The Project Gutenberg EBook of Le Sentier, by Max du Veuzit and Robert Nunès
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Title: Le Sentier
Author: Max du Veuzit
Robert Nunès
Release Date: December 25, 2008 [EBook #27627]
Language: French
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SENTIER ***
Produced by Daniel Fromont
[Transcriber's note: Max du Veuzit (pseudonyme d'Alphonsine
Vavasseur-Acher Mme François Simonet) (1876-1952),
_Le sentier_ (1908)]
Max du Veuzit & Robert Nunès
LE
SENTIER
Comédie en 3 Actes
Prix: 2 francs
1907-1908
PERSONNAGES:
PIERRE BELVAL... 32 ans
BARDICHON... 55 ans
LORET
FRONTIN... 40 ans
PAUL ROUSS
ERVAN
UN JOURNALISTE
UN FACTEUR
UN MENDIANT
UN TAPISSIER
ANDREE... 28 ans
MARTHE
BERTRANDE
Madame DE RUMODU
ANNAIC
HORTENSE
BLANCHE
Un Modèle
Tous droits de traduction réservés.
Reproduction autorisée pour les journaux et les revues abonnés à la
Société des Gens de Lettres.
ACTE I
Un atelier d'artiste. Tableaux pendus au mur. Andrée travaille au
premier plan à droite devant un chevalet. -- Un modèle femme pose
devant elle. Canapé, fauteuils, chaises. Un bouquet de fleurs sur un
guéridon.
SCENE I
ANDREE; LORET, le Bohême; PAUL ROUSS, poète chansonnier; le Modèle,
sont en scène.
ANDREE, au modèle
Le coude est trop bas... Cette pose vous fatigue?
LE MODELE, relevant le bras
Non, Madame... comme ça?
ANDREE, soulignant ses paroles de gestes indicateurs
Un peu plus à gauche... là... Ca y est! Mais non!... relevez le bras...
là... très bien... c'est bon! (Elle se remet à peindre) (à Loret) Dites
donc, Loret, vous seriez bien gentil de mettre un peu d'essence dans ma
boîte.
LORET
A vos ordres (Il prend un petit flacon, le débouche et le tend au-
dessus de la boîte). Combien? Beaucoup?
ANDREE, sans cesser de peindre
Non, pas trop, la valeur d'un pernod ordinaire... vous devez avoir
l'habitude.
(Elle rit).
LORET, remettant le flacon en place
Traitez-moi tout de suite de poivrot! Ce n'est pas long à vous faire
une réputation, ces sacrées femmes!
PAUL ROUSS, riant
Si seulement ça pouvait changer celle que tu as!
(Andrée rit. Loret au milieu de la scène bourre tranquillement sa
pipe.)
LORET
Changer quoi?... Ma femme ou ma réputation?
PAUL ROUSS
Les deux.
LORET, même air
Ah bah!
ANDREE, s'interrompant de peindre
Il a raison. Vous avez une trop mauvaise conduite pour une aussi
gentille petite femme; c'est criant!
PAUL ROUSS
Ca hurle!
LORET
Mais non, ça se compense... la vie n'est faite que de moyennes.
ANDREE
Et Marthe où est-elle, en ce moment?
LORET
Avec Bertrande de Rollins... elles doivent courir les magasins.
ANDREE
Elles ne viendront pas?
LORET
Mais si... Elles comptent me rejoindre chez vous.
PAUL ROUSS, à part
Ah! Bertrande va venir.
LORET
D'abord, quelle heure est-il?
LE MODELE
Cinq heures un quart.
ANDREE
Déjà! (au modèle) Reposez-vous, nous reprendrons tout à l'heure. (Elle
pose ses pinceaux, range ses tubes.) Bon, je n'ai presque plus
d'outremer.
LORET
Je vous en enverrai en vous quittant.
ANDREE
Merci! Ce que j'ai me suffira pour ce soir (Elle se lève et va vers un
bouquet détacher une fleur qu'elle pique à son corsage) Sont-elles
jolies ces fleurs? C'est Belval qui me les a envoyées ce matin.
LORET
C'est aimable... A propos, où est-il?
PAUL ROUSS
Il doit venir?
LORET
En voilà une question!
PAUL ROUSS
Pourquoi ça?
LORET, montrant Andrée
Parce que...
PAUL ROUSS
Ah! Ah! ça chauffe!
LORET
Tiens!
ANDREE
C'est son heure, il va arriver... il est toujours très exact (Elle
arrange ses cheveux dans une glace).
LORET
Parbleu!... Quand on est attendu par une aussi gentille petite femme.
ANDREE, se tournant vers lui
Mais, je ne l'attends pas.
LORET
Non... Vous l'espérez seulement.
ANDREE
Enfin, que croyez-vous donc?... Il n'y a rien entre nous.
LORET
Pas encore... ça viendra.
ANDREE
Vous êtes stupide! Laissez-moi tranquille avec vos prophéties.
LORET
Allons donc! Ca crève les yeux.
ANDREE
Comment cela?
LORET
Oh! il n'est pas besoin de se creuser le ciboulot pour le voir. Allez!
Quand il est là, il n'y en a que pour lui (imitant la voix d'Andrée) Un
peu de sucre, Monsieur Pierre? Votre café est-il bon, Monsieur Pierre?
Vous n'êtes pas fatigué, Monsieur Pierre... Pierre par ci, Pierre par
là... C'est dégoûtant!
(Andrée rit)
PAUL ROUSS
Pas pour lui.
LORET
Non, mais pour nous... Moi, quand je le vois, j'ai envie de m'en aller.
ANDREE, en riant
Et cependant, vous restez.
LORET
Parce que j'enrage de vous laisser seule avec lui... Il a vraiment la
partie trop belle, cet animal-là... Jeune, riche, du talent,
feuilletonniste au premier journal de Paris, célèbre bientôt et pour le
moment cajolé par une femme exquise, supérieure.
ANDREE
Oh! cajolé!
LORET
Parfaitement!
ANDREE
Vous exagérez.
LORET
Ne protestez pas. Je vous connais. Allez! Je vous ai déjà vue à la
course avec Pierson, quand il n'était pas encore votre mari: même
emballement... mêmes attentions... mêmes attitudes... et sincère,
encore! Quelle pitié! Ah! vous étiez bigrement pincée.
ANDREE
Oui... malheureusement.
(Elle soupire)
LORET
C'était un crétin!
ANDREE
Je l'ignorais, alors.
LORET
Un sale type!
ANDREE
On ne l'aurait pas dit.
LORET
Il se fichait de vous et de votre amour!
ANDREE
Hélas!
PAUL ROUSS
Il ne valait pas cher, paraît-il?
LORET
Moins que rien. A la fin, c'est elle qui le faisait vivre.
ANDREE
Il avait perdu sa place.
(Elle se rasseoit devant le chevalet)
LORET
Et bouffé l'héritage paternel.
ANDREE
Enfin, il était sans ressource (au modèle) Vous êtes prête? (Le modèle
reprend sa pose).
LORET
Eh bien, il fallait lui couper les vivres.
ANDREE
Ce n'eut pas été généreux. (Au modèle) Un peu plus de profil...
LORET, haussant les épaules
De la générosité avec un gigolo pareil! Vous saviez pourtant bien ce
qu'il valait à cette époque-là.
ANDREE, amèrement
Sans doute (Elle se remet à peindre; au modèle) Ne bougez plus.
LORET
Alors?
ANDREE
C'était mon mari, d'abord, et puis on n'a pas vécu si longtemps...
LORET
Une vie d'enfer!
ANDREE
...Auprès d'un homme pour le lâcher juste quand il est dans la gêne.
PAUL
Ca a duré?
ANDREE
Quatre ans... et puis le divorce!
LORET
C'est vrai quatre ans! Quand vous vous êtes mis en ménage, je n'aurais
pas parié pour six mois.
ANDREE, avec un rire désenchanté
Moi, j'espérais que c'était pour la vie.
LORET, éclatant de rire
Avec Pierson, quelle blague!
ANDREE
Dites donc, j'étais sincère, moi, s'il ne l'était pas.
LORET
Et puis, c'était votre premier béguin... Ca impressionne toujours une
femme, le numéro un. C'est comme la première pipe... ça vous fiche tout
sens dessus dessous.
ANDREE
Aussi quand la destinée vous a mal servi une première fois, on n'est
pas tenté d'un second essai... Le mariage me fait peur maintenant.
LORET
Eh bien! on s'en passe, ça va plus vite et ça supprime le divorce. On
se plaît aujourd'hui, chouette! on se met ensemble. On ne s'aime plus
demain. Bonsoir! on se quitte.
ANDREE
Continuez, Loret. Pour un homme marié, vous en avez des théories.
LORET
C'est justement parce que je suis marié que je parle ainsi. On ne
connaît jamais si bien le prix de la liberté que lorsqu'on l'a perdue.
ANDREE
Cependant Marthe vous laisse entièrement la bride sur le cou.
LORET
Marthe est une exception. N'empêche qu'elle est la femme obligatoire,
celle que l'on a tous les jours sur le dos, l'éternel rasoir à qui l'on
doit rendre compte de son existence, presque minute par minute... une
femme qui a le droit de vous demander combien que vous avez dans votre
poche et qui vous oblige à rentrer à certaines heures sous prétexte
qu'elle vous attend... C'est atroce, la vie conjugale! Il faut être
marié pour connaître tous les embêtements du mariage... Je suis pour le
concubinage, moi!
ANDREE
Vous dites des horreurs, taisez-vous.
SCENE II
LES MEMES, BARDICHON, HORTENSE
HORTENSE, entrant
Madame!... C'est le notaire de Madame.
TOUS, gaiement
Tiens, Bardichon.
ANDREE
Qu'il entre... (La bonne sort) ...Arrivez donc, Bardichon (il apparaît
à la porte) Vous devenez rare. Comment ça va?
(Elle lui tend la main)
BARDICHON
Joyeusement... Si heureux de vous voir, chère Madame.
(Il lui baise la main)
ANDREE
Toujours aimable.
BARDICHON
Et vous, toujours jolie. Un teint, des yeux, une taille! A rendre fou
le plus blasé des hommes... ainsi, moi...
ANDREE, l'interrompant
N'achevez pas, vous allez dire des bêtises.
BARDICHON
Oui, et avec vous, elles ne serviraient à rien, malheureusement (Il va
successivement serrer la main à Loret et à Paul) (à Loret) Et les
amours, ça va toujours?
LORET
Toujours... avec des hauts et des bas...
PAUL ROUSS
Comme le baromètre.
BARDICHON
Vous adorez les querelles décidément.
LORET
C'est la vie cela!... Les scènes domestiques rompent la monotonie des
ménages et c'est si bon le raccommodement.
ANDREE
Pauvre Marthe.
LORET
Mais, sapristi, pourquoi donc la plaignez-vous tant que ça, ma femme...
Au fond, elle est très heureuse... Ce qu'elle aime en moi... ce sont
mes défauts... Je ne suis pas un si mauvais sujet que vous aimez à le
faire croire.
ANDREE
Vous êtes même un gentil garçon.
LORET
Ca va mieux!
ANDREE
Un bon garçon...
LORET
A la bonne heure!
BARDICHON
Vous le gâtez.
ANDREE
Non, je dis ce que je pense... seulement, voyons, Loret, soyez donc
plus sérieux; vous ne l'êtes pas assez pour votre âge.
LORET, sursautant
Pas sérieux! moi! Depuis treize mois que je suis avec Marthe, je ne
l'ai pas trompée une pauvre petite fois.
ANDREE
Vous me comprenez. Ce ne sont pas les femmes, qu'elle vous reproche.
(Geste de boire)
LORET
Ah! la... Quoi! Ce n'est pas de ma faute. J'ai le gosier sec, moi.
BARDICHON
Souvent.
LORET
Toujours... Ainsi, en ce moment, je boirais bien quelque chose.
ANDREE
Attendez, Belval va arriver.
LORET
Belval! Encore lui. On ne peut même pas prendre un bock sans la
permission de Monsieur Pierre. Et vous voulez qu'il soit sympathique à
vos amis, cet écrivassier?
ANDREE (Elle sonne)
Ne criez pas si fort... j'ai sonné, on va vous apporter de la bière...
(A Bardichon qui lutine le modèle) Voyons, Bardichon, finissez. Vous la
faites bouger.
BARDICHON
Je m'éloigne... (Il passe sa main sur l'épaule du modèle) Ah! Quelle
peau fine!...
LE MODELE
A bas les pattes.
LORET
Allons donc, vieux libertin.
(Bardichon embrasse l'épaule du modèle qui le gifle).
LORET
Attrape!
BARDICHON, frottant sa joue
Donnée de la main d'une femme une gifle est une blessure reçue au champ
d'honneur.
LORET
Il mourra sur la brèche, cet homme-là (on rit). Au fait quel âge avez-
vous Bardichon.
BARDICHON
C'est de l'indiscrétion.
PAUL ROUSS
Il met de la coquetterie à cacher son âge.
LORET
Combien, voyons?... soixante-cinq ans, au moins.
BARDICHON
Pas tant! pas tant! Vous me vieillissez.
LORET, railleur
Mettons-en trente et n'en parlons plus.
(On entend des rires dans la coulisse)
Voici Marthe!
PAUL ROUSS
C'est Bertrande.
BARDICHON
Ah! des femmes!
(Elles entrent)
SCENE III
LES MEMES, MARTHE et BERTRANDE
(Elles entrent en riant)
MARTHE
Bonjour, tous.
BERTRANDE
Salut, les amis.
BARDICHON
Elles! (Il se dérobe derrière un meuble).
ANDREE
Quelle gaieté!... Bonjour!
LORET, embrassant Marthe
Vous voyez bien qu'elle ne se fait pas de bile, ma femme, s'pas
poulette?
MARTHE
Non, mais c'est si rigolo!
BERTRANDE
Quelle aventure!
(Les deux femmes se regardent et rient de plus belle).
ANDREE, repoussant son chevalet
Là, ça y est. Je ne travaille plus (au modèle) Habillez-vous.
(Elle serre ses pinceaux)
PAUL
Et pourquoi ces rires?
BERTRANDE
Un suiveur enragé. (Elle rit).
MARTHE
Pendant une heure... (même jeu).
BERTRANDE
Il nous frôlait.
LORET
Où ça?
MARTHE, sérieusement
Dans le métro! (chacun rit).
BERTRANDE
Il hésitait, la brune ou la blonde?
PAUL
Je comprends ça.
MARTHE
Alors, il s'est dit: toutes les deux.
