Le roman de Confucius

By Maurice Magre

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Title: Le roman de Confucius

Author: Maurice Magre

Release date: July 13, 2024 [eBook #74035]

Language: French

Original publication: Paris: Eugène Fasquelle, 1927

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE ROMAN DE CONFUCIUS ***






  MAURICE MAGRE

  LA LUMIÈRE DE LA CHINE

  LE ROMAN
  DE CONFUCIUS


  PARIS
  Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
  EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
  11, RUE DE GRENELLE, 11

  1927




EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR, 11, RUE DE GRENELLE, PARIS, 7e.


DU MÊME AUTEUR


  POÉSIES

  La Chanson des hommes                         1 vol.
  Le Poème de la jeunesse                       1 vol.
  Les Lèvres et le Secret                       1 vol.
  Les Belles de nuit                            1 vol.
  La Montée aux enfers                          1 vol.
  La Porte du mystère                           1 vol.

  Le Livre des Lotus entr’ouverts               1 vol.

  ROMANS

  Les Colombes poignardées (P. Fort)            1 vol.
  La tendre Camarade (P. Fort)                  1 vol.
  L’Appel de la bête (Albin Michel)             1 vol.
  La Vie amoureuse de Messaline (Flammarion)    1 vol.
  Priscilla d’Alexandrie (Albin Michel)         1 vol.
  La Luxure de Grenade (Albin Michel)           1 vol.


18-27.--Saint-Germain-lès-Corbeil.--Imp. Willaume.




IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

60 exemplaires numérotés sur papier de Madagascar.


Tous droits réservés.

Copyright 1927, by EUGÈNE FASQUELLE.




AUX HOMMES D’OCCIDENT


Hommes d’Occident, écoutez-moi! J’ai traversé des millénaires; j’ai vu
des planètes qui ont disparu et j’ai fait la première moisson quand la
terre était limoneuse et sortait à peine des eaux primitives.

Hommes d’Occident, j’ai appris l’écriture et l’art de composer des
livres avec des tablettes de bambou quand vous marchiez à quatre pattes
et mangiez la chair de vos morts.

Hommes d’Occident, j’ai cherché la vérité et je l’ai aimée avec mille
fois plus d’ardeur que vous, et s’il y a des joueurs de harpe, des
hommes qui comptent les étoiles et d’autres qui tracent des figures dans
la pierre, c’est à cause de la sueur que j’ai répandue.

Hommes d’Occident, vous vous enorgueillissez de vos navires et de vos
machines, de vos inventions et de votre Dieu. Il y a bien longtemps que
je transforme la matière de mille façons, et quand j’ai connu Dieu, je
suis demeuré immobile.

Hommes d’Occident, vous ignorez tout de moi, parce que ma science est
secrète et que ma sagesse se tait. Prenez garde au malheur que cause
celui qui révèle trop vite ce qui doit demeurer caché.

Hommes d’Occident, ne vous hâtez pas. Sur la montagne de Tai-Chang, je
me suis assis et j’attends. Je vous vois venir de très loin. Le sable
s’élève et retombe. Tous les peuples sont dispersés. La parole des sages
demeure.

Hommes d’Occident, écoutez les sages, les grands sages de l’antique
Chine. De leur vivant ils furent petits et nul ne sut qu’ils étaient les
sages. Car telle est la loi. La vérité est invisible et nous l’aspirons
sans la connaître.

Hommes d’Occident, la vérité est invisible mais elle est née sur la
terre jaune, elle a mangé le grain de riz, sommeillé sous le mûrier bleu
et nous la transmettons modestement. Hommes d’Occident, écoutez les
sages, les grands sages de l’antique Chine.




LA JEUNESSE DES SAGES




LE GARDIEN DE LA MAISON DE CONFUCIUS


En hiver, à la IIe lune de la 21e année du règne de Ling-Wang, dans le
montagneux royaume de Lou, sous le toit plat d’une petite maison de
bambous, naquit Khoun-Fou-Tseu, que les hommes barbares de l’Occident
appellent Confucius.

Tchang, le gardien de la petite maison de bambous, était occupé à
recoller sur la porte les images en papier des esprits tutélaires des
seuils, quand une servante lui confia l’enfant pour qu’il l’élevât vers
la naissante lumière du soleil.

Et Tchang, qui atteignit une extrême vieillesse et survécut à Confucius,
racontait plus tard aux pèlerins que le merveilleux enfant avait, en
apparaissant au monde, le crâne en forme d’amphithéâtre et qu’il s’était
incliné à plusieurs reprises avec une solennité calculée, pour exprimer
son amour précoce des révérences prescrites et des rites obligatoires.

Tchang racontait encore bien d’autres prodiges. Mais il les racontait en
riant parce que, malgré sa simplicité, Confucius lui avait enseigné les
vérités principales qu’il détenait.

Tchang savait donc que la raison est supérieure à toute chose, que le
monde se transforme sans prodiges, sans divine intervention, par la
logique des enchaînements.

Durant bien des années, il avait entendu, la nuit, marcher les diables
sur les collines boisées, et le serpent aquatique, Wei, respirer
tristement, au bord de la rivière. Il était délivré de ces craintes!
Plus d’amulettes contre les maléfices! Plus de suppliques aux âmes
errantes! Depuis longtemps il avait jeté les encombrants talismans qui
écartent les maladies. Quelle joie, après avoir passé pour stupide
pendant cent années, d’être un sage affranchi de superstitions! Quelle
grande joie vraiment!

Et à cause de cela, sa face qui ressemblait, malgré la vieillesse, à une
large citrouille lunaire, prenait parfois une expression de vide et de
désespoir. Car il savait aussi qu’il ne serait pas gardien d’une petite
maison de bambous dans l’inconnaissable royaume des morts et qu’il ne
reverrait plus jamais son maître bien-aimé, pourri maintenant entre les
quatre planches de son cercueil double, sous le tumulus couvert de
narcisses.




PRUNIER-OREILLE


Et cinquante-quatre ans plus tôt, dans le montueux royaume de Thsou, une
pauvre paysanne vieillissante était devenue l’épouse d’un paysan
grossier. Ils ne se connurent qu’une seule nuit, celle où la grande
comète parut sur le montueux royaume de Thsou, mettant des flammes
rouges et bleues sur le mica des rochers et faisant couler dans les
fleuves de larges traînées lumineuses.

Ils s’aimèrent dans le creux d’un sillon, durant cette resplendissante
nuit, et quand, au matin, la comète s’effaça, le paysan grossier rendit
l’âme.

La pauvre femme vieillissante s’en alla le long des chemins; de porte en
porte elle frappa pour se louer comme servante. Mais quand sa grossesse
fut visible, le maître pour lequel elle arrachait les mauvaises herbes
dans les rizières fut mécontent et la renvoya. Elle erra longtemps, au
hasard, misérable et sans nourriture. Et la nuit où la grande étoile
filante partagea le ciel en deux, le ciel du royaume de Thsou, elle
était assise sous un prunier et elle mit au monde un fils.

Les cheveux et les sourcils de l’enfant étaient aussi blancs que la
neige et son regard avait une étrange profondeur, à cause de la lumière
de l’étoile filante qui y était demeurée.

La mère donna à son fils le nom de l’arbre qui l’avait abritée. Mais
elle s’aperçut ensuite qu’il avait les lobes des oreilles fort allongés,
et elle l’appela Prunier-Oreille. Elle marcha avec orgueil, portant
l’enfant entre ses bras et le montrant aux gens qui passaient.

Et ce fut le peuple étonné des sourcils et des cheveux blancs de
l’enfant qui le nomma Lao-Tseu: vieillard-enfant.

Certes, tous les enfants ont l’air de vieillards par la grimace et par
les rides, mais celui-là seul avait les signes de la sagesse, celui-là
seul avait aux yeux la lumière de l’étoile filante, ear c’était Lao-Tseu
le divin, l’unique, celui qui était chargé d’apporter la vérité secrète
à la terre des hommes raisonnables et enfantins, laborieux et timides,
superstitieux et positifs, à l’immémoriale terre de Chine.




LES DEUX SAGES DE LA CHINE


Deux hommes sublimes sont venus presque en même temps dans la Chine
couleur de riz, et l’un est l’homme du pavot blanc et l’autre est
l’homme du pavot noir. Pourquoi deux hommes sublimes sont-ils venus
presque en même temps? Il serait plus sensé de demander pourquoi il y en
a des millions qui sont venus, dépourvus de toute sublimité?

Hélas! L’humanité est comme un escargot à qui il est ordonné de faire
dix mille fois le tour d’une montagne immense. La fin de la course est
si éloignée qu’il semblerait logique que l’escargot en prît à son aise
et qu’il cheminât sans hâte, laissant derrière lui sa traînée de bave.
Mais non, une loi singulière l’oblige à se tourmenter pour avancer
toujours plus vite.

Dans la Chine couleur d’argile poreuse il y a en ce moment deux maîtres
parce qu’il y a deux vérités, une qui s’élance directement vers le ciel
et une autre qui cherche son aliment dans la terre, une vérité idéale et
une vérité de la vie, une vérité du cygne sauvage et une vérité du chien
fidèle.

Et c’est pourquoi Lao-Tseu s’est assis sur la montagne et regarde
profondément en lui-même, et c’est pourquoi Confucius fait entendre sa
parole aux princes et recherche les honneurs pour que soit honorée, à
travers lui, la vertu qu’il représente. La vertu qu’il croit
représenter, car il n’est pas certain que la méditation du sage ne soit
pas seulement une forme philosophique de l’égoïsme.

Dans la Chine couleur d’orge pilé, deux vérités ont été entendues. Le
bourgeon continue à naître, les vapeurs continuent à monter dans les
canaux des rizières, le martin-pêcheur lisse toujours ses plumes sur le
saule, mais plus d’un lettré a laissé tomber son pinceau et a regardé le
ciel avec étonnement.

Car c’est un impénétrable mystère qu’il y ait le jour et la nuit, le
bien et le mal, la sagesse et la folie, le printemps et l’hiver, le côté
pile et le côté face; un impénétrable mystère qu’il y ait dans la Chine
couleur de safran l’homme du pavot blanc et l’homme du pavot noir.




LA MÈRE DE CONFUCIUS ET LA LICORNE


Les esprits raisonnables veulent en vain écarter le merveilleux des
événements de la terre. Ils disent que les grands hommes naissent à la
manière des autres hommes. Mais d’abord est-ce que tout n’est pas
merveilleux, même la simple naissance?

Le sous-préfet de la ville de Tséou, ayant désiré un enfant mâle, épousa
pour l’avoir une jeune fille bien élevée. De cette union sans amour
Confucius naquit. Les hommes ne réfléchissent pas à l’étrangeté du
phénomène qui fait naître un enfant vivant du rapprochement de deux
êtres dans le lit des époux, et ils s’étonnent de choses moins
étonnantes.

Le matin de la conception, Tcheng-Tsai, la jeune fille bien élevée,
descendait un petit chemin sous des canneliers, en proie aux pensées
convenables de surprise et de résignation que les nuits de noces
inspirent.

Une licorne sortit d’un buisson de genévriers et s’approcha de
Tcheng-Tsai. Elle s’approcha si près que celle-ci enroula un ruban de
soie à la corne unique de l’animal. Puis elle voulut la caresser, mais
la licorne s’enfuit légèrement et Tcheng-Tsai s’aperçut alors qu’elle
avait déposé à ses pieds une petite tablette de jade. Sur la tablette
était écrit: «Un enfant naîtra, pur comme le cristal, qui sera roi, mais
sans royaume.»

Et, en rapportant la tablette, en cheminant sous les canneliers,
Tcheng-Tsai s’émerveillait de ce présage et elle en tirait de la fierté.

Mais, comme elle avait du bon sens, elle s’en émerveillait bien moins
que de ce qui lui était arrivé pendant la nuit quand elle s’était
étendue à côté du sous-préfet de Tséou.

Et quand, neuf mois après, elle apprit que deux Dragons ailés avaient
enlacé sa maison durant qu’elle souffrait des douleurs de l’enfantement
et que les cinq Vieillards sacrés, esprits des cinq planètes du ciel,
étaient descendus dans sa cour pour s’entretenir des choses célestes,
elle détourna la tête et considéra son ventre, comme le symbole d’un
mystère vulgaire mais immense, mystère plus mystérieux que la présence
des deux Dragons ailés et des cinq Vieillards planétaires.




MONG-PI


Le sous-préfet de Tséou disait avec orgueil, avec force, avec gravité:

--Il ne me fut donné qu’un fils.

Mais il savait bien qu’il en avait deux.

La ville de Tséou s’étageait au flanc d’une colline. Les plus belles
maisons étaient sur la hauteur et, à mesure que l’on descendait, les
jardins étaient plus petits et les toits, au lieu d’être d’ardoise,
étaient faits de chaume tressé. Selon une rigoureuse prescription,
toutes les rues avaient, chaque cent vingt tche, une lanterne de papier
peint. Il n’y en avait qu’une seule qui n’avait pas de lanterne, c’était
celle qui avait le plus besoin de lumière, une rue mal famée, au bas de
la ville, qui se perdait dans la vallée.

Pour ce qui est de cette rue, le sous-préfet de Tséou négligeait ses
propres ordonnances, car régulièrement, quand c’était la nouvelle lune,
il s’y glissait furtivement à la tombée de la nuit, il la descendait
d’un pas rapide. Il préférait alors ne pas être vu et il avait donné des
ordres secrets à ses fonctionnaires de police pour qu’aucune lanterne
n’y fût allumée.

--Le mal, disait-il, doit rester secret.

A la faveur de ces ténèbres, les mauvais hommes s’assemblaient, ils
buvaient du vin de riz dans des boutiques enfumées, des femmes
s’accroupissaient devant les seuils, la misère, immobile durant le jour,
s’agitait et souffrait davantage en cherchant la joie dans l’ombre.

Le sous-préfet avait honte de lui-même; mais, pour la satisfaction de
son désir, une force aveugle le poussait à se rendre chez une pauvre
créature appelée Lu, qui lui donnait un plaisir aussi humble que sa
propre âme.

Et, après une longue succession des visites du sous-préfet, Lu mit au
monde un enfant. Il était un peu contrefait, laid de visage, avec une
certaine expression de stupidité. Mais Lu l’aima d’un immense amour.
Sous le voile de la laideur apparente, l’âme pure des mères perçoit la
beauté réelle qui est indépendante des traits du visage.

--O sous-préfet de Tséou, dit-elle, quand ce fut la nouvelle lune après
la naissance, voici l’enfant qui est né de toi et que j’ai appelé
Mong-Pi.

Et le sous-préfet s’indigna fort de ces paroles et s’en alla pour ne
plus revenir. Ce fut à partir de ce jour que la rue mal famée au bas de
la ville eut des lanternes de papier peint.

Le visage de l’enfant devint moins stupide à cause de l’amour de sa mère
qui s’y reflétait. Toute la journée Lu le tenait dans ses bras et quand
elle avait bu elle le déposait sur le sol. Et comme l’unique pièce
qu’elle habitait était à l’endroit où la rue faisait une pente raide,
l’enfant, qu’elle avait placé sur le côté élevé, roulait vers le côté
bas et se heurtait aux murs de bambou. Elle le replaçait aussitôt, et
plus elle le replaçait, plus il roulait. Il roula tellement qu’à la fin
il fut plus contrefait qu’avant et qu’il ne pouvait faire quelques pas
sans boiter de droite et de gauche. Mais les dieux qui protègent les
enfants misérables de la mort avec une sollicitude plus grande que les
enfants riches, lui garantirent toutefois la vie.

Lu était une humble femme. Mong-Pi fut un humble enfant. Le sous-préfet
de Tséou se détournait avec colère quand il les croisait dans une rue.
Jamais Mong-Pi n’osa s’approcher de lui. Parfois seulement il le suivait
de loin quand il se promenait dans la campagne et, le soir, il se
postait devant sa maison et il regardait s’allumer les lumières des
fenêtres.

Et le sous-préfet de Tséou était très irrité de cette ombre enfantine
qui suivait son ombre.

La nuit où naquit Confucius, la nuit où les Dragons ailés planèrent et
où les cinq Vieillards descendirent, Mong-Pi était assis sur le chemin.
Mais il ne vit ni les Dragons ni les Vieillards. Il perçut que Tchang
sur le seuil élevait au ciel un enfant.

--Puisse cet enfant-là, se dit-il, être posé sur un sol bien plat!

Et il s’éloigna en courant très vite.

Jamais plus il ne suivit dans ses promenades le sous-préfet Tséou.




LES SALUTATIONS DE CONFUCIUS


Durant toute son enfance le petit Confucius salua. Il salua les
tablettes ancestrales dans l’ombre du Miao imprégné d’encens; il salua
sa mère, sortant à l’aurore de sa chambre, imprégnée de lavande. Il
guetta son père devant la porte pour le saluer quand il rentrait,
imprégné de la poussière des rues; il observa afin de les imiter les
révérences que les personnes âgées se faisaient entre elles; il salua
dans la rue les gens qui passaient, quand ils avaient des broderies sur
leur robe; il salua ses camarades en jouant avec eux et il leur enseigna
des saluts; il salua les vieux cyprès pour leur majesté et leur
droiture, les jeunes roses pour leur parfum, les pierres pour leur
caractère solide, le ciel pour sa fluidité. Et quand il eut conscience
des pures qualités dont son âme se remplissait, il aurait voulu se
saluer lui-même pour honorer la vertu naissante.

Son père, le sous-préfet, mourut; il salua sa tombe. Des jours
difficiles vinrent; il salua la pauvreté. Puis il fallut s’instruire; il
salua l’école.

Modestie, application, douceur étaient ses attributs quotidiens. La
politesse lui apparaissait comme une sublime expression de perfection
humaine. Toutes les formes lui en étaient chères et la seule résonnance
du mot politesse l’emplissait d’une délectation idéale. Il trouvait tous
les usages respectables parce que c’étaient des usages. Tous les rites
devaient être célébrés parce que les rites font une chaîne qui ne doit
pas s’interrompre. Toutes les adorations étaient légitimes parce
qu’elles étaient anciennes. Mais il honorait avant toute chose la
convenance et la mesure, avec la réserve pourtant qu’il ne fallait les
honorer que d’une manière convenable et mesurée.

Vers quinze ans une habitude de prosternation avait légèrement incliné
son corps en avant. Son crâne avait perdu son étrange forme
d’amphithéâtre et s’était modelé normalement. Il avait un visage
régulier, des gestes un peu lents, une légère onction dans la voix. Une
buée voilait ses yeux et il baissait souvent les paupières afin
d’atténuer cette trahison du regard par où jaillit la sincérité, car il
savait déjà combien une sincérité excessive est inconvenante et
saugrenue dans les rapports des hommes entre eux.

Une renommée de piété filiale, d’amour de l’étude et du respect des
choses respectables s’était répandue autour de lui et, comme pour tous
ceux qui ont la renommée d’une qualité, cette qualité augmenta par
l’idée qu’on avait d’elle. Il interrompait quelquefois son repas pour se
jeter aux pieds de sa mère surprise. La consommation d’encens sur
l’autel des ancêtres devint telle que, pour y suffire, il alla vendre
certains bijoux qu’il jugeait méprisables parce qu’ils n’avaient pas de
caractère sacré. Il prit l’habitude, quand quelqu’un se présentait, pour
le voir, sur le seuil de la maison, de s’élancer à sa rencontre les bras
étendus et les agitant comme des ailes, pour lui montrer que, dans son
ivresse de politesse, il volait au-devant de lui.

Il tomba malade et fut obligé de se coucher la première fois qu’il vit
une comète dans le ciel, parce que cette singularité lumineuse
contrariait l’habitude, troublait l’ordre, interrompait l’harmonie...
Mais le troisième soir de sa maladie, il se leva précipitamment, sortit
de la maison malgré les prières de sa mère et gravit en courant la
colline qui domine Tséou afin de saluer solennellement la comète. Elle
avait disparu, et Confucius médita longtemps sur cette irrégularité
céleste, cette fantaisie du divin.




LE LIVRE SUPRÊME


Tout droit se tenait Lao-Tseu pendant que Confucius saluait, droit comme
le cyprès qui pousse, droit comme la pensée qui s’élève, droit comme la
conformation osseuse de l’homme.

Il avait été misérable dans son enfance; il avait gardé les troupeaux
dans les plaines désolées du royaume de Thsou; il avait erré sur les
routes, attendu aux portes des villes que le gardien soit endormi pour
entrer. Toujours il s’était tenu droit.

Il avait marché dans des déserts avec ses jambes de petit garçon, marché
de longs jours sans boire et sans manger. Et il avait aperçu dans la
tristesse des sables les formes silencieuses des Koei qui l’avaient fixé
avec leurs prunelles laiteuses, et tenté de le saisir entre leurs
antennes d’insectes. Il avait regardé ces démons en face et, sous les
nuages qui descendaient, au milieu des sables qui montaient, toujours il
s’était tenu droit.

Un marchand de buffles s’était mis à le haïr à cause de la bonté de son
âme et l’avait attaché à un poteau par une chaîne pour ne pas se séparer
de lui et le faire souffrir à son aise. Car si les bons attirent les
bons, si les mauvais attirent les mauvais, les parfaits attirent les
plus mauvais et exaspèrent le mal en eux. Mais, devant le marchand de
buffles et sous les coups de son bambou, toujours il s’était tenu droit.

Il avait connu avec l’adolescence la plus grande souffrance humaine qui
est de désirer s’instruire, de sentir son esprit comme une fleur
intérieure près d’éclore et de ne pas avoir les livres, les livres où la
connaissance est enclose et d’être rejeté parmi les hommes inférieurs,
loin de ce qui est beau et de ce qu’on aime. Mais même en regardant
par-dessus les murs, derrière les jardins taillés, les lettrés au grand
front lever leur pinceau et s’entretenir des choses divines, il avait
empêché son cœur d’éclater, toujours il s’était tenu droit.

Car, depuis le commencement du monde, c’est une loi inexorable. Celui
qui doit s’élever très haut, celui qui doit s’en aller très loin
commence sa peine dans les bas-fonds. Il faut qu’il fende la terre comme
le grain de blé, après y avoir pris sa substance. Il faut qu’il parcoure
les cycles inférieurs de l’homme, sans père et sans mère pour le
protéger. Il doit reconnaître lui-même, avec la pierre de touche de son
âme, ce qui est pur de ce qui est impur. Dans le monde changeant des
reflets, il doit chercher la vraie lumière qui, lorsqu’on l’a trouvée,
ne s’éteint plus. Il faut qu’il apprenne sans maître, qu’il trouve son
chemin sans guide. Il faut que la laideur soit son épouse, qu’il ait des
poux comme les mendiants, des soulèvements de la peau comme les galeux.
Toujours il doit se tenir droit.

                   *       *       *       *       *

A force de désirer lire les livres des hommes il arriva à lire un autre
livre qui était devant lui. Innombrables en étaient les caractères, mais
on pouvait les déchiffrer sans étude. Il lut le texte des nuages du
ciel. Dans l’antiquité des montagnes il souleva la poussière des
origines. Dans la fraîche jeunesse des herbes il fit craquer l’ode de
l’éveil. En marchant dans l’eau des rivières, il comprit que le monde
n’est qu’un miroir en mouvement.

Il apprit des secrets qu’on ne peut apprendre que lorsqu’on n’est pas
aveuglé par la science trompeuse des hommes. Dans le regard des animaux
il y a quelques-unes des grandes pensées qui forment le fond de la
vérité unique. L’aspect de certains végétaux, certaines manières que les
pierres ont d’être tristes lui enseignèrent qu’il n’y a que des
différences de forme et que toutes les vies sont de même essence, à des
points différents d’une course immense.

