Une maison bien tenue

By Marie Delorme

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Title: Une maison bien tenue

Author: Marie Delorme

Release date: June 29, 2025 [eBook #76416]

Language: French

Original publication: Paris: Armand Colin, 1901

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  MARIE DELORME

  Une Maison
  bien tenue

  Conseils
  aux jeunes maîtresses de maison


  Librairie Armand Colin
  Paris, 5, rue de Mézières
  1901

  Tous droits réservés.




A LA MÊME LIBRAIRIE


DU MÊME AUTEUR:

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BIBLIOTHÈQUE DU PETIT FRANÇAIS

  Chez Mademoiselle Hortense. Un volume in-18 jésus, broché         2  »
  Le Théâtre chez Grand’mère. Un volume in-18 jésus, broché         2  »
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  Les Filles du Clown: Tante Dorothée. In-18 jésus, br.             2  »


Coulommiers.--Imp. PAUL BRODARD.--166-1901.




AVANT-PROPOS


Il y a trois mille ans, un roi, magnifique et puissant, Salomon, fils de
David, grand poète et profond philosophe, s’écriait:

«Qui saura jamais trouver une femme forte? Elle est plus précieuse que
les rares merveilles apportées des confins de l’univers!»

Alors, cette femme incomparable, il nous la montre dans son intérieur,
«où règne une loi de douceur et de justice». Il dit ce qu’elle est pour
son mari, pour ses enfants, pour sa patrie même, car «son époux est
illustre quand il siège dans les conseils aux portes de la ville». Il
vante ses riches tentures de tapisserie, ses vêtements de lin et de
pourpre et cette main habile et ferme qui «sait mener à bien les rudes
tâches et guider le fuseau agile».

Il nous dit encore, au logis, «sa lampe qui brûle pendant la nuit pour
éclairer son labeur», et, au dehors, la vigne qu’elle a plantée, le
champ qu’elle a acheté du fruit de son travail». Il termine enfin ce
long et glorieux éloge par ces paroles d’une sublime simplicité:

«Ses enfants se sont levés et l’ont, devant tous, proclamée heureuse!
Son mari s’est levé à son tour, et lui a dit:

«--Beaucoup de filles ont amassé des richesses, mais vous les avez
toutes surpassées.

«La grâce est trompeuse et la beauté est vaine. La femme qui craint le
Seigneur est celle qui sera louée.

«Que les biens qu’elle a gagnés lui appartiennent et que ses propres
œuvres la louent dans l’assemblée des Juges[1]!»

  [1] Salomon, _Les Proverbes_, chap. XXXI.

Mes lectrices, sans exception, je le suppose du moins, admirent «la
femme forte» et voudraient lui ressembler.

Il y a pourtant des natures qui ne se sentent aucune vocation pour le
rôle de _femme forte_.

«La femme forte! dira Mlle A..., à quoi ça peut-il bien ressembler? Je
ne me l’imagine qu’avec de gros souliers, des mains rouges, un chapeau à
la mode d’avant-hier, une robe taillée comme dans un sac.

--Oh! la femme forte! s’écrie Mlle B... N’en parlons pas, voulez-vous?
Ni art, ni poésie, ni esthétique, ni musique! En revanche, des livres de
ménage à n’en plus finir, un gros trousseau de clefs en poche et même,
_horror_! un manche de casserole en main!...

--La femme forte!... soupire Mlle C..., c’est très beau, certainement...
mais c’est si difficile!... Et ça doit être si fatigant! Il faut
vraiment une santé à toute épreuve... et puis des aptitudes
particulières, et puis... ça n’est pas très féminin. Pas ombre de grâce,
de charme, de fantaisie...

--Nous deviendrons «femmes fortes» quand nous serons mariées, disent
Mlles D..., E..., F..., mieux intentionnées, mais, au fond, tout aussi
rebelles. Vous nous parlez trop tôt de ces choses-là! Pour l’instant
«maman» se charge d’être la femme forte de la maison. Il y en a assez
d’une!

«D’ailleurs, comment voulez-vous qu’à nos cours de dessin, de pastel,
d’aquarelle, de peinture, de piano, de chant, de diction, etc., etc.,
etc., qu’aux visites, aux réceptions, aux courses dans les magasins, aux
petits chapeaux à chiffonner, aux petites robes à essayer, aux petits
corsages à froufrouter, nous ajoutions encore le souci d’être des femmes
fortes? Nous voyez-vous «venant de loin, chargées de provisions comme un
vaisseau marchand», ou encore «distribuant les tâches à nos serviteurs»,
ou encore «observant dans la maison jusqu’à la trace des pas!»

Et pourquoi non?

J’en connais qui le font, et ne s’en trouvent point plus mal.

Et puis, ne savez-vous pas voir que «maman» vieillit un peu tous les
jours? Sa taille épaissit, sa démarche s’alourdit, ses yeux se creusent,
les soucis dessinent sur son front des lignes fugitives qui, demain,
seront des rides. Sa voix sonne moins joyeuse, son geste est moins vif,
sa marche moins rapide... N’est-il pas grand temps que vos jeunes
épaules se chargent d’une part de son fardeau?

Tout le monde y gagnera, vous les premières; le devoir accompli apaise
si bien le cœur et l’esprit!

Vous vous sentirez meilleures et serez grandies à vos yeux en devenant
un membre utile à la famille.

On vous a répété sur tous les tous que vous étiez le charme du foyer, la
fleur qui le parfume, le rayon de soleil qui l’éclaire, l’oiseau
chanteur qui l’égaie, etc.

Oui, vous êtes tout cela; mais vous êtes plus et mieux.

Vous êtes de futures épouses, de futures mères. Un jour--très rapproché
peut-être,--reposera sur vous aussi le poids des grands devoirs: un mari
à aider dans ses courageux efforts pour fonder une famille, l’honneur du
nom à garder, le patrimoine à créer ou à conserver, les enfants à
élever, le mal à écarter, le bien à répandre autour de vous. Il vous
faut arriver armées pour cette bataille de la vie, et où apprendrez-vous
l’usage de vos armes, si ce n’est à la maison, aux côtés de votre mère?

Les grandes choses sont faites de petites, l’océan de gouttes d’eau, la
mine de parcelles de minerai, la moisson d’épis. De combien de petits
détails se composent la direction d’une maison bien ordonnée, vous ne
vous en doutez peut-être même pas!...

Un exemple... Vous vous asseyez à la table de famille; vous mangez
distraitement, ou du bout des lèvres, ce qu’on vous sert; vous vous
plaignez si les sauces sont trop claires ou la viande un peu coriace.
Savez-vous seulement comment on a apprêté les mets, ce qu’ils ont coûté,
pourquoi on les a choisis de préférence à d’autres, ce qui fait qu’ils
sont manqués ou réussis, ce qu’on a dû prévoir, dépenser, pour cette
simple question du repas, depuis le classique pot-au-feu jusqu’aux
chatteries du dessert, depuis la serviette qui essuie vos lèvres jusqu’à
la lampe qui vous éclaire, au feu qui vous chauffe, à la boisson qui
vous rafraîchit?

Vingt, trente individus ont contribué à votre bien-être; il a fallu les
aller trouver, leur faire des commandes, les payer, les utiliser, en
tirer le meilleur parti possible.--Et l’alimentation n’est qu’un des
chapitres de l’économie domestique! Tous les autres ont réclamé leur
part de temps, de soins, de préoccupations, pour être menés à bonne fin.

C’est à cet ensemble de travaux qu’une maîtresse de maison vraiment
digne de ce beau nom consacre une bonne part de sa vie. C’est de ces
choses que je voudrais m’occuper avec vous.

Sous la rubrique _Économie domestique_, foisonnent maintenant les
indications et les recettes de ménage. Les journaux de modes en
remplissent leurs colonnes, les almanachs en sont bourrés; on en trouve
même sur les sacs de l’épicier. Mais que de choses autres à dire!

Nous traiterons de la tenue d’une maison en général, de la conduite à
suivre dans telle ou telle circonstance: réceptions, déménagements,
départ, etc.

Sans nous attacher aux questions de modes,--qui passent,--nous nous
occuperons de ce qui demeure et ne varie guère: l’ordre, l’économie bien
entendue, les divers approvisionnements, la direction des domestiques,
etc.

Ayant habité Paris, la province, les grandes villes, les petites villes,
et même la campagne, nous connaissons la vie pratique sous bien des
aspects différents et l’expérience nous a enseigné cette vérité que,
dans toutes les situations, on se tire d’affaire avec de l’énergie, de
la bonne volonté, de l’intelligence et du dévouement.

Ces excellentes qualités, nos lectrices les possèdent, nous n’en doutons
pas, et aussi une aimable bienveillance dont l’auteur leur réclame une
petite part pour son œuvre.


Château de la Villeneuve-en-Louannec, 23 mars 1901.




UNE MAISON BIEN TENUE




CHAPITRE I

La maison


En ce début de siècle, beaucoup de locutions qu’employaient nos parents
ont disparu, si démodées que lorsqu’on s’en sert il semble que l’on
porte le chapeau de sa grand’mère.

D’autres ont résisté au courant: on dit encore--espérons que l’on dira
toujours:--une bonne famille, une bonne maison, une maison bien tenue.

Les trois termes, d’ailleurs, ne vont pas l’un sans l’autre. Les «bonnes
familles» font les «bonnes maisons», et les «bonnes maisons» sont des
«maisons bien tenues».

Toutes les femmes, à peu près, grandes dames ou petites bourgeoises,
mères de famille, filles ou sœurs dévouées dirigeant l’intérieur d’un
frère veuf ou de vieux parents, sont appelées à «tenir une maison».
Vécût-on seule, dans deux chambres, et sans domestique, encore faut-il
créer et maintenir autour de soi cette netteté, cet ordre, qui
contribuent pour une si large part à la dignité de la vie.

Je ne crains donc pas d’aborder avec mes lectrices une série de
causeries qui nous entraîneront dans des détails très familiers, très
inélégants. Les femmes éthérées de 1830 sont, Dieu merci! passées de
mode, elles aussi. Les femmes, les jeunes filles de notre temps se font
une idée plus haute de leur mission en ce monde.

L’esprit ouvert par une éducation plus large, elles savent que rien
n’est à dédaigner de ce qui fait le bien-être de la famille, la paix de
l’intérieur, la prospérité et l’honneur de «la maison».

Elles me suivront donc--je voudrais l’espérer--sans trop d’impatience ou
d’ennui dans la tâche ardue que j’ai entreprise pour elles...

                   *       *       *       *       *

Une _maison bien tenue_ demande tous les jours, toutes les semaines,
tous les mois, tous les trimestres, une certaine série de travaux,
concernant la mise en ordre, la propreté, etc.

Ils sont nombreux, ces travaux, et--ayez le courage de l’entendre,
puisque j’ai celui de vous le dire--incessants.

Se lancer de loin en loin dans des rangements éperdus, dans des
nettoyages à grand orchestre, crier après ses domestiques, remplir le
logis de fracas et de poussière pendant vingt-quatre heures, sauf à tout
laisser retomber ensuite dans le désordre et la négligence, ce n’est pas
là le chemin qui mène à «une maison bien tenue».

En quelques jours, les habitudes d’incurie ont fait leur néfaste
besogne: chiffons, livres, ustensiles de travail, menus objets de
toilette, s’entassent à nouveau dans tous les coins, et même hors des
coins, et l’on geint, et l’on récrimine, et l’on répète avec l’accent du
plus profond découragement, ou de la plus véhémente indignation, suivant
les caractères et les tempéraments: «Il est impossible de tenir cette
maison propre!»

Si la ménagère, riche ou pauvre, jeune ou vieille, qui s’exclame ainsi,
réfléchissait un peu, elle remarquerait que «cette maison» est mal dit;
c’est «ma maison» qui serait le terme approprié. Or, s’écrier: «Il est
impossible de tenir _ma_ maison propre», c’est faire un humiliant aveu.

Les femmes qui s’occupent de leur intérieur journellement, de façon
continue, exacte, réglée, n’ont point de reproches de ce genre à se
faire, et si la maladie, hôte douloureux et encombrant, un voyage
imprévu, un événement de famille, viennent momentanément troubler
l’ordre établi, quand le pli est pris, quand le fond est bon, quelques
jours suffisent pour ramener la maison à sa bonne tenue coutumière.

Avant d’entrer dans le détail des labeurs domestiques, j’ouvre une
courte parenthèse.

Mes lectrices appartiennent à des milieux fort divers. Les unes vivent à
la ville, dans des appartements étroits, avec un service plus ou moins
nombreux; d’autres mènent la large vie de campagne, avec beaucoup
d’espace, mais un personnel moins bien stylé et des arrangements
d’intérieur tout différents. Telle famille n’a qu’une «bonne à tout
faire», telle autre a trois, quatre, cinq, dix serviteurs; les dernières
étant en nombre très restreint, nous n’avons à nous en occuper que d’une
manière générale. Nous supposerons donc une condition _moyenne_, _à la
ville_, sauf à ajouter pour les _ruraux_ un supplément d’informations.

                   *       *       *       *       *

Les soins d’hygiène et de propreté doivent entrer en première ligne dans
la bonne tenue de la maison. Malheureusement dans bien des intérieurs,
ils sont mal compris ou négligés. Il faut en faire le triste aveu: trop
de provinces en France sont encore vouées, sous ce rapport, à la plus
lamentable ignorance, et comme c’est, pour la très grande majorité, à la
campagne que se recrute le personnel des serviteurs, hommes et femmes,
ils apportent avec eux des habitudes prises dès l’enfance et tellement
invétérées qu’on ne parvient presque jamais à les extirper. Pour peu que
la maîtresse de maison soit molle ou insouciante, les domestiques
retombent dans leur péché d’accoutumance: la poussière, les détritus,
s’amassent partout, les taches de graisse étendent leur lèpre sur tous
les meubles, une crasse noirâtre s’attache à tous les ustensiles, et
cette odeur écœurante qui est le parfum des maisons mal tenues nous
prend à la gorge dès l’antichambre.

Parfois, j’en conviens, la jeune maîtresse de maison a des excuses à
faire valoir pour son défaut de surveillance: une vie très occupée, une
santé détraquée, des enfants malades, ou tout simplement la crainte des
changements de domestiques, la peur de mécontenter une fille, capable
d’ailleurs, qui ne vole point, ne boit point, ne court point, et, fière
de ces vertus négatives, tient la dragée haute à une jeune femme timide.

La pratique de la vie exige assurément nombre de compromis de ce genre.
Le dicton «entre deux maux il faut choisir le moindre» y trouve bien
souvent son application, mais--et c’est là la grande affaire des chefs
de famille--comment discerner «le moindre mal»?

Le «moindre mal», dans le cas présent, est celui qui entraîne le moins
de conséquences fâcheuses pour la maisonnée. Avant tout, quand il s’agit
de tenue de maison, doivent passer l’hygiène et l’ordre. L’une et
l’autre sont mis en péril quotidien par l’excès de saleté et de
négligence; quand une domestique est absolument incorrigible sur ce
point, ayez le courage de vous en défaire.

Il est rare qu’on parvienne à dresser complètement une domestique
novice, si elle n’a pas l’_instinct_ de la propreté; en revanche, si
elle le possède, il est étonnant combien il faut peu de temps et de
peines pour lui faire prendre de bonnes habitudes. Nous reviendrons sur
ce point au chapitre du «service».

Il ne faut pas se le dissimuler, le maintien de la propreté dans tout le
logis exige beaucoup d’activité de la part de la maîtresse de maison,
non seulement comme surveillance, mais comme action directe. Elle ne
doit pas craindre de manier souvent le plumeau et la serviette à
essuyer, que ce soit pour réparer une négligence ou pour diminuer la
besogne d’une domestique surchargée.

J’ai connu--il y a bien longtemps!--une vieille dame qui, lorsqu’une
couche de poussière sur la tablette d’un meuble offensait son regard, y
traçait du bout du doigt le mot _malpropre_. Alors, ses petites filles
se hâtaient d’effacer l’inscription qui les avait fait rougir de
dépit... et aussi d’un peu de honte.

Il y a en toutes choses un _plus_ et un _moins_ qu’on ne peut dépasser,
sous peine de tomber dans l’abus.

Sans aucun doute, quand il s’agit de propreté, le _plus_ n’est point à
redouter. On ne saurait être _trop_ propre, mais on peut trop sacrifier
à la propreté.

C’est lui trop sacrifier, par exemple, que de tracasser à outrance les
domestiques par de méticuleuses recherches, de les accabler de
reproches, de multiplier les criailleries, pour une négligence plus ou
moins passagère.

Les pères et les maris sont excédés par ce qu’ils appellent des
«piailleries de femmes», et ils fuient un intérieur dont la paix est
bannie.

Ils sont fort ennuyés aussi quand on veut les astreindre à des habitudes
minutieuses et taquines sous prétexte de «ne pas salir» ou de «ne pas
déranger».

Sans doute, il serait plus facile de tenir la maison en ordre s’ils
voulaient bien ne pas jeter de-ci de-là mouchoirs, gants, cravates,
etc., s’ils étaient assez gentils pour faire toujours tomber dans le
cendrier la cendre de leur cigare, si la corbeille à papier recevait
toutes les enveloppes déchirées et les bandes roulées en boule; s’ils
étaient rangés, exacts, attentifs, tranquilles comme de vieilles nonnes;
mais cela ils ne le sont pas, et ne le seront jamais, et (puisque nous
sommes entre nous et qu’ils ne me liront pas, je me risque) ils ne sont
pas tenus de l’être...

Poussés, tirés, entraînés, absorbés par leurs affaires, leurs travaux,
leurs grands devoirs, est-ce qu’ils peuvent, est-ce qu’ils doivent
s’enfermer dans le cercle étroit de ces petits soins matériels qui sont
exclusivement du domaine de la femme?

Je ne voudrais pas que sous prétexte de propreté on se crût en droit de
les taquiner, de les gronder.

Un parquet ciré, des meubles luisants, des tapis bien brossés, sont
certainement une belle chose, mais la joie du foyer en est une bien
meilleure...

                   *       *       *       *       *

Du domaine des généralités, passons maintenant à celui de la pratique,
du «tous les jours». C’est ici que je fais appel au courage de mes
lectrices, car je n’ai rien d’_amusant_ à leur conter et l’utile n’est
pas toujours l’agréable.

Dès l’aube, même avant l’aube en hiver, le service de propreté commence.
On balaie, on époussète, on range l’antichambre, les couloirs, le bureau
ou le cabinet du maître de la maison, afin qu’aussitôt levé il puisse
s’y installer sans être dérangé dans son travail.

Il faut accoutumer le ou la domestique chargé de ce service à ne jamais
détruire ni jeter les papiers qui sont à terre. Un courant d’air peut
avoir enlevé des documents importants laissés par distraction sur le
bureau ou sur une table sans la protection du serre-papiers. La
corbeille de bureau est là pour recevoir tout, absolument tout ce qu’on
trouve en ce genre.

En province, où l’on n’a pas de concierges, s’ajoutent à ces travaux le
balayage du trottoir, le nettoyage du seuil, celui de la porte, sur
laquelle on passe un chiffon mouillé pour enlever les traces laissées
par des gamins malfaisants, et le frottage du cuivre des boutons de
porte, plaque, sonnette, etc.

On aère largement, en ouvrant toutes les fenêtres; les courants d’air ne
sont pas à redouter on pareil cas: leur action salubre débarrasse
l’appartement des miasmes et des poussières qui s’y sont accumulés
pendant le jour précédent et la nuit.

C’est aussi parmi les nettoyages du matin qu’il convient de placer ceux
des vêtements: on bat et on brosse les effets d’homme, on secoue et on
brosse les jupons et les robes portés la veille, on cire les chaussures,
etc. A la campagne et en province, les larges espaces permettent de
faire ces opérations presque à l’air libre sous des hangars ou dans des
décharges. Dans les villes, il faut s’ingénier pour que la boue sèche et
la poussière ne remplissent pas l’appartement. Ce sont encore les
fenêtres ouvertes qui offrent le meilleur moyen de parer à cet
inconvénient.

La salle à manger est l’une des pièces à nettoyer en première ligne.
Dans beaucoup de familles on a la louable habitude d’y prendre le petit
déjeuner du matin, café, thé, ou chocolat: l’hygiène y trouve son
compte, car il n’est pas sain ni agréable de manger dans une chambre où
l’on a passé la nuit.

Un peu de paresse, le goût du confortable, le désir de diminuer le
travail des domestiques, engagent, je le sais, nombre de personnes à se
faire apporter le déjeuner sur un plateau dans leur chambre.

Je ne les blâme ni ne les approuve, je constate;--mais, dans tous les
cas, qu’on y déjeune ou non, la salle à manger sera nettoyée et mise en
ordre dès le matin.

Pendant que ces diverses besognes s’accomplissaient, les maîtres se sont
levés, ont fini leur toilette; les chambres sont vacantes: c’est le
moment de les «faire»--suivant le terme consacré.

Il semble inutile de dire que _tous les jours_ les lits doivent être
faits à fond. C’est à peine si j’ose avouer que j’ai connu des maisons
où l’on ne faisait les lits que de loin en loin, se contentant de donner
un coup de poing au matelas, de tirer tant bien que mal les couvertures
et de jeter dessus le couvre-lit.

Faire le lit _à fond_, c’est enlever et retourner les matelas, tirer
hors du lit les draps et les couvertures, puis les replacer en bon ordre
sans plis, sans _grimaces_.

Tous les jours aussi, les chambres sont balayées, les rideaux secoués;
puis on laisse tomber la poussière, et dix minutes après le balayage on
essuie les meubles avec un linge fin et doux. Les vieilles housses sont
très bonnes pour cet usage; les vieilles serviettes ont l’inconvénient
de semer de peluches les endroits où elles passent. Du reste, on fait
maintenant à très bon marché des torchons minces en une sorte de canevas
de coton, destinés à l’essuyage des meubles. Le plumeau, qui éparpille
la poussière au lieu de l’enlever, n’a sa raison d’être que pour les
glaces, les cadres, les tableaux, les statues, les livres.

Un domestique bien dressé ne tape pas des coups de plumeau à tort et à
travers, au risque de casser ou de renverser les objets. Est-il besoin
d’ajouter que lorsque la chambre est _faite_, toute trace de la nuit et
de la matinée doivent en avoir disparu? Tout aura été mis en place dans
le cabinet de toilette si la chambre en possède un; dans les placards et
les tables de toilette, si cet utile local manque à l’appartement. Toute
la vaisselle de ces tables est soigneusement nettoyée et essuyée, les
serviettes pendues au séchoir, etc.

Beaucoup de jeunes filles, même dans les intérieurs où règne une
certaine aisance, font elles-mêmes leur chambre.

C’est là une excellente pratique, aussi hygiénique au moral qu’au
physique. Au sortir de la douilletterie du lit, après les ablutions
d’eau froide, pour amener la réaction, assouplir et vivifier les muscles
engourdis, activer la circulation, développer la poitrine et les
hanches, il n’est pas de meilleure gymnastique. La fenêtre ouverte en
tout temps laisse entrer un air pur, les poumons se dilatent pour le
recevoir, le sang prend une course plus rapide dans les vaisseaux, et le
système nerveux, mis en jeu par une action saine, se calme et se
fortifie.

Quand une jeune fille de vingt ans a une bonne constitution, c’est un
jeu pour elle que de remuer un petit matelas et une brassée de
couvertures. En cinq minutes le lit est fait, et bien fait; cinq autres
minutes pour les rangements, cinq minutes pour balayer et essuyer, et
voilà un quart d’heure très bien employé. Un petit conseil en passant:
il vaut mieux, pour tous ces exercices, ne pas avoir mis son corset, qui
vous gêne et qu’on déforme. Mais, aussitôt le dernier coup de balai
donné, vite! le corset!--c’est un crime de lèse-convenance pour une
jeune fille que de sortir de sa chambre en négligé, et la _bonne tenue_
de la maison ne va pas sans celle de ses habitants.

J’ai dit que l’hygiène morale profitait aussi de la louable coutume de
«faire sa chambre». D’abord le petit effort que l’on fait sur soi est
autant de pris sur l’ennemi--je veux dire la paresse;--ensuite
l’exercice forcé auquel on se livre ainsi, en chassant les brouillards
dont la nuit a encombré le cerveau, ramène la bonne humeur; et puis le
vieux proverbe «comme on fait son lit on se couche» se justifie
aisément. Plus de plaintes contre une domestique négligente, plus de
récriminations à propos d’objets de toilette égarés ou hors de leur
place, plus de retard dans la mise en état de la chambre. On n’aurait à
s’en prendre qu’à soi-même si quelque chose allait de travers et c’est
une bonne discipline morale: on apprend ainsi à mieux apprécier le
travail des domestiques, le temps qu’il leur faut y consacrer, la
multiplicité des détails dont ils sont chargés, et les occasions de
gronderies et de conflits diminuent.

                   *       *       *       *       *

Maintenant nous allons vous entretenir du salon.

La cuisine trouvera sa place au chapitre du service de la table, auquel
elle se rattache étroitement.

Quant au reste du logis, greniers, caves, décharges, cabinets noirs,
lingerie, etc., ils feront partie de la série des _grands nettoyages_,
car il est évident que l’on ne peut, quand on n’a pas un nombreux
personnel, et même quand on l’a, fourbir sans cesse la maison du haut en
bas et faire promener brosse, balai et torchon dans tous les coins et
recoins; ce serait en bannir la paix et le confortable.

Les pièces habitées _tous les jours_ doivent être nettoyées _tous les
jours_, c’est un précepte de rigueur. C’est là un premier _fond_ sur
lequel s’établit cette _bonne tenue de la maison_ dont nous parlions en
commençant et que toutes les jeunes femmes ont à cœur si elles tiennent
à la dignité, au bon renom et à la prospérité de la famille.

                   *       *       *       *       *

Le nom de _salon_, donné à une pièce vaste et élégante où l’on reçoit
les visiteurs en dehors de l’intimité, est d’emploi relativement récent
en France. Ce n’est que vers le milieu du XVIIe siècle qu’on le voit
figurer dans la littérature. Un appartement, au temps jadis, ne
comprenait guère, en fait de pièces habitées, que des _chambres_ et des
_salles_. S’il s’agissait d’un palais ou d’un château, il s’y trouvait,
de plus, des galeries.

Avec la construction des premiers hôtels, de ces belles demeures, aussi
éloignées de la rudesse un peu barbare des habitations féodales que de
la mesquinerie prétentieuse des maisons modernes, on voit apparaître le
_salon_, moins en longueur que la galerie, plus soigné que la salle ou
la chambre.

Le _Dictionnaire de Trévoux_[2] (édition de 1756) dit:

  _Salon_, grande salle élevée et couverte en cintre, ordinairement
  enrichie d’ornements d’architecture et de sculpture. Grande pièce au
  milieu d’un corps de logis, ou à la tête d’une galerie, ou d’un grand
  appartement, lequel doit être de symétrie en toutes ses faces. Et,
  comme sa hauteur comprend d’ordinaire deux étages et deux rangs de
  croisées, l’enfoncement de son plafond doit être cintré, ainsi qu’on
  le pratique dans les palais d’Italie.

  [2] _Dictionnaire de Trévoux_, 8 vol. in-folio publiés au XVIIIe
    siècle par les pères Jésuites du collège de Trévoux. C’est une
    curieuse et intéressante compilation, abrégé des connaissances
    humaines de l’époque. On y trouve de l’histoire, de la géographie,
    de la mythologie, de la théologie, de la rhétorique, des sciences
    naturelles, de l’alchimie, de la médecine et même des pièces de
    vers!

Le mot de salon, en effet, est la forme française du mot italien
_salone_, dérivé de _sala_ (salle), avec la particule augmentative «one»
usitée dans cette langue pour indiquer l’extension au point de vue
matériel.

Qu’il y a loin de ces beaux _salons_, dessinés par de savants
architectes, ornés des plus charmantes merveilles que l’art décoratif
ait pu produire, éclairés par de hautes et larges fenêtres versant à
flots l’air et la lumière, aux petites cages qu’une Française de nos
jours encombre de bibelots et enfouit sous de triples rideaux! Tout y
était à admirer: plafonds et voussures, dessus de porte à médaillons,
peints par Boucher, Fragonard, Coypel, Vanloo, grands panneaux de bois
délicieusement sculptés, consoles dorées supportant, sur d’adorables
enroulements, les marbres d’Italie les plus précieux, tapisseries
d’Aubusson, de Beauvais, des Gobelins, tombant en lourdes portières ou
couvrant les murs de leur splendide décor, girandoles de cristal de
Venise, torchères en cuivre émaillé, colonnes de porphyre ou de marbre
noir portant des bustes de Coustou, de Coysevox, et enfin leurs
parquets: luxe évanoui, aujourd’hui disparu avec tant d’autres belles
choses que le progrès a balayées sur sa route semée de ruines.

O vieux parquets! fils des chênes centenaires, qui vous connaîtra dans
un siècle d’ici? Vos madriers solides, d’un si beau ton brun foncé,
s’entre-croisaient en dessins géométriques, amusement du regard et repos
de la pensée. Vos lignes correctes et savantes forçaient l’esprit à une
sorte de rectitude et, pour ne pas tomber sur votre surface polie, il
fallait savoir marcher, savoir se tenir, savoir aussi offrir la main à
une dame en s’inclinant gracieusement sans perdre l’équilibre.

Comme ils nous semblent appartenir à un autre monde, ces nobles
intérieurs reproduits par Moreau jeune[3]! Est-il possible qu’on ait pu
entrer et sortir par ces belles portes ornées de pilastres corinthiens,
se chauffer devant ces vastes cheminées à volutes de marbre, se mirer
devant ces trumeaux longs et étroits! Oui, les glaces étaient petites,
mais quels cadres les entouraient! Parisiens de nos jours, si fiers du
rectangle de vingt mètres carrés que vous appelez «le _grand_ salon du
premier», allez, si l’occasion s’en présente, visiter quelque vieil
hôtel des Flandres ou de Belgique, quelqu’une de ces vastes demeures où
une richesse héréditaire a permis de conserver le large bien-être des
temps jadis, et, en revenant, mettez une sourdine à votre orgueil!

  [3] Dessinateur célèbre de la fin du XVIIIe siècle.

                   *       *       *       *       *

Dans tous les intérieurs--je ne parle que de ceux où règnent la
convenance et la régularité,--le salon est une pièce «bien tenue».

Cela est dû à plusieurs causes. D’abord, il est peu ou point habité;
ensuite, il est réservé spécialement à la «montre», au décorum. On n’y
reçoit que les visiteurs de marque, on n’y travaille guère qu’à des
ouvrages de fantaisie, on ne s’y tient pas--au moins dans la grande
majorité des familles bourgeoises,--car la raison et l’économie
interdisent d’exposer aux fatigues et aux hasards de l’usage journalier
des meubles fins, des tentures plus ou moins soyeuses, des tapis aux
couleurs fraîches. Un mobilier de salon est une grosse dépense. Elle ne
se renouvelle pas souvent dans une famille sensée. J’en sais où le même
meuble sert depuis cinquante ans ou à peu près, point ridicule, parce
qu’il était de bon style et de bonne qualité quand on le fit faire;
point trop fané, juste assez pour être en harmonie avec ses
propriétaires. Il n’eût pas fait telle campagne si deux générations
eussent pris leurs ébats sur son vénérable velours grenat foncé.

                   *       *       *       *       *

Ici j’implore d’avance la bienveillance de mes lectrices pour une
incursion dans le domaine des théories familiales, car celles que je
vais émettre choqueront peut-être bien des idées reçues,--non seulement
reçues, mais ancrées, cramponnées dans les cervelles des maîtresses de
maison.

Je n’ai point la prétention de changer les mœurs domestiques de mon
pays--il y en a d’ailleurs que je trouve excellentes,--mais il y en a
d’autres fâcheuses et dommageables au bien-être matériel et moral du
foyer. Telle est, par exemple, la nécessité où l’on croit être d’avoir
«un salon!» du moment que l’on appartient aux classes bourgeoises, à la
petite, très petite bourgeoisie même.

C’est la pièce la plus grande, la plus éclairée, la mieux décorée de la
maison, que l’on consacre à cet usage. On y entasse des meubles tout
battant neufs (qui sont d’ailleurs couverts de housses pendant trois
cents jours par an), des bibelots à bon marché, des plantes vertes qui y
meurent d’asphyxie et qu’on ne peut renouveler à cause de la dépense, ou
de hideuses imitations de ces mêmes plantes qui sont fanées et déteintes
en quinze jours. On n’entre dans ce sanctuaire qu’avec mille
précautions. Les enfants en sont tenus à distance, le mari ne peut y
fumer, ni s’étendre sur un fauteuil. Tous les huit jours, durant
quelques heures, Madame, en toilette pimpante ou prétentieuse, se
morfond à attendre les visiteurs qui ne viennent pas, ou ne viennent
qu’en courant, harassés d’avoir eu à se montrer dans dix salons tout
pareils, comptant les minutes, pour reprendre ensuite leur course
haletante à travers les «jours». Si Madame n’a pas eu grand monde, elle
est de mauvaise humeur, et son entourage s’en ressent; si elle a eu de
nombreuses visites, elle est radieuse, et, la dernière partie, en
soufflant les bougies, en baissant la lampe, en éteignant le feu, elle
se dit: «Que mon salon est joli!» Et, pour ces quelques secondes d’un
plaisir qui lui est tout personnel, la famille, tous les jours, prend
ses repas dans une salle à manger étroite et sombre, où l’air et le jour
n’arrivent que par une cour intérieure; les enfants sont entassés dans
de petits coins où ils peuvent à peine remuer, et, dans la chambre des
parents, on a juste la place de se retourner entre le lit, l’armoire et
la table de toilette; mais on a «un salon!»

Je sais que mes récriminations sont vaines et feront hausser les épaules
à bien des gens; je sais que jamais le _parlour_ anglais n’aura sa place
dans nos intérieurs français; je sais qu’on ne refait pas en un trait de
plume des habitudes séculaires; je sais que la race gauloise aime le
panache, le décor, la simili-magnificence; je sais que, dans une nation
fortement hiérarchisée depuis des milliers d’années, tout a pris et
gardé l’empreinte de ce hiérarchisme: le langage, les vêtements,
l’habitation. N’avoir point de salon, c’est descendre--socialement
parlant,--et l’on aime tant à monter!... sur le dos des autres.

Et pourtant!... Si l’on pouvait, si l’on voulait connaître quel
agrément, quel confortable, quelle aide dans les travaux, donne à la vie
de famille l’installation, pour toute la journée, dès l’aube matinale,
dans une grande pièce, bien éclairée, sans draperies aux fenêtres, mais
non sans ornements--remplie de meubles simples et commodes, une place où
le fauteuil de «papa» l’attend au coin du feu quand il a endossé sa robe
de chambre et enfilé ses pantoufles,--où la table à ouvrage de «maman»
et la machine à coudre fraternisent avec le vieux piano, ami de jeunesse
des parents, où le tableau noir,--oui, le tableau noir du polytechnicien
en herbe--trouve sa place auprès de la bonne bibliothèque sans
prétention, toute chargée de volumes que chacun peut feuilleter quand
l’envie lui en prend!

La corbeille aux raccommodages, voilée sous une housse de cretonne
fleurie, et les jouets de Toto et de Totote savent s’abriter dans un
coin discret, et dans l’après-midi, quand tout est dans un bel ordre,
que le _beau_ tapis a remplacé sur la grande table son frère aîné,
encore solide en dépit des ans, qu’un bon feu brille dans la cheminée,
que le robuste aralia étale ses palmes vertes et l’anthericum ses rubans
satinés, dans la lumière claire, le _parlour_ fait très passable figure
et les bons amis qu’on y laisse entrer s’écrient: «Ah! qu’on est donc
bien et gaiement ici!»

Dans le nord de la France où les choses de l’intérieur sont très bien
comprises, c’est la salle à manger qui sert de _parlour_. C’est
toujours, même dans les habitations modestes, une pièce vaste, bien
disposée pour remplir cet usage. On lui réserve d’ailleurs, avec grande
raison, le côté ensoleillé de la maison. Le salon, froid, guindé, d’un
ordre et d’une propreté rigoureusement maintenus, est rarement ouvert.

En province, comme à Paris, et surtout dans les grandes villes, les
appartements sont maintenant trop restreints pour que, dans un intérieur
modeste, on puisse avoir salon, petit salon, salle à manger et
_parlour_. On doit forcément sacrifier une ou plusieurs de ces quatre
pièces. Chacun en ceci arrange sa vie comme il lui convient et fait pour
le mieux. Mais je ne crois pas qu’au-dessus d’un certain niveau social
il existe une seule famille se passant de salon.

J’ai vu, en ce genre, chez de petits fonctionnaires, des prodiges
d’ingéniosité, de bon goût et... de savante économie. Ici, je ne
critique plus, je m’incline et j’admire. Oui, j’admire tous ces braves
gens qui s’imposent de réelles privations pour remplir ce qu’ils croient
être un devoir professionnel.

«Il faut bien tenir son rang», disent-ils. Et après tout, pourquoi les
plaindre! Ils sont heureux à leur manière--pas bien sagement peut-être,
mais un peu de sagesse de plus ou de moins n’importe pas toujours au
bonheur.

Le jour où, après de longs et patients efforts, ils ont ajouté une
petite chaise ou une petite table au mobilier maigrelet, rempli un vide
désastreux par une encoignure à bon marché, ou accroché une glace de
pacotille sur la muraille nue, ils se sentent grandis dans leur estime,
et Madame, en pensant à ses folies somptuaires, reprise ses vieux bas
avec une indomptable énergie.

                   *       *       *       *       *

Nous voilà donc en face d’un salon, grand ou petit, luxueux ou modeste,
mais, dans tous les cas, considéré comme un sanctuaire réclamant des
soins particuliers.

Quand on possède assez d’aisance pour avoir un appartement comprenant
deux salons, on a, nécessairement, un personnel de domestiques assez
nombreux pour que l’entretien d’une pièce de plus ne soit pas une grosse
affaire. Le _petit_ salon sera donc fait _tous les jours_, cela va sans
dire, puisque la poussière amenée par la marche des allants et venants,
les traces de travail, les bouts de fil et de laine, les chiffons, etc.,
s’y renouvellent journellement. Le domestique homme ou la femme de
chambre, suivant les arrangements de l’intérieur, se livre à cette
besogne avant le lever de «Madame», afin qu’elle puisse se tenir dans
son salon pendant que l’on fait sa chambre.

Le grand salon est épousseté tous les jours, mais fait à fond,
c’est-à-dire balayé, brossé, ciré, nettoyé, une fois la semaine. On
choisit d’ordinaire pour cette opération la veille ou la matinée du
«jour de Madame».

Nous parlerons dans un autre chapitre des grands branlebas aux
changements de saison.

Pour «faire le salon» il faut: ouvrir les fenêtres, relever le bas des
rideaux d’étoffe ou draperies tombantes pour ne pas balayer dessus,
enlever les tapis non cloués, qui seront battus, brossés ailleurs,
réunir au milieu de la pièce les chaises, fauteuils, tables, etc., enfin
tous les meubles «volants». On détache alors les embrasses des rideaux,
on secoue ceux-ci légèrement, on époussète leurs plis, leurs draperies,
en un mot, on fait partout la chasse à la poussière. Quand elle est
tombée, on balaye _doucement_ et _soigneusement_, en évitant les coups
de balai aux soubassements des meubles et dans les glaces des vitrines.

Après ce balayage minutieux et prolongé, car il ne faut pas «mettre la
cire sur la poussière», on cire et on frotte le parquet. Un grand tapis
cloué donne beaucoup de confortable et d’élégance à un salon et évite
l’entretien onéreux d’un parquet, mais il a l’inconvénient d’emmagasiner
la poussière. Un simple balayage ne suffit pas pour l’en débarrasser; il
faut un brossage au balai de chiendent.

Avant de remettre les meubles en place, on époussète les glaces, les
cadres des tableaux, on essuie les moulures des boiseries et les
plinthes, les châssis des fenêtres, les marbres des cheminées.

Dans le nord, où la propreté est une religion qui a son culte, les
boiseries, surtout dans les vieux hôtels, sont des chefs-d’œuvre de
menuiserie et toujours peintes en gris très clair ou même en blanc pur!
On prend des soins inimaginables pour leur conserver une fraîcheur
immaculée.

Je sais une maison (la tradition s’y est-elle gardée?) où, il y a vingt
ans, on frottait avec une brosse à ongles bien douce, imbibée d’eau de
savon, les moulures des portes et des panneaux. Il est vrai que
l’envahissement continuel des fumées de houille et de cette odieuse
poussière grasse qu’on appelle à Lille du nom expressif de _noirets_
rend l’entretien des maisons particulièrement difficile; à Paris et dans
beaucoup de villes de France, il n’en est pas de même, heureusement; un
essuyage consciencieux au torchon doux suffit pour éviter aux boiseries
la nécessité des lavages. L’usage excellent des plaques de glace à
toutes les portes prévient aussi le dépôt d’une hideuse crasse aux
endroits où les mains se posent pour ouvrir la porte ou la fermer. J’ai
vu, dans de vieilles maisons de province où l’on était plus soucieux
d’un semblant de propreté que d’une coûteuse (?) élégance, remplacer ces
plaques par de larges et laides bandes de peinture noire.

Le salon bien nettoyé, bien rafraîchi dans tous ses coins et recoins, il
faut procéder à l’essuyage des meubles avant de les remettre en place;
on passe légèrement une brosse douce sur les sièges et dossiers des
meubles garnis d’étoffe, une brosse de chiendent (pas trop rude) sur les
velours, velours d’Utrecht, peluches, tapisseries, etc.; on essuie avec
soin les pieds, les bras, les panneaux des sièges, les tables, les
bahuts, etc. Recommander tout particulièrement l’essuyage du piano,
meuble compliqué dont les formes, les ornements sont des nids à
poussière. Il en est de même des pieds et bras sculptés des fauteuils,
des escabeaux, socles, colonnes, etc.

C’est une besogne qui ne peut être bien faite à la dépêche, en coup de
vent, car on manie des meubles fins, des objets fragiles, qu’une
maladroite brusquerie peut gravement détériorer.

Une des plus minutieuses et périlleuses tâches de celui qui fait le
salon, c’est le nettoyage des bibelots. La plupart sont, suivant la
vieille expression, des _ramasse-poussière_. Comment exiger d’un
serviteur pressé d’ouvrage qu’il passe un temps considérable à essuyer
ces hochets délicats, à les déplacer, à les replacer en bon ordre, au
risque de les briser? Il est très rare d’avoir une femme de chambre ou
un domestique assez patients, assez sûrs, pour qu’on puisse les charger
de ce service sans inconvénients graves.

Les maîtresses de maison qui ont le goût des bibelots doivent se
résoudre à sacrifier une part de leur temps au culte de leurs idoles et
se réserver complètement le soin de leurs vitrines, de leurs étagères,
de tout ce qui encombre les tables, les murs, la cheminée, le piano.

A elles aussi appartient le soin des plantes vertes, charmant luxe qui
jette une note si aimable dans le concert des élégances modernes, mais
qui se paye, comme tous les luxes, avec du temps et de l’argent.

Ces pauvres plantes, passant de l’atmosphère tiède et humide des serres
dans l’air chaud et poussiéreux de nos salons, y sont bien vite
asphyxiées. Le balayage augmente encore leurs infortunes; il faut donc,
sous peine de les voir périr, les soustraire à son influence néfaste, si
elles sont transportables, ou ne pas attendre trop longtemps pour les
débarrasser de leur poussière.

Ai-je besoin de rappeler qu’on lave, avec une éponge douce imbibée
d’eau, les plantes à feuillage _lisse et dur_: palmiers, aralia,
aspidistra, anthericum, dracœna, caoutchouc, etc., mais que les
bégonias, coleus, géraniums, etc., ne supportent pas le contact de l’eau
quand ils ne sont pas à l’air libre; on les époussète avec un plumeau
très léger, et on bassine leur feuillage à l’aide d’un pulvérisateur.

Il y a des maisons où, le salon une fois fait, on couvre de housses tous
les sièges grands et petits, pour ne les déshabiller qu’au «jour de
Madame». C’est une méthode qui a ses avantages et ses inconvénients, il
n’y a rien d’absolu dans son emploi.

Si le mobilier est très fin, très frais, en bois doré ou laqué, couvert
de broderies, de soieries aux teintes claires, et que vous habitiez une
ville où il y a beaucoup de poussière ou de fumée de houille, évidemment
vos meubles se trouveront bien d’être couverts--et l’on fait de si
jolies housses que l’aspect du salon pourra rester encore presque
élégant,--mais si le mobilier est fané ou de teinte sombre, recouvert
d’étoffes résistantes, à quoi bon faire la dépense de housses, surtout
si vous avez la précaution de ne pas laisser les enfants s’ébattre au
salon et poser sur les fauteuils leurs doigts englués de confitures?

Les mobiliers en tapisserie, si répandus aujourd’hui, et avec grande
raison, car ils sont d’un excellent effet décoratif, craignent les
housses. Sous l’abri de celles-ci, les mites déposent en paix leurs
larves meurtrières. Quand on a employé des laines grand teint et de
bonne qualité, il vaut mieux ne pas les couvrir.

Pour terminer enfin, disons qu’en hiver le feu doit toujours être
préparé de façon correcte dans la cheminée et tout prêt à flamber avec
une allumette.

Un feu préparé «correctement» présente--si l’on se chauffe au bois--une
bûche de fond, un peu grosse, deux ou trois rondins légers pour le
devant, et une poignée de branches sèches disposées sur l’allume-feu; si
l’on se chauffe à la houille, l’arrangement en pyramide de _gaillette_
et de _gailleterie_[4] sur du petit bois entre-croisé.

  [4] Charbon cassé en morceaux de moyenne et de petite taille.

Dans tous les cas, le foyer doit être net de cendres et de débris.

En été, on baisse le tablier de tôle qui cache l’âtre. En province il
n’y a guère que les maisons neuves et bien construites qui aient cet
utile accessoire. Dans le plus grand nombre des appartements, les
cheminées restent béantes ou sont fermées par de hideux «devants de
cheminée». On peut les remplacer par des devants drapés pareils aux
rideaux, ou, ce qui est plus joli, remplir la cheminée avec de la
mousse, des plantes vertes, des fleurs en pot, formant un massif de
verdure.




CHAPITRE II

La table.


La table est une des plus grosses, des plus lourdes, et--pourquoi ne
l’avouerai-je pas? car personne ne me contredira--une des plus
désagréables charges parmi celles qui pèsent sur la maîtresse de maison.
Elle est au commencement, au milieu, à la fin de chaque journée et
encore dans les intervalles. Elle exige des soins, de la prévoyance, de
la dépense, du temps, des peines, et n’offre en somme que d’assez
médiocres compensations.

Il faut manger pour vivre, assurément, Harpagon lui-même en convient,
et, pour bien vivre, il faut bien manger, avoir bon appétit, trouver un
certain plaisir à voir et à consommer les aliments.

Dans la vie en plein air et chez les gens voués aux travaux corporels,
l’activité musculaire développant le besoin impérieux de la réparation,
il n’est pas nécessaire de mettre force recherches dans le choix, la
préparation, l’aspect des plats;--on mange parce qu’on a faim, on trouve
tout bon, ou l’on ne pense même pas à se demander si ce qu’on absorbe
est bon ou mauvais; on a creusé des trous, on les comble et tout est
dit; mais chez l’habitant des villes, surtout dans les classes
supérieures, chez le savant, l’artiste, l’employé, l’homme d’affaires,
l’homme de bureau, l’homme de plume, le sédentaire, l’intellectuel, le
névrosé, hélas! chez la femme surmenée par le monde, le travail, la
maternité, les soins de la famille, le besoin de réparation, s’il
existe, ne se fait plus sentir de la même manière; au lieu d’amener avec
lui la satisfaction, il a pour escorte les dégoûts, les caprices, la
fantaisie, et la pauvre maîtresse de maison n’entend que reproches et
lamentations. C’est à force de raffinements ingénieux pour donner bonne
mine aux mets, bonne façon au service de la table, qu’elle parvient à
réveiller l’appétit des convives, c’est en ne se lassant point d’exiger
partout la propreté la plus minutieuse qu’elle chasse cette odeur de
cuisine, si odieuse dans les petits appartements de ville et qui finit
par imprégner jusqu’aux tentures, jusqu’aux vêtements même.

Une «maison bien tenue» doit toujours sentir bon. Et par _sentir bon_,
je n’entends point ces parfums violents, baptisés pour la vente de
pompeux noms étrangers à bizarre désinence, mais dont, en somme, le
musc, l’atroce musc fait toujours le fond. Non, la «maison bien tenue»
n’a point d’odeur; peut-être flotte-t-il dans l’air quelques légers
effluves d’iris ou d’héliotrope, laissés par la parfumerie fine en usage
chez les maîtres du logis.

La vue, aussi bien que l’odorat, est à ménager, à cajoler, pourrais-je
dire. Ne faut-il pas éloigner des regards les plats chargés de tristes
restes, les assiettes couvertes de détritus, tout ce qui rappelle ce
qu’on a mangé et en perpétue le souvenir, peu agréable aux délicats? Et
puis, l’aspect de désordre d’une table où sont jetés au hasard la
vaisselle et les accessoires est si vilain, qu’il engendre
inévitablement la maussaderie et le dégoût chez ceux qui l’entourent,
pourvu qu’ils aient quelque raffinement dans les goûts. Or, l’heure des
repas est une de celles qui réunissent tous les membres de la famille,
il est du devoir de la maîtresse de maison de la rendre aimable;
l’hygiène, au physique, y trouve son compte et le souvenir de la table
paternelle reste cher aux enfants même devenus hommes.

Que de fois sur les mers lointaines, dans la solitude des camps, dans
les tristes résidences des petites villes, le marin, l’officier,
l’employé garçon, ont pensé à la chaude et lumineuse atmosphère du
_home_ familial; à cette couronne de joyeux et bons visages qui
entourait la table, au père à la barbe grise, chef aimé et respecté de
la tribu, à la mère aux yeux tendres, aux traits un peu fatigués par la
vie et les soucis, aux sœurs charmantes, fleurs de jeunesse et de grâce,
à tout ce babil qui s’échangeait gaîment, aux cris d’enthousiasme
saluant l’apparition de quelque plat favori, au joli coup d’œil de la
nappe blanche, avec les cristaux brillants, la vieille argenterie de
famille à peine usée par trois générations, la faïence à fleurs, et
l’appétissant appel des hors-d’œuvre!

Humbles joies dont est fait le grand bonheur du foyer! liens ténus qui
retiennent ses habitants! chères habitudes qui rapprochent les cœurs et
les esprits dans l’union intime, base de la vie de famille!

                   *       *       *       *       *

Nous allons donc nous occuper de ces questions, prosaïques quant au
détail, mais relevées quant au but, ce but étant le bien-être familial.
Nous laisserons de côté, absolument, et pour n’y pas revenir, tout ce
qui a trait au choix et à la préparation des aliments; c’est dans les
innombrables manuels spéciaux que nos lectrices chercheront et
trouveront les recettes et... la manière de s’en servir.

Les repas ne seront envisagés ici qu’en ce qui concerne «le service de
la table» et ce qui s’y rattache _avant_, _pendant_ et _après_.

Je ne me lasserai point de le répéter (à force de coups de marteau, on
enfonce un clou), si l’_ordre_ et la _propreté_ sont nécessaires partout
dans une «maison bien tenue», ils sont indispensables dans tout ce qui
touche de loin ou de près aux choses de l’alimentation. On ne saurait
croire quelle source de désagréments, de perte de temps, de gaspillage,
est la mauvaise habitude qui règne dans trop d’intérieurs de laisser aux
domestiques toute liberté d’arranger comme ils veulent les buffets de la
cuisine et de la salle à manger, et d’y entasser à leur gré les objets
les plus divers et les plus disparates, vaisselle, accessoires de table,
desserte, provisions, se coudoyant et se heurtant dans un pêle-mêle
fantaisiste.

Il faut, dès son entrée en ménage, qu’une jeune femme prenne et fasse
prendre aux serviteurs «un bon pli» à cet endroit. Une fois l’ordre
établi, il est beaucoup plus facile de le faire maintenir que de le
ramener. Une surveillance exacte sans taquinerie, une inspection
fréquente des armoires, des tiroirs, des boîtes, doit suffire pour cet
entretien, si les domestiques ne sont pas incurablement sales et
négligents.

Dans quelques grands hôtels, en province ou à Paris, dans beaucoup de
maisons du Nord, dans presque toutes les demeures, grandes ou petites,
en Angleterre, en Belgique, en Suisse, en Danemark, etc., existe le très
utile réduit qu’on appelle l’_office_. Un office de taille raisonnable,
bien garni d’étagères et de placards, est la joie et la tranquillité
d’une bonne maîtresse de maison. On y trouve l’armoire fermant à clé où
l’on garde les provisions, le buffet à hauteur d’appui dont le dessus
est si commode pour poser les balances, les appareils un peu
encombrants, filtre, siphons d’eau de Seltz, corbeille à pain, etc. On
range sur les étagères les paniers, petites caisses, etc.; enfin la
fontaine suspendue, avec ses accessoires et sa serviette, y est mieux
placée pour l’usage de la famille que dans la cuisine.

Mais l’exiguïté des appartements de ville permet rarement le luxe d’un
office. Au-dessous d’un prix de loyer relativement élevé, il n’est guère
d’installation où l’on en trouve maintenant. Il faut donc apprendre à
s’en passer et «faire pour le mieux avec ce que l’on possède», sage
maxime qui éviterait bien des ennuis, bien des malheurs même, si on
l’appliquait plus souvent.

Nous supposerons en conséquence une salle à manger de dimensions assez
considérables pour qu’on y puisse faire tenir aisément un grand buffet
et un desservant, table, chaises, etc.; admettons aussi l’existence d’un
placard ou d’une haute encoignure. C’est là que vont se caser les
nombreux objets relatifs au service quotidien de la table. Je dis
_quotidien_, parce que dans une maison bien réglée on a pour l’usage de
tous les jours tout un «relai» de service: vaisselle, cristaux,
couteaux, etc.

Il faut, suivant le nombre des membres de la famille, un service de six
ou douze couverts en faïence à dessins si l’on veut--on en trouve de
charmants à des prix raisonnables;--le service de dessert, plus
restreint comme nombre de pièces que le service de luxe, tasses à thé et
à café, à déjeuner, assorties ou non au service de table; verres et
carafes, porte-couteaux, dessous de bouteilles en verre ou en cristal de
bonne qualité, argenterie, couteaux de table et de dessert, pelle à
beurre, manche à gigot, couteau à découper avec la fourchette assortie,
dessous de plat, etc., le tout simple et solide, fait pour résister à
l’emploi journalier.