PAUL
C'est un brave.
BERTRANDE, sérieusement
Non! c'est un vieux! (On rit).
LORET
La circulation des gagas devrait être interdite sur le territoire
français.
ANDREE
Et alors?
BERTRANDE, l'imitant
Mesdemoiselles, vous êtes bien pressées?
MARTHE, de même
Où courez-vous avec d'aussi jolis petons?
BERTRANDE
Il avait pris le bras de Marthe.
MARTHE
Il voulait embrasser Bertrande.
BERTRANDE
Elle lui a tiré la langue.
MARTHE
Tu lui as donné une gifle.
BERTRANDE, MARTHE
Il nous a remerciées!
LORET, cherchant le notaire
Eh! Bardichon. Vous entendez. Faites-en votre profit.
PAUL
Où est-il donc passé?
ANDREE
Qu'est-ce qu'il est devenu?
LE MODELE, le désignant
Là! là!
ANDREE
Pourquoi vous cachez-vous?
LORET, il le pousse en avant
Venez donc, que je vous présente à ces dames.
BERTRANDE, MARTHE
Ah! lui!
(Elles rient plus fort)
TOUS
Quoi?
BERTRANDE
Le Vieux!
MARTHE
Notre suiveur.
LORET
Comment?
ANDREE
C'était...
MARTHE et BERTRANDE
Lui.
BARDICHON, piteusement
Moi!
PAUL
Très amusant!
ANDREE, riant
C'est très drôle.
BARDICHON
L'aventure se corse.
LORET
Il est anéanti.
BERTRANDE à MARTHE
Nous l'avons bien arrangé!
BARDICHON
Avec une cruauté, Mesdames.
PAUL
Mais non le portrait était plutôt flatté.
BARDICHON
Heureusement, qu'avec les femmes, on ne sait jamais...
LORET
Hein?
PAUL
Quoi?
BARDICHON
Elles disent toujours le contraire de ce qu'elles pensent.
LORET
Par exemple.
MARTHE à BERTRANDE
Il n'a pas perdu tout espoir.
LORET
Attention. (embrassant Marthe) Cette petite femme-là est à moi.
BARDICHON
Mais l'autre est libre.
PAUL (à part)
Pour le moment.
LORET, bas à Bardichon
Chaud! chaud! Allez donc. C'est une jeune veuve, elle chercher un mari.
Vous avez des chances.
BARDICHON
Merci, c'est bon à savoir.
(On sonne).
MARTHE
On a sonné.
(Le modèle sort)
LORET, à part
Ca allait trop bien entre elle et Paul... Ca va les embêter un peu.
ANDREE, à Hortense qui entre
Qui est-ce?
HORTENSE, annonçant
Monsieur Frontin et Monsieur Pierre Belval.
LORET
Enfin! le voilà donc le chéri!
SCENE IV
LES MEMES, moins le Modèle, BELVAL, FRONTIN
BELVAL
Bonjour, mes amis! (à Andrée) Madame...
ANDREE, lui tendant la main
Bonjour. (à Frontin) Monsieur Frontin, c'est gentil d'être venu avec
Belval.
(Elle lui tend la main)
FRONTIN, lui baisant la main
Le désir de prendre une tasse de thé chez la plus charmante des femmes.
ANDREE, indulgente
Flatteur!
(Elle sonne pour le thé. -- Belval a serré la main de tous les
personnages).
FRONTIN, allant à Bardichon
Enchanté de vous voir, Bardichon... (s'inclinant devant les dames).
Mesdames...
BELVAL, à Andrée
Je suis en retard... Vous ne m'attendiez plus?
ANDREE, même jeu
Si!... J'étais certaine que vous viendriez...
BELVAL, même jeu
Je voulais vous l'entendre dire.
ANDREE, montrant les fleurs sur la table
J'ai reçu vos fleurs; elles sont jolies!
BELVAL
Elles vous ont fait un peu plaisir?
ANDREE
Beaucoup! (elle désigne la fleur de son corsage). Tenez!
BELVAL, souriant
Je vois... vous portez mes couleurs.
LORET, criant à Andrée
Et maintenant que Monsieur Pierre est là, on va enfin pouvoir boire
quelque chose?
(Hortense entre, apportant un plateau)
ANDREE, riant
Quel gourmand!... (désignant Hortense) On l'apporte... (à la bonne)
Mettez le plateau là.
BELVAL, à Paul
Rien de neuf, mon poëte?
PAUL
Pardon! La chute du ministère à mettre en vers.
BELVAL
Mais, il n'est pas tombé.
PAUL
Comment? On disait à deux heures que la Chambre était houleuse comme
jamais!...
FRONTIN
Je crois bien. On conspuait le Garde des Sceaux!
BELVAL
Oui, les esprits étaient très montés.
(il s'asseoit)
BARDICHON et LORET
Eh bien?
BELVAL
A la fin de la séance, tout était raccommodé.
FRONTIN, en riant
Au vote de confiance, le Gouvernement a eu une majorité écrasante.
PAUL
Ah! par exemple!
LORET
C'est de l'escamotage.
ANDREE, à Belval, offrant une tasse
Et c'est ce qui vous a retardé, Monsieur Pierre?
BELVAL
Non, Madame... Je ne suis pas allé au Palais-Bourbon aujourd'hui... La
Commission d'enquête sur les réformes du mariage s'est réunie cet
après-midi, et j'ai été y rejoindre Frontin qui était de corvée.
ANDREE, à Frontin
C'était intéressant?
FRONTIN
Oui, très intéressant.
PAUL
De quoi s'est-on occupé?
FRONTIN
Des formalités avant et après le mariage.
LORET
Pour les augmenter?...
BELVAL
Non! pour les réduire.
TOUS
Ah! bah!
BARDICHON
Ce n'est pas possible!
PAUL
A quelles formalités a-t-on touché?
FRONTIN
A toutes, même à celles du divorce.
LORET
L'a-t-on rendu obligatoire, l'indispensable divorce?
TOUS
Oh!
BELVAL, haussant les épaules
L'indispensable divorce!... Une institution légale démolissant une
autre institution non moins légale.
BARDICHON
C'eût été plus sage de les démolir toutes les deux... pas de mariage:
plus de divorce!
PAUL
Plus de constance à perpétuité, donc plus de maris trompés ni d'épouses
incomprises.
LORET
Le rêve, quoi!... L'égalité et la liberté d'amour pour tous.
BELVAL
L'union libre en un mot?
LES HOMMES
Oui, l'union libre!
ANDREE
Mais, qu'est-ce qu'ils ont donc tous contre le mariage, aujourd'hui?...
(désignant Loret) Il me prêchait le concubinage, tout à l'heure.
BELVAL
Il avait raison.
MARTHE
Comment! vous aussi?...
BELVAL
Moi aussi, madame. Le mariage est contraire à tous mes principes... Des
intérêts de famille m'obligent d'ailleurs à rester célibataire pour le
moment. Mais, ceci mis à part, je me suis juré à moi-même de rester
garçon.
BARDICHON
Un serment que la première femme aimée vous fera oublier.
BELVAL
Pardon, mon cher. Ce sont les seuls serments que je respecte, ceux que
je me fais à moi-même. Je n'y ai jamais manqué.
LORET
Voilà une profession de foi assez singulière, Belval. Je ne m'attendais
pas à la trouver sur vos lèvres. Qu'en pense notre charmante amie.
ANDREE
Mais rien... ou plutôt si... Je reste interdite. Monsieur Pierre ne
m'avait pas paru un si fougueux adversaire de nos moeurs et de nos
idées.
BELVAL
Ne me condamnez pas sans m'entendre, Madame... Par nature,
involontairement, je suis l'ennemi des contraintes. Il suffit qu'une
chose me soit interdite pour qu'immédiatement je veuille la faire...
Tout ce qui peut amoindrir la liberté individuelle me semble une
entrave dont l'homme fort et intelligent est tenu de se débarrasser. Il
n'y a que les bêtes qui se laissent dompter; les moutons seuls marchent
en bande derrière le pâtre qui les conduit... (un temps) Mais je
m'écarte de la question. Nous causions mariage tout à l'heure... Eh
bien! le mariage, à l'état actuel, est un non-sens... Contraindre deux
êtres, deux caractères distincts, à vivre éternellement pliés sous le
joug l'un de l'autre, c'est les réduire à l'esclavage. -- Cette vieille
expression: "Se mettre la corde au cou", n'est-elle pas vraiment la
caractéristique de l'état réel des gens mariés?... Ce n'est pas
seulement la corde au cou qu'ils ont, ce sont des chaînes aux pieds
puisqu'ils ne sont plus libres d'aller où ils veulent; ce sont des
menottes aux poignets, puisqu'ils n'ont plus le droit de faire ce qui
leur plaît, sinon légalement, du moins en fait, car le moindre de leurs
actes est soumis au contrôle de l'autre.
LORET
Bravo!
BELVAL
Ah! je sais! les gens simples disent qu'à force de vivre ensemble, on
s'habitue l'un à l'autre... mais la plupart du temps, on s'y habitue
comme le malade à sa malacie chronique, ou le forçat à son boulet!...
Existe-t-elle... peut-elle exister même, cette parité de goûts,
d'idées, de facultés, qu'on prêche aux gens liés pour vivre
ensemble?... Non, elle n'existe pas, elle est impossible, car il y a
toujours un coin de l'âme, un repli de la pensée de l'autre qui vous
échappe...
BERTRANDE
Alors, quoi? Si vous supprimez le mariage.
PAUL
Vive l'union libre!
BERTRANDE
Eh bien! et la morale?
BARDICHON
La morale! Voilà donc le grand mot lâché!
MARTHE
Dame!
FRONTIN
Mais la morale actuelle est pétrie de tous les égoïsmes des siècles
passés. Personne ne la prend au sérieux.
BARDICHON
On ne la respecte pas plus qu'une promesse électorale.
(On rit)
FRONTIN
Elle n'est faite que de conventions et de préjugés.
BERTRANDE
Oh!
FRONTIN
Mais si... Tenez, un exemple que la morale est souvent immorale elle-
même. Vous trouvez ça bien que les enfants viennent au monde bâtards,
adultérins, naturels ou légitimes?
BARDICHON
Ils sont pourtant fabriqués tous de la même façon!
(Rires)
TOUS
Oh! oh!
FRONTIN
Oui, je trouve profondément immoral que dès leur naissance et pour
toute leur vie les enfants soient classés dans une catégorie rappelant
à chacun comment ils ont été faits.
ANDREE
Ca c'est vrai!
FRONTIN
Affaire d'habitude, vous voyez, puisque personne n'y fait attention...
Pour l'union libre ce serait la même chose... Les esprits vraiment
forts l'accepteraient d'emblée; les autres protesteraient un peu; mais
dans quelques années, personne n'y penserait plus.
MARTHE
L'union libre, l'union libre! c'est bientôt dit... Ca n'est pas
seulement la morale qu'il faut envisager... Il y a aussi les intérêts
des deux partis... les intérêts de la Société!...
LORET
Oh! la Société ne serait pas menacée. Il y aura toujours des
naissances.
MARTHE
Justement!... Quel serait donc le sort des enfants?... Quelle garantie
la mère aura-t-elle contre l'abandon ou l'indifférence possible du
père?... Quelle sécurité contre un lendemain aléatoire qui, sans
transition, peut la faire passer de l'aisance d'un foyer conjugal à la
misère de la femme délaissée, sans ressource, obligée de travailler
pour vivre, et n'ayant pas toujours le travail sous la main... (un
temps) Dans l'union libre, je vois très bien les avantages de l'homme;
je ne vois pas du tout ceux de la femme.
BERTRANDE
C'est juste!
FRONTIN
Aussi, l'union libre, telle qu'elle se présente aujourd'hui, sous les
traits d'amoureux un peu pressés, ou de caractères trop indépendants
pour se plier aux lois du mariage, ne me paraît pas suffisamment
comprise... Il faudrait la garantir...
LORET
La garantir?... Comment?...
BARDICHON
Par un contrat d'union libre qui ne serait ni le mariage ni le
concubinage... Et grâce aux contestations certaines en cas de rupture,
il y aurait encore de beaux jours pour les hommes de loi!
(On rit)
FRONTIN
La question a été envisagée tout à l'heure, sans résultat d'ailleurs...
Elle vient trop tôt!
LORET
Un contrat d'union libre?... (à Frontin) Et la forme de ce contrat?
FRONTIN
Un... simple engagement de l'homme vis-à-vis de la femme... Quelques
lignes sur papier libre... Deux noms et une date.
BARDICHON
Autrement dit: Obliger l'homme, par sa signature, à tenir quelques-
unes des promesses qu'il roucoule si facilement aux oreilles de la
femme avant... la chose!
PAUL
Heu!
BERTRANDE, applaudissant
Bravo! Ce serait un peu notre tour.
LORET
Oui, mais on serait deux, madame! A l'homme de ne pas promettre plus
qu'il ne pourrait tenir!
BELVAL
D'ailleurs, tous les êtres ne sont pas fatalement des dupés ou des
dupeurs... (regardant Andrée) Il y aussi des sincères.
BARDICHON
Avant, on est toujours sincère. C'est après, qu'on...
(On rit)
BELVAL
Oh!... (il s'approche d'Andrée qui travaille, et par dessus son épaule,
lui parle à part) Et vous non plus, Madame, vous ne croyez pas à la
sincérité de l'homme?
ANDREE, souriant, même jeu
Si... parfois...
(Ils continuent à causer à part)
LORET
Ce contrat d'union dont vous parlez, ne serait autre qu'un simple
contrat commercial appliqué au mariage?
FRONTIN
Ni plus, ni moins.
MARTHE
Passé pour toujours?
TOUS
Oh! non, pas pour toujours?
PAUL
Pour un temps déterminé?
FRONTIN
Parfaitement!
BARDICHON
Comme pour un bail!... L'homme étant le locataire destiné à habiter la
maison.
(On rit)
MARTHE et BERTRANDE
Oh!
LORET
Serait-il tenu, à l'expiration de son bail, de remettre à neuf
l'appartement?
MARTHE et BERTRANDE
Ah! ah! ah!
PAUL
Dame! les réparations locatives: papiers déchirés, plafonds défoncés,
sont généralement exigées.
MARTHE et BERTRANDE
Messieurs!...
BARDICHON
Faudrait des experts pour visiter les lieux en cas de contstations.
LORET
Hein! Bardichon, ça vous irait assez ce rôle-là?
BARDICHON
Pourquoi pas?... Le difficile serait d'évaluer les dégâts!
