Le paillasson: Mœurs de province

By Laurent Tailhade

The Project Gutenberg eBook of Le paillasson, by Laurent Tailhade

This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
will have to check the laws of the country where you are located before
using this eBook.

Title: Le paillasson
       Mœurs de province

Author: Laurent Tailhade

Release Date: November 26, 2021 [eBook #66827]

Language: French


Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at
             https://www.pgdp.net (This book was produced from images made
             available by the HathiTrust Digital Library.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAILLASSON ***




  LAURENT TAILHADE

  LE PAILLASSON

  MŒURS DE PROVINCE


  “LE LIVRE”
  9, RUE COËTLOGON, PARIS
  1924




Il a été tiré à part de cet ouvrage 10 exemplaires sur Japon des
Manufactures Impériales, numérotés de 1 à 10, 50 exemplaires sur
Hollande Van Gelder Zonen, numérotés de 11 à 60 et 10 exemplaires de
Collaborateurs, Hors-Commerce, sur divers papiers, numérotés de I à X.




Tous droits de reproductions réservés pour tous pays.

Copyright by «LE LIVRE», Paris, 1924.




AVANT-PROPOS


L’inintelligence du lecteur se devant présumer, nous voulons bien
élucider son titre aux acquéreurs de ce papier.

«_Le Paillasson_» fut ainsi nommé pour ce qu’il servira d’intermédiaire
à décrotter nos bottes, ô province, contre ton mufle détesté.

                   *       *       *       *       *

Avec les indigènes, croupiers, logeurs en garnis, marchands d’eaux
tièdes, et autres infirmes à qui l’on montrera leur béjaune, nous
sacrifierons de quelques pinchenettes les touristes idiots, les
baigneurs incongrus. Une fois au moins «_la Reine des Pyrénées_» à
croppetons sur sa cagnotte, humera ce vase et quoi qu’elle en tienne,
exhibera ses parfums.

Les goîtreux folâtres ou pontifiants: crétins politiques, noblesse de
comptoir, gouines parvenues, cette mont-joie de faux dandies qui, par
Bigorre, épanouit ses truandes élégances, obtiendront une vitrine élue,
en notre musée d’horreurs.

De ce que peuvent furibonder à nos chausses les veillaques époussetés,
nous ne daignons avoir souci. Grognements de porcs, abois de roquets ou
sifflets de vipères, cela ne nous chault plus qu’une guigne, et même il
est pour nous complaire, qu’un peu de huée, contre-pointe l’honnêteté de
nos propos.

Des pseudonymes transparents (de gaze et de barèges aérien), des
pseudonymes vêtiront les syllabes répugnantes, par quoi furent
immatriculés aux registres sociaux les algonquins à dégourdir nos
épigrammes.

Savonnette précieuse et qui permet de ne s’écorcher point le galoubet
devant la ménagerie bigourdane.

LAURENT TAILHADE.




I

VILLES D’EAUX

(_Bagnères de Bigorre_)


De tous les fumiers propres à réchauffer le goût de la prostitution, à
gonfler d’une sève fécale les ventres arrondis en citrouilles devant le
dieu Cent-Sous, de tous les pourrissoirs où la dignité se vertdegrise,
où l’intellect se désagrège en des pensers de batracien, il n’en est
point que je sache de plus méphitique, de plus nauséabond que les
tannières généralement connues sous l’appellation humide: _Villes
d’Eaux_. Pour la copulation du crétinisme avec la filouterie, pour
l’embrassement des pantalons et des sycophantes, ce sont bocages
d’élection, ces choses plantées sur la montagne ou déposées au fil des
grèves.

Les barons de la séquence, les tendrons hydrargiriques, les calicots
phanérogames, les galériens nantis de mouchoirs, les Agnès compromises
par de trop peu secrètes parturitions, les femmes du monde Jean Lorrain,
se viennent engluer aux appeaux de l’habitant aranéeux. Campements de
bohème aux pays de _Misère_, visites de la pègre transhumante chez les
votereaux suspects des mauvais lieux à piscines, qui nombrera les
immondices, de quoi vous êtes parfumés!

Certes le pays de Gascogne porte mieux que tout autre un vif renom pour
ses tripots et ses lieux d’empoisonnement.

Depuis Barèges où Gassuro chasse l’izard et le chrétien, jusques à Pau
où trichent les notaires, chaque bourgade s’y peut vanter d’une table
hellénique, ornée d’un croupier en surtout.

L’amoureux de la forte somme y serre l’ongle du ponte carottier. Sicre
règne à Luchon et Blandin--ce Neptune--donne des lois à Biarritz. Tous
les autres ont leurs _journées_, où des Espagnols pain d’épices,
aventurent leurs piastres, avec des mouvements de gorilles promus curés,
des _pokers_ où reluisent tels gentilshommes à qui le papa _Dur_[1]
refuserait quarante sols. Toutes ces villes ont leurs pontes et des
idées sur la conduite à mener devant le point de cinq: toutes regorgent
d’anecdotes que Follou brode sur le dessert; mais Bagnères de Bigorre se
glorifie seule de Monseigneur Fiorentino della Porta, fermier général à
Cauterets.

  [1] Dur, un citerien de Bagnères.

Peut-être satisfairait-on les curieux de ce personnage en détaillant par
le menu son histoire naturelle. Contentons-nous de le suspendre à nos
discours (tel un rameau du Vignemale) et de nommer, après les fleurs de
chiourme écloses à ses pieds, Félix, le suzerain de Saint-Pol. Maréchal
qui, comme un lierre, végète sur les ruines et toi, jeune homme
inexpressible, que les femmes ont si fort gâté.

Après le cercle, les étuves. Car il faut bien de temps à autre récurer
un peu ses ongles et se laver les pieds. Il existe des caractères
audacieux pour confier leurs organes les plus intimes aux fantaisies de
médecins hilares et de masseurs emplis de cupidité. Les adolescents
vigoureux réchappent quelquefois de ces immersions néfastes auprès
desquelles le système hydrothérapique du regrettable Carrier pourrait
passer pour de la Saint Jean.

Bigorre s’est constitué depuis longtemps une spécialité de courants
d’air qui font de ses thermes le plus merveilleux endroit du monde pour,
en quelques minutes, acquérir une maladie mortelle. Par compensation un
administrateur infatigable prit le soin de réduire en cotrets tous les
arbres susceptibles de fournir quelque ombrage au temps caniculaire, de
sorte que les visiteurs ont le choix entre la pleurésie et l’insolation.

Ceci posé, nulle industrie plus honnête dans Bagnères. Les démolitions
et reconstructions annuelles des baignoires donnent du pain à vingt
équipes d’ouvriers, que, nonobstant la douceur de son nom, le jeune
Monsieur Clément, traite comme des nègres. D’autres virtuoses aussi
jouent de ces pistons, par quoi les vice-rois de la compagnie nous
firent paraître leurs merveilleuses capacités.

Les loueurs en garni, fournisseurs de punaises et de fauteuils à trois
pieds, les promeneurs de guimbardes, les caïmans de toute espèce, ne
mériteraient-ils pas un thrène spécial en cette véridique lamentation?
Mais la fée Mab, la jolie petite fée Mab, avec ses ailes de crêpe et son
diadème de perle, a tiré la coquille de noix, son carrosse, et Mercutio,
le page, se délecte à la voir baller dans un rayon nacreux de lune.

A qui profite au surplus de prouver la moindre chose? A quoi bon
houspiller les échines de Messieurs les paltoquets et les honorer
d’exordes comminatoires. N’est-ce pas, proprement, vouloir ferrer des
cigales? Aussi bien, nous les allons voir à l’œuvre et notre petit
bonheur annuel est près de débuter. La saison s’ouvre en bâillant comme
une huître qu’elle est. Cabotins, épiciers, fausses comtesses, Athéniens
du baccara, valseuses en fer, chaperonnées de pères en bois, touristes à
voiles verts, Anglaises giraffières, le déballage commence et la parade
ambulera demain. Les gargottiers intoxiquent leurs potages, les valets
de cercle machinent des portées. Le juif Lévy est à son pupitre et les
doucheuses à leurs tuyaux.

Philistins, entrez dans Bagnères! Le lotus de la sottise y va donner sa
floraison.




II

LE ROI DE LA BAROUSSE

OU M. IGNACE PAPULARD CANDIDAT AUX ÉLECTIONS GÉNÉRALES


M. Ignace Papulard, docteur en droit, zélateur de la Société des
Courses, membre de plusieurs archi-confréries et candidat balloté au
Conseil fédéral, avantagea récemment les lettres françaises d’un
opuscule immortel.

J’entends le manifeste par quoi ce jeune Rodrigue dévoila son cœur aux
collèges électoraux selon la bonne formule du _conciones_ et de M.
Hervé.

A l’exemple des grands aïeux, que les labeurs de la guerre et les soins
de la diplomatie n’empêchaient point de sacrifier aux grâces, l’éminent
docteur infuse sa doctrine en des pages stupéfiantes de beauté. Sa
harangue l’égale d’emblée aux gentilshommes qui n’estimèrent point
s’encanailler en raffinant sur le bien dire: Montaigne, Salluste du
Bartas, Agrippa d’Aubigné, Bussy-Rabutin, La Rochefoucauld et tant
d’autres illustres--ses précurseurs.

Il convient de louer sur toutes fleurs, la rose blanche, et Ignace
Papulard entre les enfants des hommes. Jeune, verbeux, fait d’un air à
savoir peu de cruelles, Marc de la Barousse n’hésite point devant les
sacrifices les plus audacieux. Pour raffermir le trône et retaper
l’autel, il part comme un bon petit Quichotte, exposant aux vicissitudes
climatériques son crâne chauve et son paletot bleu--fidèle, mais
déteint. Par les granges, sous les arbres, dans les auberges, il
confabule avec le pacant et tette son reginglat. Des lumières
l’environnent. Saint-Crétin, dentiste, l’offre aux peuplades agricoles
«car, dit-il, lui seul peut guérir, sans pharmacopée, les maux de la
vigne et le progrès des doctrines funestes». O merveilleuse puissance de
l’orviétan! Ignace Papulard assoiera demain son alopécie hâtive entre
les grosses légumes départementales. Disert comme la jument de Bayard,
il parlera même sous l’eau, sans demander de sucre, et poussera Philippe
VII avec un zèle de voyageur en vins.

Notre humble rang de chroniqueur, le respect qu’on doit aux institutions
monarchiques, nous imposent le devoir d’admirer en silence les hautes
destinées où gravit _Ignacelou_, sans prétendre le moins du monde
pénétrer les conseils de ce génie à la Talleyrand.

  «_Je laisse aux plus hardis l’honneur de la carrière_»

et me contenterai de commenter l’échantillon d’éloquence tribunitienne
dont se pourlèchent encore les indigènes de Mauléon!

  «_Mes Chers Concitoyens_»

Début simple, familier aux grands penseurs. Remarquons l’habileté dont
M. Papulard évite les formules irritantes. Un pur aux mains sales eût
apostrophé: «Citoyens!» tout court: lui, ne juge pas inutile d’ajouter
le préfixe que l’on sait, lorsqu’il est question de ses électeurs.

Le docteur connaît la ponctuation et l’usite avec à propos.

  «_Je viens solliciter pour le Conseil général vos libres suffrages._»

Notez la magnificence hautaine, la simplicité toute guerrière du
discours. La phrase tombe dans un vague lamartinien qui laisse fluer la
pensée, en de molles rêveries. Les suffrages que M. Papulard sollicite,
les veut-il pour sa personne ou pour le conseil général? Tout porte à
croire cependant qu’il les réclame en faveur de ce dernier.

  «_Trop souvent, on dénature le caractère véritable du mandat qui
  incombe au conseiller général, et pour moi, c’est un mandat
  d’affaires, que j’entends accepter et non un mandat politique._»

D’aucuns esprits grincheux trouveront peut-être la liaison insuffisante
entre les deux idées que relie la conjonctive ET: 1º la pensée délicate
sur la falsification du mandat; 2º les intentions particulières de M.
Papulard, à l’égard du mandat susnommé. Pour notre part, nous ne voyons
en cela qu’une belle hardiesse miraculeusement propre à relever la
composition par quelque chose d’imprévu et de passionné.

