Conversations d'une petite fille avec sa poupée

By Madame de Renneville

The Project Gutenberg EBook of Conversations d'une petite fille avec sa
poupee, by Mme de Renneville

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Title: Conversations d'une petite fille avec sa poupee
       Suivies de l'histoire de la poupee

Author: Mme de Renneville

Posting Date: November 15, 2011 [EBook #9891]
Release Date: February, 2006
First Posted: October 28, 2003

Language: French


*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE ***




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CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE AVEC SA POUPÉE.


[Illustration: _Conversations d'une petite Fille. Frontispiece.
Il ne faut jamais mentir, Mademoiselle: c'est fort mal! Pour votre peine,
vous allez avoir le fouet!_]


       *       *       *       *       *


CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE AVEC SA POUPÉE,

SUIVIES DE

L'HISTOIRE DE LA POUPÉE;

PAR Mme. DE RENNEVILLE,

AUTEUR du Petit Charbonnier de la Forêt Noire.

OUVRAGE ORNÉ DE ONZE GRAVURES.


       *       *       *       *       *


INTRODUCTION.


Monsieur et madame Belmont avoient une petite fille de cinq ans, appelée
_Mimi_; elle étoit blanche comme du lait, et douce comme un petit agneau.
Mimi ne désobéissoit jamais à sa maman. Pour ne point faire de bruit, elle
prenoit sa poupée, s'asseyoit dans un coin de la chambre, et causoit avec
elle. Mimi faisoit la maman. _Zozo_, c'est ainsi qu'elle nommoit sa poupée,
était sa fille. La petite maman répondoit pour Zozo, comme on peut le
croire. Si la poupée répondoit bien, elle étoit récompensée; si elle
répondoit mal, elle étoit punie.

Dans ces conversations, Mimi répétoit exactement tout ce que lui disoit sa
mère, qui s'en amusoit, et prenoit quelquefois part à ce léger badinage,
sans que Mimi en fût plus déconcertée. Mimi prenoit aussi un grand plaisir
à faire la petite maîtresse: Zozo étoit examinée le matin, après dîner,
quand madame Belmont rentroit, en revenant de la promenade, et le soir
avant de se coucher.




PREMIÈRE CONVERSATION.


Mimi est habillée; elle a déjeuné, et se prépare à faire la toilette de sa
fille, Mimi questionne ainsi sa poupée:

Zozo, avez-vous pleuré quand on vous a débarbouillée?--Non,
maman.--Avez-vous lavé vos mains?--Oui, maman.--Avez-vous fait votre
prière?--Oui, maman.--C'est le bon Dieu, ma fille, qui vous a donné votre
papa et votre maman; c'est lui qui tous les jours vous donne de quoi vous
nourrir et vous habiller; il faut bien l'aimer! Avez-vous souhaité le
bonjour à papa et à maman?--Oui, maman.--Bien, ma fille; je suis contente
de vous. Jeannette, apportez la belle robe de crêpe rose de Zozo, celle qui
est garnie de fleurs; mais comme elle est déchirée!... C'est vous, Zozo,
qui avez fait cela?--Maman, je ne le ferai plus!--Mademoiselle, pour votre
pénitence, vous mangerez votre pain sec.... Il est bien temps de
pleurer!--Ma petite maman, je ne déchirerai plus ma robe; jamais,
jamais!... c'est un arbre du Luxembourg qui m'a accrochée.--Comment, Zozo,
je ne voyais pas, vraiment! cette robe est toute tachée!... Fi! que c'est
laid d'être malpropre!... Mademoiselle, vous mettrez aujourd'hui votre robe
sale. Allez, je ne veux plus vous voir! (elle la conduit dans un coin.)
Tournez-vous du côté du mur, et restez là. Oh! la laide! oui, pleurez à
présent.--Ce sont les confitures qui ont taché ma robe.--Vous raisonnez, je
crois! Si ce sont les confitures, vous n'en aurez plus. Vous pleurez,
encore plus fort! ah! mademoiselle, vous êtes gourmande! je suis bien aise
de le savoir! du pain sec, c'est ce qu'il faut aux gourmands. Allons, venez
lire. Si vous dites bien votre leçon, je vous pardonnerai. Voyons, dites
vos lettres.

ZOZO.

a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, x, y, z,
etc.

MIMI.

Bien. Épelez à présent.

ZOZO.

ba, be, bi, bo, bu.

MIMI.

On ne dit pas _bé_, mais _be_.

ZOZO.

ca, ce, ci, co, cu.

MIMI.

C'est très-mal, ça. On dit ka, ce, ci, ko, ku; entendez-vous, mademoiselle,
et souvenez-vous-en.

ZOZO.

da, de, di, do, du.

MIMI.

Toujours la même faute! On ne dit pas _dé_, mais _de_. Faites-y donc
attention!

ZOZO.

fa, fe, fi, fo, fu.

MIMI.

Vous êtes incorrigible, Zozo. Dites _fe_ et non pas _fé_.

Mais en voilà assez. Comptez jusqu'à vingt.

ZOZO.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze,
treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf, vingt.

MIMI.

Combien y a-t-il de voyelles?

ZOZO.

Cinq: a, e, i, o, u.

MIMI.

Et de consonnes?

ZOZO.

Dix-neuf: b, c, d, f, g, h, j, k, l, m, n, p, q, r, s, t, v, x, z.

MIMI.

Bien, ma fille, je suis contente de toi; viens embrasser ta maman!

Si tu savois, Zozo, comme tu es gentille quand tu es sage, tu ne te ferois
jamais gronder! et puis tu mangerois toujours de bonnes choses; je te
donnerois de beaux chiffons pour récompenses, tu serois caressée de tout
le monde! Est-ce que tu n'aimes pas les bonbons et les joujoux?--
Pardonnez-moi, maman.--Eh bien! Zozo, il faut être bien sage, et tu en
auras.

Mimi et Zozo étaient fort bien ensemble, lorsque madame Belmont appela sa
fille pour l'envoyer promener avec sa _bonne_. Mimi courut à sa maman, et
par sa précipitation, renversa sa poupée, qui entraîna avec elle la boîte
aux joujoux. Jeannette n'étant pas encore prête, Mimi revint auprès de
Zozo, qu'elle trouva étendue par terre, le nez sur le parquet, et les
chiffons éparpillés autour d'elle. Elle releva sa poupée, et lui demanda,
en colère, qui avoit renversé ses chiffons?--Ce n'est pas moi, maman.--Vous
mentez, Zozo! personne n'est entré ici. Vous aurez voulu voir les fleurs
d'or qui sont dans ma boîte. Il ne faut jamais mentir, mademoiselle; c'est
fort mal! vous allez avoir le fouet! Jeannette, apportez-moi les
verges.--Je ne le ferai plus, maman (elle pleure). Mimi, après l'avoir
fouettée: Ah! ah! je vous apprendrai à mentir! fi! rien n'est si vilain que
cela! Mimi en étoit là de sa réprimande, quand madame Belmont l'appela de
nouveau. Après avoir rangé ses chiffons, la petite s'en alla avec
Jeannette. Elle voulut bien pardonner à Zozo, et l'emmena avec elle.

Quand elles furent au Luxembourg, Mimi raconta à sa bonne les grands sujets
de mécontentement que Zozo lui avoit donnés. Jeannette, qui avoit horreur
du mensonge, lui raconta l'histoire suivante:

_Le petit Menteur._

Il y avoit une fois un laboureur, nommé Jacques, qui étoit resté veuf avec
trois enfans, Charles, âgé de six ans, Firmin, âgé de cinq ans, et Jean,
âgé de quatre ans. Ces trois petits garçons n'étoient point méchans; mais
Charles étoit gourmand, Firmin menteur, et Jean désobéissant; ce qui
donnoit beaucoup de chagrin à leur père.

Jacques avoit dans son jardin un arbre qui donnoit des poires très-grosses
et très-belles: «Je ne suis pas assez riche, dit cet homme, pour mettre
d'aussi beau fruit sur ma table; il faut que je les vende. Avec cet argent,
j'achèterai une veste à Charles, des bas à Firmin, et à Jean des souliers
pour les dimanches; car j'espère bien avoir 12 fr. de mes poires!»

Jacques, voulant aller travailler, recommanda à ses enfans de se bien
conduire, pendant que Marguerite, leur grand'mère, feroit le ménage; et
surtout, de ne point toucher aux poires du bel arbre; «car, vois-tu, mon
fils, dit-il à Charles, si tu en mangeois, tu n'aurois pas une belle veste
neuve, ni tes frères des bas et des souliers!» Charles promit de ne point
toucher aux belles poires, et son père le quitta.

Ces trois petits garçons se trouvant seuls dans le jardin, parce que la
mère Marguerite étoit restée dans la maison à faire le ménage, Charles le
gourmand dit à ses frères: «Voyons donc ces belles poires que notre père
veut vendre pour m'acheter une veste, et à vous des bas et des souliers»;
et tous les trois allèrent auprès de l'arbre. Charles, en voyant les
poires, en eut envie: «J'en mangerois bien une, dit-il; elles doivent être
bien sucrées! et toi, Firmin?--Oh! non, papa l'a défendu!--Bah! une
seulement; il n'y paroîtra pas du tout! et toi, Jean?--Papa l'a
défendu!--Que tu es bête! mange toujours; il n'en saura rien!» Et voilà
Charles qui grimpe sur l'arbre, et cueille trois poires, une pour Firmin,
une pour Jean, et une pour lui.

Jacques, qui se doutoit que Charles le gourmand feroit désobéir ses frères,
n'avoit pas été aux champs; il s'étoit caché dans un coin du côté du bel
arbre; il entendit la conversation de ses enfans, et leur vit manger ses
poires. Voulant les éprouver, il les laissa s'éloigner, et fut cette fois
tout de bon à la charrue.

A l'heure du dîner, le laboureur revint à sa maison: «Je veux, dit-il à ses
enfans, cueillir les poires du bel arbre, pour les aller vendre demain au
marché.» Les trois enfans se regardèrent. «Charles, continua le père, va me
chercher le panier qui est dans la salle basse.» Charles ayant apporté le
panier, le laboureur monta à l'échelle, et cueillit ses belles poires.
Quand il eut fini, il les compta, et dit à ses enfans: «Quelqu'un a mangé
de mes poires; il en manque trois. Qu'est-ce qui est venu dans le
jardin?--Personne que la mère Marguerite, répondit Firmin.--Ce n'est pas la
mère Marguerite, dit le laboureur; elle n'avoit point d'échelle, et l'arbre
est trop haut pour qu'elle puisse cueillir les fruits. Je crois, moi, que
c'est vous tous.» Aussitôt les enfans se mirent à pleurer. «Charles, dit
Jacques à son fils aîné, parle vrai; en as-tu mangé?--Oui, mon papa,
répondit Charles, en fondant en larmes!--Puisque tu as été gourmand, reprit
Jacques, tu n'auras point de veste; mais comme tu as dit la vérité, tu ne
seras point puni. Et toi, Firmin, as-tu aussi mangé une poire?--Non, mon
papa.--Comment! Charles a mangé tout seul trois grosses poires sans vous en
donner?--Oui, mon papa.--Qu'en dis-tu, Charles?» Charles baissa les yeux et
ne répondit pas. «Et toi, Jean?--Papa, j'en ai mangé une aussi»; et, ce
petit pleura bien fort! «Je te l'avois cependant défendu!--Je ne serai plus
jamais désobéissant, mon papa.--A la bonne heure!... Il n'y a donc que
Firmin qui ait craint de me déplaire.... Cependant, il faut que je sache
quel est celui de vous qui a mangé deux poires: combien as-tu mangé de
poires, Charles?--Je n'en ai mangé qu'une, mon papa.--Et toi, Jean?--Qu'une
aussi, papa.--Il m'en manque trois! qui donc a mangé la troisième? ah!
c'est peut-être la mère Marguerite!... Ne dites rien, je vais bien
l'attraper! Faisons l'épreuve du coq.»

Aussitôt Charles fut chercher son coq favori. Jacques le prit, s'éloigna un
moment, et revint tenant le coq dans ses bras. Il fit ranger sa petite
famille sur une ligne, la mère Marguerite à la tête, et il appela chacun à
son tour pour passer la main sur le dos du coq. «Je verrai, dit-il, quel
est le coupable; car il ne l'aura pas plus tôt touché que le coq chantera.»
La mère Marguerite, Charles et Jean qui ne craignoient rien, passèrent la
main sur le dos du coq; pour Firmin, il eut tant de peur de l'entendre
chanter, qu'il n'y toucha pas. «Voyons vos mains, demanda Jacques?» Tous
présentèrent leurs mains.» C'est Firmin, dit-il, qui a mangé la poire; il
s'est vendu lui-même: vous voyez que sa main est blanche, et que celles des
autres sont noires; parce que j'avois noirci le dos du coq: Firmin se
sentant coupable n'a pas osé y toucher! c'est ainsi qu'on prend les
menteurs!...» Firmin, confondu, se mit à pleurer. «Je n'ai pas pitié de tes
larmes, lui dit son père; ce n'est pas assez d'être gourmand et
désobéissant, tu es encore menteur! fi! cela est affreux!» Et aussitôt
Jacques dit à la mère Marguerite de donner le fouet à Firmin.

[Illustration: _Le petit menteur._]

[Illustration: _la Biche blanche._]

Ce même jour, comme le laboureur se reposoit après son travail, entouré de
ses trois enfans, il fut abordé par un monsieur bien mis, qui le pria de
lui donner un peu de cidre pour le rafraîchir. Jacques alla lui en
chercher, et le lui donna de bonne grâce. «Je vous remercie, lui dit
l'étranger: j'avois chaud; vous m'avez rendu service, et je voudrois faire
quelque chose pour vous. A qui sont ces beaux enfans?--C'est à moi,
monsieur.--Je les trouve charmans, dit le seigneur; car c'en étoit un.
Hélas! ils me rappellent mon fils! il étoit de l'âge de votre aîné, lorsque
le bon Dieu le retira du monde. C'étoit un enfant si doux! jamais il
n'avoit désobéi! il n'étoit ni gourmand, ni menteur; il ne pleuroit que
lorsqu'il me voyoit malade! J'ai conservé tous ses joujoux, et j'ai fait le
serment de ne les donner qu'à un enfant, qui comme lui ne seroit ni
gourmand, ni menteur, ni désobéissant. Je voudrois bien qu'un des vôtres
méritât ces jolies choses; j'aime déjà ces petits à cause de vous. Sans
doute vous en êtes bien content? «Le laboureur secoua la tête, et le
monsieur soupira! «Vous me faites de la peine, dit-il à Jacques; car je
vois que vos enfans ne sont pas sages. Faisons un accommodement; si,
pendant trois mois, vos enfans ne sont ni gourmands, ni menteurs, ni
désobéissans, ils auront les joujoux de mon fils, et je leur donnerai à
chacun un habit neuf. Cet arrangement vous plaît-il?» Le laboureur répondit
comme il le devoit à tant de bontés; et le seigneur ajouta: «Pour donner à
vos enfans le désir de se bien conduire, amenez-les à mon château, je leur
ferai voir les belles choses que je leur destine.»

Le lendemain, Jacques ne manqua pas de mener ses enfans au château du
seigneur. Ils furent éblouis de la beauté et de la richesse des
appartemens: l'or et l'argent y brilloient de toutes parts! On les fit
passer dans une pièce plus belle que les autres. On y voyoit une table
couverte d'un grand voile de gaze d'or. Le seigneur leva le voile, et les
enfans virent avec surprise de beaux carrosses, des chevaux, des
cabriolets, des polichinels, des pouparts, des ménages d'argent, et mille
autres belles choses qu'ils n'avoient jamais vues de leur vie. Puis des
bonbons, des confitures sèches, du sucre d'orge, et toute sorte de
friandises; car le petit monsieur n'avoit garde de manger tout ce qu'on lui
donnoit, tant on l'accabloit de bonbons, de pastilles, de diablotins, etc.
etc. Il falloit voir les yeux que faisoient Charles, Firmin, et surtout le
petit Jean! Oh! si on lui eût donné seulement un bâton de sucre d'orge!
mais il n'y avoit pas moyen!» Tout cela vous appartiendra dans trois mois,
leur dit le maître du château, si vous n'êtes ni gourmands, ni menteurs, ni
désobéissans.» Il les fit bien régaler et les renvoya.

De retour au hameau, les trois enfans croyoient voir encore devant leurs
yeux toutes les richesses du jeune seigneur; ils ne pouvoient penser à
autre chose. Cependant leur père ne leur recommanda point d'être sages; il
avoit promis de ne rien leur dire pendant l'espace de temps convenu.

Il y avoit déjà deux mois et demi de passés, et les fils de Jacques
s'étoient bien conduits, quand le seigneur l'engagea à venir le voir avec
ses enfans. Ceux-ci, tout joyeux, ne manquèrent pas de visiter les beaux
joujoux du petit monsieur. Firmin ayant aperçu, près de lui, une boîte
pleine de bonbons, se laissa tenter, et la mit dans sa poche sans que
personne le vît.

Les trois mois expirés, le laboureur fit mettre à ses enfans leurs plus
beaux habits, et se rendit au château. Le seigneur les attendoit. «Venez,
mes petits amis,» leur dit-il, recevoir le prix de votre sagesse; mais
auparavant, il faut que je sache ce qu'est devenue une boîte qui manque
ici; et il leur montra une note exacte de tout ce qui étoit sur la table.
Firmin rougit prodigieusement, et son père le regarda d'un oeil
courroucé.--Ne cherchez point, monseigneur, dit-il au maître du château,
voici le voleur! en montrant Firmin. Celui-ci nia effrontément!... Son père
fouilla dans sa poche, et y trouva la boîte; mais elle étoit vide!--Ah!
c'est trop fort, dit le seigneur, menteur et voleur!... Je vous plains, bon
Jacques, d'avoir un fils qui annonce de si mauvaises inclinations! ne
l'amenez jamais ici; je hais les gourmands; mais je crains les menteurs et
les voleurs! ensuite s'adressant à Charles et à Jean: Quant à vous, mes
petits enfans, qui avez fait des efforts pour vous corriger, je vous donne
tout ce qui est sur cette table; vous serez habillés de neuf, et,
désormais, je prendrai soin de votre fortune. Vous, Jacques, je vous fais
mon fermier: soyez toujours honnête homme.

Jacques, Charles et Jean s'en retournèrent tout joyeux à leur maison.
Firmin, chassé du château comme un mauvais sujet, n'osa plus sortir de chez
son père; car aussitôt qu'il paroissoit dans le village, les autres enfans
le montrant au doigt, disoient: Voici Firmin, le voleur du château! et tous
couroient sur lui en criant: Au voleur! au voleur!... Il resta long-temps
enfermé, menant une vie bien triste! mais aussi il l'avoit mérité! pourquoi
étoit-il menteur et voleur?

L'histoire de Jeannette avoit duré autant que la promenade. A son retour,
Mimi causa avec sa poupée; elle parla des enfans du laboureur: As-tu
entendu, Zozo, ce qu'a dit ma bonne? ce monsieur Firmin le voleur!... oh!
que c'est vilain de voler, et puis encore de mentir!... si cela t'arrive
jamais, tu ne seras plus ma petite fille! Mais à propos, pourquoi donc
restois-tu toujours derrière ma bonne? cela n'est pas bien! il falloit te
prendre par la main pour te faire avancer; et puis tu as eu de l'humeur,
après l'histoire, parce que tu ne voulois pas encore revenir à la maison,
et Jeannette s'est fâchée! Si tu recommences encore, tu seras en pénitence,
je t'en avertis.

La paix étant faite entre Mimi et Zozo, on vint chercher Mimi pour
l'habiller, parce que madame Belmont allait dîner en ville, et l'emmenoit
avec elle.




