En Égypte

By Maurice Maeterlinck

The Project Gutenberg eBook of En Égypte
    
This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and
most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
of the Project Gutenberg License included with this ebook or online
at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States,
you will have to check the laws of the country where you are located
before using this eBook.

Title: En Égypte

Author: Maurice Maeterlinck

Illustrator: Étienne Cournault

Release date: December 5, 2025 [eBook #77407]

Language: French

Original publication: Paris: Éditions de la chronique des lettres françaises, 1928

Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)


*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK EN ÉGYPTE ***





  MAURICE MAETERLINCK

  EN ÉGYPTE

  NOTES DE VOYAGE
  ORNÉES DE POINTES-SÈCHES ORIGINALES PAR
  ÉTIENNE COURNAULT


  ÉDITIONS DE LA
  CHRONIQUE DES LETTRES FRANÇAISES
  AUX HORIZONS DE FRANCE
  39, rue du Général-Foy
  PARIS
  1928




[Illustration: femmes portant des charges sur la tête sur fond de Sphynx
et de pyramides.]




I

L’ÉGYPTE D’AUJOURD’HUI


Si vous voulez garder intacte la vision du monde que composa votre
imagination d’après les récits des voyageurs, les légendes, les poètes
et les rêves de votre enfance et de votre jeunesse, ne sortez pas de
votre maison. Mais si vous préférez la réalité, quelle qu’elle soit, aux
songes inconsistants de la fantaisie, faites le tour de la terre. Vous
aurez bien des déceptions; mais vous apprendrez à voir, à comprendre, à
comparer, vous ferez l’éducation de vos yeux, de votre sensibilité, de
vos désirs, de vos inquiétudes et de votre bonheur. Vous reviendrez sous
votre toit, assagi, souriant, purifié et pour longtemps tranquillisé.
Vous aimerez davantage tout ce qui vous entoure, le pays que vous
habitez et les hommes parmi lesquels vous devez vivre. Vous saurez
goûter les loisirs d’une existence qui vous paraissait injuste, plate,
monotone et bornée. Vous n’envierez plus ceux qui partent vers d’autres
rives et les grands navires qui s’éloignent n’emporteront plus vos
regrets, car vous aurez enfin la certitude qu’il y a sur ce globe bien
peu de merveilles qui vaillent l’idée qu’on s’en faisait.

                   *       *       *       *       *

Je n’y voulais pas croire avant de l’avoir vue, mais l’Égypte est bien
telle qu’une demi-douzaine de cartes postales, grossièrement enluminées
à la manière des images d’Épinal, nous en donnent l’aspect. Obélisques
et pyramides, maigres touffes de dattiers élançant çà et là leurs longs
plumeaux brûlés, innombrables et rectilignes digues, étroites et vertes,
où, découpés en silhouettes sèches sur l’horizon gros bleu, trottinent
sans cesse de petits ânes, passent d’un pas leste des femmes aux voiles
noirs, semblables à des saintes vierges en grand deuil, portant
hiératiquement sur la tête un bidon à pétrole, défilent, non moins
rapides, des hommes à peu près nus ou enveloppés jusqu’au sommet de la
tête de guenilles blanches ou rousses, se balancent de hauts chameaux,
indolents, dédaigneux et majestueux, qui semblent compter chacune de
leurs longues enjambées. Tout cela, hors les chameaux dont rien ne peut
hâter l’allure religieuse, semble inexplicablement pressé et se
précipite, du matin au soir, à l’aller comme au retour, vers un but
qu’on n’aperçoit jamais et dont on cherche l’intérêt, car tout étant
partout exactement pareil, on n’éprouve nullement le désir de se rendre
quelque part. Au bas de la digue croupit une eau limoneuse et jaunâtre.
De place en place deux petits bœufs bossus font tourner lentement la
grande roue informe, branlante et toujours à moitié démolie d’une noria
primitive qu’on appelle ici _sâkiyé_; et, de cent mètres en cent mètres,
aussi loin que s’étend la vue, sur toute la campagne, un pauvre fellah
ruisselant use la journée à irriguer son champ à l’aide du chadouf, qui
n’est, comme au temps des Pharaons, qu’une longue perche oscillante
munie d’un vieux seau, d’une couffe ou d’un panier troué qui puise l’eau
malpropre et la déverse dans des rigoles de limon aussi naïves, aussi
précaires que celles que les enfants, sur nos plages, tracent autour de
leurs châteaux de sable.

A intervalles réguliers, à peu près de lieue en lieue, parmi la plaine
plate et verte: orge, blé, coton, luzerne, trèfle, pavots blancs, canne
à sucre, la touffe de plumeaux brûlés surmonte un amas de masures
noirâtres faites de boue et de paille hachée, aux parois vacillantes,
aux petites coupoles de guingois, incroyablement sales, titubantes,
sinistres, ensevelies dans une poussière de hauts fourneaux, ne tenant
debout que par habitude et prêtes à se dissoudre à la première ondée,
comme un morceau de sucre trempé d’encre. Quelques ânes à l’ombre percée
d’un tamaris, quelques femmes en deuil éternel, accroupies le long de
cases qui ont l’air de jouer à se renverser, quelques enfants nus, en
chocolat, couchés dans de la poudre couleur de marc de café ou de
mâchefer; et, sur tout cela, un grand ciel sec, éblouissant, où ne passe
jamais un nuage. C’est un village de paysans, l’habitacle millénaire du
fellah, que l’on trouve, invariable, durant les douze cents kilomètres
qui vont d’Alexandrie à Assouan, tout le long de la vallée du Nil qui
est tantôt large de plusieurs lieues, comme dans le Delta, tantôt
étroite comme une plate-bande étranglée entre d’âpres falaises fauves,
ou rongée par le sable roux du désert.

Les petites villes qui s’échelonnent au bord du chemin de fer ou du
fleuve, sont également pétries dans la même boue noire, hormis quelques
façades de briques crues ou cuites, plus ou moins blanchies à la chaux,
quelques hangars et quelques baraquements délabrés, parmi lesquels
s’élève la maison ou la villa banlieusarde d’un ingénieur ou d’un
administrateur européen, flanquée des hautes cheminées d’une sucrerie
qui donnent tout à coup au paysage fluvial l’aspect désagréable et
inattendu des plus déplorables faubourgs de nos villes industrielles.

Voilà donc, en quelques mots, l’aspect de l’Égypte d’aujourd’hui.
Était-il le même au temps des Pharaons? Il est difficile de le savoir;
car les peintures murales et les bas-reliefs si merveilleusement
conservés des mastabas, des hypogées et des temples ne reproduisent
guère de paysages. L’art égyptien ignore ou dédaigne la perspective et
les vues d’ensemble; il ne connaît guère que la silhouette simplifiée et
symbolique. Un arbre représente une forêt; une ligne bleue, un fleuve;
une fleur, un jardin. Même le fameux Mastaba de Ti, l’intendant
prévaricateur de la Ve dynastie, où nous trouvons dans leur fraîcheur
miraculeuse tant de détails minutieux et savoureux sur la vie
égyptienne, chasse, pêche, basses-cours, gavages d’oies et de grues,
vannage du blé, laboureurs, moissonneurs, menuisiers, paysannes au
travail, perception des impôts, jeux et acrobaties, bœufs qui passent un
gué, oiseaux, poissons, crocodiles, hippopotames, fourrés de papyrus sur
les marécages du Delta, tout cela ne nous donne qu’une idée assez
incertaine de la campagne et des parcs de l’Égypte d’autrefois. Seules
les terrasses du vaste temple de Deir-el-Bahri construit sous la XVIIIe
dynastie, dans la Vallée des Rois, ont gardé des traces de jardins. On y
voit encore les vasques de pierre, percées de rigoles pour l’arrosage,
et les bas-reliefs ont conservé dans le granit l’épaisse frondaison des
arbres à encens transportés à grands frais du pays de Pount, qui
s’étendait sur les deux rives de la Mer Rouge.

Ce que l’on peut constater, c’est, qu’excepté les environs du Caire, où
se trouvent quelques promenades ombragées et toujours menacées par le
désert, à partir du Delta jusqu’à la première cataracte, hormis les
dattiers et les tamaris, il n’y a plus aucun arbre. Le sycomore qui
était l’arbre national et sacré, a complètement disparu, ainsi que le
papyrus et le lotus, qui symbolisaient l’Égypte du Nord et l’Égypte du
Sud et foisonnaient dans les peintures antiques. On ne les rencontre
plus que dans les jardins zoologiques ou botaniques.

Quant aux grandes villes, notamment Alexandrie et le Caire, comme toutes
les cités plus ou moins légendaires qu’on avait vues, dans ses rêves,
auréolées du prestige oriental, elles déçoivent d’abord. Leur richesse
paraît assez banale, équivoque et de mauvais goût dans les quartiers
européens; et les quartiers indigènes dont on ne saisit probablement la
saveur qu’après un long séjour, semblent, au premier contact,
étrangement misérables, délabrés, sales, malodorants, poudreux et
beaucoup moins colorés et pittoresques que ne le répètent à l’envi les
voyageurs qui ne sont trop souvent que des perroquets bien élevés. Mais
je n’ai pas la prétention de les découvrir ni de refaire ici une
description qu’on a faite cent fois; de même que je ne parlerai pas des
mosquées ni de l’art arabe, qui demanderaient une étude spéciale que
l’on peut faire partout en Orient, aussi bien sinon mieux qu’en Égypte.




II

L’ÉGYPTE DES PHARAONS

L’ART


Somme toute, ce pays, tel qu’on le voit actuellement, n’était la douceur
de son climat durant l’hiver, ne retiendrait pas longtemps le touriste
ou l’artiste, si, derrière le spectacle assez vite épuisé de ses villes,
de son fleuve et de ses campagnes, ne se dressait, vivant encore d’une
vie prodigieuse, l’énigme de la seule civilisation qui, remontant à plus
de sept mille ans, ait laissé sur notre terre des empreintes aussi
nettes, aussi profondes, aussi fraîches, aussi abondantes que si elle
datait d’hier. Il n’est rien sur ce globe qui se puisse comparer aux
temples de Louqsor, aux tombeaux de la Vallée des Rois, à ceux de
Sakkara, aux pyramides, à l’hypogée des Apis. Rien, pas même le fameux
temple d’Angkor ou les palais chinois, qui soit aussi étrange, aussi
imprévu, aussi hallucinant, d’une humanité aussi spéciale, aussi
déconcertante, aussi complète dans un genre qui ne paraît pas appartenir
à notre planète. Rien non plus, qui soit d’un art aussi homogène dans le
bizarre, dans l’imprévu total, d’un art tout ensemble aussi barbare et
aussi raffiné, d’un art qui se tient aussi bien d’un bout à l’autre, du
colossal au puéril, du sublime au grotesque, de l’ébauche la plus
rudimentaire au fignolage le plus minutieux, de la monstruosité la plus
ahurissante à la beauté la plus pure et la plus parfaite, de la
fantaisie la plus invraisemblable à la réalité, à la vérité, à la
sincérité la plus émouvante, la plus délicate que l’homme ait jamais
atteinte en interprétant la nature. Aucune race, aucun peuple, pas même
le peuple grec ou la race chinoise, n’a apposé sur la terre un cachet
plus puissant, plus original, plus indélébile; aucun n’a imposé au monde
une vision aussi compacte, aussi massive, aussi cubique, aussi
oppressive, aussi totale, aussi logique dans son illogisme apparent,
aussi démesurée dans sa mesure géométrique, aussi équilibrée dans son
équilibre spécial. Si l’Égypte n’avait pas existé, ou si, comme
l’Atlantide, tous ses monuments avaient disparu dans une catastrophe
planétaire, un des aspects les plus extraordinaires que l’humanité ait
jamais pris manquerait à l’histoire de notre terre; et il est au surplus
fort probable que l’architecture et l’art grec, ainsi que toutes les
architectures et tous les arts qui en découlent, n’eussent ressemblé que
bien peu à ce qu’ils sont.

