Monsieur Teste

By Paul Valéry

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Title: Monsieur Teste

Author: Paul Valéry

Release date: February 22, 2025 [eBook #75440]

Language: French

Original publication: Paris: Gallimard, 1929

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Polona digital library)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MONSIEUR TESTE ***






  PAUL VALÉRY
  DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

  MONSIEUR TESTE

  [Illustration]


  PARIS
  Librairie Gallimard
  ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
  3, rue de Grenelle (VIe)




ŒUVRES DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE


LA JEUNE PARQUE (épuisé).

  id.  deuxième édition dans la collection _Une œuvre un portrait_, avec
un portrait par Picasso (épuisé).

ODES, avec des ornements de Paul Vera (épuisé).

LE SERPENT, avec des ornements gravés sur bois par Paul Vera (épuisé).

LA SOIRÉE AVEC M. TESTE (épuisé).

  id.  deuxième édition dans la collection Une œuvre un portrait, avec
un portrait de M. Teste, par B. Naudin (épuisé).

CHARMES, avec des ornements typographiques dans le style du XVIIe siècle
(épuisé).

EUPALINOS ou l’Architecte, suivi de L’AME ET LA DANSE.

VARIÉTÉ.

UNE CONQUÊTE MÉTHODIQUE (collection _Une œuvre un portrait_, avec un
portrait de Paul Valéry gravé sur bois par G. Aubert, d’après un croquis
de l’auteur),

VERS ET PROSE, édition ornée d’aquarelles de Pierre Laprade.

CAHIER B 1910.

MONSIEUR TESTE, 1 vol. in-16 Jésus.

LA JEUNE PARQUE, 1 vol. in-16 Jésus.

ALBUM DE VERS ANCIENS, 1 vol. in-16 Jésus.

DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

LETTRE SUR MALLARMÉ, adressée à Jean Royère.




LA PRÉSENTE ÉDITION A ÉTÉ TIRÉE A TROIS CENTS QUARANTE-SEPT EXEMPLAIRES
SUR PAPIER DE HOLLANDE VAN GELDER SOUS COUVERTURE SPÉCIALE, DONT TROIS
CENTS NUMÉROTÉS DE 1 A 300 ET QUARANTE-SEPT EXEMPLAIRES HORS COMMERCE DE
I A XLVII.


EXEMPLAIRE Nº


TOUS DROITS DE REPRODUCTION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS LES PAYS
Y COMPRIS LA RUSSIE.

COPYRIGHT BY LIBRAIRIE GALLIMARD 1929.




PRÉFACE


Ce personnage de fantaisie dont je devins l’auteur au temps d’une
jeunesse à demi littéraire, à demi sauvage ou... intérieure, a vécu,
semble-t-il, depuis cette époque effacée, d’une certaine _vie_,--que ses
réticences plus que ses aveux ont induit quelques lecteurs à lui
prêter[1].

  [1] Cette préface a été écrite pour la deuxième traduction en anglais
    de la _Soirée avec M. Teste_.

Teste fut engendré,--dans une chambre où Auguste Comte a passé ses
premières années,--pendant une ère d’ivresse de ma volonté et parmi
d’étranges excès de conscience de soi.

J’étais affecté du mal aigu de la précision. Je tendais à l’extrême du
désir insensé de comprendre, et je cherchais en moi les points critiques
de ma faculté d’attention.

Je faisais donc ce que je pouvais pour augmenter un peu les durées de
quelques pensées. Tout ce qui m’était facile m’était indifférent et
presque ennemi. La sensation de l’effort me semblait devoir être
recherchée, et je ne prisais pas les heureux résultats qui ne sont que
les fruits naturels de nos vertus natives. C’est dire que les résultats
en général,--et par conséquence, les _œuvres_,--m’importaient beaucoup
moins que l’énergie de l’ouvrier,--substance des choses qu’il espère.
Ceci prouve que la théologie se retrouve un peu partout.

Je suspectais la littérature, et jusqu’aux travaux assez précis de la
poésie. L’acte d’écrire demande toujours un certain «sacrifice de
l’intellect». On sait bien, par exemple, que les conditions de la
lecture littéraire sont incompatibles avec une précision excessive du
langage. L’intellect volontiers exigerait du langage commun des
perfections et des puretés qui ne sont pas en sa puissance. Mais rares
sont les lecteurs qui ne prennent leur plaisir que l’esprit tendu. Nous
ne gagnons les attentions qu’à la faveur de quelque amusement; et cette
espèce d’attention est passive.

Il me semblait indigne, d’ailleurs, de partager mon ambition entre le
souci d’un effet à produire sur les autres, et la passion de me
connaître et reconnaître tel que j’étais, sans omissions, sans
simulations, ni complaisances.

Je rejetais non seulement les Lettres, mais encore la Philosophie
presque tout entière, parmi les Choses Vagues et les Choses Impures
auxquelles je me refusais de tout mon cœur. Les objets traditionnels de
la spéculation m’excitaient si malaisément que je m’étonnais des
philosophes ou de moi-même. Je n’avais pas compris que les problèmes les
plus relevés ne s’imposent guère, et qu’ils empruntent beaucoup de leur
prestige et de leurs attraits à certaines _conventions_ qu’il faut
connaître et recevoir pour entrer chez les philosophes. La jeunesse est
un temps pendant lequel les conventions sont, et doivent être, mal
comprises: ou aveuglément combattues, ou aveuglément obéies. On ne peut
pas concevoir, dans les commencements de la vie réfléchie, que seules
les décisions arbitraires permettent à l’homme de fonder quoi que ce
soit: langage, sociétés, connaissances, œuvres de l’art. Quant à moi, je
le concevais si mal que je m’étais fait une règle de tenir secrètement
pour nulles ou méprisables toutes les opinions et coutumes d’esprit qui
naissent de la vie en commun et de nos relations extérieures avec les
autres hommes, et qui s’évanouissent dans la solitude volontaire. Et
même je ne pouvais songer qu’avec dégoût à toutes les idées et à tous
les sentiments qui ne sont engendrés ou remués dans l’homme que par ses
maux et par ses craintes, ses espoirs et ses terreurs; et non librement
par ses pures observations sur les choses et en soi-même.

J’essayais donc de me réduire à mes propriétés _réelles_. J’avais peu de
confiance dans mes moyens, et je trouvais en moi sans nulle peine tout
ce qu’il fallait pour me haïr; mais j’étais fort de mon désir infini de
netteté, de mon mépris des convictions et des idoles, de mon dégoût de
la facilité et de mon sentiment de mes limites. Je m’étais fait une île
intérieure que je perdais mon temps à reconnaître et à fortifier...

                   *       *       *       *       *

M. Teste est né quelque jour d’un souvenir récent de ces états.

C’est en quoi il me ressemble d’aussi près qu’un enfant semé par
quelqu’un dans un moment de profonde altération de son être, ressemble à
ce père hors de soi-même.

Il arrive, peut-être, que l’on abandonne de temps à autre à la vie la
créature exceptionnelle d’un moment exceptionnel. Il n’est pas
impossible, après tout, que la singularité de certains hommes, leurs
valeurs d’écart, bonnes ou mauvaises, soient dues quelquefois à l’état
instantané de leurs générateurs. Il se peut que l’instable ainsi se
transmette et se donne quelque carrière. N’est-ce point là, d’ailleurs,
dans l’ordre de l’esprit, la fonction de nos œuvres, l’acte du talent,
l’objet même du travail, et en somme, l’essence du bizarre instinct de
faire survivre à soi ce que l’on obtient de plus rare?

Revenant à M. Teste, et observant que l’existence d’un type de cette
espèce ne pourrait se prolonger dans le réel pendant plus de quelques
quarts d’heure, je dis que le problème de cette existence et de sa durée
suffit à lui donner une sorte de vie. Ce problème est un germe. Un germe
vit; mais il en est qui ne sauraient se développer. Ceux-ci essayent de
vivre, forment des monstres, et les monstres meurent. En vérité, nous ne
les connaissons qu’à cette _propriété remarquable_ de ne pouvoir durer.
_Anormaux_ sont les êtres qui ont un peu moins d’avenir que les
_normaux_. Ils sont semblables à bien des pensées qui contiennent des
contradictions cachées. Elles se produisent à l’esprit, paraissent
justes et fécondes, mais leurs conséquences les ruinent, et leur
présence bientôt leur est funeste.

--Qui sait si la plupart de ces pensées prodigieuses sur lesquelles tant
de grands hommes, et une infinité de petits, ont pâli depuis des
siècles, ne sont point des monstres psychologiques,--des _Idées
Monstres_,--enfantés par l’exercice naïf de nos facultés interrogeantes
que nous appliquons un peu partout,--sans nous aviser que nous ne devons
raisonnablement questionner que ce qui peut véritablement nous répondre?

Mais les monstres de chair rapidement périssent. Toutefois ils ont
existé quelque peu. Rien de plus instructif que de méditer sur leur
destin.

Pourquoi M. Teste est-il impossible?--C’est son _âme_ que cette
question. _Elle vous change en M. Teste._ Car il n’est point autre que
le démon même de la possibilité. Le souci de l’ensemble de ce qu’il peut
le domine. Il s’observe, il manœuvre, il ne veut pas se laisser
manœuvrer. Il ne connaît que deux valeurs, deux catégories, qui sont
celles de la conscience réduite à ses actes: _le possible et
l’impossible_. Dans cette étrange cervelle, où la philosophie a peu de
crédit, où le langage est toujours en accusation, il n’est guère de
pensée qui ne s’accompagne du sentiment qu’elle est provisoire; il ne
subsiste guère que l’attente et l’exécution d’opérations définies. Sa
vie intense et brève se dépense à surveiller le mécanisme par lequel les
relations du connu et de l’inconnu sont instituées et organisées. Même,
elle applique ses puissances obscures et transcendantes à feindre
obstinément les propriétés d’un système isolé où l’infini ne figure
point.

                   *       *       *       *       *

Donner quelque idée d’un tel monstre, en peindre les dehors et les
mœurs; esquisser du moins un Hippogriffe, une Chimère de la mythologie
intellectuelle, exige,--et donc excuse,--l’emploi, sinon la création,
d’un langage forcé, parfois énergiquement abstrait. Il y faut également
de la familiarité et jusqu’à quelques traces de cette vulgarité ou
trivialité que nous nous permettons avec nous-mêmes. Nous ne gardons pas
de ménagements avec celui qui est en nous.

Le texte assujetti à ces conditions très particulières n’est
certainement pas d’une lecture trop aisée dans l’original. Davantage
doit-il présenter à qui veut le transporter dans une langue étrangère
des difficultés presque insurmontables...




LA SOIRÉE AVEC MONSIEUR TESTE

        _Vita Cartesii res est simplicissima..._


La bêtise n’est pas mon fort. J’ai vu beaucoup d’individus, j’ai visité
quelques nations, j’ai pris ma part d’entreprises diverses sans les
aimer, j’ai mangé presque tous les jours, j’ai touché à des femmes. Je
revois maintenant quelques centaines de visages, deux ou trois grands
spectacles, et peut-être la substance de vingt livres. Je n’ai pas
retenu le meilleur ni le pire de ces choses: est resté ce qui l’a pu.

Cette arithmétique m’épargne de m’étonner de vieillir. Je pourrais aussi
faire le compte des moments victorieux de mon esprit, et les imaginer
unis et soudés, composant une vie _heureuse_... Mais je crois m’être
toujours bien jugé. Je me suis rarement perdu de vue; je me suis
détesté, je me suis adoré;--puis, nous avons vieilli ensemble.

Souvent, j’ai supposé que tout était fini pour moi, et je me terminais
de toutes mes forces, anxieux d’épuiser, d’éclairer quelque situation
douloureuse. Cela m’a fait connaître que nous apprécions notre propre
pensée beaucoup trop d’après l’_expression_ de celle des autres! Dès
lors, les milliards de mots qui ont bourdonné à mes oreilles, m’ont
rarement ébranlé par ce qu’on voulait leur faire dire; et tous ceux que
j’ai moi-même prononcés à autrui, je les ai sentis se distinguer
toujours de ma pensée,--car ils devenaient _invariables_.