Et il lut tellement dans ce grand livre enluminé dont les feuillets
n’avaient pas besoin d’être tournés, que, lorsqu’il put à loisir se
pencher sur les tablettes de bambou attachées avec un fil de soie pour y
lire la science des anciens sages, il s’aperçut que, cette science, il
l’avait déjà lue, tracée en des caractères plus vastes, et que la seule
sagesse vraie est celle que l’on découvre soi-même.




LE PALAIS DES DÉLICIEUSES PENSÉES


A Lo-Yang l’empereur King-Wang, de la dynastie des Tchéou, possédait un
antique palais de pierre qu’il trouvait trop vieux et trop triste pour
lui servir d’habitation. Ce palais s’appelait le palais des Esprits de
la terre. Il y avait, à ses quatre points cardinaux, quatre grands blocs
de marbre noir sur lesquels le nom de Fo-Hi était gravé. Il était
entouré d’un jardin où ne croissaient que des buis et des cyprès.

De l’autre côté du fleuve Hoang-Po, face au palais des Esprits de la
terre, l’empereur King-Wang fit construire le palais des Délicieuses
Pensées, dont le toit était fait de tuiles bleues, les murs extérieurs
recouverts de faïences colorées et qui avait cinq terrasses superposées
en marbre blanc veiné d’azur avec des colonnettes légères comme des
étamines de fleurs.

L’empereur fit entourer le palais des Délicieuses Pensées d’un jardin
renfermant toutes les variétés de fleurs connues dans la Chine et même
des fleurs singulières rapportées d’Occident par des voyageurs.

Il fit parsemer ce jardin de kiosques délicats pour la rêverie et de
bassins de jade dallés de cristal pour la réflection du visage. Et ce
jardin était entièrement composé de bouleaux blancs et de citronniers
dorés.

L’empereur King-Wang avait rêvé dans sa jeunesse de ramener à
l’obéissance tous les rois feudataires de la vaste Chine et de rendre
l’empire puissant comme au temps des premiers Tchéou, ses aïeux. Mais,
par une inexplicable évolution, son esprit était devenu futile, un peu
plus futile chaque jour, et il ne pouvait plus s’occuper que
d’insignifiances et de futilités. Il se passionnait pour les querelles
des joueuses de luth, la qualité du papier des éventails, une forme
nouvelle des étuis pour les ongles. Il en était arrivé à avoir mal à la
tête par la seule vue des grandes lamelles de bambous où les rois
instructeurs avaient tracé le cérémonial, les hymnes religieux, les
chroniques des guerres et des travaux. Et il se couchait quand, par
mégarde, ses doigts avaient rencontré un livre sur une étagère, à cause
de la fatigue communiquée à son corps par l’occulte influence du livre.

De l’autre côté du fleuve Hoang-Po, dans le palais des Esprits de la
terre, derrière les sombres files de cyprès et l’amoncellement des buis,
il fit transporter les archives de l’empire, les livres sacrés, les
ouvrages des philosophes anciens pour ne plus les voir et n’en plus
entendre parler. Mais les grands lettrés de son entourage déclinèrent le
titre de gardiens des Trésors littéraires, pensant, s’ils acceptaient,
encourir une sorte de disgrâce et ne plus être admis à s’entretenir de
futilités avec leur maître.

L’empereur King-Wang connut la souffrance de l’hésitation. Cette
souffrance lui était particulièrement cruelle. Elle s’aggrava de
l’insistance que mirent quelques mandarins à obtenir de lui Une audience
promise depuis très longtemps. Il s’agissait de recevoir un homme d’une
grande sagesse qui vivait misérablement à Lo-Yang et qui s’appelait
Lao-Tseu. Cet homme, qui n’avait pas la culture des écoles officielles,
professait sur les origines du monde des idées personnelles d’une grande
profondeur. Ces mandarins allaient l’écouter souvent et l’admiraient
beaucoup. Ils pensaient dans leur zèle que l’empereur ne pouvait pas
ignorer un personnage aussi remarquable et être privé du plaisir de
l’entendre.

King-Wang était futile mais ne l’avouait pas. Il savait qu’un souverain
n’est grand que s’il favorise l’intelligence parmi ses sujets. Ainsi
avaient agi les Tchéou et avant eux les Tchang et avant eux les Hia et
tous ceux qui avaient gouverné la Chine depuis Hoang-Ti. Ainsi il
agissait lui-même. N’avait-il pas installé les livres dans l’antique
palais des Esprits de la terre? Il ne pouvait, pour le moment, accorder
l’audience à l’homme remarquable appelé Lao-Tseu. Une collection de
chenilles l’occupait entièrement. Mais il voulait honorer pourtant un
esprit qui s’était développé loin des écoles. Le poste de gardien des
Trésors littéraires était vacant. Il le donnait à ce sage. L’audience
était inutile. Il irait le visiter en personne à une époque non fixée. O
joie de s’occuper des chenilles, après avoir écarté la menace de deux
ennuis!




LE PALAIS DES ESPRITS DE LA TERRE


Quand Lao-Tseu pénétra dans le palais des Esprits de la Terre, le soleil
commençait à se lever. Il dorait la cime des cyprès, le cercle des buis,
l’eau du fleuve et, sur l’autre rive, le palais des Délicieuses Pensées,
au milieu de ses parterres, de ses vasques de jade, de ses passerelles
de jaspe, de ses tourelles d’argent ciselé. Plus loin la ville reposait
comme un océan de jouets coloriés borné de remparts, avec ses temples
plats à cinq façades, ses grands espaces vides pour les cérémonies
cultuelles et ses ponts bossus comme des chameaux de pierre.

Lao-Tseu considéra les salles profondes où étaient amoncelées les
feuilles de bois poli nouées de cordonnets, il fit jouer les ferrures
des coffres qui renfermaient les plus précieuses tablettes, il toucha
avec amour des rouleaux d’écorce, il en respira la poussière sacrée. Une
odeur de moisissure et de vieillesse s’élevait qui lui parut plus
enivrante que l’odeur des plus aromatiques vallées où le printemps fait
bouillonner la sève des végétaux. Tard se réalisait son rêve. Les
secrets qu’il avait tant désiré trouver dans les livres, il les avait
entrevus dans la buée de ses méditations. A présent, il savait
intérieurement ce qu’il allait apprendre. Car les rêves ne se réalisent
que quand on n’a plus besoin de leur réalisation.

Il était en présence des signes de la grandeur de l’homme, du verbe
transmis, de l’esprit de l’antique Chine. Il ne fut plus maître de lui.
Il ouvrit les bras pour saisir matériellement ce qui était spirituel. Il
prit des brassées de tablettes. Il les étreignit sur sa poitrine, il les
caressa de son visage ridé, de ses mains osseuses. Il se laissa tomber
sur les dalles. Il parcourut un livre, puis un autre. Il aurait voulu
tout lire à la fois. Il y avait des annales millénaires en caractères
anciens et des annales de peuples antérieurs aux Chinois en caractères
qu’il ne connaissait pas. Les livres sacrés de Yao et de Chun étaient
composés de plaques d’or vierge tellement nombreuses et pesantes qu’il
eut de la peine à les soulever. Il parcourut le livre où sont expliqués
les rapports qui existent entre notre planète et les autres globes
célestes, le livre des cinq règles immuables et des cinq devoirs, le
livre de Ta-Nao où sont les principes de l’arithmétique et de la
géométrie et le livre que l’impératrice Louï-Tseu, celle qui fut
surnommée l’Esprit des mûriers et des vers à soie, écrivit sur l’art de
filer et de confectionner des robes. Il parcourut les relations des dix
sages qui avaient accompagné l’empereur Mou-Wang dans son voyage au mont
Kouen-Lun que les Indiens nomment Mérou, ce qui le confirma dans son
hypothèse que toute science vient de l’Occident. Il toucha une plaque de
jade où l’empereur Fo-Hi avait tracé de sa main les huit premiers
diagrammes et des lamelles d’ivoire où étaient les dessins des danses
nommées Ta-Vou instituées par le quinzième empereur pour perpétuer la
beauté de la forme humaine. Et il y avait aussi des éphémérides de
villes, des énumérations de phénomènes météorologiques, des
reproductions de lunes et de comètes, des cartes d’îles de la mer
Orientale, des listes de génies et d’esprits et certains livres étaient
faits avec des métaux mystérieux, si minces qu’ils étaient translucides
et que les caractères avaient l’air d’y vivre comme des armées
d’insectes intelligents.

Sur les traits de Lao-Tseu qu’avaient durcis les privations et la
solitude descendit cette douceur que seule apporte le sentiment de la
reconnaissance.

Il se releva, il atteignit le seuil du palais de pierre et, regardant
par delà la ville les collines circulaires où s’étageaient les mûriers
bleuâtres et les pêchers couverts de fleurs roses, il dit:

--Je remercie les premiers nés des anciennes races. Avec patience, ils
apportèrent chacun un grain de connaissance au très pauvre grenier
spirituel. Ils ont constitué un grand trésor. Je le touche, je le vois,
je le possède. Mais la pierre précieuse, ineffable, celui-là seul peut
la contempler qui regarde intérieurement. Avec mes yeux sans paupières
je vais la chercher parmi les innombrables caractères des livres. Je la
trouverai peut-être. Si je la trouve, je ne pourrai pas la léguer.
Chacun doit la chercher et la trouver. Que les hommes reçoivent la
bénédiction de l’homme.

Alors il eut la confuse sensation de nombreuses présences autour de lui.
Il lui sembla que dans les allées de cyprès il y avait une lente
promenade de sages en méditation. Il ne distinguait ni leur visage ni
leur forme exacte, mais il était certain d’un passage grave de
personnages qui étaient vêtus de robes et se tenaient droits et pensifs
comme les cyprès et marchaient, invisibles, les bras croisés. Ces
personnages ne faisaient pas de bruit en foulant le sable, on
n’entendait pas leur respiration, mais ils laissaient derrière eux un
sillage de pensée.

Lao-Tseu demeura longtemps les yeux fixés sur le jardin où les gouttes
de rosée luisaient comme des milliers de perles. Puis les bruits de la
ville en s’élevant, le soleil en répandant une plus chaude lumière
dissipèrent cette illusion.

                   *       *       *       *       *

A la même heure, vêtu d’une robe de soie blanche, l’empereur descendait
les parterres de ses jardins et arrivait au bord du fleuve. Il n’avait
pas pu dormir, parce qu’il savait qu’à l’aurore deux ibis apprivoisés se
battaient en jouant dans les roseaux, et depuis la veille il avait
craint de manquer le moment de leurs ébats dont il tirait une joie
puérile.

Il aperçut, entre les buis et les cyprès, la silhouette de Lao-Tseu
debout sur le seuil du palais des Esprits de la Terre. Lao-Tseu le vit
aussi et quelques instants le sage et l’empereur, séparés par le fleuve,
se considérèrent à la clarté du soleil levant. L’empereur se détourna
vite avec ennui; mais, contrairement au plus élémentaire cérémonial,
Lao-Tseu ne se prosterna pas pour toucher la pierre de son front. Comme
il l’avait toujours fait, il continua à se tenir droit, droit comme les
Esprits de la Terre, les frères invisibles qui hantaient le vieux palais
des Livres.




LE MARIAGE DE CONFUCIUS




L’ENTERREMENT DE L’HUMBLE LU


Comme Confucius se tenait un soir devant la porte de sa maison, il vit
monter vers lui, par une des rues en pente qui gravissaient la colline
de Tséou, un étrange cortège funèbre.

Deux porteurs marchaient en tête, ayant sur leurs épaules un cercueil de
bois. Ce cercueil ne devait pas contenir un mort bien pesant, car les
porteurs avaient l’air de le porter sans effort et même l’agitaient
comme si ce n’avait été qu’une légère boîte absolument vide. Les
porteurs étaient suivis d’un groupe de femmes qui avaient des peignes de
couleur dans les cheveux et qui, sous le plâtre des fards et le carmin
des lèvres, semblaient porter des masques blancs tachés de sang.

Confucius reconnut des créatures de mauvaise vie, habitantes de la rue
basse de la ville.

Et il reconnut aussi, au milieu d’elles, deux danseurs de corde, une
vieille mendiante qui, depuis des années, tendait la main à la porte du
Nord, et un grave maître de Feng-Shui qui pratiquait les arts
divinatoires pour quelques sapèques. Il pensa que c’était une prostituée
que l’on enterrait, car les seules cérémonies mortuaires qui puissent se
dérouler la nuit étaient celles des prostituées. Du reste, il distingua
sur le cercueil le cordonnet emblématique auquel était suspendu un
disque de cuivre portant l’empreinte du sceau royal et cette sorte de
diplôme qu’il avait vu rédiger souvent par son père le sous-préfet et où
il était mentionné que la titulaire exerçait la profession de
prostituée.

Il allait à la hâte rentrer et refermer vivement sa porte quand il fut
retenu par l’énormité de l’inconvenance qui frappait sa vue.

Un personnage caricatural et contrefait marchait derrière le cercueil en
s’appuyant sur le bras d’un des danseurs de corde. Il était vêtu d’une
robe blanche de deuil, mais cette robe, trop longue et trop large, lui
avait été visiblement prêtée et était une robe de femme, une sorte de
chemise d’intérieur. Ce personnage, dans lequel Confucius ne reconnut
pas tout de suite le méprisable Mong-Pi, avait les yeux rouges et le
visage couvert de larmes; mais, parfois, il s’arrêtait, il faisait une
grimace, poussait une sorte d’affreux éclat de rire et dessinait en
boitillant derrière le cercueil une gambade grotesque. Puis il se
tournait vers les danseurs de corde, vers le maître en art divinatoire,
vers la mendiante et les autres femmes et il les incitait de l’œil et du
geste à l’imiter.

Les danseurs faisaient un saut, la mendiante levait sa béquille, le
grave maître de Feng-Shui balançait sa tête de droite et de gauche et
les visages fardés montraient l’ivoire des dents et écarquillaient les
prunelles de façon plaisante ou dramatique.

Confucius était immobile sur son seuil comme la statue de la vertu
désapprobatrice.

Mais, en l’apercevant, Mong-Pi saisit le pan de sa robe blanche et, le
déployant, il s’élança tout près du cercueil et se mit à crier:

--Ne regarde pas de ce côté! Ne regarde pas sur la droite!

Et il avait l’air de vouloir cacher, à la légère morte que ballottaient
les porteurs, la maison de Confucius et Confucius scandalisé.

Comme il marchait à reculons et qu’il n’était pas solide sur ses jambes
d’infirme, il glissa et tomba dans une profonde flaque de pluie en
faisant autour de lui un jaillissement d’eau. Le jaillissement d’eau
éclaboussa les porteurs du cercueil et l’un d’eux le reçut au visage. Il
eut un mouvement de recul et le cercueil glissa de son épaule et tomba.

Il s’ensuivit des cris et une grande confusion.

Les danseurs relevèrent Mong-Pi, dont la robe blanche était souillée par
la boue. Les femmes entourèrent le cercueil qui s’était décloué dans sa
chute.

Et alors, durant quelques secondes, Confucius fut témoin d’une
singulière apparition. Toute menue, presque aérienne, il y avait une
petite femme droite et séchée entre les planches de sapin disjointes. La
mort avait paré son visage de la pureté du marbre et de l’orgueil des
statues. Tout le monde fut impressionné par la grandeur qui se dégageait
de sa forme étroite. C’était la prostituée Lu qui, ayant été une humble
créature toute sa vie, trouvait dans ce crépuscule, parmi les flaques de
pluie, l’unique attitude royale que les hommes devaient connaître
d’elle.

La nuit acheva de descendre. Le cortège reprit sa route. Confucius
demeura immobile sur la porte de sa maison. Il interrogea, au sujet de
cette scène incompréhensible, un homme qu’il connaissait et qui passait
sur la route.

--C’est le pauvre Mong-Pi, dit celui-ci, qui enterre sa mère Lu. Elle
vivait de prostitution et était très misérable. Elle n’avait pas de plus
grande joie que de voir son fils faire des grimaces et des farces avec
d’autres vauriens comme lui. Alors Mong-Pi, qui aimait sa mère, a voulu
que son esprit soit égayé une dernière fois avant qu’elle reposât sous
la terre. Quand votre père était sous-préfet, il n’aurait pas permis un
tel scandale. Tout va plus mal qu’autrefois.

Confucius leva les yeux au ciel. Il vit l’étoile Ki qui brillait à
travers d’épaisses nuées d’orage. Ainsi, comme l’étoile Ki, la piété
filiale pouvait briller, au milieu des nuages de la grossièreté, dans le
ciel de l’âme.




LE BLEU DE L’ÉTOILE KI


Confucius s’éveilla, une nuit, en sursaut. Il s’assit sur son séant et
il se demanda la cause de ce réveil, car il dormait d’ordinaire
profondément comme ceux qui se portent bien et n’ont rien à se
reprocher. Il y avait une tempête qui faisait gémir les toitures et
s’engouffrait avec un grand bruit dans les rues en pente de la ville de
Tséou.

Mais ce n’étaient pas les éclats du tonnerre et le ruissellement de la
pluie qui avaient éveillé Confucius. C’était une bizarre voix humaine
qui venait de la partie haute de la colline, au-dessus de sa maison.

Confucius pensa que l’inconvenance qu’il y avait à crier à pareille
heure sur la colline provenait peut-être de quelque détresse qu’il était
convenable de secourir. Il se leva donc, s’habilla, prit une lanterne et
sortit.

La voix provenait de cet endroit du chemin où, entre des genévriers
sauvages, Confucius avait remarqué, quelques jours auparavant, le tertre
d’une tombe nouvelle. Il s’était arrêté devant cette tombe et il avait
lu le texte gravé sur la tablette de bois où l’esprit du mort était
censé venir se poser:

--Lu, la très gracieuse, la très humble, la très désintéressée, qui
aimait toutes choses et tout le monde.

Confucius distingua une silhouette près du tertre et, à sa démarche
boiteuse, il reconnut Mong-Pi. Sa chemise blanche était tellement collée
à lui par la pluie qu’il semblait nu. Il agitait un bâton d’une manière
menaçante et il clamait d’une voix terrible:

--Allez-vous en! Encore plus loin, ou malheur à vous!

Et il faisait le geste de frapper des êtres invisibles. Puis il se
précipitait à quatre pattes devant la tablette et, avec un accent
empreint de douceur et de tendresse, avec un accent de consolation, il
murmurait:

--Tu n’as plus rien à craindre. Ils sont partis. D’ailleurs je veille.
Va, dors en paix, maintenant.

Confucius sentait des ruisseaux descendre dans son cou et le glacer,
mais il avait chaud au cœur. Il devinait pourquoi Mong-Pi était là, le
sens de ses cris et de sa sollicitude. Sans doute, quand elle vivait, sa
mère avait peur de l’orage dans sa petite maison de la rue basse. Alors
il avait pensé qu’elle devait avoir bien plus peur encore, solitaire
sous le tertre mélancolique, près des genévriers. Il était venu la
garder des mauvais esprits qui circulent avec les vents.

Confucius eut un irrésistible élan vers ce jeune homme dont la vertu
filiale rachetait la mauvaise existence. Il s’avança vers lui, souleva
sa lanterne pour être reconnu, puis, lui tendant les bras, il lui dit:

--Mong-Pi, à partir de cet instant, je veux que tu sois mon frère.

Mong-Pi le considéra avec surprise, il gratta sa tête ruisselante et
répondit:

--Frères? Mais nous l’avons toujours été.

Et il recommença à frapper l’espace de son bâton, à menacer les ondées
de la pluie, à rassurer la tablette de bois où devait grelotter l’humble
présence maternelle.

Confucius resta perplexe de cette réponse dont le sens lui était
mystérieux. Et, en redescendant le chemin pour rentrer chez lui, trempé
jusqu’aux os et soudain gelé, il songeait que la manifestation de la
vertu est parfois aussi incompréhensible que la nuance du bleu de
l’étoile Ki.




LE LUTH DE KI-KÉOU


Ki-Kéou était une jeune fille qui avait de grands rapports avec l’oiseau
chanteur Tong-Hou-Fang. Elle était la fille de parents nobles et pauvres
qui habitaient à quelque distance de Tséou une demeure qui se délabrait.

A l’imitation de l’oiseau Tong-Hou-Fang, qui volète d’une branche à
l’autre sans raison, elle courait de ci, de là dans la maison pleine de
poussière ou le jardin plein de mauvaises herbes et paraissait très
occupée à de minimes choses sans importance. Elle aimait à jouer du luth
avant l’aurore, et quand on lui reprochait de réveiller tout le monde
sans raison, elle disait que la musique, n’est sublime qu’exactement un
peu avant le lever du jour, théorie qui semblait absurde aux musiciens
consultés à ce sujet.

Il y avait pourtant quelqu’un qui pensait ainsi. A l’heure où les nuits
d’été commencent à blanchir légèrement, Ki-Kéou, qui jouait du luth dans
son jardin, entendait un autre luth résonner et se rapprocher dans la
direction de la colline de Tséou.

Sur le chemin où les pêchers avec les saules alternaient, s’avançait en
boitant Mong-Pi. Il venait de jouer devant la tablette où était posé
pour l’entendre l’esprit de sa mère. Et il allait jusqu’à un mur en
ruine où il savait que par une brèche il pouvait voir un beau visage de
jeune fille illuminé par le mystère de la musique.

Quelquefois Ki-Kéou l’accompagnait avec son luth. D’autres fois elle
écoutait, immobile et elle regardait de loin l’être étrange en costume
blanc qui se tenait sans bouger et jouait du luth suavement. Car jamais
Mong-Pi ne bougeait. Il espérait que la jeune fille ne saurait pas
comment il boitait en marchant. Et il attendait que les contours des
choses fussent dessinés et que la jeune fille fût rentrée dans la maison
pour repartir le long des pêchers et des saules.

Longtemps Ki-Kéou pensa que le joueur de luth vêtu de blanc était un
bienveillant esprit de la campagne familière.

Mais un matin qu’elle s’était attardée, elle distingua mieux le visage
de Mong-Pi et elle y vit briller une larme. Alors elle pensa que c’était
un homme. A partir de ce jour elle eut du remords, mais elle s’appliqua
davantage en jouant du luth.




LE MARIAGE


Le père de Ki-Kéou appela un jour sa fille auprès de lui et il lui parla
avec solennité.

--Le temps est venu où tu dois cesser d’être pareille à l’oiseau
chanteur Tong-Hou-Fang et où tu dois te marier. Sans doute as-tu entendu
parler de Confucius, ce jeune homme de Tséou qui a déjà acquis une
grande réputation par sa vertu et sa connaissance de l’histoire et des
livres canoniques. Certes, il est sans fortune, mais il appartient à une
famille noble et ancienne et on prétend même, sans que cela soit
vérifié, qu’il y a eu un empereur parmi ses aïeux. Il vient d’obtenir du
roi de Lou l’emploi de contrôleur des greniers publics, ce qui n’est pas
un poste très élevé, mais ce qui indique qu’il a la connaissance des
dépenses et des recettes, de la production de la terre et de son
rendement en argent, connaissance qui a toujours manqué à ton père
puisqu’il est ruiné et qu’il a fait de sa fille un être pareil à un
oiseau. Confucius est venu te demander en mariage et j’ai répondu que tu
accepterais vraisemblablement. Il a déjà envoyé le billet des huit
caractères désignant l’année, le mois, le jour et l’heure de sa
naissance et je vais lui renvoyer le billet des huit caractères
désignant l’année, le mois, le jour et l’heure de ta naissance pour
qu’ils soient confrontés par le devin suivant l’usage. Car Confucius
tient essentiellement au respect des usages. Il recommande l’obéissance
ponctuelle aux trois cents prescriptions du cérémonial et aux trois
mille règles du décorum. J’ai toujours trouvé personnellement que ces
règles étaient excessives et trop nombreuses, mais c’est lui qui doit
avoir raison puisqu’il est contrôleur des greniers publics et que nous
vivons pauvrement dans cette maison solitaire. D’ailleurs tu finiras par
t’accoutumer à ces règles avec le temps. As-tu une objection à faire à
cette proposition d’union convenable?