LORET
Oui! Et à qui payer l'indemnité?... Au propriétaire ou au futur
locataire? Lequel serait le plus lésé des deux?
BERTRANDE
Oh! assez...
MARTHE
Vous n'êtes pas sérieux!
PAUL
Peut-on l'être sur un pareil sujet?
FRONTIN, riant
Il est certain que si vous prenez la chose ainsi...
LORET
On ne peut pas la prendre autrement, Monsieur Frontin.
BARDICHON
Frontin a raison!... Le contrat d'union... c'est le rêve!
MARTHE
Le rêve!
BARDICHON
Essayez-en, vous verrez!
MARTHE
Je ne puis pas, je suis mariée!
BARDICHON
Eh bien! divorcez...
MARTHE
Oh!
BARDICHON
Vous ne voulez pas?
MARTHE
Jamais!
BARDICHON
Vous avez tort... Je vous aurais rédigé un chic contrat d'union.
LORET
Vous m'auriez fourré dedans, hein?
BARDICHON
Le plus possible.
PAUL
C'est d'un bon ami.
BARDICHON
A mes amis eux-mêmes, je préfère leurs femmes.
(L'horloge sonne 6 coups)
LORET
Hé! mais il est six heures... Marthe tu es prête?
MARTHE
Quand tu voudras.
ANDREE
Vous partez?
MARTHE
Oui, nous avons Provins et Tisseran à dîner ce soir.
ANDREE
Alors, je n'insiste pas pour vous retenir.
MARTHE
Oh! non, pas aujourd'hui... (à Bertrande) Tu viens avec nous?...
BERTRANDE
Je t'attends. (à Paul) Et vous, Monsieur Roux?...
PAUL
Je suis à vos ordres, Madame. (à Andrée) Ainsi, inutile de vous envoyez
de l'outremer?
ANDREE
Non, merci; j'en ferai chercher demain matin.
MARTHE, à Andrée
Bonjour, ma chérie!
ANDREE
Bonjour!
PAUL, à Marthe
Mes hommages, Madame.
MARTHE, à Belval
Au revoir, mauvais sujet.
BELVAL
Et pourquoi ce qualificatif?
MARTHE
Vos théories de tout à l'heure!... Je suis mariée, moi, et je défends
le mariage.
BELVAL
Alors, Madame, devant vous, je ne l'attaquerai plus.
MARTHE
Mais si, au contraire; c'est pour la forme que je le défends.
BELVAL, riant
Ah! bon!
LORET, criant à la porte
Dieu que les femmes sont bavardes!
MARTHE
Et les hommes impatients... Au revoir, tous!
ANDREE, la reconduisant
A demain!
MARTHE, sortant
A demain!
SCENE V
ANDREE, BELVAL, FRONTIN et BARDICHON
FRONTIN, à part, à Belval
C'est hardi, Belval, ce que tu as fait là!
BELVAL
Pourquoi?
FRONTIN
Parce que... (lui montrant Andrée, près de la porte) Elle est pétrie de
préjugés, cette femme-là. Tu ne crains pas que ça te nuise auprès
d'elle?
BELVAL
Je ne pense pas... Il y a trois mois, quand elle ne me connaissait pas
encore, alors que moi j'étais déjà pincé, c'eût été maladroit,
certainement. Mais à présent, dans cette intimité de sentiments qui
nous enveloppe... L'amour est contagieux, indulgent, et...
convainquant.
FRONTIN
Alors, tous mes voeux, mon cher... tu vas lui parler ce soir?
BELVAL
C'est mon intention.
FRONTIN
J'emmène Bardichon...
BELVAL
J'allais te le demander.
(Frontin va vers Bardichon, Andrée revient vers eux).
ANDREE, gaiement
Ils sont partis... Loret et Marthe se chicanaient encore.
BELVAL
Touchantes habitudes conjugales.
ANDREE
Au fond, ils s'aiment bien.
BELVAL
Oui! rien qu'au fond!
BARDICHON, à Andrée
Et nous aussi, ma chère amie, nous allons vous quitter.
ANDREE
Comment vous ne dînez pas ici?
BARDICHON
Pas ce soir, impossible.
ANDREE
Je vous aurais fait préparer un repas délicieux!... Et vous, monsieur
Frontin?
FRONTIN
Bardichon est un mauvais ami, madame, il m'a débauché...
ANDREE
Ah! une petite fête!... Je comprends que vous me sacrifiiez. Je ne suis
qu'une amie platonique, moi.
BARDICHON
Ne vous plaignez pas trop. Ce sont les mauvais sujets qui s'en vont.
Belval, l'homme sage par excellence, vous reste.
FRONTIN
Tu vas demain à la Chambre?
BELVAL
Qu'est-ce qu'il y aura?
FRONTIN
L'interpellation sur l'affaire Térescope.
BELVAL
Ah oui! j'irai sûrement.
FRONTIN
On s'y rencontrera.
BELVAL
C'est ça, à demain.
FRONTIN, à Andrée
Madame...
ANDREE, à Frontin
Monsieur...
BELVAL, au notaire
Bardichon...
(Frontin et Bardichon sortent)
SCENE VI
ANDREE, BELVAL
ANDREE
Vous êtes gentil de rester un peu à me tenir compagnie... Ils partent
tous de bonne heure, aujourd'hui: sans vous, j'aurais fini ma journée
toute seule.
BELVAL
Vous vous ennuyez quand vous êtes seule?
ANDREE
Oui... quelquefois... Je n'aime guère la solitude.
BELVAL
La femme n'est pas faite pour vivre isolée.
ANDREE
C'est vrai...
BELVAL
Alors, je suis le bienvenu ce soir?
ANDREE
Mais vous l'êtes toujours.
BELVAL
Je voudrais aujourd'hui l'être plus que jamais.
ANDREE
Pourquoi ça?
BELVAL
Parce que j'ai une requête... une prière à vous adresser.
ANDREE
Comme vous me dites ça!... Je vous suis acquise d'avance... qu'est-ce
que c'est?
BELVAL
Permettez-moi, d'abord, de m'asseoir là, tout à côté de vous.
ANDREE, précipitamment
C'est ça... je vais demander la lampe.
(Elle fait le geste de sonner)
BELVAL, arrêtant la main, en souriant
Non, je vous en prie... pas de lumière (gravement) C'est mieux... comme
ça... sans lumière...
ANDREE
Mais on n'y voit presque plus!
BELVAL
Justement... la demi-obscurité nous rapproche davantage... Je vous sens
là tout près de moi... nos paroles ont plus de forces murmurées que
dites... Nos yeux se rencontrent mieux, bien que nous les devinions à
peine...
ANDREE
Mais...
BELVAL
Non, ne m'interrompez pas... Depuis plusieurs jours, je voulais vous
parler ainsi; mais les choses les plus simples son quelquefois les plus
difficiles à dire... les mots se pressent en foule sur les lèvres et on
n'ose les murmurer... J'avais peur aussi... ce que j'ai à vous demander
va vous paraître si inattendu, si étrange... je craignais... je
retardais.
ANDREE, souriant
J'ai donc l'air bien terrible?
BELVAL
Non... pas trop! surtout quand vous souriez comme ça. Mais ce n'était
pas la femme elle-même qui me faisait peur en vous, c'était sa raison.
ANDREE
Sa raison?
BELVAL
Oui l'exécrable hérédité de principes moraux infuse en vous-même qui va
protester à mes paroles... repousser peut-être ma prière...
ANDREE
Vous m'effrayez... Qu'avez-vous donc à me dire?
BELVAL
Ceci tout simplement: depuis l'instant où pour la première fois je vous
ai vue vous avez fait naître en moi un sentiment que j'ignorais, un
sentiment délicieux par sa force et sa profondeur... un sentiment que
je crois partagé... je vous aime follement, ardemment. Andrée, voulez-
vous être librement ma compagne?
ANDREE, sans comprendre, lentement
Librement votre compagne.
BELVAL
Oui... librement.
ANDREE
Librement? (elle le regarde, soudain comprend) Ah! (elle se lève
brusquement) Vous aviez raison, je ne m'attendais pas à cette démarche.
BELVAL
Elle vous étonne?
ANDREE
Oui... je l'avoue!... cette déclaration...
BELVAL
Vous offusque?
ANDREE
Un peu.
BELVAL
Ecoutez-moi, Andrée... Comprenez que ce sentiment qui m'attire vers
vous et dont je vous fais l'aveu, est vraiment sincère... cette prière
ne peut pas être une offense... Nulle femme plus que vous n'est digne
d'être aimée, adorée...
ANDREE
Alors?
BELVAL, brusquement
Vous savez quelles sont mes idées sur le mariage...
ANDREE
Vous les avez développées tout à l'heure; mais je croyais à une
plaisanterie... à un emballement de romancier soutenant les thèses les
plus invraisemblables... quitte à les démolir, le lendemain.
BELVAL
Non. Ce n'était pas l'écrivain qui parlait, c'était l'homme... ces
idées ont toujours été les miennes. Elles le seront toujours...
ANDREE
Et vous en êtes imprégné au point de venir m'offrir, à moi, m'offrir...
comment dire... le collage, c'est le mot.
BELVAL
Non... L'union libre!
ANDREE
Mais c'est la même chose!
BELVAL
Nullement!... Entre le concubinage et le mariage officiel, il y a le
mariage libre où la volonté et l'amour suffisent à retenir les époux
l'un près de l'autre...
ANDREE
Distinction si subtile que vous ne pouvez l'invoquer... personne ne
l'accepterait... ou on est marié, ou on ne n'est pas... Et quand on ne
l'est pas, ça s'appelle le collage.
BELVAL
Ou l'union libre. Je ne vous supplie pas de devenir ma maîtresse mais
ma femme, c'est-à-dire une femme ayant tous les droits et tous les
devoirs d'une épouse légitime.
ANDREE
Comme l'union elle-même, ces droits et ces devoirs seront fictifs...
BELVAL
... Mais d'autant plus puissant que ces droits seront volontairement
reconnus et ces devoirs librement consentis... Aucune contrainte ne
vous forcera, vous à me rester fidèle, moi à vous protéger, tous deux à
nous aimer... Nous serons unis parce que tel sera notre bon plaisir et
quand nous nous donnerons mutuellement une preuve d'attachement, elle
sera d'autant meilleure et aura d'autant plus de valeur qu'elle ne sera
pas forcée...
ANDREE
Oui... je connais tous ces arguments contre le mariage au profit de
l'union libre... L'union libre!... Oh! ce mot me choque!... Vous avez
entendu ce qu'ils disaient tout à l'heure à ce sujet?
BELVAL
Des fous!... Frontin seul avait raison: l'idée du contrat d'union est
sublime. On a tort de le railler...
ANDREE
Sublime! quelle plaisanterie! Vous n'allez pas me le proposer au moins?
(Elle rit).
BELVAL
Si!... c'est justement ce contrat d'union qui marquerait pour nous une
différence entre l'union libre et la concubinage.
ANDREE
Le collage légalisé par l'enregistrement... Non, c'est trop drôle!...
Tenez, je ris; c'est plus fort que moi... Vous êtes amusant ce soir.
BELVAL
Et vous si jolie!... Encore plus jolie comme cela, quand vous riez.
Mais il s'agit de notre bonheur à tous les deux: il ne faut pas
plaisanter sur un si grave sujet.
ANDREE
L'idée du contrat d'union est assez plaisante.
BELVAL
A la surface. Et pourtant... (il se rasseoit auprès d'elle). En vous
demandant de devenir librement ma compagne il faut bien que j'envisage
entièrement la question... je dois prévoir l'avenir.
ANDREE, riant
Par un contrat d'union!
BELVAL, souriant
Par un contrat d'union... si petit, si minuscule que vous pouvez ne pas
le remarquer s'il vous déplaît.
ANDREE
Alors?... Quelle nécessité?
BELVAL
Scrupule d'honnête homme devant les évènements qu'il ne peut pas
toujours diriger... Ainsi votre carrière fatalement brisée...
ANDREE
Comment cela?
BELVAL
Mais oui... je serai très encombrant: il faudra que vous vous occupiez
beaucoup de moi... j'aime qu'on s'occupe de moi.
ANDREE
Quel grand égoïste!
BELVAL
Tous les hommes le sont... et puis c'est si doux de tenir toute la
place dans la vie d'une femme que l'on aime... (un temps) Je vous
parlais de votre carrière artistique brisée par cette union.
ANDREE
Oh! le côté matériel...
BELVAL
Si... je dois quand même... sait-on jamais, lorsqu'on s'embarque, le
lieu où l'on échouera... Ne vaut-il pas mieux prendre toutes les
précautions?
ANDREE
C'est-à-dire... prévoir les ennuis... la lassitude... la fin de notre
amour.
BELVAL
La rupture? Je n'ai pas envisagé la rupture, moi! Il ne m'a pas semblé
qu'un jour je pourrais cesser de vous aimer... qu'une heure viendrait
où je ne serais plus pour vous qu'un étranger... Je prévoyais les
enfants, la maladie, la mort; je ne pensais pas à la séparation... (un
temps) Ah! tenez! Il est pénible de débattre ces choses-là quand on
s'aime!... Bardichon s'occupera de cette question... Dites-moi que vous
voulez bien, que vous consentez à m'appartenir.
ANDREE
Librement?
BELVAL
Mais, oui! Librement!... sans que ce soit obligatoire!... Est-ce donc
si pénible de nous aimer simplement parce que nos deux coeurs se
désirent? et de nous appartenir tout bonnement parce que nous sommes
heureux d'être l'un à l'autre? Pas de contrainte, pas d'entrave, notre
volonté étant le seul lien.
ANDREE
Pas de frein, non plus.
BELVAL
Si: la crainte que chacun aura de déplaire à l'autre... frein beaucoup
plus puissant que le frein officiel. L'amour a-t-il besoin d'être
légalisé pour être sincère et durable? Quelle est donc la valeur d'un
sentiment qui n'a qu'un cachet d'état-civil comme garantie? Voyez, tous
les jours... le mariage n'est plus qu'un manteau déguisant la
polygamie... que d'immoralités commises sous ce manteau-là! Les
meilleurs ménages sont ceux qui ne sont pas mariés...
ANDREE
Mais comment sont-ils jugés par le monde?
BELVAL
Le monde? convention! C'est donc beaucoup plus moral de faire mauvais
ménage dans le mariage officiel que d'être très unis dans l'union
libre?
ANDREE
Ah! non certes! J'ai bien vu ça avec Pierson: Vous ne l'ignorez pas...
Tout le monde savait, chacun était au courant de notre existence
lamentable!...