Si j’avais décidé comme la plupart des hommes, non seulement je me
serais cru leur supérieur, mais je l’aurais paru. Je me suis préféré. Ce
qu’ils nomment un être supérieur est un être qui s’est trompé. Pour
s’étonner de lui, il faut le voir,--et pour être vu il faut qu’il se
montre. Et il me montre que la niaise manie de son nom le possède.
Ainsi, chaque grand homme est taché d’une erreur. Chaque esprit qu’on
trouve puissant, commence par la faute qui le fait connaître. En échange
du pourboire public, il donne le temps qu’il faut pour se rendre
perceptible, l’énergie dissipée à se transmettre et à préparer la
satisfaction étrangère. Il va jusqu’à comparer les jeux informes de la
gloire, à la joie de se sentir unique--grande volupté particulière.

                   *       *       *       *       *

J’ai rêvé alors que les têtes les plus fortes, les inventeurs les plus
sagaces, les connaisseurs le plus exactement de la pensée devaient être
des inconnus, des avares, des hommes qui meurent sans avouer. Leur
existence m’était révélée par celle même des individus éclatants, un peu
moins _solides_.

L’induction était si facile que j’en voyais la formation à chaque
instant. Il suffisait d’imaginer les grands hommes ordinaires, purs de
leur première erreur, ou de s’appuyer sur cette erreur même pour
concevoir un degré de conscience plus élevé, un sentiment de la liberté
d’esprit moins grossier. Une opération aussi simple me livrait des
étendues curieuses, comme si j’étais descendu dans la mer. Perdus dans
l’éclat des découvertes publiées, mais à côté des inventions méconnues
que le commerce, la peur, l’ennui, la misère commettent chaque jour, je
croyais distinguer des chefs-d’œuvre intérieurs. Je m’amusais à éteindre
l’histoire connue sous les annales de l’anonymat.

C’étaient, invisibles dans leurs vies limpides, des solitaires qui
savaient avant tout le monde. Ils me semblaient doubler, tripler,
multiplier dans l’obscurité chaque personne célèbre,--eux, avec le
dédain de livrer leurs chances et leurs résultats particuliers. Ils
auraient refusé, à mon sentiment, de se considérer comme autre chose que
des choses...

Ces idées me venaient pendant l’octobre de 93, dans les instants de
loisir où la pensée se joue seulement à exister.

Je commençais de n’y plus songer, quand je fis la connaissance de M.
Teste. (Je pense maintenant aux traces qu’un homme laisse dans le petit
espace où il se meut chaque jour.) Avant de me lier avec M. Teste,
j’étais attiré par ses allures particulières. J’ai étudié ses yeux, ses
vêtements, ses moindres paroles sourdes au garçon du café où je le
voyais. Je me demandais s’il se sentait observé. Je détournais vivement
mon regard du sien, pour surprendre le sien me suivre. Je prenais les
journaux qu’il venait de lire, je recommençais mentalement les sobres
gestes qui lui échappaient; je notais que personne ne faisait attention
à lui.

Je n’avais plus rien de ce genre à apprendre, lorsque nous entrâmes en
relation. Je ne l’ai jamais vu que la nuit. Une fois dans une sorte de
b...; souvent au théâtre. On m’a dit qu’il vivait de médiocres
opérations hebdomadaires à la Bourse. Il prenait ses repas dans un petit
restaurant de la rue Vivienne. Là, il mangeait comme on se purge, avec
le même entrain. Parfois, il s’accordait ailleurs un repas lent et fin.

M. Teste avait peut-être quarante ans. Sa parole était
extraordinairement rapide, et sa voix sourde. Tout s’effaçait en lui,
les yeux, les mains. Il avait pourtant les épaules militaires, et le pas
d’une régularité qui étonnait. Quand il parlait, il ne levait jamais un
bras ni un doigt: il avait _tué la marionnette_. Il ne souriait pas, ne
disait ni bonjour ni bonsoir; il semblait ne pas entendre le «Comment
allez-vous?»

Sa mémoire me donna beaucoup à penser. Les traits par lesquels j’en
pouvais juger, me firent imaginer une gymnastique intellectuelle sans
exemple. Ce n’était pas chez lui une faculté excessive,--c’était une
faculté éduquée ou transformée. Voici ses propres paroles: «Il y a vingt
ans que je n’ai plus de livres. J’ai brûlé mes papiers aussi. Je rature
le vif... Je retiens ce que je veux. Mais le difficile n’est pas là. _Il
est de retenir ce dont je voudrai demain!_... J’ai cherché un crible
machinal...»

                   *       *       *       *       *

A force d’y penser, j’ai fini par croire que M. Teste était arrivé à
découvrir des lois de l’esprit que nous ignorons. Sûrement, il avait dû
consacrer des années à cette recherche: plus sûrement, des années
encore, et beaucoup d’autres années avaient été disposées pour mûrir ses
inventions et pour en faire ses instincts. Trouver n’est rien. Le
difficile est de s’ajouter ce qu’on trouve.

L’art délicat de la durée, le temps, sa distribution et son
régime,--sa dépense à des choses bien choisies, pour les nourrir
spécialement,--était une des grandes recherches de M. Teste. Il veillait
à la répétition de certaines idées; il les arrosait de nombre. Ceci lui
servait à rendre finalement machinale l’application de ses études
conscientes. Il cherchait même à résumer ce travail. Il disait souvent:
«_Maturare!..._»

Certainement sa mémoire singulière devait presque uniquement lui retenir
cette partie de nos impressions que notre imagination toute seule est
impuissante à construire. Si nous imaginons un voyage en ballon, nous
pouvons avec sagacité, avec puissance, _produire_ beaucoup de sensations
probables d’un aéronaute; mais il restera toujours quelque chose
d’individuel à l’ascension réelle, dont la différence avec notre rêverie
exprime la valeur des méthodes d’un Edmond Teste.

Cet homme avait connu de bonne heure l’importance de ce qu’on pourrait
nommer la _plasticité_ humaine. Il en avait cherché les limites et le
mécanisme. Combien il avait dû rêver à sa propre malléabilité!

J’entrevoyais des sentiments qui me faisaient frémir, une terrible
obstination dans des expériences enivrantes. Il était l’être absorbé
dans sa variation, celui qui devient son système, celui qui se livre
tout entier à la discipline effrayante de l’esprit libre, et qui fait
tuer ses joies par ses joies, la plus faible par la plus forte,--la plus
douce, la temporelle, celle de l’instant et de l’heure commencée, par la
fondamentale--par l’espoir de la fondamentale.

Et je sentais qu’il était le maître de sa pensée: j’écris là cette
absurdité. L’expression d’un sentiment est toujours absurde.

M. Teste n’avait pas d’opinions. Je crois qu’il se passionnait à son
gré, et pour atteindre un but défini. Qu’avait-il fait de sa
personnalité? Comment se voyait-il?... Jamais il ne riait, jamais un air
de malheur sur son visage. Il haïssait la mélancolie.

Il parlait, et on se sentait dans son idée, confondu avec les choses: on
se sentait reculé, mêlé aux maisons, aux grandeurs de l’espace, au
coloris remué de la rue, aux coins... Et les paroles le plus adroitement
touchantes,--celles même qui font leur auteur plus près de nous qu’aucun
autre homme, celles qui font croire que le mur éternel entre les esprits
tombe,--pouvaient venir à lui... Il savait admirablement qu’elles
auraient ému _tout autre_. Il parlait, et sans pouvoir préciser les
motifs ni l’étendue de la proscription, on constatait qu’un grand nombre
de mots étaient bannis de son discours. Ceux dont il se servait, étaient
parfois si curieusement tenus par sa voix ou éclairés par sa phrase que
leur poids était altéré, leur valeur nouvelle. Parfois, ils perdaient
tout leur sens, ils paraissaient remplir uniquement une place vide dont
le terme destinataire était douteux encore ou imprévu par la langue. Je
l’ai entendu désigner un objet matériel par un groupe de mots abstraits
et de noms propres.

A ce qu’il disait, il n’y avait rien à répondre. Il tuait l’assentiment
poli. On prolongeait les conversations par des bonds qui ne l’étonnaient
pas.

Si cet homme avait changé l’objet de ses méditations fermées, s’il eût
tourné contre le monde la puissance régulière de son esprit, rien ne lui
eût résisté. Je regrette d’en parler comme on parle de ceux dont on fait
les statues. Je sens bien qu’entre le «génie» et lui, il y a une
quantité de faiblesse. Lui, si véritable! si neuf! si pur de toute
duperie et de toutes merveilles, si dur! Mon propre enthousiasme me le
gâte...

Comment ne pas en ressentir pour celui qui ne disait jamais rien de
_vague_? pour celui qui déclarait avec calme: «Je n’apprécie en toutes
choses que la _facilité_ ou la _difficulté_ de les connaître, de les
accomplir. Je mets un soin extrême à mesurer ces degrés, et à ne pas
m’attacher... Et que m’importe ce que je sais fort bien?»

Comment ne pas s’abandonner à un être dont l’esprit paraissait
transformer pour soi seul tout ce qui est, et qui _opérait_ tout ce qui
lui était proposé? Je devinais cet esprit maniant et mêlant, faisant
varier, mettant en communication, et dans l’étendue du champ de sa
connaissance, pouvant couper et dévier, éclairer, glacer ceci, chauffer
cela, noyer, exhausser, nommer ce qui manque de nom, oublier ce qu’il
voulait, endormir ou colorer ceci et cela...

Je simplifie grossièrement des propriétés impénétrables. Je n’ose pas
dire tout ce que mon objet me dit. La logique m’arrête. Mais, en
moi-même, toutes les fois que se pose le problème de Teste, apparaissent
de curieuses formations.

Il y a des jours où je le retrouve très nettement. Il se représente à
mon souvenir, à côté de moi. Je respire la fumée de nos cigares, je
l’entends, je me _méfie_. Parfois, la lecture d’un journal me fait me
heurter à sa pensée, quand un événement maintenant la justifie. Et je
tente encore quelques-unes de ces expériences illusoires qui me
délectaient à l’époque de nos soirées. C’est-à-dire que je me le figure
faisant ce que je ne lui ai pas vu faire. Que devient M. Teste
souffrant?--Amoureux, comment raisonne-t-il?--Peut-il être triste?--De
quoi aurait-il peur?--Qu’est-ce qui le ferait trembler?--... Je
cherchais. Je maintenais entière l’image de l’homme rigoureux, je
tâchais de la faire répondre à mes questions... Elle s’altérait.

Il aime, il souffre, il s’ennuie. Tout le monde s’imite. Mais, au
soupir, au gémissement élémentaire, je veux qu’il mêle les règles et les
figures de tout son esprit.

                   *       *       *       *       *

Ce soir, il y a précisément deux ans et trois mois que j’étais avec lui
au théâtre, dans une loge prêtée. J’y ai songé tout aujourd’hui.

Je le revois debout avec la colonne d’or de l’Opéra, ensemble.

Il ne regardait que la salle. Il aspirait la grande bouffée brûlante, au
bord du trou. Il était rouge.

Une immense fille de cuivre nous séparait d’un groupe murmurant au delà
de l’éblouissement. Au fond de la vapeur, brillait un morceau nu de
femme, doux comme un caillou. Beaucoup d’éventails indépendants vivaient
sur le monde sombre et clair, écumant jusqu’aux feux du haut. Mon regard
épelait mille petites figures, tombait sur une tête triste, courait sur
des bras, sur les gens, et enfin se brûlait.

Chacun était à sa place, libre d’un petit mouvement. Je goûtais le
système de classification, la simplicité presque théorique de
l’assemblée, l’ordre social. J’avais la sensation délicieuse que tout ce
qui respirait dans ce cube, allait suivre ses lois, flamber de rires par
grands cercles, s’émouvoir par plaques, ressentir par _masses_ des
choses _intimes_,--_uniques_,--des remuements secrets, s’élever à
l’inavouable! J’errais sur ces étages d’hommes, de ligne en ligne, par
orbites, avec la fantaisie de joindre idéalement entre eux tous ceux
ayant la même maladie, ou la même théorie, ou le même vice... Une
musique nous touchait tous, abondait, puis devenait toute petite.

Elle disparut. M. Teste murmurait: «On n’est _beau_, on n’est
extraordinaire que pour les autres! _Ils_ sont mangés par les autres!»

Le dernier mot sortit du silence que faisait l’orchestre. Teste respira.

Sa face enflammée où soufflaient la chaleur et la couleur, ses larges
épaules, son être noir mordoré par les lumières, la forme de tout son
bloc vêtu, étayé par la grosse colonne, me reprirent. Il ne perdait pas
un atome de tout ce qui devenait sensible, à chaque instant, dans cette
grandeur rouge et or.