Est-ce à dire que ce soit beau? Nous ne pouvons en juger. Trop de
milliers d’années, trop de milliers de pensées nous séparent de ces
monuments formidables. Ils ne sont plus à notre mesure, à notre taille.
Ils représentent un tel gaspillage de forces et de matériaux, ils nous
semblent s’élever si inutilement dans le vide, ils nous paraissent la
consécration gigantesque de conceptions tellement enfantines que d’abord
nous nous tâtons avec inquiétude, comme on se tâte au réveil d’un
mauvais rêve, et que nous nous demandons si nous sommes vraiment sur ce
globe ou dans une planète habitée par des êtres qui ne ressemblent pas
aux hommes. La première impression, c’est l’hostilité de toutes ces
masses maléfiquement colossales, l’écrasement, la résignation qui
renonce à comprendre. Puis, peu à peu, à mesure que l’œil se familiarise
et se décongestionne, on sort de l’accablant malaise, l’humanité de
toutes ces accumulations oppressives remonte à la surface. On y démêle,
on y retrouve en germes féconds les lois et les beautés bien connues des
architectures que nous admirons avec le plus de certitude. Il est
évident que le temple grec, le Parthénon, Ségeste et Girgenti, est déjà,
tout entier, en puissance, dans Karnak. Il ne faut plus un grand travail
ni beaucoup d’imagination pour le sortir de la gangue égyptienne. Il est
déjà, surtout et bien plus complet, dans le temple de la reine
Hatshopsitou, de la XVIIIe dynastie, à Deir-el-Bahri, dans la Vallée des
Rois. Le portique inachevé, avec ses entablements, ses colonnes, ses
chapiteaux, si on le découvrait à Mycènes, ne nous étonnerait pas, et
les Atrides y eussent, sans se sentir dépaysés, sacrifié à Zeus. Il est
cependant l’un des plus anciens de l’Égypte, et remonte à l’an 1.500
avant J.-C. Les Grecs y auraient ajouté un fronton, allongé un peu les
colonnes et l’édifice eût pu être transporté à Agrigente ou à Paestum
sans choquer l’œil le plus sensible.

Mais ce temple de Deir-el-Bahri est un peu exceptionnel et fait
pressentir, beaucoup plus nettement que les autres, les formes
définitives de l’art grec. Il est certain que Karnak, par exemple, bien
que postérieur dans ses parties principales, notamment sa fameuse salle
hypostyle, semble plonger encore dans les confusions ténébreuses et
monstrueuses de la préhistoire. Pour expliquer l’énigme de ces
constructions follement écrasantes, de ces dalles énormes posées sur des
colonnes épaisses, aussi serrées que les fûts d’une forêt de pins, on a
prétendu--et Pierre Loti, entre autres, a répandu cette erreur,--que les
Égyptiens ne connaissaient pas la voûte et que toutes les bizarreries de
leur architecture découlent de cette ignorance. C’était peut-être vrai
dans les temps tout à fait primitifs; mais, dès la XVIIIe dynastie, qui
a couvert toute l’Égypte de constructions colossales, nous trouvons à
Deir-el-Bahri de vastes galeries voûtées, et, derrière le Ramesséum, le
grand temple funéraire consacré par Ramsès II à Amon, on voit encore ce
qu’on appelle les Greniers de Joseph, immenses magasins couverts de
voûtes dont les briques portent le cartouche du Pharaon qui fit bâtir la
salle hypostyle de Karnak, archétype de l’architecture égyptienne qui ne
semble connaître que les lignes droites.

Non, ils n’ignoraient pas la voûte; mais, comme les Grecs d’ailleurs,
ils ne l’aimaient pas, ils la dédaignaient, ils la réservaient aux
édifices accessoires, aux communs des temples et des palais. Elle ne
répondait pas, sans doute, à leur idéal artistique qui était avant tout
un idéal religieux. Elle n’était pas assez lourde, assez massive, assez
accablante. Elle ne donnait pas l’idée d’une force, d’une puissance
assez formidable, assez cubique, assez sombre, assez tyrannique, assez
impitoyable. Il fallait à leurs dieux un habitacle effrayant,
prodigieux, surhumain, inhumain, car c’est le temple qui crée et façonne
le dieu, et le dieu devait être terrifiant: ainsi le voulaient leurs
prêtres qui régnaient sur leurs rois.

[Illustration: le cirque rocheux et le temple de Deir-el-Bahri.]

                   *       *       *       *       *

Aucune photographie, aucun tableau, aucune description ne peut donner
une idée exacte de leurs monuments. Il faut les voir sur place, au
milieu du paysage où ils sont nés, sous le ciel immuable qui les éclaire
encore comme il les éclairait il y a quatre ou cinq mille ans, au bord
du fleuve unique qui n’a pas changé d’aspect, enveloppés des siècles qui
ne les ont presque pas ébranlés.

De même pour leur art. Dans les longues galeries des musées, dans les
reproductions les plus fidèles des albums les plus soignés, il nous
semble assez souvent incompréhensible, monotone, rabâcheur, vain et
puéril. Ici, non loin des eaux du Nil ou parmi les sables ou les
falaises du désert, sur les murs qu’il a couverts, non point de ses
rêves, car l’art égyptien ne rêve guère, mais de ses documents, depuis
l’aurore de l’histoire, il révèle enfin sa véritable signification. Nous
constatons d’abord que l’artiste égyptien est tantôt une sorte de
greffier officiel, chargé d’enregistrer pour l’éternité les victoires,
les conquêtes et les actes religieux d’un grand règne, tantôt, plus
humblement, une espèce de scribe ou d’imagier réaliste et familier, qui
doit reproduire sur les parois de la maison des morts, en lignes
simplifiées, mais le plus fidèlement possible, les meubles, les outils,
les occupations de l’existence quotidienne, afin qu’ils s’animent,
repeuplent et continuent la vie de l’autre côté du tombeau, comme si le
défunt ne l’avait pas interrompue. Sa mission est avant tout utilitaire.
On ne demande rien à son imagination. Il n’a qu’à copier, en les
schématisant, parce qu’il est incapable de les représenter dans leur
ensemble, les batailles, les triomphes, les cérémonies religieuses qu’il
a pu voir, et les moissonneurs, les cuisiniers, les pêcheurs, les
menuisiers, les animaux et les arbres qu’il regarde chaque jour. La
beauté et le style sont venus, sans être invités, gratuitement et par
surcroît.

Cette beauté et ce style sont incontestables, mais, comme ceux de leurs
monuments, ne se décèlent qu’après un assez long commerce, après une
certaine initiation. Il en est de même, au surplus, pour l’art japonais
et surtout pour l’art chinois. On s’accoutume bientôt à ces milliers de
visages qu’on ne voit jamais que de profil sur des corps présentés de
face ou de trois quarts, comme s’il s’agissait d’une humanité affligée
de torticolis incurables. On s’accoutume plus vite encore et bientôt on
prend goût à ces couleurs qui d’abord paraissaient papillotantes et
criardes, à ces teintes plates et simples, à ces rouges brique, à ces
verts crus, à ces bleus vifs, à ces jaunes d’ocre, à ces blancs
d’argent, qui font penser à des images d’Épinal hiératisées. On ne tarde
pas à saisir et à apprécier la justesse, la sûreté, la précision,
l’harmonie et surtout la noblesse presque immatérielle de toutes ces
silhouettes qui se meuvent religieusement ou s’agitent familièrement sur
un même plan et semblent, d’une façon magique et incantatoire,
multiplier la vie. Il y a tels de ces bas-reliefs représentant, dans les
énormes temples, des batailles, des troupes marchant au combat, des rois
bandant leur arc, lançant leurs chars, enchaînant ou foulant leurs
ennemis, qu’on se sent, par moments, sur le point de placer au rang des
purs chefs-d’œuvre, de classer parmi les plus sûres, les plus complètes
réussites du grand style monumental et décoratif.

Quant aux gigantesques statues de leurs dieux et de leurs rois, si
quelques-unes paraissent irrémédiablement monstrueuses, si beaucoup sont
conventionnelles et fabriquées sans conviction et comme en séries,
quelques autres ont une allure, une majesté, une autorité, une sérénité
souveraines, que l’art n’a presque plus jamais atteintes.

Mais ce qui nous attire surtout aujourd’hui, ce sont les petits
chefs-d’œuvre de leur sculpture réaliste. On trouve au Musée du Caire
des statues en bois, en diorite, en schiste, en granit, en calcaire, en
grès, en albâtre, en cuivre, qui remontent à près de trois mille ans
avant J.-C. et représentent des scribes, des boulangers, des rois et des
reines, des femmes écrasant le grain, des rôtisseurs, des brasseurs, des
chasseurs, des prêtres, des enfants nus. Il suffit de les voir pour se
convaincre que l’art de reproduire le corps humain, la vie humaine, le
mouvement, le jeu des muscles, le visage où transparaît l’âme qui
s’affirme, n’a jamais été poussé plus loin et qu’il y a, dans certaines
de ces figurines, une science, une maîtrise, une piété, une tendresse,
une faculté d’insuffler et de fixer des sentiments et des pensées dans
la matière, dont on ne retrouve que de très rares équivalents aux
meilleures époques de la sculpture de tous les temps et de tous les
pays.

A côté de ces œuvres incomparables, sans transition, pullulent des
choses déconcertantes, bizarres, hideuses, saugrenues, enfantines,
ridicules, inexplicables. Visitez, par exemple, au premier étage du même
musée, la longue galerie réservée aux trésors récemment exhumés de la
tombe de Toutânkhamon. C’est, paraît-il, la première fois qu’on retrouve
dans une sépulture égyptienne, les objets mêmes dont le mort s’était
servi durant son passage sur cette terre: le lit de repos sur lequel il
s’est étendu, le trône où il s’est assis, les vêtements, les bijoux et
les ornements qu’il a portés, les ustensiles qu’il a maniés.
Généralement on ne mettait dans les tombes que des doubles, c’est-à-dire
des imitations, des fac-similés plus ou moins fidèles, plus ou moins
sincères de ces objets. Mais ici, Toutânkhamon étant mort très jeune et
sans doute inopinément, on n’avait pas eu le temps de fabriquer les
doubles. De plus, Toutânkhamon était l’enfant chéri des prêtres d’Amon
dont il avait restauré le culte, auquel son père, Aménophis IV, en haine
de l’arrogance sacerdotale, avait substitué celui d’Aton. Ils n’avaient
pas voulu que, durant le temps nécessaire à la reproduction de ce qui
l’entourait, le «Double» de leur roi bien-aimé fût dépourvu de ce qui
était indispensable à sa nouvelle vie. Ils avaient donc entassé, à la
hâte, dans les diverses salles de son hypogée, avec une prodigalité sans
exemple, tout ce qui se trouvait dans son palais, au moment de sa mort.
On n’a, jusqu’ici, inventorié et exposé qu’un tiers de ces trésors qui
nous réservent probablement d’autres surprises.

