The Project Gutenberg EBook of Histoire Médicale de l'Armée d'Orient, by
René Desgenettes
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Title: Histoire Médicale de l'Armée d'Orient
Volume 1
Author: René Desgenettes
Release Date: May 3, 2008 [EBook #25310]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE MÉDICALE DE L'ARMÉE ***
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été intégrées dans le texte. L'orthographe a été modernisée.]
HISTOIRE MÉDICALE
DE L'ARMÉE
D'ORIENT,
PAR
LE MÉDECIN EN CHEF R. DESGENETTES.
Cherchons à tirer des malheurs de la guerre quelque avantage pour
le genre humain.
PRINGLE, _Maladies des armées._
À PARIS,
Chez CROULLEBOIS, libraire de la Société de médecine, rue des Mathurins,
nº 398,
Et chez BOSSANGE, MASSON, et BESSON, rue de Tournon.
An X.--M.DCCCII.
HISTOIRE MÉDICALE
DE L'ARMÉE
D'ORIENT.
THE FRENCH REVOLUTION RESEARCH COLLECTION
LES ARCHIVES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
MAXWELL Headington Hill Hall, Oxford OX3 0BW, UK
AU
PREMIER CONSUL
BONAPARTE.
TABLE
DES MATIÈRES.
PREMIÈRE PARTIE.
_RAPPORT adressé au conseil de santé des armées, par le citoyen_
DESGENETTES.
SECONDE PARTIE.
_Lettre circulaire du citoyen_ DESGENETTES _aux médecins de l'armée
d'Orient sur la rédaction de la topographie physique et médicale de
l'Égypte._
_Notice sur l'ophtalmie régnante, par le citoyen_ BRUANT, _médecin
ordinaire de l'armée._
_Notice sur la topographie de Ménouf, dans le Delta, par le citoyen_
CARRIÉ, _médecin ordinaire de l'armée._
_Observations sur les maladies, et en particulier la dysenterie, qui ont
régné en fructidor an VI dans l'armée d'Orient, par le citoyen_ BRUANT,
_médecin ordinaire de l'armée._
_Notice sur l'emploi de l'huile dans la peste, par le citoyen_
DESGENETTES.
_Extrait des observations du citoyen_ CÉRÉSOLE, _médecin ordinaire de
l'armée, dans un voyage, sur la rive occidentale du Nil, du Kaire à
Syouth._
_Notes sur les maladies qui ont régné en frimaire an VII, recueillies
dans l'hôpital militaire du vieux Kaire, par le citoyen_ BARBÈS,
_médecin ordinaire de l'armée._
_Topographie physique et médicale du vieux Kaire, par le citoyen_
RENATI, _médecin ordinaire de l'armée._
_Essai sur la topographie physique et médicale de Damiette, suivi
d'observations sur les maladies qui ont régné dans cette place pendant
le premier semestre de l'an VII, par le citoyen_ SAVARESI, _médecin
ordinaire de l'armée._
_Description et traitement de l'ophtalmie d'Égypte, par le citoyen_
SAVARESI, _médecin ordinaire de l'armée._
_Notice sur la topographie physique et médicale de Ssalehhyéh, par le
citoyen_ SAVARESI, _médecin ordinaire de l'armée._
_Notice sur la topographie physique et médicale de Belbéis, par le
citoyen_ VAUTIER, _médecin ordinaire de l'armée._
_Notice sur la topographie physique et médicale de Rosette, par le
citoyen L._ FRANK, _médecin ordinaire de l'armée._
_Notes pour servir à la topographie physique et médicale d'Alexandrie,
par le citoyen_ SALZE, _médecin ordinaire de l'armée._
_Observations météorologiques communiquées par le citoyen_ NOUET,
_membre de l'institut d'Égypte._
_Observations sur la pesanteur de l'air, la direction des vents, et
l'état du ciel, communiquées par le citoyen_ COUTELLE, _membre de la
commission des arts._
_Tables nécrologiques du Kaire, les années VII, VIII, et IX, publiées
par le citoyen_ DESGENETTES.
_Procès-verbal d'une réunion des officiers de santé, à Rosette, le 4
thermidor an IX._
ERRATA.
On est invité avant de lire cet ouvrage à faire les corrections
suivantes.
PREMIÈRE PARTIE.
PAGE 75, LIG. 17, _Au lieu de_ avec avantage sur des jeunes gens,
_lisez_ avec avantage des jeunes gens.
PAGE 139, LIG. 12, _Au lieu de_ officiers en chef, _lisez_ officiers de
santé en chef.
PAGE 170, LIG. 4, _Au lieu de_ sevices, _lisez_ services.
PAGE 174, LIG. 23, _Au lieu de_ eoutenant, _lisez_ soutenant.
PAGE 175, LIG. 19, _Au lieu de_ fructidor fructidor, _lisez_ fructidor.
PAGE 220, LIG. 21, _Au lieu de_ 388, _lisez_ 380.
SECONDE PARTIE.
PAGE 6, LIG. 11, _Au lieu de_ allèguent, _lisez_ allègent.
PAGE 8, LIG. 3, _Au lieu de_ esimable, _lisez_ estimable.
PAGE 17, LIG. 4, _Au lieu de_ de Ménoufyéz, _lisez_ du Ménoufyèh.
PAGE 19, LIG. 24, _Au lieu de_ enchnatements, _lisez_ enchantements.
PAGE 90, LIG. 3, _Au lieu de_ révulsif, _lisez_ révulsifs.
PAGE 105, LIG. 1, _Au lieu de_ comprimées, _lisez_ comprimés.
PREMIÈRE PARTIE.
RAPPORT
ADRESSÉ
AU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES,
Par R. DESGENETTES.
CITOYENS,
Je reçus, le 25 ventôse an VI, ordre du ministre de la guerre de me
rendre à Toulon, où je devais recevoir des instructions ultérieures.
Le 12 germinal j'arrivai à Marseille, où je trouvai une commission
revêtue par le directoire exécutif de tous les pouvoirs nécessaires pour
l'organisation d'une grande expédition.
Cette commission me remit le surlendemain l'arrêté suivant:
Marseille, le 14 germinal an VI.
«Vu l'urgente nécessité de donner aux officiers de santé en chef
tous les moyens de se procurer les collaborateurs nécessaires
pour assurer dans le plus court délai leurs services respectifs;
«La commission ARRÊTE que le citoyen Desgenettes, médecin en chef
de l'armée d'Angleterre, est autorisé à requérir les médecins
dont il aura besoin dans les lieux où ils pourront se trouver.
«Requérons les autorités civiles et militaires de faire exécuter
ponctuellement les dispositions du présent arrêté.
«_Signé_ S. SUCY, BLANQUET-DU-CHAYLA, LEROI, et
DOMMARTIN.
«_Contre-signé par le secrétaire de la commission_
MARILLIER.»
J'adressai le 15, de Toulon, à l'inspection générale du service de santé
des armées copie de l'arrêté ci-dessus.
Le même jour j'écrivis à l'école de médecine de Montpellier pour la
prier de vouloir bien m'envoyer six médecins; et je crus que son choix
offrirait au gouvernement une ample garantie de leur capacité:
l'expédition, par cela même peut-être que le but en était moins connu,
occupait tous les esprits dans le midi de la France, et l'on se disputa
dans l'école comme une sorte de récompense l'honneur d'en faire partie.
Vous verrez dans la suite de ce rapport que les sujets présentés par
l'école se sont constamment montrés dignes de l'adoption de ce corps si
justement célèbre.
Le 17, les officiers de santé en chef mirent sous les yeux de
l'ordonnateur en chef de l'armée, 1º l'état par aperçu des médicaments,
2º celui des caisses d'instruments de chirurgie et d'appareils, 3º celui
des officiers de santé de toutes les professions et de toutes les
classes nécessaires pour l'expédition.
Le 21, ils ordonnèrent aux officiers de santé de deuxième et de
troisième classe, faisant partie de l'expédition, d'assister
(conformément à l'article II du titre IV du règlement du 5 vendémiaire
an V) pendant leur séjour à Toulon aux cours de l'hôpital militaire
d'instruction.
Le même jour les officiers de santé en chef prirent, de concert avec les
conservateurs de la santé publique, le général commandant des armes, et
les ingénieurs de la marine, les mesures convenables pour convertir en
hôpital le vaisseau de guerre _le Causse_, faisant partie de la flotte
aux ordres du vice-amiral Brueys, et qui terminait sa quarantaine au
retour de Corfou.
Je me rendis à Marseille, où je déterminai et pressai, d'après les
ordres de la commission, l'équipement des bâtiments destinés à servir
d'hôpitaux aux troupes qui devaient s'embarquer dans le port de cette
commune.
Je procédai pendant ce temps à l'examen et à la réception de nos
médicaments, conjointement avec le citoyen Rassicod, ancien pharmacien
en chef des hôpitaux militaires de Corse, homme d'une probité devenue
fort rare, et d'une expérience consommée.
Le 3 floréal, l'ordonnateur de la huitième division militaire, faisant
fonctions d'ordonnateur en chef de l'armée, demanda les états et la
répartition des officiers de santé.
Le 9, j'écrivis à l'inspection que pas un seul des médecins, déjà trop
peu nombreux, qu'elle m'avait désignés ne s'était rendu à son poste.
J'éprouvai aussi une autre contrariété; séduit par le zèle mensonger de
quelques médecins licenciés des armées, je les avais requis à leur
sollicitation réitérée: ils me prouvèrent bientôt, en refusant de
s'embarquer sous des prétextes vains, qu'ils n'avaient cherché dans
cette réquisition qu'un titre pour obtenir une prolongation de
traitement.
D'autres médecins, désignés par l'inspection, sont venus de très loin
faire à Toulon un simple acte de comparution, pour obtenir probablement
des frais de route.
Cependant cette même inspection, qui n'était sûrement pas dans la
confidence de l'expédition, s'opposait au nom du ministre, par des
lettres réitérées et très impératives, à toutes les mesures
d'organisation des officiers de santé en chef dont elle ignorait la
position et les devoirs dans cette circonstance.
Je fus donc forcé de passer outre, et m'adressai de nouveau à l'école de
médecine de Montpellier, qui m'envoya de suite six sujets d'élite; car
l'enthousiasme n'avait plus de bornes depuis que l'on avait appris que
l'expédition était commandée par BONAPARTE.
Le 24, jour où l'ordre d'embarquement fut donné, je me rendis à la
pointe du jour dans la rade, par ordre du général en chef, avec le
général d'artillerie Dommartin, et le chef de division Dumanoir, à bord
du convoi venant de Marseille, qui portait la division Reynier, afin de
visiter les différents bâtiments, et de faire un rapport sur leur
salubrité.
La commission avait arrêté que le service des vaisseaux-hôpitaux, serait
fait par la marine, et il était convenu qu'en cas d'urgence les
officiers de santé de l'armée de terre y seraient employés comme
auxiliaires.
Il y eut beaucoup d'harmonie pendant l'armement entre le comité de
salubrité navale du port de Toulon et les officiers de santé en chef de
l'armée de terre.
Trois médecins désignés par l'inspection arrivèrent à Toulon, et
s'embarquèrent du 24 au 27.
La lettre suivante, qu'écrivirent de Malte à l'inspection les officiers
de santé en chef, offre l'histoire de notre traversée (nº 34 de ma
correspondance.)
Au quartier-général de Cité-Valette, le 30 prairial an VI.
CITOYENS,
«Nous sommes partis le 30 floréal au soir de la rade de Toulon,
et, après vingt-un jours de navigation, nous sommes arrivés à la
hauteur de Malte.
Quelques jours avant notre départ, une division d'environ six
mille hommes, partie de Marseille, et commandée par le général
Reynier, était venue nous joindre dans la rade de Toulon; mais
deux bâtiments-hôpitaux, qui en faisaient partie et qui devaient
porter trois médecins, douze chirurgiens, et huit pharmaciens,
des chefs, des employés et sous-employés de l'administration, des
effets, et la presque totalité des médicaments, n'ont pas suivi,
par des retards dont nous ignorons la cause.
Avant d'être à la hauteur du Cap-Corse nous fûmes encore joints
par un convoi considérable, portant une division d'environ huit
mille hommes, sortie du port de Gênes, et commandée par le
général Baraguai-d'Hilliers; deux ambulances bien organisées, et
établies sur deux bâtiments de transport, suivaient cette
division; chacune avait deux médecins, six chirurgiens, et quatre
pharmaciens; elles étaient bien approvisionnées en médicaments et
en effets. D'après le compte qui nous a été rendu, la division
entière a fourni cent vingt malades seulement, et elle n'a perdu
que trois hommes dans la traversée de Gênes à Malte.
Un convoi de douze à quinze cents hommes, parti d'Ajaccio,
escorté par une frégate et un brick, est venu nous joindre le 8
prairial; il ne portait que des troupes, des munitions, des
vivres, et n'avait pas de malades.
Nous avons trouvé devant Malte la division du général Desaix,
partie de Civita-Vecchia; elle avait deux bâtiments-ambulances,
avec deux médecins, douze chirurgiens, et huit pharmaciens. Cette
division, composée d'environ six mille hommes, n'a guère fourni
plus de soixante-dix malades: nous n'avons pas obtenu les détails
que nous désirions.
Le 21, nous étions à la hauteur de Malte et à la vue du port.
Le lendemain 22, les troupes descendirent au lever du soleil sur
différents points de l'île. D'abord elles n'éprouvèrent presque
aucune résistance; mais s'étant avancées jusque sous les glacis
de Cité-Valette, le canon des remparts blessa encore douze
hommes.
Le 23 au matin, les assiégés demandèrent une suspension d'armes,
qui fut conclue pour vingt-quatre heures, et à minuit on signa à
bord de _l'Orient_ une convention définitive.
L'armée est entrée en conséquence dans la place le 24, et a pris
possession des forts.
Le 25 à midi, l'escadre est venue mouiller dans le port, et l'on
a descendu à terre, et transporté nos malades dans le grand et
magnifique hôpital de Cité-Valette, monument respectable des
antiques institutions de l'ordre, et où nous avons trouvé les
chevaliers malades confondus avec les soldats, les matelots, les
pauvres habitants de l'île, et des étrangers, tous soignés sans
autres préférences que celles qu'exigeait la gravité de leurs
maux.
Le mouvement du 29 a donné cent soixante-dix-huit fiévreux,
soixante-quinze blessés, et soixante-cinq vénériens; ce qui forme
un total de trois cents dix-huit malades pour plus de quarante
mille hommes.
Il y a eu dans la traversée, à bord du _Causse_, trois
petites-véroles confluentes, qui se terminent heureusement.
Les maladies prédominantes consistent dans quelques inflammations
de poitrine, des fièvres gastriques, des intermittentes, des
diarrhées bilieuses, et un petit nombre de dysenteries muqueuses.
Parmi les blessés il y en a peu qui le soient grièvement.
L'ancienne administration de l'hôpital, fort bien organisée,
continuera ses fonctions.
Nous laissons à Malte deux médecins, un chirurgien de première
classe, un de deuxième, et quatre de troisième. Par un ordre
exprès de l'ordonnateur en chef l'ancien pharmacien de
l'établissement est conservé, et aura sous ses ordres quatre
pharmaciens de l'armée, dont un de deuxième classe, et les autres
de troisième.
Le général en chef a ordonné qu'il serait fait dans l'hôpital de
Malte des cours d'anatomie, de médecine, et d'accouchements.
En quittant cette île nous prescrivons aux officiers de santé en
chef que nous y laissons de correspondre directement et
fréquemment avec vous, de vous demander une confirmation ou des
mutations, car nous pressentons que nous allons nous éloigner
d'eux de manière à ne plus conserver de rapports de service.
_Signés_ les officiers de santé en chef.
P. S. Cette lettre, expédiée double sous l'enveloppe du ministre
de la guerre, est envoyée par la frégate _la Sensible_.»
En laissant à Malte une garnison, on emmena à-peu-près un nombre
équivalent de troupes de terre et de mer.
On évaluait, le 1er messidor, jour de notre départ, l'armée de terre à
trente mille hommes, et celle de mer à douze mille.
François Ygré, second maître canonnier sur la galiote à bombes
l'_Hercule_, offrit au général en chef, par une lettre du 12 du même
mois, ses services dans le traitement de la peste, avec laquelle il se
disait très familiarisé. J'ai conservé son nom, parce que, quoiqu'il
n'ait point eu de mission spéciale, il a, d'après la voix publique,
assisté à Alexandrie, pendant tout notre séjour en Égypte, beaucoup de
pestiférés avec assiduité, courage, et même une sorte de
désintéressement.
Le 13, l'armée débarqua à la vue d'Alexandrie; le lendemain la place fut
emportée.
En mettant pied à terre nos troupes furent extrêmement inquiétées par la
piqûre des scorpions, qui sont plus gros que ceux d'Europe; je remis en
conséquence et sur sa demande au général de division Berthier, chef de
l'état-major-général, l'avis suivant, qui fut inséré dans l'ordre du
jour de l'armée du 15 (nº 56 de ma correspondance.)
«La piqûre du scorpion dans le pays où nous sommes est peu
dangereuse; jamais, quoi qu'on en ait pu dire, l'expérience n'a
prouvé qu'elle fût mortelle. Cette piqûre produit tout au plus
une douleur assez vive, suivie d'inflammation, d'enflure, et
quelquefois d'un léger mouvement de fièvre, qui se termine assez
généralement par des sueurs. Au reste, si ces piqûres étaient
très douloureuses ou multipliées dans le même individu, on peut
les toucher avec l'ammoniac (alcali volatil) ou le nitrate
d'argent fondu (pierre infernale) si l'on est à portée de s'en
procurer; un moyen plus actif, même violent, mais le plus sûr et
le plus à portée de tous, c'est de les brûler avec le fer».
Notre propre expérience a démontré depuis, que cette piqûre abandonnée à
elle-même n'était jamais suivie d'accidents sérieux, et que par
conséquent on pouvait se dispenser de donner et surtout de suivre l'avis
ci-dessus.
Le 18, jour où je quittai Alexandrie pour m'embarquer sur la flottille
aux ordres du chef de division Perrée, destinée à remonter le Nil,
j'écrivis à l'école de médecine de Montpellier la lettre suivante (nº 39
de ma correspondance.)
Au quartier-général d'Alexandrie, le 18 messidor an VI.
CITOYENS PROFESSEURS,
«Le général Bonaparte m'a chargé de vous remercier de
l'empressement avec lequel vous avez fourni des médecins à
l'armement des côtes de la Méditerranée.
«J'ai dû attendre pour vous transmettre l'assurance de l'estime
et de la reconnaissance du général en chef que le but de
l'expédition fût plus déterminé.
«Recevez de nouveau le témoignage de mon respectueux
attachement.»
Le général de division Dugua se porta sur Rosette, s'en empara, et
protégea l'entrée de la flottille dans le Nil. Les troupes sous les
ordres de ce général eurent peu à souffrir: j'organisai du 21 au 24
l'établissement des hôpitaux de cette place.
Le corps d'armée précédé depuis plusieurs jours par l'avant-garde aux
ordres du général de division Desaix se mit en mouvement le 18 et le 19
pour se rendre au Kaire; il arriva le 20 à Damenhour après une traversée
de quinze lieues d'un désert affreux.
L'armée se remit en marche le 22 au lever du soleil pour aller à
Rahmanyéh. À neuf heures et demie on aperçut le Nil; et tout le monde
courut avec des cris de joie s'y précipiter pour étancher sa soif.
Le général Berthier a suffisamment fait connaître, dans son histoire de
l'expédition, ce que l'armée eut à souffrir dans ces circonstances, soit
de la fatigue des marches, soit de celles inséparables de la bataille et
du combat naval de Chébreisse, de la bataille des Pyramides, et des
actions de tous les jours et de tous les instants avec cette nuée
d'Arabes qui voltigeaient autour de l'armée comme des vautours: mais il
y eut des faits particuliers relatifs à notre objet.
Quelques hommes se portèrent au dernier désespoir, et d'autres, s'étant
abandonnés à des accès de fureur, se trouvèrent subitement saisis d'un
affaissement qui les arrêta dans leur marche. L'exemple du général en
chef, celui de son état-major, et de tous les chefs bravant les mêmes
fatigues et les mêmes privations, soutint la patience de l'armée.
L'excès avec lequel plusieurs hommes avaient bu les incommoda; mais ils
furent plus affectés par l'intempérance avec laquelle ils se gorgèrent
de pastèques (_cucurbita_, _citrullus_, Lin.) qui ont au reste nourri et
sauvé l'armée. Les hommes attaqués de ces indigestions étaient saisis
d'une sueur surabondante, à la suite de laquelle ils semblaient presque
asphyxiés; leur pouls était faible, lent, et presque imperceptible, leur
bouche était écumeuse, et leur prodigieux affaissement n'était
interrompu que par des tremblements tels que ceux qui se manifestent
dans les accès d'épilepsie; souvent il y avait un léger vomissement. Les
cordiaux agirent avec succès.
Après la bataille des Pyramides on établit un hôpital à Gizeh dans une
portion de la vaste maison de plaisance de Mourad-bey, et on y reçut les
blessés, les fiévreux presque tous dysentériques, et les hommes déjà
très nombreux attaqués d'inflammation des yeux.
Le général en chef fit son entrée victorieuse au Kaire le 7 thermidor;
et on s'occupa de suite avec beaucoup d'activité à former des
établissements pour recevoir nos malades dans les plus belles maisons
des beys fugitifs.
J'adressai le 25 une circulaire aux médecins de l'armée sur un plan
propre à rédiger la topographie physique et médicale de l'Égypte.[1]
[Note 1: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Le général en chef avait établi en arrivant dans cette contrée une
administration destinée à faire exécuter, autant que les circonstances
et les localités pourraient le permettre, les règlements sanitaires
adoptés dans plusieurs ports de la Méditerranée. Il avait placé à la
tête de cette administration, sous le titre d'ordonnateur des lazarets,
le citoyen Blanc, un des anciens conservateurs du lazaret de Marseille,
le plus vaste, le plus commode, et le mieux administré de l'Europe. Les
sous-chefs furent particulièrement choisis parmi les anciens capitaines
du commerce, et les gardes de santé parmi les marins de tout grade, tous
habitués à la navigation du levant.
On créa à-peu-près dans le même temps une commission, puis un bureau de
santé particulier pour les villes du grand Kaire, du Vieux-Kaire, et de
Boulak. Je me fis rendre compte, pendant leur durée, de leurs
délibérations par l'un des médecins de l'armée, qui y était attaché, et
j'eus souvent occasion de me réunir à eux pour l'exécution de plusieurs
mesures utiles qu'ils avaient proposées.
Le conservateur de la santé publique à Alexandrie fit passer au chef de
son administration au Kaire trois procès-verbaux, du 27 messidor, 21 et
22 thermidor, desquels il résultait authentiquement:
1º Que le Juif Raphaël, logé maison du rabin Mouza, près du marché au
poisson, étant mort assez subitement, on avait trouvé sur son cadavre
un large bubon ecchymose à la partie supérieure de l'avant-bras
(extrait du procès-verbal du 27 messidor, signé DUSSAP, chirurgien de la
frégate _la Léoben_, et MATHIEU-DAVID, conservateur de la santé
publique). Une apostille de l'ordonnateur des lazarets porte que, peu
avant notre arrivée, six personnes, savoir, la femme, la belle-soeur,
deux fils, une fille, et une domestique de Raphaël, étaient mortes de la
peste dans la même maison.
2º Que le 21 thermidor au soir le fils et la fille d'un nommé
Campagnini, soupçonnés de peste, étaient, le premier, dans un abattement
extrême, la seconde, dans le délire (extrait du procès-verbal du 21,
signé ALEX. GISLENI, docteur en médecine, et MATHIEU-DAVID, conservateur
de la santé publique). Une apostille de l'ordonnateur des lazarets
apprend que Campagnini était connu dans la ville pour acheter les hardes
des pestiférés.
3º Le 22, de midi à midi et demie, le frère et la soeur Campagnini
expirèrent. Les assistants déclarèrent que la fille portait constamment
les mains dans l'aine droite, où l'on n'a observé qu'une rougeur sans
tumeur (extrait du procès-verbal du 22 thermidor, signé ALEX. GISLENI,
docteur en médecine, et MATHIEU-DAVID, conservateur de la santé
publique).
Les procès-verbaux mentionnés ci-dessus indiquaient que les précautions
d'usage avaient été prises pour la mise en quarantaine des personnes ou
des choses qui avaient approché et touché les décédés.
Je fis insérer à l'ordre du jour de l'armée les avis suivants, dont le
second est tiré d'un travail destiné pour l'armée d'Italie, par
l'inspection et publié par ordre du ministre de la guerre dans l'an IV
(nº 61 et 67 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 29 thermidor an VI.
«Depuis le débordement périodique du Nil les nuits sont plus
fraîches qu'elles ne l'étaient auparavant: ce changement
remarquable de l'état de l'atmosphère exige quelques précautions
relatives aux vêtements: il est devenu indispensable d'être bien
couvert pendant la nuit. Ceux qui pendant ce temps s'exposent à
l'air, en chemise ou peu couverts, éprouvent facilement des
dérangements dans la transpiration, qui peuvent produire
plusieurs maladies, entre autres des inflammations des yeux, qui
sont fort incommodes, fort douloureuses, et même susceptibles
d'entraîner la perte de la vue.»
Au quartier général du Kaire, le 12 fructidor an VI.
«Les bains sont un des meilleurs moyens d'entretenir la santé et
de préserver des maladies inflammatoires; mais quand ils sont
pris inconsidérément ils peuvent devenir la source de beaucoup de
maux; ils sont dangereux, et même mortels au moment de la
fatigue et de la chaleur; ils sont nuisibles pendant la
digestion; ils le sont au lever du soleil, et longtemps après son
coucher. Il faut éviter soigneusement de se baigner dans l'eau
stagnante, comme celle qui couvre Birket-el-fil pour en citer un
exemple. Il est à désirer que les militaires se baignent dans une
eau courante, bien exposée à l'air, et point trop profonde;
l'heure la plus convenable pour se baigner, est celle qui précède
le repas du soir».
Le 15 fructidor, je reçus du citoyen Bruant, l'un des médecins de
l'armée envoyés par l'école de Montpellier, une notice sur l'ophtalmie
régnante.[2]
[Note 2: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Dans les derniers jours complémentaires, le citoyen Carrié, médecin de
l'armée, également envoyé par l'école de Montpellier, m'adressa une
notice sur la topographie de Ménouf, ville du Delta.[3]
[Note 3: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Il entra douze à quinze cents malades dans les hôpitaux, dans l'an VI,
et il en mourut environ soixante.
Le citoyen Bruant me remit le 9 vendémiaire an VII des observations sur
les maladies, et en particulier la dysenterie régnante en fructidor an
VI.[4]
[Note 4: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Je fis mettre à l'ordre du jour l'avis suivant (nº 87 de ma
correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 15 vendémiaire an VII.
«L'armée a déjà été prévenue à une autre époque du danger qu'il y
avait à passer les nuits mal couverts. Le matin, le soir, les
nuits, sont encore plus froids qu'ils ne l'étaient alors, et
peuvent donc produire plus de dérangements dans la santé.
Un grand nombre de personnes ont éprouvé dans la transpiration
des variations qui ont occasionné deux ou trois accès de fièvre,
qui se terminent généralement par une transpiration abondante, ce
qui rétablit l'équilibre interrompu.
Il faut encore avertir l'armée que les brouillards qui s'élèvent
maintenant le soir, et se prolongent dans la nuit, et le matin
sur les terrains couverts d'eau, et dans les environs, peuvent
devenir dangereux, et qu'il faut se soustraire, quand il est
possible, à leur action».
Damiette a offert les seconds accidents de fièvres pestilentielles ou
contagieuses, accompagnées communément de bubons, souvent de charbons et
de pétéchies, et que je nommerai toujours dorénavant l'_épidémie_.
Je dois au général Vial, qui a le goût, l'habitude, et le talent de
l'observation, les faits suivants:
Il arriva à Damiette dès le 19 thermidor an VI, et il ne fut question
dans cette place de maladies alarmantes que le 12 vendémiaire an VII.
Une femme du pays, et chrétienne, fut saisie à cette époque d'une fièvre
violente, accompagnée d'un bubon; elle guérit sans que sa maladie se
communiquât à aucun de ceux qui l'environnaient, et lui avaient donné
des soins assidus.
Le même jour, un garde-magasin des vivres fut attaqué d'une grande
fièvre, le 15, il fut transporté à l'hôpital militaire; il avait le
délire, les yeux enflammés, une grande prostration des forces
musculaires, un bubon volumineux dans l'aine droite, les extrémités
livides, le scrotum enflammé; les yeux devinrent de plus en plus fixes,
et la faiblesse augmenta aussi graduellement: le 18, au matin, le malade
mourut.
Dans l'examen du cadavre, on observa que les paupières, les ailes et la
pointe du nez, les lèvres et le menton, étaient livides. Les régions
lombaires, toute l'étendue des téguments qui recouvrent l'épine dorsale,
le scrotum, et le bubon, paraissaient sphacélés. Les recherches ne
furent pas portées plus loin.
On dressa procès-verbal de cette visite, par un ordre exprès du général
Vial; mais les avis ayant été violemment partagés sur la nature de la
maladie, entre des officiers de santé qui, par la distinction de leurs
fonctions, et leurs grades, n'auraient pas dû être consultés
contradictoirement, le général en chef m'adressa cette pièce le 22
vendémiaire, et je lui fis le lendemain le rapport suivant (nº 95 de ma
correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 23 vendémiaire an VII.
GÉNÉRAL,
«J'ai lu, conformément à vos ordres, le procès-verbal rédigé à
Damiette le 19 du courant, relativement à la maladie et à la mort
du citoyen Lintring.
L'opinion du citoyen Savaresi et de M. Patriarcha, que la maladie
a été une fièvre pestilentielle ou contagieuse, est appuyée sur
des faits recueillis avec sagacité, et exposés avec précision;
ainsi il ne peut s'élever aucun doute sur leur assertion.
Il serait très utile que vous ordonnassiez que toutes les fois
que des officiers de santé du même grade, seront appelés pour
prononcer sur l'existence de la peste, il suffira que l'un d'eux
affirme le danger de la contagion, pour qu'il soit pris des
précautions en conséquence.»
Salut et respect.
Le général en chef se contenta de rappeler l'exécution de la mesure que
je proposais, parce qu'elle était déjà ordonnée par l'administration
sanitaire.
Le directeur de la poste militaire de Damiette avait couché avec le
garde-magasin, la même nuit où il se plaignit d'être malade; on prit des
précautions nécessaires, mais un peu brusques à son égard; ce citoyen,
d'un moral calme et d'une constitution forte, ne fut pas même indisposé.
Il entra successivement à l'hôpital militaire plusieurs soldats
gravement attaqués de la même maladie, et un très petit nombre guérit.
Des recherches exactes ont fait connaître qu'au début de l'épidémie, ces
militaires, qui étaient presque tous à la vérité du même corps, la 2e
demi-brigade d'infanterie légère, n'étaient ni de la même compagnie, ni
de la même caserne ou chambrée.
L'officier-général qui donne ces détails quitta Damiette à la fin de
vendémiaire, et il a observé que les grandes chaleurs avaient cessé
brusquement, qu'il avait plu abondamment au commencement et quelquefois
dans le courant du mois, et qu'enfin la température était devenue très
humide.
Si la gravité que m'impose la nature des matières dont j'ai à traiter ne
me l'interdisait pas, je pourrais produire ici une lettre extrêmement
originale, écrite au général en chef par un Provençal vieilli dans les
fonctions de marmiton à bord des vaisseaux, et qui proposait, pour une
légère rétribution par tête, de couper, comme avec le tranchant du fer,
toutes les dysenteries de l'armée.
Ce fut vers la fin de frimaire que l'épidémie commença à Alexandrie dans
l'hôpital de la marine. Le rapport qui le constate est du 24 de ce mois,
et on ne peut se dissimuler qu'il y eut au moins de la lenteur dans les
déclarations, et par conséquent dans les mesures de précaution et
d'isolement, ainsi que l'ordonnateur des lazarets le releva, cependant
avec beaucoup de modération.
Je publiai le 30 une notice sur l'emploi de l'huile dans la peste.[5]
[Note 5: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Le citoyen Cérésole, médecin de l'armée, que j'avais envoyé dans la
haute Égypte, et rappelé depuis à cause de sa mauvaise santé, m'adressa
des observations recueillies pendant son séjour dans ce pays.[6]
[Note 6: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Les troupes ont joui en général d'une très bonne santé dans le Saïd,
quoiqu'elles n'aient pas été exemptes d'ophtalmies et de dysenteries.
Le général Desaix m'a raconté que peu après son arrivée dans le Saïd
plusieurs soldats de la vingt-unième demi-brigade d'infanterie légère
ayant mangé des graines de ricin en assez grande quantité, ils furent
saisis d'un vomissement violent et d'abondantes évacuations par les
selles. Cette observation qui s'est représentée depuis, et les premiers
avis pour éviter cette indisposition grave furent dus à ce général,
passionné pour tous les genres de connaissances comme il l'était pour la
gloire, et dont l'âme active voulait se concentrer à la paix dans
l'étude des arts utiles et surtout de l'agriculture, occupation si
estimable, et qui a fait le délassement de plusieurs grands hommes de
guerre comme lui.
Le citoyen Barbès, l'un des médecins de l'armée envoyé par l'école de
Montpellier, me remit le 3 nivôse des notes sur les maladies observées
en frimaire dans l'hôpital militaire du Vieux-Kaire.[7]
[Note 7: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Le 15 nivôse, l'ordonnateur des lazarets, sur l'invitation du général en
chef de se concerter avec le médecin en chef de l'armée, écrivit à ce
dernier pour lui faire part des accidents arrivés à Alexandrie, et lui
demander son avis sur ce qu'il était le plus prudent d'employer, ou du
brûlement total des effets des pestiférés, ou de leur lavage et
sérénage. Le médecin en chef répondit le même jour que, vu la difficulté
d'employer la lessive d'acide muriatique oxygéné, le brûlement était une
mesure indispensable, parce qu'elle était la seule qui pût vraiment
assurer de la destruction de la matière de la contagion. L'action du
lavage ordinaire et du serein peut n'enlever qu'imparfaitement cette
matière, et souvent même l'étendre sur une plus grande surface, ou lui
faire pénétrer plus profondément certains corps, en particulier les
étoffes. En mettant cette opinion sous les yeux du général en chef, il
fallut lui observer que cela pouvait entraîner beaucoup de dépense, soit
par la perte des fournitures appartenant à l'état, soit pour les
indemnités qui seraient infailliblement réclamées par les particuliers.
Le général ne fut point arrêté par ces considérations, et il répondit
comme le héros du Tasse quand il rejette la rançon d'Altamore: _Je suis
venu ici pour fixer l'attention, et reporter les intérêts de l'Europe
sur le centre de l'ancien Monde, et non pour entasser des richesses._ On
a depuis cette époque brûlé les effets des pestiférés ou suspects de
peste toutes les fois qu'il a été possible d'en disposer.
Malheureusement la cupidité, encore plus que la négligence, s'est
souvent opposée à l'entière exécution de cette mesure.
Le général Dugua avait pris le commandement de Damiette: extrêmement
attentif à tout ce qui peut tenir à la conservation et au bien-être des
troupes sous ses ordres, il faisait des visites journalières dans les
hôpitaux, et adressait, sur cet objet, de fréquents rapports au général
en chef, qui m'ordonna de lui rendre un compte particulier de l'état des
hôpitaux de cette place.
Les lettres d'Alexandrie, du 2 nivôse, arrivées au quartier-général de
l'armée le 17 du même mois, confirmaient et circonstanciaient le
développement de la contagion dans l'hôpital de la marine. Déjà un
infirmier et un volontaire avaient donné des soupçons alarmants dans les
hôpitaux militaires, et on avait pris le parti de les isoler
promptement. Le général Marmont, commandant de la province, déploya, dès
le moment de l'invasion, la plus grande et la plus sage activité; il fit
établir dans une vaste mosquée un hôpital d'observation, et ouvrir un
hôpital spécial pour les pestiférés; il éloigna les troupes de
l'intérieur de la place, il publia un règlement, et organisa une
surveillance rigoureuse sur la ville, les deux ports, et les hôpitaux.
On comptait, à l'époque indiquée ci-dessus, douze à quinze morts, parmi
lesquels cinq officiers de santé attachés aux hôpitaux de la marine.
Les musulmans, les juifs, et les chrétiens qui forment la population
d'Alexandrie, ne ressentaient point les atteintes de l'épidémie.
Les maladies régnantes dans les hôpitaux militaires étaient de vieilles
diarrhées, des dysenteries, et quelques cas de scorbut.
Je fis le 21 nivôse le rapport suivant au général en chef:
Au quartier-général du Kaire, le 21 nivôse an VII
GÉNÉRAL,
Le citoyen Gabinet, capitaine de bâtiment du commerce, que vous
m'avez envoyé ce matin, m'a communiqué la recette suivante pour
les ophtalmies:
Eau commune...................... une pinte de Paris.
Eau de roses..................... tiers de pinte.
Sulfate de zinc (vitriol blanc).. deux pincées.
Verser quelques gouttes de cette eau cinq à six fois le jour dans
les yeux.
Cette eau est un bon résolutif, connu et employé».
Salut et respect.
Le général en chef me renvoya le 23 une lettre du général Dugua datée de
Damiette du 14, qui annonçait que l'épidémie perdait dans cette place de
son activité; la correspondance du citoyen Savaresi confirmait la même
chose, avec plus de détails.
Le 25, les officiers de santé en chef de l'armée adressèrent une
circulaire aux officiers de santé chargés en chef des divers hôpitaux de
l'armée, pour leur notifier les précautions demandées par
l'administration sanitaire et ordonnées par le général en chef, pour la
réception dans les hôpitaux des malades attaqués ou suspects de fièvres
pestilentielles, et leur translation dans les lazarets, ainsi que les
peines sévères portées contre les infractions aux lois sanitaires.
Le médecin en chef pendant le même temps faisait faire par les médecins
répartis sur tous les points de l'armée de fréquentes visites de
salubrité dans tous les établissements militaires, et il en adressait
les résultats dans des rapports très circonstanciés au général de
division Berthier, chef de l'état-major-général, qui donnait de suite
les ordres nécessaires pour l'exécution de toutes les mesures utiles qui
lui étaient proposées.
Les lettres du 15 nivôse du citoyen Sotira, médecin chargé du service de
l'hôpital militaire de Rosette, arrivées au quartier-général du Kaire le
26, portaient qu'il n'y avait dans son établissement que des dysenteries
et des diarrhées. Il se plaignait de manquer de remèdes, entre autres
d'ipécacuanha et de simarouba.
Une lettre du citoyen Salze, médecin de l'armée, employé à Alexandrie,
écrite de la même date et reçue le même jour que la précédente,
annonçait que les ravages de l'épidémie continuaient dans cette place,
que les hôpitaux militaires nº 1 et 2 étaient contaminés et en
quarantaine de rigueur depuis trois jours; que le nombre des morts se
portait à plus de trente dans la dernière quinzaine, et que la contagion
était même répandue dans le camp. On continuait à prendre des mesures
pour l'isolement, et l'on formait un établissement destiné aux
convalescents. Les officiers de santé chargés en chef des hôpitaux, dont
le zèle se trouvait enchaîné par des ordres peut-être nécessaires dans
ces circonstances difficiles, dirigeaient par leurs avis le service du
lazaret confié à des officiers de santé des classes inférieures qui se
trouvaient retenus en quarantaine rigoureuse près des malades, et qui
ont depuis succombé sans donner aucun renseignement sur la marche,
l'issue de la maladie, et les tentatives de traitement.