BELVAL
Vous en avez souffert!
ANDREE
Enormément.
BEVAL
Et c'est pourquoi aujourd'hui vous doutez de tout... parce qu'un homme
vous a beaucoup meurtrie vous ne croyez pas à la sincérité d'un autre
homme.
ANDREE
Mais si... je n'élève pas un doute contre vos sentiments.
BELVAL
Pourtant, vous exigez des garanties, des garantis légales!
ANDREE
Je ne les exige pas.
BELVAL
Puisque vous repoussez mes idées!
ANDREE
Je les discute parce que j'ai peur qu'elles ne nous fassent atteindre
un but que nous ne cherchons certainement pas. Nous serons des parias
dans notre monde... j'entends dans celui qui aura été le nôtre jusqu'à
ce jour, car il nous faudra nous créer de nouvelles relations... Je
serai humiliée devant les autres femmes mariées légalement, elles, qui
affecteront vis-à-vis de moi des airs de supériorité... De votre côté,
vous souffrirez de sous-entendus, de silences, d'attitudes, de gestes
qui éveilleront votre susceptibilité... Nous serons les premières
victimes de notre indépendance parce que dans une société normalement
constituée d'usages et de lois, on ne peut vivre sans se plier à ces
usages et sans obéir à ces lois.
BELVAL
Avant vous, j'ai envisagé toutes ces choses que vous me dépeignez si
justement: mais elles m'ont paru bien infimes, comparées aux grands
avantages de l'union libre que je vous exposais tout à l'heure...Ah!
parbleu! ce n'est pas à n'importe quelle femme que je proposerais une
telle union... il y a des cerveaux qui ne savent se soumettre qu'aux
devoirs qu'on leur impose et qui ne sauraient s'en créer
volontairement. Mais à une femme ayant comme vous une intellectualité
très délicate, très supérieure, très loyale, je croyais pouvoir
demander un tel sacrifice... J'ai trop présumé de la force de mon amour
que je croyais partagé.
ANDREE
Monsieur Pierre!
BELVAL
... Quand on aime braiment, on ne raisonne pas, on ne calcule pas, on
ne découvre pas avant la lutte la carcasse de son rêve... vous prévoyez
tout, vous envisagez tout... si froidement... la calme raison à côté de
la folie!... De nous deux je suis le seul à aimer!...
ANDREE, très vite
Non! non!... (confuse) Ah! tenez, vous me faites dire... Je ne puis
pourtant pas vous laisser croire que je suis insensible...
BELVAL
Je ne demande qu'à être convaincu, du contraire... (se rapprochant
d'elle) Ainsi, c'est vrai?
ANDREE
Mais, oui, c'est vrai!... Si je résistais c'était à cause de nos amis,
du monde.
BELVAL, pressant
A leur opinion vous ne sacrifierez pas notre bonheur? Est-ce qu'il peut
exister des conventions assez puissantes pour nous séparer?... Vous
êtes seule maîtresse de vos actes... tous deux, nous ne sommes que des
passagers de la vie, libres d'être simplement et entièrement ce que la
nature nous a faits... Ayez donc le courage de dire qu'il faudra
renoncer maintenant à l'infinie douceur de nous aimer, de nous le
dire... de vivre ensemble... bientôt... toujours.
ANDREE
Je le devrais... j'ai tort... je ne peux pas.
BELVAL, il la prend dans ses bras
Ma chérie!... comme je t'aime!
ANDREE, faiblement
Oh! mon ami.
BELVAL
Je t'adore.
(Il l'embrasse)
RIDEAU
ACTE II
Le jardin d'une maison de campagne au bord de la mer en Bretagne. A
gauche la maison avec le perron. Au fond terrasse donnant sur la mer. A
droite une grille. Table et fauteuils au premier plan.
SCENE I
ANNAIC, HORTENSE
ANNAIC, enlevant les tasses posées sur une des petites tables, pour les
mettre dans un plateau.
Quelle idée de faire mettre le couvert sur la terrasse! Ca donne deux
fois plus de besogne...
HORTENSE
Bah! on ne dérange pas la salle à manger comme ça...
ANNAIC
On salit la terrasse et comme c'est moi qui la fais...
(Hortense sort emportant le plateau. -- Annaïc la regarde s'éloigner).
Elle parle pour elle, cette vieille chipie!!!
(Elle range les chaises)
SCENE II
ANNAIC, ERVOAN
ERVOAN, apparaissant à l'escalier de la terrasse
Annaïc! Il est là, l'patron!
ANNAIC, se tournant vers lui
Non, Monsieur est dans le parc, de l'autre côté. Si vous voulez le
rejoindre...
ERVOAN
C'est pas pressé... J'vais l'attendre.
(Il s'accoude sur le rebord de la terrasse).
ANNAIC
Vous v'nez de la mer, Ervoan?
ERVOAN
Oui. J'ai conduit le monsieur à la pêche.
ANNAIC
Le Monsieur arrivé, ici, hier soir?
ERVOAN
Oui... Monsieur Bardichon qu'y s'appelle, je crois... Nous avons causé
en route, il est brin fier, ça a l'air d'un brave homme.
ANNAIC
C'est un vieux finaud... il regarde les femmes d'une façon...
ERVOAN
Ah! il vous a déjà...?
ANNAIC
Tiens!
(Elle rit)
ERVOAN
Je comprends ça... Vous n'êtes pas du tout désagréable à regarder (se
rapprochant d'elle) Même qu'on aimerait assez... (il fait le geste de
la prendre dans ses bras).
ANNAIC
Dites donc, vous!
ERVOAN, insistant
Ben, quoi?
ANNAIC
Finissez... Si on nous voyait!...
ERVOAN
Qui? la patronne?... Elle est comme les autres, Madame!... Elle sait ce
que c'est... Il est probable que Monsieur n'se contente pas d'la
regarder à distance.
ANNAIC, riant
Ah! ah!... pardine!... même que...
ERVOAN
Il la serre de près, hein?... Ils sont gentils comme tout, les patrons!
ANNAIC
Ma doué!... gentils, peut-être, mais point très catholiques... Paraît
qu'y sont point mariés!
ERVOAN
Qui qu'ça y fait?
ANNAIC
C'est honteux!
(On entend monter l'escalier)
ERVOAN, lui faisant signe de se taire
Du monde!
SCENE III
LES MEMES, LE FACTEUR
LE FACTEUR, apparaissant au haut des marches
Le facteur!
ERVOAN
L'père Goziou!
LE FACTEUR
Salut, Legouanec.
ERVOAN
Comme vous passez tard, aujourd'hui!
LE FACTEUR
C'est samedi... les journaux à distribuer...
(Il cherche dans sa boîte)
ANNAIC, s'avançant
Il y a des lettres pour nous?
LE FACTEUR, même jeu
Toujours... Oh! ils m'en donnent une sacrée besogne, vos maîtres,
depuis qu'ils ont loué l'château... Tenez, tout un paquet pour eux. (Il
pose les lettres et les journaux; il s'éponge le front) Crédié! Qu'y
fait chaud!
ERVOAN
Ca cuit!
LE FACTEUR
J'suis en eau.
ANNAIC
Une bolée d'cidre?
LE FACTEUR
C'est pas de refus. Vrai de vrai! j'ai le dos roussi d'avoir grimpé la
sente.
ERVOAN
Le soleil tape, là-dessus.
LE FACTEUR
J'vous crois.
ANNAIC
Allez à la cuisine vous rafraîchir... Hortense va vous donner du cidre.
SCENE IV
LES MEMES, sauf le FACTEUR
ANNAIC, classant le courrier
Des journaux... Des lettres... pour Monsieur... pour Madame... (à
Ervoan) Ah! tenez! quand j'le disais. Regardez comment qu'elle appelle
la maîtresse: (lisant une enveloppe) Madame Andrée Delorme... (elle
hausse les épaules) Et lui, c'est Pierre Belval, vous voyez bien!...
ERVOAN
Et puis après?
ANNAIC
Ouais! C'sont point des gens sérieux.
ERVOAN
Parce qu'y s'sont passés du maire et du curé, qui qu'ça y fait?... La
place est bonne, le service n'est pas dur...
ANNAIC
C'est possible, mais chez nous, y veulent point que j'y reste...
ERVOAN
Chut! Madame!...
(Andrée apparaît sur le fond du perron)
SCENE V
LES MEMES, ANDREE
ANDREE
La courrier est arrivé, Annaïc?
ANNAIC
Oui, Madame, à l'instant.
ANDREE
Où est-il?... Donnez?... (Annaïck le lui passe. -- Elle descend le
perron en le consultant. -- Apercevant Ervoan) Vous avez conduit
Monsieur Bardichon à la pêche?
ERVOAN
Oui, Madame... Ce Monsieur y est encore. Le voici là-bas au bout des
rochers.
ANDREE
Très bien!... Vous attendez maintenant?
ERVOAN
Les ordres de Monsieur. Faut-il apprêter le canot, comme d'habitude?
ANDREE
Je ne sais pas, allez voir. Monsieur est aux écuries.
(Ervoan sort)
SCENE VI
ANDREE, ANNAIC, puis PIERRE BELVAL
(Andrée s'est assise et lit une lettre)
ANNAIC, à part
Elle est seule, c'est le moment... (toussant) Hum!... (à mi-voix,
approchant) Madame!... (plus fort) Madame!...
ANDREE, tout en lisant
Qu'est-ce qu'il y a?
ANNAIC
Voilà... c'est assez embarrassant... je suis désolée de faire de la
peine à Madame, mais c'est les parents... Ma mère a besoin de moi
auprès d'elle (Andrée cesse de lire pour la regarder) Elle m'a dit de
dire à Madame que je ferais encore l'autre semaine et qu'elle me
reprendrait... Si Madame veut chercher une autre servante...
ANDREE
Vous voulez partir? Nous quitter?
ANNAIC
C'est ma mère...
ANDREE
Elle vous retire? Pourquoi? (Annaïc fait un geste vague) Vous n'êtes
pas bien ici?
ANNAIC
Si, Madame.
ANDREE
Vos gages sont bons.
ANNAIC
Je ne dis pas non.
ANDREE
Vous plaignez-vous de la nourriture?... Le travail est assez facile...
ANNAIC
Ah! c'était une bonne place!
ANDREE
Alors, pourquoi?... (nouveau geste vague d'Annaïc) (Un temps) Vous
allez rester chez vous?... Vos parents ne peuvent cependant pas vous
nourrir à ne rien faire.
ANNAIC
J'ai une autre place d'arrêtée.
ANDREE
Ah! vous avez... (Un temps) Vous croyez que vous serez mieux ailleurs?
ANNAIC
Non, seulement...
ANDREE
Seulement?
ANNAIC
C'est les autres qui ont dit à ma mère... ils lui ont conseillé de ne
pas me laisser... Moi, j's'rais bien restée... Au fond, la chose
m'était égale.
ANDREE
Qu'est-ce qui vous était égal?
ANNAIC
D'être ici... chez vous, quoi!... C'était quasiment aussi convenable
que dans une autre maison...
ANDREE, surprise
Aussi convenable!
ANNAIC
Mais le monde jase. Ils disent que pour une jeunesse comme moi... c'est
pas sérieux... ça peut nuire...
ANDREE
Nuire à quoi?
ANNAIC
A ma réputation, pardi!
ANDREE
Je ne comprends pas. Expliquez-vous. Ma maison n'est pas convenable,
n'est pas sérieuse?
ANNAIC, pleurnichant
Moi, je ne sais pas, Madame. J'ai rien vu, moi!... C'est ma mère...
c'est les autres...
ANDREE
Eh bien! qu'est-ce qu'ils disent, les autres?
ANNAIC, même jeu
Ils disent...
ANDREE
Ils disent quoi?
ANNAIC
Ils disent que Monsieur et Madame ne sont pas mariés.
ANDREE, se levant brusquement
Ah! c'est ça!... C'est pourquoi votre mère! Ah! ah! (rire nerveux) Il
ne faut pas pleurer pour si peu, ma fille. Vous n'êtes pas perdue.
Votre réputation n'en souffrira pas, je l'espère... Vous partirez quand
vous voudrez... Ce soir même si ça peut rassurer les vôtres. Faites
votre paquet.
BELVAL, apparaissant sur le perron
Qu'y a-t-il? Pourquoi la renvoies-tu?
ANDREE, à Annaïc
Allez-vous-en!... C'est entendu, vous allez partir!
(Annaïc s'éloigne)
SCENE VII
ANDREE, PIERRE BELVAL
BELVAL, descendant les marches
Qu'est-ce qu'elle a fait?
ANDREE
Elle vient de me donner ses huit jours.
BELVAL
C'est elle qui veut s'en aller?
ANDREE
Ce sont ses parents qui la retirent... parce que nous ne sommes pas
mariés.
BELVAL
Hein?
ANDREE
Oui, c'est pour ça... Notre maison n'est pas sérieuse! Ce n'est pas
convenable pour une jeune fille de son âge de vivre chez nous... Le
monde blâmait sa famille, celle-ci s'est alarmée... Nous sommes un
danger pour l'innocente enfant.
BELVAL
Les imbéciles!... (un temps) Et c'est ça qui te met dans cet état?
ANDREE
Il y a de quoi!
BELVAL
Certainement, non! Une bonne de perdue, cent autres de trouvées. Avec
de l'argent, on a autant de serviteurs qu'on en désire.
ANDREE
Mais on les perd de la même façon... L'argent n'empêche pas l'opinion
publique de s'exprimer...
BELVAL
L'opinion publique, je m'en fiche!
ANDREE
Mais, moi, j'en souffre! Je n'ai pas ta philosophie.
BELVAL
Eh bien! c'est un tort, c'est vraiment dommage de se tracasser du
jugement des autres (un temps, doucement) Voyons, n'y pense plus ma
chérie. Laisse ça de côté... Hortense te trouvera une nouvelle servante
sans que tu aies à t'en occuper. S'il le faut, je l'arrêterai moi-même
et je poserai mes conditions.
ANDREE
Conditions qui n'empêcheront personne de monter la tête aux parents.
BELVAL
Bah! on verra bien. Au besoin, je la ferai venir de Paris, cette
bonne... Qui est-ce qui sera attrapé? Ce seront encore les gens
d'ici... Mais j'espère ne pas en être réduit à cette extrémité. Le pays
est charmant. Notre villégiature on ne peut plus agréable. Je serais
désolé de la voir troublée par des niaiseries pareilles. D'ailleurs, ce
n'est qu'une supposition. On est très aimable pour nous, on m'accueille
partout avec plaisir...