SECONDE CONVERSATION.


La dame chez laquelle madame Belmont dînoit ce jour-là, aimoit Mimi à la
folie; elle voulut l'avoir auprès d'elle à table, et lui donna mille
friandises. Mimi avoit beaucoup mangé quand on servit un plat de gâteaux
qui lui plaisaient fort. Sa mère, qui ne la perdoit pas de vue, lui
défendit par signes d'en manger. Mimi fit semblant de ne point s'en
apercevoir, et mangea des gâteaux au point d'en être incommodée. Madame
Belmont se hâta de rentrer chez elle, déshabilla sa fille, et lui fit
prendre du thé. On se doute bien qu'elle la gronda. Mimi, se trouvant
mieux, courut prendre sa poupée. Pendant que sa mère lisoit, elle eut avec
Zozo la conversation suivante:

Venez ici, mademoiselle, que je vous délasse. Jeannette, faites du thé pour
cette petite gourmande, qui étouffe pour avoir mangé des gâteaux, malgré la
défense de sa maman. Fi! que cela est vilain! une grande fille de votre
âge! vous devriez être honteuse!... vous aviez pourtant mangé des macarons,
du biscuit, du raisin, des amandes, des poires! Fi! que c'est laid d'être
gourmande, et désobéissante à sa maman! Je suis sûre que vous avez mangé
votre viande sans pain!--Non, maman!--Mais vous avez demandé du poulet, et
cela n'est pas bien! une petite fille ne demande jamais rien; elle attend
que sa maman lui donne. Et puis, il faut que je vous gronde; vous avez bu
sans avoir vidé votre bouche; vous avez répondu à madame B..., ayant aussi
la bouche pleine, et c'est mal; on ne l'emplit pas tant, et on la vide tout
à fait pour boire et pour répondre quand quelqu'un vous adresse la parole.

En sortant de table, vous avez fait du bruit; vous avez parlé aussi haut
que les grandes personnes; vous avez disputé avec les filles de madame
B..., ce qui n'est pas poli du tout; vous leur avez arraché les joujoux des
mains. Et mais, vos mains, les avez-vous lavées? je suis sûre que non!
Voyez comme votre robe est sale! et vous voulez que je vous mène dîner en
ville! ah! mademoiselle, il faut être plus raisonnable, et surtout retenir
ce que dit votre maman. Vous êtes une étourdie, je le sais; vingt fois je
vous ai dit combien il est déplacé de faire telle ou telle chose, et vous
n'en faites qu'à votre tête.

Je vais à ce sujet vous raconter comment il en a coûté la vie aux petits
d'une biche, pour avoir négligé de suivre les avis de leur mère. Ecoutez
bien:

_La Biche blanche_.

Il y avoit une fois une biche, qui avoit trois petits enfans; elle voulut
leur aller chercher à manger, mais avant de sortir elle leur dit: Mes
enfans, n'ouvrez point qu'on ne vous montre patte blanche, et faites-y bien
attention, afin de ne point vous laisser tromper, entendez-vous? Ses enfans
le lui promirent, et la biche alla leur chercher à manger.

Cependant, compère le loup étoit derrière la porte. Aussitôt que la biche
fut partie, il vint frapper en contrefaisant sa voix: Pan, pan! ouvrez, je
suis votre mère!--Montrez-nous patte blanche, lui dirent les petits.
Compère le loup fut bien attrapé, car sa patte étoit grise!... mais le
malin, l'ayant entortillée d'un linge, revint à la porte: Pan, pan! ouvrez,
je suis la biche votre maman!--Montrez patte blanche. Aussitôt le compère
glissa, sous la porte, sa patte enveloppée de chiffons, et les petits
ouvrirent étourdiment, sans s'assurer si c'étoit bien la patte de biche
blanche. Qu'arriva-t-il? compère le loup les croqua tous! Voilà ce que
c'est! Si ces petits eussent regardé de très-près, ils auroient vu que
compère le loup avoit enveloppé sa patte; ils n'auroient point été mangés,
et la biche les auroit retrouvés à son retour.

Si vous faisiez aussi attention à ce que je vous dis sans cesse, ma fille,
vous ne seriez pas grondée souvent comme vous l'êtes. Allons, je vous
pardonne pour cette fois; venez m'embrasser. Tiens, Zozo, vois-tu ce beau
livre, ce sont _les Soirées de l'Enfance_; regarde les jolies gravures. En
voici une bien belle, c'est le petit Fabien qui donne tout son argent pour
avoir des livres afin de s'instruire.

Voilà une jeune personne qui, voyant sa soeur en danger de périr dans un
canal où elle étoit tombée, se jette après elle pour la sauver. Ici, c'est
un jeune homme qui vient donner des secours à une pauvre veuve qui, après
avoir essuyé bien des malheurs alloit être dépouillée du peu qui lui
restoit.

Madame Belmont venoit d'achever sa lecture, elle interrompit sa fille:
Viens ici, Mimi, apporte ta poupée, et assieds-toi. Tu as conté tout à
l'heure une histoire à Zozo, veux-tu que je t'en conte une à mon tour?--Oh!
oui, ma petite maman, je vous en prie!--Ecoute donc:

_Histoire de la petite Fille désobéissante_.

Il y avoit une fois une petite fille qui s'appeloit Lili; elle étoit bien
gentille, mais elle désobéissoit toujours à sa maman! ce vilain défaut lui
attiroit bien des chagrins! Si sa maman cousoit, Lili prenoit ses ciseaux,
malgré sa défense, et se coupoit les doigts; ou bien, elle ouvroit son
étui, et renversoit ses aiguilles. Tantôt c'étoit la pelotte, dont elle
tiroit les épingles en s'amusant, tantôt le fil qui lui servoit à jouer.
Une autre fois Lili renversoit le tabac de sa maman, en touchant à sa
boîte, ou déchiroit un livre qu'il falloit payer; ses robes étoient tachées
d'encre, parce qu'elle vouloit écrire, quoique sa maman le lui eût défendu.
Plusieurs fois Lili s'étoit brûlée en jouant avec le feu, et cela ne l'en
avoit pas corrigée.

Cette petite avoit renversé sur elle de la sauce, du bouillon, du lait, en
grimpant pour regarder dans un plat ou dans une soupière; elle s'étoit
jetée par terre cinq à six fois, d'où on l'avoit relevée avec une grosse
bosse au front, et, cependant, Lili recommençoit toujours à toucher à tout.
On la distinguoit de ses frères et soeurs, en lui donnant le vilain nom de
_désobéissante_. Qui a fait cela, demandoit-on?--C'est la désobéissante;
qui a dit cela? c'est la désobéissante. A cinq ans, Lili étoit encore la
même. La seule différence qu'il y eût, c'est qu'elle commençoit à sentir
que ce nom-là n'étoit pas beau du tout! Quand on l'appeloit ainsi, Lili
montroit de l'humeur; elle boudoit ses petites amies. Sa maman les laissoit
faire, parce que Lili n'avoit pas changé de caractère.

Un jour la maman de Lili dit à sa _bonne_, nommée Victoire, de mener
promener sa fille. Le temps étoit superbe, et les jours fort longs.
Victoire alla dans les champs avec la petite Lili. Quand elles furent
auprès d'une belle pièce de blé, Lili demanda à sa _bonne_ la permission de
cueillir des bluets: Je le veux bien, répondit Victoire; mais vous êtes si
désobéissante! vous entrerez dans le blé, vous vous perdrez, et puis, que
dirai-je à votre maman?--Oh! non, ma _bonne_, je t'assure! j'irai tout au
bord, je te verrai toujours, et tu me verras aussi, je te le promets!
Songez, mademoiselle Lili, que les blés sont remplis de petites bêtes qui
vous feront du mal! et puis, si le garde vous voit, vous serez mise en
prison! dame! c'est votre affaire!--Oh! tu verras, ma _bonne_, je n'irai
pas plus loin que cela; et Lili montroit un espace de huit à dix pas.

Ayant obtenu ce qu'elle désiroit tant, la petite Lili se mit à courir pour
choisir de beaux bluets, et sa _bonne_ s'assit sur l'herbe avec son tricot.
Lili vit d'abord une grande quantité de fleurs qui toutes lui plaisoient;
elle en cueillit, puis les jeta pour d'autres plus belles, et toujours en
choisissant, Lili s'éloigna, et perdit sa bonne de vue. Victoire, occupée à
son tricot, ne s'aperçut pas d'abord que l'enfant n'étoit plus auprès
d'elle, et quand elle voulut l'appeler, Lili ne pouvoit plus l'entendre.

La petite fille se perdit si bien dans ces blés plus hauts qu'elle, qu'il
lui fut impossible de retrouver son chemin. Elle appela Victoire de toutes
ses forces; mais Victoire ne l'entendit point! alors Lili se mit à pleurer!
il étoit bien temps! Si elle eût été obéissante, elle ne se seroit pas
exposée à avoir du chagrin; mais suivons-la, nous allons lui voir bien
d'autres sujets d'alarmes.

Cependant Victoire tourna tout autour de la pièce de blé pour trouver Lili;
elle l'appela de toutes ses forces, mais cette pièce étoit si grande, que
sa voix se perdoit dans les airs. N'ayant trouvé personne qui pût lui
donner des nouvelles de Lili, la pauvre bonne, bien affligée, retourna à la
maison pour dire à sa maîtresse que sa petite fille étoit perdue! Quand la
maman sut comment la chose s'étoit passée, elle dit à la _bonne_: Je ne
m'étonne pas que Lili se soit perdue comme vous le dites, elle est si
désobéissante!... on va la mettre en prison, j'en suis sûre; mais elle
n'aura que ce qu'elle mérite!...

Pendant que Victoire rendoit compte à la maman, Lili se tourmentoit pour
sortir de la pièce de blé. Elle alloit à droite, elle alloit à gauche, et
ne voyoit point comment elle pourroit en sortir; elle avoit jeté les belles
fleurs dont sa robe étoit remplie, et pleuroit à chaudes larmes!...

En marchant au hasard, Lili rencontra un nid d'oiseaux, et le heurta avec
son pied, ce qui lui fit d'autant plus de peur que, dans le moment même, le
père et la mère s'envolèrent, et lui touchèrent le nez avec leurs ailes;
Lili fit un cri si perçant, qu'elle fit lever une douzaine d'alouettes qui
couvoient leurs oeufs tout auprès. Un peu plus loin, la petite mit le pied
sur un gros crapeau, ce qui l'effraya si fort, qu'elle fut sur le point de
se trouver mal.

Indépendamment de ces frayeurs passagères, Lili étoit tourmentée d'une
manière cruelle: les cousins lui piquoient les bras, la figure et la
poitrine; car, pour être plus leste, Lili avoit ôté son chapeau, son schall
et ses gants; les araignées grimpoient à ses jambes, et lui faisoient des
ampoules grosses comme le petit doigt. La pauvre petite étoit martyrisée,
et pour comble de malheur, la nuit approchoit! Mais, que devint-elle en
apercevant une grosse couleuvre qui leva sa tête en sifflant, parce que
Lili venoit de marcher sur le bout de sa queue! A cette vue, la malheureuse
enfant se croyant morte, perdit tout à fait connoissance, et tomba par
terre. La couleuvre ne lui fit cependant aucun mal; d'ailleurs, ce reptile
est sans venin.

Cet accident arriva à Lili au bord de la pièce de blé, dont la petite se
croyoit encore bien loin! Le garde, qui par hasard se trouvoit là, ayant
entendu du bruit, et ne sachant ce que ce pouvoit être, imagina qu'un
animal sorti du bois voisin s'étoit caché dans cet endroit; il dirigea son
fusil de ce côté, et déjà couchoit en joue la malheureuse enfant, quand
heureusement il aperçut les pieds et les jupons de la petite Lili. Il jeta
son fusil à terre, et s'approcha d'elle.

L'ayant fait revenir, le garde lui demanda son nom? «Je m'appelle _Lili_,
monsieur, répondit la petite tout effrayée!--Et votre papa, comment le
nomme-t-on?--M. de Rosambur. Or, ce M. de Rosambur habitoit la ville, et il
étoit connu de tout le monde.» Le garde fit encore plusieurs questions à
Lili, auxquelles elle répondit de son mieux.

Pendant que Lili et le garde causoient ensemble, ils furent aperçus par
Victoire, qui revenoit chercher la petite. La _bonne_ avoit sa leçon faite;
elle fit un signe au garde, et se cacha de Lili. Celui-ci dit à Lili de
l'attendre un moment; il alla trouver Victoire, qui lui dicta la conduite
qu'il avoit à suivre avec la désobéissante Lili.

[Illustration: _La petite fille désobéissante._]

[Illustration: _La petite fille grossière._]

Le garde étant de retour auprès de la petite fille, lui dit: «Mademoiselle,
vous allez aller coucher en prison! Vous y resterez deux jours, parce que
vous avez été trouvée dans le blé, et votre papa paiera le dégât que vous y
avez fait. Si vous êtes prise une seconde fois, vous aurez huit jours de
prison au pain et à l'eau, c'est la règle.» Lili voulut demander grâce;
déjà elle joignoit ses deux petites mains, et mettoit un genou en terre:
«Evitez-vous cette peine, mademoiselle, lui dit le garde, toutes vos
prières seroient inutiles: je suis les ordres de mes supérieurs. Nous
autres, nous ne sommes pas désobéissans!... Venez, venez, lui dit-il, avec
une voix de tonnerre qui fit trembler la pauvre Lili de tous ses membres;
vous n'en mourrez pas!...» Lili voulut résister; mais le garde la prit sous
son bras, et l'emporta comme une mouche! La nuit étoit alors tout à fait
noire.

Le garde marcha long-temps; ensuite il s'arrêta au détour d'une rue fort
étroite, et posa la petite à terre: «J'ai pitié de vous, lui dit-il, car
vous êtes bien jeune! Je vais vous bander les yeux, pour que vous ne voyiez
point les voleurs qui sont dans les salles où nous allons passer. Ces
gens-là ont des figures si affreuses, qu'ils vous feroient mourir de
peur!...» Le garde paroissant un peu radouci, Lili se laissa bander les
yeux, en poussant de gros soupirs! Cet homme la prit encore dans ses bras,
et marcha plus d'une demi-heure; enfin, il arriva à une grille, qui
s'ouvrit avec un grand fracas. Le portier, muni d'un trousseau de clefs qui
faisoient beaucoup de bruit, les conduisit à une porte qu'il referma
derrière eux en tirant d'énormes verroux; il fit de même à une seconde,
puis à une troisième porte. Arrivé à la quatrième, le garde se baissa bien
bas pour y entrer: «Grâce à Dieu, dit-il, nous y voilà. Pauvre petite, que
je vous plains!... Vous avez été désobéissante, mais aussi vous êtes punie
bien sévèrement!...» Alors, il lui ôta son bandeau. Lili pleuroit si fort,
qu'elle put à peine voir les objets qui l'environnoient. «Cette chambre
n'est pas belle, lui dit le garde; mais vous y trouverez au moins les
choses nécessaires, parce que c'est la première fois que vous êtes prise
dans les blés; la seconde fois, si cela vous arrive, vous serez moins bien,
je vous en avertis. Ma femme va venir, ajouta-t-il; elle vous donnera à
souper, et vous couchera. Vous ne ferez pas bonne chère; car nous ne sommes
pas riches!» Après avoir achevé ces mots, le garde sortit, et sa femme
entra presque aussitôt; mais, quelle femme! c'étoit un colosse, et, laide,
laide à faire trembler! Elle avoit de la barbe comme un homme, et des yeux
rouges qui faisoient peur!... Lili n'osoit pas la regarder!... Cette femme
lui donna un peu de pain et de fromage, puis ensuite un verre d'eau rougie.
Après que Lili eut soupé, la femme du garde la coucha sans proférer une
seule parole.

Lili pleura beaucoup sans doute, mais enfin elle s'endormit. Le lendemain,
la vilaine femme vint la lever; elle lui fit prendre un peu de lait chaud,
mais en marmotant quelque chose entre ses dents, comme si elle lui eut
donné à contre-coeur!

Lili resta seule jusqu'au dîner, s'ennuyant à mourir; alors elle regretta
le petit livre qui lui servoit à apprendre à lire; car, disoit-elle, ce
livre est ennuyeux, mais il vaut encore mieux que rien!

Lili s'assit donc bien tristement sur son lit jusqu'à trois heures, que la
femme du garde lui apporta de la soupe et du bouilli. Cette fois-ci, elle
lui adressa la parole: «Vous amusez-vous bien, mademoiselle?--Non,
madame.--Si vous saviez lire, travailler, je vous donnerois des livres, de
l'ouvrage; mais, vous ne savez rien!--Je commence à lire couramment, et
maman me fait faire des ourlets et des surjets.--Nous allons voir ça.»
Là-dessus, cette femme sortit. Bientôt après elle rentra, tenant un petit
livre, et deux mouchoirs à ourler, du fil, un dé, une aiguille. «Tenez,
mademoiselle, voilà tout ce que je puis faire pour vous;» puis elle laissa
encore Lili jusqu'à huit heures du soir. Quand elle revint, les deux
mouchoirs étoient faits, et cousus très-proprement. «Ah! ah! dit la femme
en les regardant, il n'est tel que de tenir les petites filles un peu
ferme! C'est bien! je suis contente!... et, pour vous le prouver, vous ne
coucherez pas ici ce soir....» A l'instant, on entendit ouvrir une porte
que Lili n'avoit pas aperçue; et, à sa grande surprise, elle vit entrer son
papa et sa maman!... Qui pourroit dépeindre ses transports à cette vue tant
désirée!... Lili, fondant en larmes, courut se précipiter dans leurs
bras!--Serez-vous encore désobéissante, ma fille, lui dit sa maman?--Oh!
jamais, jamais, maman! mais vous aviez donc abandonné votre Lili!...--Non,
ma fille; je vous aimois encore malgré vos défauts, parce que j'espérois
vous voir un jour plus raisonnable. Pour vous prouver jusqu'où va ma
tendresse pour vous, je vous dirai que nous avons donné de l'argent, pour
vous empêcher d'aller en prison, et que vous avez été amenée chez nous.
Lili regarda sa mère avec la plus grande surprise.--Vous avez peine à me
croire, ma bonne amie, ajouta madame de Rosambur; venez avec moi. Aussitôt
cette dame ouvrit la porte par où elle étoit entrée, et Lili reconnut
parfaitement sa maison. On lui avoit mis un bandeau pour l'y amener, afin
qu'elle ne s'aperçût pas qu'elle rentroit chez sa mère. Les grosses portes
par où elle avoit passé n'étoient qu'un jeu, pour lui faire croire qu'elle
étoit en prison. La chambre où on l'avoit mise, étant une pièce inutile,
Lili ne la connoissoit point. C'est ainsi que madame de Rosambur chercha à
corriger sa fille, tout en veillant sur elle, en mère tendre et
raisonnable.

Lili embrassa mille fois son papa et sa maman, pour les remercier de leur
extrême bonté; elle promit de ne plus jamais leur désobéir, et on assure
qu'elle a tenu parole.




TROISIÈME CONVERSATION.


Madame Belmont mena un jour Mimi avec elle pour faire des visites. La
petite se conduisit assez bien; mais sa maman remarqua qu'elle répondoit
toujours _oui, non_, tout court. Rentrée à la maison, elle lui en fit des
réprimandes. Mimi pleura un peu, puis enfin elle sécha ses larmes; et,
selon son habitude, elle prit sa poupée, pour répéter avec elle tout ce
qu'elle avoit fait de bien dans ses visites, et la gronder pour les choses
auxquelles elle avoit manqué.