Ce que nous avons sous les yeux, dans les vitrines du musée, nous donne
déjà une idée suffisante de ce qui entourait la vie quotidienne d’un
Pharaon de la XVIIIe dynastie, c’est-à-dire de celle qui précéda de
quinze à treize siècles l’ère chrétienne. C’est, après l’âge des
Pyramides, l’une des grandes époques de la puissance et de l’art
égyptiens. Nous lui devons, entre autres, un torse de jeune fille qui
égale les plus adorables morceaux de la sculpture grecque, de
merveilleux bas-reliefs et le buste d’Aménophis IV, père de
Toutânkhamon, qui est l’une des plus belles réussites d’un art qui
semble avoir atteint son apogée. Or, à côté de ces chefs-d’œuvre, le
mobilier de ce pauvre Toutânkhamon offre l’extraordinaire spectacle du
bric-à-brac le plus ahurissant qu’un commissaire-priseur ait jamais
entrevu dans ses pires cauchemars: lits de repos plaqués d’or, incrustés
d’ivoire et de nacre et portés par des chacals ou des bœufs étirés comme
des lombrics et vacillants sur des pattes de faucheux, coffres qui ont
l’air de cartons de modistes, chars de guerre qui rappellent la
ferraille de voitures d’enfants, trônes sur lesquels personne n’aurait
la témérité de s’asseoir, et surtout vases d’albâtre tellement
tarabiscotés qu’ils découragent toute description avec leurs
excroissances et leurs protubérances maladives, superposées et
rayonnantes, d’une complication et d’un mauvais goût démentiels, tels
enfin que les plus monstrueux objets de faïence ou de porcelaine, qui
s’exhibent aux loteries de la Foire aux Jambons ou du Marché aux Puces,
semblent, à côté d’eux, d’une sobriété, d’une pureté classiques.




III

LA VIE ÉGYPTIENNE


Vue ainsi, aux lieux mêmes où elle se déroula il y a cinq ou six mille
ans, sous un ciel implacablement indigo, sous un soleil resplendissant,
sur une terre d’abondance, entre toutes généreuse et facile, au bord
d’un fleuve nourricier qui semble aimer les hommes comme nul autre
fleuve de ce monde, quelle impression nous laisse-t-elle, cette vie
égyptienne d’autrefois, la plus ancienne qu’il nous soit possible de
reconstituer avec certitude? Extérieurement, matériellement, quant au
climat, aux produits du sol, au décor, elle est à peu près pareille à
celle d’aujourd’hui. Les charrues, les barques, les animaux, les moyens
d’irrigation, les silhouettes des moissonneurs dans les champs
reproduisent à s’y méprendre les images qui couvrent les murs des
Mastabas de l’ancien empire. Il est seulement probable que l’Égypte,
actuellement nue, devait être plus boisée. Quant à la vie fluviale qui
remplit tout le paysage, car le Nil est l’âme de l’Égypte, les mêmes
«dahabîyés» aux longues voiles en aile d’hirondelle, se traînent
toujours sur les eaux lentes et jaunes que troublent seuls, durant les
mois d’hiver, les bateaux à vapeur de Thomas Cook & Son.

On croirait donc, au premier abord, que rien n’est changé, que des
milliers d’années n’ont pas interrompu le règne des innombrables
Pharaons qui se sont succédé sur cette terre. Mais l’atmosphère n’est
plus la même. La coque est demeurée intacte, mais l’intérieur est vide.
Comparé à ce qu’il était autrefois, le pays n’existe plus qu’à la
surface. Il lui manque sa vie véritable, une vie qui occupait les trois
quarts de sa substance, une vie que nous avons peine à comprendre, qui
était la vie de la mort. En effet, l’antique Égypte était avant tout un
tombeau. Elle était tout entière surplombée par l’idée de la mort; et
non pas, comme chez les chrétiens, par l’idée d’une mort qui ouvrait,
pour peu qu’on y mît quelque bonne volonté, les perspectives d’un
bonheur éternel; mais d’une mort entourée de figures et d’épreuves
redoutables, d’une mort assez peu rassurante et qui n’était au mieux
qu’une pâle réplique de la vie, prolongée autant que possible dans
l’ombre souterraine, pour finir par s’évaporer dans le néant. On ne
s’intéressait sérieusement qu’aux décès, aux momies et aux sarcophages.
Les industries funéraires encombraient les villes et les rives du
fleuve. Tout le monde, jusqu’au plus pauvre fellah, se faisait embaumer.
Les cadavres saturaient la contrée. Le grand point n’était pas d’être
heureux sur cette terre, mais de s’assurer un tombeau inviolable et
confortablement meublé. Les cités des vivants n’étaient rien comparées à
celles des trépassés. Il n’en est pas resté trace. Même les palais des
rois ont disparu; quant aux maisons des riches et des pauvres, ce
n’étaient qu’édifices de plâtre ou masures de bois et de roseaux où l’on
campait en attendant la barque symbolique de la grande traversée. Mais,
sur l’autre rive du Nil, au «Pays qui mêle les hommes», s’élevait,
s’étalait, orgueilleuse, inébranlable, bâtie de granits que trente ou
quarante siècles n’ont pas entamés, «la Bonne Demeure», la ville qu’on
s’imaginait éternelle. Tout ce qui servait à la vie est retourné au
limon du fleuve, au sable du désert; presque tout ce qui était consacré
à la mort est demeuré debout, sous le sol ou à sa surface, car la terre
d’Égypte est perforée, comme une éponge, de tombeaux innombrables, et
couverte de pyramides et de temples qui ne sont au fond que les
sépulcres des rois et des dieux.

Cette ombre de la mort pesait-elle sur le peuple autant qu’on serait
porté à le croire? C’est assez peu probable. Le fellah ou le paysan du
temps des Pharaons, comme le fellah de nos jours, n’avait guère le
loisir de méditer sur la vie d’outre-tombe, et son travail opiniâtre, du
lever au coucher du soleil, lui permettait tout juste de ne pas mourir
de faim; encore qu’un conte populaire de la XIIIe dynastie, _Les
Plaintes du Fellah_, traduit par Maspéro[1], nous le montre bien moins
pauvre et moins malheureux qu’aujourd’hui. On l’y voit quitter son
village pour chercher fortune, accompagné de ses ânes chargés «de
roseaux, de joncs, de natron, de sel, du bois d’Ouîti, d’acacia du «Pays
des bœufs», de peaux de loup, de cuirs de chacal, de sauge, d’onyx, de
gaude, de coloquinte, de coriandre, d’anis, de talc, de pierre ollaire,
de menthe sauvage, de raisins, de pigeons, de perdrix, de cailles,
d’anémones, de narcisses, de graines de soleil, de «cheveux de terre»,
de piments, et de «tous les bons produits de la Plaine du Sel». En somme
une respectable pacotille qui ne trahit guère l’indigence. Il est
dépouillé au passage, à la suite d’une mauvaise chicane, par le serf de
l’intendant d’un palais. Neuf fois, avec une éloquence incohérente,
intrépide et intarissable, il vient réclamer justice auprès de
l’intendant plein de bonne volonté, mais qui ne sait auquel entendre
parmi les affirmations contradictoires du plaignant et des accusés.
Grâce à l’intervention du Pharaon lui-même, le paysan finit par obtenir
la restitution de tout ce qu’on lui a pris. Car les Pharaons étaient
impitoyables envers leurs ennemis du dehors. Ils enchaînaient,
mutilaient, exterminaient, croyant simplement accomplir le plus
indubitable des devoirs; mais envers leurs sujets, il n’y eut peut-être
jamais en ce monde aussi longue lignée de souverains aussi constamment
justes, aussi humains, aussi paternels. Hormis quelques bastonnades
infligées à des débiteurs récalcitrants, dans leurs innombrables
peintures, on ne voit jamais un Égyptien maltraité, torturé ou voué au
supplice. Malgré la barbarie du monde qui l’entoure, les mœurs sont si
douces, dans la vallée du Nil, que lorsqu’il s’agit d’imaginer pour les
damnés un châtiment terrible, on ne trouve rien de plus cruel que de les
pendre la tête en bas, dans les ténèbres, de les envoyer dans des
pourceaux ou de les faire dévorer par un hippopotame ou par des
crocodiles. Ce n’est que beaucoup plus tard, au commencement de notre
ère, qu’instruit par les Asiatiques, on invente une porte d’enfer dont
le pivot roule sur l’œil droit du mauvais riche qui pousse de grands
cris.

  [1] G. Maspéro. _Les Contes populaires de l’Égypte ancienne_, pp.
    43-71.

Quant aux habitants des grandes villes, fonctionnaires, officiers,
scribes, marchands, ce que nous appellerions aujourd’hui l’aristocratie
et les classes moyennes, tous ceux qui avaient le temps de relever la
tête, de penser, d’exister, vivaient-ils d’une vie sombre et triste?
Être environné de cadavres et de dieux presque tous monstrueux, presque
tous dangereux, n’avoir d’autre but qu’un tombeau souterrain où se
prolonge sans avenir une pâle et larveuse existence, infiniment moins
belle, infiniment moins libre et moins riante que celle qu’on avait
menée sur la rive éphémère, une existence d’autant plus redoutable
qu’elle était peut-être éternelle, il n’y avait pas là de quoi se
féliciter d’être né. Il est vrai que nous, qui n’escomptons même pas
cette pâle existence, qui n’attendons, n’espérons et ne savons plus
rien, nous ne nous attristons pas outre mesure. Il est donc assez
vraisemblable, qu’entourés de certitudes lugubres, les Égyptiens
d’autrefois en prenaient également leur parti. En tous cas, les
peintures des Mastabas nous révèlent une vie quotidienne qui oublie
volontiers les misères de l’autre monde. Tout y abonde de ce que nous
considérons encore comme les grandes joies de l’homme. On y chasse, on y
pêche, on y joue, on fait du sport, on vendange les treilles, on boit le
vin frais au bord de l’eau, dans les roseaux, sous des kiosques de
verdure, on soigne la cuisine, on donne des festins, on gave les oies
comme si déjà on connaissait le foie gras, le gibier et les fruits sont
magnifiques, on danse au son de la musique. Et l’on entoure, on
enveloppe la momie de ces peintures innombrables, fidèles et
méticuleuses, afin qu’au souffle de son Double, elles s’animent et le
réjouissent, comme des images cinématographiques qui se dérouleraient
indéfiniment sur l’écran de l’éternité.