Autre exemple!

  «_La politique! on la mêle à tout et pour tout!_»

Des grimauds eussent écrit: «_La politique, on la mêle à tout_» suivant
les errements de ce faquin de Vaugelas. Mais les porphyrogénètes
dédaignent ces pratiques de la syntaxe roturière et se laissent emporter
à leur bon plaisir. Par un tour incorrect le duc de Saint-Simon campe un
bélître en pleine lumière:

  «_Il n’avait pas le sens commun, ni fréquenté personne que l’on peut
  nommer._»

La Fontaine dit:

  «_Et pleurés du vieillard, il grava sur le marbre ce que je viens de
  raconter._»

Pourquoi, le dauphin de la Barousse, ne jouirait-il pas d’égales
privautés?

  «_Les électeurs, en ne se préoccupant que d’une chose, la couleur du
  candidat_, (après tout, si c’est leur caprice à ces gens-là, de n’être
  point conseillés par un nègre!)--_parfois indigne--souvent
  incapable--plus souvent insatiable--ont fini par faire arriver au
  pouvoir_... (le reste comme chez M. Goujat de Cassagnac).

Je voudrais bien savoir lequel est incapable, indigne ou insatiable. Le
candidat? La couleur? nonobstant, je m’incline, en déplorant
l’imperfection de mon intelligence.

Plus loin, notre Ignace, définit l’attitude qu’il prétend adopter «_au
sein_» de ses confrères:

  «_Or_, se demande-t-il par un artifice agréable--_quel est le vrai
  rôle d’un conseiller général?_»

Et d’emblée, il se répond:

  «C’est: 1º _de s’occuper des affaires du département_ (entre nous, je
  l’avais soupçonné avant ce jour); 2º _de s’occuper plus
  particulièrement et surtout des affaires du canton_» (Ah! bah!)

_Particulièrement et surtout_, rappellent, sans l’affaiblir, la
construction _en outre_ et _surtout_, rencontrée un peu plus haut, les
répétitions ne contribuent pas peu à donner au style, un énergique
inattendu.

J’omets à regret des aperçus exquis touchant le pacage et l’élève du
bétail, à propos de quoi le jeune écrivain sut retrouver les mots du
comte de Buffon. A travers un bosquet fleuri de catachrèses et de
synecdoques, j’arrive à la cavatine finale, au thème de bravoure où le
pacificateur du Louron exalte la bonté de son ours. D’accord avec son
roy, il veut «_à tout prix_» sauver _le droit, la liberté, la propriété,
l’ordre et la religion_. Ah! la religion! Est-elle assez consolée de
l’indifférence du temps en ces béates Pyrénées! Voici que pour corrober
son pouvoir, le palatin de la Barousse, apparaît casque en tête et dague
au poing. Spectacle édifiant! Comme la Hire ou du Guesclin, le baron
Marc s’agenouille dans le sanctuaire avec un bruit de casseroles
héroïques. Il offre pour les encensoirs, la myrrhe des croisades, le
baume oriental, le cinname, qu’autrefois sous le nom plus modeste de
cannelle, ses auteurs débitaient en des cornets de papier gris.

J’arrête ici l’examen littéraire de l’élucubration Ignace Papulard. Pour
la fin, j’ai réservé la phrase unique, la phrase parangon, le Kohinnor
des phrases, dont s’empanache l’inaccessible péroraison.

Oyez la dévotement:

  «_Non! Vous achèverez votre œuvre! elle est digne de vous_ (à toi,
  Jacques Bonhomme!) _et moi, je me rendrai toujours digne de
  vous-mêmes_.»

Rien d’approchant ne fut à ma connaissance proféré jusqu’à nous par les
auteurs gaulois. L’on distingue ici l’influx du Paraclet. Je rementois
vaguement telles grandiloquences prud’hommiennes! «_Ce sabre est le plus
beau jour de ma vie! Si ce mariage ne peut faire ton bonheur, sois-le!_»
et je m’abîme, écrasé sous les catadupes oratoires de ce docteur en
droit qui pourrait aussi bien être docteur ès-lettres, mais qui préfère
solliciter le _libre_ choix du Louron.

Puissent-ils poser sur sa tête les suffrages des bons ruraux!

En le proclamant souverain définitif de la Barousse, les terriens de
Loures manifesteront une jugeotte extraordinaire: car jamais dans le
vaste monde, ils n’en pourraient trouver un autre aussi complet.




III

LES GENTILSHOMMES DU RATEAU


Faites vos jeux, messieurs. Tout va. Messieurs, faites vos jeux. Les
jeux sont faits. Rien ne va plus.

Et du soir au matin, l’homme psalmodie l’imperturbable rengaine, très
empesé, nonobstant la vâcherie des joueurs. La voix neutre, le regard
pâle, ce Kapellmeister de la ruine mène paisiblement la symphonie du
baccara. De tout ce qui remue autour des tables vertes, de toutes les
avarices, de toutes les fièvres, de tous les désastres, il extrait en
pièces de cent sous sa vie atone et régulière. Impassible, en la folie
des gageures, au souffle démentiel courbant les pontes énervés, il opère
et trafique, selon le rituel de son industrie. Il connaît le flux et le
reflux de l’or entre les mains fébriles et, des vices ambiants, extrait
des rentes, comme d’une portée de lapins. D’un coup de palette ou de
râteau, il exécute les arrêts du hasard--nul frisson n’avivant son
masque saturnien. Lorsqu’il mêle, indifférent, les lourdes portées de
cartes, lorsque d’un art prestigieux, il enchevêtre les séquences, ou,
correctement les étale sur le tapis, aucune terreur ne lui vient de ces
figures aux poses sacerdotales et farouches, teintes de rouge et de
noir, marquées aux couleurs du sang et du deuil.

Sans broncher, il adjuge les banques, ramasse ou distribue les enjeux et
réclame le silence quand les conversations s’élèvent ou que les colères
s’exaltent. Si quelque malheureux, ne sachant pas encore l’art de tomber
avec grâce, lacère les cartes après un coup perdu, et les lui jette au
visage, il ne s’en émeut pas autrement. Le métier veut ça. Seul, il
n’est pas ivre et garde sa bienveillance d’homme sobre pour tous ces
malheureux inébriés d’avarice et de fureur. Il sait les jurons que la
malchance apprend aux gens distingués, le dictionnaire des tripots,
cette langue bête et puante comme le lieu où elle s’éveille, dans
l’empouacrement du tabac et l’infection de la sueur humaine. Il compatit
aux superstitions de ces crétins, qui, à l’heure de prendre une main,
observent des rites fétichistes à déconcerter un bonze. Appliqué à
ronger l’opulente moëlle de sa sottise, il a pour ses vagissements et
ses délices des caresses de belluaire présidant au repas des animaux.

Le croupier n’a pas d’âge--peut-être n’a-t-il pas de sexe. Il est
indifféremment blond ou brun, laid ou beau, jeune ou vieux. Cependant un
air de maturité ne lui messied pas, non plus qu’un peu de calvitie, sa
fonction étant grave. Son costume varie à l’infini, depuis la mise sobre
du gentleman habillé chez Renard, jusqu’aux fantaisies bariolées, sous
quoi le hideux Alphonse dérobe ses nageoires. Toutefois le goût des
chaînes de montre et des bagues volumineuses l’accompagne dans ses
avatars. Quel que soit le milieu où vous le rencontrez, d’amples
orfèvreries s’accrochent à son gilet ou fulgurent à ses mains noires de
la crasse des tapis.

Au moral le croupier regorge de paroles et d’intentions débonnaires. Il
a des encouragements de dentiste poussant à l’extraction: une aménité de
photographe accommodant le bourgeois. Des vocables d’un indicible
euphémisme habitent sur ses lèvres. Pour lui, la perte de fortune est un
«accident», la mort, «un événement bien désagréable». Hors de son
emploi, il se souvient parfois qu’il est homme et donne satisfaction à
des instincts paisibles, à ses aspirations bucoliques. Il raffole de
l’idylle en chambre, suspend à sa fenêtre un jardin de grisette; il a
des cyprins dans un bocal et sème du réséda au mois de mai. Il comprend
les calembours et cite des anecdotes. Il a retenu quelques motifs
d’opérette et les fredonne après souper. Il lit le compte-rendu des
spectacles à la troisième page des gazettes, s’intéresse aux courses et
sait mieux que personne de combien de longueurs _Miss Punaise_ à battu
_Melon III_ dans la dernière réunion de Chantilly. Curieux des choses de
l’esprit, il fréquente les petits théâtres et perfectionne son français
par l’étude approfondie des nouvelles érotiques au goût du jour. Et le
matin, quand le vent froid entrechoque vos membres, ô décavés, quand les
coqs lancent des appels tragiques et se lamentent avec des voix humaines
à cette heure du remords, du dégoût, de l’agonie et du suicide; lorsque
l’affreuse soif des nuits de déveine colle la langue des joueurs et
parchemine leurs joues, il regagne son logis, et d’un cœur imperturbé,
sous la pâleur mortuaire de l’aube, suppute le produit de son infâme
labeur.

Au demeurant, il pense bien. Il est pour l’ordre avant tout et soutient
la religion.

Les yeux mouillés, le cœur ému d’une allégresse pie, il rêve au temps où
son épargne lui fera des loisirs, où, béat et monseigneurisé, il
épanouira sa ventripotence dans le congrès des notables philistins.
Lorsque cette modération lui défaille et qu’il se sent promis à de plus
hauts destins, l’avenir n’en reste pas moins couleur de roses et les
portes béantes devant lui. Son étoile se dégage et, sans encombre, il
succède à son entrepreneur. Ainsi commencèrent tant d’illustres, à qui
les grives pleuvent à présent toutes rosées, décrotteurs passés
millionnaires, et vénérés à l’égal des patriarches dans le monde du
carton.

La femme du croupier ne se distingue en rien de la bourgeoise ordinaire
et précoce. Elle fait des enfants, de la cuisine et tout ce qui concerne
son état. Elle peut être accoucheuse, modiste ou maîtresse de piano.
Dans les casinos balnéaires, il lui arrive, pendant que son mari
travaille, d’assister aux spectacles et aux bals, ce qui ne laisse pas
de jeter quelque émoi dans la sous-préfecture, surprise de tant
d’immodestie. A part cette débauche, elle vit chez elle en matrone
romaine. Elle élève sa progéniture, dans les saines doctrines et
souhaite mourir au milieu d’une postérité d’ingénieurs et d’avocats.

Dans la vie de province, où la part faite à l’esprit est nulle, où les
jeunes hommes, privés de maîtresses par le _cant_ des commères et la
prudhommiaque austérité des parents, ne comprennent guère de l’amour que
les fangeuses voluptés, dans cette existence somnolente où ne passe
jamais le _sursum corda_ d’une passion ou d’une idée, le jeu tend toutes
grandes ses toiles d’araignée. La dame de Pique règne en souveraine et
le croupier, son féal page, grandit de la bassesse environnante. Le
pillard lucifuge croît de tous les appétits, qu’il exploite et qu’il
sert; des griffes, sinon des ailes de rapace viennent à ce chapon; juché
sur sa haute chaise, il voit défiler sans relâche les habitués du
cercle, connaît et salue presque _tous ces messieurs_. Il voit les
affamés qui viennent gagner leur dîner du lendemain fraterniser avec les
honnêtes personnes en train de perdre leur argent et leur orgueil.




