parvenus au bout,
ils font 4 ou 5 lieues par terre, & entrent derechef dans un
autre lac[245], où le Saguenay prend la meilleure part de sa
source. Les Sauvages viennent dudit lieu à Tadoussac. Les trois
rivieres vont 20[246] journées des Sauvages; & disent qu'au
151/807 bout d'icelle riviere il y a des peuples[247] qui sont grands
chasseurs, n'ayans de demeure arrestée, & qu'ils voyent la mer
du nort en moins de six journées. Ce peu de terre que j'ay veu
est sablonneuse, assez eslevée en costaux, chargée de quantité
de pins & sapins sur le bord de la riviere: mais entrant dans
la terre environ un quart de lieue, les bois y sont très-beaux
& clairs, & le pays uny.
[Note 240: Le 28 juin 1609.]
[Note 241: Le premier juillet. (Voir 1613, p. 184, note I.)]
[Note 242: Le 3 juillet.]
[Note 243: Voir 1613, p. 179, note 2.]
[Note 244: Dans le Saint-Maurice. (Voir 1603, p. 30, 31.)]
[Note 245: Le lac Saint-Jean.]
[Note 246: L'édition de 1613 porte: «40 journées.» Les sources du
Saint-Maurice sont à environ cent lieues des Trois-Rivières.]
[Note 247: Probablement les _Atticamègues_, ou Poissons-Blancs.]
Continuant nostre routte jusques à l'entrée du lac Sainct
Pierre, qui est un pays fort plaisant & uny, & traversant le
lac à 2, 3 & 4 brases d'eau, lequel peut contenir de long 8
lieues, & de large 4. Du costé du nort nous veismes une riviere
qui est fort agréable, qui va dans les terres 50 lieues, & l'ay
nommée saincte Suzanne[248]: & du costé du sud il y en a deux,
l'une appellée la riviere du Pont[249], & l'autre de Gennes
[250], qui sont très-belles, & en beau & bon pays. L'eau est
presque dormante dans le lac, qui est fort poissonneux. Du
costé du nort il paroist des terres à 12 ou 13 lieues du lac,
qui sont un peu montueuses. L'ayant traversé, nous passasmes
par un grand nombre d'isles[251], qui sont de plusieurs
grandeurs, où il y a quantité de noyers, & vignes, & de belles
prairies, avec force gibbier, & animaux sauvages, qui vont de
la grand terre ausdites isles. La pescherie du poisson y est
plus abondante qu'en aucun autre lieu de la riviere qu'eussions
152/808 veu. De ces isles fusmes à l'entrée de la riviere des
Hiroquois[252], où nous sejournasmes deux jours, & nous
rafraischismes de bonnes venaisons, oiseaux & poissons, que
nous donnoient les Sauvages, & où il s'esmeut entre eux quelque
différend sur le sujet de la guerre, qui fut occasion qu'il n'y
en eut qu'une partie qui se resolurent de venir avec moy, & les
autres s'en retournèrent en leur pays avec leurs femmes &
marchandises, qu'ils avoient traictées.
[Note 248: Aujourd'hui, la rivière du Loup.]
[Note 249: Aujourd'hui, la rivière de Nicolet. (Voir 1613, p. 180, note
2.)]
[Note 250: Probablement la rivière d'Yamaska.]
[Note 251: Les îles de Sorel.]
[Note 252: Cette rivière a porté, depuis, les noms de Richelieu, de
Sorel et de Chambly.]
Partant de cette entrée de riviere (qui a environ 4 à 500 pas
de large, & est fort belle, courant au sud) nous arrivasmes à
un lieu qui est par la hauteur de 45 degrez de latitude, à 22
ou 23 lieues des trois rivieres. Toute ceste riviere depuis son
entrée jusques au premier sault, où il y a 15 lieues, est fort
platte & environnée de bois, comme sont tous les autres lieux
cy-dessus nommez, & des mesmes especes. Il y a neuf ou dix
belles isles jusques au premier sault des Hiroquois, lesquelles
tiennent environ lieue, ou lieue & demie, remplies de quantité
de chesnes & noyers. La riviere tient en des endroits prés de
demie lieue de large, qui est fort poissonneuse. Nous ne
trouvasmes point moins de 4 pieds d'eau. L'entrée du sault est
une manière de lac[253] où l'eau descend, qui contient environ
trois lieues de circuit, & y a quelques prairies où il n'y
habite aucuns Sauvages, pour le sujet des guerres. Il y a fort
peu d'eau au sault, qui court d'une grande vistesse, & quantité
de rochers & cailloux, qui font que les Sauvages ne les peuvent
surmonter par eau: mais au retour ils les descendent fort bien.
153/809 Tout cedit pays est fort uny, remply de forests, vignes &
noyers. Aucuns Chrestiens n'estoient encores parvenus jusques
en cedit lieu, que nous, qui eusmes assez de peine à monter la
riviere à la rame.
[Note 253: Le bassin de Chambly.]
Aussi tost que je fus arrivé au sault, je prins 5 hommes[254],
& fusmes à terre voir si nous pourrions passer ce lieu, &
fismes environ lieue & demie sans en voir aucune apparence,
sinon une eau courante d'une grande impetuosité, où d'un costé
& d'autre y avoit quantité de pierres, qui sont fort
dangereuses, & avec peu d'eau. Le sault peut contenir 600 pas
de large. Et voyant qu'il estoit impossible couper les bois, &
faire un chemin avec si peu d'hommes que j'avois, je me resolus
avec le conseil d'un chacun, de faire autre chose que ce que
nous nous estions promis, d'autant que les Sauvages m'avoient
asseuré que les chemins estoient aisez: mais nous trouvasmes le
contraire, comme j'ay dit cy-dessus, qui fut l'occasion que
nous en retournasmes en nostre chaloupe, où j'avois laissé
quelques hommes pour la garder, & donner à entendre aux
Sauvages quand ils seroient arrivez, que nous estions allez
descouvrir le long dudit sault.
[Note 254: Dans l'édition de 1613, on lit: «Des Marais, la Routte & moy,
& cinq hommes fusmes à terre»...]
Après avoir veu ce que desirions de ce lieu, en nous en
retournant nous fismes rencontre de quelques Sauvages, qui
venoient pour descouvrir comme nous avions fait, qui nous
dirent que tous leurs compagnons estoient arrivez à nostre
chaloupe, où nous les trouvasmes fort contents & satisfaits de
154/810 ce que nous allions de la façon sans guide, sinon que par le
rapport de ce que plusieurs fois ils nous avoient fait.
Estant de retour, & voyant le peu d'apparence qu'il y avoit de
passer le sault avec nostre chaloupe, cela m'affligea, & me
donna beaucoup de desplaisir de m'en retourner sans avoir veu
un grand lac remply de belles isles, & quantité de beau pays,
qui borne le lac où habitent leurs ennemis, comme ils me
l'avoient figuré. Après avoir bien pensé en moy mesme, je me
resolus d'y aller pour accomplir ma promesse, & le desir que
j'avois, & m'embarquay avec les Sauvages dans leurs canaux, &
prins avec moy deux hommes de bonne volonté. Car quand ce fut à
bon escient que nos gens veirent que je me deliberay d'aller
avec leurs canaux, ils saignerent du nez, ce qui me les fit
renvoyer à Tadoussac[255].
[Note 255: Au lieu de cette dernière phrase, il y avait, dans l'édition
de 1613: «Après avoir proposé mon dessein à des Marais & autres de la
chalouppe, je priay ledit des Marais de s'en retourner en nostre
habitation avec le reste de nos gens, soubs l'esperance qu'en brief,
avec la grâce de Dieu, je les reverrois.»]
Aussi tost je fus parler aux Capitaines des Sauvages & leur
donnay à entendre comme ils nous avoient dit le contraire de ce
que j'avois veu au sault, sçavoir, qu'il estoit hors nostre
puissance d'y pouvoir passer avec la chaloupe, toutesfois que
cela ne m'empescheroit de les assister comme je leur avois
promis. Ceste nouvelle les attrista fort, & voulurent prendre
une autre revolution: mais je leur dis, & les y sollicitay,
qu'ils eussent à continuer leur premier dessein, & que moy
troisiesme, je m'en irois à la guerre avec eux dans leurs
canaux, pour leur monstrer que quant à moy je ne voulois
155/811 manquer de parole en leur endroit, bien que je fusse seul, &
que pour lors je ne voulois forcer personne de mes compagnons
de s'embarquer, sinon ceux qui en auroient la volonté, dont
j'en avois trouvé deux, que je menerois avec moy.
Ils furent fort contents de ce que je leur dis & d'entendre la
resolution que j'avois, me promettant toujours de me faire voir
choses belles.
_Partement du sault de la riviere des Hiroquois. Description
d'un grand lac. De la rencontre des ennemis que nous fismes
audit lac, & de la façon & conduite qu'ils usent en allant
attaquer les Hiroquois._
CHAPITRE IX.
Je partis dudit Sault de la riviere des Hiroquois le 2.
Juillet[256]. Tous les Sauvages commencèrent à apporter leurs
canaux, armes & bagage par terre environ demie lieue, pour
passer l'impetuosité & la force du sault, ce qui fut
promptement fait.
[Note 256: Probablement le 12 juillet. (Voir 1613, p. 184, note 1.)]
Aussi tost ils les mirent tous en l'eau, & deux hommes en
chacun, avec leur bagage, & firent aller un des hommes de
chasque canot par terre environ 1 lieue 1/2 que peut contenir
ledit sault, mais non si impétueux comme à l'entrée, sinon en
quelques endroits de rochers qui barrent la riviere, qui n'est
pas plus large de trois à quatre cents pas. Après que nous
eusmes passé le sault, qui ne fut sans peine, tous les Sauvages
qui estoient allez par terre, par un chemin assez beau & pays
156/812 uny, bien qu'il y aye quantité de bois, se rembarquèrent dans
leurs canaux. Les hommes que j'avois furent aussi par terre, &
moy par eau, dedans un canau. Ils firent reveue de tous leurs
gens, & se trouva 24 canaux, où il y avoit 60 hommes. Après
avoir fait leur reveue, nous continuasmes le chemin jusques à
une isle[257] qui tient trois lieues de long, remplie des plus
beaux pins que j'eusse jamais veu. Ils firent la chasse, & y
prindrent quelques bestes sauvages. Passant plus outre environ
trois lieues de là, nous y logeasmes pour prendre le repos la
nuict ensuivant.
[Note 257: L'ile Sainte-Thérèse.]
Incontinent un chacun d'eux commença l'un à couper du bois, les
autres à prendre des escorces d'arbre pour couvrir leurs
cabanes, pour se mettre à couvert: les autres à abbatre de gros
arbres pour se barricader sur le bord de la riviere autour de
leurs cabanes; ce qu'ils sçavent si proprement faire, qu'en
moins de deux heures cinq cents de leurs ennemis auroient bien
de la peine à les forcer, sans qu'ils en fissent beaucoup
mourir. Il ne barricadent point le costé de la riviere où sont
leurs canaux arrangez, pour s'embarquer si l'occasion le
requeroit.
Après qu'ils furent logez, ils envoyerent trois canaux avec
neuf bons hommes, comme est leur coustume, à tous leurs
logemens, pour descouvrir deux ou trois lieues s'ils
n'apperceuront rien, qui après se retirent. Toute la nuict ils
se reposent sur la descouverture des avant-coureurs, qui est
une tres-mauvaise coustume en eux: car quelquefois ils sont
157/813 surpris de leurs ennemis en dormant, qui les assomment, sans
qu'ils ayent le loisir de se mettre sur pieds pour se défendre.
Recognoissant cela, je leur remonstrois la faute qu'ils
faisoient, & qu'ils devoient veiller, comme ils nous avoient
veu faire toutes les nuicts, & avoir des hommes aux aguets,
pour escouter & voir s'ils n'appercevroient rien; & ne point
vivre de la façon comme bestes. Ils me dirent qu'ils ne
pouvoient veiller, & qu'ils travailloient assez de jour à la
chasse; d'autant que quand ils vont en guerre ils divisent
leurs troupes en trois, sçavoir, une partie pour la chasse
separée en plusieurs endroits: une autre pour faire le gros,
qui sont tousjours sur leurs armes: & l'autre partie en
avant-coureurs, pour descouvrir le long des rivieres, s'ils ne
verront point quelque marque ou signal par où ayent passé leurs
ennemis, ou leurs amis: ce qu'ils cognoissent par de certaines
marques que les Chefs se donnent d'une nation à l'autre, qui ne
sont tousjours semblables, s'advertissans de temps en temps
quand ils en changent; & par ce moyen ils recognoissent si ce
sont amis ou ennemis qui ont passé. Les chasseurs ne chassent
jamais de l'avant du gros, ny des avant-coureurs, pour ne
donner d'allarme ny de détordre, mais sur la retraite & du
costé qu'ils n'appréhendent leurs ennemis, & continuent ainsi
jusques à ce qu'ils soient à deux ou trois journées de leurs
ennemis, qu'ils vont de nuict à la desrobée, tous en corps,
horsmis les coureurs, & le jour se retirent dans le fort des
bois, où ils répètent, sans s'esgarer ny mener bruit, ni faire
aucun feu, afin de n'estre apperceus, si par fortune leurs
158/814 ennemis passoient, ny pour ce qui est de leur manger durant ce
temps. Ils ne font du feu que pour petuner; & mangent de la
farine de bled d'Inde cuite, qu'ils destrempent avec de l'eau,
comme bouillie. Ils conservent ces farines pour leur necessité,
& quand ils sont proches de leurs ennemis, où quand ils font
retraitte après leurs charges, ils ne s'amusent à chasser, se
retirant promptement.
A tous leurs logemens ils ont leur Pilotois, ou Ostemouy[258],
qui sont manières de gens qui font les devins, en qui ces
peuples ont croyance, lequel fait une cabanne entourée de
petits bois, & la couvre de sa robbe. Après qu'elle est faite,
il se met dedans en sorte qu'on ne le voit en aucune façon,
puis Comme ce prend un des piliers de sa cabanne, & la fait
bransler, marmotant certaines paroles entre ses dents, par
lesquelles il dit qu'il invoque le diable, & qu'il s'apparoist
à luy en forme de pierre, & luy dit s'ils trouveront leurs
ennemis, & s'ils en tueront beaucoup. Ce Pilotois est prosterné
en terre, sans remuer, ne faisant que parler au diable; puis
aussi tost se leve sur les pieds, en parlant & se tourmentant
d'une telle façon, qu'il est tout en eau, bien qu'il soit nud.
Tout le peuple est autour de la cabanne assis sur leur cul
comme des singes. Ils me disoient souvent que le branslement
que je voyois de la cabanne, estoit le diable qui la faisoit
mouvoir, & non celuy qui estoit dedans, bien que je veisse le
contraire: car c'estoit (comme j'ay dit cy-dessus) le Pilotois
159/815 qui prenoit un des bâtons de sa cabanne, & la faisoit ainsi
mouvoir. Ils me dirent aussi que je verrois sortir du feu par
le haut, ce que je ne veis point. Ces drosles contrefont aussi
leur voix grosse & claire, parlant en langage incogneu aux
autres Sauvages, & quand ils la representent cassée, ils
croyent que c'est le diable qui parle, & qui dit ce qui doit
arriver en leur guerre, & ce qu'il faut qu'ils facent.
Neantmoins tous ces garnimens que font les devins, de cent
paroles n'en disent pas deux véritables, & vont abusans ces
pauvres gens, comme il y en a assez parmy le monde, pour tirer
quelque denrée du peuple. Je leur remonstrois souvent que tout
ce qu'ils faisoient n'estoit que folie, & qu'ils ne devoient y
adjouster foy.
[Note 258: L'édition de 1613 porte: «Ostemoy.» Ce mot, que Lescarbot
écrit _Aoutmoin_, était employé par les Souriquois; le mot pilotais
paraît être d'origine basque. (Voir 1613, p. 187, note 1.)]
Or après qu'ils ont sceu de leurs devins ce qui leur doit
succeder, les Chefs prennent des bâtons de la longueur d'un
pied autant en nombre qu'ils sont, & signalent par d'autres un
peu plus grands, leurs Chefs: puis vont dans le bois, &
esplanadent une place de cinq ou six pieds en quarré, où le
chef, comme Sergent major, met par ordre tous ces bâtons comme
bon luy semble, puis appelle tous ses compagnons, qui viennent
tous armez, & leur monstre le rang & ordre qu'ils devront tenir
lors qu'ils se battront avec leurs ennemis: ce que tous ces
Sauvages regardent attentivement, remarquans la figure que leur
chef a faite avec ces bâtons, & aprés se retirent de là, &
commencent à se mettre en ordre, ainsi qu'ils ont veu lesdits
bâtons, puis se meslent les uns parmy les autres, & retournent
derechef en leur ordre, continu ans deux ou trois fois, & font
160/816 ainsi à tous leurs logemens, sans qu'il soit besoin de Sergent
pour leur faire tenir leurs rangs, qu'ils sçavent fort bien
garder, sans se mettre en confusion. Voila la règle qu'ils
tiennent à leur guerre.
Nous partismes le lendemain, continuant nostre chemin dans la
riviere jusques à l'entrée du lac. En icelle y a nombre de
belles isles, qui sont basses, remplies de très-beaux bois &
prairies, où il y a quantité de gibbier, & chasse d'animaux,
comme cerfs, daims, faons, chevreuls, ours, & autres sortes
d'animaux qui viennent de la grand'terre ausdites isles. Nous y
en prismes quantité. Il y a aussi grand nombre de castors tant
en la riviere qu'en plusieurs autres petites qui viennent
tomber dans icelle. Ces lieux ne sont habitez d'aucuns
Sauvages, bien qu'ils soient plaisans, pour le sujet de leurs
guerres, & se retirent des rivieres le plus qu'ils peuvent au
profond des terres; afin de n'estre si tost surpris.
Le lendemain entrasmes dans le lac, qui est de grande estendue,
comme de 50 ou 60 lieues[259], où j'y veis 4 belles isles[260],
contenans 10, 12 & 15 lieues de long, qui autrefois ont esté
habitées par les Sauvages, comme aussi la riviere des
Hiroquois: mais elles ont esté abandonnées depuis qu'ils ont eu
guerre les uns contre les autres: aussi y a-il plusieurs
rivieres qui viennent tomber dedans le lac, environnées de
nombre de beaux arbres, de mesmes especes que nous avons en
France, avec force vignes, plus belles qu'en aucun lieu que
161/817 j'eusse veu: force chastaigniers, & n'en avois encores point
veu que dessus le bord de ce lac, où il y a grande abondance
de poisson de plusieurs especes. Entre autres y en a un,
appellé des Sauvages du pays _chaoufarou_[261], qui est de
plusieurs longueurs: mais les plus grands contiennent, à ce
que m'ont dit ces peuples, huict à dix pieds. J'en ay veu qui
en contenoient 5 qui estoient de la grosseur de la cuisse, &
avoient la teste grosse comme les deux poings, avec un bec de
deux pieds & demy de long, & a double rang de dents fort aiguës
& dangereuses. Il a toute la forme du corps tirant au brochet,
mais il est armé d'escailles si fortes, qu'un coup de poignard
ne les sçauroit percer, & est de couleur de gris argenté. Il a
aussi l'extrémité du bec comme un cochon. Ce poisson fait la
guerre à tous les autres qui sont dans ces lacs & rivieres, & a
une industrie merveilleuse, à ce que m'ont asseuré ces peuples,
qui est, que quand il veut prendre quelques oiseaux, il va
dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac en
plusieurs endroits, & met le bec hors l'eau sans se bouger: de
façon que lors que les oiseaux viennent se reposer sur le bec,
pensans que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que
serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire par les
pieds souz l'eau. Les Sauvages m'en donnèrent une teste, dont
ils font grand estat, disans que lors qu'ils ont mal à la
teste, ils se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit
de la douleur, qui se passe soudain.
[Note 259: L'auteur, en 1632, avait acquis des idées plus exactes sur
l'étendue du lac Champlain, qu'il n'en avait lors de sa première
expédition. Aussi, au lieu de «80 ou 100 lieues,» comme il avait dit en
1613, il ne met ici que «50 ou 60»: ce qui cependant est encore un peu
trop fort, car le lac Champlain n'a que trente et quelques lieues de
long.]
[Note 260: Voir 1613, p. 189, note 2.]
[Note 261: Voir 1613, p. 190, note 1.]
Continuant nostre routte dans ce lac du costé de l'Occident,
162/818 considerant le pays, je veis du costé de l'Orient de fort
hautes montagnes, où sur le sommet y avoit de la nege. Je
m'enquis aux Sauvages si ces lieux estoient habitez: ils me
respondirent qu'ouy, & que c'estoient Hiroquois[262], & qu'en
ces lieux y avoit de belles vallées, & campagnes fertiles en
bleds, comme j'en ay mangé aud. pays, avec infinité d'autres
fruicts; & que le lac alloit proche des montagnes, qui
pouvoient estre esloignées de nous, à mon jugement, de 15
lieues. J'en veis au midy d'autres qui n'estoient moins hautes
que les premières, horsmis qu'il n'y avoit point de nege. Les
Sauvages me dirent que c'estoit où nous devions aller trouver
leurs ennemis, & qu'elles estoient for peuplées, & qu'il
falloit passer par un sault d'eau que je veis depuis, & de là
entrer dans un autre lac[263] qui contient trois à quatre
lieues de long, & qu'estans parvenus au bout d'iceluy, il
falloit faire 4 lieues[264] de chemin par terre, & passer une
riviere, qui va tomber en la coste des Almouchiquois, tenant à
celle des Almouchiquois[265], & qu'ils n'estoient que deux
jours à y aller avec leurs canaux, comme je l'ay sceu depuis
par quelques prisonniers que nous prismes, qui me discoururent
fort particulièrement de tout ce qu'ils en avoient recogneu,
par le moyen de quelques truchemens Algoumequins, qui sçavoient
la langue des Hiroquois[266].
[Note 262: Voir 1613, p. 191, note 1.]
[Note 263: Le lac Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George, qui a une
dizaine de lieues de long. C'est aussi la longueur que lui donne
Champlain, en 1613.]
[Note 264: L'édition de 1613 porte: «quelques deux lieues.»]
[Note 265: En comparant ce passage avec le texte de 1613, qui lui-même
est fautif en cet endroit, on peut juger que l'auteur a voulu mettre:
«passer une rivière (l'Hudson), qui va tomber en la côte des
Almouchiquois, tenant à celle de Norembègue.»]
[Note 266: L'auteur s'exprimait ainsi dès 1613.]
163/819 Or comme nous commençasmes à approcher à deux ou trois journées
de la demeure de leurs ennemis, nous n'allions plus que la
nuict, & le jour nous nous reposions, neantmoins ne laissoient
tousjours de faire leurs superstitions accoustumées, pour
sçavoir ce qui leur pourroit succeder de leurs entreprises, &
souvent me venoient demander si j'avois songé, & avois veu
leurs ennemis. Je leur respondois que non, & leur donnois
courage, & bonne esperance. La nuict venue, nous nous mismes en
chemin jusques au lendemain, où nous nous retirasmes dans le
fort du bois, pour y passer le reste du jour. Sur les dix ou
onze heures, après m'estre quelque peu proumené autour de
nostre logement, je me fus reposer, & en dormant, je songeay
que je voyois les Hiroquois nos ennemis dedans le lac, proche
d'une montagne, qui se noyoient à nostre veue; & les voulant
secourir, nos Sauvages alliez me disoient qu'il les falloit
tous laisser mourir, & qu'ils ne valloient rien. Estant
esveillé, ils ne faillirent comme à l'accoustumée, de me
demander si j'avois songé quelque chose. Je leur dis en effect
ce que j'avois songé. Cela leur apporta une telle croyance,
qu'ils ne doutèrent plus de ce qui leur devoit advenir pour
leur bien.
Le soir estant venu, nous nous embarquasmes en nos canaux pour
continuer nostre chemin: & comme nous allions fort doucement, &
sans mener bruit, le vingt-neufiesme du mois[267] nous fismes
164/820 rencontre des Hiroquois sur les dix heures du soir au bout
d'un cap[268] qui advance dans le lac du costé de l'Occident,
lesquels venoient à la guerre. Eux & nous commençasmes à jetter
de grands cris, chacun se parant de ses armes. Nous nous
retirasmes vers l'eau, & les Hiroquois mirent pied à terre, &
arrangèrent tous leurs canaux les uns contre les autres, &
commencerent à abbatre du bois avec de meschantes haches qu'ils
gaignent quelquefois à la guerre, & d'autres de pierre, & se
barricadèrent fort bien.
[Note 267: Le 29 juillet 1609.]
[Note 268: Probablement la pointe Saint-Frédéric _(Crown Point)_.]
Aussi les nostres tindrent toute la nuict leurs canaux arrangez
les uns contre les autres attachez à des perches pour ne
s'esgarer, & combattre tous ensemble s'il en estoit de besoin;
& estions à la portée d'une flesche vers l'eau du costé de
leurs barricades. Comme ils furent armez & mis en ordre, ils
envoyerent deux canaux separez de la troupe, pour sçavoir de
leurs ennemis s'ils vouloient combatre, lesquels respondirent
qu'ils ne desiroient autre chose: mais que pour l'heure, il n'y
avoit pas beaucoup d'apparence, & qu'il falloit attendre le
jour pour se cognoistre, & qu'aussi tost que le Soleil se
leveroit, ils nous livreroient le combat: ce qui fut accordé
par les nostres; & en attendant toute la nuict se passa en
dances & chansons, tant d'un costé que d'autre, avec une
infinité d'injures, & autres propos, comme, du peu de courage
qu'ils avoient, avec le peu d'effect & resistance contre leurs
armes, & que le jour venant, ils le sentiroient à leur ruine.
Les nostres aussi ne manquoient de repartie, leur disant qu'ils
verroient des effects d'armes que jamais ils n'avoient veus; &
165/821 tout plein d'autres discours, comme on a accoustumé à un siege
de ville. Après avoir bien chanté, dancé & parlementé les uns
aux autres, le jour venu, mes compagnons & moy estions
tousjours couverts, de peur que les ennemis ne nous veissent,
preparans nos armes le mieux qu'il nous estoit possible, estans
toutesfois separez, chacun en un des canaux des Sauvages
montagnars. Après que nous fusmes armez d'armes légères, nous
prismes chacun une harquebuse, & descendismes à terre. Je vey
sortir les ennemis de leur barricade, qui estoient prés de 200
hommes fort & robustes à les voir, qui venoient au petit pas au
devant de nous, avec une gravité & asseurance, qui me contenta
fort, à la teste desquels y avoit trois chefs. Les nostres
aussi alloient en mesme ordre, & me dirent que ceux qui avoient
trois grands pennaches estoient les chefs, & qu'il n'y en avoit
que ces trois, & qu'on les recognoissoit à ces plumes qui
estoient beaucoup plus grandes que celles de leurs compagnons,
& que je fisse ce que je pourrois pour les tuer. Je leur promis
de faire ce qui seroit de ma puissance, & que j'estois bien
fasché qu'ils ne me pouvoient bien entendre, pour leur donner
l'ordre & façon d'attaquer leurs ennemis, & qu'indubitablement
nous les desferions tous, mais qu'il n'y avoit remède: que
j'estois tres-aise de leur donner courage, & leur monstrer la
bonne volonté qui estoit en moy, quand serions au combat.
Aussi tost que fusmes à terre ils commencèrent à courir environ
deux cents pas vers leurs ennemis qui estoient de pied ferme, &
n'avoient encores apperceu mes compagnons, qui s'en allèrent
166/822 dans les bois avec quelques Sauvages. Les nostres commencerent
à m'appeller à grands cris; & pour me donner passage ils
s'ouvrirent en deux, & me mis à la teste, marchant environ 20
pas devant, jusqu'à ce que je fusse à 30 pas des ennemis, où
aussi tost ils m'apperceurent, & firent alte en me contemplant,
& moy eux. Comme je les veis esbranler pour tirer sur nous, je
couchay mon harquebuse en joue, & visay droit à un des trois
chefs, duquel coup il en tomba deux par terre, & un de leurs
compagnons qui fut blessé, qui quelque temps après en mourut.
J'avois mis 4 balles dedans mon harquebuse. Les nostres ayans
veu ce coup si favorable pour eux, ils commencèrent à jetter de
si grands cris, qu'on n'eust pas ouy tonner; & cependant les
flesches ne manquoient de part ne d'autre. Les Hiroquois furent
fort estonnez, que si promptement deux hommes avoient esté
tuez, bien qu'ils fussent armez d'armes tissues de fil de
cotton, & de bois, à l'espreuve de leurs flesches; ce qui leur
donna une grande apprehension. Comme je rechargeois, l'un de
mes compagnons tira un coup de dedans le bois, qui les estonna
derechef de telle façon, voyans leurs chefs morts, qu'ils
perdirent courage, se mirent en fuitte, & abandonnèrent le
champ, & leur fort, s'enfuyans dedans le profond des bois, où
les poursuivant, j'en fis demeurer encores d'autres. Nos
Sauvages en tuèrent aussi plusieurs, & en prindrent dix ou
douze prisonniers. Le reste se sauva avec les blessez. Il y en
eut des nostres quinze ou seize de blessez de coups de
flesches, qui furent promptement guéris.
Après que nous eusmes eu la victoire, ils s'amuserent à prendre
167/823 force bled d'Inde, & les farines des ennemis, & aussi leurs
armes, qu'ils avoient laissées pour mieux courir. Et ayans fait
bonne chère, dancé & chanté, trois heures après nous en
retournasmes avec les prisonniers.
Ce lieu où se fit ceste charge est par les 43 degrez & quelques
minutes de latitude, & je nommay le lac de Champlain.
_Retour de la rencontre, & ce qui se passa par le chemin._
CHAPITRE X.
Aprés avoir cheminé huict lieues, sur le soir ils prindrent un
des prisonniers, à qui ils firent une harangue des cruautez que
luy & les tiens avoient exercées en leur endroit, sans avoir eu
aucun égard, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en
recevoir autant, & luy commandèrent de chanter, s'il avoit du
courage; ce qu'il fit, mais avec un chant fort triste à ouir.
Cependant les nostres allumèrent un feu, & comme il fut bien
embrazé, ils prindrent chacun un tizon, & faisoient brusler ce
pauvre miserable peu à peu pour luy faire souffrir plus de
tourmens. Ils le laissoient quelquefois, luy jettant de l'eau
sur le dos, puis luy arrachèrent les ongles, & luy mirent du
feu sur les extremitez des doigts, & de son membre. Après ils
luy escorcherent le haut de la teste, & luy firent dégoutter
dessus certaine gomme toute chaude: puis luy percèrent les bras
prés des poignets, & avec des bâtons tiroient les nerfs, & les
arrachoient à force: & comme ils voyoient qu'ils ne les
168/824 pouvoient r'avoir, ils les coupoient. Ce pauvre miserable
jettoit des cris estranges, & me faisoit pitié de le voir
traitter de la façon; toutesfois il estoit si constant, qu'on
eust dit qu'il ne sentoit par fois aucune douleur. Ils me
sollicitoient fort de prendre du feu, pour faire comme eux:
mais je leur remonstrois que nous n'usions point de ces
cruautez, & que nous les faisions mourir tout d'un coup, & que
s'ils vouloient que je luy donnasse un coup d'harquebuze, j'en
serois content. Ils dirent que non, & qu'il ne sentiroit point
de mal. Je m'en allay d'avec eux comme fasché de voir tant de
cruautez qu'ils exercoient sur ce corps. Comme ils veirent que
je n'en estois content, ils m'appellerent, & me dirent que je
luy donnasse un coup d'harquebuse: ce que je fis, sans qu'il en
veist rien. Après qu'il fut mort, ils ne se contentèrent pas:
car ils luy ouvrirent le ventre, & jetterent ses entrailles
dedans le lac, puis luy coupèrent la teste, les bras, & les
jambes, qu'ils separerent d'un costé & d'autre, & reserverent
la peau de la teste, qu'ils avoient escorchée, comme ils
avoient fait de tous les autres qu'ils avoient tuez à la
charge.
Ils firent encores une autre meschanceté, qui fut, de prendre
le coeur, qu'ils coupèrent en plusieurs pieces & le donnerent à
manger à un sien frere, & autres de ses compagnons qui estoient
prisonniers, lesquels en mirent en leur bouche, mais ils ne le
voulurent avaler. Quelques Sauvages Algoumequins qui les
avoient en garde, le firent recracher à aucuns, & le jetterent
dans l'eau. Voila comme ces peuples traittent ceux qu'ils
169/825 prennent en guerre, & vaudroit mieux pour eux mourir en
combatant, ou se faire tuer à la chaude, comme il y en a
beaucoup qui font, plustost que de tomber entre les mains de
leurs ennemis. Après ceste exécution faite, nous nous mismes en
chemin pour nous en retourner avec le reste des prisonniers,
qui alloient toujours chantans, sans autre esperance d'estre
mieux traittez que l'autre. Estans aux sauts de la riviere des
Hiroquois les Algoumequins s'en retournèrent en leur pays, &
aussi les Ochatequins[269], avec une partie des prisonniers,
fort contents de ce qui s'estoit passe en la guerre, & de ce
que librement j'estois allé avec eux. Nous nous departismes
donc les uns des autres avec de grandes protestations d'amitié,
& me dirent si je ne desirois pas aller en leur pays, pour les
assister tousjours comme frere: je le leur promis, & m'en
revins avec les Montagnets.
[Note 269: Ochateguins; c'étaient des hurons, dont le chef s'appelait
Ochateguin.]
Après m'estre informé des prisonniers de leurs païs, & de ce
qu'il pouvoit y en avoir, nous ployasmes bagage pour nous en
revenir: ce que fismes avec telle diligence, que chacun jour
nous faisions 25 & 30 lieues dans leurs canaux, qui est
l'ordinaire. Comme nous fusmes à l'entrée de la riviere des
Hiroquois, il y eut quelques Sauvages qui songèrent que leurs
ennemis les poursuivoient. Ce songe leur fit aussi tost lever
le siege, encores que ceste nuict fust fort mauvaise, à cause
des vents & de la pluye qu'il faisoit, & furent passer la nuict
dedans de grands roseaux, qui sont dans le lac Sainct Pierre,
jusqu'au lendemain. Deux tours après arrivasmes à nostre
170/826 habitation, où je leur fis donner du pain, des pois, & des
patenostres, qu'ils me demanderent pour parer la teste de leurs
ennemis, pour faire des resjouissances à leur arrivée. Le
lendemain je fus avec eux dans leurs canaux à Tadoussac, pour
voir leurs cérémonies. Approchans de la terre, ils prindrent
chacun un bâton, où au bout estoient pendues les testes de
leurs ennemis, avec ces patenostres, chantans les uns & les
autres. Comme ils en furent prés, les femmes se despouillerent
toutes nues, & se jetterent en l'eau, allans au devant des
canaux pour prendre ces testes, pour après les pendre à leur
col, comme une chaisne precieuse. Quelques tours après ils me
firent present d'une de ces testes, & d'une paire d'armes de
leurs ennemis, pour les conserver, afin de les monstrer au Roy:
ce que je leur promis, pour leur faire plaisir[270].
[Note 270: Ici, l'édition de 1613 renferme quelques détails de plus, sur
ce qui se passa dans l'automne de 1609 et au printemps de 1610. (Voir
1613, p. 200-211.)]
_Desfaite des Hiroquois prés de l'emboucheure de ladite riviere
des Hiroquois._
CHAPITRE XI.
L'an 1610[271] estant allé dans une barque & quelques hommes de
Québec à l'entrée de la riviere des Hiroquois, attendre 400
Sauvages qui devoient me venir trouver pour les assister en une
autre guerre qui se presenta plus proche que nous ne pensions,
un Sauvage Algomequin avec son canot vint en diligence advertir
171/827 que les Algoumequins avoient fait rencontre des Hiroquois, qui
estoient au nombre de cent, & qu'ils estoient fort bien
barricadez, & qu'il seroit mal aisé de les emporter, si les
Misthigosches ne venoient promptement, (ainsi nous
appellent-ils).
[Note 271: Champlain partit de Québec le 14 juin, et arriva le 19, «à
une isle devant ladite riviere des Yroquois.» (Voir 1613, p. 210, 211.)]
Aussi tost l'allarme commença parmy quelques Sauvages, & chacun
se mit en son canot avec ses armes. Ils furent promptement en
estat, mais avec confusion; car ils se precipitoient si fort,
qu'au lieu d'advancer ils se retardoient. Ils vindrent à nostre
barque, me prians d'aller avec eux dans leurs canaux, & mes
compagnons aussi, & me presserent si fort, que je m'y embarquay
moy cinquiesme. Je priay la Routte, qui estoit nostre pilote,
de demeurer en la barque, & m'envoyer encores 4 ou 5 de mes
compagnons.
Ayant fait environ demie lieue en traversant la riviere[272],
tous les Sauvages mirent pied à terre, & abandonnans leurs
canaux prindrent leurs rondaches, arcs, flesches, massues, &
espées, qu'ils emmanchent au bout de grands bâtons, &
commencèrent à prendre leur course dans les bois de telle
façon, que nous les eusmes bien tost perdus de veue, & nous
laisserent 5 que nous estions sans guide: neantmoins nous les
suivismes tousjours. Comme nous eusmes cheminé environ demie
lieue par l'espois des bois, dans des pallus & marescages,
tousjours l'eau jusques aux genoux, armez chacun d'un corcelet
de piquier, qui nous importunoit beaucoup, & aussi la quantité
des mousquites qui estoient si espoisses qu'elles ne nous
172/828 permettoient point presque de reprendre nostre baleine, tant
elles nous persecutoient, & si cruellement, que c'estoit chose
estrange, & ne sçavions où nous estions sans deux Sauvages que
nous apperceusmes traversans le bois lesquels nous appellasmes,
& leur dy qu'il estoit necessaire qu'ils fussent avec nous pour
nous guider & conduire où estoient les Hiroquois, &
qu'autrement nous n'y pourrions aller, & nous esgarerions; ce
qu'ils firent. Ayans un peu cheminé, nous apperceusmes un
Sauvage qui venoit en diligence nous chercher, pour nous faire
advancer le plus promptement qu'il seroit possible, lequel me
fit entendre que les Algoumequins & Montagnets avoient voulu
forcer la barricade des Hiroquois, & qu'ils avoient esté
repoussez, & les meilleurs hommes des Montagnets tuez, &
plusieurs autres blessez. Qu'ils s'estoient retirez en nous
attendant, & que leur esperance estoit du tout en nous. Nous
n'eusmes pas fait demy quart de lieue avec ce Sauvage, qui
estoit capitaine Algoumequin, que nous entendions les
heurlemens & cris des uns & des autres, qui s'entre-disoient
des injures, escarmouchans tousjours légèrement en nous
attendant. Aussi tost que les Sauvages nous apperceurent, ils
commencèrent à s'escrier de telle façon, qu'on n'eust pas
entendu tonner. Je donnay charge à mes compagnons de me suivre
tousjours, & ne m'escarter point. Je m'approchay de la
barricade des ennemis pour la recognoistre. Elle estoit faite
de puissans arbres arrangez les uns sur les autres en rond, qui
173/829 est la forme ordinaire de leurs forteresses[273]. Tous les
Montagnets & Algoumequins s'approchèrent aussi de lad.
barricade. Lors nous commençasmes à tirer force coups
d'harquebuze à travers les fueillards, d'autant que nous ne les
pouvions voir comme eux nous. Je fus blessée en tirant le
premier coup sur le bord de leur barricade, d'un coup de
flesche qui me fendit le bout de l'oreille, & entra dans le
col. Je la prins, & l'arrachay: elle estoit ferrée par le bout
d'une pierre bien aiguë. Un autre de mes compagnons en mesme
temps fut aussi blessé au bras d'une autre flesche, que je luy
arrachay. Neantmoins ma blesseure ne m'empescha de faire le
devoir, & nos Sauvages aussi de leur part, & pareillement les
ennemis, tellement qu'on voyoit voler les flesches de part &
d'autre menu comme gresle. Les Hiroquois s'estonnoient du bruit
de nos harquebuzes, & principalement de ce que les balles
perçoient mieux que leurs flesches; & eurent tellement
l'espouvente de l'effect qu'elles faisoient, voyans plusieurs
de leurs compagnons tombez morts, & blessez, que de crainte
qu'ils avoient, croyans ces coups estre sans remède, ils se
jettoient par terre quand ils entendoient le bruit, aussi ne
tirions nous gueres à faute, & deux ou trois balles à chacun
coup, & avions la plus-part du temps nos harquebuzes appuyées
sur le bord de leur barricade. Comme je veis que nos munitions
commençoient à manquer, je dis à tous les Sauvages qu'il les
falloit emporter de force, & rompre leurs barricades, & pour ce
faire, prendre leurs rondaches & s'en couvrir, & ainsi s'en
174/830 approcher de si prés, que l'on peust lier de bonnes cordes aux
pilliers qui les soustenoient, & à force de bras tirer
tellement qu'on les renversast, & par ce moyen y faire
ouverture suffisante pour entrer dedans leur fort, & que
cependant nous à coups d'harquebuzes repousserions les ennemis
qui viendroient se presenter pour ses en empescher, & aussi
qu'ils eussent à se mettre quelque quantité après de grands
arbres qui estoient proches de ladite barricade, afin de les
renverser dessus pour les accabler. Que d'autres couvriroient
de leurs rondaches, pour empescher que les ennemis ne les
endommageassent, ce qu'ils firent fort promptement. Et comme
on estoit en train de parachever, la barque qui estoit à une
lieue & demie de nous, nous entendoient batre par l'écho de
nos harquebuzades qui retentissoit jusques à eux, qui fit qu'un
jeune homme de Sainct Malo, plein de courage, appellé des
Prairies, qui avoit sa barque prés de nous pour la traitte de
pelleterie, dit à tous ceux qui restoient, que c'estoit une
grande honte à eux de me voir battre de la façon avec des
Sauvages, sans qu'ils me vinssent secourir, & que pour luy il
avoit trop l'honneur en recommandation, & ne vouloit point
qu'on luy peust faire ce reproche: & sur cela délibéra de me
venir trouver dans une chaloupe avec quelques siens compagnons,
& des miens, qu'il amena avec luy.
[Note 272: C'est-à-dire, le fleuve. (Voir 1613, p. 21l et 212, où il y a
quelques détails de plus.)]
[Note 273: En comparant le dessin que l'auteur nous a conservé de cette
bataille de 1610, dans l'édition de 1613, avec les diverses
circonstances du récit, on doit conclure que la barricade des Iroquois
était à environ une lieue de l'embouchure du Richelieu, et du côté de
Contrecoeur, comme l'indique assez la position de la chaloupe du sieur
des Prairies; car il est évident qu'elle ne dut pas remonter au-delà de
la barricade.]
Aussi tost qu'il fust arrivé, il alla vers le fort des
Hiroquois, qui estoit sur le bord de la riviere, où il mit pied
à terre, & me vint chercher. Comme je le veis, je fis cesser
175/831 nos Sauvages qui rompoient la forteresse, afin que les nouveaux
venus eussent leur part du plaisir. Je priay le sieur des
Prairies & ses compagnons de taire quelques salves
d'harquebuzades, auparavant que nos Sauvages les emportassent
de force, comme ils avoient délibéré: ce qu'ils firent, &
tirèrent plusieurs coups, où chacun se comporta selon son
devoir. Après avoir assez tiré, je m'addresse à nos Sauvages, &
les incitay de parachever. Aussi tost s'approchans de ladite
barricade, comme ils avoient fait auparavant, & nous à leurs
aisles, pour tirer sur ceux qui les voudroient empescher de la
rompre, ils se comportèrent si bien & si vertueusement, qu'à la
faveur de nos harquebuzades ils y firent ouverture, neantmoins
difficile à passer, car il y avoit encores la hauteur d'un
homme pour entrer dedans, & des branchages d'arbres abbatus,
qui nuisoient fort: toutesfois quand je veis l'entrée assez
raisonnable, je dis qu'on ne tirast plus: ce qui fut fait. Au
mesme instant vingt ou trente, tant des Sauvages, que de nous
autres, entrasmes dedans l'espée à la main, sans trouver gueres
de resistance. Aussi tost ce qui restoit sain commença à
prendre la fuitte, mais ils n'alloient pas loin, car ils
estoient défaits par ceux qui estoient à l'entour de ladite
barricade, & ceux qui eschaperent se noyèrent dans la riviere.
Nous prismes 15 prisonniers, & le reste fut tué à coups
d'harquebuzes, de flesches, & d'espées. Quand ce fut fait, il
vint une autre chaloupe, & quelques uns de nos compagnons
dedans, qui fut trop tard, toutesfois assez à temps pour la
despouille du butin, qui n'estoit pas grand'chose: car il n'y
176/832 avoit que des robbes de castor, des morts pleins de sang, que
les Sauvages ne vouloient prendre la peine de despouiller, & se
moquoient de ceux qui le faisoient, qui furent ceux de la
dernière chaloupe. Ayans obtenu la victoire, par la grâce de
Dieu, ils nous donnèrent beaucoup de louange. Ces Sauvages
escorcherent les testes de leurs ennemis morts, ainsi qu'ils ont
accoustumé de faire pour trophée de leur victoire, & les
emportèrent. Ils s'en retournèrent avec 50 blessez des leurs, &
3 morts desdits Montagnets & Algoumequins, en chantant, & leurs
prisonniers avec eux. Ils pendirent ces testes à des bâtons
devant leurs canaux, & un corps mort coupé par quartiers, pour
le manger par vengeance, à ce qu'ils disoient, & vindrent en
ceste façon jusques où estoient nos barques, au devant de
ladite riviere des Hiroquois.
Mes compagnons & moy nous embarquasmes dans une chaloupe, où je
me fis penser de ma blesseure. Je demanday aux Sauvages un
prisonnier Hiroquois, lequel ils me donnèrent. Je le delivray
de plusieurs tourments qu'il eust soufferts, comme ils firent à
ses compagnons, ausquels ils arrachèrent les ongles, puis leur
coupèrent les doigts, & les bruslerent en plusieurs endroits.
Cedit jour ils en firent mourir trois de la façon. Ils en
amenèrent d'autres sur le bord de l'eau, & les attachèrent tous
droits à un bâton, puis chacun venant avec u flambeau d'escorce
de bouleau, les brusloient tantost sur une partie, tantost sur
l'autre; & ces pauvres miserables sentans ce feu, jettoient des
cris si hauts, que c'estoit chose estrange à ouir. Après les
avoir bien fait languir de la façon, ils prenoient de l'eau, &
177/833 leur versoient sur le corps, pour les faire languir davantage;
puis leur remettoient derechef le feu de telle façon, que la
peau tomboit de leurs corps, & continuoient avec grands cris &
exclamations, dançans jusques à ce que ces pauvres malheureux
tombassent morts sur la place.
Aussi tost qu'il tomboit un corps mort à terre, ils frapoient
dessus à grands coups de bâton, puis luy coupoient les bras &
les jambes, & autres parties d'iceluy, & n'estoit tenu pour
homme de bien entr'eux, celuy qui ne coupoit un morceau de sa
chair, & ne la donnoit aux chiens. Neantmoins ils endurent tous
ces tourments si constamment, que ceux qui les voyent en
demeurent tout estonnez.
Quant aux autres prisonniers qui resterent, tant aux
Algoumequins, que Montagnets, ils furent conservez pour les
faire mourir, par les mains de leurs femmes & filles, qui en
cela ne se monstrent pas moins inhumaines que les hommes, & les
surpassent encores en cruauté: car par leur subtilité elles
inventent des supplices plus cruels, & prennent plaisir de leur
faire ainsi finir leur vie.
Le lendemain arriva le Capitaine Yroquet, & un autre
Ochategin[274], qui avoient 80 hommes, & estoient bien faschez
de ne s'estre trouvez à la défaite. En toutes ces nations il y
avoit bien prés de 200 hommes, qui n'avoient jamais veu de
Chrestiens qu'alors, dont ils firent de grandes admirations.
[Note 274: Ochateguin.]
Nous fusmes trois jours ensemble à une isle[275] le travers de
178/834 la riviere des Hiroquois, puis chacune nation s'en retourna en
son pays. J'avois un jeune garçon[276], qui avoit hyverné deux
ans à Québec, lequel avoit desir d'aller avec les Algoumequins,
pour apprendre la langue, cognoistre leur pays, voir le grand
lac, remarquer les rivieres, & quels peuples y habitent:
ensemble descouvrir les mines, & choses plus rares de ces
lieux, afin qu'à son retour il nous peust donner cognoissance
de toutes ces choses. Je luy demanday s'il l'avoit agréable,
car de l'y forcer capitaine ce n'estoit ma volonté. Je fus
trouver le Capitaine Yroquet, qui m'estoit fort affectionné,
auquel je demanday s'il vouloit emmener ce jeune garçon avec
luy en son pays pour y hyverner, & le ramener au printemps. Il
me promit le faire, & le tenir comme son fils. Il le dit aux
Algoumequins, qui n'en furent pas trop contents, pour la
crainte qu'il ne luy arrivast quelque accident[277].
[Note 275: Vraisemblablement l'île de Saint-Ignace. (Voir 1613, p. 219,
note 1.)]
[Note 276: Ce jeune garçon était, ce semble, Étienne Brûlé; car on lit,
dans l'édition de 1619: «Or y avoit-il avec eux un appellé Estienne
Brûlé, l'un de nos truchemens, qui s'estoit adonné avec eux depuis 8
ans, tant pour passer son temps, que pour voir le pays, & apprendre leur
langue & façon de vivre»... (1619, p. 133.)]
[Note 277: L'édition de 1613 renferme ici quelques détails de plus sur
cet échange d'un jeune français, que nous croyons être Étienne Brûlé,
pour un jeune sauvage, (p. 220, 221, 222.)]
Leur ayant remonstré le desir que j'en avois, ils me dirent:
Que puis que j'avois ce desir, qu'ils l'emmeneroient, & le
tiendroient comme leur enfant; m'obligeant aussi de prendre un
jeune homme[278] en sa place, pour mener en France, afin de
leur rapporter ce qu'il y auroit veu. Je l'acceptay volontiers,
& en fut fort aise. Il estoit de la nation des Ochateguins dits
Hurons[279]. Cela donna plus de sujet de mieux traitter mon
179/835 garçon, lequel j'equipay de ce qui luy estoit necessaire, &
promismes les uns aux autres de nous revoir à la fin de Juin.
[Note 278: Savignon, dont il est parlé en plusieurs endroits de
l'édition 1613, et surtout dans, le Troisième Voyage.]
[Note 279: Voir ci-dessus, p. 144.]
Quelques jours après ce prisonnier Hiroquois que je faisois
garder, par la trop grande liberté que je luy donnois, s'enfuit
& se sauva, pour la crainte & appréhension qu'il avoit,
nonobstant les asseurances que luy donnoit une femme de sa
nation, que nous avions en nostre habitation[280].
[Note 280: Dans l'édition de 1613, on trouve, à la fin de ce chapitre,
plusieurs autres détails importants sur ce qui se passa jusqu'au retour
des vaisseaux en 1610, et l'on y voit en même temps pourquoi l'auteur
place ici la description de la pêche à la baleine, qui occupe le
chapitre suivant. (Voir 1613, p. 222-226.)]
_Description de la pesche des Baleines en la nouvelle France._
CHAPITRE XII.
Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire icy une petite
description de la pesche des Baleines que plusieurs n'ont veue
& croyent qu'elles se prennent à coups de canon, d'autant qu'il
y a de si impudents menteurs qui l'afferment à ceux qui n'en
sçavent rien. Plusieurs me l'ont soustenu obstinément sur ces
faux rapports.
Ceux donc qui sont plus adroits à ceste pesche sont les
Basques, lesquels pour ce faire mettent leurs vaisseaux en un
port de seureté, où proche de là ils jugent y avoir quantité de
Baleines, & équipent plusieurs chaloupes garnies de bons hommes
& haussieres, qui sont petites cordes faites du meilleur
chanvre qui se peut recouvrer, ayant de longueur pour le moins
cent cinquante brasses, & ont force pertuisanes longues de
180/836 demie pique, qui ont le fer large de six poulces, d'autres
d'un pied & demy, & deux de long, bien trenchantes. Ils ont en
chacune chaloupe un harponneur, qui est un homme des plus
dispos & adroits d'entre eux, aussi tire-t'il les plus grands
salaires après les maistres, d'autant que c'est l'office le
plus hazardeux. Ladite chaloupe estant hors du port, ils
regardent de toutes parts s'ils pourront voir & descouvrir
quelque baleine allant à la borde d'un costé & d'autre; & ne
voyans rien, ils vont à terre & se mettent sur un promontoire
le plus haut qu'ils trouvent, pour descouvrir de plus loing,
où ils mettent un homme en sentinelle, qui appercevant la
baleine, qu'ils descouvrent tant par sa grosseur, que par
l'eau qu'elle jette par les évans, qui est plus d'un poinçon à
la fois, & de la hauteur de deux lances; & à ceste eau qu'elle
jette, ils jugent ce qu'elle peut rendre d'huile. Il y en a
telle d'où l'on en peut tirer jusques à six vingts poinçons,
d'autres moins.
Or voyans cet espouventable poisson, ils s'embarquent
promptement dans leurs chaloupes, & à force de rames, ou de
vent, vont jusques à ce qu'ils soient dessus. La voyant entre
deux eaues, à mesme instant l'harponneur est au devant de la
chaloupe avec un harpon, qui est un fer long de deux pieds &
demy de large par les orillons, emmanché en un baston de la
longueur d'une demie pique, où au milieu il y a un trou où
s'attache la haussiere; & aussi tost que le dit harponneur voit
son temps, il jette son harpon sur la baleine, lequel entre
fort avant, & incontinent qu'elle se sent blessée, elle va au
181/837 fonds de l'eau. Et si d'avanture en se retournant quelquefois,
avec sa queue elle rencontre la chaloupe, ou les hommes, elle
les brise aussi facilement qu'un verre. C'est tout le hazard
qu'ils courent d'estre tuez en la harponnant. Mais aussi tost
qu'ils ont jetté le harpon dessus, ils laissent filer leur
haussiere, jusques à ce que la baleine soit au fonds: &
quelquefois comme elle n'y va pas droit, elle entraine la
chaloupe plus de huict ou neuf lieues, & va aussi viste qu'un
cheval, & sont le plus souvent contraints de couper leur
haussiere, craignant que la baleine ne les attire souz l'eau.
Mais aussi quand elle va tout droit au fonds, elle y repose
quelque peu, & puis revient tout doucement sur l'eau, & à
mesure qu'elle monte, ils rembarquent leur haussiere peu à peu,
& puis comme elle est dessus, ils se mettent deux ou trois
chaloupes autour avec leurs pertuisanes, desquelles ils luy
donnent plusieurs coups; & se sentant frapée, elle descend
derechef souz l'eau en perdant son sang, & s'affoiblit de telle
façon, qu'elle n'a plus de force ny de vigueur, & revenant sur
l'eau, ils achevent de la tuer. Quand elle est morte, elle ne
va plus au fonds de l'eau: & lors ils l'attachent avec de
bonnes cordes, & la traînent à terre, au lieu où ils font leur
degrat, qui est l'endroit où ils font fondre le lard de ladite
baleine, pour en avoir l'huile.
Voila la façon comme elles se peschent, & non à coups de canon,
ainsi que plusieurs pensent, comme j'ay dit cy-dessus[281].
[Note 281: À la suite de cette description, se trouvent, dans l'édition
de 1613, les détails du retour en France et des dangers que courut
l'auteur en revenant en Canada le printemps suivant. (Voir 1613, p.
229-242.)]
182/838 _Partement de l'Autheur de Quebec: du Mont Royal, ses rochers.
Isles ou se trouve la terre à potier. Isle de Saincte
Hélène_[282].
[Note 282: Il nous paraît évident que le titre de ce chapitre n'a pas
été fait par l'auteur lui-même. D'abord, cette expression du Mont Royal,
pour désigner autre chose que la Montagne, n'est pas ordinaire à
Champlain, qui, dans ce chapitre-ci même, se sert encore des noms saut
Saint-Louis, ou Grand-Saut, et fait la remarque que ces rochers et
basses sont à une lieue du Mont Royal. En second lieu, Champlain
n'aurait pas de lui-même fait usage de ces mots Isles ou se trouve la
terre à potier; puisque, dans le texte, il donne à entendre que cette
terre à potier se trouvait dans les prairies voisines. «Il y a aussi,
dit-il, quantité de prairies de très-bonne terre grasse à potier.» Or il
est clair que le petit Islet, qui avait à peine «cent pas de long,» ne
pouvait contenir quantité de prairies. (Voir ci-après, p. 184.)]
CHAPITRE XIII.
L'an 1611, je remenay mon Sauvage à ceux de sa nation, qui
devoient venir au grand Sault Sainct Louys, & retirer mon
serviteur qu'ils avoient pour ostage. Je partis de Québec le 20
[283] de May, & arrivay audit grand sault le 28, où je ne
trouvay aucun des Sauvages, qui m'avoient promis d'y estre au
20 dudit mois. Aussi tost je fus dans un meschant canot avec le
Sauvage que j'avois mené en France, & un de nos gens. Après
avoir visité d'un costé & d'autre, tant dans les bois, que le
long du rivage, pour trouver un lieu propre pour la scituation
d'une habitation, & y préparer une place pour y bastir, je
cheminay 8 lieues par terre costoyant le grand sault par des
bois qui sont assez clairs, & fus jusques à un lac[284], où
nostre Sauvage me mena, où je consideray fort particulièrement
le pays. Mais en tout ce que je veis, je ne trouvay point de
183/839 lieu plus propre qu'un petit endroit[285], qui est jusques où
les barques & chaloupes peuvent monter aisément, neantmoins
avec un grand vent, ou à la cirque, à cause du grand courant
d'eau: car plus haut que ledit lieu (qu'avons nommé la Place
royale) à une lieue du Mont royal, y a quantité de petits
rochers & bases, qui sont fort dangereuses. Et proche de ladite
Place Royale y a une petite riviere[286], qui va assez avant
dans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60
arpents de terre desertées qui sont comme prairies, où l'on
pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autrefois
des Sauvages y ont labouré, mais ils les ont quittées pour les
guerres ordinaires qu'ils y avoient. Il y a aussi grande
quantité d'autres belles prairies, pour nourrir tel nombre de
bestail que l'on voudra, & de toutes les sortes de bois
qu'avons en nos forests de pardeça, avec quantité de vignes,
noyers, prunes, cerises, fraises, & autres sortes qui sont
très-bonnes à manger; entre autres une qui est fort excellente,
qui a le goust sucrain, tirant à celuy des plantaines (qui est
un fruict des Indes) & est aussi blanche que nege, & la fueille
ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la
terre comme le lierre. La pesche du poisson y est fort
abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, &
de beaucoup d'autres que nous n'avons point, qui sont
très-bons: comme aussi la chasse des oiseaux de différentes
especes, & celle des cerfs, daims, chevreuls, caribous, lapins,
loups cerviers, ours, castors, & autres petites bestes qui y
184/840 sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit sault,
nous n'en manquasmes aucunement.
[Note 283: On voit, par l'édition de 1613, que Champlain arrêta à Québec
le 21, pour étancher sa barque, et qu'il en repartit le même jour.
(1613, p. 241, 242.)]
[Note 284: Probablement celui des Deux-Montagnes.]
[Note 285: C'est l'endroit même où se fixèrent, en 1642, les premiers
habitants de Montréal, près de ce qu'on a appelé depuis
Pointe-à-Callières, ou Pointe-Callières.]
[Note 286: La petite rivière Saint-Pierre.]
Ayant donc recogneu fort particulièrement, & trouvé ce lieu un
des plus beaux qui fust en ceste riviere, je fis aussi tost
couper & défricher le bois de ladite place Royale, pour la
rendre unie, & preste à y bastir, & peut-on faire passer l'eau
autour aisément, & en faire une petite isle, & s'y establir
comme l'on voudra.
Il y a un petit islet[287] à 20 toises de ladite Place royale,
qui a environ cent pas de long, où l'on peut faire une bonne &
forte habitation. Il y a aussi quantité de prairies de
très-bonne terre grasse à potier, tant pour brique, que pour
bastir, qui est une grande commodité. J'en fis accommoder une
partie[288], & y fis une muraille de quatre pieds d'espoisseur,
& 3 à 4 de haut, & 10 toises de long, pour voir comme elle se
conserveroit durant l'hyver quand les eaux descendroient, qui à
mon opinion ne sçauroit[289] parvenir jusques à ladite
muraille, d'autant que le terroir est de 12 pieds eslevé dessus
ladite riviere, qui est assez haut. Au milieu du fleuve y a une
isle d'environ trois quarts de lieue de circuit, capable d'y
bastir une bonne & forte ville, & l'ay nommée l'isle de Saincte
185/841 Heleine[290]. Ce sault descend en manière de lac, où il y a
deux ou trois isles, & de belles prairies.
[Note 287: Ce petit îlet, dans la carte du _grand sault Saint-Louis_,
est indiqué par la lettre C, et l'auteur ajoute, au bas: «où je fis
faire une muraille de pierre.»]
[Note 288: Ces mots «J'en fis accommoder une partie,» ont été remplacés,
dans l'édition de 1640, par ceux-ci: «J'en fis faire un bon essay.»
Comme il est très-probable que cette correction n'est pas de Champlain,
il est permis de douter qu'elle ait été faite à propos: car elle change
le sens d'une phrase qui, suivant nous, est parfaitement intelligible,
«J'en fis accommoder une partie,» c'est-à-dire, je fis accommoder, ou
préparer une partie de l'îlet, «& y fis une muraille,» etc.]
[Note 289: L'édition de 1640 remplace ce mot par «pouvoit.»]
[Note 290: Voir 1613, p. 245, note 1.--_Hist. de la Colonie française en
Canada_, I, p. 129, 130.]
En attendant les Sauvages je fis faire deux jardins, l'un dans
les prairies, & l'autre au bois, que je fis deserter, & le
deuxiesme jour de juin l'y semay quelques graines, qui
sortirent toutes en perfection, & en peu de temps, qui
demonstre la bonté de la terre.
Je me resolus d'envoyer Savignon nostre Sauvage avec un autre,
pour aller au devant de ceux de son pays, afin de les faire
haster de venir & se deliberent[291] d'aller dans nostre canot,
qu'ils doutoient, d'autant qu'il ne valloit pas beaucoup.
[Note 291: L'édition de 1640 porte: «delibererent.»]
Le 7e jour[292] je fus recognoistre une petite riviere[293] par
où vont quelquefois les Sauvages à la guerre, qui se va rendre
au sault de la riviere des Hiroquois: elle est fort plaisante,
y ayant plus de trois lieues de circuit de prairies, & force
terres, qui se peuvent labourer. Elle est à une lieue du grand
sault, & lieue & demie de la Place Royale.
[Note 292: Le 7 juin.]
[Note 293: La rivière Saint-Lambert. Les prairies dont parle ici
Champlain, nous font connaître l'origine du nom de Laprairie, où passe
cette rivière.]
Le 9e jour nostre Sauvage arriva, qui fut quelque peu pardelà
le lac [294], qui a environ dix lieues de long, lequel j'avois
veu auparavant, où il ne fit rencontre d'aucune chose, & ne
peurent passer plus loin à cause de leurd. canot qui leur
manqua, & furent contraints de s'en revenir. Ils nous
rapportèrent que passant le sault ils veirent une isle où il y
186/842 avoit si grande quantité de hérons, que l'air en estoit tout
couvert. Il y eut un jeune homme[295] appellé Louys, qui estoit
fort amateur de la chasse, lequel entendans cela voulut y aller
contenter sa curiosité, & pria fort instamment nostredit
sauvage de l'y mener: ce que le Sauvage luy accorda, avec un
Capitaine Sauvage Montagnet, fort gentil personnage, appelle
Outetoucos. Dés le matin ledit Louys fut appeller les deux
Sauvages, pour s'en aller à ladite isle des Hérons. Ils
s'embarquèrent dans un canot, & y furent. Ceste isle est au
milieu du sault[296], où ils prirent telle quantité de
heronneaux, & autres oiseaux qu'ils voulurent, & se
r'embarquerent en leur canot. Outetoucos contre la volonté de
l'autre Sauvage, & de l'instance qu'il peut faire, voulut
passer par un endroit fort dangereux, où l'eau tomboit prés de
trois pieds de haut, disant que d'autres fois il y avoit passé,
ce qui estoit faux. Il fut long temps à débattre contre nostre
Sauvage, qui le voulut mener du costé du sud le long de la
grand terre, par où le plus souvent ils ont accoustumé de
passer: ce que Outetoucos ne desira, disant qu'il n'y avoit
point de danger. Comme nostre Sauvage le veit opiniastre, il
condescendit à sa volonté: mais il luy dit qu'à tout le moins
on deschargeast le canot d'une partie des oiseaux qui estoient
dedans, d'autant qu'il estoit trop chargé, ou
qu'infailliblement ils empliroient d'eau, & se perdroient: ce
qu'il ne voulut faire, disant qu'il seroit assez à temps s'ils
voyoient qu'il y eust du péril pour eux. Ils se laisserent donc
tomber dans le courant.
[Note 294: Le lac des Deux-Montagnes a environ dix lieues dans sa plus
grande longueur, et c'est là que Champlain s'était rendu quelques jours
auparavant. (Voir ci-dessus, p. 182.)]
[Note 295: «Qui estoit au sieur de Mons.» (Édit. 1613.)]
[Note 296: Voir 1613, p. 246, note 3.]
187/843 Comme ils furent dans la cheutte du sault, ils en voulurent
sortir, & jetter leurs charges, mais il n'estoit plus temps,
car la vistesse de l'eau les maistrisoit ainsi qu'elle vouloit,
& emplirent aussi tost dans les bouillons du sault, qui leur
faisoient faire mille tours haut & bas, & ne l'abandonnèrent de
long temps. En fin la roideur de l'eau les lassa de telle
façon, que ce pauvre Louys qui ne sçavoit aucunement nager,
perdit tout jugement, & le canot estant au fonds de l'eau, il
fut contraint de l'abandonner; & revenant au haut, les deux
autres qui le tenoient tousjours ne veirent plus nostre Louys,
& ainsi mourut miserablement[297].
[Note 297: Voir 1613, p. 247, note 2.]
Estans sortis hors dudit sault, ledit Outetoucos estant nud, &
se fiant en son nager, abandonna le canot, pour gaigner la
terre, si que l'eau y courant de grande vistesse, il se noya:
car il estoit si fatigué & rompu de la peine qu'il avoit eue,
qu'il estoit impossible qu'il se peust sauver.
Nostre Sauvage Savignon mieux advisé, tint tousjours fermement
le canot, jusques à ce qu'il fut dans un remoul, où le courant
de l'eau l'avoit porté, & sceut si bien faire, quelque peine &
fatigue qu'il eust eue, qu'il vint tout doucement à terre, où
estant arrivé il jetta l'eau du canot, & s'en revint avec
grande apprehension qu'on ne se vengeast sur luy, comme ils
font entr'eux, & nous conta ces tristes nouvelles, qui nous
apportèrent du desplaisir.
188/844 Le lendemain[298] je fus dans un autre canot audict sault avec
le Sauvage, & un autre de nos gens, pour voir l'endroit où ils
s'estoient perdus, & aussi si nous trouverions les corps. Je
vous asseure que quand il me monstra le lieu, les cheveux me
herisserent en la teste, & m'estonnois comme les defuncts
avoient esté si hardis & hors de jugement de passer en un
endroit si effroyable, pouvans aller ailleurs: car il est
impossible d'y passer, pour avoir sept à huict cheuttes d'eau,
qui descendent de degré en degré, le moindre de trois pieds de
haut, où il se faisoit un frein & bouillonnement estrange, &
une partie dudit sault estoit toute blanche d'escume, avec un
bruit si grand, que l'on eust dit que c'estoit un tonnerre,
comme l'air retentissoit du bruit de ces cataraques. Aprés
avoir veu & consideré particulièrement ce lieu, & cherché le
long du rivage lesdits corps, cependant qu'une chaloupe assez
légère estoit allée d'un autre costé, nous nous en revinsmes
sans rien trouver.
[Note 298: Vraisemblablement, le 11 juin.]
_Deux cents Sauvages ramènent le François qu'on leur avoit
baillé & remmenèrent leur Sauvage qui estoit retourné de
France. Plusieurs discours de part & d'autre.
CHAPITRE XIIII
Le 13e jour dudit mois[299], deux cents Sauvages Hurons[300],
189/845 avec les Capitaines Ochateguin, Yroquet, & Tregouaroti[301],
frère de nostre Sauvage, amenèrent mon garçon. Nous fusmes fort
contents de les voir, & fus au devant d'eux avec un canot, &
nostre Sauvage. Cependant qu'ils approchoient doucement en
ordre, les nostres s'appareillèrent de leur faire une
escopeterie d'harquebuzes & mousquets, & quelques petites
pièces. Comme ils approchoient, ils commencèrent à crier tous
ensemble, & un des chefs commanda de faire leur harangue, où
ils nous louoient fort, & nous tenant pou véritables, de ce que
je leur avois tenu ce que je leur promis, qui estoit de les
venir trouver audit sault. Après avoir fait trois autres cris,
l'escopeterie tira par deux fois, qui les estonna de telle
façon, qu'ils me prièrent de dire que l'on ne tirast plus, &
qu'il y en avoit la plus grand'part qui n'avoient jamais veu de
Chrestiens, ny ouy des tonnerres de la façon, & craignoient
qu'il ne leur fist mal, & furent fort contents de voir
nostredict Sauvage sain, qu'ils pensoient estre mort, sur des
rapports que leur avoient faits quelques Algoumequins, qui
l'avoient ouy dire à des Sauvages Montagnets. Le Sauvage se
loua grandement du bon traittement que je luy avois fait en
France, & des singularitez qu'il y avoit veues, dont ils
entrèrent tous en admiration, & s'en allèrent cabaner dans le
bois assez légèrement, attendant le lendemain que je leur
monstrasse le lieu où je desirois qu'ils se logeassent. Aussi
je veis mon garçon qui estoit habillé à la Sauvage, qui se loua
aussi[302] du bon traittement des Sauvages, selon leur pays, &
me fit entendre tout ce qu'il avoit veu en son hyvernement, &
ce qu'il avoit appris avec eux.
[Note 299: Le 13 de juin.]
[Note 300: Comparez 1613, p. 249.]
[Note 301: Tregouaroti était huron, puisque Savignon, son frère, était
de la nation huronne, comme il est dit plus haut. Mais Iroquet était
algonquin.]
[Note 302: L'édition de 1640 remplace _aussi_ par _bien_.]
190/846 Le lendemain venu, je leur monstray un lieu pour aller cabaner,
où les anciens & principaux deviserent fort ensemble. Et aprés
avoir esté un long temps en cet estat, ils me virent appeller
seul avec mon garçon, qui avoit fort bien appris leur
langue[303], & luy dirent qu'ils desiroient contracter une
estroitte amitié avec moy, veu les courtoisies que je leur
avois faites par le passé, en se louant tousjours du
traittement que j'avois fait à nostre Sauvage, comme à mon
frère, & que cela les obligeoit tellement à me vouloir du bien,
que tout ce que je desirerois d'eux, ils essayeroient à me
satisfaire. Après plusieurs discours, ils me firent un prêtent
de 100 cators. Je leur donnay en eschange d'autres sortes de
marchandises, & me dirent qu'il y avoit plus de 400 Sauvages
qui devoient venir de leur pays, & ce qui les avoit retardez,
fut un prisonnier Hiroquois qui estoit à moy, qui s'estoit
eschapé, & s'en estoit retourné en son pays. Qu'il avoit donné
à entendre que je luy avois donné liberté, & des marchandises,
& que je devois aller audit sault avec 600 Hiroquois attendre
les Algoumequins, & les tuer tous. Que la crainte de ces
nouvelles les avoit arrestez, & que sans cela ils fussent
venus. Je leur fis response, que le prisonnier s'estoit desrobé
sans que je luy eusse donné congé, & que nostredit Sauvage
sçavoit bien de quelle façon il s'en estoit allé, & qu'il n'y
avoit aucune apparence de laisser leur amitié, comme ils
avoient ouy dire, ayant esté à la guerre avec eux, & envoyé mon
191/847 garçon en leur pays, pour entretenir leur amitié, & que la
promesse que je leur avois si fidèlement tenue, le confirmoit
encores. Ils me respondirent, Que pour eux ils ne l'avoient
aussi jamais pensé, & qu'ils recognoissoient bien que tous ces
discours estoient esloignez de la vérité; & que s'ils eussent
creu autrement, qu'ils ne fussent pas venus, & que c'estoit les
autres qui avoient eu peur, pour n'avoir jamais veu de
François, que mon garçon. Ils me dirent aussi qu'il viendroit
trois cents Algoumequins dans cinq ou six tours, si on les
vouloit attendre, pour aller à la guerre avec eux contre les
Hiroquoits, & que si je n'y venois ils s'en retourneroient sans
la faire. Je les entretins fort sur le sujet de la source de la
grande riviere, & de leur pays, dont ils me discoururent fort
particulièrement, tant des rivieres, sauts, lacs, terres, que
des peuples qui y habitent, & de ce qui s'y trouve. Quatre
d'entre eux m'asseurerent qu'ils avoient veu une mer fort
esloignée de leur pays, & le chemin difficile, tant à cause des
guerres, que des deserts qu'il faut passer pour y parvenir. Ils
me dirent aussi que l'hyver précédant il estoit venu quelques
Sauvages du costé de la Floride, par derrière le pays des
Hiroquois, qui voyoient nostre mer Oceane, & ont amitié avec
lesd. Sauvages. En fin ils m'en discoururent fort exactement,
me demonstrans par figures tous les lieux où ils avoient esté,
prenans plaisir à me raconter toutes ces choses; & moy je ne
m'ennuyois à les entendre, pour sçavoir d'eux ce dont j'estois
en doute. Après tous ces discours finis, je leur dis qu'ils
mesnageassent ce peu de commoditez qu'ils avoient, ce qu'ils
firent.
[Note 303: Cette circonstance vient encore nous confirmer dans l'opinion
que ce jeune français était Étienne Brûlé: c'est parce qu'il possédait
bien la langue huronne, que l'on continua à l'employer comme interprète
pendant un grand nombre d'années.]
192/848 Le lendemain[304] après avoir traicté tout ce qu'ils avoient,
qui estoit peu de chose, ils firent une barricade autour de
leur logement, du costé du bois, & disoient que c'estoit pour
leur seureté, afin d'eviter la surprise de leurs ennemis: ce
que nous prismes pour argent comptant. La nuict venue, ils
appellerent nostre Sauvage, qui couchoit à ma patache, & mon
garçon, qui les furent trouver. Après avoir tenu plusieurs
discours, ils me firent aussi appeller environ sur la my-nuict.
Estant en leurs cabanes, je les trouvay tous assis en conseil,
où ils me firent asseoir prés d'eux, disans que leur coustume
estoit que quand ils vouloient proposer quelque chose, ils
s'assembloient de nuict, afin de n'estre divertis par l'aspect
d'aucune chose, & que le jour divertissoit l'esprit par les
objects: mais à mon opinion ils me vouloient dire leur volonté
en cachette, se fians en moy, comme ils me donnèrent à entendre
depuis, me disans qu'ils eussent bien desiré me voir seul. Que
quelques-uns d'entr'eux avoient esté battus. Qu'ils me
vouloient autant de bien qu'à leurs enfans, ayans telle fiance
en moy, que ce que je leur dirois ils le feroient, mais qu'ils
se mesfioient fort des autres Sauvages. Que si je retournois,
que j'amenasse telle quantité de gens que je voudrois, pourveu
qu'ils fussent souz la conduite d'un chef, & qu'ils
m'envoyoient quérir, pour m'asseurer d'avantage de leur amitié,
qui ne se romproit jamais, & que je ne fusse point fasché
contre eux. Que sçachans que j'avois pris délibération de voir
leur pays, ils me le feroient voir au péril de leurs vies,
193/849 m'assistans d'un bon nombre d'hommes qui pourroient passer par
tout, & qu'à l'advenir nous devions esperer d'eux comme ils
faisoient de nous. Aussi tost ils firent venir 30 castors & 4
carquans de leurs porcelaine (qu'ils estiment entre eux comme
nous faisons les chaisnes d'or). Que ces presens estoient
d'autres Capitaines, qui ne m'avoient jamais veu, qui me les
envoyoient, & qu'ils desiroient estre tousjours de mes amis:
mais que s'il y avoit quelques François qui voulurent aller
avec eux, qu'ils en eussent esté fort contents, & plus que
jamais, pour entretenir une ferme amitié.
[Note 304: Le 15 de juin.]
Après plusieurs discours, je leur proposay, Qu'ayans la volonté
de me faire voir leur pays, je supplierois sa Majesté de nous
assister jusques à 40 ou 50 hommes armez de choses necessaires
pour ledit voyage, & que je m'embarquerois avec eux, à la
charge qu'ils nous entretiendroient de ce qui seroit de besoin
pour nostre vivre durant ledit voyage. Que je leur apporterois
dequoy faire des presens aux chefs qui sont dans les pays par
où nous passerions, puis nous nous en reviendrions hyverner en
nostre habitation. Que si je recognoissois le pays bon &
fertile, l'on y feroit plusieurs habitations, & que par ce
moyen aurions communication les uns avec les autres, vivans
heureusement à l'avenir en la crainte de Dieu, qu'on leur
feroit cognoistre.
Ils furent fort contents de ceste proposition, & me prierent
d'y tenir la main, disans qu'ils feroient de leur part tout ce
qui leur seroit possible pour en venir à bout; & que pour ce
qui estoit des vivres, nous n'en manquerions non plus
194/850 qu'eux-mesmes: m'asseurans derechef de me faire voir ce que je
desirois. Là dessus je pris congé d'eux au poinct du jour en
les remerciant de la volonté qu'ils avoient de favoriser mon
desir, les priant de tousjours continuer.
Le lendemain 17e jour dudit mois, ils délibererent s'en
retourner, & emmener Savignon, auquel je donnay quelques
bagatelles, me faisant entendre qu'il s'en alloit mener une vie
bien pénible, au prix de celle qu'il avoit eue en France. Ainsi
il se separa avec grand regret, & moy bien aise d'en estre
deschargé. Deux Capitaines me dirent que le lendemain au matin
ils m'envoyeroient quérir, ce qu'ils firent. Je m'embarquay, &
mon garçon avec ceux qui vinrent. Estant au sault, nous fusmes
dans le bois quelques lieues, où ils estoient cabannez sur le
bord d'un lac, où j'avois esté auparavant. Comme ils me
veirent, ils furent fort contents, & commencerent à s'escrier
selon leur coustume, & nostre Sauvage s'en vint au devant de
moy me prier d'aller en la cabanne de son frère, où aussi tost
il fit mettre de la chair & du poisson sur le feu, pour me
festoyer.
Durant que je fus là il se fit un festin, où tous les
principaux furent invitez, & moy aussi. Et bien que j'eusse
desja pris ma refection honnestement, néantmoins pour ne rompre
la coustume du pays j'y fus. Après avoir repeu ils s'en
allèrent dans les bois tenir leur conseil, & cependant je
m'amusay à contempler le païsage de ce lieu, qui est fort
agréable. Quelque temps après ils m'envoyerent appeller pour me
communiquer ce qu'ils avoient resolu entre eux.
195/851 J'y fus avec mon garçon. Estant assis auprès d'eux ils me
dirent qu'ils estoient fort aises de me voir, & n'avoir point
manqué à ma parole de ce que je leur avois promis, & qu'ils
recognoissoient de plus en plus mon affection, qui estoit à
leur continuer mon amitié, & que devant que partir, ils
desiroient prendre congé de moy, & qu'ils eussent eu trop de
desplaisir s'ils s'en fussent aller sans me voir encore une
fois, croyans qu'autrement je leur eusse voulu du mal[305]. Ils
me prièrent encores de leur donner un homme. Je leur dis que
s'il y en avoit parmy nous qui y voulussent aller, que j'en
serois fort content.
[Note 305: _Conf._ 1613, p. 257.]
Après m'avoir fait entendre leur volonté pour la dernière fois,
& moy à eux la mienne, il y eut un Sauvage qui avoit esté
prisonnier par trois fois des Hiroquois, & s'estoit sauvé fort
heureusement, qui resolut d'aller à la guerre luy dixiesme,
pour se venger des cruautez que ses ennemis luy avoient fait
souffrir. Tous les Capitaines me prièrent de l'en destourner si
je pouvois, d'autant qu'il estoit fort vaillant, & craignoient
qu'il ne s'engageait si avant parmy les ennemis avec si petite
troupe, qu'il n'en revinst jamais. Je le fis pour les
contenter, par toutes les raisons que je luy peus alléguer,
lesquelles luy servirent peu, me monstrant une partie de ses
doigts coupez, & de grandes taillades & bruslures qu'il avoit
sur le corps, & qu'il luy estoit impossible de vivre, s'il ne
faisoit mourir de ses ennemis, & n'en avoit la vengeance, & que
son coeur luy disoit qu'il falloit qu'il partist au plustost
qu'il luy seroit possible: ce qu'il fit.
196/852 Après avoir fait avec eux, je les priay de me ramener en nostre
patache. Pour ce faire, ils équipèrent 8 canaux pour passer
ledit sault, & se despouillerent tout nuds, & me firent mettre
en chemise; car souvent il arrive que d'aucuns se perdent en le
passant parquoy se tiennent-ils les uns prés des autres pour se
secourir promptement, si quelque canot venoit à se renverser.
Ils me disoient: Si par mal-heur le tien venoit à tourner, ne
sçachant point nager, ne l'abandonne en aucune façon, & te
tiens bien à de petits bâtons qui y sont par le milieu, car
nous te sauverons aisément. Je vous asseure que ceux qui n'ont
veu ny passé ledit endroit en des petits bateaux comme ils ont,
ne le pourroient pas passer sans grande apprehension, mesmes
les plus asseurés du monde. Mais ces peuples sont si adroits à
passer les sauts, que cela leur est facile. Je le passay avec
eux: ce que je n'avois jamais fait, ny aucun Chrestien, horsmis
mon garçon: & vinsmes à nos barques, où j'en logeay une bonne
partie[30306].
[Note 306: _Conf._ 1613, p. 260.]
Il y eut un jeune homme des nostres qui se delibéra d'aller
avec les Sauvages qui sont Hurons[307], esloignez du sault
d'environ 180 lieues, & fut avec le frère de Savignon[308], qui
estoit l'un des Capitaines, qui me promit luy faire voir tout
ce qu'il pourroit[309].
[Note 307: L'édition de 1613 porte: «Charioquois.»]
[Note 308: Tregouaroti.]
[Note 309: «Et celuy de Bouvier fut avec ledit Yroquet Algoumequin.»
(1613, p. 260.)]
Le lendemain[310] vindrent nombre de Sauvages Algoumequins, qui
traitterent ce peu qu'ils avoient, & me firent encores present
197/853 particulièrement de trente castors, dont je les recompensay.
Ils me prierent que je continuasse à leur vouloir du bien: ce
que je leur promis. Ils me discoururent fort particulièrement
sur quelques descouvertures du costé du nort, qui pouvoient
apporter de l'utilité. Et sur ce sujet ils me dirent que s'il
y avoit quelqu'un de mes compagnons qui voulust aller avec
eux, qu'ils luy feroient voir chose qui m'apporteroit du
contentement, & qu'ils le traitteroient comme un de leurs
enfans. Je leur promis de leur donner un jeune garçon[311],
dont ils furent fort contents. Quand il print congé de moy
pour aller avec eux, je luy baillay un memoire fort
particulier des choses qu'il devoit observer estant parmy eux.
[Note 310: Le 16 de juillet. L'édition de 1613 renferme beaucoup de
détails sans lesquels il est difficile de bien entendre ce passage.
(Voir 1613, p. 260-263.)]
[Note 311: Il est assez probable que ce jeune garçon était Nicolas de
Vignau, dont il est parle quelques pages plus loin; car nous avons vu
(p. 178, 190) que celui qu'il confia aux sauvages, en 1610, étai
vraisemblablement Étienne Brûlé, et il ne paraît pas qu'il en ait
envoyé d'autres les années précédentes, ni en 1612.]
Après qu'ils eurent traicté tout le peu qu'ils avoient, ils se
separerent en trois, les uns pour la guerre, les autres par
ledit grand sault, & les autres par une petite riviere, qui va
rendre en celle dudit grand sault; & partirent le 18e jour
dudit mois[312], & nous aussi. Le 19 j'arrivay à Québec, où je
me resolus de retourner en France[313], & arrivay à la Rochelle
le 11 d'Aoust[314].
[Note 312: Le 18 juillet.]
[Note 313: «Le 23 j'arrivay à Tadoussac, où estant je me resolus de
revenir en France, avec l'advis de Pont-gravé.» (1613, p. 264.)]
[Note 314: Le 10 septembre. En revoyant le texte de l'édition de 1613,
on reconnaît aisément que c'est ici une inadvertance. (Voir 1613, p.
265.) Champlain s'embarque, à Tadoussac, dans le vaisseau du capitaine
Tibaut de La Rochelle, le 11 d'août, et il arrive à La Rochelle le 10
septembre. L'édition de 1613 renferme de plus les détails de toutes les
difficultés qui retinrent l'auteur en France l'année suivante. Ces
détails, dans l'édition de 1632, que nous reproduisons ici, forment le
chapitre V du livre suivant, et l'auteur y ajoute, entre autres choses,
la commission qui lui fut donnée par le comte de Soissons.]
Fin du troisiesme Livre.
198/854
[Illustration]
LES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
LIVRE QUATRIESME.
_Partement de France; & ce qui se passa jusques à nostre
arrivée au Sault Sainct Louys._
CHAPITRE PREMIER.
Je partis de Rouen le 5 Mars[315] pour aller Honfleur, où je
m'embarquay(316), & le 7 May j'arrivay à Québec, où je trouvay
ceux qui y avoient hyverné en bonne disposition, sans avoir
esté malades, lesquels nous dirent que l'hyver n'avoit point
esté grand, & que la riviere n'avoit point gelé. Les arbres
commençoient aussi à se revestir de fueilles, & les champs à
s'esmailler de fleurs.
[Note 315: De l'année 1613. Pour plus amples détails, voir 1613, p.
283-287, et ci-après, ch. v.]
[Note 316: Il s'embarqua le lendemain, 6 de mars, dans le vaisseau de
Pont-Gravé. (1613, P. 287.)]
Le 13, je partis de Québec pour aller au Sault Sainct Louys, où
j'arrivay le 21[317]. Or n'ayant que deux canaux, je ne pouvois
199/855 mener avec moy que 4 hommes, entre lesquels estoit un nommé
Nicolas de Vignau, le plus impudent menteur qui se soit veu de
long temps, comme la suitte de ce discours le fera voir, lequel
autrefois avoit hyverné avec les Sauvages, & que j'avois envoyé
aux descouvertes les années précédentes. Il me rapporta à son
retour à Paris en l'année 1612. qu'il avoit veu la mer du nort.
Que la riviere des Algoumequins[318] sortoit d'un lac qui s'y
deschargeoit, & qu'en 17 journées l'on pouvoit aller & venir du
Sault Sainct Louys à ladite mer. Qu'il avoit veu le bris &
fracas d'un vaisseau Anglois, qui s'estoit perdu à la coste, où
il y avoit 80 hommes qui s'estoient sauvez à terre, que les
Sauvages tuèrent, à cause que lesdits Anglois leur vouloient
prendre leurs bleds d'Inde, & autres vivres, par force, & qu'il
en avoit veu les testes, qu'iceux Sauvages avoient escorchées
(selon leur coustume) lesquelles ils me vouloient faire voir,
ensemble me donner un jeune garçon Anglois qu'ils m'avoient
gardé. Ceste nouvelle m'avoit fort resjouy, pensant avoir
trouvé bien prés ce que je cherchois bien loin. Ainsi je le
conjuray de me dire la verité, afin d'en advertir le Roy, & luy
remonstray que s'il donnoit quelque mensonge à entendre, il se
mettoit la corde au col: aussi que si sa relation estoit
veritable, il se pouvoit asseurer d'estre bien recompensé. Il
me l'asseura encor avec serments plus grands que jamais. Et
pour mieux jouer son rolle, il me bailla une relation du pays,
qu'il disoit avoir faite au mieux qu'il luy avoit esté
200/856 possible. L'asseurance donc que je voyois en luy, la simplicité
de laquelle se le jugeois plein, la relation qu'il avoit
dressée, le bris & fracas du vaisseau, & les choses cy-devant
dites, avoient grande apparence, avec le voyage des Anglois
vers Labrador, en l'année 1612. où ils ont trouvé un destroit
qu'ils ont couru jusques par le 63 degré de latitude, & 290 de
longitude, & ont hyverné par le 53 degré & perdu quelques
vaisseaux, comme leur relation en fait foy[319]. Ces choses me
faisans croire son dire véritable, j'en fis dés lors rapport à
Monsieur le Chancelier[330]; & le fis voir à Messieurs le
Mareschal de Brissac, & President Jeanin, & autres Seigneurs de
la Cour, lesquels me dirent qu'il falloit que je veisse la
chose en personne. Cela fut cause que je priay le sieur
Georges, marchand de la Rochelle, de luy donner passage dans
son vaisseau, ce qu'il fit volontiers; où estant, il
l'interrogea pourquoy il faisoit ce voyage. Et d'autant qu'il
luy estoit inutile, il luy demanda s'il esperoit quelque
salaire, lequel fit response que non, & qu'il n'en pretendoit
d'autre que du Roy, & qu'il n'entreprenoit le voyage que pour
me monstrer la mer du nort, qu'il avoit veue, & luy en fit à la
Rochelle une déclaration pardevant deux Notaires.
[Note 317: _Conf._ 1613, p. 290, 291.]
[Note 318: L'Outaouais.]
[Note 319: Voir 1613, p. 293.]
[Note 320: Nicolas Brûlart de Sillery.]
Or comme je prenois congé de tous les Chefs, le our de la
Pentecoste[321], aux prières desquels je me recommandois, & de
tous en général, je luy dis en leur presence, que si ce qu'il
m'avoit cy devant dit n'estoit vray, qu'il ne me donnast la
peine d'entreprendre le voyage, pour lequel faire, il falloit
201/857 courir plusieurs dangers. Il asseura encores derechef tout ce
qu'il avoit dit, au péril de sa vie.
[Note 321: La Pentecôte, cette année, tombait le 26 de mai.]
Ainsi nos canaux chargez de quelques vivres, de nos armes &
marchandises, pour faire present aux Sauvages, je partis le
Lundy 27 May de l'isle de Saincte Heleine, avec quatre François
& un Sauvage, & me fut donné un adieu de nostre barque avec
quelques coups de petites pièces. Ce jour nous ne fusmes qu'au
Sault Sainct Louys, qui n'est qu'une lieue au dessus, à cause
du mauvais temps, qui ne nous permit de passer plus outre.
Le 29, nous le passasmes partie par terre, partie par eau, où
il nous fallut porter nos canaux, hardes, vivres & armes sur
nos espaules, qui n'est pas petite peine à ceux qui n'y sont
pas accoustumez: & après l'avoir esloigné deux lieues, nous
entrasmes dans un lac[322] qui a de circuit environ 12 lieues,
où se deschargent 3 rivieres[323], l'une venant de l'ouest, du
costé des Ochataiguins, esloignez du grand sault de 150 ou 200
lieues: l'autre du sud pays des Hiroquois, de pareille
distance: & l'autre vers le nort, qui vient des Algoumequins &
Nebicerini, aussi à peu prés de semblable distance. Ceste
riviere du nort (suivant le rapport des Sauvages) vient de plus
loin[324], & passe par des peuples qui leur sont incogneus,
distans environ de 300 lieues d'eux.
[Note 322: Le lac Saint-Louis. (Voir 1613, p. 294, note 2.)]
[Note 323: Voir 1613, p. 295, notes 1, 2, 3, 4.]
[Note 324: vient de plus loin que les nebicerini: l'outaouais, comme on
sait, prend sa source une cinquantaine de lieues plus au nord que le lac
nipissing.]
Ce lac est remply de belles & grandes isles, qui ne sont que
202/858 prairies, où il y a plaisir de chasser, la venaison & le
gibbier y estans en abondance, aussi bien que le poisson. Le
pays qui l'environne est remply de grandes forests. Nous fusmes
coucher à, l'entrée dudit lac, & fismes des barricades, à cause
des Hiroquois qui rodent par ces lieux pour surprendre leurs
ennemis; & m'asseure que s'ils nous eussent tenu, ils nous
eussent fait le mesme traittement; c'est pourquoy toute la
nuict nous fismes bon guet. Le lendemain je prins la hauteur de
ce lieu, qui est par les 45 degrez 18 minutes de latitude. Sur
les trois heures du soir nous entrasmes dans la riviere qui
vient du nort, & passasmes un petit sault par terre pour
soulager nos canaux, & fusmes à une isle le reste de la nuict
en attendant le jour. Le dernier May nous passasmes par un
autre lac[325] qui a 7 ou 8 lieues de long, & 3 de large, où il
y a quelques isles. Le pays d'alentour est fort uny, horsmis en
quelques endroits, où il y a des costaux couverts de pins. Nous
passasmes un sault, qui Sault de est appellé de ceux du pays
_Quenechouan_[326], qui est remply de pierres & rochers, où
l'eau y court de grand' vistesse; & nous fallut mettre en
l'eau, & traisner nos canaux bord à bord de terre avec une
corde. A demie lieue de là nous en passasmes un autre petit à
force d'avirons, ce qui ne se fait sans suer, & y a une grande
dextérité à passer ces sauts, pour eviter les bouillons &
brisans qui les traversent: ce que les Sauvages sont d'une
telle adresse, qu'il est impossible de plus, cherchans les
destours & lieux plus aisez qu'ils cognoissent à l'oeil.
[Note 325: Le lac des Deux-Montagnes.]
[Note 326: Voir 1613, p. 296, note 4.]
203/859 Le Samedy premier de Juin nous passasmes encor deux autres
sauts: le premier contenant demie lieue de long, & le second
une lieue, où nous eusmes bien de la peine: car la rapidité du
courant est si grande, qu'elle fait un bruit effroyable; &
descendant de degré en degré, fait une escume si blanche par
tout, que l'eau ne paroist aucunement. Ce sault est semé de
rochers, & quelques isles qui sont ça & là, couvertes de pins &
cèdres blancs. Ce fut là où nous eusmes de la peine: car ne
pouvans porter nos canaux par terre, à cause de l'espoisseur du
bois, il nous les falloit tirer dans l'eau avec des cordes, &
en tirant le mien, je me pensay perdre, à cause qu'il traversa
dans un des bouillons; & si je ne fusse tombé favorablement
entre deux rochers, le canot m'entraisnoit, d'autant que je ne
peus défaire assez à temps la corde qui estoit entortillée à
l'entour de ma main, qui me l'offensa fort, & me la pensa
couper. En ce danger je m'escriay à Dieu, & commençay à tirer
mon canot, qui me fut renvoyé par le remouil de l'eau qui se
fait en ces sauts: & lors estant eschapé je louay Dieu, le
priant nous preserver. Nostre Sauvage vint après pour me
secourir, mais j'estois hors de danger; & ne se faut estonner
si j'estois curieux de conserver nostre canot: car s'il eust
esté perdu, il falloit faire estat de demeurer, ou attendre que
quelques Sauvages passassent par là, qui est une pauvre attente
à ceux qui n'ont dequoy disner, & qui ne sont accoustumez à
telle fatigue. Pour nos François, ils n'en eurent pas meilleur
marché, & par plusieurs fois pensoient estre perdus: mais la
204/860 divine bonté nous preserva tous. Le reste de la journée nous
nous reposasmes, ayans assez travaillé.
Nous rencontrasmes le lendemain 15 canaux de Sauvages appellez
Quenongebin[327], dans une riviere, ayans passé un petit lac
long de 4 lieues, & large de 2, lesquels avoient esté advertis
de ma venue par ceux qui avoient passé au sault S. Louis,
venans de la guerre des Hiroquois. Je fus fort aise de leur
rencontre, & eux aussi, qui s'estonnerent de me voir avec si
peu de gens, & avec un seul Sauvage. Après nous estre saluez à
la mode du pays, je les priay de ne passer outre, pour leur
déclarer ma volonté, & fusmes cabaner dans une isle.
[Note 327: Ou Kinounchepirini. (Voir 1613, p. 298, note I.)]
Le lendemain je leur fis entendre que j'estois allé en leur
pays pour les voir, & pour m'acquitter de la promesse que je
leur avois par cy devant faite; & que s'ils estoient resolus
d'aller à la guerre, cela m'agréroit fort, d'autant que j'avois
amené des gens à ceste intention, dequoy ils furent fort
satisfaits. Et leur ayant dit que je voulois passer outre, pour
advertir les autres peuples, ils m'en voulurent destourner,
disans qu'il y avoit un meschant chemin, & que nous n'avions
rien veu jusques alors. Pour ce je les priay de me donner un de
leurs gens pour gouverner nostre deuxiesme canot, & aussi pour
nous guider, car nos conducteurs n'y cognoissoient plus rien.
Ils le firent volontiers & en recompense je leur fis un
present, & leur baillay un de nos François, le moins
205/861 necessaire, lequel je renvoyois au sault, avec une fueille de
tablette, dans laquelle, à faute de papier, je faisois sçavoir
de mes nouvelles.
Ainsi nous nous separasmes: & continuant nostre routte à mont
ladite riviere, en trousasmes une autre fort belle & spacieuse,
qui vient d'une nation appellée Ouescharini[328], lesquels se
tiennent au nort d'icelle, & à 4 journées de l'entrée. Ceste
riviere est fort plaisante, à cause des belles isles qu'elle
contient, & des terres garnies de beaux bois clairs qui la
bordent: & la terre est bonne pour le labourage.
[Note 328: Ou Ouaouiechkaïrini, la Petite Nation. (Voir 1613, p. 299,
note 1.)]
Le 4, nous passasmes proche d'une autre riviere[329] qui vient
du nort, où se tiennent des peuples appellez Algoumequins,
laquelle va tomber dans le grand fleuve Sainct Laurent, trois
lieues aval le Sault Sainct Louys(330) qui fait une grande isle
contenant prés de 40 lieues, laquelle[331] n'est pas large,
mais remplie d'un nombre infiny de sauts, qui sont fort
difficiles à passer. Quelquefois ces peuples passent par ceste
riviere pour eviter les rencontres de leurs ennemis, sçachans
qu'ils ne les recherchent en lieux de il difficile accez.
[Note 329: La Gatineau.]
[Note 330: En remontant la Gatineau, on va tomber par le Saint-Maurice,
trente lieues à val le saut Saint-Louis. (Voir 1613, p. 299, note 3.)]
[Note 331: Laquelle rivière, c'est-à-dire, la Gatineau.]
A l'emboucheure d'icelle il y en a une autre[332] qui vient du
sud, où à son entrée il y a une cheutte d'eau admirable: car
elle tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses[333] de
haut, qu'elle fait une arcade, ayant de largeur prés de 400
206/862 pas. Les Sauvages passent dessouz par plaisir, sans se
mouiller, que du poudrin que fait ladite eau. Il y a une isle
au milieu de ladite riviere, qui est comme tout le terroir
d'alentour, remplie de pins & cèdres blancs. Quand les Sauvages
veulent entrer dans la riviere, ils montent la montagne en
portant leurs canaux, & font demie lieue par terre. Les terres
des environs sont remplies de toute sorte de chasse, qui fait
que les Sauvages s'y arrestent plustost. Les Hiroquois y
viennent aussi quelquefois les surprendre au passage.
[Note 332: La rivière Rideau.]
[Note 333: Cette chute a une trentaine de pieds de haut.]
Nous passasmes un sault à une lieue de là, qui est large de
demie lieue, & descend de 6 à 7 brasses de haut. Il y a
quantité de petites isles, qui ne sont que rochers aspres &
difficiles, couverts de meschans petits bois. L'eau tombe à un
endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé
par succession de temps un large & profond bassin: si bien que
l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant
de gros bouillons, a fait que les Sauvages l'appellent
_asticou_, qui veut dire chaudiere. Ceste cheutte d'eau meine
un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend de plus de deux
lieues. Les Sauvages passans par là, font une cérémonie que
nous dirons en son lieu. Nous eusmes beaucoup de peine à monter
contre un grand courant, à force de rames, pour parvenir au
pied dudit sault, où les Sauvages prirent les canaux, & nos
François & moy, nos armes, vivres, & autres commoditez, pour
passer par l'aspreté des rochers environ un quart de lieue que
contient le sault, & aussi tost nous fallut embarquer, puis
207/863 derechef mettre pied à terre pour passer par des taillis
environ 300 pas; & aprés se mettre en l'eau pour faire passer
nos canaux par dessus les rochers aigus, avec autant de peine
que l'on sçauroit s'imaginer. Je prins la hauteur du lieu, &
trouvay 45 degrez 38 minutes de latitude[334].
[Note 334: Le saut de la Chaudière est à environ 45° 12'.]
Après midy nous entrasmes dans un lac[335] ayant 5 lieues de
long, & 2 de large, où il y a de fort belles isles remplies de
vignes, noyers, & autres arbres agréables: & 10 ou 12 lieues de
là amont la riviere nous passasmes par quelques isles remplies
de pins. La terre est sablonneuse, & s'y trouve une racine qui
teint en couleur cramoisie, de laquelle les Sauvages se
peindent le visage, & mettent de petits affiquets à leur usage.
Il y a aussi une coste de montagnes du long de ceste riviere, &
le pays des environs semble assez fascheux. Le reste du jour
nous le passasmes dans une ise fort agréable.
[Note 335: Le lac de la Chaudière.]
Le lendemain[336] nous continuasmes nostre chemin jusques à un
grand sault[337], qui contient prés de 3 lieues de large, où
l'eau descend comme de 10 ou 12 brasses de haut en talus, &
fait un merveilleux bruit. Il est remply d'une infinité d'isles
couvertes de pins & de cèdres; & pour le passer il nous fallut
resoudre de quitter nostre maïs ou bled d'Inde, & peu d'autres
vivres que nous avions, avec les hardes moins necessaires,
reservans seulement nos armes & filets, pour nous donner à
vivre selon les lieux, & l'heur de la chasse. Ainsi, allégez,
208/864 nous passasmes tant à l'aviron, que par terre, en portant nos
canaux & armes par ledit sault, qui a une lieue & demie de
long, où nos Sauvages qui sont infatigables à ce travail, &
accoustumez à endurer telles necessitez, nous soulagerent
beaucoup.
[Note 336: Le 5 de juin.]
[Note 337: Ce saut et les deux autres mentionnés plus loin, forment ce
qu'on appelle le rapide des Chats.]
Poursuivans nostre routte nous passasmes deux autres sauts,
l'un par terre, l'autre à la rame, & avec des perches en
debouttant, puis entrasmes dans un lac[338] ayant 6 ou 7 lieues
de long, où se descharge une riviere[339] venant du sud, où à
cinq journées de l'autre riviere il y a des peuples qui y
habitent appellez Matououescarini. Les terres d'environ ledit
lac sont sablonneuses, & couvertes de pins, qui ont esté
presque tous bruslez par les Sauvages. Il y a quelques isles,
dans l'une desquelles nous reposasmes, & veismes plusieurs
beaux cyprès rouges, les premiers que j'eusse veu en ce pays,
desquels je fis une croix, que je plantay à un bout de l'isle,
en lieu eminent, & en veue, avec les armes de France, comme
j'ay fait aux autres lieux où nous avions posé. Je nommay cette
isle, l'isle Ste Croix.
[Note 338: Le lac des Chats.]
[Note 339: La rivière de Madaouaska, ou des Madaouaskaïrini.]
Le 6 nous partismes de ceste isle saincte Croix, où la riviere
est large d'une lieue & demie, & ayans fait 8 ou 10 lieues,
nous passasmes un petit sault à la rame, & quantité d'isles de
différentes grandeurs. Icy nos Sauvages laisserent leurs sacs
avec leurs vivres, & les choses moins necessaires, afin d'estre
plus légers pour aller par terre, & eviter plusieurs sauts
qu'il falloit passer. Il y eut une grande contestation entre
209/865 nos Sauvages & nostre imposteur, qui affermoit qu'il n'y avoit
aucun danger par les sauts, & qu'il y falloit passer. Nos
Sauvages luy dirent, Tu es las de vivre. Et à moy, que je ne
le devois croire, & qu'il ne disoit pas vérité. Ainsi ayant
remarqué plusieurs fois qu'il n'avoit aucune cognoissance
desdits lieux, je suivis l'advis des Sauvages, dont bien m'en
print, car il cherchoit des difficultez pour me perdre, ou pour
me dégouster de l'entreprise, comme il confessa depuis (dequoy
sera parlé cy-aprés). Nous traversasmes donc la riviere à
l'ouest, qui couroit au nort, & pris la hauteur de ce lieu, qui
estoit par 46° 2/3[340] de latitude. Nous eusmes beaucoup de
peine à faire ce chemin par terre, estant chargé seulement pour
ma part de trois harquebuzes, autant d'avirons, de mon capot, &
quelques petites bagatelles. J'encourageois nos gens, qui
estoient un peu plus chargez, & plus grevez des mousquites, que
de leur charge.
[Note 340: Il faut lire 45° et deux tiers. (Voir 1613, p. 303, note 1.)]
Ainsi après avoir passe quatre petits estangs, & cheminé deux
lieues & demie, nous estions tant fatiguez, qu'il nous estoit
impossible de passer outre, à cause qu'il y avoit prés de 24
heures que n'avions mangé qu'un peu de poisson rosty, sans
autre saulce, car nous avions laisse nos vivres, comme j'ay dit
cy-dessus. Nous nous reposasmes sur le bord d'un estang, qui
estoit assez agréable, & fismes du feu pour chasser les
mousquites qui nous molestoient fort, l'importunité desquelles
est si estrange, qu'il est impossible d'en pouoir faire la
description. Nous tendismes nos filets pour prendre quelques
poissons.
210/866 Le lendemain[341] nous passasmes cet estang, qui pouvoit
contenir une lieue de long, & puis par terre cheminasmes 3
lieues par des pays difficiles plus que n'allions encor veu, à
cause que les vents avoient abbatu des pins les uns sur les
autres, qui n'est pas petite incommodité, car il faut passer
tantost dessus & tantost dessouz ces arbres. Ainsi nous
parvinsmes à un lac[342], ayant 6 lieues de long, & 2 de large,
fort abondant en poisson, aussi les peuples des environs y font
leur pescherie. Prés de ce lac y a une habitation de Sauvages
qui cultivent la terre, & recueillent du maïs. Le chef se nomme
Nibachis, lequel nous vint voir avec sa troupe, esmerveillé
comment nous avions peu passer les sauts & mauvais chemins
qu'il y avoit pour parvenir à eux. Et après nous avoir presenté
du petum selon leur mode, il commença à haranguer ses
compagnons, leur disant; Qu'il falloit que fussions tombez des
nues, ne sçachant comment nous avions peu passer, & qu'eux
demeurans au pays avoient beaucoup de peine à traverser ces
mauvais passages, leur faisant entendre que je venois à bout de
tout ce que mon esprit vouloit. Bref qu'il croyoit de moy ce
que les autres Sauvages luy en avoient dit. Et sçachans que
nous avions faim, ils nous donnèrent du poisson, que nous
mangeasmes: & après disné, je leur fis entendre par Thomas mon
truchement, l'aise que j'avois de les avoir rencontrez. Que
j'estois en ce pays pour les assister en leurs guerres, & que
je desirois aller plus avant voir quelques autres Capitaines
211/867 pour mesme effect, dequoy ils furent joyeux, & me promirent
assistance. Ils me monstrerent leurs jardinages & champs, où il
y avoit du maïs. Leur terroir est sablonneux, & pource
s'adonnent plus à la chasse qu'au labeur, au contraire des
Ochataiguins[343]. Quand ils veulent rendre un terroir
labourable, ils coupent & bruslent les arbres, & ce fort
aisément: car ce ne sont que chesnes & ormes. Le bois bruslé
ils remuent un peu la terre, & plantent leur maïs grain à
grain, comme ceux de la Floride. Il n'avoit pour lors que 4
doigts de haut.
[Note 341: Le 7 de juin.]
[Note 342: Le lac au Rat-Musqué.]
[Note 343: Ou Hurons.]
_Continuation. Arrivée vers Tessouat, & le bon accueil qu'il me
fit. Façon de leurs cimetières. Les Sauvages me promirent
quatre canaux pour continuer mon chemin. Tost après me les
refusent. Harangue des Sauvages pour me dissuader mon
entreprise, me remonstrans les difficultés. Response à ces
difficultés. Tessouat argue mon conducteur de mensonge, &
n'avoir esté ou il disoit. Il leur maintint son dire véritable.
Je les presse de me donner des canaux. Plusieurs refus. Mon
conducteur convaincu de mensonge, & sa confession._
CHAPITRE II.
Nibachis fit équiper deux canaux pour me mener voir un autre
Capitaine nommé Tessouat[344], qui demeuroit à 8 lieues de luy,
sur le bord d'un grand lac[345], par où passe la riviere que
212/868 nous avions laissée qui refuit au nort. Ainsi nous traversasmes
le lac à l'ouest norouest prés de 7 lieues, où ayans mis pied à
terre, fismes une lieue au nordest parmy d'assez beaux pays, où
il y a de petits sentiers battus, par lesquels on peut passer
aisément; & arrivasmes sur le bord de ce lac, où estoit
l'habitation de Tessouat, qui estoit avec un autre chef sien
voisin, tout estonné de me voir, & nous dit qu'il pensoit que
ce fust un songe, & qu'il ne croyoit pas ce qu'il voyoit. De là
nous passasmes en une isle[346], où leurs cabanes sont assez
mal couvertes d'escorces d'arbres, qui est remplie de chesnes,
pins & ormeaux, & n'est subjecte aux inondations des eaux,
comme sont les autres isles du lac.
[Note 344: _Conf_. 1603, p. 12.]
[Note 345: Le lac des Allumettes.]
[Note 346: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 307, note 1.)]
Cette isle est forte de scituation: car aux deux bouts
d'icelle, & à l'endroit où la riviere se jette dans le lac, il
y a des sauts fascheux, & l'aspreté d'iceux la rendent forte, &
s'y sont logez pour eviter les courses de leurs ennemis. Elle
est par les 47[347] degrez de latitude, comme est le lac, qui a
10 lieues de long[348], & 3 ou 4 de large, abondant en poisson,
mais la chasse n'y est pas beaucoup bonne.
[Note 347: Par les 46°. (Voir 1613, p. 307, note 2.)]
[Note 348: Conf. 1613, p. 307.]
Ainsi comme je visitois l'isle, j'apperceus leurs cimetières,
où je fus grandement estonné, voyant des sepulchres de forme
semblable aux bières, faits de pièces de bois, croisées par en
haut, & fichées en terre, à la distance de 3 pieds ou environ.
Sur les croisées en haut ils y mettent une grosse pièce de
bois, & au devant une autre tout debout, dans laquelle est
gravé grossierement (comme il est bien croyable) la figure de
celuy ou celle qui y est enterré.
213/869 Si c'est un homme, ils y mettent une rondache, une espée
emmanchée à leur mode, une masse, un arc, & des flesches. S'il
est capitaine, il aura un pennache sur la teste, & quelque
autre bagatelle ou joliveté. Si un enfant, ils luy baillent un
arc & une flesche. Si une femme, ou fille, une chaudière, un
pot de terre, une cueillier de bois, & un aviron. Tout le
tombeau a de longueur 6 ou 7 pieds pour le plus grand, & de
largeur 4, les autres moins. Ils sont peints de jaulne & rouge,
avec plusieurs ouvrages aussi délicats que le tombeau. Le mort
est ensevely dans sa robbe de castor, ou d'autres peaux,
desquelles il se servoit en sa vie, & luy mettent toutes ses
richesses auprès de luy, comme haches, couteaux, chaudières, &
aleines, afin que ces choses luy servent au pays où il va: car
ils croyent l'immortalité de l'âme, comme j'ay dit autre
part[349]. Ces sepulchres de ceste façon ne se font qu'aux
guerriers, car aux autres ils n'y mettent non plus qu'ils font
aux femmes, comme gens inutiles, aussi s'en retrouve-il peu
entr'eux.
[Note 349: Voir 1603, p. 19, 20, et 1613, p. 165.]
Après avoir consideré la pauvreté de ceste terre, je leur
demanday comment ils s'amusoient à cultiver un si mauvais pays,
veu qu'il y en avoit de beaucoup meilleur qu'ils laissoient
desert & abandonné, comme le Sault Sainct Louys. Ils me
respondirent qu'ils en estoient contraints, pour se mettre en
seureté, & que l'aspreté des lieux leur servoit de boulevart
contre leurs ennemis: Mais que si je voulois faire une
habitation de François au Sault Sainct Louys, comme j'avois
214/870 promis, qu'ils quitteroient leur demeure pour se venir loger
prés de nous, estans asseurez que leurs ennemis ne leur
feroient point de mal pendant que nous serions avec eux. Je
leur dis que ceste année nous ferions, les préparatifs de
bois & pierres, pour l'année suivante faire un fort, &
labourer ceste terre. Ce qu'ayans entendu, ils firent un grand
cry en signe d'applaudissement. Ces propos finis, je priay tous
les Chefs et principaux d'entr'eux, de se trouver le lendemain
en la grand'terre, en la cabane de Tessouat, lequel me vouloit
faire Tabagie, & que la je leur dirois mes intentions, ce
qu'ils me promirent, & dés lors envoyerent convier leurs
voisins pour s'y trouver.
Le lendemain[350] tous les conviez vinrent avec chacun son
escuelle de bois, & sa cueillier, lesquels sans ordre ny
cérémonie s'assirent contre terre dans la cabane de Tessouat,
qui leur distribua une maniere de bouillie faite de maïs,
escrazé entre deux pierres, avec de la chair & du poisson,
coupez par petits morceaux, le tout cuit ensemble sans sel. Ils
avoient aussi de la chair rostie sur les charbons, & du poisson
bouilly à part, qu'il distribua aussi. Et pour mon regard,
d'autant que je ne voulois point de leur bouillie, à cause
qu'ils cuisinent fort salement, je leur demanday du poisson &
de la chair, pour l'accommoder à ma mode, qu'ils me donnèrent.
Pour le boire, nous avions de belle eau claire. Tessouat qui
faisoit la Tabagie, nous entretenoit sans manger, suivant leur
coustume.
[Note 350: Le 8 juin.]
La Tabagie faite, les jeunes hommes qui n'assistent pas aux
215/871 harangues & conseils, & qui aux Tabagies demeurent à la porte
des cabanes, sortirent, & puis chacun de ceux qui estoient
demeurez commença à garnir son petunoir, & m'en presenterent
les uns & les autres, & employasmes une grande demie heure à
cet exercice, sans dire un seul mot, selon leur coustume.
Après avoir parmy un si long silence amplement petuné, je leur
fis entendre par mon truchement que le sujet de mon voyage
n'estoit autre, que pour les asseurer de mon affection, & du
desir que j'avois de les assister en leurs guerres, comme
j'avois fait auparavant. Que ce qui m'avoit empesché l'année
dernière de venir, ainsi que je leur avois promis, estoit que
le Roy m'avoit occupé en d'autres guerres, mais que maintenant
il m'avoit commandé de les visiter, & les asseurer de ces
choses, & que pour cet effect j'avois nombre d'hommes au sault
Sainct Louys. Que je m'estois venu promener en leur pays pour
recognoistre la fertilité de la terre, les lacs, rivieres &
mer, qu'ils m'avoient dit estre en leur pays. Que je desirois
voir une nation distante de 8 journées d'eux, nommée
Nebicerini, pour les convier aussi à la guerre; & pource je les
priay de me donner 4 canaux, avec 8 Sauvages, pour me conduire
esdites terres. Et d'autant que les Algoumequins ne sont pas
grands amis des Nebicerini[351], ils sembloient m'escouter avec
plus grande attention.
[Note 351: Voir 1613, p. 311, note 1.]
Mon discours achevé, ils commencèrent derechef à petuner, & à
deviser tout bas ensemble touchant mes propositions: puis
Tessouat pour tous print la parole, & dit; Qu'ils m'avoient
216/872 tousjours recogneu affectionné en leur endroit, qu'aucun
autre François qu'ils eussent veu. Que les preuves qu'ils
en avoient eues par le passe, leur facilitoient la
croyance pour l'advenir. De plus, que je monstrois bien
estre leur amy, en ce que j'avois passé tant de hazards pour
les venir voir, & pour les convier à la guerre, & que toutes
ces choses les obligeoient à me vouloir du bien comme à leurs
propres enfans. Que toutesfois l'année dernière je leur avois
manqué de promesse, & que 200 Sauvages estoient venus au sault,
en intention de me trouver, pour aller à la guerre, & me faire
des presens; & ne m'ayans trouvé, furent fort attristez,
croyans que je fusse mort, comme quelques-uns leur avoient dit:
aussi que les François qui estoient au sault ne les voulurent
assister à leurs guerres, & qu'ils furent mal traittez par
aucuns, de sorte qu'ils avoient resolu entr'eux de ne plus
venir au sault[352], & que cela les avoit occasionnez
(n'esperans plus de me voir) d'aller à la guerre seuls, comme
de faict 200 des leurs y estoient allez. Et d'autant que la
217/873 plus-part des guerriers estoient absents, ils me prioient de
remettre la partie à l'année suivante, & qu'ils feroient
sçavoir cela à tous ceux de la contrée. Pour ce qui estoit des
quatre canaux que je demandois, ils me les accordèrent, mais
avec grandes difficultez, me disans qu'il leur desplaisoit fort
de telle entreprise, pour les peines que j'y endurerois. Que
ces peuples estoient sorciers, & qu'ils avoient fait mourir
beaucoup de leurs gens par sort & empoisonnemens, & que pour
cela ils n'estoient amis. Au surplus, que pour la guerre je
n'avois affaire d'eux, d'autant qu'ils estoient de petit coeur,
me voulans destourner, avec plusieurs autres propos sur ce
sujet.
[Note 352: Ce passage nous fait voir combien Pont-Gravé et Champlain
avaient raison de cultiver tous ces peuples. Comment, en effet, établir
solidement une colonie dans un pays aussi éloigné, avec si peu de
moyens, si l'on ne commençait par s'assurer l'amitié des nations
indigènes? si l'on ne cherchait à s'en faire des alliés, en les
secourant même contre leurs ennemis, afin de pouvoir explorer le pays,
en bien connaître toutes les ressources, et les avantages qu'il pouvait
offrir soit au commerce, soit à la colonisation et à la culture des
terres? Voilà ce qui explique la plupart des démarches de Champlain,
dans ses rapports avec les sauvages du Canada. Ce qu'il y a d'étonnant,
c'est que nos historiens modernes n'aient pas mieux saisi les motifs de
sa conduite, quand il prend la peine de les donner lui-même en cent
endroits différents, et surtout au commencement de son expédition de
615: «Surquoy ledit sieur du Pont, & moy, advisames qu'il estoit
tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger d'avantage à nous
aymer, que pour moyenner la facilité de mes entreprises &
descouvertures, qui ne se pouvoient faire en apparence que par leur
moyen, & aussi que cela leur seroit comme un acheminement, &
préparation, pour venir au Christianisme, en faveur dequoy je me resolu
d'y aller recognoistre leurs pais, & les assister en leurs guerres, afin
de les obliger à me faire veoir ce qu'ils m'avoient tant de fois
promis.» (1619, p. 14, 15.--Voir de plus 1603, p. 7, 8; 1613, p. 173,
175-178, 208, 220, 257, 260, 264, 290, 291.)]
Moy d'autre-part qui n'avois autre desir que de voir ces
peuples, & faire amitié avec eux, pour voir la mer du nort,
facilitois leurs difficultez, leur disant, qu'il n'y avoit pas
loin jusques en leurs pays. Que pour les mauvais partages, ils
ne pouvoient estre plus fascheux que ceux que j'avois passé par
cy-devant: & pour le regard de leurs sortileges, qu'ils
n'auroient aucune puissance de me faire tort, & que mon Dieu
m'en preserveroit. Que je cognoissois aussi leurs herbes, & par
ainsi je me garderois d'en manger. Que je les voulois rendre
ensemble bons amis, & leur ferois des presens pour cet effect,
m'asseurant qu'ils feroient quelque chose pour moy. Avec ces
raisons, ils m'accordèrent, comme j'ay dit, ces quatre canaux,
dequoy je fus fort joyeux, oubliant toutes les peines passées,
sur l'esperance que j'avois de voir ceste mer tant desirée.
Pour passer le reste du jour, je me fus proumener par les
218/874 jardins, qui n'estoient remplis que de quelques citrouilles,
phasioles, & de nos pois, qu'ils commencent à cultiver, où
Thomas mon truchement, qui entendoit fort bien la langue, me
vint trouver pour m'advertir que ces Sauvages, après que je les
eus quittez, avoient songé que si j'entreprenois ce voyage, que
je mourrois, & eux aussi, & qu'ils ne me pouvoient bailler ces
canaux promis, d'autant qu'il n'y avoit aucun d'entr'eux qui me
voulust conduire, mais que je remisse ce voyage à l'année
prochaine, & qu'ils m'y meneroient en bon équipage, pour se
défendre d'iceux, s'ils leur vouloient mal faire, pource qu'ils
sont mauvais.
Ceste nouvelle m'affligea fort, & soudain m'en allay les
trouver, & leur dis, que je les avois jusques à ce jour estimez
hommes, & véritables, & que maintenant ils se monstroient
enfans & mensongers, & que s'ils ne vouloient effectuer leurs
promesses, ils ne me feroient paroistre leur amitié. Toutesfois
que s'ils se sentoient incommodez de quatre canaux, qu'ils ne
m'en baillassent que deux, & 4 Sauvages seulement.
Ils me representerent derechef la difficulté des passages, le
nombre des sauts, la meschanceté de ces peuples, & que c'estoit
pour crainte qu'ils avoient de me perdre qu'ils me faisoient ce
refus. Je leur fis response, que j'estois fasché de ce qu'ils
se monstroient si peu mes amis, & que je ne l'eusse jamais
creu. Que j'avois un garçon (leur monstrant mon imposteur) qui
avoit esté dans leur pays, & n'avoit recogneu toutes les
difficultez qu'ils faisoient, ny trouvé ces peuples si mauvais
qu'ils disoient. Alors ils commencèrent à le regarder, &
219/875 specialement Tessouat vieux Capitaine, avec lequel il avoit
hyverné, & l'appellant par son nom, luy dit en son langage:
Nicolas, est-il vray que tu as dit avoir esté aux Nebicerini?
Il fut long temps sans parler, puis il leur dit en leur langue,
qu'il parloit aucunement, Ouy, j'y ay esté. Aussi tost ils le
regardèrent de travers, & se jettans sur luy, comme, s'ils
l'eussent voulu manger ou deschirer, firent de grands cris, &
Tessouat luy dit: Tu es un asseuré menteur: tu sçais bien que
tous les soirs tu couchois à mes costez avec mes enfans, & tous
les matins tu t'y levois: si tu as esté vers ces peuples, c'a
esté en dormant. Comment as tu esté si impudent d'avoir donné à
entendre à ton chef des mensonges, & si meschant de vouloir
hazarder sa vie parmy tant de dangers? tu es un homme perdu, &
te devroit faire mourir plus Cruellement que nous ne faisons
nos ennemis. Je ne m'estonne pas s'il nous importunoit tant sur
l'asseurance de ses paroles. A l'heure je luy dis qu'il eust à
respondre, & que s'il avoit esté en ces terres qu'il en donnast
des enseignemens pour me le faire croire, & me tirer de la
peine où il m'avoit mis, mais il demeura muet & tout esperdu.
Alors je le tiray à l'escart des Sauvages, & le conjuray de me
déclarer s'il avoit veu ceste mer, & s'il ne l'avoit veue,
qu'il me le dist. Derechef avec juremens il afferma tout ce
qu'il avoit par cy-devant dit, & qu'il me le feroit voir, si
ces Sauvages vouloient bailler des canaux.
Sur ces discours Thomas me vint advertir que les Sauvages de
l'isle envoyoient secrettement un canot aux Nebicerini, pour
220/876 les advertir de mon arrivée. Et pour me servir de
l'occasion, je fus trouver lesd. Sauvages, pour leur dire que
j'avois songé ceste nuict qu'ils vouloient envoyer un canot aux
Nebicerini, sans m'en advertir; dequoy j'estois adverty, veu
qu'ils sçavoient que j'avois volonté d'y aller. A quoy ils me
firent response, disans que je les offensois fort, en ce que je
me fiois plus à un menteur, qui me vouloit faire mourir, qu'à
tant de braves Capitaines qui estoient mes amis, & qui
cherissoient ma vie. Je leur repliquay, que mon homme (parlant
de nostre imposteur) avoit esté en ceste contrée avec un des
parens de Tessouat, & avoit veu la mer, le bris & fracas d'un
vaisseau Anglois, ensemble 80 testes que les Sauvages avoient,
& un jeune garçon Anglois qu'ils tenoient prisonnier, dequoy
ils me vouloient faire present.
Ils s'escrierent plus que devant, entendans parler de la mer,
des vaisseaux, des testes des Anglois, & du prisonnier, qu'il
estoit un menteur, & ainsi le nommèrent-ils depuis, comme la
plus grande injure qu'ils luy eussent peu faire, disans tous
ensemble qu'il le falloit faire mourir, ou qu'il dist celuy
avec lequel il y avoit esté, & qu'il declarast les lacs,
rivieres & chemins par lesquels il avoit passé. A quoy il fit
response, qu'il avoit oublié le nom du Sauvage, combien qu'il
me l'eust nommé plus de vingt fois, & mesme le jour de devant.
Pour les particularitez du pays, il les avoit descrites dans un
papier qu'il m'avoit baillé. Alors je presentay la carte, & la
fis interpréter aux Sauvages, qui l'interrogèrent sur icelle: à
quoy il ne sit response, ains par son morne silence manifesta
sa meschanceté.
221/877 Mon esprit voguant en incertitude, je me retiray à part, & me
representay les particularitez du voyage des Anglois cy-devant
dites, & les discours de nostre menteur estre assez conformes;
aussi qu'il y avoit peu d'apparence que ce garçon eust inventé
tout cela, & qu'il n'eust voulu entreprendre le voyage: mais
qu'il estoit plus croyable qu'il avoit veu ces choses, & que
son ignorance ne luy permettoit de respondre aux interrogations
des Sauvages: joint aussi que si la relation des Anglois est
véritable, il faut que la mer du nort ne soit pas esloignée de
ces terres de plus de 100 lieues de latitude: car j'estois souz
la hauteur de 47 degrez de latitude, & 296 de longitude[353]:
mais il se peut faire que la difficulté de passer les sauts,
l'aspreté des montagnes remplies de neiges, soit cause que ces
peuples n'ont aucune cognoissance de ceste mer: bien m'ont-ils
tousjours dit, que du pays des Ochataiguins il n'y a que 35 ou
40 tournées jusques à la mer qu'ils voyent en 3 endroits, ce
qu'ils m'ont encores asseuré ceste année: mais aucun ne m'a
parlé de ceste mer du nort, que ce menteur, qui m'avoit fort
resjouy à cause de la briefveté du chemin.
[Note 353: Voir 1613, p. 293, note 3, 307 note 2, et 316 note 2.]
Or comme ce canot s'apprestoit, je le fis appeller devant ses
compagnons, & en luy representant tout ce qui s'estoit passé,
je luy dis qu'il n'estoit plus question de dissimuler, & qu'il
falloit dire s'il avoit veu les choses dites, ou non. Que je me
voulois servir de la commodité qui se presentoit. Que j'avois
oublié tout ce qui s'estoit passé: mais que si je passois plus
outre, je le ferois pendre & estrangler.
222/878 Après avoir songé à luy, il se jetta à genoux, & me demanda
pardon, disant, que tout ce qu'il avoit dit, tant en France,
qu'en ce pays, touchant ceste mer, estoit faux. Qu'il ne
l'avoit jamais veue, & qu'il n'avoit pas esté plus avant que le
village de Tessouat; & avoit dit ces choses pour retourner en
Canada. Ainsi transporté de colère je le fis retirer, ne le
pouvant plus voir devant moy, donnant charge à Thomas de
s'enquérir de tout particulièrement: auquel il acheva de dire
qu'il ne croyoit pas que je deusse entreprendre le voyage, à
cause des dangers, croyant que quelque difficulté se pourroit
presenter, qui m'empescheroit de passer, comme celle de ces
Sauvages, qui ne me vouloient bailler des canaux: ainsi que
l'on remettroit le voyage à une autre année, & qu'estant en
France, il auroit recompense pour sa descouverture, & que si je
le voulois laisser en ce pays, qu'il iroit tant qu'il la
trouveroit, quand il y devroit mourir. Ce sont ses paroles, qui
me furent rapportées par Thomas, qui ne me contenterent pas
beaucoup, estant esmerveillé de l'effronterie & meschanceté de
ce menteur: ne pouvant m'imaginer comment il avoit forgé ceste
imposture, sinon qu'il eust ouy parler du voyage des Anglois cy
mentionné, & que sur l'esperance d'avoir quelque recompense
comme il disoit, il avoit en la témérité de mettre cela en
avant.
Peu de temps après je fus advertir les Sauvages, à mon grand
regret, de la malice de ce menteur, & qu'il m'avoit confessé la
vérité, dequoy ils furent joyeux, me reprochans le peu de
confiance que j'avois en eux, qui estoient Capitaines, mes
223/879 amis, qui disoient tousjours vérité, & qu'il falloit faire
mourir ce menteur, qui estoit grandement malicieux, me
disans: Ne vois-tu pas qu'il t'a voulu faire mourir? donne le
nous, & nous te promettons qu'il ne mentira jamais. Comme je
veis qu'eux & leurs enfans crioient tous après luy, je leur
défendis de luy faire aucun mal, & aussi d'empescher leurs
enfans de ce faire, d'autant que je le voulois remener au
sault pour luy faire faire son rapport, & qu'estant là,
j'adviserois ce que j'en ferois.
Mon voyage estant achevé par ceste voye, & sans aucune
esperance de voir la mer de ce costé là, sinon par conjecture,
le regret de n'avoir mieux employé le temps me demeura, avec
les peines & travaux qu'il me fallut tollerer patiemment. Si je
me fusse transporté d'un autre costé, suivant la relation des
Sauvages, j'eusse esbauché une affaire qu'il fallut remettre à
une autre fois.
N'ayant pour l'heure autre desir que de m'en revenir, je
conviay les Sauvages de venir au Sault Sainct Louis, où ils
recevroient bon traittement, ce qu'ils firent sçavoir à tous
leurs voisins.
Avant que partir, je fis une croix de cedre blanc, laquelle je
plantay sur le bord du lac en un lieu eminent, avec les armes
de France, & priay les Sauvages la vouloir conserver, comme
aussi celles qu'ils trouveroient du long des chemins où nous
avions passé. Ils me promirent ainsi le faire, & que je les
retrouverois quand je retournerois vers eux.
224/880
_Nostre retour au Sault. Fausse alarme. Cérémonie du sault de
la Chaudière. Confession de nostre menteur devant un chacun.
Nostre retour en France._
CHAPITRE III.
Le 10 Juin je prins congé de Tessouat, auquel je fis quelques
presens, & luy promis, si Dieu me conservoit en santé, de venir
l'année prochaine en équipage, pour aller à la guerre: & luy me
promit d'assembler grand peuple pour ce temps là, disant, que
je ne verrois que Sauvages, & armes, qui me donneroient
contentement; & me bailla son fils pour me faire compagnie.
Ainsi nous partismes avec 4[354] canaux, & passasmes par la
riviere que nous avions laissée, qui court au nort[355], où
nous mismes pied à terre pour traverser des lacs[356]. En
chemin nous rencontrasmes 9 grands canaux de Ouescharini, avec
40 hommes forts & puissans, qui venoient aux nouvelles qu'ils
avoient eues; & d'autres que rencontrasmes aussi, qui faisoient
ensemble 60 canaux, & 20 autres qui estoient partis devant
nous, ayans chacun assez de marchandises.
[Note 354: L'édition de 1613 porte «40.»; ce qui paraît plus
vraisemblable.]
[Note 355: La rivière court au nort à l'endroit où il l'avait quittée.]
[Note 356: Voir 1613, p. 319, note 2.]
Nous passasmes six ou sept sauts depuis l'isle des
Algoumequins[357] jusques au petit sault, pays fort
desagreable. Je recogneus bien que si nous fussions venus par
là, que nous eussions eu beaucoup plus de peine, & mal-aisément
eussions nous passé: & ce n'estoit sans raison que les Sauvages
225/881 contestoient contre nostre menteur, qui ne cherchoit qu'à me
perdre.
[Note 357: L'île des Allumettes. (Voir 1613, p. 320, notes 1 et 2.)]
Continuant nostre chemin dix ou douze lieues au dessouz l'isle
des Algoumequins, nous posasmes dans une isle fort agréable,
remplie de vignes & noyers, où nous fismes pescherie de beau
poisson. Sur la minuict arriva deux canaux qui venoient de la
pesche plus loin, lesquels rapportèrent avoir veu quatre canaux
de leurs ennemis. Aussi tost on depescha trois canaux pour les
recognoistre, mais ils retournèrent sans avoir rien veu. En
ceste asseurance chacun print le repos, excepté les femmes, qui
se resolurent de passer la nuict dans leurs canaux, ne se
trouvans asseurées à terre. Une heure avant le jour un Sauvage
songeant que les ennemis le chargeoient, se leva en sursault, &
se print à courir vers l'eau pour se sauver, criant, _On me
tue_. Ceux de sa bande s'esveillerent tout estourdis; & croyans
estre poursuivis de leurs ennemis se jetterent en l'eau, comme
aussi fit un de nos François, qui croyoit qu'on l'assommast. A
ce bruit nous autres qui estions esloignez, fusmes aussi tost
esveillez, & sans plus s'enquérir accourusmes vers eux. Mais
les voyans en l'eau errans ça & là, estions fort estonnez, ne
les voyans poursuivis de leurs ennemis, ny en estat de se
défendre. Après que j'eus enquis nostre François de la cause de
ceste émotion, & m'avoir raconté comme cela estoit arrivé, tout
se passa en risée & moquerie.
En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au sault de la
Chaudière, où les Sauvages firent la ceremonie accoustumée, qui
226/882 est telle. Après avoir porté leurs canaux au bas du sault, ils
s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois
va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau
de petum. La queste faite, le plat est mis au milieu de la
troupe, & tous dancent à l'entour, en chantant à leur mode:
puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que dés
long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que
par ce moyen ils sont garentis de leurs ennemis: qu'autrement
il leur arriveroit du mal-heur, ainsi que leur persuade le
diable, & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs
autres, comme nous avons dit ailleurs. Cela fait, le harangueur
prend le plat, & va jetter le petum au milieu de la chaudière,
& font un grand cry tous ensemble. Ces pauvres gens sont si
superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils
n'avoient fait ceste cérémonie en ce lieu, d'autant que leurs
ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus
avant à cause des mauvais chemins, & les surprennent là
quelquefois.
Le lendemain nous arrivasmes à une isle qui est à l'entrée du
lac, distante du grand sault Sainct Louis de 7 à 8 lieues, où
reposans la nuict, nous eusmes une autre alarme, les sauvages
croyans avoir veu des canaux de leurs ennemis: ce qui leur fit
faire plusieurs grands feux, que je leur fis esteindre leur
remonstrant l'inconvenient qui en pouvoit arriver, sçavoir,
qu'au lieu de se cacher, ils se manifestoient.
Le 17 Juin nous arrivasmes au Sault Sainct Louys, où je leur
fis entendre que je ne desirois pas qu'ils traittassent aucunes
227/883 marchandises que je ne leur eusse permis[358], & que pour des
vivres je leur en ferois bailler si tost que serions arrivez;
ce qu'ils me promirent, disans qu'ils estoient mes amis. Ainsi
poursuivant nostre chemin, nous arrivasmes aux barques, &
fusmes saluez de quelques canonades, dequoy quelques uns de
nos Sauvages estoient joyeux, & d'autres fort estonnez,
n'ayans jamais ouy telle musique. Ayans mis pied à terre,
Maisonneufve me vint trouver, avec le passeport de
Monseigneur le Prince. Aussi tost que je l'eus veu, je le
laissay luy & les siens jouir du bénéfice d'iceluy, comme nous
autres, & fis dire aux Sauvages qu'ils pouvoient traitter le
lendemain.
[Note 358: On se demande pourquoi cette défense, quand Champlain
lui-même les a engagés à venir à la traite: c'est que, comme il est dit
dans l'édition de 1613, «L'Ange était venu au-devant de l'auteur, dans
un canot, pour l'avertir que le sieur de Maisonneuve, de Saint-Malo,
avait apporté un passe-port de Monseigneur le Prince pour trois
vaisseaux.» (1613, p. 322.)]
Ayant raconté à tous ceux de la barque[359] les particularitez
de mon voyage, & la malice de nostre menteur, ils furent fort
estonnez, & les priay de s'assembler, afin qu'en leur presence,
des Sauvages, & de ses compagnons, il declarast sa meschanceté;
ce qu'ils firent volontiers. Ainsi estans assemblez, ils le
firent venir, & l'interrogèrent pourquoy il ne m'avoit monstré
la mer du nort, comme il m'avoit promis. Il leur fit response,
qu'il avoit promis une chose impossible, d'autant qu'il n'avoit
jamais veu cette mer: mais que le desir de faire le voyage luy
avoit fait dire cela, aussi qu'il ne croyoit que je le deusse
entreprendre. Parquoy les prioit luy vouloir pardonner, comme
il fit à moy, confessant avoir grandement failly: mais que si
228/884 je le voulois laisser au pays, qu'il feroit tant qu'il
repareroit la faute, verroit ceste mer, & en rapporteroit
certaines nouvelles l'année suivante. Pour quelques
considerations je luy pardonnay, à ceste condition[360].
[Note 359: Conf. 1613, p. 323.]
[Note 360: Ici, l'édition de 1613, renferme quelques détails de plus.
(Voir 6l3, p. 323, 324.)]
Après que les Sauvages eurent traitté leurs marchandises, &
qu'ils eurent resolu de s'en retourner, je les priay de mener
avec eux deux jeunes hommes pour les entretenir en amitié, leur
faire voir le pays, & les obliger à les ramener, dont ils
firent grande difficulté, me representans la peine que m'avoit
donné nostre menteur, craignans qu'ils me feroient de faux
rapports, comme il avoit fait. Je leur fis response, que s'ils
ne les vouloient emmener ils n'estoient pas mes amis, & pour ce
ils s'y resolurent.
Pour nostre menteur, aucun de ces Sauvages n'en voulut, pour
prière que je leur fis, & le laissasmes à la garde de Dieu.
Voyant n'avoir plus rien à faire en ce pays, je me resolus de
passer en France, & arrivasmes à Tadoussac le 6 Juillet.
Le 8 Aoust[361] le temps se trouva propre, qui nous en fit
partir, & le 26 du mesme mois[362] nous arrivasmes à Sainct
Malo.
[Note 361: Le 8 juillet. (Voir 1613, p. 325, note 1.)]
[Note 362: Le 26 août.]
229/885
_L'Autheur va trouver le Sieur de Mons, qui luy commet la
charge d'entrer en la societé. Ce qu'il remonstre à Monsieur le
Comte de Soissons. Commission qu'il luy donne. L'Autheur
s'addresse à Monsieur le Prince qui le prend en sa protection._
CHAPITRE IIII.[363]
[Note 363: Chapitre V de la première édition. Le chapitre IV, ayant
rapport aux années 1616-1620, a été remis à la place que l'auteur
lui-même a dû lui destiner, c'est-à-dire, à la fin de cette première
partie.]
Aprés mon retour en France[364], je fus trouver le Sieur de
Mons à Pons en Xainctonge, d'où il estoit gouverneur, auquel je
fis entendre le succez de toute l'affaire, & le remède qu'il y
falloit apporter. Il trouva bon tout ce que je luy en dis; & es
affaires ne luy pouvant permettre de venir en Cour, il m'en
commit la poursuitte, & m'en laissa toute la charge, avec
procuration d entrer en ceste societé, de telle somme que
j'adviserois bon estre pour luy. Estant arrivé en Cour, j'en
dressay des mémoires, lesquels je communiquay à feu Monsieur le
President Jeannin, qui les trouva tres-justes, & m'encouragea à
la poursuitte, & mesmes voulut me faire ceste faveur que de se
charger desdits mémoires, pour les faire voir au Conseil. Et
voyant bien que ceux qui aimeroient à pescher en eau trouble
230/886 trouveroient ces reglemens fascheux, & recercheroient les
moyens de l'empescher, comme ils avoient fait par le passé, il
me sembla à propos de me jetter entre les bras de quelque
grand, du quel l'auctorité peust repousser l'envie.
[Note 364: En 1611. (Voir 1613, p. 284.) L'auteur semble avoir voulu,
dans ce chapitre, faire comme un résumé de toutes les difficultés qu'il
fallut surmonter depuis que les associés de M. de Monts «ne voulurent
plus continuer en l'association, pour n'avoir point de commission qui
pût empêcher un chacun d'aller en ces nouvelles découvertures négocier
avec les habitants du pays» (1613, p. 266). Mais pour avoir une idée
complète de ce qui se passa alors, il faut rapprocher de ce passage les
suivants: 1613, p. 265-7, 283-7; 1619, p. 2, 108, 112.]
Ayant eu cognoissance avec feu Monseig. le Comte de Soissons
(Prince pieux & affectionné en toutes vertueuses & sainctes
entreprises) par l'entremise de quelques miens amis qui
estoient de son conseil, je luy monstray l'importance de
l'affaire, le moyen de la régler, le mal que le désordre avoit
apporté par le passé, & apporteroit une ruine totale, au grand
deshonneur du nom François, si Dieu ne suscitoit quelqu'un qui
le voulust relever. Comme il fut instruit de toute l'affaire,
il veit la carte du pays, & me promit souz le bon plaisir du
Roy d'en prendre la protection. Cependant monsieur le President
Jeanin fait voir les articles à Messeig. du Conseil, par
lesquels nous demandions à sa Majesté qu'il luy pleust nous
donner mond. Seigneur le Comte pour protecteur. Ce qui fut
accordé par nosdits Seigneurs de son Conseil; lequel renvoya
neantmoins les articles à feu Monseig. le Duc d'Anville, Pair &
Admiral de France, qui approuva grandement ce dessein,
promettant d'y apporter tout ce qu'il pourroit du sien en
faveur de ceste entreprise. Comme j'estois sur le point de
faire publier les patentes de sa Commission[365] par tous les
ports & havres du Royaume, & m'ayant honoré de sa Lieutenance,
pour faire telle societé qui me sembleroit bonne, ainsi qu'il
231/887 se voit par sad. Commission icy insérée, une griesve maladie
surprit mond. Seigneur à Blandy, dont il mourut[366], qui
recula ceste affaire; ausquelles choses nos envieux n'avoient
osé attenter, jusques après sa mort, qu'ils pensoient que tout
fust décheu.
[Note 365: La commission du comte de Soissons est du 8 octobre 1612.
(Voir 1613, p. 285, note 1.)]
[Note 366: «Le jour de la Toussaincts premier de Novembre» (1612) «à
quatre heures du matin, Monsieur le Comte de Soissons, Prince du sang de
France, mourut en son chasteau de Blandy. Tous les François regrettèrent
ce Prince pour sa vertu.» (Mercure François, an. 1612, p. 582.)]
«CHARLES DE BOURBON Comte de Soissons, Pair & grand Maistre de
France, Gouverneur pour le Roy és pays de Normandie & Dauphiné,
& son Lieutenant général au pays de la nouvelle France. A tous
ceux qui ces presentes Lettres verront, Salut. Sçavoir faisons
à tous qu'il appartiendra, que pour la bonne & entière
confiance que nous avons de la personne du Sieur Samuel de
Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en la marine, & de
ses sens, suffisance, practique & expérience au faict de la
marine, & bonne diligence, cognoissance qu'il a audit pays,
pour les diverses négociations, voyages & fréquentations qu'il
y a faits, & en autres lieux circonvoisins d'iceluy: A iceluy
Sieur de Champlain pour ces causes, & en vertu du pouvoir à
nous donné par sa Majesté, Avons commis, ordonné & député,
commettons, ordonnons & députons par ces presentes, nostre
Lieutenant, pour representer nostre personne audit pays de la
nouvelle France: & pour cet effect luy avons ordonné d'aller se
loger avec tous ses gens, au lieu appelle Québec, estant dedans
232/888 le fleuve Sainct Laurent, autrement appellé la grande riviere
de Canada audit pays de la nouvelle France: & audit lieu, &
autres endroits que ledit Sieur de Champlain advisera bon
estre, y faire construire & bastir tels autres forts &
forteresses qui luy sera besoin & necessaire pour sa
conservation, & de sesdits gens, lequel fort, ou forts, nous
gardera à son pouvoir: pour audit lieu de Québec, & autres
endroits en l'estendue de nostre pouvoir, & tant & si avant que
faire se pourra, establir, estendre, & faire cognoistre le nom,
puissance, & autorité de sa Majesté, & à icelle assubjectir,
souz-mettre, & faire obéir tous les peuples de ladite terre, &
les circonvoisins d'icelle, & par le moyen de ce, & de toutes
autres voyes licites, les appeller, faire instruire, provoquer
& esmouvoir à la cognoissance & service de Dieu, & à la lumière
de la foy & Religion Catholique, Apostolique & Romaine, la y
establir, & en l'exercice & profession d'icelle maintenir,
garder & conserver lesdits lieux souz l'obeissance & auctorité
de sad. Majesté. Et pour y avoir égard & vacquer avec plus
d'asseurance, Nous avons en vertu de nostredit pouvoir, permis
audit Sieur de Champlain commettre, establir, & constituer tels
Capitaines & Lieutenans que besoin sera. Et pareillement
commettre des Officiers pour la distribution de la justice, &
entretien de la police, reglemens & ordonnances, traitter,
contracter à mesme effect, paix, alliance, & confédération,
bonne amitié, correspondance & communication avec lesdits
233/889 peuples, & leurs Princes, ou autres ayans pouvoir &
commandement sur eux, entretenir, garder, & soigneusement
conserver les traittez & alliances dont il conviendra avec eux,
pourveu qu'ils y satisfacent de leur part. Et à ce default,
leur faire guerre ouverte, pour les contraindre & amener à
telle raison qu'il jugera necessaire, pour l'honneur,
obeissance, & service de Dieu, & l'establissement, manutention
& conservation de l'authorité de sadite Majesté parmy eux; du
moins pour vivre, demeurer, hanter, & fréquenter avec eux en
toute asseurance, liberté, fréquentation, & communication, y
négocier & trafiquer amiablement & paisiblement: faire faire à
ceste fin les descouvertures & recognoissances desdites terres,
& notamment depuis ledit lieu appellé Québec, jusques & si
avant qu'il se pourra estendre au dessus d'icelui, dedans les
terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit fleuve Sainct
Laurent, pour essayer de trouver le chemin facile pour aller
par dedans ledit païs au païs de la Chine & Indes Orientales,
ou autrement, tant & si avant qu'il se pourra, le long des
costes, & en la terre ferme: faire soigneusement rechercher &
recognoistre toutes sortes de mines d'or, d'argent, cuivre, &
autres métaux, & minéraux; les faire faire fouiller, tirer,
purger, & affiner, pour estre convertis, & en disposer selon &
ainsi qu'il est prescript par les Edicts & Reglemens de sa
Majesté, & ainsi que par nous sera ordonné. Et où led. Sieur
de Champlain trouveroit des François, & autres, trafiquans,
negocians, & communiquans avec les Sauvages, & peuples estans
depuis led. lieu de Québec, & au dessus d'iceluy, comme dessus
234/890 est dit, & qui n'ont esté reservez par sa Majesté, Luy avons
permis & permettons s'en saisir & apprehender, ensemble leurs
vaisseaux, marchandises, & tout ce qui s'y trouvera à eux
appartenant, & iceux faire conduire & amener en France és
havres de nostre Gouvernement de Normandie, és mains de la
justice, pour estre procédé contre eux selon la rigueur des
Ordonnances Royaux, & ce qui nous a esté accordé par sad.
Majesté: Et ce faisant, gerer, négocier, & se comporter par
led. Sieur de Champlain en la fonction de lad. charge de nostre
Lieutenant, pour tout ce qu'il jugera estre à l'advancement
desd. conqueste & peuplement: Le tout, pour le bien, service, &
authorité de sad. Majesté, avec mesme pouvoir, puissance &
authorité que nous ferions si nous y estions en personne, &
comme si le tout y estoit par exprés & plus particulièrement
specifié & déclaré. Et outre tout ce que dessus, Avons audit
Sieur de Champlain permis & permettons d'associer & prendre
avec luy telles personnes, & pour telles sommes de deniers
qu'il advisera bon estre pour l'effect de nostre entreprise.
Pour l'execution de laquelle, mesme pour faire les
embarquemens, & autres choses necessaires à cet effect qu'il
fera és villes & havres de Normandie, & autres lieux où jugerez
estre à propos, Vous avons de tout donné & donnons par ces
presentes, toute charge, pouvoir, commission, & mandement
special; & pource vous avons substitué & subrogé en nostre lieu
& place, à la charge d'observer & faire observer par ceux qui
235/891 seront souz vostre charge & commandement, tout ce que dessus, &
nous faire bon & fidel rapport à toutes occasions de tout ce
qui aura esté fait & exploité, pour en rendre par Nous prompte
raison à ladite Majesté. Si prions & requérons tous Princes,
Potentats, & Seigneurs estrangers, leurs Lieutenans généraux,
Admiraux, Gouverneurs de leurs Provinces, Chefs & conducteurs
de leurs gens de guerre, tant par mer que par terre, Capitaines
de leurs villes & forts maritimes, ports, costes, havres, &
destroits, donner audit Sieur de Champlain pour l'entier effect
& exécution de ces presentes, tout support, secours,
assistance, retraite, main-forte, faveur & aide, si besoin en
a, & en ce qu'ils pourront estre par luy requis. En tesmoin de
ce nous avons cesdites presentes signées de nostre main, &
fait contre-signer par l'un de nos Secrétaires ordinaires, & à
icelles fait mettre & apposer le cachet de nos armes; A Paris
le quinziesme jour d'Octobre, mil six cents douze.»
_Signée_ CHARLES DE BOURBON.
_Et sur le reply_, Par Monseigneur le Comte, BRESSON.
Mais ceste affaire ne dura que le moins qu'il me fut possible:
car je me resolus de m'addresser à Monseig. le Prince; auquel
ayant remonstré l'importance & le merite de ceste affaire, que
mond. Seigneur le Comte avoit embrassée, comme protecteur
d'icelle, il eust pour tres-agreable de la continuer souz son
authorité; qui m'occasionna de faire dresser ses
236/892 Commissions[367], sa Majesté luy ayant donné la protection. Ses
Commissions seellées, mond. Seigneur me continua en l'honneur
de la Lieutenance de feu Monseigneur le Comte, avec
l'intendance d'icelle, pour associer telles personnes que
j'adviserois bon estre, & capables d'aider à l'execution de
ceste entreprise.
[Note 367: Cette commission est du 22 novembre 1612. (Voir, ci-après,
celle que le duc de Ventadour donne à l'auteur le 15 février 1625,
seconde partie, liv. II, ch. I.)]
Comme je moyennois de faire publier en tous les ports & havres
du Royaume les Commissions de mond. Seigneur le Prince,
quelques brouillons qui n'avoient aucun interest en l'affaire,
l'importunerent de la faire casser, luy faisans entendre le
pretendu interest de tous les marchands de France, qui
n'avoient aucun sujet de se plaindre, attendu qu'un chacun
estoit receu en l'association, & par ainsi l'on ne se pouvoit
justement offenser: c'est pourquoy leur malice estant recognue,
ils furent rejettez, avec permission seulement d'entrer en la
societé.
Pendant ces altérations[368], il me fut impossible de rien
faire pour l'habitation de Québec, & se fallut contenter pour
ceste année[369] d y aller sans aucune association qu'avec
passe-port de Monseigneur, qui fut donné pour cinq vaisseaux,
sçavoir trois de Normandie, un de la Rochelle, & un autre[370]
de Sainct Malo; à condition que chacun me fourniroit six[371]
hommes, avec ce qui leur seroit necessaire, pour m'assister aux
237/893 descouvertes[372] que j'esperois faire par delà le, grand
Sault, & le vingtiesme de ce qu'ils pourroient faire de
pelleterie, pour estre employé aux réparations de l'habitation,
qui s'en alloit en décadence. C'est donc tout ce qui se peut
faire pour ceste année, en attendant que la societé se formast.
[Note 368: Altercations. C'est aussi ce que porte l'édition de 1613 (p.
286).]
[Note 369: 1613.]
[Note 370: Ce cinquième vaisseau n'est pas mentionné dans l'édition de
1613. (_Conf_. 1613, p. 286.)]
[Note 371: L'édition de 1613 porte «quatre.»]
[Note 372: L'auteur omet ici un motif qu'il avait exprimé en 1613, celui
de faire la guerre aux sauvages. C'est que Champlain ne se joignit aux
nations alliées que par la nécessité des circonstances, et pour parvenir
plus efficacement au but que l'on devait se proposer: connaître le pays
et ses ressources.]
Tous ces vaisseaux s'appresterent chacun en son port & havre, &
moy je m'en allay embarquer à Honnefleur[373] avec led. sieur
du Pont-gravé, qui faisoit pour les anciens associez qui ne
s'estoient desunis. Nous voila embarquez jusques à arriver à
Tadoussac[374], & de là à Quebec[375], où tous estoient en
bonne santé, qui fut l'an 1613.
[Note 373: _Conf_. 1613, p. 287, et ci-devant, liv. IV, ch. I.]
[Note 374: Le 29 avril. (1613, p. 289.)]
[Note 375: Le 7 mai. (Ci-dessus, p. 198, et 1613, p. 290.)]
De là continuant nostre voyage jusques au grand Sault Sainct
Louis[376], où chacun faisoit sa traitte de pelleterie, je
cherchay le vaisseau le plustost prest pour m'en retourner, qui
fut celuy de Sainct Malo, dans lequel je m'embarquay; & levant
les anchres & mettant souz voile, nous singlasmes si
favorablement, qu'en peu de jours[377] nous arrivasmes en
France, où estant, je donnay à entendre à plusieurs marchands
le bien & utilité qu'apportoit une compagnie bien réglée, &
conduitte souz l'authorité d'un grand Prince, qui les pouvoit
maintenir contre toute sorte d'envie, & qu'ils eussent à
238/894 considerer ce que par le dérèglement du passé ils avoient
perdu, & mesme en la presente année, à l'envie les uns des
autres. Et jugeans bien tous ces défauts, ils me promirent
venir en Cour pour former leur compagnie, souz de certaines
conditions. Ce qu'estant accordé, je m'acheminay à
Fontainebleau, où estoit le Roy, & Monseigneur le Prince,
ausquels je fis fidèle rapport de tout mon voyage.
[Note 376: Champlain, cette année 1613, arriva au saut Saint-Louis le 21
de mai, et en repartit, après avoir remonté l'Outaouais avec son
imposteur de Vignau, le 27 juin, pour Tadoussac, d'où il fit voile pour
la France le 8 juillet, dans le vaisseau de Maisonneuve. (Voir 1613, p.
288, 289 et 325.)]
[Note 377: Le vaisseau partit de Tadoussac le 8 juillet, et arriva à
Saint-Malo le 26 août. (Voir 1613, p. 325, 326.)]
Quelques jours après ceux de Sainct Malo & de Normandie se
trouverent prests, mais ceux de la Rochelle manquèrent.
Cependant je ne laissay de faire la societé à Paris, reservé le
tiers aux Rochelois, qu'au cas que dedans un certain temps ils
n'y voulussent entrer, ils n'y seroient plus receus. Ils furent
si longtemps en ceste affaire, que ne venans pas au temps ils
furent démis, & ceux de Rouen & Sainct Malo prirent l'affaire
moitié par moitié.
En ce temps il falloit de tout bois faire flesches, car les
importunitez qu'avoit Monseig. le Prince, occasionnoit que je
faisois beaucoup de choses par son commandement. Voila donc la
societé & le contract fait, lequel je fais ratifier à mond.
Seig. le Prince, & de sa Majesté, pour unze années. Ceste
Société ayant vescu quelque temps en tranquillité, il y eut
quelque dissention entr'eux & les Rochelois, qui estoient
faschez de ce qu'on les avoit démis, pour ne s'estre trouvez au
temps prescrit, qui fit qu'ils eurent un grand procez, lequel
est demeuré au crocq, jusques à ce qu'ils obtindrent de mond.
Seign. le Prince un passe-port par surprise pour un vaisseau,
qui par la permission de Dieu se perdit à quinze lieues à val
de Tadoussac, à la coste du nort. Car sans ceste fortune, il
239/895 n'y a point de doute que comme il estoit bien armé, il se fust
battu, voulant jouir de son passe-port injustement acquis
contre les nostres, où mond. Seig. s'obligeoit ne donner
passe-port autre qu'à ceux de nostre Société, & que s'il s'en
trouvoit d'autres obtenus en quelque manière & façon que ce
fust, qu'il les declaroit nuls dés à present comme dés lors.
C'est pourquoy il y eust eu raison de se saisir des Rochelois,
ce qui ne se pouvoit faire qu'avec la perte de nombre d'hommes.
Partie des marchandises de ce vaisseau furent sauvées, & prises
par les nostres, qui en firent très-bien leur profit avec les
Sauvages, qui leur causa une très-bonne année: aussi à leur
retour eurent-ils un grand procez contre les Rochelois, qui fut
enfin jugé au bénéfice de lad. Société[378].
[Note 378: Apparemment, les tribunaux d'alors ne jugeaient point des
choses comme l'a fait, de nos jours, certain historien. Ils condamnèrent
les Rochelois, parce que sans doute ils jugèrent qu'un vaisseau qui,
après avoir refusé ou négligé d'entrer dans la société, venait, avec un
passe-port frauduleux, enlever à une compagnie légalement constituée, sa
principale source de revenu, prêt au besoin à employer la force pour
soutenir ses injustes prétentions, devait être regardé comme un vrai
pirate, et poursuivi comme tel suivant toute la rigueur du droit. Mais
l'auteur de l'_Hist. de la Colonie française en Canada_, voit, et tient
à faire voir les choses sous un autre jour; à l'entendre, c'est tout
bonnement un vaisseau jeté à la côte, qui devient la victime de
l'injustice et de la rapacité de ses compatriotes. «Un vaisseau
Rochelois,» dit-il, «ayant échoué près de Tadoussac, la société ne
manqua pas de tirer avantage de son privilège,» (quel crime!) & la
rigueur dont elle usa dans cette occasion montre combien l'intérêt
mercantile étouffait jusqu'aux sentiments de fraternité inspirés par
l'esprit de secte.» Cette dernière phrase, pour avoir un sens, suppose
admises deux choses dont l'une est au moins incertaine, et l'autre
fausse, savoir: 1° que le vaisseau rochelois était de la religion
prétendue réformée, ce que l'on ne sait pas au juste, puisque Champlain
est le seul qui parle de ce vaisseau, et qu'il ne le dit point; 2° que
la compagnie était également toute calviniste, comme le même auteur le
fait dire à Champlain ailleurs (voir ci-après, ch. VIII), ce qui est
faux. Cette compagnie renfermait, à la vérité, des marchands qui étaient
de la réforme; mais il y avait aussi des catholiques, pour le moins
Champlain lui-même, ce qui était bien quelque chose, puisque c'était lui
qui avait formé cette société. Après une réflexion si peu fondée, le
même auteur cite la phrase suivante entre guillemets, tout en la
retouchant un peu, suivant sa coutume: «Une partie des marchandises que
portait ce navire furent sauvées, dit Champlain, & prises par les
nôtres, qui en firent très-bien leur profit avec les sauvages, ce qui
leur causa une très-bonne année.» Mais il n'a garde de pousser plus
loin la citation, le reste de la phrase étant de nature à faire naître
des doutes sur la justesse de son appréciation, puisque les cours de
justice jugèrent le procès en faveur de la société.]
240/896 Continuant tousjours ceste entreprise souz l'authorité de mond.
Seign. le Prince, & voyant que nous n'avions aucun Religieux,
nous en eusmes par l'entremise du sieur Houel[379], qui avoit
une affection particulière à ce sainct dessein, & me dit que
les pères Recollets y seroient propres, tant pour la demeure de
nostre habitation, que pour la conversion des infideles. Ce que
je jugeay à propos, estans sans ambition, & du tout conformes à
la règle sainct François. J'en parlay à mond. Seig. le Prince,
qui l'eut pour très-agréable; & ceste Compagnie s'offrit
volontairement de les nourrir, attendant qu'ils peussent avoir
un Séminaire, comme ils esperoient, par les charitables
aumosnes qui leur seroient faites, pour prendre & instruire la
jeunesse.
[Note 379: Voir 1619, p. 4, note 2.]
Quelques particuliers de Sainct Malo poussez par d'autres aussi
envieux qu'eux, de n'estre de la Societé, (bien qu'il y en eust
de leurs compatriotes) voulurent tenter une chose: mais n'osans
se presenter devant mond. Seig. le Prince, ny trouver des
Conseillers d'Estat, qui se voulussent charger de leur requeste
contre son authorité, ils font en sorte de faire mettre dans le
cahier général des Estats[380], Qu'il fut permis d'avoir la
traitte de pelleterie libre en toute la Province comme chose
très-importante. C'estoit un article fort serieux, & ceux qui
l'avoient fait coucher devoient estre pardonnez, car ils ne
sçavoient pas bien ce que c'estoit de ceste affaire, qu'on leur
avoit donné à entendre, contraire à la vérité.
[Note 380: Voir 1619, p. 6, note 1.]
241/897 Voila comme par les plus célèbres assemblées il se commet
souvent des fautes, sans s'informer davantage. Ces envieux
pensent avoir fait un grand coup, & qu'en ceste assemblée des
Estats tenus à Paris il se feroit des merveilles sur ce sujet,
comme s'ils n'eussent eu autre fil à devider. Ayant ouy le vent
de cecy, j'en parlay à Monseigneur le Prince, & luy remonstray
l'interest qu'il avoit en la defense si juste de cet article, &
que s'il luy plaisoit me faire l'honneur de me faire ouir, je
ferois voir que la Bretagne n'a nul interest en cela, que ceux
de Sainct Malo, dont des plus apparents avoient entré en ladite
societé, & que d'autres l'avoient refusée, & pour ce desplaisir
avoient fait insérer cedit article au cahier général de la
Province. Il me dit qu'il me feroit parler à ces Messieurs; ce
qui fut fait, où je fis entendre la vérité de l'affaire, qui
fut cause que l'article estant recogneu, il ne fut mis au
néant.
_Embarquement de l'Autheur pour aller en la nouvelle France.
Nouvelles descouvertures en l'an 1615._
CHAPITRE V.[381]
[Note 381: Chapitre VI de la première édition.]
Nous partismes de Honnefleur le 24e jour d'Aoust[382] 1615,
avec quatre Religieux[383], & fismes voile avec vent fort
favorable, & voguasmes sans rencontre de glaces, ny autres
hazards, & en peu de temps arrivasmes à Tadoussac le 25e jour
de May, où nous rendismes grâces à Dieu, de nous avoir conduit
si à propos au port de salut.
[Note 382: Le 24 avril. (Voir 1619, p. 9, note 1.)]
[Note 383: Voir 1619, p. 7, 8, 9, où il y a d'intéressants détails sur
l'arrivée de ces religieux.]
242/898 On commença à mettre des hommes en besongne pour accommoder nos
barques, afin d'aller à Québec, lieu de nostre habitation, & au
grand Sault Sainct Louys, où estoit le rendez-vous des Sauvages
qui y viennent traitter[384]. Incontinent que je fus arrivé au
Sault[385], je visitay ces peuples, qui estoient fort desireux
de nous voir, & joyeux de nostre retour, sur l'esperance qu'ils
avoient que nous leur donnerions quelques-uns d'entre nous pour
les assister en leurs guerres contre leurs ennemis, nous
remonstrans que mal aisément ils pourroient venir à nous, si
nous ne les assistions, parce que les Yroquois leurs anciens
ennemis, estoient tousjours sur le chemin, qui leur fermoient
le passage; outre que je leur avois tousjours promis de les
assister en leurs guerres, comme ils nous firent entendre par
leur truchement. Sur quoy j'advisay[386] qu'il estoit
tres-necessaire de les assister, tant pour les obliger
davantage à nous aimer, que pour moyenner la facilité de mes
entreprises, & descouvertures, qui ne se pouvoient faire en
apparence que par leur moyen, & aussi que cela leur seroit
comme un acheminement & préparation pour venir au
243/899 Christianisme, en faveur de quoy je me resolus d'y aller
recognoistre leurs pays, & les assister en leurs guerres, afin
de les obliger à me faire voir ce qu'ils m'avoient tant de fois
promis.
[Note 384: Il est bon de remarquer qu'on a omis, dans l'édition de 1632,
tous les détails qui ont rapport aux Pères Récollets. Ici, l'édition de
1619 s'étendait assez au long sur ce qui se passa à leur arrivée
(_Conf_. 1619, p. 9-14). Il faut se rappeler de plus, qu'au moment où
cette édition de 1632 se publiait, les Récollets faisaient d'inutiles
efforts pour venir reprendre leurs missions. Maintenant, en jetant un
coup-d'oeil sur ces passages de 1619 auxquels nous renvoyons, on
comprend aisément, à voir l'obscurité et l'embarras de la narration,
qu'il n'y avait que Champlain lui-même qui pût ou compléter le récit,
ou le remettre dans un ordre plus clair, et tout autre que Champlain
devait renoncer à débrouiller le chaos. De sorte que, tout bien
considéré, il semble que l'édition de 1632 n'ait pas été faite, ou
surveillée, par l'auteur lui-même, et de plus qu'elle ait été confiée
à un père jésuite ou à un ami de leur ordre, comme on peut encore en
trouver d'autres raisons ailleurs.]