Je regardai ce crâne qui faisait connaissance avec les angles du
chapiteau, cette main droite qui se rafraîchissait aux dorures et, dans
l’ombre de pourpre, les grands pieds. Des lointains de la salle, ses
yeux vinrent vers moi; sa bouche dit: «La discipline n’est pas
mauvaise... C’est un petit commencement...»

Je ne savais répondre. Il dit de sa voix basse et vite: «Qu’ils
jouissent et obéissent!»

Il fixa longuement un jeune homme placé en face de nous, puis une dame,
puis tout un groupe dans les galeries supérieures,--qui débordait du
balcon par cinq ou six visages brûlants,--et puis tout le monde, tout le
théâtre, plein comme les cieux, ardent, fasciné par la scène que nous ne
voyions pas. La stupidité de tous les autres nous révélait qu’il se
passait n’importe quoi de sublime. Nous regardions se mourir le jour que
faisaient toutes les figures dans la salle. Et quand il fut très bas,
quand la lumière ne rayonna plus, il ne resta que la vaste
phosphorescence de ces mille figures. J’éprouvais que ce crépuscule
faisait tous ces êtres passifs. Leur attention et l’obscurité
croissantes formaient un équilibre continu. J’étais moi-même attentif
_forcément_,--à toute cette attention.

M. Teste dit: «Le suprême _les_ simplifie. Je parie qu’ils pensent tous,
de plus en plus, _vers_ la même chose. Ils seront égaux devant la crise
ou limite commune. Du reste, la loi n’est pas si simple... puisqu’elle
me néglige,--et--je suis ici.»

Il ajouta: «L’éclairage les tient.»

Je dis en riant: «Vous aussi?»

Il répondit: «Vous aussi.»

--«Quel dramaturge vous feriez! lui dis-je, vous semblez surveiller
quelque expérience créée aux confins de toutes les sciences! Je voudrais
voir un théâtre inspiré de vos méditations...»

Il dit: «Personne ne médite.»

L’applaudissement et la lumière complète nous chassèrent. Nous
circulâmes, nous descendîmes. Les passants semblaient en liberté. M.
Teste se plaignit légèrement de la fraîcheur de minuit. Il fit allusion
à d’anciennes douleurs.

Nous marchions, et il lui échappait des phrases presque incohérentes.
Malgré mes efforts, je ne suivais ses paroles qu’à grand’peine, me
bornant enfin à les retenir. L’incohérence d’un discours dépend de celui
qui l’écoute. L’esprit me paraît ainsi fait qu’il ne peut être
incohérent pour soi-même. Aussi me suis-je gardé de classer Teste parmi
les fous. D’ailleurs, j’apercevais vaguement le lien de ses idées, je
n’y remarquais aucune contradiction;--et puis, j’aurais redouté une
solution trop simple.

Nous allions dans les rues adoucies par la nuit, nous tournions à des
angles, dans le vide, trouvant d’instinct notre voie,--plus large, plus
étroite, plus large. Son pas militaire se soumettait le mien...

                   *       *       *       *       *

«Pourtant, _répondis-je_, comment se soustraire à une musique si
puissante! Et pourquoi? J’y trouve une ivresse particulière, dois-je la
dédaigner? J’y trouve l’illusion d’un travail immense, qui, tout à coup
me deviendrait possible... Elle me donne des _sensations abstraites_,
des figures délicieuses de tout ce que j’aime,--du changement, du
mouvement, du mélange, du flux, de la transformation... Nierez-vous
qu’il y ait des choses anesthésiques? Des arbres qui saoulent, des
hommes qui donnent de la force, des filles qui paralysent, des ciels qui
coupent la parole?

M. Teste reprit assez haut:

--«Eh! Monsieur! que m’importe le «talent» de vos arbres--et des
autres!... Je suis chez MOI, je parle ma langue, je hais les choses
extraordinaires. C’est le besoin des esprits faibles. Croyez-moi à la
lettre: le génie est _facile_, la fortune est _facile_, la _divinité_
est _facile_... Je veux dire simplement--que je sais comment cela se
conçoit. C’est _facile_.

«Autrefois,--il y a bien vingt ans,--toute chose au-dessus de
l’ordinaire accomplie par un autre homme, m’était une défaite
personnelle. Dans le passé, je ne voyais qu’idées volées à moi! Quelle
bêtise!... Dire que notre propre image ne nous est pas indifférente!
Dans les combats imaginaires, nous la traitons _trop bien_ ou _trop
mal_!...»

Il toussa. Il se dit: «Que peut un homme?... Que peut un homme!...» Il
me dit: «Vous connaissez un homme sachant qu’il ne sait ce qu’il dit!»

Nous étions à sa porte. Il me pria de venir fumer un cigare chez lui.

                   *       *       *       *       *

Au haut de la maison, nous entrâmes dans un très petit appartement
«garni». Je ne vis pas un livre. Rien n’indiquait le travail
traditionnel devant une table, sous une lampe, au milieu de papiers et
de plumes. Dans la chambre verdâtre qui sentait la menthe, il n’y avait
autour de la bougie que le morne mobilier abstrait,--le lit, la pendule,
l’armoire à glace, deux fauteuils--comme des êtres de raison. Sur la
cheminée, quelques journaux, une douzaine de cartes de visite couvertes
de chiffres, et un flacon pharmaceutique. Je n’ai jamais eu plus
fortement l’impression du _quelconque_. C’était le logis quelconque,
analogue au point quelconque des théorèmes,--et peut-être aussi utile.
Mon hôte existait dans l’intérieur le plus général. Je songeai aux
heures qu’il faisait dans ce fauteuil. J’eus peur de l’infinie tristesse
possible dans ce lieu pur et banal. J’ai vécu dans de telles chambres,
je n’ai jamais pu les croire définitives, sans horreur.

M. Teste parla de l’argent. Je ne sais pas reproduire son éloquence
spéciale: elle me semblait moins précise que d’ordinaire. La fatigue, le
silence qui se fortifiait avec l’heure, les cigares amers, l’abandon
nocturne semblaient l’atteindre. J’entends sa voix baissée et ralentie
qui faisait danser la flamme de l’unique bougie brûlant entre nous, à
mesure qu’il citait de très grands nombres, avec lassitude. Huit cent
dix millions soixante quinze mille cinq cent cinquante... J’écoutais
cette musique inouïe sans suivre le calcul. Il me communiquait le
tremblement de la Bourse, et les longues suites de noms de nombres me
prenaient comme une poésie. Il rapprochait les événements, les
phénomènes industriels, le goût public et les passions, les chiffres
encore, les uns des autres. Il disait: «L’or est comme l’esprit de la
société.»

Tout à coup, il se tut. Il souffrit.

J’examinai de nouveau la chambre froide, la nullité du meuble, pour ne
pas le regarder. Il prit sa fiole et but. Je me levai pour partir.

--«Restez encore, dit-il, vous ne vous ennuyez pas. Je vais me mettre au
lit. Dans peu d’instants, je dormirai. Vous prendrez la bougie pour
descendre.»

Il se dévêtit tranquillement. Son corps sec se baigna dans les draps et
fit le mort. Ensuite il se tourna, et s’enfonça davantage dans le lit
trop court.

Il me dit en souriant: «Je fais la planche. Je flotte!... Je sens un
roulis imperceptible dessous,--un mouvement immense? Je dors une heure
ou deux tout au plus, moi qui adore la navigation de la nuit. Souvent je
ne distingue plus ma pensée d’avant le sommeil. Je ne sais pas si j’ai
dormi. Autrefois, en m’assoupissant, je pensais à tous ceux qui
m’avaient fait plaisir, figures, choses, minutes. Je les faisais venir
pour que la pensée fût aussi douce que possible, facile comme le lit...
Je suis vieux. Je puis vous montrer que je me sens vieux...
Rappelez-vous!--Quand on est enfant on se _découvre_, on découvre
lentement l’espace de son corps, on exprime la particularité de son
corps par une série d’efforts, je suppose? On se tord et on se trouve ou
on se retrouve, et on s’étonne! on touche son talon, on saisit son pied
droit avec sa main gauche, on obtient le pied froid dans la paume
chaude!... Maintenant, je me sais par cœur. Le cœur aussi. Bah! toute la
terre est marquée, tous les pavillons couvrent tous les territoires...
Reste mon lit. J’aime ce courant de sommeil et de linge: ce linge qui se
tend et se plisse, ou se froisse,--qui descend sur moi comme du sable,
quand je fais le mort,--qui se caille autour de moi dans le sommeil...
C’est de la mécanique bien complexe. Dans le sens de la trame ou de la
chaîne, une déformation très petite... Ah!»

Il souffrit.

«Mais qu’avez-vous? lui dis-je, je puis...

--J’ai, dit-il,... pas grand’chose. J’ai... un dixième de seconde qui se
montre... Attendez... Il y a des instants où mon corps s’illumine...
C’est très curieux. J’y vois tout à coup en moi... je distingue les
profondeurs des couches de ma chair; et je sens des zones de douleur,
des anneaux, des pôles, des aigrettes de douleur. Voyez-vous ces figures
vives? cette géométrie de ma souffrance? Il y a de ces éclairs qui
ressemblent tout à fait à des idées. Ils font comprendre,--d’ici,
jusque-là... Et pourtant ils me laissent _incertain_. Incertain n’est
pas le mot... Quand _cela_ va venir, je trouve en moi quelque chose de
confus ou de diffus. Il se fait dans mon être des endroits... brumeux,
il y a des étendues qui font leur apparition. Alors, je prends dans ma
mémoire une question, un problème quelconque... Je m’y enfonce. Je
compte des grains de sable... et, tant que je les vois...--Ma douleur
grossissante me force à l’observer. J’y pense!--Je n’attends que mon
cri,... et dès que je l’ai entendu--l’_objet_, le terrible _objet_,
devenant plus petit, et encore plus petit, se dérobe à ma vue
intérieure...

«Que peut un homme? Je combats tout,--hors la souffrance de mon corps,
au delà d’une certaine grandeur. C’est là, pourtant, que je devrais
commencer. Car, souffrir, c’est donner à quelque chose une attention
suprême, et je suis un peu l’homme de l’attention... Sachez que j’avais
prévu la maladie future. J’avais songé avec précision à ce dont tout le
monde est sûr. Je crois que cette vue sur une portion évidente de
l’avenir, devrait faire partie de l’éducation. Oui, j’avais prévu ce qui
commence maintenant. C’était, alors, une idée comme les autres. Ainsi,
j’ai pu la suivre.»

Il devint calme.

Il se plia sur le côté, baissa les yeux; et, au bout d’une minute,
parlait de nouveau. Il commençait à se perdre. Sa voix n’était qu’un
murmure dans l’oreiller. Sa main rougissante dormait déjà.

Il disait encore: «Je pense, et cela ne gêne rien. Je suis seul. Que la
solitude est confortable! Rien de doux ne me pèse... La même rêverie
ici, que dans la cabine du navire, la même au café Lambert... Les bras
d’une Berthe, s’ils prennent de l’importance, je suis volé,--comme par
la douleur... Celui qui me parle, s’il ne prouve pas,--c’est un ennemi.
J’aime mieux l’éclat du moindre fait qui se produit. Je suis étant, et
me voyant; me voyant me voir, et ainsi de suite... Pensons de tout près.
Bah! on s’endort sur n’importe quel sujet... Le sommeil continue
n’importe quelle idée...»

Il ronflait doucement. Un peu plus doucement, je pris la bougie, je
sortis à pas de loup.

1895




LETTRE D’UN AMI


NOTE DE L’ÉDITEUR

Quelques bons esprits ayant admis, quoique sans preuves matérielles, que
la lettre ci-contre avait été adressée à M. Teste par un écrivain de ses
amis, on a cru la devoir joindre à ce recueil qui pouvait se passer
d’elle, comme elle de lui.




Mon ami, me voici loin de vous. Nous nous parlions, et je vous écris.
C’est, _si l’on veut_, une chose bien étrange.

Vous allez voir que je suis dans une disposition à m’émerveiller.