Ki-Kéou demeura longtemps silencieuse.

--Pourrai-je jouer du luth avant l’aurore? dit-elle enfin.

--Sans doute, répondit son père en haussant les épaules.

Et le mariage fut décidé.

                   *       *       *       *       *

On apporta à Ki-Kéou des nénufars et des tournesols, des pastèques et
des grenades qui sont les fleurs et les fruits qu’il est convenable à un
fiancé d’offrir à sa fiancée. Et elle courut de droite et de gauche avec
ses ailes de jeune fille; elle lissa son plumage; elle forma mille
projets puérils et les jours passèrent et l’on arriva à la septième lune
de l’année du Lièvre pendant laquelle le mariage devait être célébré.

Ki-Kéou apprit de la bouche de son fiancé le nombre des livres
canoniques et les principales vérités qu’ils contiennent. Dans le
Chou-King il y a cinquante chapitres relatifs aux époques de Yao, de
Chun et de Yu. Dans le Chi-King il y a des hymnes par centaines, il y a
des odes par milliers. Dans le Y-King il y a tous les modes de
divination employés par les thaumaturges anciens. Dans le Li-Ki sont les
précieux rites, les inestimables règles de cérémonie. Mais à ces règles
il fallait en ajouter d’autres; il fallait multiplier les rites,
codifier et recodifier les cérémonies. Il fallait faire une compilation
de tous les livres, couper soigneusement ce qui n’était pas conforme à
la convenance et à l’équité, ajouter les traditions aux traditions,
bâtir un monument de préceptes, édifier un code fabuleux de toutes les
prescriptions et de toutes les lois, dresser une gigantesque montagne de
textes historiques et moraux.

Ki-Kéou fut bien effrayée d’apprendre que cette tâche appartenait à
Confucius. Elle souriait et approuvait tout ce que disait son fiancé et
elle était remplie d’admiration. Mais après, elle avait bien mal à la
tête. Il lui semblait que les Livres sacrés étaient placés sur sa
poitrine et l’étouffaient et, quand elle jouait du luth, ses doigts
étaient moins légers et sa musique était moins belle comme si un génie
caché qui aurait été son compagnon se fût envolé de son atmosphère.

                   *       *       *       *       *

Quel est donc ce bruit dans la rue? demanda Confucius, au milieu du
repas de mariage.

Et Tchang, le gardien de la maison, s’avança en riant et dit:

--C’est le boiteux Mong-Pi qui est tellement heureux de votre mariage
qu’il fait mille plaisanteries étonnantes dont se réjouissent les
enfants.

--Fais-le entrer dans la cour, répondit Confucius, et donne-lui à manger
et à boire.

On parlait tellement de bonheur autour de Ki-Kéou que celle-ci
s’accusait de ne pas en éprouver davantage. Et elle s’accusait aussi
d’une sorte d’appréhension, d’un désir de s’en aller loin analogue à ce
que doivent éprouver les oiseaux quand ils se sentent pris dans la glu.

Et elle se reprocha d’éprouver encore cela lorsque, seul avec elle, sous
la glycine du jardin, Confucius lui dit avec une tendre solennité:

--Il y a trois bonheurs que procure le mariage et que nous allons
connaître à loisir. La douceur de l’amour mutuel--et il lui serra
tendrement la main,--la noblesse des vertus familiales--et il leva un
doigt vers le ciel,--la beauté du devoir conjugal--et il baissa
modestement les yeux.

Que de nobles qualités reflétait son visage: Bonté naturelle, amour des
parents, respect de la famille, désir de perpétuer sa race, désir
d’enseigner le bien aux hommes. Ki-Kéou sentait tout cela et elle
pensait que son cœur devait être foncièrement, irrémédiablement mauvais
pour éprouver cette envie de fuir. Ah! la solitude avant l’aurore, dans
le vieux jardin plein de mauvaises herbes, où les gouttes de rosée
recouvraient d’étoiles les arbres! Plus jamais elle ne retrouverait
cela! Une vie inéluctablement vertueuse l’attendait. Mais la première
heure nocturne lui en paraissait bien difficile à vivre!

Un secours lui vint pourtant.

Elle s’était étendue sur le lit, elle avait entr’ouvert sa robe et placé
sur son visage le plus docile sourire possible. Dehors on entendait des
cris et des rires et la clarté des lanternes illuminait tristement la
pièce.

Alors Confucius s’étant dévêtu, comme il convenait, fit une génuflexion,
selon le rite, devant le lit où il allait se rapprocher de son épouse et
accomplir l’acte familial essentiel.

Ki-Kéou, les yeux fermés, entendit quelque part résonner un luth qu’elle
connaissait, un luth fraternel qui lui apportait une petite aide,
presque rien, tout ce que peut faire contre ces dieux vainqueurs appelés
ordre social, vertu, famille, la fantaisie peu raisonnable, la rêverie
inutile, la camaraderie des poètes qui ne se connaissent pas.




LE PRÉSENT CACHÉ DE LA MUSIQUE


Cette année-là fut une année d’abondance pour les récoltes. Comme
contrôleur des greniers publics, Confucius fut appelé à créer un dépôt
de grains supplémentaire qui devait servir de réserve pour les temps de
disette.

Profitant des pleins pouvoirs qu’il avait reçus du roi de Lou, il décida
d’établir ce dépôt dans une partie des maisons de la rue basse de la
ville dont il indemniserait les habitants. Il purifierait ainsi, par la
saine présence du grain, ce quartier qui était la honte du Tséou.

La maison qu’avait habitée Lu et où Mong-Pi vivait maintenant solitaire,
faisait partie des maisons que l’on devait transformer. Quand Mong-Pi
sut ce qui avait été décidé, il déclara que plutôt que d’abandonner son
vieux toit incliné il préférait être enseveli sous les grains, et il
lança au loin les taëls d’argent qu’on lui apporta de la part du
contrôleur des greniers publics.

--Je suis en présence d’un conflit de devoirs, dit Confucius lorsqu’il
fut informé de la chose.

Il médita quelque temps.

--La raison de l’État doit passer avant la raison d’un individu, même si
celle-ci s’appuie sur les plus nobles sentiments, puisque l’État est la
réunion de tous les individus et par conséquent de tous les nobles
sentiments.

Et il donna l’ordre d’expulser Mong-Pi, en veillant toutefois à ce qu’il
ne se précipitât pas sous les grains pour être étouffé, selon sa
promesse.

Mong-Pi coucha désormais à la belle étoile. Il n’avait emporté de sa
maison qu’un morceau de bois qu’il avait grossièrement sculpté et qui
représentait sa mère Lu. Et il continua à accomplir maintes actions
déraisonnables, à chanter et à rire sans motif, et à pleurer quelquefois
quand il était en haut de la colline, à côté du tertre, parmi les
genévriers.

Et Confucius grandit en sagesse, en vertu et en connaissance. Sa
renommée fut bientôt telle, malgré son jeune âge, que beaucoup de gens
venaient de loin pour entendre sa parole, étudier l’histoire et la
morale avec lui. Il fut à la fin obligé d’ouvrir une école et il eut des
disciples.

Il s’aperçut un jour qu’un étrange amour de la musique lui était venu.
Il ne savait pas comment. Mais il était certain que les sons harmonieux
développaient en lui le goût de la vertu. Il alla étudier le luth avec
un grand musicien qui s’appelait Siang, et il devint vite un artiste
consommé. Toutefois il établissait une grande différence entre la
musique correcte et celle qui ne l’était pas, celle qui fait tendre à la
perfection et celle qui développe des passions déréglées.

A cause de cette différence il fut obligé d’interdire à son épouse
Ki-Kéou de se lever avant l’aurore pour aller jouer du luth dans le
jardin. D’abord parce qu’il n’était pas convenable de faire de la
musique quand tout le monde dort encore, ensuite parce qu’il y avait
dans les airs qu’elle jouait une certaine langueur, quelque chose d’ailé
et de magique qui ne convenait pas à l’épouse d’un contrôleur des
greniers publics.

Il acheta à Ki-Kéou, pour qu’elle jouât à des heures normales les airs
qu’il lui indiquait, toute une variété de luths neufs qu’il fit venir de
la capitale du royaume de Lou.

Mais Ki-Kéou ne savait jouer qu’avant l’aurore et sur son ancien luth de
jeune fille. Elle se résigna, car on n’a jamais vu de révoltes d’oiseaux
dans les cages. D’ailleurs elle était enveloppée par la bonté de
Confucius comme par un filet de soie blanche. Elle l’admirait et elle
disait:

«Il m’a comblée. Je lui dois tout. Et moi je n’ai rien pu lui donner de
ce qu’il aime, ni textes sacrés, ni hymnes religieux, ni paroles des
anciens empereurs! Comment pourrais-je jamais m’acquitter?»

Elle ne savait pas qu’elle lui avait donné pourtant le plus inestimable
des présents. C’était avec les harmonies de son luth que s’était insinué
dans l’âme de Confucius, par d’invisibles vibrations subtiles, l’amour
de la musique dont il faisait tant de cas. Et lui l’ignorait aussi, car
les hommes ne peuvent pas croire que le meilleur de leur âme, le germe
de leur sagesse et de leur art, ce sont les femmes ignorantes qui le
leur apportent.

                   *       *       *       *       *

Un jour que Confucius s’entretenait en marchant dans la campagne avec
Tseu-Lou et Tseu-Kong, jeunes hommes riches qui étaient venu s’installer
à Tséou pour écouter ses enseignements, il vit sur le chemin paraître
Mong-Pi.

Mong-Pi boitait plus qu’à l’ordinaire et semblait très las. Il
s’agenouilla devant Confucius:

--Puisque tu m’as tout pris, dit-il, prends aussi mon âme et
transforme-la. Enseigne-moi la sagesse. Je veux être ton disciple.

--Je ne demande pas mieux que de t’instruire et de te réformer, dit
Confucius, mais pourquoi dis-tu que je t’ai tout pris?

Mong-Pi se tut.

Confucius réfléchit et, se tournant vers Tseu-Lou et Tseu-Kong, il
ajouta:

--Peut-être a-t-il raison. La substance de la sagesse est faite avec la
substance de la folie.




TAO


Ce fut un léger souffle, une haleine, qui palpita près du visage de
Lao-Tseu. Il se leva et il suivit un je ne sais quoi d’invisible qui le
précédait.

Le palais des Esprits de la terre était désert et le soir qui allait
venir alourdissait les arbres du jardin. Lao-Tseu se dirigea sans
hésiter vers le grand bloc de marbre noir qui soutenait le palais du
côté du soleil levant. Il y avait là une antique dalle de pierre et il
pensa tout de suite que c’était sous cette dalle qu’il fallait chercher.

Il prit une bêche de jardinier et il commença à creuser. Mais il
s’aperçut bientôt que la dalle basculait. Elle recouvrait un espace vide
où reposait un coffre de bronze rongé par le temps. Sur le coffre était
le nom de Fo-Hi.

Lao-Tseu, tremblant d’émotion, prit le coffre dans ses bras et,
pieusement, il le transporta dans le palais. Dans ce coffre, sans doute,
avaient été déposés par Fo-Hi les secrets sur la destinée de l’homme
avant sa naissance et après sa mort. Celui qui avait remplacé le langage
des nœuds noués à des cordes, par l’écriture, celui qui avait apprivoisé
les six sortes d’animaux domestiques allait lui transmettre la
connaissance suprême d’où toutes les connaissances découlent.

Lao-Tseu ouvrit le coffre et il regarda.

Immaculé comme la vérité, embué comme le mystère dont elle est
enveloppée, il y avait, dans le coffre de bronze souillé par la terre,
un bloc de jade azuréen. Dans sa douceur était la bienveillance de la
race et ses qualités excellentes. Dans son poli brillait l’intelligence
des premiers empereurs, dans son compact leur fermeté, dans son éclat
uniforme leur droiture. Et ce jade resplendissait, dans la certitude de
son bleu parmi les voiles des nuances exquises, pareil à l’esprit divin
de l’homme, sous la terrestre écorce de la forme.

Un mot, un mot unique était gravé sur le jade.

Vainement Lao-Tseu le retourna dans tous les sens, admirant la fluidité
spirituelle de la pierre essentielle que le règne minéral produit comme
les gouttes de son âme, dans l’espoir de trouver un autre texte
complémentaire.

Il n’y avait que l’unique mot qui se suffit à lui-même, le verbe du
commencement et de la fin, et ce mot était:

--Tao.

Lao-Tseu posa le bloc de jade sur le sol et s’agenouilla devant lui.

Le soleil tombait au loin et de tous côtés la lumière se leva.

--O innommable, dit-il, toi qui es sans forme, toi qui ne te mesures pas
avec le temps, toi que ne borne pas l’espace, que le verbe ne désigne
pas, je suis toi, je suis sorti de ton souffle, j’ai été mesuré par le
temps, borné par l’espace, je me suis exprimé avec le verbe et j’aspire
à disparaître dans ton inconnaissable aspiration.

J’étais déjà né avant la manifestation d’aucune forme corporelle.
J’apparus avant le suprême commencement. J’ai agi à l’origine de la
matière simple et organisée. J’étais présent au développement de la
masse première. Je me tenais debout sur le faîte du grand océan
primordial et je planais au milieu du vide et du ténébreux. Je suis
entré et je sortirai par les mêmes portes de l’immensité mystérieuse de
l’espace.

J’ai été projeté dans l’innumérabilité des vies. Des millions de fois,
je me suis modelé différemment. Réjoui et affligé de ma séparation j’ai
tourné dans le cercle. Mais maintenant la lumière conductrice m’a été
transmise. Je connais la parfaite perfection initiale où je dois tendre
et, né de l’essence unique, je dormirai enfin à l’état de veille dans
l’essence unique.




CONFUCIUS ET LAO-TSEU




LA PREMIÈRE CARPE


L’important contrôleur des greniers publics était installé dans la
capitale du royaume de Lou et c’est là que Ki-Kéou mit au monde un
enfant. Cet enfant naquit d’une taille étrangement exiguë, la nature
voulant marquer par là l’insignifiance que garde toute sa vie le fils
d’un grand homme.

Et Confucius s’en réjouit, car il est dans l’ordre commun de mettre au
monde des enfants par le moyen pieux du mariage. Ainsi les races se
perpétuent et il n’est pas d’action plus recommandable que celle qui
consiste à augmenter le nombre des créatures vivantes sous le soleil.

Et il arriva à l’occasion de cette naissance un événement d’une
importance extrême qui jeta dans le cœur de Confucius une joie presque
aussi grande que la joie de la naissance elle-même.

Le roi de Lou, afin de marquer la sympathie qu’il éprouvait pour
l’excellent fonctionnaire des greniers publics devenu père, lui envoya
comme présent, le jour du repas rituel, une carpe, une belle carpe de
rivière.

Confucius s’entretenait avec Tseu-Lou et avec Tseu-Kong dans la cour de
sa maison, quand le messager porteur de la carpe arriva. Confucius fit
d’abord une génuflexion devant le poisson et puis son visage s’illumina
et il laissa éclater une joie mesurée mais qui semblait venir de la
source des véritables allégresses.

Tseu-Lou et Tseu-Kong crurent d’abord qu’il y avait là une ironie à
cause de la modestie dérisoire de ce présent. Ils le considéraient
eux-mêmes comme une offense et ils allaient montrer leur indignation
pour l’ingratitude du souverain. Mais ils s’arrêtèrent à temps. La joie
de leur maître était sincère. Car plus les hommes sont puissants et plus
leurs dons peuvent être légers. Ceux qui vénèrent la puissance se
contentent du peu qu’elle accorde, car ce peu vient de la puissance.

Confucius envoya Tchang faire de nouvelles invitations pour le repas
rituel. Ne fallait-il pas faire profiter le plus d’amis possible d’une
nourriture donnée par le roi? Et, pour commémorer la faveur qu’il avait
reçue, il appela son fils Pe-Yu, c’est-à-dire le premier poisson, la
carpe étant le premier des poissons, puisque le roi vous en fait cadeau.

Et, dans ce jour de satisfaction, il arriva à l’occasion de ce repas et
de cette carpe un événement d’une importance extrême qui jeta dans le
cœur de Confucius une tristesse presque aussi grande que la joie de la
réception de la carpe.

Soit qu’elle ne se rendît pas compte de l’honneur reçu, soit qu’elle
n’aimât pas la chair de ce poisson, malgré l’ordre de son époux, Ki-Kéou
refusa de manger de la carpe. Ainsi les femmes révèlent parfois des
instincts sauvages de révolte et de désordre et n’honorent pas ce qui
doit être honoré.

Confucius connut que son épouse Ki-Kéou n’avait pas au plus humble degré
le sentiment des hiérarchies; il eut la révélation de son infériorité.

A ce repas, le disciple Mong-Pi n’avait pas été invité, parce qu’il
mangeait mal.




EXERCICE DE LA PIÉTÉ FILIALE


Comme la tradition de la piété filiale dans l’empire, la santé de la
mère de Confucius déclinait. Elle mourut dans l’année Koci-Yeou et
Confucius, qui l’avait tendrement aimée, la pleura. Mais le sort des
grands hommes est rigoureux, il faut que leur douleur elle-même serve
d’exemple aux autres hommes.

L’antique cérémonial voulait qu’à la mort du père ou de la mère, le fils
s’interdît toute fonction, qu’il s’enfermât chez lui durant trois années
sans sortir une seule fois, pour se consacrer à sa douleur. Cette
tradition redoutable, qui causait souvent la ruine de ces familles
volontairement captives, n’était plus observée que rarement.

Lorsque sa mère fut enterrée selon les rites, les pieds au midi et la
tête au nord, à l’abri des animaux carnassiers, dans un cercueil enduit
de vernis et de quatre pouces d’épaisseur, Confucius déclara qu’il
comptait observer le deuil rigoureux des anciens, qu’il se faisait une
obligation de se démettre de son emploi et il passa la porte de sa
maison pour ne plus la repasser durant trois années et demeurer avec
l’esprit de sa mère.

Les rites pieux prescrivaient que l’épouse et le fils de l’épouse
devaient agir comme l’époux, et, auprès de Confucius, Ki-Kéou fut donc
enfermée avec l’esprit de sa belle-mère.

La maison se trouvait à l’extrémité d’un faubourg et elle était assez
vaste pour qu’on y méditât tranquillement, mais assez petite pour qu’on
y connût l’ennui sans fin. Les dalles de la cour intérieure étaient
sombres et usées par des pieds d’antiques habitants de Lou, et quand
Ki-Kéou, à mille reprises, les eut comptées, elle n’eut plus le courage
de recommencer. Le jardin expirait aux pieds des remparts de la ville et
ces remparts, faits de blocs massifs, étendaient sur le jardin une ombre
si lourde que, quand Ki-Kéou traversait cette ombre, elle en demeurait
pénétrée intérieurement comme si l’ombre avait aussi envahi son âme.

La mère de Confucius avait été une brebis dévouée, de l’espèce de celles
qui marchent dans leur laine épaisse les yeux obstinément tournés vers
la terre et qui ne voient pas les oiseaux voler autour d’elles. Elle
avait à peine vu Ki-Kéou, mais elle avait été importunée par son vol et
elle l’avait montré en regardant obstinément vers la terre avec la
désapprobation du silence et en ayant l’air d’ignorer son existence.

Lorsque Ki-Kéou fut prisonnière de la maison en bordure des remparts et
du jardin à l’ombre lourde, elle commença à entendre la voix de celle
qui ne lui avait presque jamais adressé la parole de son vivant.

--Mauvaise bru, tu n’es pas triste de ma mort!

Syllabes sans inflexion tombant de l’unique mûrier du jardin que l’ombre
du rempart ne pouvait atteindre et près duquel Ki-Kéou aimait à
s’asseoir.

--Mauvaise mère, ton fils Pe-Yu ne suffit pas à ton bonheur.

Souffle verbal qui glissa sur le balcon de bois peint où elle regardait
quelquefois passer le porteur d’eau et l’ânier conduisant un âne chargé
de riz.

--Mauvaise épouse, tu ne sais pas consoler ton mari!

Cela monta des dalles de la cour. Dans la salle qui était au fond, il y
avait l’autel des ancêtres et une lampe y faisait une clarté rouge, dans
le crépuscule. Devant l’autel Ki-Kéou perçut Confucius sous sa robe
jaune, prosterné, qui priait ou qui méditait. Son dos paraissait énorme,
trapu, assez puissant pour porter le poids de la maison et même celui de
la ville, avec ses remparts.

Oh! non! Elle ne savait pas consoler son mari! Cet autel des ancêtres
était terrible avec sa lampe qui la fixait comme un œil unique. Il ne
s’agissait pas de consoler, d’être une bonne mère, une bru pieuse. Il
s’agissait de ne pas avoir peur, de ne plus vivre avec une morte qui
vous parle, de sortir du temple glacé, d’être quelque part où l’on a un
peu chaud au cœur.

Ce soir-là Ki-Kéou se mit à courir dans tous les sens, à fuir en rond
dans le jardin et la maison pour échapper à l’accusatrice invisible et
atteindre la région où vivent les hommes. Ses ailes heurtèrent la porte
d’entrée et c’est là où elle défaillit pour se retrouver dans les bras
du gardien Tchang, sous l’œil attristé de Confucius.

--L’amour mutuel comporte des charges, dit-il. Mais l’obéissance à son
devoir procure à la longue la plus pure joie. Il ne s’agit que de
s’habituer à cette obéissance.

Et le lendemain elle trouva à l’endroit de sa chambre où elle avait
l’habitude de se tenir un exemplaire du Y-King, le plus abstrait des
livres canoniques, affectueuse attention de son mari pour la distraire.

Ki-Kéou chercha à s’habituer. Mais on s’habitue à tout, sauf à la peur.
Elle ne pouvait plus s’asseoir sous le mûrier; elle ne pouvait plus
marcher dans la cour, regarder les porteurs d’eau et les âniers sur le
balcon, à cause de la voix sans timbre, à cause de l’occulte présence, à
cause de ce compagnon sans visage qui l’accompagnait dans la maison.

Elle ne s’habitua pas, mais elle obéit. Son sang ne courut plus dans ses
veines avec la même ardeur, ses joues pâlirent, ses yeux se creusèrent.
La beauté du corps la quitta comme vous quitte un ange à qui l’on ne
donne pas l’aliment azuréen dont il se nourrit.

Penché sur les livres sacrés, Confucius se disait, quand il pensait à
Ki-Kéou:

--Elle n’est pas intelligente, mais elle pratique la seconde vertu qui
est l’obéissance.




LE LUTH BRISÉ


Et un matin, à l’heure où le soleil n’est pas encore levé, Ki-Kéou, qui
ne dormait pas, résolut de lutter avec l’ombre ennemie. Et elle alla
chercher son arme, le vieux luth dont elle jouait jadis dans le jardin
aux herbes.

Elle descendit à pas de loup, traversa la cour silencieuse, passa sans
se prosterner devant l’autel des ancêtres, s’avança, dans le ténébreux
jardin, plus loin que le mûrier et alors se mit à jouer.