ANDREE
Toi peut-être.
BELVAL
Mais, toi aussi.
ANDREE
Oh!
BELVAL
Toi ou moi, du reste, c'est la même chose.
ANDREE
Illusion!
BELVAL
Ah! c'est fini, hein? (il l'embrasse) Assez sur ce sujet. (changeant de
ton) Le facteur est passé? Qu'est-ce qu'il y a aujourd'hui?
ANDREE, avec effort
Je n'ai pas achevé de parcourir mon courrier. Voici le tien. (elle
pousse vers Pierre un paquet de lettres. Belval prend une lettre et la
décachète). Bertrande m'a écrit... (elle tend la lettre à Pierre)
Tiens... Elle m'annonce son mariage avec Paul.
BELVAL, en parcourant
Ah! tout de même... Ils y ont mis le temps à se décider.
ANDREE
Deux ans, au moins.
BELVAL
Plus que ça! Quand nous nous sommes mis en ménage, il commençait à lui
faire la cour.
ANDREE
C'est vrai!
(Ils reprennent leur lecture)
BELVAL
Une invitation des Kermareck, pour une excursion en yacht... c'est pour
jeudi qu'ils m'invitent.
ANDREE
T'invitent!
BELVAL
Oui, m'invitent.
ANDREE
Eh bien! et moi?
BELVAL
Toi? (un temps employé à relire la lettre. Geste vague) Ils auront
oublié.
ANDREE, haussant les épaules
Encore une injure!
BELVAL
Que rien ne prouve. Cet oubli peut être involontaire.
ANDREE
Pas de leur part... Ce sont des gens trop posés pour commettre
involontairement une pareille gaffe.
BELVAL
Enfin, que veux-tu?... Je n'irai pas, voilà tout! (un temps) C'est
embêtant, c'était moi-même qui avais manifesté le désir de cette
excursion. (Il reprend la lettre, la relit). A bord du "Mimosa"... leur
nouveau yacht... (rejetant la lettre) Tant pis!... et celle-là?... Ah!
c'est pour toi... Madame Andrée Delorme... (il passe la lettre à
Andrée qui l'ouvre) Madame Andrée Delorme! Comme si, depuis trois ans
que nous sommes ensemble, tout le monde ne savait pas que tu as cessé
de porter ce nom.
ANDREE, en lisant
C'est le mien!
BELVAL
On ne te le donne plus... Quel est le méchant animal qui a signé cette
lettre?
ANDREE
Oh! l'animal...
BELVAL
Qui est-ce enfin?
ANDREE, hésitant
Mais... c'est...
BELVAL
Tu hésites?... (ironique) Je suis indiscret, sans doute?
ANDREE
Quelle idée! c'est de Madame Méribaut.
BELVAL
Cette vieille amie de ta mère?
ANDREE
Oui.
BELVAL
Elle ne m'ignore pourtant pas, celle-là! Elle connaît notre situation.
A cause de moi, t'a-t-elle assez sermonnée au début! (prenant
l'enveloppe). Cette suscription est mise à mon intention... une façon
de me dire que je ne compte pas!... pour me froisser!... (il chiffonne
l'enveloppe) Mais ça ne me froisse pas, tu sais! (il se met à arpenter
nerveusement la terrasse) Mon Dieu que les gens sont bêtes de se donner
tant de mal pour être inutilement désagréables!...
ANDREE
Tu lui prêtes des intentions...
BELVAL
Qui sont les siennes! (s'arrêtant devant Andrée) Je parie bien qu'elle
ne te charge pas de me faire ses compliments?
ANDREE, en souriant
Naturellement!
BELVAL
Si tu avais voulu rompre avec elle, aussi! J'ai bien cessé de voir ma
famille, moi!
ANDREE
Je n'avais aucun motif de rupture. Je ne dois pas, d'ailleurs, oublier
que lorsque ma mère est morte, alors que personne ne s'occupait de moi,
que j'étais seule, à 15 ans, pleurant auprès d'un lit funèbre, c'est
elle qui m'a soutenue, encouragée... En partageant ma peine, elle m'a
aidée à supporter les plus douloureuses minutes de ma vie, et ce jour-
là elle a acquis le droit de juger ma conduite.
BELVAL
Aussi, elle en abuse de ce droit! Voici trois ans qu'elle nous embête.
ANDREE
Oh!
BELVAL
Si tu veux, mettons qu'elle m'embête... effectivement, elle n'est
agressive que pour moi!...
(Bardichon gravit l'escalier de la terrasse).
SCENE VIII
LES MEMES, BARDICHON puis ERVOAN
BARDICHON, montant l'escalier
Ohé! ohé! Les amoureux!
BELVAL
Ah! Bardichon.
ANDREE, à part
Il tombe à point pour clore la discussion sur cette pauvre dame.
BARDICHON
Ouff!... votre escalier est d'un raide...
BELVAL
Oui, quand on n'a pas l'habitude...
ANDREE
La pêche a été bonne?
BARDICHON
Je vous crois... (ouvrant son panier) Regardez-moi ça: une vingtaine de
crevettes... et quelles crevettes, de vrais petits homards!
ANDREE
Et ça, là au fond, qu'est-ce que c'est?
BARDICHON
Ca, c'est la moitié d'un crabe.
ANDREE
Comment, la moitié?
BARDICHON, prenant le crabe par une patte, le montre
Oui... Sa capture n'a pas été facile... après un combat épique, mon
héroïque adversaire a laissé quelques pattes sur le champ de bataille.
ANDREE, moqueuse
Ah! superbe, le combat: Bardichon et son crabe!... Quel beau sujet de
tableau!... Ah! ah!...
(Elle rit)
BARDICHON, remettant son crabe dans le panier, d'un air vexé
Oui, riez... avec ça que c'est commode à prendre, ces sales bêtes-là!
(secouant sa main) Ca pince et c'est d'un crampon! Ca ne vous lâche
pas!
BELVAL
Parce que vous ignorez la manière de les attraper.
BARDICHON
Il y en a donc une?
ANDREE, riant
Parbleu!
BELVAL
Par la taille... comme les femmes!
BARDICHON
Ah! c'est par la taille? Demain, j'essaierai ce truc-là.
BELVAL
J'irai avec vous... Je n'ai pu le faire aujourd'hui à cause de mon
nouveau cheval...
BARDICHON
Oui, oui, je sais... Vous l'avez essayé?
BELVAL
J'en viens... une bête superbe... un peu nerveuse peut-être, mais d'un
bien joli modèle.
ANDREE, à Bardichon qui est resté chargé de tout son attirail
Vous n'allez pas garder tout l'après-midi votre attirail de pêche.
Débarrassez-vous.
(Bardichon pose filets et paniers)
Un cycliste sonne à la grille. Il est maigre, mal habillé. Hortense va
ouvrir et parlemente avec lui. Les personnages en scène l'examinent.
SCENE IX
LES MEMES, HORTENSE, LE JOURNALISTE
BELVAL
Qu'est-ce que c'est que cet oiseau-là?
BARDICHON
C'est un échassier!
(Ils rient)
HORTENSE, s'avançant vers Belval. A mi-voix
Monsieur c'est un journaliste.
BELVAL
Ah, bon! (la bonne s'éloigne) (à part) Classe des oiseaux de proie: se
nourrit de canards. (on rit) (Haut: au Journaliste) Vous désirez,
monsieur?
LE JOURNALISTE, s'avançant
Parler à Monsieur Pierre Belval, le grand romancier, le célèbre
dramaturge, l'illustre feuilletoniste, le...
BELVAL, l'interrompant
Bon! bon! bon! Alors c'est à Monsieur Pierre Belval que vous voulez
parler?
LE JOURNALISTE
Oui, monsieur.
BELVAL
Et qu'est-ce que vous lui voulez à Monsieur Pierre Belval?
LE JOURNALISTE, très important
Je viens au nom du Grand Bavard Breton lui poser quelques questions.
BELVAL, à part
Une interview: Je m'en doutais! (haut) Vous tombez mal, jeune homme:
celui que vous cherchez n'est plus là.
LE JOURNALISTE
Comment le grand, le...
BELVAL
...Célèbre, l'illustre, est absent depuis ce matin.
LE JOURNALISTE
Vous en êtes bien sûr?
BELVAL, riant
Parbleu!
LE JOURNALISTE
La bonne me disait tout à l'heure qu'il était ici.
BELVAL
Hortense ne sait pas.
LE JOURNALISTE
Cependant, elle m'affirmait...
BELVAL
Et si elle vous avait affirmé que le Président de la République sortait
d'ici?
LE JOURNALISTE
Mais je le lui ai demandé deux fois.
BELVAL, sérieusement
Elle ne vous a pas entendu. Elle est sourde, voyons.
(Bardichon rit)
LE JOURNALISTE
Ah! (un silence) C'est un contretemps très fâcheux.
BELVAL
Vous venez de loin?
LE JOURNALISTE
De Saint-Trégonnec... Trente-deux kilomètres... c'est une trotte!
BELVAL
Vous auriez mieux fait d'écrire.
LE JOURNALISTE
Mais s'il est parti?
BELVAL
Il rentre demain.
LE JOURNALISTE
Alors, demain, je puis revenir?
BELVAL
Non, il repart aussitôt.
LE JOURNALISTE
Si vite?
BELVAL
Il ne pose ici que le temps de lire son courrier.
LE JOURNALISTE
Ah! Et après?
BELVAL
Il repart, il revient... et toujours comme ça...
LE JOURNALISTE
Très curieux... (Il tire un carnet et un crayon de sa poche et écrit).
BELVAL
Qu'est-ce que vous faites?
LE JOURNALISTE
Je prends des notes... très intéressant ce que vous m'apprenez là... ça
fera mon article tout de même.
BELVAL
Ah! vous voulez un article!
LE JOURNALISTE
Dam! c'est embêtant d'être venu pour rien. (examinant autour de lui)
Ainsi, c'est là qu'il habite! c'est très chic, ici!
BELVAL
D'autant plus chic que cette maison ne lui coûte rien.
LE JOURNALISTE, intéressé
Comment cela?
BELVAL
Vous ne savez pas?... non! Tout le monde sait, pourtant! Il est très
pauvre... ses amis ont dû faire une collecte... heureusement qu'une
riche Américaine s'est éprise de lui. Elle lui a loué cette maison.
BARDICHON, riant
Oh!
LE JOURNALISTE, écrivant
Parfait! Parfait!
ANDREE, à part à Pierre
Voyons, Pierre, c'est insensé.
BELVAL
Laisse donc! ça m'amuse!
LE JOURNALISTE, cessant d'écrire
Il est marié, n'est-ce pas?
BELVAL
Trois fois.
LE JOURNALISTE, sursautant
Hein?
BELVAL
Il est Mormon... une religion qu'il a prise aux Etats-Unis.
LE JOURNALISTE, abasourdi
Vraiment?
(Bardichon et Andrée rient)
BELVAL
Comment, vous ignorez encore (dédaigneux) Vous ne savez donc rien?
Qu'est-ce que vous faites alors au Grand Bavard.
LE JOURNALISTE
Mais... au fait, je crois me rappeler... oui, il me semble... Je savais
déjà.
BELVAL
A la bonne heure!
LE JOURNALISTE
Loti est bien devenu Oriental... Chacun a ses idées!
BELVAL
Tiens!
LE JOURNALISTE, écrivant
Alors il est Mormon... aux Etats-Unis... trois femmes... (cessant
d'écrire) Bien, dites donc, il ne doit pas s'embêter, avec trois
femmes!
BELVAL
Je vous crois!
(Tous rient)
LE JOURNALISTE, serrant son carnet dans sa poche
Merci! je l'ai tout de même mon article!
BELVAL
Vous en avez assez comme ça!
LE JOURNALISTE
Oh! oui!... avec les descriptions de la maison... les détails sur la
vie... la religion de l'illustre écrivain... ça fera mes deux colonnes!
BELVAL
Je vous souhaite bon succès.
LE JOURNALISTE
Merci, monsieur... Permettez-moi de vous remercier d'avoir bien
voulu...
BELVAL
Mais non, mais non!... Ca m'a fait plaisir. J'adore les journalistes.
LE JOURNALISTE
Bien aimable!... Au revoir, Madame... messieurs.
TOUS
Bonsoir.
(Il s'éloigne vers la grille, reprend sa bicyclette et sort).
SCENE X
LES MEMES, sauf LE JOURNALISTE
ANDREE
Comment as-tu osé?... c'est fou!
BELVAL
Peuh! S'il fallait répondre à tous les journalistes en mal
d'interview!... (il se lève) Et maintenant Bardichon venez-vous avec
moi faire un tour de canot.
BARDICHON
Volontiers.
ANDREE
Vous allez encore me laisser seule.
BELVAL
Une demi-heure, à peine, le vent est bon. Nous n'irons que jusqu'aux
Roches-Noires. (Ervoan entre, aviron sur l'épaule) Justement, voici
Ervoan! (à Ervoan) Ca marche?
ERVOAN
L'embarcation est prête. Je suis aux ordres de monsieur.
BELVAL
C'est bien! Allez, nous vous suivons. (Ervoan descend l'escalier) (à
Bardichon) Vous venez, Bardichon?
BARDICHON, s'examinant
Mais ce costume... un peu négligé, hein?
BELVAL
Il est superbe! Si vous êtes à votre aise, c'est le principal.
BARDICHON, à Andrée
Alors, à tout à l'heure, ma chère amie. (Il va vers l'escalier,
négligeant de prendre sa vareuse).
ANDREE
Ne soyez pas trop longtemps... Nous dînerons de bonne heure.
BELVAL
Oui. Fais préparer un solide repas: le grand air creuse.
(Ils sortent)
(Dans le lointain, un biniou commence à se faire entendre).
ANDREE, penchée sur le rebord de la terrasse
Bonne promenade!
La voix de BARDICHON, qui s'éloigne
Merci.
ANDREE, un temps
Hein?... Vous avez oublié?... Ah bon!... Ne montez pas, je vais vous la
jeter... (Elle va vers la vareuse, la prend, puis la laisse tomber dans
le vide). Voilà... à tout à l'heure! (Elle agite un peu son mouchoir et
pendant quelques instants semble suivre des yeux le groupe qui
s'éloigne. Puis elle s'accoude rêveuse sur le rebord de la terrasse. Le
biniou se rapproche, Andrée prête l'oreille).
SCENE XI
ANDREE, HORTENSE, LE MENDIANT
(Hortense apparaît à une fenêtre du rez-de-chaussée. Le joueur de
biniou -- un vieux mendiant s'arrête derrière la grille. Il cesse de
jouer et se découvre).