IV

IMPRESSIONS DE TAPIS VERT


Au Casino de Bagnères. Le cotillon du bal des Pauvres finissait et les
dernières figures se déroulaient dans la maussaderie générale, la
débandade des cavaliers laissés seuls sur leurs banquettes par le départ
de leurs danseuses. Encapuchonnées de blanc, le corps noyé dans
l’épaisseur des pelisses de bal et des fichus de blonde, des femmes
traversaient le grand salon d’un pas frileux et rapide comme si le vent
du matin eût déjà mordu les places nues de leur chair. Au dehors, des
roulements de voitures s’éloignaient, mêlés au claironnement des coqs,
au tintement obstiné d’une cloche conventuelle sonnant le lever des
religieux. Un rideau soulevé montrait à une fenêtre la tache grise de
l’aube. Les flammes du gaz défaillaient dans les lustres enguirlandés de
traînes de lierre, dans les girandoles où se fanaient des sorbes en
bouquets. Une impalpable vapeur enveloppait les choses d’un brouillard
subtil couvrant d’une teinte uniforme de poussière les couples attardés
dans la débâcle de la nuit. Et c’était dans la salle maintenant trop
vaste, une odeur fauve et troublante, un effluve de fleurs brûlées par
la sueur des poitrines et la chaleur des haleines, un fumet de champagne
répandu et de parfums évaporés. Sur la scène que masquaient de leurs
végétations frêles des bambous et des phénix, à travers les cloches
orangées et blanches d’abutilons aussi hauts que des arbres, les
musiciens éreintés rabotaient avec résignation une valse quelconque.
Malgré l’ennui croissant on dansait encore. Le conducteur du cotillon
gravement distribuait les accessoires, consultait de temps à autre une
note écrite sur un carnet de bal. Les commissaires de la fête, une
cocarde bleue à la boutonnière, causaient dans l’embrasure des portes,
riant très haut, la verve chauffée par le vin de Bordeaux municipal. Par
une portière ouverte, apparaissait en pleine clarté, le pillage du
buffet, la déroute des bouteilles vidées, tandis qu’au centre de la
pièce, avec sa nappe éburnéenne et son surtout de fleurs, une grande
table s’offrait aux soupeurs attardés.

Seul, en un coin, perdu et comme absent, un jeune homme somnolait dans
une attitude veule, le dos au mur. Les jambes pendantes, le claque
glissé à terre, dans un avachissement d’ennui, il attendait la fin du
bal, sans doute pour manger. Il était entré dans le salon de danse avec
une poignée de joueurs décavés et affamés, expectant pour se faire
servir, l’invitation de quelque obligeant ami. Et comme la sauterie ne
s’achevait pas et que les intrépides menaçaient de la prolonger pendant
une heure ou deux, avec un beau sans-gêne, il travaillait à s’endormir.

Petit, court, la tête au niveau des épaules, il étalait dans toute sa
hideur, un joli visage d’imbécile aimé des femmes, avec sa moustache
blonde, ses yeux de lin aux paupières sigillées et l’enfantine douceur
de son sourire bête. Une graisse de volaille morte, empâtait ses joues
aux paupières meurtries, enflait ses membres gourds. C’était un habitué
des tapis verts, une figure continuellement rencontrée dans les tripots.
Hétéroclite et vague, il passait plus effacé qu’une ombre parmi les
comparses du jeu. Un des premiers à commencer la partie, il ne se
retirait qu’à l’heure où les garçons du cercle éteignent les quinquets;
une déveine tenace le poursuivait. Pendant des mois entiers, il perdait
en détail les sommes qu’il empruntait de tous côtés. Avec une abnégation
infinie, il recommençait les mêmes coups qui rataient invariablement,
sans une plainte, sans une colère, sans une de ces fulgurations de dépit
qui secouent en des spasmes rapides les joueurs les plus stoïques,
mettant des flammes dans leurs regards et des lambeaux de chair à leurs
ongles. Il n’en voulait pas à la fortune de lui être mauvaise, ni à ses
vices de l’appauvrir.

Malgré tous les déboires de son existence, il gardait la foi des
lendemains, l’espoir d’un retour de chance qui le vengerait. Et souvent
les derniers restés du funèbre «chemin de fer» qui se joue à quatre
heures du matin, les combattants de cette lutte d’idiotie où chacun ne
songe qu’à enfoncer un peu plus son voisin pour se refaire, avaient été
surpris d’entendre sa voix flasque dire paisiblement: «Nous nous
rattraperons bien quelque jour. Nous finirons aussi par trouver une
main. Et puis, à quoi ça sert-il de se faire du mauvais sang?»

Cette invincible confiance lui avait valu le surnom sous lequel tout le
monde le désignait et que ses amis de Casino lui donnaient carrément,
sans qu’il s’en fâchât. On l’appelait le _Monsieur qui attend une main_.

                   *       *       *       *       *

Son histoire était connue de tous et lui-même la racontait volontiers.
C’était inepte, triste et sale comme la vie. Après avoir scandalisé
Bordeaux, la ville des cravates blanches, où son père gagnait
passablement d’argent à fabriquer du Château-Laffite dans les prix doux
et avoir affiché une liaison ignoble, au point que sa famille avait dû
le chasser, il traînait sa misère et ses amours, dans tous les recoins
des Pyrénées. La bohême des villes d’eaux, le renouvellement de ces
milieux cocasses, l’abritait un peu, lui permettait de demander au
baccara de quoi payer l’auberge de l’exil. Mais les cartes n’étaient pas
prospères, les notes chômaient longtemps et les hôteliers assaisonnaient
d’insolences les repas qu’ils lui servaient. Heureusement il avait le
cœur et l’appétit robustes et ne se décourageait pas pour si peu.
Partout il était chez lui et perpétuait ses installations, habitué aux
vides que creusent, dans les stations thermales, les saisons
finissantes, acharné jusqu’au dernier jour à subjuguer la fortune. A
Cauterets, à Luchon, à Bagnères, partout où, sous couleur
d’hydrothérapie, on tripote du carton et l’on soupe avec des filles, il
s’éternisait, dînant aux tables d’hôte, se gargarisant aux buvettes,
expliquant aux nouveaux venus les paysages et les douches de l’endroit.
Cela durait depuis des années. Depuis des années, aussi, il remorquait
cette maîtresse par qui ses déboires avaient commencé, une grande brune
laide, fanée, sans race et sans grâce, dont le nez suintait sous un
enchifrènement perpétuel et qu’il adorait. C’était pour elle qu’il
s’était condamné à tant de grotesques souffrances, qu’il avait répudié
toute vergogne, frayant avec les grecs, tutoyé par des croupiers, si
déchu que même dans le monde des joueurs, on le prenait en pitié. Et ce
crucifié d’amour gardait parmi tous les hasards sa sérénité stupide de
gros bébé. Sans le sou, ne possédant pour vivre que l’argent des cartes,
il en était venu à garder les louis que «sa femme», ainsi qu’il la
nommait, glissait parfois, le matin, dans son gilet. L’opprobre et la
rancœur des choses qu’il vivait, ne mordaient pas sur lui. Dans la
détente de son orgueil, dans la fuite de toute volonté, il se plongeait,
comme en un bain d’indéfectible repos. Le pain de la douleur lui
profitait.

                   *       *       *       *       *

Mais une fanfare jaillit de l’orchestre subitement réveillé. Le cotillon
était fini. Deux par deux, les couples défilaient pour la promenade
finale, armés d’engins charivariques, mirlitons, crécelles, trompettes
et violons à quatre sols. Sur un signe du conducteur, les pistons
attaquèrent la marche du Prophète et ce fut un vacarme épouvantable qui
jaillit de toute la salle, accompagnant le thème auguste de Meyerbeer.




V

BOURGEOIS DE BAGNÈRES DE BIGORRE EN 1886


J’ai sous les yeux cette furieuse estampe de Rembrandt: Saint Jean dans
le Désert. Un plateau cendreux, aduste, et comme vitrifié par endroits,
que surplombent de noires falaises. L’aride et le nu du roc vif, sans
eau ni végétal. Un peuple éreinté de sommeil, prostré devers le sol,
regardant avec des yeux vides l’halluciné qui le harangue. Debout, sur
un mamelon effrité, le précurseur clame son rêve messianique, insoucieux
de toute chose hormis de l’idéal. Le souffle de la mort rétracte ses
lèvres d’où fulgure sur le vieux monde l’orage des malédictions. Son
maigre corps, serré dans une loque, le capuchon nimbant sa tête creuse,
le geste fanatique et bourru, tel surgit, en sa laideur fiévreuse,
l’ancêtre des moines tourmenteurs!

A vrai dire, près d’un tel homme, le père Janvier semble un peu terne et
le comte de Mun tout à fait idiot.

--Qu’importe à l’ascète l’horreur brûlante de sa tanière, l’obtuse
indifférence des auditeurs! Une voix lui parle. Hors du contingent et du
concret, l’extase le ravit. Un dieu l’emporte vers les cîmes, lui
découvre une justice nouvelle et, huées du farouche Thabor, les hordes
noires des Barbares à venir, les destructeurs de toute harmonie sociale
et de toute beauté.

Au premier plan, dans une lumière--on dirait--apaisée, trois bourgeois
pérorent avec un dégoût manifeste, improuvent ces ardeurs de colère et
de foi. Leurs vêtements sont amples, levés dans des étoffes opulentes et
durables--et faits d’un air cossu qui, d’abord, les signale pour des
gens arrivés. De larges tiares, copieuses en broderies, cerclent leurs
tempes grisâtres et leur personne entière montre un air de délibération,
effet de la richesse autant que de l’estime où chacun les tient. Pour
les visages, rien ne se peut imaginer de plus bassement laid. Pas un
scrupule d’intelligence ou de passion. Ce sont bien là des marchands,
inaccessibles à toute vérité d’ordre surnaturel. L’astuce, la
goinfrerie, la lésine, la sottise poltronne déprimèrent ces faces,
creusèrent ces rides, ignoblement. A coup sûr, ce sont des gens pieux,
madrés en leur négoce et qui reluisent aux fins de mois. Aussi de quel
mépris toisent-ils le mangeur de sauterelles, l’essénien prêchant la
détestation du riche et la communauté. L’ahurissement du pleutre qui ne
saisit pas, s’unit en leurs discours à la haine du banquier menacé dans
son argent. Pourtant, ici, le grotesque domine, le trio de pieds-plats
fait songer à certaines planches de Daumier, le cruel historien des
bureaucrates; d’un Daumier gigantesque et promu à la vie sublime du
grand art.

                   *       *       *       *       *

J’ai retrouvé, sur mainte hure bagnéraise l’expression lamentable et
caricaturale de mes trois pharisiens. Un arrêté du préfet de police, le
grand architinclin des belles petites et des chevaliers du râteau, vient
d’interdire à grand tapage les jeux dits de hasard, dans les stations
thermales. On a saisi les engins de toute espèce, les râteaux, les
jetons, les chevaux de bois, les mascottes, ingénieux déguisement de la
roulette proscrite, et renvoyé à leurs chères études, les filous
cosmopolites dont se parent les Kursaals. Là-dessus, cris, fureurs,
malédictions. On se fût cru dans Rama, au temps que Rachel lamentait ses
enfançons. A Bigorre, comme ailleurs, l’exécution n’alla point sans
quelque tapage et grincements de dents. Des voix éplorées gémirent chez
Veaudelet. Polycarpe Remora, dit le bourreau des gueux, Polycarpe dont
le claque-dents prêtait asile au monde des petits baigneurs, des
ouvriers et des gens de peine, curieux d’être dévalisés, pleure des
larmes de crocodile sur son industrie méchamment mise à mort. Le
tenancier du casino, drapé dans sa majesté de père-noble, tonitrue avec
les gestes du cardinal Brogni et menace de fermer sa boutique.

L’esprit s’accoutume avec peine à la superlative barbarie d’un pareil
châtiment.

Quoi! jusqu’à la fin de septembre, les dilettanti de passage ne
pourraient plus ouïr la _Dame Blanche_ et _Si j’étais Roi_! Le _Grand
Mogol_, comme _Achilleus_ sous sa tente, disparaîtrait dans les jungles
de Delhi! Le ténor Dumollard, ce luth, et Mademoiselle Trop-de-lilas,
cette harpe, résorberaient leurs tons! Et tout cela pour éviter la ruine
de quelques familles, le déshonneur des jeunes hommes, le désespoir des
mères, les tragédies boueuses et sanglantes sur quoi les entrepreneurs
de casinos écrêment leurs profits. A d’autres! Nous prend-on pour des
faquins? Qu’une femme se noie, qu’un enfant de vingt ans se brûle après
quelques nuits, où, d’accord avec les croupiers municipaux, les grecs
ont arraché de ses mains le bien patrimonial, est-ce là de quoi mener si
grand bruit quand la cagnotte marche et que Monsieur Delaroulette est
satisfait?