Elle joua des airs légers, des airs d’autrefois où il y avait des danses
et des bouffées de chansons et des refrains de vagabonds. Elle savait
que l’ombre rôdait autour d’elle avec ses accusations et ses
malédictions, et elle se défendait avec ses airs, lui portait les coups
de la musique, s’enveloppait dans le rêve de sa jeunesse comme dans une
cuirasse de cristal aérien.

--Mauvaise bru! mauvaise mère! mauvaise épouse!

Oui, elle était tout cela. Elle le savait bien, et c’était de se savoir
si mauvaise qu’elle dépérissait un peu plus chaque jour et que la
délicieuse expression suave de ses traits avait disparu. Mais, pour une
fois, elle savourait l’ivresse spirituelle du crépuscule d’avant
l’aurore dans le tourbillon léger de la musique.

Un pas rapide retentit dans le jardin. Elle s’arrêta de jouer. Confucius
était devant elle.

Il sentait la gravité et l’étendue de son devoir, le devoir de diriger
vers le bien une âme faible, celui de réprimer l’inconvenance. Il
éprouvait une tristesse sincère de s’apercevoir que Ki-Kéou n’avait pas
compris ses enseignements, ne possédait pas la seule vertu qu’il lui
attribuait: l’obéissance.

--C’est ainsi que tu honores l’esprit de ma mère morte, dit-il avec
sévérité. Tu n’hésites pas à violer la majesté du deuil et à
contrecarrer par un scandale nocturne le bel exemple que je veux donner.
Pour agir ainsi tu n’aimais donc pas ma mère?

Ki-Kéou regardait Confucius aussi terrifiée que si elle avait été en
présence du juge qui pèse les actions humaines dans les enfers.

--Non, murmura-t-elle doucement.

Les yeux de Confucius plongèrent avec horreur dans les yeux innocents de
Ki-Kéou comme dans l’abîme monstrueux du Chaos aux jours lointains où le
mal naquit de la matière en désordre. Il saisit le luth, emblème de la
révolte, des actions incompréhensibles, de l’art insensé en lutte contre
la vertu, et il en brisa d’un seul coup toutes les cordes. Puis il le
jeta à terre avec colère.

Ki-Kéou poussa un faible cri, pareil à celui d’un oiseau qui meurt, et
elle croisa ses mains effilées sur sa poitrine amaigrie.

Honteux de ce geste, indigne d’un sage, Confucius s’éloignait déjà à
grands pas.

Insensiblement le jardin s’éclaira d’une lumière confuse comme la
conscience d’un oiseau. Les remparts commencèrent à étendre leur ombre
pesante. Au loin résonna la clochette d’un bonze.

Juste en cet instant la tête de l’errant Mong-Pi apparaissait au-dessus
du mur de terre qui entourait le jardin. Il y avait si longtemps qu’il
n’avait pas vu Ki-Kéou! Il savait qu’elle était enfermée dans la maison
du deuil. Il voulait apercevoir une seconde le beau visage d’où s’était
dégagé, comme une vapeur qui s’élève d’un lac bleu, le premier rêve de
sa jeunesse.

Il vit les traits émaciés, le corps grêle, le luth brisé. C’était, dans
le jardin sans joie, le fantôme dépouillé de beauté de celle qu’il avait
aimée. Le dos de Confucius disparaissait du côté de la maison, arrondi
comme la politesse, écrasant comme la vertu.

Mong-Pi se laissa retomber dans la rue. Au pied du mur de terre,
accroupi, il pleura longtemps.

Quelle terrible loi humaine! Celui qui recherche la sagesse perd en même
temps la beauté. Est-ce que la folie ne vaut pas mieux?




LES TROIS SAGES DE LA TERRE


En ce temps-là, la Chine, couleur d’albâtre au soleil couchant,
traversait des jours de décadence. On laissait s’écrouler les monuments,
les administrations se désorganisaient, l’empire était morcelé. Par une
singulière coïncidence, tous les souverains naissaient incapables ou
avec une tare qui rongeait leur intelligence. L’empereur King-Wang était
futile et ne s’intéressait plus qu’aux insectes et au plumage des
oiseaux. Le roi de Tsi était cruel et faisait mourir par plaisir. Le roi
de Lou n’aimait que l’art.

Et après les frontières de la Chine, par delà les déserts occidentaux,
dans les immenses régions chaudes de l’Inde couleur émeraude où le Gange
descend entre les jungles et les forêts vierges, les peuples étaient
malheureux à cause de la captivité de leur âme. Les prêtres, sous la
menace des Dieux, les avaient enfermés dans d’étroites castes et le ciel
de l’Inde était bas sur eux et la mort ne les délivrait pas à cause du
recommencement éternel des vies.

Et par delà le fleuve Indus, et par delà le fleuve Oxus, sur les rivages
de la Grèce couleur de marbre au soleil levant, sur toutes les terres
que baigne la mer couleur de saphir, la mer des barques phéniciennes et
des trirèmes de Carthage, il y avait chez les hommes aux yeux clairs et
à la barbe frisée l’attente anxieuse de la parole nouvelle qui rend plus
apte à penser, du verbe qui fait aimer par la lumière de l’explication.

Lao-Tseu était né en Chine. A Kapilavastu, en pays Çakia, naquit le
prince Siddartha, qui fut appelé le Bouddha, et de l’île de Samos, pour
s’en aller de ville en ville et de temple en temple, partit Pythagore.
Grâce à lui les belles formes en puissance dans la pierre se muèrent en
statues, les spéculations éparses devinrent des systèmes philosophiques,
des étincelles d’intelligence s’allumèrent sous les portiques des agoras
depuis Memphis jusqu’à Corinthe, depuis Syracuse jusqu’à Athènes.

Dans le même temps résonna la voix de ces trois sages. Quand le trésor
spirituel de l’humanité est en péril, alors paraissent ceux qui doivent
le sauver. Peut-être y avait-il un péril secret et c’est pourquoi les
êtres les plus élevés dans les hiérarchies humaines, les Seigneurs du
monde, envoyèrent ces trois messagers pleins d’amour et de science.

Mais ils ne se connurent pas. Ils se pressentirent seulement. Ils
s’appelèrent dans le silence des méditations. Ils ne triomphèrent pas de
la solitude imposée aux prophètes, de la limitation de la forme
physique. Chacun dut accomplir sa tâche tout seul, subir la lenteur de
l’enfance, supporter les peines et les travaux, les ingratitudes et les
haines, passer la porte de la mort sans avoir la récompense du résultat.

Car la loi est une pour tous, pour les plus grands comme pour les plus
petits.




LE DISCIPLE SIU-KIA


Dans le palais des Esprits de la terre Lao-Tseu vivait avec un seul
serviteur qui s’appelait Siu-Kia. Une solitude de plus en plus grande
l’entourait, car, à l’imitation de l’empereur, autant par flatterie que
par un naturel penchant, toute la cour était devenue futile. Les lettrés
allaient de plus en plus rarement s’entretenir avec Lao-Tseu, personne
ne désirait la connaissance des livres, le vieux palais reposait dans
une atmosphère d’abandon.

Le serviteur Siu-Kia était un homme simple et taciturne. Lao-Tseu ne
l’instruisait pas. Mais même quand il ne parle pas, l’homme sage, par sa
proximité, donne une instruction secrète qui n’a besoin ni d’écriture ni
de mots. Siu-Kia, gardien des livres, compagnon des heures d’étude,
devint un disciple plus qu’un serviteur.

Il cessa peu à peu de raccommoder la vieille robe de son maître, de
balayer sa chambre, de secouer la natte où il dormait. Le jardin autour
du palais devint inculte parce que Siu-Kia méditait. Il n’était plus
susceptible que de l’effort d’aller chercher le riz, pour la nourriture,
de l’autre côté du fleuve et de le faire cuire. Lao-Tseu avait pris
l’habitude de puiser lui-même l’eau du puits, pour ne pas interrompre la
méditation de son serviteur.

La poussière s’accumula dans le palais. Les oiseaux nocturnes emplirent
les salles du battement de leurs ailes et firent leur nid sur les
colonnes de jaspe. Des plantes jaillirent entre les dalles des seuils et
obstruèrent les portes. Un cyprès s’abattit dans la grande avenue comme
pour en interdire le chemin aux derniers visiteurs. Il y eut dans le
jardin un pullulement de végétations plus denses comme si la nature
avait voulu donner au sage et à son disciple une plus parfaite solitude.

Et, assis sur les pierres branlantes ou sous les entrelacements de
bambous, l’archiviste de l’Empire expliquait bienveillamment à son
serviteur le mystère du Tao et ses propres idées devenaient plus claires
par la magie de l’expression. Siu-Kia connut que le Tao est la raison
suprême, l’essence primordiale, la voie où chemine l’esprit, l’esprit en
mouvement, et il connut que le Te est le deuxième aspect du Tao, la
vertu suprême, l’idéale perfection, l’amour en mouvement qui permet à
l’esprit de l’homme d’être absorbé par le Tao, l’essence divine.

Plus Siu-Kia pénétrait la vérité et plus il devenait immobile, car,
selon les enseignements de son maître, c’est par la méditation que l’on
arrive à connaître le Tao. En sorte que Lao-Tseu, qui ne voulait pas
nuire au développement de son disciple, partait à l’aurore chercher le
riz de l’autre côté du pont, le faisait cuire pour le repas et recousait
parfois la robe de Siu-Kia quand elle était trop déchirée.

Et un jour Lao-Tseu dit à Siu-Kia:

--Il est rapporté dans les Livres qu’il y a bien longtemps l’empereur
Mou-Wang a fait un voyage à la montagne Kouen-Lun située à l’Ouest. Là
il connut celle qu’il appelait la fille du roi occidental et, sur le lac
Yao, ils naviguèrent ensemble en chantant alternativement, pour se
plaire. Mou-Wang avait amené douze philosophes, qui rapportèrent la
connaissance des arts magiques et des sciences cachées. J’ai toujours
pensé que dans les pays de l’Ouest, après la montagne Kouen-Lun, il y
avait un lieu inaccessible où vivent des hommes d’une sagesse parfaite,
héritiers des secrets perdus des races anciennes, qui ne sont plus
soumis à la transformation de la mort et s’efforcent de diriger
l’humanité dans la voie de l’esprit. Or, cette nuit, j’ai fait un rêve.
J’ai vu, assis sous un figuier, un homme qui avait un visage rayonnant,
empreint d’une ineffable bonté et qui méditait. J’ai retrouvé dans son
regard une expression que j’ai vue souvent dans mes propres yeux, quand
il m’est arrivé de me mirer dans l’eau d’un étang. Le paysage qui
entourait le figuier et l’homme rayonnant me fait augurer par sa
richesse luxuriante que c’est un paysage des pays d’au delà les
montagnes de l’Ouest. Je suis trop vieux pour aller si loin. Mais
peut-être toi, qui es jeune et fort, voudras-tu t’en aller là-bas et
t’enquérir des enseignements de cet homme merveilleux qui, j’en suis
certain, appartient au groupe des merveilleux sages solitaires qui
dirigent les hommes par l’esprit et a été envoyé par eux.

A peine Lao-Tseu avait-il dit ces mots que Siu-Kia était debout:

--O maître, je vais partir sur-le-champ. J’atteindrai le mont Kouen-Lun
et les royaumes qui sont à l’Ouest; je verrai l’homme merveilleux et je
te rapporterai ses paroles.

Il prit un bâton, fit une boule avec du riz bouilli et pressé et la noua
sur son dos. Mais il hésita:

--Qui prendra soin de toi? Qui préparera ta nourriture en mon absence?

Lao-Tseu sourit:

--Ceci est peu de chose. Mes besoins diminuent chaque jour. Tu vas
chercher pour moi, au loin, une nourriture divine.

Et bien des jours s’écoulèrent. Chaque matin, sous l’aspect d’un très
pauvre homme, l’archiviste de l’empire se rendait au marché acheter
quelques légumes. Aucun lettré ne le visitait plus. Il ne voyait à
chaque nouvelle lune que le fonctionnaire chargé de lui verser ses
appointements. Il se réjouissait de sa solitude. Le palais des Esprits
de la terre était de plus en plus pour les habitants de Lo-Yang ennuyeux
comme la science, redoutable comme la vérité.

Très souvent Lao-Tseu interrompait ses méditations et regardait
anxieusement la grande avenue de l’inculte jardin, avec l’espoir d’y
voir apparaître la silhouette de son disciple Siu-Kia.




LES VOYAGES DE CONFUCIUS


La célébrité de Confucius se répandait dans l’empire par le moyen des
conversations comme l’eau du fleuve Hoang-Ho se répandait dans les
cultures par le moyen des canaux d’irrigation.

Lorsque le temps de son deuil fut terminé, Confucius dit à Tseu-Lou et à
Tseu-Kong:

--Je ne peux consacrer à une épouse qui n’a pas de piété filiale une
sagesse qui sera utile à tout l’empire. Parce que mon âme est aussi
inaccessible à une pensée mauvaise qu’un morceau de jade à la morsure
d’une fourmi, les princes m’appellent auprès d’eux pour me demander des
conseils. Je compte répondre à leur appel. Peut-être s’en trouvera-t-il
un qui me choisira comme ministre pour que j’instaure parmi son peuple
le règne de la vertu.

Alors commencèrent les voyages de Confucius. Il les faisait avec lenteur
sur un chariot recouvert de toile et traîné par un bœuf, car la sagesse
chemine sans hâte. Quelques disciples l’accompagnaient et c’était
Mong-Pi qui préparait le repas quand on s’arrêtait sur une prairie au
bord d’une rivière et qui poussait le chariot quand les montées étaient
trop rudes.

Le roi de Tsi reçut Confucius avec magnificence et fit semblant de le
consulter sur divers sujets de politique. Mais c’était un homme cruel
qui ne croyait qu’au mal et qui le chérissait. Il fut stupéfait
d’apprendre de la bouche de Confucius que la bonté est native chez
l’homme et que le devoir du prince est de la développer en lui et chez
ses sujets. Il aurait voulu faire mourir le sage et ses disciples, mais
il n’osa pas et se contenta de les éloigner.

Le roi de Wei offrit à Confucius un palais comme demeure et s’entretint
plusieurs fois avec lui. Mais c’était un homme timoré, tellement ennemi
des nouveautés qu’il fut effrayé même par un sage qui se montrait
novateur en faisant profession de bannir les nouveautés et de revenir
aux usages des anciens. Au bout de quelque temps il assigna à Confucius
un palais plus somptueux que le premier, mais dans un lieu montagneux,
éloigné de la ville, et où l’on ne parvenait que par un chemin défoncé
que la pluie rendait impraticable. Confucius fut obligé d’en partir à
l’automne, sous peine de s’y trouver bloqué durant des mois.

Le roi de Thsou vint à son devant et se tint debout pour l’accueillir
sur le pont qui marquait la frontière de son royaume. Mais c’était un
homme borné qui ne comprit rien à ce que lui dit Confucius. Il fut
timide devant lui et ne sut que lui répondre. Pour ne plus avoir le
sentiment pénible de son infériorité, il se refusa à un nouvel entretien
et il lui fit dire que cet entretien n’aurait lieu que quand il se
serait bien pénétré des enseignements de la première conversation et
quand il en aurait assimilé la substance. Cependant il lui offrit un
palais spacieux comme habitation et il lui envoya chaque jour une
nourriture abondante.

De tous les côtés, des jeunes hommes accouraient qui voulaient être les
disciples du sage et écouter ses leçons. Les mandarins donnaient des
réunions en son honneur et, quand il traversait un village, le peuple
était rassemblé le long de la route pour le voir.

Confucius décida d’aller visiter la capitale de l’empire où bien des
lettrés le réclamaient. Lia-Yu, le fils d’un grand du royaume de Lou qui
possédait une des plus importantes fortunes de la Chine et qui venait de
s’enrôler parmi les disciples, s’offrit pour faire les frais de ce
voyage. Le roi de Thsou fut ravi de cette décision et envoya un char
neuf avec des chevaux comme présent.

Il décida, de plus, qu’une escorte accompagnerait Confucius, car les
routes étaient infestées de brigands.

La veille de ce départ, Confucius délibéra avec Tseu-Lou et Tseu-Kong
pour savoir quelle conduite il fallait tenir au sujet de Mong-Pi.
Mong-Pi fréquentait les endroits mal famés et avait recommencé à
s’enivrer. Il était grossier et d’aspect sordide. Il ne semblait avoir
fait aucun progrès en sagesse et en vertu depuis qu’il était admis à
écouter Confucius. En somme, il n’était guère plus intelligent que le
roi de Thsou. Beaucoup d’hommes convenables s’étonnaient qu’une telle
créature vécût dans le sillage d’un aussi grand sage.

--Il pratique la vertu filiale, répétait Confucius hésitant.

--Mais il la pratique contrairement aux rites, répondait Tseu-Lou, en
faisant des contorsions et des grimaces devant un morceau de bois qu’il
plante en terre. C’est davantage déshonorer la vertu filiale que la
pratiquer. Lia-Yu, qui est un jeune homme délicat, est écœuré par les
manières et par le costume de cet éternel mendiant qu’est Mong-Pi. Or,
nous allons lui avoir des obligations. Si la sagesse est toujours du
côté des convenances, je crois que les convenances veulent que Mong-Pi
soit banni de la compagnie des sages.

Il en fut décidé ainsi.

Le départ de Confucius fut une apothéose. Tous les lettrés de Thsou
étaient groupés devant sa porte; l’on fit des discours et l’on jeta des
fleurs sur ses pas. Ses disciples défilèrent derrière lui au milieu des
bravos.

Pour participer à cet éclat, Mong-Pi avait coupé un grand bâton neuf sur
lequel il s’appuyait et auquel il avait laissé une branche verte
couverte de feuilles. Il pensait par ce détail printanier compenser la
triste apparence de son costume et figurer honorablement au dernier rang
des disciples du maître.

Mais Tseu-Lou lui signifia les ordres formels de Confucius. La pratique
de la vertu comporte une bonne conduite dans la vie autant que le
respect des convenances dans son extérieur. Tant pis pour Mong-Pi qui
l’avait oublié et se contentait d’un peu de feuillage au bout d’un
bâton. Il ne serait pas du voyage. Il devrait rester avec ses pareils.

Il y avait longtemps qu’on était sorti de Thsou et le cortège, composé
de voitures et de cavaliers, avait gravi une colline quand Tseu-Lou, en
se retournant aperçut au loin la forme claudicante de Mong-Pi qui
courait sur la route, dans la poussière.

Il le dit à Confucius et celui-ci fouetta les chevaux avec une certaine
mauvaise humeur qui provenait peut-être du remords qu’il éprouvait.

Puis il murmura:

--La vertu a une image extérieure qui contraint notre cœur à certains
sacrifices. Ainsi on est parfois obligé de perdre un chien fidèle, mais
mal élevé.




ENTREVUE DE CONFUCIUS ET DE LAO-TSEU


Lao-Tseu se tenait droit au haut de l’avenue qui aboutissait au palais
des Esprits de la terre. Comme chaque jour, il attendait son disciple
Siu-Kia. Il vit avec surprise une troupe de gens en train d’escalader le
cyprès qui barrait de son tronc renversé la largeur de l’avenue.
L’ancien ministre d’État Tchang-Houng conduisait cette troupe et, dans
la personne autour de laquelle tout le monde s’empressait pour
l’escalade du tronc de cyprès, Lao-Tseu reconnut, aux descriptions qu’on
lui en avait faites, le célèbre Confucius.

L’homme de la solitude s’avança vers l’homme de la vie.

--Il n’est guère mieux vêtu que Mong-Pi, dit à voix basse Tseu-Kong.

Mais Confucius faisait déjà les génuflexions rituelles que l’on doit aux
Maîtres. Il honorait en Lao-Tseu celui que l’empereur avait honoré du
titre de gardien des archives de l’empire, celui qui vivait face à face
avec les monuments de la pensée chinoise, celui qui s’était acquis une
grande renommée de sagesse philosophique et qui était au-dessus de la
futilité de la cour de Lo-Yang comme la tour de l’esprit pur.

Quand il se releva il ne put s’empêcher de garder sa tête un peu courbée
en avant et il regretta tout à coup d’avoir mis une robe de soie fine et
de porter autour du cou plusieurs insignes donnés par des souverains. Il
ôta à la dérobée et il glissa dans sa ceinture un saphir de famille
qu’il avait toujours à son petit doigt.

L’ancien ministre Tchang-Houng et les disciples s’écartèrent pour
laisser les deux grands hommes s’entretenir de choses sublimes.

Confucius parla. Il dit ses projets de ramener les hommes au bien, de
ressusciter les traditions anciennes, de faire revivre la vieille
doctrine de pureté de Yao et de Chun.

Lao-Tseu l’écoutait en silence.

Mais comment faire régner le bien et la justice? Confucius pensait que
si les princes et, à leur défaut, les ministres étaient bons et justes,
le monde s’améliorerait vite.

Lao-Tseu se taisait toujours.

--N’ai-je donc pas raison, dit Confucius, avec le ton d’un homme qui se
justifie d’une accusation qui n’a pas été formulée, moi qui aime le bien
et voudrais le répandre, de rechercher la confiance d’un prince et de
vouloir devenir son ministre?

Lao-Tseu fit signe que non en secouant la tête.

Mais, alors, que fallait-il faire? Assister les bras croisés à la
décadence de l’empire, où s’écroulait la morale, où la vertu tombait en
poussière? Quel était, d’après Lao-Tseu, le but de la vie?

--Atteindre la voie parfaite.

Et comment y parvenait-on?

Lao-Tseu montra la pierre où il avait coutume de s’asseoir.

--Par l’immobilité.

Confucius eut de la peine à ne pas hausser les épaules.

Ah! oui, la méditation! Mais à quoi servait cette stérile envolée vers
un ciel inexplicable. La méditation n’empêchait pas le mal de s’étendre
et les hommes de souffrir.

J’ai passé des journées sans nourriture et des nuits sans sommeil pour
me livrer à la méditation et cela sans la moindre utilité. L’étude est
bien préférable.

Lao-Tseu sourit.

--Toutes les âmes n’ont pas la subtilité nécessaire pour méditer.

Eh bien! Confucius en convenait; il était un esprit grossier, terre à
terre. Mais le terre-à-terre a du bon pour l’homme qui vit sur la terre.
Il conseillait à ses disciples de ne pas s’occuper de l’incompréhensible
ciel, mais de la terre excellente sur laquelle leurs pieds s’appuyaient
avec certitude. Avait-il tort?

Lao-Tseu lui fit signe de la tête qu’il avait tort.

Confucius sentit monter en lui une grande vague de mécontentement. Rien
ne pouvait attaquer la pierre de sa certitude raisonnable. Il se
trouvait en présence d’une autre certitude de pierre et il la jugeait
insensée. Que deviendrait le monde si les sages s’asseyaient pour
regarder l’inaccessible ciel et négligeaient de donner des enseignements
moyens à l’usage des hommes moyens?

--Alors, quel est, d’après vous, le fondement de la morale? dit-il avec
une certaine impatience.

--Il n’y a pas de morale, répondit Lao-Tseu, puisqu’il n’y a ni bien ni
mal.

--Et les devoirs familiaux?

--Ils sont nuisibles.

--Et les rites sacrés des anciens?

--Ils sont inutiles.

--Et le respect dû aux Souverains? le sentiment des hiérarchies? la
règle immuable qui engendre l’ordre?