Le citoyen Masclet, chirurgien de première classe, qui avait reçu des
témoignages aussi publics qu'honorables de la satisfaction du général en
chef pour son dévouement dans le traitement de cette épidémie, mourut
également à Alexandrie.
Tandis que les autorités militaires, l'administration et les officiers
de santé prenaient tant de précautions, et qu'ils prodiguaient tant de
soins pour combattre ce fléau, quelques égoïstes glacés abandonnaient
les malheureux; des lâches exaltés semaient publiquement leurs terreurs;
et d'autres hommes aussi méprisables et plus criminels que les premiers,
trafiquant des effets des morts quand ils ne dépouillaient pas les
vivants, allaient propageant partout la contagion. Le général en chef
reçut à ce sujet une lettre très détaillée de son aide-de-camp, le
citoyen Lavalette, dans laquelle il lui peignait ce tableau déchirant
d'une manière qui honore sa sensibilité. (Lettre d'Alexandrie 17
nivôse, arrivée au quartier-général vers la fin du même mois.)
Les lettres du général Dugua et celles du citoyen Savaresi, du 28
nivôse, annonçaient que l'épidémie cessait à Damiette, mais qu'on y
perdait beaucoup de militaires de la dysenterie: on réclamait du vin
pour les hôpitaux.
Le général Verdier écrivait, en date du 29 nivôse, de Mansshoura, au
général en chef, une lettre renvoyée à l'ordonnateur des lazarets, et au
médecin en chef, par laquelle il annonçait que la deuxième demi-brigade
d'infanterie légère, arrivée de Damiette depuis le 24 du même mois,
avait apporté avec elle la maladie régnante à Damiette, et qu'il était
déjà mort plusieurs hommes; ce général accompagne ce récit de celui des
précautions qu'il a prises pour isoler les malades et le corps entier,
ainsi que pour leur procurer des couvertures pour passer les nuits; et
il observe avec raison que l'état de nudité de cette demi-brigade influe
évidemment sur sa santé. Venue de l'armée de Sambre et Meuse avec le
général Bernadotte, elle était peut-être aussi moins susceptible de
s'acclimater que les troupes qui avaient fait toutes les campagnes
d'Italie.
Pour terminer ce qui concerne cette partie de l'Égypte, je copie encore
une note du général Vial.
La population de Damiette a perdu dans l'épidémie, pendant l'hiver et
le printemps de l'an 7, environ cinquante musulmans et quinze chrétiens.
À Mansshoura, dont la population n'est pas la moitié de celle de
Damiette, il est mort huit, dix et jusqu'à douze habitants par jour.
Farascour perdait moins de monde; cette ville est plus voisine de
Damiette que Mansshoura, mais elle avait moins de communications avec
elle.
À Samanhout, il n'y a eu qu'un accident connu, et pas un seul en
remontant le Nil jusqu'au Kaire.
Le supplément à l'ordre du jour du 5 pluviôse prescrivait, sur la
demande de l'ordonnateur des lazarets, les mesures et les précautions à
prendre pour la réception et le traitement des malades susceptibles de
quarantaine rigoureuse.
Le citoyen Frank, médecin ordinaire de l'armée, adressait au médecin en
chef, dans les premiers jours de pluviôse, un rapport sur les maladies
régnantes en nivôse, et observées dans l'hôpital militaire dit ferme
d'Ibrahim-bey; d'où il résulte que la plus grande partie des malades
évacués des hôpitaux du vieux Kaire et de Gizeh étaient attaqués de
dysenteries et de diarrhées, maladies généralement inhérentes aux
armées, et particulières au climat de l'Égypte. Toutes ces maladies
étaient invétérées, et souvent même des rechutes, ce qui les rendait
très difficiles à guérir. L'usage du simarouba en poudre, de la
rhubarbe à petite dose, du diascordium, du laudanum, et de l'eau-de-vie
même en petite quantité, a été utile. Ce praticien a trouvé peu
d'avantage à donner la décoction blanche et l'eau de riz, qui lui
semblent plus convenables dans le commencement de la maladie, surtout
quand elle est accompagnée de fièvre. Il ne s'est pas servi de vomitifs,
parce qu'une grande partie des malades en avait déjà pris plusieurs fois
sans succès: les vomitifs paraissaient même avoir quelquefois empiré le
mal. Le citoyen Frank a relevé deux grands obstacles à la guérison; le
premier, c'est que les malades se lèvent fréquemment pour aller aux
latrines pendant le froid de la nuit, et sans capotes; le second, c'est
qu'ils sont astreints, sans qu'on ait pû le changer, à un régime
contraire. L'expérience prouve, selon lui, dans ce pays, qu'il faut dans
les dysenteries s'abstenir de la viande et des oeufs; qu'il est
avantageux de donner du riz simplement cuit à l'eau et un peu de pain:
on vante également, d'après des succès, la fève d'Égypte en purée,
légèrement acidulée avec le citron, les graines du sumac (_rhus
coriaria_) mêlées avec la semence de coriandre et un peu de sel. Si l'on
ne peut rien changer aux aliments des malades, il serait au moins
avantageux de leur procurer de la moutarde pour manger avec leur viande,
et quelques tasses de café pour remplacer en quelque sorte le vin, et
éviter de leur donner de l'eau-de-vie, qui est rarement de bonne
qualité. Le citoyen Frank a guéri en nivôse cinq fièvres quotidiennes,
par l'usage seul du quinquina, sans avoir recours aux vomitifs et aux
potions purgatives; il a aussi guéri quelques fièvres et une pleurésie
nerveuses, par les bols camphrés et la décoction de quinquina: il
insiste sur les inconvénients et les dangers qui résultent du défaut de
couvertures et autres moyens de se garantir des intempéries du froid.
Les citoyens Carrié et Claris, médecins de l'armée, qui, d'après un
ordre particulier du général en chef, avaient été désignés pour se
rendre à Alexandrie, écrivaient de Rosette le 5 pluviôse une lettre
arrivée le 9 du même mois au quartier-général, dans laquelle ils
rapportaient que la frayeur et la consternation régnaient à Rosette,
depuis que l'on avait appris que la garnison d'Aboukir était en
quarantaine: on redoutait que la contagion ne remontât le cours du Nil.
Le général de division Menou prévenait le général en chef, par une
lettre du 3 pluviôse, en date de Rosette, de l'usage établi en Égypte,
et qu'il regardait comme dangereux de plonger du cuivre et de dissoudre
de l'opium dans le café. Le médecin en chef, auquel cette lettre fut
renvoyée le 11, fit le même jour un rapport où, sans blâmer la
proposition d'interdire aux cafetiers un pareil usage, il détruisait les
craintes inspirées par la sollicitude d'ailleurs la plus louable, en
faisant apercevoir que les doses de ces substances étaient trop légères
pour produire les désordres infiniment graves dont on les accusait.
Une lettre des officiers de santé chargés en chef du service des
hôpitaux militaires d'Alexandrie, du 28 nivôse, mais qui ne parvint au
quartier-général que le 16 pluviôse, annonçait que les hôpitaux nº 1 et
2 continuaient à être infectés et en quarantaine de rigueur.
Un empirique vénitien qui avait séduit par ses jactances des hommes
estimables et en crédit, parvint à se faire envoyer du Kaire à
Alexandrie pour y traiter spécifiquement l'épidémie. Il se tint
soigneusement séquestré, ne rendit aucun service; et on ne pourrait
citer rien de plus honteux que sa conduite sans celle de ceux qui
s'oublièrent assez pour lui délivrer des certificats pompeux de ses
prétendus miracles.
Le 17 pluviôse, le général en chef adressa au médecin en chef le rapport
suivant, fait au général de division Kléber, par les citoyens Barbès,
médecin ordinaire de l'armée, et Millioz, chirurgien de première classe.
Damiette, le 11 pluviôse an VII.
CITOYEN GÉNÉRAL,
«À l'heure prescrite par votre lettre, en date d'hier, nous
avons fait la visite de la 2e demi-brigade d'infanterie légère,
assemblée sur la place. Le citoyen Desnoyer, chef de cette
demi-brigade, avait eu le soin de faire former sur deux rangs
chacun des trois bataillons qui la composent, de manière qu'en
les parcourant nous pouvions alternativement fixer et examiner
chaque militaire en particulier.
Nous n'ignorions pas que les bruits populaires, ainsi que les
préjugés, toute méprisable qu'est leur source commune, prennent
de l'empire, surtout lorsque la distance des lieux les favorise;
nous redoublions donc d'attention.
Notre principal objet était de juger si cette demi-brigade, dans
laquelle l'épidémie, il est vrai, n'a fait que trop de victimes,
se trouvait, ainsi qu'on le suppose, non seulement infectée au
point qu'il ne fût permis de la mettre en ligne qu'en courant des
dangers pour elle-même, mais en outre si elle était susceptible
de communiquer aux autres corps la contagion.
Et à cet égard nous avons la satisfaction de vous annoncer,
citoyen général, premièrement, que les militaires qui la
composent jouissent dans ce moment d'une santé assez vigoureuse
pour que, dans le cas où nous serions chargés de faire un
semblable examen des autres demi-brigades, nous eussions à être
aussi satisfaits de pouvoir adresser un rapport aussi favorable
que celui qui la concerne; en second lieu, que, lors même que
quelques uns de ces militaires porteraient en eux le germe de la
maladie, il ne s'ensuivrait pas moins que toutes les craintes que
l'on a voulu exciter sur l'infection imminente des autres corps
ne soient nullement fondées, puisque la contagion ne s'est
manifestée que dans l'hôpital. Lorsque les malades, dans le
principe, étaient foudroyés, ou parvenaient à ce degré où la
maladie se complique de malignité, de putridité, c'est alors
seulement qu'on a perdu des employés, grand nombre de servants,
des officiers de santé; et certes, dans ce dernier cas, la
contagion ne peut être révoquée en doute, l'habitude de ces
derniers auprès des malades étant un préservatif toutes les fois
qu'elle n'est pas portée à une extrême violence. Les militaires
de la deuxième demi-brigade principalement, de la
soixante-quinzième, de la vingt-cinquième, ainsi que tous les
autres individus quelconques, n'ont été successivement frappés
que parce qu'ils apportaient des dispositions aux maladies
muqueuses, pituiteuses, lymphatiques, n'importe lequel de ces
noms on voudra leur donner, dont le développement a été favorisé
par le séjour des troupes dans un pays où la saison automnale
s'est prolongée, où une température froide et humide a régné
complètement durant un espace de temps considérable.
D'un autre côté, nous avons noté scrupuleusement tous les
militaires dont la santé ne nous a pas paru bien affermie, soit
qu'ils eussent été d'anciens ophtalmiques, dysentériques, ou
atteints de l'épidémie: ce nombre ne s'élèvera pas aussi haut
qu'on pourrait le penser. Combien il va nous en coûter pour les
déterminer à ne pas vous suivre, c'est-à-dire à ne pas encore
cette fois partager vos lauriers!
Nous nous sommes concertés, et nous nous concerterons de nouveau
avec les officiers de santé attachés à cette demi-brigade, à
laquelle ils ont été si utiles dans cette circonstance, entre
autres le citoyen Sibilla, qui, ayant été chargé momentanément de
l'hôpital de Mansshoura, a dissipé par une conduite éclairée
l'effroi, toujours funeste, répandu par l'ignorance, peut-être
aussi par l'hypocrisie.
Nous nous résumons, citoyen général, à exposer que, dans le cas
où vous vous décideriez à faire entrer cette demi-brigade en
campagne, bien loin de lui être préjudiciable, bien loin de
devenir funeste à l'armée elle-même, elle fera cesser une maladie
dont les causes se trouvent dans le séjour qu'elle a fait dans
des lieux où l'humidité était extrême, tandis que les vêtements,
les couvertures pendant la nuit, les aliments peu fortifiants
dont elle faisait usage, ne la mettaient nullement à l'abri de
cette intempérie, de toutes la plus redoutable.
L'histoire des guerres, vous le savez mieux que nous, général,
rapporte un grand nombre de circonstances où, pour faire cesser
des épidémies qui ravageaient des armées entières, il a fallu
s'aviser de leur faire quitter leurs cantonnements, leurs camps,
leur faire exécuter des marches fatigantes, souvent même les
conduire à l'ennemi. La cessation presque subite de notre maladie
épidémique, depuis le départ pour Mansshoura de la deuxième
demi-brigade d'infanterie légère, et son retour successif à
Damiette, confirment déjà le succès de cette pratique.»
Salut et respect,
_Signé_ BARBÈS et MILLIOZ.
Peu de jours après l'envoi de ce rapport, dont j'approuvai la
conclusion, je suivis le quartier-général, qui partit pour la Syrie; et
il est bon d'observer, sans s'astreindre à l'ordre des temps, que la
deuxième demi-brigade d'infanterie légère n'eut presque pas de malades
pendant l'expédition, dont elle essuya toutes les fatigues comme elle
partagea la gloire des mémorables combats de Nazareth, de Cana, et de la
bataille du mont Thabor.
Avant d'entrer dans l'histoire de l'expédition de Syrie il faut
rapprocher un fait qui a de l'analogie avec celui qui vient d'être
rapporté. La légion nautique reçut ordre, au commencement de germinal,
de se porter d'Aboukir à Rosette. Arrivée dans cette place, elle envoya
pendant plusieurs jours de suite dans les hôpitaux dix à douze hommes
attaqués de l'épidémie. Ceux qui semaient leurs terreurs à Alexandrie et
à Damiette, les semèrent encore à Rosette. Heureusement pour ce corps,
devenu une sorte d'objet d'horreur, qu'il reçut l'ordre de se rendre à
Damenhour en passant par Alexandrie; il partit par un vent affreux, et
fut forcé de tourner le lac Madiéh, parce que le passage par lequel il
communique à la mer n'était pas praticable. Ces troupes essuyèrent une
pluie abondante et continue, et elles bivouacquèrent dans la fange.
Cependant personne ne tomba malade en route. Un seul homme entra à
l'hôpital d'Alexandrie trois jours après son arrivée dans cette place.
La légion se rendit enfin à Damenhour, où elle a joui d'une parfaite
santé. Ces détails m'ont été fournis par l'adjudant-général Martinet,
officier distingué par sa bravoure, chéri pour sa cordialité, et enlevé
l'an IX par une mort honorable dans une malheureuse journée.
Les forces destinées à l'expédition de Syrie l'an VII, étaient de quinze
mille hommes, dont douze mille neuf cents quarante-cinq portant les
armes, d'après les rapports faits par le chef de l'état-major-général au
gouvernement.
La division Reynier, partie de Ssalehhyéh, était le 16 pluviôse à
Catiéh, et arriva devant êl-A'rich le 21.
Les autres divisions la suivirent en faisant les mêmes marches
déterminées par les lieux où l'on trouve de l'eau potable.
Le général en chef, accompagné de son état-major, partit du Kaire le 22
du même mois, et vint coucher à Belbéis en passant par êl-Mattaryéb,
Berkét-êl-Hadj, êl-Khanqah, êl-Ménayéh et Retéh. La distance du Kaire à
Belbéis est de quatorze heures de marche. On côtoie le désert, qui se
trouve à la droite; le terrain est ferme et souvent parsemé de
cailloux.[8]
[Note 8: Le journal entier des marches, l'indication des lieux
où il se trouve de l'eau, et plusieurs remarques sur la nature
des terrains parcourus, sont relevés sur la belle carte de la
campagne de Syrie, dressée par le citoyen Jacotin, directeur
des ingénieurs-géographes de l'armée.]
Le 23, le général en chef partit de Belbéis, et alla coucher à Qorayn,
en passant par le village d'Asouah et le Cheik-êl-Naser. La distance est
de sept heures de marche, et la route est en partie sablonneuse. Après
avoir traversé jusques à Asouah un pays beau et bien cultivé, on marcha
dans le désert jusqu'à Qorayn.
Le 24, il partit de Qorayn pour se rendre à Ssalehhyéh, en passant près
d'un santon dans le désert, et d'une tour, à côté de laquelle on trouve
de l'eau, ensuite le bois de Ssalehhyéh. Il y a neuf heures de marche;
le chemin est très bon jusqu'à la tour, où il est très mouvant; il
devient marécageux et difficile après l'inondation. Le désert est moins
nu qu'aux environs de Belbéis.[9]
[Note 9: Voyez sur cet itinéraire:
1º Description de la route du Kaire à Ssalehhyéh par le chef
de brigade Shulkouski, _Mémoires sur l'Égypte_ Ier volume.
2º Notice sur la topographie physique et médicale de
Belbéis, par le citoyen Vautier, médecin de l'armée.
3º Notice sur la topographie physique et médicale de
Ssalehhyéh, par le citoyen Savaresi, médecin de l'armée,
insérée ainsi que la précédente, dans la seconde partie de
ce recueil.]
Le 25 au matin, le général en chef continua sa route en se rendant au
pont dit Kantara-êl-Kesnéh. Il y a neuf heures de marche. D'abord on
traverse le champ de bataille du 24 thermidor an VI; on trouve ensuite
des palmiers et de l'eau. La route pendant deux heures et demie est dans
un sable mouvant, puis elle est bien tracée jusqu'au pont, où l'on passe
l'eau à gué. On voit à la gauche le lac Menzaléh,[10] à la droite un
immense désert: un quart de lieue en avant du pont on trouve de l'eau en
creusant un peu la terre; au-delà il y a deux citernes.
[Note 10: Voyez le mémoire sur le lac Menzaléh, publié par le
général Andréossy, _Mémoires sur l'Égypte_ Ier volume.]
De ce pont brisé par les Mameloukes jusqu'à Cathiéh il y a treize heures
de marche. On passe l'eau trois autres fois; le chemin était très
humide et très fangeux aux environs des mares d'eau, qui avaient trois
pieds et demi de plus grande profondeur. Il y a un bon chemin depuis la
dernière rencontre de l'eau jusques aux palmiers de Bir-êl-Duedar, où on
trouve deux citernes; on marche ensuite sur des sables mobiles jusqu'à
Cathiéh, lieu remarquable, au milieu des déserts, par un beau bois de
dattiers, des puits, et une bonne citerne, dans une enceinte retranchée
par nos troupes, et couverte de palissades.
Arrivé à Cathiéh le 26, je ne suivis point, d'après un ordre, le
quartier-général, qui était le 27 au soir aux puits dits Bir-êl-Ab. De
Cathiéh à cette station il y a huit heures de marche. On trouve des
sables mouvants et formant des monticules[11]. Quoique la végétation
soit extrêmement faible, on rencontre plus ou moins répandue une espèce
de petite oseille qui rafraîchit agréablement la bouche, et servit
souvent dans nos marches à calmer le tourment aigu de la soif.
[Note 11: Voyez Mémoire sur les sables du désert, par le
citoyen Costaz, Mémoires sur l'Égypte, IIe volume.]
De Bir-êl-Ab, où l'on trouve deux puits d'eau médiocrement bonne et en
petite quantité, jusques aux puits de Messoudiat, dont l'eau est
abondante et excellente, il y a vingt heures de marche. Le chemin
présente d'abord des sables mouvants, puis une plaine ferme, et couverte
de coquillages; il devient difficile en approchant le rivage, dont les
sables sont très mouvants, ensuite il se raffermit jusqu'à Messoudiat:
cette journée offre les plus grandes fatigues.
De Messoudiat à êl-A'rich il y a quatre heures de marche. On s'avance le
long du rivage sur un terrain assez ferme jusques à un santon, puis on
entre dans les sables en obliquant sur la droite. Le quartier-général
était le 29 à êl-A'rich, où se réunirent en même temps les divisions
commandées par les généraux Bon et Lasnes, et le parc d'artillerie de
l'expédition.
Le général Reynier avait déjà investi et attaqué cette place, et dans la
nuit du 26 au 27 il avait emporté le camp des Mamelouks, établi à une
demi-lieue d'êl-A'rich sur un plateau couvert par un ravin très escarpé.
Le général en chef ayant poursuivi le siège avec vivacité, le 30, il
s'engagea une négociation, et la garnison capitula le 2 ventôse.
Pendant mon séjour à Cathiéh je fis brûler quatre ballots d'effets,
provenant des hôpitaux de Damiette, et contenant cinquante paillasses,
cinquante traversins, et cinquante mauvaises couvertures de laine; et je
fis traîner à une certaine distance du fort et enfouir les cadavres de
plusieurs chameaux qui répandaient une grande infection. Environ trente
malades, qui restèrent à l'ambulance, étaient accablés de fatigue, et
presque tous attaqués d'inflammations de poitrine ou de dysenteries.
À êl-A'rich je convins avec le commandant que les blessés et les
fiévreux, au nombre de plus de deux cents cinquante resteraient sous la
tente, et à l'extérieur du fort jusques à ce que l'on eût complètement
enlevé tous les cadavres, et déblayé les fumiers.
Le 4 ventôse, la division Kléber partit pour Kan-Iounes; le
quartier-général partit le lendemain. La division s'égara, et souffrit
prodigieusement, car elle marcha quarante-huit heures sans trouver de
l'eau.
D'êl-A'rich à Kan-Iounes, en suivant la route la plus directe, il y a
quinze bonnes heures de marche. On trouve d'abord le Cheikh-Zoé, les
colonnes, et ensuite le grand et beau puits de Reffa.
Les divisions Bon et Lasnes, égarées sur les traces de la division
Kléber, se réunirent toutes au santon, où elles épuisèrent toute l'eau.
On avait bien trouvé quelques citernes sur la route, mais les Arabes les
avaient comblées.
Le 6, le quartier-général et l'armée, après une traversée de soixante
lieues de désert, arrivèrent à Kan-Iounes. L'aspect de ce premier
village de la Palestine nous fut extrêmement agréable. On remarque un
beau château, et les jardins offrent une culture précieuse au sortir des
sables stériles. C'est le signe de démarcation de l'Afrique. Le climat,
la végétation, le gibier, tout annonce l'Asie, et se rapproche de notre
Europe.
L'armée partit le 7 de Kan-Iounes pour se rendre à Gaza, qui ouvrit ses
portes. Il y a sept heures de marche, et la route est bonne excepté dans
deux points, où il fallut traverser des torrents formés par des pluies
très abondantes.
Gaza, si célèbre dans l'histoire, est située en partie sur un plateau et
en partie en plaine, au centre d'un vaste bassin couvert de forêts de
beaux oliviers; son aspect est gracieux et varié, et le château
circulaire, flanqué de quatre tours, offre une belle masse qui couronne
avantageusement cette ville.
L'armée séjourna à Gaza le 8 et le 9; on y forma divers établissements,
et entre autres un hôpital que des évacuations d'êl-A'rich, les pluies,
et la fatigue remplirent bientôt de malades.
Les vents d'ouest qui soufflaient alors régulièrement produisaient des
ouragans affreux, qui ajoutaient singulièrement aux fatigues des marches
et des opérations militaires.
L'armée partit le 10 pour Jaffa. Il y a environ vingt-quatre heures de
marche. Le 11, on arriva à Ezdod, et le 12 à Ramléh. La pluie avait
rendu les chemins presque impraticables, et il fallut passer à gué
beaucoup de ruisseaux.
Ramléh, l'ancienne Arymathie, est une petite ville assez bien bâtie dans
un bassin entouré d'oliviers. Nous y trouvâmes deux ou trois monastères
de catholiques, et nous formâmes un hôpital dans le plus vaste et le
plus commode, qui se trouvait encore trop resserré et mal aéré: cet
établissement fut bientôt rempli de malades.
Le 13, l'avant-garde était devant Jaffa; le 14, on en fait la
reconnaissance; dans la nuit du 14 au 15 la tranchée est ouverte; on
perfectionne les travaux le 15 et le 16. La place est emportée d'assaut
le 17, et la garnison passée au fil de l'épée présenta l'une de ces
scènes d'horreur que justifient les lois nécessaires et terribles de la
guerre.
Le chef de brigade Darmagnac, commandant la trente-deuxième de ligne,
remit le 15 au général en chef un rapport du citoyen S. Ours, chirurgien
de première classe, attaché à ce corps; en voici le résumé:
Au camp devant Jaffa, le 15 ventôse an VII.
«Hier soir je fus appelé pour voir Roubion, grenadier du second
bataillon; je le trouvai sans vie; le tronc et les extrémités
supérieures étaient couverts de taches livides; il avait une
tumeur molle sous l'aisselle droite.
Ce citoyen était indisposé depuis trois jours; il avait perdu
l'appétit, respirait difficilement, éprouvait un sentiment de
pesanteur dans les lombes, et de l'élancement dans l'aisselle
droite; il avait eu de la fièvre dans la nuit du 13, et s'était
couvert de pétéchies une demi-heure avant sa mort.
Il avait fait usage pendant sa maladie d'une boisson acidulée, et
mis un cataplasme émollient sur l'engorgement glanduleux qui
s'annonçait.
Deux heures après sa mort constatée il fut ouvert: les glandes
axillaires étaient engorgées considérablement; l'estomac était
farci d'oignons encore verts.
Je viens d'être appelé pour un soldat de la dix-huitième
demi-brigade, que j'ai trouvé expirant près de la tente de notre
général divisionnaire Bon. À l'existence de la tumeur près, la
maladie de ce militaire a présenté les mêmes phénomènes que celle
de Roubion.
On m'appelle encore pour un soldat du troisième bataillon attaqué
de la même maladie; mais les taches ont paru plutôt.
Je soupçonne des fièvres pestilentielles, en redoutant cependant
d'être l'écho d'une terreur qui pourrait être funeste...
Le général en chef auquel vous vous proposez de remettre ce
rapport sera facilement et beaucoup mieux éclairé...
En attendant je propose de brûler la baraque qui a été habitée
par les décédés, de s'emparer de leurs hardes pour les
séquestrer, de tenir à l'écart ceux qui les ont approchés, et
d'éloigner nos fiévreux du camp.»
Le citoyen Auriol, médecin de l'armée chargé de l'ambulance établie au
village d'Yassour, fit au général en chef, le 18, et d'après ses ordres,
un rapport dans lequel il lui exposa le tableau de la maladie tel qu'il
est tracé ci-dessus. Il se plaignait de ce que la position des malades,
couchés presque en plein air sous le portique d'une mosquée, ne lui
permettait pas d'espérer du succès des remèdes toniques, qui, réunis aux
antiseptiques, constituaient son traitement; il réclamait un abri, des
couvertures, des médicaments, des soins administratifs; enfin il
annonçait avec méfiance le développement d'une maladie contagieuse.
Je reçus le même jour au camp de Ramléh l'ordre de me rendre promptement
au quartier-général, où j'arrivai le soir même.
Le 19, au matin, l'évacuation de l'ambulance d'Yassour sur l'hôpital
sédentaire établi à Jaffa fut ordonnée et exécutée.
_Mouvement des fiévreux à l'ambulance d'Yassour, du 16 au 19 ventôse
an VII._
Entrés le 16 9
_Ibidem_ le 17 22
------
31
======
Morts le 16 3
_Ibidem_ le 17 5
_Ibidem_ du 18 au 19 6
------
14
------
NOMBRE DES RESTANTS 17
======
Le 20, l'hôpital s'organisait mal et très lentement; cependant on sépara
très à propos les blessés et les fiévreux en les plaçant dans deux
couvents différents. Il se trouva parmi les premiers comme parmi les
derniers des hommes attaqués de l'épidémie; les charbons vinrent se
joindre aux symptômes déjà énumérés.
Le général Bon proposa au général en chef de nourrir exclusivement sa
division et l'armée avec du riz. Je n'approuvai point cette proposition,
qui fut rejetée; d'ailleurs je reconnus que le peu de viande que nous
avions, et que l'on regardait comme suspecte, était de bonne qualité.
Le même général se trouvait campé avec sa division sur le bord d'un
marais: il demanda à changer de position, et en la quittant il brûla ses
baraques. Je me rendis le même soir près de lui; et les généraux, les
chefs de corps, et plusieurs officiers de différents grades m'ayant
environné, je leur parlai de manière à rassurer des hommes qui
quoiqu'habitués à braver journellement la mort dans les combats ne
l'attendent pas d'ordinaire dans leurs lits avec plus d'indifférence que
les autres.
Le 21, le général en chef, suivi de son état-major, vint visiter les
hôpitaux. Un moment avant son départ du camp le bruit s'était répandu
jusque dans sa tente que plusieurs militaires étaient tombés morts en se
promenant sur le quai: le fait est simplement que des infirmiers turcs,
chargés de jeter à la mer des hommes morts dans la nuit à l'hôpital,
s'étaient contentés de les déposer devant la porte de cet établissement.
Le général parcourut les deux hôpitaux, parla à presque tous les
militaires, et s'occupa plus d'une heure et demie de tous les détails
d'une bonne et prompte organisation; se trouvant dans une chambre
étroite et très encombrée, il aida à soulever le cadavre hideux d'un
soldat dont les habits en lambeaux étaient souillés par l'ouverture
d'un bubon abcédé. Après avoir essayé sans affectation de reconduire le
général en chef vers la porte, je lui fis entendre qu'un plus long
séjour devenait beaucoup plus qu'inutile. Cette conduite n'a pas empêché
que l'on ait souvent murmuré dans l'armée sur ce que je ne m'étais pas
opposé plus formellement à la visite si prolongée du général en chef:
ceux-là le connaissent bien peu qui croient qu'il est des moyens faciles
pour changer ses résolutions ou l'intimider par quelques dangers.
Je reçus le même jour une lettre du citoyen Boussenard, chirurgien de
première classe, chargé du service de la division Reynier et de
l'hôpital de Ramléh, qui m'annonçait qu'il venait de paraître dans la
division, et plus particulièrement dans la neuvième demi-brigade de
ligne, une maladie, dont les symptômes étaient une grande douleur de
tête, lassitude extrême, sécrétions éteintes, la langue enduite d'un
limon jaunâtre, envie de vomir, une tumeur dans les aines ou sous les
aisselles, souvent le délire. Cet officier de santé ajoutait qu'il
donnait d'abord des vomitifs, qu'il entretenait ensuite la liberté du
ventre avec la décoction de tamarins, qu'il donnait du café et du
quinquina mêlés ensemble, du camphre à haute dose; il se plaignait
d'être mal secondé, et finissait par me demander quelques avis.
Comme les accidents se multipliaient devant Jaffa, et enlevaient les
malades du cinquième au sixième jour, et souvent plus rapidement, je ne
pus méconnaître le danger de notre position. Cependant, comme j'espérais
beaucoup du progrès de la belle saison dans laquelle nous entrions, de
la diversion des marches, des meilleurs campements, de l'abondance et de
la qualité des vivres, et que je n'étais pas du tout convaincu de la
communication très facile de la maladie, sur laquelle on se livrait à
toutes les exagérations de la frayeur, je pris un parti. Sachant combien
le prestige des dénominations influe souvent vicieusement sur les têtes
humaines, je me refusai à jamais prononcer le mot de _peste_. Je crus
devoir dans cette circonstance traiter l'armée entière comme un malade
qu'il est presque toujours inutile et souvent fort dangereux d'éclairer
sur sa maladie quand elle est très critique. Je communiquai cette
détermination au chef de l'état-major-général, qui, indépendamment de
l'attachement particulier dont il m'honorait, me sembla devoir être par
sa place le dépositaire des motifs politiques qui dirigeaient ma
conduite.
Presque immédiatement après la prise de Jaffa, Mustapha Hadji de
Constantinople, envoyé pour prendre soin des blessés de la garnison, fut
arrêté à la hauteur du port. Le général en chef, occupé au moment où on
lui présenta ce Turc, me l'envoya; je partageai ma tente avec lui. Le
soir du même jour le général nous fit appeler ensemble: il questionna
Mustapha sur ce qui se passait à Acre d'où il venait, sur les maladies
qui pouvaient y régner, et sur leurs causes. Ce Turc donna des
renseignements très vagues sur le premier objet, et déraisonna si
ridiculement et si longuement sur le reste que le général, qui
s'endormait, reporta la conversation sur Constantinople, et obtint des
réponses curieuses et satisfaisantes. Lorsque l'on battit la générale le
24 à la pointe du jour pour lever le camp, j'allai prendre les ordres du
général en chef, et lui demandai ce qu'il voulait que je fisse de
Mustapha; il me permit de le recommander à l'adjudant-général Grezieux,
commandant de Jaffa, pour qu'il fût traité dans cette place avec égards
jusqu'à son échange. Mustapha montra de la reconnaissance pour la
générosité des Français à son égard; il offrit de pratiquer dans les
hôpitaux des pestiférés des opérations réputées et en effet dangereuses;
et, quoique repoussé même violemment par un opérateur chrétien dont il
sera parlé ailleurs, il se présenta à plusieurs reprises. Ce malheureux,
après avoir vu mourir de la peste le commandant, son protecteur,
subsista jusqu'à notre retour, au commencement de prairial, du métier de
barbier; ses instruments et ses emplâtres, dont il était très satisfait,
appartenaient, pour les classer dans l'histoire de l'art, tout au plus
à la fin du seizième siècle. On pourra procurer aux Turcs, et il est
très probable qu'ils ont déjà des instruments plus perfectionnés; mais
quand sauront-ils ce qu'il faut pour ne s'en servir jamais qu'utilement?
De Jaffa à Acre il y a vingt-trois à vingt-quatre lieues, et environ
trente heures de marche.
Le quartier-général était le 24 au soir au Miski; le 25, à la tour de
Zéta; le 26, près le village d'Haniéh; le 27, sur le bord du Keïsson; le
28, nous bivouaquâmes sur la hauteur de Decouéh, en face d'Acre.
D'abord de Jaffa au Miski il y a sept heures de marche: le pays est
cultivé; on trouve un marais difficile à passer; la Houja présente un
gué, mais peu profond; les forêts qui sont sur la route sont formées de
chênes tortueux (_quercus ilex_).
Du Miski à la tour de Zéta il y a six heures de marche; le chemin est
bon pendant une lieue et demie: arrivé à la plaine, on trouve un terrain
difficile et fangeux, ensuite le village de Cacoun, bâti sur une hauteur
qui domine une vaste plaine, bornée à l'est par les montagnes de
Naplouse.
De Zéta au village d'Haniéh, près duquel l'armée campa, il y a plus de
quatre heures de marche; les chemins sont très mauvais jusqu'à une
fontaine; la plaine cesse, on entre dans un pays montagneux couvert de
bois, et que l'on regarde comme faisant partie de la chaîne du mont
Carmel: les chemins sont difficiles, cependant praticables.
D'Haniéh à la rivière de Keïsson, en face du village d'Arthye, il y a
plus de cinq heures de marche: on quitte les bois; au bout de deux
heures on découvre le mont Thabor, la vaste plaine d'Esdrelon; enfin,
après avoir traversé quelques vallées qui offrent peu de difficultés, on
arrive au bord du Keïsson; la chaîne du mont Carmel, qui borde ce petit
fleuve, est presque taillée à pic; le chemin est très resserré, et offre
des passages difficiles dans l'hiver et dans les temps pluvieux.
D'Arthye à Découéh il y a six bonnes heures de marche. L'armée passa le
Keïsson à gué dans l'endroit où les montagnes de droite s'écartent pour
dessiner avec le Carmel l'immense bassin d'Acre. Ce passage fut pénible,
la rivière avait deux pieds et demi à trois pieds de profondeur; on
côtoya le plus possible les hauteurs pour éviter les mauvais chemins: le
temps était très humide et très brumeux, et l'on sait combien cet état
de l'atmosphère énerve les forces; enfin on parvint à traverser les
marais qui entourent les moulins de Cherdan.
De Découéh à Acre il n'y a plus que deux heures de marche, et le chemin
est assez bon jusqu'à un marais formé par la rivière d'Acre, dont
l'embouchure est à environ quinze cents toises de la place: c'est là
qu'on jeta un pont pour le passage de l'armée, et que l'on plaça
l'hôpital ambulant dans les étables de Djezzâr pacha, seules
constructions dont on pût disposer pour ce service.
Le 29, on reconnut la place, et le 30 on ouvrit la tranchée.
Quelques hommes du parc d'artillerie étant tombés malades en route et
sous mes yeux, je reconnus la maladie observée à Jaffa, et je fis mettre
à l'ordre du jour l'avis suivant (nº 190 de ma correspondance):
Au quartier-général devant Acre, le 30 ventôse an VII.
«L'armée est prévenue qu'il est avantageux pour sa santé de se
laver fréquemment les pieds et les mains ainsi que la face avec
de l'eau fraîche, et préférable de les laver avec de l'eau tiède,
dans laquelle on met quelques gouttes de vinaigre ou
d'eau-de-vie.
Il faut éviter quand on a chaud de boire une trop grande quantité
d'eau, et il est très prudent d'avoir toujours l'attention de se
rincer la bouche auparavant, et de tremper ses mains dans l'eau.
L'armée doit rejeter avec soupçon les vêtements et le linge des
Turcs, parce que ceux qui les ont portés sont mal-propres, et
souvent malades sans prendre aucun soin raisonné de leur santé.
Les fièvres malignes, qui se développent, et qui effraient
beaucoup trop, demandent que l'on rétablisse la transpiration
arrêtée; on le fait par les ablutions ou lavages tièdes indiqués
ci-dessus, par l'administration d'un vomitif, surtout quand il y
a, comme presque toujours, disposition à vomir, et en soutenant
tout de suite la moiteur et les forces par une boisson, composée
d'une décoction de café et de quinquina, aromatisée avec le
citron. Il faut mettre sur les bubons des cataplasmes émollients:
il ne faut pas tenter de les résoudre, c'est la crise de la
maladie. Quand ces tumeurs sont à maturité on doit les ouvrir
avec le bistouri. Pour les charbons, il faut les brûler en les
circonscrivant avec la pierre infernale ou avec un fer chaud.»
Le 3 germinal, j'adressai au chef de l'état-major-général la note
suivante (nº 191 de ma correspondance).
Au quartier-général devant Acre, le 3 germinal an VII
«Général, il est utile pour maintenir la santé de l'armée de
faire soigneusement enfouir les débris d'animaux qui sont, malgré
vos ordres, à la proximité du camp; il est également utile de
faire journellement couvrir de terre les fosses d'aisances, et de
les renouveler souvent.»
J'allais monter à cheval le même jour pour me rendre à Cheif-Amrs, et
déterminer s'il serait possible d'y établir un hôpital, lorsque je
reçus une lettre, écrite de Gaza le 24 ventôse par le citoyen Bruant,
auquel j'avais permis de réunir à ses fonctions celles d'agent national,
qui pouvaient le mettre à portée de procurer à son établissement tout ce
qui lui serait nécessaire.
Cette lettre m'annonçait l'envoi du rapport suivant; elle contenait en
outre une note étendue pour servir de développement au rapport. Ces
pièces étaient suivies du mouvement de l'hôpital de Gaza du 19 au 24
ventôse.
* * * * *
_RAPPORT adressé au chef de bataillon du génie_ TOUZARD, _commandant des
province et ville de Gaza, par les officiers de santé en chef de
l'hôpital militaire de la place._
Gaza, le 21 ventôse an VII.
Vous nous avez invité, citoyen commandant, à prendre des
informations sur la mortalité qui afflige les habitants de la
contrée. Les recherches que nous avons faites à ce sujet nous ont
fourni les résultats suivants:
Depuis la retraite des Mamelouks de l'Égypte et leur séjour à
Gaza il a régné dans cette ville une maladie épidémique, qui a
enlevé un grand nombre d'individus; plusieurs Mamelouks en ont
été les victimes, et les ravages qu'elle a faits parmi le peuple
n'ont fait qu'augmenter jusqu'à ce jour.
On l'attribue généralement dans le pays aux exhalaisons
pernicieuses qui se sont élevées pendant l'été des cadavres en
putréfaction des animaux de toute espèce, dont la mortalité a été
assez considérable à cette époque pour nous faire croire qu'une
maladie épizootique a précédé l'épidémie.
Les circonstances sous lesquelles elle se présente sont
à-peu-près celles-ci:
Elle attaque principalement les enfants et les femmes.