Les jeunes maîtresses de maison ne sauraient trop se convaincre qu’en
général, mais surtout pour ce qui doit «fatiguer», le bon marché est une
mauvaise, une exécrable économie.

Si vous avez un budget très limité, sacrifiez un bibelot, un ouvrage
d’agrément, un chapeau coûteux, un petit meuble inutile, un _luxe_
quelconque, mais ayez de bon linge, de bonne vaisselle, de bons couteaux
en vrai acier avec des manches qui ne se décollent pas à l’eau chaude.

Les verres dépareillés, les assiettes ébréchées, les tasses veuves de
leurs anses, les soupières fêlées, les compotiers fendus, tout cela est
assurément excusable et digne de pitié, quand c’est l’œuvre de la
pauvreté, mais ici nous n’avons point à entrer dans cet ordre d’idées,
et quand je cause avec mes lectrices d’une «maison bien tenue», il est
convenu d’avance que je suppose ses propriétaires en possession au moins
de l’_aurea mediocritas_ qui permet la vie correcte.

Qui n’a vu d’ailleurs de ces intérieurs où la fortune même est
impuissante à assurer le confortable et l’agrément? Dépenses de Madame,
dépenses de Monsieur, négligence, incurie de part et d’autre, creusent
un gouffre où les ressources du ménage disparaissent sans laisser de
traces. La vaisselle, le linge, mal entretenus, ont un aspect sordide,
la table mal mise, sans soin, sans goût, est laide à voir. Qu’importent
les beaux meubles pleins d’argenterie, les riches tentures,
l’orgueilleuse suspension? Ils ne font que rendre plus frappant le
contraste entre ce qui est et ce qui devrait être.

L’ordre du rangement des buffets n’est point arbitraire et doit être
réglé pour la plus grande commodité du service. Il va de soi qu’il est
bon d’avoir sous la main les objets dont on se sert le plus fréquemment,
et que les pièces lourdes ou encombrantes courent moins de risques en
étant placées aux étages inférieurs. C’est à la maîtresse de maison à
discerner ce qui est le plus approprié à ses meubles et à son service.
Je me bornerai à des indications générales. La vaisselle de luxe,
services de table et de dessert, cristallerie fine, etc., est rangée
dans un placard. Si les assiettes sont en porcelaine très fine avec
ornements, il faut les séparer toutes, une à une, par une large rondelle
de papier; on évite ainsi les rayures que le dessous de l’assiette cause
à l’émail de l’assiette inférieure. Si le service est à bords dorés, il
vaut mieux envelopper toute l’assiette, cette précaution conserve à l’or
son _bruni_. Pour la faïence, il y a moins de soins à prendre;
néanmoins, c’est toujours une bonne mesure que d’empêcher le frottement
des pièces entre elles.

La cristallerie doit avoir sa planche à elle seule. Pour les petits
verres à madère et à bordeaux, qui tiennent beaucoup d’espace, on fait
placer à mi-hauteur une planche plus étroite, permettant de mettre deux
rangs l’un au-dessus de l’autre.

Les services fins à thé, à café, les pièces d’argenterie, de ruolz, ou
simplement de métal anglais, les carafons, seaux à biscuits, etc.,
ornent la vitrine du buffet.

Le service de _tous les jours_ (nous en avons parlé tout à l’heure) se
case soit dans le bas du grand buffet, soit dans les placards ou
encoignures.

Il en est de même des plats de dessert, compotiers de fruits ou
d’oranges, assiettes de biscuits, de fruits secs, etc., fromages,
hermétiquement enfermés sous leur cloche. Mais, sous aucun prétexte, ne
resteront dans le buffet de salle à manger les restes proprement dits:
volaille, viande rôtie, poisson, légumes, j’en dirai autant des
hors-d’œuvre, anchois, sardines à l’huile, saucisson de Lyon,
mortadelle, etc. Il leur suffit d’un séjour de vingt-quatre heures pour
empester un placard ou une armoire.

L’argenterie (_couverts_) et les couteaux sont bien à leur place dans un
tiroir du buffet, mais à condition d’avoir fait établir dans celui-ci
des compartiments distincts. Deux grands: l’un pour les couverts,
l’autre pour les couteaux; deux petits: l’un pour les petites cuillers à
café, à hors-d’œuvre, etc., l’autre pour les porte-couteaux. C’est chose
facile, car il ne faut pas clouer ou coller ce _bâti_, afin de pouvoir
l’enlever pour le nettoyage. Il suffit de l’appliquer _à frottement dur_
et d’encastrer les joints dans des rainures. Un maître de maison un peu
adroit sait exécuter ces petits arrangements intérieurs. C’est un
plaisir pour lui et une économie pour la bourse du ménage. Sous aucun
prétexte, il ne faut loger ensemble les couteaux et les couverts, les
premiers rayant les seconds.

Les serviettes roulées dans leurs anneaux ou logées dans leur étui, la
nappe soigneusement repliée dans ses plis, les napperons, serviettes à
œufs, etc., en un mot la lingerie de table, occupe soit l’autre tiroir
du buffet, soit le grand tiroir du desservant. A réserver, où l’on
voudra, une case pour les _outils de table_: tire-bouchons, pinces,
moulin à poivre, casse-noisettes, etc., que nos messieurs tiennent à
avoir à leur prompte disposition et dont la recherche met leur patience
(?) à des épreuves mal calculées pour ses forces.

Si l’on n’a pas d’office, il faut aussi trouver place dans les armoires
de la salle à manger pour les bouteilles entamées, les carafes à vin et
à eau, l’huilier, et la corbeille à pain munie de son napperon.

Le pain prend facilement mauvais goût et son séjour à la cuisine le
dessèche et l’expose à des odeurs désagréables. On évite cet
inconvénient en lui réservant un panier spécial qu’on garnit de toile
pour ménager la vannerie.

Disons, en passant, que tous ces accessoires: nappe à pain, serviette à
œufs, poche à marrons, napperons pour dessous de plats, etc., sont de
charmants prétextes à jolis travaux pour les dames du logis; seulement
il faut les exécuter en tissus qui supportent le lavage si l’on veut
qu’ils soient d’un bon et long usage, car rien n’est laid, sur une
table, comme des rubans fanés, des soies ternies, des étoffes tachées de
graisse.

                   *       *       *       *       *

Voici l’heure du repas qui approche;--dans un quart d’heure elle va
sonner.--C’est le moment de _mettre la table_. Je n’ai point la
prétention d’apprendre à mes lectrices ce que c’est qu’une table _bien
mise_. Toutes le savent, mais ont-elles jamais pensé combien de détails
cet ensemble comporte?

Commençons par le commencement. La nappe doit être de bonne taille, ni
trop longue, car ses coins pendent, ni trop courte, car elle ne
tiendrait pas en place. Il faut l’étendre sur la table _carrément_,
c’est-à-dire le grand pli du milieu coïncidant avec le grand axe de la
table, et les bouts tombant d’égale longueur. L’usage des nappes de
toile cirée, inspiré par un louable sentiment d’économie, ne m’a jamais
paru heureux. Une nappe de famille coûte fort cher, se dévernit très
vite, devient extrêmement laide, et communique un goût désagréable à
tout ce que l’on pose dessus. Je sais que, dans certains pays, le
blanchissage est très cher et si mal compris qu’il use le linge avec une
navrante rapidité. Dans les familles un peu nombreuses on craint aussi
les maladresses des enfants et les taches dont ils parsèment la nappe.
On est alors obligé de la changer souvent, car une nappe sale est chose
fort vilaine et l’usure du linge, la note de la blanchisseuse,
constituent une forte dépense.

On peut remédier à ces inconvénients autrement que par l’adoption de la
hideuse toile cirée.

Les tables en bois massif, chêne, noyer ou châtaignier, supportent très
bien l’usage des repas; il suffit, pour les nettoyer, de passer dessus
un torchon imbibé d’eau bien chaude et de les sécher immédiatement avec
un chiffon de laine. Il faut faire cela très rapidement, car un
mouillage prolongé ferait jouer le bois. Je sais un intérieur où, fort
ingénieusement, on a réuni les avantages des deux systèmes: linge et
bois. Le couvert de chacun est placé sur une petite nappe frangée en
toile bise de 40 centimètres carrés environ. Ces petites nappes se
salissent beaucoup moins vite qu’une grande et peuvent facilement être
blanchies au logis.

Si l’on se sert d’une grande nappe et que les bébés soient à table, tant
qu’ils n’ont pas l’âge de discrétion, un beau carré de toile cirée à
dessins bordé d’un galon et placé sous leur assiette préserve les
alentours contre leurs écarts de conduite en fait de contenance à table.

Sur la nappe, à distances égales, on dispose symétriquement le couvert
composé pour chaque personne d’_une_ assiette plate, verre, cuillère, et
couteau à droite, fourchette à gauche, porte-couteaux à droite sur la
ligne du verre à peu près, serviette sur l’assiette.

Devant le maître ou la maîtresse de maison, en travers, la grande
cuillère à potage, la cuillère à ragoût, un couvert pour servir, le
service à découper, s’il y a lieu, et, à défaut de sonnerie électrique,
le timbre. Carafes et bouteilles, assiettes à beurre et à hors-d’œuvre,
salières, _ménagères_ pour les condiments, etc., sont placées avec
symétrie et dans un ordre agréable.

A la campagne et même en province, il est facile de se donner le luxe
d’un vase de fleurs au milieu de la table et des assiettes de dessert
chargées de fruits, placées en carré autour. Mais ce petit décor demande
une grande table et un dessert un peu compliqué, toutes choses réservées
aux intérieurs où règne une certaine aisance.

Est-il bien utile de rappeler ici qu’on ne pose _sur_ la nappe ni les
plats, ni la lampe, ni les bouteilles et carafes; il faut pour tous ces
objets des _dessous_--la faïence, le nickel, le cuivre, le cristal, ou
tout simplement le verre, sont d’un bon emploi pour ce service. Les
ronds d’aloès ou de bois, solides et peu coûteux, sont inélégants et de
plus ont l’inconvénient de se graisser à la longue en contractant une
odeur désagréable.

En général, disons-le une fois pour toutes, tout ce qui sert aux repas
doit pouvoir se lessiver, se laver, se récurer, se débarrasser
complètement des _souvenirs_ alimentaires.

Je n’ai parlé ici, évidemment, que du couvert de tous les jours. Pour
les dîners priés, il y a un certain nombre de modifications dont le
détail trouvera place au chapitre des réceptions.

                   *       *       *       *       *

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La table est mise, la cuisinière est prête, la femme de chambre (ou le
domestique) jette un dernier coup d’œil pour s’assurer que rien ne
manque, place une chaise devant le couvert de chaque convive, puis ouvre
la porte de la pièce où la famille est réunie, et sans _aboyer_, sans
bredouiller, posément, d’une voix discrète, vient dire: «Madame est
servie».--C’est ainsi que dans une «maison bien tenue» on annonce, même
entre soi, que le moment est venu de se réunir autour de la table.

Les «La soupe est servie!» «Allons! v’nez dîner!» «V’là la soupe», «Le
dîner va refroidir», et d’autres appels du même genre ne sont en usage
que dans les intérieurs très simples, beaucoup plus simples de mœurs que
ceux dont nous avons à nous occuper ici.

Ceci me rappelle--et je veux terminer par là--un quatrain que j’emprunte
à mon vieil ami le baron R... C’était un homme du monde et d’infiniment
d’esprit. Ancien préfet de l’Empire, il avait connu et pratiqué
l’étiquette des grandeurs officielles, mais, dans ses vieux jours, il
vivait très modestement de sa pension de retraite et tout son personnel
de serviteurs se réduisait à deux petites bonnes bretonnes. En sage
philosophe, il prenait gaîment sa médiocrité d’existence, et se
consolait en faisant de fort jolies pièces de vers. Celle dont je parle,
intitulée _Matinée d’automne_, est une attrayante description des
bourrasques d’octobre sur le quai à Quimper.

Après maintes ondées, cependant, un coin de ciel bleu paraît, le soleil
se montre, l’auteur va tenter une sortie, mais...

    A peine suis-je dans la cour
    Qu’Yvonne, sur l’heure, intraitable,
    Crie «Autrou[5]», venez de retour!
    _La_ déjeuner est sur _le_ table!

  [5] _Monsieur_ en breton.




CHAPITRE III

Le service de table.


Un vieux savant breton me racontait un jour que, pendant une excursion,
faite au temps de sa jeunesse, dans les montagnes d’Arrée, il était
entré à l’heure du repas chez de pauvres paysans. Toute la famille,
occupée à se repaître de la bouillie traditionnelle, entourait un tronc
ou plutôt une souche de chêne, contemporaine sans doute du roi Gradlon
et de saint Corentin, à en juger par ses dimensions extraordinaires.

Coupée à deux pieds du sol, on l’avait creusée, au centre, d’une vaste
cavité destinée à recevoir le bassin contenant la bouillie. Tout autour,
des creux plus petits servaient de bols pour le lait écrémé ou le cidre
dont on détrempe chaque cuillerée de l’épais mélange avant de le porter
à sa bouche.

Entre ce service de table, si étrangement primitif, et celui qui se
pratique dans les maisons princières, il y a place pour de nombreuses
variantes; nous choisirons ce qui se fait dans «une maison bien tenue»
de condition moyenne.

                   *       *       *       *       *

Dans les intérieurs où règne l’étiquette, il est d’usage que les
domestiques qui servent à table ne quittent point la salle à manger. Ils
sont ainsi plus à même de satisfaire aux exigences du service et de
prévenir les désirs des maîtres et de leurs hôtes.--Il en va de même
parfois dans des milieux moins haut placés.--Je conviens que le repas y
gagne en promptitude, en correction, en confortable, mais combien la vie
de famille y perd en agrément!

Le chef de la maison, retenu toute la journée hors de chez lui, ou
absorbé «at home» par ses travaux, ne voit guère les siens réunis qu’à
l’heure des repas; or, la présence de ce témoin, presque toujours
indiscret, qu’est un domestique, enlève toute liberté, tout charme à la
vie commune. Il entend, comprend à sa façon et répète au dehors tous les
propos gros ou menus, les nouvelles, vraies au fausses, qui se débitent
pendant qu’il sert les convives, et les choses dites fort innocemment
peuvent, en passant par son canal, acquérir une fâcheuse gravité.

Quand on est entre soi, que la simplicité du train de vie ne requiert
point un service raffiné, il vaut mieux, selon moi, s’armer d’un peu de
patience et ne laisser entrer le domestique qu’au coup de sonnette.

Ai-je besoin d’ajouter ici que, homme ou femme, toute personne qui sert
à table doit toujours avoir une tenue correcte, les mains très propres,
la coiffure soignée, les vêtements en bon état.

Tout le monde sait que, chez les gens vraiment bien élevés, on ne
converse pas avec les domestiques pendant qu’ils servent. On leur
adresse, en peu de mots, d’un ton modéré, sans familiarité, les
indications nécessaires au service, on leur demande sans brusquerie ce
dont on a besoin, on évite les gronderies prolongées, les reproches
aigres qui les poussent à répondre des insolences; en un mot, on
maintient la paix et la dignité qui ne doivent jamais être bannies des
réunions de famille.

La maîtresse de maison a beaucoup à faire en ceci, car c’est sur elle
que retombe le soin de calmer les impatiences du mari, d’empêcher les
exigences des enfants, de satisfaire les manies des vieux parents et de
ne pas trop peser sur les serviteurs.

Avec du tact, de la bonté, de l’amabilité, de l’abnégation surtout! elle
vient à bout de sa tâche, et elle est bien payée de ses peines par le
bonheur de tous et l’absence d’orages.

Qui doit découper et servir les mets pendant le repas de famille, si on
n’en laisse pas la charge au domestique? Est-ce Madame? Est-ce Monsieur?
Du côté de Madame, on dit: «La maîtresse de maison prend plus de
précautions, sait mieux préserver la bonne tournure des restes, s’occupe
davantage des goûts de chacun. Et puis, en prenant sur elle cette tâche
laborieuse, elle en décharge son mari qui peut ainsi jouir complètement
du repos et du repas.»

Du côté de Monsieur, on réplique: «Un homme a tout autant d’adresse et
plus de force qu’une femme. Il découpe mieux et plus vite et sait tout
aussi bien épargner les pièces. Et puis, la mère de famille a fort à
faire pour la surveillance de ses enfants, celle du service en général;
elle doit s’estimer heureuse d’être aidée. Enfin, ce n’est pas un ennui
pour beaucoup de messieurs que de découper; au contraire, ceux qui s’en
tirent très bien le font volontiers, y mettent une certaine coquetterie
et y trouvent d’honnêtes petites satisfactions de vanité.»

D’ailleurs, qui empêche de partager les labeurs? Madame ne peut-elle pas
se réserver le potage, les légumes et les entremets, et Monsieur tout ce
qui se tranche au fil de l’acier?

Il est prudent, pour ménager la nappe, de glisser devant la personne qui
découpe un napperon en toile frangée ou une natte. Le napperon de toile
qu’une bonne lessive débarrasse de ses taches de graisse me paraît
préférable à la natte qui emmagasine celles-ci.

                   *       *       *       *       *

Tant qu’on est en tête à tête, ou à peu près, et dès que l’on a, ne
fût-ce qu’un convive, il est plus correct et plus agréable de faire
offrir par le domestique le plat contenant les mets disposés en portions
faciles à prendre; ce service se fait par derrière: on présente le plat
_à gauche_ afin que le convive puisse facilement se servir de la main
droite. Le plat doit être posé sur une serviette pliée et être muni
d’une cuillère et d’une fourchette. Les sauces qu’on sert en saucières,
sauce blanche, sauce des rôtis, mayonnaise, etc., sont offertes en même
temps si le domestique est assez habile pour tenir de la main droite le
plat et de la gauche la saucière; tout de suite après le service du
plat, si l’on se défie de son adresse.

Mais quand la famille compte plusieurs enfants déjà grands, il est à peu
près impossible de continuer ce système. Ils n’en finiraient pas de se
servir, voudraient choisir les morceaux, éclabousseraient eux et leurs
voisins, prendraient trop ou trop peu.

En Angleterre, les enfants, tant qu’ils sont _enfants_ à proprement
parler, ne mangent pas avec leurs parents.

La _nursery_ les garde sous son ombre et la _governess_ les maintient
sous une austère discipline. Nos petits Français, plus tendrement
traités, vérifient le texte biblique _et entourent la table comme de
jeunes plants d’oliviers_; seulement les parents paient ce bonheur par
plus de sollicitude et de labeurs. La mère sert alors dans des assiettes
portées aux intéressés par le domestique la part qui revient à chaque
enfant.

En découpant et en servant, les maîtres de maison doivent, d’un coup
d’œil, se rendre compte de la quantité qu’il faut attribuer à chaque
convive afin que les derniers servis ne risquent point de vérifier par
trop le proverbe latin: _Tarde venientibus ossa._

Voici, à ce propos, l’aventure qui arriva il y a bien longtemps à une de
mes bonnes amies.

Toute jeune femme de seize ans, frêle, petite, gracieuse, aussi
ignorante que possible des choses du ménage, surtout à la campagne, elle
venait d’arriver dans un village où son mari avait été nommé percepteur.

Celui-ci, jovial et hospitalier, n’avait rien trouvé de mieux pour fêter
sa bienvenue que d’inviter à un grand festin tous les curés de sa
perception et quelques amis. On était une quinzaine à table. La soupière
arrive, fumante d’effluves savoureux; les narines se dilatent pour les
mieux aspirer, les appétits aiguisés par les longues courses en pleins
champs sentent redoubler leur ardeur... La mignonne épousée plonge
solennellement dans le vaste cratère la _louche_ d’argent à manche de
bois noir, type de la vénérable argenterie de famille.

Avec l’entrain d’une jeune maîtresse de maison à son début, elle verse
le potage dans les grandes assiettes creuses en faïence campagnarde,
vrais gouffres où les cuillerées tombent sans les combler. En quelques
instants la soupière est vide et la moitié des assiettes reste à
remplir... Effarement du mari; la pauvre petite femme fond en larmes; on
s’empresse pour la consoler et... je ne sais trop comment finit
l’histoire; peut-être qu’on se partagea les portions; peut-être aussi
restait-il du bouillon dans la marmite...

                   *       *       *       *       *

Avant le dessert, le domestique enlève tout ce qui a servi au repas,
sauf les verres, c’est-à-dire les assiettes, fourchettes,
porte-couteaux, grands couteaux, salières, huilier, hors-d’œuvre, etc.,
puis, muni d’une brosse spéciale à cet usage, il balaie les mies de
pain, les petits croûtons, etc., qu’il fait tomber dans une corbeille;
puis il place devant chaque convive l’assiette à dessert contenant les
couteaux à fruit et à fromage, l’un à lame d’argent, l’autre à lame
d’acier, et le petit couvert à dessert, cuillère et fourchette. Si dans
la vie de famille, on veut simplifier cet étalage un peu encombrant et
compliqué lorsqu’on est nombreux, il suffit de faire poser sur
l’assiette une petite cuillère et un couteau à dessert.

De même que le beurre doit toujours être accompagné de la pelle à
beurre, le fromage le sera d’un couteau spécial, le sucre en poudre de
sa cuillère ou passoire.

Aussitôt après le repas, on sert le café au petit salon. On apporte un
joli plateau, les tasses, le sucrier, la cafetière, le flacon de cognac,
avec les petits verres, un pot minuscule plein de crème.

Le domestique n’a à s’occuper du service du café que pour apporter ce
plateau; il disparaît dès qu’il l’a posé sur une table ou un guéridon,
les maîtres se servent eux-mêmes ou se font servir par les jeunes filles
de la maison. Le domestique ne viendra reprendre le plateau qu’au coup
de sonnette.

L’instant du café est un instant de repos, de loisir, de détente, il ne
doit pas être soumis à la réglementation des heures de repas. Cependant,
il est dans l’ordre d’une bonne maison que le plateau à café ne traîne
pas pendant des heures dans la pièce où se tient la famille. Dès que
celle-ci est dispersée pour reprendre ses occupations, on le fait
enlever.

Il est entendu que je ne parle ici que de la vie de tous les jours dans
une condition moyenne, car si le maître de la maison prend le café au
fumoir, il est «seigneur en son logis» et se fait servir et desservir
comme bon lui semble.

Le moment du café est aussi celui des liqueurs. Il me paraît inutile de
parler de leur service, qu’il se fasse dans les cruchons et bouteilles
qui attestent l’authenticité de leur provenance ou dans des cruches,
fioles, flacons en cristal plus ou moins ornementés. Je rappellerai
seulement qu’il ne faut point laisser _envieillir_ la petite couche de
liqueur restant au fond du verre, car elle s’y cristallise en très peu
de temps et devient très dure à enlever.

On veillera donc à ce que les verres à liqueur soient nettoyés
immédiatement après qu’on s’en est servi. Même observation pour les
«gouttes» qui filent le long du carafon ou des bouteilles et poissent
aux doigts quand on saisit le goulot.

Toutes ces prescriptions narrées ainsi par le détail semblent
minutieuses et taquines à l’excès, mais je prie de remarquer que c’est
en somme une affaire de dressage. Cela fait partie du service d’un bon
domestique, et quand il a pris ce genre d’habitudes, il les continue
d’instinct pour ainsi dire, et il lui paraît tout naturel de ne remettre
en place que des objets parfaitement nets.

                   *       *       *       *       *

Dès que la salle à manger est vide, si le service est bien organisé,
elle sera promptement débarrassée des traces du repas.

On se sert maintenant pour desservir de plateaux de chêne sur lesquels
on pose la vaisselle qui doit être emportée à la cuisine pour le
nettoyage. Ces plateaux, en bois massif, sans placage ni vernis, sont
d’un entretien facile quant à la propreté et évitent les gaucheries et
«la casse». Je n’ai jamais apprécié l’usage de ces paniers ou corbeilles
à argenterie, soit en osier, soit en tôle vernie, etc., employés par nos
grands-parents. Fatalement, ils s’imprègnent au contact des cuillères,
fourchettes, couteaux, encore enduits d’aliments gras, d’une tenace et
détestable odeur de ranci. Les lavages ne font que détériorer le
malencontreux récipient.

Le panier à verres est-il bien utile? Lui aussi, pour peu qu’on y laisse
des verres à demi pleins dont le contenu saute au dehors pendant le
transport, s’imbibe de vin, de bière, d’odeurs de cabaret, indignes
d’une «maison bien tenue». Ce sont là de ces inutilités qui sous
prétexte de simplifier le service le compliquent singulièrement. En
somme, pourquoi ne pas se contenter du plateau à desservir qui répond à
tous les besoins?

La vaisselle doit être lavée après _chaque repas_, et remise en place
_le plus tôt_ possible; rien n’accuse le désordre d’une maison comme des
plats chargés de restes, des verres non lavés, des coupes de fruits ou
de compotes entamés, des accessoires de table, etc., restant jusqu’à
trois heures de l’après-midi sur le desservant.

J’ai dit plus haut que la desserte (à part quelques assiettes de
friandises) ne devait point être rangée dans les buffets de salle à
manger; si l’on possède un office, elle y trouve tout naturellement sa
place. Enfin, il faut faire prendre aux domestiques l’habitude de
compter les couverts et pièces d’argenterie tous les jours, et les
compter soi-même souvent. C’est ainsi qu’on s’aperçoit des pertes et
larcins et aussi qu’on les prévient.

                   *       *       *       *       *

Il n’y a point à vrai dire de «service de table» compliqué pour le petit
déjeuner du matin. Les uns le prennent dans leur chambre, les autres
dans la salle à manger, ce qui est plus commode, plus gai et plus
hygiénique, surtout si la famille est nombreuse. En ce cas, on emploie
une nappe carrée ou rectangulaire frangée ou bordée de grosse guipure et
qui couvre la table sans en dépasser les bords. Sur cette nappe on
dispose avec symétrie les tasses à déjeuner avec leur soucoupe, la
corbeille contenant les petits pains, la beurrière, le sucrier, le pot à
lait rempli de lait bouillant, cafetière, théière, chocolatière suivant
les goûts et les habitudes de la maison; pour l’argenterie, couverts et
petits couteaux de la taille du service à dessert.

Dans une maison bien tenue, on ne flâne point sur le premier déjeuner,
car tout le service de la matinée, très chargé d’ordinaire, s’en
ressentirait.

Les membres de la famille qui, pour une raison ou autre, âge, maladie,
habitude, fantaisie, ne veulent point se presser, sont servis dans leur
chambre, sur un plateau garni d’une petite nappe ornée. Il est bon de
choisir pour ces petites nappes un tissu et un mode de garniture qui
supportent bien le blanchissage à fond, car elles sont exposées aux
taches de beurre, de lait, de café, de chocolat, qui résistent aux
savonnages légers.

Pour ce service, une vaisselle spéciale est indispensable: théière,
sucrier, assiette à beurre, doivent être de petite dimension, de même
que les récipients pour le café, le lait, le chocolat, qui ne doivent
contenir que la quantité nécessaire pour une ou deux tasses.

En effet, s’ils étaient plus grands, ils encombreraient le plateau, le
chargeraient d’un poids trop lourd et rendraient son transport
difficile. Ajouterai-je qu’il ne faut point tomber dans l’excès
contraire et mettre les gens à la portion congrue (comme on disait
jadis) en servant leur déjeuner dans une vaisselle digne de la poupée?

Les heures des repas ont beaucoup varié en France. Sans remonter au
temps du vieux dicton:

          Lever à six,
          Dîner à dix,
          Souper à six,
          Coucher à dix,
    Fait vivre l’homme dix fois dix,

si l’on s’en tient à ce qui se passait il y a cinquante ans dans les
familles aisées, on se rappellera qu’on dînait à six heures, parfois à
cinq ou cinq et demie, plus rarement à six et demie. Peu à peu, l’on a
poussé jusqu’à sept heures, puis à sept et demie, et même maintenant on
atteint huit heures. D’autre part, l’heure du déjeuner ayant peu changé
et ne dépassant guère midi, il reste un long espace que l’aimable
habitude du _lunch_ empruntée aux Anglais est venue partager. La santé y
trouve son compte aussi bien que l’agrément, car l’estomac n’a plus à
souffrir de tiraillements pénibles, pendant une longue suite d’heures,
et le repas du soir, moins copieux, moins prolongé, est plus conforme
aux lois d’une bonne hygiène.

Autrefois les enfants seuls goûtaient, leurs parents maintenant font de
même, et font bien.

Le «five o’clock tea» élégant, recherché dans son service et ses
éléments, trouvera sa place plus loin; je n’en parle donc ici que pour
mémoire; c’est du lunch de famille que nous nous occupons. Sur une table
_ad hoc_, ni grande, c’est trop solennel, ni petite, ce n’est pas
commode, on étend une jolie nappe frangée garnie de guipure, brodée de
couleurs vives, ornée de points à jour, agrémentée de cent façons selon
le goût et l’habileté des dames du logis.

Cette nappe recevra les tasses à thé avec leur petite cuillère; les
tasses à chocolat, un peu différentes de forme; la théière accompagnée
de la bouilloire à lampe à alcool, ou le samovar, qui, portant un
fourneau intérieur, dispense de la bouilloire; la chocolatière, le
sucrier, le pot à crème, le seau à biscuits, le flacon de rhum, une
assiette de rôties beurrées, et si l’on a l’habitude de luncher un peu
solidement, une assiette de sandwiches au jambon et un gros gâteau:
brioche, galette, plum-cake, kugelhof, etc, etc.

En été, les messieurs aiment à voir joindre au lunch de la bière et du
vin blanc. On les sert généralement à part sur un guéridon portant le
service à bière, c’est-à-dire un plateau avec cruches et verres
assortis, carafe à anse et verres à pied pour le vin blanc. A la
campagne, on peut, si l’on veut, y ajouter des fruits, de la crème
fraîche. On sert alors sous la tente d’une terrasse, sous l’ombrage de
quelque bel arbre, au milieu des pelouses, des corbeilles de fleurs;
c’est un des plus délicieux moments de la journée.

Les domestiques n’ont à intervenir dans le service du lunch que pour
apporter les plateaux et les remporter; le reste est fait par les dames
de la maison, les jeunes surtout, à qui ce léger office donne l’occasion
de déployer beaucoup de grâce, d’amabilité... et de mettre de ravissants
tabliers.

Pour terminer, qu’on me permette une petite digression culinaire, on
l’excusera en faveur des bons résultats qu’elle peut produire.

Jamais, ou presque jamais (il ne faut pas être trop absolu), les
domestiques ne font bien le thé. Ce divin breuvage demande des soins
scrupuleux dont ils font fi, le plus souvent, les jugeant inutiles et
tyranniques. Avec le samovar ou la bouilloire, il est si facile d’opérer
soi-même que les vrais amateurs n’hésitent pas.

Faut-il rappeler aussi que les biscuits anglais doivent être croquants,
les sandwiches minces, les rôties dorées également de part et d’autre,
le beurre fin et frais, la crème fraîche, et le rhum... du bon coin?




CHAPITRE IV

Les domestiques.


On dit que les femmes,--y compris les jeunes filles,--sont...
causeuses... Hélas! je ne puis le nier, une existence qui a beaucoup
dépassé le demi-siècle ne m’ayant laissé aucune illusion sur ce point,
et j’ai toujours été frappée du petit, du très petit nombre de sujets
sur lesquels s’exerce leur loquacité.

En compterons-nous une douzaine?

La santé, les enfants, robes et chapeaux, bals et théâtres, prochain ou
prochaine, mariages faits ou à faire, histoires lamentables, talents
artistiques, les domestiques...

Je ne suis pas encore à douze... Si j’ai mis en dernier les domestiques,
ce n’est pas que ce soit l’un des moindres, grand Dieu! Il y a des
personnes qui vous racontent les méfaits de tous leurs serviteurs, de
tous ceux de leur mère, de leur belle-mère, de leurs tantes, de leurs
cousines, de leurs amies intimes et des amies de leurs amies.

De leur côté, les domestiques font de même. Ah! si les maîtres
entendaient tout ce qui se débite sur leur compte à la fontaine, chez
l’épicier, le boucher, la fruitière!

«Madame en dit long sur moi quand elle est avec ses amies, mais j’en
pourrais dire aussi long sur elle!» Et, la machine à médisance une fois
en branle, elle ne s’arrête pas facilement. Les maîtresses qui s’en
irritent sont, à mon avis, parfaitement injustes.

Ont-elles donc le privilège de se soustraire au jugement de leur
semblable? Et quand ce semblable est un témoin continuel de leur vie
intime, qu’il souffre de leurs défauts, qu’il pâtit de leurs erreurs,
qu’il ronge le frein que sa pauvreté lui impose et que leur orgueil rend
plus dur, pourquoi se refuserait-il le soulagement de confier ses peines
à une oreille sympathique?

Assurément, les plaintes sont souvent exagérées, et les médisances vont
trop souvent jusqu’à la calomnie. D’ailleurs, s’il y a de mauvais
domestiques, il y en a aussi de vraiment bons. J’en ai eu à plusieurs
reprises, j’en ai connu chez mes parents, chez des amis. Ceux-là ne
disaient point de mal de leurs maîtres, au contraire! Portant haut
«l’honneur de la famille», ils prenaient part à toutes ses joies, à
toutes ses peines; ils se multipliaient dans les temps difficiles, au
moment des coups de feu, et, humbles et fidèles amis, savaient toujours
apporter «le pot de fleurs» du jour de la fête ou celui, hélas! du
dernier adieu...

La nature humaine, faite de bien et de mal, n’est point si rebelle aux
bons sentiments que le prétendent les esprits moroses, aigris par des
épreuves dont ils sont les premiers artisans.

_Les bons maîtres font les bons serviteurs_, dit le vieux dicton--il ne
se trompe pas. Si vous avez la chance de tomber sur de bons sujets, des
cœurs droits, des esprits intelligents, eussent-ils même été mal
commencés, vous en tirerez, si vous savez les prendre, à la longue ou en
peu de temps, suivant les dispositions, de «bons serviteurs».

D’ailleurs, je l’ai remarqué bien des fois, la force des choses finit
par amener une sélection naturelle. Le «bon serviteur» qui a trouvé le
bon maître qu’il lui faut s’attache solidement à la maison et ne la
quitte plus; le mauvais serviteur est renvoyé ou s’éloigne de lui-même.

Il y a des moments dans les familles où, sans qu’on puisse s’expliquer
pourquoi ni comment, les mauvais domestiques défilent en série. Il
semble que tous les vices, tous les défauts sur deux pieds se soient
donné rendez-vous chez une infortunée maîtresse de maison. Mais, comme
je le disais plus haut, dans les intérieurs bien réglés, bien tenus, la
fatale série s’épuise assez promptement, et l’on finit par trouver son
affaire, heureuse chance qui semble bannie à tout jamais de certaines
maisons; bons ou mauvais, les serviteurs n’y restent pas.

Malgré tout ce qu’on pourra m’opposer de dénégations passionnées,--car
c’est un sujet sur lequel beaucoup de femmes se passionnent,--je
soutiendrai, je maintiendrai que le blâme dû à ces mœurs regrettables
doit porter principalement, uniquement même, sur la maîtresse de la
maison.

J’ai connu des familles où le maître avait un caractère terrible, des
défauts sans nombre, des infirmités, des vices même, où cependant
quelque domestique, quelque humble «bonne» fidèle et dévouée, restait
auprès de sa maîtresse, l’aidait à soutenir l’épreuve, à élever les
enfants, à maintenir la famille à son rang. Il est excessivement rare
que le cas contraire se produise et que l’on voie l’attachement à un bon
maître tenir contre les misères infligées par une mauvaise maîtresse;
car il y a de mauvaises maîtresses, le cas est indéniable. Des femmes
capricieuses, névrosées, irritables, égoïstes, ou bien dures,
exigeantes, criardes, querelleuses, etc., etc... La liste dont les etc.
tiennent la place pourrait être longue si j’y faisais figurer tous les
types défectueux que l’on rencontre en ce genre...

J’avoue d’ailleurs que je suis peu portée à l’indulgence envers les
maîtres impitoyables. La condition des domestiques est si pénible, neuf
fois sur dix, qu’ils ont droit à toute notre charité.

_Tous les hommes sont égaux devant Dieu_, nous dit la religion.

_Tous les Français sont égaux devant la loi_, dit le Code.

«De quel droit, pourrait-on dire à ces maîtresses impérieuses, de quel
droit vous arrogez-vous donc le pouvoir d’injurier, de tyranniser votre
égale, votre sœur? Est-ce parce qu’elle est pauvre, ignorante, isolée,
sans défense? Mais n’avez-vous donc dans le cœur ni générosité ni
justice? Elle a des défauts--vous en avez aussi.--Pourquoi ne les
corrige-t-elle pas?--Corrigez-vous les vôtres?--Je la paie pour me
servir.--Assurément, mais supporter vos injures, est-ce une part de
service?--Si elle ne les supporte pas, je la jetterai à la porte!--Vous
en êtes bien la maîtresse, mais alors servez-vous vous-même!»

Le contrat qui vous lie oblige votre serviteur à vous donner une
certaine part de sa vie,--la part du lion,--son travail en ce qui
concerne sa spécialité et une soumission polie à vos désirs
raisonnables. Rien de plus.

Vous ne voulez pas faire de rudes besognes qui ne conviennent ni à votre
rang social ni à vos habitudes, vous employez votre argent à payer la
façon de ces besognes; outre votre argent, vous donnez à celui qui les
accomplit un certain nombre d’avantages matériels qu’il paie de son côté
par l’abandon de sa liberté. Mais je ne vois rien dans ce contrat qui
vous autorise à traiter votre servante de sotte, d’imbécile, de
maladroite, de malapprise, etc. Et si elle vous répondait sur le même
ton, vous jetant à la tête les épithètes de criarde, méchante,
tracassière, fantasque, etc.? Elle me manquerait de respect, direz-vous.
Mais qu’avez-vous fait pour mériter ce respect? Si elle le conserve,
montrant en cela une force d’âme bien supérieure à la vôtre, c’est un
respect de commande, un respect menteur, un masque de respect qui tombe
dès que vous avez le dos tourné.

Sans doute il vous est permis de la reprendre, de la blâmer, de lui
reprocher même ses erreurs, mais vous pouvez vous acquitter de cette
tâche sans perdre votre dignité, sans fouler aux pieds celle de votre
servante ou de votre serviteur.

Combien plus noble, plus charitable, et plus efficace aussi, est la
réprimande juste dans le fond, mesurée dans les termes, dite d’une voix
calme avec une attitude et une physionomie sérieuses! Justice et
charité: entre ces deux termes est comprise toute la conduite à tenir
envers les domestiques. La justice implique vigilance et fermeté; la
charité, tolérance et bonté.

                   *       *       *       *       *

Dans les classes modestes, sinon inférieures, de la société, la
domestique est beaucoup plus de la famille que dans les classes
supérieures. Malmenée, mal logée, peu payée et souvent mal nourrie, elle
a cependant une compensation dans sa rude existence; c’est la sorte
d’égalité qui s’établit forcément entre elle et ses maîtres, et la
liberté d’allures qui en résulte pour elle. Elle n’a point à se gêner
pour cultiver les belles manières ou le beau langage; parler à la
troisième personne n’entre pas dans son répertoire, elle interpelle
bruyamment ses «patrons», vient la bouche pleine prendre part à la
conversation pendant les repas, fait avec sa maîtresse d’interminables
bavardages sur les histoires du quartier, des voisins, des voisines,
etc.

Dans une «maison bien tenue» la domesticité, plus payée, mieux nourrie,
traitée plus doucement, doit en revanche se soumettre à un genre de vie
beaucoup plus contraint. Il faut apprendre à peu parler et d’une voix
modérée, à ne pas interpeller ses maîtres, à marcher à pas discrets, à
ménager ses gestes, à fermer les portes tranquillement et sans bruit, à
déplacer les meubles sans fracas, à manier avec précaution la vaisselle,
les ustensiles, les objets, à répondre au coup de sonnette, à dire
«Monsieur veut-il?... Madame veut-elle?...» en un mot à se rompre aux
habitudes correctes d’un bon service.

Il y a des maîtresses de maison qui possèdent le _génie_ du dressage des
domestiques; elles sont fort à admirer, mais il leur faut, outre une
patience à toute épreuve, des qualités spéciales d’ordre, de minutie, de
sévérité. C’est de l’une d’elles que j’ai entendu citer ce trait
héroïque.

«Ma tante de X... est très souffrante en ce moment, disait devant moi
une jeune femme, et elle se fait apporter tous les jours son café au
lait à six heures et demie du matin.

--En plein hiver! à la lumière alors?

--Oui, à la lumière.

--Et pourquoi faire, grand Dieu?

--Pour ne pas laisser la petite femme de chambre qu’elle dresse prendre
de mauvaises habitudes!!!»

J’ajoute, pour mes lectrices parisiennes, que la chose se passait en
Bretagne, à la campagne, où les châtelaines vont à la messe de sept
heures tous les jours.

Quand on ne se sent pas la force de pousser l’immolation de soi-même à
un tel degré, ni celle de poursuivre de pièce en pièce, de besogne en
besogne, le serviteur qu’on veut former, il vaut cent fois mieux ne pas
tenter l’impossible, ne pas essayer l’irréalisable et s’assurer le
concours d’un domestique bien «commencé».

Après nous être occupés de la question de domesticité à un point de vue
général, entrons dans le particulier, comme on disait au XVIIe siècle,
et serrons de près les rapports entre maîtres et serviteurs.

Le serviteur à gages, homme ou femme, à la ville, doit à son maître
l’emploi de presque tout son temps et aliène même une notable part de sa
liberté. Il ne peut s’absenter sans autorisation, exercer un métier ou
une profession en dehors de son service, recevoir ses parents ou ses
amis de façon habituelle.

Il a droit à des jours et heures de sortie réglés par les conditions de
louage et reçoit comme salaire: 1º ses gages; 2º la nourriture et la
boisson; 3º le logement, le chauffage, l’éclairage et le blanchissage,
et même dans certains cas une partie du vêtement,--tout ce qui est de la
livrée, par exemple, pour les domestiques hommes: tenue de travail,
tenue de maison et tenue d’extérieur. Les usages de certains pays, les
conditions d’existence de certaines familles, modifient plus ou moins
ces coutumes; j’ai donné ici celles qui sont généralement adoptées à
Paris.

Il faut avoir grand soin, quand on engage un domestique, de s’entendre
avec lui sur tous ces points, car négliger cette entente préalable,
c’est ouvrir la porte à beaucoup d’occasions de mécontentement et de
reproches de part et d’autre.

C’est un rigoureux devoir pour les maîtres de rester fidèles à leurs
engagements; non seulement l’honneur les y oblige, mais c’est la seule
manière d’obtenir des serviteurs une fidélité réciproque.

Exemple: vous avez promis à vos domestiques que leurs gages seraient
payés tous les mois, le dernier jour du mois;--ne manquez jamais, sous
aucun prétexte, à faire ce paiement à l’échéance.

Autre exemple: un dimanche de sortie par quinzaine leur est accordé; ne
les empêchez pas d’en profiter, et si quelque événement imprévu vous
force à ne pas diminuer pour ce jour-là le nombre de vos serviteurs,
faites-les remplacer par une aide extérieure.

On ne saurait croire combien cette loyauté, cette honnêteté à remplir
les engagements pris est d’une salutaire influence sur les gens de
service. C’est d’en haut que doit toujours venir le bon exemple.

Je n’ai point à traiter ici la question de la quotité du gage; je vois,
dans la province que j’habite, des servantes à 5 francs, à 10 francs par
mois; ces 10 francs sont même une concession aux idées modernes, car il
n’y a pas bien longtemps mourait une vieille Périne, qui pendant trente
ans de bons et loyaux services n’avait jamais eu que soixante francs par
an, deux paires de sabots et deux chemises. Elle n’avait jamais demandé
d’augmentation.

En revanche, j’ai vu, dans le Nord, des cuisinières pour lesquelles
gages et bonnes mains arrivaient à cent francs par mois! C’est affaire à
chacun de savoir ce qu’il peut donner. Cependant, comme indication
générale, je dirai que la justice, la convenance et la prudence
demandent qu’on ne s’obstine pas à vouloir payer ses domestiques moins
qu’ils ne valent ou qu’ils ne trouveraient dans les maisons analogues à
la vôtre. Il m’a toujours semblé odieux qu’on spéculât sur l’attachement
d’une servante ou sur le plus ou moins de facilité qu’elle aurait à se
placer ailleurs pour l’empêcher de recevoir la rémunération légitime de
son labeur.

D’autre part, il est absolument déloyal d’abuser de sa fortune pour
enlever, à coup de pièces d’or, les serviteurs bien dressés. Il y a là
une question fort délicate, car les personnes qui ont pris la peine
(peine très ardue) de former une domestique sont parfaitement dans leur
droit en considérant cette peine comme un supplément de gages et en ne
donnant qu’un prix modique au sujet à dégrossir; et d’un autre côté, le
domestique, devenu habile dans son métier et capable de tirer un plus
grand profit de cette habileté, n’est pas le moins du monde à blâmer
s’il cherche à augmenter son salaire, qui est non seulement son
gagne-pain, mais l’espoir de quelques économies. Se plaindre de son
ingratitude n’est pas selon l’équité, car si on a eu de lui, pendant
plus ou moins longtemps, un médiocre service, on lui donnait de
médiocres gages, et la balance s’équilibrait.

Il me paraît plus conforme à la justice et à la prudence de payer tout
d’abord au serviteur novice un gage relativement faible avec promesse
d’augmentation _successive_, et, au serviteur capable, le gage dû à sa
capacité.

Le chapitre des cadeaux, en nature et en argent, offre une marge très
suffisante pour leur témoigner qu’on est content d’eux et qu’on apprécie
leur fidélité; à certaines époques de l’année, dans certaines
circonstances de famille, un vêtement neuf, un coupon d’étoffe, un objet
de toilette, une pièce d’argent pour payer la place au théâtre, au
cirque, au chemin de fer, un petit subside en cas de deuil, de noce, de
baptême dans leurs familles, une bouteille de vin, une livre de chocolat
pour quelque parente vieille ou malade, telles sont les générosités
envers les serviteurs, bien préférables à de froids calculs
arithmétiques, parce que, partis du cœur des plus favorisés de la
fortune, elles vont au cœur de leurs humbles frères.

Les cadeaux _en nature_, au moment des étrennes, sont dans beaucoup de
maisons une louable coutume qui presque toujours fait grand plaisir aux
serviteurs et les attache par ces mêmes liens de reconnaissance intime,
qui créent un réciproque attachement. On ne saurait trop insister sur ce
point qu’il les faut choisir judicieusement, _neufs_ et de _bonne
qualité_.

L’abandon de vieux vêtements, de chaussures fatiguées, ne peut être
considéré comme _cadeau_. Les objets donnés ne peuvent faire un bon
service étant déjà à demi usés. Les étoffes, la coupe, la garniture, ne
conviennent pas à une domestique. D’autre part, il n’est pas convenable
que la cuisinière ou la femme de chambre porte les vêtements qu’on a vus
à la maîtresse; enfin, dans l’espoir de posséder un jour la robe ou le
vêtement convoités, leur décadence peut se trouver hâtée par des
procédés plus ingénieux que délicats. Il ne manque pas de vestiaires
charitables où la démise peut être utilisée, et, une fois le pli pris
par les domestiques de n’en rien attendre, ils s’y feront d’autant plus
facilement que la générosité des maîtres aura compensé largement par un
cadeau utile et pratique une perte plus apparente que réelle.

La question des étrennes en argent est toujours traitée comme celle du
contrat de louage. Les maîtres ne doivent rien changer à sa quotité,
c’est somme due. S’ils veulent à cette époque témoigner leur
satisfaction ou leur mécontentement à un serviteur, c’est la valeur du
cadeau en nature qui en fournira les moyens. Quelques paroles bien
choisies, dites d’un ton bienveillant ou un peu froid, suivant la
circonstance, soulignent l’intention.

Il y a des pays où le gage se paie une fois l’an. La coutume parisienne
de paiement par mois me paraît préférable sous tous les rapports. J’ai
vu, dans des provinces reculées, des abus inouïs à ce sujet: les fidèles
domestiques, ne recevant pas de gages pendant vingt ou trente ans,
touchant l’arriéré d’un coup et perdant ainsi l’intérêt de leur argent
de façon à être lésés d’une somme considérable. Le gage des serviteurs
est considéré par les lois même comme une dette si rigoureuse qu’il fait
partie des créances privilégiées, c’est-à-dire qu’en cas de faillite il
n’entre pas dans la répartition proportionnelle du fonds restant, mais
est payé intégralement.

A ces deux éléments de salaire: le gage, la nourriture, viennent
s’ajouter le logement, le blanchissage, le chauffage et l’éclairage. De
ceux-ci nous n’aurons rien à dire, puisque le domestique, passant sa vie
presque tout entière dans l’appartement des maîtres, se trouve éclairé
et chauffé tout naturellement. Nous rappellerons cependant qu’il est
inhumain de faire travailler une femme de chambre l’hiver dans une pièce
sans feu. Que de fois une pauvre fille, prédisposée par atavisme ou par
débilité constitutionnelle aux maladies de poitrine, a pris dans ces
conditions un rhume, bientôt lancé sur la pente fatale de la phtisie
pulmonaire!

Dans le même ordre d’idées, ajoutons que les lits doivent toujours avoir
un nombre suffisant de couvertures pour l’hiver.

Le blanchissage est un point important pour l’hygiène. Il ne faut pas se
prêter aux fantaisies des domestiques femmes qui veulent, on ne sait
pour quelle raison, _faire leur savonnage_. A la campagne passe encore,
mais à la ville on n’a ni le temps ni l’espace voulus pour cette
opération,--le séchage à lui seul est toute une affaire.

Il faut exiger que tout le linge de corps au moins passe à la lessive de
façon régulière, et faire la chasse aux entassements de linge souillé
dans les coins.

Une maîtresse de maison soucieuse de ses devoirs veille à ce que le
linge de ses domestiques revienne au complet de chez le blanchisseur et
se fait l’arbitre des contestations qui s’élèvent sur ce point.

Bien qu’elle tende à tomber en désuétude, la vieille coutume qui faisait
du maître le protecteur, le tuteur de «son domestique», existe encore
dans les bonnes familles. On n’a point cessé d’y penser que là où sont
la force et l’autorité, le devoir de protection envers les inférieurs
est inéluctable.

Le logement comprend la possession d’une chambre _saine_, _close_ et
suffisamment meublée.

A ce sujet, pages sur pages pourraient se dérouler ici, mais que
n’a-t-on pas dit déjà sur la fatale, l’horrible promiscuité des chambres
de domestiques reléguées sous les toits dans nos demeures modernes!...
Si j’effleure en passant cette question, c’est pour appeler la pitié de
mes jeunes lectrices sur leurs humbles sœurs, et leur mettre au cœur le
désir de remédier, autant qu’il leur sera possible, aux lamentables
suites d’un si grand mal.

On peut parfois, en se gênant un peu, faire coucher dans une lingerie,
dans un cabinet de débarras, une toute jeune femme de chambre: un lit
pliant, houssé dans la journée, tient peu de place. En tout cas, la
chambre octroyée doit être propre et saine. L’ameublement d’une chambre
de domestique doit comprendre:

Un lit de fer avec sommier, matelas, traversin, couverture de laine,
couverture piquée pour les grands froids;

Une descente de lit;

Un lavabo ou une petite table avec cuvette et pot à eau;

Une armoire avec rayons et penderie, ou bien une commode et un
porte-manteau, deux chaises,--une petite glace,--la vaisselle
nécessaire;

Rideaux à la fenêtre.

Dans une bonne maison, on ne meuble pas les chambres des domestiques
avec des armoires défoncées, des chaises dépaillées, des tables
boiteuses, de la faïence ébréchée, etc.

L’ordre qui doit y régner, de la cave au grenier, ne permet point ces
irrégularités. Il faut respecter dans le serviteur son semblable moins
heureux, et relever en lui le sentiment de la dignité humaine, si
difficile à garder pour lui dans son humble situation. Et puis il est
bon que tout, dans la maison où il sert, lui rappelle les habitudes de
correction qu’on exige de lui.

La question de savoir si un domestique est rigoureusement _chez lui_
dans sa chambre est assez délicate.

Certains maîtres et surtout certaines maîtresses de maison, mus par un
sentiment où une curiosité tyrannique a peut-être autant de part que le
désir de l’ordre au logis, prétendent avoir le droit de pénétrer dans la
chambre de leurs serviteurs à toute heure, en leur absence, et sans les
prévenir. Il y a dans ce procédé une certaine brutalité ou simplement un
manque de délicatesse.

Assurément, le chef de la famille, ou sa femme qui le remplace, ont un
droit strict de surveillance sur tout ce qui constitue le «home»,--mais
_summum jus, summa injuria_, dit le légiste antique, et n’est-ce pas le
comble de l’offense que d’enlever à un être humain jusqu’à la possession
paisible de sa chambre?

Comment donc faire? diront mes lectrices, car il faut bien s’assurer si
la chambre est bien tenue, si la literie est en bon état, si rien ne
révèle des larcins ou de mauvaises habitudes.

Cette surveillance nécessaire, indispensable, peut et doit s’exercer
sans aucun doute, mais de loin en loin, et il est facile de trouver un
prétexte (en est-il même besoin?) pour dire: «Ouvrez-moi votre chambre»,
et faire, devant l’intéressé, l’inspection générale. S’il n’a rien à
redouter de l’œil du maître, ce sera pour lui une occasion de triompher
et de recevoir des éloges; dans le cas contraire, la leçon sera rude et
peut-être efficace.

                   *       *       *       *       *

Nous avons vu ce que le maître doit au serviteur,--les devoirs du
serviteur envers le maître sont plus faciles à définir; ils se résument
en ces mots: travail, probité, déférence et soumission aux ordres
raisonnables des maîtres.

Le service de chaque domestique devra être réglé d’avance assez
minutieusement pour que son temps soit employé utilement et de façon
coordonnée.--A telle heure, dira la maîtresse de maison, vous vous
lèverez,--puis vous ferez ceci, ensuite cela, après telle autre chose.
Tel jour doit s’accomplir telle ou telle besogne, à tel ou tel moment.
Point d’empiètement surtout d’un service sur l’autre.

La cuisinière, la femme de chambre, le valet de chambre, feront chacun
ceci, cela, dans telles et telles conditions.

Il faut absolument éviter les entre-croisements de besognes, et les
prétextes pour se rejeter les reproches de l’un à l’autre.