Pour mettre fin à ce scandale, et rendre aux amateurs passionnés de
musique les organes éoliens qui tant nous ont charmés, les éphores de la
ville se déboutonnèrent d’une protestation vraiment ingénieuse, où la
moralité, l’organisation savante et la délicatesse du cercle de Bagnères
sont exaltées comme il faut. Une localité si bien pensante, en effet, ne
peut tenir un vulgaire brelan. C’est avec des tarots présanctifiés que
l’on cartonne sur ses tapis. Un tripot, le casino de Bagnères! Oh! que
nenni, mais une académie fermée à double tour, aristocratique et pieuse,
moitié salon, moitié sanctuaire, où l’on ne coudoie que fleurs
héraldiques, où l’on n’entend que propos à la Champcenetz. Depuis
l’affaire Tigaud--un gentleman retiré dans sa villa de Poissy--l’on
garde les cartes comme des infantes. On les environne de précautions
merveilleusement combinées qu’un escroc de médiocre intelligence les
peut connaître en un clin d’œil. Le reste n’est qu’un jeu pour l’adresse
des philosophes à qui d’ailleurs le personnel des tables chaudes est
toujours prêt à servir du gâteau, malgré l’honnêteté de quelques
subalternes et la vigilance des ayants-droit. Mais c’est un fait
indéniable, que jamais un grec ne pénétra dans Bagnères, que ses
habitants professent une aversion marquée pour la poussette et le louis
qui tombe, que sa maison de conversation est un site où les mœurs
s’épurent, en même temps que l’esprit se familiarise avec les
chefs-d’œuvre escarpés.

Le document de nos «édiles» a trouvé près de l’administration
préfectorale, un concours d’autant plus suave que des schismes
politiques divisaient ces pouvoirs. On combla les fossés,--l’on oublia
les querelles et l’on s’embrassa, comme, après la mort de Juliette, les
Capulets et les Montaigus. Que les «blaireaux» paient de leur fortune,
ou même de leur couenne, cette heure bénévole, quel maroufle
hypocondriaque oserait fronder là-dessus!

                   *       *       *       *       *

Voilà quels événements agitèrent Bigorre et ses faubourgs. Les endroits
publics regorgent d’yeux écarquillés et de lippes bavardes, commentant
la décision ministérielle à ne plus finir, proposant avec abondance
d’ineptes éventualités. Il y a là comme un bruit de grenouillère où
vient choir un pavé. Seulement au _brékékékeh_ du divin Aristophane
succèdent des aperçus écœurants de trivialité. Qui l’emportera dans ce
duel tintamarresque, où la ville, représentée par ses élus, joue le
personnage de mestre-de-camp! Souhaitons, pour en finir avec ces
rabâchages, que le monde où l’on triche ait partie gagnée, par l’or ou
par le fer, et que l’écharpe de Pallas, flotte comme devant sur la Tour
de l’Horloge.

Et peut-être, un soir, apprendrons-nous--sans chagrin du reste--que les
vertueux défenseurs de la cagnotte y laissèrent, par la main de leurs
enfants, quelque formidable rançon.

Alors, les yeux dessillés par une mésaventure personnelle, ils
comprendront, sans doute, à quel singulier rôle ils se voulurent
commettre, et que l’ignorance est un crime aussi.

Car enfin que répondraient-ils, ces chevaliers, ces purs, ces
catholiques, si quelqu’un leur proposait en face de tenir--même par
procuration--un établissement de filles ou un comptoir de bonneteau?




VI

BULLETIN DE VOTE.


_Bagnères de Bigorre, 1886._

J’ai reçu, ce matin, un imprimé de forme oblongue, contenant mes nom,
prénoms, domicile et vertus, mais d’une réserve charmante, au sujet de
mes ans. Cela remis par un sergot--irisurbaine--et dénudé de toute
enveloppe. Mon cœur électoral a tressailli; car vous supposez bien que
ce papier fatidique, n’était rien moins que la carte m’autorisant à
circuler sur le trottoir du suffrage universel. Dimanche et quelque peu
les jours suivants, s’il plaît aux candidats couchés dans le hamac du
ballottage, les entendoires bagnérais auront à prononcer entre Monsieur
Troussemêtre, qui en sa qualité d’arpenteur, doit tenir un plan, et le
docteur Cazalas, jaloux de médicamenter notre belle patrie. A vrai dire,
je dois beaucoup à ces messieurs, pour le soin qu’ils prennent d’égayer
les murs de proclamations versicolores. Je n’ai point lu le texte de
leurs papiers, à cause que le verbe constitutionnel n’entame point, sans
douleur, ma caboche ignorante. Mais les beaux placards, usités pour le
raccrochage des suffrageants, amusent l’œil de leur polychromie, et le
préparent aux oiseaux imprévus, aux étoffes estomirantes, qu’importent
dans nos murs les Landes et le Gers.

                   *       *       *       *       *

Pour le restant, Bagnères montre la gaieté, d’un champ de betteraves,
dans un jour brumeux. Le Casino, peu sorti de ses fondations, unit
agréablement les plâtriers aux dames indigènes, de quoi résultent force
erreurs et confusions de maquillages. Les comédies fossiles alternent
dans la salle des fêtes avec les renâclements du ténor sans voix et les
ingénuités de chanteuses quinquagénaires. Joignez la laideur crue du
badigeon, la présence inéluctable des mêmes spectateurs, et vous
imaginerez sans doute l’allure pénitentiaire de ces divertissements.

L’obstination qui caractérise les hôtes du Casino avec l’inamovibilité
du répertoire, y donnent une sensation macabre d’ennui rétrospectif. Les
visages restent les mêmes, allégés d’incisives et soulignés de pattes
d’oie; les tailles se déforment, et telle qui s’essouffle aujourd’hui en
des valses commémoratives, bondissait aux rythmes printaniers, voici
quelque dix-huit ans.

Il sied d’admirer la force d’âme à rendre capable d’endurer après des
lustres, la _Rose de Saint Flour_ ou _les Dragons de Villars_.

Une autre cause de tristesse est l’absence de joueurs qui fait pousser
des champignons dans le tiroir de la cagnotte et substitue la dèche
crapuleuse aux pêches miraculeuses de l’été. L’auguste influence qui
supprima--fort à raison d’ailleurs--l’inepte pornographie des opérettes,
devrait bien suspendre aussi le passe-temps de _la Mascotte_, où les
petits jeunes gens compromettent le repos de leurs nuits et l’avarice de
leurs ascendants.

                   *       *       *       *       *

Le ciel tout gris, le ciel ouateux d’après l’orage, descend en brume
fine jusqu’au ras des coteaux. Les blanches routes aux candeurs
marmorales ignorent les sveltes promeneuses et le gai fracas des
excursions. Un petit âne chargé de bois, un pâtre sur le chemin de
hautes bergeries et dans leurs tape-culs, les courtiers d’élection,
promenant la sottise au grand air, voilà pour le paysage. La campagne
s’endort au clapotement des eaux troubles, au gargouillis des branches
égouttées. La pluie incessante avive et rajeunit le ton laqué des
feuilles, depuis le vert noir des aunes, jusques au pâle argent de
l’osier.

Et c’est une gloire verte des bois et des prairies, des gazons où
s’enorgueillit la claire dentelle des frênes, la découpure savante des
yeuses, la pourpre jaune des sorbiers, l’aile tremblante des sycomores.
Renaisse le bon soleil, ami des plantes et des hommes, le soleil qui
fait bourdonner aux blessures des chênes les scarabées de lapis et d’or!
Renaisse le bon soleil et tremblantes dans leurs robes de printemps, les
belles dames inscriront sur les hêtres débonnaires des chiffres de
jeunesse et de coquet amour.




VII

CONCERT NOCTURNE


Hier au soir, dix juillet, la moleskine officielle appesantie de visages
autochtones, un gros d’artistes lyriques préludaient à leurs
glapissements par l’exécution de _Madame Angot_, cette primeur!

Heureusement, ce soir-là, des pentes de _Salut_ aux chênes de
_Labassère_, les arbres étaient mouillés de clair de lune. Sous le
couvert des frênes, le long des rus bavards entre les pieds de menthe,
un orchestre de parfums menait le branle des esprits.

Au plus haut des frondes étagées, à travers les rameaux qu’empreint un
bleu phosphore, des lampes sidérales clignotaient, vertes comme des
émeraudes, sanglantes comme des rubis, laiteuses comme l’opale,
brillantes comme le diamant. L’eau pétillait sous les viornes avec
toutes sortes de _grupetti_, vocalises et _appoggiatures_, satisfaite
autant qu’une diva patentée de ce gongorisme musical. Mesdames les
fleurs en robes de gala, s’asseyaient pour entendre sur les coussins
verts des prairies. Les narcisses, vêtus de lampas aurore, comme il
convient à des princesses mythologiques. Les myosotis, en crêpe
turquoise, passequillés d’or faisaient valoir des grâces de _Keepsake_.
Les campanules désinvoltes rehaussaient, d’un œil de poudre, leur parure
de chanoinesses et déferraient de quelques impertinences les
pâquerettes, ces bourgeoises. Des pensionnats de clématites roulaient
avec candeur sur la mousse des roches. Les bras nus, la gorge au vent,
sous les palmes des houblonnières, les églantines riaient aux scarabées
audacieux et corrects, à leur beauté bête d’officiers vainqueurs.

C’était une merveilleuse assemblée et digne en tous points du spectacle
attendu. Le gong des crapauds annonçait les entr’actes. Une escorte de
lucioles ramenait à leurs carrosses les belles invitées, piquait dans
l’herbe mille torches vivantes.

A vrai dire, la fête manquait un peu de cette animation chère à nos
joviales compatriotes et maintes corolles spéciales à leurs chapeaux ne
l’honoraient point de leur présence. Mais ce sont là des revers sur quoi
l’on se résigne volontiers.

On ne saurait imaginer d’ailleurs, exécution plus triomphante, auditoire
plus recueilli. Dans son duetto avec la fontaine, le rossignol provoqua
des élans d’admiration, nonobstant les épigrammes d’une chevêche
lettrée, adverse à toute espèce de ténor. Le grillon parut abuser aussi
de son agilité sur le _forte piano_ et prolonger outre mesure ses
dislocations. Une vieille cigale, son amie, l’excusa sur ses mauvaises
mœurs, et que depuis la fenaison, il se grisait chaque jour
abominablement.

Les pieds poudreux, un brin de chèvrefeuille aux dents, l’oreille pleine
de souffles harmonieux et la poitrine élargie aux brises de l’été, vous
ouïrez demain la symphonie lunaire, vous boirez aux calices patents le
vin fantasque de la nuit.

    «_De la nuit, Vierge Mère impalpable qui baigne
    Tous les jeunes émois de ses silences gris_»

et vous ne me demanderez plus quels couvreurs en retrait d’emploi, quels
mineurs matrinicides, chantent, de huit à onze, la mère Godichon, sous
peine d’être classés bien au-dessous des mollusques gastéropodes, au
niveau des lecteurs de M. Georges Ohnet.




VIII

FÊTE NATIONALE


  «_Un beau soleil a fêté ce grand jour_»

comme au temps de la première manifestation, lorsque ce pauvre
Flesselles, se chargea de fournir le _sang impur_. Les échevins
bagnérais ont témoigné de leur fidélité monarchique par une singulière
abstinence de pétards. J’avoue pour mon compte, adhérer petitement à ce
jeûne pyrotechnique. Quel que soit le culte en exercice, il ne me
déplaît point qu’on le récrée de fusées volantes. Cela repose un peu de
la conversation des naturels. La Sainte-Cécile et l’Harmonie des
pompiers ont alterné leurs fanfares exquises de civisme et d’éclat. Un
des principaux éléments de nos réjouissances nationales, j’entends
l’intoxication par les alcools, n’a point failli dans ce beau jour, que
j’appellerai volontiers la _Saint Pochard_, si le premier janvier
n’était baptisé la _Saint Concierge_, depuis longtemps.