[Note 385: Vers le 20 de juin (1619, p. 14, note 1).]
[Note 386: L'édition de 1619 porte: «Sur quoy ledit du Pont & moy
advisasmes» (p. 14, note 2).]
Je les fis tous assembler pour leur dire ma volonté, laquelle
entendue, ils promirent nous fournir deux mil cinq cents hommes
de guerre, qui feroient merveilles, & qu'à ceste fin je menasse
de ma part le plus d'hommes qu'il me seroit possible: ce que je
leur promis faire, estant fort aise de les voir si bien
délibérez. Lors je commençay à leur descouvrir les moyens qu'il
falloit tenir pour combattre, à quoy ils prenoient un singulier
plaisir, avec demonstration d'une bonne esperance de victoire.
Toutes ces resolutions prises, nous nous separasmes, avec
intention de retourner pour l'exécution de nostre entreprise.
Mais auparavant que faire ce voyage, qui ne pouvoit estre
moindre que de trois ou quatre mois, il estoit à propos que je
fisse un voyage à nostre habitation, pour donner ordre, pendant
mon absence, aux choses qui y estoient necessaires. Et le jour
ensuivant[387], je partis de là pour retourner à la riviere des
Prairies, avec deux canaux de Sauvages[388].
[Note 387: L'édition de 1619 porte; «Et.....le jour de.....ensuivant.»
Vraisemblablement le 23 de juin. (Voir 1619, p. 16, note 1.)]
[Note 388: Ici encore, l'édition de 1619 renferme d'assez amples détails
sur les Récollets, et sur les premières messes qu'ils dirent dans ce
pays (p. 16-19).]
Le 9 dudit mois[389] je m'embarquay moi troisiesme, à sçavoir
l'un de nos truchemens, & mon homme, avec dix Sauvages, dans
lesdits deux canaux, qui est tout ce qu'ils pouvoient porter,
d'autant qu'ils estoient fort chargez & embarrassez de hardes,
ce qui m'empeschoit de mener des hommes davantage.
[Note 389: Le 9 de juillet 1615. (Voir 1619, p. 19.)]
244/900 Nous continuasmes nostre voyage amont le fleuve Sainct Laurent
environ six lieues, & fusmes par la riviere des Prairies, qui
descharge dans ledit fleuve, laissant le sault sainct Louys
cinq ou six lieues plus à mont, à la main senextre, ou nous
passasmes plusieurs petits sauts par cette riviere, puis
entrasmes dans un lac[390], lequel passé, r'entrasmes dans la
riviere, où j'avois esté autrefois, laquelle va & conduit aux
Algoumequins, distante du sault sainct Louis de 89 lieues[391],
de laquelle riviere j'ay fait ample description cy-dessus[392].
Continuant mon voyage jusques au lac des Algoumequins[393],
r'entrasmes dedans une riviere [394] qui descend dedans ledit
lac, & fusmes à mont icelle environ trente-cinq lieues, &
passasmes grande quantité de sauts, tant par terre, que par
eau, & en un pays mal agréable, remply de sapins, bouleaux, &
quelques chesnes, force rochers, & en plusieurs endroits un peu
montagneux. Au surplus fort desert, sterile, & peu habité, si
ce n'est de quelques Sauvages Algoumequins, appeliez
Otaguottouemin[395], qui se tiennent dans les terres, & vivent
de leurs chasses & pescheries qu'ils font aux rivieres,
estangs, & lac, dont le pays est assez muny. Il est vray qu'il
semble que Dieu a voulu donner à ces terres affreuses &
desertes quelque chose en sa saison, pour servir de
245/901 rafraischissement à l'homme, & aux habitans de ces lieux. Car
je vous asseure qu'il se trouve le long des rivieres si grande
quantité de blues[386], qui est un petit fruict fort bon à
manger, & force framboises, & autres petits fruicts, & en telle
quantité, que c'est merveille: desquels fruicts ces peuples qui
y habitent en font seicher pour leur hyver, comme nous faisons
des pruneaux en France, pour le Caresme. Nous laissasmes icelle
riviere qui vient du nort[397], & est celle par laquelle les
Sauvages vont au Sacquenay pour traitter des pelleteries, pour
du petum. Ce lieu est par les 46 degrez[398] de latitude, assez
agréable à la veue, encores que de peu de rapport.
[Note 390: Le lac des Deux-Montagnes.]
[Note 391: Lisez: 8 à 9 lieues. (Voir 1619, p. 19, 20.)]
[Note 392: Livre IV, chapitre I, II et III.]
[Note 393: Le lac des Allumettes. (Voir 1619, p. 20, note 4.)]
[Note 394: La rivière Creuse, qui est une partie de l'Outaouais. (1619,
p. 20, note 5.)]
[Note 395: _Outaoukotouemiouek_ suivant la Relation de 1650, et
_Kotakoutouemi_ suivant celle de 1640. (Voir 1619, p. 20, note 6.)]
[Note 396: Voir 1619, p. 21, note 1.]
[Note 397: Voir 1619, p. 21, note 2.]
[Note 398: Voir 1619, p. 21, note 3.]
Poursuivant nostre chemin par terre, en laissant ladite riviere
des Algoumequins, nous passasmes par plusieurs lacs, où les
Sauvages portent leurs canaux, jusques à ce que nous entrasmes
dans le lac des Nipisierinij[3999], par la hauteur de
quarante-six degrez & un quart de latitude. Et le
vingt-sixiesme jour dud. mois[400], après avoir fait tant par
terre, que par les lacs vingt-cinq lieues, ou environ. Ce fait,
nous arrivasmes aux cabannes des Sauvages, où nous sejournasmes
deux jours avec eux. Ils nous firent fort bonne réception, &
estoient en bon nombre. Ce sont gens qui ne cultivent la terre
que fort peu. A, vous monstre l'habit de ces peuples allans à
la guerre. B, celuy des femmes, qui ne diffère en rien de celuy
des montagnars, & Algommequins, grands peuples, & qui
s'estendent fort dans les terres[401].
[Note 399: Le lac Nipissing.]
[Note 400: Le 26 de juillet. Cette phrase, évidemment, doit se rattacher
à la précédente.]
[Note 401: Voir les figures indiquées par les lettres A et B.]
246/902 Durant le temps que je fus avec eux, le Chef de ces peuples, &
autres des plus anciens, nous festoyerent en plusieurs festins,
selon leur coustume, & mettoient peine d'aller pescher &
chasser, pour nous traitter le plus délicatement qu'ils
pouvoient. Ils estoient bien en nombre de sept à huict cents
âmes, qui se tiennent ordinairement sur le lac, où il y a grand
nombre d'isles fort plaisantes, & entr'autres une qui a plus de
six lieues de long, où il y a trois ou quatre beaux estangs, &
nombre de belles prairies, avec de très-beaux bois qui
l'environnent, & y a grande abondance de gibbier, qui se retire
dans cesdits petits estangs, où les Sauvages y prennent du
poisson. Le costé du Septentrion dudit lac est fort agréable.
Il y a de belles prairies pour la nourriture du bestail, &
plusieurs petites rivieres qui se deschargent dedans.
Ils faisoient lors pescherie dans un lac fort abondant de
plusieurs sortes de poisson, entre autres d'un très-bon, qui
est de la grandeur d'un pied de long, comme aussi d'autres
especes, que les Sauvages peschent pour faire secher, & en font
provision. Ce lac[402] a en son estendue environ 8 lieues de
large, & 25 de long, dans lequel descend une riviere[403] qui
vient du norouest, par où ils vont traitter les marchandises
que nous leur donnons en trocq, & retour de leurs pelleteries,
247/903 & ce avec ceux qui y habitent[404], lesquels vivent de chasse,
& de pescherie, parce que ce pays est grandement peuplé tant
d'animaux, oiseaux, que poisson.
[Note 402: Le lac Nipissing.]
[Note 403: La rivière aux Esturgeons. (Voir 1619, p. 23, notes 2 et 3.)]
[Note 404: Les Outimagami, qui demeuraient vraisemblablement au lac
Timiscimi, les Ouachegami, les Mitchitamou, les Outurbi, et les
Kiristinons, ou Cris. (Voir Relat, 1640, ch. x.)]
Après nous estre reposez deux jours avec le Chef desdits
Nipisierinij, nous nous r'embarquasmes en nos canaux, &
entrasmes dans une riviere[405] par où ce lac se descharge, &
fismes par icelle environ 33 lieues, & descendismes par
plusieurs petits sauts, tant par terre, que par eau, jusques au
lac Attigouantan. Tout ce pays est encores plus mal agréable
que le précèdent, car je n'y ay point veu le long d'iceluy dix
arpents de terre labourable, sinon rochers, & montagnes. Il est
bien vray que proche du lac des Attigouantan[406] nous
trouvasmes des bleds d'Inde, mais en petite quantité, où nos
Sauvages prirent des citrouilles, qui nous semblerent bonnes,
car nos vivres commençoient à nous faillir, par le mauvais
mesnage des Sauvages, qui mangèrent si bien au commencement,
que sur la fin il en restoit fort peu, encores que ne fissions
qu'un repas le jour: & nous aidèrent beaucoup ces blues &
framboises (comme j'ay dit cy dessus) autrement nous eussions
esté en danger d'avoir de la necessité.
[Note 405: La rivière des Français.]
[Note 406: Le lac Huron. (Voir note 2 de la page suivante et note 3 de
la page 249.)]
Nous fismes rencontre de 300 hommes d'une nation que nous
nommasmes les cheveux relevez, pour les avoir fort relevez &
ageancez, & mieux peignez que nos Courtisans, & n'y a nulle
comparaison, quelques fers & façons qu'ils y puissent apporter:
ce qui semble leur donner une belle apparence. A. C. monstre la
248/904 façon qu'ils s'arment allant à la guerre. Ils n'ont pour armes
que l'arc & la flesche, fait en la façon que voyez dépeints,
qu'ils portent ordinairement, & une rondache de cuir bouilly,
qui est d'un animal comme le bufle[407]. Quand ils sortent de
leurs maisons ils portent la massue. Ils n'ont point de brayer,
& sont fort découpez par le corps, en plusieurs façons de
compartiment: & se peindent le visage de diverses couleurs,
ayans les narines percées, & les oreilles bordées de
patenostres. Les ayant visitez, & contracté amitié avec eux,
je donnay une hache à leur Chef, qui en fut aussi content &
resjouy, que si je luy eusse fait quelque riche present. Et
m'enquerant sur ce qui estoit de son païs, il me le figura
avec du charbon sur une escorce d'arbre: & me fit entendre
qu'ils estoient venus en ce lieu pour faire secherie de ce
fruict appellé blues, pour leur servir de manne en hyver, lors
qu'ils ne trouvent plus rien.
[Note 407: _Conf_. 1619, p. 25. Tout ce passage a été remanié, dans
l'édition de 1632.]
Le lendemain nous nous separasmes, & continuasmes nostre chemin
le long du rivage de ce lac des Attigouantan[408], où il y a un
grand nombre d'isles, & fismes environ 45 lieues, costoyant
tousjours cedit lac. Il est fort grand, & a prés de trois[409]
cents lieues de longueur de l'Orient à l'Occident, & de large
249/905 cinquante[410]; & à cause de sa grande estendue, je l'ay nommé
la mer douce. Il est fort abondant en plusieurs especes de
très-bons poissons, tant de ceux que nous avons, que de ceux
que n'avons pas, & principalement des truittes qui sont
monstrueusement grandes, en ayant veu qui avoient jusques à
quatre pieds & demy de long, & les moindres qui se voyent sont
de deux pieds & demy. Comme aussi des brochets au semblable, &
certaine manière d'esturgeon, poisson fort grand, & d'une
merveilleuse bonté. Le pays qui borne ce lac en partie est
aspre du costé du nort, & en partie plat, & inhabité de
Sauvages, quelque peu couvert de bois, & de chesnes. Puis après
nous traversasmes une baye[411], qui fait une des extremitez du
lac, & fismes environ sept lieues[412], jusques à ce que nous
arrivasmes en la contrée des Attigouantan[413], à un village
appelle Otouacha[414], qui fut le premier jour d'Aoust, ou
trouvasmes un grand changement de pays, cestuy-cy estant fort
beau, & la plus grande partie deserté, accompagné de force
collines, & de plusieurs ruisseaux, qui rendent ce terroir
agréable. Je fus visiter leurs bleds d'Inde, qui estoient lors
fort advancez pour la saison.
[Note 408: Attignouantan, ou Attignaouantan; c'est le lac Huron, ou mer
Douce. Les Attignaouantan, nation des Ours, formaient l'une des tribus
huronnes les plus considérables, et demeuraient plus proche du lac que
les autres tribus.]
[Note 409: L'édition de 1640, pour se conformer sans doute à celle de
1619, a remis dans le texte comme à la marge: «quatre cents.» Le lac
Huron n'a environ que quatre-vingts lieues de longueur; mais, dans son
immense contour, on peut bien compter quatre cents lieues, et c'est
peut-être ce que Champlain a voulu dire, ou ce que lui auront dit les
sauvages. Il est possible aussi que le manuscrit portât en toutes
lettres _quatre vint_, et que le typographe ait lu _quatre cent_.]
[Note 410: L'édition 1640 ajoute le mot «lieues.»]
[Note 411: La baie de Matchidache.]
[Note 412: C'est-à-dire, la traverse même de cette baie de Matchidache.
(Voir 1619, p. 26, note 2.)]
[Note 413: La contrée des Attignaouantan, ou des Ours, se composait
principalement de cette pointe du comté actuel de Simcoe, qui s'étend de
inq à six lieues vers le nord-ouest dans la baie Géorgienne, entre la
baie de Matchidache et celle de Nataouassagué.]
[Note 414: Otouacha, qui est probablement le même que Toanché, ou
Toanchain, paraît avoir été situé à environ un mille du fond de la baie
du Tonnerre. Il ne faut pas confondre ce premier emplacement d'Otouacha,
ou de Touanché, avec le second dont parle la Relation de 1635, qui était
encore un mille plus loin de la baie. (Voir 1619, p. 26, notes 3 et 4.)]
250/906 Ces lieux me semblerent tres-plaisans, au regard d'une si
mauvaise contrée d'où nous venions de sortir. Le lendemain je
fus à un autre village appelle Carmaron[413], distant d'iceluy
d'une lieue, où ils nous receurent fort amiablement, nous
faisans festin de leur pain, citrouilles, & poisson. Pour la
viande, elle y est fort rare. Le chef dudit village me pria
fort d'y sejourner, ce que je ne peus luy accorder, ains m'en
retournay à nostre village[414].
[Note 415: A environ trois ou quatre milles au sud-est d'Otouacha, l'on
trouve encore les restes d'un village qui doit avoir été Carmaron. Ce
nom, que l'auteur semble donner comme huron, a probablement été mal lu
par le typographe, la langue huronne n'ayant pas de labiales. Il est
très-possible que Champlain ait écrit _Cannaron_, ou _Connarea_, mot qui
se rapproche beaucoup de _Kontarea_, mentionné dans les Relations et
dans la carte de Ducreux; or la position de ce dernier village pourrait
répondre à celle de Carmaron. (Voir 1619, p. 27, note 2.)]
[Note 416: _Conf_. 1619, p. 27.]
Le lendemain[417] je partis de ce village pour aller à un
autre, appellé Touaguainchain[418], & à un autre appellé
Tequenonquiaye[419], esquels nous fusmes receus des habitans
desdits lieux fort amiablement, nous faisans la meilleure chere
qu'ils pouvoient de leurs bleds d'Inde en plusieurs façons,
tant ce pays est beau & bon, par lequel il fait beau cheminer.
[Note 417: Probablement le 3 d'août.]
[Note 418: Il semble que Touaguainchain soit le nom huron de ce que les
Pères Jésuites appelèrent plus tard Sainte-Madeleine. Il devait être à
environ quatre milles au sud d'Otouacha, et deux milles à l'ouest de
Carmaron. (Voir 1619, p. 28, note 2.)]
[Note 419: «Autrement nommé, dit Sagard, _Quieuindohian,_ par quelques
François la Rochelle, & par nous la ville de sainct Gabriel.» (Hist. du
Canada, p. 208.) Quelques années plus tard, la Rochelle portait le nom
d'Ossossané, et les Jésuites y établirent la résidence de la Conception.
(Voir 1619, p. 28, note 3.) Ce village était à environ quatre lieues au
sud-sud-est d'Otouacha, et par conséquent deux lieues plus au sud que
Carmaron. (Sagard, et Relations des Jésuites.)]
De là je me fis conduire à Carhagouha[420], fermé de triple
pallissade de bois, de la hauteur de trente-cinq pieds, pour
251/907 leur defense & leur conservation. Estant en ces lieux[421] le
12 d'Aoust[422], j'y trouvay 13 à 14 François[423] qui estoient
partis devant moy de ladite riviere des Prairies. Et voyant que
les Sauvages apportoient une telle longueur à faire leur gros,
& que j'avois du temps pour visiter leur pays, je deliberay de
m'en aller à petites journées de village en village à
Cahiagué[424], où devoit estre le rendez-vous de toute l'armée,
distant de Carantouan[425] de 14 lieues, & partis de ce village
le 14 d'Aoust avec dix de mes compagnons. Je visitay cinq des
principaux villages[426], fermez de pallissades de bois,
jusques à Cahiagué, le principal village du pays, où il y a
deux cents cabannes assez grandes, où tous les gens de guerre
se devoient assembler. Par tous ces villages ils nous receurent
fort courtoisement & humainement. Ce païs est très-beau, souz
la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & fort
deserté, où ils sement grande quantité de bleds d'Inde, qui y
vient très-beau, comme aussi des citrouilles, herbe au Soleil,
dont ils font de l'huile de la graine, de laquelle ils se
frottent la teste. Il est fort traversé de ruisseaux qui se
deschargent dedans le lac: & y a force vignes & prunes, qui
sont très-bonnes, framboises, fraises, petites pommes sauvages,
noix, & une manière de fruict qui est de la forme & couleur de
petits citrons, comme de la grosseur d'un oeuf. La plante qui
252/908 le porte a de hauteur deux pieds & demy, & n'a que trois à
quatre fueilles pour le plus, de la forme de celle du figuier,
& n'apporte que deux pommes chaque plante. Les chesnes,
ormeaux, & hestres y sont en quantité, comme aussi force
sapinieres, qui est la retraite ordinaire des perdrix & lapins.
Il y a aussi quantité de petites cerises[427], & merises, & les
mesmes especes de bois que nous avons en nos forests de France,
sont en ce pays là. A la vérité ce terroir me semble un peu
sablonneux, mais il ne laisse pas d'estre bon pour cet espece
de froment. Et en ce peu de pays j'ay recogneu qu'il est fort
peuplé d'un nombre infiny d'ames, sans en ce comprendre les
autres contrées où je n'ay pas esté, qui sont (au rapport
commun) autant ou plus peuplées que ceux cy-dessus: me
representant que c'est grand pitié que tant de créatures vivent
& meurent, sans avoir la cognoissance de Dieu, & mesmes sans
aucune religion, ny loy, soit divine, politique, ou civile,
establie parmy eux. Car ils n'adorent & ne prient en aucune
façon, ainsi que j'ay peu recognoistre en leur conversation.
Ils ont bien quelque espece de cérémonie entr'eux, que je
descriray en son lieu, comme pour ce qui est des malades, ou
pour sçavoir ce qui leur doit arriver, mesme touchant les
morts; mais ce sont de certains personnages qui s'en veulent
faire accroire, tout ainsi que faisoient, ou se faisoit du
temps des anciens Payens, qui se laissoient emporter aux
persuasions des enchanteurs & devins: neantmoins la plus-part
de ces peuples ne croyent rien de ce qu'ils font, & disent. Ils
253/909 sont assez charitables entr'eux, pour ce qui est des vivres,
mais au reste fort avaricieux, & ne donnent rien pour rien. Ils
sont couverts de peaux de cerfs, & castors, qu'ils traittent
avec les Algommequins & Nipisierinij, pour du bled d'Inde, &
farines d'iceluy.
[Note 420: Voir 1619, p. 28, note 4.]
[Note 421: _Conf_. 1619, p. 28, 29. Les détails omis ici, dans l'édition
de 1632, ont rapport au P. le Caron. Cette suppression est assez
significative, et prouve jusqu'à l'évidence que l'éditeur tenait à ne
point nuire à la cause des Pères Jésuites. Voilà pourquoi, sans doute,
le Mémoire des Récollets de 1637 insiste sur ce point d'une manière
remarquable.]
[Note 422: Champlain arriva à Carhagouha vers le 4 ou le 5 d'août. (Voir
1619, p. 28, 29.)]
[Note 423: Le P. Joseph était parti avec douze français, non pas
précisément de la rivière des Prairies, mais du saut Saint-Louis. (1619,
p. 18, 19.)]
[Note 424: Cahiagué ne peut être autre chose que le nom huron du village
que les missionnaires appelèrent plus tard Saint-Jean-Baptiste. Ce
village devait être situé vers le centre de la presqu'île entourée par
la rivière Matchidache ou Sévern. (Voir 1619, p. 20 note 4.)]
[Note 425: Il faut lire Carhagouha. (Voir 1619, p. 19.)]
[Note 426: À part Tequenonkiayé et Carhagouha, qu'il venait de visiter,
il dut passer par Scanonahenrat, Teanaustayaé, et Taenhatentaron. (Voir
1619 p. 30 note 1.)]
[Note 427: L'édition de 1640 a remis le texte de 1619: «cerises
petites.»]
_Nostre arrivée à Cahiagué. Description de la beauté du pays:
naturel des Sauvages qui y habitent, & les incommodités que
nous receusmes._
CHAPITRE VI.[428]
[Note 428: Chapitre VII de la première édition.]
Le dix-septiesme jour d'Aoust j'arrivay à Cahiagué, ou le fus
receu avec grande allegresse, & recognoissance de tous les
Sauvages du pays[429]. Ils receurent nouvelles comme certaine
nation de leurs alliez[430], qui habitent à trois bonnes
journées plus haut que les Entouhonorons[431], ausquels[432]
les Hiroquois font aussi la guerre, les vouloient assister en
ceste expédition de cinq cents bons hommes, & faire alliance, &
jurer amitié avec nous, ayans grand desir de nous voir, & que
nous fissions la guerre tous ensemble, & tesmoignoient avoir du
contentement de nostre cognoissance: & moy pareillement d'avoir
trouvé ceste opportunité, pour le desir que j'avois de sçavoir
des nouvelles de ce pays là. Ceste nation est fort belliqueuse,
à ce que tiennent ceux de la nation des Attigouotans. Il ny a
254/910 que trois villages qui sont au milieu de plus de vingt autres,
ausquels ils font la guerre, ne pouvans avoir de secours de
leurs amis, d'autant qu'il faut passer par le pays des
Chouontouarouon[433], qui est fort peuplé, ou bien faudroit
prendre un bien grand tour de chemin.
[Note 429: _Conf_. 1619, p. 32.]
[Note 430: Les Carantouanais. (Voir 1619, p. 32, note 1.)]
[Note 431: Entouhoronons, ou Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 33, note 1.)]
[Note 432: Auxquels alliés. (Voir 1619, p. 33, note 2.)]
[Note 433: Ou Sountouaronon, Tsonnontouans. (Voir 1619, p. 34, note 1.)]
Arrivé que je fus en ce village, où il me convint sejourner,
attendant que les hommes de guerre vinsent des villages
circonvoisins, pour nous en aller au plustost qu'il nous seroit
possible, pendant lequel temps on estoit tousjours en festins &
dances, pour la resjouissance en laquelle ils estoient de nous
voir si resolus de les assister en leur guerre, & comme
s'asseurans desja de la victoire.
La plus grande partie de nos gens assemblez, nous partismes du
village le premier jour de Septembre, & passasmes sur le bord
d'un petit lac[434], distant dudit village de trois lieues, où
il se fait de grandes pescheries de poisson, qu'ils conservent
pour l'hyver. Il y a un autre lac[435] tout joignant, qui a 26
lieues de circuit, descendant dans le petit par un endroit où
se fait la grande pesche dudit poisson, par le moyen de
quantité de pallissades, qui ferment presque le destroit, y
lainant seulement de petites ouvertures où ils mettent leurs
filets, où le poisson se prend, & ces deux lacs se deschargent
dans la mer douce. Nous sejournasmes quelque peu en ce lieu
pour attendre le reste de nos Sauvages, où estans tous
assemblez avec leurs armes, farines, & choses necessaires, on
255/911 se délibéra de choisir des hommes des plus resolus qui je
trouveroient en la troupe, pour aller donner advis de nostre
partement à ceux qui nous devoient assister de cinq cents
hommes pour nous joindre, afin qu'en un mesme temps nous nous
trouvassions devant le fort des ennemis. Ceste délibération
prinse, ils depescherent deux canaux, avec douze Sauvages des
plus robustes, & par mesme moyen l'un de nos truchemens[436],
qui me pria luy permettre faire le voyage, ce que je luy
accorday facilement, puis qu'il en avoit la volonté, & par ce
moyen verroit leur pays, & recognoistroit[437] les peuples qui
y habitent. Le danger n'estoit pas petit, dautant qu'il falloit
passer par le milieu des ennemis. Nous continuasmes nostre
chemin vers les ennemis, & fismes environ cinq à six lieues
dans ces lacs [438], & de là les Sauvages portèrent leurs
canaux environ dix lieues par terre, & rencontrasmes un autre
lac[439] de l'estendue de six à sept lieues de long, & trois de
large. C'est d'où sort une riviere[440] qui se va descharger
dans le grand lac des Entouhoronons[441]. Et ayans traversé ce
lac, nous passasmes un sault d'eau, continuant le cours de
ladite riviere, tousjours à val, environ soixante-quatre
lieues, qui est l'entrée dudit val [442] des Entouhonorons, &
passasmes cinq sauts par terre, les uns de quatre à cinq lieues
256/912 de long, où y a plusieurs lacs qui sont d'assez belle estendue;
comme aussi ladite riviere qui passe parmy, est fort abondante
en bons poissons, & est tout ce pays fort beau & plaisant. Le
long du rivage il semble que les arbres y ayent esté plantez
par plaisir en la pluspart des endroits: aussi que tous ces
pays ont esté autrefois habitez de Sauvages, qui depuis ont
esté contraints de l'abandonner, pour la crainte de leurs
ennemis. Les vignes & noyers y sont en grande quantité, & les
raisins y viennent à maturité, mais il y reste tousjours une
aigreur acre, ce qui provient à faute d'estre cultivez: car ce
qui est deserté en ces lieux est assez agréable.
[Note 434: Le lac Couchichine. (Voir 1619, p. 34, note 2.)]
[Note 435: Le lac Simcoe. (Voir 1619, p. 34, note 3.)]
[Note 436: Étienne Brûlé, (Voir 1619, pages 35 et 133.)]
[Note 437: L'édition de 1640 porte: recognoistre.]
[Note 438: La traverse du lac Simcoe de l'ouest à l'est est d'environ
cinq lieues.]
[Note 439: Le lac à l'Éturgeon _(Sturgem lake)_. (Voir 1619, p. 35,
note 3.)]
[Note 440: La rivière Otonabi, qui, au-dessous du lac au Riz, prend le
nom de Trent, et se jette dans la baie de Quinté.]
[Note 441: Le lac Ontario.]
[Note 442: Lisez: lac.]
La chasse des cerfs & des ours y est fort fréquente. Nous y
chassasmes, & en prismes bon nombre en descendant. Pour ce
faire, ils se mettoient quatre ou cinq cents Sauvages en haye
dans le bois, jusques à ce qu'ils eussent attaint certaines
pointes qui donnent dans la riviere, & puis marchans par ordre
ayans l'arc & la flesche en la main, en criant & menant un
grand bruit pour estonner les bestes, ils vont tousjours
jusques à ce qu'ils viennent au bout de la pointe. Or tous les
animaux qui se trouvent entre la pointe & les chasseurs, sont
contraints de se jetter à l'eau, sinon qu'ils passent à la
mercy des flesches qui leur sont tirées par les chasseurs, &
cependant les Sauvages qui sont dans les canaux posez & mis
exprés sur le bord du rivage, s'approchent des cerfs, & autres
animaux chassez & harassez, & fort estonnez. Lors les chasseurs
les tuent facilement avec des lames d'espées emmanchées au bout
d'un bois, en façon de demie pique, & font ainsi leur chasse;
257/913 comme aussi au semblable dans les isles, où il y en a à
quantité. Je prenois un singulier plaisir à les voir ainsi
chasser, remarquant leur industrie. Il en fut tué beaucoup de
coups d'harquebuze, dont ils s'estonnoient fort. Mais il
arriva par malheur qu'en tirant sur un cerf, un Sauvage se
rencontra devant le coup, & fut blessé d'une harquebuzade, n'y
pensant nullement, comme il est à presupposer, dont il
s'ensuivit une grande rumeur entre eux, qui neantmoins
s'appaisa, en donnant quelques presens au blessé, qui est la
façon ordinaire pour appaiser & amortir les querelles. Et où le
blessé decederoit, on fait les presens & dons aux parens de
celuy qui aura esté tué. Pour le gibbier, il y est en grande
quantité lors de la saison. Il y a aussi force grues blanches
comme les cygnes, & plusieurs autres especes d'oiseaux
semblables à ceux de France.
Nous fusmes à petites journées jusques sur le bord du lac des
Entouhonorons, tousjours chassant, comme dit est cy-dessus, où
estans, nous fismes la traverse[443] en l'un des bouts, tirant
à l'Orient, qui est l'entrée de la grande riviere Sainct
Laurent, par la hauteur de quarante-trois degrez[444] de
latitude, où il y a de belles isles fort grandes en ce passage.
Nous fismes environ quatorze lieues pour passer jusques à
l'autre costé du lac, tirant au sud, vers les terres des
ennemis. Les Sauvages cachèrent tous leurs canaux dans les
bois, proches du rivage. Nous fismes par terre environ 4 lieues
258/914 sur une playe de sable, où je remarquay un pays fort agréable &
beau, traversé de plusieurs petits ruisseaux, & deux petites
rivieres[445] qui se deschargent audit lac, & force estangs &
prairies, où il y avoit un nombre infiny de gibbier, force
vignes & beaux bois, grand nombre de chastaigniers, dont le
fruict estoit encore en son escorce, qui est fort petit, mais
d'un bon goust. Tous les canaux estans ainsi cachez, nous
laissasmes le rivage du lac, qui a 80 lieues de long, & 25 de
large[446]; la plus grande partie duquel est habité de Sauvages
sur les costes des rivages d'iceluy, & continuasmes nostre
chemin par terre 25 à 30 lieues. Durant quatre journées nous
traversasmes quantité de ruisseaux, & une riviere[447],
procédante d'un lac[448] qui se descharge dans celuy des
Entouhonorons. Ce lac est de l'estendue de 25 ou 30 lieues de
circuit, où il y a de belles isles, & est le lieu où les
Hiroquois ennemis font leur pesche de poisson, qui y est en
abondance.
[Note 443: De la baie de Quinté à la pointe à la Traverse, aujourd'hui
_Stoney point_, (Voir 1619, p. 38, note 2.)]
[Note 444: Quarante-quatre degrés et quelques minutes.]
[Note 445: Probablement la rivière des Sables et la rivière à la Famine
(dont on a fait _Salmon river._)]
[Note 446: Le lac Ontario a environ soixante-dix lieues de long, et
dix-sept ou dix-huit de large.]
[Note 447: La rivière Chouaguen, ou Ochouaguen. Les Anglais disent
_Oswego_.]
[Note 448: Le lac des Onneyouts, appelé encore aujourd'hui _Oneida_.]
Le 9 du mois d'Octobre nos Sauvages allans pour descouvrir,
rencontrèrent unze Sauvages qu'ils prindrent prisonniers, à
sçavoir 4. femmes, trois garçons, une fille, & trois hommes,
qui alloient à la pesche de poisson, esloignez du fort des
ennemis de 4 lieues. Or est à noter que l'un des chefs voyant
ces prisonniers, coupa le doigt à une de ces pauvres femmes
pour commencer leur supplice ordinaire. Sur quoy je survins sur
ces entrefaites, & blasmay le Capitaine Hiroquet, luy
259/915 representant que ce n'estoit l'acte d'un homme de guerre,
comme il se disoit estre, de se porter cruel envers les
femmes, qui n'ont defense aucune que les pleurs, lesquelles à
cause de leur imbécillité & foiblesse, on doit traitter
humainement. Mais au contraire qu'on jugeroit cet acte
provenir d'un courage vil & brutal, & que s'il faisoit plus de
ces cruautez, il ne me donneroit courage de les assister, ny
favoriser en leur guerre[449]. A quoy il me répliqua pour toute
response, que leurs ennemis les traittoient de mesme façon.
Mais puis que ceste façon m'apportoit du desplaisir, il ne
feroit plus rien aux femmes, mais bien aux hommes.
[Note 449: Cette remontrance, pleine de courage et dictée par un profond
sentiment d'humanité, est une preuve entre mille que Champlain ne
s'était pas joint aux sauvages alliés pour faire un «usage meurtrier des
armes à feu contre les Iroquois,» comme l'avance l'auteur de l'_Histoire
de la Colonie Française en Canada_ t. I, p. 137. Il est bien évident que
cette expédition se fit aussi régulièrement qu'il était possible de le
faire alors, et suivant les règles d'une bonne guerre.]
Le lendemain sur les trois heures après midy nous arrivasmes
devant le fort[450] de leurs ennemis, où les Sauvages firent
quelques escarmouches les uns contre les autres, encores que
nostre dessein ne fust de nous descouvrir jusques au lendemain:
mais l'impatience de nos Sauvages ne le peut permettre, tant
pour le desir qu'ils avoient de voir tirer sur leurs ennemis,
comme pour delivrer quelques-uns des leurs qui s'estoient par
trop engagez. Lors je m'approchay, & y fus, mais avec si peu
d'hommes que j'avois: neantmoins nous leur monstrasmes ce
qu'ils n'avoient jamais veu, ny ouy. Car aussi tost qu'ils nous
veirent, & entendirent les coups d'harquebuze, & les balles
siffler à leurs oreilles, ils se retirèrent promptement en leur
260/916 fort, emportans leurs morts & blessez, & nous aussi
semblablement fismes la retraite en nostre gros, avec cinq ou
six des nostres blessez, dont l'un y mourut.
[Note 450: Ce fort devait être situé vers le fond du lac de Canondaguen,
ou _Canandaiga_, dans le comté d'Ontario, état de New-York. (Voir 1619,
p. 40, note 1.)]
Cela estant fait, nous nous retirasmes à la portée d'un canon,
hors de la veue des ennemis, néantmoins contre mon advis, & ce
qu'ils m'avoient promis. Ce qui m'esmeut à leur user & dire des
paroles assez rudes & fascheuses, afin de les inciter à se
mettre en leur devoir, prevoyant que si toutes choses alloient
à leur fantaisie, & selon la conduitte de leur conseil, il n'en
pouvoit réussir que du mal à leur perte & ruine. Neantmoins je
ne laissay pas de leur envoyer & proposer des moyens dont il
falloit user pour avoir leurs ennemis, qui fut de faire un
cavallier avec de certains bois, qui leur commanderoit par
dessus leurs pallisades, sur lequel on poseroit quatre ou cinq
de nos harquebuziers, qui tireroient par dessus leurs
pallissades & galleries qui estoient bien munies de pierres &
par ce moyen on deslogeroit les ennemis qui nous offensoient de
dessus leurs galleries, & cependant nous donnerions ordre
d'avoir des ais pour faire une manière de mantelets, pour
couvrir & garder nos gens des coups de flesches & de pierres.
Lesquelles choses, à sçavoir ledit cavallier, & les mantelets,
se pourroient porter à la main à force d'hommes, & y en avoit
un fait en telle sorte que l'eau ne pouvoit pas esteindre le
feu, que l'on appliqueroit devant le fort. Se ceux qui seroient
sur le cavallier feroient leur devoir, avec quelques
harquebuziers qui y seroient logez, & en ce faisant nous nous
défendrions en sorte, qu'ils ne pourroient approcher pour
261/917 esteindre le feu que nous appliquerions à leurs clostures. Ce
que trouvans bon, le lendemain[451] ils se mirent en besongne
pour bastir & dresser lesdits cavalliers & mantelets, & firent
telle diligence, qu'ils furent faits en moins de quatre heures.
Ils esperoient que ledit jour les cinq cents hommes promis
viendroient, desquels neantmoins on se doutoit, parce que ne
s'estans point trouvez au rendez-vous, comme on leur avoit
donné charge, & l'avoient promis, cela affligeoit fort nos
Sauvages. Mais voyans qu'ils estoient bon nombre pour prendre
leur fort, & jugeant de ma part que la longueur en toutes
affaires est tousjours prejudiciable, du moins à beaucoup de
choses, je les pressay d'attaquer led. fort, leur remonstrant
que les ennemis ayans recogneu leurs forces, & l'effect de nos
armes, qui perçoient ce qui estoit à l'espreuve des flesches,
ils se seroient barricadez & couverts, comme de faict ils y
remédièrent fort bien: car leur village estoit enclos de quatre
bonnes pallissades de grosses pièces de bois entrelassées les
unes parmy les autres, où il n'y avoit pas plus de demy pied
d'ouverture entre deux, de la hauteur de trente pieds, & les
galeries comme en manière de parappel, qu'ils avoient garnies
de double pièces de bois, à l'espreuve de nos harquebuzes, &
estoient proches d'un estang, où l'eau ne leur manquoit
aucunement, avec quantité de goutieres qu'ils avoient mises
entre deux, lesquelles jettoient l'eau au dehors, & la
mettoient par dedans à couvert pour esteindre le feu. Voilà la
façon dont ils usent tant en leurs fortifications, qu'en leurs
262/918 defenses,& bien plus forts que les villages des Attigouautan, &
autres.
[Note 451: Le 11 octobre.]
Donc nous nous approchasmes pour attaquer ce village, faisant
porter nostre cavallier par deux cents hommes des plus forts,
qui le poserent devant à la longueur d'une pique, où je fis
monter quatre[452] harquebuziers, bien à couvert des flesches &
pierres qui leur pouvoient estre tirées & jettées. Cependant
l'ennemy ne laissa pour cela de tirer & jetter grand nombre de
flesches & de pierres par dessus leurs pallissades. Mais la
multitude des coups d'harquebuze qu'on leur tiroit, les
contraignit de desloger, & d'abandonner leurs galeries. Et
comme on portoit le cavallier, au lieu d'apporter les mantelets
par ordre, & celuy où nous devions mettre le feu, il les
abandonnèrent & se mirent à crier contre leurs ennemis, en
tirant des coups de flesches dedans le fort, qui (à mon
opinion) ne faisoient pas beaucoup d'exécution. Il les faut
excuser, car ce ne sont pas gens de guerre, & d'ailleurs ils ne
veulent point de discipline, ny de correction, & ne font que ce
qui leur semble bon. C'est pour quoy inconsiderément un mit le
feu contre le fort tout au rebours de bien, & contre le vent,
tellement qu'il ne fit aucun effect. Le feu passé, la plus-part
des Sauvages commencèrent à apporter du bois contre les
pallissades, mais en si petite quantité, que le feu ne fit
grand effect aussi le désordre qui survint entre ce peuple fut
si grand, qu'on ne se pouvoit entendre. J'avois beau crier
après eux, & leur remonstrer au mieux qu'il m'estoit possible,
263/919 le danger où ils se mettoient par leur mauvaise intelligence,
mais ils n'entendoient rien pour le grand bruit qu'ils
faisoient. Et voyant que c'estoit me rompre la teste de crier,
& que mes remonstrances estoient vaines, & n'y avoit moyen de
remédier à ce désordre, je me resolus avec mes gens de faire
ce qui me seroit possible, & tirer sur ceux que nous pourrions
descouvrir, & appercevoir. Cependant les ennemis faisoient
profit de nostre désordre: ils alloient à l'eau, & en
jettoient en telle abondance, qu'on eust dit que c'estoient
ruisseaux qui tomboient par leurs goutieres, tellement qu'en
moins de rien le feu fut du tout esteint, & ne cessoient de
tirer plusieurs coups de flesches, qui tomboient sur nous
comme gresle. Ceux qui estoient sur le cavallier en tuèrent &
estropierent beaucoup. Nous fusmes en ce combat environ trois
heures. Il y eut deux de nos Chefs, & des principaux blessez,
à sçavoir un appelle Ochateguain, l'autre Orani, & environ
quinze d'autres particuliers. Les autres de leur costé voyans
leurs gens blessez, & quelques-uns de leurs Chefs, commencèrent
à parler de retraitte sans plus combattre, attendant les cinq
cents hommes[453], qui ne devoient plus gueres tarder à venir,
& ainsi se retirèrent, n'ayans que ceste boutade de désordre.
Au reste, les Chefs n'ont point de commandement absolu sur
leurs compagnons, qui suivent leur volonté, & font à leur
fantaisie, qui est la cause de leur désordre, & qui ruine
toutes leurs affaires. Car ayans resolu quelque chose
entr'eux, il ne faudra qu'un belistre, pour rompre leur
resolution, & faire un nouveau dessein. Ainsi les uns pour les
264/920 autres ils ne font rien, comme il se peut voir par ceste
expédition.
[Note 452: _Conf_. Éd. 1619, p. 43.]
[Note 453: Les Carantouanais, qui arrivèrent deux jours trop tard. (Voir
1619, p. 135.)]
Ayant esté blessé de deux coups de flesche, l'un dans la jambe,
& l'autre au genouil, qui m'apporta une grande incommodité,
nous nous retirasmes en nostre fort. Où estans tous assemblez,
je leur fis plusieurs remonstrances sur le desordre qui
s'estoit passe, mais tous mes discours ne servirent de rien, &
ne les esmeut aucunement, disans que beaucoup de leurs gens
avoient esté blessez, & moy-mesme, & que cela donneroit
beaucoup de fatigue & d'incommodité aux autres faisant la
retraite, pour les porter. Que de retourner plus contre leurs
ennemis, comme je leur proposois, il n'y avoit aucun moyen:
mais bien qu'ils attendroient encores quatre jours les cinq
cents hommes qui devoient venir, & estans venus, ils feroient
encores un second effort contre leurs ennemis, & executeroient
mieux ce que je leur dirois, qu'ils n'avoient fait par le
passé. Il en fallut demeurer là, à mon grand regret. Cy devant
est representé comme ils fortifient leurs villes, & par ceste
figure l'on peut entendre & voir, que celles des amis & ennemis
sont semblablement fortifiées.
Le lendemain[454] il fit un vent fort impétueux qui dura deux
jours, grandement favorable à mettre derechef le feu au fort
des ennemis; sur quoy je les pressay fort: mais craignans
d'avoir pis, & d'ailleurs se representans leurs blessez, cela
fut cause qu'ils n'en voulurent rien faire.
[Note 454: Le 12 octobre.]
265/921 Nous fusmes campez jusques au 16 dudit mois, où durant ce temps
il se fit quelques escarmouches entre les ennemis & les
nostres, qui demeuroient le plus souvent engagez parmy eux,
plustost par leur imprudence, que faute de courage; & vous
puis certifier qu'il nous falloit à toutes les fois qu'ils
alloient à la charge, les aller desgager de la presse, ne se
pouvans retirer qu'en faveur de nos harquebuzades, que les
ennemis redoutoient & apprehendoient fort. Car si tost qu'ils
appercevoient quelqu'un de nos harquebuziers, ils se
retiroient promptement, nous disans par forme de persuasion,
que nous ne nous meslassions point en leurs combats, & que
leurs ennemis avoient bien peu de courage de nous requérir de
les assister, avec tout plein d'autres discours sur ce sujet.
Voyant que les cinq cents hommes ne venoient point, ils
délibérèrent de partir, & faire retraite au plustost, &
commencèrent à faire certains paniers pour porter les blessez,
qui sont mis là dedans, entassez en un monceau, pliez &
garrotez de telle façon, qu'il est impossible de se mouvoir,
moins qu'un petit enfant en son maillot, & n'est pas sans leur
faire ressentir de grandes douleurs. Je le puis certifier,
ayant esté porté quelques jours sur le dos de l'un de nos
Sauvages ainsi lié & garroté, ce qui me faisoit perdre
patience. Aussi tost que je peux avoir la force de me
soustenir, je sortis de ceste prison, ou à mieux dire, de la
géhenne.
Les ennemis nous poursuivirent environ demie lieue de loin,
pour essayer d'attraper quelques-uns de ceux qui faisoient
l'arrière-garde: mais leurs peines furent inutiles, & se
retirèrent.
266/922 Tout ce que j'ay remarqué de bon en leur guerre, est qu'ils
font leur retraite fort seurement, mettans tous les blessez &
les vieux au milieu d'eux, estans sur le devant, aux
aisselles[455], & sur le derrière bien armez, & arrangez par
ordre de la façon, jusques à ce qu'ils soient en lieu de
seureté, sans rompre leur ordre. Leur retraite estoit fort
longue, comme de 25 à 30 lieues, qui donna beaucoup de fatigue
aux blessez, & à ceux qui les portoient, encores qu'ils se
changeassent de temps en temps.
[Note 455: _Aux aisles_. Étant bien armés sur le devant, aux ailes et sur le derrière.]
Le 18 dudit mois il tomba force neiges, qui durerent fort peu,
avec un grand vent, qui nous incommoda fort: neantmoins nous
fismes tant que nous arrivasmes sur le bord dudit lac des
Entouhonorons, & au lieu où estoient nos canaux cachez, que
l'on trouva tous entiers: car on avoit eu crainte que les
ennemis les eussent rompus. Estans tous assemblez, & prests de
se retirer à leur village, je les priay de me remener à nostre
habitation; ce qu'ils ne voulurent m'accorder du commencement:
mais en fin ils s'y resolurent, & cherchèrent 4 hommes pour me
conduire, lesquels s'offrirent volontairement. Car (comme j'ay
dit cy-dessus) les Chefs n'ont point de commandement sur leurs
compagnons, qui est cause que bien souvent ils ne font pas ce
qu'ils voudroient bien. Ces 4 hommes estans prests, il ne se
trouva point de canau, chacun ayant affaire du sien. Ce
n'estoit pas me donner sujet de contentement, au contraire cela
m'affligeoit, fort, d'autant qu'ils m'avoient promis de me
remener & conduire après leur guerre, à nostre habitation:
267/923 outre que j'estois fort mal accommodé pour hyverner avec eux,
car autrement je ne m'en fusse pas soucié. Quelques jours après
j'apperceus que leur dessein estoit de me retenir, & mes
compagnons aussi, tant pour leur seureté, craignans leurs
ennemis, que pour entendre ce qui se passoit en leurs conseils
& assemblées, que pour resoudre ce qu'il convenoit faire à
l'advenir.
Le lendemain 28 dudit mois, chacun commença à se préparer, les
uns pour aller à la chasse des cerfs, les autres aux ours,
castors, autres à la pesche du poisson, autres à se retirer en
leurs villages. Et pour ma retraite & logement, il y eut un des
principaux Chefs appelle Darontal[456], avec lequel j'avois
quelque familiarité, qui me fit offre de sa cabanne, vivres, &
commoditez, lequel prit aussi le chemin de la chasse du cerf,
qui est tenue pour la plus noble entr'eux. Après avoir traversé
le bout du lac de ladite isle[457], nous entrasmes dans une
riviere[458] environ 12 lieues, puis ils portèrent leurs canaux
par terre demie lieue, au bout de laquelle nous entrasmes en un
lac qui a d'estendue 10 à 12 lieues de circuit, ou il y avoit
grande quantité de gibbier, comme cygnes, grues blanches,
outardes, canards, sarcelles, mauvis, allouettes, beccassines,
oyes, & plusieurs autres sortes de vollatilles que l'on ne peut
nombrer, dont j'en tuay bon nombre, qui nous servit bien,
attendant la prise de quelque cerf, auquel lieu nous fusmes en
268/924 un certain endroit esloigné de dix lieues, où nos Sauvages
jugeoient qu'il y en avoit quantité. Ils s'assemblerent 25
Sauvages, & se mirent à bastir deux ou trois cabannes de
pièces de bois, accommodées les unes sur les autres, & les
calfeutrèrent avec de la mousse, pour empescher que l'air n'y
entrast, les couvrant d'escorces d'arbres. Ce qu'estant fait,
ils furent dans le bois, proche d'une petites sapiniere, où
ils firent un clos en forme de triangle, fermé des deux
costez, ouvert par l'un d'iceux. Ce clos fait de grandes
pallissades de bois fort pressé, de la hauteur de 8 à 9 pieds,
& de long de chacun costé prés de mil cinq cents pas; au bout
duquel triangle y a un petit clos, qui va tousjours en
diminuant, couvert en partie de branchages, y laissant
seulement une ouverture de cinq pieds, comme la largeur d'un
moyen portail, par où les cerfs devoient entrer. Ils firent si
bien, qu'en moins de dix jours ils mirent leur clos en estat.
Cependant d'autres Sauvages alloient à la pesche du poisson,
comme truites & brochets de grandeur monstrueuse, qui ne nous
manquèrent en aucune façon. Toutes choses estans faites, ils
partirent demie heure devant le jour pour aller dans le bois,
à quelque demie lieue de leurdit clos, s'esloignant les uns
des autres de quatre vingts pas, ayant chacun deux bastons,
desquels ils frapent l'un sur l'autre, marchant au petit pas
en cet ordre, jusques à ce qu'ils arrivent à leur clos. Les
cerfs oyans ce bruit s'enfuyent devant eux, jusques à ce
qu'ils arrivent au clos, où les Sauvages les pressent d'aller,
& se joignent peu à peu vers l'ouverture de leur triangle, où
269/925 les cerfs coulent le long desdites pallissades, jusques à ce
qu'ils arrivent au bout, où les Sauvages les poursuivent
vivement, ayant l'arc & la flesche en main, prests à descocher,
& estant au bout de leurdit triangle ils commencent à crier, &
contrefaire les loups, dont y a quantité, qui mangent les
cerfs: lesquels oyans ce bruit effroyable, sont contraints
d'entrer en la retraitte par la petite ouverture, où ils sont
poursuivis fort vivement à coups de flesches, & là sont pris
aisément: car cette retraitte est si bien close & fermée,
qu'ils n'en peuvent sortir. Il y a un grand plaisir en ceste
chasse, qu'ils continuoient de deux jours en deux jours, si
bien qu'en trente-huict jours[459] ils en prirent six vingts,
desquels ils se donnent bonne curée, reservans la graine pour
l'hyver, & en usent comme nous faisons du beurre, & quelque peu
de chair qu'ils emportent à leurs maisons, pour faire des
festins entr'eux, & des peaux ils en font des habits.
[Note 456: Voir 1619, p. 49, note 1.]
[Note 457: Voir 1619, p. 49, note 2.]
[Note 458: Probablement celle de Cataracoui. (Voir 1619, p. 50, note
1.)]
[Note 459: Du 28 octobre au 4 décembre.]
Ils ont d'autres inventions à prendre les cerfs, comme au
piège, dont ils en font mourir beaucoup, ainsi que voyez
cy-devant dépeinte la forme de leur chasse, clos, & pièges.
Voila comme nous passasmes le temps attendant la gelée, pour
retourner plus aisément, d'autant que le pays est grandement
marescageux.
Au commencement que nous sortismes pour aller chasser, je
m'engageay tellement dans les bois à poursuivre un certain
oiseau, qui me sembloit estrange, ayant le bec approchant d'un
perroquet, & de la grosseur d'une poulie, le tout jaulne, fors
270/926 la teste rouge, & les aisles bleues, & alloit de vol en vol
comme une perdrix. Le desir que l'avois de le tuer me le fit
poursuivre d'arbre en arbre fort long temps, jusques à ce qu'il
s'envolla. Et perdant toute esperance, je voulus retourner sur
mes brisées, où je ne trouvay aucun de nos chasseurs, qui
avoient tousjours gaigné pays jusques à leur clos: & taschant
de les attraper, allant ce me sembloit droit où estoit ledit
clos, je m'esgaray parmy les forests, allant tantost d'un
costé, tantost d'un autre, sans me pouvoir recognoistre, & la
nuict survenant, je la passay au pied d'un grand arbre. Le
lendemain je commençay à faire chemin jusques sur les 3 heures
du soir, où je rencontray un petit estang dormant, & y
apperceus du gibbier, & tuay trois ou quatre oiseaux. Las &
recreu je commençay à me reposer, & faire cuire ces oiseaux
dont je me repeus. Mon repas pris, je pensay à par-moy ce que
je devois faire, priant Dieu qu'il luy pleust m'assister en
mon infortune dans ces deserts, car trois tours durant il ne
fit que de la pluye entre-meslée de nege.
Remettant le tout en sa misericorde, je repris courage plus que
devant, allant ça & là tout le jour sans appercevoir aucune
trace ou sentier que celuy des bestes sauvages, dont j'en
voyois ordinairement bon nombre, & passay ainsi la nuict sans
aucune consolation. L'aube du jour venu (après avoir un peu
repeu) je pris resolution de trouver quelque ruisseau, & le
costoyer, jugeant qu'il falloit de necessité qu'il s'allast
descharger en la riviere, ou sur le bord où estoient nos
chasseurs. Ceste resolution prise, je l'executay si bien, que
sur le midy se me trouvay sur le bord d'un petit lac, comme de
271/927 lieue & demie, où l'y tuay quelque gibbier, qui m'accommoda
fort, & avois encores huict à dix charges de poudre. Marchant
le long de la rive de ce lac pour voir où il deschargeoit, je
trouvay un ruisseau assez spacieux, que je suivis jusques sur
les cinq heures du soir, que j'entendis un grand bruit: &
prestant l'oreille, je ne peus comprendre ce que c'estoit,
jusques à ce que j'entendis ce bruit plus clairement, & jugeay
que c'estoit un sault d'eau de la riviere que je cherchois.
M'approchant de plus prés, j'apperceus une escluse, où estant
parvenu, je me rencontray en un pré fort grand & spacieux, où
il y avoit grand nombre de bestes sauvages. Et regardant à la
main droite, je veis la riviere large & spacieuse. Desirant
recognoistre cet endroit, & marchant en ce pré, je me
rencontray en un petit sentier, où les Sauvages portent leurs
canaux. Ayant bien consideré ce lieu, je recogneus que c'estoit
la mesme riviere, & que j'avois passée par là. Bien aise de
cecy, je soupay de si peu que j'avois, & couchay là la nuict.
Le matin venu, considerant le lieu où j'estois, je jugeay par
certaines montagnes qui sont sur le bord de ladite riviere, que
je ne m'estois point trompé, & que nos chasseurs devoient estre
au dessus de moy de quatre ou cinq bonnes lieues, que je fis à
mon aise, costoyant le bord de lad. riviere, jusques à ce que
j'apperceus la fumée de nosd. chasseurs: auquel lieu j'arrivay
avec beaucoup de contentement, tant de moy, que de deux[460]
qui me cerchoient, & avoient perdu esperance de me revoir, & me
272/928 prièrent de ne m'escarter plus d'eux, ou que je portasse mon
cadran sur moy, lequel j'avois oublié, qui m'eust peu remettre
en mon chemin. Ils me disoient: _Si tu ne fusses venu, & que
nous n'eussions peu te trouver, nous ne serions plus allez aux
François, de peur qu'ils ne nous eussent accusez de t'avoir
fait mourir._ Du depuis Darontal estoit fort soigneux de moy
quand j'allois à la chasse, me donnant toujours un Sauvage pour
m'accompagner. Retournant à mon propos, ils ont une certaine
resverie en ceste chasse, telle, qu'ils croyent que s'ils
faisoient rostir de la viande prise en ceste façon, ou qu'il
tombast de la graisse dans le feu, ou que quelques os y fussent
jettez, qu'ils ne pourroient plus prendre de cerfs, & pour ce
sujet me prioient de n'en point faire rostir. Pour ne les
scandaliser, je m'en deportois, estant devant eux: puis leur
ayant dit que j'en avois fait rostir, ils ne me vouloient
croire, disans que si cela eust esté, ils n'auroient pris
aucuns cerfs, telle chose ayant esté commise.
[Note 460: _Conf_. 1619, p. 54.]
_Comme les Sauvages traversent les glaces. Des peuples du
petum. Leur forme de vivre. Peuples appellez la nation neutre._
CHAPITRE VII.[461]
[Note 461: Chapitre VIII de la première édition.]
Le quatrième jour de Decembre nous partismes de ce lieu,
marchant sur la riviere qui estoit gelée, & sur les lacs &
estangs glacez, & par les bois, l'espace de dix-neuf jours, qui
273/929 n'estoit pas sans beaucoup de peine & travail, tant pour les
Sauvages qui estoient chargez de cent livres pesant chacun
comme de moy-mesme qui portois la pesanteur de 20 livres. Il
est bien vray que j'estois quelquefois soulagé par nos
Sauvages, mais nonobstant je ne laissois pas de recevoir
beaucoup d'incommoditez. Quant à eux, pour traverser plus
aisément les glaces, ils ont accoustumé de faire de certaines
traînées[462] de bois, sur lesquels ils mettent leurs charges,
& les traisnent après eux sans aucune difficulté, & vont fort
promptement. Quelques jours après il arriva un grand dégel qui
nous tourmenta grandement: car il nous falloit passer par
dedans des sapinieres pleines de ruisseaux, estangs, marais &
pallus, avec quantité de boisées renversées les unes sur les
autres, qui nous donnoit mille maux, avec des embarrassemens
qui nous apportoient de grandes incommoditez, pour estre
tousjours mouillez jusques au dessus du genouil. Nous fusmes
quatre jours en cet estat, à cause qu'en la plus grande partie
des lieux les glaces ne portoient point: & fismes tant, que
nous arrivasmes à nostre village[463] le 23e jour dudit mois,
où le capitaine Yroquet vint hyverner avec ses compagnons, qui
sont Algommequins, & son fils, qu'il amena pour faire traitter
& penser, lequel allant à la chasse avoit esté fort offensé
d'un ours, le voulant tuer.
[Note 462: Traînes. (Voir 1619, p. 56, note 1.)]
[Note 463: Cahiagué.]
M'estant reposé quelques jours je deliberay d'aller voir[464]
les peuples en l'hyver, que l'esté & la guerre ne m'avoient peu
274/930 permettre de visiter. Je partis de ce village le 14[465] de
Janvier ensuivant, après avoir remercié mon hoste du bon
traittement qu'il m'avoit fait: & croyant ne le revoir de trois
mois, je prins congé de luy. Menant avec moy quelques
François[466], je m'acheminay à la nation du petum[467], où
j'arrivay le 17 dudit mois de Janvier. Ces peuples sement le
maïs, appellé par deçà bled de Turquie, & ont leur demeure
arrestée comme les autres. Nous fusmes en sept autres villages
leurs voisins & alliez, avec lesquels nous contractasmes
amitié, & nous promirent de venir un bon nombre à nostre
habitation. Ils nous firent fort bonne chère, & nous firent
present de chair & poisson pour faire festin, comme est leur
coustume, où tous les peuples accouroient de toutes parts pour
nous voir, en nous faisant mille demonstrations d'amitié, &
nous conduisoient en la plus-part du chemin. Le pays est remply
de costaux, & petites campagnes, qui rendent ce terroir
agréable. Ils commençoient à bastir deux villages, par où nous
passasmes, au milieu des bois, pour la commodité qu'ils
trouvent d'y bastir & les enclorre. Ces peuples vivent comme
les Attignouaatitans, & mesmes coustumes, & sont proches de la
nation neutre, qui est puissante, qui tient une grande estendue
de pays, à trois journées d'eux.
[Note 464: _Conf_ 1619, p. 57. Ici encore l'édition de 1632 fait une
suppression assez significative: elle ôte simplement le nom du P.
Joseph, qui, comme on sait, était récollet.]
[Note 465: Ou plutôt probablement le 4. Ici, comme dans le texte de
1619, il y a erreur quelque part; mais il nous paraît évident qu'il faut
faire la correction en cet endroit. Arrivé à Cahiagué le 23 décembre,
Champlain se repose quelques jours. Il repart pour aller rejoindre le
P. Joseph le 4 janvier; le 5, il est à Carhagouha, où il demeure avec
lui quelques jours. Le 15, ils partent ensemble pour aller visiter les
Tionnontatés, où ils arrivent le 17. Après s'être rendus chez les
Cheveux-Relevés, ils reviennent vers la mi-février.]
[Note 466: _Conf_. 1619, p. 57.]
[Note 467: Les Tionnoncatéronons.]
275/931 Après avoir visité ces peuples, nous partismes de ce lieu, &
fusmes à une nation de Sauvages, que nous avons nommez les
cheveux relevez[468], lesquels furent fort joyeux de nous
revoir, avec lesquels nous fismes aussi amitié, & qui
pareillement nous promirent de nous venir trouver, & voir à
ladite habitation. En cet endroit[469] il m'a semblé à propos
de les dépeindre, & faire une description de leurs pays,
moeurs, & façons de faire. En premier lieu, ils font la guerre
à une autre nation de Sauvages, qui s'appellent Asistagueronon,
qui veut dire gens de feu, esloignez d'eux de dix journées. Ce
fait, je m'informay fort particulièrement de leur pays, & des
nations qui y habitent, quels ils sont, & en quelle quantité.
Icelle nation sont en grand nombre, & la plus-part grands
guerriers, chasseurs, & pescheurs. Ils ont plusieurs Chefs qui
commandent chacun en leur contrée. La plus grand' part sement
des bleds d'Inde, & autres. Ce sont chasseurs qui vont par
troupes en plusieurs régions & contrées, où ils trafiquent avec
d'autres nations esloignées de plus de quatre à cinq cents
lieues. Ce sont les plus propres Sauvages en leurs mesnages que
j'aye veu, & qui travaillent le plus industrieusement aux
façons des nattes, qui sont leurs tapis de Turquie. Les femmes
ont le corps couvert, & les hommes descouvert, sans aucune
chose, sinon qu'une robbe de fourrure, qu'ils mettent sur leurs
corps, qui est en façon de manteau, laquelle ils laissent
276/932 ordinairement, & principalement en esté. Les femmes & les
filles ne sont non plus émeues de les voir de la façon, que si
elles ne voyoient rien, qui sembleroit estrange. Elles vivent
fort bien avec leurs maris, & ont ceste coustume que lors
qu'elles ont leurs mois, elles se retirent d'avec leurs maris,
ou les filles d'avec leurs pères & mères, & autres parents,
s'en allans en de certaines maisonnettes, où elles se retirent
pendant que le mal leur tient, sans avoir aucune compagnie
d'hommes, lesquels leur font porter des vivres & commoditez
jusques à leur retour, & ainsi l'on sçait celles qui les ont,
& celles qui ne les ont pas. Ce sont gens qui font de grands
festins, & plus que les autres nations. Ils nous firent fort
bonne chère, & nous receurent fort amiablement, & me prièrent
fort de les assister contre leurs ennemis, qui sont sur le
bord de la mer douce, esloignée de deux cents lieues; à quoy je
leur dis que ce seroit pour une autre fois, n'estant accommodé
des choses necessaires.
[Note 468: Les Andatahouats. (Voir 1619, p. 24 et 58.)]
[Note 469: _Conf_. 1619, p. 58.]
Il y a aussi à deux ou trois journées d'iceux une autre nation
de Sauvages, d'un costé tirant au sud, qui font grand nombre de
petum, lesquels s'appellent la nation neutre[470], qui sont
grand nombre de gens de guerre, qui habitent vers le midy de la
mer douce, lesquels assistent les Cheveux relevez contre les
gens de feu. Mais entre les Yroquois & les nostres, ils ont
paix, & demeurent comme neutres. J'avois grand desir de voir
ceste nation, mais ils m'en dissuaderent, disans que l'année
précédente un des nostres en avoit tué un, estant à la guerre
277/933 des Entouhonorons, & qu'ils en estoient faschez: nous
representans qu'ils sont fort subjects à la vengeance, ne
regardans point à ceux qui ont fait le coup, mais le premier
qu'ils rencontrent de la nation, ou bien de leurs amis, ils
leur font porter la peine, quand ils en peuvent attraper, si
auparavant on n'avoit fait accord avec eux, & avoir donné
quelques dons & presens aux parens du defunct; qui m'empescha
pour lors d'y aller, encores qu'aucuns d'icelle nation nous
asseurerent qu'ils ne nous feroient aucun mal pour cela. Ce qui
nous donna sujet & occasion de retourner par le mesme chemin
que nous estions venus: & continuant mon voyage, j'allay
trouver la nation des Pisierinij[471], qui avoient promis de me
mener plus outre en la continuation de mes desseins &
descouvertures: mais je fus diverty pour les nouvelles qui
survindrent de nostre grand village, & des Algommequins, d'où
estoit le Capitaine Yroquet, à sçavoir que ceux de la nation
des Attignouantans avoient mis & déposé entre ses mains un
prisonnier de nation ennemie, esperant que ledit Capitaine
Yroquet deust exercer sur ce prisonnier la vengeance ordinaire
entr'eux. Mais au lieu de ce, l'auroit non seulement mis en
liberté, ains l'ayant trouvé habile, excellent chasseur, & tenu
comme son fils, les Attignouantans seroient entrez en jalousie,
& resolus de s'en venger: & de faict avoient disposé un homme
pour entreprendre d'aller tuer ce prisonnier, ainsi allié qu'il
estoit. Comme il fut exécuté en la presence des principaux de
la nation Algommequine, qui indignez d'un tel acte, & meus de
278/934 colère, tuèrent sur le champ ce téméraire entrepreneur
meurtrier; duquel meurtre les Attignouantans se trouvans
offensez, & comme injuriez en ceste action, voyans un de leurs
compagnons mort, prindrent les armes, & se transporterent aux
tentes des Algommequins (qui viennent hyverner proche de
leurdit village) lesquels offenserent fort ledit Capitaine
Yroquet, qui fut blessé de deux coups de flesche; & une autre
fois pillèrent quelques cabannes desdits Algommequins, sans
qu'ils se peussent mettre en defense, aussi le party n'eust
pas esté égal. Neantmoins cela, lesdits Algommequins ne furent
pas quittes, car il leur fallut accorder, & contraints pour
avoir la paix, de donner ausdits Attignouantans quelques
colliers de pourceline, avec cent brasses d'icelle, ce qu'ils
estiment de grand valeur entr'eux: & outre ce, nombre de
chaudières & haches, avec deux femmes prisonnieres en la place
du mort. Bref ils furent en grande dissention (c'estoit
ausdits Algommequins de souffrir patiemment ceste grande
furie) & penserent estre tous tuez, n'estans pas bien en
seureté, nonobstant leurs presens, jusques à ce qu'ils se
veirent en un autre estat. Ces nouvelles m'affligèrent fort,
me representant l'inconvenient qui en pourroit arriver, tant
pour eux, que pour nous, qui estions en leur pays.
[Note 470: Les Attiouandaronk. (Voir 1619, p. 58 et 60, note 2.)]
[Note 471: _Nipissirini_, ou Nipissingues.]
Ce fait, je rencontray deux ou trois Sauvages de nostre grand
village, qui me solliciterent fort d'y aller, pour les mettre
d'accord, me disans que si je n'y allois, aucuns d'eux ne
reviendroient plus vers les François, ayans guerre avec lesdits
Algommequins, & nous tenans pour leurs amis. Ce que voyant, je
279/935 m'acheminay au plustost, & en partant je visitay les Pisirinis
pour sçavoir quand ils seroient prests pour le voyage du nort;
que je trouvay rompu pour le sujet de ces querelles &
batteries, ainsi que nostre truchement me fit entendre, & que
ledit Capitaine Yroquet estoit venu à toutes ces nations pour
me trouver, & m'attendre. Il les pria de se trouver à
l'habitation des François, en mesme temps que luy, pour voir
l'accord qui se feroit entr'eux, & les Atignouaanitans, &
qu'ils remissent ledit voyage du nort à une autre fois. Pour
cet effect ledit Yroquet avoit donné de la pourceline pour
rompre ledit voyage, & nous promirent de se trouver à nostred.
habitation au mesme temps qu'eux. Qui fut bien affligé ce fut
moy, m'attendant bien de voir en ceste année, ce qu'en
plusieurs autres précédentes j'avois recherché avec beaucoup de
soing & de labeur. Ces peuples vont négocier avec d'autres qui
se tiennent en ces parties Septentrionales, estans une bonne
partie de ces nations en lieu fort abondant en chasses, & où il
y a quantité de grands animaux, dont j'ay veu plusieurs peaux:
& m'ayans figuré leur forme, j'ay jugé estre des buffles: aussi
que la pesche du poisson y est fort abondante. Ils sont 40
jours à faire ce voyage, tant à aller, que retourner.
Je m'acheminay vers nostred. village le 15e jour de Fevrier,
menant avec moy six de nos gens, où estans arrivez, les
habitans furent fort aises, comme aussi les Algommequins, que
j'envoyay visiter par nostre truchement[472], pour sçavoir
comme le tout s'estoit passé tant d'une part que d'autre, n'y
280/936 ayant voulu aller pour ne leur donner ny aux uns ny aux autres
aucun soupçon. Deux jours se passèrent pour entendre des uns &
des autres comme le tout s'estoit passé: ce fait, les
principaux & anciens du lieu s'en vindrent avec nous, & tous
ensemble allasmes vers les Algommequins, où estant en l'une de
leurs cabannes, après quelques discours, ils demeurèrent
d'accord de tenir, & avoir agréable tout ce que je dirois,
comme arbitre sur ce sujet; & ce que je leur proposerois, ils
le mettroient en exécution. Colligeant & recherchant la volonté
& inclination de l'une & de l'autre partie, & jugeant qu'ils ne
demandoient que la paix, je leur representay que le meilleur
estoit de pacifier le tout, & demeurer amis, pour resister plus
facilement à leurs ennemis, & partant je les priay qu'ils ne
m'appellassent point pour ce faire, s'ils n'avoient intention
de future de poinct en poinct l'advis que je leur donnerois cur
ce différend, puis qu'ils m'avoient prié d'en dire mon opinion.
Sur quoy ils me dirent derechef, qu'ils n'avoient desiré mon
retour à autre fin. Moy d'autre-part jugeant bien que si je ne
les mettois d'accord, & en paix, ils sortiroient mal contents
les uns des autres, chacun d'eux pensant avoir le meilleur
droict, aussi qu'ils ne fussent allez à leurs cabannes, si je
n'eusse esté avec eux, ny mesme vers les François, si je ne
m'embarquois, & prenois comme la charge & conduitte de leurs
affaires. A cela je leur dis, que pour mon regard je n'avois
autre intention que de m'en aller avec mon hoste, qui m'avoit
tousjours bien traitté, & mal-aisément en pourrois-je trouver
281/937 un si bon, car c'estoit en luy que les Algommequins mettoient
la faute, disans qu'il n'y avoit que luy de Capitaine qui fist
prendre les armes. Plusieurs discours se passerent tant d'une
part que d'autre, & la fin fut, que je leur dirais mon advis,
& ce qui m'en sembleroit.
[Note 472: Voir. 1619, p. 64, note 2.]
Voyant qu'ils remettoient le tout à ma volonté, comme à leur
pere, & me promettans en ce faisant qu'à l'advenir je pourrois
disposer d'eux ainsi que bon me sembleroit; je leur fis
response que j'estois tres-aise de les voir en une si bonne
volonté de suivre mon conseil, leur protestant qu'il ne seroit
que pour le bien et utilité des peuples.
D'autre costé j'estois fort affligé d'avoir entendu d'autres
tristes nouvelles, à sçavoir la mort de l'un de leur parents &
amis, que nous tenions comme le nostre, & que ceste mort avoit
peu causer une grande desolation, dont il ne s'en fust ensuivy
que guerre perpetuelles entre les uns et les autres avec
plusieurs grand dommages, & alteration de leur amitié, et par
consequent les François privez de leur veue & frequentation, &
contraints d'aller chercher d'autres nations & ce d'autant que
nous nous aimions comme freres, laissant à nostre Dieu le
chastiment de ceux qui l'avoient merité.
Je leur remonstray, que ces façons de faire entre deux nations,
amis, & freres, comme ils se disoient, estoit indigne entre des
hommes raisonnables, ains plustost que c'estoit à faire aux
bestes brutes. D'ailleurs, qu'ils estoient assez empeschez à
repousser leurs ennemis qui les poursuivoient, les battans le
plus souvent, & les prenans prisonniers, jusques dans leurs
282/938 villages: lesquels voyans une telle division, & des guerres
civiles entr'eux, se resjouiroient & en feroient leur profit, &
les pousseroient & encourageroient à faire & exécuter de
nouveaux desseins, sur l'esperance qu'ils auroient de voir bien
tost leur ruine, du moins s'affoiblir par eux-mesmes, qui
seroit le vray & facile moyen pour les vaincre & triompher
d'eux, & se rendre les maistres de leurs contrées, n'estans
point secourus les uns des autres. Qu'ils ne jugeoient pas le
mal qui leur en pouvoit arriver. Que pour la mort d'un homme
ils en mettoient dix mille en danger de mourir, & le reste de
demeurer en perpétuelle servitude. Qu'à la vérité un homme
estoit de grande consequence, mais qu'il falloit regarder comme
il avoit esté tué, & considerer que ce n'estoit pas de propos
délibéré, ny pour commencer une guerre civile parmy eux; cela
estant trop evident que le defunct avoit premièrement orienté
en ce que de guet-à-pens il avoit tué le prisonnier dans leurs
cabannes, chose trop audacieusement entreprise, encores qu'il
fust ennemy.
Ce qui esmeut les Algommequins: car voyans un homme si
téméraire d'avoir tué un autre en leur cabane, auquel ils
avoient donné la liberté, & le tenoient comme un d'entr'eux,
ils furent emportez de la promptitude, & le sang esmeu à
quelques-uns plus qu'aux autres se seroient advancez, ne se
pouvans contenir, ny commander à leur colère, & auroient tué
cet homme dont est question: mais pour cela ils n'en vouloient
nullement à toute la nation, & n'avoient dessein plus avant à
l'encontre de cet audacieux, & qu'il avoit bien mérité ce qu'il
283/939 avoit eu, puis qu'il l'avoit luy-mesme recherché. Et
d'ailleurs, qu'il falloit remarquer que l'Entouhonoron se
sentant frapé de deux coups dedans le ventre, arracha le
cousteau de sa playe, que son ennemy y avoit laissé, & luy en
donna deux coups, à ce qu'on m'avoit certifié: de façon qu'on
ne pouvoit sçavoir au vray si c'estoient Algommequins qui
eussent tué. Et pour monstrer aux Attigouantans que les
Algommequins n'aimoient pas le prisonnier, & que Yroquet ne luy
portoit pas tant d'affection comme ils pensoient bien, ils
l'avoient mangé, d'autant qu'il avoit donné des coups de
cousteau à son ennemy, chose neantmoins indigne d'homme, mais
plustost de bestes brutes. D'ailleurs, que les Algommequins
estoient fort faschez de tout ce qui s'estoit passé, & que
s'ils eussent pensé que telle chose fust arrivée, ils leur
eussent donné cet Yroquois en sacrifice. D'autre part, qu'ils
avoient recompensé icelle mort, & faute, (si ainsi il la
falloit appeller) avec de grands presens, & deux prisonniers,
n'ayans sujet à present de se plaindre, & qu'ils devoient se
gouverner plus modestement en leurs deportemens envers les
Algommequins, qui sont de leurs amis; & que puis qu'ils
m'avoient promis toutes choses mises en délibération, je les
priois les uns & les autres d'oublier tout ce qui s'estoit
passé entr'eux, sans jamais plus y penser, ny se porter aucune
haine & mauvaise volonté, & ce faisant, qu'ils nous
obligeroient à les aimer, & les assister, comme l'avois fait
par le passé. Et ou ils ne seroient contents de mon advis, je
les priois de se trouver le plus grand nombre d'entr'eux qu'ils
284/940 pourroient à nostre habitation, où devant tous les Capitaines
des vaisseaux on confirmeroit d'avantage ceste amitié, &
adviseroit-on de donner ordre pour les garentir de leurs
ennemis, à quoy il falloit penser.
Lors ils dirent qu'ils tiendroient tout ce que je leur avois
dit, & fort contents en apparence s'en retournèrent en leurs
cabanes, sinon les Algommequins, qui dérogèrent pour faire
retraitte en leur village: mais selon mon opinion ils faisoient
demonstration de n'estre pas trop contents, d'autant qu'ils
disoient entr'eux qu'ils ne viendroient plus hyverner en ces
lieux. La mort de ces deux hommes leur ayant par trop
cousté[473], je m'en retournay chez mon hoste, à qui je donnay
le plus de courage qu'il me fut possible, afin de l'esmouvoir à
venir à nostre habitation, & d'y amener tous ceux du pays.
[Note 473: Il est évident que ces mots doivent se rattacher à la phrase
précédente.]
Pendant quatre mois que dura l'hyver, j'eus assez de loisir
pour considerer leur païs, moeurs, coustumes, & façon de vivre,
& la forme de leurs assemblées, & autres choses, que je
descriray cy-aprés. Mais auparavant il est necessaire de parler
de la scituation du païs[474], & contrées, tant pour ce qui
regarde les nations, que pour les distances d'iceux. Quant à
l'estendue, tirant de l'Orient à l'Occident, elle contient prés
de quatre cents cinquante lieues de long, & deux cents par
endroits de largeur du Midy au Septentrion, souz la hauteur de
quarante & un degré de latitude, jusques à quarante-huict &
quarante-neuf. Ceste terre est comme une isle, que la grande
285/941 riviere Sainct Laurent enceint, partant par plusieurs lacs de
grande estendue, sur le rivage desquels il habite plusieurs
nations, parlans divers langages, qui ont leurs demeures
arrestées, les uns[475] amateurs du labourage de la terre, &
autres qui ne le sont pas, lesquels neantmoins ont diverses
façons de vivre, & de moeurs, & les uns meilleurs que les
autres. Au costé vers le nort d'icelle grande riviere tirant au
surouest environ cent lieues par delà vers les Attigouantans,
le pays est partie montagneux, & l'air y est assez tempéré,
plus qu'en aucun autre lieu desdites contrées, souz la hauteur
de quarante & un degré de latitude. Toutes ces parties &
contrées sont abondantes en chasses, comme de cerfs, caribous,
eslans, daims, buffles, ours, loups, castors, regnards,
fouines, martes, & plusieurs autres especes d'animaux que nous
n'avons pas par deçà. La pesche y est abondante en plusieurs
sortes & especes de poisson, tant de ceux que nous avons, que
d'autres que nous n'avons pas aux costes de France. Pour la
chasse des oyseaux, elle y est aussi en quantité, & qui y
viennent en leur temps & saison. Le pays est traversé de grand
nombre de rivieres, ruisseaux & estangs, qui se deschargent
les uns dans les autres & en leur fin aboutissent dedans le
fleuve Sainct Laurent, & dans les lacs par où il passe. Le pays
est fort plaisant, estant chargé de grandes & hautes forests,
remplies de bois de pareilles especes que ceux que nous avons
en France. Bien est-il vray qu'en plusieurs endroits il y a
quantité de pays deserté, où ils sement des bleds d'Inde: aussi
286/942 ce pays est abondant en prairies, pallus, & marescages, qui
sert pour la nourriture desdits animaux. Le pays du nort de
ceste grande riviere n'est si agréable que celuy du midy, souz
la hauteur de quarante-sept à quarante-neuf degrez de latitude,
remply de forts rochers en quelques endroits, à ce que j'ay peu
voir, lesquels sont habitez de Sauvages, qui vivent errans
parmy le pays, ne labourans & ne faisans aucune culture, du
moins si peu que rien, & sont ambulatoires[476], estans ores en
un lieu, & tantost en un autre, le pays y estant assez froid &
incommode. L'estendue d'icelle terre du nort souz la hauteur de
quarante-neuf degrez de latitude de l'Orient à l'Occident, a
six cents lieues de longitude, qui est aux lieux dont nous
avons ample cognoissance. Il y a aussi plusieurs belles &
grandes rivieres qui viennent de ce costé, & se deschargent
dedans ledit fleuve, & d'autres qui (à mon opinion) se
deschargent en la mer, par la partie & costé du nort, souz la
hauteur de cinquante à cinquante & un degrez de latitude,
suivant le rapport & relation que m'en ont fait ceux qui vont
négocier, & traitter avec les peuples qui y habitent.[477]
[Note 474: _Du pays en général_, c'est-à-dire, de la Nouvelle-France.
C'est ce que n'a pas compris Sagard. (Hist. du Canada, p. 201, 202.)]
[Note 475: _Conf_. 1619, p. 69.]
[Note 476: _Conf_. édit. 1619, et 1627, _verso_ 74.]
[Note 477: 1619, p. 71, note 3.]
Quant aux parties qui tirent plus à l'Occident, nous n'en
pouvons sçavoir bonnement le trajet, dautant que les peuples
n'en ont aucune cognoissance, sinon de deux ou trois cents
lieues, ou plus, vers l'Occident, d'où vient ladite grande
riviere, qui passe entre autres lieux par un lac qui contient
prés de trente journées de leurs canaux, à sçavoir celuy
287/943 qu'avons nommé la mer douce, eu esgard à sa grande estendue,
ayant quarante journées de canaux[478] de Sauvages, avec
lesquels nous avons accez, qui ont guerre avec d'autres
nations, tirant à l'Occident dudit grand lac, qui est la cause
que nous n'en pouvons pas avoir plus ample cognoissance, sinon
qu'ils nous ont dit par plusieurs & diverses fois, que
quelques prisonniers de ces lieux leur ont rapporté y avoir
des peuples semblables à nous en blancheur, ayans veu de leur
chevelure, qui est fort blonde. Je ne puis que penser là
dessus, sinon que ce soient gens plus civilisez qu'eux. Pour
en bien sçavoir la vérité, il faudroit les voir, mais il faut
de l'assistance, & n'y a que le temps & le courage de quelques
personnes de moyens, qui puissent ou vueillent entreprendre ce
dessein.
[Note 478: Quarante _journées de canot_ peuvent donner environ quatre
cents lieues; ce qui est à peu près la mesure de l'immense contour du
lac Huron. (Voir ci-dessus, p. 248, note 3.)]
Pour ce qui est du Midy de ladite grande riviere, elle est fort
peuplée, & beaucoup plus que le costé du Nort, de diverses
nations, ayans guerre les uns contre les autres. Le pays y est
fort agréable, beaucoup plus que le costé du Septentrion, &
l'air plus tempéré, y ayant plusieurs especes d'arbres &
fruicts qu'il n'y a pas au nort dudit fleuve, aussi n'est-il
pas de tant de profit & d'utilité quant aux lieux où se font
les traittes de pelleteries. Pour ce qui est des terres du
costé de l'Orient, elles sont assez cogneues, d'autant que la
grand' mer Oceane borne ces endroits là, à sçavoir les costes
de Labrador, Terre-neufve, Cap Breton, l'Acadie, Almouchiquois,
comme aussi des peuples qui y habitent, en ayant fait ample
description cy-dessus.
288/944 La contrée de la nation des Attigouantan est souz la hauteur de
44 degrez & demy de latitude, & 230 lieues de longitude à
l'Occident[479]. Il y a 18 villages, dont 8[480] sont clos &
fermez de pallissades de bois à triple rang, entre-lacez les
uns dans les autres, où au dessus y a des galeries qu'ils
garnissent de pierres & d'eau, pour ruer & esteindre le feu,
que leurs ennemis pourroient appliquer contre. Ce pays est beau
& plaisant, la plus-part deserté, ayant la forme & mesme
scituation que la Bretagne, estant presque environné & enceint
de la mer douce. Ces 18 villages (selon leur dire) sont peuplez
de 2000 hommes de guerre, sans en ce comprendre le commun, qui
peut faire en nombre 20000. ames[481]. Leurs cabanes sont en
façon de tonnelles, ou berceau, couvertes d'escorces d'arbres
de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins, & six de
large, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de
large, qui va d'un bout à l'autre. Aux deux costez y a une
manière d'establie[482], de la hauteur de quatre pieds où ils
couchent en esté, pour eviter l'importunité des pulces, dont
ils ont grande quantité: & en hyver ils couchent en bas sur des
nattes, proches du feu, pour estre plus chaudement. Ils font
provision de bois sec, & en emplissent leurs cabanes, pour se
289/945 chauffer en hyver. Au bout d'icelles cabanes y a une espace,
où ils conservent leurs bleds d'Inde, qu'ils mettent en de
grandes tonnes faites d'escorces d'arbres, au milieu de leur
logement. Il y a des bois qui sont suspendus, où ils mettent
leurs habits, vivres, & autres choses, de peur des souris, qui
y sont en grande quantité. En telle cabane y aura 12 feux, qui
font 24 mesnages, où il fume à bon escient en hyver, qui fait
que plusieurs en reçoivent de grandes incommoditez aux yeux, à
quoy ils sont subjects, jusques à en perdre la veue sur la fin
de leur aage, n'y ayant fenestre aucune, ny ouverture, que
celle qui est au dessus de leurs cabanes, par où la fumée sort.
Ils changent quelquefois leur village de dix, vingt, ou trente
ans, & le transportent d'une, deux, ou trois lieues, d'autant
que leur terre se lasse d'apporter du bled sans estre amendée,
& par ainsi vont deserter en autre lieu, & aussi pour avoir le
bois plus à commodité, s'ils ne sont contraints par leurs
ennemis de desloger, & s'esloigner plus loin, comme ont fait
les Antouhonorons de quelque 40 à 50 lieues. Voila la forme de
leurs logemens, qui sont separez les uns des autres, comme de
trois à quatre pas, pour la crainte du feu, qu'ils appréhendent
fort.
[Note 479: _Conf_. 1619, p. 73. Cette phrase, qui d'abord, en 1619,
avait été mal lue par un typographe, est devenue, par une malheureuse
suppression, absolument inintelligible. Voici, suivant nous, ce qu'a
voulu dire l'auteur: La contrée des Attigouantan, c'est-à-dire, le pays
huron, est sous la hauteur de 44 degrés et demi, et a douze ou treize
lieues de longitude (longueur) de l'Orient à l'Occident, et dix de
latitude (largeur).]
[Note 480: L'édition de 1619, et celle de 1627 portent «six.»]
[Note 481: Les éditions de 1619 et de 1627 portent «30000.»]
[Note 482: Qu'ils appellent _endicha_.» (Sagard, Hist. du Canada, p.
248.)]
Leur vie est miserable au regard de la nostre, mais heureuse
entr'eux qui n'en ont pas gousté de meilleure, croyans qu'il ne
s'en trouve pas de plus excellente. Leur principal manger &
vivre ordinaire est le bled d'Inde, & febves du Bresil, qu'ils
accommodent en plusieurs façons. Ils en pilent en des mortiers
de bois, & le reduisent en farine, de laquelle ils prennent la
290/946 fleur par le moyen de certains vans faits d'escorce d'arbres,
& d'icelle farine font du pain avec des febves, qu'ils font
premièrement bouillir un bouillon, comme le bled d'Inde, pour
estre plus aisé à battre, & mettent le tout ensemble:
quelquefois ils y mettent des blues, ou des framboises seches;
autrefois des morceaux de graisse de cerf: puis ayans le tout
destrempé avec eau tiède, ils en font des pains en forme de
gallettes ou tourteaux, qu'ils font cuire souz les cendres, &
estans cuites ils les lavent,& les enveloppent de fueilles de
bled d'Inde, qu'ils y attachent, & mettent en l'eau bouillante,
mais ce n'est pas leur ordinaire, ains ils en font d'une autre
sorte qu'ils appellent migan, à sçavoir, ils prennent le bled
d'Inde pilé, sans oster la fleur, duquel ils mettent deux ou
trois poignées dans un pot de terre plain d'eau, le font
bouillir, en le remuant de fois à autre, de peur qu'il ne
brusle, ou qu'il ne se prenne au pot; puis mettent en ce pot
un peu de poisson frais, ou sec, selon la saison, pour donner
goust audit migan, qui est le nom qu'ils luy donnent, & en font
fort souvent, encores que ce soit chose mal odorante,
principalement en hyver, pour ne le sçavoir accommoder, ou pour
n'en vouloir prendre la peine. Ils en font de deux especes, &
l'accommodent assez bien quand ils veulent, & lors qu'il y a de
ce poisson, ledit migan ne sent pas mauvais, ains seulement à
la venaison. Le tout estant cuit, ils tirent le poisson, &
l'escrasent bien menu, ne regardans de si prés à oster les
arestes, les escailles, ny les tripailles, comme nous faisons,
& mettent le tout ensemble dedans le pot, qui cause le plus
291/947 souvent le mauvais goust: puis estant ainsi fait, ils en
départent à chacun quelque portion. Ce migan est fort clair, &
non de grande substance, comme on peut bien juger. Pour le
regard du boire, il n'est point de besoin, estant ledit migan
assez clair de soy-mesme. Ils ont une autre sorte de migan, à
sçavoir, ils font greller du bled nouveau, premier qu'il soit
à maturité, lequel ils conservent, & le font cuire entier avec
du poisson, ou de la chair, quand ils en ont une autre façon,
ils prennent le bled d'Inde bien sec, le font greller dans les
cendres, puis le pilent, & le reduisent en farine, comme
l'autre cy-devant, lequel ils conservent pour les voyages
qu'ils entreprennent, tant d'une part que d'autre: lequel
migan fait de ceste façon est le meilleur, à mon goust. Pour le
faire, ils font cuire force viande & poisson, qu'ils découpent
par morceaux, puis la mettent dans de grandes chaudières qu'ils
emplissent d'eau, la faisant fort bouillir: ce fait, ils
recueillent avec une cueillier la graisse de dessus, qui
provient de la chair & poisson, puis mettent d'icelle farine
grullée dedans, en la mouvant tousjours jusques à ce que ledit
migan soit cuit, & rendu espois comme bouillie. Ils en donnent
& départent à chacun un plat, avec une cueillerée de ladite
graisse: ce qu'ils ont coustume de faire aux festins. Or est-il
que ledit bled nouveau grullé, est grandement estimé entr'eux.
Ils mangent aussi des febves, qu'ils font bouillir avec le gros
de la farine grullée, y meslant un peu de graisse, & poisson.
Les chiens sont de requeste en leurs festins, qu'ils font
souvent les uns aux autres, principalement durant leurs
292/948 l'hyver, qu'ils sont de loisir. Que s'ils vont à la chasse aux
cerfs, ou au poisson, ils les reservent pour faire ces festins,
ne leur demeurant rien en leurs cabanes que le migan clair pour
ordinaire, lequel ressemble à de la branée que l'on donne à
manger aux pourceaux. Ils ont une autre manière de manger le
bled d'Inde, & pour l'accommoder ils le prennent par espics, &
le mettent dans l'eau, souz la bourbe, le laissant deux ou
trois mois en cet estat, jusques à ce qu'ils jugent qu'il soit
pourry, puis ils l'ostent de là, & le font bouillir avec la
viande ou poisson, puis le mangent: aussi le font-ils gruller,
& est meilleur en ceste façon que bouilly. Il n'y a rien qui
sente si mauvais que ce bled sortant de l'eau tout boueux, &
neantmoins les femmes & enfans le succent, comme on fait les
cannes de sucre, n'y ayant chose qui leur semble de meilleur
goust, ainsi qu'ils le demonstrent. D'ordinaire ils ne font que
deux repas le jour.
Ils engraissent aussi des ours, qu'ils gardent deux ou trois
ans, pour se festoyer: & ay recognu que s'ils avoient du
bestial, ils en seroient curieux, & le conserveroient fort
bien, leur ayant monstré la façon de le nourrir, chose qui leur
seroit aisée, attendu qu'ils ont de bons pasturages, & en
grande quantité, soit pour chevaux, boeufs, vaches, moutons,
porcs, & autres especes: à faute dequoy on les juge miserables,
comme il y a de l'apparence. Neantmoins avec toutes leurs
miseres je les estime heureux entr'eux, d'autant qu'ils n'ont
autre ambition que de vivre, & de se conserver, & sont plus
asseurez que ceux qui sont errans par les forests, comme bestes
293/949 brutes, aussi mangent-ils force citrouilles, qu'ils font
bouillir, & rostir souz les cendres. Quant à leurs habits, ils
sont faits de plusieurs sortes & façons de diverses peaux de
bestes sauvages, tant de celles qu'ils prennent, que d'autres
qu'ils eschangent pour leur bled d'Inde, farines, pourcelines,
& filets à pescher, avec les Algommequins, Piserinis, & autres
nations, qui sont chasseurs, & n'ont leurs demeures arrestées.
Ils passent & accommodent assez raisonnablement les peaux,
faisans leur brayer d'une peau de cerf moyennement grande, &
d'une autre le bas de chausses, ce qui leur va jusques à la
ceinture, estant fort plissé. Leurs souliers sont de peaux de
cerfs, ours, & castors, dont ils usent en bon nombre. Plus ils
ont une robbe de mesme fourrure, en forme de couverte, qu'ils
portent à la façon Irlandoise, ou Egyptienne, & des manches qui
s'attachent avec un cordon par le derrière. Voila comme ils
sont habillez durant l'hyver, ainsi qu'il se voit en la figure
D. Quand ils vont par la campagne, ils ceignent leur robbe
autour du corps, mais estans à leur village, ils quittent leurs
manches, & ne se ceignent point. Les passements de Milan pour
enrichir leurs habits sont de colle, & de la raclure desdites
peaux, dont ils font des bandes en plusieurs façons, ainsi
qu'ils s'advisent, y mettans par endroits des bandes de
peinture rouge-brun, parmy celles de colle, qui paroissent
tousjours blancheastres, n'y perdant point leurs façons,
quelques sales qu'elles puissent estre. Il y en a entre ces
nations qui sont bien plus propres à passer les peaux les uns
que les autres, & ingénieux pour inventer des compartimens à
294/950 mettre dessus leurs habits. Sur tous autres nos Montagnais &
Algommequins y prennent plus de peine, lesquels mettent à leurs
robbes des bandes de poil de porc-espy, qu'ils teindent en fort
belle couleur d'escarlate. Ils tiennent ces bandes bien chères
entr'eux, & les détachent pour les faire servir à d'autres
robbes, quand ils en veulent changer, plus pour embellir la
face, & avoir meilleure grâce. Quand ils se veulent bien parer,
ils se peindent le visage de noir & rouge, qu'ils démeslent
avec de l'huile, faite de la graine d'herbe au Soleil, ou bien
avec de la graisse d'ours ou autres animaux. Comme aussi ils se
teindent les cheveux, qu'ils portent les uns longs, les autres
courts, les autres d'un costé seulement. Pour les femmes & les
filles, elles les portent tousjours d'une mesme façon. Elles
sont vestues comme les hommes, horsmis qu'elles ont tousjours
leurs robbes ceintes, qui leur viennent jusqu'au genouil. Elles
ne sont point honteuses de monstrer leur corps, à sçavoir
depuis la ceinture en haut, & depuis la moitié des cuisses en
bas, ayans tousjours le reste couvert, & sont chargées de
quantité de pourceline, tant en colliers, que chaisnes,
qu'elles mettent devant leurs robbes, pendant à leurs
ceintures, bracelets, & pendans d'oreilles, ayans les cheveux
bien peignez, peints, & graissez, & ainsi s'en vont aux dances,
ayans un touffeau de leurs cheveux par derrière, qui sont liez
de peaux d'anguilles, qu'ils accommodent & font servir de
cordon, où quelquefois ils attachent des platines d'un pied en
quarré, couvertes de ladite pourceline, qui pend par derrière,
295/951 & en ceste façon vestues & habillées poupinement, elles se
monstrent volontiers aux dances leurs pères & mères les
envoyent, n'espargnans rien pour les embellir & parer, & puis
asseurer avoir veu en des dances, telle fille qui avoit plus de
douze livres de pourceline sur elle, sans les autres bagatelles
dont elles sont chargées & atourées. Cy-contre se voit comme
les femmes sont habillées, comme monstre F. & les filles allans
à la dance, G. Se voit aussi comme les femmes pilent leur bled
d'Inde, lettre H.
[Illustration relocation]
Ces peuples sont d'une humeur assez joviale (bien qu'il y en
aye beaucoup de complexion triste & saturnienne). Ils sont bien
formez & proportionnez de leurs corps, y ayant des hommes forts
& robustes. Comme aussi il y a des femmes & des filles fort
belles & agréables, tant en la taille, couleur (bien
qu'olivastre) qu'aux traits du visage, le tout à proportion, &
n'ont point le sein ravalé que fort peu, si elles ne sont
vieilles. Il s'en trouve parmy elles de fort puissantes, & de
hauteur extraordinaire, ayans presque tout le soing de la
maison, & du travail: car elles labourent la terre, sement le
bled d'Inde, font la provision de bois pour l'hyver, tillent la
chanvre, & la filent, dont du filet ils font les rets à
pescher, & prendre le poisson, & autres choses necessaires.
Comme aussi de faire la cueillette de leurs bleds, les serrer,
accommoder à manger, & dresser leur mesnage. De plus, elles
suivent leurs maris de lieu en lieu, aux champs, où elles
servent de mulles à porter le bagage.
Quant aux hommes, ils ne font rien qu'aller à la chasse du
296/952 cerf, & autres animaux, pescher du poisson, faire des
cabannes, & aller à la guerre. Ces choses faites, ils vont aux
autres nations, où ils ont de l'accez & cognoissance, pour
traitter & faire des eschanges de ce qu'ils ont, avec ce qu'ils
n'ont point; & estans de retour, ils ne bougent des festins
dances, qu'ils se font les uns aux autres, & à l'issue se
mettent à dormir, qui est le plus beau de leur exercice.
Ils ont une espece de mariage parmy eux, qui est tel, que quand
une fille est en l'aage d'onze, douze, treize, quatorze, ou
quinze ans, elle aura plusieurs serviteurs, selon ses bonnes
grâces, qui la rechercheront, & la demanderont aux père & mère,
bien que souvent elles ne prennent pas leur contentement, fors
celles qui sont les plus sages & mieux advisées, qui se
souzmettent à leur volonté. Cet amoureux ou serviteur
presentera à la fille quelques colliers, chaisnes & bracelets
de pourceline. Si la fille a ce serviteur agréable, elle reçoit
ce present: ce fait, il viendra coucher avec elle trois ou
quatre nuicts sans luy dire mot, où ils recueillent le fruict
de leurs affections. Et arrivera le plus souvent qu'après avoir
passé huict ou quinze jours ensemble, s'ils ne se peuvent
accorder, elle quittera son serviteur, lequel y demeurera
engagé pour ses colliers, & autres dons par luy faits. Frustré
de son esperance, il en recherchera une autre, & elle aussi un
autre serviteur, & continuent ainsi jusques à une bonne
rencontre. Il y en a telle qui aura passé ainsi sa jeunesse
avec plusieurs maris, lesquels ne sont pas seuls en la
jouyssance de la beste, quelques mariez qu'ils soient: car la
297/953 nuict venue, les jeunes femmes courent d'une cabane à une
autre, comme font les jeunes hommes de leur costé, qui en
prennent par où bon leur semble, toutesfois sans aucune
violence, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mary
fera le semblable à sa voisine, sans que pour cela il y ait
aucune jalousie entr'eux, ou peu, & n'en reçoivent aucune
infamie, ny injure, la coustume du pays estant telle.
Quand elles ont des enfans, les maris précédents reviennent
vers elles, leur remonstrer l'amitié & l'affection qu'ils leur
ont portée par le passé, & plus que nul autre, & que l'enfant
qui naistra est à luy, & est de son faict. Un autre luy en dira
autant; & par ainsi il est au choix & option de la femme de
prendre & d'accepter celuy qui luy plaira le plus, ayant en ses
amours gaigné beaucoup de pourceline. Elles demeurent avec luy
sans plus le quitter, ou si elles le laissent, il faut que ce
soit avec un grand sujet, autre que l'impuissance, car il est à
l'espreuve: neantmoins estans avec ce mary, elles ne laissent
pas de se donner carrière, mais se tiennent & resident
tousjours au mesnage, faisans bonne mine: de façon que les
enfans qu'ils ont ensemble ne se peuvent asseurer légitimes:
aussi ont-ils une coustume, prevoyans ce danger qu'ils ne
succedent jamais à leurs biens; mais font leurs héritiers &
successeurs les enfans de leurs soeurs, desquels ils sont
asseurez d'estre issus & sortis.
Pour la nourriture & eslevation de leurs enfans, ils les
mettent durant le jour sur une petite planche de bois, & les
vestent & enveloppent de fourrures, ou peaux, & les bandent sur
298/954 ladite planchette: puis la dressent debout, & y laissent une
petite ouverture par où l'enfant fait ses petites affaires. Si
c'est une fille, ils mettent une fueille de bled d'Inde entre
les cuisses, qui presse contre sa nature, & font sortir le bout
de ladite fueille dehors, qui est renversée, & par ce moyen
l'eau de l'enfant coule par ceste fueille, sans qu'il soit
gasté de ses eaues. Ils mettent aussi souz les enfans du duvet
fait de certains roseaux, que nous appelions pied de lievre,
sur quoy ils sont couchez fort mollement, & le nettoyent du
mesme duvet: & pour le parer, ils garnissent lad. planchette de
patenostres, & en mettent à son col, si petit qu'il soit. La
nuict ils les couchent tout nuds entre les peres & meres, où
faut considérer en cela la providence de Dieu, qui les
conserve de telle façon, sans estre estouffez, que fort
rarement. Ces enfans sont grandement libertins, pour n'avoir
esté chastiez, & sont de si perverse nature, qu'ils battent
leurs pères & mères, qui est une espece de malédiction que Dieu
leur envoye.
Ils n'ont aucunes loix parmy eux, ny chose qui en approche, n'y
ayant aucune correction ny reprehension à l'encontre des
mal-faicteurs, rendans le mal pour le mal, qui est cause que
souvent ils sont en dissentions & en guerres pour leurs
différents.
Comme aussi ils ne recognoissent aucune Divinité, & ne croyent
en aucun Dieu, ny chose quelconque, vivans comme bestes brutes.
Ils ont quelque respect au diable, ou d'un nom semblable, parce
que souz ce mot qu'ils prononcent, sont entendues diverses
significations, & comprend en soy plusieurs choses: de façon
299/955 que mal-aisément peut-on sçavoir & discerner s'ils entendent
le diable, ou autre chose: mais ce qui fait croire que c'est
le diable, est, que lors qu'ils voyent un homme faire quelque
chose extraordinaire, ou est plus habile que le commun,
vaillant guerrier, furieux, & hors de soy-mesme, ils
l'appellent Oqui, comme si nous disions un grand esprit, ou un
grand diable. Il y a de certaines personnes entr'eux qui sont
les Oqui, ou Manitous (ainsi appeliez par les Algommequins &
Montagnais) lesquels se meslent de guarir les malades, penser
les blessez, & prédire les choses futures. Ils persuadent à
leurs malades de faire, ou faire faire des festins, en
intention d'y participer; & souz esperance d'une prompte
guerison, leur font faire plusieurs autres cérémonies, croyans
& tenans pour vray tout ce qu'ils leur disent.
Ces peuples ne sont possedez du malin esprit comme d'autres
Sauvages plus esloignez qu'eux, qui fait croire qu'ils se
reduiroient en la cognoissance de Dieu, si leur pays estoit
habité de personnes qui prissent la peine & le soin de les
enseigner par bons exemples à bien vivre. Car aujourd'huy
ont-ils desir de s'amender, demain ceste volonté leur changera,
quand il conviendra supprimer leurs sales coustumes, la
dissolution de leurs moeurs, & leurs incivilitez. Maintefois
les entretenant[483] sur ce qui estoit de nostre croyance, loix
& coustumes, ils m'escoutoient avec grande attention en leurs
conseils, puis me disoient: _Tu dis des choses qui surpassent
nostre esprit & nostre entendement, & que ne pouvons comprendre
300/956 par discours. Mais si tu desires que les sçachions, il est
necessaire d'amener en ce pays femmes & enfans, afin
qu'apprenions la façon de vivre que tu meines, comme tu adores
ton Dieu, comme tu obéis aux loix de ton Roy, comme tu
cultives & ensemences les terres, & nourris les animaux. Car
voyans ces choses, nous apprendrons plus en un an, qu'en vingt,
jugeans nostre vie miserable au prix de la tienne._ Leurs
discours me sembloient d'un bon sens naturel, qui demonstre le
desir qu'ils ont de cognoistre Dieu[484].
[Note 483: Conf. 1619, p. 87.]
[Note 484: _Conf_. 1619, p. 88, 89]
Quand ils sont malades, ils envoyent quérir l'Oqui, lequel
après s'estre enquis de leur maladie, fait venir grand nombre
d'hommes, femmes & filles, avec trois ou quatre vieilles
femmes, ainsi qu'il sera ordonné par ledit Oqui, lesquels
entrent en leurs cabanes en dançant, ayans chacune une peau
d'ours, ou d'autres bestes sur la teste, mais celle d'ours est
la plus ordinaire, comme la plus monstrueuse, & y a deux ou
trois autres vieilles qui sont proches du patient ou malade,
qui l'est souvent par imagination: mais de cette maladie ils
sont bien tost guéris, & font des festins aux despens de leurs
parents ou amis, qui leur donnent dequoi mettre en leur
chaudière, outre les dons & presens qu'ils reçoivent des
danceurs & danceuses, comme de la pourceline, & autres
bagatelles, ce qui fait qu'ils sont bien tost guéris. Car comme
ils voyent ne plus rien esperer, ils se levent, avec ce qu'ils
ont peu amasser: mais les autres qui sont fort malades,
difficilement se guerissent-ils de tels jeux, dances, & façons
de faire. Les vieilles qui sont proches du malade reçoivent les
301/957 presens, chantans chacune à son tour, puis cessent de chanter:
& lors que tous les presens sont faits, ils commencent à lever
leurs voix d'un mesme accord, chantans toutes ensemble, &
frapans à mesure avec des bâtons sur des escorces seiches
d'arbres; puis toutes les femmes & filles se mettent au bout de
la cabanne, comme s'ils vouloient faire l'entrée d'un ballet,
les vieilles marchans les premières avec leurs peaux d'ours sur
leurs testes. Ils n'ont que de deux sortes de dances qui ont
quelque proportion, l'une de quatre pas, & l'autre de douze,
comme si on dançoit le trioly de Bretagne, & ont assez bonne
grâce. Il s'y entremet souvent avec elles de jeunes hommes,
lesquels ayans dancé une heure ou deux, les vieilles prendront
le malade, qui fera mine de se lever tristement, puis se mettra
en dance, où estant, il dancera & s'esjouira comme les autres.
Quelquefois le Médecin y acquiert de la réputation, de voir si
tost son malade guery & debout: mais ceux qui sont accablez &
languissans, meurent plustost que de recevoir guerison. Car ils
font un tel bruit & tintamarre depuis le matin, jusques à deux
heures de nuict, qu'il est impossible au patient de le
supporter, sinon avec beaucoup de peine. Que s'il luy prend
envie de faire dancer les femmes & les filles ensemble, il faut
que ce soit par l'ordonnance de l'Oqui: car luy & le Manitou,
accompagnez de quelques autres, font des singeries & des
conjurations, & se tourmentent de telle façon, qu'ils sont le
plus souvent hors d'eux-mesmes, comme fols & insensez, jettans
le feu par la cabanne d'un costé & d'autre, mangeans des
302/958 charbons ardans (les ayans tenus un espace de temps en leurs
mains) puis jettent des cendres toutes rouges sur les yeux des
spectateurs. L'on diroit les voyant de la sorte, que le diable
Oqui, ou Manitou (si ainsi les faut appeller) les possedent, &
les font tourmenter e la sorte. Ce bruit & tintamarre ainsi
fait, ils se retirent chacun chez soy: mais les femmes de ces
possedez & ceux de leurs cabanes sont en grande crainte, qu'ils
ne bruslent tout ce qui est dedans, qui fait qu'ils ostent tout
ce qui y est. Car lors qu'ils arrivent, ils viennent tout
furieux, les yeux estincellans & effroyables, tantost debout, &
tantost assis, ainsi que la fantaisie les prend, & empoignans
tout ce qu'ils trouvent & rencontrent, le jettent d'un costé &
d'autre, puis se couchent & dorment quelque espace de temps, &
se reveillans comme en sursault, ils prennent du feu & des
pierres, qu'ils jettent de toutes parts, sans aucun égard.
Cette furie se passe par le sommeil qui les reprend, puis
venans à suer, ils appellent leurs amis pour suer avec eux,
croyans estre le vray remede pour recouvrer leur sante. Ils se
couvrent de leurs robbes, & de grandes escorces d'arbres, ayans
au milieu d'eux quantité de cailloux qu'ils font rougir au feu,
chantans tousjours durant qu'ils suent. Et d'autant qu'ils sont
fort altérez, ils boivent grande quantité d'eau, qui est
l'occasion que de fols ils deviennent sages. Il arrive par
rencontre, plustost que par science, que trois ou quatre de ces
malades se portent bien, ce qui leur confirme leur fausse
croyance d'avoir esté guéris par le moyen de ces cérémonies,
sans considerer qu'il en meurt dix autres.
303/959 Il y a aussi des femmes qui entrent en ces furies, & marchent
sur les mains & pieds comme bestes, mais elles ne font tant de
mal. Ce que voyant l'Oqui, il commence à chanter, puis faisant
quelques mines il la soufflera, luy ordonnant à boire de
certaines eaues, & qu'elle face un festin, soit de chair, ou de
poisson, qu'il faut trouver. La crierie faite, & le banquet
finy, chacun se retire en sa cabane, jusques à une autre fois
qu'il la reviendra visiter, la soufflant & chantant avec
plusieurs autres appellez pour cet effect, tenans en la main
une tortue seiche remplie de petits cailloux, qu'ils font
sonner aux oreilles du malade, luy ordonnant qu'elle face trois
ou quatre festins tout de suitte, une partie de chanterie &
dancerie, où toutes les filles se trouvent parées & peintes,
avec des mascarades, & gens desguisez. Ainsi assemblez, ils
vont chanter prés du lict de la malade, puis se promènent tout
le long du village, cependant que le festin s'appreste & se
prépare.
Pour ce qui concerne leur mesnage & vivre, chacun vit de ce
qu'il peut pescher & recueillir, ayant autant de terre comme il
leur est necessaire. Ils la desertent avec grand' peine, pour
n'avoir des instrumens propres pour ce faire, puis émondent les
arbres de toutes ses branches, qu'ils bruslent au pied
d'iceluy, pour le faire mourir. Ils nettoyent bien la terre
entre les arbres, puis sement leur bled de pas en pas, où ils
mettent en chacun endroit environ dix grains, & continuent
ainsi jusques à ce qu'ils en ayent assez pour trois ou quatre
ans de provision, craignans qu'il ne leur arrive quelque
mauvaise année, sterile & infructueuse.
304/960 S'il y a quelque fille qui se marie en hyver, chasque femme &
fille est tenue de porter à la nouvelle mariée un fardeau de
bois pour sa provision (car chaque mesnage est fourny de ce qui
luy est necessaire) d'autant qu'elle ne le pourroit faire
seule, & aussi qu'il convient vacquer à d'autres choses qui
sont lors de temps & saison.
Pour ce qui est de leur gouvernement, les anciens & principaux
s'assemblent en un conseil, où ils décident & proposent tout ce
qui est de besoin pour les affaires du village; ce qui se fait
par la pluralité des voix, ou du conseil de quelques uns
d'entr'eux, qu'ils estiment estre de bon jugement; lequel
conseil ainsi donné, est exactement suivy. Ils n'ont point de
Chefs particuliers qui commandent absolument, mais bien
portent-ils de l'honneur aux plus anciens & vaillans, qu'ils
nomment Capitaines.
Quant aux chastiemens ils n'en usent point, ains font le tout
par prieres des anciens, & à force de harangues &
remonstrances, & non autrement. Ils parlent tous en général, &
là où il se trouve quelqu'un de l'assemblée qui s'offre de
faire quelque chose pour le bien du village, ou aller en
quelque part pour le service du commun, si on le juge capable
d'exécuter ce qu'il promet, on luy remonstre & persuade par
belles paroles qu'il est homme hardy, propre à telles
entreprises, & qu'il y acquerra beaucoup de réputation. S'il
veut accepter, ou réfuter ceste charge, il luy est permis, mais
il s'en trouve peu qui la réfutent.
Quant ils veulent entreprendre des guerres, ou aller au pays de
305/961 leurs ennemis, deux ou trois des anciens ou vaillans Capitaines
entreprendront ceste conduitte pour ceste fois, & vont aux
villages circonvoisins faire entendre leur volonté, en leur
donnant des presens, pour les obliger de les accompagner. Puis
ils délibèrent le lieu où ils veulent aller, disposant des
prisonniers qui seront pris, & autres choses de consideration.
S'ils font bien, ils en reçoivent de la louange, s'ils font mal
ils en sont blasmez. Ils font des assemblées générales chacun
an en une ville qu'ils nomment, où il vient un Ambassadeur de
chaque Province, & là font de grands festins & dances durant un
mois ou cinq sepmaines, selon qu'ils advisent entr'eux,
contractans nouvelle amitié, decidans ce qu'il faut faire pour
la conservation de leur pays, & se donnans des presens les uns
aux autres. Cela estant fait, chacun se retire en son quartier.
Quand quelqu'un est décédé, ils enveloppent le corps de
fourrures, & le couvrent d'escorces d'arbres fort proprement,
puis ils l'eslevent sur quatre pilliers, sur lesquels ils font
une cabanne aussi couverte d'escorces d'arbres de la longueur
du corps. Ces corps ne sont inhumez en ces lieux que pour un
temps, comme de huict ou dix ans, ainsi que ceux du village
advisent le lieu où se doivent faire leurs cérémonies, ou pour
mieux dire, conseil général, où tous ceux du païs assistent.
Cela fait, chacun s'en retourne à son village, prenant tous les
ossemens des deffuncts, qu'ils nettoyent & rendent fort nets, &
les gardent soigneusement; puis les parens & amis les prennent,
avec leurs colliers, fourrures, haches, chaudières, & autres
306/962 choses de valeur, avec quantité de vivres qu'ils portent au
lieu destiné, où estans tous assemblez, ils mettent ces vivres
où ceux de ce village ordonnent, y faisans des festins & dances
continuelles l'espace de dix jours que dure la feste, pendant
lesquels les autres nations y accourent de toutes parts, pour
voir les cérémonies qui s'y font, par le moyen desquelles ils
contractent une nouvelle amitié, disans que les os de leurs
parents & amis sont pour estre mis tous ensemble, posans une
figure, que tout ainsi qu'ils sont assemblez en un mesme lieu,
aussi doivent-ils estre unis en amitié & concorde, comme
parents & amis, sans s'en pouvoir separer. Ces os estans ainsi
meslez, ils font plusieurs discours sur ce sujet, puis après
quelques mines ou façons de faire, ils font une grande fosse,
dans laquelle ils les jettent, avec les colliers, chaisnes de
pourceline, haches, chaudières, lames d'espées, couteaux, &
autres bagatelles, lesquelles ils prisent beaucoup, & couvrans
le tout de terre, y mettent plusieurs grosses pièces de bois,
avec quantité de piliers à l'entour & une couverture sur iceux.
Aucuns d'eux croyent l'immortalité des âmes, disans qu'aprés
leur deceds ils vont en un lieu où ils chantent comme les
corbeaux.
Reste à déclarer la forme & manière qu'ils usent en leurs
pesches. Ils font plusieurs trous en rond sur la glace, & celuy
par où ils doivent tirer la seine a environ cinq pieds de long,
& trois de large, puis commencent par ceste ouverture à mettre
leur filet, lequel ils attachent à une perche de bois de six à
sept pieds de long, & la mettent dessouz la glace, & la font
307/963 courir de trou en trou, où un homme ou deux mettent les mains
par iceux, prenant la perche où est attaché un bout du filet,
jusques à ce qu'ils viennent joindre l'ouverture de cinq à six
pieds. Ce fait, ils laissent couler le rets au fonds de l'eau,
qui va bas, par le moyen de certaines petites pierres qu'ils
attachent au bout, & estans au fonds de l'eau, ils le retirent
à force de bras par ses deux bouts, & ainsi amènent le poisson
qui se trouve prins dedans.
Après avoir discouru amplement des moeurs, coustumes,
gouvernement, & façon de vivre de nos Sauvages, nous reciterons
qu'estans assemblez pour venir avec nous, & reconduire à nostre
habitation, nous partismes de leur pays le 20e jour de
May[485], & fusmes 40 jours sur les chemins, où peschasmes
grande quantité de poisson de plusieurs especes: comme aussi
nous prismes plusieurs sortes d'animaux, & gibbier, qui nous
donna un singulier plaisir, outre la commodité que nous en
receusmes, & arrivasmes vers nos François[486] sur la fin du
mois de Juin, où je trouvay le sieur du Pont, qui estoit venu
de France avec deux vaisseaux, qui desesperoit presque de me
revoir pour les mauvaises nouvelles qu'il avoit entendues des
Sauvages que j'estois mort.
[Note 485: Voir 1619, p. 102, note 3.]
[Note 486: Au saut Saint-Louis. (Voir plus loin.)]
Nous veismes aussi tous les Pères Religieux, qui estoient
demeurez à nostre habitation, lesquels furent fort contents de
nous revoir, & nous aussi eux: puis je me disposay de partir du
Sault Sainct Louis, pour aller à nostre habitation, menant avec
308/964 moy mon hoste Darontal. Parquoy prenant congé de tous les
Sauvages, & les asseurant de mon affection, je leur dis que je
les reverrois quelque jour pour les assister, comme j'avois
fait par le passé, & leur apporterois des presens pour les
entretenir en amitié les uns avec les autres, les priant
d'oublier les querelles qu'ils avoient eues ensemble, lors que
je les mis d'accord, ce qu'ils me promirent faire. Nous
partismes le 8e jour de Juillet, & arrivasmes à nostre
habitation le 11 dudit mois, où trouvasmes chacun en bon estat,
& tous ensemble, avec nos Pères Religieux, rendismes grâces à
Dieu, en le remerciant du soin qu'il avoit eu de nous conserver
& preserver de tant de périls & dangers où nous nous estions
trouvez.
Pendant cecy, je faisois la meilleure chère que je pouvois à
mon hoste Darontal, lequel admirant nostre bastiment,
comportement, & façon de vivre, me dit en particulier, Qu'il ne
mourroit jamais content qu'il ne veist tous ses amis, ou du
moins bonne partie, venir faire leur demeure avec nous, afin
d'apprendre à servir Dieu, & la façon de nostre vie, qu'il
estimoit infiniment heureuse, au regard de la leur. Que ce
qu'il ne pouvoit comprendre par le discours, il l'apprendroit
beaucoup mieux & plus facilement par la fréquentation qu'il
auroit avec nous[487]. Que pour l'advancement de cet oeuvre
nous fissions une autre habitation au Sault Sainct Louys, pour
leur donner la seureté du passage de la riviere, pour la
crainte de leurs ennemis, & qu'aussi tost ils viendroient en
309/965 nombre à nous pour y vivre comme frères: ce que je luy promis
faire le plustost qu'il me seroit possible. Ainsi après avoir
demeuré 4 ou 5 jours ensemble, & luy ayant donné quelques
honnestes dons (desquels il se contenta fort) il s'en retourna
au Sault Sainct Louys, où ses compagnons l'attendoient[488].
[Note 487: Ici encore, dans l'édition de 1632, a été retranché comme à
dessein un passage où se trouvait mentionné le P. Joseph. (Voir 1619, p.
104.)]
[Note 488: En cet endroit, l'édition de 1619 (p. 105, et 106) renferme
de plus quelques détails sur les travaux faits à l'habitation et sur le
passage des PP. Denis et Joseph en France.]
Pendant mon sejour à l'habitation, je fis couper du bled
commun, à sçavoir du bled François qui y avoit esté semé,
lequel estoit très-beau, afin d'en apporter en France, pour
tesmoigner que ceste terre est très-bonne & fertile. Aussi y
avoit-il du bled d'Inde fort beau, & des entes & arbres que
nous y avions porté[489].
[Note 489: L'édition de 1632 retranche encore ici un passage important,
où il est question des Pères Récollets: «Nous estans,» dit Champlain,
«sur le point de nostre partement, nous laissasmes deux de nos Religieux
à nostre habitation, à sçavoir les Pères Jean d'Elbeau & Père
Paciffique» (P. Jean d'Olbeau et Frère Pacifique), «fort content de tout
le temps qu'ils avoient passé audit lieu, & resoulds d'y attendre le
retour du Père Joseph qui les debvoit retourner voir comme il fit
l'année suivante.» (1619, p. 107.)]
Je m'embarquay en nos barques le 20e jour de Juillet, & arrivay
à Tadoussac le 23e jour dudit mois, où le sieur du Pont nous
attendoit avec son vaisseau prest & appareillé, dans lequel
nous nous embarquasmes, & partismes le troisiesme jour du mois
d'Aoust, & eusmes le vent si à propos que nous arrivasmes à
Honnefleur le 10 jour de Septembre 1616, où nous rendismes
louange & action de grâces à Dieu de nous avoir preservez de
tant de périls & hazards où nous avions esté exposez, & de nous
avoir ramenez en santé dans nostre patrie. A luy donc soit
gloire & honneur à jamais. Ainsi soit-il[490].
[Note 490: _Conf_. 1619, p. 108. Ici se termine le voyage de 1615;
l'édition de 1619 renferme en outre le voyage de 1618, que l'édition de
1632 n'a pas cru devoir reproduire soit qu'on ait jugé de peu
d'importance les faits qui y sont rapportés, soit qu'on ait trouve
difficile de retrancher la part qu'y ont eue les Pères Récollets.]
310/966 Changement de Viceroy de feu M. le Mareschal de Themines, qui
obtient la charge de Lieutenant général du Roy en la nouvelle
France, de la Royne Régente. Articles du sieur de Mons à la
Compagnie. Troubles qu'eut l'Autheur par ses envieux.
CHAPITRE VIII.[491]
[Note 491: Chapitre IV de la première édition.]
Estant arrivé en France, nous eusmes nouvelles de la
détention de Monseigneur le Prince[492], qui me fit juger que
nos envieux ne tarderoient gueres à vomir leur poison, & qu'ils
feroient ce qu'ils n'avoient osé faire auparavant: car le chef
estant malade, les membres ne peuvent estre en santé. Aussi dés
lors les affaires changerent de face, & firent naistre un
nouveau Vice-roy, par l'entremise d'un certain personnage,
lequel s'addresse au Sieur de Beaumont Maistre des Requestes,
lequel estoit amy de Monsieur le Mareschal de Themines, qui
donne advis de demander la charge de Lieutenant de Roy de la
nouvelle France, pendant la détention de mond. Seigneur le
Prince: lequel l'obtint de la Royne-mere Régente. Cet
entremetteur va trouver Monsieur le Mareschal de Themines, luy
fait voir que l'on donnoit un cheval de mille escus à
Monseigneur le Prince, & qu'il en pourroit bien avoir un de
quatre mil cinq cents livres, par les moyens qu'il luy dira,
311/967 moyennant que mond. sieur luy face quelque gratification, & le
continue en la charge de faire les affaires de la Compagnie, &
pouvoir estre son Secrétaire. Il luy dit qu'en consideration de
l'advis qu'il luy avoit fait donner, & aussi pour le soin qu'il
avoit des affaires, il le recognoistroit, comme dit est. Cela
accordé, ledit Solliciteur dit aux associez, Qu'il avoit appris
que Monsieur de Themines avoit l'affaire de Canada, & demandoit
cinq cents escus davantage que les mille, d'autant qu'il y en
avoit d'autres qui vouloient prendre ce party, & luy offroient,
mais qu'il les vouloit préférer. Ces associez adjoustent foy à
cecy, jusques à ce que la mesche fust descouverte par l'un des
Secrétaires de mond. Sieur de Themines, fasché de ce que ce
personnage emportoit ce qui luy devoit estre acquis. En ces
entrefaites, on donne advis à Monseigneur le Prince de tout ce
qui se passoit, qui donna charge à Monsieur Vignier de mesnager
ceste affaire: lequel fait arrest de ce qui estoit deub à mond.
Seign. le Prince, & que s'ils payoient à Monsieur de Themines,
ils payeroient deux fois. Voila un procez qui s'esmeut au
Conseil entre les associez, Monseigneur le Prince, le Sieur de
Themines, & le Sieur de Villemenon, comme Intendant de
l'Admirauté, qui s'y entremet pour Monseigneur de Montmorency,
sur quelque poinct qui dependoit de la charge dudit Sieur, pour
le bien de la Société, qui desiroit aussi que les mille escus
fussent employez au bien du païs: chose qui eust esté
tres-raisonnable. Ils sont tous au Conseil, & de là renvoyez à
la Cour de Parlement. Laissons les plaider, pour aller
312/968 appareiller nos vaisseaux, qui ne perdoient temps pour aller
secourir les hyvernans de l'habitation.
[Note 492: Le prince de Condé avait été arrêté le premier de septembre
de cette année 1616. (Mercure français, t. IV, an. 1616, p. 195 et
suiv.)]
En ce mesme temps remonstrances furent faites à Messieurs les
associez du peu de fruict qu'ils avoient fait cognoistre à
advancer le progrez de l'habitation, & qu'il n'y avoit chose
plus capable de rompre leur societé, s'ils n'y remedioient par
quelque augmentation de faire bastir, & envoyer quelques
familles pour défricher les terres.
Ils se resolurent donc d'y remédier, & pour cet effect le Sieur
de Mons desirant de voir de plus en plus fructifier ce dessein,
met la plume à la main, fait quelques articles, par lesquels
lad. Compagnie s'obligeoit à l'augmentation des hommes pour la
conservation du pays, munitions de guerre, & des vivres
necessaires pour deux ans, attendant que la terre peust
fructifier.
Ces articles furent mis entre les mains de Monsieur de
Marillac, pour estre rapportez au Conseil. Voicy un bel
acheminement sans profit: car le tout s'en alla en fumée, par
je ne sçay quels accidents, & Dieu ne permit pas que ces
articles eussent lieu. Neantmoins Monsieur de Marillac trouva
tout cela juste, & s'en resjouit, grandement porté à
l'advancement de ceste affaire.
Pendant ces choses, je fus à Honnefleur pour aller au voyage,
où estant, un de la compagnie, aussi malicieux, que grand
chicaneur, appellé Boyer, comparoissant pour toute icelle
Compagnie, me tait signifier un arrest de Messieurs de la Cour
de Parlement, par lequel il disoit que je ne pouvois plus
313/969 prétendre l'honneur de la charge de Lieutenant de Monseigneur
le Prince, attendu que la Cour avoit ordonné que les Seigneurs
Prince de Condé, de Montmorency, & de Themines, sans
prejudicier à leurs qualitez, ne pourroient recevoir aucuns
deniers de ce qu'ils pouvoient prétendre, & defense aux
associez de ne rien donner, sur les peines du quadruple. Tout
cela ne me touchoit point; car ayant servy comme j'avois fait,
ils ne me pouvoient oster ny la charge, ny moins les
appointemens, à quoy volontairement ils s'estoient obligez lors
que je les associay. Voila la recompense de ces Messieurs les
associez, qui se deschargeoient sur ledit Boyer, que ce qu'il
avoit fait estoit de son mouvement. Je protestay au contraire,
attendant le retour de mon voyage.
Je m'embarquay donc pour le voyage de l'an 1617. où il ne se
pana rien de remarquable[493]. Estant de retour à Paris, je fus
trouver mond. sieur de Themines, duquel j'avois eu la
commission de son Lieutenant pendant la détention de mond.
Seigneur le Prince. Il obtient lettres du Conseil de sa Majesté
pour y faire renvoyer l'affaire, qui n'avoit pas esté jugée à
son profit. Estant au Conseil, la Compagnie ne demande
maintenant que la descharge de ce qu'elle doit payer, & qu'ils
ne payent point à deux. Ordonné que l'on donnera l'argent à
mond. sieur de Themines. Neantmoins led. sieur Vignier
Intendant de Monseig. le Prince, dit que les Associez regardent
ce qu'ils font, à ce qu'un jour ils ne payent derechef. Ceste
Compagnie se trouve en peine, & eust voulu qu'ils se fussent
accordez.
[Note 493: Voir 1619, p. 108, 109, 110, où nous avons donné un résumé de
ce voyage.]
314/970 Quoy que c'en soit, ils payent à M. de Themines, en vertu de
l'arrest du Conseil. Or c'est à faire à payer encore une autre
fois, s'il y eschet (dirent-ils). Au lieu que tous devroient
contribuer à ce sainct dessein, on en oste les moyens. Car les
associez disent qu'ils ne peuvent faire aucun advancement au
pays, si on ne les veut assister, & employer le peu d'argent
qu'ils donnent annuellement, ou le donner aux Religieux, pour
aider à faire leur Séminaire: lesquels perdirent ceste occasion
envers mond. Seigneur le Prince.
Estans pour lors empeschez à des affaires qui leur touchoient
d'avantage que celles de cette entreprise, ils ne s'y voulurent
employer, disans qu'ils avoient assez d'affaires pour eux en
France, sans solliciter pour celles de Canada. Cecy fut
froidement sollicité; qui est le moyen de ne rien faire, si
Dieu n'eust suscité d'autres voyes.
En ceste mesme année arrive un autre assault des effects du
malin esprit. Les envieux croyent qu'ils auroient meilleur
marché pendant la détention de Monseigneur le Prince, pour
faire rompre sa commission & par consequent celle de Monsieur
de Themines; & font tant que Messieurs des Estats de Bretagne
tentent la fortune pour la seconde fois, afin de les favoriser,
& de coucher en leurs articles celuy de la traitte libre pour
la Province de Bretagne. Ils viennent à Paris, presentent leurs
cahiers à Messieurs du Conseil; lesquels leur accordent cet
article, sans avoir ouy les parties, qui estoient engagées bien
avant en ceste affaire. J'en parlay au feu sieur Evesque de
315/971 Nantes, député pour lors des Estats, & à Moniteur de Sceaux,
qui avoit les régistres des Estats de Bretagne, lequel me
disant que c'estoit la vérité, je luy repartis: _Monsieur,
comment est-il possible que l'on aye octroyé si promptement cet
article sans ouyr partie?_ Il me respondit, _L'on ny a pas
songé_. Je fais aussi tost presenter une requeste à Messieurs
du Conseil, qui ordonnèrent des Commissaires pour juger
l'affaire. Cependant l'article est sursis, jusques à ce qu'il
en aye esté autrement ordonné, & que les parties seroient
appellées & ouïes sur ce faict. J'escris aussi tost à nos
associez à Rouen, qu'ils eussent à venir promptement, ce qu'ils
firent, car la chose leur touchoit de prés. Estans venus, les
Commissaires s'assemblent chez Monsieur de Chasteau-neuf.
Messieurs les Députez des Estats & moy s'y trouvent avec nos
associez, pour décider de ceste affaire. L'on fut long temps à
débattre sur ce que les Bretons pretendoient la préférence de
ce négoce aux autres subject de ce Royaume, & plusieurs raisons
furent agitées d'un costé & d'autre. Je n'y oubliay rien de ce
que j'en sçavois, & avois peu apprendre par des Autheurs dignes
de foy. Le tout bien consideré, fut dit, que l'article seroit
rayé, jusques à ce que plus à plain il en fust ordonné, &
cependant defenses faites aux Bretons, de par le Roy, de
trafiquer en aucune manière que ce soit de pelleterie, avec les
Sauvages, sans le consentement de lad. Société: & tans l'advis
que j'en eus, l'affaire eust esté rompue pour lors. Car combien
de querelles & procez se fussent-ils émeus tant en la nouvelle
France, qu'au Conseil de sa Majesté?
316/972 En la mesme année 1618, les Associez craignans d'estre démis de
la traitte de pelleterie, pour ne faire quelque chose de plus
que ce qu'ils estoient obligez par leurs articles, comme de
passer des hommes par delà pour habiter & défricher les terres;
à quoy je les portois le plus qu'il m'estoit possible; & au
default des personnes, s'offroient d'en mener, en leur
accordant les mesmes privileges qu'ils avoient. Que de moy
j'avois à informer sad. Majesté & Monseig. le Prince, du
progrés qui se faisoit de temps en temps comme j'avois fait.
Que les troubles ordinaires qui avoient esté en France avoient
empesché sad. Majesté d'y remédier, & qu'ils eussent à mieux
faire. Qu'autrement, ils pourroient estre depossedez de toutes
leurs prétentions, qui ne tendoient qu'à leur profit
particulier, bien dissemblable aux miennes, qui n'avois autre
dessein que de voir le pays habité de gens laborieux, pour
défricher les terres, afin de ne point s'assubjectir à porter
des vivres annuellement de France, avec beaucoup de despense, &
laisser les hommes tomber en de grandes necessitez, pour
n'avoir dequoy se nourrir, comme il estoit ja advenu, les
vaisseaux ayans retardé prés de deux mois plus que l'ordinaire,
& pensa y avoir une émotion & revolte à ce sujet les uns contre
les autres.
A tout cecy nosd. Associez disoient, que les affaires de France
estoient si muables, qu'ayans fait une grande despense, ils
n'avoient lieu de seureté pour eux, ayans veu ce qui s'estoit
passé au sujet du Sieur de Mons. Je leur dis, qu'il y avoit
bien de la différence de ce temps là à cestuy cy, entant que
316/973 c'estoit un Gentil-homme qui n'avoit pas assez d'authorité pour
se maintenir en Court contre l'envie dans le Conseil de sa
Majesté. Que maintenant ils avoient un Prince pour protecteur,
& Viceroy du pays, qui les pouvoit protéger & défendre envers &
contre tous, souz le bon plaisir du Roy. Mais j'appercevis bien
qu'une plus grande crainte les tenoit; que si le pays
s'habitoit leur pouvoir se diminueroit, ne faisans en ces lieux
tout ce qu'ils voudroient, & seroient frustrez de la plus
grand' partie des pelleteries, qu'ils n'auroient que par les
mains des habitans du pays, & peu après seroient chassez
par ceux qui les auroient installez avec beaucoup de despense.
Considerations pour jamais n'y rien faire, par tous ceux qui
auront de semblables desseins; & ainsi souz de beaux prétextes
promettent des merveilles pour faire peu d'exécution, &
empescher ceux qui eussent eu bonne envie de s'habituer en ces
terres, qui volontiers y eussent porté leur bien, & leur vie,
s'ils n'en eussent esté empeschez. Et si cela eust réussi,
jamais l'Anglois n'y eust esté, comme il a fait, par le moyen
des rebelles François.
A force de solliciter lesd. Associez, ils s'assemblerent, &
firent un estat du nombre d'hommes & familles qu'ils y devoient
envoyer, outre celles qui y estoient: duquel estat j'en pris
copie pardevant Notaires, comme il s'ensuit.
_Estat des personnes qui doivent estre menées & entretenues en
l'habitation de Quebec, pour l'année 1619._
Il y aura 80 personnes, y compris le Chef, trois Peres
Recollets, commis, officiers, ouvriers, & laboureurs.
317/974 Deux personnes auront un matelas, paillasse, deux couvertes,
trois paires de linceulx neufs, deux habits à chacun, six
chemises, quatre paires de souliers, & un capot.
Pour les armes, 40 mousquets avec leurs bandolieres, 24 piques,
4 harquebuzes à rouet de 4 à 5 pieds, 1000 livres de poudre
fine, 1000 de poudre à canon, 1000 livres de balles pour les
pièces, six milliers de plomb, un poinçon de mesche.
Pour les hommes, une douzaine de faux avec leur manche,
marteaux, & le reste de l'équipage, 12 faucilles, 24 besches
pour labourer, 12 picqs, 4000 livres de fer, 2 barils d'acier,
10 tonneaux de chaulx (l'on n'en avoit encore point trouvé
audit pays comme l'on a fait depuis) dix milliers de tuille
creuse, ou vingt mille de platte, dix milliers de brique pour
faire un four & des cheminées, deux meules de moulin, car il ne
s'y en estoit trouvé que depuis trois ans.
Pour le service de la table du Chef, 36 plats, autant
d'escuelles & d'assiettes, 6 salieres, 6 aiguieres, 2 bassins,
6 pots de deux pintes chacun, 6 pintes, 6 chopines, 6
demy-septiers, le tout d'estain, deux douzaines de nappes,
vingt-quatre douzaines de serviettes.
Pour la cuisine, une douzaine de chaudières de cuivre, 6 paires
de chesnets, 6 poisles à frire, 6 grilles.
Sera aussi porté deux taureaux d'un an, des genices, & des
brebis ce que l'on pourra: de toutes sortes de graines pour
semer.
319/975 Il y eust bien fallu plusieurs autres commoditez qui manquoient
en ce mémoire: mais ce n'eust pas esté peu, s'il eust esté
accomply comme il estoit.
De plus y avoit: Celuy qui commandera à l'habitation, se
chargera des armes & munitions qui y sont, & de celles qui y
seront portées, durant qu'il y demeurera.
Et le Commis qui sera à l'habitation pour la traitte des
marchandises, se chargera d'icelles, ensemble des meubles &
ustensiles qui seront à la compagnie, & de tout il envoyera par
les navires un estat, lequel il signera.
Sera aussi porté une douzaine de materas garnis, comme ceux des
familles, qui seront mis dans le magazin, pour aider aux
malades & blessez.
Il sera besoin aussi que le navire qui pourra estre acheté pour
la compagnie, ou frété, aille à Québec, & qu'il soit porté par
la charte partie, & selon la facilité qui se trouvera, il
faudra aussi faire monter le grand navire de la compagnie.
Fait & arresté par nous souz-signez, & promettons accomplir en
ce qui sera possible le contenu cy dessus. En tesmoin dequoy
nous avons signé ces presentes. A Paris le 21 Décembre
1619[494]. Ainsi signé, Pierre, Dagua[495], Le Gendre, tant
pour luy que pour les Vermulles, Bellois, & M. Dustrelot.
[Note 494: 1618.]
[Note 495: Pierre Dugua.]
Collationné à l'original en papier. Ce fait rendu par les
Notaires souz-signez, l'an 1619, le 11e jour de Janvier.
GUERREAU. FOURCY.
Je portay cet estat à Monsieur de Marillac, pour le faire voir
320/976 à Messieurs du Conseil, qui trouverent très-bon qu'il
s'executast, recognoissans la bonne volonté qu'avoient lesdits
Associez de se porter au bien de ceste affaire, & ne voulurent
entendre d'autres propositions qui leur estoient faites par
ceux de Bretagne, la Rochelle, & Sainct Jean de Lus. Quoy que
ce soit, ce fut un bruit & une demonstration de bien augmenter
la peuplade, qui ne sortit pourtant à nul effect. L'année
s'escoula, & ne se fit rien, non plus que la suivante, que l'on
recommença à crier, & se plaindre de ceste Société, qui donnoit
des promesses, sans rien effectuer.
Voila comme ceste affaire se passa, & sembloit que tous
obstacles se mettoient au devant, pour empescher que ce sainct
dessein ne reussist à la gloire de Dieu.
Une partie de cesdits associez estoient de la religion
prétendue reformée, qui n'avoient rien moins à coeur que la
nostre s'y plantast, bien qu'ils consentoient d'y entretenir
des Religieux, parce qu'ils sçavoient que c'estoit la volonté
de sa Majesté. Les Catholiques en estoient très-contents, &
c'estoit la chambre my-partie: car au commencement on n'y avoit
peu faire davantage, & ne se trouvoit des Catholiques qui
voulussent tant hazarder, qui fit que l'on receut les prétendus
reformez, à la charge neantmoins que l'on n'y feroit nul
exercice de leur religion. Ce qui occasionnoit en partie tant
de divisions & procez les uns contre les autres, que ce l'un
vouloit, l'autre ne le vouloit pas, vivans ainsi avec une telle
mesfiance, que chacun avoit son commis, pour avoir égard à tout
ce qui se passeroit, qui n'estoit qu'augmentation de despense.
321/977 Et de plus, combien ont-ils eu de procez contre les Rochelois,
qui n'en vouloient perdre leur part, souz des passe-ports
qu'ils obtenoient par surprise, sans rien contribuer? & autres
sans commission se mettoient en mer à la desrobée pour aller
voler & piller contre les défenses de sadite Majesté, & ne
pouvoit-on avoir aucune raison ny justice en l'enclos de leur
ville: car quand on alloit pour faire quelque exploict de
Justice, le Maire disoit: _Je crois ne vous faire pas peu de
faveur & de courtoisie, en vous conseillant de ne faire point
de bruit, & de vous retirer au plustost. Que si le peuple sçait
que veniez en ce lieu, pour exécuter les commandemens de
Messieurs du Conseil vous courez fortune d'estre noyez dans le
port de la Chaisne, à quoy je ne pourrois remédier._
Si faut-il que je dise encore, que ce qui sembloit n'estre à
leur advantage, l'estoit plus qu'ils ne pensoient; d'autant que
c'est chose certaine, qu'outre le bien spirituel, le temporel
s'accroît infiniment par les peuplades, & plus il y a de gens
laborieux, plus de commoditez peut-on esperer, lesquels ayant
leur nourriture & logement, se plaisent à faire valloir les
commoditez qui y sont, & le débit ne se peut faire que par les
vaisseaux qui y vont porter des marchandises qui leur sont
necessaires, pour les eschanger en celles du pays: & par ainsi
ceux qui ont les commissions de sa Majesté, d'aller seuls
trafiquer privativement à tous autres avec les François
habituez, pour subvenir à la despense qu'ils pourroient avoir
faite à y mener des hommes de toutes conditions, avec ce qui
leur seroit necessaire, ils peuvent s'asseurer que pendant le
322/978 temps de leur commission les habitans de ces lieux seroient
contraints & forcez de porter au magazin des associez ce qu'ils
pourroient avoir de pelleterie, qui sont de mauvaise garde pour
un long temps, pour les inconveniens qui en peuvent arriver: en
les faisant valoir un honneste prix pour recevoir de France
beaucoup de choses qui leur seroient necessaires. Que les
vouloir contraindre à ne traitter avec les Sauvages, cela leur
donneroit tel mescontentement, qu'ils tascheroieht à perdre le
tout, plustost que les porter au magazin, comme j'ay veu
plusieurs fois. Car à quoy penseroit-on que ces peuples
voulurent faire amas de pelleterie que pour leur usage, &
traitter le reste pour avoir des commoditez du magazin, dont
ils ne se peuvent passer? Au contraire, trafiquant & négociant,
en leur laissant la traitte libre, ils prendront courage de
travailler, & d'aller en plusieurs contrées faire ce négoce
avec les Sauvages, pour trouver quelque advantage en ce
commerce.
Les Associez ayans leur arrest en main, font nouveaux
équipages, & apprestent leur vaisseau. Je me mets en estat de
partir avec ma famille, & leur fais sçavoir, lesquels entrent
en doute: neantmoins ils me mandent qu'ils me feront bonne
réception, & qu'ils avoient advisé entr'eux que le Sieur du
Pont devoit demeurer pour commander à l'habitation sur leurs
gens, & moy à m'employer aux descouvertes, comme estant de mon
faict, & à quoy je m'estois obligé. C'estoit en un mot, qu'ils
pensoient avoir le gouvernement à eux seuls, & faire là comme
323/979 une Republique à leur fantaisie, & se servir des Commissions de
sa Majesté pour effectuer leurs passions, sans qu'il y eust
personne qui les peust controller, pour tousjours tirer le bon
bout devers eux, sans y rien adjouster, s'ils n'estoient bien
pressez. Ils n'ont plus affaire de personne, & tout ce que
j'avois fait pour eux n'entre point en consideration. Je suis
honneste homme, mais je ne dépens pas d'eux. Ils ne considerent
plus leurs articles, & à quoy ils s'estoient obligez tant
envers le Roy, qu'envers Monseigneur le Prince, & moy. Ils
n'estiment rien leurs contracts & promesses qu'ils avoient
faites souz leur seing, & sont sur le haut du pavé. Je ne sçay
pas en fin ce qui en sera, mais je sçay bien qu'ils n'avoient
point de raison ny de justice de plaider contre leur seing.
Tout cecy s'esmouvoit à la sollicitation de Boyer, qui dans le
tracas vivoit des chicaneries qu'il exerçoit: car s'il
despensoit un sol, il en comptoit pour le moins quatre à
chacun, ainsi que j'ay ouy dire depuis.
Voyant ce qu'ils m'avoient mandé, je leur escrivis, &
m'achemine à Rouen avec tout mon équipage[496]. Je leur monstre
les articles, & comme Lieutenant de Monseigneur le Prince, que
j'avois droict de commander en l'habitation, & à tous les
hommes qui y seroient, fors & excepté au magazin où estoit leur
premier Commis, qui demeuroit pour mon Lieutenant en mon
absence. Que pour les descouvertes, ce s'estoit point à eux de
324/980 me donner la loy: que je les faisois, quand je voyois
l'occurence des temps propres à cet effect, comme j'avois fait
par le passé. Que je n'estois pas obligé à plus que ce que les
articles portoient, qui ne disoient rien de tout cela. Que pour
le Sieur du Pont j'estois son amy, & que son aage me le feroit
respecter comme mon père: mais de consentir qu'on luy donnast
ce qui m'appartenoit par droict & raison, je ne le soufrirois
point. Que les peines, risques, & fortunes de la vie que
j'avois couru aux descouvertes des terres & peuples amenez à
nostre cognoissance, dont ils en recevoient le bien, m'avoient
acquis l'honneur que je possedois. Que le Sieur du Pont & moy
ayans vescu par le passé en bonne amitié, je desirois y
perseverer. Que je n'entendois point faire le voyage qu'avec la
mesme auctorité que j'avois eue auparavant: autrement, que je
protestois tous despens, dommages & interests contre eux à
cause de mon retardement. Et sur cela, je leur presentay ceste
lettre de sa Majesté.
[Note 496: Il est évident que, par cette expression «mon équipage»,
Champlain veut parler ici du personnel de sa maison; car, après les
articles convenus et signés (ci-dessus, p. 322), c'est-à-dire, au
printemps de 1619, «il se mit en état départir avec sa famille.» Madame
de Champlain serait donc venue au Canada dès 1619, sans les difficultés
que soulevèrent les associés. (Voir ci-après, p. 325.)]
«DE PAR LE ROY.
Chers & bien-aimez, Sur l'advis qui nous a esté donné, qu'il
y a eu cy-devant du mauvais ordre en l'establissement des
familles & ouvriers que l'on a menez en l'habitation de Quebec,
& autres lieux de la Nouvelle France, Nous vous escrivons ceste
lettre, pour vous déclarer le desir que nous avons que toutes
choses aillent mieux à l'advenir: & vous mander, que nous
aurons à plaisir que vous assistiez, autant que vous le pourrez
325/981 commodément, le sieur de Champlain, des choses requises &
necessaires pour l'execution du commandement qu'il a receu de
Nous, de choisir des hommes expérimentez & fidèles pour
employer à descouvrir, habiter, défricher, cultiver, &
ensemencer les terres, & faire tous les ouvrages qu'il jugera
necessaires pour l'establissement des Colonies que nous
desirons de planter audit pays, pour le bien de nostre service,
& l'utilité de nos Subjects, sans que pour raison desdites
descouvertures & habitations, vos Facteurs, Commis, &
Entremetteurs au faict: du trafic de la pelleterie, soient
troublez ny empeschez en aucune façon & manière que ce soit,
durant le temps que nous vous avons accordé. Et à ce ne
faites faute. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris le
12e jour de Mars, 1618.
Ainsi signé LOUIS. Et plus bas, POTIER.»
Ils ne voulurent rien dire davantage que ce qu'ils m'avoient
escrit; ce qui m'occasionna de faire ma protestation, & m'en
retournay à Paris. Ils font leur voyage[497], & ledit du Pont
hyverna ceste année à l'habitation, pendant que je plaide mon
droict au Conseil de sa Majesté.
[Note 497: On voit que Champlain ne vint point au Canada en 1619.]
Je presente requeste avec la copie des articles, afin de les
faire venir. Nous voila à chicaner, & Boyer qui n'en devoit
rien à personne, cecy me donna sujet de suivre le Conseil à
Tours, où je fais voir la malice de leur plaidoyé, assez
recogneuë d'un chacun. Et après avoir bien débattu, j'obtiens
326/982 un arrest de Messieurs du conseil, par lequel il estoit dit que
je commanderois tant à Québec, qu'autres lieux de la
nouvelle France, & defenses aux Associez de ne me troubler, ny
empescher en la fonction de ma charge, à peine de tous despens,
dommages & interests, & d'amende arbitraire, & hors de despens:
Lequel arrest je leur fais signifier en plaine Bourse de Rouen.
Ils s'excusent sur ledit Boyer, & disent qu'ils n'y avoient pas
consenty: mais j'estois tres-asseuré du contraire.
En ce temps Monseigneur le Prince estant mis en liberté[498],
on luy donne mille escus, desquels il en donna cinq cents aux
Pères Recollets, pour aider à faire leur Séminaire, qui ne
firent pas grand' chose. Estant r'entré en possession de sa
commission pour la nouvelle France, Monsieur le Mareschal de
Thémines hors de ses prétentions, le Sieur de Villemenon qui
dés long temps avoit desir que ceste affaire tombast entre les
mains de Monseigneur l'Admiral, pource qu'il croyoit que toutes
choses seroient mieux réglées à l'honneur de Dieu, du service
du Roy, & bien dudit pays; & qu'ayant l'intendance de
l'Admirauté, tout se feroit avec advancement; Il en parle à
Monseigneur de Montmorency, qui monstroit le desirer par les
ouvertures que led. Sieur de Villemenon luy donna. Mond.
Seigneur en parle à Monseigneur le Prince, qui remet ceste
affaire au Sieur Vignier, qui fait en sorte qu'il tire de
Monseigneur de Montmorency unze mille escus pour ses
prétentions, & promet souz le bon plaisir du Roy, luy donner la
327/983 commission de Vice-roy aud. pays de la nouvelle France, qui en
donne l'intendance à Monsieur Dolu, grand Audiancier de France,
pour y apporter quelque bon règlement: lequel s'y employe de
toute son affection, bruslant d'ardeur de faire quelque chose à
l'advancement de la gloire de Dieu, & du pays, & mettre nostre
Société en meilleur estat de bien faire qu'elle n'avoit fait.
Je le veis sur ceste affaire, & luy fis cognoistre ce qui en
estoit, & luy en donnay des memoires pour s'en instruire.
[Note 498: Le prince de Condé fut mis en liberté le 20 octobre 1619; la
lettre de grâce du roi est du 9 novembre, et elle ne fut vérifiée en
parlement que le 26 suivant. (MERC.)]
Mond. Seigneur de Montmorency me continuant en l'honneur de sa
Lieutenance en lad. nouvelle France, me commande de faire le
voyage, & d'aller à Québec m'y fortifier au mieux qu'il me
seroit possible, & luy donner advis de tout ce qui se
passeroit, pour y apporter l'ordre requis. Donc je partis de
Paris avec ma famille, équipé de tout ce qui m'estoit
necessaire. Estant à Honnefleur, il y eut encore quelque
brouillerie sur le commandement que je devois avoir audit pays,
& ceste compagnie receut un extrême desplaisir de ce
changement. J'en escris à Monseigneur, & aud. Sieur Dolu, qui
leur mandent que le Roy & Monseigneur entendoient que j'eusse
l'entier & absolu commandement en toute l'habitation, & sur
tout ce qui y seroit, horsmis pour ce qui estoit du magazin de
leurs marchandises, desquelles leurs commis ou facteurs
pouvoient disposer. Que sa Majesté avoit promis de nous donner
armes & munitions de guerre, pour la defense du fort que je
ferois bastir. Et s'ils ne vouloient obeir aux volontez de sa
328/984 Majesté, & de mond. seigneur que je fisse arrester le vaisseau,
jusques à ce que cela fust exécuté. On en r'escrit au sieur de
Brécourt, maistre d'hostel de mond. Seigneur, & Receveur de
l'Admirauté, & aux Officiers nos associez, bien faschez de tout
cecy, mais en fin ils acquiescerent à la raison. Au mesme temps
sa Majesté me fit l'honneur de m'escrire ceste lettre sur mon
partement.
CHAMPLAIN, Ayant sceu le commandement que vous aviez receu de mon
cousin le Duc de Montmorency, Admiral de France, & mon Vice-roy en la
nouvelle France, de vous acheminer audit païs, pour y estre son
Lieutenant, & avoir soin de ce qui se presentera pour le bien de mon
service, j'ay bien voulu vous escrire ceste lettre, pour vous asseurer
que j'auray bien agreables les services que me rendrez en ceste
occasion, surtout si vous maintenez led. païs en mon obeissance,
faisant vivre les peuples qui y sont, le plus conformément aux loix de
mon Royaume, que vous pourrez, & y ayant le soin qui est requis de la
Religion Catholique, afin que vous attiriez par ce moyen la
bénédiction divine sur vous, qui sera reussir vos entreprises &
actions à la gloire de Dieu, que je prie (Champlain) vous avoir en sa
saincte & digne garde. Escrit à Paris le 7e jour de May, 1620.
Signé, LOUIS. Et plus bas, BRULART.
1/985
[Illustration]
SECONDE
PARTIE DES
VOYAGES DU SIEUR
de Champlain.
LIVRE PREMIER.
_Voyage de l'Autheur en la Nouvelle France avec sa famille. Son
arrivée à Québec. Prend possession du Pais, au nom de monsieur
de Montmorency._
CHAPITRE PREMIER.
L'an 1620, je retournay avec ma famille à la Nouvelle France,
où arrivasmes au mois de May[499]. Nous traversasmes plusieurs
Isles, & entr'autres celles aux Oyseaux, où il y en a tel
nombre, qu'on les tue à coups de bastons. Le 24[500] nous
passasmes proche Gaspey, entrée du fleuve sainct Laurent.
[Note 499: Juin. Champlain, étant arrivé à la rade de Tadoussac le 7
juillet, après une traversée de deux mois, avait dû partir de Honfleur
vers le 8 de mai, comme le prouve du reste la date de la lettre que le
roi lui adressa «sur son parlement» (p. 328, 1ère partie). Il devait
donc être en vue de Terreneuve vers le 20 de juin; puisque le 24 il
n'était qu'à Gaspé.]
[Note 500: Le 24 juin.]
2/986 Le 7 de Juillet nous mouillasmes l'anchre au moulin Baudé, à
une lieue du port de Tadoussac, ayant esté deux mois à la
traverse de nostre voyage, où un chacun loua Dieu de nous voir
à port de salut, & principalement moy, pour le sujet de ma
famille, qui avoit beaucoup enduré d'incommoditez en cette
fascheuse traverse.
Le lendemain un petit batteau vient à nostre bord, qui nous dit
que le vaisseau où estoit le Sieur Deschesnes, party un mois
auparavant nous, estoit arrivé, qui fut prés de deux mois à sa
traverse[501]. Le Sieur Boullé, mon beau frère estoit en ce
batteau, qui fut fort estonné de voir sa soeur, & comme elle
s'estoit resolue de passer une mer fascheuse, & fut
grandement resjouy, & elle & moy au prealable; lequel nous dit
que deux vaisseaux de la Rochelle, l'un du port de 70 tonneaux,
l'autre de 45 estoient venus proche de Tadoussac traitter;
nonobstant les deffences du Roy, & avoient couru fortune
d'estre pris par ledit Deschesnes proche du Bicq, à 15 lieues
de Tadoussac, neantmoins se sauverent comme meilleurs
voilliers. Ils emportèrent cette année nombre de pelleteries, &
avoient donné quantité d'armes à feu, avec poudre, plomb,
mesche, aux Sauvages; chose tres-pernicieuse & prejudiciable,
d'armer ces infidèles de la façon, qui s'en pourroyent servir
3/987 contre nous aux occasions. Voila comme tousjours ces rebelles
ne cessent de mal faire, n'ayant encore bien commencé,
desobeissant aux commandemens de sa Majesté, qui le défend par
ses Commissions, sur peine de la vie. Telles personnes
meriteroient d'estre chastiez severement, pour enfraindre les
Ordonnances: mais quoy, dit on, sont Rochelois, c'est à dire
très mauvais & desobeissans subjects, où il n'y a point de
justice: prenez les si pouvez & les chastiez, le Roy vous le
permet par les commissions qu'il vous donne. D'avantage ces
meschans larrons qui vont en ce païs subornent les sauvages, &
leurs tiennent des discours de nostre Religion, très-pernicieux
& meschans, pour nous rendre d'autant plus odieux en leur
endroit.
[Note 501: Ce vaisseau était _la Sallemande_. On voit, par une lettre du
P. Jamay, qui y était passager, avec Frère Bonaventure, qu'il partit de
Honneur le 5 d'avril, et arriva à Tadoussac le 30 mai. «Nous nous
divisames en deux bandes,» dit-il, «je partis le premier avec l'un de
nos frères appellé F. Bonaventure, dans le premier Navire, qu'on nomme
la Sallemande; nous sortismes du Havre de Honfleur le Dimanche de la
Passion» (qui, cette année, 1620, tombait le 5 avril), «& arrivâmes le
Samedy des Octaves de l'Ascension» (30 mai), «dans le port de
Tadoussac.» (Sagard. Hist. du Canada, p. 58.)]
Nous apprismes que les sieurs du Pont & Deschesne estoient
partis de Québec pour aller à mont ledit fleuve affin de
traitter à une isle devant la riviere des Hiroquois, ayant
laissé à Tadoussac deux moyennes barques pour nous attendre, &
les dépescher promptement, afin de leur porter marchandises,
avant que sçavoir de nos nouvelles; ce qui fut fait ce jour
mesme, & en envoyerent une devant l'autre, que nous retinsmes
pour nous en aller à Québec. Nous sceusmes la mort de frère
Pacifique[502], bon Religieux, qui estoit très charitable, &
celle de la fille[503] de Hébert en travail d'enfant, tout le
reste se portoit bien: & pour l'habitation, elle estoit en très
4/988 mauvais estat, pour avoir diverty les Ouvriers à un logement
que l'on avoit fait aux Pères Recollets, à demy lieue de
l'habitation, sur le bord de la riviere sainct Charles[504], &
deux autres logemens, un pour ledit Hébert à son labourage
[505], un autre proche de l'habitation pour le Serrurier &
Boulenger, qui ne pouvoient estre en l'enclos des logemens.
Locquin partit promptement dans une chaloupe chargée de
marchandises, pour aller treuver ledit du Pont.
[Note 502: Le Frère Pacifique du Plessis «décéda ledit 23e jour d'Aoust,
après avoir receu tous les sacremens en grande devotion, & fut enterré à
la Chappelle de Kebec, avec les cérémonies de la S. Eglise.» (Sagard,
Hist. du Canada, p. 55.--Mortuologe des Récollets, 26 d'août. Archives
de l'Archevêché de Québec.)]
[Note 503: Anne Hébert, fille aînée de Louis Hébert; elle était mariée à
Étienne Jonquest.]
[Note 504: Ce logement des Pères Récollets était précisément à l'endroit
où est aujourd'hui l'Hôpital-Général. «Le 7. Septembre,» dit Sagard
(Hist. du Canada, p. 56), «l'on commença d'amasser les matériaux, & de
joindre la charpenterie de nostre Convent de nostre Dame des Anges, où
le Père Dolbeau fist mettre la première pierre le 3 juin 1620.» «A
nostre arrivée,» dit le P. Denis Jamay, dans une lettre datée de Québec
le 15 août 1620, «nous sceumes que le sieur du Pont Gravé Capitaine
pour les Marchands dans l'habitation, avoit commencé à nous faire bastir
une maison (laquelle depuis nostre arrivée nous avons fait achever) dont
je fus fort resjouy tant pour l'assiette du lieu, que de la beauté du
bastiment. Le corps du logis donc est faist de bonne & forte charpente,
& entre les grosses pièces une muraille de 8 & 9 pouces jusques à la
couverture, sa longueur est de trente-quatre pieds, sa largeur de vingt
deux, il est à double estage: nous divisons le bas en deux: de la moitié
nous en faisons nostre Chappelle en attendant mieux: de l'autre une
belle grande chambre, qui nous servira de cuisine & où logeront nos
gens: au second estage nous avons une belle grande chambre, puis quatre
autres petites; dans deux desquelles, que nous avons faict faire tant
soit peu plus grandes que les autres, y a des cheminées pour retirer les
malades, à ce qu'ils soient seuls: la muraille est faicte de bonne
pierre, bon sable & meilleure chaux que celle qui se faict en France, au
dessoubs est la cave de vingt pieds en carré, & sept de rofond.»
(Sagard, Hist. du Canada, p. 58, 59.)]
[Note 505: Quelque respect que nous ayons pour les opinions de M.
Ferland, nous ne pouvons admettre que la maison d'Hébert ait été «vers
la partie de la rue Saint-Joseph, où elle reçoit les rues Saint-François
et Saint Flavien» (Notes sur les Registres, p. 10). D'abord, l'acte de
partage de 1634, sur lequel M. Ferland paraît s'appuyer (Cours d'Hist.
P. 190), est fort obscur sur ce point et très-peu concluant; en second
lieu, cette première maison était dans le voisinage de celle de
Couillard, comme le prouve un acte d'arbitrage de 1639, (Étude de
Piraube, Greffe de Québec). Des arbitres, nommés pour faire la visite
d'un «estre de maison scituée proche celle de Couillard, de la
succession de deffunt [Guill.] Hébert, & contenant trente-huict piedz de
long sur dix-neuf de large,» le jugent «inhabitable & non manable...
comme fondant en ruyne» depuis longtemps... Or, en 1639, il ne pouvait y
avoir, à la haute-ville, que la maison d'Hébert qui fût dans un pareil
état de vétusté, puisque les autres maisons durent être construites
après 1632. (Relat. 1632.) Cette première maison a dû être vers
l'emplacement de l'archevêché; car la part de Guillaume Hébert et de
Guillaume Hubou, à qui était remariée la veuve Hébert, était de ce côté.
(Archives du Séminaire de Québec, acte de partage 1634, et acte
d'échange entre Guill. Hébert et Nicolas Pivert en 1637, passé pardevant
Audouart 1641.)]
Le 11 je partis de Tadoussac avec ma famille, & les Religieux
5/989 que nous avions menez, au nombre de trois[506], mon beau-frère,
qui avoit hyverné deux ans & demy, & Guers, arrivasmes à
Québec, où estant fusmes à la Chapelle rendre grâces à Dieu de
nous voir au lieu ou nous esperions. Le lendemain je fis
charger le canon, ce qu'estant fait, après la saincte Messe
dite un Père Recollet[507] fit un sermon d'Exhortation, où il
remonstroit à un chacun le devoir où l'on se devoit mettre pour
le service de sa Majesté, & de celuy de mondit seigneur de
Montmorency, & que chacun eut à se comporter en l'obeissance de
ce que je leur commanderois, suivant les patentes de sa
Majesté, données à mondit seigneur le Viceroy, & la Commission
à moy donnée de son Lieutenant, lesquelles seroient leuës
publiquement en presence de tous, à ce qu'ils n'en
pretendissent cause d'ignorance. Après ceste exhortation l'on
sortit de la Chappelle, je fis assembler tout le monde, &
commanday à Guers Commissionnaire, de faire publique lecture de
la Commission de sa Majesté, & de celle de Monseigneur le
Viceroy à moy donnée. Ce faict chacun crie Vive le Roy, le
Canon fut tiré en signe d'allegresse, & ainsi je pris
possession de l'habitation & du Pays au nom de mondit seigneur
6/990 le Viceroy. Ledit Guers en fit son procès verbal pour servir en
temps & lieu.
[Note 506: Il était venu en effet trois religieux, cette année 1620, le
P. Denis Jamay, le P. George le Baillif et le Frère Bonaventure; mais le
P. Denis et le Frère Bonaventure étaient arrivés, depuis plus d'un mois,
dans le vaisseau du sieur Deschesnes (voir ci-dessus, p. 2); le P.
Georges était avec Champlain.--Cette phrase semble donner à entendre que
le P. Denis et Frère Bonaventure auraient attendu à Tadoussac que le
second vaisseau fût arrivé, pour monter tous ensemble à Québec. Ce qu'il
y a du moins de certain, d'après Sagard et le Clercq, c'est que ce fut
le P. d'Olbeau qui fit la bénédiction de la première pierre du couvent
de Notre-Dame-des-Anges, le 3 juin; d'où l'on peut inférer avec un peu
de vraisemblance, que le P. Denis, qui revenait avec la charge de
supérieur, n'était pas encore arrivé.]
[Note 507: D'après le P. le Clercq, ce fut le P. Denis Jamay. (Premier
établiss. de la Foy, I, 163.)]