Le retour même à ce Paris, après une assez longue absence, m’est apparu
sous quelque espèce métaphysique.--Je ne parle pas seulement du retour
matériel, noir sacrifice d’une nuit au vacarme et aux saccades. Le corps
inerte et vivant s’abandonne aux corps morts et mouvants qui le
transportent. Le rapide a une idée fixe qui est la Ville. On est le
captif de son idéal, le jouet de sa fureur monotone. Il faut subir des
millions de coups frappés à la cantonnade, et ces rythmes et ces
ruptures de rythmes, ces battements et gémissements mécaniques,--tout le
tapage forcené de je ne sais quelle fabrique de vitesse. On est ivre de
fantômes qui tournent, de visions versées au néant, de lumières
arrachées. Le métal que forge la marche dans l’ombre fait rêver que le
Temps personnel et brutal attaque et désagrège la dure et profonde
distance. Surexcité, accablé de sévices, le cerveau, de soi-même, et
sans qu’il le sache, engendre nécessairement toute une littérature
moderne...

Parfois la sensation se fait stationnaire. L’ensemble des cahots ne mène
à rien. Le total du déplacement se compose d’une infinité de redites;
chaque instant vient convaincre l’autre que l’on n’arrivera jamais.

Peut-être l’éternité et l’enfer sont-ils les naïves expressions de
quelque voyage inévitable?

A force, toutefois, de tant d’agitation de nos os et de nos idées dans
les ténèbres, le soleil et Paris sortent enfin du jeu.

Mais l’être de l’esprit,--_le petit homme qui est dans l’homme_,--(et
qui est toujours supposé dans la grossière imagination que nous nous
faisons de la connaissance), opère de son côté son changement de
présence. Il ne circule point comme la conscience, dans une
fantasmagorie de visions et un tumulte de phénomènes. Il voyage selon sa
nature, et _dans sa nature même_. Je m’estimerais beaucoup si je savais
me représenter son opération. Si je savais vous la décrire, cette estime
pour moi grandirait en moi à l’infini. Mais il n’en est pas question...

Je me figure donc, comme je puis, que le sentiment du changement de
notre séjour s’accompagne dans quelque substance inconnue, et qui nous
est essentielle, d’un travail de détachement et de renouement subtils.
C’est une classification profonde qui se transforme. A peine le départ
résolu, et bien avant que le corps ne s’y mette, l’idée seule que tout
va changer autour de nous intime à notre système caché une modification
mystérieuse. De sentir que l’on s’en va, toutes choses encore tangibles
en perdent presque aussitôt leur existence prochaine. Elles sont comme
frappées dans les puissances de leur présence, dont quelques-unes
s’évanouissent. Hier encore, vous étiez près de moi, et il y avait en
moi une secrète personne déjà toute disposée à ne plus vous voir de
longtemps. Je ne vous trouvais plus dans le temps rapproché, et
cependant je vous tenais la main. Vous m’étiez coloré d’absence, et
comme condamné à ne point avoir d’avenir imminent. Je vous regardais de
près, je vous voyais au loin. Vos mêmes regards ne contenaient plus de
durée. Il me semblait qu’il y eût entre vous et moi _deux distances_,
l’une encore insensible, l’autre immense déjà; et je ne savais pas
quelle il fallait prendre pour la plus réelle des deux...

J’ai observé, pendant le trajet, s’altérer les attentes de mon âme.
Certains ressorts se détendent, d’autres se roidissent. Nos prévisions
inconscientes, nos étonnements éventuels échangent leurs positions
profondes. Si je vous rencontrais demain, ce me serait une grande
surprise...

Tout à coup je me sentis à Paris, quelques heures avant que d’y être. Je
reprenais sensiblement mes esprits parisiens qui s’étaient un peu
dissipés dans mes voyages. Ils s’étaient réduits à des souvenirs; ils
redevenaient maintenant des valeurs vivantes et des sources que l’on
doit utiliser à chaque instant.

Quel démon que celui de l’analogie abstraite!--Vous savez comme il me
tourmente quelquefois!--Il me soufflait de comparer cette altération
indéfinissable qui se passait en moi, à un changement assez brusque de
certaines _probabilités_ mentales. Telle réponse, tel mouvement, telle
action de notre visage, qui sont à Paris les effets instantanés de nos
impressions, ne nous sont plus si naturels quand nous sommes retirés à
la campagne, ou plongés dans un milieu suffisamment écarté. Le spontané
n’est plus le même. Nous ne sommes prêts à répondre qu’à ce qui est
_probablement voisin_.

On en tirerait de curieuses conséquences. Un physicien hardi, qui ferait
entrer les vivants, et même les cœurs, dans ses desseins, se risquerait
peut-être à définir un éloignement par une certaine distribution
intérieure...

J’ai grande peur, mon vieil ami, que nous ne soyons faits de bien des
choses qui nous ignorent. Et c’est en quoi nous nous ignorons. S’il y en
a une infinité, toute méditation est vaine...

Je me sentais donc ressaisir par un autre système de vie, et je
connaissais mon retour comme une sorte de rêve de ce monde où je
revenais. Une ville où la vie verbale est plus puissante, plus diverse,
plus active et capricieuse qu’en toute autre, se préparait en moi par
l’idée d’une confusion étincelante. Le dur murmure du train prêtait à ma
distraction imagée l’accompagnement de la rumeur d’une ruche.

Il me semblait que nous avancions vers un nuage de propos. Mille gloires
en évolution, mille titres d’ouvrages par seconde paraissaient,
périssaient indistinctement dans cette nébuleuse grandissante. Je ne
savais pas si je voyais ou si j’entendais cette agitation insensée. Il y
avait des écritures qui criaient, des paroles qui étaient des hommes, et
des hommes qui étaient des noms... Point de lieu sur la terre,
pensai-je, où le langage ait plus de fréquence, plus de résonances,
moins de réserve, qu’en ce Paris où la littérature, et la science, et
les arts, et la politique d’un grand pays sont jalousement concentrés.
Les Français ont amassé toutes leurs idées dans une enceinte. Nous y
vivons dans notre feu.

Dire; redire; contredire; prédire; médire... Tous ces verbes ensemble me
résumaient le bourdonnement du paradis de la parole.

Quoi de plus fatigant que de concevoir le chaos d’une multitude
d’esprits?--Chaque pensée dans ce tumulte trouve sa pareille, son
adverse, son antécédente et sa suivante. Tant de similitudes, tant
d’imprévu la découragent.

Imaginez-vous le désordre incomparable qu’entretiennent dix mille êtres
essentiellement singuliers? Songez à la _température_ que peut produire
dans ce lieu un si grand nombre d’_amours propres_ qui s’y comparent.
Paris enferme et combine, et consomme ou consume la plupart des
brillants infortunés que leurs destins ont appelés aux _professions
délirantes_... Je nomme ainsi tous ces métiers dont le principal
instrument est l’opinion que l’on a de soi-même, et dont la matière
première est l’opinion que les autres ont de vous. Les personnes qui les
exercent, vouées à une éternelle candidature, sont nécessairement
toujours affligées d’un certain délire des grandeurs qu’un certain
délire de la persécution traverse et tourmente sans répit. Chez ce
peuple d’uniques règne la loi de faire ce que nul n’a jamais fait, et
que nul jamais ne fera. C’est du moins la loi des _meilleurs_,
c’est-à-dire de ceux qui ont le cœur de vouloir nettement quelque chose
d’absurde... Ils ne vivent que pour obtenir et rendre durable l’illusion
d’être seuls,--car la supériorité n’est qu’une solitude située sur les
limites actuelles d’une espèce. Ils fondent chacun son existence sur
l’inexistence des autres, mais auxquels il faut arracher leur
consentement qu’ils n’existent pas... Remarquez bien que je ne fais que
de déduire ce qui est enveloppé dans ce qui se voit. Si vous doutez,
cherchez donc à quoi tend un travail qui doit ne pouvoir absolument être
fait que par un individu déterminé, et qui dépend de la particularité
des hommes? Songez à la signification véritable d’une hiérarchie fondée
sur la rareté.--Je m’amuse parfois d’une image _physique_ de nos cœurs,
qui sont faits intimement d’une énorme injustice et d’une petite justice
combinées. J’imagine qu’il y a dans chacun de nous un atome important
entre nos atomes, et constitué par deux _grains d’énergie_ qui
voudraient bien se séparer. Ce sont des énergies contradictoires mais
indivisibles. La nature les a jointes pour toujours, quoique
furieusement ennemies. L’une est l’éternel mouvement d’un gros _électron
positif_, et ce mouvement inépuisable engendre une suite de sons graves
où l’oreille intérieure distingue sans nulle peine une profonde phrase
monotone: _Il n’y a que moi. Il n’y a que moi. Il n’y a que moi, moi,
moi..._ Quant au petit électron radicalement _négatif_, il crie à
l’extrême de l’aigu, et perce et reperce de la sorte la plus cruelle le
thème égotiste de l’autre: _Oui, mais il y a un tel... Oui, mais il y a
un tel... Tel, tel, tel._ Et tel autre!... Car le nom change assez
souvent...

Bizarre royaume où toutes les belles choses qui s’y produisent sont une
amère nourriture pour toutes les âmes moins une. Et plus elles sont
belles, plus amèrement ressenties.

Tenez encore. Il me semble que chaque mortel possède tout auprès du
centre de sa machine, et en belle place parmi les instruments de la
navigation de sa vie, un petit appareil d’une sensibilité incroyable qui
lui marque l’état de l’amour de soi. On y lit que l’on s’admire, que
l’on s’adore, que l’on se fait horreur, que l’on se raye de l’existence;
et quelque vivant _index_, qui tremble sur le cadran secret, hésite
terriblement prestement entre le zéro d’être une bête et le maximum
d’être un dieu.

Eh bien, mon tendre ami, si vous voulez comprendre quelque chose à bien
des choses, il faut songer qu’un appareil si vital et si délicat est le
jouet du premier venu.

Et, sans doute, il est des hommes étranges en qui cette aiguille cachée
marque toujours le point opposé de celui que l’on gagerait qu’elle
indiquât. Ils se haïssent au moment même de l’estime universelle, et au
contraire dans le contraire. Mais nous savons qu’il n’est plus de lois
toutes satisfaites. Il n’est plus que des à peu près...

Et le train filait toujours, rejetant violemment peupliers, vaches,
hangars, et toutes choses terrestres, comme s’il avait soif, comme s’il
courait à la pensée pure, ou vers quelque étoile à rejoindre. Quel but
suprême peut exiger un ravissement si brutal, et un renvoi si vif de
paysages à tous les diables.

Nous approchions de la nuée. Des noms s’illuminaient, d’autres
pâlissaient. Le ciel s’emplissait de météores politiques et littéraires.
Les surprises crépitaient. Les doux bêlaient, les aigres miaulaient, les
gras mugissaient, les maigres rugissaient.

Les partis, les écoles, les salons, les cafés, tout se faisait entendre.
L’air ne suffisant plus, l’éther se chargeait de messages. On était
assourdi par le cliquetis d’un duel dont les épées étaient des éclairs,
et bien des pauvretés se propageaient jusqu’aux extrémités du monde avec
la vitesse de la lumière.

Je vous prie de m’excuser de cet abus que je fais de l’imparfait de
l’indicatif; mais il est le _temps_ de l’incohérence, et je m’aperçois
que je suis en train de vous peindre, si c’est là une peinture, la plus
grande incohérence concevable. J’y ajouterai quelques traits au moyen de
quelques autres imparfaits.

Je voyais en esprit le marché, la bourse, le bazar occidental des
échanges des phantasmes. J’étais occupé des merveilles de l’instable, de
sa durée étonnante, de la force des paradoxes, de la résistance des
choses usées... Tout se figurait. Les luttes abstraites prenaient forme
de diableries. La mode et l’éternité se colletaient. Le rétrograde et
l’avancé se disputaient le point d’où l’on tombe. Les nouveautés même
nouvelles enfantaient des conséquences très anciennes. Ce que le silence
avait élaboré se vendait à la criée... Enfin, tous les événements
possibles spirituels se produisaient rapidement devant mon âme encore à
demi endormie. Elle était saisie de terreur, de dégoût, de désespoir, et
d’une affreuse curiosité, en contemplant, toute lasse et confuse, le
spectacle idéal de cette immense activité que l’on nomme
_intellectuelle_.

                   *       *       *       *       *

--INTELLECTUELLE?...

                   *       *       *       *       *

Ce mot énorme, qui m’était venu vaguement, _bloqua_ net tout mon train
de visions. Drôle de chose que le choc d’un mot dans une tête! Toute la
masse du _faux_ en pleine vitesse saute brusquement hors de la ligne du
_vrai_...