                   *       *       *       *       *

Les embellissements du Casino marchent avec lenteur, en dépit de la
canicule. Soigneusement épilé de tout feuillage, le parc offre l’aspect
gracieux d’un steppe au grand soleil. Par contre, aux jours de pluie,
les talons s’impriment en boue de la façon la plus marécageuse qui soit.
Les scies grincent dans la pierre et la truelle sévit, comme aux beaux
temps de la concession. Un progrès toutefois s’impose en ce jardin:
c’est de complanter la maîtresse pelouse avec des tessons de bouteilles,
relevés çà et là de quelques plumeaux touffus, à l’ombre de quoi, l’on
acclimaterait aisément la vipère bérus et le serpent à sonnettes.




IX

BAGNÈRES DE BIGORRE


_2 septembre 1886._

Notre petite ville si riante au cours de la saison, montra, ces jours
passés, une surprenante animation. L’on eût dit, que pour faire accueil
à ses visiteurs, Bagnères se fût mise en frais de coquetterie, en
multipliant sous leurs pas, les amusements de toutes sortes. A l’instar
des grandes stations, notre paisible «endroit» a sa «grande semaine» qui
ne le cède en rien à celles de Deauville, Luchon, Dinard et tous lieux
renommés. Aux sportsmen, la Société des Courses offre une réunion
embellie par tout ce que les haras pyrénéens recèlent de gentilshommes;
aux favoris de Terpsichore, la mairie donne, dans les salons princiers
du Casino, des bals d’une rare magnificence, où l’éclat des toilettes
rehausse encore le choix du personnel; aux amis d’une franche gaîté, la
Commission des fêtes exhibe des mâts de cocagne, avec leur couronnement
obligatoire de gallinacées en putréfaction; aux babies, le prépotent
Fauré ouvre l’Eden des sauteries infantiles, ce prélude aux jeux dont
Tissot écrivit le manuel. Enfin pour les bourgeois, qu’effarouchent la
dépense et le bruit, nos verdoyantes promenades se parent de leurs plus
clairs soleils. Mais, par-dessus toutes les attractions, celles du luxe
comme celles, non moins pénétrantes de la nature, le «clou» des
réjouissances fut la cavalcade en masques, organisée par quelques jeunes
fashionables, d’accord avec les notables commerçants.

Notre compaing en journalisme, M. Ignace Papulard, que les graves soucis
de la vie publique n’empêchent point d’être tout à tous et d’entendre,
mieux que personne au monde, ces sortes de passe-temps, a droit à
l’hommage de notre gratitude. Il y a dans M. Papulard--comme dans
César--du dandy et du chef d’armée. C’est pourquoi nous le voyons si
merveilleusement propre à gouverner les masses, dans un but de conquête
ou de simple agrément. _Dux!_

Donc la chevauchée à laquelle se complurent nos compatriotes et leurs
amphitryons, naquit d’un sien concept, uni au désir de quelques éphèbes
cagneux, jaloux d’exhiber, en tutus roses, leurs secrètes difformités.
Le succès décora leurs efforts et la recette--nous dit-on--atteignit un
chiffre inespéré. Qu’ils goûtent la pure joie d’adoucir quelques
misères; la journée fut deux fois bonne, pour le plaisir et pour la
charité.

                   *       *       *       *       *

Les étrangers affluent dans nos murs: le modeste «congé» coudoie
l’élégante Parisienne, les Thermes sont forcés de débiter les eaux
ménagères, pour satisfaire à l’incroyable empressement des baigneurs.
Personne d’ailleurs ne paraît s’apercevoir de la substitution.




X

SUPPRESSION DES JEUX


L’on a fort épilogué, touchant la décision du préfet de police par quoi
le cercle chôme depuis huit jours. Certes rien n’est plus moral que de
combattre la funeste passion du jeu, dans les municipes voisins et d’y
protéger contre les écornifleurs, la ponte bécassière. Mais une telle
mesure est inapplicable dans Bagnères où l’on entoure les joueurs d’une
véhémente probité. Aussi, malgré les récriminations de quelques esprits
grincheux, malgré certaines déclamations dictées bien plutôt par de
basses rancunes que par la soif du vrai, nous n’hésitons pas à
redemander, la réouverture du boudoir à tapis vert.

Le cercle du Casino est l’habitacle d’un monde choisi, avec lequel on a
tout bénéfice à perdre quelque somme. Pour notre part, nous avons
distribué, dans l’espace de deux ans, la bagatelle de 20.000 louis aux
diverses réunions florissant alors dans notre bonne ville et quand nous
songeons aux fruits que nous retirâmes de ce faible débours, il nous
vient une confusion d’avoir si chichement payé. Ce prix dérisoire nous
valut quelques-unes de nos meilleures relations: la familiarité de
Gaspard le Huron; le shake-hands du vénérable Escarmouche; le droit de
tutoyer Martin et de recourir à l’obligeance de P. Tapa, le plus
serviable des hommes--au denier deux. Pas une crapule n’a gîté dans
Bigorre, au cours de ces nuits-là; pas une arsouille, pas un truand, pas
un marlou, près de qui je n’aie connu la philanthropique douceur de
prendre place, en attendant la main. «_Homo sum_...» Pas un goujat qui
ne m’ait soufflé son brûle-gueule au visage! Pas un nigaud qui ne m’ait
abreuvé de sornettes! Pas un croupier qui ne m’ait salué par mon nom!

De telles acquisitions contre une misérable dépense! N’est-ce pas tout
profit pour le récipiendaire et, comme disait Gavarni «beaucoup
d’honneur pour son argent.» En vérité qui se voudrait plaindre? Quelque
bardache, tout au plus.

                   *       *       *       *       *

Les représentations théâtrales poursuivent d’un cours égal leur
triomphante carrière. La troupe lyrique et celle de comédie (_amant
alterna camenæ_...) charment les doubles échos de la bonbonnière Saint
Jean et de la salle des Fêtes. Ne reculant guère devant les
sacrifices--même périlleux--quand il s’agit de l’art et de ses abonnés,
M. Fauré nous révéla naguère un ouvrage inédit, ou peu s’en faut, dont
l’originalité, la fantaisie et la verdeur nous ont su procurer une
jouissance artistique aussi vive qu’inattendue. La chose est, sauf
erreur, baptisée, _Les Dragons de Villars_ et passe communément pour une
œuvre posthume d’Hector Berlioz. Dans cette partition, d’un style
harmonieux et coulant, abondent les motifs aisés à retenir. Aussi
avons-nous ouï sans trop d’ébahissement des chœurs de jeunes hommes
aboyant à sa sortie

    «Je me disai... ai
    Quand tu passai... ai».

D’autres partitions de moindre importance, des vaudevilles à foison, des
drames par centaines et des saynettes par milliers; une fête nocturne
dans les jardins du Casino, de quoi le besoin se fit sentir du jour où
la température basse permit d’espérer une moisson flatteuse de
bronchites et de rhumes de cerveau: tel est en résumé le bilan des
allégresses bagnéraises. Soyons fiers et bénissons avec nos hôtes le
sagace cornac auteur de ces loisirs.




XI

OUVERTURE DE LA CHASSE


_Bagnères de Bigorre, 7 septembre 1886_

L’ouverture de la chasse exécutée par un lutrin d’acéphales, peuple de
résonnances imbéciles les coteaux et les bois. La vénerie au petit pied
est à coup sûr un des moyens topiques dont use la classe moyenne pour
faire patente son incurable stupidité. Aucun spectacle n’est plus idoine
à éjouir les quadrupèdes de tout pelage que l’aspect d’un huissier en
tenue de guerre, ou le ventre d’un tabellion bedonnant sous son carnier.
J’imagine que les oiseaux de divers ordres garés des fusils maladroits,
s’esclaffent aux dépens des boutiquiers cynégétiques. Le hérisson débite
au lièvre maintes pointes, touchant les gabatines qu’il leur donna; le
connil, cette crapule forestière, leur fait la nique au bord des haies;
le geai les siffle, et le chat-huant les vitupère; la bécasse prend en
pitié la niaiserie de leurs apophthegmes; et du creux des châtaigniers,
la buse en parle à l’émouchet, son compère.--Eux, vont toujours, sans
même soupçonner l’ironie des bêtes et des choses; la grimace
cachinnatoire du soleil goguenard qui leur bleuit la trogne et
vermillonne leur sinciput.

Puis le soir tombe et les bestioles vengées se livrent sans contrainte
aux passions affectives, dont Toussenel les a si libéralement
gratifiées.

Celui de tous les écrivains qui s’est le plus attendri sur les
déjections naturelles, j’entends le père Michelet, n’a pas manqué
d’attribuer aux moindres volatiles de suprêmes amours et de rares
pensers. Volontiers, il s’extasie sur la vaillance des guêpes et le
grand cœur des pingouins... Sans communier aussi largement de l’âme des
choses, nous ressentons un fraternel émoi pour tant d’innocentes et
gracieuses formes de la vie. Les oiseaux surtout, amis de la chaumière
et du labour, portent une grâce augurale et pour ainsi dire sacrée. La
caille, au plumage couleur de terre et de blé; le virevent, qui fuse le
long des saulaies comme un éclair d’émeraude et de lapis; la perdrix, si
délicatement fourrée d’une peluche bleuâtre où saignent des gouttes de
corail; et par-dessus tous, la vaillante alouette qui porte au plus haut
ciel l’allégresse des laborieux matins, ne sont-ils pas la voix même, le
chant humble et doux du terroir natal?

Je ne pense pas que ces considérations empêchent Messieurs les chasseurs
de tirer au poil et à la plume, ni les maîtres-queux d’étendre leur
butin sur de fines rôties. Nous déplorons seulement que la chair humaine
n’ait point la saveur du lapereau, sans quoi nous proposerions à
quelques snobs galipoteux, de remplacer les victimes ailées dont nous
nous délectons.

    Le dernier feu s’éteint sur la lande embrumée:
    Plus de flamme aux carreaux, aux toits plus de fumée.
    La note des crapauds vibre, seule, et la nuit
    Sous ses voiles de crêpe endort ce faible bruit.
    Les étoiles ne sont pas encore allumées,
    Silencieusement des brises embaumées
    Passent sur le sommeil des moissons et des bois;
    Une clarté se pose au faîte blanc des toits
    Et de taches d’argent sème la terre brune:
    Voici qu’à l’orient, là-bas, monte la lune.

                   *       *       *       *       *

Le premier bal de la ville, commencé lugubrement, a secoué peu à peu son
allure mortuaire et jusques vers l’aurore, papillonné clopin-clopant.
Quelques gracieuses femmes, un soupçon de toilettes, les valses
émergeant de bambous tout en fleurs, l’or du gaz sur les moulures
pâtissières, en la salle dite des Fêtes, cela ne suffit point à
galvaniser l’ennui dont Bagnères affadit ses visiteurs. Certaine robe
d’un provincialisme excessif suscita de courts élans de gaieté, fournit
aux désheurés du lendemain, le motif d’une agréable conversation. L’on
rapporte que plusieurs convives autochtones portent encore du mal au
cœur, pour s’être ingurgité sans mesure, l’orgeat gratuit et les
sandwiches sébacées des festivals municipaux.




XII

IMPRESSION DE MID-SUMMER

DU VAL DE PAYOLLE, LE DIMANCHE DE LA SAINT JEAN D’ÉTÉ


Décortiqué, l’aubier fendu sous des coins ligneux, le pin surgit entre
les pals qui l’étançonnent, mitré de fleurs, chappé de branches avec
l’appareil d’un fantôme roi.

Un orage fermente dans le ciel, torpide, rubéfiant l’azur de tonnerres
avortés. C’est la pesanteur des midis électriques, aggravée aux fades
exhalaisons des tilleuls. Ferments d’alcôve où se souvient le musc des
chevelures, frissons du rut universel, orgasme des sèves pâmées si
lourds aux poitrines humaines.

De vers le ponant, aux fins de l’horizon, une rougeur étale, un abîme de
sang cuivreux où se détermine en silhouette l’ogive mince des peupliers.
En haut, le bleu lucide, l’onde claire d’un outremer déjà pâli. Des
hirondelles incisent de leur aile noire les volutes pourpres des nuées.
Tragiques, des flammes s’écroulent du zénith à l’occident. Et, dans une
seule apothéose, vers l’incendie astral qui s’effondre et s’échaffaude,
monte, d’abord fumée, l’embrase inepte et glorieux du _haillat_[2].