Le regard de Lao-Tseu se fit plus lourd de mépris. Confucius le sentit
posé sur les insignes dont les rois lui avaient fait cadeau et il baissa
la tête comme si les plaques d’or et les jades ciselés étaient soudain
devenus plus pesants.

L’entretien était terminé. Confucius pensa qu’il était convenable de
prononcer en se retirant une dernière parole modeste.

--O maître, dit-il, donnez-moi un conseil sur l’œuvre que j’ai
entreprise.

--Elle est vaine, répondit Lao-Tseu.

--J’ai donc tort de vouloir gouverner les hommes pour faire régner la
justice?

--Ce ne sont pas les hommes qu’il faut gouverner, mais soi-même.

--Je me sens animé pourtant par la passion du bien.

--Toutes les passions sont mauvaises, même celle du bien.

Confucius s’inclina jusqu’à terre pour saluer. Quand il releva la tête,
Lao-Tseu s’éloignait déjà. Il ne vit que son dos maigre, où une
déchirure, dans la laine de sa robe, affectait une forme d’étoile.

L’escalade du cyprès renversé parut plus difficile au retour. Il sembla
à Confucius qu’il respirait plus librement lorsqu’il fut sorti du jardin
inculte qui entourait le palais des Esprits de la terre.

Tous ses disciples l’entouraient et voulaient connaître ses impressions.

--Le poisson nage, dit-il, et je comprends son mouvement dans l’eau.
L’oiseau vole, je vois comment il fend l’air de ses ailes. Le quadrupède
court sur la terre, je sais qu’il pousse le sol avec ses pattes. Mais si
le Dragon des légendes, porté par un nuage magique, s’élance vers le
ciel fabuleux, je suis incapable d’étudier sa nature. Lao-Tseu est
pareil au Dragon.




PRIÈRE A LA MÉDIOCRITÉ


Et ce soir-là, comme les étoiles s’allumaient, Confucius s’avança sur la
terrasse du pavillon qu’il habitait dans les jardins de l’ancien
ministre Tchang-Houng. C’était le premier jour de la pleine lune du
printemps et l’on célébrait la fête des Lanternes en l’honneur de
l’Esprit qui préside au pouvoir céleste.

Le murmure des incantations faisait au-dessus des maisons comme une buée
musicale. Dans l’immensité des ruelles entassées sur sa droite,
Confucius voyait les temples avec leur couronne de lanternes en verre
peint qui avaient l’air de cœurs lumineux où battait le sang des
prières. Sur sa gauche se dressait la masse des murailles entourant le
palais des Délicieuses Pensées. Ces murailles avaient des lanternes à
leur faîte et elles se déroulaient circulairement comme des allées
d’étoiles. Des chants d’allégresse partaient des jardins de l’empereur
mêlés à la musique des tambours assourdis et des Kins étouffés. Devant
lui le fleuve roulait d’innombrables jonques pavoisées qui avaient des
voiles doubles, comme des ailes de papillons. Des processions s’en
allaient vers les temples, d’autres en sortaient. Et, dans les quartiers
populaires, une foule bigarrée, joyeuse, mouvante, ondulait, se
pressait, étalait les dix mille visages de la béatitude humaine à
laquelle on a ôté le masque du souci.

Confucius ne se sentait pas à son aise. Cette capitale était trop vaste,
trop bruyante. Il y regrettait le calme ordonné des villes provinciales.
Il y avait trop de barques sur le fleuve trop large. Il avait trouvé
Lao-Tseu trop sublime quelques heures auparavant. Il était gêné de
sentir sa présence silencieuse derrière la masse des cyprès sombres
qu’il apercevait sur l’autre rive. Et le ciel lui-même, dans la clarté
rayonnante de la lune, ne lui avait jamais paru si profond, si rempli de
mystère, si illimité.

Ayant croisé ses bras sur sa poitrine comme pour serrer plus étroitement
en lui sa conviction inébranlable, il formula cette prière:

--O médiocrité, pain sec de l’âme, aliment qui ne fais pas défaut, c’est
de toi dont je suis nourri. Vin sans alcool, qui ne procure pas
d’ivresse mais qu’on peut boire à loisir, c’est de toi dont je suis
enivré. Poésie sans élan, strophe qui ne s’envole pas mais qui est
familière, chant qui ne demande pas d’enthousiasme, c’est toi que je
chante. O médiocrité, tu m’as fait aimer la ville moyenne où je suis né,
ses collines sans altitude, son climat tempéré, son ciel un peu voilé.
Tu m’as donné la neutralité de l’esprit qui permet de comprendre toutes
les idées et cette froideur du cœur qui est la cuirasse naturelle contre
les excès de l’instinct. Tu m’as appris qu’il ne faut ni approuver, ni
désapprouver, ni embrasser, ni repousser et éviter la première ardeur du
désir autant que le désespoir destructeur. C’est de toi que je tiens la
rectitude de l’esprit, l’amour de l’ordre et de l’équilibre, le bienfait
divin de la règle. Tu as écarté de mes pas l’ombre de la mort
mystérieuse et tu en as supprimé le mystère en m’enseignant à n’y jamais
penser. Grâce à toi j’ai négligé le ciel lointain pour la terre où je
vis et j’ai savouré le bonheur qui vient de la satisfaction de soi-même
quand on a respecté les règles, chéri les usages, pratiqué la vertu. Je
marche sur la voie moyenne avec la pureté de celui qui ignore
l’impureté. O médiocrité, je t’aime, comme j’aime les hommes médiocres,
mes frères.




LA VOIE PARFAITE


Dans le même instant, debout sous un cyprès dont le jet avait l’air de
vouloir traverser le ciel nocturne, Lao-Tseu disait:

--O voie parfaite, que j’ai entrevue dans l’abîme intérieur de mon
esprit, emporte-moi dans ton courant invisible, roule-moi sur ta vague
sans humidité jusqu’au seuil sans porte par où l’on pénètre dans le
palais sans couleur qui renferme dix mille arcs-en-ciel.

Laisse-moi ne plus désirer dans cette vie que l’eau que je vais puiser
dans la cruche de terre, le riz que je fais bouillir dans la soupière de
fer, l’air que je respire, la lumière dont j’emplis mes yeux, la nuit
qui me recouvre de sa paix.

O voie parfaite, accorde-moi l’extase quotidienne par laquelle je rentre
dans l’Ineffable, je plonge dans la perfection du divin.

Garde-moi de l’instinct de la bête qui est en moi, de la curiosité de
l’homme, et permets que je regarde avec indifférence la succession des
morts et des vies, les mutations des êtres dans leur mouvement éternel.

Puisse mon âme inférieure tomber hors de moi comme une pierre dans un
lac.

Puisse mon âme supérieure s’élever dans la région qui n’est ni en haut,
ni en bas, ni à droite, ni à gauche, dans le séjour sans dimension où il
n’y a ni pureté ni impureté, ni sagesse ni folie, ni vérité ni mensonge,
et où la lumière du soleil se confond avec le cœur de l’homme.




CONFUCIUS MINISTRE




LE PRINCE TIN


La ville de Lou était bâtie autour d’un lac qu’elle enserrait de ses
maisons coloriées, de telle sorte que le lac avait l’air d’un large
miroir dans un cadre de laque et de porcelaine.

Sur le lac, il y avait une île qui faisait un losange et qui renfermait
un lac plus petit. Et c’était là que le prince Tin avait fait bâtir les
cinq palais où il vivait avec ses musiciens, dans une solitude
nostalgique.

Le prince Tin voyait à peine ses ministres auxquels il s’en remettait
pour les affaires du royaume. Il ne voyait pas ses musiciens qui
jouaient derrière des rideaux ou, la nuit, sur des jonques errantes,
dans le petit lac, au cœur du losange. Il ne voyait que la forme de la
reine Wen-Kiang, qui avait été très belle et était morte un siècle
auparavant.

La reine Wen-Kiang avait été régente pendant la minorité de son fils;
elle avait aimé les arts comme le prince Tin les aimait; elle avait aimé
l’amour comme jamais aucun être humain ne l’avait aimé. Il ne restait
d’elle aucun portrait que le prince Tin pût contempler. Et pourtant il
vivait avec son image.

Il avait fait recouvrir entièrement de miroirs de cuivre les murs et les
plafonds de celui des cinq palais qu’il habitait, parce que c’est de
l’indéfini clair-obscur des miroirs que viennent vers les vivants les
apparitions des mortes, quand on brûle certains parfums secrets, quand
on fait retentir certaines musiques magiques. A chaque coucher de
soleil, il sortait avec l’invisible reine Wen-Kiang et il suivait, comme
elle avait coutume de le faire pendant sa vie, l’allée de canneliers qui
bordait le losange de l’île. Chemin faisant il coupait des narcisses,
semés à dessein, parce qu’il savait qu’elle avait chéri ces fleurs, et
il les levait à la hauteur de son visage, de son visage sans ovale
charnel et sans chevelure terrestre. Quelquefois il s’arrêtait pour la
regarder marcher, puis il courait pour la rattraper. Quand le soleil
avait disparu et qu’il revenait vers le palais aux miroirs, la reine
Wen-Kiang s’en allait par une porte qui ne menait nulle part et elle
n’emportait jamais les narcisses.

Alors le prince Tin commençait à souffrir. Il souffrait de jalousie à
cause de tous les amours passés de la reine Wen-Kiang. Les traditions
lui avaient rapporté le récit de ses liaisons. Il savait qu’elle avait
aimé des guerriers vigoureux, pour leur vigueur, des lettrés délicats
pour leur délicatesse, des fonctionnaires, des sculpteurs d’ivoire, des
polisseurs de jade, un esclave muet pour son silence, un Taï-Fou au
visage monstrueux parce qu’il ressemblait à un âne, et le bouffon d’une
troupe ambulante parce qu’il avait le corps déhanché. Toutes les figures
de ces amants morts venaient grimacer dans les miroirs; ils étalaient
des corps obscènes, ils poursuivaient dix mille reines Wen-Kiang, dix
mille reines nues et pâmées, aux bras ouverts, aux yeux noyés. Et
quelquefois, lorsque la lune était dans son plein et remplissait le
palais de son or blême, il n’y avait dans les miroirs qu’une seule reine
Wen-Kiang qui sortait de la région des féeries immatérielles, rose,
souriante et nue, s’avançait par un couloir de cristal vide jusqu’à
l’endroit où reposait le prince Tin, montrait l’ivoire de ses dents tout
près des siennes, le frôlait de sa peau ambrée et phosphorescente et
disparaissait quand il voulait la saisir, ne laissant sous ses doigts
que le froid du cuivre poli, la tentation du métal désert.

Quand il ne pensait pas à la reine Wen-Kiang, le prince Tin n’était
intéressé que par la nuance des laques ou la fabrication des porcelaines
colorées. Il aimait avec la plaquette d’ébène Sun-chi à mélanger
lui-même le fiel de porc et le grès rouge pulvérisé. Il polissait et il
délayait les résines avec l’huile de thé et le charbon d’os de cerf. Il
surveillait sur les fourneaux la cuisson des terres où il avait mêlé des
cendres de chaux et de fougère, répandu des poudres d’or. Il disait
qu’il voulait retrouver un certain violet qu’il n’avait vu qu’une fois
dans l’eau d’un certain étang éclairé par un ciel d’orage et que ce
violet était le même que le violet des yeux de la reine Wen-Kiang.

--Il vaut mieux que les singularités d’un roi s’exercent sur la matière
des porcelaines et les variétés de leur cuisson que sur les affaires du
royaume, disait son ministre Young-Lo.

Or, Young-Lo mourut et, à la surprise de tous, ce fut le sage Confucius
que le prince Tin appela pour le remplacer.




LES MIROIRS BRISÉS


Penché à l’avant de la jonque qui l’amenait vers l’île des cinq palais
royaux, Confucius fronça les sourcils.

--Si l’on veut supprimer le mal, il faut supprimer sa cause,
murmura-t-il.

Le désir de la vertu était venu dans l’âme du prince Tin et l’avait
envahie entièrement. Il obéissait désormais à son ministre Confucius.

Et comme, ce soir-là, il voulait deviser avec lui sur les réformes à
accomplir, il l’invita à marcher un peu avec lui au bord des eaux
calmes.

--Nous ne prendrons pas cette allée, dit doucement Confucius. Le parfum
des narcisses est trop pénétrant et il invite à la rêverie. L’ombre des
canneliers est trop douce et elle invite à la paresse. Sans ombre et
sans parfum doit être la promenade des rois.

Et toute la nuit, à la clarté des lanternes, des serviteurs coupèrent
les narcisses, émondèrent les canneliers, en sorte qu’au matin il n’en
restait plus que les troncs, comme des poteaux mélancoliques.

--Afin de délivrer l’âme en peine du souverain, chaque jour je briserai
un miroir, avait dit Confucius à ses disciples. Et ainsi l’illusion
mourra et la vérité de la vie apparaîtra.

Et chaque jour, dans le palais des miroirs, le prince Tin vit voler en
éclats une des facettes de son rêve. Le visage de la reine Wen-Kiang
prit peu à peu pour lui une expression douloureuse et fatiguée, sa forme
devint plus vaporeuse, plus ténue. Il semblait qu’elle eût de la peine à
apparaître; elle glissait tristement, devenue timide et fugitive.
Lorsque le dernier miroir fut brisé, le prince Tin vit dans un de ses
morceaux une reine Wen-Kiang qui n’était pas plus grande que son doigt
et qui s’effaçait dans une brume de cristal cuivré.

--Comme je suis heureux, dit-il avec mélancolie, de voir enfin les
choses telles qu’elles sont.

Il se plut davantage à écouter les concerts de ses musiciens qui, le
soir, jouaient sur le petit lac, entre les cinq palais, dans une jonque
tendue de soie.

Confucius donna l’ordre qu’il y eût chaque jour, derrière la soie de la
jonque, un musicien de moins.

Le concert s’affaiblit graduellement. Debout, sur la terrasse de son
palais, le prince Tin écoutait comment chante la beauté du monde quand
elle va mourir.

La lune resplendissait et jamais le printemps n’avait été si beau que le
soir où il n’y eut dans la jonque que la voix grêle d’un seul luth.
Confucius était venu pour se rendre compte de ce que ferait sur l’esprit
du prince le dernier soupir de la musique.

Et les accents du luth unique furent particulièrement étranges et tels
qu’on n’en avait jamais entendu de semblables.

Les mandarins de la cour, les gardes, les conducteurs de jonques
coururent sur les bords du lac et se rangèrent entre les troncs taillés
des canneliers pour mieux entendre. De la ville se détachèrent des
barques qui vinrent autour du losange de l’île et demeurèrent immobiles,
comme fixées sur le bleu des eaux par le mystère de l’harmonie. Au loin,
les rivages de Lou se peuplèrent de formes attentives et comme avides de
recueillir des miettes de sons.

Entre les cinq palais, au milieu du losange de la petite île, le
solitaire joueur de luth, invisible derrière la soie tendue, chantait la
tristesse des beaux visages qui se fanent, des grandes ambitions que
l’on n’a pas le courage de porter jusqu’au bout, des amours auxquelles
on est infidèle malgré soi. Et il y avait dans cette musique les échos
d’une gaîté bizarre et violente, d’une danse un peu insensée qui
permettait de croire que cette plainte n’était qu’un jeu.

Le prince Tin était secoué de sanglots et Confucius ne s’expliqua pas
tout d’abord pourquoi il revoyait des images auxquelles il ne pensait
plus, qu’il avait volontairement écartées. Et, soudain, il reconnut la
musique. Il se rappela une froide aurore dans son jardin, il revit son
épouse Ki-Kéou violant la règle édictée par lui, méconnaissant la piété
filiale, essayant de faire triompher sa fantaisie, de tourner en
dérision la sainteté des usages familiaux. Dans cette musique il y avait
la fantaisie, la libre allégresse, l’esprit de révolte, tout ce qui
était dangereux et haïssable. C’était cet air que jouait Ki-Kéou à
l’heure intermédiaire où l’épouse doit reposer encore auprès de l’époux.

Le musicien s’était déjà tu lorsque Confucius songea à donner l’ordre
qu’il s’arrêtât de jouer.

--Faites comparaître ce musicien devant moi, dit-il à l’intendant de la
musique.

Mais on ne put le trouver. Il avait déjà regagné le rivage de Lou.

--Je l’avais engagé récemment, dit l’intendant de la musique. Il
n’observe aucune des règles prescrites et cependant il y a dans sa
manière de jouer une singulière beauté.

--Il n’y a pas de beauté sans l’observance des règles, dit sévèrement
Confucius.

L’intendant baissa la tête.

--Qui est-il? reprit Confucius.

--C’est un certain Mong-Pi, qui est boiteux et fort laid.

Confucius baissa la tête.

--Dois-je le faire rechercher et lui faire appliquer la bastonnade? dit
encore l’intendant.

Confucius resta silencieux. Il réfléchissait.

--Faites-le rechercher et qu’on le reconduise à la frontière du royaume,
après lui avoir donné quelque argent.




LE RÈGNE DE LA VERTU


Confucius vérifia la force de la règle, des innombrables règles qu’il
édicta et qu’il répandit dans le royaume de Lou comme le flot d’une eau
amère mais vivifiante.

Les récompenses parèrent les règles d’une apparence de joie, les
châtiments leur donnèrent l’autorité nécessaire pour qu’elles soient
respectées.

Confucius créa une grande administration comportant des centaines de
fonctionnaires pour la publication des règlements et la surveillance de
leur exécution.

Tout fut réglé. Les heures de travail et celles du repos, le temps que
l’on devait consacrer au repas et celui qui était permis pour le
sommeil. Chacun, selon sa fortune, devait brûler une certaine quantité
d’encens sur l’autel des ancêtres. Chacun, selon son aptitude, devait
s’adonner à un art, mais cela à une certaine heure. La musique était
rigoureusement proscrite après le coucher du soleil à cause de l’action
qu’elle avait sur les passions sensuelles. Pour la même raison il y eut
des impôts considérables sur les épices et certaines herbes auxquelles
on attribuait des effets aphrodisiaques.

De la sensualité naissait, d’après Confucius, une foule de maux: L’oubli
des devoirs filiaux, l’incapacité à comprendre les livres sacrés, une
lenteur de l’intelligence et certains mouvements passionnels qui
jetaient le désordre dans les familles et détournaient de la vertu les
adolescents.

Les danses furent censurées. Les pères de famille reçurent la liste des
fautes que couvre l’ombre du foyer et la description de ces dangereuses
familiarités du frère à la sœur, du cousin à la cousine, qu’ils devaient
défendre. Les jeunes gens et les jeunes filles n’eurent pas le droit de
marcher de compagnie sur les routes, et les époux eux-mêmes, quand ils
sortaient ensemble, devaient laisser entre eux un intervalle assez large
pour qu’un char y pût passer. Une réunion de savants fixa pour les
étreintes conjugales un nombre qui conciliait les désirs de la nature
humaine, la nécessité de la reproduction et le souci du législateur qui
redoute l’excès sexuel comme le plus destructeur des excès.

Le royaume de Lou fut d’un bout à l’autre mesuré, canalisé, administré.
Une hiérarchie compliquée de fonctionnaires le recouvrit, le surveilla,
l’organisa et, au sommet de cette hiérarchie, se tenait Confucius, exact
comme la justice, froid comme la morale, inexorable comme l’ennui.

Et sous ce régime le royaume de Lou prospéra matériellement. Le travail
plus régulier fit des récoltes plus abondantes; la police mieux faite
donna la sécurité aux voyageurs; la vie fut moins chère pour les pauvres
à cause des peines qui frappaient la spéculation des marchands.
L’honnêteté générale augmenta. Si un objet était perdu dans une rue, nul
n’osait le ramasser dans la crainte d’être accusé de vol. Aucun baiser
n’était échangé en dehors du mariage et, même quand le mariage était
consommé, les époux hésitaient à rapprocher leur visage et demeuraient
chastes longtemps après, tellement ils avaient été habitués à considérer
leur désir comme coupable.

La finesse des traits s’atténua, les hommes grossirent. Chacun reporta
sur la nourriture, qui demeurait un plaisir permis, sa faculté de
jouissance. Le bonheur diminua en proportion du bien-être et de
l’étroite moralité qui régnait. L’ennui, le manque d’initiative et
l’absence d’une haute espérance engendrèrent la stupidité. La vertu
régna dans le royaume de Lou.




LE RÊVE DE CONFUCIUS


Confucius fit un rêve.

A côté de son lit, entre deux paravents qui formaient le principal
ameublement de sa chambre, se tenait Lao-Tseu.

Il avait sur son visage une expression plus bienveillante que lorsque
Confucius l’avait vu au seuil du palais des Esprits de la terre. Il
semblait ne pas être appuyé sur le sol et flotter bizarrement. Il y
avait dans sa voix une sorte de commisération.

--Ainsi, tu es ministre! Mais ne sais-tu pas que l’homme saint ne doit
pas s’attacher à ses mérites et qu’il doit considérer la gloire comme
une ignominie. N’as-tu pas honte d’être ministre d’un roi, de commander
à la police et de préparer la guerre?

Confucius répondit qu’il n’avait pas honte.

--Tant pis! C’est que tu vois les choses par en bas. C’est que tu es
troublé par le bruit des passions que tu veux refréner chez les autres
et que tu n’as pas conscience de l’ambition qui te dévore. Tu n’as pas
développé la puissance de perception de l’âme qui permet de contempler
le double aspect des choses. Ah! si tu pouvais t’élever un peu!

Alors Confucius s’aperçut que ce qu’il croyait être les deux paravents
de sa chambre étaient d’immenses ailes que Lao-Tseu avait sur son dos et
qui palpitaient doucement.

Et il s’aperçut, à un petit bruit derrière lui, qu’il avait aussi des
ailes, mais infiniment plus petites que celles de Lao-Tseu, des moignons
d’ailes qui battaient d’une façon un peu ridicule.

Mais il n’eut pas le temps de s’étonner. Lao-Tseu avait fait un signe et
Confucius volait maintenant derrière lui, dans le crépuscule qui précède
l’aurore.

Sa première pensée fut que le sage avait justement choisi pour
l’extravagant exercice auquel il l’entraînait l’heure où Ki-Kéou aimait
jadis à jouer du luth dans son jardin.

Les grandes ailes de Lao-Tseu faisaient un bruit mystérieux et Confucius
s’essoufflait derrière lui.

--J’ai peur de tomber, murmura-t-il.

Ils avaient dépassé les nuages. Ils frôlaient des pics rocheux, des
sommets inaccessibles où il y avait une neige livide.

--Nous sommes trop haut, dit Confucius.

--On n’est jamais trop haut, dit Lao-Tseu. Le ciel est immense.

Ils dépassèrent ces sommets et ils en longèrent d’autres plus hérissés,
plus désolés, sans végétations, nus comme l’intelligence pure.

--J’ai peur de me heurter à ces aiguilles de pierre, dit Confucius.

--Ne vois-tu pas que ce ne sont pas des rochers, mais des idées, dit
Lao-Tseu. Il suffit de ne pas avoir peur pour les traverser aisément et
rendre vide leur solidité.

Et Confucius le vit avec stupeur passer au travers d’une énorme montagne
avec autant de facilité qu’il serait passé au travers d’une brume
légère.

--Viens me rejoindre, cria Lao-Tseu.

--Comment le pourrais-je? répondit Confucius. Je ne puis supprimer la
matière.

--Alors, monte.

Confucius vit que Lao-Tseu volait très haut au-dessus de lui dans
l’espace bleuissant.

--C’est impossible, mes ailes me portent à peine.

--Sois animé par le désir de l’élévation et tes ailes deviendront
immenses, dit la voix de Lao-Tseu affaiblie par l’éloignement.