Venez ici, Zozo; j'ai bien des choses à vous dire. Vous avez bien fait, et
mal fait. Savez-vous en quoi?--Non maman.--Eh bien! je vais vous
l'apprendre. Quand nous sommes entrées chez madame _L._, vous avez fait la
révérence; c'est bien. Vous avez répondu comme une belle fille, lorsque
cette dame vous a souhaité le bonjour; vous avez eu soin de vous moucher
souvent; vous avez été sage tout le temps que votre maman a été chez madame
_L._; vous avez remercié poliment quand cette dame vous a donné des bonbons.
Tout cela est bien; mais avez-vous vu les grands yeux de maman, quand vous
avez demandé à boire?--J'avois bien soif! Il falloit attendre, ou le dire à
maman bien bas, bien bas; et puis, lorsque madame _L._ vous a voulu donner
des confitures, vous avez dit à maman que vous aviez faim, par gourmandise,
n'est-ce pas? Vous n'osez pas répondre! vous vous êtes tenue fort mal;
cependant maman vous a frappée deux fois sur le cou! J'ai encore une chose
à vous dire, Zozo; quand on éternue, on met toujours son mouchoir ou ses
mains devant sa figure, et vous ne l'avez pas fait; aussi maman vous a
regardée d'un air fâché; vous avez bâillé, parce que la visite de maman
étoit trop longue, et c'est fort mal; c'est impoli; maman vous l'a dit cent
fois; on ne bâille pas; on ne demande pas à s'en aller, comme vous avez
fait. Vous mériteriez d'être en pénitence pour cela; vous n'êtes pas polie
du tout;... vous savez que je vous ai déjà grondée pour la même chose.
Quand on vous parle, vous répondez _oui, non_ tout court; c'est fort mal;
on doit toujours dire: _Oui, monsieur; non, madame_.

Je vais, en vous déshabillant, vous conter une histoire qui vous fera
connoître combien il est dangereux de désobéir sans cesse à ses parens.
Ecoutez-moi bien:

_La petite Fanny._

Il y avoit une fois une petite fille, appelée Fanny, qui répondoit
toujours, _oui, non_, tout court. Cependant son papa et sa maman voyoient
chez eux de beaux messieurs et de belles dames bien polis. Le papa et la
maman de Fanny étoient honteux d'avoir une petite fille si grossière!
Fanny, lui dit un jour sa maman, si vous ne dites pas bonjour, si vous ne
faites pas la révérence, si vous ne répondez pas poliment quand on vous
parle, j'appelerai Croque-Mitaine.

La petite Fanny ne faisant pas attention à ce que lui disoit sa maman,
cette dame appela Croque-Mitaine, qui descendit par la cheminée, avec son
grand sac noir; et il emporta la petite Fanny pour lui apprendre la
politesse. Voilà ce qui vous arrivera, Zozo, si vous êtes toujours
grossière.

Madame Belmont avoit écouté avec attention les remontrances de Mimi à sa
poupée. Elle voulut profiter des bonnes dispositions où sa fille se
trouvoit pour lui conter une histoire, qui lui servît en même temps de
leçon.--Mimi, lui dit-elle, veux-tu aussi que je conte une histoire?--Oh!
oui, maman.--Va chercher ta bourse; mets-toi à travailler, et surtout ne
m'interromps pas. Si tu as des questions à me faire, garde-les pour la fin.
Ne cause pas non plus avec Zozo; d'abord parce que ce n'est pas poli, et
puis parce que tu me ferois tromper. Te voilà avertie, écoute à présent.

_La petite Fille grossière._

Monsieur Machaon, médecin, avoit une petite fille nommée Pontie,
extrêmement belle; mais elle étoit grossière et dédaigneuse! Son papa et sa
maman, bons et polis avec tout le monde, cherchoient à la corriger de ces
vilains défauts qui la faisaient haïr; mais ils n'y gagnaient rien. A l'âge
de six ans, la petite Pontie ne faisoit jamais la révérence sans qu'on le
lui dît; elle regardoit à peine ceux à qui elle parloit. Quand ces
personnes étoient mal vêtues, c'étoit bien pis! Pontie les examinoit un
moment d'un petit air dédaigneux, et s'enfuyoit à toutes jambes, sans leur
répondre. Si, à la promenade, une petite fille venoit obligeamment la
prendre par la main pour la mener jouer avec elle, Pontie jetoit aussitôt
les yeux sur sa robe, retiroit sa main bien vite quand elle voyoit l'enfant
mal habillé.

M. et madame Machaon lui avoient pourtant dit cent fois, que les beaux
habits ne font pas le mérite; qu'une petite fille mal mise peut être bon
sujet, bien douce, bien obéissante, bien savante! Mais, Pontie,
naturellement grossière, se mettoit tout à fait à son aise, quand la
toilette ne lui en imposoit pas un peu.

Pontie éprouva souvent des mortifications. Quand on lui avoit parlé, elle
entendoit dire derrière elle: Cette jolie petite fille appartient
certainement à une femme de la halle; on le voit bien, malgré sa robe de
mérinos, garnie de poil, et son élégant chapeau; car elle est trop
malhonnête pour être la fille d'une personne bien élevée: on lui aura prêté
les beaux habits qu'elle porte. En entendant cela, Pontie devenoit rouge
comme du feu, et couroit vite trouver sa maman, mais elle n'avoit garde de
lui dire le sujet de son chagrin!

Un jour, cette petite fille étant au Luxembourg, se trouva engagée par
hasard dans une partie qui lui plut fort. Voici comment.

Une pension tout entière s'étant mise à jouer à Colin-Maillard, la
maîtresse, assise sur l'herbe, s'amusa à regarder ses élèves, qui rioient
du meilleur coeur du monde. Pontie, debout, à deux pas d'elle, montroit
assez, par son air, le désir d'être reçue parmi cette belle jeunesse, mais
elle n'osoit pas s'avancer. Tenez, venez, mon petit coeur, lui dit la
maîtresse; vous êtes trop gentille pour rester là toute seule à vous
ennuyer. Une petite fille polie auroit remercié cette dame par une belle
révérence; mais, point du tout. La grossière Pontie suivit une grande
demoiselle qui vint la prendre par la main, et s'éloigna sans répondre et
sans regarder seulement la dame qui avoit été si obligeante à son égard.
Cette petite fille est bien mal élevée, dit la maîtresse à une de ses
pensionnaires; c'est dommage; car elle est gentille!

Le jeu ayant duré une demi-heure, les enfans voulurent se reposer. La
maîtresse de pension appela Pontie, et lui adressa ainsi la parole:--Mon
coeur, quel âge avez-vous?--Six ans.--Votre maman est-elle
ici?--Oui--Venez-vous souvent au Luxembourg?--Oui.--Demeurez-vous loin
d'ici? Non.--Vous êtes sans doute bien savante?--Je lis le latin et le
français.--Savez-vous quelque chose de mémoire?--Des vers que mon papa m'a
appris, les dieux de la Fable, et les rois de France. Je sais aussi compter
jusqu'à cent.--C'est beaucoup! Apprenez-vous le dessin, la
musique?--J'apprends la musique.

Elles en étoient là de leur conversation, quand madame Machaon voulant s'en
aller, s'avança pour emmener sa fille. Cette dame fit ses remercîmens à la
maîtresse de pension, et après l'avoir saluée poliment, elle la quitta.

Mimi, dit madame Belmont en s'arrêtant, comment trouves-tu que cette petite
fille se soit conduite dans cette circonstance?--Très-mal, ma petite maman!
mademoiselle Pontie dit _non, oui_, tout court; jamais _madame_! Cela n'est
pas bien du tout!... tu as raison, ma bonne amie. Ecoute la suite de mon
histoire.

Lorsque Pontie fut en allée, la maîtresse de pension se mit à parler
d'elle: Il est impossible, dit-elle à ses élèves, que la petite fille qui a
joué avec vous, appartienne à la dame qu'elle appelle sa mère, et qui l'est
venue chercher. Avez-vous remarqué à quel point cette petite fille est
grossière? Cependant, celle qu'elle nomme sa mère, est polie comme une dame
du grand monde! C'est sûrement une pauvre enfant qu'elle aura prise par
charité!... C'est ainsi que chacun jugeoit Pontie et son aimable maman!...
Si cette petite fille eût été laide et mal mise, on y auroit fait moins
d'attention; mais rien n'est si choquant qu'une personne mise élégamment
avec des manières poissardes.

Pontie recevait de temps en temps de fortes leçons de la part des
étrangers. On lui fit plus d'une fois de mauvais complimens, dont elle ne
se vanta pas. On la comparait avec d'autres enfans vêtus communément, mais
polis, agréables, et, sans balancer, on leur donnoit la préférence sur
elle: Ces enfans, disoit-on, font honneur à leurs parens, et vous, ma belle
demoiselle, vous ne paraissez pas faite pour vos habits.... On ne peut rien
dire de plus humiliant! Cependant Pontie ne changeoit pas!...

Cette petite étoit non-seulement grossière, mais, comme je l'ai déjà dit,
elle étoit aussi très-vaine! Mademoiselle s'imaginoit qu'elle valoit mieux
qu'une autre, parce que son père et sa mère avoient un joli appartement,
une _bonne_ pour les servir, et des habits selon la saison. Pontie n'avoit
jamais vu des gens plus riches que son père et sa mère; elle se croyoit en
droit de mépriser ceux qu'elle prenoit pour ses inférieurs.

Or, il arriva que son papa et sa maman la menèrent un jour aux Tuileries.
M. et madame Machaon prirent des chaises, et la petite courut çà et là
autour d'eux. Elle fut arrêtée par une dame qui se reposoit sur un banc
voisin. Cette dame, fort âgée, ne voyoit presque plus! elle étoit vêtue
bien pauvrement; aussi Pontie la toisa des pieds à la tête lorsqu'elle lui
prit la main pour lui parler.--Où sont vos parens, mon petit coeur?--Là,
sur des chaises.--Vous ne me reconnoissez pas?--Non.--Ah! il est vrai! vous
étiez si petite la dernière fois que je vous ai vue! comme vous êtes
grandie, embellie!... A ce compliment flatteur, la petite fille retira sa
main brusquement, et s'enfuit vers sa mère, à laquelle elle dit qu'une
_pauvresse_, et elle la lui montra du doigt, venoit de lui parler, et
qu'elle lui avoit pris la main! J'ai eu peur! ajouta Pontie, cette femme
m'auroit peut-être pris mes boucles d'oreilles!--Ma fille, lui dit sa
maman, les _pauvresses_ n'entrent pas dans ce jardin. En disant cela,
madame Machaon regarda du côté que lui indiquoit sa fille, et elle vit une
dame assez mal mise; mais qui avoit l'air très-respectable. Madame Machaon
crut se rappeler ses traits; cependant elle ne la reconnut pas d'abord.
Elle fit à sa fille une forte réprimande sur son éloignement pour les
personnes mal mises, et lui apprit que souvent les haillons de la misère
couvrent des personnes du premier mérite, tandis que l'or et la soie qui
plaisent aux yeux, habillent quelquefois de fort malhonnêtes gens. Ensuite
elle se leva pour s'en aller, et passa exprès du côté de la dame mal vêtue.
M. Machaon ne l'eut pas plutôt vue, qu'il s'écria: C'est madame la duchesse
de _L.!_... et s'avançant vers elle avec respect, il la salua profondément,
lui demanda de ses nouvelles, et lui présenta sa femme et sa fille. La
duchesse lui fit mille questions sur sa fortune et sur sa famille. Elle
embrassa Pontie, qui cette fois ne retira point sa main.

Quand l'enfant eut quitté la duchesse, sa maman lui fit remarquer combien
les apparences sont trompeuses!... Vous le voyez, ma fille, lui dit-elle,
madame la duchesse de _L._, femme du plus grand mérite, qui a eu un
équipage, des gens pour la servir, un bel hôtel, de beaux habits, une
grande fortune enfin, est à présent dans la misère, par une suite de
malheurs! Faut-il donc la mépriser pour cela?--Je ne savois pas que c'étoit
une duchesse, dit la petite.--Le titre n'y fait rien, reprit la maman; il
suffit que la personne soit estimable. Ah! ma chère enfant, gardez-vous de
dédaigner le pauvre; car Dieu ne vous béniroit pas!... Soyez aussi polie
avec tout le monde, car vous n'êtes pas en état de distinguer à qui vous
avez affaire. D'ailleurs, si, par hasard, vous vous adressiez à quelqu'un
qui ne le méritât pas, vous n'en passeriez pas moins pour une petite fille
aimable et bien élevée.

Pontie promit à sa maman d'être plus polie à l'avenir, et véritablement la
rencontre de la duchesse lui avoit fait une forte impression!

Quelque temps après, cette dame gagna un procès considérable; elle reparut
dans le monde avec un train magnifique et de beaux habits. M. Machaon
retourna chez elle comme autrefois; il y mena sa femme et sa fille que la
duchesse combla de présens. Pontie devint polie, et tout à fait aimable; et
la duchesse de _L._ en fit sa favorite.




QUATRIÈME CONVERSATION.


Madame Belmont, profitant d'un beau jour, mena Mimi aux Champs-Elysées, et
sur l'avenue de Neuilly. Zozo étoit aussi de la partie. Au retour, Mimi
prit sa poupée, et lui parla ainsi:

Zozo, vous allez avoir votre bonnet de nuit, parce que je suis fort
mécontente de vous. Comment, Mademoiselle, vous revenez sans chapeau, et
vous avez déchiré votre robe! savez-vous bien que vous me coûtez beaucoup
d'argent; je n'en ai plus pour mon ménage; vilaine petite fille que vous
êtes! (Elle la tape.) Que dira votre papa quand je lui demanderai un
chapeau pour vous? il grondera!... Voyez comme vous êtes sale! aussi vous
vous êtes traînée dans le sable fort joliment; vos mains sont-elles assez
noires! ne me touchez pas, petite malpropre!... Pourquoi, Mademoiselle,
avez-vous quitté maman aux Champs-Elysées? pourquoi, malgré sa défense,
avez-vous joué avec des petites filles que vous ne connoissiez pas? ah!
vous êtes désobéissante, vous allez avoir le fouet! (Elle la fouette.) Ah!
ah! vous l'avez bien mérité! un chapeau perdu, l'ombrette de maman cassée,
une robe déchirée!... les enfans sont ruineux, en vérité!... En rentrant,
comment avez-vous demandé à boire? Jeannette, donnez-moi à boire, sans dire
s'il vous plaît, ou je vous prie. Est-ce comme cela que je vous élève?
Cette pauvre Jeannette, qui est si bonne fille, vous lui parlez quelquefois
avec un ton fort malhonnête! je lui ai dit pourtant de ne vous rien donner
que vous ne demandiez poliment; mais vous abusez de sa bonté!... Voyons un
peu la mythologie; il y a long-temps que je ne vous ai fait de questions
sur cela. Qu'est-ce que Saturne?

ZOZO.

Il est fils du ciel et frère de Titan.

MIMI.

Et Jupiter?

ZOZO.

C'est le fils de Saturne et de Cybèle.

MIMI.

Quels sont les frères et soeurs de Jupiter?

ZOZO.

Cérès et Junon, ses soeurs; Neptune et Pluton, ses frères.

MIMI.

Qu'est-ce que Cérès?

ZOZO.

La déesse des blés.

MIMI.

Qu'est-ce que Jupiter?

ZOZO.

Le dieu du ciel.

MIMI.

Quel est le dieu de la mer?

ZOZO.

Neptune.

MIMI.

Et celui des enfers?

ZOZO.

Pluton.

MIMI.

Qu'est-ce que Junon?

ZOZO.

La soeur et la femme de Jupiter.

MIMI.

C'est fort bien! en voilà assez. Prenez votre ouvrage à présent. Si vous
êtes bonne fille, demain je vous achèterai un chapeau. Faites cet ourlet
bien droit, et à petits points.

Pendant ce dialogue, madame Belmont s'étoit déshabillée. Elle prit son
ouvrage et appela sa fille, qu'elle fit asseoir auprès d'elle. Mimi, lui
dit elle, avant que tu te couches, il faut que je conte l'histoire d'une
petite fille que j'ai vue aujourd'hui, en faisant des emplètes. Je veux,
aussi te faire voir cette aimable enfant; elle est charmante, car elle est
jolie et sage comme un petit ange.

_La petite Marchande._

Madame Derbelet resta veuve de bonne heure, avec une petite fille de six
ans. Cette dame loua une boutique; elle se mit à vendre du fil, du ruban,
et toutes sortes de choses analogues. Blanche, c'est ainsi qu'on nommoit sa
petite fille, lui tenoit lieu de fille de boutique. Cela t'étonne, Mimi,
dit madame Belmont en s'interrompant, et tu as raison. A six ans, c'est
bien jeune; mais Blanche n'étoit pas un enfant ordinaire. Cette petite
savoit très-bien lire; elle connoissoit toutes les étiquettes de la
boutique. Quand sa maman étoit occupée, Blanche servoit ceux qui venoient
acheter du fil, des épingles, du ruban, etc., avec une grâce charmante;
elle étoit surtout complaisante et polie à faire plaisir. Sa vivacité, ses
grâces, sa gentillesse la faisoient aimer de tout le monde: on venoit
exprès de bien loin pour voir la petite marchande; et, en peu de temps, la
boutique fut achalandée, c'est-à-dire qu'il y vint un grand nombre de
personnes pour acheter des marchandises, et Blanche en eut tout l'honneur.
Ce n'est pas que sa maman ne s'entendît pas au commerce, au contraire, elle
étoit douce, aimable, gracieuse: c'étoit elle enfin qui avoit élevé
Blanche; mais on s'intéressoit davantage à la petite fille à cause de sa
jeunesse: d'ailleurs il est si rare de voir un enfant se livrer
volontairement à des occupations sérieuses!... aussi chacun parloit de la
petite marchande; on l'élevoit au ciel.

Ne crois pas, Mimi, que Blanche fit parade de ses petits talens; bien au
contraire, elle étoit extrêmement modeste, et elle paroissoit même ignorer
l'admiration qu'elle inspiroit. Quand sa maman tenoit le comptoir, Blanche
prenoit sa petite chaise, et s'asseyoit sur le pas de la porte avec son
ouvrage, sans lever les yeux pour voir les passans. Elle ourloit des
mouchoirs, des serviettes, des cravates, et faisoit des petites chemises
pour les enfans, non pas pour s'apprendre à travailler, mais pour vendre,
car sa maman tenoit aussi du linge tout fait. La petite marchande étoit
payée par sa maman comme une ouvrière: un ourlet, deux liards; une chemise
d'enfant, six sous; une aune de feston, quatre sous; ainsi du reste.
Blanche mettoit cet argent dans une tire-lire, et l'en retiroit deux fois
l'année, au commencement de l'été et au commencement de l'hiver, pour
s'acheter les choses dont elle avoit besoin.

Malgré ses occupations, Blanche trouvoit encore du temps pour étudier. Sa
mère la faisoit lire deux fois le jour, et un maître venoit lui apprendre à
écrire et à compter. En peu de temps, et par son application, la petite
marchande en sut assez pour faire des factures, c'est-à-dire pour écrire le
nom et le prix des marchandises que l'on vendoit.

En grandissant, Blanche devint de plus en plus la consolation de sa mère,
qui l'aimoit à la folie! Bientôt la petite marchande eut occasion de faire
connoître à quel point elle étoit raisonnable. Sa maman étant tombée malade
très-sérieusement, Blanche tint la boutique comme une grande personne. Elle
eut la discrétion de ne point dire que sa mère gardoit le lit, de sorte
qu'on la croyoit toujours près d'elle. La bonne se mêloit du ménage; elle
soignoit la malade, et Blanche, sans sortir du comptoir, recevoit les
acheteurs. Enfin la maman se rétablit; elle trouva la boutique aussi
florissante qu'elle l'avoit laissée. Cette bonne mère reconnut avec plaisir
qu'elle devoit à sa fille la conservation de ses pratiques.