  [2] Haillat, bûcher, en dialecte gascon.

                   *       *       *       *       *

La foule stupide comme il convient. Des avoués sont venus là, concomités
de leurs épouses, flanqués de leurs marcassins. Des guenipes aussi
professionnellement. Des blousards--maternels avec excès--érigent à
pleins bras leurs mômes englués de morve et de sucre en bâtons.

Bannières en tête, chantres au flanc, voici le clergé nasiférant des
cantiques. Autour du bûcher les vicaires génuflectent, goupillonnent et
saluent, tandis que le célébrant à grand renfort d’allumettes, provoque
l’étincelle paresseuse à jaillir. Un nuage se tord, écharpe grise lamée
brusquement de stries écarlates. Des feuilles de buis vert claquent et
pétillent, s’enchevêtrent en sequins d’or. Sur le tronc voué ruisselle
un baume incandescent, qui le dévore. Les chantres suffoqués renâclent
l’hymne de Guy d’Arezzo, le verset à doubles croches où ce moinillon
inoccupé harponna «l’ut-ré-mi-fa-sol» tant douloureux aux enfances bien
nées.

Un ecclésiastique myope que le brasier roussit quelque peu, s’évertue de
ramener son surplis en arrière. Les voyous se culbutent afin d’arder au
brandon public les thyrses dont ils vont sur l’heure, effarer mesdames
les bourgeoises en souci de leurs mollets.

Et, dans le ciel où rougeoient des flammèches emportées dans le ciel
métallique et fumeux comme une forge éteinte, dans le ciel où grandit
l’impérissable amour, éclate, sur la cohue imbécile, le rire vengeur des
anciens Dieux.

                   *       *       *       *       *

Un âpre soleil darde sur la garrigue ses obliques rayons. La brande
verte et rose dort immobile dans les silences de midi. Seul, le claquet
des grillons scande les minutes chaudes--horloge de l’été. Au loin vers
la montagne, dans le val où badine quelque source, tremble au sommet des
aulnes un brouillard évanoui. Massives, érigeant en plein ciel leurs
arêtes d’acier bleu, les vastes Pyrénées enclosent l’horizon. Tours
crênelées, flèches de cathédrales, coupoles imbriquées d’argent,
toitures monstrueuses d’une cité pélasgique, les lourdes cîmes
échafaudent par la rude clarté leurs dômes prestigieux. Dans l’azur nu,
invisible presque, le tournoiement d’un vautour. Une couleuvre, par
instants, rampe sous la bruyère avec le bruit sec du papier froissé.

Et le pastour, dont les sabots tintent pesamment sur la route
empoussiérée: le compagnon fourbu; le tourlourou convalescent, le
porte-balles qui vend aux filles de ferme des bréviaires d’amour, hument
avec transport l’incandescente beauté de la nature, cependant qu’au bord
du fossé où volète la mésange, le villageois, en pleine lumière, touche
les bœufs assés, d’un mouvement pontifical.

                   *       *       *       *       *

Sur la table un faisceau de lys. Chair florale près de quoi la chair
vive s’humilie, nacre odorante à dépriser le vernis des coquillages. Ni
feuilles, ni rameaux. La tige d’un vert blême ostente cet émail où--vol
d’insectes mordorés--posent les étamines. Nulle innocence, d’ailleurs,
malgré le symbolisme goîtreux des processionnaires. L’orgueil d’être
blanc--tel un soleil de juin;--le faste des parfums trop généreux pour
nos désirs.

Superbes, d’une gloire laiteuse en la buire de Venise, les corymbes
liliaux versent le plein été aux choses familières. Comme les bergers du
Cantique, le Souvenir se repaît entre leurs dons. Emmi l’ombre où
sussurre--inquiet--l’appel des aromates, renaît l’effluve des charmilles
antérieures, le givre des longs soirs à travers d’autres branches. Les
baisers fleuris de troènes, les cheveux constellés aux pâleurs des
jasmins pernoctent, doux sabbat de la jeunesse fugitive.

Par la fenêtre, un coin d’éther crépusculeux, estompé l’on dirait, de
gaze noire. Le parterre noyé d’obscur, sans un bruit d’ailes ou de pas.
Au loin, l’harmonica solitaire des crapauds exaltent Vénus qui rit à
leurs yeux de topaze, et sur l’arête des ormes, se lève coruscante.

                   *       *       *       *       *

Crépuscule, mais imprégné de jour, où défilent endimanchées, les
ménagères de l’endroit. Rasés bleu, les membres gauchis dans leur vêture
de cadix, les mâles fument sur la place de l’Eglise, en attendant
souper. Une fuite d’encens traîne sous le porche ouvert. Des béguines,
symétrisant les chaises bousculées par la débâcle de vêpres, glissent,
falottes entre les saints peinturlurés. C’est dans la nef, qu’épargne la
rousseur de l’heure, un bleuissement de paradis, une Avallon campagnarde
éclose aux fraîcheurs des bénitiers.

Mais, plus rude, avec son fumet de simples écrasées, la moisson
lithurgique imprègne d’âcre miel les rues de la bourgade. Roses bénites,
lys sacrés et le fenouil qu’aima le Syrien Adonis, les herbes de la
Saint-Jean évaporent sous les toits rustiques, leur ardente fenaison.

Parmi ses glauques cheveux d’ondine, la nigelle aux yeux pers sème des
nœuds de turquoise. La feuille trilobée des ancolies supporte avec
fierté des campanes d’améthyste. Les daturas, les molènes velues, les
euphorbes aux pétales virescents, les digitales assassines, bandent
leurs piques mal famées et, noir de suprêmes venins, l’aconit fait
craquer sous les sabots de frêne, ses cassolettes plutoniennes.

Amère saveur des plantes! Breuvage de l’été qu’affadit à peine le
nauséeux encens! C’est la veille où, par les hautes prairies, les jeunes
hommes se baignent aux lustrales rosées, invigorent leur puberté dans la
communion des choses. Les fontaines débordent, la fougère mûrit. Le
village latin, célèbrera, ce soir, ses païennes et vivantes origines. A
moins que, nantie de quelque billon, la jouvence locale ne se rue au
café du Sud-Ouest, présentement illustré par les intermèdes et chansons
de Mlle Pépita, romancière excentrique à l’instar de Paris, comme en
témoigne, avec déférence, l’aboyeur public,--très digne--après un
roulement de son tambour enchifrené.




XIII

PORTRAITS DE FAMILLE


    Le père Chose éteint le feu
    Et pour qu’aucun valseur ne lampe,
    Renverse le thé dans la lampe.
    Ses enfants le voudraient bien feu.

    Dindonnus semble un jeune Dieu
    Peint sur le mur, à la détrempe:
    Son crâne est la pomme de rampe
    Chère à Philippe de Grandlieu.

    Près de Clary-Bell qu’on assiège
    Dindonna, hors d’un bain de siège
    Fait de musc et de néroli,

    Se comprime le métatarse.
    Son corset de bourre est empli:
    C’est une dinde avec sa farce.




XIV

BALLADE

EXÉCUTÉE EN RIMES PARNASSIENNES A LA LOUANGE DU DRAP BOSVIEL


    Chœurs bondissants par l’oréas neigeuse,
    Faunes velus, thyades aux bras blancs,
    Vous qui menez la cordace orageuse,
    Des antres sourds aux pics étincelants
    Et qui, le soir, sous les rameaux tremblants
    Mêlez vos voix au crotale sonore,
    Je veux chanter, en un rythme de miel,
    Le drap vainqueur, le drap essentiel,
    Le drap cossu dont Bigorre s’honore:
    Le meilleur drap est celui de Bosviel.

    Bosviel n’a pas la mine avantageuse.
    Son ventre gros bedonne et sort des plans,
    Son poil est gris et sa face rageuse:
    Même il a pour nos regards indolents
    L’air abruti des messieurs icoglans.
    Cependant la flamme interne le dore,
    Mais, dédaignant tout chic matériel,
    Il va tissant la laine, sous le ciel.
    Et, sans qu’il soit besoin de Mandragore,
    Le meilleur drap est celui de Bosviel.

    Par les taillis ombrés de nuit songeuse
    Le long des bois pleins de parfums troublants
    Nul ne le vit contempler Beseigeuse
    Cueillir des fleurs ou marcher à pas lents,
    Nul moins que lui ne mange d’ortolans.
    Il parle peu, sans nulle métaphore,
    Il aime mieux Gothon qu’Alaciel
    Et des bourgeois, sort providentiel,
    De cornes d’or, son front plat se décore,
    Le meilleur drap est celui de Bosviel,

Envoi

    Prince, Carrère est beau comme Ariel,
    Et l’oncle Uzac se teint avant l’aurore,
    Turon fournit l’onguent mercuriel.
    Mais, de Dunkerque aux montagnes d’Andorre,
    Le meilleur drap est celui de Bosviel.




XV

A SEULE FIN D’EXALTER LE TACT DE M. DURAND.


    Des peintr’ étaient à la campagne,
    Ils respiraient l’air librement,
    Rêvant de revêtir le pagne,
    Quand débarqua... Marie Durand!

    Elle arrivait, vrai sujet Suisse,
    Mettant ses grands pieds dans le plat,
    Etalant un esprit novice,
    Parlant amour, et cœtera!

    Les peintres, frappés de marasme,
    Auraient voulu la voir au loin,
    Mais, comm’ ils avaient un’ belle âme,
    A leur table, ils lui offrent’ un coin!

Moralité

    Quand vous irez à la campagne,
    Point n’en parlez à un M. Durand;
    Allez, revêtissez le pagne
    Et respirez l’air librement.




XVI

BALLADE

POUR EXALTER LES MELONS SURHUMAINS DE MONSIEUR GAGA


    Il n’en est pas de plus sucré
    A Gambaiseuil, aux Yvelines,
    A Grosrouvre, Neauphle ou Méré.
    Les compotes, combien câlines,

    Que fomentent les Ursulines
    Et que Tanrade prodigua
    N’ont pas de douceurs plus félines:
    C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.

    Il marche d’un air assuré,
    Parmi les couches cristallines:
    Ainsi Van Dick lâche son ré.
    Et les courges, ces orphelines,

    Et les endives de Malines,
    Et le myrthe, et le seringa,
    Proclament du val aux collines:
    C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.

    Lorsque septembre enténébré
    Te pleure, ô Soleil qui déclines,
    Le melon, comme un sein doré,
    Pointe parmi les avelines.

    Viens, Brunehilde et toi Zerline
    Et toi, Maure pour qui Pingat
    Aurait ourdi ses mousselines!
    C’est l’œuvre de Monsieur Gaga!

Envoi.

    Princesses! que vos mandolines
    Chantent, du Zenil au Volga,
    Ces cucurbites zinzolines:
    C’est l’œuvre de Monsieur Gaga!




XVII

SOUS LES TILLEULS DE BAGNÈRES


En Messidor, pendant l’octave de la Saint-Jean, saison amène où les
bouquets noués d’herbes au ruban mêlent à l’œillet de poète la rose de
tous les mois, quand le plus humble courtil se pavoise de lys blancs, de
jaunes soucis et de bleuâtres dauphinelles, quand le rossignol fait ouïr
encore une chanson de miel (ainsi parlait le bon Aristophane) et qu’aux
marges des fossés, le ver luisant pour sa vigile d’amour, accroche une
lampe furtive, la maison rustique et le domaine forestier, la campagne
avec ses champs, ses prés, ses halliers, ses jardins, ses pâturages et
ses landes, appartiennent aux Esprits bienveillants dont les travaux et
les jeux ne se déroulent que dans la paix des belles nuits.

C’est le faîte de l’année et la semaine des semaines, où les ciels
moroses du livide Occident se parent d’une grâce inconnue aux pays mêmes
du lotus et de l’oranger. Le printemps s’achève et l’été commence à
peine. Quelques fruits cependant brillent déjà parmi les fleurs, mais si
légers, mais d’arome si suave, qu’on les prendrait pour des fleurs
encore sur l’épine du framboisier, aux branches d’où pendent les
cerises, au vert buisson que la groseille éclabousse d’ambre pâle et de
grenat.