Les serviteurs doivent avoir un langage correct, s’exprimer en bons
termes, sans verbiage, avec l’appellation à la troisième personne. Une
tenue extérieure convenable, des vêtements propres, décents, sans trous
ni taches, des chaussures en bon état, une coiffure soignée, des mains
irréprochables, sont de rigueur. La fontaine de la cuisine toujours
fournie d’eau, de savon, de brosses, de linge, facilite
l’accomplissement de cette loi.

Pour les femmes, point de robes trop à la mode, de bijoux faux ou vrais,
de coiffures à prétention. Un tablier blanc pour le service, pour le
dehors un chapeau et une confection peu voyants.

Les bonnes évaporées avec des cheveux crêpés, des chignons extravagants,
des blouses à sensation, ne se voient que dans les intérieurs...
incorrects, très incorrects.

Il faut veiller aussi à la tenue et aux manières des serviteurs en ce
qui concerne le service de la porte, c’est-à-dire l’introduction des
visiteurs et clients.

Dans «une maison bien tenue», dès que le seuil est franchi, on doit se
sentir dans une atmosphère de convenance, de calme, de dignité sans
prétention.

Le ou la domestique qui répond à la sonnette du dehors doit d’abord ne
pas faire attendre, puis répondre d’un ton poli à la personne qui se
présente, escorter le visiteur ou la visiteuse jusqu’à la porte du salon
ou du cabinet, annoncer son nom sans l’aboyer; au départ, le précéder
pour lui éviter la peine d’ouvrir la porte, et la refermer derrière lui,
sans hâte et sans bruit.

Rien ne dispose défavorablement envers les maîtres du logis comme
l’accueil maussade, la figure grognon, l’air et la voix désagréables
d’un serviteur malappris. La politesse, cette menue vertu si charmante,
si nécessaire à la joie du foyer, descend tout naturellement des chefs
de la famille à leurs serviteurs, et l’exemple, en ceci comme en
beaucoup d’autres choses, doit partir de haut.

C’est une des grandes vexations que le service impose aux domestiques,
et aussi une des causes de reproches le plus souvent renouvelés, que la
réponse au coup de sonnette. Il y a des maîtres qui en abusent, c’est
certain, des femmes qui dérangeront dix fois, sans cause suffisante, la
cuisinière ou la femme de chambre et ensuite entasseront les plaintes et
les gronderies parce que le rôti est brûlé ou que le repassage n’en
finit pas.

Mais, je dois en convenir, bien souvent les domestiques justifient le
proverbe: «Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre», et
laissent la sonnette carillonner ou le timbre électrique continuer son
incessant et irritant appel sans en tenir compte le moins du monde.

On achève de siroter son café, on écoute l’histoire à sensation contée
par une commère, on finit le feuilleton du _Petit Journal_... Trim,
trim, trim, trim!!!... «C’est Madame qui sonne, Joséphine!--Eh bien!
laisse-la sonner!!» Ces choses-là arrivent à tout le monde, mais
surtout, avouons-le, à ces maîtres exigeants et tracassiers dont nous
parlions ci-dessus. On ne se presse pas d’obéir à leurs ordres parce
qu’on en a trop souvent constaté le peu d’importance. Dans une maison
bien tenue le personnel bien stylé tient à honneur d’être exact dans le
devoir professionnel et les incartades sont rares.

Il dépend surtout des maîtres de n’y laisser aucun prétexte.

J’ai parlé plus haut de la soumission aux ordres et aux désirs
_raisonnables_ des maîtres. C’est à ceux-ci de se maintenir dans les
limites de la _raison_, puisqu’on ne peut admettre de discussion avec
les serviteurs. Ceci ne s’applique point aux échanges d’idées qui sont
nécessaires au bon fonctionnement du service.--La maîtresse de maison
doit s’entendre avec la cuisinière sur l’achat des denrées, l’emploi des
restes, la préparation et le choix des menus,--avec la femme de chambre
pour les divers travaux qui sont du ressort de celle-ci; ce genre de
discussion est justement le meilleur moyen d’éviter que les ordres
donnés se heurtent à des impossibilités et d’arriver à leur bonne et
prompte exécution.

C’est être _déraisonnable_ que de déranger à chaque instant un
domestique de son ouvrage pour lui faire faire «tout de suite» une
course qu’on peut remettre, ou l’atteler à quelque subite fantaisie.

C’est être _déraisonnable_ que de le harceler pour qu’il ait fini en un
quart d’heure une besogne qui demande une heure ou deux.

C’est être _déraisonnable_ que de le mettre aux ordres, pour ainsi dire,
d’animaux favoris, chiens, chats, oiseaux, etc., d’exiger de lui pour
eux une tendresse et des soins exagérés, de l’accabler de reproches
amers si «Love» a les pattes crottées, si «Moumoute» n’a pas trouvé sa
soupe à son goût, ou si la provision de graines pour la volière est un
peu courte.

C’est être _déraisonnable_ que de le faire veiller nuit après nuit pour
vos plaisirs et de s’irriter si l’activité de son service s’en ressent
pendant la journée.

                   *       *       *       *       *

Les rapports pécuniaires avec les domestiques demandent une grande
exactitude et un contrôle fréquent.

Il est impossible, dans un intérieur où la maîtresse de maison ne fait
pas ses achats elle-même, de ne pas confier journellement une somme
d’argent de quelque importance à la cuisinière.

Le système des _livres_ chez les fournisseurs ne répond pas à tous les
besoins;--il a d’ailleurs ses avantages et ses inconvénients. Le courant
du marché, les dépenses diverses, demandent un stock d’argent courant à
la main. Que l’on donne cet argent par petites sommes rondes, 20, 30, 50
francs, ou à échéances fixes, tous les trois jours, toutes les semaines,
il faut toujours que la maîtresse de maison en arrive à compter avec sa
cuisinière. D’ordinaire, celle-ci tient un livre qui est réglé au moins
tous les huit jours. Attendre plus longtemps, c’est rendre le contrôle
plus difficile et s’exposer à des erreurs, volontaires ou non. Les
paniers ont des aptitudes chorégraphiques aussi tenaces que fâcheuses;
il faut une main ferme pour les tenir au repos.

Ai-je besoin de dire ici que, jamais, sous aucun prétexte, dans une
famille honorable, on ne laisse les domestiques faire des avances, et
que toute la dépense de la maison passant par leurs mains doit, avant
même d’être effectuée, être assurée par la «bourse du marché».

Dans les hôtels, les cafés, les pensions, on fait payer _la casse_ aux
domestiques, c’est-à-dire le prix des objets ou pièces de vaisselle
qu’ils brisent.

Je ne saurais approuver l’introduction de cet usage dans les bonnes
maisons; il est injuste et inhumain de leur infliger cette réduction de
salaire, puisque, par la nature même de leur travail, ils sont
continuellement exposés à de semblables accidents. Cependant si, par
suite d’étourderie, d’incapacité, d’insouciance notoire, les dommages se
multipliaient, il serait de toute justice d’en faire supporter une part
notable à l’auteur du délit.

Un domestique qui s’entête à empiler la vaisselle de desserte sur les
plateaux en équilibre instable, une femme de chambre qui brûle pièce sur
pièce de linge parce qu’elle n’essaie pas le degré de chaleur de son
fer, doivent être absolument responsables des malheurs dus à leur
obstination, et l’on a le droit de retenir sur leurs gages une petite
somme comme compensation. Je dis «petite» parce que la dignité des
maîtres perd toujours à un marchandage en pareil cas et que la somme
retenue est plutôt à considérer comme une amende que comme une
restitution.

Parmi les devoirs du serviteur envers le maître figure, il faut bien le
reconnaître, l’aliénation d’une part notable de la liberté du premier.

Le maître a le droit d’interdire telle ou telle sortie, telle ou telle
fréquentation à son personnel, mais il est tenu par toutes les lois de
l’honneur et de l’équité à ne jamais abuser de ce droit. Au seuil du
domaine de la conscience, cesse son pouvoir.

Il lui est interdit de rendre son serviteur complice, non seulement
d’une mauvaise action, mais même d’un acte douteux.

Il lui doit rigoureusement la facilité d’accomplir les prescriptions de
sa religion;--catholiques, protestants ou juifs auront la facilité de se
rendre à l’église, au temple ou à la synagogue. Du reste, il y a dans
tous les cultes des offices à des heures commodes pour les domestiques,
et, dans les familles où l’on a des habitudes régulières à cet égard, on
s’arrange toujours de manière que la domesticité ne soit point entravée
pour l’accomplissement de ses devoirs religieux.

On ne peut leur refuser de voir les membres de leur famille, mais on
peut exiger d’eux qu’ils n’abusent point de cette permission.

Il faut se montrer sévère sur certaines fréquentations, empêcher autant
qu’on peut les mauvaises connaissances, et, dans tous les cas, faire
respecter l’intérieur et interdire les visites des amis et amies venant
s’installer dans la cuisine, bavarder et consommer.

                   *       *       *       *       *

Il est presque toujours très pénible de donner congé à un domestique;
c’est une nécessité qui, hélas! peut se reproduire plus d’une fois, même
dans les maisons les mieux gouvernées. Pour assurer aux domestiques une
garantie contre les caprices injustifiables des maîtres, l’usage, qui
fait loi en pareil cas, a créé le terme «donner ses huit jours».

On se donne huit jours de part et d’autre, le maître pour chercher un
serviteur, le serviteur pour trouver une condition.

A moins de faute très grave contre les mœurs, la probité, les
convenances, ce qui implique le renvoi immédiat, sur l’heure même, le
domestique congédié a droit pendant cette semaine de grâce aux avantages
dont il a joui jusqu’alors, et le maître, au service du domestique, à
condition toutefois de laisser à celui-ci une liberté relative et
raisonnable pour se procurer un nouvel emploi.

Le maître peut visiter la malle du serviteur qui part, mais c’est là une
cérémonie dont il vaut mieux se dispenser, car elle est inutile et
dérisoire.

Il est évident que les gens qui vous volent ne cachent pas ce qu’ils ont
volé dans la malle qu’ils vous donnent complaisamment à inspecter. Il ne
manque pas de receleurs en d’autres lieux.

Tous les comptes doivent être réglés et il faut s’assurer chez les
fournisseurs, surtout s’il s’agit d’une cuisinière, qu’il n’y a eu ni
prêts au domestique congédié, ni retard dans ses paiements pour la
maison.

Le certificat est une grosse pierre d’achoppement et j’ai le regret de
constater que bien des gens y butent.

Il y a de bons cœurs qui se disent: «Pourquoi nuire à un pauvre diable
et l’empêcher de se placer?»

Il y a des... prudents qui craignent les vengeances, les calomnies, la
mise en quarantaine de la maison.

Il y a des insouciants qui pratiquent la doctrine du laisser-faire et du
laisser-aller, haussant les épaules avec un: «Qu’il aille se faire
pendre ailleurs!» et signent des certificats de complaisance.

Les honnêtes gens, ceux qui veulent la loyauté et la charité, sont
parfois très embarrassés. Nous croyons pouvoir donner quelques conseils
précis à cet égard.

Quand il y a vice constaté, n’hésitez pas et refusez tout certificat qui
puisse aider le requérant à faire du mal ailleurs.

Quand il y a incapacité, paresse, gourmandise, etc., ou simplement
mauvais caractère, passez une éponge sur les souvenirs fâcheux et
formulez le certificat de telle sorte qu’il demeure neutre pour ainsi
dire.

Exemple: «Je certifie que la nommée X... est entrée à mon service tel
jour, en est sortie tel jour, et que durant ce laps de temps je n’ai pas
eu à me plaindre d’elle sous le rapport de la probité et des mœurs.»

On peut varier cette formule. Mais le fond restera toujours une
attestation négative qui n’engage en rien la responsabilité du
signataire.

Quant au certificat élogieux, il est aisé à faire et point n’est besoin
d’en donner le modèle.

A ce propos de certificat, je conterai ici une anecdote qui m’est
personnelle et dont les jeunes maîtresses de maison qui me font
l’honneur de me lire pourront tirer une utile leçon.

J’habitais depuis peu de temps une petite ville manufacturière et
militaire où il était excessivement difficile de se procurer de bons
serviteurs.

J’avais dû laisser les anciens dans le pays éloigné d’où je venais, et
me trouvais dans un grand embarras.

Après plusieurs essais, tous plus malheureux les uns que les autres, je
finis par arrêter une fille de trente-cinq à quarante ans, parfaite
cuisinière, ayant servi dans des maisons fort honorables, de bonne façon
d’ailleurs, quoique d’un air un peu sombre.

Elle avait les certificats les plus élogieux, signés par des personnes
du pays ou des environs que je connaissais de nom.

Les premiers jours, son service me parut répondre de tous points à ces
promesses favorables, mais peu à peu son caractère devint bizarre,
irascible, violent... Au bout de six semaines, je dus la renvoyer, et il
me fallut l’intervention de la police pour la forcer à partir.

En me quittant, elle entra dans une très bonne maison du pays pour en
sortir quelques semaines plus tard... elle avait voulu larder le valet
de chambre à coups de couteau! J’appris alors ce qu’on aurait bien pu et
dû me dire plus tôt: la malheureuse sortait d’une maison de folles!

Elle avait en effet été une excellente domestique jusqu’au jour où une
absurde histoire d’amour avait tourné sa pauvre tête. Les certificats
étaient authentiques, mais elle avait changé leur date!

Et voilà comment, même ce que l’on voit, il ne faut pas toujours le
croire.

                   *       *       *       *       *

Le gouvernement moral des serviteurs est une tâche délicate, malaisée,
épineuse entre toutes, je dirais même ingrate si elle n’avait pour
résultat immédiat la paix et le confort dans la vie de famille.

Il y faut une discipline exacte et pourtant large, une tolérance sans
faiblesse, une vigilance sans tyrannie. La maîtresse de maison doit
avoir la main souple, légère et ferme, les yeux ouverts... sauf à
baisser parfois les paupières, l’oreille au guet... mais souvent un peu
dure.

En effet, s’il fallait reprendre de façon acerbe ou pédante nos
serviteurs chaque fois qu’ils sont dans leur tort, on leur rendrait la
vie insoutenable, à soi aussi d’ailleurs.

En thèse générale, dans «une maison bien tenue», il y a un ensemble de
lois, de règles, de coutumes, auxquelles la domesticité doit se
soumettre pour que le service marche sans à-coups.

C’est à leur maintien que doit veiller la maîtresse de maison, mais,
pour le menu détail, c’est harasser les domestiques de tracasseries
inutiles que de les poursuivre de pièce en pièce, de minute en minute,
surtout quand on n’a pas à les former.

Qu’ils nettoient les chaussures en commençant par telle ou telle paire,
qu’ils balaient la salle à manger de gauche à droite ou de droite à
gauche, qu’importe? l’essentiel étant que les chaussures soient
nettoyées et mises en place, les appartements propres et en ordre à
l’heure voulue.

Je l’ai déjà dit, et je le répète pour en bien persuader mes lectrices,
ce qui fait le bon service, ce sont les bonnes habitudes prises et
conservées, grâce à la surveillance de la maîtresse de maison, mais
cette surveillance, pour aboutir à un bon résultat, doit s’exercer en
grand, de haut, sans minutie tracassière.

On ouvre les portes d’une armoire de cuisine:

«Catherine, votre armoire est en désordre; voilà des planches
graisseuses, des assiettes mal lavées, etc.

--Madame, je n’ai pas eu le temps, avec tout ce qu’il y a à faire ici!

--Je sais que cette semaine, vous avez eu plus d’ouvrage qu’à
l’ordinaire, mais aujourd’hui, il n’y a que très peu de cuisine à faire,
Monsieur ne dînant pas à la maison; profitez-en pour faire votre
nettoyage et que demain je n’aie que des compliments à vous faire.»

Et si Catherine est une bonne domestique, elle se mettra en quatre pour
réparer sa négligence.

Les compliments! C’est un grand moyen de dressage, comme les carottes
pour les chevaux savants.

Quand ils sont justes, sincères sans exagération et appliqués au bon
moment, ils stimulent le zèle des domestiques capables à un point
incroyable.

J’ai obtenu des merveilles, de sujets réputés indomptables, avec des
compliments ou plutôt des éloges;--leur privation était à elle seule un
moyen de gouvernement, J’en dirai autant quant à la façon de commander,
de parler même aux domestiques.

Il y faut mettre une grande bienveillance, _sans
familiarité_,--j’insiste sur ce point,--c’est plutôt dans le son de la
voix, dans le regard, dans _l’air_ de toute la personne, que se traduit
cette bienveillance. Elle est très chère aux bons serviteurs. Que de
fois il m’a suffi d’une certaine froideur dans le ton ou la physionomie
pour empêcher les écarts de se manifester ou de se continuer!

La nature humaine étant par essence imparfaite, il y a des moments où,
même dans le meilleur service, la machine se détraque et tout va de
travers. Il faut bien alors gronder et parfois aller jusqu’à une menace
d’expulsion,--c’est ce que ma grand’mère appelait «remonter l’horloge».

Les gens sages et prudents prennent sur eux et font cette besogne
froidement, d’une manière austère et doctrinaire; les gens vifs se
laissent aller à leur indignation, crient et tempêtent... Ceux-ci ne
font pas grand’peur aux domestiques, mais faut-il l’avouer? ils sont
bien plus aimés que les premiers.

D’abord, se mettre en colère est un tort que se donne le maître, ce qui
diminue la distance entre le domestique et lui, et puis un petit orage
éclaircit l’air et chasse les nuages.

Parler haut, vite, bref, de la part du maître, n’est pas grand péché; ce
qu’il faut éviter à tout prix, ce sont les querelles, les injures
personnelles de maître à serviteur, et _vice versa_. Les femmes très
impressionnables sont sujettes à tomber dans ce fâcheux travers.
Servante et maîtresse s’exaltent réciproquement et le drame va son
train, au grand mécontentement du mari, au grand effroi des bébés et...
parfois à la grande risée du voisinage.

En cas de reproches graves ou de congé à donner, ne laissez donc jamais
la discussion dégénérer en dispute, ces choses-là ne se voient ni ne
s’entendent dans «une maison bien tenue».

Les jeunes maîtresses de maison, encore novices dans la notion de
l’emploi du temps, ou les personnes d’esprit brouillon, de cervelle
frivole, d’intelligence confuse, ont souvent le tort très grave de
donner des ordres contradictoires ou mal placés. Rien ne déconcerte, ne
décourage, n’agace, n’irrite même les domestiques comme ce défaut qui a
le grave inconvénient de rendre leur service non seulement difficile,
mais presque impossible.

Tiraillés en tous sens, ne sachant à qui entendre, que commencer, que
continuer, que finir, ils courent au plus pressé, laissent leurs
besognes à moitié faites, sont grondés, malmenés, répondent avec humeur
et... c’est le chaos _at home_! Une maîtresse de maison sérieuse et
entendue doit être à même de se rendre compte exactement du temps que
réclament toutes ou presque toutes les tâches imposées à ses
domestiques.

Comment en effet conserver ce prestige qui est la base de l’autorité,
lorsqu’on commet de grosses erreurs quant à la durée ou à la qualité du
travail, lorsque, dans ses ordres, on met, suivant le dicton populaire,
«la charrue avant les bœufs» et qu’on prête à rire de ses inepties à un
personnel irrévérencieux par nature et par situation?

Les jeunes femmes qui entrent dans la vie de ménage en ce XXe siècle
doivent bien se persuader de cette vérité, à peine entrevue par leurs
mères, et à peine soupçonnée par leurs grand’mères: les idées ont marché
à pas de géant sur la route démocratique, les vieilles traditions de
hiérarchie sociale, de respect des classes supérieures, s’en vont peu à
peu vers le sac aux vieilles lunes, où elles rejoindront pas mal de
leurs compagnes d’antan.

Le «struggle for life», voilà le grand ressort qui met la machine en
branle!... Sous son impulsion, chacun se case à sa place ou à peu près,
fait ce qu’il a à faire, reçoit en échange son salaire et ne se croit
tenu ni au respect ni même à la déférence envers ceux qui l’emploient.
C’est donc uniquement par l’élévation du caractère, la continuité du bon
exemple, par la justice, la bienveillance, la force morale, que le
maître acquiert sur le serviteur une autorité incontestée.

Et quand à ces qualités de «maistrance» s’ajoutent la bonté
compatissante, le dévouement aux intérêts des humbles, la vraie
fraternité comprise selon l’Évangile, alors, maîtres et serviteurs
peuvent, quelquefois, former réellement la «famille».




CHAPITRE V

Approvisionnement.


        «Semblable à un vaisseau chargé de marchandises précieuses, elle
        vient vers nous.»

        Salomon, _Les Proverbes_.

C’est de la _femme forte_ que l’Écriture parle ainsi, et si on la
comprend au sens littéral, elle prouve que, de tous temps, la femme,
maîtresse du logis, a eu la charge d’en assurer l’approvisionnement.

Dans les intérieurs modestes, où l’on n’a que peu ou point de
serviteurs, la mère de famille va au marché et souvent, se conformant
jusqu’au bout au texte biblique, rapporte elle-même ses achats.

Les Parisiennes mettent à cela une grâce toute particulière; petit
paquet de-ci, petite boîte de-là, soutenus par un nœud de ficelle ou
enfouis dans le coquet «ridicule», elles trouvent moyen de transporter
une invraisemblable quantité de choses, sans que la prestesse de
l’allure, le dégagé des mouvements, la finesse des lignes, en soient
atteints, et quand, arrivées «at home», elles ont couvert une table de
ce qu’elles avaient en main, en fait d’articles variés, une provinciale
resterait ébahie devant ce spectacle. (En province il est convenu que,
du moment qu’on appartient à une certaine classe, on ne peut décemment
porter un paquet.)

Mais ceci n’est qu’une digression, et dans cette causerie nous avons à
nous occuper de la façon d’approvisionner une maison, beaucoup plus que
de celle d’y faire entrer les provisions.

                   *       *       *       *       *

Nous allons traiter la question de l’approvisionnement sous le seul
point de vue de l’achat des denrées et objets, leur utilisation, leur
conservation, rentrant dans la spécialité des manuels d’économie
domestique.

Les conditions d’achat doivent satisfaire les goûts et les convenances
de la famille et aussi la sage économie habituelle dans une maison «bien
tenue».

Cette question d’économie est un des gros soucis budgétaires, aussi bien
chez les particuliers que dans le gouvernement de l’État. Elle dépend
presque uniquement de la maîtresse de maison qui, étant beaucoup plus à
même que son mari d’apprécier les besoins réels, impérieux, de la
consommation en toutes choses, possède seule des données sérieuses comme
base de la dépense.

C’est à elle qu’appartient le soin de choisir, de commander, de régler
avec les domestiques et les fournisseurs et de tirer le meilleur parti
possible des sommes mises à sa disposition par le mari, chef de la
communauté. C’est à elle qu’incombe la tâche ardue d’empêcher le
gaspillage, les détériorations, les excès d’emplettes ou d’emploi, enfin
tout ce qu’on entend par le terme si expressif de «coulage».

En ceci, comme sur bien d’autres points, c’est l’ensemble de bonnes
habitudes, sévèrement maintenues, bien plus que la fréquence d’une
surveillance taquine et tracassière, qui assure le bon fonctionnement du
service.

La tenue d’une maison comporte divers genres d’approvisionnements.

Il y a d’abord l’approvisionnement quotidien assuré par les achats au
marché et chez certains fournisseurs, puis les approvisionnements
proprement dits.

Ceux-ci n’ont plus guère de raison d’être qu’à la campagne, où il faut
se trouver sur place en mesure de faire face à toutes les éventualités.

A la ville, avec les facilités de toutes sortes que l’on rencontre à
chaque pas, pour ainsi dire, les provisions sont choses tout à fait
contraires au confortable et à l’économie.

Au confortable d’abord; parce que, pour ne pas laisser perdre les
denrées entassées, on les consomme, sinon avariées, au moins
défraîchies. On fait ainsi gronder le mari, grogner les enfants,
murmurer les domestiques qui se voient condamnés aux restes à
perpétuité. L’agrément de la vie y perd considérablement, et l’économie
encore plus.

Il y a en effet des altérations sur lesquelles la volonté, la plus
édifiante abnégation, ne peuvent faire passer: du beurre ultra-rance,
des confitures fermentées, du fromage moisi, des biscuits émiettés, des
sirops aigris, du vin tourné, ne sont plus bons qu’à jeter; on perd donc
la somme qu’ils ont coûté aussi complètement que si elle était volée ou
anéantie.

J’entends déjà s’élever l’objection: «Mais si l’on prend les précautions
voulues pour conserver les denrées, les accidents de ce genre ne se
produisent pas.» A cela je répondrai que, si bien que l’on s’y prenne,
si parfaitement outillé que l’on soit, si assidûment que l’on surveille,
il y a des artisans de malheur auxquels on n’échappe pas. Le temps est
le principal; l’humidité, la chaleur, la gelée, la poussière, viennent
lui apporter leur aide et le résultat est... une cargaison à jeter à la
mer. Il est si simple de laisser ce déchet à la charge des commerçants
spéciaux! chez qui d’ailleurs il ne se produit guère, en raison du grand
débit qu’ils ont, surtout s’ils ont une maison importante.

Enfin les approvisionnements, très copieux comme quantité et variété,
exigent un emplacement qui n’existe guère dans les appartements de
ville; de plus ils obligent à des frais de transport qui réduisent
l’économie sur l’achat, car la fameuse phrase «envoyé franco à partir
de...» n’est souvent qu’un leurre. Il y a toujours les menus frais de
factage, les pourboires, etc., et de plus, pour arriver au _franco_
promis, on majore la commande et la consommation est augmentée. Il n’y a
d’intérêt réel à faire des provisions que si le train de maison est
assez considérable comme personnel, comme réceptions, pour que la
provision faite soit promptement consommée, ce qui permet d’abord de
n’en rien perdre par altérations, et puis de faire les achats en
quantités assez considérables pour obtenir des prix de gros ou au moins
de demi-gros.

Mais, vont me dire des lectrices qui se piquent d’être très ferrées sur
le chapitre de l’économie domestique, on peut assurer cette forte
consommation en se réunissant à plusieurs pour faire venir les envois.

C’est le principe des syndicats d’alimentation, excellent quand il est
appliqué sur une grande échelle, beaucoup moins efficace quand il s’agit
de petits groupes.

Je veux supposer que tout ira pour le mieux dans votre association; que
les cinq, six, dix personnes qui la composent seront toutes des modèles
de prudence, de douceur, de loyauté, d’esprit conciliant; qu’il n’y aura
ni défiances, ni susceptibilités, ni soupçons chez les associés; que la
personne chargée de la répartition sera toujours comblée de louanges et
de remercîments par ses copartageantes; qu’on ne réclamera jamais sur le
poids du chocolat, la blancheur des bougies, la grosseur des oranges, le
parfum des mandarines, le bon aspect des fruits confits, etc., que les
rentrées pécuniaires se feront avec une touchante régularité, que
personne n’aura «oublié sa bourse», ou ne sera «un peu gênée», ou
«étonnée que l’on règle si tôt»... C’est accorder beaucoup, car, pour
bien des femmes, le brevet de maîtresse de maison capable implique une
forte dose de combativité. Mais, enfin, admettons, comme je l’ai dit,
que tout aille pour le mieux, il n’en restera pas moins l’aléa auquel
sont soumis tous les ménages.

Pour une raison ou une autre, deuil, maladie, voyages, changements de
résidence, il y aura toujours un membre de l’association qui refusera sa
part de telle ou telle commande, la laissant retomber sur les autres qui
n’en ont que faire. Une bonne partie de l’économie se trouve ainsi
annihilée; et d’ailleurs, est-elle bien notable?

Les grands fournisseurs se contentent maintenant d’un gain si minime,
qu’on se fait une illusion complète quand on s’imagine qu’on pourra
«gagner sur eux» en évitant leur intermédiaire.

J’ai dit: «les grands fournisseurs»; ceux-là seuls sont à même de faire
face à toutes les nécessités de l’approvisionnement: bon marché,
variété, quantité, fraîcheur.

Il semble assurément cruel de se ranger de leur côté contre les
marchands de détail qui ont tant de peine à vivre. Le cœur saigne quand
on pense aux misères de ceux-ci, à leur acharnement dans une lutte
inégale où ils sont sûrs de succomber, mais dans ces pages, où la
confiance de mes lectrices veut bien me suivre, malgré l’aridité du
sujet,--et je leur en suis infiniment reconnaissante--je leur dois avant
tout la _vérité_.

Eh bien! cette vérité, c’est que pour tous les genres
d’approvisionnement, il n’y a d’économie sage et de succès assuré qu’en
s’adressant aux _bonnes maisons_, non pas à celles qui font le plus de
bruit, de réclame et d’étalage, mais à celles que la notoriété publique
entoure et désigne à l’estime de tous.

Ces maisons-là puisent elles-mêmes aux meilleures sources de production;
leur grand débit, leur crédit solide, leur assurent la fidélité de leurs
fournisseurs pour le plus grand profit de leurs clients; enfin pour les
règlements de compte, pour les relations avec la domesticité, il n’y a
point à craindre les indélicatesses ou les petites traîtrises auxquelles
auront recours les commerçants aux abois.

Quand vous avez eu la chance de trouver des fournisseurs sûrs et
capables, tenez-vous-y, vous avez tout avantage à leur rester attachés.

Il y a des personnes qui se vantent de n’avoir aucun lien de cette
sorte.

«Moi! je vais n’importe où, chez n’importe qui. Les marchands vous
servent bien mieux les premières fois pour tâcher d’avoir votre
pratique, etc.»

Qui ce raisonnement absurde peut-il persuader? Est-ce que les marchands
ne sont pas en nombre limité? Et passât-on sa vie à parcourir tous les
quartiers de la ville, est-ce qu’on ne retomberait pas fatalement sur
les mêmes au bout d’un certain temps?

Les «bonnes familles» ne connaissent pas ces méthodes fantaisistes pour
le gouvernement des choses de la vie. On s’y fait gloire des liens de
fidélité réciproque qui unissent le négociant à sa clientèle, liens qui,
parfois, par un touchant usage, deviennent héréditaires.

Un côté épineux des rapports avec les fournisseurs, c’est leurs
relations pécuniaires avec les domestiques.

Il est excessivement rare que, sous une forme ou sous une autre, la
cuisinière ne reçoive pas une prime sur ses achats, et il est impossible
aux maîtres d’intervenir en ce cas, rien ne leur en donnant le droit.
Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est d’exiger impérieusement qu’on
n’aille pas confier la fourniture de la maison à tel ou tel commerçant,
grand ou petit, n’ayant obtenu cet avantage qu’à grands renforts de
«pots de vin» donnés aux serviteurs.

C’est une tradition fort en honneur dans les intérieurs modestes, que la
maîtresse de maison doit elle-même «faire son marché».

Il y a, selon moi, beaucoup à dire sur le bien-fondé de cette
prescription, car si l’on évalue la perte de temps, très considérable,
le dommage causé aux vêtements, aux chaussures, les graves inconvénients
du manque de surveillance «at home» pendant les heures de la matinée, on
est bien forcée de convenir qu’en restant chez elle, en travaillant aux
effets de la famille ou à la réparation du linge, en s’occupant du
rangement de ses armoires ou de la mise en état de l’appartement, la
maîtresse de maison gagne bien plus que les quelques centimes d’économie
réalisés sur le marché.

Il y a toujours profit à éviter la vie errante, même quand on déambule
pour les motifs les plus légitimes. Cela ne veut pas dire assurément
qu’il faille s’en remettre en aveugle à la gérance de la domestique,
mais il suffit pour la maintenir dans la bonne voie:

1º De se faire rendre compte des achats et de les examiner après son
retour;

2º De faire de temps à autre son petit tour de marché pour connaître le
prix moyen des choses;

3º De passer chez les principaux fournisseurs, au moins une fois par
mois.

Cette tournée d’inspection tient les gens en haleine et fait sentir le
frein.

Dans les maisons de plus haut style, la cuisinière est toujours chargée
des achats sous sa responsabilité, mais l’action de l’«œil du maître»,
ou plutôt de la maîtresse, doit se faire sentir là aussi, et le contrôle
sur la quotité et la qualité des achats s’exercer sans faiblesse, si
l’on veut tenir à distance le gaspillage, les larcins et le désordre.

Il ne faut jamais laisser entrer dans la maison poisson ou volaille
défraîchis, gibier plus que mûr, beurre rance, fruits gâtés, etc. Cela
est moins difficile à obtenir qu’on ne croirait. En stimulant
l’amour-propre d’une fille intelligente et honnête, on lui fait faire
des prodiges en ce sens. Elle prend à cœur l’intérêt de la maison, elle
met sa gloire à avoir du beau et du bon et à ne pas le payer trop cher;
elle se fait ainsi au marché une réputation de fille capable dont elle
aime l’auréole.

Si l’on a affaire à une imbécile ou à une nonchalante, il est évident
qu’on n’arrivera pas à les dresser; mieux vaut s’en défaire.

Un autre point délicat de l’achat par les domestiques est la question de
_quantité_. Là aussi, la surveillance de la maîtresse est indispensable,
surtout dans les premiers mois du service, car c’est là un des canaux
par lequel le coulage est le plus facile et le plus dommageable. Les
notes d’épicerie, de boucherie surtout, s’enflent rapidement et
démesurément, et quand, au règlement du livre, la maîtresse s’effraye du
nombre des kilos de viande engouffrés pendant le mois, la cuisinière ne
manque pas de dire, en pleurnichant ou avec insolence, suivant son
humeur:

«Je ne sais pas comment ça se fait, je n’ai pris que ce qu’il fallait;
Madame sait bien que Monsieur ne veut pas qu’on lui serve deux fois de
suite le même plat de viande, et François fait la grimace ou me dit des
sottises quand je veux lui faire manger le bouilli!»

Résultat: un formidable chiffre pour la viande de boucherie dans un mois
où l’on n’a eu que trois ou quatre petits dîners et où l’on a consommé,
en outre, de la volaille, du gibier, du poisson et de la charcuterie
fine pour une somme fort appréciable.

Des tracasseries, des reproches aigres, des menaces de renvoi,
n’améliorent point la situation, et quant à l’espoir de convertir
François aux charmes du bouilli et d’empêcher la femme de chambre
d’apprécier les tranches de filet, il est tout à fait vain.

Il faut tâcher avec mesure et fermeté de faire prendre à la cuisinière
la bonne habitude de refuser les morceaux trop volumineux et de ne pas
encombrer ses buffets de victuailles par des achats inutiles.

Je ne fais pas entrer ici en ligne de compte le manque de probité, le
forcement de l’approvisionnement pour rendre plus lucrative la vente des
«arlequins», des graisses, etc. Dans une maison bien tenue, on ne garde
pas de domestique se livrant à de telles pratiques, mais c’est si
difficile à saisir sur le fait!

«Madame se plaint parce que j’emploie trop de beurre, me disait une
cuisinière bretonne; que dirait-elle si je faisais comme Corentine, qui
en use treize livres par semaine chez Mme X..., où il n’y a que quatre
maîtres!

--Eh bien, Corentine est une voleuse.

--Pas du tout, elle emploie tout le beurre dans la sauce, mais quand le
plat est revenu de la table des maîtres, elle remet le beurre dans un
pot et le vend toutes les semaines à la petite auberge du coin. Puisque
c’est un reste, elle ne le vole pas!»

Cette casuistique mène loin, et, sous prétexte de restes, que de choses
disparaissent ainsi!

Une maîtresse de maison entendue qui sait se rendre compte de ce
qu’exige la consommation _normale_ de sa maison, supputer ce qu’y ajoute
l’extraordinaire: dîners, réceptions, etc., et ne craint pas de faire
l’enquête journalière et nécessaire sur l’emploi des denrées, arrive à
beaucoup diminuer le mal de «coulage». Le supprimer entièrement est,
hélas! à peu près impossible. On tâche de faire la part du feu aussi
petite qu’il se peut, mais à moins de se servir soi-même on n’évitera
pas cette part du feu.

En Angleterre la _house keeper_ a la clef de l’office où sont enfermées,
sous bonne garde, les provisions; elle les distribue aux domestiques et
règle la consommation.

Mais en France, nos maisons, si mal combinées pour l’économie
domestique, n’ont le plus souvent point d’office; la «house keeper»
(femme de charge) ne se voit que dans les familles très riches où il y a
une nombreuse domesticité, et là même, elle ne pourrait apporter à
l’accomplissement de ses fonctions la rigidité pointilleuse de la
ménagère d’outre-mer.

Dans le Nord, les maîtresses de maison se rapprochent des mœurs
anglaises; mais dans tout le reste de la France!...

Je ne veux pas prétendre que les Françaises n’entendent rien au ménage,
mais il est certain qu’elles n’en ont point la passion. On ne peut
exiger d’elles la stricte et froide régularité des races du Nord; mais,
après tout, combien d’elles savent bien gouverner leur intérieur, se
rendre agréables à leur mari, à leurs enfants, à leurs amis, et ne point
trop dépenser!

Que mes lectrices ne se fassent point d’illusions: pour arriver à cet
heureux résultat, il a toujours fallu, il faut encore, bien plus
maintenant qu’autrefois, que la maîtresse de maison suive de près, non
seulement l’achat des provisions, mais leur utilisation.

Quand la cuisinière revient du marché et que «Madame» assiste au
déballage du panier, c’est une occasion tout indiquée de faire les
observations utilement; j’ai dit _observations_ et non _critiques_, car
la louange doit y trouver place aussi bien que le blâme, la justice et
la vérité devant toujours garder leurs droits. Les compliments mérités
sont un bon mode de gouvernement; ils permettent les reproches, mérités
aussi.

Cette revue des achats de ménage a de plus l’avantage d’assurer leur bon
emploi. D’accord avec la cuisinière on décide que telle ou telle pièce
sera apprêtée de telle ou telle façon, que celle-ci sera réservée, que
celle-là presse ou peut attendre.

Tout cela ne demande pas un quart d’heure, et c’est ainsi que dans une
«maison bien tenue» s’établit la coutume si profitable à l’hygiène
morale et physique d’avoir une «bonne table» sans dépense exagérée.

_L’homme n’est ni ange ni bête_[6], dit le plus grand de nos
philosophes; n’étant point un ange, il lui faut manger, boire et se
chauffer, s’éclairer, se vêtir; mais, n’étant pas une bête, il veut qu’à
ces diverses fonctions s’ajoute la somme de confortable, de sécurité,
d’agrément même, que peuvent lui offrir son rang et sa condition de
fortune; c’est, je ne crains pas de le répéter jusqu’à en radoter (n’en
déplaise au clan des revendications féministes), c’est sur la femme, sur
sa femme quand il est marié, sur ses filles quand elles sont élevées,
que le chef de famille doit pouvoir compter pour que chacun, sous son
toit, ait sa part légitime du bien-être payé par son travail.

  [6] Pascal, _Pensées_.




CHAPITRE VI

Les déménagements.


Nos aïeux, dont les lourds et encombrants mobiliers, les énormes stocks
de linge, les bibliothèques garnies de redoutables in-folio, exigeaient
des mœurs sédentaires, mettaient les déménagements parmi les fléaux qui
assiègent l’humanité.

«Trois déménagements valent un incendie», disait un vieux proverbe.

Nous n’en sommes plus là, tant s’en faut. Les voitures capitonnées
reçoivent dans leurs flancs hospitaliers nos frêles chaises dorées, nos
fauteuils Louis XV, nos petits bahuts coquets, nos petites tables à
étagères compliquées, nos armoires à glace à galeries ajourées, etc.,
etc., sans leur infliger trop d’avaries.

D’autre part, la vie errante que nous ont créée les chemins de fer, les
billets de parcours, la villégiature, les villes d’eaux, les grandes
plages, les «petits trous pas chers», ont habitué les familles à
transporter fréquemment leurs personnes et leurs pénates d’un endroit à
un autre.

Sous ce rapport, entre une maîtresse de maison de l’an 1900 et sa
grand’mère, il y a plusieurs siècles de différence.

Il est peu de personnes qui n’aient eu ou ne doivent avoir à déménager
peu ou prou, ne fût-ce que pour aller aux bains de mer.

Les fonctionnaires, si haut placés qu’ils soient, sont toujours à la
veille d’un déménagement, les familles d’officiers de l’armée ou de la
marine sont dans le même cas; je pense donc être utile, et peut-être
agréable à mes lectrices, en traitant avec elles ce sujet, dont on ne
parle guère dans les manuels d’économie domestique, et qui cependant a
une sérieuse importance dans la vie d’une maîtresse de maison.

                   *       *       *       *       *

Il y a des déménagements grands, moyens et petits. Les uns ne réclament
qu’un ou deux jours de préparatifs, les autres des semaines.

En vertu de l’axiome: _Qui peut le plus peut le moins_, commençons
vaillamment par le grand déménagement; les autres, dans le détail,
participeront toujours un peu de celui-là.

«Un grand déménagement!» Par ces trois mots redoutables, je désigne ce
bouleversement total de l’existence qui envoie d’un bout à l’autre de la
France, ou seulement d’une résidence à une autre, toute une famille et
tout ce qu’elle possède de mobilier et d’effets.

Cette sorte de déménagement implique forcément la nécessité de ne
laisser derrière soi que les quatre murs, d’arriver dans un logis qui
n’a à vous offrir également que les quatre murs, et, entre les deux, la
privation d’une foule d’objets de confort et d’agrément.

Un grand déménagement demande au moins trois semaines de préparation,
six même, dans le cas où les maître et maîtresse de la maison s’en
occuperaient eux-mêmes.

Ici j’entends déjà s’élever un concert de protestations: «Est-ce qu’on
s’occupe soi-même, autrement que par une surveillance générale, de ces
choses-là! Il y a des gens dont c’est le métier; on s’adresse à eux:
s’ils font mal leur besogne, c’est leur affaire, puisqu’ils répondent de
la casse, etc., etc.»

Distinguons: si la valeur de votre mobilier, de vos bibelots, de vos
livres, est considérable; d’une autre part, si vos revenus sont tels que
vous n’ayez pas à vous préoccuper d’un lourd surcroît de dépenses,
alors, en effet, vous pourrez vous donner le luxe d’un emballage fait
par les maîtres de l’art, et leur confier vos trésors les yeux fermés,
ou tout ou moins demi-clos; mais si, et c’est le cas le plus répandu,
vous n’avez à votre service que les employés des entreprises de
déménagement, même des meilleures, vous avez à craindre des
catastrophes.

Ces gens toujours pressés, toujours harcelés par les patrons pour faire
vite et libérer ainsi le plus promptement possible un coûteux matériel,
négligent forcément cette foule de petites précautions nécessaires à la
sécurité des choses délicates. Ceux d’entre eux qui sont très habiles et
ont une longue expérience arrivent souvent, presque toujours même, je le
reconnais, à un résultat à peu près satisfaisant.

Avec eux la «part du feu» est minime et le déballage sans angoisses;
mais les autres! les apprentis, les novices, les lourdauds, les
imbéciles, les maladroits, les «sans-gêne» et les «sans-souci», les
indifférents, les brutes?... Et il y en a beaucoup de cette sorte,
beaucoup plus que des autres, et c’est à ceux-là que sont dus les
désastres: les tableaux crevés, les glaces brisées, les beaux services
dépareillés, les pendules détraquées, les potiches fendues, les reliures
élégantes rayées et froissées.

Quant à la fameuse clause de la responsabilité et du remplacement,
n’est-ce pas une dérision quand il s’agit d’objets précieux par leur
rareté même?

Nous remplacera-t-on un plat de Moutiers, une fontaine de vieux Rouen,
une porcelaine de Chine de la Compagnie des Indes?... En faire payer la
valeur pécuniaire ne compensera jamais la perte subie.

Les vrais amateurs savent ce que la complète intégrité d’une pièce
ajoute à son mérite, et quel crève-cœur c’est de voir anéantir un objet
longtemps choyé et admiré.

Tout le monde n’est pas collectionneur, mais, dans une bonne maison, il
y a toujours un fonds considérable de cristaux, porcelaines, faïences,
pour les divers usages de la table, de la toilette, de l’agrément.
Généralement, ils sont par séries, par «services», c’est le terme
commercial. Quel ennui si l’emballage défectueux fait briser les pièces,
dépareiller des services anciens dont on ne trouve plus les modèles dans
l’industrie, et force à l’achat de tout un coûteux ensemble!

Ces graves désagréments, ces pertes sérieuses, peuvent être évités en
tout ou partie, quand la maîtresse de maison a le courage et le
savoir-faire d’emballer elle-même, oui, elle-même!--que mes lectrices ne
se récrient pas trop--les objets précieux et les services fins.

Mais quel moment, quand on décloue les dessus de caisse, que celui où
les planches, levées lentement, à petites secousses, laissent voir
l’intérieur, où l’on plonge une main inquiète dans la couche de varech!
où l’oreille guette avec angoisse le fatal cliquetis des morceaux
brisés, où les yeux dévorent les profondeurs traîtresses qui cachent
peut-être de si sombres mystères! Mais aussi quelle joie, quel triomphe,
quand le papier, déroulé avec soin, dévoile les lignes pures d’une
statuette, le brillant émail d’une faïence, les arabesques dorées d’une
fine porcelaine! Et quand tous ces trésors se rangent sur la table en un
délicieux pêle-mêle, que, papiers et varech rejetés dans la caisse vide,
on s’écrie gaîment: «A une autre!» comme on est payé de ses peines!

Mais on pense de quels soins, de quels travaux s’acquiert ce bonheur; je
vais tenter d’en donner l’idée avec une minutieuse exactitude qui
permettra aux jeunes maîtresses de faire, ou de faire faire par quelque
serviteur intelligent et adroit, les emballages les plus compliqués en
apparence. Avant d’entrer dans le détail cependant, il convient
d’indiquer l’ordre des opérations.

La première chose à faire est de se renseigner sur les conditions de
transport comme prix, durée et garanties; les renseignements pris sont
consignés sur un carnet spécial, qui deviendra le «livre du
déménagement», où viendront se classer, par la suite, toutes les
indications relatives à ce sujet. On fait marché avec un entrepreneur de
transports; ce marché doit être conclu par traité, sur papier timbré de
préférence, si l’entreprise est considérable. La responsabilité des
risques y est nettement établie, ainsi que l’époque du paiement, le
délai maximum et les conditions de transport. Beaucoup de personnes,
croyant s’éviter des ennuis--au-devant desquels elles courent--font un
marché à forfait, livrent sans aucun contrôle leur maison ouverte, leur
mobilier, leurs objets précieux, leur vaisselle, cristaux, linge, etc.,
aux déménageurs. La fameuse phrase: «Ces gens-là ont l’habitude de leur
métier, et d’ailleurs l’entrepreneur répond de la casse», sert d’excuse
pour leur négligence, leur paresse ou leur incapacité.

Agir ainsi, c’est ouvrir la porte toute grande au cortège des fléaux
accompagnant un déménagement mal compris: détériorations, pertes,
larcins, etc. Si l’on a l’intention bien arrêtée de faire ou de faire
faire sous ses ordres l’emballage des objets fins, il faut s’entendre,
sur ce point, avec l’entrepreneur du déménagement, car il vous déclarera
péremptoirement qu’il n’est pas responsable des emballages faits par
d’autres personnes que ses agents, ce qui est d’ailleurs de toute
justice. La réponse est facile: «Je vous livrerai les caisses fermées,
clouées et numérotées; je n’aurai à réclamer de vous que livraison dans
l’état où vous les avez reçues.»

Il faut aussi qu’il y ait entente préalable sur les voies et moyens
employés pour le transport des meubles.

Il peut se faire de plusieurs façons.

1º Par wagons, en _vrac_. Ce moyen n’est applicable qu’au gros mobilier
de cuisine, aux caisses clouées, à tout ce qui ne craint ni heurts ni
intempéries.

2º Par wagons, en caisses. C’est coûteux et long et compliqué, car il
faut ajouter aux frais des caisses et de l’emballage les transports du
domicile à la gare et de la gare au domicile, puis le déballage des
caisses, et, si l’on n’a pas d’emplacement pour les ranger, leur
démolition.

3º En wagons, avec emballage pour chaque meuble, méthode coûteuse à
l’excès et pas très sûre, surtout pour les sièges fins.

4º Par voitures capitonnées ou à peu près.

Ceci est presque la perfection. On prend vos meubles chez vous, et on
vous les remet en place chez vous, à l’arrivée.

Ils font le trajet dans un vaste récipient fermé et plombé, où ils sont
si ingénieusement serrés, pressés, entre-croisés, qu’ils ne peuvent
faire un faux mouvement.

Ce système a de plus le très grand avantage de permettre le placement
immédiat de cette multitude d’objets que comporte la tenue d’un ménage
et aussi d’une foule de petits ballots, petites caisses, petits paquets
qu’on insère partout où se trouve un vide à combler.

Enfin il offre toute sécurité contre le vol, au moins pendant le voyage,
puisque la voiture, une fois pleine, est plombée, fermée, scellée, pour
ne s’ouvrir que devant vous, à la porte du nouveau domicile.

L’échange du traité en double expédition fait, le jour pris, vous n’avez
plus qu’à vous préparer à recevoir les déménageurs.

Cette préparation consiste à tenir prêts malles, caisses, paquets,
ballots, etc., et aussi à réunir dans une pièce exclusivement affectée à
cet usage tout ce qu’on emportera avec soi, enfin à tenir à la
disposition des hommes de peine de vieux tapis, des housses, de vieux
rideaux, de vieux draps même, tout ce qui peut servir à préserver les
meubles fins de tout contact entre eux.

Enfin, il faut discerner entre ce qu’on emportera avec soi et ce qui
sera confié aux voitures de déménagement. Celles-ci vont partout
maintenant, jusque dans les localités les plus reculées, puisqu’il
suffit, là où le chemin de fer cesse, de les poser sur leurs roues qu’on
emporte avec elles.

Il ne faut donc prendre, si l’on veut éviter d’une part l’encombrement
qui complique une situation déjà compliquée, et de l’autre les frais
très lourds de transport en grande vitesse, que des effets personnels,
un peu de linge et les objets précieux, tels que argenterie, bijoux,
papiers de famille, etc. On choisit une armoire où l’on dépose sous
bonne clé ce qui doit être compris dans cette catégorie et l’on n’y
revient plus sans besoin.

                   *       *       *       *       *

Avant de commencer le grand travail de l’emballage, il faut se procurer
en quantité suffisante des caisses, du foin ou du varech.

J’ai toujours préféré le varech au foin pour nombre de raisons. D’abord
il _emballe_ mieux, étant plus élastique, fait moins de poussière, et
enfin a le grand avantage de pouvoir être conservé en sacs ou de remplir
des matelas de dessous pour lits de domestiques, lits d’enfants, etc.

J’ai entendu vanter la combinaison qui consiste à défaire les matelas et
à employer leur laine pour remplir les caisses de faïences.

C’est là un détestable système. D’abord la laine emballe très mal, parce
qu’elle se tasse et laisse des vides; ensuite elle est d’un maniement
désagréable; puis on a besoin promptement de ses matelas en arrivant, si
l’on ne veut pas voir le séjour à l’hôtel se prolonger outre mesure, au
grand détriment de la bourse et du confortable; enfin les matelas sont
précieux, indispensables même pour préserver les glaces et les meubles
fins dans les voitures de déménagement.

Le foin coûte cher et ne peut servir à quoi que ce soit après le
déballage.

On trouve des caisses très commodes chez les épiciers; celles à
chocolat, à savon, à bougies, à conserves, sont tout particulièrement
recommandables parce qu’elles sont propres, solides et point trop
volumineuses.

Les grandes caisses ont de graves inconvénients. L’emballage y est
beaucoup plus difficile et moins sûr que dans les caisses moyennes, et
s’il s’agit de livres, elles ont un poids exorbitant qui expose les
ouvriers déménageurs à des accidents.

Si l’on n’a pu se procurer les caisses avec leurs couvercles ou dessus,
il faut, avant de commencer l’emballage, faire ajuster les planches pour
ces dessus, car il est nécessaire, pour éviter les malheurs, de pouvoir
fermer une caisse aussitôt qu’elle est remplie.

On marque caisses et dessus d’un chiffre un peu grand, peint à l’ocre
rouge.

Pour les ballots de linge, les vieux rideaux peuvent servir, mais ils
offrent peu de résistance et sont d’ailleurs bien mieux employés à
couvrir les glaces et tableaux.

On trouve partout des serpillières ou de la très grosse toile à des prix
très modérés qui permettent un emballage solide.

Pour les bas, les chiffons, le vieux linge, etc., tout ce qui ne vaut
pas la peine d’être mis dans les malles ou dans les ballots, on peut se
servir de sacs improvisés, confectionnés avec de la grosse toile à
torchons. Onze mètres de toile sont coupés en six morceaux, qui, pliés
en deux et cousus en surjet lâche sur leur lisière, donnent six bons
sacs, et par la suite, décousus et coupés, une douzaine de torchons
neufs.

On réunit dans une remise, sous un hangar, enfin dans un endroit bien
couvert et bien clos, tout son matériel de déménagement, on fait
débarrasser de tous meubles, sauf une table, une pièce un peu grande qui
n’ait rien à craindre comme ornements de la poussière et des chocs; on
enlève toutes les tentures, rideaux, etc.; c’est là que les uns après
les autres viendront se remplir les caisses, malles, paniers, ballots.

On y entasse une provision de varech, une autre de vieux papiers, les
journaux, brochures, etc.; on met sa plus vieille robe, un grand tablier
de valet de chambre, on s’arme de beaucoup de courage et de patience,
enfin l’on consigne sa porte,--vaine précaution si l’on a beaucoup de
bons amis! J’ai tenu salon dans deux pièces où il n’y avait plus de
chaises; on s’asseyait sur les caisses et les ballots. Ceci n’est que
pour les derniers jours, car jusqu’à la venue des voitures, le salon au
moins doit rester habitable, et aussi «le cabinet de Monsieur»,
sanctuaire qu’on n’envahit qu’à la dernière extrémité.

Nous voici en face de la plus grosse affaire en fait d’emballage: une
caisse d’objets fragiles, porcelaines, cristaux, etc.

Posons d’abord quelques lois fondamentales dont l’observation rigoureuse
pourra seule éviter les désastres.