L'invasion s'annonce par un léger frisson, suivi de chaleur et
d'abattement extrême; le malade tombe bientôt après dans un état
de stupeur et d'anéantissement presque total; le troisième jour
il se déclare des bubons, dont le siège est le plus ordinairement
dans les parotides; à-peu-près dans le même temps la peau se
couvre de pétéchies.
Cet état est le même durant tout le cours de la maladie; lorsque
sa terminaison est funeste, elle a lieu depuis le troisième
jusqu'au huitième jour de la maladie: passé ce terme on conçoit
les plus grandes espérances pour le salut du malade.
Le nombre des personnes qui meurent journellement de cette
maladie se monte depuis cinq jusqu'à dix, et même douze; peu de
quartiers de la ville en sont exempts; les Arabes des lieux
voisins en éprouvent eux-mêmes les atteintes: le village situé
au-dessous du fort paraît néanmoins souffrir le plus de ses
ravages.
Ces faits, et tous ceux que nous avons pu recueillir à leur
appui, ne nous permettent pas de douter de l'existence d'une
maladie contagieuse vraiment maligne et pestilentielle.
Jusqu'ici elle ne s'est manifestée sur aucun des malades que nous
avons reçus dans notre hôpital, à l'exception d'un seul, qui en
offre maintenant de légers soupçons, et que nous avons fait
isoler sur-le-champ. Nous attribuons ce phénomène à la
circonstance singulière dont nous avons fait mention dans
l'histoire de cette maladie, qui, comme on l'a vu, attaque
presque exclusivement les femmes et les enfants.
Mais comme cette circonstance n'est qu'accidentelle, et qu'elle
peut changer d'un moment à l'autre, nous ne croyons pas qu'elle
puisse s'opposer à ce qu'on prenne les précautions générales
usitées dans les cas semblables.
Ces précautions nous paraissent devoir consister:
1º À surveiller exactement le commerce que la garnison est
obligée d'entretenir avec les habitants, et à ne permettre,
autant que possible, les communications qu'avec les lieux les
moins soupçonnés de la contagion.
2º À entretenir la plus grande propreté dans les casernes et
autres lieux où logent les troupes, et à faire enlever avec soin
les cadavres et autres substances putréfiées qui se trouvent dans
la ville et au dehors.
3º À empêcher que les troupes et les convois qui viennent du
dehors communiquent avec la garnison et la ville.
4º Enfin à mettre dans le plus bref délai à la disposition des
officiers de santé un local dont ils puissent se servir suivant
l'exigence des cas.
Nous espérons, citoyen commandant, que les renseignements que
nous allons continuer de prendre nous mettront à même de nous
assurer de ce qu'on pourrait retrancher ou ajouter aux articles
ci-dessus mentionnés.
_Signés_ J. B. BRUANT, et DEWEVRE.
_NOTE additionnelle au rapport du 21, adressée au médecin en chef._
Gaza, le 24 ventôse an VII.
Comme on avait répandu l'alarme, il a fallu faire un rapport
mesuré, et aussi rassurant que possible, en indiquant pourtant
soigneusement les moyens préservatifs.
Tous les faits que j'ai pu recueillir jusqu'à présent paraissent
prouver l'existence d'une maladie pestilentielle. L'avis des
hommes sensés de ce pays est que nous avons positivement la
peste, et je ne suis plus éloigné de partager leur opinion; ils
ajoutent que ce fléau n'avait pas paru dans leur contrée depuis
quarante ans. Les bubons, il est vrai, ne paraissent guère qu'aux
parotides; mais c'est parce que les malades sont presque tous en
bas âge: circonstance, qui, bien que remarquable, ne change rien
à la maladie. D'ailleurs deux militaires viennent d'entrer dans
l'hôpital avec une prostration des forces plus absolue que dans
les affections du caractère le plus malin, dépravation ou absence
totale des forces intellectuelles, pétéchies, et bubons dans les
aines.
Le malade, dont il est question dans le rapport, est un
pharmacien de troisième classe; il est au sixième jour de sa
maladie, et donne peu d'espoir de guérison; il a conservé l'usage
de sa tête; les bubons ont paru dans les deux aines le troisième
jour de l'invasion: je ne lui ai pas découvert de pétéchies; le
quatrième jour il a eu des faiblesses fréquentes, les traits de
la figure se sont altérés, son état a été de plus en plus
critique.
Le premier jour de l'invasion, je donnai au malade un vomitif en
lavage, je le mis à l'usage des sudorifiques pour tâcher de
porter à la peau; ce moyen n'ayant pas réussi, je me suis borné
à tenir les émonctoires libres, et surtout à soutenir les forces
en employant des fortifiants énergiques; c'est dans ces vues que
j'ai fait successivement appliquer les vésicatoires aux jambes,
puis aux bras; mais sans beaucoup de succès.
Je vous envoie le mouvement de l'hôpital depuis sa formation
jusqu'à ce jour.
Les maladies régnantes ont été jusqu'ici de nature catarrhale;
plusieurs n'ont été attaqués que d'un rhume simple, d'autres, de
pneumonie catarrhale. Les boissons chaudes, adoucissantes, les
vésicatoires sur la partie, et les expectorants un peu forts vers
la fin de la maladie ont été les remèdes le plus généralement
employés. J'ai perdu quelques malades attaqués de dysenteries
anciennes, et que les fatigues d'une longue route, et l'humidité,
avaient réduits à la dernière extrémité: les signes les plus
certains de la mort chez ces malades étaient le hoquet, la
noirceur et la sécheresse de la langue, et un sentiment de
resserrement au creux de l'estomac: dans cet état le camphre mêlé
dans toutes leurs boissons était le seul remède qui leur procurât
du soulagement. Deux malades sont morts de fièvres bilieuses
putrides: parmi ceux qui sont morts ou blessés il s'est présenté
un troisième cas de cette espèce; le malade a été attaqué deux
jours avant de mourir d'une érysipèle qui occupait presque toute
l'étendue des cuisses.
Le nombre des fiévreux ne va pas au-delà de trente.
Nous sommes à la veille de manquer de médicaments essentiels;
nous n'avons plus de cantharides.
J'aurai le plus grand soin de vous instruire de tout ce qui
pourra survenir d'intéressant dans mon service.
_Signé_ J. B. BRUANT.
_Mouvement de l'hôpital militaire de Gaza du 19 au 24 ventôse an VII._
Entrés 170
Sortis 70
Morts 12
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NOMBRE DES RESTANTS 88
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Cheif-Amrs est un beau village, sur une hauteur bien exposée, entourée
et couverte de végétation, avec de bonnes eaux, au sud-est et à trois
lieues de distance d'Acre. Nous y trouvâmes un vaste palais, bâti par le
cheikh Daher, et réunissant à la hardiesse et la grandiose qui
caractérisent l'architecture arabe la solidité d'une forteresse. C'est
cet édifice, capable de recevoir six cents malades, que nous choisîmes
pour y établir notre hôpital, sur lequel on évacua journellement
l'ambulance d'Acre.
De retour de Cheif-Amrs je continuai le service de l'ambulance devant
Acre, où je visitais les malades deux fois par jour.
Le 6, je reçus une lettre du 3, écrite de Jaffa par le citoyen S.-Ours,
requis pour le service médical de cette place. Voici l'extrait de cette
lettre:
Le citoyen Auriol vient de tomber malade.
Le relevé des cahiers de visite du 19 ventôse au 1er germinal donne pour
résultats:
Malades existants le 19 ventôse au soir 80
Entrés du 19 ventôse au 1er germinal 266
Sortis du 19 ventôse au 1er germinal 128
Morts du 19 ventôse au 1er germinal 87
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RESTANTS le 1er germinal au matin 131
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Il est entré dans les premiers jours plus de deux cents malades. Les
cinq derniers jours nous en avons reçu environ cent, compris
l'évacuation de Ramléh.
Sur les trois cent quarante-six malades que nous avons eu à traiter,
deux cents ont été attaqués de fièvre avec engorgement des glandes
jugulaires, parotides, et surtout des axillaires et des inguinales, et
souvent des anthrax aux régions scapulaires, pectorales, et lombaires.
Les excitants, les acides, et les corroborants de toute espèce, joints à
un régime analeptique, prescrit d'une manière convenable à l'état
fébrile, et à celui des premières voies, peuvent seuls donner d'heureux
résultats.
Les acides minéraux manquent, et nous ne pouvons prescrire le camphre
qu'avec parcimonie: nous n'avons plus de quinquina en poudre, quoique ce
soit sous cette forme qu'il soit le plus avantageux de l'administrer;
nous avons beaucoup insisté sur la décoction de café.
Nous avons renoncé à l'application du feu dans les bubons, et nous
préférons les incisions.
L'épidémie régnante nous a paru curable aux trois quarts: l'art en
sauverait davantage si nous réunissions plus de soins administratifs,
chirurgicaux, et pharmaceutiques.
Nous venons de perdre un chirurgien, et un pharmacien; deux autres
pharmaciens sont attaqués de l'épidémie.
J'ai proposé et fait approuver par les autorités de la place la
formation d'un troisième hôpital, consacré aux fiévreux exempts de
l'épidémie, et qui sont presque tous affectés de diarrhées et de
dysenteries.
Les habitants de Jaffa ont fort peu de malades.
Je reçus le 12 une nouvelle lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le
9.
Elle m'apprenait d'abord la mort du citoyen Auriol, et me donnait
l'histoire de la maladie de ce jeune médecin, pour lequel j'avais de
l'amitié, et dont le caractère ardent, les dispositions cultivées, et
les talents bien dirigés auraient pu former un homme très utile à la
société.
Sa maladie, qui avait débuté par des nausées, ne fut caractérisée que le
troisième jour par l'apparition d'un bubon sous l'aisselle droite; le
quatrième jour la fièvre augmenta vers le soir, et il parut des
pétéchies; le cinquième jour au matin adynamie totale, propagation des
taches: maître de sa raison, Auriol pronostiqua avec sang-froid l'heure
de sa mort, qui arriva effectivement à onze heures du matin.
Le traitement ordonné par le malade lui-même avait consisté dans l'usage
abondant des sudorifiques, des acides végétaux, et du quinquina.
Les deux pharmaciens dont il est parlé dans la lettre du 3 sont morts.
Quatre blessés, attaqués de l'épidémie, viennent d'être évacués sur
l'hôpital des fiévreux.
Deux infirmiers-majors des blessés ont eu la maladie, mais si bénigne
qu'à peine ont-ils été alités. Un servant français est mort, et un autre
est guéri. Sur vingt servants du pays deux seuls jusqu'ici ont été
malades; l'un est mort dans trois jours, et l'autre guérit.
Le troisième hôpital n'est point encore établi.
De cent vingt-huit malades existants à la visite du 9 au matin, plus de
soixante sont entièrement hors de danger; ils ont un appétit extrême, et
ils rentreraient dans l'armée active, sans la plaie de leurs bubons qui
exige un pansement suivi.
On a trouvé à Jaffa un homme du pays qui nous rend beaucoup de services,
par cela seul qu'il ne redoute pas la maladie; c'est un chrétien très
exercé dans ce genre, et qui est aussi fataliste que les musulmans; il
fait les opérations ordonnées et les pansements nécessaires sous la
direction particulière de l'un de nos chirurgiens employé à l'hôpital,
du service duquel est chargé en chef le citoyen Assalini, chirurgien de
première classe, distingué dans l'armée.
Je reçus également le 12 germinal une lettre du citoyen Bruant, datée du
1er; elle contenait les faits suivants:
«L'épidémie attaque toujours les enfants de la contrée; mais la
mortalité diminue chaque jour.
«Nos malades graves arrivent généralement des différents points
de l'armée; il est rare que ceux même de la garnison entrent à
l'hôpital avant le troisième jour; et ils meurent le quatrième,
le cinquième, ou le sixième jour après l'invasion; la plupart
des malades à qui on a pu administrer l'émétique en lavage le
premier ou le second jour ont été sauvés: les uns n'ont été
attaqués que légèrement de la maladie; chez d'autres elle a
poursuivi son cours ordinaire; mais dans la nuit du 7 au 8 il
survenait un changement notable, sans évacuation sensible; la
maladie prenait alors les signes les plus caractéristiques de la
putridité; la plaie des vésicatoires se couvrait même parfois
d'escarres gangréneux; c'est ce qui est arrivé au pharmacien dont
il est parlé dans la note du 21 ventôse, et qui, contre tout
espoir, avance rapidement vers la guérison. Les remèdes employés
dans cet état de la maladie sont le quinquina, le camphre pendant
quelques jours, et la limonade végétale, parce que nous manquons
d'acide sulfurique.
«Il y a dans ce moment quelques dysenteries anciennes, qui
résistent à tous les remèdes: il est vrai que la plupart datent
de quatre à cinq mois, et qu'il nous manque un grand nombre
d'objets nécessaires pour leur traitement.»
«Par _P. S._ Nous avons pris les plus grandes précautions pour
empêcher que l'épidémie ne fît des ravages parmi les autres
malades; tous ceux qui en sont atteints sont parfaitement isolés.
Deux exemples malheureux ont justifié cette conduite: un
infirmier-major et un servant viennent d'en être attaqués».
_Mouvement général de l'hôpital militaire de Gaza pendant le mois de
ventôse an VII._
Entrés du 19 au 30 191
Sortis 98
Morts 17
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RESTANTS le 1er germinal au matin 76
====
C'est la dernière lettre que j'ai reçue du citoyen Bruant, qui succomba,
ainsi que presque tous les officiers de santé employés à Gaza assez peu
de temps après. Au reste, quoique l'époque précise de sa mort ne me soit
pas connue, j'ai appris quelques unes des particularités qui l'ont
accompagnée. Ce jeune médecin d'une grande instruction, toute dirigée
vers la pratique, était extrêmement zélé pour son service; malgré le peu
de confiance que sa physionomie adolescente devait inspirer d'abord aux
militaires, il en était chéri et considéré à cause de l'assiduité de ses
soins, et de ses succès. Distingué parmi les officiers de santé de son
âge et ceux d'un âge supérieur, il était écouté de tous avec plaisir.
Dans l'hôpital de Gaza il avait surtout contracté des liaisons intimes
avec le citoyen Dewevre, chirurgien attaché à la commission des arts,
depuis employé dans les hôpitaux de l'armée, et chargé en chef du
service de cet établissement. Formés, l'un à Montpellier, l'autre à
Paris, le mode d'enseignement, la direction des études, les opinions
diverses accréditées dans ces écoles célèbres étaient pour eux l'objet
d'agréables et d'utiles entretiens; car ils étaient encore à cette
époque heureuse de la vie où la passion de s'instruire n'allume dans les
esprits qu'une noble émulation sans dégrader le coeur par les bassesses
de la jalousie. Bruant, que la nature de son service exposait le plus,
tomba malade le premier: deux jours de suite il se traîna dans ses
salles appuyé sur Dewevre; l'accablement le fixa le troisième jour sur
son lit, et l'esprit encore assez libre il annonça sa fin prochaine:
Dewevre apprécie la justesse du pronostic; il est frappé de stupeur, se
couche près de son ami, et ne lui survit que trois jours... Excellents
jeunes gens, puisse l'hommage que ma plume rend à votre mémoire offrir
quelques consolations à vos proches et à vos amis! ou, si l'importance
et la célébrité des événements auxquels cet écrit est lié peuvent le
soustraire à l'oubli de la postérité, puisse-t-elle s'occuper de vos
noms avec attendrissement!
J'adressai au chef de l'état-major-général les notes suivantes, dont la
seconde fut mise à l'ordre du jour (nº 199 et 201 de ma correspondance):
Au quartier-général devant Acre, le 14 germinal an VII.
«Général, je vous prie de vouloir bien adresser de nouveau aux
généraux-commandants des différentes armes, aux chefs
d'états-majors divisionnaires, aux commandants des places et des
corps, et aux chefs d'administrations, copie de mon avis, inséré
dans l'ordre du jour du 30 ventôse dernier; je crois que cette
mesure est très utile d'après les questions que l'on m'adresse de
tous côtés sur le traitement de la maladie dominante.»
Au quartier-général devant Acre, le 15 germinal an VII.
«Il y a plusieurs militaires qui ont des vers de différentes
espèces.
«Ceux qui en ont reconnu l'existence doivent s'empresser de les
détruire, parce que c'est d'abord un mal dans les hommes
d'ailleurs sains, et ensuite une complication désavantageuse dans
la plupart des maladies.
«Les hommes de l'art soupçonnent la présence des vers par la
dilatation de la pupille, un picotement particulier vers le
nombril ou la région de l'estomac, des points douloureux et
vagues dans les parties latérales et internes de la poitrine;
mais ce qui est une preuve convaincante pour tous les hommes
c'est la sortie des vers eux-mêmes.
«On peut se servir avec succès du remède suivant, qu'il est
facile de se procurer dans notre position:
«Prenez quatre fortes cuillerées d'huile, et autant de suc de
citron, buvez cette potion à jeun deux ou trois jours de suite.»
Le même jour je reçus une lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le
12.
Cette lettre m'annonçait que le service de l'hôpital des fiévreux allait
très mal.
Il n'y avait plus à la pharmacie de quoi faire des vésicatoires et des
sinapismes; le quinquina, la rhubarbe, les acides, jusqu'au vinaigre
même manquaient.
Sur les cent trente malades que m'a donnés la visite de ce matin, cent
dix sont atteints de la maladie régnante, et le reste de dysenteries,
auxquelles se joignent souvent des affections de poitrine.
La diathèse inflammatoire semble prendre de la prépondérance, et le
régime corroborant paraît moins convenir qu'en ventôse.
Les infirmiers-majors français sont réduits à un; les servants français
et turcs meurent journellement.
L'épidémie fait des progrès parmi les habitants.
Un quatrième pharmacien en est atteint depuis avant-hier.
_Mouvement de l'hôpital militaire de Jaffa du 1er au 12 germinal an
VII._
Malades restants le 1er au matin 149
Entrés du 1er au 12 86
Sortis 50
Morts 55
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RESTANTS le 12 au matin 130
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Je reçus le 18 une nouvelle lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa le
15; elle portait:
1º Qu'un bataillon de la quatre-vingt-cinquième demi-brigade
d'infanterie de ligne, arrivé dans la place, avait envoyé plusieurs
hommes à l'hôpital;
2º Que l'interprète et deux servants turcs de l'hôpital des fiévreux
venaient de tomber malades;
3º Que le pharmacien mentionné dans la lettre du 12 était mourant dans
l'hôpital des blessés;
4º Que l'adjudant-général Grezieux était mort;
5º Que l'épidémie continuait de faire de grands ravages parmi les
habitants.
Un détachement du corps des dromadaires étant parti le même jour pour
l'Égypte, je profitai de cette circonstance pour écrire a Jaffa, à Gaza,
et au Kaire.
1º En accusant au citoyen S.-Ours la réception de ses lettres,
j'ajoutais, après plusieurs instructions sur des détails de service
qu'il est inutile de rapporter: «J'ai fait saigner avec avantage tout au
commencement de la maladie, quand l'inflammation est bien violente, et
le sujet robuste; la pléthore gastrique ne m'a point arrêté, et j'ai
renvoyé le vomitif au lendemain.»
2º J'adressai au citoyen Bruant l'ordre de se rendre au
quartier-général... Triste effet de l'éloignement; on s'occupe souvent
avec sollicitude de ceux qui n'existent plus!
3º J'envoyais au citoyen Emeric, médecin de l'armée, et mon suppléant en
Égypte, diverses instructions en réponse aux comptes qu'il m'adressait,
et dont je renvoie le résumé à la fin de l'expédition de Syrie, pour ne
pas interrompre la suite de ma narration.
Le citoyen Vallat, chirurgien de la dix-huitième demi-brigade
d'infanterie de bataille, requis pour le service médical, m'annonçait
que l'hôpital de Cheif-Amrs était dépourvu de médicaments, et de toute
espèce de fourniture. La mortalité avait été de trois jusqu'à six hommes
par jour; le 18, il y avait soixante-douze à quinze malades, presque
tous donnant beaucoup d'espérance de guérison.
Le 21, l'ordre fut donné d'évacuer complètement l'hôpital de Cheif-Amrs
sur l'ambulance d'Acre, et d'évacuer journellement ce dernier
établissement sur Haïffa, et le couvent du mont Carmel, à quatre
grandes heures de distance, en côtoyant presque toujours la mer, et en
passant un gué assez difficile.
Je reçus le 24 une lettre du citoyen S.-Ours, datée de Jaffa du 21; en
voici l'extrait:
«On manque toujours de vésicatoires et de sinapismes.
«Cependant les vésicatoires ont fait des merveilles, appliqués le
deuxième, le troisième, et même le quatrième jour, comme
excitants et dérivatifs; ils empêchent ou terminent ces
léthargies funestes, ces métastases cérébrales, dont les deux
tiers des malades sont atteints dès les premiers jours.
«Encouragé par votre exemple et vos succès, j'ai fait saigner
avec avantage des jeunes gens pléthoriques sanguins; jusqu'ici je
n'avais osé faire pratiquer que des scarifications légères.
«J'administre aussi avec plus de sécurité les vomitifs.
«Soixante de mes malades sont bien guéris, et dans un dépôt de
convalescents.
«Pareil nombre est en très bon état à l'hôpital; mais avec plus
de secours on aurait plus de succès... Le commandant de la place
et le commissaire des guerres m'assistent de tout leur pouvoir...
L'administration crie sans cesse qu'elle est sans argent, et se
refuse à faire des avances... cependant la journée ne lui
revient pas à cinq sous par malades...»
Cette lettre est terminée par des témoignages réitérés de la confiance
de celui qui me l'écrivait, et l'explosion vive d'une âme sensible,
déchirée par les contrariétés de l'insouciance et de la cupidité.
_Mouvement de l'hôpital militaire de Jaffa du 12 au 21 germinal an VII._
Malades restants le 12 au matin 130
Entrés du 12 au 21 67
Sortis 51
Morts 55
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RESTANTS le 21 au matin 91
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Je répondis le 25 au citoyen S.-Ours, et je finissais en lui disant que,
manquant comme lui de cantharides, j'avais substitué quelques gouttes
d'eau bouillante versées de haut: en effet ce moyen m'avait réussi sur
un grand nombre de malades, notamment sur le citoyen Boussenard, dont il
est parlé ci-dessus page 50, et plus récemment encore au premier moment
de l'invasion sur un garde-magasin, et un officier d'artillerie, qui se
promenaient librement au bout de deux jours. Ces faits observés au
milieu d'un camp étaient devenus très publics, et cette pratique a été
répétée avec succès.
Au reste il est probable que le citoyen S.-Ours ne reçut point ma
lettre; il était mort ou mourant quand elle arriva à Jaffa.
Les regrets les plus vifs éclatèrent universellement dans les rangs de
la trente-deuxième demi-brigade quand on apprit la mort de cet officier
de santé, et les braves qui composent ce corps, frappés depuis dans les
combats, l'appelèrent encore longtemps pour étancher le sang dont ils
couvrirent une terre barbare.
Le même jour le général en chef ordonna qu'il serait fait une évacuation
partielle de nos hôpitaux sur Damiette, et que l'on profiterait du
retour des djermes qui avaient apporté des munitions de guerre à Jaffa
et à Tentoura.
J'écrivis la lettre suivante au chef de l'état-major-général (nº 206 de
ma correspondance).
Au camp devant Acre, le 25 germinal an VII.
«Général, il est reçu que lorsque les officiers de santé en chef
des hôpitaux jugent nécessaire d'accorder aux militaires une
exemption de service pour quelques jours, cela est porté en marge
du billet de sortie et exécuté. Aujourd'hui cette mesure, qui
peut être de la plus grande utilité, est contrariée par
plusieurs officiers. Je vous prie de prendre sur cet objet une
détermination, et de la faire connaître par l'ordre du jour.»
Je remis encore au chef de l'état-major-général la note suivante (nº 208
de ma correspondance).
Au camp devant Acre, le 29 germinal an VII.
«Général, il est de la plus grande utilité pour la conservation
de la santé de l'armée de faire changer l'emplacement des camps
du quartier-général et des divisions Reynier et Lasnes.»
Le même jour j'eus l'honneur de demander par écrit au général en chef la
formation d'une commission sanitaire, pour avertir indirectement l'armée
entière des précautions qu'il convenait de prendre (nº 209 de ma
correspondance).
Le lendemain 30, j'en informai l'ordonnateur des lazarets en Égypte,
afin que connaissant notre position il put prendre à notre retour les
mesures qu'il jugerait convenables (nº 210 de ma correspondance).
J'écrivis également au citoyen Emeric (nº 211 de ma correspondance), et
je lui traçai l'esquisse suivante de notre épidémie, toujours désignée
sous le nom de fièvres contagieuses.
Ier degré; fièvre légère, sans délire, bubons; presque tous les
malades guérissent facilement et promptement.
IIe degré; fièvre, délire, et des bubons; le délire s'apaise vers
le cinquième jour, et se termine ainsi que la fièvre vers le
septième; plusieurs guérissent.
IIIe degré; fièvre, délire considérable, bubons, charbons, ou
pétéchies séparément ou réunis; rémission ou mort du troisième au
cinquième ou sixième jour; très peu de guérisons.
Le général en chef me remit le 1er floréal une lettre qui lui était
adressée par le capitaine du corps du génie Michaux, commandant de
Cathiéh, en date du 13 germinal: voici ce qui pouvait m'intéresser:
«Une maladie dangereuse s'est déclarée dans le fort le 10 de ce
mois; les symptômes sont un mal de tête, des bubons dans les
aines, ou sous les aisselles, et le délire.
«L'hôpital était sans malades le 8.
«Deux infirmiers, un ouvrier d'artillerie, un sapeur, et un
volontaire, tombèrent successivement malades du 8 au 10.
«L'ouvrier mourut le 10, et le sapeur le 11.
«Ces deux évènements subits me déterminèrent à faire sur-le-champ
mettre la mosquée de la redoute en état de recevoir nos malades,
qui y furent transférés le 11, suivis des employés nécessaires.
«J'ai établi une garde extérieure, et je communique avec
l'hôpital avec les plus grandes précautions.
«Le 12, les deux infirmiers sont morts.
«Aujourd'hui 13, il est mort un volontaire de la dix-huitième
demi-brigade, et un sapeur, entrés tous les deux la veille.
«Il reste cinq malades; savoir, trois sapeurs, un sergent, et un
fusilier de la trente-deuxième demi-brigade.
«Nous n'avons qu'un chirurgien de troisième classe, et un
infirmier pour soigner nos malades: on a demandé des secours à
Damiette.»
Je remis au chef de l'état-major-général la note suivante (nº 212 de ma
correspondance).
Au camp devant Acre, le 3 floréal an VII.
«Général, il serait avantageux pour la salubrité d'ordonner qu'on
mette le feu aux fumiers qui sont aux environs du
quartier-général, et du parc d'artillerie, ainsi qu'on l'a fait
ces jours passés près des autres camps.»
Le lendemain je fus visiter l'hôpital du mont Carmel, dont la belle
position est indiquée dans l'estimable voyage de Volney. Cet
établissement de fiévreux, sous la direction du citoyen Vallat, était
dans un état satisfaisant; il y avait le 4 à peu près cent cinquante
malades, dont près de cent convalescents, auxquels il ne restait que la
plaie résultant de l'ouverture de leurs bubons.
Le 6, il n'y avait plus de chirurgien attaché à cet établissement, ce
qui retarda la guérison de plusieurs malades.
Je mis sous les yeux du général en chef, le 7, une note, suivie des
mouvements de l'ambulance devant Acre, d'où il résultait une diminution
sensible dans le nombre des morts, qui, sur trente entrant par jour,
avait été souvent de six à neuf, et n'était plus guère que de trois (nº
216 de ma correspondance).
J'eus l'honneur de lui communiquer, le 8, les mouvements des hôpitaux du
Kaire pendant la première décade de germinal, en ajoutant par
observation, qu'une fièvre violente avec pétéchies, qui avait excité des
alarmes, était calmée, et qu'une fièvre gastrique ou putride vermineuse,
qui avait attaqué les élèves de l'école nationale, avait été traitée
avec succès, et était complètement disparue (nº 217 de ma
correspondance).
Les citoyens Pugnet et Renati, médecins de l'armée, s'étant rendus au
quartier-général, j'envoyai le premier au mont Carmel, et je chargeai le
second de l'ambulance devant Acre; mais sa santé ne lui ayant pas permis
au bout de trois jours d'en continuer le service, je le repris, quoique
je fusse appelé de toutes parts et à toutes les heures du jour et de la
nuit.
J'écrivis, le 13, au Kaire au citoyen Emeric pour ordonner des
dispositions de service en Égypte, et je terminai ainsi ma lettre:
«L'épidémie sur laquelle je vous ai donné des détails dans ma lettre du
30 germinal est très mitigée, malgré les fatigues de la campagne, et
l'inconstance du climat (nº 222 de ma correspondance).»
Le 15, il y eut de nouveaux ordres pour évacuer partiellement
l'ambulance d'Acre sur Haïffa, Tentoura, et ensuite par mer sur
Damiette.
Le 18, au matin, ordre d'évacuer sur-le-champ l'ambulance entière sur
Haïffa.
Le même jour plaintes vives portées par les citoyens Pugnet et Vallat
sur le manque absolu de médicaments et de pharmaciens au mont Carmel;
les remontrances que je fais à cette occasion sont suivies de promesses
qui restent sans aucun effet.
De nouveaux ordres du 22 pressent l'évacuation des malades et des
blessés; on met à la disposition de l'ambulance des prolonges
d'artillerie; l'ordonnateur en chef demande des états de situation pour
diriger ses évacuations, et je lui adresse la note suivante (nº 225 de
ma correspondance).
Au quartier-général devant Acre, le 22 floréal an VII.
«Citoyen, je vous envoie, conformément à votre lettre
d'aujourd'hui, le résultat de ma visite à l'ambulance centrale.
Vous trouverez ci-joint un état qui constate que de trente-huit
fiévreux, huit sont hors d'état d'être transférés, six ont
indispensablement besoin de voitures, et vingt-quatre de montures
pour être évacués.
Les malades sont prévenus et disposés à faire ce qu'exigent les
circonstances.»
Je crains que la multiplicité des affaires ne fasse oublier un moment
celle qui m'occupe tout entier, et je remets aux mains propres de
l'ordonnateur en chef la lettre suivante (nº 227 de ma correspondance).
Au quartier-général devant Acre, le 27 floréal an VII.
«Citoyen, je vous prie de me faire connaître à quelle époque vous
avez fixé l'évacuation des fiévreux de l'établissement du mont
Carmel, pour que je puisse faire les dispositions qui me
concernent.»
Une lettre du citoyen Pugnet du 22, écrite cependant par duplicata, ne
m'arriva que le 27: ce médecin me prévenait que l'hôpital, complètement
encombré, recevait journellement des mourants; que le citoyen Vallat,
l'économe, et tous les infirmiers français étaient attaqués de
l'épidémie, et qu'il n'y avait même plus de papier pour faire les
visites; enfin il m'envoyait le mouvement suivant, le seul qu'il eut été
possible de relever d'après les billets d'entrée et de sortie.
_Mouvement de l'hôpital militaire du mont Carmel du 21 germinal au 6
floréal an VII._
Malades évacués sur l'établissement le 21 germinal 152
Entrés du 21 germinal au 6 floréal 269
Sortis 137
Morts 54
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RESTANTS le 6 au soir 230
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_État des blessés et fiévreux qui sont dans les hôpitaux de Haïffa et du
mont Carmel le 27 floréal à dix heures du soir._
{ 100 peuvent marcher.
550 blessés; savoir { 300 peuvent aller sur des montures.
{ 150 sur des brancards ou prolonges.
{ 150 peuvent marcher.
222 fiévreux { 72 peuvent aller sur des montures.
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Total 772
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_Signé_ l'adjudant-général LETURQ.
Le 29, je reçus du citoyen Pugnet une lettre du même jour, par laquelle
il me peignait sa situation difficile des couleurs les plus vives, en
protestant d'un zèle dont il a donné en effet des preuves éclatantes.
Je répondis à ce médecin le 30 au matin qu'un adjudant-général venait
d'être spécialement chargé de faire évacuer les hôpitaux, et qu'il eût à
faire lui-même, à la réception de ma lettre, les dispositions les plus
actives pour suivre le corps de l'armée, qui devait passer sous le mont
Carmel dans la nuit du 1er au 2 prairial pour se diriger vers Jaffa.
Avant de quitter Acre, il me reste peu à ajouter à ce qui a été exposé
ci-dessus sur la marche ou l'issue de l'épidémie, soit que j'aie parlé
d'après mes propres observations, ou plus souvent encore confondu les
miennes avec celles des autres, en les analysant, pour n'offrir que ce
qu'elles avaient d'utile.
Cependant il est à remarquer:
1º Que l'ambulance d'Acre, quoique désavantageusement placée près d'un
marais, et recevant tous les blessés de la tranchée, fut encore moins
encombrée que les autres établissements;
2º Que les malades y arrivaient plus directement et plus tôt, à cause du
voisinage de la masse de l'armée;
3º Que les secours, quoique très insuffisants, manquèrent moins
qu'ailleurs.
Il n'est pas inutile de dire que le chef de l'entreprise des hôpitaux
ayant essuyé précédemment en Égypte une humiliation publique, et, à ce
qu'il a paru depuis, peu méritée, chercha à la faire oublier par des
services très actifs; que l'ordonnateur en chef, et les commissaires des
guerres, chargés de la police de l'ambulance, s'en occupèrent beaucoup;
et que le général en chef et son état-major, retranchant de la table la
plus frugale ce qui pouvait être utile à l'hôpital, améliorèrent
sensiblement la position de nos malades.
On a vu que l'ambulance était mal placée: son insalubrité était
augmentée depuis qu'on l'avait entourée de cadavres, les uns à peine
recouverts, les autres sortant à moitié de terre; et, comme si ce n'eût
été assez de tant de sources de mort, les approches de l'hôpital étaient
souvent sillonnées par des boulets de canon, et des bombes tombèrent
plusieurs fois sur l'établissement lui-même.
Vers la fin du siège nous n'avions plus d'infirmiers; ils étaient
malades ou morts. C'était au reste le rebut et la honte de la société:
presque tous, flétris pour des crimes, étaient des étrangers échappés
des bagnes de Gênes, de Civita-Vecchia, ou de Malte; ils n'étaient
attirés dans les hôpitaux que par la soif de l'argent dont ils
dépouillaient les malades.
Je me trouvais donc fréquemment obligé de nettoyer l'espèce de
souterrain fangeux, où mes malades étaient étendus sur des joncs,
c'est-à-dire de ramasser les bâillons, les sacs, les baudriers, les
casquettes, les chapeaux ou les bonnets à poil des morts, pour les jeter
moi-même au feu, que je faisais allumer à cet effet derrière l'hôpital.
Dans mes visites mon plus grand soin était de classer mes malades,
conformément aux trois degrés indiqués, page 79, mais dans un ordre
inverse.
1º Je cherchais à juger d'un coup-d'oeil s'il était encore temps
d'administrer quelques secours;
2º Je m'occupais plus attentivement de ceux qui étaient au second degré,
comme présentant beaucoup plus d'espoir de guérison;
3º Je confondais souvent ceux du premier degré avec les convalescents,
et je me contentais de leur indiquer leur régime et leurs pansements.
Il m'était impossible de faire autrement: averti par l'infection, et par
la lassitude étant presque toujours obligé de me tenir à genoux, je fus
souvent forcé d'interrompre jusqu'à trois fois ma visite pour aller
prendre l'air au dehors.
Le grand nombre de blessés empêcha que j'eusse constamment un chirurgien
à ma visite, et je ne l'exigeai pas; mais toutes les opérations
indiquées n'en furent pas moins pratiquées à l'ambulance comme dans les
camps.
Je dois ici des remerciements publics aux citoyens Millioz, chirurgien
de première classe, Dieche, du corps des guides, Zink, et Leclerc,
chirurgiens de seconde classe, pour le zèle affectueux avec lequel ils
me secondèrent dans différentes occasions.
Le citoyen Vautier, pharmacien de première classe, chargé du magasin
central des médicaments au Kaire, et depuis employé comme médecin,
suivit longtemps ma visite avec un sang-froid qu'il a toujours conservé
depuis en traitant cette maladie.
J'avais formé les convalescents à rendre des services aux malades graves
en y attachant un certain prix, et je ne dois pas dissimuler que
plusieurs reprirent la maladie; ce qui est contre l'assertion de
plusieurs célèbres écrivains qui ont prétendu que l'on ne pouvait en
être attaqué deux fois dans une même saison.
Ce fut pour rassurer les imaginations et le courage ébranlé de l'armée,
qu'au milieu de l'hôpital je trempai une lancette dans le pus d'un
bubon, appartenant à un convalescent de la maladie au premier degré, et
que je me fis une légère piqûre dans l'aine et au voisinage de
l'aisselle, sans prendre d'autres précautions que celles de me laver
avec de l'eau et du savon qui me furent offerts. J'eus pendant plus de
trois semaines deux petits points d'inflammation correspondants aux deux
piqûres et ils étaient encore très sensibles lorsqu'au retour d'Acre je
me baignai en présence d'une partie de l'armée dans la baie de Césarée.
Cette expérience incomplète, et sur laquelle je me suis vu obligé de
donner quelques détails à cause du bruit qu'elle a fait, prouve peu de
chose pour l'art; elle n'infirme point la transmission de la contagion,
démontrée par mille exemples; elle fait seulement voir que les
conditions nécessaires pour qu'elle ait lieu ne sont pas bien
déterminées. Je crois avoir couru plus de danger avec un but d'utilité
moins grand, lorsqu'invité par le quartier-maître de la
soixante-quinzième demi-brigade, une heure avant sa mort, à boire dans
son verre une portion de son breuvage, je n'hésitai pas à lui donner cet
encouragement. Ce fait, qui se passa devant un grand nombre de témoins,
fit notamment reculer d'horreur le citoyen Durand, payeur de la
cavalerie, qui se trouvait dans la tente du malade.
C'est au reste dans les murs de cette même ville d'Acre qu'au temps des
croisades, l'épouse d'un prince anglais, renouvelant aussi l'heureuse
audace des psylles, osa sucer les plaies de son mari réputées
empoisonnées, et donna au monde ce bel exemple de la piété conjugale.
Le citoyen Berthollet me dit un jour qu'il était porté à croire que la
contagion se communiquait souvent par les organes de la déglutition, et
qu'elle avait pour véhicule l'humeur salivaire; soit que l'opinion de
ce grand chimiste qui a cultivé et honoré la médecine fut trop présente
à mon esprit, ou bien parce qu'il est dans la nature de l'homme de
n'avoir pas à tous les instants le même degré de résolution, tant est-il
que j'acceptai depuis dans le désert avec une répugnance extrême, suivie
de réflexions importunes, de l'eau que me présenta par reconnaissance,
dans sa gourde, le même soldat, parfaitement guéri, qui m'avait fourni
du pus pour m'inoculer.
Au milieu des témoignages précieux d'affection dont j'étais
journellement comblé par l'armée j'entendis souvent demander par quels
moyens j'étais inaccessible à la contagion. Cependant je prenais assez
peu de précautions: aussi bien nourri que les circonstances le
permirent, je faisais un fréquent usage des spiritueux, pris à petites
doses, et très étendus; j'allais constamment à l'ambulance à cheval et
au petit pas: on a vu comment je m'y comportais; au sortir de cet
établissement je me lavais soigneusement les mains avec de l'eau et du
vinaigre, ou de l'eau et du savon, et je revenais au camp au petit
galop; ce qui me procurait un léger état de moiteur; je changeais de
linge et d'habits, et je me faisais laver le corps entier avec de l'eau
tiède et du vinaigre avant de me mettre à manger. Quoique ce soit trop
longtemps parler de soi-même, j'appréciai aussi pour la première fois le
bonheur rare d'une constitution qui, au milieu des plus grandes
fatigues, me fait retrouver dans quelques heures de sommeil les forces
du corps et le calme de l'esprit.