En approfondissant un peu la question, nous remarquons du reste ici
cette incohérence égyptienne dont nous aurons tant d’exemples, notamment
en théologie. L’Égypte est, sous ce rapport, une terre bien étrange. Au
premier abord, tout y semble certitude; et ces certitudes millénaires
sont gravées dans un granit éternel. Mais à y regarder de près, on
s’aperçoit bientôt que la plupart se contredisent et que le granit
éternel n’a fixé que des nuages. On dirait que tout l’édifice religieux
et moral, tout ce qui se rapporte aux dieux et à la vie future, repose
sur un secret, qui est peut-être le grand panthéisme agnostique de ceux
qui savaient ou croyaient savoir la vérité. Ainsi, cette anémique
existence dans l’au-delà, dont on prévoyait si minutieusement tous les
détails, où l’on transposait, où l’on projetait, à laquelle on
sacrifiait la vie terrestre, des textes contemporains de ceux qui la
certifient, des textes voisins de ceux qui affirment que l’homme après
sa mort devient l’égal des dieux, nous montrent clairement qu’on avait
des doutes très sérieux au sujet des bonheurs d’outre-tombe. On y
préconise franchement le _Carpe diem_ de toute foi qui chancelle.
«Apaise ton cœur en le faisant oublier et sois heureux en suivant ton
cœur tant que tu existes», y est-il dit. «Ne te lasse pas de suivre ton
cœur et tant que tu es sur terre n’afflige pas ton cœur. Il n’est pas
accordé d’emporter ses biens avec soi, il n’y a personne qui soit allé
et qui soit revenu. Les pleurs ne peuvent pas ranimer le cœur de celui
qui est dans le tombeau. Aussi fais un jour de fête et ne te lasse
point.»

[Illustration: scènes agrestes à la façon d’un bas-relief.]

Ces paroles, traduites par M. Maspéro, datent du roi Antef, c’est-à-dire
de près de trois mille ans avant notre ère, et rejoignent, à travers
l’espace et les siècles, le pessimisme secret de toutes les grandes
religions.

Quoi qu’il en fût, les croyances communes et générales étaient plus
fermes. Ce sont à peu près les seules dont on ait tenu compte dans les
tombeaux; les seules par conséquent qui aient pu avoir une influence
réelle sur le bonheur ou le malheur des jours; car la partie plus ou
moins ésotérique de la religion qui aboutissait à l’Osirification,
c’est-à-dire au retour de l’âme en Dieu, à l’immersion dans l’infini
divin, passait très haut au-dessus de la masse et de tous ceux qui
n’étaient pas spécialement initiés. Hors quelques hauts dignitaires,
quelques rares privilégiés de la caste sacerdotale qui savaient
peut-être qu’en redevenant dieu on rentrait dans le néant divin, le
peuple entier, des plus riches aux plus pauvres, des maîtres aux
esclaves, des plus cultivés aux plus ignorants, et jusqu’aux rois mêmes
qui, quoi qu’on en dise, semblent bien, à de certains indices, n’avoir
pas toujours été dans le secret, tous étaient obsédés par l’idée de la
fragile, incertaine et précaire survie de leur Double; tous ne pensaient
qu’à leur momie, à leur reflet posthume; et s’ils voulaient être heureux
sur la terre, c’était avant tout pour donner un point d’appui, une sorte
de modèle et des aliments à leur bonheur souterrain, à leur bonheur
d’outre-tombe, à leur bonheur dans «la Bonne Demeure» aux «Villes
Éternelles» chez «la Dame de tout», ainsi qu’ils l’appelaient.

Quelle qu’ait été la pensée plus haute des prêtres initiés, il est
certain qu’ils ne faisaient rien pour la répandre dans la foule, pour la
mettre à la portée du peuple. Même dans les sépultures royales, ils
consacraient solennellement les croyances les plus matérielles, les plus
enfantines. Plus le mort était grand, plus son existence posthume était
entourée de prévenances puériles. Dans les tombes ordinaires régnait
encore un certain idéal. On se contentait de représenter par des images
ou des signes les objets dont l’ombre aurait à se servir. Dans la tombe
des rois, on ensevelissait le fac-similé exact de ces objets, parfois
ces objets mêmes, parfois des serviteurs momifiés et jusqu’à des gigots,
des côtelettes, des poulets, des légumes et des fruits conservés dans le
natron.




IV

LA SCIENCE DES PRÊTRES


Nous ne savons pas encore, peut-être ne saurons-nous jamais qu’elle
était la pensée secrète des prêtres égyptiens; nous ne sommes même pas
bien sûrs qu’ils en aient eu une. On a, au sujet de leurs sciences
occultes, affirmé bien des choses que l’égyptologie de ces dernières
années n’a guère confirmées. Incontestablement, les énigmes que recèle
la grande pyramide de Khéops sont extraordinaires et aucun monument de
ce monde n’en offre de pareilles. En renvoyant, pour le détail, à
l’excellent livre de l’abbé Th. Moreux: _La Science mystérieuse des
Pharaons_, je me contenterai de rappeler ici que le méridien,
c’est-à-dire la ligne Nord-Sud passant par le sommet de la grande
Pyramide est celui qui traverse le plus de continents et divise aussi
les terres émergées de l’Est à l’Ouest en deux parties égales, en sorte
qu’il serait encore aujourd’hui, après la découverte de l’Amérique et de
l’Australie, le méridien idéal. Ensuite, en multipliant par un million
la hauteur de la pyramide, nous trouvons, en kilomètres, la distance de
la Terre au Soleil, telle que l’ont enfin fixée les dernières études des
astronomes. Nous y trouvons encore la longueur du rayon polaire, celle
de l’année sidérale ainsi que la distance parcourue par la Terre sur son
orbite en un jour de vingt-quatre heures. Nous constatons, en outre, que
le nombre des années de la précession des équinoxes, phénomène qui ne
fut découvert, par Hipparque, que 130 ans avant J.-C., y est
implicitement constaté, ainsi que la densité de la Terre et bien
d’autres merveilles qu’il serait trop long d’énumérer.

N’y a-t-il là qu’une suite d’extraordinaires coïncidences? Il est assez
difficile de le soutenir, bien que la nécessité de multiplier certaines
mesures, tantôt par un million, tantôt par dix millions, puisse, au
premier abord, paraître un peu arbitraire. Il est du reste possible que
la grande Pyramide, qui date du commencement de la IVe dynastie,
c’est-à-dire d’environ 3.000 ans avant J.-C., et est un des plus anciens
monuments de l’Égypte, un monument presque préhistorique, soit le
tombeau d’une civilisation antérieure. En tout cas, on n’a, jusqu’ici,
trouvé dans les monuments postérieurs, aucune révélation du même genre.
Nous voyons, au contraire, que la mécanique et la géométrie des anciens
Égyptiens étaient des plus élémentaires; et qu’en mathématique, ils
n’avaient même pas imaginé un chiffre pour chacune des neuf unités de la
décimale.

On s’est longtemps émerveillé à les voir transporter des carrières de
granit d’Assouan, situées à plus de quatre cents kilomètres de Thèbes, à
près de mille kilomètres de Memphis et de Gizèh, de gigantesques
obélisques, d’énormes monolithes qu’ils transformaient en statues, ou
des quartiers de roc qu’ils parvenaient à poser au sommet de leurs
pylônes ou de leurs pyramides. Mais on peut constater sur leurs
peintures murales qui reproduisent tous les détails de la vie
quotidienne que ces grands transports se faisaient simplement par
bateaux; et que la mise en place de ces énormes masses s’opérait à bras
d’hommes, en y mettant le nombre nécessaire, le matériel humain, comme
on dit aujourd’hui, étant inépuisable. Si l’on avait, par exemple, à
hisser une pierre de quelques dizaines de tonnes au haut d’un pylône, on
élevait à côté de celui-ci comme on le voit encore à Karnak, une
montagne de briques et de terre qui servait de plan incliné le long
duquel des milliers d’esclaves halaient et poussaient le formidable
monolithe.

On s’est également étonné qu’au fond de leurs tombeaux, presque toujours
ensevelis sous des montagnes, où règnent des ténèbres absolues, des
peintures murales, parfois de délicates miniatures, soient aussi
fraîches, aussi minutieusement fouillées que si elles avaient été
exécutées à la lumière du jour, bien que, nulle part sur les murs, on
n’aperçoive les traces de fumée qu’aurait dû, inévitablement, y laisser
la flamme des torches ou des lampes. On a soutenu qu’ils devaient
connaître une sorte de lumière froide, dont nous avons perdu le secret,
ou peut-être l’électricité. D’autres ont prétendu qu’ils éclairaient
leurs souterrains à l’aide d’un jeu de miroirs qui, de réflecteur en
réflecteur, envoyaient un rayon solaire sur la paroi à peindre. Mais on
a récemment découvert un dépôt de lampes qui, manifestement paraît-il,
étaient des lampes à alcool et l’on présume que cet alcool, qui donnait
une clarté sans fumée, devait être de l’alcool de dattes.

Pour extraire les pierres des carrières, pour débiter et ébaucher leurs
énormes monolithes, pour fendre notamment ce redoutable granit
d’Assouan, le plus dur qu’on connaisse et sur lequel s’ébrèchent nos
ciseaux d’acier, ils avaient recours, on en a trouvé la preuve, à un
procédé très simple, encore en usage aujourd’hui. Ils creusaient des
trous dans la pierre, y introduisaient des chevilles de sycomore qu’ils
arrosaient d’eau, et la dilatation du bois fendait le granit aussi
aisément que la gelée fait éclater une cuvette de verre ou un tuyau de
plomb.

Il semble donc qu’on ait eu quelque tendance à exagérer la science
mystérieuse des Égyptiens. Au point de vue mécanique, astronomique (la
grande Pyramide exceptée), industriel, mathématique, ils en savaient
probablement beaucoup moins que nos ancêtres de l’an mil. Mais comme ils
disposaient de véritables armées d’esclaves, esclaves de guerre ou
esclaves indigènes, soumis à un despotisme absolu, ils pouvaient mener à
bien, comme le font les fourmis, des travaux qu’avec nos machines
merveilleuses, nous hésiterions à entreprendre. C’est ainsi, par
exemple, que la reine Hatshopsitou se vante d’avoir fait extraire de la
carrière, près d’Assouan, transporter à Thèbes, sculpter, polir, ériger,
le tout en sept mois, deux grands obélisques de granit rose dont l’un
est encore debout à l’entrée du sanctuaire du temple de Karnak.

On ne voit guère de science occulte en tout ceci. Néanmoins, l’Égypte a
toujours été considérée comme le berceau, comme la terre d’élection de
l’occultisme. Pour tout le monde antique, c’était le pays de la sagesse,
le pays des dieux, la patrie des mystères. Les grands sages de la Grèce,
Solon, Pythagore, Platon et bien d’autres, n’hésitaient pas à faire le
long et dangereux voyage, afin de demander aux prêtres de la vallée du
Nil le dernier mot des suprêmes énigmes. Hormis quelques très anciennes
légendes, comme celle de l’Atlantide, ils ne nous ont rien appris. Il
est vrai que si on les initiait aux mystères, on leur imposait le
silence; et si on ne les initiait pas, on ne leur révélait rien.

En tout cas, le mystère de l’Égypte, tel que nous croyons le percer
aujourd’hui, est assez décevant. En abordant ce sol prestigieux, notre
premier désir, et qui ne nous quitte plus, c’est de surprendre le secret
de la vie prodigieuse, innombrable, qui anime encore les tombeaux et les
temples. On s’imagine qu’il n’est pas possible qu’un culte aussi ancien,
que des millions d’images et d’inscriptions cinq ou six fois
millénaires, ne cachent pas quelque chose d’inattendu et de très grand.
Les hommes à qui nous les devons remontent aux origines de l’espèce. Ils
ont vécu, pullulé et prospéré durant plus de quarante siècles, dans une
paix presque perpétuelle, sur le même point du globe, ce qui n’est
jamais arrivé à aucun peuple. Ils ont donc eu le temps, plus que
n’importe qui, d’étudier et d’approfondir les énigmes de l’existence; de
profiter d’un loisir et d’une occasion qui ne s’étaient jamais présentés
et qui, probablement, ne se présenteront jamais plus.