1º Tout ce qu’on emballe a dû être nettoyé scrupuleusement avant
l’emballage;

2º Il ne faut pas réunir dans la même caisse des pièces lourdes et des
pièces délicates, par exemple un service de faïence et des cristaux
mousseline;

3º Il faut éviter à tout prix les vides, même insignifiants; les vides
facilitent le tassement, et le tassement est le père des catastrophes;

4º Il faut envelopper de papier toutes les pièces, fût-ce un coquetier;
le papier emballe par lui-même et prévient les contacts;

5º Quand on fait entrer une pièce dans une autre, il faut toujours
garnir la première de varech et de papier;

6º Les très petits objets qu’on veut insérer dans les plus grands
doivent aussi être entortillés soigneusement pour ne pas balloter;

7º Les caisses doivent être remplies jusqu’au bord, à un ou deux
centimètres près, car il faut laisser la place d’une couche de varech
qui empêchera le contact du dessus;

8º Il est toujours bon de ne pas faire de mélanges trop disparates dans
les caisses; ainsi on réunira à part, autant que faire se peut, les
bronzes, les marbres, les faïences, etc.;

9º Toutes les caisses grandes ou petites, les paniers, les ballots,
doivent être marqués très visiblement d’une lettre et d’un numéro; la
lettre est l’initiale du nom de la famille; le numéro sera reporté au
carnet de déménagement, avec la mention brève de ce que contient le
colis qu’il désigne.

Pour cette opération, un mélange un peu épais d’eau gommée et d’ocre
rouge vaut mieux que la peinture à l’huile, qui tache le linge.

Vous voici donc agenouillée sur un vieux coussin contre la paroi la plus
large de votre caisse, si elle est à base rectangulaire. A votre droite
est un haut tas de varech; près de vous, sur une table, sont réunies les
pièces que vous avez à emballer. Une aide les enveloppe de papier avant
de vous les tendre.

Les vieux journaux sont très bons pour cet usage; si l’on n’en a pas
assez chez soi, chose rare, on s’en procure chez les marchands de
chiffons.

Supposons, pour ne pas nous agiter dans le vague, qu’il s’agit d’un
service de table en porcelaine fine à mettre en caisse; par la diversité
des pièces qui le composent, il pourra servir de type général.

Sur le fond de la caisse, vous étendez une couche de varech épaisse de 5
à 6 centimètres environ et bien égale. Elle va supporter vos premières
assises composées des pièces les plus lourdes.

Ici, n’ayant pas le secours d’une figure pour m’aider, je prie mes
lectrices de m’accorder beaucoup d’attention.

Supposons que le rectangle du fond de la caisse est numéroté ainsi: AB,
CD pour les deux lignes parallèles les plus longues, AC et BD désignant
les plus courtes.

Le long de la ligne AC vont se ranger les douzaines d’assiettes, posées
sur tranche bien d’aplomb, de manière à ce que la ligne du milieu soit
toujours dans le même axe. Ceci est indispensable, et, pour y parvenir,
il faut maintenir et ramener avec la main les assiettes, qui ont
toujours une tendance à s’écarter ou à fléchir. On les place par quatre
ou cinq à la fois, et il faut arriver à la paroi opposée avec sa pile
couchée bien droite, formant cylindre, et aussi près que possible de la
planche pour la dernière assiette.

On insère dans l’étroit espace resté libre du varech, qu’on tasse pour
caler. Il en faut assez pour qu’il n’y ait pas de jeu, mais pas trop
pour ne pas faire craquer la pile.

A côté de celle-ci viennent s’en ranger d’autres, jusqu’à épuisement. Il
va sans dire qu’on ne met ensemble que des assiettes de même calibre et
de même sorte. Si une pile n’est pas assez longue pour atteindre la
paroi opposée, on remplit le vide avec un ou plusieurs objets un peu
gros, sucrier, pot à lait, etc., entortillés de varech suffisamment et
disposés de manière à empêcher l’écroulement de la pile restée en
suspens.

Les plats sont chose gênante à caser. Il faut bien se garder de placer
l’un devant l’autre un plat rond et un plat ovale, et ceux-ci tiennent
beaucoup de place.

Pour les grands plats, le meilleur système est de les appliquer le
dessus contre la paroi de la caisse sans autre protection que leur
enveloppe de papier. Ils font ainsi une sorte de muraille soutenue par
les autres pièces, et ne courent pas le risque d’être fendus par les
secousses du transport, parce qu’ils sont appuyés également sur toute
leur circonférence.

Les compotiers de dessert, coupes, assiettes à pied, etc., sont mis en
place d’après le même procédé, c’est-à-dire couchés dans l’emballage,
rentrant les uns dans les autres, mais avec les centres sur la même
ligne.

De plus, pour tout objet ayant la forme «coupe», qu’il s’agisse d’un
verre à pied ou d’une coupe à fruits, il faut entourer le pied d’une
jarretière, ou plutôt d’un bandeau fait avec du varech roulé dans du
papier.

S’il y a des anses ou des ornements très en saillie, on prendra pour
ceux-là la même précaution.

Tout ce qui a forme de jatte peut contenir de petits objets, coquetiers,
salières, tous enveloppés largement de papier comme j’ai dit plus haut.

Pour les pièces à couvercles, telles que soupières, légumiers, etc., on
retourne le couvercle, le bouton en dedans après l’avoir enveloppé.

Ces grosses pièces, très encombrantes, sont difficiles à caser et font
le désespoir des emballeurs. Sous leurs flancs s’ouvrent des gouffres
qu’il faut remplir avec toutes sortes de petites pièces de détail,
enveloppées de papier et entortillées de varech: les bols, tasses à thé,
à café ordinaires, etc., trouvent là une place tout indiquée.

Pour les services à thé et à café très fins, il est préférable d’avoir
une caisse spéciale, car il est très fâcheux d’exposer à être
dépareillés des ensembles de grande valeur.

A mesure que la caisse se remplit, on prodigue les poignées de varech;
il ne faut pas y mettre d’économie!

On insère la main pour chercher et découvrir les vides, on comble ici,
on débourre là, on tâte pour s’assurer que rien ne cloche, ne touche, ne
remue.

Enfin, on étend le dernier matelas de varech, on _pose_ sur la caisse
les planches qui serviront à la couvrir, on les cloue, après avoir pris
soin de les marquer comme il a été dit plus haut, et l’on passe à une
autre.

Celle-ci sera dévolue aux cristaux.

La tâche est moins fatigante que la précédente, mais bien délicate
aussi. Nous y appliquerons toutes les indications déjà données et qu’il
est superflu de répéter: mise des pièces lourdes, carafes, cruches,
jattes, etc., au fond, emballage des pieds de verres, etc.

Il faut, en préparant la couche du fond, _la monter_ de façon à ce que
sa surface, bien et dûment garnie de varech, présente un matelas aussi
plan que possible.

Sur ce matelas on range, couchés, les verres de même calibre, en
alternant pied à tête, et en réservant les plus petits pour le dessus.

La caisse des cristaux demande un emballage plus élastique, moins tassé
que celui des faïences; les pièces n’étant pas lourdes sont moins
sujettes à se verser les unes sur les autres pendant les transports.

Il est bien entendu qu’il ne faut laisser entrer dans la caisse aucun
objet dur ou pesant.

Les bronzes demandent un emballage très soigné, car ils sont sujets à
bien des avaries. Le moindre contact avec un objet aigu ou rugueux les
raie, la moindre pesée sur eux les gauchit ou plus souvent les brise
net. Enfin, leur poids, très considérable par rapport à leur volume, les
pousse à des trajets dans l’emballage, fort dommageables à eux-mêmes et
à leurs voisins.

Ils doivent donc, d’une part, être emballés très serrés, de l’autre,
comme je l’ai dit plus haut, on ne peut les traiter qu’avec de grandes
précautions.

A mon avis, il vaut mieux ne faire de caisses mélangées que pour les
petits bronzes; pour ceux d’une certaine importance comme les lustres,
les statuettes, les pendules, si l’on ne craint pas la dépense, on a
recours à l’emballage à _coussinets_, c’est-à-dire que la pièce placée
dans une caisse construite pour elle y est maintenue sans aucun
emballage, par un système de taquets, de coins, de chevilles, qui lui
interdisent tout mouvement.

C’est la perfection, évidemment, quand la chose est faite par un bon
spécialiste; mais, parmi mes lectrices, il en est certainement qui
habitent des châteaux à la campagne, loin des grands centres, ou bien
des petites villes où les ouvriers fins sont introuvables. Je vais donc
leur indiquer des manières de s’y prendre, qui, au moins, auront
l’avantage d’être applicables en tous pays et en tous lieux.

Voici, à emballer, un lustre, des torchères ou appliques, un bronze, la
Diane de Gabies, si vous voulez, et une pendule. A tout seigneur tout
honneur; commençons par le lustre.

Il est certainement démontable, tous les lustres se démontent.

Les bobèches à pendeloques ont trouvé place dans la caisse aux cristaux,
les bobèches de cuivre sont enfilées dans un cordon et mises de côté.

On dévisse les branches, la tige, les ornements. A mesure que cette
opération s’accomplit, Madame ou Monsieur qui y préside fait mettre dans
un petit sac les écrous, vis, chevilles, etc.

Quand ils sont tous réunis, on lie le sac pour bien fermer et on
l’attache à la tige; chaque pièce du lustre est alors enveloppée,
d’abord de papier fin--les patrons de journaux de modes sont très bons
en pareil cas,--puis de papier plus fort; on fait enfin l’emballage en
caisse avec les précautions indiquées plus haut pour les faïences.

Passons à la statuette.

On l’enveloppe d’abord de papier fin. Ensuite on l’emmaillotte de vieux
linge, en entourant les jambes, les bras, la tête. Quand elle est
couverte partout, qu’on ne voit plus du tout le bronze, on la couche sur
un épais matelas de varech, placé sur une feuille de fort papier
d’emballage; on la recouvre de varech, on plie le papier comme pour un
paquet bien serré, on ficelle, et on met en sûreté le précieux colis.

Le procédé est le même pour les pendules, seulement il faut enlever
doucement le balancier. On l’enveloppe de papier, en le maintenant par
une lame de carton pour lui éviter d’être faussé, on lie à ce petit
paquet la clé attachée avec une ficelle, et on place le tout contre le
dessous du socle. Si la pendule a des détails fragiles ou très en
saillie, il faut les protéger avec des coussinets de papier froissé,
insérés partout où il y a un vide. On termine l’emballage comme il a été
dit pour la statuette. Les déménageurs placent ce genre de paquets dans
le bas des bahuts en les entourant de couvertures.

Les coupes de marbre, les grosses potiches, les grandes lampes, les
bustes, rentrent dans cette série d’objets à emporter _hors caisse_.

On peut résumer leur emballage en ces deux points: défendre leur surface
contre les contacts dangereux, les préserver par une couche protectrice
suffisamment épaisse des accidents, des chutes et des heurts.

Pour les bibelots de prix, s’ils sont de très grande valeur, un
emballage spécial est tout indiqué; s’ils sont de valeur moyenne, tout
ce qui a été dit pour l’emballage des porcelaines et cristaux leur est
applicable.

J’y ajouterai cependant quelques réflexions supplémentaires.

Beaucoup de ces pièces, dont l’antiquité est le principal mérite, sont
fendues et d’un émail friable, il leur faut donc plus de soins qu’aux
pièces modernes plus résistantes.

Le papier d’emballage sera plus fin et même recouvert d’un second.

En pratiquant le tassement nécessaire, on ira d’une main ménagère de ses
efforts; enfin on fera la couche de varech plus épaisse et plus
moelleuse, sans oublier cependant qu’un emballage trop souple expose les
pièces à se fendre.

                   *       *       *       *       *

C’est «Monsieur» qui se réserve d’ordinaire la lourde tâche d’emballer
sa bibliothèque, ses gravures, ses collections de bibelots curieux:
médailles, miniatures, armes, etc.

Mais, comme bien souvent il est trop occupé par le service qu’il va
prendre, par des voyages, des affaires, des tracas de toutes sortes,
c’est sur «Madame» que retombe presque tout entier le soin de ces
précieux trésors. Nous allons donc bravement nous supposer devant
quelques milliers de volumes, plus le contenu d’un certain nombre de
vitrines et de cartons et un amoncellement d’objets de toutes tailles et
de toutes formes détachés des murs.

Commençons par eux, pour déblayer. Les bibelots de prix ont presque tous
leur écrin, leur étui ou leur carton. On enveloppera ceux-ci de papier,
_chacun_ séparément. On réunit dans les coffrets, les boîtes, en un mot
tout ce qui est «contenant», tous les petits objets enveloppés de papier
fin, chacun séparément aussi.

Disons une fois pour toutes et pour n’y plus revenir que cette condition
d’envelopper de papier fin chaque objet est la première nécessité de
tout emballage bien fait. Elle évite les rayures, les cassures, les
ballotages et le glissement dans les coins.

On suivra encore la loi qui défend de mettre ensemble, dans la même
boîte, des objets lourds et des objets menus ou fragiles.

Les boîtes remplies, on les bourre de papier chiffonné pour immobiliser
leur contenu, on les enveloppe largement pour qu’elles ne risquent pas
de s’ouvrir.

Les cristaux, les biscuits, les porcelaines, les terres cuites de trop
petites dimensions ou de sortes trop fines pour avoir pu trouver place
dans les grandes caisses, sont emballés dans des boîtes à couvercle avec
les mêmes soins généraux pris pour les pièces considérables: protection
des anses et des ornements, bourrelets autour des pieds et des cols. Les
bijoux anciens, montres, boucles, objets de curiosité, enveloppés de
papier fin, sont mis entre des couches d’ouate dans des boîtes fermées.

Les armes ont presque toujours une caisse qui leur est attribuée, avec
des aménagements particuliers. Elles y sont d’ailleurs généralement
renfermées par leur propriétaire.

Toutes ces boîtes, écrins, étuis, etc., seront mis dans un ou plusieurs
coffres de dimensions moyennes, établis solidement et fermant par de
bonnes serrures. Il y a des personnes qui préfèrent voir leurs objets
précieux casés, soit en boîtes, soit simplement emballés, dans les
tiroirs des bahuts, armoires, etc.

Cette combinaison a de graves inconvénients. D’abord elle surcharge les
meubles, et elle augmente la difficulté de leur maniement; ensuite, et,
c’est là son plus sérieux défaut, elle permet les larcins de toutes
sortes, car, lorsque l’on dégarnit la voiture de son contenu, le
déménageur, pressé d’en finir, tend toutes les boîtes et paquets à
toutes les mains qui se présentent, et dans le nombre il peut y en avoir
beaucoup d’infidèles ou de négligentes.

Un coffre est plus commode à surveiller et on peut le faire transporter
immédiatement dans la pièce où l’on garde sous clé les caisses contenant
les objets de prix.

Voici donc tous les bibelots partis et en sûreté. Avant de passer aux
livres, occupons-nous des cartons de dessins, gravures, etc.

Les déménageurs ne manquent pas de vous dire: «Donnez-moi ça, madame;
tout comme ça est, c’est bien bon! je le caserai derrière les bahuts, il
ne lui arrivera rien!»

Non assurément, si ce n’est «rien» que des plis, des déchirures, des
froissements, des coulées de poussière, des promenades d’insectes, etc.

Les cartons de gravures, dessins, aquarelles, cartes géographiques, en
un mot tout ce qui contient de grandes feuilles, doivent être visités
avec soin pour s’assurer que tout y est en bon état et bien à plat, sans
plis ni rides, puis enveloppés dans un papier brun assez fort et ficelés
en croix avec une cordelette. Si les parois du carton sont flexibles, il
faut l’insérer entre deux planchettes pour l’empêcher de faire «ventre».

Je ne parlerai point des tableaux, qui sont confiés généralement aux
soins du déménageur et se transportent comme les glaces entre matelas et
couvertures.

D’ailleurs, les tableaux de prix ont toujours leur caisse propre, et une
fois en caisse ils ne risquent rien.

Les livres! Le plus long, le plus minutieux, le plus fatigant des
emballages. Il offre cependant une compensation; avec lui on ne craint
pas la «casse», ce qui ne veut pas dire qu’on n’ait pas de précautions à
prendre.

On fait apporter sur une table ou par terre les livres à emballer, ceux
dont les reliures sont fines, bien enveloppés de papier.

Il est bon de ne point mélanger les livres rares ou précieux avec le
reste de la bibliothèque. On les traite un peu en joyaux et on les
installe dans des caisses moins grandes et plus soignées.

Pour bien faire une caisse de livres, il ne faut pas, comme on pourrait
le croire, procéder par couches horizontales d’un volume d’épaisseur,
mais bien par _piles_ du même calibre de bas en haut. Pour dresser ces
piles on posera alternativement les volumes, dos sur tranche. En effet,
si on mettait tous les dos du même côté, leur épaisseur forcément plus
considérable que celle de la tranche ferait la pile plus haute dans un
sens que dans l’autre.

Pour remplir les intervalles qui existent parfois entre les piles, on
insère des volumes brochés, qui servent de matelas, mais en faisant
cette opération, on a soin de _conduire_ le volume avec la main posée
sur les plats jusqu’à ce qu’il soit bien en place, car on risque fort de
retrousser et de froisser des pages.

La caisse de livres, quand celle est bien faite, ne doit présenter aucun
vide, grand ou petit.

On rabat sur le dessus les feuilles de papier dont on l’a garnie, car
jamais les livres ne doivent être en contact avec le bois des parois, et
on la termine comme toutes les autres, par un couvercle de planches.

                   *       *       *       *       *

On a maintenant beaucoup moins de linge qu’autrefois, et il est beaucoup
plus fin, ce qui simplifie son transport; aussi a-t-on adopté pour cet
usage de grands paniers solides et bien clos, faciles à remplir et à
vider.

Cependant, si la famille est très nombreuse en maîtres et serviteurs, il
y a forcément de grands approvisionnements en linge de table et de
maison, rideaux, couvertures, etc. Toutes ces pièces doivent être mises
en ballots, car les paniers ordinaires ne seraient pas assez résistants,
et ces ballots sont d’ailleurs fort utiles pour caler les meubles dans
la voiture.

La confection d’un ballot de linge n’est pas chose aussi facile qu’on le
croirait tout d’abord. Il ne suffit pas en effet de poser l’une à côté
de l’autre des piles de pièces qui laissent entre elles des crevasses,
font effondrer le ballot quand on l’ouvre et, pendant le trajet,
prennent de mauvais plis.

Un ballot de linge bien fait doit présenter un bloc rectangulaire très
compact et assez solide pour ne subir aucune déformation même par les
bousculades les plus vigoureuses.

Voici comment on arrive à ce résultat.

On a fait apporter d’avance tout le linge qui doit y entrer, repassé et
plié, cela va sans dire.

On a fait étendre sur une table une serpillière assez grande pour
envelopper tout le ballot. Sur cette serpillière, on place un vieux drap
plié en deux, on le pose bien au milieu. Sur le milieu encore de ce
drap, on étend un torchon de dimensions moyennes, 80 × 90 centimètres;
c’est lui qui va nous donner la base de notre édifice.

Si le ballot ne doit contenir que des draps, la tâche est fort
simplifiée, car il suffit de les poser bien carrément l’un sur l’autre,
en ayant soin de mettre le pli tantôt à droite, tantôt à gauche. Sans
cette précaution, tous les gros plis étant du même côté, le ballot
s’affaisserait du côté opposé.

S’il s’agit de serviettes, torchons, etc., c’est beaucoup plus
compliqué.

Vous prenez comme base du ballot une paire de draps que l’on a pliée de
façon à ce que ses dimensions répondent à la longueur d’une serviette
par exemple, dans un sens, sur une largeur des deux tiers dans l’autre.

Sur ce rectangle on bâtit alors son bloc de linge en entre-croisant les
pièces. Serviettes, torchons, tabliers, restent pliés dans le sens long,
mais sont posés de manière à ce que deux couches successives soient en
travers l’une de l’autre.

Me suis-je bien fait comprendre?

Désignons notre rectangle de base par les chiffres ABCD;--AB en haut.

Dans la couche 1 les pièces iront d’A à B, de C à D.

Dans la couche 2, leur plus long pli ira d’A à C, de B à D, et ainsi de
suite alternativement jusqu’à ce que le bloc de linge ait atteint 60 à
80 centimètres de hauteur.

Pendant cette opération, on a eu le plus grand soin de maintenir les
parois extérieures bien carrées, de sorte que le rectangle du dessus
soit absolument égal à celui du dessous.

Il ne reste plus qu’à étendre un second torchon par dessus le bloc, à
ramener les côtés du drap d’enveloppe, à les épingler en formant des
plis réguliers comme ceux d’un paquet bien fait. On rabat alors la
serpillière, et on la coud solidement en une ligne droite sur le dessus
du paquet.

Il faut, pour cette opération, qui importe beaucoup à la solidité du
ballot, avoir serré bien également la serpillière; il est bon même de
l’épingler avant de la coudre.

La première épingle doit être posée au milieu, les autres se suivre de
part et d’autre de ce milieu; faute de cette précaution, on s’expose à
voir un ballot déjeté d’un côté. Enfin, en cousant, il faut bien prendre
garde que l’aiguille ne pénètre pas jusqu’au linge de l’intérieur.

La couture finie, on parachève le ballot en lui faisant des «oreilles»,
opération qui réclame une poigne masculine, ou du moins telle.

Il faut se mettre à deux pour bien faire une oreille de ballot. L’un
tire le coin de la serpillière, l’autre avec une cordelette la serre,
l’étrangle aussi près que possible de la pile de linge, et noue d’un
nœud solide.

Cette opération, répétée aux huit coins bien carrément (ceci est de
rigueur), vous donne un ballot qui peut braver toutes les aventures et
fait le bonheur des hommes d’équipe et des déménageurs, parce qu’il est
facile à saisir par les «oreilles» et ne se verse pas dans tous les sens
comme fait le ballot simplement cordé.

Nous voici arrivés aux malles.

Peu de personnes savent faire une malle vite et bien. C’est un art qui a
ses principes; les voici à la file.

1º Les objets lourds, livres, coffrets, bibelots, chaussures, doivent
toujours occuper le fond de la caisse.

2º Il ne faut jamais mettre, à même le linge et les effets, des objets
fragiles, sous prétexte qu’ils sont protégés par les plis d’étoffe. Le
mouvement de transport tasse le linge, et flacons, porcelaines, etc., se
promènent au grand détriment de ce qui les entoure.

3º L’emballage doit toujours procéder du plus lourd et du moins fragile
au plus léger. En effet, les malles ayant un dessus, on est presque sûr
d’éviter le renversement.

4º On ne doit jamais mettre ensemble du linge propre et du linge sale;
le linge sale doit avoir un sac épais en coutil qui lui est réservé
rigoureusement.

5º Le «tassement» étant l’ennemi juré de tous les emballages, une malle
ne doit jamais présenter de vide. Si pour une raison ou une autre, soit
à l’aller, soit au retour, elle ne pouvait être remplie, il faut combler
les intervalles avec du papier chiffonné, du varech, des menus copeaux
d’emballage enveloppés dans des serviettes, en un mot pouvoir dire comme
Macbeth:

    _There is the full!_

Les valises, sacs de nuit, etc., doivent être réservés à vide pour le
dernier moment. Les objets oubliés ou forcément gardés jusque-là y
trouveront place.

La batterie de cuisine, c’est-à-dire tous les ustensiles qui ne rentrent
pas dans la série des cristaux et faïences, ne demande point d’emballage
particulier.

Elle fait partie de cette foule d’objets que comporte la tenue d’un
ménage, et dont les hommes chargés de caser le mobilier dans la grande
voiture trouvent la place un peu partout: dans les bas d’armoires, entre
les pieds des chaises, etc. Les très petits ustensiles, couteaux,
cuillères, aiguilles à larder, roulettes, etc., doivent être réunis en
un seul paquet solidement ficelé; autrement ils courent grand risque de
s’égarer.

L’emballage des plantes vertes, palmiers, dracenas, etc., est assez
difficile.

Quand ils peuvent être installés dans la voiture même, il n’y a rien de
mieux.

Quand, faute de place, on doit les envoyer par wagon, on charge un
jardinier de les arranger; si on n’a pas de jardinier, on s’y prend
ainsi pour l’emballage:

On garnit de papier fort le fond d’un panier de saule assez grand pour
que les racines ne soient pas froissées, on enlève la plante avec sa
motte--ceci est indispensable--du vase qui la contient, on la place bien
d’aplomb dans le panier.

Quand les feuilles peuvent être ramenées le long du tronc, toujours vers
le haut, on les lie _sans serrer_, puis on abrite sous une sorte de
hutte bâtie avec des tiges de saule plantées sur le tour du panier et
liées en haut.

S’il fait très froid on couvre d’une serpillière.

En ce qui concerne le transport des colis précieux, les opinions sont
très partagées et je ne saurais prendre un parti.

Faut-il les laisser dans la grande voiture, faut-il les emporter avec
soi?

Les risques selon moi sont égaux de part et d’autre, et je me demande
s’il n’est pas plus dangereux de les traîner dans les hôtels que de les
laisser sous la protection des scellés plombés?

Je n’ai point à m’occuper du transport de la cave. Les vins fins sont
emportés en caisses ou en paniers, les bouteilles vides sont l’affaire
des déménageurs. Souvent, pour ne pas s’encombrer, on préfère les vendre
sur place; il en est de même des provisions de bois, de charbon, de
pommes de terre, etc.

Mais ces provisions trouvent un excellent emploi chez les voisins
pauvres ou les institutions charitables. Il faut penser à prévenir à
l’avance ceux qui doivent profiter de ces largesses, car à peine les
maîtres ont-ils quitté la maison qu’elle est livrée à une horde de
pilleurs d’épaves.

C’est une rude besogne que celle des derniers jours. Du moment où la
colossale masse de la voiture s’est arrêtée devant votre porte, vous
n’avez plus une minute de répit. Il faudrait être partout à la fois,
répondre à vingt personnes en même temps.

On se partage, quand on peut, les divers postes. «Monsieur» ne quitte
pas la voiture, gouffre béant où viennent s’entasser tous les meubles,
et en même temps surveille les amateurs, habitués du pavé, prêts à
profiter d’un moment d’inadvertance pour enlever meubles ou colis. J’ai
vu un jeune ménage perdre ainsi un merveilleux paravent, présent de
noce, peint de la main des fées; il n’est pas encore consolé!

«Madame» dirige les hommes pour l’enlèvement des meubles, le choix de ce
qui doit être mis dans la voiture, etc.

C’est là qu’il faut déployer une vigilance et une fermeté de général en
chef, car, sous prétexte d’aider, parents et domestiques font tourner la
tête aux malheureux déménageurs: «Emportez ceci! Non! cela d’abord!
Montez! Descendez! On a oublié ce paquet! On a laissé cette malle!» etc.
Il ne faut pas une médiocre habileté pour réduire à un silence relatif
toutes ces bonnes volontés tapageuses.

Les bébés sont en pareil cas toujours mis à l’abri dans quelque maison
amie. Au-dessus de dix ans, petit garçon ou petite fille, bien dressés,
intelligents, actifs et adroits, peuvent être d’un grand secours à
«maman» pour les commissions, l’aide de détail, et même un peu de
surveillance.

Sur le carnet de déménagement ont dû être inscrits le nombre des
ballots, celui des malles, valises, paniers, etc., en un mot tous les
renseignements concernant cette grandiose et difficile opération; heures
des trains, adresses d’hôtels, de fournisseurs, de serviteurs, etc., y
doivent également trouver place, comme aussi le compte des dépenses pour
les quelques jours que dure le bouleversement.

                   *       *       *       *       *

Le déballage des caisses n’est pas une opération indifférente qu’on
puisse faire à la hâte, sans précautions. Il peut s’y produire au moins
autant de malheurs que dans l’emballage, le transport, la confusion des
matériaux, l’envahissement de toutes les places disponibles par les
pièces déballées offrant de nombreuses causes d’accidents.

Pour déballer une caisse de vaisselle, cristaux, etc., on commence par
écarter très doucement la première couche de varech, qui, si la caisse a
été bien faite, ne doit rien contenir de fragile. Néanmoins la main doit
tâtonner partout et chercher si elle ne rencontre rien de résistant.

On jette à côté de soi ce varech, auquel viendra s’ajouter en montagne
tout celui de la caisse. A mesure qu’un objet paraît, après avoir enlevé
le papier qui l’enveloppe, on le pose sur une table; le papier va de son
côté former une autre montagne.

On déballe par couches horizontales. Il est imprudent de creuser des
trous qui peuvent compromettre l’équilibre du reste de l’emballage.

Quand tout le contenu de la caisse en a ainsi été tiré, on s’assure, en
les maniant avec précaution, que dans le varech et le papier il n’est
resté aucun petit objet, puis on les fait emporter avant de commencer un
second déballage.

Quand on a suivi la méthode qui consiste à ne confier aux déménageurs
que des caisses clouées, on a le grand avantage de pouvoir prendre son
temps pour les défaire, et pouvoir ainsi faire mettre immédiatement dans
les bahuts et armoires les services de table tout essuyés et à la place
qu’ils devront occuper.

Il est bon de ne pas avoir trop d’aides dans ce travail, une personne
intelligente et capable suffit bien; deux au plus.

Souvent, dans le désir d’aller plus vite, les aides emportent trop de
pièces diverses d’un coup ou des piles d’assiettes trop considérables;
c’est là un procédé dangereux, il faut le proscrire avec sévérité.

Le déballage d’une caisse de livres se fait de la même façon. On range
les livres à mesure qu’on les retire sur une table ou sur un tapis par
terre.

On évitera pour les livres reliés de faire des piles que le moindre choc
ébranle et fait crouler, au grand dommage des reliures; on range les
livres sur la tranche, le dos en haut, les uns à côté des autres, et,
pour empêcher la série de verser, on met à plat trois ou quatre volumes
en la commençant.

Le déballage des bronzes demande une minutieuse attention pour ne rien
forcer, et surtout ne rien perdre des petites pièces, bobèches, vis,
ornements, etc.

Il est bon même d’avoir sous la main une petite boîte pour y poser tous
ces détails à mesure qu’ils se présentent.

Le premier balayage et le nettoyage des pièces où l’on a déballé doit
être fait sous la surveillance de la maîtresse de maison, dont l’œil
vigilant seul sait chercher et trouver, au milieu de ce terrible fatras,
les objets égarés ou laissés de côté.

Est-il besoin d’ajouter que le linge et les vêtements ne doivent être
tirés des caisses et des ballots que lorsque tout dans le logis est à
peu près propre?

Mais si on en a besoin tout de suite? va-t-on me dire.

A cela je réponds que les malles que l’on a emportées avec soi ont dû
être «composées» de façon à fournir le nécessaire pour quinze jours au
moins, et qu’en ce qui touche le linge de maison, draps, serviettes,
nappes, torchons, tabliers, il faut avoir fait un _ballot d’arrivée_
comprenant tout ce qui, en ce genre, sera indispensable à la famille dès
le premier jour et pour une semaine au moins.

Grâce au chiffre, il sera facile de faire transporter ce ballot dans un
endroit où on puisse l’ouvrir sans inconvénient.

Les mêmes soins de surveillance qu’au départ s’imposent à l’arrivée, si
l’on veut éviter les vols et les erreurs dans le transport des meubles
et colis; il faut presque une personne dans chaque pièce, car les
déménageurs ahuris ne savent où donner de la tête en pareil cas.

                   *       *       *       *       *

Je n’ai que quelques mots à dire du déménagement à Paris pour Paris. Si
par certains côtés, surveillance, précaution, etc., il rentre dans le
cadre de cette étude, par d’autres, il lui échappe complètement, car il
est soumis à des nécessités d’ordre spécial.

La première est la célérité, et l’on est bien forcé d’en passer par
toutes les exigences des déménageurs et de leur laisser emporter les
objets quand et comme ils veulent.

Il n’y a pas lieu à emballage en caisse, sauf pour ce qui est très
précieux; point de ballots non plus, puisque le va-et-vient des paniers
qu’on emporte pleins et qu’on rapporte vides suffit à tout. Le
déménageur fournit tout le matériel d’emballage et en débarrasse
l’appartement. Beaucoup de choses d’ailleurs peuvent être portées à bras
et mises en place immédiatement. Assurément les risques sont nombreux,
mais il est bien difficile de les diminuer, car la direction des
mouvements appartient au chef _déménageur_.

                   *       *       *       *       *

Comme type de petit déménagement nous prendrons celui où on quitte sa
«maison de ville» pour sa «maison des champs»; l’installation aux bains
de mer, dans une maison meublée, n’en différant que par des points de
détail sans importance. On n’a guère à transporter que ses effets
personnels et ceux de toute la famille, et parfois une provision de
linge de table et de maison.

En effet, on trouve vaisselle et batterie de cuisine sur place, et
généralement le mobilier, literie, etc.

Quelques jours avant celui fixé pour la venue de la famille, la
maîtresse de la maison ira s’assurer du bon état de la demeure et de ce
qu’elle contient, faire ouvrir les fenêtres, laver les planchers,
ramoner les cheminées, ventiler, épousseter, assainir par tous les
moyens possibles l’habitation que de longs mois d’hiver ont pu rendre
humide ou insalubre.

Si l’on est au printemps, il faut allumer un grand feu clair dans les
cheminées, avoir soin de le surveiller, crainte d’incendie.

Il faut assurer pour le jour de l’arrivée en masse un approvisionnement
aussi complet qu’il se pourra: bois de chauffage, fagots, charbon de
terre--si l’on a un fourneau économique,--charbon de bois pour le
potager, pommes de terre, etc., et retenir d’avance, dans une ferme du
voisinage, beurre, lait, œufs.

Avant de quitter la maison, on constate _de visu_ que tous les feux sont
éteints, les fenêtres fermées, et que l’on n’a enfermé aucun animal
domestique, chien ou chat, dans l’intérieur.

Revenue chez elle, la maîtresse de maison--dans la semaine qui précède
le départ définitif--procède à un rangement complet de ses armoires,
prend toutes les mesures nécessaires pour sauver des mites les fourrures
et les objets de laine, préserver de la poussière les chapeaux, les
vêtements, etc., enfin ne rien laisser traîner en son absence.

Quand toute cette besogne, fatigante et minutieuse, il faut l’avouer,
est terminée, on peut s’occuper des caisses et paquets.

On a inscrit à l’avance, sur un carnet, tout ce qui doit y entrer, non
pêle-mêle, mais sous diverses rubriques, une par page de carnet, pour
plus de netteté.

--Linge de table et de maison, draps, couvertures.

--Pour Monsieur, linge, vêtements, chaussures.

--Pour Madame, _idem_, _idem_.

--Pour les enfants, _idem_, _idem_.

--Livres, cahiers, musique, album, accessoires pour travaux d’art.

--Pharmacie, suit le détail.

--Provisions, _idem_.

--Ustensiles de cuisine.

--Vaisselle, lampes, bougeoirs, etc.

Le jour consacré à l’emballage, on ferme sa porte, autant que possible,
on fait choix d’une pièce vaste, salle à manger ou vestibule, on fait
étendre par terre de vieux tapis et apporter les malles, caisses,
récipients, qu’on va utiliser.

Je prie mes lectrices de se reporter à ce qui précède pour la question
d’emballage; seulement, pour ce genre de voyage, qui s’effectue en
général vite et facilement, les paniers peuvent très bien remplacer les
caisses, trop lourdes généralement. Il en existe de toutes sortes,
depuis le beau panier à linge en aloès jusqu’au rustique panier à vins.

                   *       *       *       *       *

Après avoir parlé longuement de tout ce qu’on emporte, il nous faut,
avant de quitter le sujet, parler aussi de ce qu’on laisse.

Quand on déménage en grand et pour tout à fait, on ne laisse que de la
poussière, des bouts de bois, des bouts de chiffons, des bouts de
papiers, des cartons défoncés, etc.

Il est de tradition, sinon écrite dans le bail, du moins adoptée en tous
pays, que le local doit être remis au propriétaire dans un état de
propreté complète.

Comme on ne peut surveiller par soi-même les opérations nécessaires pour
arriver à ce résultat, on en charge une personne de confiance, homme ou
femme de journée, et l’on prie quelque ami dévoué habitant le pays de
s’assurer que les choses ont été bien faites et de régler la dépense.

Quand on s’absente pour un temps restreint, en voyage ou en
villégiature, la question est beaucoup plus compliquée, car il faut
pourvoir à la sécurité et à la conservation de ce que contient le logis.

Parlons d’abord de ces «biens de fortune» pour lesquels un si petit
volume représente une si grosse valeur.

Les opinions sont très partagées sur ce sujet. Les uns laissent tout
chez eux: titres, papiers de famille, diamants, bijoux, argenterie;
d’autres emportent tout avec eux-mêmes.

Je sais des jeunes femmes qui, en voyage, sont constellées de diamants,
sous prétexte qu’il est plus sûr de les promener ainsi que de les
exposer au risque d’être cambriolés.

D’autres encore portent dans un sac ou dans une valise tous ou presque
tous leurs objets précieux, mais gare aux distractions ou aux
pick-pocket!

Une vieille demoiselle sauva ainsi toute sa petite fortune, il y a une
quarantaine d’années.

Un chaud dimanche de juin, au soir, un bec de gaz mit le feu à un
étalage de lingerie dans les magasins du Grand-Condé, au coin de la rue
de Seine et de l’École-de-Médecine. En quelques minutes tout flambait!
Il n’y avait à cette époque-là ni les avertisseurs électriques ni les
pompes à vapeur. Le service d’eau de la ville, imparfaitement organisé,
fonctionnait mal, les secours furent très longs à se produire
efficacement; en moins d’une demi-heure, les bâtiments ne formaient plus
qu’une masse de feu, et la chaleur était si terrible que, dans les deux
rues, les maisons d’en face commencèrent à brûler.

Beaucoup de leurs habitants, passant leur journée à la campagne, avaient
commis l’insigne imprudence de laisser leurs croisées ouvertes; les
flammèches, les morceaux d’étoffes embrasées emportées par le vent,
entrèrent par là, et plus d’une famille revenant chez elle après une
bonne journée de plaisir dut, le désespoir au cœur, s’arrêter devant le
terrible spectacle d’un incendie impossible à braver.

La demoiselle en question avait, dit-on, l’innocente manie de ne jamais
faire une absence un peu prolongée sans porter sur elle, dans de vastes
poches cachées sous ses jupes, ses titres de rentes, ses petits bijoux
et souvenirs précieux. Elle n’eut à déplorer que la perte de son
mobilier, couverte en partie par les assurances.

Je ne la cite point d’ailleurs comme un exemple à suivre.

Il y a maintenant à Paris et dans toutes les grandes villes des maisons
de banque où on peut en toute sécurité déposer ses valeurs, même
artistiques. Pour une somme relativement minime, on loue à _tant_ par
mois des coffres-forts de toutes dimensions, où tout ce que l’on possède
de précieux peut reposer à l’abri du feu, des voleurs et de l’eau. C’est
une si grande sécurité qu’il n’y a point à hésiter, selon moi.

Il va sans dire que le chef de la famille, ou sa femme à son défaut,
doivent présider eux-mêmes à la mise en place. Ce n’est pas là un genre
de mission qu’on puisse confier à des tiers.

Si, dans l’endroit qu’on habite et que l’on va quitter momentanément, il
ne se trouve pas de facilités de ce genre, on peut avoir recours à des
parents ou amis sédentaires qui consentent à se charger de vos trésors.

Je ne saurais trop insister sur ce point, que, quel que soit le degré
d’intimité ou de parenté qui vous lie à la personne qui veut bien
recevoir un tel dépôt, il est de son intérêt comme du vôtre que toutes
précautions soient prises pour mettre à couvert les responsabilités.

Notre intérieur a bien des fois rendu ce genre de service; j’ai toujours
_exigé_ que titres et papiers de famille me fussent remis enveloppés
d’une toile _cousue_, _scellée_ du cachet du dépositaire, et les bijoux
et argenterie dans une boîte en bois entourée d’une cordelette scellée
de même. Il n’y a pas là un témoignage de défiance outrageante pour l’un
ou pour l’autre, mais un acte de haute prudence, propre à conserver les
liens d’amitié dans toute leur intégrité.

Telle est en effet l’incertitude des choses humaines qu’on ne peut
répondre de sa santé, de sa vie, de celle de ses proches. Et puis une
espièglerie d’enfant, une curiosité de serviteur, un malentendu
d’employé, ne peuvent-ils pas amener les plus déplorables complications?

«J’ai reçu un paquet scellé, je vous le rends avec les sceaux intacts»,
voilà en quelques mots le code du déposant et du dépositaire.

Quand on doit être hors de chez soi pendant un assez long temps, il est
nécessaire de prendre toute une série de précautions pour défendre son
mobilier et ses effets contre la poussière.

Il va sans dire que la première est un nettoyage complet. Quand il est
terminé, on couvre les meubles de leurs housses, les lustres, appliques,
candélabres, de leurs enveloppes en gaze imperméable, on range dans une
armoire tous les bibelots qui garnissent les tables, consoles, etc., les
albums, les collections de gravures. On jette sur les meubles fins qui
n’ont pas de housses spéciales de vieux rideaux ou des voiles de percale
_ad hoc_; on voile de même les bustes, les statuettes, les potiches et
les objets trop volumineux pour être mis dans les armoires.

Il y a des intérieurs où l’on enlève les rideaux, portières, tentures en
soie brochée, en étoffes précieuses, et après les avoir bien secoués,
passés à la brosse douce et étirés, on les met en ballots.

Cette pratique, qui a l’inconvénient de défaire des drapages parfois
fort compliqués, ne me paraît pas utile dans un appartement où, les
volets et les châssis de fenêtres fermant bien, on n’a pas à craindre
l’invasion du soleil et de la poussière.

Dans le cabinet de travail, tous les paquets, livres, etc., devront être
remis dans les cartons et les bibliothèques.

Dans les chambres à coucher, les lits défaits à fond, les couvertures
repliées, tout le linge de couchage, de toilette, mis en paquets pour le
blanchisseur, les eaux de toilette vidées, les placards mis en ordre et
fermés à clé.

Dans la salle à manger et la cuisine, mêmes précautions en ce qui
concerne le linge de table et d’office.

Il y a de plus à s’assurer que, dans les armoires, il ne reste ni
viandes, ni graisses, ni fromage, ni fruits, ni substance d’aucune sorte
susceptible de s’altérer et d’empester à fond tout un buffet.

Une maîtresse de maison entendue qui prévoit un départ s’arrange de
façon à avoir un approvisionnement très restreint. Quant aux menus
restes, réunis dans un panier, ils font la joie de quelque pauvre ménage
des _clients_ de la famille. Rappelons qu’il faut avoir grand soin de ne
pas enfermer par mégarde quelque animal domestique, voué ainsi par
l’incurie de ses maîtres à succomber dans les tortures de la rage ou à
périr d’asphyxie au fond d’un tiroir.

Enfin il faut faire la visite du fourneau de la cuisine pour vérifier
s’il est complètement éteint, inspecter le compteur à gaz et tous les
robinets des becs--ceci est très important,--car un seul robinet laissé
ouvert peut amener une terrible explosion ou au moins causer de graves
dommages aux dorures, aux tableaux, aux tentures, sans compter la note
de la compagnie du gaz! (Voir _Le Tour du Monde en quatre-vingts
jours_.)

Toutes les clés doivent être réunies dans une boîte ou un tiroir sous
_une seule_ qu’emporte le maître de la maison.

«Monsieur» reste le dernier à bord, comme un capitaine de vaisseau; il
sort après un dernier coup d’œil jeté dans toutes les pièces.--Tout est
clos, silencieux, obscur,--on n’a rien oublié, ni malle, ni valise, ni
colis «à la main». Maîtres, enfants, serviteurs, sont sur le palier ou
dans la cour, la clé grince dans la serrure, un, deux tours d’une main
ferme. _All is right!_ On peut partir! Ouf!

Il y a là de quoi perdre la tête, vont dire mes lectrices. Il est
au-dessus des forces humaines de penser à tant de choses, toutes à la
fois, pour ainsi dire. Le don d’ubiquité ne suffirait pas pour mener à
bien une telle entreprise. Il faudrait être à quatre, six, dix endroits
en même temps!

D’abord, répondrai-je, on peut être aidée par son mari, par ses enfants,
s’ils ont l’âge de raison, par des parents, des serviteurs, quoique le
proverbe: «Ne t’attends qu’à toi seul» ait plus que jamais sa raison
d’être en pareil cas. Ensuite on échelonne les besognes. Les
arrangements de mobilier, certaines fermetures d’armoires, peuvent être
faits quelques jours à l’avance.

Enfin, pour le jour du départ, on simplifie l’existence autant que
possible en faisant peu ou point de cuisine. Dès la veille, on a fait
préparer des pièces de résistance, rôti, volailles, pâtés, terrines de
viandes en gelées, etc., dont les reliefs seront fort utiles pour
l’arrivée à la campagne.

Dans les villes, on trouve en cinq minutes les éléments d’un ou
plusieurs repas chez le marchand de comestibles. Enfin, c’est,
par-dessus tout, affaire d’entraînement.

Une maîtresse de maison active et entendue a une telle habitude de
_direction pratique_ que, sous son coup d’œil et son coup de main, les
choses semblent se faire d’elles-mêmes.

Qu’on me permette une comparaison:

Voici une très bonne musicienne: on lui apporte un morceau de musique de
chant savant et compliqué.

Elle se met au piano, elle lit à première vue et ensemble: 1º la ligne
du chant; 2º la ligne des paroles; 3º le dessus de l’accompagnement; 4º
la basse; ces deux lignes-ci, comprenant parfois des accords de trois ou
quatre notes. Pendant qu’elle lit, sa main droite et sa main gauche
vont, comme d’instinct, chercher les touches qui répondent à sa lecture,
chaque doigt se lève ou s’abaisse à son rang et en passant par des
difficultés spéciales, quant au doigté, et ce prodigieux travail mental
et physique s’accomplit avec une aisance apparente, réelle même si
l’artiste est très forte.

A le bien analyser, à se rendre compte des efforts multiples, simultanés
et variés qu’il réclame, il semble lui aussi au-dessus des forces
humaines, et cependant que de personnes s’y livrent journellement! Il en
est de même de certains jours de labeur pour les maîtresses de maison.
Elles cumulent tous les emplois, se montrent partout à la fois, savent
tout voir, tout entendre, tout vérifier, n’oublient rien, ne négligent
rien, et sont payées de leurs peines par le bon ordre du petit univers
soumis à leurs lois.

Faut-il les plaindre? Non! vraiment non!

C’est une grande joie que de se sentir capable de beaucoup faire pour le
bonheur des siens, et de se rendre le témoignage qu’on a donné de soi,
de ses forces vives, tout ce qu’on pouvait donner... Mais j’en conviens,
c’est au prix de beaucoup de fatigues, et quand tout son monde est
couché, que la maison est tranquille et silencieuse, il est bien
excusable de se laisser tomber dans un fauteuil en s’écriant: «Quelle
journée! Je n’en puis plus!»




CHAPITRE VII

Les réceptions.


«Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le
temps qu’il est sous notre toit», dit Brillat-Savarin.

En ces quelques mots, si heureusement choisis, se résume tout l’art de
«recevoir».

Quels que soient le pays, les usages, les modes, les conditions de
temps, de lieu, de fortune même, nous devons à nos hôtes toute la somme
de satisfactions que nous sommes en mesure de leur procurer, et, si tel
est le devoir d’hospitalité envers l’hôte de passage, combien n’est-il
pas plus impérieux envers l’hôte convié!

En l’invitant à venir s’asseoir à votre table, ou partager vos plaisirs,
vous êtes en somme engagé d’honneur à le dédommager de la peine qu’il a
prise pour se rendre chez vous, de la violence qu’il a faite à ses
habitudes, si, casanier de mœurs, il met le «sweet home» au-dessus de
tout, ou si, au contraire, lancé dans le tourbillon mondain, il a dû,
pour faire honneur à votre invitation, en refuser une autre plus
séduisante.

Et puis, un amour-propre, bien placé dans ce cas, commande que l’on
reste fidèle aux bonnes traditions de famille, que l’on maintienne cette
noble et belle réputation d’avoir «une maison où l’on reçoit bien».

Enfin, les relations de parenté, d’amitié, d’affaires, de service,
profitent largement de ces réunions où chacun apporte sa part de bonne
volonté, de bonne humeur et d’agrément.

Nous allons donc traiter ce chapitre intéressant des _réceptions_; mais,
avant de l’entamer, je dois prier mes lectrices de n’y chercher ni
indications de détails, ni recettes, ni menus, ni rien qui procède du
convenu, du passager, du fantaisiste de la mode. Les journaux, les
manuels, voire même les almanachs! les renseignent suffisamment sur tous
ces points; nous ne traiterons ici que des principes généraux et de leur
application pratique, en laissant de côté tout ce qui est renseignement
spécial.


DINERS

Dans le célèbre _Livre des Snobs_ de Thackeray, il y a un chapitre
intitulé: _The dining snobs_.

Ce chapitre est d’un bout à l’autre une amère critique de ces dîners
d’apparat où, pour répondre aux habitudes vaniteuses chères à tout vrai
Anglais, on se livre à une dépense fort au-dessus de ses moyens, quitte
à faire vivre ensuite de privations soi et les siens afin de combler le
déficit.

Le charlatanisme d’un décor pompeux qui ne fait illusion à personne, la
maladresse des efforts entrepris pour singer les habitudes des gens
riches, sont cruellement mis à jour par l’auteur, et non sans raison,
nous semble-t-il.

En France, les mœurs, moins fastueuses, ne méritent pas les mêmes
reproches, mais,--surtout à Paris, prétendent les mauvaises langues de
province,--le côté confortable et gastronomique des repas de gala est
parfois un peu trop sacrifié: soit désir de faire de l’effet, «des
embarras», disent les grincheux, soit nécessité d’économie, l’on a plus
de fleurs que de ragoûts et plus de verres que de vin à y verser; si la
corbeille du milieu est remplie d’orchidées, l’intérieur de la poularde
est à peu près vide de truffes; les services à hors-d’œuvre sont en
argent (ou en ruolz) artistement ciselés, mais les tranches de foie gras
sont de la taille d’une pièce de deux francs, et si espacées sur le plat
que l’on craint de faire un «vide» en se servant, même discrètement.

Certes, la profusion campagnarde, les menus trop chargés, les rôtis trop
gros, les parts trop copieuses, sont désagréables à la vue, au goût et à
l’estomac, mais, après tout, quand on vous invite à dîner, on vous
invite à manger de bonnes choses en quantité suffisante et en bonne
compagnie, et ces trois points sont nécessaires, indispensables, à ce
bonheur du convié dont Brillat-Savarin déclare _ex cathedra_ que vous
êtes chargé par le seul fait de votre invitation.

Conclusion: Si votre fortune vous permet de donner à dîner _bien_ et
_souvent_ à vos amis, rien de mieux! accordez-vous les joies de la belle
et large hospitalité.

Si vos moyens sont plus restreints, ne donnez qu’un ou deux, ou trois
dîners par saison, mais que chacun d’eux soit parfait en son genre et
que l’économie ne porte que sur les choses de vanité, d’ostentation,
jamais sur ce qui diminuerait la satisfaction de vos hôtes.

Si, enfin, vous n’avez qu’une modeste aisance, suffisant à assurer
seulement le petit bien-être journalier de la famille, renoncez
absolument aux «grands dîners».

Certes, je ne veux pas dire qu’il faut vous refuser l’honnête et vif
plaisir de faire asseoir à votre table de bons amis, en petit nombre, à
qui vous offrirez de bon cœur et sans arrière-pensée au sujet de la
«douloureuse» ce que vous aurez pu trouver de mieux dans les limites de
votre budget: du poisson frais avec une sauce irréprochable, un rôti
généreux, cuit juste à point, des légumes fins, un entremets délicat
assez copieux pour que les gourmandes puissent y revenir, du Barsac
authentique, du Bordeaux _idem_, et un vin de dessert qui n’a pas été
pris chez l’épicier.

Tout cela n’est pas bon marché, me dira-t-on, et, avec le prix d’un
_petit dîner_ comme celui-là, «en sachant s’y prendre» (oh! la terrible
phrase!), on peut en donner presque un _grand_, recevoir plus de monde,
rendre plus de politesses, etc. Et alors, la maîtresse de maison qui
«sait s’y prendre» court les marchés et les boutiques pour avoir la
truite saumonée qui n’est pas de la première jeunesse, ni de la seconde!
des riz-de-veau de la veille sur lesquels le boucher fait un petit
sacrifice, du faisan de l’avant-veille (on sait bien que le gibier
supporte les délais), un entremets économique, des fruits qu’on loue,
des pâtisseries _idem_, du Saint-Émilion à 1 fr. 75 la bouteille et du
Champagne--on ne peut se passer de Champagne dans un «grand dîner»--à 2
fr. 50.

On recommande au serveur de ne pas faire les parts trop grosses, de ne
pas trop remplir les verres, de ne pas entamer «les secondes
bouteilles»; on frémit quand un convive, par un geste significatif,
annonce l’intention de vider l’_amphore_, ou prend deux parts de
volaille au lieu d’une.

Et ce malaise est senti par les conviés et la gaîté semble de commande
et l’entrain est factice, et, en sortant, plus d’un invité dira ou
pensera, suivant qu’il est seul ou accompagné:

«Ces pauvres X..., ils se sont mis en frais, se sont gênés, et nous ont
dérangés pour nous donner un repas détestable; j’aurais mieux dîné chez
moi.»

Nous allons voir comment on peut éviter un si fâcheux résultat pour tant
de peines et de frais.

Tout d’abord, il ne faut pas inviter plus de monde qu’il n’en peut tenir
à l’aise dans la salle à manger. Le vieil adage: _Quand il y en a pour
quatre il y en a pour six_, n’est pas plus vrai en fait d’espace qu’en
fait de bonne chère, et le «on se serre entre amis» n’amène que des
désagréments.

Écoutez Boileau:

    On s’assied, mais d’abord notre troupe serrée
    Tenait à peine autour d’une table carrée,
    Où chacun malgré soi, l’un sur l’autre porté,
    Faisait un tour à gauche et mangeait de côté.

C’est là le comble de l’inconfortable, assurément. On comptera donc pour
chaque convive au moins 60 centimètres, mesure prise au bord de la
table, 70 est encore mieux.

Faites deux séries si vous avez plus de monde à recevoir. Je prévois
l’objection: c’est doubler les frais. Sans doute, mais, je le répète,
mieux vaut cent fois s’abstenir que de mal faire les choses.

Cependant, il y a des cas dans la vie de famille ou dans la vie
officielle où l’on est forcé de donner un _grand_ repas. Alors, on
s’arrange comme on peut, en lui sacrifiant une grande pièce, chambre ou
salon par exemple, mais c’est là une exception et nous n’avons point à
nous en occuper. La règle reste immuable: 60 centimètres par convive,
et, derrière les chaises, la place de circuler pour le service.

«Le nombre des convives d’un dîner d’agrément, a dit Mme de Genlis, ne
doit pas être inférieur à celui des Grâces, ni supérieur à celui des
Muses.»

Ce dernier chiffre me semble un peu restreint; un dîner de dix, douze
invités, peut encore être animé et délicat; néanmoins douze c’est déjà
beaucoup, la conversation générale est plus difficile, soit parce que la
table est forcément très allongée et éloigne les convives des deux
bouts, soit parce qu’il est rare de pouvoir réunir douze personnes
également aimables, spirituelles et se convenant de tous points.