--Je les sens devenir plus petites à chaque minute, et, regardant
par-dessus son épaule, Confucius vit qu’en effet ses ailes diminuaient
de plus en plus et n’avaient plus que quelques plumes rabougries.

L’aurore naissante illuminait l’espace céleste de toutes les couleurs de
l’arc-en-ciel.

--Renonce à la terre et tu trouveras la voie divine, dit Lao-Tseu de
très loin.

Mais cette parole ne fut pas perdue.

--Jamais! Je ne veux pas renoncer à la terre bien-aimée, clama Confucius
de toutes ses forces.

Et alors il tomba. Il tomba avec une vitesse vertigineuse à travers les
nuages que le soleil levant colorait d’une jeune pourpre; il tomba
jusqu’à la terre uniforme, compacte, protectrice.

Il se retrouva, baigné de sueur, dans son lit d’homme sans ailes. Il se
retourna avec angoisse, mais rien ne soulevait les plis de sa chemise de
lin. Son dos était plat comme il convenait. Il poussa un grand soupir de
soulagement et se leva pour éprouver la douceur des pieds sur le sol.

--A chacun sa tâche, dit-il. Je ne vole pas. Je marche, et j’aimerais
mieux ramper que voler. Je ne suis que le pauvre homme sublime des
hommes ordinaires. Cela me suffit.




LA BELLE MIAO-CHEN


Le royaume de Lou communiquait à l’ouest avec le royaume de Tsi par une
antique route dallée qui datait du règne de Wou-Wang. Un pont de pierre
sur une rivière était la limite de la frontière et une garde nombreuse y
veillait pour interdire l’entrée du pays de la vertu aux éléments de
désordre et d’immoralité. Ces éléments impurs se présentèrent un soir à
l’entrée du pont sous la forme pittoresque et misérable d’une troupe
d’acteurs ambulants.

C’était la troupe du vieux Yan-You. Ses acteurs, fils d’esclaves qu’il
avait instruits, lui appartenaient et il avait beaucoup de mal à les
nourrir. Yen-Ying, ministre du royaume de Tsi, qui ne protégeait pas les
arts, lui avait signifié récemment d’avoir à quitter le territoire de
Tsi. Il ignorait les transformations apportées par Confucius dans l’état
voisin et il escomptait les bénéfices que devait lui procurer la faveur
du prince Tin. Sa troupe était unique. Elle comportait une vingtaine de
personnes auxquelles il avait appris les textes de pièces millénaires
enregistrées dans sa prodigieuse mémoire et les danses barbares Laï-Y
qui se dansent avec des étendards et des sabres aux sons d’une musique
sauvage et se terminent par une extase frénétique des danseurs. Yan-You
avait l’art de grouper autour de ses artistes des chanteurs amateurs
recrutés parmi les gens du peuple des pays qu’il traversait, en sorte
que sa venue était le signal de grandes réjouissances populaires.

Il se jeta aux pieds du Taï-Fou, gardien de la frontière de Lou, en le
suppliant de le laisser passer. Mais celui-ci fut impitoyable, car les
ordres de Confucius étaient formels.

Comme la nuit était venue la troupe de Yan-You campa de l’autre côté du
pont.

Le soleil du lendemain éclaira des événements surprenants.

De même qu’un diamant est quelquefois balayé dans un tas d’ordures,
ainsi la jeune merveille de beauté Miao-Chen avait été projetée dans la
troupe ambulante de Yan-You par le coup de balai des dieux. Elle avait
seize ans et son corps était habité par le génie de la danse, ses doigts
étaient animés par l’esprit qui enseigne la connaissance des luths, ses
lèvres étaient l’expression du dieu des paroles évocatrices et
harmonieuses.

Mais de même qu’un diamant, quand il est brut, est aisément confondu
avec un caillou brillant par ceux qui n’ont pas le sens des matières
rares, ainsi une jeune merveille de beauté est prise pour une créature
vulgaire par les créatures vulgaires au milieu de qui elle vit.

La troupe ambulante de Yan-You fut réveillée ce matin-là par les cris de
désespoir de la belle Miao-Chen.

Comme d’ordinaire, en s’éveillant, elle avait étendu sa main droite pour
caresser le visage du boiteux Nieou, le bouffon de la troupe, qui
dormait auprès d’elle et auquel elle accordait les simulacres de son
amour enfantin. Le bouffon Nieou était vieux et laid et la faisait rire.
Chaque matin elle l’éveillait en lui tirant le nez. Mais le nez qu’elle
tira, ce matin-là, était étrangement glacé. Nieou était mort, durant la
nuit, mort sans bouger, mort sans manifester sa tristesse de quitter la
vie, sans doute pour ne pas troubler le sommeil de sa jeune compagne.

Toute la troupe sortit des tentes qu’on avait tendues le long de la
rivière, et accourut aux cris de Miao-Chen.

Des lamentations s’élevèrent vers le ciel matinal. De désespoir,
Miao-Chen déchira sa robe et son mince corps apparut comme une fleur
tremblante où la rosée fit briller des perles délicates.

Selon les usages antiques, Yan-You, le maître du mort, qui représentait
son père, se tourna vers le soleil levant et appela Nieou par son nom à
plusieurs reprises pour exhorter son esprit déjà errant à rentrer dans
sa forme corporelle.

Acteurs et musiciens répétèrent ensemble: Nieou! pour donner plus de
puissance à l’appel.

Et un cri jaillit de toutes les poitrines.

Du côté du soleil levant, par le pont qui donnait sur le royaume de Lou,
s’avançait un personnage boiteux qui avait à peu près la laideur de
visage et l’allure déhanchée du bouffon mort.

C’était Mong-Pi, qui quittait le royaume dont il était chassé.

Durant quelques instants, dans la demi-lumière du matin, tous crurent
que Nieou ressuscité et rajeuni par le mystère de la mort s’avançait
vers eux. Les cris de douleur furent remplacés par une clameur de joie.
Miao-Chen resta d’abord immobile, les bras ouverts, écarquillant les
yeux. Puis, légère et nue, elle s’élança, gravit la pente du pont au
sommet duquel Mong-Pi venait d’arriver et elle le serra tendrement
contre elle.

Ainsi d’heureux accueils sont réservés parfois aux voyageurs quand une
certaine folie les conduit.

On s’expliqua. Il demeura de cet événement que Mong-Pi pourrait
apprendre les rôles de Nieou et les jouer dans peu de temps. Yan-You
l’engagea sur-le-champ dans la troupe comme acteur libre. Mais son
arrivée conserva un certain caractère surnaturel qui devait suffire à
lui valoir l’amour de Miao-Chen.

La tombe de Nieou fut creusée sur-le-champ. Les lamentations avaient
cessé. Elles reprirent soudain, car il était écrit que cette matinée
devait être fertile en événements pour les comédiens.

Des cavaliers apparurent au loin sur la route de Tsi. Ils entouraient un
char à quatre chevaux et Yan-You reconnut aux étendards d’azur brodés
d’or qui flottaient à droite et à gauche du char que c’était le ministre
Yen-Ying lui-même, en train d’inspecter les frontières. Qu’allait-il
dire en voyant la troupe à laquelle il avait donné l’ordre de quitter le
territoire de Tsi? D’autre part, le Taï-Fou de Lou se tenait de l’autre
côté du pont, au milieu de ses soldats, impitoyable comme la consigne
qu’il exécutait.

Tous les fronts touchaient la poussière. Le char du ministre Yen-Ying
était arrêté. Les piques des cavaliers étaient droites et il n’y avait
dans l’air que le froissement des bannières qui claquaient. Dans cette
attente la belle Miao-Chen osa soulever sa tête curieuse et puérile.

Un cri retentit.

Le ministre sauta de son char et vint regarder de tout près la jeune
danseuse.

--Elle a les yeux violets, cria-t-il. Les yeux violets de la reine
Wen-Kiang!

Et comme vingt têtes stupéfaites se tournaient du côté du ministre,
celui-ci aperçut Mong-Pi et éclata de rire.

--Et voilà la tête d’âne qu’il me faut!

Il fit signe à Yan-You de se relever.

--Tu es désormais le chef des divertissements du roi de Tsi. Tu vas me
suivre à Tsi-Nan-Fou avec tes comédiens, mais il te faudra leur
apprendre une pièce dont je te fournirai le thème et dont voilà les deux
héros.

Il désignait du doigt Mong-Pi et la belle Miao-Chen dont les yeux
réverbéraient le soleil levant et étaient pareils à deux violettes
célestes.




L’ENTREVUE DE KIA-KOU


Quand le roi de Tsi fit inviter le roi de Lou à une amicale entrevue par
un ambassadeur vêtu de bleu en signe d’amitié et accompagné de cavaliers
bleus comme lui, Confucius pressentit tout de suite un piège, car il
possédait la clairvoyance des choses humaines. Comme il cultivait le
courage autant que les autres vertus, il décida d’accompagner son maître
à l’amicale entrevue qui devait avoir lieu à Kia-Kou sur le territoire
de Tsi. Et, comme il cultivait aussi la prudence, il donna l’ordre au
Taï-Fou de la guerre de suivre le char royal avec une troupe de
cavaliers bien armés.

Les deux souverains et leurs ministres devaient s’entendre sur le sujet
qui les divisait depuis longtemps et qui était la possession de trois
villes du royaume de Lou dont le roi de Tsi s’était emparé, au mépris de
toute justice. L’entrevue devait avoir lieu au coucher du soleil, à
cause de la représentation qui devait suivre et à laquelle l’ombre de la
nuit donnerait plus de beauté.

Dans une grande prairie une estrade avait été dressée au milieu de
bosquets de bambous et de canneliers, et les deux souverains y prirent
place avec leurs ministres.

Tout de suite Confucius parla avec la fermeté d’un homme qui réclame ce
qu’il est juste de réclamer et qui sait pouvoir faire appuyer la justice
par la force.

La nuit était venue pendant le cérémonial de l’accueil, les premières
formules de politesse, les hypocrites protestations. Le prince Tin, les
yeux perdus dans le ciel du soir, semblait se désintéresser du débat.
Confucius parlait, mais la force de son raisonnement lui permettait de
suivre ce qui se passait autour de lui et l’événement dont il lisait la
trame sur le visage du roi de Tsi et de son ministre Yen-Ying.

Des porteurs de lanternes sortaient des bosquets de bambous et
entouraient l’estrade de tous les côtés. Une triple rangée s’échelonna
sur chaque côté de l’escalier qui faisait communiquer l’estrade avec la
prairie. Confucius remarqua que les lanternes, au lieu d’être bleues
comme l’amitié, étaient rouges comme la violence et que tous les
porteurs étaient revêtus de la cuirasse et avaient à leur ceinture le
sabre des guerriers.

Le ministre Yen-Ying s’était levé. Il allait jeter le masque. Confucius
ne lui en laissa pas le temps. Il saisit le gong que tenait un serviteur
et il en frappa plusieurs coups précipités.

A ce signal le Taï-Fou de Lou et ses cavaliers sortirent du bois voisin
où ils attendaient et accoururent à travers la prairie vers l’estrade
qu’ils enveloppèrent, avec un grand cliquetis d’armes. Quelques
lanternes tombèrent, quelques sabres furent tirés. Il y eut un moment de
confusion. Les gens de Lou et ceux de Tsi attendaient l’ordre d’en venir
aux mains. Yen-Ying s’avança pour crier cet ordre.

Confucius le prévint encore.

--J’ai pensé que l’heure du spectacle était venue, dit-il, et j’ai voulu
que ces quelques hommes d’escorte fussent témoins des divertissements
qui sont préparés.

Yen-Ying évalua silencieusement les forces en présence et s’inclina. Il
fit signe à Yan-You et à sa troupe de s’avancer.

Le prince Tin n’avait pas interrompu sa rêverie.

Les musiques qui retentirent aussitôt étaient inusitées, plus
voluptueuses, plus étranges que celles que l’on entend d’ordinaire; il y
avait des éclats de tambour qui heurtaient la raison et des plaintes de
flûtes qui déchiraient le sens de la pudeur.

Mais avant que Confucius ait pu s’indigner de l’inconvenance de telles
harmonies, les comédiens avaient commencé la représentation de la pièce.

Or cette pièce mettait en scène les amours de la reine Wen-Kiang avec un
guerrier ridicule qui portait une tête d’âne. La belle Miao-Chen était
si délicieuse dans le rôle de la reine que, lorsqu’elle parut, il y eut
un frisson dans l’assistance et toutes les lanternes oscillèrent dans
l’air comme si les porteurs étaient ivres.

Confucius eut la présence d’esprit de déployer son éventail devant le
visage du prince Tin pour lui dérober l’éclat des yeux violets tout en
l’entretenant à voix basse des trois villes dont il exigeait la
restitution. Ainsi occupé par le jeu de l’éventail il n’écouta que d’une
oreille et la pièce était déjà presque finie quand il perçut quelle
scandaleuse injure elle constituait par son sujet en même temps qu’un
perfide appel à la démence du prince Tin.

Il se leva pour l’interrompre. Mais des rires tumultueux couvrirent sa
voix. Mong-Pi, porteur de la tête d’âne, mimait de façon si plaisante la
joie d’un guerrier caricatural favorisé par l’amour d’une divine
créature que les spectateurs s’asseyaient sur le sol pour rire à leur
aise et que les cavaliers de Lou se laissaient tomber de leur cheval en
s’esclaffant.

Puis un silence passa soudain et les paroles indignées se figèrent sur
les lèvres de Confucius. Miao-Chen dansait. Elle dansait presque nue
avec un léger mouvement de ses seins et de ses hanches étroites. Elle
avait mis sur son visage l’expression de la plus parfaite pureté en même
temps que son corps exprimait le frémissement du désir, l’attente de la
volupté. Et à mesure que cette volupté grandissait en elle comme si elle
était sortie du plus profond de son corps mince, ses yeux, pareils à
l’eau d’un étang un soir d’orage, devenaient plus intensément violets et
plus ingénus et elle les fixait, comme il le lui avait été commandé, sur
le prince Tin.

Mais en vain. L’éventail de Confucius passait et repassait et tout le
temps que dura la danse le sage ministre entretint son souverain des
plus graves sujets et occupa son attention.

Or, les fautes doivent être suivies par les châtiments et les forts ne
doivent pas supporter l’injure sans devenir faibles. Le Taï-Fou de Lou
se tenait maintenant à la droite de Confucius prêt à venger l’injure, et
les cuirasses des cavaliers étincelaient circulairement. A peine
Confucius avait-il laissé éclater sa colère que le roi de Tsi se
confondait en excuses et que le ministre Yen-Ying se tordait les mains
de désespoir. Ils n’étaient pour rien dans tout ceci. A leur insu cette
pièce avait été représentée. Il ne fallait accuser que d’indignes
histrions.

Confucius ne consentit pas à se retirer sans une réparation visible et
immédiate. Yen-Ying lui offrit de faire mourir à l’instant toute la
troupe des comédiens sur le lieu même où l’injure avait été commise.
Confucius trouva, dans son amour de l’humanité, que ce massacre était
exagéré et inutile. Il n’exigea que la mort de la femme impudique qui
avait dansé. Il savait qu’il détruisait ainsi un des contraires de la
vertu, une des formes du mal sous son aspect le plus tentateur, le plus
mystérieusement attrayant et le plus détestable.

Quand on vint la chercher, la belle Miao-Chen riait, assise dans la
prairie, une tête d’âne sur les genoux et, parfois, elle posait son
jeune visage sur l’épaule de son compagnon Mong-Pi. Elle crut qu’il
s’agissait de récompenses, de félicitations, et elle tomba à genoux,
avec allégresse, toute petite devant l’énorme puissance des hypocrisies
royales et des convenances officielles.

Un peu plus tard, Confucius ayant fait signer au roi de Tsi la
restitution des trois villes, prenait congé de lui avec mille
salutations. Il entendit des cris déchirants et il s’arrêta au moment de
monter sur son char.

--Ce n’est rien, dit Yen-Ying. C’est le bouffon Mong-Pi qui pleure la
femme qu’il aimait.




LES TROIS TÊTES DE MONG-PI


Cette nuit-là, Confucius eut un rêve.

Mong-Pi se tenait auprès de son lit, mais Confucius remarqua avec
surprise qu’il avait trois têtes différentes qu’il posait tour à tour
sur ses épaules.

La première tête était celle de la belle Miao-Chen. Elle était plus
belle encore que lorsqu’elle dansait; elle le regardait de ses yeux
violets et Confucius connut avec certitude que la nuance améthyste des
prunelles est bien cette rare lueur qui monte d’un étang où pourrissent
des végétations mortes, quand un ciel d’orage s’y reflète. Mais il n’eut
pas le temps de réfléchir au mystère qui fait sortir un beau rayon de la
putréfaction des eaux, car la tête de Miao-Chen était remplacée par une
tête d’âne. L’âne! La stupidité haïssable, l’incongruité, la
grossièreté! Mais il n’eut pas le temps de réfléchir à ce je ne sais
quoi de fidèle et d’amical qui se dégageait de la bête. C’était le vrai
visage de Mong-Pi qui se tenait à côté du sien.

Et Mong-Pi lui dit:

--Je suis la beauté de la courtisane, la folie de celui qui vit en
dehors de toute règle; je suis le rire, je suis ta victime, ô Confucius.
Tu me persécuteras toujours, car il y a une force en toi qui te fait
croire que ta vérité est la seule vraie et qu’il faut obliger les autres
à l’adopter. La moralité est ton essence et tu es prêt à me faire
souffrir mille supplices pour mon plus grand bien. Je t’échappe sans
cesse, mais tu me domines parce que tu es l’ordre et que tu commandes
aux gardiens des portes et à ceux qui ferment, le soir, les grilles
séparatrices des quartiers. Courtisane, je me mettrai nue malgré toi
pour troubler les adolescents; musicien, je jouerai les hymnes insensés
qui procurent aux hommes les rêves défendus. Je ferai éternellement ton
désespoir, ô fils du sous-préfet, maître des révérences, parfait
magistrat, modèle des ministres. Tu auras de ton côté les pères de
famille pleins de bon sens, les matrones vénérables, les hommes sensés,
les hommes vertueux, toute la société organisée. Je continuerai à vivre
avec des gens de peu, partageant mon temps entre la prison et la grande
route, mais, malgré le mépris que tu auras de moi, tu souffriras de
n’arriver jamais à me faire faire amende honorable devant ta saine
raison. Tu peux briser le luth, couper la tête de Miao-Chen, arracher
mon cœur de ma poitrine, je ne saurais périr, car je suis éternel et je
renaîtrai sous la forme de la cigale oisive ou du rossignol inutile. De
nous deux, ô sage, tu te crois sans doute le meilleur, mais j’ai sur toi
une supériorité que tu ignores, c’est que je ne saurais t’en vouloir,
car je suis ton frère, ô Confucius!




LES QUATRE-VINGTS JEUNES FILLES


Confucius mangeait peu, dormait à peine, travaillait énormément. En vain
ses disciples l’exhortaient-ils au repos. Il leur répondait que la
prospérité du royaume exigeait toutes les heures de sa vie. Il leur céda
pourtant à la fin. Il consentit à rester chez lui un jour, un seul jour.

Et c’est ce jour-là, pendant qu’il dormait, qu’arrivèrent les
magnifiques présents envoyés au roi de Lou par le roi de Tsi.

Ils arrivèrent par la porte du Nord, au milieu d’une garde d’eunuques,
sur des chevaux blancs, et c’étaient quatre-vingts jeunes filles avec
des peaux laiteuses comme de jeunes amandes, des reins souples comme des
feuilles de palmiers, des lèvres rouges et humides comme le plaisir
charnel.

Elles venaient de Yang-Tchéou, ville renommée dans tout l’empire pour le
caractère lascif de ses habitants. Là il y avait des écoles de danse et
des écoles de musique, et l’art de la volupté était enseigné aux femmes
dès leur plus jeune âge. Yen-Ying s’y était rendu lui-même et il avait
acheté avec le trésor de Tsi les plus belles créatures qu’il avait
trouvées, sachant bien qu’il récupérerait le trésor de Tsi par
l’abaissement du royaume de Lou.

Les quatre-vingts jeunes filles traversèrent la ville comme un songe
voluptueux, et le prince Tin, qui se promenait sur le rivage de l’île en
forme de losange, entendit la musique de leurs luths et vit leurs formes
blanches aux bords des jonques qui s’avançaient sur les flots. Par
plusieurs côtés à la fois, les jeunes filles débarquèrent; elles
coururent en riant dans les cinq palais; elles remplirent les allées des
jardins; elles débordèrent les gardes des portes; elles gravirent les
escaliers de marbre; elles firent monter vers le ciel une immense
bouffée de joie.

Et toutes répondaient au prince Tin, quand il les questionnait:

--Nous sommes les suivantes de la merveilleuse, de la mystérieuse, de la
splendide que voilà.

Et elles désignaient la plus belle d’entre elles qui avait un port de
jeune reine, une améthyste en forme d’étoile sur le front et était vêtue
d’une tunique mauve assez transparente pour laisser voir un corps
parfait.

Le prince Tin s’avança à la fin vers cette créature d’élection et lui
demanda son nom.

Elle écarta le voile dont elle cachait son visage, elle fixa sur lui
d’immenses yeux violets et elle dit modestement:

--Je suis la reine Wen-Kiang et je reviens habiter mon île.

Le prince Tin s’aperçut tout à coup que le printemps avait fait
repousser les branches des canneliers dans l’allée et que les narcisses
sortaient de terre avec force comme si la substance musicale éparse dans
l’air leur donnait la vie. Il vit qu’il était au centre de l’immense
miroir bleu du lac et qu’il marchait à côté de celle à laquelle il avait
pensé si longtemps. Chemin faisant il cueillit un bouquet de narcisses
qu’il lui tendit, et, comme la reine Wen-Kiang se montrait étrangement
provocante, il n’eut pas de scrupules à l’entraîner doucement vers ses
appartements et elle n’eut pas d’hésitation à le suivre. Elle y mit même
un empressement qui n’aurait pas paru royal si le prince Tin n’avait pas
été aveuglé par le désir.

La nuit vint. Des lanternes s’allumèrent comme les prunelles du plaisir.
Une farandole blanche parcourut l’allée, le long du lac, et sembla
envelopper les cinq palais d’une voluptueuse couronne.

Les soldats avaient abandonné leurs armes, les lettrés leurs livres. Des
barques sillonnaient le lac et d’elles s’élevait un chant qui montait
vers les étoiles comme une longue branche de cristal. Parfois un
vénérable mandarin regagnait la terre, emportant vers sa maison, comme
un morceau de jade blanc, symbole de la pureté essentielle, une
précieuse jeune fille.

Par la communication du rythme des danses l’ivresse qui s’était emparée
de l’île gagna toute la cité. Chacun rejeta le joug trop pesant d’une
trop parfaite moralité. Les fenêtres closes s’ouvrirent. Par les portes
dérobées glissèrent des formes de femmes avides de choses furtives, de
rendez-vous défendus.

On vit des fonctionnaires qui s’en allaient accomplir une cérémonie
rituelle à la pagode des Ancêtres Impériaux, sur une colline voisine,
jeter les bâtonnets d’encens et les vases de lait et s’élancer à grands
pas vers le quartier mal famé de la ville.

Sur le seuil du Tribunal des Rites, le grand-maître des Châtiments
s’arrêta, poussa un soupir et revint sur ses pas en disant:

--Où sont mes vingt ans?

En une seule nuit s’écroula l’œuvre que Confucius avait édifiée pendant
des années.