Blanche devoit éprouver des chagrins, personne n'en est exempt. Elle eut le
malheur de perdre sa mère à onze ans, et elle en fut inconsolable!... mais
elle avoit assez de raison pour modérer sa douleur, dans la crainte
d'éloigner ceux qui venoient à sa boutique. Blanche reparut en grand deuil,
triste, mais toujours douce, polie, affable comme du vivant de sa mère. Une
de ses tantes vint demeurer avec elle, mais seulement pour tenir la maison.
Blanche, devenue encore plus raisonnable par la perte qu'elle avoit faite,
fut en état de garder la boutique pour son compte. Son nom resta sur
l'enseigne, et elle s'en trouva bien, car la réputation de la petite
marchande étoit faite. En peu de temps, Blanche fit sa fortune; elle la dut
à son joli caractère et à sa bonne conduite.

Mimi fut bien satisfaite de l'histoire que madame Belmont venoit de lui
raconter; la soirée s'étoit passée trop vite à son gré, et l'heure à
laquelle elle avoit habitude de se coucher étant sonnée, sa maman la fit
mettre au lit. Le lendemain, madame Belmont étant indisposée, garda sa
chambre; Mimi, qui aimoit tendrement sa mère, ne voulut pas la laisser
seule pour aller se promener. Il falloit bien passer son temps à quelque
chose: Mimi s'entoura de chiffons, gronda sa poupée, prit et laissa vingt
fois ses joujoux dans l'espace de deux heures. Ne sachant plus que faire,
elle s'empara du chat, et lui mit une des cornettes de Zozo. Minet étoit si
drôle avec cette coiffure, que sa petite maîtresse rit aux larmes en le
regardant. Comme le jeu plaisoit à Mimi, elle voulut finir la toilette de
minet, et l'habilla en dame. La petite parvint avec peine à lui mettre un
collier et un fichu; mais lorsqu'elle en vint à la robe, Minet voulut
s'enfuir!... Cependant Mimi avoit résolu d'en venir à son honneur. Elle
prit une des pattes du chat et la fourra dans une manche avec beaucoup de
peine; mais quand ce vint à l'autre, Minet miaula, jura à faire trembler,
parce que Mimi lui faisoit du mal. La petite lui donna de bons soufflets!
elle étoit contrariée de ne pas le trouver assez complaisant pour se prêter
à ses fantaisies.... Voyant qu'il lui étoit impossible de lui faire mettre
la robe de Zozo, elle la lui attacha sous le col. Minet, impatienté d'être
tourmenté ainsi, profita d'un moment où il étoit libre pour se sauver sous
le lit; mais la petite, l'ayant attrapé par la queue, le tira de toutes ses
forces. Le chat, déjà en colère, se retourna avec vivacité, et lui
égratigna la figure, les bras et les mains, puis il s'échappa malgré elle.
Mimi se mit à pleurer, autant d'humeur que du mal que Minet lui avoit fait.

[Illustration: _Le Chat coiffé._]

[Illustration: _Le méchant petit garçon._]

Madame Belmont, qui connoissoit sa fille, se douta de l'aventure en voyant
courir Minet en robe traînante, et coiffé si joliment!--Pourquoi
pleures-tu, Mimi, lui demanda-t-elle?--C'est que Minet m'a
égratignée!...--Cela m'étonne; il est si doux! tu lui as donc fait du
mal?--Non, maman.--Tu mens, Mimi! Je l'ai seulement tiré par la queue; mais
c'est que je voulois le retenir!... Au même instant, Minet parut affublé du
bonnet et de la robe de Zozo. Madame Belmont ne put s'empêcher de sourire.
Elle appella le chat, le débarrassa de ses chiffons, et, se trouvant mieux,
elle se mit sur son séant, fit venir Mimi auprès d'elle, et lui raconta
l'histoire suivante:

_Histoire de Marinette._

Il y avoit une petite fille, nommée Marinette, qui, toute jeune, annonçoit
un mauvais coeur en faisant du mal aux animaux. Sa maman lui disoit: Ma
bonne amie, les pauvres bêtes que tu te plais à tourmenter, ont comme toi
de la chair, du sang et des os. Dans le nombre, il y en a d'infiniment
petites; mais ce n'est pas une raison pour qu'elles souffrent moins. Un
petit chien à qui on casseroit une patte, éprouveroit les mêmes douleurs
que le plus gros de son espèce. Une mouche dont on arrache les ailes se
plaint à sa manière; on ne l'entend pas, parce que sa petite voix ne peut
frapper l'oreille.

Que diroit-on d'un homme qui, pour s'amuser, crèveroit un oeil à un âne,
couperoit la tête d'un cheval, casseroit les quatre pattes d'un chien, et
feroit mille autres cruautés de cette espèce par simple passe-temps? on le
fuiroit comme un monstre redoutable à l'espèce humaine, parce qu'on ne
pourroit croire qu'il fût capable d'en agir ainsi avec les animaux, si son
coeur n'étoit pas dur et impitoyable. Cela s'applique à toi, Marinette,
continuoit la maman; que penseront ceux qui te voient sans cesse prendre
des mouches pour les enfiler, leur casser les pattes, arracher leurs ailes,
et leur couper la tête? Est-ce la facilité que tu as à détacher ces parties
de leur corps qui te fait croire que ces petits animaux ne souffrent point?
Si tu penses ainsi, ma chère, tu t'abuses; vois les précautions que l'on
prend avec un petit enfant, pour ne pas lui briser les os. Si on le
laissoit tomber, avant qu'il ait pris des forces, il se casseroit bras et
jambes, et souffriroit des douleurs incroyables. Tout être vivant, ma chère
amie, est susceptible de la même sensibilité, et c'est être barbare de se
faire un jeu d'ôter la vie même à un insecte.

Ces excellentes leçons faisoient peu d'effet sur Marinette, qui s'amusoit
d'un chat, d'un chien, d'un oiseau, comme elle eût fait d'un morceau de
carton.

Un jour, madame de Lime, sa maman, céda à sa prière, en prenant un joli
chat, à poil long, blanc comme la neige. On cherchoit à intéresser
Marinette à ces petits êtres, par la vue journalière de leurs gentillesses.

D'abord l'enfant caressa beaucoup le Minet, qu'elle nomma _Bibi_; mais
bientôt, devenant exigeante, elle lui fit faire l'exercice, et mille autres
choses que _Bibi_ n'aimoit pas du tout. Alors mademoiselle Marinette le
tapoit de la bonne manière, et, si madame de Lime n'étoit pas là pour le
protéger, _Bibi_ avoit les pattes tortillées, les poils arrachés, et force
soufflets: Marinette en colère ne le ménageoit pas.

Madame de Lime eut un chien. Elle se flatta que les aimables qualités de ce
fidèle animal gagneroient le coeur de sa fille. Ce beau caniche fut nommé
_Pouf_. Il devint bientôt l'ami de la maison, et s'attacha surtout à la
petite, quoiqu'elle le maltraitât souvent.

Or, il arriva qu'un jour M. et madame de Lime, étant à la promenade dans un
jardin public où il y avoit beaucoup de monde, se trouvèrent séparés de
leur fille. Qu'on juge de l'inquiétude de ces bons parens!... Ils
s'aperçurent aussi que _Pouf_ n'étoit plus avec eux. Ils cherchèrent
partout Marinette; n'en ayant pas eu de nouvelles, ils revinrent chez eux à
la nuit, bien affligés. Marinette étoit arrivée avant eux à la maison:
_Pouf_ qu'elle tenoit en laisse, l'y avoit conduite aussitôt qu'il avoit eu
perdu ses maîtres.

Si la petite fut bien embrassée, le chien intelligent et fidèle eut aussi
sa part des caresses. Marinette seule ne lui sut aucun gré du service qu'il
lui avoit rendu.

Le bon chien sembloit redoubler d'attachement pour l'enfant; mais il avoit
beau faire, Marinette ne s'en apercevoit pas. Jamais la petite ne le
flattoit; jamais on ne lui voyoit donner une seule bouchée de pain à ce bon
animal. _Pouf_ venoit auprès d'elle, en remuant la queue; il lui donnoit la
patte, lui léchoit les mains; la méchante enfant répondoit à ces signes
d'affection par un coup de pied, ou en le frappant de ce qu'elle tenoit
alors, ce qui quelquefois faisoit faire des cris lamentables au pauvre
chien. Cependant les duretés de cette petite fille ne rebutèrent point le
fidèle _Pouf_, qui sembloit dire: Tu es la fille de mon maître que j'aime;
je dois t'aimer aussi.

Marinette grandit sans devenir plus sensible pour les animaux. Tous les
jours, malgré la surveillance de sa maman, il y en avoit quelques-uns de
sacrifiés à ses cruels plaisirs. Une fois entre autres (la seule pensée
m'en révolte!) une marchande, qui ne la connoissoit pas, lui donna un petit
moineau. Marinette lui attacha un ruban à la patte, et le fit voler comme
un hanneton. Le malheureux oiseau tomba par terre tout étourdi; le chat
sauta dessus et le mangea!... Marinette fut plus surprise qu'affligée de
cette aventure; mais sa maman étant survenue, et ayant appris ce qui venoit
de se passer, fouetta sa petite fille d'importance!... Marinette l'avoit
bien mérité!... Qu'en penses-tu, Mimi?--Oh! c'étoit une méchante que cette
demoiselle! qu'elle ne vienne pas prendre notre petit serin; je l'en
empêcherai bien!

Dès ce moment, il fut défendu à la méchante Marinette de prendre des
mouches ou autres insectes, de jouer avec des hannetons, et surtout de
toucher aux oiseaux, aux chats et aux chiens, sous peine d'être punie
sévèrement.

Marinette avoit six ans, et son coeur ne s'étoit pas encore attendri une
seule fois sur le sort des petits malheureux qui étoient tombés entre ses
mains, lorsqu'un événement qui arriva à cette époque la changea tout à
coup, et la rendit aussi sensible qu'elle avoit été dure jusqu'alors.

J'ai dit que _Pouf_, toujours bon, toujours fidèle, lui témoignoit la plus
vive affection, malgré les mauvais traitemens qu'elle lui faisoit souffrir.
On eût dit même qu'il avoit pour elle une préférence marquée; soit que
l'enfance intéresse jusqu'aux animaux mêmes, soit qu'élevés ensemble, ce
chien eût pris pour elle un attachement plus tendre que pour M. et madame
de Lime.

Quelques affaires étant survenues à M. de Lime, la petite famille fut
obligée de faire un voyage, à 60 lieues de sa demeure habituelle. Il étoit
impossible d'emmener le fidèle _Pouf_. On le recommanda aux domestiques, et
malgré les signes d'une douleur bien sincère, le chien resta à la maison.

Privé de ses chers maîtres, _Pouf_ ne voulut prendre aucune nourriture. Il
se lamentoit le jour et la nuit, et se tenoit couché constamment sur une
robe du matin de Marinette, qu'on avoit laissée par mégarde sur un
fauteuil.

Pendant huit jours, _Pouf_ ne but que de l'eau; il étoit dévoré par une
fièvre ardente, qui causa sa mort. La famille étant revenue, ce bon chien
rassembla toutes ses forces, pour témoigner à ses chers maîtres combien il
étoit content de les revoir; ensuite il fut se coucher aux pieds de
Marinette, lui fit mille caresses, et, tournant ses yeux sur elle comme
pour lui dire un dernier adieu, il expira.

Marinette pleura amèrement son cher _Pouf_!... Cette mort singulière avoit
fait une forte impression sur son esprit. Depuis ce temps, elle fut
toujours bonne pour les pauvres bêtes qui se trouvèrent dans sa dépandance,
et elle se reprocha souvent la conduite qu'elle avoit tenue avec eux dans
ses jeunes années.

Maman, dit Mimi à madame Belmont, lorsqu'elle eut fini, est-ce que les
chiens sont aussi bons que vous le dites dans cette histoire?--Mille fois
davantage, ma bonne amie. On a vu souvent un chien sauver la vie à son
maître, ou mourir pour lui prouver sa fidélité, soit du chagrin de l'avoir
perdu, soit pour ne pas abandonner le dépôt confié à sa garde.

--Maman, les chats ne sont pas si attachés que les chiens?--Ma fille, ils
le sont aussi à leur manière; mais leur attachement est moins désintéressé,
moins touchant que celui du chien. Un chat est un animal utile; il a
beaucoup d'instinct, et il est parfois très-aimable. Sans m'arrêter à
chercher ceux d'entre les animaux qui méritent particulièrement nôtre
affection, je répéterai qu'en général, il faut les traiter tous avec
douceur, leur donner le nécessaire, puisqu'ils sont dans notre dépendance,
et ne jamais leur faire de mal, à moins d'y être forcé par la
nécessité.--Mais ceux que nous mangeons, il faut bien les tuer? Hélas! oui,
il le faut! mais ce seroit une barbarie de les faire souffrir avant de leur
donner la mort: celui qui les bat impitoyablement est bien coupable. Cela
me rappelle une petite histoire que je vais te raconter.--Oh! tant mieux,
maman, tant mieux!...

_Le méchant petit Garçon._

Paul étoit un jeune homme querelleur et méchant; aussi il n'étoit aimé de
personne à cause de ses mauvaises qualités. Son plus grand plaisir étoit de
faire du mal à tous les animaux qu'il rencontroit: s'il voyoit un chien
dans la rue, il lui jetoit une pierre, ou lui donnoit un coup de bâton; il
se faisoit un jeu de faire sauter les chats par les fenêtres; quelquefois
même il leur coupoit les oreilles et la queue; c'étoient pour lui des
gentillesses.

Un jour il attela un chien à un chariot qu'il avoit chargé de pierres: Tu
es maintenant mon cheval, lui disoit-il; et il le frappoit rudement, parce
que ce petit animal ne pouvoit pas traîner ce chariot, dont la charge
excédoit ses forces.

Sur ces entrefaites, Nicolas, père de Paul, arriva par hasard. Témoin de la
cruauté de son fils, il le saisit par le bras, et l'attachant à une grande
voiture, il lui ordonna de la traîner. Paul, incapable de remuer seulement
cette lourde masse, assura son père que cela lui étoit impossible. Nicolas,
sans l'écouter, prit un fouet, et lui en donna sans miséricorde. Le petit
garçon jetoit les hauts cris!--Ce traitement t'amuse-t-il? lui demanda son
père. Paul ne répondit que par ses pleurs.--Eh bien! ajouta Nicolas,
penses-tu que ce chien que tu fais souffrir, soit moins sensible que toi à
la douleur, et que les coups de fouet lui soient plus supportables qu'à
toi? Tu ne dois faire du mal à aucun être vivant, si tu ne veux, à ton
tour, être maltraité toi-même: souviens-toi de cela!

Paul oublia bientôt cette leçon. Quelques semaines après, une hirondelle
lui tomba entre les mains; il lui arracha toutes les plumes les unes après
les autres. Son père découvrit encore ce nouveau trait de cruauté. O Dieu!
dit-il en soupirant; que je suis malheureux d'être le père d'un enfant qui
sera peut-être un jour la honte et l'opprobre de ma maison!... Transporté
de colère, il se rendit auprès de Paul, et lui dit: Méchant enfant! ne
t'avois-je pas averti que toutes les fois que tu ferois du mal aux animaux,
ou que tu serois cruel envers un être vivant, quel qu'il fût, je le serois
de même envers toi? Tu as arraché sans pitié les plumes de ce petit oiseau,
et ses cris plaintifs n'ont pas ému ton coeur de roche!... Je veux te
donner une idée des douleurs excessives que tu as causées à cette innocente
créature.... En même temps, Nicolas saisit le méchant Paul par les cheveux,
et lui en arracha une touffe. Paul poussoit des cris lamentables; mais
personne ne le plaignoit, parce qu'on connoissoit son mauvais coeur.

Un jour, que Paul avoit fait une nouvelle méchanceté, un homme de mérite,
qui en fut témoin, la lui reprocha avec amertume; il lui prédit un avenir
funeste: il est impossible, lui dit-il, que vous ne trouviez point quelque
jour le châtiment des souffrances que vous faites endurer à ces animaux,
que Dieu n'a donnés à l'homme que pour être sa joie et sa satisfaction. Si
jamais vous éprouvez de grandes douleurs, souvenez-vous de ce que je vous
dis aujourd'hui.

Paul se moqua des remontrances et des prédictions de l'honnête homme qui
lui parloit. Il continua d'être cruel envers les animaux, et finit enfin,
comme cela devoit être, par être barbare avec ses semblables. Il fut même
sur le point de tuer un de ses amis qui lui reprochoit ses défauts.

Etant devenu grand, Paul se fit soldat; mais qu'arriva-t-il? dans la
première bataille où il se trouva, un boulet de canon lui emporta les deux
jambes. On l'enleva comme mort. Les douleurs inexprimables qu'il ressentit
ensuite, lui arrachèrent des cris affreux!... Lorsqu'on mit le premier
appareil sur ses blessures, l'aumônier du régiment, ecclésiastique pieux et
zélé, cherchoit à lui inspirer du courage et de la patience; mais les
douleurs insupportables que Paul souffroit, lui rendoient ces consolations
tout à fait inutiles. Quand il fut plus calme, il se souvint des cruautés
qu'il avoit exercées dans sa jeunesse envers les animaux; il se rappela
aussi la prédiction qui lui avoit été faite par l'ami de son père: Ah!
s'écrioit-il, qu'ai-je fait! je sens à présent la grandeur de ma faute!
Dieu est juste; il me punit comme je l'ai mérité....

Paul, tout estropié, vécut encore dix ans, allant de ville en ville pour
recueillir quelques aumônes. Cette vie misérable n'étoit encore rien en
comparaison des reproches qu'il s'adressoit à lui-même; car de tous les
maux, le plus insupportable est la certitude d'avoir mérité les peines que
l'on souffre.

Lorsque madame Belmont eut fini cette histoire, elle renvoya Mimi à ses
joujoux. La petite fille, selon son habitude, causa bien bas, bien bas avec
sa poupée. Il y a long-temps, Zozo, lui dit-elle, que je ne vous ai
interrogée. Voyons un peu si vous êtes bien savante. Combien y a-t-il de
jours dans l'année?

ZOZO.

Trois cent soixante-cinq.

MIMI.

Dans le mois?

ZOZO.

Trente, ou trente-un.

MIMI.

Dans la semaine?

ZOZO.

Sept.

MIMI.

Nommez-les.

ZOZO.

Lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche.

MIMI.

Combien y a-t-il de mois dans l'année?

ZOZO.

Douze.

MIMI.

Nommez-les.

ZOZO.

Janvier, février, mars, avril, mai, juin, juillet, août, septembre,
octobre, novembre, décembre.

MIMI.

C'est bien; je suis contente de vous. Tenez, voici une pièce neuve pour
votre récompense. Venez, que je vous embrasse.

Mimi et Zozo répétoient toujours à peu près les mêmes choses: c'étoient des
leçons de lecture ou de politesse: Mimi étoit l'écho de sa mère.

Un jour que la petite avoit rempli ses devoirs mieux encore que de coutume,
sa maman la fit venir auprès d'elle pour lui conter une _histoire_, chose
qu'elle aimoit par-dessus tout.

Viens ici, ma bonne amie, lui dit madame Belmont, j'ai une histoire à te
raconter. Mimi prit son petit tricot; elle fut s'asseoir auprès de sa maman
comme une fille raisonnable, et madame Belmont commença ainsi.

_Le revenant._

Il y avoit une fois une petite fille, nommée Lolotte, qui avoit peur de son
ombre. Elle n'auroit pas été seule, sans lumière, la nuit, dans un lieu
obscur, pour un trésor!...