ANDREE, appelant
Hortense! (Elle désigne le mendiant)
HORTENSE
Oui, madame (elle disparaît et descend le perron portant du pain et un
bol qu'elle présente au mendiant).
LE MENDIANT, après avoir bu
Merci, nitrou... Kénavo!
HORTENSE
Bonsoir.
(Le mendiant s'éloigne en jouant du biniou. Hortense rentre à la
maison. Andrée descend lentement, s'asseoit au premier plan, prend un
ouvrage, mais absorbée par ses pensées tristes l'abandonne aussitôt et
éclate en sanglots).
(Le biniou a cessé dans l'éloignement)
HORTENSE, descendant le perron
Madame... Les dames de Rumodu... Elles viennent d'arriver en voiture.
ANDREE, se redressant ennuyée
Ah!... Vous leur avez dit que j'étais ici.
HORTENSE
Oui, Madame.
ANDREE
Bien, je vais les recevoir. Faites-les passer par le salon.
(Hortense sort)
ANDREE, à part
Allons, allons, chassons toutes ces pensées... comme je me sens
nerveuse aujourd'hui!
(Elle arrange sa coiffure et s'avance au devant des deux dames qui
descendent le perron).
SCENE XII
ANDREE, MME DE RUMODU, BLANCHE, sa nièce
MME DE RUMODU, la main tendue vers Andrée
Madame Belval!
ANDREE, serrant la main à Mme de Rumodu
Chère Madame... (à Blanche) Mademoiselle Blanche...
BLANCHE
Madame...
ANDREE, à Mme de Rumodu
Combien je suis heureuse de vous voir... (la conduisant vers un
fauteuil). Quelle agréable surprise... (l'installant) Ici, tenez,
voulez-vous (d'un geste, elle désigne un siège à Blanche, puis
s'asseoit elle-même).
MME DE RUMODU, voix onctueuse
Nous n'avons pas voulu passer devant votre porte sans nous arrêter pour
prendre de vos nouvelles. Nous venons de Kerviou.
ANDREE
Le village un peu plus loin?
BLANCHE
Oui, dans la plaine.
MME DE RUMODU
Blanche a été voir une de ses amies de pension qui y villégiature en ce
moment... A propos, nous avons rencontré les propriétaires de
Kermareck... Je croyais qu'ils vous connaissaient?
ANDREE, simplement
Nous nous voyons quelquefois.
MME DE RUMODU
Mais vous n'avez pas de relations suivies avec eux?
ANDREE
Si... relations de bon voisinage.
MME DE RUMODU
Tiens! (elle échange un regard avec sa petite-fille qui sourit, très
légèrement). Madame de Kermareck à qui je parlais de vous tout à
l'heure me disait vous connaître très peu.
ANDREE, souriant
Naturellement! Il n'y a que deux mois que nous habitons le pays...
Cependant mon mari voit assez fréquemment Monsieur de Kermareck... il a
reçu encore de lui tout à l'heure une invitation à une excursion à bord
de leur nouveau yacht.
MME DE RUMODU
Vous irez?
ANDREE, un peu gênée
Non! nous ne pourrons pas... Nous avons justement, ce jour-là, des amis
qui viennent nous voir.
MME DE RUMODU
Je comprends... Et comment va-t-il Monsieur Belval?
ANDREE
Très bien, je vous remercie... Il est parti tout à l'heure, en canot,
avec un vieux notaire de nos amis arrivé de Paris, hier soir.
(A ce moment Annaïc traverse la terrasse dans le fond).
MME DE RUMODU, qui l'a vue, à Blanche
N'est-ce pas la petite Leguen?
BLANCHE
Oui, c'est Annaïc.
ANDREE
Vous la connaissez?
MME DE RUMODU
C'est ma filleule... Son père aidait autrefois mon jardinier et lorsque
l'enfant est née, il m'a priée de la nommer... J'ignorais qu'elle fût
placée chez vous. Vous en êtes contente?
ANDREE, gênée
Oui.
MME DE RUMODU, sans remarquer
Vous devez être, du reste, une maîtresse de maison assez indulgente...
Annaïc est une très bonne fille, très intelligente, je suis sûre, quand
vous retournerez à Paris, que vous ne voudrez plus vous en séparer!
ANDREE, délibérément
Elle va me quitter.
MME DE RUMODU
Elle va vous quitter?
ANDREE
Ses parents la retirent de chez moi!
MME DE RUMODU
Ah! c'est insensé! Et pourquoi?
ANDREE, après une légère hésitation
Parce qu'ils ont entendu dire que Monsieur Belval et moi n'étions pas
mariés.
MME DE RUMODU
Qu'est-ce que c'est que cette invention?
ANDREE
La vérité, tout simplement.
MME DE RUMODU, incrédule
La...? Ah non! ce n'est pas possible!
ANDREE, fièrement
Si madame. (Se levant nerveusement malgré elle). Bien que me
considérant autant qu'une épouse légitime, je ne suis pas légalement la
femme de Pierre Belval.
MME DE RUMODU, vivement
Vous n'êtes pas?... Ah! je ne savais pas... (suffoquée). Je ne savais
pas...
ANDREE
Vous me pardonnerez, madame... J'aurais peut-être dû vous le dire
plutôt, je n'y avais pas songé... Mon mari et moi sommes si fort
adversaires du mariage officiel et partisans de l'union libre, que
notre situation nous paraît absolument normale... Il a fallu que je
vienne dans ce pays, qu'une servante me quittât, pour que je voie une
différence entre mon ménage et les autres ménages... Je sais que tout
le monde n'a pas la même hauteur d'idées.
MME DE RUMODU, très froide
Oh! je ne vous blâme pas... loin de moi... chacun est libre. Il y a des
femmes charmantes partout... Je ne savais pas... j'ai été surprise tout
simplement... (Elle se lève après un geste de départ à sa compagne --
très hautaine) Nous partons. Vous m'excuserez, l'heure avance. Je ne
puis rester plus longtemps... (Sans tendre la main -- froidement) Au
revoir, Madame.
ANDREE, très troublée
Mais permettez, je vais vous reconduire.
MME DE RUMODU
Oh! nullement! Ne vous dérangez pas.
ANDREE
Si, si...
(Elles sortent. -- Pierre Belval et Bardichon montent l'escalier).
SCENE XIII
PIERRE BELVAL, BARDICHON
BARDICHON, à la cantonade
Quel escalier; jamais je ne m'habituerai à cette sacrée machine-là.
Vous grimpez ça comme un écureuil, vous!... Ouf!
BELVAL
Vous aviez hâte de rentrer; vous voyez que nous ne sommes pas en
retard: le couvert n'est pas encore mis.
BARDICHON
Il ne faut pas trop la délaisser, cette pauvre Andrée.
BELVAL, souriant
Comment, Bardichon, c'est vous qui me prêchez l'assiduité au foyer
conjugal? (Lui donnant une tape affectueuse sur l'épaule). Vous
vieillissez, mon cher!
BARDICHON
Mais, oui, je vieillis. Et vous aussi, Belval.
BELVAL, protestant
Ah!
BARDICHON
Un an chaque année, mon ami. Comme tout le monde!... (il s'asseoit) Ca
file très vite. Vous verrez quand nous serez comme moi...
BELVAL, allumant une cigarette
Mais, vous n'êtes pas si vieux, voyons.
BARDICHON
La retraite a sonné... l'heure des inutiles regrets aussi... Ah, si
j'avais votre âge!
BELVAL
Eh bien! qu'est-ce que vous feriez?
BARDICHON
Ce que vous avez fait: Je fonderais un foyer.
BELVAL, riant
Mais si j'en crois la légende il me semble que vous avez pas mal bâti
de foyers.
BARDICHON
Oui, mais je les ai démolis l'un après l'autre.
BELVAL
C'est qu'au moment vous aviez sans doute de bonnes raisons pour le
faire.
BARDICHON
Pour faire des bêtises on trouve toujours d'excellentes raisons.
(Andrée entre)
SCENE XIV
LES MEMES, ANDREE
ANDREE, qui a entendu les dernières paroles
Touchée!
BARDICHON
Hein?
ANDREE
Je dis que votre réflexion tombe à pic... Je me place à un point de vue
personnel. Ne cherchez pas.
BELVAL
Pourvu que le dîner n'en soit pas compromis.
ANDREE
Le dîner! il s'agit bien de ça.
BELVAL
Dis donc, j'ai une faim de loup, moi!
ANDREE
Je viens de donner des ordres en conséquence.
BELVAL, ironique
Déjà!
ANDREE
Oui, déjà! Je ne pouvais pas plus tôt, la marquise de Rumodu et sa
petite sortent d'ici.
BELVAL
Ah, bon! Toujours aimable, la marquise.
ANDREE
Aimable! (rire nerveux) Plus aimable que jamais! ah! ah!
BELVAL
Tu ne l'es guère en ce moment, toi, dans tous les cas... Qu'est-ce que
tu as?
ANDREE
Je suis énervée, voilà.
BELVAL
Tu n'as pas besoin de me le dire... et le motif de cet énervement?
(Discrètement, Bardichon remonte la scène et va s'accouder sur la
terrasse).
ANDREE
Toujours la même chose, parbleu! Parce que nous ne sommes pas mariés.
On me jette sans cesse cela à la figure... A toi, on ne dit rien. Un
homme! Tout est permis à un homme! Mais moi, c'est différent! Chacun se
trouve choqué dans ce sale pays!... Je fais scandale ici!...
BELVAL
Oh! une bonne... des cancans de valetaille, des potins d'office!
ANDREE
A midi, c'est une bonne; plus tard ce sont les Kermareck qui m'oublient
dans leurs invitations, qui disent ne pas me connaître quand on leur
parle de moi; ce soir, c'est une femme, une femme du monde qui,
apprenant ma situation, déguise à peine son dégoût.
BELVAL
La marquise?
ANDREE
Oui la marquise!... Elle est venue ici doutant, voulant savoir...
Quelle fuite, quand je lui ai eu dit la vérité!
BELVAL
Il ne fallait pas la dire.
ANDREE
La cacher, peut-être! Comme une coupable...
BELVAL
Mais non... la taire, tout simplement faire une concession à ses
principes... Autrement, parbleu! Je vois ça!... (il rit) Avec ses
préjugés, elle a dû en être renversée! ô mes aïeux!... quelle tête!
J'aurais voulu la voir... (nouveaux rires)
ANDREE
Oh! ne ris pas, va! Je suis assez énervée comme ça.
BELVAL, redevenu sérieux
Je ne vais pourtant pas pleurer!... Je t'ai déjà dit que l'opinion des
autres me laissait froid... (s'échauffant). D'ailleurs, qu'est-ce que
tu veux que j'y fasse! Je ne peux rien changer aux choses. Ce n'est pas
depuis hier que notre situation est établie; voici trois ans que nous
sommes ensemble! Tu as eu le temps de te faire à cette idée et je ne
m'explique pas pourquoi tu t'en froisses à présent...
ANDREE
Parce qu'on m'insulte, qu'on me met à l'index.
BELVAL
Eh bien, est-ce de ma faute! Pourquoi t'en prendre à moi et me faire
cette figure? Je ne t'ai pas trompée, ni prise de force. Tout a été
prévu, envisagé par nous. En acceptant la vie commune tu savais ce que
tu faisais et tu étais librement consentante.
ANDREE
Aussi, je n'en suis que moins excusable...
BELVAL
Andrée!
ANDREE
Oui, une fière bêtise que j'ai faite, alors.
BELVAL
Tu as des mots! un ton...
ANDREE
Ah! si c'était à recommencer.
BELVAL
Eh bien?... Dis donc, si tu regrettes?
ANDREE
Il est certain que j'en ai assez depuis ce matin.
BELVAL, éclatant
Et moi de trop! ça a assez duré ce potin-là!
BARDICHON, du fond, se tournant vers eux
Voyons! mes enfants! voyons...
BELVAL
Non, mais Bardichon, croyez-vous que c'est amusant. Je viens ici pour
me reposer, pour préparer de nouveaux travaux et il me faut supporter
des plaintes continuelles, des scènes ridicules comme celle-ci... Et ce
n'est pas la première fois... Déjà, il y a quinze jours... et toujours
pour le même motif.
ANDREE
Je t'ai demandé de quitter le pays.
BELVAL
Mais pourquoi? Je m'y plais beaucoup, en Bretagne; je m'y trouve très
bien.
ANDREE
Pas moi... (pleurant) Je suis très malheureuse, ici!
BELVAL
Malheureuse! Vraiment!... Alors tu es malheureuse, tu en as assez, tu
ne te plais pas là où je suis... dis-le!... Le remède est facile, tu
sais.
ANDREE
Le remède!
BELVAL
Mon Dieu, oui, le remède!... Nous ne sommes pas mariés, rien de plus
facile que de nous quitter.
BARDICHON
Sapristi, mes enfants! vous mettez tout de suite les choses au pire. Du
calme voyons!
ANDREE
Il l'est calme... Si le mot de séparation lui vient si vite sur les
lèvres, c'est qu'il y pense depuis longtemps.
BELVAL
Parfait! Cette scène que tu as toi-même fait naître, je la désirais, je
l'avais préméditée.
ANDREE
Tu l'avais prévue tout au moins.
BELVAL
Je pourrais te répondre, alors, que toi aussi tu as envisagé la rupture
et que tu cherches le premier prétexte pour me pousser à bout. Afin de
me quitter, de retourner à Paris. Loret et Frontin, tes flirts
habituels, te manquent sans doute!
ANDREE
Oh! l'injure!... Tu aurais pu m'épargner ce odieux soupçon. Quoi que tu
en dises, je n'y ai jamais donné prise: tu n'as rien à me reprocher.
BELVAL
Bah! Est-ce que je sais! Il y a commence ment à tout! Avec les
femmes...
ANDREE
Ah, c'est ainsi! Eh bien, j'y donnerai une suite... Cette idée de
séparation que tu as mise le premier en avant, je m'en empare... Oui je
partirai...
BARDICHON
Andrée!
ANDREE
Non, non, laissez, Bardichon!... Je vais partir... Je ne veux pas
rester avec Belval malgré lui.
BELVAL
Logique de femme! C'est moi qui la chasse, maintenant!
ANDREE
Calcul d'homme qui voyant arriver ce qu'il appelle en riant "l'échéance
de son bail" prend ses précautions pour ne pas le renouveler.