Car il bâtit sur le sable celui qui prend la morale des hommes pour
fondement de la société, celui qui ne tient pas compte de la beauté
cachée de la passion, de la vertu du désordre, de la force créatrice du
plaisir, et qui ne sait pas qu’il n’y a pas de plus magnifique aliment
pour nourrir l’âme et l’élever que l’amour, le simple amour de l’homme
et de la femme.




LE TRIOMPHE DE LA JOIE


Une alouette ironique battit de l’aile sur sa fenêtre et Confucius
s’éveilla enfin. L’insistance de l’alouette à faire avec son bec de
petits trous irréguliers dans le mica des carreaux lui fit pressentir
qu’il y avait quelque chose de changé autour de lui dans le respect de
ce qui devait être respecté.

Il s’habilla à la hâte. Sa garde et ses porteurs ne l’attendaient pas
devant la porte autour de son palanquin. Dans la rue, il faillit être
renversé par un ivrogne. Puis il se frotta les yeux, faisant un rêve
singulier. L’auguste directeur des cérémonies rituelles marchait sans
escorte devant lui et il étreignait une créature svelte et impudiquement
vêtue qui, par jeu, lui caressait parfois le nez avec une plume de paon.

--J’ai trop dormi, pensa Confucius. Le songe se poursuit dans la
réalité.

Comme il atteignait les bords du lac, la continuation du rêve se
manifesta ainsi:

A demi couché au fond d’une barque sur un amoncellement de roses
effeuillées, se tenait le Taï-Fou de la guerre. Il était visiblement
ivre. Une lanterne de papier peint se balançait au-dessus de sa tête et
il oscillait avec elle en riant stupidement. Une toute petite femme
était sur ses genoux et il lui lançait parfois une poignée de feuilles
de roses dans les cheveux.

Cette lanterne allumée en plein jour et la disproportion qu’il y avait
entre l’énormité du Taï-Fou et la petitesse de sa compagne furent pour
Confucius les symboles matériels de la débauche sous son aspect le plus
hideux.

Il ne put s’empêcher de faire à cette image irréelle un signe impérieux.

Le Taï-Fou y répondit en jetant négligemment vers lui une poignée de
roses et, comme la barque était tout près du rivage, l’une d’elles
toucha le front de Confucius et une petite épine le piqua légèrement. Il
perçut, au moyen de cette véridique épine, que ce qu’il prenait pour un
songe était une réalité, et il pressentit l’étendue de la catastrophe
qui frappait le royaume de Lou.

Sur le seuil du palais, il se fit annoncer au prince Tin. Mais celui-ci
lui fit répondre qu’il ne pouvait le recevoir. Il attendit vainement. Il
ne devait jamais plus se trouver en sa présence.

L’autorité de Confucius mourut mystérieusement dans toutes les âmes en
même temps. Les rouages des administrations qu’il avait créées ne
fonctionnèrent plus qu’avec lenteur et finirent par se disloquer. Les
dignitaires du royaume ne vinrent plus demander ses ordres. On cessa de
lui obéir. Il ne put en référer à l’invisible souverain. Un joueur de
luth reçut, sans qu’il en fut avisé, le titre de grand Ordonnateur des
fêtes du royaume avec des pouvoirs discrétionnaires. L’eunuque de Tsi,
qui avait conduit les quatre-vingts jeunes filles et qui passait pour un
homme de mœurs détestables, devint gouverneur des cinq palais de l’île
en losange, et des jardiniers semèrent d’innombrables narcisses et
transportèrent des canneliers avec de longues branches fleuries.

Yan-You vint avec sa troupe s’installer sur la grande place de la ville,
en face du temple de la Perfection immaculée. Il avait perdu ses deux
principaux artistes, car Mong-Pi avait disparu après la mort de la belle
Miao-Chen. Mais, selon la méthode qui lui était familière, il
instruisait les gens du peuple dans l’art du chant, il organisait des
chœurs immenses qui emplissaient toute la ville d’un immense chant de
joie.

Il n’y eut aucun ordre royal précis. Confucius sentit qu’il était
rejeté, éliminé, par le jeu naturel des choses, lui et ses règles
morales, ses lois vertueuses, lui et son implacable amour du bien.

Il décida de quitter le royaume de Lou et il donna rendez-vous un matin
aux quelques disciples qui n’avaient pas encore troqué leurs robes
noires contre des robes de parade.

Il tint à ne rien emporter, à s’en aller plus pauvre qu’il était venu,
car il était sincèrement désintéressé.

Mais Tseu-Lou et Tseu-Kong vinrent seuls au rendez-vous. Confucius
attendit longtemps inutilement dans la mélancolie matinale d’une rue
déserte. A la fin il se mit en route avec ses deux compagnons fidèles.

Or un chien errant, un misérable chien jaune, se mit à marcher derrière
son cheval et ne voulut pas le quitter.

Confucius le connaissait bien. Ce chien avait élu pour domicile le seuil
de sa maison. Il le voyait chaque jour et il était obligé de prendre un
bâton pour l’empêcher de rentrer chez lui, car il estimait que la
possession d’un chien est contraire à la propreté domestique.

Il le menaça inutilement. Le chien semblait s’être donné à lui. Il
s’arrêtait, le regardait avec de grands yeux tristes, puis, quand
Confucius repartait, il reprenait fidèlement sa marche derrière lui.

A la fin, Confucius le laissa faire et il dit à Tseu-Lou et à Tseu-Kong:

--Il n’y a pas pour m’accompagner un seul de ces habitants de Lou dont
j’ai voulu le bien si passionnément. Et ce chien que j’ai toujours
chassé de mon seuil me donne les marques de l’attachement le plus
véritable. Comme cela est mystérieux!




LA VIEILLESSE DES SAGES




LE RETOUR DE SIU-KIA


Lorsque le disciple Siu-Kia parut sur le seuil du palais des Esprits de
la terre, avec ses cheveux relevés et noués derrière la tête à la
manière des Hindous, Lao-Tseu lui tendit les bras, mais il ne manifesta
pas une extrême surprise. Et Siu-Kia s’étonna de cette absence
d’étonnement et Lao-Tseu lui dit:

--Il m’est venu depuis quelque temps une singulière faculté de voir, en
fermant les yeux, ceux auxquels mon âme est liée. Je te distinguais sur
les routes. Je voyais la crosse de ton bâton dans les bourrasques de
neige de la montagne Loung et les sables des déserts soulevés par le
vent n’arrivaient pas à cacher ton ombre. Mais dis-moi ce que tu as vu
dans les pays qui sont par delà les frontières de la Chine.

--O maître, dit Siu-Kia, la lune bien des fois a grandi, puis s’est
amincie sur ma tête. Par le passage Hang-Kou je suis sorti de l’empire
et j’ai traversé des régions où il n’y avait que des loups sauvages et
j’ai gravi des montagnes très hautes où les aigles volaient par
centaines et frôlaient ma tête de leurs ailes. Les loups m’ont respecté
à cause de ma maigreur et les aigles ne m’ont pas crevé les yeux parce
que mon désir de connaître donnait à mes prunelles la ressemblance du
ciel. J’ai traversé le Fleuve de sable où l’on meurt si l’on fait la
rencontre de certains vents brûlants qui sont des génies avec des robes
de feu. J’ai passé par le royaume de Chen-Chen et, en marchant vers le
Nord-Ouest, j’ai atteint le royaume de Oui, dont les habitants sont
inhospitaliers, et le royaume d’Yu-Thian, dont les habitants sont
accueillants et doux mais peu nombreux et où il y a des monastères
carrés, en pierres noires, au sommet de montagnes coniques. Je suis allé
toujours vers l’Ouest. Les végétations ont changé autour de moi, le ciel
a pris une couleur indigo que je ne lui avais jamais vue; j’ai descendu
les pentes de Tsoun-Ling et je suis arrivé dans des vallées si heureuses
qu’on ne peut les regarder sans pleurer. Il y a des arbres qui ont l’air
de jeunes filles amicalement penchées et des rivières dont l’eau est
aussi pure que le jade au soleil levant.

Enfin, ayant passé le fleuve Aciravati, je suis parvenu dans le pays des
Çakias. Là, il n’était bruit que de la sagesse incomparable d’un fils de
prince appelé Siddartha.

--Un fils de prince! interrompit Lao-Tseu. Je croyais que, seuls, les
très pauvres hommes pouvaient arriver à la sagesse incomparable.

--Il n’en est rien, ô mon maître. Ce Siddartha est fils de Souddhodana,
puissant souverain qui a des chars de guerre, des esclaves et des
éléphants et qui commande dans la ville de Kapilavastu. Mais tous les
biens de son père, son palais et sa propre épouse, Siddartha les a
quittés pour le recueillement et la solitude dans la forêt, parmi les
bêtes sauvages.

--Son épouse! interrompit encore Lao-Tseu. Je croyais que seul pouvait
parvenir à la sagesse incomparable celui qui avait été chaste toute sa
vie.

--Il n’en est rien, ô mon maître! De ce Siddartha est même né un fils
nommé Rahoula. Or Siddartha a éprouvé à un degré extrême la souffrance
des hommes condamnés à la maladie et à la mort. La pitié qu’il éprouvait
pour leur ignorance et leur misère lui a déchiré le cœur. Il s’est assis
sous l’arbre Peï-to et il y est demeuré jusqu’à ce que l’illumination
lui vînt et qu’il connût le secret de la délivrance. Alors il s’est levé
et il a marché parmi les hommes pour leur enseigner le fruit de ses
méditations et la vérité qui lui était propre.

--Es-tu parvenu jusqu’à lui et l’as-tu vu? demanda Lao-Tseu. Peux-tu me
dire si son visage est splendide et si une lumière rayonnante s’échappe
de ses yeux comme celui que j’ai vu dans mon rêve.

--Il n’en est rien, ô mon maître! Et sans doute le rêve transforme et
embellit. Celui dont la renommée s’étend à travers les plaines
gangétiques et dans le montagneux Thibet et qu’on appelle le Bouddha a
l’apparence d’un homme ordinaire. Aucune grandeur sublime ne se dégage
de sa personne et, si je l’osais, je te dirais qu’il te ressemble, ô mon
maître! J’ai pu m’approcher de lui avec quelques moines d’un monastère
du pays de Kie-Tcha qui m’avaient accompagné dans une partie de mon
voyage. Il se tenait debout à la clarté du soleil près d’une petite
cabane en branches de lataniers, sous les branches d’un arbre en forme
de voûte, et il allait verser l’eau d’une cruche dans une coupe de terre
pour boire. A côté de lui il y avait sur une pierre une galette d’orge
qu’il avait dû faire griller lui-même et qu’il allait prendre pour son
repas. Oui, ce grand sage allait manger et boire comme tous les hommes,
comme tu es obligé de le faire toi-même, et je ne sais pourquoi cela m’a
rempli d’émotion. Quand il nous a vus, il a posé sa cruche avec un
mouvement d’affectueuse allégresse et il nous a souri bienveillamment.
Il sourit toujours bienveillamment et je dois dire qu’un peu plus tard
ses enseignements m’ont paru venir de plus haut et de plus loin et avoir
plus de beauté parce qu’ils venaient d’un homme ordinaire qui souriait
bienveillamment.

--Quels sont les enseignements qui venaient de si haut et de si loin?
demanda Lao-Tseu avec impatience. Sans doute en as-tu été frappé comme
par un éclair et es-tu demeuré stupéfait par la révélation de ce qui
t’était caché?

--Il n’en fut rien, ô mon maître! car ces enseignements, je les
connaissais. Ce sont ceux que tu m’as enseignés avec peu de mots depuis
longtemps et que tu as enseignés au petit nombre de sages qui sont venus
s’instruire auprès de toi. La vérité qui, grâce à ta parole, circule
dans l’antique Chine est la même que celle que le Bouddha répand dans
l’Inde. Vous enseignez l’un et l’autre qu’il faut vaincre en soi le
désir pour échapper au recommencement des vies successives et rentrer
dans la béatitude de la perfection qui est au-dessus du bien et du mal
et où l’on goûte l’immuable amour. Vous enseignez l’un et l’autre que
l’on y parvient par la simplicité des mœurs, l’absence d’orgueil, la
méditation solitaire, la recherche du divin en soi-même. Aussi ma joie
est grande d’avoir terminé mon voyage afin de m’asseoir à tes côtés et
de rechercher l’extase que tu prescris.

Lao-Tseu avait poussé un grand soupir de soulagement. La vérité n’a pas
besoin de confirmation, mais l’esprit de l’homme manque tellement de
certitude que le plus grand sage est heureux de savoir qu’il y a au loin
un sage qui pense comme lui.




LE DÉPART DE SIU-KIA


Quand Siu-Kia eut fait en détail le récit de son voyage, quand il eut
mangé et bu, il s’assit pour méditer. Mais Lao-Tseu lui dit:

--Je t’ai parlé de ce singulier pouvoir qui me fait voir à distance ceux
auxquels je suis lié par une spirituelle affinité. Or, depuis quelque
temps, j’ai la vision d’un homme merveilleux qui a un visage rayonnant,
empreint d’une extraordinaire curiosité et des yeux où luit le désir de
l’explication. Il est assis au bord d’une mer couleur de saphir, semée
de voiles triangulaires; il y a un temple blanc derrière lui et je vois
autour de son large front voltiger des nombres comme des oiseaux
mathématiques. Le paysage qui entoure l’homme plein de curiosité me fait
augurer, par la netteté de son atmosphère, l’abondance des marbres
clairs et la blancheur de peau des femmes, que c’est un paysage des pays
d’au delà les montagnes de l’Ouest, d’au delà les royaumes qui sont
après les montagnes de l’Ouest; d’une région où aucun homme né en Chine
n’est parvenu. Je suis trop vieux pour aller si loin, mais peut-être
toi, qui es jeune et fort et as pris l’habitude des voyages, voudras-tu
t’en aller là-bas et t’enquérir de cet homme à l’esprit lumineux comme
le ciel qui l’éclaire et de cette science des nombres dans laquelle je
suppose qu’il est versé.

A peine Lao-Tseu avait-il dit ces mots que Siu-Kia ramassait son bâton
et était debout.

O maître, je vais partir sur-le-champ. Je dois me hâter, car le pays
dont tu parles me semble être bien lointain. Je n’en ai jamais ouï
parler et il se peut que toute ma vie ne suffise pas pour l’atteindre.

--Peut-être, chemin faisant, reprit Lao-Tseu, obtiendras-tu quelques
renseignements sur les sages parfaits, héritiers des secrets perdus des
races anciennes, qui vivent aux environs du mont Kouen-Lun, point
central de la terre, dans une communauté cachée et dirigent l’humanité
par l’effort de leur esprit. Je ne sais pas s’il est possible qu’on les
reconnaisse. Je ne sais pas si, comme le sage de l’Inde, ils sourient
bienveillamment, ou si, comme le chercheur de nombres d’au delà les pays
de l’Ouest, ils ont un regard plein de curiosité. S’il t’est donné de
les voir, pourtant, reviens à la hâte vers moi, car c’est au milieu
d’eux qu’est le foyer de la vraie lumière.

Siu-Kia sortit du palais des Esprits de la terre et s’éloigna avec
rapidité, car il avait des milliers et des milliers de tchang à
parcourir, et son premier voyage lui avait fait entrevoir combien la
terre est immense.

--Je suis très vieux, lui avait dit Lao-Tseu en l’accompagnant jusqu’au
cyprès renversé.

--A bientôt! avait crié Siu-Kia de loin.

Mais il ne devait jamais revenir.




MONG-PI ET LE CHIEN


Confucius voyageait. Il allait de pays en pays, gardant l’espérance de
gagner à ses idées l’esprit d’un roi et de moraliser par ce moyen le
royaume, puis tout l’empire de la Chine. Mais les rois ne l’écoutaient
que distraitement. Il était devenu en vieillissant plus rigoureux sur
les principes de sa morale, plus exigeant sur les manifestations d’une
vertu obligatoire. Il avait à un haut degré le souci de la justice, mais
il ne la concevait que revêtue d’une ceinture d’ennui. Il professait le
plus sincère amour de son prochain, mais cet amour avait une cuirasse de
chasteté, une armure d’obligations et de règles qui le rendaient presque
aussi redoutable que la haine.

Le roi de Soung reçut Confucius avec de grands honneurs. C’était un
homme gros qui ne songeait qu’au plaisir de la nourriture. Il était à
table et il achevait son repas pendant que Confucius parlait. Le sage en
était arrivé aux règles d’abstinence qui rendent l’esprit plus délié. Le
roi s’endormit juste à temps pour ne pas entendre une réprimande
indirecte qui s’adressait à lui. Confucius s’offensa de ce sommeil et
quitta l’État de Soung.

Le roi de Tcheng était grand chasseur. Il reçut Confucius dans son
jardin. Il tenait son arc à la main et son cheval était à côté de lui,
car il allait partir pour la chasse.

Confucius n’en exposa pas moins dans les moindres détails sa méthode de
gouvernement. Le roi regardait avec obstination des oies sauvages qui
volaient en cercle au-dessus de lui. Il interrompit Confucius pour lui
demander quelle était la signification de cet inhabituel vol circulaire
des oies sauvages qui, à cette époque de l’année, auraient dû s’en aller
vers le Nord.

Confucius répondit sèchement qu’il s’occupait des mœurs des hommes et
non de celles des oies. Le roi de Tcheng sauta sur son cheval et partit.
Confucius fut obligé de faire de même.

Les années passèrent. Il eut de nombreux disciples dans les villes qu’il
traversa. Il répandit sa doctrine avec une inlassable persévérance. Elle
fut comprise aisément par tous les hommes moyens et cultivés qui la
recueillirent avec respect. Mais ce ne fut pas assez pour Confucius qui
rêvait la première place dans l’empire, non par ambition personnelle,
mais pour faire triompher sa conception morale. Il s’aigrit un peu. Il
se découragea à la fin. Il accusa la décadence des temps. Il décida de
rentrer dans sa patrie.

Dans le massif montagneux qui est au nord du royaume de Lou, son char,
traîné par un bœuf, et la petite troupe de ses disciples montés sur des
ânes furent arrêtés par une troupe de brigands qui rançonnaient les
voyageurs. Mais ces brigands reconnurent Confucius dont la célébrité
était immense et dont la pauvreté était légendaire. Ils n’exigèrent rien
de lui et de ceux qui l’accompagnaient. Même ils donnèrent aimablement
des renseignements au sujet d’un raccourci qui permettait d’éviter une
côte au flanc d’une montagne escarpée.

Au moment où les deux groupes allaient se séparer Confucius faillit
pousser un cri de surprise. Il venait de reconnaître Mong-Pi dans un des
brigands, particulièrement laid et déguenillé. Mong-Pi, chargé d’armes
d’une grandeur ridicule, le regardait fixement et il y avait dans son
regard un mélange de joie et d’extravagance.

Il éclata de rire et il fit quelques enjambées vers Confucius, les bras
tendus et faisant s’entrechoquer les deux larges sabres qui étaient
pendus à sa ceinture.

--Je ne laisserai pas passer mon frère sans le serrer dans mes bras,
cria-t-il.

Confucius frissonna. Il ignorait la crainte, mais ce qui était
scandaleux lui paraissait pire que la mort.

Ses disciples allaient se précipiter. Mais Mong-Pi, arrivé près de
Confucius, se baissa, saisit dans ses bras le misérable chien jaune qui
était devenu le compagnon fidèle et bien aimé de Confucius, et il
embrassa à plusieurs reprises, avec une tendresse fraternelle, son
museau souillé, puis il le reposa sur le sol.

Le chien jaune, au lieu de gronder, jappa amicalement et, quand le char
de Confucius fut sur le point de disparaître au tournant de la route, il
se retourna plusieurs fois vers la silhouette de Mong-Pi qui lui faisait
signe, comme s’il avait un regret.

Et, un peu plus tard, Confucius se pencha vers Tseu-Lou, qui était à
côté de lui sur le char, et il lui dit en soupirant:

--Je suis triste d’avoir vu Mong-Pi parmi ces brigands. Voilà où
conduisent le dérèglement des passions et le désordre de la vie.

Il garda longtemps le silence et il dit encore:

--Je ne sais pourquoi Mong-Pi a appelé ce chien son frère et pourquoi ce
chien n’a pas aboyé quand il l’a pris dans ses bras. Il y a, en vérité,
une similitude entre ces deux créatures errantes, mais ce qui est tout à
fait inexplicable c’est que de tels êtres puissent s’attacher à moi et
que j’aie des faiblesses pour eux.




LA MORT DE KI-KÉOU


Sur la colline qui domine Tséou, tenant à la main le squelette d’un luth
sans cordes, une vieille femme courait dans la neige. C’était Ki-Kéou,
la patiente, la solitaire épouse de Confucius.

A cause de son manque de piété filiale, elle avait été reléguée à Tséou
et elle y avait vieilli dans ce crépuscule sans lumière des âmes simples
qui ont perdu leur idéal.

Elle allait vite, car elle savait que sa vie était courte. Depuis
longtemps Confucius annonçait son retour. Elle avait espéré ce retour et
elle l’avait craint. Puis elle avait cessé d’y croire. Mais, ce soir-là,
il ne pouvait plus y avoir de doute. Un disciple en était venu porter la
nouvelle. Confucius couchait à cent lis à peine de Tséou et il serait là
le lendemain. Il y avait des années que Ki-Kéou n’avait plus bien la
connaissance nette des choses. Tout se confondait dans son esprit, les
voyages de Confucius, le départ de son fils Pé-Yu, le visage du vieux
gardien Tchang, mais elle savait qu’il était nécessaire qu’elle jouât
une fois encore avec son luth mort dans le jardin inculte de la maison
abandonnée de son père. Par timidité vis-à-vis d’elle-même, par absence
de volonté, elle avait reculé sans cesse la réalisation de ce rêve et
maintenant une grande terreur venait de la saisir de ne plus pouvoir
jamais se retrouver dans les allées de sa jeunesse, à l’heure
intermédiaire où le soleil n’est pas encore levé.

Dans la nuit blanche et froide, le long des cèdres et des frangipaniers,
elle s’en allait comme en rêve, heurtant parfois quelques pierres
funéraires qui émergeaient sous la neige, le long de la route. Enfin, au
fond de la vallée, elle vit une petite tache sombre.

Depuis la mort de son père la vieille maison était inhabitée. Le vent
s’en était emparé et en avait dispersé la toiture. La pluie et le soleil
avaient accompli leur lent travail. Les fenêtres ouvertes étaient comme
des yeux crevés et une porte battante poussait un gémissement perpétuel.

Ki-Kéou n’eut pas de peine à pénétrer dans le jardin, car le mur de
clôture, qui avait déjà des brèches aux jours de son enfance, était
maintenant presque complètement détruit. Mais elle ne reconnut ni la
silhouette des arbres ni le contour des buissons. Le jardin avait changé
comme elle-même. Les années y avaient apporté la folie exubérante de la
nature.

A chaque pas que faisait Ki-Kéou, cherchant la place où elle s’asseyait
autrefois, une épine s’accrochait à sa robe comme si un démon nocturne
l’avait tirée à lui. Elle savait que les Tao-Niu, sorcières en relation
avec l’esprit des belettes, ont coutume de hanter les maisons solitaires
et de guetter les passants pour les entraîner par des couloirs secrets
dans des salles souterraines où elles boivent leur sang. Elle se
souvenait que, par les nuits d’hiver, une énorme grenouille d’un aspect
terrifiant sortait d’un étang voisin et arpentait la vallée avec ses
jambes en forme d’échasses. Seul celui qui possédait la pierre
Che-Kan-Tang et qui la lui lançait avait le pouvoir de la faire rentrer
sous les eaux. Elle regardait si elle n’apercevait pas soudain devant
elle le vieillard Fong-Pé, qui a une robe d’hermine et deux outres en
peau de souris derrière le dos et qui est attaché par un fil de soie à
l’étoile Ki. Son haleine est remplie de glaçons aigus comme des dards
qui transpercent ceux qu’il rencontre. Et elle mettait son bras devant
son visage parce qu’il y a dans chaque tourmente de neige un héron
fantastique qui crève les yeux des humains avec un bec de porphyre mat.