Les maladies intercurrentes ont quelquefois, mais pas toujours,
participé du caractère de l'épidémie; cette assertion, positivement
contradictoire à l'opinion reçue, et accréditée par de savants médecins,
anciens et modernes, est fondée sur des observations exactes; et le
célèbre Monge en a offert lui-même un heureux exemple.
L'influence des vents du sud dans ces contrées est assez connue; c'est
en effet quand ils soufflèrent que nous eûmes le plus de malades: on
sait également combien l'air humide, et surtout humide et chaud, influe
sur la production ou le développement de la peste.
On trouvera ici avec plaisir un résultat d'observations météorologiques,
qu'a bien voulu me communiquer le citoyen Costaz, membre de l'institut
d'Égypte.
_Résumé d'observations faites au camp devant Acre, en germinal et
floréal an VII._
«Lorsque le vent soufflait des rhombes, entre le sud et l'est, il
charriait une poussière noire-jaunâtre, extrêmement fine, qui
pénétrait partout; les meubles faits de bois mince se gerçaient
ou se voilaient; les lèvres et la peau étaient desséchées; on
éprouvait un sentiment de lassitude dans toute l'habitude du
corps, et un besoin continuel de boire. Lorsqu'on en recevait
l'impression sur la peau nue, on sentait une chaleur à peu près
pareille à celle qui sort des tuyaux de chaleur que l'on dispose
dans quelques uns de nos appartements en Europe. Ce vent
s'établissait vers le milieu de la nuit, et finissait
ordinairement vers les une ou deux heures après midi; il faisait
monter le thermomètre de Réaumur de trente-deux à trente-trois
degrés: le vent d'ouest lui succédait, et faisait descendre le
thermomètre autour de dix-huit degrés; il se maintenait deux ou
trois jours à l'ouest, et passait au nord, où il demeurait à peu
près deux jours, maintenant toujours le thermomètre à la même
hauteur; après quoi il sautait entre le sud et l'est, et
produisait les effets dont nous avons parlé en commençant.»
L'avant-garde de l'armée se porta pendant le siège d'Acre à Nazareth, à
Cana, au pied du mont Thabor, aux bords du Jourdain, à Tibériade, etc,
où elle se couvrit de gloire; elle eut pendant dix jours beaucoup de
fatigues à essuyer, et fit dans un pays, souvent très difficile, une
marche de plus de cinquante heures[12].
[Note 12: Voyez pour les détails militaires la _Relation des
campagnes du général Bonaparte en Égypte et en Syrie_, par le
général Alex. Berthier; Paris, an IX.]
La cavalerie, en quatre jours et vingt heures de marches, souvent très
pénibles, et en passant par Raméh, Safet, et Djaoun, se porta au pont de
Iacoub.
Un corps de troupes aux ordres du général Vial, était allé à douze
heures de distance d'Acre, prendre possession de Sour, l'ancienne Tyr,
lieu célèbre, et sur lequel on peut consulter le Voyage de Volney.
Il y eut pendant le siège d'Acre un exemple remarquable d'aberration
d'esprit momentanée, produite par un excès de sensibilité.
Un très jeune officier du génie fut tué à la tranchée; il rappelait par
les plus aimables dons de la nature, comme il retraça par ses malheurs
l'image et le sort de ce beau Lesbin du Tasse,
A cui non anco la stagion novella
Il bel mento spargea de primi fiori:[13]
[Note 13: GIERUS. LIB., canto IX.]
La veille de sa mort il s'était entretenu longtemps dans une promenade
avec son meilleur ami de ses honorables dangers, peut-être aussi de ses
tristes pressentiments... ils se renouvelèrent cent fois l'assurance de
l'attachement qui les unissait... L'ami du jeune ingénieur, étranger par
ses fonctions aux opérations du siège, y fut entraîné le lendemain par
une vive sollicitude... il gagnait la tranchée lorsqu'il trouva sur ses
pas deux sapeurs qui creusaient une fosse sous l'une des arcades de ce
même aqueduc, près duquel il avait eu l'entretien de la veille... il
s'avance, et reconnaît étendu mort près d'eux son fidèle ami...
Veluti flos succisus aratro.[14]
Telle une tendre fleur qu'un matin voit éclore
Des baisers du zéphir, et des pleurs de l'aurore,
Brille un moment aux yeux et tombe avant le temps
Sous le tranchant du fer ou sous l'effort des vents.[15]
[Note 14: Virgilius, Ænæidos, lib. IX.]
[Note 15: Volt., Henriade, chant III.]
La stupeur s'empare de lui; bientôt il se ranime, et résiste avec
violence à ceux qui veulent l'entraîner loin d'un si douloureux
spectacle; égaré il s'élance sur la tombe de son ami, recouverte à la
hâte, et veut s'y ensevelir avec lui; l'affaissement survient, et il
perd le sentiment; on en profite pour l'enlever et le porter au camp...
là, il se réveilla et s'abandonna de nouveau aux pleurs et aux
gémissements... Qui n'accusa-t-il pas de la perte de son ami?... il alla
jusqu'aux imprécations de la fureur... enfin le repos, qui calme une
partie des maux des hommes, vint lui rendre la raison sans éteindre
pourtant ses regrets.
Le 17 prairial on battit la générale à neuf heures du soir, et l'armée
quitta le camp, qui était resté pendant soixante jours au sud d'une
petite chaîne de collines parallèles à la mer, à mille ou douze cents
toises de la place d'Acre.
Le 2, à une heure et demie du matin, je trouvai l'adjudant-général
Leturq, non seulement ordonnant depuis trois jours dans Haïffa les
dispositions de l'évacuation des blessés, dont quelques-uns étaient
attaqués de l'épidémie, mais chargeant lui-même les plus malades d'entre
eux sur des brancards. Cet officier supérieur fut attaqué au Kaire, à
son retour de l'expédition, d'une fièvre soporeuse très grave: à peine
l'avais-je guéri qu'il vola à de nouvelles fatigues et à de nouveaux
dangers: il fut tué à la glorieuse bataille d'Aboukir, du 7 thermidor;
et sa mémoire a été honorée par les éloges du général en chef.
L'évacuation du mont Carmel se fit aussi régulièrement; seulement
quelques malheureux, trop empressés de rejoindre le corps de l'armée,
crurent pouvoir abréger leur route en se frayant des sentiers sur un
terrain qui était impraticable; ils se précipitèrent des rochers élevés
du Carmel, et on n'en fut averti dans la faible lueur de la nuit que par
les cris et les gémissements déchirants qu'ils firent entendre avant
d'expirer.
Je renvoie encore à la narration du général Berthier pour le bel ordre
dans lequel se fit l'évacuation des malades et des blessés, à laquelle
toute l'armée, mais lui surtout, s'empressa de concourir avec ce zèle
qu'inspire un amour profond de l'humanité.
L'armée était à Tentoura le même soir.
D'Acre à Tentoura il y a près de douze heures de marche: d'abord on
traversa les marais; ensuite on passa le Keïsson à son embouchure sur un
pont que l'on avait jeté; on traversa Haïffa, petite ville fermée de
murs flanqués de tours, au midi et à cinquante toises de laquelle on
voit une grosse tour qui domine la ville; on tourna la pointe du Carmel;
on trouva un puits en face de Kineséh; plus loin les imposantes ruines
d'Atalik, château célèbre du temps des croisés; enfin la plage aride et
le mouillage de Tentoura.
Le 3, l'armée se porta en deux heures et demie de marche de Tentoura à
Kaisariéh ou Césarée; on passa deux rivières à gué: le chemin était
mauvais aux approches de cette ville, bâtie et dédiée par Hérode à
César-Auguste, et qui ne présente plus aujourd'hui que des ruines qui
attestent cependant son antique magnificence. On voit également un
château fort, bâti par les croisés, dont les fossés et les murs, bien
conservés, renferment dans leur enceinte les ruines d'une église
gothique, en face de laquelle se trouve un puits d'excellente eau.
L'armée partit de Césarée le 4 au matin pour aller coucher à
l'embouchure de l'êl-Hhadar; il y a un peu plus de huit heures de
marche: d'abord on passa une petite rivière à gué; on entra ensuite dans
un défilé dangereux; puis on s'arrêta au petit port de Mina
abou-Zaboura, où l'on trouve au pied d'un rocher une source d'eau douce:
en continuant la route on passa à gué la rivière de Hhyléh ou du
Crocodile; quittant ensuite le rivage de la mer, qui s'élève
brusquement, nous nous enfonçâmes un peu à l'est dans un pays montueux,
couvert d'arbres et d'arbustes: le vent de mer, si agréable dans nos
marches précédentes, ne s'y faisait point sentir, et la chaleur fut
accablante. Après avoir passé à la vue du village d'Omkaled, nous
arrivâmes avant le coucher du soleil aux bords de l'êl-Hhadar; cette
rivière que l'on traversa à gué, et dont les eaux sont marécageuses,
enveloppe presque de toutes parts un énorme mamelon, sur lequel l'armée
passa la nuit.
On décampa le 5 à deux heures du matin; et l'armée arriva en sept heures
de marche à Jaffa, en reprenant la route à l'ouest pour regagner le
rivage de la mer, qu'elle ne quitta plus, et en passant sur un pont
l'embouchure de la Houja.
L'armée séjourna quatre jours à Jaffa.
Le 6, au matin, il y avait dans cette place cent soixante-dix fiévreux,
et le soir deux cents cinquante, fournis dans le jour par l'évacuation
du mont Carmel et quelques traîneurs.
Il y avait le plus grand encombrement dans les établissements; tout
manquait au soulagement des malades, local spacieux, officiers de santé,
médicaments, employés et sous-employés d'administration.
Quelques militaires intelligents avaient établi d'eux-mêmes l'ombre
d'organisation qui subsistait encore. On a parlé, page 52, d'un chrétien
du pays qui fut fort utile: cet homme, presque toujours ivre, ronflait
une partie du jour, et souvent exposé au soleil, sur un banc de pierre
qui était à la porte de l'hôpital; j'ai vu des soldats, pour le tirer de
cette espèce de léthargie, le réveiller brusquement, et même le conduire
à grands coups de bâtons dans leurs salles, et se faire panser et opérer
par lui; et il est digne d'observation qu'après avoir ouvert les bubons,
ou enlevé des charbons, il essuyait légèrement ses bistouris, et les
plaçait entre son front, souvent couvert de sueur, et son turban, sans
qu'il en soit résulté aucun inconvénient.
Le commandant de la place avait désigné une maison isolée pour les
convalescents. Elle en contenait à notre arrivée près de cinquante qui
rentrèrent dans leurs corps pendant que l'armée campa devant Jaffa.
Je fis partir le même jour le citoyen Pugnet, pour qu'il prît soin d'une
cinquantaine de nos malades, que l'on évacua sur Cathiéh, sous l'escorte
d'un bataillon de la vingt-deuxième demi-brigade d'infanterie légère.
Le 7, sur deux cents malades existant dans l'hôpital, cinquante
seulement pouvaient être évacués sur des montures; le reste ne pouvait
l'être que sur des voitures ou des brancards. Parmi ces derniers un
grand nombre était sans aucun espoir de guérison, et il était probable
qu'il en périrait quinze, vingt, et jusqu'à 25 par jour. Je fis sentir à
l'autorité supérieure l'inutilité et les dangers d'une évacuation de
malades réduits à cette extrémité (nº 231 et 232 de ma correspondance.)
Ayant vu une grande quantité de soldats se gorger d'abricots verts, je
remis la note suivante au chef de l'état-major-général, qui la fit
insérer dans l'ordre du jour (nº 233 de ma correspondance).
Au camp de Jaffa, le 8 prairial an VII.
«Les fruits qui ne sont pas bien mûrs sont très nuisibles; ils
produisent au moins des digestions difficiles, souvent des
diarrhées et des dysenteries: ces indispositions ou ces maladies
jettent dans une grande faiblesse et rendent incapable de
supporter les fatigues de la guerre.»
Le soir du même jour le mouvement de l'hôpital était de cent cinquante
malades; mais d'après un examen plus attentif je déterminai vingt à
vingt-cinq hommes à rentrer au camp.
Je passai presque tout le 9 dans l'hôpital pour hâter l'évacuation des
malades qui étaient au nombre de cent.
L'état-major de l'artillerie faisait chercher de tous côtés un jeune
officier blessé à la tête au siège d'Acre: je crus le reconnaître au
signalement qu'on m'en avait donné; j'appelai des canonniers qui
roulaient des pièces sur le port; ils le reconnurent en effet, et
m'aidèrent à le tirer d'une chambre grillée et barricadée où on l'avait
laissé tout nu sur le pavé, au milieu des immondices, et ne conservant
de la vie qu'un peu de chaleur. J'avertis le général commandant
l'artillerie, qui le fit conduire dans sa tente et transporter ensuite
pendant la route sur un brancard très commode. Ce jeune homme dont le
sort intéressa tout le monde recouvra, quoique très lentement, quelque
sentiment; et ses yeux, longtemps immobiles, se ranimèrent enfin pour se
tourner avec reconnaissance sur le général Dommartin: il arriva jusqu'au
fort d'êl-A'rich où il fut confié à une femme qui reçut des avances
assez considérables en se chargeant de lui donner ses soins: mais comme
s'il était des êtres que la fatalité poursuit, sa gardienne se repentit
au bout de quelques jours de ses engagements; elle l'abandonna, s'enfuit
furtivement pour rejoindre l'armée, et l'infortuné jeune homme périt...
L'armée partit le soir de Jaffa et arriva en sept heures de marche près
d'Ebnéh; elle rencontra un passage difficile au pont du Rubia ruiné, le
lit de la rivière se trouvant encaissé.
Le 10, elle se porta par une marche d'un peu plus de sept heures du
village d'Ebnéh à celui d'êl-Mecheden.
Le 11, elle arriva à Gaza par une marche d'un peu plus de huit heures.
Les chemins que nous avions trouvés si fangeux en ventôse étaient
devenus secs et gercés; nous ne trouvâmes à notre retour sur notre route
que trois puits qui avaient jusqu'à cent pieds de profondeur, et dont il
était par conséquent très difficile de puiser de l'eau pour un aussi
grand nombre d'hommes.
L'hôpital de Gaza n'avait plus à notre passage que des convalescents, et
il reçut quelques malades, qui suivirent les uns et les autres le
mouvement de l'armée: il n'était resté personne en état de rendre un
compte bien exact de ce qui s'était passé depuis six semaines; on a
seulement su que le citoyen Bousquet, chirurgien attaché à la
vingt-cinquième demi-brigade d'infanterie de ligne, s'était chargé de la
totalité du service, et qu'il s'en était acquitté avec autant de zèle
que de succès.
L'armée quitta Gaza le 12 et vint coucher en sept heures à Kan-Iounes.
Le 13, elle se rendit de ce lieu à êl-A'rich où elle séjourna le 14: la
marche fut de plus de quinze heures, toujours dans le sable, et très
pénible; car indépendamment de ses armes et de son sac, chaque militaire
portait son bidon plein d'eau et sa provision de vivres pour quatre
jours.
Arrivés à êl-A'rich nous eûmes quelques hommes que la fatigue força de
s'arrêter; il s'établit à l'extérieur et à l'abri des murs du fort
environ cent malades ou convalescents, en comptant quelques officiers
qui s'isolèrent sous des baraques fort commodes, construites avec des
branches de palmier.
L'armée se porta le 15 d'êl-A'rich en face d'Ostracine en dix-sept
heures de marche; elle trouva de l'eau une fois.
D'Ostracine à Cathiéh, le 16, on trouva le puits dit Bir-êl-Ab, et la
marche fut de quinze heures.
La chaleur fut portée dans le sable jusqu'au quarante-quatrième degré au
thermomètre de Réaumur.
L'armée séjourna à Cathiéh le 17 et le 18.
J'eus l'honneur de remettre au général en chef le rapport suivant (nº
237 de ma correspondance).
Au camp de Cathiéh, le 17 prairial an VII.
«GÉNÉRAL,
«Il y a ici aujourd'hui environ cent fiévreux réunis sous des
baraques aux environs de l'ancienne redoute; ils ont été fournis
par les évacuations d'Acre, de Jaffa, et les hommes tombés
malades en route.
Tous ces malades confiés aux soins d'un médecin, d'un chirurgien,
et d'un pharmacien, sont dans une situation qui promet guérison à
presque tous; il y en aura la moitié susceptible d'être évacuée
le 19 ou le 20.
Il faudra encore un dépôt de fiévreux à Belbéis.»
Salut et respect.
L'arrière-garde, formée par la division aux ordres du général Kléber,
prit un soin particulier de l'évacuation des fiévreux et des blessés; à
l'une des stations ce général dit un jour aux premiers, «_Mes enfants,
je suis occupé de vous; nous allons partager ce que j'ai; mais ne
m'approchez pas de trop près, parce que ce n'est pas de la peste qu'il
convient que je meure..._» Il rendait aux généraux Junot et Verdier
l'honorable témoignage d'avoir puissamment secondé sa sollicitude pour
ces malheureux pendant toute la route.
Mais qui peut nommer le dernier de ces généraux sans se rappeler ce que
fit son épouse pendant tout le cours de l'expédition de Syrie? C'est
elle qui, sans calculer qu'elle s'exposait à toutes les fatigues de la
marche la plus pénible, donna son cheval pour faire passer un torrent à
des piétons... elle donna souvent son eau, ses provisions, son linge,
pour des malades ou des blessés... Un jour elle entendit dans le désert
les cris du désespoir d'un soldat aveugle et abandonné; elle court à
lui, _Attache-toi_, lui dit-elle, _à la queue de mon cheval et ne le
quitte plus; il est doux comme moi, il ne te fera aucun mal; viens,
pauvre misérable, j'aurai soin de toi;_ lui qui ne pouvait voir sa
bienfaitrice s'écriait souvent, _Est-ce un ange qui me conduit, qui me
nourrit?_ et elle, avec une touchante simplicité embellie par ses
grâces, _Eh non!... C'est madame Verdier... Une Italienne... La femme du
général._
L'armée se porta le 19 de Cathiéh à Bir-êl-Duedar.
Le 20, de Bir-êl-Duedar à Ssalehhyéh.
Elle séjourna, et le général en chef mit à l'ordre du jour ce qui suit:
Au quartier-général de Ssalehhyéh, le 21 prairial an VII.
BONAPARTE, général en chef, ORDONNE:
ARTICLE PREMIER.
Tous les hommes qui sont attaqués de la fièvre à bubons seront
soumis à une quarantaine, qui sera déterminée par les
conservateurs de santé.
ART. II.
Les corps qui ont avec eux des hommes ayant des symptômes de
cette maladie les laisseront aux lazarets de Ssalehhyéh et de
Belbéis.
ART. III.
Les hommes qui auront avec eux des individus atteints de cette
maladie, lorsque l'armée aura dépassé Belbéis, seront soumis,
avant d'entrer au Kaire, à une quarantaine qui sera déterminée
par les conservateurs de santé.
ART. IV.
L'ordonnateur des lazarets se rendra à Mathariéh, et fera avec
les conservateurs de santé les visites et autres dispositions
nécessaires pour mettre à exécution le présent ordre.
_Signé_ BONAPARTE.
Le 22, l'armée alla coucher au Santon;
Le 23, à Belbéis.
Le 24, séjour, pendant lequel j'adressai une lettre à l'ordonnateur en
chef sur la nécessité de déterminer un mode régulier pour la rentrée des
convalescents de l'épidémie dans leurs corps, où l'on faisait souvent
des difficultés pour les recevoir (nº 240 de ma correspondance). Le
général en chef prit à ce sujet un arrêté qui fut inséré comme
supplément à l'ordre du jour.
L'armée vint camper le 25 à êl-Mark, et l'ordre du jour portait:
«En conséquence de l'arrêté du général en chef du 21 prairial,
concernant les dispositions sanitaires, le citoyen Blanc,
ordonnateur des lazarets, a arrêté que l'armée pourra entrer
demain au Kaire sous les conditions ci-après:
Les officiers de santé des différents corps, le citoyen
Desgenettes, pour le quartier-général, reconnaîtront qu'il n'y a
aucune maladie contagieuse dans les corps, et en adresseront le
certificat ce soir au quartier-général.
Le chef de l'état-major, l'ordonnateur en chef, les généraux de
division, passeront en revue, et ordonneront que tous les effets
turcs et de fabrique de Syrie seront laissés en quarantaine à la
Qoubbéh; chaque corps en fera un paquet.
Le général en chef ordonne la stricte exécution des présentes
dispositions, et en rend les généraux et chefs de corps
responsables.
Tous les hommes qui seraient reconnus malades au quartier
général et dans les divisions d'après la visite des officiers de
santé resteront à la Qoubbéh pour y faire quarantaine.»
_Signé_ ALEX. BERTHIER,
_Général de division, Chef de l'État-Major général._
Je remis le même soir, en exécution de l'ordre précédent, la note
suivante à l'ordonnateur des lazarets (nº 241 de ma correspondance):
Au camp d'êl-Mark, le 25 prairial an VII.
«Le médecin en chef de l'armée déclare au citoyen ordonnateur des
lazarets qu'il a, conformément aux ordres du général en chef du
21 et d'aujourd'hui, constaté l'état de santé des divers
individus composant l'état-major-général, ou se trouvant à sa
suite, et qu'il n'existe parmi eux aucune maladie contagieuse.»
Les autres rapports ayant été également favorables, l'armée rentra au
Kaire le 26.
On a eu lieu de s'assurer en Syrie que les exutoires permanents tels que
les cautères et les sétons; les éruptions cutanées, telles que les
dartres, la gale; les maladies vénériennes, les plaies récentes ou les
ulcères avec une abondante suppuration ne mettaient point à l'abri de
l'épidémie.
Les femmes, les jeunes gens, les enfants même à la mamelle, ont
généralement plus résisté à l'épidémie que les hommes les plus robustes.
Une Alsacienne, épouse d'un guide, qui allaitait son enfant, a fait plus
de soixante lieues derrière la voiture du général en chef, presque
toujours assise entre deux pestiférés, sans qu'il en soit rien résulté
de malheureux.
Il a péri plus de douze à quinze cents chameaux tandis que les ânes ont
parfaitement résisté à la fatigue.
Des bandes de chiens affamés, comme ceux qui dévorèrent Jésabel,
rodaient continuellement autour de nos ambulances: on les vit se jeter
avec avidité sur des cataplasmes qui avaient recouvert des bubons,
manger des chairs charbonnées, se repaître de cadavres de pestiférés,
sans qu'ils aient contracté de maladie; au moins en voyait-on rarement
de morts aux environs de nos établissements.
J'ai oublié de dire que l'on a tiré un grand parti des oignons de scille
cuits et appliqués sur les bubons.
Ces tumeurs critiques étaient généralement dans les aines; quelques
malades en avaient dans les aines et sous les aisselles; on en a vu
jusqu'à quatre dans le même individu.
Les charbons n'avaient pas de siège bien déterminé. Ils étaient souvent
multipliés dans le même malade, et j'en ai fréquemment vu jusqu'à
trois.
La rétrocession des bubons, surtout des parotides, à toutes les époques,
mais plus particulièrement au commencement, était presque toujours
funeste. Il y a cependant eu quelques exemples mais très rares du
contraire.
Les bubons pestilentiels sont des engorgements des glandes lymphatiques
qui s'opèrent évidemment par un mouvement inverse du système absorbant.
Les charbons éminemment contagieux se communiquent au contraire par
absorption directe, c'est-à-dire dans l'ordre ordinaire et par la voie
la plus courte et le plus simple contact.
J'ai observé dans les marches et au retour que les blessés attaqués du
tétanos souffraient beaucoup plus de la variation de l'atmosphère que du
plus haut degré de chaleur.
On a je crois parlé ailleurs des sangsues que nos soldats trouvèrent, à
leur retour, dans des eaux saumâtres, et qui s'étant attachées au voile
du palais et aux parties voisines causèrent des hémorragies. Quelquefois
un gargarisme fait avec un peu de vinaigre suffit pour les détacher, et
d'autres fois nos chirurgiens furent forcés d'aller les chercher avec
des pinces.
D'après les renseignements les plus exacts, l'armée a perdu en Syrie,
par l'épidémie, environ sept cent hommes.
En rappelant les obligations que j'ai au citoyen Jacotin, j'emprunte
encore de lui le résultat suivant pour terminer ce qui concerne
l'expédition de Syrie.
Je me suis également servi pour le retour de l'armée d'un itinéraire
publié par le citoyen Costaz; nº 31 et 32 du Courier d'Égypte.
_Résultat des routes pendant l'expédition de Syrie._
Distance du Kaire à Ssalehhyéh 23 lieues
De Ssalehhyéh à Cathiéh 16-3/4
De Cathiéh à êl-A'rich 24
D'êl-A'rich à Gaza 17
De Gaza à Jaffa 18-3/4
De Jaffa à Acre 23-1/2
------
Cette route de 123 lieues
a été faite dans 38 jours, desquels il faut déduire; savoir,
Pour le siège d'êl-A'rich 3 jours}
Pour celui de Jaffa 4 } 7} 18
Pour séjour 11}
---------
Il reste pour la marche effective 20 jours;
ce qui donne pour terme moyen une marche de 6 lieues 3/20 par jour.
La marche moyenne des convois, les chameaux portant environ 3 quintaux,
est d'environ 1/4 de lieue à l'heure; ainsi la marche moyenne a été de 8
heures environ.
Cette marche considérée quant au sol, l'armée a fait; savoir,
Dans le désert 52 lieues 1/2
Dans le pays habité ou cultivé 70 1/2
-----------------
De ces 123 lieues il y
en a, en supposant les limites de l'Asie et de l'Afrique aux colonnes de
Réfa; savoir,
En Asie 50 lieues 1/2
En Afrique 72 1/2
----------------
La route de retour n'a été que de 119 lieues 1/2
================
L'armée a suivi la mer 20 lieues
Et marché dans l'intérieur du pays 99 1/2
----------------
Ces 119 lieues 1/2
ont été faites en 25 jours;
{ en séjour 8 }
Savoir,{ } 25; ce qui fait par
{ en marche 17 }
jour de marche pour terme moyen 7 lieues, et en temps 9 heures 21
minutes.
En allant en Syrie de Kan-Iounes à Acre (distance 47 lieues 1/2) l'armée
a passé dans trois villes, et dans quinze villages, et quarante-neuf
rivières, torrents, etc; savoir,
{ sur des ponts 3 }
Rivières passées { } 8
{ à gué 5 }
{ à sec 3 }
Ruisseaux ou torrents passés { } 35
{ à gué 32 }
Marais et mauvais passages 6
--------
TOTAL 49
========
Le retour d'Acre à Kan-Iounes, par la route indiquée ci-dessus, n'a été
que de 44 lieues 1/4; on a passé dans cinq villes, et douze villages.
{ subsistantes 3 }
Villes { } 5
{ ruinées 2 }
L'armée a passé vingt-trois rivières, torrents, ou ruisseaux; savoir,
{ sur ponts de pierre 2 }
{ ponts de bois jetés }
Rivières passées { par l'armée 3 } 23
{ à gué 5 }
{ à sec (le Rubin) 1 }
Torrents et ruisseaux passés à sec 12 }
De Kan-Iounes à Acre, l'armée a marché 10 jours effectifs, et elle a
fait 47 lieues et demi; savoir,
En pays de montagnes 4 }
de coteaux 21 } 47-1/2
Et en plaine 22-1/2 }
L'invasion de Syrie a duré 125 jours; savoir,
{ en allant 20 }
En marches { } 37
{ au retour 17 }
{ en allant 11 }
En séjour { } 16
{ au retour 5 }
{ en allant 7 }
{ devant Acre 62 }
En sièges { au retour, pour } 72
{ faire sauter les }
{ fortific. de Jaffa 3 }
Enfin de ces 125 j.,
l'armée en a passé, savoir,
En Asie 98 }
} 125
En Afrique 27 }
Le citoyen Emeric, que j'avais chargé de me suppléer en Égypte, et qui
l'a fait de manière à mériter la reconnaissance de l'armée, me remit, à
mon retour de Syrie, un compte fort exact et fort détaillé du service
médical.
J'ai relevé, tant de ses rapports que des mouvements qui m'ont été
fournis par l'administration, qu'il était mort dans les hôpitaux ou
lazarets de l'Égypte, en pluviôse an 7, trois cents dix-huit hommes,
dont cent trente à Alexandrie, par continuation de l'épidémie;
En ventôse, deux cents soixante-sept hommes, dont cent trente à
Alexandrie;
En germinal, trois cents onze, dont cent quarante-quatre à Alexandrie;
En floréal, deux cents huit, dont quatre-vingt-quinze à Alexandrie;
En prairial, cent vingt-un, dont quarante-sept à Alexandrie;
Ce qui fait un total de mille deux cents vingt-cinq ci:
Morts en pluviôse an 7 318
Idem en ventôse 267
Idem en germinal 311
Idem en floréal 208
Idem en prairial 121
----
TOTAL 1225
====
Je fis mettre à l'ordre du jour l'avis suivant (nº 246 de ma
correspondance):
Au quartier-général du Kaire, le 3 messidor an VII.
«On croit utile de rappeler à l'armée dans ce moment l'avis
inséré dans un ordre du jour de fructidor an 6, relativement aux
bains (voyez page 16).
«Dans la saison où nous nous trouvons maintenant notre attention
principale doit être dirigée sur l'état de la transpiration,
c'est-à-dire que nous devons nous tenir, autant qu'il est
possible, dans une température égale: ainsi il est dangereux de
passer les nuits à l'air et nu; il en résulte des maladies des
yeux assez connues, souvent des diarrhées incommodes, et même des
dysenteries, presque toujours funestes dans de grands
rassemblements d'hommes.
L'eau du Nil est d'une excellente qualité; il est malgré cela
prudent, quand on a chaud, de ne la boire qu'après s'être rincé
la bouche avec, ou en avoir versé sur ses mains.
L'usage exclusif de la viande n'est pas avantageux dans les
chaleurs.
Les spiritueux tels que l'eau-de-vie, pris en quantité, font
autant de mal qu'ils font de bien pris modérément.
Personne ne peut ignorer que les fruits qui ne sont pas bien mûrs
sont nuisibles.
La nombreuse garnison du Kaire, et les corps de troupes
considérables qui s'y trouvent momentanément, ainsi que dans les
environs, ne fournissent pas cent cinquante fiévreux aux
hôpitaux.»
J'adressai le même jour au général chef de l'état-major-général la
lettre suivante (nº 247 de ma correspondance):
Au quartier-général du Kaire, le 3 messidor an VII.
«GÉNÉRAL, j'ai visité aujourd'hui les prisons de la citadelle;
tous les cachots, sans exception, sont inhabitables: l'air n'y
plonge que par des ouvertures très étroites; il y a déjà
longtemps que le général en chef avait ordonné de les agrandir.
Ce qui m'engage à réclamer de nouveau sur cet objet, c'est
qu'indépendamment du mal qui en résulte pour les prisonniers, ils
peuvent souvent porter dans les hôpitaux ou au-dehors des
maladies dangereuses.
Les distributions d'aliments ne se font pas toujours avec
exactitude: l'eau manque souvent dans la proportion nécessaire
pour entretenir la santé.
Les Anglais, les Turcs, et les Grecs, qui ont la liberté de
respirer l'air pur, ne se plaignent de rien relativement au
régime.
La proximité des prisons avec un hôpital considérable, et qui
dans ce moment est bien tenu, exige qu'on les surveille d'une
manière particulière.»
Le 9, j'envoyai au général chef de l'état-major-général le résultat
circonstancié des visites de salubrité faites, d'après mes ordres, dans
tous les établissements militaires du grand et du vieux Kaire, de
Gizeh, de Boulak, et environs; il se faisait de semblables visites sur
tous les autres points de l'armée.
Le 15, les convalescents de Syrie étaient définitivement rentrés dans
leurs corps respectifs.
Le 21, on arrêta diverses mesures d'organisation pour les hôpitaux, et
les officiers de santé en chef relevèrent un abus préjudiciable par la
lettre suivante, adressée à l'ordonnateur en chef (nº 260 de ma
correspondance):
Au quartier-général du Kaire, le 21 messidor an VII.
«CITOYEN, les différentes dispositions prises pour assurer aux
militaires une distribution plus abondante de légumes en
déduction de la viande étant restées sans exécution, nous vous
prions d'ordonner que le règlement soit suivi ponctuellement sur
l'article des aliments.»
_Signé_ les officiers de santé en chef de l'armée.
Les hôpitaux étaient généralement mal tenus et mal approvisionnés; les
autorités supérieures, et les surveillants intermédiaires, n'avaient
point eu assez d'énergie ou de crédit pendant l'absence du général en
chef pour maintenir l'ordre dans toutes les parties de ce service
délicat.
On perdit en messidor quatre-vingts malades, presque tous de la
dysenterie, ci... 80 morts.
Le 27, on organisa le service de santé destiné à suivre le corps
d'armée, qui, commandé par le général en chef en personne, anéantit,
dans les premiers jours de thermidor, une armée formidable, sur cette
même plage d'Aboukir, devenue trop célèbre par les inconstances de la
fortune.
La saison était belle, et le moment de l'activité n'est pas celui des
maladies: nous perdîmes dans les hôpitaux, en thermidor,
quatre-vingt-trois malades, ci.............. 83 morts.
Le général Bonaparte quitta l'armée le 5 fructidor, et en laissa le
commandement au général Kléber.
Pendant l'intervalle qui s'écoula entre la nomination et l'arrivée du
général en chef au Kaire, l'administration sanitaire, avertie par des
rapports qui avaient même une sorte de caractère officiel, éleva des
soupçons sur la nature des maladies régnantes à la citadelle; je fus
forcé d'adresser à ce sujet au général Dugua, commandant de la ville et
de la province, ainsi qu'au conservateur chef par intérim de
l'administration sanitaire, des notes, qui, rendues publiques, calmèrent
et satisfirent les esprits trompés par des exagérations (nº 278 et 279
de ma correspondance).
Le général en chef, par un arrêté du 24, ordonna la formation d'une
commission, composée de l'ordonnateur en chef, du général commandant du
génie, de l'ordonnateur des lazarets, des trois officiers de santé en
chef, et chargée d'arrêter les comptes de l'administration sanitaire,
ainsi que de proposer dans le plus court délai des vues sur son
amélioration.
Cette commission adressa le rapport suivant au général en chef (nº 291
de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 26 fructidor an VII.
«La commission formée par l'arrêté du général en chef du 24 du
courant s'est assemblée cejourd'hui 26, quoiqu'elle fût convoquée
pour le 25, à cause de l'absence de quelques uns de ses membres.
Remise a été faite à la commission du rapport adressé par le
citoyen Blanc, ordonnateur des lazarets, au général en chef.
Il est résulté de son examen que l'on a reconnu l'insuffisance
des moyens d'isolement adoptés jusqu'à ce jour en Égypte dans les
lazarets d'Alexandrie, de Rosette, de Lesbéh, et du Kaire, qui
n'ont jamais été et sont hors d'état de remplir les vues de
sûreté que se propose le gouvernement.
Pour atteindre ce but, il faudrait de grandes
constructions, portées par appenti, et pour cette
année, à soixante mille livres, ci 60,000 l.
Dépenses extraordinaires pour cette année,
soixante mille livres, ci 60,000
Un personnel annuel de cent soixante-neuf
mille livres, ci 169,000
-------
TOTAL 289,000
=======
La commission est obligée de prévenir le général en chef que les
établissements nécessaires ne peuvent être construits avant la
saison ordinaire de la peste, qui s'avance rapidement.
On doit donc se borner à faire quelques améliorations aux
établissements existants, telles que les enclore plus exactement,
y former des abris, et en surveiller plus soigneusement le
service; porter surtout ces améliorations sur les lazarets
d'Alexandrie, de Rosette, et celui de Lesbéh, qui doit être
établi sur la rive gauche du Nil.
Le général commandant le génie présentera des plans relatifs aux
constructions et réparations.
L'ordonnateur des lazarets présentera des règlements pour
l'administration.
Les officiers de santé en chef de l'armée organiseront et
surveilleront le service des lazarets.
_Signés_ H. DAURE, SAMSON, D. J. LARREY,
BLANC, ROYER, et R. DESGENETTES.
Je faisais renouveler les visites de salubrité dans les établissements
militaires, et j'adressai, le 29 et le 6e jour complémentaire, des
rapports à ce sujet au général de division Damas, chef de
l'état-major-général (nº 292 et 302 de ma correspondance).
L'ordre du jour du 5e jour complémentaire portait:
«La charge de contribuer au soulagement des défenseurs de la
patrie blessés ou malades, en surveillant sévèrement les
hôpitaux, est un des plus beaux attributs attachés aux fonctions
de commissaire des guerres.
Mais l'abandon scandaleux dans lequel le général en chef a trouvé
celui d'Ibrahim bey prouve assez combien peu ils sont l'objet de
leur sollicitude.
En conséquence, le général en chef ordonne ce qui suit:
Le 6e jour complémentaire, l'adjudant-général faisant les
fonctions de sous-chef de l'état-major se rendra à l'hôpital
d'Ibrahim bey et à celui de la citadelle, accompagné du
commissaire des guerres chargé de la police, et d'un officier du
génie chargé de l'entretien et de la réparation de ces hôpitaux.
Il fera constater le besoin des fournitures de toute espèce
nécessaires aux malades, l'état des réparations et constructions
utiles pour la propreté et la salubrité; il recueillera les
réclamations des soldats et officiers malades, et celles des
infirmiers, et fera de tout un rapport circonstancié et par écrit
au chef de l'état-major-général.
Indépendamment des officiers commandés pour l'inspection et la
police journalière, il y aura chaque jour un officier
d'état-major qui fera la visite de ces hôpitaux, et rendra compte
au sous-chef de l'état-major; le sous-chef de l'état-major fera
lui-même cette visite de surveillance tous les dix jours, et le
chef de l'état-major deux fois par mois.
Il sera de suite mis un fonds extraordinaire de quatre mille
livres à la disposition de l'ordonnateur en chef pour achat de
draps de lit, couvertures, et autres fournitures nécessaires aux
deux hôpitaux ci-dessus.
Il sera fourni trois cents pintes de vin à celui d'Ibrahim bey,
et deux cents à celui de la citadelle.»
Le général de division, chef de l'état-major-général,
_Signé_ DAMAS.
L'administration sanitaire fut supprimée par un arrêté du même jour. On
ne peut nier qu'elle a été utile, et on lui a dû, dans l'an 7, le
dessèchement du khalich qui traverse le Kaire, exécuté par les
ingénieurs des ponts et chaussées.
Cette opération s'est faite sur une étendue de
canal de quatre mille deux cents cinquante
toises, ci 4250 toises.
Dont neuf cent cinquante de l'embouchure
à la prise d'eau jusqu'à la
ville, ci 950
Dans l'intérieur de la ville, 2100
La branche qui porte les eaux du
fort Sulkouski à la place Ezbekiéh, 1200
----
TOTAL 4250 toises.
====
Ce dessèchement, fait avec mille à douze cents journées d'ouvriers, n'a
guère coûté plus de vingt-un mille medins, ou sept cents cinquante
livres de notre monnaie.
J'omets ici une foule de détails d'exécution dans mon service, parce que
leurs résultats seuls peuvent intéresser.
Nous perdîmes en fructidor et jours complémentaires quatre-vingt-douze
malades, ci................... 92 morts.
_Morts dans le dernier trimestre de l'an 7._
Messidor 80
Thermidor 83
Fructidor, et jours complém. 92
----
TOTAL 255 morts.