Sous le rapport matériel aussi, il y a inconvénient à être trop
nombreux, les petits plats fins, joie des dilettanti, sont impossibles,
la cuisine est moins soignée, le service plus long; l’attente, qui
enlève tant de saveur à certaines préparations culinaires, de style
raffiné, est inévitable. Passé douze, menu, service et conversations
sont voués à la banalité.

Pour le dîner «d’agrément» tel que nous le comprenons, il faut bravement
viser à la perfection, et ne rien négliger pour y atteindre. Ce n’est
pas le nombre des plats, ni leur prix élevé, ni le luxe de la table, qui
rempliront ce _désideratum_, mais le soin le plus éclairé et le plus
minutieux apporté à tous les détails.

Le menu ne doit comporter ni trop de mets, ce serait campagnard, ni trop
peu, ce serait mesquin. Ces mets seront fins, succulents, mais non d’une
recherche allant jusqu’à la bizarrerie. Ce serait mal traiter ses
convives que de mettre à l’épreuve leur appétit et leur estomac. Enfin,
ils doivent être présentés dans un ordre judicieux, ne point trop se
ressembler, se faire valoir les uns les autres, si bien que le repas
forme un ensemble harmonieux et varié à la fois.

Exemple: N’ayez point deux entrées de poisson ou entrées et rôtis de
viande de boucherie ou deux ragoûts au blanc, etc. Un menu bien compris
devra présenter: poisson, viande, volaille ou gibier, suivant la saison.

Comme il y a des robes plus habillées les unes que les autres, de sorte
que l’on ne met point la même toilette pour aller au bain et faire des
visites, de même il y a des plats plus ou moins haut cotés.

La distinction entre eux est tout arbitraire, je ne chercherai point à
l’expliquer, je me borne à la constater.

Les _rôtis_ de viande de boucherie, carré de veau, gigot, même le filet,
ne se servent qu’en petits dîners intimes.

Dès qu’il y a un peu de cérémonie, le rôti doit être une volaille ou une
pièce de gibier fin.

Le civet, le navarin, l’épaule de mouton, le foie de veau, etc., ne
doivent pas figurer dans un dîner _prié_.

Enfin certains mets tels que les côtelettes grillées, les biftecks, les
poissons frits, les huîtres, les œufs sous toutes les formes, sont des
plats _de déjeuner_.

Pour le poisson et les œufs, il y a, bien entendu, une exception à cette
règle en faveur des jours maigres. Il me paraît inutile d’entrer ici
dans des indications plus détaillées. En consultant ces longues séries
de menus que donnent les agendas des grandes maisons de nouveautés, les
journaux, etc., mes lectrices se mettront facilement au courant des
usages sur ce point. Il est bien entendu, d’ailleurs, que, fidèle au
titre de cet article, je ne parle ici que des _dîners-réceptions_.

Pour suivre le précepte de Brillat-Savarin, et chercher, avant tout, le
bonheur de l’hôte convié, il faut établir son menu selon l’âge et les
goûts de ses convives. Pour les jeunes, les valides, il faut une chère
abondante et généreuse;--pour les femmes, les gens âgés: les ragoûts
fins, les morceaux délicats, les entremets soignés;--pour un dîner
d’hommes: les sauces relevées, le gibier noir, les viandes saignantes,
les hors-d’œuvre de haut goût. Si l’on a hommes et femmes, le menu sera
mixte pour que chacun y trouve à contenter son penchant.

Que votre menu soit, pour le nombre des plats et leur dimension,
proportionné au nombre des convives. Ce précepte semble être tiré des
œuvres attribuées à M. de la Palisse; il n’est pourtant pas si naïf
qu’il a l’air de l’être. J’ajouterai pour le compléter que ce n’est pas
seulement le nombre des convives qu’il faut considérer, mais leur âge et
leurs appétits. Pour des gens jeunes et bien portants, il faut augmenter
d’un plat de résistance, au moins, le menu qui aurait suffi à des
personnes âgées ou délicates.

Au-dessous de neuf, le menu peut s’établir ainsi: Potage, relevé, une
entrée,--rôti et salade--légumes--entremets sucré, dessert.

Au-dessus de ce chiffre, il faut, après le relevé, deux entrées ou bien
un grand hors-d’œuvre froid après le rôti.

Dès qu’on dépasse douze, il faut un relevé, quatre entrées, deux grands
hors-d’œuvre froids, car il ne suffit pas de faire les plats plus gros
parce qu’on est nombreux, il faut aussi qu’il y en ait davantage.

La salade simple ne compte pas comme un plat, mais elle est
indispensable pour accompagner le rôti. La salade russe est un
hors-d’œuvre froid.

Pour celles de mes lectrices qui ne seraient pas encore initiées au beau
langage culinaire, je vais entrer ici dans quelques détails qui leur
seront utiles, et les intéresseront, je l’espère.

On appelait autrefois _hors-d’œuvre chauds_ les vol-au-vent, pâtés
chauds, timbales, salpicons, etc., tous ces délicieux ragoûts, gloire de
la cuisine française, qu’on servait avant les entrées; et, par
antithèse, _hors-d’œuvre froids_, les langoustes, buissons d’écrevisses,
jambons d’York, terrines de foie gras, pâtés fins d’Amiens, de
Strasbourg, aspics divers, etc., qui, après le rôti, donnent à l’appétit
déjà blasé un dernier coup d’éperon et le conduisent jusqu’aux molles
délices de l’entremets sucré et du dessert.

Le _relevé_ est le plat qu’on sert immédiatement après le potage. C’est
ou un beau poisson avec sauce chaude ou un hors-d’œuvre chaud, comme il
est dit plus haut. En été, le melon est un relevé de rigueur.

Les _entrées_ sont les viandes, les volailles, le poisson, accommodés en
ragoût.

Ex.: Filet de bœuf sauce madère, poulet à la reine, filets de sole sauce
tartare, etc.

Le _rôti_ est une belle pièce de choix, volaille ou gibier, qui se sert
sans «garniture», accompagné d’une sauce, offerte en dehors dans la
saucière.

Une salade fine doit toujours l’accompagner.

De nos jours, on a réservé le nom de _hors-d’œuvre froids_ à ces menues
gourmandises que l’on offre au début du repas, radis, beurre frais,
anchois, saucisson d’Arles ou de Lyon, olives, etc. Ils figuraient sur
la table autrefois; ils sont maintenant présentés sur des plateaux.
L’usage en est un peu passé, avec raison à mon avis, pour les dîners de
gala.

Au déjeuner, au contraire, ils font très bien et amusent l’appétit en
attendant les plats de résistance.

On désigne parfois par le nom de _bouts de table_ (c’est la place qu’ils
occupent dans le service à la française) ces mets exquis, triomphe de
notre pays: le pâté de foie gras, le buisson d’écrevisses, la langouste,
le jambon glacé, le modeste et succulent jambonneau.

L’expression: _entremets de légumes_ n’a pas besoin d’être expliquée,
celle _d’entremets_ sucré non plus. Disons seulement à ce propos que
l’entremets sucré n’est point une pâtisserie, mais une œuvre complexe
où, suivant le cas, les fruits cuits, les gelées, les crèmes, font
l’objet de savantes combinaisons. Une tourte aux fruits, un moka, une
marquise, sont des entremets sucrés. La pâtisserie y entre sans doute,
mais n’y est que l’accessoire.

La brioche, la galette, sans être des entremets sucrés, se servent pour
accompagner ceux-ci quand il n’entre point de pâtisserie dans leur
composition, comme par exemple le bavarois, les macédoines de fruits,
etc.

La bombe glacée servie _seule_ fait partie du dessert; on doit toujours
offrir en sa compagnie de fines pâtisseries sèches, oublies, gauffres
roulées, cornets pralinés, etc.

La crème fouettée ne peut être servie au dessert qu’en petit comité; dès
qu’on est un peu en cérémonie, elle est garnie de biscuits ou de
meringue et devient entremets sous le nom de vacherin, charlotte russe,
etc.

Les crèmes (en petits pots) sont depuis longtemps réservées aux dîners
de famille, chez les grands-parents, pour le bonheur des bébés.

Nos aïeules, qui avaient à l’endroit des dîners tout un code de
prescriptions auquel on ne pouvait manquer sans forfaire à la bonne
réputation de la maison, disaient, entre autres axiomes, «qu’au dessert,
quel que fût le nombre des invités, celui des assiettes de friandises
devait lui être égal ou supérieur d’une unité, mais toujours impair».

Avec le service moderne, il serait difficile de suivre à la lettre ce
précepte, il faut en retenir ce qu’il a de bon, c’est-à-dire la
conviction qu’un dessert mesquin déshonore un beau dîner.

Donc, point de lésinerie sur le dessert, qui est la parure, la fleur du
repas.

Ayez de beaux fruits pour les corbeilles, des petits fours et des
bonbons fins pour les assiettes. Surtout n’allez pas déparer un bel
ensemble par l’introduction de biscuits anglais, de gauffrettes et
autres produits économiques.

Il y a des maîtresses de maison qui ont la manie de vouloir «se
rattraper». Pour contenter leur gloriole en offrant quelque timbale ou
quelque aspic prétentieux signé d’un nom illustre qu’elles ont payé fort
cher, elles rognent ici ou là sur le nombre ou la qualité des plats.
Elles croient avoir ébloui leurs hôtes, elles n’ont fait que mettre en
évidence une puérile vanité.

Dans une «maison bien tenue» on ne fait point de ces choses-là; tout est
égal, tout est parfait dans son genre. Si leur budget ne leur permet
point de consacrer une somme très forte au plaisir de recevoir leurs
amis, des maîtres de maison vraiment et noblement hospitaliers
répartissent celle dont ils disposent de façon à ce que «tout soit
bien».

J’aime cette vieille locution qui, dans ses trois petits mots, enferme
un si grand sens pratique. Il y a encore en France, je suis heureuse de
le penser, de nombreux intérieurs où elle est la règle de la famille, où
ameublement, table, toilette, service, «tout est bien».

Et que l’on ne s’imagine pas qu’une grande fortune est nécessaire pour
qu’il en soit ainsi; l’intérieur le plus modeste peut, sous la direction
d’une femme intelligente et capable, offrir une somme de raffinement
inconnue parfois aux plus riches demeures.

Cette petite digression m’a entraînée un peu loin de la question des
menus; j’y reviens pour quelques détails encore.

Pour les desserts de cérémonie, les fruits _secs_ ne sont point de mise,
non plus que certaines compotes, celles de pommes, de pruneaux, etc.;
les confitures même sont réservées pour la table de famille, on les
remplace par les fruits en conserves, aussi bons au goût qu’agréables à
la vue.

Les fruits frais doivent être d’espèce fine et d’aspect irréprochable.

Il y a des fromages qui ne sont pas «de cérémonie». Tous ceux à odeur
prononcée doivent être bannis, cela se comprend.

Pour la question des vins et liqueurs, je ne puis que répéter ce que
j’ai dit à propos de tout le reste, il faut les avoir de première
qualité. Je n’entends point par là qu’on soit rigoureusement tenu
d’offrir à ses invités des hauts crus à 20 et 50 francs la bouteille;
mais quand on a des fournisseurs sûrs (j’insiste sur ce point, car il en
est peu où l’on soit plus exposé à être trompé ou volé), on peut, soit
qu’on possède une cave bien montée, soit que faute d’emplacement on
doive se fournir au détail, pour les vins d’extra, s’assurer dans les
prix raisonnables de vrais bons vins.

J’emprunte à Brillat-Savarin le précepte qui suit quant au choix à
faire:

«L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.

«L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux
plus parfumées.»

Après le potage, on servira les vins de Madère, Xérès, Porto, etc. Avec
les entrées, les grands vins de Bordeaux blancs et rouges; ensuite les
vins de Bourgogne de hauts crus. Au dessert, les vins sucrés, champagne,
etc.

Cette nomenclature ne convient qu’au cas de «grands dîners».

Il est de mauvais goût d’offrir trop de vins dans un repas d’amis. Une
bouteille de vin sec pour le relevé, une bouteille de très bon vin blanc
de Bordeaux, une de rouge _id._, et un vin de dessert suffisent
amplement pour un couvert de six à dix personnes... à Paris!

Enfin la sorte des convives doit aussi influer sur le choix. Pour les
dames, il faut peu ou point de vins forts; au dessert des vins sucrés:
moscatelle, grenache, malaga, etc.

Pour les messieurs, il faut au contraire appuyer sur les vins secs et
généreux.

Comme «ordinaire», pour les carafes, on emploiera vin rouge et vin
blanc, beaucoup de personnes ayant l’habitude de cette dernière boisson.
La bière et le cidre n’ont pas encore conquis droit de cité sur nos
tables pour les repas de cérémonie.

Entre amis, il n’en est pas de même. Je me souviens à ce sujet d’une
charmante preuve d’hospitalité. C’était chez un de nos avocats les plus
célèbres dont le cœur et le talent sont de niveau, c’est-à-dire très
haut placés. Le repas de famille du dimanche soir avait réuni une
douzaine d’hôtes autour de la grande table, et, devant chaque place, une
élégante petite cruche de cristal laissait voir les teintes pourpres ou
ambrées du contenu.

«C’est, me dit notre hôte avec son bon sourire, que je veux que chacun
ait sous la main sa boisson préférée: vin blanc ou rouge, bière, cidre,
eau pure même, il y en a pour tous les goûts.»

Je conviens que pour un dîner de cérémonie cet éclectisme nuit au
décorum, mais, pour les dîners entre amis, n’a-t-il pas un charme tout
hospitalier?

Pour terminer, disons quelques mots du pain. Tout le monde sait qu’il ne
figure que sous la forme de _petits_ pains frais à croûte dorée. J’ai
souligné petits parce qu’il est ultra-incorrect d’employer un pain de
taille moyenne, soit entier, soit coupé en deux.

Il y a de gros mangeurs auxquels ne suffit pas le petit pain placé au
début sur l’assiette de chaque convive. Quand ils réclameront un
supplément, on leur présentera, sur une assiette, un second pain pareil
au premier. On aura donc soin, en faisant la commande au boulanger, de
prendre plus de pains qu’il n’y a de convives.

Le café est servi au salon, je l’ai déjà dit ailleurs. Je lisais, il y a
quelque temps, que l’on cherchait à faire renaître l’usage campagnard de
le servir sur la table du dîner, tout de suite après le dessert. Je ne
puis le croire, et j’élève une protestation indignée contre ce retour à
la barbarie.

Comment! quand le repas est fini, vous obligez les convives à rester
dans une atmosphère surchargée d’odeurs de victuailles? Vous retardez
l’instant où, délivré de la station sur une chaise encastrée entre deux
autres, on va pouvoir respirer, remuer, changer de voisins et de
voisines?... Vous supprimez ce joli petit ménage des plateaux chargés de
porcelaines fines, de cristaux étincelants, ce gracieux va-et-vient des
jeunes femmes offrant une tasse pleine de l’odorant breuvage, un verre
menu où rit la chartreuse d’or, le curaçao couleur de rubis? Et ces
groupes qui se forment, et ces propos gais qui s’échangent, et ces
«atomes crochus» qui se rencontrent, et cet aimable frou-frou des atours
féminins, des robes soyeuses dont les queues s’étalent!...

«Le plus joli moment du dîner, c’est le café», disait une femme du monde
pas gourmande, et très aimable.

Et c’est là ce qu’on voudrait voir disparaître? Cette idée baroque doit
avoir vu le jour dans la cervelle de quelque grincheux peu ami des
salons, et désireux d’avancer l’heure du fumoir!

Ah! ce fumoir! désespoir des maîtresses de maison! Il faut bien pourtant
qu’elles aient le courage de veiller à ce que rien n’y manque, feu,
lumières, cigares des bonnes marques, cigarettes, etc., liqueurs
fortes... hélas!--Hâtons-nous d’ajouter pourtant qu’ici l’hospitalité a
des bornes et qu’il appartient au maître de maison, tout en se montrant
très large, d’empêcher que séjour et consommations ne prennent des
proportions incompatibles avec une maison bien tenue.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans les précédents chapitres, j’ai traité si longuement, avec tant de
détails, la question: service de la table, que, pour éviter des redites
fastidieuses, je prie mes lectrices de s’y reporter. Je reconnais
cependant que, si correctes que soient les habitudes d’un intérieur, il
s’y produit nécessairement en temps de «gala» quelques modifications
et... complications. Nous allons donc les passer en revue.

Tout d’abord le dressage du couvert. J’ai déjà vu passer pas mal de
coutumes différentes sur ce point comme sur bien d’autres. Je retrouve,
dans mes souvenirs d’enfance, des visions de service «à la française».
Tout le dîner sur la table; au milieu, un grand réchaud argenté de forme
oblongue (le seul vide), attendant le rôti. Aux quatre coins, comme
quatre forts détachés, des réchauds ronds en argent ou en métal argenté,
recouverts de cloches du même métal; à travers de minuscules lucarnes,
au pourtour du réchaud, on voit brûler la flamme pâlote et vacillante de
grosses petites bougies de cire, destinées à maintenir une chaleur égale
sous les plats qui contiennent les entrées. Devant les maîtres de la
maison, aussitôt le potage fini, vient s’étaler une longue planche posée
sur quatre pieds tournés, et emmaillotée d’une serviette damassée; elle
supporte un majestueux poisson, bar, mulet, truite ou saumon, dont la
robe argentée miroite au reflet des bougies; autour de lui, ronds de
citron, de carotte, petits tas de persil, sont rangés dans un ordre
savant, et dans la gueule du monstre est inséré un petit bouquet. Il
était d’usage alors, surtout entre amis, de s’extasier sur la beauté du
poisson, et c’était là un premier petit triomphe qui chatouillait
délicieusement l’orgueil de la maîtresse de maison.

L’art du dressage était fort en honneur; chaque cloche enlevée sur une
entrée devait découvrir un chef-d’œuvre. Le savant édifice des croûtons
dorés, le blanc crémeux ou le brun transparent des sauces, les légumes
découpés en formes pittoresques, les truffes piquant de-ci, de-là, leur
ton noir et velouté, flattaient les yeux avant d’enchanter l’odorat et
le goût.

Aux deux bouts de la table se dressait en pyramide orgueilleuse le rouge
flamboiement du buisson d’écrevisses, la tour pleine de promesses du
pâté de Strasbourg, où encore le jambon glacé plus paré qu’une mariée
bretonne, entouré du rempart tremblant des gelées...

Est-ce à tort qu’on a renoncé à ces pompes gourmandes? Je ne le pense
pas.

Les délicats trouvaient que le spectacle prolongé des mets qui vont vous
être offerts en dégoûte d’avance, que le plaisir de l’imprévu ajoute
beaucoup à celui du bien manger, qu’enfin et surtout l’odeur de ragoûts
si divers donne à l’air ambiant ce parfum _sui generis_ qu’on appelle
«odeur de restaurant».

Les gourmets, les amateurs de bonne cuisine, ajoutaient à ces
inconvénients sérieux celui de la longue attente que devaient supporter
certains plats avant d’être servis.

La dernière entrée, par exemple, à force d’avoir mijoté sur sa bougie,
arrivait à l’état de «réchauffé». Or la plupart des sauces fines perdent
une bonne part de leur valeur quand elles restent trop longtemps avant
d’être consommées.

Enfin, ce genre de service exigeait un matériel encombrant, coûteux,
d’un entretien minutieux, et l’emploi de grandes tables peu faites pour
l’exiguïté des appartements modernes.

Les maisons à petites cages, dont Paris fut, hélas! si richement doté
vers le milieu du XIXe siècle, ont plus contribué qu’on ne croit à la
décadence des grands dîners et de la grande cuisine.

Au service français, succéda presque sans transition le service dit «à
la russe».

D’un extrême on passait à l’autre; plus rien que des fleurs, des fruits,
des bonbons, des menues friandises sur la table. Les plus nobles pièces,
poisson, volaille ou venaison, découpées en petites tranches, étaient
servies par derrière, ce qui, prétendaient les mauvaises langues,
facilitait les fraudes les plus coupables sur la nature des mets ainsi
défigurés... Et quant aux merveilles du dressage, elles avaient sombré
dans le naufrage général des bonnes traditions culinaires.

On est revenu de ces excentricités. Le service actuel offre un très
heureux mélange des deux systèmes. Je n’entrerai dans aucun détail en ce
qui le concerne et me contenterai de quelques données générales en
dehors des fluctuations de la mode.

Il faut couvrir d’abord la table d’une sous-nappe en molleton pas trop
épais. Cela évite le bruit du choc des assiettes et couverts, et fait
ressortir l’effet du linge de table.

Nappe et serviettes doivent être du damassé très blanc, et, si ce n’est
neuf, au moins blanchi à neuf, c’est-à-dire apprêté et brillant. Le
linge à bandes de couleur est absolument réservé aux déjeuners.

La porcelaine a de nouveau détrôné la faïence dont le long règne a pris
fin avec l’abus du bon marché; néanmoins les très beaux services en
faïence, à décor artistique, peuvent encore figurer même sur une table
élégante.

Le couvert proprement dit se compose d’une assiette plate, des
cuillères, couteau et fourchette, du porte-couteau, de quatre verres, un
pour l’ordinaire, un à bordeaux, un à madère, un à champagne.

Sur l’assiette, la serviette cachant le petit pain; le menu debout sur
le porte-menu ou couché sur un verre. Est-il besoin de dire que les
pliages de serviette compliqués et prétentieux sont bannis des tables de
bon goût? il en est de simples qui sont fort jolis.

J’ai vu quelquefois placer le service à entremets, couteau et
fourchette, devant l’assiette, en haut, mais je n’aime pas cette mode,
empruntée à la vie d’hôtel.

Rien ne vaut, selon moi, le joli effet de la belle assiette de dessert
en fine porcelaine à bords dorés et découpés, portant les couverts de
vermeil ou de belle argenterie que pose adroitement devant vous le
serveur.

Les carafes à eau et à vin, les salières, les accessoires divers, sont
placés symétriquement à portée de la main des convives.

Sur le milieu de la table, garnie du napperon élégant qu’on appelle
aujourd’hui _chemin de table_, sont placées les pièces montées du
dessert, et, au centre, le surtout.

Il y a des modes pour les surtouts comme pour les chapeaux. Une année on
les fait hauts, volumineux, on y met des fruits, des fleurs, des plantes
vertes; l’an d’après, tout est à bas, il ne faut plus que des petites
rivières de cristal, des statuettes minuscules, des fleurettes en
parterre.

Le vrai bon goût ne cherche point à suivre ce vagabondage d’art
décoratif. L’appropriation des choses à leur milieu, l’harmonie des
lignes et des couleurs, restent la loi suprême de tout décor, loi hors
de laquelle il n’est point de succès.

Veut-on des exemples?

Vous avez à orner une table de dîner pour une dizaine de personnes, dans
une salle à manger parisienne, c’est-à-dire dans un local de dimensions
un peu restreintes. La table ne sera donc pas très grande, elle sera
très couverte par le service: assiettes, verres, couteaux, carafes,
etc., lampes ou candélabres pour l’éclairage, etc. L’espace réservé au
surtout sera donc peu étendu: en ce cas, une jardinière basse avec une
jolie plante ou des fleurs coupées suffira largement. Si vous voulez
augmenter la décoration florale sans charger la table, vous pouvez y
ajouter quelques «rivières» ou, ce qui vaut mieux, devant la place de
chaque dame, un élégant porte-bouquet avec des fleurs fines.

Mais s’il s’agit d’une de ces vastes pièces qu’on trouve encore dans les
vieux hôtels de province ou dans les beaux appartements de Paris, un
décor bas ferait un effet mesquin, presque piteux, sur une grande table
où les couverts sont largement espacés, où les accessoires sont
multipliés. Il y faut un surtout ample, garni de plantes riches de tons
et de formes, ou de fleurs en branches disposées habilement de façon à
remplir sans encombrer.

Le décor est complété par les «bouts de table» en cristal et orfèvrerie
ou en belle porcelaine, chargés de beaux fruits ou de fleurs, parfois
des deux.

On ne saurait croire quel parti on peut tirer pour un surtout du mélange
des fruits et des fleurs. Les pêches, les prunes, le raisin, et, plus
tard, les poires d’hiver et les pommes calville fournissent des
ensembles merveilleux. Si la corbeille est très grande, on se trouvera
bien de faire partir du milieu un motif de fleurs ou de plantes vertes
en gerbe. Autour de ce motif central, les fruits sont disposés en
couronne rappelant par leur effet les admirables bordures des
tapisseries anciennes.

Une table de dîner doit être très éclairée. Elle ne l’est jamais trop.
Il n’y faut point de coins sombres, ni de taches lumineuses. Tous les
détails du couvert doivent ressortir en pleine lumière et aussi les
visages et les toilettes des convives. Pour arriver à ce résultat, une
lampe à suspension, si forte qu’on la suppose, sera toujours
insuffisante. D’ailleurs, elle expose à ces deux écueils. Si, pour mieux
éclairer le couvert, on la tient à une faible hauteur, ses ornements
viennent se mêler au motif central du surtout, c’est d’un effet
décoratif désastreux. Si, pour éviter cet inconvénient, on laisse la
lampe un peu haute, alors c’est sur le couvert un jour crépusculaire,
et, sur les figures, des ombres portées qui enlaidissent les jolies
femmes et rendent les laides hideuses, ce qui met tout le monde de
mauvaise humeur.

Il est bien entendu que je ne parle pas ici des grands appareils à gaz
ou à électricité qui font un éclairage _a giorno_.

Il vaut mieux compter à peu près pour rien la suspension, la tenir un
peu haut, éclairer la table avec des bougies.--Quatre candélabres au
moins, et, si la table est longue, deux très grosses lampes en bouts de
table avec globes opaques--jamais d’abat-jour, fussent-ils des
chefs-d’œuvre. C’est une erreur que de faire entrer en ligne de compte
les branches à bougies qui entourent la suspension; sans doute, il faut
les allumer pour le décor, mais elles n’ont point de _pouvoir
éclairant_, elles sont trop loin de la table, et (à moins qu’il ne
s’agisse d’un appareil de premier ordre) elles ne sont pas assez
nombreuses pour fournir un foyer de lumière.

Pour n’avoir pas de surprises désagréables au dernier moment, j’engage
les jeunes maîtresses de maison à faire avant le soir du dîner une
répétition générale, ou plutôt une épreuve d’éclairage. On pose une
nappe sur la table, on y met, à la place qu’ils devront occuper, les
appareils d’éclairage, on allume tout, et l’on peut ainsi se rendre
compte de ce qu’il est à propos d’ajouter ici ou là. Disons en passant
et pour n’y plus revenir que cet essai doit toujours être fait quand,
pour la première fois, l’on recevra le soir en cérémonie.

Je reviens à la salle à manger: ce n’est pas seulement la table qui doit
être éclairée, mais aussi les desservants, tables de service, etc., car
il faut éviter aux domestiques les erreurs, les heurts, les maladresses,
suites fatales de l’obscurité.

Cependant cet éclairage doit être modéré; il suffit d’une lampe de
calibre ordinaire, même médiocre, pour chaque table; elle aura aussi son
globe dépoli, les abat-jour en pareil cas ne sont pas corrects. Point de
bougies surtout! pour ce service; elles font des taches et se renversent
facilement.

Il est bien entendu que si la pièce où a lieu le dîner est éclairée
partout par la lumière émanant des grands appareils à gaz ou à
électricité, ce détail est à supprimer.

Pour en finir avec la question d’éclairage, un tout petit conseil de
prudence. Faites allumer le matin toutes vos bougies et laissez-les
brûler une minute pour leur «faire le nez», suivant l’expression des
domestiques, cela simplifie et rend plus rapide l’allumage au dernier
moment, on évite aussi les coulées de cire et les mèches mal tournées.

Que le dîner soit grand ou petit, il faut, pour que le service
s’effectue bien et facilement, prendre un certain nombre de précautions.

Tout d’abord, installer dans un coin ou dans l’embrasure d’une fenêtre
une table de service, recouverte d’une nappe frangée, sur laquelle
seront posés les piles d’assiettes de rechange et tous les accessoires
que les domestiques doivent avoir sous la main sans chercher: couteaux,
serviettes d’office, tire-bouchons, petits pains, etc.

Sur le desservant se placent les bouteilles de vin fin, et ce qui se
sert «en dehors»: citrons, beurre, caviar, petits hors-d’œuvre, fromage,
etc.

Il faut tâcher de tout prévoir, même le bris d’un verre, la chute d’un
morceau qui fait tache, car rien n’est gauche comme d’avoir à s’agiter,
à courir, pour trouver ceci ou cela.

Dirai-je quelques mots du service de la domesticité? Ici encore, je puis
renvoyer aux chapitres précédents.

A rappeler pour mémoire: la nécessité d’avoir des mouvements doux, ni
trop vifs ni trop lents, le regard attentif aux besoins des invités et
surtout à guetter sur le visage du maître ou de la maîtresse de maison
un de ces clins d’œil qui indique un ordre à recevoir; l’habileté à
saisir au passage cet ordre qui ne peut être donné qu’à voix basse ou à
peu près, et à l’exécuter tout de suite. La discrétion, le mutisme dans
le service, mais aussi la netteté de prononciation en disant à demi-voix
le nom des vins offerts; enfin la correction magistrale dans le «Madame
est servie» et dans l’ouverture au large de la porte, pour laisser
passer le flot des convives à l’entrée et à la sortie.

Tenue: habit noir, gilet _id._, lingerie d’un blanc irréprochable et
gants de fil blanc en cas de «cérémonie». Pour les dîners intimes, tant
de solennité détonnerait un peu. Une tenue soignée suffit.

Enfin voici pêle-mêle quelques indications de détail nécessaires à
connaître pour éviter les «incorrections».

1º Jamais, sous aucun prétexte, le _bouilli_ ne doit être servi dans un
dîner prié, même intime.

2º Même loi pour la _soupe au pain_. Le potage se compose soit de
bouillon avec des petites pâtes, des quenelles, etc., soit de soupes
maigres d’une sorte très soignée.

3º Hors de l’intimité, la soupière ne paraît point sur la table.

Aussitôt les convives installés, le domestique place devant eux
l’assiette remplie _très modérément_.

4º Dans l’Ouest, pendant la saison des huîtres, on en sert au
commencement du repas, même à dîner, avant le potage. Chaque convive
trouve sur son couvert, à la place de la serviette et du petit pain qui
sont disposés à côté, une assiette contenant de huit à douze huîtres
suivant leur grosseur.

C’est une coutume que j’ai toujours vu paraître très agréable aux
dîneurs. On fait passer en même temps des citrons coupés par moitié.

Il va sans dire que la fourchette à huîtres sera jointe au couvert, et,
si l’on veut, des petites serviettes frangées pour s’essuyer les doigts
sans imprégner la grande serviette d’une mauvaise odeur.

5º Le fromage se sert en dehors, au début du dessert; on a soin de ne
pas le laisser sur la table.

6º Les _gros fruits_ seront coupés en quartiers et le raisin en
grapillons de taille raisonnable. C’est le domestique qui se charge de
cette opération qu’il fait sur une table de service, après avoir enlevé
la corbeille où il prendra la pièce à découper, car il ne serait pas
correct qu’il avançât le bras sur la table pour y prendre le fruit à
servir. Quand on est en dîner d’amis, ce cérémonial n’est pas de rigueur
et la maîtresse de maison se charge de ce petit manège où elle peut
mettre beaucoup de bonne grâce.

Disons à ce propos qu’il est un peu ridicule d’apporter au service d’un
dîner d’agrément le faste et l’étiquette d’un dîner d’apparat. Il y a
des maîtres de maison si guindés, si haut perchés, qu’ils croiraient
manquer à leur dignité en découpant un perdreau ou en servant des parts
d’entremets. Cela sent le parvenu et glace l’hospitalité. C’est affaire
de jugement et de mesure. Les gens bien élevés ne font jamais
d’«impairs».

7º L’usage des bols rince-bouche a depuis si longtemps disparu que je
n’en parle que pour mémoire. Il est avantageusement remplacé par le
filet d’eau légèrement parfumé que le domestique fait tomber d’une
aiguière sur les doigts qu’on lui tend.

8º En été, il faut faire passer de la glace pendant tout le temps du
repas. Elle est offerte en petits morceaux dans une jatte de cristal et
avec une cuillère _ad hoc_.

Les boissons «frappées» sont mises dans des cruches d’une forme spéciale
avec récipient intérieur pour la glace. Il est souvent bien difficile en
province de se procurer de la glace transparente, «propre», pour dire le
mot dans toute sa crudité. On recommandera aux domestiques de mettre du
soin à ce service, soit en cassant la glace, soit en choisissant les
morceaux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En thèse générale, les enfants ne doivent pas assister aux dîners de
cérémonie. Ils n’y sont nullement à leur place d’ailleurs; la longueur
du repas les énerve, la variété et la profusion des mets les poussent à
manger beaucoup plus que de raison; n’étant point sous la surveillance
directe des parents, ils peuvent prendre des libertés dangereuses sur la
question des vins et du dessert, enfin les «propos de table» ne sont pas
faits pour les jeunes oreilles, même dans les intérieurs les mieux
réglés.

Il y a pourtant bien des exceptions à cette règle: les repas de fêtes,
de noces, de baptême, ceux donnés pour la venue des parents ou d’amis,
réunissent tous les membres de la famille, tous ceux du moins qui ont
«l’âge de discrétion». Les places du bout de la table sont réservées au
jeune monde. Il faut tâcher de trouver dans les sœurs aînées, les
petites tantes, d’aimables mentors à donner comme voisines aux trop
jeunes convives. Surtout, jamais de table d’enfants à côté de la grande,
c’est de la plus vulgaire éducation.

Quelques mots ici pour mes lectrices de province. Ils seront inutiles à
celles qui, ayant toujours vécu dans ce milieu, en savent les us et
coutumes, mais les jeunes Parisiennes ayant épousé de hauts
fonctionnaires ou de grands propriétaires me sauront gré si je leur
évite quelques-unes de ces _écoles_ petites ou grandes qui ont suffi
plus d’une fois pour leur faire perdre les bonnes grâces de toute une
«société».

En province, pour peu que l’on ait une certaine aisance, on vit
largement, on mange très bien, toujours plus et souvent mieux qu’à
Paris. Les menus doivent y être «corsés» comme nombre, qualité et
ampleur des plats. Les petites tranches minces comme des feuilles de
papier, les volailles découpées en morceaux mignons, les verres remplis
à demi, sont d’un effet déplorable. Il faut plus de vins, de plus de
sortes, et en faire passer plus souvent.

Dans ce délicieux petit chef-d’œuvre de Nadaud qui s’appelle _Une
Idylle_, se trouve le récit tragi-comique des mésaventures qu’éprouve un
jeune ménage parisien qui a voulu rendre à son tour un grand dîner à des
voisins de campagne. Malgré toute la bonne volonté possible et les
efforts les plus ingénieux, l’échec est lamentable et tout finit par des
chansons satiriques.

Il faut donc se renseigner à fond auprès des bonnes têtes du pays, avant
de se lancer dans la composition du menu. Il y a aussi à prendre garde
aux goûts particuliers des provinces.

Tel mets, réputé _distingué_ ici, sera presque commun ailleurs.

Quand j’habitais la Savoie, les pâtes alimentaires entraient fréquemment
dans la nourriture du peuple; on eût fait un gros «impair» en offrant à
ses invités un potage au vermicelle ou un plat de macaroni. Par contre,
dans le Nord, je sais un jeune sous-préfet qui fut disqualifié dans le
monde local pour avoir offert de la bière en été dans une petite soirée.

Ne quittons pas la question «Dîners» sans parler des invitations.

Pour un dîner de cérémonie, elles se font huit jours à l’avance par
lettre ou carte imprimée. Pour un dîner plus intime, quelques mots sur
une carte de visite suffisent.

On doit répondre _immédiatement_, soit qu’on accepte, soit qu’on refuse,
car il faut que les maîtres de maison aient le temps de compléter leur
table par de nouvelles invitations; celles-ci faites _in extremis_ ne
peuvent s’adresser qu’à des amis à toute épreuve, à des parents proches,
ou à de petits jeunes gens sans conséquence, car, surtout en province où
tout se sait, on court risque de blesser ainsi les personnes reléguées
au rôle de «bouche-trou».

En province aussi, il est prudent, pour éviter un échec, de s’assurer à
l’avance que, pour telle ou telle date, on pourra compter sur ses
invités. En effet, à certaines époques de l’année, le tourbillon des
dîners est si intense que des membres d’une même «société» (pour parler
le langage courant) ont vingt invitations pour les sept jours de la
semaine.

A Paris, il en est de même pour les gens très mondains.


DÉJEUNERS, LUNCHS, ETC.

Le service d’un déjeuner prié est plus simple, moins fastueux que celui
d’un dîner. Cela se répartit sur beaucoup de petits détails.

L’absence d’éclairage éloigne une grande source de complications. Une
corbeille de fleurs en faïence ou en cristal remplace le surtout. Il est
très joli de l’entourer, pour le milieu de table, de quatre assiettes à
pied ou coquilles élégantes remplies de beaux fruits de saison.

Le couvert est moins chargé, le linge de fantaisie est permis, la
faïence aussi.

J’ai dit plus haut quels sont les plats en usage; on y fait toujours
figurer des œufs: omelettes diverses, œufs brouillés aux champignons,
aux pointes d’asperges, aux truffes, etc., et de la viande de boucherie:
côtelettes, biftecks, rognons sautés, langue, etc. Au début, _jamais_ de
potage, mais des huîtres pendant les mois autorisés. Au dessert, brioche
ou galette ou plum-cake, fromage à la crème, tourte aux fruits, etc.,
plus les assiettes ordinaires de petits fours et bonbons, mais en moins
grand nombre qu’au dîner et de sortes plus simples.

Le café et le thé se servent à table ainsi que les liqueurs.

Un ennui des déjeuners, c’est que l’on ne sait que faire de ses hôtes
quand ceux-ci ne prennent pas l’initiative du départ. Il est de bon
goût, après un petit séjour au salon, de leur rendre la liberté par une
phrase bien tournée disant en substance que, malgré le plaisir que l’on
aurait à les conserver plus longtemps, on ne veut point se rendre
indiscret en empiétant sur la portion de leur temps réservée aux
affaires. C’est là le sens général, sinon les paroles.

Le _lunch_ de cérémonie n’a guère sa place que pour les mariages,
baptêmes, réunions d’enfants et de jeunes filles.

Le premier de ces cas rentre dans la catégorie des grandes réceptions,
et c’est avec le fournisseur attitré qu’on devra s’entendre pour le
service, au point de vue du personnel et du matériel et aussi en ce qui
concerne le choix et la quantité des rafraîchissements.

On sait que ceux-ci comportent non seulement des pâtisseries, petits
fours, plum-cakes, brioches, babas, etc., mais aussi des sandwiches fins
au jambon, au foie gras, etc., et même, en certains cas, les aspics, les
galantines, etc.

Comme boissons, du thé, du chocolat, du consommé, des vins fins, de la
bière même, des vins de dessert et du champagne, enfin glaces et punch.

Mes lectrices, jeunes mamans et jeunes tantes, me sauront gré d’entrer
dans quelques détails en ce qui concerne les goûters d’enfants. J’en ai
tant donné! mon expérience me procurera le vif plaisir de leur être
utile.

Pour ce petit monde, il y a trois points à considérer tout d’abord: 1º
les amuser; 2º les régaler; 3º éviter les gros malheurs.

«Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir», dit le proverbe
populaire.

Sans le prendre trop à la lettre, ce qui mènerait tout droit à la
rusticité, il faut cependant en tirer cette leçon que les raffinements
et les élégances de la mode ne sont point à leur place pour une «tablée
de marmots».

On laissera de côté les nappes ouvragées finement, les chemins de table
brodés de soie et garnis de dentelles, les serviettes minuscules, bonnes
à essuyer le bout des ongles roses d’une main délicate. Il faut prévoir
les verres de sirop culbutés, les tasses de chocolat heurtées, les
paquets de crème semés çà et là, les gâteaux imprimant en taches grasses
leur place où on les a posés. Il faut aussi que les jolies robes des
fillettes, les costumes des garçonnets, soient abrités contre leurs
maladresses et celles de leurs voisins. Donc, nappes et serviettes de
table damassé blanc ou avec bordure de couleur, ce qui est plus gai.

Des fleurs sur la table aux deux bouts, car le milieu doit être réservé
pour la pièce d’importance, le grand gâteau! ou la jatte de crème
fouettée, ou le bavarois majestueux dont l’apparition fait ouvrir au
large des yeux ravis.

Je ne conseille pas les fruits: les enfants, l’estomac barbouillé de
pâtisseries et de crèmes, ne les digèrent pas bien et il peut en
résulter d’immédiates et lamentables infortunes. Je ne parle point ici
des goûters de campagne où ils sont tout à fait à leur place.

Pour les petits gâteaux qui garniront les assiettes, il faut les choisir
faciles à absorber sans dégâts, bannir les éclairs, les bombes à la
crème, les tartelettes aux fruits, tout ce qui poisse, coule, tache; les
petites brioches, les plum-cakes, canapés, feuilles de palmier, langues
de chat, milanais, macarons, etc., offrent un large choix, et aussi ces
délicieuses petites friandises qui font la joie des marmots: noix,
champignons meringués, etc.

Les oranges sont toujours les bienvenues et terminent de façon agréable
et... hygiénique le festin. En salade bien sucrée, aromatisée de kirsch
ou de rhum très étendu d’eau, elles ont un grand succès.

Ne pas abuser des bonbons, se contenter de chocolat praliné, de
pastilles au fruit, de grains de café. Les fruits confits sont longs à
manger et barbouillent de sucre en sirop les mains et les figures.

Des «cosaques» en masse, au moins deux par invité. Disons à ce propos
qu’il faut, dans le calcul des provisions, s’arranger de façon à ce que
chaque enfant puisse avoir un gâteau de chaque sorte qui paraîtra sur la
table. Il faut compter avec la faiblesse humaine, surtout à un âge où
l’éducation et l’usage du monde n’ont pas encore eu le temps d’imposer
aux passions leur frein salutaire. Pourquoi courir au-devant de gros
chagrins quand il est si facile de les éviter?

Pour les marmots au-dessous de six ans, faire passer les assiettes de
friandises est une opération un peu scabreuse. Sans doute il y a des
enfants gentils et discrets par nature, bien stylés par des parents
soigneux des choses d’éducation: ceux-là prendront correctement un
gâteau; mais les petits gloutons, les rustres, les enfants gâtés élevés
par des parents trop faibles ou incapables, peuvent causer des ennuis de
plus d’une sorte; il vaut donc mieux, en général, _servir_ les petits
convives.

Pour la boisson, des sirops coupés d’eau, de l’eau rougie, jamais de vin
pur! même des vins sucrés ou autres.

On ne peut trop s’indigner contre ces maîtresses de maison qui, par
vanité ou par ignorance, offrent à des enfants du malaga, du frontignan,
du champagne! C’est une coupable folie; on expose à de graves atteintes
ces petits cerveaux encore faibles, et qui, chez certains sujets, sont
fatalement prédisposés à la méningite.

Il y a bien assez de l’animation du jeu, de la réunion nombreuse, du
plaisir de gourmandise, pour exciter tout ce jeune monde et le jeter
hors de ses gonds.

Un petit conseil d’hygiène pour terminer:

Pendant que les enfants sont réunis dans la salle à manger pour le
lunch, il faut aérer la pièce où ils ont joué en ouvrant au large les
fenêtres, sauf à les refermer un peu avant la rentrée de la bande
joyeuse.

Après le goûter, les jeux tranquilles sont préférables, la digestion est
moins troublée et, au moment de leur départ, les enfants, calmés et
rafraîchis, peuvent affronter sans danger l’air extérieur.


SOIRÉES PETITES ET GRANDES

Des premières, il n’y a que peu de choses à dire--à rappeler seulement
le principe général, de veiller au bien-être et au plaisir de ses
invités.

En hiver, que le salon soit d’une température modérée, mais suffisante,
car il faut contenter les gens qui ont toujours froid et ceux qui ont
toujours trop chaud.

Point de lésinerie sur l’éclairage; les coins sombres sont la mort de
l’animation. Il faut qu’on voie clair _partout_.

Des sièges commodes, point d’étagères et de tables à bibelots qui se
promènent dans le salon. On les pousse dans les coins, ou on les place
ailleurs.

Éviter de _parquer_ ses hôtes--les dames par ici, les messieurs par là;
les joueurs seuls doivent avoir leur place réservée, et trouver les
tables ouvertes garnies de cartes et de jetons et éclairées chacune par
deux flambeaux avec des bougies portant un petit abat-jour.

Si l’on a beaucoup de _jeunesse_, lui abandonner une pièce où elle
puisse jouer aux petits jeux, rire et s’amuser sans être à charge aux
gens sérieux.

Servir le thé, soit dans la salle à manger, si la réunion est un peu
nombreuse, soit dans un coin du salon sur une table spéciale.

Ce thé sera accompagné de quelques assiettes de petits fours, d’un gros
gâteau, brioche, baba, galette ou plum-cake.

Il y a des maîtresses de maison qui, pour éviter l’émiettement et les
taches de graisse, font servir ces pâtisseries en petits gâteaux plus
faciles à manier sans inconvénient que les parts découpées.

On sert souvent thé ou chocolat suivant le goût des invités.

Le chocolat doit être fait avec beaucoup de soin, un peu crémeux, pas
trop, bien sucré et vanillé (pour ceci, il suffit d’employer du chocolat
de qualité supérieure). Tout le monde sait qu’avec le thé on offre du
sucre, de la crème et du rhum.

Si l’on est un peu plus en cérémonie, à cause du plus grand nombre des
invités, on fait passer, une fois avant le thé et une fois après, du
sirop, du punch et quelques assiettes de bonbons.

Si l’on se réunit en été, on remplace le thé et le chocolat par des
boissons glacées et même de la bière.

Les pâtisseries alors sont toutes du genre «sec».

Rappelons qu’il ne faut pas laisser, dans les pièces où l’on se tient,
de bouquets odorants. Le parfum des fleurs, dans un salon plein de
monde, peut causer les plus graves malaises.

En ce qui concerne le service, il faut réduire celui des domestiques aux
seules entrées _indispensables_. Ils apporteront et remporteront les
plateaux chargés de verres, la table à thé et ses accessoires, mais ce
n’est point à eux qu’est dévolue la mission d’offrir les tasses de thé,
les assiettes de bonbons, de gâteaux, etc.; ce sont les jeunes filles de
la maison et leurs amies qui font ce gracieux office.

Cependant, si quelqu’un demande un verre d’eau, c’est à un domestique à
l’apporter.

En général, _tout ce qui s’offre sur un plateau_ doit être présenté par
les gens de service.

Avec les grandes soirées, nous entrons dans un ordre d’idées beaucoup
plus compliqué.

Une grande réception, bal, concert ou représentation théâtrale, exige,
pour être réussie, un vaste emplacement, un personnel nombreux et très
bien stylé, et une large dépense.

C’est dire que ce genre de réunion ne relève que des grosses fortunes ou
du monde officiel.

Une soirée dansante impose moins de frais, moins de bouleversements
d’intérieur qu’un vrai bal.

Les invités ne sont pas si nombreux, les toilettes sont un peu plus
simples; l’on peut remplacer, si l’on veut, le souper et même le buffet
par un service de plateaux bien organisé, et à minuit ou une heure, une
sorte de demi-souper, servi sur une table de la salle à manger très
décorée et largement garnie de comestibles et rafraîchissements «ad
hoc». Enfin le cotillon n’est pas indispensable.

Un _grand_ bal est une _grande_ entreprise. En ce qui concerne ses
préparatifs, voici quelques indications à suivre pour toute maîtresse de
maison qui donne à danser chez elle.

1º Il faut chauffer d’avance le lieu de la réunion, mais éteindre tous
les foyers à mesure que les salons commencent à se remplir. Du reste la
chaleur qui se dégage d’une réunion nombreuse est telle que celle du feu
est presque superflue. Il faut bien se garder d’ailleurs de _boucher_
les cheminées, l’appel d’air qui se fait par leur tirage est
indispensable pour éviter l’asphyxie.

2º Il est nécessaire de _décirer_ (pardon du néologisme) la ou les
pièces où l’on dansera. Faute de cette précaution, les glissades, les
chutes dangereuses même sont à craindre au début de la soirée; plus
tard, la chaleur produite par le frottement des pieds sur le parquet
fait fondre la cire au grand détriment des souliers blancs, des bords de
robes qui se noircissent et aussi au grand ennui des valseurs dont une
sorte de glu entrave les pas.

Il faut enlever les battants des portes de toutes les pièces où se
tiendront les invités. On les remplace par des portières artistement
drapées.

La question de l’orchestre, de sa place, de sa composition est très
importante, car rien ne nuit à l’entrain d’un bal comme une musique trop
maigre et que l’on n’entend pas partout.

Pour la centième fois, je répéterai qu’il ne faut pas de mesquinerie
quand on veut bien recevoir; c’est une «radoterie», dirait Mme de
Sévigné, mais qu’on me la pardonne, je la trouve à chaque tournant de
route, dans le sujet que nous traitons.

Assurez-vous le concours de bons musiciens en nombre suffisant;
installez-les sur une estrade, c’est indispensable pour que le son se
propage aisément, et... ne leur demandez pas plus qu’ils ne peuvent
donner.

L’humanité, l’équité même, vous imposent le devoir de leur accorder un
repos un peu prolongé toutes les heures au moins.

Dans le même ordre d’idées, j’ajouterai qu’une bonne maîtresse de maison
doit veiller à ce que ces pauvres artistes, qui ne trouvent que fatigue
et épuisement là où tant de leurs semblables s’enivrent de tous les
plaisirs, puissent soutenir leurs forces. Ils en font une si grande
dépense!

Des boissons, bières, vins, sirops, des pâtisseries et, plus tard, des
aliments plus substantiels leur seront portés sur des plateaux par les
domestiques à plusieurs reprises. Il ne faut pas trois minutes pour
veiller à cela, et elles seront bien employées.

Une grosse affaire: les sièges et leur disposition!

Il va sans dire que tout ce qui est bahut, vitrine, consoles, disparaît
pour leur céder la place.

Contre les murs s’alignent les fauteuils, les canapés réservés aux dames
mûres, aux mamans, ces pauvres mamans qui y feront sans doute plus d’un
petit somme discret avant la fin de l’interminable cotillon!

Autrefois on ne concevait guère un bal sans banquettes. Celles-ci sont
réservées maintenant aux fêtes patriotiques, et remplacées avec grand
avantage par les «chaises volantes», légères, faciles à manier et
permettant de se grouper.

Les sièges «fatiguent» beaucoup dans une réunion dansante, aussi est-il
d’une sage prudence de ne pas exposer l’éclat des soieries qui couvrent
les meubles fins, la fraîcheur de leur peinture laquée, la finesse de
leurs dossiers délicats.

Du reste, en cas de bal, grand ou petit, il faut toujours avoir recours
à la location du matériel.

On trouve à Paris et dans toutes les villes un peu importantes des
ressources très complètes sous ce rapport, et, en s’adressant à des
maisons sûres, il n’y a qu’à établir un traité, à livrer à l’armée des
décorateurs, serveurs, etc., les pièces consacrées à la fête, et... à
payer la note.

Recommandons à la maîtresse de maison de réunir dans des appartements
qu’on fermera à clef, pendant tout le temps que durera la soirée, ses
préparatifs et ses suites, les objets de valeur faciles à dérober.

Il y a des bibelots de grand prix qu’il est prudent de soustraire à la
brusquerie ou à la convoitise d’un personnel étranger n’offrant que peu
de garanties.

S’il y a lieu à démeubler partiellement une ou plusieurs chambres, cette
opération doit être faite sous les yeux des maîtres ou au moins de la
dame du logis, car, faute de cette surveillance, quelque larcin
important, quelque catastrophe mobilière, peuvent se produire, et l’on
n’a, en pareil cas, à s’en prendre qu’à soi-même; on a couru au-devant
des malheurs, en écoutant sa négligence ou son apathie.

Il faut aussi s’assurer que rien n’a été omis dans les salons, au
vestiaire, à l’office pour le service des invités.

Je rappellerai qu’une chambre quelconque, facile d’accès et
_indépendante du vestiaire_, doit toujours être tenue à la disposition
des dames pour y réparer les avaries de leur toilette, y soigner leurs
petits malaises, etc. Elles y trouveront une femme de chambre, armée de
tout un attirail de couture, une table de toilette bien garnie de
savons, eaux de toilette, poudre de riz, etc., et une provision de
serviettes fines.

Enfin, car il faut tout prévoir, on veillera à ce que des seaux pleins
d’eau soient déposés dans des endroits où ils puissent être facilement
pris en cas d’incendie.

Il est presque toujours nécessaire de renouveler l’atmosphère d’une
salle de bal après quelques heures d’encombrement, en ouvrant les
fenêtres pour y faire entrer l’air extérieur.

Cette opération délicate est, non sans raison, la terreur des mamans qui
redoutent l’effet d’un courant d’air glacial sur des épaules et des bras
nus en pleine moiteur: aussi doit-elle se faire avec une grande
prudence, et les maîtres de la maison doivent y veiller. Il vaut cent
fois mieux faire évacuer un coin du salon et ouvrir franchement une
fenêtre pour laisser sortir et entrer d’un coup une grande masse d’air,
que d’entrebâiller les battants en une fente par où se glisse un filet
homicide.

On peut choisir un moment où les invités se pressent au buffet pour se
livrer à cette manœuvre.

Je n’entrerai pas ici dans le détail de ce qui concerne les
«rafraîchissements», c’est l’affaire du fournisseur qu’on a chargé de ce
service.

On lui a dit le nombre de personnes invitées, le nombre probable des
acceptants, en faisant la part des empêchements de toute nature qui
réduisent toujours la liste d’un quart au moins.

Il y a des devis tout préparés auxquels il suffit de se rapporter. Pour
tant de personnes--tant de sandwiches, tant de pains au foie gras, de
kilos de petits fours; de litres de punch, de sirop, de vin blanc, de
bouillon, etc., tant de bouteilles de champagne, de glaces, de
demi-glaces. En général, et quand on s’est adressé à une bonne maison,
ces calculs-là sont faits avec beaucoup de perspicacité.

Il va sans dire que tout le matériel de service, plateaux, verres,
coquilles à glace, etc., est fourni par elle.

L’installation du vestiaire est d’une plus grande importance qu’on ne
croit.