Je resolus d'envoyer ledit Guers avec six hommes aux trois
rivieres où estoit le Pont & les Commis de la societé, pour
sçavoir ce qui se passeroit par delà, & moy je fus visiter
quelques petits jardinages & les bastiments dont on m'avoit
parlé; & en effect je treuvay cette habitation si desolée &
ruinée qu'elle me faisoit pitié. Il y pleuvoit de toutes parts,
l'air entroit par toutes les jointures des planchers, qui
s'estoient restressis de temps en temps, le magasin s'en alloit
tomber, la court si salle & orde, avec un des logements qui
estoit tombé, que tout cela sembloit une pauvre maison
abandonnée aux champs où les Soldats avoient passe, &
m'estonnois grandement de tout ce mesnage: tout cecy estoit
pour me donner de l'exercice à reparer ceste habitation. Et
voyant que le plustost qu'on se mettroit à reparer ces choses
estoit le meilleur, j'employay les ouvriers pour y travailler,
tant en pierre, qu'en bois, & toutes choses furent si bien
mesnagées, que tout fut en peu de temps en estat de nous loger,
pour le peu d'ouvriers qu'il y avoit, partie desquels
commencèrent un Fort[508], pour eviter aux dangers qui peuvent
advenir, veu que sans cela il n'y a nulle seureté en un pays
esloigné presque de tout secours. J'establis ceste demeure en
une scituation très bonne, sur une montagne[509] qui commandoit
7/991 sur le travers du fleuve sainct Laurent, qui est un des lieux
des plus estroits de la riviere[510], & tous nos associez
n'avoient peu gouster la necessité d'une place forte, pour la
conservation du Pays & de leur bien. Ceste maison ainsi bastie
ne leur plaisoit point, & pour cela il ne faut pas que je
laisse d'effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy, &
cecy est le vray moyen de ne point recevoir d'affront, pour un
ennemy, qui recognoissant qu'il n'y a que des coups à gaigner,
& du temps, & de la despence perdue, se gardera bien de se
mettre au risque de perdre ses vaiseaux & ses hommes. C'est
pourquoy il n'est pas tousjours à propos de suivre les passions
des personnes, qui ne veulent régner que pour un temps, il faut
porter sa consideration plus avant.
[Note 508: Le fort Saint-Louis. «Le lieu qui fut choisi, dit M. Ferland,
est celui où, pendant près d'un siècle et demi, résidèrent les
gouverneurs français du Canada, et d'où les ordres du représentant des
rois très-chrétiens étaient portés jusques aux confins du Mexique.
Longtemps après la cession du Canada aux Anglais, le drapeau de la
Grande-Bretagne a flotté au même endroit, sur la demeure des gouverneurs
généraux de l'Amérique Britannique.» (Cours d'Hist. du Canada, I, 191.)]
[Note 509: Environ 172 pieds anglais au-dessus du niveau du fleuve.]
[Note 510: Le fleuve n'a, en cet endroit, qu'un quart de lieue de large,
ou une vingtaine d'arpents.]
Quelques tours après lesdits du Pont & Deschesnes descendirent
des trois rivieres avec leurs barques, & les peleteries qu'ils
avoient traittées. Il y en avoit la pluspart à qui ce
changement de Viceroy & de l'ordre ne plaisoit pas; ledit du
Pont se resolut de repasser en France qui avoit hyverné, &
laissa Jean Caumont, dit le Mons, pour commis du magazin & des
marchandises pour la traitte. Ledit du Pont s'en alla à
Tadoussac[511], & nous fit apporter le reste de nos vivres, &
mande Roumier sous-commis, qui avoit aussi hyverné, lequel s'en
retourna en France, sur ce qu'on ne luy vouloit rehausser ses
gages, & moy demeurant visitay les vivres, pour les mesnager
8/992 jusques à l'arrivée des vaisseaux, faisant tousjours
fortifier & continuer les réparations ja commencées, attendant
d'en faire une nouvelle de pierre: car nous avions treuvé de
bonnes pierres à chaux, qui estoit une grande commodité. Ils
demeurèrent ceste année à hyverner 60 personnes, tant hommes,
que femmes, Religieux, & enfans, dont il y avoit dix hommes
pour travailler au Séminaire des Religieux & à leurs despens:
tout l'Automne & l'hyver fut employé à reparer l'habitation, &
les maisons d'auprès, & nous fortifier: chacun se porta
très-bien, horsmis un homme qui fut tué par la cheute d'un
arbre qui luy tomba sur la teste, & l'escrasa, & ainsi mourut
miserablement.
[Note 511: Pont-Gravé dut partir de Québec peu après le 15 d'août, comme
le laisse supposer la date de la lettre du P. Denis. (Sagard, Hist. du
Canada, p. 63.)]
_Arrivée des Capitaines du May & Guers en la Nouvelle France.
Rencontre d'un vaisseau Rochelois qui se sauva. Lettres de
France apportées au sieur de Champlain._
CHAPITRE II.
Le quinziesme de May[512], une barque estant preste l'on la mit
à l'eau, qui fut chargée de vivres, pour traitter avec les
Sauvages de Tadoussac. Le Mons commis s'embarqua en icelle luy
huictiesme, & en son chemin fit rencontre d'une chalouppe, où
estoit le Capitaine du May, & Guers, Commissionnaires de
monseigneur de Montmorency, avec cinq matelots, trois soldats,
& un garçon, qui fut cause que nostre commis retourna sur sa
9/993 route, & s'en revinrent ensemble à nostre habitation. Ledit du
May fut très-bien receu, venant de la part de mondit seigneur
de Montmorency, lequel me dit estre venu devant, en un vaisseau
du port d'environ trente cinq tonneaux, avec trente personnes
en tout, pour me donner advis de ce qui se passoit en France, &
que proche de Tadoussac, il avoit fait rencontre d'un petit
vaisseau volleur de Rochelois, de quarante cinq tonneaux, & en
avoit approché de si prés, qu'ils s'en tendoient parler, estans
l'un & l'autre sous voiles: Mais comme le Rochelois estoit
meilleur voilier, il se sauva. Ce fut une belle occasion
perdue, par ce que ceux qui estoient dedans avoient traitté
nombre de peleteries.
[Note 512: Il est évident, par le contexte, que c'est le 15 mai 1621.]
Ledit Guers me donna les lettres qu'il pleut au Roy & à
Monseigneur me faire l'honneur de m'escrire, accompagnées de
celle de Monsieur de Puisieux, & autres, des sieurs Dolu, de
Villemenon & de Caen. Voicy celle du Roy.
«Champlain, j'ay veu par vos lettres du 15 du mois d'Aoust,
avec quelle affection vous travaillez par delà à vostre
establissement, & à ce qui regarde le bien de mon service,
dequoy, comme je vous sçay très-bon gré, aussi auray-je à
plaisir de le recognoistre à vostre advantage, quand il s'en
offrira l'occasion: & ay bien volontiers accordé quelques
munitions de guerre, qui m'ont esté demandées, pour vous donner
tousjours plus de moyen de subsister, & de continuer en ce bon
devoir, ainsi que je me le promets de vostre soing & fidelité.
10/994 A Paris le 24e jour de Fevrier 1621.
Signé LOUIS, et plus bas, Brulart.»
En suitte de celle de sa Majesté, j'en receus une autre de
Monsieur de Puisieux, Secrétaire de ses commandements, par
laquelle entr'autres choses, il me mandoit que le sieur Dolu
avoit demandé des armes pour m'envoyer, à laquelle chose on
avoit pourveu, & icelles envoyées. Auparavant Monseigneur le
Duc de Montmorency m'écrivit la présente.
«Monsieur Champlain, pour plusieurs raisons J'ay estimé à
propos, d'exclure les anciens Associez de Rouen, & de sainct
Malo, pour la traitte de la Nouvelle France, d'y retourner. Et
pour vous faire secourir, & pourvoir de ce qui vous y est
necessaire, j'ay choisi les sieurs de Caen[513] oncle & nepveu,
& leurs Associez, l'un est bon Marchand, & l'autre bon
Capitaine de mer, comme il vous sçaura bien ayder & faire
recognoistre l'authorité du Roy de delà sous mon gouvernement.
Je vous recommande de l'assister, & ceux qui iront de sa part,
contre tous autres, pour les maintenir en la jouissance des
articles que je leur ay accordez. J'ay chargé le sieur Dolu
Intendant des affaires du pays, de vous envoyer coppie du
traitté par le premier voyage, afin que vous scachiez à quoy
ils sont tenus, pour les faire executer, comme je desire leur
11/995 entretenir ce que je leur ay promis. J'ay eu soing de faire
conserver vos appointements, comme je croy que vous continuerez
au desir de bien servir le Roy, ainsi que continue en la bonne
volonté, Monsieur Champlain, Vostre plus affectionné & parfait
amy, _signé_, MONTMORANCY, DE PARIS le 2 Fevrier 1621.»
[Note 513: Guillaume de Caen, marchand, et son neveu, Émery ou Émeric,
alors capitaine de vaisseau.]
Les lettres du sieur Dolu me mandoient que j'eusse à fermer les
mains des Commis, & me saisir de toutes les marchandises tant
traittées que à traitter, pour les interests que le Roy &
mondit Seigneur pretendoient contre ladite Société ancienne,
pour ne s'estre acquittée au peuplement comme elle estoit
obligée, & que pour le sieur de Caen, bien qu'il fust de la
religion contraire, on se promettoit tant de luy, qu'il donnoit
esperance de se faire Catholique, & que pour ce qui estoit de
l'exercice de sa religion que je luy die qu'il n'en devoit
faire ny en terre ny en mer, remettant le reste à ce que j'en
pouvois juger. Celle du sieur de Villemenon Intendant de
l'admiraulté, ne tendoit qu'à la mesme fin: la lettre dudit
sieur de Caen se conformant aussi à la sienne, & qu'il venoit
avec deux bons vaisseaux bien armez & munitionnez de toutes les
choses necessaires, tant pour luy que pour nostre habitation,
avec de bons arrests qu'il esperoit apporter en sa faveur.
Davantage ayant fait assembler le sieur de May & Guers
commissionnaire, & le père George[514], auquel Monseigneur, &
les sieurs Dolu, & Villemenon, luy avoient escrit des lettres à
12/996 mesme fin que celles qu'ils m'escrivoient, m'enchargeant de ne
rien faire sans luy communiquer, & resolu que rien ne se
perderoit en quelque façon que ce fut, & qu'il ne falloit
innover aucune chose attendant ledit sieur de Caën, qui estoit
assez fort, ayant l'arrest en main à son advantage, pour se
saisir des vaisseaux & marchandises, & ce pendant je
conserverois toutes les pelleteries, jusqu'à ce que l'on vit
dequoy les pouvoir prendre & saisir justement.
[Note 514: Le P. Georges le Baillif, «illustre par sa naissance, par son
mérite personnel, & par l'estime singuliere dont sa Majesté l'honoroit.»
(Premier Établiss. de la Foy, I, 162.)]
De plus qu'il falloit considerer les inconveniens qui en
pourroient arriver d'autre part, ne voyant aucun pouvoir du
Roy, à quoy ledit commis [515]vouloit obéir, & non aux advis
que nous avions receus de France. Ledit commis fut adverty de
ce, par les Matelots du sieur de May, qui faisoient courir un
bruit que ledit sieur de Caen, se saisiroit de tout ce qui leur
appartenoit, quand il seroit arrivé: ils donnèrent tellement en
l'esprit du Commis & de tous, qu'ils deliberoient entr'eux de
ne permettre de se saisir de leurs marchandises, jusques à ce
que je leur fisse apparoir lettre ou commandement de sa
Majesté, ce que je ne pouvois, & tous les hommes qui
dependoient des associez & gagez, craignans de perdre leurs
gages, comme on leur donnoit à entendre, pretendoient comme les
plus forts de l'empescher s'ils eussent peu, quand j'eusse eu
la volonté de saisir leurs marchandises. C'est pourquoy pendant
qu'une societé, en un païs comme cetuy-cy, tient la bource,
elle paye, donne & assiste qui bon luy semble: ceux qui
13/997 commandent pour sa Majesté sont fort peu obéis n'ayant personne
pour les assister, que sous le bon plaisir de la Compagnie, qui
n'a rien tant à contre coeur: que les personnes qui sont mis
par le Roy ou les Vice-rois, comme ne dépendant point d'eux, ne
desirant que l'on voye & juge de ce qu'ils font, ny de leurs
actions & deportemens en telles affaires, veulent tout attirer
à eux, ne s'en soucient ce qu'il arrive, pourveu qu'ils y
trouvent leur compte. De forts & forteresses, ils n'en veulent
que quand la necessité le requiert, mais il n'est plus temps.
Quand je leurs parlois de fortifier, c'estoit leur grief,
j'avois beau leur remonstrer les inconvenients qui en
pourroient arriver, ils estoient sourds: & tout cela n'estoit
que la crainte en laquelle ils estoient, que s'il y avoit un
fort ils seroient maistrisez, & qu'on leur feroit la loy. Ce
pendant ces pensées, ils mettoient tout le pays & nous en proye
du Pirate ou ennemy, qui pensant faire du butin n'estant en
estat de se deffendre ira tout ravager. J'en escrivois assez à
messieurs du Conseil, il falloit y donner ordre, qui jamais
n'arrivoit: & si sa Majesté eust seulement donné le commerce
libre aux associez avoir leur magazin avec leur commis. Pour le
reste des hommes qui devoient estre en la plaine puissance du
Lieutenant du Roy audit pays, pour les employer à ce qu'il
jugeroit estre necessaire, tant pour le service de sa Majesté,
qu'à se fortifier, & défricher la terre, pour ne venir aux
famines qui pourroient arriver s'il arrivoit fortune aux
vaisseaux. Si cela se pratiquoit, l'on verroit plus
d'advencement & de progrez en dix ans, qu'en trente, en la
14/998 façon que l'on fait: & permettre aussi qu'à ceux qui iroient
pour habiter en desertant les terres, qu'ils pourroient
traitter avec les Sauvages de peleteries, & des commoditez que
le pays produit: en les livrant au commis à un pris
raisonnable, pour donner courage à un chacun d'y habiter, & ne
pouvant traitter que ce qui viendroit du pays, sur les peines
portées qu'il plairoit à sa Majesté, 11 n'y a point de doute
que la Société en eut receu quatre fois plus de bien qu'elle ne
pouvoit esperer par autre voye, d'autant qu'il est fort malaisé
à des peuples d'un pays de pouvoir empescher de s'accommoder de
ce qui croist au lieu: Car dire qu'on ne les pourra contraindre
à une certaine quantité pour une necessité: c'est la mer à
boire, car ils feront tout le contraire, quand ils deveroient
perdre tout ce qu'ils en auroient, plustost qu'on s'en saisit
sans leur payer: l'expérience a fait assez cognoistre ces
choses. Voila ce que j'avois à vous dire sur ce sujet.
[Note 515: Jean Caumont, dit le Mons. (Voir ci-dessus, p. 7.)]
Pour revenir à la suitte du discours, ledit commis & tous les
autres ensemble, commencèrent à murmurer: disant, Qu'on leur
vouloit faire perdre leurs salaires, & qu'il valloit autant
qu'ils perdissent la vie que de les traitter de la façon: ce
qui donna suject audit commis de m'en parler de rechef, & me
faire ses plaintes, que si j'avois commandement du Roy, qu'il
ne falloit que le monstrer pour le contenter, & maintenir
chacun en paix. Je luy dis qu'on ne luy feroit point de tort,
ny à ses marchandises, & qu'il pouvoit traitter avec autant
d'asseurance comme il avoit fait par le passé, il se contenta,
& un chacun. Je fis une réprimande aux matelots du sieur de
15/999 May, qui leur avoient donné cette crainte, & semé ce bruit, &
de plus qu'ils s'asseurassent que je n'innoverois rien que
ledit de Caen ne sut arrivé avec arrest de sa Majesté, qui
donneroit ordre à toute chose, auquel il faudroit obéir.
D'avantage fut advisé si l'on permettoit[516] la traitte au
sieur de May, qui avoit apporté des marchandises pour eschanger
à des castors avec les sauvages: il fut arresté que pour lever
tout ombrage l'on ne le permetteroit point, & aussi qu'ils
n'avoient aucun pouvoir de ce faire, les deux societez estant
en procez au Conseil de sa Majesté, quand ils partirent de
France, & que l'ancienne pouvoit tousjours jouir des privileges
que le Roy leur avoit accordez sous l'authorité de monseigneur
le Prince, attendant qu'il en fut autrement ordonné: mais que
si messieurs du Conseil donnoient un arrest si favorable qu'il
confisquast au profit de la Nouvelle Société, que cela ne
servoit de rien, puisque le tout luy demeureroit, comme il se
promettoit, & que si autrement il avoit permission de traitter
comme l'ancienne Société, que l'on verroit la facture des
marchandises que l'on avoit envoyées, & que suivant icelles
l'on donneroit des castors du magazin pour la valleur des
marchandises, suivant la traitte qui se faisoit alors, & par
ainsi ladite barque ne perderoit rien de ce qu'elle pouvoit
prétendre, pour ne traitter jusques à ce qu'on eust l'arrest du
Conseil, que devoit apporter ledit sieur de Caen: Ainsi fut
arresté en la presence dudit sieur de May & Guers, faisant pour
ladite nouvelle Société.
[Note 516: Permettroit.]
16/1000 Ce délibéré, je fais partir le Capitaine du May, le 25 de May,
pour donner advis audit sieur de Caen de tout ce qui s'estoit
passé, de l'Estat en quoy il nous avoit laissé, & m'envoyer des
hommes de renfort.
_Arrivée du sieur du Pont à la Nouvelle France, & de Hallard
avec l'equipage du sieur de Caen. L'Autheur fait advertir les
sauvages de la venue dudit de Caen. Arrest du Conseil
permettant le trafic aux deux Compagnies. De Caen saisit par
force le vaisseau du sieur du Pont._
CHAPITRE III.
Le 3 de Juin arriva ledit de May dans une chalouppe luy
onziesme, qui me donna advis de l'arrivée du sieur du Pont, en
un vaisseau de cent cinquante tonneaux nommé la Salemande, avec
soixante cinq hommes d'esquipage, accompagnés de tous les
commis de l'ancienne Société, & sçavoir en quoy je le voudrois
employer. Voicy qui rejouit grandement les commis de l'ancienne
Société, & un chacun des hommes qui dependoient d'eux: c'est un
renfort qui leur vient, & si nous les eussions desobligez sans
un pouvoir absolu du Roy, ou de monseigneur, par la saisie de
leurs marchandises, ils pouvoient nous nuire grandement, car le
petit vaisseau dudit du May, qui estoit à Tadoussac pouvoit
estre pris, où il n'y avoit que dix-huict hommes, & quelque
douze que j'avois à Québec avec moy, lesquels avoient fort peu
de vivres qui fut l'occasion que j'en secourus ledit du May.
17/1001 Ce qu'ayant entendu, je me délibéré de mettre ledit du May en
un petit fort, ja commencé, contre le sentiment dudit commis,
avec mon beau-frère Boullé, & huict hommes, & quatre de ceux
des pères Recollets qu'ils me donnèrent: & quatre autres hommes
de l'ancienne societé, faisant porter quelques vivres, armes,
poudre, plomb, & autres choses necessaires, au mieux qu'il me
fut possible, pour la defence de la place: en ceste façon nous
pouvions parler à cheval, faisant tousjours continuer le
travail du fort pour le mieux mettre en defence.
Pour mon particulier je demeuray en l'habitation, avec trois
hommes dudit du May, & quatre autres des pères Recollets, &
Guers commissionnaire, & le reste des hommes de l'habitation:
le fort asseuroit tout, avec l'ordre que j'avois donné audit
Capitaine du May.
Le Lundy 7e jour du mois arriva la barque de nostre habitation,
où estoient les commis des anciens associez au nombre de trois,
ce que voyant je fais prendre les armes, donnant à chacun son
quartier, & semblablement au fort, & fis lever le pont-levis de
l'habitation: le père George accompagné de Guers furent sur le
bort du rivage, attendant que lesdits commis vinssent à terre,
& sçavoir avec quelle ordre ils venoient, quelle commission ils
avoient, n'ignorant point ce qui ce passoit en France, sur les
advis que nous avions receus. Ils dirent qu'ils n'avoient autre
ordre que de leur compagnie, pour estre encore au droict du
contract & articles que je leurs avois donnez, sous le bon
18/1002 plaisir de Monseigneur le Prince, attendant un arrest de
Nosseigneurs du Conseil, qu'ils esperoient avoir favorable
contre la nouvelle societé, qui les vouloit demettre de leur
societé, devant que leur temps fut fini. De plus qu'ils avoient
protesté contre ceux de l'admirauté, qui ne leurs avoient pas
voulu donner de congé, & que voyant les dangers evidents où
toutes les affaires devoient aller, tant pour les hommes qui
estoient icy, comme pour recevoir leurs marchandises, que l'on
ne pouvoit prétendre qu'injustement, qu'il s'estoit mis en tout
devoir d'obéir au Roy.
Ils dirent tout ce qu'ils voulurent, avec plusieurs autres
discours, monstrant avoir un grand desplaisir de se voir receus
ainsi extraordinairement, ce qu'ils n'avoient accoustumé.
Ledit père ayant ouy une partie de leurs plaintes, il leur
demanda s'ils nous apportoient des vivres pour nous maintenir,
ils dirent que ouy, & qu'ils croyoient asseurement estre
d'accord avec mondit seigneur, ou qu'ils auroient un arrest
favorable: Tous ces discours passez ledit père leur dit, qu'il
me venoit treuver pour me donner advis, & sçavoir ce que je
voudrois faire, lequel m'ayant rapporté ce qu'ils disoient,
nous advisasmes pour le mieux ce qu'il falloit faire.
Il fut conclud en suitte de la première resolution, voyant que
ledit sieur de Caen n'estoit encore venu, pour esviter aux
dangers qui pouvoient arriver.
Il fut arresté qu'on laisseroit entrer les commis au nombre de
19/1003 cinq, qu'on leur livreroit leurs marchandises, pour traitter
amont ledit fleuve sainct Laurent, & les assister de ce qu'ils
auroient affaire, ce qu'ils acceptèrent.
Ils entrèrent en l'habitation, où particulièrement je leur fis
entendre la volonté de sa Majesté, & ce qu'ils avoient commis
contre l'intention du Roy, qui me commandoit de maintenir le
pays en paix, & sous son obeissance, comme faisoit aussi
monseigneur, qui les avoit exclus de la societé par une
nouvelle: qu'ils ne dénotent pas venir sans un bon arrest en
main de Nosseigneurs du Conseil, & attendant la venue des
autres vaisseaux, qui apporteroient tout ordre, on leur
livreroit en bref des marchandises pour traittes, ce qu'ils
acceptèrent, & leurs furent livrées sans tirer à la rigueur:
ils demandèrent des armes, ce que je ne leurs pus accorder,
leur disant qu'ils ne devoient pas venir sans cela: ils
chargèrent deux barques, & me demandèrent les castors qui
estoient en l'habitation: je leur refusay, leurs disant, qu'ils
ne pouvoient partir de l'habitation, que nous n'eussions des
vivres pour maintenir parmy nous l'authorité du Roy, en cas
qu'il arrivast quelque accident audit sieur de Caen, & qu'ayant
des peleteries nous aurions des vivres que nous apporteroient
les vaisseaux qui estoient à Gaspay. Ils firent tout ce qu'ils
peurent pour les avoir, menaçant de faire des protestations,
sur ce que je refusois leurs peleteries, & munitions: & de plus
que j'eusse à faire sortir ledit Capitaine de May, & ses
hommes, du fort & habitation, où je l'avois mis sans
20/1004 commandement du Roy: Je leur dis que sadite Majesté me
commandoit de maintenir le pays, & conserver la place: que le
mandement que j'avois de Monseigneur suffisoit, qui estoit
celuy du Roy, & qu'à cela j'obeissois, recevant ledit Capitaine
du May pour y avoir toute fiance. Cela seroit bon, dirent ils,
s'il avoit apporté un arrest du Conseil, ce qu'il n'avoit fait,
en attendant je me maintiendrais au mieux qu'il me seroit
possible, & qu'ils fissent telles protestations qu'ils
voudroient pour leurs descharges.
Quand il fut question de les faire, je les sceus bien rembarer
sur leurs protestations, leur monstrant qu'ils ne sçavoient pas
en quelle forme il la falloit faire, ce qui leur fit changer
d'advis, craignant de s'engager mal à propos, en chose qui leur
eust peu nuire: & ainsi ils s'embarquèrent pour aller aux trois
rivieres, & y traitter: qui fut le 9 de Juin.
Ce mesme jour, je fis esquipper la chalouppe dudit Capitaine du
May, avec six hommes pour aller à Tadoussac advertir ledit
sieur de Caen, qu'aussi tost qu'il seroit arrivé il ne manquast
à nous envoyer des hommes pour nous r'enforcer: me persuadant
qu'il auroit arrest en sa faveur, comme il m'avoit fait esperer
par ses lettres.
21/1005 _Arrivée du sieur du Pont & du Canau d'Halard, & du sieur de
Caen qui apporte plusieurs despesches. Envoy du père George à
Tadoussac. Dessein du sieur de Caen. Embarquement de l'Autheur
pour aller à Tadoussac. Différents entr'eux. Magasin de Québec
achevé par l'Autheur. Armes pour le fort de Québec._
CHAPITRE IV.
Le Dimanche 13 Avril[517] arriva ledit du Pont, dans une
moyenne barque, luy treiziesme avec marchandises de traitte,
lequel fut receu comme les précédents, luy ayant fait entendre
le commandement que j'avois tant du Roy que de mondit Seigneur,
de conserver ceste place, & la maintenir en son obeissance, &
tenir toutes choses en paix, faisant recognoistre son
authorité: & que attendant nouvelle desdits vaisseaux, qui
devoient venir, pour voir & sçavoir particulièrement ce qui se
seroit passé au Conseil de sa Majesté, sur les différents
qu'ils avoient eus avec mondit Seigneur qui les avoit exclus de
la societé, pour y adjoindre la Nouvelle societé. Il me dit
qu'il croyoit que tout seroit d'accord, estant sur lesdits
termes quand il partit de Honnefleur. Je luy dis que je
m'estonnois comme il avoit quitté son vaisseau, puisque sa
presence y eust esté bien requise à la venue dudit sieur de
Caen: il respondit que pour y estre il n'auroit pas mieux fait,
& que l'ordre qu'il avoit laissé à un appellé la Vigne, dudit
Honnefleur, qui commandoit en son absence, estoit tel que si
22/1006 l'on apportoit un arrest du Conseil en bonne forme, qu'il eust
à y subir sans aucune resistance, que s'ils estoient d'accord
avec leur societé, qu'il eust à l'assister de tout ce qui
seroit en son possible & pouvoir, si autrement qu'il se
conservast du mieux qu'il pourroit, suivant l'ordre qu'il luy
avoit laissé, & que l'on ne pouvoit rien prétendre, que l'on ne
vit l'arrest des Messeigneurs du Conseil: ce qu'attendant je
leurs rendisse la justice, laquelle m'avoit esté enchargée: ce
que je promis faire. Je luy fis aussi entendre comme j'avois
retenu les peleteries qui estoient en ceste habitation, pour
subvenir aux necessitez qui pourroient arriver; il me dit que
c'estoit bien fait: le lendemain il s'en alla aux trois
rivieres, pour traitter avec les sauvages.
[Note 517: Le 13 de juin était un dimanche.]
Le 15 dudit mois[518] arriva un Canau où il y avoit un homme
appelé Halard, de l'esquipage dudit sieur de Caen, qui
m'apporta une lettre par laquelle il me donnoit advis de son
arrivée, & la contrariété du temps qu'il avoit eu au passage,
ayant chose importante à me communiquer, de la part de
Monseigneur le Viceroy, qui ne pouvoit estre si tost par delà:
d'autant qu'il croit avoir affaire avec ledit sieur du Pont, &
de plus me prioit d'envoyer une chalouppe advertir les sauvages
de sa venue, & du nombre des marchandises qu'il leur apportoit,
qu'il m'envoyeroit le sieur de la Ralde, pour communiquer
quelques affaires en renvoyant ledit du May: que si je pouvois
l'aller treuver que je le fisse, mais alors le temps, & les
affaires, ne me le peurent permettre: Car ce n'estoit pas la
23/1007 saison de laisser l'habitation ny le fort, veu tant de dangers
arrivez à ceux qui ont fait semblables choses.
[Note 518: La suite donne à entendre que c'était le 15 juillet.]
Le Vendredy 16[519], n'ayant point de chalouppe, je délibéré
d'envoyer un Canau avec ledit Halard, & un gentilhomme appellé
du Vernay[520], de l'esquipage dudit du May, avec un autre de
l'habitation, advertir les sauvages de la venue dudit sieur de
Caen.
[Note 519: Le 16 juillet, qui était en effet un vendredi.]
[Note 520: Ce gentilhomme avait déjà voyagé au Brésil. (Sagard, Hist. du
Canada, p. 658.)]
Le 17 de Juillet arriva une chaloupe, où estoit Rommier[521],
l'un des Commis de la nouvelle societé: qui l'an précèdent
avoit hyverné en ceste habitation, avec ledit du Pont, lequel
m'apporta plusieurs despesches, avec lettres des sieurs Dolu,
de Villemenon, & dudit de Caen, lequel surprit quelque lettres,
avec coppie de l'arrest en faveur des anciens Associez, que
l'on envoyoit audit du Pont, par lesquelles nous vismes, que
l'arrest avoit esté signifié audit sieur de Caen, estant en son
vaisseau, à la radde de Dieppe: lequel avoit protesté de
nullité, & fut ledit arrest publié à son de trompe, dans ladite
ville de Dieppe, & autres lieux où besoin a esté.
[Note 521: Ou Roumier, il avait été sous-commis dans l'ancienne société
(ci-dessus, p. 7).]
Après avoir veu & consideré toutes ces choses, avec l'advis de
ceux que je trouvay à propos, & voyant que sur le procès advenu
entre les deux societés, sa Majesté a ordonné que lesdits
articles seroient representez, pour après iceux estant veus &
examinés, y estre pourveu, soit par la réunion des deux
societés, ou par l'establissement d'une nouvelle, ce pendant
24/1008 permis aux associez des deux compagnies, de trafiquer, & faire
traitte, pour l'année 1621 seulement, tant par les deux
vaisseaux ja partis, que par deux autres à eux appartenans,
chargés & prest à partir, sans se donner aucun empeschement, ny
user d'aucune violence, à peine de la vie: à la charge qu'ils
seront tenus de contribuer pour la presente année, esgalement &
par moitié, à l'entretenement des Capitaines, soldats, & des
religieux establis & residens en l'habitation: & neantmoins
deffences sont faictes ausdits Porée[522], & à tous autres, de
sortir à l'advenir aucuns vaisseaux des ports & havres de ce
Royaume, ny faire embarquement, sans prendre congé dudit sieur
Admiral, en la manière accoustumée, à peine de confiscation des
vaisseaux & marchandises, & autres plus grandes peines s'il y
eschet. Signifié le 26 dudit mois[523]. Voila l'arrest du
Conseil de sa Majesté. Lesdits articles dudit sieur Dolu,
furent confirmez par le Conseil, le 12 de Janvier 1621 hormis
quelques uns.
[Note 522: Les principaux associés de Thomas Forée, étaient Lucas
Legendre, Louis Vermeulle, Mathieu Dusterlo, Daniel Boyer, et autres,
tous membres de l'ancienne société. (Voir M. Ferland, I, p. 200, note
1.)]
[Note 523: Probablement le 26 de novembre 1620, les lettres de la
nouvelle société étant du 8 novembre de cette même année. (Voir M.
Ferland, I, 200, note 1.)]
Il fut resolu que ledit père George prendroit la peine d'aller
à Tadoussac en diligence, & Guers avec luy, dans la mesme
chaloupe, pour treuver ledit de Caen, & apporter le remède
requis à toutes ces affaires, sçachant bien que ledit du Pont
voudroit jouir du bénéfice dudit arrest, où il y alloit de la
vie, à celuy des deux qui useroit de violence: & pour ce qui
25/1009 estoit de la faute qu'ils avoient commise, de partir sans congé
de l'Admirauté: ledit arrest monstroit qu'on en avoit fait
mention, & instance au Conseil, où estoit porté, que si à
l'advenir ils partoient sans congé, il y auroit confiscation du
vaisseau, & marchandises, avec autres punitions, sans despens,
& que chacun partiroit par moitié aux frais de l'habitation,
aux hyvernans, & que chacun jouiroit du bénéfice de la traitte
à son proffit.
Ledit Père partit ce mesme jour 17 de Juillet, avec plain
pouvoir de moy, d'accommoder toutes choses à l'amiable, avec le
sieur de Caen, & par mesme moyen le satisfaire des plaintes
qu'il faisoit, des Pères Paul[524] & Guillaume, qui avoient
esté saisis de quelques lettres, usé de paroles & de menaces à
son desavantage, taschant le mettre mal avec son esquipage:
qu'il les avoit traittez favorablement, selon le rapport qui en
fut fait, & ne peut on si bien faire, qu'il ne tombast quelque
lettre entre les mains dudit du Pont, & une autre que je receus
de leur part, où il me faisoit entendre ce qui s'estoit passé,
& que j'eusse à rendre la justice selon la volonté du Roy, &
quelqu'autres discours de compliment: je donne les lettres au
Père, pour les faire voir au sieur de Caen.
[Note 524: Le P. Paul Huet, venu en Canada dès 1617, était repassé en
France avec Champlain en 1618. «On lui avait donné ordre d'y solliciter
les pouvoirs et les aumônes nécessaires pour commencer l'établissement
d'un couvent régulier à Québec, en titre de séminaire, où les enfants
seraient entretenus et instruits.» (Prem. établiss. de la Foy, I, 150.)
Il était de retour à Québec, avec le P. Guillaume Poullain, depuis le
mois de juin 1619. (_Ibid_. P. 154.).]
Le 24 de Juillet, arriva ledit père George, lequel me dit que
ledit sieur de Caen, se vouloit saisir du vaisseau dudit du
26/1010 Pont, en son arrivée: & estant sur le point de l'exécuter,
comme le confirmoient les lettres dudit sieur de Caen, & qu'il
ne passeroit plus outre, attendant ma venue, ce qui m'estonna
grandement, considerant ledit arrest, qui defendoit sur peine
de la vie, de ne s'inquiéter: Je renvoyay la chaloupe avec
ledit Guers, & lettres adressantes audit sieur de Caen, où je
luy fis entendre, que pour les incommoditez qu'il y avoit en la
chaloupe, que je n'y pouvois aller, & que dans neuf jours au
plus tost, je serois audit Tadoussac. Je despesché promptement
un canau, & mandé audit du Pont qu'il m'envoyast une de ses
barques pour m'en aller à Tadoussac, ce qu'il fit, que dans six
jours la barque fut à Québec, & ledit du Pont dedans, pour
sçavoir ce qu'il auroit à faire, avec ledit sieur de Caen,
estant arrivé à Québec: je m'embarquay à la solicitation dudit
Père, n'estant pas mon dessein de partir de l'habitation, &
mander seulement ce qui me sembloit, de la volonté qu'il avoit
de se saisir dudit vaisseau.
Mais les persuasions avec les raisons que me donnoit ledit
Père, m'y firent resoudre, ayant laissé ledit, du May, en ma
place pour commander, & enchargé à tous mes compagnons de luy
obeir, comme à moy mesme, je m'embarquay[525] le dernier de
Juillet; ce mesme jour nous fismes telle diligence, que le
lendemain au soir arrivasmes à demie lieue de Tadoussac, prés
la poincte aux allouettes, où je fis mouiller l'ancre.
27/1011 Aussi-tost[526] ledit sieur de Caen me vient trouver, où il me
fit entendre ce qui estoit de son dessein: je luy dis que le
service du Roy, & l'honneur de mondit Seigneur, m'avoit amené
en ce lieu pour luy donner les conseils que je croyois qui luy
seroient necessaires, & raisonnables, s'il les vouloit suivre,
qui estoient de ne rien altérer au service de sa Majesté, ny de
ses arrests; & que l'authorité de Monseigneur demeurast en son
entier: il me dit, qu'il n'avoit autre intention.
[Note 525: Avec le P. George, comme on le voit plus loin.]
[Note 526: Par cette expression «aussitost», il semble qu'il faut
entendre «dès le lendemain matin.» Car, d'après les dates qui précèdent,
Champlain serait arrivé à la pointe aux Alouettes le premier d'août; et,
quelques lignes plus bas, il dit: «le lendemain 3 d'Aoust.»]
Le lendemain 3 d'Aoust nous entrasmes audict Port de Tadoussac,
où ledit sieur de Caen me receut avec toutes sortes de
courtoisies, m'offrant son vaisseau pour m'y retirer, le
remerciant de tout mon coeur & le priant me permettre de
demeurer en ma barque, pour ne me monstrer passionné à un
party, ny à l'autre, puisqu'il estoit question de rendre
justice, & voyant qu'il estoit à propos de ne m'en aller que
tout ne fut en paix. Il fut question de traitter d'affaire,
ledit de Caen fit quelque proposition sur le fait de la
peleterie; que l'on ne treuva à propos, & luy en donna-on les
raisons: il s'opiniastre & dit avoir des commandements
particuliers, je le somme de les monstrer pour y obéir, il m'en
fait refus, je luy offre de mettre papiers sur table, & qu'il
en fit de mesme, ce qu'il ne voulut, & dit qu'il desiroit avoir
le vaisseau dudit du Pont, pour aller à la guerre, contre les
ennemis qui estoient en la riviere: je luy remonstre, qu'il
regarde de ne contrevenir à l'arrest, je luy dis les raisons
qui l'obligoient de s'en distraire: & pour ce qui estoit de
chasser les ennemis, il avoit trois vaiseaux, deux entr'autres
28/1012 capables de courir toutes les costes, avec cent cinquante
hommes, & qu'il avoit plus de force qu'il n'en failloit: il
persiste de vouloir avoir ledit vaisseau, je le somme de donner
ses advis, il le fait; après avoir fait quelque refus, je luy
respons par articles: je luy envoye la response avec les
articles, qu'il ne trouve à sa fantaisie.
Il avoit fait faire une protestation audit du Pont, contenant
un grand discours, des interests qu'il avoit sur ledit du Pont,
& veut avoir son vaisseau: ledit du Pont me presente requeste
sur ce que veut faire ledit de Caen contre les arrests du Roy,
& prevoyant la ruine manifeste qui pouvoit arriver, de voir un
arrest enfraint, bien que ledit sieur de Caen dit, qu'il n'y
veut rien attenter au contraire: Le pere[527] & ledit sieur de
Caen, eurent plusieurs paroles, qui apportoient plustost de
l'altération, que la paix, voyant ne pouvoir rien gaigner sur
luy, je fais des ouvertures, comme il peut servir le Roy, je
m'offre d'aller dans le vaisseau dudit du Pont, courir sur les
ennemis, le suivre par tout, non seulement dans des vaisseaux,
mais dans des barques, chalouppes, ou canaus, par terre s'il en
est besoin. Je luy dis qu'il ne peut refuser l'offre que je luy
fais, me donnant de ses hommes, estant en lieu qui despende de
ma charge, & luy remonstre qu'en ce faisant, ce sera servir le
Roy, & mondit Seigneur, & qu'ainsi il n'usera de violence, & ne
contreviendra aux arrests de sa Majesté, & mondit Seigneur y
sera servy, & que s'il a des prétentions, il les vuidera en
France.
[Note 527: Le P. George.]
29/1013 Il n'en veut rien faire, il s'attache à sa charge, & aux
particuliers commandemens qu'il avoit du Roy, & de mondit
Seigneur. Je le prie & conjure derechef, me les monstrer pour y
satisfaire: il s'opiniastre plus que jamais; le voyant ainsi
resolu, je prens le vaisseau dudit sieur du Pont en ma
sauvegarde, & voulant le conserver pour l'authorité du Roy, &
l'honneur de mondit Seigneur, devant tout son esquipage, &
après qu'il en useroit comme bon luy sembleroit la forme de
justice, qu'il falloit que je fisse ainsi.
Ledit sieur de Caen, proteste devant tout son esquipage, de
s'aller saisir dudit vaisseau, & qu'il chastiera ceux qui
voudront resister, disant qu'il ne recognoissoit de justice en
ce lieu.
J'envoye prendre possession dudit vaisseau, & ledit sieur de
Caen y envoya un homme, pour faire inventaire de ce qu'il y
avoit, & ainsi s'en saisit, comme ayant la force en main: voila
comme se passa cette affaire. Or premier que ledit sieur de
Caen entrait au vaisseau, dudit du Pont, je leve l'ancré le 12
d'Aoust, & m'en allay passer le Saguenay, pour ne me trouver à
la prise que feroit ledit de Caen, lequel le lendemain me vient
trouver avec sa chalouppe, pour traicter de l'ordre que nous
devions tenir, pour la conservation de ladite habitation: je le
priay de me donner quelques Charpentiers pour achever le
magazin encommencé, & qu'il n'y avoit aucun lieu où l'on peust
mettre aucune chose à couvert; il me dit qu'il avoit affaire de
ses hommes, pour accommoder son vaisseau, qu'il vouloit partir
30/1014 promptement, pour aller à Gaspey, & autres lieux, courir sur
l'ennemy, si lieu avoit, avec sa barque, & qu'il me
l'envoyeroit avec le reste des hommes, qui devoient hiverner à
l'habitation.
Il me demande le payement des vivres qu'il avoit vendus audit
du Pont, pour ceux qui devoient hyverner de leur part à
l'habitation, pour le prix de mille Castors, & sept cens pour
les marchandises, qui avoient esté estimées en sa barque,
suivant la traicte qui se faisoit avecques les Sauvages,
d'autant que nous avions interdit ladite traicte, pour les
raisons que j'ay dit cy dessus. Aussi tost que ledit sieur de
Caen se fut saisi du vaisseau dudit du Pont, il luy remit entre
les mains, disant qu'il n'estoit point armé comme il falloit.
Ledit père fut à Tadoussac, le 14 dudit mois, luy faire
delivrer les Castors, & ainsi nous nous separasmes.
Le lendemain, ledit sieur de Caen envoya faire une protestation
par Hébert [528]: s'il eust voulu suivre le conseil que je luy
voulus donner, il eust fait ses affaires, sans rien altérer, &
avec suject de pretendre de grands interests pour le Roy, &
Monseigneur, dautant que ledit du Pont n'avoit apporté aucuns
vivres pour les hyvernans, & qu'à faute de ce, l'habitation
pouvoit estre abandonnée, & le service du Roy, altéré.
[Note 528: Louis Hébert, apothicaire, qui était dans le pays depuis
quatre ans.]
C'estoit à moy (à faute que ledit du Pont ne m'eust fourny les
commoditez) de les demander audit de Caen, pour conserver la
place; & en me les delivrant, avecques hommes pour hyverner,
31/1015 j'estois tenu, par la voye de justice, de renvoyer tous ceux de
l'ancienne societé, prendre ceux dudit de Caen, & retenir
toutes les marchandises, traictées ou à traicter, sans les
delivrer qu'à son retour, qu'indubitablement ils luy eussent
esté adjugées par voye de justice: Mais au contraire, les
vivres que n'avoit ledit du Pont, pour fournir 25 hommes en
leur part, ledit sieur de Caen luy vendit les tiens, ce qu'il
ne devoit faire, & fut ce qui m'estonnoit, ne pouvant gouster
ceste proposition, croyant selon mon opinion, que mille
Castors, qu'il tiroit contant, luy estoient plus aseurez en les
apportant, que ce qu'il eust peu esperer par justice, de ceux
qui estoient entre mes mains, qui néantmoins estoit chose bien
asseurée.
Ce pendant que l'on s'amusoit à toutes ces contestations, il y
avoit un petit vaisseau Rochelois, qui traittoit avec les
sauvages, à quelque cinq lieues de Tadoussac, dans une Isle
appellée l'Isle verte[529], où ledit sieur de Caen envoya après
nostre département: mais c'estoit trop tard, les oyseaux s'en
estoient allez un jour ou deux auparavant, & n'y treuvast on
que le nid, qui estoit quelque retranchement de pallissade
qu'ils avoient fait, pour se garder de surprise, pendant qu'ils
traittoient, l'on mit bas les pallissades y mettant le feu.
[Note 529: C'est, sans doute, parce que les Rochelois venaient faire la
traite à cette île, malgré les privilèges des compagnies, qu'elle était
appelée île de la Guerre, dès le temps de Jean Alphonse.]
Le Capitaine le Grand qui y avoit esté, s'en reuint, comme il
estoit party. Nous fismes voilles de la pointe aux allouettes
le 15 d'Aoust, & arrivasmes à Québec le 17 où estant je donné
32/1016 ordre à faire parachever le magazin, & ledit sieur de Caen
envoya les armes, que le Roy nous donnoit pour la defence du
fort.
_S'ensuit les armes qui me furent livrées, par les commis tant
du sieur de Caen & Guers, commis de Monseigneur de Montmorency,
que par Jean Baptiste Varin, & Halard, le Mercredy 18 d'Aoust
1621._
12 Hallebardes, le manche de bois blanc, peintes de noir. 12
Harquebuses à rouet, de cinq à six pieds de long. 2 autres à
mesche de mesme longueur. 523 livres de bonne mesche. 187 autre
de pourrie. 50 Piques communes. 2 Petarts de fonte verte,
pesant 44 livres chacun. Une tante de guerre en forme de
pavillon. 2 Armets de Gens-d'armes, & une senderiere. 64 Armes
de Piquers sans brasards. 2 Barils de plomb en balles à
Mousquets pesant 439 livres.
Lesdites armes & munitions cy-dessus ont esté contées & receues
à Québec, par monsieur de Champlain Lieutenant général de
Monseigneur le Viceroy en la Nouvelle France, present le sieur
Jean Baptiste Varin, envoyé exprés en ce lieu par monsieur de
Caen, & de moy commissionnaire de mondit seigneur. Fait audit
Québec, le susdit jour que dessus. Signé Guers commissionnaire,
& au dessous Jean Baptiste Varin.
J'ay soussigné Jaques Hallard, confesse avoir mis entre les
mains de monsieur de Champlain Lieutenant de Monseigneur de
Montmorency, Viceroy de ces terres, trois cens dix livres de
33/1017 Poudre à canon, en deux Barils, & 2479 livres de plomb, en
balles à mousquet, en six barils, ne sçachant dire si cesdites
munitions sont du Roy ou de monsieur de Caen. A Québec ce
jourd'huy dernier jour d'Aoust 1621. Signé Isaac[530] Halard.
[Note 530: Jacques. Ce Jacques Halard, ou Allard, paraît être celui
qu'on retrouve plus tard établi dans le pays.]
Je demanday ausdits commis si ledit sieur de Caen ne m'envoyoit
point de mousquets, & d'avantage de poudre, & meilleure que
celle à canon, pour les mousquets: ils me dirent qu'ils
n'avoient receu que les armes qu'ils m'avoient données. Je ne
me pouvois imaginer que sadite Majesté n'eust ordonné des armes
à feu avec de la poudre, qui sont les choses principales &
necessaires, pour la defence d'une place, & se maintenir contre
les ennemis: & ainsi fallut s'en passer, à mon grand regret.
Je ne me pouvois imaginer que sa Majesté nous eust envoyé si
peu de munitions de guerre, veu les lettres qu'elle m'avoit
fait l'honneur de m'escrire, accompagnées de celle de Monsieur
de Puisieux, comme j'ay dit cy-devant.
Quelques jours après, ledit sieur de Caen envoya des vivres,
pour la nourriture des hommes qui devoient hyverner au nombre
de 25, comme j'avois demandé à chacun des deux societés, qui
m'avoient esté promis pour la conservation de la place, il n'en
vint que 18 de sa part, & trente que laissa l'ancienne societé.
Ledit sieur de Caen ayant mis ordre à ses affaires, partit de
Tadoussac le 29e jour d'Aoust.
34/1018 Et le mardy 7 de Septembre partit aussi ledit sieur du Pont, &
le père George[531], de Québec, qui me promit communiquer audit
sieur Dolu, tout ce qui s'estoit passé & fait: ne doutant
point, que ce faisant tout iroit à l'amiable, & auroit esté en
paix, & que tant de discours inutils qui s'estoient faits &
passez par delà, se fussent appaisez; esperant avoir plus de
repos à l'advenir: & oster le plus que l'on pourroit les
chicaneries. Deux mesnages retournerent. Car depuis deux ans,
35/1019 ils n'avoient pas deserté une vergée de terre, ne faisant que
se donner du bon temps, à chasser, pescher, dormir, & s'enyvrer
avec ceux qui leurs en donnoient le moyen: je fis visiter ce
qu'ils avoient fait, où il ne se trouva rien de deserté, sinon
quelques arbres couppez, demeurans avec le tronc & leurs
racines: c'est pourquoy je les renvoyay comme gens de néant,
qui despensoient plus qu'ils ne valloient: c'estoient des
familles envoyées, à ce que l'on m'avoit dit, de la part dudit
Boyer en ces lieux, au lieu d'y envoyer des gens laborieux & de
travail, non des bouchers & faiseurs d'aiguilles, comme
estoient ces hommes qui s'en retournèrent, il me sembla bon,
pour esviter aux chicaneries, de faire quelques ordonnances,
pour tenir chacun en son devoir. Lesquelles je fis publier le
12 de Septembre[532].
[Note 531: Le P. George était porteur de la requête suivante:
SCACHENT TOUS QU'IL APPARTIENDRA. Que l'an de grâce 1621, le 18e jour
d'Aoust, du Règne de très-haut, tres-puissant & tres-Chrestien Monarque
Louys 13e du nom, Roy de France, de Navarre & de la nouvelle France
ditte Occidentale, du Gouvernement de haut & puissant Seigneur Messire
Henry Duc de Montmorency & de Dampville, Pair & Admiral de France,
Gouverneur & Lieutenant général pour le Roy en Languedoc, & Viceroy des
pays & terres de la nouvelle France ditte Occidentale, de la Lieutenance
de noble homme Samuel de Champlain, Capitaine ordinaire pour le Roy en
la Marine, Lieutenant général esdits pays & terres dudit seigneur
Viceroy, que par permission dudit sieur Lieutenant se seroit faicte une
assemblée générale de tous les François habitans de ce païs de la
nouvelle France, afin d'aviser des moiens les plus propres sur la ruyne
& desolation de tout ce païs, & pour chercher les moiens de conserver la
Religion Catholique, Apostolique & Romaine en son entier, l'authorité du
Roy inviolable & l'obeissance deue audit Seigneur Viceroy, après que par
ledit sieur Lieutenant, Religieux & habitans, presence du sieur
Baptiste Guers Commissaire dudit seigneur Viceroy, a esté conclud &
promis de ne vivre que pour la conservation de ladicte Religion,
obeissance inviolable au Roy & conservation de l'autorité dudit Seigneur
Viceroy, voyant cependant la prochaine ruine de tout le pays, a esté
d'une pareille voix délibéré, que l'on feroit choix d'une personne de
l'assemblée pour estre député de la part de tout le général du pays,
afin d'aller aux pieds du Roy, faire les très humbles submissions
ausquelles la nature christianisme & obligation, rendent tous sujects
redevables, & presenter avec toute humilité le Cahier du pays, auquel
seront contenus les desordres arrivez en ce pays, & notamment ceste
année mil six cens vingt-un. Et aussi qu'iceluy député aille trouver
nostre-dit seigneur Viceroy, pour luy communiquer semblablement des
mesmes desordres, & le supplier se joindre à leur complainte, pour la
demande de l'ordre necessaire à tant de mal-heurs, qui menacent ces
terres d'une perte future, & finallement pour qu'iceluy député puisse
agir, requérir, convenir, traicter & accorder pour le Général dudit
pays, en tout & par tout ce qui sera l'advantage dudit pays. Et pour ce
tous d'un pareil consentement & de la mesme voix cognoissant la saincte
ardeur à la Religion Chrestienne, le zèle inviolable au service du Roy,
& de l'affection passionnée à la conservation de l'autorité dudit
seigneur Viceroy, qu'à tousjours constamment & fidellement tesmoigné le
Reverend Père Georges le Baillif Religieux de l'ordre des Recollects,
joint sa grande probité, doctrine & prudence. Nous l'avons commis,
député, & délégué, avec plain pouvoir & charge de faire, agir,
representer, requérir, convenir, escrire & accorder, pour & au nom de
tous les habitans de ceste terre, suppliant avec toute humilité sa
Majesté, son conseil & nostre-dit seigneur Viceroy, d'agréer ceste
nostre délégation, conserver & protéger ledit R. Père en ce qu'il ne
soit troublé ny molesté de quelque personne que ce soit, ny sous quelque
pretexte que ce puisse estre, à ce que paisiblement il puisse faire,
agir & poursuivre les affaires du pais, auquel nous donnons de rechef
pouvoir de réduire tous les advis à luy donnez par les particuliers en
un cahier général, & à iceluy apposer sa signature avec ample
déclaration que nous faisons, d'avoir pour aggreable & tenir pour
vallable tout ce qui sera par iceluy Reverend Père faist, signé, requis,
negotié & accordé pour ce qui concernera ledit pays, & de plus luy
donnons pouvoir de nommer & instituer un ou deux Advocats au Conseil de
sa Majesté, Cours souveraines & jurisdictions, pour & en son nom & au
nostre, escrire, consulter, signer, plaider & requérir de sa Majesté &
de son Conseil, tout ce qui concernera les affaires de ceste nouvelle
France. Si requérons humblement tous les Princes, Potentats, Seigneurs,
Gouverneurs, Prélats, Justiciers & tous qu'il appartiendra, de donner
assistance & faveur audit Reverend Père, & empêcher qu'iceluy allant,
venant, ou sejournant en France, ne soit inquiété ou molesté en ceste
délégation avec particulière obligation de recognoissance, autant qu'il
sera à nous possibles. Donné à Kebec en la nouvelle France sous la
signature des principaux habitans, faisans pour le général, lesquels
pour autentiquer d'avantage ceste délégation, ont prié le tres-Reverend
Père en Dieu Denis Jamet, Commissaire des Religieux, qui sont en ces
terres d'apposer son sceau Ecclesiastique ce jour & an que dessus, signé
Champlain, Frère Denis Lamet Commissaire, Frère Joseph le Caron, Hébert
Procureur du Roy, Gilbert Courseron Lieutenant du Prevost, Boullé,
Pierre Reye, le Tardif, I. Le Groux, P. Desportes, Nicolas Greffier de
la jurisdiction de Kebec & Greffier de l'assemblée, Guers Commissionné
de Monseigneur le Viceroy & present en ceste eslection, & seellée
en placard du seel dudit Reverend Père Commissaire.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 73 et suiv.)]
[Note 532: Le 12 de septembre était un dimanche.--«L'on ne trouve plus
de copie, dit M. Ferland, des règlements faits par Champlain. Il serait
fort intéressant de connaître cette première ébauche d'un code
canadien.» (Cours d'Hist. du Canada, I, note 1 de la p. 202.)]
36/1020
_L'Autheur faict travailler au fort de Quebec. Voye asseurée
qu'il prépare aux Entrepreneurs des descouvertures. Est
expédient d'attirer quelques sauvages. Arrivée du sieur Santin
commis du sieur Dolu. Réunion des deux sociétés._
CHAPITRE V.
Ce n'est pas peu que de vivre en repos, & s'asseurer d'un
païs, en si fortifiant & y mettant quelques soldats pour la
garde d'iceluy, qui apporteroit plus de gloire mille fois que
n'en vaudroit la despence, & le Viceroy en recevroit du
contentement, pour estre hors de danger de l'ennemy.
Les sauvages nous assisterent de quelque Eslan, qui nous fit
grand bien, car nous avions esté assez mal accommodez de toute
chose, hormis de pain, & d'huille; les petites divisions qu'il
y avoit eues entre les deux societés l'année d'auparavant,
avoit causé ce mal: & estans bien reunies, il n'en pouvoit que
bien arriver, tant pour le peuplement, que descouvertures, que
augmentation du trafficq, ausquelles choses chacun y doit
contribuer du sien en temps qu'il pourra.
L'une des choses que je tiens en ceste affaire, & pour
l'augmentation d'icelle, est les descouvertures, & comme elles
ne se peuvent faire qu'avec de grandes peines & fatiques, parmy
plusieurs régions & contrées, qui sont dans le milieu des
terres, & sur les confins d'icelle à l'occident de nostre
37/1021 habitation, parmy plusieurs nations, aux humeurs & forme de
vivre, desquels il faut que les entrepreneurs se conforment. Il
y a bien à considerer d'entreprendre meurement, & hardiment
cest affaire, avec un courage masle: mais aussi est il bien
raisonnable, que le labeur de telles personnes soyent recogneus
par quelques honneurs & bien-faits, comme font les estrangers
en telles affaires, pour leurs donner plus d'affection & de
courage d'entreprendre: & si on ne le fait, mal-aisément se
peut il faire chose qui vaille.
Pour la societé, ce seroit elle qui deveoit autant y apporter
du leur que personnes, car un grand bien leur en reviendroit,
encores que ceux de l'ancienne societe jusques à present,
n'ayent jamais gratifié les entrepreneurs d'aucune chose: au
contraire ont osté le moyen de bien faire, en temps qu'ils ont
peu. Et pour ouvrir le chemin à cest affaire, j'avois pense
préparer quelque voye, qui fut seure & advantageuse pour les
entrepreneurs, afin qu'avec plus de courage & asseurance, ils
entreprinssent ce dessein.
Qui estoit d'attirer quelques nombres de sauvages prés de nous,
& y avoir une telle confiance, que nous ne puissions estre
desceus ny trompez d'eux, & pour cet effect, j'avois pratiqué
l'amitié d'un sauvage appelle Miristou, qui avoit tout plein
d'inclination particulière à aymer les François, &
recognoissant qu'il estoit desireux de commander, & estre chef
d'une trouppe, comme estoit son feu père, il m'en parla
plusieurs fois, avec tout plein de protestations d'amitié qu'il
me dit nous porter, bien que se jugeasse que ce n'estoit en
38/1022 partie que pour parvenir à son dessein, mais il faut tenter la
fortune, & me dit que si je pouvois faire en sorte qu'il peust
obtenir ceste grade de Capitaine, qu'il feroit merveille pour
nous: Je l'entretins une bonne espace de temps, depuis
l'Automne jusques au Printemps, où conférant avec luy, je luy
dis, Si tu es esleu par les François, j'y feray consentir tes
compagnons, & te tiendront pour leur chef, mais aussi qu'au
préalable, il devoit nous tesmoigner une parfaite amitié, ce
qu'il promit faire.
Le 8 de Juin[533] arriva le sieur Santein, l'un des commis de
la nouvelle societé, qui me donna advis de la reunion des deux
societés, que l'ancienne ayma mieux entrer en la aocieté
nouvelle, que donner dix mille livres à la nouvelle, ayant cinq
douziesme, & la nouvelle pour les sept durant quinze années, &
ainsi que le conseil par arrest l'avoit ordonné.
[Note 533: 1622.]
La première chose que je dis à ce sauvage, estoit qu'avec ses
compagnons ils cultiveroient les terres proches de Québec,
faisant une demeure arrestée, luy et ses compagnons, qui
estoient au nombre de trente, qu'ayant mis les terres en
labeur, ils recueilleroient du bled d'Inde pour leurs
necessitez, sans endurer quelques fois la faim qu'ils ont, &
par ainsi nous les tiendrions comme frères. De plus nous
monstrions un chemin à l'advenir aux autres sauvages, que quand
ils voudroient eslire un chef, que ce seroit avec le
consentement des François, qui feroit commencer à prendre
quelque domination sur eux, & pour les mieux instruire en
nostre créance.
39/1023 Il me promit de faire ainsi, & de fait il fit si bien avec ses
compagnons (desquels il avoit gaigné l'affection) que pour
monstrer un tesmoignage de sa bonne volonté, premier que
d'estre receu Capitaine. Ils commencèrent à deserter tous
ensemble au Printemps, à demie lieue de nostre habitation, &
s'ils eussent eu de bon bled dinde ceste année là, ils
l'eussent ensemencé, ce qu'ils ne peurent faire qu'en une
partie, laquelle contient prés de sept arpents de terre[534],
assez pour une premiere fois. Quelques jours après descendirent
des sauvages des trois rivieres, où ils se trouverent trois à
quatre competiteurs, qui pretendoient la mesme charge, & y eut
beaucoup de discours & conseils entr'eux, sur ce fait Miristou
me vint treuver, luy sixiesme des plus anciens, me faisant
entendre tout ce qui s'estoit passé, je l'asseuray qu'il ne se
mit en peine, que je le ferois eslire chef, & que nous n'en
cognoistrions point d'autre que luy en sa troupe, & le ferois
entendre à ses compagnons, & à ceux qui luy disputoient ceste
charge: le contentement qu'il eut, fit qu'il me presenta
quelques quarante castors, & luy en fis donner une partie, pour
avoir des vivres pour le festin de ses compagnons.
[Note 534: C'est probablement ce que l'on a appelé plus tard le désert
des Sauvages, qui était situé à la Canardière, au pied du second coteau
parallèle au fleuve. (Voir Concession de Michel Hupé, 1652, greffe
d'Audouard.)]
Il s'en alla fort satisfait & content, je parlay à tous ses
compagnons & competiteurs, leurs faisant entendre le suject qui
m'esmouvoit à desirer qu'il fut chef, ils m'entendirent
patiemment, & tous tesmoignerent qu'ils en estoient contens
puisque je le desirois.
40/1024 Ils s'en retournerent avec volonté de l'eslire pour chef, &
faire les cérémonies accoustumées. Cela fait il me vint
treuver, accompagné de tous les principaux Sauvages, avec un
present de 65 Castors, disant, J'ay esté esleu pour chef, comme
tels & tels que tu as cognus, l'un estoit mon père qui avoit
succedé à un autre de qui il portoit le nom de
_Annadabijou_[535] il entretenoit le païs parmy les nations, &
les François, j'en desire faire de mesme, & me tenir tellement
lié avec vous que ce ne sera qu'une mesme volonté, & les
presens qu'il m'avoit donnez n'estoient à autre intention, que
pour tousjours estre en mon amitié, & me devoit appeller son
frère, pour plus de tesmoignage d'affection, chose qui avoit
esté resolue de l'advis de ses compagnons.
[Note 535: Annadabijou.]
Je le confirmé en tout & par tout, l'asseurant que tant qu'ils
seroient bons nous les aymerions comme nos frères, & que je les
assisterois contre ceux qui voudroient leur faire du
desplaisir: ils monstroient signe d'une grande resjouissance, &
souvent se levoient en me venant mettre leurs mains dans les
miennes, avec inclination, pour monstrer le contentement qu'ils
avoient.
Et me dit qu'il avoit changé son nom qui estoit _Mahigan
aticq_, qui veut dire loup & cerf, _aticq_ veut dire cerf, &
_Mahigan_ loup, je luy demandé pourquoy ils luy donnoient ces
deux noms si contraires, il me dit qu'en leur païs il n'y avoit
beste si cruelle qu'un loup, & un animal plus doux qu'un cerf,
41/1025 & qu'ainsi il seroit bon, doux, & paisible, mais s'il estoit
outragé & offencé il seroit furieux & vaillant.
Je fus assez satisfait de ceste response pour un sauvage:
voyant leur bonne volonté, je me deliberé luy faire un festin,
& à tous ses compagnons tant hommes que femmes & enfans, afin
que devant tous il fut receu capitaine: pour plus de marque je
fis le festin de la valleur de 40 castors, où ils se remplirent
bien leur ventre, sans quelque petit trouble qui survint, il y
eut eu plus de plaisir, mais le père & le meurtrier son fils se
trouverent à ce festin, ausquels j'avois défendu d'y assister,
& mesme de venir à nostre habitation, mais l'effronterie &
l'audace de ces coquins fut grande & extrême, ce que sçachant,
je parlé au chef pour voir comme il s'acquiteroit en sa
nouvelle charge, luy disant, qu'il sçavoit bien pourquoy nous
ne le désirions voir, & qu'il eut à le renvoyer, ce que fit
aussi tost ledit _Mahigan aticq_, le meurtrier fait semblant de
s'en aller, & le chef me le vint dire, je luy tesmoignay que je
n'estois bien content, & ne me trouvay point au festin, où tous
nos sauvages ne laissoient perdre un moment de temps à
festiner, pendant que _Mahigan aticq_ m'entretenoit un peu.
Après un de nos gens me vint dire que le meurtrier ne s'estoit
point retiré, je fais semblant d'estre plus en collere que je
n'estois, en me levant je fis prendre une arme pour aller
treuver ledit meurtrier, ce que voyant _Mahigan aticq_, il me
dit, je te prie de sursoir & ne l'aller chercher, & que
c'estoit un fol, ce qu'il fit, & luy dit rudement & en collere,
qu'il se retiraft, ce que firent le père & le fils, qui fut le
42/1026 subjet que la cérémonie ne se passa pas comme je me l'estois
promis. Pour lors tous nos sauvages s'en retournèrent fort
saouls & remplis de viandes ayant fait faire la cuisine en une
chaudière à brasser de la bière, qui tenoit prés d'un tonneau.
Le lendemain nos sauvages me vindrent trouver, avec tous les
principaux, faisant apporter cent castors, en me disant que je
n'eusse aucun desplaisir de ce qui s'estoit passé, & que cela
n'arriveroit plus: entr'autre estoit un sauvage, qui avoit
prétendu d'estre chef, fils d'un premier _Annadabigeou_, qui
avoit esté capitaine de ces lieux la, me representant les
grands biens qu'avoit son feu père, & qu'il estoit descendu de
l'un des plus grands chefs qui fut en ces contrées, & autres
discours sur ce suject & que quoy qu'il n'eust esté esleu chef
avec la forme accoustumée, que neantmoins il estoit capitaine,
ayant tousjours porté une affection particuliere aux François,
qu'il venoit pour se faire recognoistre non comme principal
chef, mais comme le second après _Mahigan aticq_.
_Mahigan aticq_ reprenant la parole, dit qu'il l'advouoit pour
tel, & comme sa seconde personne: & qu'à son defaut il
commanderoit, & que nous devions avoir la mesme confiance qu'en
luy, & que se joignant ensemble ils tiendroient tout le monde
en paix, que quand lesdits capitaines François seroient arrivez
à Tadoussac, sçavoir les sieurs de Caen & du Pont, estans en ce
lieu ils les aseureroient derechef de leur bonne affection &
fidélité, sieurs de donnant lesdits cent castors à nous trois:
pour estre bien réunis ensemble, à les maintenir de nostre
43/1027 part. Je leurs fis responce que si par le passé, ils avoient
veu quelque chose entre les François, ce n'estoit pas jusques
là pour en venir à une guerre comme ils croyoient, estant tous
bons amis, & que maintenant ils ne verroient plus de dispute
entr'eux comme ils avoient veu par le passé, entre lesdits de
Caen & du Pont, de plus qu'ils seroient fort satisfaits de
l'eslection qui avoit esté faite.
Tous ces discours finis, je m'imaginay que puisqu'ils ne
vouloient estre esleuz, que par contentement des François, &
pour leur donner quelque sorte d'envie & d'honneur
extraordinaire, tant pour eux que pour leurs descendans à
l'advenir: qu'il estoit à propos de les recevoir capitaines
avec quelques formalitez que je leurs fis entendre, que quand
on recevoit un chef, que l'on obligeoit tels capitaines, à
porter les armes contre ceux qui nous voudroient offencer, ce
qu'il promit faire, je luy donnay deux espées, qu'il eut pour
agréables, & de ceste bonne réception & present, il fallut
aller monstrer ces presens à tous ses compagnons, & leur faire
entendre tout ce qui s'estoit passé, & leur fis donner de quoy
faire festin, ce que je fis à la valeur de quelque nombre de
castors: & après s'en allèrent. Ainsi je cherchois quelque
moyen de les attirer à une parfaite amitié, qui pourroit un
jour leur faire cognoistre en partie l'erreur où ils sont
jusques à present, ou à leurs enfans qui seroient proche de
nous: incitant les pères à nous envoyer leurs enfans, pour les
instruire à nostre Foy, & par ainsi estans habitez, si la
volonté leur continuoit, l'on pourroit estre asseurez, que si
on les menoit en quelque lieu aux descouvertures, qu'ils ne
44/1028 nous fausseront point compagnie, ayant de si bons ostages prés
de nous, comme, leurs femmes & enfans: car sans les sauvages,
il nous seroit impossible de pouvoir descouvrir beaucoup de
chose dans un grand pays, & se servir d'autres nations, car il
n'y auroit pas grande seureté, & ne leurs faudroit que prendre
une quinte pour vous laisser au milieu de la course.
_L'Autheur s'est acquis une parfaite cognoissance aux
decouvertes. Advis qu'il a souvent donnez à Messieurs du
Conseil. Des commodités qui reviendroient de ces decouvertures.
Paix que ces sauvages traittent avec les Yroquois. Forme de
faire la paix entr'eux._
CHAPITRE VI.
La cognoissance que de long temps j'ay eue, en la recherche &
descouverture de ces terres, m'a tousjours augmenté le courage
de rechercher les moyens qui m'ont esté possible, pour parvenir
à mon dessein, de cognoistre parfaictement les choses que
plusieurs ont douté. Ce que je tiens pour certain selon les
relations des peuples, & ce que j'ay peu conjecturer de
l'assiete du pays, qui sans doute me donne une grande
esperance, que l'on peut faire une chose digne de remarque, &
de louange, estant assisté des peuples des contrées, lesquels
il faut contenter par quelque moyen que ce toit, ce qui (à mon
opinion) sera aisé, & à tout le moins arrive ce qui pourra,
pourveu que Dieu conserve les Entrepreneurs, il ne peut qu'il
45/1029 n'en revienne de grandes commoditez, qui serviront beaucoup en
ceste affaire. Il y a long temps que j'ay proposé & donné mon
advis à Nosseigneurs du Conseil, qui ont tousjours esté bien
receus; mais la France a esté si brouillée ces années
dernières, que l'on recherche à faire la paix, ne pouvant y
faire despence. Je peux bien asseurer, que s'il ne se faict
rien en ce temps, malaisément se pourra-il faire quelque chose
à l'advenir: tous hommes ne sont pas propres à risquer, la
peine & la fatigue est grande; mais l'on a rien sans peine:
c'est ce qu'il faut s'imaginer en ces affaires; ce sera quand
il plaira à Dieu: de moy, je prepareray tousjours le chemin à
ceux qui voudront après moy, l'entreprendre.
Il y a quelque temps, que nos Sauvages moyennerent la paix avec
les Yrocois, leurs ennemis; & jusques à present, il y a eu
tousjours quelque accroche pour la méfiance qu'ils ont des uns
& des autres; ils m'en ont parlé plusieurs fois, & assez
souvent m'ont prié d'en donner mon advis, leurs ayant donné, &
treuvé bon qu'ils vesquissent en paix les uns avec les autres,
& que nous les assisterions: mais quand il est question de
faire la paix avecques des Nations, qui sont sans loy, il faut
bien penser à ce que l'on doit faire, pour y avoir une
parfaicte seureté. Je leur proposay, leur en donner des moyens,
& seroit un grand bien proche de nous; l'augmentation du
trafic, & la descouverture plus aysée, & la seureté pour la
chasse de nos Sauvages, qui vont aux Castors, qui n'osent aller
46/1030 en de certains lieux, où elle abonde, pour la crainte qu'ils
ont les uns des autres; & y ont tousjours travaillé jusques à
present.
Le 6 dudit mois de Juin, arriverent deux Yrocois aux trois
rivieres, pour traitter de ceste paix: le Capitaine m'en donne
aussi-tost advis, & y envoyerent deux Canaux, pour les amener à
leurs Cabanes, proche de Québec, où ils estoient logez.
Le 9, ils vindrent aux Cabanes de nos Sauvages, lesquels ne
manquèrent de m'envoyer une chalouppe, pour aller voir la
réception qu'il leur feroit: le m'enbarquay, accompagné dudit
Sentein, & de cinq de mes compagnons, avec chacun son mousquet,
où arrivant sur le bord du rivage, devant leurs cabanes, Le
Capitaine Mahigan Aticq, accompagné de ses compagnons, avec les
deux Yrocois à son costé, s'en vient au devant de nous, battant
leurs mains, & la mettant en la nostre, & en firent faire
autant aux deux Yrocois, nous tenans chacun par la main,
jusques à ce que nous fussions à la Cabane dudit Capitaine; où
arrivant, nous trouvasmes nombre de peuples assis, chacun selon
son rang. Ledit Chef, me tesmoigna estre fort satistaict, &
tous ses compagnons, de ce que je m'estois acheminé vers eux,
pour voir les Yrocois, lesquels firent rapport, envers les
leurs, de la bonne intelligence qui estoit entre nous, & eux.
Ce faict, trois de nos Sauvages, avec les deux Yrocois,
danserent, & après m'avoir demandé si je l'aurois agréable, je
leur tesmoignay estre contant.
Ceste dance dura une bonne espace de temps; & achevé qu'ils
eurent de danser, chacun d'eux baisa sa main, & me la vindrent
47/1031 mettre en la mienne, en signe de paix, & bien-vueillance. Le
meurtrier estoit l'un de ces trois danseurs, qui voulut mettre
sa main dans la mienne, je ne le voulus jamais regarder; ce qui
luy donna un grand desplaisir, de se voir ainsi mesprisé devant
les Yrocois, & de toute l'assemblée: il n'arresta gueres qu'il
ne sortist de la cabane. Ce pendant le Chef commanda à tous les
hommes, femmes & filles, de danser; ce qu'ils firent quelque
temps: La danse finie, il me remercia à sa façon, & me pria de
tousjours les maintenir en amitié: le luy dis, qu'il ne devoit
point douter de mon affection, lors qu'il se comportera
doucement avec nous.
Je le priay de me venir voir le lendemain, & douze de ses
principaux, & les deux Yrocois (nous traiterons du subjet de
leur venue) ce qu'ils m'accordèrent; & leur fis tirer quelques
coups de mousquets: de là, nous nous r'embarquasmes pour
retourner en nostre habitation. Le lendemain, ils ne faillirent
à venir avec les deux Yrocois; peu après leur arrivée, je leur
fis festin, suivant leur façon de faire: Après qu'ils eurent
repeu, nous entrasmes en discours, sur ce qui estoit du traicté
de paix avec les Yrocois, le leur demanday comment ils
entendoient faire ce traicté: ils dirent que l'entreveue des
uns aux autres, estoit avec amitié, tirant parolles de leurs
ennemis, de ne les nuire ny empescher de chasser par tout le
païs; & eux au semblable en feroient de mesme envers les
Yroquois: & ainsi, ils n'avoient d'autres traictez à faire leur
paix.
Je leur dis que parlementer, estoit véritablement faire les
48/1032 approches à une paix, mais il falloit les seuretez d'icelle; &
puis qu'ils m'en demandoient mon advis, je leur en dirois ce
qui m'en sembleroit, s'ils me vouloient croire, à quoy ils
accorderent, & me prierent derechef, de leur en donner mon
advis qu'ils suivroient au mieux qu'il leur seroit possible; &
qu'aussi bien, ils estoient las & fatiquez des guerres qu'ils
avoient eues, depuis plus de cinquante ans[536]; & que leurs
pères n'avoient jamais voulu entrer en traicté, pour le desir
de vengeance qu'ils avoient de tirer du meurtre de leurs parens
& amis, qui avoient esté tuez; mais qu'ayant consideré le bien
qui en pourroit revenir, ils se resoudoient, comme dit est, de
faire la paix.
[Note 536: Ce passage nous donne, au moins d'une manière approximative,
l'époque de cette fameuse querelle dont parlent Nicolas Perrot et la
Relation de 1660 (ch. II), et qui fit des Algonquins et des Iroquois
d'irréconciliables ennemis. Cette profonde division remonterait donc
vers l'an 1570, si toutefois ce n'était pas une simple recrudescence
d'une inimitié encore plus ancienne; car les sauvages que Cartier trouva
dans le pays, et qui semblent avoir été ce que l'on a appelé les _bons
Iroquois_, avaient déjà pour ennemie, dès 1535, une nation vers le sud,
appelée alors Toudamans (les mêmes sans doute que les Tsountouans, ou
Tsonnontouans), «qui leur menoient continuellement la guerre.»]
Response à la première question que je leur fis sçavoir, si ces
deux Yrocois estoient venus pour leur particulier, ou s'ils
avoient esté envoyez de leur nation.
Ils me dirent, qu'ils estoient venus de leur propre mouvement:
& le desir qu'ils avoient de voir leurs parens & amis, qui
estoient parmy eux détenus prisonniers de longue main, les
avoit fait venir; & l'asseurance qu'ils avoient du traitté de
paix, commencé depuis quelque temps, estans comme en tresve les
uns & les autres, jusqu'à ce que la paix fut du tout asseurée
ou rompue. Je leurs dis que puisque ces hommes n'estoient
députez du pays, qu'ils les devoient traitter amiablement, avec
49/1033 toute sorte de paix & amitié, non pas en la façon comme s'ils
estoient députez du pays, & qu'ils devoient estre receuz, avec
plus d'allegresse & de cérémonie. De plus puisqu'ils voulaient
venir à une bonne paix, qu'il falloit qu'ils choisissent
quelque homme d'esprit parmy eux, & l'envoyer avec ces deux
Yrocois, ayant charge de traitter de paix, & les inciter à
envoyer en ce lieu de Québec de leur part: lors qu'ils
verroient que nous y assisterions, que cela seroit occasion de
se mieux asseurer, comme estans obligez à les maintenir.
Ils trouverent cet advis bon, & de fait ils se resolurent d'y
envoyer quatre hommes, sçavoir deux aux Yrocois, distans de
Québec de cent cinquante lieues, & leur fis donner la valleur
de 38 castors de marchandises, des cent dont ils leurs avoient
fait presents, & ces marchandises estoient pour faire present à
leurs ennemis à leur arrivée, comme est leur coustume, & ainsi
s'en allèrent fort contens. Voila un bon acheminement.
_Arrivée du Sieur du Pont & de la Ralde avec vivres. L'Autheur
leur raconte la paix faicte entre les sauvages. Lettre du Roy à
l'Autheur. Arrivée du sieur de la Ralde à Tadoussac. Ce qui se
passa le reste de l'année 1622, & aux premiers mois de 1623._
CHAPITRE VII.
Le 15 de Juin arriverent lesdits du Pont & de la Ralde, avec
4 barques chargées de vivres & marchandises, ausquels je fis la
meilleure réception qu'il me fut possible, & ne trouverent que
50/1034 toute sorte de paix, ce que plusieurs ne croyoient pas, suivant
ce qui s'estoit passé. Ils ne sçavoient point que le subject en
estoit osté, occasion pourquoy toutes choses s'estoient passées
avec douceur, ils furent quelques huict jours à faire leurs
affaires, où durant ce temps, je leurs fis entendre comme ces
sauvages avoient esleu un chef par nostre consentement, & le
bien qui en pouvoit reussir, pourveu qu'on l'entretienne en
ceste amitié.
Mahigan aticq vient voir ces messieurs qui le receurent fort
humainement sur ce que je leurs en avois dit.
Lesdits du Pont & de la Ralde, partirent pour monter amont
ledit fleuve aux trois rivieres, où ils trouverent quelque
nombre de sauvages, en attendant un plus grand. Quelques jours
après arriva le Sire, commis, qui nous apporta nouvelle de
l'arrivée dudit sieur de Caen à Tadoussac, qui m'escrivoit
qu'en bref il s'achemineroit par devers nous, après sa barque
montée: me priant luy envoyer quelques scieurs d'aiz, & un
canau en diligence audit du Pont & de la Ralde, ce que je fis,
& ledit le Sire partit ce mesme jour pour retourner le treuver
à Tadoussac.
Trois tours après arriva une barque des trois rivieres, qui
alloit audit Tadoussac, suivant l'ordre qui luy avoit donné.
Le Vendredy 15 de Juillet sur le soir, arriva ledit sieur de
Caen dedans une chalouppe, craignant n'estre assez à temps à la
traitte des trois rivieres: ayant laissé charge de despescher
sa barque à Tadoussac, pour l'aller treuver aux trois rivieres,
51/1035 je le receus au mieux qu'il me fut possible, me faisant
entendre tout ce qui s'estoit passé en toutes les affaires,
tant de la Nouvelle que de l'ancienne societé, à quoy je
satisfis au mieux qu'il me fut possible. Il me rendit la lettre
suivante de sa Majesté.
«Monsieur de Champlain, voulant conserver mon cousin le Duc de
Montmorency aux droits & pouvoirs que je luy ay cy-devant
accordez en la Nouvelle France, suivant les lettres patentes
que je luy ay fait expédier, j'ay treuvé bon que la
contestation qui estoit à mon Conseil, entre l'ancienne
compagnie, faite par les precedents Gouverneurs, pour faire les
voyages audit païs de la Nouvelle France, establis par mon
cousin, suyvant son pouvoir; que ladite Nouvelle soit conservée
au traitté, joignant en icelle ceux de l'ancienne qui y
voudront entrer, ainsi que vous verrez par l'arrest de mon
Conseil, qui vous sera envoyé par le sieur Dolu, suivant lequel
je veux & entend que vous vous gouverniez avec lesdits nouveaux
associez, maintenant le païs en paix, en y conservant mon
auctorité, en tout ce qui sera de mon service, à quoy
m'asseurant que vous ne manquerez, je prie Dieu qu'il vous ayt
Monsieur de Champlain en sa saincte garde, escrit à Paris le 20
de Mars 1622. signé Louis, & plus bas Potier.»
Ledit de Caen fut deux jours à Québec, & delà s'en alla aux
trois rivieres. Le lendemain sa barque arriva de Tadoussac, qui
l'alla treuver.
52/1036 Le dernier dudit mois de Juillet, passa ledit de la Ralde, qui
s'en retournoit à Tadoussac, pour apprester son vaisseau, &
delà aller à Gaspey, voir si n'y avoit point de vaisseaux, qui
contrevinsent aux defences de sa Majesté.
Ledit de la Ralde arrive à Tadoussac, & eut quelques paroles
avec Hébert, que ledit sieur de Caen avoit laissé en sa place
pour commander à son vaisseau bien qu'arrivant ledit de la
Ralde, le commandement estoit à luy comme lieutenant dudit de
Caen, & l'autre estoit son enseigne, qui ne voulut cognoistre
ledit de la Ralde, & leur dispute vint sur le fait de la
religion, bien que tous deux catholiques: car quand ledit de
Caen qui estoit de la religion prétendue reformée, faisoit
faire les prieres sur le derriere en sa chambre, & les
catholiques sur le devant: & durant que ledit Hébert demeura au
vaisseau, les prieres s'y continuoient, comme quand son chef y
estoit: mais quand ledit de la Ralde y fut arrivé comme
lieutenant, & commandant audit vaisseau, il voulut que les
catholiques vinssent faire leurs prières en la chambre, & que
les prétendus reformez fussent en leur rang, sur le devant pour
prier, Hébert s'y opposa, disant, que son capitaine ne
l'entendoit, & ne luy en avoit donné Charge, ledit de la Ralde
dit, quand le chef y est, il fait comme il l'entend, Mais quand
j'y suis en son absence, je fais comme il me semble, & sur ce
sujet il s'esmeut une grande dispute, qui s'appaisa par le
moyen de quelques peres Recolets, comme d'autres personnes qui
s'y treuverent. Hébert eut le tort de ceste dispute, & n'avoit
pas de raison.
53/1037 Ledit sieur de Caen arriva des trois rivieres, le 19 d'Aoust, &
le mercredy 24, je fis lire & publier les articles de messieurs
les Associez, arrestez par le Roy en son Conseil.
Le Jeudy 25, ledit de Caen partit de Québec pour aller à
Tadoussac, & je fus avec luy jusques à son departement qui fut
le 5e jour de Septembre 1622.
Ledit du Pont fut laissée à l'habitation, pour principal commis
de Messieurs les Associez, & hyvernasmes ensemble.
En cet hyvernement estoient, tant hommes que femmes, & enfans
cinquante personnes.
Ledit de Caen estant party, nous eschouasmes quelque chalouppe,
& sur le soir, qui fut le 6, levasmes les ancres pour aller à
Québec, où fusmes contrariez de si mauvais temps, que nous nous
pensasmes perdre au port aux saumons sur nos ancres, ne pouvant
appareiller: mais le vent venant à s'appaiser au 13 dudit mois,
nous nous mismes sous voilles, & arrivasmes à Québec le 20. Le
lendemain nous eschouasmes nostre barque, & fismes descharger
le reste des commoditez, & aussi tost que tout fut deschargé,
Desdame fut despesché avec ne chalouppe luy septiesme, pour
aller à Tadoussac mener des matelots, & ramener une barque que
l'on avoit laissée avec quelques cinq hommes, pour la garder,
attendant que l'on y fust pour la ramener, d'autant qu'il n'y
avoit point de matelots, pour esquipper les deux barques.
Le 10 d'Octobre arriva la barque de Tadoussac, qui nous dit
qu'un vaisseau de 50 à 60 tonneaux, estoit arrivé à Tadoussac
54/1038 pour faire pesche de baleine, laquelle il n'avoit peu faire à
la grande Baye, ny en autre port, & qu'il avoit esté mis hors,
à ce qu'ils dirent, par monsieur de Grandmont, comme ils firent
paroistre par leur commission qu'ils montrèrent au Baillif ayde
de sous commis, qui estoit resté audit Tadoussac: il estoit
armé de quatre pièces de canon de fonte verte, d'environ de
sept à huict cens pesant chacune, deux breteuils, & le vaisseau
bien armé avec vingt quatre hommes, un bon pont de corde bien
pouessé, tout à l'espreuve du mousquet, ayant à la valeur de
six à sept cens escus de marchandises, pour traitter, au reste
tres-mal amunitionnez de vivres, qui les contraignit de prendre
du Bailly deux barils de pois, demy baril de lard, qu'ils
payèrent en chaudière de cuivre rouge, celuy qui y commandoit
s'appelloit Guerard basque, qui s'estoit associé avec un
Flamant, pour ce qui touchoit la marchandise de traitte.
Ledit Guerard escrivit un mot de lettre audit du du Pont, par
laquelle il luy demandoit des castors, pour la moictié moins
que l'on traittoit, pour les marchandises qu'il avoit, luy en
envoyant le memoire. Voila ce que nous apprismes. De plus ils
dirent qu'il venoit un vaisseau espagnol audit Tadoussac de
deux cens tonneaux, pour faire sa pesche de balaine, & dit que
durant que les vaisseaux estoient à Tadoussac, qui estoit[537]
à l'Isle verte, & avoit veu partir ledit vaisseau de la Ralde
55/1039 de Tadoussac, & que presque toutes les nuicts il venoit avec
une chalouppe au port, & oyoit la plus part des discours qui se
disoyent au vaisseau dudit sieur de Caen, jusques à son départ.
[Note 537: Qu'il estoit.]
De pouvoir y remédier il estoit impossible, pour n'avoir des
matelots ny des hommes de main, affin de s'en servir en telles
affaires, car il eut fallu au moins huict matelots d'ordinaire
en l'habitation, & quelques dix ou douze quand il est question
d'aller attaquer un ennemy, avec une vingtaine d'hommes, qui
sceussent ce que c'est d'aller à la guerre, c'est ce qui ne se
voit point à Québec, l'on pense estre trop fort, & que personne
ne seroit[538] entreprendre en ces lieux, mais la meffiance est
la mère de seureté, c'est pourquoy suivant les advis que
souvent je donnois, l'on devoit remédier à la conservation du
pays, & à l'asseurance des hommes qui y demeurent, qui estoit
d'achever le fort ja commence, & y avoir de bonnes armes &
munitions, & garnison suffisante qui s'y entretiendroit pour
peu de chose, autrement rien ne se peut maintenir que par la
force.
[Note 538: Lisez _n'oseroit._]
L'on employa les ouvriers aux choses les plus necessaires de
l'habitation. Ledit du Pont tomba malade de la goute le 27 de
Septembre, jusques au 21 d'Octobre, & l'incommodité qu'il en
sentoit, fit que pendant l'hyver il ne sortit point de
l'habitation, pour son indisposition.
Je passay le temps à faire accommoder des jardins, pour y semer
en l'Automne, & voir ce qui en reussiroit au printemps, ce que
je fis y prenant un singulier plaisir, cette occupation
n'estoit point inutille pour la commodité qu'en recevoit toute
56/1040 l'habitation, à quoy personne n'avoit fait d'espreuve, car la
plus part des hommes voudroient bien cueillir, mais rien semer,
ce qui ne se peut, car l'on ne sçauroit dire en ces lieux
combien on reçoit d'utilité des jardinages: un peu de soing &
vigilance sert beaucoup à un homme de commandement, car s'il
n'a de l'affection qu'à de certaine chose, malaisément peut il
avoir beaucoup de commoditez sans main mettre, ou commander de
ce faire, nos peres y estoient assez vigilans n'ayant autre
soing que de prier Dieu & jardiner.
L'un de nos peres appellé le père Irenée[539], se resolut le 13
Décembre d'aller hyverner avec les sauvages, pour apprendre
leur langue, & profiter quelque chose s'il pouvoit pour l'amour
de Dieu: mais le 22 dudit mois, il retourna à son habitation,
pour ne se pouvoir accommoder à la vie de ces peuples[540]:
Ledit père y retourna pour la seconde fois[541], mais ne
pouvant supporter la fatique, il s'en revint, & le père Joseph
plus robuste & accoustumé à ceste vie, se délibera d'y aller
passer trois mois de temps, qui estoit en bon temps, d'autant
que la chasse de l'eslan se faisoit en quantité, où l'on ne
57/1041 mange que de la viande, bien que ce ne soit qu'à cinq ou six
lieues de nostre habitation, & partit le mesme jour qu'arriva
ledit père Irenée qui fut le 17 de Janvier 1623.
[Note 539: Le P. Irénée Piat.]
[Note 540: La cause de son retour, suivant Sagard, fut un peu
différente. Le frère du sauvage qui s'était chargé du Père étant tombé
malade, le pilotois décida que, «le mal ayant esté donné par un sauvage
fort esloigné de là, on l'enverroit tuer par l'un des frères du
malade... Le P. Irénée, estonné d'un si meschant conseil, & que sa
presence ny ses remonstrances ne pouvoient en rien modérer ny divertir
ces mauvais desseins (comme nouveau Apostre parmy un peuple gentil) il
quitta là tout & s'en retourna au Convent pour y cathéchiser les
François...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 99.)]
[Note 541: Quoique le P. Irénée eût, sans aucun doute, l'intention de se
former et s'habituer aux fatigues des missions, il paraîtrait, d'après
Sagard, que ce second voyage n'était pas précisément une mission. Il
allait avec le Frère Charles, à quelques lieues de Québec, chercher un
élan, dont les sauvages avaient fait présent aux missionnaires. (Sagard,
Hist. du Canada, p. 101 et suiv.)]
Le 23 de Mars ledit du Pont retomba malade de ses gouttes ou il
fut très-mal avec de si grandes douleurs, que l'on n'osoit
presque le toucher, quelque remède que le Chirurgien luy peust
apporter, & fut ainsi tourmenté jusques au septiesme de May
qu'il sortit de sa chambre.
Le 19 de Mars il fit un temps fort violent accompagné de vens,
tonnerre, gresle & esclairs, bien qu'en ce temps l'air est
encore froid, & le pays remply de neiges & glaces.
Le 19 d'Avril l'on commença à accommoder une barque, pour aller
à Tadoussac, ce qu'estant achevée le premier de May, elle
partit avec Desdames sous-commis & hommes, & ledit du Pont n'y
peust aller pour son indisposition. Le 16 d'Avril il y avoit un
pied de neige en quelques endroits. Je semé toutes sortes de
grains le 20 dudit mois derrière l'habitation, où les neges
estoient plustost fondues qu'ailleurs, pour estre au midy & à
l'abry du vent de Nortouest, qui est fort dangereux.
Le lundy 8 de May, nos ouvriers allant coupper du bois pour
scier, le mal-heur en voulut à un jeune homme nommé Jean le
Cocq, qu'une bûche roulant d'un lieu à autre passa par dessus
luy, qui luy rompit le col, & luy escrasa la teste, & ainsi
mourut pauvrement.
Le 10 dudit mois, le père Irenée se resolut d'aller à
Tadoussac, pour essayer de faire quelque fruict aux sauvages de
58/1042 par delà, cela m'estonnoit, voyant qu'il avoit assez à faire, &
de quoy s'employer par deçà, à ce que je luy remonstré: mais ne
le pouvant dissuader de ce voyage, il s'embarqua dans une
chalouppe avec des sauvages qui le devoient mener: mais estant
à Tadoussac il changea de resolution[542], & s'en revint à
Québec le 22 dudit mois, & son entreprise fut rompue, & ne pût
demeurer à Tadoussac avec nos gens, pour n'estre accommodé
comme il eust desiré.
[Note 542: «Les Sauvages du Père, dit Sagard, ayant esté abouchez par un
autre plus grand nombre qui estoient là attendans d'autres de leurs amis
pour aller à la guerre, ils furent persuadez d'estre de la partie, & de
renvoyer ledit Père dans son Convent, jusques à un autre temps, qu'ils
le reprendroient pour son dessein, tellement qu'il fallut qu'il s'en
retournast dans un canot de Montagnais sans pouvoir passer plus outre,
marry que son voyage ne luy avoit mieux succedé.» (Hist. du Canada, p.
109.)]
Voyant que jusques au 14 de juin l'on n'avoit point nouvelle
des vaisseaux, & craignant que quelque accident ne fut arrivé,
l'on délibéra d'envoyer une chalouppe à Tadoussac, ce qui fut
fait avec cinq hommes, & Olivier[543] Truchement pour faire
revenir la barque si les vaisseaux n'estoient arrivez, pour
retourner & aller à Gaspey, recouvrir des vivres pour ceux qui
resteroient à l'habitation, & rapasser dans les vaisseaux
pescheurs, partie des gens les moins utiles. En ce temps je fis
paver la cour de l'habitation, avec quelques réparations au
logis.
[Note 543: Olivier le Tardif, qui devint plus tard commis de la
Compagnie générale des Cent-Associés, et seigneur en partie de la côte
de Beaupré.]
Le Vendredy 16 arriva une chalouppe avec la nostre, où estoit
un matelot appellé Jean Paul[544] qui nous dit l'arrivée du
sieur Deschesnes à Tadoussac, dans une barque, & avoit laissé
son vaisseau à Gaspey, pour taire pesche de poissons.
[Note 544: Peut-être Jean-Paul Godefroy.]
59/1043 Le 28 arriva Desdames avec la Realle, & deux Religieux, l'un
apellé le père Nicolas[545], & l'autre 1623. le frère
Gabriel[546], qui nous dirent que ledit sieur de Caen, n'estoit
point encore arrivé, qui nous mettoit en peine.
[Note 545: «Le P. Nicolas Viel, qui faisoit de grandes instances depuis
trois ans» pour venir en Canada, «en reçut à Montargis la permission.»
(Le Clercq, Premier Etabliss. de la Foy, I, 246.)]
[Note 546: Gabriel Sagard, Théodat. Voici comme il raconte lui-même son
arrivée. «Pendant que j'admirois» ce saut (de Montmorency), «un doux
zephir enflant favorablement nos voiles, nous portoit à Kebec, où nous
arrivames la veille de S Pierre S. Paul, sur les cinq heures du soir en
très-bonne santé & assez bien mouillez d'une pluye qui nous tomboit du
Ciel, de quoy nous louâmes Dieu, & prîmes port au lieu accoustumé. Ayans
posé l'anchre, & mis ordre à ce qui nous concernoit, nous descendismes à
terre, saluames les Chefs de l'habitation, qui nous estoient venu
recevoir au Port & nous entrames dans la Chapelle, où nous rendîmes
actions de grâce à nostre Seigneur de sa divine assistance; & en suitte
poussez d'un desir extrême de voir nos Frères dans leur petit Convent,
nous pensames prendre congé du sieur de Champlain pour nous y rendre au
plustost, mais sa charité, outre les pluyes continuelles & l'obscurité
du temps nous en empescherent, & nous retint à coucher jusques au
lendemain matin, que nous y fusmes conduits par un des Matelots de
l'habitation.» (Hist. du Canada, p. 159, l60.)]
Le 2 de Juillet, arriva un Canau où estoit Estienne Bruslé
truchement, avec Desmarests, qui nous apporta nouvelle qu'il
estoit arrivé, il n'arresta à Québec qu'une nuict partant plus
outre, pour advertir les sauvages, & aller au devant d'eux pour
les haster de venir.
Le 4 dudit mois arriva Loquin commis, dans une barque pour
aller en traitte, qui estoit à ce voyage lieutenant dudit sieur
de Caen en son vaisseau, où montant haut, fit rencontre dudit
du Pont, qui avoit esté avec une chalouppe à la riviere des
Yrocois, pour persuader les sauvages de descendre à Québec, ce
qu'il asseura audit Loquin, qui fit qu'ils rebrousserent chemin
& s'en revindrent audit Québec sur ceste esperance, que
véritablement ce seroit une bonne chose s'ils pouvoient
descendre à ladite habitation, que cela releveroit de grandes
60/1044 peines & risques que l'on court. En ce temps un sauvage appellé
la Foyriere[547], donna advis que la plus grande partie des
sauvages avoient deliberé de nous surprendre, en mesme temps
tant à Tadoussac qu'à Québec, & assommer tout, à la
sollicitation du meurtrier, auquel advis l'on donna tel ordre,
que depuis ledit meurtrier a desnié fort & ferme qu'il n'eust
voulu faire ce mal, disant que l'autre estoit un imposteur.
Lesdits Deschesnes & Loquin voyant que les sauvages ne venoient
point comme ils avoient promis audit du Pont, partirent avec
deux barques le 9 de juillet, pour aller à mont ledit fleuve, &
rencontrèrent seize canaux proche de Québec, qui les fit
retourner pour traitter ce qu'ils avoient, pour puis après
suivre leur première délibération.
[Note 547: Ou la Forière, suivant Sagard.]
Le 13 dudit mois arriva ledit sieur de Caen avec deux barques,
où je le receus au mieux qu'il me fut possible, estant arrivé
il se délibéra d'envoyer une barque, pour essayer d'amener
lesdits sauvages s'ils les rencontroient, & ledit Deschesnes
partit pour cet effect.
Le 16 dudit mois, ledit de Caen ne tarda gueres qu'il ne suivit
ledit Deschesnes, je m'embarquay en la barque qu'il me donna, &
s'en vint en une autre: nous fismes voille avec quatre barques,
chargées de marchandises pour la traitte.
61/1045 _Arrivée de l'Autheur devant la riviere des Yrocois. Advis du
Pilote Doublet au sieur de Caen, de quelques Basques retirez en
l'isle S. Jean. Plainte des Sauvages accordées. Le meurtrier
est pardonné. Ceremonies observées en recevant le pardon du Roy
de France. Accord entre ces nations sauvages & les François.
Retour du sieur du Pont en France. L'Autheur fait faire de
Nouveaux édifices._
CHAPITRE VIII.
LE 23 dudit mois, nous fusmes devant la riviere des Yrocois, où
treuvasmes ledit Deschesnes, qui dit avoir eu nouvelle qu'il
devoit arriver quelques trois cens Hurons, où Estienne Bruslé
les avoit rencontrez, au sault de la chaudière, 75 lieues de
ladite riviere des Yrocois.
Cedit jour, arriverent quelques 60 Canaux de Hurons, &
Algommequins qui r'amenerent du Vernay, & autres hommes qu'on
leur avoit donné pour hyverner en leur païs, afin de tousjours
les tenir en amitié, & les obliger à venir.
Ce jour là mesmes arriva le pilote Doublet, luy sixiesme, dans
une double chalouppe, qui venoit de l'Isle S. Jean & Miscou, où
estoit le sieur de la Ralde en pescherie, qui donnoit advis au
sieur de Caen, que des Basques s'estoient retirez à ladite isle
S. Jean, pour se mettre en deffence si on les alloit attaquer,
ne voulant subir aux commissions de sa Majesté; & qu'ils
s'estoient saisis d'un moyen vaisseau où estoit un nommé
62/1046 Guers[548], qui l'année d'auparavant estoit venu à Tadoussac
comme j'ay dit cy dessus: il se contenta de luy prendre ses
marchandises de traitte, le laissant aller avec ses munitions,
& canons de fonte verte: il meritoit qu'on luy fit ressentir le
chastiment que doivent recevoir ceux qui contreviennent aux
ordonnances & decrets de sa Majesté, il treuva de la courtoisie
à son advantage, ce qu'il n'eut fait en beaucoup de personnes,
qui l'eussent traitte avec plus de severité. Le pilote fit avec
ceste chalouppe le long des costes & fleuve sainct Laurent,
prés de deux cens lieues: il dit que ces Basques avoient donné
de mauvaises impressions de nous aux sauvages de ces costes,
disant, que s'ils nous treuvoient à leur advantage, ils nous
feroient un mauvais party, & de fait il eut couru ceste fortune
sans un pere Recollet, qui estoit parmy ces sauvages il y avoit
deux ans, lequel escrivit une lettre à nos peres, de l'estat
auquel il estoit parmy ces peuples, qui l'affectionnoient fort,
& esperoit y faire quelque fruict moyennant la grâce de Dieu,
estant fort advancé au langage du païs.
[Note 548: Vraisemblablement Guerar ou Guerard. (Voir ci-dessus, p.
54.)]
Le 17 dudit mois arriverent des sauvages, qui firent une
assemblée entr'eux, où ils formèrent quelques plaintes des uns
& des autres, touchant les passages qui n'estoient pas libres
aux Hurons, que les Algommequins les traittoyent mal, leur
faisant contribuer de leurs marchandises, & ne se contentant
pas de ce, les déroboient, qui leur donnoit encore suject d'un
grand mescontentement: on les on les accorda sur toutes ces
plaintes, ils firent des presens de quelques castors qui leurs
furent payés plus qu'ils ne valoient.
63/1047 Le 30 fut célébré la saincte Messe[549]. Ce jour mesme l'on fit
un pourparler, pour l'accord du meurtrier, auquel je ne pouvois
entendre, pour la perfidie qu'il avoit commise, en l'assassinat
de nos hommes, neantmoins plusieurs considerations, & les
raisons dudit sieur de Caen, qui me dit que sa Majesté & mondit
seigneur luy remettoient la faute, qui m'y firent condescendre,
à la charge que l'affaire feroit une satisfaction devant toutes
les nations, confessant que malicieusement, perfidement &
meschamment, il avoit tué nos compagnons, méritant la mort si
on ne luy faisoit grâce, ce qui fut accordé.
[Note 549: Le 30 juillet était un dimanche.]
Le lendemain fut délibéré de faire quelques presens à toutes
les nations, pour les obliger à nous aymer, & traitter bien les
François qui alloient en leur païs, pour les conserver contre
leurs ennemis, & ainsi leur donner courage de revenir avec plus
d'affection.
Cet accord ne se pouvoit faire que devant toutes les nations
afin qu'elles recogneussent quelle est nostre bonté, au respect
de leurs cruautez, & afin que le meurtrier en receut plus de
honte, l'obligeant après le pardon d'estre autant affectionné à
nous aymer, comme il avoit esté nostre ennemy mortel: il nous
fallut user de quelque cérémonie, car il faut user de
demonstrations parmy ces peuples, avec les discours: la
cérémonie fut telle qui s'ensuit.
Le dernier de Juillet, tous trouverent bon de suivre la volonté
64/1048 de sa Majesté, de pardonner au meurtrier qui avoit tousjours
esté en crédit, & fait capitaine par les sauvages pour avoir
tué nos hommes, ledit meurtrier se devoit mettre au milieu de
toutes les nations assemblées en ce lieu, & celuy qui s'avoit
assisté en ce meurtre, & luy faire un discours devant tout le
peuple, du bien qu'il avoit receu des François, qu'il avoit
très-mal recognu, comme meschamment & traistreusement il avoit
assassiné nos hommes depourveus d'armes, sous ombre d'amitié,
qu'on n'eust jamais peu penser ny aucun de nostre habitation,
qu'il eust eu le coeur si desloyal & perfide comme il l'avoit
monstré, que ce pendant le chef qui pour lors estoit à
l'habitation, & autres du depuis n'avoient voulu user du
pouvoir & droict que la justice leur donnoit de le faire
mourir, comme il le meritoit.
Ce pendant, l'affection que nous avions porté à ceux de sa
nation, & comme estant allié des principaux, nous avoit
empesché de le faire mourir, nous estans contentez de le
chasser de nostre habitation, pour ne le voir, ny raffraichir
la mémoire de nos hommes massacrez. Et voyant qu'il avoit
recogneu sa faute, s'estant mis en devoir de recevoir le
chastiment qu'il meritoit, qu'on luy pardonnoit, par la volonté
de nostre Roy, qui luy donnoit la vie, & à la requeste de tous
les peuples: A la charge de jamais ne retourner, ny tomber en
cette faute, ny aucuns de sa nation; estans personnes qui ne
nous contentions de presens, pour payement de la mort de nos
hommes, comme ils faisoient entr'eux: & que s'il arrivoit à
l'advenir qu'ils commissent telles perfidies & trahisons, on
65/1049 feroit punir de mort les autheurs du mal; les tenans pour nos
ennemis: & tous ceux qui voudroient empescher: & plusieurs
autres discours sur ce sujet; & quelques autres cérémonies qui
furent faictes. Cela achevé, le meurtrier se leva, & son
compagnon, me venant demander pardon, avec promesse à
l'advenir, de se comporter si fidellement avec les François,
qu'il n'auroit autre volonté que reparer ceste faute par
quelques bons services: & ainsi furent libérez[550].
[Note 550: Quelques exemplaires portent «délibérez.»--Sagard nous a
conservé, sur cette affaire, quelques détails de plus. «Les meurtriers
ayans esté grandement blasmez, furent en fin pardonnez à la prière de
ceux de leur nation, qui promirent un amendement pour l'advenir,
moyennant quoy le sieur Guillaume de Caen général de la flotte, affilié
du sieur de Champlain, & des Capitaines de Navires, prit une espée nue
qu'il fit jetter au milieu du grand fleuve sainct Laurens en la presence
de nous tous, pour asseurance aux meurtriers Canadiens, que leur faute
leur estoit entièrement pardonnée, & ensevelie dans l'oubly, en la mesme
sorte que cette espée estoit perdue & ensevelie au fond des eaues, & par
ainsi qu'ils n'en parleroient plus. Mais nos Hurons qui sçavent bien
dissimuler, & qui tenoient bonne mine en cette action, estans de retour
dans leur pays, tournèrent toute cette cérémonie en risée, & s'en
mocquerent disans que toute la cholere des François avoit esté noyée en
céte espée, & que pour tuer un François on en seroit doresnavant quite
pour une douzaine de castors, en quoy ils se trompoient bien fort, car
ailleurs on ne pardonne pas si facilement, & eux-mesme y seront quelque
jour trompez s'ils sont des mauvais, & que nous soyons les plus forts.»
(Hist. du Canada, p. 236, 237.)]
Mais quoy que s'en toit, ces peuples qui n'ont aucune
consideration, si c'est par charité ou autrement; ils croyent
que le pardon a esté faict faute de courage, & pour n'avoir osé
entreprendre de le faire mourir, bien qu'il le meritoit, & cela
nous mettoit en assez mauvaise estime parmy eux, de n'en avoir
point eu de resentiment.
Toutes ces nations tres-aises & satisfaits, ils nous
remercièrent, nous louans de ce que nous n'avions tesmoigné un
mauvais coeur, & accordèrent de mener onze François pour la
defence de leurs villages, contre leurs ennemis, dont il en
demeureroit huict en leurs villages, & trois qui reviendroient
66/1050 avec eux au printemps en traitte. Ils emmenèrent trois peres
Recolets, sçavoir les pères Nicolas, Joseph, & frère Gabriel
[551], pour voir s'ils pourroyent profiter au païs, pour la
gloire de Dieu, & apprendre François langue. Deux autres
François furent donnez aux Algommequins, pour les maintenir en
amitié, & inciter à venir en traitte: Il leur fut fait un grand
festin selon leur coustume, qui fit l'accomplissement de la
feste, & par ainsi s'en allèrent grandement contans.
[Note 551: Frère Gabriel (et probablement aussi les PP. Nicolas et
Joseph) était arrivé «au port du Cap de la Victoire, le jour de la
saincte Magdelene,» c'est-à-dire, le 22 juillet, «environ les six à sept
heures du soir.» (Hist. du Canada, p. 174.)]
Le 2 d'Aoust s'embarquèrent tous nos François avec les sauvages
en leurs canaux, chacun avec son homme[552], & ce mesme jour
l'on rechargea toutes les marchandises qui restoient en terre,
se levent les ancres, nous mismes voilles, & le quatriesme jour
arrivasmes à Québec, où les barques estant toutes assemblées,
l'on fit visiter, & treuva on quantité de castors parmy les
matelots, que l'on fit serrer, attendant qu'ils fussent de
retour en France, pour les contenter, s'il se treuvoit par la
societé que cela fut raisonnable, ne leur estant permis de
traitter à leur prejudice, ce qui occasionna ceux des équipages
d'estre mal contens, comme ils le temoignerent.
[Note 552: «La traite estant faite, dit Sagard, & les Hurons prests à
partir, nous les abordâmes en la compagnie du sieur de Caen général de
la flotte, lequel nous fit accepter chacun pour un canot moyennant
quelque petit prêtent de haches, cousteaux, & canons ou petits tuiaux de
verre qu'on leur donna pour nostre despence. Toute la difficulté fut de
nous voir sans armes qu'ils eussent desiré en nous plustost que tout
autre chose, pour guerroyer leurs ennemis, mais comme les espées & les
mousquets n'estoient pas de nostre gibier, nous leur fismes dire par le]
Truchement que nos armes estoient spirituelles, avec lesquelles nous les
instruirions & conserverions à l'encontre de leurs ennemis moyennant la
grâce de Dieu, & que s'ils vouloient croire nos conseils, les Diables
mesmes ne leur pourroient plus nuire: Cette responce les contenta fort,
& nous eurent dans une très-haute estime, tenans à faveur de nous avoir
comme nous de les accompagner, & servir en une si belle occasion.»
(Hist. du Canada, p. 174, 175.)
67/1051 Le 8 dudit mois fut despesché ledit Deschesnes, avec six
barques, pour aller quérir les vivres pour l'habitation, & luy
de s'en aller à Gaspey en son vaisseau, pour faire faire
diligence de la pesche du poisson.
Ledit sieur de Caen & moy, fusmes au Cap de tourmente, pour
voir ce lieu, où estant arrivé & visité, fut trouve très
agréable, pour la scituation, & les prairies[553] qui
l'environnent estant un lieu propre pour la nourriture du
bestial.
[Note 553: Vraisemblablement, ces prairies naturelles étaient situées
entre le Petit-Cap et le cap Tourmente même. Elles sont, encore
aujourd'hui, à l'état de prairies naturelles; mais la richesse des
prairies artificielles qui les avoisinent, a presque fait oublier le
mérite de leurs aînées. Il faut dire aussi que, de mémoire d'homme,
elles ont diminué considérablement de profondeur, par la violence des
eaux, qui, tous les ans, y enlèvent quelque chose au rivage.]
Ayant veu particulièrement ce lieu, lequel s'il estoit mis en
l'estat, que l'industrie & l'artifice des hommes pourroit y
apporter, il seroit très-beau, car tout ce qui s'y peut
desirer, pour une belle rencontre s'y treuve: partant de ce
lieu, retournasmes à Québec le 17 dudit mois, où vismes toutes
les barques de retour, qui deschargeoient les commoditez de
ladite habitation, laquelle fut visitée par des Massons &
Charpentiers, pour voir si elle estoit en estat de subsister &
durer, il fut jugé que l'on auroit plustost fait d'en édifier
une nouvelle, que reparer annuellement la vieille, qui estoit
si caduque qu'elle attendoit l'heure de tomber, fors le magazin
de pierre à chaux & à sable, (comme dit est,) auquel je fis
faire une porte par dehors, qui alloit dans la cave, faisant
condamner une trappe qui estoit dans le magazin des
marchandises, par où on alloit souvent boire nos boissons, sans
aucune consideration.
68/1052 Ledit du Pont se resolut de s'en aller en France, à cause de
l'incommodité qu'il avoit, & ne pouvant avoir les choses
necessaires icy pour sa maladie, qui l'occasionna de partir
avec ledit sieur de Caen de Québec, le 23 d'Aoust avec trois
barques, pour s'en aller embarquer à Tadoussac, delà en France,
& passer à Gaspey, pour sçavoir nouvelle de ce qui s'estoit
passé durant son absence, pour le suject des Basques qui
estoient à l'isle de sainct Jean.
Le premier de Septembre, ledit pilote Doublet arriva avec une
chalouppe, & lettre dudit sieur de Caen, qui me prioit
d'envoier le plus promptement que je pourrois les ouvriers
restant pour retourner, ce qu'ils firent en deux chalouppes, le
trouvent à Gaspey, où il leur avoit donné le rendez-vous.
Recognoissant l'incommodité que nous avions eue par les années
passées, de faire le foin si tard pour le bestial, j'en fis
faire au Cap de tourmente deux milles bottes, dés le mois
d'Aoust, & les envoyay quérir avec une de nos barques.
Recognoissant la décadence, en quoy s'alloit réduire nostre
habitation, nous avions resolu d'en faire une nouvelle: pour le
plus abrégé je fis le plan d'un nouveau bastiment, abbatant
tout le vieux, fors le magazin, & en suitte d'iceluy faire les
autres corps de logis de dix-huict toyses, avec deux aisles de
dix toyses de chaque costé, & quatre petites tours aux quatre
69/1053 coings du logement[554], & un ravelin devant l'habitation,
commendant sur la riviere, entouré le tout de fossez &
pont-levis: & pour ce faire je jugé que premier que bastir il
falloit assembler les matériaux pour commencer à bastir au
printemps, je fis faire quantité de chaux, abbatre du bois,
tirer de la pierre, apprester tous les matériaux necessaires
pour la massonnerie, charpenterie, & le chauffage, qui
incommodoit grandement pour le divertissement des hommes, &
n'y en eut que dix-huict de travail à toutes ces choses, où
l'on fit assez de besongne pour si peu qu'il y avoit.
L'incommodité que l'on recevoit à monter la montagne, pour
aller au fort sainct Louis, me fit entreprendre d'y faire faire
un petit chemin[555] pour y monter avec facilité, ce qui fut
fait le 29. de Novembre, & sur la fin dudit mois la petite
riviere Sainct Charles fut presque prise de glace, & depuis le
mois de Novembre jusques à la fin dudit mois, le temps fut fort
variable, & se passa en journées assez froides, au matin avec
gelée, bien qu'il fist beau le reste du jour; se faisoit
70/1054 quelques fois de la pluye, & des neiges, qui par fois se
fondent à mesure qu'elles tombent: Ayant remarqué qu'il n'y a
point quinze tours de differens, d'une année à autre pour la
température de l'hyver, qui est depuis le 20 Novembre, jusques
en Avril, que les neiges se fondent, & May est le printemps:
quelques fois, les neiges sont plus grandes en une année qu'en
l'autre, qui sont de pied & demy, & trois & quatre pieds au
plus, au plat pays: car aux montaignes du costé du Nord, elles
sont de cinq à six pieds de haut.
[Note 554: Ce plan ne fut exécuté qu'en partie. Pendant l'absence de
Champlain les ouvriers, ou les conducteurs des travaux, simplifièrent
l'ouvrage, et ne firent que deux des tourelles projetées, comme on le
voit, tant par le texte même de l'auteur (voir un peu plus loin), que
par le plan et le dessin qui nous sont restés de ce second magasin. Ces
deux tourelles étaient sur la rue Notre-Dame, l'une à l'encoignure de la
rue Sous-le-Fort, l'autre quelques pieds en avant du portail de l'église
actuelle de la basse ville.]
[Note 555: Ce petit chemin, que Champlain fit faire à la fin de novembre
1623, pour monter au fort avec facilité, est, sans aucun doute,
l'origine du pied de la côte actuelle qui conduit de la basse à la haute
ville. Car d'abord il ne peut être question, ici, du haut de la montée,
c'est-à-dire, de la partie voisine du fort, puisque la pente du terrain
y est comparativement douce. En second lieu, des trois montées qui ont
existé simultanément, le chemin actuel des voitures est sans contredit
le moins raide et le plus facile. Tout le monde sait que la Petite-Rue
Champlain a toujours été si difficile à gravir, que depuis longtemps on
s'est vu obligé d'y pratiquer un escalier; le chemin qui descendait
naguères du coude de la rue de la Montagne droit au magasin, et qui,
selon toutes les apparences, a été le chemin primitif, n'a jamais pu
être que fort escarpé. D'ailleurs ces montées dataient toutes les trois
des premiers temps de la colonie, et l'on ne voit pas qu'aucun des
successeurs de Champlain ait fait autre chose que de les réparer ou les
améliorer. On peut donc conclure que le chemin _facile_, dont parle ici
Champlain, est la partie inférieure de la rue de la Montagne.]
Aussi nous avions une autre incommodité, tant pour les hommes,
que pour le bestial, le long de la riviere S. Charles, à une
sapiniere qui estoit bruslée, & tous les bois renversez, qui
rendoient le chemin difficile, de sorte que l'on n'y pouvoit
passer, qui fit que je me fis faire un chemin où j'emploiay un
chacun, qui travaillerent si bien, qu'il fut promptement faict.
Le 10 de Décembre, la grande riviere fut chargée d'un grand
nombre de glaces, de sorte qu'elle charioit, & le bordage pris,
ne pouvoit plus permettre de naviger.
Je fis traîner le bois pour le fort sur les neges, comme le
temps plus propre le permettoit: les sauvages nous donnèrent un
peu d'eslan qui nous fit grand bien, d'autant qu'en hyver l'on
a aucun rafreschissement, n'ayant que les commoditez qui
viennent de France, pour n'y en avoir au païs à suffisance, ce
qu'avec le temps, l'on pourra estre relevé de ceste peine, par
le soing que l'on prendra à la nourriture du bestial, duquel il
71/1055 y avoit bon commencement, car le défaut de ces choses, est
grandement prejudiciable à la santé de plusieurs, &
principallement de ceux qui seroient malades ou blessez, qui
n'ont que salures, & les farines.
Le 18 d'Avril[556], je fis employer tout le bois qui avoit esté
faict pour le fort, afin de le pouvoir mettre en deffence,
autant qu'il me seroit possible. Je fis faire quelques
réparations à l'habitation qui estoit en décadence, attendant
que l'on en eust faict une nouvelle.
[Note 556: 1624.]
En ce temps, est la saison de la chasse du gibier, qui est en
grand nombre jusques à la fin de May, qu'ils se retirent pour
faire leurs petits, & ne reviennent qu'au quinziesme de
Septembre qui dure jusques à ce que les glaces se forment le
long des rivages, qui est environ le 20 de Novembre.
Le 20 il fit un grand coup de vent, qui enleva la couverture du
bastiment du fort sainct Louis, plus de trente pas par dessus
le rempart, par ce qu'elle estoit trop haulte eslevée, & le
pignon de la maison de Hébert, qui estoit de pierre, que je luy
fis rebastir: ce petit inconvenient apporta un peu de
retardement aux autres affaires, car il falut remettre la
maison en estat, de laquelle je fis raser le second estage, &
la rendis logeable au mieux qu'il me fut possible, attendant
l'occasion plus commode pour la mieux édifier.
Sur la fin du mois arriva un sauvage appellé des François,
Simon; il luy parut avoir quelque fantaisie, à quoy ils sont
ordinairement sujets, & principalement lors que contre la
72/1056 volonté de tous les capitaines & compagnons, ils veulent faire
la guerre à leurs ennemis les Yrocois, avec lesquels ils
estoient en pourparler de paix, il y avoit trois ou quatre
jours: & de ce les sauvages m'en donnèrent advis, & me prièrent
de faire en sorte de l'en empescher, & leur oster la frenesie
qu'avoit cestuy cy: je l'envoyay quérir & luy demandé le suject
pourquoy il faisoit cela, luy remonstrant le prejudice qui en
pourroit arriver à tous ceux de sa nation, & l'advantage que
les ennemis prendroient, du peu d'estat qu'ils faisoient de
l'auctorité de leur chef, estans ainsi que des enfans sujects
au changement, & n'ayant aucune parole arrestée, & se
demonstrant sans foy ny loyauté: De plus que tous les François,
ne seroient jamais contens de cette forme de procédé, & que
ceste guerre durant un traitté de paix sans suject, estoit
meschante & pernicieuse, procédante plustost d'un meschant, &
d'un homme lasche & sans courage, d'autant que je sçavois fort
bien que le but de ceste guerre n'estoit que d'aller surprendre
quelques hommes, ou femmes à l'escart, & les trouvant
incapables de se défendre, les assommer sans defence: à tout
cela il me fit une courte responce, qui estoit qu'il sçavoit
bien qu'ils ne valloient rien, & qu'ils estoient pires que
chiens, & s'estoit ainsi imaginé, qu'il ne seroit jamais
content qu'il n'eust eu la teste d'un de leurs ennemis, en
sorte qu'il estoit resolu, luy quatriesme d'y aller. Comme je
le vis obstiné, & que nulle remonstrance ne le pouvoit
esmouvoir, je luy usay de quelque menaces s'il le faisoit: &
ainsi s'en alla tout pensif, à sa cabane.
73/1057 Deux ou trois jours après les Chefs me vindrent trouver, pour
me dire qu'ils estoient bien ayses de ce que j'avois parlé à
luy, qu'il avoit changé de resolution de ne point y aller, me
disant que je leur fissent donner quelques choses pour
festiner, comme est leur coustume, quand il est question de
faire quelque accord, ou autres choses semblables.
Je leurs fis donner un peu de pois, & s'en allèrent ainsi
joyeusement, pensant que ce sauvage oublieroit ce qu'il avoit
projetté[557]. Ce pendant deux Charpentiers travailloient à
accommoder les barques & chalouppes, & deux autres à faire les
fenestres, portes, poutres, & autres choses de charpenterie,
pour le nouveau bastiment; & quelques mil cinq cens planches
que j'avois fait scier pour couvrir le logis, & trente cinq
poutres qui estoient toutes prestes, avec la pluspart du bois
de charpenterie assemblé pour la couverture. Le premier de May,
je fis creuser la terre pour faire les fondemens du bastiment,
qui avoit esté resolu de faire. J'employay trois hommes à aller
quérir du sable avec la chalouppe, pour le bastiment; les
massons à faire du mortier, attendant que quatre autres
ostoient la terre pour les fondements, & le reste à approcher
la pierre pour bastir: je fis tirer les allignemens pour
commencer à bastir un corps de logis.
[Note 557: Voir, quelques pages plus loin, la perfidie de ce Simon.]
Le 6 de May, l'on commença à maçonner les fondements, sous
74/1058 lesquels je mis une pierre[558], où estoient gravez les armes
du Roy, & celles de Monseigneur; avec la datte du temps, & mon
nom escrit, comme Lieutenant de mondit Seigneur, au païs de la
Nouvelle France, qui estoit une curiosité qui me sembla n'estre
nullement hors de propos, pour un jour à l'advenir, si le temps
y eschet, monstrer la possession que le Roy en a prise, comme
je l'ay fait en quelques endroits, dans les terres que j'ay
découvertes.
[Note 558: «Cette pierre, retrouvée dans une des fouilles faites sur
l'emplacement du vieux magasin, avait été placée au-dessus de la porte
d'entrée d'une maison qui touchait à la chapelle de la basse ville. Un
incendie détruisit cette maison en 1854, et l'inscription a disparu.»
(M. Ferland, Cours d'Histoire du Canada, I, 213, note 1.)]
Le 8 du dit mois, les cerisiers commencèrent à espanouir leurs
boutons, pour pousser leur feuilles dehors.
En ce temps mesme, sortoient de la terre de petites fleurs, de
gris de lin, & blanche, qui sont des primes veres du Printemps,
de ces lieux là.
Le 9 les framboises commencèrent à boutonner, & toutes les
herbes à pousser hors de la terre.
Le 10 ou 11 le sureau monstra ses feuilles.
Le 12 il y a des violettes blanches, qui se firent voir en
fleur.
Le 15 les arbres furent boutonnez, & les cerisiers revestus de
fueillages & le froment monté à un ampan de hauteur.
Les framboisiers jetterent leurs feuilles: le cerfeuil estoit
bon là à coupper: dans les bois, l'oseille s'y void à deux
pouces de hauteur.
Le 18 les bouleaux jettent leurs feuilles: les autres arbres
les suivent de prés: le chesne a ses boutons formez; & les
pommiers de France que l'on y avoit transplantez, comme aussi
les pruniers boutonnoient, les cerisiers y ont la feuille assez
grande, la vigne boutonnoit & fleurissoit, l'oseille estoit
bonne à couper.
75/1059 Le cerfeuil des bois paroissoit fort grand, les violettes
blanches & jaunes estoient en fleur: le bled d'Inde se seme, le
bled froment croissoit un peu plus d'un ampan de hauteur.
La pluspart de toutes les plantes, & simples, estoient sortis
de terre: il y avoit des journées en ce mois, où il faisoit
grande chaleur.
Le 21. de May, je despechay un canau à Tadoussac avec trois
hommes, pour attendre le sieur de Caen, avec lettres que je luy
escrivois, & une autre au premier vaisseau de sa flotte.
Le 29 dudit mois, les fraises commencèrent à fleurir, & les
chesnes à jetter leurs feuilles assez grandes en esté.
Le 30 les fraises furent toutes en fleur, les pommiers
commencèrent à espanouir leurs boutons, pour jetter leurs
feuilles: les chesnes avoient leurs feuilles d'environ un pouce
de long, les pruniers & cerisiers en fleur, & le bled d'Inde
commençoit à lever.
Durant ce temps je fis assoir quelques poutres sur le premier
estage de la nouvelle habitation, & poser quelques fenestres &
portes à icelle.
Le premier du mois de Juin arriva un canau de Tadoussac, qui
nous dit qu'aux environs du Bicq, il y avoit un vaisseau
Rochelois, qui traittoit les sauvages, que dans ce vaisseau
estoit un puissant homme qui y commandoit, estant tousjours
masqué, & armé, & les sauvages ne sçavoient comme il
s'appelloit, ny moins le cognoissoient ils pour ne l'avoir veu;
& ma créance fut telle, que quand ils l'eussent cogneu, ils ne
76/1060 nous l'eussent voulu dire, tant il nous portent d'affection.
L'on empesche les autres vaisseaux de venir traitter avec eux,
encore que l'on leurs fit le meilleur traittement qu'il fut
possible, & ainsi sommes nous aymez d'eux, en recompence du
bien que nous leurs faisons.
Le meilleur remède que j'ay recognu pour jouir plus facilement
d'eux, c'est de n'en faire estat que par occasion, & peu après
leur remonstrer hardiment leurs desfauts, & ne se soucier de
mille sortes d'insolences qu'ils font le plus souvent: car
comme ils voient que l'on en fait point d'estat[559], cela les
rend plus audacieux à médire & mal faire, ayant moy-mesme
expérimenté plusieurs fois, que lors que j'en faisois moins
d'estime c'estoit à lors qu'ils me recherchoient le plus
d'amitié, & diray plus que l'on n'a point d'ennemis plus grands
que ces sauvages, car ils disent que quand ils auroient tué des
nostres, qu'ils ne laisseroient de venir d'autres vaisseaux qui
en seroient bien aises, & qu'ils seroient beaucoup mieux qu'ils
ne sont, pour le bon marché qu'ils auroient des marchandises
qui leurs viennent des Rochelois, ou Basques: Entre ces
sauvages, il n'y a que Montaignars qui tiennent tels discours.
[Note 559: C'est-à-dire, _un point d'état_.]
Arrivée Le 2e. jour de juin arriva une chalouppe où estoit le
pilote Gascoin avec cinq ou six matelots, qui nous dit qu'il
estoit arrivé au port de Tadoussac, avec un vaisseau de
soixante tonneaux, ayant quelque cent barils de pois, sept
tonneaux de citre, vingt-quatre baricques tant de biscuit que
77/1061 de galette, & que ledit sieur de Caen devoit partir douze jours
après luy, que la prise de l'un de ces vaisseaux, par les
Flamans l'avoit fait retourner à Paris pour se plaindre au Roy,
& à Monseigneur, du sujet qui occasionnoit le retardement,
m'informant de luy, s'il n'avoit aucune lettre pour moy de sa
part, il me dit que non, qu'il me faisoit ses recommandations.
Je m'estonnay grandement qu'il ne m'avoit escrit un mot
d'advis, de sa venue en ce lieu, car cela va à telle
consequence, que n'ayant advis de ceux qui ont la conduitte
d'une flotte, ou autres telles affaires importantes, ne doivent
jamais permettre que leurs vaisseaux partent sans un mot
d'advis, au gouverneur ou lieutenant des places, esloignées,
comme sont celles-cy, pour leur tesmoigner qu'ils se peuvent
fier en eux, leurs donnant entrée libre dans l'habitation ou
fort, comme estant de la compagnie. Une lettre que m'escrivoit
le sieur le Gendre l'un des associez, m'asseura que le vaisseau
venoit de la part dudit sieur de Caen.
Le 4 dudit mois je fis mettre deux barques à l'eaue, qui
partirent pour aller à Tadoussac, quérir les commoditez
qu'avoit apporté ledit vaisseau, lequel avoit ordre de laisser
un commis nommé Halard, avec partie des commoditez des vivres,
pour traitter audit Tadoussac, ce qui nous fit un grand
plaisir, d'autant que nous n'avions des farines & citres, que
jusques au 10 dudit mois de Juin; que sans cela il nous eust
fallu réduire au Migan[560], avec quatre barique de bled
d'Inde, attendant nouvelles de la venue des autres vaisseaux.
[Note 560: Voir 1619, p. 76.]
78/1062 Le 12 arriva une barque, qui apporta quelque poinçons de citre,
galettes, pois & prunes, & m'apporta une lettre de Halart, qui
me mandoit qu'il s'ennuyoit grandement, que le vaisseau dudit
sieur de Caen ne venoit, craignant qu'il ne luy fust arrivé
quelques accidens par la mer: que recognoissant la necessité
des vivres que nous pourrions avoir, il m'envoyoit ce qui luy
restoit de commoditez, s'en reservant un peu pour entretenir
les sauvages, qui traictoient ordinairement avec les Rochelois,
& que je luy eusse à mander ma volonté de ce qu'il devoit
faire.
Le 24 dudit mois, la barque estant deschargée, prevoyant aux
malheurs qui ordinairement peuvent arriver sur la mer, pour les
risques qui y sont grandes, voyant que la saison des vaisseaux
se passoit, sans sçavoir nouvelles de l'un des deux qui devoit
arriver, sçachant bien qu'il ne faut pas attendre aux
extremitez à pourvoir en telles affaires, aussi que la
necessité des vivres nous pressoit, l'advisay qu'il ne seroit
hors de propos d'escrire audit de la Ralde, qui estoit à
Miscou, quelques 35 lieues de Gaspey, & luy faire entendre la
necessité en laquelle nous allions tomber, s'il ne nous
secouroit, au cas qu'il fust arrivé fortune au vaisseau; &
avois donné charge au pilote Gascoin, d'attendre audit
Tadoussac, jusques au 15 ou 16 de Juillet, & si en ce temps il
n'oyoit aucune nouvelle, qu'il eust à aller trouver ledit de la
Ralde; & donnois ordre à Marsollet truchement, luy troisiesme,
de ne partir de Tadoussac, pour venir à Québec, que ce ne fust
au 8 d'Aoust, qui estoit oster toutes sortes d'esperance, si
79/1063 les vaisseaux ne fussent venus en ce temps: Et esquippé la
barque de tout ce qui leur estoit necessaire pour leur voyage:
& partirent le 24 jour de S. Jean.
Le 28 du mois, nous eusmes nouvelles de la descente des Hurons,
Algommequins & Bisserains[561], qui furent bien faschez de
n'avoir point de nouvelles des vaisseaux. Or le premier du
mois de Juillet, du Vernay qui estoit allé aux Hurons, arriva
dans un canau, qui nous apporta nouvelles certaine de la
descente des Sauvages, à la riviere des Yrocois; & de la mort
d'un François, qui avoit esté mon serviteur: & que le Père
Nicolas estoit resté avec neuf François, estant revenu quatre
de nos hommes[562], Le père Joseph, & le frère Gabriel, qui
venoient quérir quelques choses[563] pour porter audit père
Nicolas. De plus ledit du Vernay me dit que le François avoit
esté mal traitté, parmy quelques Nations, faute que la pluspart
ne s'estoient pas bien comportez avec ces peuples.
[Note 561: Pour Bissiriniens; ce sont les Nipissingues.]
[Note 562: Outre du Vernay, l'un de ces quatre français s'appelait
Lamontagne. (Sagard, Hist. du Canada, p. 819.)]
[Note 563: Voir Sagard, Hist. du Canada, p. 790.]
Ce jour arriva une chalouppe, où estoit le pilote Gascoin, qui
ayant apperceu vers l'eau le vaisseau dudit de Caen, qui
entroit à Tadoussac, où il avoit envoyé une chalouppe du Bic,
avec ordre de ce qu'ils devoient faire audit Tadoussac, qui
estoit de depescher promptement une chalouppe, pour enuoyer à
Québec faire charger la barque qui y restoit, & envoyer au
devant des Hurons, ce qui fut fait, & partit ce mesme jour.
80/1064 En ce temps arriverent les sauvages, qui estoient allez de la
part des montagnars aux Yrocois, pour contracter amitié, & y
avoit prés de six sepmaines qu'ils estoient partis d'auprès de
Québec. Ils furent très bien receus des Yrocois qui leurs
firent tout plain de bonne réception, pour achever de faire
cette paix. Mais en la compagnie de ces sauvages estoit un
appelé Simon, qui devoit aller à la guerre. Après qu'il eut
pris congé desdits Yrocois s'en retournant, le meschant
traistre & perfide Simon, rencontrant un Yrocois l'assomma,
pour la recompence du bon traittement qu'il avoit receu desdits
Yrocois. Tous nos sauvages en furent grandement desplaisans, &
eurent bien de la peine à reparer cette faute: car il ne faut
parmy tels gens qu'un tel coquin, pour faire rompre toutes
sortes de bonnes entreprises, pour n'avoir aucune justice
entr'eux. Le 10 dudit mois les sauvages vindrent cabaner proche
de l'habitation. Le lendemain arriva ledit de Caen, avec deux
barques chargées de marchandises: Le jour en suivant l'on
commença la traitte avec les sauvages: d'autres Canadiens
arriverent en ce mesme temps avec quelques chalouppes. Le 14
dudit mois la traitte fut achevée avec lesdits sauvages, &
partirent le mesme jour pour s'en retourner en leurs païs, & un
François[56] fut avec les Bissereins.
[Note 564: Probablement Jean Richer, leur truchement, (Sagard, Hist. du
Canada, p. 801.)]
Le 16, le frère Gabriel arriva avec 7 canaux, qui nous resjouit
grandement, nous comptant tout ce qui s'estoit passé en son
hyvernement, & la mauvaise vie que la pluspart des François
81/1065 avoient mené en ce païs des Hurons, & entr'autres: truchement
Bruslé à qui l'on donnoit cent pistolles par an, pour inciter
les sauvages à venir à la traitte, ce qui estoit de
tres-mauvais exemple, d'envoyer ainsi des personnes si
malvivans, que l'on eust deub chastier severement, car l'on
recognoissoit cet homme pour estre fort vicieux, & adonné aux
femmes, mais que ne fait faire l'esperance du gain, qui passe
par dessus toutes considerations.
Le 19, ledit de Caen partit pour aller aux trois rivieres avec
les barques, pour traitter avec d autres sauvages s'il en
rencontroit.
Le 20, huict canaux des Hurons qu'avoit amené ledit Bruslé,
partirent de Québec. Ce jour mesmes, arriva ledit du Pont.
Le 25, arriva aussi à Québec une barque, qui nous dit, qu'il
estoit venu six Yrocois, nonobstant la mort de celuy qui avoit
esté tué, pour confirmer l'amitié avec tous les sauvages: ayant
bien jugé, que le sauvage qui avoit tué leur compagnon, l'avoit
fait de sa propre malice, & non du consentement de ses
compagnons. Le lendemain, arriva une barque, où il y avoit deux
soldats, que le sieur de Caen envoyoit en son vaisseau, pour
les mettre à la chaisne, pour quelques legeretez qu'ils avoient
commises. Nouvelles vindrent aussi, qu'il estoit arrivé à
l'entrée de la riviere des Yrocois, trente canaux Hurons, avec
quelques François.
82/1066 Le premier d'Aoust, est arrivé à Québec ledit sieur de Caen, &
le 4, il fut au Cap de tourmente, qui dit luy avoir esté donné
par monseigneur de Montmorency, avec l'Isle d'Orléans, &
quelques autres isles adjacentes: & le 10, il retourna à
Québec.
En ce temps je me resolus de repasser en France avec ma
famille, y ayant hyverné prés de cinq ans, & où durant ce
temps, nous fusmes assez mal secourus de raffraichissemens, &
d'autres choses fort escharsement; nous n'avions dequoy
remercier les associez en cela, car s'ils l'eussent sceu, ils y
eussent donné ordre: la courtoisie & le devoir les obligeoit
d'avoir soing des personnes qui avoient esgard à la
conservation de la place & de leur bien, outre la charité pour
ceux qui pouvoient estre malades, fussent morts faute de
secours, & ainsi estoit plustost diminuer le courage, que de
l'augmenter à servir des personnes, qui ne font estat des
hommes qui conservent leur bien, & se tuent de soin & travail à
garder ce qui leur appartient, au lieu que peu de choses
contante tout un peuple.
Je fis embarquer tout mon esquippage, & laissay l'habitation
nouvelle bien advancée, & eslevée de 14 pieds de haut, 26
toises de muraille faicte avec quelque poutres au premier
estage, & toutes les autres prestes à mettre les planches
sciées pour la couverture, la pluspart du bois taillé & amassé
pour la charpente de la couverture du logement, toutes les
fenestres faictes, & la pluspart des portes, de sorte qu'il n'y
avoit plus qu'à les appliquer, je laissay deux fourneaux de
chaux cuitte, de la pierre assemblée, & ne restoit plus en tout
que sept ou huict pieds de hauteur, que toutes la muraille ne
fust eslevée, ce qui se pouvoit en quinze jours, leurs
matériaux assemblez pour estre logeable, si l'on y eust voulu
83/1067 apporter la diligence requise. Je les priay d'amasser des
fassines, & autres choses, pour achever le fort, jugeant bien
en moy-mesme, que l'on n'en feroit rien, d'autant qu'ils
n'avoient rien de plus desagreable, bien que c'estoit la
conservation, & la seureté du pays, ce qu'ils ne pouvoient, ou
ne vouloient comprendre. Cet oeuvre ne s'avançoit que par
intervalles, selon la commodité qui se presentoit, lors que les
ouvriers n'estoient employez à autres oeuvres.
Ledit sieur de Caen laissa son neveu, le sieur Esmery, pour
principal commis, & pour commander en mon absence audit Québec,
avec cinquante & une personne, tant hommes que femmes, garçons,
& enfans.
Le Jeudy 15e jour d'Aoust, partismes de Québec le 18.
arrivasmes à Tadoussac, ou nous eusmes nouvelles de la mort de
cinq hommes du vaisseau dudit Deschesnes, qui estoit à
l'Acadie, lesquels hommes, avoient este tuez par les sauvages
du lieu, proche du sieur de Biencour, qui estoit demeurant en
ces lieux, il y avoit plus de 18 ans[565] avecques les
sauvages.
[Note 565: D'après ce passage, M. de Biencourt serait venu en Acadie
avec son père dès 1605, ou même 1604, c'est-à-dire, à l'âge d'environ
quinze ans. (Lescarbot, liv. V, ch. X.)]
Le 21 d'Aoust 1624. nous levasmes l'ancre, & mismes soubs
voilles, pour retourner en France.
Le 25 fusmes mouiller l'ancre devant Gaspey, & trouvasmes de la
Ralde qui estoit venu de Miscou, faire sa pescherie de poisson.
Le premier de Septembre un vaisseau partit de la flotte où
commandoit le capitaine Gerard, pour aller en France devant
porter des nouvelles.
84/1068 Le 6, le vaisseau de du Pont acheva de faire sa pesche de
poisson audit Gaspey.
La nuict venant au samedy[566], ledit sieur de Caen partit avec
quatre vaisseaux, en l'un desquels estoit sa personne[567], &
en l'autre ledit du Pont[568], au troisiesme ledit de la Ralde,
& une patache de 45 à 50 tonneaux, dans laquelle estoit le
pilote Cananée[569].
Le 19 l'on apperceut un vaisseau de 60 tonneaux, que l'on
jugeoit estre Rochelois, on fist chasse dessus, mais il
s'evada, & ainsi se sauva à la faveur de la nuict[570].
[Note 566: Du 6 au 7 septembre.]
[Note 567: Et probablement l'auteur avec sa famille. (Conf. Sag., Hist.
du Canada, p. 842 et s.)]
[Note 568: Avec Dupont, repassait F. Gabriel Sagard, M. Goua, M.
Joubert, le sieur de la Vigne et probablement aussi le P. Irénée.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 841, 843 et suiv.) Le P. Irénée était
député en France par le chapitre des Récollets de Notre-Dame-des-Anges,
pour obtenir des jésuites, afin d'aider les premiers missionnaires à la
conversion des sauvages; mais, les sentiments de Champlain, que l'on
avait sondé là-dessus, paraissant assez équivoques, il avait été arrêté
de tenir cette résolution secrète, afin d'en ménager plus-sûrement le
succès en France. (Premier établiss. de la Foy, I, 291, 292, 298.)]
[Note 569: «A mon voyage de la nouvelle France, je communiquay souvent
avec un bon Catholique nommé le Capitaine Cananée, qui avoit receu des
disgraces en mer autant qu'homme de sa condition. Il avoit esté pris &
repris des Pirates tant d'Alger qu'autres, qui l'avoient mis au blanc, &
réduit à servir ceux qu'il auroit pu auparavant commander. Retournant de
Canada pour la France le sieur de Caen général de la flotte luy donna le
gouvernement & la conduitte d'un petit navire, avec 12 ou 13 Mattelots
Catholiques & huguenots pour conduire à Bordeaux. Je desirois fort
passer dans son bord, tant pour la devotion que j'avois à la saincte
Magdeleine de laquelle le vaisseau portoit le nom, que pour le
contentement particulier que je recevois à la communication de ce bon &
vertueux Capitaine, mais ledit sieur de Caen général, & le sieur de
Champlain avec une quantité de nos amis me dissuaderent de m'embarquer
dans un si petit vaisseau, plus aysé à perir qu'un plus grand, outre
l'incommodité du balotage. Je me resolus donc à leur conseil & me teins
à ce qu'ils en voulurent...» (Sagard, Hist. du Canada, p. 38, 39.)]
[Note 570: «Donnâmes en vain la chasse à un Piratte Rochelois, qui nous
estoit venu recognoistre passant au travers de nostre armée. A la vérité
la faute que fit nostre avant garde, le corps d'armée, & l'arriere-garde
à la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pa
gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis
c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller
attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de là s'aller saisir des
Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu sçait quelle prouesse
nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui
nous estoit venu braver jusques chez nous.» (Sagard, Hist. du Canada, p.
841, 842.)]
Le 27 on treuva fond à la sonde, à 90 brasses. Ce jour la
85/1069 petite barque où commandoit Cananée, se separa de nous, pour
aller à Bordeaux, selon l'ordre qu'il en avoit: Depuis nous
sceusmes qu'elle fut prise des Turcs, le long de la coste de
Bretaigne, qui emmenèrent les hommes qu'ils y trouverent, & les
firent esclaves[571].
[Note 571: _Conf_. Sagard, Histoire du Canada, p. 39 et 842.]
Le 29 nous recogneusmes en la coste d'Angleterre, le cap
appelle Tourbery.
Le dernier de Septembre, nous apperceusmes la terre de la Heve.
Le premier d'Octobre, entrasmes dans le havre de Dieppe, ou
louasmes Dieu de nous avoir amenez à bon port, auquel lieu je
sejournay quelques jours, de là, je m'acheminay à Paris avec
tout mon train, où estant, je fus treuver à sainct Germain le
Roy, & Monseigneur de Montmorency, qui me presenta à sa
Majesté, auquel je fis la relation de mon voyage, comme à
plusieurs messieurs du Conseil, desquels j'avois l'honneur
d'estre cogneus. Ce fait, je m'en retournay à Paris, où je
treuvay que les anciens & nouveaux associez, eurent plusieurs
contestations sur le mauvais mesnage qui s'estoit fait en
l'embarquement, qui apporta plusieurs troubles, cela en partie
donna suject à mondit seigneur de Montmorency, de se deffaire
de sa charge de Viceroy, qui luy rompoit plus la teste, que ses
affaires plus importantes, la remettant à Monseigneur le Duc de
Ventadour, qu'il voyoit porté à ce sainct dessein, convenant
avec luy d'un certain prix, tant pour la charge de Viceroy, que
pour l'interest qu'il avoit en ladite Société, le tout sous le
86/1070 bon plaisir de sa Majesté, laquelle commanda d'expédier les
lettres patentes d'icelle commission, au mois de Mars 1625. au
nom de mondit seigneur le Duc de Ventadour, n'estant poussé
d'autres interests que du zèle & affection qu'il avoit de voir
fleurir la gloire de Dieu, en ces pays barbares; & pour cest
effect, y envoyer des Religieux, jugeant n'en trouver de plus
capables, que les pères Jesuistes, pour amener ces peuples à
nostre foy: il en envoya six[572], à ses propres cousts &
despens, dés l'année mesmes. Sçavoir estoit, les reverend père
l'Almand[573], Principal du Collège de Paris; tres-devot & zélé
Religieux, fils du feu sieur l'Almand, qui avoit esté
Lieutenant criminel de Paris; & le père Brebeuf[574], le père
Massé[575], frère François [576], & frère Gilbert[577], qui
s'acheminèrent aussi-tost avec une grande affection, à Dieppe,
lieu de l'embarquement.
[Note 572: Cinq, comme le prouve la suite même du texte.]
[Note 573: Charles Lalemant. (Sagard, Hist. du Canada, p. 868.)]
[Note 574: Jean de Brebeuf. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)]
[Note 575: Ennemond Massé. (Voir Hist. de la colonie française en
Canada, I, 101, note.)]
[Note 576: François Charton. (Prem. établiss. de la Foy, I, 304.)]
[Note 577: Gilbert Buret, d'après le P. le Clercq (Prem. établiss. de la
Foy, I, 304), et Burel, d'après les Relations des Jésuites (1635, p. 23,
édit. de Québec).]
87/1071
[Illustration]
LIVRE
SECOND
DES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
_Monsieur le Duc de Ventadour Viceroy en la Nouvelle France,
continue la Lieutenance au sieur de Champlain. Commission qu'il
luy fait expédier. Retour du sieur de Caen de la Nouvelle
France. Trouble qu'il eut avec les anciens associez._
CHAPITRE PREMIER.
En ce mesme temps, mondit Seigneur de Ventadour Viceroy en la
Nouvelle France, me continua en l'honneur de la Lieutenance,
que j'avois eue de mondit seigneur de Montmorency, me
promettant pour icelle année de demeurer proche de luy, pour
l'instruire des affaires dudit païs, & donner ordre à quelques
miennes autres que j'avois à Paris.
88/1072 S'ensuit la Commission de Monseigneur le Duc de Ventadour Pair
de France, donnée à Monsieur de Champlain.
«HENRY DE LEVY, Duc de Ventadour, Pair de France, Lieutenant
général pour le Roy au gouvernement de Languedoc, Vice-Roy, &
Lieutenant général au pays de la Nouvelle France, & terres
circonvoisines. A tous ceux qui ces presentes lettres verront
salut: Sçavoir faisons, que pour la bonne & entière confiance
que nous avons du sieur Samuel de Champlain, Capitaine pour le
Roy en la marine: & de ses sens, suffisance, pratiques,
expériences au faict d'icelle, bonne diligence, cognoissance
qu'il a audit pays, pour les diverses navigations, voyages,
frequentations qu'il y a faictes, & en autres lieux
circonvoisins d'iceluy: A iceluy sieur de Champlain, pour ces
causes, & en vertu du pouvoir à nous donné par sa Majesté,
conformément aux lettres de commissions par luy obtenues, tant
du feu sieur Comte de Soissons, que Dieu absolve, de Monsieur
le Prince de Condé, & depuis, de monsieur le Duc de
Montmorency, nos predecesseurs en ladite Lieutenance Generalle
des quinze Octobre, & vingtdeuxiesme Novembre 1612. & 8 Mars
1620 & à la nomination de sa Majesté, par les articles ordonnez
par arrest du Conseil du premier Avril 1622. AVONS commis,
ordonné, député, commettons, ordonnons, & deputons par ces
presentes, nostre Lieutenant, pour representer nostre personne,
89/1073 audit pays de la Nouvelle France: Et pour cet effect, luy avons
ordonné d'aller se loger avec tous ses gens, au lieu de Québec,
estans dedans le fleuve sainct Laurent, autrement appelle la
grande riviere de Canada, audict pays de la Nouvelle France, &
audit lieu, & autres endroicts que ledit sieur de Champlain
advisera bon estre: faire construire & bastir tels forts &
forteresses qu'il luy sera besoin & necessaire, pour la
conservation de ses gens: Lequel fort, ou forts, il nous
gardera à son pouvoir, pour audit lieu de Québec, & autres
lieux, & endroicts, en l'estendue de nostredict pouvoir, tant &
si avant que faire se pourra: Establir, estendre, & faire
cognoistre le nom, puissance & auctorité de sa Majesté: & en
icelles, assubjettir, sousmettre, & faire obeyr tous les
peuples de ladite terre, & les circonvoisins d'icelle: & par
le moyen de ce, & de toutes autres voyes licites, les appeller,
faire instruire, provoquer & esmouvoir à la cognoissance &
service de Dieu, & à la foy & religion Catholique, Apostolique
& Romaine, là y establir, & en l'exercice & profession
d'icelle, maintenir, garder & conserver lesdits lieux, sous
l'obeyssance & auctorité de sadite Majesté, & pour y avoir
esgard & vacquer avec plus d'asseurance, Nous avons, en vertu
de nostredit pouvoir, permis audit sieur de Champlain,
commettre & establir, & substituer tels Capitaines & Lieutenans
pour nous, que besoin sera. Et pareillement commettre des
officiers pour la distribution de la justice, & entretien de la
Police, Reglemens & Ordonnances, jusques à ce que par nous
90/1074 autrement en ayt esté pourveu. Traitter, contracter à mesme
effect, paix, alliances, confédérations, bonne amitié,
correspondance & communication, avec lesdits Peuples, & leurs
Princes, ou autres ayant commandement sur eux, entretenir,
garder, & soigneusement conserver les traittez & alliances,
dont il conviendra avec eux, pourveu qu'ils y satisfacent de
leur part: & à leur deffaut, leur faire guerre ouverte, pour
les contraindre & amener à telle raison qu'il jugera
necessaire, pour l'honneur, obeisance, & service de Dieu, & de
l'establissement, manutention, & conservation de l'authorité de
sadite Majesté parmy eux: du moins pour vivre, hanter, &
fréquenter en toute asseurance, liberté, fréquentation, &
communication, y négocier & traffiquer amiablement &
paisiblement, faire faire à ceste fin les descouvertures
desdites terres, & notamment depuis ledit lieu de Québec,
jusques & si avant qu'il se pourra estendre au dessus d'iceluy,
dedans les terres & rivieres qui se deschargent dedans ledit
fleuve sainct Laurent, pour essayer à treuver le chemin facile
pour aller par dedans ledit païs, au Royaume de la Chine, &
Indes Orientales, ou autrement tant & si avant qu'il se pourra
estendre, le long des costes dudit païs, tant par mer, que par
terre, & faire en ladite terre ferme, soigneusement rechercher
& recognoistre toutes sortes de Mines d'Or, d'Argent, Cuivre, &
autres métaux & minéraux, les faire fouiller, tirer, purger, &
affiner, pour estre convertez & en disposer selon & ainsi qu'il
91/1075 est prescript, par les Edits & Reiglemens de sadite Majesté, &
ainsi que par nous sera ordonné, & où ledit sieur de Champlain
trouverroit des François, ou autres traffiquans, negocians &
communiquans avec les sauvages & peuples, notamment depuis le
lieu de Gaspey, par la haulteur de quarante huict & à quarante
neuf degrez de latitude, & jusques au cinquante & deuxiesme
degré, Nort & Su dudit Gaspey, qui nous est reservé par sadite
Majesté, luy avons permis & permettons s'en saisir & les
appréhender, ensemble leurs vaisseaux & marchandises & tout ce
qui se trouverra à eux appartenans, & iceux faire conduire &
mener en France, es mains de la justice, pour estre procédé
contr'eux selon la rigueur des ordonnances Royaux, & ce qui
nous a esté accordé par sadite Majesté, ce faisant gérer,
négocier, & se comporter par ledit sieur de Champlain, en la
fonction de sadite charge de nostre lieutenant pour tout ce
qu'il jugera estre en l'advencement desdites conquestes &
peuplement: le tout pour le bien, service, & auctorité de
sadite Majesté, avec mesme pouvoir, puissance & auctorité que
nous ferions, si nous y estions en personne, & comme si tout y
estoit par exprés & plus particulièrement specifié, déclaré.
Luy avons, & de tout ce que dessus, donné, & donnons par ces
presentes, charge & pouvoir, commission & mandement special: Et
pour ce, & en tout nostre pouvoir esdits pays, à quoy nous
n'aurions pourveu, & jusques à y estre par nous
particulièrement pourveu: Avons ledit sieur de Champlain
92/1076 substitué, & subrogé en nostre lieu & place; à la charge
observer tout ce que dessus, & par ceux qui seront sous sa
charge & commandement, & de nous faire bon & fidel rapport, à
toutes occasions, de tout ce qu'il aura faict & exploité, pour
en rendre par nous, prompte raison à sadite Majesté. SI PRIONS
ET REQUERONS, tous Princes, Potentats, & Seigneurs estrangers,
les Lieutenans généraux, Admiraux, Gouverneurs de leurs
Provinces, Chefs & conducteurs de leurs gens de guerre, tant
par mer que par terre, Capitaines de leurs villes, Forts
maritimes, Ports, Costes, Havres & Destroits, donner confort &
ayde audit sieur de Champlain, pour l'entier effect & exécution
de ces presentes, tout support, assistance, retraicte, & main
forte si besoin est, & en soient par luy requis: En tesmoin
dequoy nous avons signé les presentes de nostre main; & à
icelles faict mettre nostre Seel. DONNÉ à Paris, le 15 Fevrier,
1625. signé VENTADOUR. & plus bas par commandement de mondit
Seigneur, GIRARD.»
Ledit sieur de Caen fit encore ce voyage, sous la commission de
monditseigneur de Ventadour, avec lesquels passerent nosdits
Reverends Pères, lesquels il traitta courtoisement au
93/1077 passage[578]. Et un père Recollet appelle père Joseph de la
Roche très-bon Religieux, allié de la maison du Comte du Lude,
qui avoit quitté les biens & honneurs temporels pour suivre les
spirituels.
[Note 578: Si les Pères Jésuites furent «traités courtoisement au
passage,» l'accueil qu'ils reçurent en arrivant à Québec ne tarda pas à
les convaincre qu'on avait semé contre eux bien des préjugés, «On auroit
crû,» dit le P. le Clercq (Prem. établiss. de la Foy, I, 309 et suiv.),
«que les Pères Jesuites ayant bien voulu se sacrifier au païs, &
commencer leur Mission par un nombre aussi considerable de bons sujets,
ils y auroient esté reçus avec toute la reconnoissance possible, & même
avec agrément; mais bien loin de cela, il ne se trouva personne ny des
chefs, ny des habitans qui n'y témoigna de la répugnance: tous
refuserent unanimement de les recevoir s'ils ne voyoient des ordres
absolus & un commandement du Roy pour leur établissement: ils ne
trouverent même personne qui les voulut loger. Car comme on s'estoit
contenté de tirer purement un contentement verbal de Sa Majesté, on
n'avoit pas trouvé lieu d'obtenir des lettres authentiques pour
l'établissement de ces Reverends Peres. Si bien que l'entreprise alloit
échouer: ils estoient sur le point de repasser en France par les mêmes
navires, & d'abandonner entièrement leur dessein, lorsque nos Peres
après bien des allées & des venues, obtinrent enfin de Monsieur le
Général & des Habitans, qu'on trouveroit bon que les PP. Jesuites
fussent logez chez nous pour ne faire qu'un esprit & qu'un corps de
Missionnaires, sans estre à charge au pais, jusqu'à ce qu'il plût au Roy
d'en ordonner autrement. Cet accommodement estant fait, le P.
Commissaire & ses Religieux partirent avec la chalouppe du Convent, pour
aller à bord faire honneur aux RR. PP. Jesuites & les conduire chez nous
avec toute la joye qu'on peut juger. Nos Religieux voyans leurs souhaits
accomplis par l'arrivée de ces Peres, le _Te Deum_ fut chanté en action
de grâce, & on leur fit du reste tout l'acueil que l'état du pais & la
sainte pauvreté pouvoit permettre. On leur offrit, & ils agréerent à
leur choix, la moistié de nostre Convent, du Jardin & de nostre Enclos
deffriché où ils demeurerent ensuite l'espace de 2 ans, vivans &
travaillans avec nos Peres en parfaite intelligence, pendant que leurs
affaires s'accomoderoient & s'avanceroient du côté de France & dans le
pais, pour un parfait établissement: à quoy sans doute ne servit pas peu
la deputation que nos Pères firent en France, principalement pour ce
sujet, du Père Joseph le Caron qui y revint l'année suivante, triomphant
& glorieux d'avoir obtenu une partie de sa négociation, & ce que nous
souhaitions sur ce sujet. Aussi le public sera bien aise & en même temps
édifié de voir que les RR. PP. Jesuites n'en furent pas méconnoissans:
entre autres témoignages qu'on en pourroit donner, voicy la copie de
deux lettres du Révérend Père Lallemant, premier Supérieur des Jesuites
du Canada, écrites en France à Monsieur de Champlain, & au Révérend Père
Provincial des Recollets de la province de Saint Denis.
_«MONSIEUR, Nous voicy grâces à Dieu dans le ressort de vostre
Lieutenance, où nous sommes heureusement arrivez, après avoir eu une des
belles traversées qu'on ait encore experimenté. Monsieur le Général
après nous avoir déclaré qu'il luy estoit impossible de nous loger dans
l'habitation, ou dans le Fort, & qu'il faudrait ou repasser en France,
ou nous retirer chez les Pères Recollets, nous a contraint d'accepter ce
dernier offre. Ces Peres nous ont reçu avec tant de charité, qu'ils nous
ont obligez pour un jamais. Nostre Seigneur fera leur récompense. L'un
de nos Peres estoit allé à la traite en intention de passer aux Hurons &
aux Iroquois avec le Pere Recollet qui estoit venu de France, selon
qu'ils aviseroient avec le Père Nicolas qui se devoit trouver à la
traite & conférer avec eux: mais il est arrivé que le pauvre Pere
Nicolas Recollet s'est noyé au dernier Sault ce qui a esté cause qu'ils
sont retournez n'ayant ny connoissance ny Langue, ny information. Nous
attendons donc vostre venue pour resoudre ce qui sera à propos de faire.
Vous sçaurez tout ce que vous pourrez desirer de ce pays du Révérend
Père Joseph. C'est pourquoy je me contente de vous assurer, que je suis
Monsieur, vostre très-affectionné Serviteur Charles Lallemant. De Quebec
ce 28 Juillet 1625._»
Voicy la copie de celle qu'il écrit au R. P. Provincial des Recollets de
Paris.
«MON R. PERE, (Fax Christi.) _Ce serait estre par trop méconnoissant de
ne point écrire à vostre Reverence, pour la remercier de tant de lettres
qui furent dernièrement écrites en nostre faveur aux Peres qui sont icy
en la Nouvelle France, comme de la charité que nous avons receue des
Pères qui nous ont obligez pour un jamais, Je supplie nostre bon Dieu
qu'il soit la recompense des uns & des autres. Pour mon particulier,
j'écris à nos Supérieurs que j'en ay un tel ressentiment, que l'occasion
ne se presentera point que je ne le fasse paroistre; & les supplie
quoyque d'ailleurs tres-affectionnez de témoigner à tout vostre Saint
Ordre les mêmes ressentimens. Le Père Joseph dira à vostre Révérence le
sujet de son voyage pour le bon succés duquel nous ne cesserons d'offrir
Prières y Sacrifices à Dieu. Il faut à cette fois avancer à bon escient
les affaires de nostre Maistre, & ne rien obmettre de ce qu'on pourra
s'aviser estre necessaire. J'en ay écrit à tous ceux que j'ay crû y
pouvoir contribuer, qui je m'assure s'y emploiront si les affaires de
France le permettent. Je ne doute point que vostre Révérence ne s'y
porte avec affection, & ainsi_ vis unita _fera beaucoup d'effet. En
attendant le succés, je me recommande aux saints Sacrifices de vostre
Révérence, de laquelle le suis très-humble Serviteur Charles Lallemant.
De Québec ce 28 Juillet 1621.»_]
Ledit sieur de Caen ayant fait son voyage, il vint à Paris, où
il eust plusieurs traverses des anciens Associez, qui les mit
en un procez au Conseil, pensant tomber d'accord à l'amiable
les uns avec les autres: De plus que mondit seigneur avoit du
mescontentement dudit sieur de Caen, sur ce qu'on luy rapporta
qu'il avoit fait faire les prières de leur religion prétendue,
publiquement dans le fleuve sainct Laurent: desirant que les
Catholiques y assistassent, chose qui luy avoit esté deffendue
94/1078 par mondit seigneur, lesquelles accusations le sieur de Caen
n'approuva, disant que c'estoit la hayne & la malice de ses
envieux, qui procuroient tout le mal qu'ils pouvoient contre
luy, quoy que ce toit, après avoir bien disputé les uns contre
les autres, aux assemblées qui se faisoient en l'hostel de
Ventadour. Il falut avoir arrest de Messieurs du Conseil,
puisqu'ils ne se pouvoient accorder sur un contrat que l'on
avoit fait, auquel l'on quittoit l'affaire audit sieur de Caen,
en donnant trente six pour cent d'interests, sur un fond de
soixante mil livres: qu'il seroit tenu d'exécuter tous les
articles, dont la societé estoit obligée envers le Roy, & dans
trois jours donneroit caution bourgeoise dans Paris, &
nommeroit un Chef catholique, agréable à monseigneur le
Vice-Roy, pour la conduitte des vaiseaux. Le temps venu il ne
95/1079 fournit cautions au gré des Associez, ny ne nomma ledit chef,
ce que refusant, les anciens Associez, ledit sieur de Caen les
fait appeller devant le juge de l'Admirauté, de là ils furent
audit Conseil de sa Majesté, suivant une requeste que lesdits
anciens associez avoient presentée, pour faire interdiction au
juge de l'Admirauté d'en cognoistre, ils sont un temps à
contester les uns contre les autres, en fin le Conseil ordonna
que l'enchere qui avoit este faite au Conseil, de quatre pour
cent d'advantage que les trente six, par le contract passé
entr'eux à l'hostel du seigneur de Ventadour, que ledit de
Caen auroit la préférence, en donnant caution suffisante dans
Paris: & que attendu l'absence dudit seigneur de Ventadour,
ledit de Caen nommeroit un chef catholique pour la conduitte
des Vaisseaux qui fut ledit de la Ralde qu'il nomma, & que
pour la personne dudit de Caen il ne feroit le voyage: lequel
ne laissa tousjours d'appareiller & apprester ses vaisseaux,
des choses qu'il jugeoit estre necessaires pour l'habitation
de Québec. Ayant son arrest il s'en vint à Dieppe, pour faire
partir les vaisseaux, où je me trouvay, estant party de Paris
le premier d'Avril 1626, accompagné des sieurs Destouche, &
Boullé mon beau frère, lequel mondit Seigneur avoit honoré de
ma Lieutenance au fort, & ledit Destouche de mon Enseigne.
Les reverends Pere Noyrot, Jesuiste, & de la Nouë & un frère
[579], estoient à Dieppe, pour treuver commodité de faire
96/1082 passer des vivres pour vingt ouvriers, qu'ils menoient audit
païs pour eux, estant contrains de prendre un vaisseau de
quatre vingts tonneaux du sieur de Caen, qui leur fretta pour
les passer, avec tout leur attirail, moyennant le prix de trois
mil cinq cens livres: voilà tout ce qui se pana jusqu'à
l'embarquement qui fut le 15 d'Avril 1626. Je m'embarquay dans
le vaisseau la Catherine, du port de 250 tonneaux, & aussi le
pere Joseph Caron Recollet[580], qui y avoit autrefois hyverné;
nous fusmes à la rade jusques au vingtiesme dudit mois, que
nous levasmes l'ancre, & nous mismes sous voille à un heure
après midy, faisant un bort sur autre, attendant ledit sieur de
Caen, qui desiroit donner quelque ordre audit de la Ralde &
Emery son nepveu, qui estoit en la Fleque pour vice-Admiral,
qui devoit aller faire sa pesche de poisson à l'Isle percée.
[Note 579: Les PP. Philibert Noirot, Anne de Noue, et le Frère Jean
Gaufestre (_Conf_. Ducreux, p. 4; Relat. des Jés.; Prem. établiss. de la
Foy, I, 340).]
[Note 580: Le P. le Caron était passé en France l'année précédente.
(Ci-dessus, p. 92, note 1.)]
Sur les six heures du soir arriva ledit de Caen, qui fit
prester le serment audit de la Ralde, & à ceux de son
esquippage, & donna l'ordre qu'il desiroit que l'on tint audit
voyage, ce qu'ayant fait il fit publiquement la lecture devant
tout son esquippage & autres, d'un petit livre, contenant
plusieurs choses que l'on luy imputoit avoir faites. Je creu
qu'il y en avoit qui n'estoient pas trop contens de ceste
lecture. Ayant fait ce qu'il voulut, il prit congé de la
compagnie & s'en retourna à terre, & nous à nostre route au
mieux que le temps le peust permettre, qui ne fut que pour
battre la mer vingt quatre heures, car le lendemain il nous
fallut relascher à la rade de Dieppe.