Or, à mesure qu’on avance, le mystère s’évanouit. On constate avec
étonnement que ces étranges images, ces signes bizarres et compliqués,
qu’on croyait pleins de sous-entendus précieux, de sens multiples et
superposés, ne disent, en fin de compte, que des choses très simples,
très banales, très terre-à-terre, souvent très puériles, surtout très
incohérentes quant aux doctrines, et même assez sauvages, sous le vernis
d’une civilisation dont les monuments formidables, l’art parfois
merveilleux, la durée fabuleuse et la prospérité sans exemple, nous
portent à exagérer l’importance, le raffinement et les acquisitions
morales et intellectuelles. La vérité paraît être que cette civilisation
était avant tout une civilisation agricole, une civilisation de grands
propriétaires d’une intelligence assez bornée et de paysans riches,
crédules et superstitieux. A moins qu’on n’admette que jusqu’ici on
n’ait saisi que le sens superficiel des peintures et des hiéroglyphes,
ce qui, nous le verrons plus loin, est, après tout, possible.

Quand on feuillette leurs grands livres, notamment ce fameux _Livre des
Morts_, dont les premiers textes remontent au temps des pyramides, ce
livre au titre fatidique et qui semble promettre la clef de la vie
d’outre-tombe, on éprouve à peu près la même déception que lorsqu’on
visite leurs hypogées et leurs temples. C’était pourtant, à leurs yeux,
le livre par excellence, celui qui manifestement renfermait tout ce
qu’ils savaient au sujet de l’au-delà. Ses fragments sacrés recouvrent
les murs de toutes les tombes, les parois de tous les sarcophages et
jusqu’aux bandelettes qui emmaillotent les momies. Il était le guide, le
_vade-mecum_, le gardien, le protecteur, le défenseur, le talisman,
l’espoir suprême de tous les morts. En réalité, n’était le chapitre
consacré au jugement du cœur qui apporte, dans la nuit de ces temps
presque préhistoriques, une très haute idée morale, puisque, pour la
première fois peut-être en ce monde, il met en scène le drame de la
conscience humaine et de la déification de l’âme, le livre tient si peu
ses promesses, qu’avec plus d’inquiétude encore qu’à propos des autres
hiéroglyphes sépulcraux, on se demande si on en a réellement saisi le
sens. «Ce n’est pas que la grammaire nous arrête, dit l’un de nos
meilleurs égyptologues; elle est en général fort simple, le sens des
mots est connu, et cependant il arrive souvent qu’une phrase dont la
traduction est aisée nous présente une idée bizarre qui a l’air d’une
puérilité, pour ne pas dire d’une sottise. Nous pouvons être certains
qu’il n’en était pas ainsi pour les anciens Égyptiens. Sous ce langage
étrange et qui, à première vue nous ferait sourire, se cachent peut-être
des vérités élémentaires, et des idées de la plus grande simplicité.
Nous ne les avons pas découvertes, parce que nous ne savons pas encore
assez bien comment les Égyptiens rendaient les idées abstraites.
Évidemment par des métaphores, et jusqu’à ce que nous en ayons trouvé la
clef, nous sommes obligés de nous en tenir au sens littéral, qui peut
nous induire en erreur, ou nous laisser ignorer le sens vrai, le sens
figuré d’une expression prise dans ce qui frappe les sens ou dans le
monde matériel. Aussi la traduction du _Livre des Morts_, comme celle du
_Livre des Pyramides_, n’est encore que provisoire à bien des égards,
car pourtant nous en avons acquis l’intelligence générale[2].»

  [2] E. Naville. _La Religion des Anciens Égyptiens_, pp. 146-147.

C’est une remarque analogue à celle que les grands traducteurs des
Védas, Grassmann, Roth et Bergaigne, entre autres, font à propos des
textes sanscrits. Nous n’avons donc pas le droit de juger sans appel les
livres sacrés des deux plus vieilles religions de ce monde, parce que
nous ne sommes pas sûrs de les comprendre intégralement.

Pour ce qui concerne ceux de l’Égypte, on n’ignore pas que c’est la
célèbre pierre de Rosette, découverte en 1799, qui, grâce à son triple
texte en caractères hiératiques, démotiques et grecs, a fourni à
Champollion et à ses successeurs, la clef de toutes les inscriptions
hiéroglyphiques. Mais il conviendrait de ne pas perdre de vue que cette
pierre date des Ptolémées, c’est-à-dire d’une époque où l’Égypte
Pharaonique, la véritable Égypte, était morte depuis longtemps. C’est du
reste pour cette raison que, dans ces notes, je ne parle pas des temples
de Denderah et de Philæ, qui comptent parmi les plus beaux et les mieux
conservés, mais appartiennent à une Égypte posthume, à une Égypte sans
âme, factice et théâtrale, qui n’a plus rien à nous apprendre et rabâche
infatigablement ce qu’elle ne comprend plus. Déjà, sous la XXVe
dynastie, environ cinq siècles avant notre ère, la conquête persane
avait porté à la puissance sacerdotale, qui était la conscience du pays,
un coup dont elle ne se releva pas. Trois cent cinquante ans plus tard,
lors de la seconde invasion, sous le règne de Nektanébos, les temples
furent pillés, et les prêtres qui étaient l’élément nationaliste et,
depuis la XXIe dynastie, les véritables souverains, massacrés ou
déportés. Or, c’étaient les prêtres seuls qui détenaient le sens secret
de l’écriture hiéroglyphique, et, les prêtres du temps des Ptolémées,
n’étant apparemment que des usurpateurs non initiés, ne pouvaient donner
à des signes qu’ils maniaient sans en comprendre toutes les
significations, un sens qu’ils ne connaissaient point. Il est donc fort
possible que cette fameuse clef de Rosette n’ouvre qu’une très petite
porte qui ne donne accès qu’à des constatations matérielles et que
Champollion et ses continuateurs aient traduit des milliers de textes
sans rencontrer une seule fois la pensée réelle, la pensée profonde des
anciens prêtres. Voilà pourquoi l’on peut dire, à plus forte raison
encore que ne l’affirmait Naville, que l’interprétation des hiéroglyphes
n’est que provisoire.

Quoi qu’il en soit, et tel que nous l’entendons aujourd’hui, le _Livre
des Morts_, comme presque toutes les écritures égyptiennes, est avant
tout un rituel de magie, un formulaire magique. Il enseigne au défunt
les paroles qu’il doit prononcer pour écarter les monstres qui
l’attendent dans l’autre monde et se faire ouvrir les portes qui donnent
accès à la vie bienheureuse dans les jardins d’Ialou. Et afin qu’il ne
les oublie pas, on peint ces paroles sacrées sur son sarcophage. Tout ce
que nous savons de la religion égyptienne est ainsi saturé de magie. On
était convaincu que certaines formules, certains gestes, certains actes
apaisaient ou maîtrisaient les dieux, enchaînaient, déchaînaient,
dirigeaient les forces inconnues de ce monde ou de l’autre. Le
gouvernement n’était, au fond, qu’une oligarchie sacerdotale fondée sur
la magie; et l’Exode nous a conservé le souvenir «des secrets de leurs
mages», comme dit la _Bible_: la verge changée en serpent, les eaux du
Nil et de toute l’Égypte, jusque dans les vases, converties en sang, le
pays couvert de grenouilles, etc. Dans un conte de l’ancienne Égypte,
traduit par Maspéro[3], l’_Histoire véridique de Satni-Khamoïs_, on voit
de même un sorcier éthiopien lutter, «par formules de grimoire», contre
un sorcier égyptien. L’Éthiopien, devant le Pharaon, fait jaillir une
flamme dans la cour d’audience. Aussitôt, l’Égyptien produit au ciel
«une pluie du Midi» au-dessus de la flamme et celle-ci est éteinte en un
instant. Ensuite, l’Éthiopien fait paraître une nuée immense sur la cour
d’audience, «si bien que personne n’aperçoit plus son frère ni son
compagnon». L’Égyptien «récite un écrit vers le ciel» et déblaie
celui-ci. Enfin l’Égyptien fait surgir une énorme voûte de pierre,
longue de deux cents coudées et large de cinquante, au-dessus du Pharaon
et de ses princes. Le Pharaon pousse un cri d’épouvante ainsi que tout
le peuple. Mais le sorcier les rassure en faisant paraître un canot de
papyrus qui se charge de la voûte et s’en va avec elle «au bassin
immense, à la grande eau de l’Égypte», c’est-à-dire au lac Mœris. Après
quoi l’Éthiopien s’avoue vaincu et promet de ne plus revenir en Égypte
avant quinze cents ans.

  [3] Maspéro. _Les Contes populaires de l’Égypte ancienne_, p. 177.

Il est certain que ces prodiges ressemblent étrangement à ceux que
produisent encore de nos jours les fakirs de l’Inde, notamment au fameux
miracle de la corde accrochée au ciel, le _Rope climbing_, que bien des
voyageurs ont constaté. Sont-ils dus à un don de suggestion tellement
puissant qu’il crée même à distance, et quels que soient le nombre et le
scepticisme des spectateurs, une hallucination collective?

[Illustration: scènes d’intérieur à la façon d’un bas-relief.]

La magie d’aujourd’hui n’est plus que de la métapsychie, c’est-à-dire
une série de phénomènes encore mal expliqués, dus au magnétisme, à
l’hypnotisme, au médiumnisme ou à d’autres forces inconnues de notre
subconscient. Y a-t-il une autre magie, une autre source d’énergie,
peut-être extra-humaine, dans le royaume des morts ou dans celui des
êtres invisibles qui probablement nous entourent? Il serait aussi
téméraire de l’affirmer que de le nier. Tout ce que nous pouvons inférer
de certaines attitudes égyptiennes, constamment reproduites sur les
peintures murales, c’est qu’ils connaissaient, entre autres, toutes les
pratiques de l’hypnotisme. Tous leurs gestes d’oblation, de protection,
d’imploration, de consécration, bras étendus, mains ouvertes sur la tête
et la nuque, passes le long de l’épine dorsale, sont des gestes de
magnétiseurs. Les dieux étaient d’inépuisables réservoirs de fluide
qu’ils transmettaient aux hommes. Le «Setep Sa», notamment, ou
«projection du fluide de vie» qui assurait la protection magique en
apposant les mains ouvertes entre les omoplates, rappelle exactement ce
qu’on nomme en hypnotisme «le signe de Moutin» par lequel nos
magnétiseurs, au début de leurs séances, éprouvent la sensibilité de
leurs sujets. Et il est évident que l’hypnotisme, qu’ils connaissaient
probablement beaucoup mieux que nous, peut produire des phénomènes qui
semblent absolument miraculeux.

Ils connaissaient aussi, comme l’attestent des textes formels[4], les
pratiques corollaires de l’envoûtement, c’est-à-dire l’art de
transporter à distance, sur un individu déterminé, tous les mauvais
traitements qu’on fait subir à une figurine façonnée à la ressemblance
de la victime. Le colonel de Rochas, le docteur Carl du Prel et d’autres
métapsychistes sérieux prétendent que cette opération est
scientifiquement réalisable, que c’est une expérience de laboratoire
qu’ils ont réussie presque autant de fois qu’avec l’aide de bons médiums
ils l’ont tentée.