====
_Ordre du jour du 6 vendémiaire an 8._
«Kléber, général en chef, ordonne:
Les administrations sanitaires, supprimées par l'arrêté du 5e
jour complémentaire de l'an 7, sont réorganisées ainsi qu'il
suit:
Il y aura au Kaire, intérieur du lazaret;
Un conservateur de 1re classe, à 400 f. p. mois.
Un conservateur de 3e classe, à 250
Un secrétaire-archiviste, à 150
Un préposé de santé, à 100
Deux surveillants, à 80 f. par mois, 160
Six gardes de santé, à 50 f. p. m., 300
À Alexandrie, pour le service du port;
Un conservateur de 2e classe, à 300
Un secrétaire-archiviste, à 150
Quatre gardes de santé, à 50 f. p. m., 200
À Lesbéh, pour le service du bogahz de Damiette;
Un conservateur de 3e classe, à 250
Un secrétaire-archiviste, à 150
Quatre gardes de santé, à 50 f. p. m., 200
Les employés préposés par le citoyen Blanc seront conservés.
Les conservateurs d'Alexandrie et de Lesbéh correspondront avec
le conservateur de première classe au Kaire, et celui-ci avec
l'ordonnateur en chef et la commission extraordinaire de
salubrité publique, établie ci-après.
Les fonds destinés au service des administrations sanitaires
seront mis à la disposition de l'ordonnateur en chef.
Tous les employés ci-dessus seront brevetés par l'ordonnateur en
chef, et le brevet sera visé par le chef de
l'état-major-général.»
_Signé_ KLÉBER.
Le général en chef, sur les divers rapports de la commission formée par
arrêté du 24 fructidor dernier, ordonne:
Il sera formé au Kaire une commission permanente, sous le nom de
_Commission extraordinaire de salubrité publique_, qui aura la
surveillance générale du service des lazarets, et dont les ordres
seront provisoirement exécutés sans délai, sauf recours au
général en chef.
Cette commission sera composée du commissaire-ordonnateur en
chef, du général commandant le génie, du médecin, du chirurgien,
et du pharmacien en chef de l'armée.
Il y aura trois autres commissions subordonnées à la première, à
Alexandrie, à Rosette, et à Lesbéh; elles porteront simplement le
nom de Commission de salubrité publique: chacune d'elles sera
composée du commandant de la place, d'un commissaire des guerres,
d'un médecin ordinaire, d'un chirurgien, et d'un pharmacien de
première classe.
Le bureau de santé, créé pour la ville du Kaire par l'ordre du
jour du 9 vendémiaire an 7, est supprimé, de même que tous ceux
qui auraient pu être établis en d'autres lieux; les fonctions qui
leur avaient été attribuées sont confiées par des lois et des
règlements aux officiers de santé en chef de l'armée et des
hôpitaux militaires.
Les règlements sanitaires adoptés l'an 6 et l'an 7, et qui ne
sont point modifiés par le présent ordre, continueront d'être en
vigueur.
Le général commandant le génie donnera promptement des ordres
pour les constructions et réparations indispensables aux quatre
lazarets pour le service de l'an 8, et il sera mis pour cet effet
à sa disposition la somme de trente mille livres, que porte le
devis joint à son rapport du 29 fructidor an 7.
Les officiers de santé en chef de l'armée sont chargés d'assurer
et de surveiller le service de santé des lazarets; le
commissaire-ordonnateur en chef délivrera des brevets, sur leur
rapport, à ceux des officiers de santé qu'ils jugeront convenable
de conserver, employer, ou requérir.
Il y aura en outre dans chaque lazaret deux ou quatre chirurgiens
turcs, au besoin, qui rempliront les fonctions d'aides, et seront
à la solde de soixante-quinze livres par mois.
_Signé_ KLÉBER.
Le général de division, chef de l'état-major général.
_Signé_ DAMAS.
En exécution de l'arrêté ci-dessus, les officiers de santé en chef de
l'armée nommèrent, le 7, les officiers de santé suivants pour faire
temporairement partie des commissions de salubrité publique:
À Alexandrie,
Le citoyen Salze, médecin ordinaire.
Le citoyen Mauban, chirurgien de 1re classe.
Le citoyen Flamand, pharmacien de 1re classe.
À Rosette,
Le citoyen Sotira, médecin ordinaire.
Le citoyen Villepreux, chirurgien de 1re classe.
Le citoyen Désir, pharmacien de 1re classe.
À Lesbéh,
Le citoyen Barbès, médecin ordinaire.
Le citoyen Rozelle, chirurgien de 1re classe.
Le citoyen Lemaire, pharmacien de 1re classe.
Le 15, tous les travaux relatifs aux invalides étant terminés, et les
états définitivement arrêtés, les officiers de santé en chef écrivirent
aux inspecteurs-généraux du service de santé des armées, à Paris, la
lettre suivante (nº 309 de ma correspondance):
«CITOYENS, nous vous envoyons ci-joint l'état des militaires
jugés dans le cas d'invalidité absolue, et qui retournent en
conséquence en France.
Nous les faisons accompagner par les citoyens Casabianca,
chirurgien de première classe, Bosio et Demay, chirurgiens de
troisième classe, qui quittent ce climat pour raison de santé.
Nous avons déposé les doubles des certificats entre les mains de
l'ordonnateur en chef.»
_Extrait de l'ordre du jour du 17 vendémiaire an 8._
«La commission extraordinaire de salubrité publique, dont la
formation a été ordonnée par l'ordre du jour du 6 vendémiaire,
s'assemblera les 1er et 5 de chaque décade, à trois heures après
midi, chez le commissaire-ordonnateur en chef.
Il est accordé à cette commission un secrétaire, qui aura par
mois cent cinquante livres qu'il touchera sur un état signé de
lui, et arrêté par le commissaire ordonnateur en chef, dont il
devra être breveté.
Le commandant de la place du Kaire enverra à la commission les
rapports qui étaient adressés à l'ordonnateur des lazarets.
Il est recommandé aux commissions formées dans les autres places
de correspondre régulièrement avec celle du Kaire, et de
l'informer exactement de tout ce qui sera relatif à ce service.»
_Signé_ KLÉBER.
Le même jour, j'adressai aux citoyens Calvi, au Kaire, et Gisleni, à
Alexandrie, une commission de médecin ordinaire de l'armée, expédiée
conformément à l'arrêté du 6 du courant par l'ordonnateur en chef, et je
les chargeai spécialement du service des lazarets de ces deux places (nº
310 et 311 de ma correspondance).
Le 21, la commission extraordinaire de salubrité publique proposa au
général en chef de prendre l'arrêté suivant, qui fut inséré à l'ordre du
jour.
Au quartier-général du Kaire, le 24 vendémiaire an 8.
Le général en chef, sur le rapport de la commission
extraordinaire de salubrité publique, ordonne:
ART. Ier. Les effets des hôpitaux ou des lazarets qui ont servi,
l'an passé, à des malades attaqués de fièvres contagieuses,
seront, dans le plus court délai, lavés soigneusement, ou brûlés,
selon qu'il sera jugé convenable.
II. L'exécution de cet ordre est confiée à la commission
extraordinaire, et aux commissions de salubrité publique
d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh; ces dernières rendront compte
de cette opération à la commission extraordinaire, ainsi que de
toutes celles que les localités pourront leur dicter.
III. Tous les agents de l'administration sanitaire sont aux
ordres immédiats des dites commissions.
_Signé_ KLÉBER.
Les lettres du citoyen Pugnet, datées de Girgéh, m'apprenaient que dans
la haute Égypte il n'y avait guère en vendémiaire que des dysenteries.
Dans la basse Égypte, beaucoup plus humide, et particulièrement à
Lesbéh, il régnait des fièvres catarrhales et bilieuses, et depuis que
les chaleurs, qui n'avaient duré qu'environ un mois et demi, étaient
disparues, les fièvres pestilentielles commençaient à reparaître
(Extrait de la correspondance du citoyen Barbès).
À Alexandrie, on comptait neuf personnes attaquées de ces fièvres, dont
trois mortes; les autres maladies étaient des diarrhées, des
dysenteries, et quelques cas de scorbut.
À Rosette, il y avait très peu de malades; le mouvement de l'hôpital
était communément de vingt-cinq fiévreux.
Au Kaire, on surveillait avec la plus grande vigilance la santé des
troupes, sans négliger celle des habitants, et j'étais journellement
occupé à provoquer ou à faire exécuter des mesures de salubrité; je ne
cessais également, dans les mêmes vues, de presser par des circulaires
la rédaction des topographies médicales (nº 318, 319 et 320 de ma
correspondance).
Voici quelques observations du citoyen Savaresi sur les maladies
régnantes dans cette place en vendémiaire.
DYSENTERIES. Les dysenteries invétérées sont incurables; elles sont
accompagnées de coliques très fortes, qui sont produites par
l'inflammation locale des intestins, et se terminent par la gangrène.
Les dysenteries récentes, quoiqu'opiniâtres, se guérissent avec moins
d'obstacles: quelquefois elles sont vermineuses; on les voit rarement
accompagnées de fièvres intermittentes.
Dans ces maladies l'administration de l'opium produit de bons effets;
les stimulants sont très utiles dans certains cas.
AFFECTIONS DU FOIE. Il y a eu beaucoup d'obstructions du foie et de la
rate; je crois que c'est la constitution automnale: les rhumes
accompagnent ces obstructions.
Les alcalins ont été employés avec utilité.
MALADIES DIVERSES. Il y a eu des jaunisses, qui ont disparu à la suite
de l'action du tartrate de potasse antimoine, et de la rhubarbe en
poudre en petites doses réitérées.
Les fièvres intermittentes n'ont pas été nombreuses; elles résistent
quelque temps, parce que le quinquina est médiocre; je le mêle avec
l'alun pour lui donner plus de stypticité.
Les ophtalmies se guérissent très facilement.
Ceux qui avaient eu des douleurs rhumatismales l'année passée dans cette
saison, et qui les avaient vues s'apaiser dans les chaleurs, en sont
atteints de nouveau.
Nous avons perdu en vendémiaire soixante-sept hommes, ci............. 67
morts.
La commission extraordinaire de salubrité publique prit, le 1er
brumaire, plusieurs délibérations:
1º Elle proposa et détermina l'organisation de l'administration de
Rosette;
2º Elle rejeta, comme dispendieuse et inutile, la proposition de donner
des adjoints aux conservateurs de santé;
3º Elle provoqua des mesures qui furent adoptées, et mises à l'ordre du
jour ainsi qu'il suit:
Au quartier-général du Kaire, le 4 brumaire an VIII.
Kléber, général en chef, sur le rapport de la commission
extraordinaire de salubrité publique, ordonne:
ART. Ier. Les commissions de salubrité publique établies à
Alexandrie, Rosette, et Lesbéh, qui sont en activité, doivent
correspondre le plus fréquemment possible avec la commission
extraordinaire séante au Kaire.
II. À la réception du présent ordre du jour, et à la diligence
des susdites commissions, la quarantaine sera établie ainsi qu'il
suit:
III. À Alexandrie, on se conformera, pour les relations
extérieures, au règlement observé l'an VII, et approuvé par le
général en chef Bonaparte.
IV. À Rosette, on suivra le même règlement pour ce qui arriverait
directement par mer en remontant le Nil; ce qui vient
d'Alexandrie sera provisoirement sujet à quinze jours de
quarantaine.
V. À Lesbéh, on observera, de même qu'à Alexandrie et à Rosette,
ce qui est prescrit par le règlement pour les relations de
l'extérieur, c'est-à-dire de la mer en remontant directement le
Nil: dès à présent, tout ce qui vient de Damiette fera à Lesbéh
quinze jours de quarantaine d'observation, et la commission de
salubrité de cette place fera ce qu'elle jugera convenable sur la
prolongation de la quarantaine, dans le cas où la situation de
Damiette l'exigerait.
VI. Au Kaire, on soumettra, à partir de ce jour, tous les objets
venant d'Alexandrie, Rosette, Lesbéh, et Damiette, à quinze jours
d'observation, et les personnes seulement à dix jours.
VII. Les conservateurs prendront des mesures pour aérer et
sanifier les marchandises et autres objets.
VIII. Les lettres venant d'Alexandrie, Rosette, Damiette, et
Lesbéh, seront passées au vinaigre, et l'administration des
postes est responsable de l'exécution de cet article.
_Signé_ KLÉBER.
La commission délibéra, le 6, d'appeler dans son sein l'ordonnateur de
la marine Leroy, dont l'expérience et les lumières sont aussi connues
que son ardent amour du bien public: le général en chef approuva cette
nomination.
La même commission prit, dans sa séance du 10, les délibérations
suivantes, qui furent mises à l'ordre du jour.
_Ordre du jour du 17 brumaire an 8._
Le général en chef, sur le rapport de la commission
extraordinaire de salubrité publique, ordonne:
ART. I. Il y aura une djerme armée en station à la pointe du
Delta.
II. Le commandant de la djerme fera arrêter tous les bâtiments
venant de Rosette et Damiette, et les fera escorter jusqu'au
lazaret de Boulak.
III. Il délivrera à chaque reys une note signée par lui, portant
le nom du reys, l'endroit d'où il vient, et le nombre de
personnes qu'il a sur son bord.
IV. Il recommandera au patron commandant le bateau d'escorte
d'empêcher toute communication des personnes qui se trouveront
sur la djerme en quarantaine jusqu'à leur arrivée au lazaret.
V. Quant aux djermes venant de tout autre lieu que ceux mis en
quarantaine, on les laissera monter à Boulak sans escorte, en
recommandant aux reys de ne communiquer avec personne avant
d'avoir pris l'entrée du bureau de santé vis-à-vis de Boulak.
VI. Il sera établi à la Koubéh un poste sanitaire d'observation,
composé d'un des conservateurs de troisième classe du Kaire, et
de deux gardes de santé.
_Signé_ KLÉBER.
_Extrait des délibérations de la commission extraordinaire de salubrité
publique, du 10 brumaire an 8._
La commission délibère d'appeler, au nom du bien public, le
concours des lumières et de la surveillance de tous ceux qui
peuvent lui communiquer des renseignements utiles; elle recevra
avec reconnaissance tous les avis et toutes les observations;
elle invite en même temps tous ceux qui auraient connaissance de
l'existence de quelques fièvres contagieuses à en informer les
conservateurs de santé, pour qu'il soit fait une visite régulière
par qui de droit, et que l'on puisse prendre de suite les mesures
nécessaires pour la sûreté générale.
La commission s'assemble régulièrement tous les décadi et
quintidi, et toutes les fois que les circonstances l'exigent,
maison de l'ordonnateur en chef.
Le président de la commission.
_Signé_ R. DESGENETTES.
Le secrétaire de la commission.
_Signé_ ZINK.
Le général en chef approuve la présente délibération, et ordonne
l'exécution des dispositions qu'elle renferme.
_Signé_ KLÉBER.
L'ordre du jour du 18, qui déterminait le service des ports
d'Alexandrie, renfermait la disposition suivante:
«Lorsque les commissions de salubrité publique des ports
d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh, auront à délibérer sur quelque
chose relative à la santé des marins et à la salubrité des
bâtiments, elles appelleront l'administrateur en chef de la
marine, et le chef de l'état-major maritime.»
Le 21, sur la proposition du général en chef, la correspondance des
commissions de salubrité publique, et les déclarations du conservateur
de première classe, la commission extraordinaire délibéra que la
quarantaine d'observation serait réduite à cinq jours, à compter de
l'entrée au lazaret.
Un rapport mal motivé excita des réclamations sur la délibération du 21;
mais elle fut maintenue d'après la connaissance positive que je pris des
faits le 24.
Le 30, il fut déterminé entre l'ordonnateur et les officiers de santé en
chef qu'un corps d'armée se portant sur les frontières de l'Égypte, du
côté de la Syrie, l'hôpital de Belbéis serait l'établissement
principal.
Je passe sous silence une foule de détails d'exécution.
Il y eut peu de malades en brumaire, et un très petit nombre d'exemples
de fièvres pestilentielles mortelles; nous perdîmes pendant ce mois
soixante-treize hommes, ci..... 73 morts.
La commission extraordinaire approuva, le premier frimaire, la mise en
quarantaine de la frégate _la Léoben_, ordonnée par la commission de
salubrité publique d'Alexandrie, à cause d'un accident de fièvre
pestilentielle qui s'était manifestée à son bord, et elle la chargea de
faire descendre l'équipage à terre, et de l'isoler pendant que l'on
s'occuperait de sanifier le bâtiment.
Quelques circonstances forcèrent la commission extraordinaire à réclamer
près du général en chef la prérogative indispensable de communiquer avec
lui sans intermédiaire, et l'exécution sévère des règlements sans
acception des personnes.
Je fis cesser les préférences usurpées par les vénériens sur les
fiévreux de tout genre, en rappelant encore l'exécution de nos
règlements, qui ont si sagement et depuis si longtemps déterminé le
classement le plus avantageux des malades.
Le 11, la commission extraordinaire adressa à la commission de salubrité
publique d'Alexandrie la délibération suivante, prise dans la séance de
la veille (nº 366 de ma correspondance).
«La commission de salubrité publique d'Alexandrie donnera les
ordres nécessaires pour faire visiter les marins tous les matins,
et faire séparer ceux qui auraient pu tomber malades pendant la
nuit; faire consigner les équipages; séparer les distributions,
pour éviter les inconvénients du défaut d'exercice. Elle invitera
le chef de l'état-major maritime à laisser descendre à terre, à
des jours et heures différentes, les équipages, qui, séparément,
pourront se promener sur le rivage entre la batterie des
mortiers, l'île Pharos, et le moulin: les états-majors maritimes
et les officiers mariniers seront responsables de toute
transgression aux lois sanitaires.»
Le 21, la commission extraordinaire eut l'honneur de prévenir le général
en chef qu'un bâtiment grec, commandé par le capitaine Caravachisy,
était arrivé le 10 du courant (frimaire) devant Aboukir, et que, sans
aucunes mesures de précaution, il lui avait été permis de vendre sa
cargaison; ce qui pouvait compromettre la santé publique: elle le pria
en conséquence d'ordonner qu'aucun bâtiment ne pût prendre communication
que dans les lieux où il existe des lazarets.
Chaque séance de la commission extraordinaire fut marquée par des
délibérations confirmatives des mesures prises par les commissions de
salubrité publique, ou destinées à maintenir l'ordre de police et
l'économie.
Le général en chef accorda aux médecins ordinaires de l'armée une
gratification, comme un témoignage de satisfaction pour leurs services.
Nous perdîmes en frimaire, par des maladies du foie, des diarrhées, des
dysenteries chroniques, et un petit nombre de fièvres pestilentielles,
soixante-dix hommes, ci... 70 morts.
On transféra, sur la demande des officiers de santé en chef de l'armée,
le corps des invalides, de la ferme d'Ibrahim bey qu'il encombrait, dans
un local commode et spacieux, à la citadelle du Kaire.
L'ordre du jour du 14 annonçait que le général en chef venait de
recevoir du commodore anglais, sir Sidney Smith, un passeport qui
garantissait le libre passage et le retour de nos invalides en France,
et il contenait un arrêté relatif aux mesures qu'exigeait cette
translation.
L'ordre du jour du 18, qui pouvait être regardé comme une ampliation de
celui du 14, ordonnait que les invalides partiraient du Kaire le 25, et
se rendraient à Rosette, au lieu d'Alexandrie, rendez-vous d'abord
désigné.
Le quartier-général partit pour Ssalehhyéh le 19.
_Extrait des délibérations de la commission extraordinaire de salubrité
publique, du 25 nivôse an 8._
La commission, d'après les ordres du jour du 14 et du 18 du
courant, relatifs à l'évacuation des invalides en France, et
après avoir eu communication du départ des membres de la
commission des sciences et arts, a délibéré:
1º Aussitôt que les conditions du cartel pour les navires
destinés à porter les invalides et la commission des sciences et
arts seront arrêtées, et que ces navires, ayant leurs équipages à
bord, seront prêts à faire leur route, ils entreront en
quarantaine.
2º Il sera formé un comité de surveillance de salubrité à bord du
commandant, un comité particulier à bord de chaque bâtiment
correspondant avec le comité central; et il sera nommé près du
comité central un conservateur de santé de troisième classe, qui
aura sous ses ordres le nombre suffisant de gardes de santé pour
qu'il y en ait un à bord de chaque bâtiment.
3º Le comité central sera composé du citoyen Tallien, commissaire
civil, du commissaire de la marine, du commissaire des guerres
Duprat, de l'officier de santé de première classe de l'armée de
terre, et de celui du bord le plus avancé en grade. Chaque comité
particulier sera composé de l'officier de marine chef de route,
du faisant fonctions d'aide-commissaire de marine, et de
l'officier de santé. Le conservateur de troisième classe sera
désigné par le citoyen Guirard, conservateur de première, qui
désignera également les gardes de santé, qui seront pris de
préférence parmi les invalides de la marine ou les anciens gardes
en exercice dans l'an VII, et qui n'ont pas été conservés dans la
réorganisation de l'an VIII. Ces employés sanitaires suivront
l'expédition jusque dans les ports, et ils seront chargés des
mesures de précaution, dans le cas qu'il survînt quelques
accidents de peste dans le courant de la traversée.
4º Il sera destiné plusieurs djermes pour le transport des
effets, provisions, et personnes, qui doivent être embarqués sur
lesdits navires au lieu de l'embarquement; les djermes resteront
en quarantaine jusqu'après le départ des navires auxquels elles
auront été affectées: elles seront surveillées par des gardes de
santé, pour qu'elles ne communiquent avec la terre ailleurs que
sur l'île de la quarantaine de Rosette.
5º Toutes les provisions seront portées du Kaire à bord des
navires, au lieu de l'embarquement; les djermes qui les
descendront à Rosette s'y arrêteront à l'île de la quarantaine,
et attendront que les djermes de la marine, indiquées dans
l'article 4, puissent se charger; elles ne seront portées à
bord des navires que quand le conservateur chargé de la
quarantaine l'autorisera.
6º Les personnes qui doivent faire partie de l'expédition, et
s'embarquer sur les susdits navires autres que les équipages, se
rendront à Rosette, sur l'île de la quarantaine.
7º Les personnes qui sont à Alexandrie pour y subir la
quarantaine, faire sereiner leurs hardes, laver celles qui sont
susceptibles de l'être, obtiendront un certificat du conservateur
de santé du lazaret, visé par la commission de salubrité publique
de cette place.
8º Les personnes qui partiront du Kaire pour Rosette n'y
communiqueront pas avec la ville; elles attendront, ainsi que
celles venues d'Alexandrie, que le conservateur de santé chargé
de la sanification des navires et équipages, avise qu'on peut se
rendre à bord des navires.
9º Les contrevenants aux articles 6, 7, et 8, ne pourront
s'embarquer, et faire partie de l'expédition.
Le président de la commission.
_Signé_ R. DESGENETTES.
Le secrétaire de la commission.
_Signé_ ZINK.
Par autorisation et dans l'absence du général en chef, le général
de division commandant des ville et province du Kaire approuve
la présente délibération, et ordonne l'exécution des mesures
qu'elle renferme.
_Signé_ C. F. J. DUGUA.
La commission délibéra dans la même séance;
1º Que les personnes et marchandises venant de Rosette seraient soumises
à la quarantaine d'observation jusqu'à nouvel ordre;
2º Que les personnes feraient quinze jours de quarantaine, et les
marchandises selon l'exigence;
3º Que tout bâtiment ou bateau arrivant à Rosette par le boghaz devait
être compris dans le rapport de l'administration sanitaire, ainsi que
toutes les barques portant des troupes, chevaux, effets, vivres de la
république, de quelque endroit qu'elles viennent.
Je remis, le 30, au général Dugua le résultat d'une visite de salubrité
faite dans les établissements militaires du grand et du vieux Kaire, de
Gizeh, et de Boulak.
Nous perdîmes en nivôse cinquante-sept malades, ci.............. 57
morts.
Pluviôse, fertile en évènements politiques, de même que les mois qui le
suivirent, offrit peu de faits relatifs à l'histoire médicale.
La commission extraordinaire délibéra que les courriers venant de
Damiette au Kaire se rendraient directement au lazaret.
Je remis, le 4, à l'ordonnateur de la marine une note, par laquelle, en
approuvant l'approvisionnement des bâtiments en buffles, lard, et
poisson salé, je recommandais les farineux (nº 401 de ma
correspondance).
La commission extraordinaire délibéra, le 5, que la quarantaine
d'observation, établie pour les personnes venant de Rosette, serait
réduite à cinq jours.
La convention d'êl-A'rich fut ratifiée par le général en chef au camp de
Ssalehhyéh, le 8, et l'ordre du même jour la transmit à l'armée,
accompagnée d'une proclamation qui en expliquait les motifs.
Très peu de jours après, l'on apprit par un papier public anglais (_the
Sun_, nº 2233) les évènements très détaillés du 18 brumaire[16].
[Note 16: Voyez le Courier d'Égypte nº 61, 62, 63, 64, 65.]
Nous n'avions cependant pas ignoré toutes les grandes nouvelles de
l'Europe; mais les ennemis, qui nous les avaient toujours données, ne
nous avaient laissé connaître que les succès rapides et effrayants des
puissances coalisées; on avait rembruni avec art et pour nous le tableau
déjà trop désolant des maux intérieurs de notre patrie; et, croyant
ajouter à la position la plus inquiétante, on osa nous transmettre
jusqu'à ce voeu dicté par le délire d'une haine homicide à un ministre
britannique au milieu du parlement: «_Que l'armée d'Orient serve
d'exemple; l'intérêt du genre humain demande sa destruction: espérons
que, harcelée sur tous les points, luttant contre les maladies et
l'influence du climat, elle ne retournera point tranquille sur le rivage
où elle s'embarqua._»
Le reste du mois fut employé aux préparatifs de l'évacuation convenue.
Il y eut dans pluviôse des fièvres pestilentielles sur presque tous les
points de l'armée, notamment à Alexandrie, Lesbéh, Rosette, et même au
Kaire; nous ne perdîmes pourtant par les maladies que trente-huit
hommes, ci... 38 morts.
Nos établissements se reployaient régulièrement sur le centre de
l'armée, en suivant le mouvement des troupes.
Les provocations de quelques Osmanlis dans la journée du 12 avaient été
punies de mort par l'ordre de leurs chefs, et n'avaient point altéré
notre tranquillité.
Le chef de brigade Latour-Maubourg apporta le 14 au Kaire avec la
constitution des nouvelles qui influèrent prodigieusement sur le moral
de l'armée.
Une proclamation du 20 annonça que l'exécution de la convention
éprouvait des difficultés.
Enfin, le 27, Kléber publia dans l'ordre du jour la célèbre lettre du
lord Keith, à laquelle il répondit le 30 par son immortelle victoire
d'Héliopolis.
Pendant que le général en chef dispersait devant lui les ottomans
fugitifs, son palais, abandonné à la garde d'une centaine d'hommes, fut
attaqué avec fureur par Nassif pacha, qui avait pénétré dans le Kaire à
la tête d'un corps de troupes considérable. Je reçus dans cette
circonstance un coup de feu à la tête.
Le citoyen Calvi, médecin de l'armée fut massacré dans le quartier des
Francs.
Resserrés bientôt par des forces toujours croissantes, nous mîmes le feu
à nos propres maisons en les abandonnant. Les matériaux nombreux qui ont
servi à ce travail étaient perdus s'ils n'eussent été arrachés au
pillage et dérobés aux flammes par le zèle et le courage d'un excellent
ami[17].
[Note 17: Le citoyen Thévenin, qui, après avoir rendu, en
qualité de chef de différentes administrations, les plus
grands services, a généreusement aidé l'armée de sa bourse et
de son crédit dans des circonstances difficiles, et qui,
voulant le premier faire jouir la France des avantages
commerciaux que promettait la possession de l'Égypte, a
expédié dans l'an IX douze bâtiments qui sont tous tombés aux
mains des ennemis.]
Les renseignements que j'ai pu recueillir ont porté à quarante-cinq le
nombre des malades que nous avons perdus en ventôse, ci... 45 morts.
_État des morts dans le premier semestre de l'an VIII._
Vendémiaire 67
Brumaire 73
Frimaire 70
Nivôse 57
Pluviôse 38
Ventôse 45
---
TOTAL 350 morts.
===
Germinal appartient tout entier à l'histoire militaire et politique; il
est marqué par le siège et la capitulation du Kaire révolté, et le
traité d'alliance avec Mourat-bey.
La correspondance du citoyen Pugnet, qui suivit les troupes qui
reprirent Damiette le 9, nous a appris que le ciel étant devenu très
brumeux le 15 et le 16, et que des pluies abondantes ayant tombé les 17,
18, 19, 20 et 21, il y eut dans cette ville onze personnes attaquées à
la fois de fièvres pestilentielles.
Nous perdîmes dans les hôpitaux, d'après les mouvements que j'ai pu me
procurer, cent vingt-un hommes, presque tous au Kaire, et presque tous
blessés. Je pris sur les causes de cette mortalité des renseignements
qui à la vérité ne furent point officiels, parce que les médecins ne
furent point appelés en consultation, mais très suffisants pour me
prouver que la complication qui se mêlait aux blessures, d'ailleurs la
plupart très graves, était une vraie fièvre d'hôpital, produite par
l'entassement des hommes et la pénurie des circonstances, ci............
121 morts.
Le service fut réorganisé en floréal comme l'exigeait la conservation de
l'Égypte.
Le grand nombre de blessés qui avait afflué à la ferme d'Ibrahim-bey
m'engagea à faire transférer cent cinquante fiévreux à la citadelle.
Les Osmanlis malades et blessés furent reçus et traités d'après les
ordres du général en chef avec les mêmes soins que nos propres
concitoyens dans cette même mosquée de Nensbek, qui leur avait servi de
quartier-général pendant le siège, et du haut du minaret de laquelle le
fanatisme avait appelé au nom du ciel sur nos têtes reprouvées la
vengeance et la mort.
Le chef de bataillon Lamarque, commandant de la sixième section du
Kaire, m'ayant envoyé comme objet de salubrité, le 28, une demande qui
lui avait été adressée, je lui répondis le même jour (nº 455 de ma
correspondance).
«Le médecin en chef de l'armée ne voit aucun inconvénient à
permettre à madame Caffe de recueillir les ossements de son fils
assassiné dans le Calish, pour leur rendre les honneurs religieux
d'une sépulture plus décente.»
La correspondance de ce mois nous a offert dans les hôpitaux des fièvres
intermittentes et nerveuses, des inflammations du foie, des jaunisses,
des hydropisies du bas-ventre, et toujours des dysenteries. Les lazarets
ont continué sur tous les points à recevoir des malades. La mortalité a,
de même qu'en germinal, porté presque entièrement sur les blessés; et
comme il a été impossible d'obtenir des mouvements distincts par genre
de maladie, je porte ici cent soixante-six hommes, ci............. 166
morts.
L'ordre s'établit toujours très difficilement, et les hôpitaux
manquaient encore, au commencement de prairial, de beaucoup d'objets
essentiels (voyez les nº 453, 456, et 464 de ma correspondance).
L'augmentation rapide des croisières anglaises et turques ayant paru à
la même époque menacer d'un débarquement sur les côtes d'Alexandrie, le
quartier-général se porta à Rahmanyéh.
La commission extraordinaire renvoya dans la séance du 15 au conseil de
guerre de la division Lanusse une accusation de vols commis par des
employés du lazaret de Rosette.
Le 21, je sollicitai et obtins du général-commandant du Kaire que les
officiers, sous-officiers, et matelots anglais formant l'équipage du
_Cormoran_, échoué dans la nuit du 30 floréal au 1er prairial sur la
côte d'Aboukir, et détenus à la citadelle, fussent moins étroitement
logés, et pussent se promener quelques heures chaque jour sur la place
d'armes.
Les premiers étaient très affectés de leur situation; les autres ne
montraient point d'inquiétudes: heureuse insouciance, qui, dans les
rangs moins élevés, compense assez volontiers les faveurs de la fortune!
ils se livraient à toutes sortes d'exercices et de jeux; ils se
consolaient, loin de leur pays, en dessinant partout ces vaisseaux qui
en font l'orgueil et la gloire; et, dans les lieux les plus apparents
comme dans les recoins de leur habitation, ils tracèrent en grands
caractères cette devise patriotique et chère à leurs coeurs: _Old
England for ever!_ (La vieille Angleterre à jamais!)
Les maladies qui régnaient le mois précédent se montrèrent encore dans
celui-ci; la mortalité qui eut les mêmes causes fut moins grande.
L'époque du 27 est trop célèbre par la fin tragique du général en chef,
qui périt sans défense sous les coups d'un assassin fanatique et
furieux.
L'armée d'Orient a pleuré Kléber; la patrie a dit, en lui élevant des
statues, et l'histoire répétera ce qu'il fut comme guerrier.
Si l'homme privé peut rencontrer un Plutarque, il sera aussi chéri
qu'admiré par la postérité. Quoique j'aie lu journellement dans sa vie,
il ne m'est permis de rappeler ici que la sollicitude avec laquelle il
s'occupait de tous les détails du service dont une partie m'était
confiée. La veille de sa mort il me disait encore: _On sait dans l'armée
combien j'ai pour vous d'amitié... C'est une lettre de crédit dont il
faut vous servir pour faire du bien... Tirez sur moi hardiment, je ferai
honneur à mon papier._
Nous perdîmes en prairial quatre-vingt-seize hommes, ci............. 96
morts.
Le général Menou prit le commandement de l'armée.
Il ordonna le 7 messidor la formation d'une commission, composée de
l'ordonnateur en chef de l'armée, du médecin, du chirurgien, et du
pharmacien en chef, du directeur de la pharmacie de l'armée, du
général-commandant du génie, et de l'ordonnateur de la marine, chargée
de proposer sur-le-champ des mesures pour améliorer l'administration des
hôpitaux et des lazarets.
L'ordre du jour du 9, qui était entièrement consacré à la police des
hôpitaux, à la répression et punition d'abus et de négligences dans la
partie administrative de ce service, finissait ainsi qu'il suit:
«Le général en chef recommande à tous les commandants de
provinces et de places, à tous les chefs militaires quelconques,
à tous les commissaires des guerres de surveiller avec la plus
grande attention tout ce qui a rapport aux hôpitaux. Les
officiers de jour devront, dans toutes les villes où il existe
des hôpitaux, en faire la visite avec la plus grande exactitude
et la plus grande sévérité. Les commandants de provinces rendront
un compte direct de cet objet si essentiel au général en chef en
lui envoyant le rapport des hôpitaux toutes les décades.»
Malgré ce que l'on vient de lire, je fus obligé d'adresser le 18 à
l'ordonnateur chargé de la police supérieure des hôpitaux des plaintes
sur la mauvaise tenue et le désordre qui régnaient dans ceux du Kaire
(nº 483 de ma correspondance.)
J'appris officiellement le même jour la mort du citoyen Cérésole,
médecin de l'armée employé à Alexandrie: il avait contracté dans sa
maison, et d'un domestique, une fièvre pestilentielle; son épouse lui
rendit les soins les plus affectueux sans en être atteinte. Ce jeune
médecin aurait un jour réalisé les grandes espérances qu'il donnait,
s'il eût pu concentrer son esprit, qui embrassait trop d'objets dans
l'étude déjà si étendue de la médecine.
J'adressai, le 19, au comité administratif, et sur sa demande du même
jour, l'état désignatif;
1º Des substances médicamenteuses, simples ou composées, dont
l'introduction en Égypte pouvait mériter une prime d'encouragement;
2º De celles qui méritent une exemption de droits d'entrée;
3º De celles qui doivent payer des droits comme provenant de France;
4º De celles qui doivent payer des droits comme provenant de l'étranger
(nº 485 de ma correspondance).
L'ordre du jour du 20 portait:
«Le général en chef voulant prendre tous les moyens qui pourront
préserver les soldats de plusieurs maladies, et notamment de
l'ophtalmie, qui provient en grande partie de la fraîcheur et de
l'humidité de l'air pendant la nuit, ainsi que de la mauvaise
habitude qu'ont la plupart des soldats de dormir sans avoir la
tête couverte, ordonne:
D'ici au 15 vendémiaire prochain tous les individus composant
l'armée seront pourvus d'une capote, faite avec l'étoffe de laine
brune dont se servent ordinairement les Arabes. Tous les corps de
l'armée seront chargés de l'achat des étoffes et de la confection
des capotes.»
J'avais fait différentes réclamations sur la position d'une portion des
prisonniers anglais détenus à la citadelle, et m'y étant rendu le 21 dès
neuf heures du matin pour terminer dans le jour cette affaire, j'écrivis
au général en chef la lettre suivante (nº 488 de ma correspondance).
À la citadelle du Kaire, le 21 messidor an VIII,
à 3 heures 1/2 après midi.
«GÉNÉRAL,
Je me suis transporté ce matin, d'après vos ordres, à la
citadelle, où je me suis concerté avec le chef de brigade
commandant Dupas pour la translation indispensable d'une partie
des prisonniers anglais dans un local plus salubre. On s'occupe
avec activité de leur préparer pour ce soir l'un des étages de la
tour des Janissaires.
Salut et respect.»
Ayant eu connaissance par les papiers publics des plaintes graves
adressées par M. Courtenay-Boyle, capitaine du _Cormoran_, au commodore
sir Sydney Smith, j'ai cru devoir à la vérité de mettre
contradictoirement sous les yeux du public une pièce qui constatât
officiellement que le sort des détenus anglais fut amélioré par les
soins empressés du général en chef, au nom et sous l'autorité duquel
j'agis dans cette circonstance.
J'adressai au président de la commission extraordinaire de salubrité et
des hôpitaux la lettre suivante (nº 489 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 25 messidor an VIII.
«Citoyen, des affaires très urgentes m'empêchent de me rendre à
la commission.
Je n'ai au reste rien à lui communiquer pour mon service
particulier.
Je me borne à désirer l'exécution stricte et littérale du
règlement du 30 floréal an IV, parce que je crois qu'il est
difficile de faire mieux, et qu'il serait dangereux de se livrer
à des innovations d'essai dans les circonstances où nous nous
trouvons.»
Le même jour j'adressai à l'ordonnateur en chef un rapport pour faire
passer sur sa demande, et avec l'agrément du chirurgien en chef, le
citoyen Balme, chirurgien de première classe dans la vingt-deuxième
demi-brigade d'infanterie légère, au grade de médecin ordinaire de
l'armée (nº 490 de ma correspondance).
Les maladies, surtout les fièvres pestilentielles, se mitigèrent ou même
cessèrent sur plusieurs points pendant ce mois, et nous ne perdîmes en
messidor que soixante-seize hommes, ci................... 76 morts.
_Extrait de l'ordre du jour du 2 thermidor an VIII._
Le général en chef voulant assurer d'une manière invariable la
bonne fabrication du pain, voulant aussi prévenir les abus et les
infidélités qui se commettent dans l'emploi des grains destinés à
la nourriture de l'armée, ordonne ce qui suit:
Il sera formé sur-le-champ une commission, composée,
Du général de division Reynier, président;
Du général de brigade Lagrange;
Du chef de la quatre-vingt-cinquième demi-brigade
Viala;
Du chef de la quatre-vingt-huitième demi-brigade
Silly;
Du chef de brigade du quatorzième régiment
de dragons Lambert;
Du chef de brigade des aérostiers Conté;
Du directeur des poudres et salpêtres Champy;
Du commissaire-ordonnateur en chef Daure;
Du médecin en chef Desgenettes.
Cette commission sera chargée des opérations suivantes:
ARTICLE PREMIER.