Il y eut un hurlement au lointain, puis un autre dans une direction
différente, puis beaucoup de hurlements plus rapprochés. Ki-Kéou vit
parmi les pierres de la muraille écroulée les yeux rouges d’une bande de
loups qui faisaient un cercle autour d’elle.

Alors elle commença à jouer, à faire vibrer les cordes absentes du vieux
luth parce qu’elle avait cru percevoir dans la neige une teinte aurorale
qui n’était que le reflet de la lune vaguement errante au fond de
l’horizon. Passionnément, elle joua de cette musique qui n’avait pas de
sons et elle finit par oublier les Tao-Niu, la terrifiante grenouille et
le vieillard Fong-Pé au bout de son fil de soie. Elle joua très
longtemps dans les ténèbres neigeuses jusqu’à ce que ses doigts fussent
engourdis par le froid et le contact des invisibles cordes.

Peut-être la musique qui n’est que rêvée par une âme insensée a-t-elle
une action sur les bêtes sauvages. Les loups aux prunelles rouges
restèrent immobiles derrière les pierres et écoutèrent ce qu’ils
n’entendaient pas.

Avec une inexorable lenteur le soleil insinua une lumière diffuse dans
la neige. Un léger souffle secoua les hauts cèdres comme des gerbes
d’ouate. Les loups glissèrent à pas feutrés. Une ombre humaine s’avança
sur la route.

Et dans l’enchantement hyperboréen du paysage le luth aux cordes vraies
du musicien Mong-Pi fit vibrer l’air glacé du passé. Était-il venu
retrouver par le souvenir la première image de la beauté? Avait-il
entendu au loin la musique de l’âme? Il était là. Il joua pendant que le
globe du soleil levant émergeait des buées laiteuses, versait son sang
violet dans le ciel floconneux.

Puis il se pencha par habitude vers le jardin subitement peint avec des
flammes et il vit, appuyée sur le tronc d’un arbre, une belle morte
gelée, blanche comme une statue de cristal.




LA MORT DU CHIEN DE CONFUCIUS


Confucius fit célébrer les funérailles de son épouse Ki-Kéou selon le
rituel le plus ancien et le plus compliqué. Il s’installa à Tséou. Mais
les mauvais jours étaient venus. Il perdit successivement ses disciples
Tseu-Lou et Yan-Youan qu’il chérissait infiniment et il en éprouva une
grande douleur. Il perdit sa confiance dans la durée de sa doctrine et
il en souffrit plus encore. Il venait de terminer sa compilation des
livres canoniques et sa rédaction du Printemps et de l’Automne, mais
avec la fin de son travail il voyait mourir sa foi dans son éternité.

Il avait trouvé en arrivant la maison de Tséou dans un désordre si grand
qu’il n’arrivait pas à en triompher. Le jardin surtout l’attristait par
le caractère sauvage qu’il avait pris, faute de soins. Des camphriers,
qui y croissaient autrefois en petit nombre, s’étaient multipliés avec
une extraordinaire exubérance; ils faisaient pleuvoir sur lui leurs
fleurs blanchâtres et, comme leur bois a la propriété de dégager, la
nuit, des étincelles, Confucius voyait, quand il se promenait, des
lueurs singulières qu’il trouvait choquantes. Et il y avait aussi des
caoutchoucs aux feuillages trop épais dont la tige faisait couler un
lait trop abondant, des bambous qui fendaient les allées comme des
lances et un sycomore qui s’était développé d’une façon si inattendue
qu’il y avait une sorte d’insolence dans l’énormité de son tronc.

«Ainsi donc, pensait Confucius, la nature se présente sous l’aspect du
désordre, le désordre est sa substance intime et triomphe dès qu’on
cesse de lutter pour le limiter. Mon œuvre sera peut-être comme ce
jardin. J’ai laborieusement retrouvé, classé, reconstitué les quatre
livres sacrés de l’Empire de Chine. Dans la végétation de la poésie des
anciens j’ai coupé la mauvaise herbe de l’enthousiasme, arraché l’ortie
de la rêverie métaphysique. J’ai sarclé le champ poétique et moral des
vieux maîtres du temps de Yao et de Chun. Mais quand je serai mort, les
folles exagérations, les lyrismes parasites vont sans doute croître de
toutes parts et l’on ne reconnaîtra plus les allées droites qui mènent
au bien.»

Confucius eut un nouveau chagrin. Son chien mourut. Il s’était accoutumé
à ce compagnon qui, avec les années, était devenu perclus et galeux. Il
le pleura et il voulut qu’il soit enterré avec honneur, comme les rites
le prescrivent, les pieds tournés du côté de l’Ouest. Il choisit un
emplacement abrité dans le jardin et il fit envelopper son corps par
Tchang dans une épaisse natte de jonc cousue afin que la terre ne
l’effleurât pas.

Le jardin n’était séparé de la route que par une barrière en claire-voie
et, pendant que Tchang cousait, auprès de la fosse, le chien galeux dans
la natte, Mong-Pi passa et s’arrêta pour regarder.

Ce ne fut qu’un peu plus tard que Confucius reconnut Mong-Pi accoudé sur
la barrière. Tchang et Tseu-Kong, qui avaient participé avec surprise au
rite funèbre, s’en revenaient déjà vers la maison.

Confucius pensait quelquefois à Mong-Pi comme le berger pense à une
brebis égarée quand il y a un orage. Il avait pitié de lui; il aurait
voulu le ramener sur la bonne route, qui était la sienne.

Il s’approcha de lui et il l’exhorta avec toute sa puissance de
persuasion. Il ne demandait pas mieux que de faire quelque chose pour
lui. Il se chargeait d’obtenir un poste honorable et convenable si
Mong-Pi promettait de s’amender. Il s’efforcerait d’oublier dans quelle
compagnie il l’avait rencontré dans les montagnes de Lou. Il ne
penserait pas aux actions horribles qu’il avait pu accomplir. Il n’est
jamais trop tard pour se bien conduire. Du fond du cœur il lui
pardonnait.

Mais Mong-Pi était visiblement distrait. Il suivait sa propre pensée. Il
sembla se réveiller au mot: Pardon. Ses yeux se mouillèrent:

--Oh! oui, dit-il, je te pardonne parce que tu as aimé ton chien et que
tu l’as fait enterrer comme un homme.




LA MORT DE CONFUCIUS


Des paysans ayant tué dans une forêt du voisinage un être de forme
bizarre, ils l’apportèrent à Confucius et celui-ci reconnut que c’était
une licorne. Comme il l’examinait curieusement il vit qu’il y avait un
ruban de soie accroché à la corne de l’animal. Ce ruban paraissait très
ancien. Confucius se rappela que sa mère lui avait souvent raconté que,
le matin de sa conception, comme elle se promenait solitaire, une
licorne était sortie d’un buisson de genévriers et qu’elle avait enroulé
un ruban de soie autour de sa corne.

Comme ces animaux rares et très sauvages ne portent pas fréquemment des
rubans pour ornement, Confucius pensa que la licorne qu’on venait de
tuer était celle qui s’était approchée de sa mère autrefois, et il vit
là un présage de sa fin prochaine.

Mais il n’en fut pas effrayé. Il avait soixante-treize ans: il n’avait
jamais redouté de mourir. La régularité de la mort à frapper tous les
hommes sans exception, la quantité de cérémonies, de génuflexions et de
rites dont les anciennes traditions l’avaient enveloppée, le mystère
qu’elle avait su garder sur son origine et ses buts, tout lui rendait la
mort respectable. Et cet ordre parfait qui obligeait tous les vivants à
s’allonger dans les tombeaux de manière inéluctable lui paraissait plein
de grandeur et de nécessité.

Il jugeait la nature trop raisonnable pour préparer aux hommes, quand la
vie avait cessé, la surprise de souffrances secrètes et imméritées. Mais
il ne pouvait s’empêcher de méditer sur la minute où son esprit, ayant
quitté son vieux corps familier, se poserait, dépouillé et désorienté,
sur une tablette dans la salle des ancêtres.

Cette nuit-là il ne put goûter le repos du sommeil. A la fin, fatigué de
se retourner sur son lit, il se leva et descendit dans le jardin.

On était le dix-huitième jour de la quatrième lune de l’an Yen-Siu et
l’air était bleuâtre et transparent. Les étoiles avaient l’air voilées
et singulièrement rapprochées. Une grande immobilité tenait les arbres
en suspens. La douceur ambiante était telle qu’il semblait que les
feuillages, les troncs et le sol lui-même étaient en velours.

Confucius s’aperçut que le jour allait bientôt paraître et il fut saisi
de l’envie mystérieuse de jouer du luth. Il ne s’arrêta pas à l’idée que
cette heure n’était pas convenable pour faire de la musique; il remonta
dans sa chambre et il revint avec son instrument.

Il voulut jouer l’air célèbre composé par le sage Wen-Wang et qui était
un des premiers que lui avait fait jouer son maître Siang quand il lui
avait appris la musique. Il préluda en effet. Mais il s’égara. Un autre
air vint malgré lui sous ses doigts et une légère ivresse s’empara de
son âme. Il fit quelques pas et une feuille de caoutchouc effleura son
visage, comme une caresse de plante. Il aperçut tout près de lui, perché
sur une branche, un oiseau qui le regardait sans frayeur. Il aurait pu
le toucher en étendant la main. Quelque chose d’ailé, de magique,
enveloppait Confucius jouant du luth. Il improvisait maintenant et il
glissait sur une pente surnaturelle. Comme si un rideau se fût levé
devant ses yeux, il voyait des choses qu’il n’avait encore jamais vues.
Il leva la tête et il découvrit au-dessus de lui le ciel immense et les
étoiles innombrables.

Jamais il n’avait eu la connaissance d’un si grand miracle de couleurs,
dans une mer d’un bleu si tendre, sous un voile de buées si délicates.
Jamais les étoiles du Dragon n’avaient eu cette rouge magnificence. Il
n’avait pas remarqué encore cette netteté harmonieuse de la Grande Ourse
et avec quelle mélancolie l’étoile Kiao, qui est à l’opposé du soleil,
s’inclinait au bord de l’horizon quand celui-ci allait apparaître. Pour
la première fois il était frappé par cette douceur éternelle de Tien-Yi,
l’unique du ciel, pareille à un fixe regard dont aucune paupière
n’interrompt la clarté.

Comme il aimait les étoiles! Il leva les bras vers elles, en signe
d’adoration. Il voulait vivre en les regardant. Mais elles s’effaçaient
peu à peu. Elles lui échappaient en pâlissant. Le jour venait avec son
inexorable régularité et Confucius se prit à désirer de toutes ses
forces un retard de la lumière, une rupture dans l’équilibre universel,
une extravagance solaire qui lui aurait donné encore une heure de
contemplation.

Il revint vers sa maison à pas lents. Ah! vite que la nuit revienne!
Mais les étoiles et leur nouveauté ne devaient plus apparaître pour lui.

Il monta l’escalier avec difficulté. A sa grande surprise il croisa
toutes sortes de personnages qui le saluaient obséquieusement. Il les
reconnaissait, bien qu’il ne les ait pas vus depuis des années.
C’étaient des fonctionnaires importants, des lettrés, des magistrats,
des pères de famille vertueux, tous ceux qu’il avait aimés, sur lesquels
il s’était appuyé, tous ceux qui avaient adopté ses doctrines et qui les
avaient défendues. Il y en avait des quantités, venus on ne sait d’où,
qui avaient envahi sa chambre, et Confucius en reconnut beaucoup qui
étaient morts depuis longtemps et à l’enterrement desquels il avait
assisté. Tous avaient des visages graves et reconnaissants et étaient
revêtus de robes d’apparat. Ils semblaient accomplir un cérémonial et
ils saluaient, ils saluaient sans cesse.

Confucius avait envie de leur demander s’ils avaient bien regardé le
ciel et s’ils avaient vu les bleus magiques des constellations, ces
verts couleur de jade divin, ce sang délicat versé par les étoiles Sin
et Tsan. Mais il n’osa pas. Il voyait bien que tous ces yeux de bons
fonctionnaires, tous ces yeux rendus myopes par les devoirs étroits, les
piétés filiales bornées, les craintives vertus, n’avaient jamais eu
assez de pouvoir pour contempler le vrai ciel empli de la flamme des
astres.

Il ne dit rien et il se recoucha.

Et il vit apparaître de nouveaux fonctionnaires, de nouveaux magistrats,
de nouveaux pères de famille qu’il ne connaissait pas, et il comprit
qu’ils n’étaient pas encore nés, que c’étaient ses futurs disciples des
âges à venir. Tous le saluaient, tous lui rendaient hommage, tous
avaient la même admiration pour ses doctrines, la même incapacité à voir
le ciel et il était le maître de ce peuple vertueux et myope.

Il détourna la tête et il regarda au-dessus de lui. Le plafond lui parut
plus bas qu’à l’ordinaire, étrangement pesant, et sur le plafond il y
avait d’innombrables sentences morales qui étaient celles qu’il avait
énoncées durant sa vie. Que de sages vérités! Que de bons enseignements!
Mais il aurait bien voulu ne pas les voir. Il les aurait changés
volontiers contre le plus petit morceau de bleu céleste. Les préceptes
glissaient, se croisaient, se multipliaient et c’était toute son âme que
Confucius contemplait dans ces textes rigoureux, mesurés, raisonnables
qui devaient être l’enseignement des hommes.

Il étendit les bras pour chasser ces images. Mais alors les fantômes
eurent l’air de croire que Confucius leur rendait leur salut et ils
s’inclinèrent avec plus d’ardeur autour de lui, ils ployèrent des dos
cérémonieux comme leurs conceptions des hiérarchies, ils branlèrent des
crânes dénudés comme des imaginations sans poésie, et ce fut au milieu
de dix mille salutations, de dix mille génuflexions rituelles que
Confucius entra dans la léthargie dont il ne devait sortir que par la
porte de la mort.




LA DISPARITION DE LAO-TSEU


Lao-Tseu sentit un soir une plus grande solitude l’envelopper et il
comprit que son disciple Siu-Kia était mort quelque part, dans un point
de l’immensité de son voyage.

Il était très vieux et ses jambes le supportaient à peine. Mais son
esprit se développait sans cesse et devenait plus clairvoyant et plus
actif à mesure que son corps devenait plus lourd et plus immobile.

Il eut un soir une vision singulièrement nette d’une vallée de la terre,
dans un cercle de montagnes élevées.

Au milieu, serpentait une rivière paisible où fleurissaient des lotus
tellement grands qu’il n’en avait jamais vu de pareils. Il y avait des
blocs de pierre superposés qui avaient vaguement l’apparence de maisons.
Des cèdres les abritaient et ces cèdres formaient de petits bois séparés
entre eux par des terrains sans végétations et semés de cailloux blancs.
Toute la vallée était enclose dans des murailles presque à pic et ne
devait communiquer avec le reste du monde que par un sentier que
Lao-Tseu voyait dans le flanc d’une de ces murailles et qui était
tellement étroit qu’un homme mince et très agile aurait eu de la peine à
y passer.

Un cèdre plus grand que les autres était au milieu de la vallée, et le
seul indice qui faisait penser que ce lieu était habité était un banc de
pierre circulaire orné de sculptures qui entourait le tronc énorme du
cèdre.

Une impression de sérénité se dégageait de ce lieu muet et Lao-Tseu
pensa que c’était là que devaient vivre les hommes parfaits, gardiens de
la sagesse perdue et directeurs cachés de l’humanité dont il savait
l’existence par la plus antique tradition de la terre.

--Dans cette vallée viendront mes deux frères, se dit Lao-Tseu, celui de
l’Inde et celui des pays où il y a des temples de marbre au bord de la
mer bleue. C’est là que je dois aller.

Or, échappé à quelque troupeau, un bœuf errait depuis longtemps dans la
partie sauvage du jardin qui entourait le palais des Esprits de la
terre. Une amitié était née entre le bœuf et le sage et c’est sur le dos
de cette monture que Lao-Tseu décida d’entreprendre son voyage.

Il partit. Il se dirigea vers le col de Hang-Kou par où Siu-Kia était
sorti de la Chine. Il avançait lentement et, sur son chemin, chacun
s’étonnait de voir un aussi prodigieux vieillard s’en aller, sur le dos
d’un bœuf, vers les régions inconnues de la terre.

Sa renommée était grande dans tout l’empire car la sagesse filtre par
des voies inconnues dans les âmes des hommes et il n’est pas besoin à la
vérité de beaucoup de paroles pour être entendue.

Les gouverneurs offraient à Lao-Tseu l’hospitalité de leurs palais et
des anachorètes avertis par des bergers descendaient des montagnes pour
le voir passer. Lao-Tseu n’acceptait que le présent de quelques grains
de riz et d’une parole amicale et suivait sa route.

Ce fut un peu avant d’arriver à la passe d’Hang-Kou qu’il se laissa
glisser au pied du bœuf qui le portait et resta étendu sans connaissance
pendant que celui-ci beuglait tristement.

Le mandarin In-Hi, qui commandait cette région de la frontière, avait
appris son passage et venait au-devant de lui avec une escorte. Il le
recueillit dans son palais et il le soigna.

C’était un lettré à l’esprit subtil qui connaissait et admirait la
philosophie de Lao-Tseu.

Quand le sage fut rétabli, In-Hi s’efforça de le dissuader de poursuivre
son voyage. L’automne était venu. Au delà du col d’Hang-Kou, où
finissait l’empire, s’étendaient des solitudes sauvages et illimitées.
Comment traverserait-il ces déserts? Mais la résolution de Lao-Tseu
était prise. Il irait à la recherche du mont Kouen-Lun auprès duquel
devait se trouver la mystérieuse vallée des hommes parfaits, où il y
avait un banc de pierre autour d’un grand cèdre et qui était le but de
son voyage.

Pour gagner du temps et laisser passer l’hiver In-Hi demanda comme une
faveur à Lao-Tseu d’écrire pour lui le résumé de ses doctrines. Et c’est
seulement afin de remercier In-Hi de son hospitalité que Lao-Tseu résuma
dans le Livre de la Voie et de l’Amour les vérités essentielles qu’il
avait méditées durant sa vie.

Mais lorsque le livre fut terminé et que le printemps fut venu Lao-Tseu
décida de reprendre sa route. Il refusa l’escorte qu’In-Hi voulait lui
donner. Il refusa aussi les chevaux qui lui auraient permis de franchir
plus rapidement les régions désertiques où les voyageurs meurent par la
soif et les hallucinations des sables. Il préférait son bœuf fidèle à
cause de l’amitié qui les unissait.

C’est à la passe d’Hang-Kou que les hommes vivants virent Lao-Tseu pour
la dernière fois.

Toujours du côté de l’Ouest! Le vieux sage chemina durant des jours
uniformes, sous un soleil de plus en plus ardent, se contentant d’une
poignée de riz et de quelques gorgées d’eau chaque soir. Puis le riz
qu’il avait emporté s’épuisa, les outres qui étaient suspendues à ses
côtés se vidèrent. L’air se mit à brûler et des réverbérations
aveuglantes firent croire à Lao-Tseu qu’il marchait sur un immense
miroir d’or, enfermé sous un couvercle de lumière. Le bœuf se mit à
marcher à pas tout petits, comme s’il était lui-même un vieillard
centenaire jusqu’au moment où il s’affaissa et mourut.

Du côté de l’Ouest était le mont Kouen-Lun et la vallée des grands lotus
sur la rivière paisible! Du côté de l’Ouest Lao-Tseu poursuivit sa
route. Au bout d’une journée entière il voyait encore le corps du bœuf
mort à peu de distance de lui.

Lao-Tseu s’assit sur le sable pour prendre un peu de repos. Le soleil se
couchait, mais il avait une couleur de sang et disparaissait dans un
ciel cendré, plombé, métallique. De l’infini de l’horizon accourait un
vent mugissant et ce vent transportait de grandes colonnes de sable,
pareilles à des montagnes mobiles. Lao-Tseu pensa que c’étaient de
vraies montagnes et que, sans doute, le mont Kouen-Lun devait se trouver
parmi elles. Il soupira en songeant à leur éloignement. Mais alors, dans
la nuit tombante, il perçut que les montagnes se transportaient vers lui
et il vit en même temps deux autres voyageurs qui marchaient dans le
sable et lui montraient de la main le plus haut sommet de la chaîne
mouvante. Il les reconnut aussitôt. L’un venait de l’Inde et l’autre du
bord de ces mers éloignées dont il ne savait que la couleur claire.
C’étaient ses deux frères par l’esprit, venus dans le monde pour
accomplir la même mission. Il voulut les appeler et il fut surpris de
savoir leurs noms. Pythagore, le Bouddha, Lao-Tseu étaient réunis.

Il se leva. Il se sentait singulièrement léger. La nuit était venue de
tous les côtés de l’horizon et de grandes avalanches de sable
s’écroulaient sur la forme corporelle du vieillard Lao-Tseu. Mais son
esprit n’habitait plus cette forme. Le sage de Chine, entre le sage de
l’Inde et le sage de la Grèce, pénétrait dans la vallée secrète où leurs
égaux les attendaient, au milieu de la clarté rayonnante de l’univers
spirituel.


FIN




TABLE


                                       Pages.
  Aux hommes d’Occident                     7

  LA JEUNESSE DES SAGES

  Le gardien de la maison de Confucius     11
  Prunier-Oreille                          14
  Les deux sages de la Chine               17
  La mère de Confucius et la licorne       20
  Mong-Pi                                  23
  Les salutations de Confucius             27
  Le livre suprême                         31
  Le palais des Délicieuses Pensées        36
  Le palais des Esprits de la Terre        41

  LE MARIAGE DE CONFUCIUS

  L’enterrement de l’humble Lu             49
  Le bleu de l’étoile Ki                   55
  Le luth de Ki-Kéou                       59
  Le mariage                               62
  Le présent caché de la musique           69
  Tao                                      74

  CONFUCIUS ET LAO-TSEU

  La première carpe                        81
  Exercice de la piété filiale             84
  Le luth brisé                            90
  Les trois sages de la Terre              94
  Le disciple Siu-Kia                      97
  Les voyages de Confucius                103
  Entrevue de Confucius et de Lao-Tseu    110
  Prière à la médiocrité                  117
  La voie parfaite                        121

  CONFUCIUS MINISTRE

  Le prince Tin                           125
  Les miroirs brisés                      130
  Le règne de la vertu                    136
  Le rêve de Confucius                    140
  La belle Miao-Chen                      145
  L’entrevue de Kia-Kou                   152
  Les trois têtes de Mong-Pi              160
  Les quatre-vingts jeunes filles         163
  Le triomphe de la joie                  168

  LA VIEILLESSE DES SAGES

  Le retour de Siu-Kia                    175
  Le départ de Siu-Kia                    182
  Mong-Pi et le chien                     185
  La mort de Ki-Kéou                      190
  La mort du chien de Confucius           196
  La mort de Confucius                    200
  la disparition de Lao-Tseu              207


18-27.--Saint-Germain-lès-Corbeil.--Imp. Willaume.




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IMP. CREMIEU, R. DES SUISSES, PARIS.






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trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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