BELVAL
Oh! c'est infâme ce que tu dis là, Andrée... Retourner contre moi ce
contrat par lequel je mettais ton existence à l'abri de tous les
risques, me reprocher le délai de trois ans que Bardichon fixa lui-
même, à l'enregistrement, sans me consulter, c'est indigne!
ANDREE
A mon tour de te répondre: est-ce que je sais! Avec les hommes...!
BELVAL
C'en est trop! (il remonte vers la terrasse) J'en ai assez. Ah! certes,
oui, séparons-nous... Bonsoir. (Il allume une cigarette nerveusement).
SCENE XV
ANDREE, BARDICHON
BARDICHON, s'avançant vers Andrée
Ma pauvre enfant...
ANDREE, tombant dans ses bras en sanglotant
Ah! ah! Bardichon! Si j'avais su...
RIDEAU
ACTE III
Un salon luxueux. Beaucoup de fleurs partout. Deux portes de chaque
côté. Au fond une large baie laisse voir le vestibule où un ouvrier
monté sur une échelle double achève de poser un lustre. Marthe le
regarde travailler. Andrée range des bibelots sur la cheminée.
SCENE I
MARTHE, ANDREE, L'OUVRIER
L'OUVRIER, du haut de l'échelle
Là! ça y est!
MARTHE
Est-ce solidement attaché? Il ne faut pas que ça tombe sur la tête.
L'OUVRIER
Oh! pas de danger que ça dégringole, j'en réponds... (Il descend) Et
maintenant?
ANDREE
Tous les lustres sont posés?
L'OUVRIER
Oui, madame.
ANDREE
Avez-vous visité les portières de l'atelier?
L'OUVRIER
C'est fait, elles glissent bien à présent.
ANDREE
Alors, c'est tout.
L'OUVRIER
C'est bien tout... (il plie son échelle)
(Hortense entre les bras chargés de fleurs).
MARTHE
Je ne vois plus rien.
L'OUVRIER
Eh bien, bonsoir, mesdames.
ANDREE, MARTHE
Bonsoir!
(L'ouvrier sort, emportant son échelle).
SCENE II
ANDREE, MARTHE, HORTENSE
HORTENSE
Madame! Où faut-il mettre ces fleurs qu'on vient encore d'apporter?
ANDREE
Dans les jardinières de la salle à manger que j'ai dégarnies tout à
l'heure pour le buffet... Mais ne les serrez pas trop; s'il en reste,
vous les mettrez dans l'atelier.
HORTENSE
Bien, madame.
(Elle sort par une des portes de gauche).
SCENE III
ANDREE, MARTHE
ANDREE, se reculant pour juger de l'effet
C'est mieux comme ça, hein?
MARTHE
C'est superbe!
ANDREE
Ils peuvent tous arriver, maintenant, tout est prêt.
MARTHE
C'est d'un réussi: des fleurs, des lumières partout.
ANDREE
Je tiens à ce que la fête soit belle, je veux qu'on s'amuse beaucoup ce
soir.
MARTHE
Tu m'étonnes, tu sais! J'admire ton calme, ton indifférence, ta gaieté
même. Tu ris tout le temps.
ANDREE
Mon rire sonne faux?
MARTHE
Non, justement! il paraît naturel.
ANDREE
A la bonne heure.
MARTHE
Ce qui l'est moins, c'est la facilité avec laquelle tu acceptes cette
rupture.
ANDREE
Tu vois, pourtant...
MARTHE
Oui, je vois devant moi une petite personne bien sage, bien
raisonnable, mais je crois qu'elle en cache une autre qui s'efforce de
ne pas penser ou qui dissimule sa pensées, ses larmes peut-être, sous
un sourire.
ANDREE
Des larmes! Oh! tu te trompes.
MARTHE
Pourtant!...
ANDREE
Alors, tu voudrais me voir pleurer?
MARTHE
Non! certes, non! mais il n'est pas possible que tu n'aies pas de
peine... que tu ne souffres pas... Après trois ans, voyons... Tu l'as
tant aimé!
ANDREE
Eh bien c'est fini... voilà tout!
MARTHE
Non?
ANDREE
Si.
MARTHE
Tu me renverses!... Quand j'ai reçu il y a huit jours, votre invitation
à cette soirée... Que j'ai vu que vous vouliez vous quitter en fêtant
gaiement votre rupture, j'ai été toute bouleversée... Je croyais, moi,
à une brouille passagère d'amoureux.
ANDREE
Et tu es accourue?
MARTHE
Oui, pour te consoler, je croyais te trouver en larmes.
ANDREE
Et au lieu de ça?
MARTHE
C'est toi qui fus la plus brave.
ANDREE
Toi, tu étais navrée.
MARTHE
C'est vrai! Vous étiez si gentils tous les deux. J'espérais toujours
que ça finirait par un mariage.
ANDREE
Ah bah!... Mais, voyons, réfléchis un peu. Pierre et moi sommes deux
originaux; notre mise en ménage avec ce fameux contrat d'union le
prouve assez... Ce qui arrive aujourd'hui était indiqué. C'était
fatal... Bardichon fixa trois ans... comme pour un bail, tu te
rappelles, avons-nous assez ri!... nous sommes au bout du rouleau...
nous nous séparons, voilà!
MARTHE
Mais si gaiement.
ANDREE
Parbleu! Il faut finir joyeusement une liaison si bien commencée... tu
ne voudrais pas que notre rupture soit aussi lamentable qu'un
divorce... Merci bien! Où serait alors l'avantage du contrat d'union!
MARTHE
Enfin... Si c'est votre idée... Soit! Moi, ça m'a surprise parce que
rien ne faisait prévoir...
ANDREE
Tout arrive dans la vie... surtout les choses qu'on ne prévoit pas!
MARTHE
Malheureusement! (elle se lève) Mais, dis donc, je me sauve! Il est six
heures et je ne suis pas encore coiffée... c'est pour sept heures et
demie, hein?
ANDREE
Oui.
MARTHE
Tu es déjà prête, toi?
ANDREE
Presque... Je n'ai plus que ma robe à passer... Le coiffeur est venu à
deux heures.
MARTHE
Eh bien! A tout à l'heure.
ANDREE
A tout à l'heure. Et merci de tout ce mal...
MARTHE
Mais non, mais non... j'étais si heureuse de t'aider.
(Elle sort.)
SCENE IV
ANDREE, puis HORTENSE
ANDREE, inspecte un peu le salon puis elle appelle Hortense
Hortense!
HORTENSE, entrant
Madame!
ANDREE
Charvin a apporté les glaces?
HORTENSE
Oui, madame... les petits fours aussi.
ANDEE
Ah bon... Et est-on venu de chez Belloir.
HORTENSE
A l'instant. Tout est prêt.
ANDREE
Eh bien, vous allez m'aider à m'habiller... préparez ma robe.
(Hortense sort par la porte du pan de gauche qu'elle laisse ouverte).
HORTENSE, criant de la chambre
Madame mettra des bas assortis.
ANDREE
Naturellement! (elle se dirige vers la chambre, coup de sonnette) Ah,
on sonne! Qu'est-ce qui vient déjà?... Allez voir, Hortense.
(Elle sort)
HORTENSE, quittant la chambre
Mon dieu, madame qui n'est pas prête.
(Elle sort par la porte du fond et revient bientôt avec Bardichon).
SCENE V
ANDREE, BARDICHON, HORTENSE
BARDICHON, entrant, à Hortense
J'attendrai qu'elle soit habillée.
ANDREE
Qui est là, Hortense?
HORTENSE
C'est monsieur Bardichon. (Elle entre dans la chambre).
ANDREE, de sa chambre
Ah! c'est vous?
BARDICHON
C'est moi! Comment ça va?
ANDREE
Très bien, merci... Excusez-moi, mon pauvre ami, je passe ma robe... je
suis à vous dans un instant...
BARDICHON
C'est bon, c'est bon!... ne vous inquiétez pas, habillez-vous
tranquillement.
ANDREE
J'ai bientôt fini... (à Hortense) Hortense, vite! agrafez-moi mon
corsage... Attention à la dentelle surtout... Vite, vite!
BARDICHON
Mais ne vous pressez pas tant que ça, sapristi!
ANDREE
Là! ça y est!... mon collier... aïe! vous me pincez, maladroite! (elle
apparaît à la porte) Vous voyez, ce n'est pas long... (elle se retourne
vers la chambre) Rangez tout ça!
HORTENSE
Oui, oui, madame.
(Andrée entre en scène fermant la porte derrière elle).
SCENE VI
ANDREE, BARDICHON
BARDICHON
Peste, que vous êtes jolie, ce soir. Ca donne envie de vous embrasser.
ANDREE
Qui vous en empêche? (elle tend sa joue) Embrassez.
BARDICHON
Quoi, vous voulez...
ANDREE
Parbleu! où est le mal? Ne suis-je pas libre?
(Il l'embrasse)
BARDICHON
Pas encore... après souper seulement.
ANDREE
Quelle blague! Libre, je l'ai été l'instant même où j'ai quitté la
maison de Belval le lendemain matin qui suivait notre discussion...
BARDICHON
C'est-à-dire, il y a trois semaines.
ANDREE
Parfaitement. Ce dîner, cette fête, cette rupture officielle et joyeuse
ne sont que comédie... Ca ennuyait Pierre que je l'ai quitté la
première... il trouvait ça humiliant... Alors, pour sauver les
apparences... peut-être aussi pour couper court aux médisances, il a
imaginé ce petit truc-là; une fête pour célébrer l'échéance du bail,
pour consacrer officiellement notre séparation... (Elle hausse les
épaules) Cela fait pendant à la journée du contrat... Du pur
vaudeville.
BARDICHON
Mais, au fond, une idée excellente, généreuse...
ANDREE
Oh!
BARDICHON
Si. Je vous assure que Belval paraissait penser beaucoup plus à vous
qu'à lui-même en me chargeant de vous exposer ce programme... vous
l'avez vous-même compris en l'acceptant de si bonne grâce.
ANDREE
Cela m'était indifférent! Seulement, je n'avais pas de motif pour lui
refuser ce qu'il demandait... C'est pour lui que je l'ai fait. Ainsi,
tout à l'heure, Marthe m'interrogeait, voulait savoir... eh bien, je
lui ai répondu, je lui ai dit tout ce que vous m'avez dit, l'autre
jour... je répétais ça comme une leçon apprise par coeur.
BARDICHON
Elle s'en est aperçu?
ANDREE
Au contraire... elle admirait mon calme et mon indifférence...
D'ailleurs, elle avait raison, l'indifférence n'était pas jouée.
BARDICHON
Est-ce bien vrai?... Tout est bien brisé... bien fini?...
ANDREE
Radicalement.
BARDICHON
Alors, c'est grand dommage...
ANDREE
Non, mais qu'espériez-vous?
BARDICHON
Moi, rien... et pourtant! ça me semble tout drôle. Si vous saviez
quelle affection j'avais pour vous deux. J'étais habitué à vous voir
ensemble, si gentils, si aimants... Tenez, il faut que je vous dise...
Cette soirée, cette fête... eh bien... c'est moi...
ANDREE
Comment... Alors, ce n'est pas Pierre?
BARDICHON
Mais non. C'est moi qui lui ai fait comprendre.
ANDREE
Ah bien, si j'avais su!
BARDICHON
Il est trop tard... Vous avez l'air de m'en vouloir.
ANDREE
Non... pas trop... J'envisage seulement l'attitude que Pierre et moi
nous allons avoir l'un vis-à-vis de l'autre... C'était plus amusant,
autrement.
BARDICHON
Pardonnez-moi... je ne pouvais pas croire que vraiment vous ne l'aimiez
plus...
ANDREE
Après ce qu'il m'a dit... ce qu'il a fait. Songez qu'il n'a même pas
cherché à me retenir... Et depuis six semaines pas une visite, pas un
mot. Vous seul m'avez parlé de lui... Ah! je ne dis pas! Si tout de
suite, il avait cherché... car je l'avoue, les premiers jours, c'était
atroce, j'étais comme folle, il me semblait que jamais je ne pourrais
recommencer une autre vie... Même un soir j'ai voulu mourir...
m'empoisonner... du laudanum... je ne savais plus ce que je faisais...
c'est le portrait de ma mère sur la cheminée, dans ma chambre, qui a
arrêté le geste... (un temps) J'ai horriblement souffert, Bardichon!
(un temps) Maintenant, tout est cassé... son silence... son
indifférence... C'est fini!
BARDICHON
Irrévocablement?
ANDREE
Oui.
BARDICHON
Tant pis.
SCENE VII
LES MEMES, BELVAL
BELVAL, entrant
Bonjour.
ANDREE, se retournant brusquement
Ah!
BARDICHON
Bonjour.
BELVAL, après avoir serré la main du notaire. (A Andrée)
Pardonnez-moi d'entrer ainsi chez vous... Je n'ai pas dit à Hortense de
m'annoncer.
ANDREE
Oh! ça ne fait rien...
BELVAL
Je viens un peu tôt, mais j'ai tenu à arriver avant les autres... pour
jouer encore une fois le maître de maison.
ANDREE
Oui, je sais... Bardichon m'a expliqué... Asseyez-vous, je vous prie.
BARDICHON, se levant
Je vais vous laisser.
ANDREE
Mais, non, restez.
(Il se rasseoit, un long silence)
BARDICHON, embarrassé
Hum! Il a fait beau aujourd'hui.
BELVAL
Une belle journée, en effet.
ANDREE
Il a fait chaud...
(Nouveau silence)
BARDICHON, soudain
Ah! j'y pense! (à Andrée) Avez-vous le téléphone, ici?
ANDREE
Oui, pourquoi?
BARDICHON
J'ai à téléphoner à mon étude...
ANDREE
Eh bien, faites (désignant) Dans mon atelier, tout au fond du
vestibule. Voulez-vous que je vous conduise?
BADICHON
Non, non, ne vous dérangez pas, je trouverai.
(Il sort)
SCENE VIII
ANDREE, BELVAL
BELVAL
Vous êtes installée, maintenant.
ANDREE
Oui, complètement, depuis huit jours.
BELVAL
Vous avez dû avoir du mal... seule...
ANDREE
Non, pas trop, ça m'amusait... Marthe est venue pour m'aider, du reste.
BELVAL
Ah... Elle a dû être surprise... quand elle a su... notre rupture...
ANDREE
Oh oui, beaucoup! Elle était navrée, j'ai dû la consoler.
(Elle rit)
BELVAL
Ah! c'était vous...
ANDREE
Oui... Loret aussi est venu...pour aider le tapissier.