97/1081 Le Vendredy[581] au soir que mismes sous voilles ayant levé
l'ancre cinq vaisseaux de conserve[582]. Le 27, nous
apperceusmes un vaisseau que l'on jugeoit estre forban, nous
fismes chasse sur luy quelques trois heures, mais estant
meilleur voillier que nous, mismes à l'autre bord.
[Note 581 Le vendredi était le 24.]
[Note 582: Ces cinq vaisseaux étaient: _la Catherine_, ou la
_Sainte-Catherine_ (suivant les manuscrits d'Asseline et de Guibert),
vaisseau de 250 tonneaux, suivant Champlain, et de 300, suivant ces deux
manuscrits, commandé par le capitaine de la Ralde, amiral de la flotte;
_la Flèque_, vaisseau de 260 tonneaux (suivant les mêmes manuscrits), où
était pour vice-amiral le capitaine Émery de Caen; le troisième et le
quatrième vaisseaux, dont on ne connaît pas les noms, étaient de 200 et
de 120 tonneaux; enfin le cinquième, nommé _l'Alouette_, était de 80
tonneaux.]
Le 23 de May eusmes une tourmente, qui dura deux fois vingt
quatre heures, avec orages de pluyes, tonnerres, esclairs, &
bruines fort espesses, qui fit que le petit vaisseau des Peres
jesuistes, nommé l'allouette, nous perdit de veue.
Le 5 de Juin par 44 degrez & demy de latitude, nous eusmes
sonde, sur lecore du Ban. Le 12, cognoissance de l'isle de
terre neufve, qui estoit le Cap des vierges, & le soir la veue
du Cap de Raye. Le 13 fusmes recognoistre le Cap de sainct
Laurent & Isle sainct Paul. Le 17. passasmes proche des Isles
aux oyseaux. Le 20. nous fusmes mouiller l'ancre, entre l'Isle
de Bonadventure & l'Isle percée, où trouvasmes arrivez tous les
vaisseaux qui nous avoient quittez comme l'allouette qui nous
avoit perdue, durant les coups de vent qu'avions eus; & y avoit
quinze jours que ledit Emery de Caen estoit arrivé, tesmoignage
que nostre vaisseau n'estoit pas trop bon voillier, nous fusmes
deux mois & six jours à cette traverse contrariez de mauvais
temps.
98/1082 _Il m'a sembîé n'estre hors de propos de faire une description
particuliere, de l'Isle de Terre neufve, & autres costes qui
sont du Cap Breton & Golfe S. Laurent, jusques à Québec, bien
que j'en aye traicté en quelques endroits, mais non si
particulièrement, & de suitte comme je fais ce Chapitre cy
dessous._
_Description de l'Isle de Terre Neufve, Isle aux Oyseaux.
Ramées S. Jean, Enticosty, & de Gaspey, Bonnaventure, Miscou,
Baye de Chaleu, avec ce qui environne le Golfe S. Laurent, avec
les Costes depuis Gaspey, jusques à Tadoussac, & de là Québec,
sur le grand fleuve S. Laurent._
CHAPITRE II.
Le Cap de Rase, attenant à l'isle de Terre neufve, est la terre
la plus proche de France, esloignée de 25 lieues de Lecore[583]
du grand ban où se faict la pesche du poisson vert, il est par
hauteur de 46 degrez & 35 minutes de latitude,[584] & d'iceluy
cap à celuy de saincte Marie 22 lieues & de hauteur 46 degrez
trois quarts, & de ce lieu jusques aux Isles sainct Pierre 23
lieues, du bord de celle qui est le plus Arrouest, & dudit cap
de Rase aux Isles Sainct Pierre 45 lieues, qui sont de hauteur
prés de 46° & deux tiers, & 40 lieues jusques au cap de Raye,
de hauteur 47° & demy, dans toutes ces costes du Su de ladite
Isle de terre neufve y a nombres de bons ports, rades, &
havres, entr'autres Plaisance, la baye des Trespassez, celle de
1083 tous les Saincts, comme aussi ausdites Isles sainct
99/1083 Pierre, où plusieurs vaisseaux vont faire pesche de poisson
sec.
[Note 583: Le cap de Rase est à environ 25 lieues de l'écore du
Banc-à-Vert.]
[Note 584: 46° 4l' suivant Bayfield.]
La coste du Nortdest & Surouest de ladite Isle de terre neufve,
& celle du Nort un quart au Nordouest, contient quelques 110
lieues jusques au 52e degré, est fournie de plusieurs bons
ports & Isles, où y a nombre de vaisseaux, vont faire pescherie
de molue, tant François, Malouains, que Basques & Anglois.
De l'Isle, à la grande terre du Nort, il y a 8 à 10 lieues par
endroits, la coste de l'Isle Nordest & Surouest, qui regarde le
golphe S. Laurens a cent lieues de long, n'est cogneu que fort
peu, si ce n'est proche le Cap de Raye où il y a quelque port
où se fait pesche de poisson: Toute cestedite Isle de
terre-neufve tient de circuit plus de 300 lieues, où il y a
nombre de bons ports (comme j'ay dit) le terroir est presque
tout montueux, remply de pins & sapins, cèdres, bouleaux, &
autres arbres de peu de valeur. Il se descharge dans la mer
quantité de petites rivieres & ruisseaux qui viennent des
montagnes. La pesche du saumon est fort abondante en la plus
part de ces rivieres, comme d'autres poissons. Les froidures y
sont aspres, & les neges grandes, qui y durent prés de sept
mois de l'an. Il y a force eslans, lapins, & gelinotes, icelle
n'est point habitée, les sauvages qui y vont quelques fois en
Esté de la grandtaire voir les vaisseaux qui font pescherie de
molue.
Du Cap de Raye qui est par les 47 degrés & demy de latitude,
jusques au Cap de S. Laurent, qui est par les 46 degrés 55
100/1084 minutes, il y a 17 à 18 lieues, cet espace est l'une des
emboucheures dudit golphe S. Laurent, de ce lieu aux Isles aux
oyseaux il y a 17 à 18 lieues qui sont un peu plus de 47 degrés
& trois quarts, ce sont deux rochers dans ledit golphe, où il y
a telle quantité d'oyseaux appellez tangeux, qui ne se peut
dire de plus, les vaisseaux partant par là quand il fait calme,
avec leur batteau vont à ces Isles, & tuent de ces oyseaux à
coups de bâtons, en telle quantité qu'ils veulent, ils sont
gros comme des oyes, ils ont le bec fort dangereux, tous blancs
hormis le bout des aines qui est noir, ce sont de bons
pescheurs pour le poisson qu'ils prennent & portent sur leurs
Isles, pour manger, au Su de ces Isles & au Su & Surouest y en
a d'autres qui s'appellent les Isles ramées-brion[585], au
nombre de 6 ou 7 tant petites que grandes, & sont une lieue ou
deux des Isles aux oyseaux.
[Note 585: Ramées et Brion. D'après Denys (Description géographique, t.
I, 196 et suiv.), les îles Ramées sont les sept que nous appelons
aujourd'hui les îles de la Madeleine; et, de son temps encore, comme au
temps de Champlain, la Madeleine était le nom particulier de l'île
Aubert (_Amherst' Island_).]
En aucunes de ces Isles y a de bons ports, où l'on fait pesche
de poisson, elles sont couvertes de bois, comme pins, sapins &
bouleaux, aucunes sont plates, autres un peu eslevées comme est
celle de Brion qui est la plus grande. La chasse des oyseaux y
est à commandement en sa saison, comme est la pesche du
poisson, des loups marins, & bestes à la grande dent qui vont
sur lesdites Isles, elles sont esloignées de la terre la plus
proche de 12 ou 15 lieues, qui est le Cap sainct Laurent,
attenant à l'isle du Cap Breton.
101/1085 Desdites Isles aux oyseaux, jusques à Gaspey, il y a 45 lieues
qui est de hauteur 48 degrés deux tiers, & au Cap de Raye 70
lieues[586].
[Note 586: «Et de Gaspé au cap de Raye, 70 lieues.»]
En ce lieu de Gaspey est une baye contenant de large en son
entrée trois à quatre lieues, qui fuit au Norrouest environ
cinq lieues, où au bout il y a une riviere qui va assez avant
dans les terres: les vaisseaux viennent en ce lieu, pour faire
la pesche du poisson sec, où est un gallay où l'on fait la
seicherie des molues, & un ruisseau d'eaue douce qui se
descharge dans la grand' mer, commodité pour les vaisseaux qui
vont mouiller l'ancre à une portée de mousquet, de ce lieu: & à
une lieue du Cap de Gaspey, est un petit rocher que l'on nomme
le farillon[587], esloigné de la terre d'un jet de pierre, ce
dit cap est une pointe fort estroitte, le terrouer en est assez
haut, comme celuy qui environne ladite baye couverte de pins,
sapins, bouleaux, & autres meschans bois. La pesche est
abondante tant en moluës, harans, saumons, macreaux, & homars.
La chasse des lapins & perdrix, comme autre gibier se treuve
aussi à l'Isle percée & de Bonadventure, distante de six à sept
lieues, plus au midy: entre les deux il y a la baye aux moluës
[588], en laquelle se fait pescherie, les terres sont couvertes
de mesmes bois que celle du susdit Gaspey.
[Note 587: Le Forillon. Ce petit rocher, détaché de la terre, semble
avoir donné origine au nom de Gaspé (_Katsepioui_, qui est séparément)]
[Note 588: De _Baie des Molues_ (ou _Morues_), les Anglais ont fait
_Molue-Bay_, puis _Malbay_.]
Ladite Isle percée est par la hauteur de 48 degrés & un tiers,
elle est distante de 15 lieues de Miscou, il faut traverser la
102/1086 baye de Chaleu. Ledit Miscou est par la hauteur de 47 degrés 25
minutes[589], la terre est descouppée par plusieurs bras d'eaue
qui forment des Isles, & où les vaisseaux se mettent, est[590]
entre-deux desdites Isles, qui font un cap à ladite baye de
Chaleu, ce lieu est desgarny de bois, ny ayant que des
bruieres, herbes, & pois sauvages: l'on fait en ce lieu bonne
partie de traitte avec les habitans du pays. Pour des
marchandises ils donnent en eschange des peaux d'eslan &
quelques castors. Il y a eu d'autrefois des François qui ont
hyverné en ce lieu, & ne s'y sont pas trop-bien treuvez pour
les froidures trop grandes, comme aussi les neges, neantmoins
ce lieu est fort bon pour la pesche. A six lieues delà au
Nortdest, est le ban des Orphelins où il y a très bonne
pescherie de moluës.
[Note 589: Environ 48°.]
[Note 590: _Es entre-deux_, dans les entre-deux, ou goulets.]
Ceste Baye de Chaleu entre quelques quinze ou vingt lieues[591]
dans les terres, ayant dix ou douze lieues de large par
endroits: en icelle se deschargent deux ou trois rivieres qui
viennent de quelques quinze ou vingt lieues dans les terres,
elles ne sont navigeables que pour les canaux des sauvages.
[Note 591: Environ trente lieues.]
Tout le pays qui environne ladite baye, est partie montueux,
autre plat & beau, couvert de bois de pins, sapins, cèdres,
bouleaux, ormes, fresnes, érables, & dans lesdites rivieres y a
des chesnes. La pesche de plusieurs poissons est abondante en
ce lieu, & la chasse des oyseaux de riviere outarde oyes,
grues, & de plusieurs autre sorte. Il se treuve en tous ces
lieux force eslans, desquels les sauvages en tuent quantité
l'hyver.
103/1087 Des Isles de Miscou à l'Isle sainct Jean, y a environ dix ou
douze lieues[592] au Suest, elle est par la hauteur de quarante
six degrés deux tiers, le bout le plus Nort de ladite
Isle[593], ayant environ vingt cinq lieues de longueur, & de
ceste Isle à la terre du Sud, une ou deux lieues; en laquelle
sont de bons ports, & bonne pescherie de molue, les Basques y
vont assez souvent, elle est couverte de bois comme les autres
Isles.
[Note 592: Environ vingt lieues.]
[Note 593: C'est-à-dire, le bout le plus nord de la dite île est par les
47° et quelques minutes.]
De l'Isle de sainct Jean au petit passage de Conseau[594] l'on
conte vingt lieues, ce passage est par la hauteur de quarante
cinq degrés & deux tiers, & jusques aux Isles ramées environ
trente lieues.
[Note 594: Canseau; ailleurs, l'auteur écrit comme tout le monde
_Canseau_, ou _Campseau_. Les Anglais ont adopté l'orthographe _Canso_.
(Voir 1613, p. 130, note 1.)]
Toute la coste depuis Miscou jusques au passage de Conseau, est
abondante en ports, & petites rivieres, qui se deschargent dans
la mer: entr'autres rivieres est la baye de Miaamichy[595],
tregate[596], le pays est agréable, quelque peu montueux: la
pesche & la chasse du gibier y sont fort bonnes en la saison,
il y a des eslans en ces terres, mais non en telle quantité
qu'aux contrées de la baye de Chaleu.
[Note 595: Miramichy.]
[Note 596: Tregaté, ou Tracadie.]
Au Nortdest de Gaspey est l'isle d'Enticosty, sur la hauteur de
cinquante degrés au bout de L'ouest Nortouest de l'isle, &
celuy de Lest, Suest, 49 degrés, elle gists est Suest, & Ouest
Norrouest, selon le vray méridien de ce lieu, & au compas de la
plus part des navigateurs, Suest & Norrouest, elle a quarante
104/1088 lieues de long, & large de quatre à cinq[597] par endroits. La
plus part des costes sont hautes & blanchastres comme les
falaises de la coste de Dieppe, il y a un port[598] au bout de
L'ouest Surouest de l'Isle qui est du costé du Nort, il ne
laisse d'y en avoir d'autres, qui ne sont pas cognus, elle est
fort redoutée de ceux qui navigent, pour estre baturiere, & y
sont quelques pointes qui avancent en la mer, toutesfois nous
l'avons rangée, n'en estant esloignée que d'une lieue & demie,
& la treuvâmes fort saine le fon bon à trente brasses: le costé
du Nort est dangereux y ayant entre la terre du Nort & ceste
Isle des Batures & d'autres Isles, bien qu'il y aye passage
pour des vaisseaux, & dix à douze lieues jusques à ladite terre
du Nort. Ceste Isle n'est point habitée de sauvages, ils disent
y avoir nombre d'Ours blancs fort dangereux, icelle est
couverte de bois de pins, sapins, & bouleaux. Il fait grand
froid, & s'y voyent quantité de neges en hyver: les sauvages de
Gaspey y vont quelquesfois, allant à la guerre contre ceux qui
se tiennent au Nort.
[Note 597: L'île d'Anticosti a environ dix lieues de large vers le
milieu.]
[Note 598: Le port aux Ours.]
Il y a un lieu dans le golphe sainct Laurent, qu'on nomme la
grande baye[599], proche du passage du Nort de l'Isle de terre
neufve, à cinquante deux degrés, où les Basques vont faire la
pesche des balaines.
[Note 599: La Grande-Baie était cette partie du golfe comprise entre la
cote nord-ouest de Terre-Neuve et le Labrador.]
Les sauvages de la coste du Nort sont très meschants, ils font
la guerre aux pescheurs, lesquels pour leur seureté arment des
105/1089 pataches, pour conserver les chalouppes qui vont en mer pescher
la molue: l'on n'a peu faire de paix avec eux, & sont la plus
part petits hommes fort laids de visage, les yeux enfoncez,
meschans & traistres au possible: ils se vestent de peaux de
loups marins, qu'ils accommodent fort proprement: leurs
batteaux sont de cuir, avec lesquels ils vont rodant & faisant
la guerre, ils ont fait mourir nombre de Malouains, qui
auparavant leurs ont souvent rendu leur change au double, ceste
guerre procède de ce que un matelot Malouain par mesgarde ou
autrement, tua la femme d'un capitaine de ceste nation.
Tout le pays est excessivement froid en hyver, & les neges y
sont fort hautes, qui durent sept mois ou plus sur la terre par
endroits, elle est chargée de nombre de pins, sapins &
bouleaux, en plus de cent lieues des costes qui regardent le
golphe saint Laurent. Il y a nombre de bons ports & isles, (où
la pescherie de molue & saumont est abondante,) & nombre de
rivieres, qui ne sont neantmoins beaucoup navigeables, que pour
des chalouppes ou canaux, selon le rapport des sauvages.
Ce golphe a plus de quatre cens lieues de circuit, y ayant
nombre infiny de ports, havres & isles, qui y sont enclos:
c'est comme une petite mer qui parfois est fort esmeue & agitée
des vents impétueux qui viennent plus souvent du Nortdest, &
parfois y a de grandes bourasques de Norrouest. En ces lieux
sont de grands courants de marée non réglez, les uns portent en
un temps d'un costé autrefois en un autre, & ainsi changent de
106/1090 fois à autre, ce qui apporte souvent du mesconte aux estimes
des navigeans, quand il fait des brunes, à quoy ce lieu est
fort suject, & qui durent quelquefois sept ou huict jours, il
n'y a qu'une grande pratique qui peut en avoir quelque
cognoissance.
Du cap de Gaspey à la terre du Nort y a vingt cinq à trente
lieues, cest la largeur de l'emboucheure du fleuve de sainct
Laurent, les marées sont en tout temps droiturieres en ce lieu
comme la riviere, & le vent tousjours de bout, soit à descendre
ou monter, & arrive rarement qu'on voye le vent par le travers
des terres, de façon qu'un vaisseau estant dans le courant fera
sa drive hors du fleuve plustost que d'aller à la coste: les
ebes sont beaucoup plus fortes que les flots qui durent sept
heures, & quelquefois plus: ce qui fait qu'on a plus de peine à
monter qu'à descendre, joint que les vents de Norrouest sont
les plus ordinaires & contraires en certaines saisons.
Ce Cap de Gaspey (comme j'ay dit) est à l'entrée de la grande
riviere du costé de la terre du midy, montant à mont l'on passe
si l'on veut une lieue ou deux vers l'eaue du cap des
Boutonnières[600], par la hauteur de quarante neuf degrés & un
quart, & à douze lieues dudit Gaspey.
[Note 600: Vraisemblablement l'un des caps de l'entrée du Grand-Étang.]
Et costoyant tousjours la coste du Su, jusques au commencement
des mons Nostre Dame vingt lieues dudit cap des Boutonnières,
les mons en ont vingt cinq de longueur, à la fin est le Cap de
107/1091 Chatte[601] assez haut, fait en forme de pain de sucre fort
ecore: se voyent aussi des terres doubles au dessus qui
quelquefois vous en font perdre la cognoissance si le temps
n'est clair & serain, si ce n'est que vous approchiez d'une
lieue ou deux dudit cap de Chatte. Montant à mont l'on va
jusqu'au travers de la riviere de Mantane, où il y a douze à
treize lieues dans cette riviere de plaine mer, des moyens
vaisseaux de quatre-vingts ou cent tonneaux y peuvent entrer,
c'est un havre de basse mer: estant en ladite riviere assez
d'eaue pour tenir les vaisseaux à flot. Ce lieu est assez
gentil, & s'y fait grande pescherie de saumon & truittes, ayant
les filets propres à cet effect, l'on en pourroit charger des
bateaux en leur temps & saison. Ceste riviere vient de
certaines montagnes, & peut on s'aller rendre par le travers
des terres, par le moyen des canaux des sauvages, en les
portant un peu par terre en la riviere qui se descharge dans la
baye de Chaleu[602], ce lieu de Mantane est fort commode pour
la chasse des eslans, où il y en a en grande quantité.
[Note 601: Il n'y a aucun doute que ce cap doit son nom à la mémoire du
commandeur de Chaste, ou de Chate. L'auteur le mentionne sous ce nom dès
1612 dans sa grande carte.]
[Note 602: De la rivière de Matane, on tombe dans celle de Matapédiac,
qui se décharge dans celle de Ristigouche, et celle-ci se jette au fond
de la baie des Chaleurs.]
De Mantane l'on va à l'Isle de sainct Barnabé[603] à seize
lieues, elle est par là hauteur de quarante huict degrez
trente-cinq minutes, & estant basse; au tour sont des pointes
de rochers, elle contient quelque lieue & demie de longueur,
fort proche de la terre du Su: il y a passage entre deux pour
passer de petites barques, & ne faut laisser de prendre garde à
soy, car elle est couverte de bois de pins, sapins & cedres.
[Note 603: Cette île s'appelait ainsi dès 1612. (Voir la carte de
1612.)]
108/1092 De sainct Barnabé au Bic[604], il y a quatre lieues, c'est une
montagne fort haute & pointue, qui parroist au beau temps de
douze à quinze lieues, & elle est seule de ceste hauteur, au
respect de quelques autres qui sont proche d'elle.
[Note 604: Ou le Pic. (Voir 1603, p. 4, note 4.)]
Du Bic on traverse la grande riviere au Norrouest, ou Nort un
quart au Norrouest, & va on recognoistre Lesquemain[605] à la
terre du Nort, y ayant sept à huict lieues. En ce lieu de
Lesquemain proche de terre, est un petit islet de rocher
derrière lequel se faisoit un degrat pour la pesche des
balaines, & une place pour mettre un vaisseau: mais ce lieu est
asseché de basse mer. Proche de là est Riviere une petite
riviere fort abondante en saumons, où les sauvages y font bonne
pescherie, comme en plusieurs autres.
[Note 605: Les Escoumins sont rigoureusement à l'ouest du Bic, si l'on
met la carte en son vrai méridien.]
De Lesquemain l'on passe prés des Bergeronnettes[606], qui en
est à quatre ou cinq lieues, le travers y a ancrage demie lieue
vers l'eaue, puis l'on va au moulin Baudé trois lieues, qui est
la rade du port de Tadoussac, le bon ancrage d'icelle est qu'il
faut ouvrir le moulin Baudé[607], qui est un saut d'eaue venant
des montagnes, & au travers jetter l'ancre.
[Note 606: On dit, depuis longtemps, Bergeronnes. Il y a les Petites et
les Grandes Bergeronnes, qui ne sont séparées l'une de l'autre que par
une pointe.]
[Note 607: C'est-à-dire, pour que le mouillage soit bon, il faut que le
moulin Baudé soit en vue.]
Ayant le vent bon à demy flot couru, à cause des marées du
Saguenay qui porte hors, bien qu'il y aye les deux tiers de
plaine mer, l'on peut lever l'ancré & mettre à la voille,
doubler la pointe aux vaches, avec la sonde à la main, & tenir
109/1093 tousjours deux ou trois chalouppes prestes: que si le vent
venoit à se calmer tout d'un coup comme il arrive assez
souvent, la marée vous porteroit au courant du Saguenay, &
ayant doublé ladite pointe aux vaches, vous faire tirer à terre
hors des marées dudit Saguenay s'il faisoit calme, & ainsi en
terre[608] audit port de Tadoussac, mettant le Cap au Nort, un
quart du Norrouest[609], estant dans le port il faut porter une
bonne ancre à terre & enfoncer l'orain[610] dans le sable le
plus que l'on pourra, & mettre une boite par le travers contre
l'orain, & avoir des pieux que vous enfoncerez dans le sable de
basse mer le plus avant que l'on pourra pour empescher que le
vaisseau ne chasse sur son ancre: dautant que ce qui est le
plus à craindre sont les vens de terre, qui viennent du
Saguenay & sont fort impétueux & violents, & viennent par
bourasques qui durent fort peu, car le vent du travers de la
riviere n'est point à craindre, d'autant qu'il y a bonne tenue
du costé de vers l'eaue, car l'ancre ne chasse point le cable,
ou l'ancre du vaisseau romperoit plustost.
[Note 608: Lisez «entrer.»]
[Note 609: Quoique ce passage renferme plusieurs fautes qui le rendent
presque inintelligible, nous avons cru cependant qu'il valait encore
mieux respecter la ponctuation et l'orthographe de l'édition originale,
et remettre en note le texte corrigé. L'auteur conseille aux vaisseaux
qui veulent entrer au port de Tadoussac, «de tenir deux ou trois
chaloupes prêtes, afin de pouvoir, ayant doublé la pointe aux Vaches, se
faire tirer à terre en dehors des courants du Saguenay, s'il faisait
calme, et ainsi _entrer_ audit port, mettant le cap au
nord-quart-norouest.»]
[Note 610: L'oreille.]
Or les costes du Nort depuis le travers d'Enticosty sont fort
baturieres pour la plus part; en quelques endroits il y a de
bons ports, mais ils ne sont cognus, hormis Chisedec[611] & le
110/1094 port neuf[612] trente lieues de Tadoussac: aussi il y a nombre
de petites rivieres où la pesche du saumon est grande, selon le
rapport des sauvages & des Basques qui cognoissent partie
d'icelle coste. J'ay costoyé ces terres quelques cinquante ou
soixante lieues dans une chalouppe, la terre est basse le long
de la mer, mais dans les terres elle paroist fort haute, il
n'en fait pas bon approcher que sa sonde à la main. Là est une
nation de sauvages qui habitent ces pays, qui s'appellent
Exquimaux, ceux de Tadoussac leur font la guerre.
[Note 611: Chisedec paraît correspondre à ce que nous appelons rivière
Saint-Jean.]
[Note 612: Ce qu'on appelle aujourd'hui Portneuf n'est qu'à quinze
lieues de Tadoussac.]
Et depuis Gaspay jusques au Bic, ce sont terres la plus grande
part fort hautes, notamment lesdits monts Nostre Dame, où les
neges y sont jusques au 10 & 15 de Juin. Le long de la coste il
y a force anses, petites rivieres & ruysseaux, qui ne sont
propres que pour de petites barques & chalouppes, mais il faut
que ce soit de plaine mer. La coste est fort saine, & en peut
on approcher d'une lieue ou deux, & y a ancrage tout le long
d'icelle, contre l'opinion de beaucoup, ainsi que l'experience
le fait cognoistre: l'on peut estaler les marées pour monter à
mont, si le vent n'est trop violent. Tout ce pays est remply de
pins, sapins, bouleaux, cedres, & force pois, & persil sauvage,
le long de la coste l'on pesche de la molue, jusqu'au travers
de Mantane, & force macreaux en sa saison, & autres poissons.
Le travers de Tadoussac, qui est par quarante huict degrés deux
tiers, à deux lieues au Sud il y a nombre d'Isles, & est
entr'autres l'Isle verte, à quelque six lieues dudit Tadoussac,
111/1095 en laquelle les Rochelois venoient à la desrobée traitter de
peleteries avec les sauvages[613]. La grande riviere a de large
le travers dudit Tadoussac, 5 à 6 lieues. Juqu'à la terre du Su
est une riviere par laquelle l'on peut aller à celle de S.
Jean, en portant les canaux partie par terre, & le reste par
les lacs & rivieres, tous ces chemins ne se font sans
difficulté.
[Note 613: Voir ci-dessus, p. 31.]
Partant de Tadoussac à la pointe aux Allouettes il y a une
petite lieue, ceste pointe met hors plus de demy lieue, elle
asseche de basse mer. Il y a un islet de cailloux couvert de
persil, qui a la feuille fort large, & quantité de pois
sauvage. Les barques de plaine mer rangent la grand terre. Du
Cap de la riviere du Saguenay[614], l'on passe proche d'un
islet qui est au fond d'une anse qui s'appelle l'islet
Brulé[615] presque tout rocher. Le travers il y a ancrage à un
cable vers l'eaue, au fond de l'anse est un ruisseau qui vient
des montagnes. De ce ruysseau rangeant la terre à demy ject de
pierre, il n'y a que sable jusques au Cap de la pointe des
Allouettes, sur iceluy est une plaine comme une prairie,
contenant quelques quatre à cinq arpents de terre, le reste
sont bois de pins, sapins, & bouleaux, où il y a force lapins &
perdrix. Les barques (comme dit est) passent proche de ce Cap
pour abréger chemin, à aller à Québec: car passant dehors la
pointe de l'Islet de Cailloux [616] vers l'eaue, il faudroit
faire plus d'une lieue & demie qui est le grand passage, où il
112/1096 y a de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce soit: Il se
faut donner garde de l'Isle Rouge, où les marées chargent.
Ayant le temps clair & sans bruines, il n'y a point de danger
en toute ceste pointe, & autre bans de fables qui y sont
attenans, asseché tout de basse mer où l'on treuve une quantité
de coquillages, comme bregos, coques, moulles, hoursains, &
force loches, qui sont sous les pierres en plusieurs endroits:
cela va jusqu'à l'anse aux Basques, contenant prés de trois à
quatre lieues de circuit[617]. Il s'y voit aussi une infinité
de gibier en sa saison, tant oyseaux de riviere, & sarselles,
que petites oyes, outardes, & entr'autres il y a un si grand
nombre d'allouettes, courlieux, grives, begasses,
beccasses[618], pluviers & autres sortes de petits oyseaux,
qu'il s'est veu des jours que trois à quatre Chasseurs en
tuoient plus de trois cens douzaines, qui sont très grasses &
délicates à manger. Pour aller à cette pointe aux Allouettes,
il faut traverser le Saguenay, qui tient en son entrée un quart
de lieue de large: de ceste riviere j'en ay fait assez ample
description[619], tant de ce que j'ay veu que du raport des
sauvages qui m'en a esté fait.
[Note 614; Ce cap s'appelle aujourd'hui la pointe Noire.]
[Note 615: Cet îlet est situé au fond de l'anse Sainte-Catherine.]
[Note 616: L'île aux Alouettes, appelée encore îlet Blanc, et île au
Mort.]
[Note 617: La batture des Alouettes a en effet quatre lieues de circuit,
et même plus.]
[Note 618: Probablement, l'un de ces deux mots est de trop.]
[Note 619: Voir 1603, ch. IV, 1613, p. 142 et suiv., 1632, première
partie, p. 130 et suiv.]
De la pointe aux Allouettes faisant le Surouest, Cap de un
quart au Su, l'on va au Cap de Chafaut aux Basques, en ce lieu
il y a ancrage, mais il faut prendre garde, car par des
endroits est rocher où les ancres pourroient bien demeurer, si
113/1097 l'on ne recognoist bien le fond, un peu plus vers l'eaue, le
mouillage est plus net & vers le Chafaut aux Basques, demeure à
sec qui est au fond de l'anse où sont deux ruisseaux qui
viennent des montagnes. A l'entrée de ces deux ruisseaux est un
islet de rocher, où il y a un peu de terre dessus, & quelques
arbres qui assechent tout de basse mer jusqu'à la grande terre,
en laquelle est une petite riviere à trois quarts de lieue de
la pointe aux Allouettes, & une bonne lieue & d'avantage du
Chafaut aux Basques laquelle est abondante en poisson en son
temps, comme de truittes & saumons, quantité d'Eplan
très-excellent qui s'y prend, le gibier s'y retire en grand
nombre[620].
[Note 620: Aussi cette rivière s'appelle la rivière aux Canards.]
Du Cap de Chafaut aux Basques, faisant la mesme route jusqu'à
la riviere de l'Equille[621], il y a trois lieues, & de la
pointe aux Allouettes cinq. Costoyant la coste du Nort l'on
passe proche de l'Anse aux Rochers qui est baturiere. A
l'entrée du port est un petit islet proche de terre, où il y a
mouillage de beau temps pour des barques, au fond de l'anse
sont deux petites rivieres qui ne sont que ruisseaux, à une
lieue & demie du Cap aux Basques.
[Note 621: Le port de l'Equille, ou, comme on dit généralement, le port
aux Quilles.]
De l'Anse de Rocher à la riviere de l'Equille, il y a prés
d'une lieue & demie, un Cap[622] est entre deux: ceste riviere
de l'Equille vient des montagnes, & asseche de basse mer, un
peu vers l'eaue de l'entrée il y a mouillage pour barques.
114/1098 L'Isle au Liévre demeure au Suest trois lieues[623], la pointe
aux Allouettes & ceste dite Isle est Nortnordest & Susurouest:
laquelle Isle est esloignée de la terre du Sud prés de trois
lieues, entre les deux il y a des Isles[624]: ce costé n'est
bien cognu, comme n'estant sur la routte de Québec & Tadoussac.
L'Isle aux Liévres ainsi nommée pour y en avoir, est couverte
de bois de pins, sapins & cedres, il y a des pointes de rochers
assez dangereuses, elle a deux lieues & demie de longueur.
[Note 622: La Tête-au-Chien.]
[Note 623: Deux lieues.]
[Note 624: Les îlots du Pot-à-l'Eau-de-Vie et des Pèlerins.]
Du port de l'Equille au port aux femmes[625], il y a une bonne
lieue: ce port aux femmes est une anse partie sable & cailloux,
proche de là est un petit estang. Les sauvages se cabanent
quelques fois en ce lieu, au dessus d'une pointe de terre qui
est plate & assez agréable: proche de ce lieu il y a ancrage,
pour Barques en beau temps.
[Note 625: La rivière Noire.]
Du port aux femmes l'on va au port au Persil, distant prés
d'une lieue, qui est anse derrière un Cap, où il y a une petite
riviere qui asseche de basse mer, elle vient des montagnes qui
sont fort hautes, il y a ancrage proche, & à l'abry du vent du
Su, venant à Ouest jusques au Nortnordest.
Du port au Persil l'on va tournant au tour d'une montagne de
rochers qui fait Cap[626]: une lieue après l'on vient au port
aux saumons, qui est une anse dans laquelle se deschargent deux
ruisseaux, il y a un islet en ce lieu où sont quantité de
framboises, fraises, & blues, en leur saison: ceste anse
asseche de Bassemer, un peu vers l'eaue de l'islet il y a
115/1099 ancrage pour vaisseaux & barques, l'on est à l'abry du
Nortdest.
[Note 626: La pointe à l'Homme, au-dessus de laquelle est le cap au
Saumon.]
Du port aux Saumons à celuy de Malle Baye[627], est distant
d'une lieue double, ce Cap rangeant la coste d'un quart, & demy
lieue il y a ancrage pour des vaisseaux[628]: cedit Cap &
l'Isle aux Liévres sont Nortdest un quart à l'Est, & Surrouest
un quart à l'Ouest prés trois lieues.
[Note 627: Ce cap de Malle-Baie est ce que nous appelons aujourd'hui le
cap à l'Aigle.]
[Note 628: Ce passage, pour être intelligible, doit se lire comme suit:
«Du port aux Saumons au cap de Malle Baye est distant d'une lieue;
doublé ce cap, rangeant la coste d'un quart ou demy lieue, il y a
ancrage pour des vaisseaux.»]
Du Cap de Male Baye jusqu'à la riviere Plate[629] trois lieues,
ceste riviere est dans une anse qui asseche de Bassemer,
reservé un petit courant d'eaue qui vient de la riviere, qui
est assez spatieuse, il y a force rochers dedans, qui ne la
rendent navigeable que pour les canaux des sauvages qui servent
à surmonter toutes sortes de difficultez avec leurs bateaux
d'escorse.
[Note 629: La rivière de la Mallebaie.]
De la riviere Plate au Cap de la riviere Plate [630], faisant
le Surouest trois lieues & demie, entre les deux est un petit
ruisseau anse ou[631] devant iceluy il y a ancrage, comme
devant la riviere Platte pour des vaisseaux. Estant un peu vers
l'eaue de l'Anse la sonde vous gouverne, vous prendrez tant &
si peu d'eaue que vous voudrez, soit pour vaisseaux ou barques,
le fond est sable en la plus part de ces endroits.
[Note 630: Aujourd'hui le cap aux Oies.]
[Note 631: Ou anse.]
116/1100 Du Cap de la riviere Platte au Surouest il y a deux
lieues[632], vous passez plusieurs petites anses qui sont
remplies de Rochers, comme est partie de toute la coste depuis
Tadoussac jusqu'en ce lieu, toutes les terres sont fort hautes,
& le pays fort sauvage & desagreable, remplis de pins, sapins,
cèdres, bouleaux & quelques autres arbres, si ce n'est quelque
rencontre de petites valées qui sont agréables. Du Cap aux
oyseaux[633] à l'Isle au Coudre, il y a une bonne lieue, elle a
une lieue & demie [634] de longueur, eslevée par le milieu
comme un costeau, chargée d'arbres de pins, sapins, cèdres,
bouleaux, hestres & des coudriers par endroits. Au bout de
ladite Isle du Surouest sont des prez, & un petit ruisseau qui
vient de ladite Isle, avec quantité de bonnes sources d'eaues
très excellentes, en icelle est nombre de lapins, & quantité de
gibier, qui y vient en saison: il se voit nombre de pointes de
rochers au tour d'icelle, & notamment une qui avance beaucoup
en la riviere du costé du Nort, de quoy il se faut donner de
garde, la marée y court avec beaucoup de violence, comme au
milieu de Lachenal, elle est esloignée de la terre du Nort
demie lieue, terre de rochers assez haute, il y a ancrage entre
les deux pour des vaisseaux, en se retirant un peu du courant
117/1101 du costé du Nort demy quart de lieue dudit Cap aux oyes[635].
A une lieue de ladite Isle au Nort, est une grande anse[636]
qui asseche de bassemer, où il y a nombre de rochers espars ça
& là, en ce lieu descend une riviere qui n'est navigeable que
pour des canaux, y ayant nombre de sauts, elle vient des
montagnes qui paroissent dedans les terres fort hautes chargées
de pins & sapins.
[Note 632: C'est-à-dire, «du cap aux Oies, au sud-ouest, l'espace de
deux lieues, vous passez,» etc.]
[Note 633: Il semble que ce cap correspond au cap Martin.]
[Note 634: Deux lieues.]
[Note 635: «Il y a ancrage entre l'île et la terre du Nord, en se
retirant un peu du courant, du côté du nord _de l'île_, demi-quart de
lieue du cap aux Oies (cap à l'Aigle, sur l'île).» Ce mouillage nous
paraît être celui de l'anse des Prairies; et le nom de cap aux Oies,
donné au cap à l'Aigle de l'île aux Coudres, pourrait bien être la cause
de toute la confusion qui règne dans la géographie ancienne de ces
parages.]
[Note 636: L'anse des Éboulements.]
Au Su de l'Isle au Coudre, il y a nombre de basses & rochers,
qui sont sur le travers de la riviere prés d'une lieue, tout
cela couvre de plaine mer, plus au midy est lachenal, où les
vaisseaux peuvent aller, à quatre ou cinq brasses d'eaue de
bassemer, rangeant quantité d'Isles, les unes contenant une à
deux lieues, & autres moins, en aucunes sont des prairies qui
sont fort belles, où en la saison y vient une telle quantité de
gibier qu'il n'est pas croyable à ceux qui ne l'ont veue: ces
Isles sont chargées de grands arbres, comme pins, sapins,
cèdres, bouleaux, ormes, fresnes, érables, & quelque peu de
chesnes, en aucunes. Si vous attendez la plaine mer vous
treuverez sept à huict brasses d'eaue, jusqu'à ce que l'on soit
au travers de l'Isle au Ruos, à lors l'on treuve dix, douze, &
treize brasses d'eaue, allant à Québec passant au Su de l'Isle
d'Orléans.
Du costé du Su de ces Isles est encore un autre partage où il
n'y a pas moins de huict brasses d'eaue: pour n'estre encore
bien recognue, l'on n'en fait point d'estime ne grande
recherche, puisqu'on en a d'autres: De ces Isles à la terre du
Su il y a environ deux lieues, la mer y asseche prés d'une
118/1102 lieue: en ce lieu est une riviere fort belle qui vient des
hautes terres, toute chargée de forests, où sont quantité
d'eslans & cariboux, qui sont presque aussi grands que cerfs,
la chasse du gibier abonde sur les batures qui assechent de
basse mer.
Retournons au Nort du passage de ladite Isle au Coudre, double
la pointe de rochers[637] tousjours la sonde à la main, pour
suivre la Chenal & eviter les basses, tant de costé que
d'autre, mettant le Cap au Surrouest vous rangez sept lieues de
coste jusqu'au Cap Brulé demie lieue[638] du Cap de Tourmente,
laquelle terre est fort montueuse, pleine de rochers, &
couverte de pins, & sapins, y ayant nombre de ruisseaux qui
viennent des montagnes se descharger en la riviere.
[Note 637: «Doublé la pointe de la Prairie.»]
[Note 638: Deux lieues.]
Comme l'on est au Cap Brulé, il faut mettre le Cap sur le bout
de l'Isle du Nordest appellé des Ruos[639], qui vous sert de
marque pour suivre la Chenal, il y a deux lieues de passage qui
est le plus dangereux & difficile à passer depuis Tadoussac, à
cause des batures & pointes de rochers qui sont en ce traject
de chemin, neantmoins il ne laisse d'y avoir assez d'eaue
jusques à cinq brasses de bassemer, tousjours la sonde à la
main, car par ce moyen vous conduirez le fond jusqu'à ce que
treuviez dix à douze brasses d'eaue: alors l'on suit le fond
costoyant l'Isle d'Orléans au Su, qui a six lieues de longueur
& une & demie de large, en des endroits chargée de quantité de
bois, de toutes les sortes que nous avons en France, elle est
119/1103 très belle bordée de prairies du costé du Nort, qui innondent
deux fois le jour. Il y a plusieurs petits ruisseaux & sources
de Fontaines, & quantité de vignes qui sont en plusieurs
endroits. Au costé du Nort de l'Isle y a un autre passage, bien
que en la Chenal il y aye au moindre endroit trois brasses
d'eaue, cependant l'on rencontre quantité de pointes, qui
avancent en la riviere, très dangereuses & peu, de louiage, si
ce n'est pour barques, & si faut faire les bordées courtes.
Entre l'Isle & la terre du Nort il y a prés de demie lieue de
large, mais la Chenal est estroit, tout le païs du Nort est
fort montueux. Le long de ces costes y a quantité de petites
rivieres qui la plus part assechent de basse mer, elle abonde
en poisson de plusieurs sortes, & la chasse du gibier qui y est
en nombre infiny, comme à l'Isle & aux prairies du Cap de
Tourmente, très beau lieu & plaisant à voir pour la diversité
des arbres qui y sont, comme de plusieurs petits ruisseaux qui
traversent les prairies, ce lieu est grandement propre pour la
nourriture du bestial.
[Note 639: «Sur le bout du nordest de l'île aux Reaux.»]
De l'Isle d'Orléans à Québec y a une bonne grande lieue, y
ayant de l'eaue assez pour quelque vaisseau que ce toit, de
façon que qui voudroit venir de Tadoussac l'on le pourroit
faire aisement avec des vaisseaux de plus de trois cens
tonneaux, il n'y a qu'à prendre bien son temps & ses marées à
propos pour y aller avec seureté.
Retournant à la continuation de nostre voyage de Québec, ledit
de la Ralde fit descharger de ses vaisseaux quelque nombre de
bariques de galettes & pois, tant dans le vaisseau des Peres
120/1104 Jesuites, qu'au nostre: Nous sceusmes par des Basques qui
s'estoient sauvez de leur navire, lequel s'estoit brûlé dans un
port appelle Chisedec qui est au fleuve sainct Laurent, par un
petit garçon qui malheureusement mit le feu aux poudres, y
estant allez pour faire pesche de balaines, de là furent à
Tadoussac avec leurs chalouppes où ils traitterent quelques
peleteries, & s'en vinrent à l'Isle Percée, pour treuver
passage pour retourner en France, ledit de la Ralde se délibéra
de les mener à Miscou pour plus amplement s'informer de ce
qu'ils avoient fait & traitté, & premier que partir il vint à
bort le 21 dudit mois, & délibéra d'aller à Miscou pour
recouvrir de certaines debtes que les sauvages luy devoient, &
voir en quel estat estoient les marchandises qu'il avoit
aissées l'année d'auparavant en garde à un sauvage appellé
Jouan chou, me promettant que dans un mois plus tard il
viendroit à Québec, nous apportant toutes les choses qui nous
manquoient, principalement des poudres & des mousquets, comme
il avoit esté chargé de m'en fournir. Il fit assembler son
esquippage, leur disant que ne pouvant aller pour l'heure en
son vaisseau, il y mettroit ledit Emery pour y commander, & que
l'on luy obéit comme à sa propre personne, en le chargeant
particulièrement de dire aux matelots prétendus reformés, qu'il
ne desiroit qu'ils chantassent les Pseaumes dans le fleuve
sainct Laurent, cela dit il se desembarqua.
Et nous levasmes l'ancre & mismes sous voilles avec vent
favorable. Le soir ledit Emery fit assembler son esquippage,
121/1105 leur disant que Monseigneur le Duc de Ventadour ne desiroit
qu'ils chantassent les Pseaumes dans la grande riviere comme
ils avoient fait à la mer, ils commencèrent à murmurer & dire
qu'on ne leur devoit oster ceste liberté: en fin fut accordé
qu'ils ne chanteroient point les Pseaumes, mais qu'ils
s'assembleroient pour faire leurs prières, car ils estoient
presque les deux tiers de huguenots, & ainsi d'une mauvaise
debte l'on en tire ce que l'on peut.
Le 25 de Juin nous mouillasmes l'ancre le travers du Bicq,
quatorze lieues à l'Est de Tadoussac. Ledit Emery despescha une
chalouppe à Québec pour advertir ledit du Pont de nostre venue.
Sur le soir appareillasmes pour aller à Tadoussac. La nuict
s'esleva une si grande brune que le l'endemain au matin
pensasmes aborder un Islet prés de l'Esquemain terre du Nort,
ce qu'ayant esvité heureusement nous mismes vers l'eaue, & la
brune continuoit si fort que l'on ne voyoit pas presque la
longueur du vaisseau, l'on fit mettre nostre batteau dehors
entre la terre & nous, & un trompette, affin que quand ils
verroient la terre ils nous en advertissent par le son
d'icelle, car l'on n'eust peu voir le bateau à cinquante pas de
nous, & comme il s'apperceut en estre fort proche il nous donna
advis que n'en devions pas approcher de plus près: & de plus
advisa un petit vaisseau d'environ cinquante tonneaux qui avoit
mouillé l'ancre entre deux pointes, & qui traittoit avec les
sauvages du Port de Tadoussac: ce qu'ayant apperceu il fait
devoir de venir à nous, par le moyen du son de la trompette &
122/1106 d'un autre qui leur respondoit de nostre vaisseau, nous ayant
apperceus ils nous dirent ces nouvelles: mais comme nous
estions de l'avant du vaisseau & le vent & marée contraires
pour retourner au lieu où estoit ledit vaisseau la brune qui
nous affligeoit fort, & nostre vaisseau mauvais voilier, nous
ne peusmes rien faire.
Ledit vaisseau ayant sceu que nous estions proche de luy, par
le moyen d'un canau de Sauvages qui estoit vers l'eaue, lequel
ayant apperceu nostre basteau, les alla promptement advertir, &
aussi tost coupperent leurs câbles sur l'escubier, laisserent
leur ancre & basteau, mettent sous voiles, ce que nous
apperceusmes, & une esclercie, & estant meilleur voilier, il
s'esloigna en peu de temps de nous, ce qui nous occasionna de
mettre à l'autre bord.
Comme le vaisseau des pères Jesuites qui avoit fait chasse sur
luy, & s'il eust esté bien armé il l'eust emporté, car il fut
jusqu'à parler audit vaisseau, & prit on le basteau du
Rochellois: De ceste marée Rochelois fusmes mouillier l'ancre à
la pointe des Bergeronnes, attendant la marée pour aller à
Tadoussac, auquel lieu l'on envoya des Charpentiers &
Calfeustreurs, pour accommoder les barques qui y estoient.
Le Samedy 27, levasmes l'ancre & nous vinsmes mouillier le
travers du moulin Baudé, à deux lieues du Cap des Bergeronnes.
Un François qui estoit venu de Québec, nous dit que du Pont
avoit esté malade, tant des gouttes que d'autre maladie, &
qu'il en avoit pensé mourir: mais que pour lors il se portoit
bien & tous les hyvernans, mais fort necessiteux de vivres
123/1107 comme le mandoit ledit du Pont, lequel avoit despesché une
chalouppe pour envoyer à Gaspey & à l'Isle Percée, pour sçavoir
des nouvelles, & treuver moyen d'avoir des vivres s'il estoit
possible, pour n'abandonner l'habitation, & pouvoir repasser en
France la plus grande partie de ceux qui avoient hyverné,
craignans que nous ne fussions perdus, ou qu'il fust arrivé
quelqu'autre fortune pour estre si tard à venir, qu'ils
n'avoient plus que deux poinçons de farines, qu'ils reservoient
pour les malades qui pourroient y avoir, estans réduits à
manger du Migan comme les sauvages.
Voilà les risques & fortunes que l'on court la plus part du
temps, d'abandonner une habitation & la rendre en telle
necessité qu'ils mourroient de faim, si les vaisseaux venoient
à se perdre, & si l'on ne munit ladite habitation de vivres
pour deux ans, avec des farines, huilles, & du vinaigre, &
ceste advance ne se fait que pour une année, attendant que la
terre soit cultivée en quantité pour nourrir tous ceux qui
seroient au pays, qui seroit la chose à quoy l'on devroit le
plus travailler après estre fortifié & à couvert de l'injure du
temps. Ce n'est pas que souvent je n'en donnasse des advis, &
representé les inconveniens qui en pouvoient arriver: mais
comme cela ne touche qu'à ceux qui demeurent au pays, l'on ne
s'en soucie, & le trop grand mesnage empesche un si bon oeuvre,
& par ainsi le Roy est très mal servy, & le sera tousjours si
l'on n'y apporte un bon reiglement, & estre certain qu'il
s'exécutera.
124/1108 Le 29 dudit mois nous entrasmes au port de Tadoussac où il y
avoit quelque trente cinq cabanes de sauvages. Le dernier de
Juin une barque partit chargée de vivres pour l'habitation, &
de marchandises pour la traitte, le père Noyrot Jesuiste & le
Père Joseph Recollet s'en allèrent dedans.
Le premier de Juillet je partis pour aller à Québec, où arrivé
le cinquiesme dudit mois, je vis ledit du Pont, tous les Peres
& autres de l'habitation en bonne santé: après avoir visité
l'habitation & ce qui s'estoit fait du depuis mon départ pour
les logements, je ne le trouvay si advancé comme je m'estois
promis, voyant que les hommes & ouvriers ne s'estoient pas bien
employez comme ils eussent bien peu faire, & le fort estoit au
mesme estat que je l'avois laissé, sans qu'on y eust fait
aucune chose, (ce que je m'estois bien promis à mon départ,) ny
au bastiment de dedans qui n'estoit que commencé, n'y ayant
qu'une chambre où estoient quelques mesnages, attendant qu'on
l'eust parachevé, je voyois assez de besongne d'attente, bien
qu'à mon départ de deux ans & demy[640] j'avois laissé nombre
de matériaux prests, & bois assemblé, & dix-huict cens planches
sciées pour les logemens, ausquels les ouvriers firent de
grandes fautes, pour n'avoir suivy le dessein que j'avois fait
& monstré[641].
[Note 640: Il n'y avait pas encore tout à fait deux ans; Champlain avait
quitté Québec le 15 d'août 1624 (voir ci-dessus, p. 83), et il était de
retour le 5 juillet 1626.]
[Note 641: Voir ci-dessus, p. 68, note 1.]
Après avoir tout consideré, je jugé combien par le temps passé
les ouvriers perdoient le temps aux plus beaux & longs jours de
125/1109 l'année, pour entretenir le bestial de foin, qu'il falloit
aller quérir au Cap de Tourmente à huict lieues[642] de nostre
habitation, tant à faucher & faner, qu'à l'apporter à Québec,
en des barques qui sont de peu de port, où il failloit estre
prés de deux mois & demy, employant plus de la moitié de nos
gens de travail, qui ne passoient pas vingt quatre, de
cinquante cinq personnes qui estoient en ladite habitation,
cela me fit resoudre de mettre en effect ce que long temps
auparavant j'avois délibéré. L'ayant donné à entendre aux
associez qui fit que j'allay aux prairies dudit Cap de
Tourmente, choisir un lieu propre pour y faire une habitation,
à y loger quelques hommes pour la conservation du bestial, & y
faire une estable pour les retirer, & par ce moyen estant une
fois là, l'on ne seroit plus en soucy de ce qui nous donnoit de
l'incommodité, & les ouvriers si peu qu'il y en avoit, ne
perderoient le temps comme au passé.
[Note 642: Huit lieues marines, de 20 au degré. Il faut se rappeler que
Champlain ne donne à l'île d'Orléans (ci-dessus, p. 118) que six lieues;
et elle n'a guère que six lieues marines aussi. Les prairies naturelles
du cap Tourmente étaient donc environ une lieue plus bas que l'île,
c'est-à-dire, entre le ruisseau de la Petite-Ferme et la rivière de la
Friponne.]
Je choisis un lieu[643] où est un petit ruysseau & de plaine
mer, où les barques & chalouppes peuvent aborder, auquel
joignant y a une prairie de demye lieue de long & davantage, de
l'autre costé est un bois qui va jusques au pied de la montagne
dudit Cap de Tourmente demie lieue de prairies[644], lequel
126/1110 diversifié de plusieurs sortes de bois, comme chesnes, ormes,
fresnes, bouleaux, noyers, pommiers sauvages, & force
lembruches de vignes, pins, cèdres & sapins, le lieu de soy est
fort agréable, où la chasse du gibier en sa saison est
abondante: & là je me resolus d'y faire bastir le plus
promptement qu'il me fut possible, bien qu'il estoit en Juillet
je fis neantmoints employer la plus part des ouvriers à faire
ce logement, l'estable de soixante pieds de long & sur vingt de
large, & deux autres corps de logis, chacun de dix-huict pieds
sur quinze, faits de bois & terre à la façon de ceux qui se
font aux villages de Normandie, ayant donné ordre en ce lieu,
je m'en retournay à Québec, pour remédier aux autres choses,
qui fut le huictiesme dudit mois, où estant, j'envoyay le sieur
Foucher pour avoir esgard à ce que les ouvriers ne perdissent
leurs temps, avec des vivres pour leur nourriture, & tous les
huict jours je faisois un voyage en ce lieu pour voir
l'advancement de leur travail.
[Note 643: Ce lieu «où est un petit ruisseau» est l'emplacement actuel
des bâtisses de la Petite-Ferme, comme le prouve la carte du sieur Jean
Bourdon de 1641, où l'on trouve, précisément à cet endroit, les mots:
_Vieille habitation_. Effectivement, l'on y a découvert, il y a quelques
années, des restes d'anciennes fondations dont l'existence ne paraît pas
pouvoir s'expliquer autrement.]
[Note 644: Ces quelques mots, qui font répétition, devaient sans doute
aller en marge.]
Je consideré d'autre part que le fort[645] que j'avois fait
faire estoit bien petit, pour retirer à une necessité les
habitans du pays, avec les soldats qui un jour y pourroient
estre pour la deffense d'iceluy, quand il plairoit au Roy les
envoyer, & falloit qu'il eust de l'estendue pour y bastir,
celuy qui y estoit avoit esté assez bon pour peu de personnes,
selon l'oyseau il falloit la cage, & que l'agrandissant il se
rendroit plus commode, qui me fit resoudre de l'abatre &
l'agrandir, ce que je fis jusqu'au pied, pour suivre mieux le
127/1111 dessein que j'avois, auquel j'employay quelques hommes qui y
mirent toute sorte de soing pour y travailler, affin qu'au
printemps il peust estre en deffence, cela s'exécuta, sa figure
est selon l'assiette du lieu que je mesnagé avec deux petits
demy bastions bien flanquez, & le reste est la montagne, n'y
ayant, que ceste advenue du costé de la terre qui est difficile
à approcher, avec le canon qu'il faut monter 18 à 20 toises, &
hors de mine, à cause de la dureté du rocher, ne pouvant y
faire de fosse qu'avec une extrême peine, la ruine du petit
fort servir en partie à refaire le plus grand qui estoit édifié
de fascines, terres, gazons & bois, ainsi qu'autrefois j'avois
veu pratiquer, qui estoient de très bonnes forteresses,
attendant un jour qu'on la fit revestir de pierres à chaux & à
sable qui n'y manque point, commandant sur l'habitation, & sur
le travers de la riviere.
[Note 645: Le fort Saint-Louis, à Québec.]
Ainsi je donné ordre à faire couvrir la moitié de l'habitation
que j'avois fait commencer premier que partir, & quelques
autres commoditez qui estoient necessaires. Voilà tous nos
ouvriers employez au nombre de 20, bien qu'une partie du temps
il y en avoit qui estoient empeschez à aller dans les barques,
qui ne servoient de rien à l'habitation.
Le père Noyrot amena vingt hommes de travail que le reverend
Pere Allemand[646] employa à se loger, & desfricher les terres
où ils n'ont perdu aucun temps, comme gens vigilants &
laborieux, qui marchent tous d'une mesme volonté sans discorde,
128/1112 qui eut fait que dans peu de temps ils eussent eû des terres
pour se pouvoir nourrir & passer des commoditez de France, &
pleust à Dieu que depuis 23 à 24 ans les societez eussent esté
aussi reunies & poussées du mesme desir que ces bons Peres: il
y auroit maintenant plusieurs habitations & mesnages au païs,
qui n'eussent esté dans les trances & apprehensions qu'ils se
sont veues.
[Note 646: Le P. Charles Lalemant, supérieur.]
Le 14 dudit mois arriva le père de la Noue de Tadoussac, qui
nous dit que depuis que Emery estoit party dudit lieu[647] que
ceux de l'équipage ne s'estoient pas souciez des deffences
qu'il avoit faites à son départ, de ne chanter des pseaumes,
ils ne laisserent de continuer, de sorte que tous les sauvages
les pouvoient entendre de terre, cela n'importe à leur dire,
c'est le grand zèle de leur foy qui opère.
[Note 647: Il avait dû partir de Tadoussac pour la traite le 30 juin.
(Voir ci-dessus, p. 124.)]
Les peres de la Nouë &, Breboeuf, qui avoient hyverné avec le
reverend Père l'Allemand, se delibererent d'aller aux
Hurons[648] hyverner, voir le païs, apprendre la langue, &
considerer quelle utilité & bien l'on pourroit esperer pour
l'acheminement de ces peuples à nostre foy: aussi il y eut un
père Recollet appellé le père Joseph de la Roche qui y avoit
hyverné l'année d'auparavant desdits Peres jesuistes, avec le
mesme dessein, & quelques François qu'on envoya pour obliger
les sauvages à venir à la traitte.
[Note 648: D'après la Relation 1626, ils ne seraient partis que vers la
fin de juillet.]
Le mesme jour arriverent trois ou quatre chaloupes qui alloient
à Tadoussac, & d'aucuns qui estoient dedans, dirent qu'il y
avoit des prétendus reformez qui faisoient leurs prières en
129/1113 quelques barques, s'assemblant au desceu dudit Emery de Caen,
qui fut cause que je luy en donnay advis, afin qu'il y mit
ordre, tant là, qu'à Tadoussac.
Le 22 dudit mois arriva une chaloupe à Québec, de la part
dudit de la Ralde de Miscou, lequel m'escrivit qu'il ne pouvoit
venir cette année, d'autant qu'il avoit treuvé plusieurs
vaisseaux qui avoient traitté des peleteries, contre les
deffences du Roy, & pour ce, s'en vouloir saisir & les amener
en France, escrivant audit Emery de Caen qu'il eust à envoyer
l'alouette vaisseau des peres Jesuistes & l'armer des choses
necessaires pour se rendre tant plus fort & maistre desdits
vaisseaux qui traittoient.
Un canau arriva de la riviere des Yrocois, ce mesme jour, qui
nous dit que cinq Flamands avoient esté tuez par les sauvages
Yrocois, qui par cy devant avoient esté leurs amis, qui ont
maintenant guerre avec les Mahiganathicoit[649], où sont les
Flamands au 40e degré, costes attenantes à celle des Virgines
où l'Anglois habite.
[Note 649: Probablement une tribu des Mahingans, et peut-être les
Mahingans eux-mêmes.]
Le 25e jour d'Aoust ledit Emery partit de Québec. Et ledit du
Pont se délibéra de repasser en France, bien que ledit sieur de
Caen [650] lui mandoit que cela seroit en son option de
demeurer s'il vouloit, & s'estant resolu de s'en retourner,
Cornaille de Vendremur d'Envers[651] demeura en sa place, pour
avoir soing de la traitté & des marchandises du magazin, avec
130/1114 un jeune homme appellé Olivier le Tardif de Honnefleur,
sous-commis qui servoit de truchement. Tous nos vivres estans
desembarquez je les fis visiter, le nombre qu'il y avoit estoit
peu, qui estoit pour tomber en des inconvenients d'une mauvaise
attente, comme j'ay dit cy dessus, si Dieu ne nous aydoit par
le prompt retour des vaisseaux.
[Note 650: Le sieur Guillaume de Caen.]
[Note 651: Corneille de Vendremur (peut-être pour Vander-Mur ou
Vander-Meer), d'Anvers. Le plus souvent, il est appelé simplement
Corneille.]
Le 15 de Septembre j'envoyay le bestial au Cap de Tourmente,
d'où il y a sept lieues[652]. Et le 21 je fis porter des vivres
& commoditez, pour six hommes, une femme & une petite fille.
[Note 652: Un peu plus haut, l'auteur compte huit lieues, et il devait y
avoir au moins huit grandes lieues. (Voir la note 1 de la page 125.)]
Le 24 s'en revindrent tous les ouvriers dudit Cap, qui avoient
parachevé le logement tant pour les hommes que pour le bestial,
lesquels hommes j'employay à aller couper nombre de pièces de
bois pour sier en hyver & faire la charpente necessaire à faire
les logements.
Le 24 du mois d'Octobre je fus audit Cap de Tourmente, & delà
pensois aller aux Isles, qui sont le travers pour recognoistre
quelques particularitez, mais le vent de Nordest s'esleva si
fort que nous pensasmes périr, toutes nos commoditez furent
perdues, nostre chalouppe grandement offencée, qui nous
contraignit de relacher & retourner à Québec.
Le 30 dudit mois s'esleva un si grand coup de vent, de Nordest,
que la mer croissant extraordinairement, nous brisa une de nos
barques sans y pouvoir remédier, laquelle estoit toute pourrie
au fond pour estre trop vieille, Dieu permettant ce mal-heur
pour un autre plus grand bien.
131/1115 Le mois de Novembre est fort variable en ces lieux, tantost il
y neige, pleut & gele, avec quelques coups de vents
advancoureurs de l'hyver, neantmoins je ne laissay durant ce
temps, de faire amaner quantité de pièces de bois pour employer
les charpentiers & sieux d'ais pendant l'hyver, qui nous
surprit plustost qu'à l'accoustumée, qui fut le 22 dudit mois,
la grande riviere commença à charier de petites glaces. Le 7 de
Décembre mourut de la jaulnisse un des ouvriers des Peres, qui
estoit assez aagé.
Le 17 dudit mois le reverend père l'Allemand baptisa un petit
sauvage[653], qui n'avoit que dix à douze jours, par la
permission de son père appellé Caquémisticq, le lendemain fut
enterré au cemetiere de l'habitation[654].
[Note 653: D'après Sagard, c'était une petite fille. On envoya quérir le
P. Joseph pour baptiser l'enfant, qui était «assez foible & fluette, ce
que sçachant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant
trouvé assez forte en différa le baptesme avec consentement de la mère,
jusques à l'arrivée du Père Charles Lallemant qu'il fut quérir en nostre
Convent, luy référant ceste honneur, en recognoissance de la peine
qu'ils avoient prise de nous venir seconder à rendre les Sauvages enfans
de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retournèrent de
compagnie à la cabane de l'accouchée, où ils trouverent le mary arrivé
de son voyage... Ce pauvre sauvage se monstra très content de voir sa
femme heureusement accouchée & en bonne santé, marry seulement de voir
son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque
discours, sçavoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui
qu'il en avoit prie le P. Joseph, & sa femme plus attachée à ses
superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust
consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette
eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait
plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron
& Lallemant, lesquels cognoissans ce petit différent survenu entre le
mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent
bien tost vaincus de raisons, & fait consentir de rechef qu'elle seroit
baptizée, ce qui fut fait par le R. P. Lallemant, à la prière du P.
Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car
elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en
Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, &
cohéritière de sa gloire.» (Hist. du Canada, p. 585, 586.)]
[Note 654: «Le Père Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils
avoient enveloppé à leur mode, pour la mettre en terre saincte au
Cimetière proche Kebec... A ceste cérémonie se trouverent deux de nos
religieux, sçavoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le
F. François Jesuite avec plusieurs François de l'habitation, qui tous
ensemblement se transporterent à la cabane de la deffuncte, qu'ils
prirent & la portèrent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans
le Psaulme ordonné aux enfans, puis le R. P. Lallement ayant dit la
saincte Messe on fust l'enterrer au cimetière avec un assez beau convoy
pour le pays, car le père de l'enfant marchoit tout le beau premier
couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias &
bigarures, & avec luy marchoit le sieur Hébert & les autres François en
suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonné, non si gravement mais
moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque
signalé Prélat.» (_Ibid_. P. 587, 588.)]
132/1116 Le 25 de Janvier, Hébert fit une cheute qui luy occasionna la
mort[655]: c'a esté le premier chef de famille resident au
païs, qui vivoit de ce qu'il cultivoit.
[Note 655: «Dieu voulant, dit Sagard, retirer à foy ce bon personnage &
le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy
envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines après le
baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de
rendre son âme entre les mains de son Créateur, il se mist en l'estat
qu'il desiroit mourir, receut tous ses Sacremens de nostre P. Joseph le
Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les
siens. Après quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans
ausquels il fist une briefve exhortation de la vanité de cette vie, des
tresors du Ciel & du mérite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant
pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il
a pleu à nostre Seigneur me faire la grâce de voir mourir devant moy des
Sauvages convertis. J'ay passé les mers pour les venir secourir plustost
que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour
leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie
de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre
pouvoir. Dieu vous en sçaura gré & vous en recompensera en Paradis: ils
sont créatures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que
nous s'ils en avoient la cognoissance à laquelle je vous supplie de
leur ayder par vos bons exemples & vos prières. Je vous exhorte aussi à
la paix & à l'amour maternel & filial, que vous devez respectivement les
uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fondée en
charité, cette vie est de peu de durée, & celle à venir est pour
l'éternité, se suis prest d'aller devant mon Dieu, qui est mon juge,
auquel il faut que je rende compte de toute ma vie passée, priez le pour
moy, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, & que je sois un
jour du nombre de ses esleus; puis levant sa main il leur donna à tous
sa bénédiction, & rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25e
jour de Janvier 1627, jour de la Conversion sainct Paul, & fut enterré
au Cimetière de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit
demandé estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade,
comme si Dieu luy eut donné quelque sentiment de sa mort prochaine.»
(Hist. du Canada, p. 590, 591.) Suivant le P. le Clercq, le corps
d'Hébert fut relevé en 1678, par les soins du Révérend P. Valenrin le
Roux, alors Commissaire et Supérieur des Récollets de Québec, et
«transporté solemnellement dans la cave de la Chapelle de l'Eglise» du
nouveau couvent qu'on venait de bâtir. «Madame Couillard, fille du sieur
Hébert, qui vivoit encore alors, s'y fit transporter, & voulut estre
presente à cette translation.» (Prem. établiss. de la Foy, 1, 375.)]
Le 22 de Mars, les sauvages me donnèrent deux eslans male &
femelle, le malle mourut pour avoir trop couru & travaillé,
estant poursuivy des sauvages, lesquels nous firent part de
quelque chair d'eslan: l'hyver que j'y passay fut un des plus
133/1117 longs que j'aye veu en ce lieu, qui fut depuis le 21 de
Novembre jusqu'à la fin d'Avril, il y avoit sur la terre quatre
pieds & demy de neiges, & à Miscou huict, qui est dans le
golphe sainct Laurent, à 155 lieues de Québec, où ledit de la
Ralde avoit laisse quelques François hyverner, pour traitter
quelque reste de marchandises qui luy restoient, & qu'il ne
voulut rapporter en France: ils faillirent tous à mourir du mal
de terre, j'envoyay visiter ceux qui estoient au Cap de
Tourmente, lesquels s'estoient fort bien portez, mais avoient
un peu mal mesnagé leurs vivres, & leurs en fallut donner
d'autres, aux despens des hyvernans de l'habitation, qui
n'avoient pas assez de farines que quelques galettes, qui
suppléerent au deffaut: sans cela nous eussions esté très mal,
comme de toutes autres choses, pour n'avoir pourvue en France
de bonne heure aux commoditez necessaires pour l'habitation.
_Les François sont sollicitez de faire la guerre aux Yroquois.
L'Autheur envoye son beau frère aux trois rivieres_.
CHAPITRE III.
Pendant l'hyver quelques uns de nos sauvages furent aux
habitations des Flamands, lesquels les sauvages dudit pays
solliciterent les nostres de faire la guerre aux Yrocois, qui
leurs avoient tué vingt quatre sauvages & cinq Flamands qui ne
leurs avoient voulu donner partage, pour aller faire la guerre
134/1118 à une nation appellée les Loups ausquels lesdits Yrocois
vouloient du mal, & pour engager nos sauvages à ceste guerre,
qui avoient la paix avec lesdits Yrocois, ils leurs donnèrent
des presens de colliers de pourcelaine, pour faire donner à
quelques Chefs, comme au reconcilié & autres, afin de rompre
cette paix. Ces Messagers estans de retour donnèrent les
colliers aux Chefs, qui les ayant receuz délibérèrent de
s'assembler bon nombre, avec les Algommequins & autres nations,
& s'en aller treuver les Flamands & sauvages pour faire une
grande assemblée ruiner les villages Yrocois, avec lesquels au
precedent ils avoient paix, n'estans qu'à deux journées d'eux,
& douze de Québec. Il y avoit plusieurs de nos sauvages qui ne
vouloient point ceste guerre, ains la continuation de la paix
avec les Yrocois, & ce qui fut cause d'un grand trouble entre
ces peuples, desquelles nouvelles je n'avois encore rien sceu
que par un Capitaine sauvage des nostres, appelle Mahigan
Aticq, qui ne voulut consentir à ceste guerre, que premier il
n'eust eu mon advis, ce que je luy promis: il me discourut fort
particulièrement de toute ceste affaire, jugeant où cela
pouvoit aller, car l'importance n'estoit pas seulement de
ruiner les Yrocois comme ennemis des Flamands, mais le tout
tiroit à plus grande consequence, que je passeray sous silence.
Je dis audit Mahigan Aticq que je luy sçavois bon gré de
m'avoir donné cet advis, mais que je treuvois fort mauvais,
comme ledit reconcilié & autres avoient pris ces presens, &
délibéré ceste guerre sans m'en advertir, veu que c'estoit moy
135/1119 qui m'estois entremeslé de faire la paix pour eux avec lesdits
Yrocois, considerant le bien qui leur en arrivoit de voyager
librement amont la grande riviere, & dans les autres lieux,
autrement n'estant qu'en peur de jour en jour, de se voir
massacrer & pris prisonniers, eux, leurs femmes & enfans, comme
ils avoient esté par le passé: la où recommençant ceste guerre,
c'estoit rentrer de fiévre en chault mal, & que pour moy je ne
pouvois consentir à une meschanceté: qu'eux & moy leur avions
donné parole de ne leurs faire aucune guerre, sans qu'au
préalable ils ne nous en eussent donné suject, & que pour ceux
qui entreprenoient ceste affaire, touchant la guerre sans nous
en communiquer, je ne les tenois point pour mes amis, mais
ennemis, & que s'ils faisoient cela sans quelque suject, je ne
les voulois point voir à Québec, que néanmoins où je treuverois
lesdits Yrocois je les assisterois comme amis, contre les
sauvages proche des Flamands, qui estoient ennemis comme leurs
ayant fait la guerre, estant allé autre fois aux
Mahiganaticois, qui sont ceux de ceste mesme nation qui nous
avoient tué malheureusement de nos hommes, que pour le
reconcilié s'il avoit pris ces presens, que je ne le voulois
plus voir ny tenir pour mon amy, s'il ne les renvoyoit, n'aller
en guerre s'il les retenoit, que c'estoit estre de mauvaise
foy, que promettre une chose pour en faire une autre, & que se
laisser corrompre pour des presens, & je ne pouvois que penser
de telles personnes, & que si on leurs en donnoit pour faire
quelque meschanceté contre nous, ils le feroient. Et entre
autres discours tendant à cet effect, il me dit que j'avois
136/1120 raison, & qu'il falloit aller en diligence aux trois Rivieres,
au Conseil qui se devoit delibérer, & que mesme il y en avoit
quelque nombre qui vouloient aller faire une course au pays
desdits Yrocois pour en attraper quelques-uns, premier qu'aller
vers les Flamans, si je n'y allois ou envoyois, & me pria
instamment d'y envoyer puis que ma commodité ne le pouvoit
permettre d'y aller; d'autant, me dit-il, qu'ils ne me
voudroient pas croire de ce que je pourrois leur dire de sa
part: mais y envoyant ils verront la vérité, & ce que tu
desires. Sur ce je me délibère d'y envoyer Boullé mon beau
frere avec un truchement, le lendemain le reconcilié me vint
treuver, qui avoit ouy quelque vent que je sçavois quelque
chose de cette affaire, je luy fis fort froide réception, & ne
me peus empescher de luy tesmoigner le desplaisir que j'en
avois: il me dit qu'il ne sçavoit rien de cette affaire, mais
jugeant que j'estois bien certain de tout ce qui se passoit, il
s'en alla doucement s'embarquer en un Canau, va au trois
Rivieres premier que mon beau-frère & ledit Mahigan aticq y
fussent, où il tesmoigna n'avoir agréable cette guerre, & se
montera aussi contraire comme il y avoit esté porté, mais
quelques Algommequins estoient partis pour aller en leur pays,
& de là à la guerre sans nostre sceu, qui occasionna du malheur
tant pour nos Sauvages que pour nous, comme il sera dit
cy-aprés.
Le 9 dudit mois de May j'envoyay mon beau-frere pour aller à
cette assemblée 30 lieues de Québec amont ledit fleuve, où ils
s'assemblerent tous pour prendre la resolution: la moitié
137/1121 desiroit la continuation de la guerre, autres de la paix: il
fut en fin resolu de ne rien faire jusques à ce que tous les
vaisseaux fussent arrivez, & que les Sauvages d'autres nations
seroient assemblés, ce qui occasionna mon beau-frère de revenir
le 21 dudit mois, & me dit ce qui avoit esté resolu. Le Pere
Joseph Recolet baptisa un petit Sauvage de l'aage de 18 à 20
ans, qui fut nommé Louys[656], au nom du Roy, le 23 de May.
Quelque temps après il s'en retourna avec les Sauvages, comme
fit un autre[657] qui avoit esté instruit en France, qui
sçavoit bien lire, escrire, & passablement parler latin.
[Note 656: Ce jeune sauvage était Néogaouachit, fils aîné de Choumin,
surnommé le Cadet. Il fut baptisé dans la chapelle de la cour à
Notre-Dame-des-Anges, le jour de la Pentecôte, qui tombait cette année
le 23 mai, et fut tenu sur les fonts par Champlain lui-même et par
Madame Hébert. Pour quelque raison de prudence, l'auteur ne permit pas
que le baptême eût lieu à l'église paroissiale. Après la cérémonie, on
donna un grand festin à tous les sauvages, et Champlain voulut que son
filleul vînt à l'habitation dîner à sa propre table. (Sagard, Hist. du
Canada, pp. 541-563.)]
[Note 657: L'auteur paraît faire ici allusion à Pierre-Antoine
Pastedechouan. (Voir Prem. établiss. de la Foy, I, 363; et Relat. 1633,
p. 6.)]
Le 7 de juin arriva un Canau où il y avoit deux François qui
m'apportoient lettres des sieurs de la Ralde & d'Emery de Caen,
qui estoient arrivez à Tadoussac le dernier de May 1627.
Le 9 dudit mois de juin arriva ledit Emery, lequel ayant
deschargé & pris ce qui luy estoit necessaire pour sa
retraitte, il s'en alla au trois Rivieres, & après luy avoir
dit ce qui s'estoit passé de cette affaire touchant cette
guerre, & l'utilité que la paix nous apporteroit de ce costé-là
si on pouvoit la continuer: mais comme Emery fut arrivé où
estoient les Sauvages, il ne sceut tant faire, ny tous lesdits
Sauvages, qui estoient là, que neuf ou dix jeunes hommes
138/1122 écervelez n'entreprinsent d'aller à la guerre, ce qu'ils firent
sans qu'on les peust empescher, pour le peu d'obeissance qu'il
portent à leurs chefs, ils furent par la riviere des Yrocois,
arrivant au lacq de Champlain, où ils rencontrerent un Canau
dans lequel estoit trois Yrocois, qui sous feinte d'estre
encore amis, les prirent, un se sauva, & amenèrent les deux aux
trois rivieres, de là ils retournèrent devant la riviere des
Yrocois, où se devoit faire la traitte, & là commencèrent à mal
traitter ces deux prisonniers en leur donnant plusieurs coups
de bâtons & arrachant à l'un les ongles des mains, & se
delibérant les faire mourir, les faisant promener de Cabanne en
Cabanne, & contraignant de chanter comme est leur coustume,
voila ce qui fut cause de l'esperance rompue de cette paix par
accident. Cependant ledit sieur Emery faisoit ce qu'il pouvoit
en suitte de l'advis que je luy avois donné de maintenir cette
paix avec les Yrocois, leur remonstrant le peu de foy & de
parole, & ne pouvant rien faire avec eux, il m'escrivit une
lettre, me faisant entendre toutes les nouvelles: que ma
presence y eust esté fort requise, ce qui fut cause
qu'aussitost je m'embarquay dans un Canau avec Mahigan aticq
qui fut le quatorziesme de Juillet, où arrivant au lieu où
estoient lesdits prisonniers, je sceu que le mesme jour le
Reconcilié avoit coupé les cordes desquelles ils estoient liez,
ne desirant pas qu'il mourussent que premièrement ils ne
m'eussent veu, & tenu conseil sur ce qu'ils devoient faire.
Après avoir sceu toutes ces nouvelles dudit Emery, je fus à
terre voir nos Sauvages & lesdits prisonniers qui se disoient
139/1123 frères, l'un aagé de vingt huict ans, beau Sauvage, & très-bien
proportionné, & l'autre de dix-sept, qui me donnèrent de la
compassion de les voir, & bien aise de ce qu'ils avoient esté
delivrez des tourments qu'on leur vouloit faire souffrir.
Le conseil fut assemblé sur ce que je leurs dy qu'ils avoient
fait une grande faute de permettre à ces Sauvages d'avoir esté
à la guerre, & grande lascheté à ceux qui y avoient esté
d'avoir eu si peu de courage que les prendre sous ombre
d'amitié, & les ayant si mal traittez comme ils avoient fait, &
qu'asseurément cela leur pourroit estre vendu fort cher si l'on
n'y trouvoit quelque remède, que les ennemis ne pourroient plus
avoir subject de se fier en leurs paroles, que cecy estoit la
deuxiesme mechanceté qu'ils leurs avoient faicte, & l'autre
estoit qu'allant traitter de paix avec lesdits Yrocois, qui les
avoient bien receus, cependant en s'en retournant ils avoient
assommé un des leurs, & que leur bonté leur avoit pardonné.
Estans tous assemblez je leur donnay à entendre qu'ils
considerassent combien de bien ils recevoient de la paix au
prix de la guerre, qui n'apporte que plusieurs malheurs, qu'ils
sçavoient comme ils en avoient esté par le passe: que pour nous
cela nous importoit fort peu: mais que la compaission que nous
avions de leur misere nous obligeoit, les aymant comme frères,
de les assister de nostre bon conseil, de nos forces contre
leurs ennemis quand ils voudroient leur faire la guerre mal à
propos, laquelle ils n'avoient encore commencée si ce n'estoit
140/1124 les subjects qu'ils leurs en avoient donné, dont ils
pourroient en avoir du ressentiment si nous ne taschions d'y
apporter le remède, & aussi qu'ils sçavoient bien que la guerre
estant, toute la riviere leur seroit interdite & n'y pourroient
chasser ny pescher librement sans courir de grands dangers,
crainte & apprehension, & eux principalement qui n'avoient
point de demeure arrestée, vivans errans par petites troupes
escartées, dont ils se rendent autant plus foibles, & que s'ils
estoient tous assemblez en un lieu comme font leurs ennemis, &
que c'est ce qui les rend forts. De plus qu'ils considerassent
combien ils pourroient endurer de necessitez pour ce subject:
Ainsi se tindrent plusieurs autres discours, que pour moy
recognoissant l'utilité de la continuation de cette paix il
eust esté à propos de bien traitter les deux prisonniers, les
renvoyer sans aucun mal, & donner quelque presens aux chefs de
leurs villages pour payer la faute qu'ils avoient commises en
la prise de ces deux prisonniers, suivant leurs coustumes, &
remonstrant aussi qu'ils n'avoient pas esté pris du
consentement des Capitaines ny des Anciens, mais de jeunes
fols, & inconsiderez qui avoient fait cela, dont tous en
avoient conceu un grand desplaisir.
La pluspart, & tous d'un consentement, après que chaque
Capitaine eut fait sa harangue, ils se resolurent de renvoyer
l'un des prisonniers avec le Reconcilié qui s'y offrit, & deux
autres Sauvages, accompagnez de presens pour donner aux
Capitaines des villages ou ils alloient mener le prisonnier,
laissant l'autre en ostage jusques à leur retour: & pour faire
141/1125 plus valoir leur Ambassade, ils nous demandèrent un François
avec eux: le leur dis que s'il y en avoit quelques-uns qui y
voulussent aller, que pour moy j'en estois comptant: il s'en
treuva deux ou trois moyennant qu'on leur donnast quelque
gracieuseté pour leur peine, & la risque qu'ils pouvoient
courir en ce voyage, l'un d'eux appellé Pierre Magnan, qui avec
la volonté qu'il avoit, & la commodité qu'on luy promit, il se
delibere de faire le voyage avec le Reconcilié, deux Sauvages &
l'Yrocois, lesquels s'accommodèrent des choses les plus
necessaires, & partirent le 24 dudit mois, & moy le mesme jour
m'en retournay à Quebec, où j'arrivay le lendemain, y trouvant
ledit du Pont, qui estoit arrivé le 17 lequel me dist que ledit
sieur de Caen voyant qu'il ne s'estoit point embarqué en la
Flecque, vaisseau qui venoit pour la pesche de Baleine, qu'il
luy avoit escrit & prie que s'il treuvoit moyen de passer en
quelque vaisseau pour s'en venir hyverner en ce lieu qu'il luy
feroit un singulier plaisir, pour avoir l'administration des
choses qui dependoient de son service.
Ce que voyant, tout incommodé qu'il estoit, pour l'instante
prière qu'il luy en avoit faicte, il s'estoit embarqué en un
vaisseau de Honnefleur pour venir à Gaspay & de là prit une
double chalouppe avec six à sept Matelots & son petit fils pour
s'en venir à Québec, où en chemin il avoit receu de grandes
incommoditez de ses gouttes, ce qui en effect estonna un
chacun, & mesme ledit de la Ralde, à ce qu'il me dist, qu'il
n'eust jamais creu que ledit du Pont eust voulu se mettre en un
tel risque ayant l'incommodité qu'il avoit.
142/1126 Ledit Emery me manda que depuis mon département frère
Gervais[658] Recolet avoit baptisé un Sauvage appelle
Tregatin[659], lequel estant proche de la mort le voulut estre,
& le demanda trois fois, ne voulant adjouter foy aux
superstitions des Sauvages, promettant que si Dieu luy
redonnoit la santé il se feroit instruire aussitost après son
baptesme, il recouvra la santé, mais il n'a pas suivy ce qu'il
avoit promis, le tout à sa plus grande condemnation, si Dieu ne
l'assiste.
[Note 658: Le P. Gervais Mohier était arrivé l'année précédente. (Prem.
établiss. de la Foy, I, 342.)]
[Note 659: C'est le nom que les Français donnaient à Napagabiscou. Sa
maladie et son baptême sont rapportés au long dans Sagard, Hist. du
Canada, liv. II, ch. XXXV.]
_Mort & assassinat de Pierre, Magnan, François, du chef des
Sauvages appelle Réconcilié, & d'autres deux Sauvages. Retour
d'Emery de Caen & du Père l'Allemand à Québec. Necessitez en la
Nouvelle France._
CHAPITRE IV.
Le 25 d'Aoust un Sauvage nous apporta la nouvelle de la mort
de Pierre Magnan, & du Reconcilié, & des autres deux Sauvages,
qui nous dit qu'un Algommequin qui s'estoit sauvé dudit village
des Yrocois leur avoit fait entendre au vray comme les ennemis
les avoient traittez cruellement. Comme nos Ambassadeurs furent
arrivez audit village des Yrocois ils furent bien receus, l'on
les mena pour tenir conseil sur le subject de leur Ambassade: A
143/1127 mesme temps les villages circonvoisins en furent advertis, & là
les chefs se treuverent pour le traitté de paix: & par malheur
pour les nostres, c'est que les Algommequins (comme j'ay dit
cy-devant) avoient esté à la guerre contre les Yrocois, & en
avoient tué cinq, qui fut le subject que des Sauvages appellez
Ouentouoronons[660] d'autre nation, amis desdits Yrocois,
vindrent en diligence pour se venger sur ceux qui estoient
alliez, & les tuèrent à coups de haches sans que lesdits
Yrocois les peuvent empescher, leur disant, Pendant que vous
venez pour moyenner la paix, vos compagnons tuent & assomment
les nostres, ainsi perdirent la vie malheureusement. Pour le
Reconcilié il meritoit bien cette mort, pour avoir massacré
deux de nos hommes aussi malheureusement au Cap de
Tourmente[661], & ledit Magnan natif d'un lieu proche de
Lisieux, avoit tué un autre Magnan. à coups de bastons, dont il
fut en peine, & avoit esté contraint de se retirer en la
nouvelle France. Voilà comme Dieu chastie quelque fois les
hommes qui pensent esviter sa justice par une voye & sont
attrapez par une autre. Ces nouvelles nous apporterent un grand
desplaisir, tant pour nous voir hors d'esperance de cette paix,
qui nous pouvoit apporter de la commodité pour avoir les
passages plus libres à nos Sauvages, de pouvoir chasser &
pescher. De plus qu'ayant fait mourir un de nos hommes de cette
façon, cela alloit à telle consequence que si nous ne nous en
ressentions il falloit estre tenus de tous les peuples hommes
144/1128 sans courage, & estre aux risques de recevoir souvent tels
affronts si nous ne mettions peine de nous en ressentir.
[Note 660: Les mêmes que les Entouoronons, ou Tsonnontouans.]
[Note 661: Ce double meurtre fut commis vers la fin de l'été 1616. (Voir
1619, p. 114 et s.)]
Ces nouvelles arrivées de la mort des Ambassadeurs parmy nos
Sauvages, de rage & de desplaisir qu'ils eurent ils[662]
prindrent ce jeune garçon Yrocois qu'ils avoient retenu pour
ostage, ils luy arrachent les ongles, le bruslent à petit feu
avec des tisons, luy faisant souffrir plusieurs tourments, &
ainsi mal traitté en firent un present à d'autres Sauvages pour
l'achever de le faire mourir, & les obliger de les assister en
leur guerre contre lesdits Yrocois, lesquels Sauvages prirent
le garçon, le lièrent à un poteau le bruslant peu à peu. Comme
il estoit en ces douleurs extrêmes ils luy coupèrent les mains,
les bras, luy levant les espaules, & estant encore vif luy
donnèrent tant de coups de cousteaux, qu'il mourut ainsi
cruellement, & chacun en emporta sa pièce qu'ils mangèrent.
[Note 662: Les Algonquins, et non pas les Ouentouoronons. (Voir
ci-dessus, p. 140.)]
Ledit Emery ayant faict la traitte, qui fut l'une des bonnes
(qui se fust faicte il y avoit long temps) s'en retourna à
Québec le dernier de Septembre de là à Tadoussac porter les
pelteries.
Le 2 d'Octobre deux autres barques partirent pour s'en aller
audit Tadoussac, en l'une desquelles repassa le Reverend père
l'Allemand lequel s'en retournoit fort affligé de ce que leur
vaisseau n'estoit venu[663] leur apporter les commoditez qui
145/1129 leurs estoient necessaires pour la nourriture de vingt sept à
vingt huict personnes qui estoient au pays, cela leur faisoit
perdre beaucoup de temps, ne pensant à autre chose sinon que
les vaisseaux où devoit venir le Père Noyrot (qui s'estoit
équipée à Honnefleur) fut perdu & pris par les Anglois, qui fut
le subject que nous ne receusmes aucunes lettres de celles
qu'il nous apportoit, ne sçachant comme toutes les affaires
s'estoient passées en France, que ce que me mandoit ledit sieur
de Caen qui estoit peu de chose, & ainsi pour n'avoir des
vivres & commoditez, ledit Père l'Allemand fut contrainct de
faire passer tous ses ouvriers & autres, horsmis les Pères
Massé, Dénoue[664], un frère, & cinq autres personnes pour
n'abandonner leur maison, lesquels il accommoda au mieux qu'il
peut, traittant quelques dix baricques de galette du magazin,
au prix des Sauvages, à sept castors pour bariques de galette
que ledit Pere avoit recouvert des uns & des autres à un escu
comptant pour Castor, & ainsi achetoit chèrement ce que la
necessité leur contraignoit, sans trouver aucune courtoisie.
Ledit de la Ralde qui estoit venu pour lors à Québec rapportant
n'avoir eu aucun ordre en France de les assister ny mesme de
rapasser aucun religieux: Tout cecy ne monstroit que
l'animosité qu'il avoit envers lesdits Peres & le sieur de
Caen[665] qui avoit eu quelque chose à demesler avec ledit Pere
Noyrot qui l'avoit desobligé, à ce qu'il me mandoit, mais tous
146/1130 les Pères qui estoient par delà n'en devoient pâtir, n'estant
cause de ce qui s'estoit passée en France. Ils commençoient à
se bien establir, & avoient fort advancé, tant en leurs
bastiments qu'à deserter les terres: ce neantmoins ledit de la
Ralde ne laissa de recevoir ledit Père l'Allemand en son
vaisseau & luy faire bonne chère, car à la verité la
courtoisie, l'honnesteté, la bonne mine & conversation dudit
Pere l'obligeoit trop à luy rendre toute sorte de bon
traittement qu'il treuva en sa personne: dans la mesme barque
s'en alla ledit Destouches, qui fut le 2 de Septembre.
[Note 663: Le P. Noirot avait disposé un navire muni de toutes les
choses nécessaires; mais les sieurs de Caen et de la Ralde en prirent
ombrage, et d'ailleurs, ayant eu avis que les Pères avaient formé
quelques plaintes sur leur conduite, ils firent si bien qu'on arrêta ce
qui était pour le compte des Jésuites. (Prem, établiss. de la Foy, I,
371.)]
[Note 664: Le P. de Noue, qui est nommé ici, tandis que le P. Brebeuf ne
l'est pas, était probablement redescendu des Hurons cette année.]
[Note 665: C'est-à-dire, «comme aussi le sieur de Caen en avait
lui-même.»]
Nous eusmes nouvelles par la dernière barque qui apportoit le
reste de nos commoditez que ledit de la Ralde estoit party dans
la Catherine le septiesme Septembre, & avoit laissé ledit Emery
de Caen dans la Flecque jusques au 5 d'Octobre pour la pesche
de la Baleine, & voir ce qui reussiroit de cette entreprise.
L'on avoit envoyé quelque genisse[666] d'un an dans le vaisseau
qui venoit à Tadoussac pour faire pesche de Baleine, & en fut
porté par les barques 16 & quelque 7 ou 8 qui moururent par la
mer, à ce que l'on nous dit.
[Note 666: «Quelques génisses,» comme la suite le fait voir.]
Voila tout ce qui se pana jusques au departement des vaisseaux:
Nous demeurasmes cinquante cinq personnes, tant hommes que
femmes & enfans, sans comprendre les habitans du pays, assez
mal accommodez de toutes les choses necessaires pour le
maintien d'une habitation, dont je m'estonnois fort comme l'on
nous laissoit en des necessitez si grandes, & en attribuoit on
les défauts à la prise d'un petit vaisseau par les Anglois qui
147/1131 venoient de Bisquaye, comme ledit sieur de Caen me le mandoit,
je ne sçay d'où en venoit la faute, plusieurs discours se
disoient sur ce subject, quoy que s'en soit il nous fallust
passer par de là, il n'y avoit point de remède.
De ces cinquante cinq personnes il n'y avoit que dix-huict
ouvriers, & en falloit plus de la moitié pour accommoder
l'habitation du Cap de Tourmente, faucher & faner le foing pour
le bestial pendant l'esté & l'Automne. Le parachevement de
l'habitation de Québec demeure à parfaire, l'on me devoit
donner dix hommes pour travailler au fort de sa Majesté, bien
que ledit sieur de Caen & tous ses associez l'eussent
souscript, & sa Majesté & le Viceroy le desirassent, neantmoins
l'on ne le veut permettre, & empesche on tant que l'on peut. On
veut que tous les hommes travaillent à l'habitation, il n'y a
remède, pourveu que la traitte se face c'est assez, il n'y a
personne qui osast entreprendre de nous enlever, c'est en cecy
où j'avois beaucoup de peine à faire gouster les raisons
pourquoy le fort nous estoit necessaire, tant pour la
conservation de leur bien, que celles des habitans du païs:
c'est ce qui donnoit du mescontentement à toutes les societés:
neantmoins considerant l'importance & la necessité d'avoir un
lieu de conserve, je ne laissois de faire ce qu'il m'estoit
possible de temps à autre.
Voyant les ordres & commandemens données au contraire de la
volonté de mondit seigneur le Vice-roy, je jugeay bien deslors
que la plus grande part des associez ne s'en soucioient
148/1132 beaucoup; pourveu qu'on leur donnast d'interest les quarante
pour cent: j'en avois dit mon sentiment audit de la Ralde,
lequel ne me donnoit beaucoup de contentement, d'autant qu'il
avoit prescript ce qu'il devoit faire, c'est en un mot que ceux
qui gouvernent la bource font & defont comme ils veulent.
Un des deplaisirs que je recognu en ceste affaire estoit fâché
que je faisois construire un fort au dessus de l'habitation
pour la conservation d'icelle, du païs & des habitans, & cela
déplût audit de Caen comme il me fit assez cognoistre par sa
lettre, que d'y employer de ses hommes il n'y estoit pas
obligé, aussi il ne s'en soucioit pourveu que sa Majesté en fit
la despense, en y envoyant des ouvriers pour cet effect: à tout
cela je ne peus rien faire pour lors, sinon d'en escrire à
mondit seigneur le Viceroy, & luy donner advis de tout ce qui
se passoit en ceste affaire, afin qu'il y apportast l'ordre
qu'il jugeroit necessaire, & moy de ne laisser, en tant que je
pouvois, d'employer quelques hommes au fort, & le reste à
travailler à l'habitation.
149/1133 _Guerre déclarée, par les Yrocois. Assemblée des sauvages.
Assassinat de deux hommes appartenans aux François. Recherche
de l'Autheur de ce crime. Le meurtrier amené, ce que les
Sauvages offrent pour estre alliez avec les François. L'Autheur
veut venger ce meurtre._
CHAPITRE V.
Le 20 de Septembre les Sauvages nous dirent que nombre
d'Yrocois s'acheminoient pour nous venir faire la guerre, à eux
& à nous: nous leurs dismes que nous en estions très aises,
mais que nous ne les croyons[667], & qu'ils n'avoient que la
hardiesse d'assommer des gens endormis sans se deffendre.
[Note 667: _Craignons_ est probablement ce que portait le manuscrit.]
Les communes des sauvages, de cinquante à soixante lieues de
Québec, s'asemblent tous en ce dit lieu au mois de Septembre &
Octobre, pour faire la pesche d'anguilles, qui est en abondance
en ce temps là, lesquels ils font boucaner, & les reservent
pour en manger jusques au mois de Janvier, que les neiges sont
hautes, pour aller à la chasse de l'eslan, dequoy ils vivent
jusqu'au Printemps.
Le 3 d'Octobre[668] je partis de Québec, pour aller au Cap de
Tourmente, voir l'avancement qu'avoient fait nos ouvriers, & en
ramener une partie: deux hommes s'en retournèrent par terre,
conduire quelque bestial que l'on amenoit dudit Cap de
Tourmente à Québec. Après avoir mis ordre en ce lieu, je m'en
150/1134 retournay le 6 dudit mois, où estant arrivé j'appris que
quelques sauvages avoient assassiné ces deux hommes endormis,
qui conduisoient le bestial, à demie lieue de nostre
habitation[669]. Cecy m'affligea grandement: on fut quérir les
corps qu'ils avoient traisnez au bas de l'eau afin que la mer
les emmenast, estant apportez on les visita, ils avoient la
teste escrasée de coups de haches, & plusieurs autres d'espée &
cousteaux dans le corps.
[Note 668: Le 3 octobre était un dimanche, et la marée était haute vers
1 heure et demie.]
[Note 669: Le meurtre paraît avoir été commis à la Canardière quelque
part vers l'embouchure du ruisseau de la Cabane-aux-Taupiers
(aujourd'hui rivière Chalifour ou rivière des Fous). Le meurtrier était
Mahican-atic ouche, et les deux victimes, Henry, domestique de Madame
Hébert, et un autre français appelé Dumoulin. Ces derniers avaient dû
partir du cap Tourmente, vraisemblablement le mardi, de bonne heure le
matin, afin de pouvoir passer facilement les rivières de la côte pendant
que la marée était basse. Arrivés à la Canardière, ils trouvèrent la
rivière Saint-Charles encore trop pleine pour pouvoir traverser le soir
même; car la marée ne commença à baisser que vers les trois heures de
l'après midi. N'ayant pu ouvrir la porte de la cabane de M. Giffard, ils
se résignèrent à coucher sous un arbre, enveloppés de leurs couvertures.
C'est là que, pendant la nuit, Mahican-atic-ouche, croyant donner la
mort au boulanger et au serviteur de M. Giffard auxquels il en voulait,
massacra par méprise l'un de ses meilleurs amis, Henry, et un français
qui ne lui avait fait aucun mal. (Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch.
IV.)]
Nous advisasmes qu'il estoit à propos de conduire ceste affaire
meurement, & descouvrir les meurtriers au plustost pour les
chasser, & voir comme nous procederions envers ces canailles,
qui n'ont point de justice parmy eux: car de nous venger sur
beaucoup qui n'en seroient coulpables, il n'y avoit pas aussi
de raison, ce seroit déclarer une guerre ouverte, & perdre pour
un temps le païs, jusqu'à ce que l'on eust exterminé ceste
race, par mesme moyen perdre les traittes du pays, ou pour le
moins les bien altérer, aussi que nous estions en un miserable
estat, faute de munitions pour guerroyer, & plusieurs autres
inconveniens furent considerez, qui pourroient arriver si l'on
151/1135 faisoit les choses trop precipitement. Nous deliberasmes de
faire assembler tous les capitaines des sauvages leur conter
l'affaire, & leurs faire voir les corps meurtris des defuncts,
ce qui fut exécuté.
Le lendemain[670] tous les chefs vinrent à nostre habitation,
où nous leurs fismes plusieurs remonstrances du bien qu'ils
recevoient annuellement de l'habitation nous, que contre tout
droit & raison ils faisoient des actes abominables &
detestables, de traistres & meschans meurtres, & que si nous
avions l'ame aussi diabolique qu'eux, que pour ces deux hommes
l'on en feroit mourir cinquante des leurs, & les exterminerions
tous: qu'on leurs avoit pardonné n meurtre de deux autres
hommes[671], mais que pour cetuy-cy nous voulions avoir les
meurtriers, pour en faire la justice, qu'ils nous les
declarassent & missent entre les mains, s'ils vouloient que
nous vecussions en paix, nous n'en voulions qu'à ceux qui
avoient assassiné nos hommes que nous leurs fismes voir.
[Note 670: Probablement le 8 octobre.]
[Note 671: Voir 1619, p. 133.]
Au commencement ils vouloient dire que c'estoit des Yrocois,
mais comme il n'y avoit nulle apparence, nous leurs fismes
cognoistre le contraire, & que ce meurtre ne venoit que de
leurs gens, en fin ils le confesserent, mais ils dirent qu'ils
ne sçavoient pas celuy qui avoit fait ce coup.
Nos gens soubçonnoient entr'autres un certain sauvage que nous
leurs dismes, & qu'ils le fissent venir, ce qu'ils promirent
faire. Le lendemain ils l'amenèrent, & fut interrogé sur
quelques discours de menace, qu'il avoit fait à quelques-uns de
152/1136 nos ce qu'il nia, & que jamais il n'avoit pensé à une si
signalée malice, que de vouloir tuer des François qu'il aymoit
comme luy mesme. De plus qu'il avoit sa femme & plusieurs
enfans qui l'auroient empesché de faire ce meurtre, quand il
auroit eu le dessein. Je luy fis dire que le meurtrier du
précèdent avoit bien femme & enfans, & qu'il ne laissa
neantmoins d'en assassiner deux des nostres, outre que l'on le
cherissoit plus qu'aucun des sauvages de son temps, & par
consequent que ses excuses qu'il alleguoit ne pouvoient pas
estre suffisantes pour se descharger du soubçon que l'on avoit
sur luy: quoy que s'en soit plusieurs discours se passerent
entre eux & nous, & nous resolumes d'arrester cettuy-cy,
attendant qu'il nous donnast trois jeunes garçons des
principaux d'entr'eux, l'un des montagnes[672], le second des
trois rivieres, & le troisiesme le fils du soubçonné, jusqu'à
ce qu'ils nous livrassent le meurtrier qui avoit fait le coup:
ils nous demandèrent terme de trois jours, tant pour délibérer
sur cette affaire, que pour essayer de pouvoir descouvrir le
meurtrier, ce que nous leurs accordasmes.
[Note 672: Des Montagnais.]
Ils s'en retournèrent en leurs Cabannes, & alors nous avions à
nous tenir sur nos gardes, tant au fort qu'à l'habitation,
donnant advis aux peres jesuistes & au Cap de Tourmente que
chacun eust à se bien garder, & ne permettre qu'aucun sauvage
les accostast sans estre les plus forts: toutes choses estant
bien disposées nostre Sauvage que nous avions retenu attendant
son fils en sa place & les autres.
153/1137 Le troisiesme jour ils ne faillirent à venir, amenant quant &
eux les trois jeunes garçons de l'aage de douze à dix huict ans
nous disant qu'ils avoient fait grande recherche & perquisition
pour sçavoir ceux qui avoient tué nos hommes, & qu'ils ne
l'avoient peu sçavoir, qu'ils feroient en sorte qu'en peu de
temps ils nous en donneroient advis, & qu'ils estoient très
desplaisans du malheur qui nous estoit arrivé, que pour eux ils
estoient tous innocens, & que comme tels, ne se sentoient
coulpables. Ils amenèrent ces trois jeunes garçons, le fils de
nostre prisonnier, & un de Tadoussac, & l'autre de Mahigan
aticq qui demeuroient proche de nostre habitation, &
deschargerent ceux des trois Rivieres, disant que ce ne pouvoit
avoir esté aucun d'iceux qui eust fait ce meurtre, d'autant
qu'ils n'estoient que deux cabannes, que la nuict que nos gens
furent tuez ils estoient tous à leurs maisons, au reste ils
nous prièrent que nous vescussions en paix, attendant que les
meurtriers fussent descouverts, estant plus que raisonnable
qu'ils mourussent, & que nous eussions à bien conserver ces
Sauvages qu'ils nous laissoient, le père que nous tenions
prisonnier dit à son fils, prens garde à vivre en paix avec les
François, asseure toy qu'en peu de temps je te delivreray &
sçauray celuy qui a fait ce coup, & le plus grand desplaisir
que j'ay eu c'est que les François ont eu soubçon sur moy, &
les autres Sauvages asseurerent aussi les deux autres, & qu'en
peu de jours l'on sçauroit ceux qui avoient fait ce meschant
acte.
154/1138 Nous dismes à tous ces Capitaines que le peu d'asseurance qu'il
y avoit pour nos hommes d'aller seuls dans les bois & y dormir
ayant parmy eux de si meschans traistres qu'à l'advenir jusqu'à
ce qu'on eust descouvert les meurtriers & fait justice d'eux,
j'enchargerois à tous nos hommes de n'aller plus sans armes &
que s'il y avoit aucun d'eux qui les approchast sans leur
consentement qu'ils les tireroyent comme ennemis, & qu'ils
eussent à se donner de garde, & advertir tous leurs compagnons,
d'autant qu'ils ne cognoissoient les meschans qui estoient
parmy eux, nous avions à nous donner de garde, mais qu'eux
n'avoient nul subject d'entrer en deffiance de nous. Ils nous
dirent que nous avions raison de ne faillir à tuer s'il s'en
rencontroit aucun qui ne voulussent se retirer quand on leur
diroit, que pour le moins l'on cognoistroit quels ils seroient,
& que pour les jeunes garçons qu'ils nous laissoient, on leur
fist bon traittement, que cependant de leur part ils feroyent
toute diligence de descouvrir les assassinateurs, & ainsi se
separerent chacun de leurs costez pour aller au lieu où pendant
l'hyver ils pourroient treuver de la chasse pour subvenir à
leurs necessitez.
Sur la fin de Janvier quelques trente Sauvages tant hommes que
femmes & enfans pressez de la faim, pour y avoir fort peu de
neiges pour prendre de l'eslan & autres animaux, se resolurent
de se retirer vers nous pour en leurs extrêmes necessitez estre
secourus de quelques vivres, qu'à ce deffaut ils estoient
morts: je leur fis encore cognoistre combien le meurtre en la
mort de nos hommes estoit detestable, & la punition que
155/1139 justement devoit mériter celuy qui avoit assassiné nos hommes,
& que pour ce meschant ils pouvoient tous pâtir & mourir de
faim sans le secours de nostre habitation, la bonté des
François, dont ils ne recevoient que toutes sortes de
bien-faits. Cette trouppe affamée voulant tesmoigner le
ressentiment qu'ils avoient en la mort de nos gens, & comme ne
trempant aucunement en cette perfidie, desirant se joindre avec
nous d'une amitié plus estroitte que jamais ils n'avoient
faict, & oster toute sorte de deffiance que pouvions avoir
d'eux, ils se resolurent de nous donner trois filles de l'aage
de unze à douze & quinze ans, pour en disposer ainsi
qu'aviserions bon estre, & les faire instruire & tenir comme
ceux de nostre nation, & les marier si bon nous sembloit.
Le deuxiesme de Janvier mil six cens vingt huict estant passez
la riviere, qui charioit un nombre de glaces, tant pour avoir
dequoy assouvir la faim qui les pressoit, comme pour faire
present de ces filles, demandèrent à s'assembler & tenir
conseil avec nous, où ils nous firent entendre tout ce que
dessus, ayant amené les trois filles avec eux.
Après nous avoir fait un long discours de l'estroite amitié
qu'ils vouloient avoir avec nous, & s'y joindre & habiter &
deserter des terres proches du fort, recognoissant qu'ils
seroient mieux qu'en lieu qu'ils eussent peu esperer: & pour
asseurance de tout ce qu'ils disoient, ils ne pouvoient faire
offre de chose qu'ils eussent plus chère que ces trois jeunes
156/1140 filles qu'ils nous prioient de prendre, lesquelles estoient
très-contentes de demeurer avec nous[673].
[Note 673: L'un des motifs qui engageaient les sauvages à faire ce
présent extraordinaire de trois de leurs filles, était bien celui que
donne ici l'auteur; mais il y en avait un autre que sa modestie lui a
fait omettre, et que nous devons savoir gré à Sagard de nous avoir fait
connaître, «Avant que les Montagnais partissent pour les bois & la
chasse, ils voulurent recognoistre le sieur de Champlain de quelques
presents, & adviserent entr'eux quelle chose luy seroit la plus
agréable, car ils tenoient fort chers les plaisirs & l'assistance qu'ils
en avoient receus. Ils envoyerent Mecabau, autrement Martin par les
François, au P. Joseph pour en avoir son advis, auquel il dit, mon fils,
il me souvient qu'autrefois Monsieur de Champlain a eu desir d'avoir de
nos filles pour mener en France & les faire instruire en la loy de Dieu
& aux bonnes moeurs; s'il vouloit à present, nous luy en donnerions
quelqu'unes, n'en serois-tu pas bien content? A quoy luy repondit le P.
Joseph, que ouy, & qu'il luy en falloit parler; ce que les Sauvages
firent de si bonne grâce, que le sieur de Champlain voulant estre utile
à quelque âme, en accepta trois, lesquelles il nomma, l'une la Foy, la
seconde l'esperance, & la troisiesme la Charité... Plusieurs croyoient
que les Sauvages n'avoient donné ces filles au sieur de Champlain que
pour s'en descharger, à cause du manquement de vivres; mais ils se
trompoient, car Choumin mesme à qui elles estoient parentes, desiroit
fort de les voir passer en France, non pour s'en descharger, mais pour
obliger les François & en particulier le sieur de Champlain». (Sagard,
Hist. du Canada, p. 912-14.)]
Après que j'eus ouy tous leurs discours je jugeay que pour plus
grande seureté de ceux qui demeuroient audit païs, que pour
plus estroitte amitié qu'il n'estoit point hors de propos
d'accepter cet offre, & de prendre ces filles, ce que jamais
ils n'avoient offert, quelque present qu'on leur eust voulu
donner pour avoir une fille, & que mesme le Chirurgien quelque
temps auparavant desirant en avoir une jeune pour la faire
instruire & se marier avec elle, ne peust avec tous les
Sauvages avoir le crédit d'en avoir une, quelques offres qu'il
fist, bien que tout ce qu'il faisoit n'estoit que pour la
gloire de Dieu, & le zèle qu'il avoit audit pays de retirer une
âme des enfers: à la vérité je m'estonnois fort des offres
qu'ils nous faisoient, ce que jamais, comme j'ay dit cy-dessus,
l'on n'avoit peu obtenir.
Sur ce jugeant qu'il n'estoit nullement à propos de laisser
157/1141 aller les offres, & qu'ils nous pressoient, je demanday audit
du Pont son advis, comme principal commis, & d'autant que les
vivres qui estoient pour traitter, comme pois, febves & bled
d'Inde, dont il y en avoit suffisamment & en quantité,
desquelles choses l'on les nourriroit, car de ceux qui estoient
pour les hyvernans il n'y en avoit que fort peu, & ne pouvoit
on leur en donner sans oster la pitance. Ledit du Pont dit que
pour luy il ne se mesloit de ces choses, bien qu'il
recognoissoit cette affaire estre très-bonne, mais que pour les
vouloir prendre & nourrir, qu'il ne le desiroit que s'ils le
vouloient, qu'ils attendissent le retour des vaisseaux: mais
comme en un si long-temps qu'il y avoit jusques à leur arrivée,
& que la fantaisie se peut changer, principalement entre
lesdits Sauvages, je creus que nous perdrions ce que peut estre
nous aurions mesprisé, cela aussi donneroit encore subject
ausdits Sauvages de nous vouloir plus de mal, n'en vouloir pas
seulement aux meurtriers, mais encore à ceux qui n'en sont
coulpables: & de plus que l'on dist aux Sauvages, qu'il n'y
avoit que des pois, & que peut estre ils ne pourroient
s'accommoder pour le present. A cela elles dirent qu'elles
seroient très-contentes & qu'on les prist, quoy que les Commis
ne les voulussent recevoir.
Je me resolus de les prendre toutes trois, les accommodant des
choses necessaires, les retenant en nostre habitation. Ainsi
les Sauvages furent tres-aises, & moy aussi, tant pour le bien
du pays comme pour l'esperance que je voyois que c'estoient
trois âmes gaignées à Dieu, que tout ce qu'il y avoit à faire
158/1142 en cela estoit d'avoir le soing & prendre garde que quelques
Sauvages ne les enlevassent, comme quelques uns avoient
commencé, ausquelles choses je remediay au mieux qu'il me fut
possible[674].
[Note 674: «Tout son dessein en ce bon oeuvre, ajoute Sagard, estoit de
gaigner ces trois âmes à Dieu, & les rendre capables de quelque chose de
bon, en quoy je peux dire qu'il a grandement mérité, & qu'il se trouvera
peu d'hommes capables de vivre parmy les Sauvages comme luy, car outre
qu'il souffre bien la disette, & n'est point délicat en son vivre, il
n'a jamais esté soupçonné d'aucune deshonnesteté pendant tant d'années
qu'il a demeuré parmy ces peuples Barbares; c'est pourquoy ces filles
l'honoroient comme leur père, & luy les gouvernoit comme ses filles.»
(Hist. du Canada, p. 914.)]
Toutesfois cet offre fut à la charge qu'ils ne pourroient
prétendre aucun subject d'empescher que ne fissions recherche &
justice du meurtrier s'il estoit descouvert, ains au contraire
ils nous dirent que s'ils le sçavoient qu'ils l'accuseroient,
comme un perfide & desloyal, & asseurément qu'en peu de jours
cela seroit descouvert, en ayant entendu quelque chose de celuy
que nous soubçonnons un Sauvage appellé Martin[675] des
François, qui avoit donné une de ses trois filles tomba malade,
& se voyant à l'extrémité demanda le Baptesme, ce qu'entendant
le Père Joseph Coron[676], il s'achemine à sa cabanne, il fait
entendre le sujet & la consequence de ce qu'il demandoit, &
qu'en telle chose il n'y avoit pas à rire. Car ce n'estoit
assez d'estre baptisé mais falloit qu'il promit que si Dieu luy
rendoit sa santé, de ne retourner plus à faire la vie sauvage &
brutalle qu'il avoit menée par le passé, ains vivre en bon
Chrestien & se faire instruire ce qu'il promit. Ce que voyant
ledit Père Joseph, faisant oeuvre de charité & d'hospitalité il
159/1143 le fait porter en sa maison, le traitte, l'accommode de tout ce
qu'il peut & croit estre necessaire à sa santé, recognoissant
(selon son jugement) qu'il ne devoit point reschapper qu'il ne
mourust en un jour ou deux au plus tard, il le baptisa le 6
Avril, ce qu'ayant esté fait, il semble se treuver au bout de 4
ou 5 jours mieux qu'il n'avoit fait: & entendant que quelques
sauvages estoient venus en ces cabannes, dont il y en avoit un
qui le disoit de leurs Pilottouas, soit que ledit Martin,
creust avoir plustost du soulagement de son mal, par le moyen
de ce nouveau médecin ou autrement: il desire s'en retourner en
sa cabanne où il s'y fait porter: il demande à estre pensé, &
médeciné par son médecin, pour recouvrir entièrement sa santé.
[Note 675: Son nom sauvage était Mecabau. (Sagard, Hist. du Canada, p.
592, 912.)]
[Note 676: Le Caron.]
Le Pilotoua se met en devoir d'user envers le malade de ses
remèdes accoustumés, & chantèrent tant aux aureilles du malade
avec un tel bruit & tintamarre, que tout cela estoit plus
capable d'avancer ses jours que le guérir, car comment pouvoit
il recevoir allégement en ce tintamarre, que le plus sain en
eust eu la teste rompue, il usa de tous ses plus subtils
medicaments qu'il peust, lesquels ne luy servirent de rien, &
cependant ledit Martin ne se resouvenant plus du sainct
Baptesme & de ce qu'il avoit promis, retourne en la créance de
ses superstitions passées, il y eut de nos gens qui luy firent
quelques remonstrances sur le peu d'esprit qu'il avoit, & le
mal qu'il faisoit de la perdition de son âme, qui pâtiroit plus
aux enfers pour avoir abusé de ce sainct Sacrement que s'il
n'eust esté baptisé, il n'en fait nul estat, disant, qu'il
160/1144 n'adjoustoit point de foy en tout ce qu'on luy avoit fait, sans
faire davantage de réplique, ainsi demeura en son mal, qui alla
en augmentant jusques à la mort, sans qu'il peust treuver de
remède pour l'empescher, & mourut le dix-huictiesme dudit
mois[677]: les jugemens de cette mort furent divers, d'autant
que beaucoup croyoient, que peut-estre premier que de rendre le
dernier souspir de la vie il auroit eu un repentir, & Dieu luy
auroit pardonné: C'est pour revenir à ce que nous enseigne
nostre Seigneur, _Ne jugez point, de peur que ne soyez jugez_.
Neantmoins il y avoit bien dequoy craindre en la vie qu'il a
menée jusques à la fin, que cette âme ne soit perdue.
[Note 677: Le 18 avril 1628. D'après Sagard, il serait mort dans de
bonnes dispositions, et n'aurait consenti à se faire _mideciner_ que par
complaisance. «Il fut enterré au cimetière de ceux de sa nation, proche
le jardin qu'on appelle du Père Denys, pour le contentement de ses
parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.» (Hist. du Canada,
liv. II, ch. XXXVII.)]
De puis 22 ans qu'on est allé pour habiter & défricher à Québec
[678], suivant l'intention de sa Majesté, les societés
n'avoient fait deserter un arpent & demy de terre: par ainsi
ostoient toute esperance pendant leur temps, de voir le boeuf
sous le joug pour labourer, jusqu'à ce qu'un habitant[679] du
païs recherchast les moyens de relever de peine les hommes qui
161/1145 travailloient ordinairement à bras, pour labourer la terre,
laquelle fut entamée avec le Soc & les boeufs, le 27 d'Avril
1628, qui montre le chemin à tous ceux qui auront la volonté &
le courage d'aller habiter, que la mesme facilité se peut
esperer en ces lieux comme en nostre France, il l'on en veut
prendre la peine & le soing.
[Note 678: L'habitation de Québec n'ayant été commencée qu'en 1608, ce
passage donnerait à entendre que dès 1630, Champlain avait préparé la
seconde partie de l'édition de 1632.]
[Note 679: Il n'y avait alors que Guillaume Couillard, qu'on pût appeler
_habitant_ proprement dit, parce qu'il était le seul qui fût établi sur
une terre.. Cette terre avait été concédée à son beau-père Louis Hébert
dès le 4 février 1623, par le duc de Montmorency, concession qui fut
ratifiée par le duc de Ventadour le 28 février 1626. Après la mort
d'Hébert, Couillard resta sur la terre avec sa belle-mère et son jeune
beau-frère Guillaume Hébert; le partage n'eut lieu qu'en 1634, à
l'occasion du mariage de ce dernier avec Heleine des Portes. Son contrat
de mariage et les arrangements de famille laissèrent à Couillard les
trois quarts de l'héritage, et, quelques années plus tard, il rentra par
une échange en possession de la part échue à son beau-père Guillaume
Hubou. (Archives du Sémin. de Québec.)]
Sur la fin dudit mois, il y eust quelques Sauvages qui nous
apportèrent nouvelles de la mort de Mahigan Athic, par mesme
moyen nous voulurent persuader qu'à cent cinquante lieues amont
le fleuve S. Laurent, estoient descendus certains Sauvages
Algommequins qui avoient massacré nos hommes, s'estans retirez
secrettement sans estre apperceus, mais comme ces discours
estoient esloignez de la raison sans apparence, nous ny
adjoustasmes foy, disant que le Sauvage que nous tenions pour
suspect, estoit devenu insensé courant par les bois comme
desesperé, ne sçachant ce qu'il estoit devenu.
Le 10 de May un canau arriva de Tadoussac, où estoit la
Fouriere capitaine des Sauvages dudit lieu, avec celuy que nous
soubçonnions avoir faict le meurtre, lequel n'estoit en tel
estat qu'on nous l'avoit representé, qui venoit pour se
justifier, sur l'asseurance que luy avoit donné ledit la
Fouriere, moyennant quelque present qu'il avoit receu, de
retirer son fils d'entre nos mains.
Estant en terre il envoya sçavoir si j'aurois agréable qu'il
nous vint voir, je le fais venir avec le meurtrier soupçonné,
où ledit la Fouriere fit quelque discours sur l'affection que
de tous temps il nous avoit portée, que jamais il ne receut tel
162/1146 desplaisir que quand on luy dit de la façon que nos hommes
avoient esté tuez, croyant que c'estoient des Yrocois & non
d'autres, mais que depuis peu il avoit sceu par un jeune homme
de nation Yrocoise & elevé parmy eux, & les Algommequins d'où
il venoit mescontant pour l'avoir mal traité qu'il avoit
rapporté que trois d'icelle nation estoient venus de plus de
cent cinquante lieues tuer de nos gens, chose très certaine,
avec autre discours sans raison: Et que les prestres qui
prioient Dieu avec cérémonie qu'ils faisoient, estoit le sujet
que beaucoup de leurs compagnons mouroient, ce qui n'avoit esté
auparavant, avec autres paroles perdues, discours de quelques
reformez qui leurs avoient mis cela en la fantaisie, comme de
beaucoup d'autres choses de nostre croyance.
Je luy fis response de poinct en poinct à toutes ses raisons
foibles & débiles, que pour l'amitié & affection, il ne pouvoit
aller au contraire qu'on ne luy en eust tesmoigné d'année à
autre, & sauvé la vie à plus de cent de ses compagnons, qui
fussent morts de faim, sans ce secours qu'ils avoient receus de
nous en ces extrêmes necessités, au contraire nous n'avions pas
sujet de nous louer d'eux, comme ils avoient de nous, ayant par
cy-devant tué de nos hommes, qu'on avoit pardonné au meurtrier,
outre plusieurs autres desplaisirs, pensant que le temps le
rendroit plus sage, mais que je n'estois plus resolu de
temporiser ny souffrir qu'ils nous bravassent en tenant les
bras croisez sans ressentiment, d'avoir encore depuis peu
assassiné deux de nos hommes estans endormis, que le rapport
163/1147 qui avoit esté fait par ce jeune homme des Algommequins qui
avoient tué les nostres, ausquels on n'avoit jamais mesfait
estoit chose controuvée, que quand il y auroit quelque vérité,
qu'ils eussent passé par plusieurs endrois sur leurs chemins où
il y avoit des nostres, qu'ils eussent peu tuer sans prendre la
peine de passer parmy eux, & non courir la risque d'estre
descouverts pour aller en un lieu du tout esloigné de chemin ny
sentier, en lieu où ces hommes ne faisoient que reposer icelle
nuict pour le matin s'en revenir avec le bestial.
De plus que la nuict qu'ils furent massacrez, il y avoit des
canaux proche d'eux, qui faisoient la pesche de l'anguille,
tant de sujects estoient suffisans de tuer les premiers, sans
se mettre en toutes ces peines, & de passer encore une riviere
pour venir à l'effect de ceste exécution, avec d'autres raisons
si apparentes qu'il n'y pouvoit respondre: De plus que tous les
Capitaines Sauvages qui estoient icy concluerent que le meurtre
avoit esté par un des leurs, après avoir visité les corps & les
coups qu'ils avoient, promettant faire ce qu'ils pourroient
pour descouvrir les meurtriers, & nous les livrer ou en donner
advis, estant raisonnable que ceux qui avoient fait le coup
mourussent: que nous vouloir persuader par des raisons sans
apparence, luy qui ne sçavoit comme la chose s'estoit passée ny
estant, qu'il n'avoit nulle raison de vouloir pallier & couvrir
ce meurtre.
Luy remonstrant que s'il ne sçavoit autre chose pour m'obtenir
le droit qu'il pretendoit, qu'il avoit pris de la peine en
164/1148 vain, aussi que nous estions fort contans de ce qu'il avoit
amené avec luy le soubçonné qui avoit fait le meurtre, outre le
légitime sujet que nous avions eu de demander son fils en
ostage. Nous avions des Sauvages qui durant l'hyver nous
avoient asseuré qu'il n'y en avoit point d'autre qui eut fait
l'assassinat que luy: pour cet effect nous le voulions retenir
prisonnier, jusqu'à ce que les informations fussent bien
averées, que s'il meritoit la mort il devoit mourir, sinon il
seroit libre & ne devoit craindre s'il n'avoit fait le coup, ce
pendant il seroit traitté comme son fils, lequel je mis en
liberté avec un autre, reservant le plus jeune des trois pour
luy tenir compagnie: qui fut estonné ce fut le galand & ledit
la Fouriere, à qui l'on fist gouster les raisons qu'il ne
sçavoit que de la bouche du meurtrier, qui fut contrainct de se
taire, ne sçachant autre chose que ce que luy avoit dit ce
jeune Sauvage Yrocois, qui accusoit les Algommequins, où à
propos entrèrent deux d'icelle nation, auquel l'on dit ce que
ledit la Fouriere avoit dit, qui deffendirent leur nation, &
n'avoir jamais fait une telle perfidie, n'y mesme songé, que ce
qu'il disoit estoit si esloigné de la raison, que tels discours
donnoient plustost sujet de risée que d'y adjouster foy: qu'il
sçavoit très-bien que nous n'avions ny n'aurions jamais la
croyance de ce faulx bruit. De plus que le Sauvage qu'ils
allegoient leur avoir apporté ces nouvelles estoit un enfant,
auquel l'on ne pouvoit adjouster foy, estant imposteur,
menteur, resentant tousjours la nation d'où il estoit.
165/1149 Tous ces discours finis, l'on arresta prisonnier nostre homme,
r'envoya-on son fils & le jeune Sauvage que nous avoit donné
feu Mahigan Atic.
Ce jour partit quelques jeunes hommes pour aller à la guerre
aux Yrocois, conduits par un vieil homme peu expérimenté, qui
fit croire qu'il ne feroit pas beaucoup d'expédition.
Ledit la Fouriere voyant que son voyage ne luy avoit de rien
servy, qu'à nous avoir mis l'oyseau au piège, il s'en alla nous
recommandant de traitter doucement le prisonnier, attendant
sçavoir plus grande vérité. Quelques jours après le départ
dudit la Fouriere, le frère du Reconcilié qui fut tué aux
Yrocois, avec nostre homme tua à Tadoussac l'imposteur
d'Yrocois qui avoit accusé les Algommequins d'avoir fait ce
meurtre, pour s'estre resouvenu que ce jeune homme estoit de
nation Yrocoise, qui avoit fait mourir son frère, allant pour
traitter de paix & d'amitié, & ainsi se vengent ces brutales
gens, sur ceux qui n'en sont causes.
Nos jeunes guerriers revinrent comme ils avoient esté, sans
avoir fait mal à personne, c'est ce que l'on esperoit de ceste
troupe volage, qui ne s'engagea pas si avant dans le pays des
ennemis, qu'ils ne peussent bien faire leur retraitte sans
appercevoir ny estre apperceus de l'ennemy.
Le 14 dudit mois arriva à Québec 7 canaux de Tadoussac, où il y
avoit vingt & un Sauvages robustes & dispos, qui s'en alloient
à la guerre, pour essayer s'ils seroient quelque chose plus que
les autres, ils se promettoient d'aller proche des villages des
ennemis & y faire quelque effect, en un mois qu'ils devoient
estre à ceste guerre.
166/1150 Le 18 dudit mois[680] revint ledit la Fouriere, pour traitter
quelques vivres & du petun: lequel à son retour ne se mit pas
beaucoup en peine pour le prisonnier, comme il avoit fait
auparavant. Il nous dit qu'il n'avoit encore receu nouvelle
d'aucuns vaisseaux qui fussent arrivez à la coste, qui nous
mettoit en peine, d'autant que tous nos vivres estoient
faillis, horsmis 4 à 5 poinçons de gallettes assez mauvaises,
qui estoit peu, & des pois & febves à quoy nous estions réduits
sans autres commoditez, voilà la peine en laquelle on estoit
tous les ans, sans juger les inconvenients qui en peuvent
arriver, je l'ay assez representé cy dessus en plusieurs
endroits, des accidents qui en sont arrivez à ce deffaut, de
jour en jour nous attendions nouvelles, ne sçachant que penser
attendu la disette que l'on pouvoit avoir en laquelle nous
estions, & que nous devions avoir des vaisseaux au plus tart à
la fin de May pour nous secourir, imaginant que quelque
changement d'affaire en ceste societé seroit arrivé, ou
contrariété de mauvais temps.
[Note 680: La suite fait voir que c'était en juin. Probablement qu'il en
est ainsi de la date précédente.]
Le 29 dudit mois de Juin arriverent quelque canaux dudit
Tadoussac, pour avoir des pois, où ils perdirent leur temps,
n'en ayant pas pour nous en suffisance, si les vaisseaux ne
nous secouroient, voyant le retardement, le temps qui se
passoit, ne pouvant avoir lieu d'aller à Gaspey, 130 lieues à
val de Québec, pour recouvrir quelques commodités des navires
qui pourroient estre à la coste, & treuver passage pour partie
167/1151 des personnes qui estoient trop, pour le peu de commoditez qui
nous restoient: Tout cecy nous fit délibérer de remédier à ce
qui nous seroit le plus necessaire, pour n'avoir barque à
Québec. Ledit de la Ralde les ayant laissées à Tadoussac au
lieu d'en envoyer une pour subvenir aux inconveniens qui
pourroient arriver. De plus que l'habitation estoit sans aucun
matelot, ny homme qui peust sçavoir ce que c'estoit de les
accommoder & conduire: de bray, voiles & cordages nous n'en
avions point, & peu d'autres choses qui manquoient pour telles
affaires, ainsi estions denuez de toutes commoditez, comme si
l'on nous eut abandonnez, car la condition des vivres que l'on
nous avoit laissé avec le peu de toutes choses nous le fit
cognoistre, c'est assez que la peleterie soit conservée,
l'utilité demeure aux associez & à nous le mal: c'est comme sa
Majesté est servie, aux desordres qui se commettoient en ces
affaires, & l'ennemy qui faisoit profit de nostre desordre &
nous succomber si l'on n'y prenoit garde: il ne manque point de
François perfides, indignes du nom, qui vont treuver l'Anglois
ou Flamand, leur dire l'estat auquel l'on estoit: qui pouvoient
s'emparer de ces lieux, n'estans accommodez des choses
necessaires pour se deffendre & s'opposer à leurs violences.
Ce pendant il nous faut adviser de quel bois l'on fera flèche,
pour nous garantir des inconveniens qui pouvoient arriver, nous
treuvasmes à propos de mettre tous nos hommes à chercher du
bray dans les bois, & sapinieres, suffisamment pour brayer une
168/1152 barque & chalouppe pour envoyer à Tadoussac, accommoder la plus
commode, & l'amener à Québec, pour plus facillement &
commodément mettre les personnes que nous voulions renvoyer à
Gaspey, pour treuver passage aux vaisseaux qui estoient aux
costes pour s'en retourner en France. La diligence d'un chacun
fut telle, qu'en moins de cinq à six jours nous en eusmes
suffisamment, delà fusmes au Cap de Tourmente tuer un boeuf,
pour en avoir le suiv, pour mesler avec le bray, l'on fit faire
aussitost de l'estouppe de vieux cordage, ramassant toutes
choses au moins mal que l'on pouvoit pour nous accommoder, & au
nombre de ceux qui devoient retourner, l'on mettoit deux
familles qui n'avoient poulce de terre pour se pouvoir nourrir,
estans entretenus des vivres du magazin, car tout cela ne nous
servoit de rien, qu'à manger nos vivres dix personnes qu'ils
estoient en ces deux familles, horsmis les deux hommes qui
pourroient estre employez, l'un boulanger, & l'autre qui
servoit de matelot.
Or comme toutes choses furent prestes il ne failloit plus
treuver qu'un homme qui fut entendu à calfeultrer la barque, &
l'accommoder de ce qui luy estoit necessaire, nous nous
adressasmes à un habitant du pays, qui se nourrit de ce qu'il a
defriché au pays, appellé Couillart bon matelot, charpentier, &
calfeultreur, qui ne pouvoit estre sujet qu'à la necessité,
auquel nous mettions toute nostre asseurance qu'il nous
secoureroit de son travail & industrie, d'autant que depuis
169/1153 quinze ans[681] qu'il avoit esté au service de la compagnie, il
s'estoit tousjours monstré courageux en toutes choses qu'il
faisoit, qu'il avoit gaigné l'amitié d'un chacun, faisant ce
que l'on pouvoit pour luy, & de moy je ne m'y suis pas
espargné[682] en tout ce qu'il avoit à faire. En fin je luy dis
qu'il estoit necessaire, n'ayant personne en nostre habitation,
qu'il allast à Tadoussac accommoder ceste barque, il chercha
toutes les excuses qu'il peust pour s'en exempter, assez mal à
propos & sans raison, qui me fit luy tenir quelques propos
fascheux. Bref pour toute conclusion dit qu'il avoit peur des
Sauvages qu'ils ne l'assommassent: pour le relever de ceste
apprehension, je luy fis offre de luy donner une chalouppe bien
esquippée d'hommes & d'armes, & envoyer mon beau-frère pour
l'asseurer, tout cela ne servit de rien, sinon que pour
accommoder deux chalouppes qui estoient en nostre habitation,
qu'il le feroit volontiers, mais d'y aller il craignoit sa
eau, & ne vouloit abandonner sa femme[683], pour la conserver,
je luy dis vous l'avez tant de fois laissée seule avec sa mère
par le passé, allez luy dis-je alors, vous perdez toutes les
conditions que l'on pouvoit esperer d'un homme de bien, si ce
n'estoit pour peu je vous fairois mettre prisonnier, pour la
desobeissance que vous faite en une necessité, vous deservez le
Roy en tout cecy, néantmoins on advisera à ce que l'on aura à
170/115 faire. Le sieur du Pont & moy advisasmes que se servir d'un
homme par force l'on en auroit jamais bonne issue, & falloit
s'en passer, & qu'il nous calfeultrast deux chalouppes, n'en
pouvant tirer autre service.
[Note 681: Guillaume Couillard serait donc venu au Canada dès l'année
1613, c'est-à-dire, quatre ans avant son beau-père Louis Hébert.]
[Note 682: Champlain assista, avec son beau-frère, au mariage de
Couillard, en 1621, et fut plus tard, en 1626, parrain de sa fille
Marguerite. (Registres de N.-D. de Québec.)]
[Note 683: Guillemette Hébert. Couillard avait été marié à Québec par le
P. Georges le Baillif vers le 26 août 1621. (Registres de N.-D. de
Québec.)]
Le 9 de Juillet deux de nos hommes vindrent à pied du Cap de
Tourmente, apporter nouvelle de l'arrivée de six vaisseaux à
Tadoussac selon le rapport d'un sauvage[684], lequel ce mesme
jour nous confirma son dire, qu'un homme de Dieppe nommé le
Capitaine Michel commandoit dedans, venant de la part du sieur
de Caen[685]: ce discours nous fit penser que ce pouvoit estre
celuy avec lequel ledit de Caen avoit part en son vaisseau, qui
venoit ordinairement à Gaspey faire pescherie de molue, ces
nouvelles aucunement nous resjouirent: d'autre part considerant
qu'il y avoit six vaisseaux, chose extraordinaire en ces
voyages pour la traitte, que ce Capitaine Michel commandoit à
ceste flotte, il n'y avoit pas d'apparence n'estant homme
propre à telle conduitte, qui nous fit croire qu'il y avoit
plus ou moins en l'affaire, un changement extraordinaire. De
plus que le Sauvage estant interrogé particulièrement se
treuvoit en plusieurs dire, entr'autre chose nous dit qu'ils
avoient pris un Basque qui traittoit à l'Isle Percée, traittant
ses marchandises aux Sauvages dudit Tadoussac: desirant en
avoir une plus ample vérité, nous resolumes de sçavoir d'un
171/1155 jeune homme truchement de nation grecque, s'il pourroit se
deguiser en Sauvage & aller en un canau recognoistre quels
vaisseaux ce pouvoient estre, en luy donnant deux Sauvages avec
luy, ausquels avions de la créance & fidélité, qui nous
promettoient servir en ceste affaire en les gratifiant de
quelque honnesteté, ledit Grec se resolut de s'embarquer,
l'ayant accommodé de ce qu'il luy estoit necessaire il
partit[686].
[Note 684: «Ce sauvage était Napagabiscou, surnommé Trecatin ou
Trigatin. Il partit en toute hâte de Tadoussac avec un autre sauvage, en
même temps que la barque envoyée pour détruire l'habitation du cap
Tourmente. Il y arriva avant la barque; et donna avis au sieur Faucher
de tout ce qu'il avait vu. Celui-ci dépêcha deux de ses hommes pour
porter ces nouvelles à Québec. Les deux hommes montèrent à pied, comme
le dit ici l'auteur, et Trigatin dut continuer en canot, et arriver
aussi vite que les deux messagers.]
[Note 685: Trigatin le supposait, ou bien les Anglais avaient voulu lui
donner le change.]
[Note 686: «Le Pere Joseph, ajoute Sagard, se trouva lors fort à propos
à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de
tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglais ont
depuis bruslée avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens
servans à dire la saincte Messe.» Il partit, accompagné d'un Frère, avec
les messagers envoyés par Champlain. (Hist. du Canada, p. 917.)]
Ce pendant j'estois en meffiance, craignant ce que souvent
j'avois appréhendé, & les advis que plusieurs fois j'avois
donné, sçavoir que ce ne fussent ennemis, qui me fit mettre
ordre tant à l'habitation qu'au fort, pour nous mettre en
l'estat de recevoir l'ennemy si tel estoit.
Voilà qu'une heure après le partement dudit Grec il s'en
revient avec deux canaux qui se sauvoient à nostre habitation,
en l'un desquels estoit Foucher[697] qui estoit demeurant audit
Cap de Tourmente, pour avoir esgard aux hommes qui y estoient
habitez, lequel nous dit qu'il s'estoit sauvé des mains des
Anglois qui l'avoient pris prisonnier, & trois de ses hommes,
une femme & une petite fille [698] qu'ils avoient amené à bort
172/1156 d'une barque qui estoit mouillée à l'ancre le travers dudit Cap
de Tourmente, ayant tué en partie ce qu'ils voulurent du
bestial, & fait brusler le reste dans leurs estables, où ils
l'enfermèrent[699], comme aussi deux petites maisons où se
retiroit ledit Foucher & ses hommes, après avoir ravagé tout ce
qu'ils peurent jusqu'à des béguins de la petite fille: Cette
tuerie de bestial faite, ils s'en retournèrent promptement & se
r'embarquerent, mais ce n'estoit pas sans crainte qu'ils
avoient qu'on ne les poursuivast, ce que asseurement eust esté
fait si nous eussions eu certains advis de leur arrivée par les
sauvages, qui le sçavoient tous bien, comme perfides &
traistres qu'ils sont, celerent cette meschante nouvelle, au
contraire ils faisoient courrir le bruit que c'estoient des
nostres & de nos amis, que nous ne nous devions mettre en
peine. Cette barque estoit arrivée une heure ou deux devant le
jour, & mouillerent l'ancre comme dit est, & aussitost mirent
quinze à seize soldats dans une chaloupe, mettant pied à terre
venant le long du bois, pensant surprendre nos gens couchés:
mais comme ils arriverent proche de l'habitation ils virent
ledit Foucher, qui leurs demanda d'où ils estoient, qu'ils
eussent à s'arrester, un des siens s'avançant à ceste troupe en
laquelle d'abort ne paroissoit que François, qui l'année
173/1157 d'auparavant estoient venus avec ledit sieur de la Ralde, dire,
nous sommes de vos amis, ne nous cognoissez vous pas, nous
estions l'année passée icy, nous venons de la part de
Monseigneur le Cardinal, & de Roquemont[700], allant à Québec
leur porter des nouvelles, & en passant avions desir de vous
voir. A ces douces paroles & honnestetés ils se saluerent les
uns & les autres, pensant que tout ce qu'ils disoient estoit
vérité, mais ils furent bien estonnez qu'estans environnez
quatre personnes qu'ils estoient, qu'ils furent saisis & pris
comme j'ay dit cy dessus, car les traistres Sauvages leurs
avoient rapporté l'estat en quoy nous estions.
[Note 687: «Ayans à peine advancé 4 ou 5 lieues dans le fleuve, ils
apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une
diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre, à terre,
sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, &
ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente. Ce fut une
alarme bien chaudement donnée, & augmenta à la veue du sieur Foucher
couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais
traittement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur
malheureuse perte.» (Sagard, Hist. du Canada, p. 918.)]
[Note 688: Sagard ajoute que «Foucher y pensa perdre la vie, car en se
sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches, &
emmenèrent prisonniers un, nommé Piver» (Nicolas Pivert) «sa femme, sa
petite niepce, & un autre homme avec eux.» (Hist. du Canada, p. 919,
920.)]
[Note 689: D'après Sagard, il y avait au cap Tourmente quarante à
cinquante pièces de bétail. Les envoyés de Kertke «tuèrent quelques
vaches pour leur barque, mirent le feu partout, & consommerent jusques
aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans
les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part
du debris. (Hist. du Canada, p. 919.)]
[Note 690: Il y avait déjà plus d'un an que le cardinal de Richelieu
avait supprimé la compagnie des sieurs de Caen, et avait formé, de
concert avec le sieur Claude de Roquemont et plusieurs autres, la
Compagnie de la Nouvelle-France, ou compagnie des Cent-Associés. (Le
Mercure Français, t. xiv, part. 2, p. 232 et suiv.)]
Estant trop acertené de l'ennemy je fais employer tout le monde
à faire quelque retranchement au tour de l'habitation, au fort
des barricades sur les ramparts qui n'estoient parachevez, n'y
ayant rien fait depuis le partement des vaisseaux, pour le peu
d'ouvriers que nous avions, qui avoient esté assez empeschés
tout l'Hyver à faire du bois pour le chauffage, toutes ces
choses se faisant en diligence, je disposay les hommes aux
lieux que je jugeay estre à propos, afin que chacun cogneut son
quartier, & y accourust selon la necessité du temps.
Le lendemain 10 du mois[691] sur les trois heures après midy
apperceusmes une chalouppe, qui tesmoignoit à voir la manoeuvre
qu'ils faisoient, qu'ils desiroient aller dans la riviere
sainct Charles pour faire descente ou mettre le feu dans les
174/1158 maisons des Peres, ou bien ils ne sçavoient pas bien prendre la
route pour venir droit à nostre habitation, jugeant aussi que
ceste chalouppe ne pouvoit faire grand eschet, s'il n'en venoit
d'autres, & que venir à l'estourdie de la façon il n'y avoit
point d'apparence: car ils pouvoient se promettre d'y demeurer
la plus grand part, qu'il falloit que quelque autre sujet les
amenait, qui fit que neantmoins je ne voulus négliger ce qui
estoit à faire, envoyant quelques Arquebusiers par dedans les
bois, recognoistre où ils mettoient pied à terre, là les
attendre de pied ferme à leur descente pour les empescher &
desfaire s'il y avoit moyen: comme ils approchoient de la terre
nos gens cogneurent les nostres[692], qui estoient dedans avec
une femme & la petite fille qui les asseura, se monstrant
quelques uns leurs disant qu'ils allassent descendre à
l'habitation, ce qu'ils firent, recogneusmes que c'estoient des
Basques prisonniers des Anglois, qui l'avoient envoyée pour
rapporter nos gens, & une lettre de la part du Général, l'un
des Basques que je fis venir qui avoit la lettre, me dit,
Monsieur le commandement forcé que nous avons du Général
Anglois qui est à la radde de Tadoussac, nous a contrainct de
venir en ce lieu vous donner ceste lettre de sa part, laquelle
verrez s'il vous plaist, vous prie de nous pardonner & excuser
puisque la contraincte nous y a obligé. Je pris la lettre & fis
entrer les Basques qui estoient au nombre de six, ausquels je
175/1159 fis faire bonne chère, attendant qu'on les eust depesché, il
estoit assez tard, qui fit qu'ils ne s'en retournèrent que le
lendemain matin.
[Note 691: Le 10 juillet 1628.]
[Note 692: «Entre lesquels, dit Sagard, estoient Piver, sa femme & sa
niepce, avec quelques Basques.» (Hist. du Canada, p. 921.) Nicolas
Pivert, l'un des plus anciens et des plus respectables habitants de
Québec, était marié à Marguerite Le Sage. (Registres de N.-D. de
Québec.)]
Ledit sieur du Pont & moy & quelques autres des principaux de
nostre habitation, que je fis assembler pour faire la lecture,
pour adviser à ce que nous respondrions, voicy la teneur cy
dessous.
«Messieurs je vous advise comme j'ay obtenu Commission du Roy
de la grande Bretagne, mon tres-honoré Seigneur & Maistre, de
prendre possession de ces païs sçavoir Canadas & l'Acadie, &
pour cet effect nous sommes partis dix huict navires, dont
chacun a pris sa route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je
me suis desja saisy de la maison de Miscou, & de toutes les
pinaces & chalouppes de cette coste, comme aussi de celles
d'icy de Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez
aussi advertis comme entre les navires que j'ay pris il y en a
un appartenant à la Nouvelle Compagnie, qui vous venoit treuver
avec vivres & rafraischissements, & quelque marchandise pour la
traitte, dans lequel commandoit un nommé Norot: le sieur de la
Tour[693] estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel
j'ay abordé de mon navire: je m'estois préparé pour vous aller
treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une
patache & deux chalouppes, pour destruire & se saisir du
176/1160 bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand vous
serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que
je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que
nul navire ne vienne je resous de demeurer icy, jusqu'à ce que
la saison soit passée, afin que nul navire ne vienne pour vous
avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que desirez faire, si me
desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou
tard il faut que je l'aye, je desirerois pour vous que ce fut
plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le
sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de
courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de
contentement, tant pour vos personnes que pour vos biens,
lesquels sur la foy que je prétend en Paradis je conserveray
comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la
moindre partie du monde. Ces Basques que je vous envoye sont
des hommes des navires que j'ay pris, lesquels vous pourront
dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, &
mesme comme toutes les affaires se panent en France touchant la
compagnie nouvelle de ces pays, mandez-moy ce que desirés
faire, & si desirés traitter avec moy pour cette affaire,
envoyés moy un homme pour cet effect, lequel je vous
asseure de chérir comme moy-mesme avec toute sorte de
contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que
desirerés, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant
vostre responce & vous resoudant ce faire ce que dessus je
177/1161 demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affectionné serviteur
DAVID QUER[694], Du bord de la Vicaille ce 18 Juillet 1628.
Stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et desseus la
missive estoit escrit, à Monsieur Monsieur de Champlain,
commendant à Québec.»
[Note 693: Claude de la Tour.]
[Note 694: Ce nom a dû être ainsi orthographié d'après une copie qui
portait _Quirc_; car on retrouve pour signature originale _Kearke_ et
_Kirke. (State Paper Office, Colonial Papers,_ vol. V.)]
La lecture faite nous concluasmes sur son discours que s'il
avoit envie de nous voir de plus prés il devoit s'acheminer, &
non menacer de si loing, qui nous fit resoudre à luy faire
cette responce telle qu'il s'ensuit.
«Monsieur, nous ne doutons point des commissions qu'avez
obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font
tousjours eslection des braves & généreux courages, au nombre
desquels il a esleu vostre personne pour s'acquiter de la
charge en laquelle il vous a commise pour exécuter ses
commandemens, nous faisant cette faveur que nous les
particulariser, entre autre celle de la prise de Norot & du
sieur de la Tour qui apportoit nos commoditez, la vérité que
plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se
maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de
se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est
maintenue. C'est pourquoy ayant encore des grains, bleds
d'Inde, pois, febves, sans ce que le pays fournist, dont les
soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les
meilleures farines du monde, & sçachant très-bien que rendre un
178/1162 fort & habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous
ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy,
que nous ne fussions reprehensibles, & mériter un chastiment
rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattant nous
sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez
plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne
avec vos forces, que si laschement nous abandonnions une chose
qui nous est si chère, sans premier voir l'essay de vos canons,
approches, retranchement & batterie, contre une place que je
m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de
si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre,
ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont
esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si
elle vous est favorable vous aurez plus de sujet en nous
vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie,
que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est
si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit
s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente,
bruslement du bestial, c'est une petite chaumière, avec quatre
à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont
esté pris sans verd[695] par le moyen des Sauvages, ce sont
bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre
vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit
179/1163 rien à faire pour vous, que nous attendons d'heure à autre pour
vous recevoir, & empescher si nous pouvons les pretentions
qu'avez eu sur ces lieux, hors desquels je demeureray Monsieur,
& plus bas Vostre affectionné serviteur CHAMPLAIN, & dessus, A
Monsieur Monsieur le Général QUER, des vaisseaux Anglois.»
[Note 695: Pris au dépourvu: locution empruntée du jeu au verd, dans
lequel les joueurs ne doivent jamais être surpris sans avoir sur eux une
feuille verte cueillie le jour même.]
La responce faite je la donnay aux Basques qui s'en
retournèrent & envoyay une chalouppe au Cap de Tourmente pour
veoir le débris des Anglois, & s'il n'y avoit point quelque
bestial qui se seroit sauvé, il estoit resté quelques six
vaches que les Sauvages tuèrent, & une qui fut sauvée qui
s'estoit enfuye dans les bois, qui fut ramenée.
Les Basques arrivans à Tadoussac donnèrent ma lettre au général
Quer que nous attendions de jour en jour. Après s'estre informé
des Basques il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, &
notamment les Chefs ausquels il leut la lettre, ce qu'ayant
fait ils délibérèrent ne perdre temps voyant n'y avoir rien à
faire, croyans que nous fussions mieux pourveus de vivres &
munitions de guerre que nous n'estions, chaque homme estans
réduit à sept onces de pois par jour, n'y ayant pour lors que
50 livres de poudre à canon, peu de mèche & de toutes autres
commoditez, que s'ils eussent suivy leur pointe malaisément
pouvions nous resister, attendu la misere en laquelle nous
estions, car en ces occasions bonne mine n'est pas défendue:
Cependant nous faisions bon guet, tenant tousjours mes
compagnons en devoir. Ledit Quer n'attendoit plus nos
180/1164 vaisseaux, croyant qu'ils fussent péris ou pris des ennemis, se
délibéra de brusler toutes nos barques qui estoient à
Tadoussac, ce qu'ils firent, horsmis la plus grande qu'ils
emmenèrent, levent les ancres, & mettent sous voiles pour aller
chercher des vaisseaux le long des costes pour payer les frais
de leur embarquement.
Quelques tours après arriva une chalouppe où il y avoit dix
Matelots, & un jeune homme appelle Desdames pour leur
commander, qui venoit nous apporter nouvelle de l'arrivée du
sieur de Roquemont à Gaspey, qui estoit général des vaisseaux
François, & nous apportoit toutes commoditez necessaires, &
quantité d'ouvriers & familles qui venoient pour habiter &
défricher les terres, y bastir & faire les logemens
necessaires, luy demandant s'il n'avoit point de lettres dudit
sieur de Roquemont, il me dit que non, & qu'il estoit party si
à la haste qu'il n'avoit pas eu le loisir de mettre la main à
la plume. Je m'estonnay de ce qu'en un temps soupçonneux il ne
m'escrivoit comme les affaires s'estoient passées en France
touchant la Nouvelle societé qui avoit deposé ledit sieur de
Caen de ses prétentions, sur ce qu'il ne s'estoit pas acquitté
de ce qu'il avoit promis à sa Majesté, seulement le Reverend
Père l'Allemand m'escrivoit un mot de lettre par lequel il me
faisoit entendre qu'ils nous verroient en bref s'ils n'estoient
empeschez par de plus grandes forces des Anglois que les leurs.
Depuis j'eus cognoissance d'une commission que m'envoyoit sa
Majesté, de la teneur qui suit.
181/1165 «LOUYS PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, A
nostre cher & bien aimé le sieur de Champlain, commendant en la
Nouvelle France, en l'absence de nostre très-cher & bien-aimé
cousin le Cardinal de Richelieu, grand Maistre, Chef,
Sur-intendant général de la navigation & commerce de France,
Salut. Comme nous estimons estre obligez de veiller à la
conservation de nos subjets, & que par nostre soin rien ne
deperisse de ce qui leur peut appartenir, particulièrement en
leur absence, & que nous voulons estre bien & deuement informez
de l'estat véritable du pays de la Nouvelle France sur
l'establissement que nous avons faict depuis quelque temps
d'une nouvelle Compagnie pour le commerce de ces lieux, A CES
CAUSES, A plain confiant de vostre soin & fidélité nous vous
avons commis & député, Commettons & députons par ces presentes,
signées de nostre main: Pour incontinent après l'arrivée du
premier vaisseau de ladite Nouvelle Compagnie faire inventaire
en la presence des Commis de Guillaume de Caen, cy-devant
adjudicataire de la traitte dudit pays de toutes les
pelleteries si aucune y a, à luy appartenantes & à ses associez
esdits lieux: Ensemble de toutes les munitions de guerre,
marchandises, victuailles meubles, ustancilles, barques,
canaux, agrez, & apparaux avec tous les bestiaux & toutes
autres choses generallement quelconque estant esdits lieux
appartenantes audits de Caen & ses associez, desquelles choses
182/1166 prisée & estimation sera faite en vostre présence par gens à ce
cognoissans, que nommerez d'office, au cas que les commis dudit
de Caen sur ce interpellez n'en conviennent dresser procez
verbal & arpentage de toutes les terres labourables &
jardinages estant en valeur esdits lieux, depuis quel temps
elles ont esté défrichées, combien de familles ledit Caen a
faict passer en ladite Nouvelle France conformément aux
articles que nous luy avons cy-devant accordez, & faire
description & figure du fort de Québec & de toutes les
habitations & bastimens, tant prétendus par ledit de Caen, que
autres, desquels prisée & estimation sera faicte par gens ce
cognoissans, & en presence, comme dit est, & de tout ce que
dessus dresser procez verbal, pour iceluy veu & rapporté en
nostre Conseil estre pourveu sur les prétentions dudit de Caen
& ses associez ainsi qu'il appartiendra par raison. De ce faire
vous donnons pouvoir, authorité, commission & mandement
special, & de passer outre nonobstant oppositions ou
appellations quelconques faites ou à faire, recusations, prise
à partie pour lesquelles ne voulons estre différé. CAR TEL EST
NOSTRE PLAISIR. Donné à Partenay le 27e jour d'Avril 1628. & de
nostre Regne le 18. signé LOUYS, & plus bas par le Roy, Potier,
avec le grand sceau.»
Après que Desdame m'eut dit ce qu'il sçavoit il me donna à
entendre qu'il avoit veu cinq ou six vaisseaux Anglois & nostre
barque, estant contraint pour n'estre apperceue d'eschouer
183/1167 aussi-tost, ils firent passer leur chalouppe par dessus une
chauffée de caillous, les ennemis estans passez ils remirent
leur batteau à l'eau pour parfaire leur voyage, ayant eu charge
dudit sieur de Roquemont qu'estant à l'Isle Sainct Barnabé
d'envoyer un canau à Québec pour sçavoir l'estat auquel nous
estions, s'il estoit vray que les Anglois nous eussent tous
pris & tuez, comme les Sauvages leurs avoient donné à entendre,
& luy devoit demeurer à ladite Isle, distante de Tadoussac de
18 lieues, attendant le canau: Que ledit sieur de Roquemont
venant à la veue de l'Isle il feroit de certains feux dans ses
vaisseaux qui seroient faits semblablement sur terre pour
signal qu'ils ne seroient point ennemis: que l'on avoit aussi
deschargé nombre de farines à Gaspey pour estre plus légers &
moins embarrassez à combattre les Anglois, qu'ils iroient
chercher jusques à Tadoussac[696]: que le lendemain ils
entendirent plusieurs coups de canon, qui leur fit croire que
les vaisseaux Anglois avoient fait rencontre des nostres. Je
luy dis qu'ayant entendu ces coups, ils devoient retourner pour
sçavoir à qui demeureroit la victoire pour en estre certain, il
dit qu'il n'avoit aucun ordre de ce faire: cependant ces unze
hommes estoient autant de bouches augmentées pour manger nos
pois, desquels nous nous fussions bien passez, mais il n'y
avoit remède, je leur fis la mesme part qu'à ceux de
l'habitation.
[Note 696: Si ces renseignements donnés par Desdames sont exacts ils
justifient pleinement les remarques que fait l'auteur, dans le chapitre
suivant, sur la conduite de M. de Roquemont, qui devait éviter que
rechercher l'ennemi, tant qu'il n'avait pas atteint le but de son
voyage.]
184/1168 _Défauts observez par L'Autheur au voyage du sieur de
Roquemont. Sa prevoyance. Sa resolution contre tout evenement.
Le Sauvage Erouachy arrive à Québec. Le récit qu'il nous fit de
la punition Divine sur le meurtrier. Erouachy conseille de
faire la guerre aux Yrocois.
CHAPITRE VI.
Voicy quelques defauts qui se commirent en ce voyage,
d'autant que ledit sieur de Roquemont devoit considerer, que
l'embarquement n'estoit faict à autre dessein que pour aller
secourir le fort & habitation qui manquoient de toutes
commoditez, tant pour l'entretien de la vie, comme de munitions
pour la deffende, qu'en allant chercher l'ennemy pour le
combattre (arrivant faute de luy) il ne se perdoit pas seul,
mais il laissoit tout le pays en ruyne, & prés de cent hommes,
femmes & enfans mourir de faim, qui seroient contraints
d'abandonner le fort & l'habitation au premier ennemy, faute
d'estre secourus, comme l'expérience l'a fait voir.
Ledit de Roquemont estant à Gaspey, ayans appris que l'Anglois
avoit monté la riviere, plus fort que luy en vaisseaux &
munitions, les devoit éviter le plus qu'il pourroit & pour
ceste occasion assembler son Conseil, afin de sçavoir des plus
expérimentez s'il y avoit en ces costes quelque port où l'on
peust se mettre en seureté, & le faire; où l'ennemy ne le peust
endommager: car bien que le Capitaine I. Michel qui estoit avec
185/1169 l'Anglois cogneut quelques ports autour de Gaspey & isle de
Bonnaventure, il n'eut peu nuire aux nostres, qui sçavoient
assez de retraites en ces costes, plus que ledit Michel, mais
le trop de courage fit hasarder le combat.
Or les vaisseaux dudit de Roquemont estant en bon port très
seur, l'on devoit envoyer une chalouppe bien equippée pour
decouvrir & voir la contenance de l'ennemy, & quelle exécution
il pouvoit avoir fait à Québec, & attendre que les vaisseaux
des ennemis fussent partis pour s'en retourner, aussi tost
aller donner advis aux nostres: lesquels asseurez que l'Anglois
seroit passe, eussent sorty du port, pour mettre à la voile,
monter la riviere, & donner secours au fort & habitation, ce
qui eust esté facile.
Ou bien puisque ledit sieur de Roquemont estoit délibéré
d'aller attaquer l'ennemy[697], prendre le petit Flibot de
quelques 80 à 100 tonneaux, avantageux de voiles, le charger de
farines, poudres, huilles, & vinaigre, y mettant les Religieux,
femmes, & enfans, & à la faveur du combat, il pouvoit se
sauver, monter la riviere & nous donner secours. De dire que
dira-on si je ne voy l'ennemy? je dis qu'en pareilles ou
semblables affaires c'est estre prudent, qu'il vaut mieux faire
une honorable retraitte, qu'attendre une mauvaise issue. Le
mérite d'un bon Capitaine n'est pas seulement au courage, mais
186/1170 il doit estre accompagné de prudence, qui est ce qui les fait
estimer, comme estant suivy de ruses, stratagesmes, &
d'inventions: plusieurs avec peu ont beaucoup fait, & se sont
rendus glorieux & redoutables.
[Note 697: D'après Sagard, M. de Roquemont n'aurait pas recherché le
combat. «Le 18e jour de Juillet, dit-il, le sieur de Rocmont, Admiral
des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les
brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé par la
diligence des ennemis.» (Hist. du Canada, p. 939.) Voir ci-dessus, p.
180.]
Cependant que nous attendions des nouvelles de ce combat avec
grande impatience, nous mangions nos pois par compte, ce qui
diminuoit beaucoup de nos forces, la pluspart de nos hommes
devenant foibles & débiles, & nous voyant dénués de toutes
choses, jusques au tel qui nous manquoit, je me deliberay de
faire des mortiers de bois où l'on piloit des pois qui se
reduisoient en farines, lesquels nous profitoient mieux
qu'auparavant, mais à cause de ce travail on estoit long temps
en cet estat, je pensay que faire un moulin à bras ce seroit
chose encore plus aisée & profitable, mais comme nous n'avions
pas de meulle, qui estoit le principal instrument, je
m'informay à nostre serrurier s'il pourroit treuver de la
pierre propre à en faire une, il me donna de l'esperance, &
pour ce subject alla chercher de la pierre, & en ayant treuvé
il les taille, un Menuisier entreprend de les monter. De sorte
que cette necessité nous fit treuver ce qu'en vingt ans l'on
avoit creu estre comme impossible.
Ce moulin s'acheve avec diligence, où chacun portoit sa semenée
de pois que l'on mouloit & en recevoit on de bonne farine, qui
augmentoit nostre bouillie, & nous fit un très-grand bien, qui
nous remit un peu mieux que nous n'estions auparavant.
La pesche de l'anguille vint qui nous ayda beaucoup, mais les
Sauvages habiles à ceste pesche ne nous en donnèrent que fort
187/1171 peu, les nous vendant bien chères, chacun donnans leurs habits
& commoditez pour le poisson, il en fut traitté quelque 1200 du
magasin pour des Castors neufs, n'en voulant point d'autres,
dix anguillles pour Castor, lesquelles furent départies à un
chacun, mais c'estoit peu de chose.
Nous esperions que le Champ de Heber & son gendre, nous
pourroient soulager de quelque grains à la cueillette: dequoy
il nous donnoient bonne esperance, mais quand ce vint à les
recueillir il se trouva qu'ils ne nous pouvoient assister que
d'une petite esculée d'orge, pois & bleds d'Inde par sepmaine,
pesant environ 9 onces & demie, qui estoit fort peu de chose à
tant de personnes, ainsi nous fallut passer la misere du temps.
Les Pères Jesuites avoient un moulin à bras où les mesnages
alloient moudre leurs grains le plus souvent. Heber[698] ne
faisoit rien que nous ne recogneussions la quantité qu'il en
mouloit afin de ne donner sujet de plainte qu'il eust faict
meilleure chère que nous, ce que je ne faisois pas semblant de
veoir, bien que je pâtissois assez, mais c'est la coustume
qu'en telles necessitez chacun tasche de faire magasin à part,
sans en rien dire: je m'estois fié à eux de faire la levée de
leurs bleds, ce qu'autre que moy n'eust pas permis en telles
necessitez, car en leur donnant leur part comme aux autres on
en estoit quitte, & le surplus leur estoit payé, c'est dequoy
il avoit peur.
[Note 698: C'est-à-dire, la maison d'Hébert. Hébert étaitm mort depuis
plus d'un an.]
Il est vray que ledit sieur de Caen avoit envoyé des meules à
Tadoussac, mais par la négligence de ceux qu'il envoyoit au
188/1172 pays peu affectionnez, aymerent mieux les laisser en ce lieu
que les porter à Québec, sçachant bien qu'on ne les pouvoit
enlever que par leur moyen, c'estoit à ce que l'on dit[699],
qu'il y en avoit en la Nouvelle France, mais il eust autant
vallu qu'elles eussent esté à Dieppe qu'audit Tadoussac, où
depuis les Anglois les ont rompues en plusieurs pièces.
[Note 699: «C'était afin que l'on dît, ou que l'on pût dire.»]
Voyant le soulagement que nous recevions de ce moulin à bras,
je me deliberay d'en faire faire un à eau, & pendant l'hyver
employer quelques Charpentiers à apprester le bois qui seroit
necessaire pour cet effect, comme pour le logement à le mettre
à couvert, & au Printemps faire tailler les meules, & ainsi
accommoder un chacun de ceux qui auroient des grains à faire
moudre, & ne retomber plus aux peines où l'on avoit esté par le
passé, qu'à ce deffaut ceux qui auroient volonté de defricher
qu'ils le fissent pendant que commodément ils feroient moudre
leurs grains.
Tout l'hyver nos hommes furent assez fatiguez à couper du bois,
& le traîner sur la neige de plus de 2000 pas pour le chaufage,
c'estoit un mal necessaire pour un plus grand bien: quelques
Sauvages nous ayderent de quelques Elans, bien que peu pour
tant de personnes, & celuy qui nous assista s'appelloit Chomina
qui veut dire le raisin, très-bon Sauvage & secourable.
J'envoyay quelques-uns de nos gens à la chasse essayer s'ils
pourroient imiter les Sauvages en la prise de quelques bestes,
mais ils ne furent si honnestes que ces peuples, car ayant pris
189/1173 un Elan tres-puissant ils s'amuserent à le devorer comme loups
ravissants, sans nous en faire part, que d'environ 20 livres,
ce qui me fit à leur retour user de reproches de leur
gloutonnerie, sur ce que je n'avois pas un morceau de vivres
que je ne leurs en fisse part: mais comme ils estoient gens
sans honneur & civilité, aussi s'estoient ils gouvernez de
mesme, & depuis je ne les y envoyay plus, les occupant à autres
choses. La longueur de l'hyver nous donnoit assez souvent à
penser aux inconveniens qui pouvoient arriver, comme une
seconde prise de nos vaisseaux, & les moyens que nous pouvions
avoir pour subvenir à nos necessitez, qui estoient plus grandes
qu'elles n'avoient jamais esté, dautant que toutes nos légumes
nous defailloient en May, quelque mesnages que j'eusse fait,
qui estoit le temps que nous attendions nouvelles, ou bien pour
le plus tard à la fin de May, & estoit meilleur pâtir
doucement, que manger tout en un coup, puis mourir de faim:
c'est ce que je remonstrois à tous nos gens, qu'ils prinssent
patience attendant nostre secours.
Je pris resolution que si nous n'avions des vaisseaux à la fin
de juin, & que l'Anglois vint comme il s'estoit promis, nous
voyant du tout hors d'esperance de secours, de rechercher la
meilleure composition que je pourrois, d'autant qu'ils nous
eussent fait faveur de nous rapasser & avoir compassion de nos
miseres, car autrement nous ne pouvions subsister.