Elle fera remettre par le commissaire ordonnateur en chef trois
ardebs bruts de blé froment, dont elle constatera le poids;
II. Elle fera procéder sous ses yeux au lavage, vannage,
criblage, etc. des trois ardebs, dont, après siccité, elle
constatera de nouveau le poids;
III. Elle fera suivre ensuite d'une manière exacte l'opération de
la mouture, et de l'extraction de vingt livres de son par chaque
quintal de farine, poids de marc;
IV. Elle fera procéder à la fabrication du pain par des
boulangers qu'elle choisira, en y employant toute la farine
provenue des trois ardebs: elle pourra varier les procédés tant
sur la manière de pétrir que sur celle de chauffer les fours;
V. Lorsqu'elle aura obtenu le meilleur pain possible par
l'extraction des vingt livres de son, elle constatera d'une
manière précise ce que doit fournir de pain un poids donné de
farine ainsi épurée;
VI. Elle fera publier par la voie de l'impression tous les
procédés qui auront été employés, et remettra au général en chef
des échantillons de pain dont l'envoi sera ordonné pour toutes
les manutentions qui existent en Égypte, et pour tous les
généraux commandant les provinces et divisions; partout les mêmes
procédés devront être suivis; partout le pain devra être
semblable à celui qui sera envoyé pour modèle.
_Signé_ ABD. J. MENOU.
Je n'ai plus trouvé dans mes notes rien d'important jusqu'à la date du
24, où j'écrivis à l'ordonnateur chargé de la police supérieure des
hôpitaux la lettre suivante (nº 495 de ma correspondance).
«L'expérience, citoyen ordonnateur, ayant fait connaître que
plusieurs dysentériques ont guéri facilement en descendant de la
haute Égypte ou du Kaire près des bords de la Méditerranée, j'ai
approuvé la demande faite par le citoyen Frank; cependant
l'évacuation proposée doit être bornée à 25 ou 30 malades, en
s'assurant qu'ils recevront, en descendant le Nil et en arrivant,
des secours convenables. C'est sur Rosette qu'il convient de
faire l'évacuation; Alexandrie est trop éloignée, et le climat en
est trop suspect pour y aller chercher la santé.»
Je remis le 27 au général chef de l'état-major-général l'avis suivant,
qui fut inséré à l'ordre de l'armée du même jour.
_AVIS sur la santé de l'armée._
L'armée a reçu plusieurs avis relatifs à la conservation de sa
santé. Nous avons eu la satisfaction de voir que ces conseils
simples et populaires, insérés dans les ordres du jour, et mis en
pratique, ont été de quelque utilité.
Des écrits, appuyés sur l'expérience, ont été consacrés en même
temps à rappeler aux hommes de l'art des choses plus dignes de
leur attention: ainsi l'on a vu les médecins de l'armée faire
paraître successivement des dissertations et des observations sur
les maladies régnantes, en particulier sur l'ophtalmie, sur la
dysenterie, et donner même des aperçus suffisants sur les fièvres
contagieuses, pour que l'expérience de ceux qui les avaient
traitées fût mise à profit. La mortalité considérable des enfants
du Kaire pendant l'hiver dernier nous a également portés à
publier en arabe et en français un _avis sur la petite vérole
régnante_, qui a été répandu avec profusion dans toute l'Égypte.
Nous croyons dans ce moment devoir prévenir l'armée de nouveau
qu'il est essentiel, pour éviter les ophtalmies, de dormir la
tête et même les yeux couverts: le soin de se couvrir la nuit, et
de passer le moins brusquement possible d'une température extrême
à une autre, peut quelquefois seul garantir des diarrhées et des
dysenteries si redoutables dans les armées.
La limonade prise en quantité et habituellement est une boisson
mauvaise qui affaiblit les estomacs les plus robustes; il faut
lui substituer comme rafraîchissant, l'oxycrat, qui est bien
meilleur; c'est un mélange d'eau, d'un peu de vinaigre, et de
sucre.
Les chaleurs considérables de la saison affaiblissent elles
seules les forces digestives. Nous avons dit ailleurs que les
spiritueux pris modérément relevaient ces forces, et que leur
abus les détruisait, et finissait par les anéantir. Il est
démontré par une expérience malheureusement trop journalière que
presque tous les hommes adonnés à l'excès des liqueurs
spiritueuses, et qui ont été attaqués de fièvres contagieuses,
ont péri; on peut aller plus loin et dire qu'ils les ont
contractées plus facilement.
Ceux qui sont attaqués de maladies vénériennes sont également par
leur état de faiblesse générale ou partielle, dans des
circonstances très défavorables, et qui les exposent à l'action
destructive des maladies les plus graves.
Il y a dans ce moment quelques fièvres éphémères ou de très peu
de durée, qui ne doivent point alarmer ceux qui en sont attaqués;
une légère purgation ou deux suffisent pour rétablir la santé: le
plus souvent elles sont catarrhales, et tiennent à une
suppression de transpiration. Nous avons suffisamment expliqué
(tome Ier de la Décade égyptienne, pages 67 et 68) les raisons
qui nous engagent à recommander les purgations légères.
Nous ne craignons pas de dire qu'on abuse infiniment des remèdes:
il est un peu dans le goût des militaires d'en désirer et même de
violents; mais il est du devoir de ceux qui sont chargés de
veiller à leur conservation, de les leur refuser quand ils sont
inutiles: les remèdes héroïques ne doivent être employés que dans
les circonstances difficiles. C'est rendre un service essentiel
que de décrier les polypharmaques, c'est-à-dire ceux qui
surchargent les malades de remèdes, et d'opposer à leur
inexpérience ce beau mot d'un grand praticien de notre siècle:
_La fureur de traiter les maladies en faisant prendre drogues
sur drogues ayant gagné les têtes ordinaires, les médecins sont
aujourd'hui plus nécessaires pour les empêcher et les défendre,
que pour les ordonner._
Les vésicatoires, remède très actif, et qui par conséquent a
besoin d'être employé avec beaucoup de jugement et de réserve,
ont récemment rendu de très grands services dans les fièvres
contagieuses, et dans les soporeuses, dans quelques dysenteries,
et dans les maux de gorge d'un caractère alarmant. Le
gouvernement aura lieu de s'applaudir de la sage prévoyance avec
laquelle il nous a fait parvenir de France une quantité
considérable de cantharides.
Les éruptions qui se manifestent à la peau de plusieurs
personnes, et causent de vives démangeaisons, ne doivent point
inquiéter; elles sont un bienfait: les bains pris de distance en
distance conviennent dans ce cas; mais il ne faut pas se lasser
de répéter ce qui a été plusieurs fois dit sur leur usage,
notamment dans un supplément à l'ordre du jour du 3 messidor an
VII.
Les bains sont un des meilleurs moyens d'entretenir la santé, et
de prévenir les maladies inflammatoires, etc. (voyez page 16.)
Nous n'avons dans ce moment qu'un très petit nombre de malades
dans les hôpitaux.
_Signé_ R. DESGENETTES.
La commission chargée de l'examen de la fabrication du pain présenta son
rapport au général en chef le 27.
_Extrait de l'ordre du jour du 28 thermidor an VIII._
Le général en chef ORDONNE ce qui suit:
ARTICLE PREMIER.
«Le général-commandant à Alexandrie fera faire le plus
promptement possible des informations sur la conduite des
conservateurs de santé de cette ville; il fera arrêter ceux qui
seront coupables même de simples négligences, et les enverra au
Kaire sous bonne et sûre escorte; ils y seront punis conformément
à l'ordre du jour du 11 messidor dernier.
ART. II. La commission extraordinaire de salubrité, séante au
Kaire, se rassemblera sur-le-champ, et prendra les mesures les
plus actives pour arrêter les funestes effets de la contagion qui
se développe de nouveau à Alexandrie; elle prendra aussi des
informations sur les individus, soit de la commission de
salubrité de cette place, soit des conservateurs de santé qui
auraient pu manquer à leur devoir.
ART. III. Les quarantaines établies dans les différentes parties
de l'Égypte d'après les ordres de la commission extraordinaire
de salubrité publique seront exécutées avec la plus extrême
sévérité.»
Cet arrêté était terminé par un témoignage flatteur de la satisfaction
du général en chef relativement à la conduite des officiers de santé.
Nous perdîmes en thermidor soixante-dix malades, ci............... 70
morts.
L'ordre du jour du 1er fructidor portait que le rapport fait par la
commission chargée d'examiner la fabrication du pain serait imprimé et
publié à la diligence des président et secrétaire de ladite commission,
annexé à l'ordre du jour, et envoyé dans toutes les parties de
l'Égypte.[18]
[Note 18: Voyez ce rapport dans les Mémoires sur l'Égypte,
tome III, page 103.]
Je crois devoir rapporter ici l'article que publia à ce sujet le citoyen
Costaz. Je prie seulement les lecteurs de reverser entièrement sur mes
honorés collègues les éloges donnés aux membres de la commission.
_Extrait du Courier de l'Égypte_, nº 96.
«Le pain préparé pour le service de l'armée était d'une qualité
fort inférieure à celle qu'on devait attendre du blé excellent
délivré aux manutentionnaires par les magasins de la république:
le général en chef Menou, persuadé que le soin d'assurer à
d'aussi braves soldats une nourriture saine et agréable est un
devoir essentiel du commandement, résolut de mettre fin aux
négligences et aux abus par lesquels la fabrication du pain avait
été si fort détériorée. Le moyen le plus simple de parvenir à ce
but était de faire examiner tous les détails de la manutention
par des hommes intègres et éclairés, chargés en même temps de
déterminer par des expériences précises le produit d'une quantité
donnée de blé d'Égypte réduit en bon pain: ce produit une fois
connu est une base fixe d'après laquelle il est facile de
reconnaître si les préposés à la fabrication ont manqué de
fidélité ou de soin. C'est la marche qu'a suivie le général
Menou; il a nommé pour cet objet une commission: son rapport
présente des résultats intéressants sur la qualité et sur
l'emploi du blé d'Égypte.
Par la négligence des cultivateurs le blé se trouve toujours mêlé
avec une proportion considérable de terre: avant de l'employer on
le passe d'abord au van et au crible; mais ces deux instruments
ne peuvent séparer les morceaux de terre, aussi pesants que le
blé, et d'un diamètre égal ou plus petit; ils laissent subsister
la poussière qui s'est attachée autour du grain: on a recours au
lavage pour délayer et entraîner ces derniers fragments et cette
poussière. Pour épurer complètement le blé, il est nécessaire de
le laver après l'avoir vanné et criblé: le lavage a de plus le
mérite de remplir un objet au moins aussi intéressant que
l'épuration.
Le froment d'Égypte dans son état naturel ne se comporte pas à la
mouture comme celui de France; mûri au milieu de chaleurs fortes
et continues, son grain est petit, dur, et corné; la pellicule
qui forme le son est adhérente à la partie farineuse de telle
sorte que l'action des meules les brise en même temps, et les
réduit en une poussière fine, qui se tamise au travers des
blutoirs sans distinction de son et de farine: c'est pour cette
raison que dans quelques villes maritimes de France où l'on fait
usage de blé d'Afrique, on mange un pain plus bis et moins
agréable que celui de l'intérieur de la république. On a
plusieurs fois, et toujours sans succès, cherché les moyens de
corriger ce défaut: il paraît qu'on ne s'avisa pas d'employer le
lavage. Le grain absorbe pendant cette opération une certaine
quantité d'eau qui le gonfle, et lui donne le coup-d'oeil
jaune-doré du froment de Beauce. Alors l'adhérence entre la
pellicule et la partie farineuse n'est plus aussi forte, et le
son se sépare comme dans les blés de France.
La quantité d'eau que le blé peut absorber est sujette à varier
suivant la durée de l'immersion: mais il y a une proportion qui
est la plus favorable pour la mouture; si l'on demeure
au-dessous, le son continue à se pulvériser; si l'on passe
au-delà, le blé pressé entre les meules se réduit en pâte. Dans
l'expérience des commissaires le poids du blé s'était augmenté au
lavage de huit pour cent environ; on le laissa sécher pendant
vingt-quatre heures, et lorsqu'il fut mis au moulin l'excès de
poids n'était plus que de cinq et un dixième pour cent. On peut
sans inconvénient s'en tenir en nombres ronds à la proportion de
cinq pour cent.
Au moyen de cette préparation et des soins ordinaires le pain de
l'expérience était très blanc, très savoureux, et aussi agréable
que celui de Paris; il n'avait point le fumet qui nous déplaît si
fort dans le pain fabriqué avec moins d'attention par les
boulangers égyptiens.
Suivant qu'un boulanger est plus ou moins habile, il tire d'un
poids donné de blé une quantité de pain plus ou moins grande.
Cependant il y a pour chaque espèce de blé un produit moyen dont
les produits particuliers ne s'écartent jamais beaucoup, quelle
que soit d'ailleurs l'industrie du boulanger. En France on estime
communément qu'une livre de pain répond à une livre de blé poids
pour poids; dans l'expérience des commissaires le poids du pain
s'est trouvé, après un refroidissement de quinze heures,
supérieur à celui du blé de plus de neuf pour cent: on n'avait
pas laissé un atome de son; loin de là, il avait fallu ajouter de
la farine au son pour se conformer au règlement qui accorde une
extraction de son de vingt pour cent, quantité que par sa nature
le blé d'Égypte ne peut fournir.
Ainsi, à poids égal, le blé d'Égypte, pris dans son état naturel,
donne plus de pain que celui de France.
Le général en chef qui a ordonné les expériences, et les
commissaires qui ont si bien rempli ses vues se sont acquis un
titre réel à la reconnaissance de l'armée. Cette mesure a eu tout
l'effet qu'on pouvait en espérer; le pain du soldat est devenu
très beau, et il ne faut pas douter que cette amélioration ne
contribue pour beaucoup à un phénomène très remarquable que
présente aujourd'hui la santé de l'armée.
La proportion des malades y est tout au plus le quart du taux sur
lequel on calcule ordinairement en Europe.
Voici les nombres déterminés par l'expérience des commissaires:
Le blé a perdu au moulin en farine folle et en eau
évaporée.......... 18 pour mille.
En blutant le produit de la mouture sur mille parties on a trouvé
en son... 185,
En farine............ 815.
Le pain retiré du four et refroidi pendant quinze heures était
plus pesant que la farine employée de 303 pour mille.
Il est facile d'en conclure que si le magasin livre un millier
pesant de blé sec, vanné et criblé, on aura dans les divers
degrés de la manutention les produits suivants:
Le magasin livre à celui qui lave 1000
Celui qui lave doit rendre au meunier 1050
Le meunier doit rendre au blutoir 1030
{ son 191
Le blutoir doit rendre au boulanger {
{ farine 839
Le boulanger doit fournir en bon pain après
un refroidissement de 15 heures 1094.
Les nombres précédents sont indépendants du poids dont on se
sert; il suffit que dans chaque degré de la manutention on fasse
usage du même poids qu'au magasin.»
_Ordre du jour du 6 fructidor an VIII._
«Le général en chef voulant faire pour les invalides de l'armée
tout ce que les circonstances permettent en Égypte, voulant
surtout que ceux d'entre les braves officiers et soldats qui ont
perdu quelque membre à la guerre, ou qui sont accablés
d'infirmités, trouvent toutes les ressources qu'exige leur état,
ORDONNE ce qui suit:
ARTICLE PREMIER.
Il sera formé une commission composée des citoyens,
Friant, général de division, président,
Leclerc, général de division,
Robin, général de brigade,
Galbaud, général de brigade,
Desgenettes, médecin en chef,
Larrey, chirurgien en chef,
Silly, chef de brigade commandant la quatre-vingt-huitième,
Latour-Maubourg, chef de brigade commandant le vingt-deuxième
régiment de chasseurs,
Novel, chef de bataillon, aide-de-camp du général en chef.
II. Cette commission se fera représenter toutes les lois
concernant les invalides; elle avisera aux moyens, premièrement,
d'employer utilement tous les invalides non absolus, secondement,
d'établir une maison où tous les invalides qui auront perdu des
membres, ou qui, étant accablés d'infirmités, ont besoin de
secours journaliers, recevront tous ceux que les circonstances
permettent de leur offrir en Égypte.
III. Le rapport de la commission au général en chef devra, sans
entrer ici dans de plus grands détails, comprendre tout ce qui a
rapport à la manière d'employer les invalides non absolus, et
ceux qui, étant absolus, peuvent encore rendre quelques services,
à leur paie, à leur traitement, à leur habillement, et à
l'établissement d'une maison de retraite. Plusieurs devront
rentrer dans les dépôts de leurs corps.
IV. Le général Friant, président, convoquera le plus promptement
possible les membres de la commission.»
_Signé_ MENOU.
Cette commission remit dans un court délai au général en chef un rapport
très étendu, et en conséquence duquel il arrêta une organisation qui a
été suspendue par différents événements.
Le général en chef avait créé une place de directeur de la pharmacie
centrale de l'armée, et l'ordonnateur en chef en avait réglé les
attributions. Les officiers de santé en chef furent forcés de réclamer
collectivement et en particulier contre l'indépendance où l'on voulait
placer cet établissement, en leur en disputant l'inspection et la
surveillance. Cette discussion, où l'intérêt du service ne fit point
perdre de vue l'estime et les égards dus aux personnes, fut bientôt
terminée, le général en chef ayant nommé le citoyen Boudet, directeur de
la pharmacie, pharmacien en chef de l'armée, par son ordre du jour du
11.
Les officiers de santé en chef adressèrent au général en chef la lettre
suivante; et quoique les vues qu'elle renferme fussent et soient encore
en opposition avec beaucoup d'intérêts, je ne balance pas à la rapporter
(nº 514 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 17 fructidor an VIII.
«GÉNÉRAL,
Nous avons réfléchi sur votre lettre du 13, par laquelle vous
nous faites connaître vos intentions de donner aux officiers de
santé en chef de l'armée la direction et l'inspection des
hôpitaux.
C'est avec raison, général, que vous avez été surpris de la part
si bornée que les règlements nous ont laissée dans
l'administration, quoique nous soyons les plus intimement liés à
l'intérêt des malades; mais cependant, quelques justes que soient
vos idées sur cet objet, et quelque flatteur qu'il soit pour nous
de recueillir les témoignages de votre confiance, nous avons
l'honneur de vous représenter qu'il ne nous convient point de
nous exposer aux risques et aux embarras d'une comptabilité: nous
nous bornons donc à vous demander d'exercer sur les dépenses de
l'administration les fonctions que les contrôleurs remplissaient
dans les anciens règlements, c'est-à-dire qu'il ne sera alloué
en paiement que les objets dont les demandes auront été visées et
approuvées, et l'emploi vérifié par les officiers de santé en
chef de l'armée.
Nos fonctions sont très étendues et très pénibles; d'abord il
nous a fallu, sans le secours et même contre les ordres formels
du ministre de la guerre, nous procurer des collaborateurs; il a
fallu ensuite travailler à former le plus grand nombre à un
service qui lui était totalement étranger, et s'occuper même de
l'instruction de ceux des classes inférieures[19]; enfin la
confiance de l'armée s'est emparée du reste de nos moments. Vous
venez encore de nous imposer de nouveaux devoirs en nous
assignant honorablement une place dans le conseil privé
d'Égypte[20].
[Note 19: Le citoyen Larrey a fait tous les ans des cours
d'anatomie d'institutions et de clinique chirurgicales. (_Note
ajoutée_).]
[Note 20: Voyez l'ordre du jour du 15 fructidor. (_Note
ajoutée_).]
Pour arriver au but que vous vous proposez, nous vous demandons
d'ordonner que les officiers de santé en chef se réunissent dans
un bureau sous le nom de _comité de santé de l'armée_;
Nous vous demandons que les attributions des officiers de santé
de toutes les classes soient maintenues conformément au règlement
du 30 floréal an IV;
Nous vous demandons de limiter l'autorité des commissaires des
guerres. Les vices de la hiérarchie actuelle, oppressive pour nos
subordonnés, sont sensibles pour tout le monde, et le ministre
Petiet, dont les talents administratifs sont assez connus, y
dérogea lui-même dans son règlement particulier sur les
hôpitaux-militaires-d'instruction, dans lesquels deux de nous ont
eu l'honneur de servir et d'enseigner.
Il est nécessaire pour consacrer l'indépendance du comité qu'il
communique avec vous sans intermédiaire toutes les fois qu'il en
aura besoin: il conservera des relations avec l'ordonnateur en
chef pour le matériel de son service, et avec le
général-commandant le génie pour se concerter sur les
constructions et réparations des hôpitaux et des lazarets; et,
dans le cas où il s'élèverait des difficultés entre le comité et
l'ordonnateur, ou le général du génie, elles seront portées
devant vous.
Nous vous demandons la suppression de la commission
extraordinaire de salubrité publique, et sa réunion au comité de
santé. Les motifs qui nous déterminent sont l'économie du temps
et la concentration de l'action;
Nous vous demandons à conserver avec l'administration sanitaire
les mêmes rapports qu'avait la commission extraordinaire, en y
ajoutant ceux que nous demandons à établir avec l'administration
des hôpitaux;
Nous vous entretiendrons des moyens de relever et d'encourager
l'administration sanitaire;
Nous vous demandons de maintenir les commissions de salubrité
publique d'Alexandrie, Rosette, et Lesbéh sur le plan de leur
première organisation;
Nous vous prions de rappeler aux officiers de santé des hôpitaux
militaires et des corps armés, quelquefois portés à s'en écarter,
la soumission qu'ils doivent, conformément aux lois, à leurs
chefs de service respectifs. Il serait bon que vous enjoigniez
aux officiers-généraux, commandants des places, et officiers
particuliers d'assister les officiers de santé en chef de
l'armée, et de leur prêter main-forte en cas de besoin, pour
l'exécution des ordres qu'ils seront dans le cas de donner
d'après les règlements antérieurs, ou celui que vous arrêterez.
Il nous reste, général, un dernier article; c'est celui du
traitement des officiers de santé, qui est dans une disproportion
étonnante avec celui des administrateurs, et notamment des
nombreux commissaires des guerres, même adjoints: nous savons que
vous êtes forcé d'économiser; mais l'état gagnera en soutenant le
courage de nos collaborateurs, et en leur procurant une manière
d'exister qui réponde, s'il nous est permis de le dire, à la
noblesse et à l'utilité de leurs fonctions.
Dans d'autres circonstances, général, et dans d'autres lieux nous
aurions pu profiter davantage de vos bienveillantes dispositions;
mais nous sommes déjà surchargés de nos travaux habituels. Vous
aurez cependant déjà fait beaucoup en indiquant et en commençant
à opérer des changements salutaires, et vos vues particulières
sur l'amélioration de notre service consacreront la sagesse de
votre administration paternelle.
_Signés_ BOUDET, D. J. LARREY, et R. DESGENETTES.
Le général en chef annonça depuis au ministre de la guerre qu'il avait
adopté un plan conforme aux vues développées ci-dessus; mais il ne le
publia point, et il n'y eut d'exécuté qu'une augmentation de traitement,
qui tenait un juste milieu entre la prodigalité et cette parcimonie que
des esprits rétrécis veulent toujours porter dans l'administration
publique.
_Extrait de l'ordre du jour du 26 fructidor an VIII._
«Le général en chef approuve et ordonne l'exécution des arrêtés
pris par la commission extraordinaire de salubrité publique dans
ses séances des 20 et 25 fructidor, portant, 1º Qu'il sera établi
au poste d'Aboukir un garde de santé, chargé d'y faire exécuter,
sous les ordres de la commission d'Alexandrie, les lois et
règlements sanitaires; 2º Qu'il sera également établi un garde de
santé sur le lac Burlos.
L'adjudant-général faisant fonctions de chef
d'état-major-général.
_Signé_ RENÉ.»
Les notes relatives au reste du mois et jours complémentaires ne
présentent rien d'important.
Nous perdîmes en fructidor et jours complémentaires soixante dix-sept
malades, presque tous dysentériques, ci.......... 77 morts.
_État des morts dans le second semestre de l'an VIII._
Germinal 121
Floréal 166
Prairial 96
Messidor 76
Thermidor 70
Fructidor, et jours complém. 77
----
TOTAL 606 morts.
====
Je suis obligé, pour donner une idée des peines qu'il a fallu pour
réunir ces résultats, qui quelquefois encore ne sont qu'approximatifs,
de faire connaître que j'ai souvent écrit jusqu'à dix lettres pour me
procurer le mouvement d'un seul établissement.
On trouvera ici avec intérêt un état relevé avec beaucoup de soin et
d'exactitude, et qui m'a été communiqué par l'estimable commissaire des
guerres Regnier, chargé du bureau central administratif de l'armée.
_ÉTAT nécrologique depuis le départ de France jusqu'au dernier jour
complémentaire de l'an VIII._
A = Tués dans les combats.
B = Blessés.
C = Accidentels.
D = Maladies Ordinaires.
E = Fièvres pestilentielles.
F = Total des morts par administrations ou commissions.
G = Total des morts par administrations ou commissions.
-----------------------------------+-----------------------------+-------+-------+
DÉSIGNATION | GENRE DE MORT. | | |
-------------------+---------------+-----+-----+-----+-----+-----+ | |
de l'arme. | des corps. | | | | | | Total | Total |
| | | | | | | des | des |
| | | | | | | morts | morts |
| | | | | | | par | par |
| | | | | | | corps | arme. |
| | A | B | C | D | F | | |
-------------------+---------------+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
ÉTAT-MAJOR-GÉNÉRAL DE L'ARMÉE | 21 | 4 | 1 | 3 | 4 | 33 | 33 |
| | | | | | | |
INFANTERIE LÉGÈRE. | | | | | | | |
2me 1/2 brigade | 87 | 22 | 12 | 173 | 48 | 342 } |
4me idem | 72 | 8 | 6 | 180 | 78 | 344 } 1353 |
21me id. | 159 | 56 | 37 | 129 | 6 | 387 } |
22me id. | 85 | 51 | 3 | 65 | 76 | 280 } |
| | | | | | | |
INFANTERIE DE LIGNE. | | | | | | | |
9me 1/2 brigade | 195 | 100 | 5 | 94 | 95 | 489 } |
13me id. | 410 | 76 | 20 | 270 | 164 | 940 } |
18me id. | 318 | 43 | 5 | 243 | 58 | 667 } |
19me grenadiers | 32 | .. | .. | 12 | .. | 44 } |
25me 1/2 brigade | 139 | 34 | 14 | 166 | 48 | 401 } |
32me id. | 254 | 89 | 25 | 54 | 88 | 510 } 5006 |
61me id. | 84 | 32 | 18 | 80 | 45 | 259 } |
69me id. | 234 | 29 | 3 | 104 | 38 | 408 } |
75me id. | 241 | 69 | 14 | 164 | 110 | 598 } |
85me id. | 263 | 85 | 6 | 68 | 115 | 537 } |
88me id. | 51 | 30 | 13 | 56 | 3 | 153 } |
| | | | | | | |
GUIDES À PIED ET À CHEVAL. | 52 | 4 | 7 | 2 | 17 | 82 | 82 |
| | | | | | | |
DROMADAIRES. régiment | 15 | 8 | 3 | 4 | 1 | 31 | 31 |
| | | | | | | |
LÉGIONS | | | | | | | |
maltaise | .. | 1 | .. | 26 | 36 | 63 } |
nautique | 83 | .. | .. | 16 | 53 | 152 } 223 |
grecque | .. | .. | 3 | 4 | .. | 7 } |
copte | .. | .. | 1 | .. | .. | 1 } |
| | | | | | | |
cavalerie syrienne. | .. | .. | 1 | 1 | .. | 2 | 2 |
| | | | | | | |
CAVALERIE. | | | | | | | |
7me de hussards | 62 | 15 | 6 | 21 | 3 | 107 } |
22me de chasseurs | 43 | 3 | 9 | 15 | 5 | 75 } |
3me de dragons | 43 | 7 | 6 | 16 | 14 | 86 } |
14me id. | 34 | 12 | 4 | 33 | 10 | 93 } 601 |
15me id. | 35 | 3 | 3 | 13 | 5 | 59 } |
18me id. | 91 | 4 | 1 | 13 | 6 | 115 } |
20me id. | 27 | 1 | 8 | 20 | 10 | 66 } |
| | | | | | | |
GÉNIE. | | | | | | | |
état-major | 6 | 6 | 1 | 4 | 4 | 21 } |
sapeurs | 212 | 22 | 10 | 117 | 108 | 469 } |
ouvriers | 4 | 3 | 1 | 6 | 9 | 23 } 536 |
2e comp. de min. | 3 | 2 | 1 | 7 | 2 | 15 } |
5me id. | 4 | .. | 1 | 2 | 1 | 8 } |
| | | | | | | |
ARTILLERIE. | | | | | | | |
état-major | 6 | 2 | 1 | 13 | 1 | 23 } |
pontonniers | 1 | .. | .. | 6 | 5 | 12 } |
équipag. des ponts | .. | .. | .. | 1 | 3 | 4 } |
ouvriers | 4 | 2 | 5 | 33 | 20 | 64 } |
trains | 41 | 2 | 7 | 81 | 41 | 172 } 675 |
1er régiment | 16 | 3 | 7 | 6 | 9 | 41 } |
4me id. | 63 | 18 | 9 | 57 | 52 | 199 } |
escadrons | 60 | 4 | 3 | 24 | 8 | 99 } |
marine | 11 | 2 | 1 | 17 | 30 | 61 } |
-----------------------------------+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
TOTAUX |3561 | 852 | 281 |2419 |1429 | 8542 | 8542 |
-----------------------------------+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
| | | | | | | | |
des diverses | des employés | | | | | | | |
administrations | des diverses | | | | | | | |
ou commissions. | administrations| | | | | | | |
| ou commissions.| A | B | C | D | E | F | G |
------------------+----------------+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
| | | | | | | |
COMMISSAIRES DES GUERRES | 3 | .. | 1 | 1 | 4 | 9 | 9 |
| | | | | | | |
OFFICIERS DE SANTÉ | | | | | | | |
{médecins | 1 | .. | .. | .. | 4 | 5 } |
{chirurgiens | 6 | 1 | 1 | 5 | 36 | 49 } 82 |
{pharmaciens | .. | .. | 1 | 3 | 24 | 28 } |
| | | | | | | |
{sanitaire | .. | .. | 1 | .. | 15 | 16 } |
{trésorerie nation | 3 | .. | .. | .. | .. | 5 } |
{postes | .. | .. | 2 | .. | 3 | 5 } |
{vivres | 10 | .. | 1 | 2 | 20 | 33 } |
{transports | 16 | 1 | 1 | 6 | 13 | 37 } |
ADMINISTRAT. {hôpitaux | 7 | .. | .. | 21 | 126 | 154 } 257 |
{habillement | 1 | .. | .. | 1 | .. | 2 } |
{monnaie | 1 | .. | .. | .. | .. | 1 } |
{imprimerie | .. | .. | .. | 1 | .. | 1 } |
{domaines nation | .. | .. | .. | 5 | .. | 5 } |
| | | | | | | |
INGÉNIEURS {géographes | 1 | .. | 1 | 1 | .. | 3 } |
{ponts et chaussées | 3 | .. | .. | .. | 1 | 4 } 7 |
| | | | | | | |
COMMISSION DES SCIENCES ET ARTS | .. | .. | .. | 3 | 2 | 5 | 5 |
| | | | | | | |
OFFICIERS DE SANTÉ DE LA MARINE | 1 | .. | .. | .. | 12 | 13 | 13 |
+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
TOTAUX | 53 | 2 | 9 | 49 | 260 | 373 | 575 |
-----------------------------------+-----+-----+-----+-----+-----+-------+-------+
RÉCAPITULATION.
Tués dans les combats 3614
Blessés, morts 854
Tués par accidents 290
Morts par maladies ordinaires 2468
Morts de la fièvre pestilentielle 1689
------
TOTAL DES MORTS 8915
======
_Certifié conforme aux états particuliers fournis par les corps et
administrations de l'armée. Au Kaire, le 10 frimaire an IX._
Signé, _l'ordonnateur en chef_, SARTELON.
La fête du premier vendémiaire an IX fut célébrée avec la plus grande
pompe, relevée par les victoires de la République en Europe. Nous
connaissions en effet alors les éclatants exploits de Masséna dans la
Suisse, et de Moreau sur le Rhin; et jusqu'aux habitants de l'Égypte, si
indifférents sur ce qui se passe dans le reste du monde, savaient que
Bonaparte avait gagné la victoire la plus signalée dans cette Italie,
éternel théâtre de sa gloire; dans tous les lieux où ils se rassemblent
ils s'entretenaient de la bataille de Marengo, de ce canon qui, pour y
tonner, avait franchi des montagnes trois fois plus élevées que les plus
hauts minarets, et ils s'attendrissaient aussi sur la fin prématurée du
conquérant du Saïd, dont ils rappellent tous les jours la valeur et la
justice.
_Ordre du jour du 12 vendémiaire an IX._
«MENOU, général en chef, sur le rapport de la commission
extraordinaire de salubrité publique, ordonne ce qui suit:
ARTICLE PREMIER.
Il sera fait une sereine générale de rigueur dans les villes du
grand et du vieux Kaire, la citadelle, Gizeh, et Boulak;
II. La même sereine générale de rigueur aura lieu dans les
villes d'Alexandrie, Rosette, Damiette, et toute autre ville de
l'Égypte où la commission extraordinaire de salubrité publique
jugera nécessaire de l'ordonner;
III. Il sera attaché à l'administration sanitaire d'Alexandrie
deux préposés et deux gardes de santé de plus;
IV. Il sera aussi établi à Aboukir un préposé sanitaire, et à
Bourlos un garde de santé;
V. La commission extraordinaire de salubrité publique proposera
au général en chef les appointements qui doivent être accordés à
ces divers employés.
VI. Les généraux commandant les places et les provinces, les
commissaires des guerres, le directeur-général et comptable,
l'ordonnateur en chef, les officiers de santé, sont chargés
chacun dans ce qui les concerne de l'exécution du présent ordre.»
_Signé_ ABD. J. MENOU.
«Le général en chef, sur le rapport du citoyen Desgenettes, médecin en
chef de l'armée, du 9 du courant, ordonne ce qui suit:
ARTICLE PREMIER.
Il sera formé sur-le-champ à Alexandrie une commission, composée
du chef de bataillon Sorbier, directeur des fortifications; du
chef de brigade d'Anthouart, directeur du parc d'artillerie; du
citoyen Faye, ingénieur des ponts et chaussées, et d'un médecin
de la place: elle déterminera les canaux traversant la ville qui
doivent être supprimés, et ceux qui doivent être conservés.
II. Les canaux conservés seront agrandis, pavés; on leur donnera
une pente suffisante et bien réglée pour l'écoulement des eaux;
ils seront réparés de manière à pouvoir être nettoyés facilement.
III. La commission examinera tous les moyens d'empêcher qu'il ne
se forme à Alexandrie, pendant la saison des pluies, des amas
d'eaux stagnantes, notamment sur les différentes places où le
général en chef a vu par lui-même qu'il se formait des espèces
d'étangs; la plus grande propreté sera entretenue dans toutes les
places, et l'intérieur de l'enceinte d'Alexandrie.
IV. Le général en chef témoigne, au nom de l'armée, au citoyen
Labatte, membre de la commission des sciences et arts, sa
satisfaction publique pour les observations et recherches qu'il a
faites sur les causes de l'insalubrité d'Alexandrie.
V. Le médecin en chef est chargé de faire faire promptement des
recherches sur les causes de l'insalubrité qui peuvent exister à
Rosette et à Damiette.
VI. Le général de division commandant le cinquième arrondissement
est chargé de l'exécution du présent ordre, qui intéresse si
puissamment la conservation de la garnison d'Alexandrie, et celle
de ses habitants.»
_Signé_ ABD. J. MENOU.
J'adressai, le 12, au général de division Belliard, commandant des ville
et province du Kaire, des observations sur l'état des prisons et des
prisonniers détenus à la citadelle; le même jour il partit pour
Alexandrie trente-six hommes condamnés aux galères; le 15, les
prisonniers de guerre anglais partirent pour Damiette, et une portion
des prisonniers turcs passèrent à Gizeh pour y être employés dans les
ateliers de l'artillerie.
Le général en chef, par son ordre du jour du 14, ordonnait la confection
de cent lits portatifs, propres à transporter des blessés ou malades,
sur le modèle exécuté par les soins, et d'après les vues du citoyen
Larrey, chirurgien en chef de l'armée.
Le général en chef ajoutait à la suite de l'arrêté qui fixait
l'augmentation de notre traitement:
«Le général en chef ne croit pas nécessaire de recommander à tous
les officiers de santé de redoubler encore, s'il est possible, de
zèle et d'activité dans les soins qu'ils savent si bien donner
aux malades de l'armée;
Il leur recommande d'examiner avec soin les causes de
l'insalubrité qui affecte quelques cantons de l'Égypte;
De faire des travaux et des recherches suivis sur les maladies
qui s'y manifestent le plus communément, et généralement enfin
sur toute la topographie médicale de l'Égypte.»
Enfin l'ordre de l'armée du même jour était terminé par l'article
suivant:
«Le général en chef recommande à tous les individus de l'armée
qui sont attaqués de la maladie contagieuse, dont l'existence se
manifeste le plus communément par des bubons, de déclarer dès les
premiers instants le mal dont ils sont atteints: il existe
beaucoup de moyens curatifs lorsque la maladie est attaquée dès
sa naissance; il n'en existe presque plus lorsqu'elle est
invétérée. Les malades peuvent être assurés qu'ils trouveront
dorénavant tous les secours possibles dans les hôpitaux et les
lazarets. Dans le commencement de notre séjour en Égypte la
maladie contagieuse, étant presque inconnue, effrayait tous les
individus; peu de soins étaient donnés aux malades. Aujourd'hui
les officiers de santé, pénétrés d'attachement à leurs devoirs,
et connaissant beaucoup mieux la cause et les effets de cette
maladie, réclament avec instance d'être chargés de traiter les
malades qui en seront atteints;
En conséquence le général en chef ordonne ce qui suit:
Les officiers de santé de l'armée sont chargés, en prenant les
précautions usitées dans les maisons de quarantaine et les
lazarets, de traiter tous les malades qui seront atteints de la
maladie contagieuse: ils ne seront point astreints à être
enfermés dans ces maisons. Le général en chef s'en rapporte à
leur sagesse, ainsi qu'aux règlements qui devront être faits à
cet égard par les officiers de santé en chef de l'armée, pour les
précautions à prendre afin d'éviter les dangers des
communications.»
_Signé_ ABD. J. MENOU.
Le général en chef prohiba, par son ordre du jour du 17, sous des peines
très sévères, l'importation, la préparation, et la vente du hachich,
plante de la distillation de laquelle on obtient une liqueur enivrante;
il défendit également l'usage de fumer la graine de chanvre.
L'ordre de ce jour contenait encore l'article suivant:
«Le général en chef saisit cette occasion de rappeler à tous les
individus qui composent l'armée, ou qui lui sont attachés,
combien est pernicieux l'usage immodéré que font quelques-uns
d'entre eux de l'eau-de-vie et autres liqueurs fortes: outre les
excès de tout genre auxquels se portent les hommes qui sont
ivres, excès qui quelquefois leur coûtent la liberté, la vie, ou,
ce qui est encore plus, l'honneur, l'usage immodéré des liqueurs
fortes rend ceux qui s'y livrent plus disposés à contracter
l'affreuse maladie de la peste. Toutes les observations faites
par les hommes les plus attentifs, et par tous les officiers de
santé de l'armée, prouvent que la contagion se développe plus
souvent dans les maisons de débauche, dans celles des cantiniers,
et dans les cabarets que dans tout autre lieu; que de vingt
individus attaqués de la peste, quinze au moins sont des hommes
reconnus pour être ivrognes, ou se livrant journellement à des
excès d'eau-de-vie;
En conséquence le général en chef ordonne à tous les
officiers-généraux, chefs de corps, et autres officiers de tous
les grades de punir sévèrement tous les hommes qui s'enivrent. Le
bon ordre et la santé des individus de l'armée exigent ces
mesures sévères.»
_Signé_ ABD. J. MENOU.