Lolotte étoit âgée de dix ans. Elle couchoit dans une chambre, dont la
porte donnoit dans le cabinet de sa bonne. Lolotte se portoit bien; on
pouvoit sans crainte la laisser seule lorsqu'elle étoit couchée. Depuis un
an que cette petite avoit quitté la chambre de sa mère, il ne lui étoit
rien arrivé de fâcheux.

Une nuit, cependant, Lolotte fut réveillée en sursaut par un vacarme
effroyable!... Il lui sembla que quelqu'un brisoit à plaisir le déjeuner de
porcelaine de sa maman. La pauvre Lolotte fourra sa tête dans son lit, et
se couvrit de sa couverture: elle étoit plus morte que vive, et n'osoit pas
même respirer....

Ce bruit ayant cessé, un autre aussi extraordinaire lui succéda. Lolotte
entendit distinctement tomber une chaise et un guéridon, et sauter en
éclats la carafe et le gobelet qui étoient dessus. Cette fois la petite
crut que la maison tout entière étoit tombée sur elle.... Tremblante de
tous ses membres, elle eut cependant le courage de regarder autour d'elle;
mais elle vit un monstre, gros comme un éléphant, qui faisoit des grimaces
effroyables; elle crut même qu'il s'approchoit de son lit, sans doute pour
l'étrangler....

La crainte de la mort donna à Lolotte la force de sauter en bas du lit pour
se cacher dans la ruelle: sa tête étoit tout à fait perdue. Lorsqu'elle eut
mis machinalement les deux pieds à terre, elle se sentit arrêtée par sa
chemise.... Pour le coup, Lolotte crut être au pouvoir de _l'esprit_; elle
fit un cri perçant, et tomba sans connoissance....

Cependant la _bonne_ s'étoit réveillée au bruit. Elle entra avec de la
lumière, vit Lolotte évanouie, accrochée par sa chemise à un clou de sa
couchette, et toute la chambre sens dessus dessous. A cette vue, la _bonne_
resta interdite.... Elle releva l'enfant, qui avoit la pâleur de la mort
sur sa figure, et elle appela le papa et la maman de la petite. On fit
revenir Lolotte, et on lui demanda l'explication du dégât qui s'étoit fait.
Lolotte assura qu'elle avoit vu un _revenant!_ qu'il l'avoit voulu prendre
dans son lit, et qu'elle en étoit bien sûre....

Les gens raisonnables, qui savent très-bien qu'il n'y a point de
_revenans_, cherchent à s'instruire de la cause d'un bruit quelconque
qu'ils ne connoissent pas. Il n'en est pas ainsi des enfans, qui se
plaisent à croire des choses impossibles, parce que le merveilleux flatte
leur imagination. La maman de Lolotte ne se paya pas d'une réponse aussi
peu vraisemblable.

Lorsque la petite eut repris ses sens, il s'établit entre elle et sa mère
le dialogue suivant: «Raconte-nous donc, Lolotte, ce qui t'es
arrivé.--Maman, je ne le sais pas moi-même.--As-tu vu quelqu'un?--Non, ce
n'étoit pas une personne.--Mais, pourquoi as-tu crié, pourquoi t'es-tu
trouvée mal?--Ah! j'ai eu si grand'peur!... un spectre m'a précipitée du
lit!...--Tu ne sais ce que tu dis, Lolotte.--Maman, un _esprit_, j'en suis
sûre, est venu dans ma chambre; il a brisé vos porcelaines, renversé la
chaise, le guéridon, et fracassé le verre et la carafe. Je sais
qu'effectivement il est arrivé cette nuit quelque chose d'extraordinaire;
mais tu ne me persuaderas pas, ma fille, qu'il y ait des _revenans_; conte
ces enfantillages aux petites demoiselles de ta pension, et non pas à ta
mère. Je vois ce que c'est, tu as fait un rêve qui t'a troublé l'esprit:
conviens-en.--Oh! je ne dormois point, maman, je vous assure; j'étois à
peine couchée, lorsque j'ai entendu casser tout à la fois les tasses et les
soucoupes de votre cabaret. La frayeur que j'ai eue m'a fait enfoncer la
tête dans mon lit. Au second bruit, bien plus fort que le premier, j'ai
regardé à travers les rideaux, et j'ai vu un animal énorme pour la
grosseur, qui jetoit du feu par la bouche et par les narines; ses yeux
étoient comme deux lumières qui éclairoient toute la chambre. J'osois à
peine respirer; tout à coup ces deux lumières ont disparu; j'ai entendu
alors remuer les volets de la fenêtre, et quelque chose de pesant s'est
élancé contre le mur, et est retombé lourdement. C'étoit bien un
_revenant_; car j'ai entendu le bruit des chaînes qu'il traînoit....--Mais
pourquoi n'as-tu pas appelé?--Je n'en avois pas la force; ma langue me
refusoit ses services. Pendant quelques momens tout a été tranquille; mais
bientôt, à la lueur de la lune, j'aperçus un spectre effrayant qui se
tenoit près des rideaux de ma fenêtre; il me paroissoit tantôt grand,
tantôt petit. Je me cachois le visage de mes mains pour ne pas le voir; je
fis même quelques efforts pour me lever, afin de me cacher dans mes
couvertures; mais je perdis tout à fait la tête quand je vis l'_esprit_
venir à moi. Il m'a saisie par le milieu du corps, et m'a précipitée en bas
de mon lit.... O mon Dieu! je frissonne encore quand j'y pense!... Jamais,
jamais, je ne coucherai dans cette chambre, où il revient des
_esprits_!...»

On ne contraignit point Lolotte à coucher dans sa chambre la nuit suivante;
car on vouloit savoir auparavant qui avoit tout culbuté dans cette pièce.

La première chose qui étoit venue à l'idée du papa et de la maman, c'est
que la petite s'étoit levée en rêvant, et s'étoit effrayée elle-même en
renversant le guéridon, sur lequel étoient le gobelet et la carafe. Cette
pensée, assez vraisemblable une fois adoptée, tout le reste s'expliquoit
aisément; car on avoit trouvé Lolotte accrochée par sa chemise en voulant
descendre de son lit. Ce n'étoit donc rien, ou presque rien.

Le papa qui vouloit prouver à sa petite fille, que rien n'arrive dans le
monde sans une cause simple et naturelle, décida que Lolotte coucheroit
auprès de sa mère, et que lui prendroit le lit de sa fille la nuit
suivante. Cette mesure étoit d'autant plus sage, que par-là on s'assuroit
si la petite ne prenoit pas l'habitude de se lever en dormant; ce qui
auroit pu arriver. D'un autre côté, le papa lui prouvoit, en couchant dans
cette chambre, qu'il n'y avoit rien à craindre; car personne ne s'expose
volontairement à un danger certain.

Le soir étant venu, Lolotte coucha auprès de sa mère, comme il avoit été
résolu, et elle dormit fort bien. Quant à son père, il ne tarda pas à être
réveillé par un bruit qui l'étonna, et le fit mettre sur son séant: il
entendit casser un carreau!... Comme il étoit dans le premier sommeil, il
s'imagina que c'étoit un voleur qui vouloit ouvrir sa fenêtre pour entrer
dans l'appartement. Le clair de lune lui permettoit de voir la croisée et
même toute la chambre. Ce monsieur eut beau tenir ses yeux fixés sur la
fenêtre, rien ne lui annonça qu'un homme cherchât à s'introduire dans sa
demeure, et, par réflexion, il rit en lui-même d'avoir pu seulement arrêter
sa pensée à une chose aussi impossible, puisque son appartement étoit au
troisième étage. A la vérité, il y avoit un toit de communication qui se
trouvoit tout proche, mais un homme n'auroit pu s'y tenir, ni y arriver.

Le père de Lolotte faisoit toutes ces réflexions, lorsqu'un nouveau bruit
se fit entendre. Ayant tourné les yeux de ce côté, tous ses doutes furent
éclaircis: il vit le voleur! car c'en étoit un, ou plutôt l'_éléphant_, le
_spectre_ de la veille. Un couvercle étant tombé, le père de Lolotte
aperçut un chat qui, s'étant effrayé, cherchoit à s'enfuir, tenant à sa
gueule un morceau de viande qu'il avoit pris.

Comme il importoit au papa de désabuser sa fille, il sauta légèrement du
lit, et boucha la fenêtre. On réveilla la petite; elle vit le chat, qui
avoit encore son vol à la gueule. On lui apprit de plus que la veille, la
bonne avoit trouvé la fenêtre ouverte, circonstance qui s'étoit échappée de
sa mémoire.

Dès lors Lolotte fut guérie pour toujours de la peur des _revenans_. Dans
la suite, lorsqu'elle entendoit du bruit, elle alloit voir, et touchoit la
chose qui l'inquiétoit; elle s'assuroit par-là qu'elle auroit eu tort de
s'en effrayer. C'est ainsi que Lolotte, de poltronne qu'elle étoit, devint
hardie et courageuse la nuit sans lumière.

Oh! dit Mimi, quand sa maman eut achevé son histoire, je serois bien comme
Lolotte; je n'ai pas peur!--Je te prends au mot, Mimi; va me chercher mon
mouchoir que j'ai laissé sur ma bergère, auprès de mon lit. Mimi y alla sur
le champ, en riant de toutes ses forces. Elle ouvrit la porte de la
chambre, et s'avançant hardiment, mais beaucoup trop vite, elle attrapa un
tabouret qui se trouvoit sur son chemin, et tomba dessus, en jetant un cri!
Madame Belmont courut à elle avec une lumière, et la trouva tout en larmes!
T'es-tu blessée, ma fille? lui demanda cette tendre mère!--Non,
maman.--Pourquoi pleures-tu donc?--C'est que j'ai eu peur!--Eh! de
quoi?--Je n'en sais rien.--Tu as déjà oublié comment Lolotte s'est guérie
de ses vaines frayeurs. Si d'abord tu eusses marché avec précaution, et
qu'en heurtant le tabouret avec ton pied, tu y eusses porté la main, tu
aurois vu qu'il n'avoit rien de redoutable. Allons, je vois que tu es
encore trop enfant pour faire ton profit de la leçon que je t'ai donnée:
remettons-en l'effet à un autre temps.

Piquée d'être appelée _enfant_, Mimi chercha mille prétextes dans la soirée
pour aller sans lumière, dans le salon, dans la salle à manger, et dans les
cabinets. Madame Belmont n'eut pas l'air de s'en apercevoir; elle
recommanda seulement aux domestiques de ne rien laisser sur le chemin de la
petite qui pût lui faire du mal. Mimi étoit si fière de sa victoire, qu'il
fallut se fâcher pour l'empêcher de courir de côté et d'autre dans les
ténèbres, au risque de se casser la tête.

Toute joyeuse de s'être conduite ainsi, la petite pria sa maman de lui
conter une histoire.--Il n'est pas encore huit heures, ma chère petite
maman, lui dit-elle; je ne me couche pas plus tôt; contez-moi une histoire,
je vous prie. Madame Belmont devoit une récompense à sa fille pour avoir
vaincu sa timidité--J'y consens, lui dit cette dame. Ecoute:

_Histoire de Maximilien_.

Celui qui veut être heureux et contribuer au bonheur des autres, doit faire
tous ses efforts pour pratiquer cette belle maxime: _Fais aux autres ce que
tu voudrois qu'on fît pour toi-même_.

Je vais te raconter une histoire que j'ai lue quelque part, ma chère Mimi,
qui te prouvera que Dieu récompense toujours les hommes pieux et
bienfaisans, qui aiment leur prochain comme eux-mêmes.

On voit en Alsace un ancien château fort, appelé _Sternberg_. Il étoit
habité autrefois par un riche comte, qui avoit un fils unique, objet de sa
plus tendre affection.

Maximilien, c'étoit le nom de cet enfant chéri, étoit vif, aimable, actif,
laborieux; il mettoit son bonheur à se livrer à l'étude, à faire du bien
aux pauvres, et à contenter son père et sa mère; sa piété filiale le
faisoit surtout admirer; car il ne sembloit vivre que pour aimer ceux qui
lui avoient donné le jour.

Maximilien qui, comme nous l'avons déjà dit, ne cherchoit qu'à s'instruire,
aimoit surtout les livres de voyages. Lorsque le comte lui parloit des pays
étrangers, des moeurs et des usages des peuples qui sont répandus sur la
surface du globe, on voyoit la joie la plus vive se peindre sur le visage
de cet enfant, qui témoignoit à son père le désir de voyager lorsqu'il
seroit grand.

Le comte ayant des affaires qui l'appeloient à Paris, résolu d'emmener son
fils, ce qui rendit cet enfant bien joyeux. Heureux au delà de toute
expression, il attendoit avec impatience le jour du départ. Ce moment si
désiré arriva enfin.

Dès que le petit Maximilien eut perdu de vue le château de _Sternberg_, et
qu'il fut arrivé à la première ville, il lui fut impossible de contenir sa
joie: sa riante imagination lui peignoit des plus riches couleurs, les
beaux pays qu'il alloit parcourir.

Lorsqu'ils furent éloignés d'une journée de _Sternberg_, ils prirent un
chemin de traverse, qui les conduisit dans un bois fort épais, dans lequel
ils s'égarèrent; le jour étoit sur son déclin.

Arrivés au milieu de cette sombre forêt, ils furent entourés par des
brigands, qui, d'un coup de pistolet, renversèrent d'abord le cocher; les
chevaux s'arrêtèrent.

Dans l'instant, six voleurs armés jusqu'aux dents se saisirent de la
voiture, et massacrèrent le vieux comte qui, en brave militaire, leur
vendit chèrement sa vie; car il en blessa deux grièvement. Ils jetèrent
hors de la voiture le pauvre Maximilien qui étoit légèrement blessé, et,
pour ne laisser aucune trace de leur crime, ils mirent les deux cadavres
dans le carrosse; l'un d'eux monta sur le siège pour servir de cocher, et
bientôt ils disparurent.

L'infortuné Maximilien, pénétré de douleur, se traînoit çà et là, et
conjurait à haute voix le Seigneur de vouloir bien le délivrer du danger où
il étoit.

Un pauvre charbonnier, qui demeuroit dans cette forêt, entendit la voix
plaintive de cet enfant. Cet homme avoit pour maxime de se conduire envers
les autres, comme il désiroit qu'on se conduisît envers lui; ainsi il ne
délibéra pas long-temps sur le parti qu'il avoit à prendre. Il courut du
côté d'où partoient les gémissemens, et trouva notre malheureux enfant,
blessé et pouvant à peine se soutenir. L'honnête charbonnier mit de son
mieux le premier appareil sur les blessures de Maximilien; il le chargea
ensuite sur ses épaules, et le porta à sa chaumière qui étoit à une
demi-lieue, et située dans le plus épais du bois.

François, c'étoit le nom du charbonnier, avoit six enfans, qu'il ne
nourrissoit qu'en se livrant chaque jour à un travail pénible; mais il
avoit appris de bonne heure à se contenter de peu, et à remercier Dieu des
moindres faveurs qu'il en recevoit.

Ses enfans, élevés dans ses principes, étoient toujours joyeux. Nourris
d'un pain noir et d'un peu de lait, ils s'estimoient plus heureux que des
rois. Jamais l'envie, l'ambition, et les autres vices qui font le malheur
de l'espèce humaine, n'étoient entrés dans leurs coeurs.

Arrivé à sa cabane, François déposa sur un banc le petit Maximilien, et dit
à ses enfans: Je vous amène un frère, mes bons amis. Cet enfant est bien
malheureux! des voleurs viennent d'assassiner son père, et lui-même seroit
probablement mort cette nuit, si le hasard n'eût guidé mes pas dans
l'endroit où il étoit. Joignez-vous à moi pour remercier Dieu du bonheur
que j'ai eu de l'arracher au sort qui l'attendoit. Mon intention est de
rendre cet enfant à ses parens si je puis les découvrir, sinon de le garder
et de l'élever avec vous. Dites-moi, mes amis, l'aimerez-vous comme un
frère? Tous s'empressèrent de répondre: Oui, nous l'aimerons de tout notre
coeur! en même temps il lui prodiguèrent les caresses les plus touchantes,
et lui dirent: Petit frère, ne vous chagrinez pas, nous vous aimerons bien.
Notre père vous aime déjà autant que nous; il ne faut pas pleurer!
Maximilien s'efforça de retenir ses larmes pour ne pas affliger le bon
François, et les bons frères que la fortune venoit de lui donner; mais dans
son coeur, il ne put se consoler de la mort affreuse de son respectable
père!

Pendant que les enfans du charbonnier consoloient le petit comte, Anne,
leur mère, et femme de François, arriva portant sur ses épaules une charge
de bois sec. François la prit par la main, et lui raconta la triste
aventure du jeune enfant: Tu vois, femme, ajouta-t-il, qu'il n'y avoit pas
moyen d'abandonner ce petit dans un endroit si dangereux! il sera le
septième; mais Dieu nous bénira à cause de lui! Anne avoit un bon coeur;
elle dit à son mari qu'à sa place elle en auroit fait tout autant, et
caressa le petit comte d'un air franc et ouvert, qui inspira de la
confiance à cet enfant. Ainsi accueilli, Maximilien se livra peu à peu à
ses nouveaux amis, et sa vive douleur fit place insensiblement à
l'affection et à la reconnoissance pour la respectable famille qui l'avoit
reçu dans son sein.

Cependant le bon François ne manqua pas de questionner Maximilien sur sa
famille, et de tâcher de savoir de lui le nom de ses parens, dans
l'intention de le rendre à sa mère; mais ce jeune enfant, qui n'avoit
jamais entendu appeler son père que monsieur le comte, ne put dire le nom
de sa famille, ni l'endroit qu'elle habitoit; il fallut donc renoncer à cet
espoir, et attendre tout du temps.

Maximilien se trouvoit heureux chez le charbonnier. Dans le château de son
père il n'avoit point été accoutumé à la délicatesse; c'est pourquoi il
s'habitua bien vite à la vie dure de ces pauvres gens. Ce bon petit comte
partageoit, autant que ses forces pouvoient le lui permettre, les travaux
de son père nourricier, et ceux de ses frères adoptifs; aussi il étoit
chéri de tous! Anne bénissoit l'heure et le jour où il étoit entré dans la
maison! Maximilien, quoique fort jeune, étoit bien plus savant que ses
frères! aussi les soirs, quand la journée étoit finie, il leur racontoit
quelques histoires qu'il avoit retenues du temps qu'il lisoit avec son
père: c'étoient toujours de bons et honnêtes enfans, bien pauvres, qui, par
leur application au travail, étoient ensuite devenus riches. Le charbonnier
admiroit le bon sens de cet enfant, et il étoit enchanté de son esprit.

Maximilien se distinguoit jusque dans ses jeux; il formoit ses frères en
les amusant. Quelquefois il leur apprenoit des chansons instructives à la
portée des enfans; enfin, s'étant procuré quelques livres, il acheva
d'apprendre à lire et à écrire, et servit de maître à ses frères.

Notre jeune comte devint bientôt l'enfant chéri de cette pauvre famille,
qui se faisoit un plaisir de partager avec lui un pain grossier, gagné par
un travail opiniâtre et peu lucratif.

Maximilien oublia son premier état, mais il n'oublia ni son père, ni sa
mère. Lorsque dans la solitude, il se représentoit le comte massacré par
des brigands, des larmes brûlantes inondoient ses joues; il élevoit les
yeux et les mains vers le ciel, et prioit avec ferveur pour l'âme de ce
père chéri! Lorsque François le trouvoit occupé de ce pieux devoir, il
prioit avec lui, et le consoloit de son mieux, en relevant son courage
abattu, et en lui inspirant une grande confiance en Dieu....