Shakespeare à choisi cette nuit, la plus belle de toutes, pour y situer
le rêve féerique de Thésée et d’Hippolyte, d’Obéron et de Titania,
Nicolas Gogol, ce Virgile du Dniéper assigne même aux conciliabules des
esprits qui gardent les richesses, des nains qui, dans les blancheurs
lunaires, décapent leurs trésors depuis que brille l’étoile au soir
jusqu’au premier chant du coq. Et c’est alors aussi que dans la nuit de
Walpurgis, apparaît le spectre fatidique du Brocken, que passe au
claquement des fouets, aux abois des limiers, la chevauchée
d’Athta-troll avec la fée Habonde et la jeune Hérodias. La forêt des
Ardennes se peuple de visions et de formes crépusculaires.

          _Les anciens loups
    Qui dorment dans la lune éclatante et magique_

trottent devant le Chasseur Noir et la menée d’Hellequin, sous les fûts
des mélèzes et des pins résineux. Malgré les vieilles maléfiques et les
chats démoniaques menant leur sarabande au milieu des bruyères désertes,
cette heure appartient à la sorcellerie amicale, au petit monde
fantasque et tutélaire dont les caprices, la plupart du temps,
améliorent le sort du pauvre, du banni, de l’orphelin, du miséreux.
Nains propices, filandières secourables, corbeaux pareils à ceux de
Wotan préparent dans les _Kinder und Hausmärchen_ des frères Grimm,
toutes sortes de bonnes aventures aux porte-besaces, aux infirmes, aux
enfants malingres, chassés par une marâtre du foyer paternel.

Ces miracles tout naturellement s’épanouissent comme la fleur qui chante
à l’époque où le soleil entre dans sa première maison d’été.

En hiver, au contraire, les démons de la tempête rôdent parmi les
ténèbres de la lande. Le vent d’ouest pleure, crie et sanglote, comme un
chrétien égorgé par des bandits. Le froid, les bourrasques, la nuit
hostile retiennent près du foyer, dans leur demeure bien close, le
paysan et le bourgeois. Seuls, vagabondent après le couvre-feu, loin des
villes et des bourgs, les écorcheurs, les faux-saulniers, les coquemares
et les mauvais garçons. Beau temps pour le sabbat! Mais aux nuits de la
Saint-Jean, près des ruisseaux qu’embaument le fenouil, la menthe et la
reine des prés, sur les pelouses où verveine, sauge et boutons d’or
passementent l’herbe verte que n’a pas touchée encore la faux du
moissonneur, des esprits bénins, en attendant l’aurore, mènent danses et
chœurs. C’est le temps où Dames blanches, _hades_ et farfadets se
manifestent au pauvre bûcheron, à la fileuse indigente, où la fée et le
lutin emplissent la huche de farine, donnent de l’esprit au Petit Poucet
et des robes à Cendrillon.

Le personnel des Contes de ma mère l’Oye, célèbre sa fête annuelle
pendant ces claires ténèbres du Mid-Summer.

Chaque moment de la belle saison s’est orné d’une parure individuelle,
d’un parfum singulier. Il n’est herbe si menue, il n’est plante si
rebutée et misérable qui pour glorifier le beau soleil, n’arbore quelque
ornement. Les jardiniers se sont plus à dresser une horloge des fleurs.
Pourquoi pas un calendrier du printemps?

Cela irait des jacinthes aux pivoines, des anémones à l’œillet. Les
arbres surtout, mieux que tout autre végétal, prêtent leur odeur, une
odeur spéciale à chaque semaine du renouveau. Les pommiers d’abord, les
pêchers, les amandiers; ensuite le lilas; puis, l’acacia, l’aubépin, le
laurier-cerise comptent les heures, signalent à chaque étape la marche
ascendante du soleil. Et quand, arrivé enfin au point culminant de sa
course, il triomphe dans la jeunesse et la beauté, les tilleuls ouvrent
enfin leur fleurette jaune pâle, d’où s’épanche, en plein ciel, un baume
puissant et délicat. Ni la rose, ni la tubéreuse, ni le frais jasmin, ni
le fugace parfum du réséda, aux crépuscules d’août, n’égalent cet arome
dont s’enivrent les nocturnes promeneurs; c’est l’âme elle-même, le
songe des belles nuits, au milieu de l’été.

                   *       *       *       *       *

Près de Riennel, dans ce vallon de Salut qu’enchante la lune féerique,
dans les sites virgiliens de Bagnères, plus qu’en aucun lieu du monde,
les tilleuls épanchent leur suave et pénétrante odeur. Quel adolescent
pouvait aborder ces beaux lieux sans être ému de leur grâce, de leur
paix profonde? Laissez Bagnères, la ville de province et la ville de
bains, toute blanche avec ses ruisseaux, les ondes vives qui jaillissent
dans un sol de marbre; négligez les édifices médiocres et la sculpture
officielle qui prétend orner ses carrefours. Ici, l’ornement unique
c’est l’arbre, le frêne, l’ormeau, le hêtre majestueux, dressant comme
une colonne dorique son fût poli et régulier; c’est au bord des
ruisseaux, dans les fonds marécageux pleins de calthas et de myosotis,
l’aulne au feuillage vernissé d’un vert noirâtre, qu’effleure de son
aile indécise l’essaim diapré des libellules.

Dans le calme et frais décor, au pied de la montagne riche de sources,
d’ombre et de silence, parmi les arbres que rajeunit sans cesse l’eau
vive des fontaines, l’esprit se plaît à rêver les contes d’autrefois, à
suivre l’image des superstitions millénaires, à figurer les
métamorphoses de l’arbre et de la plante, du reptile et de l’oiseau, de
la grotte et du torrent, à peupler les herbes, ces gramens, ces pentes
d’émeraude, ces coins obscurs, d’êtres mystérieux et fugitifs, à suivre,
tandis que les tilleuls pleuvent leurs parfums, les rondes volages de la
Fée et de l’Ondine, le tournoiement des sylphes aériens, parmi les
phalènes et les chauves-souris.

_Unter den linden!_ Alphonse Karr eut l’honneur d’être un sot par la
tête, un sot bien pensant, religieux, conservateur, et qui se piquait,
en outre, de proférer des bons mots. Il décerna au plus inepte de ses
bouquins le nom charmant des promenades germaniques. Ce n’est pas, en
effet, à Berlin seulement, que l’on marche «sous les tilleuls». A
Deventer, j’ai retrouvé le nom et la chose, vers la fin d’un été
mélancolique, d’un été de Hollande, où les feuilles mortes et les
bractées des chers tilleuls dansaient prématurément leur automnale
sarabande, venaient s’abattre, comme des papillons morts sur l’eau
dormante de l’Yssel.

Mais, dans ce juillet pyrénéen, les feuillages gardent une jeunesse, une
vigueur, une sève d’adolescence, une robuste et juvénile beauté!

Faits pour abriter les amours des dieux et prêter leur ombre à
l’éternelle fête des étreintes humaines, les arbres gardent à Bagnères
toute leur splendeur. Ce délice de la hache qui tourmente notre âge de
maçons, ne paraît pas avoir contaminé ce beau pays. A part une
échancrure faite par les cagots devant la vierge de Bédal, échancrure
qui met à nu ce fétiche mastoc et laid, pas un arbre, semble-t-il,
depuis quarante ans, ne fut détronqué sans raison. Les robustes ormeaux,
les frênes héroïques, dont chaque nodosité dit l’effort de la plante
pour s’arracher à la glèbe, pour individualiser sa vie, étalent chaque
année, avec plus de force, d’orgueil et d’opulence, leurs ombrages
respectés.

Ceux qui vinrent, enfants, cueillir en des paniers de frêle vannerie et
proposer aux belles étrangères, le tilleul d’autrefois, hommes à
présent, voient leurs fils recommencer la cueillette aux rameaux
inférieurs des géants parfumés. Ils marchent dans le bain d’aromates qui
délecta leur jeunesse. La permanente beauté des choses les console
presque de vieillir. L’adolescence de la terre efface, un moment, les
rides sinon de leur visage, du moins de leur esprit.

Ces routes verdoyantes, ces chemins dans les bois, ces pentes du Monné,
du Lhéris, ces rives de l’Adour, offrent aux cœurs inquiets un asile de
paix profonde, un lieu de calme, d’oubli et de sérénité.

Sophie Cottin, sous le turban jaune de Corinne, y vint fluer ses larmes
en plusieurs volumes. Ramon y murmura, au lendemain de la Terreur, cette
parole émouvante que cite Michelet: «Tant de pertes irréparables
pleurées au sein de la Nature.»

Les majestueuses cîmes encadrent l’horizon d’une muraille d’améthystes
et de lapis, de sommets que hantent les vautours et qu’habite
l’indéfectible hiver. Mais la plaine est à leurs pieds, d’un charme
infiniment doux, avec je ne sais quel agrément sauvage qui préserve de
toute fadeur ce climat délicieux. Qui l’a connu, aimé, aux heures de la
jeunesse, qui, libre d’ambition, exempt de soucis et gonflé de sève
comme les tilleuls de Messidor, a, sous leurs dômes pacifiques, goûté
l’enivrement du matin, la beauté païenne, les souffles vierges de la
montagne, en rapporte--je le sais!--pour les heures mornes et le
crépuscule de la vie, une allégresse qui ne meurt pas, tels ces pastours
des contes bleus qui, sur le coup de minuit, à la Saint-Jean d’Eté, ont
reçu d’une fée amicale sous les branches odorantes, le philtre suprême,
l’élixir de jouvence éternelle et d’indestructible amour.




XVIII

RECUERDO DE LOS TOROS


_Saint Sébastien, 1886._

Au coup de trois heures, frappant à vingt horloges, la cohue envahit la
place des Taureaux. Avenue de la Libertad, sur la jetée de l’Alaméda, un
moutonnement de houle où les fiacres à tendelets verts creusent des
ressacs. Des femmes glissent, onduleuses, une flamme dans leurs yeux
noirs. Des mantilles, des _abanillos_, et,--portant des mannes de
raisin,--les Aragonnaises en taille courte, le visage délimité par une
mante de point roux. Des Basques, bérets en tête, et la jambe prise en
des housseaux de laine, soufflent abominablement dans leurs flûteaux
suraigus.

Sur le pont, défilent sans trève des sociétés chorales: un tas de
_lyres_ et d’_harmonies_. Au festival tauromachique, le maire de
Saint-Sébastien, adjoignit un concours d’orphéons, et sous les yeux des
badauds vomis par les trains de plaisir, s’allonge vers le cirque, une
phalange d’instrumentistes. Crevés de chaud, bouffis et suants, avec des
gestes endoloris, ils traînent l’ampleur des grosses caisses, la
configuration bizarre des _saxhorns_. Des enfants se haussent pour voir
les _toreros_ escortés de longs hurrahs! des fils de bourgeois
qu’endoctrinent leurs auteurs sur l’abomination des plaisirs
sanguinaires; des filles vertes, aux hanches délurées, aux regards
explicites, des marchands d’allumettes et de programmes à s’éventer.

Par delà les parapets, l’eau calme de _la Renteria_ bleuit au loin, sans
une écume, se perd au délicat azur. Des goëlands claquent du bec,
lustrent leurs ailes noires, fondent en cercle sur la mer, et leurs
appels mêlés aux fanfares retentissent opiniâtrement.

La course ne promet pas d’être brillante, s’il faut en croire les
initiés. Des taureaux de Félix Gomez et les grandes épées ne combattront
pas.

L’amphithéâtre est plein de la barrière au mur d’enceinte: des habitués
se reconnaissent, discutent à voix basse, l’air satisfait et compétent.
Une affiche reluisante de vermillon et d’or flotte sur le toril, indique
la stalle du gouverneur. De l’autre côté de l’arène, en plein soleil, la
foule encaquée sur les gradins d’_asiento_! la bariolure des ombrelles
et des éventails. C’est comme un battement d’ailes, où, sur les fonds de
couleur brutale, saignent des taureaux, flamboient des _matadors_. Le
portrait de Mazantini est dans toutes les mains, sa légende sur toutes
les lèvres. Jeune, beau, sorti d’honnête race, il apprit à toucher les
bœufs par amour de l’art. Et comme il fut baptisé sur le sol du
Guipuzcoa, qu’on le dit magnifique et brave de tous points, sa gloire
obscurcit un peu le vieux renom des _Lagartijo_ et des _Frascuelo_.