Intellectuelle?... Point de réponse. Point d’idées. Des arbres, des
disques, des harpes infinies sur les fils horizontaux desquelles
volaient plaines, châteaux, fumées... Je regardais en moi avec des yeux
étrangers. Je butais dans ce que je venais de créer. Ahuri, au milieu
des débris de l’intelligible, je retrouvai inerte et comme renversé, ce
grand mot qui avait causé la catastrophe. Il était sans doute un peu
trop long pour les courbes de ma pensée.

--_Intellectuelle_... Tout le monde à ma place aurait compris. Mais
moi!...

--Vous le savez, cher Vous, que je suis un esprit de la plus ténébreuse
espèce. Vous le savez par expérience, et le savez encore mieux pour
l’avoir cent fois ouï dire. Il ne manque point de personnes, et doctes,
et bénignes, et bien disposées, qui attendent pour me lire que l’on
m’ait traduit en français. Elles s’en plaignent vers le public, lui
exposent des citations de mes vers où je confesse qu’elles doivent
s’embarrasser. Même, elles tirent une juste gloire de ne point entendre
quelque chose; ce que d’autres cacheraient. «_Modeste tamen et
circumspecto judicio pronuntiandum est_, dit Quintilien, dans un endroit
que Racine a pris soin de traduire,--_ne quod plerisque accidit, damnent
quae non intelligunt_.» Mais moi, je suis désespéré d’affliger ces
amateurs de lumière. Rien ne m’attire que la clarté. Hélas, ami de moi!
je vous assure que je n’en trouve presque point. Je mets ceci dans votre
oreille toute proche. N’allez point le répandre. Gardez excessivement
mon secret. Oui, la clarté pour moi est si peu commune que je n’en vois
sur toute l’étendue du monde,--et singulièrement du monde pensant et
écrivant,--que dans la proportion du diamant à la masse de la planète.
Les ténèbres que l’on me prête sont vaines et transparentes auprès de
celles que je découvre un peu partout. Heureux les autres, qui
conviennent avec eux-mêmes qu’ils s’entendent parfaitement! Ils
écrivent, ils parlent sans trembler. Vous sentez comme j’envie tous ces
humains lucides dont les ouvrages font que l’on songe à la douce
facilité du soleil dans un univers de cristal... Ma mauvaise conscience
me suggère parfois de les incriminer pour me défendre. Elle me murmure
qu’il n’y a que ceux qui ne cherchent rien qui ne rencontrent jamais
l’obscurité, et qu’il ne faut proposer aux gens que ce qu’ils savent.
Mais je m’examine dans le fond, et il faut bien que je consente à ce que
disent tant de personnes distinguées. Je suis fait véritablement, mon
ami, d’un malheureux esprit qui n’est jamais bien sûr d’avoir compris ce
qu’il a compris sans s’en apercevoir. Je discerne fort mal ce qui est
clair sans réflexion de ce qui est positivement obscur... Cette
faiblesse, sans doute, est le principe de mes ténèbres. Je me méfie de
tous les mots, car la moindre méditation rend absurde que l’on s’y fie.
J’en suis venu, hélas, à comparer ces paroles par lesquelles on traverse
si lestement l’espace d’une pensée, à des planches légères jetées sur un
abîme, qui souffrent le passage et point la station. L’homme en vif
mouvement les emprunte et se sauve; mais qu’il insiste le moins du
monde, ce peu de temps les rompt et tout s’en va dans les profondeurs.
Qui se hâte _a compris_; il ne faut point s’appesantir: on trouverait
bientôt que les plus clairs discours sont tissus de termes obscurs.

Tout ceci me pourrait induire en de grands et charmants développements
dont je vous fais grâce. Une lettre est littérature. C’est une loi
étroite de la littérature qu’il ne faut rien creuser à fond. C’est aussi
le vœu général. Voyez de toutes parts.

J’étais donc dans mon propre gouffre,--qui pour être le mien n’en était
pas moins gouffre,--j’étais donc dans mon propre gouffre, incapable
d’expliquer à un enfant, à un sauvage, à un archange,--à moi-même,--ce
mot: _Intellectuel_ qui ne donne aucun mal à qui que ce soit.

Ce n’était point les images qui me manquaient. Mais au contraire, à
chaque consultation de mon esprit par ce terrible mot, l’oracle
répondait par une image différente. Toutes étaient naïves. Aucune
exactement n’annulait la sensation de ne point comprendre.

Il me venait des lambeaux de rêve.

Je formais des figures que j’appelais des «Intellectuels». Hommes
presque immobiles qui causaient de grands mouvements dans le monde. Ou
hommes très animés, dont les vives actions de leurs mains et de leurs
bouches manifestaient des puissances imperceptibles et des objets
invisibles par essence... Je vous demande pardon de vous dire la vérité.
Je voyais ce que je voyais.

Hommes de _pensée_, Hommes de _lettres_, Hommes de _science_,
_Artistes_,--Causes, causes vivantes, causes individuées, causes
minimes, causes contenant des causes et inexplicables à elles-mêmes,--et
causes de qui les effets étaient aussi vains, mais à la fois aussi
prodigieusement importants, _que je le voulais_... l’univers de ces
causes et de leurs effets existait et n’existait pas. Ce système d’actes
étranges, de productions et de prodiges avait la réalité toute-puissante
et nulle d’une partie de cartes. Inspirations, méditations, œuvres,
gloire, talents, il dépendait d’un certain regard que ces choses fussent
presque tout, et d’un certain autre, qu’elles se réduisissent à presque
rien.

Puis, à une lueur apocalyptique, je crus entrevoir le désordre et la
fermentation de toute une société de démons. Il parut, dans un espace
surnaturel, une sorte de comédie de ce qui arrive dans l’Histoire.
Luttes, factions, triomphes, exécrations solennelles, exécutions,
émeutes, tragédies autour du pouvoir!... Il n’était bruit dans cette
République que de scandales, de fortunes foudroyantes ou foudroyées, de
complots et d’attentats. Il y avait des plébiscites de chambre, des
couronnements insignifiants, beaucoup d’assassinats _par la parole_. Je
ne parle point des larcins. Tout ce peuple «intellectuel» était comme
l’autre. On y trouvait des puritains, des spéculateurs, des prostitués,
des croyants qui ressemblaient à des impies et des impies qui faisaient
mine de croyants; il y avait de faux simples et de vraies bêtes, et des
autorités, et des anarchistes, et jusqu’à des bourreaux dont les glaives
dégouttaient d’encre. Et les uns se croyaient prêtres et pontifes, les
autres prophètes, les autres Césars, ou bien martyrs, ou un peu de
chaque. Plusieurs se prenaient, jusque dans leurs actes, pour des
enfants ou pour des femmes. Les plus ridicules étaient ceux qui se
faisaient de leur chef les juges et les justiciers de la tribu. Ils ne
paraissaient point se douter que nos jugements nous jugent, et que rien
plus ingénument ne nous dévoile et n’expose nos faiblesses que
l’attitude de prononcer sur le prochain. C’est un art dangereux que
celui dans lequel les moindres erreurs peuvent toujours s’attribuer au
caractère.

Chacun de ces démons se regardait assez souvent dans un miroir de
papier; il y considérait le premier ou le dernier des êtres...

Je cherchais vaguement les lois de cet empire. La nécessité d’amuser; le
besoin de vivre; le désir de survivre; le plaisir d’étonner, de choquer,
de gourmander, d’enseigner, de mépriser; l’aiguillon de la jalousie,
menaient, irritaient, échauffaient, expliquaient cet Enfer.

Je m’y suis vu moi-même; et sous une figure inconnue de moi, que mes
écrits, peut-être, avaient formée. Vous n’ignorez pas, cher rêveur, que
dans les songes, il se fait quelquefois un accord _singulier_ entre ce
que l’on voit et ce que l’on sait; mais ce n’est point un accord qui se
supporterait dans la veille. Je _vois_ Pierre, et je _sais_ qu’il est
Jacques. Je me suis donc aperçu, quoique rarement, et sous un autre
visage; je ne me reconnaissais qu’à une douleur exquise qui me perçait
le cœur. Du fantôme ou de moi, il me semblait que l’un de nous dût
_s’évanouir_...

Adieu. Je n’en finirais plus si je voulais vous donner à lire tout ce
qui vint se colorer et me confondre dans les derniers instants de mon
voyage. Adieu. J’oubliais de vous dire que je fus tiré de tout ceci par
le pied d’un dur Anglais qui m’écrasa le mien sans nulle peine,
cependant que le train noir et suant stoppait. Adieu.




LETTRE DE MADAME ÉMILIE TESTE


Monsieur et ami,

Je vous rends grâces de votre envoi et de la lettre que vous avez écrite
à Monsieur Teste. Je crois bien que l’ananas et les confitures n’ont pas
déplu; je suis sûre que les cigarettes ont fait plaisir. Quant à la
lettre, je mentirais si je vous en disais la moindre chose. Je l’ai lue
à mon mari, et je ne l’ai guère comprise. Cependant je vous avoue que
j’y ai pris une certaine délectation. Les choses abstraites ou trop
élevées pour moi ne m’ennuient pas à entendre; j’y trouve un
enchantement presque musical. Il y a une belle partie de l’âme qui peut
jouir sans comprendre, et qui est grande chez moi.

J’ai donc fait lecture de votre lettre à M. Teste. Il l’a écouté lire
sans montrer ce qu’il en pensait, ni qu’il y pensât. Vous savez qu’il ne
lit presque rien de ses yeux, dont il fait un usage étrange, et comme
_intérieur_. Je me trompe, je veux dire: un usage _particulier_. Mais ce
n’est pas cela du tout. Je ne sais comment m’exprimer; mettons à la fois
_intérieur_, _particulier_..., et _universel_!!! Ils sont fort beaux,
ses yeux; je les aime d’être un peu plus grands que tout ce qu’il y a de
visible. On ne sait jamais s’il leur échappe quoi que ce soit, ou bien,
si, au contraire, le monde entier ne leur est pas un simple détail de
tout ce qu’ils voient, une _mouche volante_ qui vous peut obséder, mais
qui n’existe pas. Cher Monsieur, depuis que je suis mariée avec votre
ami, jamais je n’ai pu m’assurer de ses regards. L’objet même qu’ils
fixent est peut-être l’objet même que son esprit veut réduire à néant.

Notre vie est toujours celle que vous connaissez: la mienne, nulle et
utile; la sienne, toute en habitudes et en absence. Ce n’est pas qu’il
ne se réveille, et ne reparaisse, quand il veut, terriblement vivant. Je
l’aime bien ainsi. Il est grand et redoutable tout à coup. La machine de
ses actes monotones éclate; son visage étincelle, il dit des choses que
bien souvent je n’entends qu’à demi, mais qui ne s’effacent plus de ma
mémoire. Mais je ne veux rien vous cacher, ou presque rien: _Il lui
arrive d’être très dur._ Je ne pense pas que personne puisse l’être
comme lui. Il vous brise l’esprit d’un mot, je me vois comme un vase
manqué que le potier jette aux débris. Il est dur comme un ange,
Monsieur. Il ne se rend pas compte de sa force: il a des paroles
inattendues qui sont trop vraies, qui vous anéantissent les gens, les
réveillent en pleine sottise, face à eux-mêmes, tout attrapés d’être ce
qu’ils sont, et de vivre si naturellement de niaiseries. Nous vivons
bien à l’aise, chacun dans son absurdité, comme poissons dans l’eau, et
nous ne percevons jamais que par un accident tout ce que contient de
stupidités l’existence d’une personne raisonnable. Nous ne pensons
jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes. J’espère
bien, Monsieur, que nous valons mieux que toutes nos pensées, et que
notre plus grand mérite devant Dieu sera d’avoir essayé de nous arrêter
sur quelque chose de plus solide que les babillages même admirables de
notre esprit avec soi-même.

D’ailleurs, M. Teste n’a pas besoin de parler pour rendre à l’humilité
et à une simplicité presque animale les personnes qui l’entourent. Son
existence semble infirmer toutes les autres, et même ses manies font
réfléchir.