Le 18, les officiers de santé en chef de l'armée reçurent des recherches
et des conjectures sur les causes de l'insalubrité de Rosette et
d'Alexandrie, par les citoyens Viard, chirurgien du quinzième régiment
de dragons, Robert, chirurgien de la quatrième demi-brigade d'infanterie
légère, et Cousté, chirurgien de la dix-huitième demi-brigade
d'infanterie de bataille.
L'ordre du jour du 22 contenait l'article suivant:
«Le général en chef est mécontent du peu de soin qu'on met à
enterrer les morts: les endroits destinés aux sépultures,
principalement ceux qui avoisinent les hôpitaux, ressemblent plus
à des voiries qu'à des cimetières. Le général en chef recommande
la plus grande surveillance, soit aux directeurs, soit aux
commissaires des guerres chargés de la police des hôpitaux: ils
doivent exiger la stricte exécution des règlements à cet égard;
ce sont des mesures qui tiennent à la décence et à ce que nous
devons à nos restes: partout elles sont nécessaires; elles le
deviennent encore plus pour nous qui vivons au milieu d'un peuple
qui a pour les morts le respect le plus religieux. Les généraux
commandant les provinces et les places tiendront la main à
l'exécution du présent ordre.»
Il continua de régner au Kaire, pendant ce mois, une fièvre éphémère,
qui s'était manifestée à l'époque de l'ouverture du Calich, qui avait eu
lieu dès le 29 thermidor; le Nil marquait alors à la colonne du mekias
de l'île de Rhouadah seize coudées, et était déjà arrivé au terme des
crues de l'an VII au 2 vendémiaire.
Voici le tableau de cette fièvre, fidèlement tracé par le citoyen
Barbès:
«Une légère fièvre, de la tribu des catarrhales, règne depuis
l'ouverture du Calich: la cause d'une indisposition aussi
répandue, surtout dans l'armée, a été attribuée à l'humidité
augmentée par la crue subite et considérable du Nil, et peut-être
aussi l'eau jetée en abondance dans les rues du Kaire pour les
arroser.
Presque tous les malades se plaignent au moment de l'invasion de
ne plus suer, de ne plus même transpirer; cette constriction des
pores cutanés occasionne des lassitudes et des malaises. Nos
concitoyens répètent à l'envi qu'ils son convaincus de la
justesse de l'usage du pays, qui veut que l'on substitue la
question obligeante, Suez-vous? à celle, Comment vous
portez-vous?
Cet état s'accompagne d'un léger mal-de-tête, d'innappétence pour
les aliments; la langue est semée d'aspérités blanchâtres; on a
un goût fade dans la bouche;
Au bout de trois ou quatre jours le pouls, d'abord tendu et
fréquent, s'amollit; la peau, auparavant sèche et chaude, devient
moite; elle se gonfle un peu, rougit, et on aperçoit une légère
éruption à la face, sur la paume des mains, et sur diverses
parties du corps; la région des lombes porte quelquefois des
empreintes comme si elle eût été flagellée; enfin le ventre
s'ouvre, et l'excrétion de la sueur reparaît d'une manière plus
ou moins sensible.
Tels ont été en général les symptômes et la terminaison de cette
fièvre abandonnée à la nature.
Néanmoins une tisane faite avec l'orge et un peu de
salsepareille, à laquelle on ajoutait du sucre et du vinaigre,
outre quelle était agréable, favorisait la solution de cette
fièvre: nous l'avons conseillée après en avoir fait usage
nous-mêmes.
D'autres personnes avaient encore avec cette fièvre l'éruption
qui couvre le corps d'écailles furfuracées, et que l'on attribue
à la boisson des nouvelles eaux du Nil; ceux-ci éprouvaient dans
le principe des frissonnements dans les plans superficiels du
corps, une chaleur plus vive, les exacerbations plus sensibles le
soir, le ventre plus resserré, le sommeil plus pénible.
Quelques autres, surtout les militaires traités dans les
hôpitaux, avaient en outre des nausées, la langue enduite d'un
limon épais; ils éprouvaient un poids douloureux dans
l'épigastre, tenant à un état des premières voies, entretenu chez
eux par de mauvais aliments, ou l'excès de l'eau-de-vie.
Nous sommes devenus actifs à raison de la gravité des symptômes;
c'est ainsi qu'en premier lieu nous avons fait dissoudre un grain
ou un grain et demi de tartrate de potasse antimoine dans une
pinte de tisane; nous avons ensuite en une seule fois donné une
dose suffisante de cette préparation antimoniale pour exciter le
vomissement; et lorsque nous avons reconnu des signes de
turgescence inférieure, l'administration de l'émétique a été
suivie de celle d'un eccoprotique.
Mais nous avons été bien éloignés d'avoir recours aux purgatifs
violents; ils sont contre-indiqués toutes les fois qu'on doit
favoriser le rétablissement d'une abondante transpiration. Cette
terminaison des maladies dans les pays chauds a dirigé les avis
répandus sur cet objet dans l'armée par le médecin en chef.
Il y a eu quelques convalescences pénibles à cause de la
faiblesse des sujets.»
Ici se termine ce qu'a écrit sur la fièvre éphémère catarrhale ce
judicieux praticien: ensuite il ajoute relativement aux dysenteries:
«Dans celles qui étaient récentes nous soutenions les évacuations
alvines avec le petit-lait tamariné, le tartrate acidulé de
potasse, et le sulfate de magnésie. Malheureusement les
militaires viennent presque tous trop tard dans les hôpitaux, et
alors la prostration de leurs forces ne permet plus d'évacuer la
cause dysentérique, et nous sommes réduits à une pratique
symptomatique, par conséquent incomplète et défectueuse.
Il n'est pas rare de découvrir des empâtements, des obstructions,
même des hépatites chroniques ou inflammations lentes du foie
chez la plupart de ces dysentériques. Ces complications
redoutables sont dues à l'influence du climat, à l'excès de
l'eau-de-vie, et à l'abus que commettent souvent les soldats en
essayant de se resserrer le ventre avec la décoction de grenade.
Nous avons proscrit l'usage de l'opium, comme très nuisible; nous
nous contentons, quand il se manifeste de la malignité, de
recourir au camphre, et à l'acide sulfurique dulcifié; nous
faisons prendre tous les matins du petit-lait avec quelques
grains d'acétate de potasse aux malades qui se plaignent de
douleurs dans l'hypocondre droit, et dans la journée des bols
nitrés et camphrés: ce traitement doux empêche l'inflammation de
se développer. Nous ajouterons bientôt les sucs d'herbes au
petit-lait. Nous n'avions jamais tant donné de camphre et de
nitre, mais nous les voyons agir, sur presque tous nos malades
comme résolutifs des engorgements du foie.»
Le citoyen Daure, administrateur habile et actif, qui avait succédé le
1er frimaire an VII au citoyen Sucy, quitta, le 30 vendémiaire an IX,
les fonctions d'ordonnateur en chef, et fut remplacé par le citoyen
Sartelon, dont nous avons eu autant à nous louer que de son
prédécesseur.
Il y eut pendant ce mois des malades dans les différents lazarets, même
dans celui du Kaire, et nous perdîmes soixante-cinq hommes, 65 morts.
L'ordre du jour du 1er brumaire portait qu'il serait établi un cours de
zootomie près du dépôt des remontes dans l'île de Rhouadah; le citoyen
Loir, artiste vétérinaire, était chargé de cet enseignement, et les
officiers de santé en chef de l'armée devaient se concerter avec le
général-commandant du génie pour l'exécution de cet ordre.
Je chargeai, le 3, le citoyen Renati d'une visite de salubrité des
forts, casernes, chambres de discipline, boucheries, cimetières, et
voiries du Kaire, et places environnantes.
Le même jour j'écrivis au citoyen Savaresi, médecin employé à la
citadelle, la lettre suivante (nº 547 de ma correspondance.)
«D'après le règlement des hôpitaux militaires, citoyen, le
service particulier dont vous êtes chargé se borne à visiter les
malades reçus dans les salles des fiévreux.
Vos relations avec les prisonniers se bornent à visiter de temps
en temps le local qu'ils habitent, et à vous assurer de la
qualité de leurs aliments; ce qui est une simple surveillance de
salubrité.
On ne peut sous aucun prétexte exiger des médecins de l'armée
qu'ils traitent des malades dans les prisons: je vous autorise à
vous y refuser avec les égards qu'exige l'humanité, et les
ménagements dus à ceux qui pourraient désirer de vous cette
condescendance.»
Le 6, on apprit par un bâtiment, arrivé de France en vingt-cinq jours,
les nouvelles les plus consolantes sur la position de la République.
J'adressai, le 9, au général Belliard, commandant du Kaire, le résultat
de la visite de salubrité dont j'ai parlé ci-dessus; et je terminais
ainsi mon rapport (nº 550 de ma correspondance).
«Il faudrait faire distribuer environ deux mille nattes dans les
casernes, pour boucher, la nuit, les nombreuses fenêtres dont
elles sont percées; ce qui expose continuellement la santé des
soldats.
Il y a à Gizeh une compagnie d'artillerie de la marine logée dans
une maison très délabrée et ouverte à tous les vents.
La garnison de la citadelle n'est pas assez abritée dans la
mosquée qui lui sert de caserne: les prisons sont encore trop
encombrées, et on ne peut trop surveiller cet objet.»
J'adressai au général en chef, le 12, la lettre suivante (nº 553 de ma
correspondance).
«GÉNÉRAL,
Il serait très avantageux que vous ordonnassiez à la commission
d'agriculture de faire semer ou planter autour de la ferme
d'Ibrahim-bey de manière à y entretenir une abondante végétation.
La même mesure peut s'appliquer à différents autres
établissements.
Salut et respect.»
On reçut, le 15, au Kaire la nouvelle de l'armistice signé avec
l'empereur d'Allemagne, par l'aviso le _S.-Philippe_, parti de Toulon le
19 vendémiaire, et entré le 9 brumaire dans le port d'Alexandrie.
Je chargeai le même jour le citoyen Renati de la visite des cadavres de
ceux qui meurent subitement, afin de procurer à l'état-major de la place
des rapports réguliers.
_Extrait de l'ordre du jour du 18 brumaire an IX._
«Le général en chef ordonne ce qui suit:
Le général de division Belliard, commandant la place et
l'arrondissement du Kaire, fera partie de la commission de
salubrité publique.»
_Signé_ ABD. J. MENOU.
Dans l'un de ces élans généreux qu'inspire seul l'amour de son pays, nos
invalides, presque tous horriblement mutilés, redemandèrent des armes,
et une proclamation du 29 consacra à jamais un dévouement aussi beau.
La fièvre catarrhale, dont on a parlé, se termina vers la fin de
brumaire, époque du décroissement du Nil.
On vit alors quelques fièvres contagieuses se manifester dans des
habitations environnées d'eaux stagnantes.
Nous perdîmes en brumaire dans les hôpitaux et les lazarets
soixante-sept malades, ci... 67 morts.
Je trouve dans mes notes du mois suivant que le lazaret du Kaire, situé
dans l'île de Boulak, plus connue par l'armée sous le nom d'île de la
quarantaine, recevait presque tous les jours des malades, que visitait
avec beaucoup de soin le citoyen Emeric, qui m'adressait chaque matin un
bulletin individuel.
J'écrivis au général en chef la lettre suivante (nº 570 de ma
correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 15 frimaire an IX.
«GÉNÉRAL,
«J'ai trouvé ce matin, à 7 heures, la soixante-neuvième
demi-brigade qui manoeuvrait sur l'esplanade du fort de
l'institut, au milieu d'un épais brouillard, auquel il est
dangereux d'être exposé sans nécessité. Quand les circonstances
exigent que les troupes essuient ainsi l'humidité, il
conviendrait de donner à chaque homme une petite quantité
d'eau-de-vie.
Salut et respect.»
Le 22, j'écrivis à l'ordonnateur en chef la lettre suivante (nº 574 de
ma correspondance).
«Citoyen, les médecins, et particulièrement ceux employés dans
cette place, se sont très souvent plaints, et viennent encore de
se plaindre à moi de ce que les officiers de santé attachés aux
corps de troupes envoient leurs malades beaucoup trop tard dans
les hôpitaux; ils y arrivent souvent sans ressource, et
paraissent n'y avoir été envoyés que pour mourir: veuillez bien
faire prendre au général en chef une détermination qui remédie à
un abus aussi pernicieux.»
J'écrivis, le 26, à l'ordonnateur chargé de la police supérieure des
hôpitaux, la lettre suivante (nº 575 de ma correspondance).
«Les hôpitaux de cette place, citoyen, sont bien tenus sous le
rapport de la propreté, des fournitures, et des aliments; mais il
serait à désirer que le vinaigre, article très essentiel, fût,
s'il est possible, de meilleure qualité.»
Le 30, j'adressai une lettre fort détaillée au citoyen Coste, membre du
conseil de santé des armées, et je disais, entre autres choses, à ce
chef distingué de la médecine militaire: «Les circonstances de la guerre
ont empêché les officiers de santé en chef de l'armée d'Orient, et moi
en particulier, de correspondre avec le conseil; des ordres précis des
généraux qui ont successivement commandé en chef en ont fait une loi, de
crainte que ces communications ne tombassent aux mains de l'ennemi...
J'ai donc été forcé de taire une partie du compte que je vous devais,
et j'ai tâché d'y suppléer en insérant dans nos journaux politiques et
littéraires d'Égypte plusieurs articles que j'apprends avoir été
réimprimés en France.»
Le nombre des malades reçus dans les lazarets augmenta pendant ce mois;
la compagnie d'artillerie de marine, logée à Gizeh dans une mauvaise
maison, et dont il est parlé page 192, envoya trois hommes au lazaret de
Boulak. Nous perdîmes en frimaire soixante-neuf malades, ci... 69 morts.
J'écrivis au président de la commission extraordinaire de salubrité
publique la lettre suivante (nº 584 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 3 nivôse an IX.
«Je crois, citoyen président, devoir mettre sous les yeux de la
commission l'indispensable nécessité de s'occuper avec activité
du curage du Kalish si on veut éviter des maladies très graves et
d'une communication facile.
«Je dois en même temps avoir l'honneur de vous prévenir que, sur
les avertissements qui m'ont été donnés par notre honoré collègue
le préfet maritime Leroy, je me suis fait rendre un compte exact
et détaillé de l'état des environs de la porte dite Bab-luk: les
causes de l'infection sont bien déterminées; c'est un reste d'eau
croupissante dans l'une des branches du Kalish qui verse dans la
place Ezbequier, et auquel viennent se joindre les eaux qui
découlent d'une immense tannerie. Le cimetière voisin, qui a été
pendant le siège le théâtre de tant de combats, ne contribue pour
rien à l'infection, quoiqu'il ait été pénétré par les eaux à une
grande profondeur; l'infection d'ailleurs est bornée à un cercle
peu étendu, éloigné des habitations, et ne peut guère être portée
sur la ville par les vents.
«Les travaux immenses entrepris pour les communications, les
plantations commencées qui décoreront les routes, en les
consolidant, contribueront en même temps à la salubrité; enfin on
parviendra, en étudiant les localités, à un système d'irrigation,
qui, sans nuire à l'agriculture, rassurera l'existence des
habitants. Je dirige journellement mes observations et mes
recherches vers ce but utile et désirable, et je m'empresserai
toujours de faire hommage de leurs résultats à la commission.»
J'adressai, le 6, la lettre qui suit aux citoyens Barbès, Carrié, et
Pugnet, médecins de l'armée (nº 587 de ma correspondance).
«Je désire, citoyens, qu'indépendamment des services importants
que vous avez rendus, et que je m'empresserai de faire connaître
dans des circonstances favorables, vous attachiez plus
particulièrement encore votre nom à l'histoire d'une expédition
à jamais mémorable, quelle que puisse en être l'issue.
«Je vous charge en conséquence de la rédaction de la topographie
physique et médicale de cette place: le travail, je le sais, est
étendu; mais il est fort au-dessous des forces de chacun de vous,
et par conséquent de la réunion de vos talents. Vous trouverez
beaucoup de choses faites sur la géographie, la météorologie,
l'état des décès, etc.; toutes les sources vous seront ouvertes,
et vous aurez toutes les recommandations ou les ordres
nécessaires pour les communications dont vous aurez besoin.
«Distribuez-vous donc l'ouvrage avec l'accord parfait qui règne
entre vous: je suis loin de vous tracer un plan qui vous
astreigne à aucune contrainte; mais pour mettre de l'uniformité
dans nos travaux, je désire que vous suiviez le plan indiqué dans
ma circulaire du 25 thermidor an VI. Je me suis borné à une
simple invitation, parce que je vous estime trop pour vous donner
des ordres quand il s'agit de travailler à honorer notre
profession, et, ce qui vaut mieux, de faire du bien aux hommes.»
Lettre adressée, le 9, au citoyen Frank (nº 588 de ma correspondance).
«J'ai plusieurs fois, citoyen, donné des ordres dans les hôpitaux
pour qu'on ne lavât pas à grande eau les salles des fiévreux, et
pour qu'on les nettoyât avec du sable sec; je vous prie de tenir
la main à leur exécution dans l'établissement dont vous êtes
chargé.»
Lettre adressée, le 11, au général Belliard, commandant des ville et
province du Kaire (nº 590 de ma correspondance).
«J'ai l'honneur, général, de vous prévenir directement que les
habitants des maisons situées sur le Kalish y jettent
journellement des immondices qui ajoutent à l'infection
résultante des eaux croupissantes; il serait important de faire
cesser cet abus par une prompte proclamation.»
La proclamation fut publiée le 12.
L'aviso _le Turbulent_, parti de Toulon le 12 frimaire, entra le 14
nivôse dans le port d'Alexandrie avec des dépêches du gouvernement, et
d'excellentes nouvelles, qui parvinrent au quartier-général du Kaire le
18, et furent annoncées à l'ordre de l'armée du 19.
Le 20, le citoyen Emeric, chargé du service du lazaret de Boulak, étant
tombé malade, je le fis remplacer par le citoyen Renati, qui développa
une activité aussi éclairée et aussi soutenue que dans l'an VIII.
L'ordre de l'armée du 21 renfermait une lettre intéressante du ministre
de la marine et des colonies sur la position de la république, et
annonçait l'arrivée à Alexandrie d'un bâtiment marchand, venu de France
en neuf jours; c'est par cette voie que l'on sut la reprise des
hostilités avec l'empereur d'Allemagne, et la victoire de Moreau à
Hohenlinden, etc.
J'adressai au général en chef la lettre suivante (nº 601 de ma
correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 23 nivôse an IX.
«GÉNÉRAL,
Je viens de recevoir des citoyens Balme et Claris, médecins de
l'armée employés à Lesbéh, un rapport très avantageux sur la
santé des troupes du sixième arrondissement, confirmé par les
mouvements des hôpitaux et du lazaret.
Ce territoire est l'un des plus dangereux de la basse Égypte à
habiter; il est depuis longtemps le théâtre d'une maladie
endémique, qui ne cessera que par de grands travaux, et surtout
en éloignant, ainsi que l'on a commencé à le faire, la culture du
riz de l'enceinte des villes.
J'ai cru devoir vous faire part de cette position rassurante d'un
point de l'armée lorsque l'on compare la situation actuelle avec
celle des années précédentes.
Salut et respect.»
J'écrivis, le 29, à l'ordonnateur en chef (nº 604 de ma correspondance).
«Citoyen, je vous prie de faire maintenir l'exécution très
importante de l'article suivant de l'ordre du jour du 12 nivôse
an VIII:
_Les corps n'enverront point aux lazarets les hommes suspectés de
maladie contagieuse, comme quelques-uns l'ont fait; ils devront
les envoyer directement dans les hôpitaux où il existe des salles
d'observation._
La deuxième demi-brigade d'infanterie légère a envoyé ce matin un
homme au lazaret sans se conformer à cet ordre, et cet envoi a
été accompagné de circonstances qui, si elles n'ont pas de suite,
peuvent au moins alarmer l'opinion publique.»
Les lazarets, surtout celui de Boulak, continuèrent à recevoir des
malades: nous perdîmes en nivôse soixante-dix hommes, ci... 70 morts.
Le 6 pluviôse, j'envoyai le citoyen Savaresi à Birket-êl-Hadjy pour
examiner la position et l'état de la santé de la garnison.
Je fis, le lendemain, au général en chef le rapport que voici (nº 611 de
ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 7 pluviôse an IX.
«GÉNÉRAL,
J'envoyai hier un médecin de l'armée à Birket-êl-Hadjy; il a
trouvé la garnison en bonne santé, ainsi que la compagnie de la
dix-huitième demi-brigade, campée en réserve à un demi-quart de
lieue au sud-ouest du fort.
Le soldat mort depuis quatre jours n'a présenté, pendant sa
maladie ni après sa mort, aucun signe de maladie contagieuse;
tout porte à croire qu'il est mort d'un excès d'eau-de-vie en
sortant de prendre un purgatif.
Il faut fermer l'oreille aux hommes qui manquent des
connaissances nécessaires pour décider de pareilles questions.
Salut et respect.»
Le 9, j'envoyai le citoyen Barbès dans le Delta, et je lui remis
l'instruction suivante (nº 612 de ma correspondance).
«Vous vous rendrez, citoyen, à Ménouf dans le Delta, où vous
prendrez des informations sur l'état actuel de la santé des
habitants et de la garnison française.
Dans le cas où il régnerait une maladie, vous chercherez à en
déterminer la nature et la cause: vous pourrez vous aider de la
topographie rédigée et publiée par le citoyen Carrié, que
j'aurais envoyé lui-même sur les lieux si sa santé l'eût permis.
Le général en chef étant sur le point d'envoyer de troupes à
Tentah, je serais bien aise que vous prissiez connaissance des
localités sous le point de vue de leur salubrité.
Les escortes nécessaires pour voyager avec sûreté vous seront
fournies, et je vous remets ci-joint pour cet effet un ordre
précis du général chef de l'état-major-général aux commandants
militaires.
Je ne vous prescris point le temps que doit durer votre mission,
subordonnant le tout aux besoins des circonstances, me reposant
d'ailleurs sur vous avec toute confiance.
Si vous le jugez convenable vous m'écrirez pendant votre tournée.
Dès que vous serez de retour vous m'adresserez un rapport
circonstancié.»
J'écrivis au général en chef (nº 614 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 12 pluviôse an IX.
«GÉNÉRAL,
J'ai l'honneur de vous prévenir que la seconde édition de mon
_Avis sur la petite vérole_, réimprimé en arabe par vos ordres,
est actuellement à ma disposition, et je vous en envoie ci-joints
trois cents exemplaires.
Je désirerais que cet opuscule fût répandu parmi les tribus
arabes du désert, et même par les caravanes dans l'intérieur de
l'Afrique.
J'en remettrai six cents exemplaires au général chef de
l'état-major-général, en l'invitant à les adresser aux généraux
commandant les arrondissements de l'Égypte pour les distribuer
aux cheikhs des villes et des villages.
J'en remettrai trois cents exemplaires au général-commandant du
Kaire et arrondissement.
Je ferai distribuer deux cents cinquante exemplaires au grand
divan du Kaire.
Enfin j'en offrirai cinquante exemplaires à Setti-Nefi, comme un
hommage rendu encore plus à ses vertus personnelles qu'au rang
élevé de son époux.[21]
Salut et respect.»
[Note 21: Setti-Nefi, dont il est ici question, longtemps
célèbre dans l'Orient par les charmes de sa beauté, est la
veuve d'Aly, et aujourd'hui de Mourat-bey: constamment chérie,
honorée, et consultée par ses deux illustres époux, c'est elle
qui leur inspira la justice, la libéralité, la clémence, qui
les distinguèrent de la foule des barbares, et placeront leurs
noms parmi ceux de grands hommes. (_Note ajoutée_.)]
Rapport adressé à la commission extraordinaire de salubrité publique (nº
617 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 16 pluviôse an IX.
«Nous nous sommes transportés ce matin au village de Tanby,
conformément à la délibération prise hier par la commission.
La mortalité ne correspond point, d'après les déclarations des
cheikhs, à ce qui avait été annoncé.
Les deux malades, au sujet desquels il a été fait un rapport, ont
effectivement des signes non équivoques de fièvre contagieuse;
ils sont isolés: nous leur avons conseillé des remèdes; l'un des
deux est très affaissé, et je crains que ces soins ne lui soient
inutiles. On sera informé de l'issue de la maladie et de sa
propagation si elle avait malheureusement lieu.
Les chefs du village ont promis de le tenir en réserve, et ils
ont paru sentir que leur intérêt particulier se confondait dans
cette circonstance avec le nôtre.[22]
_Signés_ le général de division BELLIARD, et
R. DESGENETTES.
[Note 22: L'un des malades mourut effectivement le
surlendemain: on n'a pas entendu parler depuis de nouveaux
accidents dans ce village. (_Note ajoutée_.)]
L'ordre du jour du 18 annonçait l'arrivée à Alexandrie de deux frégates
françaises, apportant des troupes, des armes, et d'excellentes
nouvelles, qui furent toutes rendues publiques.
J'adressai, le même jour, une note au président de la commission pour
l'informer que j'avais reçu une lettre de Ménouf, en date du 14, qui
contenait des détails rassurants sur la santé des troupes.
_Rapport adressé au général en chef relativement aux conscrits arrivés
de France_ (nº 619 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 20 pluviôse an IX.
«Les officiers de santé en chef de l'armée, consultés par le
général en chef sur les mesures à prendre pour l'acclimatement
des troupes qui viennent d'arriver de France, sont d'avis:
1º Que ces troupes soient vêtues comme le reste de l'armée,
soient tenues de porter la capote, et de s'en couvrir
soigneusement la nuit; il est surtout essentiel de se couvrir la
tête pour éviter l'ophtalmie, et les pieds pour éviter la
dysenterie.
2º Il faut répéter journellement aux nouveaux arrivés que l'abus
de l'eau-de-vie a sacrifié plus d'hommes que le fer de l'ennemi;
qu'il prédispose aux maladies contagieuses, et les rend
mortelles. Le café remplace avec avantage les liqueurs
spiritueuses; l'usage exclusif des viandes et du poisson salé est
très mauvais; les excès avec les femmes sont pernicieux; les
excès de la pipe sont nuisibles surtout aux jeunes gens dont la
poitrine n'est pas entièrement ou bien développée.
3º Il faut être très propre; porter du linge fréquemment lavé; se
laver souvent le corps. Une des choses qui favorise le plus la
propreté est de porter les cheveux courts.
4º Les exercices militaires doivent avoir régulièrement lieu vers
le lever ou le coucher du soleil; il en est de même de la
promenade, et particulièrement du bain dans la saison des
chaleurs.
5º Ces troupes, destinées à être encadrées dans différents corps,
doivent être envoyées de préférence dans les garnisons de
Belbéis, et de Ssalehhyéh, ou mieux encore dans celles de la
haute Égypte.
6º Il faut que les casernes destinées à loger ces troupes soient
spacieuses, bien aérées, et que les hommes y soient peu
rapprochés. Ce que l'on dit des casernes doit s'appliquer aux
baraques de branches de palmiers, qui sont souvent préférables.
Le logement des troupes, ainsi que leurs campements, doivent
toujours, autant que faire se peut, être établis sur un terrain
sec, exposé aux vents du nord, éloignés des lieux bas et
marécageux, et, pour des raisons physiques et morales, plus
volontiers écartés que rapprochés des grandes villes.
_Signés_ R. DESGENETTES, D. J. LARREY, et BOUDET.
_Rapport adressé au général en chef_ (nº 620 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 21 pluviôse an IX.
«GÉNÉRAL,
J'envoyai, d'après vos ordres, le 12 du courant, le citoyen
Barbès à Ménouf pour avoir un rapport exact sur le développement
des maladies qui pourraient vous inquiéter.
Ce médecin est de retour, et m'a rendu hier un compte, dont il
résulte que la contagion a cessé d'exercer ses ravages; que sa
cessation, indépendamment des changements de l'atmosphère, et
d'autres causes indéterminées, est due aux soins aussi actifs
qu'éclairés du chef de brigade de la vingt-cinquième le citoyen
Lefevre, commandant du huitième arrondissement.
Les détails de ce qu'il a fait pour un campement très bien
entendu, et des marches un peu forcées, vous seront sûrement déjà
parvenus par le général chef de l'état-major-général.
J'avais donné des ordres au citoyen Barbès pour qu'il se rendît à
Tentah et en examinât la salubrité. Cette place centrale du Delta
est très habitable quoique l'eau y soit saumâtre; elle a
d'ailleurs été un grand point de réunion par la superstition,
qui y attirait une multitude prodigieuse près des restes d'un
saint, et deux foires très fréquentées, tenues régulièrement
chaque année. Il est probable que le saint et les foires se
doivent de mutuelles obligations; mais le point qui vous
intéresse, c'est que les troupes seraient bien à Tentah.[23]
Salut et respect.
_Signé_ R. DESGENETTES.»
[Note 23: Le citoyen Girard, ingénieur en chef des ponts et
chaussées, qui s'est livré à une foule de recherches utiles
avec l'activité et le talent qui le distinguent, a publié
depuis, dans le nº 111 du _Courier d'Égypte_, un article fort
intéressant sous le titre suivant: _Sur la ville de Tentah et
les partis qui divisent les habitants de la basse Égypte._]
J'adressai, le 24, à la commission extraordinaire de salubrité publique
la note suivante (nº 623 de ma correspondance).
«J'ai l'honneur, citoyen président, d'informer la commission que
l'on a transféré ce matin au lazaret le cadavre d'un mamelouk
mort depuis vingt-quatre heures; cet abus fréquemment renouvelé
tend à jeter la plus grande confusion sur le résultat
administratif et médical.»
Les lazarets, particulièrement celui de Boulak, reçurent des malades
venant de Gizeh, du vieux et du grand Kaire, où l'épidémie se développa
graduellement. Nous perdîmes en pluviôse soixante-douze hommes,
ci....... 72 morts.
_Rapport au général en chef_ (nº 626 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 1er ventôse an IX.
«GÉNÉRAL,
J'ai reçu une lettre d'Alexandrie, du 21 pluviôse, qui m'annonce
qu'il est entré 150 conscrits dans les hôpitaux de cette place.
On m'informe cependant, et j'ai vu par les états de situation
qu'il y avait de l'amélioration dans leur état.
Il est utile pour la conservation de ces militaires de mettre
promptement en pratique les mesures que les officiers de santé en
chef de l'armée ont eu l'honneur de vous proposer le 20 du mois
passé.
Salut et respect.»
J'écrivis, le 5, au président de la commission extraordinaire la lettre
suivante (nº 628 de ma correspondance.)
«Je viens, citoyen président, avec le général de division
Reynier, commandant du quatrième arrondissement, de visiter dans
la province de Kelyoubéh les villages suspects.
Celui de Tatha est le seul qui ait eu récemment des malades; sur
une population de près de douze cents habitants il n'est pas mort
dans la dernière décade plus de six personnes, et le genre de
leur mort n'est point exactement déterminé.
Il n'y a plus dans tout le village qu'une jeune femme malade, et
elle est convalescente d'un engorgement glanduleux, qui n'a été
accompagné d'aucun symptôme très grave.»
J'écrivis, le 10, au général Belliard (nº 630 de ma correspondance).
«J'arrive, citoyen général, de faire une tournée, dans laquelle
j'ai visité les conscrits et la douzième compagnie de canonniers,
qui se trouvent les premiers autour du village d'Embabéh, et la
seconde embarquée à la même hauteur.
Il y a tout au plus quinze malades dans ces deux corps, et il est
urgent que l'on prenne des moyens pour les transférer à l'hôpital
de la ferme d'Ibrahim-bey.
Les deux corps sont pleins de santé; mais ils ont le plus grand
besoin, pour la conserver, d'entrer promptement dans un lieu
abrité.»
J'écrivis, le 11, au citoyen Savaresi à Gizeh (nº 634 de ma
correspondance).
«Je vous préviens, citoyen, qu'il va être évacué quinze fiévreux
convalescents de la ferme sur votre établissement.
Je vous rappelle que je vous ai invité à vous occuper de la
rédaction de la topographie physique et médicale de Gizeh, et je
désire que vous donniez une attention particulière à la fièvre
miliaire qui attaque les habitants.
Vous n'avez pas dû oublier l'empressement avec lequel j'ai
accueilli et présenté au public vos productions.»
On apprit, le 13, au quartier-général du Kaire qu'il avait paru le 10 à
la hauteur d'Aboukir une flotte ennemie de cent trente-cinq voiles.
Les Anglais effectuèrent, le 17, leur débarquement sur la plage
d'Aboukir: le résultat des efforts que nous fîmes pour les repousser est
aussi connu que celui de la malheureuse journée du 30.
Le 20, je chargeai en chef du service, près du grand quartier-général,
le citoyen Sotira, et je mis successivement sous ses ordres les citoyens
Balme, Frank, Garos, Salze, Savaresi, et Vautier.
Le Kaire, et ses environs, continuèrent d'être pour moi le champ de
bataille; j'employai à visiter les habitants jusqu'à trois médecins, et
je terminais ainsi une lettre du 30 à l'adjudant-commandant Duchaume,
chef de l'état-major de la place: «Toutes les fois que vous aurez
quelque objet urgent et d'un intérêt majeur, continuez de vous adresser
directement à moi: je crains beaucoup moins d'exposer ma vie que celle
des autres (nº 649 de ma correspondance).»
Nous perdîmes en ventôse soixante-dix-neuf hommes, ci............. 79
morts.
Il mourut aussi à Alexandrie, vers la fin de ce mois, Alexandre Gisleni,
docteur en médecine, né à Corfou, en 1741, employé dans nos hôpitaux
militaires, et spécialement chargé des lazarets, dans lesquels il a
rendu de grands services; sa vie a été remarquable par un grand amour de
ses devoirs, beaucoup de simplicité dans les moeurs, et une uniformité
constante dans toutes ses actions. Son nom doit être honorablement placé
près de celui de ses collègues Auriol, Bruant, et Turpaut mort à Rosette
pendant l'expédition de Syrie. Une topographie très étendue
d'Alexandrie, rédigée par Gisleni, donnera une juste idée de ses
talents[24].
[Note 24: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Les premiers jours de germinal furent employés à reporter graduellement
nos malades sur des établissements centraux, et à former un hôpital
spécial de pestiférés au milieu des décombres de la citadelle, près la
porte de Romélie.
J'autorisai, le 6, les médecins de l'armée Carrié, Emeric, et Pugnet,
malades, à se retirer à la citadelle.
J'écrivis, le 11, au citoyen Duprat, faisant les fonctions
d'ordonnateur, la lettre suivante (nº 664 de ma correspondance).
«Ce matin, citoyen commissaire, il y avait encore neuf hommes,
attaqués de fièvres contagieuses, exposés sans aucun abri depuis
trois jours sur la place d'armes de la citadelle, et n'ayant reçu
depuis le même temps aucun secours, pas même de l'eau. Cependant
on activait de bonne heure l'organisation de l'établissement de
la porte de Romélie, et il faut espérer que nous ne reverrons
plus un spectacle aussi affligeant. L'économe de l'hôpital et
celui du lazaret disent qu'ils manquent des premiers fonds
nécessaires à leur service: si cela tenait à une disette de la
caisse, je vous offre d'y verser 3000 francs pour cet objet.»
_Lettre au général en chef_ (nº 669 de ma correspondance).
Au quartier-général du Kaire, le 15 germinal an IX.
«GÉNÉRAL,
Depuis votre départ du Kaire l'épidémie a augmenté malgré la
diminution de la garnison.
La mortalité parmi les habitants a été portée graduellement à
cent individus, et elle est même arrivée jusqu'à cent dix dans un
seul jour; ce qui excède le nombre connu depuis notre séjour en
Égypte.
Les mesures de défense ayant exigé la translation des malades de
tous les établissements dans la citadelle, il en est résulté un
encombrement qui, quoique passager, a déjà été, et sera peut-être
encore plus nuisible.
Le lazaret de Boulak subsiste encore avec soixante malades.
La ferme d'Ibrahim-bey contient trente convalescents du lazaret,
et doit les recevoir successivement, s'il n'y a pas d'événements.
Les salles d'observation, et le lazaret de la citadelle, établi à
la porte de Romélie, contiennent soixante à quatre-vingts hommes.
On donne à ces malades tous les soins que permettent les
circonstances: je suis sans cesse occupé d'eux; et je n'ai pas
laissé ignorer dans un cas particulier, où un oubli a compromis
la vie de quelques hommes, que je vous rendais un compte direct
de mon service.
Le général Belliard pourvoit à tout avec une admirable activité,
et il est bien secondé par le commissaire Duprat, faisant
fonctions d'ordonnateur.
J'ai dans la citadelle trois médecins éprouvés, les citoyens
Barbès, Carrié, et Pugnet; mais malheureusement la santé des deux
derniers ne répond plus depuis longtemps à leur zèle.
Le citoyen Sotira, qui me remplace à votre quartier-général, va
avoir six médecins sous ses ordres.
Quelque avantageux et agréable qu'il fût pour moi d'être près de
vous, général, j'ai cru que ma place était sur le point de
l'armée où une épidémie exerçait ses plus grands ravages; vous
connaissez mon dévouement.
Salut et respect.»
Le 15, au soir, la suppression du lazaret de Boulak et son évacuation
sur la ferme d'Ibrahim-bey furent ordonnées pour le lendemain.
Je fus obligé à diverses reprises d'écrire aux autorités militaires et
administratives relativement à l'insouciance des économes, à la mauvaise
tenue et aux besoins essentiels des hôpitaux et des lazarets.
Le 30, j'écrivis au général en chef la lettre suivante (nº 683 de ma
correspondance).
«GÉNÉRAL,
L'état des choses est avantageusement changé relativement à la
salubrité du Kaire depuis que j'ai eu l'honneur de vous écrire en
date du 15, sous le nº 668.
L'épidémie, sans avoir cessé, frappe moins rapidement ceux qui en
sont atteints; les entrants dans nos établissements sont de 21 à
24; les morts de 12 à 15 par jour.
Le lazaret de l'île de Boulak ne subsiste plus depuis environ 15
jours; il est remplacé par deux autres établissements dont j'ai
déjà eu l'honneur de vous entretenir: l'un d'eux, à la citadelle,
sert à la fois et pour le traitement et pour l'observation;
l'autre, à la ferme d'Ibrahim-bey, reçoit des convalescents et
les gros malades de Gizeh.
Nous avons environ 150 malades au lazaret extérieur de la
citadelle, et environ 125 dans l'établissement de la ferme.
L'hôpital de la citadelle est bien tenu et espacé; la maladie
contagieuse ne s'y est point encore montrée.
La mortalité a diminué parmi les habitants du Kaire depuis le 15;
dans ce moment elle est un peu au-dessous de 100 individus par
jour.
Je compte sous trois jours vous adresser le relevé de mortalité
de germinal, qui arrivera, à quelques hommes près, à 3000
habitants: il y a lieu d'espérer que ce fléau s'apaisera.
Salut et respect.»
Le 3 floréal, j'adressai au général en chef la lettre suivante (nº 684
de ma correspondance).
«GÉNÉRAL,
J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint le mouvement
nécrologique des habitants du Kaire en germinal dernier, que je
vous ai annoncé par ma lettre du 27 du même mois, nº 683. Le
nombre des décès est heureusement un peu au-dessous de mon
attente.
Salut et respect.»
_Résultat général des tables nécrologiques des habitants du Kaire en
germinal an IX._
---------+---------+----------+-------
Hommes. | Femmes. | Enfants. | TOTAL.
---------+---------+----------+-------
563 | 705 | 1669 | 2937
---------+---------+----------+-------
_Certifié véritable et conforme aux états particuliers et journaliers
délivrés par les commandants des sections._
Au Kaire, le 3 floréal an IX.
L'adjudant-commandant chef de l'état-major de la place.
_Signé_ DUCHAUME.