La seconde resolution estoit en cas que n'eussions aucuns
190/1174 vaisseaux, de faire accommoder une petite barque du port de
sept à huict tonneaux, qui estoit restée à Québec parce qu'elle
ne valloit rien qu'à brûler. Ceste necessité nous sit resoudre
à luy donner un radoub pour s'en pouvoir servir, comme je fis y
commencer le premier de Mars, & dans icelle barque y mettre le
plus de monde que l'on pourroit, y mettant quelque pelleterie &
aller à Gaspey, Miscou & autres lieux vers le Nort, pour
trouver passage dans des vaisseaux qui viennent faire pesche de
poisson, & payer leur passage en pelleterie, & ainsi la barque
pourroit faire deux voyages partant d'heure, ce qui devoit
estre pour le premier voyage le 10 de Juillet, & ainsi
descharger l'habitation d'un nombres d'hommes, & en retenir
suivant la quantité des grains que l'on eust peu recueillir
tant au desert d'Hébert comme celuy des peres qui devoient
estre ensemencez au printemps, qui avoyent reservé des grains &
légumes pour cet effet. Mais tout le mal que je prevoyois en
ceste affaire estoit de pouvoir vivre attendant le mois
d'Aoust, pour faire la cueillette des grains: car il falloit
avoir de quoy passer trois à quatre mois, ou mourir: nostre
recours, bien que miserable, estoit d'aller chercher des herbes
& racines, & vaquer à la pesche de poisson, attendant le temps
de nous voir plus à nostre aise, & s'il eust esté impossible de
redonner le radoub à la barque, comme l'on pensoit au
commencement c'estoit d'emmener avec moy, 50 à 60 personnes, &
m'en aller à la guerre avec les Sauvages qui nous eussent
guidés aux Yrocois, & forcer l'un de leurs villages, ou mourir
191/1175 en la peine pour avoir des bleds, & là nous y fortifier en y
passant le reste de l'Esté, de l'Automne, & l'Hyver plustost
que mourir de faim les uns pour les autres à l'habitation, où
nous eussions attendu nouvelle au printemps de ceux de Québec
par le moyen des Sauvages, & me promettoient que si tant estoit
que Dieu nous favorisast du bon heur de la victoire, que ce
seroit le chemin de faire une paix générale, & tenir le païs &
les rivieres libres. Voilà les resolutions que j'avois prises,
si Dieu ne nous assistoit de secours plus favorable.
Le 19 du mois d'Avril arriva un Sauvage appellé Erouachy[700],
homme de commandement, il y avoit près de deux ans qu'il estoit
party de Québec lors que nos hommes surent massacrés, lequel
nous avoit asseuré qu'à son retour (qui ne devoit estre que de
7 à 8 mois) il nous sçauroit à dire au vray le meurtrier de ces
pauvres gens, mais comme il avoit halené ceux qui excusoient
celuy que nous tenions prisonnier, frappé du mesme coin, il
nous voulut imprimer la mesme marque, se voyant vaincu de
quelque particularités de la vérité & de la raison qu'on avoit
de le retenir, jusques à ce que l'on eust fait une plus
particulière recherche, il dit qu'il falloit attendre que tous
les Sauvages fussent assemblés, s'asseurant tellement que celuy
qui avoit fait le coup viendroit, & nous le livreroit, si
n'estoit qu'il fust adverty, qu'en ce cas il ne le pourroit
faire, neantmoins que si nous l'aymions bien, qu'on le
192/1176 laisseroit sortir; recognoissant ses raisons foibles, je luy
dis qu'il y avoit bien peu d'apparence qu'un homme coulpable
voyant un autre retenu en sa place se vint jetter entre nos
mains pour estre justifié, pouvant esviter une si mauvaise
rencontre: de plus la grande perquisition que l'on avoit fait
depuis deux ans qui luy auroit donné plus de suject de
s'esloigner, que d'approcher, neantmoins s'il le faisoit, nous
estions resolus de delivrer le prisonnier, & les accusateurs
comme faux tesmoins seroient recognus pour très-pernicieux &
meschants à la louange & gloire de l'accusé. De plus
qu'auparavant de venir à l'exécution nous attendrions le retour
de nos vaisseaux, & que tous les Sauvages fusent assemblez, ce
qu'estant nous parlerions plus clairement à toutes les nations
qui jugeroient de la façon que nous nous gouvernions en telles
affaires, & s'en trouvant un autre coulpable, comme je luy
avois dit, il seroit libre. Voyla qui sera bien, dit il, & pour
s'insinuer en nostre amitié, craignant que les discours qu'il
nous avoit tenus nous en fissent refroidir, il dit qu'il nous
vouloit donner advis que nous eussions à nous donner de garde
des Sauvages de Tadoussac qui estoient meschans traistres, ce
que nous sçavions bien desja, nous l'ayant assez tesmoigné à la
venue de l'Anglois, que si mes compagnons alloient à la chasse
ou pesche de poisson pour coucher hors l'habitation, qu'il ne
leur conseilloit qu'au préalable il ne donnast un de ses
compagnons pour les assister, desirant vivre en paix avec nous,
& que le desplaisir qu'il avoit de voir perdre le pays, luy
faisoit tenir ces discours.
[Note 700: Erouachy, ou Esrouachit, d'après Sagard, est le même que La
Forière (Hist. du Canada, p. 698). Il semble en effet que l'auteur parle
ici du même sauvage qui s'était donné tant de mouvement lors du meurtre
des deux français dont il est parlé plus haut, page 161 et suivantes;
seulement, il n'y avait guères qu'un an qu'il avait quitté Québec.]
193/1177 Il nous fit entendre au vray la mort des Sauvages & du François
appellé le Magnan, qui estoient allez aux Yrocois, pour
traicter de paix, ne l'ayant sceu asseurément comme il nous le
conta, l'ayant appris des Yrocois du mesme village, qui avoient
esté pris prisonniers par une nation appellée Mayganathicoise
(qui veut dire nation des loups) qui avoient guerre depuis deux
ans avec les Yrocois à deux journées de leur village, & trois à
quatre des Flamans, qui sont habitués au 40e degré, à la coste
tirant aux Virginies, les prisonniers furent bruslez. Voicy le
récit de toute l'affaire.
Un Algommequin de l'Isle qui est à 180 lieues de Québec, fut
cause de la mort des Sauvages du François, lequel sçachant
qu'un Sauvage appellé Cherououny[701], qui estoit en grande
reputation, devoit faire ceste ambassade, luy voulant mal & luy
portant une haine particulière, s'en alla aux Yrocois, où il
avoit quelques parens: leur donne advis comme amateur de leur
conservation, ne desirant point de troubles parmy les nations:
& que si ledit Ambassadeur venoit pour moyenner la paix, ils
n'eussent à adjouster foy en luy, pour ce que le voyage qu'il
entreprenoit n'estoit que pour recognoistre leur pays, & sous
ombre de paix & d'amitié les trahir, n'ayant autre dessein que
de les faire mourir après qu'il auroit recogneu
particulièrement leurs forces. Que c'estoit luy seul qui estoit
cause de tant de divisions parmy les nations, mesme qu'il y
avoit plus de dix ans qu'il avoit tué deux François, ce qui luy
194/1178 estant pardonné on n'osoit le faire mourir. Les Yrocois luy
prestent L'oreille trop légèrement, luy promettent que venant
il ne s'en retourneroit pas comme il estoit venu. De là il s'en
retourne aussi-tost vers les Algommequins, disant qu'il avoit
esté poursuivy des ennemis, qu'ils l'avoient pensé assommer.
Ceste nation se laisse aller à ses discours, & croit ce qu'il
disoit, jusques à ce que la vérité eust esté recognue. Peu de
temps après le galant voyant qu'il ne faisoit pas bon pour luy,
il esquive & se va ranger du costé des Yrocois pour mettre la
vie en seureté.
[Note 701: Cherououny paraît être le nom sauvage du Reconcilié. (Voir
ci-dessus, p. 165.)]
Ces entremetteurs de la paix s'en allèrent aux premiers
villages des Yrocois, qui sçachant leur venue font mettre une
chaudière pleine d'eau sur le feu en l'une de leurs maisons, où
ils firent entrer nos Sauvages avec le François, à l'abord ils
leur montrent bon visage les prient de s'asseoir auprès du feu,
leur demandent s'ils n'avoient point de faim, ils dirent que
ouy, & qu'ils avoient assez cheminé ceste journée sans manger:
alors ils dirent à Cherououny ouy il est bien raisonnable qu'on
t'appreste dequoy festiner pour le travail que tu as pris: l'un
de ces Yrocois s'addressant audit Cherououny, tirant un
cousteau luy coupe de la chair de de ses bras, la met en ceste
chaudière, luy commande de chanter, ce qu'il fait, il luy donne
ainsi sa chair demy crue, qu'il mange, on luy demande s'il en
veut davantage, dit qu'il n'en a pas assez, & ainsi luy en
coupent des morceaux des cuisses & autres parties du corps,
jusques à ce qu'il eust dit en avoir assez: & ainsi ce pauvre
miserable finit inhumainement & barbarement ses tours, le
195/1179 François fut bruslé avec des tisons & flambeaux d'escorce de
bouleau, où ils luy firent ressentir des douleurs intolerables
premier que mourir. Au troisiesme qui s'en vouloit fuir, ils
luy donnèrent un coup de hache, & luy firent passer les
douleurs en un instant. Le quatriesme estoit de nation Yrocoise
qui avoit esté pris petit garçon par nos Sauvages, & eslevé
parmy eux fut lié, les uns estoient d'advis qu'on le fit
mourir, d'autant que si on luy donnoit liberté il s'en
retourneroit: en fin ils se resolurent de le garder esperant
que le temps luy feroit perdre le souvenir & l'amitié qu'il
avoit de nos Sauvages de Québec, le tenant comme prisonnier:
Voila comme ces pauvres miserables finirent leur vie.
Il semble en cecy que Dieu, juste juge, voyant qu'on n'avoit
fait le chastiment deu à ce Cherououny, à cause de deux
François qu'il avoit tuez au Cap de Tourmente allant à la
chasse[702], luy ayant pardonné ceste faute il fut puny par la
cruauté que luy firent souffrir les Yrocois, & ledit Magnan de
Tougne en Normandie qui avoit aussi tué un homme à coups de
bastons, pourquoy il estoit en fuitte, & fut puny de mesme par
le tourment du feu.
[Note 702: Voir 1619, p. 113-133.]
Neantmoins nous avions un légitime suject de nous ressentir de
telles cruautés barbares, exercées en nostre endroit, & en la
personne dudit Magnan, & pource que si nous ne l'eussions fait,
jamais l'on n'eust acquis honneur ny gloire parmy les peuples,
qui nous eussent mesprisez comme toutes les autres nations,
prenant cette audace à l'advenir de nous avoir à desdain &
196/1180 lasches de courage: car j'ay recognu en ces nations, que si
vous n'avez du ressentiment des offences qu'ils vous font, &
que leurs preferiés les biens & traittes aux vies des hommes
ans vous en soucier, ils viendront un jour à entreprendre à
vous couper la gorge, s'ils peuvent, par surprises comme est
leur coustume.
Ce Sauvage Erouachy nous dit qu'il avoit passé quelque mois
parmy une nation de Sauvages qui sont comme au midy de nostre
habitation environ de 7 à 8 tournées, appellés
Obenaquiouoit[703], qui cultivent les terres, lesquels
desiroient faire une estroitte amitié avec nous, nous priant de
les secourir contre les Yrocois, perverse & meschante nation
entre toutes celles qui estoient dans ce païs, croyans que
comme interessés de la mort de nostre François, nous aurions
agréable ceste guerre légitime, en destruisant ces peuples, &
serions que le pays & les rivieres seroient libres aux
commerces: Les nations du païs sçachant nostre resolution par
ledit Erouachy, leur feroit sçavoir qu'ils donneroient ordre à
ce qu'ils auroient à faire pour le sujet de ceste guerre, soit
que nous y fussions ou que nous n'y fussions pas.
[Note 703: Ouabenakiouek (ceux de l'aurore), ou Abenaquis. C'est le nom
que les Montagnais donnaient aux Etchemins et en particulier aux
sauvages du Kénébec, que l'auteur visita lui-même dans ses premiers
voyages avec M. de Monts et M. de Poutrincourt.]
Je consideray que ceste légation nous pouvoit estre profitable
en nos extrêmes necessitez, qu'il nous en falloit tirer
advantage, ce qui me fit resoudre d'envoyer un homme tant pour
recognoistre ces peuples, que la facilité ou difficulté qu'il y
auroit pour y parvenir, & le nombre des terres qu'ils
197/1181 cultivoient, n'estant qu'à 8 tournées de nostre habitation:
que ceste nation nous pourroit soulager, tant de leurs grains
comme prendre partie de mes compagnons pour hiverner avec eux,
par ce moyen nous soulager, au cas que quelque accident fut
arrivé à nos vaisseaux, soit par naufrage ou par combat sur la
mer, ce que j'apprehendois grandement, les attendant à la fin
de May au plus tard, pour estant secourus, oster toutes les
prétentions que les Anglois avoient de se saisir de tous ces
lieux ils s'estoient promis de faire, cela leur estant fort
facile, n'ayant dequoy se substanter, ny monitions suffisantes
pour se défendre & sans aucun secours. Voila comme l'on nous
avoit laissez despourveus de toutes commoditez, & abandonnez
aux premiers pirates ou ennemis, sans pouvoir resister.
Cela arresté, je dis audit Erouachy que pour ceste année je ne
pouvois assister ces peuples en leurs guerres, attendu la
perte, des vaisseaux qu'avions faite avec l'Anglois, qui nous
avoient grandement incommodez des choses qui nous eussent esté
necessaires en ceste guerre, que neantmoins arrivant nos
vaisseaux, & y ayant des hommes assez, je ne laisserois d'y
faire tout mon pouvoir de les assister dés l'année mesme, &
quoy qu'il arrivast, l'autre ensuivant je les secourerois de
cent hommes, si je pouvois les accommoder des choses qui leur
seroient necessaires. Sur ce je luy fis veoir des moyens &
inventions pour promptement enlever la forteresse des ennemis:
dont il fut tres-aise de les voir & les considera avec
attention. De plus, que pour asseurer davantage les peuples j'y
voulois envoye un homme avec quelque present pour estre tesmoin
198/1182 oculaire de tout ce que je luy disois, & pour plus grande
asseurance je m'offrois à leur envoyer de mes compagnons pour
hyverner en leur pays, & au printemps se treuver au rendez-vous
de la riviere des Yrocois, comme à toutes les nations leurs
amis, qui les voudroient assister, aussi que si quelque année
leur succedoit mal en la cueille de leurs grains, venant vers
nous nous les secourerions des nostres, comme nous esperions
d'eux au semblable en les satisfaisant; le tout pour tenir à
l'advenir une ferme amitié les uns avec les autres, & quoy que
se fusse, si nos vaisseaux ne venoient nous ne laisserions pas
d'aller à la guerre, y menant cinquante hommes avec moy,
jugeant qu'il valloit mieux faire & exécuter ce dessein, pour
descharger l'habitation que mourir de necessité les uns pour
les autres, attendant secours de France, & ainsi j'allois
cherchant des remèdes au mieux qu'il m'estoit possible. Tout ce
discours pleut audit Erouachy, qui tesmoigna en estre
grandement satisfaict, comme chose qui le mettoit en crédit
avec ces nations.
Ce qu'estant treuvé bon d'un chacun, j'eus desir d'envoyer mon
beau frère Boulay en ceste descouverture, d'autant qu'il estoit
question que celuy qui iroit fust homme de jugement, &
s'accommodast aux humeurs de ces peuples, où tout le monde
n'est pas propre, & recognoistre exactement le chemin que l'on
feroit avec les autheurs[704] des lieux, & plusieurs
particularitez qui se rencontrent & qui sont necessaires, à
sçavoir à ceux qui vont descouvrir. Mais d'autre part la
199/1183 necessité & confiance que j'avois de luy, si l'Anglois venoit,
fist que je ne luy peus permettre ce qu'il desiroit, ce qui me
fit resoudre d'y envoyer un autre auquel je promis quelque
gratification pour la peine qu'il auroit en ce voyage, luy
donnant des presens pour les Sauvages, de nostre part, comme
est la coustume en telles affaires, & furent aussi faits des
presens aux Sauvages qui luy servoient de guides & truchement,
& pour ce faict il partit le 16 de May 1629[705].
[Note 704: Lisez: hauteurs.]
[Note 705: Ce jour-là même, la veuve d'Hébert, Marie Rolet, se mariait
en secondes noces avec Guillaume Hubou. Le mariage fut célébré par le P.
Joseph le Caron, en présence de Champlain et d'Olivier le Tardif.]
Cedit jour j'envoyay un Canau avec deux François & un Sauvage
qui avoit esté baptisé par le Père Joseph Caron Recollet, fils
de Chomina[706], bon Sauvage aux François, mais le fils
retourna comme auparavant avec les Sauvages, & par ainsi son
fruict fut comme inutile; il y a bien à considerer premier que
d'en venir au baptesme, & il y a en cecy des personnes trop
faciles pour ces choses, qui sont si chatouilleuses: mais le
bon Père fut emporté de zèle. Je les envoyay à Tadoussac pour
attendre nos vaisseaux, & pour aussi-tost nous en venir donner
advis, comme aussi si c'estoient nos ennemis, leur donnant
charge d'attendre jusques au dixiesme de Juin pour commencer à
donner l'ordre à nos affaires. Je leur avois donné lettres
signées de moy & du sieur du Pont addressantes au premier
vaisseau qu'ils pourroient descouvrir, sujet de sa Majesté, qui
auroit voulu tenter le hazard de venir à la desrobée traitter
avec les Sauvages contre les deffenses de sa Majesté, comme
200/1184 ordinairement il y en va tous les ans, par laquelle nous leur
mandions, que s'ils nous vouloient traitter des vivres au prix
des Sauvages, on leur donneroit de la pelleterie de plus grande
valeur pour eux, promettant prendre toutes leurs marchandises
au mesme prix desdits Sauvages, & pour le plaisir qu'ils nous
feroient en ceste extrême necessité, nous tascherions les
gratifier envers Messieurs les associez si leurs vaisseaux
venoient. Ou venant pour le plus tard au dixiesme de Juillet,
qu'en repassant partie de nos compagnons en France, on leur
promettoit de payer leur passage, & de plus la traitte libre en
la riviere, & ainsi nous ne laissions passer aucune occasion
qui nous venoit en l'esprit pour remédier en toutes choses,
craignant une plus rude secousse que l'année d'auparavant si
nos vaisseaux ne venoyent point. Je fus visiter le Père Joseph
de la Roche, très-bon Religieux, pour sçavoir si nous pourrions
esperer du secours de leurs grains, s'ils en avoient de trop, &
que n'en eussions de France: Il me dist que pour ce qui estoit
de luy il le feroit & y consentiroit, qu'il en falloit donner
advis au Père Joseph Caron Gardien, & qu'il luy en parleroit.
[Note 706: Voir ci-dessus, p. 137.]
La crainte que nous avions qu'il ne fust arrivé quelque
accident à nos vaisseaux, nous faisoit rechercher tous moyens
de remédier à la famine extrême qui se preparoit, voyant estre
bien avant en May, & n'avoir aucunes nouvelles, ce qui donnoit
de l'apprehension à la pluspart des nostres, qu'ayant passé de
grandes disettes avec sept onces de farine de pois par jour,
qui estoit peu pour nous maintenir, venant à n'avoir rien du
201/1185 tout ce seroit bien pis, ne nous restant des poix que pour la
fin de May. Tout cela me donnoit bien à penser, bien que je
donnasse le plus de courage qu'il m'estoit possible à un chacun
considerant que prest de 100 personnes malaisément pourroient
ils subsister sans en mourir beaucoup, si Dieu n'avoit pitié de
nous: divers jugemens se faisoient sur le retardement des
vaisseaux[707] pour soulager un chacun en leur donnant de
bonnes esperances, afin de ne perdre le temps. Nous
deliberasmes d'équiper une chalouppe de six Matelots & Desdames
commis de la nouvelle societé pour y commander, auquel donnions
procuration & lettres, avec un mémoire bien ample de ce qu'il
devoit faire pour aller à Gaspey: Les lettres s'adressoient au
premier Capitaine des vaisseaux qu'il treuveroit audit lieu ou
autres ports & rades des costes, par lesquelles nous leur
demandions secours & assistance de leurs vivres, passages, &
autres commoditez selon leur pouvoir, & pour les interests
qu'ils pourroient prétendre du retardement de leur pesche, que
nous tiendrions pour fait tout ce que ledit Desdames feroit
suivant la procuration qu'il avoit, & au cas qu'il ne nous
arrivast aucun vaisseau au dixiesme de Juillet, n'en pouvant
plus esperer en ce temps, comme estant hors de saison, n'estant
la coustume de commencer alors un voyage pour y arriver si
tard. La chose estant délibérée, ledit Desdames me donna advis
qu'un bruit couroit entre ceux qu'il emmenoit, que rencontrant
quelque vaisseau ils ne reviendroient, & que de retourner seul
202/1186 il n'y avoit nulle apparence, que j'eusse à y remédier avant
que cela arrivast. Ce que sçachant, j'en desiray sçavoir la
vérité, ce que je ne peus, me contentant leur dire que telles
personnes ne meritoient que la corde, qui tenoient ces
discours: car mettant en effect leur pernicieuse volonté, ils
ne consideroient la suitte ny la consequence, ne desirant
qu'ils fissent le voyage puis qu'il falloit pâtir & endurer,
ce seroit tous ensemble se mettre en peine, bien faschez de se
veoir frustrez de leur esperance, neantmoins pour remédier à
cela je changeay l'équipage, y mettant la moitié des anciens
hyvernants qui avoient leurs femmes à l'habitation[708], avec
l'autre de Matelots, retenant le reste pour servir en temps &
lieu: je les fis apprester de tout ce qui leur estoit
necessaire, ayant donné les despesches audit Desdames, & le
mémoire pour sa conduitte, soit que par cas fortuit il
rencontrast nos vaisseaux ou ceux des ennemis, & de plus le
chargeasmes que s'il ne trouvoit aucuns vaisseaux sujects du
Roy, il iroit trouver un Sauvage de crédit & amy des François,
le prier de nostre part de vouloir recevoir de nos compagnons
avec luy pour hyverner, si aucuns vaiseaux ne venoient, &
qu'on luy donneroit le printemps venu, une barique de galette
& deux robes de castor pour chaque homme. Ils partirent le 17
dudit mois de May. Ces choses expédiées je fis faire diligence
203/1187 de faire faire le radoub à nostre barque, envoyant chercher du
bray de toutes parts pour la brayer, car c'estoit ce qui nous
mettoit le plus en peine, comme chose très-longue à amasser
dans des bois, nous esperions avec cette petite barque mettre
quelque 30 personnes pour aller à Gaspey ou autres lieux pour y
treuver des vaisseaux, & avoir moyen d'aller en France, suivant
la charge qu'avions donné audit Desdames, & n'en trouvant
aucun, laisser, comme dit est, partie de nos hommes avec ledit
Juan Chou Capitaine Sauvage, & s'ils treuvoient du sel en ces
lieux-là faire pesche de molue au lieu de Gaspey ou Isle de
Bonaventure, que dans la barque il resteroit quelque 6 à 7
personnes qui nous apporteroient ce qu'ils auroient pesché de
poisson, qui eust peu se monter à quelque quatre milliers, &
ainsi nous ayder au mieux qu'il nous eust esté possible.
[Note 707: La fin de cet alinéa devrait être renvoyée au commencement du
suivant.]
[Note 708: C'est-à-dire, que la moitié de l'équipage était des anciens
hivernants qui avaient leurs femmes à l'habitation. Or, comme nous le
verrons ci-après p. 205, 206, il y avait à l'habitation cinq femmes:
celle de Hubou, celle de Couillard, celle de Martin, celle de Des Portes
et celle de Pivert. Comme Couillard et Martin avaient chacun plusieurs
enfants, il est probable que l'auteur choisit les trois autres,
Guillaume Hubou, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert.]
La deploration la plus sensible en ces lieux en ce temps de
disette estoit de voir quelques pauvres mesnages chargez
d'enfans qui crioyent à la faim après leurs père & mère, qui ne
pouvoient fournir à leur chercher des racines, car malaisément
chacun en pouvoit-il treuver pour manger à demy leur saoul dans
l'espaisseur des bois, à quatre & cinq lieues de l'habitation,
avec l'incommodité des Mousquites, & quelquesfois estre
harassez & molestez du mauvais temps. Les societez ne leur
ayant en ces pays voulu donner moyen de cultiver des terres,
ostant par ce moyen tout sujet d'habiter le pais, néantmoins on
faisoit entendre qu'il y avoit nombres de familles, il estoit
vray qu'estant comme inutiles ils ne servoient que de nombre,
204/1188 incommodant plus qu'elles n'apportoient de commoditez, car l'on
voyoit clairement qu'avenant quelque necessité ou changement
d'affaire, il eust fallu qu'elles eussent retourné en France
pour n'avoir de la terre défrichée depuis 15 à 20 ans qu'elles
y avoient esté menées de l'ancienne societé[709]: il n'y avoit
eu que celle de feu Hébert qui s'y est maintenue [710], mais ce
n'a pas esté sans y avoir de la peine, après avoir un peu de
terre défrichée, le contraignant & obligeant à beaucoup de
choses qui n'estoient licites pour les grains qu'il levoit
chaque année, l'obligeant de ne les pouvoir vendre ny traitter
à d'autres qu'à ceux de ladite societé pour certaine somme. Ce
n'estoit le moyen de donner de l'affection d'aller peupler un
païs, qui ne peut jouyr du bénéfice du pays à sa volonté, au
moins leur devoient-ils faire valoir les castors à un prix
raisonnable, & leur lainer faire de leurs grains ce qu'ils
eussent desiré. Tout cecy ne se faisoit à dessein que de tenir
tousjours le pays necessiteux, & oster le courage à chacun d'y
aller habiter pour avoir la domination entière, sans que l'on
s'y peust accroistre. Ce qui leur desplaisoit grandement
c'estoit de ce qu'ils voyoient que si je faisois construire un
fort, n'y voulant contribuer de leur volonté, & blasmant une
205/1189 telle chose, bien que ce fust pour la conservation de leurs
biens & sauvegarde de tout le païs, comme il se recogneut à la
venue de l'Anglois, que sans cela dés ce temps-là nous eussions
tombé entre leurs mains.
[Note 709: En 1629, il y avait environ quinze ans que la société de
Rouen avait obtenu son privilège. De ce texte, on peut donc conclure que
Maître Abraham Martin, Pierre Des Portes et Nicolas Pivert étaient venus
se fixer à Québec dès les années 1614 ou 1615, c'est-à-dire, dans les
premières années de l'ancienne société. On sait que Louis Hébert arriva
en 1617. Ces quatre anciens habitants de Québec vinrent ici mariés;
puisque leurs actes de mariage ne se trouvent pas dans les registres de
N.-D. de Québec.]
[Note 710: Qui s'y est maintenue sur une terre. De ce passage, on n'est
pas en droit de conclure que ces familles étaient repassées en France,
puisque l'auteur fait ici remarquer que, si elles n'étaient pas plus
avancées que le premier jour, depuis quinze à vingt ans qu'elles étaient
dans le pays, c'était par suite de la contrainte où les tenait la
compagnie des marchands.]
Les commis du sieur de Caen virent bien combien cela estoit
necessaire, quoy qu'ils ne le pouvoient confesser auparavant,
encores qu'ils le sceussent bien en leurs ames: mais ils
estoient si complaisans qu'ils vouloient agréer à ceux qui
avoient la bource. Davantage s'il y eust fallu des hommes en la
place des femmes & enfans, il eust esté necessaire de leur
donner des gages outre la nourriture, ce qui estoit espargné
par ce mesnage, & autant de profit aux societez, pour le peu
d'ouvriers qui estoient à entretenir: car d'environ 55 à 60
personnes qui estoient pour la Société il n'y en avoit pas plus
de 18 pour travailler aux choses necessaires, tant du fort de
l'habitation qu'au Cap de Tourmente, où la pluspart des
ouvriers estoient empeschez à faucher le foin, le serrer,
faner, & faire les réparations des maisons. Cela n'estoit pas
pour faire grand ouvrage en toutes ces choses au bout de
l'année quand nous eussions eu les vivres & autres commoditez à
commandement: car tout le reste des hommes & autres personnes
consistoit en trois femmes, l'une desquelles[711] le sieur de
206/1190 Caën avoit amenée pour avoir soin du bestial, qui estoit le
plus necessaire, deux autres femmes[712] chargées de huict
enfans, quatre Père Recolets[713], tous les autres officiers ou
volontaires n'estoient pas gens de travail.
[Note 711: Probablement la femme de Nicolas Pivert, Marguerite Le Sage,
qui, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (p. 171, note 3), avait été
employée avec son mari à l'habitation du cap Tourmente, Elle avait avec
elle une petite nièce (_ibid_.); mais il ne paraît pas qu'elle ait eu
d'enfants (Registres de N.-D. de Québec; greffe de Piraube, Donation
entre Pivert et sa femme), et c'est sans doute pour cette raison même
qu'elle pouvait s'occuper du soin du bétail. Les deux autres femmes,
mentionnées ici avec la femme de Pivert, parce qu'elles n'étaient pas
chargées d'enfants comme les deux dont il est parlé plus bas, étaient
vraisemblablement la veuve Hébert et la femme de Pierre Des Portes. La
veuve Hébert venait de se remarier à Guillaume Hubou, et n'avait plus
d'enfants en bas âge; car Guillaume Hébert, le dernier de la famille,
avait alors une douzaine d'années. Françoise Langlois, épouse du sieur
Des Portes, avait une fille nommée Hélène, qui devait avoir au moins six
à sept ans, puisque cinq ans après elle se mariait avec Guillaume
Hébert. Dans son contrat de mariage avec Noël Morin son second mari,
Hélène Des Portes est dite native de Québec. On voit en effet que Pierre
Des Portes était déjà dans le pays avec sa famille dès 1621, puisqu'il
signa comme «français habitant la Nouvelle-France» la requête qui fut
alors présentée au roi. (Sagard, Hist. du Canada, p. 77.)]
[Note 712: Ces deux femmes chargées de huit enfants, étaient celle de
Couillard et celle d'Abraham Martin dit l'Escossois, qui pouvaient en
avoir quatre chacune. Quant à la femme d'Abraham, Marguerite Langlois,
elle en avait certainement quatre: Anne, Eustache, Marguerite et Hélène;
celle de Couillard, Guillemette Hébert, en avait probablement quatre
aussi, quoique le Registre des Baptêmes n'en mentionne que deux, Louise
et Louis; mais les intervalles qui séparent la naissance des enfants de
Couillard permettent de croire qu'il avait à cette époque deux autres
enfants qui seraient morts depuis en bas âge.]
[Note 713: Pourquoi Champlain ne parle-t-il pas des PP. Jésuites, comme
des PP. Récollets? C'est que, dans ce passage, il n'est question que de
ceux qui étaient aux charges de la société; et elle s'était engagée à en
entretenir six. (Prem. établiss. de la Foy, I, 302, 303.)]
207/1191
[Illustration]
LIVRE
TROISIESME
DES VOYAGES
DU SIEUR DE
CHAMPLAIN.
_Rapport du combat faict entre les François & les Anglais. Des
François emmenez, prisonniers à Gaspey. Retour de nos gens de
guerre. Continuation de la disette des vivres. Chomina fidelle
amy des François promet les advertir de toutes les menées des
Sauvages. Comme l'Autheur l'entretient,_
CHAPITRE PREMIER.
Le 20 de May vingt Sauvages forts & robustes venant de
Tadoussac pour aller à la guerre aux Yrocois, nous dirent le
combat qui avoit esté fait entre les Anglois & les
208/1192 François[714], qu'il y avoit eu des nommes tuez, que le sieur
de Roquemont avoit esté blessé au pied: que les François
avoient esté pris & emmenez à Gaspey, qui depuis les avoient
mis tous dans un vaisseau pour s'en retourner en France &
retindrent tous les Chefs en leurs vaisseaux & quelques
compagnons, ils bruslent une cache de bleds qui estoient aux
Pères Jesuites à Gaspey, cela fait s'estoient mis sous un
voile[715] pour s'en aller en Angleterre: ils nous dirent aussi
que quelques jours après le partement des Anglois vint un
vaisseau qui s'estoit sauvé durant le combat auquel ils
demandèrent une chalouppe pour nous venir advertir qu'ils
avoient des vivres assez, mais qu'ils ne leur voulurent donner:
Ils ne me peurent dire le nom du Capitaine qui commandoit
dedans, ne me pouvant imaginer pour quel suject ils estoient
retournez audit Gaspey, où il pouvoit rencontrer quelques
vaisseaux de l'ennemy.
[Note 714: Le combat avait eu lieu dès le 18 juillet 1628, dix jours
seulement après la sommation de Québec. La nouvelle compagnie, dite des
Cent-Associés, avait expédié de Dieppe quatre vaisseaux bien fournis de
provisions de bouche et de munitions sous la conduite du sieur de
Roquemont. Arrivé à Gaspé, il fut informé par les sauvages qu'il y avait
à Tadoussac quatre ou cinq grands vaisseaux anglais, qui s'étaient déjà
saisis de quelques navires le long des côtes. On dépêcha à Québec le
sieur Desdames (ci-dessus, p. 180), auquel on donna pour rendez-vous
l'île Saint-Barnabé. La flotte commença à remonter le fleuve avec
précaution, lorsqu'on rencontra les vaisseaux ennemis. Le sieur de
Roquemont, voyant que la partie n'était pas égale, crut plus prudent de
prendre la fuite. Les Anglais le poursuivirent jusqu'au lendemain vers
les trois heures de l'après-midi. Le combat dura quatorze ou quinze
heures, suivant Sagard, et il fut tiré de part et d'autre plus de douze
cents volées de canon. Les Français tirèrent jusqu'au plomb de leurs
lignes; mais à la fin l'amiral, criblé de boulets et sérieusement
endommagé par deux bordées tirées à fleur d'eau, se vit contraint de
parlementer, et demanda composition. Les conditions furent: Qu'il ne
serait fait aucun déplaisir aux religieux; que l'honneur des femmes et
des filles serait conservé, et que l'on donnerait passage à tous ceux
qui devraient retourner en France, Malgré l'acharnement du combat, il
n'y eut que deux français de tués, et quelques autres de blessés.
(Sagard, Hist. du Canada, p. 945, 949 et suiv.)]
[Note 715: «S'estoient mis sous voile.»]
N'ayant encores nouvelles de nos vaisseaux, j'envoyay un Canau
pour aller à la chasse aux loups marins vers les isles du Cap
de Tourmente, afin d'avoir de l'huile d'iceux pour mesler parmy
209/1193 le bray que nous avions amassé pour brayer nostre 1620 barque.
Le 30 du mois partie de nos guerriers revindrent de[716] sans
avoir faict aucune exécution, nous apportant nouvelles qu'ils
avoient rencontré 2. Canaux des Algommequins, avec un
prisonnier Yrocois, qu'ils emmenoient en son païs pour faire la
paix, emportant avec eux des presens pour leur donner; que
lesdits Yrocois l'Automne passée avoient tué un Algommequin, &
pris quelques femmes & enfans qu'ils avoient remené depuis peu
ausdits Algommequins, ce qui les avoit occasionnez d'envoyer
ces deux Canaux avec ce prisonnier, Se que la nation des
Mahigan-Aticois desiroit traitter de paix avec lesdits Yrocois,
ayant sceu aussi par quelques Sauvages que des vaisseaux
estrangers estoient arrivez aux costes où estoient les Flamens
qui desiroient faire une paix generalle de leur costé avec les
nations qui avoient guerre entr'eux.
[Note 716: Le mot manque dans l'original. Ces guerriers, qui
vraisemblablement faisaient partie des vingt mentionnés plus haut,
revenaient sans doute des Trois-Rivières, comme les autres qui
rrivèrent une semaine après, le 6 de juin (ci-dessous).]
Le sixiesme de Juin arriverent le reste des guerriers des trois
rivieres, qui furent proche du premier village des ennemis, ne
voyant & ne pouvant faire plus d'effect que de tuer quelques
femmes qui faisoient leurs bleds, ils en tuèrent sept & un
homme, en apportant leurs testes, & faisant une prompte
retraitte, ils donnèrent l'alarme au village, qui du
commencement pensoient qu'ils fussent en plus grand nombre
qu'ils-n'estoient pour les venir surprendre.
210/1194 L'unziesme dudit mois le Canau que j'avois envoyé à Tadoussac
revint sans avoir aucunes nouvelles de nos vaisseaux, ce qui
nous faisoit penser au suject de ce retardement: car nos pois
estans faillis, quelque mesnage que l'eusse peu apporter, &
nous voyant si necessiteux & desnuez de tout, nous pensasmes à
ce que nous aurions à faire du prisonnier soubçonné d'avoir
meurdry nos hommes, n'ayant plus rien pour luy donner à cause
que nos vaisseaux n'estoient encore venus, & les attendions de
jour autre avec l'assemblée des Sauvages, pour parler à eux, &
puis faire la justice de ce Sauvage. Mais comme nous prevoyons
que la mer n'estoit si libre que nos vaisseaux ne fussent pris
ou perdus pour une seconde fois: je fis que l'on retarda le
jugement de nostre prisonnier & que venant aux preuves
manifestes & le trouvant coulpable il ne falloit point
temporiser, mais l'exécuter sur l'heure, si on en venoit là, ce
qui estoit trop vray, selon qu'un Sauvage appellé Choumina nous
avoit dit, vray & fidelle amy aux François, aussi en avions
nous eu quelque tesmoignage. D'ailleurs nous considerions que
si l'on venoit à l'exécution estant en la necessité, que cela
pour lors nous eust apporté quelque dommage, car comme ces
peuples n'ont aucune forme de justice, ils eussent cherché
moyen en nos malheurs de nous faire du pis qu'ils eussent peu,
& ne nous en pouvant passer, il fallut songer comme l'on le
livreroit. Ledit Erouachy me vint treuver, me priant que puis
que les vaisseaux n'estoient point venus, & que nous n'avions
aucunes commoditez pour vivre que nous eussions à delivrer le
211/1195 prisonnier si long-temps détenu, qui s'en alloit mourant de
jour en autre: je luy dis que si nous le relaschions que ce ne
seroit point à cause de la necessité de vivres, car bien que
nos pois manquassent, nous allions chercher des racines dequoy
il se fust aussi bien, voire mieux passé que nous, luy qui
estoit accoustumé d'avoir de telles necessitez: De plus, que si
nous eussions voulu luy faire perdre la vie depuis un an qu'il
estoit détenu, que nous l'aurions peu faire, mais que nous ne
faisions aucune chose sans bonne & juste information. Il dist
qu'il le recognoissoit bien, que toutesfois si on le vouloit
delivrer qu'il en respondroit, & s'obligeroit de le
representer, estant guery d'un mal de jambe dont il estoit
entrepris, & de mal d'estomach, que si on n'y apportoit un
prompt remède il mourroit en bref: le luy dis que j'y
adviserois dans dix jours, qui estoit pour dilayer, attendant
tousjours nos vaisseaux.
J'advisay que s'il estoit question qu'il sortist, que ce seroit
à mon grand regret, & d'ailleurs qu'en le delivrant cela nous
pourroit en quelque façon estre profitable, & que toutesfois &
quantes que nous le desirerions avoir nous le pourrions
reprendre, s'il n'abandonnoit tout le païs.
Or comme j'ay dit cy-dessus, entre tous les Sauvages nous
n'avions pas cogneu un plus fidelle amy & secourable que
Chomina, qui nous advertissoit de toutes les menées qui se
passoient parmy les Sauvages, aussi je l'entretenois fort bien
le cognoissant vrayement loyal, il estoit, comme j'ay dit
cy-dessus, l'accusateur & dénonciateur de nostre meurtrier,
212/1196 soubçonné par ses camarades qui luy portoient envie, mais il y
en avoit qui le favorisoient, & principalement Erouachy, qui le
portoit fort parmy eux.
Je mande Chomina qu'il me vint trouver au Fort, & après luy
avoir longuement discouru sur ce subject de la bonne volonté
qu'il avoit tousjours eue envers les François, qu'il eust à la
continuer, en luy promettant de l'eslire Capitaine à l'arrivée
de nos vaisseaux: que tous les chefs feroient estat de sa
personne, qu'on le tiendroit comme François parmy nous, qu'il
recevroit des gratifications & de beaux presens à l'advenir,
luy donnant crédit & honneur entre tous ceux de sa nation,
comme aussi de le faire manger à nostre table, honneur que je
ne faisois qu'aux Capitaines d'entr'eux, & que pour accroistre
son crédit, qu'aucun conseil ny affaire ne se passeroit parmy
eux qu'il n'y fust appellé, tenant le premier rang en sa
nation: & pour davantage le mettre en réputation & le mettre du
tout hors de soupçon de ce qu'on l'accusoit qu'il estoit l'un
des tesmoins de nostre meurtrier, qu'il luy vouloit du mal, le
menaçant que s'il sortoit une fois de nos mains qu'il se
vangeroit de luy. Pour rabatre toutes ces mauvaises volontez,
il falloit qu'il creust mon conseil, que s'il avoit bien faict
par le passé, il falloit qu'il fist encore mieux à l'advenir:
ce qu'il promit faire avec grande demonstration d'allegresse,
disant que je m'asseurasse qu'il ne se passeroit rien entre les
Sauvages au desadvantage des François qu'il ne nous en donnast
advis, qu'il sçavoit bien que la pluspart n'avoient le coeur
213/1197 bon, & qu'Erouachy (duquel nous pensions faire estat) estoit un
homme cauteleux, fin & menteur, nous donnant de bons discours,
accordant facilement ce qu'on luy proposoit, & neantmoins en
arrière il faisoit tout le contraire, pariant autrement, que
pour luy il n'avoit rien tant en haine que ces coeurs doubles,
mais qu'il falloit quelquesfois faire semblant d'adjouster foy
en ces discours, & ne faire neantmoins que ce que l'on jugeroit
devoir estre fait par apparence. Il dit qu'il aime grandement
les François, c'est le moins qu'il peut dire, les effects le
feront assez cognoistre. Alors il me dist, le temps & la saison
approchera pour ceux qui auront bon coeur envers toy & tes
compagnons, si vos vaisseaux ne viennent, tu es asseuré de moy
& de mon frere, lesquels ne feront que ce que tu voudras pour
t'assister en ce que tu pourrois avoir affaire de nous, je
tascheray encore d'attirer avec moy quelques Sauvages de crédit
poussez de mesme volonté, il y en a que j'ay commencé à y
disposer, cela fait je ne doute plus rien contre mes envieux,
desquels je ne me soucie pas beaucoup: ils demeureront tels
avec desplaisir, & moy contant de vostre amitié, en vous
servant de tout mon coeur. Voila bien dit (luy dis-je) nous
sommes délibérez de mettre le prisonnier dehors pour ton
respect, & te faire entrer en crédit: par ce moyen tu diras
audit Erouachy que tu m'as prié pour le prisonnier afin de le
mettre hors, que je t'ay donné bonne esperance, qu'en peu de
jours cela se pourra faire, voyant ce qu'il dira & tous les
autres Sauvages, que je m'asseure qu'ils le trouveront bon,
jugeant bien que si c'estoit toy qui eust accusé le meurtrier
214/1198 que tu ne poursuivrois pas sa delivrance, mais plustost sa
mort, & leur dire à tous les considerations que nous voulons,
en cas qu'il sorte.
Le premier article, Que le prisonnier laisseroit son petit fils
chez le Père Joseph Caron Recolet, qu'il nourrissoit, & seroit
comme pour ostage & asseurance que le cas arrivant que les
François (qui estoient allez aux Hurons) vinssent, & qu'ils n'y
peussent retourner ny aller à la nation des Abenaquioicts, où
j'avois envoyé descouvrir, les despartir entr'eux jusques à 25
attendant nos vaisseaux.
2. Que si lesdits Abenaquioicts avoient desir de nous donner de
leurs bleds d'Inde ou traitter: qu'ils nous fourniroient de 8
Canaux avec quelques Sauvages & des François que nous y
envoyerions pour traitter dudit bled d'Inde.
3. Que luy & ledit Erouachy nous respondroient que le
prisonnier ne feroit aucun mal à qui que ce fust estant delivré
& guary.
4. Que le temps venu de la pesche des anguilles ils nous en
feroient fournir raisonnablement par leurs compagnons en
payant.
5. Que je desirois qu'il fust recogneu pour Capitaine entre les
Sauvages, attendant que nos vaisseaux fussent venus pour en
faire les cérémonies & le faire recevoir, & qu'il auroit pour
adjoint & pour son conseil après luy Erouachy, Bastisquan chef
des trois rivieres, & le Borgne, qui estoit un bon Sauvage &
homme d'esprit, avec un autre de nostre cognoissance, pour
resoudre & délibérer des affaires entre-eux.
215/1199 6. Que ledit Erouachy tiendra sa promesse, que s'il void
celuy qu'il dit qui avoit tué nos hommes, qu'il s'en saisira ou
nous le monstrera, s'il vient en ces lieux, pour en faire
justice.
Voila les conditions que tu leur diras que je desire,
ausquelles je ne voy point de difficulté, & ayant resoult
ensemblement, vous me viendrez revoir pour sçavoir ce que l'on
fera sur cette affaire, & s'ils seront delibérez d'accorder ce
que je te propose. Il me promit d'accomplir le tout, en leur
remonstrant combien nous les surpassions en bonté, police, &
justice, & comme nous nous comportions en choses criminelles, &
ne leur ressemblions, veu qu'aussitost qu'un de leurs hommes
avoit esté tué, sans consideration aucune, ils alloient faire
mourir le premier de la nation qu'ils rencontroient, fust-ce sa
femme ou son enfant: mais parmy nous, au contraire la justice
ne s'exerçoit que contre celuy qui avoit tué, & ne le sçachant
que par soubçon nous usions de grande patience attendant le
temps que nostre Dieu, juste juge (qui ne souffre que les
meschans prosperent en leur mal) permet à la fin qu'ils soient
descouverts par des tesmoignages bien approuvez &
irréprochables, premier que les faire mourir, ou delivrer s'ils
n'estoient coulpables, ce que nous faisions avec honneur &
louange, & à la honte & infamie de ceux qui l'auroient
meschamment accusé, devant souffrir le mesme supplice que le
criminel, que nous avions détenu ce prisonnier, & pour le 14
mois, sans luy faire aucun mal que de l'avoir retenu tant de
temps, sur ce qu'il m'avoit dit & ouy dire à Martin, Sauvage
defunct, & pour le bruict commun qui estoit entre tous les
216/1200 Sauvages, qu'il n'estoit pas prisonnier sans sujet, joint le
discours que la femme dudit prisonnier avoit fait, & autres
tesmoignages de nos gens, mais qu'à l'advenir il falloit se
comporter plus sagement en nostre endroit: qu'ils prinsent
courage de nous assister en tout ce que nous leur proposions,
vivant en paix les vus avec les autres, qu'ils n'avoient point
de suject de se plaindre, ne leur ayant jamais m'esfect ains au
contraire en leurs extrêmes necessitez plusieurs d'eux seroient
morts sans nostre secours, & ont très-mal recogneu les
bienfaicts, nous ayant tué quatre hommes depuis que nous
estions habituez à Québec. Il s'esmerveilloit comme nous avions
tant de patience, veu que nous pouvions perdre leur païs, & les
rendre fugitifs en d'autres contrées où ils seroient très-mal
au prix du leur, & ainsi sur ce subject nous fismes plusieurs
discours.
Chomina s'en alla dire à tous les Sauvages ce que je luy avois
dit, Le lendemain il me revint trouver, me disant avoir fait
récit à tous ses compagnons en conseil ce que je luy avois
proposé, que tous avoient receu une grande resjouyssance, que
veritablement cette affaire le mettroit en crédit & hors de
toute mesfiance, que dans deux jours ils me viendroient trouver
après avoir resolu ce qu'ils auroient à respondre, en
confirmant tout ce que nous désirions, avec promesse de nous
assister en tout & par tout, quoy que nos vaisseaux ne
vinssent, & vivre en bonne intelligence à l'advenir. Ce sont
leurs discours ordinaires qu'il faut croire par bénéfice
d'inventaire & en tirer ce que l'on peut, comme d'une mauvaise
217/1201 debte, car la moindre mouche qui leur passe devant le nez est
capable de diminuer beaucoup de ce qu'ils promettent si on leur
refuse de quelque chose, principalement quand les demandes sont
générales, autrement non.
Au bout de deux jours ledit Chomina, Erouachy, & tous les
autres Sauvages me vindrent trouver, Erouachy parlant pour
tous, dit ainsi. Il y a long temps que nous avons esté liez
d'une estroitte amitié, & notamment depuis prés de 30 ans que
vous nous avez assisté en nos guerres & autres necessitez
extresmes, sans vous avoir eu que peu de ressentiment, nous
jugeans véritablement incapables de vostre affection pour
n'avoir fait ce que nous pouvions depuis que les Anglois sont
venus en ce lieu, pour moy tu sçais comme estant esloigné je ne
pouvois remédier par presence ny conseil, à toutes ces choses
passées, & de plus que tout le païs est desnué de Chefs &
Capitaines qui sont morts depuis deux ans, & ne restant que des
hommes vieux sans commandement, & des jeunes sans esprit &
conduite, qui ne jugeant combien vostre bienvueillance nous est
necessaire, que sans la continuation d'icelle nous serions
miserables, mais comme vostre coeur a tousjours esté
entièrement bon nous vous prions le continuer, comme le père à
ses enfans. Nous ne recognoissons plus d'anciens amis que toy,
qui sçache nos deportemens & gouvernemens trop affectionnez
envers nous jusques à present. Il est vray que l'on a tué de
vos hommes, mais ce sont des meschans particuliers, & non le
général qui en a receu beaucoup de desplaisir, principalement
218/1202 ceux qui ont du jugement, à l'un tu luy as pardonné, l'ayant
recognu pour meurtrier qui avoit fait le meurtre par le
mauvais conseil de certaines personnes qui sont aussi bien
morts que luy: l'autre aussi meschant que le premier, qui est
celuy que tu soubçonne, & dis en avoir quelque tesmoignage, ce
qu'estant vérifié nous ne le desirons maintenir, mais qu'il
meure. Il n'a jamais rien confesse, il proteste ne l'avoir
fait, & qu'il n'appréhende pas tant la mort de ce qu'on
l'accuse, que s'il les avoit faict mourir qu'il le diroit
librement plustost que de demeurer dedans une prison,
souffrant plus d'ennuis & de tourments en ses maladies que s'il
mouroit tout d'un coup. Que tout ce que j'avois dit à Chomina
ils le desiroient effectuer & faire pour les François tout ce
qu'ils pourroient, & desirant qu'il fust Capitaine, dit qu'il
en estoit très-content, comme aussi tous les Sauvages, mais ce
qu'il disoit estoit au plus loin de sa pensée, recognoissant
asseurément que delivrant le prisonnier à sa requeste &
supplication, qu'il falloit qu'il nous eust grandement obligé.
Je luy dis devant tous que les affections de ceux qui
promettoient beaucoup ne consistoient pas en paroles &
caresses, qui n'estoient que les avant-coureurs des effects en
la pluspart du monde tant envers eux qu'envers nous: que pour
luy nous l'avions treuvé entre tous les Sauvages de parole
effective, il avoit l'esprit, le jugement & la cognoissance
très-bonne, sans ingratitude, qui sont les choses autant
requises qu'il falloit pour un Chef. Pour le courage il n'en
manquoit point, que je le pouvois asseurer que luy & tous ceux
219/1203 qui tiendroient son party je les maintiendrois de tout mon
pouvoir contre ceux qui luy voudroient faire du desplaisir: que
nous avions le naturel si bon que ceux qui nous avoient obligez
pour peu que ce fust, nous n'en estions mescognoissans. Tu
pourrois estre en peine de sçavoir qui nous a incité à luy
vouloir tant de bien-vueillance. Je te diray que quand il a
esté question d'envoyer quelque Sauvage & faire diligence nous
voyant en peine il n'a attendu que nous luy en parlassions,
mais aussi-tost avec son frere il s'est offert de nous servir
sans marchander ny esperer de recompense que nostre volonté, &
promptement & d'un coeur franc il nous a servis avec fidélité,
s'employant & s'offrant à toutes occasions, ce que n'ont fait
les autres: en nos necessitez il ne nous a jamais abandonné ny
en hyver ny en esté, nous secourant de ce qu'il pouvoit,
desirant plustost mourir avec nous que nous abandonner. Quand
quelques uns de mes compagnons alloient en sa maison que ne
faisoit-il point pour les caresser & traitter humainement: leur
donnant souvent ce qu'il gardoit pour luy. Il prenoit
compassion de nos necessitez, & ne faisoit pas comme d'autres
qui s'en rioient, nous vendant excessivement un peu de poisson
ou viande quand on en desiroit avoir, sans autres infinies
obligations que nous luy avons pour tant de tesmoignages de sa
fidélité: il s'est offert aussi en cas que l'on voulust se
battre avec l'Anglois qu'il viendroit avec nous pour y vivre &
mourir: & se mettant en devoir luy & son frere, se sont
presentés en nostre fort avec leurs armes pour recevoir tel
220/1204 commandement que j'eusse desiré, ce que n'a jamais fait autre
Sauvage que luy: au contraire comme ils virent les Anglois à
Tadoussac, ils les conduirent jusques au Cap de Tourmente, leur
enseignant volontairement le chemin, aydant aux Anglois à tuer
nostre bestial, & piller les maisons de nos gens comme s'ils
eussent esté ennemis: regarde & juge quelle raison nous avons à
hayr ceux-là, & vouloir du bien à ces hommes cy.
Il est vray que voilà de puissantes raisons pour
l'affectionner, il s'est trouvé des occasions où il a montré
quel estoit son coeur, mais pour moy j'estois absent: je ne
laisse pourtant d'avoir le mesme desir de servir si l'occasion
se presentoit. Pour ceux qui ont conduit les Anglois, ils sont
de Tadoussac, meschans Sauvages qui n'ont point d'amitié,
estant assez recogneus pour tels, qui parlent de bouche
amiablement, mais le coeur n'en vaut rien, & ne font que du
mal. Nous sommes tres-aises de ce que Chomina s'est si bien
porté en vostre endroit, vous avez raison de l'aymer:
neantmoins nous ne laissons tous de vous affectionner aussi
bien que luy. Je ne doute point de sa fidélité, il a montré par
effect ce qui nous occasionne à te vouloir du bien, en
attendant les effects de nos promesses, asseurez-vous que nous
les effectuerons, & les vaisseaux venus l'on recevra ledit
Chomina pour Capitaine. Tu sçais la façon de faire quand on
eslist un Chef, & qu'il change de nom, tu en as faict d'autres,
c'est pourquoy tu seras encore cestuy-cy que nous tiendrons
pour tel attendant son eslection comme chef, chacun respondant
d'une voix, ainsi sera il.
221/1205 Ce que voyant je dis audit Chomina que quand il voudroit qu'il
emmenast le prisonnier, & qu'il luy remonstre d'estre sage à
l'advenir, que s'il a esté prisonnier tant de temps, que ce sont
les discours des Sauvages, & non nous.
Ledit Chomina sortant avec tous les autres Sauvages, le va
treuver, luy ayant auparavant donné bonne esperance de sa
delivrance qu'il moyennoit, après avoir remonstré plusieurs
choses, le prisonnier luy dit, Je sçais bien que les François
n'ont point de tort de m'avoir retenu si long-temps, ils
avoient juste sujet de le faire, d'autant que les nostres leur
avoient donné à entendre que c'estoit moy qui avoit fait le
meurtre, quand je seray guary je leur veux tesmoigner qu'un
meschant homme ne voudroit faire ce que je feray pour eux.
Ces discours finis ils le prennent & le mettent en une
couverte, & l'emportant à quatre, car il ne pouvoit se
soustenir sur les jambes estant fort desfait & débile: la
vérité est que ces gens qui ont accoustumé une grande liberté,
la prison de 14 mois leur est un grief supplice, autant presque
que s'ils recevoient la mort tout d'un coup: ce fut où la
necessité des vivres nous contraignit, veu que sans ceste
extrémité il eut tousjours esté prisonnier: mais quoy, c'estoit
chose forcée ou estre tousjours en trances & apprehension avec
ces Sauvages qui ne nous eussent voulu secourir en nostre
necessité: car nous voyant foibles desnuez d'hommes & de tout
secours, ils eussent peu entreprendre sur nous ou sur ceux qui
alloient chercher des racines dans les bois, avec beaucoup
d'autres considerations qui nous excitoient à cela.
222/1206 _Arrivée de Desdames de Gaspey. Un Capitaine Canadien offre
toute courtoisie au sieur du Pont. Quelques discours qu'eut
l'Autheur avec luy, & ce que firent les Anglais._
CHAPITRE II.
Le 25 du mois d'Avril[717] Desdames arriva avec la chalouppe de
Gaspey, qui dit n'avoir veu aucuns vaisseaux, ny les Sauvages,
& n'en avoit sceu aucunes nouvelles, sinon que quelques uns qui
venoient du costé d'Acadie, qui dirent y avoir quelques huict
vaisseaux Anglois[718], partie rodant les costes, autres
faisant pesche de poisson: que Juan Chou Capitaine Sauvage des
Canadiens leur avoit fait bonne réception selon leur pouvoir,
s'offrant que si le sieur du Pont vouloit aller en leur païs,
au cas que nos vaisseaux ne vinssent, qu'il ne manqueroit
d'aucune chose de leur chasse, ce faisant faire une petite
maison en quelque endroit.
[Note 717: Cette date est évidemment fautive. Desdames ne pouvait pas
être si tôt de retour de Gaspé; au reste l'auteur nous dit lui-même (p.
202) que la chaloupe ne partit que le 17 mai. Desdames serait-il arrivé
le 25 de mai, c'est-à-dire, au bout de huit jours? Il n'y a guère
d'apparence qu'il eût pu faire un pareil voyage en si peu de temps;
d'ailleurs, l'auteur donne à entendre plus loin (p. 224) que la chaloupe
ne revenait pas assez vite au gré de Du Pont. Elle avait donc dû être un
bon mois à ce voyage. D'un autre côté, elle arriva à Québec un vendredi,
puisque, le surlendemain dimanche, on lut publiquement les commissions
de Champlain et de Pont-Grave (ci-après, p. 227). Il faut donc conclure
que Desdames arriva ou le l5 ou le 22 de juin. Or deux raisons nous font
croire que ce fut plutôt le 15: d'abord la faute typographique
s'explique plus naturellement; ensuite, il paraît évident qu'il s'écoula
plusieurs jours entre l'arrivée de la chaloupe et le départ de Boullé
avec la barque (voir ci-après, p. 228 et suivantes). Desdames arriva
donc de Gaspé vraisemblablement le 15 de juin.]
[Note 718: L'amiral David Kertk, parti de Gravesend le 5 avril 1629
avec six vaisseaux et deux pinasses, avait quitté les côtes d'Angleterre
le 20 du même mois, et il devait être dans les environs de Canceau dans
la première quinzaine de juin; puisqu'il arriva à Gaspé le 25 de ce
mois. (Pièces justificatives, n. V.)]
223/1207
De plus qu'il prendroit 20 de nos compagnons qui partiroient[719]
parmy les siens pour y passer l'hyver ou ils n'auroient aucune
faim, moyennant deux robbes de castors pour chaque homme: Ce
n'estoit pas peu de treuver tant de courtoisie & de retraite
asseurée parmy eux, beaucoup mieux qu'avec nos sauvages: ils
nous apportèrent un baril & demy de sel, sans ce que ceux de la
chalouppe ayderent aux peres religieux, lesquelles choses en ce
temps là ils prisoient plus que de l'or. Il nous confirma comme
les Anglois avoient bruslé tous les vivres qui restoient aux
Pères Jesuistes, qu'ils avoient donné quelques six barils de
farine aux Sauvages moitiée guerre moitiée marchandise: qu'ils
avoient une grande aversion contre les ennemis, notamment
contre les François renégats qui les avoient emmenées: Et tout
ce que nous avons sceu des Sauvages, il nous le confirma
touchant le combat, sçavoir qu'un petit vaisseau François
arrivant sur ceste affaire, ne voulant estre de la partie, se
sauva partie à la rame & à la voile, & cogneut-on que c'estoit
le Reverend Père Norot[720] Jesuiste, qui s'estoit separé depuis
long temps d'avec ledit de Roquemont, s'ils eussent eu quelque
homme de conduitte & hasardeux, ils eussent entré facillement
en la riviere pour venir à Québec nous secourir, ce qui
l'occasionna de s'en retourner en France, n'ayant emmené en
Angleterre que les Capitaines & Principaux, & le petit Sauvage
que l'on remmenoit en son païs: que le général Guer[721] avoit
224/1208 esté dix jours à se r'accommoder à Gaspey, qu'ils n'avoient
bruslé les barques ny chalouppes à l'Isle de Bonaventure, ny
autres lieux comme on nous avoit dit: que l'on avoit donné deux
vaisseaux pour rapasser les François en France, avec partie des
maris, femmes & enfans, qui coururent depuis plusieurs fortunes
& dangers, tant aux costes d'Espagne qu'ailleurs[722], desquels
naufrages ils s'estoient sauvez, fort incommodez de toutes
choses: voilà ce que les effects de ceste guerre causerent au
commencement en la Nouvelle France aux Anglois, ils faisoient
bien d'aller en ces lieux, voyant qu'ils ne pouvoient rien
faire en l'isle de Ré, où tout leur avoit mal succedé.
[Note 719: Qu'il partiroit, ou distribueroit.]
[Note 720: Noirot. (Voir ci-dessus, p. 208.)]
[Note 721: Guer, pour Kertk.]
[Note 722: Voir Sagard, Hist. du Canada, liv. IV, ch. IX, X.]
Entendant de si tristes nouvelles nous voyant comme hors
d'esperance de tout secours, nous jugeasmes qu'il n'estoit plus
temps de temporiser[723], mais bien de remédier de bonne heure à
ce que nous pouvions avoir affaire; nostre petite barque estoit
toute preste, ledit du Pont s'estoit resolu de s'en aller
dedans sans attendre la chalouppe davantage, craignant qu'elle
ne tardast trop, & partant trop tard que malaisément l'on
trouveroit des vaisseaux aux costes pour estre possible partis,
qu'en chemin faisant pour le plus seur, si nos vaisseaux
devoient venir, ils les rencontreroient, ou ladite chalouppe
qu'ils emmeneroient avec eux. Ledit du Pont avoit eu de la
peine à se resoudre à cause de l'incommodité de ses goutes,
mais luy ayant bien remonstré qu'il avoit bien quitté sa maison
225/1209 pour s'embarquer en un meschant petit vaisseau, & de plus qu'il
estoit venu à Gaspey parmy tous les dangers de la guerre aussi
malade qu'il estoit: davantage qu'il s'estoit mis dans une
chalouppe de Gaspey pour venir à Québec avec de si grandes
incommoditez qu'on ne l'auroit creu, si on ne l'avoit veu, que
ce n'estoit pas de mesme en ceste occasion plus pressante,
d'autant que son âge & la réputation qu'il avoit entre les
navigeans de ces costes, estoient cause qu'avec les Capitaines
& maistres des vaisseaux desquels il estoit cogneu, plus
facilement il treuveroit partage, & pourroit plus asseurément
contracter avec lesdits chefs des vaisseaux pour le passage;
pour sa personne il n'alloit pas dans une chalouppe comme il
estoit venu de Gaspey avec de grandes douleurs & incommoditez,
mais en une barque fort gentille & bien accommodée, y ayant sa
chambre où il seroit très-bien, & avec des personnes qui
l'assisteroient, en luy portant toute sorte de respect, pouvant
recouvrir plus de rafraichissement le long des costes,
changeant d'un jour à autre de lieu que non pas à Québec où il
n'y avoit rien: qu'il se trouvoit fort peu de personnes qui
voulussent demeurer à l'habitation sans vivres. Que pour sa
personne seule il falloit empescher quelquesfois quatre hommes
à l'assister & secourir, lesquels ne pourroient demeurer avec
luy, de sorte que force leur seroit de l'abandonner pour aller
chercher leur vie de jour à autre: Que de tenter la fortune de
repasser en France luy seroit chose meilleure que de souffrir
de si grandes necessités, ne pouvant plus rien esperer de
Québec, ayant le peu qu'il y avoit esté conservé pour luy seul,
226/1210 ce que je ne pensois pas qu'il peut faire, il me dist que pour
le voyage qu'il avoit fait de France à Québec, il n'estoit pas
à s'en repentir, mais trop tard, je luy dis, Vous sçaviez aussi
bien que moy la façon comme l'on nous traitte en ces lieux, où
les necessitez ont plus régné que les biens-faits de ceux qui
ont cette affaire, vous n'estes point novice en cela, un autre
se pourroit excuser, mais vous avez trop d'expérience pour
sçavoir & cognoistre ce qui en est: car si à Québec vous aviez
les commoditez approchantes de ce qu'il vous faudroit je vous
conseillerois d'y demeurer. En fin comme j'ay dit cy-dessus, il
se resolut de s'embarquer & laisser le sieur de Marais[724],
fils de sa fille en sa place, & emporter avec luy quelque 1000
castors pour subvenir aux frais de la despence, qui furent
embarquez. Cela resoulu, le lendemain il me dist si j'aurois
agréable qu'il fit lire sa commission que luy avoit donnée le
sieur de Caën, afin qu'un chacun sceust la charge qu'il luy
avoit donnée en ces lieux, craignant que ledit de Caën ne luy
donnast ses gages, lors qu'il luy demanderoit, je luy dis que
cela ne m'importoit pas beaucoup, mais qu'il commençoit bien
tard, parce que ledit de Caën, outre le droict qui luy pouvoit
appartenir, s'attribuoit des honneurs & commandemens qui ne luy
appartenoient pas, anticipant sur les charges de Vice-Roy, luy
monstrant les principaux points. Pour ce qui touchoit le trafic
& commerce de pelleterie il y avoit toute puissance, qu'en cela
227/1211 les articles de sa Majesté nous gouvernoient, à quoy il se
falloit arrester: En outre j'avois bonne commission en forme,
selon la volonté de sa Majesté, & de Monseigneur le Vice-Roy, &
celle dudit sieur de Caën ne pouvoit estre de telle
consideration.
[Note 723: Nouvelle preuve que la chaloupe de Desdames n'était arrivée
ni le 25 de mai, ni encore moins le 25 avril. (Voir ci-dessus, p. 222.)]
[Note 724: Ce jeune Des Marais était le fils du sieur Des Marais dont il
est parlé si souvent dans les relations précédentes. Il était venu avec
son grand-père en 1627. (Voir ci-dessus, p. 141.)]
Le lendemain[725], qui estoit le Dimanche, au sortir de la
saincte Messe je fais assembler tout le peuple, avec la copie
de la commission du sieur du Pont, les articles de sa Majesté &
la commission de Monseigneur le Vice-Roy, auquel véritablement
je fais entendre le pouvoir que pouvoit donner ledit sieur de
Caen à ses commis, differens d'avec celuy que j'avois selon les
articles de sa Majesté, que je fis lire contenant aucuns
poincts de la commission dudit du Pont, & en suitte ma
commission, qui estoit fort ample, disant à tous: Je vous fais
commandement de par le Roy, & Monseigneur le Vice-Roy, que vous
ayez à faire tout ce que vous commandera ledit du Pont, pour ce
qui touche le trafic & commerce des marchandises, suivant les
articles de sa Majesté que je vous ay fait lire, & du reste de
m'obeir en tout & par tout en ce que je commanderay, & où il y
aura de l'interest du Roy & de mondit Seigneur, en me reservant
dix hommes gagez dudit de Caën, suyvant les articles resolus de
toute la societé, desquels ledit de Caen avoit esté porteur, &
me les mit en mains, par l'un desquels estoit porté & enchargé
me donner dix hommes, avec toutes les commoditez necessaires
pour les employer au Fort, ainsi que j'aviserois bon estre.
J'ay creu que ledit sieur de Caen ne s'en ressouvenoit plus,
228/1212 car il n'y avoit pas d'apparence qu'il eust voulu disputer une
chose où luy-mesme avoit signé, & le sieur Dolu, & autres
associez. La chose la plus importante estoit de se fortifier le
mieux que l'on pourroit pour la conservation du païs, qu'à
faute de ce faire c'estoit le laisser en proye à un ennemy qui
peut recognoistre nostre foiblesse, sans que ledit du Pont ny
autres pussent empescher l'effect du commandement que j'ay, sur
peine de desobeissance, & punition corporelle.
[Note 725: Vraisemblablement le 17 juin, qui était un dimanche. (Voir
ci-dessus, note 1 de la page 222.)]
Je voy bien (dist le sieur du Pont) que vous protestez ma
commission de nullité: Ouy en ce qui heurte l'authorité du Roy
& de Monseigneur le Vice-Roy, pour ce qui est de vostre traicté
& commerce, suivant les articles de sa Majesté, à quoy il se
faut tenir, cela se passa ainsi.
La chalouppe (comme j'ay dit cy-dessus) estoit venue de Gaspey,
qui interrompit le dessein dudit du Pont de s'en aller,
d'autant que son intention n'estoit qu'au cas qu'il n'y eust
aucun vaisseau à Gaspey où il peust s'en retourner, de revenir
à Québec sans se mettre en peine de passer plus outre pour
chercher passage & aller en France dans les vaisseaux François,
qui pouvoient estre à l'isle de S. Jean, du Cap Breton,
Canseau, Isles de S. Pierre, Plaisance où autres ports, qui
sont à l'isle de Terre-Neufve, où il y en avoit, & sembloit
qu'il ne voulust aller à Gaspey que pour establir les François
avec les Sauvages & s'en revenir à Québec: les matelots qui ne
229/1213 desiroient plus y retourner craignant de mourir de faim,
avoient volonté de courir le risque & de chercher passage
plustost que de demeurer avec les Sauvages, si ce n'estoit par
force: Ce qui me fit luy demander si c'estoit son intention de
s'embarquer en la barque, s'il avoit dessein de s'en retourner
à Gaspey, il me dit qu'ouy: Alors je luy dis, que pensez-vous
qui vous rameine, regardez ce qu'avez à faire, car les matelots
ne sont pas délibérez de revenir, & ainsi vous vous trouverez
deceu si vous vous attendez à cela, vous voyez que l'on
descharge l'habitation de plus d'hommes que l'on peut, ne
faisant estat que d'y faire demeurer treize à quatorze
personnes, & vous revenant, vous en amènerez une douzaine, ce
seroit pour mourir de faim les uns pour l'amour des autres, il
n'y a pas beaucoup d'apparence: joint que quelques matelots
sont resolus de demeurer avec les Sauvages de par delà, & le
reste d'aller chercher passage à quelque prix que ce soit,
mesme que ne trouvant vaisseaux ils se veulent bazarder de
passer la mer en ceste barque, & si n'avez volonté de passer
plus outre, je vous conseille plustost de demeurer icy: car
aussi bien vostre voyage seroit inutile, estant contraint de
demeurer avec les Sauvages ou courir le hazard avec les
matelots.
Ce qu'entendant il desira plustost demeurer, que de se mettre
au risque, appréhendant la peine qu'il pensoit avoir en ce
voyage pour le mal des goûtes qui le tourmentoient de telle
façon, qu'il estoit plus couché que debout, cela resolu il fit
descharger de la barque 500 castors, de mil qu'il y avoit fait
mettre.
230/1214 Je fis d'amples mémoires de tous les deffauts que je
recognoissois, avec lettres adressantes à sa Majesté, à
Monseigneur le Cardinal, & à Messieurs du Conseil, & aux
Associez, mettant le tout entre les mains de mon beau-frère
Boullay, lequel j'avois bien instruit de tout ce qui estoit
necessaire, luy donnant une commission suivant le pouvoir que
j'avois: & luy commanday de s'en aller avec les matelots
chercher passage à quelque prix que ce fut, luy donnant charge
de laisser à Gaspey avec Juan Chou & ses compagnons Sauvages,
tous ceux qui y voudroient demeurer, & ceux qui le voudroient
suivre qu'il les emmenast avec luy. J'ordonnay à tous ceux qui
devoient s'en retourner, qu'ils allassent dans les bois deux ou
trois tours premier que partir pour chercher des racines pour
leur provision, attendant qu'ils peussent rencontrer la pesche
de molue vers Mantane: Ce qu'ayant fait je les faits tous
assembler, voulant sçavoir la volonté des uns & des autres,
sçavoir ceux qui desiroient demeurer à Gaspey, & ceux qui
vouloient suivre mon beau-frère, il s'en treuva vingt, de
trente qu'ils estoient[726], qui desirerent demeurer à Gaspey,
entr'autres Foucher, Desdames & deux autres Matelots, & le
reste desiroit courir risque.
Ayant mis ordre à tout, mon beau-frère partit avec sa
barque[727] & tout son esquipage, le 26 de Juin, laquelle
n'avoit que des racines, si ce n'estoient aucuns qui par leur
231/1215 mesnage avoient quelque peu de farine de pois. La barque partie
chacun de ceux qui restoient commencèrent à labourer la terre,
& y semer des naveaux, pour nous survenir durant l'hyver: en
attendant la moisson on estoit tous les tours à la recherche
des racines pour vivre, ce qui causoit de grandes fatiques, car
on alloit six à sept lieues les chercher, avec une grande peine
& patience, sans en treuver en suffisance pour nous nourrir.
Les autres faisoient ce qu'ils pouvoient pour prendre du
poisson, & faute de filets, lignes & hains, nous ne pouvions
faire grande chose: la poudre pour la chasse nous estoit si
chère que je desirois mieux pâtir que d'user si peu que nous en
avions qui n'estoit pas plus de 30 à 40 livres, & encore très
mauvaise.
[Note 726: Ils étaient trente en comptant Boullé lui-même. (Pièces
justificatives, n. III.)]
[Note 727: Cette barque, appelée _la Coquine_, était de douze ou quatorze
tonneaux suivant Sagard (Hist. P. 980), ou seulement de sept à huit,
d'après l'auteur lui-même (voir Pièces justificatives, n. II).]
Nous attendions de jour en jour les Hurons, & par mesme moyen
20 François qui estoient allez avec eux pour nous soulager de
nos pois: ceste surcharge me mettoit bien en peine, n'ayant du
tout rien à leur donner s'ils n'apportoient de la farine avec
eux, ou que lesdits Hurons ne les remmenassent, ou bien les
mettre avec les Sauvages au tour de nous, comme ils nous
avoient promis de les prendre, mais comme ils sont d'une humeur
assez variable, cela me donnoit du tourment. Chomina nous dit
qu'il s'en alloit aux trois rivieres avec tous les sauvages,
qui deslogeoient d'auprès de Québec, pour aller au devant des
Hurons traiter des farines s'ils en avoient: pour cet effect il
demanda quelques cousteaux, & promet en traiter fidellement,
nous apportant aussi tost les farines: la creance que nous
232/1216 avions en luy, fit qu'on luy en donna, & une arme de picquier
qu'il demanda à emprunter pour la guerre, de quoy il ne fut
refusé. Son frère Ouagabemat[728] s'offrit d'aller à la coste
des Etechemins, où estoient les Anglois pour y traiter de la
poudre, il demanda qu'on luy donnast un François, lequel
demeuroit à deux journées dans les terres de la coste, ce qui
luy fut accordé, pour tascher de quelque façon que ce fut à
nous maintenir. Pour ce sujet il partit le 8 de Juillet,
laissant la grande riviere, & ayant fait quelque chemin par
celle qui va ausdits Etechemins, ils treuverent si peu d'eau
qu'ils furent contrains de s'en revenir le 11 dudit mois, & par
ainsi ce voyage fut rompu.
Le 15 de Juillet arriva l'homme que j'avois envoyay à la
decouverte des Sauvages appelle Abenaquioit, qui me fit rapport
de tout son voyage suivant le mémoire que je luy avois donné,
le nombre des saults qui falloit passer premier que d'y
arriver, la difficulté des chemins qui se rencontroient en ce
traject de terre, jusqu'à la coste desdits Etechemins, les
peuples & nations qui sont en ces contrées, leurs façons de
vivres, nous asseurant que tous ces peuples vouloient lier une
estroitte amitié avec nous, & prendre de nos hommes avec eux
pour les nourrir durant l'hyver, attendant que nous eussions
secours de nos vaisseaux: qu'en peu de jours il devoit venir un
chef de ces peuples avec quelques Canaux pour confirmer leur
amitié, & mesme nous ayder de leurs bleds d'Inde, estant
233/1217 peuples qui ont de grands villages, & à la campagne de maisons,
ayant nombre de terres défrichées, où ils sement force bleds
d'Inde qui recueillent suffisamment pour leur nourriture, & en
ayder leurs voisins, quand il manque quelque année qui n'est
pas si bonne que d'autre. Il y a de belles campagnes & tort peu
de bois ou ils habitent, la pesche du poisson y est abondante
de Bars, Saumons, Esturgeons & autres poissons en grande
quantité: comme aussi y est très-bonne la chasse des animaux &
du gibier, de sorte que quand les eaues sont un peu grandes
l'on y peut aller en six jours avec diligence: il y a une
riviere[729] qui va tomber en ceste coste des Etechemins, en
laquelle j'ay esté autrefois du temps du sieur du Mont comme
j'allois descouvrir les ports, havres, & rivieres. Ce voyage &
descouverte me donna un grand contentement pour l'esperance du
fruict qu'un jour nous en pourrions retirer durant nostre
necessité, où ces peuples nous pouvoient bien servir. Ce qui
est de remarquable, c'est un lieu où l'on ne craint point
d'ennemis sur le chemin, qui vous puisse empescher d'aller &
venir librement[730].
[Note 728: Sagard l'appelle Neogabinat, et les Relations des Jésuites
Negabamat. Il devint plus tard fervent chrétien, et fut l'un des
premiers qui se fixèrent à Sillery.]
[Note 729: Le Kénébec.]
[Note 730: Voici, suivant nous, le sens de cette phrase: Le pays des
Abenaquis a cela de remarquable et d'avantageux, que l'on n'a point à
craindre, sur le chemin, d'ennemis qui vous puissent empêcher d'aller et
venir librement.]
Le 17 du mois de Juillet arriverent nos hommes des Hurons en
douze Canaux qui n'apportèrent aucunes farines sinon quelques
uns qui en avoient, ne la monstroient à la veue, en attendant
nostre disette, il falloit qu'ils fissent comme nous, &
allassent chercher des racines pour vivre. Je me deliberay les
234/1218 envoyer à l'habitation des Abenaquiois pour vivre de leurs
bleds d'Inde attendant le printemps, n'ayant plus d'esperance
de voir aucuns amis ny ennemis, la saison estant passée selon
les apparances humaines.
Le Reverend Père Brebeuf, selon ce que luy avoit mandé le
Reverend Père Massé Superieur[731], s'en revint des Hurons,
leur laissant une extréme tristesse de son départ, luy disant.
He quoy nous delaisses-tu! il y a trois ans que tu es en ces
lieux pour apprendre nostre langue pour nous enseigner à
cognoistre ton Dieu, l'adorer & servir, estant venu pour ce
sujet, à ce que tu nous as tesmoigné, & maintenant que tu sçais
plus parfaitement nostre langue qu'aucun qui soit jamais venu
en ces lieux, tu nous delaisses & si nous ne cognoissons le
Dieu que tu adores, nous l'appellerons à tesmoin que ce n'est
point nostre faute, mais bien la tienne, de nous laisser de
telle façon; il le leur remonstroit que l'obeissance qu'il
devoit à ses Supérieurs ne luy permettoient pour le present de
demeurer, attendu aussi les affaires qu'il avoit, & qui
estoient grandement importantes, mais qu'il les asseuroit,
moyennant la grâce de Dieu, de les venir treuver & amener ce
qui seroit necessaire pour leur enseigner à cognoistre Dieu, &
le servir, & ainsi se départit. En effect ce bon Père avoit un
don particulier des langues qu'il apprit & comprit en deux ou
trois ans, ce que d'autres ne feroient en vingt: nous fusmes
fort aises de le voir, comme estoient aussi les Peres qui se
235/1219 promettoient qu'il leur apporteroit des farines des Hurons, qui
eust esté fort peu de chose, n'eust esté la valeur de quelque
quatre ou cinq sacs, qui, à ce que l'on me dist, pesoyent
environ chacun 50 livres.
[Note 731: Le P. Ennemond Massé était demeuré supérieur depuis le départ
du P. Charles Lalemant.]
Cette arrivée de Canaux de Sauvages ne nous apporta aucun
bénéfice, car ils n'avoient point de farines à traitter
qu'environ deux sacs, que les Pères Recolets traitterent, & le
sieur du Pont en fit traitter un autre par le Sous-commis: Pour
moy il fut hors de ma puissance d'en pouvoir avoir, ny peu, ny
prou, & ne m'en fut seulement offert une escuellée, tant de
ceux qui en pouvoient avoir, parmy les nostres, que parmy les
autres: toutesfois je prenois patience, ayant tousjours bon
courage, attendant la récolte des pois, & des grains qui se
feroit au desert de la Veufve-Hebert & son gendre, qui avoient
quelque six à sept arpens de terres ensemencées, ne pouvant
avoir recours ailleurs, & peux dire avec verité que j'ay
assisté un chacun de tout ce qui m'estoit possible, ce qui fut
neantmoins fort peu recogneu en mon particulier, & ceux qui
estoient avec moy au fort, & estant les plus mal pourveus de
toutes choses.
Pour ce qui estoit des Reverends Pères Jesuites ils n'avoient
que de la terre défrichée & ensemencée pour eux & serviteur au
nombre de douze ne nous en pouvant ayder comme je croy qu'ils
eussent fort desiré: le lieu où ils sont habituez est très
agreable, estant sur le bord de la riviere S. Charles.
Les Pères Recolets avoient beaucoup plus de terres défrichées &
ensemencées & n'estoient que quatre, promettant que s'ils en
236/1220 avoient plus que ne leur faudroit en 4 à 5 arpens de terre
ensemencez de plusieurs sortes de grains, légumes, racines &
herbes potagères qu'ils nous en donneroient. L'année précédente
chacun avoit il bien conservé ce qu'il avoit qu'il s'estoit
fait fort peu de liberalitez, sinon à quelques particuliers de
ceux qui estoient logez à l'habitation, & celle comme dit est,
des Pères Jesuites qui nous assisterent de quelques naveaux
selon leur puissance.
Comme les Hurons se délibèrent de s'en retourner avec si peu de
marchandises qu'ils avoient apportées, pensant treuver dequoy
traitter, nouvelles nous vindrent de l'arrivée des Anglois par
un sauvage appellé la Nasse[732], qui avoit sa maison proche
des Pères Jesuites, lequel donnoit esperance & toute sa famille
de se faire instruire en nostre foy, & mesmes les Pères luy
avoient donné de leur terre défrichée pour le gaigner à eux, ce
fut luy qui nous donna cet advis, ce qui m'estonna grandement,
pource qu'alors je n'attendois ny François ny Anglois qui
eussent entrepris ce voyage bien hazardeusement pour estre venu
tard, d'autant que si en France ils eussent fait équiper de
bonne heure comme en Mars, la moindre barque estoit suffisante
de nous secourir & nous oster du danger d'estre pris, apportant
farines, poudre, mousquets, avec un peu de mèche: l'ennemy
jugeant bien qu'il n'y avoit rien à faire pour eux sinon
traitter quelque pelleterie à Tadoussac, & ne pouvant rien
faire, à ce que j'ay sceu depuis, s'ils eussent esté contraints
237/1221 de retourner sans rien faire de porter tout ce qu'ils avoient
au Cap Breton, où ils avoient une habitation d'un
Escossois[733] qui estoit de la compagnie du Chevallier
Alexandre en Angleterre & roder les costes comme ils avoient
fait l'année précédente, pour prendre des vaisseaux qui
ayderoient à payer les frais de leur embarquement.
[Note 732: Son nom sauvage était _Manitougatche_. Il demeura fidèlement
attaché aux Français, et fut baptisé quelques années plus tard. (Relat.
des Jésuites.)]
[Note 733: Probablement le _millor Escossois_ dont il est parlé ci-après
dans la relation du capitaine Daniel. (_Conf_., State Paper Office,
Colonial Papers, vol. V, 46, 47.)]
_Le sieur de Champlain ayant eu advis de l'arrivée des Anglais,
donne ordre de n'estre surpris, se resould à composer avec eux.
Lettre qu'un Gentilhomme Anglais luy apporte, & sa response.
Articles de leur composition. Infidelles François prennent des
commodités de l'habitation. Anglais s'emparent de Québec._
CHAPITRE III.
Lors que ces nouvelles vinrent j'estois seul au fort, une
partie de mes compagnons estoient allez à la pesche, les autres
chercher des racines, mon serviteur & les deux petites filles
Sauvagesses[734] y estoient aussi: sur les dix heures du matin
une partie se rendit au fort & à l'habitation, mon serviteur
arrivant avec quatre petis sacs de racines, me dit avoir veu
lesdits vaisseaux Anglois à une lieue de nostre habitation,
derrière le Cap de Levy(735): je ne laissay de mettre en ordre
238/1222 si peu que nous avions, pour eviter la surprise tant au fort
qu'à l'habitation, les pères Jesuistes & Recollets accoururent
aussi tost à ces nouvelles pour voir ce que l'on oourroit: je
fis assembler ceux que je jugeay à propos pour sçavoir ce que
nous aurions à faire en ces extremitez: il fut arresté
qu'attendu l'impuissance en laquelle nous estions sans vivres,
poudre[736], ny mesche, & sans secours, il estoit impossible de
nous maintenir, c'est pourquoy qu'il nous falloit chercher une
composition la plus avantageuse que nous pourrions, & attendre
ce que voudroit dire l'Anglois, resolus neantmoins qu'au cas
qu'ils ne nous voulussent faire composition, de faire sentir à
la descente, que voulant nous forcer on leur feroit perdre de
leurs hommes, en nous ostant l'espoir de composition.
[Note 734: Des trois petites filles que les sauvages avaient données à
l'auteur, celle qu'il avait nommée la Foy s'en était retournée parmi
ceux de sa nation. (Sagard, Hist. du Canada, page 1101.)]
[Note 735: La pointe Lévis.]
[Note 736: Il ne restait que trente à quarante livres de poudre, «et
encore très-mauvaise.» (Ci-dessus, p. 231).]
Sur le flot, l'Anglois envoye une chalouppe ayant un drapeau
blanc, signai pour sçavoir s'il auroit asseurance de nous venir
treuver, pour nous sommer, & sçavoir la resolution en laquelle
nous estions, je fis mettre un autre drapeau au fort, leur
asseurant qu'ils pourroient approcher avec toute seureté:
Estant arrivez en nostre habitation, un gentil-homme Anglois
mit pied à terre, lequel me vint treuver, & courtoisement me
donna une lettre de la part des deux frères du Général Guer qui
estoient à Tadoussac avec ses vaisseaux, l'un s'appelloit le
Capitaine Louis qui venoit pour commander au fort, l'autre le
Capitaine Thomas Vice-Admiral de son frère, me mandant ce qui
s'ensuit.
239/1223 _Monsieur en suite de ce que mon frere vous manda l'année
passée que tost ou tard il aurait Québec, n'estant secouru, il
nous à chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous
faisons de la nostre, & sçachant très bien les necessitez
extrêmes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez
à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous
asseurant toutes sortes de courtoisie pour vous & pour les
vostres, comme d'une composition honneste & raisonnable, telle
que vous sçauriez desirer, attendant vostre response nous
demeurons, Monsieur, vos très affectionnez serviteurs Louis &
Thomas Guer. Du bord du Flibot ce 19. de Juillet 1629._
Ceste lettre leue devant le principal Commis & autres des
principaux, il fut resolu de leur faire responce, comme il
s'ensuit.
_Messieurs la verité est que les négligences ou contrarietez
du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le
secours que nous espererions en nos souffrances, y nous ont
osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avons fait
l'année passée, sans vous donner lieu de faire reussir vos
prétentions, qui ne feront s'il vous plaist maintenant qu'en
effectuant les offres que vous nous faites d'une composition,
laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps après nous y
estre resolus ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher
vos vaisseaux à la portée du canon, ny entreprendre de mettre
pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour
demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre
affectionné serviteur, Champlain, ce 19 de Juillet 1629._
Ledit Capitaine Louis Guer renvoya sur le soir sa chalouppe
pour avoir ces articles de la composition, avec asseurance de
nous donner toutes sortes de courtoisies, lesquelles articles
envoyasmes avec le plus d'advantage qu'il nous estoit possible.
240/1224 «_Articles [qui seront] accordez par le sieur Guer commendant
de present aux vaisseaux qui sont proches de Québec, aux sieurs
de Champlain & du Pont, le 19 de Juillet 1629._[737]
[Note 737: Le titre de cette pièce se lit ainsi dans l'original conservé
à Londres (State Paper Office): «_Articles demandées estre accordées par
le Sr Quirc Commandant de present aus vaisseaux qui sont proches de
Quebecq aus Sr de Champlain & dupont le 19 de Juillet 1629._» Dans
l'impression de l'édition originale, les mots _demandées estre_ ayant
été omis ou retranchés, on fut obligé de pousser entre ligne les deux
mots que nous mettons entre crochets dans le texte. Cette correction
cependant n'a pas été faite dans tous les exemplaires.]
Que le sieur Guer nous fera voir la commission du Roy de la
grande Bretagne, en vertu de quoy il se veut saisir de ceste
place, si c'est en effect par une guerre légitime[738] que la
France aye avec l'Angleterre, & s'il a procuration du sieur
Guer son frère Général de la flotte Angloise, pour traiter avec
nous, il la monstrera.
[Note 738: L'original porte: «de guerre légitime.»]
Il nous fera donné un vaisseau pour rapasser en France tous nos
compagnons, & ceux qui ont esté pris par le sieur Général,
allant treuver passage en France, & aussi tous les Religieux,
tant les Peres Jesuistes que Recollets, que deux Sauvagesses
qui m'ont esté données il y a deux ans par les Sauvages,
lesquelles je pourray emmener sans qu'on me les puisse retenir
ny donner empeschement en quelque manière que ce soit.
Que l'on nous permettra sortir avec armes & bagages, & toutes
sortes d'autres commoditez de meubles que chacun peut avoir,
tant Religieux qu'autres, ne permettant qu'il nous soit fait
aucun empeschement en quelque manière & façon que ce soit.
241/1225 Que l'on nous donnera des vivres à suffisance pour nous
repasser en France, en change[739] de peleteries, sans que par
violence ou autre manière que ce soit, on empesche chacun en
particulier d'emporter ce peu qui se treuvera[740] entre les
soldats & compagnons de ces lieux.
[Note 739: L'original porte: «en eschange.»]
[Note 740: Dans l'original, on lit: «sy peu que l'on en a qui est.»]
Que l'on usera envers nous de traitement le plus favorable
qu'il se pourra, sans que l'on fasse aucune violence à qui que
ce soit, tant aux Religieux & autres de nos compagnons, qu'à
ceux qui sont en ces lieux, à ceux qui ont esté pris, entre
lesquels est mon beau-frère Boullé, qui estoit pour commander à
tous ceux de la barque partie d'icy, pour aller treuver passage
pour repasser en France [741].
[Note 741: Cet article, en particulier, paraît avoir été revu et corrigé
par un autre que par Champlain; le voici comme il est dans l'original:
«Que l'on uzera de traittement le plus favorable qui se pourra sans que
l'on face de viollence à qui que ce soit comme religieux & autres de nos
compagnons tant de ceus qui sont en ces lieus que ceus qui ont esté pris
entre lesquels est mon beau frère boullay qui estoit pour commander à
tous ceus qui de la barque qui estoit partie d'ycy pour aller trouver
passage pour repasser en France.]
Le vaisseau où nous devrons passer, nous sera remis trois jours
après nostre arrivée à Tadoussac entre les mains, & d'icy nous
sera donné une barque ou vaisseau[742] pour charger nos
commoditez, pour aller audit Tadoussac prendre possession du
vaisseau que ledit sieur Guer nous donnera, pour repasser en
France prés de cent personnes que nous sommes, tant ceux qui
ont esté pris, comme ceux qui sont de present en ces lieux.
[Note 742: «Nous sera donné barque ou vaisseau.»]
Ce qu'estant accordé & signé d'une part & d'autre par ledit
sieur Guer qui est à Tadoussac Général de l'armée Angloise &
242/1226 son Conseil, nous mettrons le fort, l'habitation, & maisons
entre les mains dudit sieur Guer, ou autre qui aura pouvoir
pour cet effect de luy. Signé, Champlain, & du Pont[743].»
[Note 743: «Lepont» dans l'original.]
Ces choses ainsi resolues furent envoyées aux vaisseaux, où
estoient lesdits Louis & Thomas Guer, qui virent ce que nous
demandions, & après les avoir considerez ils se resolurent d'y
faire response le plustost qu'ils pourroient, ce qu'ils firent
comme il s'ensuit.
«_Articles accorder aux sieurs de Champlain du Pont._
Pour le fait de la Commission de sa Majesté de la grande
Bretagne le Roy mon Maistre, je ne l'ay point icy, mais mon
frere la fera voir quand ils feront à Tadoussac.
J'ay tout pouvoir de traiter avec monsieur de Champlain, comme
je vous le feray voir.
Pour le fait de donner un vaisseau je ne le puis faire, mais
vous vous pouvez asseurer du passage en Angleterre, &
d'Angleterre en France, ce qui vous gardera de retomber entre
les mains des Anglois, auquel danger pourriez tomber.
Et pour le fait des Sauvagesses, je ne le puis accorder pour
raisons que je vous feray sçavoir si j'ay l'honneur de vous
voir, que pour le fait de sortir armes & bagages, & peleteries,
j'accorde que ces messieurs[744] sortiront avec leurs armes,
243/1227 habits & peleteries à eux appartenans, & pour les soldats leurs
habits chacun avec une robe de castor sans autre chose, & pour
le fait des Peres ils se contenteront de leurs robes & livres.
[Note 744: Suivant le témoignage des copistes auxquels nous avons eu
recours, il y a dans l'original: «_que les Mres,_» c'est-à-dire, «que
les Maistres.»]
Ce que nous promettons faire ratifier par mon frère Général
pour la flotte pour sa Majesté de la grande Bretagne, signé L.
Kertk[745], & plus bas Thomas Kertk, & plus bas est escrit.
Les susdits articles[746] accordez avec les sieurs de Champlain
& du Pont[747], tant par les freres Louis & Thomas Kertk[748],
je les accepte & ratifie, & promets qu'ils seront effectuez de
point en point, fait à Tadoussac ce 19 d'Aoust, Stil neuf 1629.
signé David Kertk, avec un paraphe.»
[Note 745: «Louis Kertk» La copie que nous avons de l'original ne porte
point cette signature, mais seulement celle-ci: Tho. Kearke.]
[Note 746: Dans l'original, on lit: «Les suditz six articles.» Et ce qui
fait ici le troisième, y est désigné en deux articles séparés.]
[Note 747: «Dupont gravé,» dans l'original.]
[Note 748: L'original porte «Kearke.»]
Ayant arresté les articles ils nous r'envoyerent la chalouppe,
nous priant de la despescher au plustost, pour sçavoir si nous
accepterions leurs articles, à quoy nous advisasmes, nous
estant assemblez pour resoudre ce que l'on pourroit faire en
ces extremitez, & ne pouvant pas mieux, nous resolusmes de
prendre la composition. Le lendemain 20 dudit mois ils firent
approcher leurs trois vaisseaux, sçavoir le Flibot de prés de
cent tonneaux avec dix canons, & deux pataches du port de
quarante tonneaux, chacune six canons, & quelques cent
cinquante hommes, ayant mouillez l'ancre devant Québec, je fus
treuver le Capitaine Louys, pour sçavoir ce qui l'avoit
244/1228 empesché de ne me permettre d'emmener mes deux petites filles
Sauvagesses que j'avois depuis deux ans, ausquelles j'avois
enseigné tout ce qui estoit de leur créance, & apris à
travailler à l'aiguille, tant en linge qu'en tapisserie, en
quoy elles travaillent fort proprement, estant au reste fort
civilisées & portées d'un desir extresme de venir en France. Je
fis tant avec ledit Capitaine Louis que je le relevay des
doutes qu'il avoit, me permettant les emmener, ce que sçachant
ces filles ils turent fort resjouies.
Je demanday des soldats audit Louis Quer pour empescher que
l'on ne ravageast rien en la Chapelle ny chez les Reverends
Pères Jesuites, Recollets ny la maison de la veufve Heber & son
gendre, ce qu'il fit, comme en quelques autres lieux où il en
estoit de besoin, puis il fait descendre à terre environ 150.
hommes armez, va prendre possession de l'habitation où estant
demanda les clefs au Sous-commis Corneille, & à Olivier qui
traittoit avec les Sauvages comme expérimenté aux langues des
Montagnais & Algommequins, comme de celle des Hurons, comme
fort propre à cela. Il s'acquitta de sa charge en homme de
bien, car ledit du Pont, principal Commis, estoit au lict
malade des gouttes, & ne pouvoit agir. Louys Quer ayant ces
clefs les donne à un François appellé le Baillif natif d'Amiens
qu'il avoit pris pour Commis, s'estant volontairement donné aux
Anglois pour les servir & ayder à nous ruiner, comme perfide à
son Roy & à sa patrie, avec trois autres que j'avois autrefois
mené en nos voyages, il y avoit plus de quinze à seize' ans,
245/1229 entre autres l'un appelle Estienne Bruslé, de Champigny,
truchement des Hurons, le second Nicolas Marsolet de Rouen,
truchement des Montaignais, le troisiesme de Paris, appellé
Pierre Raye, Charon de son mestier, l'un des plus perfides
traistres & meschants qui fust en la bande. Ledit Baillif
estoit venu autrefois en ces lieux avec ledit de Caën, qui
l'avoit fait un de ses Commis, l'ayant chassé pour estre
grandement vicieux. Cestuy-cy entre au magasin, se saisit de
tout ce qui estoit dedans, & de trois mille cinq cens à quatre
mille castors, qui appartenoient au sieur de Caen, comme de
toutes les autres commoditez qui estoient en l'habitation pour
servir à icelle.
Louys Quer s'achemine au fort pour en prendre possession,
voulant desloger de mon logis, jamais il ne le voulut permettre
que je m'en allasse tout à fait hors de Québec, me rendant
toutes les sortes de courtoisies qu'il pouvoit s'imaginer. Je
luy demanday permission de faire célébrer la saincte Messe, ce
qu'il accorda à nos Peres: Je le priay aussi de me donner un
certificat de tout ce qui estoit tant au fort qu'à
l'habitation, ce qu'il m'accorda avec toute sorte d'affection
ainsi qu'il s'ensuit.
«_J'ay Louys Kertk commandant de present au Fort de Québec en
la Nouvelle France pour le Roy de la Grande Bretagne, mon
Seigneur & Maistre, certifie à tous ceux qu'il appartiendra,
que j'ay trouvé tant au Fort qu'à l'habitation ce qui s'ensuit,
4 espoirs de fonte verte & une moyenne avec leurs boettes, 2
breteuls de fer, de 800 livres chacun, 7 pierriers avec leur
boiste double, 45 balles de fer pour les espoirs, & 6 balles
pour lesdits breteuls, 40 livres de pouldre à canon, 30 livres
de meche, 14 mousquets, un mousquet à Croc, 2 grandes
arquebuses à rouet de 6 à 7 pieds, 2 autres à meche de mesme
longueur, 10 hallebardes, 12 piques, 5 à 6 milliers de plomb
50 corcelets sans brasarts, avec leurs bourguinotes, 2 armes de
246/1230 gensdarmes à l'espreuve du pistolet, deux petarts de fonte
verte, une vieille tente de guerre & plusieurs ustancilles de
mesnage & outils des ouvriers qui estoient en cedit lieu de
Québec, ou commandait le sieur de Champlain en l'absence de
Monsieur le Cardinal de Richelieu pour le service du Roy de
France & de Navarre. Faict au Fort de Québec ce 21 de Juillet
1629. signé Louys Kertk[749]._»
[Note 749: On peut comparer à ce certificat de Louis Kertk une pièce qui
a pour titre _Declaration du Sr Champlain soubs serment des armes,
munitions & autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la
rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées_ (State Paper
Office, Colonial Papers, vol. VI). Les deux documents sont d'accord pour
le fond; seulement Champlain donne le détail des outils et ustensiles:
«Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lbs. une forge de
Mareschal avec les appartenances. Toutes sortes de provisions pour la
Cuisine. Tous Outils pour un Charpentier. Tous outils de fer propres
pour un moulin à vent. Un moulin à bras pour moudre le bled, & une
Cloche de fonte.»]
Ils se saisirent aussi de plusieurs commoditez appartenant aux
Reverends Peres Jesuites & Recollets desquelles choses ne
voulurent donner de mémoire, disant, s'il faut rendre (ce que
je ne croy pas) il ne perdra rien, cela ne vaut pas la peine de
l'escrire ny en faire recherche. Pour les vivres que nous
trouvons il ne s'en gastera ny encre ny papier, dont nous n'en
tommes pas faschez, vous aymant mieux assister des nostres.
Nous vous en remercions bien fort, luy dis-je, il n'y a sinon
que vous les faites payer bien chèrement sans pouvoir avoir
moyen de les disputer.
Le l'endemain[750] il fit planter l'enseigne Angloise sur un
des bastions, fist battre la quesse, assembler ses soldats,
qu'il met en ordre sur les ramparts, faisant tirer le canon des
vaisseaux, & quelques 5 espoirs de fonte qui estoient au fort,
& deux petits breteuls qui estoient à l'habitation, & quelques
247/1231 boites de fer, après il fit jouer toute l'escoupeterie de ses
soldats, le tout en signe de resjouyssance.
[Note 750: Le 22 de juillet, qui était un dimanche. «Le dimanche matin,
dit Sagard, les Anglois poserent les armes d'Angleterre à l'habitation &
au fort avec le plus de solemnité qui leur fut possible, ayans au
préalable osté celles de France.» (Hist. du Canada, p. 997.)]
Le jour suivant il fut à la maison des Peres Jesuites, lesquels
luy monstrerent des livres & tableaux & quelques ornements
d'Eglise, en luy offrant s'il vouloit quelques-uns de ces
livres & tableaux. Il en prit ce qu'il voulut de ceux qui luy
semblerent les plus beaux, comme trois à quatre tableaux, le
Ministre Anglois eut aussi quelques livres qu'il demanda aux
Peres, après veu la maison & tout le desert qui estoit fort
beau, il fut veoir les Pères Recollets, de là s'en retourna à
l'habitation.
La nuict ensuivant ledit Baillif prit audit Sous-Commis
Corneille cent livres en or & argent, avec une tasse d'argent,
quelque bas de soye & autres bagatelles qui estoient dans sa
caisse, ayant esté aussi soubçonné d'avoir pris dans la
Chapelle un Calice d'argent doré valant 100 livres & plus, de
laquelle chose l'on fit plainte audit Louys Quer qui en fit
quelque perquisition, mais nul n'avoua ce sacrilege detestable
devant Dieu & les hommes. Ce Baillif accoustumé à renier &
blasphemer le nom de Dieu à tout propos en disoit assez pour se
rendre innocent: mais comme il est sans foy ny loy, bien qu'il
se dite Catholique comme sont les trois autres, qui ne se
soucioient de manger de la chair ny Vendredy ny Samedy pour
penser favoriser les Anglois, qui au contraire les en
blasmoient, & faisoient plusieurs autres choses licentieuses &
blasmables, je luy remonstrois assez les deffauts & les
reproches qu'un jour il recevroit, desquelles choses il ne se
soucioit pas beaucoup, pour l'esperance qu'il avoit de jamais
248/1232 ne retourner en France. Toutes les meschancetez qu'il pouvoit
faire aux François il leur faisoit: On recevoit toute sorte de
courtoisie des Anglois, mais de ce malheureux tout mal. Je le
laisseray pour ce qu'il vaut, attendant qu'un jour Dieu le
chastie de ses jurements, blasphemes & impietez.
Depuis que les Anglois eurent pris possession de Québec, les
jours me sembloient des mois, ce qui me donna subject de prier
ledit Louys Quer me permettre m'en aller à Tadoussac, où
j'attendrois le depart des vaisseaux, passant mon temps avec le
Général qui y estoit, ce qu'il m'accorda, puis que ma volonté
n'estoit de demeurer davantage. J'accommoday ledit Louys Quer
de quelques commoditez d'emmeublement pour sa chambre qu'il me
demanda: & pour le reste de mes commoditez, je les embarquay
avec ledit Thomas Quer dans le Flibot avec mes deux petites
Sauvagesses. Dupont demeura avec la pluspart de nos compagnons,
comme firent aussi tous les Peres, attendant de s'en retourner
au second voyage.
Lesdits Anglois s'estant ainsi saisis du païs, la veufve Hébert
& son gendre ne pensant pas moins qu'à s'en retourner, se
saisissant de leurs maisons & de leurs terres qui estoient
ensemencées, ayant apparence d'une très belle récolte, comme
aussi les terres desdits Peres, ce qu'ils ne firent, au
contraire luy offrant toute assistance, que s'il vouloit
demeurer en sa maison qu'il le pouvoit faire aussi librement
comme il avoit fait avec les François, luy permettant de faire
249/1233 cueillette de tous ses grains, en disposant comme il adviseroit
bon estre, que pour le surplus de ce qui luy resteroit de ses
grains, qu'il le pourroit traiter avec les sauvages, & l'année
suivante au temps que les vaisseaux retourneroient s'il ne se
treuvoit bien, il seroit en son option de demeurer ou s'en
retourner, luy faisant valloir chaque castor marchand, quatre
livres, qui luy seroient livrés à Londre. Tout cecy luy estoit
grand advantage & plus qu'il ne pouvoit esperer: mais comme
Louis Quer estoit courtois, tenant tousjours du naturel
François, & d'aymer la nation, bien que fils d'un
Escossois[751] qui s'estoit marié à Dieppe, il desiroit obliger
en tant qu'il pouvoit ces familles & autres François à
demeurer, aymant mieux leur conversation & entretien que celle
des Anglois, à laquelle son humeur monstroit répugner.
[Note 751: Gervais Kertk. (State Paper Office, Colonial Papers, vol. VI,
n. 15.--Voir Pièces justificatives, n. XVIII.)]
Ces pauvres familles voyant la condition qu'on leur offroit de
s'en retourner en France, après avoir employé quinze à seize
ans de leur travail, pour tascher à s'oster de l'incommodité &
necessité qu'ils souffriroient sans doute en France, & estans
chargez de femmes & enfans[752], ils se verroient contrains de
250/1234 mandier leur pain, chose à la vérité bien rude & considerable à
ceux qui se mettront en leur place. Ainsi se trouvoient-ils
bien empeschez de ce qu'ils devoient faire, d'autant qu'ils se
voyoient privez de l'exercice de la Religion, n'y ayant plus de
Prestres: ils m'en demanderent mon advis plus par bienseance à
mon opinion, que pour volonté qu'ils eussent à suivre ce que je
leur eusse conseillé, néantmoins jugeant l'avantage que
l'Anglois leur faisoit, & la liberté qu'il leur donnoit de s'en
retourner en France, je pensay leur donner un conseil qui ne
leur eust point esté ruineux, leur remonstrant que la chose la
plus chatouilleuse & de grand poix estoit l'exercice de nostre
Religion, qu'ils ne pouvoyent jamais esperer si les Anglois
estoient tousjours en ces lieux, & par consequent privé de la
Confession & des Saincts Sacrements qui pouvoient mettre leurs
âmes en repos pour un jamais, si ils leur estoient administrez,
ce qu'ils ne pouvoient esperer si les François ne reprenoient
la possession de ces lieux, ce que je me promettois moyennant
la grâce de Dieu, que pour cette année si j'estois en leur
place je ferois la cueillette de mes grains, & en traitter le
251/1235 plus qu'il me seroit possible avec les Sauvages, & les
vaisseaux François revenant prendre possession, leur donner sa
pelleterie & en tirer l'argent qu'il leur avoit promis, & leur
abandonner vos terres, puis vous en revenir en leurs vaisseaux,
car il faut avoir plus de soin de l'âme que du corps, & ayant
de l'argent en France vous pourrez vous tirer hors des
necessitez. Ils me remercièrent du conseil que je leur donnay,
qu'ils le suivroient, esperant néantmoins nous revoir la
prochaine année avec l'aide de Dieu.
[Note 752: Que l'on rapproche ce que dit l'auteur en cet endroit, de ce
qu'il rapporte ci-dessus, p. 174, 202, 204-6; que l'on veuille bien
aussi se rappeler les observations que nous y avons faites sur les
familles auxquelles Champlain fait allusion dans ces différents
passages, et l'on demeurera convaincu qu'il resta à Québec avec les
Anglais beaucoup plus de personnes que ne prétend l'auteur de
_l'Histoire de la Colonie française en Canada_ «Il ne resta, dit-il,
d'autres français à Québec, que la famille de la veuve Hébert et celle
de Couillard son gendre, ainsi que deux individus que les Anglais
ramenèrent en Europe l'année suivante.» (Tome I, p. 249.) Le texte de
Champlain aurait dû suffire à lui seul pour engager l'auteur dont nous
parlons à ne point hasarder un pareil avancé. Ici en particulier, il est
fait mention de _plusieurs_ familles «chargées de femmes et enfants»;
par conséquent, outre celle de Couillard, il y en avait au moins une
autre qui était pareillement chargée d'enfants. Or ce n'était point
celle de Madame Hébert. Donc la famille d'Abraham Martin était du nombre
de celles auxquelles Champlain conseilla de rester avec les Anglais en
attendant mieux. C'est ce que prouvent du reste plusieurs documents,
entre autres les Registres de Notre-Dame de Québec. Mais il y a plus:
outre ces trois familles, qui renfermaient quinze personnes, il y en
avait encore au moins deux autres. D'abord, Pierre Des Portes était à
Québec en 1629, puisque sa femme, Françoise Langlois, fut marraine de
Louis Couillard le 18 mai de cette même année; et il avait avec lui sa
fille Hélène, qu'il maria quelques années plus tard à Guillaume Hébert,
et qui était née à Québec (Traict de mariage de Noël Morin & d'Hél.
Desportes, greffe de Piraube). Enfin, Nicolas Pivert, revenu en 1628 du
cap Tourmente, avec sa femme Marguerite Le Sage et sa petite nièce
(ci-dessus, p. 171, note 3), ne pouvaient pas être retournés en France,
puisqu'il n'était point venu de vaisseaux. Ces cinq familles réunies,
sans compter les domestiques qu'elles pouvaient avoir, faisaient en tout
vingt-et-une personnes. Il resta donc avec les Anglais au moins le quart
de la population française, et encore faut-il remarquer que c'était la
partie stable, et comme le germe fécond des meilleure familles qui se
soient développées en Canada.]
_Combat des François avec les Anglais. L'autheur est pris en
combattant. On le fait parler au sieur Emery. Voyage des
François à Tadoussac. Le beau-frere de l'Autheur luy compte son
voyage. Emery taschoit regaigner Québec._
CHAPITRE IV.
LE 24 dudit mois[753] nous levasmes les ancres & mismes à la
voile, ce jour fusmes mouiller l'ancre au bord de l'Est
Nordouest de l'isle d'Orléans, le l'endemain mismes sous voile
& le travers de la Malle-baye, 25 lieues de Québec l'on
aperceut un vaisseau du costé du Nort qui mettoit soubs voille,
lequel taschoit d'aller vers l'eau pour gaigner le vent & faire
retraitte s'il pouvoit, il fut trouvé appartenir audit sieur de
Caën, où son cousin[754] Emery commandoit, qui venoit à Québec
pour prendre les castors qui y estoient, & traiter quelque
252/1236 marchandise qu'il avoit, & autres commoditez à luy appartenant,
d'autant que l'Anglois sçavoit qu'il estoit en la riviere,
comme il sera dit cy-aprés.
[Note 753: Le 24 juillet.]
[Note 754: Plus haut, p. 10 et 83, il est appelé son neveu.]
Ledit Thomas commanda d'approcher le plus prés que l'on
pourroit du vaisseau dudit Emery pour le saluer de quelques
canonades[755] qui luy furent aussi tost respondus par autres
coups de meilleure amonition, s'entretirent quelque temps
environ 30 coups, l'un qui fut tiré du vaisseau dudit Emery
emporta la teste d'un des bons mariniers dudit Thomas Quer,
Emery fist quelque bordées pour tascher de gaigner le vent pour
se sauver, mais Thomas desirant en venir aux mains & l'aborder,
Thomas me dist; Monsieur vous sçavez l'ordre de la mer, qui ne
permet à ceux d'un contraire party estre libre sur le Tillac,
c'est pourquoy vous ne treuverez estrange que vous & vos
compagnons descendiez sous le Tillac, où estant fist fermer les
paneaux & les clouer sur nous, faisant mettre ses matelots &
soldats en ordre pour combattre à l'abordage qui fut faite
assez mal à propos, entre le mas de Van[756] & le beau Pré
dudit vaisseau d'Emery, lequel de son costé faisoit son devoir
de se tenir prest pour se deffendre à l'abordage: chacun fait
ce qu'il peut pour vaincre & terracer son ennemy: ce fut alors
qu'on vint aux coups de pierre & balles de canon, & autres
choses qu'ils pouvoient attrapper se jettant d'un bord à
253/1237 l'autre, car les uns ny les autres ne pouvoient entrer dedans
leurs vaisseaux que par le beaupré du vaisseau du dit Thomas
Quer, à cause que le vaisseau (comme j'ay dit) avoit abordé
debout, & une pate de l'ancre de celuy de Thomas Quer s'estoit
attachée & cramponnée au vaisseau d'Emery, ensorte qu'ils ne se
pouvoient desaborder: & un homme armé d'un bord à autre pouvoit
facillement empescher d'entrer: ce pendant que les gens de
Thomas Quer estoient ainsi mal menez, une partie se jetta au
fond du vaisseau que ledit Capitaine faisoit monter à coups de
plat d'espée, mais c'est une mauvaise chose quand la peur
saisit les courages, le Chef mesme ne sçavoit pas bien où il en
estoit, car peu l'accompagnoient au combat, il y eust quelque
rumeur en ce combat dans le vaisseau d'Emery de Caen, qui par
un courage lasche cria assez hautement _Cartier, Cartier_, ce
qui fut entendu par Thomas Quer, qui aussi tost ne voulut
perdre temps, & releva cette parolle, leur promettant toute
courtoisie, autant dit il, qu'au sieur de Champlain que nous
avons icy, & prenez garde de conserver vos vies. Pendant tout
ce combat les deux pataches approchoient qui eussent malmené
ledit Emery, qui ne pouvoit se desaborder, voyant
l'inconvenient qu'il pouvoit encourir, ayant des gens en son
bord qui n'avoient envie de bien faire, il demanda à me voir:
pendant ce temps le combat cessa d'une part & d'autre, & vint
on aussi tost avec une pinse à ouvrir les paneaux, l'on
m'enleve promptement pour aller parler audit Emery de Caen:
254/1238 ledit Thomas Quer qui à son visage & contenance tesmoignoit
n'estre pas bien en seureté de sa personne, & disoit, Asseurez
vous (me dit il) que si l'on tire du vaisseau que vous mourrez,
dites leur qu'ils se rendent, je leur feray pareil traitement
qu'à vostre personne, autrement ils ne peuvent éviter leurs
ruyne, si les deux pataches arrivent plustost que la
composition soit faite: Je luy dis, Monsieur de me faire mourir
en l'estat que je fuis, il vous seroit très facile estant en
vostre puissance, vous n'y auriez pas d'honneur, en dérogeant à
ce que m'avez promis, & vostre frère le Capitaine Louys Quer
aussi, de plus je ne puis commander à ces personnes là, & ne
peux empescher qu'ils ne fassent leur devoir, en se maintenant
& défendant comme gens de bien, vous les devez louer plustost
que les blasmer, vous sçavez qui a un prisonnier l'on luy fait
dire ce que l'on veut, & par consequent ledit Emery ne doit
s'arrester à ce que je luy pourrois persuader: Je vous prie
donc, dit-il, de les asseurer dire aux qu'ils auront toute
sorte de bon traitement s'ils se veulent rendre, ce que je fis,
parlant audit Emery de Caen qui estoit sur le bord de son
vaisseau, lequel demanda de rechef parole dudit Thomas Quer,
qui promet leur faire la mesme composition qu'il m'avoit faite:
Ils mettent les armes bas, les deux pataches arrivent aussi
tost, ausquelles ledit Thomas Quer fait defences d'offencer les
nostres, qui sans doute les eussent ruynez, & sans icelles le
vaisseau Anglois eust esté enlevé: ledit Emery ayant
l'advantage, se rendant maistre du vaisseau Anglois avec le
sien, moy & autres François qui estoyent dedans, les Anglois
255/1239 eussent apporté du renfort, & desmeslant les vaisseaux du
grapin qui y tenoit, l'on eust peu prendre leurs deux pataches.
L'accord fait tant d'un costé que d'autre, Lepinay[757]
Lieutenant dudit Emery de Caen, entra dans le vaisseau, & après
ledit Emery, qui vinrent faire la reverence à Thomas Quer,
ledit de Caen me dit, qu'il venoit pour me secourir, que son
cousin[758] de Caen luy avoit donné lettre pour m'apporter, par
laquelle il mandoit qu'il m'envoyoit des vivres pour trois
mois, attendant plus grand secours du sieur Chevallier de
Rasilly qui devoit arriver en bref, neantmoins il croyoit que
la paix estoit faite entre la France & l'Angleterre.
[Note 755: Ce récit de Champlain, qui était témoin oculaire peut servir
à rectifier la déposition que fit, devant le juge Henry Martin, le
général David Kertk (Pièces justificatives, n. XVIII), Ce dernier était
à Tadoussac pendant que le combat se livrait, vers la Malbaie, entre son
frère Thomas et le sieur Émeric de Caen.]
[Note 756: Mât d'avant ou de misaine.]
[Note 757: Jacques Cognard (ou Couillard), sieur de l'Espinay. (_State
Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI.)]
[Note 758: _Conf_. ci-dessus, p. 10, 83 et 247.]
L'exécution faite, nous nous en allasmes à la rade à Tadoussac
treuver le Général Kertk, où ledit Emery auparavant avoit pensé
aller, perdre[759] par une disgrace qui luy survint le travers
de Tadoussac, comme il sera dit en son lieu, estans arrivez à
la rade du moulin Baudé, où estoient encore les Anglois, ledit
Général nous fit bonne réception, bien aise de ceste prise:
aussi y vismes nous ce bon traistre & rebelle Jacques Michel,
qui avoit conduit les Anglois dés la première & seconde fois:
il estoit Contre-Admiral de cette flotte, composée de cinq
grands vaisseaux de trois à quatre cens tonneaux, tres bien
amunitionnez de canons, poudres, balles, & artifices à feu: à
la vérité, hors les Officiers, le reste n'estoit pas grande
chose, il y avoit en chacun prés de six vingts hommes, aussi
256/1240 j'y vis mon beau-frere Boulé, qui avoit esté pris depuis qu'il
estoit party de Québec, lequel me fit le discours de ce qui se
passa en son voyage depuis son département, qui fut tel qui
s'ensuit.
[Note 759: S'aller perdre.]
Il me dit que partant de Québec avec les incommoditez qu'ils
avoient receues allant à Gaspey, ils rencontrèrent Emery,
estant fort resjouis d'une si heureuse rencontre, il leur donna
de quoy se rafraischir luy ayant dit que son cousin de Caen
l'envoyoit tant pour quérir les castors, qu'autres commoditez
s'il en restoit & apporter au Fort des vivres pour trois mois,
attendant le secours de Monsieur de Rasilly qui estoit prest à
faire voile, quand il partit de la Rochelle, & que sans
l'arrest que Joubert luy fit de la part de la compagnie, il
eust arrivé un mois plustost à Québec, & n'avoit peu faire
autrement pour le mauvais temps qui l'avoit contrarié à la mer,
qui le contraignit relascher à la Rochelle, pour faire quelque
radoub en son vaisseau qui estoit du port de 70 tonneaux:
croyant que la paix esstoit faite entre l'Angleterre & la
France, d'autant qu'il avoit veu quelque lettres entre les
mains de monsieur de la Tuillerie à la Rochelle, où on
l'asseuroit d'icelle, mesme que l'on ne donnoit plus de congé
pour faire la guerre à l'Anglois: joint aussi que le Capitaine
Daniel venoit en la Compagnie du sieur Chevallier de Rasilly,
Joubert devoit venir devant & quelques deux autres barques,
l'une appartenant aux Peres Jesuites, ou estoient les Reverends
PP. Allemand & Noyrot[760], qui venoient pour secourir leurs
257/1241 Peres à Québec, croyant que ces vaisseaux pourroient estre dans
la riviere, s'ils avoient vent favorable, ledit Emery de Caen
demanda s'il ne sçavoit point qu'il y fut entré des vaisseaux
dans la riviere, il luy dit que non, ce qui donna courage audit
Emery, pensant arriver des premiers à Québec, pour emporter
promptement ses peleteries, & traiter quelque peu de
marchandises & vivres qu'il avoit, premier que ledit Daniel &
Joubert arrivassent, il prit les cinq cens castors qui estoient
en la barque qu'il mit en la sienne.
[Note 760: Les PP. Charles Lalemant et Philibert Noirot.]
Après tous ces discours passez, & que je luy eu representé la
necessité en laquelle nous avions esté laissez, il se délibère
de monter au plustost: moy fort resjouy desirant estre des
premiers à vous donner ce bon advis de ce secours si favorable
en une telle necessité, je dis audit Emery qu'il estoit à
propos que j'allasse devant avec la chalouppe, pour afin que
s'il y avoit du calme, au moins qu'il nous donneroit ce
contentement que de nous apporter les nouvelles, que pour cet
effect il luy demanda de changer son esquippage de matelots
pour faire diligence, d'autant que les siens estoient foibles &
débiles, qu'ils ne pourroient nager comme les tiens qui
estoient frais, & aussi donner quelque baril de poudre pour
nous secourir, ce qu'il refusa, disant, qu'il ne desiroit se
defaire de ses hommes ny de sa poudre, leur donnant seulement
un peu de biscuit: que pour la petite barque où il estoit allé,
il l'avoit laissée à gouverner & commander à Desdames, lequel
devoit suivre ledit Emery de Caen: Je partis tout ainsi, avec
258/1242 la chalouppe & mes matelots harassez de necessité & travail: le
desir que nous avions de vous donner des nouvelles, nous
donnoit de tant plus de courage. Au bout de quatre ou cinq
jours après avoir quitté ledit Emery, nous apperceusmes quelque
vaisseau vers l'eau, desirant l'aller recognoistre, pensant que
ce fut celuy dudit Daniel, selon que l'on nous l'avoit
representé, mais comme nous eusmes recogneu que ce n'estoit
point luy, ains un vaisseau Anglois, nous resolusmes de gagner
la terre, pour nous sauver, le vaisseau Anglois (où estoit
ledit Thomas Quer) appercevant que nous faisions retraite nous
tire un coup de canon, & aussi tost esquippe une autre
chalouppe avec double esquippage, pour lasser les nostres qui
faisoient ce qu'ils pouvoient pour se sauver: en ceste occasion
l'esquippage frais dudit Emery eust peu servir, nos matelots
n'en pouvant plus, pour estre foibles & débiles du travail:
nous fusmes attaints par les Anglois qui nous pillèrent &
ravagerent tout ce que nous avions, on nous emmene audit Thomas
Quer qui nous reçoit assez courtoisement, il me mena à son
frère le Général, qui me fait très bonne réception & nous mena
à Tadoussac avec luy, le luy fis entendre comme ledit Emery de
Caen luy avoit[761] dit asseurement que la paix estoit faite,
l'ayant sceu de personnes dignes de foy au partir de la
Rochelle. A il les articles, me dit le général, Non, Ce sont
contes faits à plaisir, il s'informe de l'estat auquel vous
estiez à Québec, je luy en disois bien plus qu'il n'y en avoit
ce qu'ils pouvoient croire, mais quelques matelots pris luy
259/1243 disoient que vous estiez bien mal si n'aviez du secours, les
Sauvages qui croyoient qu'à ce changement tout leur seroit
donné de la part des Anglois, luy dirent le miserable estat
auquel vous estiez réduits. Nous arrivons au moulin Baudé où
ils mouillent l'ancre, & aussi tost ils arment le Flibot & deux
pataches, pour promptement faire monter à Québec, ils avoient
avec eux des hommes Anglois, qui avoient esté l'année
précédente au Cap de Tourmente quand il fut bruslé. Les
Sauvages de Tadoussac s'offrant de les conduire, leur disant,
qu'ils sçavoient mieux le chemin que les François, à la verité
qu'ils ne mentent pas, car il n'y a endroits ny roches qu'ils
ne cognoissent par expérience, que nous n'avons si exacte,
neantmoins ils ne laisserent d'emmener de nos matelots, puisque
la fortune leur avoit esté si favorable, leurs affaires ayant
esté preveues dés l'Angleterre par le Conseil, que ledit
Jacques Michel leur avoit donné, qui ne se pouvant asseurer
avoir en leur puissance des matelots qui estoient en la
chalouppe qui prirent par cas fortuit: mais l'occasion se
presenta de laquelle ils se servirent, pour ayder à conduire
leur Flibot & patache. C'est une disgression que je faits sur
ce que aucuns ne pensent reparer leur faute, quand les choses
ne réussissent à leur souhait, & faut tousjours qu'il y aye un
si, ce qui n'estoit point en ceste affaire: sur ce qu'aucuns
ont dit, que si l'Anglois n'eust pris la chalouppe il n'eust
monté à Québec si promptement qu'ils firent: ce sont contes
faits à plaisir à des personnes qui ne sçavent comme ceste
260/1244 affaire s'est passée, & ne sçavent comment couvrir leur faute,
sinon en blasmant autruy, chose de mauvaise grâce, car ils
avoient emmené le Flibot & les deux pataches, avec les hommes
qui avoient esté audit Cap de Tourmente, comme j'ay dit cy
dessus, à dessein qu'aussi tost arrivez au moulin Baudé de les
faire monter à Québec, craignant que si leur eust fallu monter
des barques à Tadoussac, que pendant ce travail une moyenne
barque eut passé & donné secours à l'habitation, leur dessein
par ce moyen rompu: & quand mesme, comme dit est, qu'ils
n'eurent eu que des Sauvages du païs pour pilotes, qui eussent
aussi bien pilotez comme ils l'avoient fait dés l'année passée
audit Cap de Tourmente, avec la plus grande barque que nous
eussions à Tadoussac.
[Note 761: M'avoit.]
Revenons audit Emery, lequel après que Boullé fut party avec sa
chalouppe, il leve l'ancre & met sous voiles pour gagner Québec
au plustost, sans sçavoir aucunes nouvelles de l'Anglois,
celles que luy dirent lesdits Desdames & Foucher, qui estoient
en la petite barque de Boullé qu'ils avoient veu un canau, où
il y avoit des Sauvages avec de la marchandise Angloise, qu'ils
avoient traitez avec eux, c'est ce que dit ledit Desdames, que
de cet advis ledit Emery n'en fait conte, neantmoins cela luy
devoit faire penser & s'asseurer mieux qu'il ne fit, pour la
consideration de son vaisseau, & ne tomber aux accidens comme
il fit, car estant sur le travers de Leschemin[762] il fut pris
d'un temps de brune que l'on voyoit fort peu, il passa devant
261/1245 les Anglois, qui estoient à la Ralde du moullin Baudé, à la
portée presque du canon, sans estre apperceus d'une part ny
d'autre: pensant doubler la pointe aux allouettes, ils
eschouent sur l'islet rouge[763] comme le travers de Tadoussac
où se voyant pensant estre perdus ils font une piperie pour se
sauver à terre, voicy que la brune s'abaisse où ils virent les
Anglois, font tirer quelques coups de canons, pour leur
demander secours, & les aller sauver du naufrage où ils
pensoient se voir, ledit Jacques Michel dit au Général, envoyez
secourir ce vaisseau qui s'en va perdre, ou pour le moins les
hommes, ils tirent leur canon pour vous en advertir, vous en
aurez bon marché, le Général n'en voulut rien faire, disant, il
les faut laisser, & attendre un peu ils ne nous pourrons fuir,
Ils sont bien despourveus de consideration de venir passer à
nostre veue, ayant vaisseaux devant & derrière eux: sans la
brune il n'eut esté si avant, & ainsi le laissa là, & donna
grande faute audit Quer de n'y envoyer des chalouppes aussi
tost qu'ils ouyrent tirer leur canon, & n'eurent perdu trois de
leurs hommes, comme ils firent depuis en se battant avec ledit
Emery, la marée commençant à monter sous le vaisseau fit que
peu à peu il vint à flotter sans estre que fort peu endommagé,
ils prennent courage & se r'enbarquent, lainent leur piperie,
se mettent vers l'eau, vont mouiller l'ancre au prés du Chafaut
au Basque, deux lieues de Tadoussac, où ils furent quelque
temps: ils virent une chalouppe Angloise qui venoit de Québec,
& alloit treuver le Général pour luy porter nouvelle de la
262/1246 prise du fort, sur laquelle ledit Emery fit tirer un coup de
canon: voulant mouiller l'ancre le pert[764] met à la voile, &
va mouiller proche de la Malle baye, où il vint quelques canaux
de Sauvages qui luy dirent que Québec estoit rendu, ce qu'il ne
voulust croire, & pour ce sujet envoya un canau de Sauvages
avec deux François pour en sçavoir la vérité, (qui n'estoit que
trop vray,) qu'ils eussent à faire le plus de diligence qu'ils
pourroient, ils leur falloit faire vingt lieues, & autant pour
le retour, c'estoit perdre un grand temps, ayant peu éviter la
prise des Anglois. Ces deux hommes promirent faire ce qu'ils
pourroient, l'un appellé le Cocq Charpentier, & l'autre
Froidemouche, qui avoient esté en la barque de Boullé: ces deux
personnages estoient ignorans & mal propres à telles affaires,
veu que les plus discrets n'y sont pas trop bons. Ces deux
advanturiers se mettent en chemin, vont au Cap de Tourmente,
s'amusent à chasser (c'estoit bien le temps) la nuict arrivez à
Québec ils ne voyoient point les vaisseaux Anglois, qui
estoient desja partis pour retourner à Tadoussac, ils
s'approchent des cabanes des sauvages, qui leur dirent que les
Anglois estoient au fort & à l'habitation: les vaisseaux
partis, & qu'ils estoient dedans. Toutes ces nouvelles
suffisoient pour s'en retourner promptement treuver ledit
263/1247 Emery, & quelque diligence qu'ils eussent fait, ils eussent
treuvé le vaisseau pris des Anglois, mais au contraire ils vont
passer contre le fort, entendent les sentinelles de l'ennemy,
ils ne se contentent de se retirer, ils vont à la maison de la
veufve Hébert ou de son gendre, les voyant leur demandent ce
qu'ils estoient venu faire. Nous venons, dirent ils de la part
du sieur Emery voir si l'habitation estoit prise: hélas, leur
dirent ils, que vous estes simples & peu advisez, ne le voyez
vous pas bien, falloit il venir icy pour vous faire prendre,
que dira-on, sçachant par les Sauvages que vous estes venus
icy, & que je ne le dise, il y va de ma vie & de toute la ruyne
de ma famille, il faut que par necessité si je me veux
conserver, je dise que vous estes venus pour voir si le sieur
de Champlain estoit icy, & comme tout alloit: allons treuver le
Capitaine Louis, il est galand homme, il ne vous fera point de
tort, ce qu'ils firent, lequel leur usa de quelques paroles &
menaces fascheuses, les retenans pour les faire travailler.
[Note 762: L'Escoumin, ou les Escoumins.]
[Note 763: L'île Rouge.]
[Note 764: Le texte est ici conforme à celui de l'édition originale. Il
paraît bien évident que l'imprimeur n'a pas compris le manuscrit de
l'auteur. Voici la version qui nous paraît la plus vraisemblable:
«Voulant mouiller l'ancre autre part, met à la voile & va mouiller
proche de la Malle baye.» Le mot autre était peut-être en abréviation
dans la copie. Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver à ce passage un
autre sens plus raisonnable. Émeric de Caen était déjà mouillé auprès du
Chafaut au Basque; mais il ne pouvait rester là à la vue de l'ennemi,
surtout après avoir ainsi salué la chaloupe anglaise: il fallait donc
aller mouiller ailleurs.]
Cependant la petite barque où estoit Desdames suivoit ledit
Emery de Caën, mais ils s'arresterent à une petite riviere pour
prendre de l'eau, où ils furent deux jours à cause du mauvais
temps. Sortant de là ils furent jusques au Bic, quinze lieues
de Tadoussac, sçachant au vray par les Sauvages la prise de
Québec, & que ledit de Caen ne pouvoit éviter qu'il ne fust
pris pour s'estre trop hasardé, ils ne furent point incrédules,
ils se délibérèrent de s'en retourner chercher passage le long
des costes, où estant vers Gaspey rencontrèrent Joubert avec sa
264/1248 barque qui nous venoit secourir, mais trop tard, & leur dist,
qu'il avoit esté poursuivy des Anglois proche de Miscou, il
leur dist aussi que le Capitaine Daniel estoit party pour mesme
effect, & une autre barque pour les Peres Jesuites, où estoient
les Reverends Pères l'Alleman & Norot.
Il s'embarque avec ledit Joubert, & s'en retourne en France
sans faire plus grands progrez, sinon que s'aller perdre à la
coste de Bretagne prés Benodet proche de Quinpercorentin, qui
pensant au commencement que ce fussent quelques pirates, furent
détenus jusques à ce qu'ils sceurent la vérité, & là ledit
Joubert despendit plus qu'il n'avoit sauvé de son naufrage.
Voicy un defaut en ce voyage, de ne partir suivant l'ordre qui
avoit esté donné par les sieurs Directeurs de Paris, de partir
de droitte route de Dieppe pour la Nouvelle France. Au lieu de
ce faire, les vaisseaux vont attendre le sieur Chevalier de
Rasilly, & ainsi laisserent perdre la saison, que s'ils fussent
partis au 15 ou à la fin de Mars, & que ledit Capitaine Daniel
partant de bonne heure, comme dit est, il fust arrivé à Québec
le 20 ou à la fin de May pour le plus tard, prés de deux mois
premier que les Anglois, en nous secourant ils eussent jouy des
traites, ce qui ne fut effectué pour le retardement.
Les Directeurs de Bordeaux manquèrent aussi, & empescherent les
pataches de partir si promptement qu'elles eussent peu faire, &
ledit sieur Chevalier de Rasilly n'eust laisse d'aller
combattre les Anglois, que si cela eust esté, l'ennemy eust
265/1249 esté vaincu, & l'habitation recouverte. Mais le traitté de paix
qui se fist entre le Roy de France & le Roy d'Angleterre
empescha d'effectuer la commission qu'il avoit, qui fut changée
pour le voyage de Maroc où il fut, qui ne servit pas beaucoup,
& par ainsi ceste Société receut de grandes pertes en la
despense qu'ils firent encore ceste année, pensant que les
vaisseaux du Roy devoient faire le voyage, sur les nouvelles
certaines que l'on avoit que les Anglois estoient partis de
Londres pour aller prendre Québec. Voylà les effects de ces
voyages, autant malheureux que mal entrepris.
Retournons à ce que nous fismes estant au moulin Baudé, dans
les vaisseaux de Quer, deux ou trois jours après nostre
arrivée, qui fut environ le premier d'Aoust, nous entrasmes
dans le port de Tadoussac, où aussitost le Général fit charger
le Flibot pour faire porter ce qui estoit de commoditez à
Québec, fit monter[765] une barque à Tadoussac de quelques 25
tonneaux qu'il avoit portée en fagots, où je vy Estienne Bruslé
truchement des Hurons, qui s'estoient mis au service de
l'Anglois, & Marsolet, ausquels je fis une remonstrance
touchant leur infidélité, tant envers le Roy qu'à leur patrie,
ils me dirent qu'ils avoient esté pris par force, c'est ce qui
n'est pas croyable, car en ces choses prendre un homme par
force ce seroit plustost esperer deservice qu'une fidélité,
leur disant, Vous dites qu'il vous ont donné à chacun cent
pistoles & quelque pratique, & leur ayant ainsi promis toute
266/1250 fidélité vous demeurez sans religion, mangeant chair Vendredy &
Samedy, vous licentiant en des desbauches & libertinages
desordonnées, souvenez-vous que Dieu vous punira si vous ne
vous amendez, il n'y a parent ny amy qui ne vous dise le mesme,
ce sont ceux qui accourront plustost à faire faire vostre
procez: que si vous sçaviez que ce que vous faites est
desagreable à Dieu & au monde, vous auriez horreur de vous
mesme, encore vous qui avez esté eslevez petits garçons[766] en
ces lieux, vendant maintenant ceux qui vous ont mis le pain à
la main: pensez vous estre prisez de cette nation? non,
asseurez vous, car ils ne s'en servent que pour la necessité,
en veillant tousjours sur vos actions, sçachant que quand un
autre vous offrira plus d'argent qu'ils ne font, vous les
vendriez encore plustost que vostre nation, & ayant
cognoissance du païs ils vous chasseront, car on se sert des
perfides pour un temps, vous perdez vostre honneur, on vous
monstrera au doigt de toutes parts, en quelque lieu que vous
soyez: disant, Voilà ceux qui ont trahy leur Roy & vendu leur
patrie, & vaudroit mieux pour vous mourir que vivre de la façon
au monde, car quelque chose qui arrive vous aurez tousjours un
ver qui vous rongera la conscience, & en suitte plusieurs
267/1251 autres discours à ce sujet: Ils me disoient, Nous sçavons très
bien que si l'on nous tenoit en France qu'on nous pendroit,
nous sommes bien faschez de cela, mais la chose est faite, il
faut boire le calice puisque nous y tommes, & nous resoudre de
jamais ne retourner en France: l'on ne laissera pas de vivre, ô
pauvres excusez, que si on vous attrappe vous qui estes sujets
à voyager, vous courez fortune d'estre pris & chastiez.
[Note 765: C'est-à-dire, assembler les pièces d'une barque qu'il avait
apportée en fagots, ou démontée.]
[Note 766: S'il fallait prendre cette expression à la lettre, Marsolet
et Brûlé seraient venus en Canada dès 1603; puisque, d'après les
Registres de N.-D. de Québec, Marsolet, en 1603, était déjà âgé de seize
ans; et Étienne Brûlé paraît avoir été à peu près du même âge. Mais il
semble qu'il faut tenir compte de l'indignation que soulevait dans
l'esprit de l'auteur la mauvaise conduite de ces deux interprètes;
surtout si l'on se rappelle ce qu'il dit ci-dessus, p. 244-5; qu'ils
étaient venus avec lui il y avait plus de quinze à seize ans,
c'est-à-dire, quelques années avant 1613. En prenant un moyen terme
entre ces deux données, qui ne sont évidemment qu'approximatives, on
peut affirmer avec assez de vraisemblance, que Marsolet et Brûlé étaient
déjà employés, dès l'âge de 18 à 20 ans, dans les voyages de traite et
de découverte à l'époque de la fondation de Québec, c'est-à-dire, vers
1608.]
Je vis Louis le Sauvage[767] que les peres jesuistes avoient
tant pris de peine à instruire, & qui commençoit à ce licentier
en la vie des Anglois, bien qu'il disoit avoir une grande
obligation ausdits Peres de ce qu'il sçavoit, estant en son
coeur bon Catholique, & qu'un jour il esperoit le tesmoigner
aux François si jamais ils revenoient en ces lieux: les Anglois
le r'envoyerent en son païs avec son père qui le vint voir, &
ceux de sa nation qui en furent fort resjouis, ausquels il fit
de grands discours de ce qu'il avoit veu tant en France qu'en
Angleterre, Bruslé truchement fut avec luy aux Hurons.
[Note 767: Louis Amantacha, surnommé de Sainte-Foi, qu'il ne faut pas
confondre avec celui dont il est fait mention ci-dessus, p. 137. Ce
dernier, qui était fils de Choumin, était montagnais, et avait été
instruit par les Pères Récollets; tandis que celui dont parle ici
l'auteur était huron, et avait été, comme le remarque Champlain,
instruit par les Pères Jésuites. Le jeune Amantacha fut envoyé en France
dès 1626. «Voicy un petit Huron, dit le P. Charles Lalemant (Relat.
1626, p. 9), qui s'en va vous voir. Il est passionné de voir la France.
Il nous affectionne grandement, & fait paroistre un grand desir d'estre
instruict. Neantmoins le père & le capitaine veulent le revoir l'an
prochain, nous asseurant que s'il en est content, il le nous donnera
pour quelques années.» Plus tard, en 1633, Amantacha descendit à Québec,
et vint voir les Pères Jésuites. Le P. le Jeune l'invita à penser un peu
à sa conscience; ce qu'il fit de fort bon coeur, et depuis il ne cessa
d'être l'un des meilleurs soutiens des missionnaires. (Relat. des Jés.)]
268/1252 _Voyage de Quer Général Anglois à Québec. Ce qu'il dit au sieur
de Champlain. Mauvais dessein de Marsolet. Response de
l'Autheur au Général Quer. Le Général refuse à l'Autheur
d'emmener en France deux filles Sauvagesses par luy instruites
en la Foy._
CHAPITRE V.
Le Général Quer se delibere d'aller voir Québec dans une
chalouppe qu'il fait esquipper, & emmena Jacques Michel &
quelques autres siens Capitaines de ses vaisseaux, & mon
beau-frère: pendant son absence nous passasmes le temps le
mieux qu'il nous fut possible, attendant son retour. Pour ce
qui estoit des Sauvages les uns monstroient estre resjouis de
ce changement, les autres non, selon la diversité des humeurs
qui croyent souvent que les choses nouvelles apportent plus
grand bien, c'est où maintes fois le monde se trompe: comme ces
peuples pensoient recevoir plus de courtoisie de ces nouveaux
Etrangers que de nous, ils treuverent en peu de temps toutes
autres choses qui ne s'estoient imaginez, nous regrettans.
Le Général fut quelque dix à douze tours à son voyage, à son
retour fut salué de quelques canonades, me disant qu'il estoit
content de ce qu'il avoit veu, que si cela leur demeuroit ils
feroient bien d'autres fruicts que ce qu'on y avoit fait, tant
aux peuplades qu'aux bastiments & commerces de ce qui se
pourroit faire dans le païs, par le travail & induftrie de ceux
que l'on y envoyeroit.
269/1253 Quelques jours après son arrivée il festoya tous ses
Capitaines, pour cet effect il fit dresser une tante à terre
environnée de verdures, sur la fin du disner il me donna à lire
une lettre qui luy avoit esté envoyée de Québec, escrite de
Marsolet truchement, (mescognoissant des biens qu'il avoit
receus des societez Françoises) ou il y avoit escrit ce qui
s'ensuit.
«Monsieur, depuis nostre arrivée[768] à Québec un canau de
Sauvage est descendu des trois rivieres, pour vous donner advis
qu'un conseil s'est tenu de tous les Chefs & principaux du païs
assemblez pour délibérer, sçavoir si Monsieur de Champlain
doit emmener en France les deux petites filles qu'il a, ils ont
resolu que puisque les François ne sont plus demeurans en ces
lieux, de ne les laisser aller, & vous prient les retenir, & ne
leur permettre qu'ils s'en retournent, d'autant que si vous ne
l'empeschez le pays se perdra, & est à craindre qu'il n'arrive
quelque accident de mort aux hommes qui demeurent en ces lieux,
c'est pourquoy que s'il en arrive mal, je me descharge de ce
que je dois, vous en ferez selon vostre volonté: mais si me
croyez comme vostre serviteur, vous ne permettrez qu'elles
passent plus outre, en les r'envoyant icy: c'est tout ce qui
s'est passé depuis vostre partement, j'espère m'en retourner à
Tadoussac pour avoir l'honneur de prendre congé de vous, comme
270/1254 estant, Monsieur, Vostre humble & affectionné serviteur
Marsolet.»
[Note 768: Ces mots donneraient à entendre que Marsolet n'était pas
monté à Québec en même temps que le général.]
Ayant leu ceste lettre, je jugeay aussi tost que le galand
avoit inventé ceste malice pour faire retenir ces filles,
desquelles il vouloit abuser, comme l'on croyoit & autres
mauvais François semblables à luy, l'une de ces filles appellée
Esperance, avoit dit quelque jours auparavant, que Marsolet
estant au vaisseau l'avoit sollicitée de s'en aller avec luy,
luy promettant plusieurs commoditez pour l'attirer, mais que
jamais elle n'y avoit voulu condescendre, mesme qu'elle s'en
estoit plainte à des sauvages qui luy avoient dit, Sçais tu pas
bien qu'il ne vaut rien, & qu'il est en mauvaise réputation
avec tous les Sauvages pour estre un menteur, ne l'escoute
point, tu es bien, Monsieur de Champlain vous ayme comme ses
filles, aussi dirent elles, Nous luy portons de l'affection, ce
que n'estant nous n'aurions desir de le suivre en France, qui
fut le sujet que j'en parlay au Général.
«Monsieur vous me faites faveur, que vostre courtoisie
s'estende à me montrer ceste lettre, que si l'affaire est ainsi
qu'il l'escrit, j'aurois tort de vous faire une demande
inciville, en vous demandant permission d'emmener ces filles
que j'ayme comme si elles estoient miennes, vous me permettrez
que je parle pour ces pauvres innocentes qui m'ont esté données
par les sauvages assemblez en Conseil, sans que je les aye
demandez, mais au contraire comme forcé avec le consentement
271/1255 des filles & des parents, à telle condition que j'en
disposerois à ma volonté, pour les instruire en nostre Foy,
comme si c'estoient mes enfans, ce que j'ay fait depuis deux
ans le tout pour l'amour de Dieu, où j'ay eu un grand soing à
les entretenir de tout ce qui leur estoit neceaire, les
desirant retirer des mains du Diable, où elles retomberont si
faut que les reteniez: je vous supplie que vostre charité soit
elle envers ces pauvres filles de ne les violenter, & souvenez
vous que Dieu ne vous sera point ingrat si vous faites quelque
chose pour luy, il a des recompenses grandes, tant pour le Ciel
que pour la terre.
Au reste je sçay très asseurément que Marsolet a forgé en son
esprit ce qu'il vous mande, n'ayant treuvé autre moyen pour
perdre ces filles, & jouir de sa desordonnée volonté s'il peut.
Je sçay asseurement que les Sauvages estant au Conseil des
trois rivieres, il ne fut parlé aucunement de ces filles, ny de
ce que Marsolet vous a escrit, mesme je sçay que lors qu'estiez
à Québec vous vous informastes si les Sauvages n'estoient point
faschez de ce qu'elles s'en alloient, que Gros Jean de Dieppe
qui s'est donné à vous, truchement des Algommequins, vous dit
au contraire, qu'ils fussent faschez de ce que je les emmenois,
qu'ils en estoient bien contents, que s'il y avoit du danger de
les emmener allant dans le pays comme il alloit, il n'y eut pas
esté pour beaucoup de choses, & Coullart vous dit aussi,
Monsieur nous avons autant d'interest que personne, à cause de
272/1256 ma femme & de mes enfans, que s'il y avoit quelque risque je
vous le dirois librement, au contraire les Sauvages m'ont dit
qu'ils en estoient bien aise, qu'elles estoient bien données,
tout cecy est un tesmoignage suffisant, auquel devez adjouster
Foy, plus qu'à ce que vous mande Marsolet, qui veut abuser de
ces filles, les ayant mesmes sollicitées à s'en aller avec luy,
qu'il leur donneroit des presens: l'ayant ainsi dit aux
Sauvages, vous vous en pouvez informer s'il vous plaist.» Mais
recognoissant que tant plus je luy en parlois, & plus il se
roidissoit, je le laissay là sans parler d'advantage, il se
leve de table tout fasché comme il sembloit, ce qui ne dura
gueres: nous ne laissasmes de passer le temps attendant un jour
plu propre à luy en parler, & rechercher les moyens pour
l'inciter à penser à cela, j'employay à ma supplication ledit
Jacques Michel & Thomas Quer son frère, qui luy en parlèrent,
il demeura obstiné, ce que sçachant ces deux pauvres filles,
furent si tristes & faschées qu'ils en perdoient le boire & le
manger en pleurant amèrement, ce qui me donnoit de la
compassion, en me disant, «Est il possible que ce mauvais
Capitaine nous vueille empescher d'aller en France avec toy,
que nous tenons comme nostre père, & duquel nous avons receu
tant de biens faits, jusqu'à oster ce qui estoit pour ta vie,
durant les necessitez pour nous le donner, & nous entretenir
jusqu'à present d'habits: nous avons un tel desplaisir en
nostre coeur que nous ne le pouvons dire, n'y auroit il point
moyen de nous cacher dans le vaisseau, ou si nous pouvions te
273/1257 suivre avec un canau nous le ferions, te priant de demander
encore une fois à ce mauvais homme qu'il nous laisse aller avec
toy, ou nous mourrons de desplaisir, plustost que de retourner
avec nos Sauvages, & si tu ne peux obtenir que nous allions en
France, au moins faits en sorte que nous demeurions avec la
femme de Coullart, nous la servirons elle & tous ses enfans de
tout nostre pouvoir en ton absence, attendant l'année à venir,
& sçachant de tes nouvelles aussi tost nous prendrons un canau
pour t'aller treuver à Tadoussac,» ainsi me disoient leurs
petits sentiments: Je leur fis faire à chacune un habit de
quelques robes de chambre & manteau que j'avois, pour ne les
envoyer mal accommodées tant elles me faisoient de compassion.
Je faisois ce qu'il m'estoit possible pour sauver ces deux
pauvres ames, je tasche de faire encore un effort, puisqu'il
n'y avoit qu'à contenter les Sauvages par present, quand mesme
il iroit de beaucoup, je fais dire par Thomas Quer à son frère
le Général, qu'il y avoit un moyen de rendre les Sauvages
satisfaits en leur faisant un present, & leur dire que
puisqu'ils avoient donné ces filles qu'ils dénotent tenir leurs
paroles, voyant qu'ils ne le faisoient pas, qu'ils n'auroient
sujet de se fier en eux, de ce qu'il leur pourroient dire, que
neantmoins il leur faisoit un present de la valleur de Mil
livres, en marchandises telles qu'ils voudroient, pour des
castors qui estoient à son bord à moy appartenants, dont il
m'avoit donné sa promesse payable à Londres, que je la mettrois
entre les mains de son frère, & seroit le present tel qu'il
274/1258 voudroit comme venant de sa part, il me promit luy dire, comme
il fit, mais le Général n'y voulut du tout entendre, ce que
sçachant ce fut à moy de prendre patience. Un jour que je le
vis en très bonne humeur, & croyant que je pourrois tenter la
fortune de luy parler encore une fois, ce que je fis: il me
donne quelque esperance sur le retour de Marsolet.
Les vaisseaux revenans de Québec j'appris que ce truchement
venoit, je le faits advertir de ce que je desirois faire pour
contenter les Sauvages, sçachant que c'estoit le moyen, & qu'en
faisant des presents l'on pouvoit emmener ces filles: au
contraire ce malheureux ennemy du progrés de Dieu, faisant voir
sa meschanceté à descouvert, dit que si on en parloit aux
Sauvages qu'ils refuseroient ce present pour cet effect: disant
audit Quer que ces filles avoient esté données de la bonne
volonté, sans esperance autre que de nostre amitié, ainsi eust
esté cognu pour menteur, d'avoir escrit au Général des choses à
quoy ils n'avoient jamais pensé au lieu de pallier ceste
affaire il luy dit[769] que c'estoit mal fait à luy d'empescher
ces filles d'estre baptisées, & avoir cognoissance de Dieu,
qu'il en respondroit devant la justice divine, qu'il print
garde qu'il avoit encore assez de remèdes s'il vouloit
persuader au Général de donner quelque present aux Sauvages
comme j'offrois; que pour ce qui estoit de sa personne je le
recognoistrois en tout ce qu'il me seroit possible, que quelque
jour il pourroit avoir affaire de ses amis, estant en l'estat
où il estoit, que s'il desiroit retourner en France, je le
275/1259 servirois en tout ce qu'il me seroit possible: tout ce qu'il me
dit fut, qu'il ne pouvoit rien faire de cela, que s'il arrivoit
quelque accident aux Anglois par les Sauvages, ils remettroient
toute la faute sur luy, & le voyant ainsi obstiné je le laissay
là.
[Note 769: Je luy dis...]
De là il va treuver le Général, luy remonstrant ce que je luy
avois dit & offert, & ouy dire que je voulois faire des presens
aux Sauvages pour empescher ces filles d'estre retenues, que
d'assembler ces peuples esloignez, il n'y avoit nulle
apparence, & leur offrir des presents il n'estoit point
convenable, d'autant qu'ils croyroient que vous auriez peur de
les irriter, & que cela leur donneroit plus d'asseurance
d'entreprendre sur ses hommes, qu'il failloit qu'il empeschast
que je n'emmenasse ces filles, qu'il luy avoit voué trop de
services pour ne luy dire ce qu'il sçavoit pour le bien du
pays, & à son advantage, qu'il print garde à ce qu'il feroit,
s'en deschargeant, & que s'il arrivoit quelque disgrace pendant
son absence, qu'on ne s'en prist pas à luy, & qu'il valloit
mieux tenir ces peuples en paix, que d'estre en hasard de
tomber en quelques mauvais accidens: Voilà ce qu'il dit avoir
representé au Général, lequel se resolut de retenir ces filles,
& ne me permettre les emmener.
Thomas Quer me dit y avoir fait ce qu'il avoit peu, le voyant
fort esloigné de ce que je pouvois esperer touchant les
presens, à quoy il ne vouloit consentir, Marsolet l'en ayant
desgousté, ce qu'ayant entendu je n'en parlay plus: mais je ne
me peus empescher de parler à Marsolet & luy dire le desplaisir
276/1260 signalé qu'il me faisoit en cette affaire, d'avoir innové des
choses toutes contraires à la vérité, & fait dire aux Sauvages
ce à quoy ils n'avoient jamais pensé, qu'il pouvoit m'obliger
en ceste occasion, comme je pourrois faire pour luy en
d'autres, estant ainsi cause de la perte de ces filles & de
leurs âmes, qu'il en respondroit un jour devant Dieu, qu'il ne
permettroit point que tost ou tard il ne receut le chastiment
qu'il meritoit, n'ayant eu autre dessein que de jouir de l'une
de ces filles, en recherchant les moyens que je ne les
emmenasse, il me dit, Monsieur vous en croirez ce qu'il vous
plaira, je n'ay dit que la vérité, quand je sers un maistre je
luy dois estre fidèle. Vous l'avez fort bien monstré (luy
dis-je) en servant l'ennemy, pour deservir le Roy & ceux qui
vous ont donné le moyen de vous élever en ces lieux depuis
qu'estiez petit garçon[770] jusqu'à present qu'avez grandement
décliné.
[Note 770: Voyez ci-dessus, p. 266.]
Ces pauvres filles voyant qu'il n'y avoit plus de remèdes,
commencèrent à s'attrister & pleurer amèrement, de sorte que
l'une eut la fiévre, & fut long temps qu'elle ne vouloit
manger, appellant Marsolet un chien & un traistre, disant
ainsi, Comme il a veu que nous n'avons pas voulu condescendre à
ces volontez, il nous a donne un tel desplaisir que sans mourir
jamais je n'en receus de semblable.
Un soir comme le général donnoit à souper aux Capitaines des
vaisseaux, Marsolet estant en la chambre, l'une des deux filles
appellée Esperance y vint; qui avoit le coeur fort trisste, &
277/1261 souspiroit, ce qu'entendant je luy demanday ce qu'elle avoit,
sur ce elle appelle sa compagne nommée Charité, disant, j'ay un
tel desplaisir que je n'auray point de repos que se ne
descharge mon coeur envers Marsolet, duquel elle s'approche, &
l'ayant envisagé, luy dist, Il est impossible que je puisse
estre contente que je ne parle à toy: Que veux-tu dire? luy
dist-il, Ce n'est point en secret que je veux parler, tous ceux
qui entendent nostre langue l'entendront assez, & t'en
priseront moins à l'advenir s'ils ont de l'esprit, c'est une
chose assez cogneue de tous les Sauvages que tu es un parfaict
menteur, qui ne dis jamais ce que l'on te dit, mais tu inventes
des mensonges en ton esprit pour te faire croire, & donne à
entendre ce que l'on ne t'a pas dit, pense que tu es mal voulu
des Sauvages il y a long-temps & comme malicieux tu perseveres
en tes menteries, de donner à entendre à ton Capitaine des
choses qui n'ont jamais esté dites par les Sauvages, mais
meschant tu n'avois garde de dire le subject qui t'a meu à
inventer de telles faussetez, c'estoit que je n'ay pas voulu
condescendre à tes salles voluptez, me priant d'aller avec toy,
que je ne manquerois d'aucune chose, tu m'ouvrirois tes coffres
dans lesquels je prendrois ce qui me seroit agréable; ce que je
refusay, tu me voulus faire des attouchemens deshonnestes, je
rejettay tes effronteries, te disant, que si tu m'importunois
davantage je m'en plaindrois: ce que voyant tu me laissas en
repos, me disant que j'estois une opiniastre: asseure toy qu'on
te fera bien ranger à la raison, tu ne seras pas tousjours
278/1262 comme tu es, car je sçay bien que tu retourneras à Québec; je
te dis que je ne t'apprehendois en aucune façon, je desire
aller en France avec Monsieur de Champlain, qui m'a nourrie &
entretenue de toutes commoditez jusques à present, me monstrant
à prier Dieu, & beaucoup de choses vertueuses, que je ne me
voulois point perdre, que tout le païs avoit consenty, & que ma
volonté estoit portée d'aller vivre & mourir en France, & y
apprendre à servir Dieu; mais miserable que tu es, au lieu
d'avoir compassion de deux pauvres filles, tu te monstre en
leur endroit pire qu'un chien, ressouviens toy que bien que ne
ne fois qu'une fille, je procureray ta mort si je puis, en tant
qu'il me sera possible, t'asseurant que si à l'advenir tu
m'approches je te donneray d'un cousteau dans le sein, quand je
devrois mourir aussi-tost: Ah! perfide tu es cause de ma ruine,
te pourray-je bien voir sans plorer, voyant celuy qui a causé
mon malheur, un chien a le naturel meilleur que toy, il fuit
celuy qui luy donne sa vie, mais toy tu destruis ceux qui t'ont
donné la tienne, sans recognoissance de bon naturel envers tes
frères que tu as vendus aux Anglois; Pense-tu que c'estoit bien
faict pour de l'argent vendre ainsi ta nation? tu ne te
contentes pas de cela en nous perdant aussi, & nous empeschant
d'apprendre à adorer le Dieu que tu mescrois qui te fera
mourir, s'il y a de la justice pour les meschans. Sur cela elle
se mit à plorer ne pouvant presque plus parler, Marsolet luy
disant, Tu as bien estudié cette leçon: O meschant, dit elle,
tu m'as donné assez de sujet de t'en dire davantage si mon
coeur te le pouvoit exprimer. Le truchement se retournant à
279/1263 l'autre petite fille appellée Charité, luy dist, Et toy ne me
diras tu rien? Tout ce que je te sçaurois dire, dit-elle, ma
compagne te l'a dit, & moy je te dis davantage, que si je
tenois ton coeur j'en mangerois plus facilement & de meilleur
courage que des viandes qui sont sur cette table. Chacun
estimoit le courage & le discours de ceste fille, qui ne
parloit nullement en Sauvagesse.
Ce Marsolet demeura fort estonné de la vérité des discours
d'une fille de douze ans, mais tout cela ne peust émouvoir ny
attendrir le coeur dudit Général Quer.
Le Capitaine Jacques Michel me dist en secret, qu'au voyage
qu'il avoit fait à Québec[771], il avoit resolu de retenir ces
filles, & pour trouver une excuse légitime dist à Marsolet
qu'il luy escrivist la lettre que j'ay dit cy-dessus, mais
estant en Angleterre, & luy ayant dit, il protesta que cela
estoit faux, & qu'il n'y avoit jamais pensé, que je pouvois
cognoistre son humeur, & qu'il n'estoit point homme à
dissimuler & à chercher des inventions pour les faire demeurer,
que s'il eust eu la volonté il l'eust faict librement, sans
employer personne, & rien autre chose que ce que Marsolet luy
en avoit dit, & [772] l'avoit fait resoudre à les faire
demeurer à Québec.
[Note 771: C'est-à-dire, «au voyage que le général avait fait à Québec,
il avait résolu...»]
[Note 772: Au lieu de cette particule (&), le manuscrit portait
probablement _ne_.]
Voilà la conclusion prise que ces filles demeureroient, je ne
laissay de faire pour elles tout ce que je peux, & les assister
de petites commoditez, leur donnant esperance de nostre retour,
280/1264 qu'elles prinssent courage, & qu'elles fussent tousjours sages
filles, continuant à dire les prières que je leur avois
enseignées: L'une me demanda un chapelet, disant que les
Anglois avoient pris le tien, ce que je fis à l'une, & mon
beau-frère en donna un à l'autre: car il ne falloit rien donner
à l'une que l'autre n'en eust autant pour oster la jalousie qui
estoit entre elles, priant Coulart de les mettre avec sa femme
tant qu'elles y voudroient estre, jusques à ce qu'ils eussent
des vaisseaux François, & qu'il taschast de les conserver, ne
leur donnant aucun subject de les perdre, mais qu'il les
traittast doucement, que c'estoit une grande charité pour Dieu,
qui le recompenseroit: qu'elles luy serviroient en sa maison,
en mille petites choses necessaires, que me faisant ce plaisir,
où j'aurois moyen de le servir, je le ferois de bon coeur;
Asseurez vous, Monsieur, me dist-il, que tant qu'elles auront
la volonté de demeurer avec moy, j'en auray du soin comme si
c'estoit mes enfans, & disant cela en leur presence, elles luy
firent une reverence, & en le remerciant luy dirent, Nous ne
t'abandonnerons point non plus que nostre père en l'absence de
Monsieur de Champlain: ce qui nous donnera de la consolation, &
nous fera patienter, c'est que nous esperons le retour des
rançois, & s'il eust fallu qu'aussi-tost que nous fusmes
arrivez à Québec, & eussions[773] esté vers les Sauvages nous
fussions mortes de desplaisir, & neantmoins nous estions
resolues ma compagne & moy d'y demeurer plustost qu'avec les
Anglois.
[Note 773: Nous eussions...]
281/1265 L'on me dist que le Général Quer estant à Québec,
avoit tancé son frère Louys Quer, de ce qu'il avoit permis de
célébrer la saincte Messe, ce qu'il fit deffendre à tous les
Peres, & que les Peres Jesuites faisant embarquer leurs coffres
pour aller à Tadoussac, il voulut voir ce qui estoit dedans en
la presence de son frère, Louys Quer, commandant au fort &
habitation, comme le reverend Pere Massé leur monstroit ce qui
estoit dedans, ils adviserent quelque chose, qui estoit
enveloppé: Il demanda à le voir, le Pere le developpe, c'estoit
un Calice, que Louys Quer voulut prendre; Le Père luy disant,
Monsieur, ce sont des choses sacrées, ne les profanez pas s'il
vous plaist, il se fasche de ces paroles pour avoir sujet de le
prendre, Quoy? dist-il Ce qu'il en jurant, profaner, nous
n'adjoustons point de foy en vos superstitions, je n'appréhende
pas qu'il me fasse mal, ce disant il le prit, disant: Je fais
cela pour le discours que vous m'avez fait, & aussi pour oster
le subject qui vous fait idolâtrer, comme nous sommes obligez
de rabatre, entant que nous pouvons les superstitions, que si
vous ne m'eussiez usé de ces termes je vous l'aurois laissé.
Quoy que s'en soit, ledit Louys Quer s'estoit tousjours bien
comporté jusques à cette heure, ne luy en desplaise[774]. Ceste
action n'estoit bonne ny valable, c'estoit chercher un maigre
sujet pour prendre ces deux Calices, pour un homme qui veut
vivre en honorable réputation devant les hommes vertueux: cette
282/1266 action ne sera jamais approuvée, & void-on par beaucoup
d'exemples le chastiment que Dieu a envoyé à ceux qui ont
profané les vaisseaux sacrez des Temples.
[Note 774: Ces derniers mots doivent se rattacher à la phrase suivante:
«Ne luy en desplaise, ceste action n'estoit bonne...»]
_Le Général Quer demande à l'Autheur certificat des armes &
munitions du fort & de l'habitation de Québec. Mort malheureuse
de Jacques Michel. Plainte contre le Général Quer._
CHAPITRE VI.