Cependant la mère de Maximilien, n'ayant point reçu de nouvelles de son
mari ni de son fils, étoit inconsolable; elle se persuada qu'un voyage
pourroit dissiper en partie ses chagrins, et peut-être lui faire retrouver
ceux dont elle regrettoit tant la perte; elle se mit donc en chemin. Le
hasard voulut qu'elle entrât dans la même forêt où son mari avoit été
assassiné.

La chaleur étoit excessive ce jour-là. La comtesse descendit de voiture
pour se reposer un moment. Le premier objet qui se présenta à elle fut un
jeune et joli enfant qui dormoit à l'ombre. Elle l'examina avec
attendrissement, et se rappelant son fils, son visage se couvrit de larmes!

Cet enfant étoit le plus jeune des fils du charbonnier, qui, près de là,
s'occupoit à faire des fagots. Henri, c'étoit le nom de l'enfant, se
réveilla, et parut étonné de voir une belle dame à côté de lui. La comtesse
le prit dans ses bras, lui fit mille caresses, et lui donna une pièce d'or.

Le charbonnier étant venu sur ces entrefaites, la comtesse s'adressa à lui:
Je suis riche, lui dit-elle, je n'ai point d'enfant; donnez-moi celui-ci,
je le ferai élever avec soin, et j'assurerai son bonheur, en un mot, je le
regarderai comme mon fils.

Ce que vous me proposez, Madame, répondit François, mérite toute ma
reconnoissance; mais, grâce à Dieu, mes enfans ont en moi un père qui bien
qu'en travaillant peut leur donner du pain. Tant que je vivrai, je ne m'en
séparerai point, et je tâcherai d'en faire de bons et laborieux
cultivateurs. Souffrez donc, Madame, que je garde mon Henri. Mais, pour
répondre à votre désir, je puis vous faire voir un aimable jeune homme, qui
n'est point mon fils, et que j'aime comme s'il m'appartenoit. Cet enfant a
perdu son père; il a été élevé dans l'abondance, et mérite un sort plus
brillant que celui que je peux lui offrir: prenez-le avec vous; le Seigneur
récompensera votre générosité par d'abondantes bénédictions. Où est cet
enfant? demanda la comtesse; montrez-le moi. François répondit à cette dame
qu'il alloit paroître dans le moment; aussitôt la femme du charbonnier
amena Maximilien. La comtesse ne l'eut pas plutôt vu, que le reconnoissant
pour son fils, elle fut sur le point de tomber en foiblesse. De son côté,
Maximilien vola dans les bras de sa mère, et passant ses deux bras autour
de son col, il la serra tendrement, et mouilla son visage de ses larmes.

[Illustration: _Histoire de Maximilien._]

[Illustration: _Céleste et ses Frères._]

La comtesse et son fils restèrent long-temps embrassés; la joie, le
saisissement, de tristes souvenirs causés par l'assurance de la perte du
comte, les empêchoient de s'exprimer autrement que par des caresses et des
larmes. Le bon charbonnier et sa femme, présens à ce spectacle, étoient
émus jusqu'au fond de l'âme.

Enfin, lorsqu'elle put parler, la comtesse dit: Je vous rends grâce, mon
Dieu, de m'avoir fait retrouver mon enfant! je mourrai contente, à présent
que je l'ai vu! faites, Seigneur, qu'il croisse en vertu et en sagesse:
rendez-le heureux et honnête homme!

Après cette courte et fervente prière, la comtesse s'adressa au charbonnier
et à sa femme; elle les remercia des soins qu'ils avoient donnés à son
fils, et leur fit promettre de se rendre avec leur famille au château de
_Sternberg_, pour y passer leurs jours.

François donna sa chaumière à un pauvre fendeur de Bois, qui jusqu'alors
l'avoit haï, et lui avoit fait tout le mal dont il avoit été capable. Le
charbonnier suivoit cette belle maxime: _Ne vous vengez jamais qu'à force
de bienfaits_. Un honnête homme n'a pas de plus grande satisfaction que de
faire du bien à son ennemi.

François se rendit avec sa famille, au château de _Sternberg_, non pour y
vivre dans la mollesse, mais pour se rendre utile à la reconnoissante dame,
qui le traitoit avec tant de bonté. La comtesse fit élever les enfans du
bonhomme avec tout le soin possible, sans cependant les sortir de leur
état. Elle en fit des laboureurs instruits et aisés, selon le voeu de leur
père, qui n'auroit jamais consenti à les voir changer de condition; car il
avoit su résister par sagesse aux propositions brillantes du jeune
Maximilien, qui vouloit faire un partage égal de sa fortune entre ses
frères, et leur donner dans le monde un état honorable.

Le jeune comte n'oublia jamais les bienfaits du charbonnier; il l'aima
toute sa vie avec tendresse, et remplit à son égard tous les devoirs d'un
bon fils envers son père.

On apprit dans la suite que les voleurs qui avoient assassiné le vieux
comte avoient péri sur un échafaud. C'étoient la plupart des enfans de
bonne famille, qui, dans leur première jeunesse, avoient été paresseux,
désobéissans, menteurs; ils n'avoient jamais eu de respect pour leurs
parens, ni de crainte de déplaire à Dieu. Ils commencèrent à voler pour
satisfaire leur gourmandise, ensuite pour jouer avec leurs camarades;
enfin, étant devenus odieux à leurs pères et mères qui les voyoient se
perdre tous les jours, ils s'échappèrent de la maison paternelle, et
s'associèrent à des brigands.

Quand madame Belmont eut fini l'histoire de Maximilien, elle dit à Mimi
qu'il étoit temps de s'aller coucher; Mimi en eut du chagrin. «Va, ma
bonne, lui dit cette dame, je te promets pour demain une histoire beaucoup
plus longue: c'est celle de Zozo.--Celle de Zozo, maman! Zozo a une
histoire! ha! c'est bien drôle!--Oui, l'histoire de Zozo.... Avant de venir
ici, ta poupée a appartenu à plusieurs petites demoiselles. Je te conterai
les raisons que l'on a eues pour la donner, et comment elle est sortie de
leurs mains. Tu pourras profiter de leur exemple.

Ah! je vois, c'est plutôt l'histoire des petites demoiselles que celle de
Zozo.--Tu as trop d'esprit pour en juger autrement; à demain donc: j'espère
que tu ne t'ennuieras pas.

Le lendemain, Mimi ne manqua pas de prier sa maman de remplir sa
promesse.--L'histoire de Zozo, ma petite maman, je vous en prie!--Je le
veux bien, Mimi; mais il faut lire auparavant; ensuite nous prendrons
chacune notre ouvrage, et je te raconterai les aventures de Zozo.

Mimi lut parfaitement bien. Elle apporta sa petite chaise et son ouvrage;
et s'étant mise à travailler, madame Belmont commença ainsi:




HISTOIRE DE LA POUPÉE.


Ta poupée, ma chère Mimi, a été faite à Lyon. Elle a été commandée exprès;
elle a coûté beaucoup d'argent. Zozo avait une garde-robe complète, un lit
comme une grande demoiselle, une commode pour serrer ses affaires: c'étoit
pour une petite fille un présent considérable; car indépendamment de toutes
ces choses, Zozo avoit des boucles d'oreilles de perles fines, un collier
pareil, une robe superbe, et le reste de sa toilette de même; parce que la
grande dame qui l'avoit fait faire désiroit que toute cette parure servît à
la petite demoiselle à laquelle elle la destinoit; c'est pourquoi Zozo est
aussi grande que toi.

Tout le temps que cette élégante poupée fut chez la marchande, on venoit la
voir des quatre coins de la ville; car jamais personne ne s'étoit avisé de
mettre tant d'argent pour un simple joujou; mais la dame qui vouloit faire
ce présent avoit l'intention de récompenser le mérite d'une petite fille
qui fut un modèle de piété filiale. C'est de cette enfant dont tu vas
entendre l'histoire.

_Eugénie, première maîtresse de Zozo._

Il y avoit dans les prisons de cette ville, un Monsieur d'un grand mérite,
persécuté injustement. Sa famille l'alloit voir; mais, dans la crainte de
paroître suspecte, elle n'osoit pas se rendre à la prison aussi souvent
qu'elle l'auroit voulu. Une petite fille de cinq ans prit sur elle de
donner à son malheureux père les consolations qui étoient en son pouvoir,
jusqu'au moment qui devoit décider de son sort.

Elle alloit chaque jour, matin et soir, visiter son père. Leste,
caressante, pleine de saillies, et de la plus jolie figure du monde, cette
charmante petite ne manquoit jamais à ce devoir. C'est vainement que les
guichetiers lui résistoient; elle parvenoit à les fléchir par ses instantes
prières. Quand elle étoit refusée net, elle attendoit patiemment un moment
favorable, et parvenoit à entrer en se glissant sous les bras de ceux qui
se présentoient. Alors courant à toutes jambes, tout essoufflée, elle
alloit trouver son père qu'elle caressoit, qu'elle embrassoit mille fois,
avec lequel elle rioit et pleuroit tour à tour.

Cette aimable enfant sembloit avoir conçu toute la profondeur de
l'infortune qui accabloit son père, et la nécessité de le soustraire à ses
chagrins; elle lui racontoit tout ce qu'elle avoit pu recueillir de plus
intéressant, et les petites anecdotes de sa famille, qui pouvoient
l'arracher à sa douleur. Cette aimable petite étoit devenue un objet
d'attente et de distraction pour tous les prisonniers. En sortant, elle se
chargeoit de faire leurs petites commissions, et les laissoit dans
l'admiration d'une tendresse filiale, qui, pour être précoce, n'en
réunissoit pas moins tous les caractères qui rendent cette vertu aussi
intéressante qu'honorable.

Madame la princesse de ***, qui s'intéressoit au prisonnier, eut assez de
pouvoir pour lui faire rendre justice. Elle accabla la chère petite des
plus tendres caresses, et lui envoya la belle et riche poupée qu'elle avoit
fait faire à son intention, afin de récompenser son attachement pour son
père; mais l'aimable enfant l'eut à peine reçue, que de nouvelles
persécutions forcèrent son père et sa mère d'abandonner leur pays. La
petite fille laissa sa belle poupée à une de ses parentes, dont je vais te
parler à présent. Mais comment trouves-tu la première maîtresse de
Zozo?--Oh! maman, une petite fille bien gentille! Je voudrais bien lui
ressembler! elle aimoit bien son papa! Moi, j'aime bien aussi le mien; mais
je n'aurois pas autant d'esprit qu'elle!--Tu en aurois de même, Mimi, si tu
nous aimois tendrement, et que nous fussions en danger.--Oh! maman, si je
vous aime! en pouvez-vous douter?--Non, ma bonne amie, je n'en doute pas:
ma petite fille, que je chéris, pour laquelle je sacrifie tout, ne peut pas
être une ingrate! Voyons en quelles mains Zozo est tombée.

_Coralie, deuxième maîtresse de Zozo._

Coralie avoit sept ans; elle étoit fille d'un riche seigneur; elle unissoit
les dons de l'esprit et du coeur, à une figure charmante. Un coeur
excellent, une grande sensibilité, une grande douceur de caractère, la
faisoient particulièrement remarquer. Extrêmement caressante, on ne pouvoit
se défendre de l'aimer; mais son plus bel éloge, c'est d'avoir porté si
loin son amour pour sa mère, qu'il l'a conduite au tombeau.

Le père de Coralie, méchant et d'une très-mauvaise conduite, enferma sa
femme dans une tour de son château. Après avoir fait murer les fenêtres de
son appartement, il ordonna qu'on le tendît de noir et qu'on y suspendît
une lampe. La malheureuse dame, abandonnée sans consolation, dans cette
espèce de tombeau, n'avoit pour nourriture que du pain, qu'elle arrosoit de
ses larmes. Pour comble de malheur, son méchant mari lui ôta sa fille, son
unique société, et le seul être qui l'attachât encore à la vie!

Coralie, qui aimoit sa mère avec passion, osa dire à son père: «Tu n'es
plus mon papa!... Puisque tu tourmentes maman, et que tu me l'ôtes, je ne
veux plus être ta fille!...»

Surpris et irrité de la déclaration franche et naïve de sa fille, ce père
violent la maltraita sans pitié, et peu s'en fallut qu'il ne la tuât; mais
la petite souffrit avec courage ses mauvais traitemens, et lui dit sans
s'effrayer: «Si tu me sépares de ma chère maman, j'aime mieux mourir tout à
l'heure!»

Tant de fermeté de la part d'une enfant de sept ans, étonna M. de **. Il
cessa de maltraiter sa fille, et chercha à la gagner par la douceur; mais
Coralie ne céda ni aux caresses, ni aux menaces; elle demandoit sa mère
avec l'accent du désespoir, et ses larmes ne cessoient point de couler;
elle fut deux jours sans vouloir prendre aucune nourriture.

Cet époux barbare aimoit sa fille; il craignit de la perdre, et la rendit à
sa mère. La vue de cette enfant chérie ranima l'infortunée dame; elle
pressa Coralie sur son coeur, et mêla ses larmes à celles de sa chère
fille!... Le père de Coralie l'avoit blessée à la tête en plusieurs
endroits; les baisers de sa mère suffirent pour guérir ses blessures; mais
son coeur se soulevoit au seul nom de celui qui les faisoit tant souffrir!
C'étoit en vain que sa mère lui disoit qu'une fille ne peut pas, qu'elle ne
doit pas haïr son père, quels que soient ses torts; la vue de sa mère dans
les larmes et dans la douleur l'affectoit trop fortement pour que la raison
se fit entendre chez elle.

Les méchans ne sont jamais heureux, M. de ** tourmentoit sa femme
injustement; mais il étoit lui-même fort à plaindre, parce qu'il savoit
qu'elle le haïssoit. L'éloignement de sa fille pour lui faisoit aussi son
supplice. Pour lui paroître moins odieux, il lui envoya sa belle poupée et
tous ses joujoux; mais Coralie, occupée de sa mère, ne les regarda pas.
Comme cette infortunée, elle ne vivoit que de pain et d'eau; elle avoit à
peine de quoi se vêtir, et pour se reposer que les genoux et les bras
flétris de sa malheureuse mère!

Sitôt que Coralie fut sûre de rester avec sa mère, elle oublia les horreurs
de sa prison; elle ne pensa plus qu'elle étoit privée des choses les plus
nécessaires à la vie. Jour et nuit auprès de celle qu'elle chérissoit, elle
vit renaître sa gaieté naturelle, s'appliqua à ce qui pouvoit plaire à son
unique amie, et la consola de son mieux. Coralie sautoit à chaque instant
au col de sa mère, et la serrant avec de vives étreintes dans ses bras,
elle s'écrioit avec l'accent de la joie et du ravissement: «Maman! ... nous
voici donc ensemble! je suis donc avec toi!»

Oh! qu'il est consolant pour une bonne mère d'avoir une enfant qui réponde
à sa tendresse! Près de sa chère Coralie, madame de ** sentoit moins les
horreurs de sa nouvelle situation; et les naïves caresses de sa fille
répandoient au fond de son coeur un baume vivifiant qui la rappeloit à la
vie. Résolue de prolonger sa pénible existence pour sauver celle de sa
fille bien aimée, elle imagina ce qu'elle put pour la distraire.

Le désoeuvrement et l'ennui sont des maux insupportables. Madame de ** y
remédia, en occupant sa fille tantôt à lire, et tantôt à coudre.

Lorsque Coralie vint s'enfermer avec sa mère, elle n'avoit encore presque
rien appris; mais son amie chérie devint son institutrice, et ces leçons
données et reçues par l'amitié profitèrent à l'enfant au delà de toute
espérance.

«Ma bonne amie, dit un jour madame de ** à sa fille, à présent tu sais
assez bien lire, mais je désirerois que tu apprisses à écrire; dès que tu
le sauras, tu écriras une lettre bien touchante à ton papa: peut-être le
fléchirons-nous ainsi, et il nous fera sortir de ce tombeau.»

Il n'en falloit pas davantage pour engager Coralie à écrire. L'espoir
d'abréger les souffrances de sa mère lui donna une activité surprenante:
cette enfant sensible s'appliqua de tout son coeur; elle passoit même
plusieurs heures de la nuit à former des caractères; et, du moment où elle
put tracer des mots, elle écrivit sous la dictée de sa mère une lettre à
son papa, simple, soumise, et infiniment touchante. Cette lettre, envoyée
sur-le-champ, resta sans réponse; il en fut de même de plusieurs autres.

Cette tentative, sur laquelle madame de ** fondoit son espoir, ayant été
infructueuse, elle se laissa abattre; une noire mélancolie s'empara de son
âme, et sa douleur passa rapidement dans le coeur de sa fille infortunée.

Il y avoit près de deux ans que Coralie étoit enfermée avec sa mère,
lorsqu'elle écrivit à son papa.

Jusqu'à cette époque, cette chère enfant avoit conservé sa gaieté et sa
force: le bonheur d'être sa mère, et la légèreté ordinaire à cet âge
avoient soutenu sa santé, malgré le défaut d'air et la mauvaise nourriture;
mais quand la pauvre petite eut aperçu l'état de langueur de sa mère; quand
elle la vit sans cesse dans les larmes, et n'ayant plus un moment de repos,
une tristesse profonde s'empara d'elle à son tour: son appétit disparut;
elle maigrit à vue d'oeil; elle n'eut plus de sommeil, plus d'intérêt pour
rien, si ce n'est pour cette tendre amie à qui elle devoit le jour, et dont
elle partageoit le sort si courageusement.

Une nuit, Coralie, plus accablée qu'à l'ordinaire, eut un songe qui
enflamma son sang; elle crut voir entrer des bourreaux dans la tour, qui
venoient ôter la vie à sa mère. Elle se réveilla en sursaut, et s'écria: Ne
faites pas mourir maman!... Des larmes amères inondoient ses joues, et une
fièvre brûlante s'étoit emparée d'elle.

Quand elle fut bien réveillée, cette sensible enfant porta ses mains sur le
corps et sur la figure de sa mère; ne la sentant pas remuer, elle jeta des
cris perçans, et s'écria avec l'accent du désespoir: «Maman! ma chère
maman! est-ce que tu es morte?»

Sa mère la prit dans ses bras, et la couvrit de baisers. Sois tranquille,
chère enfant, lui dit-elle, et calme-toi; je me porte bien.

Hélas! dit l'enfant, ils étoient là; je les ai vus; ils vouloient te faire
mourir! Oh, maman! le vilain rêve; et elle le lui raconta. Madame de ** mit
tout en oeuvre pour rassurer sa chère enfant; elle lui fit sentir qu'un
rêve n'étoit point fait pour alarmer; mais la tendre Coralie craignoit pour
sa mère, et son coeur étoit oppressé; elle poussoit des soupirs, et serroit
fortement sa mère contre sa poitrine, comme pour la garantir du danger qui
la menaçoit.--Ecoute, maman, que je te dise.--Parle, chère enfant.--Je
voudrois mourir, moi.--Eh! pourquoi? tu voudrois donc me quitter?--Maman,
c'est que je ne puis te voir souffrir comme cela: bien vrai, nous serions
plus heureuses d'être mortes toutes deux.--Tu as bien raison, dit madame de
** fondant en larmes!...--Maman, donne-moi ta main, ... je sens que mon
coeur s'en va ... baise-moi encore, et ... mourons ensemble.... A ces
paroles, la pauvre petite rendit en effet le dernier soupir, sur le sein de
sa mère évanouie....

Madame de ** chercha à réchauffer le corps glacé de sa chère enfant; elle
l'appela mille fois avec le cri du désespoir. Mais, hélas! sa jeune
compagne étoit perdue pour elle!...