  [4] Budge. _Egyptian Magic_, p. 77.

Au surplus, comme je l’ai dit ailleurs, dans _Le Grand Secret_, tout ce
qui concerne les fameux mystères de l’initiation égyptienne est de
source relativement récente et date de l’époque où les traditions et les
théories hindoues, chaldéennes, juives et néoplatoniciennes fermentaient
dans l’Alexandrie gréco-romaine des Ptolémées. Dès la conquête persane,
mais surtout depuis la XXXe dynastie, c’est-à-dire trois siècles avant
J.-C., l’Égypte des Pharaons était morte, ses prêtres déportés et leurs
secrets, s’ils en avaient eus, irrémédiablement perdus. Quant aux écrits
de l’Hermès Trismégiste, c’est-à-dire «neuf fois plus grand», attribués
à Thot, l’Hermès égyptien, quant à la Table d’Émeraude, aux révélations
de Jamblique et autres livres de chevet des occultistes, ils remontent
tout au plus aux premiers siècles du christianisme. Mais nous
reparlerons plus loin des mystères réellement égyptiens, c’est-à-dire
des mystères de l’époque pharaonique.

                   *       *       *       *       *

Jusqu’à quel point ces prêtres, ces grands magiciens, étaient-ils de
bonne foi? On a des preuves qu’ils trompaient par des moyens assez
simples la crédulité populaire. Voyez, par exemple, à Karnak, la
chapelle obscure où se trouve la statue d’une déesse à tête de chat,
Sekhmet, à moins que ce ne soit Mout ou Bastet, tant les divinités sont
interchangeables, uniquement éclairée par une lucarne percée dans le
plafond. La lumière tombe si habilement, si fantastiquement sur les
reliefs de la face, que celle-ci semble s’animer, remuer, même à nos
yeux prévenus d’Européens incrédules. Du reste, beaucoup de leurs
statues, qui étaient des statues parlantes dont les bras et la tête se
mouvaient, étaient puérilement truquées. Ainsi, quand on voulait, par
exemple, animer le dieu Chons Neferhotep, la troisième divinité de la
triade de Thèbes, on le transportait dans une partie du temple où se
trouvait un plancher d’argent évidemment préparé. Il ne fallait au
demeurant pas se donner grand mal pour tromper le bon peuple. Il
suffisait, dans les cérémonies et les processions, que le prêtre prît le
masque d’un dieu, pour que tous fussent convaincus qu’ils voyaient le
dieu même. On a enfin découvert, dans tous les temples, des passages
souterrains uniquement connus des initiés, par lesquels ceux-ci venaient
s’approprier les offrandes que les dieux étaient censés avoir
consommées.

Où finissait la science véritable, où commençait l’imposture? Qui savait
qu’on trompait, qui ne le savait pas? Qui pourrait le dire quand il est
question de notre propre religion? Il est donc bien difficile de le
discerner quand il s’agit d’un culte mort il y a trois mille ans.
Avaient-ils constaté qu’il était décidément impossible d’élever les
masses aux hautes conceptions monothéistes, à la sorte de panthéisme
agnostique qu’ils semblent, quant à eux, avoir atteints; et dès lors
laissèrent-ils la crédulité et la superstition populaires suivre leur
pente naturelle et descendre peu à peu aux inextricables et basses
complications du polythéisme et du fétichisme le plus puéril ou le plus
sénile? Nous retrouvons un phénomène analogue en d’autres religions,
notamment dans celles de l’Inde et de la Perse. Presque toutes, afin de
se mettre à la portée des hommes, se compliquent, se dégradent,
s’avilissent, à mesure qu’elles s’éloignent de leurs sources.

Il est certain que ces prêtres étaient très puissants; mais il est non
moins certain qu’ils ne devaient pas, comme on est assez porté à le
croire, disposer de moyens surnaturels pour défendre leur cause. Ils
luttent parfois contre les rois; et, comme de simples mortels, sont
obligés de céder à la force brutale. C’est ainsi, j’y ai déjà fait
allusion, qu’Aménophis IV, père de Toutânkhamon, pour se débarrasser des
prêtres de Thèbes dont la puissance offusquait la sienne, confisque
leurs immenses richesses et supprime simplement leur dieu Amon auquel il
substitue Aton, la divinité solaire d’Héliopolis. Sous Toutânkhamon,
nouvelle révolution: on détrône Aton et l’on restaure Amon; et tous ces
drames où se mêlent les dieux et qui devraient se passer entre initiés
suprêmes, dans les plus hautes régions de la magie, se dénouent
vulgairement, comme de simples intrigues politiques, au profit de celui
qui a derrière lui la force armée.




V

LA RELIGION SECRÈTE


Quant à la religion secrète, à leur religion réelle, au milieu de
beaucoup d’incohérences,--car l’incohérence, le manque de logique, de
suite dans les idées, est ce qui caractérise surtout la théologie
égyptienne,--nous en saisissons parfois les grandes lignes que n’ont pas
entièrement recouvertes les végétations parasites de la religion
populaire. Nous remarquons alors qu’au fond, leurs dieux innombrables ne
sont, sous les noms les plus divers, qu’un seul dieu qui était en même
temps tous les autres et qui changeait de titre ou de forme selon les
localités, selon les temples, selon ses fonctions, selon les rois ou les
dynasties. Le Pharaon dès cette vie et tous les hommes après leur mort
sont dieux et virtuellement tous les dieux qu’ils désirent devenir. Dieu
est tout, tout est dieu, par conséquent il n’y a qu’un seul dieu et on
ne peut savoir ce qu’il est puisqu’il est tout. Nous aboutissons ainsi à
un panthéisme tellement étendu qu’il devient monothéiste et verse
forcément dans l’agnosticisme absolu, puisque nous ne pouvons connaître
le grand Tout.

Les mystères étaient, si l’on peut hasarder cette antiphrase, la
manifestation principale de cette religion secrète. Ils étaient célèbres
dans l’antiquité; et les mystères grecs, notamment ceux d’Éleusis, les
plus fameux, en dérivaient directement. Les milliers de tableaux,
retrouvés dans les tombeaux et les temples, nous montrent que ces
mystères n’étaient que la représentation allégorique du grand drame de
la mort et de la résurrection. Sous le mythe d’Osiris ressuscité se
cachait l’histoire de tous les hommes. De même qu’Osiris avait été
rappelé à la vie par des cérémonies et des formules magiques, de même,
pour tout homme, par la reproduction des mêmes cérémonies et des mêmes
formules, par la magie imitative, en un mot, la mort devenait le berceau
d’une nouvelle vie. Pour le profane, qui prenait au pied de la lettre la
réalité de cette nouvelle naissance, il s’agissait d’une vie à peu près
analogue à celle qui venait d’expirer; pour l’initié, il était question
d’une vie plus spirituelle, d’une vie éternelle et universelle dans ce
qu’était devenu peu à peu l’idée du «Totem» amplifié, c’est-à-dire dans
le grand Tout. Et l’initiation n’était, au fond, qu’une représentation
préparatoire ou une répétition générale, durant la vie, du grand drame
posthume de la mort et de la nouvelle naissance.

                   *       *       *       *       *

Ce panthéisme agnostique et optimiste sans conviction, où aboutissaient
les mystères, était revêtu, pour ceux qui ne pouvaient s’élever jusqu’à
lui, de mille allégories anthropomorphes ou zoomorphes. Les textes qui
le consacraient et proclamaient que l’homme est exactement et totalement
dieu, identique à tous les dieux, n’étaient pas, malgré certaines
précautions, réellement secrets. Ils étaient contenus dans le _Livre des
Morts_, et se transmettaient de père en fils. Mais ces textes trop
hauts, s’ils avaient été inconsidérément divulgués, eussent anéanti la
religion. On les laissait dans l’ombre et pratiquement on n’en tenait
pas compte. Pour pouvoir se multiplier, les prêtres de ce dieu
secrètement unique et inconnaissable, multipliaient à l’infini ses noms,
ses attributs, ses images. Des formules magiques suppléaient aux pensées
qu’on ne pouvait comprendre, qu’on évitait de répandre. Ces formules
fournies et consacrées par les prêtres, étaient censées rendre ceux qui
les possédaient et ne savaient pas, aussi puissants, aussi heureux dans
l’autre monde, que ceux qui savaient, c’est-à-dire les initiés. On peut
croire qu’il y avait ainsi deux sortes d’initiations, l’une supérieure,
au panthéisme, à l’agnosticisme absolu, l’autre, aux formules magiques,
plus pratique et plus générale, comme, à côté de la religion qui priait
et adorait les dieux, et se confondant souvent avec elle, il y avait la
magie ou la sorcellerie, qui savait contraindre les dieux à faire ce que
l’homme désirait. Ici, se manifeste une fois de plus l’incohérence de
l’âme égyptienne qui atteint parfois les plus hauts sommets des plus
grandes religions, pour retomber l’instant d’après dans les pires
niaiseries et les fantasmagories les plus barbares et les plus puériles.
Nous voyons alors celui qui vient de reconnaître qu’il est l’égal des
dieux d’Abydos et d’Héliopolis, souverain de la terre et du ciel, maître
d’hier et de demain, émanation de Râ, user de petites recettes, de
misérables mensonges et de mots de passe pour écarter les crocodiles,
les hippopotames, les tortues, les serpents, les cynocéphales et les
ânes rouges qui lui barrent la route qui mène aux champs éternels
d’Ialou, le grand paradis agricole.

Ce panthéisme agnostique, qui paraît être jusqu’ici le plus haut point
que les religions aient atteint, que peut-être la pensée humaine puisse
atteindre, était-il, comme on l’a soutenu, l’écho d’une tradition ou
d’une révélation très ancienne provenant d’une autre race, d’une race
disparue, d’une race plus intelligente, plus spirituelle que toutes
celles qui lui ont survécu? Si le fond de toutes les grandes religions
est à peu près le même, si elles aboutissent toutes à l’absorption, à
l’anéantissement dans le divin, faut-il croire qu’à un certain moment
cette idée tomba du ciel toute faite et que les diverses religions
primitives ne firent que la répéter en la mutilant, en l’obscurcissant?
A première vue, cette conjecture est assez séduisante; mais bientôt,
quand on étudie la question, semble très discutable. Comme le fait fort
justement remarquer M. Alexandre Moret, l’un des meilleurs égyptologues
français, à l’origine des croyances religieuses, en Égypte comme
ailleurs, à la période du fétichisme, «la plupart des primitifs croient
leur âme en sûreté parce qu’elle est liée au «Totem», c’est-à-dire à une
espèce animale ou végétale, ou à une classe d’objets qui ne peuvent
_tous_ périr. A la mort même de l’individu, le «Totem», âme collective
immortelle, récupère cette parcelle, émanée de lui pour une passagère
existence[5].»

  [5] A. Moret. _Au Temps des Pharaons_, p. 173.