C’est dans ce lieu que se pressent à l’arrivée et surtout au départ les
invités, et, si le personnel n’est pas assez nombreux, si les tables,
casiers, etc., ne sont pas bien disposés, il en résulte des attentes
interminables, des bousculades, des plaintes et parfois de bien plus
graves incidents.

Que de jeunes filles et surtout de jeunes gens, le sang embrasé par
l’ardeur de la danse, ont pris, en attendant leurs vêtements de dessus,
des angines, pleurésies, rhumatismes articulaires, etc.

Pour résumer ce qui précède, je dirai qu’en fait d’hospitalité il faut
aller largement si l’on veut réussir, et surtout ne pas faire de sottes
économies quand il s’agit du bien-être de ses invités.

Que l’éclairage soit brillant, les rafraîchissements abondants et fins,
les serviteurs nombreux et bien stylés.

Le rôle des maîtres de la maison est d’ailleurs simplifié par la bonne
organisation du service. Il reste si lourd d’autre part!

Être sur pied pendant des heures, faire bon accueil aux arrivants, se
tirer avec habileté de la si délicate question des _places_, veiller à
ce que les danseurs se montrent secourables envers les danseuses qui
restent sur leurs chaises, à ce que les gens graves fassent leur partie
de cartes bien tranquillement, à ce que les plateaux soient présentés en
temps voulu, à ce que les musiciens ne mettent pas trop d’intervalle
entre les danses et ne jouent pas trop longtemps chacune d’elles, à ce
que le buffet ne soit pas encombré par les indiscrets et inabordable
pour les timides, trouver moyen de dire un mot, une phrase aimable à
trois cents personnes et savoir encore satisfaire à ce qu’exige le
devoir professionnel envers les «gros bonnets», certes, c’est une tâche
singulièrement compliquée!

Il y a des femmes si heureusement douées qu’elles l’accomplissent sans
effort, sans inquiétude, presque sans fatigue, et savent y trouver pour
les autres et pour elles-mêmes la source d’un sincère et vif plaisir.

Le bal fini, les maîtres de maison ne sont pas encore au bout de leur
tâche. La prudence leur commande, avant d’aller prendre le repos dont
ils ont si grand besoin, de faire encore une tournée d’inspection
générale: la dernière, pour le coup! Il faut en effet s’assurer que tous
les feux sont éteints, toutes les fenêtres fermées, tous les serviteurs
étrangers partis. Ceci fait, on fermera à clef toutes les pièces où
s’est donnée la fête, et celles surtout où l’on avait tenu les
provisions de vins, etc. Ne faut-il pas éviter qu’avant le lever
forcément tardif des maîtres, et sous prétexte de «restes», tout cela
soit mis au pillage, non sans petites orgies et grosses querelles?

Il sera sage aussi de présider à l’ouverture des salons où l’on a dansé.
Danseurs et danseuses ont pu et dû y perdre bijoux, mouchoirs,
éventails, bibelots précieux. Ce n’est qu’après avoir mis en sûreté ces
épaves d’une nuit de bal, qu’on livrera l’appartement à ceux qui sont
chargés de le remettre en état.

On sait comment se font les cartes d’invitation pour bals et soirées.

Du moment qu’il y a envoi de ce genre, c’est l’indication qu’on sera en
cérémonie. Si les mots _on dansera_ sont, soit imprimés, soit ajoutés à
la main en bas de la carte, il s’agit d’un _vrai bal_. La toilette sera
donc en conséquence.

C’est pourquoi il est d’usage d’envoyer les invitations de bal quinze
jours à l’avance afin qu’on ait le temps de se faire habiller. Pour les
grandes soirées, musicales ou autres, huit jours suffisent.

Il serait du dernier ridicule d’envoyer des cartes imprimées pour
convier à un «thé» sans prétention.

En pareil cas, un mot sur une carte ou un court billet sont seuls de
mise.

Je ne veux pas quitter ce sujet sans dire quelques mots du cotillon.

Oserai-je avouer qu’ainsi que beaucoup de mes contemporains, je déplore
un peu son invasion dans nos usages?

En augmentant le luxe et les frais des bals, il en a diminué la
fréquence et la gaîté; il a substitué à la bonne humeur, à la grâce
française, la morgue et l’avidité exotiques, il a fait régner l’or là où
le plaisir seul devait commander, enfin il fait naître la triste légion
des petites mauvaises passions mondaines, l’envie, la jalousie, la
bassesse pour les uns, l’orgueil, le dédain, l’égoïsme pour les autres.

Après ce sévère réquisitoire, je me hâte d’ajouter--pour ne pas me
brouiller à mort avec mes jeunes lectrices--que je ne fais ici le procès
qu’à ces cotillons fastueux, que la vanité des hôtes érige en
distribution «d’argent» déguisée sous la forme de bibelots et de bijoux.

En dehors de ces extravagances de mauvais goût, je conviens volontiers
qu’un cotillon bien mené est chose amusante et jolie.

La variété des mouvements, les surprises des figures, le va-et-vient des
danseurs et danseuses, le chatoiement des brillants objets passés de
main en main, l’apparition des ensembles bien groupés, sont une vraie
fête pour les yeux des spectateurs bienveillants et l’occasion d’une
joyeuse activité pour les jeunes couples.

Quant à la somme à attribuer au cotillon, il faut la calculer assez
largement, et la répartir assez ingénieusement pour ne pas tomber dans
les objets vulgaires et par trop économiques.

Mieux vaut donner moins et faire un joli choix.

Est-il nécessaire de rappeler que les objets de cotillon forment un
trophée élégant dans un des salons--celui d’entrée de préférence? Il
doit être très éclairé et mis à l’abri des chances de heurt ou
d’incendie.

                   *       *       *       *       *

Je n’ai pas à entrer ici dans la mise en train d’une soirée musicale ou
théâtrale. Ce sont choses toutes spéciales demandant à être traitées à
part et en détail; ce chapitre déjà bien long, verrait ses bornes
reculées indéfiniment, si j’entreprenais cette tâche.

Je préfère le terminer par une causerie avec celles de mes jeunes
lectrices qui, si elles m’ont suivie jusqu’ici, m’ont déjà peut-être
reproché plus d’une fois de hérisser d’épines le plaisir si charmant de
se réunir entre amis.

J’espère me faire pardonner en leur disant comment s’organise une...
«sauterie», sans trop de frais et sans mesquinerie.

Ce que j’ai dit plus haut à propos des dîners s’applique aussi à ces
soirées musicales ou littéraires, à ces petits bals, où tout est de
second, de troisième, de dixième ordre, local, éclairage, consommations,
et, hélas! artistes amateurs ou autres.

Eh! quoi, va-t-on dire, parce qu’on n’est pas assez riche pour offrir à
ses invités des galeries remplies d’arbustes et de statues, des
cotillons de plusieurs milliers de francs, des artistes à dix ou vingt
louis le cachet, faut-il donc se priver et priver ses amis de quelques
heures de _plaisir vrai_?

Je serais désolée qu’on interprétât de cette façon ma pensée maîtresse,
qui est celle-ci: Pour mener honnêtement la vie du monde, y trouver et y
offrir aux autres une part légitime de satisfactions, il ne faut rien
tenter qui soit au-dessus de ses forces.

Que de gens, pour avoir méconnu ce précepte de pur bon sens, rencontrent
le ridicule ou la gêne, souvent les deux ensemble!

Mais combien le point de vue change si la prudence et la simplicité sont
appelées au conseil...

Papa et maman, dans l’un de ces conciliabules du soir où, quand tout
leur jeune monde est endormi, ils aiment à passer en revue les choses de
la famille, se consultent sur la grosse question de savoir si on donnera
décidément une petite fête pour les quinze ans de Lolotte ou les
dix-huit ans de Zézette ou quelque motif aussi respectable. Le chapitre
budgétaire «divertissements» sera-t-il assez élastique pour permettre un
extra?... Peut-être... En retranchant par-ci, par-là, sur le théâtre,
sur les voyages, sur ceci, sur cela.

Une sauterie est décidée.

On n’invitera pas trois cents personnes, ni deux cents, le salon ne le
permettrait pas; mais il faut compter sur les refus, les deuils, les
maladies, et majorer presque au double le nombre des invités. Quant à
celui des «danseurs», il devra être aussi étendu que possible. Toute
bonne maîtresse de maison sait cela.

Point d’orchestre, les mamans et les tantes se relayeront au piano.

Des fleurs et des plantes vertes, juste assez pour mettre une jolie note
gaie, beaucoup de bougies, et--dit papa--surtout point de lésinerie sur
l’article rafraîchissements! les jeunes gens qui dansent se fatiguent,
ils ont faim et soif et il faut réparer!

Maman promet donc des glaces, du punch, des sirops, du café glacé, des
pâtisseries _sérieuses_, babas, brioches, etc. Elle hasarde timidement
la proposition de ne point donner de champagne, mais papa fait remarquer
que, n’ayant pas beaucoup de monde, on peut s’offrir le luxe de bien
traiter ses invités.

Il y aura donc du champagne vers minuit, mais du bon!... parce que papa
a l’honneur de sa maison à garder, et qu’il ne veut point voir servir de
la piquette chez lui.

Point de cotillon, c’est trop coûteux, le budget s’y oppose absolument,
car, pour donner des «petites horreurs», maman ne veut pas en entendre
parler.

Seulement, au dernier tour de valse, pour la promenade finale, chaque
danseur pourra offrir à sa «dame» un des jolis bouquets que contiendra
le panier fleuri.

«Et, conclut-elle, avec deux ou trois cents francs au plus, nous nous
tirerons d’affaire; les enfants s’amuseront et... on pourra recommencer
à Pâques en matinée.»

Et les «enfants» s’amuseront, et les parents aussi, parce qu’ils ne
seront pas harassés par le souci d’une dépense exagérée. Mais... ils
n’auront pas fait tenir trois cents personnes dans deux pièces où
cinquante auraient peine à évoluer à l’aise, ils n’auront point _donné
un bal_, on ne parlera ni de l’orchestre, ni des massifs d’orchidées, ni
du brillant cotillon, et ils ne compteront que peu ou pas parmi les
_gens qui reçoivent_.

Que leur importe, s’ils ont le plaisir de s’entendre répéter par de
jeunes voix toutes vibrantes, par des voix plus mûres toutes
reconnaissantes:

«On s’amuse tant chez vous!»

                   *       *       *       *       *

_Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le
temps qu’il est sous votre toit_ (Brillat-Savarin).




CHAPITRE VIII

Les réceptions à la campagne.


C’est un des grands plaisirs de la vie rurale que de recevoir largement
ses amis, mais ce n’est pas une sinécure. Si bien installé que soit le
logis, si bien organisé que soit le service, par le fait même de la
villégiature, les conditions d’hospitalité sont beaucoup plus
compliquées qu’à la ville.

Il ne suffit pas en effet d’offrir à ses hôtes un bon déjeuner, une
promenade agréable; il faut très souvent les loger en les entourant de
tout le bien-être possible, et enfin les distraire et les amuser--si on
peut!--tout le long d’une journée et même de plusieurs.

Il y a donc lieu pour la maîtresse de maison à s’occuper: des chambres à
donner, des repas petits et grands, des passe-temps à fournir.

Mais, tout d’abord, disons quelques mots des invitations.

Tout le monde sait qu’une invitation _vague_ ne compte pas, ou pour
ainsi dire pas. Les gens bien élevés ne la prennent que pour ce qu’elle
est, une simple démonstration de politesse qui n’engage à rien. Même en
lui supposant une entière sincérité, il serait de mauvais goût d’y
répondre _ex abrupto_, sans avoir annoncé sa venue par un billet ou un
télégramme. De plus, comme à moins d’avoir un «vrai château» il est rare
qu’on ait plus d’une ou deux chambres d’amis disponibles, il faut
pouvoir «sérier» ses réceptions.

Il reste donc bien entendu que toute invitation supposant un séjour
prolongé au delà d’une journée à la campagne doit être faite pour une
date fixe et acceptée de même.

Ceci posé, voyons quel est le rôle de la maîtresse de maison.

Il faut, en premier lieu, traiter avec la cuisinière la question des
menus, toujours difficiles à établir à la campagne. Le boucher ne «tue»
pas tous les jours, on ne trouve de charcuterie fine qu’en ville, et si
la basse-cour ne peut fournir de volailles, ce qui arrive souvent quand
on n’a pas une grande exploitation agricole, on est obligé d’en chercher
dans les fermes;--rude tâche!--On s’efforcera donc d’assurer le
ravitaillement de la famille en retenant d’avance les œufs, le beurre,
le lait, etc.; et, si l’on a un potager, on vérifiera ce que le
jardinier peut promettre en fait de fruits et de légumes fins pour un
certain laps de temps. Il est de bon goût que le premier repas, le repas
de bienvenue, soit plus recherché que les suivants; c’est dire aux
nouveaux hôtes: «J’ai plaisir à vous voir et je tue le veau gras pour
vous mieux traiter.»

L’installation des chambres à coucher demande beaucoup de soins. Il faut
les aérer longuement; elles ont dû être nettoyées à fond dès l’arrivée
de la famille à sa maison des champs et entretenues dans un état de
propreté qui ne nécessite qu’un coup de balai, un époussetage. Les lits
seront faits et garnis de couvre-pieds piqués en toute saison, car il y
a des personnes très frileuses pour leur coucher. Le linge de toilette
comprendra des serviettes-éponges et des serviettes en toile
œil-de-perdrix, deux par personne; mais je trouve plus hospitalière la
coutume d’en mettre une pile de six sur la table de toilette; il ne faut
pas exposer ses hôtes au petit ennui de réclamer un supplément de linge
à l’occasion d’un accident ou d’une maladresse. Un flacon d’eau de
Cologne ou de lavande, un pain de savon dans l’enveloppe de papier fin
attestant qu’il est neuf, de l’eau très claire dans le pot à eau et dans
le broc, un tapis en linoléum ou une natte; une glace bien placée pour
s’y voir, voilà pour le coin destiné aux ablutions; on y ajoute un seau
émaillé assorti au broc et un séchoir pour les serviettes.

Dans le bureau ou le secrétaire ou la papeterie posée sur une table, on
mettra quelques cahiers de papier à lettres _non chiffré_, des
enveloppes assorties, un petit bâton de cire, un crayon, un
porte-plumes, des plumes et... de l’encre dans l’encrier, plus une boîte
à timbres-poste. Pousser les prévenances jusqu’à la remplir de timbres
serait d’une hospitalité plus fastueuse que délicate. Une pelote avec
des épingles, un verre d’eau dont le sucrier sera rempli de sucre en
morceaux... corrects, un bougeoir élégant, si l’on veut, mais surtout
pratique, sa bougie, son éteignoir, un porte-allumettes garni, un
porte-montre, complètent les accessoires.

L’hiver ou même la saison fraîche complique les soins à donner pour
assurer le bien-être de ses hôtes. Il faut aux lits couverture de laine
et édredon en plus de la couverture de coton et du couvre-pieds piqué.
Du feu pour le matin et le soir, et même un panier de bois ou un seau de
houille (suivant le système de chauffage) pour l’entretenir. Pelles,
pincettes, soufflet, irréprochables, pare-étincelles devant la cheminée
et une boule d’eau chaude dans les lits.

Si la table à toilette n’a pas d’appareil à eau chaude, le domestique
devra monter le matin une bouillotte pleine et la poser devant le feu.

Cette question du service des hôtes est sans grande difficulté dans une
maison où les serviteurs sont sérieux et bien dressés, mais la maîtresse
de maison ne doit pas la négliger.

Que mes lectrices me permettent de leur citer à ce sujet un touchant
souvenir personnel. Pendant de longues années, ma bien regrettée amie
Mme R. des G., personne d’un mérite et d’une culture d’esprit hors
ligne, a reçu tous les étés dans son petit manoir à V... les amis les
plus chers, de simples connaissances même, et le souvenir de son
hospitalité rayonne encore chez tous ceux qui en ont goûté l’ineffable
douceur.

Or, elle était paralysée des jambes, et même la parole lui était
difficile. Eh bien, de ce fauteuil au premier étage qu’elle quittait si
rarement, elle dirigeait sa maison et prévoyait jusque dans les plus
petits détails ce qui pouvait plaire à ses hôtes. Vous trouviez sous la
main des livres selon vos goûts, sur la cheminée le portrait-carte de
vos enfants, dans les flacons de la toilette ou du verre d’eau le parfum
ou la liqueur préférés, et chez les serviteurs les attentions les plus
soutenues.

Je dois convenir qu’ils étaient fidèles et dévoués à leur maîtresse;
mais si une femme âgée, infirme, impuissante à se mouvoir, obtenait de
tels résultats, à bien plus forte raison une maîtresse de maison
entendue et agissante peut-elle y arriver.

Pour peu que la station du chemin de fer soit un peu éloignée du logis,
et s’il ne s’agit pas de jeunes gens, pour qui faire la route à pied ou
en bicyclette est un plaisir, il faut faire prendre les hôtes attendus à
la gare, par sa voiture, si l’on en possède une, par un locatis
quelconque, dans le cas contraire.

Autant que possible, un des membres de la famille, au moins, doit
toujours être à l’arrivée du train pour souhaiter la bienvenue aux
arrivants. S’il y a des jeunes filles, les jeunes filles de la maison
iront au-devant d’elles.

Aussitôt arrivés, les hôtes sont conduits près de la maîtresse de
maison, qui leur adresse quelques paroles de bon accueil, et leur offre
des rafraîchissements, bière, vin blanc, cidre mousseux, et, si l’on
veut raffiner et faire plaisir aux dames, ce qu’il faut pour faire un
soda: eau de Seltz, sucre en poudre, essence de citron ou sirop de
groseilles en été; en hiver, eau chaude et rhum pour les grogs, et en
tout temps une assiettée de biscuits anglais fins.

Cette petite cérémonie ne doit pas se prolonger, car souvent, après un
voyage, on a besoin de se reposer, de se rafraîchir l’épiderme brûlé par
la poussière et le soleil.

On mène donc les hôtes dans leur chambre et on les y laisse après leur
avoir dit l’heure des repas et la signification des coups de cloche.

Assurer à ses hôtes toute liberté, voilà, en six mots, le premier
article du code des réceptions à la campagne en cas de séjour d’une
certaine durée.

Il ne faut pas, si l’on veut se séparer contents les uns des autres,
avoir fait peser sur eux le poids de son ennui et de son désœuvrement.

Il ne faut pas infliger à ses visiteurs dans toute son inexorable
rigueur «le tour du propriétaire», leur faire compter ses pêches et leur
expliquer «le pincement du bourgeon anticipé», à moins que cela ne les
intéresse très réellement, ce qui est possible,--tout arrive!

Il ne faut pas non plus que le visiteur, ne sachant que faire de lui,
impose à ses hôtes la tâche perpétuelle de distraire son oisiveté, les
oblige à jouer au whist toute une après-midi, les force à renoncer à
leurs habitudes actives s’il a des goûts sédentaires, ou les entraîne à
sa suite dans de perpétuelles excursions, s’il aime à déambuler.

En somme, là comme en toutes choses, une sage modération est
indispensable au bonheur commun et chacun doit y mettre du sien pour
entretenir la bonne harmonie.

«Enfin! les voilà partis! ce n’est pas trop tôt!» Quels sont les maîtres
de maison, même parmi les plus hospitaliers, qui n’ont pas, plus d’une
fois, pensé ou prononcé cette exclamation après le départ de quelque
ménage grincheux, tracassier, maniaque ou seulement écervelé ou
indiscret?

Combien, au contraire, sont plus touchants cet échange de paroles
affectueuses, ces serrements de main énergiques, ces regards mouillés de
quelque larme fugitive, ces regrets pour les bons instants passés
ensemble, ces promesses pour l’an prochain, ces gros bouquets, ces
bourriches gonflées qui emporteront avec eux, pour quelques jours
encore, un souvenir matériel du séjour heureux, château ou manoir.

Et, tandis que ceux qui restent rappelleront bien souvent dans les
causeries d’hiver les épisodes de ce temps où l’on avait été si
contents, ceux qui partent ont fait provision de santé, de gaîté, de
forces nouvelles, pour reprendre la tâche quotidienne.

Dans tout ce qui précède, j’ai supposé que l’hospitalité était offerte
dans une maison bien installée, bien montée en fait de service et dont
les maîtres jouissent de cet honnête revenu qualifié d’«une certaine
aisance».

Ces trois mots font beaucoup pour l’agrément et la facilité des
réceptions campagnardes. Là où les chambres d’amis sont toujours prêtes
à quelques détails près, le service et la table organisés largement, la
tâche est moins lourde pour la maîtresse de maison. Ceci est le fait des
personnes qui sont «chez elles», soit que la maison leur appartienne,
soit que, louée à bail durable, elle ait été aménagée dans les
conditions de confortable nécessaires à un séjour prolongé.

C’est tout différent lorsqu’il s’agit d’une installation temporaire, aux
bains de mer, par exemple. En ces petites villas où l’espace a été
chichement mesuré, on est souvent les uns sur les autres, le mobilier,
juste suffisant, ne permet point d’extras et la somme de fatigue à
supporter par la maîtresse de maison est doublée. Il lui faut courir à
la ville prochaine pour s’assurer des lits _volants_ qu’on ajoute aux
chambres de jeunes gens, literie, couvertures, table de toilette, etc.

Aussi est-il plus discret aux invités de se loger à l’hôtel tout
simplement. Ils trouvent dans la réunion aux repas de famille tous les
plaisirs de l’hospitalité amicale sans imposer de lourdes charges à
leurs amis.

Dans les familles où les hommes sont chasseurs, le temps de la chasse,
même lorsqu’il ne s’agit pas de grandes réunions cynégétiques, est un
peu redouté des maîtresses de maison. Ce n’est pas seulement les
messieurs qu’il faut héberger, c’est aussi leurs compagnons à quatre
pattes; la soupe des chiens n’est pas bagatelle négligeable! il en faut
plus d’une écuelle, et aussi de la paille fraîche pour leur coucher.

Le lever matinal, la «croûte à casser», avec l’accompagnement obligé de
café, de cognac, de rhum, mettent le service en branle dès le matin;
aussi les soirées prolongées ne sont-elles pas un plaisir pour tout le
monde. Les _vrais_ chasseurs, qui ont fait kilomètres sur kilomètres de
marche dans les terres grasses des champs, le sol inégal des bruyères,
l’enchevêtrement des taillis, tombent de fatigue et de sommeil. En
pareil cas, une maîtresse de maison vraiment hospitalière ne les oblige
pas à faire leur partie dans les petits jeux qui les font bâiller et le
whist où ils s’endorment. On garde cette ressource pour les jours où le
mauvais temps retient les Nemrods au logis.

Ah! les jours de pluie! Que faire de ses hôtes quand il pleut trois
jours de suite? Si la demeure est vaste, avec de grandes pièces, une
bibliothèque bien meublée de livres amusants et intéressants, un hall
garni de jeux divers: toupie hollandaise, billard anglais, trictrac,
etc., et que les invités soient gens d’esprit et de ressources, on n’est
pas encore trop à plaindre, et même la vie sédentaire repose des
excursions et des sports de plein air; mais il y a des gens si lourds,
si ennuyeux, si apathiques, si vides de cervelle et d’esprit, qu’on ne
sait comment les occuper. Le whist, le boston, les patiences, les
dominos, les dames, les journaux de modes (il est bon d’en avoir des
collections anciennes à la campagne), sont une ressource pour bien des
femmes; les ouvrages d’agrément et même le travail pour les pauvres à de
petits objets faciles, chaussons, brassières, etc., au crochet ou au
tricot, peuvent remplir une heure ou deux; c’est autant de pris sur
l’ennemi. Enfin, pour la jeunesse, le délicieux plaisir des charades en
costume, des saynètes improvisées, est tout indiqué. Les artistes
musiciens ou peintres ne sont point à plaindre: ils portent avec eux une
source intarissable de passe-temps des plus agréables pour eux et pour
autrui. Ah! les bonnes après-midi qu’on passe ainsi groupés autour du
piano pour déchiffrer une partition ou répéter les duos, trios,
quatuors, chœurs même, qu’on redira ensuite devant un cercle d’amateurs,
ou bien à préparer un salut en musique qui fera l’orgueil et la joie du
curé de la paroisse et grossira le produit de la quête pour les pauvres!

On ne pense pas à la pluie qui noie les pelouses, change les routes en
torrents, ni à la revanche que l’on comptait prendre sur de terribles
adversaires qui vous ont battu au tennis et au croquet... C’est dans une
sphère plus élevée que plane l’esprit et que se meut l’imagination.

Ceci m’amène naturellement aux jeux de plein air si utiles, si
hygiéniques, si agréables à la campagne.

L’humble ménage ouvrier, si intéressant, qui, à force de travail et de
sage économie, a pu se donner le bonheur d’une maisonnette, avec son
jardin de vingt mètres carrés dans la banlieue de Paris, y installe une
balançoire, un jeu de quilles et un jeu de tonneau. Le châtelain qui
offre à ses visiteurs la promenade dans les serres, un lac avec des
bateaux, théâtre de salon, billard, lawn-tennis, tir, etc., n’est certes
pas plus complètement heureux.

Dans toute bonne maison, à la campagne, il faut réserver dans le jardin
un emplacement pour les jeux de plein air, ombragé autant que possible,
et avec un sol plan et sablé. S’il y a des enfants, un portique de
gymnastique où s’accroche une balançoire est une source de grand
plaisir.

Je ne citerai ici que le nom de quelques jeux, les détails à ce sujet
sortiraient des limites de cet article: _Lawn-tennis_, _croquet_, _jeu
de boules_, _jeu de quilles_, _jeu de tonneau_, _tir à l’arc_, _jeu de
fléchette_, _jeu de volant_, _de bagues_; il y en a d’autres encore.

La maîtresse de maison doit veiller: 1º à ce que le matériel des jeux
soit toujours en bon état; 2º à ce qu’il reste au complet. Jamais on
n’arrivera à ce résultat si l’on n’exige pas que tous les soirs les jeux
soient rentrés dans une resserre ou une armoire spéciale. Il faut faire
compter les boules, les quilles, les cerceaux et maillets du croquet,
les raquettes et balles du tennis, etc., c’est un pli à faire prendre.
Il suffit, quand il est bien pris, de s’assurer de temps en temps qu’on
s’y conforme.

Les réunions priées en «matinée» sont presque toujours jolies et
amusantes à la campagne. Tout s’y prête: le charme des jardins et parcs,
la joyeuse liberté du plein air, la variété des jeux et des
divertissements et aussi l’éclat des toilettes fraîches et gaies pour
les jeunes filles et les jeunes gens.

Les fêtes de soir sont essentiellement un plaisir de ville; les trajets
en voiture dans l’obscurité sont toujours désagréables et parfois
dangereux. Les chemins vicinaux ne sont point encore éclairés au gaz ni
à l’électricité, et, par une nuit sans lune et un ciel couvert, les
lanternes ne sont que d’un secours très mince.

Que les invitations soient donc faites pour deux heures de l’après-midi,
trois au plus tard, afin qu’on ait le temps de s’ébattre et de danser à
loisir.

Je n’entrerai point dans le détail des amusements d’une fête de
campagne, cela nous conduirait trop loin et serait d’ailleurs presque
inutile, car je suis convaincue que l’imagination de mes jeunes
lectrices, aidée, pour beaucoup d’elles, par les leçons d’une agréable
expérience, leur fournira en foule des idées aussi ingénieuses que
pratiques.

Depuis le simple goûter dont La Fontaine nous donne le menu dans
_Philémon et Baucis_,

    Le linge orné de fleurs fut couvert pour tous mets
    D’un peu de lait, des fruits, et des dons de Cérès,

jusqu’à la grande réception du château avec bal champêtre aux lanternes
chinoises, feu d’artifice, souper, etc., il y a cent façons de traiter
ses invités. Tout dépend de la dépense qu’on peut faire et du train
qu’on veut mener.

Pour une simple après-midi de famille et de bon voisinage, un joli
goûter servi dehors est bien suffisant. On se sert de tables sans
prétention, qu’on rallonge, s’il y a lieu, en les mettant bout à bout;
sur la nappe, à bordure de couleur ou frangée, viennent s’aligner les
assiettes avec couvert de dessert, des verres à bière et à vin. Le menu
comprend des jattes de crème fouettée ou de fromage à la crème _fin_,
des gâteaux _solides_, galette, brioche, kugelhof, plum-cake, gâteau
breton, etc., des petites pâtisseries sèches, biscuits genre anglais,
grissinis, gauffres flamandes, etc., point de bonbons ni de gâteaux
d’entremets, mais des fruits tant qu’on veut... et qu’on peut, surtout
des fraises, des cerises, pêches, abricots, prunes, du raisin suivant la
saison et toujours en abondance.

Pour boisson, de la bière, du cidre mousseux, du vin blanc, du vin
rouge, et, si l’on est un peu en cérémonie, des vins sucrés, frontignan,
muscatelle, banyuls, etc.

On peut corser ce menu champêtre en y ajoutant des sandwiches au jambon
ou quelqu’un de ces nobles pâtés en terrine dont la réussite est une
tradition de famille dans les _bonnes maisons_.

En ce cas le goûter tourne au lunch solide et demande qu’on y fasse
entrer des petits pains et des vins rouges, bordeaux ou bourgogne.

Pour les réunions d’enfants, des fruits, de la crème fraîche, des
tartines de beurre fin, un gros gâteau et quelques menues friandises,
biscuits ou petits fours.

Il est de rigueur d’offrir aux visiteurs, qui souvent ont fait une
longue course à pied, des boissons fraîches et des gâteaux ou biscuits;
aussi une bonne maîtresse de maison doit-elle prendre soin de tenir
toujours au courant sa provision en ce genre.

Enfin, et pour terminer, rappelons la part des humbles: l’enfant qui est
venu faire «une petite commission», le facteur altéré par les marches
dans la poussière, le pêcheur qui vient de loin vous apporter son panier
de poisson, doivent trouver à la cuisine la tartine de beurre qui apaise
leur faim, le verre de cidre ou de bière qui étanche leur soif, et, si
c’est en hiver, le bol de soupe chaude qui réconforte; n’est-ce pas bien
juste que, de tant de satisfactions que donne la vie à la campagne, on
fasse «la part à Dieu»?

Les «parties de campagne», visites en bande joyeuse à des endroits
célèbres, vieux châteaux, ruines, lacs, points de vue, etc., avec
déjeuner ou lunch, sont un des plus grands plaisirs de l’hospitalité des
champs, mais elles demandent pas mal de préparatifs qui doivent être
tous terminés dès la veille au soir, car très souvent l’excursion exige
un départ matinal. J’en excepte, bien entendu, les choses qui ne peuvent
être faites qu’au dernier moment, comme les plats d’œufs, le café, etc.

Il y a plusieurs manières de s’arranger pour ces repas d’aventure. Tout
dépend de l’endroit où l’on pourra les prendre. S’il y a dans le pays, à
proximité, quelque auberge propre et gaie, tenue par une hôtesse
avenante et bien outillée, on n’a besoin d’emporter que viandes froides,
pâtés ou volailles rôties, des gâteaux et des fruits pour le dessert,
puisqu’on trouvera linge de table, assiettes, verres, etc., et qu’il
sera facile de faire ajouter sur place au menu une soupe au lait, une
omelette et des pommes de terre sautées.

Pour la boisson, on est toujours obligé d’en prendre une bonne partie à
l’auberge, cidre ou vin ordinaire; c’est chose due à l’aubergiste, qui
ne se «rattrape» guère que là-dessus; mais il est facile d’emporter
quelques bouteilles de sorte plus fine.

Quand il s’agit d’un _repas sur l’herbe_, comme on disait au temps
jadis, la chose est infiniment plus compliquée.

Je sais qu’on trouve maintenant tout un matériel de campagne très
perfectionné pour ce genre de plaisir. Tente, pliants, paniers de
service contenant tout ce qui est nécessaire ou même utile en fait de
linge, de vaisselle, d’accessoires de table, etc.; paniers outillés pour
le transport des mets et pouvant contenir sans les endommager les aspics
et les chauds-froids les plus savants; mais descendons de ces hauteurs
réservées au high-life, et occupons-nous tout simplement de la bonne
partie de campagne de famille, moins fastueuse sans doute, mais tout
aussi amusante.

Pour peu qu’on aime à les renouveler souvent, ces parties, il y faut
aussi un matériel spécial, car il n’est pas d’une sage administration
d’exposer aux hasards de la vie nomade l’argenterie, le linge fin, les
services de faïence, qui seront dépareillés en cas d’accidents;
d’ailleurs ceux-ci sont en général encombrants et lourds, et, quand il
faut tout emporter, on se trouve bien de réduire au minimum la dimension
des colis.

Supposons que l’excursion aura pour but un site pittoresque, soit au
bord de la mer, soit ailleurs, et que la course sera assez longue pour
qu’on doive partir vers sept heures et ne rentrer qu’un peu tard dans la
soirée. Il y aura donc lieu pour la maîtresse de maison de se
préoccuper:

1º Du premier déjeuner;

2º Du second;

3º D’un goûter vers cinq ou six heures;

4º De ces petites _grignoteries_ qu’enfants, jeunes gens et même grandes
personnes aiment à trouver pour soutenir les forces un peu ébranlées par
le lever matinal.

Pour le premier déjeuner, il faut que la cuisinière se lève avant le
jour si l’on veut avoir thé, café, chocolat; mais très souvent, en
pareil cas, on simplifie pour ne pas éterniser le service et retarder le
départ et on se contente d’une tasse de café, d’un bol de lait ou de
bouillon. Le tout très chaud; il n’est pas prudent de se mettre en
voiture après avoir pris du lait frais, par exemple.

Pour le second déjeuner, sont à recommander les omelettes froides, les
œufs durs, les boîtes de sardines, les volailles rôties, les pâtés en
terrine ou en croûte, le veau ou le bœuf en gelée, enfin la charcuterie
fine, mortadelle, saucissons divers, jambons, jambonneau, etc. Le choix
est large.

Pour le dessert, des gâteaux solides: plum-cakes, quatre-quarts, gâteau
breton, etc., des fruits, qu’il faut toujours emporter, car c’est une
illusion des citadins que de croire qu’on trouve des fruits de table à
la campagne. Sauf dans quelques provinces où la douceur du climat et les
coutumes héréditaires poussent les habitants à cultiver les arbres à
fruits, l’insouciance des paysans sous ce rapport est chose lamentable,
et le sol français pourrait fournir à l’étranger, en fruits de table,
trois fois plus qu’il ne fait. Combien j’admire ce pasteur suisse (j’ai
oublié son nom) qui, pendant la saison, avait toujours quelques greffons
en poche, et, lorsqu’il voyait dans les bois un sauvageon de belle
venue, le greffait incontinent. «Quelque voyageur passant par ici plus
tard sera bien heureux de se rafraîchir avec un bon fruit», disait-il.

Mais revenons à notre affaire. Il faut donc emporter ses fruits; je
recommande de prendre la très légère peine d’envelopper les pêches, les
abricots, dans des feuilles de vigne et dans du papier; sans cette
précaution ils arriveraient en pitoyable état et meurtris par les
secousses du voyage.

Pour les fraises, mes lectrices me sauront gré de leur indiquer le moyen
d’en faire un dessert délicieux; on les épluche et on les met dans un
récipient de porcelaine ou de cristal, tel qu’un légumier, par exemple;
on les sucre abondamment, on y ajoute du rhum ou du kirsch, on met le
couvercle, qu’il faut assujettir avec une ficelle, puis on a soin de
placer le tout d’aplomb dans la caisse ou le panier à provisions, car le
jus qui s’en dégage pourrait couler et faire des malheurs.

Pour le goûter du soir, les restes, qu’on a dû correctement dresser,
peuvent servir à faire des pains fourrés très appréciés. Enfin, pour les
«en-cas», on aura réservé un panier pas trop grand et qui contiendra des
fruits et des gâteaux, brioches, madeleines, soit en tranches, soit
entiers. Les envelopper dans du papier ne suffit pas, car à l’usage ce
papier se graisse, se déchire, et les pâtisseries ne sont plus
protégées. En garnissant la corbeille d’une petite serviette, on évite
ce grave inconvénient.

Il faut calculer largement pour le pain et en emporter de deux sortes:
du pain ordinaire qui servira aux gros mangeurs et au cocher, et des
petits pains, _ad libitum_, mais toujours en prévision de deux bons
repas au moins! car on ne sait pas si un accident ou un malentendu ne
vous retiendra pas beaucoup plus longtemps en route qu’on n’y comptait.
Les bouteilles de vin ou autres seront munies de leurs coiffes de
paille, et parmi elles une bouteille de _bon café noir en bouteille_,
sans chicorée.

A emporter, dans des boîtes de fer-blanc, du sucre en morceaux et du
sel, et, si l’on veut, dans un petit pot de grès, le beurre bien frais,
couvert d’un linge mouillé en plusieurs doubles et ficelé autour du pot.

La caisse de vaisselle, qui sera faite la veille, contiendra: des
assiettes, une par personne et six en plus, des verres, des couteaux et
fourchettes, des cuillers, grandes et petites, en ruolz, ou mieux en
métal anglais beaucoup plus léger, enfin un tire-bouchon; le tout
enveloppé largement de papier. Pour le linge, il ne faut pas d’économie
mal entendue, une serviette pour chaque personne, une petite nappe,
trois serviettes d’office et six torchons, car il faut pouvoir essuyer
la vaisselle plus d’une fois, puisque l’on n’a pas de quoi la changer.
Enfin, il est indispensable d’emporter un bassin de fer-blanc ou
d’émaillé et un petit broc qui puisse servir à puiser de l’eau. Il est
presque partout facile de trouver sous l’ombrage, auprès de quelque
source fraîche et limpide ou d’un petit torrent jaseur, un bon
emplacement pour y installer le couvert, mais au bord de la mer l’eau
douce est chose rare. Si l’on doit déjeuner sur la grève ou dans les
rochers, on devra faire sa provision d’eau au village le plus proche. Je
recommande à mes jeunes lectrices chargées du déballage de mettre de
côté, à mesure qu’on les enlève, tous les papiers qui ont servi pour le
premier transport et seront nécessaires pour le second; on les réunit
dans un des paniers.

Les viandes rôties ont dû être entourées: 1º de grandes feuilles de
vigne; 2º de papier; 3º d’un torchon épais plié en double. Faute de ces
soins, le jus et la graisse s’insinuent traîtreusement un peu partout.
Les pâtisseries seront aussi mises dans plusieurs papiers. Pour les
grands gâteaux plats, si l’on veut qu’ils conservent bonne apparence
pour figurer sur la table, il sera prudent de les laisser sur leur
plateau de cuisson.

Enfin, comme dernier conseil, j’engagerai les personnes qui ont la
passion--je la comprends et je la partage, oh! combien!--de garnir les
mets et le couvert de verdures et de fleurs, à se montrer très
prudentes. Il y a dans les prairies beaucoup d’espèces de plantes si
vénéneuses qu’un peu de leur suc suffit pour causer de graves accidents.
Je citerai entre autres cet exemple que tout le monde connaît: la grande
ciguë, dont les feuilles ressemblent tant à celles du persil.

Il est d’usage de nourrir le ou les cochers, et, comme ils ont bon
appétit, il est à propos de prendre pour eux de la viande froide ou de
la charcuterie moins fine que pour les maîtres. On leur donne aussi ceux
des restes qui ne valent pas la peine d’être emportés pour le lunch, et
on y ajoute un verre ou une bouteille de vin suivant les cas. Ces
petites largesses profitent à tout le monde, «au bourgeois» tout le
premier, parce qu’il se fait ainsi la réputation «d’être du bon monde
qu’on aime bien servir».

Un dernier mot: il peut au cours d’une excursion longue et mouvementée
se produire plus d’un accident grand ou petit, chute, contusions,
piqûres venimeuses, syncopes, etc. Il est donc non seulement prudent,
mais nécessaire, d’emporter toute une pharmacie de campagne.

Elle devra comprendre:

Un petit flacon d’un spiritueux énergique, élixir de chartreuse, alcool
de menthe ou eau de mélisse des Carmes;

Un petit flacon de sirop d’éther;

Un petit flacon d’arnica ou de thymol;

Un petit flacon d’acide phénique concentré; celui-ci contenu dans un
étui, car son odeur se répand avec une facilité déplorable;

Quelques sinapismes Rigollot;

Une ou deux bandes très longues, roulées serrées;

Une petite provision de charpie, ou mieux de ouate hydrophile dans un
carton ou un sac;

De l’amadou;

Du collodion en feuilles;

Un grain d’émétique;

Un morceau de flanelle pour frictions.

Enfin, dans le _sac_, le sac par excellence, qu’emporte la mère de
famille et qui la suit partout:

Un bon couteau de poche;

Une trousse bien garnie de mercerie;

Fil blanc et noir, aiguilles, épingles, ciseaux, passe-lacets, boutons,
agrafes, tresse de coton, ruban de fil, etc.;

Une boîte d’allumettes-bougies, ou tout simplement d’allumettes
suédoises;

Un peloton de ficelle;

Un gobelet d’argent;

Un _coco_ ou un verre dans son étui;

Un carnet avec un crayon;

Une petite brosse;

Un flacon de sels;

Un étui de fer-blanc (les boîtes de cacao sont parfaites pour cet usage)
qui contiendra quelques morceaux de sucre et une toute petite fiole de
rhum;

Trois vieux mouchoirs;

Enfin une bougie, car un accident de voiture peut arriver et vous
retenir la nuit dans un endroit désert.

«A quoi bon tant d’embarras, diront les gens simplistes, pour parer à
des événements qui ne se produiront sans doute pas?»

A cela je réponds qu’ils peuvent se produire et que la question
«d’embarras» n’en est pas une, car le sac et la boîte à pharmacie une
fois faits resteront tels indéfiniment. Les prendre et y jeter un coup
d’œil pour s’assurer qu’ils sont au complet n’est pas une affaire, et
rien n’est de trop pour une femme de cœur quand il s’agit de bien
remplir ce rôle de Providence visible qui lui a été dévolu ici-bas.




CHAPITRE IX

Budget et comptabilité.


Le sujet que j’entreprends de traiter est, on ne peut le nier, hérissé
de difficultés, et cependant, il me paraît si important pour le
bien-être, l’honneur même de la famille, qu’il doit nécessairement
trouver place dans une série d’articles destinés aux jeunes maîtresses
de maison, ou à celles qui le seront bientôt.

Avant de m’y engager, je préviens mes lectrices que je ne leur donnerai
point de _chiffres_. Je n’entends jeter aucun blâme sur la méthode
contraire. Je conviens que les articles bourrés de minutieuses
énumérations que je lis ici ou là sont faits très consciencieusement, de
la meilleure foi du monde, avec le plus grand désir d’être sérieusement
utiles, mais ils ont, selon moi, le grand tort de n’être nullement
pratiques. Il y a tant de diversité dans les conditions de fortune, de
position, de résidence! Un type général ne s’adapte jamais à toutes les
situations, pas même au plus grand nombre, et restera dans le domaine
des utopies.

Qu’en résulte-t-il? C’est que l’essai, trop souvent, décourage à fond
les bonnes volontés. On a voulu faire ce qu’indiquait le livre ou le
journal, on n’a pas réussi pour cent mille raisons; on désespère d’y
arriver; selon le vieux proverbe, _on jette le manche après la cognée_,
et on laisse tout aller, sans essayer de réagir.

Qu’on ne s’attende donc point à trouver ici des colonnes savamment
alignées où figurent par mois, tant pour le loyer, tant pour la
nourriture, tant pour ceci, tant pour cela, tant pour cette autre chose.
Nous prendrons de haut les grandes lignes du budget, et nous chercherons
surtout comment il peut s’équilibrer et soutenir son équilibre en
général, quels que soient le revenu et les besoins.

Le revenu et les besoins! Voilà, qu’il s’agisse du jeune ménage ouvrier
ou du plus puissant empire, les deux termes entre lesquels la question
budgétaire est tout entière comprise.

Il faut proportionner son revenu à ses besoins, ou ses besoins à son
revenu, redoutable dilemme en face duquel se trouve tout être civilisé
qui veut vivre libre et honoré.

Or le premier point est le plus souvent hors de notre atteinte, c’est
donc sur le second que doit se concentrer toute notre attention et toute
notre activité pratique.

                   *       *       *       *       *

Voici un jeune couple, de retour après le plus heureux voyage de noces.
Je le suppose dans une condition moyenne, possédant par la dot de la
femme et le travail du mari une petite aisance suffisante à des goûts
modestes, et néanmoins habitué aux raffinements d’une vie correcte et
d’un milieu de bonne éducation.

J’ai dit: une _petite aisance_, et voici pourquoi.

A moins qu’il ne s’agisse de ces grosses fortunes sur lesquelles les
brèches marquent à peine, les parents ne peuvent donner à leur fille
qu’une dot dont le revenu est presque minime comparé à celui qui fait
vivre la famille réunie. Si généreux que soit le père, il peut avoir
d’autres filles à doter, des garçons à établir, une industrie ou des
affaires qui l’obligent à garder des fonds disponibles, une position
officielle qui le force à de lourds sacrifices.

La nouvelle mariée ne peut s’attendre à vivre largement et un peu
mollement comme elle le faisait chez sa mère. Elle ne sera point servie
par plusieurs domestiques, sa table sera moins abondante, et elle aura
beaucoup moins de temps à donner aux beaux-arts (?), à la toilette, aux
visites chez les amies, aux papotages, flâneries et gentillesses du même
genre.

Je me hâte de le dire, je ne la trouve nullement à plaindre en ceci.

Pour une femme sérieuse, intelligente et dévouée,--une vraie femme
enfin--la joie de fonder une famille, de se créer un intérieur, de
rendre heureux le cher compagnon de sa vie, est si grande, si pure,
qu’elle emporte tout et que les privations ne se sentent pas.

Mais, pour en revenir au sujet qui nous occupe, ce jeune ménage qui
déboucle ses malles ne doit pas se faire d’illusion sur ce point-ci,
c’est qu’il ne peut calculer ses dépenses et les ordonner sur le pied
qu’il a connu jusqu’alors. C’est une nouvelle existence qui commence
pour Elle comme pour Lui: car si Elle a joui, sans trop se demander
comment cela se faisait, du bien-être de la maison paternelle, Lui, s’il
a eu de bonne heure une jolie position et toujours une bonne conduite, a
pu, comme garçon, vivre de façon aisée et presque large.

Ils n’ont donc ni l’un ni l’autre l’expérience des bourses trop légères,
des fins de mois tardives à venir, oh! combien! des déficits imprévus,
des notes où l’addition s’allonge en terrifiantes colonnes!

Ils feront des écoles, je n’en doute pas! Plus d’une fois Monsieur
trouvera le dîner un peu court et le compte de la couturière un peu
long; Madame, les larmes aux yeux, gémira sur un livre ou un bibelot
auquel Monsieur n’a pas su résister. Mais, s’ils sont tous deux honnêtes
et vaillants, ils se tireront d’affaire avec le temps.

La première chose à faire pour eux est d’établir le budget en recettes
et dépenses. Le côté Recette est évidemment le premier à régler, puisque
avant de décider les dépenses que l’on fera, il est indispensable de se
rendre compte de ce qu’on aura à dépenser.

On ne saurait trop insister sur ce point que, dans l’évaluation du
revenu, il faut être non seulement exact, mais sévère. Les «à peu près»
ne doivent pas figurer en ligne de compte.

Dire: nous aurons 7 540 francs de revenu environ, mettons 8 000 en
chiffres ronds, est une grosse imprudence. Si vous avez la passion du
«chiffre rond», mettez 7 000, jeune ménage, et arrangez-vous en
conséquence, les 540 ne seront pas de trop pour couvrir les imprévus,
les pertes; et d’ailleurs êtes-vous si sûrs que cela de leur pérennité?
Les diminutions de traitement si le mari est fonctionnaire, les aléas de
métier s’il exerce une profession libérale, les chances du commerce et
de l’industrie, vous réservent de désagréables surprises.

Sous bénéfice de cette observation, vous établirez donc ainsi qu’il suit
votre budget de recettes:

  Appointements de Monsieur       _tant_.
  Revenus de ses biens            _tant_.
    --    de la dot de Madame     _tant_.

Ajoutez comme mémoire, si vous voulez, que la somme divisée par douze,
par cinquante-deux, par trois cent soixante-cinq, donnera tant à
dépenser par mois, par semaine, par jour, mais ce petit calcul, un peu
puéril, n’aboutit en réalité à aucune conséquence pratique, car, pour
peu qu’on soit au-dessus des classes ouvrières ou petites bourgeoises,
on ne vit point _au jour le jour_, et il y a beaucoup de dépenses qui se
font par sommes d’une certaine importance et ne sauraient entrer dans un
compte quotidien.

J’ai supposé, dans ce qui précède, qu’il s’agissait d’un ménage de
fonctionnaire ou d’employé dont les revenus sont à peu près fixes; s’il
s’agit d’un avocat, d’un médecin, d’un artiste, d’un industriel, en un
mot d’un chef de famille dont les ressources annuelles sont
essentiellement et inévitablement variables, il faut prendre comme base
de revenu celui des dernières années, trois ou cinq par exemple, laisser
une marge assez large à l’évaluation en moins, car il est sage de faire
la part des aléas de la clientèle, de la mode, de la santé, des crises
commerciales, et établir son budget comme j’ai dit plus haut. Si, par
exemple, le jeune avocat ou le jeune médecin a gagné en moyenne de six à
huit mille francs pendant les dernières années, tablez sur sept au plus!
Si les gains se trouvent plus forts, ils seront les bienvenus, on mettra
de côté pour les années mauvaises et la dot des enfants, et l’on pourra
s’accorder un petit plaisir, achat d’un meuble désiré ou voyage, pas
bien loin.

Ce n’est qu’après une série un peu longue, et soutenue sans défaillance,
d’années prospères, qu’on peut, sans manquer à la prudence, modifier son
train de maison s’il y a lieu et l’établir sur une plus large base de
revenu.

Voici maintenant un genre d’existence où l’établissement solide d’un
budget exige de la part de la maîtresse de maison une grande fermeté et
beaucoup de capacité et d’expérience, c’est le budget rural. Les revenus
sont on ne peut plus variables, les dépenses sont comme les revenus. Il
y a des années où, même sans catastrophes ou mauvaises récoltes, par le
seul fait du mouvement de la vie, s’imposent de lourds sacrifices. C’est
un mur, un toit qu’il faut refaire, un vieux cheval qu’il faut
remplacer, du matériel agricole usé ou détérioré qui réclame réfection
ou rachat. La somme de ces frais entre pour une forte proportion dans le
budget du propriétaire de campagne;--plus il est riche en biens-fonds,
plus il y a d’espace appelant les brèches, de fermiers qui ne paient que
peu ou mal, de gardes qui laissent piller les bois, de clôtures à tenir
en état, etc. Si la nature des revenus est variable quant à la quotité,
elle est de plus variée quant à l’espèce, de sorte que leur évaluation
est presque impraticable.

Il y a pourtant, j’en ai connu, des châtelaines si entendues, si
ordonnées, qu’elles tiennent leurs livres avec l’exactitude d’un
comptable de profession.

Les douzaines d’œufs, les volailles, les kilos de beurre, les fromages
apportés en redevances ou fournis par la maison rustique, y figurent
sans un oubli, sans une erreur; l’évaluation du bois pour le chauffage,
du vin et du cidre pour la boisson, de la paille et du fourrage pour les
chevaux, basée sur les mercuriales, permet de se rendre compte, à peu de
chose près, des ressources du domaine et de balancer dépenses et
recettes.

J’admire profondément, je l’avoue, ces femmes vaillantes qui, au prix
d’un rude labeur et de soucis incessants, assurent le bien-être à leur
famille, à tout un peuple de serviteurs, et maintiennent, augmentent
même la prospérité de la maison.

Cette admiration va surtout à celles qui savent allier, chose rare et
touchante, la fermeté, l’économie, la prudence, à l’indulgence envers
les humbles, à la charité envers les pauvres et les petits.

Le revenu probable étant une fois fixé comme je viens de le dire, notre
jeune ménage va s’occuper des dépenses. Il en a déjà parlé plusieurs
fois, et, sous l’abat-jour rose du salon de «maman», dressé un joli
petit budget. Il y entrait de charmants voyages, un délicieux petit
appartement, des fleurs, des palmiers phœnix ou autres, des _amours_ de
bibelots et, dans le fumoir de Monsieur, des draperies pur Orient, et,
pour faire face à tout ce luxe, des rouleaux d’or s’alignant en
colonnades.

Non, pas ce chatoyant budget-là, un autre, presque rébarbatif. Loyer,
impôts, pain, viande, vin, chauffage, éclairage, etc. Mots sévères, gros
de soucis pour la jeune maîtresse de maison à son début!

Envisageons-les bravement, et tout d’abord admettons ceci, c’est que,
pour les six premiers mois, je dirais presque pour la première année, ce
budget ne peut s’établir que de façon provisoire. On consulte les
parents, les amis déjà un peu plus avancés dans la vie de ménage et dont
la régularité, l’ordre, le sérieux, peuvent inspirer confiance, et, sur
les bases ainsi obtenues, on dresse ce petit tableau:

   1º Loyer, impôts, assurances                        000
   2º Nourriture                                       000
          boucher      00
          boulanger    00
          épicier      00
          marché       00
          divers       00
   3º Boisson                                          000
   4º Éclairage, chauffage                             000
   5º Entretien du mobilier                            000
   6º Toilette de Monsieur                             000
   7º     --      Madame                               000
   8º Gages et service                                 000
   9º Santé (pharmacien, médecin)                      000
  10º Abonnements, livres, etc.                        000
  11º A ajouter s’il y a lieu: frais professionnels    000
  12º Chevaux et voitures                              000
  13º Charité                                          000
  14º Imprévu et divers                                000
  15º Économies                                        000

Nous allons reprendre un à un ces divers chapitres sur lesquels il y a
nombre d’observations à présenter.

_Le loyer._--Une tradition économique, peu justifiée selon moi, veut
qu’on affecte à son logement le dixième de son revenu. En thèse
générale, très générale, cela peut s’admettre, mais combien la pratique
vient souvent à l’encontre de ce précepte! Il y a des villes de province
où, pour une raison ou une autre, on ne peut se loger sans arriver à un
taux désespérant ou alors sans s’imposer, de ce chef, des privations
d’autant plus pénibles qu’elles portent sur le bien-être de toute la
famille, sur la santé peut-être; presque partout maintenant, la
proportion du dixième est insuffisante.