Ledit Général Quer me demanda le certificat des armes &
munitions, & autres commoditez qui estoient tant au fort qu'à
l'habitation, que son frère Louis Quer m'avoit donné, auquel il
avoit fait une grande reprimende, disant qu'il ne sçavoit ce
qu'il avoit fait, sans sçavoir s'il y avoit paix entre la
France & l'Angleterre, qu'il respondroit de tout ce qui estoit
audit certificat, qu'il ne vouloit point que l'on vit aucune
chose signée de sa main, ne sçachant la consequence de cela, &
le desplaisir que l'on pouvoit rendre à ses amis, je luy dis
Monsieur cela ne vous peut apporter tant de desplaisir que vous
le dites, puisque vous avez donné tout pouvoir au Capitaine
Louis de traiter avec moy, en vertu des Commissions qu'avez du
Roy d'Angleterre, ayant pour agréable tout ce qu'il feroit
comme vostre personne, autrement ce seroit le desobliger, en ne
tenant sa parole, & vous en desadvouant le pouvoir que luy avez
donné: Je ne le desadvoue point (dit-il) pour ce qui est de la
283/1267 composition qu'il vous a faite, je la maintiendray au péril de
ma vie, mais pour ce qui est du certificat, cela est fait
depuis ladite composition, & par consequent il ne vous pouvoit
donner le certificat sans charge, ou en composant, pendant que
vous estiés encore maistre du fort, & par ainsi je vous prie me
le donner. Il y a assez de personnes qui sçavent l'estat de la
place, & ce qui y est, estant en Angleterre l'on vous en
donnera un s'il est jugé à propos, & toute autre sorte de
courtoisie. Voyant qu'il se mettoit en colère, & que je ne le
pouvois retenir, je luy donnay le certificat, luy disant qu'il
n'estoit point de besoin de se mettre en colère pour si peu de
sujet, que véritablement je le desirois avoir pour ma
descharge. Vous l'estes (me dit il) assez, l'on sçait bien le
miserable estat auquel vous estiez réduits, & le peu de
ommoditez qui sont en armes & munitions tant au fort qu'à
l'habitation.
Deux ou trois tours après ledit Jacques Michel estant saisi
d'un grand assoupissement, fut trente cinq heures sans parler,
au bout duquel temps il mourut rendant l'âme, laquelle si on
peut juger par les oeuvres & actions qu'il a faites, & qu'il
fit le jour d'auparavant, & mourant en sa religion prétendue,
je ne doute point qu'elle ne soit aux enfers: car le jour
précèdent il avoit tellement juré & blasphemé le nom de Dieu
que j'en avois horreur, faisant mille sortes d'imprécations
contre les bons Pères Jesuistes, & des habitans de S. Malo:
disant, Qu'il se rendroit plustost forban qu'il ne leur eust
rendu quelque signalé desplaisir, deust il mourir.
miserablement. Je ne me peus tenir de luy dire, Bon Dieu! comme
284/1268 pour un reformé vous jurez, sçachant si bien reprendre les
autres quand ils le font. Il est vray, dit-il, mais je suis
tellement outré de passion & de colère contre ces chiens de
Malouins Espagnols, qui m'ont rendu de grands desplaisirs, &
aussi serois-je content si j'avois frappé ce Jesuiste qui m'a
donné un desmenty devant mon Général.
Ce desplaisir qui luy estoit si sensible n'estoit alors pas
tant pour les Malouins & le Pere Jesuiste comme pour le sujet
des Anglois, desquels il se plaignoit grandement de l'avoir
très-mal traitté, & peu recogneu, contre les promesses qu'ils
luy avoient faites.
Il se plaignoit aussi de l'arrogance insupportable de son
Général, pour un marchand de vin qu'il avoit esté, estant à
Bordeaux & à Coignac, & cogneu ignorant à la mer, qui ne sçait
que c'est que de naviger, n'ayant jamais faict que ces deux
voyages, & veut faire de l'entendu par ses discours pleins de
vanité à ceux qui ne le cognoissent pas bien, il trenche du
Seigneur, il ne sçait que c'est d'entretenir d'honnestes
hommes, il veut que tout luy cede, & ne veut croire aucun
conseil, qu'alors qu'il n'en peut plus, comme il fit dés
l'année passée, en laquelle sans moy il vouloit quitter le
vaisseau de Roquemont, & ne l'eust jamais pris sans l'ordre que
je luy donnay, il le vouloit aborder, mais je ne voulus y
consentir, luy disant. Si nous l'abordons nous sommes perdus ne
vous y frotez pas, je cognois mieux les François en ces choses
que vous, qui n'avez que des gens mal faits en vostre vaisseau,
hors les Canoniers & Officiers: c'est pourquoy il les faut
285/1269 battre à coups de canons, dont nous avons l'advantage, les
contraignant à se rendre, vous conseillant encore une fois que
si jamais vous rencontriez des François sur mer de ne les
aborder, ils sont plus adroits & courageux que les Anglois, qui
remportent à l'abordage. Il creut mon conseil, me remettant
tout l'ordre du combat, en quoy il avoit raison; car il y
estoit peu expérimenté, comme il est encore, & son frère Thomas
Quer, ils prennent des commandemens desquels ils n'en sçavent
pas les charges, il leur faudroit estre encore vingt ans pour
l'apprendre, & avoir esté élevé & nourry jeune garçon pour
sçavoir bien ce qui est necessaire à un Capitaine de mer,
autrement ils feront de lourdes fautes, mettant souvent la
conduitte entre les mains d'un Maistre ou Pilote ignorant qui
sera dans leur vaisseau. Quand il fut arrivé à Londre, il se
vantoit que c'estoit luy qui avoit tout faict, plusieurs
honnestes hommes qui le cognoissoient bien & moy aussi me
disoient, Quer emporte la gloire de ce que vous avez faict: &
de faict ils ont usé envers moy d'ingratitude; Car outre mes
appointements ils me devoient donner recompense, ce qu'ils
n'ont faict: m'ont refusé le commandement de l'un de leurs
vaisseaux pour mon fils, je les avois instalé en ceste affaire
où ils ne cognoissoient rien, & n'y fussent jamais venus sans
moy, ils me traittent mécaniquement en mon vaisseau: & non,
comme j'ay appris, allant à la mer, ils m'ont donné un yvrogne
qui est fol pour mon Lieutenant, pour prendre garde sur mes
actions: Je le veux chasser de mon vaisseau, ou luy feray un
mauvais party, c'est un coquin sans courage, s'il se presente
286/1270 quelque occasion de combatre je le meneray comme il faut, ils
auront encores recours à moy, je le sçay bien, ils n'en sont
pas où ils pensent, tout ainsi que j'ay eu moyen de donner
l'industrie d'instruire cette affaire, je sçay aussi les moyens
de les en faire sortir, & leur apprendre & à d'autres, qu'ils
ne doivent jamais mescontenter une personne comme moy: Il y a
des Flamans assez & d'autres nations, quand un moyen me faudra,
j'en trouveray d'autres, ils ont faict tout à leur plaisir, il
faut patienter, il sçait bien que je ressens un grand
desplaisir, mais il ne fait pas semblant de le cognoistre, il
me fait bon visage, mais il voudroit que je fusse mort, je luy
suis maintenant à grand'charge, j'ay laissé ma patrie, comme
ils ont fait, pour servir un estranger, jamais je n'auray l'âme
bien contente, je seray en horreur à tout le monde, sans
esperance de retourner en la France, l'on a fait mon procez,
ainsi qu'on m'a dit, mais puis que l'on me traitte de toutes
parts comme cela, c'est me mettre au desespoir, & faire plus de
mal que jamais je n'ay fait, ne pouvant que perdre la vie une
fois, mais je la puis bien faire perdre à beaucoup si l'on me
desespere, tous ces discours ne se passoient pas sans jurer.
Je luy donnois courage, en luy disant, Ne vous desesperez
point, il y a des remèdes par tout, horsmis à la mort, il y a
des personnes qui ont fait des choses plus attroces que ce que
vous avez faict, vous avez raison de vous repentir de ce qui
s'est passé, & croy tant de vous, que si aviez à recommencer,
que vous ne le voudriez entreprendre, ains plustost mourir. Il
287/1271 est vray, me disoit-il: Nostre Roy est bon & juste, pardonnant
à plusieurs qui ont grandement offensé sa Majesté. Elle peut,
luy dis-je, vous donner abolition en vous amendant &
recognoissant vos fautes, en le servant fidèlement à l'advenir,
vous serez en consideration tant pour vostre courage, que pour
l'expérience qu'avez acquise en la mer, l'on a affaire d'hommes
du mestier que vous menez, l'on ne vous voudra pas perdre quand
l'on remonstrera à sa Majesté le service que vous luy pouvez
rendre à la navigation: changez vostre volonté, & vous resoudez
de retourner en vostre patrie, pour moy où j'auray moyen de
vous y servir je le feray de bon coeur: Il me dit qu'on luy
avoit escrit de France qu'il auroit la grâce, s'il s'en vouloit
retourner, mais qu'il ne s'y fieroit pas qu'il ne l'eust
seellée, & outre que jamais il ne voudroit se tenir à Dieppe, &
qu'il iroit en autre ville de France, cela seroit très bien
fait, luy dis-je.
Je sçay que la maladie qu'il eust, n'estoit que ce remors de
conscience qui le bourreloit, & vouloit tesmoigner aux Anglois
qu'il avoit un autre desplaisir, se couvrant du mescontentement
qu'il avoit des Malouins, & du Père Jesuiste, & de son fils,
dont il se plaignoit grandement, mais la vérité estoit que cet
homme estoit fort pensif, triste, & mélancolique, de se voir
mesprisé de sa patrie, abhorré du monde, retenu pour un perfide
& traistre François, qui meritoit un chastiment rigoureux (&
tous ceux qui font le semblable, ne peuvent marcher la teste
levée) & monstré au doit d'un chacun, mesme les Anglois
entr'eux l'appelloient traistre, disant, Voyez cestuy là qui a
288/1272 vendu sa patrie, & autres qui l'ont reniée, pour un peu de
mescontentement qu'ils disent avoir eu en France. Il sçavoit
tres-asseurement que ces discours se tenoient, aussi est-ce un
puissant ennemy, que celuy qui a la conscience chargée de si
vilaines, detestables meschantes trahisons: il avoit raison
d'avoir l'âme bourrelée, & mourir de desplaisir, plustost que
survivre, & fut là le sujet de sa mort, & non ce que Quer &
autres disoient, que c'estoit pour n'avoir donné un souflet au
Père Jesuiste qui estoit la mesme sagesse & vertu[775], ayant
bien tesmoigné aux voyages qu'il a fait dans les terres.
[Note 775: La sagesse & vertu mesme.]
Le Général Quer parlant aux Peres Jesuistes, leur dit,
Messieurs vous aviez l'affaire de Canada, pour jouir de ce
qu'avoit le sieur de Caen, lequel avez depossedé. Pardonnez moy
Monsieur, luy dit le Pere(2), ce n'est que la pure intention de
la gloire de Dieu qui nous y a mené, nous exposant à tous
dangers & périls pour cet effect, & la conversion des Sauvages
de ces lieux: ledit Michel pressant dit, Ouy, ouy, convertir
des Sauvages, mais plustost pour convertir des castors, ledit
Père respond assez promptement & sans y songer, Cela est faux,
l'autre leve la main, en luy disant, Sans le respect du Général
je vous donnerois un souflet, de me desmentir, le Pere luy
respond, Vous m'excuserez, je n'entend point vous démentir,
j'en serois bien fasché, c'est un terme de parler que nous
289/1273 avons en nos escoles, quand on propose une question douteuse,
ne tenant point cela pour offencer, c'est pourquoy je vous prie
me pardonner, & croire que je ne l'ay point dit pour vous
donner du desplaisir.
Je laisse à penser si ce sujet estoit capable de le faire
mourir, sans autre plus violent desplaisir, comme j'ay dit cy
dessus: aussi Dieu l'a puny ne luy faisant la grâce de fe
recognoistre à l'heure de la mort, qui a couppé la broche à
tous ses desseins pernicieux & meschans.
Estant mort il y eut plus de resjouissance entre les Anglois
que de regret, neantmoins le Général Quer qui voulut luy
tesmoigner la dernière preuve de son amitié qu'il disoit luy
avoir porté de son vivant, luy fit faire une châsse où il fut
mis, commande à son frère Thomas Quer d'armer quelques 200
hommes, qu'il fait mettre à terre, les met en ordre quatre à
quatre, les maistres des vaisseaux prennent la châsse, & la
mettent dedans une chalouppe, & arrivez sur le bord du rivage,
les officiers des vaisseaux prennent le corps sur leurs
espaules, & sur sa châsse avoient mis une espée nue, devant le
corps marchoit un homme armé de toutes piéces, avec la rondache
& le coustelas, l'autre portoit une demie picque noircie, les
soldats s'ouvrirent en deux, par le milieu desquels passa le
corps avec tous les Capitaines & autres officiers des
vaisseaux, qui l'accompagnoient marchant devant, les soldats
qui le suivent comme est la coustume en telles funérailles, il
fut porté à la fosse, où estant mis dedans l'on rompit la demie
picque en deux, & la mit on dans la fosse, sur laquelle le
290/1274 Ministre fit des prières s'agenouillant & te levant plusieurs
fois, respondant aux Ministres: leurs prières achevées, l'on
couvre le corps de terre, cela fait ils se firent deux
escoupetteries de mousquets, des soldats qui estoient rangez au
tour de la fosse. Après l'on fut tirer le canon de tous les
vaisseaux, jusqu'à quelque 80 à 90 coups: cela fait chacun s'en
retourne en son vaisseau, le pavillon du contre-Admiral estoit
à demy destendu, jusques à ce qu'il y en eust un autre mis en
la place, qui fut un Capitaine Anglois appellé *****[776] le
dueil n'en dura gueres, au contraire jamais ils ne se
resjouirent tant & principalement en son vaisseau où il avoit
quelques barils de vin d'Espagne: le voilà payé de tout ce
qu'il avoit fait.
[Note 776: Le nom est laissé en blanc dans l'édition originale.]
Tout ce que j'ay veu après sa mort est, l'honneur qu'il ne
meritoit pas, ne pouvant esperer, s'il eust vescu, que le
chastiment d'un supplice, si sa Majesté ne luy eust donné sa
grâce.
Durant le jour que nous fusmes à Tadoussac[777], ledit Quer
employa ses hommes à couper quantité de mas de sapins, pour
batteaux & chalouppes, comme du bois de bouleau pour brusler:
ce mesnage estoit tousjours pour payer quelques avaries, & en
avoit plus de besoin ceste année là que l'autre, en laquelle il
prit 19 vaisseaux François & Basques chargez de molue, & outre
ce qu'il traita avec les Sauvages des marchandises qui estoient
aux vaisseaux de la nouvelle societé, où commandoit Roquemont,
291/1275 y ayant aussi quantité de vivres & autres commoditez propres à
une habitation, qu'ils r'apportèrent ceste année à Québec, &
outre la quantité des marchandises de rapport, ils pensoient
faire meilleure traite qu'ils ne firent: ils ne traitèrent que
quelques 5000 castors & quelques 3 à 4 mille qu'ils prirent à
l'habitation, & le vaisseau d'Emery de Caen[778]. Ils n'ont eu
autre chose qui est peu pour pouvoir rembourcer les frais de
leur embarquement, en rendant ce qu'ils ont pris appartenant à
de Caen & à ses associez au fort & à l'habitation de Québec,
suyvant le traité de paix entre les deux couronnes de France &
d'Angleterre [779].
[Note 777: Ce passage donne à entendre que les vaisseaux restèrent tout
le temps mouillés au moulin Baudé, et que l'on se donna la peine d'aller
enterrer Jacques Michel à Tadoussac même.]
[Note 778: D'après les livres de compte de la Compagnie des marchands
anglais, ils n'auraient traité que 4540 castors et 432 peaux d'élans;
ils n'auraient de même trouvé au magasin que 1713 castors. Voici comment
un des associés de la compagnie anglaise concilie cette différence: «Il
faut faire attention, dit-il, que les Anglais ne parlent que des castors
portés au compte de la Compagnie, tandis que les Français comprennent
dans leur calcul toutes les peaux qu'ils avaient lorsque le fort fut
rendu, sans distinction de ce qu'ils cachèrent ou retinrent du
consentement des Anglais.» (Pièces justif. n. XVII.)]
[Note 779: Il fut réglé par le traité de Suse (24 avril 1,629) que
«d'autant qu'il y avoit beaucoup de vaisseaux en mer avec lettres de
marque & pouvoir de combattre les ennemis, qui ne pourroient de si tost
entendre cette paix, ny recevoir ordre de s'abstenir de toute hostilité,
il seroit accordé, que tout ce qui se passeroit l'espace de deux mois
aprés cet accord fait, ne derogeroit ny empescheroit cette paix; ny la
bonne volonté des deux Couronnes; à la charge toutesfois que ce qui
seroit pris dans l'espace de deux mois depuis la signature dudit
Traicté, seroit restitué de part & d'autre.» (Mercure français.)]
Pendant ce temps que nous estions à Tadoussac, ledit Quer ne
voulut permettre que les Catholiques priassent Dieu
publiquement à terre, où il avoit mis tous les François,
horsmis deux qui estoient Huguenots, de l'esquippage dudit
Emery de Caen, qui les faisoient rire pour avoir ceste
prééminence par dessus les autres, moy & quelques autres
passions le temps avec ledit Général à la chasse du gibier, qui
y est en ceste saison abondante, & principalement d'allouettes,
292/1276 pluviers, courlieux, becassines desquels il en fut tué plus de
20000 outre la pesche que les Sauvages faisoient du saulmon &
truites qu'ils nous apportoient en assez bonne quantité, & de
l'éplan que l'on prit en grand nombre avec des filets, &
quelques autres poissons, le tout très-excellent, jusqu'à
nostre partement.
_Partement des Anglais au port de Tadoussac. Général Quer
craint l'arrivée du sieur de Rasilly. Arrivée en Angleterre.
L'Autheur y va treuver monsieur l'Ambassadeur de France. Le Roy
& le conseil d'Angleterre promettent rendre Québec. Arrivée de
l'Autheur à Dieppe. Voyage du Capitaine Daniel. Lettre du
Reverend Père l'Allemand de la compagnie de Jesus. Arrivée de
l'Autheur à Paris._
CHAPITRE VII.
Ledit Général ayant accommodé le fort & habitation de Québec
de tout ce qu'il jugea estre necessaire, il fit donner caraine
à ses vaisseaux assez légèrement, nettoyer, gadomer & suiver,
ce qu'estant fait, il fit partir une petite barque de 25 à 30
tonneaux, pour s'en aller porter à Québec ce qui restoit, où
s'embarquèrent mes deux petites Sauvagesses, nous levons les
ancres & mettons sous voiles, ce qui n'estoit pas sans bien
appréhender la rencontre du Chevalier de Rasilly, d'autant que
nouvelles estoient venues par quelques Sauvages, qui
asseuroient avoir veu dix vaisseaux à Gaspey, bien armez qui
nous attendoient audit lieu: c'est pourquoy l'on passa fort
proche d'Enticosty 14 lieues dudit Gaspey pour n'estre
293/1277 apperceus: toutesfois ledit Quer disoit qu'il ne les
apprehendoit en aucune façon, & que c'estoit à faire à se bien
battre & que si tant estoit que les François eussent le dessus,
qu'il mettroit le feu dans leurs vaisseaux, en faisant mourir
beaucoup premier qu'en venir là, & quelques autres discours.
Nous fusmes contrariez de fort mauvais temps, avec des brunes
jusques sur le grand Ban, qui estoit le 16 du mois d'Octobre,
nous eusmes la sonde, & le 18 la cognoissance de Sorlingues:
pendant la traverse moururent onze hommes de la dysenterie, de
l'esquippage de Quer.
Le 20 nous relaschasmes à Plemué[780], où nous eusmes nouvelle
de la paix[781], ce qui fascha grandement ledit Quer. Le 25,
sortismes dudit port, rangeant la coste de deux lieues. Le 27,
passasmes devant Douvre, où ledit Quer fit descendre tous nos
hommes avec les pères Jesuistes & Recollets, ausquels il donna
passage, & à tous ceux qui voulurent aller en France: & moy
j'escrivay de ce lieu à Monsieur de Lozon[782] que je m'en
allois à Londres, treuver Monsieur l'Ambassadeur[783], pour luy
faire le récit de tout ce qui s'estoit passé en nostre voyage,
afin qu'il luy pleust faire expédier quelques lettres de sa
Majesté audit sieur Ambassadeur, pour avoir ceste affaire pour
recommandée, & y envoyer un homme exprés pour cet effect, chose
comme très necessaire & importante pour le bien de la Societé.
[Note 780: Plymouth.]
[Note 781: Le traité de Suse avait été conclu le 24 avril 1629, et il
venait d'être ratifié, le l6 septembre.]
[Note 782: Jean de Lauson, l'un des principaux associés de la Compagnie
de la Nouvelle-France, et le même qui fut plus tard gouverneur du
Canada.]
[Note 783: C'était alors M. de Châteauneuf.]
294/1278 En continuant nous passasmes par les Dunes, où il y avoit
nombre de vaisseaux, & une remberge de six à sept cens tonneaux
que l'on salua, qui rendit le réciproque de trois coups de
canon. Entrant en la riviere fusmes mouiller l'ancré devant
Graveline[784], où mismes pied à terre laissant les vaisseaux,
ledit Quer fréta un batteau pour aller à Londres sur la riviere
de la Tamise, auquel lieu arrivasmes le 29 dudit mois.
[Note 784: Gravesend. Le contexte prouve évidemment que c'est ici une
faute typographique. _Entrant en la rivière_, c'est-à-dire, la Tamise.
Il est bon de se rappeler en outre que le général Kertk était parti
précisément de Gravesend; il est donc tout naturel que ses vaisseaux
soient revenus au port d'où ils avaient fait voile au printemps. (Pièces
justificatives, n. V.)]
Le l'en demain je fus treuver monsieur l'Ambassadeur, auquel je
fis entendre tout le sujet de nostre voyage, ayant esté pris
deux mois après la paix, qui estoit le 20 Juillet, faute de
vivres & munitions de guerre & de secours, ayant enduré
beaucoup de necessitez un an & demy, allant chercher des
racines dans les bois pour vivre, bien que je n'eusse retenu
que seize personnes au fort & à l'habitation, ayant envoyé la
plus grand part de mes compagnons parmy les Sauvages, pour
éviter aux grandes famines qui arrivent en ces extremitez.
Ce qu'ayant entendu ledit sieur Ambassadeur, il se délibéra
d'en parler au Roy d'Angleterre, qui luy donna toute bonne
esperance de rendre la place, comme de toutes les peleteries &
marchandises, lesquelles il fit arrester.
Je donnay des mémoires, & le procès verbal de ce qui s'estoit
passé en ce voyage, & l'original de la capitulation[785] que
295/1279 j'avois faite avec le Général Quer, & une carte[786] du pays
pour faire voir aux Anglois les descouvertures & la possession
qu'avions prise dudit pays de la Nouvelle France, premier que
les Anglois, qui n'y avoient esté que sur nos brisées, s'estans
emparez depuis dix à douze ans des lieux les plus signalez,
mesme enlevé deux habitations sçavoir celle du Port Royal où
estoit Poitrincourt, où ils sont habituez de present, & celle
de Pemetegoit appellé autrement Norembeque: le tout saisi &
enlevé contre tout droit & raison, molestant les sujets du Roy,
leur imposant un tribut sur la pesche du poisson: le tout pour
les travailler, & en fin leur faire quitter la pesche, en se
rendant maistre de toutes les costes peu à peu. De plus afin
d'obliger les sujets de sa Majesté à aller prendre des congez
en Angleterre, &[787] ont imposé depuis deux ou trois ans des
noms en ladite Nouvelle France, comme la Nouvelle Angleterre &
Nouvelle Escosse. Ils s'en sont advisez bien tard, ils le
devoient faire avec raison, & non pas changer, ce qu'ils ne
pourront jamais faire, on ne leur dispute pas les Virgines, ce
qu'avec raison l'on pourroit faire, ayant esté les premiers
François qui les ont descouvertes il y a plus de quatre vingts
ans, par commandement de nos Roys, cela se justifie par la
relation des histoires tant Françoises qu'Estrangeres. Mais qui
a causé qu'ils s'en sont emparez si facillement? c'est que le
Roy n'en avoit fait estat jusqu'à maintenant, que les justes
296/1280 plaintes qui luy en ont esté faites, le fait resoudre à
recouvrir ce que les Anglois ont anticipé, & le fera toutesfois
& quantes que sa Majesté le voudra.
[Note 785: Voir ci-dessus, p. 240.]
[Note 786: Probablement celle qu'il publia trois ans plus tard (édit.
1632), et que nous produisons dans cette présente édition.]
[Note 787: Au lieu de &, il faut lire _ils_.]
Je fus prés de cinq sepmaines[788] proche de mondit sieur
l'Ambassadeur, attendant tousjours nouvelles de France, &
voyant le peu de diligence que l'on faisoit d'y envoyer, ou me
donner advis de ce que l'on desiroit faire, je sceus de mondit
sieur s'il n'avoit plus besoin de mon service, que je desirois
m'en retourner en France, il me le permit, me donnant lettre
pour Monseigneur le Cardinal, m'asseurant que le Roy
d'Angleterre & son Conseil luy avoient promis de rendre la
place au Roy, il s'y employa fort vertueusement[789], esperant
faire donner un arrest au Conseil pour la reddition de
l'habitation & commoditez qui y avoient esté prîtes.
[Note 788: Depuis le 30 octobre jusqu'au 30 de novembre.]
[Note 789: M. de Châteauneuf, ambassadeur extraordinaire auprès du roi
d'Angleterre, fut remplacé par M. Fontenay-Mareuil, nommé ambassadeur
ordinaire, qui arriva à Londres vers le commencement de février 1630.
Celui-ci reçut ordre du cardinal de Richelieu de poursuivre activement
les négociations entamées par son prédécesseur. Dès le commencement de
février, l'ambassade avait déjà présenté cinq mémoires au sujet des
affaires du Canada, comme on le voit par l'extrait suivant d'un document
conservé au bureau des Papiers d'État en Angleterre (State Paper Office,
Colonial Papers, vol. V, n. 50): «_Response de Messieurs les
Commissaires establis pour les affaires estrangeres, sur cinq mémoires à
eux presentés par M. l'Ambassadeur de France le premier de Febvrier
1629_» (11 février 1630, style neuf). «Touchant la restitution des
places navires & biens qui ont esté pris sur les François en Canada &
particulièrement du fort de Québec, S. M. persiste en sa première
resolution signifiée audit sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut
delivré en Latin portant que ledit fort & habitation de Québec qui fut
prist par le Capitaine Kirke le 9 (19.) de Juillet, sera restitué en
mesme estat qu'il estoit lors de la prise, sans rien abattre des
fortifications ou bâtiments, ny en emporter des armes munitions
marchandises ou utensiles qui y furent lors trouvées. Et que si aucune
chose en avoit esté emportée, elle sera rendue soit en espece ou en
valeur, selon la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par
nouvelle examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé
audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises & emportées dud.
port pour butin & chose de bonne prise, seront restituées selon qu'aussy
il peut ou pourra apparoir par le compte exact qui en sera pris là, sur
serment qu'elles auront esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que
S. M. offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la
première déclaration qu'elle en a faite & n'estime pas pouvoir estre
pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier Traite.» (Voir
de plus. Mémoires du Card. de Richelieu et le Mercure français, t. XV et
XVI.)]
297/1281 Je partis de Londres le 30[790] pour aller à Larie[791] treuver
passage, comme plus proche de Dieppe, d'où il y a 21 lieues:
sur le chemin je rencontray ledit sieur de Caen, qui s'en
alloit pour le recouvrement de ses peleteries, auquel
succinctement luy fis entendre ce qui s'estoit passé, & en quel
estat estoient les affaires: arrivant à Larie je fus quelques
jours[792] à attendre le vent pour passer, qui estant devenu
bon, je m'embarquay le lendemain & arrivay à Dieppe.
[Note 790: Le 30 de novembre.]
[Note 791: Ou La Rye, aujourd'hui Rye, dans le comté de Sussex.]
[Note 792: C'est-à-dire, une dizaine de jours, s'il faut en juger par la
date du rapport du capitaine Daniel, cité plus loin; à moins que ce
rapport n'ait été signé qu'après l'entrevue de celui-ci avec l'auteur.]
Le jour en suivant arriva le Capitaine Daniel avec son
vaisseau, qui avoit pris une habitation des Anglois, qui
s'estoit habitée ceste mesme année à l'isle du Cap Breton par
un Escossois appellé Stuart, qui se disoit parent du Roy
d'Angleterre. Ledit Daniel me donna quelques lettres tant de
Monsieur de Lozon Surintendant des affaires de la Nouvelle
France, que de Messieurs les Directeurs, avec une Commission
qu'ils m'envoyoient, comme estans pressez du partement de
l'embarquement, & ne pouvant si tost avoir celle de sa Majesté,
& de Monseigneur le Cardinal pour m'envoyer, à cause de
l'absence de sa Majesté, laquelle Commission portoit ce qui
s'ensuit.
«_Les Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle
France, Au sieur de Champlain l'un des associez en ladite
Compagnie, Salut. L'expérience que vous vous estes acquise en
298/1282 la cognoissance du pays, & des Peuples de la Nouvelle France,
pendant le sejour que vous y avez fait, joint la cognoissance
particulière que nous avons de vos sens, suffisance,
generosité, prudence, zele à la gloire de Dieu, affection &
fidelité au service du Roy, nous ayant portez à vous nommer &
presenter à sa Majesté, conformément au pouvoir qu'il luy a
pleu nous en donner, pour en l'absence de Monseigneur le
Cardinal de Richelieu Grand-Maistre Chef & Surintendant général
des Mers & Commerce de France: commander en toute l'estendue
dudit pays, régir & gouverner tant les Naturels des lieux que
les François qui y resident de présent, & s'y habitueront cy
aprés: Nous ne pouvons douter que ladite nomination ne soit
agrée, neantmoins ayant advis que les vaisseaux que nous vous
envoyons, sous les charges & conduictes des sieurs Daniel &
Joubert sont prests à faire voile, & craignant que les lettres
de provision de sa Majesté ne peuvent estre arrivées à temps
pour vous estre envoyées par lesdites flottes, estant
d'ailleurs necessaire & très important de n'en point différer
le partement. A ces causes Nous par forme de provision
seulement, & attendant l'urgente & pressante necessité de la
chose, jugeant ne pouvoir faire meilleure eslection que de
vostre personne, vous avons commis & député, commettons &
deputons par ces presentes, pour jusqu'à ce qu'autrement sous
le nom de la Compagnie y ayt esté pourveu, commander pour le
service de sa Majesté, en l'absence de Monseigneur le Cardinal,
audit pays de la Nouvelle France, Fort & Habitation de
Québec, & autres places & forts qui sont & seront cy après
construits, ausquels vous establirez tels Capitaines que bon
299/1283 vous semblera: régir & gouverner lesdits peuples ainsi que
vous jugerez estre à faire & generalement faire en icelle
charge tout ce que vous estimerez & trouverrez à la plus grande
gloire de Dieu & de cet Estat, & utilité de ladite Compagnie.
En foy de quoy avons signé ces presentes: A Paris le 21e jour
de Mars 1629. & plus bas signé,_ De Lozon, Robineau, Alix,
Barthélémy Quantin, Bonneau, Quantin, Houel, Haquenier,
Castillon.»
Ledit Daniel me fit le récit comme il s'estoit saisi du Fort du
Milor Anglois, ainsi qu'il s'ensuit.
_RELATION DU VOYAGE FAIT_
_Par le Capitaine Daniel de Dieppe, en la Nouvelle France, la
presente année 1629._
Le 22e jour d'Avril 1629, je suis party de Dieppe, sous le
congé de Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre,
Chef & Surintendant Général de la Navigation & Commerce de
France, conduisant les navires nommez le Grand S. André & la
Marguerite, pour (suivant le commandement de Messieurs les
Intendans & Directeurs de la Compagnie de la Nouvelle France)
aller trouver Monsieur le Commandeur de Rasilly en Brouage ou
la Rochelle, & delà aller sous son escorte secourir &
avictuailler le sieur de Champlain, & les François qui estoient
au fort & à l'habitation de Québec en la Nouvelle France: &
estant arrivé le 17 de May à Ché de Boys, le lendemain l'on
300/1284 publia la paix faite avec le Roy de la Grande Bretagne, & après
avoir sejourné audit lieu l'espace de 39 tours, en attendant
ledit sieur de Rasilly, & voyant qu'il ne s'advançoit de
partir, & que la saison se passoit pour faire ledit voyage: Sur
l'advis de mesdits sieurs les Directeurs, & sans plus attendre
ledit sieur de Rasilly, je partis de la radde dudit Ché de Boys
le 26e jour de juin, avec quatre vaisseaux & une barque
appartenans à ladite Compagnie, & continuant mon voyage jusques
sur le Grand Ban, surpris que j'y fus de brunes & mauvais
temps, je perdis la compagnie de mes autres vaisseaux, & fus
contraint de poursuivre ma route seul, jusqu'à ce qu'estant
environ à deux lieues proche de terre, j'apperceus un navire
portant au grand Mas un pavillon Anglois, lequel ne me voyant
aucun canon m'approcha à la portée du pistolet, pensant que je
fus totalement desgarny, à lors je commencé à faire ouvrir les
sabors, & mettre seize pièce de canon en batterie, de quoy
s'estant ledit Anglois apperceu il s'efforça de s'esvader, &
moy de le poursuivre jusques à ce que l'ayant approché je luy
fis commandement de mettre son pavillon bas, comme estant sur
les costes appartenantes au Roy de France, & de me monstrer sa
commission, pour sçavoir s'il n'estoit point quelque forban, ce
que m'ayant refusé je fis tirer quelques coups de canon &
l'aborday, ce fait ayant recogneu que sa commission estoit
d'aller vers le Cap de Mallebarre trouver quelques siens
compatriotes, & qu'il y portoit des vaches autres choses, je
l'asseuray que la paix estoit faite entre les deux couronnes, &
qu'à ce suject il ne devoit rien craindre, & ainsi le laissay
301/1285 aller: & estant le 28e jour d'Aoust entré dans la riviere
nommée par les Sauvages Grand Cibou, j'envoyay le jour d'après
dans mon batteau dix de mes hommes le long de la coste, pour
trouver quelques Sauvages & apprendre d'eux en quel estat
estoit l'habitation de Québec, & arrivant mesdits hommes au
Port aux Balaines; y trouverent un navire de Bordeaux, le
maistre duquel se nommoit Chambreau, qui leur dit que le sieur
Jacques Stuart Millor Escossois estoit arrivé audit lieu
environ deux mois auparavant, avec deux grands navires & une
patache Angloise, & qu'ayant trouvé audit lieu Michel Dihourse
de S. Jean de Luz, qui faisoit sa pescherie & secherie de
molue, s'estoit ledit Milor Escossois saisi du navire & molue
dudit Dihourse, & avoit permis que ses hommes fussent pillez &
que ledit Milor avoit peu après envoyé les deux plus grands de
ses vaisseaux, avec le navire dudit Michel Dihourse, & partie
de ses hommes vers le port Royal pour y faire habitation, comme
aussi ledit Milor depuis son arrivée avoit fait construire un
fort audit port aux Balaines, & luy avoit enlevé de force les
trois pièces de canon qu'il avoit dans son navire, pour les
mettre dans ledit fort, mesme donne un escrit signé de sa main,
par lequel il protestoit ne luy permettre ny à aucun autre
François, de pescher d'oresnavant en ladite coste, ny traitter
avec les Sauvages, qu'il ne luy fut payé le dixiesme de tout, &
que sa commission du Roy de la Grande Bretagne, luy permettoit
de confisquer tous les vaisseaux qui iroient ausdits lieux sans
son congé: Lesquelles choses m'estant rapportées, jugeant estre
302/1286 de mon devoir d'empescher que ledit Milor ne continua
l'usurpation du païs, appartenant au Roy mon maistre, &
n'exigea sur ses sujets le tribut qu'il se promettoit. Je fis
préparer en armes 53 de mes hommes, & me pourveus d'eschelles &
autres choses necessaires pour assiéger & escalader ledit fort,
si qu'estant arrivé le 18 Septembre audit port aux Balaines, où
estoit construict ledit fort, je mis pied à terre, & fis
advancer sur les deux heures après midy mes hommes vers ledit
fort, selon l'ordre que je leur avois donné, & iceluy, attaquer
par divers endroits, avec forces grenades, pots à feu & autres
artifices, nonobstant la resistance & les mousquetades des
ennemis, lesquels se voyant pressez prindrent l'espouvente & se
presenterent aussi tost sur leur rampart, avec un drappeau
blanc en la main, demandant la vie & le quartier à mon
Lieutenant, ce pendant que je faisois les approches vers les
portes dudit fort, que je fis promptement enfoncer, & aussi
tost suivy de mes hommes j'entray dans ledit fort, & me saisis
dudit Milor, que je treuvay armé d'un pistolet & d'une espée
qu'il tenoit en ses mains, & de tous ses hommes, lesquels au
nombre de quinze estoient armez de cuirasses, brassarts,
cuisarts & bourguignottes, ayans chacun une harquebuse à fusil
en main, & le reste armez de mousquets & picques seulement: Et
ayant iceux faict desarmez je fis oster les estendarts du Roy
d'Angleterre, & fis mettre au lieu d'iceux ceux du Roy mon
Maistre. Puis visitant ce qui estoit audit fort y trouvé un
François natif de Brest nommé René Cochoan, détenu prisonnier
303/1287 jusques à ce que son Capitaine (arrivé deux jours auparavant en
un port distant de deux lieues de celuy aux Balaines) eust
apporté une pièce de canon qu'il avoit en son navire, & payé le
dixiesme de ce qu'il pescheroit, & le jour suivant je fis
équiper une carvelle Espagnolle que je trouvay eschouée devant
ledit fort, & charger les vivres & munitions qui estoient en
iceluy, & après l'avoir fait raser & desmolir, & le tout faict
porter à ladite riviere du grand Cybou, je fis avec toute
diligence travailler en ce lieu cinquante de mes hommes, &
vingt des Anglois à la construction d'un retranchement ou fort
sur l'entrée de ladite riviere pour empescher les ennemis d'y
entrer, dans lequel je laissay quarante hommes, compris le R.
P. Vimond & Vieupont Jesuites, huict pièces de canon, dix-huict
cens de pouldre, six cens de mèche, quarante mousquets,
dix-huict picques, artifices, balles à canon & mousquets,
vivres & autres choses necessaires, avec tout ce qui avoit esté
trouvé dans ladite habitation & fort desdits Anglois, & ayant
fait dresser les armes du Roy & de Monseigneur le Cardinal,
faict faire une Maison, Chappelle & magasin, pris serment de
fidélité du sieur Claude natif de Beauvais, laissé pour
commander ledit fort & habitation pour le service du Roy, &
pareillement du reste des hommes demeurez audit lieu: Suis
party le 5e jour de Novembre, & ay amené lesdits Anglois,
femmes & enfans, desquels en ay mis 42, à terre prés Palmue,
port d'Angleterre, avec leurs hardes, & dix-huict ou vingt que
j'ay amenez en France avec ledit Milor, attendant le
304/1288 commandement de mondit Seigneur le Cardinal Ce que je
certifie estre vray, & ay signé la presente Relation. A Paris
ce douziesme Décembre 1629.[793]
[Note 793: Pour plus de détails sur cette expédition, voir: _Prise d'un
seigneur escossois & de ses gens qui pilloient les navires pescheurs de
France, par M. Daniel de Dieppe, Capitaine pour le Roy en la Marine, &
Général de la Nouvelle France_, dédié à M. le Président de Lauzon,
intendant de la Cie. dudit pays, par le sieur de Malapart, soldat dudit
sieur Daniel, Rouen, 1630; _The barbarous cariage of the French in Cape
Britaine, lord Ewchiltree's Information_ (State Paper Office, Colonial
Papers, vol. V, n. 46, 48).]
Ayant sejourné deux jours à Dieppe je m'acheminay à Rouen, où
je m'arrestay deux autres jours, & appris comme le vaisseau des
Reverends Peres l'Allemand & Noyrot s'estoient perdus vers les
Isles de Canseau, & me fit-on voir une lettre dudit Reverend
Père l'Allemand, Supérieur de la Mission des Pères Jesuites, en
la nouvelle France, envoyée de Bordeaux au R. P. Supérieur du
Collège des Jesuites à Paris, & dattée du 22 Novembre 1629.
comme il s'ensuit.
MON REVEREND PERE,
Pax Christi.
«_Castigans castigavit me Dominus & morti non tradidit me,_
Chastiment qui m'a esté d'autant plus sensible que le naufrage
a esté accompagné de la mort du R. P. Noyrot & de nostre frère
Louys, deux hommes qui devoient, ce me semble grandement servir
à nostre Séminaire. Or neantmoins puis que Dieu a disposé de la
sorte, il nous faut chercher nos contentemens dans ses sainctes
volontez, hors desquelles il n'y eut jamais esprit solide ny
305/1289 content, & se m'asseure que l'expérience aura fait voir à
vostre reverence que l'amertume de nos ressentiments détrempée
dans la douceur du bon plaisir de Dieu, auquel une ame
s'attache inseparablement, perd ou le tout, ou la meilleure
partie de son fiel. Si que s'il reste encore quelques souspirs
pour les souffrances, ou passées ou presentes, ce n'est que
pour aspirer davantage vers le Ciel, & perfectionner avec
mérite ceste conformité dans laquelle l'ame a pris resolution
de passer le reste de ses jours; De quatre des nostres que nous
estions dans la barque, Dieu partageant à l'esgal, en a pris
deux, a laissé les deux autres. Ces deux bons Religieux
très-bien disposez & resignez à la mort, serviront de victime
pour appaiser la colère de Dieu justement jettée[794] contre
nous pour nos deffauts, & pour nous rendre desormais sa bonté
favorable au succeds du dessein entrepris.
[Note 794: Irritée.]
Ce qui nous perdit fut un grand coup de vent de Suest, qui
s'esleva lors que nous estions à la rive des terres, vent si
impétueux que quelque soin & diligence que peust apporter
nostre Pilote avec ses Matelots, Quelques voeux & prières que
nous peussions faire pour destourner ce coup, jamais nous ne
peusmes faire en sorte que nous n'allassions heurter contre les
rochers: ce fut le 26e jour d'après nostre départ, jour de
sainct Barthelemy[795], environ sur les neuf heures du soir; De
24 que nous estions dans la barque, dix seulement eschapperent,
les autres furent estouffez dans les eaux. Les deux nepveux du
306/1290 Père Noyrot tindrent compagnie à leur oncle, leurs corps ont
esté enterrez, entre autres celuy du P. Noyrot & de nostre
frère, des sept autres nous n'en avons eu aucune nouvelles,
quelque recherche que nous en ayons peu faire. De vous dire
comment le Père de Vieuxpont & moy avons eschappé du naufrage,
il me seroit bien difficille, & croy que Dieu seul en a
cognoissance, qui suivans les desseins de sa divine providence
nous a preservez, car pour mon regard ne jugeant pas dans les
apparences humaines qu'il me fust possible d'éviter ce danger,
j'avois pris resolution de me tenir dans la chambre du navire
avec nostre frère Louys, nous disposans tous deux à recevoir le
coup de la mort, qui ne pouvoit tarder plus de trois _Merere_,
& lors que j'entendis qu'on m'appelloit sur le haut du navire,
je croyois que c'estoit quelqu'un qui avoit affaire de mon
secours, je montay en haut, & trouvay que c'estoit le P. Noyrot
qui me demandoit de rechef l'absolution: Après luy avoir
donnée, & chanté tous ensemble le _Salve Regina_, je fus
contrainct de demeurer en haut; car de descendre il n'y avoit
plus de moyen, la mer estoit si haute, & le vent si furieux,
qu'en moins de rien le costé qui panchoit sur le rocher fut mis
en pièces, j'estois proche du P. Noirot lors qu'un coup de mer
vint si impetueusement donner contre le costé sur lequel nous
estions qui rompit tout, & me separa du P. Noyrot, de la bouche
duquel j'entendis ces dernières paroles, _In manus ci tuas
Domine, etc_. Pour moy de ce coup je me trouvay engagé entre
307/1291 quatre pièces de bois, deux desquelles me donnerent si rudement
contre la poictrine, & les deux autres me briserent si fort le
dos que je croyois mourir auparavant que d'estre enveloppé des
flots, mais voicy un autre coup de mer qui me desengageant de
ces bois m'enleva, & mon bonnet & mes pantoufles, & mist le
reste du navire tout à plat dans la mer: le tombay heureusement
sur une planche que je n'abandonnay point, de rencontre elle
estoit liée avec le reste du costé de ce navire. Nous voilà
doncques à la mercy des flots, qui ne nous espargnoient point:
ains s'eslevans je ne sçay combien de couldées au dessus de
nous, tomboient par après sur nos testes. Après avoir flotté
longtemps de la sorte dans l'obscurité de la nuict, qui estoit
desja commencée, regardant à l'entour de moy je m'apperceus que
nous estions enfermez d'espines & sur tout environnez & prest
du costau qui sembloit une isle, puis regardant un peu plus
attentivement je contay six personnes qui n'estoient pas fort
esloignées de moy, deux desquels m'appercevans, m'excitèrent à
faire tous mes efforts pour m'approcher, ce ne fut pas sans
peine, car les coups que j'avois receus dans le débris du
vaisseau m'avoient fort affoiblis: le fis tant neantmoins,
qu'avec mes planches j'arrivay au lieu où ils estoient, & avec
leur secours je me trouvay assis sur le grand mast, qui tenoit
encore ferme avec une partie du vaisseau, je n'y fus pas
long-temps car comme nous approchions plus prés de ceste isle,
nos Matelots se lancèrent bien-tost à terre, & avec leur
308/1292 assistance tous ceux qui estoient sur le costé du navire y
furent bien tost après. Nous voilà donc sept de compagnie, je
n'avois bonnet ny souliers, ma soutane & habits estoient tous
deschirez, & si moulus de coups que je ne pouvois me soustenir,
& de faict il fallut qu'on me soustint pour aller jusques dans
le bois, aussi avois-je receu deux rudes coups aux deux jambes,
mais sur tout à la dextre, dont je me retiens encore, les mains
fendues avec quelque contusion, la hanche escorchée, la
poitrine sur tout bort offencée, nous nous retirasmes donc tous
sept dans le bois, mouillez comme ceux qui venoient d'estre
trempez dans la mer: la première chose que nous fismes fut de
remercier Dieu de ce qu'il nous avoit preservez, & puis le
prier pour ceux qui pourroient estre morts. Cela faict pour
nous eschauffer nous nous couchasmes les uns proches des
autres, la terre & l'herbe qui avoient esté mouillez de la
pluye du jour n'estoient encore propre pour nous seicher, nous
passasmes ainsi le reste de la nuict, pendant laquelle le P. de
Vieuxpont (qui grâces à Dieu n'estoit point offencé) dormit
fort bien. Le l'endemain si tost qu'il fut jour nous allasmes
recognoistre le lieu où nous estions, & trouvasmes que c'estoit
une isle de laquelle nous pouvions passer à la terre ferme, sur
le rivage nous trouvasmes forces choses que la mer y avoit
jetté, j'y trouvay deux pantoufles, un bonnet, un chappeau, une
soutanne, & plusieurs autres choses necessaires. Sur tout Dieu
nous y envoya pour vivres cinq bariques de vin, quelques dix
309/1293 pièces de lard, de l'huile, du pain des fromages, & une
harquebuse, & de la pouldre tout à propos pour faire du feu.
Après qu'on eut ainsi tout retiré, le jour de sainct Louys[796]
tous s'employerent à faire le possible pour bastir une
chalouppe du desbris du vaisseau, avec laquelle nous irions
rangeant la coste chercher quelque navire de pescheurs: On se
mit doncques à travailler avec meschans ferremens que l'on
trouva, elle estoit bien advancée, le quatriesme jour, lors que
nous eusmes cognoissance d'une chalouppe qui estoit sous voile
venant vers le lieu où nous estions, ils receurent dedans un de
nos matelots qui alla tout seul plus proche du lieu où elle
devoit passer, ils le menèrent dans leur vaisseau parler au
Maistre, auquel il raconta nostre disgrace, le maistre tout
aussi-tost s'embarqua dans une chalouppe & nous vint trouver,
nous offrit à tous le passage: Nous voila en asseurance, car le
lendemain tous les hommes couchèrent dans son vaisseau:
C'estoit un vaisseau Basque qui faisoit pesche à une lieue &
demie du rocher, où nous fismes naufrage, & pour autant qu'il
restoit encores bien du temps pour achever leur pesche, nous
demeurasmes avec eux ce qui restoit du mois d'Aoust, & tout le
mois de Septembre. Le premier d'Octobre arriva un Sauvage qui
dist au Maistre que s'il ne s'en alloit il y auroit danger que
les Anglois ne le surprissent. Cette nouvelle le disposa au
départ: Le mesme Sauvage nous dist que le Capitaine Daniel
estoit à vingt-cinq lieues de là qui bastissoit une maison, & y
310/1294 laissoit des François avec un de nos Peres: Cela me donna
occasion de dire au P. de Vieuxpont qui me pressoit fort que je
luy accordasse de demeurer avec ce Sauvage dans ceste coste,
qui estoit bien l'un des meilleurs Sauvages qui se puisse
rencontrer, Mon Père voicy le moyen de contenter vostre
reverence, le Père Vimond sera bien aise d'avoir un compagnon.
Ce Sauvage s'offre de mener vostre Reverence jusques au lieu où
est Monsieur Daniel, si elle veut demeurer là elle y demeurera,
si elle veut aller quelques mois avec les Sauvages, pour
apprendre la langue elle le pourra faire, & ainsi le R. Père
Vimond & vostre Reverence auront leur contentement: le bon Pere
fut extresmement joyeux de ceste occasion qui se presentoit,
ainsi il s'embarque dans la chalouppe du Sauvage, je luy
laissay tout ce que nous avions sauvé, horsmis le grand Tableau
duquel le matelot Basque s'estoit saisi, mais j'avois bien
pensé au retour de luy faire rendre, si une autre disgrace ne
nous fut arrivée. Nous partismes donc de la coste le 6 Octobre,
& après avoir enduré de si furieuses tempestes que nous
n'avions encores expérimentées, le quarantiesme jour de nostre
départ entrant dans un port proche de S. Sebastien, nous fismes
de rechef un second naufrage, le Navire rompu en mille pièces,
toute la molue perdue, ce que je peux faire ce fut de me sauver
dans une chalouppe, dans laquelle je me jettay avec des
pantoufles aux pieds, & un bonnet de nuict en teste, & en ceste
esquippage m'en aller trouver nos Pères à S. Sebastien, d'où je
311/1295 partis il y a huict jours, & suis arrivé à Bourdevac proche
de Bordeaux le 20 de ce mois[797]. Voila le succeds de nostre
voyage, par lequel vostre Reverence peut juger des obligations
que j'ay à DIEU.»
[Note 795: Le 24 août.]
[Note 796: Le 25 août.]
[Note 797: Le 20 de novembre.]
De Rouen je m'acheminay à Paris, où je fus saluer sa Majesté,
Monseigneur le Cardinal, & Messieurs les Associez, auquel je
fis entendre tout le sujet de mon voyage, & ce qu'ils avoient à
faire, tant en Angleterre qu'aux autres choses qui convenoit
pour le bien & utilité de ladite nouvelle France, l'on
despescha quelque temps après mon arrivée à Paris, le sieur
Daniel[798] le medecin pour aller à Londres treuver mondit sieur
l'Ambassadeur, avec lettres de sa Majesté pour demander au Roy
d'Angleterre qu'il eust à faire rendre le Fort & Habitation de
Québec, & autres ports & havres qu'il avoit pris aux costes
d'Acadie, après la paix faicte entre les deux Couronnes de
France & d'Angleterre: Ce que mondit sieur l'Ambassadeur
demande au Roy & à son Conseil, qui ordonna que le Fort &
Habitation seroient remis entre les mains de sa Majesté, ou
ceux qui auroient pouvoir d'elle, sans parler des costes
d'Acadie.
[Note 798: Probablement André Daniel. Le P. Ducreux le mentionne comme
l'un des Cent-Associés, et lui donne le titre de _Doctor Medicus_.]
Mondit sieur Ambassadeur renvoya Daniel porter la responce,
sçavoir si sa Majesté l'auroit pour agréable. Ce qu'attendant
lesdits sieurs Directeurs ne laisserent de supplier sa Majesté
& Monseigneur le Cardinal leur vouloir octroyer six de ses
312/1296 vaisseaux avec quatre pataches qu'ils fourniroient pour aller
au grand fleuve S. Laurens reprendre possession du Fort &
Habitation de Québec, suivant l'accord qui en seroit faict
entre leurs Majestés, que si cas advenant que l'on ne voulust
remettre la place entre les mains de ceux qui auroient pouvoir
de sa Majesté, ils seroient contraints par toutes les voyes
justes & raisonnables. Ladite Société fournissant seize mille
livres pour l'interests de six vingts mille livres, qu'il
failloit à mettre les vaisseaux hors. Monsieur le Chevalier de
Rasilly fut esleu pour général de ceste flotte, on les esquippe
& appareille de tout ce qui estoit necessaire, ce pendant sa
Majesté qui avoit à faire aux guerres d'Italie, ne peust rendre
response au Roy d'Angleterre, & mondit sieur l'Ambassadeur qui
attendoit la despeche de sa Majesté.
L'Anglois prend alarme de l'armement de ses vaisseaux, ils en
font plainte à mondit sieur l'Ambassadeur, qui leur dit, qu'ils
ne devoient appréhender sur ce sujet, d'autant que sa Majesté
n'avoit desir que de traitter à l'amiable, puisqu'ils avoient
ainsi commencé, que les vaisseaux que l'on armoit n'estoient
que pour faire escorte à ceux de la societé, qui avoient
interest de reprendre possession de ce qui leur appartenoit,
portant ce qui leur estoit necessaire pour les hommes qui
devoient demeurer en ces lieux. Puisqu'ils entroient en
ombrage, il feroit qu'à son retour sa Majesté leur donneroit
contentement, en ostant le soubçon qu'ils pourroient avoir, en
traitant de ceste affaire à l'amiable: sur ce de rechef le Roy
de la grande Bretagne promet faire restituer ce que ses sujets
avoient pris depuis la paix faite.
313/1297 Mondit sieur l'Ambassadeur s'en revient trouver sa Majesté, &
mondit Seigneur le Cardinal en Savoye, ausquels il fait
entendre tout ce que dessus, ce que ouy l'on contremande le
commandement qui avoit esté donné pour les vaisseaux qui
devoient aller audit Québec, le voyage rompu, les affaires
demeurent en cet estat, pour le divertissement que sa Majesté
avoit en Italie, & ne fit on response attendant la fin de ces
guerres, ce pendant les Anglois qui ne perdent temps arment
deux vaisseaux, avec vivres & marchandises pour porter audit
Québec, qui ne croyoient icelle année rendre la place: l'on ne
traita rien de ces affaires pour les causes susdites.
D'autre part les sieurs Directeurs font esquipper deux
vaisseaux pour le Cap Breton, & secourir ceux qui y estoient
habituez, & deux autres qui furent accommodez à Bordeaux, pour
aller faire une habitation en l'Acadie, où estoit le fils de la
Tour, qui avoit succedé en la place du feu sieur Jean Biencour.
Nous laisserons voguer ces vaisseaux tant d'un costé que
d'autre, pour voir ce qui en réussira à leur retour, & quelles
nouvelles nous apprendrons du progrez qui y aura esté fait, &
comme les hyvernans tant du Cap Breton, que Anglois auront
passé le temps à Québec. Le sieur Tufet fait faire l'esquippage
de ceux de Bordeaux l'an 1630. chargez de commoditez
necessaires, pour aller faire une habitation à la coste
d'Acadie, où il met des ouvriers & artisans avec trois
Religieux de l'ordre des Peres Recollets, le tout sous la
conduitte du Capitaine Marot de sainct Jean de Lus, se mettent
314/1298 en mer pour avec la grâce de Dieu parfaire leur voyage, ayant
esté contrariez de mauvais temps à leur traverse prés de trois
mois, ils arrivent à un lieu qui s'appelle le Cap de Sable,
sous la hauteur de 44 degrez où ils treuverent le fils de la
Tour[799] & quelques autres volontaires François qui estoient
avec luy, auquel ledit Marot donna des lettres dudit sieur
Tufet, par lesquelles l'on mandoit audit de la Tour, de se
maintenir tousjours dans le service du Roy, & de n'adhérer ny
condescendre aux volontez de l'Anglois, comme plusieurs
meschans François avoient fait, lesquels se ruynoient d'honneur
& de réputation d'avoir deservy sa Majesté, ce qui ne se
pouvoit esperer de luy, s'estant tousjours maintenu jusqu'à
present, & que pour cet effect il luy envoyoit des vivres,
rafreschissement, armes, & hommes pour l'assister, & faire
édifier une habitation au lieu qu'il jugeroit le plus commode,
& plusieurs autres discours tendant à ce sujet. La Tour
tres-aise de voir naistre ce que à peine il pouvoit esperer,
qui neantmoins ne s'estoit laissé emporter aux persuasions de
son père [800] qui estoit avec les Anglois, souhaitant plustost
315/1299 la mort que de condescendre à une telle meschanceté que de
trahir son Roy, qui donna du mécontentement aux Anglois, contre
le père de la Tour qui leur avoit asseuré de réunir son fils à
leur rendre toute sorte de service.
[Note 799: Charles-Amador, fils de Claude-Turgis de Saint-Étienne de la
Tour. Il fut d'abord enseigne, puis lieutenant de M. de Biencourt, qui,
en mourant, lui légua ses droits sur Port-Royal, et le nomma son
successeur dans le commandement. M. de Biencourt, autant qu'on peut en
juger, était mort vers le commencement de l'année 1624. (_Conf_. Lettre
de La Tour au roi, 1627, et page 83 ci-dessus.)]
[Note 800: Claude de La Tour, père, avait été pris l'année précédente,
par la flotte de Kertk (ci-dessus, p. 17;). Il revenait de France pour
rejoindre son fils dans l'Acadie. Emmené en Angleterre comme prisonnier,
il laissa ébranler sa fidélité envers son souverain, et il épousa une
dame anglaise de haute condition. Cette alliance lui imposa une espèce
d'obligation d'engager son fils à remettre son fort en l'obéissance du
roi d'Angleterre; ce qui lui réussit fort mal: car le jeune de La Tour
résista courageusement à toutes les suggestions et même les attaques de
son père. (Denys, t. I, p. 68 et suivantes.)]
Ayant leu ces lettres, & la réception faicte avec le
contentement qu'un chacun pouvoit desirer & principalement les
Pères Recollets de se voir au lieu qu'ils avoient souhaitté,
tant pour remettre les François au droit chemin de la crainte
de Dieu, qui avoient esté plusieurs années sans avoir esté
confessez, ny receu le S. Sacrement, que pour l'esperance
qu'ils se promettoient de faire quelque progrez envers la
conversion de ces pauvres infidèles, qui sont errans le long
des costes, menant une vie miserable, telle que je l'ay
representée cy dessus.
Lesdits de la Tour & Marot adviserent qu'il falloit donner
advis à la Tour le père, qui estoit au port Royal avec lesdits
Anglois, de tout ce qui se passoit en ce lieu, le persuadant à
le faire revenir & laisser lesdits Anglois, ce qui fut exécuté,
tant pour le remettre en son devoir, comme pour sçavoir de luy
l'estat des Anglois & leur dessein, pour en suitte se gouverner
selon qu'ils adviseroient suyvant sa relation.
Ils envoyerent un nommé Lestan[801] avec lettre dudit la Tour à
son père, qui l'ayant receue & leue aussi tost se mit en devoir
de venir trouver son fils, ne pouvant ny esperant faire grande
316/1300 fortune avec les Anglois, qui avoient grandement diminué de
l'opinion qu'ils en avoient eue[802]: Arrivé qu'il fut audit
Cap de Sable, il donne à entendre ce que l'Anglois avoit
dessein de faire, qui estoit de venir prendre leur fort, c'est
pourquoy ils avoient à se fortifier le mieux qu'il leur seroit
possible, pour empescher l'Anglois de son dessein: sçavoir s'il
disoit vray & pour se rendre necessaire, je tiens qu'il n'y
avoit pas beaucoup d'apparence que l'Anglois eust voulu remuer
la Paix, estant & sçachant les plaintes que l'on en avoit
faites au Roy de la grande Bretagne, qui offroit de rendre &
restituer tout ce qui avoit esté pris depuis la paix faicte:
quoy que ce soit, il ne faut pas négliger de se loger
fortement, aussi bien en temps de paix, que de guerre, pour se
maintenir aux accidents qui peuvent arriver, c'est ce que je
conseille à tous entrepreneurs de rechercher lieu pour dormir
en seureté.
[Note 801: C'est peut-être ce «nommé Lestan» qui a laissé son nom au
Havre à l'Estant près de l'entrée de la baie de Passamaquoddie.]
[Note 802: D'après Denys, qui tenait ses renseignements de La Tour
lui-même, le retour du père ne se fit pas tout à fait comme le dit
l'auteur. Claude de La Tour, n'ayant pu réussir ni à gagner son fils par
des promesses, ni à le contraindre par la force, se trouva fort
embarrassé, ne pouvant plus reparaître en Angleterre et encore moins
retourner en France. Il prit le parti d'écrire à son fils, & le pria de
souffrir que sa femme & luy demeurassent dans le pays... Son fils luy
fit réponse, qu'il ne vouloit point estre la cause de sa mort, mais
qu'il ne luy pouvoit accorder sa demande qu'à condition qu'il
n'entreroit ny luy ny sa femme dans son fort; qu'il leur feroit bastir
un petit logement au dehors, que c'estoit tout ce qu'il pouvoit faire;
il receut la condition que son fils luy fit. Le Capitaine envoya tout
leur équipage à terre, où la Tour père décendit avec sa femme, deux
hommes pour le servir, & deux filles de chambre pour sa femme. Le jeune
de la Tour leur fit bastir un logement à quelque distance du fort, où
ils s'accommodèrent du mieux qu'ils peurent. Ils avoient apporté
quelques victuailles, qui ne furent pas plutost consommées, que la Tour
fils y supplea, en nourrissant son père & toute sa famille.» «Environ
l'an mil six cens trente cinq, ajoute Denys, je passay par là; je fus
voir le jeune de la Tour, qui me receut très-bien, & me permit de voir
son père en son logement; ce que je fis. Il me receut bien, m'obligea de
dîner avec luy & sa femme; ils estoient fort proprement meublez.»
(Description de l'Amérique, t. I, p. 74-77.)]
Ledit père de la Tour fit aussi rapport qu'il estoit mort
trente Escossois, de septante qu'ils estoient en cet
hyvernement, qui avoient esté mal accommodez: fut resolu tant
317/1301 par le Conseil desdits de la Tour père & fils, que Marot, &
Pères Recollets, de faire encore une habitation à la riviere S.
Jean pour plusieurs raisons telles quelles, qui est à quatorze
lieues du port Royal, plus au Nort dans la Baye Françoise: que
pour parvenir à l'exécution de ceste entreprise, il estoit
necessaire d'avoir des hommes & commoditez pour basti & se
fortifier en ladite riviere.
Pour ne perdre temps il falloit dépescher le moyen vaisseau
audit sieur Tufet, & envoyer promptement des hommes & autres
choses necessaires, pour s'opposer aux forces de l'Anglois, qui
ne taschoit que de temps en temps à usurper tout le païs, &
qu'en icelle habitation nouvelle le père de la Tour y
commanderoit, le fils au Cap de Sable, qui fit retenir toutes
les commoditez des vaisseaux qu'il jugea luy estre necessaires:
Le moyen vaisseau ne fit ny traite ny pesche pour payer les
fraiz de son embarquement, & ainsi légèrement s'en revient à
Bordeaux avec lettres tant des Peres Recollets que de la Tour,
addressantes à Messieurs les Directeurs de la Nouvelle France,
qui fut vers la fin du mois d'Octobre: ledit Marot demeura là
avec le grand vaisseau, pour essayer à faire quelque chose pour
payer le voyage.
Ceste nouvelle receue dudit sieur Tufet, par le retour du moyen
vaisseau si léger, ne luy peust donner grand contentement, pour
le renvoy estre trop precipitement & légèrement fait, sans y
avoir du sujet necessaire qui les peust avoir esmeuz à cela.
318/1302 Car la resolution de ce Conseil qui avoient plustost leurs
inclinations au bien de leur contentement, & autres de leurs
affaires particulières, qu'à conserver & employer le bien de
ceux qui les employent à leur proffit, pour supporter la
despense qui se fait en cet embarquement, que si le mesnagement
de ceux qui sont employez n'est fait avec soing & vigilence,
accompagné de fidélité, les voyages se rendent inutils, font
perdre courage aux entrepreneurs, qui ne font les rencontres
selon leurs volontez, & souvent deceu de ce qu'ils s'estoient
peu imaginer en ces desseins.
Quelle raison avoit il d'envoyer ce vaisseau vuide pour
demander du secours, lequel quand on l'eust voulu renvoyer à
mesme temps, avec les choses necessaires pour cet effect, il se
fut passé plus de quatre à cinq mois, qui n'eust peu estre que
vers la fin de Fevrier ou Mars, dans la rigueur de l'hyver, où
les neges sont de deux à trois pieds, & les traverses fort
fascheuses en ce temps, comme l'on voit assez par expérience,
qui est fatiguer tous ceux d'un vaisseau, & quelquesfois courir
risque de se perdre, ou estre desmatez & relâcher qui se voit
assez souvent pour se haster trop tost, encore qu'à l'Acadie
l'on peut aborder la terre en tout temps, & y arrivant en
l'hyver l'on ne laine d'y avoir de grandes incommoditez, comme
nous l'avons expérimenté.
Que si l'Anglois eust eu volonté d'aller prendre la Tour, & se
sentant plus fort comme le representoit le Père, ils l'eussent
emporté s'il n'eust esté bien fortifié & amunitionné, premier
que le secours de France luy fut arrivé.
319/1303 Mais ayant des hommes & commoditez que ledit Marot avoit porté,
ils n'avoient que faire de craindre estant un peu fortifiez
comme ils eussent peu faire, & laisser faire la pesche de
poisson & traitte aux vaisseaux, & ne le renvoyer vuide avec
une lettre: sa charge faite revenant de compagnie avec ledit
Marot, il eust apporté dequoy (au moins en partie) payer son
voyage, & les lettres fussent venues aussi à temps pour ce
qu'ils desiroient, comme quand ils le firent partir sans rien
rapporter, car ils pouvoient s'imaginer que l'on ne renvoyeroit
qu'au Printemps, par consequent vaine leur resolution
inconsiderée & précipitée, qui a fait perdre beaucoup audit
sieur Tufet, & des sieurs de la societé qui se fussent bien
passés de telle depesche. Presqu'en ce mesme temps arriva un
vaisseau pescheur du Cap Breton, dans lequel repassoit les
Reverends Pères Vimond & Vieux-pont Jesuistes, par le
commandement qui leur en avoit esté faict de leur Reverend Père
Provincial, qui dirent qu'à ladite habitation du grand Cibou,
en l'isle dudit Cap Breton estoit mort douze François du mal de
terre, qui est le securbut, & d'autres malades, le Printemps
les remit: Ces maladies comme j'ay dit en mes premiers voyages,
ne vient que de manger des salures, pour n'avoir des viandes ou
autres choses rafraichissantes, comme nous avons esprouvé en
nos habitations par le passé. Durant l'hyvernement ils virent
peu de Sauvages qui n'y viennent que par rencontre chercher les
vaisseaux François qui y peuvent estre pour traitter avec eux:
ces endroits ne sont pas beaucoup plaisans ny agréables que
320/1304 pour la pesche de molue. Ils laisserent les deux vaisseaux que
Messieurs les Directeurs avoient envoyez pour le ecours
d'icelle habitation, qui avoient traitté quelque nombre de
peaux d'eslans, faisant leur pesche de poisson, comme plusieurs
autres vaisseaux qui sont par toutes ces costes.
Vers le 10 Octobre arriverent à Londres deux vaisseaux Anglois,
l'un du port de deux cens cinquante tonneaux, & l'autre de
cent, qui revenoient de Québec où ils avoient fait monter leur
vaisseau de Tadoussac pour n'estre en la puissance de ceux qui
eussent esté plus forts qu'eux, s'il en fut venu comme ils
s'imaginoient, en l'un commandoit le Capitaine Thomas Quer
Vis-Admiral au voyage précèdent, & le Capitaine Breton Anglois
bon marinier, lequel avoit fait bon traittement en son vaisseau
aux Peres Jesuistes quand nous retournasmes de Québec avec
lesdits Anglois l'année d'auparavant, lesquels ramenèrent deux
François qu'ils avoient retenus par delà, l'un charpentier &
l'autre laboureur, qui de Londres revindrent à Paris, lequel
nous dit qu'ils avoient rapporté pour trois cens mille livres
de peleterie, & estoit mort quatorze Anglois de nonante qu'ils
estoient, de pauvreté & misere durant l'hyver, & autres qui
avoient esté assez malades, n'ayant fait bastir ny défricher
aucune terre depuis nostre département, sinon ensemencer ce qui
estoit labouré tant la maison des Pères Jesuistes que Peres
Recollets, dans lesquelles maisons y avoit dix hommes pour les
conserver, qu'au fort ils n'avoient fait qu'un parapel de
planche sur le rampart, & remply deux plates formes que j'avois
321/1305 fait commencer: de bastiment dedans ils n'en avoient fait
aucun, horsmis une de charpente contre le rempart, qu'en partie
ils avoient défait du costé de la pointe aux Diamants pour
gaigner de la place, & qu'elle n'estoit pas encore achevée. Que
dans le fort y avoit quatorze pièces de canon, avec cinq
espoirs de fonte verte qu'ils nous avoient pris, & quelques
pierriers, estant bien amunitionnées, & estoient restez
quelques septante Anglois. Que le tonnerre avoit tombé dans le
fort & rompu une porte de la chambre des soldats, entré en
icelle, meurtry trois à quatre personnes, passé dessous une
table, tué deux grands dogues qui estoient pour la garde, &
s'en estoit allé par le tuyau de la cheminée qui en avoit abatu
une partie, & ainsi se perdit en l'air.
Dit que les mesnages François[803] qui resterent ont esté très
mal traictez, de ceux qui se sont rendus aux Anglois, &
principalement d'un appelle le Bailly, duquel j'ay parlé cy
dessus. Pour ce qui est du Capitaine Louis & des Anglois ils
n'en ont point esté inquiétez: rapporte qu'ils s'attendoient
bien que ceste année les vaisseaux du Roy y deussent aller avec
commission du Roy de la grande Bretagne, pour les en faire
desloger, ce qu'ils eussent fait non autrement que par force:
Voilà ce que nous avons eu de nouvelles qu'injustement ils
tiennent ceste place, & en tirent les émoluments qui ne leur
appartiennent, mais l'esperance que l'on a que le Roy
d'Angleterre la fera rendre au Roy avec douceur & non de force,
convenir des limites que chacun doit posseder, & non vouloir
322/1306 des Virgines embraser toutes les costes qui ne leurs
appartiennent, comme il se peut voir & sçavoir par les
relations de ceux qui ont premièrement descouvert & possedé
actuellement & réellement ces terres, au nom de nos Roys
devanciers jusqu'à maintenant, sous LOUYS le JUSTE XIII. Roy de
France & de Navarre, que Dieu veuille combler de milles
benedictions, & accroistre son règne d'une heureuse & longue
vie.
[Note 803: Ces ménages sont les cinq familles dont il a été parlé
ci-dessus, p. 205, 206.]
FIN.
_ABREGÉ DES DESCOUVERTURES de la Nouvelle France, tant de ce
que nous avons descouvert comme aussi les Anglais, depuis les
Virgines Jusqu'au Freton Davis, & de ce qu'eux & nous pouvons
prétendre, suivant le rapport des Historiens qui en ont
descrit, que je rapporte cy dessous, qui feront juger à un
chacun du tout sans passion._
Les Anglois ne nous disputent point toute la Nouvelle France,
& ne peuvent desnier ce que tout le monde a accordé, ains
seulement débattent des confins, nous restraignant jusqu'au Cap
Breton, qui est par la hauteur de quarante cinq degrés trois
quarts de latitude, ne nous permettant pas d'aller plus au
midy, s'attribuant tout ce qui est de la Floride jusqu'au dit
Cap Breton, & ces dernières années ils ont voulu s'estendre par
usurpation jusqu'au fleuve sainct Laurent, comme ils ont fait.
323/1307 Voicy le fondement de leur prétention, qui est qu'environ l'an
1594,[804] estant aux costes de la Floride arriverent en un
lieu que lesdits Anglois appelloient Mocosa, y ayant treuvé
quelques rivieres & païs qui leur agréa, ils commencèrent à y
vouloir bastir, luy imposant le nom de Virgines: mais ayant
esté contrariez par les Sauvages & autres accidents, ils furent
contrains de quitter, ny ayant demeuré que deux ou trois ans:
neantmoins depuis le feu Roy Jacques d'Angleterre venant à la
couronne prit resolution de la recognoistre, habiter &
cultiver, à quoy ledit Roy favorisant a baillé de grands
privileges à ceux qui entreprendroient ceste peuplade, &
entr'autres a estendu le droict de leur retenue dés le 33e
degré de l'élevation jusqu'au 45 & 6, leur donnant pouvoir sur
tous Estrangers qu'ils treuveroient dans ceste estendue de
terre, & 50 mille avant en la mer. Ces lettres du Roy furent
expédiées l'an quatriesme de son règne, & de grâce 1607, le 10
d'Avril, il y a 24 ans. Voilà tout ce qui se peut apprendre de
leurs commissions & enseignements pour ces contrées. Voicy ce
que nous leurs respondons.
[Note 804: La première tentative d'établissement à la Virginie fut celle
de sir Walter Raleigh, en 1584. Sir Francis Drake ramena la colonie en
Angleterre au bout de deux ans (Holmes' _American Annals_).]
En premier lieu, que leurs lettres royaux sur quoy ils se
fondent les dédisent de leur prétention, parce qu'il est dit
expressement dans icelles avec exception specifiée, Nous leur
donnons toutes les terres jusqu'au 45e degré, lesquelles ne
sont point actuellement possedées par aucun Prince Chrestien.
Or est il que lors de la datte de ces lettres, le Roy de France
324/1308 actuellement & réellement possedoit pour le moins jusqu'au
quarantiesme degré de latitude desdites terres, où depuis
quelques années les Holandois s'y sont establis, tout le monde
le sçait par les voyages du sieur de Champlain imprimez, avec
les cartes, ports, & havres de toutes les costes qu'il fit, qui
depuis chacun s'en est servy, & les ont adaptés sur les globes
& cartes universelles, que l'on a corrigées de cet échantillon
de terre, & voit on par lesdits voyages qu'en l'an 1604, ils
estoient à saincte Croix, & en l'an 1607.[805] au port Royal,
auquel ledit Champlain donna le nom, comme à plusieurs autres
lieux que l'on voit par ses cartes, le tout habité par le feu
sieur de Mons, qui gouvernoit tout ce païs jusqu'au
quarantiesme degré, comme Lieutenant de sa Majesté
tres-Chrestienne.
[Note 805: De 1605 à 1607 (voir l'édition de 1613).]
Auparavant l'an précèdent 1603 ledit Champlain par commandement
de sa Majesté fit le voyage de la Nouvelle France, en la grande
riviere sainct Laurent, & à son retour en fit rapport à sa
Majesté, lequel rapport & description il fit imprimer deslors,
partit de Hondefleur en Normandie le 15 de Mars audit an, en ce
mesme temps le feu sieur Commandeur de Chaste gouverneur de
Dieppe; estoit Lieutenant général en ladite Nouvelle France:
depuis le 40 degré jusqu'au 52e de latitude.
Si les Anglois disent que seulement ils n'ont pas possedé les
Virgines dés l'an 1603, 4 & 7, ains dés l'an 1594, qu'ils
treuverent comme avons dit.
L'on respond que la riviere qu'ils commençoient lors à posseder
est au 36e & 37e degré, & que ceste leur allégation à
325/1309 l'advanture pourroit valloir, s'il n'estoit question que de
tenir ceste riviere, & 7 à 8 lieues de l'un de l'autre costé
d'icelle, car autant se peut porter la veue pour l'ordinaire,
mais que s'attribuant par domination l'on s'estende trente &
six fois plus loing que l'on n'a recognu, c'est vouloir avoir
les bras ou plustost la cognoissance bien monstrueuse. Posons
que cela se puisse faire.
Il s'ensuiveroit que Ribaut & Laudonniere estant allez à la
Floride en bon esquippage, par auctorité du Roy Charles IX,
l'an 1564, 5 & 6, pour cultiver & habiter le païs y estant
édifié la Caroline[806] au 35e ou 36e degré & par ainsi voilà
l'Anglois hors des Virgines, suyvant leurs propres machines.
[Note 806: Voir ci-dessus, première partie, p. 18, note 4.]
Pourquoy eux estant au 36e ou 37e avanceront plustost au 45e
que nous, comme ils confessent, estant au 46e ne descendrons
nous jusqu'au 37e quel droict y ont ils plus que nous, voilà ce
que nous respondons aux Anglois.
Et est très certain & confessé de tous, que sa Majesté très
chrestienne, a prins possession de ces terres avant tout autre
Prince Chrestien, & asseuré que les Bretons & Normans
treuverent premiers le grand Ban& les terres neufves, ces
descouvertures faictes en l'an 1504, il y a 126 ans, ainsi
qu'il se peut voir en l'histoire de Niflet[807] & Anthoine
Magin imprimé à Douay.
[Note 807: Wytfliet. (Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 1.)]
Et d'advantage tous confessent que par commandement du Roy
François, Jean Verazan prit possession desdites terres au nom
de France commençant dés le 33e degré de l'élevation jusqu'au
326/1310 47e; ce fut par deux voyages desquels le dernier fut fait l'an
1523,[808] il y a 107 ans.
[Note 808: Voir ci-dessus, première partie, p. 11, note 2, 3 et 4.]
Outre Jacques Cartier entra le premier en la grande riviere
sainct Laurent, par deux voyages qu'il y fut, & descouvrit la
plus grande part des costes de Canadas, à son dernier voyage
l'an 1535 il fut jusqu'au Grand Sault sainct Louis de ladite
grande riviere.
Et en l'an 1541, il fit un autre voyage comme Lieutenant de
Messire Jean François de la Roque sieur de Robert-Val, qui
estoit Lieutenant général audit païs, ce fut son troisiesme
voyage où il demeura, ne pouvant vivre au païs avec les
Sauvages qui estoient insupportables, & ne pouvoit descouvrir
que ce qu'il avoit fait: il se délibéra de s'en retourner au
Printemps, ce qu'il fit, en un vaisseau qu'il avoit reservé, &
estant le travers de l'isle de terre neufve, il fit rencontre
dudit sieur de Robert-Val qui venoit avec trois vaisseaux l'an
1542, il fit retourner ledit Cartier à l'isle d'Orléans[809] où
ils firent une habitation, & y estant demeuré quelque temps,
l'on tient que sa Majesté le manda pour quelques affaires
importantes, & ceste entreprise peu à peu ne sortit à aucun
effect, pour n'y avoir apporté la vigilance requise.
[Note 809: La relation du voyage de M. de Roberval prouve, au contraire,
que Cartier ne voulut point retourner avec lui, et «partit incontinent
pour se rendre en Bretagne.» (Voy. du sieur de Roberval.)]
Presque en ce mesme temps Alfonse Xintongeois fut envoyé vers
la Brador, par ledit sieur de Robert-Val, autres disent par sa
Majesté, lequel descouvrit la coste du Nort de la grande Baye
327/1311 au golphe sainct Laurent, & le passage de l'issle de terre
neufve, à la grande terre du Nort, au 52e degré de
latitude[810].
[Note 810: Jean Alphonse, dans sa Cosmographie encore manuscrite, fait
une description étonnamment exacte pour l'époque, de la côte du Labrador
et du fleuve Saint-Laurent. jusqu'à Québec.]
En suitte le Marquis de la Roche de Bretagne en l'an 1598,[811]
fut en ces terres de la Nouvelle France, comme Lieutenant de sa
Majesté, & en suitte les sieurs Chauvin de Hondefleur en
Normandie, Commandeur de Chaste & de Mons comme dit est, & le
sieur de Poitrincourt, & Madame de Quercheville[812], qui eut
quelque département à l'Acadie, y envoya la Saulsaye, avec
lequel furent les Reverends Pères Jesuistes qui furent pris par
les Anglois, (comme il a esté dit cy dessus) comme le port
Royal, & depuis 28 ans ledit sieur de Champlain ayant
descouvert & fait descouvrir plusieurs contrées, plus de quatre
à cinq cens lieues dans les terres, comme il se voit par ses
relations cy dessus imprimées depuis l'an 1603. jusqu'à present
1631.
[Note 811: Voir ci-dessus, première partie, p. 38, note 1.]
[Note 812: Guercheville.]
Venons à ce qui se treuve descrit des voyages des Anglois, ce
n'est pas assez qu'ils se vantent d'estre des premiers qui ont
descouvert ces terres, il est question quelles elles sont. Il
est très certain que quand il se fait quelque descouverture
nouvelle, l'on est assez curieux d'en descrire les temps, ce
que les Anglois n'ont oublié, ny les autres nations, suyvant
les mémoires qui leurs sont envoyez, ils n'oublient rien de ce
qui se fait, mais nous ne treuvons en aucuns autheurs que les
328/1312 Anglois ayent jamais pris possession des païs de la Nouvelle
France, qu'après les François.
Il est vray que les Anglois ont descouvert du coste du Nort
vers les terres de la Brador & Freton Davis, des terres, isles,
& quelques passages depuis le 56e degré vers le Pôle Artique,
comme il se voit par les voyages qui ont esté imprimez tant en
Angleterre, qu'ailleurs, par lesquels il appert dequoy ils se
peuvent prevalloir sans usurpation, comme ils ont fait en
plusieurs lieux de la Nouvelle France: il faudroit estre
aveugle, sans cognoissance, pour ne voir ce que les histoires
nous font cognoistre de véritable.
En premier lieu, Sebastien Cabot[813], sous le commandement du
Roy Henry VII d'Angleterre l'an 1499 fut pour descouvrir
quelques passages vers la Brador & s'en revint sans fruict, &
depuis es années 1576 77 & 78, Messire Martin Forbichet[814] y
fit trois voyages, sept ans après Honfroy Guillebert[815] y
fut, en suitte Jean Davis descouvrit un destroit appellé de son
nom. Estienne Permenud[816] fut à l'isle de terre neufve à la
coste du Nord de l'Est de l'isle, en l'an 1583. un autre peu
après nommé Rtehard Viitaaboux N.[817] fut à la mesme coste, en
329/1313 suitte un appellé le Capitaine George[818] y fut en l'an 1590,
vers le Nort, de plus fraiche memoire l'an 1612[819] y fut un
Capitaine Anglois au Nort, où il treuva un passage par le 63e
degré, comme il se voit par la carte imprimée en Angleterre, &
y treuvant des difficultez pour treuver le passage que tant de
navigateurs ont recherché, pour aller aux Indes Orientales du
costé de l'Ouest: & depuis 35 ans ils se sont estendus tant aux
Virgines qu'aux terres qui nous appartiennent.
[Note 813: La première expédition entreprise au nom du roi d'Angleterre,
fut confiée à Jean Cabot et à ses fils Louis, Sébastien et Sanche, par
lettres de Henri VII, du 5 mars 1496, ou 15 mars 1497, style neuf.
(Voir: Rymer, _Foedera_, vol. XII;--_a Memoir of Sébastian Cabot_, ch.
IX.)]
[Note 814: Frobisher.]
[Note 815: Humphrey Gilbert.]
[Note 816: Étienne Parmenius, de Bude, savant hongrois, faisait partie
du voyage de sir Humphrey Gilbert, et périt dans le naufrage du vaisseau
amiral. (Hakluyt, vol. III.)]
[Note 817: Probablement Richard Clarke de Weymouth, capitaine du
vaisseau amiral de sir Humphrey Gilbert, au même voyage, en 1583.
(Hakluyt, vol. III.)]
[Note 818: Voir ci-dessus, première partie, p. 37, note 4.]
[Note 819: Hudson fit son voyage en 1610 et 1611, et la relation en fut
imprimée en 1612. (Voir 1613, p. 293, note 1.)]
Or le commun consentement de toute l'Europe & de despeindre la
Nouvelle France, s'estendant au moins au 35e & 36e degrés de
latitude, ainsi qu'il appert par les mapemondes imprimées en
Espagne, Italie, Holande, Flandre, Allemagne & Angleterre mesme
sinon depuis qu'ils se sont emparez des costes de la Nouvelle
France, où est l'Acadie, Etechemains, l'Almonchicois, & la
grande Riviere de sainct Laurent, où ils ont imposé à leur
fantaisie des noms de Nouvelle Angleterre, Escosse, & autres,
mais il est mal-aisé de pouvoir effacer une chose qui est
cognue de toute la Chrestienté.
FIN.
330/1314 _RELATION DE CE QUI S'EST passé durant l'année 1631._
Messieurs les Associez de la Nouvelle France residens à
Bordeaux virent équipper au mois d'Avril de la presente année
1631, un vaisseau, commandé par un nommé Laurent Ferchaud, dans
lequel vaisseau ils auroient fait charger tout ce qui estoit
necessaire pour secourir le Fort & habitation sainct Louys,
scitué au Cap de Sable coste d'Acadie, sur l'entrée d'un bon
havre, & munitionné de tout ce qui luy est besoing pour la
defence d'iceluy.
Ayant fait sa navigation, & donné au sieur de la Tour
commandement pour la Compagnie dans ledit Fort, ce dont il
estoit chargé par lesdits Associez, fit son retour à Bordeaux à
la fin du mois d'Aoust ensuyvant, & repassa le sieur de
Krainguille Lieutenant dudit sieur de la Tour, lequel rapporta
nouvelle comme les Escossois ne se resoudoient point à quitter
le Port Royal, mais qu'ils s'y accommodoient de jour à autre, &
y avoient fait venir quelques mesnages & bestiaux pour peupler
ce lieu qui ne leur appartient que par l'usurpation qu'ils en
ont faite, comme a esté dit cy dessus.
Lesdits Associez recognoissant ce qui estoit necessaire sur ce
que leur mandoit ledit sieur de la Tour, r'equipperent le mesme
vaisseau au mois d'Octobre dernier, monstrant par leur
diligence qu'ils n'oublient rien de ce qui est necessaire pour
le peuplement & conservation de ces lieux, où ils ont envoyé
quantité d'artisans & des Religieux Recollets.
331/1315 En ceste mesme année messieurs les Directeurs de Paris & Rouen
firent équipper deux vaisseaux tant pour aller secourir
l'habitation saincte Anne en l'isle du Cap Breton, que pour
aller à Miscou & Tadoussac faire traite & la pesche de poisson.
Le premier vaisseau commandé par Hubert Anselme partit de
Dieppe le 25 Mars, accommodé de tout ce qui luy estoit
necessaire pour son voyage: après quelques mauvais temps il fut
jusques au travers du Cap des Rosiers, à quelque dix ou douzes
lieues de Gaspey entrée du grand fleuve sainct Laurent, où
estant il apperceut vers l'eau quelques vaisseaux qu'ils
jugerent estre Anglois, qui leur fit changer de routte & aller
à Miscou pour faire leur traite avec les habitans du Païs.
Le second vaisseau où commandoit le Capitaine Daniel partit le
26 d'Avril & fut à l'habitation saincte Anne chargé & accommodé
de tout ce qui estoit necessaire pour cedit lieu, qui est en
très bonne scituation, sur l'entrée de l'un des meilleurs ports
de ces costes, les contrarietez de mauvais temps luy furent
fascheuses & n'arriva sur l'escore du grand Ban que le 16 de
Juin, où il vit quantité de glaces: Le 18, terrirent au Cap de
Raye, peu après apperceurent un vaisseau qu'ils jugerent estre
Turc, lequel arrivant sur eux vent arrière, les fit appareiller
& mettre en defence, mais le Turc ayant apperceu quantité
d'hommes sur le tillac il se retira, & fit porter sur un navire
Basque, auquel il tira quelques coups de canon & l'aborda: mais
comme ils n'estoient pas bien saisis ils se separerent, & en
332/1316 ceste separation un matelot Basque qui estoit sur
l'arriére de son vaisseau prit l'enseigne qui estoit sur
l'arriére de celuy du Turc, laquelle il attira à luy, &
aussitost le vaisseau Basque commença à fuir, & en fuyant ne
laissoient de tirer forces coups de canons qui estoient sur
l'arriére dudit vaisseau, de façon qu'il se sauva & emporta
ladite enseigne, dans laquelle estoient dépeints trois
croissans. Le vaisseau du Capitaine Daniel continuant sa
routte, fut tellement contrarié de brunes & grand vent, que ne
pouvant porter voilles se trouva en une nuict obscure à huict
brasses d'eau, & entendoit la lame qui battoit contre les
rochers, aussitost il jette l'ancre attendant le lendemain,
pour voir s'ils pourroient cognoistre la terre, ce qu'ayant
fait ils recogneurent que les marées les avoient portez aux
isles sainct Pierre, où prenant cognoissance de la terre
arriverent au fort & habitation saincte Anne le 24 de Juin, où
ils trouverent quelque desordre, causez par l'assassinat commis
par Gaude[820] qui commandoit audit Fort, en la personne d'un
nommé Martel de la ville de Dieppe, qui estoit son Lieutenant.
[Note 820: Il est appelé Claude un peu plus haut.]
Le Capitaine Daniel voyant ce desordre, & que ceux de
l'habitation avoient retenu prisonnier ledit Gaude leur
Capitaine après cet assassinat, s'informa de ce faict, tant des
hommes de l'habitation que de la bouche dudit Gaude, & apprit
que le lendemain de la Pentecoste ledit Gaude & Martel ayant
souppé ensemble, l'heure d'entrer en garde estant venue Gaude
donna le mot à Martel, & aussi tost entra dans le Fort où il
333/1317 chargea une carabine de trois balles qu'il tira sur ledit
Martel, par une canoniere dudit Fort, ainsi qu'il jouoit aux
quilles, & luy donna trois balles dans le corps dont l'une luy
perça le coeur.
Ceste action ainsi laschement commise ne peut estre excusable
audit Gaude, quoy qu'il soit vray que jamais ils ne se soient
peu accorder ensemble, & que leurs humeurs estoient du tout
incompatibles: Car si Gaude avoit envie de chastier ledit
Martel, il devoit le faire prendre & le tenir prisonnier
jusques à l'arrivée des vaisseaux, ou s'il doutoit qu'il y eust
de la difficulté de le faire à cause des hommes de sa faction
qui estoient en ceste habitation, il devoit s'armer de
patience, & ce faisant il eust trouvé que Messieurs les
Directeurs de Paris y avoient donné ordre par leur prevoyance,
car ils avoient enjoint au Capitaine Daniel de repasser en
France ledit Martel, & laisser ledit Gaude en sa charge, avec
ceux qu'il choysiroit, tant des hommes de l'habitation que
d'autres nouveaux que l'on luy envoyoit dans le vaisseau du dit
Capitaine Daniel, & ainsi il eut tiré une honneste vengeance de
son ennemy, sans se précipiter dans ceste determinée
resolution, qui ne luy peut apporter que du blasme & de la
peine s'il est pris, & s'il n'eust trouvé les moyens de
s'eschapper dans le païs, il eust couru risque de sa vie.
Ce pendant il estoit necessaire que ledit Capitaine Daniel mit
ordre en ce lieu, sur ce qui s'estoit passée, pour tenir chacun
en son devoir: il envoya son vaisseau à Miscou pour faire la
334/1318 pesche & la traite & en donna la conduicte à Michel Gallois de
Dieppe, & en mesme temps il despescha une pinasse d'environ
vingt tonneaux, qu'il donna à un appellé Saincte Croix pour la
commander, & l'envoya à Tadoussac pour traiter avec les
Sauvages: & estant ledit Gallois arrivé à Miscou, trouva deux
vaisseaux Basques, l'un de Deux cens cinquante, & l'autre de
Trois cens tonneaux, & une barque d'environ Trente cinq
tonneaux, où commandoit le frère du Capitaine du May, qui avoit
esté equippée au Havre de Grâce, lequel dit audit Gallois qu'il
avoit commission de Monseigneur le Cardinal de faire la traite,
visiter les vaisseaux qui alloient faire la pesche, &
recognoistre les ports & havres de ces lieux, pour luy en faire
son rapport, sans toutesfois luy monstrer sa commission: à quoy
ledit Gallois monstra bien qu'il estoit de légère croyance,
d'adjouster foy sur des paroles, & partant demeurèrent bons
amis, & donna du May advis audit Gallois, que les deux
vaisseaux Basques n'avoient aucun congé ny commission, & que
s'il le vouloit assister en ceste affaire ils les iroient
sommer de leur monstrer leurs passeports, le dit Gallois luy
ayant accordé, furent de compagnie abord de l'un des deux
navires Basques, ce que le maistre duquel leur monstra sa
commission en tres bonne forme, en leur offrant toutes sortes
d'assistances & de faveurs.
Ce fait ils furent à l'autre vaisseau, où ils ne trousverent
que le Capitaine nommé Joannis Arnandel de sainct Jean de Lus
avec un petit garçon, (ses gens estans pour lors tous à terre &
en pescherie,) auquel Capitaine ils demandèrent à voir son
congé, mais il n'avoit garde de leur monstrer, car il n'en
335/1319 avoit point: aussi sa responce fut que les congers n'estoient
necessaires que pour avoir de l'argent à ceux qui les
delivrent, & que pour luy il n'avoit point accoustumé d'en
prendre, surquoy ledit du May luy fit responce que luy qui
avoit coustume d'aller en mer, ne devoit point ignorer les
ordonnances de France, notamment celles de l'Admiraulté qui
declare pour pirates & voleurs, ceux qui vont en mer sans congé
ou passeport, & partant que le trouvant ainsi & ne le pouvant
juger autre que forban, il arrestoit sa personne & son vaisseau
pour l'amener en France, & iceluy le faire juger de bonne
prise, à quoy ledit Arnandel ne se pouvant opposer, supplia
ledit du May de luy laisser achever sa pescherie & qu'il le
retint prisonnier pour ostage: laquelle pescherie estant faicte
il y auroit moins de dommages & interests si la prise estoit
déclarée injuste, & plus de proffit si elle estoit bonne, ce
qui fut accordé par ledit du May, lequel aussi tost se saisit
de toutes les armes & munitions dudit vaisseau, qu'il fit
porter en son bord avec ledit Arnandel.
Ce qu'estant fait du May & Gallois retournent au vaisseau dudit
Arnandel avec quelques uns de leurs gens, & comme ils furent
entrez dedans, ils appellerent tous les gens de l'équipage de
Arnandel qui estoient à terre, pour les advertir de l'accord &
convention faicte entre leur Capitaine & eux, à quoy un de ces
Basques fit responce, Que la prise & detemption de leur
Capitaine n'estoit pas grand'chose, & qu'ils pouvoient faire un
autre Capitaine d'un petit garçon de leur vaisseau, de quoy du
336/1320 May le voulant reprendre & remonstrer le tort qu'il avoit de
parler si desadvantageusement de son chef, ce Basque & tous ses
compagnons se mettent tous en fougue, & comme ils ont la teste
prés du bonnet, gaignent le bas du vaisseau, se saisissant de
quelques picques & mousquets qui estoient restez, & qui
n'avoient esté trouvez par ledit du May, & Gallois, & avec ces
armes se defendent & attaquent si courageusement ledit du May &
ses gens, qu'ils le contraignent de se retirer, avec quelques
uns des siens qui furent blessez, lesquels il fit promptement
embarquer avec luy dans sa chalouppe.
Et comme ces gens avoient desja la teste eschauffée, ne se
contentans de ce qu'ils avoyent faict, poursuivirent encores
ledit du May, jusques à ce qu'estant retiré en son bord il fut
contrainct de faire monter sur son tillac le Capitaine
Arnandel, afin qu'il commandast à ses gens de cesser leurs
violences: mais le Capitaine se voyant libre se jetta
promptement en l'eau, & tout vestu qu'il estoit gaigna à la
nage une chalouppe, où estoient quelques uns des siens, & ainsy
se sauva de ses ennemys, desquels il eust tost après une bonne
raison, car estant rentré dans son navire, il commença à parler
en Capitaine & non pas en prisonnier: & par la faveur &
assistance d'un autre vaisseau Basque, duquel il envoya
emprunter de la poudre & des armes, s'en vint fondre sur ledit
du May, & luy tira deux ou trois coups de canon, & luy commanda
de luy r'envoyer non seulement toutes ses armes & munitions
qu'il luy avoit prises, mais encores celles qui estoient en son
vaisseau, & de celuy dudit Gallois, autrement qu'il s'en alloit
337/1321 les couler à fond: ce que voyant, furent contraints de ce faire
n'ayant pas des forces pour resister, de façon qu'ils se
trouverent pris par celuy qu'ils venoient de prendre.
En ces entrefaites arriva de Tadoussac la pinasse où commandoit
Saincte Croix, lequel avoit esté rencontré des Anglois, qui luy
avoient osté ses peleteries, & luy en avoient donné un mot
descrit de la qualité & quantité, afin de n'estre point obligez
à en rendre d'advantage, attendu le traité de paix d'entre les
deux Couronnes, & Thomas Quer Général de la Flotte Angloise,
luy dist qu'il avoit charge du sieur Chevallier Alexander de se
saisir de toutes les peleteries qu'il trouverroit aux vaisseaux
qui contreviendroient aux commissions du Roy de la grande
Bretagne, à qui appartenoient ces lieux, ores qu'ils n'y
eussent jamais esté que depuis trois ans qu'ils s'en saisirent,
contre le traité de paix, & ainsi ledit Saincte Croix fut
contrainct de céder à la force, esperant neantmoins que les
Anglois luy payeroient tost ou tard ses peleteries, avec raison
& justice.
Arrivant, comme dit est, à Miscou le jour mesme que se fit
ceste rumeur d'entre le Basque & le Capitaine du May, il se
trouva encores pris du vaisseau Basque, lequel parlant audit
Saincte Croix luy fit commandement de le venir trouver en son
bord, ce qu'ayant fait, il envoya quérir toutes les armes &
munitions de ceste pinasse, avec ses voiles, disant que tout
appartenoit à un mesme maistre, & qu'il voulait s'asseurer
d'eux, & les empescher de le plus troubler ny faire aucun tort,
& tout ce que peust faire ledit Saincte Croix fut de protester
338/1322 contre ce Basque de tous ses despens, dommages & interests, de
ce qu'il le troubloit ainsi en son traffic & sa traite, de quoy
ledit Basque estant aucunement intimidé, luy rendit incontinent
ses voiles, & luy enjoingnit de sortir du port de Miscou, ce
que fit ledit Saincte Croix lequel s'en vint en l'habitation
saincte Anne trouver le Capitaine Daniel, où il arriva le 29
Aoust pour luy donner advis de ceste procédure des Basques,
afin d'y donner ordre, mais desja trop tard, car les Basques
d'ordinaire sont presque prests en ce temps là pour s'en
retourner.
Ceste disgrace fut encores suyvie d'une autre, causée par la
malice de ces mesmes Basques, lesquels persuaderent aux
Sauvages que les François les vouloient empoisonner par le
moyen de l'eaue de vie qu'ils leur donnoient à boire, & comme
ces peuples sont d'assez facile croyance, ayans rencontré une
chalouppe de François qui estoit proche de terre pour traiter
avec eux, ces peuples mutins & barbares se jetterent sur ceste
chalouppe, la ravagerent, pillèrent ce qui estoit dedans: comme
les matelots se vouloient opposer il y en eut un de tué d'un
coup de flesche, & deux Sauvages qui furent aussi pareillement
tuez à coups d'espée, par un François de ladite chalouppe: &
ainsi voilà les François mal traitez des Anglois, des Basques,
& encores des Sauvages, & contraincts de s'en revenir tous avec
le vaisseau du Capitaine Gallois au fort & habitation Saincte
Anne, avec ce peu de traite & de pesche qu'ils avoient faite.
Et pareillement ledit du May ne voulant s'arrester ny
destourner pour voir l'habitation Saincte Anne s'en revint en
339/1323 France, comme sit tost après le Capitaine Daniel, ayant premier
que de partir laissé son frère pour commander en ladite
habitation avec tout ce qui estoit necessaire pour les hommes
qu'il y a laissez pour hyverner. Il ne se faut pas estonner
s'il y a des Basques ainsi mutins, & mesprisans toutes sortes
de loix & d'ordonnances, ne se soucians de congers ny
passeports, non plus que faisoient cy devant les Rochelois
n'ayans aucune apprehension de justice en leur pays, estans
proche voisins de l'Espagnol: telles personnes meriteroient un
chastiment exemplaire, qui font plustost le mestier de pirates
que de marchands.
Peu de tours après le partement du vaisseau dudit Capitaine
Daniel, pour aller audit pays de la Nouvelle France, partit
celuy du sieur de Caen, lequel avoit obtenu un congé de
Monseigneur le Cardinal, pour aller audit pays y faire la
traite icelle presente année seulement, pour le redimer en
quelques sortes de pertes qu'il remonstroit avoir souffertes,
par la revocquation faicte de la commission qu'il avoit
auparavant de sa Majesté pour la traite dudit pays, & ayant mis
son nepveu Emery de Caen pour commander ledit vaisseau, luy
donna ordre de monter jusques à Québec, & au dessus s'il
pouvoit, pour faire sa traite avec les Sauvages des Hurons:
mais comme il fut dedans la riviere sainct Laurens, il fit
rencontre des navires d'Anglois, les Capitaines desquels luy
demandèrent ce qu'il alloit faire en ces lieux, ausquels il
respondit qu'il y alloit traiter & negotier en toute seureté,
conformément au traité de paix fait entre les deux Couronnes de
340/1324 France & d'Angleterre, & qu'ils ne l'en pouvoient justement
empescher, attendu qu'il estoit tout notoire que le Roy de la
Grande Bretagne avoit promis au Roy de faire restituer le fort
& habitation de Québec, & qu'en bref il viendroit des vaisseaux
de France pour en prendre possession.
Les Anglois luy respondirent que quand ils verroient la
commission de leur Roy, que très volontiers ils laisseroient
ces lieux, & qu'ils sçavoient très bien que cest affaire se
traitoit entre leurs Majestez, mais qu'en attendant ils
jouyroient toujours du bénéfice de la traite, puisqu'ils
estoient possesseurs du pays, neantmoints qu'ils luy desiroient
monstrer qu'ils ne luy vouloient point faire de prejudice, &
qu'ils luy accorderoyent de faire sa traite concurremment avec
eux: à quoy ledit Emery de Caen condescendit, & fit monter son
vaisseau jusques devant Québec, où il demeura quelques jours,
attendant la venue des Sauvages qui devoient descendre audit
lieu. Entre ce temps arriva le Capitaine Thomas Quer à
Tadoussac avec un vaisseau de trois cens tonneaux bien equippé,
& deux qui estoient à Québec de leur part, un grand & l'autre
moyen.
Mais comme les Anglois recogneurent le peu de Sauvages, & qu'il
n'y avoit pas d'apparence de faire grande traite, leur proffit
particulier leur fut en plus singuliere recommandation, que
celuy d'Emery de Caen, auquel ils dirent qu'il devoit se
resoudre à ne faire aucune traite, puisqu'il n'y en pouvoit
avoir assez pour eux, luy accordant de descharger ses
marchandises dans le magazin de l'habitation, & y laisser un
341/1325 commis ou deux pour les luy garder, & les traiter durant
l'hyver à son bénéfice, & afin qu'il ne peust faire aucune
traite, les Anglois luy donnent des gardes en son vaisseau,
jusques à ce que la traite fut faicte, & lors ils s'en
revindrent de compagnie quelque temps ensemble. Ledit Emery de
Caen comme ayant son vaisseau, plus advantageux que ceux des
Anglois, il prit le devant pour retourner à Dieppe, où il
arriva à port de falut.
Les gens de ce vaisseau rapportèrent que le Ministre avoit fait
une ligue de la plus part des soldats Anglois, pour tuer leur
Capitaine avec les François revoltez du service du Roy: cela
estant descouvert le Capitaine Louys en fit chastier quelques
uns[821]. Le sujet de ceste rébellion estoit le mauvais
traitement qu'il faisoit à ses compagnons qui avoit causé ce
desordre, par le conseil de ces deux ou trois mauvais François,
ausquels il adjoustoit trop de foy.
[Note 821: Le ministre, en particulier, fut tenu six mois en prison dans
la maison des Jesuites. «Au reste,» ajoute le P. Lejeune, «il n'estoit
point de la mesme religion que les ouailles, car il estoit Protestant ou
Luthérien, les Ker sont Calvinistes, ou de quelque autre religion plus
libertine.» (Relat. 1632.)]
Voilà le succez de tous ces voyages de la presente année, qui
tesmoignent assez le peu d'apparence qu'il y a de pouvoir rien
advancer en la peuplade, ny au commerce de ces lieux, tandis
qu'ils seront possedez par une autre nation. Les François qui
sont restez audit Québec sont encores tous vivans en bonne
santé, resjouis du contentement, par l'esperance qu'ils ont,
d'y voir ceste année retourner leur compatriotes, ce qui est
assez probable, puisque le Roy d'Angleterre sollicité par
342/1326 Monsieur de Fontenay Mareuil Ambassadeur de France, a promis
de rechef de faire rendre ce pays, & que pour asseurance de sa
promesse il a envoyé en France le sieur de Bourlamaky, pour en
asseurer sa Majesté, & en delivrer les commissions & toutes
lettres necessaires, sous esperance que sa Majesté fera le
semblable, pour quelques prétentions qu'ont les Anglois sur
quelques particuliers François, & ainsi il y a grande esperance
que cet accommodement se fera, avant que ledit sieur Bourlamaky
s'en retourne en Angleterre.
Depuis peu[822] entre sa Majesté & l'Ambassadeur d'Angleterre a
esté accordé la restitution du Fort & habitation de Québec &
autres lieux qui avoient esté usurpez par les Anglois, contre
le traité de paix, entre leurs Majestez. A ce printemps
Monseigneur le Cardinal sous le bon plaisir de sa Majesté,
ordonne que Messieurs les Associez de la Nouvelle France, y
envoyeront un nombre d'hommes, lesquels seront mis en
possession du dit fort & habitation de Québec par le sieur de
Caen, qui en consideration de ce promet avec les vaisseaux du
Roy, y passer lesdits hommes. Tant pour ce sujet qu'autres
considerations, luy est accordé pour ceste année seulement la
traite de peleterie ausdits lieux, après laquelle escheue ceux
qu'il aura mis de sa part repasseront en France dans les
vaisseaux de la societé, ainsi qu'il a esté ordonné par mondit
Seigneur le Cardinal Duc de Richelieu.
[Note 822: Le traité de Saint-Germain-en-Laye fut signé le 29 mars 1632.
(Mercure Français, t. XVIII, pp. 39-56.--Rymer, _Foedera_, vol. VIII.)]
A ce Printemps sous la conduicte de Monsieur le Commandeur de
343/1327 Rasilly, qui a toutes les qualitez requises d'un bon & parfait
Capitaine de mer, prudent, sage & laborieux, poussé d'un sainct
desir d'accroistre la gloire de Dieu, & porter son courage au
pays de la Nouvelle France, pour y arborer l'estendart de Jesus
Christ, & y faire florir les lys sous le bon plaisir de sa
Majesté & de Monseigneur le Cardinal, fait à la Rochelle un
embarquement avec toutes les choses necessaires pour y establir
une colonie, suyvant le traité qu'il a fait avec Messieurs les
Associez de la Nouvelle France, sous le bon plaisir de mondit
Seigneur le Cardinal. Il n'y a point de doute que Dieu aydant
il s'y peut faire de grands progrez à l'advenir, les choses
estant reiglées par des personnes telles qu'est ledit sieur
Commandeur de Rasilly. Dieu y sera servy & adoré, lequel je
prie luy faire prosperer ses bonnes & louables intentions,
comme à celles de ceste Nouvelle Société, encores que par les
pertes passées elle ne perd courage, estant maintenus de sa
Majesté & de mondit Seigneur le Cardinal.
FIN.
2/1330
TRAITTÉ DE
LA MARINE
ET DU DEVOIR
D'UN BON MARINIER.
PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN.
3/1331
AU LECTEUR.
_Après avoir passé trente huict ans de mon aage à
faire plusieurs voyages sur mer & couru maints périls &
hasards, (desquels Dieu m'a preservé) & ayant tousjours eu
desir de voyager és lieux loingtains & estrangers, où je me
suis grandement pleu, principalement en ce qui despendoit de la
navigation, apprenant tant par expérience que par instruction
que jay receue de plusieurs bons navigateurs, qu'au singulier
plaisir que j'ay eu en la lecture des livres faits sur ce
suject: c'est ce qui m'a meû à la fin de mes descouvertures de
la nouvelle France Occidentale, pour mon contentement faire un
petit traitté intelligible, & proffitable à ceux qui s'en
voudront servir, pour sçavoir ce qui est necessaire à un bon &
parfait navigateur, & notamment ce qui est des estimes, & comme
l'on doit procéder à faire des cartes marines selon la
boussolle des mariniers, car pour le reste de la navigation
plusieurs bons autheurs en ont escrit assez particulièrement,
ce qui m'empesche de n'en dire davantage, te suppliant d'avoir
agréable ce petit traitté, & s'il n'est selon ton sentiment
excuse celuy qui l'a fait, ce qu'il a jugé estre necessaire à
ceux qui auront la curiosité de le sçavoir plus
particulièrement, ce que je n'ay veu descrit ailleurs;
demeurant,
Amy Lecteur,
VOSTRE SERVITEUR.
5/1333
[Illustration]
TRAITTÉ DE
LA MARINE
ET DU DEVOIR
D'UN BON MARINIER.
DE LA NAVIGATION.
Il m'a semblé n'estre hors de propos de faire un petit traitté
de ce qui est necessaire pour un bon & parfait navigateur, &
des conditions qu'il doit avoir: sur toute chose estre homme
de bien, craignant Dieu; ne permettre en son vaisseau que son
sainct Nom soit blasphemé, de peur que sa divine Majesté, ne
le chastie, pour se voir souvent dans les périls, & estre
soigneux soir & matin de faire faire les prieres avant toute
chose, & si le navigateur peut avoir le moyen, je luy
conseille de mener avec luy un homme d'Eglise ou
6/1334 Religieux habile & capable, pour faire des exhortations de
temps en temps aux soldats & mariniers, affin de les tenir
tousjours en la crainte de Dieu, comme aussi les assister &
confesser en leurs maladies, ou autrement les consoler durant
les périls qui se rencontrent dans les hasards de la mer.
Ne doit estre délicat en son manger, ny en son boire,
s'accommodant selon les lieux où il se treuvera, s'il est
délicat ou de petite complexion, changeant d'air & de
nourriture, il est suject à plusieurs maladies, & changeant des
bons vivres en de grossiers, tels que sont ceux qui se mangent
sur mer, qui engendrent un sang tout contraire à leur nature: &
ces personnes là doivent apprehender sur tout le Secubat[823]
plus que d'autres qui ne laissent d'estre frappez en ces
maladies de long cours, & doit on avoir provision de remèdes
singuliers pour ceux qui en sont atteints.
[Note 823: Scorbut.]
Doit estre robuste, dispos, avoir le pied marin, infatigables
aux peines & travaux, affin que quelque accident qu'il arrive
il se puisse presenter sur le tillac, & d'une forte voix
commander à chacun, ce qu'il doit faire. Quelques fois il ne
doit mespriser de mettre luy mesme la main à l'oeuvre, pour
rendre la vigilance des matelots plus prompte, & que le
desordre ne s'en ensuive: doit parler seul pour ce que la
diversité des commandements, & principalement aux lieux
douteux, ne face faire une manoeuvre pour l'autre.
Il doit estre doux & affable en sa conversation, absolu en ses
commandements, ne se communiquer trop facilement avec ses
7/1335 compagnons, si ce n'est avec ceux qui sont de commandement. Ce
que ne faisant luy pourroit avec le temps engendrer un mespris:
aussi chastier severement les meschans, & faire estat des bons,
les aymant & gratifiant de fois à autres de quelque caresse,
louant ceux là, & ne mespriser les autres, affin que cela ne
luy cause de l'envie, qui souvent fait naistre une mauvaise
affection, qui est comme une gangrene qui peu à peu corrompt &
emporte le corps, ny pour avoir preveu de bonne heure[824],
apportant quelque fois à conspirations, divisions ou ligues,
qui souvent font perdre les plus belles entreprises.
[Note 824: Pour n'y avoir pourvu de bonne heure, emportant...]
S'il se fait quelques prises bonnes & justes, il ne doit
frustrer le droict de l'Admirale, ny de ceux qui sont avec luy,
ny celuy de ses compagnons, tant soldats que matelots en
quelque façon que ce soit: que rien ne se dissipe s'il peut
pour à son retour faire fidel rapport de tout. Il doit estre
libéral selon ses commoditez, & courtois aux vaincus, en les
favorisant selon le droict de la guerre, sur tout tenir sa
parolle s'il a fait quelque composition: car celuy qui ne la
tient est réputé lasche de courage, perd son honneur &
réputation quelque vaillant qu'il toit, & jamais ne met on de
confiance en luy. Il ne doit aussi user de cruauté ny de
vengeance, comme ceux qui sont accoustumez aux actes inhumains,
se faisant voir par cela plustost barbares que Chrestiens, mais
si au contraire il use de la victoire avec courtoisie &
modération, il sera estimé de tous, des ennemis mesmes, qui luy
porteront tout honneur & respect.
8/1336 Il ne se doit laisser surprendre au vin, car quand un chef ou
un marinier est yvrongne, il n'est pas trop bon de luy confier
le commandement ny conduite, pour les accidents qui en peuvent
arriver, lors qu'il dort comme un pourceau, & qu'il perd tout
jugement & raison, demeurant insolent par son yvrongnerie, à
lors qu'il seroit necessaire de sortir du danger, car s'il
arrive qu'il se treuve en tel estat, il n'aura moyen de
cognoistre sa route, ny reprendre ceux qui sont au gouvernail
s'il vont mal ou bien, qui luy fait perdre son estime. Il est
aussi souvent cause de la perte du vaisseau, remettant son
soing sur l'ignorance d'un qu'il croira estre marinier, comme
plusieurs exemples l'ont fait voir.
Le marinier sage & advisé ne se doit tant fier en son esprit
particulier, lors qu'il est principalement besoing
d'entreprendre quelque chose de consequence ou changer de route
hasardeuse, qu'il prenne conseil de ceux qu'il cognoistra les
plus advisez, & notamment des anciens navigateurs qui ont
esprouvé le plus de fortunes à la mer, & sont sortis des
dangers & périls, gouster les raisons qu'ils pourront alléguer,
toute chose n'estant souvent dans la teste d'un seul (car comme
l'on dit) l'expérience passe science.
Il doit estre craintif & retenu sans estre trop hasardeux, soit
à la cognoissance d'une terre, principalement en temps de
brunes, mettre coste en travers selon le lieu, ou mettre un
bort sur autre, d'autant qu'en ce temps de brune ou obscur il
n'y a point de pilote: ne faire trop porter de voile pensant
9/1337 avancer chemin, qui souvent les fait rompre, & démater le
vaisseau ou estant foible de coste, & n'estre bien lesté comme
il doit, met la quille en haut.
Doit faire du jour la nuict, & veiller la plus grande part
d'icelle, coucher tousjours vestu pour promptement accourir aux
accidents qui peuvent arriver, avoir un compas particulier, y
regarder souvent si la route se fait bien, & voir si chacun de
ceux qui sont au quart est en son devoir: doit faire un roole
particulier des matelots qui seront destinez pour le quart, &
bien départir les hommes entendus en la navigation, qui ayent
soin sur ceux qui gouvernent, affin qu'il face tousjours bonne
route, & les matelots bon quart, s'il y a suffisamment des
soldats, l'un fera en sentinelle sur le devant, l'autre sur
l'arriére, & le troisiesme au grand mas avec une lanterne
pendue avec sa chandelle entre deux tillacs, pour voir &
accourir aux choses qui quelques fois surviennent à
l'impourveu.
Ne doit ignorer, mais sçavoir tout ce qui dépend des
manoeuvres, du moins tout ce qui est necessaire pour
appareiller le vaisseau, & mettre en funain prest à faire
voile, comme de toutes autres commoditez necessaires pour la
conservation dudit navire.
Doit estre fort soigneux d'avoir de bons vivres & boissons pour
son voyage, & qu'ils soient de garde: avoir de bonnes soutes
non humides pour la conservation de la galette ou biscuit, &
principalement en un voyage de long cours, & en avoir plus que
moins: car les voyages de mer ne se font que suivant le bon ou
mauvais temps & contrariété des vents, faut estre bon oeconome
10/1338 en la distribution des vivres donnant à chacun ce qui luy est
necessaire avec raison, autrement cela engendre quelques fois
des mescontentements entre les matelots & les soldats, que l'on
traitte mal, & qui en ce temps là sont capables de faire plus
de mal que de bien: commettre à la distribution des victuailles
un bon & fidel despensier, qui ne soit point yvrongne, ains bon
mesnager, car un homme modeste en cet office ne se peut trop
priser.
Il doit estre grandement curieux que toutes chose soient bien
ordonnées en son vaisseau, tant pour le fortifier que pour la
pesanteur du canon qu'il pourroit avoir, que pour l'embellir, à
ce qu'il en aye du contentement en y entrant & sortant, & en
donner à ceux qui le voyent sur son appareil, comme
l'Architecte se plaist après avoir décoré l'édifice d'un
superbe bastiment qu'il aura dessigné, & toutes choses doivent
estre grandement propres & nettes au vaisseau, à l'imitation
des Flamans qui l'emportent pour le commun, par dessus toutes
les nations qui navigent sur mer.
Doit estre grandement soigneux quand il y a des matelots &
soldats, les faire tenir le plus nettement que faire se pourra,
& apporter un tel ordre que les soldats soient separez des
matelots, que le vaisseau ne soit point embarassé quand il est
question de venir en telles affaires de temps en temps, Se
souvent faire nettoyer entre les tillacs les ordures qui s'y
engendrent, qui occasionnent maintefois un mauvais air, & les
maladies accompagnées de mortalitez, comme si c'estoit peste &
contagion.
11/1339 Premier que s'embarquer il est necessaire d'avoir tout ce qui
est requis pour assister les hommes, avec un ou deux bons
Chirurgiens qui ne soient ignorants, comme sont la plus part de
ceux qui vont en mer.
S'il se peut, faut qu'il cognoisse son vaisseau & l'avoir
navigé, ou l'apprendra pour sçavoir l'assiette qu'il demande, &
le fillage qu'il peut faire en vingt quatre heures, selon la
violence des vents, & ce qu'il peut déchoir de sa route costé
en travers, ou à la cappe avec son papefis ou corps de voile
pour le soustenir, afin qu'il ne se tourmente, & se soustienne
plus au vent.
Appréhender de se voir és périls ordinaires, soit par cas
fortuit, où quelques fois l'ignorance ou la témérité vous y
engage, comme tomber avau le vent d'une coste, s'oppiniastrer à
doubler un Cap, ou faire une route hasardeuse de nuict parmy
les bans, batures, escueils, isles, rochers & glaces: mais
quand le malheur vous y porte, c'est où il faut monstrer un
courage masle, se moquer de la mort bien qu'elle se presente, &
faut d'une voix asseurée & d'une resolution gaye, inciter un
chacun à prendre courage, faire ce que l'on pourra pour sortir
du danger, & ainsi oster la timidité des coeurs les plus
lasches: car quand on se voit en un lieu douteux chacun jette
l'oeil sur celuy que l'on juge avoir de l'expérience, car si on
le voit blesmir, & commander d'une voix tremblante & mal
asseurée, tout le reste perd courage, & souvent on a veu perdre
des vaisseaux au lieu d'où ils eussent peu sortir, s'ils
avoient veu leur chef courageux & resolu, user d'un
commandement hardy & majestueux.
12/1340 Estre soigneux de faire sonder toutes costes, rades, ports,
havres, escueils, bans, rochers & batures, pour en cognoistre
le fond, les dangers, ancrages si besoin estoit, ou pour se
sçavoir arouter si d'aventure l'on n'avoit aucune hauteur ny
cognoissance de terre, dont on doit tenir conte sur son papier
journal.
Doit avoir bonne mémoire pour la cognoissance des terres, caps,
montagnes & gisement des costes, transports des marées, leurs
gisement où il aura esté. Ne mouiller l'ancre qu'en bon fond,
s'il n'est contraint de soulager ses câbles par tonnes,
poinsons ou autres inventions, afin qu'il ne se coupe sur le
fond de rocher gallay ou gros coquillage par laps de temps, &
se tenir en ce lieu le moins que l'on pourra, si ce n'est par
force, & les faire garnir aux ecubiers, de peur qu'il ne se
couppe, d'autant que si le câble venoit à faillir on seroit en
danger de perdre la vie: c'est sur quoy il faut bien prendre
garde à avoir de bons câbles, ancres, grapins, haussieres, &
sur tout donner bonne touée s'il se peut, principalement durant
le mauvais temps, afin que le vaisseau soit soulagé, & ne soit
travaillé ou chasse sur son ancre.
N'estre paresseux de faire caller les voiles bas, quand on
apperçoit quelque grand vent qui se forme sur l'horison.
Prendre garde aussi quand une tourmente arrive, & que le
vaisseau est costé en travers, abaisser les matereaux, les
vergues basses & bien saisies, comme de toutes autres
manoeuvres, démonter le canon si besoin est, & qu'au debat de
la mer il ne travaille & ne rompe ses manoeuvres, ou autres
choses, saisir bien les canons, si en ne les démonte. Il y a
13/1341 des vaisseaux lesquels s'ils n'ont le grand papefis hors, ils
ne se tourmentent pas tant que quand il ne l'ont point,
l'expérience fait cognoistre ce qui est requis en cest affaire.
Sçavoir bien amarer son vaisseau quand il est dans le port,
afin qu'il n'en arrive aucun dommage, aussi ne permettre que
l'on porte du feu en iceluy qu'avec lanterne, sur tout où est
le magazin des poudres: empescher de petuner entre deux
tillacs, car il ne faut qu'une bluette de feu pour brûler tout,
comme il arrive souvent par grand mal-heur.
Estre curieux d'avoir de bons canonniers, bien entendus aux
artifices, & autres choses necessaires à un combat, que toutes
choses soient bien appropriées, accommodées & ordonnées en
leurs chambres, & tout ce qui despend du canon.
Aussi ne doit rien ignorer s'il peut, de ce qui est necessaire
pour bastir un vaisseau non seulement, mais en sçavoir les
mesures & proportions requises, en le voulant faire de tel port
ou grandeur qu'il voudra, en un mot n'en rien ignorer pour en
sçavoir discourir pertinemment quand il en sera besoin.
Doit estre soigneux à faire estime du vaisseau, sçavoir d'où il
part, où il veut aller, où il se treuve, où les terres luy
demeurent, à quel rumb de vent, sçavoir ce qu'il deschet & ce
qu'il fait à sa route: Il ne se doit point endormir en ceste
exercice, qui est grandement suject aux deffauts, c'est
pourquoy à tous changements de vents & route, il doit bien
prendre garde d'approcher au plus prés de la certitude, car il
se voit quelques fois de bons pilotes estre bien decheus en
leurs estimes.
14/1342 Doit estre bon hauturien, tant de l'arbalestrile[825] que
l'astrolabe, sçavoir en quelle partie marche le Soleil, ce
qu'il décline chaque jour, pour adjouster ou diminuer.
[Note 825: L'arbalestrille, ou arbaleste, s'appelait ainsi, à cause du
rapport que cet instrument avait avec l'arbalète ordinaire. (Voir la
description de cet instrument et celle de l'astrolabe dans
l'_Hydrographie_ du P. Pournier, liv. IX.)]
Comme de l'arbalestrile prendre la hauteur de l'estoile
polaire, mettre les gardes à rumb, y oster ou diminuer les
degrés qui sont dessus ou dessous le pole, selon le lieu où
l'on est.
Sçavoir cognoistre la croisade, quand l'on est en la partie du
Sud, appliquer ou diminuer les degrés, cognoistre si pouvez
quelques fois autres estoiles pour prendre la hauteur, perdant
les autres, ou ne l'ayant peu prendre au Soleil, pour ne le
voir precisement à midy.
Sçavoir si les instruments dont on se sert sont justes & bien
faits, & en un besoin d'en sçavoir faire d'autres pour son
usage.
Doit estre expérimenté à bien pointer la carte, cognoistre si
elle est justement faite selon le lieu de son méridien s'il s'y
peut confier, combien l'on conte de lieues pour chaque rumb de
vent pour eslever un degré: sçavoir les cours & marées, les
gisements d'icelles, pour entrer à propos aux havres, & autres
lieux où il aura affaire, soit le jour ou la nuict: & si besoin
est, estre muny de bons compas & routiers pour cet effect, &
avoir des mariniers en son vaisseau qui les sçachent, si par
adventure il n'y avoit esté, car cela quelquesfois sauve la vie
à tout une esquippage, quand on s'en sert en temps & lieu.
15/1343 Doit tousjours estre muny de bons compas en nombre,
principalement és voyages de long cours & avoir pour iceux des
roses qui Nordestent & Norrouestent, & autres Nort & Sud, avoir
quantité d'orloges de sables, & autres commoditez servant à cet
effect.
Faut qu'il sçache prendre les declinaisons de l'emant, pour
s'en servir en temps & lieu, cognoistre si les aiguilles sont
bien touchées & bien posées sur le pivot, la chape droitte, le
balensier libre, & si tout n'est bien l'accommoder, & pour cet
effect doit avoir une bonne pierre d'emant quoy qu'elle couste,
oster tout le fer d'auprès les compas & boussoles, car cela est
grandement nuisible.
Qu'il sçache treuver le pole de la pierre d'emant, non
seulement avec les mesmes aiguilles des compas, si vous ne
sçavez qu'elles soient bien touchées: mais il y a d'autres
moyens faciles, certains & sans erreur, car il y a des
aiguilles, qui touchées Nordestent & Norrouestent du pole de
ladite pierre d'emant, deux & trois degrés, qui quelques fois
engendrent & causent de grands erreurs en la navigation, &
principallement en celles qui sont de long cours.
N'oublier souvent, à apprendre les declinaisons de l'aguidement
en tous lieux, qui est de sçavoir combien elle décline du
Méridien vers l'Est, & Ouest, ce qui peut servir aux longitudes
ayant ces observations, & retournant au mesme lieu d'où vous
les auriez prises, trouvant la mesme declinaison vous sçauriez
où vous seriez, soit en l'hemisphere de l'Asie ou du Pérou, &
de ce on ne doit estre negligant, aussi sert pour sçavoir le
16/1344 Méridien du lieu, & appliquer la rose des vents, selon le lieu
où vous navigerez: sçavoir tous les noms des airs de vent ou
rumb de la rose du compas à naviger.
Sçavoir faire des cartes marines, pour exactement recognoistre
les gisements des costes, entrées des ports, havres, rades,
rochers, bans, escueils, isles, ancrages, caps, transports des
marées, les anses, rivieres & ruisseaux, avec leurs hauteurs,
profondeurs, les amarques, balises, qui sont sur les écores des
bans, & descrire la bonté & fertilité des terres, à quoy elles
sont propres & ce que l'on en peut esperer, quels sont aussi
les habitans des lieux, leurs loix, coustumes, & despeindre les
oyseaux, animaux & poissons, plantes, fruicts, racines, arbres,
& tout ce que l'on voit de rare, en cecy un peu de portraiture
est tres necessaire, à laquelle l'on doit s'exercer.
Sçavoir la difference des longitudes d'un lieu à l'autre, non
seulement sur un paralelle, mais sur tous, & mesme de ceux qui
different en degrés de latitude, comme seroit de Rome au
destroit de Gillebratard, & ainsi de tous autres lieux du
monde.
Sçavoir le nombre d'or, la concurrence, le cycle solaire, la
lettre Dominicale pour chacune des années, quand il est
bissexte ou non, les jours de la lune de sa conjonction, en
quel jour entre les mois, ce qu'ils contiennent de jours
chacun, la difference de l'an lunaire & de l'an solaire, l'ange
de la lune, ce qu'elle fait chaque jour de degré, quels signes
entrent en chaque mois, combien il faut de lieues en un degré
Nort & Sud, ce que contiennent les jours sur chaque paralelle,
& ce qu'ils diminuent ou croissent chaque jour, sçavoir l'heure
17/1345 du coucher, & lever du Soleil, quelle declinaison il fait à
chaque jour, soit à la partie du Nort ou du Sud, sçavoir en
quel jour entrent les festes mobiles.
Sçavoir qu'est-ce que la sphere, l'axe de la sphere, l'horison,
méridien, hauteur de degré, ligne équinoxiales, tropiques,
zodiaque, paralelles, longitude, latitude, zenit, centre, les
cercles artiques, antartiques, pôles, partie du Nort, partie du
Sud, & autres choses despendantes de la sphere, le nom des
signes, des planètes, & leur mouvement.
Sçavoir quelque chose des régions, royaumes, villes, citez,
terres, isles, mers, & autres telles singularitez qui sont sur
la terre, partie de leurs hauteurs, longitudes, & declinaisons
s'il se peut, & principalement le long des costes où la
navigation se doit estendre, ce que sçachant tant par pratique
que par science, je croy qu'il se pourra tenir au rang des bons
navigateurs.
Outre ce que dessus, un bon capitaine de mer ne doit rien
oublier de ce qui est necessaire à un combat de mer, où souvent
l'on se peut rencontrer: doit estre courageux, prevoyant,
prudent, accompagné d'un bon & sain jugement, recherchant tous
les avantages qu'il se pourra imaginer, soit pour l'offensive
ou la deffensive, s'il peut se tenir au vent de l'ennemy: car
chacun sçait combien cela sert pour avoir de l'avantage, soit
pour aborder ou non, la fumée des coups de canons ou des
artifices, offusquent quelques fois si bien l'ennemy qu'il se
met en desordre, faisant perdre la cognoissance de ce qu'il
doit faire, ce qui s'est souvent veu en des combats de mer.
18/1346 Le Capitaine doit prevoir que tous les canons, pierriers,
balles, artifices, poudres & autres armes necessaires à
combatre ou à se conserver soient en bon estat, maniées &
conduittes par gens expérimentez & entendus, pour esviter aux
inconveniens qui peuvent arriver, & notamment des poudres &
artifices: ne les commettre qu'à des hommes sages &
cognoissans, qui sçachent les distribuer & en user à propos:
regarder d'y apporter un tel règlement à toutes les affaires,
que chacun suyve son ordre, soit pour le commandement des
quartiers selon qu'ils seront ordonnés: comme aussi pour les
manoeuvres du vaisseau, que quand chacun sera en son quartier
qu'il n'en parte, que ce ne soit [que] par le commandement du
Chef ou autre qu'il aura ordonné, que pour ce suject tous les
matelots & mariniers soient en estat & disposez pour avoir
l'oeil aux manoeuvres & voiles, les bien saisir, tant par en
bas que par en haut. Les pilotes doivent estre aussi soigneux
des choses qui despendent du gouvernail & de ceux qui y seront
mis: Aussi que tous les charpentiers & calfasteurs avec leurs
ferrements, soient préparez pour reparer le dommage que
l'ennemy pourroit faire au combat: Le vaisseau ne doit estre
embarassé, pour pouvoir aller librement visiter en bas, &
refaire le dommage que le canon pourroit faire sous l'eaue:
L'on doit avoir des vaisseaux préparez, pleins d'eaue pour
esteindre le feu, si par hasard il arrivoit quelque accident,
soit pour le sujet des poudres, artifices, & autres choses.
Avoir esgard que les blessés soient secourus promptement par
19/1347 gens destinez à cela, & que les Chirurgiens & quelques aydes
soient en estat, & fournis de tous les instruments, qui leurs
sont necessaires, comme des médicaments & appareils, avec du
feu en un brasier de fer, soit pour cauteriser ou faire autre
chose quand la necessité le requerra.
Que le chef soit tousjours à l'airte tantost en un lieu tantost
en un autre, pour encourager un chacun à son devoir, donner un
tel ordre qu'il n'y aye aucune confusion, d'autant qu'en toutes
choses cela apporte des dommages notables, principalement en un
combat de mer. Le sage & advisé capitaine doit considerer tout
ce qui est à son avantage, en demander advis aux plus
expérimentez, pour avec ce qu'il jugera estre necessaire &
utile, l'exécuter: Aux rencontres & aux effects on ne doit
estre nouice, mais expérimenté en l'ordre des combats qui sont
de plusieurs façons, d'attaquer & assaillir, & autres choses
que l'expérience fait cognoistre plus avantageuses les uns que
les autres.
_Que les cartes pour la navigation sont necessaires._
Il n'y a rien si utile pour la navigation que la carte
marine, d'autant qu'elle designe toutes les parties du monde,
avec les costes, rades, ports, rivieres, caps, promontoirs,
ances, plages, rochers, escueils, isles, bans, batures, entrées
des havres, les amarques & balisses, & leurs profondeurs,
ancrages selon les lieux & dangers qui s'y peuvent rencontrer,
les hauteurs, distances, & rumb de vent par lesquels l'on
navige. Par la mesme on despeinct aussi les ruisseaux, achenals
20/1348 & terres doubles, qui paroissent dans les terres & le long des
costes, parquoy je dis que les cartes qui sont exactement
faites sans erreur, les reduisant pour les distances au mieux
qu'il sera possible du rond au plat: encore qu'il y aye quelque
difficulté, néanmoins l'on y peut parvenir pour s'en servir &
bien naviger: il faut que les rumbs de la rose des vents soient
justement & délicatement tracées, que tous les degrés de
l'eslevation soient bien esgaulx, que l'eschelle des lieux
corresponde aux degrés de latitude, que tout soit bien en
hauteur, & à cecy la portraiture est necessaire pour sçavoir
exactement faire une carte en laquelle quelquefois est
necessaire de representer beaucoup de particularités selon les
contrées ou régions, comme figurer les montagnes, terres
doubles qui paroissent, costoyant les costes, Aussi se peuvent
despeindre les oyseaux, animaux, poissons, arbres, plantes,
racines, simples, fruicts, habits des nations de toutes les
contrées estrangeres, & tout ce que l'on peut voir & rencontrer
de remarquable, & ainsi il est bien difficile sans carte marine
de naviger, c'est pourquoy il est besoin que tous mariniers en
ayent de bonnes, avec tous les instruments & autres choses
necessaires à la navigation, qu'ils soient justes & bien
graduez, comme aussi faut avoir de bonnes Boussoles selon les
lieux où l'on voudra naviger.
_Comme l'on doit user de la carte marine._
Quand il est question d'entreprendre voyage, il faut voir sur
vostre carte le lieu de l'élevation d'où l'on part, & celuy où
21/1349 on veut aller, soit en longitude ou latitude, si c'est en la
partie du Nort ou du Sud, & la distance du chemin, les rumbs
par où il doit naviger, & les vents qui luy seront favorables:
Le tout estant bien consideré levez les ancres, mettez sous
voiles, & ayant cinglé quelque espace de temps, s'il arrive
quelque contrariété de temps l'on navigera par un autre rumb le
plus approchant de la route, & à lors faut considérer le lieu
où il se treuve selon l'estime qui sera faite du chemin, tenir
bon conte sur le papier journal du changement de route avec la
hauteur s'il peut, ou d'estimer au mieux qu'il luy sera
possible: Pointer sa carte si l'on veut sçavoir le lieu où on
est, conter les lieues du chemin, & ainsi l'on cognoistra où
l'on sera descendu ou monté, & l'on regardera les rumbs de vent
celuy qui a amené le vaisseau d'où il est party, pour quand on
voudra faire l'estime: on doit avoir toutes choses bien
calculées, pour sçavoir le chemin que l'on aura fait & dechu de
la route, comme il sera montré cy après lors qu'il sera
question de pointer la carte marine.
_Comme, les cartes sont necessaires à la navigation, pour tous
Mariniers qui peuvent sçavoir le moyen de les fabriquer pour
s'en ayder, en figurant les costes & autres choses cy dessus
dictes, & la façon comme l'on y doit procéder selon la Boussole
des Mariniers._
Sur un papier ou carton l'on tracera une rose, ou plusieurs
selon l'estendue de la carte, avec les trente deux rumbs,
lesquels seront tirés le plus délicatement & nettement que l'on
22/1350 pourra, sur lequel carton aux costés marquerez la quantité des
degrés que l'on voudra estendre sur la carte, lesquels
contiendront chacun dix-sept lieues & demie, & ferez l'eschelle
de dix en dix lieues, qui conviendra aux lieues de degrez, ce
que ayant esté observé, ayez aussi vostre Boussole, qui soit
selon le lieu de la declinaison du lieu, autrement il y
pourroit avoir erreur, prenant un méridien pour un autre: si
l'on desire tracer une coste d'un Cap à l'autre, avec les
bayes, caps, ports, rivieres, isles, basses, rochers, & autre
chose qui peuvent servir de marques pour la navigation
d'icelles contrées, avec les sondes, ancrages: Je presupose
qu'une coste aille d'un Cap à l'autre selon que montre la
Boussole de l'Ouest à l'Est, & que le Cap A, soit à quarante
degrés & demy de latitude, poserez un poinct sur ledit carton,
à la mesme hauteur de quarante degrés & demy au poinct A, comme
l'aurez treuvée sur l'astrolabe, prenez vostre compas, mettant
une pointe sur le rumb de vent, qui va de l'Ouest à l'Est, &
l'autre que metterez au poinct A, & courant la pointe sur le
rumb de vent de l'Ouest à l'Est, jusques au dernier cap vous y
marquerez un poinct B, & tirez une ligne de A, B, paralelle au
rumb Est & Ouest, ce faict estimez combien il y a de lieues du
poinct A, à B, & vous verrez qu'il y a vingt lieues, lesquelles
l'on prendra sur l'eschelle, que rapporterez sur le point A, &
l'autre poinct sur le rumb de vent tant qu'il se pourra
estendre, de ces vingt lieues y marquerez B, qui sera
l'estendue d'icelle coste prétendue.
[Illustration]
23/1351 On portera la Boussole audit Cap B, lequel chemin se fait avec
un bateau, pour recognoistre exactement ce qui sera le long de
la coste, où l'on pourra mettre pied à terre pour estre plus
asseuré, avoir le gisement de la coste: estant au Cap B,
regardez sur la Boussole à quel rumb de vent suit la
coste, prenez qu'elle coure au Suest quinze lieues, il faut
procéder à ceste seconde scituation comme à la première: prenez
le compas, mettez une pointe au poinct B, & l'autre sur le rumb
de vent qui est Suest & Norrouest, conforme à la coste qui est
le gisement, & tirerez une ligne paralelle au rumb de vent
Suest & Norrouest l'on prendra quinze lieues sur l'eschelle &
rapporterez une pointe au poinct B, & l'autre sur la ligne au
poinct C, distant de quinze lieues: ce qu'estant observé,
portez la Boussole sur tous les Caps & autres lieux, y
procédant comme au commencement, & s'il y avoit quelques isles,
rochers, bans, ou batures en mer, estant à l'un des Caps
regardez sur la Boussole à quel rumb demeure l'isle, comme de
B, à D, de B, à G, & F, tracez les rumbs des vents esgaux à
ceux de la rose des vents, suivant la forme cy dessus, & estant
au Cap C, de rechef regardez avec la Boussole à quels rumbs de
vent vous demeurent lesdits caps de l'isle, c'est ce qu'il faut
premièrement observer: ce qu'ayant veu, vous les tracerez, & où
ces rumbs de vent entrecouperont les deux autres, là sera la
scituation des Caps de l'isle D, G, F, & la distance sera selon
celle de la coste B, C, où il y a quinze lieues, & de B, à D,
onze & demie, & à G, autant, à F, dix-huict, & de C, à F, dix,
& à G, huict, à D, treize, & ainsi selon la distance des lieux
24/1352 qui seront esloignés de la coste, vous observerez comme aussi
tout ce qui se pourra remarquer, faisant tousjours deux
scituations, pour sçavoir combien les isles, ou rochers, bans,
ou batures sont esloignées de la coste & par le moyen des
25/1353 intercessions qui s'entrecouppent aux rumbs de vent, l'on
sçaura la scituation des lieux soit prés ou loing avec la
distance. Il ne faut oublier de sonder souvent, & cognoistre
les ancrages qui sont marquées en la carte cy dessous, comme
est ceste marque, faut mettre aussi le nombre des brasses en
chiffres comme vous voyez audit carton. Reprenant le Cap C, &
regardant la Boussole à quel rumb de vent suit la coste,
recognoissant qu'elle va à l'Est un quart du Nordest vingt &
une lieue & demie jusques au poinct H, du poinct H, regardez de
rechef comme suit la coste qui va au Nort au Cap I, prés de
dix-huict lieues du poinct I, faisant l'Est un quart du Suest,
jusques au Cap K, dix-huict lieues & demie, & faisant le Sud un
quart du Surrouest, jusques au Cap L, 28 lieues, & dudit Cap
faisant l'Ouest Surrouest au Cap M, unze lieues, & ainsi l'on
procédera, cherchant les rumbs de vent sur la rose qui est
tracée sur le papier ou carton: de ceste façon ferez toutes
sortes de cartes à naviger. Je pourrois bien montrer d'autres
manières de faire des cartes pour la terre, mais elles ne
serviroient pas pour la navigation, d'autant que l'on n'y
applique les rumbs de vent selon les Boussoles de la
navigation, comme l'on fait à celle de quoy les mariniers se
gouvernent, qui doivent estre selon la declinaison des lieux
pour estre bien faites, autrement il y auroit de l'erreur si
l'on prenoit un autre meridien que celuy qui est audit lieu
d'où l'on fait la carte, que l'on ne laisse d'observer sur la
terre, mais d'autre façon que le long des costes propres à la
navigation.
[Illustration]
26/1354 _Des accidents qui arrivent à beaucoup de navigateurs pour ce
qui est des estimes, de quoy on ne se donne garde._
Et d'autant que l'estime que l'on doit faire aux voyages de
mer, est très necessaire pour la navigation, bien qu'il n'y aye
demonstration certaines, qui fait que beaucoup d'erreurs s'en
ensuivent, notamment à ceux qui n'ont beaucoup d'expérience, ne
cognoissant bien le cinglage du vaisseau où ils navigent, ou
prenant un méridien au lieu d'un autre, pour ne sçavoir
observer la declinaison du lieu où il navige, voulant prendre
rumb pour un autre qui sera contraire à la route, pour quelques
fois y avoir de mauvais gouverneurs, qui font déchoir le
vaisseau à vau le vent. Tous ces deffauts en partie ne viennent
que pour n'avoir cognoissance des longitudes comme des
latitudes, & croy que pour en approcher faudroit prendre
souvent les declinaisons de l'aiguille d'aimant[826], qui
montre le vray méridien où l'on est comme j'ay dit cy dessus:
de plus se voit des transports de marée que si l'on n'y prend
garde font déchoir le vaisseau de sa route, outre la violence
des tempestes, qui fait aller à vau le vent le vaisseau,
prenant un rumb pour un autre, en fin un nombre infiny d'autres
accidents qui se rencontrent, empeschent de faire une estime
asseurée en la navigation, qui cause la perte d'une infinité de
vaisseaux, sans la mort de plusieurs hommes, & le tout par
27/1355 l'opiniastreté de certains navigateurs, qui croyent se faire
tort si on les tenoit fautifs en leur estime, ne desirant se
communiquer à personne, de crainte qu'on apperçoive leur
deffaut, voulant par là faire croire qu'ils ont quelque règle
plus asseurée que tous les autres, & tels navigateurs font
souvent de mauvais voyages à leur ruine, & de ceux qui sont
sous leur conduite.
[Note 826: Voir 1613, p. 270, note 1. Quelques auteurs ont cru que la
déclinaison de l'aiguille suffisait pour déterminer les longitudes.]
On ne doit oublier une chose en l'estime, qui est se faire plus
de l'avant que de l'arriére, comme si le vaisseau faisoit deux
lieues par chacune heure, luy en donner demy quart ou plus,
conformément au chemin de l'estime qu'on fait selon la longueur
des voyages, il vaut mieux estre vingt lieues de l'arriére que
trop tost de l'avant, où l'on se pourroit treuver sur la terre
ou en danger de se perdre, comme il arrive à plusieurs vaiseaux
faute de ne se donner garde, qui pensant estre bien esloignez
de terre, faisant porter en l'obscurité de la nuict, aux temps
des brunes, ou d'un grand orage, où ils n'ont point de veue, &
se treuvent estonnez qu'ils se voient à terre, & s'il y a de
quoy sonder au lieu où l'on va, que l'on sonde un jour plustost
que plus tard, & si l'on espere la treuver ayant jecté le
plomb, continuez de quatre horloges en quatre, en la nuict ou
temps de brune, c'est le moyen d'eviter les périls, car l'on ne
sçauroit trop appréhender ce que l'on ne voudroit voir,
d'autant qu'il ne se fait jamais deux fautes en telles
navigations: aussi si avez à doubler quelque cap ou isle la
nuict ou durant la brune, prenez tousjours un demy quart de
vent plus vers l'eaue pour eviter la terre, ou si quelque marée
portoit dessus, prenez plustost un rumb entier: Le jugement du
28/1356 marinier doit aviser à cela plus ou moins selon la violence des
marées, & si l'on navigeoit dans les mers où il y a des glaces,
& en doutant; prenez garde tout le jour, & ayez des matelots à
la hune pour descouvrir, & si n'en voyez le jour ou la nuict
allez à petit voile, & si la brune est ou qu'il face noir en
lieu douteux, mettez à l'autre bort, ou amenez tout à bas,
attendant que l'air soit clair & serain, & si vous en voyez,
allez discrettement, & ne vous y engagez mal à propos: La nuict
ne faites porter pour eviter le danger, jusqu'à ce qu'en soyez
hors, & que l'on ne s'opiniatre de le faire inconsiderement
parmy ses dangers, comme quelques fois je me suis veu dix-sept
jours enfermé dans les glaces, & sans l'assistance de Dieu nous
nous fussions perdus, comme d'autres que nous vismes faire
naufrage par leur témérité. C'est pourquoy le sage marinier
doit craindre autant les inconveniens qui peuvent arriver,
comme ce qui est de l'estime, à laquelle les plus anciens
navigateurs sont les plus experts, pour ce suject je traitteray
de la différence des estimes cy après.
_Premier que, rapporter les diverses estimes l'on verra une
chose remarquable de la providence de Dieu, des moyens qu'il a
donné aux hommes pour eviter les périls de la plus part des
navigations qui se treuvent aux longitudes, puisqu'il n'y a
point de reigle bien asseurée, non plus qu'en l'estime du
marinier._
Dieu tout sage, tout bon, tout puissant, prevoyant que les
hommes qui cinglent par les mers de ce grand Océan, couroient
29/1357 mil périls & naufrages, s'il ne les assistoit de quelques
enseignements, qui les peussent garantir de la mort, & perte de
leurs vaisseaux: puisque l'homme n'avoit des certitudes
asseurées en ses navigations par les longitudes, & que nul ne
se doit travailler en ceste vie pour ce suject, d'autant que ce
seroit en vain, comme plusieurs l'ont expérimenté de nostre
temps, il y a assez de demonstrations & escrits sans effects
solides & arrestez. Or Dieu autheur de toutes choses, comme il
ne luy a plu donner ceste cognoissance, il a donné un autre
enseignement, par lequel les mariniers se peuvent redresser de
leur estime, evitant les périls qu'ils pourroient courir
beaucoup plus qu'ils ne font, si ce n'estoit cette providence
Divine. C'est chose asseurée que les hauteurs que l'on prend
tant par le soleil que par l'estoile polaire & autres, donne
une cognoissance certaine du lieu où l'on part, jusqu'à celuy
où l'on va, & où l'on est: pour ce qui est des latitudes qui
radressent le marinier, mais non l'espace du chemin qui ne se
fait que par estime hormis du Nort au Sud, on estime estre une
chose dont on n'est pas bien certain de la distance qu'il y a
d'un lieu à autre, ou de quelque nombre ou chose semblable: que
si le navigateur estoit asseuré de sa route, il ne l'estimeroit
pas, ains diroit plustost le poinct de certitude où se treuve
le vaisseau quand il voudroit poincter la carte.
On use encore d'une autre manière de parler, qui est quand
l'estime ne se treuve bonne, il faut l'amander, & n'y a de
règle certaine non plus qu'en l'estime, c'est ce que je n'ay
peu sçavoir ny apprendre d'aucuns mariniers, avec lesquels j'ay
30/1358 communique, sinon que tout se fait avec des règles de
fantaisie, qui sont différentes, les unes meilleures que les
autres, dequoy il faut estre grandement soigneux en la
navigation. C'est pourquoy les plus experts & anciens
navigateurs, ont cognoissance plus parfaite aux estimes, &
autres accidents qui arrivent à la mer, que les autres qui
souvent s'en font plus à croire qu'ils ne sçavent. Or comme dit
est, il y a des marques asseurées à la navigation, qui sont
oposees aux dangers que l'on pourroit encourir, & si certains
que quand l'on les cognoist, le marinier se rejouist, & ceux
qui sont avec luy, comme s'ils estoient ja arrivez au port de
salut, soulagé de tous les soins & estimes passées,
recognoissant les fautes qu'il avoit peu faire, comme s'il
estoit trop de l'avant ou trop peu de l'arriére, & par ce moyen
se gouverner & amander une autrefois son estime, & à bien
pointer sa carte: peu à peu on se forme, en pratiquant souvent
l'on se rend plus certains en la navigation.
Voyons quelles sont ces amarques & enseignements, commençons
par ceux de la Nouvelle France Occidentale. Il y a entre elle &
nous un lieu qui s'appelle le grand ban, où nombre de vaisseaux
tant François que Estrangers vont faire la pesche de molue,
comme à la terre ferme & isle d'icelle, qui s'y prend en partie
de ces lieux en toute saison, manne qui ne se peut estimer tant
pour la France qu'autres Royaumes & contrées, où il s'en fait
de très grands & notables trafics. Ce grand ban tient du
quarante & uniesme degré de latitude jusqu'au cinquante &
uniesme sont quatre vingts dix lieues, il est Nordest &
31/1359 Surrouest, suivant le rapport des navigateurs par le moyen des
sondes, ce qui ne se pouvoit faire autrement, & sa largeur en
des endroits comme sur la hauteur de 44 à 46 degrez à 50, 60, &
70 lieues quelque peu plus ou moins, selon la hauteur: & de
ceste largeur allant au Nort il va en diminuant peu à peu, & du
44e degré au 42e il se forme à peu prés comme une ovale, où au
bout il y a une pointe fort estroitte, ainsi que le
representent tous les mariniers du passé, par le nombre infiny
des sondes qu'ils y ont jettées, qui peu à peu en ont fait
cognoistre la figure, tant de ce ban que d'autres, qui sont à
Ouest & Ouest Norrouest d'iceluy comme le banc avert, & les
banquereaux & autres qui sont peu esloignez de l'isle de sable,
premier que venir à ce grand ban de 25 & 30 lieues en mer. Il
se voit de certains oyseaux par troupes qui s'appellent
marmétes, qui donne une cognoissance au pilote qu'il n'est pas
loing de l'escore du ban, qui sont les bords, alors l'on
appreste le plomb & la sonde pour sonder, jusqu'à ce que l'on
parvienne à ceste escore, pour cognoistre quand l'on sera
proche d'entrer sur le grand ban, ceste sonde se jette de 6 en
6 heures de 4 en 4 de 2 en 2 ainsi que le pilote en croit estre
proche ou esloigné: or il cognoist quand il est à l'escore au
fond où il y aura en des endroits 90, 80, 70, 65, 60 & 50
brasses d'eaue, un peu plus ou moins, selon la hauteur où il se
treuverra, & estant sur le dit ban, il treuvera 45, 40, 30 & 35
brasses d'eaue, un peu plus ou moins selon la hauteur. A ce
deffaut la sonde aux expérimentez qui donne cognoissance où il
est, & est certain que premier que voir la terre, il doit
32/1360 passer sur ce ban, qui luy fait cognoistre la distance du
chemin qu'il a à faire, & asseuré de ce qu'il a fait, bien que
son estime fust fautive, lequel ban est esloigné de la plus
prochaine terre de 25 lieues, qui est le Cap de Rase, sur la
hauteur de 46 degrés, & demy, tenant à l'isle de Terre Neufve,
& entre le ban & la terre il y a grande profondeur, qui donne
cognoisance que l'on est passé l'escore du ban de l'Ouest,
Norrouest. De plus qu'estant sur ce grand ban, on y voit des
marques certaines, par le nombre infiny d'oyseaux, qui sont
comme fauquests, maupoules, huars, mauves, taillevent,
poingoins ou apois, & quelques autres qui la plus part suivent
les vaisseaux pescheurs qui prennent la molue, pour manger les
testes & entrailles du poisson que l'on jette à la mer: tout
cecy se faict cognoistre comme dit est, où l'on est, qui donne
un grand contentement à un chacun: Le marinier ayant pris sa
hauteur, ce qu'il ne doit négliger en aucune façon, ou s'il n'a
bonne hauteur qui revienne à son estime, ce qu'il pensera avoir
fait, ou s'il a cognoissance de la sonde il fera sa route pour
gaigner le lieu où il desire aller: & le navigateur prevoiant
par estime qu'il est proche de debanquer, il fait jetter la
sonde jusqu'à ce qu'il ne treuve plus de fond, ou pour le moins
grande profondeur, comme de 100, 130 ou 140 brasses d'eaue,
faisant quelque chemin, comme 10 en 12 lieues l'on rencontre le
Ban Avert qui conduit la sonde, jusqu'au travers des isles
sainct Pierre, separées de l'isle de Terre-Neufve 5 à 6 lieues,
ou bien passerez par autres bans appellez les banquereaux, qui
33/1361 donnent parfaite cognoissance avec la hauteur où l'on est, &
ainsi asseurement l'on fait sa route depuis ledit grand Ban.
Mais si la hauteur n'est asseurée que par estime du ban, l'on
tasche le mieux que l'on peut d'aller cognoistre la terre pour
s'arouter avec certitude, comme le Cap de Rase, saincte Marie,
isles sainct Pierre, ou autres caps, attenants à ladite isle de
Terre-Neufve, ou quelques batures qu'aucuns, cognoissent à la
sonde & au poisson qui s'y pesche, & ainsi cherche lieu certain
pour s'adresser & asseurer de la route, & allant recognoistre
ces terres, que ce ne soit durant la brune ny de nuict: il y
faut aller sagement & discrettement faisant faire bon quart, se
donner garde des marées suivant le lieu où l'on est. Ceux qui
partent du ban, beaucoup y en a qui sainct Pierre ou cap de
Raye, tenant à ladite isle de Terre-Neufve, entre l'isle sainct
Paul ou Cap sainct Laurent, tenant à l'isle du cap Breton, pour
entrer au golphe sainct Laurent, ainsi que chacun desire faire
sa route.
Et si l'on desire aller à la coste d'Acadie, Souricois,
Etechemins, & Allemouchicois, l'on peut aller recognoistre le
Cap Breton ou les isles de Canseau, l'Isle Verte, Sesambre, la
Heve, Cap de Sable, Menasne, Isle Longue, & celle des Monts
Deserts, ou le Cap-blan, proche de Mal Barre terre basse, à 20
& 25 lieues vers l'eau on à la sonde à 50 brasses fond
attreant, venant à la terre, marque que Dieu a donnée aux
navigateurs pour ne se perdre, pourveu qu'ils ne soient point
paresseux ny négligents de sonder.
34/1362 Toutes cesdites costes & caps, cy dessus nommez, ne sont
esloignez dudit grand Ban jusqu'au cap Breton que de 100, ou de
Canseau 120 lieues, entre deux est l'Isle de Sable, sur la
hauteur de 43 degrés & demy de latitude 25 à 30 lieues du Cap
Breton, Nort & Sud, fort dangereuse & baturiere, de laquelle
l'on se doit donner garde: les marées portent sur icelle venant
du Nort & Nornorrouest.
De façon que la navigation qui se fait en ces païs là est comme
asseurée sans courir beaucoup de risque, encores que les
estimes ne soient bien certaines pour les cognoissances cy
dessus dites, on sçait où l'on est, refaisant une nouvelle,
comme si on partoit d'un port, & l'ignorance d'un marinier qui
a passé une ou deux fois seroit bien grande, si en 125 lieues
qu'il y a du grand Ban aux costes de la Nouvelle France, fit
tant d'erreurs en son estime, qu'il ne sceut se donner garde
d'aborder la terre, où il iroit souvent sans la cognoissance
dudit grand Ban, qui occasionne que tant de vaisseaux ne se
perdent, comme ils feroient, si cela n'estoit, ce qui r'adresse
le marinier de son estime.
Et pour les navigations qui se font de la Nouvelle France
Occidentale, aux costes de France, Angleterre, & Irlande, il y
a des marques & enseignements en la mer, de la sonde que l'on
l'apporté [827] de 55 & 30 à 25 lieues en mer en des endroits,
suivant la hauteur où l'on se treuve, donne à cognoistre le
lieu où l'on est, le chemin que l'on a à faire & la route que
l'on doit tenir, refaisant nouvelle estime, & si la hauteur
35/1363 n'est que par estime, les anciens navigateurs par une longue
pratique tant du passé que de l'heure presente recognoissent le
fond des sondes, si c'est rocher sable d'orloge, ou vaseux,
argile, coquillage, autre fond à grain d'orge, pailleteux,
petits gravois, & ainsi d'autres noms qu'on donne pour
cognoistre la différence des fonds, à ce joincte la profondeur
de tant de brasses, il cognoisse le lieu où ils sont, & la
route qu'ils doivent tenir, soit pour aller aux costes de
France, Angleterre ou Escone, & s'ils ne sont mariniers bien
cognoissants à ces sondes, il arrive qu'au lieu d'aller en la
manche, ils vont celle de sainct George tres-mauvaise, si l'on
n'en a la cognoissance qui est au Nort de Sorlingues & costes
d'Angleterre: d'ailleurs il est à craindre comme les costes de
Bretagne, mais si le temps est beau, il n'y a rien à
apprehender, & si en si peu de chemin de 55, 30 & 25 lieues, on
fait une si mauvaise estime, pour aller aborder la terre: le
marinier seroit bien neuf & ignorant en ce qui seroit de la
navigation, & par ainsi se recognoist la providence de Dieu, &
enseignements qu'il donne aux mariniers, pour se conserver &
les soulager des estimes.
[Note 827: _Que l'on l'apporte_? ou peut-être _que l'on a la portée
de...?_]
De plus, ce qui soulage grandement le marinier, est qu'és
costes d'Espagne il y a grande profondeur d'eau, & la plus part
des terres fort hautes qui se peuvent voir de loing aux
mariniers, qui fait que l'on n'en approche que selon que le
navigateur desire il n'y a que la brune ou la nuict qui le
pourroit endommager, & diray qu'en ce temps de brune on en
approcheroit de fort prés, pour estre la coste saine, & eviter
36/1364 le péril, & remettre à la mer, que l'on ne seroit si aysement à
une terre basse où l'on seroit dessus premier que se pouvoir
garantir, ce qui arrive par l'estime du pilote qui croyoit
estre trop de l'arriére, au contraire il se faut tousjours
faire plus de l'avant. Or quoy que s'en soit l'on a des
enseignements, premier qu'arriver à terre, soit par sondes,
hostes, terres, oyseaux, herbiers, qui se rencontrent en
d'aucunes mers, poissons, changement de temps, saisons, &
plusieurs autres marques, desquelles les navigateurs ont
cognoissance, qui soulagent fort l'estime du pilote avec de
grandes consolations: que si ces marques & enseignements
n'estoient en la mer, la navigation seroit beaucoup plus
perilleuse & suject aux risques qu'elle n'est, car en un bon
vaisseau il n'y a à craindre que la terre & le feu, c'est
pourquoy quand on est entre des terres & proche des costes, il
faut estre grandement soigneux de dormir plus le jour que la
nuict, prendre garde aux transports des marées pour eviter le
lieu où elles vous pourroient porter, afin que quand vous
arriverez au port de salut, vous rendiez grâces à Dieu.
Or voions les estimes des navigateurs très necessaires au
marinier, si on ne les a prises si justement, au moins en
approcher à peu prés, à ce qu'il aye cognoissance pour le
pouvoir r'adresser, pour ce qui est des distances des
longitudes, qui seroient très asseurées, s'il se rencontroit un
instrument si juste qu'il peust enseigner la vraye esgalité de
l'heure, continuant sans erreur (comme il sera dit cy après,)
que nous aurons monstré comme selon mon sentiment l'on se
devroit gouverner à dresser les papiers journaux, & celuy de
l'estime.
37/1365 Ayez deux livres journaux, l'un pour les estimes particulières,
& l'autre pour les discours des rencontres, & de ce qui se
passera pendant les voyages, celuy des rencontres se fera en
ceste manière.
Le 20 de May, sommes partis d'un tel lieu, par la hauteur de 49
degrés de latitude, à quatre heures du matin, sur les deux
heures après midy nous avons fait rencontre de quatre vaisseaux
Holandois, qui nous dirent venir du destroit, ayant fait
rencontre de deux autres de guerre à 20 lieues de Ourisant, &
fait chasse sur eux, mais comme estant meilleurs voiliers
s'estoient sauvez, croyant estre Turcs, & ainsi plusieurs
autres choses, & qui se rencontrent de jour en jour.
Et le papier ou livre journal des estimes doit estre
particulier, comme il s'ensuit à la table cy dessous, qui
n'apportera nulle confusion au navigateur, au contraire un
grand soulagement de voir tout par ordre, & pour promptement
calculer son estime, pour les tracer sur sa carte ou carton,
ainsi que bon luy semblera, l'on ne doit manquer de deux heures
en deux heures, à arrester l'estime à ladite table cy dessous,
du chemin que fait le vaisseau en premier lieu.
_Comme l'on doit dresser la table des estimes de jour en jour
au papier journal._
Au dessus est le long de la première colomne, & le long
d'icelle escriverez le mois, le jour & l'heure, que sortira le
vaisseau du port ou autre endroit, au premier quarré sont les
38/1366 heures de deux en deux jusques à douze, & recommencer deux
jusques à autre douze qui feront 24 heures, d'un midy à autre,
qu'assemblerez les lieues de vostre estime, & pointer vostre
carte pour sçavoir le lieu où sera le vaisseau, au deuxiesme
est le rumb de vent sur lequel l'on navige. Le troisiesme sont
les lieues du chemin de l'estime. Au quatriesme le rumb de vent
qui fait cingler le vaisseau. Au cinquiesme, la hauteur où se
treuvera le vaisseau: or notez que si partez à quatre heures du
matin ou du soir, commencez à conter les lieues de chemin. Au
deuxiesme quarré où est marqué 4 heures, d'autant que de 4 à 6
il y a deux heures, afin de rencontrer le midy ou la minuict,
pour se treuver en l'ordre de douze heures, pour venir à 24, où
finira l'estime. Ne faut oublier d'estre soigneux à toutes les
fois que l'on peut, de prendre la hauteur & pointer la carte
d'un midy à l'autre d'autant que l'on ne sçauroit estre trop
exact & diligent.
Comme si je sortois du port par les 49. degrés de latitude, à
quatre heures du matin, je recognois que navigeant à Ouest un
quart au Norrouest, estimant faire deux lieues par heure,
j'escrits deux lieues en la colomne deuxiesme, & allant
estimans jusqu'à douze lieues lesquelles venues je prens la
hauteur s'il m'est possible, la prenant je treuve 48 degrés &
50 minutes, que je mets à la sixiesme colomne vis à vis de 12
heures, assemblant le chemin de l'estime que j'ay fait depuis 4
heures du matin jusqu'à midy, je treuve qu'il y a 9 heures
qu'il faut doubler & font 18 lieues de chemin, que marquerez
sur la carte. Arrestez le poinct jusqu'au lendemain que ferez
39/1367 le semblable, chose facile si l'on desire s'en servir, car je
n'ay point veu que fort peu d'estimes qui ne soient en quelque
confusion au papier journal des rencontres, menant l'un avec
l'autre, ce qui donne de la peine & plus de soing, qu'il faut
éviter en cela le plus qu'il est possible, en mettant le tout
par ordre, comme il suit cy dessous en ceste table, qui n'est
que pour 24 heures, continuant la route de midy jusqu'à mi
nuict, je treuve avoir fait 12 lieues trois quarts qu'il faut
doubler, & qui font 25 lieues & demie qu'avez faict, & de
minuict l'on continuera jusqu'au l'endemain à midy,
qu'arresterez l'estime & pointerez la carte, & ainsi tousjours
continuerez l'ordre de ceste table cy dessus jusqu'à la fin du
voyage.
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| Heures | Rumb pour la route | Lieues | Rumb pour le vent | Degrés |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 2 | | | | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 4 | A Ouest 1/4 NO | 2 | Le vent Nort | 49° |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 6 | A Ouest | 2 | Le vent Nort | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 8 | A Ouest 1/4 SO | 1 1/2 | Vent Nort 1/4 NE | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 10 | A Ouest 1/4 SO | 1 1/4 | Le Vent NO | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 12 | Au SO 1/4 Ouest | 2 | Vent NO 1/4 Nort | 48° 50'|
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 2 | Au SO 1/4 Ouest | 1 | Vent NO 1/4 Nort | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 4 | Au Surouest | 3/4 | Ouest Norrouest | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 6 | A Ouest 1/4 NO | 2 1/2 | Vent Nort | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 8 | A Ouest | 2 1/2 | Vent Nortnordest | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 10 | A Ouest | 3 | Vent Nordest | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
| 12 | A Ouest | 3 | Vent Est Nordest | |
+--------+--------------------+--------+-------------------+--------+
40/1368 _S'ensuit comme l'on peut sçavoir si un pilote a bien fait son
estime, & pointer la carte._
Si un vaisseau sortoit d'un port qui fut sous la hauteur de 46
degrés de latitude, & navigeant par le rumb de l'Ouest
Surouest, il faudroit sçavoir precisement l'heure qu'il
sortiroit du port, & au préalable l'heure qu'il seroit quand il
voudroit estimer le chemin qu'il auroit fait, & considerant le
temps qu'il y a entre deux, par quelques bons instruments ou
horloge la différence de ces deux lieux seroit la longitude, &
ceste différence de temps reduitte en degrés de
l'Esquinoctiale, qui seroit donner pour quatre minutes de temps
un degré, qui en vaut 15 par heure, & en contant les lieues des
degrés suivant le paralelle où se treuve le vaisseau, vous
sçaurez s'il a déchu du rumb de vent de l'Ouest Surouest, soit
plus à l'Occident ou moins à l'Orient.