Après l'avoir baignée de ses larmes, et couverte de ses derniers baisers,
cette malheureuse mère déchira un pan de sa robe, et elle ensevelit le
corps de sa chère enfant. Ainsi finit à l'âge de neuf ans, la plus
intéressante petite fille que le ciel eût jamais formée.

Pendant tout ce récit, Mimi n'avoit pu travailler, et ses larmes avoient
coulé plus d'une fois. La mort de Coralie lui fit pousser des sanglots, et
sa mère fut presque fâchée de lui avoir raconté cette histoire, un peu
forte pour son âge; cependant comment résister au désir d'apprendre à sa
fille qu'il existe des enfans qui ont pour leurs pères et mères une
tendresse passionnée?... Mimi, ayant essuyé ses yeux, demanda à sa maman,
si la mère de Coralie vivoit encore?--Non, ma fille: cette tendre mère
mourut de douleur d'avoir perdu son enfant chérie.... Crois, ma petite, que
la tendresse d'une mère surpasse encore celle de ses enfans, quelque grande
qu'elle soit!... Mais laissons là un sujet si triste, et passons à la
troisième maîtresse de Zozo. M. de ** ne voulant rien voir de ce qui avoit
appartenu à sa fille, qu'il regrettait sincèrement, envoya sa garde-robe et
ses joujoux, à une de ses nièces, qui ne demeuroit point dans la même
ville.

_Maria, troisième maîtresse de Zozo._

La jeune cousine de Coralie se nommoit _Maria_. Son père et sa mère qui
connoissoient le prix de l'éducation, lui donnèrent de bonne heure les
meilleurs maîtres. Elle apprit à lire sans dégoût et sans ennui, avec des
caractères de l'alphabet, tracés séparément sur autant de petits morceaux
de carton qu'il y a de lettres. Par ce moyen facile et ingénieux, Maria, à
trois ans, lisoit très-bien, et savoit orthographier tous les mots qui sont
d'un usage commun. A quatre ans, cette charmante petite savoit passablement
la langue française, la mythologie, la géographie et les principaux traits
de l'histoire générale. Sa modestie, sa douceur égaloient ses heureuses
dispositions; elle parloit peu, et attendoit toujours qu'on l'interrogeât,
sans faire parade de son savoir, quoi qu'elle eût la mémoire ornée de
quantité de morceaux choisis en vers et en prose.

Malgré son goût pour l'étude, elle avoit la gaieté qui convenoit à son âge;
ses réparties étoient vives, spirituelles, mais la qualité qui la faisoit
le plus chérir, c'étoit son extrême sensibilité, fort au-dessus de son âge.
Cette qualité du coeur qu'elle possédoit dans un degré, éminent, faisoit
dire à sa mère, que sa fille seroit bien malheureuse!...

Ce fut l'éloge soutenu que M. de ** entendit faire de cette aimable enfant,
qui la lui fit choisir pour lui envoyer la belle poupée de sa fille.

Le présent de M. ** fut accueilli comme il le méritoit. La poupée plut
beaucoup à l'enfant, mais elle n'y toucha pas; car à peine l'eut-elle
reçue, qu'elle fut attaquée d'une maladie longue et douloureuse.

Maria souffroit des douleurs aiguës; mais elle dévoroit ses larmes, pour ne
pas affliger les femmes qui la servoient; et cette aimable petite créature
consoloit encore sa mère: «Ne pleurez pas, ma chère maman, lui disoit-elle,
j'irai prier pour vous. Dans le ciel, ma petite maman, je ne souffrirai
plus.» Heureusement cette charmante petite fille revint à la vie, pour
faire le bonheur de sa tendre mère, par sa douceur et sa sagesse. Afin de
hâter son rétablissement, on la mena à la campagne. C'étoit au commencement
de l'été. La petite n'emporta aucun joujou; sa mère vouloit qu'elle fût
sans cesse dans les champs, pour respirer un air pur qui fortifiât son
tempérament.

Maria, qui passa plusieurs années à la campagne, étoit trop âgée,
lorsqu'elle revint à la ville pour jouer à la poupée; sa maman la donna à
une riche marchande de sa connoissance, dont la fille, appelée Fortunée,
n'avoit que cinq ans.

_Fortunée, quatrième maîtresse de Zozo._

Jusque-là, Zozo s'étoit toujours trouvée avec des enfans extrêmement
raisonnables; elle n'avoit point été déshabillée; son trousseau, renfermé
dans sa petite commode, étoit toujours dans le meilleur état; son lit bien
blanc et bien propre. Mais Fortunée devoit lui faire subir plus d'une
métamorphose.

Enchantée d'abord en voyant la belle poupée, la petite la tourna en tous
sens; ensuite elle lui ôta son chapeau, sa robe, puis elle la coucha; puis
elle examina ce qui étoit dans la commode, développa tout, coupa, hacha;
tout cela fut l'affaire d'un quart d'heure. A voir comme Fortunée y alloit,
il est à croire qu'au bout de huit jours, Zozo auroit été brisée si elle
fût restée entre ses mains. Mais il faut que je te fasse connoître cette
petite fille.

Fortunée étoit volontaire, gourmande, babillarde, menteuse, importune,
haute et colère à l'excès. Elle trépignoit des pieds quand on lui refusoit
quelque chose, battoit sa _bonne_, et répondoit à sa mère avec
impertinence. Malheureusement la maman de Fortunée la gâtoit; elle excusoit
les vilains défauts de sa fille, et les traitoit d'enfantillage. Sa
foiblesse fut cause que la petite devint de plus en plus méchante,
opiniâtre, et fit enfin un mauvais sujet.

Cette mère, sans jugement, s'attacha à faire briller sa fille; elle lui
donna de très-bons maîtres pour la musique et pour la danse, avant de lui
faire apprendre à lire. A six ans, Fortunée dansoit de manière à étonner;
elle touchoit agréablement du piano, mais elle connoissoit à peine ses
lettres.

Encouragée par les éloges qu'elle recevoit sans cesse, l'enfant devint
très-habile musicienne. Elle parut à la cour, et s'y fit admirer. Mais ses
succès mêmes lui firent du tort: cette petite se crut un prodige. Enivrée
des louanges qu'on lui prodiguoit, son orgueil la rendit insupportable!...
Aussi ignorante sur les choses vraiment utiles, que savante à former des
pas, et à exécuter un morceau de musique, Fortunée n'avoit aucune idée des
premières connoissances qui font la base de l'éducation; elle ne savoit pas
non plus travailler.

Sa mère, qui aimait à la faire paraître dans le grand monde, négligea son
commerce, et dépensa beaucoup d'argent pour se mettre, elle et sa fille,
avec la dernière élégance. Insensiblement, elle dissipa sa fortune et se
ruina entièrement.

Quand Fortunée n'eut plus le moyen de paroître pour faire étalage de ses
talens, on l'oublia tout à fait. Elle fut forcée de rester auprès de sa
mère, qui, obligée de travailler pour vivre, regretta amèrement de n'avoir
pas donné à sa fille, au lieu de danse et de musique, un talent qui pût la
faire subsister.

Incapable d'aider sa mère en travaillant, Fortunée lui donnoit encore
beaucoup de chagrin par ses mauvaises qualités. Son orgueil se révoltoit de
ce qu'elle étoit obligée de se livrer aux détails du ménage, car tu penses
bien qu'on avoit renvoyé les domestiques. Cette belle demoiselle s'ennuyoit
de ne plus aller au bal, dans les assemblées, de n'être plus fêtée comme
dans le temps qu'elle étoit riche; elle montroit beaucoup d'humeur,
répondoit mal à sa mère, et lui reprochoit durement le malheur qui les
accabloit.

La douleur d'avoir une fille si dénaturée, et le chagrin de ne pas avoir
formé son coeur, au lieu de lui donner des talens agréables, conduisirent
cette mère au tombeau. Fortunée, qui ne savoit rien faire, tomba dans une
misère affreuse, et, pour comble de maux, personne ne la plaignit. Voilà ce
qui arrive, lorsqu'on néglige d'acquérir dans l'enfance des talens utiles,
et d'orner son âme de vertus.

Quant à Zozo, d'abord Fortunée en fut dans l'enthousiasme, comme je te l'ai
dit; mais bientôt elle la laissa pour les concerts dont elle faisoit
l'ornement, et où sa vanité étoit satisfaite. Lorsque sa mère vendit ses
meubles et ses marchandises pour payer ses dettes, une dame fort riche
acheta la belle poupée pour sa fille. Elle chargea une marchande de modes
de l'habiller de neuf, et Zozo, plus belle que jamais, passa dans les mains
de sa nouvelle maîtresse. Lorsque madame Belmont eut fini, Mimi fit une
petite grimace, qui témoignait qu'elle trouvait cette histoire moins jolie
que les autres.--Je crois, lui dit sa maman, que ma petite musicienne n'a
pas le bonheur de te plaire?--Non, maman; je n'aime pas du tout cette
Fortunée, si vaine, et qui cependant ne sait ni lire, ni travailler; j'en
sais plus qu'elle, moi, puisque je lis dans tous les livres et même dans
l'écriture, et sans être orgueilleuse encore!... Si vous n'aviez pas
d'argent, je pourrois faire comme Blanche, la petite marchande; j'ourlerois
des mouchoirs, et je gagnerois quelque chose.--Oui, dit madame Belmont, tu
ferois deux ourlets par jour, tout au plus, ce qui feroit un sou: nous
irions loin avec _cet argent_!... Profite, ma chère enfant, du triste sort
de la petite dont je viens de te conter l'histoire; applique-toi, emploie
ton temps, et remercie le bon Dieu de t'avoir donné un père et une mère qui
te donnent une éducation solide, et qui travaillent à corriger tes défauts.
Ecoute à présent l'histoire de Céleste, cinquième maîtresse de Zozo.

_Histoire de Céleste._

Céleste étoit fille d'un grand seigneur, qui voulut lui-même veiller à son
éducation.

Céleste avoit une figure charmante, mais c'étoit le moindre de ses
avantages; excellent naturel, docilité, amour de l'étude, générosité,
sensibilité exquise, discrétion, piété filiale, patience héroïque dans la
douleur, élévation d'âme: cette étonnante petite fille réunissoit tout;
elle avoit toutes les perfections.

Le père et la mère de Céleste passoient une grande partie de l'année à la
campagne, parce que la santé chancelante de madame d'Avriller l'exigeoit;
c'est pourquoi son mari, homme très-instruit, se faisoit un plaisir de
seconder le précepteur de ses enfans, en leur donnant lui-même
d'excellentes leçons.

Céleste avoit deux frères, beaucoup plus jeunes qu'elle, et dont elle
s'occupoit comme la mère la plus tendre. Assise tranquillement avec sa
poupée, elle les surveilloit, ou se mêloit à leurs jeux avec une
complaisance charmante.

Douée des plus heureuses dispositions, Céleste ne pouvoit manquer d'être
parfaitement instruite, ayant son père pour instituteur. Elle apprit la
musique et le dessin pour lui servir de délassement, mais sans avoir le
projet de perfectionner ces talens, parce que, malgré sa jeunesse, toutes
les heures de la journée étaient prises, et qu'elle avoit peu de temps à
leur donner.

Céleste avoit le bonheur d'avoir une excellente gouvernante, sage,
laborieuse, adroite, qui lui apprit à faire plusieurs ouvrages de son sexe.
Bientôt cette jeune personne broda mille jolies choses pour ses parens et
pour elle-même; et quoiqu'elle eût une femme de chambre, elle se coiffoit
et s'habilloit seule, en disant qu'on avoit reçu de la nature des mains
pour s'habiller comme des pieds pour marcher. Bien loin d'être à charge aux
domestiques, Céleste donnoit tous ses soins à ses jeunes frères, et leur
servoit de gouvernante; elle manqua même d'être la victime de son
dévouement pour eux.

Céleste avoit coutume d'aller tous les jours avec ses frères et sa
gouvernante, dans une campagne voisine de leur château. Les enfans jouoient
sur l'herbe, cueilloient des fleurs, dont Céleste formoit des guirlandes,
et la gouvernante tenant un livre, l'oublioit le plus souvent pour admirer
l'innocent badinage de ces aimables enfans.

Pendant une absence que fit M. d'Avriller, Céleste proposa à sa gouvernante
d'aller se promener dans un grand bois, à une demi-lieue du château, pour y
goûter avec ses frères. Le jour pris pour cette partie de plaisir, le temps
étant superbe, la petite société se mit en marche avec la gaieté de coeurs
satisfaits, qui volent à de nouvelles jouissances.

Rendue au lieu désiré, la petite famille s'assit en rond sous un chêne
touffu, et fit un repas champêtre qui lui parut délicieux.

Pendant que ces aimables enfans se livroient sans contrainte à toute la
folie de leur âge, le ciel s'obscurcit et le tonnerre se fit entendre;
aussitôt les jeux cessèrent, et tous s'empressèrent de chercher un abri.

A peine furent-ils hors de la forêt, qu'il s'éleva une tempête effroyable:
un vent impétueux déracina les arbres; l'air étoit obscurci de feuilles et
de poussière; les enfans ne voyoient pas devant eux. Poussée en sens
contraire par la force du vent, la petite famille s'armoit de courage, mais
il l'abandonna tout à fait quand elle entendit au loin voler en éclats les
cabanes des paysans, et qu'elle vit la foudre tomber à ses pieds.

Les enfans épouvantés sentirent leurs genoux se dérober sous eux; la
frayeur les saisit tellement, qu'il leur fut impossible d'avancer.
Cependant il falloit se hâter; la pluie, qui ne tomboit pas encore,
menaçoit de les percer jusqu'aux os. La gouvernante prit l'aîné des garçons
dans ses bras, et Céleste le cadet; ainsi chargées, elles s'empressèrent de
regagner le château.

Mais bientôt une pluie semblable à un déluge inonda les champs, et en fit
une espèce de lac. Céleste et sa gouvernante, ayant leurs vêtemens trempés,
marchoient dans l'eau, sans savoir où porter leurs pas; car les chemins,
les plaines, les prairies ressembloient à une vaste mer, dont on ne voyoit
pas l'issue.

Pour comble de malheur, avant d'arriver au château, il falloit passer un
ravin, qui alors se trouvoit grossi considérablement par la pluie d'orage.
Céleste et sa gouvernante sentirent la nécessité de le passer avant qu'il
augmentât: elles y entrèrent avec courage, luttant contre les flots, et
oubliant le danger qu'elles couroient pour ne s'occuper que des enfans qui,
extrêmement effrayés, se débattoient et jetoient les hauts cris.

Près d'être engloutie vingt fois dans ce gouffre, Céleste ne perdit point
la tête; elle sortit du ravin, exténuée de fatigue et toute trempée, et
regagna la maison avec ses frères; mais dans quel état, grand Dieu!... Dès
qu'elle se fut reposée, elle eut une fièvre brûlante, avec des accès de
transports. Elle s'écrioit alors: «Ne soyez pas en peine, mon papa, maman!
j'ai sauvé mes petits frères ... ne soyez pas en peine, je me porte bien
aussi.» Mais cette chère enfant étoit attaquée d'une fluxion de poitrine
qui fit craindre pour ses jours.

Quelle douleur pour son père et sa mère! cette fille chérie, qui devoit
être l'ornement et la consolation de leur vieillesse, alloit peut-être leur
être ravie au moment où ils connoissoient tout son mérite! Malgré ces
pensées déchirantes, M. et madame d'Avriller eurent le courage de modérer
leur affliction, pour que Céleste ne se doutât pas du danger où elle étoit.

A force de soins, la chère enfant se rétablit; elle fut plus que jamais la
gouvernante de ses frères, sur lesquels elle croyoit avoir acquis des
droits, depuis l'aventure de la forêt. Céleste leur apprit à lire: jusqu'à
l'âge de huit ans, ils n'eurent point d'autre instituteur. Il falloit voir
la patience de cette jeune personne, sa douceur, sa complaisance pour ses
élèves; c'étoit un coup-d'oeil ravissant!

Ces deux petits avoient un bon coeur; ils s'attachèrent à Céleste, et leur
docilité la paya amplement des peines qu'elle se donnoit pour leur
éducation. Il auroit fallu qu'ils fussent bien ingrats pour ne pas aimer
une si bonne soeur qui, toujours prête à les excuser lorsqu'ils étoient
pris en faute, leur évitoit le long du jour toutes sortes de petits
chagrins par sa prévoyante tendresse!

Une bonne conduite trouve tôt ou tard sa récompense. Céleste eut, dans ses
deux frères, des amis solides, qui ne l'abandonnèrent jamais. Heureuse par
les auteurs de ses jours qui la chérissoient, et par l'affection sincère de
ceux qui lui devoient tout, cette jeune personne n'eut rien à désirer.
Outre cela, elle jouit de l'estime des honnêtes gens, chose précieuse pour
ceux qui ont un peu d'âme.

C'est déjà fini, maman? dit Mimi à madame Belmont.--Oui, ma fille. Comment
trouves-tu Céleste?--Ah! c'est une demoiselle bien aimable; je voudrois
qu'elle fût de mon âge, j'en ferois ma petite amie.--Mais tu n'aurois pas
ta belle poupée.--J'en aurois une autre.--Pas aussi belle; car je regrette
beaucoup l'argent employé à ces sortes de choses.--Eh bien! maman, je
m'amuserois de même avec une poupée ordinaire, et j'aurois une amie qui
m'apprendroit à être bonne comme elle; vous seriez toujours contente de
moi.--Viens m'embrasser, ma chère enfant! ta réponse me prouve que mes
peines ne sont pas perdues, et que ton coeur est excellent: tu es une
aimable petite fille!

Lorsque Céleste tomba malade, il y avoit long-temps qu'elle ne jouoit plus
à la poupée. Ses frères prenoient une grande partie de sa journée, le reste
étoit pour l'étude. Si cette bonne soeur avoit un moment de loisir, elle le
donnoit encore à ses chers élèves, en se mêlant à leurs jeux, et en se
mettant à leur portée pour leur plaire davantage.

Céleste donna sa poupée à la fille du receveur de la ville où elle
demeurait, comme une preuve de son amitié pour elle, et une récompense des
belles actions que l'on citoit d'elle chaque jour.

_Lucile, sixième maîtresse de Zozo._

Le père de Lucile n'avoit point de fortune, mais il étoit honnête homme, et
lui donna une bonne éducation. Il avoit remarqué que sa fille avoit un
caractère très-décidé, avec un coeur sensible, et il employa la douceur,
les caresses et le sentiment pour obtenir d'elle ce qu'il désiroit; il eut
la satisfaction de s'en voir respecté et chéri.

La mère de Lucile aimoit sa fille sans doute, mais cet amour n'étoit ni
raisonnable, ni éclairé; elle la grondoit sévèrement pour des bagatelles,
et lui passoit des fautes graves. Souvent cette mère capricieuse
l'accabloit de caresses sans raison, sans motif, et la repoussoit quand la
petite venoit pour l'embrasser. Cette bizarrerie aigrissoit l'esprit de
l'enfant et chagrinoit son père, qui se voyoit contrarié dans la marche
qu'il vouloit suivre pour l'éducation, de sa fille.

Cet homme bon, mais foible, renferma son chagrin en lui-même. Les peines
qu'il éprouvoit, jointes à des malheurs imprévus, abrégèrent ses jours: il
mourut à la fleur de son âge, et sa femme le suivit de près. Elle laissa
Lucile, âgée de dix ans, avec un petit garçon de dix-huit mois.

Pour tout héritage, Lucile eut quelques vieux meubles, et une petite
chaumière située sur la lisière d'un bois. Lucile se retira dans cet asile
sauvage avec son petit frère. Les malheureux n'ont, hélas! ni parens, ni
amis; elle se vit absolument délaissée, et fut bientôt en proie à la plus
affreuse indigence. Quelques laboureurs la demandèrent cependant pour
garder leurs troupeaux; mais elle les refusa, résolue de tout souffrir
plutôt que d'abandonner son petit frère qui demandoit ses soins.