Les nécessités professionnelles pèsent d’un poids fort lourd parfois
dans la balance. Un avocat, un notaire, un avoué, un médecin, sont
forcés d’avoir non seulement un cabinet convenable, mais encore salle
d’attente, local pour les clercs, le secrétaire, etc. Aux percepteurs de
ville, receveurs des finances, receveurs d’enregistrement, conservateurs
des hypothèques, il faut des bureaux avec entrée indépendante autant que
possible et toujours couloir ou vestibule d’attente. Soit qu’on les
prenne sur la part du logis réservée à la famille, soit qu’on s’installe
dans un bâtiment spécial, tout cela augmente considérablement le prix du
loyer. En revanche, si le chef de famille est employé dans un ministère,
dans une banque où il a son bureau, la somme à consacrer au loyer est
bien diminuée.

La question du quartier est aussi à faire entrer en ligne de compte. Le
choix n’est pas toujours libre, la situation sociale, les nécessités de
profession, peuvent imposer tel ou tel point d’une grande ville où les
appartements sont beaucoup plus chers que dans tel autre.

Enfin, la vie avec des parents âgés qu’il faut installer de façon
confortable et hygiénique, ou de jeunes enfants pour lesquels un endroit
paisible et aéré est indispensable, influent encore sur la quotité qu’il
convient d’attribuer à ce chapitre du budget.

Je pourrais citer bien d’autres exemples, mais je résume en disant qu’il
faut tâcher d’osciller entre _un_ et _deux_ dixièmes du revenu, sans
jamais aller plus loin.

Au loyer se rattachent:

1º Les impôts;

2º L’assurance contre l’incendie;

3º Les divers frais que l’on a à supporter dans les locations de ville:
eau, tapis, gaz, etc., et aussi les frais d’entretien, notes du vitrier,
du plombier, etc., ceux-ci à prévoir en bloc.

_Nourriture et boisson._--C’est le gros morceau du budget; d’abord parce
qu’il constitue une série incessante de dépenses renouvelées chaque
jour, et aussi parce que c’est là que le gaspillage, le «coulage» pour
employer le terme usité, si expressif, s’exerce le plus aisément et le
plus coûteusement. L’expérience seule peut aider la jeune maîtresse de
maison à fixer à peu près la somme qu’il convient d’attribuer à ce
chapitre. Cette somme varie d’ailleurs non seulement d’après
l’importance de la famille, mais aussi d’après la profession de son
chef. Chez un employé, un militaire, un professeur, un artiste, il n’y a
pas lieu de tenir «table ouverte»; chez les commerçants, notaires,
avoués, hommes d’affaires en général, il y a au contraire à héberger
très souvent des hôtes de passage, ce qui nécessite des dépenses
continuelles et même un train de vie plus soutenu, une cave mieux
montée, etc. Ceci rentre dans les frais professionnels.

Dans tous les cas, quelle que soit la proportion à attribuer au chapitre
qui nous occupe, il faut, après expérience faite, tâcher de la définir
nettement au moins dans ses grandes lignes.

Les livres du boucher, du boulanger, de l’épicier, réglés au mois, les
comptes de la laitière, du marché, les notes du fournisseur de vins,
donneront une base suffisante pour établir le _quantum_ de la dépense
par semaine, par mois, par an. Le chiffre de prévision devra dépasser
d’une centaine de francs au moins le chiffre réel, si l’on ne veut pas
avoir de surprises trop désagréables.

Quant au surplus amené par une hospitalité imprévue et prolongée, par
des extras dans les fêtes de famille ou, ce qui est moins gai, par la
maladie, les larcins, les accidents, il peut être classé sous la
rubrique: _divers_, un peu grossie à cet effet.

La somme à attribuer à la nourriture doit être calculée sans
exagération, mais aussi sans lésinerie. Il faut que le mari qui
travaille, les enfants qui grandissent, les serviteurs qui se fatiguent,
puissent accroître ou réparer leurs forces. Les économies en ce cas sont
mal, très mal entendues, si elles portent sur ce qui fait le fond de
l’alimentation comme _qualité_ et _quantité_. Je souligne ces deux mots
pour appeler sur eux l’attention de mes lectrices, car ils sont fort à
considérer. Pour se bien porter et pouvoir bien travailler, une bonne
nourriture est indispensable, de bonne viande, de bon pain, de bon lait,
des œufs, des légumes, du sucre, du café. Économisez tant que vous
voudrez sur les truffes, les primeurs, les pâtisseries, les bonbons, les
liqueurs, etc. (sauf quand l’hospitalité vous fait un devoir de les
offrir à vos invités), mais dans la vie de tous les jours, ces
recherches gourmandes sont plus qu’inutiles, elles sont nuisibles.

Calculez largement, sans gaspillage, pour les besoins de la table
familiale.

Je me suis laissé dire qu’il y a des femmes dont les goûts dispendieux
en fait de toilette et de plaisir se compensent par une parcimonie
étrange en ce qui concerne le bien-être intérieur. Peu de linge, point
de feu, peu de mets sur la table des maîtres, à peu près rien sur celle
des serviteurs.

Ai-je besoin d’insister sur l’odieux de telles pratiques? Sacrifier la
santé des êtres qui dépendent de vous à des satisfactions de l’ordre le
plus mesquin est le fait d’un cœur sec, d’un esprit étroit, d’un
caractère dont la bassesse révolte les âmes honnêtes.

Ce n’est pas toujours la sotte vanité de promener pendant quelques
heures un panache inédit ou des falbalas extravagants qui pousse les
femmes à un excès d’économie. Une pensée plus louable peut les diriger,
celle «de mettre de côté» pour la dot des enfants ou pour se créer un
avenir aisé. L’intention est bonne assurément, mais, comme du mal il ne
peut jamais sortir aucun bien réel et durable, il arrive que les efforts
faits ont un résultat tout à fait opposé à celui qu’on attendait. La
santé de la famille s’altère, les notes du pharmacien et du médecin
grossissent de ce qu’on a enlevé sur celles du boucher et du boulanger;
les domestiques, mal nourris, ont un mauvais service: ils changent
fréquemment, au grand dommage des intérêts de la maison; enfin le mari,
mécontent et attristé, fuit son intérieur et, parfois, va chercher
ailleurs des distractions coûteuses.

Je le répète donc, pour conclure, attribuons au chapitre «nourriture»
une part largement établie.

_Éclairage et chauffage._--La somme est facile à évaluer, car en général
elle varie peu. Si la profession du mari oblige à un ou plusieurs
bureaux dans la maison, elle est fort augmentée, et cette augmentation
doit être comptée dans les frais professionnels.

_Toilette._--Ah! qu’il y aurait long à dire sur ce chapitre! Il y en a
si long que, bravement, je recule, laissant à mes lectrices la tâche de
se faire toutes les réflexions, observations, suggestions, que leur
inspirera un jugement sain et éclairé. Ces paroles si sages de saint
Louis les y aideront: «On se doibt parer et armer de telle manière que
les prud’hommes du siècle ne puissent dire qu’on en faict trop ni les
jeunes gens qu’on n’en faict assez. Chacun doit être vestu suivant son
rang et son âge.»

Je me contenterai donc de quelques aperçus en général.

Dans les premières années qui suivent le mariage, le trousseau et la
corbeille de la jeune femme ont dû, s’ils ont été bien compris, lui
fournir un fond de lingerie et de toilette tel qu’il n’y ait eu à y
ajouter que ce que j’appellerai le courant, les vêtements de saison.

La venue des bébés et le temps qui précède exigent une toilette qui ne
s’accorde pas avec les fantaisies de la mode.

Il y a aussi la part à faire aux deuils qui peuvent se produire dans les
deux familles. En somme, une jeune femme sensée et sérieuse peut, sans
renoncer à toute élégance, ne pas dépenser grand’chose pour sa toilette
pendant un laps de temps assez long (à moins qu’elle ne mène une vie
très mondaine, mais j’ai déjà dit à bien des reprises que je ne
m’occupais ici que des vies _moyennes_).

Au bout de quelques années, les choses ont changé, souvent la position
du mari s’est accrue et demande plus de représentation, d’autre part la
garde-robe est usée, défraîchie, démodée, il faut la renouveler à fond
et grossir le chapitre du budget à l’article: toilette de Madame.

Celui de: toilette des enfants, suit rapidement cet exemple; chaque
année il augmente jusqu’à ce qu’il ait atteint un chiffre définitif qui
constitue pour la famille une lourde charge.

Celui de Monsieur reste à peu près de même pendant toute sa vie. Pour
les officiers, surtout les officiers de marine, l’entretien des galons,
épaulettes, accessoires de toute sorte, fournit un gros chiffre, il faut
le prévoir pour n’en être pas trop écrasé à certains moments.

_Gages et service._--Sous cette rubrique, il faut comprendre non
seulement les gages des domestiques, mais encore le total approximatif
des journées d’ouvriers et ouvrières.

Au chapitre du service se rattachent certaines étrennes; elles sont si
nombreuses et si variées qu’il est sage de les prévoir même en détail,
cela sert de mémorandum pour l’année suivante.

Tant aux domestiques, au concierge, au facteur, etc. Celles de mes
lectrices qui habitent les villes savent si les etc. sont multipliés
sous toutes les formes!

_Entretien du mobilier._--C’est un chapitre toujours un peu chargé, même
quand la fantaisie ne vient en aucune façon le compliquer, parce que, si
les jeunes ménages n’ont point de dépenses obligatoires de réfection, de
réparation, de remplacement même des vieux meubles, ils ont, par le fait
de la famille qui augmente, à acheter de la literie, des chaises,
tables, etc., et même en se montrant très raisonnable, en n’achetant que
le nécessaire, la somme à débourser est toujours de quelque importance.

_Médecine et pharmacie._--Il y a des intérieurs où la manie des drogues
perfectionnées, des consultations médicales, sévit si furieusement que
ce chapitre est l’un des mieux dotés du budget familial, au grand
détriment de la santé générale, d’ailleurs!

En le réduisant à des proportions raisonnables, on y gagnera sur toute
la ligne. Il est d’ailleurs sujet à des hauts et des bas très prononcés.
Heureux ceux qui ne connaissent pas les gros chiffres! La moyenne ne
peut donc s’établir que très approximativement.

_Abonnements, musique, livres, etc._--C’est un de ceux qu’on aimerait à
pouvoir largement doter, car tout le monde y trouve son agrément. C’est
cependant celui qui supporte le plus aisément les réductions, quand il y
a lieu d’en faire.

_Plaisirs, voyages, théâtre, etc._--Mêmes observations que ci-dessus;
ils ne sont l’un et l’autre à fixer que sur le boni qui restera après
toutes les prévisions établies.

_Frais professionnels._--Je n’ai point à entrer ici dans le détail de
cet article. Il est très inégal selon les conditions. Pour l’employé de
ministère ou d’administration, par exemple, il est infime; pour le
commerçant, l’industriel, l’homme d’affaires, le détenteur de deniers
publics, le médecin, l’artiste, il est presque toujours très lourd à
supporter. Les femmes qui tracassent et harcèlent leurs maris sur ce
point sont injustes et déraisonnables. En somme, c’est à la source même
des revenus de famille qu’elles s’attaquent lorsqu’elles rendent
l’exercice de la profession pénible et fatigant. Et puis n’est-ce pas un
devoir impérieux que de faciliter la lourde tâche de celui qui travaille
pour tous, de prendre sa part du fardeau en s’imposant quelques petites
privations de luxe ou de confort?

Dans bien des cas, il faut faire entrer les «chevaux et voitures» dans
les frais professionnels.

_Charités._--J’ai entendu, au temps jadis, Mgr Le Courtier, prédicateur
très disert et moraliste éminent, insister sur la nécessité de faire au
budget de la Charité une part tracée d’avance et absolument inviolable.
Il disait avec raison que si l’on ne s’impose pas cette loi, si on ne la
tient point comme sacrée, l’aumône arrive toujours à sembler trop
onéreuse, et bien souvent les meilleures intentions viennent échouer
devant une bourse vide, tandis que, le lot des pauvres une fois fait, on
sait ce qu’on peut donner et aussi où il faut s’arrêter. En effet, quand
on a la charge d’une famille à fonder et à élever, on ne doit pas
s’abandonner sans contrôle à toutes les impulsions, même celles qui
partent d’un cœur charitable. La simple honnêteté exige qu’on fasse
honneur à ses affaires. Donner à tort et à travers et ne pas payer ses
fournisseurs, ce n’est plus de la charité, c’est du désordre. Qu’on
fasse, si on le peut, la part très large pour les souscriptions aux
bonnes œuvres, les secours immédiats aux misères qui vous entourent,
mais que cette part se renferme dans des limites proportionnées aux
ressources de la famille. Mgr Le Courtier la tarifait au _vingtième_.
C’est là un chiffre qu’on ne peut admettre que de façon relative, car il
est beaucoup trop élevé pour certaines positions.

Une personne seule, sans enfants ou charges de famille, si elle a 10 000
francs de revenu, peut, sans se gêner, en distraire 500 pour les
pauvres, beaucoup plus même si elle mène une vie modeste et retirée,
mais dans une famille de quatre personnes par exemple, le père, la mère
et deux enfants, réduire un revenu de 10 000 à 9 500 francs, c’est faire
une brèche par trop sensible. En revanche, sur 100 000 francs de rente,
en donner 5 000, ce n’est pas le fait d’une très grande générosité. Il
est vrai que jusqu’à un certain point, en pareil cas, les achats
d’œuvres d’art, les dépenses de luxe, en faisant travailler artistes et
ouvriers, peuvent être considérées comme acquises à «l’altruisme».

En somme, il est assez délicat et difficile d’indiquer d’avance la
proportion à établir pour le chapitre de la charité. Chacun doit
consulter en ceci son cœur... et sa bourse, et faire pour le mieux.
Quand on s’est rendu compte de la somme dont on pourra disposer
annuellement, il reste à la répartir sous ces trois chefs:

_Secours fixes._--Souscriptions à telles ou telles œuvres d’un caractère
charitable ou humanitaire, secours de loyers ou de chauffage, etc.,
pensions ou secours à de vieux serviteurs, etc.

_Secours temporaires._--Argent «à la main» pour les quêtes, loteries,
accidents, etc.

_Cadeaux divers_ en nature ou en argent aux humbles et aux petits.

Qu’il y ait des «virements» d’un article sur l’autre, que le chapitre
soit parfois en déficit, ce n’est là qu’un demi-mal et il est bien
excusable! L’essentiel est qu’il ait des bornes et s’y tienne... à peu
près.

_Divers et imprévu._--Ne pas trop réduire le chiffre qui est celui de
l’aléa...

_Économies._--??? Ces points d’interrogation disent éloquemment combien
ce dernier point est délicat. Je sais toute la peine qu’il y a à prendre
pour résister aux entraînements les plus légitimes, je sais combien il
est dur de se refuser une robe ou un meuble dont on a envie ou besoin,
combien il est plus dur encore de rappeler à son mari la nécessité de
quelque privation grande ou petite; je sais que les occasions de
dépenses sont nombreuses, variées, exigeantes, parfois inévitables. Je
sais qu’il y a des années où deuils, maladies, changement de résidence,
pertes de toute sorte et de toute grandeur, fondent sur vous comme une
bande de vautours... mais je sais aussi que, justement pour faire face à
ces fâcheuses conjonctures, il est sage de s’être formé une réserve;
quand on n’amasse pas, on arrive bien vite à creuser.

Établissons donc notre budget de façon à ce qu’il y ait un excédent de
recettes sur les dépenses, et, soit en assurances, soit en achat de
valeurs solides et toujours à la caisse d’épargne pour une portion,
mettons de côté chaque année une certaine somme.


TENUE DE LA COMPTABILITÉ

Je sais un original qui était fort expéditif en fait de comptabilité.

«Je suis très exact à faire mes comptes, disait-il, seulement je ne m’en
occupe qu’une fois par an, le 31 décembre.

--Mais alors, comment pouvez-vous vous rappeler le détail?

--Le détail! à quoi bon? J’écris sur mon carnet: Année 18...

  Recettes: appointements et revenus divers    _tant_.
  Dépenses: divers                             _tant_.
                                               ------
  Reste en caisse                              _zéro_!

la balance se fait ainsi toute seule, j’économise les frais de registre
et les migraines.»

Je n’engage pas mes lectrices à suivre un si bel exemple. La prospérité
de la famille aurait fort à en souffrir, car, quel que soit le chiffre
de la fortune, le gouffre de la dette se creuse promptement pour ceux
qui ne savent pas ou ne veulent pas compter.

C’est une des obligations les plus strictes pour la maîtresse d’une
«maison bien tenue» que d’avoir une comptabilité aussi réglée que faire
se peut. Je dis: que faire se peut, parce que je sais qu’en général les
maris n’aiment point à rendre compte de leurs dépenses journalières,
cela les agace et les irrite, et d’ailleurs, ils n’y sont nullement
tenus.

Mais, en dehors de la somme... vague qu’ils s’attribuent, toutes les
dépenses de la maison peuvent et doivent être inscrites, d’abord sur le
livre-journal, puis sur un livre de relevés où l’on ne porte que les
grosses notes et le détail groupés par nature d’achats. Il y a même des
comptables si soigneux qu’ils prennent la peine de faire ce travail pour
les grandes factures, les décomposant pour attribuer à chaque personne
de la famille ou à chaque article du budget ce qui lui revient, on peut
ainsi se rendre compte d’un seul coup d’œil de la somme afférente à tel
ou tel ordre de dépenses.

Je ne puis qu’admirer, mais je conviens tout bas qu’une mère de famille,
une maîtresse de maison dont la vie est partagée entre de très
nombreuses occupations, n’a guère le temps de se livrer à ce long et
minutieux travail; le relevé sommaire, s’il est bien fait, suffit
d’ailleurs pour fournir la plus grande partie des enseignements et bases
de comparaison désirables.

Il me paraît tout à fait inutile de donner ici des modèles de _livres de
dépenses_, on en trouve à des prix très modérés chez tous les papetiers
et dans les grands magasins de nouveautés. Il y en a de fort
ingénieusement établis qui permettent de se rendre compte des sommes
employées à tel ou tel chapitre du budget par an, par mois, par semaine,
par jour même. C’est une bonne habitude à prendre et à conserver que de
mettre au courant tous les mois son livre de relevés.

On arrive ainsi au bout de l’année avec la besogne faite.

Est-il besoin d’ajouter que si la balance en fin d’année ne peut
s’établir régulièrement, si, selon l’énergique expression populaire, on
n’a pu «joindre les deux bouts», il faut courageusement et sincèrement
chercher à quoi l’on doit attribuer ce résultat fâcheux, et, pour le
budget de l’année suivante, retrancher tout ce qui peut l’être sans
inconvénients graves.

J’ai parlé ailleurs[7] du règlement des comptes avec les fournisseurs et
avec la cuisinière, je n’ai donc point à y revenir.

  [7] _Les Domestiques_, _l’Approvisionnement_.

Il est d’usage que certaines notes soient payées par les domestiques;
ils y trouvent une petite source de profits qu’il serait injuste de leur
enlever. Seulement il faut exiger d’eux immédiatement la remise de la
quittance ou du livre acquitté, car c’est un des points où l’improbité
des serviteurs s’exerce le plus facilement.

Il faut classer toutes les quittances par liasses d’une année et les
garder pendant un an, au moins. Au bout de ce temps, il y a prescription
et nulle réclamation ne serait valable[8].

  [8] Code civil, art. 2272.

J’engage pourtant à conserver, ne fût-ce que pour les placer dans les
archives de la famille, certaines pièces ayant une valeur comme souvenir
ou renseignement; celles relatives, par exemple, à l’achat d’un beau
meuble, d’un bibelot précieux, d’une riche fourrure, d’un livre rare,
d’argenterie, de bijoux, etc.

Les quittances de loyer, d’impôt et d’assurance doivent avoir une
chemise à part où il soit aisé de les retrouver dès qu’on en a besoin.

Gardez précieusement vos vieux livres de compte si vous avez de l’espace
pour les loger. On ne saurait croire l’intérêt que l’on trouve après un
long temps écoulé à revivre de la vie d’autrefois. Ah! ces anciens
registres de nos parents, comme ils parlent à nos cœurs! Quelle
éloquence poignante parfois, dans ces alignements de chiffres, dans les
simples rubriques qui les accompagnent! Jours de joie, jours de deuil,
jours de travaux, de soucis, de délassement ou d’angoisses amères ont
imprimé là leur trace, il s’en dégage d’émouvantes pensées,
d’importantes leçons, de fortifiants exemples.

C’est un bel héritage d’honneur à laisser à ses enfants que celui d’un
livre de comptes irréprochable!

                   *       *       *       *       *

«Qui doit «tenir la bourse» dans le ménage?»

Il n’y a aucun doute à ce sujet: c’est le mari, chef responsable de la
communauté, investi par toutes les lois divines et humaines du
commandement dans la famille.

Mais, en affirmant carrément son droit et son devoir de garder la haute
main sur le budget familial, je conviens que, dans la pratique, il est
tout naturel que le soin de payer les dépenses courantes soit réservé à
la maîtresse de maison et qu’elle ait sa part, sa grande part
d’influence en ce qui concerne la bonne distribution des ressources de
la famille.

Cette part, elle l’acquerra et la conservera si, dès le début de sa vie
de ménage, elle se montre sensée, intelligente et modérée dans ses
besoins, habile dans l’exercice d’une économie bien entendue.

C’est, je le sais, beaucoup demander, trop demander même à une jeune
femme qui sort à peine des lisières où l’avait tenue l’autorité
maternelle: aussi combien elles doivent s’estimer heureuses et bénir
leur mère, les jeunes ménagères qu’une sage et prudente direction a
initiées de bonne heure aux difficultés de l’économie domestique! Elles
pourront continuer dans leur ménage les habitudes prises chez leurs
parents, en les modifiant bien entendu selon les nécessités présentes
pour les adapter à une tenue de maison très réduite.

Quelle sécurité donne au mari une telle éducation chez sa femme! quelle
autorité celle-ci y gagne! quelle confiance réciproque entre eux!

«Le cœur de son époux se confie à elle, elle ne manque jamais des
dépouilles qu’il lui rapporte de ses victoires», dit l’Écriture[9].

  [9] Salomon, _Proverbes_. La femme forte.

Il n’en est pas de même, je regrette de devoir le dire, pour les trois
quarts des jeunes mariées. Ignorantes des besoins réels de la vie, elles
ne savent comment régler l’emploi de l’argent qui leur est confié. Tant
qu’il y a des pièces d’or et des billets de cent francs dans le tiroir
du secrétaire, on y puise, pour un petit voyage, pour un objet de
toilette, pour une fantaisie, théâtre, concert, excursion, pour une
vente de charité, pour une souscription littéraire, et puis... le
boucher, le boulanger, l’épicier, présentent leur note, les domestiques
réclament leur gages, le terme arrive, et la bourse, lamentablement
aplatie, n’a plus rien ou à peu près, à fournir. Monsieur gronde, Madame
pleure, on a recours à papa et à maman qui se laissent attendrir, pour
la première fois; au second appel, ils font quelques observations, au
troisième ils refusent.

Ils ont d’autres enfants, ils ont déjà fait de lourds sacrifices pour la
dot et le trousseau de leur fille--ils ne peuvent pas donner de toutes
mains, en gros et en détail--il faut apprendre à se suffire avec ce
qu’on a... Et quand viendront les bébés? Comment fera-t-on?...

En pareil cas, dans un jeune ménage, uni, intelligent et courageux, on
reconnaît ses torts, on s’amende et l’on arrive à joindre les deux
bouts, sans recourir soit à l’humiliante nécessité de réclamer des
subsides, soit au déplorable expédient d’emprunter, soit au ruineux
système de «manger son fonds».

Ces efforts soutenus, ce méritoire labeur sur de nouvelles bases,
combien il est à souhaiter pour la paix et la dignité du jeune ménage
qu’ils se fassent en commun, dans le même esprit de dévouement au bien
de la famille!

Ceci nous ramène à mon point de départ: Qui tiendra la bourse?

Souvent, après des épisodes tels que ceux dont je viens de tracer une
esquisse, le mari, mécontent, défiant et un peu sévère, prend le parti
de donner à sa femme l’argent par petites sommes: 100 francs à 100
francs par exemple; j’ai même connu un chef de famille qui donnait 50
francs à 50 francs et seulement après avoir vérifié l’emploi de l’argent
sur un compte écrit. Ce n’était pas un tyran cependant, mais sa femme,
qu’il avait épousée très jeune, n’était pas très intelligente et n’avait
pu devenir raisonnable.

Il payait les notes des fournisseurs, les grosses dépenses, etc., et, en
somme, était arrivé à son but: ne point faire de dettes et tenir
honorablement un rang élevé.

Je ne cite point cependant ce système comme un exemple à suivre, car une
femme de valeur ne mérite point une telle rigueur et a le droit de s’en
offenser.

Je dis: le _droit_--quant au devoir... hélas! il est de se soumettre,
car on ne peut se démettre, et la paix de l’intérieur est le plus grand
des biens. Une meilleure combinaison est celle-ci:

Madame reçoit de son mari, tous les mois, une somme de... pour:

Le courant du ménage;

Les gages des domestiques;

Les notes des fournisseurs;

Sa bourse personnelle (toilette et bonnes œuvres).

Lui, paye:

Le loyer, impôts et assurances;

Le vin;

Les frais professionnels;

Le chauffage (bois et charbon);

Les voyages;

Les frais divers, abonnements, livres, etc.;

Sa toilette.

Si la somme mensuelle est un peu largement calculée, c’est un grand
plaisir, un bonheur même pour Madame de trouver, dans ses économies bien
entendues, le moyen de faire de petits cadeaux à son entourage et de
porter de temps à autre, un ou deux billets à la caisse d’épargne.

Si l’on est en déficit, on en gémit un peu, pas bien longtemps, pour ne
pas ennuyer le mari, on cherche de bonne foi et de manière approfondie
ce qui a causé ce malheur et on y porte remède avec énergie en
retranchant la source du mal.

Il y a des déficits dont la cause est tout éventuelle, vol, accidents,
maladies, etc. Ceux-là, il faut les supporter avec courage et
résignation comme étant une part de ces misères dont toute vie humaine
est passible, hélas! Ils ne peuvent entrer en ligne de compte et des
crédits supplémentaires, généreusement alloués par le maître du logis,
viennent y faire face.

Je n’ai point à m’occuper ici du genre d’administration d’une grande
fortune; si l’ordre est un devoir de toutes les situations, l’économie
n’en est pas un pour les gens très riches.

Entendons-nous... Dépenser largement presque tous ses revenus quand on a
établi ses enfants est une quasi-obligation, mais tant que la famille
peut s’accroître, tant que des dots sont à fournir aux filles, des
carrières aux garçons, il est sage, il est nécessaire même, de prélever
sur ses revenus une somme assez importante pour créer un nouveau fonds
et l’alimenter.

Souvent la mère de famille décharge de ce soin son mari absorbé par la
politique, les affaires ou l’exercice de sa profession.

Elle est alors un vrai ministre des finances, la tenue de sa
comptabilité n’est point une sinécure, des fonds en quantité
considérable lui passent par les mains, leur emploi pour le bien-être et
la bonne renommée de la famille, leur placement dans des conditions
fructueuses et prudentes à la fois, sont des tâches peu aisées à
remplir. En y mettant tous ses soins et en y appliquant toute sa raison,
elle y parvient... heureuse si elle a pu trouver chez son mari un guide
sûr, un appui solide!

Dans cette situation, Madame «tient la bourse» en quelque sorte.

C’est le haut de l’échelle; aux premiers échelons en bas, nous trouvons
les ménages modestes, si étroitement unis par la plus touchante, la plus
entière confiance, que mari et femme ne sont vraiment qu’une âme en deux
corps.

Là aussi, Madame «tient la bourse» et Monsieur, plein d’admiration pour
les talents économiques de sa ménagère d’une part, de l’autre pas fâché
peut-être de s’éviter des ennuis, se contente de dire: Donne-moi une
pièce de cent sous, ou dix ou vingt francs, suivant les cas.

S’il a une fantaisie dépassant la somme que contient son gousset, il
dit: «Portez cela à la maison, Madame vous paiera!» le cœur léger,
l’esprit en repos, sans même s’être demandé un instant si «Madame», pour
payer, ne sera pas forcée de vider un tiroir qui ne se remplira ni tôt
ni aisément.

Non, je le répète encore pour bien le persuader à mes jeunes lectrices,
il est indispensable que _la bourse_ soit, au moins pour les grandes
lignes, tenue par Monsieur.

Il faut qu’il se rende compte du niveau des eaux, des canaux et des...
fissures par où elles s’écoulent, et que, le jour où tout est à sec, il
n’ait pas de prétexte pour faire retomber toute la faute sur «Madame».

Toute règle a ses exceptions: il en est de nombreuses pour celle qui
nous occupe.

Un savant, un littérateur, un artiste, un médecin, sont si absorbés par
la nature de leurs travaux, si en dehors de la vie normale, que leur
compagne a le devoir de leur éviter, autant que possible, tous les
soucis matériels de la vie.

L’inspiration se débat et succombe au milieu des factures à vérifier,
des comptes à établir. Une fatigue cérébrale, une irritation nerveuse,
intenses et funestes, naissent de cette ingrate besogne supportée à
contrecœur, ou bien le malheureux chef de famille harassé et découragé
lâche les rênes, et le gouffre se creuse peu à peu où le patrimoine de
la famille finira par disparaître. Là il faut que Madame «tienne la
bourse» et se rende digne de la mission austère qui lui est dévolue.

Ce n’est point en harcelant son mari pour augmenter la production, au
grand détriment de la santé, du talent, de la considération de celui-ci,
qu’elle sauvegardera les intérêts des siens, mais en se montrant sage,
économe et fidèlement gardienne du trésor qui lui est confié.

Certaines professions tiennent le mari longtemps hors de chez lui; tel
est le cas pour les marins, les officiers d’infanterie de marine, les
inspecteurs des finances, etc.

Il est évident que, dans ces conditions, la femme, sur qui retombe en
leur absence toute la charge du gouvernement de la famille, doit avoir
le maniement des fonds, au moins en ce qui concerne la dépense du
ménage.

Enfin, parlerons-nous de ces tristes intérieurs où le mari, par sa
déchéance physique ou morale, est hors d’état de remplir son rôle de
chef de la communauté? Là aussi la bourse, autant que faire se peut, est
aux mains de la mère de famille. Douloureux privilège! payé par d’amers
retours sur ce qui devrait être et n’est pas ou n’est plus!

Pour clore cette longue étude un peu aride, je l’avoue, nous allons
parler de ce que j’appellerai, si vous voulez, «le budget...
insuffisant».

Faut-il m’excuser auprès de mes lectrices de les entraîner à ma suite
dans des sentiers où il y a plus de pierres et d’épines que de mousses
et de fleurs?

Je ne le crois pas. Les pensées graves doivent avoir leur place chez les
femmes, même jeunes et heureuses; il est bon pour elles de ne point
demeurer dans une éternelle enfance.

Si l’adversité les a épargnées, elles l’ont vue plus d’une fois frapper
autour d’elles; elles ont vu aussi des cœurs héroïques lutter
courageusement contre les coups du sort, et, souvent, sortir victorieux
de la lutte. La mort d’un chef de famille dont les appointements élevés
assuraient l’aisance au logis, ou la perte de son emploi, une ruine
commerciale ou industrielle, des spéculations malheureuses, changent en
quelques semaines l’existence large ou souriante en une vie de travail
et de privations. Sans même aller jusque-là, il y a des moments où des
événements imprévus, amenant soit une diminution dans les revenus, soit
une augmentation dans les dépenses, enlèvent tout espoir d’équilibrer le
budget.

Dans la première de ces situations, que puis-je dire d’utile ici? Rien,
hélas! La nécessité est la plus forte, sa main de fer courbe les
volontés les plus récalcitrantes; un petit logement, un mobilier réduit
au strict nécessaire, une nourriture juste suffisante, le service d’une
femme de ménage ou d’une bonne à tout faire, voilà ce dont il faut se
contenter. Eh bien, là encore, et plus que jamais, dirai-je, il faut
établir son budget, calculer minutieusement, scrupuleusement, l’emploi
des petites ressources dont on peut disposer et, pour les augmenter,
s’adresser au travail, au travail constant, patient, infatigable. Les
âmes bien trempées y trouvent d’ailleurs non seulement profit, mais
apaisement et même consolation.

Dans le second cas, si l’insuffisance du budget n’est que temporaire, le
mal est moindre, et avec de l’énergie on arrive à l’empêcher de
s’étendre, à le réduire même de façon notable.

Se restreindre en tout ce qui n’est pas _nécessaire_ et mener une vie
laborieuse: voilà les deux grands points.

En consultant avec sincérité les chiffres de son budget annuel, on
cherche, de bonne foi, courageusement, les points sur lesquels doivent
porter les coupes, coupes claires ou coupes sombres, suivant les cas, et
on les trouve. Une fois trouvés, on appelle à soi tout ce qu’on possède
de sagesse, de prudence, de force, et on met la main à la cognée.

Sur le loyer... si les conditions de bail et de métier le permettent, on
peut retrancher d’autant plus efficacement que cette économie en
entraîne beaucoup d’autres qui, réunies, en font une grande. Les impôts
sont moins lourds, il faut moins de service, moins d’entretien pour le
mobilier, moins de dépenses accessoires coûteuses au point de vue de la
location, moins de chauffage, d’éclairage, etc.

Sur la nourriture, on ne peut enlever que les petites satisfactions de
gourmandise, car l’alimentation proprement dite ne saurait être
sacrifiée sans grand dommage pour la santé, cette santé d’autant plus
nécessaire à conserver qu’on est moins riche.

Le chapitre des plaisirs grands ou petits, théâtres, voyages,
abonnements coûteux, est un de ceux où les grandes coupes dont je
parlais tout à l’heure ont leur place tout indiquée. Je ne vais pas
jusqu’à dire qu’il faut tout abattre, mais enfin... momentanément...
jusqu’à ce qu’on voie un peu clair dans ses affaires...

Si l’on peut, il faut renoncer carrément au monde, cause sans cesse
renaissante de petits frais onéreux: gants, chaussures fines, chapeaux,
voitures, et surtout perte de temps! Or le temps a une réelle, une
grande valeur budgétaire. Pendant qu’on court les rues pour faire des
visites, aller de magasin en magasin chercher des atours à bon marché,
des «soldes» et des «occasions», le linge de la maison et de ses
habitants ne se raccommode pas tout seul. Il s’use, se détériore
rapidement, il faut le remplacer et puiser dans sa bourse.

On ne saurait croire l’économie qu’une femme adroite et judicieuse
trouve à faire ses robes, ses chapeaux, les vêtements de ses enfants, le
linge de son mari.

J’ai connu des ménages de fonctionnaires où la mère et les filles
trouvaient moyen d’être, non seulement convenables, mais élégantes,
admirées pour cette élégance, avec un budget de toilette équivalent pour
chacune au prix d’une robe de la bonne faiseuse.

Mais, pour en arriver là, il faut penser, combiner, utiliser le moindre
chiffon, tirer l’aiguille et rester... chez soi.

_Domum mansit, lanam fecit[10]_, disait la belle épitaphe d’une femme
romaine. Je l’ai admirée bien souvent. Quand on reste chez soi aussi, on
surveille mieux ses domestiques, on peut même en diminuer le nombre en
se chargeant d’une partie du service. Que de femmes savent demeurer
gracieuses, fines, distinguées, qui le matin ont fait leur lit, balayé
et épousseté leur chambre, examiné et repassé une pile de linge d’enfant
et donné un coup d’œil, un coup de main au déjeuner, pour que «Monsieur»
ne s’aperçoive pas des erreurs coutumières à une cuisinière novice!

  [10] Elle vécut chez elle et fila de la laine.

Elles ne sont pas à plaindre cependant, car la conscience du devoir
rempli donne au cœur et à l’esprit une paix qui est presque du bonheur.

Celles que nous plaindrons, ce sont les incapables, les frivoles, les
nonchalantes, les timides, les empêtrées, qui, en face du «budget
insuffisant», ne savent que geindre, récriminer, se fâcher ou tomber
dans un marasme découragé et décourageant.

Ah! les pauvres maris! les pauvres enfants! c’est eux surtout qui ont
droit à notre commisération! Imagine-t-on ce qu’il y a de cruel pour un
honnête homme, forcé de lutter contre les duretés de l’existence, à ne
trouver chez lui ni support, ni tendresse, ni bon sens, ni force d’âme,
mais seulement des reproches, des regrets inutiles pour ce qui n’est
plus, un parti pris de laisser tout aller à la dérive...

Je ne veux pas laisser mes lectrices sur une si pénible impression;
j’aime mieux offrir à leur admiration la courageuse épouse, qui, le soir
venu, accueille avec un bon sourire le cher compagnon du _struggle for
life_, toujours prête à l’encourager, à le soutenir, à faire luire
devant lui l’espoir d’un temps meilleur, à inventer des raisons
d’espérer, que peut-être, au fond du cœur, elle n’ose point partager...
L’aimable amie qui, pour ne pas laisser s’installer au foyer la
tristesse ennemie des efforts vaillants, sait encore, malgré une journée
de labeur, ouvrir son piano, appeler à son aide les œuvres des grands
maîtres, les divines inspirations qui battent de l’aile autour des
fronts fatigués et leur donnent la force de se relever! Ou bien, c’est
quelque lecture attrayante, quelque causerie où l’on dit: «Te
souviens-tu?» où l’on hasarde un: «Quand nous serons plus riches...», et
alors on fait de beaux projets, on pense, non plus seulement au
lendemain qui va ramener son lot de travaux et de soucis, mais aussi au
surlendemain qui verra disparaître, s’il plaît à Dieu! le budget
insuffisant.




CHAPITRE X

L’armoire au linge.


Il y a quelque temps, je lisais dans un journal féminin,--mais pas
féministe,--un article où l’on traitait la question qui va nous occuper.
On y indiquait comment il faut s’y prendre pour ranger en bon ordre tout
le linge de corps, et même le linge de maison! dans une armoire à glace.

Je fus d’abord, je l’avoue, profondément stupéfiée puis, à la réflexion,
je pensai que les armoires à glace étaient sans doute, maintenant, de
dimensions grandioses, tandis que, d’autre part, la provision de linge à
l’usage d’une famille moderne devait être réduite au strict nécessaire,
à ce _nécessaire_ très _strict_, dont parlaient nos grand’mères en ces
termes un peu gaulois:

«Une chemise au dos, une sur la planche et une à la lessive.»

Je me dis aussi que, par le temps de machines à coudre où nous vivons,
rien n’est plus aisé, si la blanchisseuse fait faux bond, que de se
précipiter chez le marchand de lingerie le plus voisin, voire même de
téléphoner: «Envoyez-moi ceci, cela, et cette autre chose.»

Je supposai encore qu’il ne s’agissait point d’une famille de huit à dix
personnes, qu’enfin le linge de «Monsieur», celui de la cuisine et de la
domesticité, n’étaient point compris dans le total.

Mais, avec toutes ces concessions,--faire tenir draps, nappes,
serviettes, taies d’oreiller, chemises, pantalons, etc., etc., etc.,
dans une armoire à glace...???

Je me suis souvenue alors--avec plaisir--d’avoir bien des fois constaté
à Paris, dans les vestibules, dans les antichambres, la présence de ces
belles armoires bretonnes ou normandes, dont les riches tons de chêne ou
de noyer réjouissent l’œil. Elles sont vastes, solides, bien aménagées,
et, dans leurs flancs spacieux, tout le linge d’un ménage parisien--ou
de grande ville--peut tenir sous bonne clé. Les armoires à glace sont
alors réservées pour l’usage personnel de Madame.

Celles de mes lectrices qui ont conservé peu ou beaucoup des traditions
d’autrefois, celles aussi qui habitent la campagne ou la province me
suivront peut-être avec intérêt dans mes explorations à travers cette
partie du domaine familial si essentiellement dévolue à la maîtresse
d’une «maison bien tenue»: la lingerie.

S’y rattachent le soin de la conservation du linge, des vêtements,
fourrures, etc.

Là encore je n’abuserai point, j’userai à peine des recettes spéciales.
Ce sont plutôt les principes généraux que je m’efforcerai de dégager et
d’établir.

                   *       *       *       *       *

Avant d’avoir du linge à ranger il faut l’acheter, tout fait, ou le
faire confectionner. Jadis, ce dernier point tenait une large place dans
la vie des bourgeoises, même les plus aisées. Écoutez Molière:

    Leurs ménages étaient leurs doctes entretiens
    Et leurs livres: un dé, du fil, et des aiguilles,
    Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.

Aujourd’hui les travaux féminins ont pris une autre direction. Les
femmes que leur fortune met au-dessus de la nécessité d’un travail
visant à l’économie occupent leurs loisirs au logis, si elles sont
laborieuses, par des ouvrages d’agrément où elles savent mettre beaucoup
d’habileté, de goût artistique et même d’imagination créatrice.

Qu’on le prenne tout fait, qu’on le fasse faire chez des spécialistes,
couvents, ouvroirs, etc., ou qu’on se décide à le faire coudre chez soi,
la loi d’une sage économie s’impose toujours dans les mêmes termes: il
faut choisir de _bonne_ étoffe, en employer une quantité suffisante pour
que les objets confectionnés ne soient ni trop courts ni trop étroits et
la travailler avec de _bon_ fil.

C’est une absurde économie que d’acheter «de la confection» ou des
étoffes à bon marché. La façon est la même que pour des matériaux
solides et l’usage est dix fois moindre. Il faut donc renouveler plus
souvent et le déboursé s’augmente de façon désastreuse.

Je voudrais faire pénétrer dans l’esprit des jeunes femmes chargées de
la direction d’une famille cette vérité, bien simple et trop méconnue en
général:

«Quand on achète à bon marché, on n’en a jamais que pour son argent.»

Le marchand ne peut pas fournir à bon marché, de _bonne marchandise_. Il
a dû lui-même, pour se la procurer, y mettre un prix élevé; alors,
pourquoi voulez-vous qu’il ne rentre pas dans ses débours, auxquels
s’ajoutent les frais généraux, si lourds aujourd’hui pour le commerce?

Je vais au-devant des objections:

Voyez, va-t-on me dire, telle et telle grande maison; elles se
contentent d’un petit bénéfice et vendent à prix modéré.

Ces maisons-là, je l’affirme, ne font point de réclame sur les affaires
_sérieuses_, qui sont le fait d’une clientèle _sérieuse_, et les prix,
quand il s’agit de ces très belles qualités qu’ils appellent _extra_,
s’égalisent partout.

Mais, ajoutera-t-on, il y a d’autre part des fournisseurs en vogue qui
vendent dix pour cent, cinquante pour cent plus cher qu’ailleurs tel
objet qui n’en vaut pas mieux.

Cette majoration dans les prix que l’on trouve surtout à Paris, où se
crée la renommée, n’est en somme qu’une prime accordée par l’orgueil du
client. On veut pouvoir se vanter d’être fourni par X... ou Z... C’est
un luxe: on le paie. «On paie tous les luxes.» Cet axiome économique se
vérifie sans cesse et partout.

Remarquez d’ailleurs que les maisons dont on vient de parler ont presque
toujours à cœur de justifier leur haute réputation en ne livrant que des
produits irréprochables.

Enfin, une dernière objection:

Il y a de _vraies_ occasions, des départs, des décès, des faillites, des
liquidations...

Assurément, mais, d’une part, il faut s’y connaître très bien pour tirer
un profit réel de ces tristes occurrences, de l’autre, elles ne sont
jamais qu’une exception, et vous ne pouvez compter qu’il s’en présentera
une juste au moment où vous aurez besoin de renouveler votre stock.

Pour résumer ce qui précède, je dirai: Fournissez-vous de linge en
quantité raisonnable, en qualité solide et résistante (on peut y arriver
même dans les sortes fines) et sacrifiez, s’il y a lieu, du côté des
garnitures et fanfreluches pour avoir le _fond_ beau et bon.

                   *       *       *       *       *

On a tout dit sur l’abus des grandes provisions de linge, sur la place
démesurée qu’elles occupent, l’entretien qu’elles exigent, le capital
qu’elles immobilisent, etc. Il y a, je ne saurais le nier, un fond de
justesse dans ces critiques, surtout en ce qui concerne le linge de
corps proprement dit. Ce ne sont pas seulement les modes qui changent,
ce sont aussi les tailles. Telle jeune femme, mince et fluette à
l’époque de son mariage, sera, dix ans plus tard, une grosse boulotte
qui ne pourra plus entrer, sans les faire craquer, dans les jolies
fantaisies de son trousseau et sera obligée de renouveler tout son linge
personnel, laissant inemployées les douzaines de chemises et de
pantalons dont le ruban n’aura pas même été dénoué.

Pour le linge de maison, cet inconvénient n’est pas à redouter. Les
reproches d’occuper trop de place et d’être un capital _mort_ sont plus
justifiés, encore faut-il remarquer qu’ils n’ont vraiment leur raison
d’être que pour la vie à la ville, où l’on peut faire blanchir hors de
chez soi tous les huit jours, tous les quinze jours au plus.

A la campagne, on n’a pas cette ressource; il faut, de toute nécessité,
faire de grandes lessives, et, comme c’est une opération qui pour être
menée à bonne fin demande plusieurs jours, un surcroît de personnel à
nourrir et, autant que faire se peut, un beau temps, on ne peut la
recommencer souvent. Il y a des familles rurales qui, s’obstinant à
conserver les vieilles traditions--et y trouvant même la source d’un
orgueil mal placé!--ne font la lessive qu’une fois l’an, pour les
grosses pièces.

C’est là un système tout à fait contraire à l’hygiène du logis et même à
celle du linge, s’il est permis de parler ainsi. Dans cet énorme
entassement d’étoffes plus ou moins souillées, il se produit des
fermentations désastreuses. Je sais que l’on fait tous les quinze jours
un «bouillage» pour tout ce qui exige un lavage prompt; mais ceci n’est
que demi-remède au mal.

Faire la lessive tous les trimestres est plus pratique; seulement,
remarquons qu’en hiver, avec le froid, la brièveté des jours, le séchage
n’en finit plus, surtout pour les grandes pièces. On est donc forcé de
garder les draps, rideaux, couvertures, etc., pour les lessives de
printemps et d’été, ce qui oblige à en posséder un stock très
considérable, surtout si la maison compte beaucoup de lits... et nous
voilà revenues, quoi qu’on en ait, aux armoires remplies de linge.

Il n’y a donc pas lieu à donner ici des chiffres comme base pour l’achat
du linge. Chaque famille se comporte suivant les nécessités de sa
situation et aussi l’étendue des ressources qu’elle possède pour y faire
face.

Je ne puis cependant laisser passer sans le mentionner le reproche fait
aux Parisiennes,--et que j’ai vu bien souvent applicable aux
provinciales!--de sacrifier aux dépenses de luxe, de toilette et de
plaisir, tout ou partie du confortable de la maison et de condamner
elles et les leurs à une lamentable pénurie en fait de linge.

Je voudrais croire qu’il n’est pas fondé, car c’est chose honteuse que
de placer le désir de paraître et la satisfaction des goûts les plus
frivoles au-dessus de la santé, du bien-être et de la dignité de toute
une famille. De la santé, car l’hygiène exige que le linge où l’on
couche et celui que l’on porte soient fréquemment renouvelés;--de la
dignité, car un intérieur où l’on voit aux fenêtres des rideaux gris et
enfumés, sur la table une nappe marbrée de taches multicolores, dans les
lits des taies d’oreiller graisseuses,--où le chef de famille laisse
voir cols et manchettes d’une propreté très douteuse, où les enfants,
sous des robes à effet, ont du linge en guenilles, cet intérieur-là est
«déclassé». Il n’inspire que le dégoût et l’indignation contre la
maîtresse du logis, que ce soit à sa négligence ou à son incapacité
qu’est dû un tel désordre ou, ce qui est bien pis, à son amour pour la
parure, amour égoïste et ruineux.

Je voudrais, je l’avoue, voir les familles modernes revenir un peu aux
usages du temps jadis sous ce rapport, et, quand il s’agit de composer
un trousseau, diminuer le nombre des colifichets et des atours, pour
augmenter celui des paires de draps et des services de table.

Tout le monde sait que, de même qu’il y a des robes de grande toilette,
de demi-toilette et de «tous les jours», il convient d’avoir, pour le
linge de table et celui du coucher, des séries très fines, fines et
ordinaires. Ce serait un affreux gaspillage que de faire servir
constamment les beaux services en toile damassée, les draps et taies
d’oreillers en toile très fine ornés de broderies et de dentelles.

J’ai déjà dit à plusieurs reprises que je m’adresse ici aux intérieurs
simplement aisés. Le luxe fastueux des grandes fortunes n’y est point de
mise, et la continuité d’un ordre sagement établi est bien préférable à
des hauts et des bas qui sont toujours un peu de la bohème, dorée ou
non.

Les parents qui marient leurs filles doivent donc, à mon avis, prévoir
pour elles ce train-train de «tous les jours» dont, après tout, la très
grande partie de la vie est faite et largement garnir les planches de
l’armoire au linge réservées au service quotidien. La jeune fiancée
elle-même a tout à gagner à se montrer dès cet instant une ménagère
précoce et sérieuse et à laisser supprimer sans nulle protestation
quelque élégant chiffon qui ne durera que «l’espace d’un matin!»

Linge de lit, de table, de service, linge d’office, depuis la
serpillière indispensable aux grossières besognes des nettoyages
jusqu’aux fins torchons réservés (comme le dit leur étiquette brodée en
rouge) aux cristaux et aux meubles, tabliers de cuisine en grosse toile,
écrue ou bleue, tabliers de valet de chambre, de femme de chambre,
serviettes d’office, essuie-mains, etc., etc., il faut avoir de toutes
ces choses et les renouveler assez souvent pour que la domesticité,
prise de court, ne se serve pas de chiffons sordides, ou,--ce qui arrive
trop fréquemment, ne remplace pas par des serviettes de table les
torchons qui lui font défaut.

«Les serviettes de table et de toilette ne doivent servir qu’à la table
et à la toilette», c’est là un axiome dont les bonnes maîtresses de
maison sont pénétrées et elles exercent une surveillance active, sévère
même, pour empêcher toute infraction à la loi, sur ce point.

Il faut, au commencement de chaque semaine, distribuer le linge propre
qui sera nécessaire pour la maison, tant pour l’usage des maîtres que
pour celui des domestiques et tenir en lieu sûr la clé de l’armoire au
linge; c’est le seul moyen d’éviter, ou de diminuer, les larcins et le
désordre.

Je vais peut-être soulever bien des récriminations si
j’affirme--audacieusement!--qu’une maîtresse de maison soucieuse de
l’intérêt de la famille doit compter le linge donné au blanchissage, à
sa sortie et à sa rentrée, et l’examiner avant son rangement définitif.
Dans ma jeunesse,--elle est lointaine, je l’avoue,--cela se faisait dans
la plupart des intérieurs, même riches. Le linge d’une «bonne maison»
était chose précieuse et coûteuse. Les procédés mécaniques, beaucoup
moins perfectionnés qu’ils ne le sont à présent, ne permettaient pas la
fabrication à bon marché. Le fil moins étiré, le travail de tissage plus
serré, donnaient des toiles de lin, de chanvre, de coton, infiniment
plus résistantes; il y avait donc honneur et profit à avoir de beau
linge et à le soigner, car on ne le renouvelait pas sans dépenser
beaucoup d’argent pour l’acheter et beaucoup de temps pour le mettre en
œuvre.

«Nous avons changé tout cela» et le souci du linge ne prend plus une si
grande place, surtout dans les villes, où le blanchissage est meurtrier.

N’importe! dussé-je me poser en sœur cadette de Cassandre, l’infortunée
prêtresse dont les Troyens rejetaient si dédaigneusement les conseils,
je dirai aux jeunes maîtresses de maison: «Mes amies, n’abandonnez pas à
une femme de chambre insouciante ou incapable la direction de votre
linge. Ayez le courage de le faire compter devant vous, c’est ainsi que
vous pourrez découvrir les sévices dont il est victime: brûlures, taches
d’encre, emploi illégitime, etc.

Comptez-le aussi quand il revient du blanchissage; assurez-vous qu’on
n’a pas changé vos belles chemises, vos jolis pantalons, contre quelque
guenille à bon marché, que vos paires de draps, vos services de table,
ne sont pas dépareillés, que le linge de votre mari est au complet.

Faites examiner devant vous,--examinez vous-mêmes, ce qui vaut encore
mieux--l’état du linge rendu, les boutons à remettre, les dentelles à
recoudre, les reprises à faire, les poignets à changer, etc.

Quand on reçoit le linge sans qu’il soit repassé, cette révision est
facile: on a, près de soi, deux paniers réservés à cet usage, l’un
contient le linge bon à repasser, l’autre le linge à réparer; mais à la
ville et dans la plupart des intérieurs, soit que la place manque pour
les grands repassages, soit qu’on préfère ne pas en prendre l’embarras
chez soi, on reçoit de la blanchisseuse le linge tout repassé et
l’examen oblige à le déplier légèrement, ce qui est cause que l’on
s’abstient, en quoi l’on a tort, car dans une «maison bien tenue» on ne
doit pas voir une pièce de bon linge trouée, s’il se peut.

Il n’y a que deux moyens de faire disparaître les trous: des reprises,
ou des pièces...

Les familles qui n’ont que de modestes ressources sont bien forcées
d’avoir recours à ces louables mais fâcheux expédients.

Je ne puis qu’admirer le patient labeur d’une bonne mère cherchant à
prolonger l’existence d’effets que son budget ne lui permet pas de
remplacer; mais je conviens que, pour peu qu’il règne une certaine
aisance chez eux, les gens bien élevés ne se servent point de linge
_rapiécé_, draps, taies d’oreillers, nappes ou linge de corps. Les
reprises, très fines, faites avec habileté, sont seules admissibles; du
reste, le linge au XXe siècle, est, en général, si peu solide, qu’il
supporterait mal les réparations. Ce qu’il faut toujours surveiller de
près et réparer aussitôt qu’ils se produisent, c’est ce qu’en style de
ménagère on appelle des _clairs_, c’est-à-dire les endroits où le fil
aminci rend le tissu mou et lâche. En reprisant les _clairs_ à temps, on
recule indéfiniment l’apparition des trous.

Voici le linge repassé, bien _séché_, bien plié;--l’art du pliage est
une partie importante de celui du repassage; ce n’est pas ici la place
d’en donner les règles; nous rappellerons seulement ici cette loi
essentielle que les pièces de linge appartenant à la même série doivent
présenter, une fois pliées, les mêmes dimensions, exactement, ceci est
indispensable à l’ordre et à la solidité des _piles_. C’est par piles,
en effet, que se case le linge sur les planches des armoires; les
planches devront être disposées de façon à faciliter le rangement et le
maniement des pièces.