J'appelai, par mes lettres du 5 floréal (nº 685 et 686 de ma
correspondance), la sévérité des lois contre les brigandages qui se
commettaient publiquement dans les lazarets du Kaire.
L'ordre de la place du même jour contenait des dispositions de police
relatives aux hôpitaux.
Le 10, j'écrivis au général en chef (nº 692 de ma correspondance).
«GÉNÉRAL,
Le citoyen Paultre, votre aide-de-camp, vient de me remettre en
mains propres votre lettre du 5 du courant, à laquelle j'ai
l'honneur de répondre.
Depuis mes lettres des 30 germinal et 3 floréal, nºs 683 et 684,
l'état de l'épidémie a changé en bien.
Nous ne perdons plus qu'environ 12 hommes, français ou
auxiliaires.
La mortalité parmi les habitants a été, depuis le 1er du mois, de
64 à 100, et n'a jamais excédé ce dernier nombre.
Salut et respect.»
_Lettre au général de division Belliard_ (nº 703 de ma correspondance).
À la citadelle du Kaire, le 21 floréal an IX.
«Général, le résultat du relevé des mouvements des lazarets
depuis le 1er jusqu'au 19 floréal, que vous avez bien voulu me
communiquer hier, est heureusement faux.
Après l'avoir examiné avec beaucoup d'attention j'ai trouvé la
source de l'erreur, et voici comme elle se démontre:
L'état nominatif porte 342, et il est juste, ci 342
Pour arriver maintenant à un total de 522, il est
évident que l'on a pris la somme des entrants à la
ferme par billet et par évacuation, qui monte à 180, ci 180
----
522
====
Mais on n'aurait dû compter comme entrants à la ferme que les
malades reçus par billet; car en comptant les évacués ou les
convalescents, on reproduit deux fois les mêmes individus.
Les entrants par billet, provenant de Gizeh, et quelques uns, par
abus, du Kaire, ont été, ainsi qu'en font foi les mouvements
journaliers, au nombre de 380.
Faites donc rétablir le résultat ainsi qu'il suit:
Entrés dans le lazaret du Kaire et de la ferme 380
Morts 147
Sortis 111
Il ne faut jamais oublier non plus qu'une portion du lazaret de
la citadelle, servant de salles d'observation, reçoit fréquemment
des malades qui n'ont rien de commun avec l'épidémie.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
_Lettre au général en chef_ (nº 704 de ma correspondance).
À la citadelle du Kaire, le 21 floréal an IX.
«GÉNÉRAL,
Depuis ma lettre du 10 du courant, remise aux mains propres de
l'un de vos aides-de-camp, l'état de l'épidémie a diminué.
Nous perdons tout au plus dans les lazarets 9 hommes par jour,
français ou auxiliaires.
La mortalité parmi les habitants a été, depuis le 10, de 55 à 78,
sans passer ce dernier nombre.
Je démontre par une lettre, en date de ce jour, au général de
division Belliard que le chef d'état-major de la place s'est
trompé sur le résultat des entrants aux lazarets, en comptant
pour entrés à la ferme les convalescents évacués de la citadelle.
Nous avons dans les lazarets plus de 250 hommes en parfait état
de convalescence, et qui pourront reprendre les armes dans cette
campagne.
Tous les détails que j'ai l'honneur de vous adresser sont appuyés
sur des mouvements de situation de l'exactitude desquels je
m'assure par une inspection journalière.
Salut et respect.»
Le corps de troupes aux ordres du général de division Lagrange s'étant
reployé de Rahmanyéh sur le Kaire vers la fin de floréal, le nombre de
nos malades augmenta tout-à-coup, et ce surcroît inattendu produisit de
l'encombrement.
On fut obligé d'ouvrir un second hôpital dans la grande mosquée qui
servait auparavant de caserne à la garnison de la citadelle.
Les citoyens Sotira, mon suppléant, et Salze, médecins de l'armée, ayant
été forcés de suivre le sort de la garnison de Rosette, furent
complètement dépouillés dans le canal de Ménouf, en se rendant au Kaire.
Prairial offrit également une suite non interrompue de mouvements
rapides.
Le 9 de ce mois j'adressai la note suivante au général Belliard (nº 717
de ma correspondance).
_Situation des hôpitaux et lazarets._
«1º L'hôpital nº 1 de la citadelle est bien tenu pour les
fiévreux, et il est arrivé au point de désencombrement que je
désirais.
2º L'hôpital nº 2 s'organise lentement; plusieurs fiévreux sont
encore sans lits; les vénériens, au contraire, ont usurpé sans
pudeur les meilleures salles et les mieux approvisionnées de
fournitures: je demande à cette occasion que les vénériens soient
renvoyés à la ferme d'Ibrahim-bey, ou barraqués. Le titre VII du
règlement du 30 floréal an IV, destiné en entier à statuer sur
les dispositions à prendre pour les vénériens et les galeux,
porte, _Que les gonorrhées simples_ (et il y en a un grand
nombre) _seront, dans les armées du midi_ (en Europe), _traitées
sous la tente depuis le 1er floréal jusqu'au 1er vendémiaire_.
3º Le lazaret, et la salle d'observation de la porte de Romélie,
vont aussi bien que leur mauvaise position peut le permettre.
4º Le dépôt des convalescents de la ferme d'Ibrahim-bey va bien;
mais il serait avantageux de l'évacuer peu-à-peu, par exemple par
25 hommes, de trois en trois jours, sur la citadelle, hôpital nº
2. Ce rapprochement du lazaret et une surveillance immédiate
tourneraient au profit du service. Il faut fermer l'oreille aux
objections que la crainte ou l'intérêt personnel pourraient
dicter à ce sujet.
5º L'expérience a prouvé dans tout le cours de l'épidémie que la
balance que j'ai maintenue entre la réception des malades dans
les divers établissements a été très avantageuse: continuons donc
de suivre ce plan, et reposez-vous sur ma vigilance à cet égard.»
Le 15, on fit entrer dans les dépôts cinquante-sept vénériens.
Le partage des malades par classe d'affections, et ensuite par leur plus
ou moins de gravité, se continua.
J'écrivis au général en chef (nº 728 de ma correspondance).
À la citadelle du Kaire, le 25 prairial an IX.
«GÉNÉRAL,
Je profite d'un détachement du régiment des dromadaires qui
repart pour Alexandrie presque au moment où il en arrive, pour
avoir l'honneur de vous écrire.
L'épidémie a cessé; la mortalité est au-dessous de ce que l'on
pouvait désirer de plus avantageux d'après les données
ordinaires; nous n'avons plus aujourd'hui, 25, que cent
vingt-huit malades dans nos lazarets, et ils sont presque tous
convalescents.
En conséquence dès qu'il se présentera une occasion favorable
je m'empresserai de me rendre près de vous.
Salut et respect.»
Les événements de messidor exigèrent encore plus d'activité, quoique
d'un genre différent.
Le 9 de ce mois, je remis au général Belliard la note suivante (nº 740
de ma correspondance).
«J'ai l'honneur, citoyen général, conformément à vos intentions,
qui m'ont été transmises verbalement par le chef de bataillon
Majou, l'un de vos aides-de-camp, de vous adresser l'état des
malades qui se trouvent dans les établissements de cette place,
avec des observations relatives aux circonstances présumées d'une
évacuation prochaine.
L'hôpital nº 1 a aujourd'hui 291 malades, dont
125 fiévreux, 65 blessés, et 101 ophtalmiques ou
vénériens, ci fiévreux 125}
blessés 65} 291
ophtalmiques et vénériens 101}
L'hôpital nº 2 a aujourd'hui 342 malades,
dont 77 fiévreux, et 265 ophtalmiques
ou vénériens, ci fiévreux 77}
ophtalmiques ou vénériens 265} 342
Le lazaret de la citadelle renferme
64 malades presque tous convalescents, ci 64
-----
Total général des hôpitaux et du lazaret 697
=====
Le nº 1 est en état d'être évacué; mais il faut, pour ne pas
exposer les malades à rechuter, le faire par eau; trente auront
besoin de montures pour arriver au lieu de l'embarquement, et
quinze de brancards, ci,
_Moyens extraordinaires de transport._
30 montures,
15 brancards.
Nº 2 a trois cents quarante-deux
malades à évacuer par eau; quinze
ont besoin de montures, et douze de
brancards, pour arriver au lieu de
l'embarquement, ci,
_Moyens extraordinaires de transport._
15 montures,
12 brancards.
Nº 3 ou le lazaret a soixante-quatre
malades à évacuer par eau, et
isolés du reste, c'est-à-dire sur des
bâtiments particuliers, il faut trente-six
montures et douze brancards,
ci 36 montures,
12 brancards.
_Total des moyens extraordinaires de
transport, ci_ 79 montures,
39 brancards.
Il faut faire entrer dans le nombre des barques de transport ce
qui est nécessaire pour les officiers de santé, employés, et
sous-employés de l'administration, qui doivent être commodément,
et pour leur conservation personnelle, et pour pouvoir veiller à
celle des autres.
L'aperçu que je vous adresse, citoyen général, est susceptible
d'être modifié même avantageusement dans quelques jours de plus,
quoique les dysenteries nous fournissent dans ce moment beaucoup
de malades.
Cette note est concertée avec le citoyen Boussenard, chirurgien
de première classe, faisant fonctions de chirurgien en chef.
_Signé_ R. DESGENETTES.
J'écrivis le même jour au général Belliard la lettre suivante (nº 741 de
ma correspondance).
«Je fus engagé à rester au Kaire, Citoyen général, lors du départ
du quartier-général de l'armée pour Alexandrie, par l'état de
l'épidémie qui menaçait la population de cette ville, sa
garnison, et les nombreux Français attachés aux divers services
militaires et administratifs.
Dès que l'épidémie a cessé j'aurais cherché les moyens de me
rendre au quartier-général, poste qui m'est assigné par les
règlements, si les voies eussent été praticables.
Aujourd'hui, général, que des bruits trop publics, et trop
répétés pour n'avoir pas de solides fondements, annonçant une
capitulation ou une convention partielle, je vous demande les
passeports nécessaires pour me rendre à Alexandrie, s'il y a
possibilité.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
La convention du Kaire fut publiée le lendemain, 10; elle m'ôta la
faculté d'entrer dans Alexandrie.
Le 13, j'eus à Gizeh une conférence pour l'évacuation de nos malades
avec M. Young, inspecteur-général des hôpitaux de l'armée anglaise, et
le 15 je lui adressai la lettre suivante (nº 747 de ma correspondance).
«Monsieur, j'ai l'honneur de vous prévenir que, conformément à ce
qui a été convenu entre nous, le 13, les convalescents du
lazaret seront évacués le 16 sur l'île de Farchi, en face de
Rosette, accompagnés d'un nombre suffisant d'officiers de santé,
et d'employés et sous-employés de l'administration sanitaire.
Le citoyen Sotira, médecin de l'armée, qui vous remettra cette
lettre, a reçu de moi l'ordre particulier de se concerter avec
vous pour assurer aux malades, qui seront successivement
transportés à Rosette, tous les soins dont ils pourront avoir
besoin.
Je me repose avec la plus grande confiance sur les sentiments
distingués et connus du général en chef Hutchinson, et sur
l'assurance que vous m'avez tant de fois réitérée que vous ne
mettrez pas de différence entre nos malades et les vôtres.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
Le 21, j'adressai la réponse suivante à une lettre que m'avait écrite le
chef de bataillon Alliot, qui se trouvait en otage au camp du grand
vizir (nº 751 de ma correspondance).
«Je ne reçois qu'aujourd'hui, citoyen commandant, votre lettre du
19, à laquelle je m'empresse de répondre pour satisfaire les
désirs de S. Ex. le Reis Effendi, auquel je rends ses
salutations.
C'est à l'eau, qui éprouve dans ce moment une altération
manifeste, qu'il faut attribuer le léger vomissement qui a
affecté les troupes dans les divers camps.
Pour en prévenir le retour, il est essentiel d'aller puiser l'eau
du Nil, ainsi que nous le faisons, un peu avant et au courant,
jusqu'à ce que la crue du fleuve soit arrivée à un plus haut
degré.»
Le 24, nos hôpitaux descendaient le Nil, et le 27 ils étaient à la
hauteur de notre camp d'Omdinar, d'où ils se portèrent à Rosette sans
suivre les mouvements trop lents de l'armée.
_Note pour l'ordre du jour._
Au camp de Teranéh, le 30 messidor an IX.
«L'armée est invitée par la chaleur excessive à se baigner dans
les eaux du Nil; mais elle oublie les avis fréquemment répétés
dans les ordres du jour relativement à l'usage du bain.
Il est dangereux de se baigner indistinctement à toutes les
heures; on compromet sa vie en se baignant après avoir mangé; il
est au contraire très bon de se tenir dans l'eau une demi-heure
peu après ou peu avant le lever et le coucher du soleil.
L'armée se livre à un grand excès en mangeant des pastèques, qui
ne sont pas bien mûres, et par conséquent indigestes. Une
indigestion est une maladie pour un homme indispensablement
soumis à la fatigue.
Les militaires qui couchent presque nus sur les bords du Nil
s'exposent à des maux d'yeux, à des diarrhées, et à des
dysenteries. Il faut se tenir couvert le matin, le soir, et la
nuit, et surtout couvrir soigneusement ses yeux pendant la nuit.
_Signé_ R. DESGENETTES.»
J'arrivai dans la nuit du 3 au 4 thermidor devant Rosette, et j'arrêtai
de suite avec l'inspecteur-général des hôpitaux les bases de
l'évacuation de nos malades et de nos invalides; je profitai de cette
circonstance pour réunir nos officiers de santé de toutes les
professions et de toutes les classes avec ceux de l'armée anglaise, et
donner un témoignage de nos regrets sur la perte de l'illustre Lorentz.
J'étais loin de soupçonner qu'à la même époque le conseil de santé des
armées, avec une bienveillance digne de toute ma reconnaissance, me
désignait au ministre de la guerre pour occuper la place que ce
premier-médecin laissait vacante dans l'hôpital-militaire-d'instruction
de Strasbourg[25].
[Note 25: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Je passe ici sur une foule de détails.
Le 7, j'écrivis au général Belliard la lettre suivante (nº 764 de ma
correspondance).
«J'ai eu lieu, général, d'être très satisfait de la détermination
qui m'avait engagé à descendre à Rosette pour y surveiller nos
établissements, organiser et hâter le départ de nos malades.
L'inspecteur-général Young, qui a trouvé avec raison beaucoup
trop de frottement dans notre régime administratif,
indépendamment de ce qu'un peu d'âpreté et de manque d'égards y
ont ajouté, avait déjà déclaré ne vouloir communiquer qu'avec
moi, ou celui par qui je me ferais représenter: il a tenu parole;
mais j'ai tout arrangé de manière à ménager le plus possible les
prétentions, pour pouvoir arriver plus directement à notre but.
La demande de médicaments, que j'ai approuvée parce qu'elle était
juste, modérée, et conforme à nos besoins, n'a pas éprouvé la
moindre difficulté: il n'en a pas été de même d'un long état de
comestibles, de vêtements, d'effets, et fournitures, qui n'est
basé, ni sur les règlements, ni sur les approvisionnements
ordinaires des hôpitaux militaires des deux nations: l'état sera
réduit aux termes nécessaires.
Nos malades vont s'embarquer: ils sont au nombre de 550; et de
plus trente convalescents des lazarets. Il n'y avait le 3 du
courant que sept hommes hors d'état d'être embarqués. On s'est
conformé à vos intentions, qui m'étaient connues relativement au
renvoi des légers malades à leurs corps respectifs: il y aura une
semblable opération de faite quand on recevra le second convoi de
malades.
L'amiral lord Keith n'a demandé relativement à notre trentaine de
suspects que des mesures très raisonnables, et également
profitables et rassurantes pour tous.
Le général Morand, qui veut bien se charger de vous remettre
cette lettre, vous donnera de vive voix tous les détails que vous
désirez.»
Le 8, le 9 et le 10 furent employés à notre évacuation.
_Note pour l'amiral lord Keith, commandant des flottes de S. M. B. dans
la Méditerranée_ (nº 777 de ma correspondance).
«Les soussignés certifient que les convalescents du lazaret, au
nombre de vingt-sept, ont été savonnés, ensuite lavés avec de
l'eau et du vinaigre; que tous leurs effets ont été brûlés,
qu'ils ont été revêtus de nouveaux habits, et qu'enfin ils sont
dans un état à ne faire rien craindre de leur transport en Europe
pour la santé publique.
Signés à l'original, écrit en anglais, sous la date du 29 juillet
1801, R. DESGENETTES, _médecin en chef de l'armée de la
république française_, et TH. YOUNG, _écuyer, inspecteur-général
des hôpitaux de l'armée de_ S. M. B.»
J'écrivis au général Belliard le 12, (nº 781 de ma correspondance).
«Général, j'ai la satisfaction de vous apprendre que nos
hôpitaux et nos convalescents des lazarets sont enfin partis
hier, et qu'ils ont probablement passé le Boghaz.
Il a été impossible de procéder dans les hôpitaux à une visite
des convalescents susceptibles de rentrer dans leurs corps, parce
que tous nos malades se sont précipités confusément hier sur les
barques d'évacuation.
Je ne sais si on pourra faire cette opération en mer; dans le cas
où elle ne pourrait avoir lieu, nous serons obligés de demander
un quatrième bâtiment-hôpital.»
Le brigadier-général Oakes m'ayant communiqué avec empressement, le 14,
une dépêche du lord Keith, qui mettait à la disposition de l'armée
française, sur la demande du général Belliard, un quatrième
vaisseau-hôpital, je prévins l'inspecteur-général qu'il nous restait
cent quatre-vingts malades à embarquer.
J'écrivis, le 17, au général Belliard (nº 792 de ma correspondance).
«Général, j'ai l'honneur de vous prévenir que M.
l'inspecteur-général des hôpitaux de S. M. B. m'a informé qu'il
avait donné des ordres pour fournir au quatrième
vaisseau-hôpital, la _Peggy-Success_, tout ce qui lui est
nécessaire.
Je lui ai fait quelques observations relativement à
l'amélioration des vivres et fournitures; mais il s'est
constamment retranché dans les termes de la convention, qui porte
que nous serons traités conformément aux règlements maritimes de
l'Angleterre.
Le _Niger_, vaisseau-hôpital, a mis à la voile avec tant de
précipitation qu'il n'a pu recevoir différents objets très
essentiels qui lui étaient destinés.»
Le lendemain l'évacuation totale des malades étant terminée, et les
troupes rendues au lieu de l'embarquement, en partant pour me rendre à
bord, j'écrivis la lettre suivante à M. l'inspecteur-général Young (nº
795 de ma correspondance).
Rosette, le 18 thermidor an IX.
«Monsieur, j'ai l'honneur, en quittant cette place, de vous
prévenir que nous y laissons cinq à six malades hors d'état
d'être évacués sans compromettre ce qui leur reste d'existence.
J'espère que vous voudrez bien donner des ordres pour qu'ils
soient transférés dans vos hôpitaux, où je ne doute pas qu'ils
recevront le traitement le plus convenable à leur malheureuse
situation.
Agréez les témoignages de l'estime la plus distinguée, que je ne
cesserai de conserver pour vous, d'après vos manières loyales, et
la confiance amicale que vous avez portée dans toutes nos
relations.»
Nous mîmes enfin à la voile; mais nos regards se portèrent encore
longtemps sur la terre antique et célèbre dont nous nous éloignions, et
sur cette Alexandrie où nous laissions nos concitoyens, nos amis, nos
frères.
J'avais des sujets particuliers d'inquiétude: une lettre que j'adressai
en messidor à l'ordonnateur en chef pour qu'il chargeât le citoyen
Garros de me suppléer ne lui parvint point, et je fus remplacé, contre
toutes les convenances, par un médecin qui se crut dispensé pour
toujours de correspondre même avec moi. Cependant j'avais appris avant
de quitter l'Égypte que le scorbut commençait à régner à Alexandrie, où
il a depuis fait tant de ravages, qu'il a hâté, s'il n'a pas nécessité
la reddition de cette place.
Une traversée plus ou moins longue, mais qui fut en général de six
semaines, nous porta sur les côtes de France. Moins heureux qu'un grand
nombre d'autres, nous ne touchâmes la terre sacrée qu'au bout de
cinquante et quelques jours. Au moment où nous l'aperçûmes nous la
saluâmes par des cris d'allégresse, et nous oubliâmes nos fatigues et
nos maux: bientôt le tableau riant de la prospérité et de la gloire de
notre pays vint ajouter à nos délices. _Qu'y a-t-il de nouveau_,
criâmes-nous tous à la fois à un pilote côtier qui vint le premier
au-devant de nous en mer, _je ne sais pas trop_, nous répondit-il,
_parce que je sors d'entre deux rochers où je passe ma vie, près la
Ciotat; mais je vais vous dire le prix du pain et du vin, que l'on mange
et que l'on boit à présent tranquillement partout... puis, pour les
ennemis de la République, il faut que notre premier consul les ait
envoyés à tous les diables, car on n'en parle plus... il devrait bien en
faire autant_, ajouta-t-il, _de ces petits bâtiments anglais qui rôdent
encore par-là tous les jours... on ne peut seulement pas pêcher_.
Le général Cervoni, commandant de la huitième division militaire, qui
revoyait ces troupes à la tête desquelles il se signala souvent en
Italie, le général Léopold Berthier, spécialement chargé de l'honorable
mission de recevoir l'armée d'Orient, enfin les conservateurs de la
santé publique nous procurèrent dans le lazaret tout ce que nous
pouvions désirer dans notre position.
Ce fut dans cette enceinte que des cris de joie nous apportèrent la
nouvelle des préliminaires qui devaient bientôt nous rapprocher de
l'Angleterre; et ce fut un touchant spectacle que de voir l'enthousiasme
qu'inspirait à tant d'intrépides guerriers l'espoir d'une paix profonde.
Je m'empressai, CITOYENS MEMBRES DU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES, de vous
écrire d'abord le 7 vendémiaire an X (nº 797 de ma correspondance) pour
vous prévenir que le nombre de nos malades au moment du départ était
d'environ six cents.
Ma dépêche du 10 (nº 800 de ma correspondance) contenait neuf états des
médecins employés à toutes les époques, l'état de situation de nos
malades le 7 du courant, et deux autres pièces.
Ma dépêche du 21 (nº 807 de ma correspondance) vous faisait part du
mouvement des hommes sains et malades, avec indication des maladies.
J'écrivis au citoyen Lorentz, médecin en chef de l'hôpital militaire de
Marseille, la lettre suivante (nº 813 de ma correspondance).
Au lazaret de Marseille, le 25 vendémiaire an X.
«J'ai l'honneur de vous prévenir, citoyen collègue, d'une
évacuation d'environ 130 malades, au nombre desquels il y a 32
fiévreux, et qui doit avoir lieu demain sur votre hôpital.
J'ai donné des ordres pour qu'il vous fût adressé une liste
nominale avec l'indication de l'état antérieur et actuel de
chaque malade.
J'informerai de ce mouvement le conseil de santé des armées, et
il ne pourra plus concevoir d'inquiétude pour nos malades quand
il saura qu'ils sont confiés à vos soins.»
J'écrivis au conseil les deux lettres suivantes, que je crois devoir
rapporter ici (nº 815 et 824 de ma correspondance).
Au lazaret de Marseille, le 25 vendémiaire an X.
«CITOYENS,
J'ai eu l'honneur de vous faire connaître par ma lettre du 21 du
courant, nº 807, l'état des malades arrivés à bord des
vaisseaux-hôpitaux l'_Amiral-Mann_, et le _Niger_, et de ceux
fournis par les autres bâtiments de cartel.
Demain 26, une portion de ces malades sera évacuée avec toutes
les formalités exigées et requises sur l'hôpital militaire de
Marseille; l'autre portion est déjà rentrée ou rentrera dans le
jour dans les différents corps.
J'ai la satisfaction de vous annoncer que le _Julius-César_,
autre vaisseau-hôpital, est entré dans le port de Pomegue le 22
du courant. D'après le rapport que m'adresse le citoyen Carrié,
médecin de l'armée chargé du service de ce bâtiment, il mit à la
voile de la rade d'Aboukir le 13 thermidor; avant de relâcher à
Malte il perdit dix-neuf hommes, et il fut contraint de laisser
neuf malades dans le lazaret de ce port. Le 25, il n'y a plus sur
ce bord que six malades dont un seul l'est très gravement.
Nous n'allons conserver qu'un seul hôpital: il y a aujourd'hui
quinze malades; on en attend six ou sept du _Julius-César_; en
supposant que quinze autres bâtiments, à bord desquels se
trouvent environ quatre mille hommes, et dont l'un porte notre
respectable corps d'invalides, ne fournissent pas plus de
malades, le mouvement du 30 de ce mois n'excédera pas
quatre-vingt-dix fiévreux.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
Au lazaret de Marseille, le 1er brumaire an X.
CITOYENS,
Je vous écris fréquemment, parce que je crois pouvoir calmer par
ce moyen une partie des sollicitudes du ministre sur les restes
précieux d'une armée constamment l'objet de ses affections.
Vous trouverez ci-joint le mouvement journalier de l'hôpital
établi dans le lazaret de Marseille pour la troisième décade de
vendémiaire, relevé d'après les mouvements délivrés par
l'économe, certifiés par le médecin de l'armée chargé du service,
et visés par le commissaire des guerres chargé de la police dudit
établissement.
La note qui répond au 15 vendémiaire vous fera connaître que
l'évacuation dont je vous ai prévenus le même jour par ma lettre
nº 815, a eu lieu le lendemain.
Une seconde note portée sur le même mouvement indique que les
seize bâtiments de l'arrivée desquels je vous prévenais aussi,
et notamment le _Julius-César_, n'ont pu, à cause de la houle,
débarquer leurs malades avant le 30. Cette cinquantaine de
malades va recevoir les soins que nous lui devons, et que lui
assurent la cordialité fraternelle de nos troupes, et les
sentiments distingués et connus des généraux qui les commandent.
Nos maladies sont, comme je vous l'ai annoncé, des dysenteries
chroniques: nos derniers entrants ont été affectés d'un violent
coup de vent du nord, qui a porté sur les organes de la
respiration et de la déglutition des hommes mal couverts; mais au
moment où j'écris le vent paraît vouloir passer au sud.
Je vous enverrai au sortir de ma quarantaine, qui sera, je
l'espère, terminée le 9 du courant, 1º une note des travaux
publiés par les médecins de l'armée d'Orient; 2º celle des
travaux déposés entre mes mains; 3º celle des travaux annoncés.
J'aurais voulu faire beaucoup plus, et je m'y suis pris de toutes
les manières pour exciter les autres à faire davantage; mais des
circonstances pénibles et difficiles ont contrarié mon zèle et
l'ardent désir que j'avais de vous offrir l'hommage d'un travail
plus complet, et plus digne de l'attention de l'Europe, si
longtemps fixée sur notre armée[26].
J'ai l'honneur de vous saluer.»
[Note 26: Voyez la seconde partie de ce recueil.]
Ma quarantaine se trouvant terminée, je sortis du lazaret le 9.
L'administration eut lieu d'être satisfaite de la discipline et de la
docilité de nos troupes; c'était le résultat de notre expérience. J'eus
en mon particulier beaucoup à me louer de la confiance dont m'honorèrent
les conservateurs, en me faisant concourir avec leurs officiers de santé
à toutes les visites et à tous les rapports de salubrité pendant mon
séjour dans le lazaret.
Je désirerais seulement qu'on supprimât la cérémonie puérile et
illusoire du parfum la veille de la sortie, et qui consiste à enfumer
les personnes en brûlant une botte de foin. Il ne faut pas qu'un
établissement aussi utile puisse fournir matière à aucun ridicule.
Le jour de ma sortie j'envoyai au conseil de santé des armées le
mouvement journalier des hôpitaux du lazaret pour la première décade de
brumaire jusqu'au 7 inclusivement; je le prévins que nous avions évacué
vingt-un malades sur l'hôpital militaire de Marseille; enfin je lui
annonçai l'arrivée d'une partie de la garnison d'Alexandrie.
Le 12, j'adressai une note sous forme d'instruction au citoyen Vautier,
en le félicitant sur son heureuse arrivée d'Alexandrie, et en le
chargeant seul, pour le moment, du service pénible du lazaret, d'après
les motifs que j'avais de me reposer sur son zèle (nº 839 de ma
correspondance).
J'écrivis au conseil, avant mon départ pour Paris, les lettres
suivantes:
À Marseille, le 18 brumaire an X.
(Nº 855 de ma correspondance.)
«CITOYENS,
J'appris, le 9 du courant, et après ma dépêche de ce jour, nº
836, quelques détails sur la garnison d'Alexandrie.
Au moment de la reddition de cette place elle avait 1700 malades,
dont 1300 scorbutiques, et le reste blessés.
Il a dû, d'après les conventions, rester en Égypte 400
scorbutiques.
Le dernier mouvement des hôpitaux établis dans le lazaret de
Marseille a donné pour résultat:
Hôpital de l'enclos neuf, 125 malades, qui doivent avoir l'entrée
le 22 du courant.
Hôpital du grand enclos, 350 malades, sur lesquels il y a 300
scorbutiques, dont l'état s'améliore chaque jour, et 30 blessés.
Ne pouvant d'après les règlements du lazaret surveiller
personnellement le service, je me rends auprès du ministre de la
guerre pour y prendre des ordres ultérieurs relativement à ma
nouvelle destination.
Les citoyens Barbès, Renati, et Sotira, doivent vous adresser une
demande pour être employés dans l'expédition d'Amérique: ce sont
des médecins habiles, distingués par un grand zèle, et qui ont
subi toutes les épreuves.
Tous les médecins attendent avec impatience, ainsi que les
chirurgiens, et pharmaciens, que vous leur donniez une
destination ou leur congé; une grande partie sont près de leur
famille, et le séjour de Marseille est très coûteux.
Je vous ai adressé pour mon service, dès le 10 vendémiaire, sous
le nº 800, neuf états très détaillés.
Vous trouverez ci-jointe la note sur les travaux littéraires des
médecins de l'armée, dont je vous ai déjà annoncé l'envoi par ma
lettre du 1er de ce mois, nº 824.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
Marseille, le 21 brumaire an X.
(nº 856 de ma correspondance.)
«CITOYENS,
Des pluies affreuses, qui durent encore, et ont déjà causé pour
plusieurs millions de dégâts dans le territoire de cette commune,
ont retardé mon départ.
Je profite de cette prolongation de séjour pour vous communiquer
la nouvelle satisfaisante de l'arrivée de onze bâtiments
parlementaires le 19 du courant.
Voici la note de ces bâtiments:
La _Peggy-Success_, quatrième bâtiment-hôpital des
troupes du Kaire, partie d'Aboukir, et portant cent
soixante-quinze hommes, dont trente malades
seulement; le reste en bonne santé. . . . . . . . 175 hommes.
Le _Trent_, parti du même lieu, portant. . . . . 101 hommes.
La _Peggy_, venant d'Alexandrie, portant. . . . . 150 hommes.
L'_Alexandre_, venant du même lieu, portant . . . 185 hommes.
La bombarde le _S.-Antoine_, venant du même lieu,
et portant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 hommes.
Le gouverneur _Miller_, venant du même lieu,
portant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 hommes.
Le _S.-Nicolas_, venant du même lieu, portant. . 231 hommes.
L'_Infatigable_, venant du même lieu, portant. . 217 hommes.
Le _Juste_, venant du même lieu, portant. . . . . 124 hommes.
Le brigantin le _S.-Georges_, venant du même lieu,
portant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182 hommes.
La polacre la _Bellette_, venant du même lieu,
portant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 hommes.
-------------
TOTAL . . . . . . 1701 hommes.
=============
Je n'ai de renseignements à vous donner que sur la santé du
premier de ces bâtiments, sur le sort duquel j'étais très
inquiet.
J'ai l'honneur de vous saluer.»
Après l'évacuation de l'Égypte le citoyen Frank est resté chargé du
service de l'hôpital conservé à Alexandrie conformément à la
capitulation.
RÉSUMÉ.
Maintenant quels sont les résultats de cette expérience, suivie plus de
trois ans et demi sur trente mille hommes transportés d'Europe en
Afrique, et ayant fait en Asie une pénible campagne?
La première question qui se présente est celle de l'acclimatement; on le
voit se faire en deux ans environ: les Anglais que le sort de la guerre
rend nos prisonniers le subissent comme nous; il est marqué par des
éruptions à la peau, des ophtalmies, des diarrhées, et des dysenteries.
Cependant la salubrité du climat de l'Égypte, et surtout de la haute,
est définitivement jugée par le nombre comparatif des malades, moindre
dans l'armée d'Orient que dans aucune des autres armées de la République
en Europe sans nulle exception.
Les fièvres pestilentielles, ou mieux la peste (car il est temps de
donner aux choses leur véritable nom, lorsqu'aucunes considérations
politiques n'empêchent plus de le faire) a été enfin abordée, étudiée,
et traitée par plusieurs médecins: mais les secours ont manqué pour des
observations plus exactes et plus suivies; j'entends parler du local
convenable, des médicaments, du concours des soins d'hommes courageux et
intelligents. Ici, par exemple, je dois faire remarquer qu'il n'y a rien
eu de déterminé avec précision sur l'efficacité du traitement par les
onctions ou frictions d'huile; les ouvertures des cadavres n'ont été ni
assez multipliées ni assez authentiques pour en rien déduire également
de positif.
La peste est endémique dans l'Égypte inférieure, et le long des côtes de
la Syrie, puisqu'elle y règne depuis des siècles, et qu'elle a été cent
fois observée dans cent lieux qui n'avaient eu entre eux aucune espèce
de communication.
La peste se développe généralement dans une saison déterminée; mais on a
vu dans le courant de cette histoire qu'il y en a eu des exemples à
toutes les époques de toutes les années.
Les vents du sud, l'air chaud et humide, en favorisent, s'ils n'en
produisent pas seuls le développement.
Les vents du nord, les extrêmes du froid et du chaud, la font cesser
presque entièrement.
La peste est évidemment contagieuse; mais les conditions de la
transmission de cette contagion ne sont pas plus exactement connues que
sa nature spécifique. Les cadavres n'ont pas paru la transmettre; le
corps animal dans une chaleur, et plus encore dans la moiteur fébrile, a
paru la communiquer plus facilement. On a vu la contagion cesser en
passant d'une rive à l'autre du Nil; on a vu un simple fossé, fait en
avant d'un camp, en arrêter les ravages; et c'est sur des observations
de ce genre qu'est fondé l'isolement avantageux des Francs, dont la
pratique a été suffisamment détaillée par divers voyageurs.
La peste a attaqué plus particulièrement les hommes exposés à passer
subitement d'une atmosphère chaude dans une atmosphère froide, et
réciproquement, tels que les boulangers, les forgerons, les cuisiniers,
etc.: les hommes adonnés à l'excès des liqueurs spiritueuses et des
femmes ont rarement guéri de la peste.
Cette maladie, comme je l'ai dit ailleurs, a divers degrés d'intensité;
ces degrés constituent des épidémies plus ou moins meurtrières, mais
dans chaque épidémie la maladie ne frappe pas toujours au même degré.
Elle est bénigne quand il n'y a ni adynamie ni ataxie.
Quand il y a l'une des deux, ou l'une et l'autre avec peu d'intensité,
il y a espoir de guérison, et c'est l'espèce que je considère comme
moyenne.
Quand l'adynamie et l'ataxie sont portées très loin il n'y a presque
aucun espoir de guérison. J'ai indiqué les moyens que j'ai tentés en
Syrie; on peut voir ce que j'ai dit sur les vomitifs, les toniques, et
les antiseptiques, ainsi que sur l'application particulière et prompte
des vésicatoires.
Malgré la gravité de ce que j'appelle la troisième espèce, on a vu des
guérisons, même entièrement dues à la nature, et je ne puis en passer
sous silence deux exemples remarquables, quoique mon objet ne soit pas
de présenter ici des faits particuliers.
Un sapeur, attaqué de la peste pendant l'expédition de Syrie, s'échappa
nu, dans un violent délire, du fort de Cathiéh, et erra pendant près de
trois semaines dans le désert; deux bubons qu'il avait abcédèrent et se
cicatrisèrent d'eux-mêmes; il subsista, quand il sentit le besoin des
aliments, avec cette petite espèce d'oseille dont j'ai parlé ailleurs.
Le second cas est celui d'un artilleur qui avait deux bubons et un
charbon; dans un violent délire, il s'échappa, le jour de son entrée,
des baraques du lazaret de Boulak, et se précipita dans le Nil: il fut
retiré au bout d'une demi-heure au-dessous d'Embabéh par des habitants
de ce village, et il guérit parfaitement.
La peste de l'an VII se trouve amplement décrite dans l'expédition de
Syrie; elle a été très meurtrière.
Celle des années VIII et IX n'a point offert de différences assez
tranchantes pour forcer à en varier le traitement: on a guéri environ un
tiers des malades dans l'an VIII.
L'an IX, où nous avons eu dans la citadelle du Kaire jusqu'à sept cents
pestiférés, nous avons eu la douce satisfaction d'en voir guérir
au-dessus du tiers, et dans quelques circonstances près de la moitié:
les jeunes Nègres et les Syriens au service de la République ont
particulièrement souffert de la peste.
Indépendamment des fautes et des omissions que l'on pourra rencontrer
dans cet ouvrage, j'aurais bien désiré le terminer par un tableau de la
mortalité de l'an IX, détaillé comme je l'ai fait pour les six derniers
mois de l'an VI, et la totalité des années VII et VIII, mais je m'en
suis abstenu parce que les nombreux mouvements que je me suis procurés
ont encore besoin d'être contrôlés par les déclarations des corps
militaires et administrations: travail dont s'occupent, au reste, dans
ce moment les bureaux du département de la guerre.
Je m'abstiens de toutes observations relatives au traitement ou à la
suite des bubons et des charbons, cet objet devant être exposé fort au
long par le chirurgien en chef de l'armée dont les services ont été
justement appréciés.
Si je n'ai pas parlé du citoyen Boudet, pharmacien en chef, c'est que
mon suffrage ne peut rien ajouter aux éloges publics qu'il a reçus de la
première autorité de l'armée.
Il faut regarder le régime administratif de nos lazarets de l'Égypte,
même dans les années VIII et IX, où il fut en partie dirigé par des
officiers de santé, comme une transaction entre les principes d'hygiène,
et des idées populaires qu'il a fallu respecter. Au reste notre
conservateur Guyrard a aussi mérité des palmes civiques par son zèle,
son désintéressement, et son humanité.
L'on n'a jamais veillé dans aucune armée avec plus de soin sur la
conservation des troupes; généraux, officiers supérieurs, et de tous les
grades, les simples soldats même y ont concouru. Les plus braves des
hommes sont donc encore les plus compatissants et les plus généreux!
Dans les moments les plus désastreux nos hôpitaux ont été souvent aussi
bien tenus que les établissements de nos grandes villes de guerre: si
les soins y ont quelquefois manqué, nos officiers de santé sont sans
reproches.
Le ministre leur a rendu une éclatante justice en vous chargeant,
CITOYENS MEMBRES DU CONSEIL DE SANTÉ DES ARMÉES, de les utiliser de
préférence à tous les autres.
Il me reste cependant à vous recommander le citoyen Emeric, sexagénaire
accablé d'infirmités contractées au service, et qui attend à Toulon
quelque témoignage de la reconnaissance du gouvernement.
_Signé_ R. DESGENETTES.
_P. S._ Je remettrai au secrétariat-général de l'administration de la
guerre les mouvements des lazarets, tels que j'ai pu me les procurer,
persuadé que ces documents pourront être utiles à la tranquillité de
plusieurs familles.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
End of the Project Gutenberg EBook of Histoire Médicale de l'Armée d'Orient, by
René Desgenettes
*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE MÉDICALE DE L'ARMÉE ***
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