Mais n’imaginez pas qu’il soit toujours difficile ni accablant. Si vous
saviez, Monsieur, comme il peut être tout autre!... Certes, il est dur,
parfois; mais en d’autres heures, c’est d’une exquise et surprenante
douceur qu’il se pare, qui semble descendre des cieux. C’est un présent
mystérieux et irrésistible que son sourire, et sa rare tendresse est une
rose d’hiver. Toutefois, il est impossible de prévoir ni sa facilité ni
ses violences. C’est une chose vaine d’en attendre la rigueur ou la
faveur; il déjoue par sa profonde distraction et par l’ordre
impénétrable de ses pensées, tous les calculs ordinaires que font les
humains au caractère de leurs semblables. Mes prévenances, mes
complaisances, mes étourderies, mes petits manquements, je ne sais
jamais ce qu’ils tireront de M. Teste. Mais je vous avoue que rien ne
m’attache plus à lui que cette incertitude de son humeur. Après tout, je
suis bien heureuse de ne point trop le comprendre, de ne point deviner
chaque jour, chaque nuit, chaque moment prochain de mon passage sur la
terre. Mon âme a plus de soif d’être étonnée que de tout autre chose.
L’attente, le risque, un peu de doute, l’exaltent et la vivifient bien
plus que ne le fait la possession du certain. Je crois que cela n’est
pas bien; mais je suis ainsi, malgré les reproches que je m’en fais. Je
me suis confessée plus d’une fois d’avoir pensé que je préférais croire
en Dieu que de le voir dans toute sa gloire, et j’ai été blâmée. Mon
confesseur m’a dit que c’était une bêtise plutôt qu’un péché.

Pardonnez-moi de vous écrire sur mon pauvre être quand vous ne souhaitez
que d’apprendre quelques nouvelles de celui qui vous intéresse si
vivement. Mais je suis un peu plus que le témoin de sa vie; j’en suis
une pièce et comme un organe, quoique non essentiel. Mari et femme que
nous sommes, nos actions sont composées par le mariage, et nos
nécessités temporelles assez bien ajustées, en dépit de la différence
immense et indéfinissable de nos esprits. Je suis donc obligée de vous
parler incidemment de celle qui vous parle de lui. Peut-être que vous
concevez assez mal quelle est ma condition auprès de M. Teste, et
comment je m’arrange de passer mes jours dans l’intimité d’un homme si
original, de m’en trouver si proche et si éloignée?

Les dames de mon âge, mes amies véritables ou apparentes, sont fort
étonnées de me voir, qui semble si bien faite pour une existence comme
la leur, et femme assez agréable, point indigne d’un sort compréhensible
et simple, accepter une position qu’elles ne peuvent se figurer le moins
du monde dans la vie d’un tel homme dont la réputation de bizarreries
les choque et les scandalise. Elles ne savent pas que le moindre
adoucissement de mon cher époux est mille fois plus précieux que toutes
les caresses des leurs. Qu’est-ce que leur amour qui se ressemble et se
répète, qui a perdu depuis longtemps tout ce qui tient de la surprise,
de l’inconnu, de l’impossible, tout ce qui fait que les moindres
effleurements sont chargés de sens, de risques et de puissance, que la
substance d’une voix est l’unique aliment de notre âme, et qu’enfin,
toutes les choses sont plus belles, plus significatives,--plus
lumineuses ou plus sinistres,--plus remarquables ou plus vaines,--selon
le seul pressentiment de ce qui se passe dans une personne changeante
qui nous est devenue mystérieusement essentielle?

Voyez-vous, Monsieur, il faut ne pas se connaître aux délices pour les
désirer séparer de l’anxiété. Si naïve que je sois, je me doute bien de
ce que perdent les voluptés d’être apprivoisées et accommodées aux
habitudes domestiques. Un abandon, une possession qui se répondent,
gagnent infiniment, je pense, à se préparer par l’ignorance même de leur
approche. Cette suprême certitude doit jaillir d’une suprême
incertitude, et se déclarer comme la catastrophe d’un certain drame dont
nous serions bien en peine de retracer la marche et la conduite depuis
le calme jusqu’à l’extrême menace de l’événement...

Heureusement,--ou non,--je ne suis jamais sûre, quant à moi, des
sentiments de M. Teste; et il m’importe moins de l’être que vous ne
croiriez. Tout étrangement mariée que je suis, je le suis en
connaissance de cause. Je savais bien que les grandes âmes ne se mettent
en ménage que par accident; ou bien, c’est pour se faire une chambre
tiède où ce qu’il peut entrer de femme dans leur système de vie soit
toujours saisissable et toujours enfermé. Le doux éclat d’une épaule
assez pure n’est pas détestable à voir poindre entre deux pensées!...
Les messieurs sont ainsi, même profonds.

Je ne dis point ceci pour M. Teste. Il est si étrange! En vérité, on ne
peut rien dire de lui qui ne soit inexact dans l’instant même!... Je
crois qu’il a trop de suite dans les idées. Il vous égare à tout coup
dans une trame qu’il est seul à savoir tisser, à rompre, à reprendre. Il
prolonge en soi-même de si fragiles fils qu’ils ne résistent à leur
finesse que par le secours et le concert de toute sa puissance vitale.
Il les étire sur je ne sais quels gouffres personnels, et il s’aventure
sans doute, assez loin du temps ordinaire, dans quelque abîme de
difficultés. Je me demande ce qu’il y devient? Il est clair qu’on n’est
plus soi-même dans ces contraintes. Notre humanité ne peut nous suivre
vers des lumières si écartées. Son âme, sans doute, se fait une plante
singulière dont la racine, et non le feuillage, pousserait, contre
nature, vers la clarté!

N’est-ce point là se tendre hors du monde?--Trouvera-t-il la vie ou la
mort, à l’extrémité de ses volontés attentives?--Sera-ce Dieu, ou
quelque épouvantable sensation de ne rencontrer, au plus profond de la
pensée, que le pâle rayonnement de sa propre et misérable matière?

Il faut l’avoir vu dans ces excès d’absence! Alors sa physionomie
s’altère,--s’efface!... Un peu plus de cette absorption, et je suis sûre
qu’il se rendrait invisible.

Mais, Monsieur, quand il me revient de la profondeur! Il a l’air de me
découvrir comme une terre nouvelle! Je lui apparais inconnue, neuve,
nécessaire. Il me saisit aveuglément dans ses bras, comme si j’étais un
rocher de vie et de présence réelle, où ce grand génie incommunicable se
heurterait, toucherait, tout à coup s’accrocherait, après tant
d’inhumains silences monstrueux! Il retombe sur moi comme si j’étais la
terre même. Il se réveille en moi, il se retrouve en moi, quel bonheur!

Sa tête est lourde sur ma face, et de toute la force de ses nerfs je
suis la proie. Il a une vigueur et une présence effrayante dans les
mains. Je me sens dans les prises d’un statuaire, d’un médecin, d’un
assassin, sous leurs actions brutales et précises; et je me crois avec
terreur tombée entre les serres d’un aigle intellectuel. Vous dirai-je
toute ma pensée? J’imagine qu’il ne sait pas exactement ce qu’il fait,
ce qu’il pétrit.

Tout son être qui était concentré sur un certain _lieu_ des frontières
de la conscience, vient de perdre son objet idéal, cet objet qui existe
et qui n’existe pas, car il ne tient qu’à un peu plus ou à un peu moins
de contention. Ce n’était pas trop de toute l’énergie de tout un grand
corps pour soutenir devant l’esprit l’instant de diamant qui est à la
fois l’idée, la Chose, et le seuil et la fin. Eh bien, Monsieur, quand
cet époux extraordinaire me capture et me maîtrise en quelque sorte, et
m’imprime ses forces, j’ai l’impression que je suis substituée à cet
objet de sa volonté qu’il vient de perdre. Je suis comme le jouet d’une
connaissance musculeuse. Je vous le dis comme je puis. La vérité qu’il
attendait a pris ma force et ma résistance vivante; et par une
transposition toute ineffable, ses volontés intérieures passent, se
déchargent dans ses mains dures et déterminées. Ce sont des moments bien
difficiles. Alors, que faire! Je me réfugie dans mon cœur, où je l’aime
comme je veux.

Quant à ses sentiments à mon égard, quant à l’opinion qu’il peut avoir
de moi-même, ce sont choses que j’ignore, comme j’ignore de lui tout ce
qui ne se voit ni ne s’entend. Je vous ai dit tout à l’heure mes
suppositions; mais je ne sais véritablement en quelles pensées ou
combinaisons il passe tant d’heures. Moi, je me tiens à la surface de la
vie; je m’abandonne au fil des jours. Je me dis que je suis la servante
de l’instant incompréhensible où mon mariage s’est décidé comme de
soi-même. Instant peut-être adorable, peut-être surnaturel?

Je ne puis pas dire que je sois aimée. Sachez que ce mot d’amour si
incertain dans son sens ordinaire et qui hésite entre bien des images
différentes, ne vaut plus rien du tout s’il s’agit des rapports du cœur
de mon époux avec ma personne. C’est un trésor scellé que sa tête, et je
ne sais s’il a un cœur. Sais-je jamais s’il me distingue; s’il m’aime ou
s’il m’étudie? Ou s’il étudie au moyen de moi? Vous comprendrez que je
n’insiste pas sur ceci. En résumé, je me sens être dans ses mains, entre
ses pensées, comme un objet qui tantôt lui est le plus familier, tantôt
le plus étrange du monde, selon le genre de son regard variable qui s’y
adapte.

Si j’osais vous communiquer ma fréquente impression, telle que je me la
dis à moi-même, et que je l’ai souvent confiée à M. l’Abbé Mosson, je
vous dirais au figuré que je me sens vivre et me mouvoir dans la cage où
l’esprit supérieur m’enferme,--_par sa seule existence_. Son esprit
contient le mien, comme l’esprit de l’homme fait celui de l’enfant ou
celui du chien. Entendez-moi, Monsieur. Parfois je circule dans notre
maison; je vais, je viens; une idée de chanter me prend et s’élève; je
vole, en dansant de gaieté improvisée et de jeunesse inachevée, d’une
chambre à l’autre. Mais si vive que je bondisse, je ne laisse jamais de
ressentir l’empire de ce puissant absent, qui est là dans quelque
fauteuil, et songe, et fume, et considère sa main, dont il fait jouer
lentement toutes les articulations. Jamais je ne me sens l’âme sans
bornes. Mais environnée, mais enclose. Mon Dieu! Que c’est difficile à
expliquer! Je ne veux point dire _captive_. Je suis libre, mais je suis
classée.

Ce que nous avons de plus nôtre, de plus précieux est obscur à
nous-mêmes, vous le savez bien. Il me semble que je perdrais l’être, si
je me connaissais tout entière. Eh bien, je suis transparente pour
quelqu’un, je suis vue et prévue, telle quelle, sans mystère, sans
ombres, sans recours possible à mon propre inconnu,--à ma propre
ignorance de moi-même!

Je suis une mouche qui s’agite et vivote dans l’univers d’un regard
inébranlable; et tantôt vue, tantôt non vue, mais jamais hors de vue. Je
sais à toute minute que j’existe dans une attention toujours plus vaste
et plus générale que toute ma vigilance, toujours plus prompte que mes
soudaines et plus promptes idées. Mes plus grands mouvements de l’âme
lui sont de petits événements insignifiants. Et cependant j’ai mon
infini... que je sens. Je ne puis pas ne pas reconnaître qu’il est
contenu dans le sien, et je ne puis pas consentir qu’il le soit. C’est
une chose inexprimable, Monsieur, que je puisse penser et agir
absolument comme je veux, sans jamais, _jamais_, pouvoir rien penser ni
vouloir qui soit imprévu, qui soit important, qui soit inédit pour M.
Teste!... Je vous assure qu’une sensation si constante et si étrange
donne des idées bien profondes... je puis dire que ma vie me présente à
toute heure un modèle sensible de l’existence de l’homme dans la divine
pensée. J’ai l’expérience personnelle d’être dans la sphère d’un être
comme toutes âmes sont dans l’Être.

Mais hélas! cette même sensation d’une présence à laquelle on ne peut se
soustraire et d’une si intime divination, n’est pas sans m’induire
quelquefois en de viles pensées. Je suis tentée. Je me dis que cet homme
est peut-être réprouvé, que je m’expose grandement dans son voisinage,
et que je vis sous les feuilles d’un mauvais arbre... Mais je m’aperçois
presque aussitôt que ces réflexions spécieuses dissimulent elles-mêmes
le péril contre quoi elles me conseillent de me mettre en garde. Je
devine dans leurs replis une suggestion bien habile de rêver à une autre
vie plus délicieuse, à d’autres hommes... Et je me fais horreur. Je
reviens sur mon sort; je sens qu’il est ce qu’il doit être; je me dis
que je _veux_ mon sort, que je le choisis de nouveau à chaque instant;
j’entends intérieurement la voix si nette et si profonde de M. Teste qui
m’appelle... Mais si vous saviez de quels noms!