Je prends comme type une de ces vastes armoires dont j’ai parlé plus
haut. On réservera dans le bas deux ou trois planches, dans toute leur
largeur, pour les draps. Ils y seront mis par paire, les deux draps
formant la paire (portant la même marque et le même numéro d’ordre)
pliés séparément d’abord, puis réunis l’un dans l’autre de manière à ne
présenter qu’un seul pli.

Toutes les paires de la même série forment une pile, où ces plis sont
tous du même côté. Sans cette précaution, la pile présenterait un aspect
de désordre désagréable à l’œil.

Pour me faire mieux comprendre, je comparerai la paire pliée en double à
un volume relié. Tous les dos sont mis les uns sur les autres, toutes
les _tranches_ par conséquent se trouveront tournées vers le fond de
l’armoire, ce qui protège les ourlets contre la poussière.

Ajoutons que cette observation s’applique à tous les objets de linge,
qu’il s’agisse de draps, nappes, serviettes, torchons, mouchoirs ou
chemises. Quand on forme la pile, le pli que j’ai appelé _dos_ doit se
trouver sur le côté du devant et la _tranche_ sur celui de derrière.

Il est d’une bonne pratique d’entourer d’une légère enveloppe blanche
les belles pièces qui servent rarement. On évite ainsi la désagréable
surprise de trouver, au moment où l’on va s’en servir, ces longues
traces jaunes que prennent les plis à la longue. Il y a des pays où
cette précaution s’impose pour tout le linge, sans exception, la fumée
grasse des usines, les menues parcelles de charbon dont l’air est
chargé, pénétrant dans les endroits les mieux clos.

Dans les armoires à linge, les planches principales, larges et
profondes, sont forcément séparées les unes des autres par une hauteur
considérable, disposition qui ferait perdre beaucoup de place si l’on ne
remédiait à ces inconvénients par ce que j’appellerai des
_demi-planches_, c’est-à-dire une planche large de 20 à 25 centimètres
qui fait étagère entre les deux planches principales. On y range les
piles de taies d’oreiller, de serviettes de toilette, etc., réservant la
grande planche pour les services de table.

La même disposition est à recommander pour l’armoire de «Monsieur». On y
met en bel ordre, sous les yeux et sous la main, les mouchoirs de poche,
les paires de chaussettes, etc., tout le menu fretin qui ferait désordre
au milieu des grosses pièces.

Le linge d’office doit avoir sa planche à part, ou, mieux, sa petite
armoire spéciale.

Un mot, en terminant, sur le linge de «ces messieurs». C’est un de leurs
principaux luxes. Ils n’ont point la ressource, lorsqu’ils veulent «se
faire beaux», des velours, des satins, des dentelles, des broderies; une
coupe élégante pour le vêtement, un choix heureux pour la cravate et le
gilet, et surtout du linge irréprochable, voilà leurs plus grands
atours. Aussi, comme ils sont reconnaissants à la dame du logis, femme,
mère, sœur ou fille, quand leur armoire est toujours bien garnie et bien
rangée!

Je vais, à leur intention, donner quelques petits détails sur ce sujet
important. Mes lectrices savent, mais je le leur rappellerai, que le
linge empesé craint beaucoup l’humidité, qui le rend mou et flasque. Il
faut donc que les chemises, faux-cols, manchettes, soient tenus dans un
endroit très sec; les chemises, à plat,--plastron contre plastron. Cette
précaution si simple empêche les devants de se défraîchir. Sur la pile,
une grosse mousseline, étendue pour la défendre contre poussière et
fumée. Les faux-cols et les manchettes seront _arrondis au repassage,
tandis qu’ils sont encore chauds_, ce qui leur évite la brisure du
glaçage quand on les met et les aide à conserver l’aspect de neuf. On
les range dans un carton juste assez large et assez haut pour qu’ils
gardent leur forme. Les boîtes où ils sont quand on les achète doivent
être conservées pour cet usage.

Ne pas mélanger les cols et manchettes ayant déjà été blanchis avec ceux
qui n’ont pas encore servi. Il y a des cas où «Monsieur» aime à se parer
de linge tout à fait neuf.

Il faut inspecter très souvent les tiroirs et armoires dudit «Monsieur»,
parce qu’il a la fâcheuse habitude de déplier pièce sur pièce jusqu’à ce
qu’il ait trouvé celle qui lui agrée, ou de rejeter dans l’armoire ses
cols et manchettes sales, ou de mettre en tapon le caleçon auquel manque
un bouton.

Récriminer et geindre est parfaitement inutile; on l’assomme, on ne le
corrige pas; il est cent fois plus simple... et plus dans l’ordre, de
remédier au mal.

Ranger à part, dans de petits cartons, les cravates blanches, les
mouchoirs fins, tout le petit bagage des jours de gala--officiel ou
autres--et veiller à ce que pour les mêmes occasions il y ait toujours
un fonds de linge très soigné et prêt à servir.

Tenir au complet la provision de mouchoirs de poche. Nos messieurs en
perdent, en salissent, en gaspillent beaucoup, il faut les renouveler
souvent et ne pas attendre les reproches de négligence, il est si facile
d’aller au-devant d’eux.

C’est par ces menues attentions, répétées chaque jour, que se créent,
s’entretiennent et s’accroissent, dans un jeune ménage, ces douces
habitudes de confiante et affectueuse estime, lien si fort, si durable
et si cher au cœur!

Avant de quitter l’armoire au linge, il est à propos de rappeler que
tout n’est pas _neuf_, dans ce qui la garnit.

Un rangement bien compris réserve à chaque catégorie, non seulement
comme _sorte_, mais aussi comme âge, une place distincte, et l’on doit
adopter un pliage différent pour les serviettes, les torchons, les
mouchoirs même, qui appartiennent à la série du vieux linge, faute de
quoi, et pour peu qu’ils aient conservé un peu de tournure, on les
confond avec les pièces en bon état, et gare aux surprises du dépliage!

_Il faut du vieux linge_ dans une maison, et cela est si vrai que les
mères prévoyantes ajoutent toujours au trousseau d’une jeune mariée un
petit ballot discret contenant vieux draps, vieilles serviettes, vieux
mouchoirs.

Les vieux draps servent d’_alèzes_ en cas de maladie, les vieilles
serviettes et les mouchoirs, en cas de pansements grands ou petits et
aussi pour nettoyer les bibelots fins, les bijoux, etc.

Les vieilles chemises, les vieilles flanelles, sont bien utiles dans les
cas où il est nécessaire de changer un malade sans lui donner de
secousses, parce qu’on ne craint pas de les déchirer, de les couper, de
les brûler avec des médicaments corrosifs.

Tout ce vieux linge doit avoir passé à la grande lessive. Un savonnage
le nettoie mal, le fait jaunir et lui fait prendre mauvaise odeur.

Quand il est bien sec, on l’enferme dans un sac de coutil, solide,
épais, bien clos.

Un petit sac de même sorte contiendra les bandes _roulées_, toutes
prêtes à être employées en cas de fracture, de foulure, etc. On fait
provision de ces bandes lorsqu’on répare des draps fatigués en exécutant
le travail que l’on appelle «changement de lé» et qui consiste à
rassembler les lisières du bord par un surjet qui deviendra la couture
du _milieu_ du drap, tandis que l’ancien milieu, élimé et souvent troué,
est enlevé sur toute la longueur du drap et sur une largeur qui varie
suivant l’étendue des dommages. Un _ourlet_ remplace alors la lisière
disparue.

Les petits draps ne se prêtent pas à cette opération qui les rendrait
par trop étroits, mais les draps de grands lits, ainsi traités, peuvent
encore faire bon service pour les lits d’une personne.

                   *       *       *       *       *

Si, pendant le cours journalier de l’existence, il est à désirer que
linge, vêtements, tout ce qui, dans ce genre, sert dans la maison et aux
divers membres de la famille, soit, grâce aux soins qu’y apporte la
maîtresse du logis, tenu en ordre et en bon état, il est des époques où
il faut procéder à une inspection générale des armoires, des tiroirs,
des malles, cartons, boîtes, etc., de tout ce qui contient un objet
susceptible de détérioration, par le fait de la poussière, de
l’humidité, des mites et des souris.

C’est surtout aux changements de saison que cette lourde besogne,
comparable aux inventaires qui se font chez les commerçants, est
indispensable.

On choisit, pour la faire, un jour bien ensoleillé, afin de pouvoir
tenir les fenêtres ouvertes, car il faut aérer largement le contenu et
le contenant des armoires.

Commençons par le rangement de printemps, le plus important de tous.

On fait réunir toutes les fourrures, tous les pardessus et robes
d’hiver, les tricots de laine, châles, pèlerines, fichus, etc. On les
fait battre avec une vergette d’osier, on fait vider les poches, on tâte
les doublures pour s’assurer qu’il ne s’est rien glissé entre elles et
le dessus, et quand tout est aussi propre que possible, on procède aux
soins qui ont pour but de le défendre contre les ennemis qu’attire la
chaleur.

Pour les fourrures, il y a deux systèmes: je les expose sans prendre
nettement parti entre eux.

1º Celui de l’_air libre_ qui consiste à pendre les objets à des
portemanteaux, dans une armoire bien fermée, mais sans nulle protection.
Il oblige, si on ne veut pas leur faire courir de grands risques, à
visiter très souvent les fourrures, à les secouer, à les battre. Cela se
pratique chez les fourreurs, qui ont des gens spécialement préposés à ce
service, mais est fort compliqué dans une maison particulière.

2º La seconde méthode quand elle est strictement appliquée donne de bons
résultats, mais la moindre fente dans les enveloppes peut laisser passer
l’ennemi, aussi ténu qu’implacable, qui portera la dévastation partout
où il se logera.

On peigne, _très doucement_, avec un démêloir de grosseur moyenne, la
fourrure en suivant le sens du poil. Si, pendant cette opération, il se
détache des bouquets de poils, c’est que les mites ont déjà commencé
leur œuvre néfaste.

Il faut alors frotter la fourrure avec un tampon imbibé de naphtaline,
d’éosine, de pétrole même si l’on n’a rien de mieux sous la main, enfin,
d’une essence de ce genre. On frotte la peau sur tout l’envers, et, à
l’endroit, à la naissance du poil.

Si le peignage n’a rien révélé de fâcheux, on peut procéder à la mise en
boîte.

Pour un manchon, on insère au milieu une boule de naphtol (préférable au
camphre qui s’évapore à la longue), puis on l’enveloppe dans un morceau
d’étoffe blanche, fraîchement lessivé, sans trous, ni fentes. Il faut
que le morceau soit assez grand pour enfermer hermétiquement le manchon.
On place celui-ci dans son carton qu’on a soigneusement épousseté, on
ajoute encore une boule de naphtol, on met le couvercle et l’on finit le
calfeutrage en collant une large bande de papier fort sur le bord du
couvercle à l’endroit où il s’applique sur le carton.

Quand tous les manchons sont ainsi préparés, on les range sur une
planche d’armoire ou de cabinet noir, dans un endroit sec et à l’abri du
soleil; au nord, si c’est possible.

Pour les boas, pèlerines, etc., on prend les mêmes précautions que
celles énumérées ci-dessus: peignage, enveloppes, boules de naphtol,
fermeture des caisses et cartons par des bandes de papier collé sur
toutes les fentes qui pourraient laisser entrer l’air du dehors. Ils
resteront ainsi jusqu’à l’entrée de l’hiver prochain.

Pour les vêtements, il est très bon d’installer des penderies à l’ombre
et au sec dans des armoires ou placards fermés par des portes à
coulisses. Une tringle de fer, assez forte pour tenir bon, malgré le
poids qu’elle aura à soutenir, supporte les porte-manteaux mobiles
auxquels sont accrochés les vêtements. Le modèle classique, à double
crochet, est le plus pratique. Le crochet d’en haut s’accroche à la
tringle; à celui d’en bas on accroche la ceinture des jupes; les
corsages sont portés par les bras du porte-manteau, bien étendus aux
épaules pour éviter les faux plis qui se forment.

Même observation pour les vêtements d’homme.

Les robes de grande toilette ont la queue retroussée et rattachée par
des épingles (ou mieux des cordons) à l’endroit où est la ceinture. Ces
robes, comme les manteaux très riches, en velours, en satin, etc.,
doivent être protégées par des sacs, amples, longs et légers, qui les
couvrent en entier. Si l’on ne veut pas faire les frais d’enveloppes de
percaline, les anciens grands rideaux de mousseline brochée sont
parfaits pour cet usage.

Les manteaux, jaquettes, costumes, etc., de tous les jours, sont pendus,
comme j’ai dit plus haut, et si, faute d’espace, on ne peut avoir
plusieurs armoires à sa disposition, rangés dans des caisses avec
l’accompagnement obligé des boules de naphtol.

Le pliage des vêtements pour cette sorte de rangement est chose fort
importante, car ils restent six mois au moins sans qu’on y touche.

Il est à peu près impossible d’entrer ici dans des détails à ce sujet.
Disons, de façon générale, qu’il faut autant qu’on le peut éviter les
faux plis, et placer au fond des caisses les vêtements très lourds ou
déjà défraîchis, gardant le dessus pour les pièces fines.

La lingerie d’hiver, caleçons, pantalons, camisoles, etc., en finette ou
en molleton, etc., est lessivée, pliée, enveloppée dans une vieille
nappe d’abord, puis mise dans une seconde enveloppe (emploi des vieux
rideaux de cretonne), en un petit ballot cousu qu’on range sur les
planches en haut des penderies. Les bas de laine, gilets de tricot,
gants et manchettes, etc., sont mis de même en ballots avec des boules
de naphtol.

Il faut bien se convaincre que tout objet de laine qu’on laisse l’été
sans le porter devient un nid à mites qui suffit pour infester toute une
maison, et que rien n’est superflu dans les soins que l’on prend pour
combattre cet infime et désastreux ennemi.

Les rangements d’été, moins considérables, consistent surtout à mettre
en lieu sûr les vêtements de printemps qui ne serviront pas pendant la
grande chaleur.

On peut aussi profiter de la longueur des jours, et du soleil, propice à
ce genre de besogne, pour faire prendre l’air au linge contenu dans les
armoires, défaire les paquets, s’assurer que rien n’est taché,
chiffonné, mal en ordre; vérifier le compte des services de table, des
paires de draps, taies d’oreiller, etc., voir ce qui est à mettre en
service, ou à en retirer pour en faire du vieux linge.

L’automne ramène une série de rangements analogues à ceux du printemps.
Il s’agit on effet de caser, soit dans des caisses, soit en ballots, les
effets d’été pour leur sommeil d’hiver. Tout ce qui peut se laver,
jupes, blouses, jupons, a dû passer au blanchissage, car il ne faut
point _enfermer la saleté_, comme disent les bonnes gens. Mais, une fois
les pièces _bien sèches_ (ceci est de toute rigueur), il ne faut pas les
empeser ni les repasser, car l’empois s’altère parfois pendant l’hiver
et abîme les étoffes.

Les robes de lainage fin, de soie légère, etc..., vont remplacer, sur
les porte-manteaux des armoires, les robes d’hiver qui vont revoir le
jour.

Il n’y a point de rangements d’hiver, à proprement parler. Tout a dû
être fait en ce genre pendant l’automne.

Ces divers bouleversements laissent toujours après eux un stock plus ou
moins considérable d’objets usés ou simplement trop démodés pour que
même une femme raisonnable puisse continuer à s’en servir sans paraître
ridicule ou mécontenter son mari.

A Paris et dans les grandes villes, on a peu d’espace et on diminue
forcément la provision des reliquats, mais en province! à la campagne!
quelles réserves s’entassent!

C’est, disons-le, presque toujours à très bonne intention.

C’est par économie... pour faire resservir plus tard des pièces démodées
qui reprendront une nouvelle jeunesse en changeant de forme et de
destination. C’est pour fournir aux jeunes mamans le moyen de compléter
le trousseau ou le linge de leurs bébés sans bourse délier... c’est pour
se créer un fonds à mettre en œuvre quand on aura des enfants pauvres à
habiller, etc... Et les caisses s’emplissent de vieilleries, et les
galetas s’emplissent de caisses, et les vêtements s’emplissent de...
mites et un beau jour tout est à jeter sans miséricorde.

Engageons donc tout d’abord les maîtresses de maison sages à ne
conserver que ce qui peut être réellement utile et à donner, pendant que
cela peut faire encore un peu de service, les vêtements masculins et
féminins qui ne sont plus portables par les membres de la famille.

Les pauvres ne manquent pas, certes! mais encore faut-il distribuer
intelligemment ses largesses. Il y a des miséreux, et beaucoup, c’est
triste à dire, qui ne voient dans ce qu’on leur a donné qu’un objet
d’échange, et cèdent à vil prix ce qui devait défendre du froid le
vieillard ou l’enfant que l’on a voulu secourir.

D’ailleurs, dans la garde-robe des gens du monde, il n’est guère
d’effets qui puissent faire de l’usage pour les pauvres proprement
dits... les étoffes sont trop fines, la façon, les garnitures trop
élégantes.

On trouve un très bon emploi de la démise dans les œuvres de secours aux
_Pauvres honteux_ bien discrètement dirigées le plus souvent par les
membres de l’Assistance par le Travail, de l’Hospitalité de nuit; et
enfin pour tout ce qui ne serait pas «offrable» ailleurs, chez les
_petites sœurs des pauvres_ qui savent tirer parti de tout, même des
plus petits bouts de rubans.

L’envoi n’est pas compliqué. Il suffit de faire un ballot portant
l’adresse de l’Œuvre à laquelle on le destine... _franco_, cela va sans
dire...




CHAPITRE XI

Ouvrages d’agrément.


Parmi les louanges que Salomon donne à la femme forte, nous trouvons
celle-ci: «Sa maison ne craint pas le froid et les intempéries, car elle
l’a revêtue à l’intérieur de tentures de tapisseries.»

L’art de tisser des nattes et des tapis pour en garnir le sol ou en
orner les murailles est certainement l’un des premiers qu’ait connus
l’humanité, car il se retrouve chez les peuples les moins civilisés. Son
origine remonte aux temps les plus reculés; une tradition constante
l’attribue à Noëma, sœur de Tubalcaïn et de Jubal, arrière-petits-fils
d’Hénoch, fils de Caïn.

En tous pays, à toute époque, on voit les femmes occupées à ce genre de
travaux.

Pénélope passe de longues heures devant le haut métier où s’enroule «la
toile», tissu _délicat d’une grandeur immense_[11], où chaque nuit elle
défait le travail du jour.

  [11] _Odyssée_, chant VI.

Ulysse chez les Phéaciens, secouru par la gracieuse princesse Nausicaa,
reçoit d’elle ces instructions: «Dès que vous aurez atteint le palais et
la cour, traversez aussitôt les appartements pour arriver jusqu’à ma
mère; vous la trouverez assise près du foyer, à la lueur de la flamme,
filant, appuyée contre une colonne, des laines de pourpre d’une
admirable beauté[12]» et plus loin: «Dans le vestibule du palais se
trouvent des sièges affermis le long de la muraille. On les avait
recouverts de tapis fins et bien tissés, c’était l’ouvrage des femmes.»

  [12] _Odyssée_, chant VII.

Les tapisseries, les voiles brodés, les vêtements ornés de riches
bordures, tiennent une grande place dans le luxe romain et plus tard
dans le luxe byzantin.

En Gaule, avec l’invasion des Barbares disparaissent momentanément tous
les raffinements de la vie et surtout ceux qui se rattachent à
l’ornementation de l’intérieur.

Les grossières demeures des rois mérovingiens, demi-fermes,
demi-forteresses, ne prêtent point aux somptueux décors. Clotilde, la
princesse bourguignonne, et Brunehaut, élevée à la cour noble et
fastueuse de son père, le roi des Visigoths, durent cependant apporter
avec elles des tissus précieux et des tentures artistiques.

Sous Charlemagne, les relations avec l’Orient ramènent le goût des
belles étoffes qui va toujours croissant; pendant tout le moyen âge les
châtelaines, les religieuses, s’efforcent de remplir leurs loisirs par
des travaux d’aiguille.

Mes lectrices connaissent toutes, je pense, la touchante histoire de la
tapisserie de Bayeux, exécutée, dit-on, par Mathilde, femme de Guillaume
le Conquérant, pendant l’expédition qui devait donner à son mari le
royaume d’Angleterre.

C’est plutôt une broderie qu’une tapisserie, et le travail est si
colossal qu’il semble au moins douteux qu’il ait pu être accompli
pendant la vie de la princesse, et même avec l’aide de ses femmes.

Qu’on en juge par ces chiffres dont le simple énoncé parle avec une
singulière éloquence.

L’immense toile de soixante-dix mètres de longueur sur cinquante
centimètres de largeur porte soixante-douze scènes.

On compte, tant dans ces scènes que dans la bordure, 623 personnages
divers, 202 chevaux et mulets, 55 chiens, 505 autres animaux, poissons,
oiseaux, etc., 37 édifices, 41 barques et vaisseaux, 49 arbres, plus des
inscriptions latines et une foule d’ornements.

Au siècle suivant, le progrès est si rapide, qu’au temps de saint Louis,
l’art des broderies en or et argent, des tapisseries, sait déjà produire
de véritables chefs-d’œuvre.

Dès lors il va toujours en augmentant et les merveilles créées par
l’industrie féminine n’ont plus de limites.

Points de toute sorte, guipures, dentelles, tapisseries, broderies,
atteignent un si haut degré de perfection, que nous en sommes réduits
encore à les copier servilement.

La Flandre, la Hollande, l’Italie, rivalisent de génie inventif. Dans
les couvents, chez les grandes dames, d’infatigables travailleuses
penchées sur les métiers, sur les carreaux à dentelles, font naître des
prodiges de goût, de patience, de délicatesse d’exécution.

On peut s’en faire une idée en admirant les broderies en relief faites
par les demoiselles de Saint-Cyr pour la chambre de Louis XIV à
Fontainebleau.

J’ai vu, il y a trente ans, dans un vieux château de Savoie un mobilier
de salon à la famille C. de B...; il avait dû user plusieurs vies de
femmes: qu’on en juge!

Il comptait deux grands canapés, douze fauteuils, autant de chaises,
couverts de tapisseries au _petit point_, en soie.

Le dessin, exécuté en brun, terre de Sienne, sur un fond blanc
(maintenant d’un beau ton d’ivoire jauni), représentait des paysages,
des ruines antiques, dans le goût de la fin du XVIIIe siècle.

L’effet général semblerait aujourd’hui un peu sec et mesquin, mais la
perfection du travail, le bon goût et la correction artistique des
sujets, imposaient une admiration sans mélange.

Que de jours, que de mois, que d’années, avaient passé dans
l’accomplissement de cette immense tâche! Que de fois les châtelaines
pensives, l’aïeule au front couronné de cheveux blancs, la mère au
visage soucieux, les jeunes filles souriant à la vie, avaient vu le
soleil couchant empourprer la neige des Alpes, ou réveiller lentement la
vallée au voile de brume!

Il n’y avait pas de chemins de fer en ces temps-là, ni de billets de
parcours!

La cour de Piémont était bien loin, la traversée du mont Cenis ou du
Petit Saint-Bernard, hérissée de dangers. On naissait, on vivait, on
mourait, à l’ombre des tours du château paternel; la toilette ne
demandait pas beaucoup de temps ni de soins; le lawn-tennis, la
bicyclette, n’étaient même pas soupçonnés; la messe de grand matin,
quelques visites de charité, quelques lectures dans les bouquins de la
bibliothèque, de loin en loin une excursion à Chambéry ou chez les
nobles alliés ou parents, un tel plan de vie laissait bien des espaces
vides... et bien des heures à passer devant le grand métier à pieds
tournés en bois de noyer!

Les bouleversements amenés par la Révolution, l’émigration des vieilles
familles et leur ruine, la dispersion des foyers, et, plus tard, les
folies héroïques, la vie enfiévrée du Premier Empire, n’étaient guère
propices à un genre de travaux qui demande du calme et de la liberté
d’esprit.

L’impératrice Joséphine cependant, créole élégante et raffinée, remit en
honneur les jolies broderies sur tulle et sur mousseline des Indes. Il
reste de cette époque aussi de très belles broderies en soie et en fil
d’or sur drap, pour sièges et tapis de table.

La Restauration vit commencer la vogue des interminables broderies au
plumetis sur mousseline et batiste avec des «rivières» de fil tirés, des
points à jour faits avec du fil à dentelle...

On employait des aiguilles nº 10, du coton nº 11 ou 12, chaque point
demandait avant de s’aligner d’infinies précautions; tout était une
affaire: le calque du dessin qu’on achetait imprimé en traits épais sur
du papier jaune, le «montage» de l’ouvrage sur un papier bleuté
(remplacé plus tard par la toile cirée verte), le «tracé et le bourrage»
d’où dépendaient la bonne tournure du motif.

Les moralistes et les médecins du temps déploraient en vain «les longues
heures passées à compter les fils d’un point à jour, ou à aligner les
points d’un feston» au grand détriment de la vue, de la santé et du
développement intellectuel.

Les anciens ouvrages d’art, la guipure, la dentelle aux fuseaux, les
applications de galons, de paillettes sur étoffes, étaient délaissés
comme «antiquailles». La tapisserie même, livrée au plus complet
désordre, et en même temps à une rare pauvreté d’invention, ne comptait
plus que de rares adeptes, et quelles œuvres elle enfantait!

C’était un chat ou un chien (quel chien et quel chat!) accroupi sur un
coussin vert ou un coussin rouge, un bouquet de roses, un bouquet de
pensées, une corbeille de fleurs, un berger et sa bergère, inouïs,
fabuleux de forme et de couleur!

Et cela dura une bonne quarantaine d’années, car il fallut, pour ramener
les saines traditions en fait d’ouvrages féminins, cet engouement réel
et durable pour les _antiquités_ qui aura marqué les dernières années du
XIXe siècle.

Mes contemporaines, mères ou grand’mères de mes lectrices, se rappellent
certainement les hideux chefs-d’œuvre perpétrés par nous et nos
pareilles dans notre jeunesse sous le nom générique de _petits
ouvrages_.

C’était des abat-jour en percale effilée ou en papier découpé,
chiffonné, frisotté, bons à jeter au panier au bout de quinze jours, des
allumettes en saule, d’un joli effet décoratif, mais vouées comme les
abat-jour à la poussière et aux mouches!

Dans le même ordre d’idées, des fleurs en papier, dahlias,
reines-marguerites, œillets, raides comme des aiguilles à tricoter, des
tapisseries à tons crus, hurlant de se trouver ensemble, sautant aux
yeux, vous poursuivant d’impitoyables lignes géométriques, des ouvrages
au crochet avec d’immenses trous et du coton molasse...

Et la potichomanie!... Je me félicite, je me glorifie, ce sera un baume
pour ma vieillesse d’avoir échappé à la potichomanie.

Je l’ai vue sévir avec rage autour de moi, mais le fléau a respecté ma
jeunesse et mon innocence, et je ne suis pas même coupable d’un
porte-allumettes!

Une paire de potiches grand modèle et d’un beau dessin coûtait, une fois
terminée, de quarante à quatre-vingts francs! oui, vous avez bien lu,
_quatre-vingts francs_ pour un objet fragile que le moindre choc pouvait
briser, et dont la lumière du jour avait fait peu à peu disparaître
toutes les teintes, au bout de quelques mois!

Il y avait assurément des objets moins chers, et pour une dizaine de
francs on pouvait poticher, mais c’était misérable!

La potiche était en verre blanc, assez large d’embouchure pour que l’on
pût y passer la main, voire même le bras.

Les fournitures consistaient en feuilles de chromo-lithographies, fort
chères à cette époque, et représentant, sans la moindre fantaisie ni
couleur locale, des chinoiseries, personnages, paysages, fleurs,
oiseaux, etc... Il y avait aussi des sujets étrusques et pompéiens.

On découpait les motifs, on les enduisait sur l’endroit d’eau gommée,
puis on les appliquait à l’intérieur du vase en appuyant fortement, de
façon à ce que le verre adhérât sans lacune au papier.

On les disposait en motifs plus ou moins rapprochés et groupés avec art
autant que possible.

Quand le tout était sec, on posait un enduit, sorte d’émail épais,
bleuâtre ou verdâtre, destiné à figurer la porcelaine.

Cette opération fort difficile effrayait les novices ou les timides qui
envoyaient leurs potiches chez les professionnels pour faire poser les
fonds.

                   *       *       *       *       *

La manie, que dis-je? la frénésie des «ouvrages d’agrément» sévit dans
certains intérieurs, surtout en provinces, où les journées sont longues
et les distractions peu nombreuses.

L’art assurément n’y gagne guère et le confortable non plus, car cette
ornementation compliquée, ces nœuds, ces pompons, ces franges, ces
broderies, ces fleurs, ces dentelles, brisent les lignes et arrêtent le
regard déjà agacé par l’abus des bibelots.

Les meubles couverts de tentures, de draperies, de coussins, finissent
par ressembler à un étalage de grand magasin, on craint de faner,
d’écraser, de froisser toutes ces jolies (?) inventions, et l’on cherche
des yeux, sans les trouver, quelque bon fauteuil, quelque simple chaise,
où s’installer commodément ne soit pas un crime de lèse-fanfreluches.

Le temps, le soleil, la poussière, ont d’ailleurs assez vite raison de
ces puérils décors; les rubans passent, les dentelles se salissent,
emmagasinent tous les atomes volants; si on essaye de les en dégager, la
brosse effiloche laines et soie, et au bout de peu de temps, de quelques
mois à peine, un ouvrage, qui a demandé beaucoup de travail et coûté pas
mal d’argent, n’est plus bon qu’à alimenter le panier aux chiffons.

C’est là une perte appréciable, surtout pour les personnes peu habiles
qui, incapables de «lire» correctement un dessin, ou de copier un
modèle, se servent de travaux échantillonnés, toujours vendus fort
chers.

Comme toute médaille a sa face aussi bien que son revers, ceci a
l’avantage de faire vivre beaucoup de femmes, très méritantes, ouvrières
ou dames du monde tombées dans le malheur, qui trouvent des ressources
sérieuses dans le travail d’échantillonnage; mais, d’un autre côté, le
budget de ménage, à l’article _Divers_, est grevé plus lourdement qu’on
ne pourrait le croire par ces achats sans cesse renouvelés de
«fournitures pour travaux d’agrément».

Voilà pourquoi je vais tenter d’indiquer à mes lectrices, d’abord la
sélection raisonnable, la sélection artistique et pratique à la fois, à
faire entre les genres de travaux d’agrément, puis, ce point établi, la
manière de les conduire, de les exécuter de façon à ce que la dépense
faite soit en proportion avec le résultat obtenu.

                   *       *       *       *       *

Je n’hésite pas à le proclamer tout de suite: sont à bannir «d’une
maison bien tenue» tous les ouvrages à bon marché imitant plus ou moins
les beaux modèles des maisons renommées en ce genre.

Le dilemme est là qui vous tient dans ses pinces: Si une large aisance
vous permet les fantaisies, pourquoi déshonorer votre intérieur par de
hideux ou ridicules objets?

Si vous n’avez ni assez de temps ni assez d’argent pour vous donner des
choses jolies et durables, sachez vous en priver ou du moins en diminuer
le nombre.

Il y a beaucoup de choses dont on ne peut se passer, du moment que l’on
a une certaine situation dans le monde, mais on peut toujours ne pas
encombrer son appartement de colifichets inutiles.

Je dirai donc: étant donnée la somme que vous pouvez consacrer aux
ouvrages d’agrément, employez-la à de beaux objets faits d’après de
beaux modèles et avec des fournitures de qualité supérieure.

Ne vous laissez pas séduire par des idées d’économie mal entendue, qui
vont juste au rebours de leur but.

Un exemple: Il y a des personnes qui, pour épargner le temps et la
laine, font de la tapisserie, non pas au point croisé, mais au point
lancé en dessous, c’est-à-dire en tendant un fil sur lequel on croise la
rangée supérieure des points.

Ceci donne mauvaise grâce à l’ouvrage qui se tire tout de biais dans un
sens, et, inconvénient plus grave, le fil de dessous s’use très vite, et
au bout de peu de temps le blanc du canevas apparaît. C’est de la
besogne de pacotille.

Quelles leçons nous donnent sur ce point nos aïeules! Il faut voir ces
tapisseries d’il y a un siècle, à points serrés sur canevas toile, à
envers noué solidement, pour se rendre compte de ce que doit être un
ouvrage destiné à braver les ans!

Autre exemple: Les roues ou rosaces au crochet eurent leur vogue, mes
contemporaines s’en souviennent.

Que de couvre-lits, que de dessus d’édredons, de dessus de fauteuils,
furent exécutés en ce temps-là! Les bien avisées employaient de beau
cordonnet de coton, d’un numéro moyen avec un crochet soigneusement
assorti. Les pressées de jouir, les économes, prenaient du _gros_ coton
pas cher, un _gros_ crochet, un modèle à grands trous, avaient fini bien
avant les autres, mais, au premier blanchissage, quel spectacle
d’horreur que leurs hâtifs chefs-d’œuvre!

Les femmes sensées et qui entendent l’économie avec intelligence ne
tombent point dans ces erreurs. Elles savent la vérité de l’adage: «Le
temps ne respecte que ce qui a été fait avec lui» et accordent à leurs
travaux d’agrément «time and money», le temps et l’argent nécessaires
pour exécuter une œuvre belle et solide.

Elles proscrivent aussi ces ouvrages de fantaisie qui, par leur genre
même, sont voués à une destruction prompte et inévitable.

Tels sont, entre autres, ces travaux en tricot de laine dont les teintes
passent si vite, et dont les vers font leurs délices.

Il y a cinquante ans, ils étaient en grande faveur; point de salon
bourgeois qui n’eût son ou ses tapis de mousse en laine verte
détricotée,... ils étaient émaillés de fleurs! oui de fleurs en laine,
marguerites, coquelicots, boutons d’or, posés avec une impeccable
symétrie.

Au même ordre appartiennent les poufs, les brioches, les coussins au
crochet ou au tricot, nids à poussière, couveuses à mites.

Tous les paniers, corbeilles, porte-allumettes, pelotes, etc., en petits
rubans, en papier froissé, rentrent dans cette catégorie d’objets qui ne
sont jolis qu’au moment où l’on vient de les faire et ne sont utiles
qu’à amuser les fillettes.

Il y a des ouvrages que je n’hésite pas à qualifier carrément,
brutalement, d’ouvrages _bêtes_. Tels sont ceux qui exigent une dépense
quelconque de temps ou d’argent pour n’arriver qu’à un résultat éphémère
et sans valeur artistique. Plus ils sont coûteux, plus ils sont
absurdes, puisqu’ils constituent un véritable gaspillage de forces
vives.

Tout ouvrage qui n’a en lui-même aucune source de beauté durable doit
être proscrit par les gens de goût.


OUVRAGES DE TAPISSERIE

Ils sont au premier rang parmi les travaux féminins; j’en ai vu qui
étaient de véritables œuvres d’art, mais, hélas! on n’en peut dire
autant de tous!

Le discernement des styles, la science des couleurs, le sentiment de la
ligne, font trop souvent défaut aux travailleurs, surtout en province.
On copie d’exécrables modèles conçus en dépit de toute esthétique, on
s’acharne à reproduire des nuances criardes, des effets violents de tons
qui se heurtent, un décor grotesque où l’on a ainsi employé en pure
perte beaucoup de temps et d’argent.

On peut m’objecter que le goût du beau, l’art de bien choisir, ne sont
le fait que d’une élite, appelée, soit par des dispositions naturelles,
soit par une éducation artistique soignée, à reconnaître promptement la
bonne voie. J’admets ceci sans contestation, et, comme cet article ne
doit point trop s’éloigner des sentiers pratiques, nous supposerons que
l’on a fait un choix judicieux, que le dessin, les nuances, le style
adopté, conviennent au genre du meuble, à sa forme, à l’endroit qu’il
doit occuper, à l’emploi auquel on le destine; qu’on n’a pas pris, pour
couvrir un fauteuil Louis XV, les majestueuses fleurs du style Louis XIV
ou les guirlandes un peu raides du style Empire; qu’on ne mettra pas un
fond bleu pâle ou vert tendre à une fumeuse, ou des tons passés à un
pouf oriental, qu’en un mot on se sera gardé de tout barbarisme, de tout
solécisme même.

Reste la question d’exécution.

Je ne saurais trop engager mes lectrices à ne prendre pour ces grands
ouvrages qui dévoreront une part de leur vie que des fournitures de
premier ordre: laines de teintes fines et solides, canevas renforcé,
soies sans mélange de coton. La bonne qualité des matériaux employés
assure la durée de l’œuvre.

On est obligé de prendre une assez grosse provision de laine d’un coup
quand il s’agit d’un ouvrage considérable, fauteuil, chaise ou longue
bande, car il ne faut pas s’exposer à se trouver à court d’une nuance
qu’on ne pourra plus trouver dans le commerce. Or ces provisions de
laines sont vouées à plus d’un danger. L’air passe les nuances et
_feutre_ les fils, les mites causent de terribles ravages.

Les écheveaux seront donc laissés en bloc, enveloppés dans un papier
épais, bien ficelés, tels qu’ils sont livrés par les marchands, on n’en
prendra que deux ou trois petits pour le courant du travail; on dévide
ceux-ci _très légèrement_ sur de petits cartons carrés.

La vieille coutume usitée pour la laine de Saxe, de couper un écheveau
en deux et de l’insérer dans une sorte d’étui de papier, est
inapplicable à la laine de Hambourg, toujours prête, comme je viens de
le dire, à se feutrer et à se _gripper_.

Il est bon de consacrer à ses ouvrages de tapisserie un tiroir spécial,
ou même une caisse à couvercle _emboîtant_, doublée de papier pour
empêcher la poussière et les insectes d’y pénétrer. On y range les
ouvrages finis et non montés, les ouvrages en train, les modèles, les
paquets de laine, et on y glisse quelques boules de naphtol. De temps en
temps d’ailleurs, il est prudent de visiter ses tapisseries.

Les bouts de laine, les pelotons entamés, auront aussi leur petite
boîte, établie avec les mêmes précautions que la grande; le tout sera
rangé dans une chambre au nord et à l’abri de l’humidité.

Bien que je ne veuille point faire un article «d’ouvrages à l’aiguille»,
je crois que quelques observations sur l’emploi des ouvrages de
tapisseries seront de mise ici.

Il est un peu restreint maintenant, et certains ouvrages, qui faisaient
les délices de nos mères, tels que pantoufles, calottes, bretelles,
ronds de serviettes, vide-poches, etc., sont totalement passés de mode,
mais on trouve encore dans l’ameublement de nombreuses occasions
d’exercer son goût et son habileté.

Les coussins, les bandeaux de cheminée, brise-bise, cordons de sonnette
(une bien vieille mode qui revient), petits tapis avec points variés,
pochettes à ouvrage, etc., etc., offrent un champ varié a la fantaisie
et à l’imagination.

Les bandes de tapisserie au bord des rideaux sont un très bel ornement.
Elles ont été très à la mode pour des sièges, on en a même abusé. On est
revenu maintenant à des idées plus saines, on ne les prodigue plus à
tort et à travers, on les réserve pour les sièges sans bois apparent;
pour les autres, on emploie des pleins: guirlandes, sujets ou semis,
dont il faut soigneusement assortir le style à celui du bois, chaise,
fauteuil ou tabouret.

Les tapis de table et les tapis de pieds, foyers ou carpettes, ne sont
point une heureuse invention. Ils sont très longs à faire, coûtent fort
cher, et l’on est tout étonné de voir qu’après tant de peine et de
frais, on n’a obtenu en somme qu’un résultat mesquin au point de vue
décoratif. Le point carré est trop lisse, trop tiré, rien ne vaut sur le
sol le velouté, le moelleux d’une belle moquette (ceci ne s’applique pas
toutefois aux tapis de chapelles et d’oratoires faits par carrés séparés
avec de la laine et du canevas _très gros_, et qui constituent un fort
bel ouvrage).

Pour les tables au contraire, l’épaisseur de la laine et du canevas
donne un effet lourd et disgracieux. Néanmoins il y a une combinaison
qui concilie toutes les discordances pour ce dernier emploi, c’est de
faire le dessus de la table en étoffe unie, drap, velours ou peluche, et
le bord du tapis en tapisserie; soit que l’on adapte la forme
emboîtante, la meilleure à mon avis, soit qu’on s’en tienne au classique
carré, on obtiendra toujours un bon résultat,

Les soies pour broderies ou tapisseries sont aussi difficiles à
conserver que les laines. Si elles n’ont rien à craindre des mites,
elles sont exposées à cette très fâcheuse maladie que l’on appelle
«piqûre». C’est une sorte de moisissure qui enlève la couleur et sème de
taches blanchâtres ou noirâtres les objets qu’elle atteint.

Pour en défendre les soies, il faut envelopper écheveaux et cartes dans
du papier très fin et les serrer dans une boîte bien fermée, placée dans
une armoire bien sèche en toute saison.

La petite provision destinée à servir immédiatement doit être mise dans
un sac ou une corbeille à l’abri de la lumière qui fait passer les
teintes.

Ce dernier mot amené sous ma plume me remet en mémoire un phénomène
d’optique que j’ai vu se renouveler plus d’une fois, et que je veux
signaler à mes lectrices pour leur éviter l’ennui d’avoir à défaire un
grand bout d’ouvrage.

Il arrive que deux laines qui semblent exactement de la même couleur à
la lumière du jour soient absolument dissemblables à la lumière
artificielle.

C’est surtout dans les tons gris et beige que ce fait se produit; de
sorte que vous pouvez avoir travaillé toute une journée à un fond, par
exemple, croyant vous être servie de la même laine, et que, le soir
venu, vous vous apercevez avec stupeur qu’un de vos gris est fauve et
l’autre violacé. Le seul moyen de parer à cet inconvénient, c’est, comme
je l’ai dit plus haut, et pour les fonds surtout où la moindre nuance
fait tache, de prendre d’un coup une forte provision de laine ou de
soie.

Les soies et laines blanches, ou de teintes très claires et très fines,
doivent, pour éviter les altérations, être enveloppées soigneusement et
«à part», même pour celles destinées à un emploi immédiat.


OUVRAGES EN FIL

Un des avantages des ouvrages en fil, c’est qu’ils coûtent assez peu
comme matières premières. C’est, va-t-on me dire, prendre la question
par un petit côté: il a son grand mérite, ce petit côté; supposons un
intérieur où il y ait trois femmes, la mère et deux filles, ayant toutes
trois la passion des ouvrages d’agrément. Il est certain que si cette
passion se cantonne dans les broderies d’art, ou même dans la tapisserie
de haut style, le prix des fournitures atteindra promptement un chiffre
très élevé, tandis que les guipures, dentelles au fuseau et au crochet,
filets brodés, etc., ne réclament que quelques écheveaux de fil ou
quelques pelotes de coton.

Les soins d’ordre à prendre en ce qui les concerne sont d’employer des
matériaux de première qualité, de les tenir enfermés à l’abri de l’air
dans des boîtes _ad hoc_, de réunir dans un carton les échantillons
exécutés, dans un autre les dessins et indications. J’en dirai autant
pour les ouvrages au point de croix, charmants travaux qui apportent une
large contribution à l’embellissement de la demeure et à celui des
vêtements.


OUVRAGES DE LAINE AU TRICOT ET AU CROCHET

Mêmes soins, mêmes rangements que ci-dessus; mais employer de préférence
des petites caisses garnies de papier bleu à l’intérieur, et fermant par
un couvert bien clos, soit à coulisse, soit emboîtant. Y mettre du
naphtol ou du camphre pour éviter les mites.

Les outils de travail, aiguilles, navettes, crochets, ont pour principal
ennemi l’humidité qui rouille l’acier et fait «jouer» le bois.

Si l’on veut les conserver en bon état, il faut donc les tenir dans un
tiroir ou un coffre bien sec; les aiguilles à tricoter réunies en
faisceau lié solidement, les crochets dans des boîtes ou des étuis à
leur taille... les moules, il y en a de tant de sortes! mis ensemble
dans un carton.

Toutes ces précautions coûtent fort peu de temps et en épargnent
beaucoup.

L’économie y trouve aussi son compte puisqu’il faudrait renouveler les
objets détériorés ou perdus.


BRODERIES D’ART

Le goût est fort heureusement revenu à ces splendides travaux que l’on
appelle broderies d’art. Ils sont coûteux et laborieux, mais pour les
personnes qui peuvent se l’accorder sans dépasser les limites de leur
budget, ils sont un très beau luxe.

Répéterai-je pour la centième fois (je suis vieille et j’ai un peu le
droit de radoter) que là surtout, il ne faut pas viser aux petites
économies; drap, velours, satin, étoffes brochées, galons, fils d’or
fin, cordonnets de soie, chenilles, etc., que tout soit non seulement
bon mais excellent; c’est une condition absolue pour le succès et la
durée.

Je n’ai point à revenir sur le choix des teintes, des dessins, des
styles, etc., tout ce que j’ai dit plus haut à propos de la tapisserie
trouve son application ici.

Il en est de même des soins à prendre pour l’emploi et la conservation
des matériaux et des ouvrages; j’ajouterai seulement que j’engage les
travailleuses à conserver, étendus bien à plat dans un carton ou une
boîte, les moindres bouts des chiffons précieux qu’elles ont mis en
œuvre. Cela sert toujours de façon ou d’autre. Il y a une foule de
jolies babioles, pelotes, sachets, couvre-livres, etc., qui utilisent
les plus petits morceaux.

Il est bon d’avoir des boîtes ou au moins des compartiments séparés,
pour les morceaux de laine, drap ou velours et peluche, ceux de soie,
les galons métalliques, les franges, rubans, etc., car tout mettre
pêle-mêle est aussi dommageable à la conservation des objets qu’au bel
ordre d’«une maison bien tenue».

Et pour finir, au risque d’allonger ce chapitre, déjà bien long, je veux
donner à mes lectrices le régal d’un petit morceau très peu connu et qui
les intéressera, je l’espère, autant qu’il m’a intéressée moi-même.

Je l’extrais d’un curieux recueil d’anecdotes publié à Bruxelles en 1785
sous les initiales: M. D. L. P.

«On a remarqué depuis peu au château de Maintenon un écran dont on va
donner la description:

«Il est rond et couvert d’une étoffe d’or sur laquelle est brodé un
soleil d’où partent seize rayons, et on lit sur chacun d’eux les mots
suivants aussi brodés sur l’étoffe:

    Majesté,
    Autorité,
    Magnificence,
    Libéralité,
    Puissance,
    Diligence,
    Vivacité,
    Éloquence,
    Belle-taille,
    Bonne-mine,
    Corps infatigable,
    Modération,
    Sagesse,
    Bonté,
    Justice,
    Valeur.

«A l’extrémité sont des petites cases couvertes d’une feuille de talc;
elles sont au nombre de seize et renferment chacune quatre vers:

    I

    Si pour disputer l’avantage
    Les rois s’assemblaient une fois,
    La _majesté_ de son visage
    Le ferait juger Roi des Rois.

    II

    Par le bruit de son équipée,
    Ses terres et les étrangères,
    Comme à des arrêts salutaires,
    Cèdent à son _autorité_.

    III

    Mais son ample _magnificence_,
    Passe au-delà de tous désirs.
    Tous ont part à son abondance,
    A ses pompes, à ses plaisirs.

La lecture des seize quatrains pourrait sembler fastidieuse, ils sont
tous du type des trois premiers que nous donnons ci-dessus et
contiennent la glose d’un des mots brodés sur les rayons.

«Enfin, autour de cet écran, sont encore brodés ces vers qui forment une
espèce d’exergue:

    Louis en terre est radieux,
    Comme le soleil dans les cieux,
    Et ses brillantes qualités
    Sont ses rayonnantes clartés.

Et voilà comment, il y a trois siècles, l’adoration quelque peu
fanatique inspirée par un grand roi se traduisait sous toutes les
formes, même celle bien inattendue d’un «ouvrage d’agrément».




TABLE DES MATIÈRES


  Avant-propos                                  V
  Chap.   I.--La maison                         1
   --    II.--La table                         25
   --   III.--Le service de table              38
   --    IV.--Les domestiques                  51
   --     V.--Approvisionnement                80
   --    VI.--Les déménagements                92
   --   VII.--Les réceptions                  133
   --  VIII.--Les réceptions à la campagne    180
   --    IX.--Budget et comptabilité          200
   --     X.--L’armoire au linge              233
   --    XI.--Ouvrages d’agrément             256


Coulommiers.--Imp. PAUL BRODARD.--166-1901.




Librairie Armand Colin, 5, rue de Mézières, Paris.


  L’Art de Vivre, par M. GUSTAVE SIMON, avec une préface de M. JULES
  SIMON. 1 volume in-18 jésus, broché                               3 50

Michelet prétendait que si l’on meurt c’est parce qu’on le veut bien.
Dans ce paradoxe fantaisiste, il y a une bonne part de vérité: Si
l’homme ne peut pas échapper à la mort en fin de compte, il dépend de
lui du moins de lui résister très longtemps.

C’est là précisément ce que le docteur G. Simon s’est attaché à mettre
en évidence. Pour éviter l’aridité d’un exposé dogmatique, il raconte
l’histoire d’une femme à partir du moment où elle dirige le foyer
domestique, et il intercale dans son récit les règles qui doivent
présider à l’éducation physique, intellectuelle et alimentaire. Il
signale, pour les combattre, nos erreurs, nos préjugés et nos routines.
Il trace ainsi les lignes directrices d’une vie dirigée par une
intelligente hygiène.

(_Revue Bleue_).

                   *       *       *       *       *

  L’Enseignement de l’anti-alcoolisme, par M. le Dr GALTIER-BOISSIÈRE, 1
  volume in-18 jésus, broché                                        1 50

Ce petit ouvrage est assez simple et assez clair pour convenir à un
enseignement populaire; et il est en même temps assez sérieusement
documenté pour vivement intéresser des lecteurs d’une culture
différente, mais trop souvent ignorants de cette importante question de
l’alcoolisme.

Il contient tous les renseignements sur le rôle des boissons dans
l’alimentation, sur leur fabrication, leurs falsifications, et les
maladies que peut entraîner leur abus. L’auteur étudie ensuite les
conséquences morales et économiques de l’alcoolisme, et les moyens de le
combattre. Après avoir examiné les lois et projets relatifs aux alcools;
il donne quelques extraits d’articles d’écrivains connus sur
l’alcoolisme.

Des figures caractéristiques illustrent le texte, particulièrement dans
la partie scientifique.

                   *       *       *       *       *

  Notions élémentaires d’Hygiène pratique, par M. le Dr
  GALTIER-BOISSIÈRE, 1 vol. in-18 jésus, broché                     3 50
  Relié toile                                                       4  »

On se porterait à merveille si l’on suivait la moitié des conseils de M.
Galtier-Boissière. Son livre est très aisé à manier, et avec cela très
complet; précieux pour les valétudinaires, intéressant et même amusant
pour les gens bien portants.

Dans la première partie, les règles fondamentales de l’hygiène sont
exposées avec de claires prescriptions. Une large place est faite à
l’enseignement par les yeux: collaboration indispensable pour rendre
claires et concises les descriptions. Les données d’anatomie, de
physiologie, ainsi comprises et allégées de toute expression technique,
le lecteur se trouve initié en quelques lignes au fonctionnement de nos
organes.

L’ouvrage se termine par une foule de renseignements de première utilité
et un petit lexique on ne peut plus pratique.

                   *       *       *       *       *

  Curiosités de l’Histoire naturelle, par M. H. DE VARIGNY. 1 vol. in-18
  jésus, broché                                                     3 50

L’auteur a rassemblé dans ce recueil mille particularités curieuses et
peu connues, réunies par lui au cours de ses études et de ses lectures.
On y trouve sur l’univers, sur la terre, sur les hommes cet les animaux
qui la peuplent, sur les plantes qui la parent, des renseignements d’une
sérieuse valeur scientifique et d’une forme agréable qu’il serait bien
long d’aller chercher dans nombre d’ouvrages et de revues. Si
surprenantes que soient les merveilles décrites par M. de Varigny, il ne
cite ou n’avance pas un détail qui ne repose sur la parole autorisée
d’un voyageur ou d’un savant moderne.

Les _Curiosités de l’Histoire naturelle_ forment un livre attrayant,
bien fait pour donner aux jeunes gens le goût de la science et pour
compléter utilement les connaissances qu’ils ont pu acquérir. A tout âge
on pourra le lire, et il n’est pas de bibliothèque où il ne puisse
trouver sa place.

                   *       *       *       *       *

  La Petite Cuisine: Notions d’hygiène alimentaire, Recettes de cuisine,
  Conseils pour les familles, par Mme MARIE DELORME. Un volume in-18
  jésus, broché                                                     1  »

                   *       *       *       *       *

  Dictionnaire-manuel-illustré des Connaissances pratiques: Hygiène,
  Médecine pratique, Écononomie domestique, Jardinage, Chasse, Pêche,
  Cuisine, Jeux, Villes d’eaux et de bains de mer, Savoir-vivre,
  Législation usuelle, Administration, Assurances, Instruction,
  Professions et Métiers, par M. E. BOUANT, professeur agrégé des
  sciences physiques au lycée Charlemagne. Un volume in-18 jésus, avec
  _1.600 gravures_, relié toile, tr. rouges                         6  »

                   *       *       *       *       *

  Dictionnaire-manuel-illustré des Sciences usuelles: Astronomie,
  Mécanique, Physique, Météorologie, Chimie, Biologie, Anatomie,
  Physiologie, Zoologie, Botanique, Géologie, Minéralogie,
  Microbiologie, Médecine, Hygiène, Agriculture, Industrie, par M.
  E. BOUANT. Un volume in-18 jésus, avec _2.500 gravures_, relié
  toile, tranches rouges                                            6  »

                   *       *       *       *       *

  Notions élémentaires d’Hygiène pratique suivies d’un appendice
  contenant tous les renseignements utiles à consulter pour les
  familles, par M. le Dr GALTIER-BOISSIÈRE. Un volume in-12, 270
  gravures et 8 planches hors texte en couleur, broché              3 50
  Relié toile,                                                      4 50

                   *       *       *       *       *

  Le Corps et l’Ame de l’Enfant, par M. le Dr MAURICE DE FLEURY.
  Un vol. in-18 jésus, broché                                       3 50
  Relié toile,                                                      4 50

                   *       *       *       *       *

  Le Féminisme aux États-Unis, en France, dans la Grande-Bretagne, en
  Suède et en Russie, par KAETHE SCHIRMACHER. Une brochure in-16    1  »

                   *       *       *       *       *

  De l’Éducation moderne des jeunes filles, par M. DUGARD, Une brochure
  in-16                                                             1  »






*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK UNE MAISON BIEN TENUE ***


    

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