Par exemple un vaisseau partant d'un port de 46 degrés de
latitude à midy, & ayant navigé à Ouest Surouest 91 lieues,
s'il a faict chemin, il se treuvera deux degrés plus aval, posé
le cas que l'on ayt estimé ce chemin, sçachant la hauteur
certaine de 44 degrés, il se peut faire qu'il sera plus ou
moins sur ledit paralelle, selon le dechet que peut avoir fait
le vaisseau. Le soleil estant à son méridien regardez aussi
tost à l'instrument ou horloge, le midy de ce lieu, & regardez
la différence qu'il y a du midy ou l'on est party, & celuy où
l'on se treuve, qui fait la distance du chemin qui sera d'un
tiers d'heure, qui font cinq degrés, qui reviennent à 66 lieues
41/1369 à 12 & demie, & quelque peu d'avantage par chaque degré de
longitude, sur le paralelle de 44 degrés de l'élévation où se
treuve le vaisseau, il se voit qu'il a déchu du rumb de vent
Ouest Surouest, & a cinglé à un autre, comme au Surouest un
quart d'Ouest, bien que selon la Boussole il sembloit aller à
Ouest Surouest, d'autant que si le vaisseau avoit navigé ce que
le pilote avoit estimé, il auroit treuvé la différence du midy
d'où il est party, à celuy où il pensoit se treuver, qui eust
esté demie heure, ne s'estant treuvé qu'un tiers & se
trouveroit 25 lieues de l'arriére, moins que ce qu'il avoit
estimé: par ce moyen se cognoist le dechet du vaisseau, & la
certitude du lieu où il se treuve, mais il est difficile de
treuver des instruments justes, ou des horloges qui ne
s'altèrent peu ou beaucoup, ce qui feroit commettre de grandes
fautes & erreurs par succession de temps.
Quoy que s'en soit il est très necessaire au navigateur se
servir de l'estime pour le soulagement de la navigation qui se
fait en plusieurs manières, mais aucun ne donne cognoissance de
l'erreur que l'on y commet, mais bien comme l'on doit pointer
la carte comme fait Medigne, que la pluspart des navigateurs
suivent, qui est bonne pour pointer, mais non comme l'on doit
amander la faute de l'estime, laissant cela à la sagesse &
discretion du marinier, comme il se voit cy dessous.
42/1370 De pointer la carte.
Que l'on regarde d'où est party le vaisseau, où il se treuve,
que l'on prenne deux compas, mettant la pointe de l'un d'où est
party le vaisseau, & l'autre sur le vent qui l'a amené, prenez
l'autre compas, mettez une pointe aux degrés de la hauteur que
l'on a treuvé, & l'autre pointe sur le plus proche vent d'Est,
& s'ils viennent à rencontrer les deux compas sans s'esgarer,
les deux pointes qui viennent sur les vents, l'un qui amené le
vaisseau, & l'autre sur l'Est, où les deux pointes de compas
viennent à se joindre, à sçavoir celle qui fut mise d'où partit
le vaisseau, & l'autre en la hauteur où il se treuve,
considerant le poinct auquel il se rencontre, & mesurez combien
de lieues l'on conte par degrés, & ayant veu combien de degrés
il aura monté ou descendu depuis le lieu d'où il est party,
jusques où il se treuve, il contera les lieues que montent les
degrés, & si les lieues des degrés correspondent aux lieues du
chemin, l'estime sera bonne si on regarde d'où vient la faute.
Deux choses sont à presupposer, en premier lieu que le
navigateur aye toujours navigé droictement sur le rumb de vent
qu'il a estimé sans s'esgarer, l'autre que l'estime convienne à
la hauteur qu'il trouverra, cela estant asseuré il y aura
apparence que tout ira bien, si les lieues des degrez
correspondent au chemin que l'on aura estimé sur ledit rumb, à
tant de lieues pour elever un degré, ce qui arrive peu souvent.
43/1371 Posons le cas qu'un vaisseau cinglast par un mesme rumb, il
pourra arriver que l'on l'estimera avoir fait 50 lieues, &
considerant la hauteur suivant le chemin, en contant tant de
lieues pour elever un degré, l'on croira estre à ce poinct,
prenant la hauteur l'on trouverra demy degré moins au Sud, &
l'on cognoist par là que l'estime n'est bonne, comme si l'on
trouvoit en 50 lieues de chemin, avoir descendu deux degrés par
le rumb Surrouest, neantmoins par la hauteur que l'on treuve,
il se voit un tiers de différend, & si on recognoist qu'il a
trop estimé l'on doit amander ceste faute, où s'il treuvoit un
tiers de degré plus que les deux degrés, l'on aura assez
estimé, ce que recognoissant que l'on voye sur le Surrouest ce
que vaut un tiers, il fera 8 lieues & un tiers, que l'on
rabatera de 50 qu'il avoit estimé, restera 41 lieues & deux
tiers qu'il a fait, & un degré & deux tiers qu'il aura
descendu: si l'on treuve un tiers plus au Sud que les deux
degrés, il faudra adjouter à 50 lieues 8 & un tiers, pour faire
deux degrés & un tiers, le vaisseau ayant navigé 58 lieues & un
tiers, qui est 8 lieues & un tiers qu'il a fait plus qu'il
n'avoit estimé, il n'y a point de doute quand le marinier
navigera en asseurance d'un rumb sans deschoir, en prenant une
asseurée hauteur, convenant à celle que l'on estime, il aura
contentement en sa route, tant en la partie du Nort que du Sud.
Ceste difficulté ostée, il s'en presente une autre plus pénible
& difficile, où l'on se treuve bien empesché, pour apprendre
quelque règle extraordinaire, qui feroit sçavoir combien de
lieues on sera decheu d'un rumb, par lequel on navigé avec
44/1372 contrariété de mauvais temps, qui ne se peut juger que par
estime, comme si on navigeoit à Ouest par le vent Nornorrouest,
l'on jugera le dechet selon la violence des vents plus ou
moins, c'est icy après avoir fait plusieurs & longues bordées
que l'on fait l'estime qu'on arreste sur la carte ou papier
journal, prenant un rumb pour un autre, le vent venant devant
comme à Ouest du tout contraire à la route, le vaisseau ne peut
plus courir que bordes à autres, au Sud Surrouest, & au
Nornorouest, pour ne s'esgarer de sa route, tenant le mieux que
l'on peut sa hauteur. Il ne laisse en ces contrarietez de
dechoir soit du costé du Nort ou du Sud, & pourroit deriver au
Suest ou au Nord est si la violence des vents est si grande, au
lieu d'avancer chemin reculer de sa route, & estre contrainct
pour ne perdre chemin sous voile, d'amener tout bas, amarer la
barre du gouvernail sous le vent, & bien saisir toutes les
manoeuvres qui peuvent travailler le vaisseau, comme amener bas
les matereaux de hune, & saisir les vergues, roidir quelques
fois les hauts bans quand ils sont trop lasches, comme le canon
qu'il faut bien tenir en estat, pour eviter tout desordre.
Il y a des vaisseaux qui ne se peuvent soustenir, s'ils n'ont
le grand corps de voile au vent, le marinier en cela cognoistra
ce qui est necessaire pour son vaisseau, estant quelques jours,
en cet estat fâcheux, agité du vent, de pluyes, brunes, &
autres contrarietez ennuieuses à la navigation. Le vent venant
à s'adoucir, la mer de furieuse & mauvaise qu'elle estoit se
calme, l'air devient clair, & nettoyé de nebuleuses & orages,
45/1373 le vaisseau se soulage, l'on met les voiles au vent, on reprend
sa route, les voiles ne se rompent, & les manoeuvres
n'endurent, le vaisseau fait son cinglage doucement, avec fort
peu de dechet, l'estime aisée à faire, l'on n'a soucy comme
quand le vaisseau estoit agité, chacun se réjouit sans se
resouvenir du passé. Le marinier doit rapporter sur la carte
toutes les routes dont il a deu tenir conte exactement, comme
de ce qu'il aura decheu d'un bord sur l'autre, & cela fait il
doit pointer sa carte pour sçavoir le lieu où il est.
Or comme ces routes se rapportent par l'estime d'un navigateur
grandement expérimenté, ne se trouvera en la mesme peine que
d'autres qui font les entendus, quoy que peu expérimentez, qui
pour discourir n'en voudroient ceder aux plus experts & anciens
navigateurs, c'est pourquoy on doit bien regarder à qui l'on
donne la conduicte d'un vaisseau, pour les grands périls &
dangers qu'il y a, qui s'evitent plustost par les bons
capitaines de mer ou pilotes, qui sçavent comme ils se doivent
gouverner & les routes qu'il faudroit tenir. Voicy une manière
de pointer la carte, qui m'a tousjours semblé bonne.
_Autre manière d'estimer & arrester le poinct sur la carte._
Prenez un carton ou papier blanc, sur lequel tracerez au
costé des degrés de latitude, suivant le voyage que l'on fera,
chacun contenant 17 lieues & demie, & faire l'eschelle des
lieues conforme à celle des degrés: au milieu du carton
46/1374 tracerez une ou deux roses de compas, suivant la distance du
chemin qu'aurez à faire, pour plus facilement compasser quand
il en sera besoin. Les 32 rumbs de vents estans
exactement tracés, ayez d'autre part vostre papier journal des
estimes, sur lequel d'heure en heure & de jour en jour ferez
conte du chemin qu'aurez fait, & n'oublier, comme dit est, de
prendre hauteur tous les jours s'il vous est possible, ce qui
sert de beaucoup, & de 24 en 24 heures pointer la carte, pour
voir le lieu où vous ferez, ce qui se fera en cette manière:
Sur le carton où seront tracez les rumbs de vents & les degrés,
considerez la hauteur d'où vous partez, comme celuy où vous
devez aller, & le rumb de vent qui est necessaire, avec celuy
qui fait cingler le vaisseau, duquel devez cognoistre
l'assiette si pouvez, ou l'expérience vous l'apprendra. Cela
fait allez à la grâce de Dieu, & suivez vostre route qui sera à
Ouest, Norrouest partant du port qui sera par 46 degrés de
hauteur, soit que l'on aye navigé 91 lieues à ce rumb de vent,
qui sont deux degrés que j'ay monté plus au Nort: me trouvant à
48 de latitude, il arrive que le vent vient à changer,
contraire à ma route je cherche en ma carte le rumb de vent, le
plus proche de ma route pour y naviger, ayant fait à Ouest
Norrouest 91 lieues, je trace ceste route sur le carton, &
d'autant que je ne puis naviger par ce rumb, je vay par celuy
du Norrouest, & y fais sur le rumb 25 ce qui me fait monter un
degré de plus: quand de rechef il arrive du changement de
temps. Et d'autant qu'il me faut aller par 50 degrés de
latitude, & faire 180 lieues pour parvenir du lieu d'où je
suis party, je prend en un autre rumb la terre où je veux
47/1375 aller, presque à Ouest un quart au Norrouest, de hauteur 49
degrés & 65 lieues de chemin à faire, je fais l'Ouest un quart
au Norrouest, 45 lieues qui m'esleve demy degré, & me treuve de
hauteur 49 degrés & demy, reste 23 lieues à faire, le vent se
leve du tout contraire, qui fait que je mets le cap au
Norrouest un quart du Nort, qui ne me vaut que le Nort un quart
au Norrouest, je cingle sur iceluy 18 lieues, qui fait que
j'esleve demy degré plus que 50 qui fait 50 & demy, le lieu où
je desire aller me demeure à Ouest Surrouest 19 lieues, delà
vient que le vent se trouve si contraire & violent que je ne
puis soustenir qu'avec le grand corps des voiles mettant le cap
au Sud, ne m'avallant que le Suest, ayant demeuré 4 jours en
cet estat, ayant fait quelques 50 lieues, ce qui m'a reculé de
la route, je treuve selon l'estime 48 degrés & demy: on veut
sçavoir le lieu où l'on est, & ce que le vaisseau a fait de
chemin, & où demeure la terre où l'on desire aller, & quelle
distance il y a, & du lieu où se suis party, sçachez qu'à
mesure que l'escriverez au papier journal, l'on doit tracer
toutes les routes que l'on aura faites suivant l'estime.
Or du dernier point où est le vaisseau qui est 48 degrés &
demy, tirez de ce centre ou lieu deux lignes, l'une d'où vous
estes party de 46 degrés, & l'autre où desirez aller à 50 voyez
ces deux lignes, quels rumbs de vent ce sont, & combien l'on y
conte de lieues pour elever un degré, suivant que seront
lesdits deux rumbs, & si les lieues du chemin faites ou à
faire, conviennent justement avec la hauteur des degrés
48/1376 l'estime sera bonne, ce que verrez sur le carton, & treuverez
que l'on est esloigné du lieu où l'on se treuve, sçavoir que
Ouest Norrouest est la route qu'on doit tenir à peu prés, pour
aller au 50 degré & 60 lieues de chemin à faire, & la terre
d'où vous estes party, demeure à l'Est Suest de distance
qu'avez fait 125 lieues n'estant que cinq lieues plus au midy
de la droite route que je devois tenir du port de 46 degrés, il
faut que vous ayez pris la hauteur, d'autant que cela vous
r'adressera si vous avez trop ou trop peu estimé pour amander
le deffaut s'il s'en treuve, & par ce petit carton vous verrez
toutes vos routes, le chemin & dechet qu'aurez fait en la
navigation, ceste demonstration est facile & bonne quand elle
est bien entendue.
_Autre manière d'estimer que font beaucoup de navigateurs._
Ils tracent sur un papier ou carton une rose de compas avec les
32 vents, & s'ils navigent au Nort 20 lieues, ils marquent sur
le rumb de vent au carton qui est Nort, 20 lieues, s'ils
navigent au Nortnorrouest 30 lieues, ils les mettent sur ce
mesme rumb de vent, & ainsi consecutivement à tous les rumbs où
ils navigent, quand ils veulent pointer la carte ils rapportent
ce qui est des lieues suivant les rumbs de leur rose à ceux de
la carte.
49/1377 _Autre manière, de pointer après l'estimé faicte._
Aprés comme dit est, que vous aurez tracé sur le carton tous
les degrés & rumb de vent que l'on aura navigé, marquez le lieu
où se trouve le vaisseau selon l'estime qu'aurez faite, & le
degré auquel pensez estre, tirez de ce lieu une ligne jusqu'à
celuy d'où vous estes party, considerez à quel rumb de vent il
convient, contant les lieues qu'il faudra pour élever un degré,
se rapportant justement aux degrés qu'aurez descendu ou monté,
suivant l'estime il y a quelque apparence de vérité, il faut
voir si l'estime est bonne, que l'on prenne hauteur, & si elle
se rencontre à celle que l'on aura estimé: le chemin comme dit
est convenant à la quantité des degrés qu'avez monté, l'estime
sera bonne si avez tousjours navigé sur ledit air de vent sans
dechoir, mais si la hauteur est de demy degré moins que l'on
n'a estimé ou demy degré plus, l'on procédera en ceste manière:
du poinct où l'on a estimé estre le vaisseau, tirez une ligne
perpendiculaire qui marquera le méridien du lieu où l'on est:
ayant pris la hauteur si treuvez demy degré moins que ce
qu'avez estimé, tirez une ligne paralelle du degré que aurez
treuvé, & où elle coupera la perpendiculaire sera le lieu où
vous devrez estre, tirant une ligne de ce lieu à celuy d'où
vous estes party, fait cognoistre qu'avez navigé par un autre
rumb plus au Nort que celuy qu'aviez estimé, & s'il se treuvé
demy degré davantage tirant comme à la première fois une
paralelle, suivant la hauteur que l'on aura treuvé coupant la
50/1378 ligne diametralle, en ce lieu doit estre le vaisseau plus au
midy que l'estime qui en sera faite, tirant une ligne comme cy
dessus est dit, vous verrez qu'aurez navigé par un autre rumb
que celuy qu'avez estimé, laquelle par consequent se treuve
fautive, c'est là où le défaut se treuve qui ne se peut amender
parfaictement, que par le moyen des instruments ou horloges qui
seroyent justes comme j'ay dit cy dessus, ce qui se peut
cognoistre quand l'on arrive sur l'ecore du Grand Ban, ou à la
sonde des costes de France & d'Angleterre, & autres
enseignements comme dit est, où le marinier se r'adressera pour
refaire nouvelle estime, & amander les défauts: quand on navige
le coute largue avec bon vent, les estimes se rencontrent assez
souvent meilleures que ceux qui ordinairement navigent à la
boulline un bort sur autre, avec contrariété de mauvais temps
qui fait faire maintes erreurs en la navigation.
_Autre manière d'estimer, que j'ay veu pratiquer parmy aucuns
Anglais bons navigateurs, qui m'a semblé fort seure au respect
des estimes que l'on fait ordinairement[828]._
[Note 828: C'est le loch, dont l'usage a été adopté généralement.]
Il faut avoir une planchette de 3 pieds de hauteur sur 15
poulces de largeur, qui soit divisée en 13 parties en sa
longueur, & en cinq en sa largeur, au premier quarré les
heures, & les quarrez suivant jusques à 12 recommençant à 2
aller de rechef à 12 autres, qui feront 24 heures aux 12
51/1379 quarrez comme voyez en la figure suivante. Au second quarré
ensuivant, seront marquez le nombre des noeuds, au troisiesme
les brasses, & au quatriesme & cinquiesme les rumbs de vent sur
lesquels on navige. Il faut une ligne qui ne soit pas trop
grosse, affin qu'elle se file plus promptement, au bout de
laquelle faut mettre une petite palette de bois de chesne
d'environ un pied sur six poulces de large, qui soit chargée
d'une petite bande de plomb sur l'arriére, avec un petit tuyau
de bois, qui sera attaché à une petite fiscelle aux deux costés
de l'extrémité de la palette, & un autre petit bois en façon de
fausset qui entre audit tuyau assez doucement, c'est ce qui
fait que la palette se tient toujours droite derrière le
vaisseau estant en la mer, & cela ne se défait que lors que
l'on tire ladite palette de l'eau.
La ligne attachée à la palette doit avoir quelques 8 ou 10.
brasses qui ne soient à rien conter, avant que venir au premier
noeud qui pourra estre environ plus ou moins la hauteur du lieu
où l'on l'a jettée, qui est sur l'arriére du vaisseau jusqu'à
ce qu'elle soit en la mer, & que veniez au premier noeud, un
homme doit tenir la ligne, un autre une petite horloge de
fable, contenant le temps de demie minute, qui peut estre
l'intervalle de conter jusqu'à 80 vingts sans se haster, à
mesme temps que le premier noeud passe par les mains de celuy
qui jette la ligne, la laissant librement couler selon la
vistesse du vaisseau, faire en vostre presence tourner le petit
horloge jusques à ce qu'il soit achevé de passer, à mesme temps
52/1380 l'on doit retenir la ligne & ne la laisser plus filer ou
couler: la retirant, voir combien de brasses il y aura jusques
au premier noeud de sa main en tirant ladite ligne, conter
après tous les noeuds qui auront coulé en la mer pendant que
l'orloge passoit. Notez qu'autant de noeuds & d'espace qu'il y
a entre chacun l'on faict 2000 de chemin en deux heures, il y a
7 brasses entre chaque noeud, de deux en deux heures l'on doit
jetter en la mer la palette tant le jour que la nuict, &
n'oublier 24 heures passées de faire vostre estime, en
adjoustant vos nombres, pour sçavoir combien on aura fait de
mille réduits en lieues, seront 3000 pour lieues.
Par exemple comme l'on se doit comporter en ce conte, je treuve
qu'en 24 heures l'on a navigé & jetté la ligne de deux en deux
heures, & d'autant que le vaisseau va plus ou moins selon la
violence des vents ou marées, s'il dechet aussi il y aura plus
ou moins de noeuds coulez selon l'air du vaisseau: desirant
supputer combien le vaisseau a fait de chemin, l'on adjouste
tous les nombres des noeuds qui sont au 12 quarrés de la
tablette, & se voit qu'il y en a 44 noeuds, & de plus trente
six brasses & demie à 7 brasses par noeud y aura cinq brasses,
adjoutez le tout sçavoir 44 noeuds & cinq font 49 noeuds,
multipliez par deux feront 98 mille à 2000. pour noeuds, les
reduisant en lieues se monteront à 32 lieues trois quarts &
quelque peu davantage, à 3000. pour lieue qui est ce que le
vaisseau aura fait de chemin en 24 heures, l'on ne doit oublier
de prendre hauteur à toutes occasions, pour r'adresser le
chemin ou route, & tenir conte sur le papier journal, par ce
53/1381 moyen on cognoist ce que le vaisseau fait de chemin, & le
dechet, & où il se treuve, & où leur demeure, le lieu où il
espere aller[829], & quelle route il faut prendre pour y
parvenir, & diray que de 8 vaisseaux qui estoient de compagnie
sur 500 lieues avoir dit à une heure & demie prés que l'on
auroit sondé(830), ce qui fut treuve véritable.
[Note 829: Lisez: _et où lors demeure le lieu où il espère aller_.]
[Note 830: Que l'on auroit sondé.]
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| Heures | Noeuds | Brasses | Routes. Rumbs |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 2 | 3 | 2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 4 | 2 | 4 | Cap au Nort Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 6 | 4 | 2 | Cap au Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 8 | 5 | 3 | Cap au Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 10 | 2 | 3 1/2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 12 | 3 | 5 | Cap au Nort Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 2 | 2 | 3 | Cap au Nordest 1/4 de l'Est |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 4 | 2 | 4 | Cap au Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 6 | 6 | 1 | Cap au Nort |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 8 | 6 | 3 | Cap au Nordest 1/4 du Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 10 | 6 | 2 | Cap au Nort 1/4 du Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
| 12 | 3 | 4 | Cap au Nort Nordest |
+--------+--------+---------+-------------------------------+
54/1382 _Autre, manière de sçavoir le lieu où se treuve un vaisseau
cinglant par quelque vent que ce soit._
Supposez qu'un vaisseau parte d'un port qui soit par les 44
degrés de latitude, & navigé sur le rumb de vent Surrouest,
faites vostre estime accoustumée, & si vous croyez que le vent
aye esté si favorable qu'il n'aye point fait de dechet, le
plustost que l'on pourra prendre hauteur que l'on le faicte, ce
fait tirez une ligne parallele sur cette hauteur qui se
treuvera en la carte de naviger, tirez aussi une ligne
meridienne du port d'où vous estes party, qui coupe à angle
droit la parallele de la hauteur qu'on aura prise: prenez un
compas & mettez une pointe au port d'où l'on est party, &
l'autre sur la ligne meridienne, qui coupe à angles droits la
parallele, ne bougeant ceste pointe & levant l'autre du lieu
d'où vous estes party, la faisant courir sur les rumbs de vent
que croyriez avoir navigé, & où la pointe dudit compas coupera
le rumb de vent, sera le poinct du lieu où doit estre le
vaisseau: avec ceste asseurance que le vaisseau n'aura fait
aucun dechet, autrement n'auriez ce que desireriez que par
estime.
_Autre façon d'estimer par fantaisie._
[C]'Est qu'ayant pris la hauteur du lieu où l'on est, comme si
l'on se treuvoit en la hauteur de 45. degrés de latitude, &
ayant estime avoir fait 45 lieues plus ou moins sur un rumb de
55/1383 vent qu'on aura jugé estre necessaire à la route, & pour voir
ce qui est véritable l'on prendra les 45 lieues sur l'eschelle
de la carte, que mettrez sur le rumb de vent qu'on aura navigé,
& si les lieues dudit rumb en faisant tant pour elever un
degré, respondent à celles qu'on aura estimé que peut avoir
fait le vaisseau, l'on cognoistra l'estime estre bonne: mais si
les lieues de l'estime sont moins ou plus que celle du rumb,
pour parvenir en la hauteur où l'on se treuve: il est très
certain & asseuré que le vaisseau a navigé par un autre rumb
que l'on ne pensoit, & à ceste observation on met le poinct à
sa fantaisie, pour lesquelles choses & toutes autres
dependantes à la navigation, le grand soing & continuelle
pratique fait beaucoup, tant pour la seureté du vaisseau que de
ceux qui y navigent: c'est pourquoy que les bons & vrais
expérimentez navigateurs & pilotes sont à rechercher & en faire
estat en les maintenant, pour tant plus leur donner courage de
bien faire en cet art de navigation, lequel est grandement à
priser de toutes les nations du monde, pour les grands biens &
advantages qu'en reçoivent les Royaumes & contrées, pour
proches ou esloignées qu'elles soient.
FIN.
1/1385
TABLE
POUR COGNOISTRE
LES LIEUX REMARQUABLES
EN CESTE CARTE.
A Baye des Isles (1).
B Calesme (2).
C Baye des Trespassez.
D Cap de Leuy (3).
E Port du Cap de Raye, où il se fait pesche de molue.
F Coste de Nordest & Sudouest (4) de l'isle de Terre Neufve, qui
n'est bien recognue.
G (5) Passage du Nort au 52e degré.
H Isle sainct Paul proche du Cap sainct Laurent.
I Isle de Sasinou entre l'isle des Monts Deserts & les isles aux
Corneilles.
K Isle de Mont-real au sault sainct Louys qui contient quelque
huict à neuf lieues de circuit (6).
L Riviere Jeannin (7).
M Riviere S. Antoine (8).
N (9) Manière d'eaue Salée qui se descharge en la mer, où il y a
flus & reflus force poisson & coquillages & des huistres qui ne
sont de grande saveur en aucuns endroits.
p Port aux Coquilles, qui est une isle (10) à l'entrée de la
riviere S. Croix bonne pescherie.
Q Isles où il se fait pescherie de poisson.
R Lac de Soissons (11).
S Baye du Gouffre (12).
T Isle des Monts Deserts fort haute.
V Isle S. Barnabé en la grande riviere proche du Bic.
X Lesquemain où est une petite riviere abondante en Saulmon &
Truittes, à costé d'icelle est un petit islet de rocher où
autresfois y avoit un degrast pour la pesche des Balaines.
(1) Peut-être la même que la baye aux isles, indiquée plus loin sous le
chiffre 53, c'est-à-dire, la baie de Boston, ou bien la baie de
Toutes-Isles, que certains auteurs appellent simplement _baie des
Isles_. La lettre A ne se trouve pas dans la carte,--(2) Ce nom paraît
répondre à _C. à l'asne_, ou _cap à l'Âne_, côte sud de Terre-Neuve,
soit pour la position, soit pour l'orthographe du mot.--(3)
Aujourd'hui _pointe Lévis_, en face de Québec.--(4) C'est-à-dire,
_côte gisant nord-est sud-ouest_, ou _côte nord-ouest_.--(5) La lettre
G manque; mais il est évident que l'auteur indique le détroit de
Belle-Isle.--(6) Lisez: _de longueur_. L'île de Montréal a plus de
vingt lieues de circuit.--(7) Probablement celle qui porte aujourd'hui
le nom de rivière Boyer.--(8) Probablement la _Rivière du Sud_.--(9)
La lettre N manque.--(10) L'île du Port-aux-Coquilles s'appelle
aujourd'hui Campo-Bello.--(11) Le lac des Deux-Montagnes.--(12)
Aujourd'hui la baie Saint-Paul, qui forme l'embouchure de la rivière
du Gouffre.
2/1386
Y La pointe aux Allouettes, où au mois de Septembre il y en a
telle quantité qu'on ne sçauroit l'imaginer, comme d'autre
sortes de gibier & coquillage.
Z Isle aux Liévres, ainsi nommée pour y en avoir esté pris au
commencement qu'elle fut descouverte.
2 Port à Lesquille qui asseche de basse mer, il y a deux ruisseaux
qui viennent des montagnes.
3 Port au Saulmon qui asseche de basse mer, il y a deux petits
islets chargez en la saison de fraises, framboises & bluets,
proche de ce lieu y a bonne rade pour les vaisseaux, & dans le
port sont deux petits ruisseaux.
4 Riviere platte (1) venant des montagnes qui n'est navigeable que
pour canaux, ce lieu asseche fort loing vers l'eaue, & le
travers y a bon ancrage pour vaisseaux.
5 Isles aux Couldres qui a quelque lieue & demie de long, où sont
quantité de lapins & perdrix & autre gibier en saison. A la
pointe du Sudouest sont des prairies & quantité de battures vers
l'eaue, il y a ancrage pour vaisseaux entre ladite isle & la
terre du Nort.
6 Cap de Tourmente, à une lieue duquel le sieur de Champlain avoit
fait bastir une habitation qui fut bruslée des Anglois l'an
1628, proche de ce lieu est le Cap Bruslé, entre lequel & l'isle
aux Couldres est un chenail de 8, 10 & 12 brasses d'eaue, du
costé du Sud sont vazes & rochers, & du Nort hautes terres, etc.
7 Isle d'Orléans, de six lieues de longueur très belle & agréable
pour la diversité des bois, prairies & vignes qu'il y a en
quelques endroits avec des noyers, le bout de laquelle isle du
costé de l'Ouest s'appelle Cap de Condé.
8 Le Sault de Montmorency, la cheute duquel est de 20 brasses (2)
de haut, provient d'une riviere venant des montagnes qui se
descharge dans le fleuve sainct Laurens à une lieue & demie de
Québec.
9 Riviere S. Charles, qui vient du lac S. Joseph (3) fort belle &
agréable, où il y a des prairies de basse mer, les barques
peuvent aller de pleine mer jusques au premier sault, sur icelle
riviere sont basties les Eglises & habitation des R. P.
Jesuistes & Recollets, la chasse du gibier y abonde au Printemps
& en l'Automne.
10 Riviere des Etechemins, par où les Sauvages vont à Quinebequi,
traversant les terres avec difficulté pour y avoir des saults &
peu d'eaue, le sieur de Champlain en 1628, fit faire ceste
descouverture, & fut trouvé une nation de Sauvage à 7 journées
de Québec qui cultivent la terre appellée les Abenaquiuoit.
(1) Rivière de la Malbaie.--(2) Quarante brasses et davantage.--(3) La
riviere Saint-Charles vient du lac Saint-Charles. Le lac Saint-Joseph
se décharge dans la rivière Jacques-Cartier.
3/1387
11 Riviere de Champlain proche de celle de Batisquan au Nord-ouest
des Grondines. (1)
12 Riviere des Sauvages (2).
13 Isle verte à cinq ou six lieues de Tadoussac.
14 Isle de Chasse(3).
15 Riviere de Batisquan fort agréable & poissonneuse.
16 Les Grondines & quelques isles qui sont proches, bon lieu de
chasse & de pesche.
17 Riviere des Esturgeons & Saulmons(4), où il y a un sault d'eau
de 15 à 20 pieds de hault, à deux lieues de Saincte Croix, qui
tombe en une forme de petit estang, qui se descharge en la
grande riviere sainct Laurent.
18 Isle de sainct Eloy(5), il y a passage entre ladite isle & la
terre du Nort.
19 Lac S. Pierre très-beau, y ayant trois à quatre brasses d'eau
fort poissonneux environné de collines & terres unies avec des
prairies par endroits, & plusieurs petites rivieres & ruisseaux
qui s'y deschargent.
20 Riviere du Gast (6), fort plaisante, bien qu'il y aye peu
d'eau.
21 Riviere sainct Antoine(7).
22 Riviere de Saincte Suzanne(8).
23 Riviere des Yrocois très-belle, où il y a plusieurs isles &
prairies, elle vient du lac de CHAMPLAIN qui a cinq ou six
journées de longueur, abondante en poisson & gibier de
plusieurs sortes: les vignes, noyers, pruniers & chastaigniers
y sont fort fréquents en plusieurs endroits, comme aussi des
prairies & belles isles qui sont dans ledit lac, il faut passer
un grand & un petit sault pour y parvenir.
24 (9) Sault de la riviere du Saguenay à 50 lieues de Tadoussac,
qui tombe de plus de dix ou douze brasses de hault.
25 Grand Sault (10), qui descend de quelque 15 pieds de hault
entre un grand nombre d'isles, il contient de longueur demy
lieue, & de large trois lieues.
26 Port au Mouton.
27 Baye de Campseau.
28 Cap Baturier à l'isle de sainct Jean.
29 Riviere par où l'on va à la Baye Françoise.
30 Chasse des Eslans.
31 Cap de Richelieu (11), à l'Est de l'isle d'Orléans.
32 Petit banc proche de l'isle du Cap Breton.
(1) Le chiffre manque. Cette rivière, qui porte encore le nom de
Champlain, se jette dans le Saint-Laurent quelques lieues plus bas que
les Trois-Rivières.--(2) La rivière de l'île Verte.--03 Les îlets de
Belle-Chasse.--(4) La rivière Jacques-Cartier.--(5) Cette petite île
est en face de Batiscan--(6) D'après le texte de l'auteur, c'est
plutôt la rivière Dupont, ou Nicolet-voir 1613. P. 180.--(7)
Probablement la rivière de Saint-François--(8) Aujourd'hui la rivière du
Loup--(9) Le chiffre 24 manque. Il peut y avoir quelques
trente-cinq lieues jusqu'à la Décharge, qui est plutôt un rapide
qu'une.--(10) Ou saut Saint-Louis. Le chiffre manque dans la
carte.--(11) Aujourd'hui Argentenay.
4/1388
33 Riviere des Puans, qui vient d'un lac auquel il y a une mine de
Cuivre de rosette.
34 Sault de Gaston(1), contenant prés de 2 lieues de large qui se
descharge dans la mer douce, venant d'un autre grandissime lac,
lequel & la mer douce contiennent 30 journées de canaux selon
le rapport des Sauvages.
_Retournant au Golfe S. Laurent & Coste d'Acadie._
35 Riviere de Gaspey.
36 Riviere de Chaleu(2).
37 Plusieurs Isles prés de Miscou, comme est le port de Miscou
entre deux Isles.
38 Cap de l'Isle sainct Jean.
39 Port au Rossignol.
40 Riviere Platte.
41 Port du Cap Naigré. En ce lieu y a une habitation de François
en la baye dudit Cap, où commande le sieur de la Tour, qu'ils
ont nommé le Port la Tour, où sont habitez les R. P. Recollets
en l'an 1630.
42 Baye du Cap de Sable.
43 Baye Saine (3).
44 Baye Courante (4), où il y a nombre d'Isles abondantes en
chasse de gibier, bonne pescherie & bons lieux pour les
vaisseaux.
45 Port du Cap Fourchu assez aggreable, mais il asseche presque
tout à fait de basse mer, proche de ce lieu il y a quantité
d'Isles & force chasse.
47 Petit passage de l'Isle Longue, en ce lieu y a bonne pescherie
de molue.
48 Cap des deux Bayes (5).
49 Port des Mines (6) ou de bassemer, se trouve le long de la
coste dans les rochers de petits morceaux de cuivre très pur.
50 Isles de Bacchus(7) fort agréable, où il y a force vignes,
noyers, pruniers & autres arbres.
51 Isles proches de l'entrée de la riviere de Chouacoet.
52 Isles assez hautes (8) au nombre de 3 à 4 éloignées de la terre
de 2 à 3 lieues à l'entrée de la Baye Longue.
53 Baye aux Isles, où il y a des lieux propres pour mettre des
vaisseaux, le païs est fort bon & peuplé de nombre de Sauvages
qui cultivent les terres, en ces lieux il y a force ciprés,
vignes & noyers.
(1) Le saut Sainte-Marie.--(2) La rivière de Ristigouche, qui se jette
au fond de la baie des Chaleurs.--(3) La baie de Chibouctou.--(4)
Aujourd'hui, la baie de Townsend.--(5) Aujourd'hui le cap de
Chignectou.--(6) Aujourd'hui le havre à l'Avocat. Le chiffre manque dans
la carte.--(7) Aujourd'hui l'île _Richmond_ ou _Richman_.--(8) Ces îles
s'appellent aujourd'hui îles de Batures (_Isles of Shoals_). Voir 1613,
p. 56, notes 4 et 5.
5/1389
54 La soubçonneuse(1) Isle prés d'une lieue vers l'eau.
55 Baye Longue (2).
56 Les sept Isles (3).
57 Riviere des Etechemins (4).
_Les Virgines ou sont habituez les Anglais depuis le 363.
jusques au 37e egré de latitude. Il y a environ 36 ou 37 ans
sur les costes attenant de la Floride, que les Capitaines
Ribaut & Laudonniere avoient descouvertes & fait une
habitation._
58 Plusieurs rivieres des Virgines qui se deschargent dans le
Golfe.
59 Coste de fort belle terre habitée de Sauvages qui la cultivent.
60 Poincte Confort.
61 Immestan(5).
62 Chesapeacq Bay.
63 Bedabedec le costé de l'Ouest de la riviere de Pemetegoet.
64 Belles Prairies.
65 Lieu dans le lac Champlain où les Yroquois furent deffaits par
ledit sieur CHAMPLAIN l'an 1606 (6).
66 Petit Lac par où l'on va aux Yroquois, après avoir passé celuy
de CHAMPLAIN.
67 Baye des Trespassez(7) à l'Isle de Terre Neufve.
68 Chappeau Rouge (8).
69 Baye du sainct Esprit (9).
70 Les Vierges.
71 (10) Port Breton, proche du Cap sainct Laurent en l'Isle du Cap
Breton.
72 Les Bergeronnettes (11), à trois lieues de Tadoussac.
73 Le Cap d'Espoir, proche de l'Isle Percée.
74 Forillon, à la poincte de Gaspey,
75 (12) Isle de Mont-real, au sault S. Louys, au fleuve sainct
Laurent.
(1) Vraisemblablement _Martha's Vineyard_.--(2) Cette baie ne porte
aucun nom dans les cartes modernes; c'est cet enfoncement que fait la
côte au nord du cap Anne.--(3) Ces sept Isles ne sont pas les mêmes que
celles du Saint-Laurent; elles sont à la côte de la
Nouvelle-Angleterre.--(4) Le chiffre 57 manque; mais il est visible que,
par cette rivière des Etechemins, l'auteur veut parler de la rivière
Sainte-Croix, appelée Scoudic par les sauvages.--(5) Jamestown.--(6) Il
faut lire 1609.--(7). La baie des Trépassés est déjà indiquée plus haut
par la lettre C, et cette première indication est d'accord avec la
tradition. Il semble que l'auteur a voulu désigner, par le chiffre 67,
la baie Sainte-Marie.--(8) Le cap du Chapeau-Rouge forme la pointe
d'entrée de la baie de Plaisance du côté de l'ouest.--(9) La baie de
Fortune.--(10) Le chiffre 71 manque.--(11) Ou Bergeronnes, comme
l'auteur les appelle lui-même ailleurs.--(12) Le chiffre manque, aussi
bien que la lettre K. Il est assez probable que le chiffre 74, qui forme
un double emploi, a été mis pour 75, en cet endroit.
6/1390
76 Riviere des Prairies qui vient d'un lac(1) au sault S. Louys,
où il y a deux Isles, dont celle de Mont-real en est une; là on
y a fait la traite plusieurs années avec les Sauvages.
77 Sault de la Chaudière, sur la riviere des Algommequins, qui
vient de quelque 18 pieds de hault, se descharge entre des
rochers où il ait un grand bruict.
78 Lac de Nibachis (2) Capitaine Sauvage, qui y a sa demeure, & y
cultive quelque peu de terre où il seme du bled d'Inde.
79 (3) Unze lacs proche les uns des autres, contenans 1, 2 & 3
lieues abondans en poisson & gibier, les Sauvages prennent
quelquesfois ce chemin, pour éviter le sault des Calumets fort
dangereux: partie de ces lieux sont chargez de pins qui jettent
quantité de resine.
80 Sault des Pierres à Calunmet qui sont comme albastre.
81 Isle de Tesouac(4), Capitaine Algommequin, où les Sauvages
payent quelque tribut pour leur permettre le passage à venir à
Québec.
82 La riviere de Tesouac, où il y a cinq saults à passer.
83 Riviere par où plusieurs Sauvages se vont rendre à la mer du
Nort du Saguenay, & aux trois rivieres faisant quelque chemin
par terre.
84 Lacs par lesquels l'on passe pour aller à la mer du Nort.
85 Riviere qui va (5) à la mer du Nort.
86 Contrée des Hurons, ainsi nommée par les François, où il y a
nombre de peuples, & 17 villages fermez de trois pallissades de
bois, avec des galleries tout au tour en forme de parapel pour
se défendre de leurs ennemis. Ce païs est par les 44 degrés &
demy de latitude, très bon, & les terres cultivées des
Sauvages.
87 Passage d'une lieue par terre, par où on porte les canots,
88 Riviere (6) qui se va descharger à la mer douce.
89 Village renfermé de 4 pallisades où le sieur de CHAMPLAIN fut à
la guerre contre les Antouhonorons, où il fut pris plusieurs
prisonniers Sauvages.
90 Sault d'eau au bout du sault sainct Louis (7) fort hault, où
plusieurs sortes de poissons descendans s'estourdissent.
91 Petite riviere (8) proche du sault de la Chaudière, où il y a
un sault d'eau, qui vient de prés de 20 brades de hault, qui
jette l'eau en telle quantité & de telle vistesse, qu'il se
fait une arcade fort longue, au dessous de laquelle les
Sauvages passent par plaisir, sans estre mouillez, chose fort
plaisante à voir.
(1) La rivière des Prairies vient du lac des Deux-Montagnes. Ici, saut
Saint-Louis veut dire évidemment Montréal et ses environs.--(2) Le lac
au Rat-Musqué.--(3) Le chiffre 79 manque; mais les onze lacs sont
figurés d'une manière tout à fait reconnaissable.--(4) L'île des
Allumettes.--(5) C'est-à-dire, _par où l'on va_ à la mer du Nord.--(6)
La rivière des Français.--(7) Lisez: _au bout du lac Saint-Louis_ (ou
Ontario). Ce saut est la chute de Niagara.--(8) La rivière Rideau.
7/1391
92 Ceste riviere [1] est fort belle, & passe par nombre de beaux
lacs & prairies dont elle est bordée, quantité d'Isles de
plusieurs longueurs & largeurs, abondantes en chasse de cerfs &
autres animaux, très bonne pescherie de poissons excellens,
quantité de terres défrichées très bonnes, qui ont esté
abandonnées des Sauvages, au sujet de leurs guerres. Ceste
riviere se descharge dans le lac S. Louys(2), & plusieurs
nations vont en ces contrées faire leur chasse pour leur
provision d'hyver.
93 Bois des Chastaigniers, où il y a forces chastaignes sur le
bord du lac S. Louis, & quantité de prairies, vignes & noyers,
94 Manière de lacs d'eau sallée(3) au fond de la Baye Françoise,
où va le flus & reflus de la mer: il y a des Isles où sont
nombres d'oiseaux, quantité de prairies en plusieurs lieux,
petites rivieres qui se deschargent dans ces manières de lacs,
par lesquels on se va rendre dans le golfe S. Laurent proche de
l'Isle S. Jean.
95 Isle Haute, d'une lieue de circuit, platte dessus, où il y a
des eaues douces & quantité de bois, éloignée du Port aux Mines
& du Cap des deux Bayes d'une lieue, elle est élevée de tous
costez de plus de 40 toises, fors un endroict qui va en talluds
où il y a une poincte de cailloux faite en triangle, & au
milieu y a un estang d'eau salée & forces oiseaux qui font
leurs nids en ceste Isle.
¤¤ La riviere des Algommequins(4) depuis le sault S. Louis jusques
proche du lac des Bisserenis(5) il y a plus de 80 saults tant
grands que petits, à passer, soit par terre ou à force de rames
ou bien à tirer par terre avec cordes, dont aucuns desdits
saults sont fort dangereux, principalement à descendre.
Gens de Petun(6), c'est une nation qui cultive ceste herbe de
laquelle ils font grand traffic avec les autres nations, ils ont
de grands villages fermez de bois, & sement du bled d'Inde.
Cheveux relevez (7), sont sauvages qui ne portent point de brayer
& vont tout nuds, sinon l'hyver qu'ils se vestent de robes de
peaux, lesquelles ils quittent sortant de la maison pour aller à
la Campagne. Ils sont grands chasseurs, pescheurs & voyageurs,
cultivent la terre & sement du bled d'Inde, font secherie de
bluets & framboises, dequoy ils font un grand traffic avec les
autres peuples, desquels ils prennent en eschange des peleteries,
pourcelaines, filets & autres commoditez, aucuns de ces peuples se
percent les nazeaux, où ils attachent des patenostres, se
descouppent le corps par raye où ils appliquent du charbon &
autres couleurs, ont les cheveux fort droits, lesquels ils
se graissent & peignent de rouge & leur visage aussi.
(1) La rivière Trent et la baie de Quinte.--(2) Le lac Ontario.--(3) La
baie de Chignectou et le bassin des Mines.--(4) Aujourd'hui
l'Outaouais.--(5) Le lac Nipissing.--(6) Les Tionnontatés, qui
demeuraient au sud de la baie Géorgienne.--(7) Les Andatahouats.
8/1392
La nation Neutre (1), est une nation qui se maintient contre
toutes les autres, & n'ont aucune guerre, sinon contre les
Assistaqueronons, elle est fort puissante ayant 40 villages
fort peuplez.
Les Antouhonorons(2) sont 15 villages bastis en forte assiette,
ennemis de toutes les autres nations, excepté de la Neutre,
leur païs est beau & en très bon climat proche la riviere S.
Laurent, de laquelle ils empeschent le passage à toutes les
autres nations, ce qui fait qu'elle en est moins fréquentée,
cultivent & ensemencent leurs terres.
Les Yroquois avec les Antouhonorons font la guerre par ensemble
à toutes les autres nations, excepté à la nation Neutre.
Carantouanais(3), est une nation qui s'est retirée au Midy des
Antouhonorons, en très beau & bon païs, où ils sont fortement
logez, & sont amis de toutes les autres nations, fors desdits
Antouhonorons, desquels ils ne sont qu'à trois journées. Ils
ont autresfois pris prisonniers des Flamans, lesquels ils
renvoyerent sans leur mal faire, croyans que ce fussent des
François.
Depuis le Lac S. Louis jusques au sault S. Louis qui est le
grand fleuve S. Laurent, il y a cinq saults, quantité de beaux
lacs & belles Isles, le païs agréable & abondant en chasse & en
pesche, propre pour habiter, si ce n'estoit les guerres que les
Sauvages ont les uns contre les autres.
La Mer Douce(4), est un grandissime lac où il y a nombre infiny
d'Isles, il est fort profond & abondant en poisson de toutes
sortes, & de monstrueuse grandeur, que l'on prend en divers
temps & saisons, comme en la grand' mer. La coste du Midy est
beaucoup plus agréable que celle du Nort, où il y a quantité de
rochers & force caribous.
Le lac des Busserenis(5) est fort beau, ayant quelque 25 lieues
de circuit, & quantité d'Isles chargées de bois & de prairies,
où se cabannent les Sauvages pour pescher en la riviere
l'esturgeon, brochets & carpes, de monstrueuse grandeur &
très-excellents, qui s'y prennent en quantité, mesme la chasse
y est abondante, quoy que le païs ne soit pas beaucoup agréable
à cause des rochers en la plus part des endroits,
(1) Les Attihouandaronk.--(2) Antouhoronons. Ce mot paraît être le
même que Ountouharonons, ou Tsonnontouans, tant à cause de la
ressemblance d'orthographe, que par la position qu'ils
occupaient.--(3) Carantouanais. Il y a tout lieu de croire que ce sont
les mêmes que les Andastes.--(4) Ou lac Huron.--(5) Le lac des
Bissirini, ou Nipissirini (Nipissing).
FIN.
1/1393
DOCTRINE
CHRESTIENNE
Du R. P. LEDESME
DE LA COMPAGNIE
DE JESUS.
Traduicte en Langage Canadois, autre que celuy des Montagnars,
pour la Conversion des habitans dudit pays.
_Par le R. P. Brebbeuf de la mesme Compagnie._
ACHRISTERRONON
ochienda chè orrihoüaienstécha.
DU NOM CHRESTIEN,
& de la doctrine Chrestienne.
ESCAT AlENSTACOÜA.
PREMIERE LEÇON.
_Arrihoüaienstechaens._
Issa Achristerronon chiont?
_Le Maistre._
Estes vous Chrestien?
_Ateienstechaens._
Aau, daotan haatarrat Aatio.
_Le Disciple._
Ouy, par la grace de Dieu.
M. _Sinen Atonas Acristerronon?
D. Nihen de hotoain, chiachè hocarratat
arrihoüaienstécha Achristehaan,
stat onnè atonachona.
M. _Qui est celuy qu'on doit appeller
Chrestien?_
D. Celuy, lequel ayant esté baptizé
croit, & fait profession de la Doctrine
Chrestienne.
M. _Tout aotan nondée Achristehaan
arrihoüaienstécha?_
D. Nen arrihoüaienstechoutan de
Assonaienstandi Onaoüandio, Aiesus
Chrift stat ec'ihondhec, chiachè
d'assonaienstan aot Ecankhucoüatè
Aoüettichaens, Apostreehaan, chè
Arondeehaan.
M. _Qu'est-ce que la Doctrine Chrétienne?_
D. C'est celle que nostre Seigneur
Jesus Christ nous a enseignée, lors
qu'il vivoit sur terre, & que la saincte
Eglise Catholique, Apostolique & Romaine
nous enseigne.
2/1394
M. _Touti chien endoron darrihoüatere
Achristehaan ecarrihoüaienstèchatè?_
D. Aau, endoron achè, det icoüatoncoüandic
ateenguiaens.
M. _Est-il necessaire de sçavoir la
Doctrine Chrestienne?_
D. Ouy, si nous voulons estre sauvez.
_Achristerronon Oteracata._
_Tendi Aienstacoüa_
_Du signe du Chrestien._
_Leçon Seconde._
M. _Tout eca ateracatoutan Achrifterronon
oteracata?_
D. Nen ateracatout d'Ecaot ecarontaè,
dé te hanguiarront, aerhon
assonenguiaendi Aiesus Chrift stat
ahonatandionti de to.
M. _Qui est le signe du Chrestien?_
D. C'est le signe de la saincte Croix,
pour ce que nostre Seigneur nous a
rachetez en icelle.
M. _Tout ioti Isaer?_
D. Condi ioüaer, aèonressonkhrach
anontsiraè chè andochiaentone, che
enenssaè sangoüati onati, chiachè
aienhoüiti onati, chè loüaen. On
Ochienda Aistan, chè Aen, chè dat
aot Esken. Ca sen ti ioti.
M. _Comment le faites vous?_
D. Je le faits mettant la main à la
teste & à l'estomach, & puis à l'espaule
senestre, & dextre, disant: Au
nom du Père, & du Fils, & du sainct
Esprit. Ainsi soit-il.
M. _Tout Ec' ioti candi isaer?_
D. Ataahieraha tendi tearrihoüaè
nonatoaincha de dat onattindoroncoüa,
Escat dat aot Achincacha
toiiaen, on ochienda Aistan,
chè Aen, chè dat aot Esken.
Dinde scat, endi Onaoüandio
honheoncha chè ostaioüancha, dè
ahonatonti arontaè stat onoè
ahoton.
M. _Pourquoy le faites vous ainsi?_
D. Premièrement pour me mettre
en mémoire les deux principaux mysteres
de nostre foy: l'un de la tres-saincte
Trinité, en prononçant ces parolles.
Au nom du Père, & du Fils,
& du S. Esprit: & l'autre de la mort
& Passion de nostre Sauveur lequel
s'estant fait homme, est mort pour
nous en une Croix.
M. _Tout ioti asson ec' isaer?_
D. Aerhon otorontonc' enstan iesta
assoninont Aiesus Christ Onaoüandio
tonné stioti ionaeren.
M. _Et pour quoy encore?_
D. Pour ce que nostre Seigneur
donne beaucoup de biens & grâces
en vertu de ce signe.
M. _Nahane ec' ierha?_
D. Assonoraoüiè stat iecas, tetenrrè
stat ietas, stat Aatio îenditi,
ftat iech, stat ierha enstan, iesta,
chè stat iatonnhontaiona, iakerons
arra.
M. _Quand le faut-il faire?_
D. Le matin quand on se leve, le
soir quand on se couche, quand on
commence à prier Dieu, quand on
veut prendre sa réfection, au commencement
de nos oeuvres, & quand
on se trouve en quelq; danger, ou
bien saisi de quelq; crainte.
3/1395
_Angoüa Nonoè._
_Achinc Aienstacoüa._
_De la fin de l'homme._
_Leçon Troisiesme._
M. _Tout ek ichiatahaoüi ondechaè?_
D. Nen ondée dè anonhoüè chè
dé arronca Aatio stat asson iondhè,
chiachè agniactanhane Aondechahan
d'aescoüandic to et attindarè
aot Attisken.
M. _Pour quelle fin avez vous esté
mis au mande?_
D. Pour aimer & servir Dieu en
ceste vie, & par après estre à jamais
bien-heureux en Paradis.
M. _Tout ec' ognianechoutan d'aoüandaeratti
aronhiaofie?_
D. Nen ondée oonè acacoüa Aatio,
aondechahan achè.
M. _En quoy gist ceste félicité que nous
esperons avoir en l'autre vie?_
D. A voir Dieu face à face, & jouir
éternellement de luy.
M. _To ioua attiehoüas Attichrifterronon,
chia esattinguiaens, chè esattion
Aronhiaè?_
D. Dac, Atoüaincha, Andaeratic,
Atatanonhoüecha, chè Aerencoüasti.
M. _Combien de choses sont necessaires
au Chrestien pour son salut, & parvenir
à sa fin?_
D. Quatre, Foy, Esperance, Charité,
& bonnes oeuvres.
_Nen Attoüa'tociia._
_Dac Aienstacoüa._
_De la Foy._
_Leçon Quatriesme._
M. _Tout ichiatoüain chè Atoüaincha?_
D. Aoüetti achè iatoüain dè hotoüain
chè hocarratat Nonendoüe
né aot Ecankhucoüatè aoüettichaens,
Apoftreehaan chè Arrondeehaan,
chè anderacti dè ioüat aon ne Credo.
M. _Que croyez vous par la Foy?_
D. Tout ce que tient & croit nostre
Mère la saincte Eglise Catholique,
Apostolique, & Romaine, & nommément
au Credo.
M. _To chihon nè Credo._
D. 1. Iatoüain on Aatio aoüetti
Andaourachaens, dè saoteendichiaè
Ecaronhiatè chè econde hâté.
2. Chè on Aiesus Christ anhoüa
hoen Onaoüandio.
3. Dè ho kiachiahichien stat ihongoüas
dat aot Esken, chè d'asaocoüeton
Onarieehen Aoüitsinonhachen.
M. _Dites le Credo._
D. 1. Je croy en Dieu le Père tout
puissant, Créateur du Ciel & de la
terre.
2. Et en Jesus Christ son Fils unique
nostre Seigneur.
3. Qui a esté conceu du S. Esprit,
né de la Vierge Marie.
4/1396
4. Onsa hotonnhontaionati stat
ahonandacratinen nehen d'ahatsinen
Ponce Pilate, Ahonatonti,
Aoüenheon, chè ahonanonhkrahoüi.
5. Ondechon onsa hatesten, Achinc
eouantaè onsa hatonnhonti.
6. Aronhiaè onsa haoüecti, hoienhoüiti
ahiakrandeen Aatio ne Aistan
aoüetti Andaoürachaens.
7. To tont ehendionrrandè enondhechaens
chè ondiheonchaens.
8. Iatoüain on dat aot Esken.
9. Ne aot Ecankhucoüate aoüettiehaan,
attindeia none ondatanonhoüecha.
10. Ne Endionrhencha ottirihoüanderacha.
11. Ondiheonchaen ondatonnhontacoüa.
12. Ecannhonate dè ta tecoüannhonentas.
Ca sen ti ioti.
4. A souffert sous Ponce Pilate, a
esté crucifié, mort & ensevely.
5. Est descendu aux Enfers, le tiers
jour est resuscité de mort à vie.
6. Il est monté aux Cieux, est assis
à la dextre de Dieu le Père tout puissant.
7. De là viendra juger les vivans &
les morts.
8. Je croy au sainct Esprit.
9. La saincte Eglise Catholique, la
Communion des Saincts.
10. La remission des péchez.
11. La Resurrection de la chair.
12. La vie éternelle.
Ainsi soit-il.
_Oüich Aienstacoua._
M. _Ichiaton ca, Ichiatoüain on
Aatio, tout aotan nondée Aatio?_
D. Nen haotan ondée dè hoteendichiaè
Ecaronhia tè chè econdechatè,
chè dè aoüetti ahonaoüandiosti.
_Leçon Cinquiesme._
M. _Vous dites que vous croyez en
Dieu, qu'est-ce que Dieu?_
D. C'est le Créateur du Ciel & de
la terre, & le Seigneur Universel de
toutes choses.
M. _Tandè ne aot Achincacha, tout
aotan nondée?_
D. Ondée haotan, Aistan, Hoen,
chè nè dat aot Esken, achinc iataè,
chè satat Aatio.
M. _Et la Saincte Trinité qu'est-ce?_
D. C'est le Père, le Fils, & le Sainct
Esprit, trois personnes & un seul
Dieu.
M. _Tout ichien Aistan Aatio ihout?_
D. Aau.
M. Le Père est-il Dieu?
D. Ouy.
M. _Hoen Aatio tondi?_
D. Aau.
M. Le Fils est-il Dieu?
D. Ouy.
M. _Dat aot Esken Aatio tondi?_
D. Aau.
M. Le Sainct Esprit est-il Dieu?
D. Ouy.
5/1397
M. _Achinc ichien thenon Atattio?_
D. Tastan, aerhon Achinc ihenon
iatae, onecichien satat ara Aatio.
M. _Sont-ce trois Dieux?_
D. Nenny, car encor bien que ce
soyent trois personnes toutesfois ne
sont qu'un seul Dieu.
M. _Tout ichiatoüain anderacti dè nè
Onaoüandio Aiesus Christ?_
D. Iatoüain ca, ondeè Aatio ne
Aistan hoen, chia tehindaouranchaens
d'Aistan, chia tehindionrroüane,
chia tehindeïa: ondeè
d'onoè ahoton endin dè anbannonhoüec,
outonrraon aot Aoüitsinouhaehen
Onarrieehen, chè ondeè
sti ioti ihout dat atoüain onoè.
M. _Que croyez vous sommairement de
nostre Seigneur Jesus Christ?_
D. Je crois que c'est le Fils de
Dieu le Père, aussi puissant, aussi
sage, aussi bon que le Père: qu'il
s'est sait homme pour nous au
ventre, de la glorieuse Vierge Marie,
& par ainsi qu'il est vray Dieu,
& vray homme.
M. _Tout aotan asson?_
D. Iatoüain ca, assonatontaoüa
ondechon ottichiatorrecoüa, honheoncha
chè hotonnhontaionacha,
hè assonennhonaoüa ecannhoiiatè
dè ta tecoüannhonentas.
M. _Quoy plus?_
D. Que par sa mort & passion il
nous a delivrez des peines d'Enfer,
& acquis la vie éternelle.
M. _Tout aotan ondèe Ankhucoüa
Aoüettithaan?_
D. Ondée Ankhucont ecankhucoüatè
aoüetti Attichristeronon
attiatoüainchaens.
M. _Qu'est-ce que l'Eglise Catholique?_
D. C'est la congrégation de tous
les fidèles Chrestiens.
M. _Sinen ankhucoüandiont Ecankhucoüatè,
sinen Aoüandio?_
D. Nen Onaoüandio Aiesus Christ,
chia né Pape, dè Aiesus Christ
ihokhrihont cha ondechaè.
M. _Qui en est le chef?_
D. Nostre Seigneur Jesus Christ,
& sous luy le Pape qui est son Vicaire
en terre.
M. _Tout eticoüatoüain dè ne ecank
hucoüate aoüettiehaan?_
D. 1. Nen ecoüatoüain ca, Escankhucoüat,
ondée aoüaton, satat ara
escankhucoüat dat atoüain Ankhucoüa.
2. Tastan tetseenguiaens o üatsè.
3. Ondée ahonditenoüa dat Aot
Esken, chè ondée sti ioti tastan
teharrihoüanderach, teoüaton.
M. _Que devons nous croire de l'Eglise?_
D. 1. Qu'elle est une, c'est à dire,
qu'il n'y a qu'une seule vraye
Eglise.
2. Que hors d'icelle il n'y a point
de salut.
3. Qu'elle est gouvernée par le sainct
Esprit, & partant qu'elle ne peut
faillir.
6/1398
_Andaeratikoüa._
_Oüahia Aienstacoüa.
_De L'Esperance._
_Leçon Sixiesme._
M. _Iaüeron nondée tendinè, d'attiehouas
Attichristerronon?_
D. Nen ondée Andaeratukoüa.
M. _Quelle est la seconde chose necessaire
au Chrestien?_
D. L'esperance.
M. _Tout ichiendaerati cha Ecandae
raticoüa?_
D. Nen Ecannhonatè dè ta tecoüannhonentas,
dè iaoüannhonaoüas
Arrihoüae onenhonaoüata.
M. Qu'attendez vous par l'esperance?_
D. La vie éternelle, laquelle entr'autres
moyens nous obtenons par l'Oraison.
M. _Tout eca arriboutan dat arrihoüata
Attiriboüa aouetti?_
D. Ondée Pater noster.
M. _Quelle est la première & principale
de toutes les Oraisons?_
D. C'est le Pater noster.
M. _To atti?_
D. Nen atti horrihoüichiaè nondèe
Onaoüandio, anhoüa achè, chè
iendarè Arrihoüaonè Ecarrihoüatè
akhiaondi nè aoüetti dè iaoüaehoüas
chè iaoüanditi Aatio.
M. _Pourquoy?_
D. Pource que nostre Seigneur
mesme la feit, & qu'il contient
en soy tresparfaitement tout ce
que nous devons demander à
Dieu.
M. _To chihon ne Pater noster._
D. Onaistan de Aronhiaè istarè.
Sa sen tehoiiachiendaterè sachiendaoüan.
Ont' aioton sa cheoüandiosta endindè.
Ont' aioton senchlen sarasta, ohoüent
soonè achè toti ioti Aronhiaonè.
Ataindataia sen nonenda tara cha
Ecantatè aoüantehan.
Onta taoüandionrhens, sen
atonarrihoüanderacoüi, to chienne ioti
nendi onsa o Aendionrhens de oüa
onkirrihoüanderai.
Enon chè chaha atakhioiiindahas
d'oucaota.
Oiiek ichien askiatontaoüahè
d'oucaota.
Ca sen ti ioti.
M. _Dites le Pater noster._
D. Nostre Père qui es és Cieux.
Ton nom soit sanctifié.
Ton Royaume nous advienne.
Ta volonté soit faite en la terre,
comme au Ciel.
Donne nous aujourd'huy nostre pain
quotidien.
Et nous pardonne nos offences,
comme nous pardonnons à ceux qui
nous ont offencez.
Et ne nous induis point en tentation.
Mais delivres nous du mal.
Ainsi soit-il.
_Soutarrè Aienstacoüa._
M. _Tout ichien, atonenenditi aot
Attisken?_
_Leçon Septiesme._
M. _Faut-il prier les Saincts?_
7/1399
D. Aau: Nen atti ihaononhoüe
nondée Aatio, chè haoningoüas
daotan.
D. Ouy, pour ce qu'estans amis de
Dieu, ils nous peuvent beaucoup aider,
par leurs prières.
M. _Iaoüeron dat iscoüaenditi d'attindeia
Attisken?_
D. Onaoüandio, Onarie, Esken
de ihaacarratat, chia chè echa dè
ioüaechiendaetat Ochiendaoüan.
M. _Quels entre autres priez vous?_
D. Nostre Dame, mon Ange Gardien,
& le Sainct duquel je porte le
nom.
M. _Tout ichihoncoüa Onarie Aoüit
sinouha?_
D. Ne Avè Maria.
M. _Quelle Oraison dites vous à nostre
Dame?_
D. L'Ave Maria.
M. _To chihon Avè Maria._
D. Coüay Onarie onnonrroncoüagnon
ichien dè ichiendhi d'anderaoüatacoüi,
Issadè etandatè d'Aoüandio,
sonhoüa dat khiessakhrendotas
ottindekien aoüetti, Ahonakrendotas
eoüa chioutonrraè ecochiatè.
Aot Onarie Aatio Ondoüe, lo
ichien Ataihet saronoüandihè onendi
d'icoüarrihoüanderai, onhoüadè,
aoüetti heoüa stat etecoüaenheondè.
Ca sen ti ioti.
M. Dites l'Ave Maria.
D. je vous salue Marie pleine de
grâce. Le Seigneur est avec vous.
Vous estes beniste entre toutes les
femmes, & benist est le fruict de
vostre ventre JESUS.
Saincte Marie Mere de Dieu, priez
pour nous pauvres pecheurs, maintenant
& à l'heure de nostre mort.
Ainsi soit-il.
M. _Tout ichiboncoüa stichienditi de
Chiesken?_
D. Aot Aesken dè iskiacarratas, stiharas
Endeia Aatio, taarhatéta
senchien cha ecantatè aoüantehàn,
chè taacarratat chè taenditenoüa.
M. _Quand vous priez vostre Ange
Gardien, quelle Oraison dites vous?_
D. Ange de Dieu, qui estes commis
pour me garder, Illuminez moy, preservez
moy, & me gouvernez aujourd'huy.
_Atterrè Aienstacoüa._
M. _Tout ichien atonattindoroncoüas
aot Attisken ottloüanchaehen?_
D. Aau.
_Leçon Huictiesme.
M. _Faut-il honorer les reliques des
Saincts?_
D. Ouy.
M. _To atti?_
D. Ondée atti dat Aot Esken ahaonratanon
nondée, chè araehen
etattirandeen ottindeiachaens Ottisken.
M. _Pourquoy?_
D. Pource qu'elles ont esté temples
du sainct Esprit, & qu'elles doivent
un jour estre reunies à leurs âmes
glorieuses.
M. _Tande aot Attisken ottionchia?_
D. Et senonroncoüagnonch tondi
decha, aerhon attiennrata nondée
dè akichiendaen.
M. _Et leurs Images?_
D. Il les faut aussi honorer, pource
qu'elles representent ceux ausquels
nous devons honneur & reverence.
8/1400
M. _Sinen ichiehieraha stichienditi?_
D. Endi achè anderacti, chè ataenohonc,
chè echa dè ihonnonhoüe,
chè hontarrat, chè ankhucoüa
aoüetti Attichristerronon.
M. _Pour qui priez vous?_
D. Je prie non seulement pour moy,
mais aussi pour mes parens & amis,
& bienfaicteurs & pour toute l'Eglise.
M. _Stan tetseehieras Attisken d'ondiheon?_
D. Taierhanto, Aerhon akiatontaoüas
nondée d'achonacoüa, stat
iaoüanditi.
M. _Ne faut-il pas aussi prier pour les
ames des Trespassez?_
D. Ouy, d'autant que par nos
prières nous les delivrons des peines
de Purgatoire.
M. _Tout aotan Achonacoüa aatsi?_
D. Ondée echa et attierrissen attindeiaehen
Attisken, ne andaenrrocha d'ottirihoüanderachaehen.
M. _Qu'est-ce que Purgatoire?_
D. C'est le lieu oü les ames de ceux
qui meurent en la grâce de Dieu,
achevent de payer les peines deuës
à leurs péchez.
_Atatanonhoüecha,_
_Enkhon Aienstacoüa._
_De la Charité._
_Leçon Neufiesme._
M. _Tout aotan achinc atont d'attiehoüas
Attichristerronon?_
D. Né Atatanonhoüecha.
M. _Quelle est la troisiesme chose
necessaire au Chrestien?_
D. La Charité.
M. _Tout aotan iaoüavonhoüè Atatanouhoüechaè?_
D. Aatio achè anderacti, chia chè
atti oüa, titi ioti nendi onatanonhoüè.
M. _Qu'aimons nous par la charité?_
D. Dieu sur toutes choses, & nostre
prochain comme nous mesmes.
M. _Tout aotan ne ondée anonheuè
anderacti Aatio?_
D. Nen ondée stonnè oerron iaoüanonhoüè
nonaoüan, chè nonanohonc,
chè nonennhonaoüan,
Aatio dè anderacti.
M. _Qu'est-ce aimer Dieu sur toutes
choses?_
D. C'est l'aimer plus que nos biens,
que nos parens, que nostre vie.
M. _Tout ec'ioti chia techienonhoüe
d'oüa titi ioti d'etsonhoüa?_
D. Nen ioti, stonnè iheras chè
iherha aoüetti dè aeanhoüa iaras
chè ierha endindè, Aatioehaan chè
endionrraehan.
M. _En quelle façon aimez vous vostre
prochain comme vous mesme?_
D. Luy desirant le mesme bien que
je me desire selon Dieu & raison,
& luy procurant ce que je ferois pour
moy mesme.
9/1401
_Attierencoüasti._
_Assan arre Aienstacoüa._
_Des bonnes oeuvres._
_Leçon Dixiesme._
M. _Iaoüeron ca dac atont dè attiehoüas
Attichristerronon?_
D. Nen att Aerencoüasti, aerhon
onnè d'etsatan ahondiontichien, stan
onnè teeráta to ara Atoüaincha, dè
ta tehakhra Aerencoüasti.
M. _Qu'elle est la quatriesme chose
necessaire au Chrestien?_
D. Les bonnes oeuvres, car après
que quelqu'un est parvenu à l'aage
de discretion, la foy ne luy suffit
plus sans les bonnes oeuvres.
M. _Anè ihattieron Attierencoüasti?_
D. Ocoüendaenchaon Aatio atocoüendachaen.
M. _Où sont contenues les bonnes oeuvres
qu'il nous faut faire?_
D. Aux commandemens de Dieu.
M. To chihon Atocoüendaencha Aatio.
D. 1. Escat ito chien hara ehechiechiendaen
Aatio, eoüa chechè nondée
ehestonhoüè dat aondi.
2. Stan endea tehechienguiatandè
Aatio Ochienda, oüa arra ondionhiaè.
3. Oüahia arra echientaoüa, chia
stan teechienguiaentakè escoüentat.
4. Ehechiechiendaen dè Hiaistan
chè Sandoüe, detè chierhè
achiennhonetsis.
5. Enon tehechio d'atoüain, stan
tondi tehechiendionrraentons
sescoüaon, aarrio.
6. Stan teechiakhroandè d'atoüain,
stan tondi teessaens sescoüaon.
7. Stan teechiacoüanrraeha, stan
tondi teechiakheroncoüandè enstan
iensta.
8. Stan teechiatendoton d'aioi
ondionhiaè, stan heoüa teechihougnahè
endea.
9. Oonè to achaha d'andacoüandetaion
stat onnè echienguiaè.
10. Stan tehechiatoncoüan d'aioi
ottioüan dè ta tehiras.
M. _Dites les commandemens de Dieu._
D. 1. Un seul Dieu tu adoreras, &
aimeras parfaitement.
2. Dieu en vain tu ne jureras, ny
autre chose pareillement.
3. Les Dimenches tu garderas, en
servant Dieu devotement.
4. Père & mère honoreras, afin que
vives longuement.
5. Homicide point ne seras, de fait,
ne volontairement.
6. Luxurieux point ne seras, de
corps ne de consentement.
7. L'avoir d'autruy tu n'embleras,
ne retiendras à ton escient.
8. Faux tesmoignage ne diras, ne
mentiras aucunement.
9. L'oeuvre de chair ne desireras,
qu'en mariage seulement.
10. Les biens d'autruy ne convoiteras,
pour les avoir injustement.
M. _Tout aotan essonattinontan dè
essoncarratat cha Ecoüendaenchate
d'Aatio?_
M. _Quelle recompense recevront ceux,
qui garderont les Commandemens de
Dieu?_
10/1402
D. Nen essonatinnhonon Ennhonoüane
ecannhonatè, dè ta tecoüannhoentas,
chè dè ta tehaoenterei
aondi d'ochiatorrè, chè
dè hanonatè akioüacha aoüetti,
chè dè aondechahan etannhoaentaha.
D. La vie éternelle, qui est une
vie exempte de tous maux, & remplie
de tous biens, & qui doit durer
à jamais.
M. _Tandè dè attinoncontan tout
ekhiottieren?_
D. Ihaochiensseni nondée Aatio,
chiachè ondechon ihaotti.
M. _Quels maux encourent ceux qui les
transgressent?_
D. L'ire de Dieu, & la damnation
éternelle.
_Onditenrrenchaens Attierencoüasti._
_Scat ichè Aienstacoüa._
_Des oeuvres de misericorde._
_Leçon Onziesme._
M. _Tandè Atenrrencoüa, eoüa
tondi endoron?_
D. Taierhanto, stan ichien Achristerronontè
dè tehakerha nondée
Atenrrenchaens aerencoüasti.
M. _Ne faut-il pas aussi exercer
les oeuvres de misericorde?_
D. Ouy, & celuy qui ne le fait,
ne mérite pas le nom de Chrestien.
M. _To atti ihenon Atenrrencoüaè?_
D. Nen atti ihenon soutarrè Eskenehaan,
chiachè soutarrè tondi
Erroneehaan.
M. _Combien y a-il d'oeuvres de misericordes?>
D. Il y en a sept Spirituelles, &
sept Corporelles.
M. _To chihon d'Eskenehaan._
D. l. Aienstan dè tehottindiont.
2. Arreoüa dè hottirrihoüanderach.
3. Andionhierrita dè hottindionrrachen.
4. Arrihoüaienstan dè hottinhoüaehoüas.
5. Oonè to akhrihote endandichoncoüagnon.
6. Endionrhens ne arrihoüanderacoüa.
7. Enditi chè dè enondhédè, chè
dè Aiheondè, chè indè ne dè ha
onessata.
M. _Dites les Spirituelles._
D. î. Enseigner les ignorans.
2. Corriger les defaillans.
3. Donner bon conseil à ceux qui
en ont besoin.
4. Consoler les desolez.
5. Porter patiemment les injures.
6. pardonner les offences.
7. Prier pour les vivans & trespassez,
& pour ceux qui nous persecutent.
M. _To chihon ne Erroneehaan._
D. 1. Andataia ondacaota d'ondatonnicesta.
2. Aerrata dè hindachiaten.
3. Aennon dè hottihoüachon.
M. _Dites les Corporelles._
D. 1. Donner à manger aux pauvres qui ont faim.
2. Donner à boire à ceux qui ont soif.
3. Vestir ceux qui sont nuds.
11/1403
4. Aatontaoüa dè aconattindascoüaen.
5. Andatarè dè hiheons.
6. Oüat sechronon arata.
7. Anonkhra dè ondiheon.
4. Racheter les prisonniers.
5. Visiter les malades.
6. Loger les pèlerins.
7. Ensevelir les morts.
_Arrihoüanderacha._
_Tendi tetchè Aienstacoüa._
_Des Péchez._
_Leçon Douziesme._
M. _Onnè ichien haoüaen dè
ecoüakhier, tout aotan
nonhoüa ecoüateienstan?_
D. Ne Oucaota dè ecoüachiensseni
chè ecoüateoüata.
M. _Apres avoir veu le bien qu'il
nous faut faire, que reste-il
maintenant à sçavoir?_
D. Le mal qu'il nous faut fuir.
M. _Tout eca Oucaochoutan d'ecoüateoüata?_
D. Ne Arrihoüanderacha.
M. _Quel mal devons nous fuir?_
D. Le péché.
M. _Tout aotan nondée Arrihoüanderacha?_
D. Ondée aat aoüetti, dè eatoncoüan,
chè dè itseen chè dè ierha,
stat teharas Aatio.
M. _Qu'est-ce que péché?_
D. Tout ce qui se dit, qui se desire,
ou qui se fait, contre la loy
& volonté de Dieu.
M. _To hioüa uoüarrihoüanderachaen?_
D. Tendi, Adanehaan, chè nè
onionhoüaehaan.
M. _Combien y a-il de sortes de péchez?_
D. Deux, l'originel, & l'actuel.
M. _Tout eca arrihoüanderachuutan
d'ichias, Adanehaan?_
D. Ondée d'icoüahoüa stat tekhionatondi,
chè dè Achonacha ihochonas.
M. _Qu'est-ce que le péché originel?_
D. C'est celuy que nous apportons
avec nous, quand nous naissons, &
qui nous est pardonné par le Baptesme.
M. _Tout aotan nondée Onionhoüaehaan
arrihoüanderacha?_
D. Ondée nondée arrihoüanderachoutan
d'onionhoüa icoüarrihoüandérach,
stonnè onendiont chè
stat onatechiahaasta.
M. _Qu'est-ce que le péché actuel?_
D. Celuy que nous commettons
nous mesme après l'usage de
raison.
M. _To atti hioüa ionarrihoüanderachaè
onionhoüaehaan?_
D. Tendi, scat arrihoüanderacha
arriotacoüa, chè scat ioüarrihoüande
iassa.
M. _Combien y a-il de sortes de péchez
actuels?_
D. Il y en a deux sortes, l'un est
mortel, & l'autre véniel.
M. _To atti iarrihoüanderachaè
d'attioch?_
M. _Combien y a-il de péchez mortels?_
12/1404
D. Soutarrè, Andetaioüacha, Aoüiachata,
Akhiechencha, Anonstecha,
Anguiataesta, Andacoüanonacha,
Akiengnracha.
D. Sept, c'est asçavoir Orgueil, Ire,
Envie, Avarice, Gourmandise, Luxure,
Paresse.
M. _Tout aotan assonendaoüerhaan
cha ecarrihouanderachatê d'ihoch?_
D. Nen assonacoüas Aatio onderaoüatacoüa,
chia ne achiendaencha
d'assonastacoüandinen Aronhiaonè.
M. _Quel mal nous apporte le péché
mortel?_
D. Il nous sait perdre Dieu, sa
grâce, & la gloire qui nous estoit
promise.
M. _Tout ec' ioti ec' ichia arriotacoüa?_
D. Ondée at d'assonachiah Nonesken,
aerhon assonennhonacoüan
ennhonatè d'Onderaoüatacoüi,
chiachè assonaios anheoncha
dè ta teoüassach.
M. _Pourquoy s'appelle-il mortel?_
D. Pour ce qu'il tue nostre âme,
luy faisant perdre la vie de la grâce,
& aussi pour ce qu'il nous rend dignes
de la mort éternelle.
M. _Tandè ioüarrihoüandeiassa tout
aotan nondée assonendaoüerhaan?_
D. Tastan atoüain teassonacoüas
anderaoüatacoüa stan heoüa ta teassonati
Ondechon, onekichien
ihondanhousta Aatiodè nonanonhoüecha,
chè ondée ioti khionirreoüata
eca ondechaè, chè ondée
haotan assonagnions arrihoüanderachaon
ecarrihoüanderachatè d'ihoch.
M. _Et le péché véniel, quel mal nous
fait-il?_
D. Il ne nous fait pas perdre la
grâce, ny mériter l'Enfer, mais il
nous refroidit en l'amour de Dieu,
& mérite des peines temporelles, &
si nous meine au péché mortel.
_Aot Ondateracata._
_Achinc ichè Aienstacoüa._
_Des Saincts Sacrements._
_Leçon Treiziesme._
M. _Tout ichien, aoüaton atti
t'aoüateoüata ne arrihoüanderacha,
chè t'aoüakerha cha ecattierencoüasti
dat onionhoüachon?_
D. Stan aondi ta tecoüandaourachè
dé ta tessoningoüascoüa Aatio
Onderaoüatacoüa.
M. _Pouvons nous de nous mesme
fuir le péché, & faire les bonnes
oeuvres que nous avons dites?_
D. Nous ne les pouvons faire sans
l'aide de la grâce de Dieu.
M. _Tout aotan dat ecoüakhier chia
ecoüaen Aatio ne Onderaoüatacoüa?_
D. Endeïa ecoüaerata aot Ankucoüaè
Atoteracáta.
M. _Par quels moyens entre autres acquerrons
nous la grâce de Dieu?_
D. Par le bon usage & digne reception
des Saincts Sacremens de
l'Eglise.
13/1405
M. _To Ioüateracataè on Ankhucoüae?_
D. Soutarrè.
M. _Combien y a-il de Sacremens en
l'Eglise?_
D. Sept.
M. _Iaoüeron echa?_
D. Achonacha, Ahetsaroncoüa, Endionrhencha,
Atonesta, Ondakhiachenta
Orenoncoüa, Anerraesta,
Anguiaécha.
M. _Qui sont-ils?_
D. Baptesme, Confirmation, Pénitence,
Eucharistie, Extrême Onction,
Ordre, Mariage.
M. _Sinen nondée eca aherhon?_
D. Aiesus Christ Ouaoüandio.
M. _Qui les a instituez?_
D. Jesus Christ nostre Seigneur.
M. _Tout atti nondée?_
D. Nen atti atahaonenguiaens,
chiachè ti ioti attindeïa ataïonton
Nonesken, chè atahaonanontan
Aiesus Christ Ostaioüancha atohiattè.
M. _Pourquoy?_
D. Pour la guarison & sanctification
de nos âmes, & pour nous appliquer
les fruicts de sa Passion.
_Dac ichè Aienstacoüa._
_Achonacha._
M. _Tout aotan assonierha endindè
Ateracáta d'Achonacha aatsi?_
D. Nen ihachonas Adanehaan
arrihoüanderacha, de icoüahoüa
stat tekhionatondi, chè ondée ioti
Aoüachristerronon aoüaton,
chè assonenastas Aatio, aerhon
assonanontan Aatio Onderaoüatacoüa.
Leçon Quatorziesme.
Baptesme.
M. _Que fait en nous le Sacrement
de Baptesme?_
D. Il efface le péché originel, avec
lequel nous naissons & nous fait
Chrestiens & enfans de Dieu, par
le moyen de la grâce qu'il nous
confère.
_Ahetsaroncoüa._
M. _Tandè Ahetsaroncoüa?_
D. Nen assonahetsaron ataiaoüateiatè,
chè ataiaoüarrihoüateha
Atoüaincha dè khionatoüainchaoüi,
stat tekhionachoni.
_Confirmation._
M. _Et le Sacrement de Confirmation?_
D. Il nous donne force pour confesser
constamment la foy que nous
avons receue au Baptesme.
_Endionrhencha._
M. _Tandè Endionrhencha tout
aotan eest nondée?_
D. Ondée echa assonachonas cha
ne arrihoüanderacha d'icoüarrihoüanderai
stat onnè akhionachoni.
_Pénitence._
M. _Dequoy nous sert le Sacrement
de Pénitence?_
D. Nous recevons par iceluy la
remission des pechez que nous
avons commis apres le Baptesme.
14/1406
_Atonesta.
M. _Tout ichierhè dè ne aot
Atonesta?_
D. Ierhè ça, stonnè Aoüane ahohachendi,
to tohanè Onaoüandio
Aiesus Christ dat atoüain ihenkhon
ecaot Endiscaraè chè Airrataè.
_Eucharistie._
M. _Que croyez vous du tressainct
Sacrement de l'Autel?_
D. Je croy qu'après la consecration
qu'a fait le Prestre, nostre Seigneur
Jesus Christ est réellement
contenu tant en la saincte Hostie
qu'au Calice.
M. _Tande stonnè ahohachendi d'Aoüane,
orast ihandataront Endiscaraè,
che orast ihouchahenoutan Airratae?_
D, Tastan, aerhon stonnè ihaoüangnrakhia,
d'Aoüane, tohanè
Ecandataratè aratenni, chè erroné
aoüaton d'Aiesus Christ, chè
Ecouchahendatè engon tondi d'Aiesus
Christ aoüaton.
M. _Apres que le Prestre a consacrè,
ce qui est en l'Hostie, est-ce du pain,
& du vin, ce qui est au Calice?_
D. Nenny, d'autant qu'en vertu
des sacrées paroles que le Prestre
dit, le pain se change au corps de
nostre Seigneur, & le vin en son
sang.
M. Tande ne Onesse tout aotan nondée?
D. Ahierasta haotan nondée, chè
iondhéchaens akhracoüa d'Aiesus
Christ Nonenguiaenchaens Onheoncha
chè Ostaioüancha: chiachè
asson haotan horrihoutan et
anhoüa Aiesus Christ hatestaancoüas
dè aondhedè, chè de aiheondè;
ondée echa sti ioti endoron dat
eskenona to taoüakra icoüaoüetti.
M. _Qu'est-ce que la Messe?_
D. C'est une mémoire & vive representation
de la mort & passion
de nostre Sauveur Jesus Christ, &
outre cela un Sacrifice, où il s'offre
soy-mesme pour le salut des vivans,
& des morts, & par ainsi nous devons
tous y assister avec grande reverence.
_Ondakhiachenta Orenoncoüa._
M. _Tout aotan eest d'ondakhiachenta
Orenoncoüa?_
D. Assonarrihoüanderachonas d'orast
onarrihoüanderachorè, chè
assonakheroncoüasta ataiaoüahouichegna
chè nonakhriochaens,
chè nonachiatorrec, chè
Ondakiondatoatacoüa.
_Extrême Onction._
M. _A Quoy sert le Sacrement d'extreme Onction?_
D. Pour nettoyer des péchez que
nous pourrions avoir de reste, &
nous donner force pour resister aux
ennuis & douleurs de la maladie,
& aux tentations du diable.
M. _Tout aotan asson?_
D. Onaest ichien asson t'aoüateenguiaens
onerronedè dè tetsoraoüan nondée.
M. _A quoy plus?_
D. Il nous sert d'avantage pour
obtenir la santé du corps, si c'est
le meilleur pour nous.
15/1407
_Anguiaecha._
M. _Tout aotan echa Anguiaecha
ihaatsi?_
D. Ateracata haotan nondée, tonnè
Enguiahan chè Ondekien akhiontatastacoüan
chè akhiontatakhierratan Ankhucoüaonè,
d'Ahoüatsiraendè chè dè endèa
arrihoüaienstandè ottihoüatsiraoüan,
chè de stan teakhroandè, chè stan
teandacoüandetaiondè oüatsè.
_Mariage._
M. _Qu'est-ce que Mariage?_
D. C'est un Sacrement auquel
l'homme & la femme se joignent
ensemble par la foy & promesse
mutuelle en la face de l'Eglise,
pour avoir lignée, la bien instruire
& se garder de fornication.
_Anerraesta._
M. _Tandè Anerraesta tout aotan?_
D. Aot Akhucoüaè Oteracataoüan
nondée, dè stottien Attioüanens,
onnè tondi attindaouras chè
akhrendotandè ne aot orronè Aiesus
Christ Onenguiaenchaens, chè
arrihoüanderach orescaoüandè dè
honendacarratat, chè stan iesta
aerhadè aot Ankhucoüadè. Tandè
det attindeiachas Ecoüattioüanens,
oont ahonendaronca nondée.
_Ordre._
M. _Qu'est-ce que l'Ordre?_
D. C'est un Sacrement mis en
l'Eglise, par lequel les Prestres reçoivent
la puissance de consacrer le
précieux corps de nostre Sauveur,
absoudre ceux qui leur sont donnez
en charge, & faire les autres choses
concernans la police de l'Eglise.
Enquoy il leur faut obéir, ores
qu'ils fussent de mauvaise vie.
FIN.
_A la plus grande gloire de Dieu._
16/1408
L'ORAISON
DOMINICALE
TRADUITE EN LANGAGE
DES MONTAGNARS
DE CANADA
Par le R. P. Massé de la Compagnie de JESUS.
Noutaouynan Ca tayen Ouascoupetz.
Nostre Père qui es és cieux
1. Kit-ichenicassóuin sakitaganiouisit.
Ton nom soit en estime.
2. Pita ki-ouitapimacou agoué Kit-outénats.
Ainsi soit que nous soyons avec toy en ton Royaume.
3. Pita Ki-kitoûin toutaganiouifit Assitz, ego Ouascouptz.
Ainsi soit que ton comandement soit fait en la Terre, comme
au Ciel.
4. Mirinan oucachigatz nimitchiminan, ouechté teouch.
Donne nous aujourd'huy nostre nourriture, comme tousjours.
5. Gayez choueriméouinan ki maratirnisitã agoué,
Et aye pitié de nous si nous t'avons offencé,
ouechté ni chouerimananet, ca kichiouahiamitz.
ainsi que nous avons pitié de ceux, qui nous ont
donné suject de nous fascher.
6. Gayeu ega pemitaouinan machicaouintan, espich
nekirakinaganiouiacou.
Aussi ne nous permets t'offenser, lors que nous y
serons induits.
7. Miatau canoueriminan eapech. Pita.
Mais conserve nous tousjours. Ainsi soit.
La Salutation Angélique.
Ho hô MARIE, miffit catouatichôuin Kit-ouitchecou,
Salut Marie, toute bonté vous accompagne,
Dieu kit-ouitapimuc.
Dieu est avec vous.
17/1409
Ki-catouachichiriou miffit è tachitau Iscoueouet,
Vous estes la meilleure de tant qu'il y a de femmes,
Gayez sakitaganiouiou k'oucouchich kittouascatamitz JESUS.
& est en grand estime le Fils de vostre ventre JESUS.
O ca catouachichien MARIE Ouccaouymau DIEU,
O bonne Marie Mere de DIEU,
ahiemiaouinan, ca maratiriniouitsiatz
priez le pour nous, qui sommes pescheurs
anoch, mac espich nipiatz, Pita.
maintenant, & lors que nous mourrons, Ainsi soit.
LE SYMBOLE des Apostres.
Ne-Tapouitaouau DIEU
Je croy en Dieu
Outaouymau, Ca missit Nittaouitat
le Père, qui est tout puissant,
ca Kichitat, Ouascoupniouy, mac Assiriouy.
qui a fait le Ciel & la Terre.
2. Gayez ne tapouitaouau, JESUS CHRIST Oucouchichimau,
Aussi je croy en JESUS-CHRIST son Fils
tipan N'okimaminan.
unique notre Seigneur.
3. Ca (Irinissouymau catouachichiriou espich ouitchiat,)
Qui (l'Esprit tres-bon coopérant,)
Irinicassout ouascatamitz Iscouechichay MARIE, ca ki penet.
s'est fait homme au ventre de la Vierge Marie, qui l'enfanta.
4. Chibinat, espich okimaouitay Ponce Pilate,
Il a souffert, durant le gouvernement de Ponce Pilate,
ki kichtafcouaganiouyou, ki-nipahaganiouyou, mac
ouaspitaganiouyou.
a esté cloué en un bois, fait mourrir, & enterré.
5. Courasetet adamiscamigoutz, mac eabits nichtou kichiganich
Est descendu aux Enfers, & après trois jours
minahiauássout, caou iriniouit.
reprenant son corps, a derechef vescu.
6. Ifparit Ouascoupetz, gayeu apit outisponesinitanitz DIEU
Est monté és Cieux, & est assis à la dextre de Dieu
outaouyé, ca nitaouitat missit.
son pere, tout puissant.
7. Caou ke nougousit Ouascouptz, kticheastametz, gayez
Derechef il apparoistra au Ciel, és nuées, &
écouta cata-opineouet Iriniticou, ça Ki-catouachichitouau:
là il recevera les hommes, qui auront bien vecu:
gayeu cata-ouebineouet ochicta ouisitouau adamiscamigoutz
escouteoutz.
aussi il precipitera les meschans és enfers dans le feu.
18/1410
8. Netapouitouau ego, ca catouachichiriou Irinissouimau.
Je croy pareillement au tres-bon ESPRIT,
9. Gayez peiocout Ahiamitoúin, ca catouachichit, missimitz
Aussi une assemblée d'hommes, qui est bonne, en tout le monde
fakitaganiouyou, Outichioûin ouirouau, ca catouachichitouau.
bien aymée, l'entresoulagement de ceux qui sont bons.
10. Outicheouaticinióuin.
La remisson des péchez.
11. Il Minahiauóuin netchipaminanet.
Le retour au corps de nos âmes.
12. Iriniouin, ca nama nittanipin eapech. Pita.
La vie, qui ne peut mourrir jamais. Amen.
La Confession générale.
Ne-ouitemouau DIEU ca missit nitaouitat,
le confesse à DIEU qui est tout-puissant,
Catoua chichiriou MARIE, teaouch Ifcouechichay,
à la bonne Marie, tousjours Vierge,
Michel Manitou, ca catouachichiat, ego Jean
Michel l'ange, qui est bon, pareillement à Jean
Baptiste, Pierre, Paul, gayeu missit e tachitau,
Baptiste, Pierre, Paul, & à tous tant qu'ils sont,
cacacouati chitouau, Ouascouptz, gayez ô Nouta
qui sont bons au Ciel, aussi ô mon Père je
ki-ouytematin ne-ki-maratiriniouitsin
vous confesse que j'ay péché
Machicaouian, Machicaouian
je suis meschant, je suis meschant,
Machicaouissian. Ouay netahiemiau
d'ordinaire meschant. Pour ce je prie
catouachichiriou MARIE, teouch Iscouechichay,
la très-bonne Marie, tousjours Vierge,
missit e tachitau catouachichitau
tous tant qu'il y a de bons
Ouascouptz, gayez ô Nouta kitahiemiaouinan Dieu,
au Ciel, & vous ô mon Père que vous priez pour moy Dieu,
oua chouerimic. Pita.
afin qu'il aye pitié de moy. Ainsi soit.
Les Commandemens de Dieu.
1. Peiocou tipan Dieu kigaahiemiau, mac kigasakihihau.
Un seul Dieu tu prieras, & aymeras.
2. Outichenicassóuin nama ki-caouyau ega tapouien agoue.
Son Nom tu ne prononceras sans dire la vérité.
19/1411
3. Nama Ke-atoscaien kichigatz, kitoutaganiouytau,
Tu ne travailleras és jours de commandement,
miatau micouke ahiemiec.
mais seulement tu prieras.
4. K'outtaouy, gayez Ouccaouy kiga tapouetouau,
Ton Pere, aussi à ta Mere tu croyras,
ouay ke iriniouien kinouer.
afin que tu vives long temps.
5. Aouhiez ega kiga-nipahau.
Autruy tu ne tueras.
6. Ega ke machouessien.
Tu ne seras Luxurieux.
7. Ega ke kimoutissien.
Tu ne seras Larron.
8. Egakekirassien outamirouien ahouiez.
Tu ne seras Menteur pour nuire à autruy.
9. Kioué, ca peiocout, ochitau kigaouy maratchihau.
De ta femme, unique, seulement desireras cognoissance.
10. Aouhiez out aouyouin ega kigaouy mamau. Pita.
D'autruy les moyens tu ne desireras ravir. Ainsi soit-il.
SOMMAIRE DES Commandemens de la Loy.
1. Soustissi gayeu epischian, ki-ga-sakihihau DIEU.
Virillement & de tout ton pouvoir, tu aymeras Dieu.
2. Gayes aouhiez ki-ga-episterimau ego ki-hiau.
Et autruy tu chériras comme toy-mesme.
SOMMAIRE DES Commandemens de Nature.
1. Nana ketoutec kecoué aouhiez ca ega meroueritamen aouhiez
ketoutise.
Tu ne feras chose à autruy laquelle ne veuille autruy te faire.
2. Ouechte ke meroueritamen kiga-toutagouin ego ketoutec ahouhiez.
Comme tu voudras qu'on te face de mesme feras à autruy.
LE SIGNE DU CHRESTIEN.
NE-TAPOUITAOUAU Outaouymau, Oucouchichimau,
Je croy au Pere, au Fils,
mac catouachichiriou Irmissouimau, ca peocouchouet tipan Dieu.
& au très bon Esprit, qui sont un seul Dieu.
Pita chouerimic agoué.
Ainsi soit qu'il aye pitié de moy.
POUR SE RECOMmander à Dieu.
NOKIMAU atamitz kitichiet
Mon Seigneur entre vos mains je
20/1412
ki miritin n'itchipay: ouitchihime.
vous donne mon ame: secourez moy
Ki-ouebinau ou machicaouen
vous avez terrasse ce meschant
Manitou, ca ouitcherimic.
Diable, qui me hayt.
POUR DEMANDER pardon de ses pechez.
PITA chouerimiecou agoue,
Vueille avoir pitié de nous,
ô Dieu ca missit nitaouitat, miricou
ô Dieu tout puissant, donne nous
n'outiche ouaticiniouinan,
le pardon de nos péchez,
mac opinicou ouascouptz ecouta
& nous retire au Ciel, là ou
iriniouiacou eapech. Pita.
nous vivrons à jamais. Ainsi soit.
ORAISON A l'ange gardien.
MANITOU ca catouatichien,
Esprit qui estes bon,
ouechté kitotise Dieu, cachiouatessit,
ainsi que vous enjoinst Dieu, misericordieux,
ou cachigats kisnohime, ouitchihime mac canouerime. Pita.
aujourd'huy enseignez moy, secourez moy, & me conservez. Ainsi
soit-il.
LA BENEDICtion de table.
OUTAOUYMAU, Oucouchychimau, mac catouachichiriou Irinissouimau,
Pere, Fils, & très bon Esprit,
tipan DIEU, oucachigatz, chiouatesiatz, acheminan ne-mitchiminan.
seul Dieu, aujourd'huy, misericordieux, donne nous nostre vivre.
Pita.
Ainsi soit.
LES GRACES après le repas.
O Dieu! kinascomitinan, ca
O Dieu! nous vous remercions, qui
nitaouitaien missit, ca ki-ki-mirinan nemitchiminan.
pouvez tout, qui nous avez donné nostre aliment.
O DIEU pita chouerimiecou agoue tchipayet Noutaouynausebanit:
O Dieu vueille avoir pitié des ames de feu nos ancestres:
mac espich nipiácou netchipaminanet. O Dieu! Pita gayeu
& quand nous mourrons des nostres. O Dieu! Ainsi soit aussi
irimouiacou agoue, gayez ouitassitouiacou eapech. Pita.
que nous vivions, & soyons en paix à jamais. Ainsi soit.
FIN.
1/1413
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
I.
(1629)
The Generall of the French taken by Captaine Kirke in Canada
doth acknowledge all good usage in respect of Diett and
lodging.
His grievances are,
1. That friendes and visitantes have not free accesse to him.
2. That he is upon a Diett where he hath much more then he
desires without any agreement what he must pay for it, which
makes him feare that if he should long continue as he doth, he
should not be able to give satisfaction for it. Whereupon being
asked whie he did not take his diett with the Maister of the
house who had divers times invited him, offering him the
freedome of his house and garden, he answered that he loved it
private, and being further demaunded whie he did not expresse
himselfe in that point of his diett the charge whereof he
feared, he answered that he tooke what they brought him. And
being againe demanded, whether he had not cleane linnen as was
fitt, or that any that would have brought him cleane linnen had
beene refused to come to him, he answered, that he had his
linnen washed in the house, but in respect of the charge he
desired to have a laundresse of his owne, whereupon asking of
the Maister of the house whie he did refute it, he said that
his house had beene much troubled with two women that came
thither, and having some suspicion of them he refused them
entrance.
3. The third grievance is, that he is detayned for a ransome
which neither ought to be demanded, nor is he able to pay. For
he holds himselfe to be noe lawfull prisoner of warre not
having beene taken in warre, but upon a plantacion. And he
insists much upon this, That all prisoners taken on both sides
since the warre between the Crownes have beene freely
delivered, not onely those that have beene taken by the Kings
armies or fleetes, but such as have beene taken upon lettres of
Marque, whereof he gives instance in some taken att
Newfoundland, and insistes upon the freedome that Capt. Kirke
gave to all the rest that were under his command. And for his
ransome, he professeth his whole estate in France is not worth
above 700. L. Sterling, and wisheth that for their satisfaction
they would send over some man to search the notaries bookes and
the contract of Mariage with his wife, or any other waie that
may discover his estate, and should they keepe him ten yeares
and ten yeares, he was altogether unable to pay a ransome, and
wished that noe man would judge of his estate by his clinquant
cloathes.
2/1414 The Commissarie Generall doth not complaine but acknowledgeth
all good usage for Diett and lodging. His grievances are two.
1. That friendes are not permitted to come to him.
2. That he is kept prisoner for a ransome, beinge noe prisoner
of warre, and useth the same argumentes as before.
He saies that att the first he wanted linnen, but now his
friendes have furnished him, And the Maister of the house being
questioned, he answered, that he had offered him accomodacions
in this kind which were refused.
(_State Paper Office_, vol. V, n. 33.)
II.
A copie of Mr. Champleins depositions taken before Sr. Henry
Martin Kt. the 9th. (19) of Novembr. 1629.
Samuell Champlein of Browages in Guien in the Kingdome of
France, gent. and late Lieutenant govournor of the forte in
Canada called the St. Lewis at Kebecke, sworne before the right
worll Sr Henry Martin Knight Judge of the high Court of
Admiralty, saieth as followeth.
To the first Intergatory he saith that he and the rest of the
French latelie taken at Canada by Capt Kircke and his comp.
have bin well intreated and used by him and his comp. ev. since
they were taken by them, giveing them victualls and useing them
as himselfe, and they have bin noe wayes dealt with to depose
an untruth for ought hee knoweth.
To the 2d. 3d. and 4th. hee saith that he was in the forte when
Capt Kircke and his comp. tooke the same, and there were then
in that forte and habitacion thereof when Kircke tooke the same
viz. the 20th. day of July 1629. Stilo novo viz 4 brasse
peeces weighing each about 150 lb weight, one other peece of
brasse ordinance wey. 80 lb weight, 5 Iron boxes serving for
the 5 brasse peeces of ordinance, 2 small Iron peeces of
ordnance wey. each 8 hundred poundes weight, six murderers with
their double boxes or chargers, one small Iron peece of
ordnance wey. about 80 lb, 45 small Iron bulletts for the
service of the foresaid 5 brasse peeces, six iron bullettes for
the service of the foresaid, 26 brasse peeces wey. every one 3
poundes, 30 or 40 poundes of gunpowder all belonging to Mo. de
Caen of Deepe Mo. Dollew[831] of Paris Mo. de Nouveau of the
samm Mo. Ezemaell Caen of Roen Mo. Deshenn[832] of St. Mallos
and 3 or 4 more whose names he doth not remember, aboute 30
poundes of match belonging to the French King, 13 whole and 1
broken muskett, a harquebush, a Croacke belonginge to the said
merchants, 2 longe harquebushes 5 or 6 foote longe, a peece
belonginge to the Kinge, 2 other harquebushes, 10. halbertes.
12 pikes belonginge to the Kinge, 5 or 6 thousand leaden
bulletts plate and barres of lead belonging 60 Corseletts
whereof 2 are compleat and pistole proof, 2 greate brasse croes
wei. 80 lb, 1 pavilion to lodge aboute 20 men belonging to the
King, a smithes fordge with the appurtenances, all necessaries
3/1415 for a kitchen, all tooles and necessaries for a Carpenter as
appurtenances of Iron worke for a windmill a hand-mill to
grinde corne, a brasse bell belonging to the said merchants,
and as he hath bin toulld by the factors for the merchants
there were in the warehouse or magazine in the said
habitacions aboute two thousand five hundred or 3 thousand
beavor skinnes and some cases of knifes the number whereof
he hath not heard and some small Iron shafts which did
belonge particularly to Mo. de Cane and the forte belonging to
the King and the habitacion and houses there belonging to the
said merchants were all left standing undefaced, and the
inhabitants in those houses had some goods of their owne in
them but what they were he cannot expresse, and this he
affurmed upon his oath to be true, and more to these
Interogatories he cannot answere.
[Note 831: Dolu.]
[Note 832: Deschênes.]
To the 4th. he saith that there were not any victuals or
ordinarie sustinance for men in the said forte or habitacion at
the tyme of the taking of them, the men in the same haveing
lived by the space of about 2 monthes before upon nothinge but
rootes.
To the 5th. and 6th. he saith that being in distresse for want
of victuals this examinate sent his brother and twenty more
persons in a small pinnace of 7 or 8 tonnes called the Le
Loania[833] and one hundred coates or gownes to a place called
Gaspey and gave his brother order to land twentie of them
there, whereof as he remembreth 2 were weomen and 4 children,
and gave them each of them 2 Coates of beaver to buy victualls
of the Savages, and with the rest to saile to France to give
notice of their distresse in the said forte ac aliter nescit.
(_State Paper Office_, vol. V, n. 34.)
[Note 833: La Coquinne.]
III.
9 (19) Novembris 1629.
Eustacie Boule of Paris in France gent. aged twenty nyne yeares
or thereabouts sworne as aforesayde sayeth as followeth.
To the first Interrogatory he sayeth that, those Frenchmen
which Captaine Kirke tooke at Canada and brought home with him
in his shippe have bin very well used by him, but this
examinate beinge putt into another shippe called the William
was at first some thinge ill used by the company of that
shippe, but uppon complaint thereof to Captaine Kirke he caused
him to be better used. And he hath not (as he sayeth) bin moved
to depose any thinge but truth.
To the second and third he sayeth That he was taken in the
Shallopp the Coquinna before the fort was taken, but sayeth
that he knoweth that there were in the interr[t] Forte three or
fower brasse peeces of Ordnance, twoe iron peeces of ordinance,
some musketts and other municion, the perticulers whereof he
cannot expresse nor cann he expresse what quantety of goodes
were then in that fort or habitacion but he heard that there
were then in the habitacion a quantetye of beavers, knifes and
Iron shaftes, and he hath heard that part of the munition of
the sayd fort did belonge to the French Kinge, and the rest
thereof to Mounsr. de Cane, Mounsr. Dolliew, Mounsr. Donovien,
4/1416 Mounsr. Harvey, Mounsr. Deyerton, Mounsr. de Shanne[834] and
other French merchants and that the beavers knifes and shafts
aforesayde belonged to Mounsr. de Cane in particuler ac aliter
nescit.
[Note 834: Deschênes.]
To the fourth he sayeth That they in the fort aforesayde at the
tyme of theire takinge fedd only uppon rootes and had noe other
sustenance.
To the fifth and sixte he sayeth That Mounsr. Shamplye[835]
caused this examinate with twenty nyne persons more, men woemen
and children to imbarque themselves in the Interrogate Pinnace
and gave this examinate order to carrye them to Gaspie and
there to leave them twenty of them amongst the savages to get
victualls amongst them and to give them two coates of beaver a
peece to buy victualles with, and with the rest to seeke
passage for France to make knowne in what necessitye they in
the Fort were, And this he affirmeth uppon his oath to be true
who was Captayne of the sayde Shalloppe. (_State Paper Office,
Colonial Papers_, vol. V, art. 35.)
[Note 835: Champlain.]
IV.
9 (19) Novembris 1629.
Nicholas Blundell of Deepe in France, gent. aged 22 yeares or
thereaboutes, sworne as aforesayde sayeth as followeth.
To the first Interrogatory he sayeth That he and the rest of
the French taken by Captaine Kirke at Caneda have bin well used
and intreated by him in the best manner that he could and as
well as himselfe, and hath not bin dealt with to speake any
thing more then truth.
To the second and third he sayeth That he was in the Fort of
Cabecke when it was taken by Captaine Kirke, and he sayeth that
there were then in the sayde fort two greate peeces of Iron
Ordnance, but what other munition, goodes or marchandizes, were
then [in] that fort or the habitacion thereof he cannott
expresse, livinge as a private gentleman to his fashion Ac
aliter nescit.
To the fourth he sayeth That there was not any victuall or
ordinary susteynance for men in the sayde fort at the tyme of
the takinge thereof they havinge lived about a month or six
weekes before, only uppon bitter rootes.
To the fifth he cannott depose.
To the last he sayeth that those in the Interrogate pinnace and
all the rest of the people of the sayde fort and habitacion
except sixteene were sent away, some to goe for France, and the
rest to be releived amongst the Salvages in the country.
(_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 36.)
V.
The depositions of Capt. David Kyrcke, and Capt. Thomas Kyrcke,
John Lowe and Thomas Wade, Factors for the Adventerers to
Canada, taken before Sr. Henry Martin, Kt. and Judge of the
Admiralty the 17th. (27) of November 1629.
The 26th of March (5th. of April) 1629. we departed from
Gravesend with sixe shipps and tow pinnaces and weare of the
coast of England, about the 10th. (20) of April following.
5/1417 The 15'th (25) of June wee arrived at Greate Gaspe and went up
to Taddowsacke and Quebecke, between that and the 3rd (13) of
Julye; in these places we traded with the Natives of the
Countrye for 4540 Beavor skinns and 432. stagge skinns,
according to the accompt delivered to mee by the Factors and
pursors of the shipps, as appeareth to bee true under ther
oathes. About the 3rd (13) of Julye I sent my brother with tow
hundred men to demaund the rendering of the forte of Quebecke,
which was geven up unto him the 9th (19) ditto upon such
articles and condicions as are set dowen under the hande
writinge of Mr. Champlaine and Mounsier du Pon.
My brother haveing possession of the Forte sent dowen to our
shippes all such Bevore skinns as were found therin, which did
amount to one thousand seaven hundreth and therteen beavors, as
appeareth by the account of the Factors imployed to take the
tale and accompte of them, and more beavor skins were not in
the sayed Fortte and habitation as farre as I knowe.
These above sayd are the depositions of Capt. David and Capt.
Thomas Kyrcke, made the 17th Novembr. 1629.
We John Lowe and Thomas Waade, Factors and pursers in this
voyadge with the above sayed Capt. Kyrckes do likewise affirme
upon our oathes taken the 17th Novembr. 1629. that there were
noe more then 1713 Bevor skinns in the Forte and habitation to
our knowledge and that there came no more to the Companies
handes.
This the parties abovesayd upon there severall oathes taken
before Sr. Henry Martin Kt. Judge of the Admiraltye have
affirmed to be true of theire knowledge.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 37.)
VI.
Demandes de l'Ambassadeur de France au Roy de la Grande
Bretagne.
Qu'il plaise à sa Majesté luy accorder la permission de faire
saisir les pelletries & autres marchandises apportées de Canada
dans deux vaisseaux par les Kirkes, & deschargez secretement,
pour le droit des François interessez, contentant à la
vendition desdites marchandises, moiennant qu'il y ayt un
commis par luy pour y assister, Et que l'argent quy en
proviendra soit mis en sequestre jusques en définitive.
Plus qu'il plaise à sa Majesté vouloir remettre à son juge de
l'admirauté la cognoissance & le jugement de trois vaisseaux
pris en mer par les Holandois, & enmenez en ses portz, reclamez
par les propriétaires François.
FONTENAY.
(_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 50.)
VII
(11 février 1630.)
L'ambassadeur de France supplie sa Majesté de la Grande
Bretagne qu'il luy plaise ordonner suivant & conformément à ce
qui a esté promis & accordé par les articles du XXIIIIe avril
dernier, au Capitaine Querch & au Sir Guillaume Alexandre, &
telz autres de ses subjectz qui sont ou se trouverront en la
6/1418 nouvelle France, de s'en retirer & remettre entre les mains de
ceux qu'il plaira au Roy son Maistre d'y envoier & seront
porteurs de sa commission, tous les lieux & places qu'ilz y ont
occupez & habitez depuis ces derniers mouvemens, &
particulièrement la forteresse & habitation de Québec, costes
du Cap Breton & Port roial prins & occupez, scavoir la
forteresse de Québec par le Capitaine Querch & les costes du
Cap Breton & Port roial par ledit Sir Guillaume Alexandre
Escossois, depuis le XXIIIIe avril dernier. Et iceux remettre
en mesme estat quilz les ont trouvez, sans en desmolir les
fortifications ny bastimens des habitations, ny emporter
aucunes armes, munitions, marchandises ny ustencilles de celles
qui y estoient lors de la prinse, quilz seront tenuz de rendre
& restituer avec toutes les pelletteries quilz ont apportées
dudit païs, ensemble la patache commandée par le Capitaine de
Caen, qui a esté amenée en Angleterre, comme aussy le navire
nommé la Marie de St jean de Luz, du port de soixante dix
tonneaux, qui a esté prins par ledit Alexandre au port des
baleines, coste du Cap Breton, & partie des hommes ramenez icy
par le Capitaine Pomere.
(_Sur le dos est écrite._)
MEMOIRE Whereby the French Amb. desires his Majesty to give
order for the restitution of all the places taken in Canada by
the English and Scotts during these last troubles: Item of all
the goods and ships brought from thence hether all in manner as
it was taken, CANADA.
(_State Paper Office, Colonial Séries_, vol. V, art. 50.)
VIII.
Response de Messieurs les Commissaires establis pour les
affaires estrangeres sur cinq mémoires à eux presentés par Mr.
l'Ambassadeur de France, le premier de Febvrier 1629.
(11 février 1630.)
1. Touchant la restitution des places, navires & biens qui ont
esté pris sur les François en Canada, & particulièrement du
fort de Québec, Sa Majesté persiste en sa première resolution
signifiée audit Sieur Ambassadeur par un Mémoire qui luy fut
delivré en Latin, portant que ledit fort & habitation de
Québec, qui fut prist par le Capitaine Kirke, le 9 (19) de
Juillet, sera restitué en mesme estat qu'il estoit lors de la
prise, sans rien abbatre des fortifications ou bâtiments, ny en
emporter des armes, munitions, marchandises ou utensiles qui y
furent lors trouvées. Et que si aucune chose en avoit esté
emportée, elle sera rendue soit en espece ou en valeur, selon
la quantité de ce qu'il a peu ou pourra apparoir par nouvelle
examination qui en sera faite sur serment avoir esté trouvé
audit lieu. Semblablement les peaus qui ont esté prises &
emportées dudit fort pour butin & choses de bonne prise, seront
restituées selon qu'aussy il peut ou pourra apparoir par le
compte exact qui en sera pris là, sur serment qu'elles auront
esté prises & emportées dudit lieu. C'est ce que sa Majesté
offre & demeure tousjours en resolution d'accomplir selon la
première déclaration qu'elle en a faite, & n'estime pas pouvoir
estre pressée à davantage sur ce point là en vertu du dernier
Traité.
2. Touchant l'abus que ledit Sieur Ambassadeur se plaint avoir
esté commis par les Marchans Anglois, en cachant & soustrayant
7/1419 les peaus qui ont esté apportées de Canada, il a esté ordonné
par Messieurs du Conseil, & charge expresse par eux donnée à un
des clercs du Conseil, de faire une visitation particulière &
prendre Inventaire du nombre des peaus qui retient & de faire
parfournir ce qui s'y trouvera de manque par les marchants afin
d'accomplir toutes choses selon qu'il a esté promis.
3. Quant aux marchandises que Pierre de Joffe & autres
marchants de Calais reclament & disent leur avoir esté prises
en la navire de Hambourg, Messieurs du Conseil ont pris la
cognoissance de ce fait par devers eux ainsy qu'ils en ont esté
requis, & se sont fait mettre entre les mains tous les
enseignements qui le concernent, avec l'intention de faire
faire restitution desdites marchandises selon qu'elles leur
apparoistront appartenir de droit ausdits François.
4. 5. Touchant la navire particulière de St-jean de Luz, pris
par le fils de Sr William Alexander, & amené à Plemue, & trois
autres navires nommez l'Amitié, le Pierre & le Michel de
Calais, qui ont esté pris & menés en Escosse, Sa Majesté a
donné ordre exprés qu'ils soyent restitués.
(_Sur le dos est écrit._)
Responce de Messieurs les Commissaires aux Mémoires de
l'Ambassadeur de France, Canada. _(State Paper Office, Colonial
Papers_, vol. V, art. 50.)
IX.
Charles, by the grace of God, Kinge of England Scotland France
and Ireland, Defender of the faith, etc. To our right trustie
and welbeloved Councellor, Sir Humfrey May Knight
Vicechamberlaine of our houshold. Sir John Coke Knight, one of
our principall Secretaries of State, Sir Julius Cesar Knight
Master of the Rolls, and to our trustie and welbeloved Sir
Henry Martin Knight Doctor of the Lawes and Judge of the
Admiraltie, Greeting. Whereas Captaine David Kirke and his
associats have taken certen goodes moveables merchandize and
skynns, from certaine of the French which were remayning in the
forte of Kebecke, the Colledge of jesuites, and in a shippe by
him taken in Canada in the partes of America, Wee therefore,
minding and resolving to be trulie informed and advertised of
the same, and of the quality and values of the skynns goodes
and merchandize there taken as aforesaid, have assigned and
appointed, and by theis presents doe assigne and appointe you
the said Sir Humfrey May, Sir John Coke, Sir Julius Cesar, and
Sir Henry Martin, to be our Comissioners, giving and by theis
presentes granting unto you or anie three or two of you full
power and authority to call or send for before you or anie
three or two of you at such tyme and tymes, place and places,
as to you or anie three or two of you shall seeme most
expédient as well all and singuler masters of shippes and
mariners as all or any other person or persons whome you shall
understand or conceive can give you informacion in or
concerning the premisses, and shalbe necessarie to be called
for the discovery of the premisses, or anie of them. And wee
doe further hereby give unto you, or any three or two of you,
full power and authoritie, as well by examinacion of the said
masters of shippes marryners or any other person or persons
whome you or anie three or two of you, shall thincke fitt upon
8/1420 theire corporall oathes, or without oathe as by anie such other
lawfull waies and meanes whatsoever as to you or any three or
two of you shalbe thought fitt and expédient to find out and
discover the said goodes moveables merchandize and skynnes,
and all other necessarie incidents and circumstances
concerning the premisses whereby the truth maie the more
plainely appeare and be made manifest unto you. And upon such
examination taken and discovery made, Wee will require and
comaund you or anie three or two of you to certifie and
advertise us or our privie councell of such your proceedinges
and howe and what you find concerning the premises. And theis
presentes or the inrollement thereof shalbe unto you, or anie
three or two of you, a sufficient warrant in this behalfe. And
lastlie our will and pleasure is, that this our Comission shall
continue in force, and that you our said Comissioners, or any
three or two of you, shall proceed to the execution thereof,
although the same be not from tyme to tyme continued by
adjournment. IN WITNESS whereof, wee have caused theis our
letters to be made patentes, Winnes our selfe at Westm. the
fifte day of March in the fifte yeare of our Raigne.
Per ipsum Regem WILLYS.
(_Sur le dos est écrit._)
A comission to Sr. Humfrey May Knight, and others to examyne
what goodes, merchandize and other thinges were taken by
Captaine Kirke, at Canady, in the partes of America. 5 mar. 5
Car. WILLYS.
(_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 58.)
X.
In one onely point Monsieur de Chasteauneuf seemed to goe away
ill satisfyed, that he could not obtayne a direct promise from
His Majesty for ye restoring of Port Royall, joyning to Canada,
where some Scottishmen are planted under ye title of Nova
Scotia. This plantation was authorized by King James, of happy
memorie, under letters patents of ye Kingdome of Scotland, and
severall priviledges graunted unto some principall persons of
ranke and quality of this Kingdome, with condition to undertake
the same. True it is, it was not begun till towards the end of
the warre with France, when some of His Majestys subjects of
that Kingdome, went to Port Royall, and there seated themselves
in a place where no French did inhabite. Mons. de Chasteauneuf
pretending (rather out of his owne discourse, as wee here
conceive, then by Commission) that all should be putt in state
as it was before the warre, and by consequence those men
withdrawne, hath pressed His Majesty earnestly for that
purpose, and His Majesty without refusing or granting, hath
taken time to advise of it, letting him know thus much that
unless he found reason as well before as since the warre, to
have that place free for his subjects plantation, he would
recall them, but in case he shall find the plantation free for
them in time of peace, the French will have noe cause to
pretend possession thereof in regard of ye warre. Meanewhile
Kebec, (which is a strong fortified place in the river of
Canada which the English tooke) His Majesty is content should
be restored, because the French were removed out of it by
strong hand, and whatsoever was taken from them in that fort
shall be restored likewise, whereby may appeare the reality of
9/1421 his Majestyes proceedings, and this I advertise your Lordship
for your information, not that it should be needfull for you to
treate or negotiate in it, but to ye end that if it should be
spoken of upon Monsr. de Chasteauneuf's returne, you should not
be ignorant how the businesse passed.
DORCHESTER.
Whitehall, 15th, Aprill 1630.
(_Sur le dos est écrit._)
Lord of Dorchester to Sr. Is. Wake, 15. April 1630. Plantation
of Canada, Nova Scotia, Port Royall and Kebec.
(_State Paper Office, Colonial Series_, vol. V, art. 82.)
XI, n. I.
To the right honorable the Lords of his Majesties most
honorable Privie Councell.
Whereas I received an order from your Lordships of the nineth
of this instant Aprill, concerning the difference between
Generall de Cane and the Marchant Adventurers of Canada, about
the Beaver skinns in question betweene them, I have sent for ye
said merchants, ye greatest parte whereof appeared before mee
at severall tymes, and seemed to bee willing that ye said
Generall de Cane should have ye said skynns delivered unto him
according to your Lpps. said order by ye said Solomon Smith
marshall of ye Admiralty, but amongest the rest of the said
merchants Captaine Kirke, who as I am informed hath the
custodie of one of the keyes of each warehouse, there being two
lockes to either warehouse dore wherein the said skynnes are.
Although he hath byn diverse tymes warned never appeared before
mee, who is either out of towne or else refuseth to bee spoken
with all. So as I perceive the said skinns will not be
delivered unto ye said Generall de Cane nor his Assignees
untill some further order bee taken by your Lpps. therein, and
further I humbly certifie unto your Lpps. that the said
Generall de Cane at his last being with mee informed mee that
his occasions were such that he cold not staie in England
untill such tyme as ye difference betweene him and the said
marchants was ended, but wold appoynt one as his Assignee to
follow the said buisnes on his behalfe in his absence. In which
place hee hath appoynted one Jaques Roynard[836], who appeared
before mee and pretendeth his onlie staie in this Kingdome is
to see this buisnes ended, which he alleadgeth is an
extraordinary hinderance unto him in his affaires. All which I
humbly leave unto your Lpps. consideration. This XXVIIIth of
Aprill 1630.
JAMES CAMBELL, Mayor.
[Note 836: Kognard, ou Couillard, sieur de Lespinay.]
XI, n. 2.
To the Right Honorable the Lordes and others of his Majesties
most Honorable Privy Councell.
The humble Peticion of Generall de Caen. Shewing that according
10/1422 to your Honours Order directed to ye Lord Mayor of this Citty
of London he hath proceeded to the sale of ye Beavers, and
after divers and many profers and ye highest price offered by
your Petr the said Beavers were then adjudged to your Petr who
then offered the monyes, demanding the delivery of the said
Beavers. But Capt. Kirck and his Company would not deliver the
said Beavers nor ye keyes of ye warehowsen, where ye said
Beavers are kept, upon any order from the said Lord Mayor to
them as may appeare by his annexed Certificat with the protest
for ye costes and dommages which ye said Petr hath and doeth
suffer.
Humbly therfore he beseecheth your Lpps. (considering your
premises and ye injust dealings and tedius frivolous delayes of
ye said Capt. Kirck and other adventureres for Canada), would
be pleased to ordaine: That ye said Beaver may be speedily
delivered to ye said Petr or his assignees, and the said Capt.
Kirck and Comp. condempned to pay all costes and dommages which
are or shall happen to ye Petr by reason of not delivery of the
said Beavers.
AND HE SHALL PRAY, etc.
XI, n. 3.
Knowe all men by theis presentes that on the Twelveth day of
April One thousand six hundred and thirty, and in the sixt
yeare of the Raigne of our Soveraigne Lord King Charles, etc.
Before mee Josue Mainet Notary and Tabellion Publicq, dwelling
in this Citty of London by the authority of the said Kinges
most ex[t] Majesty. Admitted and sworne and in the presence of
the witnesses herunder named personally apeared the noble
William de Caen, Lord of La Motte Generall of the Fleete for
New-France, and hath required of me the said Notary to summon
the Englishe Adventurers of Canada in Comp. with Captaine Kirck
to deliver or cause to be delivered the Keyes of the severall
Warehowsen where the Beaver skins are layde up which have bin
brought from Caneda, and sould unto the said Generall de Caen,
and for to have possession of the said Beavers upon the
conditions mentioned in the order of his Majesties most
honorable Privy Counsell, dated the nynth of this month, And in
case of refusall and not delivery of the said Keyes and Beavers
upon the conditions aforesaid, the said Generall de Caen hath
protesteth and doeth protest by theis presents of Exchange &
Rechange and all costes dommages and interestes of the some of
six thousand poundes starling, which the said Generall de Caen
hath taken up here by Exchange for to pay and deposite for the
said Beavers in the handes of the right Worshipfull James
Cambell, Lord Mayor of this Citty of London, for to recover all
the same of the said Adventureres of Caneda here of their
goodes in time or place as of right it shall appertaine. As
also for ye spoile and perishing of the said Beavers and
loosing of the market for the same, the said Generall de Caen
declaring moreover to have given, and doth give by theis
presentes full power and authority to James Roynard[837], Sieur
d'Espinez his Attorney, to cause the said Beavers to be
delivered unto ye Factor of the said Generall de Caen here, who
hath the monyes for to pay for ye said Beaveres upon the
delivery of the said Beaveres: In Witnes whereof, the said
Generall hath herunto set his hand and seale in London, in ye
presence of Salomon de Quieuremont and Peter James, Witnesses
hereunto required. The register of the the said Notary is thus
subscribed de Caen, S, de Quieurmont, Peter James.
[Note 837: Cognard, pour Couillard.]
11/1423 On the thirteenth day of ye said month of Aprill, I the said
Notary at the request aforesaid tranaported myselfe unto the
persons of Mistris Kirck, widdow of late Jarvis Kirck, in his
life time merchant of this Citty of London, and to Captaine
David Kirck, his sonne, and William Barkely also of London
merchant Adventurers of Caneda, and have required them and
every of them to deliver or cause to be delivered to the
assignee of the said Generall de Caen, the keyes of the
severall Warehousen where the said Beavers are layde up as
aforesaid, And then I notified unto them the aforefaid protedt,
and showed them the said order from his Majesties honorable
privy Councill, Whereupon Mistris Kirck replyed shee had bin
long sick, since her late husband's decease, and had not the
keyes of the said Warehousen, but was ignorant of those
buissineses which shee had comitted to her sons ordering, and
the said Capt. David Kirck answered he was not Executor or
administrator to his late father, and that he had not ye said
keyes. And the said William Barkely having perused and read
over the protest and order of ye Councell, answered thereupon
that he hath not the said keyes of the said Beavers and
therfore cannot delivered them: And on the fowerteenth day of
Aprill, I the said Notary having alsoe required of Robert
Charleton, also of London merchant and one of the said
Adventurers unto whome I have notified the premises and
delivered unto him an authentick coppy of the protest and order
aforesaid, and I demanded of him the delivery of the said
keyes. Whereupon the said Robert Charleton answered that hee
neither is or ever was possessed of the said keyes where the
said Beavers are kept, and for his part hee wisheth that the
said Generall de Caen had the beavers for the price hee offered
for them. And finally ye said Robert Charleton said that he
canot get his part which he hath in the said Comp. and he doeth
not knowe who hath the said keyes, neyther can hee deliver
them. Of which severall answers aforesaid, I the said Notary
have at the instance of Sieur Despinez made this present Act
for to availe the said Generall de Caen as of right shall
appertaine, Thus done and passed att London in the presence of
William Hill and George Colles, Witnesses thereunto required.
Josua Mainet, Not. Pub.
(_Sur le dos est écrit._)
Requeste de Monsieur de Caen.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 87.)
XII.
May 18th. 1630.
A letter to the Lord Mayor of London.
Wee have bin informed that notwithstanding the strict
directions that have bin given from this Board.
A lettre to the Lord Mayor and Sheriffe of London.
Whereas you have formerly received order from this Board to
summmon the Marchants trading for Canada, to deliver the Keyes
12/1414 of the warehouses, where the Beaver skinns remaine unto your
Lordshipp upon the depositing of a certaine som of money, which
as wee are informed the said Marchants refuse to doe. We doe
therefore pray and require your Lopp. etc., to the said
Merchants an other summons to deliver the said Keyes, that so
the said skins may be delivered unto Generall de Cane upon the
depositing of so much money, as was agreed upon by our said
former direction which if they refuse now againe to doe upon
this second significacion, then wee require, and hereby
authorize your Lopp. etc., to breake open the doores of the
said warehouses, and to see the Beaver skinns delivered to the
said Generall de Cane or his Assignes upon the depositing of
the said sume of money as aforesaid, for which this shall your
Lopp. etc., sufficient warrant etc., And so etc.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 92.)
XIII.
Samedie dernier, le Sec(re) du Moulin avec le Sr. de Caen
s'estans transportez avec un Sergent & ses deputiez au magasin
où les pelleteries qui avoient esté apportées de Canada avoient
esté mises soubz le seel par ordonnance du Roy, comme il plaira
à Messieurs du Conseil le souvenir, un de la part de Querch
seulement & de ses associez s'y estant presenté, il ne feust
trouvé audict magasin que trois cens castors & quatre cens
orignaitz, par où Monseigneur l'Ambassadeur suplie le Roy &
Messieurs de son conseil d'apporter son authorité pour faire
reparer & chastier ceste entreprinse dudit Querch & ses
associez, d'avoir esté si osez de rompre les cadenatz & le
scelle de la Justice & enlever lesdictes pelleteries. Et que
pour ceste violence ilz soient condamnez à remettre dedans
trois jours en main tierce, les six mil castors quilz ont
recogneu avoir apportez de Canada. Et qu'à ce ilz soient
contrainctz par emprisonnement de leurs personnes & saisie de
tous leurs biens, sans prejudice de plus grande quantité que
ledit Sr. de Caen veriffiera quilz ont apporté de Canada, &
vendu depuis leur retour à des marchans François pour grandes
sommes de deniers.
(_Sur le dos est écrit._)
MEMORIAL Whereby the French Amb. desires that Mr. Capt. Kerke
and other bee punished by prison, etc., because they have
broken up the Magasin of the goods, brought from Canada, and
that they make restitution within three dayes of the 6000.
brought from thence, etc. CANADA.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 96.)
XIV.
Whitehall the second of June 1630.
This day Thomas Fittz Marchant being convented before the Board
for a notorious misdemeanor in imbeseling and conveying away
certaine Beavor skins, out of a Warehouse wherein they were
deposited by way of sequestration under lock hung on by order
of the Court of Admiralty, was after examination taken of his
13/1425 Carriage therein, committed to the prison of the Fleete, and it
was further ordered, that the examinations taken before the
Board, should be transmitted to Master Atturney Generall, who
after perusall of them is hereby prayed and required to take
strickt examination of the business, aswell to discover who
were actors or Abettors anie way in conveying away the said
goods, as to whose hands anie parte of the same either in
specie or anie parte of the moneyes ariseing upon the sale of
them, are come, and how the same hath bin imployed, or disposed
of, and by whose direction with all such other circumstances as
he shall finde requisit touching the same, and that the
Messinger who hath the said Fitz in custodie doe forthwith
carry him before Mr. Atturney to the end he may take order for
the present producing of the said Fittz, his booke of Account,
without which he refuseth (as appeareth in his Examination
before the Board) to declare what parte of the money ariseing
upon the sale of the said goods he had already received.
Whitehall the 16th. of June 1630.
Upon consideration this day had at the Board of the difference
depending betweene Monsr. de Cane a subject of the French Kings
and Thomas Pittz and others English Merchants Adventurers to
Canada, and upon consideration had in particuler of the great
contempt and affront of all authoritie and Justice shewed by
the said Fittz, whereunto also it is to be presumed that the
rest of his partners were privie and Abettors, It was thought
fit and ordered that his Majesties Atturney Generall doe
proceede in Starr Chamber against the said Fittz, with all
expedition, and that he likewise hasten the Commission agreed
on and directed for the examination and discovery of the rest
of the Actors or Abettors in the said misdemeanors, and that
here of he give their Lordshipps an account at their next
sitting on Fryday in the afternoone. Lastly it is thought fitt
and ordered that the said Fittz be still continued prisoner in
the Fleete. And that the Warden be expressly charged and
required not to suffer him at all to goe abroad.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. V, art. 97.)
XV
To the right honorable the Lords Comissioners for his Majesties
Navie and Admiraltie of England.
The petition of Sr. William Allexander Knight, Capt. David Kerk
and others the adventurers in the joynt companie of Canada.
Whereas it pleased his Majesty some three years agoe to give
Comission under the great Seale of England to the pet[rs] for
planting Colonies in the river of Cannada, and displanting of
those who were then his Majesties ennemies in the said Landes,
and for the better encouragement and enabling of the pet[rs] to
give them by the same Commission sole power to trade with the
natives within the Gulfe and river of Cannada: Now the pet[rs]
are informed that there are divers shipps bound for the said
Gulfe and river without warrant from them and contrary to his
Majesties expresse pleasure by his Commission to them, which
cannot but turne greatly to the prejudice of his Majesties
service and the losse of the pet[rs] And they are particularly
14/1426 enformed of one shipp, called the Whale of London whose owners
are Nathaniell Wright and Nathan Wright, the Masters Richard
Brewerton and Wolston Goslyn, that is presently ready for the
said voyage.
Wherefore they doe humbly entreat your Lordshipps that for the
foresaid shipp or any other which upon due information shalbe
found to have any such intention contrary to his Majestys
Commission to the pet[rs] there may be such course taken that
they may be stayed or sufficient assureance given that they
will prosecute noe such voyage.
And they shall pray for your Lordshipps.
The Lords Comissioners for ye Admiralty desire ye Lord Viscount
Dorchester to be pleased to take this petition into present
Consideration, and calling all parties before him to examine
how farre ye limitts granted to ye petitioners (by Commission
from his Majestie) extend in Latitude and Longitude, and if his
Lordshipp shall find that the parties complayned of have
intention to goe into those partes contrary to his Majesties
Commission their Lordshipps thinke fitt and order that they be
staid as is desired.
Wallingford House, 26. Febr. 1630. (8 march 1631.)
EDW. NICHOLAS.
(_Sur le dos est écrit._)
R. 26°. Febr. 1630. Pet. of Sr. Wm. Allexander.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 4.)
XVI.
Right trustie and welbeloved Cousins and Counsellors and
trustie and welbeloved, Wee greete you well. Whereas wee are
informed that there are certaine shippes bound for the gulph
and river of Canada, contrarie to a power and comission given
by us unto Sr. William Alexander Knight, Jerves Kirk and others
therein contained, who by vertue thereof have been at greate
Charges in setling and maintaining a Colonie and fort in these
boundes, Our pleasure is that upon due information of any Shipp
or shippes bound for the said Gulph and river of Canada,
contrarie to our former warrant, and without power from the
forenamed persons having interest in it you take such speedie
course as is requisite for their stay and hinderance till our
further pleasure be knowen. For doing whereof these presents
shalbe unto you a sufficient warrant. From our Court at
Whitehall the[838]
(_Sur le dos est écrit._)
A cont. pt. of a lre. for hinderance of men going to Canada,
desired by Sr. W. Alexander, ye 19 of Feb. 1630. (1st. march
1631.)
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 5.)
[Note 838: Ainsi en blanc dans l'original.]
XVII.
A breife declaration what beaver skinnes Captaine David Kirke
and his Companie brought from Canida, in the yeare 1629. and
how the Forte of Kabecke was surrendred.
15/1427 That the sayd Captaine Kirke and his companie brought from
Canida, the voyage aforesaide but the number of 6253 beaver
skinnes.
Deposed upon oath
by Capt'aines David and
Thos. Kirke, Jn°. Lowe
and Th. Wade their factors
and pursers fol. I.
That of the saide 6253 beaver skinns they gott and acquired by
trade with the natives of Canada 4540.
Deposed upon oath by
the same parties fol. I. as
also Jacques Reinard Sr.
de Espines, Lieutenant
to Monsr. de Cane, hath
deposed ad 15 interrogator.
fol'. 5, that he beleaveth
they traded for 4000.
beavers and all the other
Frenchmen depose that
the English traded there
for beavers skines.
That Captaine Kirke and his companie had not from the French
above the number off 1713 beaver skinnes which with those had
in trade as aforesaid maketh upp the number of 6253 skinnes.
Deposed by the said
Captaines David and Thomas
Kirke, John Lowe and
Thomas Wade, fol. I.[839]
[Note 839: Dans le n. 13 du Vol. V, qui ne diffère pas essentiellement
du n. 12, on lit de plus: _and M. Champlain governor of the Fort
deposeth but of 2500. or 3000 beavers that were therein_, fol. 3.]
That the time when the Fort of Keibecke was surrendred to
Captaine Kirke, the French men in the same were in greate want
of victualles havinge lived two months before uppon nothinge
but bitter rootes.
Deposed by Samuell
Shamplin, Leieutenant
Goverener, fol. 19, ad. 4,
Nicolas Blundell, fol. 22
and Eustacie Boule, Fol. 23.
That the French delivered to Captaine Kirke in exchange for
victualls and for theire bringinge into England and sendinge
them into France, at his chardges all the beaver skinnes which
he had from them.
Proved per contractum,
fol. 24. [840]
[Note 840: Le n. 13 porte: _Proved per contractum made at the takeinge
in of the Forte_, fol. 8, 9.]
That Captaine Kirke fedd for the space off three or fower
months off the French, 100 persons and that those victualls in
trucke which the natives would have gayned him more beavor
skinnes then att those which he had from the French to the
number of 1000.
Deposed by Captaine
David Kirke, fol. 27. ad.
9 and 10. Interr.
And whereas there may seeme to be some difference betweene the
depositions of the English and French, touchinge the number of
beaver skinnes, that difference is thus to be reconsiled,
namely that it is to be understood, that the English speake
only off such beavers as came to the companies accompt, and the
French speake off the whole number of skinnes that they had
when the forte was surrendred, not naminge or expressinge what
part off the same they themselves enjoyed by the permission off
the English hid or imbeazilled, for it is evident by their owne
depositions that by the content of the English, some of them
had one garment and others two garments of beaver a peece, and
Monsr. Shamplin and Monsr, Pountgrave had 227 beavers off those
found in the Forte all which by estimation cannot be lesse then
a thousand skinnes besides one; Monsr. Culliart now residing in
16/1428 Canida, had 250 of the said beavers which the English paid him
for, as by his receipt may appeare and the Frenchmen themselves
did privately convay away some beavers and hidd others the
number whereof cannot be discovered by reason that by the
articles of agreement they were permitted to carry out of the
forte what beaver skinnes and others comodities they had,
nither is it considered what at such a time both the French and
English off the ordinarie people might convay away as pilladg
which is impossible for the adventurers to finde out.
(Sur le dos est écrit.)
Breviat of ye businesse of Kebeck as was brought me by one of
ye Canada companie, ye 2. (12) of May, 1631. with a note of the
Beaver skinnes taken and bought by Capt. Kerke in Canada.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 12.)
XVIII.
27 May (6 June) 1631.
Captaine David Kirke sworne and examined before the right
worshipfull Sr. Henry Martin Knight, Judge of his Majesties
high Court of the Admiralty uppon certaine Interrogatoryes
answereth thereto as followeth.
To the first Interrogatory hee sayeth That true it is, That he
was Imployed cheife Comander in two voyages into Canida, in the
yeares 1628. and 1629. and the first of those voyages he was
sett forth and ymployed at the Chardges of his late father
Gervase Kirke and others merchantes of London, and the last of
those voyages at the chardges of Sr. William Alexander the
yonger, the sayde Gervase Kirke and others theire partners. And
this hee affirmeth uppon his oath to be true.
To the second he sayeth That in the first of the said voyages,
he tooke from the French all the Country of Canida that they
had in possession, except the fort of Cabecke.
To the third he sayeth That in the last voyage when he tooke
the sayd fort of Cabecke he had not any notice or knowledge of
the late peace concluded betweene England and France.
To the fowerth he sayeth That in the sayde last voyage wherein
he tooke the sayde fort of Cabecke, he had a Comission under
the broade seale of England, authorizinge him to transplant the
French at Canida, and utterly to expell them from that country.
To the fift he sayeth That in the sayd last voyage in the river
of Canida he mett whit a French pinnace whereof Emery de Cane
was Comander, and that pinnace assalted this examinates
shallops and shott at them before this examinate began fight
with her. And that pinnace did kill two of this examinates
company and hurt and maymed twelve or sixteene others of them.
To the sixt he sayeth That the beaver and ottar skynnes now in
sequestration under the lockes of the Admiraltye are the same
that this examinate had by trade with the natives of Canida,
and by composition from the French for victualls given them
accordinge to that composition.
To the seaventh he sayeth that the French at the tyme of the
17/1429 renderinge of the forte of Cabecke did bringe out of the same
which they sould and disposed to theire owne use betwixt seaven
and eight hundred beaver skinns, of which the greatest part
they sould to the English here in England.
To the 8th he sayeth that when this examinates men returned
from the takinge of the sayde forte, this examinate would have
taken some beaver skynnes from them which they desired him not
to doe, because (as they did constantly affirme to him) they
had bought part of them of the French in exchange of apparrell,
and the rest they founde in ditches and in the wood where the
french had hid them.
To the nynth and tenth he sayeth That there was not in the
sayde forte at the tyme of the rendition of the same to this
examinates knowledge any victualls, save only one tubb of
bitter rootes, and he sayeth uppon his oath, That for the
victualls which he gave the French to releive them in Canida
and homewards accordinge to Composition, he might have hade in
trucke with the natives of that country more beavers by a
thousand then he had out of the sayde fort of Cabecke. And this
he affirmeth uppon his oath to be true, Further addinge that
with his owne victualls he fedd of the French by the space of
three or fower monthes at the least one hundred persons, and
payde for theire victualls in England and freighted and
victualled them a shipp and therein sent them from England to
France according to the sayde composition.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art, 15.)
XIX.
Monsr.
Monsr. d'Espiné m'a faict savoir ce qui se pane. J'entendz par
la vostre qu'aportez de bon vin. J'eusse eue grandement aize
que feussiez venu d'un aultre fasson, pour vous monstrer que je
ne suis pas tel qu'il a esté raporté à Monsr. vostre cousin. Ou
que j'eusse esté vostre prisonnier, ou à moy l'honneur de vous
estre serviteur, j'entendz que nos deux Majestez sont d'acort.
S'il vous plaist venir icy sur vostre Commission, vous
recepverez ce que esperez de celuy qui est
Monsr.
Vostre très affectionné,
KIRCK.
Je, Emery de Caen, Capitaine de la Marinne, commandant le
navire nommé le _Don de Dieu_, suivant le congé qu'il a pleu à
Monseigneur le Cardinal de Richelieu, Grand Maistre, Chef & sur
Intendant de la Navigation & Commerce de France, donner au
sieur Guillaume de Caen, cy devant Général de la flotte de la
Nouvelle France, pour envoyer un navire à ladiste Nouvelle,
traister avec les sauvages, recepvoir les debtes qu'il luy
seroyent deubz, ledist sieur de Caen s'il en auroit donné le
commandement, & estant arrivé à l'isle d'Orléans, près
l'habitation de Québec, audist païs. J'aurois envoyé Jacques
Cognard, sieur de l'Espinay, porter la coppye de mon dist congé
à une signification dudist sieur de Caen, ensemble ma
signification & protestation au bas, en datte du quatriesme
jour de Juillet mil six cens trente un, au Capitaine Louis
18/1430 Kearke, Commandant pour le Roy de la Grand Bretagne, du fort &
habitation du dist Québec, lequel m'avoit mandé pouvoir venir
par ma commission, ce que j'aurois faist, & trois jours après
mon arrivée audict lieu il m'auroit faist mettre noz voilles,
mousquets & piques dans la dicte habitation. Et ayant parlé par
plusieurs fois audist sieur Gouverneur & aux commis de la
compagnye d'Angleterre, pour nous accorder pour faire la
Traitte par ensemble pour esvitter aux desordres qui eussent
peu arriver. Nous aurions en fin traitté l'un avec l'aultre
pour pain, poix & aultres marchandises, des Castors & peaux
d'orignal passez & grains de pourcelaine, lesquels castors &
peaux ont esté mis en leur magasin pour les separer entre eux &
nous. Et ne m'auroyent desfendu la traitte ny donné
empeschement jusques au jour d'hier que les Hurons sont arrivez
avec quantité de castors & aultres peletries, ilz m'auroyent
envoyé leur principal commis, nommé Jehan Loo, me signifier une
article comprise dans l'ordre qu'ilz ont de leur compagnye,
signée de Monsieur le chevallier Guillaume Alexandre & le
Capitaine David Kearke, cy devant général de la flotte Angloise
pour le dist païs, pour & au nom de toute la compagnye, par
laquelle ilz ordonnent de prendre & saisir tous navires qui
traitteroyent dans le dist païs. Et prendre leurs castors
jusques à fin de traitté, & auroyent mis dans mon dit navire &
barque plusieurs de leurs gens sans m'avoir laissé aulcun
exploict de la dicte signiffication, pour m'empescher de
traitter mes marchandises avec lesdistz sauvages. Et deffence à
moy de ce faire, encore que je leur aye remonstré & dit que le
païs appartenoit au Roy mon souverain Seigneur & Maistre, Et
que j'avois droist de traitter sans aucun contredit ny
empeschement, suivant ma commission de mon dit Seigneur le
Cardinal, & qu'ilz ne me montroyent aucune commission du Roy de
la Grande Bretagne, pour me prendre, & empescher la traitte,
eux ayans la force à la main, & desirant entretenir le pais, de
ma part ay protesté cy devant & de rechef proteste pour le
susdict Général de Caen & assossiez contre le sieur Gouverneur
Kearke, & capitaine des vaisseaux leurs bourgeois &
adventureurs en général, & chacun en leur propre & privé nom,
de les faire respondre de tous despans, domages & interestz
soufferts & à souffrir pour l'arrest & empeschement qu'ilz me
font de la vente & traitté de mes marchandises dont je leur en
donneray facture, comme de la prinse des castors que j'avois
traittés cy devant. Faist dans le navire nommé le _Don de
Dieu_, devant le fort & habitation de Québec, le vingt
deulxiesme jour d'aoust mil six cens trente un, presence de
Michel Morieu, Maistre dudist navire, Jacques Cognard sieur de
l'Espinay, Olivier le Tardif, Jacques Barbault & Jacques
Ferment, officiers du dist navire. Signé Emery de Caen, Michel
Morieult, de l'Espinay, Tonnent, Jacques Barbault, Charles
Mons, Dereau dit St Amours, le Merc de Jean Hanin, Chalot
Poullain de Mury, Le Juif, Pierre Rousseau, Le Tardif, Le Merc
de Jehan Crocquet, Jehan Tontain & le Merc de Nicolas Gomme.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 23.)
19/1431
XX.
[L. S.]
At Whitehall, the 14th. of October 1631.
Present:
Lo. Keeper Lo. Trea[r]. Lo. Privy Seale Ea. Marshall Ea. of
Kelley Lo. V. Falkland Lo. Bp. of London Mr. Secr. Coke.
Whereas Captaine Kirke and others the adventurers to Canada,
did humbly shewe to the Board, that they having the sole Trade
into those partes graunted unto them, prohibiting all others to
trade thether, That neverthelesse divers persons viz. John
Baker, James Ricrofte, Captaine Eustace Man, Henry West and
others, have as Interlopers presumed to trade thether, carrying
away a great parte of the said trade, to the great dammage and
disablement of the said Adventurers to maintaine theire
Collonie there for defence of the said Island or to proceede in
the said Trade. Forasmuch as the said persons were thereupon
this day convented before the Board some of the said
Adventurers being then also present, And upon Entrance into the
hearing of the Cause however the said Information in the
generall appeared to be true, Yet for that the Examination of
divers particulars objected on either parte, required a further
tyme then the leasure of the board could permit. Their
Lordshipps did thincke fitt and order that the further
examination hereof be referrd to Mr. Sergt. Barkeley, Sr.
Willm. Beecher and Mr. Nicholas, authorizing and requiring them
to call for and peruse, all such writings, letters, Charter
parties and Bookes of Account as they shall think fitt; As
likewise to call before them and examine all such persons as
they shall find cause, aswell for the finding out of the
contemptuous carriage of the persons complainde of, as for the
discoverie of the particular goodes and comodities and the true
vallue of the same, by them brought from thence. And thereupon
to make certificate to the Board, to the end such further order
may be given as shalbe requisite. Lastly it is ordered that the
persons complainde of shall enter into sufficient Bond to his
Majestys use before the Clarke of the Councell attendant, not
to sett out from henceforth any more Shipps to trade thether
without lycence from his Majestie, or this Board. And shall
give theire attendance de die in diem and not departe the Towne
untill further order which Bond if they shall refuse to enter
into, then to stand comitted to the custodie of a Messenger
untill they shall conforme themselves.
Ext. T. Meantys.
(_Sur le dos est écrit._)
Canada 14th. Octob. 1631. Lo[dds] of ye Councells order of
Reference concerning examinations of ye contempt ag[t] ye
company of Canada.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 27.)
20/1432
XXI.
May it please your Lopps.
We having herewith returned the examinations which we have
taken according to your Lopps. order of the 14th of October
last upon the Complaint of the Adventurers to Canada wherein we
make bould to observe unto your Lopps. that James Ricroft named
in your Lopps. order (who was imployed as pylott and merchant
in his voyage complained of) had bene imployed in a former
voyage by ye Adventurers of Canada, and that (but by that
imployment) he had noe knowledge of that Coast; We likewise
finde by other circumstances that he was not ignorant that ye
Forte of Kebecke in those partes was taken and mayntained by ye
said Adventurers, the charge whereof is apparent they could not
undergoe but by the benefitt of their trade there; Wee likewise
finde that at his last arrival there notice was given him from
the said Adventurers that he ought not to trade there, to which
notwithstanding he would not conforme: And such notice is
proved by a letre subscribed by hymselfe which lre. we herewith
returne, But the said Ricroft utterly denieth thatt he
subscribed the said lettre although it were by two witnesses to
his face attested to us to be signed by himselfe, And further
it appeares unto us by ye examination of Capt. Vincent Harris
that the said Ricroft was not only an encourager of these
merchants to undertake that voyage, but his carriage there did
discourage the natives to trade with the Adventurers.
As for Baker the Mr. of the Eliz complained of and Eustace Man
(one of the owners and merchants of that shippe) albeit the
notoriousnes of the actions of the Adventurers to Canada doth
give a suspicion that they were not ignorant of his Majesties
pleasure for their sole trade into those partes, yet by their
examinations they deny any manner of notice of his Majesties
pleasure or other order for ye Adventurers sole trade.
And for Henry West mentioned in your Lopps. order it was
alleadged to us that he was sicke and could not come to be
examyned.
We have also perused an Order termed a Com[on] which we finde
to be made by the beforesaid H. West and Eustace Man as
Merchants unto ye said John Baker and James Ricroft purporting
their ymployment from ye port of London unto ye Coast of
Candia, which word Candia was delivered by Eustace Man &
Ricroft to be intended for Canada, The instrument of which
order wee herewith together alsoe with the examination and
letre aforesaid humbly present your Lordships, leving all the
same to ye Lordships wisdom.
5. Nov. 1631.
Examinations taken by us underwritten according to ye order of
ye l4th of October 1631, from ye Rt. ho[ll] ye Lords of his
Majesties ho. Councell.
James Ricroft, Pilott of ye Eliz of London, examyned saith that
Captaine Kirke and others professinge themselves to be a
Companie did imploy him in the yere 1630 to Canada, and that he
was paid by Mr. Eyres (beinge casheere for the said pretended
Companie) sixe weekes after the end of ye voyage and that
untill he was imployed by that Companie he never was in ye Gulf
of Canada. That he heard ye Forte of Kebecke in those partes
was in ye yeere 1628. surrendred by ye French to the said
21/1433 pretended Companie and saith, that when he was there imployed
by ye said pretended Companie Captaine Lewis Kirke held ye
possession of the said Forte.
This examinate denyes that ever he knewe of or ever saw anie
pattent to the said Companie untill he came last from sea.
This examinate confesseth that he hath since 1630 bene imployed
in a voyage to Canada by Capt. Eustace Man and one Hen. West in
the Eliz of London. And did trade at Todasecke with ye savages
that come thether for Beaver skins, and Elke skins, but he
cannot tell to what quantity or vallue; but referres himselfe
to the Customers Books for the Certaintie thereof. He saith
that there was an order from his Merchants for his trade to the
North parte of Canada and else where, which order is in the
custody of Captaine Eustace Man, and confesseth that he did
call to the Mr. of the Eliz (he beinge then deteyned as a
prisoner by Captaine Vincent Harris, Capt. of the said
Companies shippe named the Thomas) willing him to trade 3 for
one which he sayeth was 3 Elkes skins for one Blankett. He
denyes that he hath anie Charter parties, writinges or Bookes
of accompt concerning his voyage.
Jo. Baker Mr. of ye Eliz of London examyned saith that he did
[not] know when he went out that there were anie that professed
themselves to be of ye Companie of Canada, but heard that Capt.
Kerke and others kept a Fort in Canada. And further sayth that
James Ricroft his Pylott beinge deteyned by the Companie did
send ye letre nor shewed him subscribed by Ricroft, and upon
receipt thereof he refused to deliver anie goods therein
required to be delivered and came for England with five Caskes
and halfe of Beaver skins and some Elkes skins, for the
certaine number whereof he referreth himselfe to the Customrs
books, And faith that he was with ye said shippe tradinge in
the said Gulfe about 20 dayes and that he had for his
particuler about 40 pounds of Beaver skins; He denies that he
wrought by way of challenge to Captaine Vincent Harris, but if
he spake any wordes it was in his drinke and is forrie for it.
Captaine Eustace Man one of the owners of the Eliz examined
saith that he did sett forth the said Eliz (whereof Jo. Baker
was Mr.) upon the motion and perswasion of James Ricroft for
Canada and other partes and that untill his said shippe was
gonne to sea he knewe not of, nor heard not of anie pattent
graunted to anie Companie. That the order given ye Mr. for that
voyage is in the Isle of Weight; That there were 531 Bearskins.
that were brought from Canida and that they are all sold for
above 500 £. And 100 and odd Elkes skins which were sold for
above 100 £. But for the truth and certaintie of ye number of
the said skins, he referreth himself to the Customers books And
deneyeth that he hath any writinge Charter parties or bookes of
accompts for he saith that the Mr. never gave him anie accompt
in writinge of that voyage.
Wm. Holmes purser of ye Thomas examyned saith that he did
wright the letre produced dat. 12 May 1630 and read it unto Wm.
Ricroft and saw him subscribe the same, In which letre it is
apparent that Ricroft knewe of the Comission granted to Sr.
Willm. Allexander.
Edward Lees attendant upon Capt. Vinc. Harris Captaine of the
22/1434 Thomas, confesseth as much as ye said Holmes. Samuell Peirce
Bever maker examyned saith that he bought of one Mr. Tho. Man,
a Woollseller dwellinge by London stone about August last, ye
quantitie of about 880 pound weight of Beaver skins in six
hogsheads, which the said Tho. Man told him he had bought and
received of one Captaine Eustace Man Merchant and owner of a
shippe that came from Canada, for which said skins he paid to
the said Thos. Man 880 £. saith that he and some other Beaver
makers whome he can name, bought of severall seamen that said
they were belonginge to the said Capt. Mans Barque severall
quantities of Beaver skins to the vallue of 300 weight.
Captaine Vincent Harris Capt. of the Thomas examyned said that
beinge imployed by ye Companie of Canada this last yeere to
trade in those partes, and seeing ye said Eliz whereof Ja.
Ricroft was pilote come into that Gulfe he commanded him to
come aboard, and when he came he demanded by what authoritie he
came thither, & what he did on that coast, whereto he answered
he came to trade there aswell as this Examinate, whereupon this
Examinate shewed him the Companies Com[on], and gave him the
same to read which he did, and then sleighted it very much, and
to expresse the Contempt he had of it went upon the decke and
cryed to his shipp the Eliz that they should give 3 for one of
that those of the Thomas did trade for, whereby those of the
Company of Canada were constraincd to leave of the trade and
goe from thence in regard the Savages would not come unto them.
But reported that the Companie came to deceive them for that
there were other of their Countrymen would give three tymes as
much as they.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 33.)
XXII.
A note of all suche things as the Company hath in Canada and
the nomber of men.
Imprimis they have above 200 persons in the fort and habytation
of Kebec and gone up som 400 leages in the country for further
discoverys.
In the fort there is 16 peeces of ordnance and 8 murderers. 75
musketts and 25 sowlinge peeces and 10 arkebusses a Croake and
30 pistolls 8 dozen of pikes and 24 holbeards and 40 Corseletts
and 10 armors of prooffe and 6 Targetts.
In the sayd fort there is 2000 of powder for the ordnance 300
of musketts powder, and one hundred and halfe of sowlinge
powder, Rownd shott burd shott Langer shott and chrossbar shott
enough for the use of there powder and 10 barrells more which
the Maye have of the store of 3 pinaces which are there
furnished with 6 peeces of ordinance a peece and 6 murderers a
peece and 5 barills a powder a peece and all thinges convenyent
for their Rigginge and Munition of war.
The sayd 200 persons vittled accordinge to his Majesties
allowance att sea for 18 monthes besides what they fownd upon
the ground which is able to find them 6 months more soe that
the are very well vittled for 2 years and within towe yeers if
they worke as the have beegon the wilbee able to subsift of
themselves.
There is goods for to Trade with the natives of the Contrey
more then wee are able to vent in 2 yeeres which goods are no
23/1435 wheare vendable butt in that contry and which goods stands use
in 6000 £. starlinge besides charges which doth amount to
6000 £. more.
All fort of tooles for smithes millers masones plasterers
Carpendars Joyners bricklers whillons bakers bruers
ship-carpenters shoomakers and taylors.
10 Shallops fitted with bases for the head and all other
furniture.
All fort of tooles beelonginge to the fortyfication.
The abovesayde fort is soe well situated that the are able to
withstand 10000 men and will not care for them, for whatsoever
the can doe, for in winter they cannot staye in the countrey
soe that whoesoever goes to beesidge them the cannott staye
there above 3 monthes in all in which time the muskett will soe
torment them that noe man is able to bee abroad in centry or
threnches day nor night without loosinge there sightes for att
least eyght dayes.
Soe that if please his Majestie to keepe it wee doe not care
what French or any other can doe thoe the have a 100 sayle of
shipps and 10000 men as above sayde.
(_Sur le dos est écrit._)
Note of all such thinges as the Company hath in Canada and the
number of men.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, n. 38.)
XXIII.
Messrs.
Je me remets à respondre à l'agréable vostre que m'a rendu le
Sr Alexandre à son retour, qui j'espere sera en bref. Cependant
vostre homme Mr Lowe n'est comparu icy, qui certes est venu
fort mal à propos, car de luy on eust peu estre esclaircy de
beaucoup de doutes qui ont rendu vos affaires avantageuses pour
Decan & préjudiciables pour vous; toutesfois je vous asseure
qu'on a faict tout ce qui a esté possible, & que ce qui est
accordé conste hors des depositions fort clairement. Il y a
deux points esquels on a trouvé le plus de peine, l'un la
pretension de Decan d'estre payé de ses Castors à 12 £. 10.
selon qu'il les avoit enchery & acheptez, à quoy après beaucoup
d'altercations on a esté forcé de céder par l'exhibition d'un
acte de Messeigneurs du Conseil privé de S. M., auquel est
contenue vostre promesse de faire bon ledit prix ou en porter
le dechet comme pouvez voir par ledict acte qui est du 22
Janvier 1628/29 auquel je vous remets. L'autre pour le poids
des Castors, car le Sr Fitch dit bien d'avoir vendu lb. 4000 de
Castors & 200 Castors, mais nous remet pour le nombre des
Castors au seigneur Bicher, lequel atteste avoir compté 3500
peaux en un magasin & 620 en un autre, les reduisant à 2409 &
33l Castors compte de Canada, ne disant pas sy les 2409 pesent
seuls lb. 4000 ou bien si tous les 2740 pesent 4000 lb. Cecy me
met en doubte, & ne sçavons comme le reigler. Decan prétend que
Fitch n'a enlevé que les 3500 peaux ou 2409 Castors qui
estoyent en son magasin, lesquels doibvent peser 4000 lb poids
d'Angleterre, les autres 331, n'ayant esté en sa puissance ny
les avoir vendus. En quoy il y a de l'apparence de raison, mais
non pas assez pour la pouvoir tellement refuter ny accorder que
ce soit selon l'equité. Nous devons nous trouver ensemble
aujourd'huy pour voir ce qu'il pourra alléguer pour vérifier
son dire. Mais sy vostre homme eust esté icy on eust peu voir &
24/1436 sçavoir les particularitez de tout, & traicter avec luy avec la
solidité & resolution qui est requise pour rembarrer son
audace. La faute est à vous qui n'avez pourveu Monsr.
l'Ambassadeur de meilleures defences, vous asseurant que toutes
les armes qu'avez envoyées ont esté employées sans obmission
d'aucune part qu'on aye peu esplucher pour vostre advantage;
vous verrez le tout à son temps, à quoy me remets.
Préparez vous à partir & soyez les premiers en toute façon pour
prendre l'advantage de la traicte à Tadoussac; n'allez pas trop
foibles ny aussy ne vous mettez en despences extraordinaires,
afin que puissiez faire le voyage à profit & sans perte. Il
faut que vous voyez de prendre ordre aux Interlopers, car cela
vous gasteroit tout pour ceste année; pour les suivantes, que
ceux à qui il touche y prennent esgard. J'ay trouvé bon de vous
donner cest advis par avance, & vous baisant les mains je
demeure Messieurs
Vostre affectionné serviteur,
PH. BURLAMACHI.
A Metz, ce 30 Janvier 1631.
A Messrs.
Messrs. les Députés de la Comp[e] Angloise & Escossoise,
negotians en Canada,
LONDRES.
(_Sur le dos est écrit._)
Copie d'une lettre escrite à Metz le 30e de Janvier 1630,
(1631) par le Sr. Burlamachi, aux Députez de la Compagnie
Angloise & Escossoise, negotians en Canada.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 39.)
XXIV.
That for supposed debtes to du Cane from ye Canada Marchantes
(for skins, for debtes from savages and for knives) he hath
bound the King to pay 8270 £, sterling within ye space of two
months.
That for certeine French shipps etc. he hath likewise obliged
his Majestie to pay in Paris unto whom ye French King mall
appoynt (and that within two months allso) the tome of 6060 £.
sterling.
Soe as in effect he hath condemned his Majestie in 14330 £.
sterling and given Bur: in pawn for ye payment with which it
may be justly sayd he hath bought ye peace.
For as concerning the first some it is most certeine that ther
are butt 1730 skins belonging to ye French as appeers by
depositions in the Admiralty ye Copies wherof Mr. Burlemachi
hath and thes skins are still entire here. The knives are in ye
fort, and ye debts from savages utterly denied.
And as for ye second some nothing is more certaine then that
his Majestie never had pennie of it.
Butt suppose that thes sums of money were recoverable here why
should the King be bound to pay them.
Why were nott thes articles first consulted with his Majestie
before ye signing of them, especially seeing in his name and to
be certified under his greate seale Burlemachi is made a
pledge.
25/1437 Why was nott caution also given for du Canes payment of ye
frayght and charge of ye shipp of 150 tuns; and for payment of
ye marchandize which the English are to leave in Canada.
I conceave it most fitting that ye Canada Company should
answere my Lo. Embas[ores] long letre.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 45.)
XXV.
Trusty and welbeloved etc. For soe much as there is made a
finall good agreement betwixt us and our good brother the
French King, and that all differences aswell betwixt our
Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfect
accord, and that amongst other particularityes on our side v/e
have consented to the restitution of the fort and habitation of
Quebec in Canada, as taken by force of armes since the peace,
howsoever the Comission were given out to you during the warre
betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment
of our royall word and promise before all whatsoever
allegations may be made to the contrary in this behalfe, as we
have obliged ourselves to that King for the due performance
thereof by an act passed under our great Seale of this our
realme of England, soe we doe by these our lres. straightly
charge and command you, _that upon the fight hereof yee doe
give speedy notice and order to all such subjects of ours which
are under your Comission and gouvernement aswell souldiers
which are in garrison in the foresaid fort and habitation of
Quebec for defence thereof, as inhabitants, which are there
seated and planted, to [conforme themselves unto the sayde
agreement and to] [841] _render according to the sayd agreement
the sayd fort and habitation into the hands of such as shalbe
by our sayd brother the French King appoynted and authorised to
demand and receave the same from them_, in the same state yt
was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of
the fortifications and buildings which were erected at the tyme
of the taking, or without carrying away the armes munitions,
marchandises or utensills which were then found there in. And
yf any thing hath ben formerly carryed away from thence, our
pleasure is, yt shalbe restored either in specie or value,
according to the quantity of what hath ben made appeare uppon
oath and was sett downe in a shedule made by mutuall content of
such as had cheife comand on both sides at the taking and
rendring thereof. And for soe doeing these our lres. shall not
onely serve for warrant but likewise for such expresse
signification of our will and pleasure, that whosoever officer,
souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew
himselfe crosse or refractory thereunto, shall incurre our
highest indignation and such punishment and penalty as shalbe
due unto offendors of soe high a nature.
[Note 841: Ces mots sont effacés dans l'original.]
(_Sur le dos est écrit cette note._)
And every of you our subjects remayning in the foresayd fort
and habitation, either as soldyers in garrison for defence
thereof or inhabitants there seated and planted, imediately
uppon sight hereof which shalbe presented by such as our good
26/1438 brother the French King shall appoynt and authorise for that
purposse, to render the sayd fort and habitation of Quebec into
their hands.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 46.)
XXVI.
Charles R.