Ainsi, dans la nuit des siècles sans histoire, quand il commence à peine
de sortir de la fange animale, l’homme se préoccupe déjà de la survie de
son esprit et lui trouve un refuge. N’est-ce pas l’humble origine de la
croyance en l’immortalité de l’âme et tout ce qui, sorti du misérable
«Totem», a grandi et s’est épanoui, en même temps que l’intelligence,
jusqu’aux dieux sans limites, aux dieux inconnaissables de l’Inde, de la
Perse, de l’Égypte, jusqu’au dieu suprême d’Israël qui est non pas le
Jéhovah de la Bible, mais celui des traditions secrètes, l’En-Sof du
Zohar, c’est-à-dire un point d’interrogation dans le Néant? Tous ces
dieux nous pourrions encore les adorer aujourd’hui sans déchoir, puisque
notre agnosticisme rationnel et scientifique n’a pas trouvé autre chose,
et, en tout cas, n’a pas trouvé mieux, car la dernière vérité ce fut
toujours, c’est encore et ce sera probablement toujours, qu’après la
mort on disparaît dans le «Totem» total, qu’on n’a jamais rien su, qu’on
ne sait pas encore, qu’on ne saura jamais; et que peut-être Dieu même ne
sait pas. Et c’est ainsi qu’en dépit de toutes nos expériences, en dépit
de toutes les conquêtes de notre science, pour tout ce qui touche à nos
origines et à nos fins, nous ne sommes guère plus avancés, nous n’en
savons pas plus que le sauvage préhistorique qui adorait comme symbole
de son dieu, de l’immortalité de son clan ou de son âme, un chat, un
faucon, un crocodile ou un roseau.

De cette religion supérieure, plus ou moins latente, du reste moins
coordonnée, moins méditée et moins philosophique que celles de l’Inde ou
de la Perse, les Égyptiens n’avaient guère conservé qu’un dogme
essentiel qui formait le soutien de toute leur morale: le Jugement des
Morts. C’est, au surplus, de ce jugement des morts que dérive presque
toute leur littérature religieuse. Les parties les plus hautes de ce
dogme, principalement l’Osirification, la déification de l’âme ou le
retour de l’âme en Dieu, qui rejoint le Nirvana védique, de même que le
panthéisme agnostique, tombe peu à peu dans l’oubli; du moins on n’y
insiste pas, on le laisse dans le vague; et on ne se figure plus le
jugement que comme une comparution devant un tribunal où la procédure
ressemble à s’y méprendre à celle des tribunaux de cette vie. On connaît
suffisamment les péripéties de ce drame judiciaire d’outre-tombe, et je
me borne à en rappeler ici les grandes lignes. Amené devant Osiris et
quarante-deux divinités qui représentent les péchés qu’elles sont
chargées de punir, le mort, stupéfait, aperçoit son cœur sur un des
plateaux de la balance que tient Horus, tandis que l’autre plateau porte
une image de Mâat ou Maït, c’est-à-dire la Justice absolue. Il plaide
alors sa propre cause et fait sa confession. Cette confession, comme
toute la morale égyptienne, est entièrement négative. Il énumère tous
les péchés qu’il n’a pas commis. Plutôt que de faire le bien, en Égypte,
il importe de ne pas faire le mal. Si l’équilibre des deux plateaux
atteste la sincérité de la confession, le défunt devient l’égal
d’Osiris, il est Osiris même, et, étant Osiris, tous les dieux. Il est
libre d’aller où il veut, il prend la forme qu’il désire, il choisit son
destin, il peut monter dans la barque solaire où il devient Râ,
c’est-à-dire le dieu suprême, il peut se rendre aux champs paradisiaques
d’Ialou, en un mot, il est de la famille divine, «les dieux l’entourent
et le goûtent, car il est comme l’un d’eux».

Mais, s’il faut en croire ce que nous voyons sur les murs des tombeaux,
il ne semble pas que le défunt s’intéresse beaucoup à cette déification,
ni qu’il soit fort curieux de monter dans la barque de Râ ou de
séjourner aux champs d’Ialou. Il est libre d’aller où il veut, par les
cieux et la terre; mais plutôt que d’errer dans un infini qui ne lui
inspire pas confiance, il préfère rester près de sa momie et retrouver
dans un tombeau confortable, bien meublé et bien approvisionné, les
occupations et les avantages bien connus de sa vie terrestre. C’est du
moins ce que paraît attester le vague où est laissé, dans les
sépultures, tout ce qui se rapporte à la déification, et par contre, le
soin extrême qui préside à l’installation, à l’organisation de la vie du
«double», lequel n’est peut-être pas l’âme proprement dite, l’âme
divine, mais assurément, au point de vue pratique, l’âme la plus
intéressante, l’âme habituelle, l’âme humaine de la vie indéfiniment
prolongée.

Il y a là une superposition de croyances plus ou moins inconciliables
et, en tout cas, mal amalgamées; et, en Égypte, comme partout, la moins
haute a fini par prévaloir et se généraliser. Le jugement des morts
lui-même qui extériorisait si noblement le grand drame de la conscience
se jugeant elle-même, ne se maintint pas longtemps sur les hauteurs où
nous l’avons admiré; et bientôt il suffira que le plus grand criminel
récite certaines formules magiques pour qu’il soit accueilli par Osiris
et divinisé comme l’innocent.

Qu’arrive-t-il si le mort n’est pas justifié devant le tribunal
posthume, si son cœur lourd de crimes fait pencher la balance du côté de
l’abîme et s’il ne s’est pas muni de formules magiques pour tromper ou
dominer les dieux? Le plus grand des égyptologues anglais, Le Page
Renouf, prétend que, dans les textes découverts jusqu’ici, on ne parle
nulle part des châtiments réservés à l’âme ou au cœur du condamné[6]. Je
crois qu’il fait erreur. En tous cas, dans bien des tombeaux, et
notamment dans cette terrible Vallée des Rois qui est une immense
fournaise noire et désolée, où jamais ne tombe une goutte de pluie, sur
les murs de l’hypogée de Séthos Ier, découvert en 1817, par Belzoni,
j’ai vu, de mes yeux, d’incontestables figures de réprouvés, représentés
la tête en bas, dans les ténèbres, ou des âmes envoyées dans des corps
de pourceaux tourmentés par des singes, parce que, paraît-il, le
pourceau est le seul animal qui jamais ne regarde le ciel. Il est,
affirmait mon drogman égyptien, impossible de le maîtriser tant qu’il a
le nez en terre, dans l’ordure. Il résiste à tout, se débat comme un
démon, pousse des hurlements qui ameutent le village. Relevez-lui
brusquement le groin, il s’arrête stupéfait, sidéré, épouvanté ou
attendri à l’aspect de l’admirable voûte bleue qu’il n’avait jamais
entrevue. Ses cris aigus sont coupés nets; il devient plus docile qu’un
enfant et l’on en fait tout ce qu’on veut.

  [6] P. Le Page Renouf. _Lectures on the origin and growth of Religion
    as illustrated by the Religion of ancient Egypt_, p. 183.




VI

L’ATMOSPHÈRE SPIRITUELLE


Voilà l’atmosphère spirituelle qui se dégage de ces innombrables
nécropoles souterraines et qui enveloppe toute la terre sur laquelle
régnèrent trente dynasties de Pharaons. Ces magnifiques souverains,
divinisés dès cette vie, et divinisés à ce point qu’ils s’adoraient
eux-mêmes, et offraient des sacrifices à leur propre statue, la
respiraient aussi. Dieux tout-puissants, ils étaient souvent des hommes
très mesquins. Je n’en veux pour preuve que le plus grand, le plus
égyptien d’entre eux, le fameux Ramsès II, le Sésostris des Grecs, qu’on
croit être le Pharaon de la Bible. On voit sa momie dans une vitrine du
musée du Caire. C’est maintenant, dans sa boîte de verre, entre deux
soucoupes contenant des désinfectants, un terrible petit vieillard noir,
à demi rongé par les insectes, qui, il n’y a pas longtemps, tourmenté ou
liquéfié par la chaleur tropicale de l’été égyptien, redressa le bras
droit en semant l’épouvante parmi les gardiens de la salle. Il régna
soixante-sept ans. On lui doit les gigantesques constructions de
Louksor, de Karnak, du Ramesséum, d’Abou-Simbel, d’Abydos, les colosses
de Memphis, c’est-à-dire du Delta à la deuxième cataracte, la moitié des
temples et des monuments de l’Égypte. Or, ivre d’on ne sait quelle
vanité hypertrophiée, monstrueuse, maladive, puérile, il semble qu’il
ait voulu être le seul roi qui eût jamais existé. Il était jaloux de
tout ce qu’on avait fait avant lui. La gloire, les souvenirs de ses
prédécesseurs empoisonnaient sa vie. Partout où ce fut possible, il fit
sauter leur cartouche royal taillé dans le granit, pour y substituer, en
creux, le sien. Il aurait voulu abolir, à son profit, toute l’histoire
de l’Égypte. Cette mutilation des cartouches, avec la violation des
sépultures, était du reste, parmi les rois, un attentat assez fréquent.
On ne peut s’imaginer, par exemple, tout ce que firent les successeurs
de la fameuse reine Hatshopsitou, pour tenter d’effacer à jamais la
mémoire de son règne. Il semble qu’ils n’aient pas été assez
intelligents pour faire un retour sur eux-mêmes et se dire que le
mauvais exemple qu’ils donnaient serait fatalement suivi, que leur tour
viendrait et que, malgré toutes les incantations, il leur serait fait à
eux-mêmes ce qu’ils avaient fait à leurs prédécesseurs.

[Illustration: colonnes et chapiteaux.]

                   *       *       *       *       *

L’atmosphère intellectuelle et morale, même autour des trônes, on le
voit, ne monte pas très haut. Elle s’arrête fort au-dessous des cimes
qu’elle atteignit dans l’Inde ou la Perse d’autrefois. Elle flotte
presque à ras du sol et s’élève difficilement au-dessus de l’existence
de tous les jours. On la sent un peu épaisse, un peu étouffante, comme
le climat, comme devait l’être toute la vie de l’Égypte. Somme toute,
l’Égyptien semble avoir été une sorte de bourgeois plus pratique, plus
actif, plus industrieux que l’Oriental d’aujourd’hui. Brûlé plutôt
qu’amolli par le soleil, il est plus Chinois et plus Européen que
proprement Asiatique ou Africain. Fastueux dans ses palais et surtout
dans ses tombeaux et dans ses temples, il se révèle plutôt économe,
terre à terre, formaliste, presque bureaucratique dans le privé. Il est
du reste beaucoup moins austère que ne le feraient croire les milliers
d’images qui le représentent sans cesse environné de mânes et de dieux,
accomplissant des gestes rituels et solennels dans des cérémonies
religieuses ou funèbres. Il ne cache pas ses plaisirs qui pour lui ne
sont pas des vices. Il n’est ni hypocrite ni pudibond. Il aime les
femmes, le vin et surtout la bière, la boisson nationale qu’on prépare
au jour le jour, en même temps que le pain. Il la boit dans les kiosques
ou à l’ombre des treilles, en jouant aux dames ou en écoutant de la
musique, au bord du petit lac qui orne tout jardin, en compagnie de
belles filles vêtues de gazes si légères qu’elles sont «comme de l’air
tissé». Il considère comme un devoir d’épouser, à l’exemple de ses
dieux, une de ses sœurs; et si ces mariages incestueux, répétés durant
des milliers d’années, n’ont pas éteint ou épuisé la race, n’est-ce pas
la preuve que nos préjugés contre les unions consanguines ne sont
peut-être pas scientifiquement confirmés?