BELVAL
Enfin, à présent vous êtes tranquille, vous avez entièrement repris
votre vie d'autrefois?
ANDREE
Non, pas encore... cette soirée bouleverse tout, ici, mais c'est
l'affaire de quelques jours... Et vous, vous êtes resté longtemps en
Bretagne?
BELVAL
Je l'ai quittée deux jours après vous...
ANDREE
Vous êtes rentré à Paris?
BELVAL
Non, je suis allée en Touraine chez Cellier, puis dans les Vosges, chez
Mouzac... et avant de rentrer à Paris j'ai piqué une pointe vers
Biarritz...
Il n'y a que trois jours que je suis ici.
ANDREE
Ah, bah! vous avez beaucoup voyagé; il me semble que vous détestiez les
voyages, autrefois?
BELVAL
On change...
ANDREE
Bardichon ne m'avait pas dit...
BELVAL
Vous lui avez demandé?
ANDREE
Non, c'est vrai!... Et maintenant?
BELVAL
Maintenant, je vais rester à Paris... reprendre mes travaux...
ANDREE
Votre roman est fini?
BELVAL
Non; mon drame non plus, mais je vais bâcler tout ça, très vite.
ANDREE, vivement
Il ne faut pas, si ça allait être moins bien!
BELVAL
Tant pis. Je n'ai pas la tête aux travail en ce moment. Si ce n'étaient
les engagements pris ultérieurement je partirais... j'ai l'humeur
vagabonde depuis quelque temps.
ANDREE
Vous voudriez partir?
BELVAL
Oui, loin, très loin... Vous allez rire, il me semble que je vais
m'ennuyer cet hiver (il rit) Vous allez me manquer... l'habitude de ne
plus être seul.
ANDREE
Quelle idée... On s'y fait très vite vous verrez. Dans huit jours vous
n'y penserez plus.
BELVAL
Au fait, c'est possible, si j'en juge par vous-même.
ANDREE
Oh, moi!
BELVAL
Eh bien?
ANDREE
Vous aviez raison: j'ai repris très vite ma vie d'autrefois... Après
ces trois ans mon indépendance d'aujourd'hui m'amuse... ça me semble
nouveau... j'ai goûté un certain charme à revenir maîtresse de mes
actions.
BELVAL
Oh, je n'ai pas été bien tyrannique! Je n'ai jamais pesé sur votre
volonté. Vous étiez libre...
ANDREE
Certes!... mais vous savez combien je suis capricieuse, fantasque...
une drôle de petite nature, au fond.
BELVAL
Non. Tu étais... Vous étiez, très douce, très aimante.
ANDREE
Oh!
BELVAL
Si. Nous avons été très heureux ensemble... avouez-le... trois années
de vrai bonheur.
ANDREE
Peut-être (on sonne). On a sonné. Ce sont eux (elle écoute).
BELVAL
Déjà!
ANDREE
Non, c'est un fournisseur.
BELVAL
Je respire... j'ai eu un trac...
ANDREE
Pourquoi?
BELVAL
Parce qu'on est très bien comme ça... tous les deux... Il me semble
presque être encore à l'année dernière... il n'y a que l'appartement
qui me fait froid... (il se lève et regarde autour de lui) Je ne le
connais pas... C'est nouveau, il m'impressionne. On dirait que je suis
un étranger ici... Il faut que je fasse connaissance avec lui.
ANDREE
Vous voulez le visiter?
BELVAL
Ce n'est pas la peine. Indiquez-moi seulement. Qu'est-ce qu'il y a là?
ANDREE
La salle à manger
BELVAL
Bon... et ici?
ANDREE
Le fumoir.
BELVAL
Comment, le fumoir? Il n'y a pas d'homme avec vous?
ANDREE, souriant
Pour ce soir, seulement... les autres jours, ce sera la lingerie.
BELVAL
C'est mieux... Et là?
ANDREE
C'est ma chambre.
BELVAL
Ah! c'est là... (il hésite puis se dirige vers la chambre) Vous
permettez?
ANDREE
Vous voulez la voir?
BELVAL
De loin... pour comparer (il ouvre la porte) Ah! vous n'avez plus les
mêmes rideaux (se tournant vers Andrée) Pourquoi avez-vous changé les
tentures? Les autres étaient très belles.
ANDREE
J'ai voulu ne rien garder... Tout est nouveau dans cette chambre.
Examinez bien.
BELVAL, regardant
C'est vrai, tout est nouveau. Pourquoi?
ANDREE
Une idée à moi.
BELVAL
Alors... les autres meubles?... vendus... dispersés?...
ANDREE
Non, relégués... dans la chambre d'à côté.
BELVAL
Relégués... comme le passé... comme tout (il referme la porte).
ANDREE
Dame! Je me suis fait une vie nouvelle... entièrement.
BELVAL
Je vois ça... (un temps, brusquement) Et Frontin est-ce qu'il vient
souvent ici?
ANDREE
Non, jamais! je le verrai ce soir pour la première fois depuis mon
retour. Mais pourquoi cette question?... quel rapport?
BELVAL
Il n'y a pas de rapport, n'en cherchez pas! (il s'assied).
ANDREE
Qu'est-ce que vous avez? Vous êtes tout drôle.
BELVAL
Ne faites pas attention, ce n'est rien... Je suis patraque depuis
quelque temps.
ANDREE
Comment! vous êtes souffrant? Vous ne m'avez pas dit...
BELVAL
Je ne pensais pas que cela pût vous intéresser.
ANDREE
Oh!
BELVAL
Ne sommes-nous pas devenus deux étrangers l'un pour l'autre?
ANDREE
Si, certainement!... Néanmoins je serai toujours heureuse d'avoir de
vos nouvelles.
BELVAL
Vrai?
ANDREE
Sans doute! Etrangers nous le sommes entièrement dans le présent, dans
l'avenir... mais le passé...
BELVAL
Oui, le passé est là... on ne peut pas le rayer de son existence... ni
le changer, en faire un nouveau.
ANDREE
Malheureusement non, on ne peut pas (elle soupire).
BELVAL
Alors, Andrée... Si je te demandais de revenir?
ANDREE, se levant vivement
Oh, non! Ca, jamais! C'est fini! C'est fini!... Trop tard...
BELVAL
Tu ne veux pas?
ANDREE
Non, non! bien sûr!... Quoi qu'on en dise les raccommodements ne valent
jamais rien.
BELVAL
Si... on prétend que, souvent, c'est plus solide après qu'avant.
ANDREE
Je n'en crois rien.
BELVAL
On pourrait essayer.
ANDREE
C'est inutile, je n'ai plus la foi... c'est fini! entièrement fini!
BELVAL
Permets-moi seulement de venir ici, quelquefois?
ANDREE
Pour quoi faire?
BELVAL
Pour te voir, pour te raconter ma vie, pour connaître la tienne?
ANDREE
A quoi bon! Nos existences vont être totalement différentes à
présent... Nous avons bifurqué, nos chemins ne sont plus les mêmes.
BELVAL
Parce que tu le veux bien. Nous pourrions rester amis... Quand même,
malgré tout... C'était déjà beaucoup qu'il y ait entre nous une rupture
avec des regrets, des tristesses... pourquoi y mettre de l'amertume, de
la haine peut-être?
ANDREE
Non, ce que vous demandez n'est pas possible. Plus tard, vous le
regretteriez vous-même... ce serait flétrir nos souvenirs que de les
effeuiller ensemble. Quand on s'est aimé comme nous nous sommes aimés,
on ne peut pas faire pousser l'amitié sur les ruines de l'amour.
BELVAL
Vous avez peut-être raison... les choses mortes ne reviennent jamais,
mais je ne voulais pas croire que ce fût vraiment mort... j'espérais...
j'étais fou! Ah! maintenant je vois clair. Je raisonne, je n'hésite
plus (il se lève).
ANDREE, inquiète
Qu'est-ce que vous allez faire?
BELVAL
Ecrire.
ANDREE
Vous voulez écrire?
BELVAL
Oui. Vous avez ce qu'il faut?
ANDREE
Là... l'encre et le papier sur la table.
BELVAL
Merci... (il va à la table, s'asseoit et écrit).
ANDREE, à part
Il me fait peur! (haut) Quelle est cette lettre?
BELVAL
Un engagement... j'accepte les offres des directeurs du Grand
Journal... Ils m'ont demandé de partir aux Indes... pour des recherches
très importantes. C'est une proposition très avantageuse... sous tous
les rapports. J'étais insensé de vouloir refuser!
ANDREE
C'est loin, les Indes... Et ce serait pour longtemps?
BELVAL
Cinq ou six ans, je pense... Il faut remonter aux origines de ce pays
et de ses habitants, étudier les races, les religions, en refaire
l'histoire... C'est un travail immense!
ANDREE
Oui, ce sera long! Et vous acceptez?
BELVAL
Par cette lettre, oui (cachetant sa lettre) Là, ça y est!... (il se
lève) (il donne la lettre à Andrée) Voulez-vous avoir la bonté de la
faire porter.
ANDREE
Tout de suite?
BELVAL
Si c'est possible.
(Il descend la scène et s'asseoit sur le canapé. Andrée regarde Belval
puis la lettre. Elle hésite).
ANDREE, rejetant la lettre et allant à Pierre
Tu pleures?... Pourquoi pleures-tu? Il ne faut pas pleurer, Pierre.
BELVAL
Non, il ne faut pas; mais c'est malgré moi... C'est en vain qu'on se
raisonne... les plus forts ne sont pas maîtres... (il met la tête dans
ses mains).
ANDREE, très émue
Voyons, essuie tes yeux, je ne veux pas que tu pleures.
BELVAL
J'avais tant espéré...
ANDREE, s'asseyant près de lui
Eh bien n'y pensons plus... C'est fini!
BELVAL
Qu'est-ce qui est fini? La lettre est partie?
ANDREE
Non... elle est là... je n'ai pas pu.
BELVAL, prenant Andrée dans ses bras
Oh!... c'est bien vrai? Tu ne veux pas que je parte?
ANDREE, les larmes aux yeux
Non, c'est trop loin. Je ne veux pas que tu me quittes... je t'aime
toujours, moi!
BELVAL, joyeux
Oh ma Dédée! C'est vrai! bien vrai!... Tu ne m'en veux plus! Nous
n'allons plus nous quitter jamais, jamais!
ANDREE, pleurant sur son épaule
Non, jamais.
BELVAL, souriant
Ma chérie! (il l'embrasse) Tu ne voulais pas tout à l'heure. Tu me
repoussais...
ANDREE
C'était l'orgueil. J'aurais voulu me jeter dans tes bras et je ne
pouvais pas... Je me raidissais pour ne pas céder.
BELVAL, l'embrassant encore
Tu m'as fait souffrir, petite méchante.
ANDREE
Toi, aussi... là-bas... le matin quand je suis partie. Tu n'as pas
cherché à me retenir... tu es allé te promener pour ne pas me voir...
BELVAL
J'étais encore sous le coup de la discussion de la veille... Et tu as
eu de la peine?... beaucoup?
ANDREE
Si j'en ai eu! Dans la voiture qui m'emportait loin de toi, je
sanglotais... je criais de désespoir... Ah! comme je désirais que tu
coures après moi, que tu m'empêches de prendre le train, que tu me
ramènes... Ce que je m'en fichais, alors, des potins des Rumodu et des
Kermareck!
BELVAL
Et il m'aurait été égal alors à moi de quitter la Bretagne, comme tu me
l'avais demandé... Quel sale pays!
ANDREE
Alors, quand tu ne m'as pas retrouvée à ton retour?
BELVAL
Je ne croyais pas... je ne pouvais pas croire que tu fusses vraiment
partie... il y a avait en réalité si peu de motifs que je me disais:
c'est pour me faire peur... et je t'attendais... Quand j'ai compris...
Ah!... j'avais envie de me jeter du haut de la falaise... Bardichon ne
me quittait pas... il voyait bien... Au bout de trois jours, je suis
parti... Ca valait mieux... Si j'étais rentré à Paris et que tu m'aies
repoussé, j'aurais fait un mauvais coup, la jalousie m'aveuglait!
ANDREE
Oh!
BELVAL
Si... Tu ne sais pas combien je t'aime... je ne savais pas moi-même. Il
faut avoir souffert pour comprendre.
ANDREE
Oui, ça ouvre les yeux... cruellement.
BELVAL
Mais c'est fini maintenant... Nous allons être heureux.
ANDREE
Ne plus nous quitter jamais... la leçon a suffi.
BELVAL
Oui... je te veux complètement à moi... avec toutes garanties, cette
fois, (en riant) même légales.
ANDREE
Tu veux, toi?
BELVAL
Oui, j'ai compris... Je vois bien maintenant que l'union libre n'est
pas possible dans un monde comme le nôtre. Le contrat d'union n'est
encore qu'une utopie.
ANDREE
Alors?
BELVAL
Nous allons nous marier tout simplement
ANDREE
Mon Pierre...
BELVAL
Ma Dédée.
(Ils s'embrassent)
SCENE IX
LES MEMES, MARTHE
MARTHE, à la cantonade
Ne te dérange pas, Andrée. C'est moi et Loret (entrant, apercevant
Belval et Andrée) ô pardon.
ANDREE
Mais, non! Arrive donc...Il faut que je t'apprenne tout de suite la
grande nouvelle: Pierre et moi nous nous marions.
MARTHE
Comment!... c'est vrai? (elle va vers eux les mains tendues) Tous mes
compliments!... (à Andrée) C'était donc ça, petite cachottière!... Elle
ne se faisait pas de bile... ne pleurait pas. Je m'étonnais aussi...
Parbleu! elle se mariait.
(Dans le fond Bardichon et Loret apparaissent).
SCENE X
LES MEMES, BARDICHON, LORET
LORET
Qui est-ce qui se marie?
MARTHE
Tous les deux.
LORET
Vous vous mariez! Mais alors que faites-vous de vos belles théories?
C'est la faillite du contrat d'union!
ANDREE, joyeusement
Nullement! c'est sa glorification.
BELVAL
Il permet aux amoureux de s'apprécier, de se connaître bien, avant
l'engagement définitif.
ANDREE
Sans compter qu'il y a bien des chances pour que les époux, après un
stage comme le nôtre, n'aient jamais ensuite recours au divorce.
MARTHE
En effet! Ainsi le contrat d'union...
BARDICHON
Est le sentier qui conduit à la mairie.
RIDEAU
MONTIVILLIERS
Imprimerie du "Journal de Montivilliers"
H. RILLET
49, Rue Félix-Faure, 49
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To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation
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501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
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Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
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Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation
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increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
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