Trusty and welbeloved wee greete you well. Forasmuch as there
is made a finall good agreement betwixt us and our good brother
the French King, and that all differences aswell betwixt our
Crownes as subjects are settled by a mutuall and perfectt
accord, and that amongst other particularytyes on our side, we
have consented to the restitution of the fort and habitation of
Kebec in Canada, as taken by force of armes since the peace,
howsoever the Commission were given out to you during the warre
betwixt us and the sayd King: We preferring the accomplishment
of our royall word and promise before all whatsoever
allegations may be made to the contrary in this behalfe, as wee
have obliged ourselves to that King for the due performance
thereof by an act passed under our great seale of this our
realme of England, soe we doe by these our letres straightly
charge and comand you that uppon the first commoditie of
sending into parts and meanes for ye people to returne yee doe
give notice and order to all such subjects of ours which are
under your Commission and government aswell souldiers which are
in garrison in the foresaid fort and habitation of Kebec for
defence thereof, as inhabitants, which are there seated and
planted, to render according to the sayd agreement the sayd
fort and habitation into the hands of such as shalbe by our
said brother the French King appoynted and authorised to
demaunde and receave the same from them, in the same state yt
was at the tyme of the taking, without demolishing any thing of
the fortifications and buildings which were erected at the tyme
of the taking, or without carrying away the armes munitions
merchandises or utensills which were then found therin. And yf
any thing hath bene formerly carryed away from thence, our
pleasure is, it shalbe restored eitheir in speicie or value,
according to the quantity of what hath bene made appeare uppon
oath and was sett downe in a schedule made by mutuall content
of such as had cheife comaund on both sides at the taking and
rendring thereof. And for so doeing these our letres shall not
onely serve for warrant but likewise for such expresse
signification of our will and pleasure, that whosoever officer,
souldyer, or inhabitant shall not readily obey, but shew
himselfe crosse or refractory therunto, shall incurre our
highest indignation and such punishment and penalty as shalbe
due unto offenders of soe high a nature.
(Sur le dos est écrit.)
Letters from his Majesty to ye Canada marchants and ye
comanders under them for rendring Kebeck corrected as in these
first originals appeareth.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 47.)
XXVII.
Declaration du Sr. Champlain soubs serment des armes, munitions
& autres utensiles laissées au fort de Kebeck lors de la
rendition, qui doyvent selon le Traicté estre restituées.
27/1439 4. Quattre pièces d'Artillerie de fonte du poids d'environ 150
lb. piece.
1. Une pièce d'Artillerie de fonte pesant environ 80 lb.
5. Cinq boites de fer servant pour les dites pièces.
2. Deux plus petites pièces d'Artillerie de fer pesant chacune
800 lb.
6. Six Pierriers avec leurs Chambres ou boites pour les
charger.
1. une petite pièce d'Artillerie de fer pesant environ 80 lb.
45. Quarante cinq petits boulets de fer pour les cinq pièces
d'Artillerie sudite.
6. Six boulets pour les autres pièces, chacun pesant 3 lb.
30. ou 40. Trente ou quarante livres de Poudre à Canon.
30 lb. Trente de Mesche, ou environ.
30. Trente Mousquets entiers & un rompu.
1. Une Harquebuze à croc.
2. Deux longues harquebuzes de cinq ou six pieds.
2. Deux autres harquebuzes.
10. Dix Hallebardes.
12. Douze picques.
5. ou 6000. Cinq ou six mille livres de plomb en boulets,
platine & bancs.
60. Soixante Corcelets, desquels deux sont complets & à la
preuve du Pistolet.
2. Deux grands pieds fourchus de fonte pesant 80 lb.
1. Un Pavillon ou tente pour loger Vingt hommes.
1. une forge de Mareschal avec les Appartenances.
Toutes sortes de provisions pour la Cuisine.
Tous Outils pour un Charpentier.
Tous outils de fer propres pour un moulin à vent.
Un Moulin à bras pour moudre du bled, etc.
Une cloche de fonte.
(Sur le dos est écrit.)
Copie de la deposition du Sr. de Champlain des armes &
utensiles laissées au fort de Kebecq.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 49.)
XXVIII.
An answere made by the Adventurers to Canada unto a letre
written by the right hon[ble] Sr Isaack Wake Knight Lord
Ambassador for his Majestie of England, now resideing in
Fraunce beareing date the 9th of Aprill 1632.
To the first Article mentioned in his Lordshipps letre wherein
he writes that the instructions he received from us were soe
weake and came soe farr short for what was necessary for our
defence that had he not gathered light from Monsieur de Caen
his owne speeches, he should not have brought our busynes to
soe good a passe.
Wee answeare that those depositions and instructions which wee
sent and delivered here to Mr. Burlamachi and which he had
28/1440 under the seale of the Admiralty by the Lordes of his Majesties
privy Counsell their comaund, were soe authentique and
sufficient, that if this cause had byn tryed here in England
where witnesses would have byn allowed, which wee earnestly
desired, We doubt not but to have recovered charges of de Caen
rather then any money should have byn paid unto him. But the
French Ambassador and Monsr. de Caen would never permitt any
legall proceeding neither in the Admiralty nor in any other
Court of justice here in England.
Secondly, Whereas his Lordshipp writes that De Caen his
pretentions were for 266000 livers, We marvaile not at his
unreasonable demaund, knowing the French at well as we doe,
whereof some of us have had woefull experience in the busynes
with Morteau and Launay and others. But Monsr. de Caen att his
being here claymed in all only 4266 beavors. And Monsr.
Champlaine Governor of the Fort when, their goods were taken
deposeth there were but 2500 or 3000 beavors belonging to the
French att the most. Whereof at the rendring of the Fort the
French that were then there, were by composition permitted and
did carry away such as they pretended were their owne, and they
had each of them a Coat conteyning 7 or 8 beavors a peice
besides what they conveyed away secretly. And some were stollen
by them as appeares by the depositions of Oliver le Tardiff one
of their servauntes. Besides wee bought divers beavors of the
said Frenchmen att the returne here of our shipps for which wee
paid them above 400 £. as by their acquittances appeareth which
beavors they brought then in our shipps from thence. All which
being deducted it will plainly appeare there could not come to
our hands above 1713 beavors according to the depositions of
our Captaynes and factors who kept a just and exact accompt of
the same, which beavors were delivered unto us by the French
there, upon composition and condition that wee should feed them
and bring them home they being almost starved and must have
perished without our releife they having fedd upon nothing but
rootes for the space of Three monthes before, as appeares by
the deposition of Monsr. Champlaine, Mo. Blundell, Mo. Bowley
and others. And the victualls we gave them would have bought
there above 4000 beavors, as appeares likewise by the
depositions of Capteyn Kirke and others. The rest of the
Beavors (which with the said 1713 received from the French are
still in sequestration) Wee bought of the salvagcs with our
owne goodes the French themselves confessing in their
depositions that wee traded for 4000 Beavors.
Thirdly, whereas his Lordshipp writes for the restitution of
the shipp Hellen and the goods taken in her which were but of a
small valewe, We answeare that the said shipp came out of
Fraunce the 20th of May 1629 and the peace was proclaimed ten
daies before to take effect from the 14th of Aprill before
that, which peace they knew and heard of before their coming
out of Fraunce as appeareth by the deposition of Jaques Raymond
[842] Sieur de Espines Leiutennt to Mo. de Caen. Nevertheless
at their comyng into the river of Canada they concealed the
said peace and first assaulted and shott att our shallopps and
after att our shipps to have surprized them and killed some of
our men and wounded many others, which appeareth likewise by
29/1441 the deposition of the said Jaques Raymond and the deposition of
our men. Now we conceive that by our lawe and the lawe of
nations those men that shall assault us knowing of the peace
concluded betweene both Kingdomes ought to suffer as Pyratts
and the shipp and goods soe taken are lawfull prize and
therefore noe restitution ought to be made but contrarily the
French ought to give us satisfaction for our damages in the
fight susteyned and also for loss of our mens lives. Howsoever
wee wilbe contented to deliver such goods in Canada as were
taken in the said shipp Hellen (if it be soe agreed and by his
Majesty comaunded).
[Note 842: Jacques Kognard (Couillard), sieur de l'Espiné.]
Fowerthly, whereas de Caen demaundeth satisfaction for Beavors
owing to him by the Salvages we answeare that wee never
received any of them for him, and therefore he may now goe and
receive them himselfe. And for the Knyves which he pretendes to
be worth 600 Beavors they remayne still in the Fort to be
delivered unto him if it be soe concluded.
Fifthly, concerning the number of Beavors which his Lordmipp
saith is playne by the French depositions to be 4200 skynnes,
although Mo. Champlaine their Governor whoe should know best
deposeth but 2500 or 3000 beavors. We answeare that it is more
playne by the depositions of the English that there were but
1713 beavors which came to our hands and they were delivered
unto us upon composition by the French. That we should give
them food whereby to preserve their lives from perishing and
bring them home, which we conceive wee ought to enjoy having
paid soe well for them in regard our provisions they had would
have bought above 4000 beavors as is before expressed. And if
there were any more the French carryed them away with them as
they had permission to do. As appeareth by the contract made
with Monsr. Champlayne and Monsr. Pountgrave att the rendringe
of the Forte.
Sixthly, concernyng the weight of the Beavors, Wee marvell a
Calculation of 6625 £. should be concluded on, seing the whole
number of 4000 Beavors are still remayneing under their
Lordshipps Comaund and may be weighed justly, Soe that they to
whome they shalbe adjudged shall have noe losse by them.
And for the price of 25 s. sterling per lb. If Mo. de Caen
would have paid us the money for them upon our security to have
repaid it to them to whome it should be adjudged he might have
had them willingly. But whatsoever he pretended Monsr. de Caen
had noe purpose to take them at that rate. For when he had a
good part of them att the Lord Mayors house and might have had
them from thence upon paying for them he nor his assignee
Monsr. de Espines would not bring in money for them, though he
was often urged thereunto, but suffered them there to remayne
as they doe to this day.
And whereas it appeares that it is concluded that de Caen shall
have 82700 livers for such Beavors as were taken from him, Wee
conceive that of right he ought to have nothing att all, but
rather that he should give his Majestie satisfaction for the
lives of his subjects which they tooke away contrary to the
peace concluded. Whereof they were not ignorant but concealed
the same as is before proved and confessed by them.
And for the Beavors we had from the French, they were delivered
unto us by contract to feed them and bring them home as is
before expressed, and as appeareth by the contract made with
them which cost us twice soe much as the Beavors were worth.
Also wee conceive that the Charges wee have byn att in building
30/1442 and keeping the Fort nowe Three years should have byn
considered in some measure. And if the French must be paid
according to the price of beavor in England, Wee thinke it had
byn very reasonable that they should have paid the Charges of
bringing them home, seeing that which is bought in Canada for
2s. is worth here above xx s. And that voyage cost us above
20000 £. which charge wee were att upon his Majesties Comaund
and upon promise to enjoy both the goods wee should take the
Fort and the Countrey.
But now by this conclusion it should seeme wee have made a
voyage for De Caen whoe (as he makes his reckoning) will have
paid him here for every Beavor marchauntable (which he
calculates att a pound and halfe in weight and att 25 s.
sterling per lb.) which is 37 s. 6 d. sterling for every
beavor, which cost not him above 3 s. sterling in Canada and
wee have paid all the Charge of fetching and bringing them home
hither which cometh to much more then all the beavers are
worth. And if de Cane had sett forth shipps himselfe he must
have byn att the like charge which would have cost hime more
then his Beavors were worth. And therefore we conceive there is
no reason he should have the value of the Beavors as they are
worth here, seeing we have bought them there and paid all the
charges of bringing them hither. By which agreement de Caen
would make above 12 for one profitt and wee should loose all
both principall which was our provisions they had for them and
also the charge of bringing them hither. And it appeares that
for such goodes as wee shall have remayneing in Canada and
deliver de Caen wee are to have but 30 per Cent more then they
cost us, which seemeth as strange on thother side; beinge that
the charges of carryîng the goodes thither and other expences
will come to above Three tymes more then they cost besides the
extraordinary yerely charge of keeping the Fort of Kebeck which
must be raised upon the profitt of the goodes.
Further whereas his Lordshipp hath ordered de Caen to pay 2400
lyvers for the bringing home of 60 men custome and all other
charges, wee conceive it to bee a very poore allowance seeing
his Majesties custome amounteth to above 1000 lyvers and the
very freight of our shipps coste above 4000 £. sterling besides
Maryners wages and victualles.
And also whereas his Lordshipp hath further agreed That de Caen
shall pay the freight and all Charges of a shipp of 250 tonnes
to fetch home our men and goodes and also to pay 30 per Cent
for such goodes as wee shall have remayneing in the countrey,
Wee marvell de Caen doth not send one & give order and security
for the performance thereof, that soe wee [may send away
a][843] shipp in good tyme, that the delivery of the Fort may
be performed according to his Majesties Comaund. But wee hold
it very unreasonable wee should have soe litle allowance 30 per
cent for the reasons above expressed.
[Note 843: Effacé dans le manuscrit.]
And lastly wee conceive the carryage of the busynes hath byn
very unequall. For seeing our English Marchants have byn forced
to goe into Fraunce to plead for such goodes as have byn taken
from them by the French. Why should not the French come as well
into England to plead for such goodes as have byn taken from
them by the English. For all the world knoweth there is as good
31/1443 justice to be had in England as in France. For in the passage
of the busynes for Canada, it is playne that the depositions of
the French are fully approved and the English wholly rejected.
Soe also in the proceeding about the shipp called the
Benediction taken by the French; It appeareth by the English
depositions that the goodes which the French tooke from the
English amounted to 14000 £. sterling and upwards. Yet their
witnesses are not received nor allowed. But what the French
have deposed is come to their handes (being little more than
halfe of the said somme) is yeilded unto and restitution to be
made for noe more. Soe that according to that rule it had byn
but reason the English should have made restitution for noe
more then what they proved came to their handes of the
Frenchmens goodes. But in the whole course of their
proceedinges it appeares the French are to receive and pay
accordinge to their owne proofes and the depositions of the
English are neither regarded nor their proofes on either side
admitted or accompted of.
DAVID KIRKE for my mother
Elizabeth Kirke.
ROBERT CHARLTON.
WILLIAM BARKELEY.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 53.)
XXIX, n. 1.
May it please your Lordshipps.
As I was comaunded by your Lordshipps order of the Five and
twentieth of July last I have heard Captaine Man and Mr. Tomson
traders about Canada, and not taking upon mee to examin whether
the Traders offended against the priviledge granted by his
Majestie or not, or whither they comitted any Contempt for that
I conceived I was but to enforme myselfe what damages the
Adventurers have susteyned and what profitt the other parties
have made wherein I find that Captaine Kirke conceiveth
himselfe damnified principally by the traders trucking for
Bevers of which Captaine Man retorned 700 £. worth of Bever and
some Elkes skynnes and Mr. Tomson retorned about 1200 £. worth
of Bever, all which Captaine Kirke would have had allowed unto
him besides amends for damages that may happen in the trade
hereafter, but upon consideration of the Charge and expence the
traders weare at in setting forth their shipps and it was but
casuall whether those Bevers should ever have come to the
handes of Captaine Kirke in case the Traders had not bought
them, of the natives and although by their trading and giveing
more to the natives for Bevers then was used there hath growen
damage to the future trade, yett I find noe certainty that this
shall fall uppon Captaine Kirke, and for that I cannot find
that Mr. Tomsons voyage was profitable and the gaine of
Captaine Mans voyage was not much, I proposed that for a finall
end of those Controversies betweene them Captaine Man should
pay 200 £. and that M. Tomson should pay 400 markes without
expecting any of their assentes. All which I humbly leave to
your honors judgement.
WM. NOYE.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.)
32/1444
XXIX, n. 2.
Quinto die Septembris Anno 1632.
Annoque Octavo R. Caroli Anglie.
John Peacocke Sollicitor to the Adventurers of Canada make
oath, That according to a Report of his Majesties Attorney
Generall, he this deponent repaired to the house of Morrice
Thomson merchant the third of this present moneth of September
and then and there demaunded of the said Morrice Thomson the
somme of Fowre hundred markes to and for the use of the said
Adventurers of Canada. The Answer of the said Tomson to this
depont was, he owed the Adventurers nothing nor nothing would
pay.
Jo. PEACOCK.
Jur: quinto die Septembris 1632.
Ro. Riche.
(Sur le dos est écrit.)
5 Sept. 1632
Mr. Atturney generalls Report in a difference betweene Captain
Kirke on the one part and Mr. Tomson and Capt. Man on the other
about trading to Canada.
XXIX, n. 3.
To the right hono[ble] the Lords and others of his Majesties
most hono[ble] privy Counsell.
The humble petition of the Adventurers to Canada.
Humbly shewing.
That according to your Lopps. order of the 25th of July last to
Mr. Attorney Generall he made his reporte and therein awarded
Morrice Thomson to paie to your pet[rs] Fower hundred markes
which hath beene demaunded as appeares by affidavit hereunto
annexed, which he refuseth to pay and Captaine Eustace Man, Two
hundred Poundes, who absents himselfe although they both
submitted themselves to this hono[ble] Board as it appeares by
the said Order.
The Petitioners humblie desires your Lopps. to take this their
Contempt and their former into your Lopps. consideration, as
also the great charge your petitioner have bin att in the
taking of the Fort of Quebeck and keeping it ever since, and
the now delivering it to the French allmost to the Ruyne of
their estate. All which wee have done at his Majesties and your
Lopps. Comaundes and humblie leave to your grave judgments. And
(according to our bounden duties) shall ever praie, etc.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 66.)
XXX.
The 17th June 1633.
The Canada Adventurers demandes from Monsr. Guill[me] de Cane
of Diepe are as followeth.
33/1445
1. For the Charge of a Shipp of 250 tunnes for a voyage of 7
monthes victualled and manned with 70 men for fetching home 100
soldiers from the Forte of Kebecke in the river of Cannada
being allowed by the Trinity House. 2550 £ 00 s. 00 d.
2. For sundry goods delivered at Thadusacke the 28th June 1632
by William Holmes unto Mr. Delarraldow [de la Ralde] amounting
to in all as per particulers. 0617 £ 02 s. 06 d.
3. For 585 Beavers Marchants put aboard a French Pinace called
the Lyon wherof Mr. de Rosse was Captaine being put abord by
the order of Mr. de Cane and Monsr. La Rada the said skins doe
weigh English waight 1000 lb. W[t] which at 25 s. per lb. is:
1250 £ 00 s. 00 d.
Summa 4417 £ 02 s. 06 d.
(Sur le dos est écrit.)
1634. Octob. 12. Demands of the Canada merchants.
(_State Paper Office, Colonial Papers_, vol. VI, art. 75.)
XXXI.
Contrat de mariage de Samuel de Champlain. (Registre des
Insinuations au Greffe du Chatelet.)
Lundy, 270. jour de decembre 1610.
Par devant Nicolas Chocquillot & Loys Arragon, notaires &
Garde-nottes du Roy nostre Sire en son Chastelet de Paris
soubssignez, furent presents en leurs personnes M. Nicolas
Boullé, secretaire de la chambre du Roy, demeurant à Paris, rue
& paroisse Sainct Germain l'Auxerrois, & Marguerite Alix sa
femme, de luy auctorisée en cette partye au nom & comme
stipulant & eulx faisant fort pour Héleyne Boullé leur fille à
ce presente d'une part. Et noble homme Samuel de Champlain,
sieur dudict lieu, capitaine ordinaire de la Marine, demeurant
à la ville de Brouage, pays de Sainctonge, fils de feu Anthoine
de Champlain, vivant capitaine de la Marine, & de Dame
Marguerite LeRoy, ses pere & mere, ledit sieur de Champlain
estant de present en ceste ville de Paris, loge rue Tirechappe,
de la paroisse Sainct Germain d'Auxerrois, pour luy & en son
nom d'autre part.
Lesquelles partyes, & de bon gré, ont recogneu & confessé en la
presence par l'advis & consentement de Messire Pierre du Gas,
gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy & son Lieutenant
General en la Nouvelle France, Gouverneur de Pons en Sainctonge
pour le service de sa Majesté, amy; Honorable Homme Lucas
Legendre, marchand bourgeoys de la ville de Rouen, aussi amy;
Honorable Homme Hercules Rouer, bourgeois de Paris; Marcel
Chesnu, marchand bourgeois de Paris; M. Jehan Roernan,
secretaire dudict Sieur de Mons, amy dudit futur espoux, &
Honorable Homme François Le Saige, apothicaire de l'ecurie du
34/1446 Roy, allié & amy; Jehan Ravenel, sieur de la Merrois; Pierre
Noël, sieur de Cosigné, amy; Me Anthoine de Murad, conseiller &
aumosnier du Roy, amy; Anthoine Marye, Me Barbier, chirurgien,
allié & amy; Geneviefve Le Saige, femme de Me Simon Alix, oncle
du costé maternel de laditte Héleyne Boullé; avoir faict,
seignent & font entre eulx de bonne foy ledict traitté,
accords, dons, douaires, promesses cy mentionnez qui ensuivent
pour raison du mariage futur desdits Samuel de Champlain &
Héleyne Boullé, qui ont promis & promettent prendre l'un &
l'autre par nom & loy de mariage dedans le plus bref temps que
faire se pourra & sera advisé entre eulx, leurs parents & amis,
si Dieu & nostre mère Eglise s'y accordent, aux biens & droits
à eulx appartenants qu'ils promettent porter l'un avec l'autre.
Et pour estre unis & conjoincts entre eulx selon les us &
coustumes de Paris; lequel mariage neantmoins, en consideration
du bas aage de la ditte Héleyne Boullé, reste accordé qu'il ne
se sera & effectuera qu'après deux ans d'huy finis & accomplis,
sinon & plus tost si il est trouvé bon & advisé entre leurs
parents & amis passer outre à la confection dudict mariage, en
faveur duquel promettent & s'obligent solidairement ledict
Boullé & sa femme de bailler & payer auxdicts futurs mariez par
advancement d'hoyrie venant par ladicte Boullé aux successions
futures de ses pere & mere la somme de six mille livres
tournois en deniers comptans dans le jour précédant leurs
espousailles, & par tant ledist sieur futur espoux a doué &
doue laditte future espouze de la somme de dix-huict cents
livres tournois en douaire prefix pour une fois payé à icelle
douaire avoir & prendre par elle tost que douaire aura lieu sur
tous & chacun les biens meubles & immeubles, presents & advenir
dudict futur espoux, qu'il en a pour ce du tout us & coustume
de Paris.
A esté accordé que le survivant desdicts futurs mariez aura &
prendra par préciput & avant que faire aucun partage des biens
de leur communauté & hors part la somme de six cents livres à
sçavoir ledict sieur futur espoux pour ses habits, couvert &
chevaulx, & laditte future espouze pour ses habits, bagues &
joyaulx, selon la prizée qui en sera faicte par l'inventaire, &
sans ce ne faire sur icelle ou ladiste somme en deniers
comptans audict choix & option dudict survivant, pourveu que
lors de la dissolution dudict futur mariage il n'y ait enfant
ou enfans vivant nez & procréez d'iceluy. Et recognoissent
lesdicts futurs espoux, & ayant esgard à la grande jeunesse de
ladicte Héleyne Boullé, & pour l'affection & amitié qu'ils luy
portent, veult & entend ledict futur espoux après la
consommation dudit mariage advancer & luy donner moyen de vivre
& de s'entretenir après son deceds, & advenant qu'il fust
prevenu de mort en ses voyages sur la mer & és lieux où il est
employé pour le service du Roy, en ceste consideration &
advenant, comme dict est, son deceds, veult & entend ledit
futur espoux que laditte future espouze jouisse sa vye durant
de tout & chacun les biens meubles & immeubles presents &
advenir quelque part qu'ils soyent situez & assis, & qui
pourront appartenir audict futur espoux soit par acquisition,
successions, domaines ou aultrement, pourveu qu'il n'y ait
enfant ou enfans vivans lors nez & procréez dudict futur
mariage. Pour faire insinuer lequel dit contract au Greffe du
Chastelet de Paris & part ou d'ailleurs où il appartiendra, ont
lesdicts espoux faict & constitué & par ces presentes font &
constituent leur procureur général & special le porteur des
presentes... Faict & passé à Paris en laditte rue & paroisse
Sainct Germain, Enseigne du miroir, après midy, l'an mil six
35/1447 cents dix, le lundy vingtseptiesme jour de décembre. Et ont
lesdicts futurs espoux & aultres susnommez signé la minute des
présentes, demeurée vers Arragon l'un de nous soubssignez.
(Signé) CHOCQUILLOT & ARRAGON. [844]
[Note 844: Le successeur d'Arragon demeure Boulevard Saint-Martin,
celui de Chocquillot rue de Provence, No. 56. (Note de M. Lafontaine.)]
Et plus bas est escript ce qui ensuyt:
Ledict Sieur de Champlain, sieur dudict lieu comme dessus
nommé, confesse avoir eu & receu desdicts Nicolas Bouller &
Marguerite Alix sa femme aussy cy dessus nommez ledict Boullé à
ce present la somme de quatre mille cinq cents livres sur & en
moings de la somme de six mille livres tournois, audist Sieur
de Champlain promis en faveur du mariage de luy & d'Héleyne
Boullé... Faict & pasé à Paris en l'estude des notaires
soubssignez après midy l'an 1610, le mercredy vingtseptiesme
[845] jour de décembre. Et ont signé la minute des presentes
estant au bas de la minute. Ledict contract de mariage signé de
Chocquillot & Arragon.
[Note 845: Le mercredi était le vingt-neuvième.]
XXXII.
Lettre de Champlain au Card. de Richelieu 1635. [846]
[Note 846: L'original est à Paris, aux Archives des Affaires
Étrangères.]
Monseigneur,
L'honneur des commandements que j'ay receu de vostre Grandeur
m'a depuis plus relevé le courage à vous rendre toutes sortes
de services avecque autant de fidellité & d'affection que l'on
sçauroit souhaitter d'un fidelle serviteur. Je n'y espargneray
ny mon sang, ny ma vye dans les occasions qui s'en pourroient
rencontrer. Il y a assés de subject en ces lieux, sy vostre
Grandeur desire y contribuer son authorité, laquelle
considerera, s'il luy plaist, l'estat de ce païs qui est tel,
que l'estendue est plus de quinze cents lieues de longitude,
accompagné d'un des beaux fleuves du monde, sur les mesmes
paralleles de nostre France, où nombres de rivieres longues de
plus de quatre cents lieues s'y deschargent, qui embellissent
ces contrées habitées de nombre infiny de peuples, les uns
sedentaires ayans villes & villages, bien que formez de bois à
la façon des Moscovites, aultres qui sont errans, chasseurs &
pescheurs, tous n'aspirant que avoir un nombre de François &
Religieux pour estre instruicts à nostre foy. La beauté de ces
terres ne peut se trop priser ny louer, tant pour la bonté des
terres, diversité des bois comme nous avons en France, comme la
chasse des animaux, gibier & des poissons en abondance d'une
monstrueuse grandeur, tout vous y tend les bras, Monseigneur, &
semble que Dieu vous ayt reservé & faist naistre par dessus
tous vos devanciers pour y faire un progrés agréable à Dieu
plus que aucun n'a faict. Depuis trente ans que je fréquente
ces contrées, qui m'a donné une parfaicte cognoissance tant par
expérience & le rapport que m'ont faict les habitans de ces
contrées. Monseigneur, pardonnez s'il vous plaise à mon zèle,
si je vous dy que, aprés que vostre renommée s'est estendue en
Orient, que la fassiez achever de cognoistre en l'Occident,
36/1448 comme elle a très prudemment commencé à chasser l'Anglois de
Québec, lequel neantmoins, depuis les traictez de paix faict
entre les couronnes, vient encore traicter & troubler en ce
fleuve, disant qu'il leur a esté enjoinct d'en sortir, mais non
d'y rester, & pour ce ont congé de leur Roy pour trente ans.
Mais quand vostre Eminence voudra, elle leur pourra encore
faire ressentir ce que peult vostre authorité, qui se pourra
encore estendre, s'il luy plaise, à ce subject qui se presente
en ces lieux, à faire une paix générale parmy ces peuples, qui
ont guerre avec une nation qui tiennent plus des quatre cents
lieues en subjection, qui faict que les rivieres & les chemins
ne sont libres. Que si ceste paix se faict, nous jouyrons de
tout & facilement: ayans le dedans des terres, nous chasserons,
& constraindrons nos ennemis tant anglois que flammands, à se
retirer sur les costes, en leur ostant le commerce avecque
lesdicts Iroquois, ils seront constraincts d'abandonner le
tout. Il ne fault que cent vingt hommes armez à la légère, pour
esviter les flesches; ce que ayant, avec deux ou trois mille
Sauvages de guerre nos alliez, dans un an on se rendra maistres
absolus de tous ces peuples, en y apportant l'ordre requis, &
cela augmentera le culte de la religion, & un trafic
incroyable. Le païs est riche en mines de cuivres, fer, acier,
potin, argent & aultres minéraux, qui s'y peuvent rencontrer.
Monseigneur, le coust de six vingts hommes est peu à sa
Majesté, l'entreprinse honorable autant qu'il se peult
imaginer.
Le tout pour la gloire de Dieu, lequel je prye de tout mon
coeur vous donner acroissement en la prosperité de vos jours, &
moy d'estre tous les temps de ma vye,
Monseigneur,
Vostre très humble, très fidelle & très obeissant serviteur
CHAMPLAIN.
A Québec, en la Nouvelle
France, ce 15e d'aoust 1635.
1/1449
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LES OEUVRES de Champlain.
N. B. Les chiffres renvoient aux numéros d'ordre qui se
trouvent au bas des pages. Ce signe... marque les renvois qui
ont moins d'importance, mais qui peuvent être utiles dans
certaines recherches.
ABENAQUIS, ou ABENAQUIOIS; sollicitent l'alliance des Français
contre les Iroquois, 1180--l'auteur envoie reconnaître leur
pays, 1182-3--retour des envoyés, et leur rapport, 1216.
ABRIOU, fils de Marchim; lui succède, 274.
ACADIE (côte d'), 115--comprend le pays des Almouchiquois,
122--mines de cette côte, 114, 121, 123--le cap de La Hève est
«joignant cette côte», 156--«la grande rivière Saint-Laurent
côtoie la côte d'Acadie», 183--... 561, 711, 728, 1067, 1159.
ACHELACY, pour ACHELAYI, ou Achelaï, ancien, nom sauvage de la
pointe de Sainte-Croix (aujourd'hui le Platon), 309.
AÇORES, ou ESSORES, «où les vaisseaux des Indes prennent
hauteur», 51.
AIGLE (cap à l'), différent de celui qui porte aujourd'hui le
même nom, 293 note 4; 790, note 4.
ALBERT (le capitaine), commandant du fort Charles, en Floride,
672--... 689.
ALFONSE (Jean), pilote de Roberval, 151, 692.
ALEXANDER (Sir), chevalier, 1221.
ALGONQUINS, primitivement Algoumequins, 72, 73--danse
algonquine, 72, 75, 76--... 103--éloignés de la grande rivière
de soixante lieues, 105--... 109-11--quelques-uns cultivent la
terre, 317--se joignent aux Hurons (1609) pour faire la guerre
aux iroquois, 323, 346, 801-26--expédition de 1610, 356,
358-77--descendent à la traite (1611) au saut Saint-Louis et à
Tadoussac, 397-412--leur pays, 447 et suiv., 857 et suiv.--un
parti d'Algonquins est cause de la rupture de la paix avec les
Iroquois, 1127.
ALGONQUINS (île des), ou île de Tessouat, aujourd'hui île des
Allumettes, 455, 456, 466, 468, 880, 881.
ALGONQUINS (lac des), aujourd'hui lac des Allumettes, 508.
ALGONQUINS (rivière des), ancien nom de l'Outaouais, 105, 108,
110--description de cette rivière, 444-70, 508, 509,
858-82--les sauvages vont au Saguenay par cette rivière,
509--... 857.
ALMOUCHIQUOIS. Voyez _Armouchiquois_.
ALOUETTE (l'), petit vaisseau des Jésuites, 1080-1--La Ralde
fait demander ce vaisseau (1626) à Miscou, pour l'aider contre
les traiteurs désobéissants, 1113.
ALOUETTES (pointe aux), ou pointe Saint-Mathieu,
69--description qu'en fait l'auteur, 74--... 287, 787, 1010,
1015, 1095.
ANADABIJOU, grand sagamo, 70--réception qu'il fait à Pont-Gravé
et à l'auteur, 70-1--recommande à Pont-Gravé le fils de
Bechourat, 126-7--les Algonquins, à l'occasion de sa mort, font
un présent à son fils, 410--... 1024, 1026.
ANASSOU, capitaine sauvage; M. de Monts fait alliance avec lui,
222.
ANEDA, capitaine sauvage de la baie de Casco, 198.
ANGLAIS; détroit trouvé par eux, 148--les Anglais de la
Virginie surprennent l'établissement de La Saussaye, et
2/1450 ravagent l'Acadie, 773 et suiv.--première tentative pour
s'emparer du Canada, 1155-61--prennent le vaisseau de
Roquemont, 1164-7, 1192--nouvelle de leur retour,
1220--paraissent derrière la pointe Lévis (1629), 122l--force
de leur flotte, 1239--s'emparent de Québec, 1222-32--emmènent
sur leurs vaisseaux les Français de Québec, 1276--leurs
prétentions sur la priorité des découvertes en Amérique,
1306-13.
ANGLAIS (port aux), aujourd'hui Louisbourg, 280, 763.
ANNE (cap), visité par Champlain, et M. de Monts. Voyez Iles
(cap aux).
ANSELME (Hubert), commandant d'un vaisseau de la compagnie des
Cent-Associés (1631) destiné pour Tadoussac; relâche à Miscou,
1315.
ANTICOSTI, grande île située à l'entrée du fleuve
Saint-Laurent, 67--description de cette île, 1087-8--... 1276.
ANTONS (le sieur des), de Saint-Malo, apporte des vivres à
Sainte-Croix, 224--occupé à la pèche à Canceau, 238 va à Port
Royal, ibid--retourne à Canceau, ibid.
ANVILLE (duc d'), amiral de France, approuve le projet de
société formé par l'auteur, 886.
ARCADIE, pour ACCADIE, ou Acadie, 115. Voyez Acadie.
ARGALL (Samuel), capitaine anglais, s'empare de l'établissement
de La Saussaye, à l'île des Monts-Déserts, 773-6--se résout à
montrer la commission de La Saussaye, qu'il avait dérobée,
776--dévaste Sainte-Croix et Port-Royal, 777--retourne en
Virginie, 778.
ARMOUCHIQUOIS, ou Almouchiquois, sauvages à la côte d'Acadie,
122--redoutés des Souriquois, ibid--exploration de la côte des
Armouchicois, 193-224, 731-60--... 270-1--Chouacoet fait partie
de leur pays, 271--... 561--moeurs et coutumes, 737, 750-2,
756-8--leur manière de faire les canots, 743-4--chemin à suivre
pour aller du lac Champlain à la côte des Armouchiquois, 818.
ARMOUCHIDES, sagamo ou chef sauvage, 113.
ARNANDEL (Joannis) capitaine de vaisseau, de Saint-Jean-de-Luz,
faisant la pêche à Miscou (1631), 1318-19--son vaisseau saisi
par Dumay et Gallois, 1319--son équipage le délivre, et il se
maintient par la force, 1320.
ASISTAGUERONON, ou Atsistahéronon, nation du Feu, ennemie des
Cheveux-Relevés et de la nation Neutre, 546, 931.
ASTICOU, nom algonquin du saut de la Chaudière, sur
l'Outaouais, 449, 862.
ATTIGOUANTAN, ou Attignaouantan, nation de l'Ours, l'une des
principales tribus huronnes, 511--l'auteur arrive chez cette
tribu, 514--... 551,628.
ATTIGOUANTAN (lac des), aujourd'hui lac Huron. L'auteur lui
donne le nom de mer douce, 513. Voyez Douce (mer).
ATTIOUANDARONK. Voyez Neutre (nation).
AUBRY (messire Nicolas), prêtre, écarté dans le bois dix-sept
jours, 164-5.
AUMONT (maréchal d'); l'auteur sert sous lui, 5, 702.
BACCHUS (île de), à la côte des Almouchiquois, 199-200--...
202, 241, 736.
BAHAMA, ou BAHAM, canal, 49, 50.
BAILLIF (le), natif d'Amiens, aide de sous-commis, à Tadoussac
(1622), 1038--se donne aux Anglais, 1228--le capitaine Louis
Kertk lui remet les clefs du magasin de Québec, ibid--M. de
Caen l'avait chassé pour mauvaise conduite, 1229--s'empare, au
magasin, de tout ce qui appartenait à ce dernier, ibid--vole au
commis Corneille cent livres en or et en argent, avec plusieurs
effets, 1231--sa conduite scandaleuse lui attire le mépris même
des Anglais, ibid--maltraite les Français de Québec, 1305.
BAILLIF (le P. Georges le), à Québec (1621); instruction qu'il
avait de la part du vice-roi, 995-6--commission que lui donne
l'auteur, 1001-2--député à Tadoussac auprès du sieur de Caen,
1008-9--revient rendre compte de sa mission, 1009-10--détermine
l'auteur à y descendre, 1010---l'y accompagne, 1010-12--part
avec Pont-Gravé pour la France, porteur d'une requête des
habitants du pays, 1018.
BALEINES (port aux), dans l'île du Cap-Breton, 1285.
BANAMA. Voyez Panama.
BANC de Terre-Neuve, ou le Grand-Banc, 66, 127, 280, 349,
435-6, 666.
3/1451 BARRÉ (Nicolas), remplace le capitaine Albert au fort Charles,
en Floride, 673.
BASQUES. Ils se fortifient à l'île Saint-Jean (1623), et se
saisissent du vaisseau de Guers, 1045.
BASQUES (anse aux). Voyez _Chasaut-aux-Basques_.
BATISCAN, capitaine sauvage, 356, 389, 1198.
BATISCAN (rivière de), 91.
BATTURIER (cap), à douze ou treize lieues de Mallebarre, 247,
755.
BAUDE (Moulin-), lieu ainsi nommé près de Tadoussac, 986, 1092,
1106--les vaisseaux de Kertk mouillés en cet endroit (1629),
1239, 1243, 1244, 1249.
BAYONNE (île de), en Gallice, 7.
BEAU CHAINE, l'un des facteurs et commis de la compagnie des
marchands, 612.
BEAULIEU (le sieur de), conseiller et aumônier ordinaire du
roi; par son entremise, l'auteur s'adresse au comte de Soissons
pour l'engager à prendre le Canada sous sa protection, 432.
BEAUMONT (le sieur), maître des requêtes; conseille au maréchal
de Thémines de demander la charge de lieutenant pendant la
détention du prince de Condé, et l'obtient, 966.
BEAU-PORT (le), aujourd'hui Gloucester, dans le Massachusets,
242-4, 752.
BECHOURAT, chef montagnais, probablement le même que Begourat;
donne son fils à Pont-Gravé pour l'emmener en France, 126.
BEDABEDEC, pointe basse à l'ouest de l'entrée de la rivière de
Pénobscot, 180, 181, 185, 187, 194,726--montagnes de Bedabedec,
731.
BEGOURAT, sagamo montagnais, 121, 126.
BERGERONNES (les grandes et les petites), ou Bergeronnettes,
1092, 1106.
BERMUDE (la), île dangereuse, 50.
BESOUAT, pour Tesouat, Voyez Tessouat.
BESSABEZ, chef sauvage de la rivière de Pénobscot, 179,
183--son entrevue avec l'auteur, 184, 185--... 265, 267, 725,
729, 730.
BIARD (le P. Pierre), jésuite, missionnaire en Acadie, 766 et
s.--pris par les Anglais à Saint-Sauveur, 773--conduit en
Virginie, et menacé de la mort par le Mareschal, 776--8--sa
générosité envers le capitaine Turnel, 778-9--conduit en
Angleterre, et de là en France, 780.
BIC (le), ou le Pic, 68--un vaisseau rochelois fait la traite
dans les environs (1624), 1059--... 1063, 1092, 11055--Desdames
y apprend la nouvelle de la prise de Québec, 1247.
BIENCOURT (Charles de), sieur de Saint-Just, fils de M. de
Poitrincourt; va trouver son père à Port-Royal, 387--l'y
remplace, 765--âgé d'environ dix-neuf ans (1610), 767--repasse
en France, ibid--son association avec les pères Jésuites,
768--retourne à Port-Royal (1611), 768-9--y demeure, 769, 770,
772--encore en Acadie en 1624, 1067.
BISEAU (M. du), ambassadeur de France en Angleterre,
780--obtient la délivrance du sieur de La Mothe, ibid.
BLANC (cap), aujourd'hui cap Cod, 212, 244-5, 748, 753.
BLANCHE (baie), ou baie du cap Blanc (cap Cod), 244, 752.
BLAVET, évacué par les Espagnols, 6, 7, 701-2--... 16.
BONAVENTURE (île de), près de Percé, 113, 1181, 1187.
BONNERME, chirurgien, à Québec; l'auteur le fait emmenotter,
301--remis en liberté, ibid--sa mort, 318.
BORGNE (le), chef algonquin, 1198.
BOULLÉ (Eustache), beau-frère de l'auteur, vient en Canada
(1618), 599--rencontre sa soeur à Tadoussac (1620), 986--monte
à Québec, 989--l'auteur le met au fort (1621) avec Dumay et
quelques autres, 1001--nommé lieutenant de Champlain (1625),
1079--député (1627) par l'auteur aux Trois-Rivières, pour
prévenir une rupture avec les Iroquois, 1120--revient à Québec,
1121--... 1182-3--l'auteur l'envoie (1629) vers le Golfe, avec
une trentaine de compagnons, chercher passage pour la France,
1214--pris par les Anglais, 1240, 1244--fait à l'auteur le
récit de son voyage, 1240-4--accompagne le général anglais à
Québec, 1252.
BOULAY (rivière du), dans l'Acadie, 160, 715.
BOURDET (le capitaine), commandant au fort de la Caroline, 674.
BOUTONNIÈRES (cap des), 1090.
4/1452 BOUTRON, petite ville de la Nouvelle-Espagne, 25.
BOUVIER ou BOVIER, marchand, en traite au saut Saint-Louis
(1611), demande aux Hurons d'emmener avec eux un de ses hommes,
406--l'auteur a quelques paroles avec lui à ce sujet,
408--Iroquet se charge de cet homme, ibid.
BOYER, de Rouen, chirurgien, panse la blessure de l'auteur
(1610), 365--arrive à Tadoussac (1613), 437.
BOYER, peut-être le même que le précédent; grand chicaneur,
fait signifier à l'auteur un arrêt du parlement, 968-9---...
981--deux familles inutiles, venues de sa part, sont renvoyées
en France par l'auteur, 1019.
BREBEUF (le P. Jean de), jésuite, arrive en Canada,
1070--revient (1629) du pays des Hurons, 1218.
BRÉCOURT (le sieur de), receveur de l'amirauté, 984.
BRETON (cap), dans l'île Saint-Laurent, ou du Cap-Breton,
115--... 386--plusieurs vaisseaux y périssent (1613), 436--...
711.
BRETON (le capitaine), bon marinier anglais, avait bien traité
les Jésuites au retour du Canada, (1629), 1304--revient de
Québec, (1630), ibid.
BRETONS (les), furent des premiers à découvrir les terres
neuves, 666.
BRION (île de), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.
BRISSAC (maréchal de), 5, 6, 441, 702, 856.
BRUGES (David de), pilote, 769.
BRÛLÉ (cap), près du cap Tourmente, 1102.
BRÛLÉ (Étienne), de Champigny, truchement pour les Hurons,
député vers les Carantouanais, 523, note 1--demeure avec eux,
590--depuis huit ans parmi les sauvages, 621 (voir
368)--raconte à l'auteur ses aventures au pays des
Carantouanais, 622-9--retourne avec les Hurons, 629--à Québec,
en 1623; va au-devant des sauvages pour les faire hâter,
1043--rencontre les Hurons au saut de la Chaudière, 1045--sa
mauvaise conduite, 1065--se donne aux Anglais, 1228,
1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249--monte au pays
des Hurons, 1251.
BRÛLÉ (l'îlet), près de Tadoussac, 1095.
BUREL (le frère Gilbert), jésuite, arrive à Québec, 1070.
BURLAMAQUI, ambassadeur du roi d'Angleterre en France, donne
des assurances que le Canada sera remis aux Français, 1326.
CABAHIS, chef sauvage, 183--son entrevue avec l'auteur, 184,
186--renseignements qu'il lui donne sur la rivière de
Pénobscot, 186--... 729-30.
CABOT (Jean); commission qu'il reçoit du roi d'Angleterre, 150.
CABOT (Sébastien), fils de Jean; au service de l'Angleterre,
150, 1312.
CADIX. Plan de cette ville en 1598, par Champlain, 7.
CAEN (Émeric de), neveu du sieur Guillaume; celui-ci le laisse
à Québec (1624) pour principal commis, 1067--commande en
l'absence de Champlain, ibid--vice-amiral de la flotte (1626),
1080--arrivé à Percé, 1081--prend le commandement du vaisseau
de La Ralde, avec la condition que les Huguenots n'y chanteront
pas les psaumes, 1104-5--dépêche de Tadoussac une chaloupe à
Québec, 1105--La Ralde lui écrit de Miscou de lui envoyer le
petit vaisseau des Jésuites, Y Alouette, 1113--part de Québec,
ibid--son arrivée (1627), 1121--monte aux Trois-Rivières pour
se rendre à la traite, ibid--s'efforce d'empêcher la rupture de
la paix, 1122--... 1125--redescend à Québec, et de là à
Tadoussac, 1128--occupé à la pêche de la baleine, 1130--appelé
cousin de M. de Caen (Guillaume), 1235, 1240--rencontre Thomas
Kertk vis-à-vis la Malbaie, 1235--pris par les Anglais,
1236-9--détails sur ce qui lui était arrivé antérieurement,
1240-7--retourne en Canada (1631), sur le vaisseau de Guillaume
de Caen, 1323--les Anglais ne lui permettent pas de traiter,
1324-5.
CAEN (Guillaume de); lettre qu'il adresse à l'auteur (1621),
993, 995--ce que mande à son sujet le sieur Dolu, 995--pouvoirs
à lui donnés par le vice-roi, 996,999--nouvelles lettres qu'il
adresse à l'auteur, 1007--surprend une lettre, avec copie d'un
arrêt en faveur de l'ancienne compagnie, adressée à Pont-Gravé,
laquelle annonçait que cet arrêt lui avait été signifié à
5/1453 Dieppe, ibid--teneur de cet arrêt, 1007-8--l'auteur lui députe
le P. le Baillif et Guers, 1008--saisit le vaisseau de
Pont-Gravé, à Tadoussac, 1009-13--traite avec l'auteur de ce
qu'il y a à faire pour l'habitation, 1013-17--part de
Tadoussac, 1017--l'auteur envoie au-devant de lui à son retour
(1622), 1034--passe deux jours à Québec, et remonte aux
Trois-Rivières, 1035--revient à Québec et descend à Tadoussac,
1037--arrive de France (1623); sa réception à Québec,
1044--monte à la traite, ibid--va visiter le cap Tourmente avec
l'auteur, 1051--cause de son retard en 1624, 1060-1--nouvelle
de son arrivée, 1063--arrivée Québec, 1064--monte aux
Trois-Rivières, 1065--en revient et va de nouveau visiter le
cap Tourmente, ibid--dit à l'auteur que M. de Montmorency le
lui a concédé avec l'île d'Orléans et quelques autres îles,
1065-6--revient à Québec, 1066--laisse Émeric de Caen à Québec
(1624) pour principal commis, 1067--arrête à Gaspé, 1068--amène
(1625) les Jésuites à Québec, 1076--ses difficultés avec les
anciens associés, 1077-9--laisse Pont-Gravé libre de repasser
en France, ou de rester à Québec (1626), 1113--prie Pont-Gravé
(1627) de retourner hiverner à Québec, et l'y décide, 1125--a
quelques démêlés avec le P. Noirot, 1129--refuse d'employer ses
hommes au fort, 1132--déposé par la nouvelle société, 1164--...
1165-6--avait envoyé des meules de moulin, qui restèrent à
Tadoussac, par la négligence des commis, 1171-2--...
1210-1--envoie quelques secours à Québec, en attendant ceux de
M. de Rasilly, 1240--l'auteur le rencontre qui s'en allait en
Angleterre, pour y faire valoir ses droits, 1281--son vaisseau
part pour le Canada avec un congé du cardinal de Richelieu pour
cette année seulement (1631), sous le commandement de son neveu
Émeric, 1323.
CAHIAGUÉ, appelé plus tard Saint-Jean-Baptiste, village huron,
où séjourna l'auteur, 517, 518, 520, 522, 544, 907, 909, 929.
CAIOU, rivière du Mexique, 28.
CAMPÊCHE (côte de), où il y a quantité de sel, 46.
CANADA. Description générale de ce pays, 67-124, 557-61,
1082-1103.
CANADA (grande baie de), 67.
CANADA (grande rivière de), ancien nom du Saint-Laurent, 68,
89,94, 95, 124.
CANADA (terre de, ou province de), au temps de Cartier, 306-8.
CANADIENS, ou CANADOIS, nom sous lequel on a désigné d'abord
les sauvages du bas du fleuve, 184, 743.
CANANÉE, pilote; parti de Gaspé pour Bordeaux, est pris par les
Turcs, 1068-9.
CANARIES (les îles), 9.
CANCEAU, port d'Acadie, rendez-vous des vaisseaux de M. de
Monts, 155--Pont-Grave y saisit quelques vaisseaux basques,
157--... 234, 236, 273, 275, 278, 280, 384 762,--le petit
passage, 1087.
CAP-BRETON (île du), appelée encore Saint-Laurent, 115, 155,
170, 279, 1084--description de cette île, 279-80, 763--... 561.
CAQUEMISTIC, sauvage montagnais; le P. Charles Lalemant baptise
un de ses enfants, 1115--l'enfant est enterré au cimetière de
Québec, ibid.
CARANTOUAN, village situé à quelques journées au sud des
Tsonnontouans, 520 note 1, 590, 622-5.
CARANTOUANAIS, habitants de Carantouan, probablement les mêmes
que les Andastes, 520 note 1--expédition combinée avec les
Hurons contre les Tsonnontouans, 520, 523, 622-4.
CARHAGOUHA, village huron. L'auteur y trouve rendu le P. le
Caron, 516-7, 906-7--première messe dite en ce village,
517--l'auteur y retourne voir le P. le Caron, 545.
CARMARON, nom, probablement défiguré, d'un village huron;
l'auteur y est bien reçu, 515.
CAROLINE (la), fort élevé en Floride par Laudonnière, 674--...
677, 684.
CARON (le P. Joseph le), récollet, choisi pour les missions du
Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis
sans s'arrêter à Québec, 498--revient à Québec chercher des
ornements d'église, ibid--son zèle pour le salut des sauvages,
501, 502--l'auteur le rencontre qui remontait, 504--part du
saut Saint-Louis pour hiverner avec les Hurons, 506-7--fixe sa
6/1454 demeure au village de Carhagouha, 517--y célèbre la première
messe, ibid--l'auteur vient le revoir après l'expédition contre
les Iroquois, 545... 592--retourne en France, 593--... 614--à
Québec (1618),615--passe trois mois avec les sauvages (1623),
1040-1--retourne au pays des Hurons (1623) avec le P. Viel et
le F. Sagard, 1050--... 1063--revient de France (1626), 1080,
1108--baptise un jeune sauvage nommé Louis, 1121, 1183--et un
autre sauvage nommé Martin, 1142-3--gardien en 1629, 1184--...
1198.
CARTHAGÈNE, ville de la Nouvelle-Grenade, 13--l'auteur y
demeure un mois et demi, et en fait le plan, 47.
CARTIER (Jacques), de Saint-Malo; on avait cru, pendant quelque
temps, qu'il avait hiverné à la rivière qui porte son nom,
91--... 150--l'auteur prouve que Cartier hiverna près de
Québec, dans la rivière Saint-Charles, 304-9--... 322,
415-l6--résumé de ses voyages par l'auteur, 668-71, 1310.
CATHERINE (la), ou Sainte-Catherine, vaisseau de 250 tonneaux,
sur lequel revint l'auteur en 1626, 1080-1--part de Tadoussac
(1627), 1130.
CAUMONT (Jean), dit le Mons, probablement celui qui plus tard
est connu sous le nom de Gaumont; commis au magasin (1620-21),
99--part pour Tadoussac (1621), rencontre le capitaine Dumay,
et retourne avec lui, 992--... 996.
CAYMAN (les îles), 22.
CHABOT (Philippe), amiral de France, 668.
CHABOT. Voyez Cabot.
CHAFAUT-AUX-BASQUES, 1096-7--Emery de Caen y mouille en 1629,
1245.
CHALEURS (baie des), 114, 116, 1085-6.
CHAMBLY (rapides de). Voyez Iroquois (saut des).
CHAMBREAU, maître d'un vaisseau de Bordeaux, au Cap-Breton en
1629, 1285.
CHAMPDORÉ (Pierre-Angibaut, dit), l'un des pilotes de M. de
Monts, dans son voyage à la côte des Almouchiquois, 221--...
230, 231--opiniâtre et peu entendu au fait de la marine, 232,
239--Pont-Gravé fait informer contre lui, 232-3--le fait
désemmenotter pour travailler à une barque, 233--désemmenotté
une seconde fois pour remédier à un accident, 235--Pont-Gravé
lui fait grâce, à la prière de l'auteur et d'autres, 235--reste
à Port-Royal, 238--... 278.
CHAMPLAIN (Samuel de). Employé dans l'armée, en Bretagne,
5--passe en Espagne, 5-7--part pour les Indes-Occidentales,
9--se rend à Mexico, 25--retourne en Espagne au bout de deux
ans et deux mois, 49-52--son premier voyage au Canada, 65,
701-2--entre dans le Saguenay jusqu'à douze ou quinze lieues,
84--son voyage au saut Saint-Louis, 86-112--et à Gaspé,
112-19--rapport que lui fait Prévert sur les mines d'Acadie et
sur le gougou, 121-6--retourne en France, 127--rend compte de
son voyage au roi, 153, 704--M. de Monts lui demande de
l'accompagner à la Nouvelle-France, 706--part du.
Havre-de-Grâce (1604), 155--chargé par M. de Monts d'aller
reconnaître les lieux, 157-62--explore avec lui la baie
Française, 165 et suiv.--son logement à Sainte-Croix, 176--fait
l'exploration de la côte de Norembègue, 177-87, 724-31--de la
côte des Almouchiquois, 193-224, 238-63, 731-59--son occupation
à Port-Royal, 226-7--va à la rivière Saint-Jean, 227--part avec
Pont-Gravé pour la côte de la Floride, et fait naufrage,
229-32--demeure à Port-Royal avec M. de Poitrincourt, 238--y
fait un chemin de l'habitation à la Truittière, 264--établit
l'ordre de Bon-Temps, 268--explore, avec M. de Poitrincourt, le
fond de la baie Française, 271-3--son retour en France (1607),
274-81, 760-4--rend compte de ses voyages à M. de Monts,
283--ce qu'il dit de ses premières cartes, 283, 759-60--chargé
par M. de Monts de faire une habitation sur le fleuve
Saint-Laurent, 283-4--part de Honfleur (1608), et vient fonder
l'habitation de Québec, 286-96, 303-4, 783-4,
792-3--conspiration contre sa vie, 296-302--sa première
expédition contre les Iroquois (1609), 321-48, 801-26--laisse
pour commandant à Québec Pierre Chavin, et retourne en France,
348--rapport de son voyage à Henri IV et à M. de Monts,
349-51--encourage M. de Monts à ne pas abandonner l'habitation
de Québec, 785--voyage de 1610, 351-74,785, 826-35--sa seconde
expédition contre les Iroquois (1610), 358-70, 826-35--fait
7/1455 réparer les palissades autour de l'habitation de Québec,
371--va trouver Pont-Gravé à Tadoussac, et le dissuade
d'hiverner, 321-2--repasse en France, 373-7--voyage de 1611,
379-413, 838-53--danger qu'il court dans les glaces,
379-87--travaux qu'il fait faire à la Place-Royale (Montréal),
392-3, 838-41--M. de Monts lui remet (1611-12) le soin de
former une nouvelle société, 413-4, 432, 885--ses deux cartes
de 1612 et 1613, 4l 8-22--moyen qu'il donne pour prendre la
ligne méridienne, 422--nommé lieutenant du comte de Soissons,
433, 886-91--lieutenant du prince de Condé, 434.
891-2--difficultés que lui suscitent les marchands (1612-13),
435, 892-3--son voyage de 1613 sur l'Outaouais, 435-74, 854-84,
893--nouvelles difficultés de la part des marchands (1613-14),
894-6--va à Fontainebleau faire rapport de son voyage au roi et
au prince de Condé, 894--forme une nouvelle compagnie entre les
marchands de Rouen et de Saint-Malo, auxquels refusent de se
joindre les Rochelois, 894-7--s'occupe (1614) de procurer des
missionnaires au Canada, 490-7--part de France (1615) avec
quatre récollets, 496-7, 897--fait travailler à l'habitation de
Québec, à la construction d'une chapelle et au logement des
Récollets, 499--se décide à aller au pays des Hurons, et à les
accompagner dans une expédition contre les Iroquois, 502 et
suiv., 898 et suiv.--il y est blessé de deux coups de flèche,
533,920--contraint d'hiverner avec les Hurons, 536,
922--visite, avec le P. le Caron, la nation du Petun, 545-6,
930--puis celle des Cheveux-Relevés, 546-8, 931-2--choisi pour
arbitre dans un différend entre les Hurons et les Algonquins,
549-56, 933-40--redescend à Québec, et repasse en France,
590-6, 963-5--son voyage de 1617, 596-8, 968-9--revient à
Québec (1618) avec son beau-frère, 599-601, 614-5--y fait
construire un fourneau, 615-6--monte aux Trois-Rivières avec le
sieur de La Mothe, 617-8--retourne en France, 630-1--motifs de
ses voyages et de ses travaux, 972--se dispose (1619) à
conduire sa famille au Canada, 978-9--la compagnie des
marchands veut lui retirer le commandement de Québec, pour le
donner à Pont-Gravé, 978-80--lettre du roi et arrêt du conseil:
en sa faveur, 980-2--nommé lieutenant de M. de Montmorency,
983--autre lettre du roi en sa faveur, 984--amène sa famille au
Canada (1620), 985-9--travaux qu'il fait faire à l'habitation
de Québec, 990-1--reçoit (1621) des lettres du roi, de M. de
Montmorency, de M. de Puisieux, des sieurs Dolu, Villemenon et
de Caen, 993-5--accommode les difficultés entre l'ancienne et
la nouvelle compagnie, 996-1015--fait parachever le magasin de
Québec, 1015-6--diverses entrevues avec Mahigan-Atic, qu'il
fait capitaine, 1022-8--favorise les négociations de paix avec
les Iroquois, 1029-33--bonne réception qu'il fait (1622) au
sieur de Caen, 1034-5--lettre que le roi lui adresse,
1035--reconduit le sieur de Caen à Tadoussac, 1037--monte à la
traite à la rivière des Iroquois (1623), 1044-5--va visiter le
cap Tourmente avec M. de Caen, 1051--fait construire le nouveau
magasin (1623-24), 1052-5, 1057, 1059--fait faire un chemin
plus facile pour monter au fort Saint-Louis, 1053--retourne en
France avec sa famille (1624), 1066-9--relation de son voyage,
1069--nommé lieutenant du duc de Ventadour, 1071-6--revient au
Canada (1626), 1079-80, 1103-8--fait une habitation au cap
Tourmente, 1109-10--reconstruit et agrandit le fort
Saint-Louis, 1110-11--La Ralde lui écrit de Miscou,
1113--descend au cap Tourmente, 1114--s'oppose de tout son
pouvoir à la rupture de la paix avec les Iroquois (1627),
1118-20--monte aux Trois-Rivières pour la même fin, 1122--en
revient, 1125--dénuement ans lequel on le laisse, 1130-1--va au
cap Tourmente, 1133--les sauvages lui font présent de trois
jeunes filles, 1138-42--précautions qu'il prend à l'approche
des Anglais, 1155, 1157--réponse qu'il fait à la sommation de
Kertk, 1161--nouvelle commission du roi (1628), 1165-6--fait
faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--ses
projets pour soutenir son monde pendant l'hiver, 1173-5--envoie
(1629) une députation aux Abenaquis, 1180-3--envoie à
Tadoussac, puis à Gaspé, 1183-6--difficulté avec Pont-Gravé au
sujet des pouvoirs, 1210-12--envoie son beau-frère vers le
golfe, avec une trentaine de compagnons, chercher passage pour
la France, 1214--ses efforts pour remédier à la disette,
1219-20--réponse qu'il fait à la sommation des Kertk,
8/1456 1223--signe, avec Pont-Gravé, la capitulation de Québec,
1226--va trouver à son bord le capitaine Louis Kertk, qui le
traite bien, 1227-8--descend à Tadoussac avec Thomas Kertk,
1232--bien reçu du général Kertk, 1239--Boullé lui fait le
récit de ses aventures, 1240-4--le général anglais lui refuse
la permission d'emmener les petites filles que lui avaient
données, les sauvages, 1252-64--il les confie à Couillard,
1264--remet au général David Kertk le certificat des armes et
munitions que lui avait donné le capitaine Louis,
1266-7--comment il passait le temps à Tadoussac, 1275--son
départ sur les vaisseaux anglais, 1276--son arrivée en
Angleterre, 1277--ses démarches pour faire restituer Québec aux
Français, 1277-80, 1295--lettres que lui envoyait la nouvelle
compagnie, 1281--relation, que lui fait de son voyage le
capitaine Daniel, 1283-8--résumé qu'il fait lui-même de ses
voyages, 1306.
CHAMPLAIN (lac); description que l'auteur en fait, 337, 339,
344, 816, 817-8, 823.
CHAMPLAIN (rivière), dans le Massachusets, 256.
CHAPOUIN (le P. Jacques Garnier de), provincial des Récollets
de la province de Saint-Denis, bien disposé pour les missions
du Canada, 493.
CHARIOQUOIS, nom que l'auteur donne aux Hurons (1611),
397--éloignés du saut Saint-Louis de quelques cent cinquante
lieues, 408. Voyez Hurons.
CHARITÉ, l'une des filles sauvages données à l'auteur,
1261--discours qu'elle tient à Marsollet devant le général
anglais, 1263.
CHARLES (fort), construit en Floride par Ribaut, 672--le
capitaine Albert y reste commandant, 672, 689.
CHARTON (le frère François), jésuite, arrive à Québec, 1070.
CHASTE, ou CHATES (le commandeur de), gouverneur de Dieppe;
obtient une commission du roi pour fonder un établissement en
Canada, 700-1--engage l'auteur à y faire un voyage avec
Pont-Gravé, pour examiner le pays et en faire son rapport,
701-3--sa mort, 703--M. de Monts le remplace, 704-5--... 1308.
CHATAM (port de). Voyez fortune (port).
CHÂTEAUNEUF (monsieur de); les commissaires nommés pour
discuter l'affaire du Canada s'assemblent chez lui, 971--...
1277 note 4, 1280 note 2.
CHATES, ou CHATTE (cap de), 1090-1.
CHAUDIÈRE (saut de la), sur l'Outaouais, 448-9, 469, 862,
881-2--cérémonie que faisaient les sauvages en y passant, 469,
881-2.
CHAUVIN (le capitaine), de Honfleur, en Normandie, 152--son
entreprise au Canada, 696-700, 705, 1311.
CHAVIN (le capitaine Pierre), de Dieppe; commandant à Québec
(1609-10) en l'absence de Champlain, 348, 356--monte à la
traite à la rivière des Iroquois, 366--revient de Tadoussac à
Québec, 371--Pont-Gravé lui mande de redescendre, 372--demeure
à Tadoussac commandant au vaisseau, en l'absence de Pont-Gravé,
373.
CHEROUOUNY, sauvage, auteur du meurtre de deux français, 601 et
suiv., 1179--trahi par un algonquin de l'île dans une ambassade
chez les Iroquois, 1177--ceux-ci le font mourir misérablement,
1178-9.
CHEVALIER, jeune homme de Saint-Malo, apporte au sieur de
Poitrincourt des lettres de M. de Monts, lui mandant de passer
en France, 269--M. de Poitrincourt l'envoie à la rivière
Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--soupçons contre lui,
ibid--... 273.
CHEVEUX-RELEVÉS (nation des); leurs moeurs et coutumes, 512-3,
546-7, 903-4, 931-2--l'auteur se rend dans leur pays, 546,
931--ennemis des Atsistahéronon, ou nation du Feu, 546,
931--ont pour alliée la nation Neutre contre les
Atsistahéronon, 548, 932.
CHIGNECTOU. Voyez Deux-Baies (cap des).
CHILLE, rivière du Mexique, 28.
CHISEDEC, lieu ainsi nommé par les sauvages, sur le
Saint-Laurent, 1093.
CHOMINA, ou CHOUMIN, le Raisin, bon sauvage; porte secours aux
Français dans la disette, 1172--un de ses fils, baptisé par le
P. le Caron, retourne à la vie sauvage, 1183--son dévouement
pour les Français, 1194 et suiv.
CHOUACOUET, ou SACO (rivière de); M. de Monts et l'auteur s'y
9/1457 arrêtent, 201--en repartent, 203--... 205, 217--M. de Monts y
rencontre Marchim, 222--M. de Poitrincourt et l'auteur y
arrêtent, 240-1--... 250--est au pays des Almouchiquois,
271--... 739, 751.
CHOUONTOUARONON, ou Sountouaronon (Tsonnontouans), 522, 910.
Voyez Etitoithomnan.
CLAUDE (le sieur), natif de Beauvais, commandant au Grand-Cibou
(1629-30), 1287--assassine Martel son lieutenant, 1316.
COCHOUAN (René), natif de Brest, détenu prisonnier au port aux
Baleines, par les Anglais, et délivré par le capitaine Daniel,
1286.
COD (cap). Voyez Blanc (cap).
COHOUEPECH, chef almouchiquois, 243.
COLIGNY (Gaspard de Châtillon, sire de), amiral de France,
672--envoie en Floride deux expéditions, 672-9.
COLLIER (le sieur), marchand de Rouen, associé de M. de Monts,
350.
COLOMB (Christophe), 676.
COLOMBE (dom Francisque), chevalier de Malte, général espagnol,
9.
CONDÉ (le prince de); l'auteur lui dédie son quatrième voyage
(1613), 429--le roi lui remet la direction des affaires du
Canada, 434, 490, 891-2---nomme l'auteur son lieutenant,
434--donne des passe-ports pour quatre vaisseaux, ibid--...
470, 496, 893-7--sa détention (1616), 966--mis en liberté,
982--... 1072.
COQUILLES (port aux), dans l'île de Campo-Bello, 230.
CORMORANS (île aux), à une lieue du cap de Sable, à la côte
d'Acadie, 158--... 236, 712.
CORNEILLE DE VENDREMUR, d'Anvers, demeure premier commis à
Québec (1626-27), à la place de Pont-Gravé, 1113--remet au
capitaine Louis Kertk, Pont-Gravé étant au lit, les clefs du
magasin, 1228.
CORNEILLES (cap aux), 223, 261-2.
CORNEILLES (île aux), 194.
CORTEREAL (Gaspar), navigateur portugais, 150.
CORTEREAL (Michel),--frère de Gaspar, 150.
CORTEZ (Fernand), 676.
COTON (le P.), jésuite; envoie, à la demande du roi, des
missionnaires au Canada, 766--... 781, 783, 785.
COUDRES (île aux); description qu'en fait l'auteur, 87,
293-4--... 90, 110, 791, 1100.
COUILLARD (Guillaume), gendre de Louis Hébert; au service de la
compagnie dès 1613 ou environ, 1152-3--sa répugnance à aller à
Tadoussac (1628) pour accommoder une barque, 1153-4--sa famille
demande conseil à l'auteur, après la prise de Québec, avant
d'accepter les offres des Anglais, 1232-4--ce qu'il dit au
général Kertk au sujet des filles données à l'auteur,
1255-6--se charge de les garder comme ses propres enfants,
1264.
COURANT (le passage), ou détroit de Canceau, 279.
CRAMOLET, l'un des pilotes de M. de Monts, dans son voyage à la
côte des Almouchiquois, 221.
CREUSE (rivière), mentionnée par l'auteur, 508 note 5.
CUBA (île de), 22--sa description, 48-9.
DANIEL (le capitaine), de Dieppe; destiné pour venir à Québec
en compagnie de M. de Rasilly, 1240-2--on apprend par Joubert
qu'il était parti pour Québec, 1248--arrive du Cap-Breton
(1629), où il avait pris un établissement appartenant aux
Anglais, 1281--remet à l'auteur des lettres de la nouvelle
compagnie, ibid--relation de son voyage, 1283-8--...
1282--retourne à Sainte-Anne de Cap-Breton (1631), 1315 et
suiv.
DANIEL (le sieur), médecin, envoyé à Londres pour demander la
restitution du Canada et de l'Acadie, 1295.
DARACHE, maître d'un vaisseau basque, venu en traite à
Tadoussac, 288--l'auteur fait l'accord entre lui et Pont-Gravé,
289.
DARONTAL, ou ATIRONTA, chef huron; donne l'hospitalité à
l'auteur, 537, 543, 923, 928--l'auteur lui fait visiter
l'habitation, 591-3, 963-5.
DAUNE (Jean), capitaine de vaisseau, 769.
DAUPHIN (cap), sur le Saint-Laurent, probablement le même que
le cap au Saumon, 293, 790.
DAVIS (Freton), détroit découvert par John Davis, 151, 693,
1312.
DAVIS (John), navigateur anglais, découvre un passage auquel il
donne son nom, 151, 693, 1312.
10/1458 DESEADE (la), ou la DÉSIRADE, 9, 10.
DES CHAMPS, de Honneur, chirurgien, à Port-Royal, 228.
DESCHESNES (le sieur), remonte à Québec et aux Trois-Rivières
pour la traite (1618), 601--Pont-Gravé vient l'y rejoindre,
615--... 617--à Tadoussac
(1620), 986--sur le point de prendre un vaisseau rochelois
proche du Bic, ibid--parti de Québec pour la rivière des
Iroquois, 987--arrive à Tadoussac (1623), 1042--monte à la
traite, 1044-5--va à Tadoussac chercher les vivres pour
l'habitation, 1051--à l'Acadie en 1624, 1067--cinq hommes de
son équipage tués par les sauvages, ibid.
DESDAMES; a. Québec.(1622); dépêché à Tadoussac pour en ramener
une barque, 1037--sous-commis en 1623, 1041--arrive de France
avec le P. Nicolas Viel et le F. Sagard, 1042-3--apporte à
Québec (1628) des nouvelles du sieur de Roquemont, 1164,
1166-7--rapporte avoir vu des vaisseaux anglais, 1167--l'auteur
l'envoie à Gaspé, 1185-6--son retour, 1206--descend à Gaspé
avec Boullé (1629), et consent à y demeurer, 1214--prend le
commandement de la barque, 1241--... 1244--informé de la prise
de Québec, s'en retourne vers Gaspé, puis en France, avec
Joubert, 1247-8.
DESMARAIS, gendre de Pont-Gravé, arrive à Québec (1609),
321--remplace l'auteur à Québec, ibid--accompagne l'auteur dans
la première expédition contre les Iroquois, 326, 330--l'auteur
le prie de s'en retourner à l'habitation, 331----à Honneur
(1610), d'où il devait s'embarquer pour le Canada, 354--arrive
à Québec (1610), 371--arrive de nouveau à Québec (1623), avec
Étienne Brûlé, 1043.
DESPRAIRIES, jeune homme de Saint-Malo, plein de courage, va au
secours de l'auteur (1610), 363-4, 830-1.
DESTOUCHE, enseigne de Champlain, arrive en Canada (1626),
1079--repart (1627), 1130.
DEUX-BAIES (cap des), aujourd'hui Chignectou, dans la baie de
Fundy, 168, 718-9.
DEUX-MONTAGNES (lac des), 390, 394, 507, 858.
DIHOURSE (Michel), de Saint-Jean-de-Luz; ses vaisseaux sont
pris et pillés par un lord écossais au Cap-Breton, 1285.
DOLBEAU (le P. Jean), récollet, choisi (1615) pour les missions
du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à Québec avec
frère Pacifique, 499--dit la première messe, 505--demeure à
Québec (1616-17) avec frère Pacifique, 595--de retour en Canada
(1618), 615.
DOLU (le sieur), grand audiencier de France, intendant de la
Nouvelle-France, 983--met tous ses soins à régler les
difficultés de la société, ibid--lettre qu'il adresse à
l'auteur, 993-5--nouvelles lettres, 1007--... 1008, 1212.
DOUBLET, pilote, venant de l'île Saint-Jean et Miscou, arrive à
la rivière des Iroquois, 1045.
DOUCE (mer), appelée d'abord par l'auteur lac des Attigouantan,
aujourd'hui lac Huron, 511--description de ce lac, 513-4,
904-5--... 547, 559, 628.
DRAKE (Sir Francis); son entreprise sur Porto-Bello, et sa
mort, 45-6.
DUGAS (rivière). Voyez Gua (rivière du).
DUGLAS, ou DU GLAS, de Honneur, pilote du vaisseau de
Pont-Gravé; il amène (1604) à M. de Monts les maîtres des
navires basques saisis par Pont-Gravé, 176.
DUMAY (le capitaine); arrive de France (1621) avec lettres de
M. de Montmorency, 992-3--... 998--l'auteur l'envoie au-devant
du sieur de Caen, 999-1000--lui confie (1621) le commandement
du fort Saint-Louis, 1001--l'y maintient malgré les commis,
1003-4--demeure commandant à Québec en l'absence de l'auteur,
1010.
DUMAY, frère du précédent, commandant d'une barque d'environ
trente-cinq tonneaux, à Miscou (1631), 1318--surpris par les
Basques, 1319-21.
DUPARC (le sieur), jeune gentilhomme de Normandie, qui avait
hiverné à Québec de 1609 à 1610, 355--monte de Tadoussac à
Québec pour prendre le commandement de la place dans l'automne
de 1610, 373--il y hiverne, 373, 389--au saut Saint-Louis
(1613), 471--commandant à Québec (1616), 602.
DUPLESSIS. Voyez _Plessis_.
DUPONT. Voyez _Pont-Gravé_.
11/1459 DUPONT (rivière), aujourd'hui rivière de Nicolet, 328, 807.
DU THET (le frère Gilbert), jésuite; accompagne les
missionnaires en Acadie, 772--tué par les Anglais à
Saint-Sauveur dans l'île des Monts-Déserts, 774.
DUVAL (Jean), chef de la conspiration contre l'auteur,
298--exécuté à Québec (1608), 302.
DUVERGER (Bernard), récollet, provincial de
l'Immaculée-Conception, bien disposé pour les missions du
Canada, 491-3.
DUVERNAY, gentilhomme de l'équipage de Dumay; à Québec en 1621;
l'auteur l'envoie aux Trois-Rivières avec Halard, 1007--de
retour (1623) du pays des Hurons, où il avait hiverné,
1045--arrive de nouveau du même pays (1624) 1063.
ÉCHAFAUD-AUX-BASQUES. Voyez _Chafaut-aux-Basques_.
ENTOUHORONON, ou Tsonnontouans, l'une des cinq nations
iroquoises, 520-1, 909--appelés Ouentouoronon, 1127.
ENTOUHORONON (lac des), aujourd'hui lac Ontario, 524, 526-7,
536, 911, 913-4.
EQUILLE (rivière de l'), au port Royal, 166, 235, 717.
EQUILLE (rivière de l'), se jette dans le Saint-Laurent, plus
haut que le Saguenay, 1097.
EROUACHY, sauvage; confirme la nouvelle de la mort de Pierre
Magnan et de ses compagnons, 1175--ce qu'il rapporte des
Abenaquis, 1180--sollicite la délivrance d'un prisonnier auprès
de l'auteur, 1194 et suiv.
ESPAIGNOLLE, ou HISPANIOLA, dans l'île de Saint-Domingue, 22.
ESPÉRANCE, l'une des filles sauvages données à l'auteur; ce
qu'elle dit de Marsollet, 1254--discours qu'elle lui tient
devant le général anglais, 1260-2--remonte à Québec, 1276.
ESQUEMIN (l'), ou les Escoumins, 119, 1092, 1105, 1244.
ESQUIMAUX, sauvages du Labrador; ennemis des Montagnais, 1094.
ESTURGEONS (rivière aux), qui se jette dans le lac Nipissing;
mentionnée par l'auteur, 511 note 2.
ETCHEMIN (rivière), qui se décharge dans le fleuve
Saint-Laurent, près de Québec, 186.
ETCHEMINS, 73--sauvages ainsi nommés en leur pays, 172--leurs
moeurs, 186--... 743.
ETCHEMINS (rivière des), ou de Sainte-Croix, 172, 174--.. 186,
722.
ÉTIENNE (maître), chirurgien, à Port-Royal, 269.
ÉVÊQUE (cap l'), sur le Saint-Laurent, 116.
FARILLON, ou FORILLON, petit rocher ainsi nommé, près du cap de
Gaspé, 1085.
FEMMES (port aux), ou la rivière Noire, un peu plus haut que
Tadoussac, 1098.
FERCHAUD (Laurent), commandant d'un vaisseau destiné à
l'habitation de Saint-Louis, au cap de Sable, 1314--remet au
sieur de la Tour les lettres de la nouvelle compagnie, ibid.
FEU (nation du). Voyez Asistaguéronon.
FINNETERRE, en Gallice, 6.
FLAMANDS. Leurs rapports avec les sauvages dès les premiers
temps de la colonie, 521, 624--cinq de leurs hommes tués par
les Iroquois, pour n'avoir pas voulu leur donner passage sur
leurs terres, 1117--les Loups proposent aux Montagnais de
s'unir à eux pour ruiner les villages iroquois, 1118--disposés
à la paix avec les nations sauvages, 1193.
FLECQUE (la), vaisseau de la compagnie; à Tadoussac (1627),
1130.
FLIBOT, petit vaisseau de près de cent tonneaux, 1169--l'un des
trois vaisseaux qui prirent Québec (1629), 1227,
1243-4--l'auteur descend à Tadoussac sur ce vaisseau avec
Thomas Kertk, 1232--le général anglais le renvoie avec des
provisions, 1249.
FLORIDE ou FLOURIDE, au nord du canal de Bahama. 49--le roi
d'Espagne n'en fait point d'état, 51--... 115, 340--tentatives
d'établissement par Ribaut et Laudonnière, 672-9.
FONTENAY-MAREUIL, ambassadeur de France à Londres; s'occupe de
faire rendre le Canada aux Français, 1325-6.
12/1460 FORILLON. Voyez _Farillon_.
FORT-NEUF, forteresse de la Havane, 48.
FORTUNÉ (port), aujourd'hui Châtain, 248-55--malheur arrivé aux
Français dans ce port, 253-5--... 256, 262, 756, 759.
FOUCHER, français qui avait la garde de l'habitation du cap
Tourmente, 1110--surpris par les Anglais, 1155-6--descend à
Gaspé avec Boullé, 1214, 1244.
FOUQUES (le capitaine); M. de Monts le dépêche à Canceau, 175.
FOURCHU (cap), en Acadie, 159, 163, 234, 235--... 274, 713.
FRANÇAIS (rivière des); l'auteur passe par cette rivière pour
aller au pays des Hurons, 511 note 4.
FRANÇAISE (baie), ainsi nommée par M. de Monts, 160, 164,
714--description de cette baie, 165 et suiv.--l'auteur, avec M.
de Poitrincourt, explore le fond de cette baie, 271-3.
FRANÇOIS (Frère), jésuite. Voyez _Charton_.
FROBISHER (Sir Martin), voyageur anglais, 151, 693, 1312.
FROIDEMOUCHE, l'un des français envoyés de la Malbaie à Québec
(1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était descendu dans la
barque de Boullé, 1246.
FUNDY (baie de). Voyez _Française_ (baie).
GALLOIS (Michel), de Dieppe, envoyé de Sainte-Anne du
Cap-Breton, à Miscou, par le capitaine Daniel, 1317-8--surpris
par les Basques, 1318-21.
GASCOIN, pilote; arrive à Québec (1624), 1060--à Tadoussac,
1068--remonte à Québec, et apporte des nouvelles de M. de Caen,
1063.
GASPÉ, ou GACHEPÉ, 68--description de ce lieu, 113, 1085--...
107, 113, 192, 286,387, 474, 763, 985, 1003, 1067-8, 1125.
GASPÉ (cap de), 1085, 1090.
GATINEAU (la), rivière qui se jette dans l'Outaouais,
mentionnée par l'auteur, 447-8, 861.
GAUDE. Voyez _Claude_.
GENNES (rivière de), qui se jette dans le lac Saint-Pierre, du
côté sud, probablement la rivière Yamaska, 328, 807.
GEORGES (le capitaine), 151, 693, 1312-3.
GEORGES (le sieur), marchand de La Rochelle, donne passage à
Nicolas de Vignau, dans son vaisseau faisant voile pour le
Canada, 441, 856.
GÉRARD (le capitaine), probablement pour Guérard; quitte la
flotte de Miscou pour aller porter des nouvelles en France,
1067.
GERVAIS (le Frère). Voyez _Mohier_.
GILBERT (Sir Humphrey), voyageur anglais; se perd sur l'île de
Sable, 151, 693, 1312.
GLOUCESTER. Voy. _Beau-Port_ (le).
GOUFFRE (rivière du), 294.
GOUGOU, monstre ainsi appelé par les sauvages, au rapport du
sieur Prévert, 125-6.
GOURGUES (Dominique de), gentilhomme gascon; venge la mort des
français massacrés en Floride par les Espagnols, 680-7.
GRAND-BAIE, nom donné autrefois à cette partie du golfe
Saint-Laurent comprise entre le Labrador et la côte occidentale
de Terre-Neuve, 418, 1038, 1088.
GRAND-CIBOU, 1285--le capitaine Daniel y fait faire un
retranchement, 1287--le P. de Vieuxpont y vient trouver le
capitaine Daniel, 1294.
GRANDMONT (monsieur de), 1038.
GRAND-SAINT-ANDRÉ (le), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel,
1283.
GREC (Le), jeune homme d'origine grecque, à Québec en 1628,
1154-5--l'auteur l'envoie au cap Tourmente avec deux sauvages,
1155--rencontre Foucher, qui avait échappé aux Anglais, ibid.
GROS-JEAN, de Dieppe, truchement des Algonquins; se donne aux
Anglais, 1255.
GUA (rivière du), ou du GAS, 209, 745.
GUADELOUPE (la), plan de cette île par Champlain, 10.
GUÉRARD, basque, écrit de Tadoussac à Pont-Gravé, 1038.
GUERCHEVILLE (madame de), favorise l'envoi des Jésuites au
Canada, 765 et suiv.--obtient du roi les terres de la
Nouvelle-France depuis le Saint-Laurent jusqu'à la Floride,
excepté Port-Royal, 771--fonde Saint-Sauveur, à l'île des
13/1461 Monts-Déserts, 772--envoie à Londres La Saussaye, pour obtenir
quelques réparations, 780-1--... 781, 782.
GUERS, commissionnaire, arrive à Québec (1620), 989--y fait
lecture des lettres de commission de l'auteur, et en dresse
procès-verbal, 989-90--envoyé aux Trois-Rivières pour savoir ce
qui s'y passe, 990--revient de France (1621) avec lettres de M.
de Montmorency, 992-3--... 1001--député à Tadoussac avec le P.
le Baillif auprès du sieur de Caen, 1008--l'auteur l'y renvoie
avec lettre adressante au sieur de Caen, 1010--à Québec, le 18
d'août 1621, 1016.
GUERS, peut-être le même que Guérard; les basques saisissent
son vaisseau à l'île Saint-Jean, 1045.
GUINES (frère Modeste), récollet, à Tadoussac (1618), 615.
HALARD (Jacques), arrive à Québec (1621), et donne avis à
l'auteur de l'arrivée du sieur de Caen, 1006--monte à la traite
aux Trois-Rivières, 1007--certifie avoir livré des munitions à
l'auteur, à Québec, 1016-7--demeure à Tadoussac (1624) pour la
traite, 1061--écrit de là une lettre à l'auteur, 1062.
HAUTE (l'île), à l'entrée de la rivière Pénobscot, 181, 260-1,
726.
HAUTE (l'île), dans la baie de Fundy, mentionnée, 168.
HAVANE (la), rendez-vous de la flotte espagnole, 46--l'auteur y
arrive, 47--description que l'auteur en fait, 47-8--l'auteur y
séjourne quatre mois, 49.
HAWKINS (Jean), capitaine anglais, secourt les Français en
Floride, 675.
HÉBERT (Anne), fille aînée de Louis; sa mort, 987.
HÉBERT (le sieur Louis), apothicaire, se fixe à Québec avec sa
famille, 596-8, note--... 615--tenant la place de M. de
Biencourt (1613), 772-3--mort de sa fille aînée, 987--son
premier logement à Québec, 988--à Tadoussac (1621); mission que
lui confie le sieur de Caen, 1014--différend entre lui et le
sieur de La Ralde au sujet des prières, 1036--enseigne de M. de
Caen, ibid--l'auteur lui fait reconstruire le pignon de sa
maison, 1055--fait une chute, qui lui cause la mort, 1116--...
1171--sa famille soumise à des exactions de la part des commis
de la société, 1188.
HÉBERT (la veuve), Marié Rollet, femme de Louis Hébert; son
désert, 1219 le capitaine Louis Kertk accorde quelques soldats
pour la garde de sa maison, 1228--demande conseil à l'auteur
avant d'accepter les offres des Anglais, 1232-5.
HENRI IV. L'auteur fait le voyage de 1603 par son ordre,
283--lettres qu'il accorde à M. de Monts pour faire un
établissement sur le Saint-Laurent, 284-5--rapport que l'auteur
lui fait de son voyage, 348-50--nouvelle de sa mort à
Tadoussac, 372--protège les missionnaires du Canada, 766.
HÈVE (La), cap «joignant la côte d'Acadie», 156, 275, 711,
760--le vaisseau de La Saussaye y arrive, 772
HISPANIOLA, ou ESPAIGNOLLE, dans l'île de Saint-Domingue, 22.
HOCHELAGA, ou OCHELAGA, 670.
HONABETHA, chef almouchiquois, 209, 745.
HOUEL (le sieur), secrétaire du roi et contrôleur général des
salines de Brouage; suggère à l'auteur de demander des
récollets pour les missions du Canada, 491--s'occupe lui-même
de cette affaire, 492-3, 896.
HUDSON, navigateur anglais; l'auteur mentionne ses voyages,
441, 1313.
HUET (le P. Paul), récollet, 596 note 1--à Québec (1618),
615--repasse en France avec frère Pacifique, pour faire rapport
sur les affaires du Canada, 630--plaintes que fait contre lui
le sieur de Caen, 1009.
HUISTRES (port aux), ou baie de Barnstable, Massachusets, 245,
753.
HURON (lac). Voyez _Douce_ (mer).
HURONS, appelés d'abord les bons Iroquois, Ochateguins et
Charioquois, 111, 317, 323, 346, 349, 356, 358, 370, 397,
408--emmènent avec eux (1615) le P. le Caron, 498, 500-2,
506--l'auteur monte en leur pays, et les accompagne dans une
expédition contre les Iroquois, 503, 506 et suiv.--description
de leur pays, 514-22, 561-2, 905-10, 940-1--moeurs et coutumes,
519-20, 562-90, 908-9, 944-63--l'auteur hiverne en leur pays,
536. 544-5 549. et suiv., 922, 929, 940, 963--leur population,
14/1462 562, 944--appelés Hurons pour la première fois, 800, 834--...
852--les PP. le Caron et Viel vont en mission dans leur pays,
avec le frère Sagard, 1050--retour du frère Sagard,
1063-4--retour du P. Brebeuf (1629), 1218.
ILES (cap aux), aujourd'hui cap Anne, 205, 206, 740, 74l--...
216, 750.
ILES (port aux), 203-4.
IMBERT (Simon), cendrier, serviteur de M. de Poitrincourt;
plaintes faites contre lui, 771.
IROQUET, chef algonquin, 324, 803--son fils avait vu l'auteur
l'année précédente (1608), 324--arrive à la rivière des
Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--fort
affectionné à l'auteur, 368--difficulté qu'il fait d'emmener
avec lui le garçon de l'auteur, 368-70, 833-4--descend à la
traite (1611), 397, 844--... 403--emmène avec lui un des hommes
de Bouvier, 408--faisant partie de l'expédition des Hurons
(1615), 527, 914--hiverne avec sa troupe au pays des Hurons,
544, 929--mécontente les Hurons, 549, 933--blessé de deux coups
de flèche, 549-50,934--fait manquer à l'auteur le voyage du
Nord que devaient lui faire faire les Nipissings, 551, 935--...
555, 939.
IROQUOIS, 71, 73, 95--ce que les sauvages rapportent à l'auteur
de cette nation, 99, 109-10--les bons Iroquois, 111--... 209,
317, 32l--première expédition de l'auteur contre eux, 322-48,
801-25--seconde expédition, 358-70, 826-34--assistés dans leurs
guerres par les Flamands, 521--troisième expédition de l'auteur
contre eux, 502-7, 520, 522-44, 898-929--négociations de paix
avec eux (1622), 1029-33--seconde députation (1624) pour
terminer la paix, 1064--tout est rompu par la perfidie du
traître Simon, ibid--en guerre avec les Loups, 1117--rupture de
la paix avec les nations alliées (1627), 1119-20--nouvelle
députation pour la renouer, 1124-5--nouvelle rupture par les
Algonquins, 1126-8, 1177-9.
IROQUOIS (les bons), les mêmes que les Hurons, 111. Voyez
_Hurons_.
IROQUOIS (lac des), ou lac Champlain, 99, 115.
IROQUOIS (rivière des), aujourd'hui le Richelieu. Champlain
remonte cette rivière cinq ou six lieues, 98--description qu'en
font les sauvages à l'auteur, 99--... 120--l'auteur remonte
cette rivière (1609), et en fait une description plus
détaillée, 328-37, 807-16--...358, 825, 1043, 1063--on y fait
la traite (1623), 1045-50.
IROQUOIS (premier saut des), ou saut de la rivière des
Iroquois, aujourd'hui rapide de Chambly, 329, 332, 346, 808,
809, 810, 811, 825.
JAMAY (le P. Denis), récollet, choisi pour les missions du
Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--monte au saut Saint-Louis
avec l'auteur, 499--redescend à Québec avec Pont-Gravé,
506-7--retourne en France (1616), avec le P. le Caron, 593-4.
JACQUES (maître), natif d'Esclavonie, bien entendu à la
recherche des minéraux, 228.
JACQUES-CARTIER (rivière), 91.
JACQUES-CARTIER (rivière), aujourd'hui rivière Lairet, qui se
jette dans la rivière Saint-Charles; Jacques Cartier hiverne à
son embouchure, 670.
JEANNIN (le président), encourage l'auteur à poursuivre ses
découvertes, 432, 441, 856--favorise auprès du conseil la
nomination du comte de Soissons, 886.
JEAN PAUL, matelot, arrive à Québec (1623), 1042.
JÉSUITES; chargés des missions de l'Acadie, 766-9--leur
association avec le sieur Robin et M. de Biencourt,
768--quittent Port-Royal, 772-3--vont s'établir avec La
Saussaye à Saint-Sauveur, dans l'île des Monts-Déserts,
773--faits prisonniers par les Anglais, 773 et suiv.--premiers
jésuites arrivés à Québec, 1070, 1076--y font travailler au
défrichement, 1111-2--sont contraints (1627) de renvoyer tous
leurs ouvriers, 1129--avaient à Québec (1628) un moulin à bras,
où la plupart allaient faire moudre, 1171--... 1219-20,
1222--l'auteur demande à Louis Kertk des soldats pour empêcher
qu'on ne ravage rien chez eux, 1228--les Anglais se saisissent
de plusieurs choses qui leur appartenaient, 1230--visite de
15/1463 Louis Kertk chez eux, 1231--vaisseau venant à leur secours et
rendu inutile par la prise de Québec, 1240, 1248--reproche que
leur fait le général Kertk, 1272--repassent en France, 1376-7.
JOUAN CHOU, capitaine sauvage, 1104, il 87--offre qu'il fait à
Pont-Gravé, 1206.
JOUANISCOU, chef sauvage, 262, 265.
JOUBERT; attendu avec des secours pour Québec, 1240--rencontre
Desdames, et retourne en France, 1247--fait naufrage à la côte
de Bretagne, 1248--... 1282.
KÉNÉBEC (rivière de), 183, 185--les sauvages de cette rivière
s'appellent Etchemins, comme ceux de Pénobscot, 185-6, 730--...
187, 194, 197--l'on va par cette rivière jusqu'à Québec,
197--son entrée est dangereuse, 197-8--... 218, 222, 260.
KERTK (David), général de la flotte anglaise; envoie de
Tadoussac sommer le fort de Québec, 1159-61--réponse que lui
fait Champlain, 1161-3--renonce un instant à son entreprise,
1163--dix jours à Gaspé, 1207-8--revient à Tadoussac (1629),
d'où il envoie ses deux frères sommer Québec, 1220-3--ratifie
la capitulation accordée par ses frères, 1227--reçoit bien
l'auteur, 1239--va voir Québec avec Jacques Michel et autres,
1252--festoie ses officiers à Tadoussac, 1252-3--son entretien
avec l'auteur au sujet des filles sauvages données à celui-ci,
1254-6--persiste à refuser à l'auteur la permission de les
emmener avec lui, 1258-63--motifs de ce refus dévoilés à
l'auteur par Jacques Michel, 1263--demande à l'auteur de lui
remettre le certificat des armes et munitions que lui avait
donné le capitaine Louis, 1266-7--plaintes que faisait de lui
Jacques Michel, 1268-70--ses différentes prises en Canada
(1629), 1274-5--interdit aux catholiques l'exercice de leur
culte, 1275--son retour en Angleterre, 1276-8.
KERTK (Louis), frère de David; s'empare de Québec,
conjointement avec son frère Thomas, au nom de l'amiral,
1221-9--venu pour commander au fort de Québec, 1222--prend
possession du fort et de l'habitation, 1229-31--permet à
l'auteur d'emmener les filles sauvages données à celui-ci,
1227-8--lui donne un certificat de tout ce qui se trouvait dans
la place, 1229-30--visite les PP. Jésuites et les PP.
Récollets, 1231--son caractère, 1233, 1247--... 1265-6, 1305,
1325/
KERTK (Thomas), vice-amiral de son frère David; accorde la
capitulation de Québec (1629), conjointement avec son frère
Louis, au nom de l'amiral, 1222-7--redescend à Tadoussac avec
l'auteur, 1232--s'empare du vaisseau de M. de Caen, 1235-9--la
chaloupe de Boullé prise par lui, 1242--l'auteur l'engage à
parler au général, son frère, en faveur des filles données par
les sauvages, 1256--... 1269-73--revient du Canada (1630),
1304--y retourne (1631), 1324.
KINIBÉKI. Voyez _Kinèbec_.
KRAINGUILLE (le sieur de), lieutenant du sieur de La Tour, au
cap de Sable; repasse en France, 1314.
LABRADOR (côte de), 151, 561, 692, 693--l'auteur avoue que les
Anglais ont fait quelques découvertes vers cette côte, 1312.
LA PERRIÈRE, ou LA FORRIÈRE, sauvage député par les siens pour
excuser le meurtre commis sur deux français, 607-8--donne avis
(1623) d'un complot formé par les sauvages contre les Français,
1044--arrive de Tadoussac (1628), 1145--son entrevue avec
l'auteur, 1145-9--revient traiter quelques vivres et du petun,
1150.
LA FRANCHISE (de); pièce de vers qu'il adresse à Champlain, 61.
LALEMANT (le P. Charles), jésuite; arrive en Canada, 1070--...
1111--repasse en France, 1128-9--revenant au Canada avec le P.
Noirot, 1240--on apprend par Joubert qu'il était parti de
France pour Québec avec le P. Noirot, 1248--son naufrage,
1288-95.
LAMETS, français échappé aux Anglais avec quatre autres, à la
prise de Saint-Sauveur, 774.
LA MOTHE-LE-VILIN (Nicolas); ses aventures à l'Acadie, 599--son
arrivée en Canada, 599-601--monte de Tadoussac à Québec avec le
16/1464 P. Dolbeau, 615--et de Québec aux Trois-Rivières avec l'auteur,
617-8--hiverne à Québec (1618-19), 630--lieutenant de La
Saussaye en 1613, et pris par les Anglais à l'île des
Monts-Déserts, 773--emmené en Virginie, 775--fait prisonnier et
conduit en Angleterre, 780--délivré par l'entremise de M. du
Biseau, ambassadeur, ibid.
L'ANGE (le sieur), parisien; stances qu'il adresse à l'auteur,
139--part pour le Canada avec l'auteur, 435--à Tadoussac,
437--en part pour le saut Saint-Louis avec l'auteur, ibid--va
au-devant de lui à son retour de l'Outaouais, 470--repart du
saut avec l'auteur pour la France, 473.
LA ROCHE (marquis de); son expédition à l'île de Sable, 152,
155, 695-6, 1311--défauts que remarque l'auteur sur son voyage,
696.
LA ROCHE-DAILLON (le Père), récollet; arrive en Canada (1625),
1077--monte pour la seconde fois (1626) au pays des Hurons,
1112--l'auteur va le visiter (1629) pour avoir des provisions,
1184.
LAROUTTE, pilote, accompagne l'auteur dans la première
expédition contre les Iroquois, 326, 330--demeure à la garde de
la barque pendant la seconde expédition de l'auteur, 360, 827.
LAS DAMAS, golfe, 9.
LAS VIRGINES, îles, 10, 11.
LA TOUR (le sieur Claude Turgis de Saint-Étienne de), pris par
les Kertk, 1159, 116l--travaille inutilement à gagner son fils
aux Anglais, 1298--revient le trouver au cap de Sable, 1299.
LATOUR (Charles-Amador de), fils de Claude, successeur de M. de
Biencourt, à l'Acadie, 1297--établi au cap de Sable, 1298--le
capitaine Marot vient se joindre à lui, 1298-9--ramène son père
au devoir, 1299--reçoit des lettres (1631) de la nouvelle
compagnie, 1314.
LAUDONNIÈRE (le capitaine René de), gentilhomme poitevin; son
entreprise en Floride, 674-9--défauts observés dans son
entreprise, 687-91.
LAUSON (Jean de); l'auteur lui écrit de Douvres, relativement à
la prise de Québec, 1277--lettres qu'il avait adressées à
l'auteur et confiées au capitaine Daniel, 1281.
LAVIGNE, de Honfleur, commandant à Tadoussac (1621) sur le
vaisseau de Pont-Gravé, 1005.
LE COCQ, charpentier, l'un des deux français envoyés de la
Malbaie à Québec (1629) par Émeric de Caen, 1246-7--était
descendu dans la barque de Boullé, 1246.
LE COCQ_(Jean), tué accidentellement à Québec, 1041.
LEGENDRE (Lucas), marchand de Rouen, associé de M. de Monts,
350--... 35l--associé de la nouvelle compagnie (1624); écrit
une lettre à l'auteur, 1061.
LE GRAND (le capitaine), essaye vainement de s'emparer d'un
vaisseau rochelois à l'île Verte, 1015.
LESCARBOT (Marc), avocat; joyeuse réception qu'il fait à M. de
Poitrincourt et à l'auteur, 263--accompagne Chevalier à la
rivière Saint-Jean et à Sainte-Croix, 271--... 278.
LE SIRE, commis (1622), annonce à Québec l'arrivée du sieur de
Caen, et redescend à Tadoussac, 1034.
L'ESPINAY (Jacques Couillard, sieur de), lieutenant d'Émeric de
Caen, pris par les Anglais, 1239.
LESTAN, envoyé par le jeune de La Tour au sieur Claude de La
Tour, père, pour le ramener au devoir, 1299.
LÉVIS (cap de), ou pointe LÉVIS, près de Québec; les vaisseaux
anglais paraissent derrière cette pointe (1629), 1221.
LIENCOURT (M. de), gouverneur de Paris, marié à madame de
Guercheville, 770.
LIÈVRES (île aux), 86, 110, 292-3, 789, 1097-8.
LONGUE (baie), 204 note 5, 740 note 4, 741 note 3.
LONGUE (l'île), 160--grand et petit passage, 160, 162, 165,
169, 234, 714.
LOQUIN, l'un des commis et facteurs de la compagnie des
marchands, 615--monte aux Trois-Rivières (1618) avec
Pont-Gravé, ibid--part de Tadoussac (1620) pour aller rejoindre
Pont-Gravé à la rivière des Iroquois, 988--lieutenant (1623) du
sieur de Caen; arrive à Québec pour aller en traite, 1043-4.
LOUIS, jeune homme au service de M. de Monts, se noie dans le
Grand-Saut, qui garde son nom, 394-6, 842-3.
LOUIS DE SAINTE-FOY, ou Amantacha, sauvage instruit par les PP.
Jésuites; se donne aux Anglais, 1251--monte au pays des Hurons
17/1465 avec Étienne Brûlé, ibid.
LOUIS NÉOGAOUACHIT, fils aîné de Choumin, baptisé par le P. le
Caron, 1121--retourne à la vie sauvage, ibid.
LOUIS (le Frère), jésuite, noyé avec le P. Noirot, vers les
îles de Canceau, 1288-90.
LOUIS XIII; lettres qu'il donne à l'auteur (1618), 980--autre
lettre (1620), 984--autre (1621), 993--autre (1622),
1035--l'auteur lui est présenté (1624) par M. de Montmorency,
et lui fait rapport de son voyage, 1069--commission en faveur
de Champlain (1628), 1165-6.
LOUISBOURG. Voyez _Anglais_ (port aux).
LOUPS (nation des), ou Mahingans, en guerre avec les Iroquois,
1117--proposent aux Montagnais de s'unir avec eux aux Flamands
pour ruiner les villages iroquois, 1118--... 1117.
LOUPS-MARINS (île aux), en Acadie, 159, 163, 713.
MAGELLAN (détroit de), 45.
MAGNAN (Pierre), français; va en ambassade chez les Iroquois,
1125--sa mort, 1126-7--cause de sa mort, 1127--il était natif
de Tougne, en Normandie, proche de Lisieux, 1127, 1179--détails
donnés sur sa mort par Érouachy, 1177-9.
MAHIGAN-ATIC. Voyez _Miristou_.
MAHIGANATHICOIS, ou Mahingans; nation, des Loups; cinq flamands
tués par eux, 1113--... 1117, 1119, 1177--désirent faire la
paix avec les Iroquois, 1193.
MAHINGANS. Voyez _Mahiganathicois_, et _Loups_.
MAISONNEUVE (le sieur de), de Saint-Malo; muni d'un passe-port
du prince de Condé pour trois vaisseaux; l'auteur le rencontre
au saut Saint-Louis, 470, 883--offre passage à l'auteur sur son
vaisseau, 473, 893.
MALBAIE (cap de la), ou cap à l'Aigle, 1099.
MALBAIE (rivière de la), appelée aussi rivière Platte, 790,
1099--... 1235, 1246.
MALLEBARRE (cap de), 1284.
MALLEBARRE (port de), aujourd'hui Nauset, 213-21, 240, 246,
247, 255, 260, 749-54, 755, 759.
MANCENILLE, port de l'île Saint-Domingue, 17.
MANITOU, ou génie chez les Montagnais et les Algonquins, 575,
579, 955, 957-8.
MANITOUGATCHE. Voyez _Nasse_ (la).
MANTANE. Voyez _Matane_.
MANTHOUMERMER, chef sauvage, 195--réception qu'il fait à M. de
Monts et à l'auteur, 195-6, 732-3.
MARCHIM, chef sauvage, 196, 197, 241--tué par Sasinou, 274--son
fils Abriou lui succède, ibid--... 733, 734.
MARESCHAL (Le), commandant de la Virginie, veut faire mourir
les Français pris à Saint-Sauveur, et ne s'appaise qu'à la vue
des lettres de La Saussaye, dérobées par Argall, 776--renvoie
Argall dévaster les postes d'Acadie, 776-7--résolu de faire
mourir le P. Biard, s'il abordait en Virginie, 778.
MARGOTS (île aux), 172, 722.
MARGUERITE (la), île où se pèchent les perles, 11.
MARGUERITE (la), l'un des vaisseaux du capitaine Daniel, 1283.
MARILLAC (le sieur de), rapporte au conseil du roi les articles
dressés par M. de Monts, 968--... 975.
MAROT (le capitaine), de Saint-Jean-de-Luz, chargé de la
conduite d'une expédition à l'Acadie, 1297--va rejoindre La
Tour au cap de Sable, 1298-1302.
MARSOLLET (Nicolas), de Rouen, truchement des Montagnais;
l'auteur lui donne ordre de ne pas partir de Tadoussac pour
Québec avant le 8 d'août (1624), 1062--se donne aux Anglais,
1229, 1249--reproches que lui adresse l'auteur, 1249,
1258-9--ce qu'il fait pour empêcher que l'auteur n'emmène les
petites filles que lui avaient données les sauvages, 1253-63.
MARTEL, de Dieppe, lieutenant à Sainte-Anne du Cap-Breton,
assassiné par son commandant, 1316-7.
MARTIN, sauvage ainsi appelé des Français, père de l'une des
filles données à l'auteur, 1142--baptisé par le P. le Caron,
ibid--sa fin malheureuse, 1143-4.
MARTYRS (îles des), ainsi nommées pour y avoir eu autrefois des
français tués par des sauvages, 275, 760.
MASSÉ (le P. Ennemond), missionnaire en Acadie, 767--tombe
18/1466 malade parmi les sauvages, 771-2--fait prisonnier par les
Anglais, 773-5--retourne en France, 776-80----arrive à Québec,
1070--demeure en Canada (1627), 1129--supérieur (1629), 1218.
MATANE, ou MANTANE, rivière qui se jette dans le fleuve
Saint-Laurent, 68--les sauvages vont par cette rivière à la
baie des Chaleurs, 114--... 354, 1091--on fait la pêche de la
morue jusque-là, 1094.
MATOU-OUESCARINI, ou Madouascaïrini, nation algonquine, 450,
864.
MAY (rivière de), aujourd'hui rivière Saint-Jean, en Floride,
672, 674--... 677, 678.
MECABAU, sauvage appelé Martin par les Français. Voyez
_Martin_.
MECHIQUE, ville. Voyez Mexico.
MECHIQUE, ou MEXIQUE (rivière de), 28.
MEILLERAYE (Charles de Mouy, sieur de la), vice-amiral de
France, 668, 670.
MEMBERTOU, ou MABRETOU, chef souriquois, 233-4--... 266,
267--nourri avec sa famille par M. de Poitrincourt, 268--va à
la guerre contre les Almouchiquois, 270, 274.
MENANE, grande île à la côte des Etchemins, 172--... 194, 229,
263, 721.
MENENDEZ DE AVILEZ (Dom Pedro), chasse les Français de la
Floride, 677-9.
MESSAMOUET, sauvage, va avec l'auteur à la découverte d'une
mine de cuivre, 176-7--... 239--accompagne M. de Poitrincourt
jusqu'à Chouacouet, 240--fait des présents à Onemechin, 241.
MEXICO, visité par Champlain, 25, 44--description que l'auteur
fait de cette ville et des productions du pays, 25-44.
MEXIQUE, description qu'en fait l'auteur, 25-44.
MICHEL (Jacques), renégat français; conduit la flotte de Kenk à
Québec, 1154--... 1168-9--l'auteur le rencontre au
Moulin-Baudé, 1239--contre-amiral de la flotte anglaise,
ibid--conseil donné par lui aux Anglais dès l'Angleterre,
1243--... 124;--monte à Québec avec le général Kertk,
1252--l'auteur l'engage à parler au général Kertk en faveur des
filles données par les sauvages, 1256--secret qu'il confie à
l'auteur au sujet du général, 1263--sa dernière maladie, ses
blasphèmes, ses plaintes contre les Anglais, sa fin
malheureuse, 1267-73--ses obsèques, 1273-4.
MINES.--Mines d'argent du Mexique, 28--mines de cuivre à
l'Acadie, 114, 122-5, 168-70, 176-7--mines d'argent à la baie
Sainte-Marie, 715--mines de fer à la rivière du Boulay, en
Acadie, ibid.
MINES (port aux), aujourd'hui havre à l'Avocat, dans la baie de
Fundy, 168-9--... 227, 273.
MIRAMICHI ou MISAMICHY, baie du golfe Saint-Laurent, 114, 719,
1087.
MIRISTOU, sauvage fort attaché aux Français, 1021--diverses
entrevues avec l'auteur, 1022-8--prend le nom de Mahigan-Atic,
1024--conditions auxquelles il est reçu capitaine, 1027--fort
bien accueilli de Pont-Gravé et du sieur de La Ralde,
1034--refuse de s'allier aux Loups contre les Iroquois avant
d'avoir l'avis de l'auteur, 1118--ce qu'il propose pour
prévenir une rupture de la paix, 1119-20--monte aux
Trois-Rivières avec l'auteur, 1122--nouvelles de sa mort, 1145.
MISAMICHY, ou MESAMICHY. Voyez Miramichi.
MISCOU (les..îles de), dans le golfe Saint-Laurent, 1045, 1062,
1067, 1085-7--La Ralde y saisit plusieurs vaisseaux faisant la
traite contre les défenses, 1113--hiver de 1626-27,
1117--quelques français y hivernent, ibid--la maison est saisie
(1628) par les Kertk, 1159---la compagnie des Cents-Associés y
envoie du secours (1631), 1315.
MISTIGOCHE, ou MATIGOCHE, nom que les Montagnais donnaient aux
Normands et aux Malouins, 357, 360, 827.
MOCOSA, ancien nom de la Virginie, 6l, 1307.
MOHIER (le frère Gervais), récollet, baptise Trégatin, 1126.
MOINERIE (de la), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en
traite à Tadoussac, 437.
MOLUES (baie des), aujourd'hui Malbaie, 113, 1085.
MONAHIGAN. Voyez _Nef_ (la).
MONTAGNAIS, sauvages du Saguenay et des environs de Québec,
72-3--trafiquent avec d'autres nations du Nord, 86--expédition
19/1467 contre les Iroquois, 120-1--autre expédition (1609) avec
l'auteur, 321-48, 801-26--soixante montagnais vont à la guerre
contre les Iroquois, 357--... 358, 828-9--réception qu'ils font
à Champlain (1613), 436--... 745.
MONTE-CHRISTO, 19.
MONTMORENCY (Charles de), amiral de France et de Bretagne;
Champlain lui dédie son voyage de 1603, 59--s'entremet de
l'affaire du Canada, 967, 969, 982--nomme l'auteur son
lieutenant, 983--vice-roi de la Nouvelle-France, 984--prise de
possession du Canada en son nom (1620), 989-90--lettre qu'il
adresse à l'auteur, 994--instruction qu'il donne au P. le
Baillif, 995-6--présente l'auteur au roi (1624), 1069--...
1072.
MONTMORENCY (saut), près de Québec; l'auteur le mentionne pour
la première fois, 89--ainsi nommé par l'auteur, 792.
MONT-ROYAL, à une lieue de la Place-Royale (Montréal), 391,
839.
MONTS (Pierre du Gua, ou Dugas, sieur de); fait le voyage du
Canada (1599) avec le sieur Chauvin, 698--obtient du roi (1603)
une commission pour le Canada, 704-5--fait son embarquement
(1604), 154-5, 705-6--l'auteur, sur sa demande, l'accompagne,
706--fait, avec l'auteur, l'exploration des côtes d'Acadie, 157
et suiv.--et de la baie Française, 165 et suiv.--fait une
habitation dans l'île Sainte-Croix, 173-5, 706-7--reçoit
humainement les maîtres des navires saisis par Pont-Gravé,
176--demeure d'abord dans le logement de Champlain, à
Sainte-Croix, ibid--envoie Champlain à la découverte d'une mine
de cuivre, 176-7--renvoie ses vaisseaux en France, 177--charge
l'auteur d'explorer la côte de Norembègue, ibid--... 184--fait
faire des jardinages à Sainte-Croix, 188, 191--y fait
accommoder une barque pour aller à Gaspé, 192--se décide à
changer le lieu de son habitation, 193--son voyage à la côte
des Almouchiquois (1605), 193-224--transporte l'habitation de
Sainte-Croix au port Royal, 224--part pour la France,
225-6--... 242, 260--sa commission révoquée, 707-9--rappelle sa
colonie de Port-Royal, 269, 273 et suiv., 708--remarques de
Champlain sur ses entreprises, 135, 152-4, 709-10--charge
l'auteur de faire une habitation sur le Saint-Laurent (1608),
283-6, 783 et suiv.--sa commission révoquée de nouveau, 784--en
sollicite vainement une nouvelle, 349-51, 785--... 394,
413--l'auteur lui rend compte du voyage de 1611, 413-4,
885--ses associés lui cèdent leur part dans l'habitation de
Québec, 414--confie à l'auteur le soin de former une nouvelle
société, 414, 885--nouveaux articles dressés par lui (1617),
968--... 595, 972--mort avant 1632, 1308.
MONTS-DÉSERTS (île des), ainsi nommée par l'auteur, 179,
724--description de cette île, 178-81, 726--... 194,
261--établissement formé en cette île par La Saussaye, 773--les
Anglais s'en emparent, 773 et suiv.
MORE (le), forteresse de la Havane, 48.
MOTIN; ode de ce poète sur les oeuvres de l'auteur, 143.
MOULIN-BAUDÉ. Voyez _Baudé_.
MOUSQUITES (port aux), 17.
MOUTON (port au), en Acadie, 155--description de ce lieu,
156-7, 712.
NACOU, port de la Guadeloupe, 10.
NASSE (La), surnom du sauvage Manitougatche; annonce le retour
des Anglais (1629), 1220.
NATEL (Antoine), serrurier, découvre la conspiration contre
l'auteur, et obtient sa grâce, 298-300.
NAUSET (port de). Voyez Mallebarre (port de).
NEF (île de la), aujourd'hui appelée Monahigan, 223. Voir note
2 de la page 222--... 731.
NEGRE (cap), à l'Acadie; pourquoi ainsi appelé, 157, 712.
NEUTRE (nation), ou Attiouandaronk, 546, 930--demeurant à
l'ouest du lac des Entouhoronon (Ontario), 548--son armée de
quatre mille hommes, ibid--pourquoi l'auteur ne s'y rend pas,
ibid--alliée à la nation du Petun contre les Assistaguéronon,
548, 932.
NEUVE-ESPAGNE, 16, 21.
NIBACHIS, chef algonquin; réception qu'il fait à l'auteur,
452-3, 866--fait équiper deux canots pour le conduire vers
Tessouat, 454, 867.
NICOLET (rivière de). Voyez Dupant.
20/1468 NIGANIS, ou NIGANICHE, dans l'île du cap-Breton, 273, 280, 763.
NIPISSING (lac), ou lac des Nipissirini, l'auteur passe par ce
lac en allant au pays des Hurons, 509-11--description de ce
lac, 510-1.
NIPISSIRINI, ou NIPISSINGS, nation des Sorciers, 44.3, 458--mal
vus des autres nations algonquines, 458-9, 871--bonne réception
qu'ils font à l'auteur, 510-1--leurs moeurs et coutumes,
ibid--... 549, 857.
NOIROT (le Père), jésuite, arrive en Canada, avec des
provisions (1626), 1079-80, 1108, 1111--... 1129--a quelque
démêlés (en France) avec M. Guillaume de Caen, ibid--venant à
Québec, rebrousse chemin à l'approche des Anglais (1629), 1207,
1240--on apprend de ses nouvelles par Joubert, 1248--son
naufrage et sa mort, 1288-95.
NOREMBÈGUE (côte de); l'auteur en fait l'exploration,
177-87--... 340, 728--moeurs et coutumes des sauvages de cette
côte, 191-2, 735-6.
NOREMBÈGUE (rivière de), aujourd'hui baie de Fundy; l'auteur a
cru que c'était la rivière de Pénobscot, 174, 179--... 725,
731.
NORMANDS; furent des premiers à découvrir les terres neuves,
666.
NOROT, nom d'un commandant de vaisseau, mentionné dans la
lettre de David Kertk, 1159--et dans la réponse de Champlain,
1161.
NOTRE-DAME (monts), 1090.
NOUE (le P. Anne de), jésuite; son arrivée à Québec,
1112--monte au pays des Hurons, Ibid--demeure en Canada (1627),
1129.
NOUVELLE-ANGLETERRE, 1279.
NOUVELLE-ÉCOSSE, 1279. Voyez _Acadie_.
NOUVELLE-FRANCE. Voir _Canada_. Première fois que l'auteur
mentionne le Canada sous ce nom, 657--sa description,
659-64--ses limites, suivant l'auteur, 1313.
OBENAQUIOUOIT. Voyez _Abenaquis_.
OCHATEGUIN, chef huron, 324, 803--arrive à la rivière des
Iroquois après la seconde bataille livrée, 367, 833--descend à
la traite (1611) avec deux cents de ses compatriotes, 397,
844--blessé à l'attaque du fort des Iroquois (1615), 533, 919.
OCHATEGUINS, nom que l'auteur donne aux Hurons, 317, 323,
346--sont les bons Iroquois, 349--...356, 358, 370, 453, 464,
803, 525, 834. 867.
OCHELAGA. Voyez _Hochelaga_.
OIES (cap aux), 1099-1100.
OISEAUX (île aux), 985, 1081, 1084.
ONEMECHIN (Olmechin, suivant Lescarbot), capitaine
almouchiquois, 200--chef de la rivière de Chouacouet, 241,
243--tué par Sasinou, 274--son fils Quéconsicq lui succède,
ibid-... 737.
ONTARIO (lac). Voyez _Entouoronon_ (lac des).
OQUI, ou OKI, manitou ou génie chez les Hurons, 574 et suiv.,
955 et suiv.
ORANI, chef sauvage, blessé à l'attaque du fort des Iroquois
(1615), 533, 919.
ORLÉANS (île d'), 88, 108, 294-6, 438, 603, 791-2, 1103--M. de
Caen dit à l'auteur que M. de Montmorency la lui a concédée
avec le cap Tourmente, et quelques autres îles, 1065-6.
ORPHELINS (ban des), 1086.
ORVILLE (le sieur d'), l'un des compagnons de M. de Monts, à
l'île Sainte-Croix, 176--la maladie l'empêche de commander à la
place de M. de Monts, 225.
OSTEMOY, OSTEMOUY, ou Autmoin, jongleur ou devin chez les
Souriquois, 335. 8l4.
OTAGUOTTOUEMIN, nation algonquine, 508, 900.
OTONABI (rivière), mentionnée par l'auteur, 524.
OTOUACHA, premier village huron où aborde l'auteur, 514, 905.
OUAGABEMAT, frère de Chomina, s'offre d'aller à la côte des
Etchemins pour traiter de la poudre; ce qui lui est accordé,
1216.
OUAGIMOU, ou OAGIMONT, suivant Lescarbot, sauvage, 265.
OUEL (le sieur). Voyez _Houel_.
OUESCHARINI, ou Ouaouiechkairini, nom algonquin de la
Petite-Nation, 447, 467, 861, 880.
OUTAOUAIS (rivière des). Voyez Algonquins (rivière des).
OUTETOUCOS, capitaine montagnais; périt dans le saut
21/1469 Saint-Louis, 394-6, 842-3--ses compatriotes vont quérir son
corps, et l'enterrent dans l'île Sainte-Hélène, 411.
OUYGOUDY, nom sauvage de la rivière Saint-Jean, 171, 720.
PANAMA, port, sur l'isthme du même nom, 44-5--l'auteur émet
l'idée de couper l'isthme, 45.
PANOUNIAS, sauvage qui fit, avec M. de Monts et l'auteur, le
voyage du pays des Almouchiquois, 193-4--sa mort, 265--son
enterrement, 266-7--... 270--guerre à cause de sa mort,
274--avait été tué à Norembègue (Pénobscot), par les gens
d'Onemechin et de Marchim, 274.
PARMENIUS (Étienne), de Bude, savant hongrois, venu à
Terre-Neuve en 1583; y périt, 1312.
PEMEMEN, fils de Sasinou, lui succède, 274.
PEMETEGOIT, ou Pentagouet. Voyez _Pénobscot_.
PENOBSCOT, ou PENTAGOUET, rivière du pays des Etchemins,
appelée par erreur Norembègue, 174, 179--ce que l'auteur en
dit, 179-85, 725, 728-30--... 773, 782.
PENTAGOUET. Voyez _Pénobscot_.
PERCÉ, ou ILE PERCÉE, 113-4, 116--l'auteur y rencontre Prévert,
121--... 286, 349--quantité de vaisseaux y font la pêche
(1610), 374--... 474, 601, 763, 1080.
PETUN. Voyez _Tabac_.
PETUN (nation du), ou Tionnontatéronon; l'auteur se rend chez
cette nation avec le P. le Caron, 545, 930--ce que l'auteur en
dit, 545-6--ces peuples vivent comme les Hurons, 546.
PIAT (le P. Irénée), récollet; hiverne avec les sauvages,
1040--entreprend une mission à Tadoussac, 1041-2.
PIC (le). Voyez _Bic_.
PILOTOIS, ou PILOTOUA, devin ou jongleur chez les Montagnais,
82, 335--description de la jonglerie, 335-6, 814-5.
PILLET (Charles), matelot de l'île de Ré, assassiné par les
sauvages, 603-5.
PLACE-ROYALE, à une lieue du mont Royal, 390-1,
839--description que l'auteur en fait, 390-3, 838-40--l'auteur
y fait défricher et y fait faire une muraille, 392-3, 840--...
394.
PLAISANCE (baie de), à Terre-Neuve, 1082.
PLATTE (rivière). Voyez _Malbaie_.
PLESSIS (frère Pacifique du), récollet; choisi pour les
missions du Canada, 495--arrive à Tadoussac, 497--demeure à
Québec avec le P. Dolbeau, 499, 505--hiverne (1616-17) avec le
même père, 595--à Québec (1618), 615--repasse en France avec le
P. Paul Huet, pour faire rapport sur les affaires du Canada,
630-1--sa mort, 987.
PLYMOUTH (port de), dans le Massachusets. Voyez Saint-Louis
(port).
POITRINCOURT, ou POUTRINCOURT (Jean de), 163--sur le point de
s'égarer aux îles aux Margots, 172--demande Port-Royal à M. de
Monts, et retourne en France, 177-8, 765-6--revient à
Port-Royal, 236-7--fait travailler au défrichement, 237--part
pour explorer la côte de la Floride, et relâche, 238--fait avec
l'auteur un voyage d'exploration jusqu'au-delà du pays des
Almouchiquois, 239-63--fait faire un moulin à une lieue de
Port-Royal, 264--fait faire un chemin à Port-Royal, depuis
l'habitation jusqu'à l'entrée du port, 265--... 267--nourrit
une partie des sauvages pendant l'hiver, 268--M. de Monts lui
mande de ramener ses compagnons en France, 269--va avec
l'auteur au fond de la baie Française, 271-3--demeure à
Port-Royal quelque temps après le départ de ses compagnons,
273-4--son fils, M. de Biencourt, vient le rejoindre à
Port-Royal (1611), 387--lieutenant de M. de Monts (1607),
708--laisse son fils à Port-Royal, 765-6--conditions auxquelles
M. de Monts lui avait concédé Port-Royal, 766--y retourne,
767--renvoie son fils en France, ibid--... 771--à Port-Royal
(1629), 1279.
POITRINCOURT (cap de), dans la baie Française, 272.
PONT-Gravé. Engage le sieur Chauvin à demander le privilège de
la traite, 697--fait le voyage du Canada comme lieutenant de ce
dernier, 698--l'engage à fixer son habitation plus haut que
Tadoussac, ibid--retourne en France, 699--choisi de nouveau
pour faire le voyage de Tadoussac, 701--voyage de 1603, 65,
22/1470 702-3--sauvages qu'il ramène de France, 70--essaye de franchir
le saut Saint-Louis avec Champlain, 101-2--de retour à
Tadoussac, 112--emmène en France un jeune montagnais et une
iroquoise, 126-7--part de France (1604) pour Canceau, 155,
706--M. de Monts envoie, du port au Mouton, une chaloupe
au-devant de lui, 157--saisit quelques vaisseaux basques,
ibid--M. de Monts lui envoie le capitaine Fouques à Canceau,
pour avoir des provisions, 175-6--envoie à M. de Monts les
maîtres des navires basques saisis à Canceau, 176--arrive à
Sainte-Croix (1605), 193--choisit avec l'auteur la situation de
Port-Royal, 224--y reste en qualité de lieutenant de M. de
Monts, 225-6--fait accommoder une barque pour aller à la
découverte le long de la côte de la Floride, et fait naufrage,
229-32--atteint d'un mal de coeur, 230--retourne en France
(1606), 238--maltraité, à Tadoussac (1608) par un vaisseau
basque, 288-9--l'auteur fait l'accord entre lui et le maître de
ce vaisseau, 289--garde prisonniers les auteurs de la
conspiration contre Champlain, 301--monte à Québec avec eux,
301-2--retourne en France, 303--de retour à Tadoussac (1609),
321--monte à Québec et à Sainte-Croix, 326, 805--de retour de
Gaspé à Tadoussac, 348--se décide à passer en France, ibid--de
nouveau chargé de la traite à Tadoussac (1610), 350--fait
embarquer, à Honfleur les choses nécessaires pour l'habitation,
351, 785--de retour à Tadoussac, 356--monte en traite à la
rivière des Iroquois, 365--... 368--retourne à Tadoussac,
370--forme la résolution d'hiverner à Québec, 371--Champlain
l'en dissuade, 371-2--repasse en France, 373--à Tadoussac
(1611), 387-8--monte au saut Saint-Louis, 393, 402--redescend à
Tadoussac, 469--l'auteur s'embarque dans son vaisseau (1613),
435--les Récollets viennent en Canada sur son vaisseau,
497--arrive à Québec avec le P. Denis Jamay, 499--est d'avis
qu'il est nécessaire que l'auteur aille assister les Hurons
contre leurs ennemis, 502-3--l'auteur le rencontre qui revient
du saut avec le P. Denis, 506-7--de retour en France (1616)--au
saut Saint-Louis, 591--repasse l'auteur en France, 595,
965--le ramène au Canada (1618), 599--... 614--monte à. Québec
et aux Trois-Rivières, pour la traite (1618), 615--...
620--retourne en France, 630-1--la compagnie veut lui donner le
commandement de Québec à la place de Champlain, 978-80--hiverne
à Québec (1619-20), 981, 991--parti de Québec (1620) pour la
rivière des Iroquois, 987--descend des Trois-Rivières à Québec,
et repasse en France, 991--arrive à Québec (1621), 1005--monte
aux Trois-Rivières pour la traite, 1006--lettre tombée entre
ses mains, 1009--de Caen saisit son vaisseau à Tadoussac,
1009-13--l'auteur lui dépêche un canot aux Trois-Rivières,
1010--à Tadoussac, 1012--présente à l'auteur une protestation
contre de Caen, ibid--l'auteur prend vainement son vaisseau
sous sa sauvegarde, 1013--de Caen lui rend son vaisseau,
1014--... 1015--part de Québec avec le P. le Baillif,
1017-18--revient (1622), 1033--monte aux Trois-Rivières pour la
traite, 1034--hiverne à Québec (1622-23) comme principal
commis, 1037--... 1038--malade de la goutte, 1039-40--à la
rivière des Iroquois (1623), 1043--à Québec (1624), 1065--...
1068--Émeric de Caen lui dépêche (1626) une chalouppe de
Tadoussac, 1105--nouvelles de lui à Tadoussac, 1106-7--repasse
en France, 1113--revient à Québec (1627), à la prière de
Guillaume de Caen, 1125--... 1141, 1153, 1159, 1183,
1206--embarras de sa position, 1208-10, 1211-12--demande à
l'auteur de faire lire sa propre commission; l'auteur le lui
accorde, et lit en même temps la sienne, 1210-1--signe avec
Champlain la capitulation de Québec, 1226--malade au lit lors
de la prise de la place, 1228--y demeure encore quelques jours,
1232.
PONT-GRAVÉ (Robert), fils, perd une main au port Fortuné,
257--brouillerie entre lui et M. de Biencourt, apaisée par les
pères Jésuites, 769--à Sesambre (1613), 776--recueille à son
bord une partie des français de Saint-Sauveur, pour les
repasser en France, ibid.
PORÉE (Thomas), l'un des principaux membres de l'ancienne
compagnie des marchands, 1008.
PORT-AUX-ANGLAIS, aujourd'hui Louisbourg. Voyez _Anglais_ (port
aux).
PORT-AUX-ILES, 203-4.
PORT-NEUF, lieu ainsi nommé, plus bas que Tadoussac, sur le
Saint-Laurent, 1093-4.
23/1471 PORTO-BELLO, ou Portovella, 16--description que l'auteur en
fait, 44--expédition que Drake y fait, 45-6--l'auteur y demeure
un mois, 46.
PORTO-PLATTE, dans l'île Saint-Domingue, 17--plan de ce port,
ibid.
PORTO-RICO, 8--description qu'en fait Champlain, 11-16--comment
les Anglais s'en emparèrent, 12-13--le général espagnol y
laisse garnison, 16.
PORT-ROYAL, concédé par M. de Monts à M. de Poitrincourt, 177,
765--l'auteur et Pont-Gravé en choisissent la situation,
ibid--description que l'auteur en fait, 224-7--on y transporte
l'habitation de Sainte-Croix, 224, 708--habitation abandonnée
un instant, 233-4--on y retourne, 236--amélioration qu'y font
M. de Poitrincourt et l'auteur, 264-5--Champlain y établit
l'ordre de Bon Temps, 268--le scorbut y fait quelques ravages
pendant l'hiver (1606-7), 269--l'habitation abandonnée,
274--sauvages qu'on y baptise (1610), 767--M. de Biencourt y
vient rejoindre son père (1611), 387--M. de Poitrincourt y
demeure encore en 1629, 1279--... 1285--au pouvoir des Anglais,
1299, 1314.
PORTOVELLA. Voir _Porto-Belle_.
POULAIN (le P. Guillaume), récollet; plaintes que fait contre
lui le sieur de Caen, 1009.
PRAIRIES (rivière des), 500--première messe dite par les
Récollets, 504--l'auteur passe par cette rivière pour aller au
pays des Hurons, 507, 899-900.
PRÉVERT (le sieur), de Saint Malo; envoyé par Champlain aux
mines d'Acadie, 114--lui fait rapport de son voyage,
121-4--emmène en Europe quatre sauvages, 127--part de Gaspé,
ibid--mine de cuivre découverte par lui, 168-70, 227.
PROVENÇAL (le capitaine), oncle de Champlain, pilote général du
roi d'Espagne, 6--repasse en Espagne la garnison de Blavet,
ibid--se fait remplacer par Champlain pour le voyage aux
Indes-Occidentales, 9.
PUISIEUX (monsieur de), secrétaire des commandements du roi;
lettre qu'il adresse à l'auteur, 993, 994, 1017.
QUÉBEC. L'auteur y mouille pour la première fois, 89--... 108,
197--l'auteur y fonde une habitation, 296, 301, 303-4, 309,
784, 786, 792-3--première exécution d'un condamné, 302--maladie
de la terre, 318-20--nombre des hivernants en 1608-9,
321--rejouissances qu'y font les sauvages (1609), 326--Pierre
Chavin y commande (1609-10), 348--... 356--soixante montagnais
y arrivent, 357--l'auteur y fait réédifier quelques palissades
autour de l'habitation, 371--arrivée de Desmarais, ibid--Duparc
y commande (1610-11); nombre des hivernants, 373, 389--l'auteur
y fait faire quelques réparations (1611), 412--M. de Monts en
reste seul propriétaire, 414--... 417, 434--hiver de 1612-13,
sans beaucoup de froid et sans maladie, 438--... 497--l'auteur
y fait construire (1615) la première chapelle et le logement
des Récollets, 499--première messe célébrée par le P. Dolbeau,
505--l'auteur en part pour aller au pays des Hurons, 506--son
retour, 591-2--l'auteur fait augmenter l'habitation «du tiers
pour le moins», 593--on commence à y faire de la chaux,
ibid--... 601--meurtre de deux français commis par des
sauvages, 601-14--arrivée de l'auteur (1618) et du personnel de
la traite, 615--l'auteur y demeure quelques jours pour visiter
les travaux, 615-17--... 618--départ des traitants, 630--...
782--cédé par M. de Monts à quelques marchands de La Rochelle,
784--l'auteur l'offre à madame de Guercheville, 785--les
difficultés entre les associés (1612-13) empêchent l'auteur de
rien faire pour l'habitation, 892--état des personnes qui
doivent y être menées et entretenues pour l'année 1619,
973--mauvais état de l'habitation (1620), 987-8--arrivée de
l'auteur avec sa famille, 989--prise de possession au nom de M.
de Montmorency, ibid--réparation de l'habitation et
commencement du fort Saint-Louis, 990--l'auteur construit ce
fort contre le gré des marchands, 991, 992--fait parachever le
magasin, 1015--armes et munitions déposées en 1621,
1016-7--deux familles inutiles renvoyées par l'auteur,
1019--ordonnances qu'il publie pour le maintien du bon ordre,
ibid--famine causée par la division entre les deux sociétés,
1020--nombre des personnes qui hivernent (1622-23), 1037--...
24/1472 1039.--travaux faits à l'habitation (1622-23), 1039-40,
1042--on essaye d'engager les sauvages à descendre y faire la
traite, 1043--arrivée des traiteurs, 1050--nouveaux magasin,
dont l'auteur donne le plan, 1051-3--il y fait faire un chemin
pour monter au fort Saint-Louis, 1053--fait travailler au fort
(1623-24), 1054-5--un coup de vent enlève la couverture du
château, 1055--l'auteur fait continuer les travaux à
l'habitation, 1057-8, 1059, 1066--première pierre du nouveau
magasin, 1057-8--observations météorologiques de l'auteur
(1623-24), 1053-4, 1058-9--départ de Champlain et de sa
famille, 1066--le sieur Émeric de Caen reste commandant à sa
place, 1067--population en 1624, ibid--arrivée des Jésuites,
1070, 1076--... 1079--disette de vivres (1626), 1106-7--arrivée
de l'auteur, 1108--travaux de l'habitation peu avancés,
ibid.--population en 1626, 1109--l'auteur reconstruit et
agrandit le fort, 1110-l--fait couvrir la moitié de
l'habitation, 1111--fait amasser et scier le bois de charpente,
1115--un des ouvriers des pères Jésuites meurt de la jaunisse
(1626), ibid--un enfant de Caquémistic enterré au cimetière de
l'habitation, ibid--population en 1627, 1130--l'entretien du
fort n'est pas du goût des associés, 1131-2--deux français tués
par les sauvages, 1134 et suiv.--premier labour fait avec des
boeufs, 1144--disette de vivres (1628), 1150-2--sommation de
Kertk (1628); réponse de Champlain, 1159-63--l'auteur fait
faire un moulin à bras, 1170--puis un moulin à eau, 1172--hiver
de 1628-9, 1172-5--disette extrême, 1171-5, 1184-90--population
en 1628-29, 1189--lecture publique des commissions de
Pont-Gravé et de l'auteur, 1211-2--retour des Anglais (1629),
1221-2--nouvelle sommation des Kertk, 1223--capitulation,
1223-7--les Anglais en prennent possession, et pillent le
magasin, 1228-9--effets trouvés dans la place lors de la prise,
1229-30--départ de l'auteur, 1232--visite du général David
Kertk, 1252--démarches pour obtenir la restitution de cette
place, 1277-81, 1295-7, 1325-6--deux vaisseaux anglais en
reviennent (1630), 1304--nouvelles qu'ils apportent,
1304-5--conspiration ourdie par un ministre contre le capitaine
Louis Kertk, 1325--le fort et l'habitation sont rendus à la
France, 1326.
QUECONSICQ, fils d'Onemechin, lui succède, 274.
QUENECHOUAN, saut ainsi appelé, 444, 858.
QUENONGEBIN, ou Kinounchepirini, nation algonquine, 446, 860.
QUENTIN (le P. Jacques), jésuite, missionnaire en Acadie,
772--fait prisonnier par les Anglais, 773-5--conduit en
Virginie, puis en Angleterre, 775-80.
QUINIBEQUI. Voyez _Kinébec_.
QUINIBEQUI (lac de), ou baie de Merry-Meeting, 222.
QUIOUHAMENEC, chef almouchiquois, 242.
RALDE (le sieur de La); M. de Caen annonce à l'auteur (1621)
qu'il le lui enverra de Tadoussac, 1006--arrive de France
(1622), 1033--monte aux Trois-Rivières, 1034--redescend à
Tadoussac pour aller à Gaspé, 1036--lieutenant du sieur de
Caen, ibid--différend avec Hébert au sujet des prières, ibid--à
Miscou (1624), 1062, 1067--retourne en France, 1068--nommé
général de la flotte du Canada (1626), 1079-80, 1103--se rend à
Miscou, 1104--donne le commandement de son vaisseau à Émeric de
Caen, 1104-5--mande à Québec qu'on lui envoie l'Alouette pour
lui prêter main-forte, 1113--laisse à Miscou quelques français
pour hiverner, 1117--nouvelles de son arrivée à Tadoussac
(1627), 1121--... 1125--indisposé contre les Jésuites,
1129--reçoit néanmoins le P. Lalemant en son vaisseau, et le
traite bien, 1130--part dans la Catherine, 1130--... 1132,
1151.
RALLEAU (le sieur), secrétaire de M. de Monts, accompagne
l'auteur dans l'exploration de la côte d'Acadie, 157--son
entrevue avec le chef Secondon, 171--repasse en France,
177--revient à Port-Royal (1606), 236--arrive de Niganis
(1607), 273.
RAMÉES (îles), dans le golfe Saint-Laurent, 1084.
RANGÉES (les îles), à la côte des Etchemins, 178, 194, 262,
724.
RANGÉES (les îles), à la côte d'Acadie, 277.
RASE (cap de), à Terre-Neuve, 127, 1082.
25/1473 RASILLY (le chevalier de), attendu en Canada (1629),
1239-40--les vaisseaux de la nouvelle compagnie devaient le
rejoindre avant de partir pour Québec, 1248, 1283--sa flotte
envoyée au Maroc, 1249--... 1283-4--élu général de la flotte du
Canada, 1296--prépare à La Rochelle, un nouvel embarquement
(1632), 1326-7.
RAYE (cap de), à Terre-Neuve, 67, 384, 387, 436, 1081-3.
RAYE, ou REYE (Pierre), charron, renégat français; se donne aux
Anglais, 1229.
RÉALLE (la), vaisseau du sieur Desdames, dans lequel le P.
Nicolas Viel et le frère Sagard passèrent en Canada, 1042.
RÉCOLLETS. Le sieur Houel suggère à l'auteur de demander des
religieux de cet ordre pour les missions du Canada, 491--quatre
sont choisis, 495--leur arrivée à Tadoussac, 497--leur premier
logement à Québec, 499--... 896-7, 988-9, 1001, 1050,
1219--repasse en France, 1276--trois religieux de cet ordre
vont à l'Acadie, 1297-1301.
RÉCONCILIÉ (le), sauvage ainsi surnommé par les Français;
accepte des présents de la part des Loups pour se joindre à eux
contre les Iroquois, 1118--ce que l'auteur trouve fort mauvais
et fort dangereux, 1118-9--se rend secrètement aux
Trois-Rivières, où il se montre opposé à la guerre, 1120,
1122--va en ambassade chez les Iroquois, 1124-5--sa mort,
1126-7--il avait tué deux français au cap Tourmente, 1127--...
1149.
RIBAUT (Jacques), neveu de Jean, commandant d'un vaisseau à la
Floride, 678.
RIBAUT (Jean); son expédition en Floride, 672-9--défaut observé
dans son entreprise, 687-91.
RICHELIEU (le cardinal de); l'auteur lui dédie son livre de
1632, 643.
RIDEAU (rivière), mentionnée par l'auteur, 448, 86l.
RIVIÈRE-PLATTE (cap de la), ou cap aux Oies, 1099.
ROBERVAL (le sieur de), 151--son expédition au Canada, 692,
1310.
ROBIN (le sieur); ses conventions avec les missionnaires du
Canada, 768.
ROCHE (ruisseau de la), au port Royal, 167.
ROCHE (marquis de La). Voyez _La Roche_.
ROCHELLE (La); M. de Monts y envoie les vaisseaux basques
saisis par Pont-Gravé à Canceau, 176--... 237, 413.
ROCHERS (anse aux), quelques lieues plus haut que Tadoussac,
1097.
ROQUEMONT (Claude de), 1157--nouvelles apportées de lui à
Québec par Desdames, 1164, 1168--fautes qu'il commit, suivant
l'auteur, 1168-9--nouvelle de sa prise par les Anglais,
1191-2--... 1274-5.
ROSSIGNOL, capitaine de vaisseau; on donne son nom à un port de
l'Acadie, 156--son vaisseau envoyé à Canceau, 175-6.
ROSSIGNOL (port du), en Acadie; origine de ce nom, 156.
ROUGE (l'île), vis-à-vis l'entrée du Saguenay, 1096--Émeric de
Caen y échoue (1629) à la vue des vaisseaux anglais, qui le
laissent repartir, 1245.
ROUMIER, sous-commis au magasin de Québec; hiverne de 1619 à
1620, et retourne en France, 991--commis de la nouvelle société
(1621); apporte à l'auteur plusieurs dépêches, 1007.
ROYAL (port), en Acadie, 161--ainsi nommé par l'auteur, 166,
717--description de ce port, 165-7--... 169.
RUOS, ou RUAULX (île aux), 1101--sert de marque pour suivre le
chenal, 1102.
SABLE (baie de), en Acadie, 158, 712.
SABLE (cap de), près de la baie de Sable, en Acadie, 158-9,163,
235-6, 712--étabilssement du sieur de La Tour en cet endroit,
1298 et suiv.
SABLE (île de); Sir Humphrey Gilbert y fait naufrage, 151,
693--le marquis de La Roche y laisse des hommes et des
munitions, 152--description de cette île, 155--... 280.
SACO. Voyez Chouacouet.
SACQUÉ, pour Sagné, 327. Voyez Saguenay.
SAGARD (le frère Gabriel), récollet, arrive en Canada (1623),
1043--part pour le pays des Hurons, avec le P. Viel et le P. le
Caron, 1049-50--en revient (1624), 1063-4.
SAGUENAY, rivière, 68-9--description que l'auteur en fait,
84-6, 290-2, 788--source de cette rivière, 327--direction pour
y entrer, 1092-3.
26/1474 SAINE (baie), ou de Chibouctou, aujourd'hui baie d'Halifax,
275, 760.
SAINT-ANTOINE (rivière), au port Royal, 167, 718.
SAINT-BARNABE (île), dans le fleuve Saint-Laurent, 1091-2--le
sieur de Roquemont y donne rendez-vous à Desdames, 1166-7.
SAINT-CHARLES (rivière), quelquefois appelée simplement la
Petite-Rivière, primitivement rivière Sainte-Croix (voyez ce
mot), 669--prise en glace (novembre 1623), 1053--l'auteur y
fait faire un chemin à la Sapinière, 1054--... 1157.
SAINT-DOMINGUE (île), 17--description de cette île, 21-2,
50-1--... 674.
SAINT-ÉLOI, petite île du fleuve Saint-Laurent, 93, 323, 803.
SAINT-ÉTIENNE (le), vaisseau de Saint-Malo, destiné à porter
des vivres à Sainte-Croix au printemps de 1605, 193--porte en
Canada les pères Récollets, 497.
SAINT-JEAN (île), aujourd'hui île du Prince-Edouard, 124--les
Basques s'y retirent et se mettent en défense (1623), 1045--se
saisissent du vaisseau de Guers, ibid--... 1087.
SAINT-JEAN (rivière), appelée des sauvages Ouygoudy, 170-1,
174, 177, 720-1--projet d'y faire une habitation, 1300-1.
SAINT-JEAN-BAPTISTE. Voyez _Cabiague_.
SAINT-JEAN-DE-LUZ, en la Nouvelle-Espagne, 24-5--l'auteur y
arrive, 24--description de cette forteresse, 24-5--l'auteur y
retourne, 46.
SAINT-JULIAN, ou SAINT-JULIEN (le), navire du capitaine
Provençal; du port de cinq cents tonneaux, 6--retenu pour le
voyage des Indes, 8.
SAINT-LAURENT (baie de), partie méridionale du golfe du même
nom, 169, 279, 763.
SAINT-LAURENT (cap de), au nord du cap Breton, 67-8, 286, 387,
108l, 1083.
SAINT-LAURENT (fleuve), appelé Grande-Rivière de Canada, 68,
89, 95, 124--désigné pour la première fois par l'auteur sous le
nom de Saint-Laurent, 183--... 209, 557, 659, 663, 728 734.
SAINT-LAURENT (golfe); description que l'auteur en donne,
1083-90.
SAINT-LAURENT (île de), ou île du Cap-Breton, 115.
SAINT-LOUIS (cap), 208--ainsi nommé par M. de Monts, 210--...
212, 244, 744, 746.
SAINT-LOUIS (fort), à Québec, commencé par l'auteur (1620),
990--appelé de ce nom pour la première fois, 1053--l'auteur
fait faire un chemin pour y monter plus facilement,
ibid--travaux qu'il y fait faire, 1054-5--un coup de vent
enlève la Couverture du château, 1055--l'auteur le reconstruit
(1626) et l'agrandit, 1110-1--l'auteur l'entretient contre le
gré des associés, 1131, 1188-9.
SAINT-LOUIS (fort et habitation de), au cap de Sable, où
commandait le sieur de La Tour, 1314.
SAINT-LOUIS (port), aujourd'hui Plymouth, dans le Massachusets,
211, 747.
SAINT-LOUIS (saut), appelé d'abord le Grand-Saut, ou simplement
le Saut, 86--description de ce lieu, 100-5, 396-7--... 370,
388, 390--un jeune homme, du nom de Louis, s'y noie (1611),
394-7--... 414, 416--traite de 1612, 459--traite de 1613,
438-9, 470-3--... 442, 507--traite de 1615, 497, 500--traite de
1616, 591--les sauvages demandent qu'on y fasse une habitation,
592--... 670, 701.
SAINT-LUC (le maréchal de), 5, 702.
SAINT-LUC DE BARAMEDA. Voyez _San-Lucar de Barameda_.
SAINT-MALO. Prétention des habitants de cette ville au
privilège de la traite du Canada, 415-17.
SAINT-MATHIEU (pointe de). Voyez _Alouettes_ (pointe aux).
SAINT-NICOLAS, port et cap de ce nom, 19--combat entre les
Espagnols et les Français, 19-21.
SAINT-PAUL (île), à l'entrée du golfe Saint-Laurent, 67, 286,
387, 1081.
SAINT-PIERRE (île de), près de Terre-Neuve, 67, 354, 387, 1082.
SAINT-PIERRE (lac), élargissement du fleuve Saint-Laurent,
mentionné pour la première fois par l'auteur, 94,
96--description qu'il en fait, 96-7, 327-8, 806-7--... 347.
SAINT-SAUVEUR, habitation formée par La Saussaye, dans l'île
des Monts-Déserts, 773--pris par les Anglais, 773-5--le
capitaine Argall y retourne, rompt la croix que les pères y
avaient plantée, et en plante une autre avec le nom du roi
d'Angleterre, 777.
27/1475 SAINT-VINCENT (cap), 7--les Espagnols y prennent deux vaisseaux
anglais, 52.
SAINTE-ANNE du Grand-Cibou, au Cap Breton. (Voyez Grand-Cibou).
Secours que la compagnie des Cent-Associés y envoie (1631),
1315--assassinat du lieutenant Martel, commis par le commandant
du fort, 1316-7--le capitaine Daniel y rétablit l'ordre, 1316
et suiv.
SAINTE-CATHERINE (la). Voyez _Catherine_ (la).
SAINTE-CROIX, commandant d'une pinasse, à Sainte-Anne du
Cap-Breton, 1318--le capitaine Daniel l'envoie de là à
Tadoussac, ibid--ses pelleteries lui sont enlevées par Thomas
Kertk, 1321--désarmé par un vaisseau basque; revient à
Sainte-Anne, 1321-2.
SAINTE-CROIX (île), dans la rivière de ce nom, 173--M. de Monts
y fait faire une habitation (1604), 173-6, 706--départ des
vaisseaux, en 1604, 177--M. de Monts y fait faire des
jardinages, 188--ce qui s'y passe de remarquable pendant
l'hiver (1604-5), 188-93--l'habitation est transportée au port
Royal, 224--on y trouve de très-beau blé l'année suivante,
239--... 723, 731.
SAINTE-CROIX (île), dans l'Outaouais; l'auteur y plante une
croix avec les armes de France, 451, 864.
SAINTE-CROIX (pointe), aujourd'hui le Platon, sur le fleuve
Saint-Laurent, 90-2--le fleuve y est fort rapide et fort
dangereux, ibid--... 322-3, 326-7, 617, 802-3, 806.
SAINTE-CROIX (rivière), aujourd'hui rivière Saint-Charles, où
hiverna Jacques-Cartier, 304-9.
SAINTE-CROIX (rivière), ou rivière des Etchemins, 172-4, 178,
i86, 239--petit passage de la rivière Sainte-Croix, 262.
SAINTE-HÉLÈNE (île), en face de la Place-Royale, 393, 840--les
Montagnais y enterrent Outetoucos leur chef (1611), 411--...
442, 857.
SAINTE-HÉLÈNE (le port), à la côte d'Acadie, 276, 761.
SAINTE-MARGUERITE, port d'Acadie, 161-2, 716.
SAINTE-MARGUERITE (rivière), qui se jette dans le
Saint-Laurent, 117.
SAINTE-MARGUERITE (rivière), en Acadie, 275, 760.
SAINTE-MARIE (baie), en Acadie; description qu'en fait
l'auteur, 161-2--M. de Monts s'y arrête, 163--il n'y trouve
aucun lieu pour s'y fortifier facilement, 165--... 167--son
vaisseau en part pour l'île Sainte-Croix, 175--... 716.
SAINTE-MARIE (cap de), à Terre-Neuve, 66, 286,1082.
SAINTE-MARIE (rivière), aujourd'hui Sainte-Anne de la Pérade, 3
23,'803.
SAINTE-SUSANNE (rivière), aujourd'hui rivière du Loup, qui se
jette dans le lac Saint-Pierre, 328, 807.
SAINTE-SUSANNE du cap Blanc (rivière), 212, 748.
SALEMANDE (la), vaisseau de 150 tonneaux, commandé par
Pont-Gravé (1621); vient à Tadoussac, 1000.
SAN-LUCAR DE BARAMEDA, 8--plan de cette ville par Champlain,
ibid.
SANTEIN (le sieur), commis du sieur Dolu (1622); apporte à
Québec la nouvelle de la réunion des deux sociétés, 1022.
SASINOU, chef de la rivière de Kénébec, 196-7, 222-3--Onemechin
et Marchim tués par lui, 274--son fils Pememen lui succède,
ibid--... 733-4.
SAUMON (port au), 1098-9.
SAUMON (rivière au), 293, 790.
SAUSSAYE (le sieur de La); son entreprise en Acadie,
772-3--surpris par les Anglais, 773 et suiv.--se rend à Londres
pour demander la restitution de son vaisseau, 780-1--... 782.
SAUT (le), ou le GRAND-SAUT. Voyez Saint-Louis (saut).
SAUVAGES. Moeurs et coutumes des Montagnais et des Algonquins,
71-84, 120-1, 310-14, 333-7, 340-9 366-7, 455-9, 793-7,
798-800, 803-5--moeurs et coutumes des Hurons, 519-20, 562-90,
908-9, 944-63--moeurs et coutumes des Souriquois, 266-7--des
Etchemins, 183, 191-2, 198--des Almouchiquois, 200-1, 207-9,
210, 2l 6-18, 248-50--sauvages du Labrador, 1088-9.
SAVALETTE, capitaine de vaisseau basque, 277-8, 762.
SAVALETTE (port de), en Acadie, 277-8, 762.
SAVIGNON, jeune huron que garde l'auteur en échange d'un
français, 370, 834--... 390--envoyé par l'auteur au-devant de
la flotte huronne, 393, 841--sur le point de se noyer dans le
28/1476 saut Saint-Louis, 394-6, 843--frère du capitaine Tregouaroti,
397, 844--se loue de son voyage en France, 398, 845--l'auteur
lui donne son congé, 404, 850.
SECONDON (ou CHKOUDUN suivant Lescarbot), chef de la rivière
Saint-Jean, 171--avait montré la mine de cuivre à Prévert,
227--... 239--accompagne M. de Poitrincourt jusqu'à Chouacouet,
240--... 202, 205.
SESAMBRE, île à la côte d'Acadie, ainsi appelée par les
Malouins, 275, 760--une partie des Français de Saint-Sauveur,
avec le P. Massé, y viennent trouver Robert Pont-Gravé, 776.
SÊVILLE, 8--plan de cette ville par l'auteur (1598), ibid--...
52.
SILLERY (Nicolas Brûlart de), chancelier, 441, 856.
SIMON (maître), mineur, accompagne l'auteur, 160, 715.
SIMON, sauvage ainsi appelé des Français, 1055--l'auteur essaye
vainement de le dissuader d'aller faire un coup chez les
Iroquois, 1055-6--change de résolution, 1057--compromet la paix
en assommant un iroquois, 1064.
SOISSONS (Charles de Bourbon, comte de). L'auteur l'engage à
prendre le Canada sous sa protection, 432--ce qu'il accepte,
433, 886 et suiv.--sa commission, 433--nomme l'auteur son
lieutenant, 43 3, 886--sa mort, 434, 887--... 1072.
SONDE (canal de la), 23.
SOUBRIAGO, général de la flotte espagnole, 7, 9.
SOUPÇONNEUSE (la), île, 256,759.
SOURDIS (madame de), contribue à l'approvisionnement des
missionnaires du Canada, 767.
SOURICOUA, rivière; probablement la même que Gédaïc (Shediac),
114.
SOURIQUOIS, sauvages de l'Acadie, 115, 184,728, 743.
STADACA, pour STADACONÉ, 307.
STADACONÉ, nom d'une bourgade sauvage, située près de la pointe
de Québec, 307.
STUART (Jacques), milord écossais que le capitaine Daniel
rapporte avoir été au Cap-Breton en 1629, 1285--le capitaine
Daniel s'en saisit, 1285-7.
TABAC, ou PETUN, appelé herbe à la Reine, 50--les mariniers et
autres personnes en usent, 51--les sauvages en présentent à
Pont-Gravé et à l'auteur, 71.
TABAGIE, festin des sauvages, 70-2, 438, 457-8, 870--tabagie
des Hurons, 563-6, 587.
TADOUSSAC, port à l'entrée du Saguenay; description de ce lieu,
70-4, 84-6, 112-3, 119-21, 286-7, 290-2, 786-9--distance de ce
port à l'île aux Lièvres, 86--l'auteur y arrive pour la
première fois (1603), 68--en repart, 121--les sauvages de
l'Acadie s'y rendent par la rivière Saint-Jean, 171--... 298,
321--ce qui s'y passe de remarquable en 1609, 321, 347-9--la
traite, en 1610, y est fort mauvaise, 371-2--départ des
vaisseaux, 374--arrivée de Champlain (1611), 387--Pont-Gravé y
demeure pour la traite, 388-9--arrivée des vaisseaux (1613),
436-7--les pères Récollets y arrivent (1615), 497--arrivée des
vaisseaux (1618), 601, 614--...6l7--départ des vaisseaux,
631--l'auteur y arrive avec sa famille (1620), et y rencontre
son beau-frère, 986--vaisseau rochelois y faisant la traite
contre les défenses, 986-7--... 991, 1000--vaisseau de
Pont-Gravé saisi par de Caen (1621), 1008-13--l'auteur s'y rend
pour accommoder les difficultés, 1010--ce qui s'y passe en
1621, 1005, 1008-15, 1017--en 1622, 1034, 1036-8--un vaisseau
espagnol y vient espionner le sieur de Caen (1622), 1038-9--...
1092-3--arrivée du vaisseau de la compagnie (1626), 1107-8--...
1128--les Kertk s'en emparent (1628), 1154, 1158-9--en
repartent après avoir brûlé les barques, 1163-4--...
1172--David Kertk y fait monter une barque (1629), 1249--on y
enterre Jacques Michel, contre-amiral de la flotte anglaise,
1273-4--la compagnie des Cent-Associés y envoie faire la traite
(1631), le vaisseau relâche à Miscou, 1315.
TAILLE (La), français soupçonné d'avoir pris part (1608) à la
conspiration contre l'auteur, emmenotté, puis remis en liberté,
301.
TANGUEUX (île aux), 163.
TARDIF (Olivier le), de Ronfleur, truchement; à Québec
(1622-23); dépêché à Tadoussac, 1042--sous-commis à Québec
(1626-27), 1113--remet, de concert avec Corneille, les clefs du
magasin au capitaine Louis Kertk, 1228.
29/1477 TECOUEHATA, chef sauvage, arrive au saut Saint-Louis avec
quatorze canots, 411.
TEQUENONQUIAYE, village huron, appelé plus tard Ossossané, La
Rochelle, Saint-Gabriel et la Conception. L'auteur y est bien
reçu, 516, 906.
TERRE-FERME, 16.
TERRE-FERME (rivière de), au Mexique, 28.
TERRE-NEUVE. L'auteur mentionne dès 1603 plusieurs points de
cette île, 66-7--... 561--par qui découverte, 666-7--...
1081--description de cette île, 1082-3.
TESSOUAT, chef algonquin, 76 note 1--l'auteur se rend chez lui
(1613), 454, 867-8--bonne réception qu'il lui fait, 454, 457 et
suiv.; 868, 870 et suiv.--... 461, 876, 878--l'auteur prend
congé de lui, 467, 880.
TESSOUAT (île de), aujourd'hui île des Allumettes, visitée par
l'auteur (1613), 455-6, 868.
TESTU (le capitaine), homme fort discret. Natel lui découvre la
conspiration contre l'auteur, 298-9.
THÉMINES (le maréchal de), vice-roi pendant la détention du
prince de Condé, 966--en procès avec les associés, 967--arrêt
du conseil en sa faveur, 969-70--les envieux tâchent de faire
rompre sa commission, 970--débouté de ses prétentions, 982.
THIBAUT (le capitaine), de la Rochelle, accompagne Champlain à
sa seconde expédition (1610) contre les Iroquois, 360--l'auteur
repasse en France (1611) dans son vaisseau, 413.
THOMAS, truchement pour les Algonquins; accompagne l'auteur
dans son voyage de 1613, 453, 460, 462, 465, 866, 874-5,
878--... 552 note 2.
TORTUE (île de la), 17, 18.
TORTUE (île de la), à l'ouvert de la rivière Kénébec, 194, 197,
732, 734.
TOUAGUAINCHAIN, village huron; l'auteur y est bien reçu, 516,
906.
TOURMENTE (cap), à dix lieues au-dessous de Québec; pourquoi
ainsi nommé, 294, 791--... 603--visite qu'y fait l'auteur
(1623) avec M. de Caen, 1051--M. de Caen y retourne (1624), et
assure à l'auteur que M. de Montmorency le lui a concédé,
1065--... 1102-3--l'auteur y fait une habitation (1626),
1100---plan des logements, 1110--on y envoie les bestiaux,
1114--l'auteur y descend, ibid--hiver de 1626-7, 1117--meurtre
commis en ce lieu plusieurs années auparavant par le
Réconcilié, 1127--nombre de personnes qu'on y emploie,
1131,1189--voyage qu'y fait l'auteur (1627), 1133--...
1152--prise et destruction de l'habitation par les Anglais,
1154-8, 1204, 1244--l'auteur y envoie une chaloupe pour voir le
dégât fait par l'ennemi, 1163.
TOUS-LES-DIABLES (pointe de), aujourd'hui pointe aux Vaches,
près de Tadoussac, 69, 287, 436. Voir >i>Vaches_ (pointe aux).
TOUS-LES-SAINTS (baie de), à Terre-Neuve, 1082.
TOUTES-ISLES (baie de), à la côte d'Acadie, 157, 276, 761.
TRAITE des pelleteries. Traite de 1603, à Tadoussac, 70,
703--vaisseaux basques faisant la traite à Canceau (1604),
contre le privilège de M. de Monts, 157, 176--à Tadoussac
(1608), 287-90--à la rivière des Iroquois (1610),
365-70--«seconde traite» (1610), fort mauvaise, 371-2--se fait
(1611) à Tadoussac et au saut Saint-Louis, 388-9, 393, 397-412,
838, 844-53--traite de 1613, au saut Saint-Louis, 43 8-9, 466,
470-3--de 1615, au même lieu, 497--... 509, 511--traite de
1616, au même lieu, 591--de 1618, aux Trois-Rivières, 601, 615,
617-8, 630--traite de 1621, au même lieu, 1006-8--traite de
1623, au cap Massacre, ou de la Victoire, près de l'entrée de
la rivière des Iroquois, 1045-50--traite de 1624, à Québec,
1064--de 1626, 1108--Pont-Gravé remplacé, comme premier commis,
par Corneille de Vendremur, 1113--traite de 1627, à la rivière
des Iroquois, très-bonne, 1121-2, 1128--traite de 1631, peu
abondante, 1324.
TREGATÉ, ou TRACADIE, entre la baie des Chaleurs et la baie de
Miramichi, 114, 170, 719, 1087.
TREGATIN, sauvage baptisé par le frère Ger vais, 1126--ne
persévère pas, ibid.
TREGOUAROTI, capitaine huron, frère de Savignon; descend à la
traite (1611), 397, 403, 844--emmène avec lui un français, 408.
TREMBLAYE (La), commandant d'un vaisseau de Saint-Malo, en
traite à Tadoussac, 137
30/1478 TRÉPASSÉS (baie des), à Terre-Neuve, 1082.
TRESARD, jeune homme de La Rochelle; Champlain ne lui permet
pas de l'accompagner à la traite, 390.
TRICHET (Pierre), avocat, de Bordeaux. Pièce de vers composée
par lui sur les voyages de l'auteur, 647.
TROIS-RIVIÈRES (les); l'auteur mentionne ce lieu pour la
première fois, 94--îles qui sont à l'entrée, ibid--l'auteur est
d'avis que ce lieu serait propre à une habitation, 94-5--...
327--on y fait la traite (1618), 601, 615, 617-8, 630--...
806--traite de 1621, 1004--les sauvages y tiennent conseil
(1627) sur la guerre des Iroquois, 1120-21.
TRUITTIÈRE (la), petite rivière à l'ouest de Port-Royal, 264-5.
TSONNONTOUANS. Voyez _Entouhonoron_.
TUFET (le sieur), commence une habitation à l'Acadie,
1297-8--peu de succès de son entreprise, 1301-2.
TUILLERIE (monsieur de la), 1240.
UBALDINI (Robert), nonce à Paris, lors du départ des Récollets
pour le Canada, 492 note 2.
VACHES (pointe aux), appelée d'abord pointe de tous les
Diables, 69, 287, 436, 787, 1092.
VARIN (Jean-Baptiste), envoyé à Québec par M. de Caen, 1016.
VENTADOUR (Henri de Lévis, duc de), vice-roi du Canada,
1069-70--nomme l'auteur son lieutenant, 1071 et suiv.
VERA-CRUZ, 25.
VÉRAZZANO (Jean), florentin, découvre les côtes de la Floride,
667,1309-10.
VERTE (île), dans le Saint-Laurent; les Rochelois y font la
traite contre les défenses, 1015, 1094-5.
VERTE (île), à l'Acadie, 276-7, 761.
VERTE (rivière de l'île), 276, 761.
VICAILLE (la), vaisseau de David Kertk, d'où est datée la
sommation de Québec, 1161.
VIEL (le P. Nicolas), récollet, arrive en Canada (1623),
1043--monte au pays des Hurons avec le P. le Caron et le frère
Sagard, 1049-50--nouvelles qu'en apporte Du Vernay (1624),
1063.
VIERGES (cap des), à Terre-Neuve, 1081.
VIERGES (îles des), ou Las-Virgines, 674.
VIEUXPONT (le P. de), jésuite, missionnaire (1629) au
Grand-Cibou, 1287--son naufrage, 1289-92--va trouver le
capitaine Daniel au Grand-Cibou, 1294--retourne en France
(1630), 1303.
VIGNAU (Nicolas de); ses impostures, 440 et suiv.; 855 et
suiv.--conditions auxquelles l'auteur lui pardonne, 471.
VIGNIER (le sieur), agit pour le prince de Condé dans l'affaire
du Canada, 967--promet obtenir à M. de Montmorency la
commission de vice-roi, 982.
VILLEMENON (le sieur de), intendant de l'amirauté; s'entremet
pour M. de Montmorency dans l'affaire du Canada, 967,
982--lettres qu'il adresse à l'auteur (1621), 993,
995--nouvelles lettres, 1007.
VIMONT (le P. Barthélemi), jésuite, missionnaire au
Grand-Cibou, 1287--retourne en France (1630), 1303.
VIRGINES (les), la VIRGINIE; les Anglais de cette colonie
s'emparent de l'établissement de La Saussaye, à l'île des
Monts-Déserts, 773--dévastent Sainte-Croix et Port-Royal,
777--ancien nom de la Virginie, 6l, 1307.
WAYMOUTH (George), capitaine de vaisseau anglais; mention de
son voyage à la côte de la Nouvelle-Angleterre, 222-3.
FIN
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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
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remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
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throughout numerous locations. Its business office is located at
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information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org
For additional contact information:
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Chief Executive and Director
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Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation
Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.
The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To
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particular state visit https://pglaf.org
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against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot make
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Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
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Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.
Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
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