Cependant il falloit avoir du pain, et donner à manger à ce pauvre petit
qui ne parloit pas encore. Lucile vendit ses meubles; avec cet argent, elle
acheta du lin et du coton; elle fit des bas et les vendit. L'habitude du
travail lui fut d'un grand secours dans sa misère: elle filoit, cousoit et
tricotoit tour à tour. Comme elle étoit aussi vigilante qu'habile, elle
pourvut ainsi à ses besoins, et conserva sa liberté.

La vertu commande l'estime des hommes. Une jeune fille de dix ans, vivant
seule dans une pauvre cabane, se suffisant à elle-même, et soignant son
frère en bas âge, comme si elle eût été sa mère, étoit un spectacle rare et
attendrissant; aussi on accouroit des cantons voisins pour la voir, et l'on
s'empressoit de lui apporter de l'ouvrage. Les mères surtout se faisoient
un plaisir et un devoir d'y conduire leurs enfans.

En peu de temps, Lucile recueillit le fruit de ses peines; l'aisance régna
dans sa petite chaumière; elle se vit même en état de prendre une bonne
vieille pour faire le ménage et soigner son frère, tandis qu'elle alloit
porter son ouvrage dans les hameaux voisins.

Lucile couloit des jours heureux dans la paix et dans l'innocence; rien
n'eût manqué à son bonheur, si elle avoit eu son père et sa mère. Cette
jeune personne étoit d'une force et d'une taille bien au-dessus de son âge,
et sa beauté égaloit les qualités de son coeur.

Une dame de la ville voisine, ayant entendu parler de Lucile, désira la
voir; après s'être assurée que tout le bien qu'elle en avoit entendu dire
étoit véritable, elle lui fit proposer de venir demeurer dans sa maison,
promettant que si Lucile continuoit à se conduire comme auparavant, elle
auroit soin de sa fortune. Effectivement, au bout de trois ans, cette dame,
qui n'avoit point d'enfans, et qui étoit fort riche, adopta notre
orpheline, qui par-là se vit récompensée de sa bonne conduite, et par suite
en état d'assurer une fortune honnête à son frère dont elle n'avoit pas
cessé de prendre soin.

Lucile avoit disposé de sa poupée, à la mort de sa mère; madame de
Vertingen l'avoit achetée pour Angelina, sa petite fille.

_Angelina, septième maîtresse de Zozo._

Dès les premières années d'Angelina, on jugea qu'elle auroit beaucoup
d'esprit; sa maman en étoit enchantée, elle voulut l'élever elle-même.

La tendresse excessive de madame de Vertingen nuisoit beaucoup à sa fille:
en allant au-devant de ses moindres désirs, en cédant aveuglément à toutes
ses volontés, elle la rendoit exigeante, capricieuse, colère, et lui
préparoit des peines pour l'avenir.

Un ami de M. de Vertingen essaya de donner quelques avis à cette mère trop
foible: «Madame, lui dit-il un jour, permettez-moi de vous parler avec
franchise; vous n'avez pas encore élevé d'enfant; je crains fort que vous
ne perdiez la vôtre, faute de connoître la manière de la gouverner: vous
devez l'élever pour les autres, et l'on seroit tenté de croire que vous ne
l'élevez que pour vous-même.» Madame de Vertingen reçut fort bien ce
reproche amical; elle promit d'en profiter, mais elle l'oublia bientôt, et
continua à gâter sa fille.

Angelina croissoit cependant à vue d'oeil: son teint étoit vermeil comme la
rose, l'esprit pétilloit dans ses yeux, sa figure pleine de grâce et
d'expression plaisoit à tout le monde, et son heureux caractère ne
demandoit qu'une main habile pour le plier à son avantage; mais madame de
Vertingen rioit de ses fautes, et lui cédoit en toute occasion. Quand un
domestique différoit à satisfaire ses caprices, il étoit grondé, et l'on
finissoit par le renvoyer.

Aussi Angelina faisoit mille sottises par jour: la moindre contrariété la
mettoit dans une colère affreuse; ses traits se décomposoient, et sa foible
mère, craignant pour ses jours, se hâtoit de lui accorder tout ce qu'elle
vouloit. Sûre ainsi de se faire obéir, Angelina se mutinoit pour rien, et
devenoit insupportable.

Cette petite fille si gâtée montoit sur les fauteuils, se rouloit à terre,
alloit partout sans guide, gâtoit les meubles, déchiroit ses vêtemens,
brisoit tous ses joujoux, et jamais on ne la grondoit.

[Illustration: _Angelina._]

[Illustration: _Louisa._]

Un jour elle prit un couteau pour aller dans le jardin couper une branche
d'arbre, le pied lui glissa, et elle se blessa grièvement à la cuisse. La
gouvernante que sa mère avoit mise auprès d'elle n'étoit point écoutée;
lorsqu'elle lui faisoit des représentations, l'enfant mutin répondoit: «Il
faut bien que je m'amuse; maman veut que je fasse de l'exercice.»

Il arriva plusieurs aventures fâcheuses à l'indocile Angelina. Un jour elle
voulut attraper un petit poisson rouge; s'étant penchée sur le bord du
bassin, elle tomba dans l'eau. Le jardinier de la maison, qui heureusement
se trouvoit de ce côté, la retint par ses jupons, et lui sauva la vie, mais
elle fut sérieusement malade.

Il falloit plus d'un exemple pour corriger un enfant qui n'agissoit qu'à sa
tête. Il prit fantaisie à Angelina de faire griller des escargots. Elle
prit furtivement un réchaud de braise, et l'ayant allumé dans un coin, en
soufflant avec sa bouche un charbon tomba sur sa robe; en moins d'une
minute elle eut les jambes, les cuisses, les bras, et même le visage,
entièrement brûlés: elle fut plus d'un mois à guérir, et souffrit des
douleurs inexprimables; encore fut-elle tout à fait défigurée. Angelina
étoit déjà grande qu'elle ne savoit encore rien: sa mère craignoit de la
fatiguer. Aussi quand elle voulut lui donner des maîtres, la petite,
incapable d'application, s'ennuya à mourir; elle ne prit goût à rien; et au
bout de plusieurs années, après avoir fait dépenser beaucoup d'argent à son
père et à sa mère, Angelina n'eut qu'une légère teinture des arts qu'on
avoit cherché à lui faire apprendre.

Madame de Vertingen avoit commencé d'abord par lui donner un maître de
musique et un maître de danse. Angelina, qui étoit vive et gaie, dansoit
avec plaisir; mais son maître de musique étoit souvent renvoyé, sous
prétexte d'un mal de tête, d'une colique, ou de quelqu'autre indisposition.
Si sa mère exigeoit qu'elle prît sa leçon, Angelina prenoit de l'humeur;
elle se mettoit au piano de mauvaise grâce, bâilloit, faisoit des fautes
sans nombre, et finissoit par lasser la patience du maître le plus
complaisant.

Comme Angelina ne savoit point s'occuper, et qu'il faut passer le temps à
quelque chose, elle se levoit tard, changeoit dix fois de robe dans une
matinée, avoit cent caprices, mangeoit toutes sortes de friandises,
tourmentoit le chat, agaçoit le chien, commandoit avec hauteur à sa femme
de chambre, et faisoit gronder les domestiques dont elle dérangeoit le
service pour ses fantaisies.

Sa mère, moins fâchée de la voir dure, capricieuse, ignorante, coquette et
impertinente, que de reconnoître son peu de disposition pour les arts
d'agrément, lui faisoit quelquefois des reproches: «Que voulez vous
devenir, ma fille? lui disoit-elle. Vous ne saurez ni musique, ni danse, ni
dessin; vous passerez dans le monde pour une demoiselle sans éducation, et
personne ne vous regardera.» Elle eût mieux fait de lui dire: Comment
écrirez-vous une lettre ne sachant pas l'orthographe? Quelle sera votre
conversation avec les personnes instruites n'ayant aucune connoissance de
la géographie, de l'histoire, et des sciences en général? Qui voudra vous
servir, si vous êtes exigeante et capricieuse? Qui voudra vivre avec vous,
si vous ne voulez point vous occuper des autres, et que vous rapportiez
tout à vous-même? Mais madame de Vertingen n'avoit pas l'esprit assez
solide pour faire ces réflexions.

Les choses étoient en cet état, lorsqu'un événement malheureux força le
père et la mère d'Angelina à quitter la France. Ils abandonnèrent leur bien
pour sauver leur vie. Ayant rassemblé à la hâte leur argent et leurs
bijoux, ils allèrent en Allemagne attendre un temps plus heureux.

Quand on est hors de son pays, on dépense beaucoup. Leurs fonds furent
bientôt épuisés; ils éprouvèrent les horreurs de l'indigence, d'autant plus
que ni la mère ni la fille ne pouvoient s'aider du travail de leurs mains.

M. de Vertingen étant mort, leur situation devint véritablement
déplorable.... C'est alors que la mère d'Angelina ouvrit les yeux pour voir
les torts qu'elle avoit à se reprocher sur l'éducation de sa fille!...
Cette jeune personne, extrêmement laide, depuis l'accident qui lui étoit
arrivé par sa faute dans son enfance, ne savoit pas seulement enfiler une
aiguille!... Qu'alloit-elle devenir!... Ces tristes réflexions, jointes à
la misère, mirent en peu de temps cette mère infortunée au tombeau!...
Angelina, sans aucune ressource, fut obligée, pour ne pas mourir de faim,
de se mettre en service chez un vigneron du pays où elle étoit.

Tu vois, ma bonne amie, dit en finissant madame Belmont à sa fille, combien
il est nécessaire d'apprendre de bonne heure à lire, à écrire, et à
travailler. La fortune peut se perdre, mais une bonne et sage éducation est
un trésor qui ne manque jamais. Tu n'aimes sûrement point Angelina; elle
n'est pas aimable non plus; mais ses fautes seront pour toi une leçon
utile; tu éviteras, je l'espère, de te conduire comme elle.--Je le crois
bien, dit Mimi; maman ne ressemble pas à madame de Vertingen. Madame
Belmont embrassa sa fille, et après quelques autres réflexions, elle reprit
son récit.

Le sort de Zozo, continua cette dame, n'avoit pas été trop heureux avec la
volontaire et capricieuse Angelina. Lorsque M. et madame de Vertingen
quittèrent la France, la belle poupée était dans un état pitoyable! Elle
resta entre les mains de la gouvernante d'Angelina, qui, étant entrée au
service d'une dame, lui en fit présent.

Zozo fut encore une fois réparée; on l'habilla richement, et la dame qui en
étoit devenue propriétaire en fit cadeau à la fille d'une de ses amies.
C'est cette petite fille qui va faire le sujet de notre entretien.

_Louisa, huitième maîtresse de Zozo._

Madame de P... reçut Zozo avec plaisir. Elle pria son amie de n'en point
parler à Louisa, sa fille, à qui la poupée étoit destinée. Je veux,
dit-elle, que ce beau présent corrige ma fille d'un grand défaut, et lui
serve en même temps de récompense.

Madame de P... ayant ainsi prévenu son amie, plaça Zozo dans une grande
corbeille de jonc, couverte de taffetas couleur de rose, noué avec de la
faveur. Elle mit cette corbeille dans sa chambre à coucher, sur une
commode, et la ferma aux deux bouts, avec une bande de papier cacheté.

Lorsque Louisa vit cette grande corbeille, elle fit mille questions, sur ce
qu'elle contenoit. Tous les domestiques, qui avoient le mot, s'accordoient
à lui répondre qu'ils n'en savoient rien. Louisa étoit fort embarrassée;
car elle n'osoit point faire de questions à sa mère, parce qu'elle lui
avoit dit plusieurs fois que rien n'étoit plus impoli.

La pauvre enfant étoit à la torture, d'autant plus que la curiosité étoit
son défaut dominant. Madame de P... lui dit un jour: Ecoute, Louisa, tu
ouvriras toi-même la corbeille mystérieuse dans trois mois, si, d'ici à ce
temps, tu te corriges de ton excessive curiosité. Pendant trois mois, je
tiendrai une note exacte des fautes qu'elle te fera commettre; à cette
époque je te montrerai mon livre, et tu seras jugée d'après cette
lecture.--Trois mois, maman, c'est bien long!---Ma fille, il n'en faut pas
moins pour t'habituer à veiller sur toi-même; d'ailleurs l'arrêt est
prononcé: dans trois mois, à pareil jour, tu ouvriras la corbeille, ou bien
elle disparoîtra pour toujours de devant tes yeux.--Sans que je sache ce
qui est dedans?--Sans que tu saches ce qui est dedans. Tu le sauras dans la
suite, mais ce sera pour te donner des regrets de ne pas avoir su vaincre
ton funeste penchant.

Trois mois d'épreuves étoient en effet bien longs pour une petite fille
aussi curieuse que Louisa, qui n'avoit jamais su se contraindre. Dans tous
les temps on l'avoit vue donner des preuves de la plus mauvaise éducation,
en cherchant à satisfaire sa curiosité. C'étoit un tiroir qu'elle ouvroit,
pour regarder ce qu'il y avoit dedans, même chez les étrangers; un sac
qu'elle vidoit, un paquet qu'elle développoit. Un panier couvert, quel
qu'il fût, lui donnoit le désir de savoir ce qu'il contenoit. Aucune boîte,
aucun coffre n'échappoit à ses recherches. Jusqu'alors les représentations,
les remontrances de madame P... n'avoient pu la corriger de ce défaut, qui
devenoit chaque jour plus choquant par les inconséquences qu'il lui faisoit
commettre. Quelquefois même il avoit des suites fâcheuses; car Louisa ne
bornoit pas sa curiosité à voir, elle vouloit aussi entendre, et découvroit
les secrets qu'on auroit voulu lui cacher. Elle écoutoit aux portes pour
savoir les affaires des personnes avec qui elle vivoit; on s'en défioit
comme d'un voleur! Louisa se glissoit aussi partout pour satisfaire sa
passion favorite. Quand on la prenoit sur le fait, elle en étoit quitte
pour prier instamment qu'on ne le dît point à madame de P..., puis elle
recommençoit au même instant.

Louisa étoit non-seulement curieuse, mais elle étoit bavarde. Cependant
madame de P..., qui haïssoit la médisance, lui fermoit la bouche
lorsqu'elle vouloit lui conter ce qu'avoit fait un tel ou ce qu'une telle
avoit dit; mais la petite se dédommageoit de cette contrainte en causant
avec les domestiques, à qui elle répétoit, à sa manière, tout ce qu'elle
avoit entendu: de là provenoient des haines, des querelles interminables;
la paix étoit bannie de cette maison. Quand on venoit aux éclaircissemens,
on citoit toujours Louisa comme le principal auteur de tout ce tapage.

Madame de P... avoit exigé de ses gens qu'ils renvoyassent honteusement sa
fille, chaque fois qu'ils la trouveraient soit dans l'antichambre, soit
dans quelque autre pièce de la maison où elle ne devoit pas être. De son
côté, madame de P... ne négligeoit rien pour lui faire sentir le ridicule
de sa conduite; elle lui défendoit expressément de causer avec les
domestiques, et la punissoit quand il étoit prouvé que ses rapports avoient
fait de la peine à quelqu'un.

Cette surveillance gênoit extrêmement Louisa, et lui évitoit bien des
sottises; mais elle ne changeoit point son caractère, parce que cette
petite ne faisoit aucun effort pour se corriger.

Madame de P... en fit la réflexion. C'est ce qui la porta à profiter de
l'occasion qui se présentoit, pour essayer de détruire le vilain défaut de
sa fille; et certes elle ne pouvoit s'y prendre trop tôt: ce penchant des
âmes vulgaires a causé plus de maux qu'on ne pense!...

Les trois mois d'épreuves commencèrent donc. Louisa se promit bien de ne
commettre aucune faute qui l'empêchât de voir ce qu'il y avoit dans la
corbeille. Malgré le désir qu'avoit cette enfant de ne rien faire qui la
privât de la satisfaction qu'elle attendoit, elle s'oublioit cependant
quelquefois; mais sa gouvernante qui l'aimoit, l'avertissoit toujours au
moment même, en lui rappelant _la corbeille_. Si, par exemple, Louisa
touchoit à quelque chose qui ne lui appartenoit pas, et cherchoit à voir
dans un ridicule, ou ailleurs, ce qu'il y avoit, sa gouvernante lui disoit:
Mademoiselle, souvenez-vous de la corbeille! Et Louisa retiroit sa main
aussi vite que si elle se fût brûlée; de manière que cette petite dut à sa
bonne gouvernante de n'avoir pas succombé vingt fois à la tentation; car
l'habitude est une seconde nature.

Pendant deux mois, Louisa se comporta si bien, que madame de P... n'écrivit
rien qui méritât une censure sévère. Enchantée d'avoir réussi dans son
projet, et s'apercevant par cet essai que sa fille n'étoit pas
incorrigible, cette dame se proposa de la récompenser de ses efforts, en
abrégeant le temps de son épreuve; car c'étoit une véritable pénitence pour
une enfant de ce caractère.

Prenant donc Louisa par la main, sa mère la mena dans sa chambre: Voilà
deux mois de passés, ma fille, lui dit cette dame, depuis que cette
corbeille que tu vois est ici. Tu as tenu nos conventions autant que ton
âge pouvoit te le permettre; cela me fait espérer que, par la suite, tu
éviteras les fautes où tu es tombée jusqu'ici. Je consens donc à abréger en
ta faveur le temps que j'avois fixé; tu peux ouvrir la corbeille, mais à
une condition, c'est que, si tu es encore curieuse, rapporteuse et
médisante, comme auparavant, je reprendrai ce qui est dedans, pour le
donner à une autre petite fille plus sage que toi.

Louisa promit à sa maman tout ce qu'elle voulut; elle sauta à son col, et
la remercia mille fois de son extrême bonté. Elle courut à la corbeille,
dont elle fit bientôt voler les cachets; mais que devint-elle à la vue de
la belle poupée!... elle recula de surprise!... elle ne se possédoit pas de
joie!...--Ah, maman! qu'elle est belle! s'écria-t-elle dans son
ravissement; comme elle est bien mise! et puis, grande! mais, c'est que
nous sommes de la même taille!... Louisa étoit la plus heureuse personne du
monde!--Tu vois, ma bonne amie, lui dit sa maman, que tu es récompensée de
tes efforts au delà de tes espérances: travaille toujours à te
perfectionner, et je te promets des surprises plus flatteuses encore: une
mère est si heureuse quand sa fille se porte au bien!

Louisa devint extrêmement raisonnable; elle donna toutes sortes de
satisfaction à sa maman. Le temps étant venu de lui donner des maîtres,
cette jeune personne renonça d'elle-même à sa poupée pour s'appliquer
davantage. Madame de P... que je voyois alors me donna Zozo pour toi, ma
fille; mais tu étois si petite, que tu ne pouvois jouer encore avec des
poupées. Je la serrai donc jusqu'à ce que tu eusses assez de raison pour
t'en amuser sans la gâter.

Tu sais à présent, ma chère amie, l'histoire de Zozo. Quelque jour on
joindra la tienne à celle des jeunes demoiselles à qui ta poupée a
appartenu; vois dans quelle classe tu désires être rangée; si c'est parmi
ses bonnes ou ses mauvaises maîtresses! Ta conduite à venir en décidera:
elle fera aussi le bonheur ou le malheur de ta mère.


FIN.










End of the Project Gutenberg EBook of Conversations d'une petite fille avec
sa poupee, by Mme de Renneville

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONVERSATIONS D'UNE PETITE FILLE ***

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To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
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state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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