Il n’y a pas de femme au monde nommée comme moi. Vous savez quels noms
ridicules échangent les amants: quelles appellations de chiens et de
perruches sont les fruits naturels des intimités charnelles. Les paroles
du cœur sont enfantines. Les voix de la chair sont élémentaires. M.
Teste, d’ailleurs, pense que l’amour consiste _à pouvoir être bêtes
ensemble_,--toute licence de niaiserie et de bestialité. Aussi
m’appelle-t-il à sa façon. Il me désigne presque toujours selon ce qu’il
veut de moi. A soi seul, le nom qu’il me donne me fait entendre d’un mot
ce à quoi je m’attende, ou ce qu’il faut que je fasse. Quand ce n’est
rien de particulier qu’il désire, il me dit: _Être_, ou _Chose_. Et
parfois il m’appelle _Oasis_, ce qui me plaît.

Mais il ne me dit jamais que je suis bête,--ce qui me touche bien
profondément.

M. l’abbé qui a une grande et charitable curiosité de mon mari, et une
sorte de pitoyable sympathie pour un esprit si séparé, me dit
franchement que M. Teste lui inspire des sentiments bien difficiles à
accorder entre eux. Il me disait l’autre jour: _Les visages de Monsieur
votre mari sont innombrables!_

Il le trouve «un monstre d’isolement et de connaissance singulière», et
il l’explique, quoique à regret, par un orgueil de ces orgueils qui vous
retranchent des vivants, et non seulement des actuels vivants, mais des
vivants éternels;--un orgueil qui serait tout abominable et quasi
satanique, si cet orgueil n’était, dans cette âme trop exercée,
tellement âprement tourné contre soi-même, et ne se connaissait si
exactement, que le mal, peut-être, en était comme énervé dans son
principe.

  «_Il s’abstrait affreusement du bien_, me dit l’abbé, _mais il
  s’abstrait heureusement du mal... Il y a en lui je ne sais quelle
  effrayante _pureté_, quel détachement, quelle force et quelle lumière
  incontestables. Je n’ai jamais observé une telle absence de troubles
  et de doutes dans une intelligence très profondément travaillée. Il
  est terriblement tranquille! On ne peut lui attribuer aucun malaise de
  l’âme, aucunes ombres intérieures,--et rien, d’ailleurs, qui dérive
  des instincts de crainte ou de convoitise... Mais rien qui s’oriente
  vers la Charité._

  «_C’est une île déserte que son cœur... Toute l’étendue, toute
  l’énergie de son esprit l’environnent et le défendent; ses profondeurs
  l’isolent et le gardent contre la vérité. Il se flatte qu’il y est
  bien seul... Patience, chère dame. Peut-être, certain jour,
  trouvera-t-il quelque empreinte sur le sable... Quelle heureuse et
  sainte terreur, quelle épouvante salutaire, quand il connaîtra, à ce
  pur vestige de la grâce, que son île est mystérieusement habitée!..._»

Alors j’ai dit à M. l’abbé que mon mari me faisait penser bien souvent à
un _mystique sans Dieu_...

  --«_Quelle lueur!_ a dit l’abbé,--_quelles lueurs, les femmes
  quelquefois tirent des simplicités de leurs impressions et des
  incertitudes de leur langage!..._»

Mais aussitôt, et à soi-même, il répliqua:

  --«_Mystique sans Dieu!... Lumineux non-sens!... Voilà qui est bientôt
  dit!... Fausse clarté... Un mystique sans Dieu, Madame, mais il n’est
  point de mouvement concevable qui n’ait sa direction et son sens, et
  qui n’aille enfin quelque part!... Mystique sans Dieu!... Pourquoi pas
  un Hippogriffe, un Centaure!_

  --_Pourquoi pas un Sphinx, Monsieur l’abbé?_»

Il est d’ailleurs chrétiennement reconnaissant à M. Teste de la liberté
qui m’est laissée de suivre ma foi et de me livrer à mes dévotions. J’ai
toute licence d’aimer Dieu et de le servir, et je me puis partager très
heureusement entre mon Seigneur et mon cher époux. M. Teste quelquefois
me demande de lui parler de mon oraison, de lui expliquer aussi
exactement que je le puisse, comment je m’y mets, comment je m’y
applique et m’y soutiens; et il désire de savoir si je m’y abîme aussi
véritablement que je le crois. Mais à peine j’ai commencé de chercher
mes mots dans mon souvenir, il me devance, il s’interroge soi-même, et
se mettant prodigieusement à ma place, il me dit sur ma propre prière de
telles choses, il m’en donne de telles précisions qu’elles l’éclairent,
la rejoignent en quelque sorte dans son altitude secrète,--et qu’il m’en
communique la disposition et le désir!... Il y a dans son langage je ne
sais quelle puissance de faire voir et entendre ce que l’on a de plus
caché... Et cependant, ce sont des propos humains que les siens, rien
qu’humains; ce ne sont que les formes très intimes de la foi
reconstituées par artifice, et articulées à merveille par un esprit
incomparable d’audace et de profondeur! On dirait qu’il a froidement
exploré l’âme fervente... Mais il manque affreusement à cette
recomposition de mon cœur brûlant et de sa foi, son essence qui est
_espérance_... Il n’y a pas un grain d’espérance dans toute la substance
de M. Teste; et c’est pourquoi je trouve un certain malaise dans cet
exercice de son pouvoir.

                   *       *       *       *       *

Je n’ai plus grand’chose à vous dire aujourd’hui. Je ne m’excuse pas
d’avoir écrit si longuement, puisque vous me l’avez demandé et que vous
vous dites d’une avidité insatiable de tous les faits et gestes de votre
ami. Il faut en finir cependant. Voici l’heure de la promenade
quotidienne. Je vais mettre mon chapeau. Nous irons doucement par les
ruelles fort pierreuses et tortueuses de cette vieille ville que vous
connaissez un peu. Nous allons, à la fin, où vous aimeriez d’aller si
vous étiez ici, à cet antique jardin où tous les gens à pensées, à
soucis et à monologues descendent vers le soir, comme l’eau va à la
rivière, et se retrouvent nécessairement. Ce sont des savants, des
amants, des vieillards, des désabusés et des prêtres; tous les _absents_
possibles, et de tous les genres. On dirait qu’ils recherchent leurs
éloignements mutuels. Ils doivent aimer de se voir sans se connaître, et
leurs amertumes séparées sont accoutumées à se rencontrer. L’un traîne
sa maladie, l’autre est pressé par son angoisse; ce sont des ombres qui
se fuient; mais il n’y a pas d’autre lieu pour y fuir les autres que
celui-ci, où la même idée de la solitude attire invinciblement chacun de
tous ces êtres absorbés. Nous serons tout à l’heure dans cet endroit
digne des morts. C’est une ruine botanique. Nous y serons un peu avant
le crépuscule. Voyez-nous, marchant à petits pas, livrés au soleil, aux
cyprès, aux cris d’oiseau. Le vent est froid au soleil, le ciel trop
beau parfois me serre le cœur. La cathédrale cachée sonne. Il y a,
par-ci, par-là, des bassins ronds et surhaussés qui me viennent à la
ceinture. Ils sont pleins jusqu’à la margelle d’une eau noire et
impénétrable, sur laquelle sont appliquées les énormes feuilles du
Nymphéa Nelumbo; et les gouttes qui s’aventurent sur ces feuilles
roulent et brillent comme du mercure. M. Teste se laisse distraire par
ces grosses gouttes vivantes, ou bien il se déplace lentement entre les
«planches» à étiquettes vertes, où les spécimens du règne végétal sont
plus ou moins cultivés. Il jouit de cet ordre assez ridicule et se
complaît à épeler les noms baroques:

    _Antirrhinum Siculum
    Solanum Warscewiezii!!!_

Et ce _Sisymbriifolium_, quel patois!... Et les _Vulgare_, et les
_Asper_, et les _Palustris_, et les _Sinuata_, et les _Flexuosum_, et
les _Prœaltum_!!!

--_C’est un jardin d’épithètes_, dit-il l’autre jour, _jardin
dictionnaire et cimetière..._

Et après un temps, il se dit: «_Doctement mourir... Transiit
classificando._»

Recevez, Monsieur et Ami, tous nos remerciements, et nos bons souvenirs.

Émilie Teste.




EXTRAITS DU LOG-BOOK DE MONSIEUR TESTE


_Une prière de M. Teste_: Seigneur, j’étais dans le néant, infiniment
nul et tranquille. J’ai été dérangé de cet état pour être jeté dans le
carnaval étrange... et fus par vos soins doué de tout ce qu’il faut pour
pâtir, jouir, comprendre et me tromper; mais ces dons inégaux.

Je vous considère comme le maître de ce noir que je regarde quand je
pense, et sur lequel s’inscrira la dernière pensée.

Donnez, ô Noir,--donnez la suprême pensée...

Mais toute pensée généralement quelconque peut être «suprême pensée».

S’il en était autrement, s’il en fût une _suprême en soi_ et _par soi_,
nous pourrions la trouver par réflexion ou par hasard; et étant trouvée,
devrions mourir. Ce serait pouvoir mourir d’une certaine pensée,
seulement parce qu’elle n’a point de suivante.

Je confesse que j’ai fait une idole de mon esprit, mais je n’en ai pas
trouvé d’autre. Je l’ai traitée par des offrandes, par des injures. Non
comme chose mienne. Mais...

                                   *

                                 *   *

Analogie du mot de de Maistre sur la conscience d’un honnête homme! Je
ne sais pas ce qu’est la conscience d’un sot, mais celle d’un homme
d’esprit est pleine de sottises.

                                   *

                                 *   *

Je ne sais pas telle chose; je ne puis pas saisir telle chose, mais je
_sais_ Portius qui la possède. Je possède mon Portius, que je manœuvre
en tant qu’homme et qui contient ce que je ne sais pas.

                                   *

                                 *   *

Il y a des personnages qui sentent que leurs sens les séparent du réel,
de l’être. Ce sens en eux _infecte_ leurs autres sens.

Ce que je vois m’aveugle. Ce que j’entends m’assourdit. Ce en quoi je
sais, cela me rend ignorant. J’ignore en tant et pour autant que je
sais. Cette illumination devant moi est un bandeau et recouvre ou une
nuit ou une lumière plus... Plus quoi? Ici le cercle se ferme, de cet
étrange renversement: la connaissance, comme un nuage sur l’être; le
monde brillant, comme taie et opacité.

Otez toute chose que j’y voie.

                                   *

                                 *   *

Cher Monsieur, vous êtes parfaitement «dénué d’intérêt».--Mais pas votre
squelette--ni votre foie, ni lui-même votre cerveau.--Et ni votre air
bête et ni ces yeux tard venus--et toutes vos idées.--Que ne puis-je
seulement connaître le mécanisme d’un sot!

                                   *

                                 *   *

Je ne suis pas fait pour les romans ni pour les drames. Leurs grandes
scènes, colères, passions, moments tragiques, loin de m’exalter me
parviennent comme de misérables éclats, des états rudimentaires où
toutes les bêtises se lâchent, où l’être se simplifie jusqu’à la
sottise; et il se noie au lieu de nager dans les circonstances de l’eau.

                                   *

                                 *   *

Je ne lis pas dans le journal ce drame sonore, cet événement qui fait
palpiter tout cœur. Où me conduiraient-ils, sinon rien qu’au seuil même
de ces problèmes abstraits où je suis déjà tout entier situé?

                                   *

                                 *   *

Je suis rapide ou rien.--Inquiet, explorateur effréné. Parfois je me
reconnais à une vue particulièrement personnelle et capable de
généralisation.

Ces vues tuent les autres vues qui ne peuvent être portées au
général--soit défaut de puissance chez le voyant, soit par autre cause?

Il en résulte un individu ordonné selon les puissances de ses pensées.

                                   *

                                 *   *

Homme toujours debout sur le cap Pensée, à s’écarquiller les yeux sur
les limites ou des choses, ou de la vue...