                   *       *       *       *       *

Une sonnerie de trompettes. Le maire est dans la loge, et les
_cuadrillas_ vont défiler. En tête, le héraut serré dans un justaucorps
noir, empanaché d’un arc-en-ciel de vieilles plumes, fait exécuter des
changements de pied à la plus lamentable haridelle qui se puisse voir:
après les _banderilleros_ imbriqués de métal, puis, seul, en cape
aventurine, la face rasée et le port olympien, l’_Espada_ Mazantini,
derrière les _sobresalientes_ et Cara-Ancha, son rival. Tous saluent le
magistrat qui, sans retard, octroie licence de procéder au combat.
Paillon de cuivre, fleurs d’argent, étoffes diaprées et violentes,
l’emphase des vieux costumes anoblit le champ-clos. Des servants
poussent une porte; le silence choit, et poussé dans la piste, le
taureau s’avance, ébloui.

C’est un Andalou, bai-foncé, court de jambes, épais de fanon et
d’encolure, les cornes ouvertes en croissant. Depuis l’aube, afin
d’irriter son courage, on le tint prisonnier dans une boxe étroite, sans
jour, presque sans air. Aussi trébuche-t-il aveuglé de ce plafond
lumineux; soudain, un _chulo_ tout courant, le provoque des plis de sa
_muleta_. Déjà, les _picadores_ sont à leur poste, la lance en arrêt;
les pieds emboîtés dans des étriers de chêne, et le monstre, d’un élan
irrésistible, fond sur eux.

Ce m’est toujours une satisfaction nouvelle, de voir étripailler cinq ou
six couples de chevaux. Avec le perroquet aimé des concierges, je ne
connais pas d’animal plus odieux que la «conquête» de Monsieur de
Buffon, ni qui mérite davantage l’animadversion des honnêtes gens.
N’est-il pas l’occasion de mille sottises nidoreuses telles que
steeple-chases, rallies-paper, courses plates, glapissements de
bookmakers, sans compter les propos des connaisseurs.

                   *       *       *       *       *

Le premier carcan décousu, perd lamentablement ses entrailles, poignardé
d’un coup de corne, puis le ventre, fouillé de l’encolure à
l’arrière-train. Le foie, les poumons, coulent de la bête ouverte, qui
souffle encore et trébuche parmi ses intestins: puis d’un tournoiement
conique, s’écrase dans une flaque d’ordure et de sang. Un _picador_
renversé, quitte la lice en clopinant, tandis qu’un aide enfonce la
_puntilla_, dans le crâne des rosses moribondes.

                   *       *       *       *       *

Légers, sautillants, avec des pirouettes de danseurs, les
_banderilleros_ armés de courtes flèches, bondissent devant le taureau.
Lui, gratte le sol, du mufle et du pied; son haleine creuse des trous
dans le sable; mais avant qu’il ait effleuré l’homme, celui-ci plante
dans sa chair les banderilles empennées. Le hameçon tranchant et solide,
qui termine la flèche d’une cuisante piqûre, exaspère l’animal. Une
pratique féroce, contraire d’ailleurs aux traditions, consiste à ficher,
en guise de banderilles, une pièce d’artifice dont le fracas et les
étincelles aveuglent presque le taureau. Aussi quel qu’en puisse être le
ragoût, il convient de repousser de tels comportements. Le sang tout
cru--le sang versé par des mains intrépides--est la seule pourpre de
mise, en la _plaza de toros_. Que les eunuques et les femmes à pâmoison,
cherchent d’autres spectacles! La vue d’un beau supplice, la joie de
sentir la vie humaine risquée sur un coup de dés, le ruissellement des
blessures frais-giclantes, épanouissent en nous la férocité congénitale,
sans qu’il soit besoin d’amusettes pyrotechniques ou de fleurs en papier
peint.

                   *       *       *       *       *

Veste héliotrope à pampilles d’or, culotte et bas de soie blancs striés
de cannetille, le jarret tendu, la brette emmaillottée dans une housse
écarlate, Mazantini, jette à ses pieds, la toque de peluche et s’apprête
à frapper le taureau.

Un grand garçon, mince, brun, au nez droit, les yeux comme voilés par le
froncement des paupières, la bouche fine et pure, accentuée d’un soupçon
de gouaillerie, tel apparaît, dans la vigueur de ses trente ans,
l’_Espada_ bien-aimé. L’on devine au moindre geste, qu’il marche dans le
prestige inatténué de sa force et de son orgueil. Le désir d’un peuple
de femmes et cette marée humaine, dont chaque souffle lui porte des
baisers, l’allégresse vive du péril encouru, la juste arrogance d’un
métier noble, en cet âge boutiquier, l’imprègnent d’une magnificence
inconnue aux plus reluisants ténors. Ses cheveux drus, tressés en
cadenette, selon le cérémonial prescrit, découvrent tout ce visage,
reluisant d’audace et de beauté: un dieu qui sent l’abattoir.

                   *       *       *       *       *

Le duel se poursuit entre la brute et le tueur, avec toutes les feintes
d’une escrime raffinée jusques au temps que, frappé droit entre les deux
épaules, le quadrupède chancelle et tombe sur le sable vermeil. Puis, ce
sont les vivats et les saluts de la foule, les petits cris extasiés des
_señoras_, les trains de mules chaperonnées, emportant au clair
grésillement des sonnettes, les lourds cadavres mutilés.

Interminablement, les _corridas_ se déroulent avec des fortunes
diverses. Cara-Ancha, qui n’est guère en bonheur, manque plusieurs fois
la botte suprême, à la grande indignation de l’assistance. Les jurons
pleuvent. «A Madrid, ce seraient des bouteilles vides et des oranges
gâtées» dit quelqu’un près de moi. Des hommes, à barbe d’encre, avec des
yeux de Montezuma sur le bûcher, gesticulent furieusement. Un prêtre
jette son cigare pour injurier plus à l’aise: «_Fuero! Fuero! puerco!
conchino!_» et mille gentillesses d’outre-monts. Pendant ce temps, les
Basques sifflent dans leurs galoubets, les orphéons mugissent des polkas
et le déplorable coryphée rate ses victimes à coup sûr. Cela tourne à la
boucherie--«Charcutier», hurle un Français!--«_Puerco_» reprennent les
Espagnols.

A nos pieds, agonise le dernier mâle, une douceur dans ses yeux
obliques, mourants déjà. Un coup de miséricorde, en plein front, le
renverse, foudroyé.

Par les vomitoires grands ouverts, les spectateurs ruissellent entre
deux files de miquelets, s’éparpillent dans les rues pavoisées, comme un
jour de Fête-Dieu. A tous les balcons, des housses claires, des
verdures, des tapis: aux fenêtres, le drapeau de gueules et d’or: les
_miradores_ pleins de robes, couleur du temps.

                   *       *       *       *       *

A la _Maillorquina_, les femmes lunchent, égratignent des sorbets,
grignottent des pâtisseries aux jaunes d’œufs, avec force cédrats
confits, _heladas_ et _vasos d’agua con esponjado_. Les fanfares
continuent leurs évolutions au grand air. La _Marseillaise_ allume par
les carrefours son patriotisme de trombone: les Basques déchirent la
paix du soir de strideurs à la Valmajour.

L’ombre s’appesantit et, dans l’or enfumé du couchant, passent les
filles des Provinces, hautaines et d’une beauté si grave qu’on les
prendrait, ainsi voilées, pour quelque Notre Dame, issant d’un retable,
avec sa jupe lamée et sa couronne de jayet noir.




TABLE DES MATIÈRES


         Avant-propos                                                  7
      I. Villes d’Eaux (Bagnères de Bigorre)                          11
     II. Le roi de la Barousse, ou M. Ignace Papulard, candidat
           aux élections générales                                    19
    III. Les gentilshommes du Râteau                                  31
     IV. Impression de tapis vert                                     41
      V. Bourgeois de Bagnères de Bigorre en 1886                     51
     VI. Bulletin de vote                                             63
    VII. Concert nocturne                                             71
   VIII. Fête nationale                                               77
     IX. Bagnères de Bigorre (septembre 1886)                         81
      X. Suppression des Jeux                                         87
     XI. Ouverture de la Chasse                                       93
    XII. Impressions du Mid-Summer, du Val de Payolle, le dimanche
           de la Saint Jean d’Eté                                    101
   XIII. Portraits de famille                                        111
    XIV. Ballade exécutée en rimes parnassiennes à la louange du
           drap Bosviel                                              115
     XV. A seule fin d’exalter le tact de M. Durand                  121
    XVI. Ballade pour exalter les melons surhumains de
           Monsieur Gaga                                             125
   XVII. Sous les tilleuls de Bagnères de Bigorre                    129
  XVIII. Recuerdo de los Toros                                       143


IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE, BRUGES (BELGIQUE).




ACHEVÉ D’IMPRIMER LE QUINZE FÉVRIER MIL NEUF CENT VINGT QUATRE SUR LES
PRESSES DE L’IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE A BRUGES, POUR LA SOCIÉTÉ
D’ÉDITION «LE LIVRE».




Note du transcripteur

On a appliqué les corrections figurant en erratum. L’orthographe et la
ponctuation sont conformes à l’original, seules les erreurs
typographiques absolument flagrantes ayant été corrigées.



*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAILLASSON ***

Updated editions will replace the previous one--the old editions will
be renamed.

Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
law means that no one owns a United States copyright in these works,
so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the
United States without permission and without paying copyright
royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
of this license, apply to copying and distributing Project
Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
and may not be used if you charge for an eBook, except by following
the terms of the trademark license, including paying royalties for use
of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
copies of this eBook, complying with the trademark license is very
easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
of derivative works, reports, performances and research. Project
Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may
do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
license, especially commercial redistribution.

START: FULL LICENSE

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
www.gutenberg.org/license.

Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
Gutenberg-tm electronic works

1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or
destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
1.E.8.

1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement. See
paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
electronic works. See paragraph 1.E below.

1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
works in the collection are in the public domain in the United
States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
United States and you are located in the United States, we do not
claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
displaying or creating derivative works based on the work as long as
all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
you share it without charge with others.

1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
in a constant state of change. If you are outside the United States,
check the laws of your country in addition to the terms of this
agreement before downloading, copying, displaying, performing,
distributing or creating derivative works based on this work or any
other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
representations concerning the copyright status of any work in any
country other than the United States.

1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
performed, viewed, copied or distributed:

  This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
  most other parts of the world at no cost and with almost no
  restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
  under the terms of the Project Gutenberg License included with this
  eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
  United States, you will have to check the laws of the country where
  you are located before using this eBook.

1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
contain a notice indicating that it is posted with permission of the
copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
the United States without paying any fees or charges. If you are
redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
posted with the permission of the copyright holder found at the
beginning of this work.

1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
any word processing or hypertext form. However, if you provide access
to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
version posted on the official Project Gutenberg-tm website
(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
provided that:

* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
  the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
  you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
  to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
  agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
  Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
  within 60 days following each date on which you prepare (or are
  legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
  payments should be clearly marked as such and sent to the Project
  Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
  Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
  Literary Archive Foundation."

* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
  you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
  does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
  License. You must require such a user to return or destroy all
  copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
  all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
  works.

* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
  any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
  electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
  receipt of the work.

* You comply with all other terms of this agreement for free
  distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set
forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
electronic works, and the medium on which they may be stored, may
contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
cannot be read by your equipment.

1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from. If you
received the work on a physical medium, you must return the medium
with your written explanation. The person or entity that provided you
with the defective work may elect to provide a replacement copy in
lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
or entity providing it to you may choose to give you a second
opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
without further opportunities to fix the problem.

1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of
damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
violates the law of the state applicable to this agreement, the
agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
remaining provisions.

1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
Defect you cause.

Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
www.gutenberg.org

Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West,
Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
to date contact information can be found at the Foundation's website
and official page at www.gutenberg.org/contact

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without
widespread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
state visit www.gutenberg.org/donate

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
volunteer support.

Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
edition.

Most people start at our website which has the main PG search
facility: www.gutenberg.org

This website includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.