Il est certain qu’il n’avait pas, au point de vue de la morale sexuelle,
les mêmes idées que nous. Comme le fait remarquer Maspéro, «les mœurs
étaient faciles en Égypte. Mûre d’une maturité précoce, l’Égyptienne
vivait dans un monde où les lois et les coutumes semblaient conspirer à
développer ses ardeurs natives. Enfant, elle jouait nue avec ses frères
nus; femme, la mode lui mettait la gorge au vent et l’habillait
d’étoffes transparentes qui la laissaient nue sous le regard des hommes.
A la ville, les servantes qui l’entouraient d’ordinaire et qui se
pressaient autour de son mari ou de ses hôtes, se contentaient pour
vêtement d’une étroite ceinture serrée sur la hanche; à la campagne, les
paysans de ses domaines se débarrassaient de leur pagne pour travailler.
La religion et les cérémonies du culte attiraient son attention sur des
formes obscènes de la divinité, et l’écriture elle-même étalait à ses
yeux des images impudiques. Lorsqu’on lui parlait d’amour, elle n’avait
pas, comme la jeune fille moderne, la rêverie de l’amour idéal, mais
l’image nette et précise de l’amour physique. Il suffisait à peu près
qu’une Égyptienne conçût l’idée de l’adultère pour qu’elle cherchât à le
consommer sur-le-champ; mais y avait-il en Égypte plus de femmes
qu’ailleurs à concevoir l’idée de l’adultère[7]?»

  [7] G. Maspéro. _Op. cit._, _Introduction_, pp. XLVI-XLVII.

                   *       *       *       *       *

Sans pouvoir répondre à la question malicieuse du grand égyptologue,
rappelons-nous l’histoire de Joseph et de la femme de Putiphar à
laquelle fait exactement pendant l’aventure d’Anoupou, dans _Le conte
des deux frères_, qui date de la XIXe dynastie.

                   *       *       *       *       *

Quant à la prostitution, ils l’envisageaient aussi d’autre façon. Le
Pharaon, dans _Le conte de Rhampsinite_, prostitue sa fille pour
connaître le nom du larron qui lui a dérobé ses trésors. Chéops fait de
même afin de se procurer l’argent nécessaire à l’achèvement de sa
pyramide; l’épouse divine de Baïti consent à trahir son mari en échange
de quelques bijoux et à devenir la favorite du roi; et Thouboui, dans
_L’aventure de Satni-Khamoïs avec les momies_, se livre à Satni, après
le paiement du prix convenu. Aucun des narrateurs ne blâme ou ne
s’étonne. Il est vrai qu’il s’agit ici de contes populaires; mais ils
reflètent peut-être mieux qu’un document strictement historique l’esprit
du temps où ils furent écrits.

Du reste, malgré ces divergences, l’Égyptien est élevé dans l’amour de
la justice et surtout de la vérité qui domine toute sa morale. Pour lui,
le vrai et le juste se confondent à tel point qu’il n’a qu’un seul mot
pour les exprimer, de même qu’il n’en a qu’un pour le mensonge et le
mal. «Dis le vrai, fais le vrai, fais ce qui est conforme au vrai, parce
que la vérité est puissante, parce qu’elle est grande, parce qu’elle est
durable; et lorsqu’on trouve ses limites, on atteint la béatitude[8]»,
lui répète-t-on dès l’enfance; ce qui ne l’empêche pas d’être assez
fourbe, car même après sa mort il ment effrontément à ses dieux et les
«bluffe» sans vergogne, comme si la vie d’outre-tombe était une partie
de poker. Très positif, passablement «dessalé», comme on dirait
aujourd’hui, il garde dans son esprit et dans son cœur de vastes régions
naïves et puériles. Obsédé par l’idée du sépulcre, il est resté une
sorte de grand enfant excessivement sérieux. Il croit aveuglément tout
ce que lui affirment ses prêtres; et Dieu sait si ceux-ci abusent de sa
crédulité! A côté de sa petite existence quotidienne, il a besoin d’une
vie imaginaire énorme, compliquée, redoutable et fantastique. Il se crée
des fantômes effrayants et des milliers de monstres invraisemblables; il
divinise tout ce qui l’entoure et finalement sa propre âme, et voit
immense, fabuleux et déraisonnable dès qu’il s’agit de ses dieux.

  [8] G. Maspéro. _Op. cit._, p. 67.

Il évolue très lentement. Comme pour la Chine, à laquelle l’Égypte
ressemble sous tant de rapports, on se trouve tout d’un coup, au début
de l’histoire, en présence d’une civilisation toute faite, dont on ne
découvre pas l’origine, et qui, dans la suite des temps, ne bouge
presque plus. Il s’écoule plus de vingt-cinq siècles des pyramides de
Sakkarah à la domination gréco-romaine; et dès les premiers jours, toute
la théologie, tout ce qui se rapporte à la vie d’outre-tombe, toutes les
croyances populaires, toute l’imagerie religieuse, tous les rites
funéraires sont fixés. La vie politique, la vie agricole, les
instruments aratoires, les chars, les barques, les engins, les outils
restent fidèles aux types primitifs. Seule l’architecture, au bout de
mille ans, va lentement, pesamment, des pyramides du Delta aux
colonnades de Karnak. Encore ne peut-on dire qu’elle se transforme; elle
sort simplement de l’ombre pyramidale pour s’épanouir au grand jour.
Durant près de trois mille ans, non seulement dans les grands domaines
de la religion, de la morale et de l’art, on n’avance presque pas, mais
parfois on recule. On répète si souvent les mêmes choses qu’à force de
les ressasser on finit par les altérer, les déformer, les aveulir, les
vulgariser. La religion tourne à la sorcellerie, la sculpture devient
conventionnelle et s’industrialise, les formules magiques se substituent
aux jugements de la conscience. C’est seulement sous le Nouvel Empire,
un millier d’années avant J.-C., qu’on remarque, en morale, une sorte de
mouvement vers les hauteurs, une réaction de la conscience vers la
justice et le devoir. Mais il est douteux que ce soit une innovation ou
un progrès; c’est plutôt un réveil, un retour aux vertus d’autrefois.

                   *       *       *       *       *

Cette civilisation dont nous venons d’esquisser quelques traits, encore
que fussent assez médiocres les vertus qui la soutenaient, subsista plus
de quatre mille ans. C’est la plus longue, avec celle de la Chine, que
l’histoire ait connue. Durant quarante siècles, alors que tout, autour
d’elle, dans le reste du monde, n’était que barbarie, vols, brigandages,
incendies, massacres et chaos monstrueux, elle assura aux hommes qui en
jouissaient une sécurité, une tranquillité, un bien-être, un bonheur de
vivre que des peuples modernes, comptés parmi les plus heureux,
pourraient leur envier.

Quelles forces la maintinrent? Évidemment et tout d’abord, l’oligarchie
sacerdotale qui la gouvernait; oligarchie de penseurs et de savants qui
gardaient jalousement leurs secrets et que couronnait une monarchie non
pas seulement de droit divin, mais strictement divine, c’est-à-dire dont
le monarque n’était pas le représentant de Dieu sur la terre, mais Dieu
même, Dieu dès avant la naissance, Dieu à tel point que personne, à
commencer par lui-même, ne doutait un instant de sa divinité, Dieu si
sincèrement, si profondément convaincu qu’il adorait sa propre image,
redoutait sa propre puissance et se prosternait devant soi.

                   *       *       *       *       *

Mais d’autres peuples eurent des oligarchies intelligentes, des rois qui
se croyaient dieux, et ne vécurent pas longtemps. Il y avait, chez le
peuple égyptien, comme chez le chinois, à côté de cette autorité divine
qui, de la base au sommet, stabilisait l’édifice social, une force
conservatrice plus humble, mais bien plus efficace, parce qu’elle
imprégnait, ou plutôt saturait tout l’organisme: c’est l’obsession de la
mort et le culte du cadavre. Il est assez étrange que partout où
s’installe, où l’emporte la pensée de la mort, la vie s’agrippe,
s’épanouit, s’intensifie, se multiplie. Les deux civilisations les plus
durables, les plus tranquilles, les plus stables dont nous ayons entendu
parler, eurent pour idéal un cercueil. Serait-ce l’idéal qui convient le
mieux à l’humanité? L’idéal du bonheur matériel, à quelque félicité
qu’il conduise, n’a jamais satisfait personne; il détruit plus vite
qu’il n’édifie et n’aboutit qu’à des catastrophes. L’idéal spirituel des
grandes religions passe à des hauteurs où bien peu de regards le
découvrent. Mais l’humble idéal d’une vie et d’une demeure posthumes, à
peu près pareilles à celles que l’on devra quitter, mais dont on
n’entrevoit pas la fin, est un rêve que tout homme peut faire, que tout
homme peut comprendre. S’il faut en croire les expériences et les
constatations encore discutables de nos métapsychistes, peut-être, de
tous ceux qu’on a préconisés, est-il le moins aventuré, le seul qui ait
une petite chance de se réaliser; de même que l’antique religion des
Pharaons, malgré ses dehors fantastiques et parfois grotesques, était au
fond très raisonnable et, par-dessus les bizarreries et les puérilités
concédées à l’imbécillité du nombre, rejoignait les grandes hypothèses.
En tout cas, cet idéal accessible transposait l’existence sur un plan où
le temps, les bonheurs et les malheurs des jours peuvent encore la
frôler, mais ne la blessent plus sérieusement. Il canalise les
illusions, les aspirations, les déceptions et les ambitions dangereuses.
Il équilibre l’imagination. Il guide les yeux vers un au-delà où ils ne
s’égarent plus. Il enseigne l’attente, la patience, la résignation. Il
donne à la vie une raison d’être qui l’élargit sans la dissoudre dans
l’infini et un but qu’elle est sûre de ne pas manquer.


FIN




*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK EN ÉGYPTE ***


    

Updated editions will replace the previous one—the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for an eBook, except by following
the terms of the trademark license, including paying royalties for use
of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
copies of this eBook, complying with the trademark license is very
easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
of derivative works, reports, performances and research. Project
Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may
do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
license, especially commercial redistribution.


START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE

PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase “Project
Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg™ License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™
electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the
Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg™ License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work
on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the
phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

    This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
    other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
    whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
    of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
    at www.gutenberg.org. If you
    are not located in the United States, you will have to check the laws
    of the country where you are located before using this eBook.
  
1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase “Project
Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg™.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg™ License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format
other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg™ website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain
Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works
provided that:

    • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
        the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method
        you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
        to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has
        agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
        within 60 days following each date on which you prepare (or are
        legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
        payments should be clearly marked as such and sent to the Project
        Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
        Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg
        Literary Archive Foundation.”
    
    • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
        you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
        does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™
        License. You must require such a user to return or destroy all
        copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
        all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™
        works.
    
    • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
        any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
        electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
        receipt of the work.
    
    • You comply with all other terms of this agreement for free
        distribution of Project Gutenberg™ works.
    

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right
of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg™
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™

Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s
goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg™ and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state’s laws.

The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation’s website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread
public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
visit www.gutenberg.org/donate.

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.

Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org.

This website includes information about Project Gutenberg™,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.