Il est impossible de recevoir la «vérité» de soi-même. Quand on la sent
se former (c’est une impression), on forme du même coup un _autre soi
inaccoutumé_... dont on est fier,--dont on est jaloux... (C’est un
comble de politique interne.)

Entre Moi clair et Moi trouble; entre Moi juste et Moi coupable, il y a
de vieilles haines et de vieux arrangements, de vieux renoncements et de
vieilles supplications.

                                   *

                                 *   *

_Sorte de prière particulière_:

«Je remercie cette injustice, cet affront qui m’a réveillé, et dont la
vive sensation m’a jeté loin de sa cause ridicule, me donnant aussi la
force et le goût de ma pensée tellement qu’enfin mes travaux ont eu le
bénéfice de ma colère; la recherche de mes lois a profité de
l’incident.»

                                   *

                                 *   *

Pourquoi j’aime ce que j’aime? Pourquoi je hais ce que je hais?

Qui n’aurait le désir de renverser la table de ses désirs et de ses
dégoûts? De changer le sens de ses mouvements instinctifs?

Comment se peut-il que je sois à la fois comme une aiguille aimantée et
comme un corps indifférent?...

Je contiens un être moindre auquel il me faut obéir sous une peine
inconnue, qui est mort.

Aimer, haïr sont au-dessous.

Aimer, haïr--_paraissent_ à moi des hasards.

                                   *

                                 *   *

C’est ce que je porte d’inconnu à moi-même qui me fait moi.

C’est ce que j’ai d’inhabile, d’incertain qui est bien moi-même.

Ma faiblesse, ma fragilité...

Les lacunes sont ma base de départ. Mon impuissance est mon origine.

Ma force sort de vous. Mon mouvement va de ma faiblesse à ma force.

Mon dénuement réel engendre une richesse imaginaire; et je suis cette
symétrie; je suis l’acte qui annule mes désirs.

Il y a en moi quelque faculté plus ou moins exercée, de considérer,--et
même de devoir considérer--mes goûts et mes dégoûts comme purement
accidentels.

Si j’en savais plus, peut-être verrais-je une nécessité--au lieu de ce
hasard.--Mais voir cette nécessité, cela est encore distinct... Ce qui
me contraint n’est pas moi.

                                   *

                                 *   *

Soumets-toi tout entier à ton meilleur moment, à ton plus grand
souvenir.

C’est lui qu’il faut reconnaître comme roi du temps,

Le plus grand souvenir,

L’état où doit te reconduire toute discipline.

Lui qui te donne de te mépriser, ainsi que de te préférer justement.

Tout par rapport à Lui, qui installe dans ton développement une mesure,
des degrés.

Et s’il est dû à quelque autre que toi--nie-le et sache-le.

Centre de ressort, de mépris, de pureté.

Je m’immole intérieurement à ce que je voudrais être!

                                   *

                                 *   *

L’idée, le principe, l’éclair, le premier moment du premier état, le
saut, le bond hors de la suite... A d’autres, préparations et
exécutions. Jette là le filet. Voici le lieu de la mer où vous
trouverez. Adieu.

                                   *

                                 *   *

... Vieux désir (te revoilà périodique souffleur) de tout reconstruire
en matériaux purs: rien que d’éléments définis, rien que de relations
nettes, rien que de contacts et de contours dessinés, rien que de formes
conquises, et pas de vague.

                                   *

                                 *   *

Méditations sur son ascendance, sa descendance.

Étrangeté de ces échos de l’UN.

Quoi, ce bloc moi trouve des parties hors de lui!...

... Cette manière de regarder qui me contient tout entier, qui présage,
prépare dans un certain sourire toute mon explicite pensée,--cette tenue
de la _Chose_ entre le pli du coin gauche de ma bouche et les pressions
des paupières et les torsions des moteurs de l’œil - cet acte essentiel
de moi, cette définition, cette condition singulière - existe sur cet
autre visage, sur ce visage de quelque mort, sur celui-ci déjà, encore
sur cet autre - en divers âges, époques - Eh! je le sais bien - ces
exemplaires n’ont pas éprouvé les mêmes choses; bien diverses leurs
expériences et leurs sciences... mais - n’importe! - _Ils ne se trompent
pas entre eux._ - Ils se devinent.

Admirable parenté mathématique des hommes - Que dire de cette forêt de
relations et de correspondances? (Nous n’avons pas même la moitié des
mots que les Romains avaient pour en parler.) Quels mélanges et quelles
diffusions!


ENSEMBLE

Autrui, ma caricature, mon modèle, les deux.

Autrui que j’immole justement dans le silence; que je brûle sous le nez
de mon--âme!

Et Moi! que je déchire, et que je nourris de sa propre substance
toujours re-mâ-chée, seul aliment pour qu’il s’accroisse!

                                   *

                                 *   *

Autrui que j’aime faible; que fort, j’adore et bois;--je te préfère
intelligent et passif... à moins que, rareté, et jusqu’à ce que,
peut-être - un autre _Même_ paraisse - une réponse précise...

En attendant, qu’importe le reste!

                                   *

                                 *   *

Je sens infiniment le pouvoir, le vouloir, parce que je sens infiniment
l’informe et le hasard qui les baigne, les tolère, et tend à reprendre
sa fatale liberté, sa figure indifférente, son niveau d’égale chance.

                                   *

                                 *   *

En quoi cet après-midi, cette fausse lumière, cet aujourd’hui, ces
incidents connus, ces papiers, ce tout quelconque se distingue-t-il d’un
autre tout, d’un _avant-hier_? Les sens ne sont pas assez subtils pour
voir que des changements ont eu lieu. Je sais bien que ce n’est le même
jour, mais je ne fais que le savoir.

Pas assez subtils, mes sens, pour défaire cette œuvre si fine ou si
profonde qui est le passé; pas assez subtils pour que je distingue que
ce lieu ou ce mur ne sont pas identiques, peut-être, à ce qu’ils étaient
l’autre jour.


POÈME

(_traduit du langage Self_)

    J’allais peut-être vous aimer,
        O mon Esprit!
    Mais je m’avise
        Que je vous aimais tant, déjà!
    J’allais peut-être vous aimer,
        O mon Esprit!
    Mais je m’avise, ô mon Esprit,
    Que je t’aimais déjà d’une tout autre sorte!
    Tu te fais souvenir non d’autres, mais de toi,
    Et tu deviens toujours plus semblable à nul autre.
    Plus autrement le même, et plus même que moi.
    O Mien--mais qui n’es pas encor tout à fait Moi!


SI LE MOI POUVAIT PARLER

Quelle injure qu’un compliment!--On ose me louer! Ne suis-je pas au delà
de toute qualification? Voilà ce que dirait un Moi, si lui-même
_osait_!--

Et si le Moi pouvait parler (Refrain).


LE RICHE D’ESPRIT

Cet homme avait en soi de telles possessions, de telles perspectives; il
était fait de tant d’années de lectures, de réfutations, de méditations,
de combinaisons internes, d’observations; de telles ramifications, que
ses réponses étaient difficiles à prévoir; qu’il ignorait lui-même à
quoi il aboutirait, quel aspect le frapperait enfin, quel sentiment
prévaudrait en lui, quels crochets et quelle simplification inattendue
se feraient, quel désir naîtrait, quelle riposte, quels éclairages.

Peut-être était-il parvenu à cet étrange état de ne pouvoir regarder sa
propre décision ou réponse intérieure, que sous l’aspect d’un expédient,
sachant bien que le développement de son attention serait infini et que
l’_idée_ d’en _finir_ n’a plus aucun sens, dans un esprit qui se connaît
assez. Il était au degré de _civilisation intérieure_ où la conscience
ne souffre plus d’opinions qu’elle ne les accompagne de leur cortège de
modalités, et qu’elle ne se repose (si c’est là se reposer) que dans le
sentiment de ses prodiges, de ses exercices, de ses substitutions, de
ses précisions innombrables.

... Dans sa tête où derrière les yeux fermés se passaient des rotations
curieuses,--des changements si variés, si libres, et pourtant si
limités,--des lumières comme celles que ferait une lampe portée par
quelqu’un qui visiterait une maison dont on verrait les fenêtres dans la
nuit, comme des fêtes éloignées, des foires de nuit, mais qui pourraient
se changer en gares et en sauvageries si l’on pouvait en approcher--ou
en effrayants malheurs,--ou en vérités et révélations...

C’était comme le sanctuaire et le lupanar des possibilités.

L’habitude de méditation faisait vivre cet esprit au milieu--au
moyen--d’états rares; dans une supposition perpétuelle d’expériences
purement idéales; dans l’usage continuel des conditions-limites et des
phases critiques de la pensée...

Comme si les raréfactions extrêmes, les vides inconnus, les températures
hypothétiques, les pressions et les charges monstrueuses avaient été ses
ressources naturelles--et que rien ne pût être pensé en lui qu’il ne le
soumît par cela seul au traitement le plus énergique et ne recherchât
tout le domaine de son existence.

                                   *

                                 *   *

Ce goût, et parfois ce talent de la _transcendance_,--j’entends par là
une incohérence _réelle_, plus vraie que toute cohérence proposée, avec
le sentiment d’être ce qui passe _immédiatement_ d’une chose à l’autre,
de traverser en quelque manière les plus divers ordres--ordres de
grandeur... points de vue, accommodations étrangères... Et ces brusques
retours à soi, coupant quoi que ce soit; et ces vues bifides, ces
attentions tripodes, ces contacts dans un autre monde de choses séparées
dans _le leur_... C’est moi.

                                   *

                                 *   *

Méprise tes pensées, comme d’elles-mêmes elles passent.--Et
repassent!...

                                   *

                                 *   *

LE JEU PERSONNEL.

_Règle du jeu._

La partie est gagnée si l’on se trouve digne de son approbation.

Si la partie gagnée l’a été par calcul, avec volonté, suite et
lucidité,--le gain est le plus grand possible.


L’HOMME DE VERRE

«Si droite est ma vision, si pure ma sensation, si maladroitement
complète ma connaissance, et si déliée, si nette ma représentation, et
ma science si achevée que je me pénètre depuis l’extrémité du monde
jusqu’à ma parole silencieuse; et de l’informe _chose_ qu’on désire se
levant, le long de fibres connues et de centres ordonnés, je me _suis_,
je me réponds, je me reflète et me répercute, je frémis à l’infini des
miroirs--je suis de verre.»

                                   *

                                 *   *

Ma solitude--qui n’est que le manque depuis beaucoup d’années, d’_amis_
longuement, profondément vus; de conversations étroites, dialogues sans
préambules, sans finesses que les plus rares, elle me coûte cher.--Ce
n’est pas vivre que vivre sans objections, sans cette résistance
vivante, cette proie, cette autre personne, adversaire, reste individué
du monde, obstacle et ombre du moi--autre moi--intelligence rivale,
irrépressible--ennemi le meilleur ami, hostilité divine,
fatale,--intime.

Divine, car supposé un dieu qui vous imprègne, pénètre, infiniment
domine, infiniment devine--sa joie d’être combattu par sa créature qui
essaie imperceptiblement d’être, se sépare... La dévorer et qu’elle
renaisse; et une joie commune et un agrandissement.

Si nous savions, nous ne parlerions pas--nous ne penserions pas, nous ne
nous parlerions pas.

La connaissance est comme étrangère à l’être même.--Lui s’ignore,
s’interroge, se fait répondre...

                                   *

                                 *   *

De quoi j’ai souffert le plus? Peut-être de l’habitude de développer
toute ma pensée--d’aller jusqu’au bout en moi.

                                   *

                                 *   *

Je méprise vos idées pour les considérer en toute clarté et presque
comme l’ornement futile des miennes; et je les vois comme on voit en
pleine eau pure, dans un vase de verre, trois ou quatre poissons rouges
faire, en circulant, des découvertes toujours naïves et toujours les
mêmes.

                                   *

                                 *   *

Je ne suis pas bête parce que toutes les fois que je me trouve bête, je
me nie--je me tue.

                                   *

                                 *   *

Dégoûté d’avoir raison, de faire ce qui réussit, de l’efficacité des
procédés, essayer autre chose.




TABLE


  Préface                                     9
  La soirée avec M. Teste                    21
  Lettre d’un ami                            55
  Lettre de Madame Émilie Teste              83
  Extraits du log-book de Monsieur Teste    115




Paris.--Imprimerie Chantenay. 6-6-1929






*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MONSIEUR TESTE ***


    

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Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.